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p. 2086-2104
EXTRAIT d'une Lettre contenant la Relation de la défaite des Natches (a) par M. Perier, Commandant General à la Loüisianne, au mois de Janvier 1731.
Début :
Notre General jugeant qu'il étoit necessaire avant de rien entreprendre, [...]
Mots clefs :
Défaite, Chactas, Natches, Louisiane, Traités de commerce et d'alliance, Guerre, Détachement des troupes de la Marine, Sauvages, Rivière-Rouge, Embuscades
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texteReconnaissance textuelle : EXTRAIT d'une Lettre contenant la Relation de la défaite des Natches (a) par M. Perier, Commandant General à la Loüisianne, au mois de Janvier 1731.
EXTRAIT d'une Lettre contenant la
*
Relation de la défaite des Natches (a)
par M. Perier, Commandant General à
la Louisianne , au mois de Janvier 1731 .
No
,
Otre General jugeant qu'il étoit ne
cessaire avant de rien entreprendre ,
de s'éclaircir avec les Chactas , Nation
Sauvage la plus considerable de la Loüisianne
sur les differens bruits qui s'étoient
répandus de leur mauvaise volonté
pour nous , se rendit à la Mobile , Fort
occupé par les Françóis , à la Côte de l'Est
de la Louisianne , où il avoit fait avertir
leurs Chefs de se rendre dans les premiers
jours de Novembre , et les ayant trouvez
bien disposez , il renouvella en la manie◄
re ordinaire , les Traitez de Commerce et
d'Alliance que nous avons depuis longtemps
avec eux , et leur proposa de re
connoître pour Grand- Chef de la partie
du Ouest , qu'on appelle Bas- Chacra , le
Chef des Castacha , Village de la mêmę
( a ) C'est une Nation Sauvage , qui au mois
de Decembre 1729. massacra les François qui
étoient établis auprès d'elle , quoiqu'elle fût en
paix avec eux.
Nation,
SEPTEMBRE. 1731 2087
Nation. Ils l'accepterent avec plaisir et
promirent de nous renvoyer le reste des
Negres qu'ils avoient pris sur les Natches
, et de payer tout ce qu'ils devoient
aux François , avec lesquels ils avoient
négocié. Ils lui demanderent ensuite d'aller
en guerre contre les Natches , mais i'
leur répondit seulement qu'il les feroit
avertir s'il avoit besoin d'eux , étant bien
résolu de ne s'en pas servir pour les tirer
de l'erreur où ils étoient , que nous ne
pouvions nous passer de leur secours , et
que sans leur appui nous serions obligez:
d'abandonner nos établissemens.
Après les avoir renvoyez chez eux
il partit pour la nouvelle Orleans , où il
arriva le 13. Novembre 1730. il y trouva
M. de Salvert son frere , Lieutenant de
Vaisseau , commandant un Détachement
des Troupes de la Marine , très - avancé
dans les préparatifs dont il l'avoit chargé
pour aller attaquer les Natches. L'Equipage
du Vaisseau du Roi , qu'il commandoit
, y avoit travaillé fort utilement , et
on peut assurer que sans lui nous n'eussions
pas été si-tôt prêt à marcher contre
l'Ennemi .
Le 9. Decembre M. de Salvert partit à
la tête du Détachement de la Marine ,
qui formoit un petit Bataillon , il avoit
ordre
2088 MERCURE DE FRANCE
ordre d'attendre au Village de Carlestin
Habitations françoises , situées à environ
15. lieües au-dessus de la nouvelle Orleans
, en montant le Fleuve , le General
qui le joignit le 13. avec les Troupes de
la Colonie et les Munitions de guerre.
Le 14. ils marcherent ensemble jus
qu'aux Bayagoulas , où ils resterent quatre
jours pour attendre le Détachement
des Milices du Pays , commandé par M. de
Benac , Officier retiré du Service , qui
s'est établi dans la Colonie , et les grands
Bateaux chargez de vivres qui ne pou
voient suivre..
Le General avoit divisé ses forces en
trois Corps , pour éviter toute tracasseric
et donner plus d'émulation . Le premier
étoit commandé par M. de Salvert ; il
étoit composé de iso . Soldats de la Marine
et d'environ 40. hommes de son
Equipage . Le second étoit commandé par
le Baron de Crenay , Lieutenant - Colo❤
nel , et étoit composé d'un Détachement
de 150. hommes des Troupes de la Co-
Ionie ; et le troisième étoit commandé par
le sieur de Benac , et étoit composé de
120. habitans qui s'étoient offerts d'aller
à la guerre
.
Le 22. tout étant rassemblé , on se mit
en marche et on fat coucher à Manchac
où
SEPTEMBRE. 1731. 2089
ù le sieur de Laye , Habitant , attendoit
le General , il lui dit que s'il vouloit se
servir des Sauvages Tonnicas , petite Nation
située sur les bords du Fleuve ,
environ 70. lieuës au - dessus de la nouvelle
Orleans , en suivant le Fleuve , il
étoit necessaire qu'il se rendît lui -même
chez eux pour les faire marcher ; ce qu'il
fit en laissant la conduite de la petite
armée à M. son frere , qui malgré la
neige et le verglas , le joignit aux Tonnicas
le 27.
Le 28. il continua sa marche jusqu'à
l'entrée de la Riviere Rouge , (a ) où étoit
le rendez - vous general. Le Vaisseau le
Prince de Conty , sur lequel on avoit fai ■
faire des Fours , y arriva le même jour.
Le General fut obligé de rester jusqu'au .
3. de Janvier aux Tonnicas pour leur
faire achever leurs préparatifs de guerre ,
ils étoient d'autant plus lents , que la
peur les avoit saisis sur la nouvelle qu'ils
venoient d'apprendre que le sieur de Coulange
, ( Canadien , frère d'un Officier des
Troupes de la Colonie , et fils du sieur
de Livilliers , Officier des Troupes de Ca
nada , ) qui avoit été envoyé dans une
grande Pirogue , armée de zo. hommes :
(a) A 9. lieues au- dessus du Village des Tonnicas
, situé à present au portage de la Croix .
grande
2090 MERCURE DE FRANCE
volontaires Sauvages , et Negres libres ,
pour faire porter les ordres du General
aux Arkansas , avoit été attaqué à quelques
journées de chez eux par les Natches , qui
lui avoient tué ou blessé la moitié de ses
gens , parmi lesquels les sieurs de la Touche
,Beaulieu et Cochart, ( le premier, Gen--
tilhomme Breton ; le second , Officier de
Marine de la Compagnie , ) ont eu le
malheur de se trouver au nombre des
morts. Le sieur de Coulange y reçût deux
coups de fusil , dont un au travers du
été mortel. Cette accorps
, qui n'a pas
tion , qui ne décidoit de rien , avoit cependant
si fort abattu le courage de nos
Sauvages , qu'il ne s'en trouva que iso .
des plus braves à l'Armée , les autres s'étant
retirez peu à peu sous differens pré
textes.
Le 4. Janvier , le General joignit l'Ar
mée à la Riviere Rouge , où il trouva les
Détachemens des Garnisons des Natches
et Natchitoches (a) arrivez , et la division
des Habitans , partie pour se montrer à
la hauteur des Natches , (b) afin de faire
(a) Forts François qui portent le nom des Na→
tions Sauvages auprès desquelles ils ont éte cons
truits.
(b) C'est la Nation même qui depuis qu'elle se
vit menacée d'être châtiée par les Frauçois , aban--
croire
SEPTEMBRE . 1731. 209%
croire à leurs découvreurs s'ils nous rencontroient
, que notre intention étoit de
les aller attaquer par le Fleuve , quoique
notre parti fût pris , d'aller par la Riviere
Rouge.
Le 11. l'Armée entra dans cette Riviere
pour chercher l'Ennemi , car nous n'avions
pû sçavoir depuis 9. mois l'endroit
positif où les Natches avoient fait leur
Fort , quoique le General y eût envoyé
zo . Partis differens , tant forts que foi
bles ; ensorte que ce ne fut que sur le
peu de connoissance qu'il avoit tirée d'un
enfant de 12 à 13. ans , qui avoit deserté
de cette Nation , qu'il se hazarda à l'aller
- chercher , contre le sentiment general des
Sauvages , vers la Riviere Rouge , dans ,
des Pays marécageux et coupez , jusques
là inconnus à nos Sauvages du Fleuve .
Cependant l'Armée guidée par l'esperance
et encouragée par son General dans
les peines inexprimables que le mauvais
temps et la difficulté du Pays, lui faisoient
souffrir , se trouva le 19. sans le sçavoir ,
précisement à une lieuë du Fort de Valeur
, c'est le Fort de la Nation Natches.
donna le lieu de sa demeure ordinaire et se transporta
dans un autre endroit qu'elle croyoit inconnu
à tous autres Sauvages et inaccessibles aux
François.
Le
2092 MERCURE DE FRANCE
Le General prenoit toutes sortes de me
sures pour éviter les embuscades qu'il
étoit aisé de nous dresser , y ayant apparence
que les Ennemis sçavoient notre
marche , puisque le 18. quelques - uns de
nos Sauvages qui étoient allez à la découverte
, ( car ils s'étoient un peu rassurez
par l'exemple des François qu'ils voyoient
marcher courageusement par terre ) étant
venus avertir qu'ils avoient appefçû un
. Parti de Natches à deux lieuës au - dessous
de nous , de l'autre côté de la Riviere,
le General y envoya un Détachement de
François et de Sauvages , pour tâcher de
le surprendre , mais on ne put y réussir
par la jalousie de six Sauvages Houmas ;
qui tirerent dessus avant que nos gens
fussent arrivez ; ensorte que ce Parti prie
la fuite et s'éloigna en peu de temps. Si
nous avions pû l'attaquer , on se flattoit
de pouvoir faire quelque prisonnier et
d'apprendre des nouvelles positives du
lieu où la Nation s'étoit retirée .
Nous restâmes le 19. dans la même in
quietude , quoique nos Sauvages vissent
encore plusieurs Natches , dont ils tuerent
un homme et une femme , mais le
20. le General ayant envoyé à la découverte
un Parti d'Habitans et de Sauvages,
soutenus par les Compagnies de Mrs de
la
S
SEPTEMBRE. 1731. 2093
la Giroüardiere et de Lusser ; le premier
Capitaine d'une Compagnie de la Marine,
l'autre Capitaine d'une Compagnie des
Troupes de la Colonie. On vint lui dire
une demie heure après leur départ qu'ils
se trouvoient dans un chemin battu ;
aussi-tôt on ne douta point que ce ne fût
celui du Fort , et on se prépara à marcher.
Le General fit monter les Bateaux vis-àvis
cet endroit , et ayant ordonné au Baron
de Crenay d'y rester avec 100. hommes
, il se tenoit prèt à marcher avec
M. Salvert , pour aller investir le Fort
dès qu'il en auroit quelque nouvelle. A
peine les Bateaux et Pirogues furent- ils
arrivez l'on entendit la Mousqueteque
rie du Fort et celle des Escarmoucheurs
du Détachement qui avoit toûjours suivi
le chemin battu ; dans l'instant on marcha
et on rencontra les sieurs Marin et
Outlas , qui venoient dire que nos gens
avoient trouvé le Fort , nous y arrivâmes
en une heure de marche par un Pays
tout couvert de bois ; dès que nous
l'apperçûmes , le General fit battre aux
champs . A ce bruit les Tonnicas se sentant
soutenus , attaquerent quelques Cases
aux environs du Fort , d'où ils chasserent
les Natches et y mirent le feu."
Pendant ce temps M. de Salvert marcha
pan
094 MERCURE DE FRANCE
1
35.
la droite avec partie des Troupes
par
et le General par la gauche pour rejoindre
Mrs de la Giroüardiere et de Lusser,
Il les trouva qui s'étoient avancez à
toises du Fort , à la faveur de plusieurs
arbres , où ils resterenr jusqu'à ce qu'il
leur dit de venir se mettre derriere une
butte qui étoit à 120. toises du Fort , lieu
qui lui étoit très- favorablement situé pour
mettre une partie de notre Camp à cou
vert. Il fut aussi - tôt joindre M. de Salvert
, et ils passerent ensemble une petite
Riviere ou gros Ruisseau , auprès duquel
les Natches avoient construit leur Fort ;
ils étoient suivis par les Compagnies de
Dartaguette et de Sanzei , la premiere
de la Colonie , l'autre , de la Marine. Ils
rangerent ce Fort de très-près , à la faveur
de quelques Cabanes , et après avoir
reconnu le terrain , ils firent l'un et
l'autre le tour du Fort par les derrieres
jusqu'à la butte dont on vient de parler,
et ils convinrent d'y établir le Quartier
general , par rapport à la facilité qu'il y
avoit de recevoir là nos besoins qui venoient
du bord de la Riviere , sans que
l'on fût obligé de passer le Ruisseau.
Le 21. le General envoya ordre au Baron
de Crenay de venir le joindre pour
commander l'attaque de la gauche , et le.
même
SEPTEMBRE. 1731 2095
même jour il fit arborer un Drapeau blanc
pour demander aux Sauvages qu'ils eussent
à lui remettre des Negres qu'ils
avoient pris ; ils tirerent sur le Drapeau
en disant à l'Interprete qu'ils ne vouloient
pas parler à des chiens comme nous.
Sur les deux heures un de nos Mortiers
de bois arriva. ( a) On jetta sur le champ
quelques Grenades Royales , dont deux
tomberent dans le Fort , sur une de leurs
maisons et y mit le feu. Après qu'elles
eurent crevé , nous entendîmes de grands
cris et des pleurs de femmes et d'enfans,'
ce qui nous fit redoubler notre feu de
Mousqueterie et de double Grenade , mais
malheureusement nos Mortiers furent
trop tôt hors de service par les cercles
qui manquerent.
A 5. heures et demie du soir , les Natches
firent une sortie sur un de nos Postes, oùil
y avoit 15. hommes retranchez derriere un
gros arbre qui n'étoit qu'à 20 toises du
Fort ; ils le prirent à revers et tuerent un
Grenadier de la Marine, Un Sergent des
Troupes de la Colonie y reçut un coup
de fusil qui lui perça les deux épaules.
Dès que nous eûmes connoissance de
(a) C'étoit des Mortiers portatifs , que le sieur
Baron , Ingenieur , avoit inventez , ils étoient
faits d'un bois fort dur , et çerçlez de fer.
cette
20961 MERCURE DE FRANCE
cette sortie , nous crûmes que les Ennemis
alloient tenter de se sauver dans les
Bois par l'intervale du Camp des Habitans
au nôtre , ce qui détermina M. Salvert à
prendre la Compagnie de Lusser , pour
les couper. Mais voyant qu'ils n'en vouloient
qu'à notre Poste , il donna dessus
avec quelques Habitans et les obligea de
rentrer avec précipitation dans leur Fort.
Dans cette Action le sieur Dehaye ,
Capitaine de Milice , reçut deux coups.
de fusil , et un Negre fut tué.
A 8. heures du soir , quoique le tems
fût très- mauvais , le General fit ouvrir de
son côté la Tranchée à 30. toises du Fort,
et nous ne la poussâmes qu'à 15. toises,
faute de Gabions.
Le 22. on fit venir le Canon et le der
nier Mortier ; nous en tirâmes quelques
coups sur la fin du jour en redoublant
le feu de notre Mousqueterie , qui ne discontinua
point toute la nuit.
Avant que de continuer le travail de
la Tranchée , le General fit visiter sur le
soir une maison forte , qui enfiloit nos
travaux ; il envoya un Officier avec 12 .
Grenadiers et autant de Sappeurs armez
pour s'en emparer , mais ils furent repoussez
par le feu des Ennemis , qui étoit
extrémement vif. M. de Salvert y accou
rug
SEPTEMBRE. 1731. 2097
rut ; et se mettant à la tête des Assaillants
, il recommença si vivement l'attaque
, qu'en un quart d'heure il força l'Ennemi
d'abandonner la maison . Il trouva
que c'étoit une espece de redoute à l'épreuve
du coup de fusil , avec des meurtrieres
tout autour ; il la fit garder , jugeant
qu'elle serviroit bien à deffendre la
tête de notre Tranchée.
En effet le 23. nous poussâmes trèsvigoureusement
le travail de la Tranchće,
à la faveur de cette redoute , de façon que
le General comptoit achever le lendemain
la communication de ses Travaux avec
ceux de M. le Baron de Crenay , qui de
son côté travailloit aussi avec beaucoup
de vigueur.
Le 24. les Natches voyant que nous
les serrions de fort près , et se trouvant
fort incommodez par nos doubles Grenades
et par le Canon , ( quoique notre
petite Artillerie ne tirât que de loin en
Loin , ) ( a ) arborerent un Drapeau blanc
7. heures du matin , et nous envoyeà
(a ), Ils avoient bien trouvé le secret de se garantir
du Canon et de la Mousqueterie , en faisant
des trous en terre , dans lesquels te tenoient
leurs femmes et leurs enfans , et où ils se reposoient
eux-mêmes , mais ces trous étant ouverts
par le haut , les Grenades ou leurs éclats qui y
tomboient y causoient beaucoup de desordre.
C rent
2098 MERCURE DE FRANCE
rent un Sauvage qui parloit un peu François.
Le General lui dit qu'il ne les écouteroit
point qu'ils ne lui eussent renvoyé
tous les Negres qui étoient dans le Fort.
Ce Député retourné , on vit arriver avec
lui un moment après 19. Negres et une
Negresse , qui rapporterent que six autres
Negres étoient à la Chasse avec des Natches
, et que le reste avoit été tué. Le General
dit au même Sauvage qu'il ne vou
loit donner sa parole sur rien qu'il n'eût
les Chefs de sa Nation dans son Camp ;
après quoi il le renvoya.
Il vint ensuite un autre Sauvage nommé
S. Côme , (a) mais il le renvoya aussi
sans l'entendre , en lui disant , que si le
Grand - Chef, celui de la Farine et lui (b)
ne venoient pas bien - tôt ensemble , il-fe-
(a ) Quand les Sauvages sont bien avec les
François , ils se font honneur de prendre des
noms que ceux- cy portent.
(b) Avant que cette Nation eût frappé les François
, elle étoit divisée en 5. Villages , le premier
nommé la Valeur ; le 2. la Farine ; le 3 ° . la
Pomme ; le 4. les Gris , et le se . le grand Village
.Chaque Village avoit son Chef, et cependant
tous étoient soumis à un Grand - Chef , et tous
ces Chefs particuliers s'appelloient Soleil par Excellence
; ces Sauvages ayant une dévotion toute
particuliere pour cet Astre , en l'honneur duquel
ils entretenoient un feu perpetuel.
ne
SEPTEMR E. 1731. 2099
-
roit recommencer à tirer sur eux . Malgré
le mauvais temps ils se rendirent à
notre Camp sur les 4. heures du soir ; on
les conduisit au General ; ils l'aborderent
avec toutes les façons qui parmi eux peuvent
marquer le repentiret la soumission,
et ils dirent qu'ils ressentoient la grandeur
du crime qu'ils avoient commis ,
qu'ils n'osoient demander la vie , mais
qu'ils s'estimeroient heureux en mourant,
si on vouloit l'accorder à leurs femmes
et à leurs enfans.
Le General leur répondit qu'il la donneroit
à tous ceux de la Nation , même
aux hommes qui se rendroient à lui le
lendemain , mais que passé ce jour là , il
feroit bruler ceux qui ne profiteroient
pas de la grace qu'il vouloit bien leur
faire ; ils répliquerent que sa résolution
étoit juste. Cependant à minuit le Chef
de la Farine , qui étoit dans une Tente
gardée par 12. hommes , tant François
que Sauvages des plus alertes , doutant
de la parole du General , se sauva à la faveur
de la nuit , qui étoit la plus obscure
que l'on ait jamais vûë , et du temps effroyable
qu'il faisoit , la pluye tombant
si furieusement , qu'il falloit être Sauvage
et craindre le bucher pour tenir dehors ;
on tira sur lui sans l'atteindre.
Cij Le
2100 MERCURE DE FRANCE
Le 25. quoique le temps continuât d'être
mauvais , ( ce qui nous incommodoit
extrémement ) la femme du Grand- Chef
et sa Famille , sortirent le matin du Fort
avec 450. femmes ou enfans , et vinrent
se rendre. A l'égard des hommes , ils ne
venoient que l'un après l'autre , ensorte
que le soir il en restoit encore dans le
Fort environ 20. qui demanderent qu'on
les laissât jusqu'au lendemain , ce qui leur
fut accordé , parce que le temps ne permettoit
pas de les aller prendre. Nous
étions alors entre deux eaux ; car là pluye
ne cessa que vers les 9 , heures du soir. A
8. he es , presque tous ceux qui étoient
restez dans le Fort s'évaderent. Le quartier
des Habitans s'en apperçut ,
fut impossible ni de tirer sur eux un seul
coup de fusil , ni de les faire poursuivre
par nos Sauvages , l'eau du Ciel nous ayant
réduits en tel état que nos gens ne pouvoient
ni marcher , ni faire usage de leurs
armes. Cependant la pluye ayant cessé
nous entrâmes dans le Fort , où nous
trouvâmes seulement deux hommes et
une femme , et nous apprîmes que ceux
qui s'étoient enfuis , étoient au nombre
de 16. hommes et de 4. femmes.
mais il
Le General fit ensuite le recensement
de ses Prisonniers qu'il avoit résolu pour
l'exemple
SEPTEMBRE. 1731. zioł
;
l'exemple d'envoyer dans une autre Colonie
pour y être vendus comme Esclaves
; et voyant qu'il ne se trouvoit que
45. hommes , il demanda ce que les autres
étoient devenus , parce que cette Nation
devoit être forte d'envirom 500. Guerriers
,lorsqu'elle surprit le Poste François .
le principal d'entr'eux dit qu'ils avoient
perdu du monde dans cette malheureuse
Action , qu'ensuite les Partis des Nations
Sauvages qui sont dans notre Alliance ,
les ayant attaquez en differens endroits ,
et nous-mêmes les ayant assiegez dans
leurs anciens Forts , ils y avoient encore
fait de grandes pertes que depuis s'étant
venus établir dans l'endroit où nous venons
de les prendre , la fatigue du chemin
et le mauvais air du lieu , avoient
fait périr par maladie plus de la moitié
de leurs gens. Que tandis qu'ils souffroient
tant de miseres , les Partis de nos Sauvages
leur avoient détruit peu à peu et en
differens Cantons beaucoup de Guerriers,
que nous venions de leur en tuer encore
un grand nombre en les forçant de se rendre
; et qu'enfin il n'en restoit point d'autres
que ceux que l'on voyoit prisonniers ,
que les 16. qui s'étoient sauvez du Fort ,
et qu'un très- petit nombre qui étoit à la
Chasse , lorsque nous les avons assiegez
C iij .
il
2102 MERCURE DE FRANCE
dizil
fut facile de juger que le
compte
Sauvage étoit juste , et le General en parut
content.
Le lendemain 26 , nos Sauvages qui
étoient en course , prirent deux Ñatches
qu'ils brulerent , et enleverent la chevefure
d'un autre qu'ils avoient tué.
Ce jour- là et le suivant furent employez
à démolir le Fort , et à bruler les
bois dont il étoit construit. Le General
envoya M. son frere avec le Bataillon de
la Marine et 25o . Esclaves , au Camp qui
gardoit les Bateaux.
Le 28. tout ce qui appartenoit aux Natches
se trouvant détruit , le General partit
avec le reste de son monde et des Esclaves
pour joindre M. de Salvert , et le
29. tout se mit en mouvement pour se
rendre dans le Fleuve de Mississipy , ou
chacun avoit grand besoin d'arriver en
un lieu commode , pour se remettre des
fatigues qu'il avoit essuyées.
On jugera aisément par cette Relation
que si nous n'avions pas pressé l'Ennemi
aussi vivement que nous avons fait , nous
cussions couru grand risque de ne pas
réüissir et de perdre la plus grande partie
de notre petite Armée par la fatigue et
par le mauvais temps , ce qui infailliblement
auroit causé des maladies , qui toutes
SEPTEMBRE. 1731. 2103
tes auroient été mortelles dans un lieu où
les hommes les plus vigoureux souffriroient
beaucoup.
Jamais Expedition ne fut plus utile ;
elle a vangé la Nation Françoise d'un horrible
massacre fait d'une partie de ses Habitans
à la Louisianne par des Sauvages
qui étoient en pleine Paix avec eux , et
qui pour les surprendre s'étoient répandus
dans leurs maisons , sous l'apparence
de l'amitié et sous le prétexte de leur
rendre service . Elle a servi en même-temps
à faire connoître à tous les Sauvages du
Continent , que les François ne trouvent
rien d'impossible lorsqu'il s'agit de punir
le crime , et qu'ils sçavent trouver et
dompter leurs Ennemis dans les lieux les
plus écartez , les plus difficiles à abor
der et les mieux fortifiez .
Et enfin cette Expedition a dû effacer
de l'esprit des Sauvages Chaetas , Nation
très- nombreuse et la plus redoutable du
Continent , l'opinion qu'elle avoit que
nous ne pouvions châtier nos Ennemis.
sans son secours , ce qui la rendoit le
plus souvent si insolente , que M. Perrier
s'étoit déterminé à ne la point employer
dans l'entreprise qu'il avoit projettée
contre les Natches , ainsi qu'on l'a
dit dans le commencement de cette Re-
Lation C iiij Tous
2104 MERCURE DE FRANCE
Tous ces objets animoient tellement
nos gens dans cette affaire , qu'il n'y a
eû aucun Officier ni Soldat , tant des
Troupes reglées , que des Milices , qui
n'ait fait tout ce qui a dépendu de ses
forces pour avancer le travail , chacun
ayant mis la main à l'oeuvre , et qui n'ait
agi avec toute la valeur imaginable . Il
est vrai que le bon exemple des Chefs
y a beaucoup contribué , et certainement
les deux frères ont bien Fait connoître
qu'ils sçavent former une entreprise difficile
, et qu'ils sont également habiles et
courageux dans l'execution. Ils ont donné
beaucoup de loüanges à M. le Baron
de Crenay , et generalement à tous les
Officiers qui ont eû part à cette Expedition.
*
Relation de la défaite des Natches (a)
par M. Perier, Commandant General à
la Louisianne , au mois de Janvier 1731 .
No
,
Otre General jugeant qu'il étoit ne
cessaire avant de rien entreprendre ,
de s'éclaircir avec les Chactas , Nation
Sauvage la plus considerable de la Loüisianne
sur les differens bruits qui s'étoient
répandus de leur mauvaise volonté
pour nous , se rendit à la Mobile , Fort
occupé par les Françóis , à la Côte de l'Est
de la Louisianne , où il avoit fait avertir
leurs Chefs de se rendre dans les premiers
jours de Novembre , et les ayant trouvez
bien disposez , il renouvella en la manie◄
re ordinaire , les Traitez de Commerce et
d'Alliance que nous avons depuis longtemps
avec eux , et leur proposa de re
connoître pour Grand- Chef de la partie
du Ouest , qu'on appelle Bas- Chacra , le
Chef des Castacha , Village de la mêmę
( a ) C'est une Nation Sauvage , qui au mois
de Decembre 1729. massacra les François qui
étoient établis auprès d'elle , quoiqu'elle fût en
paix avec eux.
Nation,
SEPTEMBRE. 1731 2087
Nation. Ils l'accepterent avec plaisir et
promirent de nous renvoyer le reste des
Negres qu'ils avoient pris sur les Natches
, et de payer tout ce qu'ils devoient
aux François , avec lesquels ils avoient
négocié. Ils lui demanderent ensuite d'aller
en guerre contre les Natches , mais i'
leur répondit seulement qu'il les feroit
avertir s'il avoit besoin d'eux , étant bien
résolu de ne s'en pas servir pour les tirer
de l'erreur où ils étoient , que nous ne
pouvions nous passer de leur secours , et
que sans leur appui nous serions obligez:
d'abandonner nos établissemens.
Après les avoir renvoyez chez eux
il partit pour la nouvelle Orleans , où il
arriva le 13. Novembre 1730. il y trouva
M. de Salvert son frere , Lieutenant de
Vaisseau , commandant un Détachement
des Troupes de la Marine , très - avancé
dans les préparatifs dont il l'avoit chargé
pour aller attaquer les Natches. L'Equipage
du Vaisseau du Roi , qu'il commandoit
, y avoit travaillé fort utilement , et
on peut assurer que sans lui nous n'eussions
pas été si-tôt prêt à marcher contre
l'Ennemi .
Le 9. Decembre M. de Salvert partit à
la tête du Détachement de la Marine ,
qui formoit un petit Bataillon , il avoit
ordre
2088 MERCURE DE FRANCE
ordre d'attendre au Village de Carlestin
Habitations françoises , situées à environ
15. lieües au-dessus de la nouvelle Orleans
, en montant le Fleuve , le General
qui le joignit le 13. avec les Troupes de
la Colonie et les Munitions de guerre.
Le 14. ils marcherent ensemble jus
qu'aux Bayagoulas , où ils resterent quatre
jours pour attendre le Détachement
des Milices du Pays , commandé par M. de
Benac , Officier retiré du Service , qui
s'est établi dans la Colonie , et les grands
Bateaux chargez de vivres qui ne pou
voient suivre..
Le General avoit divisé ses forces en
trois Corps , pour éviter toute tracasseric
et donner plus d'émulation . Le premier
étoit commandé par M. de Salvert ; il
étoit composé de iso . Soldats de la Marine
et d'environ 40. hommes de son
Equipage . Le second étoit commandé par
le Baron de Crenay , Lieutenant - Colo❤
nel , et étoit composé d'un Détachement
de 150. hommes des Troupes de la Co-
Ionie ; et le troisième étoit commandé par
le sieur de Benac , et étoit composé de
120. habitans qui s'étoient offerts d'aller
à la guerre
.
Le 22. tout étant rassemblé , on se mit
en marche et on fat coucher à Manchac
où
SEPTEMBRE. 1731. 2089
ù le sieur de Laye , Habitant , attendoit
le General , il lui dit que s'il vouloit se
servir des Sauvages Tonnicas , petite Nation
située sur les bords du Fleuve ,
environ 70. lieuës au - dessus de la nouvelle
Orleans , en suivant le Fleuve , il
étoit necessaire qu'il se rendît lui -même
chez eux pour les faire marcher ; ce qu'il
fit en laissant la conduite de la petite
armée à M. son frere , qui malgré la
neige et le verglas , le joignit aux Tonnicas
le 27.
Le 28. il continua sa marche jusqu'à
l'entrée de la Riviere Rouge , (a ) où étoit
le rendez - vous general. Le Vaisseau le
Prince de Conty , sur lequel on avoit fai ■
faire des Fours , y arriva le même jour.
Le General fut obligé de rester jusqu'au .
3. de Janvier aux Tonnicas pour leur
faire achever leurs préparatifs de guerre ,
ils étoient d'autant plus lents , que la
peur les avoit saisis sur la nouvelle qu'ils
venoient d'apprendre que le sieur de Coulange
, ( Canadien , frère d'un Officier des
Troupes de la Colonie , et fils du sieur
de Livilliers , Officier des Troupes de Ca
nada , ) qui avoit été envoyé dans une
grande Pirogue , armée de zo. hommes :
(a) A 9. lieues au- dessus du Village des Tonnicas
, situé à present au portage de la Croix .
grande
2090 MERCURE DE FRANCE
volontaires Sauvages , et Negres libres ,
pour faire porter les ordres du General
aux Arkansas , avoit été attaqué à quelques
journées de chez eux par les Natches , qui
lui avoient tué ou blessé la moitié de ses
gens , parmi lesquels les sieurs de la Touche
,Beaulieu et Cochart, ( le premier, Gen--
tilhomme Breton ; le second , Officier de
Marine de la Compagnie , ) ont eu le
malheur de se trouver au nombre des
morts. Le sieur de Coulange y reçût deux
coups de fusil , dont un au travers du
été mortel. Cette accorps
, qui n'a pas
tion , qui ne décidoit de rien , avoit cependant
si fort abattu le courage de nos
Sauvages , qu'il ne s'en trouva que iso .
des plus braves à l'Armée , les autres s'étant
retirez peu à peu sous differens pré
textes.
Le 4. Janvier , le General joignit l'Ar
mée à la Riviere Rouge , où il trouva les
Détachemens des Garnisons des Natches
et Natchitoches (a) arrivez , et la division
des Habitans , partie pour se montrer à
la hauteur des Natches , (b) afin de faire
(a) Forts François qui portent le nom des Na→
tions Sauvages auprès desquelles ils ont éte cons
truits.
(b) C'est la Nation même qui depuis qu'elle se
vit menacée d'être châtiée par les Frauçois , aban--
croire
SEPTEMBRE . 1731. 209%
croire à leurs découvreurs s'ils nous rencontroient
, que notre intention étoit de
les aller attaquer par le Fleuve , quoique
notre parti fût pris , d'aller par la Riviere
Rouge.
Le 11. l'Armée entra dans cette Riviere
pour chercher l'Ennemi , car nous n'avions
pû sçavoir depuis 9. mois l'endroit
positif où les Natches avoient fait leur
Fort , quoique le General y eût envoyé
zo . Partis differens , tant forts que foi
bles ; ensorte que ce ne fut que sur le
peu de connoissance qu'il avoit tirée d'un
enfant de 12 à 13. ans , qui avoit deserté
de cette Nation , qu'il se hazarda à l'aller
- chercher , contre le sentiment general des
Sauvages , vers la Riviere Rouge , dans ,
des Pays marécageux et coupez , jusques
là inconnus à nos Sauvages du Fleuve .
Cependant l'Armée guidée par l'esperance
et encouragée par son General dans
les peines inexprimables que le mauvais
temps et la difficulté du Pays, lui faisoient
souffrir , se trouva le 19. sans le sçavoir ,
précisement à une lieuë du Fort de Valeur
, c'est le Fort de la Nation Natches.
donna le lieu de sa demeure ordinaire et se transporta
dans un autre endroit qu'elle croyoit inconnu
à tous autres Sauvages et inaccessibles aux
François.
Le
2092 MERCURE DE FRANCE
Le General prenoit toutes sortes de me
sures pour éviter les embuscades qu'il
étoit aisé de nous dresser , y ayant apparence
que les Ennemis sçavoient notre
marche , puisque le 18. quelques - uns de
nos Sauvages qui étoient allez à la découverte
, ( car ils s'étoient un peu rassurez
par l'exemple des François qu'ils voyoient
marcher courageusement par terre ) étant
venus avertir qu'ils avoient appefçû un
. Parti de Natches à deux lieuës au - dessous
de nous , de l'autre côté de la Riviere,
le General y envoya un Détachement de
François et de Sauvages , pour tâcher de
le surprendre , mais on ne put y réussir
par la jalousie de six Sauvages Houmas ;
qui tirerent dessus avant que nos gens
fussent arrivez ; ensorte que ce Parti prie
la fuite et s'éloigna en peu de temps. Si
nous avions pû l'attaquer , on se flattoit
de pouvoir faire quelque prisonnier et
d'apprendre des nouvelles positives du
lieu où la Nation s'étoit retirée .
Nous restâmes le 19. dans la même in
quietude , quoique nos Sauvages vissent
encore plusieurs Natches , dont ils tuerent
un homme et une femme , mais le
20. le General ayant envoyé à la découverte
un Parti d'Habitans et de Sauvages,
soutenus par les Compagnies de Mrs de
la
S
SEPTEMBRE. 1731. 2093
la Giroüardiere et de Lusser ; le premier
Capitaine d'une Compagnie de la Marine,
l'autre Capitaine d'une Compagnie des
Troupes de la Colonie. On vint lui dire
une demie heure après leur départ qu'ils
se trouvoient dans un chemin battu ;
aussi-tôt on ne douta point que ce ne fût
celui du Fort , et on se prépara à marcher.
Le General fit monter les Bateaux vis-àvis
cet endroit , et ayant ordonné au Baron
de Crenay d'y rester avec 100. hommes
, il se tenoit prèt à marcher avec
M. Salvert , pour aller investir le Fort
dès qu'il en auroit quelque nouvelle. A
peine les Bateaux et Pirogues furent- ils
arrivez l'on entendit la Mousqueteque
rie du Fort et celle des Escarmoucheurs
du Détachement qui avoit toûjours suivi
le chemin battu ; dans l'instant on marcha
et on rencontra les sieurs Marin et
Outlas , qui venoient dire que nos gens
avoient trouvé le Fort , nous y arrivâmes
en une heure de marche par un Pays
tout couvert de bois ; dès que nous
l'apperçûmes , le General fit battre aux
champs . A ce bruit les Tonnicas se sentant
soutenus , attaquerent quelques Cases
aux environs du Fort , d'où ils chasserent
les Natches et y mirent le feu."
Pendant ce temps M. de Salvert marcha
pan
094 MERCURE DE FRANCE
1
35.
la droite avec partie des Troupes
par
et le General par la gauche pour rejoindre
Mrs de la Giroüardiere et de Lusser,
Il les trouva qui s'étoient avancez à
toises du Fort , à la faveur de plusieurs
arbres , où ils resterenr jusqu'à ce qu'il
leur dit de venir se mettre derriere une
butte qui étoit à 120. toises du Fort , lieu
qui lui étoit très- favorablement situé pour
mettre une partie de notre Camp à cou
vert. Il fut aussi - tôt joindre M. de Salvert
, et ils passerent ensemble une petite
Riviere ou gros Ruisseau , auprès duquel
les Natches avoient construit leur Fort ;
ils étoient suivis par les Compagnies de
Dartaguette et de Sanzei , la premiere
de la Colonie , l'autre , de la Marine. Ils
rangerent ce Fort de très-près , à la faveur
de quelques Cabanes , et après avoir
reconnu le terrain , ils firent l'un et
l'autre le tour du Fort par les derrieres
jusqu'à la butte dont on vient de parler,
et ils convinrent d'y établir le Quartier
general , par rapport à la facilité qu'il y
avoit de recevoir là nos besoins qui venoient
du bord de la Riviere , sans que
l'on fût obligé de passer le Ruisseau.
Le 21. le General envoya ordre au Baron
de Crenay de venir le joindre pour
commander l'attaque de la gauche , et le.
même
SEPTEMBRE. 1731 2095
même jour il fit arborer un Drapeau blanc
pour demander aux Sauvages qu'ils eussent
à lui remettre des Negres qu'ils
avoient pris ; ils tirerent sur le Drapeau
en disant à l'Interprete qu'ils ne vouloient
pas parler à des chiens comme nous.
Sur les deux heures un de nos Mortiers
de bois arriva. ( a) On jetta sur le champ
quelques Grenades Royales , dont deux
tomberent dans le Fort , sur une de leurs
maisons et y mit le feu. Après qu'elles
eurent crevé , nous entendîmes de grands
cris et des pleurs de femmes et d'enfans,'
ce qui nous fit redoubler notre feu de
Mousqueterie et de double Grenade , mais
malheureusement nos Mortiers furent
trop tôt hors de service par les cercles
qui manquerent.
A 5. heures et demie du soir , les Natches
firent une sortie sur un de nos Postes, oùil
y avoit 15. hommes retranchez derriere un
gros arbre qui n'étoit qu'à 20 toises du
Fort ; ils le prirent à revers et tuerent un
Grenadier de la Marine, Un Sergent des
Troupes de la Colonie y reçut un coup
de fusil qui lui perça les deux épaules.
Dès que nous eûmes connoissance de
(a) C'étoit des Mortiers portatifs , que le sieur
Baron , Ingenieur , avoit inventez , ils étoient
faits d'un bois fort dur , et çerçlez de fer.
cette
20961 MERCURE DE FRANCE
cette sortie , nous crûmes que les Ennemis
alloient tenter de se sauver dans les
Bois par l'intervale du Camp des Habitans
au nôtre , ce qui détermina M. Salvert à
prendre la Compagnie de Lusser , pour
les couper. Mais voyant qu'ils n'en vouloient
qu'à notre Poste , il donna dessus
avec quelques Habitans et les obligea de
rentrer avec précipitation dans leur Fort.
Dans cette Action le sieur Dehaye ,
Capitaine de Milice , reçut deux coups.
de fusil , et un Negre fut tué.
A 8. heures du soir , quoique le tems
fût très- mauvais , le General fit ouvrir de
son côté la Tranchée à 30. toises du Fort,
et nous ne la poussâmes qu'à 15. toises,
faute de Gabions.
Le 22. on fit venir le Canon et le der
nier Mortier ; nous en tirâmes quelques
coups sur la fin du jour en redoublant
le feu de notre Mousqueterie , qui ne discontinua
point toute la nuit.
Avant que de continuer le travail de
la Tranchée , le General fit visiter sur le
soir une maison forte , qui enfiloit nos
travaux ; il envoya un Officier avec 12 .
Grenadiers et autant de Sappeurs armez
pour s'en emparer , mais ils furent repoussez
par le feu des Ennemis , qui étoit
extrémement vif. M. de Salvert y accou
rug
SEPTEMBRE. 1731. 2097
rut ; et se mettant à la tête des Assaillants
, il recommença si vivement l'attaque
, qu'en un quart d'heure il força l'Ennemi
d'abandonner la maison . Il trouva
que c'étoit une espece de redoute à l'épreuve
du coup de fusil , avec des meurtrieres
tout autour ; il la fit garder , jugeant
qu'elle serviroit bien à deffendre la
tête de notre Tranchée.
En effet le 23. nous poussâmes trèsvigoureusement
le travail de la Tranchće,
à la faveur de cette redoute , de façon que
le General comptoit achever le lendemain
la communication de ses Travaux avec
ceux de M. le Baron de Crenay , qui de
son côté travailloit aussi avec beaucoup
de vigueur.
Le 24. les Natches voyant que nous
les serrions de fort près , et se trouvant
fort incommodez par nos doubles Grenades
et par le Canon , ( quoique notre
petite Artillerie ne tirât que de loin en
Loin , ) ( a ) arborerent un Drapeau blanc
7. heures du matin , et nous envoyeà
(a ), Ils avoient bien trouvé le secret de se garantir
du Canon et de la Mousqueterie , en faisant
des trous en terre , dans lesquels te tenoient
leurs femmes et leurs enfans , et où ils se reposoient
eux-mêmes , mais ces trous étant ouverts
par le haut , les Grenades ou leurs éclats qui y
tomboient y causoient beaucoup de desordre.
C rent
2098 MERCURE DE FRANCE
rent un Sauvage qui parloit un peu François.
Le General lui dit qu'il ne les écouteroit
point qu'ils ne lui eussent renvoyé
tous les Negres qui étoient dans le Fort.
Ce Député retourné , on vit arriver avec
lui un moment après 19. Negres et une
Negresse , qui rapporterent que six autres
Negres étoient à la Chasse avec des Natches
, et que le reste avoit été tué. Le General
dit au même Sauvage qu'il ne vou
loit donner sa parole sur rien qu'il n'eût
les Chefs de sa Nation dans son Camp ;
après quoi il le renvoya.
Il vint ensuite un autre Sauvage nommé
S. Côme , (a) mais il le renvoya aussi
sans l'entendre , en lui disant , que si le
Grand - Chef, celui de la Farine et lui (b)
ne venoient pas bien - tôt ensemble , il-fe-
(a ) Quand les Sauvages sont bien avec les
François , ils se font honneur de prendre des
noms que ceux- cy portent.
(b) Avant que cette Nation eût frappé les François
, elle étoit divisée en 5. Villages , le premier
nommé la Valeur ; le 2. la Farine ; le 3 ° . la
Pomme ; le 4. les Gris , et le se . le grand Village
.Chaque Village avoit son Chef, et cependant
tous étoient soumis à un Grand - Chef , et tous
ces Chefs particuliers s'appelloient Soleil par Excellence
; ces Sauvages ayant une dévotion toute
particuliere pour cet Astre , en l'honneur duquel
ils entretenoient un feu perpetuel.
ne
SEPTEMR E. 1731. 2099
-
roit recommencer à tirer sur eux . Malgré
le mauvais temps ils se rendirent à
notre Camp sur les 4. heures du soir ; on
les conduisit au General ; ils l'aborderent
avec toutes les façons qui parmi eux peuvent
marquer le repentiret la soumission,
et ils dirent qu'ils ressentoient la grandeur
du crime qu'ils avoient commis ,
qu'ils n'osoient demander la vie , mais
qu'ils s'estimeroient heureux en mourant,
si on vouloit l'accorder à leurs femmes
et à leurs enfans.
Le General leur répondit qu'il la donneroit
à tous ceux de la Nation , même
aux hommes qui se rendroient à lui le
lendemain , mais que passé ce jour là , il
feroit bruler ceux qui ne profiteroient
pas de la grace qu'il vouloit bien leur
faire ; ils répliquerent que sa résolution
étoit juste. Cependant à minuit le Chef
de la Farine , qui étoit dans une Tente
gardée par 12. hommes , tant François
que Sauvages des plus alertes , doutant
de la parole du General , se sauva à la faveur
de la nuit , qui étoit la plus obscure
que l'on ait jamais vûë , et du temps effroyable
qu'il faisoit , la pluye tombant
si furieusement , qu'il falloit être Sauvage
et craindre le bucher pour tenir dehors ;
on tira sur lui sans l'atteindre.
Cij Le
2100 MERCURE DE FRANCE
Le 25. quoique le temps continuât d'être
mauvais , ( ce qui nous incommodoit
extrémement ) la femme du Grand- Chef
et sa Famille , sortirent le matin du Fort
avec 450. femmes ou enfans , et vinrent
se rendre. A l'égard des hommes , ils ne
venoient que l'un après l'autre , ensorte
que le soir il en restoit encore dans le
Fort environ 20. qui demanderent qu'on
les laissât jusqu'au lendemain , ce qui leur
fut accordé , parce que le temps ne permettoit
pas de les aller prendre. Nous
étions alors entre deux eaux ; car là pluye
ne cessa que vers les 9 , heures du soir. A
8. he es , presque tous ceux qui étoient
restez dans le Fort s'évaderent. Le quartier
des Habitans s'en apperçut ,
fut impossible ni de tirer sur eux un seul
coup de fusil , ni de les faire poursuivre
par nos Sauvages , l'eau du Ciel nous ayant
réduits en tel état que nos gens ne pouvoient
ni marcher , ni faire usage de leurs
armes. Cependant la pluye ayant cessé
nous entrâmes dans le Fort , où nous
trouvâmes seulement deux hommes et
une femme , et nous apprîmes que ceux
qui s'étoient enfuis , étoient au nombre
de 16. hommes et de 4. femmes.
mais il
Le General fit ensuite le recensement
de ses Prisonniers qu'il avoit résolu pour
l'exemple
SEPTEMBRE. 1731. zioł
;
l'exemple d'envoyer dans une autre Colonie
pour y être vendus comme Esclaves
; et voyant qu'il ne se trouvoit que
45. hommes , il demanda ce que les autres
étoient devenus , parce que cette Nation
devoit être forte d'envirom 500. Guerriers
,lorsqu'elle surprit le Poste François .
le principal d'entr'eux dit qu'ils avoient
perdu du monde dans cette malheureuse
Action , qu'ensuite les Partis des Nations
Sauvages qui sont dans notre Alliance ,
les ayant attaquez en differens endroits ,
et nous-mêmes les ayant assiegez dans
leurs anciens Forts , ils y avoient encore
fait de grandes pertes que depuis s'étant
venus établir dans l'endroit où nous venons
de les prendre , la fatigue du chemin
et le mauvais air du lieu , avoient
fait périr par maladie plus de la moitié
de leurs gens. Que tandis qu'ils souffroient
tant de miseres , les Partis de nos Sauvages
leur avoient détruit peu à peu et en
differens Cantons beaucoup de Guerriers,
que nous venions de leur en tuer encore
un grand nombre en les forçant de se rendre
; et qu'enfin il n'en restoit point d'autres
que ceux que l'on voyoit prisonniers ,
que les 16. qui s'étoient sauvez du Fort ,
et qu'un très- petit nombre qui étoit à la
Chasse , lorsque nous les avons assiegez
C iij .
il
2102 MERCURE DE FRANCE
dizil
fut facile de juger que le
compte
Sauvage étoit juste , et le General en parut
content.
Le lendemain 26 , nos Sauvages qui
étoient en course , prirent deux Ñatches
qu'ils brulerent , et enleverent la chevefure
d'un autre qu'ils avoient tué.
Ce jour- là et le suivant furent employez
à démolir le Fort , et à bruler les
bois dont il étoit construit. Le General
envoya M. son frere avec le Bataillon de
la Marine et 25o . Esclaves , au Camp qui
gardoit les Bateaux.
Le 28. tout ce qui appartenoit aux Natches
se trouvant détruit , le General partit
avec le reste de son monde et des Esclaves
pour joindre M. de Salvert , et le
29. tout se mit en mouvement pour se
rendre dans le Fleuve de Mississipy , ou
chacun avoit grand besoin d'arriver en
un lieu commode , pour se remettre des
fatigues qu'il avoit essuyées.
On jugera aisément par cette Relation
que si nous n'avions pas pressé l'Ennemi
aussi vivement que nous avons fait , nous
cussions couru grand risque de ne pas
réüissir et de perdre la plus grande partie
de notre petite Armée par la fatigue et
par le mauvais temps , ce qui infailliblement
auroit causé des maladies , qui toutes
SEPTEMBRE. 1731. 2103
tes auroient été mortelles dans un lieu où
les hommes les plus vigoureux souffriroient
beaucoup.
Jamais Expedition ne fut plus utile ;
elle a vangé la Nation Françoise d'un horrible
massacre fait d'une partie de ses Habitans
à la Louisianne par des Sauvages
qui étoient en pleine Paix avec eux , et
qui pour les surprendre s'étoient répandus
dans leurs maisons , sous l'apparence
de l'amitié et sous le prétexte de leur
rendre service . Elle a servi en même-temps
à faire connoître à tous les Sauvages du
Continent , que les François ne trouvent
rien d'impossible lorsqu'il s'agit de punir
le crime , et qu'ils sçavent trouver et
dompter leurs Ennemis dans les lieux les
plus écartez , les plus difficiles à abor
der et les mieux fortifiez .
Et enfin cette Expedition a dû effacer
de l'esprit des Sauvages Chaetas , Nation
très- nombreuse et la plus redoutable du
Continent , l'opinion qu'elle avoit que
nous ne pouvions châtier nos Ennemis.
sans son secours , ce qui la rendoit le
plus souvent si insolente , que M. Perrier
s'étoit déterminé à ne la point employer
dans l'entreprise qu'il avoit projettée
contre les Natches , ainsi qu'on l'a
dit dans le commencement de cette Re-
Lation C iiij Tous
2104 MERCURE DE FRANCE
Tous ces objets animoient tellement
nos gens dans cette affaire , qu'il n'y a
eû aucun Officier ni Soldat , tant des
Troupes reglées , que des Milices , qui
n'ait fait tout ce qui a dépendu de ses
forces pour avancer le travail , chacun
ayant mis la main à l'oeuvre , et qui n'ait
agi avec toute la valeur imaginable . Il
est vrai que le bon exemple des Chefs
y a beaucoup contribué , et certainement
les deux frères ont bien Fait connoître
qu'ils sçavent former une entreprise difficile
, et qu'ils sont également habiles et
courageux dans l'execution. Ils ont donné
beaucoup de loüanges à M. le Baron
de Crenay , et generalement à tous les
Officiers qui ont eû part à cette Expedition.
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Résumé : EXTRAIT d'une Lettre contenant la Relation de la défaite des Natches (a) par M. Perier, Commandant General à la Loüisianne, au mois de Janvier 1731.
En janvier 1731, M. Perier, Commandant Général en Louisiane, entreprit de clarifier les relations avec les Chactas, une nation amérindienne influente, après des rumeurs de mauvaise volonté. Il se rendit à la Mobile pour renouveler les traités de commerce et d'alliance avec les Chactas, qui acceptèrent de renvoyer des esclaves capturés sur les Natches et de payer leurs dettes aux Français. Perier se rendit ensuite à la Nouvelle-Orléans, où il retrouva son frère, M. de Salvert, commandant un détachement des troupes de la marine. Le 9 décembre, M. de Salvert partit pour le village de Carlestin, où il rejoignit Perier avec les troupes de la colonie et les munitions. Ils marchèrent ensuite vers les Bayagoulas, où ils attendirent les milices du pays et les bateaux de vivres. Les forces françaises furent divisées en trois corps : le premier commandé par M. de Salvert, le second par le Baron de Crenay, et le troisième par le sieur de Benac. Le 22 décembre, ils se mirent en marche vers les Tonnicas, une petite nation amérindienne. Perier dut rester jusqu'au 3 janvier pour permettre aux Tonnicas de finaliser leurs préparatifs de guerre, retardés par la peur après une attaque des Natches. Le 4 janvier, Perier rejoignit l'armée à la Rivière Rouge, où il trouva des détachements des garnisons des Natches et des Natchitoches. Le 11 janvier, l'armée entra dans la Rivière Rouge pour chercher les Natches, dont le fort était inconnu. Guidés par un jeune déserteur, ils découvrirent le fort des Natches le 19 janvier. Le 20 janvier, après avoir repéré le chemin menant au fort, les Français se préparèrent à l'attaquer. Le 21 janvier, ils trouvèrent le fort et commencèrent à le bombarder avec des mortiers et des grenades. Les Natches firent une sortie, tuant un grenadier et blessant un sergent. Les Français ouvrirent une tranchée à 30 toises du fort. Le 22 janvier, ils continuèrent à bombarder le fort avec du canon et un mortier. En septembre 1731, les troupes françaises engagées dans une expédition contre les Natches ont affronté des conditions difficiles. La nuit précédant une attaque, la mousqueterie française continua sans interruption. M. de Salvert captura une redoute ennemie, utilisée pour défendre la tête de la tranchée française. Le 23 septembre, les travaux de la tranchée furent poussés vigoureusement à l'abri de cette redoute. Le 24 septembre, face à la pression des Français et aux attaques de grenades et de canon, les Natches arborèrent un drapeau blanc à 7 heures du matin. Ils demandèrent la paix en échange de la reddition de leurs esclaves noirs. Le général exigea la présence des chefs de la nation Natché pour négocier. Malgré le mauvais temps, les chefs Natches se rendirent au camp français en fin d'après-midi. Ils exprimèrent leur repentir et leur soumission, demandant la clémence pour leurs femmes et enfants. Le général accorda la vie à tous ceux qui se rendraient le lendemain, mais menaça de brûler ceux qui refuseraient. Le 25 septembre, de nombreux Natches se rendirent, mais environ 20 hommes restèrent dans le fort. La nuit suivante, la plupart des hommes restants s'enfuirent. Les Français démolirent ensuite le fort et brûlèrent les bois. Le 26 septembre, des Sauvages alliés capturèrent et brûlèrent deux Natches, et en tuèrent un autre. Les jours suivants furent consacrés à la démolition du fort et à la préparation du départ. Le 29 septembre, l'expédition quitta les lieux pour rejoindre le fleuve Mississippi. Cette expédition venger un massacre perpétré par les Natches et renforça la réputation des Français auprès des autres nations sauvages.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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