LE TABLEAU ET L'EPONGE.
D
FABLE.
Ans le cabinet curieux
D'un connoiffeur tel que Julienne ,
( Cette Fable , en paffant vaut , bien qu'on la retienne
)
Un vieux Tableau tenoit un rang fort glorieux :
Mais enfin il étoit bien vieux ,
Et du tems , les cruelles traces
Laiffent toujours quelques difgraces
Sur l'objet le plus précieux .
Un jour l'Eponge dit : il faut que je m'attache
A redonner à ce Tableau
Un luftre renaiffant , un éclat tout nouveau ;
FEVRIER. 69
1755 .
J'en puis ôter juſqu'à la moindre tache ,
Il n'en paroîtra que plus beau ;
C'eft , à ce que l'on dit , un excellent morceau ;
Mais tout le monde enfin ne fçait pas s'y connoître
,
Et l'excellence du pinceau
N'eft faite que pour l'oeil du maître :
Les taches frappent l'ignorant ;
Voilà le nombre le plus grand.
Vraiment , je te trouve plaifante ,
( S'écria le Tableau , d'un tel foin irrité )
Quel peut être l'objet de ta témérité ?
Pour guérir un prétendu vice ,
De ton zele aveugle & novice
Les foins feroient trop achetés ,
Tu ne me rendrois pas ſervice ,
Et tu profanerois mes auguftes beautés.
Ainfi les orgueilleux ignorent
Le prix d'un bon ami qui veut les diriger.
Eft- ce offenfer les gens que de les corriger
Des défauts qui les deshonorent ?