COMEDIE FRANÇOISE.
Ous commencerons cet article
par
Nl'éloge de Mille Clairon. Quelque
grand qu'il foit , il nous paroît jufte.
E PITRE
A Mademoiselle Clairon , par M. Marmontel.
ENfin Nfin te voilà parvenue
A ce haur point de vérité ,
Où l'art , dans fa fublimité ,
N'eft que la peinture ingénue
De la nature toute nue ,
Belle de fa feule beauté.
Que fous tes traits elle eft touchante !
Le coeur à fes charmes livré ,
Dans l'illufion qui l'enchante ,
Entraîne l'efprit enivré .
Sois Phedre , Camille , Ariane ,
I ij
196 MERCURE DE FRANCE.
Alzire , Agripine , ou Roxane ;
Tu n'as rien de la fiction .
De l'éloquente paffion
Ta bouche eſt le fidele organe ,
Et ton gefte en eſt l'action.
Ce n'est point d'un art fymétrique
La fervile affectation ;
Du trouble & de l'émotion
C'eſt le langage pathétique :
C'est ce génie imitateur
Qui pénetre , faifit , embraſſe
Le plan du génie invent eur ,
L'égale , fouvent le furpaffe ,
Et fait placer l'actrice à côté de l'auteur .
Des Corneilles & des Racines ,
On croit voir les ames divines ,
Comme dans leurs écrits , refpirer dans ton coeur.
Du haut des cieux ils t'applaudiffent :
A la table des dieux tu fais leur entretien ;
Et de leur triomphe & du tien ,
Les céleftes lambris chaque jour retentiffent .
>> Dans mes vers , dit Corneille , elle a tour anobli :
» La veuve de Pompée etf çoit Cléopatre ;
>> Clairon lui rend fon luftre , & venge fon oubli.
» Dans mes vers , dit Racine , elle a tout embelli :
» Quand Phedre , fous fes traits , languit fur un
théatre ,
Moi-même interdit & confus ,
NOVEMBRE. 1755.. 197
Je me reproche les refus
Dont le fier Hippolyte accable fa marâtre .
Quand Eriphile , avec fes pleurs ,
Peint fa flâme jaloufe & fes vives douleurs ,
Surpris que mon héros ne l'ait pas confolée ,
Je m'intéreffe à fes malheurs ,
Et j'accufe Calcas de l'avoir im uolée.
Tandis qu'à ces récits tout l'Olympe eſt charmé,
Ici bas le rival d'Homere & de Corneille ,
Au bruit de tes fuccès , qui frappent fon oreille ,
Sent d'un feu créateur fon génie enflâné :
Tul'infpires toi feule ; il croit voir ( 1 ) ton image;
Et pour te rendre un digne hommage ,
Son pinceau rajeuni fait éclore Idamé.
De ce Titon nouvelle Aurore ,
Pour fa gloire & pour tes fuccès ,
Puiffe-t- il ne mourir jamais ,
Et rajeunir cent fois encore !
Ton talent déformais en regle eft érigé.
De la ſcene à ton gré réforme les uſages :
Ton exemple fait loi . Tous les rangs , tous les
âges ,
Et le nouveau caprice , & le vieux préjugé ,
Et Paris , & la cour , & le peuple , & les fages ,
De ton parti tout eſt rangé.
Le chemin qui conduit au temple de mémoire ,
(1 ) En compofant fon role , ( écrit l'auteur à un
de fes amis ) je la voyois fans ceffe au bout de mø
table.
1
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
Ce chemin fi pénible , eft applani pour toi.
Le ciel en ta faveur femble changer la loi
Qui vend cher aux talens une tardive gloire.
Le Jeu li 9 Octobre , la Comédie Françoiſe
qui a été cette année à Fontainebleau ,
le feul fpectacle de la Cour , y repréſenta
l'Orphelin de la Chine . Mlle Clairon juftifia
l'éloge qu'on vient de lire dans le rôle d'Idamé
, qu'elle joua avec le même fuccès
qu'à la ville. Elle n'a pas été ici moins fupérieure
pendant l'abfcence dans ceux de
Phedre & de Roxane.