Résultats : 1 texte(s)
Accéder à la liste des mots clefs.
Détail
Liste
1
p. 194-198
COMEDIE FRANÇOISE.
Début :
Le 11 Décembre les Comédiens François ont remis Nicomede, Tragédie du [...]
Mots clefs :
Comédiens-Français, Comédie-Française, Nicomède, Nanine, Tragédie, Comédie
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : COMEDIE FRANÇOISE.
COMÉDIE FRANÇOISE.
Le Décembre les Comédiens François
ont remis Nicomede , Tragédie du
grand Corneille , & très digne d'en être :
elle n'avoit point été reprife depuis la mort
du célébre Baron , arrivée en 1729 le 22
Décembre . Parmi la foule des beautés fu--
périeures dont cette piece étincelle , il fe
trouve beaucoup de chofes , ou plutôt d'expreffions
familieres , qu'on doit moins attribuer
à l'Auteur qu'au tems où il a vêcu .
Les deux premieres fois le public paroiffoit
indécis & comme partagé entre les éclats
de rire & les applaudiffemens , mais à la
troifiéme repréſentation ces familiarités ne
T'ont plus frappé , il n'a été fenfible qu'au
mérite fingulier de l'ouvrage , où la politique
joue le premier rôle , & qu'on peut
appeller une Tragédie de caractere. Nitomede
y paroît un digne éleve d'Annibal .
L'ironie eft fa figure favorite , il l'employe
fur-tout dans toute fa force vis- à vis de
Flaminius. Ce ton railleur paroît un peu
bleffer la dignité du cothurne ; le fpectateur
furpris n'a fçu d'abord s'il devoit applaudir
Nicomede comme un homme d'efprit
, ou l'admirer comme un grand homme.
Quelques-uns même l'ont qualifié de
JANVIER. 1755. 195
héros perfifleur , mais on a fenti par réflexion
que ce langage ironique partoit
d'une ame fiere , & qu'il convenoit à un
Prince jaloux de fes droits , & juftement
indigné de voir qu'un Romain vint impofer
la loi à Prufias fon pere , dans les propres
Etats. Il femble que Corneille ait voulu
dans cette piece , venger les Rois de la
fupériorité qu'il avoit donnée fur eux aux
Romains dans fes autres Tragédies. L'Ambaffadeur
de Rome y eft auffi petit devant
Nicomede que le Roi d'Egypte l'eft deyant
Cefar dans la mort de Pompée. M.
Grandval eft irès-bien dans le rôle de Nicomede
, & Mlle Clairon parfaitement
dans celui de Laodice . Le Samedi 15 , on
a joué cette Tragédie avec Nanine , Comédie
remife en trois actes , de M. de Voltaire.
Le Samedi 21 , on a redonné les
deux mêmes pieces. La chambrée étoit complette
pour parler le langage des Comédiens.
Le Lundi 23 , ils ont repréfenté pour la
premiere fois le Triumvirat , de M. de
Crébillon . Toute la France y étoit : il fut
écouté & reçu avec tous les égards , &
j'ofe dire , le reſpect qu'on doit au Sopho-
* Les Comédiens ont été les premiers à s'y méprendre
; ils ont affiché la piéce fous le titre nouveau
de Tragédie héroï- comique.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
:
de
cle de nos jours. Il eft beau à 81 ans de
paroître encore dans la carriere : c'eſt un
fpectacle non-feulement digne de la curiofité
publique , mais encore de l'acclamation
univerfelle . On eft forcé d'avouer que
le quatriéme acte & une partie du cinquiéme
ont paru d'abord inférieurs aux trois
premiers , qui ont reçu de grands applau
diffemens. C'est peut-être la faute des Comédiens
, dont le feu s'eft rallenti : le froid
des Acteurs eft fouvent mis fur le compte
la piéce ; quand ils manquent de concert &
de chaleur , elle paroît manquer d'enfemble
& d'intérêt. Tullie eft le perfonnage qui
a le plus frappé faut- il s'en étonner ? c'eft
Mlle Clairon qui le joue. L'éloquence de
fon jeu y a peut-être autant contribué que
la fupériorité du rôle ; ce qui a fait dire
que la fille de Ciceron étoit plus diferte
que fon pere. Sextus eft encore un beau
caractere il fe montre un digne fils de
Pompée. Les connoiffeurs les plus rigides ,
mais qui jugent fans partialité , conviennent
tous qu'il y a dans cette tragédie des
béautés du premier ordre , & des traits
marqués au coin du grand maître. On y
reconnoît l'auteur d'Electre & de Rhadamifte
: c'est un beau foleil couchant , il
darde encore des rayons qui ont toute la
force de fon midi ; ils doivent échauffer le
public en fa faveur.
:
JANVIER. 1755. 197
Ils l'ont fait à la deuxième repréfentation.
La piece a été mieux jouée , en conféquence
mieux fentie . La cataſtrophe furtout
a fait la plus grande impreffion.
L'inftant où Fullie découvre le voile qui
cache la tête de fon pere fur la tribune
aux harangues , & la précifion admirable
avec laquelle l'actrice rend toute la
force de cette pofition terrible , former t
un coup de théatre qui arrache les lar-.
mes & qui déchire l'ame de tous les
fpectateurs. J'en parlerai plus au long le
mois prochain dans l'extrait que j'en donnerai.
On a oublié dans les deux derniers volumes
de Décembre de parler de la repriſe
des Tuteurs , qui ont été joués avec les
Troyennes. Sans entrer dans aucun détail , `
je vais fuppléer à ce filence. Cette Comédie
en deux actes , ou plutôt le talent qu'elle
annonce , mérite qu'on en faffe mention .
Les trois premieres fcenes montrent que
le jeune auteur de cette petite piéce eft appellé
au Comique , fon vers eft facile , &
fon dialogue naturel ; mais le difcours
qu'il adreffe à Madame la Comteffe de la
Marck prouve encore mieux fa vocation
pour ce genre. Quand on penfe à fon âge
auffi jufte fur l'art que l'on embraffe ,
& qu'on a comme lui le talent d'écrite ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
on eft für d'y faire un progrès rapide.
Le genre moyen de la Comédie , où les
moeurs purement bourgeoifes qu'il fe propofe
de traiter , me femblent comme à lui
les plus théatrales . Il faut fur la fcene des
ridicules de perfpective , fi j'ofe m'exprimer
ainfi ; il faut que leurs traits foient
gros pour exciter un vrai rire , ou un rire
machinal ; c'eft celui de la nature : ne rire
que de l'efprit , c'eft à peine fourire. J'aime
mieux pour mon amufement , rire avec
la bonne foi d'un bourgeois ingenu , ou la
groffe franchife d'un bon payfan , qu'avec
la circonfpection d'un homme du monde
qui craint d'éclater , & qui regle tous fes
mouvemens fur les loix exactes de la froide
décènce . Ce rire compaffé , qui en naiffant
expire fur les levres , ne part jamais
de l'ame , il n'eft qu'un raffinement de
l'art , ou plutôt qu'un ennui déguisé.
Le Décembre les Comédiens François
ont remis Nicomede , Tragédie du
grand Corneille , & très digne d'en être :
elle n'avoit point été reprife depuis la mort
du célébre Baron , arrivée en 1729 le 22
Décembre . Parmi la foule des beautés fu--
périeures dont cette piece étincelle , il fe
trouve beaucoup de chofes , ou plutôt d'expreffions
familieres , qu'on doit moins attribuer
à l'Auteur qu'au tems où il a vêcu .
Les deux premieres fois le public paroiffoit
indécis & comme partagé entre les éclats
de rire & les applaudiffemens , mais à la
troifiéme repréſentation ces familiarités ne
T'ont plus frappé , il n'a été fenfible qu'au
mérite fingulier de l'ouvrage , où la politique
joue le premier rôle , & qu'on peut
appeller une Tragédie de caractere. Nitomede
y paroît un digne éleve d'Annibal .
L'ironie eft fa figure favorite , il l'employe
fur-tout dans toute fa force vis- à vis de
Flaminius. Ce ton railleur paroît un peu
bleffer la dignité du cothurne ; le fpectateur
furpris n'a fçu d'abord s'il devoit applaudir
Nicomede comme un homme d'efprit
, ou l'admirer comme un grand homme.
Quelques-uns même l'ont qualifié de
JANVIER. 1755. 195
héros perfifleur , mais on a fenti par réflexion
que ce langage ironique partoit
d'une ame fiere , & qu'il convenoit à un
Prince jaloux de fes droits , & juftement
indigné de voir qu'un Romain vint impofer
la loi à Prufias fon pere , dans les propres
Etats. Il femble que Corneille ait voulu
dans cette piece , venger les Rois de la
fupériorité qu'il avoit donnée fur eux aux
Romains dans fes autres Tragédies. L'Ambaffadeur
de Rome y eft auffi petit devant
Nicomede que le Roi d'Egypte l'eft deyant
Cefar dans la mort de Pompée. M.
Grandval eft irès-bien dans le rôle de Nicomede
, & Mlle Clairon parfaitement
dans celui de Laodice . Le Samedi 15 , on
a joué cette Tragédie avec Nanine , Comédie
remife en trois actes , de M. de Voltaire.
Le Samedi 21 , on a redonné les
deux mêmes pieces. La chambrée étoit complette
pour parler le langage des Comédiens.
Le Lundi 23 , ils ont repréfenté pour la
premiere fois le Triumvirat , de M. de
Crébillon . Toute la France y étoit : il fut
écouté & reçu avec tous les égards , &
j'ofe dire , le reſpect qu'on doit au Sopho-
* Les Comédiens ont été les premiers à s'y méprendre
; ils ont affiché la piéce fous le titre nouveau
de Tragédie héroï- comique.
Iij
196 MERCURE DE FRANCE.
:
de
cle de nos jours. Il eft beau à 81 ans de
paroître encore dans la carriere : c'eſt un
fpectacle non-feulement digne de la curiofité
publique , mais encore de l'acclamation
univerfelle . On eft forcé d'avouer que
le quatriéme acte & une partie du cinquiéme
ont paru d'abord inférieurs aux trois
premiers , qui ont reçu de grands applau
diffemens. C'est peut-être la faute des Comédiens
, dont le feu s'eft rallenti : le froid
des Acteurs eft fouvent mis fur le compte
la piéce ; quand ils manquent de concert &
de chaleur , elle paroît manquer d'enfemble
& d'intérêt. Tullie eft le perfonnage qui
a le plus frappé faut- il s'en étonner ? c'eft
Mlle Clairon qui le joue. L'éloquence de
fon jeu y a peut-être autant contribué que
la fupériorité du rôle ; ce qui a fait dire
que la fille de Ciceron étoit plus diferte
que fon pere. Sextus eft encore un beau
caractere il fe montre un digne fils de
Pompée. Les connoiffeurs les plus rigides ,
mais qui jugent fans partialité , conviennent
tous qu'il y a dans cette tragédie des
béautés du premier ordre , & des traits
marqués au coin du grand maître. On y
reconnoît l'auteur d'Electre & de Rhadamifte
: c'est un beau foleil couchant , il
darde encore des rayons qui ont toute la
force de fon midi ; ils doivent échauffer le
public en fa faveur.
:
JANVIER. 1755. 197
Ils l'ont fait à la deuxième repréfentation.
La piece a été mieux jouée , en conféquence
mieux fentie . La cataſtrophe furtout
a fait la plus grande impreffion.
L'inftant où Fullie découvre le voile qui
cache la tête de fon pere fur la tribune
aux harangues , & la précifion admirable
avec laquelle l'actrice rend toute la
force de cette pofition terrible , former t
un coup de théatre qui arrache les lar-.
mes & qui déchire l'ame de tous les
fpectateurs. J'en parlerai plus au long le
mois prochain dans l'extrait que j'en donnerai.
On a oublié dans les deux derniers volumes
de Décembre de parler de la repriſe
des Tuteurs , qui ont été joués avec les
Troyennes. Sans entrer dans aucun détail , `
je vais fuppléer à ce filence. Cette Comédie
en deux actes , ou plutôt le talent qu'elle
annonce , mérite qu'on en faffe mention .
Les trois premieres fcenes montrent que
le jeune auteur de cette petite piéce eft appellé
au Comique , fon vers eft facile , &
fon dialogue naturel ; mais le difcours
qu'il adreffe à Madame la Comteffe de la
Marck prouve encore mieux fa vocation
pour ce genre. Quand on penfe à fon âge
auffi jufte fur l'art que l'on embraffe ,
& qu'on a comme lui le talent d'écrite ,
I iij
198 MERCURE DE FRANCE.
on eft für d'y faire un progrès rapide.
Le genre moyen de la Comédie , où les
moeurs purement bourgeoifes qu'il fe propofe
de traiter , me femblent comme à lui
les plus théatrales . Il faut fur la fcene des
ridicules de perfpective , fi j'ofe m'exprimer
ainfi ; il faut que leurs traits foient
gros pour exciter un vrai rire , ou un rire
machinal ; c'eft celui de la nature : ne rire
que de l'efprit , c'eft à peine fourire. J'aime
mieux pour mon amufement , rire avec
la bonne foi d'un bourgeois ingenu , ou la
groffe franchife d'un bon payfan , qu'avec
la circonfpection d'un homme du monde
qui craint d'éclater , & qui regle tous fes
mouvemens fur les loix exactes de la froide
décènce . Ce rire compaffé , qui en naiffant
expire fur les levres , ne part jamais
de l'ame , il n'eft qu'un raffinement de
l'art , ou plutôt qu'un ennui déguisé.
Fermer
Résumé : COMEDIE FRANÇOISE.
En décembre 1754, les comédiens français ont repris la tragédie 'Nicomède' de Pierre Corneille, qui n'avait pas été jouée depuis la mort de l'auteur en 1729. La pièce, riche en beautés littéraires, contient des expressions familières attribuables à l'époque de Corneille. Lors des premières représentations, le public était partagé entre le rire et les applaudissements, mais à la troisième représentation, il a reconnu le mérite de l'œuvre, qualifiée de tragédie de caractère où la politique joue un rôle central. Nicomède y apparaît comme un digne élève d'Annibal, utilisant l'ironie, notamment envers Flaminius. Certains spectateurs ont vu en lui un héros persifleur, mais cette ironie reflète la fierté et l'indignation d'un prince défendant ses droits. Corneille semble vouloir venger les rois dans cette pièce, contrairement à ses autres tragédies. Les acteurs M. Grandval et Mlle Clairon ont été particulièrement applaudis dans leurs rôles respectifs de Nicomède et Laodice. Le 15 janvier 1755, 'Nicomède' a été jouée avec 'Nanine', une comédie de Voltaire. Le 21 janvier, les deux pièces ont été rejouées devant une salle comble. Le 23 janvier, les comédiens ont présenté pour la première fois 'Le Triumvirat' de M. de Crébillon, reçu avec respect et admiration malgré des réserves sur les quatrième et cinquième actes. Mlle Clairon a particulièrement impressionné dans le rôle de Tullie, et Sextus a été salué pour son interprétation. La pièce a été mieux jouée lors de la deuxième représentation, notamment la catastrophe où Tullie découvre la tête de son père, suscitant une grande émotion chez les spectateurs. En décembre, la reprise des 'Tuteurs' a été omise, mais cette comédie en deux actes, écrite par un jeune auteur talentueux, mérite mention pour son dialogue naturel et son potentiel comique.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Fermer