LETTRE de M. de Voltaire , écrite à M.
de la R. le 30. Juin 1731. de Fakner ,
prés de Londres.
J
E n'ay jamais jusqu'à present repondu
, Monsieur, à aucune des brochures
que l'on a imprimées contre moy , ou qui
ont été inserées dans les Journaux. J'ay
toujours cru que si les Critiques étoient
mauvaises , le Public en ferait justice
sans moy , et que si elles étoient bonnés,
je ne devois y répondre qu'en corrigean t
mes fautes.
D'ailleurs je n'ay jamais pû prendre
sur moy , de déffendre des ouvrages que
je n'ay jamais donnés qu'avec beaucoup
de défiance , et que je voudrois n'avoir
jamais hazardés dans le Public. Je suis
forcé aujourd'hui contre mon inclination
de vous prier de vouloir bien faire inserer
dans le Mercure cette réponse à Mr
les Auteurs du Nouveliste du Parnasse
et que j'ai l'honneur de vous envoyer.
"
Je
1720 MERCURE DE FRANCE
Je sçai combien peu il importe au Public
de sçavoir si j'ay fait ou non une.
brochure Satirique contre M. Capistron.
Mais j'ay cru devoir détromper ceux qui
lisent les Nouvelles Litteraires , j'ay cru
devoir à mon honneur , et à la verité ,
d'imposer du moins une fois en ma vie ,
un silence forcé à la calomnie. Ce n'est
pas d'aujourd'hui que la seule recompen-.
se de ceux qui cultivent les beaux Arts .
est d'être accusés d'ouvrages indignes
d'eux . On m'a souvent attribué des Pieces
soit mediocres , soit absolument mauvaises
, telles , que je ne sçai quelle Satire
intitulée Jay vu , une miserable Ode ou
l'on attaquoit indignement un Ministre
respectable. Je connois les Auteurs de
ces lâches ouvrages . Je ne leur fais point
la confusion de les nommer , il me suffit
de défier la calomnie d'oser avancer que
j'aye jamais ou fait , ou montré , ou approuvé
un seul ouvrage Satirique. C'est
une déclaration authentique que je fais
dans cette Lettre aux Auteurs du Nouveliste
, et j'espere fermer la bouche pour
jamais à ceux qui m'imputent ces sottises ,
de même que j'invite les sages et vrais
Critiques à continuer d'éclairer les beaux
Arts par leurs reflexions. Je m'éleve contre
le Calomniateur , mais j'encourage
tous
JUILLET. 1731. 1721
tous mes Censeurs , et je me flate d'avoir
donné moy-même dans ce petit Ecrit
l'exemple d'une Critique pleine au moins
de bienséance , si elle ne l'est pas de raison.
Je me flatte , Monsieur , que vous la
ferez paroître dans le Mercure , d'autant
plus volontiers que vous n'y avez jamais
inseré aucune Satire , et que vous
avés trouvé le secret de plaire à tout le
monde , sans offenser personne. Le Mercure
, regardé autrefois comme un ou.
vrage frivole et méprisable , est devenu
entre vos mains un livre choisi , plein de
monuments curieux et necessaires à quiconque
veut sçavoir dans son Siecle l'Histoire
de l'Esprit humain . La Lettre que
je vous envoye ne merite d'y avoir place
qu'autant qu'elle est pleine de cet esprit
de verité que vous aimez . Je suis &c.