EXTRAIT d'une Lettre de M. Chêne,
Vicaire Apoftolique à Alger , écrite le
12. Octobre 1730. à M. Durand ,
Tréforier Géneral des Ligues Suiffes
cy-devant Conful à Alger
J
Efçai que laLettre quej'ai l'honneur de vous
écrire , vous caufera une douleur d'autant
plus fenfible , que vous avez moins de fujet de
vous y attendre. M. Antoine- Gabriël Durand
votre frere & notre cher & ancien ami ; Conful·
Réfident pour le Roi en cette Ville & Royaume,
eft mort après une maladie de fix femaines , laquelle
pour avoir été longue , n'en a pas été plus.
1. Vol. I iij con2748
MERCURE DE FRANCE
connue & nous a laiffez tous dans une affliction
qu'il eft difficile d'exprimer ; les Chrétiens , los
Turcs les Maures , le Dey lui-même , pleurent
cette perte; elle arriva le 8. de ce mois,& ilfur
inhumé le même jour , âgé d'environ 89. ans. Je
doute qu'on ait jamais vû dans Alger des funerailles
d'un Chrétien plus magnifiques ; tout ce
qu'il y a ici de Chrétiens , François , Espagnolsi
Portugais , e s'y trouverent. Les Confuls Anglois
, Suedois Hollandois , y affifterent avec
leurs Nations ; enfin ily eut des Turcs , des Mau
rès & des Juifs , choſe juſqu'à prefent fans
exemple, chacun donnant des marques fenfibles
de la douleur dont il étoit penetré.
*
Nous lui ferons des funerailles folemnelles.
dans notre Chapelle le 13. de ce mois , &j'ay.
donné des ordres pour les faire le même jour
dans tous les Bagnes , chez les RR. PP.)
Trinitaires de l'Hôpital, où elles feront celebrées
encore plus magnifiquement . Nous ferons venir
de Livourne , un Tombeau de Marbre qui ſera
orné d'un Epitaphe pour éternifer la mémoire
de cet Illuftre Conful.
A l'occafion de cette Lettre , il est bon de
favoir que le Vicaire Apoftolique d'Ager eft
soujours un Miffionnaire François ; it a avec
lui un autre Miffionnaire & un Frere pour le
fervir. Cete Miffion a été fondée & établie à
Algerpar la pi té de la Ducheffe diguillon ,
pour fou ager & con o'er les Efa aves dans leur
Servitude , & pour es confirmer dans leur for.
Les fonds en ont été affectez aux Miffionnaires
de S. Laz re , fous e bon plaifir du Roy . Celui
des deux miffionnaires qui eft Superieur , reçoit
du Pape le titre de Vic ire Apoftolique , qui
S
Lieux où font enfermez les Efclaves.
1. Val.
Li
DECEMBRE. 1730. 2749
<
lui donne une authorité preſqu'auſſi étenduë que`
celle d'un Evêque.
M. Durand qui vient de mourir , étoit fi's des
feu M, Durand , Secretaire du Roy , dont la
probité le défintereffement lui procurerent.
Veftime de S. M. & la confiance de M. Colbert
qui lui donna la Caiffe des Emprunts. Il laiffa
deux fils, dont l'aîné eft M. Durand , Thréforier
General des Ligues Suiffes , lequel a été fuccef
fvement Conful à Tripo'y & à Ager , & em
ployé en differentes Négociations auprès des
Puiffances d'Afrique. L'eftime qu'il s'est ace
quife chez es Algeriens, ' a fait choisir en plufieurs
occafions pour arbitre de leurs differends .
Le Dey même le confultoit quelquefois , & il
s'est fervi defes confeils en plufieurs occafions.
En 1704. il forma le deffein de repaffer en
France. Le Dey auquel il communiqua fon def
fein , ne confentit à ce voyage que fur la parole
lui donna M. Durand , qu'il retourneroit que
Alger.
M. Durand ayant terminé les affaires qui l'avoient
appellé en France revint à Alger Afon
Arrivée le Dey fit tirer tous les Canons de 14
Ville & des Forts : la plupart des perfonnes dif
tinguées allerent à bord de fon Vaiffeau pour le
recevoir : il fut reçû de la Ville avec toutes for
tes de démonftration de joye.on
En 1706, il eut ordre d'aller à Tunis ; pour J
négocier un Traité. Après l'avoir conclu il repaffa
en France , où il avoit refelu de fixer ſom
féjour, évita de paſſer à Alger , où fans doute
il eut été retenu,
Il fut remplacé par M. de Clerambaut , Frere
du Genealogifte des ordres du Roy , qui prit pour
fon Chancelier M. Durand , Frere de fon Préde
ceffeur , qui avoit été élevé à Alger auprès de
Lo Polo
Lov
2750 MERCURE DE FRANCE?
fon Frere. Dans lafuite M. de Clerambaut ayane
paffé à un autre Confulat , M. Durand fut nommé
Vice- Conful à la Canée : Mais par les inftances
des Algeriens auprès du Roi , M. Durand
leur fut accordé pour être Conful à Alger.
On ne peut donner de meilleures preuves de
l'amitié que les Algeriens avoient pour lui , fondée
fur fes excellentes qualités , que le trait
que voici. Il fut nommé il y a environ deux ans
Au Confulat du Grand- Caire. A peine le Dey
enfut-il informé qu'il fit appeller M. Durand,
& lui demanda s'il étoit poffible qu'il voulût
quitter Alger , s'il eftimoit fi peu l'amitié
que toute la nation lui portoit. M. Durand ayant
répondu qu'il étoit obligé d'obéir aux ordres du
Roi , le Dey écrivit à la Cour,& fit de fi grandes
inftances pour retenir M. Durand à Alger ,
que S. M. voulut bien y confentir , & elle lui
fit même donner une augmentation d'appointe
mens en confideration de ſes ſervices.