REPONSE DE M' P***
à Madame de F ***
I
L faut vous dire , Madame,
par quelle occafion je connus.
Mademoiſelle de C *** & fatisfaire
en fuite voftre curiofité.
Mademoiſelle de C *** paffoit
pour une Perfonne fort bien faite
; on ne pouvoit point luy contefter
cela. Bien des Gens
trouvoient qu'elle avoit beaucoup
d'efprit. Elle eftoit libre,
agréable & fort enjoüée. Elle
378
Extraordinaire
avoit la voix fort belle ; elle écri
voit galamment , & faifoit des
Vers avec un tres - grand naturel,
Avec cela les Connoiffeurs ne
luy trouvoient rien de reglé , fi
bien qu'ils ne pouvoient qu'à
peine donner leur approbation à
des qualitez qui ébloüiffoient les
Perfonnes qui n'avoient point de
gouft , & qu'ils trouvoient fort
imparfaites . Elle avoit une A mie
affez éclairée , & de qui j'eftois
un peu connu , qui luy apprit
les fentimens que les honneftes
Gens avoient d'elle . Cette Amie
luy fit comprendre qu'elle ne fe
roit jamais qu'une Perſonne fort
médiocre , fi elle ne s'attachoir à
fe perfectionner. Dans ce temps.
là un Homme de fon voifinage
me mena chez elle. Cette mef
du Mercure Galant. 179
me Amie s'y rencontra . Pen ?
dant une heure & demie de con ,
verfation , Mademoiſelle C ***
m'étala toutes fes belles qualitez:
Je luy trouvay un efprit brillant
& plein de feu , & je vous avouë
que je fus touché d'un fi beau naturel
. Je luy dis avec ma franchife
ordinaire, que c'eftoit domi
mage qu'elle ne cultivaft avec
un peu d'art tous ces rares talens.
qu'elle avoit receus du Ciel. Elle
me témoigna qu'elle connoifloit
affez le befoin qu'elle avoit , que:
quelqu'un luy donnaft de bonnes.
·leçons , & qu'elle s'eftimeroit
heureufe de trouver un honnefte
Homme , qui fuft affez charitable
pour fe charger de luy regler
l'efprit & la voix . En fuite ces.
deux Perfonnes luy firent naiftre
180 Extraordinaire
l'occafion de s'addreſſer à moy,
& de me dire qu'elle avoit eu un
tres grand defir de me connoître,
& qu'elle fouhaiteroit pouvoir
meriter que je vouluffe prendre
quelque foin d'elle . Vous pou.
vez juger , Madame , que je ne
manquay point de luy offrir mon
ſervice autant que j'en eftois capable.
Je luy promis qu'elle fe
roit tout autre chofe , & qu'elle
deviendroit la perfonne du mondé
la plus dangereuse , fi elle
vouloit fe donner quelque foin. Je
croy que je luy ay tenu parole.
Il y a un peu plus d'une année
que nous fimes connoiffance .
Elle s'eft fi bien aidée de fon câ
té , qu'on luy trouve une jufteffe
dans l'efprit , dont on ne la
croyoit pas capable . Vous ne
du Mercure Galant. 181
fçauriez croire combien elle a
d'agréement & de bon fens dans
fes difcours , & dans toutes les
manieres. Quand elle ne fe fe
roit connoiftre que par ce feul
endroit, faite comme elle eft, elle
fe feroit aimer par tout. Sa voix
eft devenue fort touchante , &
pour une Perfonne qui ne fait pas
profeffion d'eftre chanteuse , l'on
ne fçauroit guere chanter plus
proprement. Elle fçait autant de
Mufique qu'il luy en faut , pour
fçavoir trouver la meilleure execution
de toute forte d'Airs ; &
fon plus grand art dans le chant,
c'eft de le fçavoir cacher.
Pour ce qui eft de fa manière
d'écrire , vous en jugerez , Madame
, par ce petit mot de réponfe
qu'elle fit il y a quelque
182 3. Extraordinaire
O
a
temps à un Homme , avec qui elle
eft fort familiere. Vous remarque.
rez , s'il vous plaiſt, que cet Homme-
là a une tres- forte inclination
pour elle, qu'il eft fort Amy de fa
Mere, & qu'elle ne l'aime point.
Velle neceffité y avoit - il de
m'écrire un Billet , pour m'apprendre
que vous vousfaites un plaifir
de penfer amoy ? Penfez à moy, Monfieur,
tant qu'il vous plaira, je ne vous
en empefche point ; mais dois- je eftre
expofée à lire un Billet de trois pages,
où vous n'avez point autre chose à
me dire ? Je ne crois pas vous avoir
jamais obligé d'en ufer de la forte
avec moy. Cependant il faut que je
vous réponde. Cela eft- iljuste ? No
m'en ayez point toute l'obligation.
Ma Mere me gronderoit , li je ne
vous faifois point de réponfe.
du Mercure Galant. 183
•
Les Vers qui fuiventfont d'un ga
lant Homme , qui ayant efté Priſonnier
pendant quelques mois, fe divertiffoit
à en faire dans le temps de fa
difgrace.