Oeuvre commentée (2)
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Détail
Liste
Résultats : 2 texte(s)
1
p. 780-789
LE COMPLAISANT, Comédie en cinq Actes, représentée sur le Théatre François en Janvier 1732.
Début :
ACTEURS. M. Orgon, mari de Me Orgon, le sieur Duchemin. [...]
Mots clefs :
Orgon, Damis, Angélique, Caractère, Complaisance, Pièce, Théâtre, Cléante
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texteReconnaissance textuelle : LE COMPLAISANT, Comédie en cinq Actes, représentée sur le Théatre François en Janvier 1732.
LE COMPLAISANT , Comédie en
cing Actes , représentée sur le Théatre
François en Fanvier 1732 .
ACTEURS.
M. Orgon , mari de Me Orgon , le sieur
Duchemin.
Me Orgon , femme de M. Orgon , la
Dlle Quinault.
Angélique , fille de M. et de Me Orgon ,
la Dlle Gaussin,
Cléante, frere de M. Orgon , M. du Brežil.
Argant , cousin de M. Orgon , le sieur
1 Damis
Eraste ..
Peisson.
Amans d'Angélique , les sieurs
Montmesnil et Grandval.
Le Marquis , ami de Damis , le sieur
Dufresne.
Lisette , Suivante d'Angélique , la Dile
Dangeville.
La Scene eft dans la maison de M. Orgon ,
L'élégance qui régne dans toute cette
Piéce , fait un honneur infini à la plume
de l'Auteur anonyme , qui , à ce
qu'on
л VRT L. 1733. 781
qu'on a dit d'abord , en a voulu faire présent
au Théatre François. On assûre que
c'est son premier Ouvrage , auquel cas
il est à souhaitter que ce ne soit pas son
dernier. Comme l'ingénieux inconnu à
qui nous devons cet admirable coup d'essai
, ne s'est attaché qu'à bien traiter tous
ses Caracteres , et surtout celui qui donne
le titre à sa Piéce ; il a négligé ce
qu'on appelle intrigue ; on pourra juger
par ce court argument de ce qui constitue
l'action théatrale.
M. Orgon a un procès à faire juger , et
une fille à marier ; Mad. Orgon , sa femme
, se met très peu en peine du procès
de son mari , et ne s'occupe que du choix
d'un Gendre dont l'humeur convienne à
la sienne ; Damis lui paroît tel , parce
qu'il est le plus complaisant de tous les
hommes ; M. Orgon s'accorde pour la
premiere fois avec elle , et panche du
côté de Damis , grace à cette même complaisance
qui a gagné le coeur de sa femme.
Eraste , dont le Caractere est noble
et sincere , s'est acquis l'estime d'Angélique
c'est le nom de la Fille que M. et
Me Orgon conviennent qu'il faut donher
à Damis, ) mais cette estime n'empê
che pas qu'elle ne préfére l'agrément exterieur
de l'un de ses deux Amans au mérite
782 MERCURE DE FRANCE
rite solide de l'autre. Cette préférence
n'est pourtant pas si déclarée , qu'elle
ôte aux Spectateurs l'espérance de voir
revenir Angélique de l'agrément au solide
, et c'est là tout ce qui constituë le
noeud de la Piéce ; en voici le dénoiiment :
le vice est puni , et la vertu est récompensée
; la complaisance outrée de Damis
fait qu'il manque de parole à Orgon , à
que ce manque de parole lui fait perdre
le procès ; elle irrite Mad. Argante , parce
que Damis , pour complaire à son
mari , a congedié des Musiciens qu'elle
avoit mandés pour un Divertissement de
sa façon ; elle le détruit enfin dans le
coeur d'Angélique , par une espéce d'infidelité
qu'elle lui a fait commettre envers
elle. Pour achever le dénouement ,
Eraste qui s'étoit déja emparé de l'estime
d'Angélique par la noblesse de ses procédés
, lui inspire une tendre reconnoissance
par la generosité avec laquelle il
paye secretement cinquante mille écus
somme à laquelle M. Orgon vient d'être
condamné par corps en perdant son
procès.
On voit par ce petit argument que la
Piéce , quoiqu'elle soit en cinq Actes ,
n'est pas beaucoup chargée d'action , mais
en récompense le Caractere dominant y
est
AVRIL. 1733 78;
est soutenu du commencement à la fin.
On auroit souhaité que ce Caractere fût
un peu plus mis en oeuvre , et qu'il se
développât plutôt par des actions que
par des conversations ; ce défaut n'est.
que trop commun dans les Piéces modernes
; on y parle beaucoup plus qu'on n'y
agit , comme si l'on ignoroit que l'action
est l'ame de la Comédie et de la Tragédie.
On auroit voulu surtout qu'immédiatement
après que Damis a promis
à M. Orgon de faire différer le jugement
de son procès , ce même Damis eut été
prié par Mad. Orgon de le faire avancer,
et qu'il eut manqué à sa parole par complaisance
, ou, pour mieux dire , il auroit
encore mieux valu que l'Auteur lui eut
sauvé une perfidie , qui fait un crime de
ce qui ne devoit être qu'un ridicule .
A ce Caractere dominant , on en joint
d'autres purement accessoires , où l'Auteur
a fait voir qu'il est excellent Peintre,
tant qu'il ne faut employer d'autre pinceau
que sa plume ; on lui reproche même
comme un défaut, une éloquence dont
bien d'autres tireroient vanité ; il a tant
d'esprit qu'il ne peut s'empêcher d'en
donner à tous ses personnages . Voilà ce
qu'on a presque generalement observé
dans la Comédie du Complaisant ; il ne
nous
484 MERCURE DE FRANCE.
nous reste plus , pour la satisfaction de
nos Lecteurs , qu'à donner quelques traits
de la maniere d'écrire de l'Auteur , qui
pourroit servir de modele aux Orateurs
les plus élégans , et qui n'a que le malheur
de n'être pas bien en sa place.
Nous ne citerons que ce qui concerne
le caractere dominant. Voici comment
Cléante , frere de M. Orgon , le'définit dans
le premier Acte. Damis rassemble les qualitez
les plus contraires , il en a du moins
les apparences. Sans caractere , sans humeur
, il se livre aux impressions étrangeres ;
il prend chez les autres sa tristesse et sa
joye ; elles s'emparent de son visage sans
passer dans son coeur; toutes les opinions ,
sous les sistêmes lui plaisent également ; il
les adopte , il les abandonne , il les réfute
il les soutient ; la vrai-semblance qui le
séduit , Paide encore à tromper les autres.
tout paroît probable à ses yeux , tout devient
probable dans sa bouche . Il ne pense point ;
il ne sent point , tout son talent est d'exprimer
avec facilité des sentimens et des
pensées. Son esprit , chargé des idées d'antrui
, ne sçauroit en produire aucune ; si
quelquefois il a le courage de juger par luimême
, la plus foible contradiction le rebute
et l'effraye bien- tôt il assujettit ce
qu'il pense au désir de plaire ; bien- tôt même
AVRI L. 1733. 781
ne il oublie ce qu'il a pensé. Sa conduite
n'est pas moins inégale ; son gout , son inclination
, ses moeurs , sont soumis aux caprices
de ceux qui l'environnent. Esclave de
La Societé, le même excès de complaisance qui
dicte ses paroles , dirige aussi ses démarches.
Voici comme Damis se définit lui- même
, parlant à Cléante , qui veut lui faire
sentir les inconvéniens qui peuvent naître
d'un excès de complaisance.
Mon Sistême , puisqu'enfin vous m'ordonnez
d'en avoir un , n'est pas de m'assujettir
à ces regles arbitraires qu'on n'ose
jamais perdre de vie , à ces loix importunes
et rigoureuses qu'on impose souvent
sans necessité , et que vous appellez des
principes. Leur effet ordinaire est de contrarier
les idées d'autrui , sans rectifier les nôtres.
Pour vivre avec tout le monde , il faut
se persuader, si l'on peut, que tout le monde
a raison ; à force de le souhaiter on s'accous
tume à le croire.
de mau-
Et comme Cléante le soupçonne de
mauvaise foi , il ajoûte : Ne cherchez point
à m'allarmer par un odieux soupçon
vaise foi; on n'est point faux , quand on
ne veut point l'être. Peu jaloux de ce que
je pense peu attaché à ce que je veux
ma facilité naturelle me fait entrer avecplai
sir dans les mouvemens qu'on veut m'inspirer
786 MERCURE DE FRANCE
pirer; une prévention toujours favorable
et toujours sincere , me peint les objets sous
les couleurs les plus heureuses. Je voi les
hommes tels qu'ils veulent me paroître ; je
ne m'attacke point à sonder les replis de leurs
coeurs ; indulgent pour leurs travers , admirateur
de leurs bonnes qualitez , je cherche
moins à démêler leurs vices , qu'à profiter
de leurs vertus .
Cléante lui faisant un dernier reproche
sur son caractere , qui du moins ,
dit-il , le fait tomber dans la flatterie ,
deffaut dont tout le monde doit rougir,
il lui répond : deffaut dont personne ne doit
m'accuser. Un flatteur est sans cesse occupé
de vues interessées , et la honte d'une adulation
servile le touche beaucoup moins que
les avantages personnels qu'il en tire. Pour
moi , sans former de projets , sans exiger de
reconnoissance , j'apporte dans la Societé des
dispositions d'autant plus commodes , que
chacun y peut trouver son compte , sans qu'il
m'en coûte rien . En un mot , voici toute ma
Philosophie , et je me sçais bon gré d'en être
redevable à la Nature plutôt qu'à la refle
xion; j'écoute volentiers , j'approuve aisé
ment , je ne contredis jamais , et pour peu
que la conversation durât , je pourrois bien
prendre votre avis contre moi-même ; peutétre
l'aurois -je déjafait , si vous m'aviez atraqué
moins vivement. Le
A VRL I. 1733. 787
Le Lecteur doit convenir qu'il faut avoir
bien de l'éloquence pour soutenir si bien
une si mauvaise cause. Au reste l'Auteur
n'est pas moins élegant qu'éloquent ; on
peut même dire qu'il est un peu trop exact
dans le choix des termes , et qu'il n'est
pas dans la nature que des conversations
ordinaires ressemblent à des discours étudiez
avec un art aussi continu que cellescy
le paroissent ; aussi tout le monde est-il
convenu que l'Auteur de cette Comédie
est encore plus Orateur qu'Auteur ; il
faut pourtant lui rendre justice sur cette
derniere qualité. Sa Piece , quoiqu'un peu
vuide d'action, ne laisse pas d'être ornée de
ce qu'on appelle jeu de Théatre ; il y en
a- un entre autres dans le quatrième Acte
, qui soutenu de la vivacité du sieur
et de la Dile Quinault , a fait un plaisir
infini , on peut même dire que c'est quelque
chose de plus qu'un jeu de Théatre :
puisqu'il produit un coup de Théatre ;
Voici de quoi il s'agit . M. Orgon ayant
annoncé à Damis la perte de son Procès
, ce dernier en est si penetré , qu'on
croiroit que c'est lui - même qui vient d'ê
tre condamné par corps à payer les cinquante
mille écus dont il s'agit. M. Or
gon va chercher son frere pour le convaincre
de la sensibilité de son gendre
H futur
788 MERCURE DE FRANCE
futur, Mad. Orgon arrive bien- tôt après,
et fait part à Damis d'un Divertissement
qu'elle a fait. Damis s'y prête si bien.
par complaisance , qu'il chante et danse
avec elle , aussi gayement , qu'il vient
de s'affliger tristement avec M. Orgon,
Ce dernier survient avec son frere , et
trouve son Héraclite métamorphosé en
Démocrite . Damis se tire d'affaire comme
il peut , et lui dit que de peur de
succomber à sa douleur , il cherche à
s'égayer.
Il s'en faut bien que le cinquiéme Acte
ait répondu au quatrième. De tous les
motifs qui font punir le Complaisant ,
il n'y en a qu'un de vrai , et qui va jusqu'à
la trahison ; c'est d'avoir , par complaisance
pour Mad. Orgon , acceleré le
jugement d'un procès qu'il avoit promis
à M. Orgon de faire differer. L'infidelité
prétendue dont Angelique l'assure , ne
mérite aucune punition , non-plus que le
soin qu'il a pris de renvoyer les Musiciens
de Mad. Orgon : or tout ce qui
autorise le dénoûment , c'est la generosité
d'Eraste qui a payé les cinquante mille
mille écus ausquels M. Orgon étoit condamné
par corps ; ainsi c'est plutôt la
vertu recompensée , que le vice puni ,
qui termine cette Piece.
Le
AVRIL
1733. 789
Elle paroît très - bien imprimée chez le
Breton, Quay des Augustins , et a un fort
grand debit.
cing Actes , représentée sur le Théatre
François en Fanvier 1732 .
ACTEURS.
M. Orgon , mari de Me Orgon , le sieur
Duchemin.
Me Orgon , femme de M. Orgon , la
Dlle Quinault.
Angélique , fille de M. et de Me Orgon ,
la Dlle Gaussin,
Cléante, frere de M. Orgon , M. du Brežil.
Argant , cousin de M. Orgon , le sieur
1 Damis
Eraste ..
Peisson.
Amans d'Angélique , les sieurs
Montmesnil et Grandval.
Le Marquis , ami de Damis , le sieur
Dufresne.
Lisette , Suivante d'Angélique , la Dile
Dangeville.
La Scene eft dans la maison de M. Orgon ,
L'élégance qui régne dans toute cette
Piéce , fait un honneur infini à la plume
de l'Auteur anonyme , qui , à ce
qu'on
л VRT L. 1733. 781
qu'on a dit d'abord , en a voulu faire présent
au Théatre François. On assûre que
c'est son premier Ouvrage , auquel cas
il est à souhaitter que ce ne soit pas son
dernier. Comme l'ingénieux inconnu à
qui nous devons cet admirable coup d'essai
, ne s'est attaché qu'à bien traiter tous
ses Caracteres , et surtout celui qui donne
le titre à sa Piéce ; il a négligé ce
qu'on appelle intrigue ; on pourra juger
par ce court argument de ce qui constitue
l'action théatrale.
M. Orgon a un procès à faire juger , et
une fille à marier ; Mad. Orgon , sa femme
, se met très peu en peine du procès
de son mari , et ne s'occupe que du choix
d'un Gendre dont l'humeur convienne à
la sienne ; Damis lui paroît tel , parce
qu'il est le plus complaisant de tous les
hommes ; M. Orgon s'accorde pour la
premiere fois avec elle , et panche du
côté de Damis , grace à cette même complaisance
qui a gagné le coeur de sa femme.
Eraste , dont le Caractere est noble
et sincere , s'est acquis l'estime d'Angélique
c'est le nom de la Fille que M. et
Me Orgon conviennent qu'il faut donher
à Damis, ) mais cette estime n'empê
che pas qu'elle ne préfére l'agrément exterieur
de l'un de ses deux Amans au mérite
782 MERCURE DE FRANCE
rite solide de l'autre. Cette préférence
n'est pourtant pas si déclarée , qu'elle
ôte aux Spectateurs l'espérance de voir
revenir Angélique de l'agrément au solide
, et c'est là tout ce qui constituë le
noeud de la Piéce ; en voici le dénoiiment :
le vice est puni , et la vertu est récompensée
; la complaisance outrée de Damis
fait qu'il manque de parole à Orgon , à
que ce manque de parole lui fait perdre
le procès ; elle irrite Mad. Argante , parce
que Damis , pour complaire à son
mari , a congedié des Musiciens qu'elle
avoit mandés pour un Divertissement de
sa façon ; elle le détruit enfin dans le
coeur d'Angélique , par une espéce d'infidelité
qu'elle lui a fait commettre envers
elle. Pour achever le dénouement ,
Eraste qui s'étoit déja emparé de l'estime
d'Angélique par la noblesse de ses procédés
, lui inspire une tendre reconnoissance
par la generosité avec laquelle il
paye secretement cinquante mille écus
somme à laquelle M. Orgon vient d'être
condamné par corps en perdant son
procès.
On voit par ce petit argument que la
Piéce , quoiqu'elle soit en cinq Actes ,
n'est pas beaucoup chargée d'action , mais
en récompense le Caractere dominant y
est
AVRIL. 1733 78;
est soutenu du commencement à la fin.
On auroit souhaité que ce Caractere fût
un peu plus mis en oeuvre , et qu'il se
développât plutôt par des actions que
par des conversations ; ce défaut n'est.
que trop commun dans les Piéces modernes
; on y parle beaucoup plus qu'on n'y
agit , comme si l'on ignoroit que l'action
est l'ame de la Comédie et de la Tragédie.
On auroit voulu surtout qu'immédiatement
après que Damis a promis
à M. Orgon de faire différer le jugement
de son procès , ce même Damis eut été
prié par Mad. Orgon de le faire avancer,
et qu'il eut manqué à sa parole par complaisance
, ou, pour mieux dire , il auroit
encore mieux valu que l'Auteur lui eut
sauvé une perfidie , qui fait un crime de
ce qui ne devoit être qu'un ridicule .
A ce Caractere dominant , on en joint
d'autres purement accessoires , où l'Auteur
a fait voir qu'il est excellent Peintre,
tant qu'il ne faut employer d'autre pinceau
que sa plume ; on lui reproche même
comme un défaut, une éloquence dont
bien d'autres tireroient vanité ; il a tant
d'esprit qu'il ne peut s'empêcher d'en
donner à tous ses personnages . Voilà ce
qu'on a presque generalement observé
dans la Comédie du Complaisant ; il ne
nous
484 MERCURE DE FRANCE.
nous reste plus , pour la satisfaction de
nos Lecteurs , qu'à donner quelques traits
de la maniere d'écrire de l'Auteur , qui
pourroit servir de modele aux Orateurs
les plus élégans , et qui n'a que le malheur
de n'être pas bien en sa place.
Nous ne citerons que ce qui concerne
le caractere dominant. Voici comment
Cléante , frere de M. Orgon , le'définit dans
le premier Acte. Damis rassemble les qualitez
les plus contraires , il en a du moins
les apparences. Sans caractere , sans humeur
, il se livre aux impressions étrangeres ;
il prend chez les autres sa tristesse et sa
joye ; elles s'emparent de son visage sans
passer dans son coeur; toutes les opinions ,
sous les sistêmes lui plaisent également ; il
les adopte , il les abandonne , il les réfute
il les soutient ; la vrai-semblance qui le
séduit , Paide encore à tromper les autres.
tout paroît probable à ses yeux , tout devient
probable dans sa bouche . Il ne pense point ;
il ne sent point , tout son talent est d'exprimer
avec facilité des sentimens et des
pensées. Son esprit , chargé des idées d'antrui
, ne sçauroit en produire aucune ; si
quelquefois il a le courage de juger par luimême
, la plus foible contradiction le rebute
et l'effraye bien- tôt il assujettit ce
qu'il pense au désir de plaire ; bien- tôt même
AVRI L. 1733. 781
ne il oublie ce qu'il a pensé. Sa conduite
n'est pas moins inégale ; son gout , son inclination
, ses moeurs , sont soumis aux caprices
de ceux qui l'environnent. Esclave de
La Societé, le même excès de complaisance qui
dicte ses paroles , dirige aussi ses démarches.
Voici comme Damis se définit lui- même
, parlant à Cléante , qui veut lui faire
sentir les inconvéniens qui peuvent naître
d'un excès de complaisance.
Mon Sistême , puisqu'enfin vous m'ordonnez
d'en avoir un , n'est pas de m'assujettir
à ces regles arbitraires qu'on n'ose
jamais perdre de vie , à ces loix importunes
et rigoureuses qu'on impose souvent
sans necessité , et que vous appellez des
principes. Leur effet ordinaire est de contrarier
les idées d'autrui , sans rectifier les nôtres.
Pour vivre avec tout le monde , il faut
se persuader, si l'on peut, que tout le monde
a raison ; à force de le souhaiter on s'accous
tume à le croire.
de mau-
Et comme Cléante le soupçonne de
mauvaise foi , il ajoûte : Ne cherchez point
à m'allarmer par un odieux soupçon
vaise foi; on n'est point faux , quand on
ne veut point l'être. Peu jaloux de ce que
je pense peu attaché à ce que je veux
ma facilité naturelle me fait entrer avecplai
sir dans les mouvemens qu'on veut m'inspirer
786 MERCURE DE FRANCE
pirer; une prévention toujours favorable
et toujours sincere , me peint les objets sous
les couleurs les plus heureuses. Je voi les
hommes tels qu'ils veulent me paroître ; je
ne m'attacke point à sonder les replis de leurs
coeurs ; indulgent pour leurs travers , admirateur
de leurs bonnes qualitez , je cherche
moins à démêler leurs vices , qu'à profiter
de leurs vertus .
Cléante lui faisant un dernier reproche
sur son caractere , qui du moins ,
dit-il , le fait tomber dans la flatterie ,
deffaut dont tout le monde doit rougir,
il lui répond : deffaut dont personne ne doit
m'accuser. Un flatteur est sans cesse occupé
de vues interessées , et la honte d'une adulation
servile le touche beaucoup moins que
les avantages personnels qu'il en tire. Pour
moi , sans former de projets , sans exiger de
reconnoissance , j'apporte dans la Societé des
dispositions d'autant plus commodes , que
chacun y peut trouver son compte , sans qu'il
m'en coûte rien . En un mot , voici toute ma
Philosophie , et je me sçais bon gré d'en être
redevable à la Nature plutôt qu'à la refle
xion; j'écoute volentiers , j'approuve aisé
ment , je ne contredis jamais , et pour peu
que la conversation durât , je pourrois bien
prendre votre avis contre moi-même ; peutétre
l'aurois -je déjafait , si vous m'aviez atraqué
moins vivement. Le
A VRL I. 1733. 787
Le Lecteur doit convenir qu'il faut avoir
bien de l'éloquence pour soutenir si bien
une si mauvaise cause. Au reste l'Auteur
n'est pas moins élegant qu'éloquent ; on
peut même dire qu'il est un peu trop exact
dans le choix des termes , et qu'il n'est
pas dans la nature que des conversations
ordinaires ressemblent à des discours étudiez
avec un art aussi continu que cellescy
le paroissent ; aussi tout le monde est-il
convenu que l'Auteur de cette Comédie
est encore plus Orateur qu'Auteur ; il
faut pourtant lui rendre justice sur cette
derniere qualité. Sa Piece , quoiqu'un peu
vuide d'action, ne laisse pas d'être ornée de
ce qu'on appelle jeu de Théatre ; il y en
a- un entre autres dans le quatrième Acte
, qui soutenu de la vivacité du sieur
et de la Dile Quinault , a fait un plaisir
infini , on peut même dire que c'est quelque
chose de plus qu'un jeu de Théatre :
puisqu'il produit un coup de Théatre ;
Voici de quoi il s'agit . M. Orgon ayant
annoncé à Damis la perte de son Procès
, ce dernier en est si penetré , qu'on
croiroit que c'est lui - même qui vient d'ê
tre condamné par corps à payer les cinquante
mille écus dont il s'agit. M. Or
gon va chercher son frere pour le convaincre
de la sensibilité de son gendre
H futur
788 MERCURE DE FRANCE
futur, Mad. Orgon arrive bien- tôt après,
et fait part à Damis d'un Divertissement
qu'elle a fait. Damis s'y prête si bien.
par complaisance , qu'il chante et danse
avec elle , aussi gayement , qu'il vient
de s'affliger tristement avec M. Orgon,
Ce dernier survient avec son frere , et
trouve son Héraclite métamorphosé en
Démocrite . Damis se tire d'affaire comme
il peut , et lui dit que de peur de
succomber à sa douleur , il cherche à
s'égayer.
Il s'en faut bien que le cinquiéme Acte
ait répondu au quatrième. De tous les
motifs qui font punir le Complaisant ,
il n'y en a qu'un de vrai , et qui va jusqu'à
la trahison ; c'est d'avoir , par complaisance
pour Mad. Orgon , acceleré le
jugement d'un procès qu'il avoit promis
à M. Orgon de faire differer. L'infidelité
prétendue dont Angelique l'assure , ne
mérite aucune punition , non-plus que le
soin qu'il a pris de renvoyer les Musiciens
de Mad. Orgon : or tout ce qui
autorise le dénoûment , c'est la generosité
d'Eraste qui a payé les cinquante mille
mille écus ausquels M. Orgon étoit condamné
par corps ; ainsi c'est plutôt la
vertu recompensée , que le vice puni ,
qui termine cette Piece.
Le
AVRIL
1733. 789
Elle paroît très - bien imprimée chez le
Breton, Quay des Augustins , et a un fort
grand debit.
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Résumé : LE COMPLAISANT, Comédie en cinq Actes, représentée sur le Théatre François en Janvier 1732.
La pièce 'Le Complaisant' est une comédie en cinq actes représentée au Théâtre François en janvier 1732. L'intrigue se déroule dans la maison de M. Orgon, qui doit juger un procès et marier sa fille, Angélique. Mme Orgon, l'épouse de M. Orgon, favorise Damis, le cousin de M. Orgon, comme gendre en raison de sa complaisance. Eraste, amoureux d'Angélique, est apprécié par elle mais ne parvient pas à la convaincre de choisir son mérite plutôt que l'apparence d'un autre prétendant. Le nœud de la pièce repose sur l'espoir des spectateurs de voir Angélique préférer le mérite à l'apparence. Le dénouement voit la punition du vice et la récompense de la vertu. La complaisance excessive de Damis le conduit à manquer à sa parole envers Orgon, ce qui lui fait perdre son procès. De plus, Damis irrite Mme Argante en renvoyant des musiciens qu'elle avait convoqués et commet une infidélité envers Angélique. Eraste, par sa générosité, paie secrètement la somme à laquelle M. Orgon est condamné, gagnant ainsi l'estime et la reconnaissance d'Angélique. La pièce est notée pour son élégance et la qualité de ses dialogues, bien que l'action soit limitée. Le caractère de Damis est bien développé, mais aurait pu être mieux mis en œuvre par des actions plutôt que par des conversations. L'auteur est loué pour son éloquence et son esprit, mais critiqué pour la faiblesse de l'intrigue et l'absence de véritable action théâtrale.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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2
p. 564
Le Complaisant, [titre d'après la table]
Début :
Le 2 de ce mois, les Comédiens François remirent au Théatre la Comédie du [...]
Mots clefs :
Complaisant, Nouveauté
Afficher :
texteReconnaissance textuelle : Le Complaisant, [titre d'après la table]
Le 2 de ce mois , les Comédiens François
remirent au Théatre la Comédie du
Complaisant , qu'on n'avoit pas reprise
depuis sa nouveauté ; et le Sr Quinaut ,
qui s'étoit retiré à la Campagne , il y a
près d'un an , reparut dans le principal
Rôle de cette Piece , à la grande satisfaction
du Public , dont il fut reçu avec
de grands applaudissemens.
Nous avons parlé du Complaisant dans
sa nouveauté comme d'une excellente
Piéce ; elle est aussi excellemment représentée
. On en peut voir l'Extrait dans le
Mercure d'Avril dernier , page 780 .
remirent au Théatre la Comédie du
Complaisant , qu'on n'avoit pas reprise
depuis sa nouveauté ; et le Sr Quinaut ,
qui s'étoit retiré à la Campagne , il y a
près d'un an , reparut dans le principal
Rôle de cette Piece , à la grande satisfaction
du Public , dont il fut reçu avec
de grands applaudissemens.
Nous avons parlé du Complaisant dans
sa nouveauté comme d'une excellente
Piéce ; elle est aussi excellemment représentée
. On en peut voir l'Extrait dans le
Mercure d'Avril dernier , page 780 .
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Résumé : Le Complaisant, [titre d'après la table]
Le 2 du mois, les Comédiens Français ont repris 'Le Complaisant' au théâtre. Monsieur Quinaut, de retour après un an de retraite, a interprété le rôle principal. Le public l'a acclamé. La pièce, déjà saluée, a été jugée excellente. Un extrait est disponible dans le Mercure d'avril précédent, page 780.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
Généré par Mistral AI et susceptible de contenir des erreurs.
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