L'ART de faire parler les Sourds & Muets .
UNE chofe qui doit donner de grandes efpérances
dans les fciences & dans les arts , c'est que
l'on y a fouvent fait des découvertes qu'on n'efpéroit
pas y jamais faire , & dont on n'avoit pas
même l'idée. Jufqu'à ces derniers temps , par
exemple , où l'on eft parvenu à faire parler des
muets de naiffance , on n'avoit pas imaginé feulement
la chofe poffible. On regardoit les muets
de naiffance comme moins guériffables qu'aucuns
autres ; il fembloit que la nature elle- même , par
quelque malin vouloir , eût mis un cachet fur
leur langue pour les empêcher éternellement d'articuler.
Cependant ce font ces muets- là même
qu'il eft plus poffible de faire parler , que ceux
qui le font devenus par des accidens : ils ne font
reftés muets que parce qu'ils étoient fourds , les
organes de la parole ne leur manquent pas : ils font
feulement plus embarraffés par le défaut d'exercice.
Comme donc ces muets le font en conféquence
de leur furdité , il faut , pour ainfi dire ,
leur faire voir des fons , puis les exercer à les rendre
. Voilà quel eft l'art de M. Ernaud , qui eft à
Paris depuis quelque temps. L'éleve qu'il a amené
de Bordeaux eft né fourd & muet, & a, outre
la furdité , tous les vices d'organes que la nature
pouvoit cumuler , pour qu'il ne lui reftât aucune
efperance , fi bien que, de l'aveu de plufieurs Médecins
célebres , il ne Pauroit jamais fait intelligiblement
, quand il ne feroit pas né fourd. Il a
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le filet coupé trop avant , il a un embarras dans
le gofier dont on ne connoît pas la caufe immédiate
, il a de la difpofition à bégayer , il manque
de falivation , & pardeffus tout cela , il eft
né Irlandois. M. Ernaud a fçu par fon art vaincre
tous ces obftacles , & l'enfant âgé de 13 ans , qui
n'eft que depuis un an entre fes mains , demande
intelligiblement fes befoins , lit à haute voix quelque
livre qu'on lui préfente , répond jufte aux
queftions qu'on lui fait , foit par écrit ou au mouvement
des levres , à quoi il ne fe trompe pas.
L'Académie des fciences a vu & entendu parler
cet enfant ; M. Morand Secrétaire perpétuel de
l'Académie de Chirurgie , l'a vu & entendu auffi ,
& en a donné fon certificat à . M. Ernaud. M. Er
naud vient d'entreprendre , je ne dirai pas la cure
, mais l'inſtruction d'un ſecond éleve ; car il
n'emploie pour cet effet , ni opérations , ni remédes
; mais beaucoup d'art , une connoiffance
peu commune de tous les fons dont la voix peat
être fufceptible & une patience infinie.
Les fourds & muets ne font pas fi rares qu'on
penfe : on ne les croit rares que parce que ces infortunés
déja fi maltraités de la nature , pour com.
ble de difgrace , font encore rélégués par leurs
parens loin de la fociété des hommes , comme
en étant les rebuts. On cache leur malheur , au
lieu d'y remédier , parce qu'on le croit irremédiable
. C'est donc rendre un bon fervice au public,
que d'indiquer un homme qui y remédie.
M. Ernaud promet de plus au public , de corriger
dans toutes fortes de fujets , muets ou non,
le bégayement , le graffeyement , le défaut de
falivation , & généralement tous les vices de conformation
d'organes. Sa méthode est toujours
également fimple. Quelque difficulté qu'ait un béJANVIER.
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gue (pour prouver la vérité de ce qu'il avance ),
il lui fait prononcer aisément & fans grimace
quelques mots que ce foit , & cela dans l'inſtant
même, & en très -peu de temps il les fait parler
auffi-bien que tout autre. Il faut s'adreffer chez
M. Julien , Négociant , rue de la vieille monnoie
à Paris.