Titre
L'AMOUR ET PLUTUS, POEME. Par M. Cavaliés, de Montpellier, Avocat à la Cour des Aydes de la même Ville.
Titre d'après la table
L'Amour et Plutus, Poëme,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
1034
Page de début dans la numérisation
433
Page de fin
1039
Page de fin dans la numérisation
438
Incipit
Muse, raconte moi par quel destin contraire,
Texte
L'AMOUR ET PLUTUS ,
POEM E.
Par M. Cavaliés , de Montpellier , Avocat
à la Cour des Aydes de la même Ville.
Muse , raconte moi par- quel destin contraire ,
Plutus malgré l'Amour s'empara de Cythere ,
Et vrai tyran des coeurs dans son funeste emploi
Leur fit de s'enrichir une suprême loi .
Jadis avec l'Amour , avec ce Maître aimable
La Terre entretenoit un commerce agréable ;
Il en fit un séjour charmant , délicieux ,
Pour elle il dédaignoit la demeure des Cieux.
Sans contraindre les coeurs à changer de nature ,
Par
MAY. 1731.
1035
Par la simple équité , par l'exacte droiture ,
Il n'en fit que regler les secrets mouvemens,
Ses volontez étoient les Loix des premiers tems ;
Les Belles consultant le cristal d'une eau claire ,
Epioient leurs attraits et ne vouloient que plaire ,
Par son éclat encor , un métal odieux ,
N'avoit point fasciné ni leurs coeurs ni leur yeux;
Le respect , la candeur , la constante tendresse ,
D'un Amant jusqu'alors composoient la finesse.
Les Belles se rendoient à d'innocens vainqueurs.
Tems heureux ! où les coeurs étoient le prix des
coeurs.
Tel étoit le bonheur d'une innocente vie ,
Et rien n'en alteroit la parfaite harmonie ;
Quand Plutus contemplant du celeste Lambris ,
L'Empire fortuné de l'enfant de Cypris :
Jusqu'à quand l'Univers , dit- il , plein de colere ,
Subira t'il donc le joug d'un jeune témeraire ?
Le plus petit des Dieux, en usurpant mes droits ,
Aux crédules Mortels imposera des loix !
Mais son triomphe est vain et ma gloire exposée ,
Trouve dans mes trésors une ressource aisée ;
Assez et trop long-tems sans culte et sans Autels,
Je ne fus regardé que comme un des Mortels.
Il faut à notre tour que l'on nous rende hommage.
Désormais dans leurs eaux le Pactole et le Tage ,
Ne feront plus rouler d'inutiles trésors ,
Et
1036 MERCURE DE FRANCE.
Et bien - tôt les Mortels , à l'envi sur leurs bords ,
Méprisant de l'Amour tous les bienfaits stériles ,
Viendront cueillir des biens plus surs et plus
utiles.
>
Il appelle à ces mots , pour servir sa fureur ,
L'infame trahison à l'oeil sombre et trompeur ,
L'orgueil , l'ambition au regard témeraire ,
L'ardente soif du gain , l'interêt mercenaire ,
L'artifice flateur au langage affecté ,
L'usure au front d'airain , le parjure effronté ,
`Et l'avarice enfin mere de tous les crimes ;
Ces Monstres odieux des plus profonds abîmes ;
Du Dieu leur Souverain entendirent la voix
Et l'Univers les vit pour la premiere fois.
La terre s'en émut , étonnée , éperduë ,
La Nature trembla , frémit à cette vûë ,
La lumiere pâlit , l'air en fut infecté.
A leur aspect le Dieu lui- même épouventé ,
Pour en cacher l'horreur à la Terre éplorée ,
Répandit sur leurs traits une couche dorée.
Hélas ! sous ce vernis jusqu'alors inconnu ,
Le crime cût à nos yeux l'éclat de la vertu .
Enfin Plutus suivi de ce cortege étrange ,
Et chargé des trésors et de l'Inde et du Gange ,
Se presente aux Humaius et leur tient ce discours.
Ovous , foibles Mortels , esclaves des Amours
C'est pour romprc vos fers qu'une Troupe immortelle,
Vient
MAY. 1731 .
1037
Vient donner à la terre une face nouvelle.
Gouterez-vous toujours une insipide paix ?
Le Carquois d'un Enfant remplit - il vos souhaits ?
Sous l'espoir d'un plaisir que suivent mille
peines ,
Ignorez - vous encor qu'il vous charge de
chaînes ?
Reconnoissez ma voix ; le plus riche des Dieux,
Suivi de ses trésors , Plutus vient en ces lieux.
J'en bannis à jamais l'inutile tendresse ;
J'amene le plaisir , j'amene la richesse ,
Vous me verrez bien- tôt , secondant vos desseins
,
Répandre mes bienfaits sur vous à pleines
mains .
Il dit et dans les coeurs son langage perfide ,
A son gré fait couler un poison homicide ,
De ce fatal poison les Mortels enyvrez ,
Aux folles passions dès - lors furent livrez.
Le desir d'acquerir s'établit à Cythére ,
La richesse aux Humains apporta la misere ;
Et l'avide interêt vainqueur de l'Univers ,
Combattit la raison et la mit dans les fers .
Cependant Cupidon méprisé sur la terre ,
S'envole et prend l'essor vers le Dieu du Tonnerre.
Puissant pere , dit - il , des hommes et des Dieux ,
Sur l'Enfant de Cipris , daigne jetter les yeux.
Détourne les malheurs qu'un Dieu jaloux m'apprête
,
rc38 MERCURE DE FRANCE
Plutus m'ose des coeurs disputer la conquête ,
Tu vois, par son éclat les Mortels éblouis ,
Ne rendre qu'à lui seul des honneurs inoüis.
Non , jamais ces ingrats , cette race infidele ,
Ne fit pour m'honorer éclater tant de zele.
Les desirs effrenez , et les voeux criminels ,
Les conduisent en foule au pied de ses Autels.
Là , parmi les horreurs , le trouble , les allarmes ,
D'un métal à leurs yeux , il fait briller les char
mes.
Là l'Avare à son gré se repaît , s'assouvit ,
Et fait provision d'un bien qui l'asservit ;
En vain je cherchois sur la terre un azile ;
La discorde a rendu mon Carquois inutile ;
En vain je l'ai vuidé pour rétablir la paix ;
Les coeurs avec dédain ont repoussé mes Traits.
Tu peux seul , Jupiter , rétablir mon Empire ;
Et la paix dans les coeurs que Plutus vient séduire
A ces mots Jupiter , le visage serain ,
Apprens , dit- il , Amour , les Arrêts du Destin ,
Les temps sont arrivez que , regnant sur la terre
Plutus doit la livrer au démon de la
guerre.
Déja peu satisfaits de tes dons bienfaisants ,
Les Mortels ont reçû ses funestes présens.
Ils adorent Plutus ; que Plutus les conduise ;
Et les comble d'un bien dont l'éclat les séduise .
Le crime qui grossit leurs coupables trésors
Te
M A Y.
1039 1731 .
Te vengera sur eux par les cuisans remords.
Pour toi, fils de Venus , regne dans l'Empirée ,
Regnes -y de concert avec l'aimable Astrée ;
Le Destin a fixé ton séjour dans les Cieux ,
Tu soumis les Mortels , tu soumettras les Dieux .
Depuis pour nous cacher notre propre esclavage,
Plutus prit de l'Amour la taille et le visage ,
Et s'armant de Traits d'or, et d'un Carquois doré,
Il asservit les coeurs , il en fut adoré ;
Mais qu'il a mal rempli leurs desirs trop avides ,
Plus ils sont pleins de lui , plus ils se trouvent
vuides ;
Accablez des trésors qu'ils ont tant demandez ,
Ils les possedent moins qu'ils n'en sont possedez.
POEM E.
Par M. Cavaliés , de Montpellier , Avocat
à la Cour des Aydes de la même Ville.
Muse , raconte moi par- quel destin contraire ,
Plutus malgré l'Amour s'empara de Cythere ,
Et vrai tyran des coeurs dans son funeste emploi
Leur fit de s'enrichir une suprême loi .
Jadis avec l'Amour , avec ce Maître aimable
La Terre entretenoit un commerce agréable ;
Il en fit un séjour charmant , délicieux ,
Pour elle il dédaignoit la demeure des Cieux.
Sans contraindre les coeurs à changer de nature ,
Par
MAY. 1731.
1035
Par la simple équité , par l'exacte droiture ,
Il n'en fit que regler les secrets mouvemens,
Ses volontez étoient les Loix des premiers tems ;
Les Belles consultant le cristal d'une eau claire ,
Epioient leurs attraits et ne vouloient que plaire ,
Par son éclat encor , un métal odieux ,
N'avoit point fasciné ni leurs coeurs ni leur yeux;
Le respect , la candeur , la constante tendresse ,
D'un Amant jusqu'alors composoient la finesse.
Les Belles se rendoient à d'innocens vainqueurs.
Tems heureux ! où les coeurs étoient le prix des
coeurs.
Tel étoit le bonheur d'une innocente vie ,
Et rien n'en alteroit la parfaite harmonie ;
Quand Plutus contemplant du celeste Lambris ,
L'Empire fortuné de l'enfant de Cypris :
Jusqu'à quand l'Univers , dit- il , plein de colere ,
Subira t'il donc le joug d'un jeune témeraire ?
Le plus petit des Dieux, en usurpant mes droits ,
Aux crédules Mortels imposera des loix !
Mais son triomphe est vain et ma gloire exposée ,
Trouve dans mes trésors une ressource aisée ;
Assez et trop long-tems sans culte et sans Autels,
Je ne fus regardé que comme un des Mortels.
Il faut à notre tour que l'on nous rende hommage.
Désormais dans leurs eaux le Pactole et le Tage ,
Ne feront plus rouler d'inutiles trésors ,
Et
1036 MERCURE DE FRANCE.
Et bien - tôt les Mortels , à l'envi sur leurs bords ,
Méprisant de l'Amour tous les bienfaits stériles ,
Viendront cueillir des biens plus surs et plus
utiles.
>
Il appelle à ces mots , pour servir sa fureur ,
L'infame trahison à l'oeil sombre et trompeur ,
L'orgueil , l'ambition au regard témeraire ,
L'ardente soif du gain , l'interêt mercenaire ,
L'artifice flateur au langage affecté ,
L'usure au front d'airain , le parjure effronté ,
`Et l'avarice enfin mere de tous les crimes ;
Ces Monstres odieux des plus profonds abîmes ;
Du Dieu leur Souverain entendirent la voix
Et l'Univers les vit pour la premiere fois.
La terre s'en émut , étonnée , éperduë ,
La Nature trembla , frémit à cette vûë ,
La lumiere pâlit , l'air en fut infecté.
A leur aspect le Dieu lui- même épouventé ,
Pour en cacher l'horreur à la Terre éplorée ,
Répandit sur leurs traits une couche dorée.
Hélas ! sous ce vernis jusqu'alors inconnu ,
Le crime cût à nos yeux l'éclat de la vertu .
Enfin Plutus suivi de ce cortege étrange ,
Et chargé des trésors et de l'Inde et du Gange ,
Se presente aux Humaius et leur tient ce discours.
Ovous , foibles Mortels , esclaves des Amours
C'est pour romprc vos fers qu'une Troupe immortelle,
Vient
MAY. 1731 .
1037
Vient donner à la terre une face nouvelle.
Gouterez-vous toujours une insipide paix ?
Le Carquois d'un Enfant remplit - il vos souhaits ?
Sous l'espoir d'un plaisir que suivent mille
peines ,
Ignorez - vous encor qu'il vous charge de
chaînes ?
Reconnoissez ma voix ; le plus riche des Dieux,
Suivi de ses trésors , Plutus vient en ces lieux.
J'en bannis à jamais l'inutile tendresse ;
J'amene le plaisir , j'amene la richesse ,
Vous me verrez bien- tôt , secondant vos desseins
,
Répandre mes bienfaits sur vous à pleines
mains .
Il dit et dans les coeurs son langage perfide ,
A son gré fait couler un poison homicide ,
De ce fatal poison les Mortels enyvrez ,
Aux folles passions dès - lors furent livrez.
Le desir d'acquerir s'établit à Cythére ,
La richesse aux Humains apporta la misere ;
Et l'avide interêt vainqueur de l'Univers ,
Combattit la raison et la mit dans les fers .
Cependant Cupidon méprisé sur la terre ,
S'envole et prend l'essor vers le Dieu du Tonnerre.
Puissant pere , dit - il , des hommes et des Dieux ,
Sur l'Enfant de Cipris , daigne jetter les yeux.
Détourne les malheurs qu'un Dieu jaloux m'apprête
,
rc38 MERCURE DE FRANCE
Plutus m'ose des coeurs disputer la conquête ,
Tu vois, par son éclat les Mortels éblouis ,
Ne rendre qu'à lui seul des honneurs inoüis.
Non , jamais ces ingrats , cette race infidele ,
Ne fit pour m'honorer éclater tant de zele.
Les desirs effrenez , et les voeux criminels ,
Les conduisent en foule au pied de ses Autels.
Là , parmi les horreurs , le trouble , les allarmes ,
D'un métal à leurs yeux , il fait briller les char
mes.
Là l'Avare à son gré se repaît , s'assouvit ,
Et fait provision d'un bien qui l'asservit ;
En vain je cherchois sur la terre un azile ;
La discorde a rendu mon Carquois inutile ;
En vain je l'ai vuidé pour rétablir la paix ;
Les coeurs avec dédain ont repoussé mes Traits.
Tu peux seul , Jupiter , rétablir mon Empire ;
Et la paix dans les coeurs que Plutus vient séduire
A ces mots Jupiter , le visage serain ,
Apprens , dit- il , Amour , les Arrêts du Destin ,
Les temps sont arrivez que , regnant sur la terre
Plutus doit la livrer au démon de la
guerre.
Déja peu satisfaits de tes dons bienfaisants ,
Les Mortels ont reçû ses funestes présens.
Ils adorent Plutus ; que Plutus les conduise ;
Et les comble d'un bien dont l'éclat les séduise .
Le crime qui grossit leurs coupables trésors
Te
M A Y.
1039 1731 .
Te vengera sur eux par les cuisans remords.
Pour toi, fils de Venus , regne dans l'Empirée ,
Regnes -y de concert avec l'aimable Astrée ;
Le Destin a fixé ton séjour dans les Cieux ,
Tu soumis les Mortels , tu soumettras les Dieux .
Depuis pour nous cacher notre propre esclavage,
Plutus prit de l'Amour la taille et le visage ,
Et s'armant de Traits d'or, et d'un Carquois doré,
Il asservit les coeurs , il en fut adoré ;
Mais qu'il a mal rempli leurs desirs trop avides ,
Plus ils sont pleins de lui , plus ils se trouvent
vuides ;
Accablez des trésors qu'ils ont tant demandez ,
Ils les possedent moins qu'ils n'en sont possedez.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Genre littéraire
Mots clefs
Domaine
Résumé
Le poème 'L'AMOUR ET PLUTUS' de M. Cavaliés, avocat à la Cour des Aydes de Montpellier, narre la prise de contrôle de Cythère, le domaine de l'Amour, par Plutus, le dieu de la richesse. Initialement, l'Amour gouvernait la Terre, favorisant des relations humaines harmonieuses et sincères. Les beautés cherchaient à plaire sans être influencées par la richesse matérielle. Cependant, Plutus, envieux du pouvoir de l'Amour, a introduit des valeurs telles que l'orgueil, l'ambition et l'avarice, corrompant ainsi les cœurs humains pour qu'ils préfèrent la richesse aux sentiments authentiques. L'Amour, délaissé, a sollicité l'aide de Jupiter. Ce dernier a révélé que le destin voulait que Plutus règne sur Terre et mène les hommes à la guerre. Jupiter a conseillé à l'Amour de régner dans l'Empyrée aux côtés d'Astrée. Depuis lors, Plutus a pris l'apparence de l'Amour pour asservir les cœurs, mais cette richesse ne satisfait pas les désirs humains, les laissant vides malgré l'abondance de trésors.
Provient probablement d'un lieu