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Titre

REMARQUES sur l'Histoire Naturelle, l'Histoire Civile & Ecclesiastique du Comté  d'Eu. Par M. Capperon, Ancien Doyen de Saint Maxent, à M. A ... M ...

Titre d'après la table

Remarques sur l'Histoire naturelle, &c. du Comté d'Eu,

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1541
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76
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1549
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84
Incipit

Après vous avoir entretenu longtems, Monsieur, sur les sels de l'air

Texte
REMARQUES fur l'Hiftoire Naturelle
, l'Hiftoire Civile & Ecclefiaftique
du Comté d'Eu. Par M. Capperon , Ancien
Doyen de Saint Maxent , à M.
A ... M ...
A
Près vous avoir entretenu longtems
, Monfieur , fur les fels de l'air'
& fur d'autres matieres de Phyfique , je
croyois que vous me donneriez un peu
de relâche , & que vous ne m'expoferiez
pas à vous écrire fi - tôt fur des fujets contraires
à mes occupations préfentes ; mais
vous me faites bien voir que plus on fçait
& moins s'imagine - t - on fçavoir. Et
comme je n'ai rien tant à coeur que de
vous fatisfaire dans ce que vous me faites
l'honneur de me demander , je vais abandonner
pour un tems l'analyse des Plantes
que j'ai entrepriſe , & vous donner un
Extrait des chofes que j'ai crû les plus
fingulieres , contenues dans l'Hiftoire du
Comté d'Eu , à laquelle j'ai autrefois travaillé.
Je commencerai par l'Hiftoire naturefle
de ce Comté ; la premiere chofe qui m'y
paroît finguliere eft une Fontaine dont la
fource abondante jette en trois gros bouillons
1342
MERCURE DE FRANCE

lons affez d'eau pour former dès fon origine
une
médiocre
Riviere , fi elle étoit
fituée ailleurs ; car ce qui fait fa
fingularité
, c'eft que cette
Fontaine fort d'une
Roche qui eft fur le rivage de la mer
laquelle en eft fi proche , qu'elle en eft
couverte deux fois chaque jour , ce qui
n'empêche pas que l'eau n'en foit toûjours
parfaitement douce . Cette
fingularité
donna lieu
autrefois à un Poëte
Normand
de
comparer la Sainte Vierge à cette Fontaine
, qu'il nomme le Miracle de la Normandie.
Cette Vierge
immaculée étant ,
dit-il ,
demeurée pure & fans tache au
milieu de la
corruption de tout le genre
humain , comme l'eau de cette
Fontaine ,
fe
conferve douce au milieu des eaux falées
de la mer. C'eſt ce qui fe trouve exprimé
dans une belle Ode Latine , imprimée
à Rouen en 1644. dans le Recueil des
Piéces qui
avoient
remporté le Prix au
Palinode en cette même année . Cette Fontaine
eft proche d'un
Hameau nommé
Menival , diftant de la Ville d'Eu d'une
bonne lieuë.
La
feconde chofe
finguliere &
remarquable
dans ce Comté, eft le Puits qui eft
au Tréport dans une Maiſon
fituée au
deffus , & proche le Port où entrent les
Vaiffeaux , dans lequel l'eau
defcend
quand la Mer monte , & où elle monte
quand
JUILLET. 1730. 1543
quand la Mer deſcend . *
Il y a une autre fingularité qui fe rend
fenfible dans une partie de la Forêt de ce
même Comté ; fçavoir , dans celle qui est
fur la pente d'une Montagne qui eft du
côté oppofé aux Villages de Bouvaicourt
& de Beauchamp , où toutes les fois qu'il
fait un orage avec pluye pendant l'Eté ,
il s'éleve à trois ou quatre endroits diffe
rens, peu éloignés les uns des autres , une
groffe & épaiffe fumée femblable à celle
d'un four à chaux , & ' dont j'ai été témoin
moi même .
Enfin proche de la Ville d'Eu eft la
Montagne où font les lieux patibulaires,
Jaquelle est très abondante en diverfes
fortes de petrifications ; car c'eft où j'ai
trouvé quantité de coquillages foffiles ,
plufieurs gloffopetres , des cupules de
gland , des morceaux de prefle , de coraline
, des orties de mer & des champignons
, dits veffes de loup , parfaitement
pétrifiés. On trouve de même dans la
terre glaife qui fe tire fur cette Montagne
ce qu'on appelle des Geodes , qui eft une
efpece de pierre d'aigle , comme auffi un
fer imparfait , que ceux qui tirent la terre
* M. Capperon a donné une explication de ce
Phénomene dans le Mercure du mois de Janvier
1725
glaife
1544 MERCURE DE FRANCE
glaife appellent du Feroù. Ce fut fur cette
Montagne que les Bruyeres s'allumerent
d'elles mêmes en Septembre 1726. parce
qu'elle eft remplie de matieres fulphureufes
& métalliques.
Paffons maintenant à l'Hiftoire Civile
du Comté d'Eu . Je trouve deux anciens
Monumens des Romains confervez jufqu'à
nos jours , qui démontrent inconteftablement
que de leur temps la Ville
< d'Eu étoit une Ville importante. Le premier
eft un de leurs Chemins Militaires,
lequel conduit d'Amiens ( même , à ce
qu'on dit , de Soiffons ) directement à
cette Ville , & qui fe fait voir encore aujourd'hui
relevé en forme de Chauffée
dans les lieux où il paffe. L'autre Mo
nument eft une ancienne Porte de la Ville
prefentement murée , accompagnée de
deux groffes Tours , laquelle a toûjours
porté le nom de la Porte de l'Empire ',
comme la rue qui y conduit le porte encore
à prefent ; ayant toutes deux été
ainfi nommées à caufe de ce grand chemin
des Romains qui venoit s'y terminer.
On peut joindre à ces deux Monumens
un ancien Temple qui fubfifte encore dans
, la Ville & d'anciens Tombeaux découverts
dans un lieu peu éloigné de cette
Porte: (a)
(a) Voyez (ur ces anciens Tombeaux,le Mer
curede May 1712.
JUILLET . 1730. 1545
Ces anciens Monumens , & plus parti
culierement le Chemin Militaire , démontrent
fans réplique , que du temps des
Romains la Ville d'Eu & le Tréport , qui :
ne font prefque qu'une même chofe , à
caufe de leur proximité , étoient les lieux
les plus confiderables & le Port de Mer
le plus fameux qu'il y eût alors fur toutes
la Côte depuis Boulogne jufqu'à l'embouchure
de la Seine , & qu'ils regardoient
ce Port comme le plus convenable pour
y embarquer leurs Troupes toutes les fois
qu'ils voudroient les faire paffer en Ane :
gleterre.
1
7
C'étoit auffi ce qu'avoit fait Cefar , lorf
qu'il entreprit la conquête de cette Ifle ;
car il dit lui-même au quatrième Livre :
de fes Commentaires , qu'ayant fait embarquer
fon Infanterie au Port des Mo- :
rins , qui eft Boulogne , felon Samfon , il
envoya fa Cavalerie in ulteriorem portum ,
afin qu'elle s'y embarquât de même ; or
cet ulteriorportus , ce Port qui étoit le plus
éloigné , au fens de Cefar , étoit indubitablement
le Tréport ; car par rapport à
la Gaule Belgique , qui fe terminoit de ce
côté-cy à la Seine , c'étoit fans doute let
Port qui étoit le plus loin , même le der
nier, puifque depuis Boulogne jufqu'à la
Seine dans toute l'Antiquité , à l'excep .
tion du Tréport , on ne peut pas faire
voir
1546 MERCURE DE FRANCE
voir qu'il ait jamais eu aucun port confiderable
, Dieppe n'ayant commencé à
fe former qu'en 1c8o. & S. Vallery n'étant
encore qu'un Defert au VII . fiecle.
On ne peut pas douter , tout au contraire
, que du temps des Romains le
Tréport ne fût un Port très- confiderable,
dont ils faifoient autant d'eftime que de
Boulogne. Samfon nous en fournit la
preuve dans fes Remarques fur la Carte
de l'ancienne Gaule ; car comme il prétend
démontrer par les Chemins Militaires
des Romains qui aboutiffent à Boulogne
, qu'il falloit qu'ils eftimaffent beaucoup
ce Port , il s'enfuit par la même raifon
, qu'ayant également formé leurs Che
mins Militaires pour fe terminer au Tréport
, c'eft une marque certaine qu'ils l'ef
timoient autant que Boulogne , & qu'ils
regardoient ces deux Ports comme leur
étant également neceffaires.
Comme Cefar en fa langue , avoit donné
à ce Port le nom d'Ulterior portus , les :
Romains ne le nommerent plus autrement
: auffi eft- ce le nom Latin qui lui
eft toûjours resté depuis dans tous les Titres
; car pour les Gaulois ils lui en donnoient
un autre que Pontus Heuterus
nous fait connoître dans fon Livre Deuc
terum Belgio , Lib . 11. C. 8. où il dit qu'il·
y'a certainement une faute dans Ptolomée,
fçavoir

1
JUILLET. 1739. 1347
fçavoir , qu'au lieu de Gefforiacum navale ,
il faut lire Effuoriacum navale, c'eſt- à- dire
de Port des Euffiens , & voilà quel étoit
le nom que les Gaulois donnoient au Port
que les Romains nommerent depuis Ulterior
Portus , dont les François ont fait
enfuite le Tréport , comme pour dire
l'autre Port , c'eft-à - dire , le fecond Port
après celui des Morins.
Que le Comté d'Eu ait été ces Euffiens
ou ces Effui , dont parle Cefar , non feulement
c'eft le fentiment de Pontus Heterus
, mais c'est encore celui d'un grand:
nombre de Sçavans , tels que Divoens ,
Antiq. Belg. Cap . 11. de Pierre Heins
dans fon Miroir du Monde ; de Charles
Etienne , dans fon Dictionnaire Hiftoriq.
Geog. & de M. de Thou , dans fon Hiftoire
, qui ne donnent pas d'autre nom au
Comté d'Eu . Il s'enfuit donc de tout ce
que je viens de dire , que tous ceux qui
ont traduit les Commentaires de Cefar .
Le font certainement trompez , lorfqu'ils
ont pris l'Ulterior Portus pour un nom generique
, pendant que c'étoit le nom qui
étoit devenu propre depuis les Romains
au Port des Euffiens , autrement au Port.
du Comté d'Eu, lequel étoit alors auffi fameux
que celui des Morins , autrement
Boulogne.
}
Il ne faut pas croire que cet ancien Port :
des
1548 : MERCURE DE FRANCE
des Euffiens , ce Portus Ulterior des Romains
, en un mot , la Ville d'Eu faifant
comme une même chofe avec le Tréport,
ait perdu tout fon éclat , lorſque la puiffance
des Romains s'anéantit dans les
Gaules. Ce Port étoit encore des plus fameux
du temps du Roi Louis XI . puifque
Philippe de Commines , qui étoit de la
Cour de ce Prince ,fait voir combien ceux
de la Ville d'Eu étoient encore alors formidables
fur Mer , en rapportant dans fes
Memoires, Liv. I. Ch. 7. que des Armateurs
de la Ville d'Eu ayant enlevé en
1470. un Vaiffeau appartenant à des Flamans
, Sujets du Duc de Bourgogné , cela
fut caufe , en partie , de la guerre qui fut
déclarée entre le Roi Louis XI. & ce Duc,
cinq ans après , felon le même Auteur
ces Armateurs étoient fi hardis qu'ils alloient
enlever les Vaiffeaux du Roi d'Angleterre
, qui paffoient les Troupes à Calais
, pour venir attaquer la France .
>
Mais ce qui jufques - là avoit fait toute.
leur gloire & foutenu l'avantage qu'on
pouvoit tirer de leur Port , devint en quelque
façon la cauſe de leur malheur , & de
la ruine de leur Ville , car le Roi d'Angleterre
, dans le deffein de le ruiner , &
pour tromper Louis XI. fit courir le bruit
qu'il devoit faire une defcente en Nor
mandie , s'emparer de la Ville d'Eu , & y
paffer
JUILLET. 1730. 1549
1
paffer l'Hyver. Louis XI. tout rufé qu'il
étoit , ayant donné dans le panneau pour
lui en ôter l'envie , ne trouva pas de
moyen plus fur que de la faire lui -même
réduire en cendres , ce qui fut executé le
18. de Juillet 1475. par le Maréchal de
France Joachin Rohaut , Seigneur de Gamaches
, qui s'y rendit par ordre de la
Cour , avec quatre cens Lancés . Le feu
ayant été mis par tout à neuf heures du
matin , le Château & toute la Ville furent
confumez par les flâmes , à l'excep
tion des Eglifes qui furent confervées &
quelques maifons qui furent négligées . Ce
défaftre eft écrit dans les Archives de la
Ville , vol. I. p. 235. Les Villes de Dieppe,
S. Vallery & Abbeville , qui fubfiftoient
alors depuis long- temps , ayant
profité du debris de cette Ville , elle n'a
jamais pû s'en relever non-plus que fon
Port.
Nous donnerons la fuite de ces Remar
ques le mois prochain.
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Domaine
Résumé
Dans une lettre adressée à M. A... M..., M. Capperon, ancien doyen de Saint Maxent, partage des informations sur l'histoire naturelle, civile et ecclésiastique du comté d'Eu. Capperon commence par décrire des phénomènes naturels singuliers du comté. Il mentionne une fontaine abondante située près de la mer, dont l'eau reste douce malgré les marées, et un puits au Tréport où le niveau de l'eau varie en fonction des marées. Il note également des fumées mystérieuses dans la forêt lors des orages d'été et des pétifications trouvées sur une montagne près d'Eu. Capperon aborde ensuite l'histoire civile du comté. Il souligne la présence de monuments romains, tels qu'un chemin militaire et une ancienne porte de la ville, qui témoignent de l'importance historique d'Eu et du Tréport. Il évoque des textes anciens, comme les Commentaires de César, qui confirment l'importance stratégique de ces ports. Capperon relate également la destruction de la ville d'Eu en 1475 par ordre du roi Louis XI pour empêcher une invasion anglaise, ce qui a conduit à la ruine de la ville et de son port.
Est rédigé par une personne
Soumis par kipfmullerl le