Titre
SUITE de la Letre sur le livre intitulé LA BIBLIOTHEQUE DES ENFANS, &c.
Titre d'après la table
Lettre sur la Bibliotheque des Enfans,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
1521
Page de début dans la numérisation
56
Page de fin
1538
Page de fin dans la numérisation
73
Incipit
MONSIEUR, Avant que de citer des enfans en vie & à Paris, pour faire voir qu'on
Texte
SUITE de la Letre fur le livre intitulé
LA BIBLIOTEQUE DES ENFANS &c.
MONSIEUR ,
>
Avant que de citer des enfans en
vie & à Paris , pour faire voir qu'on
peut les metre de bone heure aux éle
mens des letres , je me flate que vous
me permetrés encore quelques reflexions,
& que les perfones intereffées dans cette
matiere veront ici avec plaifir le fentiment
de l'auteur de la recherche de la
verité. Cet illuftre favant remarque
dans le premier tome,livre deux , chapitre
huit , que les plus jeunes enfans , tour
acablés qu'ils font de fentimens agréa-
»
bles
1522 MERCURE DE FRANCE
23
bles & penibles , ne laiffent pas d'apren
» dre en peu de tems ce que
des perfones.
» avancées en age ne peuvent faire en
beaucoup davantage , come la conoif-
» fance de l'ordre & des raports qui fe .
» trouvent entre tous les mots & toutes
» les chofes qu'ils voient & qu'ils enten-
>> dent : & quoique ces chofes ne dépen-
"dent guere que de la mémoire , cepen-
» dant il paroit affez qu'ils font beaucoup
d'ufage de leur raifon dans la maniere
» dont ils aprenent leur langue .
» Si on tenoit les enfans fans crainte &
» fans défir ; fi on ne leur fefoit point
>>
foufrir ni aprehender de foufrir de la
» douleur ; fi on les éloignoit autant qu'il
» fe peut de leurs petits plaifirs , & qu'ils
» n'en efperaffent point ; on pouroit leur
» aprendre , dès qu'ils fauroient parler ,
» les chofes les plus dificiles & les plus
» abftraites , ou tout au moins les mate-
» matiques fenfibles , la mecanique &
» d'autres choſes ſemblables , qui font ne-
» ceffaires dans la fuite de la vie. Mais ils
» n'ont garde d'apliquer leur efprit à des
» chofes abftraites , lorfqu'ils ont des apre
≫henfions ou des defirs violens des chofes
» fenfibles : ce qu'il eft très- neceffaire de
» bien confiderer ..... Car come un ho-
» me ambitieux qui viendroit de perdre
» ſon bien & ſon honeur , ou qui auroit
été
JUILLET. 1730, 1523
»
» été élevé tout d'un coup à une grande
dignité qu'il n'efperoit pas , ne feroit pas
» en état de réfoudre des queftions de me
> tafifique ou des équations d'algebre; mais
feulement de faire les chofes que la pafufion
prefente lui dicteroit :ainfi les enfans
dans les cerveaus defquels une pome &
» des dragées font des impreffions auffi
profondes; que les charges & les gran-
» deurs en font dans celui d'un home de
» quarante ans , ne font pas en état d'écou-
» ter des verités abftraites qu'on leur en-
» feigne. De forte qu'on peut dire , qu'il
» n'y a rien qui foit fi contraire à l'avance-
» ment des enfans dans les fiences , que
"
les divertiffemens continuels dont on les
» recompenfe , & que les peines dont on
» les punit , & dont on les menace fans
ceffe , & c.
Eft - il dificile après cela de deviner la
caufe de tant de mauvaiſes éducations ,
même parmi la jeune nobleffe pour laquelle
on fait bien de la dépenfe ? Ne feroit-
ce point en general la faute des parens
trop mondains & trop negligens en
fait d'éducation. On ne met pas affés à
profit les premieres anées de leur vie ; on
les neglige d'ordinaire , quoiqu'elles foient
les plus propres à leur éducation , tant à
leur égard qu'à l'égard de ceux qui en
prenent foin. Pour moi je crois qu'on les
laiffe
1524 MERCURE DE FRANCE
laiffe trop lon- tems à la difcretion des
domeftiques ; & ceux-ci pour gagner leurs
bones graces en les amufant , leur font
fuccer avec le lait le premier poifon d'une
mauvaiſe éducation ; ils amufent & foignent
le corps aus dépens de l'efprit & du
coeur, ils rempliffent d'inutilités agréables
la tête de l'enfant , & le difpofent par là à
fe dégoûter enfuite de tous les amuſemens
inftructifs . L'enfant d'un bourgeois , élevé
faute de domeftique par fa mere & par fon
pere , a fouvent le bonheur d'être exent
des vices d'un enfant de qualité livré à des
domeftiques ignorans & vicieux ou à des
ames mercenaires.
-
Chacun voit de quelle importance il
feroit que les parens , les maitres & les domeftiques
, ne rempliffent l'imagination
des enfans que d'images ou d'idées louables
, faines & falutaires ; mais peut - on
atendre cela des parens fans pieté & des
domeftiques fans éducation la plupart
des domeftiques font ils capables de ne
doner que de bones inftructions & de bons
exemples bien loin delà , il y en a qui s'ocupent
à détruire l'ouvrage dont ils ne
font pas les auteurs , & de concert avec
l'enfant,duquel ils menagent l'amitié,font
fouvent aux parens une peinture odieufe
d'un précepteur ou gouverneur , qui quoi,
que d'ailleurs plein de merite & fans autre,
défaut
JUILLET . 1730. 1525″ :
défaut que d'être peu indulgent pour un
valet derangé, fe trouve à la fin forcé à fe
retirer , avec la douleur de voir qu'il ne
lui eft pas même permis de fe plaindre de
l'injure qu'on lui fait. Les parens pour
lors, dignes de tels enfans, aveuglés für les
qualités du corps , lui facrifient celles de
Pame , & augmentent , fans le vouloir , le
nombre des mauvais fujets d'une famille
& d'un royaume. Cela n'arive pas » dans
les familles pieufes , dont les parens , les
» maitres , & les domeftiques , de bone intelligence
,& de concert,s'entretienent volontiers
des vertus chrétienes ; les enfans
» ont un grand avantage pour la pieté ,
» fur ceux qui n'entendent de la bouche
» de leurs parens , ou de leurs domestiques
» que des paroles profanes & fouvent criamineles.
Ceux-ci recueillent de ces con-
>> verfations inconfiderées , les premierės
» idées du monde & du peché ; ceux-là
aucontraire reçoivent les premieres fe
» mences de la vertu par les difcours des
» maitres qui les enfeignent , ou des do-
» meftiques qui les entourent.
Après cette petite digreffion fur la ne
gligence des parens , reprenons notre matiere
, & continuons à faire voir qu'un enfant
de trois ans eft capable des premiers
élemens des letres : on ne doit pas craindre
que les enfans devenus habiles de trop
C bone
1326 MERCURE DE FRANCE
}
bone heure par des études avancées ,foient ,
enfuite à charge aux parens , ni qu'ils
aient le tems d'oublier ce qu'ils favent
avant que de pouvoir embraffer l'état auquel
on les deftine . Raifoner de la forte
ceft n'avoir aucune idée de la perfection
& de la quantité des chofes qu'un honete
home devroit aprendre dans chaque pro- :
feffion: la vie la plus longue eft trop courte
pour le perfectioner dans le moindre des
arts on ne fauroit donc comancer trop
tôt, quand la fanté de l'enfant, & les facultés
des parens le permetent. Je moralifefouvent
fur cette matiere , perfuadé que
la lecture n'en peut jamais être nuifible:
d'ailleurs quoique chaque chofe ait fa def :
tinée hureufe ou malhureufe, independament
de toutes les raifons qu'on pouroit
alleguer, un auteur ne doit jamais fe laffer
de reprefenter celles qui font voir la verité .
& l'utilité de la metode qu'il propofe.
On ne fauroit être trop atentif à la ſanté
des enfans ; mais un enfant de deux à trois
ans eft-il tout-à-fait incapable de reflexion;
ne s'aplique -t-il pas toujours de lui -même.
à quelque chofe ; ne temoigne-t- il pas font
dégoût dès qu'il le fent ? il ne s'agit donc .
que d'étudier l'enfant & de fe conformer
fon gout pour l'inftruire en l'amuſant.
Je demande aux gens d'efprit , énemis des
études , fi l'enfant le plus negligé du coté
des
JUILLET. 1730. 13271
des idées jouit d'une meilleure fanté que
celui qui eft bien cultivé ; & files idées
baffes & comunes d'un fils de crocheteur :
font plus falutaires que les idées nobles &
dignes d'un enfant de qualité . Le danger :
pour la fanté des enfans eft-il dans la quan
tité ou dans la qualité des idées ? quand un
enfant vient au monde , ne devroit- il pas
expirer fur le champ , acablé d'idées , * & ì
de fenfations nouveles ? qu'on laiffe agir
la nature , elle aura foin de l'enfant ; &
l'enfant de fon coté aura foin de nous aver
tir des idées qui l'incomodent: ce ne font
pas proprement les études qui tuent ,
uais l'excès & la maniere ; les études
ont cela de comun avec les plaifirs , qui
enlevent tant d'ignorans à la fleur de leur
age.
de
Que l'on montre à un enfant de deux à
trois ans cent outils de boutique ou cent
objets de cuifine , on ne craint point d'al - i
terer fa fanté : mais s'il furvient quelqu'un .
qui prefente un compas , une regle , un
porte crayon , ou enfin des letres fur des
cartes à jouer ; on ne manquera pas
dire que l'enfant l'enfant eft trop jeune , trop délicat
pour être amufé de pareilles chofes
plus nuifibles à la fanté que la baterie
de cuifine: le pauvre enfant eft livré à
un marmiton , préferablement à une
perfone d'étude . Ce feul mot d'étude
Cij faic
T528 MERCURE DE FRANCE
fait
peur , il
faut
donc
propofer
des
jeux
& de
purs
amufemens
. Je
ne
m'y
opofe
pas
; mais
fi ces
amuſemens
peuvent
être
Inftructifs
, ne
feront
- ils pas
encore
dange
reux
pour
la fanté
de
l'enfant
? il faur
aler
à nouveau
confeil
: j'y
ai été
moi
- même
, &
je pourois
citer
ici
en
faveur
de
la métode
du
bureau
tipografique
l'Efculape
de
notre
fiecle
. Oui
, Monfieur
Chirac
, perfuadé
de
l'utilité
&
du
mérite
de ce
bureau
, en fit
faire
un
pour
M.
de la Valette
, fon
petitfils
; je dois
le
citer
come
un
enfant
mis
de
bone
heure
aux
letres
, &
come
un
enfant
celebre
du
bureau
tipografique
,
Ce
feroit
ici
le veritable
endroit
de
faire
l'éloge
de
ce
jeune
favant
; mais
rempli
d'admiration
, je prendrai
le ton
modefte
que
l'on
a doné
à ce digne
enfant
, élevé
pour
le réel
&
le folide
des
études
, plutôt
que
pour
la parade
&
le brillant
des
letres
fuperficieles
: il loge
au Palais
Royal
avec
M.
Chirac
fon
grand
-pere
, fous
lesïeux
duquel
il fe trouveà
l'âge
de
onze
ans
,
on
état
de
faire
honeur
à fes
maitres
pourle
latin
, le grec
, la
danfe
, la mufique
la geometrie
, la filoſofie
,& les
autres
exer-
τότ
cices.
Dans la rue des foffez de M. le prince,
le petit Goffard, fils d'un marchand tapif
frer , a apris preſque feul , avec le premier
& le fegond caffeau du bureau tipografique,
JUILLET. 1730. 1529
que, les premiers élemens des letres : & fon
pere qui le croyoit trop jeune pour le
metre à la crois de pardieu , a aujourdui
le plaifir de le voir en état d'aler au colege,
à quoi ce pere n'auroit pas penfé fi-tot
fans l'ocafion favorable du bureau tipografique.
J'ai parlé dans le Mercure précedent',
du petit Jean-Filipe Baratier , qui comen
ça à badiner avec les letres de l'ABC,
avant qu'il eût deux ans acomplis : on
peut voir la letre du pere de cet enfant ,
inferée dans le Mercure du mois de Novembre
1727.
J'ai vu par des letres de Montmoreau
en Angoumois , que le fils de M. Durand
favoit lire le latin & le françois à quatre
ans & demi ; & à cet âge- là M. fon pere
lui aïant procuré la traduction interlineai
re de l'abregé de la fable du P. Jouvanci,
il l'aprit bientôt avec un gout & une facilité
furprenante : il en a fait autant à
Pégard des autres livres qu'on lui a donés
à étudier , felon la même pratique ;
il jouit d'une parfaite fanté & étudie avec
plaifir & avec fruit. Ses voifins , dont il
fait l'admiration , font convaincus qu'il
répondra dans la fuite aus foins que prend
pour lui un pere tendre & éclairé , qui
conoit le prix d'une bone éducation , &
qui n'épargne rien pour la procurer à cet
aimable enfant.-
Ciij Il
1530 MERCURE DE FRANCE
Il y a trois ans qu'on publia dans Paris
les merveilles du petit Hernandez del
Valle , admiré à la Cour & à la Vile. Les
Mercures du mois de Juin & du mois
d'Août de l'anée 1727. ont parlé des progrès
furprenans que ce petit Efpagnol
avoit faits dans les langues & dans plufieurs
exercices. Cet enfant jouit d'une
parfaite fanté,& foutient toujours fa répu
tation d'enfant remarquable par fa taille,
par fon âge,& par fon lavoir. Il eſt au colege
de Cluni , avec M. l'Abé du Pleffis
fon digne inftituteur. Ces trois derniers.
exemples font voir combien il eſt avantageux
pour un enfant d'être mis de bone
heure aux élemens des letres , quelque
métode que l'on fuive.
M. Guillot , dans la rue des mauvaiſes.
paroles , a un aimable enfant, dont l'efprit
& la vivacité s'acomodent fort du bureau
tipografique. Bien des parens curieux en
fait d'éducation , feroient ufage d'un fem
blable bureau , s'ils en conoiffoient le mérite
& l'utilité.
Je devrois peut- etre encore citer un exemple
fingulier en faveur d'une métode qui
en peu de leçons, a mis un Savoyard de 20-
ans en état de lire le latin , fans qu'on
puiffe le foubçoner d'aucune fuperiorité
de génie , ni d'aucune difpofition favora
ble
pour
les letres.
Mon
JUILLET. 1730. 1531
8
Monfieur Chompré , maître de penfion
, dans la rue des Carmes , aïant vu les
grans progrès de l'exercice du bureau tipografique
, n'a pas négligé de s'en doner
un pour accelerer les premieres études des
enfans, à l'inftruction deſquels il s'aplique
fort. Je dois encore ajouter ici une reffexion
en faveur des perfones toujours alatmées
,au fujet de la fanté & de la taille dés
enfans; c'est que l'exercice du bureau tipografique,
bien loin de les expofer à etre
malades , & à refter nains & noués faute
d'action , les entretient au contraire dans
une bone fanté, diffipe peu à peu l'humeur
noüeufe qui les empeche de croitre , &
leur alonge le corps , les bras , & les jambes
, dans la neceffité où ils font de pren
dre & de remetre les cartes aus plus hauts
caffetins du bureau tipografique.
Aïant doné dans le Mercure precedent
la divifion de l'ouvrage intitulé : la Bibliotèque
des enfans , & des deux premieres
parties du livre de l'enfant , il me reste à
doner le plan des trois autres parties dont
on pouroit fe paller pour aprendre fimplement
à lire , ces trois dernieres parties
n'etant que pour perfectioner ce que l'on
a apris dans les deux premieres , pour doner
des idées generales de toutes chofes ,
& pour tiver les enfans de la grande igno-
Ciiij rance
1532 MERCURE DE FRANCE
rance où on les laiffe même pendant leurs
études .
pour
La troifiéme partie du livre de l'enfant,
la lecture du latin , contient en cent
& quelques pages des compilations en
profe & en vers , favoir de petits extraits
des Sentences , des maximes de la Bible ,
des penſées de l'Imitation deJ.C. & d'une
vintaine d'auteurs celebres en proſe ; &
enfuite un choix de toute efpece de vers
latins extraits d'une vintaine de poëtes.
La quatrième partie contient en deux
cens & tant de pages , pour la lecture du
françois en profe, un extrait moral de l'Ecriture
fainte , les premiers principes , &
les axiomes des arts & des fiences ; plufieurs
extraits de livres moraus , concernant
Peducation des enfans , de petits
recueils hiftoriques , chronologiques , &
des fuites ou des liftes généalogiques, géografiques
& bibliografiques , avec des leçons
de lecture variées ; & environ cent
pages pour la lecture des vers dont les rimes
donent & prouvent la vraie dénomination
des fons & des letres de la langue
françoife ; ou pour la compilation des
exemples de toute forte de vers , depuis
les vers compofés d'une filabe jufques à
ceux de trèſe & de quatorfe filabes ; & des
exemples de toute efpece de petit poëme
par
JUILLET. 1730. 1533
M
+
•
par raport au nombre de vers de chaque
pièce , ou par raport à l'efpece & à la nature
du poëme , ce qui done trois fortes
de lecture en vers, ſavoir pour le nom
bre des filabes , le nombre des vérs , & la
nature du poëme.
La cinquième partie contient en qua
Fante pages une introduction à la gramaire
françoife , & enfuite les rudimens pratiques
de la langue latine en cent: & tant
de petites cartes à jouer , & cent & tant de
pages pour la pratique des parties d'orai
fon indeclinables , declinables , ou conju
gables ; & pour la pratique des concor
dances , des cas des noms , de la fintaxe
des particules ; & le refte pour la nomen
clature des mots en foixante-dix- fept articles
, ce qui fera expliqué dans la cinquieme
partie du livre du maitre, & dans
les reflexionss preliminaires du rudiment
pratique de la langue latine.
En atendant que l'auteur de LA BIBLIOTEQUE
DES ENFANS faffe imprimer fon ouvrage
, il a fait graver le plan des bureaux
tipografiques , fous le même titre de Biblioteque
des enfans .--
Le premier bureau , apelé abecediques
pour l'ufage d'un enfant de deux à trois
ans , n'eft qu'une table come celles où les
comis de la Pofte rangent les letres miffi
ves; on montre à l'enfant la maniere de
Cv ranger
7534 MERCURE DE FRANCE
ranger chaque carte vis à vis de la letre /
qui répond à celle de la carte ; mais quand
Penfant conoit bien les letres & les cartes.
de la caffete abecedique , on lui done un
caffeau de deux rangées de logetes , & c'eſt
là le bureau latin , ou le premier bureau tipografique
avec lequel un enfant aprend
imprimer & à compofer, felon le fifteme
des letres, ce qu'on lui done fur des cartes
à jouer ; de ce bureau latin il paffe à la
conoiffance & à la pratique du bureau latin-
françois , compofé de deux autres
rangées de logetes ; & pour lors l'enfant
eft mis en poffeffion d'une imprimerie en
colombier , plus comode , plus inftructive
& plus raifonée l'enfant que
pour
le des imprimeurs ordinaires , puifqu'au
fifteme des letres on ajoûte celui des fons
de la langue françoife , & qu'un enfant de
quatre à cinq ans aprend pour lors en badinant
, ce que bien des favans ignorent
toute leur vie:
cel-
Du bureau françois- latin on paffe au
caffeau du rudiment pratique de la langue
latine , compofé auffi de foixante logetes
en deux rangées de trente caffetins
chacune. On peut doner à l'enfant tout
d'un coup ou féparement ces trois caffeaux
de claffe diferente ; mais je penfe
qu'il feroit mieux de faire faire tout d'un
pems le bureau complet de fix rangées de:
trente
JUILLET. 1730. 153
trente caffetins chacune quatre pour l'im
primerie du latin & du françois , & deux
pour le rudimant pratique ; on épargnerà
par là le bois & la façon , en couvrant
d'une houffe les rangées fuperieures dont
Fenfant n'aura pas d'abord l'ufage , ce
voile piquera fa curiofité & lui donera de
l'impatience pour l'ufage des autres ran
gées.
Il y a encore une autre raison qui dé
termine à faire tout d'un tems le bureau
complet ; c'eft que par là on gagne l'épaif
feur de deux planches , & que le bureau
étant moins haut , il fe trouve plus à portée
de la main de l'enfant.
L'imprimerie aïant fait travailler l'enfant
fur le rudiment pratique , on fonge
enfuite au dictionaire de fix rangées de ce-
·lules , dans lesquelles on met les cartes ou
les mots des themes de l'enfant , à meſure
qu'il en a befoin ; de forte qu'on peut dire
que l'enfint fe forme & fe familiarife.
avec le dictionaire. Ceux qui prendront
Ta peine d'aler voir quelque enfant travail-
Ter à fon bureau , feront d'abord convain-
'cus de l'utilité d'un tel meuble , pour un
enfant déja éxercé aux jeus abecediques
de la caffete , par où l'on doit commencer
l'exercice des premiers elemens des
letres.
Je crois pouvoir dire avant que de fi-
Cvj
nir
J
1336 MERCURE DE FRANCE
nir cete letre , qu'on doit regarder come
fufpectes les metodes mifterieufes &
hieroglifiques qui anoncent & prometent
des miracles , ou des chofes au delà
des forces de l'efprit humain:une bone
metode exige la franchiſe & la genero
fité qu'infpire l'amour du bien public &
de la verité. Voilà les fentimens de l'aur
teur de la Biblioteque des enfans : il ne
parle que de pratique , & d'experiences ..
journalieres , réiterées au grand jour. L'incredulité
du public n'eft pas fans fondement
; on voit tant de charlatans , de . vifonaires
, & d'impofteurs de toute claffe ;
qu'il y auroit de la foibleffe , de l'impru
dence & même de la folie ,à les croire tous
*fur leur parole .
Les curieux qui fouhaiteront d'avoir
des A B C fur cuivre , ou des letres à
jour pour en imprimer fur des cartes ',
pouront s'adreffer au S le Comte , Marchand
fripier , rue Jacob , à la porte de la
Charité , il eft tres ingénieux & acomodant,
aïant le talent d'imiter parfaitement
les grans & les petits caracteres de toutes
les langues mortes & vivantes ; pourvu
qu'on lui dones les modeles de la gran--
deur ou du corps des letres..
Avec des A B C fur cuivre ou à jour ,
on peut ocuper utilement un domeftique
& le metre en état de travailler avec l'enefing
s
JUILLET. 1730. 1537
fant ; car l'exercice du bureau tipografique
eft très-aifé : il ne faut que des feux
pour voir les letres & des mains pour lès
tirer des logetes & les ranger fur la table,
come on le peut voir dans l'exemple doné
au bas de la planche gravée pour la Biblioteque
des enfans. Il ne faut pas , au refté,
s'imaginer que ce bureau foit inutile pour
les jeunes petites filles : au contraire , ellés
y trouveront l'utilité de l'ortografe &
du rudiment de la langue , que la plupart
ignorent toute leur vie. Le fifteme
des fons de la langue françoife eft le plus
propre pour inftruire les jeunes Demoifelles
, & l'exercice du bureau tipografi--
que enfeignant toutes les ortografes , met
d'abord en état de difcerner & de choifir :
la meilleure pour une jeune perfone.
M. & Mme Hervé , auprès de la poſté ,
témoins des progrès furprenans de l'exercice
du bureau tipografique , en ont fait
faire un de quatre rangées de logetes pour
Mile Hervé leur fille.
t
,
Ceux qui voudront faire l'effai du bu--
reau tipografique prendront la peine de
s'adreffer au Sr Hanot , me menuifier
rue des Cordeliers , vis à vis le gros raifin
, qui en a déja fait , & au S¹ Barbo ,
à la petite place du cu de fac montagne
fainte Genevieve , me menuifier , qui fait
les caffes & les caffeaux des imprimeurs .
Une
1538 MERCURE DE FRANCE
Une carte à jouer reglera les dimenfions
des logetes & du bureau. Les curieux qui
en fouhaiteront de plus propres & de plus
riches ceux d'un menuifier les comanque
deront à quelque ebenifte , en lui donant
la meſure de l'endroit où l'on voudra les
placer ; parcequ'enfuite on fera rogner des
cartes de la grandeur des logeres ou des
caffetins. A l'égard de l'inftruction neceffaire
pour la garniture , l'ufage ou la pratique
de ce bureau , l'auteur de la Biblioteque
des enfans qui en eft l'inventeur, fe
fera toujours un plaifir d'en prendre la
direction , & d'indiquer les maitres qu'il
a mis au fait de l'ingenieux fifteme du bureau
tipografique . Je fuis & c.
LA BIBLIOTEQUE DES ENFANS &c.
MONSIEUR ,
>
Avant que de citer des enfans en
vie & à Paris , pour faire voir qu'on
peut les metre de bone heure aux éle
mens des letres , je me flate que vous
me permetrés encore quelques reflexions,
& que les perfones intereffées dans cette
matiere veront ici avec plaifir le fentiment
de l'auteur de la recherche de la
verité. Cet illuftre favant remarque
dans le premier tome,livre deux , chapitre
huit , que les plus jeunes enfans , tour
acablés qu'ils font de fentimens agréa-
»
bles
1522 MERCURE DE FRANCE
23
bles & penibles , ne laiffent pas d'apren
» dre en peu de tems ce que
des perfones.
» avancées en age ne peuvent faire en
beaucoup davantage , come la conoif-
» fance de l'ordre & des raports qui fe .
» trouvent entre tous les mots & toutes
» les chofes qu'ils voient & qu'ils enten-
>> dent : & quoique ces chofes ne dépen-
"dent guere que de la mémoire , cepen-
» dant il paroit affez qu'ils font beaucoup
d'ufage de leur raifon dans la maniere
» dont ils aprenent leur langue .
» Si on tenoit les enfans fans crainte &
» fans défir ; fi on ne leur fefoit point
>>
foufrir ni aprehender de foufrir de la
» douleur ; fi on les éloignoit autant qu'il
» fe peut de leurs petits plaifirs , & qu'ils
» n'en efperaffent point ; on pouroit leur
» aprendre , dès qu'ils fauroient parler ,
» les chofes les plus dificiles & les plus
» abftraites , ou tout au moins les mate-
» matiques fenfibles , la mecanique &
» d'autres choſes ſemblables , qui font ne-
» ceffaires dans la fuite de la vie. Mais ils
» n'ont garde d'apliquer leur efprit à des
» chofes abftraites , lorfqu'ils ont des apre
≫henfions ou des defirs violens des chofes
» fenfibles : ce qu'il eft très- neceffaire de
» bien confiderer ..... Car come un ho-
» me ambitieux qui viendroit de perdre
» ſon bien & ſon honeur , ou qui auroit
été
JUILLET. 1730, 1523
»
» été élevé tout d'un coup à une grande
dignité qu'il n'efperoit pas , ne feroit pas
» en état de réfoudre des queftions de me
> tafifique ou des équations d'algebre; mais
feulement de faire les chofes que la pafufion
prefente lui dicteroit :ainfi les enfans
dans les cerveaus defquels une pome &
» des dragées font des impreffions auffi
profondes; que les charges & les gran-
» deurs en font dans celui d'un home de
» quarante ans , ne font pas en état d'écou-
» ter des verités abftraites qu'on leur en-
» feigne. De forte qu'on peut dire , qu'il
» n'y a rien qui foit fi contraire à l'avance-
» ment des enfans dans les fiences , que
"
les divertiffemens continuels dont on les
» recompenfe , & que les peines dont on
» les punit , & dont on les menace fans
ceffe , & c.
Eft - il dificile après cela de deviner la
caufe de tant de mauvaiſes éducations ,
même parmi la jeune nobleffe pour laquelle
on fait bien de la dépenfe ? Ne feroit-
ce point en general la faute des parens
trop mondains & trop negligens en
fait d'éducation. On ne met pas affés à
profit les premieres anées de leur vie ; on
les neglige d'ordinaire , quoiqu'elles foient
les plus propres à leur éducation , tant à
leur égard qu'à l'égard de ceux qui en
prenent foin. Pour moi je crois qu'on les
laiffe
1524 MERCURE DE FRANCE
laiffe trop lon- tems à la difcretion des
domeftiques ; & ceux-ci pour gagner leurs
bones graces en les amufant , leur font
fuccer avec le lait le premier poifon d'une
mauvaiſe éducation ; ils amufent & foignent
le corps aus dépens de l'efprit & du
coeur, ils rempliffent d'inutilités agréables
la tête de l'enfant , & le difpofent par là à
fe dégoûter enfuite de tous les amuſemens
inftructifs . L'enfant d'un bourgeois , élevé
faute de domeftique par fa mere & par fon
pere , a fouvent le bonheur d'être exent
des vices d'un enfant de qualité livré à des
domeftiques ignorans & vicieux ou à des
ames mercenaires.
-
Chacun voit de quelle importance il
feroit que les parens , les maitres & les domeftiques
, ne rempliffent l'imagination
des enfans que d'images ou d'idées louables
, faines & falutaires ; mais peut - on
atendre cela des parens fans pieté & des
domeftiques fans éducation la plupart
des domeftiques font ils capables de ne
doner que de bones inftructions & de bons
exemples bien loin delà , il y en a qui s'ocupent
à détruire l'ouvrage dont ils ne
font pas les auteurs , & de concert avec
l'enfant,duquel ils menagent l'amitié,font
fouvent aux parens une peinture odieufe
d'un précepteur ou gouverneur , qui quoi,
que d'ailleurs plein de merite & fans autre,
défaut
JUILLET . 1730. 1525″ :
défaut que d'être peu indulgent pour un
valet derangé, fe trouve à la fin forcé à fe
retirer , avec la douleur de voir qu'il ne
lui eft pas même permis de fe plaindre de
l'injure qu'on lui fait. Les parens pour
lors, dignes de tels enfans, aveuglés für les
qualités du corps , lui facrifient celles de
Pame , & augmentent , fans le vouloir , le
nombre des mauvais fujets d'une famille
& d'un royaume. Cela n'arive pas » dans
les familles pieufes , dont les parens , les
» maitres , & les domeftiques , de bone intelligence
,& de concert,s'entretienent volontiers
des vertus chrétienes ; les enfans
» ont un grand avantage pour la pieté ,
» fur ceux qui n'entendent de la bouche
» de leurs parens , ou de leurs domestiques
» que des paroles profanes & fouvent criamineles.
Ceux-ci recueillent de ces con-
>> verfations inconfiderées , les premierės
» idées du monde & du peché ; ceux-là
aucontraire reçoivent les premieres fe
» mences de la vertu par les difcours des
» maitres qui les enfeignent , ou des do-
» meftiques qui les entourent.
Après cette petite digreffion fur la ne
gligence des parens , reprenons notre matiere
, & continuons à faire voir qu'un enfant
de trois ans eft capable des premiers
élemens des letres : on ne doit pas craindre
que les enfans devenus habiles de trop
C bone
1326 MERCURE DE FRANCE
}
bone heure par des études avancées ,foient ,
enfuite à charge aux parens , ni qu'ils
aient le tems d'oublier ce qu'ils favent
avant que de pouvoir embraffer l'état auquel
on les deftine . Raifoner de la forte
ceft n'avoir aucune idée de la perfection
& de la quantité des chofes qu'un honete
home devroit aprendre dans chaque pro- :
feffion: la vie la plus longue eft trop courte
pour le perfectioner dans le moindre des
arts on ne fauroit donc comancer trop
tôt, quand la fanté de l'enfant, & les facultés
des parens le permetent. Je moralifefouvent
fur cette matiere , perfuadé que
la lecture n'en peut jamais être nuifible:
d'ailleurs quoique chaque chofe ait fa def :
tinée hureufe ou malhureufe, independament
de toutes les raifons qu'on pouroit
alleguer, un auteur ne doit jamais fe laffer
de reprefenter celles qui font voir la verité .
& l'utilité de la metode qu'il propofe.
On ne fauroit être trop atentif à la ſanté
des enfans ; mais un enfant de deux à trois
ans eft-il tout-à-fait incapable de reflexion;
ne s'aplique -t-il pas toujours de lui -même.
à quelque chofe ; ne temoigne-t- il pas font
dégoût dès qu'il le fent ? il ne s'agit donc .
que d'étudier l'enfant & de fe conformer
fon gout pour l'inftruire en l'amuſant.
Je demande aux gens d'efprit , énemis des
études , fi l'enfant le plus negligé du coté
des
JUILLET. 1730. 13271
des idées jouit d'une meilleure fanté que
celui qui eft bien cultivé ; & files idées
baffes & comunes d'un fils de crocheteur :
font plus falutaires que les idées nobles &
dignes d'un enfant de qualité . Le danger :
pour la fanté des enfans eft-il dans la quan
tité ou dans la qualité des idées ? quand un
enfant vient au monde , ne devroit- il pas
expirer fur le champ , acablé d'idées , * & ì
de fenfations nouveles ? qu'on laiffe agir
la nature , elle aura foin de l'enfant ; &
l'enfant de fon coté aura foin de nous aver
tir des idées qui l'incomodent: ce ne font
pas proprement les études qui tuent ,
uais l'excès & la maniere ; les études
ont cela de comun avec les plaifirs , qui
enlevent tant d'ignorans à la fleur de leur
age.
de
Que l'on montre à un enfant de deux à
trois ans cent outils de boutique ou cent
objets de cuifine , on ne craint point d'al - i
terer fa fanté : mais s'il furvient quelqu'un .
qui prefente un compas , une regle , un
porte crayon , ou enfin des letres fur des
cartes à jouer ; on ne manquera pas
dire que l'enfant l'enfant eft trop jeune , trop délicat
pour être amufé de pareilles chofes
plus nuifibles à la fanté que la baterie
de cuifine: le pauvre enfant eft livré à
un marmiton , préferablement à une
perfone d'étude . Ce feul mot d'étude
Cij faic
T528 MERCURE DE FRANCE
fait
peur , il
faut
donc
propofer
des
jeux
& de
purs
amufemens
. Je
ne
m'y
opofe
pas
; mais
fi ces
amuſemens
peuvent
être
Inftructifs
, ne
feront
- ils pas
encore
dange
reux
pour
la fanté
de
l'enfant
? il faur
aler
à nouveau
confeil
: j'y
ai été
moi
- même
, &
je pourois
citer
ici
en
faveur
de
la métode
du
bureau
tipografique
l'Efculape
de
notre
fiecle
. Oui
, Monfieur
Chirac
, perfuadé
de
l'utilité
&
du
mérite
de ce
bureau
, en fit
faire
un
pour
M.
de la Valette
, fon
petitfils
; je dois
le
citer
come
un
enfant
mis
de
bone
heure
aux
letres
, &
come
un
enfant
celebre
du
bureau
tipografique
,
Ce
feroit
ici
le veritable
endroit
de
faire
l'éloge
de
ce
jeune
favant
; mais
rempli
d'admiration
, je prendrai
le ton
modefte
que
l'on
a doné
à ce digne
enfant
, élevé
pour
le réel
&
le folide
des
études
, plutôt
que
pour
la parade
&
le brillant
des
letres
fuperficieles
: il loge
au Palais
Royal
avec
M.
Chirac
fon
grand
-pere
, fous
lesïeux
duquel
il fe trouveà
l'âge
de
onze
ans
,
on
état
de
faire
honeur
à fes
maitres
pourle
latin
, le grec
, la
danfe
, la mufique
la geometrie
, la filoſofie
,& les
autres
exer-
τότ
cices.
Dans la rue des foffez de M. le prince,
le petit Goffard, fils d'un marchand tapif
frer , a apris preſque feul , avec le premier
& le fegond caffeau du bureau tipografique,
JUILLET. 1730. 1529
que, les premiers élemens des letres : & fon
pere qui le croyoit trop jeune pour le
metre à la crois de pardieu , a aujourdui
le plaifir de le voir en état d'aler au colege,
à quoi ce pere n'auroit pas penfé fi-tot
fans l'ocafion favorable du bureau tipografique.
J'ai parlé dans le Mercure précedent',
du petit Jean-Filipe Baratier , qui comen
ça à badiner avec les letres de l'ABC,
avant qu'il eût deux ans acomplis : on
peut voir la letre du pere de cet enfant ,
inferée dans le Mercure du mois de Novembre
1727.
J'ai vu par des letres de Montmoreau
en Angoumois , que le fils de M. Durand
favoit lire le latin & le françois à quatre
ans & demi ; & à cet âge- là M. fon pere
lui aïant procuré la traduction interlineai
re de l'abregé de la fable du P. Jouvanci,
il l'aprit bientôt avec un gout & une facilité
furprenante : il en a fait autant à
Pégard des autres livres qu'on lui a donés
à étudier , felon la même pratique ;
il jouit d'une parfaite fanté & étudie avec
plaifir & avec fruit. Ses voifins , dont il
fait l'admiration , font convaincus qu'il
répondra dans la fuite aus foins que prend
pour lui un pere tendre & éclairé , qui
conoit le prix d'une bone éducation , &
qui n'épargne rien pour la procurer à cet
aimable enfant.-
Ciij Il
1530 MERCURE DE FRANCE
Il y a trois ans qu'on publia dans Paris
les merveilles du petit Hernandez del
Valle , admiré à la Cour & à la Vile. Les
Mercures du mois de Juin & du mois
d'Août de l'anée 1727. ont parlé des progrès
furprenans que ce petit Efpagnol
avoit faits dans les langues & dans plufieurs
exercices. Cet enfant jouit d'une
parfaite fanté,& foutient toujours fa répu
tation d'enfant remarquable par fa taille,
par fon âge,& par fon lavoir. Il eſt au colege
de Cluni , avec M. l'Abé du Pleffis
fon digne inftituteur. Ces trois derniers.
exemples font voir combien il eſt avantageux
pour un enfant d'être mis de bone
heure aux élemens des letres , quelque
métode que l'on fuive.
M. Guillot , dans la rue des mauvaiſes.
paroles , a un aimable enfant, dont l'efprit
& la vivacité s'acomodent fort du bureau
tipografique. Bien des parens curieux en
fait d'éducation , feroient ufage d'un fem
blable bureau , s'ils en conoiffoient le mérite
& l'utilité.
Je devrois peut- etre encore citer un exemple
fingulier en faveur d'une métode qui
en peu de leçons, a mis un Savoyard de 20-
ans en état de lire le latin , fans qu'on
puiffe le foubçoner d'aucune fuperiorité
de génie , ni d'aucune difpofition favora
ble
pour
les letres.
Mon
JUILLET. 1730. 1531
8
Monfieur Chompré , maître de penfion
, dans la rue des Carmes , aïant vu les
grans progrès de l'exercice du bureau tipografique
, n'a pas négligé de s'en doner
un pour accelerer les premieres études des
enfans, à l'inftruction deſquels il s'aplique
fort. Je dois encore ajouter ici une reffexion
en faveur des perfones toujours alatmées
,au fujet de la fanté & de la taille dés
enfans; c'est que l'exercice du bureau tipografique,
bien loin de les expofer à etre
malades , & à refter nains & noués faute
d'action , les entretient au contraire dans
une bone fanté, diffipe peu à peu l'humeur
noüeufe qui les empeche de croitre , &
leur alonge le corps , les bras , & les jambes
, dans la neceffité où ils font de pren
dre & de remetre les cartes aus plus hauts
caffetins du bureau tipografique.
Aïant doné dans le Mercure precedent
la divifion de l'ouvrage intitulé : la Bibliotèque
des enfans , & des deux premieres
parties du livre de l'enfant , il me reste à
doner le plan des trois autres parties dont
on pouroit fe paller pour aprendre fimplement
à lire , ces trois dernieres parties
n'etant que pour perfectioner ce que l'on
a apris dans les deux premieres , pour doner
des idées generales de toutes chofes ,
& pour tiver les enfans de la grande igno-
Ciiij rance
1532 MERCURE DE FRANCE
rance où on les laiffe même pendant leurs
études .
pour
La troifiéme partie du livre de l'enfant,
la lecture du latin , contient en cent
& quelques pages des compilations en
profe & en vers , favoir de petits extraits
des Sentences , des maximes de la Bible ,
des penſées de l'Imitation deJ.C. & d'une
vintaine d'auteurs celebres en proſe ; &
enfuite un choix de toute efpece de vers
latins extraits d'une vintaine de poëtes.
La quatrième partie contient en deux
cens & tant de pages , pour la lecture du
françois en profe, un extrait moral de l'Ecriture
fainte , les premiers principes , &
les axiomes des arts & des fiences ; plufieurs
extraits de livres moraus , concernant
Peducation des enfans , de petits
recueils hiftoriques , chronologiques , &
des fuites ou des liftes généalogiques, géografiques
& bibliografiques , avec des leçons
de lecture variées ; & environ cent
pages pour la lecture des vers dont les rimes
donent & prouvent la vraie dénomination
des fons & des letres de la langue
françoife ; ou pour la compilation des
exemples de toute forte de vers , depuis
les vers compofés d'une filabe jufques à
ceux de trèſe & de quatorfe filabes ; & des
exemples de toute efpece de petit poëme
par
JUILLET. 1730. 1533
M
+
•
par raport au nombre de vers de chaque
pièce , ou par raport à l'efpece & à la nature
du poëme , ce qui done trois fortes
de lecture en vers, ſavoir pour le nom
bre des filabes , le nombre des vérs , & la
nature du poëme.
La cinquième partie contient en qua
Fante pages une introduction à la gramaire
françoife , & enfuite les rudimens pratiques
de la langue latine en cent: & tant
de petites cartes à jouer , & cent & tant de
pages pour la pratique des parties d'orai
fon indeclinables , declinables , ou conju
gables ; & pour la pratique des concor
dances , des cas des noms , de la fintaxe
des particules ; & le refte pour la nomen
clature des mots en foixante-dix- fept articles
, ce qui fera expliqué dans la cinquieme
partie du livre du maitre, & dans
les reflexionss preliminaires du rudiment
pratique de la langue latine.
En atendant que l'auteur de LA BIBLIOTEQUE
DES ENFANS faffe imprimer fon ouvrage
, il a fait graver le plan des bureaux
tipografiques , fous le même titre de Biblioteque
des enfans .--
Le premier bureau , apelé abecediques
pour l'ufage d'un enfant de deux à trois
ans , n'eft qu'une table come celles où les
comis de la Pofte rangent les letres miffi
ves; on montre à l'enfant la maniere de
Cv ranger
7534 MERCURE DE FRANCE
ranger chaque carte vis à vis de la letre /
qui répond à celle de la carte ; mais quand
Penfant conoit bien les letres & les cartes.
de la caffete abecedique , on lui done un
caffeau de deux rangées de logetes , & c'eſt
là le bureau latin , ou le premier bureau tipografique
avec lequel un enfant aprend
imprimer & à compofer, felon le fifteme
des letres, ce qu'on lui done fur des cartes
à jouer ; de ce bureau latin il paffe à la
conoiffance & à la pratique du bureau latin-
françois , compofé de deux autres
rangées de logetes ; & pour lors l'enfant
eft mis en poffeffion d'une imprimerie en
colombier , plus comode , plus inftructive
& plus raifonée l'enfant que
pour
le des imprimeurs ordinaires , puifqu'au
fifteme des letres on ajoûte celui des fons
de la langue françoife , & qu'un enfant de
quatre à cinq ans aprend pour lors en badinant
, ce que bien des favans ignorent
toute leur vie:
cel-
Du bureau françois- latin on paffe au
caffeau du rudiment pratique de la langue
latine , compofé auffi de foixante logetes
en deux rangées de trente caffetins
chacune. On peut doner à l'enfant tout
d'un coup ou féparement ces trois caffeaux
de claffe diferente ; mais je penfe
qu'il feroit mieux de faire faire tout d'un
pems le bureau complet de fix rangées de:
trente
JUILLET. 1730. 153
trente caffetins chacune quatre pour l'im
primerie du latin & du françois , & deux
pour le rudimant pratique ; on épargnerà
par là le bois & la façon , en couvrant
d'une houffe les rangées fuperieures dont
Fenfant n'aura pas d'abord l'ufage , ce
voile piquera fa curiofité & lui donera de
l'impatience pour l'ufage des autres ran
gées.
Il y a encore une autre raison qui dé
termine à faire tout d'un tems le bureau
complet ; c'eft que par là on gagne l'épaif
feur de deux planches , & que le bureau
étant moins haut , il fe trouve plus à portée
de la main de l'enfant.
L'imprimerie aïant fait travailler l'enfant
fur le rudiment pratique , on fonge
enfuite au dictionaire de fix rangées de ce-
·lules , dans lesquelles on met les cartes ou
les mots des themes de l'enfant , à meſure
qu'il en a befoin ; de forte qu'on peut dire
que l'enfint fe forme & fe familiarife.
avec le dictionaire. Ceux qui prendront
Ta peine d'aler voir quelque enfant travail-
Ter à fon bureau , feront d'abord convain-
'cus de l'utilité d'un tel meuble , pour un
enfant déja éxercé aux jeus abecediques
de la caffete , par où l'on doit commencer
l'exercice des premiers elemens des
letres.
Je crois pouvoir dire avant que de fi-
Cvj
nir
J
1336 MERCURE DE FRANCE
nir cete letre , qu'on doit regarder come
fufpectes les metodes mifterieufes &
hieroglifiques qui anoncent & prometent
des miracles , ou des chofes au delà
des forces de l'efprit humain:une bone
metode exige la franchiſe & la genero
fité qu'infpire l'amour du bien public &
de la verité. Voilà les fentimens de l'aur
teur de la Biblioteque des enfans : il ne
parle que de pratique , & d'experiences ..
journalieres , réiterées au grand jour. L'incredulité
du public n'eft pas fans fondement
; on voit tant de charlatans , de . vifonaires
, & d'impofteurs de toute claffe ;
qu'il y auroit de la foibleffe , de l'impru
dence & même de la folie ,à les croire tous
*fur leur parole .
Les curieux qui fouhaiteront d'avoir
des A B C fur cuivre , ou des letres à
jour pour en imprimer fur des cartes ',
pouront s'adreffer au S le Comte , Marchand
fripier , rue Jacob , à la porte de la
Charité , il eft tres ingénieux & acomodant,
aïant le talent d'imiter parfaitement
les grans & les petits caracteres de toutes
les langues mortes & vivantes ; pourvu
qu'on lui dones les modeles de la gran--
deur ou du corps des letres..
Avec des A B C fur cuivre ou à jour ,
on peut ocuper utilement un domeftique
& le metre en état de travailler avec l'enefing
s
JUILLET. 1730. 1537
fant ; car l'exercice du bureau tipografique
eft très-aifé : il ne faut que des feux
pour voir les letres & des mains pour lès
tirer des logetes & les ranger fur la table,
come on le peut voir dans l'exemple doné
au bas de la planche gravée pour la Biblioteque
des enfans. Il ne faut pas , au refté,
s'imaginer que ce bureau foit inutile pour
les jeunes petites filles : au contraire , ellés
y trouveront l'utilité de l'ortografe &
du rudiment de la langue , que la plupart
ignorent toute leur vie. Le fifteme
des fons de la langue françoife eft le plus
propre pour inftruire les jeunes Demoifelles
, & l'exercice du bureau tipografi--
que enfeignant toutes les ortografes , met
d'abord en état de difcerner & de choifir :
la meilleure pour une jeune perfone.
M. & Mme Hervé , auprès de la poſté ,
témoins des progrès furprenans de l'exercice
du bureau tipografique , en ont fait
faire un de quatre rangées de logetes pour
Mile Hervé leur fille.
t
,
Ceux qui voudront faire l'effai du bu--
reau tipografique prendront la peine de
s'adreffer au Sr Hanot , me menuifier
rue des Cordeliers , vis à vis le gros raifin
, qui en a déja fait , & au S¹ Barbo ,
à la petite place du cu de fac montagne
fainte Genevieve , me menuifier , qui fait
les caffes & les caffeaux des imprimeurs .
Une
1538 MERCURE DE FRANCE
Une carte à jouer reglera les dimenfions
des logetes & du bureau. Les curieux qui
en fouhaiteront de plus propres & de plus
riches ceux d'un menuifier les comanque
deront à quelque ebenifte , en lui donant
la meſure de l'endroit où l'on voudra les
placer ; parcequ'enfuite on fera rogner des
cartes de la grandeur des logeres ou des
caffetins. A l'égard de l'inftruction neceffaire
pour la garniture , l'ufage ou la pratique
de ce bureau , l'auteur de la Biblioteque
des enfans qui en eft l'inventeur, fe
fera toujours un plaifir d'en prendre la
direction , & d'indiquer les maitres qu'il
a mis au fait de l'ingenieux fifteme du bureau
tipografique . Je fuis & c.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Mots clefs
Résumé
Le texte traite de l'éducation des enfants et de l'importance de les initier tôt aux lettres et aux sciences. Un savant y observe que les jeunes enfants, malgré leur charge émotionnelle, apprennent rapidement les relations entre les mots et les choses, utilisant leur raison de manière efficace. Pour favoriser cet apprentissage, il est recommandé de les garder sans crainte ni désir excessif, afin qu'ils puissent se concentrer sur des sujets abstraits et nécessaires à leur développement futur. Le texte critique les méthodes éducatives courantes, soulignant que les divertissements continus et les punitions fréquentes nuisent à l'avancement des enfants dans les sciences. Il met en garde contre la négligence des parents, souvent trop mondains et négligents, qui laissent les enfants aux soins de domestiques incompétents. Ces derniers, pour gagner les faveurs des enfants, les distraient avec des amusements inutiles, nuisant ainsi à leur développement intellectuel et moral. L'auteur mentionne plusieurs exemples d'enfants ayant réussi à apprendre tôt les lettres et d'autres disciplines grâce à des méthodes appropriées, comme le bureau typographique. Ces enfants, issus de milieux variés, montrent que l'éducation précoce et adaptée peut être bénéfique pour leur développement. Le texte décrit également un ouvrage intitulé 'La Bibliothèque des enfants' et son plan détaillé. Les trois dernières parties de cet ouvrage visent à perfectionner les compétences acquises, à fournir des idées générales sur divers sujets et à combler l'ignorance souvent laissée pendant les études. La troisième partie se concentre sur la lecture du latin, incluant des extraits des Sentences, de la Bible, de l'Imitation de J.C., et d'autres auteurs célèbres, ainsi qu'un choix de vers latins. La quatrième partie, dédiée à la lecture en français, comprend des extraits moraux de l'Écriture sainte, des principes des arts et des sciences, des recueils historiques et généalogiques, et des leçons de lecture variées. Elle inclut également des pages sur la lecture des vers et des exemples de poèmes. La cinquième partie introduit la grammaire française et les rudiments pratiques de la langue latine, avec des cartes à jouer et des leçons sur les parties du discours, les concordances, et la syntaxe. L'auteur mentionne également des bureaux typographiques conçus pour enseigner aux enfants les lettres et les sons de manière ludique et efficace. Ces bureaux sont adaptés pour différents âges et niveaux de compétence, et l'auteur critique les méthodes mystérieuses et hiéroglyphiques, prônant une approche franche et généreuse basée sur la pratique et l'expérience quotidienne.
Constitue la suite d'un autre texte