Titre
REPONSE à l'Epitre de M. Carrelet d'Hautefeuille, imprimée dans le Mercure de Janvier dernier, par Mlle de Malcrais de la Vigne , du Croissic en Bretagne.
Titre d'après la table
Réponse de Mlle de Malcrais de la Vigne, à M. Carelet,
Fait partie d'une livraison
Fait partie d'une section
Page de début
815
Page de début dans la numérisation
204
Page de fin
819
Page de fin dans la numérisation
208
Incipit
Gent Cavalier, bien grammerci vous dis,
Texte
REPONSE à l'Epitre de M. Carrelet
d'Hautefeuille , imprimée dans le Mercure
de Janvier dernier , par Me de
Malcrais de la Vigne , du Croissic en
Bretagne.
Gent Cavalier, bien grammercî vous dis ,
Du soin courtois que votre veine a pris ,
De parfumer mes tendres Hirondelles ,
Du pur encens de ses mets trés-exquis.
Peut être même en passant iront-elles ,
Quelque matin , le Soleil paroissant ,
Sur la fenêtre ou sur la cheminée ,
Vous begayer d'un ton reconnoissant ,
Une Chanson longuement fredonnée ,
Dont pesterez dans votre entendement ,
Vous qui dormez la grasse matinée ,
Et maudirez leur aigu compliment.
Scachez pourtant qu'à mon ordre est allée,
Dans vos cantons cette Amdassade aîlée.
Par quoi j'ai cru qu'admonesté dûment ,
Ne leurs feriez sur ce querelle aucune ;
Ains
816 MERCURE DE FRANCE
Ains daignericz les traiter poliment.
Mais si de près voulez avec quelqu'une ,
Avoir Colloque ; oyez ; voici comment.
N'allez d'abord vous mettre en la memoire ,'
Que de Merluche ( 1 ) ou de telles Circez , ( 2 )
Ou d'Agrippa (3 ) j'entende le Grimoire.
Point n'ai porté sur mes doigts renversez ,
De Jacque Aimard ( 4 ) l'outil divinatoire ;
Point n'est en moi d'intelligence assez ,
Pour penetrer les sombres Clavicules , (s )
Dont on nous fait des contes ridicules,
Crus neanmoins de beaucoup d'insensez.
Onc n'ai tenté des routes inconnuës , ( 6 )
Dans la nuit brune allant les pieds graissez
Sur un balai galoppant par les ruës.
Tout le secret dont allez être instruit ,
N'est Art magique , ains chose naturelle .
Si voulez donc happer une Hirondelle ,
Marcher yous faut à pas comptez , sans bruit ;
Puis sur la queue un grain de sel lui mettre ;
1 ) Celebre Fée connue dans les Contes de
Ma d'Aunoy.
(2) Fille du Soleil ,fameuse Magicienne.
(3 ) Henry Corneille Agrippa , a fait des Livres
de Magie.
(4) Voyez la Baguette divinatoire de M. de
Vallemont.
(s )Livrefaussement attribué à Salomon .
(6) Contes que débitent les Vieilles de ce
Pays-cy.
Ainst
AVRIL. 817 1731.
Ainsi prendrez , j'ose vous le promettre ,
L'Oiseau sysdit , ou je perdrai mon nom.
Voyez qu'ici n'est aucun sortilege.
Les Croisiquois n'ont le vilain renom ,
(Je le proteste et m'en donne pour plége )
D'être Sorciers : bien sont- ils gens imbus ,
D'Arts Libèraux , forts sur les impromtus ,
Le sel piquant qu'exalent nos Salines , ( 1 )
Rarefié par petites bruines ,
Porte en leur sang cette vivacité ,
D'où germe en eux la cointe urbanité.
Quant au beau Sexe , il n'a d'autre Magic ,
Que l'air divin de ses appas charmans ,
Et les beautez d'un merveilleux génie.
Leurs yeux actifs sont les fins Négromans
Dont un regard prend et rend asservie ,
La liberté des moins tendres Amans
Mieux qu'aucun Philtre ; et ces aimables Muses ,
Comme chez vous ne sont pas des Méduses , (2)
Leur caractere est sur tout la douceur ,
Que suit de près la franchise de coeur.
Table de Jeu faite en façon gentille ,
Est leur Parnasse , et Cartes de Quadrille ,
Les Livres sont qu'elles ont dans les mains ,
Le fier Plutus ( 3 ) Dieu respecté de maints
( 1 ) Notre Péninsule est presque environnée
de Salines.
(2 ) Voyez les Metamorphoses d'Ovide.
(3) Plutus , Dien des Richesses,
I EC
18 MERCURE DE FRANCE.
Est l'Apollon , Fortune est la Minerve ,
Dont leur ferycur implore le secours ,
Les conjurant de seconder leur verve.
Point on n'y gronde , et chez elles toujours ,
Joyeuse humeur se voit entrer en danse ,
Fors quand du jeu la quinteuse inconstancë ,
Vient par malheur déranger leur finance ;
Mais il paroît qu'aux lieux d'où m'écrivéz ,
Ne sont par trop les Muses enjouées ;
Ains bien plutôt d'autre humeur sont dotées,
Quoi pour avoir dans mon cerveau trouvez ,
Tendres blasons ; leurs coeurs sont aggravez,
En contre moi ; les voilà dire émués
Et sur le champ Méduses devenues ,
Me menaçant faire un mauvais parti.
Siecles futurs , le pourrez- vous bien croires
Tel brin d'ouvrage être si mal lotti !
Ai-je appellé , le cas est-il notoire ?
Le Corbeau blanc et la Colombe noire à
O sort fatal ! si pour de galants Vers ,
Aller me font le capot à l'envers . રે
En outre , ô Ciel ! détournez-en l'augure;
Je meurs d'effroi , quand mon oeil se figure ;
Voir tout à coup leurs blonds cheveux changez
En longs Serpens de me mordre enragez.
Or desormais , ô prodige !ô merveille !
Comme il se lit de l'Eve de Milton , ( f )
(1) Voyez le Paradis perda de Milton.
Dormir
AVRIL.
$ 19 131.
Dormir s'en vont le Serpent sous l'oreille:
Hélas ! je songe au milieu du frisson ,
Qui me saisit , que déqualifiée ,
Toute ma chair est ja pétrifiée , (1 )
Ce nonobstant rappellant ma raison ,
Je vois qu'à tort crainte est chez moi montée ,
Car leur colere a beau s'être pointec ,
Pòur m'abîmer , leurs coups sont superflus ;
Jusqu'au Croissic n'en viendra la portée ,
S'étendra-t'elle aussi loin même , et plus
Que Pistolets , Fusils et Carabines ,
Que Fauconneaux , Canons et Couleuvrines .
Mais en lisant ces propos my gaulois ,
Monsieur , peut-être avez bâaillé six fois ,
Et souhaitez à la pauvre Rimeuse ,
Papier humide , ancre blanche ou bourbeuse ,
Plume essorée avec la goutte aux doigts ,
Puis ajoûtez , comme un certain Valois , ( 1)
Dit quelque part , que femmes sont verbenses s
Donc sans délai cette Epitre finis ,
Vous repettant mon Antienne premiere :
Des Vers qu'avez pour moi mis en lumieres
Gent Cavalier , bien grommerci vous dis.
(1 ) Méduse pétrifioit ceux qui la regar
deient.
(2) Henri de Valois disoit que les femmer
étoient werbenses. Voyez le Valesiana.
d'Hautefeuille , imprimée dans le Mercure
de Janvier dernier , par Me de
Malcrais de la Vigne , du Croissic en
Bretagne.
Gent Cavalier, bien grammercî vous dis ,
Du soin courtois que votre veine a pris ,
De parfumer mes tendres Hirondelles ,
Du pur encens de ses mets trés-exquis.
Peut être même en passant iront-elles ,
Quelque matin , le Soleil paroissant ,
Sur la fenêtre ou sur la cheminée ,
Vous begayer d'un ton reconnoissant ,
Une Chanson longuement fredonnée ,
Dont pesterez dans votre entendement ,
Vous qui dormez la grasse matinée ,
Et maudirez leur aigu compliment.
Scachez pourtant qu'à mon ordre est allée,
Dans vos cantons cette Amdassade aîlée.
Par quoi j'ai cru qu'admonesté dûment ,
Ne leurs feriez sur ce querelle aucune ;
Ains
816 MERCURE DE FRANCE
Ains daignericz les traiter poliment.
Mais si de près voulez avec quelqu'une ,
Avoir Colloque ; oyez ; voici comment.
N'allez d'abord vous mettre en la memoire ,'
Que de Merluche ( 1 ) ou de telles Circez , ( 2 )
Ou d'Agrippa (3 ) j'entende le Grimoire.
Point n'ai porté sur mes doigts renversez ,
De Jacque Aimard ( 4 ) l'outil divinatoire ;
Point n'est en moi d'intelligence assez ,
Pour penetrer les sombres Clavicules , (s )
Dont on nous fait des contes ridicules,
Crus neanmoins de beaucoup d'insensez.
Onc n'ai tenté des routes inconnuës , ( 6 )
Dans la nuit brune allant les pieds graissez
Sur un balai galoppant par les ruës.
Tout le secret dont allez être instruit ,
N'est Art magique , ains chose naturelle .
Si voulez donc happer une Hirondelle ,
Marcher yous faut à pas comptez , sans bruit ;
Puis sur la queue un grain de sel lui mettre ;
1 ) Celebre Fée connue dans les Contes de
Ma d'Aunoy.
(2) Fille du Soleil ,fameuse Magicienne.
(3 ) Henry Corneille Agrippa , a fait des Livres
de Magie.
(4) Voyez la Baguette divinatoire de M. de
Vallemont.
(s )Livrefaussement attribué à Salomon .
(6) Contes que débitent les Vieilles de ce
Pays-cy.
Ainst
AVRIL. 817 1731.
Ainsi prendrez , j'ose vous le promettre ,
L'Oiseau sysdit , ou je perdrai mon nom.
Voyez qu'ici n'est aucun sortilege.
Les Croisiquois n'ont le vilain renom ,
(Je le proteste et m'en donne pour plége )
D'être Sorciers : bien sont- ils gens imbus ,
D'Arts Libèraux , forts sur les impromtus ,
Le sel piquant qu'exalent nos Salines , ( 1 )
Rarefié par petites bruines ,
Porte en leur sang cette vivacité ,
D'où germe en eux la cointe urbanité.
Quant au beau Sexe , il n'a d'autre Magic ,
Que l'air divin de ses appas charmans ,
Et les beautez d'un merveilleux génie.
Leurs yeux actifs sont les fins Négromans
Dont un regard prend et rend asservie ,
La liberté des moins tendres Amans
Mieux qu'aucun Philtre ; et ces aimables Muses ,
Comme chez vous ne sont pas des Méduses , (2)
Leur caractere est sur tout la douceur ,
Que suit de près la franchise de coeur.
Table de Jeu faite en façon gentille ,
Est leur Parnasse , et Cartes de Quadrille ,
Les Livres sont qu'elles ont dans les mains ,
Le fier Plutus ( 3 ) Dieu respecté de maints
( 1 ) Notre Péninsule est presque environnée
de Salines.
(2 ) Voyez les Metamorphoses d'Ovide.
(3) Plutus , Dien des Richesses,
I EC
18 MERCURE DE FRANCE.
Est l'Apollon , Fortune est la Minerve ,
Dont leur ferycur implore le secours ,
Les conjurant de seconder leur verve.
Point on n'y gronde , et chez elles toujours ,
Joyeuse humeur se voit entrer en danse ,
Fors quand du jeu la quinteuse inconstancë ,
Vient par malheur déranger leur finance ;
Mais il paroît qu'aux lieux d'où m'écrivéz ,
Ne sont par trop les Muses enjouées ;
Ains bien plutôt d'autre humeur sont dotées,
Quoi pour avoir dans mon cerveau trouvez ,
Tendres blasons ; leurs coeurs sont aggravez,
En contre moi ; les voilà dire émués
Et sur le champ Méduses devenues ,
Me menaçant faire un mauvais parti.
Siecles futurs , le pourrez- vous bien croires
Tel brin d'ouvrage être si mal lotti !
Ai-je appellé , le cas est-il notoire ?
Le Corbeau blanc et la Colombe noire à
O sort fatal ! si pour de galants Vers ,
Aller me font le capot à l'envers . રે
En outre , ô Ciel ! détournez-en l'augure;
Je meurs d'effroi , quand mon oeil se figure ;
Voir tout à coup leurs blonds cheveux changez
En longs Serpens de me mordre enragez.
Or desormais , ô prodige !ô merveille !
Comme il se lit de l'Eve de Milton , ( f )
(1) Voyez le Paradis perda de Milton.
Dormir
AVRIL.
$ 19 131.
Dormir s'en vont le Serpent sous l'oreille:
Hélas ! je songe au milieu du frisson ,
Qui me saisit , que déqualifiée ,
Toute ma chair est ja pétrifiée , (1 )
Ce nonobstant rappellant ma raison ,
Je vois qu'à tort crainte est chez moi montée ,
Car leur colere a beau s'être pointec ,
Pòur m'abîmer , leurs coups sont superflus ;
Jusqu'au Croissic n'en viendra la portée ,
S'étendra-t'elle aussi loin même , et plus
Que Pistolets , Fusils et Carabines ,
Que Fauconneaux , Canons et Couleuvrines .
Mais en lisant ces propos my gaulois ,
Monsieur , peut-être avez bâaillé six fois ,
Et souhaitez à la pauvre Rimeuse ,
Papier humide , ancre blanche ou bourbeuse ,
Plume essorée avec la goutte aux doigts ,
Puis ajoûtez , comme un certain Valois , ( 1)
Dit quelque part , que femmes sont verbenses s
Donc sans délai cette Epitre finis ,
Vous repettant mon Antienne premiere :
Des Vers qu'avez pour moi mis en lumieres
Gent Cavalier , bien grommerci vous dis.
(1 ) Méduse pétrifioit ceux qui la regar
deient.
(2) Henri de Valois disoit que les femmer
étoient werbenses. Voyez le Valesiana.
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Constitue la réponse à un autre texte
Est rédigé par une personne
Provient d'un lieu
Remarque
Republié dans [Paul Desforges-Maillard], Poësies de Mademoiselle de Malcrais de La Vigne, Paris, veuve Pissot, Chaubert, Clousier, Neuilly, Ribou, 1735, p. 259-261.
Fait partie d'un dossier