Titre
HISTOIRE de Zaczer & de Bouladabas.
Titre d'après la table
Histoire de Zaczer & de Bouladabas,
Fait partie d'une livraison
Page de début
212
Page de début dans la numérisation
215
Page de fin
242
Page de fin dans la numérisation
245
Incipit
Zaczer fils de Sam Prince Persan, ayant fait une partie
Texte
HISTOIRE
de Zaczer & de
Bouladabas.
ZAczer fils de Sam
Prince Perſan , ayant fait If
une partie de chaffe , c'eſtà- dire un petit voyage de
quelques femaines , pour
chaffer dans le Kalleſtan,
qui eft la Province de Kabul aux Indes , qui confine avec la Perfe du cofé du Nord. Mecherab
Gouverneur de cette Pro-
GALANT 213
vince alla au devant du
fils de Sam pour luy faire honneur , & fut tellement charmé des belles
& grandes qualitez de ce
jeunePrince , que retournant dans fa famille il ne
pouvoit ceffer d'en parler , & fur ce recit une
de fes filles nommée Bouladabas en devint amou-,
reufe ; elle envoya quel-
-unes de fes filles
ſous prétexte de cueillir
des fleurs autour d'une
ques
214 MERCURE
fontaine où elle fceut que
Zaczer alloit fe rafraif
chir pendantla chaffe.
Zaczer ayant apperceu
ces filles , ne manqua pas
de les aborder , de s'informer qui elles eftoient.
Elles prirent occaſion de
luy dire tant de bien de
leur jeune maiſtreſſe ,
qu'il conceut dès ce jourlà beaucoup d'eftime
pour elle , & fut impatient de retourner le lendemain pour voir files
GALANT. 215
cueilleufes de fleurs ne
reviendroient point à la
fontaine : elles ne manquerent pas d'y revenir ,
& Zaczel paffa avec elles
tout le temps de la chaſſe,
& devint amoureux de
Bouladabas fur l'idée que
ces filles luy en donnerent , comme elle eftoit
devenue amoureufe de
luy fur les recits que fon
pere en faifoit tous les
jours.
Il faut remarquer que
216 MERCURE
Zaczer avoit une de ces
phifionomies qui ne plaifent pas d'abord , mais
qui fe font aimer dans la
fuite par l'efprit & par les
fentiments qui les animent; cependant les filles
de Bouladabas luy en
avoient fait un Adonis ;
& d'un autre coſté en
faifant à Zaczer le por
trait de leur maiftreffe ,
chacune d'elles y adjouſ
toit tousjours quelque
trait de beauté pour éncherir
GALANT. 217
3
cherir fur fa compagne ,
& cela formoit dans l'imagination de Zaczer
une beauté , finon plus
grande au moins toute
differente de celle de Bouladabas. Ces deux Amants furent quelque
temps fans pouvoir trouyer les moyens de ſe voir,
& ne pouvant appuyer
leur amour que fur l'idée
qu'ils s'eſtoient formée
l'un del'autre, ils auroient
juré que ce qu'ils aiOctobre. 1712. T
218 MERCURE
moient reffembloit parfaitement à l'image où
leur amour les avoit accouſtumeż. ‹ Un jour
Bouladabas ayant trouvé moyen de fe dérober
aux foins de ceux qui la
gardoient , vintà la fontaine , & y arriva quelques heures avant Zaczer. Pendant que fes filles l'entretenoient àa l'ordinaire des charmes de
celuy qu'elle alloit voir ,
elle fut long - temps ré-
GALANT. 219
veuſe , & rompit enfuite
le filence pour leur dire
qu'elle craignoit deux
chofes dans cette entre
veuë : la premiere de ne
pas paroistre auxyeux de
Zaczer digne du portrait
qu'elles luy avoient fait
d'elle; & la feconde, de ne
pas trouver Zaczer fi aimable qu'elle fe l'eftoit
imaginé : Etfi l'un de ces
deux malheurs m'arrive,
leur difoit- eller, que deviendray- je après toutes
Tij
220 MERCURE
ces avances que nous nous
fommes faites indifcretement fans nous efire veus.
Une de fes filles luy dit
qu'en effet il eftoit fouvent dangereux de prévenir trop avantageufement, & que c'eſtoit mefmeunepolitique des fem- .
mes jaloufes de profner
exceffivement les beautez qu'onannonçoit dans
le monde , afin qu'on les
trouvaſt moins belles : je
ne crains point cela pour
GALANT. 221
vous , Madame , continua - elle , moy je le
crains , interrompt Bouladabas , mais , Madame , reprit la fille qui eftoit vive &
ingenieuſe ,
faites une chofe , je nefuis
point encore venue à la
fontaine avec mes compagnes, ainfi Zaczer ne m'a
point encore veuë , je fuis
"brune comme vous , &je
puis reffembler àpeu près
en laid auportrait qu'on
luy a fait , je vais me
Tiij
222 MERCURE
parerde vospierreries , &
faire icy vofire perfonnage , cela produira plufleurs bons effets. Premierement ma vene détruira
dans fon imagination ce
phantofme de beauté qu'il
s'est fait ,
craignez la comparaifon ,
ce ne fera plus qu'à moy
dont vous
qu'il vous comparera
quand vous vous ferez
connoiftre à luy dans la
fuite , commejefuis infiniment moins belle que
. GALANT. 223
vous , &que l'idée qu'il
s'eft faite , cette premiere
furprife le difpofera à une
feconde tres- avantageuſe
pour vous.
Une autre raifon encore que cette fille réprefenta à Bouladabas , fut
que cette fuppofition lụy
donneroit lieu d'exaininer incognito & à loifir , fi
Zaczer eftoit digne de
l'idée qu'elle avoit de luy
Bouladabas accepta le
parti pour une troifiéme
Tiiij
224 MERCURE
raifon encore : j'éprouveraypar là , dit- elle , s'il
m'auroit aimée naturellement fans la prévention.
>
qu'on luy a donnée pour
moy , ma delicateſſe fe-·
roit bien plus touchée de cet
amour & s'il venoit à
t'aimerparhazardje n'en
ferois point jaloufe , cela
me prouveroit que nous
n'eftions pas deftinez l'un
pour l'autre. A peine
cette converfation fut- elle
finié , qu'on entendit de
GALANT. 225
loin le bruit de la chaffe ,
la fauffe Bouladabas eut
à peine le temps de ſe parer , que Zaczer parut
feul , percer le bois avec
impatience pour venir
joindre les filles. Elles
coururent toutes au devant de luy , & la fauſſe
Bouladabas reſta ſur un
fiege de verdure & de
fleurs , accompagnée de
la veritable , qu'on annonça à Zaczer comme
une parente de Boulada-
226 MERCURE
bas dont elle s'eftoit fait
accompagner. La fauffe
Bouladabas fe leva à l'arrivée de Zaczer , qui tout
plein de fa beauté divine
&imaginaire , accouroit
avec ardeur ; mais cette
ardeur fut bien rallentie
quand il vit une perfonne
qui n'eftoit en effet que
mediocrement belle , &
qui luy parut encore fort
au deffous de ce qu'elle
eftoit ; il refta immobile
&prefque muet, l'amour
GALANT. 227
de Bouladabas fut encore
plus refroidi que le fien ,
car Zaczer , comme nous
avons dit. ,
n'avoit pas
pour luy le premier abord ; toutes les graces
qui euffent pûanimer fon
vilage eftoient effacées
par la froideur & la furprife dont il avoit eſté
frappé : en un mot Bouladabas , bien loin de le
trouver aimable , ne fongea qu'à abbreger l'entreveue, & fit fouvenir la
228 MERCURE
fauſſe Bouladabas qu'il
falloit retourner au plus
viſte , de peur qu'on ne
s'apperceuſt au Palais de
fon Pere qu'elle en eſtoit
fortie ; on parla de ſe ſeparer , & Zaczer ne s'en
plaignit que par politeſſe.
Dansce moment les filles
de Bouladabas connurent
le tort qu'ils avoient eu
de prévenir ces Amants
trop
P'un
avantageuſement
pour l'autre ; car felon toutes les apparences
GALANT. 229
fi Zaczer avoit veu Bouladabas naturellement
d'abord en Princeſſe, leur
amour ſe fuſt peut - eſtre
efteint tout-à- fait , au
lieu que comme vous allez voir , la froideur de
cette premiere entreveuë
ne fervit qu'à rallumer
plus vivement un fond
d'amour qu'ils avoient
réellement pour le merite
l'un de l'autre.
Dans le temps que les
compliments de ſepara-
230 MERCURE
tion fe faifoient , Zaczer
qui avoit eu preſque tousjours les yeux baiffez ,
les jetta fur Bouladabas ;
& fon imagination n'eſtant plus occupée d'aucune fauffe image , la
beautéde Bouladabas s'en
empara , le premier coup
d'oeil le frappa fi vive
ment, que fa phifionomie
en fut ranimée , & Bou
ladabas qui s'apperçut
qu'elle plaifoit , commença à le trouver moins
GALANT 231 4
1
choquant , elle cuft bien
voulu refter encore , mais
Zaczer partit bruſquement,"& Bouladabas s'en
retourna avec fes filles.
La raiſon qui fit partir
Zaczer fi brufquement ,
fut une raifon de delicateffe & de conftance.
orientale , il craignit que
celle qu'il ne croyoit qu'
une parente de Bouladabas , ne luy pluſt trop ,
& ne s'eftant pas encore
apperceu qu'il l'aimoit
232 MERCURE
désja , il vouloit conferver l'amour qui luy ref
toit pour le merite de
Bouladabas , dont il ne
pouvoit douter , parce
qu'il eftoit conneu dans
toute la Perfe , & ce
>
jeune Prince qui s'eſtoit
dévoué hautement à cette Princeffe , avant que
de l'avoir veuë , voulant
fouftenir par honneur
le party qu'il avoit prit
revint le lendemain à
la fontaine , où la Princeffe
GALANT. 233
ceffe devoit revenir , il
s'imaginoit craindre d'y
retrouver fa parente
mais dans le fond du
cœur il n'y venoit que
pour elle , & il eut une
joye fecrette , lorſque
Bouladabas fous le nom
de parente parut fans
la Princeffe , qui l'avoit
chargée luy difoit- elle de:
venir luy témoigner la
douleur qu'elle avoit de
n'avoir pu s'y trouver
ce jour- là , Zaczer luy
Octobre. 1712 Y
234 MERCURE
répondit d'un air tres
content , qu'il en eftoit
fafché , & elle luy dit
que Bouladabas l'avoit
chargée de venir luy
parler d'elle le plus
long- temps qu'elle pourroit cette converfation
fut longue , & Zaczer
ne la pouvoit finir ; elle
roula toutefur la conftance , & Bouladabas le
mettoit exprés fur ce fujet , pour connoître s'il
en eftoit capable. Zac-
GALANT. 235
zer eut, tant de pouvoir,
fur luy- mefme dans cette
entreveuë , que jamais il
ne luy eſchapa aucun
mot qui luy marquaft fon
amour , au contraire , il
juroit qu'il feroit toufjours fidelle à Bouladabas , mais en jurant fidelité à celle qu'il croyoit ne
pas voir, il foupiroit pour
celle qu'il voyoit : quel
plaifir pour Bouladabas
de fe voir ainfi doublement aimée. Celjeu
L3
V ij
236 MERCURE
continua quelques jours ,
& la Princeffe ne paroiffant point , Bouladabas
pouffa l'épreuve de la conftance de Zaczer jufqu'à
luy declarer qu'elle l'aimoit ; & qu'eftant auffi
grande Princeffe que fa
parente, &beaucoup plus
riche , il auroit dû penſer
à l'époufer. Que ne ſouffrit point Zaczer dans cet
te épreuve , il alloit peut-
}
eftre fuccomber : mais
Bouladabas craignant de
"
GALANT. 237
pour tousle voir infidelle, le prévint
par un dépit & un adieu
qu'elle luy dit
jours ; & fans luy donner
le temps de luy répondre,
elle luy dit ſeulement que
Bouladabas viendroit elle- mefme le lendemain
pour le recompenfer defa
conſtance.
Zaczerrefta au mefme
endroit où on l'avoit laiffé , fans avoir la force ni
de parler ni de ſe ſouſtenir , & fe laiffa tomber
238 MERCURE
fur un gazon où il feroit
refté long-temps , fi fes
gens ne fuſſent venus le
joindre : il fe trouva mal
& on l'emporta chez luy,
où il paſſa la nuit dans un
eftat fi violent qu'il prit
le party de ne fe jamais
marier , ne voulant pas
3
donner à Bouladabas un
coeur fi rempli d'amour
pour une autre , ni épou¬
fer cette autre en manquant de fidelité à Boula
dabas min 51 38
GALANT. 239
Le lendemain , Zaczer.
feur de trouver Boulada--
bas au rendez- vous , y retourna à deffein de luy
avoüer de bonne foy les
raifon's qu'il avoit de ne
jamais voir ni elle ni fa
parente. Quel fpectacles
pourluy ! lorfque le lendomain la Princeffe parut
de loin magnifiquement
parée, avec plufieurs Maures qui la portoient ſur un
Palanquin de fleurs , entourée d'un grand nom
240 MERCURE
bre de filles tenant des
guirlandes , & de quantité de petits enfants repreſentants les Amours ;
en un mot avec tout l'appareil d'uneFeſte galante,
qui a pourbutle mariage.
Plufieurs Cavaliers parez
comme pour un Tournoy fe détacherent de la
Troupe; &le pere deBouladabas à leur tefte vint
offrir fa fille à Zaczer , qui
eftoit preſt à la refuſer &
àfuir. Lorfquevoyant de
plus
GALANT. 241
plus près la Princeffe qui
s'avançoit , il vit à ſa place celle dont il eftoit fi
amoureux. Quelle fut fa
furpriſe je croy qu'une
peinture de tout ce quife
paſſa en ce moment , ne
feroit qu'affoiblir celle
que chacun s'en peut faire. Bouladabas dit à Zaccer quefon pere avoit eſté
touché de fa conſtance ,
& avoit voulu venir la
couronner luy - meſme ,
les noces fe celebrerent
Octobre.
1712. X
242 MERCURE
peu après , & au bout
de neuf mois fortit de ce
mariage le fameux Roftam furnommé Oaſtam
le plus vaillant guerrier
que les Perfans ayent jamais eu , & qui fert encore aujourd'huy de modelle à tous les grands
hommes de l'Orient
de Zaczer & de
Bouladabas.
ZAczer fils de Sam
Prince Perſan , ayant fait If
une partie de chaffe , c'eſtà- dire un petit voyage de
quelques femaines , pour
chaffer dans le Kalleſtan,
qui eft la Province de Kabul aux Indes , qui confine avec la Perfe du cofé du Nord. Mecherab
Gouverneur de cette Pro-
GALANT 213
vince alla au devant du
fils de Sam pour luy faire honneur , & fut tellement charmé des belles
& grandes qualitez de ce
jeunePrince , que retournant dans fa famille il ne
pouvoit ceffer d'en parler , & fur ce recit une
de fes filles nommée Bouladabas en devint amou-,
reufe ; elle envoya quel-
-unes de fes filles
ſous prétexte de cueillir
des fleurs autour d'une
ques
214 MERCURE
fontaine où elle fceut que
Zaczer alloit fe rafraif
chir pendantla chaffe.
Zaczer ayant apperceu
ces filles , ne manqua pas
de les aborder , de s'informer qui elles eftoient.
Elles prirent occaſion de
luy dire tant de bien de
leur jeune maiſtreſſe ,
qu'il conceut dès ce jourlà beaucoup d'eftime
pour elle , & fut impatient de retourner le lendemain pour voir files
GALANT. 215
cueilleufes de fleurs ne
reviendroient point à la
fontaine : elles ne manquerent pas d'y revenir ,
& Zaczel paffa avec elles
tout le temps de la chaſſe,
& devint amoureux de
Bouladabas fur l'idée que
ces filles luy en donnerent , comme elle eftoit
devenue amoureufe de
luy fur les recits que fon
pere en faifoit tous les
jours.
Il faut remarquer que
216 MERCURE
Zaczer avoit une de ces
phifionomies qui ne plaifent pas d'abord , mais
qui fe font aimer dans la
fuite par l'efprit & par les
fentiments qui les animent; cependant les filles
de Bouladabas luy en
avoient fait un Adonis ;
& d'un autre coſté en
faifant à Zaczer le por
trait de leur maiftreffe ,
chacune d'elles y adjouſ
toit tousjours quelque
trait de beauté pour éncherir
GALANT. 217
3
cherir fur fa compagne ,
& cela formoit dans l'imagination de Zaczer
une beauté , finon plus
grande au moins toute
differente de celle de Bouladabas. Ces deux Amants furent quelque
temps fans pouvoir trouyer les moyens de ſe voir,
& ne pouvant appuyer
leur amour que fur l'idée
qu'ils s'eſtoient formée
l'un del'autre, ils auroient
juré que ce qu'ils aiOctobre. 1712. T
218 MERCURE
moient reffembloit parfaitement à l'image où
leur amour les avoit accouſtumeż. ‹ Un jour
Bouladabas ayant trouvé moyen de fe dérober
aux foins de ceux qui la
gardoient , vintà la fontaine , & y arriva quelques heures avant Zaczer. Pendant que fes filles l'entretenoient àa l'ordinaire des charmes de
celuy qu'elle alloit voir ,
elle fut long - temps ré-
GALANT. 219
veuſe , & rompit enfuite
le filence pour leur dire
qu'elle craignoit deux
chofes dans cette entre
veuë : la premiere de ne
pas paroistre auxyeux de
Zaczer digne du portrait
qu'elles luy avoient fait
d'elle; & la feconde, de ne
pas trouver Zaczer fi aimable qu'elle fe l'eftoit
imaginé : Etfi l'un de ces
deux malheurs m'arrive,
leur difoit- eller, que deviendray- je après toutes
Tij
220 MERCURE
ces avances que nous nous
fommes faites indifcretement fans nous efire veus.
Une de fes filles luy dit
qu'en effet il eftoit fouvent dangereux de prévenir trop avantageufement, & que c'eſtoit mefmeunepolitique des fem- .
mes jaloufes de profner
exceffivement les beautez qu'onannonçoit dans
le monde , afin qu'on les
trouvaſt moins belles : je
ne crains point cela pour
GALANT. 221
vous , Madame , continua - elle , moy je le
crains , interrompt Bouladabas , mais , Madame , reprit la fille qui eftoit vive &
ingenieuſe ,
faites une chofe , je nefuis
point encore venue à la
fontaine avec mes compagnes, ainfi Zaczer ne m'a
point encore veuë , je fuis
"brune comme vous , &je
puis reffembler àpeu près
en laid auportrait qu'on
luy a fait , je vais me
Tiij
222 MERCURE
parerde vospierreries , &
faire icy vofire perfonnage , cela produira plufleurs bons effets. Premierement ma vene détruira
dans fon imagination ce
phantofme de beauté qu'il
s'est fait ,
craignez la comparaifon ,
ce ne fera plus qu'à moy
dont vous
qu'il vous comparera
quand vous vous ferez
connoiftre à luy dans la
fuite , commejefuis infiniment moins belle que
. GALANT. 223
vous , &que l'idée qu'il
s'eft faite , cette premiere
furprife le difpofera à une
feconde tres- avantageuſe
pour vous.
Une autre raifon encore que cette fille réprefenta à Bouladabas , fut
que cette fuppofition lụy
donneroit lieu d'exaininer incognito & à loifir , fi
Zaczer eftoit digne de
l'idée qu'elle avoit de luy
Bouladabas accepta le
parti pour une troifiéme
Tiiij
224 MERCURE
raifon encore : j'éprouveraypar là , dit- elle , s'il
m'auroit aimée naturellement fans la prévention.
>
qu'on luy a donnée pour
moy , ma delicateſſe fe-·
roit bien plus touchée de cet
amour & s'il venoit à
t'aimerparhazardje n'en
ferois point jaloufe , cela
me prouveroit que nous
n'eftions pas deftinez l'un
pour l'autre. A peine
cette converfation fut- elle
finié , qu'on entendit de
GALANT. 225
loin le bruit de la chaffe ,
la fauffe Bouladabas eut
à peine le temps de ſe parer , que Zaczer parut
feul , percer le bois avec
impatience pour venir
joindre les filles. Elles
coururent toutes au devant de luy , & la fauſſe
Bouladabas reſta ſur un
fiege de verdure & de
fleurs , accompagnée de
la veritable , qu'on annonça à Zaczer comme
une parente de Boulada-
226 MERCURE
bas dont elle s'eftoit fait
accompagner. La fauffe
Bouladabas fe leva à l'arrivée de Zaczer , qui tout
plein de fa beauté divine
&imaginaire , accouroit
avec ardeur ; mais cette
ardeur fut bien rallentie
quand il vit une perfonne
qui n'eftoit en effet que
mediocrement belle , &
qui luy parut encore fort
au deffous de ce qu'elle
eftoit ; il refta immobile
&prefque muet, l'amour
GALANT. 227
de Bouladabas fut encore
plus refroidi que le fien ,
car Zaczer , comme nous
avons dit. ,
n'avoit pas
pour luy le premier abord ; toutes les graces
qui euffent pûanimer fon
vilage eftoient effacées
par la froideur & la furprife dont il avoit eſté
frappé : en un mot Bouladabas , bien loin de le
trouver aimable , ne fongea qu'à abbreger l'entreveue, & fit fouvenir la
228 MERCURE
fauſſe Bouladabas qu'il
falloit retourner au plus
viſte , de peur qu'on ne
s'apperceuſt au Palais de
fon Pere qu'elle en eſtoit
fortie ; on parla de ſe ſeparer , & Zaczer ne s'en
plaignit que par politeſſe.
Dansce moment les filles
de Bouladabas connurent
le tort qu'ils avoient eu
de prévenir ces Amants
trop
P'un
avantageuſement
pour l'autre ; car felon toutes les apparences
GALANT. 229
fi Zaczer avoit veu Bouladabas naturellement
d'abord en Princeſſe, leur
amour ſe fuſt peut - eſtre
efteint tout-à- fait , au
lieu que comme vous allez voir , la froideur de
cette premiere entreveuë
ne fervit qu'à rallumer
plus vivement un fond
d'amour qu'ils avoient
réellement pour le merite
l'un de l'autre.
Dans le temps que les
compliments de ſepara-
230 MERCURE
tion fe faifoient , Zaczer
qui avoit eu preſque tousjours les yeux baiffez ,
les jetta fur Bouladabas ;
& fon imagination n'eſtant plus occupée d'aucune fauffe image , la
beautéde Bouladabas s'en
empara , le premier coup
d'oeil le frappa fi vive
ment, que fa phifionomie
en fut ranimée , & Bou
ladabas qui s'apperçut
qu'elle plaifoit , commença à le trouver moins
GALANT 231 4
1
choquant , elle cuft bien
voulu refter encore , mais
Zaczer partit bruſquement,"& Bouladabas s'en
retourna avec fes filles.
La raiſon qui fit partir
Zaczer fi brufquement ,
fut une raifon de delicateffe & de conftance.
orientale , il craignit que
celle qu'il ne croyoit qu'
une parente de Bouladabas , ne luy pluſt trop ,
& ne s'eftant pas encore
apperceu qu'il l'aimoit
232 MERCURE
désja , il vouloit conferver l'amour qui luy ref
toit pour le merite de
Bouladabas , dont il ne
pouvoit douter , parce
qu'il eftoit conneu dans
toute la Perfe , & ce
>
jeune Prince qui s'eſtoit
dévoué hautement à cette Princeffe , avant que
de l'avoir veuë , voulant
fouftenir par honneur
le party qu'il avoit prit
revint le lendemain à
la fontaine , où la Princeffe
GALANT. 233
ceffe devoit revenir , il
s'imaginoit craindre d'y
retrouver fa parente
mais dans le fond du
cœur il n'y venoit que
pour elle , & il eut une
joye fecrette , lorſque
Bouladabas fous le nom
de parente parut fans
la Princeffe , qui l'avoit
chargée luy difoit- elle de:
venir luy témoigner la
douleur qu'elle avoit de
n'avoir pu s'y trouver
ce jour- là , Zaczer luy
Octobre. 1712 Y
234 MERCURE
répondit d'un air tres
content , qu'il en eftoit
fafché , & elle luy dit
que Bouladabas l'avoit
chargée de venir luy
parler d'elle le plus
long- temps qu'elle pourroit cette converfation
fut longue , & Zaczer
ne la pouvoit finir ; elle
roula toutefur la conftance , & Bouladabas le
mettoit exprés fur ce fujet , pour connoître s'il
en eftoit capable. Zac-
GALANT. 235
zer eut, tant de pouvoir,
fur luy- mefme dans cette
entreveuë , que jamais il
ne luy eſchapa aucun
mot qui luy marquaft fon
amour , au contraire , il
juroit qu'il feroit toufjours fidelle à Bouladabas , mais en jurant fidelité à celle qu'il croyoit ne
pas voir, il foupiroit pour
celle qu'il voyoit : quel
plaifir pour Bouladabas
de fe voir ainfi doublement aimée. Celjeu
L3
V ij
236 MERCURE
continua quelques jours ,
& la Princeffe ne paroiffant point , Bouladabas
pouffa l'épreuve de la conftance de Zaczer jufqu'à
luy declarer qu'elle l'aimoit ; & qu'eftant auffi
grande Princeffe que fa
parente, &beaucoup plus
riche , il auroit dû penſer
à l'époufer. Que ne ſouffrit point Zaczer dans cet
te épreuve , il alloit peut-
}
eftre fuccomber : mais
Bouladabas craignant de
"
GALANT. 237
pour tousle voir infidelle, le prévint
par un dépit & un adieu
qu'elle luy dit
jours ; & fans luy donner
le temps de luy répondre,
elle luy dit ſeulement que
Bouladabas viendroit elle- mefme le lendemain
pour le recompenfer defa
conſtance.
Zaczerrefta au mefme
endroit où on l'avoit laiffé , fans avoir la force ni
de parler ni de ſe ſouſtenir , & fe laiffa tomber
238 MERCURE
fur un gazon où il feroit
refté long-temps , fi fes
gens ne fuſſent venus le
joindre : il fe trouva mal
& on l'emporta chez luy,
où il paſſa la nuit dans un
eftat fi violent qu'il prit
le party de ne fe jamais
marier , ne voulant pas
3
donner à Bouladabas un
coeur fi rempli d'amour
pour une autre , ni épou¬
fer cette autre en manquant de fidelité à Boula
dabas min 51 38
GALANT. 239
Le lendemain , Zaczer.
feur de trouver Boulada--
bas au rendez- vous , y retourna à deffein de luy
avoüer de bonne foy les
raifon's qu'il avoit de ne
jamais voir ni elle ni fa
parente. Quel fpectacles
pourluy ! lorfque le lendomain la Princeffe parut
de loin magnifiquement
parée, avec plufieurs Maures qui la portoient ſur un
Palanquin de fleurs , entourée d'un grand nom
240 MERCURE
bre de filles tenant des
guirlandes , & de quantité de petits enfants repreſentants les Amours ;
en un mot avec tout l'appareil d'uneFeſte galante,
qui a pourbutle mariage.
Plufieurs Cavaliers parez
comme pour un Tournoy fe détacherent de la
Troupe; &le pere deBouladabas à leur tefte vint
offrir fa fille à Zaczer , qui
eftoit preſt à la refuſer &
àfuir. Lorfquevoyant de
plus
GALANT. 241
plus près la Princeffe qui
s'avançoit , il vit à ſa place celle dont il eftoit fi
amoureux. Quelle fut fa
furpriſe je croy qu'une
peinture de tout ce quife
paſſa en ce moment , ne
feroit qu'affoiblir celle
que chacun s'en peut faire. Bouladabas dit à Zaccer quefon pere avoit eſté
touché de fa conſtance ,
& avoit voulu venir la
couronner luy - meſme ,
les noces fe celebrerent
Octobre.
1712. X
242 MERCURE
peu après , & au bout
de neuf mois fortit de ce
mariage le fameux Roftam furnommé Oaſtam
le plus vaillant guerrier
que les Perfans ayent jamais eu , & qui fert encore aujourd'huy de modelle à tous les grands
hommes de l'Orient
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Genre littéraire
Mots clefs
Est probablement rédigé par une personne