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Titre

LA CONSTANCE des femmes.

Titre d'après la table

La constance des femmes, 

Fait partie d'une livraison
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[3]
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10
Page de fin
35
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42
Incipit

Une fille de condition, nommée Therese, nous servira de modele,

Texte
LA CONSTANCE
desfemmes.
NE fille de condition , nommée
Therefe ,nous fervira de modele , non pas
A ij
4 MERCURE
pour ces conftances heroïques & prodigieufes,
qu'on ne connoît gueres
que par tradition mais
de celles qu'on peut vraifemblablement attendre
d'une femme , & par
confequent d'un hom
me ; car les deux fexes
'n'ont rien àfe reprocher
là -deffus.
Therefe étoit charmante de fa perfonne ,
trés-jeune , & fi peu experimentée , qu'elle ne
GALANT.
རྒྱུན །
જે
connoiffoit encore l'amour que par les Romans. Elle fe fentoit une
fi grande difpofition à
la conftance , qu'elle difoit quelquefois : Non,
je ne veuxjamais aimer,
la vie eft trop courte , une
conftance defoixante ans
ne feroit pas contentement
pour moy. En d'autres
momens elle faifoit reflexion que puis qu'il
faloit aimer neceffairement , il étoit bon de
A iij
6
MERCURE
commencer trés- jeune ,
afin de pouffer la conf
tance le plus loin qu'il
étoit poffible. Elle prit
ce dernier parti , & dés
le lendemain elle fut
épriſe du fils d'un Armateur de faint Malo
Ce jeune homme devint
paffionnément amou
reux d'elle , & au boutde quelque temps on.
parla de mariage. Le
parti parut bon à la mere
de Therefe : mais le jeur-
GALANT. 7
ne homme étant obligé
de fuivre fon pere , qui
faifoit une nouvelle
courſe en mer , ne put
obtenir fon confentemént que pour le reFour. Cependant on convint des articles , on ſe
donna des paroles d'hon
neur , & les amans s'en
donnerent de bien plus.
inviolables , ils fe jurerent un amour éternel
L'Armateur promit de
revenir dans trois mois;
1
A iiij
& MERCURE
& le voila embarqué.
Quelle épreuve pour
Therefe! Devaſtes mers
la feparent defon amant:
mais cette feparation ne
fait que redoubler fon
amour, & les trois mois
d'abſence lui parurent fi
longs , qu'on peut bien
les lui compter pour
trois années de conftance. Cependant elle la
pouffa plus loin ; car fon
amant nerevenant point
encore au bout de fix
GALANT.
autres mois , elle étoit fi
affligée , quefa mere n'ofa lui parler d'un autre
parti qui fe prefentoit.
Elle eut beau lui infi f
nuer que peut- être l'Armateur ne reviendroit
jamais ; elle lui fit même foupçonner que ce
vaiffeau avoit peri : mais
Therefe proteftoit une
fidelité égale pour fon
amant mort ou vif.
Un an entier s'étant
écoulé, & la mere & la
10 MERCURE
fille crurent réellement
que l'Armateur ne reviendroit jamais. On le
pleura commemort pen
dant quelques jours; &
la mere, fans parler de
rien à fa fille , fit trou
yer, comme par hazard,
le fecond amant chez
uneparente , où ellemena fa fille C'étoit un
jeune Officier , fait pour
donner de l'amour , &
qui avoit tout l'efprit
poffible. Il étoit conve
GALANT. H
nu avec la mere qu'il faloit prendre Thereſe par
fon foible. Il la loùa d'abord fur le vœu qu'elle.
avoit fait de ne fe jamais.
marier après avoir perdu
ce qu'elle aimoit. Cette
converfation ne pouvoit
manquer de lui plaire ,
étant fi conforme aux
reſolutions qu'elle avoit
prifes. Elle retournaplu
fieurs fois chez fa parente , où les exhortations
que cet Officier lui fit
IZ MERCURE
fur la conftance produi
firent infenfiblement un
effet contraire , & elle
commença à raifonner
ainfi : Pour aimer bien
conftamment il faut être
aimé de même , & cet
homme- ci aẞureroit mi
conftance par la fienne ,f
jamais je pouvois l'aimer.
Un autre raifonncment que lui fit cët ingenieux amant acheva
de la determiner ; car il
GALANT.
13
Jui prouva qu'elle ne
pouvoit ſe vanter d'être
conftante fans avoir été
mariée, parce que le mariage étoit la pierre de
touche de la conftance,
Therefe , qui tendoit
toûjours à la perfection
de cette vertu , & qui
ne pouvoit la poffeder
éminemment fans fe
marier, prefera pour cette raifon feule l'amant
vivant à l'amant mort :
& peu de temps aprés
14 MERCURE
ce ſecond mariage fut
auffi avancé que l'avoit
été le premier: mais par
malheur il vint à l'Officier un ordre de la Cour
pour aller en Flandres.
Il falut partir dans le
moment , paroles données comme avec l'Armateur, pareils fermens
entre Therefe & l'Officier. Mais les chagrins
de l'abfence furent plus
violens ; car elle aimoit
celui - ci plus que l'au-
GALANT. I
tre , ou , pour mieux di
te, l'amour qu'elle avoit
pour l'Officier lui perfuadoit qu'elle n'avoit
jamais aimé l'Armateurs
car elle le croyoit incapable de changer. Elle
changea pourtant , je ne
vous dirai point par
quels motifs mais , à
coup fûr , ce fut pour
parvenir encore a une
conftance plus parfaite;
car fans cela elle n'en
auroit jamais aimé un
16. MERCURE
troifiéme. Celui-ci étoit
un Avocat , & la mere
conclut avec lui plus
promtement encore qu'-
avec les autres , craignant qu'il ne lui échapât ; car il étoit trés-riche. Le jourfut pris , les
articles furent dreffez :
mais il y avoit une fatalité fur les mariages
de Therefe , il étoit écrit
qu'ils ne feroient jamais
qu'ébauchez , & celui- ci
fut interrompu comme
Vous
To GALANT
. 17
Vous allez voir.
" L'Armateur étoit revenu depuis quelque
temps : mais ayant appris dans le voisinage
que fa maîtreffe aimoit
a
paffionnément l'Avocat,
& n'ayant pas d'ailleurs
fort bien fait fes affaires
fur mer , il jugea à pro
pos de nepoint paroître ,
& fe logea pourtant affez proche de la maiſon
où le faifoient les conferences pour le mariaMay 1712.
B
18 MERCURE
ge, qui fut enfin reſolu.
Le jour fut pris , on invita les parens de part &
d'autre : l'affemblée étoit
grave , & Thereſe en
habit paré y charmoit
l'époux futur, dont elle
étoit auffi charmée; ils fe
repaiffoient de regards ,
& de defirs , lors qu'on
vit entrer dans la falle
l'Officier , qui ne fe doutant encore de rien , venoit d'arriver en pofte
de l'armée. Il entre avec
GALANT. 19
la vivacité & les tranf
ports d'unjeune amant ;
& ne voyant que celle
qu'il aime, il court à elle.
Il la regardoit déja comme fon épouſe , & va
l'embraffer. Il eft receu
avec la froideur quevous
pouvez vous imaginer ,
Therefe eft deconcertée: l'époux futur ne l'eft
pas moins , de voir qu'un
homme d'épée a de fi
grands privileges fur fa
femme cette familia
Bij
20 MERCURE
rité l'alarme. L'Officier
tranſporté ne prend garde au defordre ni de l'un
ni de l'autre , & les yeux
fixes fut ce qu'il aime ,
il refte un moment immobile. Une pacenta
priée entre dans cet inftant, & va d'abord feliciter les époux. A fon
difcours l'Officier revient à lui elle conti
nuë, le voila prefque au
fait. Enfin la gravité de
l'affemblée & les come
GALANT 20
3%
plimens de la parente ne
finiffant point , lui expliquerent fi nettement
de quoy il s'agiffoit , qu
il refta immobile enco
re : mais ce n'étoit plus
de plaifir. L'Armateur ,,
premier époux en datte ,
ayant appris à la porte
ce qui fe paffoit dans la
falle , y entra juftement
dans le temps que tous
ceux qui compofoient
cette affemblée muette
fe regardoient les uns
22 MERCURE
los autres.
L'Armateur
étoit un homme froid &
malin , une espece de la
rancune.
Thereſe ne ſçayoit point fon retour ;
dés qu'elle l'apperçut ,
cefut un dernier coup de
maffue. Il marcha froi
dement vers elle, & l'embraffant auffi comme é
poux , il lui tint des dif
cours à faire mourir l'Avocatdejalousie, & l'Of
ficier de defefpoir. Son
difcours fut long ,
parce
GALANT: 23:
que perfonne n'avoit la
force de l'interrompre.
L'Avocat & l'Officier
eurent le foifir de pren--
dre leur parti , & ce fut
celui du mépris pour
Thereſe. Voici par où
l'Armateur finit.
*!
Dans le voyage que
j'ai fait j'ai oui dire à un
Poëte Arabe, que lafemme eft femblable à un ar
bre, &l'amour de la femme auxfeuilles de cet ar
bre. Elles naißent auprin--
24 MERCURE
temps ,fefoutiennent tout
l'été, tombent en automne. L'arbre produit
bien des feuilles le printemps fuivant : mais ce
ne font plus les mêmes.
L'Arabe conclut de là que
la durée des feuilles eft la
durée naturelle de la constance des femmes. Mon
fieur l'Officier & moy
nous avons eu chacun notreprintemps notre été,
il est jufte que Monfieur
L-Avacas foit aimé de mê
me
GALANT. 25.
me jufqu'à la chûte des
fülles ; il n'a qu'à voir
s'il veut s'engager là- def
Sus.
Vous parlez fort bien,
dit enfuite l'Avocat :
mais l'Arabe a oublié de
dire que fi dans le prin
temps mêmeon met la coignée dans le pied de l'arbre , les feuilles fe fechent
avant l'automne. fecrain
drois que le mariage nefift
àpeu près le même effet
de la coignée. Ainfi Ma
May1712.
C
26 MERCURE
demoiselle Therese restera , s'illui plaît,fille toute
Ja vie : cette constance
étant la plus glorieuſe de
toutes , c'est celle qui convient le mieux au defir
qu'elle a d'exceller dans
cette vertu.
Le Poëte Arabe ne
pouffe pas fi loin que nos
Poëtes les fictions fur les
amans conftans ; & je
croirois bien que la conſtance merveilleufe dont
plufieurs Poëtes fe font
GALANT. 27
vantez dans leurs vers,
n'a point paffé de leur
imagination jufques dás
leur coeur. Citons - en
quelque exemple , pour
prouver que c'eft faire
injuſtice aux Dames de
les croire plus inconftantes que les hommes.
Honoré Durfée , dans
fa preface du troifiéme
tome d'Aftrée , proteſte
à la riviere de Lignon
que le feu dont il brûla',
& qui donna naiffance
Cij
28 MERCURE
à ſon ouvrage , ne fut fi
conftant que parce qu'il
fut pur, & qu'il ne laiſſa
jamais de noirceur aprés
la brûlure à pas une de
fes actions & de fes defirs. Il ajoûte que la longueur des années n'en
avoit point diminué l'ardeur, & qu'il ne s'éteindroit quefous la terre de
fon tombeau. Voila le
Poëte , voici l'homme.
Son neveu dit qu'il n'épouſa Aftrée que par in-
GALAŃT. 29
térêt , & pour ne pas
laiffer échaper ſes biens ;
qu'il s'en dégoûta bien
vîte aprés l'avoir époufée , parce qu'elle étoit mal propre à
caufe de fes grands
chiens & c. qu'elle
exigeoit de lui des
tendreffes & des delicateſſes d'amans ; qu'-
elle le tourmentoit continuellement fur fes amourettes étrangeres ;
qu'elle étoit idolâC iii
30 MERCURE
tre de fa beauté , &
par confequent ridicule.
Tout cela l'obligea à la
quitter , & à fe retirer
à la Cour de Savoye,
Nous fommes inftruits
là-deffus par une tradi
tion certaine que Mon,
fieur Huet nous a con
fervée , & qu'il a tiréo
des neveux & amis
d'Honoré Durfé. Si la
tradition s'étoit confer
vée de la même maniere
à l'égard de la belle Lau,
J
GALANT. 31
re, nous verrions apparemment quelque chofe
d'approchant dans l'hif
toire de fes amours avec
Petrarque. Celui - ci ,
dans l'Epître où il fait le
recit de fa vie naturellement & fimplement ,
dit que dégouté du ſejour ennuyeux dela ville
d'Avignon , il s'étoit retiré à Forge , attiré par
la beauté du lieu & de
fa fontaine ; que là il
avoit compofé tous les
Ciiii
32 MERCURE
Ouvrages , quatam multa
fuerant , dit-il , ut ufque
ad hanc atatem me exerceant & defatigent. Ilne
parle point de Laure en
profe ; & quand il recite au vrai l'hiftoire de
fa vie , de fon efprit &
de fon coeur , il paroît
que Laure étoit l'idole
de fon imagination , &
le fantôme qui la remuoit & l'échauffoit.
C'étoit un fujet plûtôt
imaginé que fenti , ſur
1
GALANT. 33
lequel fa verve s'exerçoit. L'auteur de ſa vie
nous en fournit une bonne preuve , lors qu'il
nous affure que le Pape
Benoît XII. lui offrit
une difpenfe pourépoufer Laure , pour tenir
des Benefices étant marié , & même pour en
poffeder de nouveaux :
offres que Plutarque
n'auroit pas refufé comme il le fit , s'il avoit eu
une paffion , je ne dis pas
34 MERCURE
auffi extraordinaire que
celle qu'il chante , mais
feulement ordinaire &
veritable. Comment les
Poëtes que nous voyons
ne nous defabufent - ils
point des anciens que
nous lifons ? La duperie
eft naturelle à l'homme.
La fiction la plus groffiere & la plus découverte gagne toûjours le
deffus à la longue , pourveu qu'elle fçache ébloüir l'imagination ; &
GALANT. 35
ceux qui ont écrit publiquement, foit en vers,
foit en profe , ne viendroient pas à bout euxmêmes de détromper le
monde de leurs fictions ,
s'ils revenoient fur terre
pour nous avertir bien
confcientieuſement qu'
ils n'avoient pas deſſein
de tromper le monde ,
mais feulement de l'amufer & le divertir en
fe divertiffant eux- mêmes.
Genre
Collectivité
Faux
Langue
Vers et prose
Type d'écrit journalistique
Courrier des lecteurs
Faux
Est rédigé par une personne
Soumis par delpedroa le