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1813, 01-03, t. 54, n. 598-610 (2, 9, 16, 23, 30 janvier, 6, 13, 20, 27 février, 6, 13, 20, 27 mars)
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MERCURE
DE
FRANCE ,
5.
JOURNAL LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
>
TOME CINQUANTE- QUATRIÈME,
VIRES
ACQUIRIT
EUNDO
ET
SOCT
A PARIS ,
CHEZ ARTHUS-BERTRAND , Libraire , rue Hautefeuille
, Nº 23 , acquéreur du fonds de M. Buisson
et de celui de Mme Ve Desaint.
1813 .
BIBL. UNTV,
GMT
OMME
AVIS.
:
Nous avons reconnu qu'il était presque impossible de consacrer ,
dans le Mercure , un espace suffisant à la Littérature étrangère : notre
intention est donc de séparer cette partie , d'en composer une Feuille
périodique entièrement distincte.
Ce nouveau Journal formera une espèce d'appendice du Mercure
de France ; il le complétera , en fera le Répertoire des Littératures de
tous les pays . Il aura pour titre :
MERCURE ÉTRANGER , ou Annales de la Littérature étrangère .
Chaque numéro du Mercure étranger contiendra :
1º . Des Mélanges ou morceaux de poésie et de prose , traduits soit
des langues espagnole , portugaise , italienne , russe , suédoise , hollandaise
, anglaise , soit même de l'arabe, du persan , du grec moderne ,
enfin des langues orientales . Nous donnerons parfois , le texte
même de quelques morceaux écrits dans l'une ou l'autre des langues
étrangères de l'Europe , avec la traduction en regard.
Nous aurons soin d'insérer fréquemment , peut-être même dans
tous les numéros du Mercure étranger , la traduction de quelque
Conte ou Nouvelle. On sait que les Allemands et les Anglais cultivent
avec succès ce genre de littérature .
2º. De courtes Analyses des principaux Ouvrages qui paraissent
dans les pays étrangers ; le prix de ces Ouvrages , et les moyens de
se lès procurer.
3º . Une Gazette littéraire ou Extrait des Journaux étrangers , contenant
des Notices biographiques , des Anecdotes, des Nouvelles dramatiques
, les Séances des Académies , les Programmes des prix
proposés , etc. , etc.
M. Langlès , membre de l'Institut , conservateur des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque impériale , a bien voulu se charger de la
partie de littérature orientale que contiendra le Mercure étranger ;
MM. Vanderbourg , Sévelinges , Durdent , des traductions de l'allemand
, de l'anglais , etc. ; M. Catteau - Calleville , de la littérature
du Nord ; M. Ginguené , membre de l'Institut , de la partie italienne .
Il paraîtra , à la fin de chaque mois , un numéro du Mercure
étranger, composé de quatre feuilles d'impression , de même format
que le Mercure.
Quoique nous regardions le Mercure étranger comme un supplément
presque nécessaire du Mercure de France ,nos Abonnés ne
sont point tenus de souscrire à ce nouveau Journal .
L'abonnement au Mercure de France continuera d'être de 48 francs
par an ; mais pour six mois , il sera de 25 fr .; pour trois mois de 13 fr .
Les abonnés au Mercure de France qui voudront aussi souscrire
au Mercure étranger , paieront , en sus , pour cette dernière souscription
, 18 fr. pour un an et 10 fr. pour six mois .
Pour les personnes qui , sans s'abonner au Mercure de France ,
voudront souscrire au Mercure étranger , l'abonnement sera de 20 fr .
pour l'année , et de II fr. pour six mois .
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
étranger , au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris ,des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles 'dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure ,
àParis.
www.
MERCURE
DE FRANCE.
N° DXCVIII . - Samedi 2 Janvier 1813 .
POÉSIE.
A
LES MÉDAILLES.
ÉPITRE A M. DE TERSAN.
Otoi dont les vertus honorent le talent ,
Tersan, sage interprète et disciple savant
De cette antiquité sublime et révérée ,
Profane pour les sots , pour les doctes sacrée ;
Combienj'aime à te voir , d'un noble zèle épris ,
Recueillir ses trésors , rassembler ses débris ;
Sans cesse interroger la poussière éloquente
De ces âges fameux dont la gloire est vivante ;
Révéler la splendeur de ces vieux monumens
De l'histoire etdes arts augustes documens ;
Ett'abreuver enfin dans ces sources fécondes
En nobles souvenirs comme en leçons profondes!
Tu le sais , cher Tersan , sur nos frèles travaux
Le Tems impitoyable a promené sa faulx :
Les siècles dispersés attestent ses outrages .
Que de débris épars sur l'océan des âges !
A2
MERCURE DE FRANCE ;
1
Ocombiende cités , de pompeux monumens
De ses gouffres sans fond alimentent les flancs !
La ville des Césars , veuve de leur génie ,
Sous leurs palais détruits semble être ensevelie .
Son nom lui reste seul.... Vingt siècles entassés
Pèsent sur les lambeaux de ses murs dispersés .
Lamort plane aujourd'hui sur ce colosse immense ,
Mais sa dépouille encore atteste sa puissance.
Là , mon oeil curieux cherche en vain ces tombeaux
Dont la poudre se mêle aux cendres des héros .
Où sont-ils ces tributs de la Grèce domptée ,
Cesmarbres qu'animait le feu de Prométhée ,
Ces temples fastueux , l'orgueil des Dieux mortels
A qui Rome asservie élevait des autels ?
Leurs dômes , dépouillés de leur splendeur première ,
Comme ces dieux d'un jour, sont réduits en poussière .
Apeine quelques mots , obscurs , presqu'effacés ,
S'offrent à nos regards sur le marbre tracés .
La superstition , les Goths , leur fer impie ,
Ont porté le chaos au sein de l'harmonie.
Ce qu'épargnaient du tems les jalouses fureurs ,
Est tombé sous l'effort de leurs bras destructeurs .
O rage meurtrière ! ô funeste délire !
Al'aspect des tombeaux l'ambition soupire....
Craignant de voir encor ses plus chers monumens
Renversés sous les coups d'un barbare ou du tems ,
De ses vastes projets elle borne l'enceinte ;
Le bronze qui reçoit une durable empreinte ,
En médaille frappé , transmet à l'avenir
Des grands noms , des hauts faits l'éternel souvenir.
Al'ombre d'un palmier la plaintive Judée (1 )
De ses enfans captifs pleure la destinée .
De l'Euphrate dompté je distingue le cours ,
Une ligne légère en trace les contours :
Le fleuve s'élançant de ses grottes profondes ,
Roule aux pieds des vainqueurs le tribut de ses ondes ,
Tandis que sur ses bords l'aigle des légions
Proclame du vaincu la honte et les affronts .
(1) Judæa capta . Médailles de Vespasien et de Titus, V. Vaillant,
d'Hinery.
1
JANVIER 1813 . 5
7
modèle touchant d'amitié fraternelle (2) ,
Jevous vois réunis , Vérus et Marc-Aurèle ;
La Concorde , garant du bonheur des humains ,
Sur le bronze , à mes yeux , joint encor vos deux mains.
Par le Tems renversé , quand cet Empire immense ,
Chef-d'oeuvre de génie autant que de puissance ,
Un jour n'offrira plus aux siècles à venir ,
Que de grandes leçons et qu'un grand souvenir ;
Quand veuve de sa gloire , une cité superbe ,
Paris , comme Ilion , se courbera sous l'herbe ,
L'airain conservateur , du héros des Français
Chez nos derniers neveux fera vivre les traits ;
Et d'un âge fameux occupant leur mémoire ,
Du grand Napoléon leur redira l'histoire .
OMarengo , ton nom triomphera des ans (3) !
Le Consul a parlé : Souvenez -vous , enfans ,
Que toujoursje couchai sur le champ de bataille.
Ce discours belliqueux , protégeant ta médaille ,
Dans la postérité recommande à jamais
La vertu du héros , la gaîté du Français .
Ce prince généreux que la gloire environne (4) ,
Qui des lauriers d'Auguste a formé sa couronne ,
Enlevé dans les airs sur l'antique pavois ,
Du Peuple et du Sénat attestera le choix.
Vois-tu dans l'avenir ce savant antiquaire (5) ,
Fier du trésor caché qu'il ravit à la terre ?
O bonheur , de Louise et de Napoléon ,
Il contemple à-la-fois , et l'image , et le nom ,
Et voit ces deux époux sur l'autel d'Hyménée
Unir de leurs destins la trame fortunée !
(2) Concordiafratrum . Médailles de Marc-Aurèle et de Lucius
Vérus .
(3) Médaille de la bataille de Marengo. Enfans , rappelez-vous que
mon habitude est de coucher sur le champ de bataille , au revers .
(4) Médaille du couronnement. L'Empereur élevé sur le pavois
par deux personnages allégoriques représentant le Sénat et le Peuple.
(5) Médaille du mariage de l'Empereur et de l'archiduchesse
Marie-Louise.
MERCURE DE FRANCE ,
Mais quel enfant divin , comme un astre nouveau (6) ,
Aux yeux de l'univers brille dans son berceau ?
DeMars et de Vénus , par un doux assemblage ,
Les traits nobles et fiers composent son visage.
O toi qui dois un jour , digne fils d'un héros ,
Del'Alcide français égaler les travaux ,
Salut , noble César , prince de la jeunesse (7 ) ,
Des camps et des cités l'amour et l'allégresse !
Rome , au sein des débris , levant son front altier ,
Eu toi , d'un autre Auguste , invoque l'héritier ,
Et voit ce demi-dieu qu'une docte sibylle (8 ) ,
En des vers inspirés , révélait à Virgile .
Oui , l'oracle a parlé , tu dois nous rendre encor ,
Et le règne d'Astrée , et l'antique âge d'or ;
Et par leur charme heureux , dans une paix profonde ,
Tes lois , auguste enfant , te soumettront le monde.
Tel est l'arrêt des Dieux.... ; mais avant qu'aux humains
La céleste faveur accorde ces destins ,
Contre les ennemis de ton illustre père
La victoire armera ton audace guerrière .
Argonautes nouveaux , près d'un second Tiphys (9),
Tes guerriers braveront l'empire de Téthis ; -
Achille renaissant , sous une autre Pergame
Ira porter encore et le fer et la flamme ;
Et sous un bras d'airain crouleront ses remparts .
Ainsi , soeur de l'histoire , et fille des beaux arts ,
Lamédaille , fidèle au génie , à la gloire ,
Des plus grands souvenirs occupe ma mémoire ;
(6) Médaille frappée à l'occasion du baptême du roi de Rome.
(7) Les médailles et les monumens du Bas-Empire donnent aux
Empereurs et aux Césars le titre Nobilis Cæsar. Princeps juventutis ,
titre accordé pour la première fois aux petits-fils d'Auguste, Caius et
Lucius Cæsar, et qui servit depuis à désigner les successeurs à l'Empire
, les enfans des Césars .
(8) Ce vers et les suivans rappellent la quatrième Eglogue de Virgile
, Sicelides Muse , etc.
(9) Alter erit tum Tiphys , et altera quæ vehat argo
Delectos heroas : erunt etiam altera bella ,
Atque iterum ad Trojam magnus mittetur Achilles .
VIRG. , Ecl. IV.
JANVIER 1813 . 7
Etde l'antiquité le spectacle imposant
M'offre dans le passé le tableau du présent.
Eh ! quel siècle jamais à la numismatique
Ouvrit un champ plus beau que cet âge héroïque ,
Ce règne sans modèle où le plus grand des rois
Occupe l'univers du bruit de ses exploits ?
Son bras a reconquis les antiques limites (10) ,
Qu'à l'Empire des Francs Charles avait prescrites.
Législateur sublime , illustre conquérant ,
Dans la paix , dans la guerre , aussi juste que grand ,
Ah ! pour lui chaque année est un siècle de gloire ,
Déjà sur l'avenir conquis par la Victoire.
Ce sont là des sujets que rival du burin ,
Al'immortalité doit consacrer l'airain ......
Mais , amant éclairé de la numismatique ,
Ne pense pas qu'épris d'un culte fanatique ,
J'aille du gros l'Exergue adopter le travers ,
Ne rêver que légende , et queface et revers ,
Adorer comme lui cette rouille sacrée ,
Du tems qui la produit empreinte révérée ,
D'un Othon , d'un Cécrops , admirer la couleur (11 ) ,
Et la loupe à la main , empesé connaisseur ,
Emprunter l'air , le ton du poudreux antiquaire
Que dupe dans Vérone un habile faussaire.
Non : pour moi la médaille est un vrai monument :
Ce que me tait l'histoire , elle le dit souvent.
Débrouillant le chaos de la chronologie ,
Elle écarte la nuit dont elle est obscurcie;
Et des peuples divers , ainsi que leurs exploits ,
Elle me dit les moeurs , et le culte , et les lois ;
Elle me peint leurs jeux , leurs triomphes , leurs fêtes ;
Je les suis dans la paix , au sein de leurs conquêtes ;
(10) Celles de l'Empire de Charlemagne , borné par la mer Baltique
, l'Ebre et le Volturne .
(II) La rouille de couleur bleuâtre s'attache aux médailles d'argent
, et celle de couleur verte aux médailles de cuivre. Les antiquaires
font un cas particulier des médailles recouvertes de ce vernis
séculaire.
8 MERCURE DE FRANCE ,
Dans Athènes , dans Rome , elle offre à mes regards,
Et les fruits du génie , et les tributs des arts ;
De Palmyre , et de Tyr , de la fière Carthage
C'est elle qui chez nous a transmis le langage.
Des Empires souvent éclairant le berceau ,
La médaille sur eux fait luire un jour nouveau .
C'est au chantre inspiré des filles de Mémoire ,
De vanter ses trésors , de rehausser sa gloire :
Dans ses doctes écrits , des belles , des héros ,
Lui seul doit rappeler les charmes , les travaux ;
Leurs myrtes rajeunis , à sa voix refleurissent ,
Etleurs lauriers flétris croissent et reverdissent.
Interprète éloquent du marbre et de l'airain ,
Des peuples et des tems il est contemporain.
Oui , Tersan , de ton art l'auguste poésie
Se plaît à se montrer la compagne et l'amie .
Ces travaux renommés dont s'illustre ton nom (12)
Charmaient dans la grandeur les loisirs d'Addisson ,
Pope les célébrait , et pour eux dans Vérone
Maffey de Melpomène abdiquait la couronne.
C'est ainsi que le sage en ses doctes loisirs ,
Trouvant son plus doux charme et ses plus grands plaisirs ,
Sur le passé se plaît à reporterla vue.
Pour lui qu'est le présent? un point dans l'étendue ;
Plus vif que la pensée et plus prompt que l'éclair ,
Dans son rapide essor , c'est un trait qui fend l'air :
Prétendre l'arrêter dans sa course rapide ,
C'est vouloir embrasser une ombre fugitive .
Vivons dans le passé ; c'estjouir du présent.
Ah ! voilà ta maxime , ô sage et doux Tersan.
Chez ces grands raisonneurs qu'oisiveté rassemble ,
Bien plus que le plaisir de se trouver ensemble ,
(12) Nous avons du célèbre Addisson des Dialogues ou Entretiens
sur les médailles ; de Pope , une Epître sur ce sujet , adressée à ce
même Addisson ( nous en avons emprunté plusieurs traits dans notre
ouvrage ) , et du marquis Scipion Maffey , auteur de la Mérope italienne
, la Verona illustrata , et d'autres ouvrages qui traitent des
antiquités.
JANVIER 1813.
On ne te vit jamais , au sein du Luxembourg ,
Guider nos légions dans Londre ou Pétersbourg.
Révérant d'un grand roi la sagesse profonde ,
Tu laisses cet atlas porter le poids du monde.
Tu ne régentes point l'armée et le Sénat ,
Et tu ne prétends rien aux secrets de l'Etat .
Parmi nos beaux esprits il ne t'importe guère
Qui l'on siffle au Marais , à Faydeau , chez Molière :
Tu ne lis point leurs vers , et de monsieur G****
Jamais le feuilleton ne parvint jusqu'à toi .
Mais , si guidé vers toi , quelqu'ami de l'étude ,
Tersan , vient saluer ta docte solitude ,
Tu lui prodigueras , ainsi que tes loisirs ,
Cinquante ans de travaux qui furent tes plaisirs ;
Et de nouveaux attraits , par ta douce éloquence ,
Tu sauras , à ses yeux , embellir la science .
Ainsi lorsqu'au milieu de la grande cité ,
Je courais , sous le toit par un sage habité ,
Savourer les plaisirs que l'étude nous donne ,
Plaisirs purs que jamais le remord n'empoisonne .
Toujours , à mon aspect , tes bras étaient ouverts ,
Et tes plus chers trésors soudain m'étaient offerts .
Ta profonde doctrine , unie à l'indulgence ,
Charmait , en l'éclairant , ma timide ignorance ;
Je croyais , attentif à tes discours savans ,
Des Maffey , des Séguier , entendre les accens (13) ;
De mes esprits flottans tu bannissais le doute ;
Vers le grand , vers le beau , tu m'ouvrais une route ,
Et de tes entretiens le prestige enchanteur ,
Endirigeant mon goût , réglait aussi mon coeur.
M. CHAUDRUC DE CRAZANNES ,
Secrétaire-général de la préfecture du département du Loiret .
( 13) Le docte Seguier de Nimes , qui a rétabli l'inscription de la
maison carrée.
10 MERCURE DE FRANCE ,
ÉNIGME .
Sous quel astre ennemi le sort m'a- t-il fait naître !
Apeine sur la terre ai-je pu faire un pas ,
Qu'armé d'un fouet mon jeune maître ,
Pour me faire aller droit , me frappe à tour de bras .
Pourtant de sa rigueur ai-je droit de me plaindre ?
Oh ! non ; car j'aurais lieu de craindre ,
Si j'en étais traité moins rudement ,
Qu'une funeste léthargie ,
Sans les coups redoublés
Dont mes frères et moi nous sommes accablés ,
Privé de mouvement , ne m'enlevât la vie .
Au reste , le cas arrivant ,
Voilà que mon petit tyran
Dans de nouveaux liens m'enveloppant de suite ,
Me secoue et me ressuscite ,
Et c'est ce qui me console un moment.
Pris en un autre sens , comme mon premier frère ,
Je chemine toujours sur terre ,
Et j'y porte celui par qui je suis porté.
Mon frère marche seul , etmoi de compagnie ,
Tout uniment , sans vanité.
Je ne plais guère aux gens de qualité ;
Plus d'un d'entr'eux pourtant doit me porter envie ,
Car je fais plus de bruit en trois ou quatre jours ,
Qu'il n'en fait souvent dans le cours
De laplus longue vie.
S........
LOGOGRIPHE
Je fais souvent du bruit , sur six pieds , dans le monde ,
Lecteurs , et vis sans chef paisiblement dans l'onde.
Mes tête et queue à bas , je deviens à l'instant
Utile au matelot sur l'humide élément ,
Et raccourci d'un pied , je suis une machine
Qui sur terre et sur eau très-lourdement chemine.
V. B. (d'Agen. )
JANVIER 1813 . II
CHARADE .
Al'oeuvre on connaît l'ouvrier .
C'est ainsi que par mon premier ,
A Rome , Galien sut se faire connaître.
Mon dernier est un instrument ,
Dont se servent également
Le laboureur , le géomètre ,
Le poëte , le financier ,
Le négociant , le savetier
La paysanne et la comtesse ,
Etla servante et la maîtresse .
L'anachorète en son désert
Demon tout rarement se sert.
r
V. B. ( d'Agen. )
al
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
१
Le mot de l'Enigme est Soufflet ( traitement injurieux appliqué sur
lajoue ) .
Celui du Logogriphe est Pharisien , dans lequel on trouve : Partsien.
Celui de la Charade est Pallas .
۱
:
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
OEUVRES DE PONCE DENIS ( ECOUCHARD ) LE BRUN ,
membre de l'Institut de France et de la Légion-d'Honneur
, mises en ordre et publiées par P. L. GINGUENÉ ,
membre de l'Institut ; et précédées d'une Notice sur sa
vie et ses ouvrages , rédigée par l'Editeur . Quatre
vol . in-8° , imprimés par Crapelet. - A Paris , chez
Gabriel Warée , libraire , quai Voltaire , nº 21 .
-
( QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE. )
C'EST peut- être du plus loin qu'il souvienne aux lecteurs
du Mercure que d'y avoir vu dans quatre numéros
del'année qui vient d'expirer ( 1 ) , trois premiers extraits
des OEuvresde Le Brun. Je n'y ai examiné que ses
odes que j'ai regardées comme la partie de ce recueil la
plus importante pour sa gloire , et même pour la nôtre.
Des travaux plus urgens et d'autres causes qui ne sont
d'aucun intérêt pour le public m'ont empêché jusqu'ici
de continuer cet examen ; j'y reviens enfin ; mais avec
le dessein de m'étendre beaucoup moins sur le reste , et
de comprendre , si je puis , en un seul article tous les
autres genres que ce poëte a traités .
Il n'y en a point où on le reconnaisse plus facilement
que dans l'élégie pour un poëte de l'école de Racine . On
voit qu'il avait appris de ce grand maître l'art d'exprimer
la passion sans cesser d'être poëte, et de revêtir le sentiment
de formes poétiques sans lui faire perdre de sa
vérité. Ses élégies étaient la partie la moins connue de
ses ouvrages , celle qu'il affectionnait le plus , dont il
relisait le plus volontiers quelques pièces dans la société
intime , et qui y avait le plus de succès . Les femmes les
lui redemandaient de préférence , et j'ai vu la lecture de
(1) Numéros des 25 juillet , 29 août , 3 et Io octobre 1812.
.
1
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 . 13
ces productions de sa jeunesse lui fournir à plus de
cinquante ans le sujet d'élégies nouvelles , où l'on retrouve
tout le sentiment et toute la poésie de son jeune
âge (2) .
Il avait pour réussir dans ce genre une sensibilité
passionnée , moins profonde que facile à émouvoir et à
exalter ; de là vient cette véhémence qui paraît l'emporter
quelquefois , et qui donne à son style des mouvemens
si vifs et si rapides . Ses deux premiers livres sont
adressés , l'un à cette Fanni qui devint sa femme , et qui ,
lui fit payer cher quelques années de bonheur ( 3 ) ,
l'autre à une Adélaïde qui devait le venger de Fanni et
qui fut encore plus perfide. Une chose qu'on y voit clairement
, c'est qu'il les aima très - ardemment toutes deux.
Le premier livre n'offre d'abord que des sentimens doux ;
ce sont des descriptions champêtres , des rendez-vous ,
de tendres billets , des absences passagères , des jouissances
. Une absence prolongée pendant l'hiver amène
un changement de ton et de couleurs ; une maladie grave
pendant cette absence les rembrunit encore. Bientôt
l'infidélité de Fanni ne donne plus à exprimer au poëte
que des regrets et des désirs de vengeance , énergiquement
adressés à la Vengeance même dans la personne
de Némésis .
La première élégie de ce livre est un des meilleurs
morceaux de tout le recueil. L'opposition par où elle
commence , entre les froids plaisirs de la ville et les
jouissances champêtres , est de la poésie descriptive la
plus exquise , et se termine par une image champêtre
qui fournirait le sujet d'un tableau délicieux .
Ah ! fuyons des cités le profane séjour ;
Viens trouver au hameau la nature et l'amour ,
Fanni ! viens m'embellir les champêtres asiles .
Que les amans de l'art se plaisent dans les villes.
De leurs riches palais nocturnes habitans ,
Ils ne connaissent plus l'aurore et le printems ;
(2) Voyez la dernière Elégie du livre IV , à Lucile.
(3) Voyez la Notice sur la vie de Le Brun , tome I de ses oeuvres.
14 MERCURE DE FRANCE,
:
Ils ont dans le cristal des fleurs décolorées ,
Tristes et sans parfums , de Zéphire ignorées ;
Leurs fruits impatiens devancent les saisons ;
De Pomone trop lente ils méprisent les dons.
Leurs goûts sont insensés , leurs ames sont arides ;
Morphée est le seul dieu de leurs jours insipides ;
En des jeux fatigans ils consument les nuits ;
Et leur triste bonheur est de changer d'ennuis .
Heureux qui de Palès respirant tous les charmes
Va surprendre l'Aurore à ses premières larmes
Et d'un pied matineux effleurant le gazon ,
De l'oiseau qui s'éveille entend le premier son!
Heureux , si le premier cueillant la fleur naissante ,
J'en pare ton beau sein , ô ma fidèle amante ;
Si d'un nid , que la feuille à peine couvre encor ,
Je mets sur tes genoux le frêle et doux trésor ,
,
Et la timide mère , inquiète , éperdue ,
Qui le protège encor de son aile étendue !
Mais j'entends les regrets du père et de l'époux !
O ma Fanni ! cédons à des regrets si doux.
Ah ! remettons ce nid dans son palais mobile.
Croissez , petits oiseaux , goûtez un sort tranquille ;
Que jamais l'Epervier ni l'Autour ravisseur ,
Ni le plomb criminel lancé par le chasseur ,
N'abrègent de vos jours l'innocente durée ,
Et ne fassent gémir une veuve éplorée !
Voici encore de charmantes images rendues en vers ,
comme on en a bien peu fait depuis Racine et Boileau .
Avec l'aube éveillé , quel charme de te voir ,
En longs cheveux épars soulevant l'arrosoir ,
Prodiguer une eau pure aux tiges parfumées
Des fleurs que ton amant lui-même aura semées ,
Ou conduire avec art aux voûtes des berceaux
Du jasmin odorant les flexibles rameaux ,
Ou tondre d'un gazon la pointe jaunissante ,
Ou relever d'un cep l'espérance penchante ;
Ou quelquefois au bois , d'un caprice enfantin ,
Secouer sur mon front les perles du matin;
Et cueillir avant moi , sur la branche agitée ,
La noisette trompeuse et souvent rejetée !
Y
JANVIER 1813 . 15
C'estun confraste bien frappant que celui de cette
élégie avec la huitième ! Une hémorragie violente , le
frisson et l'ardeur de la fièvre , la mort déjà menaçante ,
un jeune poëte près d'expirer loin de ce qu'il aime et
sans laisser après lui aucun monument de gloire , y sont
exprimés en vingt- quatre vers . L'énergique brièveté de
ce morceau , qui respire en même tems une sensibilité
touchante , permet de le citer en entier .
Le sang baigne à longs flots mes lèvres pâlissantes ,
Et mon Tibulle échappe à mes mains défaillantes .
De mon sein oppressé les pénibles efforts
Ytourmentent la vie et brisent ses ressorts .
Dans ce combat mortel et de glace et de flamme ,
Fanni seule , Fanni retient encor mon ame ;
Ma voix , en expirant , soupire ce doux nom ,
Et de ma lyre éteinte il est le dernier son.
Ma lyre avait promis de la rendre immortelle ,
Et devait au printems défier Philomèle ;
Le printems reviendra pour Philomele....; et moi ,
D'un silence éternel j'aurai subi la loi.
Les roses reviendront , et cette main absente
N'aura point le bonheur d'en parer une amante !
Des myrtes , des lauriers que je devais cueillir
Tout l'espoir avec moi va donc s'ensevelir !
OMort ! divinité si terrible au vulgaire ,
Je ne crains pas le coup de ta main sanguinaire ;
De mes jours mal tissus romps le faible lien ;
La vie est peu de chose , et toi-même n'es rien .
Mais quitter à-la-fois une amante et la gloire ,
Sans avoir consacré ses feux et sa mémoire !
Mais dans la foule obscure indignement périr !
Cette mort est affreuse , et c'est plus que mourir.
Le danger s'accroît , et il semble , dans l'élégie suivante
, que le génie du poëte augmente de force avec les
progrès du mal . L'effet que produisent en lui l'approche
de la mort et l'idée de son convoi funèbre , n'est pas l'affaiblissement
, mais le délire ; et ce délire est à-la-fois poétique
et passionné.
L'heure fatale accourt ; d'un long crêpe voilée ,
Terrible , et conduisant la parque échevelée ,
:
16 MERCURE DE FRANCE ,
1 Elle accourt .... Je la vois .... J'entends son vol affreux;
Tel fond l'avide Autour sur un Cygne amoureux ;
१ Tel le noir Epervier , d'une aile frémissante
Vole , suit , presse , atteint la Colombe innocente ,
Qui du char de Vénus séparée un moment ,
Par des cris douloureux l'implore vainement.
Loin de tes yeux , Fanni , la tombe me dévore
Tu n'entends plus la voix d'un amant qui t'implore.
Je jurai mon retour à tes embrassemens ;
La mort , la mort jalouse a rompu mes sermens ;
Sa brûlante fureur circule dans mes veines ;
L'art se trouble , s'épuise en ressources trop vaines ;
Et mon sang , qui jaillit sous les couteaux mortels ,
A neuf fois de la parque arrosé les autels , etc.
L'attendrissement et les regrets succèdent , et ensuite
le voeu si naturel de se survivre dans un autre lui-même .
Si l'ame est immortelle ,
Si des feux de l'esprit il reste une étincelle ,
Qu'elle passe en ton sein , ô ma chère Fanni !
Amoi-même échappé , de moi-même banni ,
Deviens pour ton amant l'immortel Elysée ;
Quemon ame revole où je l'avais puisée !
J'adorerais le Styx , éclairé par tes yeux ,
Et l'Olympe sans toi me serait odieux .
Je ne me suis point arrêté à faire observer dans ces
citations un grand nombre de tours poétiques et d'expressions
nouvelles , fondues avec la plus grande adresse
dans un style plein de charme et de douceur ; mais je
ne puis me dispenser de remarquer dans ce dernier passage
une hardiesse si heureuse que des critiques difficultueux
ont pu citer ces vers sans l'apercevoir , et cependant
si forte qu'elle a besoin ,, pour être admise , de
l'exemple et de l'autorité de Racine .
Amoi-même échappé , de moi-même banni ,
Deviens pour ton amant l'immortel Elysée .
Essayez d'appliquer ici cette règle qu'on a voulu établir
, que des vers pour être bons doivent se réduire à la
construction de la prose; vous ne le pourrez pas . Il y a
JANVIER 1813 .
DEPT
DE
LA dans le premier vers non-seulement une forte elipse
mais la supposition d'un cas qui n'existe point dansnotre
langue , je veux dire l'ablatif absolu , comme dans ces .
deux vers de Racine , impossibles à construire
courir au même tour :
Captive , toujours triste , importune à moi-même ,
Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime .
sannssrree-
Tant il est vrai qu'en dépit des fausses doctrines ,
notre langue poétiquea , pour les grands poëtes , ses
tours particuliers , je dirais presque ses idiotismes qui la
différencient de la prose .
Toutes ces citations sont tirées du premier livre des
élégies ; chacun des trois autres livres n'en fournirait
pas moins . Dans le second , le ton véhément et passionné
domine. On sent que l'élégie qui a pour titre , à l'enfant
que porte dans son sein une maîtresse infidèle , que celle
où l'amant jaloux et trahi se peint lui -même témoin du
bonheur de son rival , que celle où il se représente
ramené malgré lui vers sa parjure Adélaïde , que celle
qu'il adresse à l'enfant de cette Adélaïde , mort treize
mois après sa naissance , qu'une autre enfin adressée à
un ami sur la mort de ce même fils , exigeaient de la part
du poëte autant de force et d'énergie que de sentiment et
de chaleur.
Le troisième livre est rempli en plus grande partie
d'élégies imitées de Tibulle , de Properce et d'Ovide .
Le Brun fit presque toutes ces imitations dans sa jeunesse
, pour se former à ce style poétique qu'il voulait
donner à l'élégie. On y trouve souvent la liberté d'une
composition originale . La première élégie , imitée de la
première de Tibulle , est celle que l'auteur avait le plus
soignée , et qui approche le plus du modèle .
On distingue principalement dans le quatrième livre ,
dont les sujets sont variés , une élégante imitation de
Moschus , et l'élégie adressée à Lucile , en lui rendant une
lettre où ellefaisait à l'auteur une proposition d'amitié un
peu tardive. Cet objet de la dernière passion qu'il ait
éprouvée , lui inspira aussi des odes érotiques , des madrigaux
et même des épigrammes . Soit uniquement par
B
BIBL, UNIV
OENT
18 MERCURE DE FRANCE ,
la faute du poëte , soit qu'il y eût un peu de celle de Lucile ,
il avait cru lui inspirer autre chose que de l'amitié ; cette
'élégie rappelle des souvenirs qui feraient penser qu'il
n'avait pas tout-à-fait tort , et ce qui importe davantage ,
il les y retrace en vers charmans .
Des deux plus grands défauts du style de Le Brun que
j'ai reconnus dans ses odes , le premier, l'excessive audace
et la nouveauté hasardée , se trouve très -peu dans ses
élégies ; le second , l'affectation ou le rafinement , y est
peut-être moins rare , sur-tout dans celles qui paraissent
avoir été de simples jeux d'esprit ou de galanterie
plutôt que les effusions d'un coeur vraiment passionné
; mais dans toutes celles où la passion parle , et
elles sont en grand nombre , elle s'exprime comme elle
le doit faire en poésie , et plusieurs de ces pièces peuvent
être citées parmi les morceaux écrits depuis Racine où
l'on retrouve le plus l'élégance , l'harmonie pure et variée ,
les tours nouveaux quoique naturels , et l'heureuse hardiesse
de son style .
Après les élégies viennent dans le même volume deux
livres d'épîtres . La première a depuis long-tems sa réputation
faite . C'est un petit poëme didactique, plein d'esprit,
de grâces et de sel sur la bonne et la mauvaise plaisanterie
, mais où ce sujet est traité avec la marche libre et
irrégulière de l'épître . Elle étincelle de ces traits piquans
nés pour devenir proverbes et dont plusieurs le sont devenus
.
O le fâcheux plaisant qui , dans son froid délire ,
L'ennui peint sur le front , prend le masque du rire ,
Et pesamment folátre en sa légèreté ,
Tourmente son prochain de sa triste gaîté !
Je plains le malheureux qui s'est mis dans la tête
De plaire aux gens d'esprit à force d'être bête .
Il est un art charmant d'amuser et de rire .
Il faut de sel Attique égayer la satire ;
L'adresse est de choisir le trait qu'on veut lancer ,
Qu'il effleure en volant , et pique sans blesser.
Labonne compagnie est par fois détestable , etc.
JANVIER 1813 .
19
Tout le monde a retenu les jolis vers sur La Harpe ,
quej'ai cités précédemment (4) ; ils flattent la malignité ,
c'est peut-être ce qui les a gravés dans la mémoire . En
voici de délicieux qui devraient s'y fixer par une raison
toute contraire ; la bonne compagnie serait moins détestable
, si elle se les rappelait quelquefois .
D'une gaité sans frein réprimez la licence ,
Et respectez les Dieux , la Pudeur et l'Absence .
Qu'un ami par vos traits ne soit point immolé.
En vain le Repentir honteux et désolé
Court après le bon mot aux ailes trop légères ;
Il perd ses pas tardifs et ses larmes amères .
Fuyez donc le sarcasıne et ses jeux indiscrets :
L'amour-propre offensé ne pardonne jamais .
Ménagez-lui toujours une heureuse retraite ;
Que l'objet du bon mot lui-même le répète .
1
On peut dire que ce dernier vers contient lui seul la
théorie , ou , si l'on veut, la législation du bon mot.
Les autres épîtres sont inférieures à celle- là ; il y en
a cependant où l'on reconnaît la même main : telles sont
entr'autres l'épitre à M. Chenier l'aîné ; celle à M. le
prince de Conti , sur l'amour que les princes doivent aux
lettres , ouvrage de la première jeunesse de l'auteur ,
mais qu'il avait ensuite corrigée et presque refaite ; celle
à de Belloi , l'auteur tragique , pour prévenir une brouillerie
prête à éclater entr'eux ; celle qui est adressée à
son fils Alphonse , né en 1783 ; quelques épitres satiriques
, dont la meilleure est intitulée la Métempsycose ;
et parmi un assez grand nombre d'autres , qui ne peuvent
être regardées qué comme des vers de société,
plusieurs qui sont remplies de détails agréables et spirituels
, toujours poétiquement rendus .
Les Veillées du Parnasse , qui suivent les épîtres , ne
sont qu'un fragment , ou plutôt une suite de quatre fragmens
d'un poëme qui ne fut point achevé . Le plan était
fort simple ; cen'était qu'un cadre où devaient entrer quatre
morceaux épiques, les uns traduits , les autres simple-
(4).Voyez le Mercure du 10 octobre ..
B2
20 MERCURE DE FRANCE ,
ment imités . Dans une longue nuit d'hiver , Apollon et les
Muses veillent sur le Parnasse , et charment par des récits
la lenteur du tems . Erato raconte une aventure
d'amour , la fable d'Orphée et d'Eurydice ; Calliope y
répond par un trait célèbre d'amitié , la mort de Nisus
et d'Euryale , deux admirables épisodes de Virgile. Thalie
, pour égayer la scène , devait raconter l'aventure plaisante
du faune avec Hercule et Omphale , qu'on trouve
au second livre des Fastes d'Ovide ; mais ce morceau ,
écrit en vers inégaux , n'est ni corrigé ni fini . Il ne
manque aux deux premiers que quelques vers qui devaient
les lier l'un à l'autre. L'épisode d'Orphée et d'Eurydice
est connu depuis long-tems ; celui de Nisus et
d'Euryale , aussi fort ancien , était resté inédit . Il est
aisé de préférer à ces deux traductions , les deux mêmes
morceaux traduits par M. Delille ; il le serait tout autant
de donner la préférence à ceux de Le Brun . Ce qui
serait plus difficile , mais plus utile en même-tems , ce
serait de les comparer ensemble, en les conférant tous
deux avec le texte. Il faudrait d'abord convenir de
quelques principes sur la traduction en vers , et mettre
ensuite à part toute prévention et toute partialité .
Mais quand l'auteur du parallèle aurait obtenu de luimême
ce point important , l'obtiendrait-il aussi de ses
juges ? Il est plus sage de s'en abstenir .
Pour terminer ces Veillées poétiques , Apollon ,
après avoir entendu Erato , Calliope et Thalie , raconte
àson tour l'histoire de Psyché , allégorie charmante que
Le Brun n'hésite pas à regarder comme le chef-d'oeuvre
de l'imagination grecque , mais que l'Africain Apulée a
défigurée par son latin barbare , et plus encore par le
personnage ignoble à qui il en a prêté le récit , et
que notre bon Lafontaine a noyée dans une prose lâche ,
bavarde et souvent puérile (5). Le Brun avait entrepris
de rétablir cette fable ingénieuse dans le rang qui lui
appartient ; il est bien à regretter qu'il n'ait pu finir
ce travail , interrompu par de tristes circonstances ,
24
(5) Expressions d'un fragment de lettre de Le Brun , t. II , p. 273 .
4
JANVIER 1813. 21
au moment où il le suivait avec le plus d'ardeur , et où
il y trouvait le plus de charme .
Ce qu'il en a laissé ne contient , dans environ deux
cent-cinquante vers , qu'à-peu-près un quart des aventures
de Psyché ; ce poëme, terminé et perfectionné ,
eût été , sans aucun doute , un des chefs -d'oeuvre de
notre langue . Qu'a-t-elle de plus poétique et de plus
gracieux que cette description de Venus voguant sur
les mers dans sa conque d'azur ?
Elle traverse l'onde en fille de Nérée ;
Sa vue enchaîne au loin l'impétueux Borée ;
Le vieux Triton lui fraie un liquide chemin;
Le jeune Palémon la suit sur un dauphin ;
L'onde joue à ses pieds , et la vague idolatre
Vient d'un baiser humide en effleurer l'albâtre .
Etquelbeau contraste forme avec cette peinture riante,
celle de l'état où la famille de Psyché est plongée quand
l'oracle a ordonné que cette jeune et innocente rivale de
Vénus , épouse un monstre , et soit conduite , avant neuf
jours expirés , au haut d'un mont désert , poury attendre
sonhorrible époux .
Huit fois la nuit s'écoule , et la neuvième aurore ,
Plus triste que la nuit, menace enfin d'éclore ;
D'un sourire lugubre elle attriste les cieux.
Psyché lit son malheur écrit dans tous les yeux.
On pare la victime : épouse infortunée ,
Tu confiais tes pleurs au voile d'hyménée !
Onapprête le char , ou plutôt le cercueil ;
Pour l'hymende Psyché tout l'empire est endeuil.
>
Il faudrait ici tout transcrire; autant de vers , autant
d'images funèbres . Psyché , mise sur le char d'ébène ,
et couverte d'un crêpe , se penche sur sa mère éplorée;
Le roi suit en pleurant cette pompe cruelle;
Les coursiers vont sans guide où le sort les appelle;
Par-tout de noirs cyprès les chemins sont ornés;
Le char roule à travers les peuples consternés.
Le char s'arrête au pied du mont fatal; le cortége
1
MERGURE DE FRANCE ,
monte à pas lents , dépose Psyché sur le sommet , et
redescend tristement .
Mais que devient Psyché , seule , en proie au silence
A la nuit , à l'horreur de ce désert immense ,
१ A cent monstres ailés autour d'elle sifflans
Amille que l'effroi peint à ses yeux tremblans ?
Mourante de frayeur , elle tombe ; Zéphire ,
Sous les voiles flottans s'insinue , et soupire ,
L'enlève au pied du roc , dans un vallon charmant ,
Et sur un lit de fleurs la pose mollement.
Tout le reste est écrit de même. Les descriptions les
plus brillantes , les images les plus riches ou les plus voluptueuses
, les pensées les plus délicates , tout est exprimé
avec cette concision poétique , harmonieuse ,
élégante sans remplissage , sans longueurs , sans aucune
de ces formes parasites , qui passent pour de
l'abondance , et ne sont que du verbiage .
,
( L'étendue de ce dernier article aforcé d'en renvoyer
lafin au No prochain. )
POÉSIES DE P. DORANGE . Un vol . in- 12 , orné de quatre
jolies gravures et d'un titre gravé .- Prix , 4 fr . , et
5 fr. franc de port . - A Paris , chez Rosa , libraire ,
rue de Bussy , nº 15 .
M. DORANGE est du nombre malheureusement trop
grand des poëtes morts avant d'avoir réalisé les espérances
que leurs essais avaient fait concevoir . Je ne comparerai
point cependant son sort à celui de Guimond de la
Touche , de Malfilâtre , de Gilbert et d'André Chénier ,
parce que ceux- ci en mourant ont laissé un petit nombre
d'ouvrages qui portent le cachet de la maturité du génie ,
au lieu que les vers de Dorange , quel que soit leur mérite ,
n'annoncent pas un poëte du premier ordre . La mort des
auteurs d'Iphiginie, de Narcisse, de la Satire du dix-huitième
siècle , fut pour notre littérature une perte irréparable
; celle de Dorange n'a pas été si vivement sentie ,
1
JANVIER 1813. 23
parce que le caractère du talent de ce jeune poëte n'était
pas encore décidé.
Sa traduction des Bucoliques de Virgile est le plus important
de ses ouvrages , on l'a réimprimé dans le recueil
que nous annonçons . Lorsqu'elle parut , elle valut à son
auteur des encouragemens honorables , et , dans la discussion
relative aux prix décennaux , l'Institut en fit
l'éloge .
On ne peut comparer la traduction de Dorange à celles
de MM. Tissot , Didot et Langeac. Ces trois poëtes
ont souvent approché de l'inimitable perfection de Virgile
, tandis que les vers de Dorange sont presque
toujours faibles et sans harmonie. Cependant il est un
petit nombre de morceaux où il se soutient à côté de
M. Tissot , ce qui annonce que s'il avait eu le tems
de revoir avec sévérité l'ouvrage de sa jeunesse , nous
aurions des Bucoliques de Virgile plusieurs traductions
dignes de ce grand poëte . Dorange paraît en avoir fait
une étude particulière , mais on a eu tort de publier les
fragmens qu'il a traduits des Géorgiques et de l'Enéide ,
parce que ces fragmens sont au -dessous du médiocre , et
d'ailleurs ils rappellent involontairement les beaux vers
de M. Delille , ce qui ne peut que nuire , même à un poëte
d'un talent supérieur à celui de Dorange .
Ce jeune auteur a sans doute cherché long-tems le
genre que la nature de son esprit l'appelait à traiter . Les
scènes de tragédie et de comédie qu'on a recueillies tenaient
bien certainement au dessein de courir la carrière
du théâtre , mais nous doutons fort qu'il y eût obtenu
des succès .
Les odes qui ouvrent le recueil de ses poésies , avaient
déjà été imprimées séparément . Les connaisseurs y remarquèrent
des beaux vers et quelques grandes idées :
mais on ne put se dissimuler qu'il y règne beaucoup
d'emphase , et cette fausse chaleur que puisent à l'école
de Le Brun , ceux qui n'ont pas le génie de ce poëte
sublime . En général les odes de Dorange sont pleines de
lieux communs , et manquent d'élévation poétique . La
meilleure de toutes est celle qui a pour titre les Adieux à
la Vie; elle a plusieurs strophes dignes des plus grands
24 MERCURE DE FRANCE ,
poëtes , et si l'on n'y trouve pas le charme des stances de
Gilbert , c'est que l'auteur , au lieu de s'abandonnner à
toute la sensibilité de son ame , a trop cherché ces
effets et ces alliances bizarres d'idées et de mots que
quelques poëtes nous donnent pour du sublime , et qui
ne sont que le sublime du galimathias .
La nature appelait Dorange vers la poésie légère , et
si la mort ne l'eût pas moissonné avant le tems , il s'y
serait fait une réputation assez brillante : les QuatreParties
du Jour, l'Epître à Cloris , l'Epître à Délie , les Stances
sur les Ravages du Vent du Nord, etc. , annoncent un
poëte sensible et gracieux ; ses vers corrects et élégans
n'ont ni le papillotage de l'école de Dorat , ni les fadeurs
et les niaiseries sentimentales de celle de Demoustier, Le
talent de Dorange est plus pur , parce qu'il avait étudié
les bons modèles ; sa poésie, presque toujours naturelle ,
n'a très - rarement ces tournures alambiquées et cette
afféterie dont il est bien difficile de se garantir aujourd'hui
, où l'on préfère aux belles formes des grands
maîtres le clinquant et les tours antithétiques d'une foule
de rimeurs , qui sont aux véritables poëtes ce que les faiseurs
de mélodrames sont aux auteurs tragiques .
C'est un grand éloge pour Dorange d'avoir su se garantir
de cette contagion , et cela doit augmenter les regrets
que sa mort a causés ; elle a été une véritable perte
pour lapoésie.
Dorange a composé plusieurs romances qui sont remplies
de cette mélancolie douce et rêveuse , qui fait le
charme de ce genre de poésie. Herminie et Bélisaire
peuvent être comparées au plus jolies romances de Florian
, et il serait à désirer qu'un musicien habile leur t
unemusique.
Je ne parlerai pas ici de la traduction en vers de la
Jérusalem délivrée. Le recueil de Dorange en contient
quelques fragmens . Comme ce ne sont que des essais ,
la critique ne doit pas s'appesantir sur les nombreux défauts
qui les déparent ; mais ils font douter que le poëte
eût eu la force suffisante pour achever un travail entrepris
dans un âge où l'homme ne croit rien impossible
. La romance , l'idylle et l'élégie , voilà les genres
JANVIER 1813 .. 25
queDorange eût traités avec succès ; il suffit , pour s'en
convaicre , de lire les pièces dont nous avons indiqué les
titres dans le cours de cette notice .
Dans un de ces fragmens traduits du Tasse , on lit
les vers suivans , relatifs à Argant qui ,,
Ases transports' altiers tout -à-coup s'abandonne ;
Et las de se défendre , ardent à se venger ,
Il méprise la mort , ne voit plus le danger :
Il vole sur Tancrède , et dans sa course altière .
L'éditeur a , ainsi qu'on le voit , mis en italique les
mots alliers et altière , au premier et au quatrième vers .
Quel a été son motif ? Est-ce de faire regarder leur rapprochement
comme une faute ? Mais alors il eût été souvent
obligé d'employer l'italique. Est-ce qu'il a cru que
le mot altierest de trois syllabes ?Alors c'est une erreur ;
les grands poëtes l'ont toujours fait de deux ..
M. Miger , avantageusement connu par plusieurs ouvrages
où brille un grand talent , a mis en tête des poésies
de Dorange une notice aussi intéressante que bien
écrite , et qui , avec les nombreuses gravures qu'il contient
, n'est pas un des moindres ornemens du recueil
que nous annonçons. J. B. ROQUEFORT.
2
A
BEAUX - ARTS .
SALON DE 1812 .
MM. RUTXHIEL , ROLAND , DE SENNE , BRIDAN , MOUTONY
, CHINARD , TAUNAY ET LEMOT .
Je vais continuer l'examen des ouvrages de sculpture
que j'avais un moment abandonné. Je parlerai dans cet
article de toutes les statues représentant des généraux ou
des grands personnages modernes. Ce genre de statues
exige une étude moins profonde et une connaissancemoins
parfaite de la forme que celles destinées à nous retracer
les héros ou les dieux de la mythologie ancienne ; mais il
présente en même tems des difficultés que bien peu det
sculpteurs sont parvenus à vaincre jusqu'à ce jour. C'est
26 MERCURE DE FRANCE ,
une chose universellement reconnue que notre costume ,
très -bien approprié sans doute à notre climat et à nos
usages , offre peu de ressources à la peinture et encore
moins à la sculpture ; il est pauvre , mesquin et compassé :
quel que soit le mouvement du corps , il conserve toujours
à-peu-près les mêmes formes ; l'artiste ne peut lui donner
aucun développement , ni varier les plis à son gré comme
dans les costumes antiques ; il est obligé même d'employer
avec beaucoup de ménagement le manteau , dont il pourrait
cependant tirer un parti avantageux , pour ne pas paraître
viser au style et s'éloigner de la vérité . On doit donc
l'excuser quand il n'a pas complétement réussi ; et quand
le succès a couronné ses efforts , on ne saurait lui prodiguer
trop d'éloges .
M. RUTXHIEL .
Zéphire qui enlève Psyché.
,
Ce groupe exécuté en marbre ne porte pas de numéro ,
et n'est point inscrit dans le catalogue . Il contient suivant
moi des défauts assez graves , et cependant il annonce
d'heureuses dispositions . L'audace avec laquelle la figure
de Zéphire est lancée en avant , la manière dont elle est,
groupée avec celle de Psyché , une certaine grâce répandue
sur l'ensemble de cette dernière figure , sont les causes de
l'effet agréable que cet ouvrage produit au premier aspect .
Je ne reprendrai qu'une seule chose dans la disposition
générale , c'est la pose de la jambe gauche de Zéphire ;
quand on est en face , elle se trouve cachée par la cuisse
et semble manquer entièrement. En analysant cette figure ,
j'observe que la tête est petite , sur-tout depuis les sourcils
jusqu'au sommet ; les traits en sont maigres et sans caractère
; le bras droit entre dans le sein de Psyché au lieu de
le faire fléchir ; le mouvement du bras gauche exigerait
qu'il fût plus prononcé à l'endroit où il se joint à l'épaule .
Dans la jambe droite , les muscles qui forment ce qu'on
appelle vulgairement le gras de la jambe prennent leur
origine un peu trop haut : je n'ignore pas que cela est motivé
par la pose ; mais il fallait faire ensorte de conserver
la beauté de la forme . Enfin le pied depuis la cheville jusqu'aux
doigts laisse beaucoup à désirer du côté de la finesse
du contour et des détails intérieurs .
La figure de Psyché n'est pas non plus à l'abri de la
critique : la hanche et la cuisse droites décrivent une courbe
trop exagérée ; vu de profil , le torse au-dessus du nombril
JANVIER 1813 . 27
1
n'a pas assez d'épaisseur ; le genou est lourd ; les doigts
des pieds manquent d'élégance , et les ongles sont mal
placés . Je crois m'apercevoir que l'auteur n'a pas étudié
avec assez de soin les belles statues antiques : il a besoin
de les consulter souvent pour apprendre l'art de réunir à
la pureté du trait cette souplesse qui peut seule animer le
marbre et lui donner l'aspect de la nature.
Quels que soient le nombre et l'importance de ces observations
, je me plais à reconnaître le mérite qui existe
dans cet ouvrage , et je pense qu'il doit faire augurer favorablement
de ceux que M. Rutxhiel exécutera par
la suite .
M. ROLAND .
Nº 1140. Tronchet (François - Denis ) , statue en marbre.
M. DE SENNE .
N° 1052. Statue en marbre de feu S. Ex . le ministre
des Cultes Portalis .
Ces deux statues ont assez de rapport entr'elles , pour
les comprendre dans un même examen . D'abord elles
sont exécutées par des hommes qui possèdent la pratique
de l'art ; la dimension des figures , leur attitude , leur
expression sont à-peu-près semblables ; on ne remarque
dans aucune des deux ce grand style dont la sculpture ne
peut se passer même dans un portrait; les auteurs n'ont su
nil'un ni l'autre ennoblir ce que le costume avait de trop
commun; tous les deux ont chargé les cuisses de leurs
figures d'une quantité de plis maigrement modelés , et
donné aux jambes un caractère pauvre et peu coulant ; tous
les deux ont représenté la chaussure avec cette exactitude
minutieuse qui n'est pas de rigueur dans les arts , quand
on ne peut l'obtenir qu'aux dépens de l'élégance . Examinons
maintenant ce qui est particulier à chacune de ces
statues . Dans celle de M. De Senne , le bras , placé devant
la poitrine et élevé presque à la hauteur de la tête , en cache
une partie sous certain point de vue , ce qui est contraire
aux règles ; le manteau n'est pas ajusté sur le bras gauche
d'une manière assez large , et la jambe en avant est beaucoup
plus faible que l'autre . Dans la statue de M. Roland ,
lesplis de la manche gauche n'ont point un mouvement
naturel vers le haut du bras ; ceux qui dessinent la poitrine
sont de mauvais goût ; on ne sent pas bien le corps à tra
28 MERCURE DE FRANCE ,
vers l'habit ; et ces basques brodées , dont les cuissés sont
en partie couvertes , présentent deux grandes surfaces
plates et sans détails , qui déplaisent à la vue . Du reste , ces
figures représentent assez fidèlement une nature ordinaire ;
mais on doit exiger quelque chose de plus dans un monument
élevé en l'honneur d'un grand personnage , après
sa mort .
M. MOUTONY.
Nº 1130. Statue du général Lacour.
M. BRIDAN .
N° 1019. Statue du général Vallongne .
Voilà encore deux ouvrages que l'on peut mettre en parallèle
sous le rapport de la faiblesse du style. Néanmoins
je mets le second fort au-dessus du premier. La tête du
généralVallongne est d'un caractère mesquin , et l'ensemble
enestdéfectueux; les genoux sont détaillés avec sécheresse ,
et l'on ne sent pas qu'il sont recouverts d'un vêtement .
Ces défauts existent aussi dans la statue du général Lacour ,
mais plus forts et plus choquans; et par malheur cé ne
sont pas les seuls. Il est impossible de ne pas s'apercevoirde
la forme bizarre du bas-ventre , de la roideur des
jambes , et de la différence de caractère des deux mains :
la droite est assez en rapport avec la forme jeune et peu
détaillée de la tête ; la gauche , au contraire , semble appartenir
àun individu plus âgé , et les articulations , les veines
etlesmuscles sont exprimés plus fortement ;il faut convenir
que c'est pousser un peu trop loin le goût pour la
variété.
Jedésire m'être trompé dans ces observations ; si elles
sont justes, MM. Bridan et Moutony peuvent encore rectifier
leurs ouvrages , et les rendre plus dignes de la place
qui leur est destinée .
M. CHINARD .
Nº 1033. Legénéral Cervoni .
L'ensemble de cette statue , qui doit être exécutée dans
une proportion double pour la décoration du pont de la
Concorde, est beaucoup plus satisfaisant que celui des deux
précédentes ; mais il serait difficile d'analyser les détails ,
car l'auteur paraît ne pas s'en être occupé lui-même : on
ne voit partout qu'une masse exprimée avec une extrême
négligence , et qui par conséquent ne peut avoir ni les qua
1 1
JANVIER 1813 . 29
lités ni les défauts que l'on pourrait trouver dans un ouvrage
étudié.
M. TAUNAY.
N° 1144. Statue en pieddugénéral La Salle.
J'ai dit au commencement de cet article combien il est
difficile de tirer parti de notre costume en sculpture ;
M. Taunay nous prouve que cette difficulté n'est pas insurmontable
: le manteau , la veste de hussard , le pantalon ,
les bottes même , sont arrangés avec un art infini ; tout cela
paraît élégant et de bon goût , et cependant l'on dirait qu'il
n'a fait que copier la nature telle qu'elle se présentait àlui.
Ce mérite n'est pas le seul que fon remarque dans cette
statue : la figure est posée avec noblesse et sans affectation;
elle a une tournure martiale parfaitement conforme au caractère
et à l'expression de la tête ; la forme est en général
svelte et élégante ; et si l'auteur n'a pas étudié les mains et
les cuisses avec tout le soin dont il était capable , il est probable
qu'il a craint de se refroidir sur son modèle , et qu'il
a l'intention d'ajouter les dernières finesses à son ouvrage
quand il l'exécutera en marbre . Pour ne rien omettre, je lui
ferai remarquer que la jambe droite , vue de profil , paraît
légèrement arquée , ce qui vient sans doute de la manière
dont la botte est ajustée. Je croirais trop peu louer cette
figure en disant qu'elle est de beaucoup supérieure à celles
dont je viens de parlertout-à-l'heure, et je ne crains point
d'ajouter que je n'en ai pas encore vu une seule du même
genre qui méritât de lui être comparée .
No 1145. Buste en marbre de M. Ducis .
Il était impossible de trouver une tête plus belle et de la
représenter avec plus de talent. Le marbre s'est animé sous
le ciseau de l'artiste : il vit , il respire , il va se mouvoir , il
va parler. Ces yeux et cette bouche sont remplis de feu ; on
remarque dans tous ces traits un heureux mélange de force
etdedouceur, et l'on reconnaît à-la-fois et l'honnête homme,
et le poëte ; ces rides que l'âge a tracées sur son front et sur
toute sa figure sont exprimées avec tant d'art , que , loin de
déplaire à la vue , elles ajoutent encore à l'intérêt que cette
tête inspire. On doit louer M. Taunay d'avoir rejeté l'usage,
adopté par un grand nombre de sculpteurs modernes , de
creuser la prunelle dans les yeux de leurs portraits ; il a fait
voir qu'on pouvait très-bien rendre l'expression de la physionomie
sans avoir recours à un moyen réprouvé par le
30
1 MERCURE DE FRANCE ,
goût , et qui n'a jamais été employé dans les beaux tems de
la sculpture antique .
Ce buste ajoute encore à l'opinion que la statue du général
La Salle nous donne du mérite de cet artiste , et doit
faire vivement regretter qu'il ait passé une partie de sa jeunesse
sans rien produire .
M. Lemot a exposé aussi une joliefigure defemme couchée
et une Hébé versant le nectar à Jupiter. Mais ces
statues sont d'une petite proportion , et la dernière est exécutée
, dit- on , depuis plus de quinze ans ; il serait injuste
dejuger d'après ces deux ouvrages le sculpteur auquel nous
devons le beau bas- relief qui décore le grand fronton de la
colonnade du Louvre . S. DELPECH .
Erratum . Au Nº dernier , dans cette phrase de l'examen
du portrait de S. M. le roi de Rome : je trouve d'abord
que l'oeil droit n'est pas parfaitement d'ensemble avec l'oeil
gauche, sa direction semblerait indiquer que la tête est dans
une situation moins verticale , lisez : plus verticale .
VARIÉTÉS .
/
REVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES , LES ARTS ; LES MOEURS
ET LES USAGES .
Troisième lettre de l'Observateur provincial à Messieurs
les Rédacteurs du Mercure .
B ..... ce ....
MESSIEURS , il y a ici un homme dont les femmes ne
peuvent se passer , qu'elles comblent de prévenances , pour
qui elles sont visibles à toutes les heures du jour , et souvent
même de la nuit ; un homme qu'elles attendent avec
la plus vive impatience , qu'elles maudissent au moindre
retard , et caressent aussitôt qu'il paraît ; un homme enfin
qu'elles s'arrachent : c'est le mot. Quel est donc ce mortel
heureux ? Est - ce un amant ? Est-ce un petit-maître ? Non :
c'est un coiffeur .
Mais gardez-vous de le mettre au rang de ces hommes
obscurs voués pour jamais à des têtes vulgaires . Sa supé-
1
JANVIER 1813 . 31
riorité est aussi grande que celle dupeintre sur le barbouilleur
d'enseignes , et du poëte sur le faiseur de charades .
C'est un artiste initié dans tous les secrets de l'art sublime
des papillotes , et qui , pour mieux orner les têtes modernes
, a fait de profondes études sur celles de l'antiquité (*) . '
Il a chez lui les bustes des beautés les plus célèbres dans
l'histoire ; celui d'Aspasie pour les profils grecs et de Flora
pour les nez à la romaine ; celui de Roxelane pour les minois
chiffonnés , d'Héloïse pour les physionomies à grande
passion , de la Vallière pour celles qui expriment la tendresse
; enfin celui de Ninon pour les beautés conservées .
Il a bien une Lucrèce , mais on dit qu'il cherche à s'en
défaire . C'est d'après ces bustes complaisans qu'il est parvenu
à découvrir l'accord mystérieux qui existe entre telle
coiffure et tel caractère de physionomie . Il ne se borne pas
aux principes généraux. Aucune des nuances les plus légères
ne lui échappe : tantôt il réveille trop d'indolence
par la manière piquante dont il place une ou deux mèches
assassines ; ou bien , par une feinte négligence , un désordre
savant , il tempère trop de vivacité . En un mot, rien
n'égale la justesse de son coup- d'oeil et la légèreté de ses
doigts.
Voilà , me direz-vous avec l'accent du doute , bien des
talens pour un coiffeur de province . Rassurez-vous . C'est
à Paris qu'il a perfectionné les dons heureux de la nature ;
et chaque année il a soin d'y faire un voyage , afin de renouveler
en lui le feu sacré . Aussi est- il avoué des maîtres
les plus célèbres en ce genre . Grace à cette glorieuse affiliation
, son mérite est aussi incontestable que celui d'un
correspondant d'académie .
Vous concevez , maintenant , quelle doit être son importance
auprès des femmes ; c'est sur-tout un jour de bal
qu'elles l'implorent avec le plus d'instance. Comme il ne
peut , en raison du nombre , toutes les satisfaire , toutes
éprouvent l'horrible crainte d'être privées de son secours ;
il a sur-tout quelques préférences pour la beauté qui font
frémir celles que , sous ce rapport , la nature n'a pas aussi
bien dotées . Il y a peut- être plus d'amour-propre que de
galanterie dans cette prédilection . Il réserve ses plus belles
coiffures pour les plus jolies femmes , comme un auteur
dramatique donne les rôles les plus brillans de sa pièce
aux meilleurs acteurs . Rien n'est plus naturel : un joli visage
(*) On voit que la province a , comme Paris , ses M.... on ...
32 MERCURE DE FRANCE ;
ne gâte jamais rien ; c'est dans tous les tems un excellent
passeport . Heureuses donc celles qui ont cet avantage !
elles sont bien sûres d'être du nombre de ses favorites ;
mais comme ce nombre est petit , les autres restent livrées
à cette sourde inquiétude qui dévore l'ambitieuse médiocrité
.
Aussi tout se ressent dans le ménage de l'attente cruelle
dont la maîtresse de la maison est agitée. Les domestiques
font message sur message et sont grondés tour-à-tour; les
enfans sont misen pénitence , et le mari , comme de raison,
a sa bonnepart de la bourrasque : c'est lui qui est cause de
ce retard; il y met trop d'indifférence , et ne paie pas assez
généreusement un homme aussi précieux ; mais ce dernier
vient-il à paraître , l'orage se calme comme par enchantement;
un gracieux sourire se montre , en signe de paix ,
sur les lèvres de la belle . Le mari pour lui plaire entame
une querelle avec l'artiste encore tout essoufflé de la rapidité
de sa course , mais elle est la première à le justifier ;
elle va même jusqu'à accuser l'époux trop officieux d'injustice
et de dureté. Dans tous les cas la destinée d'un
mari est d'avoir tort .
On ne se borne pas à de douces paroles avec cet homme
intéressant , c'est à qui lui prodiguera
Les petits soins , les attentions fines .
GRESSET.
Comme il lui est impossible de prendre ses repas chez
lui , des restaurans de toute espèce lui sont préparés dans
chaque maison où il va .
.... Sirops exquis , ratafias vantés ,
Confitures sur-tout volent de tous côtés .
BOILEAU .
On peut dire , en un mot , qu'il est choyé comme l'était
autrefois un directeur de nones .
Croirez-vous qu'il est des femmes qui , dans la crainte
de le manquer , se font coiffer dès les cinq heures du matin ,
et se condamnent , pour ne pas déranger le galant édifice ,
à rester tout le jour dans une parfaite immobilité ? d'autres
ne sortent de ses mains que fort avant dans la nuit , et arrivent
au bal au moment où , comme le dit un poëte ,
Lerayon du matin fait pálir les bougies .
COL.
JANVIER 1813 . 33DEPT
DE
LAS
Plusieurs ont imaginé de se réunir , et de se faire coiffe
en masse . L'artiste arrive pour expédier une tête , il e
trouve six. Il ne peut s'en défendre , et le tems qu'on le
dérobe par ce subterfuge est toujours perdu pour une autre
Malheur à celle qui est sacrifiée ! Comme il est impos
sible de se montrer au bal sans être coiffée de sa main ,
elle est condamnée à se coucher tristement , et à entendre
quelquefois de son lit les instrumens joyeux au son desquels
dansent ses heureuses compagnes .
Quel que soit le talent de cet habile homme , il n'a pas
toujours celui de contenter tout le monde . Si l'une de ses
coiffures produit par hasard plus d'effet que les autres ,
que de reproches l'attendent le lendemain ! Pourquoi , lui
dit - on , ne m'avoir pas coiffée comme madame une telle ?
sa coiffure était charmante , mais elle lui allait fort mal ;
elle a le nez trop long pour ce genre-là . Une autre se plaint
amèrement d'avoir rencontré une coiffure pareille à la
sienne , et celle - ci , qui enrage au fond du coeur des succès
de sa rivale , ne peut cacher le dépit qu'elle éprouve de
l'avoir vue aussi bien coiffée . Que fait l'artiste au milieu
de ce flux et reflux de plaintes et de mécontentemens ?
Comme le sage d'Horace , il demeure impassible . Il sait
bien que ces querelles n'ont jamais de suites . Pourrait-on
se brouiller avec le dieu du goût ? On renverrait plutôt dix
amans que de s'exposer à un si grand malheur .
Je n'ai fait qu'esquisser les traits principaux qui caractérisent
cet artiste distingué . Je laisse les détails à ceux qui
écriront sa vie. Mais , d'après tout ce que j'en ai dit , on
peut conclure qu'il est l'homme le plus essentiel de la ville .
Que ne ferait-il pas s'il voulait user de son influence ! Que
de destinées seraient attachées à une boucle de cheveux !
Son fer à papillotes serait vraiment le sceptre au gré duquel
tourneraient toutes les têtes .
Témoin familier de tant de scènes domestiques , il pourrait
, à l'exemple du Diable Boîteux , révéler bien des mystères
; mais on vante sa discrétion . Un soin plus important
et plus légitime l'occupe ; c'est celui d'arrondir sa petite
fortune : elle serait des plus brillantes , s'il avait le secret de
mettre de l'ordre dans les têtes comme il sait en mettre à
la superficie .
J'ai l'honneur de vous saluer .
L'Observateur Provincial.
C
5.
Cen
34 MERCURE DE FRANCE ,
NÉCROLOGIE. - La Classe d'histoire et de littérature
ancienne de l'Institut , a perdu deux de ses membres dans
la même semaine : 1 ° M. Larcher , si connu par ses discussions
avec Voltaire , et , bien plus , par ses traductions
d'Hérodote et de Xénophon . Il est mort à l'âge de quatrevingt
-six ans ; 2° M. de Toulongeon , auteur d'une Histoire
de la Révolution , et d'une traduction des Commentaires
de César. Il n'avait que soixante-trois ans .
Les discours que leur digne confrère , M. Quatremère
de Quincy , a prononcés sur leur tombe , ont été insérés
dans le Moniteur. Nous ne les répéterons point ici . Un
officier qui , nous a-t- on dit , avait autrefois servi sous
les ordres de M. de Toulongeon , lui a fait aussi ses adieux
dans un discours que nous n'avons pu nous procurer .
Enfin , M. Dupont (de Nemours) , son collègue à l'Institut
et son ami , a lu sur sa vie une Notice qui n'a point
encore été publiée , et que nous nous empressons de mettre
sous les yeux de nos lecteurs .
Notice sur M. de Toulongeon .
Je prendrai la té d'ajouter mon tribut personnel à ce que
viennent de si bi primer Monsieur notre vice- président , et le
noble compagno mes de M. de Toulongeon . J'aimais et j'estimais
ce collègue nous avons perdu : j'ai partagé ses plus importantes
fonctions , et me suis vivement intéressé à plusieurs de ses
travaux . Dans l'affliction qu'il nous cause aujourd'hui , je laisserai
quelques mots s'échapper de mon coeur.
François - Emanuel de Toulongeon avait ce que de son tems nous
appelions de la naissance. Ily joignait beaucoup d'esprit , de sensibilité
, de bonté .
Militaire instruit , il fut un colonel très-distingué . Il était maréchal
de camp avant la révolution .
En 1789 , il fut nommé , conjointement avec son ami intime l'estimable
Bureaux-de-Pusy , député de la noblesse de Franche- Comté
aux Etats-Généraux. C'est là que j'ai commencé à les connaître plus
particulièrement l'un et l'autre , et à leur vouer une amitié tendre et
durable . J'étais leur aîné de près de vingt ans , et je leur survis à
tous deux . Est-ce un bonheur ? Je sens du moins que c'est une
peine. Mais la vie est un devoir qu'il faut remplir aussi long- tems
JANVIER 1813 . 35
que la nature et les circonstances nous l'imposent , et en táchant de
se rendre utile autant qu'on le peut.
Toulongeon et Pusy s'y sont constamment appliqués durant la
courte carrière qui leur fut accordée.
Aux Etats- Généraux et dans l'Assemblée nationale , ils étaient ,
j'avais l'honneur d'être avec eux , du petit nombre de gens de bien
qui se réunissaient chez l'illustre et vertueux duc de la Rochefoucault
, et auxquels on donna le nom de modérés , en y ajoutant un
terme d'injure , parce qu'ils avaient de la prudence et de l'humanité ;
parce qu'ils voulaient des améliorations , non des renversemens ;
parce qu'ils combattaient , et , depuis , ils n'ont jamais cessé de combattre
, pour toutes les constitutions telles qu'elles fussent , contre
toutes les révolutions telles qu'elles pussent être .
M. de Toulongeon n'était pas l'aîné de sa famille. Son revenu se
trouva diminué d'un tiers par la suppression des droits féodaux : il
n'enmurmura point. Il se retira sur sa terre en Nivernais ; ce qui
lui restait donnait à peine de l'aisance .
Il épousa une demoiselle qu'il aimait depuis long-tems , et qui
avait du talent pour la peinture . Lui-même dessinait avec facilité et
avec originalité; il savait peindre. L'amour est le premier des consolateurs
; l'agriculture , l'étude des lettres , l'exercice des arts ,
sont les seconds . 1
Quelques Mémoires très-bien faits lui procurèrent d'abord le titre
d'associé , et lui ouvrirent ensuite comme membre les portes de la
seconde classe de l'Institut , alors consacrée aux sciences morales et
politiques , et devenue la nôtre destinée à l'histoire et à la littérature
ancienne.
Il a écrit l'histoire de la Révolution , travail peut-être prématuré ,
mais où dans un style élégant il a montré l'impartialité la plus rare .
Il a traduit les Commentaires de César , et les a enrichis de notes .
Les morceaux qu'il nous en a lus , ont eu le suffrage de la classe .
Il a fait un Mémoire sur les peuples sauvages , les peuples civilisés
et les peuples barbares. Il l'a lu à notre classe , et après à la
première qu'il pouvait concerner par des rapports de calcul. J'oserais
penser que , dans cet ouvrage , il a trop cru la décadence des
nations une conséquence nécessaire de leur prospérité . C'est une
opinion assez générale ; et cependant il est permis de croire que la
science du gouvernement est perfectionnable par l'étude , l'expérience
et le tems , comme les autres sciences ; et pour l'intérêt pro-
C2
1
36 MERCURE DE FRANCE ,
)
gressif des gouvernemens eux-mêmes autant que pour celui des
nations qui leur sont soumises , il est permis de croire qu'elle pourra
rendre plus général et prolonger le bonheur des Etats . Une autre fois
M. de Toulongeon nous a fait remarquer la singularité avec laquelle
Homère , dans son admirable Iliade , a mis les qualités violentes et
féroces du côté des Grecs , les sentimens touchans , les vertus intéressantes
de celui des Troyens .
Il a ouvert d'une manière ingénieuse la discussion qui a produit
l'excellent Mémoire de M. Daunou sur le destin , et l'opinion qu'en
avaient les anciens , un desplus remarquables ouvrages qu'on ait lu
dans notre classe .
M. de Toulongeon faisait en se jouant des vers agréables , et les
adressait souvent à l'épouse qui le rendait heureux. Elle lui a donné
quatre enfans , deux filles et deux garçons. Il a perdu le plus jeune
de ceux-ci , et c'est auprès de cet enfant chéri qu'il a ordonné de
placer son tombeau. L'ainé paraît avoir hérité de grandes dispositions
pour les arts du dessin .
Le suffrage de ses concitoyens et celui du sénat ont porté deux
fois M. de Toulongeon au Corps législatif. Sa mort y excitera ,
comme parmi nous , de bien justes regrets et un doux souvenir .
C'est quelque chose que d'avoir été à-la-fois savant , aimable ,
littérateur , philosophe et poëte ; et dans le cours d'une révolution
très-orageuse , très -variée , d'avoir été , à diverses reprises , occupé
de grandes affaires publiques sans offenser personne , sans laisser
aucun ennemi ; d'avoir ainsi mérité la bienveillance des hommes et
les bénédictions du ciel. La vie passée de notre collègue a été heureuse
: nous ne doutons pas que celle dans laquelle il est entré ne le
soit aussi. DUPONT ( de Nemours . )
Lettre de M. Bourrit à Messieurs les Rédacteurs du
Mercure de France .
Genève , le 30 novembre 1812 .
MESSIEURS , j'ai lu dans le N° DXC de votre excellent Journal
une analyse de l'ouvrage publié par M. Leschevin sur Genève et la
vallée de Chamouni. Dans cette analyse , ainsi que dans l'ouvrage ,
mes descriptions et mes tableaux des Alpes sont représentés comme
peu fidèles . C'est , je pense , l'accusation la plus grave que l'on puisse
faire à un auteur et à un peintre ; mais je demande si M. Leschevin
JANVIER 1813 . 37
en
devait se permettre une telle accusation , lui qui , de son propre
aveu , n'a mis que quatre jours à parcourir les glaciers , c'est-à -dire ,
des régions immenses où la nature est dans un mouvement continuel ,
où la scène est à chaque instant changée , où des filets d'eaux et de
petits réservoirs deviennent tout-à-coup des torrens impétueux et de
vastes bassins , où , après avoir admiré le matin de jolis bosquets et de
vertes collines , vous ne voyez le soir que des arbres abattus , des
sables amoncelés , des glaces , des rochers et d'affreux précipices ?
Il suffit à l'observateur de faire un pas ou d'attendre un instant , pour
que le théâtre ne soit plus le même ; et pour porter un jugement
exact sur la fidélité d'une description ou d'un dessin des Alpes , il
faudrait que le juge se fût trouvé avec l'auteur au moment et sur la
place où celui-ci prenait la plume et le crayon. Pendant cinquantecinq
années j'ai parcouru les lieux que j'ai dépeints , et il est probable
que si les milliers de voyageurs qui s'y sont rendus après moi eussent
trouvé mes descriptions puériles ou exagérées et mes tableaux
infidèles , ils ne les auraient mis ni dans leurs bibliothèques , ni dans
leurs cabinets : on n'eût pas traduit mes ouvrages en hollandais
italien , en allemand , en anglais : on n'en aurait pas fait plusieurs
éditions françaises . M. de Buffon , M. Delille et plusieurs autres
écrivains ne les eussent pas cités avec éloge. L'ancien sénat de
Genève , l'ancien roi de Sardaigne , Louis XVI , et une foule de particuliers
ne m'eussent pas commandé des tableaux , et si M. Lescheviu
désirait quelqu'autre témoignage , je lui citerais le jugement même
de l'illustre de Saussure . Il m'écrivait le 4 février 1774 : « Tout le
>> public vous doit des remercimens pour cette description vive ,
> piquante et vraiment pittoresque de ces objets si intéressans et si
» peu connus . Vous donnez à ceux qui ne les connaissent pas le désir
>> de les contempler , et vous les retracez d'une manière bien vraie
>> et bien agréable à ceux qui les ont vus : c'est du moins le sentiment
» que j'ai éprouvé en vous lisant . Je désire bien vivement que vous
>> vous hâtiez de donner au public les planches qu'il attend de vous ,
>> qui sont nécessaires pour rendre votre ouvrage absolument complet.
>> Je compte bien publier aussi quelque chose sur l'histoire de ces
>> mêmes montagnes : c'est dans ce dessein que je les étudie depuis
>> tant d'années . J'aurai à votre ouvrage l'obligation d'avoir réveillé
>> l'attention du public sur ces grands objets , et de lui avoir fait désirer
>> d'en connaitre les particularités , etc. >>>
Ace témoignage particulier j'ajouterai le témoignage public que
m'a rendu M. de Saussure en plusieurs endroits de ses ouvrages. En
parlant de mon tableau du lac de Chede , il disait : « Ce tableau est
38 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
>> du plus grand effet et répond parfaitement à la beauté du site : >> et
dans son Discours préliminaire , il dit : « Les vues des montagnes
>> que j'ai jointes à leurs descriptions ont été dessinées sur les lieux
>> par M. Bourrit avec une exactitude que l'on pourrait appeler ma-
>> thématique , puisque souvent j'en ai vérifié les proportions avec le
>> graphomètre sans pouvoir y découvrir d'erreur. Il a même sacrifié
>> à cette exactitude une partie de l'effet de ces dessins en exprimant
>> les détails des couches et en prononçant fortement les contours des
>> rochers . J'aurais volontiers fait graver quelques-uns de ses grands
>> tableaux des glaciers , si le burin pouvait rendre la force et la vérité
>> avec laquelle il exprime les glaces , les neiges , et les jeux infini-
>> ment variés de la lumière au travers de ces corps transparens . »
J'espère que M. Leschevin croira au graphomètre de M. de Saussure
, et voudra bien attribuer ces courtes réflexions non pas au
désir de critiquer son ouvrage , mais à la nécessité de me justifier aux
yeux de ses lecteurs .
Si vous avez la complaisance , Messieurs , d'imprimer cette lettre
dans un prochain numéro de votre Mercure , vous obligerez infiniment
celui qui a l'honneur d'être , etc.
BOURRIT .
1
1
POLITIQUE.
Les armées sont toujours en présence en Amérique ; une
troisième expédition se prépare contre le Canada , et les
succès maritimes des Américains continuent d'étonner et
d'affliger l'Angleterre . Dans les communications de l'envoyé
anglais sir Warren et M. de Monroë , ministre américain ,
c'est M. Warren qui parle d'armistice , de conciliation ,
d'échange de prisonniers , et de tout ce qui peut précéder
une négociation ou l'avoir pour résultat. Dans celui de
M. de Monroë il n'est question que des droits des Américains
méconnus , de leur liberté violée , de leur indépendance
attaquée. Le gouvernement ne se refuse pas à un
rapprochement , mais il ne consentira à un armistice
qu'après la reconnaissance formelle des droits qu'il réclame,
et tout annonce que c'est à ce degré de condescendance
que seront réduits les Anglais , qui sententenfin , par la plus
triste expérience et par des privations de toute nature , le
besoin de la paix et du commerce avec les Américains , et
la faute qu'ils ont faite en croyant à leur défaut d'énergie et
à leur impuissance. Dans l'Amérique méridionale , le général
Monteverde , commandant l'armée royale , le général
Miranda , chef des insurgés , en sont venus à une correspondance
dont les termes annoncent un rapprochement
avec des concessions mutuelles . Cette correspondance est
volumineuse ; elle confirme ce qu'on savait déjà de l'état
des provinces de Venezuela , où la guerre civile paraît foucher
à sa fin .
Le parlement britannique s'est ajourné au 2 février : ses
dernières séances n'ont offert aucune particularité remarquable
. Les deux chambres se sont occupées de différens
bills relatifs au service de la légion allemande , aux brasseries
de sucre et d'amidon , à la monnaie d'or. Les orateurs
de l'opposition n'ont pas eu de peine à prouver qu'il existait
dans le commerce une différence sensible dans les prix,
soit que l'on payât en or , soit que l'on payât en billets de
banque : la thèse contraire était soutenue par les ministres .
L'exportation du numéraire a aussi été l'objet des observations
de plusieurs membres ; des états ont été présentés
!
40 MERCURE DE FRANCE ,
relativement à cet écoulement successif qui laisse l'Angleterre
inondée d'un signe représentatif, et dépouillée du
signe de valeur réelle. Le comité des subsides a aussi été
vivement attaqué par M. Whitbread qui , passant en revue
les diverses classes d'individus auxquelles le gouvernement
accorde des secours , n'a pas cru qu'il fût nécessaire d'en
offrir aux Russes victimes de cette guerre , et a dit fort nettement
que charité bien ordonnée commençait par soimême
. Sir Francis Burdett l'a vivement appuyé. Cependant
lord Liverpool a insisté en faveur du bill ; il a peint les
efforts faits par la Russie pour résister à la France , et a regardé
sa résistance comme un service personnel rendu à
I'Angleterre . La Russie a donc brûlé Moscou pour assurer
les intérêts des capitalistes de Londres ; les Russes , qui vont
recevoir des secours de l'Angleterre pour avoir vu leurs habitations
incendiées par l'ordre de leurs chefs , ne se doutaient
peut-être pas qu'ils recevraient au sein du parlement
britannique des remercîmens d'un sacrifice qui , de l'aveu
des ministres , ne sert que l'Angleterre . C'est à l'égard de
ces subsides et de leur quotité que le Moniteur s'exprime
ainsi :
" Il faut au moins être conséquent ; la gazette de Pétersbourg
dit que ce sont les Français qui ont mis le feu à
Moscou et aux mille villages qui se trouvaient sur la route,
et dès- lors elle a raison de taxer les Français de cruauté et
de barbarie ; mais ce n'est pas là le langage que vous tenez
dans cette discussion ; vous dites que ce sont les Russes
eux-mêmes qui ont incendié Moscou et les villages qui sont
sur la route ; quelle plus grande cruauté restait à commettre
aux Français ? On peut évaluer le tort que la Russie s'est
faite à elle-même à trois milliards : que lui donne l'Angleterre
dans sa munificence et sa gratitude ? 200 mille livres
sterlings , cinq millions de France ? "
Les Anglais ont reçu de Cadix et de Lisbonne des nouvelles
qui leur apprennent que lord Wellington s'est retiré
à Ciudad-Rodrigo , et que son armée a pris des cantonnemens
aux environs de cette place , que le général Hill est
redescendu vers le Sud, que l'expédition d'Alicante est
toujours tenue en échec par le duc d'Albufera , et qu'en
Catalogne le général Decaen manoeuvre pour assurer sur
tous les points ses communications et ses approvisionnemens,
et pourfaire parvenir des renforts au duc d'Albufera :
voilà les nouvelles certaines et incontestables qu'ils ont
reçues.
JANVIER 1813 . 41
1
Voici celles qu'ils y ajoutent , nouvelles qu'a dû leur apporter
le Zéphir, venant de Saint-Ander. « Le général
Caffarelli a repris le chemin de la France avec toutes les
forces sous ses ordres . En combinant ce mouvement avec
les événemens qui ont lieu à 2,500 milles , les spéculateurs
politiques y trouveront de quoi occuper leur curiosité . "
Un autre Journal anglais , le Star , fait mieux : il imprime
en gros caractères , ces mots : ÉVACUATION DE L'ESPAGNE
PAR LES TROUPES FRANÇAISES ; puis il ajoute d'un ton
plus modeste : le bruit court que les troupes françaises ont
évacué l'Espagne . A ce bruit , à ces nouvelles de Cadix ou
de Saint-Ander , le Moniteur oppose les notés que l'on va
lire .
« Loin d'évacuer l'Espagne , de nouvelles troupes s'y
rendent ; 20,000 hommes , 6000 chevaux , et 600 chariots
qui existaient dans les 11 et 20º divisions militaires , viennent
de recevoir l'ordre de renforcer les armées de Portugal
, du centre et du midi de l'Espagne . Un convoi de
Io millions vient d'être envoyé pour aligner la solde . Si
vous croyez aux évènemens passés à 2,500 milles de vous ,
tels que les rapportent les gazettes de Pétersbourg , vous
êtes d'étranges dupes . Nos armées ont tendu et rendront
vains tous vos efforts . Votre pays et votre trésor s'épuisent
dans une lutte disproportionnée avec votre population , et
les besoins de vos établissemens d'Amérique et d'Asie .
L'Espagne est à la dynastie française ; aucun effort humain
ne peut l'empêcher. " 1
Poursuivant le cours de ses allégations , le journaliste
anglais , si bien instruit par la malle de Cadix , déclare que
la carrière de Napoléon , en Europe , est presque terminée ,
et qu'elle doit se trouver bornée à la France . Nous devons
nous attendre à chaque instant , dit- il , à appreudre que
l'empereur d'Autriche se sera déclaré contre lui. Lord
Walpole est depuis long-tems arrivé à Vienne . Il était
parti de Pétersbourg le 29 octobre , et son voyage a duré
un mois .
Relativement aux bornes que la politique anglaise met à
celle de l'Empereur , et aux cessions qu'elle lui demande ,
voici ce que répond le Moniteur ::
“ Même la Hollande , même Rome , la Toscane , le Piémont
, même la Belgique , même le comté de Nice , cela
serait beau ! Mais pourquoi tant de modération ? pourquoi
vous arrêter en si beau chemin ? pourquoi ne pas profiter
du moment et partager la France ? Croyez-moi , tant que
42 MERCURE DE FRANCE ,
vous laisserez réunis en un seul corps de nation ces 20
à25millions d'hommes qui sont près de vous , vous courrez
des dangers . Séparez-les : refaites un duc de Bourgogne
, un duc d'Aquitaine , un duc de Normandie , un
duc de Bretagne : alors seulement vous aurez de la sécurité
. Vous souvenez-vous des beaux tems de Charles - le-
Téméraire et de ceux de la maison de Montfort ? Cela serait
encore bien beau , n'est-ce pas ? Mais , pendant que
vous rêvez ces merveilles , l'Irlande se sépare de vous ,
votre pays se révolutionne , le Continent déjà est hors de
la dépendance de votre administration ; même cette Russie
, si chère aujourd'hui , ne veut pas de vos marchandises
manufacturées .
"
Et quant à la mission de lord Walpole , et son voyage
de Pétersbourg àVienne , voici une troisième note qui
doit être lue avec un vif intérêt .
« L'Autriche et la France sont inséparables pour le bonheur
du Continent : c'est l'alliance de 1756 qui a créé la
marine qui a délivré l'Amérique. Votre lord Walpole n'est
plus à Vienne . On ne l'a pas écouté. Aucune puissance dú
Continent ne s'éloignera de la France ; toutes seront
sourdes à vos intrigues. D'ailleurs , 40 millions de Français
ne craignent rien. Malheur à vous si quelque cabinet
faible écoutait vos conseils ! Vous seriez cause encore de
l'accroissement des forces de la France . Quatre cent mille
hommes sont actuellement sur pied dans l'intérieur de la
France , sans compter les armées d'Espagne et la Grande-
Armée. Aucun nouveau secours d'hommes ni d'argent
n'est nécessaire à la France ; mais , s'il le fallait , si les destinées
de l'Empire étaient menacées , sachez que 300,000
hommes et 300 millions sont prêts chaque année . Ni
hommes ni argent ne coûteront à la nation pour maintenir
sa considération et la sûreté générale de l'Empire , de
l'Italie et de la confédération du Rhin . "
Tous les journaux anglais n'ont cependant pas besoin
qu'on les réfute par de telles déclarations . Par exemple , le
Morning- Chronicle oppose les réflexions suivantes aux conjectures
et aux déclarations de ses confrères .
« Il est triste , dit-il , d'entendre nos ministres et leurs
adhérens parler , même en ce moment, de leur espoir
d'influencer la cour de Vienne , et de leur confiance dans
la mission de lord Walpole . Est-il rien de plus puéril
qu'un tel langage ? Ils n'ontpas honte d'émettre l'opinion ,
qu'un jeune homme sortant de l'école doit effectuer uts
JANVIER 1813 . 43
,
changement dans les conseils de l'empereur d'Autriche . Si
nous pouvons même en juger d'après le ton élevé que
prennent les journaux à la solde des ministres , ceux-ci
espéreraient que François irait jusqu'à déshériter son petitfils
et à aider la coalition à dépouiller son gendre de toutes
les conquêtes qu'il a faites . Si ce n'est pas là de la folie
nous ignorons la véritable signification de ce mot. Quelque
agent diplomatique que l'on eût envoyé près de la cour
de Vienne , même en tems opportun , cet agent aurait eu
à remplir une tâche très-difficile; car nous croyons que
jamais la jalousie et la haine n'ont été plus grandes entre
les cours de Vienne et de Pétersbourg , que pendant la
campagne actuelle .
"
,
Ainsi donc , au lieu de toutes ces mesures aussi absurdes
qu'impraticables , nous attendions du caractère le
plus connu de quelques membres les plus habiles de notre
cabinet , une démarche raisonnable et judicieuse auprès de
la cour de Vienne , par un de nos diplomates le plus habile
et du caractère le plus honorable , avec un projet de
paix générale ayant pour base d'assurer l'indépendance
actuelle de toutes les puissances . Mais sans songer à
mettre à exécution ce projet extravagant du rétablissement
des Bourbons ou celui de l'Europe dans l'état où elle
était ily a vingt ans , si on eût offert à l'Empereur d'Autriche
un plan modéré au commencement de cette campagne
, cela aurait pu engager Napoléon , ainsi que son
beau-père , à écouter des conditions . Nous craignons que
notre espoir de son entière déconfiture ne soit pas assez
bien fondé pour l'engager à se soumettre à des conditions
qui n'auraient pas pour base la modération . »
Relativement à l'arrivée de l'Empereur à Paris , le même
journal contient cet aveu précieux : en faisant cesser , ditil
, toutes les incertitudes sur la santé de Napoléon , cette
arrivée inattendue a changé complètement la face des affaires
dans le Nord .
Les nouvelles de Varsovie , en date du 19 , et de Berlin
, en date du 18 , offrent des détails intéressans , qui
viennent bien à l'appui des notes que nous venons de transcrire.
« Le duc de Bassano est parti le 19 de Varsovie , pour
se rendre à Berlin ; il a passé cinq jours à Varsovie ; il a
en plusieurs conférences avec les ministres , chez le prince
Poniatowski , ministre de la guerre . On ne s'est pas seulement
occupé du recrutement de l'armée : déjà les bases en
1
44 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
avaient été fixées , et 30,000 hommes arrivent dans cette
capitale du grand duché : on pouvoit à leur habillement ;
mais on a arrêté d'appeler à la défense du pays toute la
noblesse , ce qui fournira plus de 20,000 hommes de bonne
cavalerie .
" Le comte Lauriston a aussi passé quelques jours à Varsovie
: il vient de partir.
" Le comte de Narbonne , aide-de-camp de S. M. l'Empereur
des Français , a eu l'honneur de dîner avec S. M.
leRoi de Prusse : on assure qu'il lui a remis une lettre
de son souverain; il a eu plusieurs conférences avec le
grand- chancelier , comte de Hardenberg. "
Vendredi dernier S. M. a reçu dans la salle du trône
les hommages de la Cour de cassation , de la Cour des
comptes et de l'Université impériale .
Ne pouvantinsérer les trois discours prononcés , il paraîtra
naturel que cette feuille choisisse particulièrement le
discours de S. Exc . le grand-maître de l'Université pour le
mettre sous les yeux du lecteur.
« Sire , a dit M. le comte de Fontanes , l'Université que
les monarques vos prédécesseurs appelaient leur fille
aînée , doit partager vivement la joie que le retour de
V. M. fait naître dans tous les coeurs . Elle se félicite , en
ce moment , de porter aux pieds du trône les hommages
et les voeux d'une génération entière qu'elle instruit dans
ses écoles à vous servir et à vous aimer .
» Oui , Sire , l'Université fondée par Charlemagne , relevée
par Napoléon , mille ans après son premier fondateur
, ne peut oublier devant ces deux grands noms les
saints engagemens qu'elle a contractés envers le trône et
la patrie. Son origine et son antiquité lui rappellent tous
ses devoirs , dont le premier est de faire des sujets fidèles .
Sage dépositaire des vieux principes , elle parle au nom des
siècles et de l'expérience . Elle fut , elle sera toujours en
garde contre ces nouveautés hardies et ces systèmes désastreux
qui l'entraînèrent , dans la ruine universelle , avec
toutes les institutions monarchiques .
" L'étude des bonnes lettres qu'elle enseigne , est fondée
sur le bon sens , et le bon sens est le premier besoin des
sociétés ; c'est le bon sens qui montre par-tout l'accord de
l'intérêt et du devoir; c'est lui qui révère tout ce qui est
ntile , même avant de l'expliquer ; il s'arrête avec respect
devant le mystère du pouvoir et de l'obéissance ; il l'abandonne
à la religion qui rendit les princes sacrés en les fai
JANVIER 1813 . 45
sant l'image de Dieu même ; c'est lui qui terrasse l'anarchie
et les factions , en proclamant l'hérédité du trône ; c'est lui
qui fit de cette loi un dogme français , et , si je puis parler
ainsi , un article fondamental de la foi de nos pères . La
nature ordonne en vain que les rois se succèdent , le bon
sens veut que la royauté soit immortelle .
,
L'Université conservera toujours ces antiques maximes
qui font la sécurité des familles auxquelles son sort est lié.
Mère commune de tous les enfans que l'Etat lui confie
elle vous exprime leurs sentimens avec les siens . Permettez \
donc , Sire , qu'elle détourne un moment les yeux du trône
que vous remplissez de tant de gloire , vers cet auguste
berceau où repose l'héritier de votre grandeur . Toute la
jeunesse française environne avec nous de ses espérances
et de ses bénédictions cet enfant royal qui doit la gou-
{ verner un jour. Nous le confondons avec Votre Majesté
dans le même respect et dans le même amour. Nous lai
jurons d'avance un dévouement sans bornes comme à
vous -même .
» Sire , ce mouvement qui nous emporte vers lui ne
peut déplaire à votre coeur paternel. Il vous dit que votre
génie ne peut mourir , qu'il se perpétuera dans vos descendans
, et que la reconnaissance nationale doit être éternelle
comme votre nom. »
S. M. a répondu qu'elle agréait les sentimens exprimés
par MM. les présidens de la Cour de cassation , de la
Cour des comptes , et par S. Exc. le grand-maître de
l'Université .
Le dimanche suivant , S. M. a également reçu sur son
trône les hommages de la Cour impériale de la Seine, d'une
députation de Rome et du Corps municipal de Paris , ayant
à sa tête M. de Chabrol , préfet du département de la Seine .
S. M. a daigné témoigner sa satisfaction des sentimens
exprimés dans les discours qui lui ont été adressés .
Le même jour , il y a eu grande parade dans la place
du palais des Tuileries ; elle a duré trois heures . Trentecinq
à quarante mille hommes et de nombreux corps de
cavalerie ont été passés en revue par S. M. et ont défilé devant
elle aux acclamations de vive l'Empereur ! Dans le
même moment , le Moniteur publiait des adresses souscrites
par les officiers et soldats de dix cohortes formées par le
premier ban de la garde nationale , et cantonnées sur les
divers points du territoire de l'Empire : l'objet de ces
adresses est de demander une grâce à S. M. , celle de marr
46 MERCURE DE FRANCE ,
cher à l'armée active , d'aller partager ses dangers , ses fa-
-tigues et sa gloire. Toutes ces adresses parlent d'une inexpérience
dans le métier des armes , que l'aspect de ces
belles cohortes suffit pour démentir ; elles promettent d'y
suppléer par le dévouement et le courage ; il est donc vrai
de dire qu'elles réuniront les deux qualités qui forment le
soldat par excellence , et qui en tout tems ont distingué le
soldatfrançais .
Dimanche , LL. MM. ont assisté à l'Opéra à une belle
représentation de la Jérusalem délivrée. L'assemblée était
nombreuse et brillante . La présence de LL. MM. a excité
Jes transports de la plus vive allégresse . Le surlendemain ,
LL. MM . ont passé de leurs appartemens dans la grandegalerie
du Muséum , et sont venues visiter le salon d'exposition
. On avait voulu prendre des dispositions pour que
LL. MM. y fussent seules avec les personnes de leur suite ;
mais l'Empereur a ordonné que toutes les portes demeurassent
ouvertes , et a parcouru le salon , et les diverses
galeries , sous l'escorte et la garde de la foule des spectateurs
, qui se pressaient autour de sa personne . S ...
ANNONCES .
LE tome IIIe du Dictionnaire des Sciences médicales vient de
paraître . Nous ne saurions trop recommander un ouvrage aussi utile
et fait avec autant de soin . L'impression et le papier pourraient
appartenir à un ouvrage de luxe. Ce volume a 700 pages et contient
sans doute plus de matières que trois volumes in- 8° ordinaires . Nous
citerons l'article Passin , de M. Chaussier ; Blennorrhagie, de M. Cullerier
; Berceau et Callipodie , de M. Gordien ; Bourdonnement , de
M. Itard ; Poisson et Calorique , de MM. Hallé et Nysten ; Biscuit
demer de M. Keraudren ; Baptême , Blessure , de M. Marc ; Bezoard
, de M. Cadet-de-Gassicourt ; Barbe , par M. Pariset ; Benigne,
Brownisme , Cachexie , Cacochymie , par M. Pinel ; Bile, Caducité ,
par M. Renauldin ; Botanique , par M. Virey ; Calcuture , par
M. Fournier ; Bibliographie, par M. Chaumeton; et l'article Cancer,
de MM. Bayle et Cayole. Ses auteurs y ont développé les vues les
plus profondes : ce traité précis est le résultat de longs travaux et
d'une expérience de faits que l'on ne retrouverait nulle part .
2
JANVIER 1813 . 47
:
On voit aussi avec plaisir que les docteurs les plus célèbres , outre
seux que nous avons annoncés , concourent à cette entreprise. M. le
docteur Boyer est annoncé pour le mot Crane ( pathologie ) ;
M. Perey , pour le mot Charpie ; M. Cuvier , pour le mot Caverneux
( corps ) ; M. Gall , pour le mot Cerveau ; M. Legallois , dont
les découvertes ont excité l'intérêt de tous les savans , pour le mot
Coeur; M. Royer - Collard , chargé par le ministre d'un rapport
général sur tous les mémoires qui ont paru au sujet du Croup , traitera
de cette maladie , qui porte la désolation dans les familles .
Chez l'éditeur , M. Panckoucke , rue et hôtel Serpente , nº 16 ;
Lenormant , rue de Seine , nº 8. Les volumes mis au jour sont du
prix de 9 fr. au lieu de 6. Plus on se hâtera de souscrire , moins on
aura de volumes à payer au prix de 9francs . M. Panckoucke imprime
le tome IV , M. Lenormant le tome V. Ces deux volumes sortiront
à la fois . M. Panckoucke ayant acquis la part que son associé avait
dans l'entreprise , toutes les lettres doivent lui être adressées directement.
Messieurs les Souscripteurs sont priés d'envoyer chercher le
tome IIIe .
Dictionnaire Topographique , Etymologique et Historique des rues
deParis ; contenant les noms anciens et nouveaux des rues , etc. etc.
accompagné d'un plan de Paris ( lequel est réduit avec soin sur le
grand plan de Verniquet ) ; par J. de la Tynna , de la Société d'Encouragement
, etc. Un vol, de plus de 500 pages . Chez l'Auteur ,
rue J.-J. Rousseau , nº 20 ; et chez plusieurs libraires .
Cet ouvrage contient de grandes recherches , et se fait distinguer
essentiellement des simples compilations publiées sur le même sujet.
L'exactitude scrupuleuse qu'on y remarque d'abord , rappelle les
soins bien connus avec lesquels l'auteur rédige annuellement l'Almanach
du Commerce.
Nouveaux Elémens de littérature , ou Analyse raisonnée des différens
genres de compositions littéraires , et des meilleurs ouvrages
classiques , anciens et modernes , français et étrangers ; contenant
des extraits ou traductions des auteurs les plus estimés. Traduits en
partie de l'ouvrage allemand d'Eschenburg, par M. Bretom , traducteur
de la Biblioth . géogr. de Campe. A l'usage des jeunes gens .
Six vol . in- 18 . Prix , papier ordinaire , II fr . , pap . fin , 12 fr. Chez
D'Hautel , libraire , rue de la Harpe , nº 80 .
OEuvres de Mme Elie de Beaumont , contenant les Le ttres du marquis
de Roselle. Deux vol. in- 18 . Prix , 3 fr. 50 c. , et 4 fr. franc de
port . Chez le même .
48 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
Manuscrits de la Bibliothèque de Lyon , ou Notices sur leur ancienneté
, leurs auteurs , les objets qu'on y a traités , le caractère de
leur écriture , l'indication de ceux à qui ils appartinrent , etc .; précédées
1º d'une histoire des anciennes bibliothèques de Lyon , et en
particulier de celle de la ville ; 2º d'un Essai historique sur les manuscrits
en général , leurs ornemens , leur cherté , ceux qui sont à
remarquer dans les principales bibliothèques de l'Europe , avec une
bibliographie spéciale des catalogues qui les ont décrits ; par Ant.
Fr. Delandine , Bibliothécaire de Lyon , membre de l'Académie de
cette ville , correspondant de l'Institut . Trois vol . in-8 ° . Prix , 20 fr .
et 25 fr . franc de port. A Paris , chez A. A. Renouard , rue Saint-
André-des-Arts , nº 55 ; et à Lyon , à la Bibliothèque publique , et
chez les principaux libraires .
Abrégé de la Tachygraphie ou de l'Art d'écrire aussi vite qu'on
parle , divisé en deux leçons , dans lesquelles sont renfermées les
démonstrations relatives à la Prosodie et au Dictionnaire tachygraphique
de la langue française faites à l'Athénée de Paris ; par Mlle
Coulon de Thévenot . Seconde édition , augmentée de planches et de
modèles gravés sur cuivre , avec lesquels on peut apprendre de soimême
cette écriture . Prix , 4 fr . , et 4 fr . 50 c . franc de port. Chez
J'Auteur , rue du Faubourg-Saint-Honoré , près celle des Champs-
Elysées , no 30 .
Particularités et observations sur les ministres des finances de France
les plus célèbres , depuis 1660 jusqu'en 1791. Un vol. in-80 . Prix ,
6 fr. , et 7 fr . 25 c. franc de port. Chez Lenormant , impr.-libr. ,
rue de Seine , nº 8 ; Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille ,
nº 23 .
MUSIQUE . Dodici ariette con accompagnamento di piano, composte
dal signor Bassi , primo buffo del teatro di S. M. l'Imperatrice e Regina
, e dedicate dal medismo madama Barilli . Libro I e 2. Prezzo ,
4 fr . 50 c ..... 9 fr. Chez Carli , éditeur , marchand de musique ,
cordes de Naples , et librairie italienne , péristyle du Théâtre-Favart,
côté de la rue Marivaux.
Trois airs de l'opéra d'Enone , dont deux chantés par Mme Branchu
; parole de M. le Bailly , musique de feu Chrétien Kallsbrenner ,
arrangé pour le piano par M. Féderic Kallsbrenner . On vend les airs
rue de Chabanois , nº 9 , où on ouvre la souscription pour la vente de
la partition. Le prix pour les souscripteurs est de 25 fr . , et pour les
autres de 40 fr .
2
TABLE
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
N° DXCIX . -
Samedi 9 Janvier 1813 .
POÉSIE .
LA MAISON DES CHAMPS.
IMITATION DE MARTIAL .
Rure vero barbaroque lætatur..۰۰۰۰۰
AMI , je veux que ma maison des champs
Soit simple , agreste , et même un peu sauvage.
Les longs berceaux de myrtes odorans ,
Du buis tondu l'inutile feuillage ,
Du plane oiseux le parasite ombrage ,
N'y couvrent point de stériles arpens .
Tout doit ici tribut an labourage ;
Par-tout jaunit la fertile moisson ;
Et les coteaux , en l'arrière-saison ,
Sont tapissés des doux fruits de la treille.
Que j'aime alors à voir le vigneron ,
Chargé du poids de sa riche corbeille ,
Tout dégouttant de la liqueur vermeille ,
Sans se lasser , du matin jusqu'au soir ,
Aller,venir , de la vigne au pressoir !
1
D
50 MERCURE DE FRANCE ,
Cependant fier de sa naissante armure ,
En mugissant et prenant ses ébats ,
L'amant d'Io , dans la vallée obscure ,
Déjà s'essaie à de plus grands combats .
Près du logis , est une république ,
Où mille oiseaux de toutes les couleurs ,
Et différens de langage et de moeurs ,
Semblent former une famille unique :
L'oison criard , le canard aquatique ,
Le lourd dindon , et le coq vigoureux ,
Dans son sérail , sultan impérieux ,
Qui fièrement prodigue à vingt maitresses ,
Ou plutôt semble accorder ses caresses .
Sur la pintade on voit briller l'argent ;
L'orgueilleux paon se pavane et se joue ,
En déployant l'arc- en-ciel de sa roue ;
La pourpre et l'or décorent le faisan .
Tandis qu'ici les colombes fidèles ,
Du battement de leurs tremblantes ailes ,
Font retentir le sommet de leurs tours ,
Les doux ramiers , les tendres tourterelles
Au fond des bois , roucoulent leurs amours ;
L'avide porc poursuit la ménagère ,
Et l'agneau bêle en attendant sa mère.
,
L'hiver vient-il ? on allume des feux .
Un bois bien sec , qui s'enflamme et pétille ,
Réchauffe au loin la joyeuse famille .
Sans recourir à d'insipides jeux ,
Qu'ont inventés les désoeuvrés des villes ,
L'homme des champs rend ses loisirs utiles:
Armé de pieux , de toiles , de filets ,
Il fait la guerre aux hôtes des forêts ,
Offre aux oiseaux une amorce perfide ,
Prend à la ligne un poisson tropavide ,
Ou force un lièvre à travers les guérets.
A
Les travaux même , oui , les travaux champêtres
Sont la plupart autant d'amusemens ;
Chacun s'empresse , enfans , valets et maîtres ,
D'y consacrer ses plus heureux momens ;
JANVIER 1813 . 5г
L'écolier libre et loin de ses pédans ,
Au villageois obéit sans inurmure ;
Et du jardin la facile culture
Occupe aussi nos citadins brillans .
Ainsi l'on trouve au sein de la nature ,
Malgré le luxe et ses raffinemens
Des vrais plaisirs la source la plus pure.
१
Souvent encor d'honnêtes paysans
Viennent nous rendre un libre et franc hommage.
S'ils ne sont pas doués d'un beau langage ,
Toujours leurs mains sont pleines de présens .
L'un nous apporte un excellent fromage ,
L'autre un chevreau , la couple de poulets ,
Ou le chapon , oisif célibataire ,
Qui s'engraissa , réduit à ne rien faire ;
L'autre , du lait , du miel et des oeufs frais ;
Des bons fermiers les filles déjà grandes
Viennent aussi présenter leurs offrandes.
Après l'ouvrage on invite un voisin ,
Ades repas où la parcimonie
Ne garde point le plat du lendemain :
Les valets , sûrs de leur part du festin ,
Aux conviés ne portent point envie.
Mais ces jardins , où voisin des faubourgs ,
Et trop épris d'une gloire futile ,
Vous transportez le faste de la ville ;
Ce labyrinthe et ses nombreux détours ,
Ces boulingrins , ces vastes avenues
Ces belvéders élancés dans les nues ;
Qu'y voyez -vous ? des promenades nues ,
De grands bosquets habités par la faim.
Le vin , le fruit , les légumes , le pain ,
Tout , à grands frais , de fort loin s'y voiture :
Priape oisif n'y craint point le larcin. ✓
Non , vos palais de riche architecture ,
Vos beaux treillis , dégarnis de verdure ,
N'ont rien d'égal à ma maison des champs :
Votre jardin élégant et stérile ,
2
D2
:
BIBL. UNIV,
52 MERCURE DE FRANCE ,
A force d'art et de vains ornemens ,
N'est qu'un hôtel éloigné de la ville.
DE KÉRIVALANT .
ODE A M. LEMAIRE , SUR LA MORT DE SON FILS.
MUSE aux tendres accords , soutiens ma voix craintive ,
D'un rival de Rollindéplore le malheur ,
Etcalme , aux sons touchans de la flûte plaintive ,
L'amertume de sa douleur.
C'enestdonc fait ! le ciel prive de la lumière
Cet enfant malheureux , comblé de tant d'amour !
Unsommeil éternel pèse sur sa paupière ,
Que la mort ferme sans retour !
Hélas ! ce nourrissondes poëtes antiques
Suivant , avee honneur , ces guides immortels ,
Avait vu les lauriers de ses veilles classiques
Mêlés aux lauriers paternels .
Mais cet arbre si beau , jeune espoir de Pomone ,
Elevé sous ses yeux ,à l'abri des autans ,
De la foudre frappé , tombe avant que l'automne
Féconde les fleurs du printems .
Père jadis heureux , de cet arrêt funeste
Subissez la rigueur , sans vous plaindre du sort :
Rien ne peut éviter , sous la voûte céleste ,
La nécessité de la mort.
Ah ! si comme autrefois , un fils de Mnemosyno
Al'enfer étonné pouvait dicter des lois ,
Les fils harmonieux de la lyre latine
Frémiraient encor sous vos doigts .
Prêts à pleurer d'un fils la jeunesse ravie ,
Vous verriez s'attendrir Rhadamante et Minos
EtClotho , renouant la trame de sa vie ,
Tromper le ciseau d'Atropos .
Mais ces douces erreurs et ces rians mensonges
Qui régnèrent long-tems , sous le char du soleil ,
Auxyeux désenchantés ont lui comme les songes
Que je regrette à mon réveil.
JANVIER 1813 . 33
Le Dieu de vérité ,sous sa forme mortelle
De son nom aux humains a montré la grandeur ,
Et l'ame de ce fils , que votre bouche appelle ,
Se reposedans sa splendeur.
Loin de nous les regrets dont sa gloire s'outrage !
Dépouillons à l'envi nos vêtemens de deuil ,
Et portons , en chantant , quelques fleurs de son âge ,
Sur la pierre de son cercueil.
LALANNES .
LE VOEU DU LOUP.
FABLE .
1
Un vieux loup , tel qu'on n'en voit guère ,
Dévot presqu'autant que glouton ,
Dans certain piége un jour se trouva pris , dit-on ,
Comme il allait sans bruit marmottant sa prière .
Il fit un voeu : la chose est si facile à faire !
S'il échappe au danger , s'il revoit sa maison ,
Il renonce à la chair , il vivra de poisson.
Dieu peut-être écouta le voeu du bon apôtre ;
Il échappe ... Voyons comment il le tiendra.
Notre saint voit un porc , à quelques pas de là,
Qui dans un amas d'eau tranquillement se vautre,
«C'est un poisson , dit-il , et poisson que Dieu fit. »
Il accourt , le happe et s'enfuit
En achevant sa patenôtre.
Alever un scrupule ondit
Qu'un dévot s'entend mieux qu'un autre.
: M. LEFILLEUL.
ÉNIGME.
Je suis une brune piquante ,
De taille svelte , et d'humeur attachante;
Je suis polie , et j'unis quelquefois ,
Par les liens les plus étroits ,
Des objetsdont la différence
N'annonçait pas une telle alliance.
-54 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813.
J'assemble , par exemple , et le noir et le blanc ,
L'iris , le gris-de-lin , la rose , le safran ;
En quelque lieu qu'on me promène ,
Ce n'est qu'avec la corde au cou que l'on me mène .
Apeine j'ai , lecteur , rempli ma fonction ,
Qu'on me renferme au fond de ma prison .
T
:
LOGOGRIPHE
S ........
Le coeur sera toujours le foyer de la vie ,
Par lui tout se réchauffe et tout se vivifie ;
En conservant le mien, sous les plus durs climats
Je puis , malgré l'hiver , adoucir les frimas ;
Lecteur , pour lui , je te demande grâce :
Si je le perds , je suis de glace .
1
V. B. (d'Agen. )
CHARADE .
SANSmonpremier , lecteur , le pauvre genre humain
Avec des tas de blé serait privé de pain .
Mon second au rebours est le nom d'un grand fleuve ;
Dans l'ordre naturel , de fille , femme ou veuve ,
Il occupe souvent et les doigts et la main ;
Il fut aussi le nom d'un pontife romain.
Par ses propos mielleux à la brune , à la blonde
Mon entier réussit à plaire dans le monde .
V. B. ( d'Agen. )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Sabot .
Celui du Logogriphe est Cloche , dans lequel on trouve : loche ,
loch et coche .
Celui de la Charade est Cure- dent . :
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
LES BERGÈRES DE MADIAN , ou la Jeunesse de Moïse ;
poëme en prose , en six chants ;; par Mme DE GENLIS .
Un vol . in- 12 . Prix , 3 fr . 50 c. , ou un vol.in- 18 ,
prix , 2 fr. 50 c . -A Paris , à la librairie française et
étrangère de Galignani , rue Vivienne , nº 17 .
VOICI , dieu merci , une grande question littéraire de
décidée. Un ouvrage en prose peut-il être un poëme ?
Est- il permis d'écrire un poëme autrement qu'en vers ?
Voilà ce qu'on se demandait depuis long-tems . Les partisans
de la prose citaient en vain un passage assez décisif
d'Aristote , et deux phrases un peu équivoques de
Denys d'Halicarnasse. Les amis des vers ne se rendaient
point , l'exemple même du Télémaque ne les ébranlait
pas : ils refusaient à cet ouvrage une exception que Voltaire
et Laharpe n'avaient pas voulu faire . M.de Châteaubriand
, lui-même , s'était ouvertement déclaré pour les
vers dans la préface d'Atala , lorsqu'il n'avait aucun intérêt
personnel dans la querelle , et il avait laissé la
question indécise dans la préface des Martyrs , lorsqu'il
y était fortement intéressé. Mme de Genlis est plus hardie
; sans rien examiner , sans rien prouver , elle intitule
tout simplement ses Bergères de Madian , poëme en
prose ; et le doute se trouve résolu par le fait . Ce qui
existe est possible , dit la philosophie scolastique ; et
qui peut en effet douter de la possibilité d'un poëme en
prose , lorsque Mme de Genlis nous en présente un tou
fait?
t
A parler sérieusement , pourquoi ne voudrions-nous
pas tolérer les poëmes en prose ? Pourquoi ne pas les
permettre aux auteurs qui ne savent pas écrire en vers ?
C'est rejeter un moyen de varier nos plaisirs , comme
le disaient si bien les apologistes du drame. Vous nous
direz que c'est rendre la carrière trop facile ; vous nous
56 MERCURE DE FRANCE ,
citerez encore ce malicieux Voltaire qui , en fait de
poëme , n'aimait même pas la prose d'Ossian , etqui nous
amontré un Florentin improvisant une épopée ossianique
en prose , avec une rapidité capable de déconcerter
tous les Bardes ressuscités par Macpherson . Je
vous demanderai d'abord s'il y aurait un si grand mal à
rendre faciles les moyens de nous amuser , et je vous
dirai , en second lieu , que la carrière del'épopée en prose
n'est pas si facile ; qu'elle demande , à la versification
près , tout ce qu'on exige d'une épopée en vers : une
action grande et intéressante , variée par des épisodes
qui s'y rattachent naturellement ; des caractères divers
et fortement dessinés ; une peinture de moeurs brillante
et fidèle ; des tableaux de la nature pleins d'énergie et
de vérité ; un style toujours noble et correct , et qui soit
empreinttour-à-tour des différentes couleurs que le sujet
demande. Je vous dirai plus : on dit en termes de coulisse
, qu'il faut à l'Odéon des pièces plus corsées qu'au
théatre Français , parce qu'à l'Odéon on ne compte ni
sur l'harmonie des vers ni sur le charme du style. Eh
bien! comme , dans un poëme en prose , on ne peut pas
compter sur le style et sur l'harmonie , autant que dans
une épopée en vers , il faut aussi que la fable soit plus
corsée , c'est à dire plus compliquée , plus remplie d'évènemens
, plus romanesque ; d'où il suit qu'elle est plus
difficile à imaginer .
Ces principes bons oumauvais , sont du moins ceux
d'après lesquels j'ai cru devoir examiner les Bergères de
Madian , ou la Jeunesse de Moïse, et j'avoue même qu'ils
me prévenaient favorablement pour un ouvrage dont
l'auteur a fait tant de romans. Je me croyais à peu- près
sûr de trouver , sinon un poëme dans toute la rigueur
du mot , du moins une nouvelle fort intéressante ; j'ai lu ;
et puisqu'il faut le dire , j'ai été cruellement détrompé.
Mais qu'on ne me croie pas sur parole , je devais juger
la Jeunesse de Moïse; c'est au lecteur à me juger à mon
tour.
L'exorde du poëme m'a d'abord un peu surpris :
<<Filles brillantes de l'erreur ( s'écrie Mme de Genlis ) ,
muses séduisantes et trompeuses , ce n'est plus vous que
JANVIER 1813 . 57
!
jepuis invoquer ! Je ne veux plus m'égarer sur les bords
du Permesse et de Castalie.... » Diantre ! me suis-je
écrié à mon tour , ( pardonnez , lecteurs , cette exclamation
un peu populaire ) Mme de Genlis ne veut plus
invoquer les muses profanes ; elle les a donc invoquées
autrefois . Elle a donc fait plus d'un poëme un peu païen ;
et je n'en ai pas connaissance ! Et sans perdre de tems
je vais consulter un catalogue des oeuvres de Mme de
Genlis publié en 1808. J'y trouve 48 volumes in- 12 ,
2.vol. in-8° , un vol. in- 18 , de théâtre , de romans ,
d'ouvrages d'éducation , de morale , de piété , mais pas
un pauvre petit poëme. Si elle en a mis au jour depuis ,
je prie son libraire de me l'apprendre ; mais en attendant
, je penserai que Mme de Genlis s'est permis une
fiction assez forte , tout en renonçant à la fiction .
Cependant , Horace l'a dit ; en fait d'invention tout
est permis au peintre et au poëte , et quoiqu'il ne parle
pas expressément des poëtes en prose, je ne veux pas
chicaner plus long-tems Mme de Genlis . Venons à la
fable de son épopée; elle est fort simple, comme on va
le voir. Au premier chant on voit Moïse en fuite après
avoir tué un Egyptien . Il s'endort , et Dieu lui envoie
un songe prophétique , à l'imitation de celui qui est envoyé
à Henri IV par S. Louis. Après avoir dormi , il se
réveille , ce qui est fort naturel , et il arrive fort naturellement
encore au pays des Madianites où il allait.
Au chant second, Moïse s'assied auprès d'un puits . Sept
jeunes filles viennent y tirer de l'eau. Le farouche
Ithamar , à la tête d'une troupe de pâtres , veut les enlever.
Moïse , comme tous les héros de poëme et de
roman, met les ravisseurs en fuite , et comme dans tous
les romans et dans tous les poëmes , le père des sept
jeunes filles accueille leur libérateur. Les chants troisième
et quatrième n'ont pas coûté davantage à l'imagination
de l'auteur. Moïse , quoique bègue , comme
chacun sait , y parle seul d'un bout à l'autre sans que
ses auditeurs soient fatigués. Il raconte dans le troisième
tout ce que l'Ecriture nous apprend de sa naissance
et de la manière dont il fut sauvé des eaux. Il fait
des emprunts à l'historien Josephe pour nous parler de
58 MERCURE DE FRANCE ,
son éducation , et Mme de Genlis lui prête seulement
les détails de son retour chez ses parens , et la noble
résolution de partager leur esclavage . L'Ecriture fait
pour le quatrième chant les frais d'un sacrifice dans le
désert ; elle fournit l'histoire de l'Egyptien tué par Moïse ,
et de sa fuite causée par l'indigne reproche qu'il reçut
à ce sujet d'un Hébreu . Mme de Genlis n'y a ajouté que
la conversion de la fille de Pharaon opérée par Moïse ,
plus promptement et à bien meilleur marché que celle
de Félix par Polyeucte , tant il est vrai que tout renchérit
dans ce monde.... jusqu'aux conversions !
,
L'action recommence à marcher avec le cinquième
chant. Moïse devient amoureux de Séphora , l'aînée des
sept vierges qu'il a sauvées . Séphora devient en même
tems amoureuse de lui . En même tems aussi Jéthro
père de Séphora , conçoit le projet de les unir , et le
poëme finirait sans ce farouche Ithamar qui avait aussi
des vues sur elle . Il soulève tout Madian contre Moïse .
Il vient en force pour l'enlever et le déchirer ; mais pendant
qu'il parlemente avec Jéthro , Moïse , tout en gardant
les troupeaux , tue un lion , grand ennemi des
Madianites , et il rentre chez Jethro en triomphe , à la
barbe de son rival .
C'est avec le secours du R. P. Dom Calmet que
Mme de Genlis ouvre le sixième et dernier chant par la
fête de la Gerbe sacrée. Elle envoie ensuite en Egypte
demander aux parens de Moïse leur consentement à son
mariage avec Sephora. Le consentement arrive , mais
Ithamar n'est pas mort. Il conspire de nouveau contre
Moïse , et cette fois il prend pour complice le prophète
Balaam ; ici c'est encore la Bible qui contribue. Mime de
Genlis la quitte cependant bientôt pour mener Ithamar
etBalaamen guet- à-pens surprendre et assommer Moïse ;
mais la Sainte-Ecriture tire le prophète de ce nouveau
danger; il se retourne , son visage rayonnant met ses
ennemis en fuite , et il épouse Séphora.
On pensera sans doute avec moi que la faculté d'invention
n'a pas été prodigieusement fatiguée chez Mme
de Genlis pour la composition de cet ouvrage ; mais on
pourra dire aussi que l'invention des faits n'est pas une
JANVIER 1813 . 59
chose très-essentielle ; que le bon La Fontaine n'en a
point inventé , et que l'imagination peut se déployer dans
les détails d'une manière tout aussi brillante . Voyons
doncsi , sous ce point de vue , l'examen de la Jeunesse
de Moïse sera plus favorable à Mme de Genlis . On voit
des combats dans tous les poëmes , et j'en trouve deux
dans le sien. Le premier est soutenu par Moïse contre
Ithamar et son détachement. Les pâtres ont fait une
espèce de farandole autour des filles de Jéthro . Ithamar
a saisi Séphora , mais tout-à-coup Moïse , qui était à cent
pas , le saisit lui-mêmeet le terrasse . On le laisse faire ;
on le laisse mettre ses derrières en sûreté en s'adossant
au mur du puits , et c'est alors seulement qu'un pâtre
s'approche armé d'une massue . Que fait Moïse qui n'a
qu'une baguette pour se défendre? Il enlève d'une main
le téméraire , le suspend sur le puits , lui fait un long
discours qu'écoutent paisiblement ses camarades ; puis
imitant le quos ego de Virgile , il laisse tomber le pauvre
pâtre sur le gazon. Vous pensez peut- être que le farouche
Ithamar et ses compagnons vont le venger ? Rien
moins que cela : la frayeur les saisit , et ils prennent la
fuite . Ithamar seul s'arrête à cinquante pas ; il met un
caillou dans sa fronde , et le lance contre Moïse . Le
caillou devient en l'air une flèche homicide et va frapper
Moïse au pied ; mais aussitôt Moïse le ramasse , et quoique
la flèche soit redevenue caillou , il le lance à Ithamar
et lui casse l'épaule. Ithamar tombe , les bergers l'emportent
, et voilà le combat fini. Je le crois tout-à- fait
neuf et très-différent de ceux que l'on a pu voir dans
l'Iliade et dans l'Enéide ; mais je suis fâché qu'il soit aussi
invraisemblable que nouveau. Quant au second exploit
de Moïse , je m'y arrêterai moins long-tems ; c'est le
combat avec le lion , que j'ai annoncé d'avance . Ce qu'il
a de plus remarquable , c'est que , pendant que l'animal
fond sur Moïse , Moïse lui lance successivement et avec
une extrême promptitude deux cailloux aigus qui lui crèvent
les deux yeux. C'était un rude frondeur que ce
Moïse! Il est malheureux que son récit ressemble un peu
à celui du baron de Munichhausen , le plus grand craqueur
de l'Allemagne , qui , avec deux grains de plomb
60 MERCURE DE FRANCE ,
dans sa carabine , creva aussi les deux yeux d'un pauvre
lièvre qui avait l'insolence de le regarder .
On veut aussi des amours dans un poëme , et il yen
a dans les Bergères de Madian. On a déjà vu , il est vrai ,
qu'elles sont assez brièvement traitées , puisque les amans
et les parens y sont d'acord au premier mot : mais ce
premier mot est dit par Moïse avec une finesse, une galanterie
, dont nous ne voulons pas priver nos lecteurs .
Dans le grand combat contre Ithamar , l'agneau chéri
de Séphora avait été blessé legèrement , et ensuite sauvé
par Moïse . Dès le lendemain matin , Séphora, toute amoureuseet
toute rêveuse , tenait cet agneau sur ses genoux ;
elle pensait au départ de Moïse , qu'elle croyait prochain ,
attendu que la veille il n'avaitrienrépondu à l'offre obligeante
que Jethro lui avait faite de rester chez lui pour
garder ses troupeaux. « Pauvre petit agneau , disait-elle ,
toi qui m'es si cher, après son départ je t'offrirai en
'sacrifice dans le temple... » Je ne sais si l'agneau était
très-sensible à cette marque d'amitié ; mais , un moment
après , Moïse arriva. Séphora rougit , puis posant son
agneau à terre : « Il est guéri , dit-elle ; mais je ne le
joindrai point aux troupeaux; je le garderai près de
'moi tant que vous resterez avec nous ... Ainsi , répondit
Moïse , il ne vous quittera donc jamais . >> Dorat n'aurait
pas pu mieux dire , mais peut- être pensera-t-on que les
patriarches s'exprimaient un peu différemment.
En général , malgré les secours de la Bible et de Dom
Calmet , Mme de Genlis n'a pas été assez fidèle aux
moeurs et au costume. Je ne veux pour preuve que cette
description du désert , qu'elle met dans la bouche de
Moïse : « Qu'ils sont beaux ces asyles silencieux de la
paix et de l'indépendance ! Que j'aimais à m'enfoncer
dans ces vastes forêts livrées à la nature , à parcourir
ces plaines , cès vallons où l'industrie humaine , plus
inconstante encore qu'ingénieuse , n'a jamais rien changé ,
rien détruit ! Avec quel ravissement j'arrêtais mes regards
sur ces paysages admirables où l'on retrouve encore
le dessin primitif, tracé par la main divine du créateur!
Avec quel attendrissement je découvrais toutes les
richesses , tous les trésors du désert rassemblés là , sans
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JANVIER 1813 . 6г
doute , par la bonté suprême , pour l'homme persécuté ,
forcé de fuir ses semblables , ces oliviers , ces dattiers
chargés de fruits , ces sources abondantes , ces cavernes
profondes qui semblent faites pour servir de refuge au
fugitif poursuivi ! ... >> Mettons à part les vastes forêts ,
les arbres fruitiers , et sur-tout les sources abondantes ,
qui sont assez extraordinaires dans les déserts sablonneux
de l'Egypte ; il nous restera encore la nature , prise dans
un sens inconnu aux écrivains sacrés , des paysages , un
dessin primitif , et les richesses du désert qui me semblent
appartenir beaucoup plus au Meschassébé qu'à la
Bible..
Après ce qu'on vient de lire , il ne vaut peut-être pas
la peine de remarquer le pathos tragique que Mme de
Genlis débite en son nom et en sa qualité de poëte en.
prose , comme lorsqu'elle nous dit de Pharaon (p.45)
que la terreur lui inspira une pensée de destruction vaste
comme l'enfer , impitoyable comme la mort ! mais je ne
puis lui faire grâce du pathos un peu niais de la page.
précédente : « par une providence admirable , dit-elle ,
les tyrans qui veulent tout asservir sont forcés néanmoins
de craindre une trop grande multitude d'esclaves. >> Je
n'aurais pas cru que la providence eût quelque chose à
démêler dans cette vérité si simple que Racine a exprimée
dans un seul vers :
Craint de tout l'univers , il vous faudra tout craindre .
J'aime presque autant l'admiration des bonnes gens qui
remercient Dieu d'avoir fait couler les grandes rivières
auprès des grandes villes , de peur que les habitans ne
manquassent d'eau .
Les caractères sont une partie non moins essentielle
que les moeurs dans les romans et dans les poëmes ;
mais on se flatterait vainement d'être dédommagé de ce
côté-là dans l'ouvrage de Mme de Genlis . Ceux qu'elle
met en action sont presque tous fort communs. Séphora
n'est qu'une ingénue ; Ithamar un tyran de mélodrame ,
bien garnement et bien maladroit. Thermutis , fille de
Pharaon , est une fort bonne personne , et sur-tout
très-accommodante en matière de conversion. Jéthro
62 MERCURE DE FRANCE ,
ressemble à tous les pères du monde. Pour Moïse , c'est
un jeune héros plein de courage et de bonté ; j'avoue
même que je n'y ai point reconnu le Moïse de la Bible ,
beaucoup plus remarquable par sa fermeté que par sa
douceur. Mme de Genlis prétend , il est vrai , que l'Ecriture
dit qu'il était le plus doux de tous les hommes . Je
suis fàché qu'elle n'ait pas cité le passage : elle court
risque de trouver autant d'incrédules que lorsqu'elle
vanta la douceur du cardinal de Richelieu dans son
Siége de la Rochelle , en prenant à témoin d'une manière
aussi vague les Mémoires du tems .
Mais , diront les nombreux admirateurs de cette femme
si long-tems célèbre malgré tous les défauts que vous
reprochez à son poëme , vous ne pourrez du moins lui
refuser le mérite du style , mérite qui se fait remarquer
dans toutes ses productions . - Hélas ! je ne demanderais
pas mieux , si Mme de Genlis n'eût encore pris
soin de fermer cette porte bannale à la louange ; mais
quel éloge donner au style d'un ouvrage où l'on trouve ,
dès la page 3 , les flots tumultueux d'une onde ; à la
page 6 , un gouffreformé par un amas de rochers , tandis
que des rochers ne peuvent que combler un gouffre ?
Qui m'expliquera le sens de cette phrase de la page 5 :
« Il (Moïse ) traversa les riantes plaines d'Elim , bordées
de trois rangs de palmiers , qui forment autour de leur
enceinte une triple couronne , et dont les douze sources
d'une onde pure entretiennent l'éternelle fraîcheur ?>>
Trouvera-t- on plus clair ce passage de la page 6 : « Toutà-
coup le vent s'élève avec furie , il cause dans le désert
un bouleversement si terrible qu'il semble là que tout le
produise ? » Ce dernier le se rapporte-t-il au bouleversement
, au désert ou au vent ? Par quelle licence fait- on
dire à Moïse ( page 11 ) lorsqu'il craint de périr dans le
désert , qu'il sera privé de sépulture et que sa cendre
mêlée aux sables , sera dispersée par les vents ? Les morts
ne sont cendre que lorsqu'on leur a rendu les honneurs
de la sépulture en les brûlant sur un bûcher. Que de
fautes dans ce petit nombre de petites pages ! Les partisans
de l'auteur ne demanderont sûrement pas que nous
poussions l'examen plus loin , et nous nous en dispen
JANVIER 1813 . 63
serons d'autant plus volontiers que nous avons des reproches
bien autrement graves à lui faire .
Dans ces reproches , je ne comprendrai point labonhomie
avec laquelle Mme de Genlis se fait honneur de la
génealogie du bâton de Moïse , visiblement imitée de
celle qu'Homère nous donne du sceptre d'Agamemnon ;
ce n'est point mauvaise foi , c'est ignorance ; et c'est
au moins par inadvertance qu'elle nous montre son héros
taillant une houlette en forme de crosse , tandis qu'au
contraire la crosse a été imitée de la houlette , comme
chacun sait. Ce ne sont là que des bagatelles ; mais il
n'en est point ainsi de tout ce qui peut toucher au
texte de l'Ecriture , et c'est malheureusement ce que s'est
permis l'auteur des Bergères , malgré la vénération qu'elle
professe pour le texte saint. Elle nous dit formellement
dans ses notes ( pag . 154 ) , que par respect pour les
miracles , on ne doit point se permettre de donner comme
de vrais prodiges de vaines fictions , et de les confondre
ainsi avec les actes les plus éclatans de la puissance suprême
; et cependant sans parler de la verge miraculeuse,
qui se trouve entre les mains de Moïse , d'une manière
fort ambiguë , et dont le seul aspect met en fuite les
compagnons d'Ithamar , on peut bien regarder aussi la
conversion subite de Thermutis comme un miracle , et
Mme de Genlis en prête un bien conditionné à la puissance
suprême , lorsqu'elle nous dit que pendant la fuite
de Moïse , la providence multiplia , sur les routes qu'il
prenait auhasard , les fontaines jaillissantes et les dattiers
chargés defruits . Mais tout ceci n'est encore rien , et
c'est dans le sixième chant que Mme de Genlis a touché
à l'arche sacrée avec le plus de témérité . Nous avons vu
qu'elle y donne Balaam pour complice au farouche Ithamar
. Balaam , j'en conviens , fut un faux prophète ;
mais je pense qu'il ne faut pas même calomnier le
diable , et je ne sais pourquoi elle a calomnié Balaam ,
qui s'entretenait si souvent avec Dieu . Je le lui passerais
encore , si , pour calomnier Balaam , elle n'avait mis la
parole de Dieu dans la bouche du Diable . En vérité ,
pour le croire il faut le voir. Qu'on ouvre donc le volume
àla pag. 139 : on y verra Balaaın dans le temple de Phé
1
64 MERCURE DE FRANCE ,
gor , évoquant les esprits infernaux. Il est exaucé, dit
Mme de Genlis , et elle décrit son effroi , sa stupeur , bien
différens de l'extase d'un véritable prophète ; il parle enfin
, inspiré par ces esprits impurs , et c'est pour réciter
un passage inscrit par l'Esprit Saint au chapitre 34 du
Deuteronome !
Je ne ferai point remarquer l'anachronisme que commet
ici notre auteur et qu'elle appelle transposition , en
rapprochant Balaam de Moïse pendant le séjour de
celui-ci chez Jethro. Tout le monde s'en sera aperçu ,
et bien qu'il soit assez coupable , il est surpassé par un
autre sur lequel nous avons glissé légèrement. Ce ne fut
qu'après avoir reçu du Seigneur les tables de la loi que
Moïse eut le visage rayonnant d'un éclat si vif qu'il était
obligé de se voiler en parlant au peuple. Mme de Genlis
a transposé ce miracle , comme nous l'avons vu , puisque
c'est même avant le mariage de Moïse avec Séphora que
sa figure devient lumineuse . J'avoue que le moyen était
commode pour mettre en fuite Balaam et Ithamar ;
j'avoue qu'il était sous la main de l'auteur et qu'il amène
ledénouement d'une manière très-inattendue; mais avant
de profiter de ces avantages , Mme de Genlis aurait dû
calculer aussi les inconvéniens. Cette transposition ou
cette anticipation ne tend à rien moins qu'à dénaturer
toute l'histoire de Moïse. Qu'on la lise dans l'Ecriture ,
en supposant le visage de ce législateur rayonnantdepuis
sa sortie de chez Jéthro , et on la trouvera pleine d'invraisemblances
. Nous n'en citerons qu'une seule. Comment
Moïse demanderait-il à Dieu de pouvoir faire des
miracles devant Pharaon , si sa seule présence offrait un
miracle ? Et voilà le risque que l'on court à faire des
poëmes en prose sur des sujets sacrés . Si un auteur aussi
versé que Mime de Genlis dans l'étude des saints volumes
est tombée dans une aussi grave erreur , on peut juger
de ce qui arriverait à des écrivains profanes . Quant à
moi , j'ose conseiller à tous les poëtes tant en prose qu'en
vers , de revenir plutôt aux muses d'Homère et de Théocrite
, de Virgile et d'Ovide , que Mme de Genlis qualifie ,
j'en conviens , de dangereuses sirènes , mais qui n'en--
traîneront dans aucune falsification des saintes écritures ,
JANVIER 1813 . 65
et ne feront tomber dans aucune hérésie l'auteur qui les
invoquera.
Jaurais encore bien des observations à faire , m
fautfinir ,
de mon opinion sur cet ouvrage . L'auteur trouvera ima
critique sévère , ce n'est pas ma faute. Tout crifique devient
difficile pour les productions d'un écrivain dont la
célébrité repose sur cinquante volumes à tout le moins
et lorsqu'on a écrit cinquante volumes il n'est pas aisé
de produire encore des ouvrages qui puissent satisfaire
un critique exigeant. Je me console , au reste , en pensant
que le moment de chagrin que j'aurai causé à
Mme de Genlis se perdra bientôt dans le souvenir toujours
présent de sa longue et brillante gloire .
et je crois mes lecteurs suffisamment ristruifs
SEIN
C. V.
OEUVRES DE PONCE DENIS ( ECOUCHARD ) LE BRUN,
membre de l'Institut de France et de la Légion -d'Honneur
, mises en ordre et publiées par P. L. GINGUENÉ ,
membre de l'Institut ; et précédées d'une Notice sur sa
vie et ses ouvrages , rédigée par l'Editeur . -Quatre
vol . in-8° , imprimés par Crapelet. -A Paris , chez
Gabriel Warée , libraire , quai Voltaire , nº 21 .
( FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE . )
C'EST un malheur pour un poëte que de former trop
jeune le projet d'un ouvrage difficile et de longue haleine
, de n'en tracer dans son imagination qu'un plan
vague , d'en exécuter quelques morceaux brillans dans
des momens d'inspiration , d'annoncer publiquement
son dessein , et de paraître fonder sur cette ébauche imparfaite
une bonne partie de sa gloire. C'est ce qui est
arrivé à Le Brun pour son poëme de la Nature , commencé
, annoncé , cité depuis tant d'années , et dont il
n'a laissé que des fragmens . 1
Son plan était d'abord assez borné . Persuadé par sentiment
que l'homme ne peut être vraiment sage et vraiment
libre qu'à la campagne , que c'est là seulement que
le Génie peut prendre tout son essor et l'Amour avoir
E
66 MERCURE DE FRANCE ,
tout son charme , il conçut d'après cette idée un poëme
naturellement divisé en quatre chants , qu'il intitulait : le
Bonheur philosophique et champêtre. L'admiration et
l'attachement qu'il sentit pour M. de Buffon , et l'étude
de ses ouvrages , lui firent étendre ses vues plus loin ; il
se proposa de faire entrer dans le cadre qu'il s'était fait
la description des plus riches objets de la nature. Dèslors
il se trouva jeté dans une carrière presque sans
limites , dont il fut lui-même effrayé. Sa position changea
; forcé de renoncer à des sentimens qui lui faisaient
aimer la retraite , et d'interrompre tous ses travaux , il ne
put revenir de long-tems à celui- ci, quoiqu'il l'affectionnât
toujours. Il y revint par intervalles , mais sans les
illusions qui lui en avaient inspiré la première idée . Il
cessaenfin de s'en occuper, mais sans avouer à personne
et sans s'avouer à lui-même qu'il ne le finirait jamais .
Les fragmens qu'on en a pu recueillir et publier ne
sont pas tous également beaux ; mais il y en a un grand
nombre d'après lesquels on peut dire qu'un poëme philosophique
et descriptif écrit ainsi eût été pour notre
poésie une grande richesse de plus .
L'exposition du premier chant est longue et un peu
vague; la beauté des vers n'empêche pas d'apercevoir
que l'auteur ne s'étaitpas , dès le commencement, fait une
idée assez nette de son sujet . L'invocation , qui est double ,
contient une seconde exposition plus précise et qui annonce
clairement l'objet et la division du poëme .
Et vous , de la nature immortelles compagnes ,
Vous , déités des bois , vous , nymphes des campagnes ,
Laissez -moi parcourir vos bosquets ombragés.
Que l'art contagieux n'a jamais outragés ;
Ouvrez - moi ces berceaux de Pomone et de Flore ,
Où sourit la nature , où l'ame semble éclore .
Déesses , prêtez-moi l'ombre de vos rameaux ;
Je chante un bonheur pur né du sein des hameaux ,
Et toi qui , des grandeurs dédaignant l'imposture ,
Ne connais que l'amour , la gloire et la nature ,
Muse , qui sur ma tête as versé tes rayons ,
Sous les yeux de Palès dirige mes crayons .
JANVIER 1813 . 67
Des moissons du bonheur viens séparer l'ivraie ;
Peins-nous dans les hameaux la sagesse plus vraie ;
La liberté plus fière ; et d'un vol plus heureux
Le génie et l'amour y déployant leurs feux .
Ces deux derniers vers pourraient être meilleurs , mais
ils offrent avec le précédent la division du poëme en
quatre chants , dont le premier a pour titre , la Sagesse ,
le second la Liberté , le troisième le Génie , et le quatrième
l'Amour.
Quelques morceaux des trois premiers chants ont été
imprimés dans plusieurs recueils et sont connus depuis
long-tems ; en voici un qui l'est moins , et l'un de ceux
qui méritent le plus d'être cités . L'auteur explique par
un enchaînement de comparaisons graduelles comment
la vue des grandeurs qui éblouit le vulgaire n'a rien qui
étonne l'oeil du sage .
Tel á des yeux divers le spectacle varie ;
Tel aux yeux du pasteur couché dans la prairie ,
Le chêne qui déploie un front démesuré
Semble être un citoyen de l'empire azuré;
Mais au regard perçant de l'aigle vigilante ,
Qui pénètre des airs la voûte étincelante ,
L'orgueil du chêne rentre au niveau des sillons
Et se mêle aux tapis de nos humbles vallons ;
Mais la fierté de l'aigle errante sur la nue
Des regards du soleil est à peine connue ,
Et ce même soleil n'est au regard des dieux
Qu'une étincelle , un point dans l'abime des cieux .
Les comparaisons , ces riches ornemens de toute composition
poétique , sont une épreuve pour l'imagination
des poëtes ; rien n'y prouve plus de sécheresse et de
pauvreté que l'absence ou la rareté des comparaisons .
L'épopée ne leur permet que peu d'étendue , mais dans
le genre philosophique ou didactique , rien ne presse
de reprendre le fil des descriptions et des préceptes ,
et la comparaison peut s'étendre au gré du poëte , sans
crainte de trop distraire ou de fatiguer le lecteur . Les
fragmens de ce premier chant sont terminés par deux
comparaisons , les plus longues peut-être qui existent
E2
68 MERCURE DE FRANCE ,
en aucune langue. Le poëte a mis en opposition la mort
de son Sage champêtre et celle d'un tyran . Il compare
le premier à un chêne antique qui couvrait de son ombrage
les danses du hameau ; lorsqu'il tombe , ses branches
sont encore utiles ; il semble revivre par ses bienfaits.
Le tronc qui reste à peine est encore immortel ;
Jadis cher à Palès , il en devient l'autel ;
Et le voyageur même , instruit de sa disgrace ,
Du lieu qu'il ombrageait révère encor l'espace .
Le tyran au contraire disparaît comme un navire au
milieu de la tempête. Il entraînait avec lui vers les sources
de l'or d'avides mortels à qui sa voile triomphante promit
les trésors du Potose ; mais quand son jour fatal est
venu , quand les vents et les flots ont juré sa perte ,
Ni les voeux , ni les cris de ces pâles victimes ,
Ni les trésors de l'Inde en son sein renfermés ,
Ni les foudres des rois dont ses flancs sont armés ,
Rien n'a pu l'arracher au gouffre qui l'embrasse ,
Et l'onde inexorable en absorbe la trace .
Apeine un vil débris rejeté par les mers
Redira son naufrage à de lointains déserts.
La première comparaison est de vingt vers , tous les
détails en sont doux et agréables ; mais il y en a quelques-
uns de superflus , et six ou huit vers de moins
n'ôteraient rien au morceau entier de son mérite ; la seconde
en a vingt-trois , mais tout y est plein , fort et nécessaire
; on n'en voudrait rien retrancher .
:
Trois fragmens du second chant ont été souvent réimprimés
et cités ; l'un sur Dieu , l'autre sur les rois , où se
trouve l'énergique imprécation contre Charles IX , et le
troisième dans lequel le poëte offre les douceurs et la paix
de la vie champêtre pour consolation aux ministres disgraciés
. Ce dernier qui a plus de soixante vers est un des
plus beaux morceaux que Le Brun ait écrits. Entre une
foule de traits admirables pour la pensée et pour le style ,
ony distingue ce vers qui fait à lui seul un tableau :
La Fortune , en fuyant , vous cède à la Sagesse.
JANVIER 1813 . 69
Perse n'a point de vers dont on puisse dire avec plus de
vérité qu'il enferme moins de mots que de sens ; et ce sens
est rendu par une grande et noble image .
Si je n'avais pas déjà tant cité , je transcrirais ici tout
entière la belle fiction allégorique qui ouvre le troisième
chant . La nature avait tracé dans un livre d'or
ses plus secrets mystères ; mais les mortels séduits par
les prestiges de l'art daignaient à peine ouvrir ce livre
sacré . La nature indignée le déchira , en dispersa les
feuillets sur les monts , dans les bois , dans les flancs des
rochers , dans les gouffres profonds, dans les cieux . Ce
n'est qu'au génie ardent , audacieux à les y chercher ,
A rassembler encor , loin des cercles vulgaires ,
De ce livre égaré les divins caractères ,
A ravir , s'il se peut , à ces nobles débris
Leurs augustes secrets dont il est seul épris .
Ce chant , presqu'entièrement terminé , est consacré
aux succès du génie dans l'étude de la nature . Il est
rempli de beaux vers techniques et descriptifs , tels que
ceux-ci :
O voix , fille de l'air , dis-nous quelle est ta route ?
Dis comment , du larynx vers la glotte élancé ,
Al'aide du palais ma langue a prononcé
Le son qui sur ma lèvre impatient d'éclore ,
Diverge ses rayons , forme un cône sonore ,
Air lui -même , remplit tout l'air de mes accens ,
Franchit la pesanteur , roule au-dessus des vents ,
De globule en globule , ô rapide merveille !
Attache ma pensée aux fibres de l'oreille .
En voici d'autres où le poëte , que nous avons vu précédemment
tracer une espèce d'échelle des êtres , dans
une proportion toujours croissante , suit une gradation
toute contraire , et descend des corps les plus grands
jusqu'aux infiniment petits .
La plus vaste baleine est pour l'immensité
Dans une goutte amère un atôme jeté ;
Et du vaste océan la goutte qui s'écoule ,
Autre océan , nourrit d'autres monstres en foule .
i
70 MERCURE DE FRANCE,
,
Entre deux infinis l'homme en naissant placé
Se voit de tous les deux également pressé .
A l'aide d'un cristal , autrefois sable aride
Sur des peuples nouveaux s'il jette un oeil avide ,
Pour confondre ses yeux qu'effraya l'éléphant ,
Le ciron l'attendait aux confins du néant .
Du néant à l'atôme il voit l'espace immense ;
Où l'univers n'est plus , l'univers recommence , etc. 2
Le quatrième chant était le moins avancé ; on n'en a
retrouvé que trois fragmens , qui ne sont presque que
des ébauches . Le Brun voulait y prouver que c'est dans
une retraite champêtre que l'amour a tout son charme
et tout son pouvoir. On sait ce qui lui fit abandonner
cette partie de son sujet ; elle en devait être la principale
lorsqu'il l'avait conçu d'abord ; et il lui fallait ,
pour reprendre et pour terminer cette partie , une situation
d'esprit et de coeur où il ne se retrouva plus .
En général , les fragmens de ce poëme sont remplis
d'imperfections , mais ils le sont aussi de beautés . Le
premier plan de l'ouvrage était moins défectueux qu'on
ne l'a prétendu . Le malheur fut que l'auteur voulut ensuite
trop l'agrandir , qu'il l'annonça trop publiquement ,
et que n'ayant pu terminer son travail , on lui tient
moins de compte des beaux morceaux qu'il en a laissés
qu'on n'est tenté de lui reprocher d'avoir trompé une si
longue attente .
On lui a reproché , pour ainsi dire , d'avoir surpassé
celle où l'on était de son talent et de sa fécondité dans
l'épigramme. C'est encore un point sur lequel on s'est
montré souverainement injuste. On s'est récrié sur ce
nombre de plus de 600 épigrammes , comme si elles
étaient toutes satiriques. On a presque étendu à l'éditeur
les conséquences qu'on en a tirées contre le poëte. L'un
a cité des épigrammes qui ne sont pas dans le recueil ;
l'autre a'prétendu qu'un nom qui ne s'y trouve pas une
seule fois est un de ceux qui y reviennent le plus souvent
; enfin , on a fait voir en parlant de ces épigrammes
plus de malinvouloir qu'il n'en a fallu pour les faire . N'ayant
pour but que de prévenir le public contre l'auteur et contre
la collection de ses oeuvres , on s'est bien gardé de
JANVIER 1813 .
フェ
dire ce qui est très- vrai et très-simple , ce qui est ainsi annoncé
dans l'Avertissement de l'éditeur : « Le Brun donnait
, à l'exemple des anciens , ce titre d'épigrammes à
de petits poëmes de tous les tons , de tous les styles et
sur toute sorte de sujets , depuis le dixain jusqu'au distique
. Il y en a de galans , d'érotiques , de philosophiques
, de moraux , et , il en faut convenir , une grande
quantité de satiriques . » Peut-être en effet cette quantité ,
quoique considérablement réduite par l'éditeur , est-elle
encore trop grande . Son apologie là-dessus serait facile ;
mais il se croit dispensé de la faire. Il aime mieux
donner par quelques citations une idée juste de ces six
livres , compris sous le titre commun d'épigrammes , et
prouver ainsi au public qu'on l'a trompé sur cette partie
comme sur tout le reste .
Parmi les dizains philosophiques , je choisirai celui-ci
sur la mort .
Les yeux voilés du bandeau de l'erreur ,
Tu crains la mort ! La mort est nécessaire
Comme la vie ; et ce n'est qu'au vulgaire
A redouter la parque et sa fureur.
L'être immortel épuiserait le monde ;
Il faut mourir ; mais la tombe est féconde.
Calomnié par ta lâche terreur ,
Ce que tu crois la mort de la nature
Donne la vie à la race future ;
Tes préjugés en font toute l'horreur.
En voici un dont la morale est plus douce , et dont le
style est d'une grande perfection.
Qu'en son faux zèle une prude est amère !
Damner le monde est un plaisir d'élus ;
Mais le Sauveur à la femme adultère
Dit sans courroux : allez , ne péchez plus !
Telle est du ciel la sublime indulgence ;
Il plaint l'erreur , il pardonne à l'offense ;
Il n'arme point ou le fer ou le feu .
La pécheresse eut sa grace accordée ;
Mais qu'on suppose à la place de Dieu
Prude ou docteur , elle était lapidée.
72 MERCURE DE FRANCE ,
Entre celles de ces épigrammes où le sentiment parle
dans le style le plus noble et le plus doux , la première
du troisième livre est sans doute une des plus belles .
Il faut se rappeler pour la bien entendre que l'auteur
dut ses malheurs à un amour trompé , à un jugement
inique et à la perte de sa fortune.
Long-tems jouet de trois divinités
Dont le bandeau fait le malheur du monde (1) ,
Comme un vaisseau toujours battu de l'onde ,
Mon sort flottait dans les adversités .
Seule , au milieu de ce funeste orage ,
Ma lyre encor luttait avec courage ;
Elle accusait le ciel trop rigoureux ;
Le ciel fut sourd , mais Vaudreuil sut m'entendre ;
Il accourut : son ame fière et tendre
Connut la mienne , et je devins heureux.
1
S'il n'y eut jamais de Grand plus généreux , plus délicat
dans ses bienfaits , que l'homme aimable par qui ces
vers furent inspirés , jamais aussi reconnaissance poétique
ne s'exprima plus dignement. La poésie , les figures
hardies jusqu'à l'audace sont dans les premiers vers où
l'auteur peint noblement son infortune ; dans les deux
derniers , le style est rapide comme le bienfait , simple
et vrai comme la reconnaissance .
J'oserais demander quelles sont dans notre langue les
deux petites pièces de dix vers où il y ait plus de délicatesse
de sentiment et de style , que dans les deux suivantes.
S'il est deux coeurs bien unis par l'amour ,
Peine et plaisir , tout leur est jouissance ;
Ils ne sont point séparés par l'absence ;
Deux coeurs amans n'ont qu'un même séjour.
Le souvenir , ce doux lien des ames ,
Nourrit sans cesse et ranime leurs flammes ;
Le souvenir les unit plus souvent
Que lorsqu'amour librement les rassemble ;
Car l'un des deux est- il seul unmoment ,
Dès ce moment tous les deux sont ensemble .
(1) L'Amour , la Fortune et Thémis . 1
JANVIER 1813. 73
Amour , hier , voyant couler mes pleurs ,
Me caressait de son aile timide :
<<Q<ue fait , Misis , ta jeune Adélaïde ,
Qui te comblait de si douces faveurs ?
Je m'en souviens , et j'étais auprès d'elle ;
La nymphe , un soir , jura par mon carquois
Qu'elle t'aimait plus que ses yeux cent fois ,
Qu'elle mourrait avant d'être infidèle . >>>
Ah ! dis-je , Amour , va donc la secourir ;
Adélaïde est bien près de mourir.
J'oserais encore faire deux ou trois autres questions :
1 ° . Quand on est chargé d'annoncer un recueil de pièces
de vers , où il s'en trouve un grand nombre qui ont cette
espèce de mérite et sont écrites de ce style , est-on coupable
ou non envers le public de n'en citer aucune , de
n'en parler en aucune sorte , de les lui laisser totalement
ignorer ?
2°. Lorsque des pièces de ce genre se trouvent fréquemment
dans un tel recueil , lorsqu'on pourrait facilement
remplir des colonnes et des pages entières nonseulement
de dixains , mais de sixains , de quatrains , de
distiques , où il n'y a pas moins de délicatesse et de grâce ,
quel sentiment les critiques qui n'en ont pas même avoué
l'existence peuvent- ils être accusés d'avoir mis à la place
de la justice , qui est leur premier devoir ?
3°. Quel est parmi les journalistes qui ont rendu
compte des OEuvres de Le Brun celui qui a cité ou même
indiqué une seule des épigrammes de ce genre qui font
une partie si considérable et si intéressante de ce recueil ?
Al'égard de celles du genre satirique , la justice exige
encore qu'on les divise en deux classes , celles qui contiennent
une critique générale , et celles qui en offrent
une particulière ou personnelle . On peut citer , parmi
celles de la première de ces deux classes , celle-ci sur la
manie des jardins anglais .
1
Dans ce jardin d'où tu veux chasser l'art ,
C'est la nature , ami , que tu veux faire .
Las de Lenôtre , enfin ton goût préfère
Cegenre anglais qui ressemble au hasard.
74 MERCURE DE FRANCE ,
Là , tu bâtis une ruine antique ;
Là , d'un vieux puits sort la naïade étique
Qui vient mourir de soif dans ton enclos ;
Rocs et déserts y sont en miniature ;
Et tu fais tant que l'oeil , dans ce chaos ,
Ne trouve plus ni l'art ni la nature .
En voici une autre en forme d'apologue , dont le sens
est aussi juste que l'expression en est vive et poétique .
A son manoir las de borner sa vue ,
Certain hibou supplia l'aigle un jour
De lui montrer l'olympique séjour .
L'aigle , en jouant , le porta sur la nue ,
Jusqu'au soleil : Ami , le vois-tu bien ?
Je vois , je vois force brouillard , et rien ,
Dit le hibou . L'aigle moqueur et leste
Vous rejeta mon aveugle ici - bas .
Pour admirer un spectacle céleste
Il faut des yeux ; les hiboux n'en ont pas .
D'autres épigrammes de cette espèce tombent sur des
compagnies ou des assemblées entières , sur le Lycée ,
sur l'Académie , sur d'autres Sociétés littéraires , qu'en
général Le Brun n'aimait pas ; on peut dire qu'en attaquant
des corps entiers , et en y frappant tout le monde,
elles ne blessent personne , à moins que l'auteur n'y
lance un trait particulier contre quelqu'un , comme dans
la suivante , que je citerai à cause de son originalité ,
sans craindre de manquer de respect ni à l'ancienne
Académie française , contre qui elle fut faite , ni encore
moins à la nouvelle .
Si tu prétends avoir un jour ta niche
Dans ce beau temple où sont quarante élus ,
Et d'un portrait guindé vers la corniche (2)
Charmer les sots quand tu ne seras plus ,
Jà n'est besoin de chef-d'oeuvre bien ample ,
Mais de flatter le sacristain du temple ;
Puis ce monsieur t'ouvrira le guichet ;
(2) Il y avait au Louvre , à l'ancienne Académie française , une
salle où étaient les portraits de tous lesAcadémiciens.
JANVIER 1813 . 75
Puis de lauriers tu feras grande chère ;
Puis immortel seras , comme Porchère (3) ,
Boyer , Cotin , et Laharpe , et Danchet.
Quant aux épigrammes directes et personnelles , il est
certain que Le Brun en a trop fait , qu'il est revenú trop
souvent , non-seulement contre des hommes du mérite
de Laharpe et de Marmontel , mais contre Fréron , contre
d'Arnaud , Dorat , Domergue , Desorgues , etc. Encore
a-t- on beaucoup retranché de celles qu'il avait laissées .
Quelques-unes ont été citées dans les journaux ; mais ce
ne sont pas les plus jolies . On n'a point cité , par exemple
, celle-ci , qui est plus que jolie , et que Le Brun fit
après une séance du Lycée , où Laharpe avait parlé peu
respectueusement de Corneille .
Ce petit homme à son petit compas
Veut sans pudeur asservir le génie ;
Au bas du Pinde il trotte à petits pas ,
Et croit franchir les sommets d'Aonie .
Au grand Corneille il a fait avanie ;
Mais , à vrai dire , on riait aux éclats
De voir ce nain mesurer un Atlas ,
Et redoublant ses efforts de pygmée ,
Burlesquement roidir ses petits bras ,
Pour étouffer si haute renommée .
On n'a guère cité que des quatrains et des distiques ,
comme si les six livres n'étaient remplis que de ces petites
plaisanteries ; j'ai cité préférablement des dixains ,
parce que le dixain est l'épigramme française par excellence;
parce que dans notre langue les dixains sont
nombreux et les bons dixains sont rares ; parce que
depuis Marot et J. B. Rousseau aucun de nos poëtes
n'en a fait autant ni de meilleurs que Le Brun. Les
petites épigrammes semblent servir de transition de l'un
à l'autre , et mettent dans le tout ensemble une charmante
diversité . Aussi , malgré le retour trop fréquent de quelques
noms , on est frappé , en parcourant ces six livres ,
de la variété qui y règne , tant dans les sujets que dans
(3) Membres de l'ancienne Académie .
76 MERCURE DE FRANCE ,
1
les formes . On voit que presque à toute occasion la
pensée ou le sentiment de Le Brun se tournait naturellement
en vers , et que la plupart de ses épigrammes
ont été les fruits du moment. Elles représentent en quelque
sorte la scène mobile du monde , et lui mêlé parmi
les acteurs et les actrices , touché du bien , choqué du
mal , s'amusant des ridicules , lançant et recevant des
traits ; c'est ce qui donne à son récueil un caractère tout
particulier. Si un homme d'esprit affecte devant lui de
louer ses épigrammes aux dépens de ses odes , il le
regarde , et laisse échapper ce quatrain :
Dans l'épigramme au moins j'ai su te plaire ;
Là , je suis bon , tu le dis , je le croi ;
Je n'ai pourtant jamais parlé de toi :
O mon ami ! la meilleure est à faire .
4
Il trouve une tourterelle chez une femme un peu légère ,
qu'il appelait son joli rien ; il adresse à l'oiseau cette question
naïve :
De la fidélité doux et touchant modèle ,
Que fais-tu chez une infidèle ?
Gaston , qui n'avait point encore traduit l'Enéide , et qui
était peu connu , lui fait je ne sais quelle tracasserie
dans un Lycée. Le Brun se le fait nommer , et ce nom
ne lui apprenant rien , il dit avec simplicité , mais avec
une fierté qui paraît excusable :
De cet homme que j'ignore
En vain me suis-je informé ;
Depuis qu'on me l'a nommé
Je le connais moins encore.
:
Il commençait à perdre la vue ; il veut prier une jolie
femme de l'aider à se conduire et fait sur-le-champ ce
quatrain :
Las ! j'y vois peu ; l'amour qui n'y voit guère
Veut me guider ; en ce péril commun
Secourez -nous , bel ange de lumière :
Vous conduirez deux aveugles pour un .
Il était devenu tout-à-fait aveugle ; l'habile oculiste For-
Lenze lui fait l'opération de la cataracte; l'opération à
JANVIER 1813 .
77
peine finie , Le Brun dicte ces quatre vers , qui ont un
sens relatif à la position dans laquelle il était alors :
Un art divin me rend les yeux :
L'amour et l'amitié devant moi vont paraître ;
Grace à Forlenze , j'y vois mieux ;
Demain j'y verrai trop peut-être .
Enfin pour ne pas multiplier ces exemples autant qu'il
serait aisé de le faire , il se laisse mener à la campagne ;
on lui fait entendre de mauvaise musique , composée par
la maîtresse de la maison et chantée par elle avec une
prétention ridicule ; il s'en console en faisant en luimême
ce dixain naïf et comique , qui l'amusa beaucoup
et qu'il n'a peut-être jamais dit à personne .
Bonjour , madame du corbeau !
Vous êtes le vrai Gluck femelle ;
Vous chantez mieux que Philomèle ;
Vous savez l'art mieux que Rameau .
Par un accord bien sympathique ,
A votre voix , de ces étangs
Les mélodieux habitans
Joignent leur orchestre aquatique.
Bonsoir , madame du corbeau :
Votre concert est vraiment beau !
Il est plus que tems de finir ; mais comment se fixer et
se borner dans une si grande abondance ? L'espace et le
tems manquent avant la matière. J'aurais pourtant encore
à parler des Poésies diverses , qui terminent ce troisième
volume . Plusieurs pièces , fort agréables , étaient
déjà connues , telles que les vers sur l'arrivée de Voltaire
à Paris , le Jugement de l'Amour sur les yeux noirs et les
yeux bleus , l'idylle intitulée : l'Amour et les Oiseleurs ;
plusieurs morceaux écrits dans la guerre poétique contre
les femmes poëtes , etc. D'autres étaient inédites , et l'on
distingue sur-tout , dans ce nombre , des stances spirituelles
et piquantes sur La Fontaine , qui finissent par
celle-ci :
Qu'un petit docteur au front chauve
Dise que ces jeux (4) sont maudits ;
(4) Les contes .
!
78 MERCURE DE FRANCE ,
Je n'en crois rien ; si l'esprit sauve ,
La Fontaine est en paradis .
Il faudrait aussi dire quelque chose du quatrième
volume qui contient la correspondance de Le Brun avec
Voltaire , Buffon , d'Alembert , etc. et quelques morceaux
de prose , particulièrement des réflexions sur le
génie de l'ode , où Le Brun a si bien loué J. B. Rousseau
, le seul rival qu'il eût à craindre ; mais déjà forcé
d'avouer qu'il était plus que tems de finir , j'aurais trop
mauvaise grace à ne point finir encore .
,
Je me crois dispensé de tirer de tout ce que j'ai dit un
dernier résultat sur le génie de Le Brun , sur le genre de
son talent sur ses beautés , ses défauts , et sur le rang
que je crois lui être dû parmi nos poëtes . Dans l'Ode ,
dans l'Elégie et dans l'Epigramme , je ne pense pas qu'on
puisse lui en assigner un au -dessous du premier , quoiqu'il
ait quelques défauts que n'ont pas ceux auprès desquels
il y sera placé ; mais c'est à la postérité à prononcer
là dessus en dernier ressort. J'ai mis , des citapar
tions multipliées , le public en état de pressentir ce jugement
; je l'ai fait sans autre passion que mon zèle pour
un art que je cultive peut-être mal , mais que j'aime
toujours et que j'ai beaucoup étudié . C'est le même zèle
qui m'a soutenu dans les soins assidus que j'ai pris , pendant
dix-huit mois , de l'édition de ces quatre volumes ,
au milieu d'occupations multipliées , et sans aucun intérêt
quelconque , sans nulle autre récompense que la
persuasion intime d'avoir, par cette publication, accru les
richesses poétiques et la gloire littéraire de mon pays .
GINGUENÉ .
LA MORT DE PYTHAGORE .
LYSIS de Tarente , Timée de Locres et Euryphames de
Syracuse , s'avançaient dans un vallon solitaire , peu éloigné
de la ville de Métapont. Tous trois gardaient le silence ,
et souvent de profonds soupirs s'exhalaient de leurs poitrines
oppressées . Ils arrivèrent dans un bois , et Lysis dit
àses deux compagnons : C'est ici qu'il faut nous arrêter ;
c'est près de ce rocher, sije ne me trompe , que notre maîJANVIER
1813 .
79
1
tre veut que nous l'attendions . Les trois philosophes s'assirent
sur le trone d'un vieux cyprès qu'une tempête avait
abattu , et la tristesse dont ils étaient pénétrés , les empêcha
pendant quelque tems de s'entretenir comme ils avaient
coutume de le faire ; car , lorsqu'ils se trouvaient réunis
loin de tout profane , ils répétaient les préceptes qu'ils
avaient reçus de la bouche de celui qui leur avait enseigné
la sagesse.
Enfin , Euryphames s'adressant à Lysis , lui dit : Il est
donc vrai qu'après avoir passé sa vie à étudier la sagesse
et à la faire aimer , notre maître n'a plus d'asile sur la
terre ! Forcé de fuir de contrée en contrée , comme un
criminel , il est souvent réduit à chercher un abri dans
l'antre d'une bête sauvage . Les lions et les tigres sont moins
cruels que son implacable ennemi. Un jeune homme qui
n'est presque qu'adolescent , poursuit un illustre octogénaire
, avec celte ardeur qu'une jeunesse inconsidérée et
pervertie met toujours à satisfaire ses passions. Quel est
donc ce malheureux Cylon qui empoisonne lui-même son
ame en s'enivrant de haine et de vengeance ? Cher Lysis ,
vous étiez à Crotone ; vous avez été témoin de tout ce qui
s'y est passé . Daignez m'en instruire ; car , depuis son départ
pour la Sicile , je n'ai pas vu Pythagore .
Notre maître , répondit Lysis , a visité la plupart des
princes qui règnent dans cette île , et ses discours sages
ont contribué , dans presque toutes les villes , à rendre le
sort des peuples plus heureux. Le tyran de Centorupine
en fut si touché , qu'il déposa la tyrannie ; et même , afin
de vaquer sans distraction à l'étude de la sagesse , il donna
à sa soeur une partie de ses biens , laissa l'autre à la ville ,
et ne se réserva que ce qui lui était nécessaire pour vivre
dans l'état d'un simple particulier .
En arrivant à Agrigente , Pythagore vit sur la place
l'épouvantable machine que Pérille inventa pour seconder
les fureurs de Phalaris . Un courtisan subissait alors cet
horrible supplice . L'ardeur des flammes dont on échauffait
le taureau d'airain où cet infortuné était enfermé , lui faisait
pousser des cris qui ressemblaient au
و ,
d'un se rendit au
palais du tyran pour essayer d'adoucir cette ame féroce.
Phalaris avait souvent entendu parler de Pythagore ; il
fut curieux de juger par lui-même d'une éloquence qui
avait opéré tant de prodiges , et il ordonna que le philosophe
lui fût présenté en présence de toute sa cour. Dans
80 MERCURE DE FRANCE ,
و
cette assemblée , composée des satellites du plus cruel des
tyrans , Pythagore parla avec liberté , avec force avec
autorité , comme s'il eût été au milieu de ses disciples . II
leur dit que les ames sont filles du ciel , et qu'elles en descendent
pour venir habiter sur la terre , pendant un petit
nombre d'années ; qu'elles y sont comme dans un lieu
d'assemblée , où les unes travaillent pour la gloire , et les
autres pour le profit , tandis qu'un petit nombre d'ames ,
éclairées sur leurs véritables intérêts , foulent aux pieds
Lavarice et la vanité , étudient la nature , et cherchent à se
mettre sur le chemin de la vertu. Il leur montra aussi
l'oeil de la Providence fixé sur les hommes , sans qu'il
leur soit possible de se dérober un seul instant à ses
regards.
4
Ces vérités ne touchèrent point le tyran , mais elles l'effrayèrent
; il aurait voulu les anéantir , et s'imagina pouvoir
y parvenir , en quelque sorte , en faisant périr celui
qui les enseignait. Pythagore fut jeté dans un cachot , avec
le scythe Abaris qui l'accompagnait , et le jour de leur
trépas fut publiquement annoncé ; mais Phalaris avait
comblé la mesure de ses crimes : il fut lui-même frappé
par la mort quelques heures avant celle où les deux philosophes
devaient subir leur supplice .
:Pythagore revint ensuite à Crotone et reprit le cours de
ses instructions. Il enseignait , comme auparavant , les
femmes dans le temple de Junon , et les enfans dans celui
d'Apollon .
Les disciples se présentèrent en foule à son école , et
sollicitaient avec empressement la faveur d'être initiés
dans la partie la plus mystérieuse de nos maximes . Chaque
jour il en arrivait , non-seulement de l'Italie , mais aussi
des villes les plus célèbres de la Grèce , car le voyage de
Pythagore avait étendu au loin sa réputation; mais la
crainte de verser l'huile précieuse et pure de la sagesse
dans des vases corrompus , obligeait notre maître à prendre
des précautions scrupuleuses , pour connaître parfaitement
ceux qui demandaient à être instruits .
Le jeune Cylon , fier du crédit que lui donnaient dans
Crotone une naissance distinguée et des richesses immenses
, se présenta dans l'école. Il croyait honorer Pythagore
en se rangeant au nombre de ses disciples . Le philosophe
promit de lui donner , quelques jours après , une
réponse positive . Il examina la physionomie de Cylon ; elle
lui parut annoncer à-la-fois la bassesse et l'orgueil ; il
JANVIER 1813 . 81
observa avec soin ses discours , son rire , et même sa démarche
; il s'informa de sa conduite , de ses goûts , et des
sociétés qu'il fréquentait. Enfin , il reconnut que ce jeune
homme avait un fond de méchanceté et de complete il
jugea qu'il était aussi dangereux d'instruir un hommes
malheureusement né , que d'aiguiser l'ame d'un insense
Cylon , lui dit-il , toute espècede bois n'est pas propre
faire un Mercure , et toute espèce d'esprit n'est pas destinée
à acquérir de la science . Vous n'etes pas du nombre
de ceux à qui je puis révéler le véritable nom de Dieu
Cylon regarda cette réponse comme un outrage sanglant
Il se retira plein de courroux , en proférant des menaces
qu'il ne tarda pas à mettre à exécution .
Milon avait un jour réuni chez lui Pythagore et ses principaux
disciples . Tandis que nous étions à table , nous
vîmes autour de nous le feu étinceler de toutes parts . Uu
peuple ameuté , la torche à la main , propageait l'incendie
et repoussait cruellement , au milieu des flammes , ceux
d'entre nous qui essayaient de s'enfuir . C'est Pythagore
que nous voulons , criaient- ils ! Le vieillard s'avança aussitôt
vers eux. Nous ne nous opposâmes point à son dessein;
nous regardions sa perte comme inévitable : il fallait qu'il
pérît dans les flammes ou sous les coups de ces furieux .
Archippe et moi nous marchâmes à ses côtés pour avoir
laconsolation de mourir avec lui .
Combien Pythagore me parut grand dans ce moment
terrible ! Malgré son âge avancé , sa démarche était ferme :
rien ne décelait en lui ni trouble , ni agitation. Toute
l'élévation de son ame était peinte sur son visage et dans
ses yeux . A son aspect les cris cessent ; le peuple s'écarte
avec respect , et nous laisse un passage libre . Cylon luimême
, la tête basse et l'air humilié , fait quelques pas en
arrière . Nous nous hâtames de sortir de la ville , de mettre
Pythagore en sûreté ; puis je revins seul à Crotone pour
m'instruire du destin de nos amis .
Apeine Cylon était-il revenu de ce moment de confusion
où l'avait jeté , malgré lui , la présence de Pythagore ,
qu'il redouble de rage , promet de plus grandes récompenses
, et se venge sur les disciples de l'empire qu'un
seul regard du maître a exercé sur lui et sur ses complices .
Aucun de nos malheureux amis n'a échappé aux flammes :
mais une si cruelle vengeance n'a point éteint la colère de
Cylon , il lui faut le sang de Pythagore .
F
82 MERCURE DE FRANCE ,
Il le dénonce par-tout comme un séditieux qui cherche
à bouleverser l'Etat pour s'en rendre le maître . Il n'y a
point de calomnies si absurdes qu'on ne puisse persuader
au peuple , sur-tout quand on verse l'or avec profusion .
Les magistrats de Locres ayant appris que Pythagore allait
arriver dans leur ville , ont envoyé quelques citoyens audevant
de lui pour le prier de n'y point entrer. Ils craignaient
de ne pouvoir empêcher les malheurs qu'ils prévoyaient.
Pythagore a été obligé également de s'éloigner
de Tarente , où Archippe lui avait offert un asile . Aujourd'hui
, il veut se rendre à Métapont ; mais Cylon l'y a
précédé , et l'on assure que le peuple y est déjà dans une
grande fermentation.
Lysis parlait encore lorsqu'il aperçut Pythagore qui
s'avançait lentement. Les trois disciples se levèrent aussitôt
, allèrent à sa rencontre , le pressèrent dans leurs bras ,
et le firent asseoir sur un quartier de rocher qu'ils couvrirent
de mousse. Ils lui offrirent du pain , du miel , avec
un peu de vin , et le prièrent instamment de ne point entrer
dans Métapont.
J'ai promis à ma fille , répondit l'illustre vieillard , de
l'attendre dans le Temple des Muses , et de lui remettre le
livre sacré dont elle doit être dépositaire . Je passerai la
nuit dans ce temple ; j'y méditerai aux pieds de la céleste
Uranie , et si le ciel m'inspire quelques vérités utiles aux
hommes , je les ajouterai à ce que j'ai déjà écrit . Cylon ,
dites-vous , m'attend et me fera périr ! mais chargé d'ans
comme je suis , il n'existe ni antre , ni forêt qui puisse me
dérober aux traits de la mort. Laissons -lui dévorer sa proie
sans nous troubler. Ne savons-nous pas que quand nous
serons dépouillés de ce corps terrestre , nous arriverons
dans l'air le plus pur , où nous serons incorruptibles et
immortels comme les Dieux ! Pour vous , mes amis ,
prenez soin de votre ame comme d'un temple consacré à
recevoir la vérité . Vous êtes tous compagnons de voyage ,
marchez ensemble avec affection . Aidez-vous les uns les
autres , et choisissez toujours la voie qui vous semblera la
plus parfaite , quand même elle vous paraîtra dure et difficile.
Lejour commençait à baisser , Pythagore se leva , embrassa
ses amis , leur défendit expressémentde le suivre ,
entra dans Métapont et se rendit dans le Temple des Muses .
Cependant le jeune Cylon attendait sa victime depuis
JANVIER 1813 . 83
plusieurs jours. Ilavait chargé ses satellites de veiller sur
les portes , et de l'avertir dès que le vieillard qu'il poursuivait
serait entré dans la ville . Il avait eu soin de préparer
les esprits. Son or lui avait fait un parti considérable
, non -seulement dans le bas peuple , mais encore
dans une classe plus relevée.
Le peuple s'attroupe , et s'avance en poussant de grands
cris vers le Temple des Muses . Les prêtres craignant une
profanation , se hâtent d'en fermer les portes . Cylon
ordonne qu'on les brise ; mais les habitans de Métapont
hésitent à lui obéir. Qui d'entr'eux osera le premier porter
une main sacrilége sur le temple des filles de Jupiter ? Le
conseil s'assemble tumultueusement ; les opinions les plus
iniques sont les seules qui puissent se faire entendre .
Enfin , il est arrêté que le Temple des Muses sera respecté ,
mais que les portes en demeureront fermées pendant dix
jours , sans qu'il soit permis à personne , pas même aux
prêtres , d'y pénétrer. Il leur fut défendu sévérement de
faire parvenir à Pythagore aucune espèce d'aliment.
Tandis que les magistrats de Métapont rendaient un
arrêt si précipité , si cruel , si injuste , Damo , empressée
de revoir le plus tendre des pères , et de recevoir de ses
mains le livre précieux qui renfermait sa doctrine , s'avançait
vers Métapont. Elle était accompagnée de Zaleucus ,
l'esclave , le disciple , l'ami de Pythagore. La lune , qui
parcourait un ciel chargé de nuages , laissait échapper de
tems en tems quelques rayons , et cette lueur incertaine
suffisait pour empêcher Damo de s'égarer au milieu des
ténèbres de la nuit .
L'étoile du matin venait de disparaître , lorsqueDamo
arriva devant les portes de la ville . Elle se précipita vers le
Temple des Muses ; mais elle en trouva les portes fermées
et scellées du sceau des magistrats. Elle ne tarda point ,
hélas ! à apprendre que son père , privé de toute nourriture
, était condamné à périr dans ce vaste édifice.
Dans le premier moment de sa douleur , elle poussa des
gémissemens ; elle adressa à son père de tendres plaintes ;
elle s'écria : Voici Damo , voici votre fille chérie. O mon
père ! faites-lui du moins entendre votre voix : donnez-lui
vos ordres : qu'elle ait encore le bonheur de vous obéir.
Sa voix pénétrait dans le temple , mais Pythagore ne
l'entendait pas. Etendu sur les marches de l'autel , il dor
F2
84 MERCURE DE FRANCE ,
mait paisiblement. Un songe agréable lui offrait l'image de
l'épouse qu'il avait perdue ; elle lui semblait aussi belle ,
aussi jeune que le jour où elle lui avait juré de l'aimer
jusqu'à la mort. Elle lui souriait , lui tendait les bras , et
l'invitait à la suivre dans cette heureuse terre , séjour fortuné
des ames qui ont soigneusement travaillé ici bas à se
purifier .
Damo dédaigna de verser long-tems des larmes inutiles ;
elle avait puisé dans la doctrine de Pythagore cette vertueuse
fermeté qui laisse à l'ame , dans les circonstances
les plus fâcheuses , la liberté nécessaire pour agir. Elle
se répéta à elle-même cette maxime du livre sacré : Supporte
doucement ton sort , quelque rigoureux qu'il soit ;
ne t'en irrite pas , mais tâche d'y remédier autant qu'il te
sera possible.
,
Elle vit en particulier chacun des magistrats : elle les vit
ensuite tous réunis dans le conseil . Sans leur faire aucun
reproche sans leur demander de révoquer l'injuste sentence
qu'ils avaient prononcée , elle se contenta de les
supplier de lui permettre de voir, une seule fois , son père
avant qu'il mourût; mais cette grace lui fut impitoyablement
refusée .
Elle eut secrettement recours aux prêtres , et les supplia
de lui ouvrir une des issues souterraines qui n'étaient
connues que d'eux ; mais les prêtres n'osèrent point violer
les ordres des magistrats : ils craignaient aussi , en accordant
à Damo sa demande , de l'exposer à la fureur du
peuple qui attendait avec une impatience féroce la mort de
Pythagore.
Les jours se passaient en démarches , en sollicitations
inutiles ; et Damo n'avait pas vu son père : elle ignorait
même s'il existait encore. Son grand âge et le défaut de
toute nourriture pouvaient l'avoir fait succomber promptement
. Le livre sacré dont elle seule devait être dépositaire
, et dont il ne lui était permis de faire connaître
les maximes et les préceptes qu'à ceux qui auraient courageusement
subi de longues et pénibles épreuves , allait
tomber entre les mains profanes des ennemis de la vérité !
Cette pensée mettait le comble à sa douleur.
Dans toute la ville , Damo n'avait essuyé que des
refus : il ne lui restait personne à qui elle pût s'adresser
encore . On avait écouté avec attendrissement tout ce qu'elle
JANVIER 1813 . 85 1
,
avait dit pour obtenir la faveur de voir son père une seule
fois on avait déploré avec elle son infortune , on avait
même versé quelques larmes en l'écoutant ; mais personne
n'osait ni la servir , ni parler en sa faveur .
Le soleil avait disparu depuis long-tems ; la nuit était
même assez avancée , et Damo désespérant d'obtenir des
hommes la triste satisfaction qu'elle avait sollicitée avec
tant de zèle et si peu de succès , s'adressa à celui dont
Pythagore lui avait appris à connaître toute la puissance .
Elle lève les mains vers le ciel , et son ardente prière
enlève son ame et la plonge tonte entière dans cette vapeur
lumineuse qui entoure le trône de l'Eternel comme un
voile majestueux .
Tout-à-coup un léger bruit se fait entendre dans l'appartement
où elle s'est retirée . On lui adresse ces mots :
Damo , venez voir votre père. Elle se retourne et voit près
d'elle un jeune enfant. Les longs plis de sa robe blanche
sont retenus par une large ceinture d'or ; ses cheveux tombent
en boucles sur son front et sur ses épaules . Venez ,
Damo , reprit-il , ne perdons point de tems ; je marcherai
devant vous , et au milieu des ténèbres de la nuit qui nous
favorisent , vous distinguerez ma tunique blanche . Damo
le suivit aussitôt , en remerciant le ciel qui lui envoyait un
secours si inattendu . Ils arrivèrent devant la porte d'un
jardin . C'est ici , dit le jeune guide , qu'habitent les
prêtres et les enfans qui , comme moi , sont consacrés au
service du Temple des Muses . Tout le monde , je l'espère
, dort profondément ; mais prenons garde de faire le
moindre bruit ! Il fit rouler doucement la porte sur ses
gonds , entra dans le jardin , et pénétra ensuite sous une
voûte fort basse et fort étroite . Là il s'arrêta un instant
pour prendre un petit panier. C'est ma mère , dit-il , la sage
Mullias qui m'a apporté ceci ; elle est arrivée aujourd'hui
de Crotone ; elle m'a ordonné de me procurer les moyens
d'entrer dans le temple , d'aller vous chercher , de vous
conduire auprès de Pythagore , et de lui porter ce panier
qui renfermé du pain , du lait et du miel . Quoi , dit Damo ,
vous êtes le fils de Mullias ! C'est, de toutes les femmes que
Pythagore a instruites dans le temple de Junon , celle qui
a fait le plus de progrès dans la vertu .
Damo et l'enfant descendirent un long escalier ; ils marchèrent
long-tems dans un souterrain froid et humide ;
enfin la lueur des lampes leur fit connaître qu'ils n'étaient
1
86 MERCURE DE FRANCE ,
pas loin du temple. Damo précipita ses pas , et bientôt la
tête du vertueux vieillard se reposa sur le sein de sa fille
chérie. Le fils de Mullias offrit à Pythagore le présent que
lui envoyait sa mère. Il est trop tard , dit le vieillard d'une
voixmourante ! Puis jetant un regard vers le ciel , ilajouta :.
Le peu de liens qui retiennent encore mon ame captive
dans cette enveloppe de poussière , sont heureusement près
de se briser : encore un instant et j'entrerai dans une nouvelle
vie . Cependant , par condescendance pour Damo et
pour sonjeune guide , qui l'en suppliaient, il but un peu
de lait . Ses forces parurent se ranimer , et l'enfant , docile
aux ordres de sa mère , se retira à quelque distance , pour
laisser au vieillard la liberté de donner à sa fille ses précieuses
et dernières instructions .
Pythagore remit à sa fille le livre qui contenait un abrégé
de tout ce qu'il avait appris des prêtres de Diospolis , des
mages de Babylone , des sages de la Grèce , et tout ce qu'il
avait découvert lui-même dans ses longues et profondes
méditations . Ce livre , lui dit-il , est uniquementpour vous
et pour vos frères . Vous ne le confierez à personne ni
pour le lire , ni pour en tirer des copies . La vérité doit être
enseignée de vive voix , et il n'est ni bon , ni convenable
que des mystères si saints soient divulgués par des lettres
mortes .
Il invita ensuite le jeune prêtre des Muses à s'approcher ,
et le remercia de lui avoir procuré la satisfaction de mourir
entre les bras de Damo . O mon père , s'écria le fils de
Mullias , ne mourez pas , je vous en conjure , sans m'avoir
appris à connaître la vérité. Elle ne se montre aux hommes ,
reprit Pythagore , qu'à travers des voiles fort obscurs . Dans
l'ordre physique , vous voyez que la lumière et les ténèbres
se succèdent perpétuellement et se partagent presqu'également
l'empire de la terre ; mais dans l'ordre moral les
ténèbres surpassent de beaucoup la lumière. La vérité res
semble au soleil levant :il ne frappe de ses rayons que la
cîme des montagnes et les lieux les plus élevés . La vérité
ne peut pas être enseignée : elle se révèle elle-même aux
ames qu'elle juge dignes de la recevoir. Si vous voulez
participer à ses communications célestes , élevez un autel
àla muse tacite : l'ame se perfectionne dans le silence.
Jetez plutôt une pierre au hasard, qu'une parole inutile et
oiseuse . Habituez-vous à dire beaucoup de choses en peu
de paroles . Le vieillard ayant parlé ainsi , pencha sa tête
(
JANVIER 1813 . 87
१.
sur le sein de Damo , prononça le nom de ses deux fils
Arimneste et Télanges , et rendit le dernier soupir.
C'est ainsi que se termina la carrière de Pythagore ;
c'est ainsi qu'il fut récompensé du bien qu'il avait fait aux
hommes en leur apprenant que le bonheur ne se trouve ni
dans les honneurs , ni dans les richesses , mais dans la
pratique de la vertu . ANTOINETTE LEGROING .
:
1
-
VARIÉTÉS .
SPECTACLES . - Théâtre de l'Odéon . - Washington ,
ou les Représailles , drame en trois actes et en prose.
Dans la guerre d'Amérique , lordAsgill , officier anglais ,
blessé sur le champ de bataille et fait prisonnier , doit la
vie aux soins d'un quaker et de sa fille Betzy , dont il parvient
à se faire aimer et qu'il veut épouser. Il a écrit enAngleterre
pour donner sa démission et conjurer sa mère et
sa soeur de venir en Amérique être témoins de son bonheur.
Sur ces entrefaites , on apprend qu'un officier américain
, commandant d'un fort, après s'être rendu sur parole ,
a été condamné par un général anglais à périr sur un échafaud
; le général Washington demande que le général conpable
de cette violation du droit des gens lui soit livré ; le
général Clinton , commandant en chef des forces britanniques
, refuse , et le congrès ordonne que par une juste
représaille , un officier anglais que le sort désignera parmi
les prisonniers , périsse du même supplice , si le coupable
n'est abandonné aux Américains . Washington permet que
les prisonniers aillent sur parole auprès du lord Clinton lui
annoncer cet arrêt ; celui qui sera désigné par le sort doit
seul rester en ôtage : lord Asgill amène le billet fatal , et ses
compagnons d'infortune se rendent au camp anglais .
Mais le terme accordé par Washington va expirer ; lord
Asgill prêt à périr demande pour grâce unique au général ,
Washington de ne pas mourir d'une mort infamante :
Washington voudrait en vain accorder le devoir et la pitié ;
le signal fatal se fait entendre , Asgill va marcher à la
mort , lorsque ses compagnons se précipitent sur la scène
en annonçant que lord Clinton accorde l'extradition du général
coupable.
Le trait historique qui a fourni le fonds de cet ouvrage ,
1
88 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
est rapporté dans un ancien Mercure ; on y voit même qu'à
la paix le jeune Anglais vint à Versailles remercier le roi à la
puissante recommandation duquel il devait la vie .
Cette courte analyse donnera quelque idée de la conduite ,
mais non des détails de l'ouvrage. Cette pièce a un air
étranger qui la ferait prendre pour une traduction : le rôle
du quaker rappelle très-bien les moeurs , le caractère des
hommes de cette secte ; il cite un peu trop souvent la
Bible ; l'auteur , pour se faire pardonner ces éternelles
citations , aurait dû prévenir le public , par le moyen d'un
des interlocuteurs , que cette manière de s'eexxpprriimmeerr est
un des caractères distinctifs des quakers . Le caractère
de Betzy a de la grâce et de l'ingénuité ; la franchise des
'quakers motive fort bien la facilité avec laquelle elle
avoue son amour pour lord Asgill; ce joli rôle est bien
rendu par Mlle Fleury. Washington est représenté avectalent
par Vigneaux ; Clozel est bien placé dans celui dulord
Asgill .
Le dernier drame donné à ce théâtre n'avait pu obtenir
une représentation toute entière ; mais , par une juste représaille
, nous pouvons en prédire un bon nombre à Washington
. On y trouve des scènes fortes , des situations altachantes
, et lorsqu'on l'aura débarrassé de quelques tongueurs
, je ne doute pas qu'il ne fasse honneur à l'auteur
qui ne s'est fait connaître que sous le nom de Henri . Ce
n'est pas son véritable nom. B.
POLITIQUE.
DEs lettres de Varsovie et de Kænisberg , de la date la
plus, récenté , nous donnent le moyen de donner au lecteur
des détails sur la position occupée par l'armée française
rentrée dans le duché de Varsovie , sur celle des corps
alliés , et sur la marche des renforts qui de toutes parts
sont dirigés sur le point principal qu'elle occupe .
Les armées russes n'ont pu empêcher la retraite de
s'effectuer ; elles n'ont pu empêcher la nôtre de forcer un
passage important et de donner la main aux corps qui
avaient reçu l'ordre de se porter à sa rencontre . Les armées
russes ont prouvé par leur impossibilité de se porter en
avant de quelle manière les Français les avaient combattus ,
soit en se rendant maîtres de leur capitale , soit en l'abandonnant
pour se rapprocher de leurs magasins et pour se
refaire après une campagne marquée par la succession
d'événemens si extraordinaires. Les Français , que la
rigueur des élémens même n'a pu dompter , ont su, privés
de tout , marcher pendant soixante jours , combattre et
vaincre ; les Russes , sur leur propre territoire , sous la
protection du climat qui leur est familier , forts de tous les
moyens que ce climat nous avait ravis , n'ont pu s'avancer
pour profiter de leur supériorité matérielle . Les lignes
françaises se reforment et se grossissent sous leurs yeux.
L'armée est entrée dans des pays fertiles , et a pris des
cantonnemens où elle a trouvé des vivres et du repos .
Le quartier-général du maréchal duc de Tarente , commandant
l'aile gauche de l'armée, était aux dernières nouvelles
établi à Tilsitt. Le prince de Scharzenberg suivant
sen mouvement était le 12 décembre à Slonim . Le 7º corps
d'armée dont il est appuyé était à Swiflocs . Il n'y avait eu
sur les deux points opposés aucune nouvelle affaire . Le
général russe Kutusow était resté sur les bords du Dnieper
avec les débris d'une infanterie accablée , et ne pouvant
faire mouvoir que quelques partis de Cosaques .
Voici ce que font connaître des détails plus récens ,
écrits de Varsovie , les 23 et 25 décembre , et publiés par
le Moniteur ..
« Le feld-maréchal prince de Scharzenberg a établi
90 MERCURE DE FRANCE ,
son quartier-général à Bialystok ; celui du général Reynier
est à Brszesc . Cette position de l'armée autrichienne et du
7 corps a obligé les débris du général Sacken à se diriger
surPinsk pour se porter en Lithuanie et s'éloigner de
nos frontières .
Le prince Joseph Poniatowski , notre général en chef
et ministre de la guerre , qui s'est distingué dans la dernière
campagne , est ici depuis une huitaine de jours , et
montre la plus grande activité pour le complètement de
notre armée. Les régimens qui formaient le 5º corps sont
rentrés dans le duché. Vingt-cinq mille conscrits , dont la
levée a été ordonnée depuis deux mois , arrivent chaque
jour aux dépôts , où il trouvent leur habillement et leur
armement. Notre armée sera bientôt complétée : elle a
ramené 30 pièces de canon et ses équipages attelés , ce qui
a d'abord étonné , mais on s'explique comment elle a été
plus heureuse que les autres corps de la Grande-Armée :
nos chevaux sont acclimatés , ils peuvent résister davantage
au froid , et leurs conducteurs sont plus accoutumés
à prendre les précautions qui ont influé sur leur conservation
.
L'appel de 10,000 chevaux , ordonné dans les départemens
pour la remonte de notre cavalerie , s'est exécuté ,
et les premiers convois de remonte arrivent déjà aux
corps .
Nos places de Thorn , de Modlia , de Sierock , de
Praga et de Zamosc sont en très-bon état et bien approvisionnées
.
"
" Nous voyons arriver chaque jour ici un grand nombre
d'officiers et de soldats . On assure que les rations distribuées
journellement , par nos magasins , excèdent le
nombre de 40,000 .
" Les remontes pour l'armée francaise , qui sont dirigées
par le major Custine , se font avec succès . Il est arrivé
dans ces jours derniers plus de 3000 chevaux au dépôt-
général. Un nouveau marché , de 6000 chevaux, vient
d'être passé .
D'autres détails, non moins intéressans , sont arrivés
de Kænisberg , en date du 27 .
« Nous avons ici un grand nombre de généraux et
d'officiers français. Le roi de Naples a passé hier la revue
du corps du général Heudelet. Cette belle division , composée
de trois brigades et ayant une nombreuse artillerie ,
arrive de Dantzick.
77 Nous avons éprouvé ici un froid excessif et préma
JANVIER 1813 .
91
turé. Le thermomètre est descendu jusqu'à vingt-cinq degrés
; mais depuis deux jours , et par une transition subite ,
il a remonté jusqu'à zéro. Le dégel commence. On ne se
souvient pas d'une année aussi extraordinaire .
On assure que la division du général Heudelet se rend
aTilsitt , où l'on dit que le 10º corps est arrivé. Ce corps ,
qui n'a pas fait de longues marches , est très-beau . On le
porte à 30,000 hommes .
ห Notre roi vient d'ordonner qu'un détachement de
5000 hommes , rassemblés à Graudentz , parte de cette
garnison pour aller renforcer les troupes prussiennes qui
font partie du 10º corps. "
A ces lettres , il faut ajouter celles qui , des frontières de
laGalicie , annoncent la marche de nombreuses colonnes
dirigées sur le corps du prince de Scharzenberg ; cellès de
tous les états de la Confédération , qui ont mis en mouvement
les troupes nécessaires pour compléter leurs cadres ;
celles de la Bavière , traversée en ce moment par un corps
considérable , aux ordres du général Grenier , et venant
d'Italie ; celles des bords de l'Oder et de l'Elbe , qui font
mention de semblables mouvemens. Il faut ajouter spécialement
l'acte et les délibérations importantes que vient de
prendre le conseil de la Confédération générale du royaume
de Pologne .
« Des mesures avaient été proposées depuis plusieurs
mois pour organiser avec plus d'étendue les moyens de
défense de la patrie. Plusieurs dispositions nouvelles y
ont été ajoutées , et vont toutes recevoir leur exécution .
» Indépendament des 25,000 conscrits qui arrivent aux
dépôts des corps , la levée de 30,000 gardes du pays avait
été ordonnée . Déjà 10,000 hommes sur ce nombre prennent
les armes . Chaque district fournit 10 gendarmes :
ce qui fait , pour les 100 districts , 1000 cavaliers régulièrement
armés et montés .
> Le conseil des ministres vient d'ordonner , par un décret
du 20 de ce mois , la levée d'un cavalier habillé et
monté , fourni par 50 feux. Cette cavalerie légère , qu'on
pent assimiler aux Cosaques , sera , dans l'espace d'un
mois , en état de couvrir les cantonnemens de la Grande
Armée , ainsi que les frontières , contre l'incursion des
troupes légères de l'ennemi. Le succès de cette levée , qui
doit produire 15,000 hommes à cheval , est certain , puisque
, telle qu'elle est organisée, elle trouve dans le pays ses
chevaux , son équipement et son armement.
५
Ces mesures, dictées par la prudence et ledévouement
92 MERCURE DE FRANCE ,
du gouvernement du grand-duché , ne répondaient point
encore assez à ce qu'exigent l'amour de la patrie et le ressentiment
dont nous sommes animés contre les ennemis
du nom polonais . La Confédération s'est rendue aux voeux
de la nation , dont elle est le représentant et l'organe , en
appelant la noblesse aux armes . Les chefs qu'elle a donnés
à la noblesse armée ont toute la confiance de la nation ,
parce qu'ils sont choisis parmi les hommes qui , de tous
les temps , ont consacré leur sang et leur vie aux grands
intérêts de la patrie .
Venez
« Polonais , dit le conseil de la Confédération à la noblesse
du royaume , naguère nous réclamions de vous des
sacrifices qui paraîtraient impossibles à d'autres qu'à vous :
ils sont insuffisans aujourd'hui. Des résultats imprévus
nous ordonnent de nouveaux efforts . Le danger de la patrie
, l'honneur national , le devoir , nos sermens communs
, les réclament impérieusement. Aux armes , citoyens
! c'est la patrie qui vous appelle : il s'agit pour nous
de tout ce que nous avons de plus cher , de cette patrie
qu'on veut nous enlever , de notre existence présente , du
sort de notre postérité. C'est aujourd'hui que cette bravoure
, qui vous est si naturelle , doit devenir le rempart
de nos frontières menacées par l'inique agresset
pourun moment joindre votre valeur à celle de nos braves
soldats , et que votre constance les mette à même d'attendre
l'époque où le libérateur de la Pologne reparaîtra
parmi nous pour recouvrer , à la tête d'une armée victorieuse
, les avantages que , malgré toute sa prévoyance , la
rigueur de la saison vient de lui enlever. Aux armes
citoyens ! ce cri ne peut vous être étranger , vos ancêtres
l'ont entendu tant de fois ! tant de fois ils ont fait à la patrie
le sacrifice de leur fortune , de leur sang et de leur vie !
C'est d'après les usages les plus antiques , les constitutions
les plus respectables , les lois les plus saintes , que vous
avez formé ce noeud sacré qui nous lie tous . Voici le moment
de payer cette dette que la loi vous a fait contracter .
Braves descendans de tant de héros ! montrez-vous dignes
de vos ancêtres ; prouvez à l'univers qu'en héritant de ces
distinctions qu'ils avaient si bien méritées , vous vous y
êtes acquis des droits aussi avérés par des services seinblables
. Nous vous donnons pour commandant-général le
prince Poniatowski , général en chef de la force armée , ce
guerrier dont le nom seul réveille dans nos coeurs tous les
sentimens que nous a toujours inspirés le souvenir des héros
qui ont fait le plus d'honneur à la Pologne . Nous lui don-
,
JANVIER 1813 . 93
1
nons pour adjoint et suppléant , en qualité de vice-commandant
général , le prince Eustache Sanguszko , dont le
courage s'est montré avec tant d'éclat dans trois campagnes
successives , et dont le patriotisme , mis aux plus grandes
épreuves , appelle la confiance générale. Levez-vous ,
rassemblez - vous sous les enseignes des maréchaux , dans
les départemens et les districts ; mais que vos rassemblemens
annoncent l'ordre et la discipline ; observez dans
tous leurs points les réglemens que nous promulguons
aujourd'hui . Des travaux de quelques instans vous conduiront
à la gloire , plus chère aux Polonais que tous les
trésors , et vous assureront des droits aux récompenses
qui vous sont destinées . Les distinctions les plus honorables
vous attendent ; la patrie reconnaissante vous comblera
de ses dons . Le retour de l'été vous ramenera au sein
de vos familles , et vous rendra aux paisibles travaux de la
campagne . C'est au nom de la patrie que nous prenons
cet engagement envers vous , comme c'est en son nom
que nous réclamons aujourd'hui vos secours . Hâtez -vous
de vous rendre sous les drapeaux que vous devez honorer
par votre courage , votre discipline et votre enthousiasme
patriotique ; prouvez à l'Europe étonnée que ceux qui ont
déjà versé tant de sang pour la Pologne , en ont encore à
verser pour elle.n
,
Suit le mode d'organisation pour l'arrière-ban polonais .
Les Anglais ont , en ce moment , pour objet de leurs
rêves familiers , deux points principaux , la santé de l'Empereur
et le sort de l'Espagne. Ils font chaque matin, dans
leurs Journaux , l'Empereur plus ou moins malade , et
chaque matin aussi ils font évacuer l'Espagne par les
Français . Ils ne peuvent se résoudre à croire qu'après un
voyage de 1200 milles fait avec une incroyable rapidité
l'Empereur ait pu , malgré ce qu'ils appellent très-bien
une santé de fer comme la sienne , reprendre dès le lendemain
de son arrivée , et les travaux de son gouvernement ,
et la noble habitude de tout animer de ses propres regards .
Ils supposent donc l'Empereur plus ou moins dangereusement
malade , tandis que Paris voit journellement son
souverain se délasser des travaux de ses nombreux conseils
, par la visite des monumens qu'il élève à la gloire et
à la prospérité de sa capitale .
, Les Anglais croient aussi l'Espagne évacuée et préparent
une belle réception à lord Wellington qui doit ,
disent- ils , se mettre en route pour Londres et laisser le
commandement au général Hill , aussitôt que le maréchal
,
94 MERCURE DE FRANCE ,
duc de Dalmatie aura fait son mouvement vers la France .
Malheureusement le duc de Dalmatie ne fait pas ce mouvement
, il n'est pas prêt à le faire , et va en faire un tout
contraire en réoccuppant l'Andalousie ;de nouvelles troupes
sont en marche pour le renforcer. L'effectif des armées
françaises en Espagne monte à 300,000 hommes , dont
20,000 de cavalerie , et 300 pièces de canon attelées . Le
présent sous les armes étant réduit à 270,000 , 30,000
hommes filent et fileront dans le courant de janvier et de
février , pour compléter le nombre de 300,000 hommes .
L'Andalousie sera réoccupée , et si l'armée anglaise s'affaiblit
le moindrement , le Portugal sera attaqué .
Telle est la note que le Moniteur oppose aux espérances
conçues par les Anglais de voir le lord Wellington débarrassé
de la présence du duc de Dalmatie. S'ils annoncent
ailleurs qu'ils ont envoyé 100,000 liv. sterling en Portugal
pour le payement de l'armée , on leur objecte , par la
même voie , que cette armée n'a pas été payée depuis sept
mois et que 100,000 liv. sterling seront loin de suffire
pour mettre la solde au courant.
2
Ensuite , si par des insinuations qui leur sont familières
quoiqu'elles soient toujours sans succès , les Anglais prétendent
ébranler l'opinion sur la fidélité du Danemarck ,
et le faire joindre aux Russes et aux Snédois pour attaquer
la France dans l'Allemagne septentrionale ,le Moniteur
répond par le tableau du passé. L'outrage que les Anglais
ont fait au Danemarck , dit- il , en incendiant sa capitale
en pleine paix , et en prenant sa flotte , sont de ceux que
l'on efface avec de l'argent. Le Danemarck sera fidèle à
l'alliance contractée avec le protecteur de la Confédération .
Enfin , lorsque les Anglais paraissent disposés à ne plus
accorder de licences pour commercer avec la France , et
trouvent dans ce moyen d'échange une balance apparemment
trop défavorable pour eux, voici la note que le Moni
teur leur adresse en réponse :
,
«Aucune licence , dit-il , n'a été livrée depuis l'arrivée
de l'Empereur . Il est très-douteux qu'il en soit délivré .
Plus de cinq cents licences anglaises étant entre les mains
du commerce , c'est une vaine bravade que vous faites là
puisque déjà vous en avez livré en quantité suffisante pour
alimenter le commerce pendant deux ans. Il serait plus
avantageux à la France et au Continent qu'il n'y eût avec
vous aucune communication. Chaque licence que donne
le gouvernement français est une faveur qu'il vous fait ;
c'est une goutte d'huile qu'il jette dans votre lampe , qui
JANVIER 183 . 95
en a tant besoin !!! Malgré vos croisières , les Américains
arrivent en foule dans nos ports : dans le seul mois de décembre
, on en a compté plus de 50 , richement chargés . "
L'article suivant , extrait du Times , peut encore donner
comme un échantillon des mille moyens imaginés pour
égarer l'opinion anglaise sur l'opinion de Paris , et de l'art
qu'ont les écrivains britanniques pour tirer des plus misérables
circonstances des conséquences non moins absurdes
que l'esprit de parti qui les anime est aveugle .
«Des détails récens arrivés de France , dit le Times du
28 décembre , confirment le soupçon qui s'était élevé , que
le tapage qui a eu lieu au théâtre Feydeau , était dirigé ,
non contre le chanteur Martin , mais bien contre le gouvernement
de Napoléon , dont le bustea , dit-on , été mis
en pièces . Tel est cependant l'homme que l'on nous représente
comme aussi formidable que jamais , et au sujet
duquel on vient nous dire que c'est un vain espoir que de
songer à réduire son influence ou son pouvoir ; qu'il y a
une sorte d'impiété à parler de lui sans admiration ; et que
le seul effet de la campagne des Russes a été d'adoucir son
ame , et de le disposer , en ses différentes qualités d'Empereur
des Français et roi d'Italie , de médiateur de la
Suisse , de protecteur de la Confédération du Rhin , de
régénérateur de la Pologne et de seigneur suzerain du
royaume de Naples , etc. , à nous accorder une paix honorable
, etc. etc. etc. etc. etc. etc.
Dimanche dernier S. M. a tenu , de cinq à huit heures
du soir , un conseil des affaires étrangères ; lundi , à neuf
heures , un conseil des subsistances , et à une heure un
conseil des finances .
Mardi elle a tenu un conseil privé , arrêté et signé la
rédaction de plusieurs sénatus-consultes qui ont été portés
au sénat , qui s'est assemblé extraordinairement , le 6 , sous
la présidence du prince archichancelier.
Le Corps -Législatif est convoqué pour le 1 février
prochain .
AVIS .
S .....
Nous avons reconnu qu'il était presque impossible de consacrer ,
dans le Mercure , un espace suffisant à la Littérature étrangère : notre
intention estdonc de séparer cette partie , d'en composer une Feuille
périodique entièrement distincte.
Ce nouveau Journal forinera une espèce d'appendice du Mercure
de France ; il le complétera , en fera le Répertoire des Littératures de
tous les pays. Il aura pour titre :
MERCURE ÉTRANGER , ou Annales de la Littérature étrangère.
96 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
Donner aux Français une connaissance , aussi complète qu'il sera
possible , de la littérature de tous les pays . et sur-tout de celle de
nos voisins les Espagnols , les Italiens , les Allemands , les Anglais ,
tel sera le principal objet de cette nouvelle Feuille périodique . On ne
peut plus , aujourd'hui , prétendre au titre d'homme de lettres , si
l'on ne possède la statistique littéraire non- seulement de la Franee ,
mais de l'Europe .
,
و
Chaque numéro du Mercure étranger contiendra :
1º. Des Mélanges ou morceaux de poésie et de prose , traduits soit
des langues espagnole , portugaise italienne russe , suédoise , hollandaise
, anglaise , soit même de l'arabe, du persan , du grec moderne,
enfin des langues orientales . Nous donnerons , parfois , le texte
même de quelques morceaux écrits dans l'une ou l'autre des langues
étrangères de l'Europe , avec la traduction en regard.
Nous aurons soin d'insérer fréquemment , peut-être même dans
tous les numéros du Mercure étranger , la traduction de quelque
Conte ou Nouvelle. On sait que les Allemands et les Anglais cultivent
avec succès ce genre de littérature .
2 ° . De courtes Analyses des principaux Ouvrages qui paraissent
dans les pays étrangers ; le prix de ces Ouvrages , et les moyens de
se les procurer.
3º . Une Gazette littéraire ou Extrait des Journaux étrangers , contenant
des Notices biographiques , des Anecdotes , des Nouvelles dramatiques
, les Séances des Académies , les Programines des prix
proposés , etc. , etc.
M. Langlès , membre de l'Institut , conservateur des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque impériale , a bien voulu se charger de la
partie de littérature orientale que contiendra le Mercure étranger ;
MM. Vanderbourg , Sévelinges , Durdent , des traductions de l'allemand
, de l'anglais , etc .; M. Catteau- Calleville , de la littérature
du Nord ; M. Ginguené , membre de l'Institut , de la partie italienne .
Il paraîtra , à la fin de chaque mois , un numéro du Mercure
étranger, composé de quatre feuilles d'impression , de même format
que le Mercure.
Quoique nous regardions le Mercure étranger comme un supplément
presque nécessaire du Mercure de France , nos Abonnés ne
sont point tenus de souscrire à ce nouveau Journal .
L'abonnement au Mercure de France continuera d'être de 48 francs
par an ; mais pour six mois , il sera de 25 fr.; pour trois mois de 13 fr .
Les abonnés au Mercure de France qui voudront aussi souscrire
au Mercure étranger , paieront , en sus , pour cette dernière souscription
, 18 fr . pour un an et 10 fr. pour six mois .
Pour les personnes qui , sans s'abonner au Mercure de France ,
voudront souscrire au Mercure étranger , l'abonnement sera de 20 fr .
pour l'année , et de 11 fr . pour six mois .
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
étranger , au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , franes de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
Paris .
TA
MERCURE
DE FRANCE .
1.
EINE
N° DC . - Samedi 16 Janvier 1813 .
POÉSIE .
DISCOURS IMITÉ DE TITE- LIVE.
PACUVIUS désarme son fils PÉROLLA sur le point d'assas-
:
siner ANNIBAL (*) .
PÉROLLA , un poignard à la main .
:
Omon père , vois- tu ce glaive dans mes mains ?
Hé bien ! rends grâce aux Dieux , qui de ces fiers Romains
Permettent qu'en ce jour , par un grand sacrifice ,
Nous méritions enfin la bonté protectrice !
Oui , qu'il tombe immolé sous ce glaive vengeur ,
De notre liberté le cruel destructeur ,
Et que d'un même coup utile à ma patrie ,
D'un odieux tyran je purge l'Italie ! ....
PACUVIUS , consterné .
Justes Dieux ! Pérolla ! ... qu'as- tu dit ? ... je frémis ! ...
Quelle aveugle fureur égare tes esprits ?
(*) Res memo. p . 109 , Per ego te ,fili , etc.
G
98
MERCURE
DE
FRANCE
,
--
Oh ! si de la vertu la voix encor t'est chère ,
Au nom de la patrie , au nom de ton vieux père ,
-Par l'opprobre éternel qui couvre un meurtrier ,
Mon fils ! .. respeste un hôte : eh ! quel hôte ? .. un guerrier,
Le soutien de Capoue , et le vainqueur de Rome !
Faut-il donc qu'un tel crime à mes yeux se consomme ,
Quand naguères encore , aux pieds de ses autels ,
Jupiter a reçu nos sermens solennels ?
Hé quoi ! ce fier vainqueur pardonne à ta faiblesse ;
Et lorsqu'à ce banquet il admet ta jeunesse ,
(Honneur que t'envîraient les premiers de l'Etat ! )
Tu voudrais te souiller d'un lâche assassinat !
Tu voudrais , de nos Dieux foulant aux pieds la crainte ,
Du toit hospitalier ensanglanter l'enceinte ?
Mon fils ! faut- il qu'en vain j'embrasse tes genoux ,
Moi qui sus d'Annibal attendrir le courroux ?
Que de ces Dieux vengeurs la majesté sacrée ,
Et la foi des sermens que ta bouche a jurée ,
La faveur d'Annibal , le meurtre et son horreur
Ne touchent point , ingrat , ton inflexible coeur ,
J'y consens : mais au moins que la raison t'éclaire :
L'as-tu bien pu former , ce projet téméraire ?
Seul , tu veux attaquer le vainqueur des Romains !
Crois-tu qu'autour de lui , ces braves Africains ,
Tranquilles spectateurs de ta vaine démence ,
Te laissent sans obstacle assouvir ta vengeance ?
Penses- tu soutenir ces regards foudroyans ,
Que Mars lui-même arma d'éclairs étincelans ,
Ce front qui dissipait nos cohortes craintives ,
Ainsi qu'un vil troupeau de biches fugitives ?
Mais je veux , après tout , qu'un propice destin
Couvre tes noirs complots d'un voile clandestin.
Pourras-tu bien , dis-moi , de ton bras sanguinaire ,
Abattre , et sous tes pieds fouler le corps d'un père ?
Car il faudra , cruel , au travers de mon flanc
T'ouvrir jusqu'au vainqueur un passage sanglant ;
N'en doute pas , mon sein deviendra son égide :
Au meurtre tu joindras l'horreur du parricide ! ...
Tu recules d'effroi , tu trembles , ô mon fils ! ...
Des pleurs roulent déjà dans tes yeux attendris .
Ahl rougis , Pérolla , d'un coupable délire ;
Fuis , respecte un héros que l'univers admire ;
"
2
.. JANVIER 1813 .
99
Je t'en conjure ici : veuillent les immortels
Rendre ton coeur sensible aux accens paternels ,
Ainsi que pour toi-même , ils ont permis naguère
Qu'Annibal favorable écoutât ma prière !
PÉROLLAjette son glaive .
Tu l'emportes , mon père , Annibal est sauvé ! ....
> FRÉDERIC BATRÉ.
LE PAON ET LE CHOUCAS ,
Fable allégorique , imitée de FAERNE.
Le souverain de la gent emplumée
Venait de descendre au tombeau ;
Les petits et les grands , et le peuple et l'armée ,
Réclamaient à-la- fois un monarque nouveau.
On s'assemble , on cabale , ainsi qu'il est d'usage ;
L'un vend , l'autre achète un suffrage .
Tandis que l'on s'échauffe en vain ,
Le paon s'avance , et d'un ton fier et vain :
* Vous voyez , leur dit- il , cet éclatant plumage ,
» Ce cou d'azur , ce port noble et divin ;
» Le trône , je le crois , peut être le partage
>> De qui sut mériter les faveurs du Destin. >>>
Tous s'en allaient au Paon décernant la couronne ,
Quand le choucas l'apostrophant ainsi :
» Gentil oiseau , dit- il , parvenu sur le trône ,
>> Si l'on t'apprend qu'un farouche ennemi
» Menace d'envahir l'Etat et ta personne ,
» Réponds , que feras-tu ? quel sera notre appui ?
>> Le courage sert mieux que la beauté ; sans lui ,
» Jamais au rang suprême on ne devrait prétendre. n
Cet avis du choucas parut très-bon en soi ,
Et l'aigle courageux dès-lors fut élu roi .
Pour régir un Etat , pour savoir le défendre ,
Pour maintenir tout le peuple en repos ,
Il fallait plus qu'un chef , il fallait un Héros.
M. BOINVILLIERS , corresp . de l'Institut.
G2
10. MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
ÉNIGME.
DE moi l'on voit sortir une épaisse fumée
Qui de feu n'est pourtant jamais accompagnée ;
Demoi l'on voit couler un grand nombre de pleurs ,
Et je ne souffre pas la moindre des douleurs :
...Aux rigueurs des saisons sans pitié l'on m'expose ;
Au grand air est toujours le lit où je repose ,
Et pourtant j'y conserve une interne chaleur ,
Que sait mettre à profit l'adroit cultivateur .
A la ville on me croit un être méprisable ,
C'est le contraire aux champs : j'y suis recommandable.
Par moi l'on remédie à la stérilité ,
Et j'y double l'espoir de la fécondité.
LOGOGRIPHE
1
S ........
DES plus belles couleurs brillante avec ma tête ,
Je suis en la perdant d'une extrême pâleur ;
Quand le saint sacrifice à l'église s'apprête ,
On me voit sur l'autel dans les mains du recteur ;
Si je perds tête et queue , ô destin déplorable !
Je deviens aussitôt , j'en frissonne d'horreur ,
D'un supplice odieux l'instrument exécrable.
CHARADE .
V. B. (d'Agen. )
Mon dernier par l'usage et par la loi commune ,
Al'église , lecteur , ainsi qu'à la commune ,
Précède les époux conduits par l'amitié .
De leur lit mon premier tient plus de la moitié :
Mon tout sans être esclave , et sans la moindre gêne ,
Du Cap rouge à Damas est toujours à la chaîne .
V. B. ( d'Agen . )
1
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Lemotde l'Enigmmee estAiguille.
Celui du Logogriphe est Poêle , dans lequel on trouve : Pôle.
Celui de la Charade est Patelin . 1
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
LA GAULE POÉTIQUE , ou l'Histoire de France considérée
dans ses rapports avec la poésie , l'éloquence et les
beaux-arts ; par M. DE MARCHANGY. -Deux vol. in-8°.
-Prix , 10 fr . , et 12 fr. 50 c. franc de port . Paris ,
chez Chaumerot , libraire , place Saint-André-des-
Arts , nº 11 ; Chaumerot jeune , libraire , Palais-Royal ,
galerie de bois , nº 188 ; et Eymery , rue Mazarine ,
n° 30 .
Nous possédons plus de dix mille volumes sur l'histoire
de France , et cependant M. Marchangy est parvenu
à donner sur le même sujet un ouvrage aussi original
qu'intéressant ; c'est une entreprise ingénieuse et
nationale que celle d'avoir voulu prouver que nos chroniques
offraient à l'orateur , au poëte , au peintre , les
ressources les plus abondantes. On trouve , en effet , dans
la Gaule poétique des discours vraiment éloquens , des
sujets de tableaux faits pour tenter le pinceau de nos
meilleurs artistes , et des esquisses animées de poëmes
épiques et de tragédies. Avant de rendre un compte plus
détaillé de cet ouvrage , nous croyons devoir citer en
entier l'Introduction , qui donnera mieux que nous ne
le ferions nous-même une idée précise du plan et de la
manière d'écrire de M. Marchangy .
Introduction de la Gaule poétique. :
Jusqu'à présent on n'a cru voir dans les chroniques
françaises que des événemens obscurs , et des fables grossières
peu propres aux conceptions poétiques ; mais une
étude plus profonde sauraity trouver en grand nombre, des
germés précieux , qui n'attendent pour éclore que la volonté
du génie .
Notre histoire , que les Muses ont négligée , aurait pu
facilement leur plaire si elles eussent découvert , sous le
voile épais que n'ont osé lever de timides annalistes , une
102 MERCURE DE FRANCE ,
beauté vierge encore et des grâces ignorées . Sous quels
traits intéressans , sous quels divers attributs , la poésie et
la peinture , dont le privilége est de tout animer , ne pourraient-
elles point représenter la France ?
Tantôt on la verrait , intrépide amazone , portant la hache
du Sicambre , les bracelets du Celte , la lance des Paladins ,
Pépéron d'or , le faucon , et le cor retentissant des nobles
et des châtelains .
Tantôt errante pélerine , revenant des lieux sacrés avec
Ie rosaire des ermites , le bourdon , l'écharpe brodée par
les jouvencelles , la harpe du troubadour , et la cithare des
romanciers .
Tantôt puissante fée, couronnée de la verveine , dont les
prophétesses des Germains et des Gaulois ceignaient leur
front; armée de la baguette des Nécromans , de l'anneau
merveilleux , de la coupe aux philtres magiques ; transportée
sur un char aérien , et telle qu'apparurent à nos crédules
aïeux les Oberon , les Morgane et les Mélusine .
Mais plus souvent encore on la verrait , auguste divinité ,
élevée sur un trône dont les étrangers mêmes ont reconnu
laprééminence , et recevant les productions du génie , les
voeux , les sermens , les sacrifices d'une foule de héros:
fiers de répandre leur sang , et de mourir pour elle. A son
autel sont suspendus les oriflammes de Clovis , les faisceaux
que Charlemagne rapporta du Capitole , les bannières
des Louis et des Philippe , le panache blanc de
Henri IV , et les épées des Duguesclin , des Nemours ,
des Bayard , des Condé , des Turenne , des Catinat , des
Villars . Parmi ces trophées éclate son vaste bouclier , que
parent les armoiries de cent familles illustres , les couleurs ,
les chiffres et les devises des chevaliers et des bannerets .
Autour de ces nobles écussons s'entrelacent les rameaux
du chêne qu'adoraient nos Druides ; l'olivier que les
Phocéens transplantèrent sur nos rivages; le peuplier d'Italie
, emblême des colonies romaines dans les Gaules ;
les palmes de l'Idumée , et les lis couverts d'abeilles : sur
ces images symboliques la galanterie et les amours effeuillent
les roses cueillies dans les voluptueux bosquets d'Anet ,
de Blois et de Versailles .
Il n'est pas une époque dans notre histoire qui ne puisse
offrir aux beaux-arts des sujets dignes de les inspirer.
Si l'on parcourt rapidement nos fastes , on verra d'abord
les Gaulois fonder de grands royaumes dans l'Italie et dans
l'Asie , qui à leur tour élèvent parmi nous des cités célèJANVIER
1813. 103
bres; on verra un nouveau peuple , échappé des forêts du
word , signaler par mille exploits une audace intrépide .
Toute la nuit de ces premiers siècles étincelle de faits
éclatans .
Bientôt les murs de Cambrai et de Tours ont vu briller
l'aurore de notre monarchie : le ciel confie la garde de
Lutèce à une simple bergère , qui détourne avec sa hou
lette la grande armée d'Attila ; Clovis s'élève , et vingt rois
disparaissent ; la Gaule entière est saluée du beau nom de
France ; un miracle convertit le monarque idolâtre , et
PEternel , s'intéressant à nos drapeaux , se montre le Dieu
des victoires , comme au tems des Moïse et des Josué.
Mais sous le règne des Clotaire et des Chilpéric , la
France n'est qu'une plaie , et la muse de Sophocle et d'Euripide
oublie les murs de Thèbes et d'Argos , pour rêver
sur les bords de la Seine à de tragiques souvenirs . Un père
abesoin de bouclier devant l'épée de son fils , et le soleil
refuse sa lumière à de nouveaux Pélopides ; des femmes
ardentes à régner se font un sceptre du poignard; le jeune
héritier du trône est retrouvé dans les filets du pêcheur , et
de nombreux phénomènes ont consterné la terre .
Après cette époque horrible , mais poétique , s'avancent
indolemment du trône au cloître , et du cloître au tombeau
, ces rois qui n'ontpas régné , ces vains simulacres
qu'un maire proclame avec ironie , et que leurs sujets
ignorent .
Lasse d'un tel repos , la France se réveille , et bientôt se
couronne des lauriers que lui apportent Charles-Martel ,
Pépin et Charlemagne ; elle entonne l'hymne de Roland et
les chants que recueille Eginhard; ivre de sa gloire , elle
reçoit les armes brisées des Sarrasins et des Saxons , la
couronne de fer que la belle Teudelinde ceignit au roi des
Lombards son époux , l'étendard de Rome , le bandeau
impérial des Césars , les sceptres de la Germanie , les clefs
du sépulcre de Jérusalem , et les hommages d'Alphonse ,
d'Irène , d'Aaroun et de Nicéphore .
Mais un grand deuil succède à une grande splendeur ,
etdu fond du nord les enfans d'Odin , guidés par leurs
Valkiries et leurs Scaldes , apportent sur nos rivages la
guerre et l'idolatrie . Au milieu des discordes et des troubles
civils deux aimables princes règnent ensemble comme
deux lis sur une même tige ; tendres frères qu'un trône
même ne put désunir , et que la mort n'a pas séparés .
Cependant la chevalerie a reçu des mains de la beauté le
104 MERCURE DE FRANCE ,
ر ت ا
hautbert , les panaches flottans , les armes invincibles , et
la beauté lui doit à son tour un culte professé par la bravoure
et la courtoisie . Que la Grèce ne vante plus ses fabuleux
argonautes , et ses Alcide , et ses Thésée ; une race de
héros efface tous leurs exploits et se consacre à la défense
de la faiblesse et du malheur . Des aventures inquies , des
faits d'armes prodigieux , des tournois aussi beaux que les
jeux d'Olympie ; tout ce que la valeur et l'amour peuvent
enfanter de plus merveilleux se trouve dans cette partie de
notre histoire . is
Mais à la voix de l'ermite qui s'échappe, tout inspiré, du.
désert , nos guerriers marchent à la délivrance du tombean
sacré ; les tentes de France s'élèvent près du sycomore et
du palmier de la Syrie , et l'histoire s'assied sur les rives.
saintes du Cédron et du Jourdain . L'Orient brillantet policé,
enchante nos héros , qui reviennent dans l'Europe ignorante
et ténébreuse avec les flambeaux des sciences et des
arts .
De charmans concerts ont ravi l'Occitanie et la Provence ..
Des générations d'Amphions et d'Orphées se rendent sous
les rameaux du mélèze et du térébinthe , où siége la cour
souveraine que préside la beauté , et lui font entendre la
ballade et les plaidoyers d'amour. Non , jamais la flûte des
bergers du Ménale et du Sténiclare ne soupira de plus doux
airs que la lyre de ces poëtes amans et guerriers qui , des
bords parfumés de la Durance , se répandent de toutes parts
et charment le palais des rois et les salles des baróns et des
châtelains .
La langue française voit les romanciers couvrir de fleurs.
son berceau ; elle en sort avec les grâces de l'enfance ; ses
paroles simples et naïves donnent un air de candeur à tous
les sentimens qu'elle exprime .
Cependant la France accomplit ses destins , et multiplie
les exploits et les actions illustres ; mais c'est dans les revers
que paraît sur-tout sa grandeur. Qui oserait reprocher
à nos pères les journées de la Massoure , de Cressy , de
Pavie ? Fatales journées où moins braves , ils eussent été
vainqueurs , et où leur courage mérita le triomphe dont les
priva leur impétuosité ! C'est ici qu'on admire Saint-Louis,
captif des Sarrasins , qui respectant ses vertus , brisent ses
fers , lui demandent la paix et veulent le proclamer leur
souverain. Le roi Jean court prendre la place d'un ôtage
infidèle en s'écriant que sila bonne foi était perdue , il faudrait
la chercher dans le coeur des rois . François It rassure
"
JANVIER 1813 . 105
son pays en lui apprenant que tout est perdu , hormis
l'honneur.
Il est bien doux , bien consolant de voir la patrie , toujours
habile à relever ses ruines , faire éclore de son malheur
même un germe de prospérité..
Après les règnes désastreux des successeurs de Philippele-
Bel, apparaît , comme l'arc- en -ciel après l'orage , le règne
pacifique de Charles V, qui ne trouvait les rois heureux
que parce qu'ils peuvent faire le bien. "
Après l'envahissement du royaume parles Anglais , alors
que toutes nos cités subissaient un joug odieux , une jeune
vierge leva contre eux sa lance et les fit disparaître.
Al'ombrageux , au despote Louis XI , qui vivait inaccessible
dans le fond de son château de Plessis-lez-Tours ,
on voit succéder le courtois et l'affable Charles VIII , mêlant
des fêtes aux victoires , rapportant des rives de Parthénope
soumise des plantes et des fruits inconnus
France , qui bénit ses fertiles trophées .
20
à la
Consolant ses sujets des parricides horreurs de la Saint-
Barthélemi et des égaremens d'une Ligue insensée , arrive
ce Henri IV , qui laissa tant de souvenirs attendrissans à
latable du pauvre et à la cabane du charbonnier.
Après les troubles de la Fronde, le deuil et les misères de
la cour ,on contemple Louis XIV ajoutant à la majesté des
rois , et réalisant dans Versailles les fables de l'Olympe ,
les féeries d'Armide ef d'Alcine ; magnifique souverain
dont Homère et Phidias eussent fait leur grand Jupiter en
le voyant entouré de cent génies immortels qu'inspiraient
son sourire fécond et ses regards puissans .
Après les années honteuses de la révolution , où la terreur
, le carnage , la famine et tous les fléaux creusaient
l'effrayant tombeau de la France , on voit luire l'aurore ,
qui , dissipant tant de nuages , enfante un astre réparateur;
la patrie refleurit à son éclat , et sous les arcs-detriomphe
qui consacrent mille victoires , entre dans nos
remparts étonnés l'héritage de Rome et d'Athènes .
Ah ! gloire et honneur au pays que n'a point abaissé
l'infortune , et qui n'a jamais désespéré de son salut !
Gloire et honneur au pays de la vaillance , de l'esprit , de
la politesse , et des vertus hospitalières ! au pays qu'ont
défendu tant de héros , qu'ont embelli de si grands talens !
Vous donc , poëtes et artistes citoyens , que l'amour de
votre patrie échauffe de son feu sacré , saisissez la lyre , le
ciseau, la palette , et daignez me suivre dans les nouveaux
106 MERCURE DE FRANCE ,
✓
sentiers que je vais vous frayer : nous nous arrêterons
ensemble sous les chênes divinisés , où les antiques Semnothées
accomplissaient leurs mystères ; dans ces camps
nombreux que les Gaulois et les Francs ont dressés en face
de tant de nations différentes d'origine , de moeurs , de
coutumes; dans les fêtes et les cours plénières de nos
monarques ; dans les joûtes et les carousels de nos paladins
: nous parcourrons les cloîtres du cénobite , la grotte
du solitaire , les sombres églises , qu'on prendrait pour des
catacombes , et des forêts pétrifiées , et les manoirs féodaux
, et les castels hospitaliers , où les pélerins , les
preux , les écuyers , les pages et les damoiseaux contaient
leurs aventures de guerre et d'amour à la lueurdes brasiers .
Vous apprendrez les faits célèbres , les grandes vertus , les
grands crimes , les usages curieux , les fables nationales ,
les moeurs simples et la vie privée de nos aïeux ; alors
étonnés de tant de poétiques richesses , vous consacrerez
désormais vos veilles à célébrer une histoire trop long-tems
méconnue et dédaignée. Si j'ose marcher avec vous dans
cette lice glorieuse , où le mérite seul a droit de porter ses
pas, ce n'est point que je prétende vous donner des leçons
et des exemples ; ce n'est point que j'aspire aux palmes
dues à ceux qui sauront dignement raconter tant de merveilles
; mais le berger qui vit obscur dans les vallons solitaires
, conduit quelquefois le conquérant à travers les
routes inconnues , et le mène jusqu'au champ d'honneur
où l'attend la victoire .
1 (La suite à un prochain numéro . )
LE GLANEUR, ou Essais de Nicolas Freeman , recueillis
--
et publiés par M. A. JAY . Un vol . in -8 ° . Prix ,
6 fr . , et 7 fr. 50 c. franc de port . Chez Cérioux jeune ,
libraire , quai Malaquais , nº 15 ; Dargent , libraire
rue de l'Odéon , nº 34 ; et Lenormant , imprimeurlibraire
, rue de Seine , n° 8 .
CE titre simple et modeste , le nom de l'homme de
lettres qui veut bien ne s'annoncer que comme l'éditeur
de l'ouvrage qu'il offre au public , son talent si justement
apprécié ; voilà bien des motifs pour fixer l'attention du
lecteur qui cherche moins l'emploi de quelques heures
que l'occasion de méditer et de s'instruire. Des pensées
JANVIER 1813 . 107
profondes , des vues ingénieuses et piquantes , un aimable
badinage , une douce philosophie; telles sont les
qualités qui distinguent cette nouvelle production . Il
appartenait au panégyriste de Montaigne de nous les
retracer : il l'a fait dans un style formé sur les meilleurs
modèles , et qui rappelle souvent les tournures animées
et rapides , ainsi que l'élégante clarté de la prose de
Voltaire .
Il est assez difficile d'analyser un ouvrage qui se compose
de parties presqu'entièrement étrangères les unes
aux autres , et réunies seulement par un fil délié que le
moindre contact peut rompre. Des chapitres entiers sont
consacrés à la plus haute littérature , quelques-uns à la
morale et à la philosophie , d'autres au développement
des passions qui se partagent le coeur de l'homme : c'est
alors que M. Jay ou Nicolas Freeman fait agir les personnages
jetés dans l'action , etdonne ainsi tout-à-la-fois
l'exemple et le précepte. Mais quoi ! nous dira-t- on ,
vos premières réflexions semblaient annoncer un traité
didactique , où les résultats et les preuves étaient le
complément de propositions discutées avec méthode et
appuyées de toutes les armes du raisonnement , et vous
parlez maintenant d'action , de personnages ! le livre de
M. Jay serait-il donc un roman? Ni l'un ni l'autre . Un
tableau , quel qu'il soit , n'exige-t-il pas un cadre ? La
vérité toute nue trouverait peu d'adorateurs ; et sans
s'abandonner à de tristes élucubrations sur l'affaiblissement
des facultés intellectuelles ou physiques que
l'homme a reçues en partage , bornons - nous à remarquer
que , dès l'enfance des sociétés , il lui fallut présenter la
vérité sous le manteau de la fable . Le monde vieillit sans
devenir plus raisonnable , ou , pour mieux dire , il reste
avec les mêmes passions , les mêmes vertus et les mêmes
faiblesses ; il n'a fait que changer d'erreurs . Le sage les
voit et les apprécie ; mais comment les signaler ? Oserat-
il présenter à la multitude enivrée l'image sérieuse de
la froide raison ? Ne faut- il pas la voiler sous les tissus
Jégers de la mode ? elle passe à l'aide de ce déguisement ;
et le monde fait un mérite à l'étrangère , non pas de ce
qu'elle est , mais de ce qu'elle a voulu paraître . Quai
1
108 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il en soit , le charme opère sur quelques bons esprits;
ils eussent pris la fuite sans cette heureuse précaution ;
désormais éclairés par l'expérience , ils bénissent la sage
philosophie qui cède d'un côté pour tout reconquérir ;
la persuasion est son ouvrage , et quand l'erreur des
premiers instans se dissipe , on s'applaudit d'avoir été
trompé.
;
Cosi all' egrofanciul' porgiamo aspersi
Di soave liquor gli orli del vaso ,
Succhi amari ingannato intanto ei beve ,
Edal inganno suo vità riceve .
( Gerusalemme liberata . Canto primo . )
Cette digression peut paraître grave , mais elle n'est
pas étrangère au sujet qui nous occupe. Le livre de
M. Jay sera sans doute considéré sous différens aspects.
Les uns n'y verront que les pensées éparses , le délassement
d'esprit d'un homme à talent ; d'autres n'y chercheront
que des opinions toutes faites , soit pour mo
difier leur avis particulier , d'après le sien , soit pour
s'épargner la peine de penser d'après eux-mêmes ; méthode
facile de s'occuper de tout , de posséder toutes
les sciences , sans jamais s'embarrasser dans les épines
d'études longues et décourageantes . Quant à nous , nous
avons fait connaître assez , en commençant cet article ,
ce que nous pensons du Glaneur , et l'estime qu'il doit
inspirer à tous les gens de goût ; il est facile de tirer
Thoroscope d'un ouvrage qui réunit en sa faveur tant de
moyens de succès .
L'éditeur des Essais de Nicolas Freeman nous apprend
de quelle manière le manuscrit est tombé entre ses
mains ; il nous donne , dans une préface aussi spirituelle
que bien écrite , des détails très-circonstanciés sur l'origine
du bon Freeman , sur ses liaisons et l'amitié qui
Funissait à lui ; les derniers momens de ce rare ami et
la remise des papiers sont racontés sur-tout de la manière
la plus piquante. Il faut y voir le tableau de la
douleur de l'héritier à la nouvelle de la maladie de son
parent; sa colère contre d'imprudens amis qui voudraient
qu'on laissât agir la nature , le soin qu'il prend
JANVIER 1813 . 109
1
d'entourer le malade d'un grand nombre de médecins ;
enfin , l'excès de sa sensibilité qui ne lui permet pas
d'assister aux funérailles ..
L'ouvrage commence enfin , et plusieurs personnages
sont mis en scène dès les premières pages . Leurs caractères
différens sont établis dans un chapitre d'introduction
. L'un d'eux est un ancien gentilhomme de la Basse-
Bretagne , nommé Kerkabon ; il a parcouru plusieurs
pays étrangers ; les moeurs , les lois et les coutumes ont
été le sujet de ses méditations ; franc, loyal , indulgent
pour les autres , sévère pour lui-même , il est regardé
comme un sage .
:
M. Duhamel , ancien avocat au parlement de Grenoble
, vient ensuite. C'est un bibliomane déterminé , sa
maison toute entière est devenue une vaste bibliothèque .
Religieux jusqu'à l'intolérance , d'ailleurs rempli de
vertus solides , il a conservé chez lui une suprématie
absolue. Savant , il ne s'offense pas que Mme Duhamel
mêle ensemble Horace et Corneille , les Alde et les Variorum
, et soupçonne tous ces gens-là de n'être pas de
trop bons chrétiens .
Le troisième personnage de l'association est le major
Floranville , neveu de Kerkabon. Aux rhumatismes et à
la pituite près , il aurait pu servir de type aux auteurs du
ci-devant Jeune homme .
Enfin , le quatrième acteur principal est Nicolas Freeman
lui-même. Son ame est simple et naïve , il cache
un coeur excellent sous des dehors peu séduisans . Sa
figure assez hétéroclite lui procure l'honneur d'être placé
dans un tableau de l'Adoration des Mages ; on le prend
pour modèle du roi arabe ; il faut lire dans l'ouvrage
même le détail de cette burlesque aventure , dont la
suite amène un récit qui jette sur une partie de la composition
le plus doux intérèt.
Après l'exposition de ces différens caractères , l'auteur
les place dans une situation favorable pour exposer ses
principes et ses opinions . Duhamel , entouré de bou
quins , fait la revue de toutes ses richesses. On sent ce
qu'un pareil sujet pouvait fournir au talent d'observation
de M. Jay. En homme judicieux , il s'est contenté de
110 MERCURE DE FRANCE ,
1
montrer de l'érudition , du goût ; l'écueil de la satire
était là ; un autre y serait tombé ; ce n'est pas un petit
mérite que d'avoir su se préserver d'un tel appât. Floranville
noue une intrigue romanesque avec deux aventurières
; les querelles des journalistes , les amitiés d'auteurs
, la mode nouvelle , l'occupent entièrement. Kerkabon
, pendant ce tems , moralise avec tous , et Nicolas
Freeman s'évertue sur les questions littéraires les plus
délicates . C'est ici que M. Jay montre le talent le plus
recommandable ; son style s'élève avec le sujet , il arrive
au ton noble et sévère d'une discussion grave et méthodique.
,
M. Jay s'est proposé d'examiner les causes qui s'opposèrent
au succès des ouvrages de Milton à l'époque de
leur publication. Il n'a voulu , comme il nous l'annonce
lui-même , que chercher à démêler les causes qui influent
sur la destinée des productions du génie. Cette
déclaration franche bannit toute idée de critique de sa
part , quoique dans une semblable matière le champ
puisse être librement ouvert à la discussion . Beaucoup
de nos lecteurs se souviennent , sans doute , que dans
lexorde d'un discours académique , qui a obtenu dans
le monde une célébrité clandestine , un écrivain illustré
par d'éclatans succès , crut pouvoir établir , comme un
principe certain que la nation anglaise , animée d'un
même esprit et mue par un sentiment unanime , voulut
punir l'auteur du Paradis Perdu des erreurs de sa vie
politique , en condamnant à l'oubli son plus beau titre
de gloire. Cette idée porte avec elle un caractère solennel
de justice vengeresse qui frappa tous les esprits ;
presque tous l'adoptèrent sans hésiter , et ce qui n'était
peut-être de la part de l'auteur du discours qu'une hypothèse
, et qu'un moyen préparatoire , pour arriver à des
résultats dont nous puissions faire une application immédiate
et facile , devint pour le plus grand nombre des
lecteurs une démonstration rigoureuse. Il était digne
d'un homme également versé dans la littérature et dans
la connaissance de l'histoire , de vérifier l'exactitude d'un
fait aussi extraordinaire. Les preuves que M. Jay a
rassemblées sont tirées des écrits du tems , des moeurs de
JANVIER 1813 . III
l'Angleterre à l'époque de la publication du Paradis
Perdu , et du genre même de cet ouvrage .
« Lorsqu'en 1667 Milton publia le Paradis Perdu ,
>> la tranquillité était rétablie en Angleterre . La nation
>>anglaise présentait alors un singulier spectacle . Char-
>>les II , qui aimait la galanterie et le plaisir , avait
>>>introduit dans sa cour une licence de moeurs qui ne
>>connaissait point de bornes . Les femmes et les favoris
>> y régnaient despotiquement. Des parties de débauche ,
>> des fêtes continuelles étaient la principale affaire du sou-
>> verain etde ses courtisans . Il croyait imiter Louis XIV ;
>> mais il n'avait ni cette magnificence , ni cet amour de
>> la gloire , ni cette dignité qui couvraient les faiblesses
>>du monarque français , et le rendaient alors l'idole de la
>>>n>ation. Charles II ne manquait pas d'instruction , mais
> il ne montrait de goût que pour les comédies licen-
> cieuses de Wicherley et pour la partie frivole de la
>> littérature . D'ailleurs il n'estimait que les écrivains
>> français qui n'avaient point de rivaux en Europe. La
>> cour partageait les goûts et les opinions du maître ;
>> personne en Angleterre n'était moins Anglais que
>> Charles II , ses maîtresses et ses favoris .
» Il est incontestable que , même en mettant à part
>> l'impression fâcheuse que le nom de l'auteur du Paradis
>> Perdu devait produire à la cour , ce poëme était d'un
>> genre trop sévère pour y obtenir du succès . L'histoire
>> d'Adam et d'Eve , l'aventure de la pomme fatale , les
>> prouesses de Satan, les combats des Anges et des Dé-
>>mons , la peinture du Paradis et de l'Enfer , tous ces
> objets n'étaient pas de nature à intéresser des hommes
>> peu religieux , qui s'amusaient à jeter du ridicule sur
>>>les choses les plus sérieuses , et qui jouissaient du pré-
>> sent sans trop s'inquiéter de l'avenir. Les deux poëtes
>>les plus frivoles que l'Angleterre ait produits , Waller
>> et le comte de Rochester , étaient seuls en possession
>> d'amuser la cour. On n'y connaissait Milton que comme
>>l'auteur de quelques pamphlets séditieux , et lorsque
>>son chef-d'oeuvre parut , on s'imagina qu'il ressemblait
> à ces productions mystiques et ennuyeuses dont les
112 MERCURE DE FRANCE ,
>> presbytériens et les puritains inondaient encore l'An-
>>>gleterre . >>>
Ce raisonnement paraît sans réplique ; il est appuyé
sur la connaissance des faits et sur l'esprit qui régnait
alors à la cour d'Angleterre . Mais le corps de la nation
que pensa-t-il à l'apparition du poëme de Milton ? Si les
grands , livrés aux plaisirs et à la dissipation auprès d'un
prince voluptueux et léger , ne s'appesantirent pas sur le
mérite de ce chef-d'oeuvre , pourquoi le peuple qui
s'enivre si peu des mêmes voluptés , montra-t-il de son
côté la même indifférence ? M. Jay va nous l'apprendre
encore , et l'histoire du tems , la lecture des écrits qui
étaient le plus recherchés à cette époque , confirment la
justesse de ses observations .
« La masse du peuple avait conservé des moeurs aus
>> tères et un grand attachement à la religion . L'incré-
>>dulité n'avait fait aucun progrès dans la nation. Les
>> Anglais étaient chrétiens de bonne foi . La lecture de
>> la Bible était pour eux un devoir , et ils le remplis-
>> saient avec exactitude. Leur piété était sérieuse, et
» même sévère . L'érudition théologique , la méditation
>> des mystères du christianisme , le moyen de répandre
>> les vérités religieuses , tels étaient les sujets princi-
>> paux qui occupaient tous les esprits et alimentaient
>> toutes les conversations . Rien , au premier coup-
>> d'oeil , ne devait être plus favorable au Paradis Perdu ,
>> et cependant c'est à ces mêmes circonstances qu'il
>> faut attribuer l'indifférence avec laquelle il fut reçu .
» Il est impossible qu'un poëte qui traite un sujet chré-
>> tien et qui se livre à sa verve , n'embellisse pas son
>> ouvrage de quelques fictions , et ces mensonges poé-
>>tiques révoltent les hommes simplement religieux . Ils
>>regardent comme autant d'impiétés les allusions pro-
>> fanes qui se mêlent aux vérités du christianisme .
>> Si Milton eût raconté simplement la chute du pre-
>> mier homme et les funestes effets du péché , sans
>> s'écarter en rien du récit des Saintes-Ecritures , il est
>> vraisemblable que son ouvrage fût devenu populaire
» en naissant ; mais on ne pouvait lui pardonner ni ses
>> allusions fréquentes à la fable , ni ses descriptions
JANVIER 1813 . 113
"
> imaginaires des milices célestes , ni les épisodes dont
>> il a orné son poëme. Les amours horribles du Péché
>> et de la Mort , le pont jeté sur le chaos , la paradis des
>> fous , l'invention de la poudre à canon , même l'ex-
>> pression des chastes amours d'Adam et d'Eve , effa-
>>rouchent les chrétiens scrupuleux qui ne séparent pas
>> la vérité de la religion. Ils ne sauraient supporter qu'on
>> mette en scène le créateur de l'univers , et qu'on lui
>> fasse tenir des discours qui sont presque toujours
>>>indignes de la toute-puissance et de la majesté divine.»
On reconnaît dans un semblable raisonnement l'homme
de lettres profondément pénétré du sujet qu'il a entrepris
de traiter , l'observateur judicieux qui établit ses opinions
d'après l'expérience et la connaissance de l'esprit
humain . C'est par une discussion sage et raisonnée des
événemens qui se passaient en Angleterre au moment
de la publication du Paradis Perdu , que M. Jay appuie
son système , et non par de brillantes antithèses , et des
rapprochemens étrangers à une question à-la-fois historique
, littéraire et philosophique .
Les bornes de cet article ne nous ont pas permis de
faire connaître la totalité des preuves rapportées par
M. Jay ; nous n'avons pu qu'extraire des fragmens qui
perdent à être déplacés ; l'enchaînement des idées est
rompu ; c'est à l'ouvrage même que nous renvoyons nos
lecteurs ; ils y verront ce qu'un jugement sain , une
logique pure , et la plus franche impartialité , peuvent
jeter de lumière sur les faits qu'on nous a présentés avec
une éloquence captieuse .
i
Nous ne voulons pas terminer l'examen de ce mor- '
ceau sans rapporter un des passages qui le terminent .
On y verra une opinion frappante de vérité , elle est
comme le corollaire de toutes les propositions qui l'ont
précédée. Personne , jusqu'ici , n'avait fait encore une
semblable remarque , et nous ne doutons pas qu'elle
n'obtienne tous les suffrages désintéressés .
« Je suppose que le Génie du Christianisme et les
>> Martys eussent été publiés dans le siècle de Louis XIV,
>>lorsque les doctrines religieuses étaient encore dans
>> leur force ; il est plus que probable que ces ouvrages,
H
SETA
114 MERCURE DE FRANCE ,
>>malgré le talent de leur auteur , auraient été condam-
>>nés par les Arnaud , les Nicole , les Bourdaloue , les
>>>Pascal , les Bossuet , et les autres soutiens de la foi .
>> Comment des hommes qui ne pardonnaient point à
>>Racine de composer des tragédies , auraient- ils pu
>> tolérer ce mélange du sacré et du profane , de la vérité
>> et du mensonge , qu'on rencontre par-tout dans ces
>> deux productions ?
: » Il est certain qu'en lisant le poëme de Milton et les
>> ouvrages de M. de Chateaubriant , on est toujours
>> tenté de croire qu'on ne lit que des fables ; et cette
>> impression involontaire peut affaiblir le respect dû à
>>la religion. Je n'ai pas besoin d'avertir le lecteur que
→→→l'opinion que je soutiens est celle des hommes vraiment
>>pieux .
>> D'après toutes les recherches et les réflexions que
>> j'ai faites sur ce sujet , je suis convaincu que si le
>> siècle de Milton, eût été moins religieux , le Paradis
>>Perdu aurait jeté à sa naissance un grand éclat ; et
>> que M. de Châteaubriant doit une partie de ses succès
au peu de zèle et de ferveur religieuse de ses contem-
>>porains .>>>
1 M. Jay a fait précéder cet intéressant examen par une
notice très-détaillée de la vie et de tous les ouvrages de
Milton . L'Homère auglais n'est guère connu en France
que par le chef-d'oeuvre qui lui donne un rang si élevé
parmi les poëtes épiques . Peu de personnes lisent ses
autres ouvrages ; quelques-uns sont écrits en latin : tous
annoncent le génie sublime dont le nom est désormais
consacré à l'immortalité . M. Jay , attentif dans son ouvrage
à tout ce qui peut intéresser les lecteurs , l'a orné
de deux frangmens de la traduction de M. Delille ;
l'exorde du 3º chant du Paradis Perdu et la scène
touchante dans laquelle Eve sollicite et obtient le pardon
de sa faute : on sait avec quel rare talent le traducteur a
fait passer dans notre langue les beautés de l'original .
Un mérite d'autant plus remarquable dans le style de
M. Jay , mérite qui devient chaque jour plus rare , c'est
l'extrême clarté des tournures et le naturel de l'expression.
Ces deux qualités sont précieuses sur-tout dans la
:
:
r
JANVIER 1813 . 115
narration , et M. Jay, en homme qui sait plier son talent
aux divers genres de composition , a placé dans son livre
deux nouvelles qui doivent réunir tous les suffrages .
Dans la première , il s'agit de prouver, par un exemple ,
qu'une éducation soignée ne produit pas chez les femmes
le dangereux effet de diminuer leurs affections domestiques
et l'amour qu'elles doivent porter à leurs époux
ainsi qu'à leurs enfans . Kerkabon soutient cette thèse
galante , et raconte l'histoire d'Elvire , fille du vice-roi
du Mexique. Nous nous garderons bien de détruire l'intérêt
qu'inspire cette nouvelle , en cherchant à l'analyser .
Nous userons de la même discrétion à l'égard de la séconde
: c'est l'histoire du sage et sensible Kerkabon luimême
. Ici tout le charme naît de la grâce du récit ; on
n'y trouve aucun de ces événemens extraordinaires qui
agitent la vie de la belle Espagnole; tout se passecomme
dans notre Europe ; et quoique l'auteur , peut-être par
hasard , peut-être par une prédilection particulière , ait
placé dans le Nouveau-Monde les catastrophes qui terminent
ses récits , il n'est pas moins vrai que Kerkabon
n'abuse pas de la distance ; il touche le coeur sans effrayer
l'imagination . Cette partie du Glaneur n'est pas la moins
remarquable , elle prouve dans l'auteur un talent de
composition fort distingué. :
1
Quelque plaisir que le livre de M. Jay procure à
la lecture , quelque plaisir aussi vif qu'on éprouve à
le louer', encore faut-il que la critique ait sa part :
rien n'est perdu pour le malin . Si M. Jay a voulu
donner au public un roman littéraire et philosophique ,
la nullité de l'action devient un défaut que couvre à
peine le mérite des diverses parties de l'ouvrage. Si ,
au contraire , M. Jay n'a imaginé son cadre que
pour présenter au public des fragmens sur différens
sujets rassemblés dans un même volume , ainsi que le
démontre le titre , on avouera que la fable imaginée
pour mettre en oeuvre tous ces matériaux ajoute bien peu
à l'intérêt de l'ouvrage . M. Jay paraît lui-même ne pas
mettre une grande importance àses personnages , il agit
avec eux sans cérémonie , et se met à leur place lorsque
la gravité du sujet l'emporte , sans trop s'embarrasser
H2
116 MERCURE DE FRANCE ,
de ce qu'ils deviendront ; le lecteur les retrouve avec
plaisir , mais il ne s'inquiète nullement des causes de
leur disparution : ils ont été bien remplacés . Eh ! qu'importe
après tout que ce soit Freeman , Kerkabon ou
M. Jay lui-même qui entretienne le lecteur ! L'objet
principal est de plaire , d'attacher ou d'instruire ; il est
difficile de rencontrer un livre qui, mieux que le Glaneur,
remplisse à-la- fois ces importantes conditions .
G. M.
OEUVRES COMPLÈTES DE BERTIN , nouvelle édition , ornée
du portrait de l'auteur et de deux jolies figures .-
Deux vol. in- 18 . Prix , 2 fr. 50 c . , et 3 fr . franc
de port. Paris , chez Duprat-Duverger , rue des
Grands - Augustins , nº 21 .
,
SI M. de Parny a obtenu avec justice le surnom de
Tibulle français , Bertin , son compatriote et son ami
semble avoir ambitionné l'honneur d'être notre Properce
; on le lui a même accordé, quoiqu'il soit bien souvent
au-dessous du chantre de Cinthie . Tibulle et
l'amant d'Eléonore se font distinguer l'un et l'autre par
un naturel plein de grâce , par une sensibilité vive et
sans affectation , par une mélancolie douce qu'un heureux
choix d'expressions conserve fidèlement. Leurs
vers coulans et faciles ont la même harmonie , la même
pureté et la même élégance ; leurs pensées amoureuses
ont le même charme , et leurs transports le même délire.
Sans doute les Dames romaines savaient par coeur les
élégies de Tibulle, comme nos aimables Françaises savent
celles de son rival .
Properce , au contraire , moins tendre , et par conséquent
moins naturel , mais doué d'une imagination vive
et forte, prodigue les hors -d'oeuvres , les descriptions , et
se fait remarquer par la richesse et par la variété des
détails ; c'est bien plus l'esprit que le coeur qui parle
dans ses élégies , et son style surchargé d'ornemens poétiques
n'a pas la douceur , la mollesse et la grâce qui
conviennent au genre élégiaque . Properce a servi de
21
JANVIER 1813 . 117
!
modèle à Bertin , et il y a entr'eux une analogie de
talens qu'on reconnaît bientôt en lisant leurs ouvrages .
Si Bertin n'avait pas eu le bon esprit de bien choisir son
modèle , si , par exemple , séduit par les grâces enchanteresses
de Tibulle , il avait tenté d'imiter ce grand poëte,
il est certain qu'il aurait complétement échoué , et que
ses vers auraient grossi le nombre de ceux que dès leur
naissance on a dévoués à l'oubli .
Il ne faut pas se dissimuler cependant que si , dans un
grand nombre d'élégies , Bertin est un rival heureux de
Properce , quelquefois aussi il n'est que l'émule de Dorat.
Lié d'amitié avec ce versificateur petit- maître , ce pédant
couleur de rose , ce ver luisant du Parnasse , comme
l'ont ingénieusement nommé MM. Palissot et Le Brun ,
quelques-uns de ses vers se ressentent de ce commerce
qui a dénaturé le talent de plusieurs jeunes poëtes , et
leur a appris l'usage de je ne sais quel persifflage inintelligible
qui , en brillantant leurs productions , les a
dépouillées de la vérité sans laquelle il n'y a point de
poésie .
Maintenant que le goût des bonnes études nous a
complétement désabusés de l'éclat factice de l'école de
Dorat , il nous a paru nécessaire de prévenir que si
Bertin n'a pas toujours su s'en garantir , il faut du moins
avouer que de semblables taches sont rares dans ses
élégies , et que si elles se rencontrent plus fréquemment
dans le recueil publié en 1773 , c'est qu'il était fort jeune
alors ; mais de cette époque à l'année 1782 où parurent
ces mêmes élégies , le talent de Bertin prit un caractère
plus décidé , et une étude constante des grands modèles
le ramena aux principes de la bonne école.
Bertin a peint son caractère dans les vers suivans ;
quoiqu'ils soient bien connus , ainsi que toutes les productions
de cet aimable poëte , on nous permettra sans
doute de les citer , car ils le montrent sous un jour bien
avantageux .
Ovous qui lirez mes écrits ,
Lecteurs trop indulgens , voulez-vous me connaître ?
Au sein de vastes mers l'Afrique m'a vu naître :
Faible arbuste , à neuf ans , transplanté dans Paris ,
BIBL. UNIV,
118 MERCURE DE FRANCE ,
Et de mon premier ciel favorisé peut-être ,
Je surpassai l'espoir de mes maitres chéris .
Au Pinde et chez les Rois , dans les camps , à Cythère ..
J'osai me montrer tour- à-tour .
Sincère et timide à la cour ,
J'eus pourtant le bonheur de n'y pas trop déplaire .
En amitié , fidèle encor plus qu'en amour ,
Tout ce qu'aima mon coeur , il l'aima plus d'un jour .
१
Lorsque j'entrai dans la carrière ,
On caressa ma muse ; on daigna l'accueillir ,
Comme on accueille en France une jeune étrangère ,
Qui d'un lointain climat dans nos murs vient s'offrir .
Le chantre de Ferney , sous son toit solitaire
Voyait alors l'Europe à grands flots accourir :
Hélas ! j'ai peu connu Voltaire ;
Je l'ai vu seulement triompher et mourir.
Mais Dorat , mais Bonnard , mais cette foule ainable
De convives joyeux et d'esprits délicats
Me rechercha long-tems : je leur versais à table
Les rubis du Pomar et l'ambre des muscats.
Ces vers ne dépareraient pas les oeuvres de nos meilleurs
poëtes ; à l'exception du dernier dont la pensée est
trop recherchée , les autres sont corrects , faciles et
harmonieux ; la coupe en est heureuse , et ceux qui
concernent Voltaire sont d'une élégance remarquable.
Les Amours de Bertin , plusieurs fois réimprimés ,
sont si connus , qu'il serait inutile d'en citer ici des passages
sur le mérite desquels tout le monde est d'accord.
Il n'est pas un ami des vers qui n'ait lu plusieurs fois ces
élégies où le défaut d'abandon est compensé par un luxe
peut-être trop abondant d'images poétiques , et où si
l'amant n'est pas toujours passionné , il est presque
toujours poëte habile .
Ce défaut d'abandon qu'on reproche à Bertin , n'est
pas au reste si général que quelques personnes se l'imaginent.
L'élégie qui commence par ces vers :
Elle est à moi ! Divinités du Pinde ,
De vos lauriers ceignez mon front vainqueur , etc.
dans laquelle , suivant l'expression d'un critique , les
JANVIER 1813 .
119 f
11
images les plus voluptueuses sont voilées de la pudeur
de l'expression , et plusieurs autres que nous pourrions
citer , ont une chaleur qui , pour n'être pas aussi expansive
que celle de Tibulle , n'a pas moins un charme particulier
qui flatte et qui finit par séduire .
Ces élégies ont fait à leur auteur une réputation qui
durera long-tems ; ses autres productions se font lire ,
parce que, si elles ont beaucoup des défauts des disciples
de Dorat , elles ont aussi des beautés qu'on ne rencontre
dans aucun des nombreux versificateurs de cette école .
On lira long-tems le Voyage en Bourgogne , et quelques
jolies épîtres parfaitement rimées ; des idées agréables
élégamment exprimées , de la facilité , de la correction ,
une coupe heureuse et quelquefois savante , de l'harmonie
et des détails gracieux sont les qualités qui les distinguent.
Le chantre d'Eléonore et celui d'Eucharis , quoique
rivaux , furent toujours amis ; jamais la jalousie n'altéra
leur amitié , et ces deux poëtes qui obtinrent beaucoup
de succès dans le même genre , y trouvèrent des motifs
de resserrer encore davantage le lien qui les unissait . La
supériorité même de M. de Parny n'affecta jamais
P'amour-propre de Bertin, et les ouvrages de celui-ci
contiennent des éloges qui durent toucher agréablement
le poëte et l'ami auquel ils étaient adressés .
Nous avons cru devoir insister sur cette union si rare .
Elle servira peut-être d'exemple dans ce siècle où la
guerre civile règne dans la république des lettres , où
les rivaux se déchirent impitoyablement et où la haine
motive trop souvent les jugemens qu'on porte sur les
ouvrages. Il faut espérer que cette anarchie , si fatale
aux sciences et aux arts , finira enfin ; l'amitié entre les
gens de lettres leur fera obtenir plus de succès que la
désunion . Boileau et Racine se communiquaient leurs
productions et s'éclairaient mutuellement de leurs conseils
. La sévérité de l'ami prévoyait les remarques de la
critique et fournissait les moyens de les prévenir. De nos
jours n'a-t-on pas vu les auteurs des Etourdis , du Vieux
Célibataire , de Médiocre et Rampant , et d'une foule
d'autres ouvrages qui ont rappelé le règne de la bonne
120 MERCURE DE FRANCE ,
comédie , montrer l'exemple de cette amitié franche si
nécessaire aux gens de lettres , mais si rare entre des rivaux
fameux par de grands succès dans la même carrière
? Il faut espérer qu'ils auront des imitateurs .
J. B. B. ROQUEFORT .
VARIÉTÉS .
AM. le Rédacteur du Mercure de France.
MONSIEUR , Voltaire a écrit un chapitre charmant sur les
contradictions de ce monde; mais il était loin d'en imaginer
une de la force de celle dont je vais vous parler .
La Harpe , son disciple fidèle dans une partie de son
Cours , semble le combattre , le réfuter dans l'autre , c'està-
dire , depuis sa conversion. En voici un exemple bien
remarquable .
Dans le tome 7 , page 262 , du Cours de Littérature , je
lis les vers suivans :
Tout amour vient du ciel : Dieu nous chérit , il s'aime ;
Nous nous aimons dans nous , dans nos biens , dans nos fils ,
Dans nos concitoyens , sur- tout dans nos amis .
VOLTAIRE.
Voici les réflexions de La Harpe à ce sujet .
« Cette doctrine est parfaitement conforme à la raison ,
et c'est en ce sens que Dieu nous ordonne expressément
d'aimer notre prochain comme nous -mêmes . En effet ,
l'amour de soi ou l'amour-propre bien réglé , soit qu'on les
confonde ensemble , comme ont fait la plupart des moralistes
, soit qu'on les considère séparément , sont des sentimens
naturels et légitimes , donnés à l'homme pour l'attacher
au soin de sa conservation et lui inspirer le désir de se
rendre meilleur. Si la Rochefoucauld a voulu dire que cet
amour de nous entre dans l'amitié la plus désintéressée,
c'est une vérité et non pas un reproche , car nul ne peut se
séparer absolument de lui-même. Mais s'aimer ainsi dans
un autre n'est point un commerce d'amour-propre , du
moins dans l'acception vulgaire de ce mot , qui répond à
celle d'intérêt personnel : c'est au contraire l'usage le plus
noble de cette heureuse faculté d'étendre nos sentimens
JANVIER 1813. 121
hors de nous et de nous retrouver dans autrui. On sait
combien cetattrait réciproque a produit d'actions héroïques ,
et cet héroïsme ne sera pas détruit par la sentence équivoque
et vague de la Rochefoucauld : L'amitié la plus désintéressée
n'est qu'un commerce où notre amour-propre se propose
toujours quelque chose à gagner.
Nous venons d'entendre raisonner le philosophe , écoutons
maintenant déraisonner le théologien .
C'est au tome 15 , page 303 , que La Harpe cite les
mêmes vers avec les trois qui les précèdent :
Chez de sombres dévots l'amour-propre est damné ;
C'est l'ennemi de l'homme , aux enfers il est né .
Vous vous trompez , ingrats ; c'est un don de Dieu même.
Tout amour vient du ciel : Dieu nous chérit , il s'aime :
Nous nous aimons dans nous , dans nos biens , dans nos fils ,
Dans nos concitoyens , sur-tout dans nos amis .
VOLTAIRE.
Les réflexions de La Harpe sont curieuses :
A
« Que Dieu s'aime , qui en doute? Mais qui peut douter
aussi que lui seul n'ait le droit de s'aimer absolument et par
rapport à lui-même ? N'est - il pas parfait en tout , et dèslors
souverainement aimable ? En est-il ainsi de l'homme ?
Vous n'oseriez pas le dire. Quel homme ne s'est pas haï
souvent lui-même ? Il suffit pour cela qu'il ait fait une faute
et qu'il l'ait sentie ; car se repentir , c'est haïr sa faute (*) ,
et réellernent se haïr soi-même comme coupable : aussi
voyez partout en prose et en vers , comme se traitent euxmêmes
les criminels que l'on représente dans les remords .
Apeine les autres les traiteraient-ils avec la même rigueur.
L'amour- propre , même en se restreignant à l'amour de
soi , n'est donc pas et ne saurait être dans l'homme un sentiment
parfait : il est légitime , comme inhérent à tout
être sensible ; mais pour corriger l'imperfection inhérente
à ce sentiment , il faut , comme je l'ai déjà dit , et comme
tout le démontre , s'aimer primitivement dans le principe
parfait de notre étre , qui est Dieu ; dans celui de qui la
créature a tout reçu et attend tout , et c'est Dieu ; dans
(*) La Harpe oublie ici que Dieu , après avoir créé l'homme , se
repentit de son ouvrage ; c'est ce qui a fait dire si ingénieusement à
Malherbe : Dieu qui s'est repenti d'avoirfait l'homme , ne s'est pas
repenti d'avoirfait la femme.
122 MERCURE DE FRANCE ,
l'auteur de toutes nos lumières , et le modèle de toutes nos
vertus , et c'est Dieu. Je parle à un déiste , qui ne saurait ,
sans se contredire , nier une seule de ces propositions ,
évidemment renfermées dans sa doctrine ( dans la doctrine
actuelle de La Harpe , oui ; mais non dans celle de
Voltaire ) . Mais quel déiste est conséquent ? Il n'y en a
pas un seul : s'il l'était , il cesserait bientôt d'être déiste .
(Ici La Harpe cesse d'être raisonnable.) Il se ferait athée
par désespoir ( comme Naigeon sans doute ) , on deviendrait
chrétien par conviction (comme La Harpe peut-être) .
Voilà ce qu'enseigne la saine philosophie , ainsi que la
religion ; et le poëte qui aprétendu que nous nous aimons
pretendu
comme Dieu s'aime , a déraisonné plus qu'il n'est permis
à un poëte , et surtout à un poëte qui se donne pour philosophe.
»
En lisant ces belles phrases de cet autre avocat de Dieu ,
on peut dire avec Cérutti : Cet homme-là entend raillerie
comme un Allemand , et entend raison comme un théologien;
ce qui ne lui fera pas gagner la cause de son client.
FAYOLLE .
INSTITUT IMPÉRIALDE FRANCE.-La séance publique de
la classe des sciences mathématiques et physiques , a en
lieu lundi 4janvier 1813 , sous la présidence de M. le comte
de Laplace.
Voici l'ordre des lectures : 1° Proclamation des prix décernés
, et annonce des sujets de prix proposés . 2º Eloge
de M. Maskelyne , par M. le chevalier Delambre , secrétaire
perpétuel . 3º Eloge de M. Pallas , par M. le chevalier
Cuvier , secrétaire perpétuel . 4º Mémoire sur plusieurs
propriétés physiques nouvellement découvertes dans les
molécules de la lumière , par M. Biot . 5º Eloge de M. le
comte de Bougainville , par M. le chevalier Delambre .
Après ces lectures les prix ont été proclamés et décernés
dans l'ordre suivant :
Prix de Physique.-La classe avait proposé , pour la
seconde fois , en 1811 , la question suivante , pour le sujet
d'un prix de physique :
"Rechercher s'il existe une circulation dans les animaux
> connus sous les noms d'astéries ou étoiles de mer ,
» d'échinus , oursins ou hérissons de mer , et d'holothuries
» ou priapes de mer; et , dans le cas où elle existerait , en
» décrire la marche et les organes .
JANVIER 1813 . 123
Elle a reçu , au terme fixé par le programme , trois
Mémoires .
Le Mémoire enregistré sous le n° 2 , et portant pour épigraphe
ces mots de Sénèque : Nunquam autem invenietur
si contentifuerimus inventis ; præterea qui alium sequitur,
nihil invenit , imo nec quærit , sans avoir entièrement
résolu le problême , contient des détails si neufs et si intéressans
, avance tellement les connaissances sur l'anatomie
des animaux en question , et est accompagné de dessins
faits avec tant de soin , qu'il a paru à la classe mériter
le prix .
L'auteur est M. Frédéric Tiedeman , docteur en médecine
et en chirurgie , professeur d'anatomie et de zoologie
à l'université de Landshut en Bavière .
Les dessins , du fini le plus précieux , sont de M. Martin
Münz , docteur en médecine et en chirurgie .
La classe a mentionné honorablement le Mémoire nº 3 ,
portant cette épigraphe : ;
Venite et videte opera Domini , qui posuit prodigia super terram.
L'auteur est M. Da Olmi , professeur à l'école de Sorèze .
La classe avait proposé , en 1811 , la question suivante ,
pour sujet d'un autre prix qu'elle devait adjuger dans cette
séance :
«Déterminer la chaleur spécifique des gaz , et particu-
» lièrement celle de l'oxigène , de l'hydrogène , de l'azote
» et de quelques gaz composés , en la comparant à la cha-
▸ leur spécifique de l'eau; déterminer , au moins par approximation
, la différence de chaleur spécifique qui est
> produite par la dilatation de ces gaz . Les concurrens sont
> invités à indiquer les principales conséquences de ces
>nouvelles déterminations dans les théories physiques . "
La classe a reçu , pour ce concours , deux Mémoires ..
Elle a adjugé le prix à celui qui est enregistré sous le
nº 1 , et qui a pour épigraphe :
...... Tectus magis æstuat ignis .
Les auteurs de ce Mémoire sont MM. François Delaroche,
docteur en médecine , et Jacques -Etienne Bérard .
La classe a cru devoir aussi accorder une mention trèsparticulière
an Mémoire enregistré sous le n° 2 , portant
pour épigraphe ces paroles de Bacon ;
Multi pertransibunt et augebitur scientia .
Prix du Galvanisme. La classe n'a eu connaissance
d'aucun ouvrage publié pendant cette année qui ait paru
124 MERCURE DE FRANCE,
mériter le prix du galvanisme , fondé par S. M. l'Empereur
et Roi.
Prix d'Astronomie.- La médaille fondée par M. Lalande
pour l'observation la plus intéressante , ou le Mé-
> moire le plus utile à l'astronomie , qui aura paru dans
> l'année , a été décernée à M. le baron de Lindenau ,
directeur de l'Observatoire de Seeberg , près de Gotha ,
auteur de l'ouvrage intitulé : Nouvelles Tables de Mars ,
calculées d'après la théorie de M. le comte Laplace , et les
observations les plus récentes .
"
Théorie des Planètes . — Il y a deux ans que la classe
des sciences physiques et mathématiques de l'Institut impérial
a déclaré qu'elle tiendrait en réserve , jusqu'au 1
janvier 1816 , s'il ééttaait nécessaire , le prix qu'elle avait
> proposé pour la théorie générale des perturbations pla-
> nétaires . En répétant aujourd'hui cette annonce , trois
ans avant le terme fixé , elle rappelle en même tems les
termes du programme .
Le prix sera double , c'est-à-dire une médaille de la
valeur de 6000 fr .
Prix proposé au concours pour l'année 1814 .
La classe propose pour sujet du prix de physique qui
sera décerné dans sa séance publique de janvier 1815 , la
question suivante :
«Déterminer la chaleur spécifique des fluides élastiques
» de 20 en 20 degrés centigrades , entre la température de
>>laglace fondante et celle de l'eau bouillante , et sous deux
> pressions différentes , mais dans le rapport de 1 à 2 , soit
» en ne faisant point varier leur volume , soit en le laissant
» se dilater librement par l'action de la chaleur. »
Le prix sera d'une médaille d'or de la valeur de 3,000 fr.
Le terme du concours est fixé au 1 octobre 1814 ... (
SOCIÉTÉS SAVANTES . La Société d'Agriculture , Sciences et
Arts du département du Nord , a tenu sa séance publique le 29 novembre
dernier. On y a entendu avec beaucoup d'intérêt les morceaux
suivans :
1
1º . Un discours d'ouverture dans lequel M. Lenglet , président , a
exposé les rapports qui existent entre les Sciences et les Arts , leur
influence mutuelle et les nombreuses applications des unes et des
autres aux besoins de la Société .
20. Un compte détaillé des travaux de la Société pendant les années
1810 et 1811 ; par M. La Garde , secrétaire-général .
JANVIER 1813 . 125
30. Une traduction en vers de la troisième élégie du premier livre
deTibulle , par M. Lussiez .
4°. Un mémoire intitulé : une recréation d'histoire naturelle , par
M. le chevalier Michel , L'auteur y fait voir, par une suite d'observations
liées entr'elles , depuis l'écrevisse jusqu'au poulpe qu'il est
possible de rendre intéressantes , amusantes même , les explications
qu'un curieux peut désirer, lorsqu'il visite un cabinet d'histoire naturelle
en fixant son attention sur les moyens divers par lesquels la
nature tend à reproduire les mêmes formes , les mêmes habitudes
dans des êtres qui souvent ne paraissent avoir entr'eux aucun rapport
: ce qui prouve qu'elle ne fait ni des classes , ni des genres , mais
seulement des espèces et des individus .
5º. Une épître en vers aux mânes de Le Gouvé , précédée d'une
Notice nécrologique sur cet écrivain ; par M. Boinvilliers .
6° . Un Mémoire historique sur l'ancienne culture du wède ou pastel
dans l'arrondissement de Douai et dans les provinces voisines ;
par M. Guilmot.
7°. Un rapport sur les dernières expériences relatives à la culture
du pastel et à l'extraction de l'indigo ; par MM. Gautier-d'Agoty ,
père et fils , manufacturiers à Douai. Il résulte de ces expériences réitérées
, 1º que la culture du pastel peut réussir parfaitement dans le
département du Nord ; 2º qu'on peut espérer quatre cueillettes par
an; 3º que par un premier aperçu , mais établi sur un essai fait en,
petit , on peut obtenir 11,000 kilogrammes environ de feuilles par
hectare , chaque année ; 4º que cette quantité de feuilles peut donner
(également par aperçu ) 33 kilogrammes environ d'indigo ; 5º que
cet indigo est de la meilleure qualité , ce qui est démontré parles
produits qui ont été employés à la teinture de diverses étoffes en
laine , soie et coton , et dont les échantillons ont été transmis à M. le
préfet du département du Nord.
8°. Un rapport par M. Thomassin , dans lequel il rend compte des
motifs qui ont déterminé la Société à remettre pour le sujet de prix
du concours de 1815 une question concernant le rouissage des lins ,
sur laquelle elle n'a reçu cette année aucun mémoire qui l'ait entièrement
satisfaite . Il annonce ensuite que la Société décernera dans sa
séance publique de 1814 un prix au cultivateur du département du
Nord qui en 1813 aura cultivé en pastel , avec le plus de succès , un
terrain dont l'étendue sera au moins de 40 à 45 ares . La Société fera
connaître, dans un programme qu'elle publiera à cet effet, les conditions
à remplir pour ces deux prix .
Société Philomathique du Muséum d'instruction publique
de Bordeaux , département de la Gironde .
PROGRAMME DES PRIX . - 1 ° . La Société avait proposé pour sujet
du prix qu'elle doit décerner cette année , un ouvrage en vers sur les
soins et les hommages respectueux dus à la vieillesse .
Parmi les ouvrages envoyés au concours , la Société a distingué
ceux qui étaient inscrits sous les nos 2 et 1 .
Le n° 2 étant recommandable par la beauté des pensées , la pureté
des sentimens et l'élégance du style , la Société lui décerne le prix ,
consistant enune médaille d'or de la valeur de centfrancs .
126 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
1
Cet ouvrage a pour épigraphe:
Magnafuit quondani capitis rev reverentia
Inque suo pretio ruga senilis erat .
cani ,
1
OVID . 3 Fast . v. 57 .
L'auteur est M. J. M. Caillau , docteur-médecin .
Le no I a une trop grande prolixité ; il présente quelques morceaux
faibles , mais il renferme de bonnes idées , et le style s'élève
souvent jusqu'à la dignité du sujet. La Société accorde donc une
mention honorable à cet ouvrage , qui a pour épigraphe ces mots du
Lévitique :
Coram cano capite consurge , et honora personam senis ..
CAP . 19. v. 32.
etdont l'auteur est M. J. B. Espic , chef d'institution à Sainte-Foi ,
département de la Gironde.
20. Le prix auquel nous pouvions autrefois nous procurer lapotasse
chez l'étranger , ne nous perinettait pas d'entrer en concurrence
pour cette fabrication ; mais actuellement que ce prix a doublé , l'onpeut
reprendre avec succès un travail trop long- tems négligé .
•Ilreste beaucoup de recherches à faire sur ce genre de fabrication ,
tant pour le choix des substances végétales , que pour les procédés
préférables pour les incinérer . C'est sur-tout dans les pays des landes
que l'on peut se livrer à ce genre d'industrie , puisqu'elles produisent
des végétaux souvent inutiles , ou qui exigent de tropgrands frais
pour être transportés . Ces considérations ont déterminé la Société à
mettre au concours la proposition suivante :
Indiquer les substances végétales quifournissent le plus de potasse ,
et quelles sont les opérations les plus avantageuses et les plus économiques
pour obtenir cet alcali.
Les mémoires devront contenir l'exposé des connaissances acquises
jusqu'à ce jour sur cette fabrication , et donner les détails comparatifs
des nouveaux essais auxquels on se sera livré , de manière à pouvoir
constater les produits .
Leprix, consistant en une médaille d'or de la valeur de centfranes,
sera décerné dans la séance publique du 15 septembre 1813.
30. La ville de Bordeaux et le département doivent au zèle et à la
munificence d'un prélat qui a occupé le siége archiepiscopal de
cette cité , depuis 1599 jusqu'en 1623 , de grandes améliorations et de
grands établissemens. Cependant le rom de ce bienfaiteur de l'antique
Aquitaine n'a encore retenti dans aucune Académie . La Société
propose donc , pour sujet d'un prix extraordinaire , dont les fonds ont
été faits par un de ses membres , l'Eloge historique du cardinal de
Sourdis.
Le prix consiste en une médaille d'or de la valeur de cent francs .
Il sera décerné dans la séance publique de 1813 .
Les Mémoires , écrits lisiblement et en français , doivent être remis ,
francs de port , au secrétariat du Muséum . Allées de Tourny , nº 42 .
et adressés à M. J. F. Laterrade , secrétaire-général , qui en donnera
récépissé. L'auteur renfermera son nom dans un billet cacheté, portantl'épigraphe
du Mémoire.
Auçun ouvrage ne sera reçu après le 31 juillet 1813. Cette époque
estde rigueur.
POLITIQUE.
LES Anglais continuent de s'abandonner à leur chimère
favorite, une maladie de l'Empereur, une retraite de l'armée
d'Espagne ; c'est en revenant sans cesse sur ces deux points
essentiels que leurs journaux abusent de la crédulité publique
et lui donnent le change sur la véritable situation
des affaires en Angletere même , où , suivant les dernières
nonvelles, des troubles sérieux et de nouveaux excès ont
éclaté sur leur ancien théâtre , à Nottingham .
« Ces troubles , dit le Moniteur, sont la véritable explication
de la prétendue maladie de l'Empereur; voilà la véritable
explication de la mission de lord Walpole àVienne et
des courriers de Vienne qu'on fait arriver à Londres , del
tous les bruits que l'on colporte de troubles en France et de
mécontentemens du peuple , et enfinde toutes ces nouvelles
qui peuvent tromper le peuple anglais sur la situation dess
affaires . C'est que le peuple anglais se lasse d'être séparé
du continent; c'est qu'il est fatigué par la guerre d'Espagne
et d'Amérique ; c'est que de tous côtés il manifeste: des
voeux qui ofligeraient les oligarques de ce pays à devenir
sages et modérés et à donner la paix au monde. Pour détourner
le peuple de ces idées et l'amuser , on lui fait croire
que les troupes françaises abandonnent l'Espagne , et dèslors
qu'il n'y a plus de sacrifices à faire par le peuple anglais
pour que ses troupes soient maîtresses de la péninsule jus->
qu'aux Pyrénées ; que l'Empereur Napoléon est étique et
mourant ; que ce mauvais état de sa santé influe sur son
moral ; qu'il n'y a plus rien à craindre de lui ; que les Français
mécoutens , épuisés , sont sans énergie , sans amour de
lapatrie , sans fierté nationale ; qu'ils sont près de se ré
volter et d'accepter toute espèce ddee ccoonnddiittiioonnss...........Quelles
misérables jongleries !
» Les guerres d'Espagne et du Nord seront menées de
front : 300,000 hommes , tous Français , seront réunis dans
le courant de février à Hambourg, sur l'Elbe , sur le Rhin ,
et sur l'Oder , indépendamment de 200,000 hommes qui
sont à la Grande-Armée , et la campagne prochaine va
s'ouvrir avec une armée française plus forte de près du
128 MERCURE DE FRANCE ,
double que dans la campagne passée. En même tems l'ar
mée française d'Espagne sera renforcée et maintenue à son
complet de 300,000 hommes .
» L'Angleterre se vante d'avoir , y compris ses marins ,
400,000 hommes sur pied , soit en Europe , soit dans les
Indes, en Asie et en Amérique. La population de la France
est au moins quadruple. Ainsi , si l'Angleterre a 400,000
hommes , la proportion de la France serait triple. En retirant
de cette évaluation 200,000 hommes pour la marine
et les côtes , il reste un effectif d'un million d'hommes que
la France peut avoir sur pied aussi facilement que l'Angleterre
en a 400,000 . "
;
Le Moniteur a publié une note d'un haut intérêt sur la
position de l'armée . Le prince major-général fait connaître
cette position par une lettre , en date du 31 décembre ,
écrite du quartier-général à Koenisberg .
» Le maréchal duc de Tarente , avec le 10 corps , occupe
Tilsitt et les bords du Niémen ; il a pris plusieurs
bataillons russes et plusieurs pièces de canon .
» La division Heudelet occupe Labiaw , Welaw et Insterbourg
; le quartier-général de la 31ª division et la Garde
sont à Koenigsberg.
r
* Le 1º corps est à Thorn ; le 2º , à Marienwerder ;
le 4 , à Marienbourg ; le 3º occupe Elbing ; le 9º , Dantzick;
le 6º , Plok ; le corps autrichien sur Bialistock couvre
le duché de Varsovie ; le 7º corps , entre Presing et la
Vistule , est en avant de Varsovie ; le 5º corps , à Varsovie.
La saison a subitement changé ; et le thermomètre ,
de 23 degrés , a sauté à o , ce qui a occasionné le dégel ;
c'est en partie à cette circonstance que les médecins attri-
Duent la mauvaise tournure qu'a prise la maladie du général
Eblé , officier du premier mérite , qui vient de mourir,
regretté de toute l'armée . »
•Suit une lettre du maréchal duc de Tarente , faisant
connaître les événemens qui ont signalé la marche du 10
corps pour rejoindre l'armée . La voici :
Tilsitt , le 28 décembre 1812 .
Monseigneur , j'ai l'honneur d'informer V. A. de l'arrivée
du 10 corps qui sera réuni demain sur la gauche du
Niemen . V. A. sait que les Russes occupaient Tilsitt le
jour même où mon arrière-garde se retirait de Mittau.
L'ennemi avait inondé de cavalerie , d'artillerie et de
JANVIER 1813 .
129
SEINA
quelque peu d'infanterie les cercles de Rossiéna , de
Chawli et Telch .
La tête du corps d'armée est arrivée devant Picktüponen
le 26 , où elle trouva le général Laskow en position Le A
général Kutusow en tenait une seconde à Tilsit sur la
gauche du Niémen . Le général Dieditch commandait une
autre colonne sur mon flanc droit. Je fis attaquerimmé
diatement la position de Picktüponen : les Russes furent
renversés par une très-belle charge exécutée parles hussards
noirs et les dragons prussiens . Deux régimens d'infanterie
russe ont mis bas les armes ; , batobusier, ou licorne, altele ainsi queapris entre
légère prussienne , commandée par le major
Graumann , a tiré avec beaucoup de supériorité et de justesse
. Le lieutenant-colonel Treskow s'est de nouveau
distingué . Il a perdu un de ses braves capitaines ,
M. Manstin .
Mes têtes de colonnes arrivant hier , j'ai fait une disposition
pour attaquer l'ennemi ; mais les Russes n'ont pas
jugé à propos de soutenir une attaque qu'ils présumaient
bien leur être funeste . Ils se sont retirés sur les deux rives
du Niémen en le remontant . Il ne restait plus à Tilsitt que
quelques cosaques lorsque le général Bachelu , qui avait
attaqué avec tant de vigueur la veille la position de Picktüponen
qui couvrait Tilsitt sur la rive droite , est entré
dans cette ville à huit heures du soir .
Le général Bachelu marche ce matin sur Ragun. Le général
Granjean a sa seconde brigade en position à Baublen.
Mes aides-de-camp Tramnay et Cramayel ont chargé
avec les dragons à Picktüponen . Je les recommande aux
graces de S. M. , ainsi que d'autres officiers que je ferai
connaître par la relation plus détaillée de notre retraite de
la Dwina au Niémen .
Agréez , Monseigneur , etc.
Cette lettre du maréchal duc de Tarente venait de signaler
une marche savante et une manoeuvre glorieuse du 10
corps , et de prouver , par un avantage important obtenu
sur l'armée russe par un seul corps français , dans quel
état les derniers événemens ont réduit cette même armée ,
lorsqu'une lettre de Berlin fit connaître un de ces événemen's
auxquels il était impossible de s'attendre , quand l'on
met au nombre de ses moyens légitimes et de la garantie
/
र
I
130 MERCURE DE FRANCE ,
1
de ses succès , l'honneur , la foi jurée et la discipline militaire
. La France en a constamment porté le tribut à ses
alliés ; ils viennent d'être violés , non par un allié de la
France , mais par un général de cet allié . Ce général a
traité , de sa propre autorité , avec l'ennemi : il a stipulé
une neutralité pour ses troupes , une neutralité pour le
territoire qu'elles occupent . Voici ce qu'on écrivait de
Berlin le 5 janvier .
« Notre monarque a éprouvé l'indignation la plus vive
de la trahison du général d'Yorck dont il a reçu hier l'affligeante
nouvelle . S. M. a ordonné le même jour les mesures
suivantes :
99 Tous les moyens seront pris pour saisir le général
d'Yorck et le traduire à Berlin, afin d'y être jugé et puni
selon l'énormité de son crime .
" Le général de Kleist est nommé lieutenant-général
commandant le contingent prussien , en remplacement du
général d'Yorck .
Il prendra toutes les mesures nécessaires pour rappeler
les troupes et les conduire sous les ordres de S. M.
le roi de Naples , et dans le lieu que ce prince aura désigné.
» M. de Natzmer , aide-de-camp du roi , est parti ce
matin pour Kænigsberg , chargé d'une lettre par laquelle
Sa Majesté , après avoir déclaré qu'elle ne ratifie pas la
convention conclue par le général d'Yorck , considérant
que les dispositions à prendre à l'égard de ses troupes ,
appartiennent , d'après le traité d'alliance , à Sa Majesté,
l'Empereur , et dès-lors au roi de Naples comme son lieutenant
, invite ce prince à donner ses ordres au lieutenantgénéral
de Kleist , et à les signifier au major de Natzmer ,
qui fera connaître au corps prussien les volontés de son
souverain .
" Un ordre du jour sera publié dans tous les Etats de
S. M. prussienne , et le roi de Naples sera prié d'ordonner
qu'une publication semblable ait lieu dans l'armée française
, pour répandre par toutes les voies le désaveu du roi
et l'expression de son indignation .
" Si le général d'Yorck ne peut être arrêté , il sera jugé
pár contumace .
>>On assure que le prince de Hatzfeld se rendra sur-lechamp
à Paris , pour porter à S. M. l'Empereur l'expression
des sentimens du roi , et prouver ces mêmes sentimens à
l'Europe entière par cette mission éclatante . »
- JANVIER 1813 . 131
M. le comte de Saint- Marsan , ambassadeur de l'Empereur
près la cour de Berlin , et le maréchal duc de Tarente ,
ont chacun de leur côté rendu compte de cet événement ,
l'un au ministre des relations extérieures , l'autre au major
prince-général. Voici la lettre du maréchal.
Tilsitt , le 31 décembre 1812 .
« Monseigneur , après quatre jours d'attente , d'inquiétudes
et d'angoisses , dont une partie du corps prussien a
été témoin , sur le sort de l'arrière-garde qui , depuis Mittau
, me suivait à une marche de distance , j'apprends enfin ,
par une lettre du général d'Yorck , qu'il a décidé lui-même
du corps prussien .
» Je joins ici copie de cette lettre sur laquelle je ne me
permets aucune réflexion; elle excitera l'indignation de
tout homme d'honneur.
» Le général de Massenbach qui était ici avec moi , avec
deux batteries , six bataillons et six escadrons , est parti ce
matin sans mes ordres pour repasser le Niémen . Il va rejoindre
le général d'Yorck . Il nous abandonne ainsi devant
l'ennemi . "
Dans une circonstance qui intéresse aussi éminemment
l'honneur des armées alliées , la fidélité aux engagemens
contractés , les liens de la Confédération et la situation de
l'armée française sur le Niémen et la Vistule , l'Empereur
a tenu plusieurs conseils de cabinet qui ont donné lieu à
deux séances du Sénat , dans lesquelles les plus importantes
communications ont amené la délibération que nous
allons mettre sous les yeeuuxx du lecteur.
La première séance du Sénat a eu lieu le 10 , sous la présidence
de S. A. S. le prince archichancelier de l'Empire.
S. A. S. a pris la parole en ces termes :
« Messieurs , la nation se dispose d'elle -même à des
mesures qu'elle juge nécessaires pour le maintien de sa
gloire et pour la conservation de sa prépondérance dans
'Europe.
" De tous les points de ce vaste Empire , des adresses
se succèdent , des offres se multiplient; la volonté publique
est prête à devancer les appels de l'autorité souveraine .
" L'Empereur , qui compte sur l'amour de ses peuples ,
et qui apprécie leurs ressources , a jugé qu'il n'y avait pas
lieu de s'écarter des dispositions usuelles .
79 S. M. aurait même différé de les employer , si un événement
inattendu ne lui avait fait penser que , tout en pro
12
132 MERCURE DE FRANCE ,
fitant de l'utile coopération de nos alliés , c'est sur- tout le
développement de nos propres forces qui doit accélérer le
moment d'une paix honorable , telle qu'un coeur français
peut la désirer , et telle que S. M. n'a cessé de la présenter
å ses ennemis .
ท C'est dans cet esprit , Messieurs , qu'a été rédigé le
projet soumis à votre ddéélliibbéérration .
» MM. les orateurs du Conseil-d'Etat vous en exposeront
les motifs et les avantages , après que M. le ministre
des relations extérieures vous aura fait lecture d'un rapport
et de certaines pièces dont S. M. a commandé qu'il vous fût
donné communication.n
M. le duc de Bassano a ensuite donné communication
du rapport suivant .
<<<Sire , lorsque la Russie , violant ses traités et renonçant à son
alliance avec la France pour s'unir au système de l'Angleterre , déclara
la guerre à V. M. , vous appréciâtes , Sire , toute l'importance
de la lutte qui allait s'engager. Vous ordonnâtes la formation , sous
le titre de cohortes de la garde nationale , de cent bataillons composés
d'hommes âgés de 20 à 26 ans , qui , appartenant aux six dernières
classes de la conscription , n'avaient point été appelés à l'armée
active. Cette institution a eu tout le succès que V. M. pouvait en
attendre . Une belliqueuse jeunesse , préparée au métier de la guerre
dans des cadres de vieux soldats , demande avec empressement à
partager la gloire de ses frères d'armes .
>> Lorsque de Smolensk V. M. fit marcher vers Moscou ses
armées victorieuses , elle ne se dissimula point que ses progrès dans
le pays ennemi , ajoutaient de nouvelles chances aux chanees communes
de la guerre. Elle voulut fortifier encore la base de ses opérations
, et elle ordonna la levée de la conscription de 1813 , qui est
aujourd'hui toute entière sous les armes .
>>Avec les garnisons des places de France et d'Italie , V. M. a donc
dans l'intérieur de ses Etats une force de plus de 300,000 hommes
suffisante pour entretenir la guerre avec la Russie pendant la prochaine
campagne. Et votre intention était , Sire , de ne demander
aucun secours extraordinaire , si tous nos alliés , et spécialement
l'Autriche , le Danemarck et la Prusse , restaient fidèles à la cause
commune .
>>> L'Autriche , le Danemarck , la Prusse ont donné à V. M. les
plus fortes assurances de leurs sentimens . La Prusse a même offert
d'augmenter d'un tiers et de porter à 30,000 hommes le contingent
qu'elle avait fourni en exécution des traités .
JANVIER 1813 . 133
» Mais pendant que cette puissance manifestait des dispositions
aussi conformes à ses engagemens et aux intérêts de sa politique , les
intrigues de l'Angleterre préparaient un de ces événemens qui caractérisent
l'esprit de désordre et d'anarchie que cette puissance ne cesse
de fomenter en Europe. Le général d'Yorck , commandant le corps
prussien sous les ordres du maréchal duc de Tarente , a trahi tout àla-
fois son honneur , son général en chef et son roi. Il a fait un pacte
de perfidie avec l'ennemi .
» Il n'est point d'intrigues , il n'est point de sourdes menées que
l'Angleterre n'ait mises en oeuvre pour changer les dispositions des
souverains . Mais lorsqu'elle les a trouvés fermes dans leurs vrais
intérêts et inébranlables dans leur alliance avec V. M. , elle a entrepris
de produire un bouleversement général en cherchant à ébranler
la fidélité des peuples. Au-delà des Etats de V. M. Sire , il est peu de
contrées où l'audace et les manoeuvres des désorganisateurs n'aient
porté l'inquiétude parmi les dépositaires de la tranquillité publique .
Dans les cours des agens de corruption , dans les camps de lâches
instigateurs , et dans les villes enfin , dans les écoles et jusqu'au sein
des institutions les plus révérées , de faux enthousiastes travaillent
sans cesse à séduire par des doctrines ténébreuses , et ceux qui doivent
maintenir par la fidélité la plus courageuse l'autorité qui leur est
confiée , et ceux qui n'ont d'autre devoir que celui d'obéir .
>> Dans de telles circonstances , Sire et lorsque les intentions
même d'un prince allié n'ont pu garantir les avantages que votre
système politique devait vous assurer , il devient d'une impérieuse
nécessité de recourir aux moyens que V. M. trouvera dans la puissance
de son Empire et dans l'amour de ses sujets .
» Par ces considérations , les ministres de Votre Majesté , réunis
dans un conseil extraordinaire de cabinet , vous proposent :
>> 1º . De rendre à l'armée active les cent cohortes de gardes nationales
;
> 2º . De faire un appel de cent mille hommes sur les conscriptions
de 1809 , 1810 , 1811 et 1812 ;
>> 3° . De lever cent mille hommes de la conscription de 1814 , qui
se formeront dans les garnisons et dans les camps , sur nos frontières
et sur nos côtes , et pourront se porter où il sera nécessaire , pour
venir au secours des alliés de Votre Majesté.
>> Par cet immense développement de forces , les intérêts , la considération
de la France et la sûreté de ses alliés se trouveront garantis
contre tous les événemens .
>> Le peuple français sentira la force des circonstances ; il rendra
134 MERCURE DE FRANCE ,
un nouvel hommage à cette vérité si souvent proclamée par Votre
Majesté du haut de son trône , qu'il n'est aucun repos pour l'Europe
tant que l'Angleterre n'aura pas été forcée à conclure la paix.
>>Ce n'est point en vain , Sire , que vous avez donné à la France le
titre de grande nation . Aucun effort n'est pénible pour elle , lorsqu'il
s'agit de faire éclater et son amour pour Votre Majesté et son dévouement
à la gloire du nom français .
>> Je joins à ce rapport les pièces relatives à la défection du général
d'Yorck.
>> Je suis avec le plus profond respect ,
Sire १
De Votre Majesté ,
Le très-humble , très-obéissant et fidèle sujet.
Signé , le duc DE BASSANO.
Après la lecture de ce rapport et des pièces à l'appui ,
M. le comte Regnaud ( de Saint-Jean-d'Angely ) a exposé
les motifs du sénatus-consulte , dans les termes suivans :
<<<Monseigneur , Sénateurs , le traité de Tilsitt avait rendu au nord
de l'Europe une paix qui semblait devoir être durable.
>> Mais l'Angleterre menacée de la guerre avec les Etats-Unis
d'Amérique , redoutant avec raison la mauvaise issue que doit tôt ou
tard avoir pour elle la lutte engagée en Espagne , s'est occupée de
susciter à la France une nouvelle guerre , en faisant rompre l'alliance
récemment jurée par la Russie.
>> Les efforts de l'Empereur pour la maintenir et assurer l'exécution
des traités ont été inutiles , et la guerre s'est renouvelée .
>> Elle a été commandée par la violation des conventions les plus
solennelles , par des armemens nombreux , par des agressions évidentes
, par des refus répétés de toute explication , enfin par la nécessité
imposée à S. M. de maintenir les droits et la considération
de sa couronne et de celle de ses alliés .
5
>> Le succès de cette lutte nouvelle a été ce qu'il sera toujours pour
des Français conduits par le génie qui les a accoutumés à vaincre .
>> L'ennemi forcé dans tous les postes , repoussé dans tous les combats
, vaincu dans toutes les batailles , a été forcé d'abandonner sa
capitale au vainqueur ; mais il l'a livrée aux flammes et presque réduite
en cendres .
>> Delà , la nécessité de cette retraite glorieuse ; retraite dans laquelle
nous n'avons été atteints et frappés que par l'âpreté du climat ,
la dureté précoce de la saison , et l'excès inaccoutumé de sa rigueur.
» Quand le 29e Bulletin de la Grande-Armée vint étonner à-laJANVIER
1813 . 135
fois et rassurer la France , l'étendue de ses pertes dévoilées à la nation
avec une simplicité si énergique , avec une si noble confiance , éveilla
chez tous les Français le sentiment du besoin de les réparer ; tous
allèrent dès-lors au-devant des demandes qu'ils pressentaient , disposés
plutôt à les prévenir et à les réparer , qu'à les débattre ou à les
attendre .
>> Cependant l'Empereur , dont les ennemis doivent toujours
craindre , les alliés et les sujets toujours espérer la venue , était arrivé
dans sa capitale, lorsqu'on le croyait encore au-delà de Wilna ; et se
faisant rendre compte des ressources de ses arsenaux , de ses magasins
, de son trésor , du nombre de ses troupes , avait annoncé à la
France l'intention de ne faire aucune demande d'hommes ni de contributions
nouvelles .
» Avec les impositions annuelles , et les soldats déjà sous les
armes , il pouvait fournir à tous les besoins de la campagne au Midi
⚫et au Nord de l'Europe .
› Mais , Sénateurs, les faits que le ministre des relations extérieures
vient de vous faire connaître par ordre de S. M. , doivent changer
les premiers calculs de sa sagesse économe des sacrifices de ses peuples
, et y faire succéder les calculs de la prévoyance et de la nécessité .
» Déjà , Messieurs , j'ai vu éclater dans cette assemblée les témoignages
de l'indignation qu'éprouvera l'Europe entière au récit d'une
trahison à laquelle on hésiterait de croire si elle n'était avouée ,
écrite par son auteur même ..
>>>Le général prussien dont le nom deviendra désormais une injure ,
a trahi à-la- fois son souverain , l'honneur , les devoirs de citoyen et
ceux de soldat .
>> Il s'est séparé honteusement de l'armée dont il faisait partie , du
corps avec lequel il marchait ; il a livré ceux qui s'exposaient sur sa
foi aux suites hasardeuses de son lâche abandon , de sa désertion
inopinée.
>> Instruit de ce crime nouveau dans l'histoire des guerres modernes
, S. M. le roi de Prusse a montré un ressentiment digne de sa
loyauté et de sa fidélité à ses alliés . Uni de sentimens au monarque ,
son cabinet n'a éprouvé que le besoin de réparer , de punir un attentat
politique et militaire , qui offense la nation prussienne et outrage son
souverain.
>> Ces faits , ces assurances sont consignés dans les pièces dont le
ministre des relations extérieures vous a donné communication .
>> Elles garantissent que la gravité de cet événement sera appréciée ,
non-seulement par le gouvernement , mais encore par le peuple
136 MERCURE DE FRANCE ,
prussien tout entier. Il jugera , et toutes les nations du Nord jugeront
avec lui , de quels malheurs un tel crime pourrait être la source.
La Prusse montrera son attachement au prince qui la gouverne , en
se ralliant, à son exemple , à la voix de l'honneur , et à la fidèle observation
des traités .
» Cependant le politique attentif depuis plusieurs années à la marche
des événemens , s'arrêtera nécessairement sur les causes qui ont
amené celui dont je viens de vous entretenir , et ces causes , Sénateurs
, il ne me semble pas inutile de les retracer ici rapidement.
>> On les trouve évidemment dans les manoeuvres et les intrigues
de l'Angleterre sur le continent.
>> Trop faible pour se défendre seule même sur mer contre la
puissance française , elle a constamment et successivement travaillé
à armer contre elle tous les cabinets de l'Europe. C'est l'Angleterre
qui a amené et ramené sur les champs de bataille les armées que
l'Empereur a vaincues et vaincues encore depuis douze ans .
>> Lorsque les cabinets éclairés par l'expérience ont voulu la paix ,
lapaix qui a réjoui l'Europe , a fait frémir l'Angleterre .
>> Alors elle a répandu parmi les peuples , et sur-tout dans les
grandes cités , à l'aide de ses nombreux émissaires et au moyen d'une
active corruption , les germes de haine , les semences de division ,
les principes de désorganisation , qui éloignent ou séparent les sujets
de leurs princes , les peuples de leurs gouvernemens .
>> C'est ainsi que des sociétés nombreuses sous les noms d'amis de
la vérité , de la nature , etc. etc. , ou sous d'autres titres non moins
bizarres , ont été formées encouragées , soutenues , prêchant la
haine , l'insurrection , la désobéissance contre tout souverain ami de
la France et de la paix du Continent .
,
>> Hélas ! c'est dans notre belle France , si paisible aujourd'hui ,
alors si agitée et si misérable , que le cabinet anglais a fait , durant
plusieurs années , qui furent des années de crimes et de malheurs ,
l'essai de ces funestes moyens de discorde et de troubles civils .
>> C'est par ces moyens que l'Angleterre agissait en 1809 contre le
cabinet de Saint-Pétersbourg , alors qu'il montrait envers la France
des dispositions amies. C'est par ses agens que l'Angleterre préparait
enRussie l'influence du parti ennemi de la France , et par lui les hésitations
, les variations , les résolutions hostiles des cabinets , et enfin
cette dernière guerre qui a coûté à la Russie la dévastation de ses
plus belles provinces , le repos à l'Europe , des regrets à l'humanité.
>> L'Angleterre a employé , sans doute , pour préparer l'éternel
déshonneur du général York , les mêmes moyens , les mêmes asso
JANVIER 1813 . 137
ciations parlesquels elle amena, en 1809, des corps réglés à se mettre
en rebellion et , chose inouie , à faire la guerre pour leur compte ,
malgré l'intention , contre les ordres mêmes de leur souverain .
१
>> Ainsi l'Angleterre désunit et divise les pays qu'elle ne peutdominer
; elle prépare la ruine des Etats qu'elle ne peut soumettre à son
système .
(
>> En effet , quel moyen de destruction plus inévitable pour le trône
même le mieux affermi , que la désertion d'une armée , son oppcsition
aux intérêts de son pays , sa désobéissance aux ordres de son
monarque , si tous les souverains intéressés à la répression d'un tel
crime n'unissaient leur voix pour la provoquer , leurs efforts pour en
assurer le châtiment , leur pouvoir pour en empêcher le retour?
>> Heureusement , Messieurs , les tentatives de nos ennemis pour
étendre jusqu'à la France leur fatale influence , leurs funestes succès ,
sont impuissans .
>> Notre vaste territoire , notre immense population , n'éprouvent
que les sacrifices inséparables de l'état de guerre , mais sont loin de
redouter les malheurs des pays qui en sont le théâtre .
»Au-dedans , la tranquillité règne ; l'industrie , les arts , les travaux
publics suivent leur cours .
► Au- dehors , l'Autriche et nos autres alliés se montrent affectionnés
et fidèles .
» Nos forces , nos moyens , nos ressources militaires sont immenses
.
>> Toutefois , au moment où vient d'éclater la première éruption de
ces volcans destructeurs allumés par l'Angleterre sous les trônes qui
veulent rester indépendans de sa politique , il est nécessaire de réunir
des ressources proportionnées , supérieures même aux dangers que
la prudence envisage.
>>Ce qui suffisait hier à la sécurité du gouvernement , se trouve
aujourd'hui au-dessous de sa prévoyance. De nouveaux événemens
ont créé de nouveaux besoins des conjoncturés imprévues commandent
des sacrifices inattendus .
>> Un sentiment universel de fidélité et de dévouement s'unira chez
le peuple français au sentiment de son intérêt et de sa gloire , pour
diriger sa conduite et déterminer ses résolutions .
>> S. M. vous propose de mettre à la disposition de son ministre
de la guerre des forces assez considérables pour en imposer à tous
nos ennemis , pour détruire toutes les espérances dans toutes les suppositions
; et vous le savez , Messieurs , la réflexion et l'histoire vous
l'ont appris , c'est ainsi qu'on repousse le danger , qu'on garantit le
succès , qu'on assure la gloire , qu'on prépare la paix .
1
138 MERCURE DE FRANCE ,
>> Le nombre d'hommes demandés par le ministre de la guerre se
divise en trois classes .
,
>> La première se compose des cohortes dont les voeux sont allés
au-devant des besoins , et qui ont sollicité comme une faveur
d'échanger le devoir de défendre les frontières de la France , contre
l'honneur d'aller chercher l'ennemi au - delà des siennes .
» La 2e classe se compose d'une levée sur les hommes faisant
partie des quatre précédentes conscriptions , non compris la dernière .
>> Cette levée a pour objet de réserver dans l'intérieur jusqu'au
moment où elle aura acquis une force plus grande , une aptitude
plus décidée pour le service militaire , la 3e classe , appelée par le
sénatus - consulte , je veux dire la conscription de 1814 .
>> Elle pourra n'être pas immédiatement réunie : le ministre de la
guerre jugera dans quel moment il conviendra de la faire marcher.
>> Les efforts des insulaires , artisans de la guerre continentale ,
sectateurs d'une guerre sans terme , font à la France une loi impérieuse
de ces armemens formidables . Elle n'a oublié , ni l'insolence
des vainqueurs sous Louis XIV, nila honte des traités sous Louis XV;
elle n'oubliera pas non plus , les triomphes qui ont effacé ces humiliations
, la nécessité de conserver sans tache la gloire qu'elle a acquise
, le besoin de préparer de nouveaux succès , la dignité de la
couronne , l'honneur de la nation et des armes françaises . >>>
Voici les termes du sénatus-consulte adopté dans la
séance du II , et dont l'Empereur a ordonné la promulgation
selon les formes ordinaires , le même jour .
Extrait des registres du Sénat-Conservateur, du lundi
II janvier 1813.
Le Sénat - Conservateur , réuni au nombre de membres
prescrit par l'article 90 de l'acte des constitutions du 13 décembre
1799 ;
Vu le projet de sénatus- consulte rédigé en la forme prescrite
par l'article 57 de l'acte des constitutions du 4 août
1802;
Après avoir entendu , sur les motifs dudit projet , les
orateurs du Conseil-d'Etat et le rapport de la commission
spéciale nommée dans la séance d'hier ;
L'adoption ayant été délibérée au nombre de voix prescrit
par l'article 56 de l'acte des constitutions du 4 août 1802 ,
décrète :
Art. Ier. Trois cent cinquante mille hommes sont mis à
la disposition du ministre de la guerre , savoir :
JANVIER 1813 . 139
1. Cent mille hommes , formant les cent cohortes du
premier ban de la garde nationale ;
2º. Cent mille hommes des conscriptions de 1809, 1810,
1811 et 1812 , pris parmi ceux qui n'auront pas été appelés à
faire partie de l'armée active ;
3º. Cent cinquante mille hommes de la conscription
de 1814 .
2. En exécution de l'article précédent , les cent cohortes
du premier ban cesseront de faire partie de la garde nationale
, et feront partie de l'armée active.
Les hommes qui se sont mariés avant la publication du
présent sénatus-consulte , ne pourront être désignés pour
faire partie de la levée prise sur les conscriptions des années
1809 , 1810 , 1811 et 1812 .
Les cent cinquante mille hommes de la conscription de
1814 seront levés dans le courant de l'année , à l'époque
que désignera le ministre de la guerre .
3. Le présent sénatus-consulte sera transmis , par un message
, à S. M. l'Empereur et Roi .
Les président et secrétaires , Signé , CAMBACÉRÈS .
Le comte DE BEAUMONT , le comte DE LAPPARENT .
Vu et scellé :
Le chancelier du Sénat , signé , comte LAPLACE .
Le corps municipal de Paris s'étant extraordinairement
réuni le 12 , la lecture des pièces communiquées au sénat
ya produit la sensation la plus vive , et les Magistrats de la
bonne ville de Paris , avec un empressement et un ensemble
qui les honorent , se sont montrés les dignes interprètes
des sentimens de leurs concitoyens . Le corps municipal
a voté une adresse à S. M. , pour la supplier d'accepter
l'offre d'un régiment de 500 hommes de cavalerie montés
et équipés . Il appartenait , a dit le membre qui a proposé
cette adresse , il appartenait à la bonne ville de Paris , placée
en première ligne sur le chemin de l'honneur , de donner
de nouveau l'exemple du dévouement à la grande cause
soutenue par le génie de notre puissant monarque ; que
l'ennemi frémisse en apprenant que rien n'est capable de
nous faire descendre de cette hauteur de gloire où l'Empereur
nous a élevés , et où la postérité doit nous contempler
unjour. Paris est la 80º partie de l'Empire , que l'Empire
imite l'exemple de Paris , et quarante mille hommes de
cavalerie sont prêts en peu de jours à soutenir l'honneut
de la nation et la dignité de l'Empire . La proposition de
140 MERCURE DE FRANCE ,
l'adresse a passé par acclamation et au milieu des témoignages
du plus vif enthousiasme. Le corps municipal a
sollicité l'honneur de la déposer aux pieds du trône.
S .....
ANNONCES .
Lycée , ou Cours de Littérature ancienne et moderne , par J. F.
Laharpe , nouvelle édition , revue , corrigée , renfermée dans la partie
littéraire , et précédée de la Vie de l'auteur , par L. S. Auger. Huit
forts volumes in - 12 . Prix , broché , 25 fr . , et 33 fr . 30 e . franc de
port. Paris , chez H. Agasse , imprim.-libr . , rue des Poitevins , nº 6.
Il y a un certain nombre d'exemplaires , papier vélin , dont le prix
estdouble.
L'impression de cette nouvelle édition était fort avancée lorsque
M. Auger a été attaqué d'une maladie grave qui l'a empêché de mettre
la dernière main à la Vie de M. de Laharpe , qu'il est jaloux d'écrire
avec tout le soin et tout le talent qu'on lui connaît. Elle paraîtra
dans le courant de ce mois , et nous prions les acquéreurs de cette
nouvelle édition de se prêter à undélai qui rendra leur jouissance
plus complète. Ils seront avertis par la voie des journaux du jour où
ils pourront retirer la Vie de M. de Laharpe , sur le bon qui leur aura
été remis à cet effet. Ils sont invités à ne faire relier leur exemplaire
que quand cette pièce supplémentaire leur aura été livrée .
En attendant les extraits qui seront donnés dans ce journal , de la
nouvelle édition du Lycée ou Cours de Littérature de feu M. de
Labarpe , nous croyons devoir la faire connaître aux personnes qui
vou idront l'acquérir en ce moment-ci . Nous ne pouvons mieux remplis:
ce but qu'en transcrivant ici les derniers paragraphes de l'excellent
avertissement que M. Auger a mis en tête de cette nouvelle
édi tion.
<Depuis long- tems , dit l'éditeur (M. Auger) , un assez grand
>> nombre de personnes avaient témoigné le désir qu'enfin le Cours de
Littérature fût débarrassé de ses nuisibles superfluités . J'ai osé en-
>> treprendre ce travail , parce qu'il n'exigeait qu'un peu de discerne-
> ment et beaucoup de soin.
))
>> Je me suis imaginé Laharpe , sinon revenu à des opinions différentes
, du moins ramené à des sentimens plus doux , décidé à purger
son Cours de Littérature , de tant de digressions , de déclamations ,
> qui ne sont rien moins que littéraires , voulant enfin le réduire à ce
1
JANVIER 1813 . 141
» qu'il doit être , à ce qu'il aurait été sans la révolution. Ce qu'il eût
> fait dans une semblable disposition , j'ai essayé de le faire. Les
>> choses que j'ai dû retrancher , d'après ce plan , étaient étrangères
>>à l'objet de l'ouvrage ; l'auteur les y avait tellement fait entrer de
>> force . que souvent elles en étaient , pour ainsi dire , repoussées
> naturellement , ou du moins s'en détachaient avec une étonnante
> facilité ; aussi les parties qu'elles désunissaient se sont-elles rappro-
> chées comme d'elles-mêmes , sans qu'il fût nécessaire de les joindre
» paraucune liaison, et de manière à ne pas laisser apercevoir qu'elles
➤ eussent été séparées . Quelquefois , j'en conviens , la littérature et
› la révolution , la critique des ouvrages et la satire des personnes ,
>> toutes ces matières hétérogènes se trouvaient tellement incorporées
>> ensemble , qu'il n'était pas aussi aisé d'en faire le départ. J'ai pris
>> alors beaucoup de peine , et je l'ai prise avec plaisir. J'étais sûr ,
> en supprimant des invectives dont le moindre tort est d'être dépla-
>> cées , de servir quelquefois les intérêts de la justice et toujours ceux
>> du bon goût ; j'étais sûr de prouver du zèle et du respect pour la
>> mémoire de Laharpe , par mes égards mêmes pour ceux des écri-
» vains qu'il a traités trop sévérement.
>> Les parties du Cours de Littérature sont en général bien distri-
» buées , d'après le plan que l'auteur s'était tracé . Plusieurs cepen-
> dant ne sont pas à leur véritable place , et c'est encore ici qu'il faut
>>se rappeler la première destination de l'ouvrage , ainsi que la ma-
> nière dont il fut composé. Quelquefois , après que le professeur
» avait achevé de traiter tel ou tel sujet à la tribune du Lycée , des
» observations critiques lui étaient adressées , ou de nouvelles consi-
>>dérations se présentaient à son esprit ; alors il discutait les unes ou
> exposait les autres dans les séances subséquentes : de là les additions
> assez nombreuses qui , dans le Cours imprimé , se font remarquer
>> sous le titre d'Appendice . Quelquefois aussi , un écrivain encore
>> vivant à l'époque où le critique traitait du genre dans lequel il
➤ s'était principalement exercé , achevait sa carrière et devenait ,
>> par sa mort , justiciable d'un tribunal où ne devait comparaître
> aucun auteur vivant ; Laharpe alors , le rattachant à son Cours
> par la moins importante de ses productions , en prenait occasion
➤ d'examiner la totalité de ses ouvrages . J'ai fait entrer les Appen-
» dices dans les articles dont ils dépendent ; j'ai reporté en leur lieu
> les articles qui n'avaient pu s'y placer d'abord ; et cette opération
> dont je ne puis tirer aucun avantage , parce qu'elle a été la plus
>> facile de toutes , a beaucoup contribué à l'amélioration de l'ou-
> vrage.
१
>>Des critiques avaient déjà relevé , dans le Cours de Littérature,
:
-143 MERCURE DE FRANCE ,
>> un certain nombre d'erreurs de fait et d'incorrections ; moi-même
>> j'en ai découvert plusieurs qui leur avaient échappé. Je me suis
>> cru plus que permis de rectifier les unes et les autres . C'est la seule
» espèce de changement qu'il m'ait paru convenable defaire . Du reste ,
>> lefond et laforme , les opinions et le texte , n'ont éprouvé aucune
>> altération . »
On voit que M. Auger , en classant les diverses parties du Cours
de Littérature dans un ordre plus convenable , et en supprimant
avec autant de sagacité que de raison tout ce qui était étranger à la
littérature et ce qui pouvait même blesser , parfois , la justice et le
goût , a eu particulièrement en vue l'instruction de la jeunesse , à
laquelle on peut dire que cette nouvelle édition est spécialement
consacrée . G'est par le même motif qu'il se propose de donner en
un ou deux volumes le complément du Cours de Littérature , resté
imparfait par la mort de M. de Laharpe , et ces deux volumes seront
disposés de manière à pouvoir être adaptés à la grande édition .
,
:
Projets d'Architecture , par Peyre neveu , l'un des architectes du
gouvernement. Cet ouvrage contient : 1º Un projet pour le Temple
de la Gloire sur l'emplacement de la Madelaine , auquel l'Institut a
décerné le troisième accessit . 2º Un projet d'obélisque sur le terreplein
du Pont-Neuf. 3º Un projet de bains publics à proximité d'une
grande ville , contenant les bâtimens des bains , d'administration et
d'habitation , chapelle , salle de spectacle , naumachie , jardins , et tout
ce qui peut servir aux exercices et aux jeux. Le tout forme un recueil
grand in-folio ou format des grands prix d'architecture , et comprend
la description desdits projets et treize planches , dont huit
doubles . Le texte est imprimé par Firmin Didot , et l'architecture est
gravée avec le plus grand soin par Normand fils et Hibon. Le prix de
chacun des exemplaires est de 20 fr . sur papier ordinaire , et de 30 fr .
sur papier vélin. Chez l'Auteur , rue des Poitevins- Saint- André-des-
Arcs nº 14 ; F. Didot , imprimeur-libraire , rue Jacob , nº 24 ;
Panckoucke , libraire , rue et hôtel Serpente ; Treuttelet Würtz
libraires , rue de Lille , nº 17 ; J. B. L. Massard , quai Voltaire , nº 1 ;
Debure , libraire , rue Serpente ; au bureau des Annales , rue de
l'Université , nº 19 ; au bureau des grands prix , rue de l'Odéon ,
n° 28 ; et Arthus - Bertrand , libraire , rue Hautefeuille nº 23 .
१
१
Les personnes qui désireraient avoir des exemplaires lavés , pourront
en faire la demande chez l'Auteur .
On trouve chez les mêmes libraires , même format , les OEuvres
d'Architecture de M. J. Peyre , membre de l'ancienne Académie
pensionnaire du roi à Rome. Le prix est de 15 fr. en feuilles .
-
JANVIER 1813 . 143
Nous n'entrerons dans aucuns détails sur les projets que contient ce
dernier ouvrage , ni sur le mérite des discours qui l'accompagnent ,
parce qu'il est à sa troisième édition et connu de tous les architectes .
Considérations sur les élémens constitutifs des corps ; par M. A. L.
Guillontet. Brochure in-80 . Prix , 2 fr . , et 2 fr . 25 c. franc de port.
Chez Arthus -Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23 ; Latour ,
libraire , grande cour du Palais -Royal , près les galeries de bois .
Le Miroir de l'Enfance , ou Histoire et Aventures d'une mouche
et d'une épingle , écrites et racontées par elles -mêmes ; ouvrage
servant à démontrer les avantages d'une éducation soignée ; traduction
de l'anglais par T. P. Bertin. Un vol . in- 18 , très -bien imprimé
sur beau papier , orné de 5 jolies figures en taille-douce , gravées
avec soin . Prix , I fr . 50 c . , et 1 fr . 80 c . franc de port. Chez
L. Duprat-Duverger , rue des Grands-Augustins , nº 21 .
Les Princes rivaux , ou Mémoires de Mistress Mary-Anne Clarke ,
favorite du duc d'Yorck , écrits par elle-même ; dans lesquels l'auteur
dévoile le secret des intrigues du duc de Kent contre le duc d'Yorck,
son frère , etc. , traduits de l'anglais sur la 2e édition . Un vol. in-8° ,
avec le portrait de Mme Clarke , gravé en taille - douce , et parfaitement
ressemblant. Prix , 5 fr . , et 6 fr. 25 c. franc de port. Chez F.
Buisson , libraire , rue Gilles - Coeur , nº 10 .
Théâtre de L. B. Picard , membre de l'Institut. Six vol . in-80 .
Prix , 36 fr . Chez Mame , imprimeur-libraire , rue Pot-de - Fer .
Dissertation sur soixante traductions françaises de l'imitation de
Jésus - Christ , dédiée à S. M. l'Impératrice et Reine , par Ant.
Alexandre Barbier , bibliothécaire de S. M. l'Empereur et Roi , et de
son Conseil - d'Etat ; suivie de considérations sur la question relative
à l'Auteur de l'Imitation . In - 12 . Prix , 5 fr . , et 5 fr . 65 c . franc de
port. Les exemplaires en papier vélin se vendent 8 fr . Chez Lefèvre ,
libraire , rue du Foin- Saint- Jacques , nº II .
AVIS .
Nous avons reconnu qu'il était presque impossible de consacrer ,
dans le Mercure , un espace suffisant à la Littérature étrangère : notre
intention est donc de séparer cette partie , d'en composer une Feuille
périodique entièrement distincte .
Ce nouveau Journal formera une espèce d'appendice du Mercure
de France ; il le complétera , en fera le Répertoire des Littératures de
tous les pays . Il aura pour titre :
MERCURE ÉTRANGER , ou Annales de la Littérature étrangère .
Donner aux Français une connaissance , aussi complète qu'il sera
possible , de la littérature de tous les pays , et sur- tout de celle de
144 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
nos voisins les Espagnols , les Italiens , les Allemands , les Anglais ,
tel sera le principal objet de cette nouvelle Feuille périodique. On ne
peutplus , aauujjoouurrdd'hui , prétendre au titre d'homme de lettres , si
l'on ne possède la statistique littéraire non- seulement de la France ,
mais de l'Europe .
Chaque numéro du Mercure étranger contiendra :
1º . Des Mélanges ou morceaux de poésie et de prose , traduits soit
des langues espagnole , portugaise , italienne , russe , suédoise , hollandaise
, anglaise , soit même de l'arabé, du persan, du grec moderne ,
enfin des langues orientales . Nous donnerons , parfois , le texte
même de quelques morceaux écrits dans l'une ou l'autre des langues
étrangères de l'Europe , avec la traduction en regard .
Nous aurons soin d'insérer fréquemment , peut-être même dans
tous les numéros du Mercure étranger , la traduction de quelque
Conte ou Nouvelle . On sait que les Allemands et les Anglais cultivent
avec succès ce genre de littérature .
2º . De courtes Analyses des principaux Ouvrages qui paraissent
dans les pays étrangers ; le prix de ces Ouvrages , et les moyens de
se les procurer.
3º. Une Gazette littéraire ou Extrait des Journaux étrangers , contenant
des Notices biographiques , des Anecdotes , des Nouvelles dramatiques
, les Séances des Académies , les Programmes des prix
proposés , etc. , etc.
M. Langlès , membre de l'Institut , conservateur des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque impériale , a bien voulu se charger de la
partie de littérature orientale que contiendra le Mercure étranger ;
MM. Vanderbourg , Sévelinges , Durdent , des traductions de l'allemand
, de l'anglais , etc .; M. Catteau - Calleville , de la littérature
du Nord ; M. Ginguené , membre de l'Institut , de la partie italienne.
Il paraîtra , à la fin de chaque mois , un numéro du Mercure
étranger, composé de quatre feuilles d'impression , de même format
que le Mercure .
Quoique nous regardions le Mercure étranger comme un supplément
presque nécessaire du Mercure de France , nos Abonnés ne
sont point tenus de souscrire à ce nouveau Journal .
L'abonnement au Mercure de France continuera d'être de 48 francs.
par an ; mais pour six mois , il sera de 25 fr .; pour trois mois de 13 fr .
Les abonnés au Mercure de France qui voudront aussi souscrire
au Mercure étranger , paieront , en sus , pour cette dernière souscription
, 18 fr. pour un an et 10 fr. pour six mois .
Pour les personnes qui , sans s'abonner au Mercure de France ,
voudront souscrire au Mercure étranger , l'abonnement sera de 20 fr .
pour l'année , et de 11 fr. pour six mois .
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
étranger , au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure ,
àParis .
TABLE
A
SEIVE
MERCURE
DE FRANCE.
5.
cen
N° DCI . Samedi 23 Janvier 1813 . -
POÉSIE.
ODE A M. LEMAIRE ,
Avocat et Professeur de poésie latine dans la Faculté des
lettres de l'Université impériale , sur la mort de son
fils enlevé dans sa dix-septième année , le II décembre
1812 .
J'AI voulu consoler un père inconsolable ;
Mais plein de ses regrets , partageant son ennui ,
Je ne puis alléger le fardeau qui l'accable ,
Et je pleure avec lui .
Omon illustre ami ! pour charmer ta tristesse ,
Je chantais ; mes sanglots se mêlent à ma voix ;
Ma lyre à ton malheur vivement s'intéresse ,
Et gémit sous mes doigts .
Hélas ! tout est sensible à ta douleur profonde ;
Le soleil a pâli , les cieux se sont voilés ,
Les arbres sans verdure ont agité sur l'onde
Leurs fronts échevelés .
K
146 MERCURE DE FRANCE ,
A
Philomele se tait ; Zéphir n'a plus d'haleine ,
L'automne languissant fuit devant l'aquilon ,
Et l'Echo qui murmure en redisant ta peine
Attendrit le vallon .
Il n'est plus ce beau lis , ornement du rivage ;
Au lever de l'Aurore , il nous avait souri .
Rien n'a pu le sauver des fureurs de l'orage :
Il brille , il est flétri.
Nous admirions tous deux sa tige éblouissante.
Quel or pur renfermait son calice argenté !
Tes soins qui protégeaient sa couronne naissante
L'ont en vain abrité .
Le printems va bientôt ranimer la nature ;
Son retour désiré consolera nos champs ,
Et des oiseaux perdus sous la feuillée obscure
Réveillera les chants .
Mais tu n'entendras plus la voix , la voix si chère ,
Qui par toi-même instruite à moduler des sons ,
Timide , redisait à l'oreille d'un père
Ses naïves chansons .
Flore , d'un seul regard a fécondé la terre ;
Mais tout ce vain éclat ne saurait l'éblouir ,
Quand la plus belle fleur de son charmant parterre
Vient de s'évanouir .
Pleurons ce jeune lis ornement du rivage ,
Au lever de l'Aurore il nous avait souri .
Rien n'a pu le sauver des fureurs de l'orage ,
Il brille , il est flétri .
Hélas ! c'est vainement que la main maternelle ,
L'a d'un parfum d'amour constamment arrosé !
Quel coup affreux pour toi ! mais quel tourment pour elle !
Son coeur en est brisé .
Qui , ta digne moitié , sous le coup qui la tue ,
A force de douleur ne peut voir ni sentir ;
Sa constance s'épuise , et son ame abattue ,
Paraît s'anéantir.
7
JANVIER 1813 . 147
C'est pour elle sur-tout que la coupe est amère .
Ah ! qui sait tous les maux qu'elle cache à nos yeux?
Qui nous les redira ? la douleur d'une mère
Est un secret des cieux .
Soutiens son désespoir qui chancelle et qui tombe ;
Tu lui dois ton courage et les soins les plus doux .
Sous le fardeau commun l'épouse qui succombe
S'attache à son époux .
Si d'un fils adoré le destin te sépare ,
C'est qu'il a dû borner la course de ses ans .
L'avenir est cache : souvent il nous prépare
Ades chagrins cuisans .
Ami , n'accusons point la volonté céléste ,
Quand peut - être un bienfait s'est répandu sur nous ;
Dieu ! que souvent la vie est un présent funeste
Donné dans ton courroux !
Oui , le sort des mortels est peu digne d'envie.
Le vase de l'enfance est coloré de miel ,
Mais le tems vient remplir le banquet de la vie
D'amertume et de fiel.
Heureux qui se dérobe à ce séjour de larmes !
Heureux qui de ses fers esclave racheté ,
Entre , d'un front riant , sans trouble et sans alarmes ,
Dans l'immortalité !
Je sais que de ton fils cultivant la jeunesse ,
Tu vis ses vertus naître et ses talens fleurir ;
Tu recueillais les fruits ; ton active tendresse
Les avait fait mûrir .
Mais tes justes regrets doivent avoir un terme .
Hélas ! ignores- tu qu'aux talens attaché
Le souffle de l'Envie en dévore le germe ,
Qui tombe desséché ?
Plus ils jettent d'éclat dès leur naissante aurore ,
Plus ce monstre ennemi s'élève pour noircir
Le front éblouissant du laurier jeune encore
Qu'il jura d'obseurcir.
Ka
148 MERCURE DE FRANCE ,
Combien de fois , toi-même , en butte à ses outrages ,
De ses lâches discours elle t'a fatigué ?
En vain pour déchirer ton nom et tes ouvrages
Son courroux s'est ligué .
La ronce aux dards aigus , montant du sein de l'herbe ,
N'étouffera jamais de ses bras épineux
La puissante vigueur de ce chêne superbe
Qui brise tous ses noeuds .
Ainsi que l'amitié, la gloire t'est fidèle ;
De l'éclat de ton nom fais pâlir tes rivaux ;
O Lemaire , poursuis , plein d'une ardeur nouvelle,
Tes classiques travaux.
Je sais ce que tu perds . Un art divin te reste ,
Il charmera tes maux , il tarira tes pleurs .
La douce poésie est un baume céleste
Qui guérit nos douleurs.
J. B. BARJAUD .
UN GRAND DÉFAUT DE L'AMOUR .
PRÈS d'une image de l'Amour,
Le jeune Hylas et son amie
Vinrent se reposer un jour.
Vois , ô doux charme de ma vie ,
Disait Hylas , l'ame ravie ,
Ce Dieu ; qu'il est riant et beau !
-Il me plairait , répond Adèle ,
Malgré ses traits et son bandeau ;
Mais je vois le bout de son aile ! ...
Par M. RENÉ TREDOS.
ÉNIGME .
Je suis , lecteur , un monstre industrieux ,
Hideux , dangereux , furieux ;
Je suis un monstre curieux ,
Unmonstre à huit longs pieds, à quatre fois deux yeux.
Les alimens que j'entre ..
En certain sac qui me tient lieu de ventre
JANVIER 1813. 149
S'y convertissent , dit-on ,
Enun funeste poison.
C'est une erreur peut-être ,
Mais de ses préjugés on n'est pas toujours maitre;
(
Il suffit qu'elle en ait la peur ,
Pour que Lise m'ait en horreur.
Deux courtes mains , deux paires de tenailles
Ceignent mon chef; j'habite les murailles.
Au premier bruit je sors ; je m'élance et saisis
Le corps des ennemis
Qui , mis en voltigeurs , sont assez téméraires
Pour n'appréhender pas quelques partis contraires.
Si parfois quelque audacieux
Avec moi veut lutter , ne pouvant faire mieux ,
Aussitôt de ma longue chaîne ,
Je le garotte et je l'entraîne
De vive force dans mon coin ,
Sans que de l'avenir il ait à prendre soin.
*
Il est là pour sa ruine;
Car ma fureur assassine
Ne fait pas de prisonnier ,
Avecmoi point de quartier.
Incontinent je l'égorge ,
Puis de son sang je me gorge.
Si du combat tel est le sort
Que je ne sois pas le plus fort ,
De l'ennemi que j'assiège ,
Je brise incontinent le piège ,
Etje le laisse en liberté.
Puis je répare tout , tellement que personne
De ceux qui passent ne soupçonne
Jusqu'où va ma noirceur et maméchanceté.
S........
LOGOGRIPHE
SURmes huit pieds , lecteur , citoyenne des ondes ,
Je voyage sans cesse et parcours les deux mondes;
On me voit à-la- fois , au fond du Groënland ,
Au détroit découvert par Fernand Magellan ,
150 MERCURE DE FRANCE ,
Dans les bouches du Nil , sur les bords de la Loire ,
Au passage du Sund , même dans la Mer-Noire ,
Dans le golfe d'Ormus , sur les côtes d'Alger ,
Au milieu de la Manche , aux rives du Niger ;
Je fréquente les ports d'Asie et d'Amérique
Et brave les dangers du canal Mosambique.
Très-souvent , il est vrai , soyons de bonne foi ,
J'accompagne un ami beaucoup plus grand que moi ,
Qui pour me soulager dans unes courses lointaines
Me reçoit dans son sein et partage mes peines ;
Je ne suis point ingrate en mainte occasion ,
Je lui porte à mon tour bonne provision.
Sans te mettre à présent l'esprit à la torture ,
Aisément tu pourras disloquer ma structure
Et trouver dans mon être un insecte piquant ,
Un autre plus léger et fort inquiétant ,
Une ville de France , un animal vorace ,
Et ce que nos beautés pour avoir plus de grâce
Suppriment aujourd'hui dans leurs ajustemens ,
Un très-petit poisson , un des quatre élémens ,
Un fleuve d'Italie , et le nom qu'en tout âge
On donna par mépris aux hommes sans courage ,
Undéfaut dans le vin qui d'abord saute aux yeux ,
Un terme de blason , un jeu déjà fort vieux ,
Un légume pommé , vanté pour le potage ,
Ce qui pour mesurer d'un vaisseau le sillage
Est utile aux marins , un lieu pour débarquer ,
Et même , si l'on veut , très-propre à s'embarquer ,
L'habillement pompeux que met l'archidiacre ,
Cette grosse tumeur que produit un sang âcre
De bien de bassecours un bipède coquet ,
Aimé pour ses cadeaux qu'annonce son caquet ;
Le meuble qui pendait au cou du vieux Silène ;
L'albâtre sur lequel la tête de Climène
Pirouette à chaque instant , le tissu de satin
Couvrant son joli corps , et qui , dès le matin ,
Attire tous ses soins ; cet accessoire utile
Qu'endossait son aïeule en allant par la ville ;
Le ferrement aigu qu'un artiste bruyant
Fabrique au point dujour dans son âtre brûlant :
Ce qui sur nos autels pour le saint sacrifice
Estportépar le prêtre et couvre le calice ,
,
JANVIER 1813 . 151
D'une antique mesure une des fractions ,
Un apôtre éloquent , deux interjections .
Ce n'est pas tout encor , dans ma mine féconde ,
Tu pourras découvrir ce qui soutient le monde ,
Certain avancement qui dans le sein des mers
Paraît être le bout de ce vaste univers ;
Enfin une cité qui fut jadis fatale
Aux guerriers de Carthage et sauva sa rivale.
V. B. (d'Agen. )
CHARADE .
C'EST dans la révolution
Que mon premier a pris naissance ;
C'est d'une supposition
Que mon second tient l'existence ;
D'un raisonnement court et bon ,
Mon entier est la conséquence .
$ ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Fumier.
Celui du Logogriphe est Opale , dans lequel on trouve : pâle et
pal .
Celui de la Charade est Liban (le mont) .
SCIENCES ET ARTS .
DOCTRINE GÉNÉRALE DES MALADIES CHRONIQUES , pour
servir de fondement à la connaissance théorique et
pratique de ces mêmes maladies ; par CHARLES- LOUIS
DUMAS , conseiller ordinaire de l'Université impériale ,
recteur de l'Académie de Montpellier , doyen de la
Faculté de médecine , professeur d'anatomie et de
physiologie , professeur de clinique de perfectionnement
appliquée aux maladies chroniques , et médecin
de l'hospice pour le traitement de ces maladies , président
du juri de médecine , membre de la Légion
d'honneur , correspondant de l'Institut national de
France , etc. - Un yol . in - 8° de 800 pages .
Prix , 8 fr. , et 10 fr . 50 c. franc de port.-A Paris ,
chez Déterville , libraire , rue Hautefeuille , nº 8 .
-
CET ouvrage est précédé d'un savant discours sur la
manière d'étudier et d'observer les maladies chroniques .
On trouve dans ce discours préliminaire un tableau fort
bien fait de nos connaissances sur ces maladies dans les
différens âges de la médecine . Ces affections morbifiques ,
remarquables par une durée qui n'a point de terme fixe
et constant , sont beaucoup plus fréquentes parmi nous
qu'elles ne l'étaient parmi les peuples de l'antiquité ; et
cette différence explique en partie la négligence singulière
que les médecins anciens ont apportée dans leur
étude . Il est peu d'auteurs en médecine, si l'on en excepte
Arétée , qui aient laissé des ouvrages considérables sur
cette partie intéressante de l'art. L'exposition de la méthode
que l'auteur a suivie pour étudier ces maladies , se
fait aussi remarquer dans ce discours . Cette méthode
comprend l'observation , l'analyse , l'analogie et l'espèce
de raisonnement que le chancelier Bâcon appelait raisonnement
par exclusion ; ce qui réunit les quatre plus
puissans leviers qu'on ait inventés pour favoriser l'esprit
1
7
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 153
humain dans ses opérations , et pour soulager notre faible
intelligence .
La doctrine générale des maladies chroniques est divisée
en quatre parties. L'auteur , après avoir établi que
la fièvre forme l'un des caractères les plus constans des
affections morbifiques aiguës , caractérise ainsi les maladies
chroniques . Lorsque les puissances vitales déploient
une action faible et interrompue , que les symptômes
sont modérés , que leur succession est lente , qu'il n'existe
point de fièvre , ou que, s'il en existe, ses mouvemens sont
obscurs , irréguliers , sujets à des intermittences , et que
le même ordre de phénomènes se manifeste , sans variation
, pendant un long espace de tems , on dit que la
maladie est chronique. M. Dumas établit ici un principe ,
auquel il donne un plus grand développement dans le
cours de son ouvrage. C'est que la marche aiguë ou
chronique des maladies tient beaucoup à l'organisation
des parties où elles s'établissent. Les organes dans lesquels
les systèmes nerveux et limphatique dominent,
sont plus sujets aux affections chroniques ; tandis que
ceux dans lesquels le système vasculaire sanguin est dominant
, sont plus propres à développer les affections de
nature aiguë . Cette première partie , consacrée aux phénomènes
des maladies chroniques , embrasse toutes les
circonstances de ces maladies relatives à leur marche , à
leurs périodes , à leurs révolutions critiques , et à leurs
successions naturelles . L'auteur réfute l'opinion de
Coelius-Aurélianus , qui pensait que les maladies chroniques
ne pouvant être terminées heureusement par les
seules forces de la nature , devaient être absolument livrées
à l'habileté du médecin , et l'opinion de Bordeu qui regardait
toutes les maladies chroniques comme assujéties
aux révolutions spontanées et aux mouvemens critiques
. Ces deux manières de voir seraient également
nuisibles à l'humanité. La première conduirait à une
pratique violente, confuse et tumultueuse dans le traitement
de ces maladies : en suivant la seconde , on abandonnerait
les malades à une expectation funeste. La.
vérité consiste à garder un juste milieu entre deux sentimens
si opposés .
154 MERCURE DE FRANCE ,
Dans la seconde partie de son ouvrage , M. Dumas
traite de la formation des maladies chroniques . Chaque
maladie est formée d'un ou de plusieurs élémens ; on
appelle élémens dans une maladie , toutes les affections
simples que la différence des phénomènes comparés y
démontre , et qui sont assez dominans pour y produire
divers ordres de symptômes constans et déterminés . Il
est rare qu'une maladie chronique n'offre qu'un élément :
cependant il est des espèces de névralgies qui ne peuvent
être attribuées qu'à l'excès de sensibilité qui produit la
douleur . La plupart des maladies qui font le sujet de cet
ouvrage sont formées de la réunion de plusieurs affections
simples .
On attribue généralement aux modernes l'invention
de cette espèce d'analyse appliquée à la connaissance
des maladies , qui nous fait distinguer les affections
élémentaires dont elles sont composées : mais il faut
remonter plus haut si l'on veut découvrir le véritable
inventeur . Galien , dans son beau livre sur la différence
des maladies , indique qu'il connaissait cette analyse et
qu'il en fesait usage au lit des malades ; mais il n'entre à
cet égard dans aucun détail. M. Dumas aura la gloire
d'avoir le premier expliqué et perfectionné cette méthode ,
d'avoir conçu mieux que personne avant lui tous les procédés
, toutes les combinaisons auxquels on peut la réduire
, et de l'avoir appliquée d'une manière également
ingénieuse et satisfaisante à la solution des divers problêmes
qu'offrent les maladies chroniques les plus complexes
. On peut ranger sous trois chefs principaux toutes
les affections élémentaires des maladies chroniques . Le
premier comprend les affections essentielles qui sont déterminées
par les altérations des forces et de l'action
vitale ; le second renferme les affections essentielles qui
sont causées par les altérations générales des solides
et des fluides ; on placera dans la troisième classe les
affections essentielles qui sont dues aux vices spécifiques .
Le premier chef offre trois subdivisions naturelles : la
première est affectée aux élémens des maladies chroniques
qui prennent leur source dans l'accroissement des
forces et de l'action vitale ; la seconde , à ceux de ces
JANVIER 1813 . 155
élémens qui doivent leur origine à la diminution de ces
mêmes forces ; et la troisième renferme les élémens qui
se manifestent lorsque les forces vitales sont distribuées
d'une manière imparfaite ou irrégulière. Deux subdivisions
, appartenantes au second chef , comprennent ,
l'une les altérations générales des solides , l'autre celle
des fluides , produisant des affections élémentaires dans
les maladies chroniques ; enfin , le vice dartreux , le
goutteux , le rhumatismal , etc. donnent lieu à des élémens
qui , rapportés aux différens principes dont ils
émanent , forment des groupes distincts , lesquels constituent
les subdivisions de la troisième classe . Nous ne
suivrons pas l'auteur dans tous les détails où il a dû nécessairement
entrer : cette exposition sommaire de son
système montre déjà combien il est complet , étendu ,
soigné dans ses développemens , lumineux et fécond en
résultats utiles à la pratique . La doctrine de M. Dumas
ne laisse rien à désirer , si ce n'est une application des
principes sur lesquels elle repose à la connaissance
particulière et au traitement spécial des maladies chroniques
; mais l'auteur ne devait pas aller jusque-là ; il
annonce une doctrine générale, et le cercle qu'il a tracé
autour de son sujet , ne comportait pas une semblable
application , que chacun d'ailleurs peut faire , auprès des
malades , avec une grande facilité.
J'appelle particulièrement l'attention du lecteur sur
cette seconde partie , qui , quoiqu'elle appartienne toute
entière- à la métaphysique de la science , est cependant
traitée avec une excessive clarté . Au lieu de rechercher
péniblement les causes directes et prochaines des maladies
, l'auteur s'applique à connaître les affections primitives
dont elles se composent et à déterminer l'influence
qu'elles ont sur les phénomènes , sur la marche et sur
toutes les modifications de ces maladies . Cette méthode
est une imitation heureuse de celle que l'on snit dans les
autres sciences pour établir la théorie spéciale des objets
qu'elles considèrent. C'est ainsi que la chimie reconnaît
que la composition et les phénomènes chimiques des
corps ont pour cause l'action déterminée de leurs principes
constituans et le rapport des affinités mutuelles
156 MERCURE DE FRANCE ,
qu'ils exercent les uns à l'égard des autres; c'est ainsi
que l'idéologie attribue l'origine des connaissances et
des opérations de l'esprit au développement et au rapport
des affections primitives , comme la sensation , la perception
, la réflexion , etc. , qui en sont les matériaux ou les
élémens .
Dans la troisième partie de son ouvrage , M. Dumas
passe en revue toutes les circonstances générales , tirées
de l'âge , du sexe , du climat , des alimens et des boissons
qui concourent à produire et à modifier les maladies
chroniques . On trouve dans cette partie des idées aussi
justes que bien exprimées sur la différence des tempéramens.
Il réclame comme une découverte qui lui appartient
la distinction des tempéramens établis dans les physiologies
modernes , d'après l'extension relative des
systèmes d'organes qui composent le corps humain. Cette
doctrine donne lieu à des réflexions extrêmement justes
sur la constitution proprement dite et sur la différence à
faire entre elle et le tempérament. Ce dernier , selon
M. Dumas , est ce qui détermine le caractère des forces
vitales , avec les modifications les plus constantes dont
elles peuvent être affectées , au lieu que la constitution
est ce qui détermine l'énergie des forces physiques de
P'organisation , ainsi que les circonstances de la conformation
naturelle du corps ou de ses organes . Afin de
rendre cette différence plus sensible par un exemple ,
nous dirons que parmi les hommes constitués de la même
manière quant aux formes , à la vigueur et à la solidité
du corps , on trouve également des sanguins , des bilieux ,
des pituiteux, etc. Onvoitdes sanguins qui ont une haute
stature , une poitrine large , des membres bien fournis ;
on voit d'autres hommes à qui la nature a donné le même
tempérament avec des formes corporelles tout-à-fait opposées.
Le traitement des maladies chroniques occupe l'auteur
dans la quatrième partie de l'ouvrage. M. Dumas
rectifie d'abord l'idée que l'on se fait communément des
maladies héréditaires ; il prouve que l'on ne doit point
comprendre dans les maladies de cette classe toutes celles
qui , ayant existé parmi les parens , se déclarent ensuite
JANVIER 1813 . 157
parmi les enfans. Le chapitre des maladies incurables
est un des plus intéressans de tout l'ouvrage. L'auteur
réduit singulièrement le nombre de ces maladies . Il
prouve d'une manière bien satisfaisante pour l'humanité,
que beaucoup de maladies ne doivent pas être réputées
incurables , quoiqu'elles deviennent telles par l'ignorance
ou l'impéritie des médecins , par la négligence ou
l'indocilité des malades qui contrarient l'application des
moyens thérapeutiques et nuisent à leur succès .
L'ouvrage de M. Dumas suppose un nombre infini
de faits bien observés . De ces faits rassemblés avec soin
et comparés entr'eux , découlent , comme autant de corollaires
, les principes généraux que l'auteur a établis .
Après avoir enrichi la physique , animée par d'importantes
découvertes , et s'être fait, comme physiologiste,
un nom célèbre dans toute l'Europe , il va prendre un
rang encore plus distingué parmi les maîtres de l'art.
Aucunmédecin en France n'était peut-être plus propre
que M. Dumas à donner un bon Traité des maladies
chroniques . Ces maladies sont , depuis plus de vingtquatre
ans , l'objet particulier de ses études . La Société
royale de médecine couronna , en 1788 , un savant Mémoire
qu'il avait présenté à ses concours , et dans lequel
il discutait la question de l'utilité et des dangers de la
fièvre par rapport aux maladies chroniques . L'auteur , à
peine âgé de vingt ans , fut extrêmement sensible à ce
premier triomphe qui détermina la direction de son
esprit ; et par une suite non interrompue d'études et
d'observations s'est élevé peu-à-peu le grand ouvrage
dont il vient d'enrichir la science .
(Article communiqué par M. ETIENNE SAINTE- MARIE ,
Docteur en médecine de la Faculté de Montpellier. )
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
,
et
COURS DE POÉSIE SACRÉE , par le docteur LowTH , professeur
de poésie aux Collége d'Oxford ; traduit , pour
la première fois , du latin en français , par F. ROGER ,
conseiller ordinaire de l'Université impériale
membre de la Légion-d'Honneur. - Deux tomes en
›un volume . - Prix , 5 fr . , et 6 fr . 50 c. franc de
port. - A Paris , chez Migneret , imprim . -libraire ,
rue du Dragon , nº 20.
DEUX traductions de cet ouvrage viennent de paraître
à la fois ; l'une sans nom d'auteur et dont il a déjà
été rendu compte dans ce journal ; l'autre de M. Roger ,
conseiller ordinaire de l'Université , et dont il nous reste
à entretenir nos lecteurs . Cette dernière était annoncée
depuis long-tems et vivement désirée par ceux qui ne connaissant
pas l'ouvrage original , ou s'étant rebutés des
difficultés qu'offre le texte , attendaient une version dont
le nom du traducteur leur garantit l'élégance et la fidélité.
M. Roger , dans son commentaire du Théâtre classique
, publié en 1807 et adopté pour l'enseignement des
lycées , cite un passage du docteur Lowth , sur l'esprit
dans lequel il faut lire les poëtes hébreux . On voit que
dès lors il s'occupait de la traduction qu'il vient de publier
, et l'on peut croire que le traité du savant professeur
d'Oxford ne fut pas inutile à l'auteur du commentaire
sur Esther et Athalie .
Nous n'avions , en français , aucun ouvrage qui traitât ,
avec quelque étendue , de la poésie des Hébreux . Cette
branche de la littérature ancienne n'a offert à l'abbé
Fleury que la matière d'un discours où l'on ne trouve
ni le bon goût de style , ni la profondeur de vues des
excellens discours surl'histoire ecclésiastique . L'auteurs'y
abandonne à des digressions assez étrangères au sujet .
Il montre une admiration très-respectable , et sur-tout
1
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 159
bien fondée , pour les beautés que renferment les livres
saints ; mais son enthousiasme est quelquefois un peu
bourgeois. Queles beaux esprits modernes , dit- il , après
>> avoir cité quelques versets d'un psaume , viennent
>>après cela traiter de grossiers nos bons laboureurs
>> de Palestine ; et qu'ils nous trouvent dans les auteurs
>> profanes des pensées plus hautes , plus fines et mieux
>> tournées . » On n'est pas moins étonné de ce qu'il dit
du caractère que devait avoir la musique des Hébreux ,
>> qui n'avait pas ce mélange de différentes parties et ces
» adoucissemens de la musique moderne >> : ce qu'il devine
par l'air général des ouvrages . Il avait donné
plus haut , comme preuve de l'excellence de cette musique
, que « l'inclination des rois sert beaucoup à l'avan-
>> cement des arts , et que David fut toute sa vie grand
> musicien. » Il faut convenir que ces conclusions et
ces preuves ne sont ni bien convaincantes , ni bien
noblement exprimées .
La partie du Traité des Etudes que M. Rollin a consacrée
à la poésie des Hébreux , se fait remarquer par une
discussion plus littéraire et un ton plus analogue au
sujet . Mais ce qu'il y a d'extraordinaire , c'est que tous
ceux qui écrivent sur cette matière , se croyent obligés ,
pourmieux faire sentir des beautés que personne ne conteste
, et que d'ailleurs la foi ordonne de regarder comme
des inspirations divines , se croyent , dis-je , obligés de
rabaisser les plus beaux génies de l'antiquité , et de les
sacrifier tous aux poëtes sacrés . Selon eux , les plus parfaits
modèles de l'éloquence poétique n'ont rien qui approche
du psalmiste et des prophètes . Homère , Horace
et Virgile sont tout de glace , tandis que Moïse et David
sont tout de feu . Je laisse à juger ce qu'ils doivent
penser de la poésie moderne . « Il ne faut pas s'étonner ,
>> dit l'abbé Fleury , si nous sommes si éloignés du goût
» de l'antiquité sur le sujet de la poésie ; c'est qu'en
» effet , pour ne pas nousflatter , toute notre poésie mo-
>> derne est fort misérable en comparaison . >>
Si les écrivains dont je viens de parler , sont tombés
dans un excès d'admiration pour les poëtes hébreux
, Voltaire est tombé dans un excès contraire .
160 MERCURE DE FRANCE ,
Peut-être pensa-t-il qu'un peuple pauvre , peu avancé
dans la civilisation , comme le peuple hébreu , ayant
peu d'idées métaphysiques et point de termes dans sa
langue pour les rendre , devait s'exprimer par images ,
et que ce dont nous lui faisons un mérite , n'était que
l'impuissance de faire autrement. Peut- être crut-il que
ces ellipses dont nous admirons la hardiesse , au lieu
d'être des artifices de style , n'étaient que les tours familiers
d'une langue aujourd'hui très-peu connue, de purs
hébraïsmes . Toujours est-il certain que Voltaire ne fut
pas assez sensible aux beautés simples et sublimes de
l'Ecriture. Il n'en parle qu'avec une légéreté dénigrante,
peu faite pour rappeler les bons esprits à une opinion
modérée sur cette matière. Que ce fût l'effet d'une
fureur aveugle contre la religion, comme le dit Laharpe
dans lediscours préliminaire de son Psautier Français ;
c'est ce dont on peut raisonnablement douter. On sait
qu'un contemporain de Voltaire , connu par une bien
plus grande exaltation d'idées anti-religieuses , plaçait
dans sa bibliothèque la Bible à côté d'Homère . L'admiration
pour la Bible peut donc se concilier avec des
opinions très-opposées à l'esprit de ce livre . Mais Laharpe
a mieux aimé charger la mémoire de Voltaire d'un tort
grave , que de mettre seulement en doute l'excellence de
son jugement et de son goût. Cela tenait à ses nouvelles
opinions et à la ferveur quelquefois indiscrète d'un nouveauconverti.
Ce discours préliminaire de Laharpe , est un des ouvrages
qui ont le plus contribué à faire connaître en
France le Traité de la Poésie sacrée du docteur Lowth.
« De nos jours , dit- il , un Anglais plein de goût et de
>> connaissances , a consacré à la poésie des Hébreux un
>> ouvrage qui a été beaucoup lu , quoique fort savant ,
>> et qu'on regarde comme un des meilleurs livres que
>> l'Angleterre ait produits . >> Puis il ajoute dans une
note : « cet ouvrage est formé des leçons latines que le
>> docteur Lowth lisait au collège d'Oxford , comme de
>> nos jours quelques gens de lettres en lisaient de fran-
>> çaises au Lycée.>> Quand on connaît l'ouvrage , on
n'est pas frappé de cette ressemblance entre les leçons
JANVIER 1813 . 161
françaises et les leçons latines . Elles paraissent au contraire
différer autant par le fond que par la forme , par
le mérite particulier des professeurs , que par leur auditoire.
Il est très-douteux que le docteur Lowth professât
devant des jeunes femmes et d'agréables oisifs ; il
n'est pas moins douteux que Laharpe eût retenu des
auditeurs de cette nature par un traité sur la poésie
sacrée ; mais il a voulu donner une preuve de sa grande
estime pour le docteur Lowth , et il n'a cru pouvoir
mieux faire que de lui chercher quelques rapports avec
lui-même.
L'article qui a déjà paru dans le Mercure , sur la traduction
anonyme du Traité de la Poésie sacrée , nous
dispense d'indiquer le plan et les principales divisions de
cet ouvrage. Nous préférons donner à nos lecteurs une
idée du système de traduction qu'a suivi M. Roger ,
système qu'une lecture réfléchie de quelques passages de
l'original , nous a mis à même de mieux apprécier .
<<Je n'ai pas dû m'attacher , dit M. Roger , à l'exac-
>> titudelittérale, comme je l'aurais fait dans la traduction
>> de Tite- Live , de Cicéron , ou de quelqu'un de ces
>> grands écrivains qui , modèles achevés de style , im-
>> posent à leur interprête l'obligation de dessiner toutes
> leurs formes , de répéter tous leurs mouvemens , de
>> conserver toutes leurs intentions , et ne peuvent être
>> représentés heureusement qu'autant qu'ils sont exac-
» tement reproduits . Le latin moderne de Lowth n'étant
>> pas tout-à-fait irréprochable , n'obligeait pas à une
>> aussi rigoureuse fidélité ; sans chercher donc à rendre
>> tous les mots , j'ai tâché de bien rendre le sens et la
>> liaison des idées . » M. Roger ne pouvait mieux faire :
une version strictement littérale du docteur Lowth ,
pouvait paraître traînante , et quelquefois même inintelligible
; c'est dans ce cas qu'une extrême fidélité devenait
une extrême infidélité. Une des qualités de style de
l'ouvrage original , est l'abondance ; mais cette abondance
dégénère parfois en diffusion et en battologie. Le
docteur Lowth employe souvent plusieurs mots qui
*n'ont dans notre langue qu'unemêmesignification : etde
là une difficulté insurmontable et , l'on peut le dire , sans
L
162 MERCURE DE FRANCE ,
gloire à les rendre tous ; souvent encore , lorsque
Fexpression lui manque pour rendre certaines idées ,
il détourne certains mots de leur véritable acception , et
a recours au latin de l'école . M. Roger s'est alors servi
très-utilement d'une traduction anglaise faite sous les
yeux mêmes de l'auteur , par un de ses disciples , « et sur
>> cette autorité , dit-il , j'ai pu quelquefois adopter dans
>> l'interprétation , certaines nuances que n'indiquait
>> pas l'original. >>
L'ouvrage du docteur Lowth commence par un discours
d'ouverture , espèce de morceau obligé , commé
Hous én entendons prononcer dans quelques-uns de nos
cours publics , en pareille occasion. On sait que le plus
souvent , ce ne sont que des lieux communs , dont tout
le mérite est de se rattacher avec plus ou moins d'adresse
à l'objet principal du cours. Le docteur Lowth , dans ce
discours ou cette leçon, cherche à prouver que le premier
but de la poésie est l'utilité , que c'est là sa fin , et que
l'agrément n'est que le moyen dont elle se sert pour y
parvenir. Il établit cette différence entre le poëte et le
philosophe , que celui-ci croit avoir assez fait , quand il
a été simple , clair et précis , tandis que celui-là veut encore
répandre sur ses leçons le charme de l'élégance et
de l'agrément . Cette opinion ne mérite certainement pas
tous les développemens que lui donne l'auteur. C'est une
de ces questions qu'on peut appeler oiseuses , et bonnes
tout au plus à faire briller l'éloquente faconde d'un rhéteur.
Horace a depuis long-tems décidé celle-ci dans un
de ces vers proverbes , où , sans prendre parti pour l'uti
lité contre l'agrément , il dit que le comble de l'art est de
les réunir tousdeux. Quant à ladistinction entre le poëte
et le philosophe , les ouvrages de Platon et de Cicéron ,
deux des plus beaux génies et des écrivains les plus
fleuris de l'antiquité , prouveraient assez que ce n'est
qu'une vaine subtilité , et qu'aucun philosophe à qui il
aura été donné de plaire , n'a négligé ce moyen. M. Roger
a supprimé , dans sa traduction , cette première leçon .
Il a pensé avec raison qu'il valait mieux entrer dans le
sujet dès le commencement du livre ; « que d'ailleurs
>>> Lowth étend trop loinses principes 2. , et s'abandonne à
JANVIER 1813 : 163
>>des idées abstraites de perfection morale , qui s'éloi-
>> gnent autantde la vérité des choses que du goût par-
>> ticulier de notre nation. Le même esprit de critique
judicieuse lui fait retrancher aussi quelques ornemens
ambitieux et que le goût réprouve . Telle est, dans le chapitre
second de l'original, et le premier de la traduction ,
cette comparaison de la poésie sacrée à un fleuve , dont
l'auteur se propose de suivre les sinuosités , d'observer
l'élévation et l'abaissement , et de détourner quelquefois
les eaux , pourféconder les campagnes qu'il domine.
C'est rarement à un traducteur qu'il faut demander un
jugement impartial et désintéressé sur l'auteur qu'il a
traduit . Il arrive trop souvent qu'on voie avec des yeux
prévenus , l'ouvrage qu'on a cru digne de plusieurs années
de soins et de travaux. M. Roger n'a pas payé ce
ribut , et tout en rendant justice aux qualités brillantes
de son original , à son goût et à son immense érudition ,
il s'exprime sur ses défauts avec une franchise décente et
mesurée . Ainsi après avoir observé que le docteur Lowth,
dans l'analyse des beautés de sentiment , manque quelquefois
de grâce et d'abandon, que trop souvent il prouve
au lieu de faire sentir ; le traducteur remarque que dans
les morceaux de force et d'éclat , il s'élève , s'anime , redouble
d'énergie et se montre un digne interprête des
prophètes . Il cite pour exemple le chapitre sur Isaïe, que
nous prenons volontiers de samain et d'où nous extrayons
le passage suivant pour donner à-la-fois une idée de
l'original et de la traduction .
<< Isaïe , le premier des prophètes , pour le mérite au-
>>tant que pour l'ancienneté , réunit tous les genres de
>>perfection à un degré si éminent, qu'on peut regarder
ses ouvrages comme le modèle le plus accompli de la
>> poésie prophétique . Son style est à-la- fois élégant et
>> sublime, plein de force et d'agrément , de richesse et
» d'énergie , de noblesse et de variété. Ses sentimens
>> sont élevés ; ses images exactes , élégantes , fécondes ,
>> variées , majestueuses ; sa diction , remarquable par
nson élégance , ne l'est pas moins par sa clarté et sa sim-
→→ plicité . Il existe en outre une telle harmonie , soit na-
>>>turelle, soit artificielle , dans l'arrangement poétique
L2
164 MERCURE DE FRANCE ,
>> de ses sentences , que si la poésie hébraïque conserve
>> encore aujourd'hui quelque reste de sa grâce native et
>> de son antique mélodie , c'est aux écrits d'Isaïe qu'elle
>>en estprincipalement redevable . Il excelle encore d'une
>> manière toute particulière dans ce qui concerne la dis-
>> position des parties , l'ordre et la liaison naturelle des
>>>idées ; autant du moins que peut le permettre la nature
>>des inspirations prophétiques qui s'emparent de l'ame
>>>avec une violence irrésistible , et l'entraînent souvent ,
>>par de rapides transitions , des objets les plus voisins
>> des sens aux objets qui en sont les plus éloignés , et
>> des choses humaines aux choses divines . >>>
Le lecteur aura remarqué combien la traduction de ce
passage est élégante et facile , et qu'à lire ainsi l'ouvrage
du docteur Lowth , on croirait qu'il a été pensé et écrit
en français . Nous ajouterons que c'est un véritable service
rendu aux lettres , le traité de la poésie sacrée ayant
jusqu'ici joui plutôt d'une estime sur parole que d'une
estime réfléchie ; qu'enfin , si cette traduction justifie
l'opinion qu'on s'était faite du traducteur , elle ne justifie
pas moins le choix qui l'a placé parmi les chefs de l'instruction
publique.
:
FABLES ; par A. V. ARNAULT , de l'Institut impérial , de
l'Académie de Madrid , etc. etc. , avec cette épigraphe :
Calumniari si quis autem voluerit ,
Fictisjocari nos memineritfabulis .
Un volume in- 12 , orné d'une jolie gravure.- Prix ,
3 fr . , et 3 fr . 50 c. franc de port. Chez Joseph Chaumerot
, libraire , place Saint-André-des-Arcs , nº 11 ;
et Chaumerot jeune , Palais-Royal , galerie de bois ,
n° 188 .
DEPUIS quelques années il semble convenu qu'on ne
peut faire le moindre article de journal sans donner une
savante théorie du genre que l'auteur a traité , théorie
qu'apparemment l'auteur ignore et le public aussi. Quelqu'avantageuse
que soit cette méthode pour le journa
JANVIER 1813. 165
liste , nous croyons qu'il est encore permis de supposer
l'auteur et le lecteur suffisamment instruits , et de commencer
sans préambule par tâcher de donner une idée
juste et un jugement impartial de l'ouvrage qu'on s'est
chargé d'examiner . Cette marche , raisonnable parfois ,
est peut- être nécessaire lorsqu'il s'agit de l'apologue ,
sujet épuisé depuis long-tems par plusieurs écrivains
ingénieux , sans compter les médiocres .
Pour commencer mon métier de critique , je dirai que
M. Arnault , qui est si justement de l'Institut impérial ,
aurait peut-être bien fait d'ajouter qu'il est de la seconde
Classe . Cette désignation me semble nécessaire , jusqu'au
jour où le gouvernement aura permis à cette classe
de reprendre son noble titre d'Académie française ; car
l'Institut peut tout aussi bien être composé de quatre
académies que de quatre classes ; mais jusque-là je pense
que tout membre de l'Institut fera mieux d'indiquer à
quelle classe il appartient .
La préface de M. Arnault se fait lire avec beaucoup
de plaisir . On y remarque d'abord au milieu de beaucoup
d'esprit ce ton ferme qui est un des caractères du
talent de l'auteur. M. Arnault prouve très -bien une opinion
qu'il partage avec plusieurs bons esprits ; savoir ,
que l'apologue n'est pas du tout un art d'esclaves , que
ce n'est qu'une manière différente de dire la vérité , et
que s'il l'adoucit quelquefois , il l'éclaircit plus souvent
encore. M. Arnault défend ensuite une cause au moins
aussi bonne ; il soutient qu'on a tort de vouloir prendre
le ton de La Fontaine , et qu'on nedoit imiter ce grand
poëte que dans l'exemple qu'il a donné de n'imiter personne.
Nous citerons ici le prologue qui n'est qu'un
résumé élégant et ingénieux de cette partie de la préface.
Amis , dans la riante plaine
Qu'Esope ensemença jadis ,
J'ai ramassé quelques épis
Après Phèdre , après La Fontaine .
Récolte d'un pauvre glaneur ,
Ces épis ne sont pas superbes :
Ce sont des brins et non des gerbes
Qu'on trouve après le moissonneur.
166 MERCURE DE FRANCE ,
1.
:
N'importe , et . Dieu me le pardonne !
Quand je vois mon petit trésor ,
Je me trouve assez riche encore ,
Et je n'ai rien pris à personne.
Sans rivaliser ses travaux ,
De Jean j'ai suivi le système :
Je me dois le peu que je vaux ;
Je suis moi comme il est lui-même.
Ne forçons point notre talent
Nous ne ferions rien avec grace ,
Adit cet esprit excellent ,
Dont je n'ai pas suivi la trace.
De l'avis c'était profiter ,
J'écris d'après non caractère .
Bonhomme , en voulant t'imiter
J'aurais craint de te contrefaire .
Les vers ont cet avantage que tout homme de goût
qui en a lu trente d'un ouvrage , peut juger , non pas
tout-à-fait cet ouvrage , mais la manière dont il est
écrit , chose si importante et presque décisive en poésie.
Enune page on a vu le ton , le talent et souvent le caractère
de l'auteur. Dans les vers qu'on vient de lire on
reconnaît d'abord beaucoup d'esprit , de l'énergie qui se
cache sous de l'élégance , et le ton d'un homme qui a
pensé avant d'écrire , bien différent de tant d'autres qui
commencent toujours par écrire , sauf à penser. quand
ils le pourront. Eh bien ! cette manière qui caractérise
le prologue , se reconnaîtra à toutes les pages du livre.
Partant on y trouve quelqu'une des qualités distinctives
du talent de l'auteur , souvent de la force , ou de la
grâce , ou de la sévérité , et toujours de l'esprit. J'ai dit
de la sévérité ; et en effet l'auteur jette sur la société un
regard quelquefois un peu caustique , ce qui sera blamé
par les hommes qui veulent absolument des fables dans
la manière de La Fontaine : cette manière sans doute est
la meilleure ; mais, outre qu'il est inimitable , beaucoup
de juges éclairés pensent que le seul moyen de plaire
après lui , c'est d'avoir une manière à soi. On ne peut
trop louer M. Arnault du courage avec lequel il a suivi
JANVIER 1813 . 167
ce système , et son courage a été presque toujours heureux
: rien n'est si facile à prouver ; et la précision étant
une des qualités distinctives de ces fables , je puis ici
en citer un certain nombre .
En voici une qui me paraît pleine de grace et de
sentiment . i
Le Fer et l'Aimant.
Aux lois de la nature amis , soumettons-nous ; ,
Toujours sa volonté l'emporta sur la nôtre .
L'aimant disait au fer : pourquoi me cherchez-vous ?
Pourquoi m'attirez -vous , soudain répondait l'autre...
Notre faiblesse et ton pouvoir ,
Sexe enchanteur , s'expliqueraient de même.
Ainsi tu plais sans le vouloir :
Sans le vouloir ainsi l'on t'aime.
Voici une autre fable d'un tour tout différent , et plein
d'énergie et d'originalité .
Le Colimaçon.
Sans ami , comme sans famille ,
Ici bas vivre en étranger ,
Se retirer dans sa coquille
Au signal du moindre danger ,
S'aimer d'une amitié sans bornes ,
De soi seul emplir sa maison ,
En sortir suivant la saison ,
Pour faire à son voisin les cornes ,
Signaler ses pas destructeurs
... Par les traces les plus impures ,
Outrager les plus tendres fleurs
Par ses baisers ou ses morsures ,
Enfin , chez soi , comme en prison',
Vieillir de jour en jour plus triste ,
C'est l'histoire de l'égoïste
Et celle du colimaçon.
1
۴
า
Heureux les auteurs qu'on ne peut mieux louer qu'en
les citant ! Cette méthode commode est facile avec
M. Arnault.
168 MERCURE DE FRANCE ,
L'Homme et l'Echo .
Unmedisant accusait les échos .
Un médisant ! ... Je le ménage.
Le ciel , disait-il dans sa rage ,
Puisse-t-il les punir de leurs mauvais propos !
Que d'ennemis je dois à leur langue indiscrète !
Tout , jusqu'à mes moindres discours
:Devient article de gazette.
,
M'échappe-t- il un mot , il se trouve toujours
Un chien d'écho qui le répète .
Ami, repart l'écho , faut-il s'en prendre à nous ?
Je répète , il est vrai : mais pourquoi parlez-vous ?
:
On ne peut disconvenir que toutes ces fables ont un
tour particulier qui étonne en même tems qu'il plaît .
Les choses neuves sont si rares qu'on ne peut trop encourager
les écrivains qui nous en donnent , même
quand ils s'égareraient quelquefois en les cherchant.
Le Colin-Maillard.-Amafemme.
Que j'aime ce Colin-Maillard !
C'est le jeu de la ville et celui du village.
Il est de tout pays et même de tout âge .
1
Presque autant qu'un enfant , il égare un vieillard.
Voyez comme il se précipite :
Sans penser même aux casse-cou ,
Comme il tourne , comme il s'agite
Parmi ce jeune essaim de folles et de fous ,
Ce jeune homme enivré qu'on cherche et qu'on évite :
Quel plaisir ! il poursuit vingt belles à la fois .
Comme lamoins sévère , il prend la plus farouche .
S'il n'y voit pas , du moins il touche ,
Ses yeux sont au bout de ses doigts .
Que dis-je , hélas ! tout n'est pas fête .
Au lieu des doux attraits qu'on croit en son pouvoir ,
Si l'on rencontre pot au noir ,
Jeune homme , alors , gare a latête.l 1.
;
Enamour , comme au jeu qu'en ces vers nous chantons ,
Un bandeau sur les yeux on s'attrape à tâtons ...
JANVIER 1813 . 169
De son aveuglement , sage qui se défie ,
Et qui , même en trichant , cherche à voir tant soit peu.
Mais c'est ainsi , dit-on , que l'on friponne au jeu :
C'est ainsi qu'on y gagne et que j'ai pris Sophie.
"
Ces vers sont charmans ; mais la fable est finie, et , je
l'avoue , il me semble qu'il n'y a pas là de fable , parce
qu'il n'y a pas d'action particulière . L'auteur dit quelque
part , dans sa préface : une fable est-elle autre chose
qu'une comparaison? Je crois au moins qu'une fable est
une comparaison prolongée ; mais je crois sur-tout que
plus une fable aura une action marquée , plus elle sera
parfaite. Il y a de très-jolies fables qui ne sont qu'un
mot d'où il résulte une morale: mais ici je ne peux voir
que des réflexions , à la vérité très- ingénieuses , sur le
Colin- Maillard , et terminées par un trait charmant.
C'est un tableau ; mais il n'y a là ni un récit , ni une
morale . Je me borne donc à regarder ce morceau
comme un très-joli prologue , tel que La Fontaine en a
fait , et que M. Arnault est digne d'en faire. Je ne sais
encore si ce n'était pas là sa première destination , car
je vois que la fable qui suit le Colin- Maillard s'appelle
le Vieux jouant au Collin-Maillard. Elle est trèsagréable
; mais je crois que ces deux morceaux gagneraient
à être réunis .
Voici une fable remarquable par un sentiment profond
, mélancolique et malheureusement juste . Quelques
homines obstinés à la gaîté pourront y voir l'expression
d'un esprit chagrin : mais on pourra leur répondre
par ce mot de l'abbé Montgault , traducteur
élégant des Lettres de Cicéron : Les vapeurs sont une
maladie qui fait voir les choses telles qu'elles sont......
Les larmes du Crocodile.
Le crocodile en pleurs , aux animaux surpris
De la pitié vantait les charmes :
«Craignez ceux qui jamais ne se sont attendris ;
» Fiez-vous à quiconque a répandu des larmes :
>> Frères , l'homme est croyable et l'homme pense ainsi. >>
Je le sais , dit le boeuf, et même il pleute aussi.
1
170 MERCURE DE FRANCE ,
Je finirai toutes ces citations par une fable sur laquelle
je n'ai aucune réflexion à faire .
Les Taches et les Paillettes .
Au diable soient les étourdis
Qui m'ont fait une horrible tache !
Qu'ai- je dit , une ! en voilà dix ,
Et c'est à mon velours pistache !
Ainsi parlait monsieur Denys ,
Marchand fameux de l'ancien règne ;
Marchand connu de tout Paris ;
Marchand de soie à juste prix ,
Du moins si j'en crois son enseigne .
Conçois-tu bien tout mon malheur ,
Ma fille ? Un velours magnifique ,
Un velours de cette couleur
Va donc rester dans ma boutique !
4
1
1
:
L'art du dégraisseur n'y peut rien.
L'eau de Dupleix , à qui tout cède ,
Est sans vertu !-Mon père ! - Eh bien !
Essayons un autre remède ;
Envoyons l'étoffe au brodeur..
Elle a raison. Notre grondeur
.... Suit le conseil de la fillette.
Amis , plus souvent qu'on ne croit
La tache est tout juste à l'endroit
Où l'on voit briller la paillette .
T
1
٠٤
i
!
Je ne puis mieux faire l'éloge de ce recueil qu'en
disant qu'il renferme plusieurs fables de ce mérite.
;
T
On voit que l'auteur a des qualités qui lui sont propres
, et a eu le bon goût de n'en pas chercher qui lui
soient étrangères. Si le naturel est une grâce , ce livré
en a beaucoup. Dans les grandes compositions littéraires
, le genre emporte l'auteur et lui donne le ton :
dans les petits ouvrages comme des fables , c'est l'auteur
qui doit emporter le genre et lui imprimer sa physionomie.
Nous avons tant de fables qui ne ressemblent à
rien , qu'il est agréable d'en avoir à annoncer qui ressemblent
à un homme de beaucoup d'esprit et de talens .
Quelque intéressantes que soient ces fables , dont la
JANVIER 1813 . 174
forme est souvent neuve , et dont le sujet l'est toujours ,
tout le monde sait qu'elles ne sont qu'un des délassemens
de leur auteur. En lisant ces ingénieux apologues , on
aime à se rappeler les belles tragédies de Marius , d'Oscar
et des Vénitiens , pleines d'un sentiment profond et
d'une chaleur bien rare , car elle est vraie. On dési
rerait les voir plus souvent , ne fût-ce que pour encour
rager l'auteur à nous en donner de nouvelles : en attendant
, on jouira de ces ſables piquantes , et quelquefois
profondes , dont le recueil est aussi un bon ouvrage.
1.Les apologues, de M. Arnault sont imprimés d'un
caractère élégant , mais beaucoup trop fin pour la commodité
des lecteurs et aussi pour l'étendue de l'ouvrage .
Ce petit défaut est bien avantageusement compensé par
la gravure très-jolie dont on a fait précéder levolume.
Cette gravure est faite d'après un tableau de M. Boilly ,
peintre qui , s'il veut jamais travailler moins et moins
vite , s'acquerra dans son art une très-grande réputation,
et lui donnera un genre qui lui manque presque entiè
rement. En effet , la peinture ne connaît guère que la
tragédie , et passe presque immédiatement de la noblesse
des tableaux d'histoire à lafarce des bambochades et des
scènes de cabaret. Pourquoi la peinture n'aurait-elle pas ,
comme la poésie , sa comédie ? Pourquoi n'exprimeraitelle
pas plus souvent ces scènes gaies et singulières que
fournit la société ? M. Boilly, qui a donné plusieurs
essais en ce genre , me paraît, plus que personne ,
propre à le perfectionner , par l'esprit qui pétille dans
ses compositions , et qui serait ici de rigueur. On peut
en juger par la description de son tableau qui n'a pas
besoin d'être vu pour paraître piquant , et qui semble fait
exprès pour être gravé à la tête du recueil d'un fabuliste .
La scène se passe dans un salon. Le milieu en est
occupé par une guenon parée à la dernière mode. Un
lion , avec un chapeau militaire , lui baise la pate.
Entr'eux deux on voit endormi un individu que j'ai vu
soupçonner d'être son mari : c'est un cochon qui a une
veste très- riche , et une figure qu'en vérité on rencontre
quelquefois parmi les hommes. Dans le même tems et
de l'autre côté , un âne , en médecin , tient l'autre pate
173 MERCURE DE FRANCE ,
de la guenon et lui tâte le pouls , tandis qu'un chat , aux
genoux de sa maîtresse , pince de la guitare. Sur le
devant de la scène on voit un loup et un mouton qui
jouent ensemble aux dames , et par dessous la table un
renard tond le mouton . D'un autre côté on voit en
habits de gala un singe et une fouine qui prennent un
verre d'eau sucrée que leur présente un chien en livrée.
Plus loin on voit arriver un dindon en robe et en rabat ,
et une oie en jupon et en schall , introduits par un
dogue en suisse , dont la figure est extrêmement plaisante.
Du côté opposé , et auprès d'une cheminée où
sont les bustes d'Esope , de Phèdre et de La Fontaine ,
est en observation un ours avec une robe de philosophe.
Plus près de la guenon , on voit appuyé sur un paravent
et en habit à la mode , un cerf , sur les cornes duquel
est poséun perroquet. Enfin on voit sortir de derrière
le paravent un homme qui a à la main des tablettes , et
écrit les scènes dont il est témoin. M. Arnault devrait
bien traduire en vers cette jolie fable.
Ce recueil , enrichi encore de notes piquantes et spirituelles
, ne peut que plaire à tous les bons esprits .
Sans doute , en cherchant bien , on y trouverait quelques
taches . Les dissimuler serait un tort : les détailler
en serait peut-être un autre. On abuse trop de ces petits
défauts pour condamner les longs ouvrages , et il y a
trop d'hommes qui aiment à juger un livre sur quelques
syllabes . De sincères amis , et M. Arnault lui-même ,
ont sûrement déjà remarqué ces légères imperfections .
Elles disparaîtront vraisemblablement , mais elles ne
m'ont pas empêché de lire l'ouvrage avec un grand plaisir
, partagé déjà par un grand nombre de lecteurs . Les
hommes d'un goût sévère conseilleront peut- être à
M. Arnault de supprimer deux ou trois de ses fables , et
certainement d'en ajouter un très-grand nombre.
A. C.
JANVIER 1813 . 173
OEUVRES COMPLÈTES DE MESDAMES DE LA FAYETTE , DE
TENCIN , ET DE FONTAINE.
(PREMIER ARTICLE. )
OOEuvres de Madame de La Fayette (*) .
PEU de romans ont eu autant de lecteurs que ceux de
Mme de La Fayette. Les amateurs de ce genre d'ouvrages
( et qui ne le serait pas ? ) les lisentsouvent , et ne les quittent
jamais sans se promettre de nouvelles jouissances
par une nouvelle lecture. Leur auteur était une des
femmes les plus spirituelles du dix-septième siècle , si
fécond en merveilles , où l'on vit briller à côté de Racine
, de Boileau , de Corneille , de La Fontaine , une
Sévigné , une Deshoulières , une Maintenon , une Ninon ,
qui réunissaient la beauté aux charmes de l'esprit , et
auxquelles la galanterie française permit d'exercer cet empire
si doux , dont l'influence est si propre à adoucir les
moeurs et à donner une physionomie morale à la peinture
des passions .
,
Avant Mme de La Fayette , la poétique du roman était
inconnue. Les ouvrages de ce genre qu'on doit aux
Grecs appartiennent à la décadence de leur littérature
et ne sont consultés que par les philologues. On n'y
trouve ni vérité , ni intérêt; ce sont des recueils d'aventures
ou communes ou bizarres , ou invraisemblables , ou
dégoûtantes , et si le roman de Longus a de la réputation
, c'est parce que le style d'Amiot lui a donné une
naïveté qu'il n'a pas dans l'original .
Quant aux romans français antérieurs à ceux de Mme
de La Fayette, ils ne sont connus que par le ridicule dont
ils ont été l'objet. Je ne parle pas ici de ces anciennes
archives de notre littérature , de ces vieux ouvrages en
(*) Nouvelle édition , revue , corrigée , et précédée d'une Notice
historique et littéraire et d'un traité sur l'origine des romans. Cinq
vol. in-18. Paris , chez d'Hautel , libraire , rue de la Harpe , nº 80.
174 MERCURE DE FRANCE ,
vers qui remontent jusqu'au XIe siècle , parce qu'ils ont
un intérêt particulier, indépendant de leur mérite littéraire
qui est à-peu-pres nul pour nous . Ils sont en effet , avec
les fabliaux , les seuls monumens qui nous restent de la
langue romane. Mais je veux parler de cette foule de
romans qui ont paru dans la période écoulée entre la
publication de l'Astrée et de Zaïde. Le premier de ces
deux ouvrages , qui a joui d'une réputation si grande
qu'Huet lui donne l'épithète d'incomparable , n'est qu'un
tissu de fadeurs ridicules , de sentimens faux et d'aventures
invraisemblables ; Celadon est un triste personnage
que son amour insensé , à force de respect , rend
glacial. Ajoutez à cela des conversations interminables ,
des détails à n'en plus finir , et je ne sais quel jargon
quintessencié qui remplit dix gros volumes ou billots , et
vous n'aurez encore qu'une bien légère idée de tout
P'ennui que doit inspirer cette incomparable Astrée que
personne ne lit plus , malgré les grands éloges qué
Patru lui a donnés , et malgré la réputation plus grande
encore dont elle a joui .
Al'Astrée succédèrent des romans auxquels elle servit
de modèle , quoiqu'ils soient d'un autre genre . Il n'est
personne qui ne connaisse de nom les Polexandre , les
Pharamond , les Cléopâtre , les Artamène , les Clélie , etc.
dont le législateur du Parnasse n'a pas peu contribué à
desabuser son siècle, et que Voltaire appelait , avec plus
de vérité encore que de malice , une boutique de verbiage.
On sait que dans l'Artamène et la Clélie de Mlle Scuděry
, tes personnages célèbres de l'antiquité , tels que
Cyrus , Mandane , Brutus , Horatius-Coclès , Lucrèce ,
Clélie , etc. , devenus d'une fadeur glaciale à force de
galanterie , s'amusent à filer le parfait amour , et ont
entr'eux des conversations d'un volume (de 6 à 700 р . ) .
Le ton de ces conversations est inintelligible , parce
qu'il y règne ce jargon bizarre que Ménage et Voiture
copiaient en l'admirant , et qui était en faveur à l'hôtel
de Rambouillet , mais que Molière a immolé au parterre
dans les Précieuses ridicules . Il suffit de firé deux pages
d'Artamène pour voir que Molière , bien loin d'exagérer ,
estdémeuré presque toujours au-dessous de la vérité.
JANVIER 1813 . 155
Tel était l'esprit dans lequel on écrivait les romans ,
Jorsque Mme de La Fayette publia successivement Zuide
et la Princesse de Clèves . Ces deux ouvrages opérèrent
une révolution subite. Dès-lors la bonne société se désabusa
dés d'Urfé , des Baro , des Gomberville , de la
Calprenède , des Ville-Dieu , des Scudéry , et de leurs
imitateurs . Ainsi , sur la fin du dernier siècle , lorsque
les farces larmoyantes des successeurs de La Chaussée ,
et l'imperceptible métaphysique de ceux de Marivaux ,
dénaturaient la scène française , Collin-d'Harleville fit
jouer son Inconstant. Cette excellente comédie éclaira
les bons esprits qui s'étaient laissé séduire par les prestiges
d'une mauvaise école , et rouvrit la bonne voie que
l'auteur des Etourdis , d'Anaximandre, du Trésor, etc. ,
et les auteurs de Médiocre et Rampant, du Tyran Domestique
, des Marionnettes , des Héritiers , et d'une foule
de jolies comédies , ont suivie avec les plus brillans succès
.
Les ouvrages de Mme de La Fayette sont trop connus
pour que je ne sois pas dispensé d'en refaire une analyse
faite si souvent. Que peut-on dire sur la Princesse de
Clèves ou Zaïde qui n'ait pas été dit cent fois et bien
mieux que je ne le redirais moi-même ? Tous nos litté
rateurs ont témoigné de mille manières le plaisir que
leur a fait éprouver la lecture de ces deux romans. Ils
en ont admiré le style correct , naturel , animé , gracieux
, élégant , et plein de chaleur. Ils ont reconnu que
les caractères sont bien tracés et pleins d'intérêt , que
l'auteur entend le langage des passions , qu'il dévoile
avec beaucoup de finesse les sentimens du coeur , que
les situations dans lesquelles il place ses héros sont
amenées d'une manière naturelle , et développées d'après
le cours des événemens qui les font naître . Nier aujourd'hui
ces vérités serait un manque de goût comparable à
celui de l'homme qui , en lisant Cinna, Phèdre ou Zaïre ,
nierait l'élévation de Corneille , l'harmonie de Racine , ou
le pathétique de Voltaire ; entreprendre de les démontrer
, c'est vouloir prêcher des convertis , et si par
hasard il existe encore des coeurs endurcis , comment
pourrais-je espérer de les ramener , lorsque Voltaire ,
176 MERCURE DE FRANCE ;
Laharpe , et nos meilleurs critiques , dont je suppose
qu'ils connaissent les ouvrages , n'ont pu le faire ? qu'ils
meurent donc dans l'impénitence finale : leur conversion
est une tâche au- dessus de mes forces , et d'ailleurs
ceux qui n'ont pas versé de douces larmes à la lecture
de la Princesse de Clèves ne sont pas dignes de sentir le
mérite et d'admirer les beautés de cet ouvrage , que
sans ceux de Rousseau et de Richardson j'appellerais
le chef-d'oeuvre du genre .
Zaïde parut sous le nom de Segrais qui était incapable
d'en écrire une page , et quelques critiques ont même
prétendu qu'il en était réellement l'auteur. Il suffit cependant
de comparer ce roman aux Nouvelles françaises
et aux autres ouvrages de Ségrais pour se convaincre du
contraire . D'ailleurs , le savant Huet qui a composé une
dissertation sur l'origine des romans pour être mise en
tête de Zaïde , s'exprime ainsi dans ses Origines de
Caen .
« Les Nouvellesfrançaises de Segrais furent bien re-
>> çues du public , moins toutefois que Zaide et quelques
>> autres ouvrages de ce genre qui parurent sous son nom
>> et qui étaient en effet de la comtesse de La Fayette ,
>> comme lui et la comtesse l'ont déclaré souvent à plu-
>>sieurs de leurs amis , qui en peuvent rendre un assuré
>> témoignage. Pour Zaïde , je le sais d'original , car j'ai
» vu souvent Mme de La Fayette occupée à ce travail ; et
>> elle me l'a communiqué tout entier , et pièce à pièce ,
>> avant que de le rendre public. Comme ce fut pour cet
>> ouvrage que je composai le Traité de l'origine des
>> Romans qui fut mis à la tête , elle me disait souvent
>>que nous avions marié nos enfans ensemble .....
>> Mme de La Fayette négligea si fort la gloire qu'elle
>> méritait , qu'elle laissa paraître Zaïde sous le nom de
>>Segrais : mais lorsque j'eus rapporté cette anecdote ,
>> quelques amis de Segrais qui ne savaient pas la vérité ,
>> s'en plaignirent comme d'un outrage fait à sa mémoire;
>> mais c'était un fait dont j'avais été long-tems le témoin
>> oculaire ; et c'est ce que je suis en état de prouver
>> par plusieurs lettres de Mme de La Fayette, et par l'ori-
+
4
JANVIER 1813 .
177
SEINE
>> ginal du manuscrit de Zaïde , dont elle m'envoyait les
>> feuilles à mesure qu'elle les composait. >>>
Si l'on considère maintenant que Huet ami de M
La Fayette l'était également
DE dea
de Segrais , on ne pourra
disconvenir que son témoignage ne mérite une endere
confiance . Segrais a dit , il est vrai , qu'il avait euquotque
part à la disposition du sujet , cela fait voir seulement
que Mme de La Fayette lui communiqua son plan et qu'il
indiqua les changemens à y faire . D'ailleurs on sait que
Mme de la Fayette aimait à montrer ses écrits à ses amis
afin qu'ils les revissent , que de l'aveu de Huet elle lui fit
part de cette même Zaïde à mesure qu'elle la composait,
et que le manuscrit de la Princesse de Clèves fut remis
au célèbre Larochefoucauld . Mais de tout cela on doit
seulement conclure qu'elle s'adressait aux personnes qui
pouvaient lui donner de bons conseils , et non pas qu'elle
eût ce qu'on appelle un teinturier .
Le second ouvrage de l'auteur de Zaïde est celui qui
est intitulé la Princesse de Montpensier. C'est un petitroman
fort ingénieux , à qui Zaïde et sur-tout la Princesse
de Clèves ont fait tort . Ce dernier ouvrage , qui est sans
contredit le chef- d'oeuvre de Mme de La Fayette , a été
attribué à Segrais avec tout aussi peu de fondément que
Zaïde. Il suffit de lire quelque chose de ce bel esprit pour
se convaincre qu'il était incapable , comme nous l'avons
dit' , d'écrire ces morceaux touchans et remplis d'une
mélancolique sensibilité qui sont dans la Princesse de
Clèves , et qui décèlent la plume et sur-tout le coeur
d'une femme .
Ce roman que Fontenelle admirait fut attaqué dès sa
naissance. Valincourt en publia une critique insignifiante
lorsqu'elle n'est pas amère , et qui est intitulée : Lettres à
Me la marquise de ...... , sur le sujet de la Princesse de
Clèves . Il est à- peu- près reconnu aujourd'hui que la plupartdeces
lettres furentcomposées par lejésuite Bouhours ,
dont Valincourt était l'élève . Bussy-Rabutin , homme
d'esprit qui n'a fait que de mauvais ouvrages , a été aussi
un des critiques les plus acharnés de Mme de La Fayette .
Au reste , ces censeurs blamaient l'une des situations les
plus intéressantes du roman , c'est celle où la princesse
M
178 MERCURE DE FRANCE ,
effrayée de sa violente passion pour Nemours prend enfin
le parti désespéré de se jeter aux genoux de son mari
pour lui faire l'aveu d'un coupable amour qu'elle a vainement
combattu . Il fallait avoir un goût bien étrange ,
j'ose dire même bien faux, pour oser critiquer une situation
pleine d'intérêt et qui produit un effet étonnant sur
l'ame des lecteurs sensibles .
Ces attaques acharnées ne restèrent pas sans réponse ,
et il parut un petit ouvrage intitulé , Conversations sur
la Princesse de Clèves , où elles étaient repoussées avec
beaucoup de force . On crut long-tems que Barbier-d'Aucour
en était l'auteur , mais on sait maintenant qu'elles
sont de Descharnes .
La Princesse de Clèves n'est point un de ces romans
historiques qui depuis quelques années infectent notre
littérature . Elle n'a rien de commun avec ces misérables
rapsodies où la majesté de l'histoire est dégradée au
point de ne servir qu'à débrouiller des intrigues d'amour .
Ces monstrueuses compositions qui sont à l'histoire et
au roman ce que le mélodrame est à la comédie et à la
tragédie , décèlent le manque d'imagination de leurs
auteurs ; elles n'ont joui que d'une vogue éphémère .
Mme de La Fayette ne répondit aux critiques de la
Princesse de Clèves que par la Comtesse de Tende , nouvelle
où les évènemens se pressent et amènent après
diverses situations intéressantes un dénouement des
plus pathétiques . L'auteur place son héroïne au point
de ne plus intéresser que par ses remords , et lui fait
révéler à son mari la faiblesse dont elle s'est rendue
coupable. Cette confidence , bien plus délicate que celle
de la princesse de Clèves , est si bien motivée , qu'elle
ne choque ni la vraisemblance , ni les moeurs . Les autres
ouvrages de Mme de La Fayette sont : Les Mémoires de la
cour de France pour les années 1688 et 1689 , qui sont
remplis de railleries piquantes contre Mme de Maintenon ,
et une Histoire d'Henriette d'Angleterre . Elle en avait
composé un plus grand nombre , dont l'insouciance de
son fils a causé la perte ; car il prêtait les manuscrits de
samère à ceux qui les lui demandaient et ne les réclamait
pas. Les contemporains de Mme de La Fayette nous
JANVIER 1813 .
179
apprennent qu'elle n'était pas moins remarquable par
ses qualités morales que par son esprit. Ces témoignages
universels réfutent assez Labeaumelle qui l'insulte dans
ses mémoires sur Mme de Maintenon comme il insulte
plusieurs autres personnages extrêmement recommandables
. J. B. B. ROQUEFORT .
ESPRIT DE SOPHIE ARNOULD . - Un vol . in- 18 . -AParis ,
chez les libraires du Palais-Royal .
SOPHIE ARNOULD a obtenu , au Théâtre de l'Opéra ,
une réputation égale à celle qu'obtinrent , au Théâtre-
Français , les Dumesnil , les Clairon et les Dangeville :
elle a été contemporaine de ces actrices célèbres , et la
mort l'a enlevée la même année que les deux premières .
Les vieillards , qui dans leur jeunesse ont assidûment
fréquenté les spectacles , aiment à se rappeler que Mlle
Arnould enlevait tous les suffrages dans le rôle de Proserpine
, parce que son jeu réunissait les grâces au sentiment
; que dans celui de Télaïre de l'opéra de Castor,
elle déployait le pathétique le plus entraînant , et que
dans Dardanus , où elle jouait le rôle de Céphise , elle
avait des momens d'inspiration vraiment sublimes .
Cette actrice , de son tems , seule déesse au Théâtre
des Arts , se fit encore remarquer par un esprit de saillie
qui charmait les sociétés où elle était admise ; ses réparties
et ses bons mots étaient presque toujours pleins de
finesse , de malice , et souvent même de causticité.
Un écrivain connu par des succès dans des genres
très -opposés , s'est amusé à réunir ces bons mots , et
en a publié le recueil sous le titre d'Esprit de Sophie
Arnould.
11
Il a fait précéder le recueil consacré àM. Arnould
d'une notice qui se ressent un peu de l'aimable causticité
de la personne à laquelle elle est consacrée ; mais
j'aime mieux reproduire ici quelques-uns des bons mots
de cette actrice que de m'arrêter aux détails de sa vie :
d'ailleurs ces détails sont bien connus . Je dirai seule
M2
180 MERCURE DE FRANCE ,
ment que l'éditeur a su , par la manière dont il les raconte
, les rendre aussi intéressans que s'ils étaient neufs ;
mais je dois le féliciter d'avoir écarté avec sévérité tout
ce qui se ressentait des moeurs de Me Arnould , vivant
dans un siècle où les idées morales et religieuses n'étaient
regardées que comme des préjugés . Cette actrice respira
le vice au milieu de l'atmosphère empoisonnée qui
l'environnait ; peut-être même l'éditeur mérite-t- il le
reproche d'avoir conservé trop de détails qui pourront
alarmer la pudeur. Personne ne sait mieux que
lui , que lorsqu'on écrit pour les femmes , il faut toujours
respecter leur plus bel ornement.
Mais revenons à Sophie Arnould.
« Quelqu'un lui disait après la première représenta-
» tion du Mariage de Figaro : C'est une pièce qui ne
>>peut se soutenir . Oui , répondit- elle , c'est une pièce
» qui tombera quarante fois de suite.
>>Elle disait de l'opéra de Zémire et Azor ou la belle
net la bête : C'est la musique qui est la belle. »
L'épigramme est plaisante , mais elle est injuste ; si la
musique de Zémire est admirable , le poëme n'est point
un ouvrage sans mérite , et il y a tel de nos auteurs
d'opéras comiques qui a obtenu et qui obtient encore
beaucoup de succès , sans avoir rien fait de comparable
à la pièce que Sophie Arnould sacrifiait au plaisir de
faire une épigramme .
:
<<Mlle Clairon au sortir du Fort-l'Evêque quitta le
>> théâtre : elle disait avec emphase que le roi était maître
>> de sa vie et de sa fortune , mais non de son honneur.
» Vous avez raison , observa Sophie , où il n'y a rien le
» roi perd ses droits . »
M. Lemazurier, dans la Galerie des Acteurs du Théâtre-
Français , raconte autrement l'anecdote . On sait que
l'emprisonnement de Me Clairon fut la suite d'une affaire
scandaleuse occasionnée par le comédien Dubois et qui
troubla la comédie française. Comme Mlue Clairon se
prononça avec beaucoup de vigueur dans cette affaire ,
où pour ne pas jouer avec Dubois les acteurs firent manquer
une représentation du Siége de Calais, la police fit
mettre l'actrice en prison .
(
JANVIER 1813 . 181
<<Au reste , dit M. Lemazurier , en recevant l'ordre
» de sa détention , Mlle Clairon, toujours constante dans
>>sa dignité habituelle, n'oublia pas son ton imposant et
>> auguste ; elle traita l'exempt avec toute la hauteur de
» Viriate quand elle parle à Perpenna : elle lui déclara
» qu'elle était soumise aux ordres du roi ; que tout en elle
» était à la disposition de Sa Majesté ; que ses biens , sa
» personne, sa vie en dépendaient , mais que son honneur
>> était intact, et que le roi lui-même n'y pouvait rien .
» Vous avez raison , Mademoiselle , répondit l'exempt
>> très - peu flatté de tout cet étalage , là où il n'y a rien le
» roi perd ses droits . »
-
Les personnes curieuses de savoir lequel des deux récits
est le véritable , n'ont qu'à consulter les Mémoires de
Bachaumont , le Journal historique de Collé , ou la Correspondance
de Grimm , elles y trouveront de quoi éclair- .
cir leurs doutes. Pour moi , j'attribuerais plus volontiers
la répartie à M Arnould qu'à un huissier quelconque ;
ce n'est pas là le genre d'esprit des hommes de cette robe ,
si nous en croyons du moins les ouvrages de M. Selves .
<< Sedaine après la chute d'une de ses pièces vint voir
>>Sophie et lui dit : J'aurais dû le prévoir , la poire
» n'était pas mûre . Cela ne l'a pas empêché de tomber, re
>> prit-elle . >>>
<<Elle disait de Beaumarchais : cet homme sera pendu,
» mais la corde cassera, » mot heureux qui fait connaître
d'une manière bien plaisante le bonheur de l'auteur de
Figaro .
<<Après le déplacement de M. de Choiseul, on fit des
>> tabatières où il y avait d'un côté le buste de Sully etde
>> l'autre celui de Choiseul. C'est bien, dit Sophie , on a
» mis la recette et la dépense ensemble . »
<<Elle disait en regrettant les fureurs de son premier
>> amant : oh ! c'était le bon tems; j'étais bien malheureuse .
>> Quelqu'un lui reprochait de s'être attachée à un ar-
>> chitecte : c'est , répondit- elle , pour employer les pierres
» qu'on jette de tous côtés dans mon jardin .
>>Elle appelait le divorce le sacrement de l'adultère , >>
182 MERCURE DE FRANCE ,
pensée ingénieuse que M. Bourgeuil a mis en vers de la
manière suivante :
L'autre soir du divorce on causait entre amis ;
Chacun de cette loi parlait à sa manière .
Cette loi , dit Chloë , moi je la définis
Le sacrement de l'adultère .
Cette Sophie si caustique et si spirituelle n'a pas échappé
aux épigrammes . C'est la punition ordinaire de ceux qui
en font . Le Brun entr'autres , ce misogyne si passionné ,
mais si admirable , même dans ses sorties les plus violentes
contre un sexe assez indulgent pour lui pardonner
ses injustices à cause de son génie ; Le Brun , dans son
Epître sur la bonne et mauvaise plaisanterie , n'a point
épargné Mlle Arnould. Elle disait un jourà Champcenetz
qu'elle s'était mordu la langue : comment ne vous êtes
vous pas empoisonnée? lui répondit- il . Une autre fois que
devant le même personnage elle se vantait d'avoir le coeur
sur les lèvres :je ne m'étonne plus , reprit-il vivement ,
que vous ayez l'haleine si perfide. Des réponses si grossières
font peu d'honneur à Champcenetz .
Cet opuscule sur l'Esprit de M¹¹ Arnould , fera passer
aux lecteurs une heure agréable. C'est quelque chose :
l'auteur n'a sans doute désiré ni plus de succès , ni
plus de gloire . L. M. A. B.
:
VARIÉTÉS .
SPECTACLES. - Théâtre -Français . - On a donné à ce
théâtre les Deux Fêtes , ou l'Avis aux Mères , comédie en
un acte et en vers par M. Dupaty.
de cette nouveauté .
Des vers brillans , épigrammatiques , ont fait le succès
Nous en rendrons un compte détaillé dans le No prochain.
Théâtre du Vaudeville . -Nous avons un petit arriéré
à solder avec ce théâtre : On n'a pas entretenu nos lecteurs
des trois dernières nouveautés qu'on y a données . La Chevalière
d'Eon a obtenu un succès mérité. Robert le Diable
à sa première apparition ne put contenter tous les esprits ,
JANVIER 1813 . 183
'un second examen a prouvé que ce Robert était un assez
bon diable : le public qui aime les mauvais sujets , sur-tout
lorsqu'ils sont aimables , l'a pris sous sa protection. Le
Retour d'un Fils ne fournira pas, je crois , une longue carrière
.
Le sort différent de ces trois ouvrages fait naître bien des
réflexions Je suis un des amateurs les plus assidus du
Vaudeville , j'ai vu le tems où l'annonce d'une nouveauté
à ce théâtre était le signal de nouveaux plaisirs pour les
amateurs de la gaîté française .
Cet heureux tems n'est plus. Ce sont maintenant des
drames bien moraux , ornés de couplets à pointe , qui ont
seuls le droit d'y réussir ; les vieux desservans du temple
cèdent trop souvent le pas à de jeunes néophytes inexpérimentés
; pour retrouver sa splendeur première , ce théâtre
devrait user de ma recette : dejeunes acteurs et de vieux
B. auteurs .
6
On lit les deux articles suivans dans la Gazette deSanté.
Il y a environ un an que M. Dulong obtint , par des
opérations chimiques , une liqueur particulière , tellement
susceptible de détonation , que cet babile chimiste pensa
être victime de sa découverte , et fut blessé très-grièvement.
Cette année , ayant voulu reprendre la suite de ses recherches
interrompues par cet accident , une nouvelle explosion
, qui a eu lieu malgré les précautions les plus grandes ,
a encore compromis la vie de l'expérimentateur , et prouvé
complètement que toutes les perquisitions sur cet objet
étaient trop dangereuses pour pouvoir être continuées .
Plusieurs personnes connaissaient déjà la substance dont
la découverte avait coûté si cher à M. Dulong, mais le plus
grandnombre des savans en attendait la publication avec
impatience. M. Dulong l'a fait connaître dans la dernière
séance de l'Institut : c'est une combinaison d'azote et
d'acide muriatique oxigéné. On n'avait point encore pu
parvenir à opérer cette combinaison , et M. Dulong n'y est
parvenu qu'en employant un procédé fort savantet fort ingénieux
, dont il a rendu compte à l'Institut , mais qu'il est
assez inutile d'exposer ici. Conformément aux règles de la
nomenclature chimique , il a nommé cette liqueur acide
muriatique oxi-azoté.
On a appris en même que le célèbre chimiste anglais
Humfry Davy , ayant voulu , sur des indications qu'il avait
reçues , tenter l'expérience de M. Dulong , a éprouvé un
184 MERCURE DE FRANCE ,
accident tout semblable ; on espère cependant qu'un oeil
qu'il avait eu fortement compromis , ne sera pas entièrement
perdu .
-
,
La Faculté de médecine de Paris a ouvert les salles
de dissection dans lesquelles elle procure gratuitement à
ses élèves tout ce qui est nécessaire à leur instruction anatomique
et physiologique ; plus de quatre cents jeunes gens
ont déjà profité l'année dernière des conférences , des
exercices pratiques sur la physiologie , l'anatomie , la médecine
opératoire , et de plusieurs autres avantages que la
Faculté leur accorde . Six pavillons aérés de tous côtés
placés au milieu d'un vaste jardin et réunissant tous les
avantages d'une localité agréable et salubre , sont destinés
aux travaux anatomiques . Chacun de ces pavillons peut
admettre plus de 50 étudians ; ceux d'entr'eux qui font
partie de l'école pratique jouissent de prérogatives particulières
et sont sur-tout exercés à la pratique des opérations .
Il n'est aucune branche des sciences médicinales sur laquelle
des médecins attachés à la Faculté ne soient chargés
de faire des conférences instructives .
NÉCROLOGIE .- M. Gérard de Rayneval , premier commis
des affaires étrangères sous quatre ministres , conseiller
d'Etat dans l'ancienne monarchie , et correspondant
de la 3º classe de l'Institut , vient de mourir âgé de plus
de soixante-seize ans . Il laisse une mémoire estimée ,
comme diplomate et comme publiciste .
M. de Rayneval prit part à des négociations difficiles ,
concourut à plusieurs traités , et négocia seul le traité de
commerce avec l'Angleterre en 1786. Sa correspondance
diplomatique est vive , pressante et toujours appuyée sur
de graves motifs . M. de Vergennes , dont il eut toute la
confiance , faisait un grand cas de ses talens . M. de Rayneval
, depuis sa sortie des affaires étrangères en 1792 ,
s'occupa d'écrire sur les rapports des nations . Ses Institutions
du droit de la nature et des gens offrent une analyse
raisonnée des principes le plus généralement avoués sur
cette matière . M. de Rayneval avait publié , il y a à peine
un an , sur la Liberté des mers , un excellent travail . Il
laisse en manuscrit un Commentaire sur Machiavel , dans
lequel il s'attache à venger la mémoire de cet écrivain politique
, jugé avec trop de rigueur, d'après plusieurs fausses
interprétations de ses maximes d'Etat.
JANVIER 1813 . 185
Les connaissances de ce publiciste n'étaient point bornées
au droit des gens ; elles embrassaient plusieurs branches
importantes des lettres humaines , telles que l'histoire
universelle , la philosophie morale et la métaphysique des
langues . Il possédait les idiomes de la plupart des peuples
du nord et du midi de l'Europe . It emporte les regrets de
sa famille et de ses nombreux amis .
SOCIÉTÉS SAVANTES.
:
L'Académie de Mâcon avait mis au concours cette question : <<<Les
» anciens avaient-ils des établissemens publics en faveur des indi-
>> gens ,. des enfans orphelins ou abandonnés , des malades et des
> militaires blessés ; et s'ils n'en avaient point , qu'est-ce qui en tenait
>> lieu ?>> Elle a décerné le prix au Mémoire anonyme sous la devise :
Meliùs est ergo duos esse simul quàm unum ; habent enim emolumentum
societatis suæ : si unus ceciderit , ab altero fulcietur. Regrettant
de n'avoir pas un second prix à offrir , elle a donné l'accessit
à M. Dumas , secrétaire-général de la Société des sciences et belleslettres
de Lyon .
L'Académie propose cette autre question : « Les historiens anciens
>> sont- ils supérieurs aux modernes , et quelles sont les causes de la
>> supériorité des uns ou des autres ? >>>
Les concurrens adresseront leurs ouvrages , suivant les formes
usitées , et francs de port , avant le 1er décembre 1813 , à M. Cortambet
, docteur-médecin , secrétaire perpétuel de la Société , à
Mâcon.
POLITIQUE.
,
Nous avons fait connaître le message important par
lequel le président des Etats -Unis a rendu compte au congrès
de la gestion des affaires , des efforts qu'il a faits pour
maintenir à-la- fois et la paix et l'indépendance américaine
du refus de satisfaction éprouvé de la part de l'Angleterre ;
enfin des événemens de la guerre qui a dû suivre le mouvement
général de résistance à l'oppression britannique ,
qui a éclaté dans toutes les parties de l'Union. Ce message
offrait un heureux enchaînement de faits et de consé
quences exposés avec une clarté parfaite ; il a produit en
Europe et en Amérique une égale senssaattiioonn ,, et il paraît
que la réélection de M. Maddisson sera la digne récompense
des efforts qu'il a faits jusqu'ici pour soutenir la
dignité du nom américain, faire respecter le pavillon de
l'Union . Le voeu national est connu , et la réélection n'est
plus douteuse ; onze Etats ont voté pour M. Maddisson ,
sept seulement pour M. Clinton. C'est le 1er de janvier
queles électeurs ont dû s'assembler pour donner leur vote
dans le sens qui leur est prescrit par le voeu de la majorité
de leurs commettans . Les préparatifs pour l'expédition du
Canada se continuent avec une nouvelle activité . L'heureux
événement de la capture de la frégate la Macédonian,
a été l'objet de réjouissances publiques en honneur de ce
fait d'armes glorieux pour la marine américaine .
Les esprits sont si éloignés de pencher vers des idées de
rapprochement avec les Anglais, qu'une lettre de Washington
fait mention que le comité des relations extérieures est
sur le point de présenter un bill pour empêcher les citoyens
américains d'accepter des licences anglaises , et dans le cas
où ils les accepteraient de les punirpar le gibet. Les lettres
d'Amérique ajoutent encore , relativement à Saint -Domingue
, que Péthion y est complètement vainqueur , et
que son antagoniste Christophe a été tué .
Les dernières nouvelles de Constantinople présentent le
sultan comme occupé sans relâche de ressaisir l'autorité
ébranlée par les rébellions successives de divers pachas ,
et l'influence de familles trop puissantes dévouées à la Rús
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 187
sie ,telle que celle des Morousi qui vient d'être détruite ,
et qu'aucune autre ne sera tentée d'imiter. Des succès en
Egypte et en Syrie contre les Wahabis ont donné lieu à
des réjouissances dans le sérail. Les affaires de Servie sont
toujours l'objet de négociations et de conférences . Les pachas
rébelles de Widdin et d'Orsowa sont vivement pressés .
Les dernières nouvelles de Vienne, en datedu7janvier,
donnent des détails qu'il sera intéressantde connaître .
Dans la dernière conférence d'état , à laquelle ont assisté
tous les ministres , et qui a été présidée par Sa Majesté
l'Empereur , il a été arrêté qu'aucune considération ne
pouvait porter la moindre atteinte au traité d'alliance conclu
entre les deux cours impériales de France et d'Autriche
, et que les deux cours se prêteraient mutuellement
tous les secours possibles et requis par les circonstances.
Il a été arrêté de plus que le corps auxiliaire d'Autriche
serait porté au plus vîte au grand complet , et que M. le
comte de Stadion se rendrait sans délai à l'armée avec le
titre de commissaire-impérial , afin de pourvoir aux besoins
du corps , qui sont le résultat des fatigues d'une
longue campagne et du froid excessif. M. le comte de
Stadion aura les pouvoirs les plus étendus pour contracter
les marchés qu'il jugera nécessaires , et pour que l'armée
n'éprouve aucun retard dans les fournitures . Afin de faire
respecter nos frontières , et assurer aux provinces limitrophes
du théâtre de la guerre une parfaite tranquillité , le
corps de réserve sera composé de 120,000 hommes effectifs
; en conséquence , l'on rendra mobiles les régimens
qui sont en Bohême et en Moravie , et l'on tirera de Hongrie
les régimens de grosse cavalerie pour remplacer les
vides . Le ministre des finances a reçu l'ordre de dresser ,
le plus tôt possible , un plan qui mît à même de faire face
aux nouvelles dépenses , sans décréditer le papier qui est
actuellement en circulation .
On dit que M. le comte Zichy , ancien ministre des
finances , a reçu le même ordre , et que son travail doit être
indépendant de celuide M. le comte de Wallis . On veut
savoir lequel des deux résoudra mieux le problême , et on
adoptera le plan qui sera décidé le meilleur. L'on estime
vingt millions de florins la dépense extraordinaire occasionnée
par ces mesures , et le gouvernement désirerait
bien ne pas mettre de nouvelles contributions .
Les nouvelles de Saxe ont fait connaître le mouvement
du corps saxon et du 7º corps français aux ordres du gé
188 MERCURE DE FRANCE ,
néral Regnier sur Varsovie . Ces corps ont reçu d'abondans
secours . Le corps du général Grenier , estimé à 25 mille
hommes de vieilles troupes venant d'Italie , traverse la
Saxe se rendant à Berlin , où S. Ex. le colonel-général des
dragons comte Baraguay- d'Hilliers est mort d'une fièvre
nerveuse , et a été inhumé avec tous les honneurs dus à un
grand-officier de l'Empire . Le quartier-général du prince
Scharzenberg a été porté à Pulstuck. Les renforts des princes
de la Confédération sont en marche de toutes parts
avec leurs objets d'équipement et d'artillerie pour tous les
divers contingens au complet . Le 1 janvier le roi de
Naples , chargé du commandement général de l'armée , est
parti de Koenisberg avec une partie de la garnison française ,
et s'est porté du côté de l'Est , mais il est revenu le soir. Le
3 janvier S. M. a transféré son quartier-général à Elbing.
Quant au mouvement dirigé de l'intérieur , un journal trèsaccrédité
a publié , sous la date de Francfort , la note suivante
qui mérite d'être remarquée et par son importance
et pour sa précision. Les renforts destinés pour les grandes
armées , y est-il dit , doivent arriver incessamment dans
nos contrées ; ils consistent en 180,000 hommes , dont
60 passeront le Rhin à Strasbourg , 60 à Mayence , et le
reste vis - à- vis de Wesel .
Tandis que les troupes que le gouvernement tenait
prêtes à soutenir l'effort de celles qui les ont précédées , et
à réparer leurs pertes , se mettent en mouvement , tandis
que les décrets pour les nouvelles levées s'accomplissent ,
et vont peupler les dépôts de toutes armes , d'une jeunesse
impatiente de s'instruire dans sa noble profession , et
bientôt de s'y distinguer , l'esprit public qui n'est plus
aujourd'hui le domaine d'un parti , le mot de ralliement
d'une faction , l'esprit public, qui se compose au sein de la
France ramenée à ses anciennes institutions, de l'amour de
la patrie , de la fidélité au prince , de l'attachement inébranlable
aux principes et aux institutions qui constituent
la monarchie , l'esprit public dicte aux premiers corps de
l'Etat , aux conseils -généraux de départemens , aux mairies
des bonnes villes de Sa Majesté , et aux principaux propriétaires
de toutes les parties de l'Empire , l'expression
vive et animée du voeu général , et l'offre de tous les sacrifices
que les circonstances peuvent exiger. Les adresses signées
de tous les noms de ceux qui supplient S. M. d'accepter
leur offrande , arrivent en foule et sont déposées aux pieds
du trône , d'où émaneront les ordres régulateurs de cet
JANVIER 1813 .
189
élan vraiment français , véritablement patriotique , qu'à
toutes les époques les ordres de l'Etat , les diverses classes )
de citoyens , les différentes corporatious ont toujours été
disposées à recevoir et à se communiquer mutuellement .
LL. MM. sont parties pour Fontainebleau , où il paraît
qu'elles feront quelques jours de résidence . Elles y ont été
suivies par une partie des ministres de S. M. , et par les
officiers de leurs maisons . S....
:
ΑΝΝΟΝCES .
Les Ruines de Pompei, dessinées et mesurées par François Mazois,
architecte , pendant les années 1809 , 1810 , 1811 ; ouvrage format
grand in- folio , gravé à Rome , publié à Paris , par souscription , et
dédié à Sa Majesté la Reine des Deux- Siciles .
PROSPECTUS . - La ville de Pompei ensevelie sous les cendres
du Vésuve , l'an 79 de l'ère chrétienne , fut retrouvée presque intacte
1676 ans plus tard . Les édifices endommagés seulement dans leurs
parties supérieures étaient du reste parfaitement conservés ; les stucs ,
les peintures , les mosaïques , avaient encore toute leur fraîcheur ;
les meubles , les ustensiles , les moindres objets étaient demeurés à la
place qu'ils occupaient seize siècles auparavant ; le pain , le blé , les
fruits , quoique desséchés , ou légérement calcinés , étaient encore
reconnaissables ; enfin l'on y retrouva inême les corps de plusieurs
habitans , vêtus comme à leur dernier jour et dans les attitudes où la
mort les avait frappés , les uns cherchant à fuir avec leurs bijoux les
plus précieux , ou cachés dans des lieux obscurs ; les autres surpris à
table , ou étouffés dans leur bain. Cette découverte , qui promettait à
la fois des modèles de tous genres aux arts , des éclaircissemens sur
les points obscurs de la science de l'antiquité , des notions curieuses
pour l'histoire de la vie privée des anciens , fit concevoir les plus
heureuses espérauces à l'Europe savante et elles ne furent point
déçues . Pendant 57 ans on découvrit successivement un grand nombre
d'édifices de toute espèce , et une foule d'objets précieux ; mais
ces richesses en partie dispersées par la guerre , ou menacées déjà
par le tems d'une destruction désormais irréparable , ont été jusqu'ici
comme perdues pour la science , puisqu'elles sont restées inédites , et
à l'exception de quelques peintures et mosaïques publiées par l'Académie
de Naples , on n'a pu jouir encore d'aucun ouvrage exact sur
les antiquités de Pompei.
,
190 MERCURE DE FRANCE ,
Unheureux concours de circonstances ayant permis à M. Mazois ,
architecte français , de dessiner , de mesurer les ruines de cette ville,
il s'en est occupé pendant un séjour de plus de deux ans à Naples , et
s'empresse d'offrir aujourd'hui le résultat de ses travaux aux amis des
arts et de l'antiquité. Tous les dessins ont été mis au net sur les lieux
mêmes , ce qui doit garantir leur exactitude , et gravés ensuite sous
les yeux de l'Auteur par les meilleurs artistes de Rome.
Cet Ouvrage est divisé en cinq parties ; la première comprend tout
ce qui a rapport à la Voie , aux Tombeaux , aux Portes et Murailles
de la ville ; la seconde traite des Habitations particulières ; la troisième
des Temples; la quatrième des Théâtres; la cinquième des
Portiques. Il est précédé d'une notice historique , et terminé par un
plan général détaillé avec un appendix explicatif de tous les édifices
trouvés depuis 1757 jusqu'en 1812. Ony joindra une Table alphabétique
et la liste des Souscripteurs .
१
Cet Ouvrage paraîtra sans interruption de mois en mois par
livraison de six planches , terminées au burin avec le texte annexé
au premier et au dernier cahier de chaque Partie. Il sera composé
de 15 à 16 livraisons .
Prix de chaque livraison :
Sur papier colombier ordinaire.
Sur papier colombier vélin .
20fr.
30
Il n'y aura point d'exemplaires avant la lettre ; chaque Souscripteur
recevra les épreuves selon son numéro d'inscription. Une fois
la dernière livraison publiée , l'Ouvrage ne se vendra plus que complet
, et le prix en sera augmenté.
On souscrit , à Paris , chez M. Le Clere , architecte , rue Basse ,
Porte Saint -Denis , nº 30 ; P. Didot l'aîné , imprimeur- libraire , rue
du Pont-de- Lodi , nº 6 ; et chez les principaux libraires de l'Empire .
Les frais d'envoi sont à la charge des Souscripteurs.
VIIe , VIIIe et IXe cahiers de la cinquième souscription , ou 55e ,
56e et 57e de la collection des Annales des Voyages , de la Géographie
et de l'Histoire , publiées par M. Malte-Brun .
Chaque mois , depuis le 1er septembre 1807 , il paraît un cahier
de cet ouvrage , de 128 ou 144 pages in-8°, accompagné d'une estampe
ou d'une Carte géographique , quelquefois coloriée .
Les première , deuxième , troisième et quatrième souscriptions ( formant
16 volumes in-8° avec 48 cartes ou gravures) sont complètes ,
et coûtent chacune 27 fr. pourParis , et 33 fr. frane de port. Les per
JANVIER 1813. 191
sonnes qui souscrivent en même tems pour les cinq souscriptions ,
payent les trois premières 3 fr . de moins chacune .
Le prix de l'abonnement pour la cinquième souscription est de
27 fr . pour Paris , pour 12 cahiers et de 33 fr. rendus francs de
port par la poste . L'argent et la lettre d'avis doivent être affranchis
et adressés à Fr. Buisson , libraire- éditeur, rue Gilles-Coeur , nº 10 ,
à Paris .
Ephémérides politiques , littéraires et religieuses , présentant pour
chacun des jours de l'année un tableau des événemens remarquables
qui datent de ce même jour dans l'histoire de tous les siècles et de
tous les pays , jusqu'au 1er janvier 1812. Troisième édition , revue ,
corrigée et augmentée . Douze vol . in - 8 ° . Prix , 48 fr . , et 60 fr . franc
de port. Chez Lenormant , imprimeur- libraire , rue de Seine , n°8 ;
et chez Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23 .
Double Histoire , ou les Deux Inès , nouvelle espagnole , parM***.
Deux vol . in- 12 . Prix , 3 fr . , et 4 fr. franc de port . Chez Michaud
frères , libraires , rue des Bons-Enfans , nº 34 .
Salon littéraire , rue Vivienne , nº 17 , au premier .
Cet établissement mérite d'être connu par le Public , et particuliérement
par tous les Etrangers ; nous l'avons visité , et nous avons
trouvé un local très-commode , joli , et même élégant; nous avons
particulièrement porté notre attention sur les Ouvrages et Journaux
tant français qu'étrangers , qui s'y trouvent , et nous croyons pouvoir
dire , sans crainte d'exagération , qu'aucun établissement de ce
genre n'offre autant d'avantages réunis ; nous ne doutons point qu'un
tel établissement n'obtienne le plus grand succès.
AVIS .
Nous avons reconnu qu'il était presque impossible de consacrer ,
dans le Mercure , un espace suffisant à la Littérature étrangère : notre
intention est donc de séparer cette partie , d'en composer une Feuille
périodique entièrement distincte .
Ce nouveau Journal formera une espèce d'appendice du Mercure
de France ; il le complétera , en fera le Répertoire des Littératures de
tous les pays.
Il aura pour titre :
MERCURE ÉTRANGER , ou Annales de la Littérature étrangère .
Donner aux Français une connaissance , aussi complète qu'il sera
possible , de la littérature de tous les pays , et sur-tout de celle de
182 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
nos voisins les Espagnols , les Italiens , les Allemands , les Anglais ,
tel sera le principal objet de cette nouvelle Feuille périodique . On ne
peut plus , aujourd'hui , prétendre au titre d'homme de lettres , si
l'on ne possède la statistique littéraire non-seulement de la France ,
mais de l'Europe .
6 Chaque numéro du Mercure étranger contiendra :
1º . Des Mélanges ou morceaux de poésie et de prose , traduits soit
des langues espagnole , portugaise , italienne , russe , suédoise , hollandaise
, anglaise , soit même de l'arabe, du persan , du grec moderne ,
enfin des langues orientales . Nous donnerons , parfois , le texte
même de quelques morceaux écrits dans l'une ou l'autre des langues
étrangères de l'Europe , avec la traduction en regard .
Nous aurons soin d'insérer fréquemment , peut-être même dans
tous les numéros du Mercure étranger , la traduction de quelque
Conte ou Nouvelle. On sait que les Allemands et les Anglais cultivent
avec succès ce genre de littérature .
29. De courtes Analyses des principaux Ouvrages qui paraissent
dans les pays étrangers ; le prix de ces Ouvrages , et les moyens de
se les procurer.
3º. Une Gazette littéraire ou Extrait des Journaux étrangers , contenant
des Notices biographiques , des Anecdotes , des Nouvelles dramatiques
, les Séances des Académies , les Programmes des prix
proposés , etc. , etc.
M. Langlès , membre de l'Institut , conservateur des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque impériale , a bien voulu se charger de la
partie de littérature orientale que contiendra le Mercure étranger ;
MM. Vanderbourg , Sévelinges , Durdent , des traductions de l'allemand
, de l'anglais , etc .; M. Catteau - Calleville , de la littérature
du Nord ; M. Ginguené , membre de l'Institut , de la partie italienne .
Il paraîtra , à la fin de chaque mois , un numéro du Mercure
étranger, composé de quatre feuilles d'impression , de même format
que le Mercure.
Quoique nous regardions le Mercure étranger comme un supplément
presque nécessaire du Mercure de France , nos Abonnés ne
sont point tenus de souscrire à ce nouveau Journal.
L'abonnement au Mercure de France continuera d'être de 48 francs
paran ; mais pour six mois , il sera de 25 fr.; pour trois mois de 13 fr .
Les abonnés au Mercure de France qui voudront aussi souscrire
au Mercure étranger , paieront , en sus , pour cette dernière souscription
, 18 fr. pour un an et 10 fr. pour six mois.
Pour les personnes qui , sans s'abonner au Mercure de France ,
voudront souscrire au Mercure étranger , l'abonnement sera de 20 fr.
pour l'année , et de 11 fr. pour six mois .
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
étranger , au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
àParis.
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
5.
cen
N° DCII . - Samedi 30 Janvier 1813 .
POÉSIE.
INVOCATION,
TRADUITE DU PREMIER LIVRE DE LUCRÈCE.
Omère des Romains , tige en héros féconde ,
Vénus , charme des Dieux et volupté du monde ,
Ton essence remplit et la terre et les mers ;
Les êtres infinis qui peuplent l'univers .
Conçus par ton pouvoir , t'adressent leurs hommages ;
Unseulde tes regards dissipe les nuages ;
Tuparais,et nos champs ornés de mille fleurs
Exhalent sous tes pas les plus douces odeurs ,
Les vents sont enchaines , et la mer immobile
Te sourit sous l'azur d'un ciel pur et tranquile.
Apeine le Zéphir annonce à nos vallons
Le retourdu printems et les rians gazons ,
Les oiseaux dont les coeurs sont pleins de ta puissance ,
Par leurs chants amoureux célèbrent ta présence";
N
194 ١٠ MERCURE DE FRANCE ,
1
Les hôtes des forêts , les agiles troupeaux
Bondissent dans les champs , ou traversent les eaux ,
Et tel est ton pouvoir , divine enchanteresse ,
Que chaque être entraîné par une douce ivresse
'Te cherche avec ardeur , te suit à pas constans
Dans le gouffre des mers , à travers les torrens ,
Sur le flanc caverneux des arides montagnes ,
Ou parmi les bosquets et les vertes campagnes ,
Et qu'embrasé par toi tout ce qui voit le jour
Eprouve le besoin d'un éternel amour.
Puisque sans ton secours , déesse tutélaire ,
Rien ne peut exister et rien ne saurait plaire,
Puisqu'à tes douces lois l'univers est soumis ,
Inspire-moi , Vénus , répands sur mes écrite
Cet attrait séduisant dont toi seule disposes :
Je m'essaie à chanter la nature des choses ,
Et consacre mes vers à notre Memmius
Que tes dous ont paré de toutes les vertus.
Assoupis , cependant , une homicide guerre ;
Trop long-tems ses fureurs ont désolé la terre ;
Toi seule ramenant de plus heureux destins
Peux de tant de malheurs affranchir les humains .
N'est- ce pas à tes pieds que le Dieu des alarmes
Dépose quelquefois le fardeau de ses armes ,
Lorsque fuyant des camps les pénibles travaux ,
Il accourt près de toi goûter un doux repos ?
Profondément atteint d'une flèche brûlante ,
Il penche sur ton sein sa tête languissante ,
Des soupirs prolongés s'exhalent de son coeur ;
Fixés sur toi , ses yeux aspirent le bonheur ,
Et consumé d'amour , dans un baiser de flamme ,
Sur tes lèvres de rose il dépose son ame.
Ainsi , lorsqu'enlacé dans tes bras amoureux
Il presse de son sein ton sein voluptueux ,
Que le charme éloquent qui coule de ta bouche ,
En des momens si doux , le désarme et le touche ,
Pour ton peuple chéri signale tes bienfaits ,
Et comble tous nos voeux en nous donnant la paix.
L
JANVIER 1813 . 195
Ah! dans ces jours affreux , lorsqu'au sein de nos villes
S'allume le flambeau des discordes civiles ,
Oserai-je , au milieu du désordre et du bruit ,
A l'étude des arts me livrer avec fruit ?
Toi-même , ô Memmius , dans la crise publique ,
Pourrais-tu , d'un oeil sec et d'une ame stoïque ,
Pour écouter mes vers oubliant le danger ,
Al'intérêt commun demeurer étranger ?
Que des tems plus heureux brillent pour la patrie !
Puisse ton ame alors de soucis affranchie
Ala saine raison consacrer ses momens ,
Et saisir les secrets que révèlent res chants !
Contre eux le préjugé te préviendapeut-être ,
Mais ne les blâme point avant de les connaître.
:
Prenant mon vol hardi vers la voûte des cieux ,
Je parlerai d'abord de l'essence des Dieux ;
Mes vers t'expliqueront le principe des choses ,
La nature du monde et ses métamorphoses ,
Par quels moyens secrets tout ce qui voit le jour
Produit , formé vivant , se dissout tour- à-tour ,
Et ces corps primitifs , ces actives substances
Qu'on appelle élémens , atômes ou semences ,
Qui toujours en contact , sans cesse en action ,
Sont les seuls ouvriers de la création.
Ne crois pas que des Dieux la puissance infinie
Ordonne aux élémens la marche de la vie ;
Par leur propre vertu , ces esprits immortels
S'enivrent loin de nous de plaisirs éternels .
Dégagés du lien des passions humaines ,
Peu touchés de nos biens , étrangers à nos peines ,
Egalement exempts et de haine et d'amour ,
Leur être se suffit au céleste séjour,
Ou goûtant leur bonheur dans une paix profonde ,
Ils ne se mêlent point de diriger le monde.
La Superstition , monstre fallacieux ,
Jadis asservit l'homme à son joug ténébreux.
Cet être fantastique , assis près du tonnerre ,
Long-tems de son aspect épouvanta la terre.
Na
1
:
196 MERCURE DE FRANCE ,
Lepremier chez les Grecs , un sage (*) observateur ,
Osa sur lui fixer un regard scrutateur.
Ni la crainte des Dieux , ni le ciel qui murmure ,
Ni les foudres vengeurs , effroi de la nature ,
Rien ne put l'arrêter : son courage indompté
N'en fut que plus ardent par l'obstacle irrité .
Dédaignant dans son vol les routes ordinaires
De l'antique univers il franchit les barrières ;
Dans des mondes nouveaux son esprit transporté ,
De l'espace éternel sonda l'immensité ,
Et maître des secrets de la nature innée ,
Il les a révélés à la terre étonnée .
१
C'est lui qui mesura dans son calcul savant
Les bornes de la vie et celles du néant.
Le monstre frémissant d'impuissance et de rage ,
Ason tour succomba sous les efforts du sage ,
Et nous avons béni će triomphe immortel
Qui brise nos liens et nous égale au ciel.
Garde- toi de penser qu'impie et téméraire
Je te fraie au mensonge une indigne carrière.
Ah ! quand de la sagesse et de la vérité
Je découvre à tes yeux la céleste beauté ,
Ecoute sans remords mes préceptes sublimes ;
La raison n'a jamais enseigné l'art des crimes ,
Tandis que trop souvent le vain culte des Dieux
Aservi de prétexte aux maux les plus affreux.
C'est ainsi que les Grecs , aux rives de l'Aulide ,
S'apprêtant aux combats par un lâche homicide ,
Abusèrent jadis du nom des immortels ,
Et du sang le plus pur rougirent leurs autels .
La triste Iphigénie , à la mort destinée ,
Du funeste bandeau la tête environnée ,
Debout , devant l'autel , vit son père éploré ;
Les prêtres devant lui cachaient le fer sacré ,
Et muet de terreur , tout un peuple en alarmes
Se pressait autour d'elle en répandant des larmes .
Ace sombre appareil , sinistre avant- coureur ,
Ses genoux chancelans trahirent sa douleur.
(*) Epicure.
1
JANVIER 1813 . 197
Que lui servit alors que des rois de Mycènes
Le sang issu des Dieux circulât dans ses veines ?
Sa jeunesse , son rang , sa touchante beauté ,
Purent-ils des bourreaux fléchir la cruauté ?
Vain espoir ! dans le temple elle fut entraînée ,
Non comme au jour brillant d'un pompeux hyménée ,
Mais dans cet âge heureux où son front virginal
Devait ceindre bientôt l'ornement nuptial ,
Telle qu'une victime auguste et nécessaire
Qu'à ses barbares Dieux sacrifiait son père ,
Pour obtenir un vent propice à ses vaisseaux ;
Tant la religion peut enfanter de maux !
V
PASCAL .
LES SERMENS TROMPEURS .
CHANSON .
Our , jurer est une folie
Commune au poëte , à l'amant ,
Et le buveur parfois s'oublie
Jusqu'à s'engager par serment.
Mais quand leur bouche les prononce
Tout dit que leurs sermens sont vains ;
Car se peut-il que l'on renonce
Aux amours , aux vers , aux bons vins ?
L'auteur que la nature entraîne
Apeindre gaîment nos travers ,
Voit , en paraissant sur la scène ,
La cabale attaquer ses vers.
Il jure après un tel outrage
De fuir le Dieu de l'agrément ;
Et ce poëte , dans sa rage ,
Aussitôt rime son serment.
L'amant qui souvent exagère
Et ses peines et ses plaisirs ,
Pense toujours voir sa bergère
Prête à former d'autres désirs :
২
198 MERCURE DE FRANCE;
Bientôt il court chez l'infidelle
Jurer de la fuir constamment ,
Et revient aux pieds de sa belle
Jurer d'oublier son serment.
Prêchez l'amant de la bouteille ,
Il vous jurera sans façon
Que jamais la liqueur vermeille
Ne viendra troubler sa raison ;
Mais enfin pour vivre il faut boire.
Il boit un peu , puis amplement ;
Il perd la raison , la mémoire ,
Et vous fait un nouveau serment .
Un proverbe plein de justesse
Nous dit : Quiconque a bu boira.
Moi , je dis qu'un fils du Permesse
A coup sûr toujours rimera.
Je dis qu'aux pieds de sa maitresse ,
Tendre amant toujours reviendra ,
Et qu'à leur frivole promesse
Serabien fou qui se fiera.
ÉNIGME .
Feu M. DE VERNEUIL.
De charmantes erreurs j'ai rempli l'univers ;
Mon front touche à l'Olympe et mes pieds aux Enfers .
Homère est le premier de ma bibliothèque ;
Chaque peuple m'orna de costumes divers
Mais je brille sur-tout habillée à la grecque.
AUG . CH ...... J .... c ( Charente-Inférieure).
LOGOGRIPHE
TANT que mon entier a sa tête ,
Il met à l'abri mainte bête ;
Si tu le prives de sa tête ,
Autour de lui , sur lui , tu verras mainte bête.
GARDAREINS , électeur du département du Lot.
JANVIER 1813 . 199
CHARADE .
L'HOMME riche , sans mon premier ,
Rarement se met en voyage ;
Philomèle sur mon dernier
Dans les bosquets par son ramage
Du printems chante le retour.
Mon entier est le nom d'un sage
Naïf et profond tour-à -tour ;
Dans ses écrits , à chaque page ,
On trouve Thales et Platon ,
Sénèque , Montaigne et Bacon .
V. B. ( d'Agen . )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Araignée.
Celui du Logogriphe est Chaloupe, dans lequel on trouve : poй ,
puce, Pau , loup , poche , loche , eau , Pô , lâche , louche , pal , hoc ,
hou , loch , chape , loupe , poule , coupe , cou , cape , clou , pale ,
Paul , ah , oh , pole , cap et Capoue .
+ Celui de la Charade est Aipsi.
SCIENCES ET ARTS.
COMPOSITION MATHEMATIQUE DE CLAUDE PTOLEMÉE , traduite
pour la première fois du grec en français , sur
les manuscrits originaux de la Bibliothèque impériale
de Paris , par M. HALMA ; et suivie des notes de
M. DELAMBRE . -Un vol. in-4º de plus de 500 pages,
grec et français , avec les figures géométriques dans
le texte , un médaillon , et les instrumens gravés . -
Prix , broché , 50 fr . A Paris , chez Henri Grand,
libraire , rue Saint-André-des-Arcs , nº 51 .
-
CET ouvrage est plus connu sous le nom d'Almageste,
que les Arabes lui ont donné. Il a été annoncé au public
par le Moniteur , nº201 , en 1810 , et l'année suivante
par un Prospectus qui , en citant le jugement avantageux
qu'a porté de cette traduction le jury d'examen
pour les prix décennaux , donne un extrait du rapport
de M. le sénateur comte de la Grange et de M. le che
valier Delambre au ministère de l'intérieur sur l'utilité et
le mérite de ce travail , et expose les motifs de quelques
autres ouvrages dont M. Halma a le projet de faire suivre
celui dont il publie aujourd'hui le premier volume .
,
Nous ne pouvons mieux faire connaître cet ouvrage
et la traduction que M. Halma en a faite , qu'en analysant
la préface qu'il a mise en tête sous la forme d'une
dissertation historique et critique . M. Halma s'y demande
quelle peut être l'utilité du premier et de l'unique
traité mathématique d'astronomie des anciens Grecs , et
celle d'une traduction de ce traité , après les deux versions
latines que nous en avons .
M. Halma répond à la première de ces questions par
les témoignages de Cassini , de Lalande , et des autres
astronomes les plus célèbres , que ce traité étant la base
de l'astronomie moderne , l'étude en est non-seulement
4
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 201
utile , mais encore nécessaire aux astronomes de nos
jours. Il répond à la seconde par des citations de plusieurs
passages des deux versions latines qui sont , les
uns inintelligibles , les autres contraires au sens de
Ptolemée , et il en conclut que, ces deux versions ne
pouvant servir , puisqu'elles sont infidèles , il en faut
une autre qui soit exacte et qui , exécutée en français ,
dont l'universalité a remplacé celle du latin , sera à portée
d'un plus grand nombre de personnes ; et bien loin
de retarder les progrès de l'astronomie , elle les favorisera
en assurant les époques véritables des anciennes
observations auxquelles il faut toujours comparer les
modernes , pour déduire de cette comparaison les mouvemens
moyens avec plus de certitude .
M. Halma trace ensuite , à grands traits , l'histoire de
l'astronomie chez les Grecs , depuis son origine puisée
chez les Chaldéens jusqu'à Ptolemée. Il la divise en trois
âges bien distincts , celui qui a précédé Thalès , celui
de Thalès à Hipparque , et celui d'Hipparque à Ptolemée.
Il entre dans des détails très-intéressans pour la
science , sur les caractères propres à chacun de ces
âges ; il avoue avec franchise les grandes obligations
qu'a eues à Hipparque non- seulement Ptolemée , mais
encore l'astronomie , et il montre combien est injuste
l'accusation intentée contre Ptolemée , de s'être attribué
les travaux d'Hipparque , dont , à la vérité , il s'est servi ,
mais en reconnaissant qu'il les tenait de lui , ce qui doit
par conséquent augmenter le prix de l'ouvrage de Ptolemée,
qui est le seul qui nous les ait conservés , au
moins en grande partie .
M. Halma arrivé au tems où Ptolemée a écrit , dans le
second siècle de l'ère de J. C. , expose le contenu des treize
livres de cet auteur , ce qui donne occasion à plusieurs
discussions très-curieuses , entr'autres sur le catalogue
des étoiles , que l'on prétend être d'Hipparque. M. Halma
Jaisse cette question indécise , et les étoiles aux lieux où
Ptolemée les a placées .
Continuant l'exposé historique de l'astronomie , au
moins dans son rapport avec la composition mathéma
1
202 MERCURE DE FRANCE ,
tique de Ptolemée , M. Halma raconte que cet ouvrage,
dès qu'il parut , fut enseigné dans toutes les écoles de la
Grèce , et fut adopté par les Arabes qui s'empressèrent
de le traduire dans leur langue , sous le nom d'Almageste(
le très -grand ) , qu'ils lui donnèrent , au lieu de
celui de Composition mathématique que son auteur lui
avait donné , pour annoncer qu'on ne pouvait l'entendre
sans une connaissance préalable des mathématiques , ce
qui est cause que M. Halma lui applique ces mots écrits
au-dessus de l'école de Platon : Que nul ne se présente
ici , s'il n'est auparavant géomètre.
Les Arabes portèrent en Espagne et en Italie la version
qu'ils en avaient faite , les juifs l'y mirent en hébreu
, et l'empereur Frédéric II le fit traduire en latin , à
Naples , dans le treizième siècle. Cette version latine
qui se répandit dans tout l'Occident , y porta le goût de
l'astronomie , comme le texte grec et l'arabe en entretenaient
l'étude dans l'Orient et dans le Midi . Toutes les
écoles se mirent à l'expliquer , mais le latin barbare de
cette version , et les difficultés de la matière le firent
abréger par Sacrobosco qui , dans son Traité de la
Sphère , n'en conserva que ce qu'il y a de plus aisé
dans Ptolemée , et l'on s'en tint à cet abrégé en Europe ,
pendant que les Grecs et les Arabes s'épuisaient en commentaires
pour éclaircir le texte de Ptolemée.
Enfin , après la prise de Constantinople par les Turcs
en 1453 , le texte original , non l'autographe de Ptolemée
, ( car M. Halma présume qu'il fut brûlé , en 641 ,
par les Arabes , avec la bibliothèque d'Alexandrie , où
Ptolemée avait enseigné et observé pendant quarante
ans ) mais le manuscrit grec de la Composition mathématique
, fut apporté en Italie où George de Trébizonde
en fit une seconde version latine;mais cet homme , grec,
de nation , et possédant bien sa langue , sans doute ,
n'était pas en état de bien traduire un pareil ouvrage ,
n'étant nullement versé dans les sciences mathématiques .
Aussi les fautes sont tellement multipliées dans cette
seconde version , que Jean Muller Régiomontan crut
devoir y remédier par un abrégé qu'il fit en latin , avec
JANVIER 1813 . 203
,
son maître Purbach et après lui , non de l'Almageste
même de Ptolemée , mais de la version latine du commentaire
arabe que Géber avait fait sur l'original grec .
le
M. Halma le prouve , et de tous ces faits il tire
motif de la traduction française qu'il publie. Il y a été
engagé par les savans les plus respectables . M. Delambre
a revu son manuscrit avant l'impression , il en rend
témoignage dans sa préface , où après s'être étendu sur
les éditions grecques et latines de cet ouvrage , il décrit
les manuscrits grecs sur lesquels il a fait cette traduction.
Il rend compte de l'interprétation de ces manuscrits
, des significations de leurs caractères numériques ,
et à ce sujet il fait une digression très-instructive sur
l'origine de notre arithmétique actuelle et de nos chiffres.
Après avoir parlé de l'ouvrage , il parle de l'auteur ,
du lieu de sa naissance , de sa personne, de ses qualités,
de l'endroit où il habitait , de celui où il enseignait ,
et à cette occasion , il donne une courte description des
écoles d'Alexandrie , du quartier de cette ville dans
lequel elles étaient situées , détails qui ne sont pas indifférens
pour l'astronomie , car il est important , pour les
latitudes , de savoir le lieu précis où Ptolemée observait .
C'est dans la même vue d'utilité que M. Halma a répandu
dans cette préface des descriptions de l'astrolabe et des
armilles d'Alexandrie , ainsi que des autres instrumens
de l'astronomie ancienne . Il les a même fait graver pour
en donner les représentations dans ce volume , au frontispice
duquel il a ajouté un médaillon de l'empereur
Antonin , sous qui Ptolemée a composé son ouvrage ,
avec le revers qui présente le seul globe céleste qui nous
soit parvenu des anciens , et qui existe encore actuellement
au palais Farnèse , à Rome. La parfaite ressemblance
de ce monument avec la figure qu'en offre le
revers de ce médaillon , prouve aux antiquaires que ce
globe est du tems même de Ptolemée , comme la considération
du point où le colure des équinoxes passe sur
ce globe le prouve encore mieux aux astronomes .
M. Halma termine cette savante préface par des ré204
MERCURE DE FRANCE ,
:
flexions sur les difficultés de l'ouvrage de Ptolemée , qui
jusqu'à présent ont empêché d'en donner une traduction
complète , et il met à la suite , pour aider le lecteur dans
le calcul des dates , la fameuse table chronologique des
rois , attribuée à Ptolemée , qu'il a extraite d'un manuscrit
grec de la Bibliothèque impériale de Paris , et une
table des mois alexandrins d'Egypte , avec leurs rapports
à nos mois actuels ; l'une et l'autre avec le grec en
regard du français : c'est ainsi qu'il donnera tout le grand
ouvrage de Ptolemée , dont le second volume est actuellement
sous presse . B.
DESCRIPTION DES MALADIES DE LA PEAU OBSERVÉES A L'HÔ-
PITAL SAINT- LOUIS , ET EXPOSITION DES MEILLEURES MÉ-
THODES SUIVIES POUR LEUR TRAITEMENT ; par J. L.
ALIBERT , médecin de cet hôpital et du lycée Napoléon,
membre de la Société de l'école et de celle de médecine
de Paris , de l'académie royale de médecine de Madrid,
de l'académie impériale des sciences , belles - lettres et
arts de Turin , du collége royal de médecine de Stockholm
, etc. Huitième et neuvième livraisons , in-folio
atlant. , avec figures coloriées .-A Paris , de l'imprimerie
de Crapelet , 1806 .
Le diagnostic est une des branches les plus importantes
de la médecine . Aussi ne cesse-t-on de répéter
qu'une maladie bien connue est à moitié guérie. Pour
acquérir cette précieuse connaissance , le médecin doit
suivre pas à pas la marche de la nature , épier ses plus
légers mouvemens , et déchirer une partie du voile dont
souvent elle enveloppe ses admirables mystères. Tel est
le but que s'est proposé le docteur Alibert , et je me plais
àdire qu'on ne pouvait l'atteindre avec plus de succès et
de gloire . Les huitième et neuvième livraisons de sa magnifique
dermonosographie méritent à tous égards l'açcueil
, ou , pour mieux dire , l'enthousiasme avec lequel
ont été reçues les sept premières. Il semble que les circonstances
les plus heureuses se réunissent pour favo-
Y
JANVIER 1813 . 205
riser les utiles recherches d'un savant philanthrope, qui
consacre toutes ses veilles aux progrès des sciences mé--
dicales et au soulagement de ses semblables . On se rappelle
qu'à l'époque où M. Alibert étudiait avec ardeur
dans les livres les phénomènes de la plique polonaise ,
confinée sur les bords de la Vistule , le hasard vint lui
offrir deux individus atteints de cette singulière maladie,
et lui fournir les matériaux de la meilleure description
qui en ait jamais été publiée , même dans le pays où
elle est endémique . C'est encore le hasard seul qui lui a
présenté deux exemples de pian ; car cette affection terrible
n'existe guère dans les climats où la température
estmodérée. Née au milieu des sables brûlans de l'Afrique
, sur les rives du Sénégal , et dans l'air impur de la
Guinée , elle est le triste apanage des noirs habitans de
la zône torride .
Le docteur Alibert établit deux espèces de pian , le
ruboïde et le fongoïde , et assigne à chacune d'elles des
caractères distinctifs tellement tranchés , qu'il ne sera
plus désormais permis de les confondre. Il prouve que
malgré la différence réelle qui existe entre l'éruption
pianique et la syphilis , le mercure est cependant aussi
efficace , aussi infaillible dans l'une que dans l'autre.
Les ichthyoses constituent une autre famille de maladies
, formées par la dégénération écailleuse des tégumens
. M. Alibert en reconnaît trois espèces , la nacrée ,
la cornée et la pellagre. Le tableau de cette dernière ,
que j'ai souvent observée dans les campagnes de la Lombardie
, est tracé de main de maître par le docteur Alibert
, qui ne laisse rien à désirer sur les causes qui la
développent , les symptômes qui la caractérisent , et le
traitement qui lui convient.
La neuvième livraison est consacrée toute entière à
l'histoire des syphilides , divisées par l'auteur en trois
espèces ( la pustuleuse , la végétante et l'ulcérée ) , qui
se subdivisent elles-mêmes en de nombreuses variétés .
Obligé de me resserrer dans des bornes trop étroites , je
regrette vivement de ne pouvoir même esquisser , avec
le crayon énergique du docteur Alibert , ces exanthemes
:
206 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813.
hideux , ces excroissances et ces végétations fongueuses,
ces ulcères profonds et fétides , qui attristent les regards ,
qui placent sans cesse la crainte à côté des plus douces
illusions de la vie , et qui désenchantent les plus tendres
rapports de notre existence fugitive. Qu'il me soit du
moins permis de signaler en peu de mots le bel ouvrage
que j'ai sous les yeux. Si d'abord j'examine le style , je
le vois toujours approprié au sujet. Sévère , aphoristique,
dans les définitions , il devient élégant , animé , fleuri ,
pittoresque dans les descriptions . Est-il encore besoin
de remarquer , dans une production de M. Alibert , la
pureté de la doctrine et l'exactitude des observations ?
Ne suffit- il pas de dire que par-tout on reconnaît l'illustre
auteur du Traité des fièvres pernicieuses , et des Nouveaux
Elémens de Thérapeutique ? A tant et de si précieuses
qualités viennent se joindre le luxe typographique
, et le chef-d''oeoeuuvvrree ou plutôt les merveilles de
la peinture et de la gravure. Ce superbe travail fait le
plus grand honneur aux presses de M. Crapelet : il
immortalise le pinceau de M. Moreau Valvile , et le
burin de M. Tresca.
F. P. CHAUMETON .
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
HISTOIRE LITTÉRAIRE DE L'ITALIE ; par M. GINGUENÉ .
(TROISIÈME ET DERNIER EXTRAIT. )
C'EST dans le treizième chapitre de son ouvrage que
M. Ginguené commence à traiter de l'épopée héroïque ;
et ce chapitre est spécialement destiné à donner une
idée des principaux poëmes de ce genre qui ont précédé
la Jérusalem Délivrée . Comme ces poëmes sont
moins nombreux que ceux du genre romanesque antérieurs
au Roland Furieux ; comme d'ailleurs le genre
auquel ils appartiennent est fondé sur des idées à-peuprès
communes à toutes les nations cultivées de l'Europe
, cette partie n'a exigé de M. Ginguené ni des développemens
aussi étendus , ni des recherches aussi particulières
que les préliminaires de l'épopée romanesque .
Le treizième chapitre est donc assez court ; mais il contient
néanmoins tout ce qui était nécessaire ou convenable
pour qu'il n'y eût pas de lacune , et pour qu'il y
eût proportion entre les diverses parties de l'ouvrage .
Une esquisse de la vie du Trissino et l'analyse de son
poëme de l'Italie délivrée des Goths en forment l'article
principal . M. Ginguené a glissé plus rapidement sur
quelques autres poëmes , et même sur l'Avarchide de
Alamanni. Ceux qui ont lu ou essayé de lire ces ouvrages
sauront gré à M. Ginguené de la concision avec
laquelle il en a parlé : de tels poëmes n'ont guère en
effet de plus grand mérite , que celui de provoquer naturellement
quelques réflexions utiles sur l'abus et
l'inconvenance d'une imitation directe et servile des
anciens .
A la suite de ces préliminaires , le nom du Tasse se
présente ; et ce nom réveille et rafraîchit subitement
l'attention qui commençait à se fatiguer sur des ouvrages
dépourvus de toute invention et de tout agrément. Si le
1
208 MERCURE DE FRANCE ,
1
Tasse n'est pas le plus grand poëte de l'Italie , ou , pour
mieux dire , celui dont le talent répond le mieux au goût
national des Italiens , il est incontestablement celui de
tous leurs poëtes le plus généralement connu et le mieux
goûté hors de l'Italie , et sur-tout en France. Ce que
M. Ginguené avait à dire de lui forme donc la portion
de son ouvrage , sinon la plus importante par ellemême
, du moins la plus délicate et la plus difficile ,
comme devant rencontrer le plus grand nombre de juges
éclairés ou prétendant l'être. Il suffira d'en donner un
aperçu exact , pour montrer qu'elle n'est en rien infé-"
rieure à aucune des autres parties les plus distinguées
de tout l'ouvrage.
Ce grand article occupe environ les deux tiers du
einquième volume : il est composé des chapitres XIV,
XV, XVI et de la presque-totalité du XVII . Ces quatre
chapitres formeraient à eux seuls un volume d'une étendue
ordinaire : mais il faut considérer qu'il n'y est pas
seulement question de la Jérusalem Délivrée; l'historien
y passe en revue tous les ouvrages du Tasse qui appartiennent
au genre épique , tels que le Rinaldo , la Jérusalem
reconquise, et même les Sept Journées , quoique
ce dernier poëme ne doive point être rangé parmi les
épopées , comme M. Ginguené le dit , avec raison , contre
l'opinion du Crescimbeni .
La vie du Tasse remplit le chapitre XIV. On sait
combien cette vie fut agitée, malheureuse et féconde en
incidens romanesques . Aussi parmi les poëtes italiens
n'y en a-t-il que deux dont l'histoire personnelle présente
autant d'intérêt que celle du Tasse ; je veux dire
Dante et Pétrarque. Encore faut- il remarquer que la vie
du premier ne saurait être complétement éclaircie , faute
de matériaux suffisans ; et que celle de Pétrarque a été ,
en quelque façon , trop constamment fortunée , pour
être aussi piquante et aussi touchante que celle du
Tasse. Il est donc bien naturel qu'il existe un grand
nombre de notices biographiques sur ce grand poëte ;
mais la très-grande majorité de ces notices , outre le
défaut d'être incomplètes , ont le défaut plus grand de
n'être pas suffisamment exactes. L'abbé Serrassi, endon
JANVIER 1813 . 209
SEINE
nant une vie du Tasse ; semblait ne devoir rien laisser à
faire aux biographes futurs ; et pour être juste , il faut
convenir qu'en tout ce qui tient à la patience , à l'exac
titude des recherches , son volumineux travail sur
Tasse est , dans son genre , un des meilleurs et des
intéressans qu'ait produits l'Italie . Mais ce n'est pas
peine , ni sans étonnement que l'on voit combientet
A
estimable écrivain , l'admirateur peut-être le plus - 5. qu'ait jamais eu le Tasse , a néanmoins lais cen
d'obscurité et d'incertitude sur quelques points essentiels
de la vie et du caractère de son héros ; et cela par un
lâche et ridicule ménagement pour des personnages évidemment
cruels et coupables envers le Tasse . Une
biographie de ce poëté qui , dans un cadre borné , ne
laissât rien à désirer , était donc un travail à-la-fois plus
difficile et plus utile qu'on ne l'aurait d'abord présumé
; c'est une raison de plus pour se féliciter que
M. Ginguené ait eu à traiter ce sujet , l'un des plus beaux
de son genre , et qu'il n'ait pu se dispenser de le faire
avec quelqu'étendue . Il a divisé la vie du Tasse en trois
sections ou en trois périodes principales , dans chacune
desquelles il a réuni ce qu'elle offrait de plus important
et de mieux constaté , tantôt faisant ressortir , par des
réflexions nées directement desfaits , les traits principaux
du caractère du Tasse , tantôt éclaircissant , par des
recherches ou des rapprochemens qui n'avaient point
encore été faits , quelques -unes des circonstances les
plus délicates et les plus incertaines des malheurs de ce
grand homme. C'est sur-tout en ce qui concerne les
amours du Tasse à la cour de Ferrare , que M. Ginguené
a cherché avec le plus de sagacité et de soin à dissiper
les obscurités et les doutes ; et il me semble que le sentiment
auquel il s'est arrêté sur ce point doit paraître le
plus vraisemblable .
Malgré la persuasion où je suis qu'il est impossible
d'extraire et de présenter isolément aucun passage de
cet excellent morceau de biographie , sans le dépouiller
d'une grande partie de son effet , je ne puis m'empêcher
d'en citer un que je choisirai de préférence parmi ceux
dont le mérite résulte beaucoup plus des idées et du
0
210 MERCURE DE FRANCE ,
sentiment de l'historien que de l'intérêt même des événemens
. Voici , par exemple , comment M. Ginguené
décrit et explique l'état pénible où se trouvait le Tasse
en discutant les diverses critiques , et les opinions souvent
contradictoires des amis qu'il avait consultés sur sa
Jérusalem Délivrée , au moment de la publier :
<< Avant de le publier (son poëme ) il voulut le sou-
>>mettre au jugement de ses amis les plus éclairés et les
>>plus intimes . Il en fit passer une copie à Scipion de
Gonzague qui était alors à Rome , en le priant de le
>>revoir avec le plus grand soin , et de le faire examiner
>>par tout ce qu'il pourrait réunir d'hommes d'un goût
>> sûr et exercé. Scipion suivit les intentions du Tasse
>> avec le zèle de l'amitié . Il fut secondé par de savans
>>littérateurs qui mirent à cet examen toute leur appli-
>> cation et tous leurs soins . Mais qu'en résulta-t-il ?
>>Presque tous furent d'avis différens sur le sujet , le
>> plan , les épisodes , le style. Ce qui paraissait défaut
>> aux uns était beauté pour les autres . Le Tasse , avec
>> une patience et une docilité infatigables , recevait tous
>> les conseils , les suivait , ou donnait, dans des lettres
>> raisonnées , ses motifs pour ne les pas suivre. Outre
>> ceux qu'il recevait de Rome , il en demandait encore
-à ses amis de Ferrare : il en alla même demander à
>>>Padoue , et revint avec de nouveaux sujets d'incerti-
>> tudes , de corrections et de travaux.
>>Le mouvement que cette sorte d'occupation donne
>>à l'esprit est tout différent de celui qu'il éprouve dans
>>le feu de la composition. En composant , la préoccu-
>>pation est profonde , constante , et s'exerce long-tems
>> sur le même objet : en corrigeant , elle se porte rapi-
>>dement sur de petits détails , sur des objets indépen-
>>dans les uns des autres , qui ébranlent presqu'à la fois
>>>l'imagination , et appellent souvent l'attention en sens
>>contraire . Il résulte du premier travail un état con-
>>templatif , et , pour ainsi dire , extatique , dans lequel
>> tout entier aux objets qu'il invente et aux sentimens
>> qu'il exprime , le poëte est étranger et presqu'inacces-
>> sible à tout ce qui est extérieur ; il résulte du second
>> une espèce d'émotion fébrile , qui ouvre facilement
JANVIER 1813. 211
1
1
,
>>l'esprit à ce que l'on voit ou entend , même à ce que
>>> l'on croit voir ou entendre , à toutes les impressions
>> fâcheuses , aux inquiétudes , aux soupçons , sur-tout
>>lorsqu'on se trouve comme assailli par des conseils
>> contradictoires , forcé de choisir à la hâte , et d'autant
>>plus incertain dans son choix , que l'on est plus mo-
>> deste et qu'on abonde moins dans son sens . C'est
>>précisément la position où se trouva le Tasse . Il avait
>>à la cour des ennemis ; il le savait depuis long-tems ,
>> et ne commença qu'en ce moment à les craindre , etc. >>>
Je ne m'arrêterai pas à faire remarquer en détail tout
ce qu'il y a de justesse dans ces réflexions , et d'à-propos
dans leur application : cela serait certainement superflu
pour les hommes d'un jugement exercé et d'un goût délicat
, et pourrait être fort inutile pour les autres . Je me
bornerai à dire aux premiers qu'ils trouveront dans la vie
du Tasse , par M. Ginguené , beaucoup de morceaux
d'un mérite égal , en des genres divers , à celui que je
viens de citer , et que , dans tout le reste , rien ne fait
disparate avec ces morceaux saillans , parce que tout
est également à sa place , également inspiré par le
sujet.
Mais quelque vif et touchant que soit l'intérêt que l'on
porte à la personne du Tasse , c'étaient cependant ses
ouvrages qui devaient être et ont été , en effet , l'objet
principal des réflexions de l'historien de l'épopée italienne.
Peut- être même la plus haute importance d'une
bonne biographie du Tasse consiste-t-elle dans l'utilité ,
dont doit être nécessairement pour la parfaite appréciationde
son talent et de ses ouvrages une connaissance
approfondie de son caractère et des événemens dont ce
caractère a été la source. Quoi qu'il en soit , tout le
monde sait de combien de discussions et de querelles la
Jérusalem Délivrée a été le sujet ou l'occasion , avec
quel acharnement elle a été attaquée , avec quel enthousiasme
elle a été défendue . Il ne s'agit point ici pour
moi de rappeler ces discussions , et encore moins d'essayer
de faire voir en quoi elles sont motivées et plausibles
, ou gratuites et stériles . Je remarquerai seulement
qu'il paraîtra difficile de prendre et de justifier un
1
02
212 MERCURE DE FRANCE ,
parti entre tant de sentimens contraires dont chacun a
son autorité . M. Ginguené s'est franchement décidé à
ne dissimuler , ni même à ne pallier aucun des défauts
qu'il a cru reconnaître dans la Jérusalem Délivrée ; et
personne , d'un autre côté , n'en a loué avec plus de
force , avec plus de sagacité , j'ajouterai ni avec plus de
plaisir les beautés et les côtés supérieurs . On peut seulement
remarquer qu'il a pris , pour énoncer son jugement
surces deux points , une forme qui semblera peutêtre
assez nouvelle. Au lieu de présenter et de fondre
comme dans un seul et même tableau les beautés et les
imperfections du poëme du Tasse , et de tempérer , en
quelque façon , les unes par les autres , il a donné dans
deux cadres séparés et distincts les éloges et les critiques
, en commençant par celles -ci qui se trouvent , en
grande majorité , réunies dans le chapitre XV , tandis
que le chapitre suivant est spécialement destiné aux
éloges . Cette méthode doit certainement rendre plus
saillante l'admiration comme le blâme; mais c'est peutêtre
là un inconvénient , du moins par rapport aux admirateurs
passionnés du Tasse , et par rapport à ses
dépréciateurs . Les premiers n'aimeront probablement
pas à trouver les défauts de leur poëte favori étalés , pour
ainsi dire , de file ; ils pourront craindre que l'on ne
les trouve plus grands et plus choquans , en les voyant
détachés des beautés auxquelles ils sont mêlés , et dont
il leur semblera même qu'ils font une partie moins heureuse
sans doute , mais jusqu'à un certain point nécessaire
. D'un autre côté , les dépréciateurs du Tasse auront
peut- être quelque peine à concevoir comment un
poëte peut être aussi grand que le Tasse le paraît à.
M. Ginguené , avec des défauts aussi graves que ceux
qu'il découvre en lui. Mais , au fait , il n'y a en tout cela
qu'une chose essentielle , c'est que les éloges et les cri-,
tiques soient justes en eux-mêmes ,bet fondés les uns,
comme les autres sur des raisons qui ne soient point
contradictoires : s'ils sont tels , ils ne se balanceront pas :
moins les uns les autres pour se trouver séparés , qu'ils
ne feraient s'ils étaient entremêlés avec tous les ménagemensiimaginablesь
солод Гура
L
DJANVIER 1813 . 213
Jé crois devoir donner une idée du ton qu'a pris M.
Ginguené pour parler de la Jérusalem Délivrée . Il suffira
pour cela de citer le commencement du XVe chapitre ,
qui forme le début de toute la partie critique du cin
quième volume relative au Tasse .
<< Tandis que nous avons erré dans le pays enchanté ,
>> mais vague , dans les régions immenses , inégales et
>> souvent entrecoupées , de la poésie romanesque , j'ai
>> cru , pour me guider moi-même plus sûrement , et
>> pour ne pas égarer ceux qui voyageaient avec moi ,
>>.>devoir les y conduire toujours avec le fil de l'analyse.
>> C'étaient le plus souvent pour eux des routes nouvelles
>>et inconnues ; et si je puis me permettre une fois ce
>›› style métaphorique que je n'approuve pas toujours ,
>> lors même qu'il nous a fallu entrer dans le labyrinthe
>> délicieux et mille fois parcouru , où le génie de
>>> l'Arioste a semé tant de merveilles , mais dont il a tant
>>multiplié les détours , j'ai cru plus nécessaire que
>> jamais d'employer ce fil secourable . Maintenant que
nous devons marcher dans des plaines vastes encore ,
>> et agréablement variées , mais circonscrites , où s'élève
>> un édifice régulier , je crois pouvoir suivre un autre
>>>plan. Un des plus grands avantages du poëme héroïque,
>> soumis aux règles de l'unité , c'est que l'espritten par
>>> court l'étendue sans embarras , et qu'il s'en relrace faci
>>> lement et nettement le souvenir. roash
M. Ginguené n'avait fait qu'effleurer dans la vie du
Tasse l'histoire de la trop fameuse querelle dont la Jérusalem
délivrée devint le sujet aussitôt qu'elle parut. Il
revient donc sur cette histoire dans la première partie
du chapitre XV , où elle se trouve en effet beaucoup plus
convenablement placée , comme servant naturellement
d'introduction à l'examen critique du poëme. On verra
sans doute avec plaisir qu'il ait abordé le reproche généralement
fait à Boileau du vers célèbre où ce juge rigoureux
passe pour avoir condamné la Jérusalem délivrée.
D'après les éclaircissemens que donne notre judicieux et
impartial historien sur la manière dont ce vers doit être
entendu, d'après les rapprochemens dont il s'aide pour
en déterminer le véritable sens , le prétendu blaspheme
214 MERCURE DE FRANCE ,
de Boileau se réduirait à une critique partielle , modérée
et juste , au lieu d'être un jugement exclusif portant sur
le fond et sur l'ensemble du poëme du Tasse. Je ne saurais
présumer jusqu'à quel point on admettra l'interprétation
donnée par M. Ginguené du sentiment et de l'expressión
de Boileau ; mais on ne pourra , je crois ,
méconnaître la justesse et la force de plusieurs des raisons
sur lesquelles elle est fondée .
C'est encore par d'autres réflexions générales que
notre historien prélude, avec autant de ménagement que
de convenance , à ses considérations critiques sur la
Jérusalem délivrée . Ces réflexions sont trop étendues
pour que je me permette de les citer; mais les lecteurs
instruits et attentifs y remarqueront sans doute avec quel
doute , avec quel art notre historien , avant d'entrer dans
aucuns détails sur les imperfections du Tasse , en montre
d'avance la source première dans des circonstances générales
plus ou moins saillantes , et tendant toutes à
modifier plus ou moins désavantageusement le goût et le
sentiment du poëte. Ce n'est qu'à la suite de ces préliminaires
utiles , et jusqu'à un certain point nécessaires , que
M. Ginguené entreprend de faire voir les fautes les plus
graves auxquelles le Tasse s'est laissé aller dans la composition
de son chef-d'oeuvre. Il rapporte ces fautes à
trois chefs principaux , c'est-à-dire , aux narrations , aux
descriptions , et à l'expression des sentimens et des passions:
٢٠ Sur le premier de ces trois points essentiels , M. Ginguené
pose en principe , d'après les meilleurs exemples
des anciens , et d'après le bon sens , que dans toute narration
poétique on doit regarder comme des défauts toute
particularité inutile et purement accessoire , tout détail
minutieux , toute prétention à des effets exagérés . Il fait
l'application de ce principe au discours dans lequel un
vieillard , ami des chrétiens , raconte aux deux chevaliers
chargés d'aller délivrer Renaud de quelle manière ce
guerrier est també dans les piéges d'Armide' ; il fait trèsbien
sentir les inconvenances mêlées aux beautés de ce
récit , et il n'eût tenu qu'à lui de trouver et de citer d'autres
exemples du même genre de défaut; mais , pour
JANVIER 1813 . 215
م
pouvoir se borner à un seul , il s'est contenté de le choisir
saillant. Ce qui concerne la manière particulière du
T'asse dans les descriptions se trouve développé par
forme d'épisode dans le chapitre suivant , comme j'aurai
tout-à-l'heure l'occasion de l'indiquer. Les critiques les
plus détaillées et les plus nombreuses de M. Ginguené
sur le Tasse sont celles qui s'appliquent aux endroits de
la Jérusalem délivrée où le poëte a eu à peindre les passions
et les situations pathétiques . Il cite un assez grand
nombre de passages où des jeux d'esprit sont mis à la
place du naturel et du vrai; et il avoue franchementqu'il
aurait pu multiplier les citations de ce genre beaucoup
plus qu'il ne l'a fait .
J'avouerai que quelques-uns de ces endroits du Tasse
blâmés par notre historien me paraissent susceptibles
d'être défendus avec avantage : mais on sait, et peut- être
devrait-on savoir encore mieux , combien dans les détails
de la critique il est mal aisé , pour ne pas dire impossible,
de ne rien laisser à la diversité du goût chez les différentes
nations , ni à l'arbitraire des goûts individuels.
L'essentiel dans ces sortes de jugemens , c'est de partir
de principes généralement admis pour vrais et pour sains ,
et que l'application en soit juste et directe dans la grande
majorité des cas où l'on en fait usage. Or il me semble
que personne , à moins d'un aveugle enthousiasme pour
le Tasse , ne méconnaîtra ce caractère et ces conditions
dans la critique de M. Ginguené .
En entrant avec notre éloquent historien dans l'analyse
et le développement des beautés de la Jérusalem délivrée,
on sent et l'on partagé le plaisir qu'il éprouve à pouvoir
se livrer sans contrainte à l'admiration , après s'être débarrassé
de la tâche de critique , tâche qui a toujours
quelque chose de pénible pour les esprits élevés . Dans
cette nouvelle portion de son travail , M. Ginguené débute
par des considérations générales sur le plan , sur
l'esprit de la Jérusalem délivrée, sur les sources premières
de l'intérêt , en un mot sur les diverses parties fondamentales
de ce poëme ; et à mesure qu'ilavance , il entre avec
art et avec méthode dans l'examen plus détaillé de ses
beautés les plus caractéristiques , Ici, les éloges ne sont que
216 MERCURE DE FRANCE ,
rarement et faiblement interrompus par quelques observations
critiques que l'auteur n'aurait pu fondre aussi
bien dans le chapitre XV , quoique spécialement destiné
Jaux observations de ce genre . Pour donner une idée
juste du chapitre XVIe , il faudrait le citer tout entier ;
mais je regrette plus particulièrement de ne pouvoir citer
au moins un parallèle détaillé de l'enchantement de Renaud
dans les jardins d'Armide , avec celui de Roger ,
dans l'île merveilleuse d'Alcine , dans le Rolandfurieux .
C'est un morceau dans lequel tout plaît et tout satisfait ;
le motif , l'exécution et les résultats : dans lequel le
charme du sujet respire , sans rien prendre sur la justesse -
des rapprochemens et des idées . Il est à peine nécessaire
d'avertir que M. Ginguené a dû se trouver , dans ce parallèle
, comme forcé de traduire au moins en partie les
deux fragmens de poëme qu'il voulait comparer , ou plutôt
dont il voulait comparer les deux auteurs : on remarquera
sans doute ces échantillons de traduction ; ils me
semblent prouver qu'il ne serait pas aussi impossible que
l'on est jusqu'à présent autorisé à le craindre , de donner
en notre langue une idée juste de l'Arioste et du Tasse .
Ne pouvant rapporter , ni même analyser cet aimable et
brillant passage de l'histoire littéraire d'Italie , sans excéder
toutes les bornes d'un extrait , je citerai du moins les observations
qui le terminent , et qui en font la transition à
la suite du chapitre.....
« J'ai peut- être fait comme Renaud , dit M. Ginguené;
» je me suis trop arrêté dans les jardins d'Armide . S'il
>> est difficile d'en sortir , il l'est peut-être encore plus d'y
>> conserver assez de raison pour ne s'en pas laisser tout-
১১ à-fait éblouir et pour y distinguer , de la belle et riche
>> nature , les purs effets de la baguette et les mensonges
>> de l'art. D'autres beautés , répandues dans toutes les
>>> parties du poëme , n'exigent point cet effort ; je veux
>> parler de ces, traits sublimes , qui sont en si grand
>> nombre , et qui attestent si évidemment cette tendance
>> habituelle du génie du Tasse vers les hautes régions
>> du beau idéal . On la voit dès l'invocation du poëme
>> adressée à cette muse qui n'a point sur l'Hélicon le
> front ceint d'un laurier périssable , mais qui là-haut ,
JANVIER 1813. 217
i
>> parmi les choeurs célestes , porte une couronne d'or et
>> d'étoiles immortelles . On la voit dans la manière neuve
>> et vraiment sublime dont se fait l'exposition , dans ce
> regard que l'Eternel jette sur la Syrie et sur l'armée chré-
>> tienne , regard qui pénètre au foud des coeurs de tous
>> les chefs , qui nous y fait pénétrer nous-mêmes , et
>>> nous fait connaître ainsi , dès le début , non seulement
>> les personnages , mais les caractères ; enfin , sans par-
>> ler des morceaux et des épisodes entiers , qui semblent
>> dictés par cette aspiration continuelle vers le grand ,
>> le beau et l'honnête , on la voit dans un nombre infini
>> de pensées et de sentimens , quelquefois indiqués par
>> l'attitude seule , ou par l'expression du visage , comme
» lorsque Renaud , averti par Tancrède que Godefroi
>> veut le faire arrêter , sourit avant de répondre , et
>> qu'un couroux dédaigneux éclateà travers ce sourire ;
» quelquefois énoncées dans le style le plus noble et le
>> plus poétique , comme sont ceux de ce vieillard qui
>> montre au même héros , à peine échappé des bras
> d'Armide , notre vrai bien , non dans des plaines
>> agréables , parmi les fontaines et les fleurs , au milieu
>> des nymphes et des sirènes , mais sur la cîme du mont
>> escarpé où habite la vertu . », LD
Le résultat général de toutes les considérations de M.
Ginguené sur la Jérusalem délivrée , c'est que , si ce
poëme ne peut être justement placé au niveau de l'Iliade
et de l'Enéide , il doit au moins tenir à leur suite le
troisième rang , c'est- à-dire le premier parmi les poëmes
épiques modernes ; et tout le monde conviendra avec M.
Ginguené que cette place est assez belle.
Le chapitre XVII termine tout ce qui concerne l'épopée
héroïque du XVI siècle . On sent bien qu'il ne peut
avoir l'intérêt des précédens ; mais il en a cependant un
très- réel : il s'y agit encore du Tasse comme poëte
épique ; c'est là que M. Ginguené parle du Renaud et de
Ja Jérusalem reconquise . On sait que le Tasse n'avait
que dix-huit ans quand il composa le premier de ces
deux poëmes , et que l'autre est un des derniers fruits de
sa muse. Ces deux ouvrages ne sont guère connus parmi
nous que de nom; mais en lisant M. Ginguené on pourra
218- MERCURE DE FRANCE ,
se convaincre qu'ils mériteraient de l'être en effet , ne fûtce
que pour le plaisir d'y observer les diverses phases
du génie épique du Tasse , son développement précoce ,
sapleine maturité dans la première fleur de l'âge , et sa
décadence également anticipée . LaJérusalem reconquise,
sur-tout , est intéressante à étudier : l'examen des sentimens,
des vues et du but dans lequel fut composé ce
poëme , estune source féconde de remarques utiles en
elles-mêmes , et nécessaires pour pénétrer aussi avant
que possible dans tous les secrets de la force et des côtés
faibles du génie du Tasse .
Après avoir si dignement et si soigneusement apprécié
ce grand poëte , M. Ginguené ne s'arrête plus qu'à
une seule production du XVIe siècle , dans le genre de
l'épopée héroïque ; et encore ne s'y arrête-t'il qu'autant
qu'il le faut pour en donner une notion très- sommaire .
Cette production est un poëme de 30,000 vers , intitulé :
IlFido Amante , et dont l'auteur est Curzio Gonzaga.
Je ne connais ce poëme que par ce qu'en dit notre historien
; et ce qu'il en dit donne peu de désir de le connaître
plus particulièrement . Il paraît que c'est un de ces
ouvrages dont tout le mérite se réduit à n'être pas ridicules
, ni aussi mauvais que possible .
Me voici arrivé à la fin de la 2º livraison de l'Histoire
Littéraire de l'Italie ; et j'y arrive avec le regret de n'avoir
pu endonner une idée aussi complètte que je l'au
rais souhaité . Mais on m'excusera sans doute , en songeant
que cet ouvrage est au nombre de ceux qui échappent
par leur importance , autant que par leur étendue ,
aux analyses les plus détaillées qu'admette le cadre d'un
journal .
C. F.
;
১
JANVIER 1813. : 219
ALMANACH DES MUSES , ou Choix de Poésies fugitives de
1812. Paris ( 1813 ) . - Chez F. Louis , libraire , rue
de Savoie .
1
De tous les recueils de vers qu'on publie au renouvellement
de l'année , l'Almanach des Muses est le plus
ancien ; et c'est en général celui qui offre le meilleur
choix . Le volume qui vient de paraître est le XLIX de
la collection . Ilest , comme les précédens , imprimé avec
soin , orné d'un titre gravé et d'une vignette.
Malgré la décadence dont on accuse avec plus ou moins
de raison la littérature actuelle , on voit en lisant ce recueil
que les genres les plus élévés ne sont pas abandonnés .
Parmi les pièces qu'il renferme , il en est quelques-unes
qui auraient peut-être honoré notre poésie dans tous les
tems . D'autres , en assez grand nombre , se distinguent
dans des genres différens , soit par l'originalité du sujet ,
soit par des pensées ingénieuses , soit par le mérite de la
versification . Il est vrai aussi que beaucoup d'autres ne
méritent pas d'être distinguées , et qu'elles offrent, à tout
prendre , plus de défauts que de mérite réel. Mais le devoir
de l'éditeur était- il de n'imprimer que des morceaux
excellens ? Non ; tout ce qu'on pouvait exiger de lui , c'est
qu'il offrît une élite des poésies fugitives publiées dans
l'année. Il n'a omis aucune de celles qui méritaient
d'être conservées , et qui pouvaient entrer dans son recueil
sans nuire à la variété piquante qu'il a su lui donner.
Ce n'est point sa faute si ce recueiln'en renferme
pas davantage , et l'on n'a point de reproches à lui faire .
Plusieurs de nos dames poëtes ont enrichi de leurs
productions ce volume de l'Almanach des Muses . On y
remarque d'abord une Epître sur la rime de Mme de Salın ,
dont le style nourri de pensées à une fermeté qu'on
trouve rarement dans les ouvrages de son sexe . J'en
citerais avec plaisir des fragmens remarquables , si cette
épître était moins connue . Par la même raison , je crois
qu'il suffira de nommer l'élégie de Mme Dufresnoy , intitulée
: la Promesse à ma mère . Cette pièce , publiée
dans le charmant recueil des poésies de l'auteur , a été
220 MERCURE DE FRANCE ,
réimprimée et jugée plusieurs fois . Si l'on a pu y découvrir
des négligences , on n'a pu s'empêcher d'y louer la
délicatesse des pensées et la douceur d'une versification
naturelle et harmonieuse , véritable mérite du genre . Le
naturel et la facilité sont aussi ce qui distingue cette
idylle de Mme de Mandelot , qui n'étant pas , je crois ,
connue , mérite d'être citée .
Déjà les troupeaux languissans
Quittent ce valon solitaire ;
Et de nos bosquets jaunissans ,
La froide haleine des autans
Fane la parure légère
Dont les couronna le printems .
Les aquilons , par intervalle ,
Remplacent les tièdes zéphyrs ;
Et l'Aurore , au front triste et pâle ,
Rappelle en vain les doux loisirs
Sur la cabane pastorale.
;
12
Un brouillard sombre et nébuleux ,
D'une teinte mélancolique ,
Flétrit le tableau romantique
Que j'ai sans cesse sous les yeux.
Ces hameaux , ces vastes campagnes ,
८
Me semblent maintenant déserts :
Bientôt le sommet des montagnes
Sera blanchi par les hivers .
Déjà la rose pâlissante ,
Que le zéphyr caresse en vain , ...
Sur sa tige faible et mourante.
Penche son calice incertain .
;
1
Déjà tout languit sur la terre ,
Et l'arbre au front majestueux ,
Qui naguère ombrageait ces lieux ,
Voit se rouler sur la poussière
Sa dépouille errante et légère
Qu'entraîne l'aquilon fougueux..
1
Triste image de notre vie
Et de l'inconstance du sort !
ر
)
)
t
JANVIER 1813 . 221
A
Par-tout la nature est flétrie
Par le souffle bruyant du Nord.
L'homme , qui bientôt cesse d'être ,
Comme elle , subit le trépas ;
Mais le printems la fait renaître ,
Et nos jours ne reviennent pas .
Cette jolie pièce offre , sur-tout dans sa première moitié
, des images choisies avec goût , et des vers d'une
douceur et d'une élégance parfaites ; mais on désirerait
qu'elle finît par une pensée moins commune , ou que
cette pensée fût rajeunie par des expressions plus neuves
et plus poétiques , telles qu'on en trouve quelquefois
dans un autre morceau de ce recueil qui a pour titre :
A mon Laurier ; et dont l'auteur ( qui débute sans doute
dans la carrière des lettres ) , est Mlle Iphigénie de Végabre
.
Passerai-je de nos dames poëtes aux bonnes femmes
de M. Ducis ? Il y a loin des unes aux autres . Mais , ce
qui rapproche un peu la distance , c'est que ces bonnes
femmes là sont les compagnes des deux Corneille.
M. Ducis peint ces hommes fameux dans le paisible intérieur
de leur ménage . Son style est simple comme son
sujet : on y sent une bonhomie qui charme dans l'énergique
auteur de Macbeth , et il plaît malgré les longs circuits
d'une versification verbeuse et un peu traînante ,
mais pleine d'abandon et de facilité .
Cette facilité dangereuse , à laquelle un grand talent
lui-même s'abandonne trop quelquefois , est un écueil.
pour mille autres qui n'offrent pas les mêmes dédommagemens.
Jepourrais en citer de bien nombreux exemples ,
et je n'aurais pas besoin d'aller en chercher ailleurs que
dans le volume que j'examine. Mais je préfère montrer
comment la facilité peut s'allier à la précision des idées
et à la correction du style. L'Optimiste de M. Vigée me
semble réunir ces conditions .
On me dit qu'un homme est un sot ;
Amédire l'esprit invite :
Qu'il sait à peine dire un mot ;
Atrop parler savoir excite :
-
1
222 MERCURE DE FRANCE ,
Qu'il est avare ; - vice affreux ,
Mais dont un héritier profite :
Qu'il est prodigue ; - au dernier gîte
Arriver nu n'est pas fâcheux :
Qu'il est querelleur ; - on l'irrite :
Qu'il est poltron ; - on meurt si vite !
Qu'il est intrigant ; eh ! tant mieux ;
L'intrigue tient lieu de mérite :
い
Qu'il est égoïste ; - de soi
Il est bien juste qu'on s'occupe :
Qu'il est défiant ;- je conçoi
Qu'on ait toujours peur d'être dupe :
Qu'il est flatteur; - franc-parler nuit :
Qu'il est gourmand ; - bon mets séduit:
Qu'il a penchant vif pour la femme ;
-Dieu dit : Aimez votre prochain :
Qu'ambition poigne son ame ;
- Chacun veut faire son chemin :
Qu'il est paresseux ;- ne rien faire
Estassez doux : qu'il est colère ;
-On est souvent contrarié :
Qu'orgueil enfle son caractère ;
- On l'a sans doute humilié .
,
Ainsi dans l'oeuvre de nature
J'approuve tout , ne blâme rien
Etm'estime heureux de conclure
Qu'en ce bas monde tout est bien.
1
Je lis quelques pages plus loin un excellent dixain de
M. Lemercier , qu'on me saura gré de transcrire , et que
je transcris avec d'autant plus de plaisir qu'il me rappelle ,
et qu'il rappellera sans doute à ceux qui ont comme moi
l'avantage de connaître personnellement l'auteur d'Agamemnon
, l'originalité , le sel de sa conversation ingénieuse
et piquante .
Le grand Ronsard au Pinde fit des lois ;
Des preux de cour il chanta l'héroïsme ;
En beaux sonnets rima son latinisme ,
Et pour Francus , maints nobles vers gaulois .
Belles du tems goûtaient son hellénisme ;
Savant flatteur , il fut flatté des rois ;
:
JANVIER 1813 233
Tant qu'il vécut , on vantait sa mémoire.
Que de succès et d'honneurs n'eût-il pas !
Lorsqu'il mourut , princes , dames , prélats ,
En grande pompe enterrèrent sa gloire .
Je pourrais citer encore plusieurs morceaux détachés ,
puisque ce recueil offre les noms célèbres de MM. Andrieux
, Arnauld , Parny , Millevoye , etc .; mais je me
hâte d'arriver à des pièces d'une plus grande étendue .
Deux sur-tout m'ont beaucoup frappé , et méritent selon
moi une distinction particulière . L'une est l'ode de M. de
Cormenin à la Nymphe de Blanduse ; l'autre , une ode
sur le Tasse , qui a mérité le premier prix de poésie au
jugement de l'Académie des Jeux-Floraux , et dont l'auteur
est M. Victorin-Fabre . L'on me pardonnera sans
doute de m'étendre davantage sur ces deux pièces , en
raison de leur mérite et de la difficulté du genre . Voici
le début de la première .
O fontaine sacrée , ô toi qui me vis naître ,
Nymphe de ce beau lieu !
Il faut nous séparer , et je te dis peut-être
Un éternel adieu .
Vespasien m'enlève à mon humble fortune ;
Belle nymphe , je pars ;
Que la pompe des cours va sembler importune
Ames tristes regards !
Quand les Muses en deuil , loin de Rome exilées
S'enfuyant aux déserts
Sur le penchant des monts , dans le creux des vallées ,
Soupiraient leurs concerts ;
Tu me vis rechercher , ô Nymphe de Blanduse !
Loin de la cour des rois ,
La fraîcheur de ses bords , le doux loisir des muses ,
Le silence des bois .
Je cachais mon bonheur dans ta vallée obscure ,
Et du monde oubliés ,
Tous mes jours s'écoulaient , comme cette onde pure
: Qui s'enfuit à mes pieds .
On reconnaît ici l'école des anciens . Quel naturel !
224 MERCURE DE FRANCE ,
Quelle fraîcheur ! Que ce style est doux et harmonieux !
et que ces stances tombent avec grâce et avec mollesse !
En voici cependant quelques autres qui ont encore plus
de charme , et que l'ame du poëte semble lui avoir inspirées
encore plus que son esprit.
1
1
1
Que l'ombre a de fraîcheur près de ce roc sauvage
Où ton ruisseau naissant
Murmure à petit bruit , et baise le rivage
De son flot caressant !
C'est là que , respirant sous d'épaisses yeuses
Le parfum du matin १
Je pressais le retour des heures paresseuses ,
Une lyre à la main.
1
Que demandai-je au ciel dans mon humble prière ?
De vivre sous les lois ,
Et de mourir aux lieux où je vis la lumière
Pour la première fois .
Qui , lorsqu'au noir empire il m'eût fallu descendre ,
Ton limpide ruisseau
De son léger murmure eût réjoui ma cendre
Sous l'herbe du tombeau .
Nous sommes devenus fort difficiles et même un peu
dédaigneux . Des poëtes se sont fait autrefois une assez
grande réputation avec un petit nombre de stances qui
ne valaient peut-être pas celles-là. Si toutes les parties
de cette ode étaient égales en mérite , sur-tout si je ne
croyais pas y voir un certain vague dans les idées , je la
regarderais comme une des plus remarquables qu'on ait
faites dans ce genre , où la poésie lyrique , proportionnant
son ton au sujet , n'exige que des images et des
émotions douces , un style élégant , flatteur pour l'oreille
et d'un éclat tempéré .
1
Celle de M. Victorin- Fabre est d'un autre genre ; c'est
véritablement l'ode dont parlait Jean- Baptiste Rousseau ,
lorsqu'il a dit qu'elle était le champ du sublime et du
pathétique . M. Victorin- Fabre doit beaucoup , sous ce
dernier rapport , au sujet qu'il a choisi. Cependant ce
n'est pas un sujet , quel qu'il soit, qui peut donner ces
1
JANVIER 1813 . 225
SEINE
A
mouvemens vrais et pathétiques qui sont l'ame de la
poésie , et qui vivifient toutes les parties de son ode
sur le Tasse. Mais ce sujet difficile par son abondance
et sa variété , a dû lui faire éprouver quel avantage
c'était pour un talent tel que le sien d'avoir à resserrer
tant de choses et des choses si différentes , dans de si
étroites limites .
Voici son début où l'on est d'abord frappé de cette
idée si heureuse de se servir de l'intervention d'Homère ,
pour rapprocher le tombeau de Virgile du berceau du
Tasse :
L'aigle immortel de Méonie ,
Le chantre d'Achille et d'Hector ,
Sur les campagnes d'Ausonie
Adéployé ses ailes d'or :
Au sacré ( 1 ) tombeau de Virgile
Il vole , du laurier fertile
Cueille le plus jeune rameau ;
Et vient dans les murs de Sorrente
Parer de sa feuille odorante
Le front d'un enfant au berceau .
Apeine tes jeunes années
Auront fui sur l'aile du tems ,
Enfant aux nobles destinées
La gloire applaudira tes chants .
Telle , sous le ciel de Golconde ,
La tige naissante et féconde
S'enrichit d'heureuses primeurs ;
Le jour le plus pur la colore ,
Et les fruits qu'elle fait éclore
Devancent la saison des fleurs .
:
J'entends le clairon héroïque .
-Clorinde , Tancrède , Aladin ,
L'Asie et l'Europe et l'Afrique
Se choquent aux bords du Jourdain.
1
(1) Sacrés murs que n'a pu conserver mon Hector.
(RACINE , Andromaque.)
P
1
226 MERCURE DE FRANCE ,
Dans les profondeurs du Tartare ,
La trompette rauque et barbare
Appelle aux combats les enfers (2) ;
Et des milices immortelles
L'archange aux flamboyantes ailes
Guide les drapeaux dans les airs (3) .
Nous n'avons encore vu que trois strophes , et déjà
une image grande et neuve nous a montré Homère cueillant
le plus jeune rameau du laurier qui ombrage le
tombeau de Virgile , et en couronnant le front du Tasse
au berceau . Une comparaison charmante a exprimé ce
qu'il y eut de prématuré dans son génie . D'autres images
ont mis sous nos yeux le poëme qui l'a illustré , les principaux
personnages qu'il y fait agir , le genre de merveilleux
qu'il y emploie , et le ton du poëte a déjà changé
plusieurs fois comme son sujet , d'abord grave et solennel
, puis riant et gracieux , enfin énergique et fier .
C'est avec la même variété de tons et la même rapidité
de marche que M. Victorin-Fabre continue jusqu'à la
fin de son ode . Après qu'il a peint les amours d'Armide
et de Renaud , une heureuse allusion le conduit naturellement
des ouvrages du Tasse aux événemens de sa vie ,
dont les circonstances ont l'intérêt d'un roman . Il choisit
les principales qui rappellent toutes les autres , et de
nouvelles allusions à la Jérusalem montrent encore dans
le Tasse amoureux , persécuté , insensé , le brillant auteur
dont le chef- d'oeuvre a illustré l'Italie . Si je pouvais
analyser toute l'ode de M. Victorin-Fabre , j'insisterais
sur la nouveauté et le mérite de ce plan , avec d'autant
plus de confiance , que je l'ai entendu beaucoup louer
par des personnes dont l'avis est du plus grand poids
dans ces matières . C'est , comme on pense bien , en retraçant
la vie du Tasse , sa gloire , ses malheurs , son
triomphe , ou plutôt les apprêts de son triomphe , que
(2) Chiama gli habitator de l'ombre eterne
Il rauco suon de la Tartarea tromba , etc.
(3) Canto XVIII.
CANTO IV.
JANVIER 1813 .
227
le poëte s'élève à ces mouvemens passionnés , et à ce
pathétique dont je parlais tout-à-l'heure. Pour justifier
mon opinion , j'en donnerai un exemple . M. Victorin-
Fabre a peint le Tasse dans cette prison où il perdit la
santé , et , qui pis est , la raison.
De longs regrets , un coeur de flamme
Restent seuls au Tasse éclipsé.
Sans m'arrêter à la beauté poétique de cette dernière
expression et à l'apostrophe éloquente adressée au duc
Alphonse , auteur des malheurs du Tasse , je passe encore
une strophe où le poëte montre le Tasse retrouvant
la liberté , la raison , et Rome préludant par des chants
de gloire au triomphe qu'elle lui destine.
Oui , Rome ! devance l'histoire ,.
Venge le Tasse , il vit encor :
Hâte-toi ... Sur le char d'ivoire
Porte-lui la couronne d'or .
Qu'une pompe auguste et chrétienne
Rende à la roche tarpéienne
Ses vieux triomphes abolis .
Et toi , Capitole sublime ,
Ouvre à l'Homère de Solyme
Tes portiques enorgueillis !
2
Ace premier mouvement d'enthousiasme et de joie en
succède à l'instant un autre de douleur et d'effroi . Le
Capitole ! s'écrie le poëte , et il se suppose , il paraît se
croire lui-meme sur la route que le char triomphal devait
parcourir ; trois fois l'airain sonne. Un saint temple
s'ouvre , il entre , et lit sur la pierre : les os du Tasse
sont ici . Torquati Tassi ossa hic jacent.
1
Qui que tu sois , mortel célèbre ,
Qu'opprime un sort injurieux ,
Devant cette pierre funèbre
Apprends à pardonner aux dieux.
Cet astre que le Perse adore
,
Et que le Samoyède implore
Dans la longue nuit des hivers ,
Céleste image du génie ,
P2
228 MERCURE DE FRANCE ,
Voit-il sa lumière impunie
Eclairer en paix l'univers ?
Non , non , vaincu par la tempête ,
Au sein de l'Empire étoilé ,
Souvent le dieu cache sa tête ,
Lumineux encor , mais voilé .
Entouré de flammes livides ,
Au fond des ténèbres humides ,
Il semble décroître et pâlir :
Sous le voile impur qui l'outrage ,
Il marche d'orage en orage ,
Et la nuit vient l'ensevelir . "
O Tasse ! voilà ton histoire ,
Ta mort , ton immortalité , etc.
Je ne connais guères de poésie plus riche , plus réellement
inspirée , ni de peinture qui fasse mieux voir
l'objet qu'elle retrace et produise plus d'illusion . Voilà la
véritable marche lyrique et le vrai style du genre .
Souvent le dieu cache sa tête ;
Lumineux encor , mais voilé ,
Est sur-tout une image sublime . La strophe qui suit en
présente encore une autre plus vive et très-touchante .
Mais , puisqu'il s'agit de pathétique et de grands mouvemens
, je passe , sans m'arrêter sur les beautés d'une autre
sorte , à celui qui termine l'ode par l'expression d'une
magnifique pensée. M. Victorin-Fabre , ramené par un
retour lyrique aux derniers momens du Tasse , entend
l'auteur de la Jérusalem ordonner qu'on brûle ce chefd'oeuvre
expié par tant d'infortunes , et demander avec
prière d'être enseveli sans pompe dans l'église du couvent
de Saint- Onuphre ; d'y cacher sa cendre à la gloire
et à ses persécuteurs .
Le temple obscur d'un monastère
Cachera mes pâles débris .
JANVIER 1813 .
229
Il voit cet illustre infortuné qui , dans le dernier asyle
de la vertu poursuivie ,
Sous la pierre étroite et modeste
Redoute encor l'éclat funeste
D'un nom payé par tant de pleurs .
Sa sensibilité se trouble . Il croit voir dans la destinée du
Tasse celle de tous les grands hommes; il s'écrie en
montrant son tombeau :
Hélas ! quand déjà l'espérance
Lui promet des lauriers lointains ,
Si le grand homme à son enfance ,
Pouvait lire dans ses destins ! ...
Quel tableau s'offrirait à ses yeux ! comme il repousserait
avec terreur leflambeau du génie ! Là , le poëte s'arrête ,
et se hâtant d'étouffer le sentiment d'effroi qu'il n'a exprimé
qu'à demi , il termine brusquement par cette noble
apostrophe qui rappelle tout son sujet, et donne un
autre cours aux idées :
O toi dont la gloire est l'idole ,
Va d'un pas ferme au Capitole ....
Ne regarde pas ce tombeau .
Ce sont- là des beautés du premier ordre , sur lesquelles
il est inutile d'insister .
-
(La suite au prochain numéro . )
VARIÉTÉS .
-
"
SPECTACLES . Théâtre Français . Les Comédiens
français avaient tort de ne pas mettre plus souvent en
scène des ouvrages nouveaux ; tous ne réussissaient pas , je
le sais : mais à quelle époque de la littérature toutes les
nouveautés ont-elles obtenu un égal succès ? Nous jouissons
aujourd'hui du fruit de deux siècles de travaux , sans
songer à l'immense quantité de mauvais ouvrages que le
parterre a dû réprouver ; le seul catalogue des pièces de
théâtre sifflées depuis le Menteur , formerait un gros vo
230 MERCURE DE FRANCE ,
lume; c'est en essayant beaucoup de pièces que l'on finit
par en trouver qui sont dignes de rester au répertoire .
Les gens les plus exigeans ne pourraient maintenant accuser
les acteurs du Théâtre-Français : tout ce que l'on
peut désirer , c'est que leur zèle se soutienne ; en douze
jours ils ont représenté deux nouveautés : l'Avis aux
Mères , comédie en un acte de M. Dupaty , dont nous
avons promis à nos lecteurs de parler dans ce numéro , et
Tippoo-Saeb , tragédie en cinq actes et en vers , de M. de
Jouy , représentée avec succès mercredi dernier . Ces deux
auteurs , connus par de nombreuses productions sur d'autres ⚫
théâtres , débutent ensemble sur la scène française ; le bonheur
qui a signalé leurs premiers pas , doit les engager à
consacrer au public le fruit de leurs veilles .
Sur une seule représentation , je pense qu'il est difficile
de porter un jugement raisonné , sur-tout quand il s'agit
d'un ouvrage aussi important qu'une tragédie en cinq
actes ; je demande donc à mes lecteurs la permission de
ne les entretenir aujourd'hui que de la jolie comédie de
M. Dupaty.
Deux mères , jeunes encore , sont restées veuves chacune
avec un enfant ; l'amitié la plus tendre les unit , quoique
leur caractère et leur manière de vivre soient diamétralement
opposés. Mme de Mireval a consacré son tems à
l'éducation d'Armand , son fils unique , qui a puisé les
meilleurs principes dans la fréquentation de quelques
amis estimables , avec lesquels sa mère a conservé des
relations ; le lecteur voit déjà que Mme de Mireval est
une femme raisonnable , à laquelle M. Dupaty a opposé
une femme étourdie , Mme Derlon . Celle-ci , mère d'une
jeune fille , l'a placée dans un pensionnat fameux , et se
livre avec ardeur à tous les plaisirs que le monde offre
encore à une femme de son âge ; l'auteur en a tiré la conclusion
qui n'est pas toujours juste , que la fortune de
Mme de Mireval est en bon état , et que Mme Derlon doit
être ruinée . On peut fréquenter le monde , en recevoir
chez soi sans se ruiner; on peut mettre sa fille dans une
pension sans être une mauvaise mère , et ce que l'on appelle
le monde serait chose assez ennuyeuse , si l'on
ne rencontrait que des dames de Mireval. D'ailleurs les
traits contre les pensions de demoiselles commencent à
être bien émoussés ; on peut même dire qu'ils manquent
de justice depuis qu'une sage administration a proscrit de
ces maisons d'éducation ces fameuses distributions de prix ,
une
JANVIER 1813 . 231
objets de tant de plaisanteries , et dont on avait peut-être
exagéré le ridicule , afin d'en amuser le public .
Quoi qu'il en soit , arrive l'époque de la fête des deux
mères : chacun des enfans veut la célébrer ; le jeune
homme , qui n'a pas d'argent parce que sa bourse est ouverte
à tous ses amis , emprunte cent louis par le moyen
d'un valet fripon , démarche un peu hasardée de la part
d'un jeune homme si rangé , et qui se trouve superflue ,
puisque la bonne mère avait chargé un ami de lui remettre
une somme égale . Julie , la jeune personne , se munit de
couplets , de bouquets , mais les apprêts de la fête sont
interrompus par un huissier qui vient saisir chez Mme
Derlon , pour une somme de vingt mille écus . On sent
que Mme de Mireval offre à son amie ses économies pour
la tirer d'embarras ; Mme Derlon accepte , mais pour que
ce service lui soit doublement utile , elle laisse quelque
tems sa fille dans l'inquiétude , et lui apprend enfin la générosité
de Mme de Mireval. Le mariage des jeunes gens
convertit tout le monde ; mais la conversion de Julie est
bien subite , et je crains que dans son ménage elle ne
conserve les habitudes de sa jeunesse .
Le style est la partie la plus brillante de cet ouvrage : si
je voulais citer tous les vers comiques ou spirituels , je dépasserais
à coup sûr les bornes d'un article ; on s'aperçoit
que l'auteur a fait des portraits d'après nature ; c'est encore
un avantage qu'il a sur quelques-uns de ses rivaux ,
qui peignent le monde sans l'avoir vu , et s'exposent ainsi
à fronder des ridicules qui n'existent pas .
Le reproche que l'on fait à cette comédie n'est pas commun
, et on peut en absoudre l'auteur à cause de la
rareté : on y trouve , dit-on , trop d'esprit. Il est beau de
pécher par ce côté , et à peine ai-je le courage de me
joindre aux critiques , tant cette faute est aimable .
Il est superflu de dire que la pièce est bien jouée ,
puisque les rôles sont remplis par MM. Fleury , Armand ,
Baptiste cadet , Thénard , et Mesdames Mezerai , Mars ,
Leverd et Emilie Contat . B.
POLITIQUE.
Les dernières nouvelles anglaises nous ont donné connaissance
d'une lettre de lord Wellington aux différens
chefs de son armée , lettre dans laquelle il leur reproche
avec vivacité l'état d'indiscipline dans lequel ils ont laissé
tomber l'armée dans sa retraite , dans une saison et dans
des pays où elle n'éprouvait aucun de ces besoins forcés
qui justifieraient quelques excès . Cependant du moment
où l'armée a quitté Burgos , les officiers ont perdu toute
espèce d'autorité , des outrages de toute espèce ont été
commis avec impunité , et l'armée a souffert des pertes
qu'elle n'a pu attribuer qu'à son indiscrétion et à sa
mauvaise conduite . Les marches étaient courtes , les
haltes fréquentes , les officiers n'ont rien fait pour réprimer
les excès . Ces officiers sont braves sans doute ,
mais sans instruction , sans expérience de la guerre. Ils
croient que le tems du service actif est celui du relachement
dans la discipline , ils tombent ainsi dans une
erreur bien dangereuse ; car c'est dans le tems du service
actif qu'aucun soin ne doit être négligé pour la conduite du
soldat , l'inspection de ses armes , des munitions , de la
nourriture de l'homme et du cheval , si l'on veut qu'une
armée , et sur-tout une armée anglaise , soit en état de faire
face à l'ennemi un jour de bataille.
Après s'être exprimé dans ces termes assez significatifs ,
lord Wellington donne les ordres qu'il croit propres à réprimer
les ſautes dont il a eu à se plaindre ; il est à remarquer
que dans tout ce qu'il ordonne , il s'appuie principalement
de l'exemple de l'armée française , des officiers , du
soldat français , dans telle ou telle partie du service . Les
moyens que le général indique sont les seuls , dit-il , qui
puissent rétablir la discipline de l'armée , et la rendre
propre à un service actif dans la campagne prochaine .
Lord Wellington a fait un voyage à Cadix. Les Français
ont réoccupé Bilbao . L'expédition pour l'Amérique Septentrionale
est de huit vaisseaux de ligne . L'escadre de
Pamiral Rogers croise toujours à la hauteur des Açores .
Les corsaires- américaiinnss continuent de poursuivre sans
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 233
relâche les bâtimens de commerce , et sont beaucoup plus
heureux dans cette chasse que ne pourrait le faire présumer
le nombre des vaisseaux de guerre anglais destinés à protéger
ce même commerce.
Le prince-régent a répondu par une déclaration solennelle
au discours de M. Maddisson au congrès . Cette pièce
diplomatique est d'une étendue extraordinaire , et il est
inutile de dire par quels raisonnemens le prince- régent
•cherche à prouver que l'Amérique a tort de vouloir défendre
son pavillon insulté , son territoire violé , et les matelots
pressés . Le prince témoigne sur-tout un vif mécontentement
de ce que dans tous ses actes l'Amérique traite
la France avec des ménagemens remarquables , quoiqu'elle
témoigne du mécontentement sur certains points en discussion
.
Tandis que toutes les expressions de la haine et d'une
animosité sans exemple sont réservés à l'Angleterre de la
part du gouvernement américain , le prince-régent déclare
avoir été trompé dans ses espérances et dans ses voeux, sur
les moyens de finir cette guerre d'une manière honorable
pour les deux nations . Il déclare être obligé de suivre le
même système politique que le gouvernement britannique
suit depuis si long-tems , en repoussant l'injustice et en
soutenant les droits généraux des peuples . Aidé de la Providence
et comptant sur la justice de sa cause , et sur la
loyautéet la fermeté éprouvée de la nation anglaise , S. A. R.
attend avec confiance une heureuse issue de la lutte dans
laquelle elle s'est vu forcée de s'engager malgré sa répugnance.
Cet acte est du 9 janvier .
Les nouvelles d'Allemagne ne font connaître que les
prompts résultats des ordres donnés par les princes de la
Confédération, pour mettre au completles contingens qu'ils
fournissent à la Grande-Armée . Pendant quelques jours
le silence avait été gardé sur les positions qu'elle occupe ,
et mille bruits avaient couru . Aussi l'article suivant, publié
dans le Moniteur, a-t - il produit dans toutes les classes de la
société l'impression la plus favorable et l'effet le plus utile.
Le roi de Naples étant indisposé a dû quitter le commandement
de l'armée , qu'il a remis entre les mains du
vice- roi . Ce dernier a plus d'habitude d'une grande administration
, il a la confiance entière de l'Empereur.
Après la trahison du général Yorck , le roi de Naples
ajugé convenable de se porter sur la route d'Elbing , et de
234 MERCURE DE FRANCE ,
là sur Posen , où son quartier-général est arrivé le 16 janvier.
» Le général Rapp , avec 30,000 hommes de garnison
occupe l'île de Novat et Dantzick ; 6000 hommes occupent
Thorn et ses environs ; 6000 Prussiens occupent Graudentz
; un corps d'observation que commande le prince
d'Eckmuhl est sur Bromberg ; le prince Schwarzenberg et
le général Reynier sont en avant de Varsovie . Le 5º corps
se réorganise dans cette place , et le duc de Tarente s'est
dirigé sur Posen ; le maréchal Saint- Cyr est rétabli de sa
blessure . Le duc de Bellune est arrivé à Posen .
» Il n'y a eu , depuis l'affaire du duc de Tarente sur le
Niémen , dans laquelle il a fait aux Russes trois bataillons
prisonniers , aucun engagement quelconque avec l'ennemi
; il n'y a eu que quelques rencontres de cosaques de
peu d'importance .
Toute la cavalerie à pied est arrivée sur l'Oder. Le
général Boursier , qui est à Berlin , mande qu'il a des marchés
pour 30,000 chevaux, dont 20,000 sont livrés et dans
les dépôts , tant pour les remontes de la cavalerie que pour
celles de l'artillerie et des équipages militaires .
Le froid continue à régner.
Le roi de Prusse réorganise son contingent entre Stettin
et Colberg.
» Le général Lauriston est parti le 25 de Paris pour porter
son quartier-général sur Magdebourg, où arrive le corps
d'observation de l'Elbe qu'il commande .
» Le général Souham passe le Rhin avec l'avant-garde
du corps d'observation du Rhin et va se porter sur Francfort.
S. M. a donné au général Bertrand le commandement
du corps d'observation d'Italie qui se réunit à Vérone .
" Une avant-garde composée de 40,000 hommes de
troupes fraîches , se réunit à Posen , sous les ordres du
maréchal duc d'Elchingen. Ce maréchal est du nombre de
ceux dont le courage et la force d'ame ont été éprouvés .
>>Le roi de Saxe réunit des troupes autour de Glogau .
» L'empereur d'Autriche rassemble des forces considérables
dans la Gallicie . On y compte déjà une armée de plus
de 80,000 hommes . La confiance et l'harmonie sont entières
entre les deux cours impériales de Vienne et de Paris .
Le roi de Danemarck est sourd aux menaces et aux
intrigues de l'Angleterre , de la Russie et de la Suède .
" Dantzick est aujourd'hui une place inexpugnable ;
1
JANVIER 1813 . 235
: mille hommes de bonnes troupes y sont réunis ; de bons
généraux les commandent , et le gouverneur de la ville est
le général Rapp , brave et intrépide soldat ; bon nombre
d'officiers du génie et d'artilleries'y trouvent ; la place est
approvisionnée de tout pour deux ans .
» Tous les bruits qu'on fait courir sont donc faux : il
n'y a pas eu de bataille à Koenigsberg ; il n'y en a pas eu à
Elbing ; aucun officier-général n'a été blessé ; et nous le
répétons , aucune affaire n'a eu lieu depuis celle du duc de
Tarente , sur le Niémen .
» L'Allemagne n'a rien à craindre ni des intrigues de
l'Angleterre , ni de l'irruption des barbares , qui n'ont su
défendre leur pays qu'en le dévastant , et leur capitale qu'en
la brûlant .
» Enfin , aussitôt que l'hiver sera passé , les Russes seront
chassés et renvoyés d'autant plus vite qu'ils se seront
avancés davantage .
> Nous sommes autorisés à faire cet exposé pour tranquilliser
les bons citoyens de l'Allemagne et de France , et
nous ajoutons qu'ils peuvent être certains que s'il survenait
des événemens , on en donnerait sur-le-champ communication
au public avec la même vérité et simplicité
que l'on a fait connaître les malheurs de l'armée dans le
29º bulletin . On ne sait pourquoi les Anglais attachent de
l'importance à inonder nos côtes et le continent de pamphlets
remplis de fausses relations ; en effet , tout le mal
qu'a éprouvé l'armée est dit dans le 29 bulletin ; mais ce
que les gazettes de Pétersbourg ajoutent , que des aigles et
des canons nous ont été pris enfront de bandière , est faux !
très- faux ! "
A cette note succèdent des lettres qu'on lit avec beaucoup
d'intérêt ; leur étendue et la conformité que leur sujet
entraîne nous empêchent de les citer en entier ; elles sont
écrites au ministre de la guerre par le prince vice-roi , le
prince d'Eckmuhl , et le maréchal duc d'Elchingen ; toutes
les trois ont pour objet de réfuter les rapports russes sur
les événemens de novembre et de décembre , en ce qui
concerne les corps commandés par les chefs illustres que
nous venons de nommer .
Les Russes ont battu l'armée française par-tout , et dans
toutes les occasions où elle s'est présentée devant eux.
Telle est la substance de toutes les relations officielles publiées
par la cour de Saint-Pétersbourg . Les Russes nous
ontbattus quand nous avons passé le Niémen devant eux,
236 MERCURE DE FRANCE ,
quand ils ont évacué le camp retranché de la Dwina , quand
nous avons pris Smolensk de vive force ; ils nous ont battus
à la terrible journée de la Moscowa , et nous ont repoussés
à seize werstes du champ de bataille , sans nous empêcher
de marcher à Moscou , de nous y établir , et de défendre
la capitale de notre ennemi de la fureur de ses incendiaires
. Tels sont les rapports dont les généraux russes
n'ont pas craint de bercer la crédulíté de l'ambassadeur
anglais , et dont celui-ci s'est empressé d'entretenir l'inimitié
et l'orgueil de sa nation . Ces rapports , les lettres dont
nous parlons , les repoussent comme injurieux , et les réfutent
comme de toute fausseté . Platoff, dit le prince
vice-roi , a pu faire des prisonniers de mon corps d'arinée,
mais ce n'est pas les armes à la main ; il a pris des hommes
isolés que le froid et la faim avaient éparpillés dans les
villages ; j'ai perdu mes chevaux morts de froid , et la plus
grande partie de mon artillerie démontée et brisée , mais
l'ennemi ne m'a pas enlevé un seul canon .
Mon corps , dit le prince d'Eckmuhl , n'a jamais rencontré
l'ennemi qu'il ne l'ait battu . Les relations russes
sont un tissu de faussetés à l'égard desquelles on peut en
appeler au témoignage et à la bonne foi des militaires des
deux armées . J'ai fait des pertes très - fortes par la fatigue ,
le froid , et cette fatalité qui a fait périr tous nos chevaux
d'artillerie et de cavalerie ; une grande quantité de mes
hommes s'est éparpillée pour chercher des refuges contre
les rigueurs du froid , et beaucoup ont été pris . V. A. sait
que je ne dissimule pas mes pertes; elles sont sensibles ,
sans doute , et me navrent de douleur ; mais la gloire des
armes de S. M. n'a pas été compromise un seul instant.
Les Russes , dit le maréchal duc d'Elchingen , disent que
le 17 novembre , à minuit , mon corps , fort de 12,000
hommes , a envoyé parlementer et a posé les armes ; que,
moi , je me suis sauvé seul et blessé en passant le Borysthène
sur les glaces . Je donne à l'auteur de cette relation
un démenti formel. Dans la journée du 17 j'ai contenu
tous les efforts de l'ennemi ; je n'avais pas 4000 hommes et
plus d'artillerie ; l'ennemi vint à moi plusieurs fois ; je
reconnus bien que ce n'était plus sa même infanterie .
A 10 heures je reçus un parlementaire qui me proposait
de me rendre ; je répondis en emmenant le parlementaire
avec moi , et en lui faisant passer le Borysthène avec nos
troupes , et je l'ai remis à Orcha , au quartier-général de
Sa Majesté . Tous les rapports officiels russes sont faux ; il
JANVIER 1813 .
237
n'y a de vrai en ce qui me concerne que la perte de mon
artillerie , non pas prise , mais détruite et abandonnée.
Les Russes n'ont pris ni à moi , ni à aucun de mes camarades
, une seule pièce d'artillerie , quoiqu'il soit vrai que
nos attelages tombans morts de froid , nous ayons été
obligés de la laisser sur place . Le printems nous fera raison
de toutes les fanfaronades de l'ennemi , qui retrouvera
toujours dans l'armée française les hommes d'Austerlitz ,
d'Eylau , de Friedland , de Witepsh , de Smolensk , de la
Moscoua et de la Bérésina .
Des détails authentiques , donnés par un Journal trèsaccrédité
et reçus de Varsovie , doivent ici trouver leur
place. Un Polonais , prisonnier chez les Russes , revenu à
Varsovie , a déclaré avoir trouvé l'armée russe dans un état
de faiblesse et de désorganisation presque complète . Un
corps de quinze régimens de cavalerie, stationné à Grodno ,
ne comptait pas plus de 3600 hommes . Le général Kutusow
avait quitté le commandement de l'armée , extrêmement
réduite par le froid , la faim et les maladies . Il a
échangé son commandément contre celui du général
Tischagoff , dont le corps d'armée , quoique réduit à moitié
de sa force , est cependant en meilleur état que la principale
armée . Depuis ce changement , on prétendait que
l'amiral Tischagoff ne resterait pas à l'armée . On ne lui
pardonne pas de s'être laissé battre au passage de laBérésina
. M. Barclay de Toley devait lui succéder. Les maladies
faisaient de grands ravages parmi les troupes russes .
Plusieurs généraux et hommes de marque ont succombé .
Parmi les pertes les plus sensibles , on compte celle du
prince Holstein-Oldenbourg , mort d'une fièvre d'hôpital à
Twer , le 27 décembre. Cette nouvelle est parvenue au
corps du prince de Scharzenberg. Les levées du Grand-
Duché se font avec activité . Le conseil-général de la Confédération
a fait une adresse à l'armée polonaise de retour
sous les ordres du prince Poniatowski . Cette adresse rend
hommage à la valeur , à la constance , au dévoûment de
cette armée , et lui garantit tous les secours dont elle a
besoinpour poursuivre ses travaux honorablement inscrits
dans les fastes polonais .
Une autre notification donnée officiellement par le Moniteur
va fixer toutes les idées sur des questions majeures
qu'il importait de résoudre , pour que la France pût
jouir pleinement des salutaires effets de cette haute pensée
morale et politique à laquelle nous devons leconcordat.
238 MERCURE DE FRANCE ,
Voici cette note qui comblera les voeux de tout véritable
citoyen habitué à confondre dans un sentiment commun
ses devoirs civils et religieux , à ne pas séparer sa fidélité à
son culte , de sa fidélité à son prince , et son respect pour
la foi , de son respect pour les lois de l'Etat.
« LL. MM. sont parties de Paris , le mardi 19 , pour aller
chasser à Grosbois .
» Le soir , elles ont été coucher à Fontainebleau , où on
ne les attendait point .
» En arrivant , l'Empereur s'est rendu chez le Pape qui
était en conversation avec des cardinaux et des prélats .
» Sa Majesté et le Saint-Père sont restés ensemble près
de deux heures .
> Le lendemain mercredi , le Pape , accompagné des cardinaux
de Bayane , Doria , Ruffo , de l'archevêque de Tours ,
et des évêques d'Evreux , de Nantes , de Trèves et d'Edesse ,
a été rendre visite à S. M. l'Empereur , qui a reçu le Saint-
Père dans ses grands appartemens .
> Auretour de chez l'Empereur , le Saint-Père s'est rendu
chez S. M. l'Impératrice . Peu de tems après , S. M. l'Impératrice
, accompagnée des dames du palais et des autres
personnes de son service , a été rendre visite au Pape .
" Les jours suivans , Sa Majesté et le Saint-Père ont eu
de fréquens entretiens .
> Enfin , le lundi 25 , à sept heures du soir , S. M. et le
Saint-Père , réunis dans le grand salon des appartemens
occupés par le Pape , ont signé le concordat qui termine
tous les différens élevés à l'occasion des affaires de l'Eglise .
» Cet acte a été signé par l'Empereur et par le Pape en
présence des cardinaux et des prélats qui étaient à Fontainebleau
. ८
» A peine le concordat avait été signé , que S. M. l'Impératrice
est venue, de son propre mouvement , féliciter le
Pape sur cet heureux événement.
» Mercredi , à quatre heures et demie , LL. MM. sont
parties du palais de Fontainebleau , et elles sont arrivées à
huit heures au palais des Tuileries . »
L'exemple donné par le département de la Seine a été
suivi par ceux de ce vaste Empire . Toutes les villes se sont
réunies , et par l'organe de leurs municipaux , elles ont voté
en hommes , en chevaux en équipemens , les offrandes
destinées à réparer les pertes de la cavalerie de l'armée.
Les chefs -lieux de canton ont aussi consulté le voeu des
communes , et chacun d'eux fournit quatre , six , jusqu'à
,
JANVIER 1813 , 239
C
huit et dix chevaux montés et complètement équipés . Les
conseils de préfecture , les diverses corporations desgrandes
villes , les grandes administrations publiques , les sociétés
particulières , et un nombre immense de simples particuliers
, adressent également leurs offrandes . Le Sénat offre
300 chevaux , et beaucoup de sénateurs , indépendamment
de ce don fait par le corps , ont envoyé leurs plus beaux
chevaux . Sur les 500 cavaliers de la Seine , 330 sont déjà
rendus à l'Ecole-Militaire , où 400 chevaux sont réunis . Le
Moniteur consigue avec soin les adresses des villes principales
de l'Empire . Un même sentiment les a dictées ; toutes
respirent le dévouement à la patrie , l'amour du nom français
, l'honneur de nos armes , et sur-tout l'attachement et
la fidélité au prince qui a rendu ces armes si honorées , ce
nom si glorieux , cette patrie si florissante , et auquel le
concours de toutes les volontés et de tous les sacrifices né-
S ..... cessaires promet d'achever son grand ouvrage .
ANNONCES .
De l'Exercice du Commerce , ou Tableau par ordre alphabétique
des diverses espèces de commerces , de professions , d'industries ,
d'arts et métiers , qui s'exercent , en vertu de patente , dans tout
l'Empire français , sous chacun desquels on trouve : 1º le droit de
patente auquel il est soumis ; 2º sa définition ; 3º les lois et réglemens
de police qui le concernent particulièrement ; 4º le classement de
toutes les marchandises qui peuvent ou ne peuvent en faire partie , la
nomenclature des autres commerces , professions , arts et métiers
qui peuvent ou ne peuvent y être réunis ; 5º des observations sur les
contraventions à la loi des patentes auxquelles il donne lieu . Précédé
d'une instruction sur les anciennes corporations , les abus qui les ont
fait supprimer ; la liberté du commerce ; la surveillance de la police
sur les commerces , professions , arts et métiers qui intéressent la
salubrité , la santé et la sûreté publique ; la prévoyance du gouvernement
à maintenir l'ordre et la discipline dans le commerce ; enfin
la loi des patentes . Ouvrage utile à tous les négocians , marchands ,
manufacturiers , artisans et ouvriers ; à tous les maires , adjoints de
maire , commissaires de police chargés de surveiller le commerce ,
les arts et métiers , d'en faire exécuter les lois et réglemens ; à tous
les directeurs et receveurs des contributions auxquels l'exécution des
lois sur les patentes est spécialement confiée ; par M*** , ancien doc-
1
240 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
teur en droit . Un vol. in -12. Prix , 2 fr . 50c . , et 3 fr . 25 c. franc de
port. Ala librairie d'éducation et de jurisprudence d'Alexis Eymery,
rue Mazarine , nº 30 .
L'Enfance éclairée , ou les Vertus et les Vices ; par Madame ***.
Un vol. in- 18 , orne de 10 jolies gravures . Prix , I fr . 80 c. , et2 fr.
20 c. franc de port ; avec les gravures coloriées , 2 fr . 50c . , et 2 fr.
90 c. franc de port . Chez le même libraire.
On a mis au jour , depuis peu , la suite du tableau figuré des opérations
de la Grande-Armée en 1812 ; la carte qui forme le nº rer ,
donnait les pays compris entre la Vistule et le Borysthène ; le n° 2
contient les pays situés entre le Borysthène , le Wolga et la Moskwa.
Sur cette seconde carte , comme sur la précédente , on a indiqué , à
l'aide des couleurs , les marches , les positions des troupes , et les
quartiers généraux. On a suivi la même méthode pour les noms
de lieux mentionnés dans les rapports officiels; c'est-à-dire qu'on
`les a écrits en lettres romaines et en lettres capitales , pour les distinguer
des autres qui ne sont qu'en caractères italiques . L'on jugera
au premier aspect ce qui a un rapport immédiat avec la campagne , et
cette carte offrira toutes les indications utiles pour la lecture des
Bulletins qui ont paru depuis le 8 août jusqu'au 22 novembre . Al'exception
du village Ignatiers qui n'est pas sur le grand atlas de Russie,
on y trouvera tous les noms de lieux mentionnés dans ces Bulletins .
Chez Lenormant , rue de Seine , nº 8 ; Magimel , rue de Thionville ,
près le Pont-Neuf ; Delaunay , Palais-Royal. galeries de bois ; Goujeon
, rue du Bac , nº6 , près le Pont-Royal ; Bance , rue St- Denis
près celle aux Ours .
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercurede France , ne paient que 18 fr. pour l'année , et 10 fr . pour
six m de souscription au Mercure Etranger. )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et cher
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure,
àParis .
MAN
M
LA
SEIN
MERCURE
DE FRANCE.
N° DCIII. - Samedi 6 Février 1813 .
POÉSIE .
MILON.
IDYLLE IMITÉE DE GESSNER .
5.
cen
JEUNE bergère , ô toi dont la beauté touchante
Est plus chère à mon coeur que l'odeur ravissante
Par la rose exhalée , à l'heure du matin
Où la brise amoureuse a rafraichi son sein !
Chloé ! que j'aime à voir ta blonde chevelure
En anneaux ondoyans flotter à l'aventure !
Quel charme , quels transports , quand ton aimable voix
De sons harmonieux fait retentir les bois!.
Je t'écoutais , Chloé , lorsque , sur l'herbe tendre ,
Tu chantais l'autre jour.... Tout-à-coup , pour t'entendre ,
Les oiseaux du bocage ont cessé leurs concerts ;
Le murmure des eaux n'agitait plus les airs ,
Et , craignant de troubler ta douce mélodie ,
Les Zéphirs retenaient leur haleine attiédie .
Apeine quinze fois , des trésors de Cérès ,
Ai-je vu se charger nos fertiles guérets.
Q
242 MERCURE DE FRANCE ,
Je suis léger : le eerf n'a pas plus de vitesse .
Je sais aimer : l'Amour n'a pas plus de tendresse.
J'ai souvent entendu , sur le sommet des monts
Dont les échos plaintifs répètent mes chansons ,
Quand ma voix , saluant le jour qui vient de naître ,
Se marie aux accords du chalumeau champêtre ,
Les bergers étonnés applaudir mes accens .
Crois-moi , chère Chloé , jouissons du printems ;
Aime-moi !... le tems fuit et l'Amour a des ailes ! ...
Combien il sera doux , pour des amans fidèles ,
D'errer dans ce bocage où les épais buissons
Contre l'ardeur du jour protègent les gazons ! ....
Duhaut demon rocher , vois ces eaux transparentes
Tomber dans la prairie en cascades bruyantes ,
Fuir à travers les fleurs dans leur cours sinueux ,
De leur brillant cristal rafraîchir ces beaux lieux ,
Et , s'amassant enfin , au pied de la colline ,
Former un petit lac entouré d'aubépine.
Là , souvent , quand Phébus se plonge au sein des mers ,
En ton honneur , Chloé , je vais chanter des vers ,
Et perçant des bosquets la voûte ténébreuse ,
Attendre de la nuit l'heure silencieuse .
De Philomèle alors j'accompagne le chant ;
:
Le Faune , au pied de chèvre , accourt en bondissant ,
Et les joyeux Sylvains , les Nymphes sémillantes
Commencent , à ma voix , leurs fêtes innocentes .
Vois , autour de ma grotte , et ces verds coudriers ,
Et ces pampres tortus , et ces riches pommiers !
Couvertes de leurs fleurs , vois ces épaisses ronces ! ...
Ces vergers odorans , ces jardins , ces quinconces ,
Tout cela m'appartient : que souhaiter encor ?
Je t'offre le bonheur: eh ! quel plus beau trésor
Puis-je faire briller aux yeux de mon amie ?
Ici nous goûterons les vrais biens de la vie !
Ici.... mais , ô Chloé ! si tu ne m'aimes pas ,
Tous ces beaux lieux pour moi deviendront sans appas ;
Le plus sombre brouillard couvrira les campagnes :
Je ne conduirai plus , sur le ffane des montagnes ,
Mes chevreaux bondissans , ni mes tristes brebis ....
Ne sois pas insensible à mes pleurs , à mes cris ;
Aime-moi ! ... De l'Amour ne crains point les alarmes :
Sesplaisirs sont divins , ses soucis ont leurs charmes.
FEVRIER 1813. : 243
Soit que ,dans les bosquets , au sommet des coteaux,
Sur la mousse vermeille au bord des clairs ruisseaux ,
Nous menions nos brebis paître l'herbe fleurie; ..
Soitque nous jouissions . assis dans la prairie ,
Des chants mélodieux de mille oiseaux divers ;
Soit qu'enfin , parcourant le rivage des mers ,
Anos regards surpris les filles de Nérée
Fendent des flots amers la surface azurée ,
Des doux sons de ma flûte , et de nos chants d'amour ,
Nous ferons retentir les échos d'alentour .
Dans mes vers solennels je chanterai l'Aurore ,
Et les dons de Palès , et les trésors de Flore ;
Et tu verras bientôt , aux accens de ma voix ,
Accourir les Sylvains et les Nymphes des bois.
Ainsi chanta Milon , berger tendre et fidèle .
Chloé qui l'écoutait , ô Milon ! lui dit-elle ,
C'est assez t'éprouver , vient et connais mon coeur !
Chloé ne prétend plus retarder ton bonheur :
Elle t'aime ! ... Ah ! Milon, de quel amour encore !
Oui , la rose aime moins les larmes de l'Aurore ,
Le papillon les fleurs , les brebis le gazon ,
Que Chloé , dans ce jour , n'aime son cher Milon.
AUGUSTE MOUFLE.
Traduction de l'Epigramme goeme du 2eme livre de Martial.
A QUINTILIEN.
Tor dont le nom fameux doit , vainqueur de l'Envie ,
De la toge romaine être à jamais l'honneur ;
D'un âge trop ardent sage modérateur ,
Pardonne si , pressé de jouir de la vic
J'abandonne au repos mes inutiles ans.
!
Dois-je , quand le présent remplit mon existence , ...
D'un avenir douteux occuper mes momens ? ...
D'autres peuvent poursuivre en leur vaine espérance
La fortune et la gloire aux palais des Césars :
Moi que n'éblouit point un peu de renommée ,
Je n'affronterai pas cette mer de hasards .
Heureux si , sous montoit noirci par la fumee ,
Q2 !
244 MERCURE DE FRANCE ,
Autourde mon foyer je réunis jamais
de bons serviteurs une femme fidelle !
Et doublement heureux si je puis auprès d'elle
Passermes nuits sans veille et mes jours sans procès !
M. DE CAZENOVE.
LA LANTERNE SOURDE.
FABLE .
LANTERNE sourde en main , d'un pas ferme et rapide ,
Unhomme cheminait dans l'ombre de la nuit.
Un voyageur l'entend , le suit ,
Espérant partager la clarté qui le guide.
Mais il ouvre les yeux en vain :
L'obscurité pour lui n'est pas moins forte .
La lanterne ne sert qu'à celui qui la porte ,
Et n'éclaire que son chemin.
Ade certains esprits qu'on juge à la légère
Cette fable peut s'appliquer.
Tel nous étonnerait par sa judiciaire ,
Qui n'a point l'art de s'expliquer :
Il possède bien la lumière ,
Mais ne peut la communiquer.
M. LE FILLEUL .
ÉNIGME .
Nous portions autrefois le sexe féminin ;
Nous portons aujourd'hui le sexe masculin :
!
Jeunehomme qui , parfois , de nous veut faire usage ,
Lorsqu'il ne tombe pas , est plus heureux que sage.
$........
FEVRIER 1813. 245
LOGOGRIPHE
Je suis assurément de très-peu de valeur ,
Etpourtant dans mon être on peut trouver , lecteur ,
Cequidans tous les lieux , sur la terre et sur l'onde ,
Chaque jour , sans manquer , fait dî ner tout lemonde..
V. B. ( d'Agen. )
CHARADE .
CHAQUE année en janvier
Commence mon premier ;
Les canons et la foudre
Et la machine à moudre ,
Produisent mon dernier ;
Mon tout , lecteur , sur l'onde
Afait le tour du monde.
V. B. (d'Agen .)
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernierNuméro.
Le mot de l'Enigme est Fable.
Celui du Logogriphe est Etable , dans lequel on trouve : table..
Celui de la Charade est Mallebranche .
:
תועק
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
Sur la quatrième Eclogue de Virgile , à l'occasion d'un
poëme de M. ELOI JOHANNEAU , intitulé : Hymne au
Soleil, imité d'un hymne antique qui se chantait aux
mystères d' Eleusis , à la fête du solstice d'hiver.
DEPUIS Servius jusqu'à M. Le Maire ( 1 ) , tous les commentateurs
et les traducteurs de Virgile ont cherché à
deviner quel pouvait être l'enfant illustre dont le poëte
romain annonce si pompeusement l'avénement au monde
dans ce fameux chant génethliaque , adressé au consul
Pollion , et si improprement nommé Eclogue .
Les chrétiens des premiers siècles , avec plus de zèle
que de discernement , appliquèrent au Messie l'espèce de
prophétie que contient cet ouvrage singulier et vraiment
mystique (2) :
Teste David cum sibylla.
Les auteurs qui ont pensé , avec raison , qu'il fallait cher
cher cet enfant dans la famille d'Auguste , se sont perdus
jusqu'à ce jour en conjectures , et ne nous ont point encore
donné la solution de ce problême historique . Tour- à -tour
on a cru y voir le jeune Marcellus (3) , neveu d'Auguste ,
qui inspira de si beaux vers à ce même Virgile , Caïus et
Lucius César , fils d'Agrippa et de Julie , et qui , lés premiers
, reçurent du sénat le beau titre de Princes de la
jeunesse , Drusus , fils de Livie (4) , etc. Quant à l'opinion
émise par le commentateur Servius , que cette Eclogue a
été composée à l'occasion de la naissance de Salonin, fils
de Pollion , une saine critique historique ne saurait l'admettre
un seul instant .
(1) Virgile expliqué par le règne de Napoléon . Leçons de littérature
au Collège de France , 1812 .
(2) Entr'autres l'empereur Constantin , selon Eusèbe .
(3) C'est le sentiment de Badius Ascensius et de Catrou.
(4) Selon l'abbé Desfontaines.
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 247
Le consulat de Pollion , sous lequel Virgile prédit que
ce grand événement doit avoir lieu , se rapporte à l'an 713
de la fondation de Rome , selon le comput de Varron .
Dion Cassius (Histor. XXXXVIII) , en parlant de ce consulat,
nous apprend que Pollion eut d'abord pour collègue , cette
année , Domitius Calvinus , auquel Lucius Cornelius Balbus
fut subrogé , et qu'à Pollion lui-même fut subrogé
Canidius Crassus. Les fastes consulaires , la chronique de
Cassiodore , etc. ne font mention que de ce seul consulat
de l'ami deVirgile et d'Horace . 11 fautdonc faire coïncider
avec cette époque , l'an 713 , la naissance d'un membre de
la famille impériale .
Ce ne peut être Drusus qui ne naquit qu'en 716 , l'année
oùAuguste répudia Scribonia , pour épouser Livie , en-
*ceinte de ce prince ( Claudius Drusus Néro ). 5
C'est encore moins Caïus ou Lucius César , puisque la
naissance du premier n'eut lieu qu'en l'an 733 , et lanaissance
du second l'an 736.
L'opinion en faveur de Marcellus , né dès 709 , n'est pas
mieux fondée.
M. Dupuis , dans son grand et savant ouvrage , et M. Eloi
Johanneau , dans son imitation d'un hymne antique qui
se chantait aux mystères d'Eleusis , en nous donnant la
clefdes allégories astronomiques et sacrées que renferme
la quatrième Eclogue de Virgile , ont dit des choses neuves
et curieuses sur ce poëme.
Mais M. Johanneau a été plus loin que M. Dupuis , qui
s'était contenté d'expliquer les fictions cosmogoniques de
ce chant généthliaque , sans aborder le fond de la question
que nous traitons ici . Ce secrétaire de l'Académie
celtique n'hésite point à dire que l'être mystérieux annoncé
si solennellement par le poëte latin est le deus solinvictus ,
dont la naissance est marquée sur les calendriers des pontifes
romains , le 25 décembre , au solstice d'hiver (5) , et
dont l'heureux avénement , célébré avec tant de pompe et
de démonstrations de joie dans toute l'antiquité , formait
l'objet principal de tous les mystères (6). Cette explication ,
(5) Dies natalis solis invicti , 8 ant . Kal. Jan. Voyez dans l'Uranologie
du P. Pétau , tom. 3 , pag. 72 , le calendrier publié sous les
règnes de Constantin et de Julien.
(6) Ainsi que ses travaux , ses victoires , ses souffrances et sa
mort .
1
248 MERCURE DE FRANCE ,
sans doute , est neuve et ingénieuse , mais est-elle aussi
bien établie et à l'abri des contradictions que le pense son
auteur ? Je ne le crois pas .
M. Johanneau dit qu'il n'y a point de mortel capablede
remplir les hautes destinées de cet enfant.
こ
Magnus ab integro seculorum nascitur orde ;
Jam redit et virgo , redeunt Saturnia regna.
251
Mais Virgile ne fait-il pas également prédire à Anchise ,
dans le sixième livre de l'Enéide , qu'Auguste doit ramener
l'âge d'or et le règne de Saturne dans le Latium ?
Augustus Cæsar , divigenus , aurea condet
Secula qui rursus Latio , regnata per arva
Saturno quondam .....
Ce que Virgile dit d'Auguste dans son Enéide , il a bien
pu le dire ailleurs de l'héritier de ce prince.
Ce sont là des allégories et des façons de parler familières
aux poëtes , de ces exagérations si souvent reproduites
par eux.
Le poëte inspiré révèle à Pollion que c'est sous son.consulat
que commencera ce glorieux événement; mais s'il
s'agissait de la naissance du dieu Soleil , pourquoi dire que
cet événement aura lieu précisément sous le consulat de
Pollion , puisqu'il avait lieu tous les ans et sous tous les
consuls ?
Virgile nous apprend que cet enfant régnera sur l'univers
, pacifié par les vertus de son père.
Pacatumque reget patriis virtutibus orbem .
Cette prophétie ne peut être applicable qu'à Auguste
qui , postérieurement , donna , en effet , la paix au monde ,
et ferma le temple de Janus , et au prince destiné à lui
succéder . Comment se persuader qu'elle peut regarder le
dieu Soleil, le dieu Lumière , le dieu Jour, né de laVierge
Céleste (7) et de l'Étre Suprême qui l'a engendré semblable
à lui-même , selon Platon , Martianus Capella ,
Julien , et tous les mystagogues de l'antiquité ?
(7) La Vierge Constellée qui présidait à sa naissance , le 25 décembre
à minuit , in stabulâ Augiæ ; elle est représentée dans les
sphères pusiques , etc. le tenant dans ses bras et l'allaitant ; ainsi que
dans le fameux monument mythriaque d'Oxford.
FEVRIER 1813... 249
Cette perspective d'une paix prochaine devait être favorablement
accueillie par les Romains , encore menacés des
calamités d'une guerre civile , et à peine échappés aux
horreurs des proscriptions .
Peut-on faire raisonnablement l'application des vers
suivans au personnage allégorique du Soleil incarné ?
At simul heroum laudes , etfacta parentis
Jam legere ....
Et serait-il croyable que Virgile ait voulu dire , même
en parlant la langue des mystères , que le Soleil lirait les
hautsfaits de son père ?
Omihi tam longæ maneat pars ultima vitæ ,
Spiritus , et quantum sat erit tua dicerefacta !"
८
S'il s'agissait ici du dieu Soleil qui naît , meurt et ressuscite
tous les ans , pourquoi Virgile formerait-il le voeu
de vivre assez long-tems , et de pouvoir, dans un âge avancé,
conserver assez de forces , pour chanter les faits héroïques
du dieu , lorsque , devenu grand , il accomplira ses hautes
destinées ?
Il est évident qu'il est ici question du règne d'un prince
appelé à succéder au souverain qui gouverne , au moment
où l'auteur écrit : événement que le poëte ne doit envisager
que dans l'éloignement , et dont peu d'individus appartenant
à la génération présente sont destinés à être les témoins
. Celangage, dicté parles convenances , était motivé
d'ailleurs par l'âge d'Auguste , et il fut justifié par le long
règne de cet empereur qui survécut , comme Louis XIV,
àpresque tous les grands hommes de son siècle , et surtout
àVirgile .
Si , dans le poëme dédié à Pollion , il s'agissait de la.
paissance du sol invictus , et non de celle d'un enfant
mortel , il n'est pas vraisemblable que Virgile eût débuté
par solliciter Lucine de la favoriser , comme présidant aux
accouchemens .
Castafave Lucina ......
Un tel enfantement n'était pas de son domaine.
M. Johanneau ne doute point que cette fameuse éclogue
ne soit la traduction d'une ancienne prophétie , ou allégorie
, attribuée à la sibylle de Cumes , s'appuyant de
l'autorité de ce vers ,
Ultima cumæi venitjam carminis atas
250 MERCURE DE FRANCE ,
Mais les vers prétendus sibyllins n'existaient plus à
l'époque où Virgile écrivait , et cette prophétie sur le
retour d'Astrée et de l'âge d'or n'était parvenue jusqu'à
lui que par tradition . On croyait généralement au prochain
accomplissement de cette opinion populaire sous l'empire
d'Auguste . Nous attendons des cieux nouveaux et une
terre nouvelle , disait et écrivait l'apôtre Paul.
Mais quel est donc le héros , le demi-dieu , qui dans
Virgile doit opérer cette heureuse révolution ? Faut- il le
dire , c'est Julie , fille d'Auguste et de Scribonia (troisième
femme de cet empereur ) , qui naquit l'année du
consulat de Pollion , en 713 . A
Virgile , comme on vient de le voir , ne dit point que
cet enfant soit déjà né à l'instant où il écrit , mais qu'il
doit naître sous le consulat de Pollion , qui sera témoin
de ce mémorable événement .
La chose eut effectivement lieu. Le poëte et la sibylle
qui l'inspirait , ne se trompèrent que sur le sexe de l'enfant .
८:
La signora mit au monde une fille .
Virgile aurait pu intituler son éclogue : l'Espérance des
Romains , comme M. le chevalier Delafont , major d'artillerie
, a intitulé l'ode qu'il a publiée dans une circonstance
semblable , et quelques mois avant la naissance de
S. M. le roi de Rome , l'Espérance des Français (8) .
Mais le poëte moderne a été meilleur prophête que son
illustre modèle. Les poëtes ne justifient pas toujours le
beau nom de Vates que leur donna l'antiquité , à moins
qu'ils ne prophétisent après l'événement , comme il est
arrivé à l'épique romain lui-même , dans le VIº livre de
son Enéide .
:
Au reste , il ne nous paraît point douteux que la IV
éclogue de Virgile, cette composition d'une espèce unique,
et qui , par le mouvement et la sublimité continue de la
pensée et de l'expression , tient essentiellement du genre
de l'ode , ne soit un monument précieux de la doctrine et
des systèmes cosmogoniques enseignés dans les mystères
de l'antiquité. Cette éclogue , et le VI chant de l'Enéide ,
qui nous offre un tableau fidèle des cérémonies de l'an-
٠٠
(8) Insérée au Mereure de France ...... 1810 , et réimprimée chez
Didot. C'est le premier poëme qui ait paru à l'occasion de ce grand
et heureux événement.
FEVRIER 1813 . 251
:
cienne initiation , des formules qui y étaient usitées , et
des divers objets présentés aux regards du récipiendaire
dans le cours des épreuves qu'il avait à subir (9) , nous
donnent la certitude que Virgile , ainsi que Cicéron,
Lucrèce , Auguste , Horace , Ovide , etc. et tous les
Romains illustres de son tems , étaient initiés à ces mystères
célèbres , la religion des sages et des philosophes de
l'antiquité. On trouve à chaque instant , dans les ouvrages
de ces grands hommes , des preuves de leur autopsie .
M. CHAUDRUC DE CRAZANNES ,
Membre de l'Académie Celtique et de plusieurs
Sociétés savantes , nationales et étrangères .
!
ALMANACH DES MUSES , ou Choix de Poésies fugitives de
1812. Paris ( 1813).-ChezF. Louis , libraire , rue
de Savoie.
(SUITE ET FIN. )
APRÈS avoir parlé des productions originales , il me
reste à rendre compte des traductions qui sont en grand
nombre dans ce recueil : il y en a même de fort estimables
.
Parmi ces traductions , la première que j'ai lue , attiré
(9) La sibylle Déiphobe prépare d'abord Enée à l'initiation
par les cérémonies mystérieuses et allégoriques de la sépulture
du prétendu Misène , et la recherche du rameau d'or : parvenu aux
enfers avec sa conductrice , là commencent les épreuves du récipiendaire.
Divers objets également hideux sont successivement
offerts à ses regards , dans le double but que l'on a de s'assurer de
son courage et de sa persévérance , et de lui faire connaître quels
sont les châtimens et les souffrances réservés à l'initié qui manquerait
aux vertus et aux engagemens exigés de lui. A la suite de ces
épreuves , arrivé aux Champs-Elysées , toujours guidé par sa conductrice
mystérieuse , c'est-à-dire , dans la demeure desjustes ou des
initiés , Enée retrouve son père Anchise , jouissant d'une nouvelle
vie par le bienfait de l'initiation qui a opéré sa régénération morale.
Anchise remplit auprès de son fils les fonctions de l'hierophante
chargé d'expliquer au nouvel initié la doctrine des mystères , et tous
les objets nouveaux pour lui dont il est entouré.
252 MERCURE DE FRANCE ,
:
:
par le nom de l'auteur , est celle qu'a faite Malfilâtre de
l'ode d'Horace: Pindarum quisquis studet æmulari , etc.
Je crois qu'elle était restée inédite jusqu'à présent , et
que nous en devons la publication au rédacteur de l'Almanach
des Muses. Tout ce qui est sorti de la plume
d'un poëte aussi distingué que Malfilâtre , est fait pour
intéresser la curiosité ; mais cette traduction , fort bien
versifiée , est cependant trop méthodique et trop dépourvue
de chaleur pour donner une juste idée du feu ,
de la verve , des mouvemens hardis de l'original , qui est
toujours véhément et passionné. Pour le retrouver tout
entier dans notre langue , il faut en relire la traduction
parmi les odes de Le Brun , dans le premier volume de
ses oeuvres ; on y reconnaît Horace et Pindare , tandis
que la version de Malfilâtre ne retrace ni l'un ni l'autre.
Un fragment de la satire des Voeux , traduit de Juvénal
par M. de Saint-Marol , me semble conserver beaucoup
mieux le caractère de l'auteur latin. Cette peinture
du vieillard, qui n'était pas facile à transporter dans
notre langue , offre encore dans la traduction assez de
couleur et d'énergie pour justifier ce que j'avance.
1
<<Prolongez de mes jours les restes languissans ,
» Dit aux Dieux le vieillard affaissé sous les ans. >>
Que de maux toutefois assiègent son grand âge !
Ses rides à longs traits sillonnent son visage ;
Sa peau n'offre à nos yeux qu'un masque desséché ,
Semblable au tronc de l'arbre à la terre arraché.
Toujours quelque avantage embellit la jeunesse ;
C'est la beauté , la force , ou la grâce , ou l'adresse.
Mais voyez les vieillards , ils se ressemblent tous ;
Leur front chauve est courbé sur leurs tremblans genoux ;
Leurs yeux sont sans couleur ; leur voix faible et timide ,
S'éteint à chaque mot dans leur bouche livide ;
Leur estomac débile implore le secours ;
Des seuls mets dont l'enfance alimente ses jours .
Des plus tendres accords la douce mélodie
Vient frapper vainement leur oreille engourdie ;
Les vins les plus exquis sont pour eux sans attraits ;
L'Amour , pour les percer , épuise en vain ses traits .
De la plus longue nuit , remplissant la carrière ,
Vénus même, en leurs bras , passerait toute entière ,
7
1 4
:
FEVRIER 18130 253
Que Vénus elle-même y perdrait ses efforts ,
Tant l'âge de leur ame a glacé les ressorts !
La fièvre seulement , dans ses accès funestes ,
De leur sang appauvri peut ranimer les restes .
Je transcrirais avec plaisir un fragment de l'Atys
de Catulle , traduit par M. Mollevaut , si ce morceau
n'eût déjà paru dans quelques feuilles périodiques , et
dans un volume publié par l'auteur. Une raison contraire
m'engage à m'arrêter quelque tems sur deux pièces
que je vois imprimées pour la première fois ; l'une est
la traduction du Cimetière de Gray , par M. Augustin
Soulié ; l'autre une ode presqu'aussi célèbre du même
poëte , traduite par M. Fayolle .
1
Le Cimetière du Village a été si souvent traduit ou
imité qu'on peut se dispenser d'en faire l'analyse et
l'éloge. Ce morceau admirable est presqu'aussi connu
en France que s'il était d'un poëte français . Je me borne
donc à citer ce passage l'un des plus beaux de l'original ,
et l'un des mieux rendus par le traducteur.
Pardonnez , grands du monde ! une feinte douleur
Pour eux n'éleva point un riche mausolée ;
Pour eux , au chant des morts , dans la nef ébranlée
Ne vint point se mêler un éloge imposteur.
Mais un deuil fastueux , un marbre qui respire ,
Peuvent-ils ranimer d'arides ossemens?
Cet encens , ces honneurs que le vulgaire admire ,
Réveille-t- il les morts au sein des monumens?
Peut- être ces gazous couvrent l'humble poussière
D'un mortel dont le coeur rêva de grands desseins ;
Le monde eût vu peut-être en ses habiles mains
Le sceptre d'Alexandre ou la lyre d'Homère .
Mais pour lui la science , héritière du tems ,
Ne déroula jamais ses annales sublimes ;
L'indigence étouffa ses transports magnanimes ,
Et glaça dans son coeur le germe des talens .
Aux regards des humains , à jamais inconnue ,
Ainsi brille la perle au sein des vastes mers ;
Ainsi plus d'une fleur rougit sans être vue ,
Et d'une odeur suave embaume les déserts .
254 MERCURE DE FRANCE ,
Là repose peut-être unHampden , dont l'audace
Eût sauvé son hameau d'une odieuse loi ,
Un Milton ignoré des vierges du Parnasse ,
Un Cromwel innocent du meurtre de son roi.
Il y a beaucoup de mérite dans ces strophes; cependant
elles sont encore loin de l'original. On y vient de
peindre avec de vives couleurs , qui ont été fortement
rendues par le traducteur , le bonheur domestique des
rustiques ancêtres du hameau . Il vient de décrire leurs
travaux , la gaîté avec laquelle ils s'y livrent. <<< Que
>> l'ambition , s'écrie ensuite le poëte , se garde de mé-
>>priser leurs utiles travaux , leurs plaisirs domestiques ,
>> leur obscure destinée; que la grandeur n'écoute pas
>> avec un sourire dédaigneux les courtes et simples
>> annales du pauvre..
>>Vous , hommes superbes , ne leur imputez pas à
>> crime si la mémoire n'a point élevé de trophées sur
>>leur tombe , etc.>>
Noryou , ye proud ! impute to these thefault .
Ifmem'ry o'er their thomb no trophies raise , etc.
1.3
Non-seulement le traducteur n'a pas conservé la liaison
des idées du poëte anglais , non-seulement il n'a
pas suivi le mouvement imprimé par Gray à cette belle
partie de son élégie ; mais il n'a pas rendu le sens du
poëte dans cette strophe , il a substitué ses propres idées
à celles de l'original. Gray n'a pas voulu faire ici la
satire de la gloire ni de la grandeur ; il n'a pas parlé de
feinte douleur, ni d'éloge imposteur. Il justifie au contraire
ses villageois de ce qu'aucun trophée ne leur a été
élevé , et de ce qu'aucun accent religieux ne fait retentir
la voûte gothique et la nef prolongée des chants de la
louange.
Where thre the long-drawn isle andfrelted vault
The pealing autheur swells the note ofpraise.
Ne leur en faites pas de reproches , dit le poëte : Nor
you impute to these the faull . L'indigence est leur excuse
; là peut-être est la tombe d'un Milton , d'un
Hampden, etc. Il me semble que le poëte qui vient de
4
$ FEVRIER 1813. 255
se placer à une grande élévation morale , ne pouvait
admettre aucune pensée qui l'en fit descendre ; et que la
teinte satirique que le traducteur français lui a donnée ,
gâte entièrement la beauté du tableau qu'il rapétisse .
:
L'ode sur le collége d'Eton , moins connue en France
que le Cimetière de Village , n'est pas moins célèbre
dans la patrie de Gray , qui l'a nommé le dernier de
ses grands poëtes . Je remarquerai que M. Delille , qui
est , dans tous ses ouvrages , plein d'imitations des auteurs
anglais , n'a imité d'aucun autre autantde pensées ,
d'expressions , même de fragmens entiers ; et qu'en
particulier l'Elégie sur un Cimetière de campagne , et
l'Ode sur le collége d'Eton , paraissent lui en avoir inspiré
plusieurs . Gray avait été élevé dans ce collége
fameux ; à l'aspect de ses vieilles tours , il sent se
réveiller dans son ame le souvenir et le regret des jours
tranquilles de son enfance. Il voit les jeunes élèves goûter
cette même tranquillité , ces mêmes plaisirs dont il jouit
autrefois ; mais ces enfans sont hommes comme lui , ils
doivent un jour éprouver les maux attachés à la condition
humaine . Quels maux ! .... Le poëte en trace alors
une peinture rapide , et finit par un retour touchant sur
le calme heureux de l'enfance. Ces maux sont un secret
qu'il faut lui taire ; elle apprendra trop tôt à les sentir.
Tel est le sujet simple et intéressant du poëte. Il composa
cette ode quelque tems après la mort de son ami
West , dont il déplora la perte dans un sonnet plein
d'une douce mélancolie. Les Anglais croyent que le
chagrin dont il était pénétré a beaucoup influé sur le ton
qui règne dans l'Ode sur le collège d'Eton. Le souvenir
de cette circonstance ajoute encore à l'intérêt que cette
ode inspire . Voici maintenant les trois premières strophes
du traducteur. Elle donneront , je crois , une idée
avantageuse de son goût et de son talent. Je les choisis
parce qu'elles me paraissent les plus élégantes et les plus
travaillées dans la traduction .
Clochers lointains , créneaux antiqués ,
De l'étude asile chéri ,
Qui vois errer sous tes portiques
L'ombre du sixième Henri ;
256 MERCURE DE FRANCE ,
1
Et toi qui du haut des collines ,
Superbe , avec Windsor domines .
Sur des bocages enchanteurs
Où la Tamise révérée
Promène son onde azurée ,
Atravers l'ombrage et les fleurs .
Salut , campagne verdoyante ,
Où je coulai des jours sereins ,
Où ma jeunesse imprévoyante
Fut étrangère aux noirs chagrins.
De tes zéphirs l'aile embaumée ,
Fait dans mon ame ranimée
Couler l'ivresse de mes sens :
Et ramené vers mon enfance ,
Riche de joie et d'innocence ,
Je respire un second printems .
Tu vois une troupe folâtre
Errer au gré de ses désirs ,
Et ton rivage est le théâtre
De ses jeux et de ses plaisirs .
L'un fend le sein mouvant de l'onde ,
L'autre , habile à tourner la fronde ,
Al'oiseau lance le trépas ;
Et cet autre , en sa course agile ,
Fait rouler le cerceau docile
Qui fuit toujours devant ses pas.
M. Fayolle s'est tenu plus loin de Gray que M. Soulié :
aussi l'un se donne-t-il comme imitateur , et l'autre
comme traducteur . Malgré tout le mérite de cette imi- ^
tation , je préfère la première strophe de Gray à celle de
M. Fayolle : il n'a pas rendu plusieurs beautés de l'original
; je ne retrouve pas sur-tout ce charme , cette
mélancolie qu'inspirent ces vers du poëte anglais , ni la
touchante expression de la reconnaissance qu'ils présentent.
Ye antique towers ,
That crown the wat'ry glade ,
Where grateful sciencə still adores
Her Henry's holy shade. 501
FEVRIER 1813 . 257
SEINE
Tours antiques, qui couronnez la fraîche vallée où la
science reconnaissante adore encore l'ombre religieuse de
son Henri.
Dans la strophe suivante , campagne verdoyante rend
bien faiblement ou plutôt ne rend pas....
An happyhills ! ah pleasing shade!
Ahfields Below'd invain !
Gen
J'insiste sur cette remarque , parce que c'est ici l'expression
de la reconnaissance et des souvenirs heureux ,
etque l'abondance est le langage naturel de tous les
sentimens qui s'épanchent avec effusion ; mais les vers
qui suivent dans l'imitation , ont un charme , une suavité
qui ne se fait pas aussi bien sentir dans Gray lui-mème .
Comment l'auteur de ces vers a-t-il pu dire : l'aile des
zéphyrs
Fait dans mon ame ranimée
Couler l'ivresse de mes sens ?
:
Ce n'est pas-là de la poésie ; mais , ce qui est pis , cela
n'a pas de sens . Qu'est- ce qu'une ame ranimée, et quelle
idée peut présenter à l'esprit : L'ivresse des sens qui coule
dans uneame ? Comme on peutbien le croire , M. Fay olle
a entièrement abandonné l'original ; il n'y a plus ni imitation
, ni traduction. Voici Gray :
Ifeel the gales , thatfrom ye blow ,
Amomentary bliss bestow ,
As vavingfresh their gladsome wing ,
My weary soul they seem to sooth , etc.
Je sens tes zéphirs qui soufflent vers moi , ils m'apportent
quelques instans de bonheur ; la fraîcheur qui
s'élève au joyeux battement de leurs ailes , semble recréer
mon ame fatiguée .
Dans la troisième strophe , l'imitateurmarche au moins
l'égal de Gray . Je pourrais encore adresser à M. Fayolle
d'autres critiques fondées ; je pourrais aussi m'étendre
sur des beautés remarquables ; mais il est tems de mettre
fin à cet article .
*
Ce volume est, selon l'usage , terminé par une notice
:
R
258 MERCURE DE FRANCE ,
des poésies et des pièces de théâtre qui ont paru pendant
l'année ; elle est rédigée avec soin et avec goût. Les
jugemens qu'elle renferme , et qui sont en général fort
courts , ont tous un ton de décence et de modération
qui inspire de la confiance , et qui fait honneur au
rédacteur .
ROLLE , Bibliothécaire de la ville .
OEUVRES COMPLÈTES DE MESDAMES DE LA FAYETTE , DE
TENCIN , DE FONTAINE ET ELIE DE BEAUMONT.
(SECOND ARTICLE. )
OEuvres complètes de Madame de Tencin (*) .
RIEN n'est plus ennuyeux pour un critique que d'avoir
à rendre compte d'un ouvrage dont la réputation est
faite depuis long-tems , et qu'on réimprime peut- être
pour la vingtième fois. Les Journalistes sont tous les
jours exposés à ce désagrement . Qu'il paraisse une nouvelle
édition de Racine , de Boileau , de Massillon , de
Pascal , ou de quelqu'autre de nos classiques , le libraire
la portera aussitôt au bureau d'un Journal , et demandera
qu'on en fasse une longue annonce , sans s'informer
seulement s'il est possible de dire quelque chose de
neuf sur des ouvrages dont on a parlé mille fois , et de
faire mieux connaître des auteurs bien connus . Un critique
qui ne veut pas répéter ce que d'autres critiques.
plus anciens ont dit bien long-tems avant lui , se voit
réduit alors à parler de l'exécution typographique , de la
beauté du papier, si c'est une édition de luxe , et delaperfectiondes
gravures , s'il y en a ; mais , si l'impression n'a
rien qui la distingue des impressions ordinaires , il est
obligé ou de faire l'histoire des ouvrages dont il doit
parler, ou d'entrer dans quelques détails biographiques
F
(*) Nouvelle édition , revue , corrigée , et précédée d'une Notice
historique et littéraire. Quatre volumes in-12 . Paris , chez d'Hautel ,
libraire , rue de la Harpe , nº 80.
FEVRIER 1813. 259
es
1
st
es
e
10
e
a
sur les auteurs de ces ouvrages ; ce qui ne laisse pas
d'intéresser quelques lecteurs .
Les romans attribués à Mme de Tencin , soeur de ce
cardinal qui , suivant les expressions de l'ingénieux
historien du dix-huitième siècle , aurait été le plus immoral
des ecclésiastiques de son tems , s'il n'avait pas eu
Dubois pour contemporain ; ces romans , dis-je , sont si
connus que je n'apprendrais rien aux lecteurs si j'en
faisais une analyse . Réimprimés plusieurs fois séparément
, ils furent ensuite recueillis avec ceux de Mme de
La Fayette , par M. Delandine , aujourd'hui correspondant
de la troisième classe de l'Institut . Cette collection,
qui a quinze volumes , fut bientôt épuisée. Il y a quelques
années qu'un homme de lettres distingué fit imprimer
de nouveau les ouvrages de Mmes de La Fayette
et de Tencin , auxquels il réunit ceux de Mme de Fontaine.
Le mérite de cette édition , à laquelle l'éditeur
joignit des notices aussi intéressantes que bien écrites ,
lui procura un prompt débit , et elle fut vendue en bien
peu de tems . Comme on sent la nécessité de réimprimer
des ouvrages qu'on ne se lasse pas de relire , un libraire
en a entrepris une nouvelle. J'ai déjà annoncé les ouvrages
de Mme de La Fayette ; ceux de Mme de Tencin ,
que j'annonce aujourd'hui , ont paru presqu'aussitôt que
les premiers , et ceux de Mme de Fontaine les ont rapidement
suivis .
L'éditeur a annoncé qu'il ajouterait successivement à
sa collection les ouvrages de plusieurs autres femmes
célèbres , et pour prouver qu'il ne promettait pas en
vain , il a déjà fait paraître les oeuvres de Mme Elie de
Beaumont , et a promis les oeuvres choisies de Mme Riccoboni
; mais pourquoi ne nous donnerait-il pas les
oeuvres complètes de cette dame ? Je sais bien que tous
ses ouvrages ne valent pas Ernestine , Juliette Catesby
et l'Histoire du marquis de Cressy; mais les Lettres de
madame de Sancerre et Amélie Booth, imitation de Fielding
, se font lire avec plaisir , et sont remplies de détails
intéressans . La traduction des pièces anglaises est bien
écrite , et le plus médiocre ouvrage de Mme Riccoboni
: ;
R2
160 MERCURE DE FRANCE ,
T
vaut mieux que l'histoire d'Aménophis , par Mme de
Fontaine..
4
L'éditeur joindra , sans doute , à son recueilles Anecdotes
de la cour de Philippe-Auguste, par Mlle de Lus
san ; le mérite de cet ouvrage lui en fait un devoir , et
les oeuvres de Mme de Graffigny qui , malgré le marivaudage
qui les dépare , prouvent un talent peu commun.
Si même son intention n'était pas de se borner aux
romans , on lui conseillerait d'embellir sa collection en
y insérant les oeuvres de Mmes Lambert, de Staël , et de
quelques autres dames illustres .
Le premier des romans qu'on attribue à Mme de
Tencin est le Comte de Comminges . Je dis qu'on
attribue , car cet ouvrage n'est point d'elle , mais bien
de d'Argental son neveu , qui fut très-lié avec une dame
dont je ne me rappelle pas le nom maintenant , et à laquelle
il adressa , en mourant , de très -jolis vers ; il déclara
plusieurs fois à cette amie , qu'il était l'unique
auteur du Comte de Comminges , mais qu'il avait renoncé
ày mettre son nom en faveur de sa tante. Tous les
comtemporains de d'Argental rendent justice à son
exacte probité , à laquelle il eût manqué s'il se fût dit
auteur d'un ouvrage qui ne lui appartenait pas . D'ailleurs
il n'y a qu'une ame sensible qui eût pu écrire le
Comtede Comminges. Or, on sait bien que Mme de Tencin,
femme d'esprit , mais méprisable par ses intrigues
et ses mauvaises moeurs , n'avait aucune sensibilité ,
ainsi que le prouve sa conduite dénaturée envers son
fils , qu'elle dévoua à la misère pour cacher la honte de sa
naissance . Il suffit au reste de lire ses Lettres au Maréchal
de Richelieu , pour se convaincre qu'elle était incapable
d'écrire une de ces pages que le coeur dicte , et qu'on
rencontre dans tous les romans auxquels elle a mis son
nom . En lisant , au contraire , l'excellente notice sur
d'Argental , qui se trouve à la suite des lettres de Mme
du Chastelet , on voit facilement que le neveu avait autant
d'ame et de sensibilité que la tante en avait peu .
Cette preuve morale fortifie beaucoup l'aveu fait par
d'Argental à son amie .
Laharpe a, dans son Cours de Littérature , porté un
FEVRIER 1813.
!
jugement bien favorable sur le Comte de Comminges . II
s'exprime ainsi , en parlant de la Princesse de Clèves :
« Jamais l'amour combattu par le devoir , n'a été
>> peint avec plus de délicatesse ; il n'a été donné qu'à
> une autre femme , de peindre , un siècle après , avecun
>> sucès égal , l'amour luttant contre les obstacles , et la
>> vertu. Le Comte de Comminges , par Mme de Tencin,
>> peut être regardé comme le pendant de la Princesse
n.de Clèves . »
Je suis bien loin d'adopter l'opinion de Laharpe , qui
met les deux romans sur la même ligne ; car , quelque
soit le mérite du roman de Mme de Tencin , ou plutôt
de d'Argental , celui de Mme de la Fayette est bien supérieur
, soit pour la conduite , soit pour le style .
Baculard d'Arnaud a fait du sujet du Comte de Com
minges un drame qui est le plus mauvais d'un genre où ,
pour quatre ou cinq bons ouvrages , on en rencontre
quatre ou cinq cents de détestables . Dorat qui , n'avait
pas craint de répondre , au nom d'Abeilard , à cette
belle épître d'Héloise , qui est peut-être le chef d'oeuvre
de Colardeau , a composé une triste héroïde , où Comminges
se lamente , et délaye son histoire en six cents
vers , les plus mauvais , sans contredit , de cet auteur qui
en a fait tant de mauvais . - T
Le Siége de Calais suivit le Comte de Comminges ,
auquel il est bien inférieur; on sent en le lisant que ce
n'est pas la même plume qui les a écrits. Le second de
ces romans se fait distinguer par le charme du style , la
simplicité des événemens , la rapidité de l'action et le
pathétiquedu dénouement . Dans le premier, au contraire ,
l'auteur fait jouer des ressorts trop puissans , et la multiplicité
de évènemens qui produisent souvent, il est vrai ,
des résultats intéressans , fatigue l'attention des lecteurs .
Le siége de Calais est totalement étranger à l'action
principale, et , quoi qu'il serve au dénouement , il aurait
été facile d'employer un autre moyen plus lié au sujet ;
enfin , le style manque quelquefois de pureté et d'élégance.
Cependant le Siége de Calais est un roman qui
mérite d'être lu , parce que ses beautés l'emportent sur
ses défauts ; mais il est reconnu aujourd'hui par tous les
262 MERCURE DE FRANCE ,
gens de lettres , que Mme de Tencin n'a pas plus composé
le Siége de Calais , qu'elle n'a composé le Comte de Comminges
, et , si celui-ci est de d'Argental , l'autre est de
Pont de Vesle , qui est également auteur des Malheurs
de l'Amour.
Pont de Vesle , à qui l'on doit plusieurs pièces de
théâtre , dont la meilleure est sans contredit le Somnambule
, était frère de d'Argental , et par conséquent neveu
de Mme de Tencin , à laquelle il prêta sa plume en composant
pour elle le Siége de Calais et les Malheurs de
Amour. Ce dernier roman a tous les défauts de l'autre
et moins de beautés encore. Au reste , je ne prétends pas
nier que Mme de Tencin n'ait pris quelque part à leur composition,
soit en fournissant à son neveu quelques détails
, soit en corrigeant quelques parties de ses plans .
Les Anecdotes de la cour d'Edouard 11 sont de d'Argental,
dans les papiers duquel on trouva à sa mort le manuscrit
des deux premières parties , entièrement écrit
et raturé de sa main. Ces deux premières parties parurent
seules long-tems avant le décès de d'Argental , sous le
nom deMme de Tencin ; après la mort de cette femme
célèbre , Mme Elie de Beaumont fit la troisième partie ,
qui complètte les Anecdotes de la cour d'Edouard 11,
roman qui mérite d'être placé presqu'au même rang que
le Comte de Comminges .
De tous les écrits qui forment la collection des oeuvres
de Mme de Tencin , les seules Lettres au Maréchal de
Richelieu sont véritablement d'elles ; mais , si ces lettres
font honneur à son esprit , elles n'en font ni à son caractère
ni à ses moeurs .
J. B. B. ROCQUEFORT.
1
FEVRIER 1813. 263
THEATRE DE L. B. PICARD , membre de l'Institut. Six
vol. in-8°. - Prix , 36 fr. Chez Mame , imprimeurlibraire
, rue Pot- de-Fer .
Iz y a peu d'amis des lettres , et sur-tout de la comédie
, qui n'aient une collection plus ou moins complète
des pièces de M. Picard . Ces collections , qui vont
devenir plus rares et plus chères aux amateurs d'oeuvres
complètes , seront un jour des monumens curieux de la
brillante fécondité de l'auteur ; mais c'est sur l'édition
de son théâtre , revue , corrigée , et considérablement
diminuée , par lui-même , que se fonde , sinon toute sa
gloire littéraire , au moins celle à laquelle ila , dès à
présent , droit de prétendre ; car je suis loin de penser ,
comme on a voulu l'induire de cette édition même , que
M. Picard , dans la force de l'âge et du talent , ait entièrement
renoncé à un art qui a fait ses délices , et qui lui
a valu tant de succès . J'aime mieux croire qu'ayant examiné
ses titres comme écrivain , et ne les trouvant pas
tous d'égale valeur , il aura fait un choix , et rejeté ceux
qui lui auront paru trop légers , pour mieux consolider
les autres ; qu'enfin , il a fait une espèce d'inventaire de
ses biens , mais ne s'est pas interdit le droit de les augmenter.
Quel moment choisirait-il pour s'arrêter et cesser
de produire ? Celui peut-être où son talent peut porter
les meilleurs fruits , où une plus grande expérience des
hommes et des choses peut donner plus de vigueur à
ses compositions , teindre ses pinceaux de couleurs plus
fortes , et lui faire enfoncer plus avant le trait dont il n'a
fait souvent qu'effleurer nos vices et nos travers . Mais
il s'agit moins ici de ce qu'il peut devenir un jour , que
de ce qu'il est maintenant ; de ce qu'il peut faire , que
de ce qu'il a fait . On sait que sa part est déjà assez belle;
quelles espérances vaudraient cette réalité ?
M. Picard est celui de nos auteurs comiques dont la
réputation est la plus populaire ; mais comme tous ceux
qui ont été l'objet de l'affection du public , il éprouve
l'inconstance et même l'injustice de ses jugemens ; il
5264 MERCURE DE FRANCE ,
1
A
:
semble qu'on se soit lassé de l'entendre appeler le gai,
lejoyeux Picard . On l'a puni d'une espèce d'ostracisme ;
on la exilé au-delà des ponts . Là seulement on lui permet
d'amuser ce public qu'il a diverti pendant vingt
années . Là seulement on lui permet d'avoir encore des
succès . Veut- il porter sur un plus grand théâtre le fruit
de ses travaux , un accueil froid et glacé , quand ce
n'est pas un dur et superbe dédain , est son partage.
«Plaisante justice que borne une rivière! >> dirait Montaigne.
Singulière loi du goût ! Vérité de peintures ,
gaîté , force comique , au-delà du Pont-Royal ; carricature
, invraisemblance , mauvais ton , en-deçà . Comment
expliquer ces bizarreries , dont au surplus M. Picard
n'est pas la seule victime ? Qui pourrait dire pourquoi
une comédie nouvelle , où l'on remarquera de la vérité
dans les caractères , de la franchise dans le style , du
naturel dans le dialogue , a quelquefois tant de peine à
s'acclimater au théâtre français ; pourquoi même des
pièces de l'ancien répertoire , mais qui sont nouvelles
pour la grande partie des spectateurs , sont souvent exposées
aux mêmes disgraces ? Les quinze années de
succès de M. Picard serviront peut-être à expliquer cet
étrange phénomène.
Les pièces de cet écrivain qui ont commencé sa réputation
, les premières qui aient marqué son entrée dans
la carrière dramatique , datent d'une époque qui n'est
pas assez éloignée , pour que beaucoup de gens ne se la
rappellent pas encore . La gaîté française venait d'être
singulièrement comprimée. Pendant trois ans nos ridicules
n'avaient rien éu de risible; et quand la tragédie
courait les rues , comme disait Lemierre , il n'y avait pas
grande moisson à faire pour le poëte comique. Nos modernes
Cléons eussent envoyé bien vîte au tribunal révolutionnaire
l'indiscret Aristophane qui aurait voulu les
jouer. A ces jours de désolation et de deuil , succédèrent
presqu'aussitôt , et sans transition sensible ; des
plaisirs bruyans etjusqu'alors inconnus aux tems même
les plus heureux. A la stupeur succéda l'enivrement de
la plus folle dissipation. Ce fut avec une sorte de fureur
qu'on se livra aux amusemens de toute espèce que la
... FEVRIER 1813 . 265
cupidité s'empressait d'offrir aux avides Parisiens . Du
reste , ces amusemens n'étaient pas toujours d'un choix
délicat ; mais tout fut trouvé bon par des gens fatigués
d'un long jeûne. Les plaisirs de l'esprit s'en ressentirent
eux-mêmes : le goût eut à gémir de certains succès ;
mais ceux qu'il put avouer , ne furent peut-être jamais
plus francs ni plus complets . La révolution , qui venait
de détruire toutes les distinctions sociales , avait emporté
en même tems les prétentions qu'elles font naître.
Chacun prenait volontiers sa part du plaisir de tous . Le
rire ne dérogeait pas; le bourgeois s'amusait des mêmes
choses que l'artisan dont il croyait encore avoir besoin
de paraître l'égal. Il fallait encore être peuple , et cette
contrainte excluait les belles manières et les délicatesses
du bon ton . Ajoutez qu'à cette époque l'opinion publique
, à l'ombre de l'anarchie des journaux , conservait ,
en faitde littérature., une espèce de liberté et d'indépendance
. On ne prenait pas une opinion toute faite dans
un journal en crédit.
€ Cependant les ridicules et les vices qui sont justiciables
de la comédie , avaient commencé à reparaître ; et
les airs éventés de lajeunesse , et la médiocrité rampante
qui s'attache au pouvoir , et l'intrigue qui guette ,
àson entrée dans le monde , la candeur et l'innocence ,
et la fureur des fortunes rapides , et les prétentions risibles
de la petite ville , et les menées ténébreuses de la
grande , l'honneur et l'amour aux prises avec l'ambition
dans le coeur d'un mari , enfin la manie de briller et de
sortir de son état.
Placé dans ces circonstances , avec le plus heureux
talent pour la comédie , un grand esprit d'observation , et
une admirable aptitude à revêtir de formes dramatiques
les résultats de ses réflexions et de ses lectures , M. Picard
saisit avec adresse chacun des ridicules qui s'offraient à
son pinceau . Ses pièces de moeurs , de cette époque ,
sontune histoire vivante et animée de nos travers ; histoire
où la vérité s'appuie de la chronologie et de l'ordre
des tems . En effet , qui placerait la Manie de briller ,
jouée en 1806 , dix ou douze ans plus tôt , c'est-à-dire à
Képoque où chacun ne cherchait qu'à s'effacer et à n'être
266 MERCURE DE FRANCE ;
rien , parlerait d'un portrait , non-seulement sans ressemblance
, mais même sans modèle .
Presque tous nos ridicules sont éternels , mais ils se
modifient suivant les tems et les moeurs; quelques-uns
d'ailleurs paraissent appelés à briller chacun à leur tour
sur la scène de ce monde. De là naît pour le poëte comique
, la difficulté de saisir ces traits généraux , qui
servent à les faire reconnaître sous quelque costume et
dans quelques circonstances qu'ils se représentent . « Il
***» n'a été donné , dit M. Picard , qu'à notre grandMolière
>> de peindre constamment les hommes et les moeurs de
>>tous les siècles et de tous les pays. Depuis l'Etourdi
>>jusqu'au Malade Imaginaire je vois sous les vêtemens ,
>> les habitudes et le langage du tems où il écrivait , les
>> tuteurs et les pupilles , les vieux maris et les jeunes
>> femmes , les dupes et les fripons , les malades et les
>>médecins de toutes les époques , les prudes , les co-
>>quettes , les fats , les amans , les avares , les bourgeois
>>>de toutes les grandes villes , les grands seigneurs de
>> toutes les cours , les pédans et les précieuses de toutes
>> les littératures , les hypocrites de toutes les religions . »
Après cet hommage rendu à Molière , M. Picard vient
aux auteurs comiques , qui du moins écrivaient dans un
tems où les moeurs , les rangs , les états étaient fixés ;
<< mais , ajoute-t-il , au moment où mes amis et moi
>>nous avons écrit nos premiers ouvrages , non-seule-
>>ment les habitudes , mais les institutions changeaient
>> d'année en année. Les moeurs ne pouvaient rester les
>>mêmes. Que devait faire l'auteur comique ? Fallait- il
» qu'il se reportât aux moeurs du tems passé ? Fallait-il
>>qu'il s'attachât à peindre les moeurs fugitives du tems
>> présent ? J'embrassai ce dernier parti. Les moeurs
>> changeaient dans la société : j'essayais de peindre
>> celles du jour dans la pièce que je composais>. >>
M. Picard ne doit pas se repentir d'avoir pris ce parti .
Si ses succès au théâtre doivent être moins durables , ses
portraits auront toujours le mérite de la peinture , lors
même qu'on ne sera plus en état de juger de la ressemblance.
Et qui sait si lui-même n'a pas contribué à en
atténuer l'effet , en détruisant quelques-uns de ses mor
y
FEVRIER 1813 . 267
dèles , espèce de triomphe dont je n'ose le féliciter , mais
qui , certes , serait un des plus dignes d'envie pour un
poëte homme de bien!
Ainsi , d'un côté , des ridicules qui paraissaient nouveaux
, bien qu'ils ne fussent que renouvelés ; de l'autre ,
une critique vive , fine et enjouée de ces ridicules , la
franchise et le naturel , caractères particuliers du talent
de M. Picard , tout assura long-tems le succès de ses
nombreuses productions . Mais le naturel , en fait de comédie
, n'est pas un mets que tous les palais sachent
goûter. C'est un régime auquel on peut bien astreindre ,
pendant quelque tems , certains esprits blasés; mais ils
reviennent bientôt d'eux-mêmes , soit aux douceurs affadissantes
de la comédie musquée , soit au gros sel de la
farce : deux genres ennemis de la bonne comédie , et
qui , par des voies différentes , concourent à en altérer
l'esprit; l'un , en peignant une nature factice et de convention
; l'autre , en peignant une nature grossière et sans
choix; le premier , en proscrivant le rire ; le second , en
faisant presque rougir de celui qu'il fait naître , et surtout
en favorisant , par la facilité du succès , la paresse
de quelques gens d'esprit. Ce que le mélodrame est à la
tragédie , la farce ( au moins celle dont je parle ) l'est à
la comédie. Le secret de tous deux est d'exagérer , de
grossir les proportions et de faire des caricatures de ce
qu'avait dessiné le crayon pur et correct de l'art . Ainsi
nous avons vu mettre en scène sur deux théâtres bien
différens , et avec une différence de talent bien plus
grande encore , le ridicule d'un de ces vétérans de la
fatuité ; et les applaudissemens qu'avait eu bien de la
peine à obtenir une peinture fine et naïve , prodigués à
la charge et à l'exagération .
Au moment où M. Picard publie son théâtre , il est
assez naturel de se rappeler avec quelle faveur furent
accueillies la plupart des pièces qui le composent; mais
c'est sur-tout après les avoir relues , qu'on est étonné du
refroidissement qu'elles ont éprouvé depuis , de la part
du public , à la représentation , et qu'on est tenté d'en
rechercher les causes . Serait-ce que l'optique du théâtre
est moins favorable à certaines pièces dont les sujets ont
268 MERCURE DE FRANCE ,
vieilli ? Ferait- elle trancher et paraître trop crués certaines
couleurs auxquelles nos yeux ne sont plus accoutumés ;
tandis que la lecture , aidée d'un peu d'imagination et
d'une connaissance suffisante de la scène , tempère l'éclat
de certains tons , et place dans la demi-teinte des objets
qui réellement et par le fait s'éloignent de nous ? Seraitce
que , dans les pièces où l'intrigue est vive et chaudement
conduite , le lecteur , moins près de la sphère dans
laquelle sont emportés la pièce et les personnages , est
moins blessé de ce mouvement rapide , et plus indulgent
sur la nature de quelques ressorts ? Quel que soit , au
surplus , la vraie cause de ce succès de lecture , il est le
complément utile et glorieux de vingt ans de succès au
théâtre , et fixe plus que jamais le rang de M. Picard
dans les lettres . Il n'a rien négligé d'ailleurs pour rendre
digne du public cette édition de son théâtre . « J'ai
>> revu , dit- il , chaque ouvrage avec le plus grand soin.
» J'ai cherché à m'entourer des conseils les plus sévères
>> et les plus sincères . J'ai fait peu de changemens à la
>>marche et au fond des pièces ; mais j'en ai fait de très-
>>>nombreux dans le style et les détails .>> }
Il fait précéder chaque comédie de préfaces ou examens
, dans lesquels il espère qu'on trouvera toujours de
la franchise . C'est ce qu'il dit lui-même; mais ce que
dira le lecteur, même le moins bénévole , c'est que cette
franchise est quelquefois poussée jusqu'à la rigueur et à
une sévérité presque excessive. Nous aurons quelques
occasions de le remarquer. Ces préfaces ont en outre le
mérite de renfermer des vues saines et profondes sur
l'art ; quelques-unes même des tableaux piquans de
moeurs . Nous citerons pour exemple celle des Provinciaux
à Paris , et le passage suivant.
« Dix jours avant la première représentation , je fus
>> entraîné , je ne sais comment , à lire la pièce dans une
>>maison qui donnait alors le ton à tout Paris . Je comp-
>>tais lire devant vingt ou trente personnes . C'était déjà
>>>un grand tort ; un auteur prudent ne lit qu'à ses amis .
>>Mais quelle fut ma surprise , quand, après le dîner, je
> vis arriver cent ou cent cinquante personnes , les
femmes les plus élégantes , des généraux , des séna-
;
FEVRIER 1813 . 269
teurs , des juges , des poëtes et un cardinal ! Je fus
>> tenté de m'enfuir. Je crus qu'en sortant , je m'expo-
» serais encore plus aux quolibets et au ridicule. Je pris
» mon parti , je cherchai à ne pas paraître trop décon
» tenancé , et je lus fort rapidement. Mais quelle école!
» La maîtresse de la maison se souciait fort peu de l'au
>> teur et de sa pièce , et n'avait songé qu'à donner une
>>soirée où le jeu et la danse ne fussent pas en première
>> ligne'; parmi les autres , de l'indifférence , de la mau
>> lice , des amitiés fausses ou froides , des applaudisse-
>mens de politesse , des complimens exagérés en face,
» des critiques amères en arrière , pas un conseil , et le
>> cardinal qu'on avait placé à côté de moi , parce qu'il
>> étaitun peu sourd , et qui avait dormi pendant les trois
>> derniers actes , se réveillant pour me dire : Monsieur ,
>>voilà une bien jolie comédie ; a-t-elle déja été jouéé ?
» J'aurais dû essayer de mettre cette lecture en scène
pour compléter letableau de la grande ville , malheu-
>> reusement j'y aurais joué le plus mauvais rôle . »
)
Les premières représentations de cette pièce des Provinciaux
à Paris , furent mêlées de quelques orages .
L'auteur rapporte , à cette occasion , un fait dont la simplicité
est relevée par l'agrément des détails et la naïveté
de l'observation qu'il lui fournit alors.
<< A la troisième représentation , dit-il , je m'aperçus
>>presqu'au moment de commencer , qu'une des actrices
m'était pas encore arrivée . La salle était pleine ; une
partie des spectateurs témoignait d'avance des inten-
>>>t>ions hostiles. J'étais fort agité , fort inquiet . L'aba
>> sence de cette actrice redoublait encore mon anxiété.
>>On n'indiqua la maison où je pourrais la trouver.
» J'allai moi-même la chercher . A peine hors de cette
>> salle déjà si tumultueuse , je me sentis frappé du
>> calme qui régnait autour de moi . Je vis , en traver-
>> sant les boulevards , beaucoup de personnes qui
> allaient tranquillement à leurs affaires ou à leurs plai+
»sirs , sans se douter seulement qu'il existât une pièce
>> intitulée : LaGrande ville , ou les Provinciaux à Paris.
>>>Je pensai alors , qu'à l'exception des grands génies
vraiment créateurs , un auteur , quel qu'il soit , peut
270 MERCURE DE FRANCE ,
>> faire une très-bonne ou une très-mauvaise pièce , sans
>> que sa gloire ou sa honte sorte d'un cercle très- étroit.
>> Cette réflexion contribua à me donner de la philoso-
>> phie pendant la représentation qui fut fort orageuse. >>>
Dans un second article nous ferons connaître , avec
plus de détails , les pièces dont se compose le théâtre de
M. Picard . Nous remarquerons toutefois , dès à présent,
que ces pièces sont placées dans l'ordre où elles ont
paru ; ce qui met à même d'observer l'auteur dans sa
marche croissante et dans ses progrès ; car cette diffé
rence qu'on aime à trouver entre les ébauches de la
jeunesse et les compositions de l'âge mur , est encore ,
si nous ne nous trompons , un des caractères particuliers
du talent. L. X.
REVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
1
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES , LES ARTS ; LES MOEURS
ET LES USAGES .
Quatrième lettre de l'Observateur provincial à Messieurs
les Rédacteurs du Mercure .
MESSIEURS , Lebrun a dit :
Se fâcher d'un bon mot c'est lui prêter des ailes .
Une plaisanterie hasardée dans mon journal d'observations
a reçu les honneurs du bon mot , c'est-à-dire que
quelques femmes se sont fâchées . J'en sais même qui ont
donné un libre cours à leur énergique indignation. Puisse
cet épanchement de bile les avoir soulagées ! D'autres ont
eu le bon esprit d'en rire , et ont senti que le courroux en
pareil cas était souvent délateur.
J'ai reçu à ce sujet plusieurs lettres de reproches . Il en
est une sur-tout où ils sont exprimés avec tant d'esprit et
de grace , que je regarde comme heureuse la faute qui me
les a mérités . Si elle contenait moins d'éloges , et si les
détails qu'elle renferme étaient d'un intérêt plus général ,
je me serais empressé de vous l'envoyer , bien persuadé
qu'elle aurait embelli ma correspondance. Permettez-moi
de la remplacer par une autre moins agréable peut-être ,
FEVRIER 1813. 271
mais qui rentre davantage dans le plan que je me sui
tracé. Permettez-moi aussi d'y joindre ma réponse .
A l'Observateur Provincial.
Bar-le-Due , 15 janvier 1813.
:
:
Je suis femme , et comme telle , M. l'Observateur , jo
trouve vos lettres très -impertinentes . Si ce début n'est pas
galant , c'est que vous-même l'êtes fort peu avec mon sexe .
Vous semblez vous plaire à le mettre en scène , et toujours
sous un aspect défavorable. Rien n'est usé comme ce
genre-là; je vous en avertis. Ceux qui le prennent , jouent
d'ordinaire un fort triste rôle. Nous pardonnons de grosses
injures ; jamais la raillerie . J. J. Rousseau , dans ses pages
les plus éloquentes , nous adresse de vives apostrophes ;
mais il parle de nous avec enthousiasme ; il nous rend un
espèce de culte ; Rousseau est pardonné. Nous ne sommes
pas si indulgentes pour les plaisans bons ou mauvais .
Boileau , malgré l'excellence de ses vers , est à jamais perdu
dans notre esprit. Que devons-nous penser de vous ,
M. l'Observateur , qui certes n'êtes pas un Boileau ? Injuriez
- nous et adorez-nous . A la bonne heure . Nous excusons
, que dis -je ? nous aimons les écarts d'une passion
exaltée , parce qu'ils naissent d'un excès de sentiment.
L'ironie au contraire nous révolte ; elle est l'arme des incrédules
; et qui ne croitpoint en nous est indigne de nous .
C'est lorsque les beaux esprits de Rome commencèrent à
s'amuser sur le compte de Vénus et des autres déesses ,
que l'Olympe fut ébranlé. Nous sommes depuis long-tems
les divinités terrestres de l'Europe galante . Rire à nos dépens
est un sacrilége . Laissez donc là ces froides plaisanteries
qui ne sont guère qu'à l'usage de ceux qui , comme
l'adit je ne sais quel néologue , ont reçu tout leur coeur en
esprit . Sachez d'ailleurs que depuis qu'un poëte aimable
a chanté notre mérite , il n'est plus permis de nous attaquer.
Douze éditions de ce poëme , plus divin que celui
d'Homère , sont bien faites pour écraser nos détracteurs .
Vous parlez sans cesse de notre goût pour la parure .
Je ne répéterai point tout ce qu'on a dit de raisonnable
pour le justifier. J'userai , pour vous confondre , d'une
juste représaille ;
Carje sais même sur ce fait
Bonnombre d'hommes qui sont femmes..
272 MERCURE DE FRANCE ,
Sénèque dit quelque part que , de son tems,les hommes
étaient plus jaloux de leur parure que les femmes . Au
risque de passer pour une savante en us , je vous citerai
encore le grand Hortensius qui traduisit en justice un panvre
malheureux , seulement pour avoir , par mégarde , dérangé
un pli de sa robe. Lucullus se vantait d'avoir cinq
mille habits à changer. Néron ne porta jamais deux fois
le même .
Sans remonter si haut , que de bizarreries dans les modes
successivement adoptées en France par les hommes ! La
coiffure à l'oiseau royal était-elle assez plaisante ? Celle
que vous avez adoptée est plus naturelle , je l'avoue , et en
général votre habillement offre plus de simplicité ; mais
cette coiffure et cet habillement sont encore , pour la forme,
assujétis à tous les caprices de la mode.
Hier , les cheveux élégamment bouclés devaient tomber
sur le front , et ombrager les yeux deleurs masses touffues ,
tandis que le derrière de la tête était rasé de si près que
j'ai cru qu'on en viendrait à enlever la première peau. Aujourd'hui
ce n'est plus cela. Les cheveux bien relevés
imitent , par leur roideur , les défenses du hérisson , et
laissent à découvert plus d'un front qu'il ne faudrait pas
soumettre aux épreuves physionognomoniques de Lavater.
Tantôt on vous voit le menton empaqueté dans une
triple cravate , comme si vous vouliez hâter la résolution
d'une esquinancie ; tantôt l'usage veut que la tête d'un
petit-maître soit comme celle du héron , emmanchée d'un
long cou.
Vos habits tombent souvent dans la caricature ; et des
variations survenues seulement dans la forme et dans la
couleur du collet , on ferait un livre plus gros que celui des
variations de l'église ; collets verts , collets noirs , collets
plissés , froncés , juponnés , collets -schalls , collets debout ,
collets- capuchons , sans compter ceux que MM. les tailleurs
, ministres ingénieux de la mode , inventeront encore
å la plus grande gloire des arts .
5
Vous voyez , M. l'Observateur , que les hommes partagent
tout- au- moins ce goût pour la parure , objet de vos
plaisanteries . J'ai fait aussi dans la petite ville que j'habite
quelques observations qui confirment pleinement ce que
j'avance.
Par exemple , nos jeunes gens rougiraient de porter un
habit fait en province. Le bon ton veut qu'il vienne à
grands frais de la capitale , ou tout au moins de la grande
2
1
FEVRIER 1813 . 273
,
ville la plus voisine. Un honnête bottier leur corgim
pour la somme de 30 francs , une paire de bates blen
cONETA
ditionnées ; mais il faut qu'elles en coûtento 48
et qu'elles sortent d'une main célèbre danes tastes de la
chaussure . Aussi un tailleur ou un coronnier qui a là
vogue est aujourd'hui un personnage important. I-sait
mettre à profit les faveurs du caprice. On ve le voit plus
comme autrefois , travailler dans une modeste boutique .
Que dis-je ? il ne travaille plus . C'est dans ammense
magasins , où la richesse éclate de toute part , qu'il commande
à de nombreux ouvriers . Rien n'égale le luxe qui
l'entoure , si ce n'est son insolence et sa mauvaise for. On
ne brille pas sans faire des dupes. C'est pour en augmenter
le nombre qu'il a des commis voyageurs chargés de parcourir
les petites villes et de mettre à contribution la vanité
des provinciaux qui visent à l'élégance .
18
Si du costume je passais aux manières , je pourrais
prendre une revanche complète. Le tems n'est pas loin
où unjeune homme devait , avec de très -bons yeux , porter
une paire de besicles , grassayer en parlant , et ne prononcer
que la moitié des syllabes. Ces petites mignardises
avec lesquelles il croyait nous charmer ne sont plus de
mode , je le sais ; mais il les remplace auprès de nous par
unpetit air délibéré , un certain sans-façon qui n'est pas
celui de la bonhomie , et qui frise par fois l'impertinence .
'Il voudrait , au moyen de cette familiarité avec les femmes ,
et à l'aide de quelques demi mots , de quelques demiapparences
, faire croire à des succès plus intimes . On dit
même qu'il préfère ces bonnes fortunes imaginaires ,
pourvu que le public en jase , à celles qui plus réelles sont
couvertes des voiles du mystère .
Je ne pousserai pas plus loin cette récrimination . Elle
prouve assez qu'en fait de ridicules chaque sexe a les siens .
J'espère donc , monsieur l'Observateur , que si vous continuez
vos tableaux de moeurs , nous cesserons d'y occuper
le premier plan . Tout mon sexe vous jette la pierre ; je
pense trop bien de votre galanterie pour croire que vous
puissiez vivre heureux sous le poids de notre courroux.
J'ai l'honneur de vous saluer .
(
THÉRÉSINA DE B....
۲
S
)
374 MERCURE DE FRANCE;
Réponse de l'Observateur provincial.
Eh quoi ! Madame ou Mesdames , ma plume jusqu'ici
trop futile n'a fait qu'effleurer quelques ridicules peu importans
, ceux qui au fond nuisent le moins à la société
et déjà j'entends VOS clameurs . Que serait-ce donc si ,
usant de mon droit d'observateur moraliste , je venais à
signaler des penchans plus dangereux , et qui , par cela
même qu'ils naissent du coeur , tiennent plus à un.vice
qu'à un ridicule ? Que serait-ce donc ssii j'avais ou le cynisme
de Montaigne , ou l'amertume de la Rochefoucauld,
ou l'austérité mordante de La Bruyère ? Que serait-ce
enfin , si j'avais leur génie ? Voilà de terribles adversaires ,
d'autant plus redoutables qu'ils sont immortels . Mais
qu'avez-vous à craindre d'un badinage éphémère qui meurt
avec le jour qui l'a vu naîtres? Suis -je donc votre ennemi
pour quelques vérités dites sans fiel , et pour quelques
traits puisés dans le carquois de Momus ? non , sans doute .
Vos véritables ennemis sont les flatteurs .
,
)
:
Un philosophe de l'antiquité disait que les fils des rois
ne pouvaient apprendre qu'à bien monter à cheval , parce
que leurs coursiers ne connaissaient pas la flatterie . Vous
êtes , sous ce rapport , plus à plaindre que les fils des rois ,
puisque l'exercice de cet art n'entre pas dans votre éducation.
C'est un petit malheur, sans doute , mais c'en est un
que d'être , dès votre enfance , livrées à un commerce
puéril d'adorations trop souvent simulées . Il en résulte
que l'apparence d'une vérité vous blesse , comme le pli
d'une feuille de rose blessait jadis un sybarite .
Vous connaissez le trait de cette dame qui se faisant
peindre se pinçait les lèvres afin d'avoir la bouche plus
petite. Madame , ne vous gênéz pas , lui dit le peintre ;
pour peu que vous le désiriez, je n'en ferai pas du tout. Si
l'artiste , exagérant le désir de la dame , eût supprimé la
bouche dans son portrait, il aurait reimplacé un léger défaut
par une difformité. Voilà l'effet de la flatterie. Pourquoi
proclamer sans cesse une perfection qui n'est pas dans la
nature , à laquelle on ne croit pas , et qui serait peut-être
le pire de tous les défauts ? Je suis , je l'avoue , un peu
moins complaisant que le peintre dont je viens de parler ,
et je n'ai pas suivi le précepte de je ne sais quel enthousiaste
qui veut que lorsqu'on écrit sur les femmes on trempe sa
plume dans l'arc-en-ciel. Mais peut-être me devez-vous
plus de reconnaissance qu'à tant d'auteurs doucereux qui ,
FEVRIER 1813 . 275
àforce de vous prodiguer leur encens banal , parviennent
àcorrompre mille dons heureux que vous tenez de la nature .
J'ai attaqué le goût un peu vifque vous avez pour la
parure . Vous me répondez par une récrimination dont je
ne conteste point la vérité . Il est des hommes qui , j'en
conviens, attachent quelqu'importance à leur toilette; mais
les sacrifices qu'ils font à la mode sent autant d'hommages
qu'ils vous rendent :
3
De celle qu'on adore
On adopte aisément la patrie et les Dieux .
CAMP.
Souffrez à ce propos que je vous fasse le récit d'un procès
qui vient de se plaider dans un département assez voisin
de celui où j'écris . L'anecdote est un peu burlesque , mais.
elle est vraie. Vous avez été chercher des autorités jusque
chez les Romains . Les miennes sont contemporaines ; si
elles font moins d'honneur à mon érudition , elles seront
plus utiles à ma cause .
Un jeune homme estimable sons tous les rapports , et
doué d'un caractère heureux , se leva un matin avec la fantaisie
de se marier . Après un mûr examen des beautés de
sa connaissance , il en distingua une , et courut lui porterses
voeux et son hommage . Avec le titre de prétendu , onest
sûr d'être écouté et d'exciter une attention toute particulière.
C'est ce qui arriva. Le jeune homme , encouragé par
le plus doux accueil , crut devoir faire sa demande en
forme . Une personne tierce fut , comme cela se pratique ,
chargéede négocier auprès du père. Celui-ci enchanté fait
venir sa fille et s'empresssseedelui nommer son époux , ne
doutant pas qu'il ne fût accepté . Quelle est sa surprise
d'essuyer un refus positif et soutenu ! Ma fille , y pensezvous
? s'écria-t - il ; ce jeune homme vous convient . - Oui ,
mon père.
Il est doux et honnête . Qui , mon père .
-
-
1
Sa fortune est égale à la vôtre .- Oui , mon père.- Eh
bien ! Eh bien ! mon père , il a une queue.
En effet , le jeune homme avait une queue qu'il conservait
, non sans doute pour sa commodité , mais par
habitude, ou comme un monument de la coiffure de ses
aïeux. C'est vainement que l'on voulut faire entendre raison
à la jeune personne. Elle voyait toujours cette queue ,
cette fatale queue réprouvée par la mode , et qui à ses yeux
détruisait tout le mérite de celui qui la portait .
S2
276 MERCURE DE FRANCE ,
1 Le negociateur , un peu honteux de son ambassade , fut
obligé d'en rendre compte à celui quil'avait envoyé. Quelle
douleur pour notre prétendu ! Il tenait beaucoup à sa
queue , et s'en défaire lui paraissait une dure extrémité ;
✔délibère , il hésite ; puis il s'écrie':
ع٠
85
17
Omnia vincit amor, et nos cedamus amori.
VIR:
1
Par-tout l'amour triomphe , et je cède à l'amour.
B.
100
5
Le coiffeur est mandé ; il arrive , et les ciseaux complaisans
ont bientôt consommé ce grand sacrifice. Le voilà
enfin à la Titus . Tout fier de sa métamorphose , il vole
auprès de son amante , bien persuadé qu'il va recevoir le
prix de son dévoûment. O caprice indéfinissable ! A peine
l'a-t-elle aperçu qu'elle le refuse une seconde fois , en disant
que la coiffure à la Titus lui allait encore plus mal que
celle qu'il venait de quitter.
)
Outré avec raison d'un procédé aussi bizarre , notre
malheureux amant a intenté un procès à cette nouvelle
Dalila , et lui a démandé de gros dédommagemens pour
cette queue , cette portion de lui-même qu'il lui a si vainement
sacrifiée .
J'ignore le résultat d'une procédure aussi plaisante que
nouvelle : mais qu'importe le dénouement? Vous conviendrez
, Madame , que le fond de l'aventure atteste assez
l'empire des petites choses sur les actions les plus importantes
de votre vie. C'est ce qui a fait dire aux malins que
Prométhée avait sans doute usé tout son flambeau lorsqu'il
voulut animer la beauté , et que c'est pour suppléer à
l'inertie du coeur qu'il alluma dans sa tête le léger phosphore
des fantaisies .
J'ai l'honneur de vous saluer .
1
L'Observateur Provincial.
L
SPECTACLES. - Théâtre-Français . - Tippoo-Saeb , tragédie
encinq actes et en vers de M. de Jouy.
Le public avaitle droit d'attendre une tragédie de l'auteur
de la Vestale, M. de Jouy a tenu parole; examinons le
sujet qu'il a mis à la scène.
FEVRIER 1813 .
277
:
Tippoo-Saëb , digne fils d'Hider-Aly , empereur du
Mysore, ajuré de ne poser les armes qu'après avoir délivré
l'Inde du joug de ses oppresseurs ; mais la fortune ne sert
pas de si nobles projets ; Tippoo est assiégé par les Anglais
dans Séringapatuam; quelques Français sous les ordres de
Raymond combattent pour lui , et l'armée anglaise com
mandée par le général Stuart occupe la majeure partie de
l'empire du Mysore : tel est l'état des choses lorsque l'action
commence .
Narséa , ministre de Tippoo , est jaloux de la faveur dent
son maître honore Raymond ; il a juré la perte de ce der
nier, il trahit son prince et sa patrie pour se venger d'un
rival ; il s'est vendu aux Anglais auxquels il a promis de
livrer une des portes de la ville . Le sultan consulte Narséa
etRaymond sur sa position ; Raymond propose de sortir
de nuit à la tête de l'armée pour se réunir au roi des Abdalis
qui marche au secours de Tippoo ; Narséa , dont ce projet
contrarie les desseins secrets , pense que son maître doit
attendre l'armée alliée dans les murs de Séringapatnam .
On annonce qu'un officier anglais envoyé par Stuart , demande
à être introduit; il exige pour sûreté la parole du
général français ; Raymond s'oppose à ce qu'il soit entendu,
mais l'avis de Narsea l'emporte , et le sultan permet que
l'envoyé anglais paraisse devant lui . Cet envoyé est annoncé
sous le nom de Seymour; il ne s'est chargé de cette mission
délicate que pour hâter la chute de Tippoo : un motif particulier
l'anime; il est le fils de Dunkan, général anglais que
Tippoo fit autrefois périr dans des supplices affreux pour
avoir fait égorger des femmes de son sérail. Narséa et Seymoursont
surpris ensemble par Raymond ; le sultan paraît;
Seymour essaie de l'effrayer sur le sort qui le menace, il ose
enfin lui proposer de livrer ses enfans pour gage de la
paix; Tippooveut lui répondre par cent coupsde poignard,
mais Raymond arrête son bras . Le sultan ordonne que l'insolent
envoyé soit retenu : Raymond , dont l'honneur estlé
premier devoir , protége la fuite de Seymour au moment où
Tippoo venait d'être instruit qu'il était fils de Dunkan.
Narséa irrite la colère de son maître contre Raymond , il
cherche à lui inspirer quelques soupçons sur sa fidélité ;
Raymond paraît devant le sultan , il avoue avoir favorisé
la fuite de Seymour , l'honneur l'ordonnait ; à son tour il
accuse Narséa , il dévoile ses projets, sa complicité avec les
Anglais , il invoque enfin le témoignage d'Achmed , confident
de Narseat à ce nom le ministre se trouble , mais
278 MERCURE DE FRANCE ,
Achmed vient de périr frappé par une main inconnue , et
ilne reste ainsiausultan aucun moyen de connaître la vérité;
perplexité affreuse ; qui des deux le trahit ? Est-ce son premier
ministre , celui qui veilla sur son berceau ? Est-ce Raymond,
qui mille fois a bravé pour lui la mort ? Eh ! du
moins , s'écrie-t-il , que le traître
f
Se révèle à mes yeux un poignard à la main .
Cette scène qui est d'une rare beauté , a produit le plus
grand effet ; Narséa rappelle ses services passés ; Raymond
croirait s'avilir s'il consentait à se justifier ; Tippoo reconnaît
l'accent de la vérité , il fait arrêter son perfide ministre,
et charge Raymond de protéger la fuite de ses enfans qu'il
s'est décidé à éloigner ; mais les Anglais avertis par Narséa
sont prêts à s'emparer d'une si riche proje, un miracle seul
peut les sauver , et ce miracle est l'ouvrage de Raymond.
Enfin on annonce que l'armée anglaise menace les remparts ;
le canon gronde de toutes parts ; Tippoo à la tête de ses
soldats repousse l'ennemi , mais il est lâchement assassiné
par Narséa , et il vient expirer sur la scène en recommandant
à ses enfans le soin de sa vengeance et l'horreur des
Anglais.
Cette tragédie a obtenu le succès le plus complet , et
qu'un public nombreux s'empresse de sanctionner à chaque
nouvelle représentation ; le plan est conçu avec art ; les
caractères , bien annoncés dès les premières scènes , conservent
la physionomie qui leur est particulière. Mais un
mérite précieux , et que l'on ne saurait trop relever , c'est
celui du style ; il m'a paru constamment poétique ,, sans
emphase , et d'une égalité remarquable ; graces à la sténographie
, je puis offrir à mes lecteurs une preuve à l'appui
de ce que j'avance. Tippoo fait en ces termes le tableau
des cruautés des Anglais dans l'Inde .
i
Je suis le fils d'Hider ; une invincible horreur ,
Au nom seul des Anglais , fait palpiter mon coeur ;
Pour cette nation fourbe , avare , cruelle ,
Je porte dans mon sein la haine paternelle .
Que sert de s'aveugler , et quel dieu désormais
Entre ce peuple et moi peut rétablir la paix ?
Il n'en est point pour lui tandis que je respire ;
Je vis pour sa ruine , à ma mort il aspire ,
:
1
1
FEVRIER 1813.
279
i
4
>
,
Etde la lutte extrême où je suis engagé ,
Si je ne sors vainqueur, je veux mourir vengé .
Toi-même qui défends ces coupables victimes
Des tyrans de l'Asie as -tu compté les crimes ?
Vois des plus noirs forfaits l'exécrable artisan ,
Clive au seinde la paix embraser l'Indoustan ;
Par le fer , le poison , suppléant au courage ,
Des rois qu'il assassine envahir l'héritage .
Détournes-tu les yeux de ce monstre oppresseur ,
Plus cruel et plus vil son lâche successeur ,
Pour étancher la soif de l'or qui le domine
Dans nos fertiles champs fait naître la famine ;
Trois millions d'Indiens expirent sur ces bords
LeGange épouvanté ne roule que des morts ;
Tandis que leurs bourreaux , au sein de l'abondance ,
Calculent les produits de ce désastre immense .
Detant d'infortunés les cris , les pleurs amers ,
Les longs gémissemens ont traversé les mers ,
Et de ce grand forfait l'Europe accusatrice ,
Dix ans sans l'obtenir a demandé justice.
As-tu donc oublié cette ville d'Hyder
QueDunkan détruisit par la flamme et le fer ,
Sur ses débris fumans mes femmes outragées ,
Et pour comble d'horreur lâchement égorgées ?
Il a payé bien cher ses exploits inhumains ,
Le barbare à son tour est tombé dans mes mains ,
Et le supplice affreux qui fut sa récompense ,
Sans calmer ma fureur , fatigua ma vengeance.
Pes sables du Corée aux rivages d'Ormus ,
Des mers de Taprobane aux sources de l'Indus
Suis ces persécuteurs des nations tremblantes ,
Leurs pas laissent par- tout des empreintes sanglantes ,
Et par- tout détestés les brigands d'Albion
Ont mérité l'horreur que j'attache à leur nom.
Si le lecteur concluait de mon examen que je regarde
cette production comme un ouvrage sans défauts , il se
tromperait. Peut- être l'auteur aurait-il dû ne pas présenter
Tippoo -Saëb dans une position aussi désespérée : sidepuis
long-tems le spectateur ne prévoyait pas sa perte , la
chute de ce prince , causée sur-tout par la trahison de
Narséa , en paraîtrait plus inopinée , produirait , je crois ,
اد
278 MERCURE DE FRANCE ,
Achmed vient de périr frappé par une main inconnue , et
il ne reste ainsi ausultan aucun moyen de connaître la vérité;
perplexité affreuse ; qui des deux le trahit ? Est-ce son premier
ministre , celui qui veilla sur son berceau ? Est-ce Raymond
, qui mille fois a bravé pour lui la mort ? Eh ! du
moins , s'écrie-t -il , que le traître
Se révèle à mes yeux un poignard à la main.
Cette scène qui est d'une rare beauté , a produit le plus
grand effet ; Narséa rappelle ses services passés ; Raymond
croirait s'avilir s'il consentait à se justifier ; Tippoo reconnaît
l'accent de la vérité , il fait arrêter son perfide ministre,
et charge Raymond de protéger la fuite de ses enfans qu'il
s'est décidé à éloigner ; mais les Anglais avertis par Narséa
sont prêts à s'emparer d'une si riche proje, un miracle seul
peut les sauver , et ce miracle est l'ouvrage de Raymond.
Enfin on annonce que l'armée anglaise menace les remparts;
le canon gronde de toutes parts ; Tippoo à la tête de ses
soldats repousse l'ennemi , mais il est lâchement assassiné
par Narséa , et il vient expirer sur la scène en recommandant
à ses enfans le soin de sa vengeance et l'horreur des
Anglais .
Cette tragédie a obtenu le succès le plus complet , et
qu'un public nombreux s'empresse de sanctionner à chaque
nouvelle représentation ; le plan est conçu avec art ; les
caractères , bien annoncés dès les premières scènes , conservent
la physionomie qui leur est particulière . Mais un
mérite précieux , et que l'on ne saurait trop relever , c'est
celui du style ; il m'a paru constamment poétique , sans
emphase , et d'une égalité remarquable ; graces à la sténographie
, je puis offrir à mes lecteurs une preuve à l'appui
de ce que j'avance. Tippoo fait en ces termes le tableau
des cruautés des Anglais dans l'Inde .
!
Je suis le fils d'Hider ; une invincible horreur ,
Au nom seul des Anglais , fait palpiter mon coeur ;
Pour cette nation fourbe , avare , cruelle ,
Je porte dans mon sein la haine paternelle.
Que sert de s'aveugler , et quel dieu désormais
Entre ce peuple et moi peut rétablir la paix ?
Il n'en est point pour lui tandis que je respire ;
Je vis pour sa ruine , à ma mort il aspire ,
4
{
FEVRIER 1813.
279
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4
Etde la lutte extrême où je suis engagé ,
Si je ne sors vainqueur, je veux mourir vengé.
Toi-même qui défends ces coupables victimes
Des tyrans de l'Asie as-tu compté les crimes ?
Vois des plus noirs forfaits l'exécrable artisan ,
Clive au sein de la paix embraser l'Indoustan ;
Par le fer , le poison , suppléant au courage ,
Des rois qu'il assassine envahir l'héritage.
Détournes-tu les yeux de ce monstre oppresseur ,
Plus cruel et plus vil son lâche successeur ,
Pour étancher la soif de l'or qui le domine
Dans nos fertiles champs fait naître la famine ;
Trois millions d'Indiens expirent sur ces bords ,
Le Gange épouvanté ne roule que des morts ;
Tandis que leurs bourreaux , au sein de l'abondance ,
Calculent les produits de ce désastre immense .
Detant d'infortunés les cris , les pleurs amers ,
Les longs gémissemens ont traversé les mers ,
Et de ce grand forfait l'Europe accusatrice ,
Dix ans sans l'obtenir a demandé justice .
As-tu donc oublié cette ville d'Hyder
Que Dunkan détruisit par la flamme et le fer ,
Sur ses débris fumans mes femmes outragées ,
Et pour comble d'horreur lâchement égorgées ?
Il a payé bien cher ses exploits inhumains ,
Le barbare à son tour est tombé dans mes mains ,
Et le supplice affreux qui fut sa récompense ,
Sans calmer ma fureur , fatigua ma vengeance.
Pes sables du Corée aux rivages d'Ormus ,
Des mers de Taprobane aux sources de l'Indus
Suis ces persécuteurs des nations tremblantes ,
Leurs pas laissent par- tout des empreintes sanglantes ,
Et par-tout détestés les brigands d'Albion
Ont mérité l'horreur que j'attache à leur nom.
ار
M
Si le lecteur concluait de mon examen que je regarde
cette production comme un ouvrage sans défauts , il se
tromperait. Peut- être l'auteur aurait-il dû ne pas présenter
Tippoo-Saëb dans une position aussi désespérée : si depuis
long-tems le spectateur ne prévoyait pas sa perte , la
chute de ce prince , causée sur-tout par la trahison de
Narséa , en paraîtrait plus inopinée , produirait , je crois
280 MERCURE DE FRANCE ,
:
encore plus d'impression , et ce vers que prononce Tippoo
avant d'expirer , serait plus complétement justifié.
2
f
Ils ne pouvaient me vaincre , ils m'ont assassiné.
Le rôle de Tippoo est d'une vérité historique ; personne
ne pouvait mieux le tracer que M. de Jouy qui fut présenté
à la cour de ce prince ; c'est dans les lieux mêmes où il
nous transporte que l'auteur a ramassé ses matériaux.
Talma exprime avec une heureuse flexibilité les sentimens
différens qui animent ce monarque ; la soif de la vengeance
, l'horreur des oppresseurs de son pays , les angoisses
d'un père à la vue des périls qui menacent ses enfans
. Un aussi beau rôle suffirait pour établir la réputation
de ce grand acteur , si depuis long-tems il n'était pas reconnu
que Talma est le premier talent tragique de la scène
française.
Le caractère de Raymond est peint des plus nobles couleurs
; la franchise , la bravoure et la loyauté qui distinguent
les officiers français , y brillent dans tout leur éclat. Ge rôle
est vraiment national ; il est joué avec une rare intelligence
par Damas. Michelot représente Seymour , et Baptiste
aîné Narséa : ils ont su tirer parti de deux rôles nécessairement
ingrats . MH Bourgoing est douce et intéressante
dans le personnage d'Aldeïr , fille de Tippoo ..
Rien ne me paraît moins fondé que la plupart des réflexions
ou critiques auxquelles cette tragédie a donné lieu...
On a dit , par exemple , qu'Hider-Aly , fondateur de l'empire
de Mysore , était un chef de Marattes ; l'erreur est
plaisante : ilme semble que l'on n'aurait pas dû ignorer que
les Marattes forment une république , la seule del'Inde, que
cette république est gouvernée par un chef qu'on appelle
Pé-Scha ; ce peuple guerrier , que l'on peut comparer aux
Suisses d'autrefois , se met à la solde des princes de l'Inde
qui veulent payer leurs services ; on en a vu souvent dans
la même guerre servir dans les deux armées opposées .
Un autre critique prétend que Tippoo-Saëb devrait entendre
avec calme la proposition de l'envoyé anglais : si un
prince de l'Europe se conduisait ainsi que le fait Tippoo ,
certes la critique serait fondée; mais on oublie qu'il s'agit
iei d'un prince indien , despote absolu , dont les moindres
désirs ont toujours été des lois, et qu'ose-t-on lui proposer?
de livrer ses enfans, On blâme encore M. de Jony , d'avoir
prêtéàTippoo Vintention de faire périr les prisonniers anFEVRIER
1813. 281
glais , et pourtant ce qu'il a mis en proposition est l'exacte
vérité; qui ne sait qu'Hider-Aly fesait mutiler ou mettre à
mort les prisonniers qui tombaient entre ses mains ?
Enfin, on reproche à l'auteur d'avoir donné à son héros
trop d'horreur du nom anglais . Qu'on lise l'histoire , qu'on
se donne la peine de revoir le procès d'Hastings , gouverneur
de l'Inde , et l'on ne sera plus surpris de cette haine
pour des hommes qui amenèrent , par calcul , la famine
dans la contrée la plus fertile de l'univers : les cruautés
commises par cet Hastings , furent si épouvantables , qu'à
son retouren Angleterre il fut accusé devant le parlement;
des femmes s'évanouirent en entendant la lecture des
forfaits qu'on lui imputait. Ce procès qui dura dix ans,
fixa l'attention de l'Europe entière ; on vit dans cette lutte
le spoliateur des peuples payer son absolution d'une partie
du sang de ses victimes ; on m'a assuré qu'il y dépensa
quarante millions... Et que cette somme ne paraisse pas
exagérée ; ces richesses qu'il avait acquises montaient bien.
plushaut. Le jour qu'il fut présenté à la reine d'Angleterre , t
il portait un habit brodé en perles fines , estimé huit cent
mille livres : ces détails m'ont été donnés par un homme
irrécusable et qui se trouvait alors à Londres. Cette cause
àjamais mémorable , donna lieu au fongueux Burke et à
l'éloquent Schéridan , de déployer leurs talens ; ils ne
purent cependant faire triompher la cause de l'humanité :
Hastings quoique convaincu d'avoir fait périr par le fer ou
le poison vingt-huit princes findiens , nababs ou rajahs ,
fut absous sans être innocent; il garda la majeure partie
de ses affreuses dépouilles , et l'on peut dire que l'issue de
cette enquête , à jamais mémorable , fut encore plus hon
teuse pour le peuple anglais que les crimes quiy avaient
donné lieu . B.
POLITIQUE.
Nous avons annoncé que lord Wellington s'était rendu
à Cadix. On sait que ce général a été présenter à la régence
un nouveau plan pour mettre les armées en état de soutenir
la campagne prochaine . Il paraît qu'il a proposé de
diviser le territoire en quatre départemens , et de placer à
la tête de chacun d'eux un capitaine et un intendant-général
, qui seraientdésignés par S. S. Le dernier serait chargé
de percevoir tous lesfonds levés par le gouvernement pour
l'entretien des armées espagnoles . L'organisation de ces
armées serait achevée sous la direction de S. S. , qui s'engagerait
à solder au gouvernement les comptes qui pourraient
n'être pas terminés à la fin de l'année ..
}
Ce plan fut envoyé à la régence sous la forme d'un mémoire
, et accompagné d'observations de S. S. Mais il a été
rejeté , sans être remplacé par un autre , la régence ayant
déclaré ne pouvoir remplir les intentions de lord Wellington
sans violer les principes de la constitution espagnole ..
: Nous ignorons , dit le Times , la résolution prise par le
général anglais , en conséquence de ce refus. Quoi qu'il en
soit, il est fort à désirer qu'il soit présenté unplan conforme
aux vues du marquis , et en même tems capable d'activer
les opérations des Espagnols.
D'autres journaux anglais donnent des nouvelles de
l'armée de Portugal ; cette armée jouit de quelque repos ;
elle en avait un indispensable besoin après une campagne
où de si grands efforts , des marches si pénibles , des sacrifices
si nombreux ont eu un si triste résultat . Cette armée
compte un nombre considérable de malades ; elle a beaucoup
souffert faute de vêtemens , et dans sa retraite elle a
perdu un grand nombre d'hommes. De leur côté , les
Français sont en force sur le Tage , ils occupent la rive
gauche du fleuve et fortifient les positions qui en sont susceptibles
. Le grand quartier- général est à Valladolid ; c'est
de cette ville que le général Reille adresse le 2 janvier un
compte rendu au ministre de la guerre , sur une reconnaissance
faite sur Astorga par le général Foy , reconnaissance
dans laquelle cet officier a rempli sa mission, vérifié
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 283
1
l'état de la place qu'il a trouvé démantelée , et fait d'assez
nombreux prisonniers .
Le Star, relativement aux affaires du nord , publie aussi
l'article suivant qui a été transcrit par le Moniteur : on y
verra que la politique anglaise y est empreinte , et l'on reconnaîtra
de nouveau cette même politique à ses caractères
essentiels , la corruption et la duplicité .
«Nous avons annoncé hier que les ministres se préparaient
à agir avec toute l'énergie et toute la promptitudepssibles
, pour profiter des dispositions que les Etats du Nord
témoignent à secouer le joug de la France . Le général
Alexandre Hope, qui a souvent servi dans la Baltique , et
qui entre autres commandait en second sous lord Cathcart
dans l'expédition de Copenhague , a été charg , en qualité
de négociateur , de déclarer les sentimens de la cour
d'Angleterre aux puissances de la Baltique .
> Ondit quede concert avec le général d'Yorck, les Etats
dePrusse seront assemblés , et que leur indépendance sera
déclarée et garantic par la Grande-Bretagne . Il ne sera point
obéi aux ordres du roi de Prusse . »
Le Morning Chronicle tire de la situation actuelle des
choses d'autres conséquences , et il considère la conduite
des ministres sous un autre point de vue . Ses réflexions
peuvent être lues avec intérêt.
Nous avons parlé hier du bruit qui était venu jusqu'à
nous , qu'un général prussien devait se rendre sur le Continent
, avec une commission qui lui donnait rang dans
l'armée anglaise . Les recherches que nous avons faites à
ce sujet nous mettent à même d'annoncer comme un fait
positif , que non-seulement un général prussien , mais
aussi un général autrichien , ont reçu des commissions
d'officiers-généraux au service de S. M. , mais pour prendre
rang comme tels sur le Continent seulement ; et doivent
s'embarquer sans délai pour le nord de l'Allemagne , afin
de tirer avantage des circonstances favorables du moment.
On peut inférer de-là que les ministres se sont prononcés
contre la publication de toute note officielle , par
laquelle les calomnies de Napoléon pourraient être réfutées
, et le peuple français instruit de la modération de nos
vues dans la continuation de la guerre actuelle . Ils ne
craignent pas de nous dire , dans le Morning-Post et dans
les autres feuilles qui leur sont dévouées , qu'il serait impolitique
et peu raisonnable de publier une déclaration
quelconque , par laquelle nous demeurerions engagés ,
284 MERCURE DE FRANCE ,
quoique des circonstances ultérieures pussent nous autoriser
, on au moins nous engager , à prétendre à des conditions
plus avantageuses . En d'autres termes , ils désirent
nous insinuer que , dans leur opinion , la situation de Napoléon
est si désespérée , que l'on peut compter sur son
renversement , et qu'ainsi il serait imprudent de nous lier
par des déclarations dont , au fond du coeur , nous regretterions
d'être obligés de remplir les conditions .
Selon nous , c'est jouer précisément le jeu de Napoléon
, et c'est la ligne de conduite que lui-même eût dictée
au cabinet anglais ; il ne manquera pas d'en tirer parti
et dela citer au peuple français comme une preuve incontestable
que l'intention de l'Angleterre est de dépouiller la
France de ses possessions , et de rétablir l'ancien ordre de
choses aussi bien que les anciennes limites de la monarchie
française . Est- il un seul homme raisonnable accoutumé
à observer le caractère des nations , qui ne soit d'avis
que cela seul suffirait pour enflammer toute la population
de la France , et pour réveiller en elle cet enthousiasme
qu'elle fit éclater lors de la première coalition contre son
indépendance ? Si Napoléon avait des conseillers à notre
cour ( et nous savons qu'il y a des apologistes ) eussent-ils
pu rien conseiller qui lui fût plus avantageux ? Nous ne
tarderons pas à voir , à ce sujet , dans les journaux français
, une tirade véhémente contre nos ministres , tandis
que , au fond du coeur , Napoléon se félicitera de cet aste
de leur part , qu'il regardera comme une garantie de plus
de
sa sûreté politique .
» Ne perdons pas de vue aussi que cette mesure est
prise au moment même où nous apprenons que l'empereur
Alexandre s'est rendu à Grodno , sans être accompagné ni
de l'ambassadeur d'Angleterre , ni de celui de Suède
évidemment afin de n'être point gêné par leur présence
dans les négociations qu'il peut avoir l'intention d'ouvrir
séparément avec l'Autriche , et probablement avec la
France, Il est difficile de concevoir une situation plus
embarrassante que celle où se trouveraient nos ministres ,
si , par leur entêtement et leur infatuation , dans ce moment
où l'horizon politique s'est soudainement éclairci , ils
faisaient que la France développât ses immenses ressour
ces , tandis qu'Alexandre et Napoléon accommoderaient
leurs différends , et que les armées françaises renouvelées
seraient toutes dirigées contre l'Espagne . »
Nous ferons suivre ces réflexions politiques de l'aperçu
FEVRIER 1813 . 285
:
de situation que donnent les nouvelles reçues parl'Allemagne
du théâtre de la guerre . On apprend de Gallicie
par les gazettes de Saint-Pétersbourg que le gouvernement
russe est extrêmement embarrassé pour compléter l'effectif
etle matériel de ses armées . Tous les paysans en état de
porter les armes sont enrôlés ; et comme on manque de
fusils dans quelques endroits , on les arme de pistolets et
de piques : ceux qui se cachent pour échapper au service
sont rudement bâtonnés quand on les retrouve . En même
tems , les paysans sont épuisés de réquisitions : dans le
seul gouvernement de Sinolensk , on a requis quatre mille
chariots pour mener des vivres à la suite de l'armée d'e
Kutusow. La noblesse de Kursk , de Toula et de Kaluga ,
a été obligée de se mettre à la tête d'une nouvelle milice
qu'on forme pour faire le service . Le gouvernement exige
dës nobles de l'argent et des chevaux , qu'ils lèvent sur
leurs malheureux paysans . On a ordonné à tous les nobles
de donner leurs propres chevaux , la cavalerie régulière
russe étant entièrement ruinée , et les seuls Cosaques ayant
pu conserver leurs chevaux , accoutumés à vivre dans les
campagnes pendant l'hiver. Un certain M. Starinski , du
gouvernement de Cherson , a été engagé par la cour à
soulever tous ses paysans , et à se mettre à leur tête ; mais
cet exemple n'a pas eu d'imitateurs .
Ea noblesse polonaise de l'Ukraine a été obligée de
fournir un nouveau corps de 13,211 hommes , qu'elle est
en même tems chargée de nourrir pendant toute la durée
de la guerre. La violence avec laquelle on exécute ces
mesures canse un grand mécontentement , auquel on
cherche à opposer toutes sortes d'illusions populaires. On
a reconduit à Smolensk l'image de la Sainte-Vierge , qui
avait , de son propre gré , suivi l'armée orthodoxe : une
autre image de la Vierge est reconduite en pompe de Voronèse
à Moscou; on fait des proclamations et des mandemens
où il est dit que les Français étaient venus en
Russie pour détruire la religion grecque et pour propager
la philosophie moderne .
C'est ici le lieu d'ajouter que les Persans ont fait une
nouvelle irruption dans un district de la Géorgie . Les
-Russes , commandés sur ce point par le général Ratichef,
se vantent de les avoir battus , et d'avoir repoussé leur
agression ; mais la conséquence naturelle qu'on en doit
tirer, c'est que vainqueurs ou vaincus , les Persans entretiennent
la guerre avec les Russes , et que le gouverne
286 MERCURE DE FRANCE ,
ment ne peut pas plus dégarnir ces parties de son immense
territoire que les provinces voisines du Danube .
Le Moniteur a fait connaître par une nouvelle note la
position actuelle de l'armée : cette note est extraite de la
correspondance du prince vice-roi , lieutenant de l'Empereur
, et commandant en chef la Grande-Armée . Ce prince
écrit de Posen , le 26 janvier , à six heures du soir , que les
remontes de chevaux se font avec la plus grande activité ;
que le corps que commande le général Rapp , à Dantzick ,
estde 30,000hommes sansy comprendre les troupes d'artillerie
, du génie et de marine ; qu'il a sous ses ordres les
générauxHeudelet et Grandjean ; que le général Campredon
ycommande le génie , et le général Lepin l'artillerie ; que
laplace est approvisionnée en pain et légumes pour cinq
ans , en viande et en eau-de-vie , médicamens , etc. , pour
quatorze mois ; que tout l'équipage de siége de Riga est
rentré dans la place ; que l'équipage de siége parti de Magdebourg
, et destiné pour Dunabourg , était précédemment
rentré à Dantzick; que les fortifications étaient en bon état ;
que les magasins étaient abondamment fournis d'effets
d'habillement , d'armement et de munitions de guerre ;
qu'une brigade de cavalerie composée de dragons et de
chasseurs , et forte de 2000 chevaux , est à Dantzick sous
les ordres du général Cavaignac ; que le général Rapp occupe
les dehors de la cupe place , à dix lieues autour. Il y a au
trésor de quoi assurer la solde pendant une année..
De Thorn , les nouvelles étaient également satisfaisantes.
Les communications de cette ville avec le quartier général
étaient libres . La place était bien armée . La division
chargé de sa défense était de 6000 hommes , et portait ses
postes à six lieues de la ville .
Le prince d'Eckmühl avait envoyé le général Gérard sur
Bromberg , d'où il avait repoussé le général russe Wo
ronzoff, après avoir pris ou tué quelques cosaques ; les
Bavarois étaient cantonnés entre Posen et Thorn , liant la
communication .
Le vice- roi annonce en outre que le prince Schwarzenberg
occupaitPulstusk et Ostrolenka ; le général Reynier
avec le 7º corps , était à la droite ; le 5º corps , que com
mande le prince Poniatowski se réorganisait et comptait..
déjà 20,000 hommes sous les armes ; les chevaux abon.
daient à Varsovie ;
,
Que le prince de Neuchâtel avait été très-malade ; la
goutte , qui s'était portée sur sa poitrine , lui avait fait soufFEVRIER
1813. 287
frir des douleurs aiguës ; mais on était parvenu à la rappeler
aux pieds , et le prince était en meilleur état ; que
le corps prussien se reformait entre Stettin et Posen ; que
le roi de Prusse , accompagné de M. de Saint-Marsan ,
ministre de France , et du ministre d'Autriche , s'était
rendu à Breslau ; que les ordres avaient été expédiés pour
former une forte avant-garde française , et ccoomposée de
plus de 40,000 hommes de troupes fraîches ; que toutes les
places , Stettin , Custrin , Glogau étaient approvisionnées
pour un an , et en bon état .
Le 28 janvier , à deux heures , Sa Majesté a tenu le
conseil ordinaire des ministres , et à quatre heures le conseil
des travaux de l'intérieur. Elle a daigné y appeler le
ministre de l'intérieur ; le comte Regnaud de Saint-Jeand'Angély
, ministre d'Etat ; le comte Molé , directeur-général
des ponts et chaussées , et le baron de Chabrol ,
préfet du départementdde la Seine . Sa Majesté a entendu
dans ce conseil, M. Girard , ingénieur en chef et directeur
des travaux du canal de l'Ourcq et des eaux de Paris ;
M. Deschamp , inspecteur divisionnaire chargé de la construction
du pont de Bordeaux; MM. Tarbé , inspecteurgénéral
, el Bonessel , inspecteur divisionnaire , qui ont
présenté le projet de canal de Caen à la mer , lequel a été
adopté par Sa Majesté ; M. Saint-Fard , ingénieur en chef
Mont-Tonnerre , chargédu projet dupont de Mayence;
et M. Roussigné , inspecteur-général , chargé de terminer
la route de Wesel à Hambourg .
du
Le projet sur le canal de la mer Baltique au Rhin a été
soumis à S. M. et approuvé par elle .
** Le 2 février , Sa Majesté a tenu un conseil des finances ,
dans lequel elle a décidé que les créances pour fournitures
faites àSaint-Domingue , qui ont étéliquidééeess àunesomme
de7 millions 100 mille fr. , seraient payées par le trésor
en rentes à 5 pour 100 , provenant des recouvremens faits
par le trésor en cette nature de valeur , et qui sont entrés
dans ses recettes . Ce paiement sera effectué en mars , avril
etmai
Le Moniteur continue à se rendre le dépositaire fidèle
de l'expression des voeux et des hommages qui de tous les
points de l'Empire, des grandes cités , des plus petites villes ,
des garnisons et des campagnes parviennent à l'Empereur.
Toutes les cohortes de gardes nationales ont demandé à
marcher : les bataillons de dépôt des régimens de ligne ont
ausși hâté par leurs voeux le moment de rejoindre leurs ca
288 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813.
marades au champ d'honneur : d'autres dépôts ont ajouté
l'offre de cavaliers pris parmi les hommes qui les composent,
et quant aux dons de chevaux montés et équipés ,
l'exemple de Paris a été si rapidement transmis aux extré
mités de l'Empire , que les offrandes des peuples du Tibre
et de ceux de l'Elbe sont venues se confondre aux pieds
du trône presqu'aussitôt que celles de la Loire et du Rhin.
Rome a offert 250 chevaux à l'Empereur , et a ainsi noblement
conquis le droit de lui dire dans son adresse que pour
les sentimens de dévouement et de fidélité qui l'animent.,
ellene pouvait consentir à n'avoir que le second rang parmi
les cités de l'Empire : le royaume d'Italie le dispute à la
France, ses offrandes aussi sont multipliées, et son dévouement
exprimé dans les termes les plus énergiques .
ANNONCES .
1
S .....
Histoire de la Guerre de l'Indépendance des Etats - Unis d'Amérique;
par M. Charles Botta , chevalier de l'ordre Impérial de la
Réunion , membre du Corps Législatif ; traduite de l'italien par
M. L. de Sevelinges , et précédée d'une introduction par le traduoteur.
Quatre vol. in-8º de 2600 pages , imprimés sur papier fin ,
ornés de cartes , plans de batailles , et du portrait de Washington.
Prix, 30 fr . Il y a quelques exemplaires papier vélin , prix double.
On publie aujourd'hui les deux premiers volumes , 15fr. Il faut
ajouter8 fr. pour recevoir franc de port. Chez J. G. Dentu, imp.-
libraire , rue du Pont-de-Lodi , nº 3; et au Palais-Royal, galeries de
bois , nos 265 et 266.
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
parcahier de trois feuilles. Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25franes pour six mois , et de 13francs pour un
tranestre . T
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20franes
pour l'année , et de 11 francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger.)
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercúre , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris,des départemens et del'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes...
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
Parise
A
SETH
MERCURE
DE FRANCE.
13
N° DCIV . Samedi 13 Février 1813 . -
POÉSIE.
ÉPITRE A M. CREUSE DE LESSER ,
AUTEUR DES CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE.
۱
O chantre heureux des anciens chevaliers ,
Assis autour de cette table ronde
Qui par Merlin , le plus grand des sorciers ,
Fut protégéé , et devint si féconde
Soit en amours naïfs et cavaliers ,
Soit en vertus soit en exploits guerriers
Dont retentit le théâtre du monde ;
Ami , Lesser , l'Arioste Français ,
(Oh ! sans façon , je te donne ce titre ,
Dût un censeur , jaloux de tes succès ,
Avec dépit m'intenter un procès :)
Tant bienque mal , il faut qu'à son pupître
Un paresseux te griffonne une épître
Surleplaisirque tes chants nous ont faits.
T
go MERCURE DE FRANCE ,
Je ne sais trop si quelque journaliste
Qu'unfin souris n'ajamais déridé ,
De tes écarts dressant la longue liste
Ne t'a d'abord sur ton plan bien grondé ;
Si, d'un oeil froid te suivant à la piste ,
Dans plus d'un vers il n'a pas gourmandé
Plus d'une rime un peu trop moliniste :
Mais au beau sexe , aimable easuiste
,
,
L'ouvrage a plu ; c'est un point décidé.
Quand de ta mise , une critique obscure
Eût alourdi ta gentille parure ,
Grace à Boufflers , chevalier-troubadour ,
Dont le goût pur fait taire la censure ,
N'irais-tu pas , sur l'aile de Mercure ,
Du champ d'honneur au boudoir de l'Amour ?
Oui , comme toi , j'admire l'Iliade;
Mais pour mavue Homère est trop altier";
Je crains Pégase et sa fière ruade :
Sur Chevillard , ce docile coursier ,
Qui ne saurait punir mon incartade ,
Je te suis donc , apprentif cavalier .
D'ailleurs , depuis la mort du Méonide ,
Ton Apollon , espiègle et jovial ,
Dans son vol leste , incertain ou rapide .
Est préférable au poëte banal
1
Se promenant des Enfers dans le vide
D'un ciel vulgaire , ennuyeux , glacial ,
Où l'ambroisie est assez insipide .
Lorsqu'en fuyant cet Olympe vieilli ,
De nos aïeux tu recherches les traces ,
Il nous suffit que . dans un triste oubli ,
Couvert d'acier , l'Amour , frère des Grâces ,
}
1912
N'ait point des Dieux partagé les disgraces ,
Et que ton art l'ait vraiment ennobli .
ない。
S'ils lisent bien , nos auteurs homériques ,
Tes chants naïfs , puisés dans nos chroniques ,
Tableaux des moeurs des siècles d'autrefois ,
Ils conviendront qu'un mépris discourtois
Dédaignait trop nos sources poétiques.
FEVRIER 18136 291
4
Qui n'aime à voir à la table d'Artus
L'honneur loyal , compagnon des vertus ,
Prendre l'épée , escalibor antique ,
Etde lapointe en graver les statuts ?
Qui ne se plaît à revoir suspendus
Casques , brassards , des lances , des écus ,
Autour des murs de ce salon gothique ?
Qu'avec plaisir chacun relit encor
Sur les écus les devises fidèles
De ces héros , fiers défenseurs des belles !
On croit ouïr , d'une voix de Stentor ,
Ces mots tonnans : Silence à Sacrémor .
Là , Palamède a peint ainsi son ame :
Prêt à mourir pour son prince et sa dame.
A Lancelot Galléhaul dévoué
Montre à nos yeux la Gloire et l'Amitié.
Là , surmonté d'une triple couronne ,
Brille l'écu du vieil et grand Artus ;
On lit au bas : Encor plus de vertus .
Là , contemplant le soleil qui rayonne ,
L'aigle d'un preux vole et rien ne l'étonne.
Tristan fait voir un lion , mais autour
Il est inscrit : Désarmé par l'Amour .
Regardez peuple , est la noble devise
De Lyonnel , ce roi juste qu'on prise.
Sur un champ d'or , la foudre , en un seul mot ,
D'un trait de feu grave ; c'est Lancelot .... (1)
Arrêtons-nous ; ma voix pourrait s'éteindre
En dénombrant ces valeureux guerriers ;
Toi seul , Lesser , as le droit de les peindre ;
Ma main , sans art , ternirait leurs lauriers .
Mais quelle était , dans l'Europe et la France ,
Le véhicule ardent dont la puissance
Multipliait d'héroïques exploits ?
C'était l'Amour : l'Amour tendre et fidèle ,
Du sexe alors reconnaissait les lois ;
1
(1) Voyez les statuts de la Table Ronde , dans le Ve chant du
poëme , et les devises des chevaliers , dans le chant XVIII .
Ta
292
MERCURE DE FRANCE ,
2
Et la valeur , sous sa douce tutelle ,
Etait l'appui du trône de nos rois .
Le sentiment, source du don de plaire ,
Guidait le coeur , choisissait la beauté
Dont le maintien , gracieux et sévère
A la pudeur alliait la fierté.
L'amant ployait un genou devant elle ,
Puis , d'espérance et de crainte agité ,
« Pour les combats je pars , gente pucelle !
» Lui disait-il ; ah ! lisez dans mon coeur ,
» Et j'oserai vous choisir pour ma belle .
"
»
Preux chevalier , j'aime votre valeur ;
!
Partez , servez la patrie et l'honneur ;
» Mon oeil vous suit ... - Merci, mademoiselle ! »
Dans ce merci , le héros tressaillant
Exprime tout , sa belliqueuse audace
Et son amour : la vierge , en rougissant ,
Baisse les yeux , puis détache avec grace
Sa belle écharpe , ornement de son sein ,
Au chevalier l'abandonne , l'embrasse
Et le relève , et lui serre la main .
9
1
Qu'en sons bruyans la trompete guerrière
Ait retenti : vêtu d'or et d'acier ,
Le casque en tête et baissant la visière ,
La dague au point , ferme sur l'étrier ,
Notre héros presse son destrier ,
Va se couvrir d'une noble poussière ,
Venger son roi contre unfèlon altier ;
Ou , dans des jeux , devant la cour plénière ,
Vaincre un rival , terrible chevalier.
Que ne peut-il pour son prince et sa dame ?
Enorgueilli de porter la couleur ,
Gage si cher d'une discrète flamme ,
Il a juré de revenir vainqueur ;
Il sent doubler les forces de son ame ;
Sa récompense , elle est là ; c'est l'honneur ,
C'est son amante , au sourire enchanteur.
Ainsi l'amour , frère de la vaillance ,
Sans s'amollir adorait la beauté
4
FEVRIER 1813.
293
(
Dont les vertus enchaînaient la constance :
Maitresse , amant , chacun de son côté,
Se respectait dans une longue absence ,
Et les soupçons étaient sans apparence ,
Tant on avait de foi , de loyauté !
J'atteste ici la jeune demoiselle
Dont le grand coeur fait voeu de chasteté
Au fier Gauvain que la victoire appelle (2) :
Ce trait , Lesser , demeure étiqueté
Dans ton poëme ; ( oh ! non pour moi , modèle
De courtoisie et de fidélité ) ;
Mais , entre nous , pour le lire à ma belle ...
Je vais partir , lui faire mes adieux ;
L'honneur français réclame ma cohorte :
Puisse son coeur , s'arrangeant de son mieux ,
Ames rivaux fermer au nez sa porte ,
Jusqu'au retour d'un amant glorieux
Qui la viendra relever de ses voeux
Avec l'Amour et sa riante escorte ! ...
Jadis pourtant ce dieu fit à l'Hymen ,
( Je ne saurais en garder le silence )
Des passedroits qu'au premier examen
Plus d'unmari trouve de conséquence ;
Mais honni soit , Messieurs , qui mal y pense ;
Grâce à Lesser , je le prouverai bien.
Figurez - vous , dans leurs fureurs jalouses ,
Ces vieux barons qui , lâches et cruels ,
Persécuteurs d'innocentes épouses ,
Les enfermaient dans leurs sombres châtels .
Nos chevaliers , courtois et redoutables ,
Prêtant au faible un bras officieux ,
Pouvaient- ils , sourds à leurs cris lamentables
Abandonner ces victimes aimables
Aux noirs accès de tyrans odieux ?
Non , ils devaient punir l'indigne outrage
Fait au beau sexe , aux vertus , aux amours .
(2) Voyez ce beau trait dans le poëme , chant XIe.
294
MERCURE DE FRANCE ,
Qu'un noir baron oppose à leur courage
Larges fossés , impénétrables tours :
Du pont-levis eux s'ouvrent le passage ;
Les traits sifflans , les débris de rocher
Portent la mort ! voyez les s'approcher ;
Ils bravent tout , couverts de leurs rondaches.
Nains et géans , suscités par l'Enfer ,
Sont pourfendus ; sous leurs bruyantes haches
Ils font crouler la porte aux gonds de fer.
Quels coups affreux ! quelle terrible lutte !
Mais ce Bréhus tombe , expire , et sa chute (3) ,
Réjouissant les échos de la tour ,
Rend à la belle et l'espoir et le jour.
Or , quel mari peut crier au scandale ,
Si , de bon coeur , la sensible beauté
Au détriment d'une austère morale ,
Récompensait tant d'intrépidité ,
Et recouvrait sa douce liberté
,
Par quelque brêche à la fois conjugale ?
Certes , l'amour ne se commande pas ;
Qu'il soit permis au sexe sans défense
De se venger d'un tyran qui l'offense ,
En disposant au moins de ses appas ,
Pour s'acquitter de sa reconnaissance
Envers ces preux armés , qui de leurs bras
Le délivraient d'une injuste puissance.
Je ne dis point qu'en ces tems vertueux
On n'eût jamais des faiblesses blamables ;
Je ne dis point qu'à des reines aimables
On ne portât des échecs dangereux ;
Deux grands héros furent même coupables.
Maris , boudez Tristan et Lancelot (4) ,
(Eux si loyaux au milieu des batailles ! )
L'un d'avoir fait , jusque dans Cramalot ,
(3) Voyez la tour sans huis et la punition de Bréhus ,
chant XVe du poёте.
(4) Chant IIe et VIII .
dans le
FEVRIER 1813.... 295
Le bon Artus , pic , repic et capot ,
Et l'autre , un oncle , un roi de Cornouailles!
Vingt fois cocu ( qu'on me passe le mot ).
Marc toutefois qui n'est point sans entrailles ,
Pouvait se faire un reproche in petto :
N'avait-il pas opposé son veto
A l'amour même , et par ses épousailles (5)
Soufflé jadis son Yseult au héros ?
Ma foi , c'était assez mal-à -propos
Forcer Tristan à justes représailles .
Le bon Artus avait aussi des torts :
N'eût-il pas dû conserver la mémoire
Du triste essai de la corne d'ivoire ( 6)
Où tout mari , malgré d'adroits efforts ,
Trop peu fidèle , en vain tenta de boire
Sans épancher la liqueur sur les bords ?
Pour ces amans j'use encor d'indulgence ,
Lorsque je songe aux philtres amoureux (7)
Dont la Morgain , pour les perdre tous deux ,
Les enivrait dans sa lâche vengeance .
Un froid Caton ( s'il eût vu l'oeil d'azur
D'Yseult'la blonde , ou l'oeil noir de Genièvre ) ,
Pressant la coupe , aurait , j'en suis bien sûr ,
Bu de l'amour la dévorante fièvre .
Mais nous doutons que le sage eût , comme eux .
De sa faiblesse effacé la mémoire ;
Etqu'en prêtant un appui généreux
Pour relever et le trône et la gloire
D'Artus jaloux et de Marc furieux ,
Il eût suivi l'exemple de ces preux :
Nous doutons bien que , d'un charme illusoire ,
Comme Tristan il eût gémi tout bas ,
Frappé sa coulpe en forme expiatoire (8 ) ,
(5) Chant VII . :
(6) Chant IXe . La lecture ou le souvenir de ces faits aide à l'intelligence
de la justificationde Lancelot et de Tristan.
(7) Le boire amoureux , chant VIe .
(8) La mortde Tristan , chant XIX .
296 MERCURE DE FRANCE ,
Et qu'un remord , chrétien et méritoire ,
Eût dans la tombe accompagné ses pas ....
Ages lointains , dont l'aimable ignorance
En égayant l'imagination ,
De nos aïeux nous rappellent l'enfance ;
Vous qui méliez à la religion
L'amour naïf , l'amitié , la vaillance.
Avec un grain de superstition ;
Ages heureux , où la chevalerie ,
En inspirant l'honneur , la loyauté ,
Et des vertus la magnanimité ,
Usait des moeurs la rude barbarie !
Faut- il choisir ? Je sens , en vérité ,
Que de vos preux l'héroïque folie
Est préférable à la raison polie
D'un siècle enclin à la frivolité
Qui , tour-à- tour , se rit de la beauté
Et des devoirs qu'impose la patrie .....
Mais qu'ai- je dit ? se sont-ils obscurcis
Ces jours brillans , célébrés par le Tasse ,
Et ces hauts faits qu'Arioste avec grâce
Aconsacrés par d'immortels récits ?
Ces rois si grands , si naïfs dans le style
Dont les peignaient et Comine et Joinville ,
Tous nos Français , nos Charles , nos.Louis ,
Se seraient-ils pour nous évanouis ?
Non ; dans ce siècle , en héros si fertile
Où son grand-homme efface le Dieu Mars ,
Nous reverrons , dans la France aguerrie ,
L'antique honneur de la chevalerie
Faire revivre , au sein même des arts ,
Les franches moeurs , l'aimable courtoisie ,
Et les vertus des Henris , des Bayards.
C'est toi , Lesser , toi dont la muse habile
Ades vieux tems distillé le trésor ,
Comme l'abeille industrieuse , agile ,
Se délassant de son lointain essor ,
ب
Du suc des fleurs , dans des cellules d'orm ( )
Pétrit , compose , épure un miel utile :
FEVRIER 1813 . 297
:
A
Eh bien ! poursuis ; rends à tes chevaliers
Que , chez Artus , le S. Gréal rassemble ..
Leurs traits naïfs et leurs exploits altiers ,
Défigurés par tant de romanciers
Dans leurs détails comme dans leur ensemble...
Oui , l'Arioste , un de tes devanciers ,
Surpris , charmé de te voir sur sa trace ,
Aton poëme a souri du Parnasse ,
Et , détachant un brin de ses lauriers ,
De son émule en couronne l'audace.
CHARLES MULLOT ( de la Gironde).
ÉNIGME.
Nous sommes vingt : dix sont toujours cachés
Au fond d'un double cloître ,
Ce qui fait qu'ils sont empêchés
D'embellir et de croître ,
Ainsique font
Les dix autres qui sont
D'une bien plus belle stature ,
Etdont on fait plus souvent la parure.
Chacun de nous est planté
Achaque extrémité
De vingt rejetons nés d'une quadruple branche.
On nous émonde , et l'on retranche
Ce qu'on voit en nous d'excédent.
Par ce qu'on voit sous nous de sang ,
On augure bien du courage ;
Et quand de nous le lion fait usage ,
Il fait trembler les plus vaillans ,
Et sa marque reste long-tems.
S ........
LOGOGRIPHE
SECTATEUR zélé d'Épicure ,
Chaud partisan du friand Lucullus ,
298 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813 .
Du vorace Vitellius
Etdes nouveauxApicius ,
Chez Méhot , chez Véry , je fais bonne figure ;
Ma tête à bas , de Saturne et Mercure ,
De Jupiter , de Mars et de Vénus ,
A Greenwich , à Paris , j'observe la tournure.
r
V. B. ( d'Agen . )
CHARADE .
S'IL faut croire Fontenelle ,
Lecteur , mon premier souvent
A fait tourner la cervelle
Au mortel le plus savant.
Mon dernier avec bas peut faire une antithèse .
Etmon entier , sans doute , était mal à son aise ,
Lorsque sur un chameau ,
Tout près des rives de la Saone ,
( Le fait est vrai , mais le trait n'est pas beau )
Il lui fallut comparaître en personne .
V. B. (d'Agen.)
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Patins.
Celui du Logogriphe est Dénier, dans lequel on trouve : diner,
Celui de la Charade est Anson .
)
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
LES PRINCES RIVAUX , ou Mémoires de mistress Mary-
Anne Clarke , favorite du duc d'Yorck , écrits par ellemême
, où l'auteur dévoile le secret des intrigues du duc
de Kent contre le duc d'Yorck son frère , etc. Un
vol . in-8 ° , avec le portrait de mistress CLARKE . -
Paris , chez Buisson , libraire , rue Gilles-Coeur , nº 10 .
On se rappelle les scandaleux débats qui eurent lieu ,
il y a trois ans , dans le parlement d'Angleterre , où l'on
reprocha publiquement au duc d'Yorck , généralissime
de l'armée anglaise , d'avoir vendu les places et les
faveurs dont cette espèce de ministère lui permettait de
disposer. On produisit une mistress Clarke , l'une des
maîtresses du duc , qui confessa en plein parlement
qu'elle avait reçu de l'argent , et qu'elle avait partagé
avec le prince . Le parlement fit une adresse au roi pour
le prier de retirer au duc d'Yorck son commandement ;
ce qui fut fait.
Si le duc d'Yorck qui , malgré ses déprédations, était
toujours obéré , avait pu fournir assez d'argent à sa
maîtresse , il lui aurait fermé la bouche , ou bien elle
aurait fait une déposition en sa faveur ; et cela n'est
point une supposition gratuite : elle avoue elle-même ,
sans trop se gêner , les nobles motifs qui la font agir
(page 13 ) ; mais ce n'est pas tout : elle ne se trouve pas
assez bien payée par ceux qui l'ont mise en jeu contre
son ancien amant. « Comme j'avais fait , dit- elle , page
» 198 , au duc d'Yorck tout le mal dont nous étions
>> convenus , je croyais avoir droit, jusqu'au dernier sou ,
» à la rétribution qui m'avait été promise. » En conséquence
,' elle les cite en justice pour les forcer à exécuter
leurs promesses prétendues ; elle publie contre eux un
libelle diffamatoire , honteux par son objet , dégoûtant
par sa forme , et qui , tel quel , n'a pas laissé de trouver
un traducteur. C'est ce libelle qu'on publie aujourd'hui.
300 MERCURE DE FRANCE ,
En parlant d'un de ces Messieurs qui n'ont pas jugé à
propos d'acheter son silence , elle dit de lui : « Il sred
>>bien à un tel gredin de parler de justice ! Si elle n'avait
>> pas été aveugle , elle l'aurait fait pendre ( page 179) . »
Ailleurs , après avoir révélé la manière dont deux amis
du duc de Kent s'exprimaient sur le compte l'un de
l'autre , elle ajoute : « Au surplus , si le lord Folkstone
>>est obligé d'aller sur le terrain avec le major Dodd ou
>> le colonel Wardle , je lui servirai de second avec
>>plaisir ; et si par hasard il venait à trembler , je diri-
>>> gerais son bras , et je tirerais la gachette (page 216).>>>
Tout cela est passablement nauséabonde, et le traducteur
en plusieurs endroits en prend occasion de
témoigner , avec raison , une sainte indignation contre
les moeurs de la nation où de telles choses se passent.
Cependant , comme par-tout il y a des motifs pour se
consoler , n'y en a-t-il point ici pour prendre son parti
sur le scandale ? On se rappelle la réponse du tragédien
Baron à ce seigneur qui trouvait scandaleux aussi qu'un
histrion osât prendre avec lui un ton d'égalité. Comptezvous
pour rien , Monseigneur , le droit de me le dire ?
VIES DES POETES FRANÇAIS DU SIÈCLE DE LOUIS XIV ; par
4
M. F. GUIZOT . Première livraison . Cet ouvrage formera
3 vol. in- 8° de 500 pages , et paraîtra en douze
livraisons qui se suivront de mois en mois . -Prix,
18 fr . - Paris , chez F. Schoell , libraire , rue des
Fossés- Montmartre , nº 14.
IL n'est aucun de nos poëtes célèbres qui n'ait trouvé
son biographe ; leurs vies figurent ordinairement à la
tête de leurs oeuvres , et si toutes étaient également bien
faites et bien écrites , peut- être serait-il inutile de les
écrire de nouveau . Je dis peut-être , car je n'oserais pas
P'assurer. Ces vies , en effet , étant l'ouvrage d'un grand
nombre de plumes différentes ne peuvent avoir été composées
dans un même esprit , et chacune pouvant l'avoir
été par un admirateur particulier du poëte, qui en est le
héros , il peut en résulter que tous soient appréciés beau
FEVRIER 1813 . 301
coup plus haut qu'ils ne le méritent. Le biographe d'un
seul poëte ressemble beaucoup au commentateur qui ne
voit rien à comparer à l'ouvrage dont il s'occupe. Mais
si l'on avoue qu'il serait encore permis de recommencer
cette partie de notre histoire littéraire prise dans son
ensemble , quand même elle aurait déjà été traitée avec
succès séparément , on conviendra qu'une telle entreprise
n'est pas seulement permise , mais nécessaire , lorsque
l'on sait que trop souvent nos poëtes n'ont trouvé que
des biographes très-peu dignes d'eux. Il y a d'ailleurs
un autre avantage à rassembler leurs vies dans un même
cadre où elles se suivent chronologiquement. Leur réuniondevient
alors l'histoire de la poésie française. L'importance
historique se joint à l'intérêt biographique. Des
anecdotes qui n'avaient servi jusque-là qu'à peindre le
caractère de tel homme , les habitudes de telle coterie ,
la physionomie de telle société , deviennent des traits
saillans dans l'histoire de l'esprit humain , et acquièrent
une utilité morale et philosophique . Ce fut probablement
avec de pareilles vues que le célèbre Johnson entreprit
de rassembler en un corps d'ouvrage les vies des poëtes
anglais , et c'est sûrement dans cette intention que
M. Guizot se fait aujourd'hui le biographe des poëtes
du siècle de Louis XIV. Il porte un coup-d'oeil philosophique
sur tous les sujets dont il s'empare , et son
Introduction que nous avons sous les yeux ne peut nous
laisser aucun doute sur la manière dont il a considéré
celui-ci .
Au reste , je ne dissimulerai point qu'il peut se trouver
des lecteurs assez empressés d'arriver aux faits pour me
demander si cette Introduction était vraiment nécessaire,
sidu moins elle n'est pas trop longue , puisqu'elle occupe
le quart du premier volume dans un ouvrage qui n'en
aura que trois , Les goûts sont quelquefois si différens
que je trouverais plutôt à cette Introduction le défaut
contraire ; elle n'est point assez étendue pour le vaste
sujet qu'elle traite , ou plutôt (disons-le franchement) ,
l'auteur a pris son sujet d'un peu trop haut. Il n'était
pas absolument nécessaire, pour nous préparer à lire les
vies de Corneille et de Racine , de remonter à la manière
302 MERCURE DE FRANCE ,
dont la littérature est née et s'est perfectionnée chez les
Grecs . Ce n'est pas que l'auteur ne présente sur cet
objet des vues très- ingénieuses , et qu'il ne nous donne
des aperçus très -heureux sur la différence très -remarquable
qui existe entre la manière dont les Grecs se sont
éclairés et civilisés , et celle dont les lumières et la civilisation
sont nées et se sont propagées chez les peuples
modernes ; mais les bornes qu'il s'était prescrites dans
ce morceau l'ont forcé de resserrer beaucoup trop cet
intéressant parallèle ; il sera compris sans doute des lecteurs
qui ont déjà médité sur ce sujet ; il pourra même
l'être aussi de quelques- uns des autres , mais ceux-ci
auront besoin de travailler ensuite eux-mêmes sur les
idées qu'il leur fournit , s'ils veulent que cette lecture
leur profite. J'en dis autant du coup-d'oeil rapide que
jette M. Guizot sur notre poésie , depuis son origine
jusqu'à François Ier; il n'est pas seulement rapide , il est
incomplet. Les Troubadours provençaux y occupent
cependant assez de płace ; mais l'auteur ne nomme ni
Thibaut , comte de Champagne , ni Raoul de Couci ; il
ne parle point de ce fameux poëme d'Alexandre , qui
donna son nom aux vers alexandrins , ou bien il le confond
avec les romans du même siècle . Mais il y aurait
de l'injustice à nous arrêter plus long-tems sur ces omissions
: elles sont excusées par cela seul que M. Guizot
s'est vu contraint , par son plan , à resserrer en trente
pages le tableau des quatre premiers siècles de notre
poésie . Arrivé à l'époque où il pouvait donner plus
d'étendue à ses idées , il reprend cette clarté , cette exactitude
que l'on est accoutumé à trouver dans son style et
dans ses recherches , et il dédommage amplement ses
lecteurs .
C'est à Marot et à Ronsard que M. Guizot commence
à apprécier , avec un goût supérieur , et les qualités de
notre poésie , et le mérite de nos poëtes . Ces deux écrivains
jouirent chacun dans son tems de la plus haute
réputation . On lit , on cite , on admire encore quelques
pièces de Marot ; on ne parle plus guère de Ronsard que
pour le tourner en ridicule. M. Guizot explique trèsbien
la destinée de ces deux poëtes, dont le mérite fut
1
7
FEVRIER 1813 . 303
peut-être égal . Marot , avec moins de génie et moins
d'imagination que Ronsard , recueillit avec sagesse l'héritage
de nos anciens auteurs de fabliaux , où l'on trouve,
dit notre auteur , une vérité de détails et de sentimens ,
un caractère naïf , badin et un peu malicieux , qui appartient
spécialement à l'esprit français laissé à lui-même.
Ce caractère est encore aujourd'hui celui de nos poésies
fugitives , genre dans lequel aucune nation n'a pu nous
égaler. Pourquoi s'étonner que les premiers titres de
cette gloire nous charment encore dans les heureux
essais de Marot ? Ronsard , au contraire , succédant à ce
poëte , à l'époque où tout ce qui cultivait les lettres tournait
ses regards vers les trésors des littératures grecque
et latine qui venaient , en quelque sorte , d'être exhumés,
Ronsard , dis-je , voulut enrichir le français de ces
richesses latines et grecques . L'antique simplicité lui
parut au-dessous de la magnificence qui devait revêtir
ła poésie ; il voulut ennoblir notre langue , il voulut
qu'elle pût lutter avec les anciens ; mais il n'en connut
point assez le génie ; et sa réputation dut passer avec
ses ouvrages , lorsque ce génie eut été découvert par
Malherbe , lorsqu'il eut brillé dans les ouvrages de Corneille
, de Racine et de Boileau. Toutefois (et c'est ici
que se distinguent le jugement sain , le goût délicat de
notre auteur ) les erreurs de Ronsard ne nuisirent qu'à
lui-même , et la langue profita de ce qu'il avait eu d'heureux
dans ses témérités . Notre poésie , dit M. Guizot ,
apprit à se parer d'une magnificence qu'elle n'avait point
connue jusqu'alors ; les trésors dont elle s'enrichit , bien
qu'empruntés hors de son territoire , n'ont pas peu contribué
à l'élever au rang où elle s'est placée depuis cette
époque. Ainsi, ajouterai-je , jusqu'à ce que la langue et
le goût soient fixés , la littérature , la poésie même , ont
cela de commun avec les sciences , qu'elles profitent des
erreurs comme des découvertes de ceux qui les cultivent;
mais les littérateurs ont l'injustice d'oublier ceux
qui les ont instruits , tandis que les savans ne parlent
qu'avec respect des hommes qui leur ont frayé la carrière
; on rit de Ronsard et de Desportes ; Tycho et
Ptolomée sont toujours nommés avec honneur.
304 MERCURE DE FRANCE ,
(
M. Guizot n'apprécie pas avec moins d'équité l'école
deMalherbe que celle de Ronsard . Rien de plus opposé
que l'esprit qui régna dans l'une et dans l'autre . Ronsard
et ses élèves vivant dans un tems de troubles n'avaient
écrit que pour les écrivains , n'avaient fait de la poésie
que pour les poëtes . Ils avaient nourri leurs ouvrages
d'érudition , parce qu'elle n'était point étrangère à ce petit
nombre de lecteurs choisis ; ils s'étaient pliés aux tournures
grecques et latines , parce que ces lecteurs savaient
le grec et le latin; ils n'avaient pas même craint d'être
quelquefois obscurs , assurés qu'ils étaient de la patience
et de l'intelligence de leurs zélès admirateurs . Malherbe
sous Henri IV et Louis XIII dut en agir différemment.
La paix intérieure avait succédé aux guerres civiles :
les lettres n'étaient plus seulement l'occupation de quelques
savans de profession; elles devenaient peu-à-peu
l'amusement de beaucoup d'oisifs . Ce fut à ceux -ci qu'il
s'agit de plaire , et la première condition fut de leur parler
leur langue , de se faire entendre avec facilité , de ne
traiter que des objets qui fussent à leur portée. Dès-lors
ondut abandonner tous les hellénismes et les latinismes
de l'ancienne école ; l'érudition dut être restreinte aux
connaissances peu étendues qui entraient alors dans
l'éducation des honnêtes gens . La langue sur-tout dut
être épurée , et la tâche était laborieuse après toutes les
richesses non-seulement latines et grecques , mais limosines
, provençales et normandes , dont Ronsard avait
prétendu la charger. Socrate avait fait descendre laphi
losophie du ciel sur la terre . Malherbe ramena la poésie
française de l'Université dans les sallons . Mais à peine
sa révolution fût-elle opérée que lui-même , et sur-tout
ses disciples , l'outrèrent , comme cela arrive à toutes les
révolutions . D'empoulé , d'exagéré que l'on était , on devint
bas et trivial. On avait trop négligé les formes ; et
pour les polir on négligea le fonds . Les disciples de
Ronsard se plaignirent des premiers abus ; les disciples
de Malherbe lui-même relevèrent le second , et ainsi se
préparait l'époque brillante de notre gloire littéraire ,
celle où notre poésie devait avoir de la noblesse sans
enflure , du naturel sans trivialité , et où le mérite des
KOFEVRIER 1813 305
SELA
4
pensées serait encore relevé par la correction du fangage.
Toutefois ily avait encore un enorme pas à faire , je
dirais presque un abîme à franchir avant d'arriver à ces
heureux jours . Deux vices essentiels semblaient inhérentsà
notre littérature. Une galanterie exaltée et froide,
nourrie des hyperboles de l'Espagne et des subtilités
lItalie était en quelque sorte l'unique sujet des faiseurs
de vers. Personne ne contemplait , ne sentait les b
de la nature. On s'occupait moins d'images que depen
sées ; on prétendait sur-tout au bel esprit ; on voulait
éblouir plutôt que toucher , étonner plutôt que seduire.
Nous avons vuque les poëtes ramenés par Malherbe dans
lemonde avaient voulu plaire à un public très - nombreux .
Asy réussirent, et le rapprochement des gens de lettres
et des gens du monde date à- peu près de ses succès .
Mais quelque bien que ce rapprochement ait pu opérer
alors el depuis , il produisit d'abord un mal dont les suites
n'ont jamais été totalement effacées . Les gens du monde
ne se contentèrent pas de lire les poëtes , ils voulurent
les juger et prendre rang parmi eux. Il se forma de tous
côtés des coteries littéraires , chacun voulut y apporter
son contingent; tout le monde voulut faire des vers , les
faire promptement , sans méditation et sans étude. Qu'on
juge du beau résultat de tant de prétentions ! Qu'on se
figure des poëtes empressés d'obtenir le suffrage de gen's
qui ne pouvaient pas captiver leur attention plus longtems
qu'iln'en fallait pour juger d'un sonnet etd'une ballade,
et qui voulaient sans cesse des vers nouveaux;
qu'on leur associe ces mêmes juges entrant à leur tour
dans la lice avec des ouvrages du même genre composés
encore plus cavalièrement , et il ne faudra pas de bien
longues réflexions sur cette direction singulière qu'avait
prise alors notre poésie pour ne plus s'étonner de cette
manie du faux bel esprit , de ce jargon de métaphysique
amoureuse, de ces petits vers à la glace qui sous Louis XIII
et dans les premières années de Louis XIV eurent une
vogue si désespérante à la ville et à la cour. On comprendra
l'autorité de l'hôtel de Rambouillet et le langage
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
des précieuses , le succès de l'esprit de Voiture et des
romans de Mlle Scudéry.
,
C'est principalement de cette époque de notre littérature
que M. Guizot s'est occupé dans son introduction ,
parce qu'en effet elle précède immédiatement celle dont
il va nous donner l'histoire . On y trouvera des faits
curieux rapprochés avec beaucoup d'art , et d'où l'auteur
tire des observations extrémement intéressantes . Les
noms de cette époque trop peu connue parce qu'elle a
été éclipsée par celle qui lui succéda présentent , dans
les tableaux qu'il en trace ,des phénomènes très-singuliers .
Il faut les aller chercher dans son ouvrage . C'est là qu'il
faut voir comment , à la même cour et dans le même
tems , régnaient la précieuse métaphysique de l'hôtel de
Rambouillet et le burlesque de l'Enéide Travestie ; comment
on parlait sans cesse d'amour sans être amoureux ,
de débauche sans être débauché ; comment , en un mot ,
l'homme entièrement séparé du poëte avait des sentimens
àpart et tout-à- fait différens de ceux que le poëte chantait.
Trois choses , dit M. Guizot , contribuèrent à
remettre notre poésie dans une meilleure voie : l'institution
de l'Académie française , l'établissement des
théâtres , et plus tard la protection directe de Louis XIV.
De ces trois causes , l'institution de l'Académie était la
seule qu'il dût traiter dans son Introduction . Il la raconte
avec briéveté , mais d'une manière très -satisfaisante . II
n'a négligé aucune des sources qui pouvaient lui fournir
des faits intéressans . En général , il a fait pour cette
Introduction des recherches très-étendues , et , ce qui
vaut mieux encore , loin d'en prodiguer les résultats , il
ne les a offerts au public qu'avec une sage économie. Il
a choisi parmi les anecdotes celles qui étaient les plus
propres à caractériser les moeurs du tems , et parmi les
vers il n'a cité que ceux qui pouvaient donner une idée
bien positive , soit du mérite des poëtes , soit de leurs
défauts . Ces citations ne peuvent manquer de plaire aux
amis de la littérature , et ils sauront gré à M. Guizot
d'avoir été les chercher dans des livres qui ne sont guère
connus aujourd'hui que des littérateurs de profession.
Après avoir donné à notre auteur des éloges qu'il a
A
FEVRIER 1813 . 307
1
.
1
5
i
i
ل
bienmérités , je dois relever une inexactitude , ou plutôt
une distraction qui lui est échappée , et je le ferai avec
d'autant moins de répugnance qu'elle est la seule qui
m'ait frappé , et qu'il lui sera facile de la réparer dans
la seconde livraison de son ouvrage. Au nombre des
grands écrivains du siècle de Louis XIV , qui ne sont
point entrés à l'Académie française , il place Molière et
La Fontaine . Molière , en effet , n'y fut point admis , et
c'est déjà trop; mais La Fontaine y fut reçu le 2 mai
1684. Il faut rendre , non à La Fontaine , mais à l'Académie
, ce qui lui appartient . Il y a aussi quelques obscurités
dans l'Avertissement qui ouvre ce volume. Elles
ne sont dues sans doute qu'à des fautes typographiques .
M. Guizot pourra également y remédier dans un errata.
On assure que sa seconde livraison est sous presse ,
et qu'elle paraîtra incessamment. La vie de Corneille
doit l'ouvrir et peut-être la remplir toute entière . Ceux
qui connaissent le bon esprit , le goût sûr de M. Guizot ,
l'accueilleront avec empressement. Elle lui offre à déerire
un spectacle du plus grand intérêt. Ce ne sera pas
précisément celui dont parle Sénèque ; l'homme de bien
luttant contre la mauvaise fortune , vir bonus cum malá
fortuna compositus , mais l'homme de génie luttant contre
le mauvais goût. On peut se promettre d'avance que
ce sujet sera bien traité par l'auteur , et l'on doit désirer
qu'ensuite la personne qui coopère à son ouvrage nous
donne la vie de quelqu'autre poëte , où elle déploiera
cette finèsse de tact , et ce talent de découvrir aux objets
des faces nouvelles qu'on a déjà si souvent admirés dans
ses écrits . C. V.
:
THEATRE DE LA FONTAINE . - Edition stéréotype. - Un
volume in- 18 .
LA FONTAINE est plus connu des gens du monde ;
comme fabuliste et conteur , que comme auteur dramatique
. Les gens du monde , sinon les hommes de lettres ,
ignorent , pour la plupart , que le même écrivain qui
narrait avec tant de charmes,acomposé des scènes dignes
V2
308 MERCURE DE FRANCE ,
de Molière , et je gagerais volontiers que parmi tant de
personnes qui savent par coeur ses fables , et même ses
contes , il en est plusieurs qui ne connaissent ni le Florentin
, ni sur-tout la Coupe enchantée , qui ne sejoue
plus . Cependant on doit à La Fontaine cinq comédies ,
dont quatre furent jouées avec succès , trois grands
opéras , et il avait même commencé une tragédie .
Il est vrai que quatre de ces pièces , le Florentin ,
la Coupe enchantée , le Veau perdu et retrouvé , et Je vous
prends sans verd , ont été attribuées à Champmeslé , acteur
célèbre et auteur de plusieurs comédies qui sont
mauvaises , à la vérité , mais dans lesquelles on rencontre
quelques jolis détails . Les liaisons de La Fontaine
avec cet acteur , qu'il chargeait de faire recevoir
ses ouvrages au théâtre , donnèrent sans doute lieu à
ces bruits qui n'étaient pas encore éteints un siècle après
lamort de Champmeslé, ainsi que l'atteste l'épigramme
suivante :
Que manque-t- il à Champmeslé
Pour que sa gloire soit certaine ,
Puisqu'un siècle s'est écoulé ,
Sans qu'on ait encor démêlé
S'il ne fut pas l'auteur des pièces qu'à la scène
On attribue à La Fontaine?
Les hommes de lettres qui ont comparé les Grisettes
ou Crispin Chevalier, sans contredit le chef-d'oeuvre de
Champmeslé , avec les pièces de La Fontaine qu'on
attribue à cet auteur et dont trois seulement nous restent
, car le Veau perdu n'a jamais été imprimé ; les
hommes de lettres , dis-je , ont acquis la conviction que
T'auteur des Grisettes était incapable de faire , je ne dis
pas le Florentin , mais Je vous prends sans verd , qui ne
s'élève pas au- dessus du médiocre.
Cette dernière pièce passe encore aujourd'hui , aux
yeux de bien du monde , pour être de Champméslé ;
cependant il est impossible , malgré un grand nombre de
négligences et même malgré les défauts graves qui la déparent
, de ne pas y reconnaître le cachet original de
La Fontaine , principalement dans la scène où SaintFEVRIER
1813 . 309
3
L
Amand surprend sa femme dans un tendre entretien
avec Montreuil , scène que la fable de la Tourterelle et
du Hibou rend extrémement ingénieuse , et que , parconséquent
, Champmeslé aurait été incapable de fairer:
aussi les éditeurs qui , en 1791 , publièrent les Chefsd'oeuvre
dramatiques de La Fontaine , y firent-ils entrer
Je vous prends sans verd.
M. Fayolle , à qui nous sommes redevables de la
nouvelle édition que j'annonce , a réuni en un volume
l'Eunuque ,le Florentin , Ragotin , la Coupe enchantée ,
et les deux actes de la tragédie d'Achille. Ces quatre
comédies ne sont guères connues , comme nous l'avons
dit , que des gens de lettres. Cependant le Florentin se
joue encore assez souvent , et la Coupe enchantée a longtems
été au courant du répertoire : je ne doute pas que
si elle était reprise elle n'obtînt un grand succès . !
L'Eunuque est imité de celui de Térence , que Bruyeis
a mis au théâtre sous le titre du Muet. Il ne paraît pas
que la pièce de La Fontaine ait eu beaucoup de représentations
, au lieu que celle de Bruyeis , dont la marche
est plus rapide , a obtenu un succès d'estime qui s'est
toujours soutenu . La Fontaine , admirateur zélé des anciens
, s'est trop scrupuleusement attaché à traduire
Térence en vers , tandis que Bruyeis se contenta de
limiter dans une prose pleine d'enjouement et d'originalité;
mais en transportant la scène ànos tems modernes
, cet auteur a rendu le dénouement invraisemblable
. D'ailleurs , son Frontin dégénère trop souvent
en caricature , ce qui n'arrive pas au Parmenon de l'Eunuque
, qui est un habile intrigant , mais non un farceur.
Il n'y a , au reste , dans le Muet rien de comparable
aux caractères de Trason et de Gnathon , tracés
avectant de force comique par La Fontaine . Je ne crains
pas même d'assurer , qu'avec de légères corrections et
-en adoucissant quelques détails un peu trop vifs , l'Eunuque
ne fût joué avec succès .
Le Florentin est le chef-d'oeuvre dramatique de
La Fontaine . L'intrigue de cette comédie est , il est vrai ,
un peu faible , et manque de vraisemblance , mais l'intérêt
qu'elle excite, l'art avec lequel elle est conduite ,
310 MERCURE DE FRANCE ,
+
la manière dont les scènes et sur-tout celle d'Hortense
et d'Harpagème sont filées , et les charmes du style , rachètent
bien quelques défauts. Il existe une édition de
1740, où le Florentin esten deux actes . Dans le premier ,
Timante qui s'est introduit chez Harpagème , craignant
d'être surpris , se cache dans un fauteuil , et son valet
Gusman dans une horloge. De telles scènes plus plaisantes
que comiques furent sans doute retranchées par
l'auteur aux premières représentations . Ces suppressions,
mais sur-tout celle du personnage de Gusman , réduisirent
la pièce en un acte , et il paraît que l'édition de
1740 a été faite d'après un manuscrit où les scènes supprimées
existaient encore .
Ragotin , comédie en cinq actes et en vers , dans laquelle
La Fontaine a rassemblé , autant qu'il a été en
lui , les événemens du Roman comique , pèche et par la
conduite et par le style. Le poëte traduit , pour l'ordinaire
, en vers faibles et communs la prose bizarre , mais
originale , de Scarron , et à peine rencontre-t- on dans sa
pièce quelques détails où le génie du grand homme se
laisse apercevoir. Ragotin est bien inférieur à Je vous
prends sans verd , que je regrette beaucoup de ne pas
trouver ici ; et s'il faut absolument donner à Champmeslé
une des pièces de La Fontaine , Ragotin me semble
plus digne de l'auteur du Parisien et de la rue Saint-
Denis , que de celui du Florentin et de la Coupe enchantée
. Z
Cette dernière comédie est tirée de la nouvelle de
Boccace , intitulée : Les Oies de Frère Philippe , et de
l'un des épisodes de l'Orlando Furioso , morceaux qui
avaient déjà fourni à La Fontaine les sujets de deux de
ses Contes ; il les réunit ensuite , et en fit une très-jolie
comédie . Le caractère de Lélie , qui n'a jamais vu de
femme , est d'une naïveté charmante ; celui de Tibaut
est bien imaginé et mieux soutenu encore . On en peut
dire autant de tous les autres . Les scènes sont parfaitement
conduites , le dialogue est facile et naturel , et le
dénouement bien amené.
Je ne dirai rien autre chose des deux actes d'Achille ,
sinon que La Fontaine y fait parler les héros d'Homère
FEVRIER 1813. 311
コ
E
1
comme il a fait paver Janot Lapin et demoiselle Belette.
Unde nos plus ingénieux critiques, en rendant compte,
dans un journal très- répandu , d'une nouvelle édition'
d'Hamilton , s'est plaint de ce que les éditeurs actuels
publient des oeuvres trop complètes et choisissent mal
les oeuvres choisies . Tout le monde doit être de son avis
sur ce dernier reproche, dont il prouverait la justesse par
beaucoup d'exemples , si cela était nécessaire. Quant
aux oeuvres trop complètes , il me permettra de ne pas
penser comme lui . Les oeuvres choisies sont pour les
gens du monde , mais il faut à l'homme de lettres les
collections complètes de nos écrivains du premier et
même de ceux du second ordre ; il trouvera l'histoire de
leur génie dans leurs ouvrages , et il apprendra la manière
dont ils travaillaient , en lisant leurs variantes . On
aime à connaître comment Corneille , après avoir créé
le Cid , Cinna , les Horaces , etc. a fait Agésilas , Attila
ou Pertharite , et comment Voltaire fitAgathocle ou les
Pélopides , après Zaïre , Mérope et Brutus . La lecture
des oeuvres choisies n'apprendra jamais quels ont été les
progrès du grand écrivain dont on n'a imprimé que les
chefs-d'oeuvre , et quelle a été ladécadence de songénie ;
il faut lire pour cela ses oeuvres complètes .
Il est plus utile aussi qu'on ne pense de savoir quelles
chutes humiliantes a éprouvées le talent, qui a voulu sortir
du genre que la nature lui avait tracé , pour en traiter
d'autres auxquels il était étranger. Or , comme les fautes
du génie peuvent ramener ceux qui s'égarent , il est
nécessaire que les jeunes littérateurs aient dans leur
bibliothèque des oeuvres complètes de nos classiques ,
pour y apprendre à quoi its s'exposent eux-mêmes en
forçant leur talent.
Je regrette donc que l'éditeur du Théâtre de La Fon
taine n'y ait pas joint Daphné , Astrée et Galathée ,
opéras que le bonhomme composa lorsqu'il se laissa
enquinauder par Lulli. Quant à Climène , ce n'est qu'un
dialogue plein de détails gracieux et un peu libres .
Climène futd'abord imprimée à la suite des Contes ; quelques
éditeurs mal avisés la réunirent ensuite au théâtre ,
1
312 MERCURE DE FRANCE ,
mais c'est dans les poésies diverses qu'est sa place naturelle
.
L'opéra d'Astrée , le meilleur des trois , obtint une
espèce de succès . A la première représentation , l'auteur
, placé derrière des dames qui ne le connaissaient,
pas , s'écriait à chaque instant , cela est détestable. Ces
dames , choquées de ses continuelles exclamations , lui
dirent enfin : Monsieur , cela n'est pas si mauvais , l'au
teur est un homme d'esprit , c'est M. de La Fontaine.
Eh ! mesdames , reprit-il sans s'émouvoir , la pièce ne
vaut rien ; ce La Fontaine dont vous parlez est un stupide;
c'est moi qui le suis . Il sort après le premier acte , et
va s'endormir dans un café. Quelqu'un de sa connaissance
, surpris de le voir dans cet état , s'écrie : Comment
donc ! M. de La Fontaine est ici ? Ne devrait- il pas être
à la première représentation de son opéra ? A ces mots
La Fontaine se réveille , et dit en bâillant : J'en piens ,
j'ai essuyé le premier acte qui m'a si prodigieusement
ennuyé, que je n'ai pas voulu en entendre davantage ;
j'admire la patience des Parisiens . C'est-là un de ces
traits de caractère dont La Fontaine seul a fourni des
exemples. L. A. M. В.
LES PARENS DE CIRCONSTANCE.
CONTE .
LE calife Haroun-al-Raschid , qui , comme vous le
savez , était un grand promeneur , se promenait un soir
dans les rues de Bagdad avec son grand-visir Giafar.
Sa promenade était finie , et le calife se plaignait de
n'avoir pas rencontré dans sa soirée une seule aventure......
Voilà que , dans le même instant , il entend pleurer et
gémir. Il s'avance du côté d'où partaient les plaintes et les
sanglots , et voit , au clair de la lune , un bon jeune homme
assis devant une petite boutique de cordonnier.
Le calife dit à ce jeune homme : Pourquoi pleures-tu ?
Et le jeune homme lui répondit : Quevous importe ma
joie ou mes larmes , mes plaisirs ou mes peines? quand
vous seriez le calife en personne,vous ne pourriez medon
ner ce qui me manque pour être heureux.
FEVRIER 1813 . 313
Le calife sourit et dit : Qu'en sais-tu ? je suis peut-être
plus puissant que tu ne crois ; je suis peut-être un envoyé
du prophète , qui vient pour te secourir et te consoler...
Ah ! si vous êtes un envoyé du prophète , répond le
jeune homme , c'est une autre affaire , et vous devez savoir
aussi bien que moi ce que vous me demandez. Vous
devez savoir que je suis amoureux de la belle Agéli ,
qui est fille d'un pauvre cordonnier comme moi ; et qu'on
me la refuse parce qu'elle a un père , une mère , des
frères , des oncles et des cousins , tandis que moi je n'ai
rien de tout cela . Ils disent qu'ils ne peuvent donner leur
fille à un inconnu , à un homme sans parens . En effet ,
seigneur, je suis venu au monde je ne sais comment,je
suis né je ne sais où , je suis fils de je ne sais qui . Un
pauvre cordonnier m'a trouvé un beau soir à sa porte , où ,
sans doute , ma mère m'avait abandonné ; il m'a fait éle+
ver , m'a montré son métier , et en mourant il m'a laissé
son échoppe . Voilà six mois , seigneur , que je cherche à
découvrir quels sont les auteurs de mes jours sans pouvoir
en venir à bout , et pourtantje dois avoir quelque part des
frères , des oncles , ou pour le moins des cousins , puisque
tout le monde en a .
La naïveté du bon Kadib amuse beaucoup le calife , qui
lui dit : Des frères , des oncles , il serait peut-être assez
difficile de t'en procurer ; mais pour des cousins , sois
tranquille , je t'en procurerai à tous les degrés possibles.
Le jeune homme , bien content de cette promesse , suit
le calife qui le conduit dans son palais et le fait revêtir
d'un riche costume.
Quand tout cela est fait , le calife dit à Giafar : Te voila
disgracié pour huit jours ; je t'exile dans une de tes belles
maisons de campagne : et toi , Kadib , je te fais mon grandvisir
; tâche de remplir cette importante fonction avec
intelligence et fidélité. J'y ferai tout mon possible ,
répond Kadib , en se prosternant la face contre terre.
Quand le pauvre cordonnier , mon père adoptif , voulut
m'apprendre à faire des souliers , je ne savais pas seulement
enfiler une aiguille ; mais il me disait : Courage ,
mon enfant ; avec un peu de bonne volonté et d'habitude ,
un homme apprend tous les métiers .
Dès le lendemain on sait à la cour la disgrâce de Giafar.
Detous côtés on l'accuse , de toutes les parties de l'Empire
des plaintes s'élèvent contre lui. Les courtisans , ceux
à qui il avait fait un peu de mal , ceux sur-tout à qui il
314 MERCURE DE FRANCE ,
avait fait beaucoup de bien , viennent féliciter le calife de
cet acte de justice.
2
Le calife en voyant la bassesse et la cupidité des
hommes calomnier les vertus dont ils n'ont plus rien à
craindre ni à espérer , ne peut s'empêcher de dire :
Ohommes ! que vous êtes méprisables ! et vous voulez
que les rois vous comptent pour quelque chose ! qui vous
méprise le plus , vous connaît le mieux ; qui vous foule
sous ses pieds n'a point de reproche à se faire . Eprouvet-
on des remords quand on écrase des reptiles ?
Cette réflexion n'est pas philanthropique ; mais n'accusons
pas les despotes de l'Orient de la mauvaise opinion
qu'ils ont des hommes ; ils les jugent par ceux dont ils
sont entourés .
Bientôt le nouveau visir est environné d'un grand
nombre d'amis comme l'était la veille le visir Giafar . Tout
ce qu'il dit est sublime , tout ce qu'il fait est admirable ,
tout ce qu'il désire s'accomplit , tout ce qu'il aime est
aimable , tout ce qu'il n'aime pas est odieux .
Il est entouré de flatteurs , de solliciteurs , et ne sait
auquel entendre . " Par Mahomet ! se dit-il , c'est une
chose plaisante ! hier j'étais aux pieds de tout le monde ,
aujourd'hui tout le monde est à mes pieds ; hier je faisais
des babouches , aujourd'hui c'est à qui baisera les miennes
! "
Dès le soir même de sa nomination , le visir reçoit un
placet d'un des plus riches habitans de Bagdad qui se dit
son parent , et qui le prie de vouloir bien lui octroyer ,
à ce titre , un des premiers gouvernemens de l'Empire .
Ah ! ah ! dit Kadib ; voilà déjà un parent ! le calife me
tient parole . Il n'y a rien de tel qu'une bonne place de
visir pour retrouver ses parens . Il fait donc venir le solliciteur
, et lui dit : Je veux profiter de la faveur du calife
pour élever ma famille aussi haut qu'il me sera possible .
Vous vous dites mon parent , j'en suis fort aise et pour
vous et pour moi ; mais prouvez-moi que vous l'êtes , car
j'entends parler de vous et de notre parenté pour la prémière
fois de ma vie .
(
vertus . -
Alors le solliciteur prouve qu'il avait un arrière-grandpère
, nommé Kadib , doué de beaucoup d'esprit et de
Etait-il riche et puissant ? Jouait-il un rôle dans
Un très-bean rôle , Seigneur; il était très-riche
et très-considéré , comme l'ont toujours été et le seront
toujours les membres de notre famille .-Ah ! je l'espère.
l'Etat ? -
FEVRIER 1813 . 315
Combien a-t -il laissé d'enfans ? - Deux , Seigneur.-Se
sont-ils mariés ?- Oui , Seigneur , ils ont eu deux enfans
qui se sont mariés à leur tour , et qui ont eu aussi chacun
deux enfans , au nombre desquels était sans doute votre
illustre père . — Oh ! je n'en doute pas , et je vois que
vous connaissez parfaitement notre généalogie . Je n'ai sur
ce que vous me dites qu'une légère observation à vous
faire . J'aurais dû partager un peu la succession de cet
aïeul si riche , et je n'en ai pas reçu une drachme . Je suis
de la branche cadette , et je sais , à n'en pas douter , qu'elle
fut dépouillée autrefois par la branche aînée dont vous
êtes aujourd'hui l'unique héritier , mon cher cousin. La
fortune de notre grand-père commun pouvait bien monter
à mille bourses pour le moins . Je n'en demande que la
moitié pour ma part . - Mais , Seigneur ..... - Vous ne
serez bien reconnu pour mon parent qu'à cette condition.
-Je jure..... - Cinq cents bourses , on nous ne serons
jamais cousins .-Je ne puis ....…… 1 Il ne manque que
cette petite preuve pour établir notre parenté d'une manière
directe et positive. C'est une bagatelle ; mais enfin
je vous l'ai dit , je ne suis occupé que de ma famille ; il
est donc juste que ma famille avant tout me rende ce qui
m'est dû.
Le lendemain , de grand matin , le solliciteur arrive
avec les cinq cents bourses ; Kadib lui saute au cou , le
nomme cent fois son cher cousin , et lui promet qu'avant
huit jours il lui donnera le gouvernement du Khorassan .
Oui , lui dit-il , je jure par Mahomet , qu'à cette époque
vous serez gouverneur , ou je perdrai ma place de
grand-visir. "
Le cousin est enchanté de cette promesse ; il sort et va
conter sa bonne fortune à tout le monde; il ne parle pas
des cinq cents bourses qu'il a données , mais il vante partout
la manière affectueuse dont le visir accueille ses parens
, ce qui fait bientôt éclore pour Kadib une foute de
cousins tant gernains qu'issus de germains , dans les rangs
les plus élevés de la société .
Il dit au second qui se présente : " Pas le moindre doute;
nous sommes parens et même très-proches parens ; je connais
tous les titres dont vous me parlez. N'y avez-vous pas
lu que nos deux grands pères ont eu ensemble un terrible
procès?-Oui , seigneur , je crois me souvenir.....-Que
le vôtre avait tort dans cette affaire , n'est-il pas vrai ? mais
comme votre grand-père était beaucoup plus riche que le
(
316 MERCURE DE FRANCE ,
mien , il a en raison devant le tribunal du cadi , et le mien
s'est trouvé ruiné de fond en comble. Je veux faire réviser
cette affaire , et comme me voilà plus riche et plus puissant
que vous, j'aurai peut-être ma revanche , à moins pourtant
que vous n'aimiez mieux réparer par un petit sacrifice cette
injustice oriante. Le procès perdu par mon grand-père lui
acoûté quatre cents bourses ; je veux bien partager le différend
par la moitié. Donnez-moi seulement deux cents
bourses , et je vous fais grâce des frais de la procédure et
dos intérêts.n
Il dit à un autre : " Je me souviens fort bien de tout ce
que vous me dites. Vos titres sont incontestables . Vous
devezy avoir In qu'un de mes aïeux avait déposé entre les
mains de l'un des vôtres une somme de cent mille tomans,
tant il avait de confiance dans la probité de ce parent qui
passait pour le plus honnête homme du pays .- Oui,
seigneur , je me souviens parfaitement de cette circonstance.-
Vous voyez bien que je sais sur le bout du doigt
tontes les anécdotes de ma famille. Mais vous ignorez peutêtre
ce que sont devenus les cent mille tomans déposés
chez votre aïeul ?- Seigneur , je crois que .....-Vous
croyez que ...... mon cher cousin; mais moi je suis sûr
que..... je n'ai rien touché de ce dépôt dont vous avez sans
doute hérité , ainsi je vous prie de me restituer au plus vite
une somme si légitimement due. Vous réparerez par-là une
injustice qui , si elle était connue , nuirait certainement à
la réputation denotre famille dont la probité n'a jamais été
mise en doute. "
Kadib accompagne ces discours des plus belles promesses
, et jure à tous ses parens que dans huit jours il
leur accordera toutes les places et dignités qu'ils demandent
, ou qu'il perdra plutôt sa place de grand-visir.
En peu de tems il se voit un si grand nombre de cousins
qu'il en est embarrassé ; car pour prouver , il faut payert ,
et il s'en trouve quelques-uns qui ne peuvent faire leurs
preuves ; mais il dit àtous ceux dont les titres ne sont pas
douteux : « Vous êtes riches , vous avouez que nos aïeux
communs ont toujours été riches , puissans et considérés .
Il faut donc que j'aie éprouvé de votre partune grande injustice
, puisque sans la munificence du calife Harotun- al-
Raschid qui sait distinguer le mérite dans quelque situat
tion qu'il se trouve ,je serais plongé dans la plus profonde
misère. "
Il y avait bien quelque réponse à faire à cet argument;
FEVRIER 1813 . 317
(
mais comme l'argent était la meilleure de toutes , en pen
dejours Kadib se vit possesseurd'une fortune considérable.
Alors il envoie chercher le père de la belle Agéli , afin
de lui commander une paire de babonches. Lorsque le
vieux cordonnier Rustafapprend qu'il est choisi pour avoir
'honneur de chausser le grand-visir , il est près de mourir
de joie; tant il fant peu de choses pour faire mourir un
homme! Il arrive au palais du visir , après avoir pris ses
plus beaux habits et s'être coiffé d'un turban tout neuf. II
entre dans l'appartement magnifique où Kadib , entouré
d'une centaine de personnes richement vêtues , était couché
sur une ottomane et fumait des aromates . Rustaf tremble
comme une feuille agitée par le vent. Il se met à genoux
dès la porte de l'appartement et s'avance ainsi jusqu'aux
pieds du visir, qu'il n'ose regarder en face et qui lui tend
négligemment sa jambe , sans lui dire un seul mot. Quand
Rustaf lui a pris mesure d'une paire de babouches , Kadib
prend la parole et lui dit , en déguisant sa voix: Tu as une
fille ? Oui , magnifique seigneur. - Est-elle belle ?-
Oui , seigneur , à votre service Elle aime , dit-on , un
jeune homme nommé Kadib.-Hélas ! seigneur...... -
Est-ce vrai ? - Que trop vrai .-Quel est ce Kadib ?-
Un mauvais sujet , seigneur , un paresseux qui ne fera
jamais rien et qui ne sera toute sa vie quele plus misérable
de tous les cordonniers . - J'ai eu quelque tems l'envie de
le prendre pour me faire des babouches .-Ah ! seigneur!
que votre magnificence eût été mal chaussée !-Ce Kadib
dont tu dis tant de mal, a-t-il encore d'autres défauts ?
Il en a plus , seigneur , que vous n'avez de cheveux sur la
tête; mais quand il serait sans défauts , je ne pourrais lui
donner ma fille ! - Pourquoi donc cela ? - C'est un
homme sans parens , sans aveu..... - Sans parens ! tiens,
lève les yeux et regarde autour de toi ; voilà tous les parens
deKadib .
-
Le vieux Rustaf promène autour de l'appartement des
regards ébahis , mais quand il voit tant de grands seigneurs
réunis et si magnifiquement vêtus , il croitque le grand-visir
se moque de lui ; il ose enfin le regarder en tremblant et
reconnaît Kadib . A cette reconnaissance imprévue , le
pauvre Rustaftombe à la renverse et s'écrie : Allah ! allah !
je suis mort!
Cette exclamation fit rire Kadib et tous les spectateurs.
Non , non , Rustaf , tu n'es pas mort , répond Kadib ; tu
es mon beau -père , si toutefois tu me trouves aujourd'hui
1
318 MERCURE DE FRANCE;
1
un assez grand nombre de parens . Va donc sur-le-champ
me chercher ta fille ; je vais donner ordre au cadi de venir
célébrer le mariage dans mon palais . Demain peut-être il
ne serait plus tems .
Rustaf est toujours à genoux , il voudrait parler , mais
'sa langue est enchaînée comme sa pensée . Il aurait tant de
choses à dire qu'il ne peut articuler un seul mot . Il se lève
enfin , sort de l'appartement du visir et va préparer sa fille
au sort brillant qui lui est réservé .
Je ne peindrai point la joie et la surprise de la belle
Agéli : de fille d'un pauvre cordonnier, elle devient tout-àcoup
la femme d'un homme qu'elle aime et d'un grandvisir
! Son amour et sa vanité sont également satisfaits , et
qui ne connaît les jouissances de l'amour peut apprécier
au moins celles de la vanité .
,
Le mariage est bientôt célébré avec une magnificence
digne des deux époux. La cérémonie est suivie d'un repas
somptueux , auquel sont invités tous les parens de Kadib .
Rien selon eux n'est plus beau dans la nature que la belle
Agéli . On chante des vers à sa louange ; on la compare aux
houris , à cela près que les houris ont moins de charmes .
Dans cet encens prodigué par la tendresse des parens
Kadib reçoit aussi son tribut d d'homınages . C'est le plus
grand de tous les visirs qui jusqu'à ce jour ont tenu les
rênes de l'Etat ; c'est le premier politique du monde. On
ne sait ce que l'on doit le plus admirer , les grâces , la
finesse de son esprit , ou la profondeur de son génie et
l'étendue de ses connaissances . Déjà on le gratifie du titre
de grand , on célèbre la gloire de Kadib-le-Grand. Le vieux
Rustaf même n'est pas oublié , et la flatteuse poésie trouve
le moyen d'en faire quelque chose , tant la poésie a de
puissance ! tant la tendresse des parens est ingénieuse dans
ces circonstances importantes !
Pendant que cette famille intéressante et nombreuse
s'abandonnait aux transports de la joie la plus vive et se
livrait sans réserve aux doux épanchemens de la confiance
et de l'amitié , on annonce un envoyé du calife . Tous les
parens ne doutent pas que cet envoyé n'apporte au visir
quelque magnifique présent. Leur curiosité est dans l'attente.
L'envoyé est introduit ; il s'avance d'un ppaass grave
tire de sa poche un papier , impose silence à toute l'assemblée
, et lit :
" De la part du commandeur des croyans , le grand
Haroun-al-Raschid . >>>
,
1
FEVRIER 1813 . 319
Aces mots , les convives se prosternent la face contre
terre , et l'envoyé continue :
« Moi , Haroun-al-Raschid , représentant du prophète ,
il m'a plu de nommer Kadib mon premier visir après avoir
disgracié Giafar. Aujourd'hui il me plaît de rappelerGiafar.
et de disgracier Kadib avec toute sa famille. Qu'il´abandonne
donc un poste pour lequel il n'est point fait, et qu'il
rentre dans la poussière d'où je l'ai tiré . »
Après la lecture de cet arrêt foudroyant , les convives se
relèvent , se regardent avec étonnement et stupeur. Toutes
leurs espérances sont détruites ; il n'auront point ces belles
et bonnes places sur lesquelles ils avaient si bien compté .
La disgrace de Kadib entraîne celle de toute sa famille; il
n'a plus de parens , c'est à qui ne le sera pas , et dans un
clin - d'oeil la salle du festin est déserte ; il n'y reste plus que
le bon Kadib qui rit, le vieux Rustaf qui tremble et la belle
Agéli qui pleure . Kadib prend le premier la parole et dit
en riant : Vous voilà bien étonnés , mes chers amis ? Toutà-
l'heure mon palais était rempli de parens qui célébraient
mes louanges et qui m'aimaient à la folie ; et maintenant il
ne m'en reste pas un seul. La fortune me les avait donnés ,
la fortune me les ôte. J'étais un visir de circonstance , et
j'avais beaucoup de parens de circonstance ; mais grâce à
Mahomet et à mon adresse , ces parens-là m'en ont valu
d'autres qui me consoleront de leur perte , qui sont nombreux
et ne m'abandonneront pas au besoin. Vous vous
demandez où sont ces bons parens dont je vous parle ? dans
mes coffres , mes chers amis , dans mes coffres . J'ai pour
le moins six cent mille tomans , et ces cousins-là sont
plus solides que les autres . ADRIEN DE SARRAZIN .
-
VARIÉTÉS .
SPECTACLES .
Voyageur Malencontreux .
Rivarol , précieuse ridicule de son siècle , et qui débitait
Théâtre de l'Impératrice (1) . - Le
(1) Quelques abonnés ayant paru désirer que nous donnassions
une certaine étendue à nos articles sur les grands théâtres , un homme
de lettres connu a bien voulu se charger de la rédaction de ces articles
, qui contiendront à l'avenir plus de détails et d'observations littéraires
.
320 MERGURE DE FRANCE ,
avec assez d'art une trentaine de conversations écrites
d'avance dans sa mémoire , assis au banquet de quelques
gens de qualité , chez lesquels il n'était pas fâché de faire
croire à sa qualité, récitait souvent ce vers , qu'il a consigré
dans une épître anti-poétique , adressée au roi de
Prusse , qui ne l'a jamais lue :
Le vaste champ des arts n'est plus qu'un cimetière .
Ce cimetière s'est bien accru depuis même qu'il est mort
d'une indigestion à Berlin. On n'a jamais vu plus de funérailles
, plus de convois d'auteurs . N'est- il pas juste , au
reste , que la sotte vanité qui porte une jeunesse imberbe
à s'élancer dans une carrière que lui ferma la nature , reçoive
à la fin son châtiment ? Plus l'éducation s'affaiblit ,
plus s'affaissent ses ressorts , plus la démangeaison de produire
s'exalte et se fortifie . L'ignorance est sans pudeur.
Ce déluge d'écrivains morts-nés se fait sur-tout sentir après
les époques calamiteuses . Le champ des arts en est alors
inondé. C'est ainsi qu'à la suite des longs orages , les
charmilles des jardins et les feuilles des arbres se peuplent
de chenilles et d'insectes de toute espèce .
C'est cette effervescence inconsidérée de la jeunesse qui
semble avoir donné le jour au Voyageur Malencontreux.
Son peu de succès a justifié son titre . Les Voyageurs
deM. Charlemagne n'avaient rencontré que des amis sur
leur route; et le Voyage Interrompu de M. Picard ne l'a
point empêché d'arriver à bon port. C'est que l'ouvrage du
premierde ces auteurs est semé de vers piquanset agréa
bles , que les scènes en sont l'une à l'autre liées; et que
celui du second , quoiqu'il ne soit pas d'un comique fort
élevé , étincèle d'une gaîté franche et naturelle , apanage
particulier du talent de M. Picard . On y remarque surtout
une scène fort divertissante , celle du notaire . Appelé
pour dresser un contrat de mariage qu'on sollicite avec
instance , il s'entretient de tout autre chose que de l'objet
qui l'amène . Cette scène est visiblement empruntée d'une
pièce anglaise , intitulée , si je ne me trompe : My Great
Mother. C'est un barbier , des plus bavards , qui se présente
pour raser un jeune homme d'un caractère vif et
bouillant. Avant de se mettre en devoir d'exercer son
ministère , il lui fait mille contes , et met à l'épreuve sa
patience. A l'instant de faire glisser le rasoir sur son visage,
il entame de nouvelles histoires , et lui chante des conplets
. A Londres comme à Paris cette scène provoque un
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FEVRIER 1813 . 321
14
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DE
LA
SA
0-15.6
rire franc etjovial , parce qu'elle fait ressortir le contraste
des caractères . Je suis bien loin de faire un crime a
M. Picard d'une imitation semblable. Les larcins sur
étrangers sont des conquêtes . On ne dérobe pas toujour
aussi adroitement que lui ; et en bonne conscience le plé
devrait remercier le voleur. Il n'en est pas ainsi des
teurs du Voyageur Malencontreux, car deux auteurs Co
sont cotisés pour cette production : l'un est encore debout ,
et l'autre a vu , dit-on , le noir rivage ; leur destinée physique
est différente , mais celle de leur esprit est la même.
Nous désirions analyser la pièce , mais son existence menace
d'être si courte , que nous ne voulons point perdre
notre tems et abuser de la patience du lecteur.
J'aurais voulu pourles auteurs que le publiceût oublié les
sifflets. Ils avaient préludé d'une manière peu satisfaisante
pour la pièce au premier acte : ils ont retenti à la fin avec
un acharnement inconcevable. Le fait est qu'il n'y a point
de motif de pièce. Il n'était pas nécessaire de courir les
grands chemins et les auberges pour duper d'aussi bons
diables qu'un tuteur et un prétendu tels que ceux qu'on a
mis sur la scène .
,
,
Mais , dira-t-on , pourquoi offrir aux gens de goût de
semblables ouvrages ? Parce que les bons ouvrages sont
rares , et qu'on n'a pas le droit d'exercer son palais sur
des mets plus exquis . D'ailleurs ne faut- il pas amorcer
le public par des nouveautés ? Une sotte pièce
peut avoir une hetireuse destinée . Les preuves ne nous
manquent pas. Quand on est soutenu par un excellent
répertoire , on peut attendre et se montrer difficile . La
Comédie française court peu après les ouvrages nouveaux.
Elle fait même de tems en tems des actes d'indulgence
envers certains auteurs , dont les noms expulsés depuis
long-tems de l'affiche sont tout étonnés de s'y retrouver .
Eh! que lui fait le succès ou la chute de plus d'une pièce ?
Le lendemain elle se console avec le Misanthrope , Tartuffe
, la jeunesse de Henri V , les Héritiers , les Deux
Gendres , Bruyeis et Palaprat , les Etourdis . Mais à
l'Odéon , après une chute signalée , il faut regarder de
quel côté vient le vent.
D.
こ
X
POLITIQUE.
LES dernières nouvelles de Posen sont du 3 février . Le
quartier-général français est toujours dans cette ville . Le
prince vice-roi habite le palais de la préfecture . Le prince
de Neufchâtel , qui est rétabli , est parti de Posen pour
Paris , où il est arrivé . Le prince d'Ekmull est également
parti de Posen , après y avoir fait quelque séjour.
Le maréchal duc d'Istrie y est arrivé. Quarante
mille hommes de toutes armes , dont beaucoup de cavalerie
, étaient attendus dans cette ville vers le 5 février . Le
prince de Scharzenberg est toujours à Pulstuck , et le général
Regnier , avec son corps , occupe des cantonnemens
étendus sur les bords du Bug . Il repousse vivement toutes
les attaques de l'avant-garde russe. Les Saxons destinés à
porter au complet le contingent faisant partie de l'armée ,
sont en pleine marche . La division Grenier est arrivée à
sa destination. Le passage des troupes françaises par
Francfort est très - considérable ; on y attend , vers la mifévrier
, beaucoup de corps complets , et 30 bataillons .
En Bavière comme en Saxe , et dans le Wurtemberg ,
toutes les autorités mettent la plus grande activité dans les
opérations relatives aux levées d'hommes et de chevaux.
De nombreux transports traversent la Souabe, serendant à
leur destination respective .
Les séances du parlement anglais paraissent devoir devenir
sous peu extrêmement intéressantes. Deux objets y
appelleront l'attention . L'un est le privilége de la compagnie
des Indes et les réclamations nombreuses auxquelles
'il donne lieu . Celui-ci est uniquement relatif au commerce
anglais et à ses bénéfices . L'autre objet est bien
plus important , puisqu'il s'agit du commerce du monde ,
de la liberté des mers , de l'indépendance des pavillons
de la sûreté des neutres , de l'existence des nations , c'està-
dire , de la plus grande des questions , celle de la paix.
C'est sous ce titre : question de la paix , que les journaux
anglais parlent d'une prochaine motion de M. Whitbread.
Vous rapporterons à cet égard les raisonnemens de quel
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 323
ques-unes de ces feuilles , cités par le Moniteur , et tous
également curieux.
« M. Whitbread , dit le Sun du 4 février, a annoncé hier
à la chambre des communes qu'il ferait , le 4 du mois prochain
, une motion au sujet de la paix . Ce n'est pas à nous
- à rechercher les motifs qui engagent ce gentleman à faire
une telle motion; mais il ne peuty avoirle moindre doute
sur l'effet qu'elle produirait si elle était adoptée. L'ambition
de Napoléon l'a jeté dans le danger le plus imminent ;
il marche à grands pas vers sa chute : et voilà le moment
que l'on choisit pour solliciter l'Angleterre de lui tendre la
main pour le sauver , et le mettre à même , à quelque
époque future , d'accomplir tous ses projets pour subjuguer
l'Europe ! La paix seule peut en ce moment sauver Napoléon
. Les fautes de ses ennemis l'ont fréquemment mis à
même de se tirer des positions difficiles où il se trouvait ;
mais si les puissances de l'Europe le laissent actuellement
en repos jusqu'à ce qu'il ait recruté ses forces pour les
attaquer de nouveau , c'est à elles-mêmes qu'elles devront
s'en prendre de leur propre destruction . »
"Les journaux ministériels , dit le Morning-Chronicle
nous assurent que les Français semblent vouloir retirer
leurs principales forces de la péninsule . Nous voudrions
pouvoir accorder quelque confiance à ces rapports , car, s'ils
étaient exacts , ils prouveraient plus qu'aucune autre cir
constance possible la difficulté qu'éprouve Napoléon à
lever les hommes dont il a besoin pour renouveler son
armée ; mais nous n'apercevons aucuns symptômes d'une
telle mesure , et toutes les observations que nous a suggérées
la politique de l'Empereur des Français , sont contraires
à la supposition , qu'il projette d'abandonner entièrement
la péninsule. Son intention n'est , ni de l'évacuer ,
ni d'augmenter ses moyens d'attaque de manière à nous
forcer nous -mêmes à nous en retirer ; car son premier
objet , en continuant cette guerre , est de nous engager à
user notre population et nos ressources en Espagne , bien
certain que tant que nous y aurons des troupes , les Espagnols
resteront dans l'inaction , et convaincu d'ailleurs
que si nous venions à retirer nos forces et à abandonner
les Espagnols à leurs propres efforts , il lui faudrait autant
de milliers de Français pour les contenir , qu'il en emploie
à s'opposer aux efforts que nous faisons en leur faveur ,
sans en être soutenus . ”
Le Statesman ajoute : « Les journaux français , qui sont
,
X2
324 1 MERCURE DE FRANCE ,
arrivés , contiennent sans contredit des matières fort importantes
; si la moitié seulement de ce qu'ils affirment est
vrai, les ministres doivent , sans perdre de tems , faire
usage de leurs talens pour la négociation ou pour la guerre.
S'ils se croient capables de gouverner les affaires d'une
grande, nation , dans une crise comme celle où nous nous
trouvons , au nom de Dieu , qu'ils le prouvent par leurs
actions , et non par les absurdes et ridicules fanfaronades
des rédacteurs des journaux à leur solde . En effet , les
feuilles qui prêchent la guerre d'extermination , semblent
s'obstiner d'autant plus à crier contre la paix , que les frais
et les ravagés de la guerre réduisent le peuple à une plus
grande misère . Ces écrivains craignent le retour de la paix ;
car la nature de leur emploi en fait des espèces de fournisseurs
de raisons en faveur de la guerre , et par conséquent
de soldats aux officiers recruteurs , puisque la ruine
da commerce , privant les ouvriers de travail, les force à
s'enrôler pour remplacer les soldats que la guerre a moissonnés.
> Nous voyons cependant avec joie l'annonce d'une mofion
que doit faire M. Whitbréad en faveur de la paix , le
4du mois prochain. Ce patriote , vers lequel se tournent
les regards du peuple , ainsi que vers un petit nombre
d'autres hommes qui professentdes principes aussi sains ,
doit s'attendre à être tancé vertement par les écrivains mercenaires
dont nous avons parlé ci-dessus . Ceux-ci reproduiront
sans doute leurs motifs surannés pour rejeter toute
idée de paix , savoir : que les circonstances ne sont pas
favorables . Ils iront probablement jusqu'à dire que de
telles motions ne servent qu'à encourager l'ennemi .
Nous ne doutons pas cependant que dans les circonstances
actuelles , il ne soit plus puissamment secondé qu'il
ne l'a encore été . La voje des négociations est raisonnablement
ouverte en ce moment , elle pourrait bien ne pas
rester long- tems en cet état . En tout cas , ily auraitde la
folie à ne pas tenter l'événement . "
Le Sénat s'est assemblé , le 7 de ce mois , sous la présidence
du prince archi- chancelier. Le prince a pris la
parole en ces termes :
" Messieurs , Sa Majesté Impériale et Royale a ordonné
qu'il vous fût présenté un projet relatif à la régence .
» Cette partie de nos institutions n'ayant pu atteindre
encorele degré de perfection que les lois reçoiventdutems,
il a paru utile d'ajouter des dispositions plus étendues aux
FEVRIER 1813. 325
dispositions déjà existantes ; et l'ona , en même tems ,
senti le besoin de faire revivre des usages consacrés dans
nos fastes , et fondés sur les anciennes moeurs de la nation .
» Ainsi , le plan qui vous est soumis , rétablit dans toute
sa latitude le droit non contesté qu'a le souverain de disposer
de la régence .
» Toutefois , il empêche qu'un excès de précaution , en
restreignant arbitrairement les pouvoirs de cette même
régence , ne tende à dénaturer l'essence du gouvernement
monarchique .
» Si l'Empereur n'a point manifesté sa volonté , la régence
appartiendra de plein droit à l'Impératrice .
>> Tout ce que le coeur et la raison ont pu suggérer sur
happe
cette matière , à l'égard des familles particulières , doit
s'appliquer à la grande famille de l'Etat . Nul n'aura plus
de zèle que l'Impératrice-mère pour préserver de toule
atteinte l'autorité de son pupille. Personne ne présentera ,
comme elle , à l'imagination des peuples des souvenirs
imposans et propres à rendre l'obéissance noble et facile.
Un système dd'' exclusion gênerait le choixdu monarque.
Les lois prohibitives , par la contrainte qu'elles imposent ,
contiennent souvent des germes de discorde .
n
» Au défaut de l'Impératrice , il est établi un ordre tel
qu'il ne peut y avoir aucune incertitude sur le choix du
Régent . A cet égard, la loi , en respectant les droits de l'hérédité
, a dû se livrer à tous les détails de la prévoyance ,
et prendre toutes les précautions de la sagesse .
>>La moindre interruption dans l'exercice du pouvoirsouverain
deviendrait pour les peuples une grande calamité.
» Ce pouvoir , pendant la minorité de l'Empereur , est
exercé en son nom et dans son intégrité par l'Impératrice-
Régente ou par le Régent .
» Auprès d'eux , le conseil de régence concourra à la décision
des grandes questions , et fortifiera l'autorité de tout
le poids de l'opinion publique .
Les autres articles du projet dérivent de ce que je
viens d'énoncer , ou s'y rapportent .
» Dans une matière aussi grave , vous jugerez , Messieurs
, qu'il ne suffit pas de poser quelques principes : le
législateur étend ses vues plus loin , et , sans aspirer à tout
dire , il est de son devoir d'écarter d'avance beaucoup de
doutes et de laisser subsister peu de questions .
» Quelle que soit , Messieurs , l'utilité des dispositions
sur lesquelles nous appelons votre suffrage , il est doux
326 MERCURE DE FRANCE ,
d'espérer que , suivant l'ordre de la nature , leur application
ne se présentera que dans un avenir éloigné et incertain.
> Heureuse la France , si tous les princes de cette dynastie
auguste ne parvenaient au trône que mûris par l'âge ,
animés par de glorieux exemples et long-tems nourris par
de sages leçons ! »
M.le comte Regnault- de - Saint-Jean-d'Angély a ensuite
exposé les motifs du projet de sénatus -consulte . Avant d'en
développer et d'en motiver les dispositions , l'orateur du
Conseil- d'Etat s'est exprimé en ces termes :
« Ajouter de nouvelles garanties de stabilité à nos institutions
, assurer, dans tous les cas que la prudence conçoit,
que l'expérience indique , l'action non interrrompue du
Gouvernement , pourvoir d'avance dans le calme de la
la réflexion , dans l'absence de tous les intérêts , dans le
silence de toutes les passions , dans l'éloignement de toutes
Jes douleurs , aux difficultés , aux embarras d'une minorité,
tel est l'objet principal de l'acte important qui est présenté
à vos délibérations .
» Les motifs qui en ont dicté les dispositions , Messieurs ,
sont puisés dans l'expérience des nations , dans les leçons
de l'histoire , dans les traditions de la monarchie française ,
dans les exemples offerts par ses annales . "
Le projet de sénatus-consulte a été renvoyé à une commission
spéciale , et c'est dans la séance du vendredi 7 que
cette commission a fait son rapport par l'organe de M. le
sénateur Pastoret .
L'orateur du Sénat a dans cette circonstance développé
sur l'utilité et sur la puissance des institutions ces aperçus
vastes et lumineux que lui rend familiers la connaissance
profonde qu'il a de notre histoire : on a pu remarquer avec
un vif intérêt un rapprochement heureux que cette étude
consommée lui a permis de faire en parlant des régences
accordées aux mères de nos rois .
« Je n'entrerai point ici , Messieurs , a-t-il dit , dans des
détails historiques qui ont été recueillis avec soin et placés ,
naguères , sous les yeux de tous les Français (1) . Je ne
(1) Le Moniteur a publié dans le courant de janvier un document
historique intéressant renfermant l'indication des reines et princesses
qui ont été régentes de France , et des fils de rois qui ont été sacrés et
couronnés.
FEVRIER 1813 . 327
m'arrêterai pas même sur cette reine Blanche , au sujet de
laquelle j'aimerais pourtant à rappeler un fait trop peu connu
et bien digne de l'être ; c'est quela petite-fille de son illustre
fils , de Saint - Louis , épousa le fils du premier empereur de
la maison d'Autriche , et que cette maison par-là même
remonte à la plus célèbre de toutes les régentes dont notre
histoire ait conservé le souvenir . J'éprouve , je l'avoue ,
Messieurs , quelque bonheur à rappeler ce fait dans une
époque où les Français doivent à la petite-fille de Marie-
Thérèse le gage de tant d'affections et le modèle de tant de
vertus . »
Nous recueillerons encore de la bouche de l'orateur ces
paroles remarquables sur les institutions . « C'est par les
institutions que le génie des plus grands rois est présent
encore à la postérité la plus reculée : c'est le défaut des institutions
qui peut amener successivement les efforts de
l'ambition, les troubles civils , et enfin le plus épouvantable
fléau dont la colère céleste puisse frapper les hommes ,
l'anarchie . Charlemagne avait répandu sur la France, pendant
près d'un demi-siècle , la gloire et les bienfaits . A la
mort de son petit-fils , le trône commence à chanceler ;
neuf rois y passent avec une étonnante rapidité. Ils ymontent,
ils en descendent, ilsy remontent pour en redescendre
encore; des ambitieux s'en emparent , sous le prétexte de
le protéger ; ils exercent tout le pouvoir au nom du prince
légitime qui n'en a plus aucun . La France a durant un siècle
des règnes sans rois et des rois vivant sous un autre règne ;
et au milieu de ces dissentions , le peuple est entraîné et
avili par la tyrannie féodale , pour offrir un nouveau témoignage
de cette vérité que l'histoire a toujours et par-tout
consacrée : que le plus grand intérêt, des peuples est nécessairement
lié àla plus grande force du trône , à sa plus
grande solidité .
» Et c'est sur-tout dans cette enceinte , Messieurs , que
doivent être constamment rappelés ces principes tutélaires
du bonheur des nations . C'est ici que doitbriller sans cesse
dans son plus grand éclat , le flambeau de l'expérience .
Par combien de maux la France n'a-t- elle pas expié le malheur
de l'avoir laissé éteindre ! »
Le Sénat a adopté à l'unanimité le projet de sénatusconsulte.
En voici le texte. Cette pièce est d'un ordre trop
élevé et d'un intérêt trop grand pour qu'il nous paraisse
convenable de n'en mettre que la substance sous les yeux
dulecteur.
328 MERCURE DE FRANCE ,
NAPOLÉON , par la grâce de Dieu et les constitutions de l'Ent
pire , Empereur des Français , Roi d'Italie , Protecteur de la Confé
dération du Rhin , Médiateur de la Confédération suisse , etc.ete.ete.
Atous présens et à venir , salut .
Le Sénat , après avoir entendu les orateurs du conseil-d'état , a
décrété et nous ordonnons ce qui suit :
Extrait des registres du Sénat- Conservateur du vendredi
5février 1813 .
Le Sénat-Conservateur , réuni au nombre de membres prescrit par
l'article go de l'acte des Constitutions du 13 décembre 1799 ;
Vu le projet de sénatus-consulte organique rédigé en la forme
prescrite par l'art. 57 de l'acte des Constitutions du 4 août 1812 ;
Après avoir entendu , sur les motifs dudit projet , les orateurs du
conseil-d'état et le rapport de la commission spéciale nommée dans
la séance du 2 de ce mois ;
L'adoption ayant été délibérée au nombre de voix prescrit par
T'art. 56 de l'acte des Constitutions en date du 4 août 1802 , décrète :
Titre Ier . De la Régence .
Art. rer. Le cas arrivant où l'Empereur mineur monte sur le trône
sans que l'Empereur son père ait disposé de la régence de l'Empire ,
l'Impératrice-mère réunit , de droit , à la garde de son fils mineur ,
la régence de l'Empire.
2. L'Impératrice-Régente ne peut passer à de secondes noces .
3. A défaut de l'Impératrice , la régence , si l'Empereur n'en a
autrement disposé , appartient au premier prince du sang , et , à sơn
défaut , à l'un des autres princes français , dans l'ordre de l'hérédité
de la couronne .
4. S'il n'existe aucun prince du sang habile à exercer la régence ,
elle est déférée de droit au premier des princes grands- dignitaires de
l'empire en fonctions au moment du décès de l'Empereur , à l'un à
défaut de l'autre dans l'ordre suivant ; savoir :
Le premier , l'archi- chancelier de l'empire ;
Le second , l'archi- chancelier d'état ;
Le troisième , le grand- électeur ;
Le quatrième , le connétable ;
Le cinquième , l'archi- trésorier ;
Le sixième , le grand-amiral .
5. Un prince français assis sur un trône royal étranger , au moment
du décès de l'Empereur , n'est pas habile à exercer la régence.:
6. L'Empereur ne nommant de vice- grands-dignitaires que quand
FEVRIER 1813 . 329
les titulaires sont appelés à des couronnes étrangères , les vice-grandsdignitaires
exercent les droits des titulaires qu'ils suppléent , même
en ce qui touche l'entrée au conseil de régence.
7. Les princes titulaires des grandes dignités de l'empire qui ,
d'après l'article 51 de l'acte des Constitutions du 18 mai 2o , se
trouvent privés de l'exercice de leurs fonctions au moment du décès
de l'Empereur , ne reprennent leurs fonctions que lorsqu'ils sont
rappelés par la Régente ou le Régent .
8. Pour être habile à exercer la régence , et pour entrer au conseil
de régence , un prince français doit être âgé au moins de vingt-un ans
accomplis.
9. Tous lesactes de la régence sontau nom de l'Empereur mineur.
Titre II. De la manière dont l'Empereur dispose de
la Régence .
-
10. L'Empereur dispose de la régence , soit par acte de dernière
volonté rédigé dans les formes établies par le statut du 30 mars 1806,
soit par lettres-patentes .
Titre III.-De l'étendue du pouvoir de la Régence et de
:
sa durée.
II . Jusqu'à la majorité de l'Empereur , l'Impératrice-Régente ou
le Prince-Régent exercent pour l'Empereur mineur toute la plénitude
de l'autorité impériale .
12. Leurs fonctions commencent au moment du décès de l'Empereur.
13. L'Impératrice-Régente nomme aux grandes dignités et aux
grands offices de l'Empire et de la couronne qui sont ou deviennent
vacans durant sa régence .
14. L'Impératrice-Régente ou le Régent nomment , révoquent tous
les ministres , sans exception , et peuvent élever des citoyens au rang
de sénateurs , conformément à l'article 57 de l'acte des Constitutions
du 18 mai 1804.
15. Si l'Empereur mineur décède laissant un frère héritier du trône ,
la régence de l'Impératrice , ou celle du prince Régent, continue sans
aucune formalité nouvelle .
16. La régence de l'Impératrice cesse , si l'ordre d'hérédité appelle
au trône un prince qui ne soit pas son fils ; il est pourvu , dans ce
cas , à l'exercice de la régence conformément à l'article 4.
17. Si l'Empereur mineur décède laissant la couronne à un Empereur
mineur d'une autre branche , leprince Régent conserveral'exercice
de la régencejusqu'à la majorité du nouvel Empereur...
330 MERCURE DE FRANCE ,
:
18. Le prince français ou le prince grand dignitaire qui exerce la
régence par défaut d'âge ou autre cause d'empêchement du prince
appelé avant lui à la régence par les constitutions , conserve la régence
jusqu'à la majorité de l'Empereur .
Le prince français qui s'est trouvé empêché , pour quelque cause
que ce soit , d'exercer la régence au moment du décès de l'Empereur,
ne peut , l'empêchement cessant , reprendre l'exercice de la régence.
Titre IV. - Du Conseil de Régence .
Section I. - De laformation du Conseil de Régence.
19. Le conseil de régence est composé du premier prince du sang,
des princes du sang oncles de l'Empereur , et des princes grandsdignitaires
de l'Empire .
20. S'il n'existe qu'un prince oncle de l'Empereur , ou s'il n'en
existe pas du tout , un prince français dans le premier cas , et deux
dans le second , les plus proches parens de l'Empereur dans l'ordre
de l'hérédité , ont entrée au conseil de régence.
21. L'Empereur , soit par ses lettres -patentes , soit par son testament
, ajoute au conseil de régence le nombre de membres qu'il juge
convenable .
22. Aucun des membres du conseil de régence ne peut être éloigné
de ses fonctions par l'Impératrice Régente ou le Régent .
23. L'Impératrice Régente ou le Régent président le conseil de
régence , ou déléguent , pour présider à leur place , un des princes
français ou un des princes grands- dignitaires .
Section II . - Des délibérations du Conseil de régence.
24. Le conseil de régence délibère nécessairement à la majorité
absolue des voix .
10. Sur le mariage de l'Empereur ;
2º . Sur les déclarations de guerre , la signature des traités de paix ,
d'alliance ou de commerce ;
3º . Sur toute aliénation ou disposition pour former de nouvelles
dotations , des immeubles ou des valeurs immobilières , composant
le domaine extraordinaire de la couronne ;
4°. Sur la question de savoir s'il sera nommé par le Régent à une
ou plusieurs des grandes dignités de l'Empire vacantes pendant la
minorité.
25. Le conseil de régence fait les fonctions de conseil privé , tant
pour les recours en grâce que pour la rédaction des sénatus-consultes .
26. En cas de partage , la voix de l'Impératrice ou du Régent est
prépondérante.
f
FEVRIER 1813 . 331
i
τ
5
1
Si la présidence est exercée par la délégation, l'Impératrice-régente
ou le Régent décident.
27. Sur toutes les autres affaires renvoyées à son examen , le conseil
de régence n'a que voix consultative .
28. Le ministre secrétaire-d'état tient la plume aux séances du
conseil de régence , et dresse procès -verbal de ses délibérations .
Titre V. - De la Garde de l'Empereur mineur.
29. La garde de l'Empereur mineur , la surintendance de sa maison
et la surveillance de son éducation sont confiées à sa mère .
30. A défaut de la mère ou d'un prince désigné par le feu Empereur
, la garde de l'Empereur est confiée , par le conseil de régence ,
à l'un des princes titulaires des grandes dignités de l'Empire.
31. Ce choix se fait au scrutin , à la majorité absolue des voix ; en
*cas de partage , le Régent décide .
Titre VI. -Du serment de l'Impératrice-Régente, et de
celui du prince Régent pour l'exercice de la régence.
Section I. Du serment de l'Impératrice-Régente.
32. Si l'Impératrice-Régente n'a pas prêté serment du vivant de
l'Empereur pour l'exercice de la régence , elle le prête dans les trois
mois qui suivent le décès de l'Empereur .
33. Le serment est prêté à l'Empereur mineur assis sur le trône ,
assisté du prince archi-chancelier de l'Empire , des princes français ,
des membres du conseil de régence , des ministres du cabinet , des
grands-officiers de l'Empire et de la couronne , des ministres d'état
et des grands-aigles de la légion d'honneur , en présence du sénat et
du conseil-d'état .
34. Le serment que prête l'Impératrice est conçu en ces termes :
< Je jure fidélité à l'Empereur.
» Je jure de me conformer aux actes des Constitutions et d'ob-
> server les dispositions faites par l'Empereur , mon époux , sur
>> l'exercice de la régence ; de ne consulter , dans l'emploi de mon
* >> autorité , que mon amour et mon dévoueinent pour mon fils et pour
> la France ; et de remettre fidélement à l'Empereur , à sa majorité ,
> le pouvoir qui m'est confié .
,
> Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de l'Empire ; de
>> respecter et de faire respecter les lois du concordat et la liberté
>> des cultes ; de respecter et de faire respecter l'égalité des droits
>> la liberté civile et l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux ;
» de ne lever aucun impôt , de n'établir aucune taxe que pour les
besoins de l'état ; et conformément aux lois fondamentales de la
332 MERCURE DE FRANCE ,
:
> monarchie , de maintenir l'institution de la légion d'honneur; de
>gouverner dans la seule vue de l'intérêt , du bonheur et de la gloire
> du peuple français . »
Section II . -Du serment du Régent .
35. Le prince appelé à la régence prête , dans les trois mois qui
suivent le décès de l'Empereur , de la même manière , et devant les
personnes désignées pour assister au serment de l'Impératrice , le
serment dont la teneur suit :
•Jejure fidélité à l'Empereur.
Je jure de me conformer aux actes des Constitutions , et d'ob-
> server les dispositions faites par l'Empereur sur l'exercice de la
› régence , et de remettre fidélement à l'Empereur , à sa majorité , le
>> pouvoir qui m'est confié.
› Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de l'Empire ; de res-
› pecter et faire respecter les lois du concordat et la liberté des
>> cultes; de respecter et faire respecter l'égalité des droits , la liberté
>> civile , l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux ; de ne lever
>> aucun impôt , de n'établir aucune taxe que pour les besoins de
l'état ; conformément aux lois fondamentales de la monarchie , de
> maintenir l'institutionde la légion d'honneur ; de gouverner dans
> la seule vue de l'intérêt. , du bonheur et de la gloire du peuple
>> français .>>>
36. Le prince archi-chancelier, assisté du ministre secrétaire-d'état,
dresse procès- verbal de ce serment. L'acte est signé par l'Impératrice ,
ou le Régent , par les princes , par les grands-dignitaires , les ministres
et les grands-officiers de l'Empire .
Titre VII. -De l'administration du domaine impérial etde
ladispositiondes revenus en cas de minorité etde régence.
Section Ire - De la dotation de la couronne .
37. Durant la régence , l'administration de la dotation de la couronne
continue selon les règles établies .
L'emploi des revenus est déterminé dans les formes accoutumées ,
sous l'autorité de l'Impératrice-Régente ou du Régent.
38. Les dépenses d'entretien de leur maison , et leurs dépenses
personnelles feront partie du budjet de la couronne.
Section II . - Du domaine privé.
:
39. Arrivant le décès de l'Empereur , le prince archi- chancelier de
l'empire , et , à sondéfaut , le premier en rang des grands dignitaires ,
fera apposer les scellés sur les caisses du trésor du domaine privé par
FEVRIER 1813 . 333
3
le secrétaire de l'état de la famille impériale , en présence du grand
juge , du chancelier du sénat et de l'intendant du domaine privé.
40. 11 sera , d'après les ordres du conseil de famille , procédé à
l'inventaire des fonds et des objets mobiliers , par le secrétaire de
l'état de la famille impériale , assisté des personnes dénommées dans
l'article précédent.
41. Le conseil de famille veillera à l'exécution des dispositions du
sénatus-consulte du 30 janvier 1810 , pour le partage des biens.du
domaine privé . Les fonds appartenant à l'Empereur après ce partage ,
seront versés , par le trésorier du domaine privé , au trésor impérial ,
sous la surveillance du conseil de famille , et placés de la manière la
plusutile.
42. Les produits en seront successivement réunis au capital , et le
tout restera en réserve jusqu'à la majorité de l'Empereur.
43. Il sera rendu compte de toutes ces opérations . par le conseil de
famille , à la Régente ou au Régent , qui donnera l'autorisation définitive
pour les placemens.
Section III . - Du domaine extraordinaire .
44. L'Impératrice-Régente ou le Prince-Régent disposent , s'ils le
jugent convenable , de toutes les dotations de 50,000 fr . de rentes et
au-dessous , qui ont fait avant la minorité , sans qu'il en ait été disposé
, ou font , durant la régence , retour au domaine extraordinaire
de la couronne.
45. Les autres dotations restent en réserve jusqu'à la majorité de
l'Empereur.
46. L'administration du domaine extraordinaire continuera , selon
les règles accoutumées , comme il est dit ci-dessus du domaine de la
couronne .
47. Les fonds qui se trouveront au trésor du domaine extraordinaire
, au moment du décès de l'Empereur , seront versés au trésor
de l'état , et y resteront jusqu'à la majorité de l'Empereur.
Titre VIII. Du cas d'absence del'Empereur ou du Régent.
Section Ire.-Du cas d'absence de l'Empereur.
48. Si , au noment du décès de l'Empereur , son successeur majeur
est hors du territoire de l'empire , les pouvoirs des ministres se trouvent
prorogés jusqu'à ce que l'Empereur soit arrivé sur le territoire
de l'Empire. Le premier en rang des grands-dignitaires préside le
conseil qui gouverne l'état sous la forme de conseilde gouvernement.
Lesdélibérations y sont prises à la majorité absolue des voix , le présidenta
voix prépondérante en cas de partage.
334 MERCURE DE FRANCE;
49. Tous les actes sont faits au nom de l'Empereur : mais il ne
commence l'exercice de la puissance impériale que lorsqu'il est entré
sur le territoire de l'empire .
9
Section II . - Des cas d'absence du Régent.
50. En cas d'absence du Régent , au commencement d'une minorité
sans qu'il y a été pourvu par l'Empereur avant son décès , les
pouvoirs des ministres se trouvent prorogés jusqu'à l'arrivée du Régent
, comme il est dit à l'article 48.
Section III . -Des cas non prévus .
51. Si , en l'absence de l'Empereur majeur ou mineur , ou en l'absence
du Régent , le gouvernement étant entre les mains du conseil
des ministres , présidé par un grand dignitaire , il se présentait à résoudre
des questions non décidées par le présent acte , ledit conseil
de gouvernement , faisant fonctions de conseil -privé , rédigerait le
projet de sénatus-consulte , et le ferait présenter au sénat par deux de
ses membres .
Titre IX. Du sacre et du couronnement de l'Impératrice.
52. L'Impératrice mère du prince- héréditaire Roi de Rome, pourra
être sacrée et couronnée .
53. Cette prérogative sera accordée à l'Impératrice par des lettrespatentes
publiées dans les formes accoutumées, et qui seront en outre
adressées au sénat et transcrites sur ses registres .
54. Le couronnement se fera dans la basilique de Notre-Dame ,
ou dans toute autre église désignée dans les lettres-patentes .
Titre X. - Du sacre et couronnement du prince impérial
Roi de Rome .
55. Le prince impérial Roi de Rome pourra , en sa qualité d'héritier
de l'empire , être sacré et couronné du vivant de l'Empereur .
56. Cette cérémonie n'aura lieu qu'en vertu de lettres- patentes
dans les mêmes formes que celles relatives au couronnement de l'Impératrice.
57. Après 10 sacre et le couronnement du prince impérial Roi de
Rome , les sénatus-consultes , lois , réglemens , statuts impériaux ,
décrets , et tous actes émanés de nous , ou faits en notre nom , porteront
, outre l'indication de l'année de notre règne , l'année du couronnement
du prince-impérial Roi de Rome.
58. Le présent sénatus -consulte organique sera transmis , par un
message , à S. M. l'Empereur et Roi.
Les président et secrétaires , signé , CAMBACÉRÉS .
Le comte DEBEAUMONT , le comte DE LAPPARENT.
FEVRIER 1813 . 335
Il y a eu dimanche grande parade et présentations , ensuite
conseil privé. Mardi S. M. a présidé la séance du
Conseil-d'Etat. Mercredi elle a présidé le conseil des ministres
et ensuite celui des finances . Lundi S. M. l'Impératrice
a été visiter la maison impériale des orphelines de la
Légion-d'Honneur , établie rue Barbette. S. M. a daigné
parcourir les différentes salles de cette maison impériale ,
et témoigner sa satisfaction à M. de Lazaac , supérieur général.
Elle a accueilli avec bonté les voeux desjeunes orphelines
, qui n'ont cessé de faire retentir la maison des cris de
vive l'Empereur ! vive l'Imperatrice !
S. M. l'Impératrice a désiré , avant la fermeture du
Salon , voir encore avec détail les principaux tableaux et
statues qui avaient déjà fixé son attention. S. M. a permis
que les artistes qui ont obtenu des travaux et des encouragemens
du gouvernement , fussent admis à cette visite , et
elle a daigné adresser des paroles de bienveillance à tous
ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher . M. Desuryer a
eu l'honneur de lui présenter , en cette circonstance , la
gravure du portait du Roi de Rome , par Gérard . S. M. a
paru particulièrement sensible à cet hommage .
-Aujourd'hui , vendredi , l'Empereur à cheval , suivi
de deux aides - de-camp et de deux piqueurs , a parcouru
divers quartiers de la ville. La foule qui se pressait sous
les pas de son cheval faisait retentir l'air des plus vives
acclamations . Dimanche prochain S. M. ouvrira la session
du Corps législatif , dans les formes et avec la solennité
accoutumées .
Les offrandes que le patriotisme des Français s'empresse
de déposer aux pieds du trône , sont toujours extrêmement
nombreuses , et le Moniteur est toujours presqu'entièrement
consacré à consigner l'expression des voeux et des sentimens
qui les ont fait voter. Il n'est pas de commune , pás de
hameau , pour ainsi dire , qui n'ait désiré et obtenu de concourir
de tous ses moyens à ce mouvement général et
spontané au milieu duquel la France , soutenant son honorable
caractère , paraît sous ses véritables traits , la noblesse
, la confiance, l'affection , le dévouement et la fidélité:
ΑΝΝΟΝCES .
S.....
Voyage en Russie , en Tartarie et en Turquie ; par M. Edouard-
Daniel Clarke , professeur de minéralogie à l'Université de Cam
336 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813 .
bridge ; traduit de l'anglais . Trois vol. in-80, avec trois cartes géographiques
et deux plans. Prix . 18 fr. , et 22 fr . franc de port. Chez
Buisson, libraire , rue Gilles- Coeur , nº 10 ; et Arthus-Bertrand ,
libraire , rue Hautefeuille , nº 23.
Nous donnerons un extrait de oes Voyages .
Contes à monfils ; par Maria Edgeworth , auteur de Bilinde ,de
la Mère intrigante , de Léonora , de l'Education pratique , etc. traduit
librement de l'anglais , par T. P. Bertin. Deux gros vol. in-12 ,
ornés de sept gravures en taille-douce. Prix , 6 fr.; cartonnés à la
Bradel , 7 fr . 50 c.; papier vélin , 12 fr . brochés. Il faut ajouter
a fr . pour recevoir franc de port. Chez J. G. Dentu ,imprimeurlibraire
, rue du Pont-de-Lodi , nº 3 ; et au Palais-Royal , galeries de
bois , nos 265 et 266.
!
Les Amateurs de la lecture des Romans apprendront sans doute
avec plaisir que l'on va faire paraître sous peu trois nouveaux Romans ,
dont voici les titres : Modèle des Femmes , par miss Edgeworth.-
La Dame du Lac , histoire tirée du fameux poëme de Walter Scott,
The Lady ofthe Lake .-Les deux Grisellidis , une par Chausser ,
et l'autre par miss Edgeworth. Quelques personnes qui ont lu ces
ouvrages en anglais , en disent beaucoup de bien .
:
ERRATA pour le dernier No.
Page 252, ligne 17 , de Saint-Marol , lises : de Saint-Marcel.
Fage254, ligne 6 , Ony , lisez : Gray,
Idem , ligne 7 , fortement , lisez : faiblement.
۱
LeMERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine,
par cahier de trois feuilles. Leprix de la souscription est de 48franos
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pourun
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois . pat
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois. ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année , et 10 fr. pout
six mois de souscription au Mercure Etranger.)
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
à Paris .
LA
SEINE
.
MERCURE
DE FRANCE .
-
:
N° DCV . Samedi 20 Février 1813 .
POÉSIE .
Madame DE LA VALLIÈRE donnant des leçons de piéte
à mademoiselle DE BLOIS , sa fille .
ROMANCE .
GAGE d'un amour trop funeste
Qui fixa mes pas en ce lieu ,
Ma fille , abaisse un front modeste
Vers la croix , trône de ton Dieu.
Clément jusque dans sa vengeance ,
Ce Dieu touche au lieu de punir.
Au coeur perdu pour l'innocence
Sa grâce offre le repentir.
En recevant le nom de mère ,
Hélas ! j'en ai perdu les droits.
Aux leçons du devoir austère
Je ne puis plus prêter ma voix :
Mais , d'un tel sort , que maprésence
Serve , au moins , à te garantir ;
Gonnais le prix de l'innocence ,
Par l'exemple du repentir.
5.
338 MERCURE DE FRANCE,
Tout l'éclat dont la gloire brille ,
Se réfléchit sur ton berceau ;
Quel en est le fruit , ô ma fille ? ....
Un cloître sera mon tombeau ....
१ Du palais qui vit ta naissance
Quand , vers moi , tu peux accourir ,
Ramène toujours l'innocence
Dans l'asile du repentir.
: ✔A MADAME LEMIRE ,
Auteur du tableau sur le même sujet.
Au sein de l'austère demeure ,
Où la guida le repentir ,
Vous montrez la Vallière , avant sa dernière heure ,
Enseignant à sa fille un Dieu qu'il faut bénir ;
A cet aspect on admire et l'on pleure :
Pleurer ainsi , n'est-ce pas applaudir ?
Par M. VIEILLARD .
A MADAME VICTORINE M*** ,
T
SUR SON JOLI RÊVE ALLÉGORIQUE DES FLEURS.
Envoi de mon Epître sur l'heureuse destinée dupočte .
J'AI lu , relu vingt fois votre ouvrage charmant ;
Quel songe heureux ! quel tableau ravissant !
Vous savez d'une main habile ,
Nuancer avec art les tons et les couleurs ,
Et tout l'éclat des plus brillantesfleurs
Se réfléchit dans votre style.
Belle rêveuse , apprenez -nous comment
Onpeut avoir tant d'esprit en dormant.
Eh quoi ! sur le chevet trouver ainsi la gloire ?
OPhénomène sans pareil
Le Dieu du Pinde , il faut le croire , ::
Vient vous bercer dans les bras du Sommeil ,
Et votre alcove touche au temple de Mémoire .
Mais faisons trêve aux élogesfleuriςδε
1
FEVRIER 1813 , ALI 339
Il faut , pour vous louer , user de stratagemen
J'oubliais que vous avez priso
La violette pour embleme
Vous n'aimez done que dans vos chants :
Les doux parfums de Flore et ses riches présens !
Ah! je vous plains ! car la moisson s'apprête :
Déjà l'essaim musqué de nos petits auteurs
Verseà grands flots sur vous de suaves odeurs ;
Guirlandes et festons pleuvent sur votre tête .
L'unpoliment vous présente la fleur
I
Que sous vos pas il trouve éclose ,
Et rajeunit en votre honneur
Ia comparaison de la rose.
L'autre prend feu d'abord; amant tendre et coquet ,
Demyrte et de jonquille il ose:
Vous tresserun galant bouquet.
47
Celui-ci gravement fait votre apothéose ,
T
Etvous allez recevoir de sa main
Une couronne qu'il compose
Et d'immortelle et de jasmin ....
Ne vous éveillez point à ces belles fleurettes .
Puisque dans le sommeil vous faites
Des rêves si jolis , créez - en de nouveaux ;
Et pour vous préparer à vos brillans travaux ,
Exigez seulement que tous ces grands poëtesT
Vous offrent , comme moi , leurs vers ou des papots.
T
Par le plus dévoué et le plus respectueux de ses
admirateurs , DE DESSEY DU LEYRÈS.
Réponse de l'Auteur du poème de LA TABLE RONDE ; d
l'Epître que lui a adressée M. CHARLES MULLOT ( de la
Gironde) .
AIMABLE auteur , que je ne vis jamais ,
Qui de bontés me comblez sans mesure ,
J'ai lu vos vers , vos vers que j'ignorais
Quand je les ai reçus par le Mercure .
น
L'éloge pur et non sollicité
Qui vient vers moi d'une rive lointaine ,
Ce doux tribut , il faut que j'en convienne ,
Le serait trop , s'il était mérité.
.14
1
Y 2
MERCURE DE FRANCE ,
Enm'honorant , votre Epitre m'étonne.
Mevoudrez-vous pardonner cet aveu?
Vos jolis vers ont passé laGaronne ,
Qui fait , dit-on , exagérer un peu.
Vous comparez l'écolier à son maître.
Acet excès je ne puis m'oublier.
Mon maître est grand , et je sais me connaitres
Heureux encor d'être son écolier !
Nous qui fêtons l'aimable poésie ,
L'éloge est cher à nos coeurs éperdus.
Oui : la louange est pour nous l'ambrosie ;
Mais nous devons en goûter tout au plus.
De trop l'aimer quand on fait la folie ,
Vient laCritique avec sonris cruel
Pour réveiller l'orgueilleux qui s'oublie.
Qui se croit Dieu , bientôt se sent mortel.
Je ne suis rien. D'autres ont le génie ,
Et l'éloquence , et ses mâles couleurs :
Moi , dans le champ de la chevalerie ,
Enmejouant j'ai cueilli quelques fleurs .
Encor ce culte a de rians apôtres ,
Dontmieux que moi la voix le chanterait ;
Et quand je lis des vers tels que les vôtres ,
Jesens qu'il faut partager monbouquet.
CREUZÉ DE LESSER
ÉNIGME .
LECTEUR , je suis dans la musique
Un petit poëme anarchique ,
Où jamais l'auteur ne se pique
De suivre un ordre méthodique.
Sans m'astreindre à telle rubrique ,
Tantôt , d'un ton mélancolique ,
Je raconte un fait dont j'explique ,
Dans un style très-emphatique ,
Quelle fut lasuite tragique :
FEVRIER 1813. 4 34г
Tantôt laissant le pathétique ,
Et reprenant le ton comique ,
Sur des airs différens j'applique
Et la louange et la critique.
Pour finir mon panégyrique ,
Je suis en chanson , en cantique,
L'arlequin du genre lyrique .
A
S ........
LOGOGRIPHE
BARBARE , inexorable
Dans mahaine implacable,
Je fus jadis une reine exécrable ;
Ma tête à bas , maintenant à Paris
Tous les jours , sous le nom de l'amant de Cypris ,
Par mon art admirable ,
Jeplais , je charme , je ravis .
V. B. (d'Agen. )
CHARADE .
Vous êtesmon premier, jeune et charmante Iris ;
Chaque femme pourtant aujourd'hui ne l'est guère ;
Mais par les qualités d'un coeur que je chéris ,
Vous n'êtes pas non plus une femme ordinaire,
EnFrancemon second , d'un prince ou grand seigneur,
Jadis , au tems des rois , devenait l'apanage.
Dans mon entier deux fois un des Bourbons , vainqueur
vu ses étendards renverser ceuxdu Tage.
FÉLIX MERCIER ( de Rougemont).
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Lemot de l'Enigme est Ongles (les).
Celui du Logogriphe est Gastronome, dans lequel on trouve a
astronome.
Celui de la Charade est Brunshaus
Isl
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
LA GAULE POÉTIQUE , ou l'Histoire de France considérée
dans ses rapports avec la poésie , l'éloquence et les
beaux-arts ; par M. F. DE MARCHANGY. -Première
Epoque. -Deux vol. in -8°. Prix , 10 fr . , et 13 fr .
franc de port. - Paris , chez Joseph Chaumerot ,
libraire , place Saint-André-des-Ares n° 11 ; Chaumerot
jeune , libraire , Palais-Royal galeries de bois ,
n° 188 ; et Eymery , fue Mazarine , nº 30.0
r
PREMIER ARTICLE ), rojasi
:
:
Si un jeune auteur , voulant débuter dans la carrière
des lettres , était assez heureux pour choisir un sujet
qui eût l'attrait puissant de la nouveauté ; qui , admettant
toutes les formes de style , permît d'être tour-àtour
orateur , historien , peintre et poëte ; où , dans la
fidélité de l'histoire se rencontrât souvent le charme
du merveilleux , l'intérêt du rrooman ; qui , parlant à l'imagination
et aux souvenirs au coeur et àa l'esprit , dût
exciter la curiosité de toutes les classes de lecteurs : il
resterait encore à savoir mettre en oeuvre un sujet si heureusement
trouvé .
,
3
1
Remonter au-delà des premiers tems de la monarchie
française , à ces Gaulois qui , les premiers, passèrent les
Alpes indomptées , fondèrent des colonies dans le Latium ,
combattirent sur les bords de l'Euphrate , du Nil , du
Bosphore et de l'Eurotas ; chercher dans les traces effacées
des peuples celtiques , dans la sombre mythologie
des Druides , dans les chants si renommés des Bardes
antiques , dans les moeurs et les coutumes ignorées des
premiers peuples de la Gaule, dans les monumens de
T'histoire nationale , depuis les Francs jusqu'à nos jours ,
les rapports de cette histoire avec la poésie , l'éloquence
et les beaux-arts : tel est le plan de l'ouvrage de M. Mát
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 343
changy. Les deux premiers volumes comprennent la
première époque , et se terminent avec la dynastie de
Mérovée.
: Ce qu'on ignore , ou ce qu'on oublie , c'est , comme
le dit l'auteur , que « toute la nuit de ces premiers siè
cles étincelle de faits éclatans . » Pour en tracer des
tableaux fidèles , il a fallu se livrer à des recherches
longues et pénibles ; et pour les rendre éclatans , savoir
joindre le vif enthousiasme du poëte à la sévère exactitude
du critique , la verve de l'orateur à la patience de
l'antiquaire , et le coloris des grands maîtres aux sèches
nomenclatures de l'érudition . Le but était haut , le prix
difficile : l'auteur a su s'élever et l'atteindre.
Sa vaste érudition satisfera les savans sans épouvanter
les esprits légers. Toutes les citations , d'ailleurs extrêmementnombreuses
, sont réléguées dans des notes dont
le travail me paraît bien plus considérable que celui du
texte : « Je n'ai point épargné les citations , dit M. Maga
>>changy : cet ouvrage est plein de faits peu connus
>> et d'opinions nouvelles qu'on prendrait d'abord pour
>> des paradoxes , si je ne me hâtais point d'invoquer les
>>témoignages qui concourent à les accréditer , et qui
>>leur impriment le sceau authentique dont toutes les
pages de l'histoire doivent être marquées. Ainsi , la
Gaule Poétique a le premier de tous les mérites dans les
ouvrages historiques , celui de la solidité qui résulte des
preuves et des autorités . Elles sont là comme la base
d'un ancien monument que l'architecte mesure , que le
plus grand nombre des voyageurs néglige , mais sans
laquelle l'édifice ne pourrait se soutenir. Je crois néanmoins
que M. Marchangy aurait pu élever le sien sur
des fondemens moins larges et moins profonds . En effet ,
de simples citations de livres et d'auteurs occupent ,
dans la Gaule Poétique , au bas de chaque page , un
és pace presqu'aussi considérable que le texte; et tout ce
luxe de preuves n'était point nécessaire .
L'auteur commence par avertir que ce n'est point une
histoire de France qu'il publie , mais bien un ouvrage
littéraire sur cette histoire . Ainsi , sa marche sera plus
libre; il peut ne prendre que la fleur de son sujet. Ce
344 MERCURE DE FRANCE ,
pendant , il suivra l'ordre des tems , parce que cet ordre
ne peut nuire au plan qu'il s'est proposé , et qu'alors il
devient utile ; mais son style sera débarrassé de la gravité
des formes historiques . Il pourra être , et il est en
effet tour-à-tour oratoire , descriptif , poétique ; tantôt
élevé ou brillant, soutenu ou rapide ; tantôt facile , gracieux
et léger .
La Gaule Poétique n'est cependant point , sous le
rapport du style , un ouvrage sans défauts ; il y en a
même plus qu'on n'en trouve souvent dans des livres
médiocres . L'imagination a ses écarts , la médiocrité est
plus régulière .
Ce serait une histoire utile et curieuse que cellede
laprose française depuis le seizième siècle jusqu'à nos
jours . Naïve et gracieuse dans Amiot; libre et énergique
dans Montaigne ; guindée et métaphorique dans Balzac;
forte et sévère dans Pascal ; grave dans Bourdaloue ;
sublime dans Bossuet; noble et élégante dans Fénélon ;
naturelle et négligée dans Mme de Sévigné ; richede tours
et d'harmonie dans Massillon ; vive et légère dans Voltaire
; nerveuse et passionnée dans Rousseau ; calme et
majestueuse dans Buffon ; froide et emphatique dans
Thomas : qu'est-elle devenue dans les écrits de quelques
modernes prosateurs ? Quel mélange singulier et souvent
bizarre de mots détournés de leur signification ordinaire
pour les appliquer à des objets ou à des idées
qui avaient , dans la langue , des signes naturels pour
les peindre ou pour les exprimer ! La prose a usurpé le
vaste domaine de la poésie; elle a voulu même l'étendre ,
et la poésie rejetterait sa pompe désordonnée. L'éloquence
qu'on appelle académique , et qui est née vers
le milieu du dernier siècle , a confondu les genres et
gâté d'heureux talens . La critique ne saurait s'élever ,
avec trop de courage , contre cette ambition du gigantesque
, qui n'est pas le grand; contre cette prétention à
la magnificence des mots , qui n'est pas le sublime ; contro
cette profusion de tours nouveaux , d'images et d'effets
qu'il faudrait d'ailleurs trouver sans effort, au lieu de les
chercher si péniblement. Et l'on a vu le plus heureux
talent tourmenter la langue, blesser le goût et touchex
FEVRIER 1813 . 345
1
:
au ridicule , tandis qu'il pouvait acquérir facilement des
droits à l'estime et à l'admiration de ses contemporains.
La Gaule Poétique a pu faire naître ces réflexions ;
mais il serait injuste de les appliquer à l'auteur dans
toute leur étendue , dans toute leur rigueur. Cependant ,
s'il n'appartient point à une école fameuse et décriée ,
son style n'est pas exempt de recherche et d'ambition.
Jeune , plein de verve et d'imagination , peintre et poëte ,
il s'égare quelquefois , et l'on aperçoit, à regret , sur
ses riches tableaux , quelques traits de la moderne enluminure.
Je n'aime ni les églises gothiques et sombres
, qu'on prendrait pour des forêts pétrifiées ; ni le
jour du baptême de Clovis qui vient s'ouvrir les portes
de l'église de Reims ; ni l'imagination qui s'épanouit au
souffle de l'avenir; ni l'amant des beaux-arts qui demande
à la Troade et au Péloponèse des vestiges inspirateurs ;
ni un épisode d'amour qui , au milieu de l'action rapide ,
impétueuse , ressemble à lafleur jetée sur le cours du
torrent; ni cette peuplade enivrée des prestiges et des
séductions de la terre poétique; ni le beau visage de Clotilde
, où la tendre compassion imprime une céleste
mélancolie , reflet de la douleur des autres . Je n'aime
enfin ni la nymphe qui prend le bain accoutumé , ni
Clotilde qui fait les aumônes accoutumées .
Voilà ce qui m'a principalement déplu dans le premier
volume , le seul dont je m'occuperai dans cet article ;
mais ces défauts de style , il faut les chercher , tandis
que les beautés s'offrent à chaque page. Puisque je fais
la part de la critique , je me haterai de l'achever ; je ne
crois pas qu'on puisse dire correctement : « Quel spec-
>> tacle attendrissant qu'un concours goûtant tous les
>> transports que peut éprouver un coeur ! etc. >> Enfin, je
releverai cette inversion pénible : <<<D'autrefois de ces
>>solitudes impénétrables la nuit fuyait tout-à-coup . >>>
En général , le style est par-tout travaillé , et avec trop
de soin peut-être . Il est toujours brillant , toujours poétique.
Le sujet semblait sans doute le demander ainsi
le style devait être comme le titre de l'ouvrage : mais si
on le trouve assez souvent ambitieux , il est rarement
voisin de l'emphase ; et, jusque dans ses écarts , M. Mars
346 MERCURE DE FRANCE ,
changy annonce un talent solide et très-distingué. Je
pourrais le prouver par une foule de citations. Ici je ne
puis être embarrassé que pour le choix. 50.4
L'auteur parle ainside l'imagination , faculté qui brille
avec éclat dans son ouvrage : « L'imagination sourit aux
>>lointains promontoires et aux îles verdoyantes ; elle
>>. aime à voir l'azur des eaux et l'azur du firmament ;
>>placée comme au centre d'une sphère aérienne et bril-,
>> lante , ses pensées n'ont plus rien de terrestre , et
>>l'espace vide de tout objet semble livré à sa puissance
>> créatrice pour être peuplé de fécondes illusions . L'an
>> tiquité , si ingénieuse dans ses allégories , aurait pu faire
>> naître l'imagination sur les mers , comme une autre
>>Cythérée bercée par les vagues natales sur une conque
>>de nacre nuancée des couleurs de Iris.w
カー
:Le plan de la Gaule Poétique a été fort heureusement
tracé par l'auteur. Il divise la première époque en dix
récits . Le premier contient le tableau éloquent et rapide
de tous les âges de la Gaule , depuis les Celtes jusqu'à
nos jours . Il faudrait citer toute entière celte belle Introduction.
Elle est terminée par ces mots : « Ah ! gloire
>>et honneur au pays que n'a point abaissé l'infortune ,
>>et qui n'a jamais désespéré de son salut ! Gloire et hon-
>>neur au pays de la vaillance ,de l'esprit , de lapolitesse ,
set des vertus hospitalières ! Au pays qu'ont défendu
>> tant de héros , qu'ont embelli de si grands talens !>>>
M. Marchangy ne perd jamais de vue , dans son ouvrage,
la gloire de la France , et c'est un monument national
qu'il a voulu et su élever.
L'auteur parle ensuite des premiers habitans des
Gaules :
F
:
« Il fut jadis un peuple connu sous le nom de Geltes :
>> sa source est cachée dans la nuit des siècles. Les his
>> toires les plus anciennes le trouvent déjà avancé dans
>››sa renommée et remplissant de ses tribus guerrières
>> l'Europe et une partie de l'Asie. Le savant qui voit des
>>mots celtiques dans toutes les langues mortes et vivan-
>> tes , ressemble au voyageur qui , remarquant des
>>coquillages sur les montagnes de tous les pays , croit
» que la mer roula jadis ses ondes sur leur sommet.
ή.
10 FEVRIER 1813.. 347
Les Gaulois étaient des Celtes , et l'on a même
>>soutenu que tous les Celtes n'étaient que des Gaulois .
>> Notre contrée fut le berceau de vingt nations. Deux
>> de ses princes , Bellovèse et Sigovèse , fatigués d'un
>>long repos , entraînent sous leurs enseignés un grand
>>-nombre de héros , et rien dans l'histoire n'est plus
>>curieux que leurs migrations . Le premier conduit ses
>>guerriers à travers les Alpes sauvages , que nulle armée
>> n'avait encore franchies..... Dans la vaste contrée que
les Gaulois soumirent au-delà des Alpes , et dont ils
>», expulsèrent les habitans , s'élevèrent Milan , Côme
>>Brescia , Vérone , Bergame , Vicence , Mantoue , ef
>>c'est ici qu'un noble et juste orgueil sied bien à notre
>>histoire ; non-seulement elle peut réclamer l'honneur
>>de ces fondations célèbres , mais Virgile , Catulle ,
>>Tite-Live , Suétone ; les deux Plinë , Vitruve et bean"
>> coup d'autres grands-hommes (Valère- Maxime , Ceci
>>lius , Stacey etc.)snes dans ces cités d'origine cél--
tique , durent peut-être aussi le jour à nos ancêtres .
M. Marchangy parle ensuite des guerriers de Brennus ,
descendans de ces colonies de Bellovèse , et qui firent
trembler dans le capitole « ce peuple-roi qui devait un
>>jour couvrir toute la terre...
Les Gaulois qui obéissaient à Sigovèse « se laissanť
>», guider par lé vol des oiseaux , arrivérent dans la Pan-
>> honie et sur les rives de l'Ister où ils s'établirent.... Is
>> affrontèrent laMacédoine , encore fière des triomphes
de son Alexandre . Vainqueurs de toutes parts , ils se
>> répandirent dans la Thessalie , traversèrent le Sperchitis
à la nage , et trouvèrent les Grecs assemblés
>>aux Thermopyles pour défendre ce passage, où erraiť
>>encore l'ombre du généreux Léonidas . Alors s'engagea
>iîn combat terrible. Les Gaulois rejetant tout autre
>> avantage que ceux de la force et de l'adresse , se dé-
>>pouiflèrent de leurs vêtemens et ne voulurent garder
>> que leurs épées . C'est ainsi qu'on les vit combattre
>>depuis aux plaines de Cannes , sur le mont Olympe
>>et près des remparts d'Ancyre ....
Après avoir forcé les Thermopyles et traversé le
>»,mont (Eta , les Gaulois marchent vers le Parnasse ,
348
e
MERCURE DE FRANCE ;
>> qui domine la ville de Delphes.... Ils pénètrent dans
>>la Thrace et ravagent la cité de Bysance. L'Asie est
>> ouverte à leur courage ; alliés à Nicomède , ils ran-
>> gent la Bithynie sous ses lois et reçoivent en partage
>>les Etats voisins , auxquels ils donnent , par un tou-
>>>chant souvenir , le doux nom de la Galatie . Pros-
>>pérant de plus en plus par leur célébrité et leurvaleur ,
>>> ils se font les arbitres des Empires , et leur glaive pèse
>> dans toutes les balances de la politique.
>>Les souverains apprirent que sans les Gaulois il n'y
>> avait pas d'armée complète , point de trône solide ,
>> point de victoire certaine : l'antiquité les regarda
>> long-tems comme invincibles , et Salluste les crut su-
>> périeurs aux Romains pour la gloire des armes .
>>On vit des Gaulois à la cour de Denys l'ancien , de
>>Juba , de Pyrrhus , de Cléopâtre , de Bérénice , d'An-
>> tigone , d'Hérode et de tous les Césars .
>> Quatre mille Gaulois appelés au secours de Ptolo-
» mée , roi d'Egypte , osèrent tenter en leur nom la
>> conquête de ce pays , et peut-être leur courage eût-il
>> opéré ce prodige si l'on ne se fût point hâté de les
>> attirer par trahison dans une île déserte où ces héros
>>lâchement abandonnés , se percèrent le coeur avec
>>leurs épées .
,
>>Agésilas salua les drapeaux de nos pères lorsque ,
> unis aux Spartiates , ils triomphèrent, sur les bords de
>>l'Eurotas , des guerriers d'Argos et d'Arcadie .
>> Annibal recueillit les lauriers qu'ils moissonnèrent
>> aux journées de Trasimène et de Litana.
>>Alexandre , qui dans son orgueil en attendait une
>>réponse flatteuse , leur ayant demandé au milieu des
>>pompes de Babylone ce qu'ils redoutaient le plus sur
>>la terre , apprit d'eux qu'ils ne craignaient que la chûte
>> du ciel .
>>>Mithridate haranguant ses soldats , leur montrait
>>comme le gage de la victoire les Gaulois qu'ils avaient
>> dans leurs rangs .
>> Ainsi donc nos ancêtres ont uni leurs noms aux
>> plus beaux noms , et leurs souvenirs aux plus beaux
▸ souvenirs ! Ainsi donc, mêlés aux peuples renommés
FEVRIER 1813 : 349
ils ont passé avec eux sous les arcs de gloire érigés
> dans l'antiquité. >>>
J'ai voulu citer ce morceau , d'une certaine étendue ,
mais qu'on ne trouvera pas trop long , pour faire connaître
le style animé , figuré et rapide de l'auteur , ainsi
que sa manière de présenter en tableaux et de resserrer
enune ou deux pages les faits qui font la matière de
plusieurs volumes. Environ cent cinquante autorités
sont rapportées à l'appui de ce fragment : ensorte que
toutes les sources se trouvent indiquées à celui qui veut
s'instruire à fond sur l'origine des Celtes et des Gaulois ,
sur leurs migrations , et connaître les colonies fondées
par nos ancêtres , et l'éclat dont l'histoire les fait briller
dans les fastes antiques . La même méthode est suivie
dans tout l'ouvrage , et depuis la publication du Voyage
d'Anacharsis , on n'avait point vu peut-être une association
aussi remarquable du talent de l'écrivain et de la
science de l'érudit .
Les colonies établies dans les Gaules par les Grecs et
les Romains , font le sujetdu second récit. L'auteur indique,
dans la fondation de Marseille par les Phocéens ,
le sujet d'un poëme épique. Il en trace le plan, et fait
preuve de goût et d'imagination. Parle-t-il des combats
livrés dans les Gaules par les Romains , il peint d'un
seul trait l'héroïque valeur de nos pères : « Ces combats
>> interminables , dit- il , firent croire aux Romains que
>> les Gaulois étaient exceptés de la conquête dumonde. >>>
Les Francs sont l'objet du troisième récit. On lira ,
avec intérêt ce que M. Marchangy dit de leur origine ,
de leur audace guerrière , de leurs moeurs et de leur
religion : « Tout ce qui avait du mouvement renfermait,
>> disaient-ils , une parcelle de la céleste intelligence , et
>> Dieu était pour eux l'ensemble de la nature animée ;
>> ils écoutaient sa voix dans la foudre , dans les aquilons
>> et les torrens ; les brises parfumées étaient son souffle
>> divin ; ils contemplaient sa gloire dans les rayons du
>> soleil , dans la splendeur des météores et des astres
>> qu'il a prodigués à la nuit ; ils voyaient le reflet de
>> sonsourire sur les nuages pourprés du matin , dans le
>> limpide azur des fontaines , et sur les gazons émaillés
350 MERCURE DE FRANCE ,
>de fleurs : c'est ainsi que l'être invisible était vun wilde
tableau de l'entrée des Francs dans les Gaules , de leurs
conquêtes et de leurs premiers établissemens sous Clodion,
est tracé avec les couleurs brillantes de l'imagination
, sans que la vérité historique , si difficile à saisiv
dans les ténèbres qui couvrent le berceau de tous les
peuples , puisse paraître avoir reçu quelque altération.
Au reste , cette partie si obscure de l'histoire nationaler,
qui n'est souvent peut-être qu'une fable convenue , est
présentée ici avec tout le cortége de ses autorités ..
t Dans le quatrième récit , M. Marchangy peint à grands
traits l'invasión des Gaules par Attila. Peu de sujets lai
paraissent plus favorables à la poésie héroïque. En trdçant
le plan , la división , le sujet de chaque chant , sa
narration s'anime et devient épique elle-même . Je voudrois
pouvoir citer l'épisode de Childéric et de la jeune
Néliska. Ce n'est pas une rapide esquisse , comme le dit
modestement l'auteur , c'est un tableau poétique et tonchant
: c'est l'épisode lui-même , tout entier. Tracer
ainsi des plans de poëmes épiques , c'est ne laisser aux
poëtes qui seraient tentés de les suivre , que le mérite de
l'exécution . C'est leur enlever celui de l'invention . Les
sujets que M. Marchangy indique à la peinture n'ont pas
le même inconvénient. Les artistes ne seront point découragés
en le lisant , puisque souvent ils aiment à
reproduire sur la toile des tableaux déjà faits dans des
livres : mais ce sont des genres différens .
Clovis fournit aussi le sujet d'un poëme épique ,dont
l'auteur développe le plan dans le cinquième récit. Il peint
ainsi les commencemens de la bataille de Tolbiae
..... Le choc est épouvantable . Accoutumés à faire
>>>>plier l'ennemi , les Francs s'étonnent d'une résistance
>>inconnue ; vingt fois ils vont à l'attaque , et vingt fois
>> leurs bataillons se brisent contre les bataillons qu'ils
» veulent enfoncer ; eux-mêmes , assaillis à leur tour ,
>> ne peuventlong-tems résister. Les Allemands que rien
» n'arrête , semblent grandir en approchant ; ils s'avan
cent comme le flux de lamer , quí , réglé dans sa furie,
>> écume , gronde et submerge. Ces guerriers farouches
vet gigantesques poussent dans les phalanges de la
FEVRIER: 1818 350
Gaulerleurs chars attelés de taureaux, que la pointe
des javelots aiguillonne . Ces animaux furieux , dont les
prunelles s'enflamment et dont le poil exhale d'épaisses
» fumées , mugissent dans l'horrible mêlée , et secouent
leurs cornes meurtrières surchargées de lambeaux
sanglans . » : L
M. Marchangy voit , dans les amours de Childéric et
de Basine , un double sujet pour le peintre et pour le
poëte lyrique . Il indique trois sujets de tragédie dans
Eponine , Chémora et Camma, Il eût pu remarquer ,
dans une de ses notes , que le sujet de Camma avait été
traité par Thomas Corneille , et celui d'Eponine par
Passerat , Richer et Chabanon..
Il ne nous reste rien des poëmes druidiques , celtiques
et gaulois . M. Marchangy a voulu nous donner une idée
de ce qu'ils étaient , ou de ce qu'ils pouvaient être , dans
le Chant Gaulois , le Chant des Bardes et le Bardit dont
ilaorné ses trois premiers récits . Il a puisé aux meilleures
sources les préceptes , la science et les traits de
moeurs dont il a composé ces trois hymnes . On trouve
dans le premier cette belle image extraite d'un discours
attribué à Odin , et que Mallet rapporte dans son Introduction
à l'Histoire du Danemarck : « Les chemins de
-> l'amitié se couvrent de ronces quand on n'y marche
>> pas .» Ilest cependant permis de douter que les Bardes ,
avant l'établissement des colonies grecques et romaines
dans les Gaules , aient connu la belle Galathée , le triple
Géryon et le sage Pythagore ; et , si je ne me trompe ,
le Barde antique ne chantait point ces paroles qui me
paraissent appartenir à des tems beaucoup plus près de
nous : Quand le son des lyres jette l'homme en une
>> douce extase , on dirait qu'il cherche dans le vague de
-> sa pensée à reconnaître l'image vaporeuse et confuse de
la vierge chérie. Ou si les Bardes chantaient ainsi ,
con peut dire que leur génie , perdu depuis tant de siècles ,
s'est retrouvé de nos jours . J'aime mieux cet éloge de
Ja femme, que je lis dans le Chant Gaulois de M. Marcliangy
: Mon frère , ne dédaigne point les avis d'une
femme; elle aperçoit de bien loinles choses de l'avenir ,
etsait des paroles qui endorment les douleurs. Ah !
352 MERCURE DE FRANCE ,
:
>>ce n'est pas seulement avec les yeux qu'on la voit
>> l'aveugle même a deviné sa beauté ; le sourd a compris
>> son langage. OEuvre de mystère et d'amour ! quel
>> souffle divin épura tes traits , fit éclore ton sourire , et
>> plaça sur tes lèvres le baume qui vivifie et le poison
>> qui consume ? O femme ! quand tu parles , tes dents
>>brillent comme les étoiles du matin à travers la pourpre
» du ciel humide de rosée ; ta voix est une magie , et
>> ton regard un enchantement. » Ce sont Tacite , Pomponius
-Méla , Mallet et Macpherson , qui ont fourni à
l'auteur les traits de cet éloge. Il les a polis , sans doute ,
et mieux qu'un Barde n'eût su le faire ; mais , dignes de
la lyre française, ils le sont aussi de la harpe des Gaulois .
Le chant des Scaldes qu'on trouve dans le quatrième
récit , offrait peut-être plus de difficultés à surmonter;
et comme il nous resté un assez grand nombre de poésies
scandinaves recueillies par les auteurs du nord , l'exactitude
était plus rigoureusement prescrite , et l'imitation
plus facile à constater . Aussi le chant des Scaldes a-t-il
quelque chose de plus sauvage et de plus caractéristique
que les précédens ; on peut en juger par ce fragment :
«Le chef des guerriers a combattu , et les corbeaux
>> vivront long-teins sur les traces de son épée.... Tantôt
» mêlé à la foule des dieux , tu combattras les géans des-
>>cendans d'Ymer ; tantôt , imitant le génie Uller , qui ,
>> sur des patins radieux , devance les aquilons et les f
» éclairs , tu glisseras sur le fleuve de glace , et tu t'en-
>>fonceras par des portiques nébuleux dans les palais
>> aériens ; là , des vierges aux yeux bleus et aux pieds
>> d'albâtre te verseront la boisson des héros dans le crâne
>> des Huns et des Vandales , tandis que Braga , assis
>>sous le chêne d'Idrasil , te charmera du son de sa lyre ,
>> et que la déesse Yduna t'offrira les pommes qui don-
>> nent l'immortalité . Le chef des guerriers a com-
>> battu , et les corbeaux vivront long- tems sur les traces
>>de son épée . »
-
Il n'y a point de chant dans le cinquième récit ; mais
ony trouve quatre discours . M. Marchangy , traçant le
plan du poëme de Clovis , suppose ingénieusement que
lefondateur de la monarchie française délibère sur le
:
FEVRIER 1813 . 353
choix d'une religion dominante. Un Romain se lève lo premier , et , dans un discours brillant , loue les disos LA
SEIN
d'Homère , et la brillante mythologie des Grecs , qui
ayant perdu son empire sur les peuples , retient encor
celui de la poésie et des arts . Un Scandinave prend
ensuite la parole et célèbre la religion d'Odin. Ly a5.
dans cette religion des fictions dégoûtantes qui ne peucen
vent inspirer ni le génie du poëte , ni sur-tout celui de
l'artiste . Quel est le peintre qui oserait représenter sur
la toile les parques du nord ? « Les douze Valkiries ....
>> travaillent les destins des héros autour d'un métier
>> dressé sur quatre lances ; leur trame est composée
>> d'entrailles frémissantes ; à chaque poids, une tête hu-
>> maine et des coeurs encore palpitans sont suspendus .>>>
Après l'apologie de la religion celtique , faite par un
Gaulois , Clotilde chante la grandeur et les bienfaits du
christianisme , de cette religion consolatrice , « qui ne
>>>montre la mort que près de l'immortalité. » Le dieu de
Clotilde devait l'emporter ; mais cette princesse ne devait
pas dire sainte Geneviève , en parlant de la vierge de
Nanterre qui vivait encore , et n'était point honorée d'un
culte public. ( La bataille de Tolbiac fut livrée en 496.
La mort de Geneviève est fixée par les historiens à l'an
511 , et celle de Clovis à l'année suivante. )
Il est difficile de trouver M. Marchangy en faute. Son
talent très-remarquable donne plus de droit que de prise
à la sévérité de la critique. Dans un autre article j'exa
minerai le second volume de son ouvrage.
VILLENAVE .
THEATRE DE L. B. PICARD , membre de l'Institut. Six
vol . in-8°. - Prix , 36 fr . Chez Mame , imprimeurlibraire
, rue Pot-de-Fer.
(SECOND ARTICLE. )
Le théâtre de M. Picard se compose de trente-trois
pièces. Il y a des gens que ce nombre pourrait effrayer ,
et qui croient , comme l'on dit communément, que la
Z
354 MERCURE DE FRANCE ,
1
quantité nuit à la qualité ; il faut se hater de leur dire
que , de ces trente-trois pièces , deux sont des opéras
comiques , et dix des comédies en un acte. « Quand mes
>>>amis , dit M. Picard , veulent choisir entre mes petites
>>pièces , ils balancent entre les Voisins , M. Musard et
>>> les Ricochets . >>> Je demanderais qu'il y ajoutât le
Vieux Comédien. J'ai pour moi une autorité que personne
ne contestera en fait de goût , et sur-tout de comédie;
c'est celle d'un de ces amis de M. Picard , dont
Jenom est devenu inséparable du sien , et qui , naguère
en rendant comple de ce même théâtre , a donné le noble
exemple de l'amitié remplissant les fonctions de la cri
tique. Cet ami , que j'ai déjà assez désigné , paraît dér
sirer une quatrième place pour le Vieux Comédien , dans
le choix des plus jolies pièces de M. Picard . Et en effet,
me fût-ce que le souvenir de Préville , que l'auteur a eu
Je dessein de rappeler , cette petite comédie , pleine
d'ailleurs de détails agréables , pourrait figurer au premier
rang des productions de ce genre . C'est dans la
préface du Vieux Comédien , que M. Picard , après avoir.
répondu à une critique faite sur la pièce , ajoute : « Il y
ia des gens qui veulent que la comédie soit une école
>> de moeurs. Moi je crois qu'elle ne doit être qu'un ta
>> bleau des moeurs et des ridicules . Tant mieux pour
> l'auteur si son tableau peut corriger ou au moins faire
>> réfléchir le spectateur ; mais son but est atteint , quand
› il a été vrai et comique. >> Je cite ce passage , nonseulement
parce qu'il me paraît être un résumé aussi
exact que fidèle de la doctrine littéraire de M. Picard.
mais parce qu'il est aussi une preuve de ce sens droit qui
est une des premières qualités du poëte comique.
C'est parce que la comédie a prétendu corriger les
moeurs , qu'on a si sévèrement examiné ses titres à une
pareille mission ; c'est parce qu'on a voulu la représenter
comme une école de moeurs , que le plus éloquent
de nos philosophes a voulu prouver qu'au lieu de les
corriger , elle les renforçait. Cette question bien débattue
se réduit peut- être au voeu simple et modeste que
forme M. Picard , d'amuser et de faire réfléchir. Quant
à laprétention ambitieuse de corriger en riant, elle n'est
"
1
FEVRIER 1813 . ་ ༧ ན་ 355:
1
F
1
plus pardonnable qu'à l'opéra-comique , sur-tout depuis..
qu'ony joue des mélodrames .
Ces réflexions m'ont fait perdre de vue les petites
pièces de M. Picard , entre lesquelles on éprouve l'embarras
de choisir. « Moi , dit- il , je suis pour les Rico-
>> chets ; qu'on me pardonne cette franchise d'amour-
>> propre. >> Je serais assez tenté de m'en rapporter à son
jugement . Chez lui l'amour-propre d'auteur n'est pas
aveugle ; il n'est pas de ces pères qui se passionnent
souvent pour ceux de leurs enfans les moins dignes de
leur affection . Mais , puisqu'il faut aussi faire un choix ,
j'avouerai ma prédilection pour Musard. Musard me
paraît un des tableaux les plus vrais , un des portraits
les plus frappans de ressemblance qu'aient produits les
pinceaux de M. Picard . « J'ai souvent fait la remarque ,
>> dit-il , que c'est celle de mes comédies où j'ai été le
>>plus économe d'esprit.>> Je sais qu'un amateur du
théâtre , inconnu par quelques pièces jouées à laComédie
française , et qu'un ami félicitait du peu d'esprit qu'il y
mettait, lui répondit un jour : « L'esprit ! je l'abhorre.>>
Je ne partage pas tout-à- fait cette horreur , et je ne puis
pas dire que ce soit précisément par cette raisonque me
plaît Musard. Une anecdote qui m'est particulière , mais
qu'en raison de l'à-propos , on m'excusera de rapporter
ici , est peut- être la vraie cause de la préférence que
j'accorde à cette comédie. Je connais un homme qui ne
sait jamais sortir de chez lui , et jamais y rentrer , négligeant
pour des niaiseries et des bagatelles un commerce
qui demanderait une grande partie de son tems , beaucoup
moins occupé de ses affaires que de la caricature
nouvelle , du dernier opéra bouffon , de la revue , de la
hauteur de la rivière , et des bateaux arrivés au port
Saint-Nicolas , vrai Musard enfin , et que l'on croirait
avoir servi de modèle à M. Picard. La pièce était depuis
quelque tems annoncée dans les journaux et sur l'affiche
du théâtre de l'Impératrice. Un ami commun s'amuse
à faire accroire à notre Musard que c'est lui qu'on va
jouer , et que c'est lui-même ( cet ami) qui en a donné
l'idée à l'auteur. Des rapports d'esprit et de goût qu'il
avait dès-lors avec M. Picard , et qui sont devenus de-
Z2
356 MERCURE DE FRANCE ;
puis des relations d'amitié intime , donnaient à cette
petite fable le degré de vraisemblance nécessaire . Notre
homme en fut dupe , et jusque-là n'en parut pas autrement
fâché. Vint enfin le jour de la représentation. Il y
court et se reconnaît tellement au portrait , qu'il passe
bientôt de l'admiration pour le peintre , à un mouvement
d'humeur chagrine contre l'indiscret ami qui a fourni
sur son compte des renseignemens si exacts et si positifs .
Le voilà se plaignant de l'amitié violée , de la confiance
trahie; disant que l'on pouvait bien chercher à corriger
ses amis de leurs défauts , mais que c'était passer les
bornes , que de les exposer sur un théâtre , et de les livrer
à la risée publique. Plus il se fachait , plus il donnait à
rire à des gens bien persuadés d'ailleurs qu'il n'y avait
pas le plus léger fondement à ces reproches . Il fallut
enfin le désabuser , mais ce ne fut pas sans peine. Le
succès inattendu de cette très-innocente mystification ,
me parut alors une preuve irrécusable de la bonté de
l'ouvrage , et consacrer ce fait , que dans une peinture
comique et vraie , on peut non-seulement reconnaître
son voisin , mais quelquefois aussi se reconnaître soimême.
J'observe en passant que l'anecdote que je viens
de citer et dont le principal personnage est un commerçant
, pourrait justifier suffisamment M. Picard , du
reproche d'avoir fait de Musard unnégociant. Le Musard
que je connais justifierait celui de la comédie , de tout ,
même de la négligence dans la rentrée de ses fonds ;
sauf cependant le retard dans ses paiemens , la seule
chose que ses distractions ne lui fassent pas oublier.
« La principale cause du succès de ma comédie , dit
> encore M. Picard , c'est qu'à la différence de tous les
>> autres défauts mis en scène , chacun avoue franche-
>> ment qu'il est atteint de celui-ci . Personne ne veut être
>> avare , joueur , glorieux . Tout le monde consent à être
>> Musard. Que dis-je ? on s'en fait gloire . >> J'irais , si
j'osais , plus loin que M. Picard. Je dirais qu'il y a des
fanfarons de músarderie , des hommes très- actifs , trèslaborieux
, qui ne seraient pas fâchés qu'on les prît pour
des indolens et des désoeuvrés .
,
*Il est de faux musards ainsi que de faux braves .
FEVRIER 1813 . 357
그럼
1
Me pardonnera-t- on de citer encore à ce sujet un
exemple de ridicule que j'ai eu sous les yeux ? J'ai connu
un homme de finance , un des plus habiles banquiers de
Paris , et sur-tout des plus travailleurs. J'ai ri quelquefois
de le voir , après huit ou dix heures du travail le plus
opiniâtre et le plus assidu , exalter les charmes du far
niente , ou peindre à sa manière son ravissement , ses
extases , lorsque dans le fond d'une loge de l'opéra bouffon
, enivré des accens de Mozart ou de Cimarosa , il
savourait un numéro du Journal de Commerce , et méditait
quelques combinaisons de change. Peu s'en fallait
alors que ce voluptueux oisif ne vantât aussi , comme
Musard, cette incertitude , ce vague heureux de l'esprit ,
et qu'on ne le prît pour un fainéant qui passait sa matinée
à observer les passans , et à deviner à quel point en sont
un homme et unefemme qui se donnent le bras . Ce caractère
ne serait sûrement pas aussi comique que celui de
Musard; mais il existe , et j'en garantis la vérité.
Quoique ces réflexions sur Musard puissent paraître
déjà bien longues , je ne finirai pas sans faire à M. Picard
un reproche grave et qui a cette comédie pour objet.
M. Picard se vante d'indiquer avec soin et avec franchise
toutes les sources où il a puisé . Cependant il ne dit rien
de M. Musard. C'est donc à moi à lui apprendre d'où il
a tiré le sujet de sa pièce . Je croyais encore , il y a huit
jours , qu'il lui appartenait tout entier. Mon bonheur a
fait tomber entre mes mains une satire nouvelle intitulée
: Epître aux mânes de Dorvigny . J'y ai lu ce vers
du tour le plus fin et le plus épigrammatique :
On a beaucoup d'esprit , de mémoire aujourd'hui.
Ce vers m'a renvoyé à une note , et cette note m'a
appris que le véritable auteur de Musard était un M. Rousseau
, auteur d'une comédie intitulée : M. Lambin , dans
laquelle le nouveau satirique a reconnu le fond et la
coupe de plusieurs scènes de Musard ; ensorte que M.
Picard n'a peut-être fait que trouver un titre plus heureux
à la pièce de M. Rousseau. Mais il faut convenir
que celui-ci , en gardant si long-tems le silence sur une
aussi criante spoliation , a donné unbel exemple de dis
1
358 MERCURE DE FRANCE ,
crétion et de magnanimité ; car c'est encore une preuve
de sa discrétion , que de confier le soin de sa vengeance
à l'auteur de l'Epitre aux mânes de Dorvigny.
Outre les pièces en un acte que j'ai déjà eu occasion
de citer , le recueil contient encore le Cousin de tout le
monde , jolie esquisse , l'une des premières productions
de l'auteur , dans laquelle on reconnaît déjà sa vocation
pour ce genre de comique qui fait servir habilement
l'anecdote du jour au développement d'un caractère ou
d'une intrigue.
L'Acte de Naissance , qui rappelle pour le fond et
l'agrément de quelques détails , la Mère coquette.
Les Oisifs et le Cafédu Printems , deux pièces épisodiques
, dans lesquelles l'auteur amène , avec la liberté
qu'admet le genre , plusieurs de ces originaux que tout
le monde connaît , que tout le monde a vus , un M. Leffilé
, entr'autres , qui vient d'être guéri d'une maladie
grave , par une méprise de son apothicaire qui lui adonné
une potion toute contraire à l'ordonnance de son médecin
, du reste , le premier oisif de Paris , le plus ponctuel
sur les visites , le plus exact aux revues et aux promenades
; enfin , à la fraise et aux canons près , t'homme
de La Bruyère , dont on voit le visage représenter sur
les Almanachs , le peuple ou l'assistance.
Un Lendemain de Fortune , jouée à la Comédie franfrançaise
, et dont il faut expliquer le médiocre succès ,
en reconnaissant avec l'auteur , que la pièce , comme il
l'a conçue , n'a pas tous les développeinens nécessaires .
Au surplus , à la lecture , où ce défaut est moins choquant
, elle plaît et amuse. Elle peut être aussi une consolation
utile pour ces pauvres gens en place, qui se sont
vus transportés d'un état médiocre à des postes éminens ,
et qui , ainsi que les Hébreux , seraient tentés de regretter
les oignons d'Egypte . Car c'est la Bible qui a
fourni à M. Picard le sujet de cette comédie , de même
que c'est un Père de l'Eglise qui lui a fourni le sujet de
l'Alcade de Molorido. Cesont des obligations qu'il avoue ,
sans paraître autrement surpris que les livres les plus
graves fournissent quelquefois l'idée d'une intrigue plaisante.
Il est vrai qu'il faut un oeil exercé pour l'y découFEVRIER
1813 . 350
Π
1.
L
८
!
$
1
vrir, et que le germe d'une comédie , déposé dans les
écrits de saint Jérôme , a besoin d'être fécondé par le
talent comique .
Je ne puis oublier dans cette nomenclature de petites
pièces de M. Picard , le Susceptible ; non que l'idée ni
l'exécution m'en paraissent bien heureuses . Il explique
lui-même d'une manière très-satisfaisante le vice du
sujet : c'est que c'est un caractère plus souvent triste que
comique , et qu'on est plus tenté de plaindre le Susceptible
que d'en rire. Peut-être pourrait-on ajouter , en se
servant d'une expression que les comédiens appliquent
à certains rôles , que c'est un caractère en-dedans , qui
sent sa faiblesse , en rougit quelquefois , et craint sans
cesse de se trahir ; disposition peu propre à laisser
échapper ces naïvetés comiques , ces mots du coeur qui
décèlent et mettent si bien en scène un personnage. Le
Susceptible est un malade auquel il faut un régime doux ,
etdont il vaut mieux , je crois , laisser la guérison aux
moralistes de profession ; mais cette pièce a fourni à
M. Picard le sujet d'une de ses meilleures préfaces , et
je ne résiste pas au plaisir d'en faire connaître quelques
passages . Il y répond d'abord au reproche qu'on lui a
fait de ne mettre en scène que des bourgeois .
<< Pourquoi , dit-il , fait-on ce reproche à Dancourt
comme à moi , et ne le fait-on jamais à Molière , dont
>> presque tous les personnages ont des moeurs très-bour-
>> geoises ? C'est , je crois , parce que Molière n'indique
>>>que fort rarement la qualité , la profession de ses prin-
>> cipaux personnages , tandis que dans les pièces de
>> Dancourt et dans les iniennes on voit toujours des
>> financiers , des hommes de robe et des marchands .
» Par- là nous rapétissons nos tableaux ; Molière agrandit
>> les siens . Arnolphe , Orgon , Chrysale , et tant d'autres
>> sont représentés comme des chefs de famille , comme
>> des maîtres de maison. Quelle profession ont-ils exercé?
>> En ont-ils jamais exercé une ? On n'en sait rien , et
>>leurs moeurs et leurs ridicules peuvent s'appliquer à
toutes les classes de la société . Il faut dire pourtant
>> qu'aujourd'hui nous voyons bien moins que du tems
de Molière , de ces bourgeois aisés , sans état , et vivant
360 MERCURE DE FRANCE ;
>>de leur bien . Tout le monde s'occupe ou veut avoir
>> l'air de s'occuper . On court à la fortune; chacun veut
>> être plus riche que ne le fut son père , et puis on veut
>>être quelque chose. Il y avait de l'ambition dans toutes
>> les têtes du tems de Molière ; mais elle était bornée
>> pour chacun par son rang dans la société. Le grand
>> seigneur tendait à devenir ministre ou maréchal de
>>France . Le bourgeois visait à devenir marguillier de
>> sa paroisse , syndic de sa communauté , échevin ou
>>quartinier .>>>
L'examen de cette même pièce du Susceptible , conduit
l'auteur à parler des rôles d'opposition : moyen
comique dont on a fait un emploi peut-être indiscret et
une critique peut- être trop sévère . Je crois aider ici la
mémoire de M. Picard en lui rappelant où il a lu que
Molière avait dédaigné ces oppositions de caractère . Ce
doit être , si je ne me trompe , dans la poétique du
théâtre de Diderot ; mais si je ne me trompe aussi , les
réflexions de Diderot à ce sujet , paraissent moins dictées
par l'intérêt de l'art , que par un sentiment de vengeance
personnelle. Il ne s'élève avec autant de vivacité
contre ces contrastes , que pour mieux faire la critique
du Bourru Bienfaisant de Goldoni , dont il croyait avoir
àse plaindre. Cette intention qu'il laisse trop facilement
percer , ôte de leur poids aux argumens dont il cherche
à appuyer son assertion . On ne voit pas pourquoi , ce
qu'on rencontre tous les jours dans le monde , c'est- àdire
, des unions de caractères et d'humeurs en apparence
les plus opposées et les plus incompatibles , ne
pourraient pas se rencontrer de même sur la scène . Il
faut sans doute éviter que ces oppositions ayent rien de
trop symétrique et de trop régulier , rien qui sente la
machine ; mais , comme le dit M. Picard , si le ca-
>> ractère principal est bien choisi , il est à présumer que
>> le caractère d'opposition viendra naturellement se pré-
>> senter . Si cependant il ne se présente pas , il n'est pas
» défendu de le chercher. Il faut que ce caractère ne
>> soit ni forcé , ni invraisemblable , ni mal amené...
>> Quand le caractère d'opposition ne vient pas naturel
FEVRIER 1813 . 361
>> lement , et par la seule force de l'intrigue , faire con-
>> traste avec le principal caractère , comme le fils dans
>> l'Avare , comme Clitandre et Henriette dans les Fem-
>> mes savantes , je crois qu'il faut l'appliquer à un père ,
>> à un oncle , à un personnage exerçant une autorité ou
>> un droit d'amitié sur un ou plusieurs des personnages
>> principaux. Tels sont les frères de Molière dans beau-
>> coup de ses comédies et Baliveau dans la Métromanie .
>> Souvent alors le caractère d'opposition se confond
>> avec celui de l'homme raisonnable , qu'en style de
>> théâtre on appelle le raisonneur ; mais souvent aussi
>> ces deux caractères se divisent en plusieurs person-
>> nages. Je crois que lorsque le caractère principal est
>> odieux , il est bon de donner au même personnage le
>>caractère d'opposition et celui de l'homme raison-
>> nable , comme a fait Molière dans le rôle de Cléante
>> du Tartuffe . On peut les diviser quand le caractère
>>principal n'exclut ni l'honneur , ni la bonté . Dans
>> les Femmes savantes , Clitandre et Henriette sont des
>> caractères d'opposition , Ariste est l'homme raison-
>>>nable.>>>
Ces citations , et beaucoup d'autres que ne nous permettent
pas les bornes d'un article , n'apprendront pas
aux gens qui réfléchissent , que M. Picard a fait une
étude approfondie de son art ; mais il y en a d'autres
qui sont trop disposés à croire que tout ce qui porte le
caractère du naturel et de la facilité , est le produit d'une
organisation particulière et d'une espèce d'instinct ; ceuxlà
liront peut-être avec un degré d'intérêt de plus , et
d'estime pour l'auteur , les théories fines et savantes qu'il
développe dans plusieurs de ses examens.
Dans un troisième et dernier article nous parlerons
des grandes comédies de M. Picard ; nous contentant
d'indiquer celles qui sont les plus connues , et au succès.
desquelles il n'a manqué ni suffrages , ni critiques ;
réservant unemention particulière à celles dont le public
s'est éloigné , soit après les avoir beaucoup vues , soit
après ne les avoir pas assez vues .
LANDRIEUX.
363 MERCURE DE FRANCE ,
.
LA FEUILLE DES GENS DU MONDE , ou le Journal Imaginaire
; par Mme DE GENLIS . Un vol . in-8° . -
IL est presque impossible d'avoir à rendre compte
d'un livre de Mme de Genlis , sans parler en même
tems de sa personne. Mme de Genlis a naturellement
l'humeur belliqueuse . Elle ne souffre point la critique
, et quand elle publie un ouvrage elle est convaincue
qu'il ne reste à ceux qui ont le bonheur de le
lire d'autre parti que de l'admirer . Mme de Genlis se plaît
à attaquer les plus illustres réputations littéraires , mais
elle veut qu'on révère la sienne. Elle ne craint pas de
prêcher l'intolérance , mais elle prétend qu'on doit tout
tolérer de sa part. Elle ne cesse de réclamer des égards ,
mais elle se dispense d'égards envers tout le monde .
Elle professe des principes de morale et de religion , mais
sa religion est superbe et hautaine , et semblable au
pharisien qui , debout devant les autels , remerciait
Dieu de ne l'avoir point fait comme les autres hommes
injuste , ravisseur , adultère , elle se glorifie , comme
lui , de jeûner deux fois le jour du sabbat , et de remplir
tous les devoirs de la loi .
Mme de Genlis a été , pendant quelque tems , attachée
à la rédaction du Mercure de France. Ce journal était
ators , à ses yeux , le premier des ouvrages périodiques .
Elle a cessé d'y travailler , et dès ce jour elle n'a plus
aperçu aucun mérite dans le Mercure .
,
Quand on lit les préfaces de Mme de Genlis , il est
impossible de ne pas se persuader qu'elle aspire à la
suprématie de la littérature ; qu'elle se croit sincèrement
au-dessus de tous les beaux génies qui l'ont précédée ;
qu'elle ne doute pas que la nature ne l'ait faite pour régenter
l'univers et donner des modèles de tous les genres
deproductions .
Je suis persuadé que c'est de très-bonne foi qu'elle a
composé le Journal Imaginaire ; elle s'est dit : « Les
>> hommes de lettres chargés de la rédaction du Mer-
> cure n'ont pas reçu du ciel pes dons supérieurs qui
FEVRIER 1813 . -363
>> me distinguent , ils s'acquittent faiblement de leur
* >> tâche . Composons pour eux un journal qui puisse leur
>> servir de guide , les éclairer dans la carrière qu'ils
>> parcourent , et leur montrer par quel art on peut ,
>> avec honneur , remplir le noble ministère de la cri-
>> tique. Il existe dans la nature un beau idéal ; indi-
>> quons- leur ce beau idéal , et pour cela intitulons
>> notre feuille le Journal Imaginaire. >>>
Il ne faut , en effet , que jeter un coup-d'oeil sur cette
nouvelle production de Mme de Genlis , pour se convaincre
que son intention a été de faire une heureuse
parodie du Mercure de France , et de montrer avec
quelle supériorité cette feuille eût été rédigée , si elle
eût été exclusivement confiée à Mme de Genlis .
C'est le même format , le même ordre , la même distribution
des matières . L'énigme , le logogriphe et les
poésies fugitives n'y manquent point. On y trouve des
analyses de livres , des contes , des lettres aux rédacteurs
, des annonces de musique , et jusqu'à des articles
sur une exposition imaginaire de tableaux. Ce sont
donc des modèles dans tous les genres , et la littérature
ne saurait trop se féliciter d'avoir trouvé , dans Mme de
Genlis , un de ces génies universels capables de tout
concevoir et de tout entreprendre. Qu'on n'accuse
point Mme de Genlis de trop de présomption , un travail
+ de ce genre ne lui paraît qu'un simple délassement .
<<Un auteur , dit-elle , qui se fiatterait de faire avec un
>> égal succès des romans , des opéras , des odes , des
>>> livres d'histoire , des comédies , des tragédies et des
>> poëmes épiques , aurait assurément une haute opinion
- >> de lui-même ; mais parler raisonnablement sur toutes
>>ces choses , n'est que l'espèce de talent que tout jour-
>> naliste doit avoir , et il ne faut qu'un peu d'instruction
>> et d'imagination pour indiquer ou pour inventer quel-
» ques sujets nouveaux dans ces différens genres. >>>
Il est rare qu'un journaliste quand il exprime son opinion
avec franchise , ou qu'il assaisonne sa critique de
quelques grains de malignité , ne fasse pas quelques mé-
-contens . Le Journal Imaginaire est à l'abri de ce danger ;
car , si j'en crois Mme de Genlis , tout est imaginaire
364 MERCURE DE FRANCE ,
dans ce prétendu journal . Les critiques tombent sur
des ouvrages qui n'existent point. Les éloges et les disputes
n'ont pas plus de fondement. Les extraits de pièces
dramatiques , de poëmes , de romans et d'histoire qu'on
y donne , ne sont que des fictions et des plans d'ouvrages
, parmi lesquels les jeunes auteurs pourront peutêtre
trouver quelques idées neuves .
Quand on procède avec tant de franchise et d'innocence,
aurait-on lieu de s'attendre à trouver des contradicteurs
? Cependant Mme de Genlis en a trouvé , et ( ce
que l'on aura peine à concevoir) , elle en a trouvé lors
même que son ouvrage n'était encore qu'en épreuves .
Aquoi la gloire et le génie ne sont-ils pas exposés ?
« Nous apprenons , dit Mme de Genlis , au moment
>> où l'on nous apporte l'épreuve de notre préface , que ,
>> dans la Gazette de France , un journaliste , acharné
>> depuis dix ans à nous dire des injures , quoique nous
» n'ayons jamais eu l'honneur de lui répondre un mot ,
>> vient de faire d'avance la, satire la plus amère de ce
>> journal , parce qu'il croit ( par une supposition qui
>> noushonore) qu'ony trouvera des sentimens religieux .
>> Nous pouvons pourtant l'assurer que nous n'avons
>> point parlé de religion dans les charades , les énigmes ,
>> les logogriphes , les petites pièces de poésie , les ex-
>> traits de pièces de théâtre , de livres d'histoire , de
>> voyages , de divers traités moraux , de romans , dans
>> les contes de féerie , les poëmes dont les sujets sont
» tirés de la mythologie , etc.>>>
On sait combien la Gazette de France est modeste et
retenue dans ses critiques . Nulle part les bienséances ne
sont plus scrupuleusement observées ; et si l'on avait
quelque reproche à lui faire , će serait un excès de modération
qui lui donne quelquefois l'air de la timidité et
de la faiblesse .
Quel est ce rédacteur , quel est ce téméraire , qui s'élevant
au-dessus des lois de la Gazette , s'acharne depuis
dix ans contre Mme de Genlis ? Hélas ! faut-il l'avouer à
ma grande confusion ? c'est à moi que Mme de Genlis
impute ce délit, Il ne faut rien retrancher de son acte
d'accusation.
1
FEVRIER 1813 . 365
«Il est vrai , dit-elle , que nous n'avons point inséré
>> dans ce recueil des épigrammes contre la religion , et
>> des traits malins contre ses ministres : les lecteurs in-
>> trépides qui veulent tout lire, pourront trouver toutes
>> ces choses dans un petit extrait d'un vieux livre ( le
>>Traité de l'opinion) , extrait intitulé : des Erreurs et des
>>Préjugés populaires , et que le compilateur a semé de
>> sarcasmes tirés des oeuvres de Voltaire ; mais nous
>>avouons qu'il ne s'est approprié que le fonds des
>>pensées . Il n'en a pris ni les tournures piquantes , ni
>>la gaîté . Sa plume se refuse absolument à ce genre de
>>plagiat.>>
Ainsi , je suis non-seulement un ennemi acharné de
Mmede Genlis , mais un détracteur de la religion et de
ses ministres , mais un servile compilateur qui me suis
approprié les ouvrages et l'esprit d'autrui. Il faut répondre
à ces diverses inculpations.
Et d'abord je demanderai à Mme de Genlis comment
elle sait que je suis l'auteur de l'article publié dans la
Gazette de France , quelque tems avant que son Journal
Imaginaire parut ? J'étais alors à la campagne , l'article
était jeté dans le corps du Journal , il ne portait aucun
sigue caractéristique qui en indiquât l'auteur. Mon accusatrice
aurait- elle des affidés jusque dans l'ombre des
imprimeries ? Mais je veux bien me charger de tout le
poids du délit . De quelle offense suis-je coupable envers
Mme de Genlis ? Elle parle d'injures ; on la prie de citer
dans cet article et dans tous ceux qui sont sortis de la
même plume une seule expression injurieuse , un seul
reproche qui ne soit pas fondé sur la plus exacte vérité.
J'ai rendu compte dans la Gazette de France d'une historiette
qui figure aujourd'hui dans le Journal Imaginaire.
Le Journal de Paris en avait publié une partie.
J'en ai parlé comme d'une production puérile , ridicule ,
indécente ; j'ai pris la liberté de m'en moquer , mais de
m'en moquer avec décence. Que pouvais-je faire de
moins ? L'opinion publique n'a-t-elle pas depuis frappé
d'improbation ce conte , dont les détails souvent licencieux
n'auraient pas dû échapper à une femme qui se
respecte ?
366 MERCURE DE FRANCE ,
Mme deGenlis se glorifie sans cesse de son respect pour
la morale et la religion ; comment se fait-il qu'elle aime.
à promener si souvent son imagination à travers des
scènes que ni la morale , ni la religion , ni la bienséance.
même ne sauraient approuver? Voudrait-elle que je lui
rappelasse quelques épisodes de son roman d'Alphonsine ,
de ses Chevaliers du Cygne ? Si quelquefois j'ai blâmé
ces écarts d'une imagination évaporée ( et comment
Mme de Genlis , à son âge , a- t-elle encore une imagination
évaporée ? ) , s'ensuit-il que je me sois acharné contre
Mme de Genlis ? Loin de m'acharner contre elle , je me
suis souvent fait un devoir agréable de louer quelquesuns
de ses ouvrages. Car, malgré les injustices de Mme de
Genlis envers moi, je me plais à être juste envers elle.
Je conviens avec plaisir qu'elle joint à un esprit distingué
une instruction assez étendue ; qu'elle écrit habituellement
avec pureté , quelquefois avec grâce ; qu'elle
possède sur-tout le talent de peindre d'une manière intéressante
, les moeurs , les habitudes, les ridicules de la
bonne compagnie ; qu'on s'aperçoit aisément qu'elle y a
vécu long-tems et qu'elle l'a étudiée avec soin.
Mais je suis loin de partager toutes les opinions de
Mme de Genlis , de m'associer à ses petites ambitions , de
caresser cet esprit de tracasserie qui perce dans la plupart
de ses écrits. J'ai même pris quelquefois la liberté
de lui adresser de respectueuses remontrances sur ce
beau système d'intolérance qu'elle voulait introduire dans
la religion; sur certaines images voluptueuses qui me
semblaient figurer assez mal dans des livres consacrés à
la morale et à la piété ; et quand j'ai parlé du Journal
Imaginaire , je n'ai fait attention qu'au conte de Célestine
, historiette d'une innocence et d'une naïveté si singulière
, qu'aucune mère de famille n'oserait la laisser
entre les mains de sa fille . J'ai constamment soutenu
qu'on ne devait point introduire l'abomination de la
désolation dans le lieu saint , et que c'était l'y mettre en
quelque sorte que de traîner les augustes vérités de la
religion dans la licence et la profanation des romans .
Mme de Genlis s'est persuadée qu'elle me ferait je ne sais
quel tort dans je ne sais quelle classe de la société , en
FEVRIER 13 367.
m'accusant d'irrévérence pour la religion et ses ministres;
mais ce projet charitable ne m'effraie nullement.
J'ai quelquefois attaqué la superstition et la bigoterie ,
mais non pas la religion. J'ai toujours regardé la religion
comme le lien le plus sublime qui unit l'homme au ciel ,
comme la garantie la plus précieuse des moeurs , comme
le soutien le plus important des Empires ; mais je n'ai
jamais confondu avec la religion cet esprit pharisaïque
qui attache tant de mérite à l'observation de quelques
vaines pratiques et si peu à l'observation de la morale.
J'aime sur-tout qu'on prêche d'exemple , je n'ai jamais
fait à Dieu l'outrage de le peindre comme un être souverainement
intolérant ( ainsi qu'il a plu à Mme de Genlis
de le représenter ). Je me suis gardé bien plus soigneusement
encore de recommander l'intolérance aux hommes
etde proposer en quelque sorte de nouvelles dragonades .
Je sais que les fervens s'excusent sur ce point , qu'ils
prétendentque le zèle de la maison du seigneur les dévore ,
que Dieu vomit les tièdes ; mais je sais aussi que les
François de Sales , les Charles Boromée , les Vincent de
Paule, ont honoré et fait chérir la religion par la douceur
de leurs moeurs et leur éminente charité . Voilà les vrais
ministres de l'évangile. Quant à ceux qui prêchent la
persécution et prétendent tourmenter la terre pour la
plus grande gloire du ciel , c'est , je crois , les traiter bien
doucement que de se contenter contre eux de quelques
épigrammes . Me de Genlis prétend que j'ai pris le fonds
de ces épigrammes à Voltaire , mais que je n'ai pu m'approprier
ses tournures et sa gaîté piquante . Hélas ! madame,
je n'ai rien pris à personne. Je sais trop bien que
vous et moi ne sommes pas dignes de dénouer les cordons
des souliers de nos grands écrivains ; qu'il y aurait
de mapart autant de folie à me comparer à Voltaire, qu'à
vous , madame , à vous comparer à Mme de Sévigné
pour la grâce du style , à Fénélon pour vos poëmes en
prose , à Mm de la Fayette et même à Mme Cottin pour les
romans .
Non, je n'ai rien pris à personne , et quand vous
assurez que mon ouvrage sur les Erreurs et les Préjugés
n'est qu'un extrait du Traité de l'Opinion , c'est de toutes
A
368 MERCURE DE FRANCE ,
les folies imaginaires qui vous ont passé par la tête , la
plus imaginaire. Il est évident pour moi que vous n'avez
jamais lu mon livre . Vous en ignorez jusqu'au véritable
titre ; vous en parlez comme d'une petite brochure , vous
ne savez pas que cette petite brochure se compose dé
deux volumes in-8° , d'environ 500 pages chacun. Je ne
veux point vous rappeler un des commandemens de
Dieu , qui commence par ces paroles : Faux témoignage
ne diras , etc. Mais assurément votre raison était un peu
dans les espaces imaginaires , quand vous avez imaginé
cette prétendue ressemblance entre le Traité de l'Opinion
du marquis de Saint-Aubin et l'ouvrage sur les
préjugés . Je prends la liberté de vous prier de fournir
les preuves de cette accusation , et j'ose même vous porter
d'avance le défi de produire une seule phrase , une seule
ligne que l'auteur des Erreurs et des Préjugés ait textuellement
empruntée au Traité de l'Opinion , sans le
citer. Et comment voulez-vous , Madame , que j'aie eu
la mauvaise pensée de m'approprier le Traité de l'Opinion
? Vous assurez vous-même , dans le cours de votre
Journal , que ce livre n'offre aucun intérêt ni pour le
sujet , ni pour le style ; il faudrait être bien mal avisé
pour aller chercher dans une pareille production les
matériaux d'un livre amusant. Le Traité de l'Opinion est
si loin de pouvoir servir à la composition d'un ouvrage
contre les Erreurs et les Préjugés , qu'il renferme luimême
beaucoup d'erreurs et de préjugés , et que j'ai
souvent été obligé de le réfuter. Convenez , Madame ,
que , malgré la sainteté à laquelle vous vous êtes vouée ,
le dépit a un peu égaré votre sagesse. Vous aviez préparé
, dans votre Journal Imaginaire , une petite diatribe
bien réelle contre l'auteur des Erreurs et des Préjugés ;
il le savait ; il vous a prévenue , et s'est permis de rire
de votre article et de votre journal avant qu'ils parussent.
Je sens tout ce que ce tort a d'impardonnable ; il est
piquant pour une femme d'esprit de voir ses plans renversés
et ses combinaisons déconcertées .
J'espère néanmoins que vous me pardonnerez cette
petite malice , et que nous n'aurons plus rien désormais
àdémêler ensemble. On m'assure que votre porte-feuille
FEVRIER 1813 . 369
ب
e
2
Es
Π
est vide , que vous en avez versé les derniers restes dans
votre Feuille des Gens du monde. Je vous félicite d'avoir
enfin terminé votre carrière littéraire . Nous n'aurons
plus , il est vrai , de poëmes en prose, plus d'arabesques
mythologiques , plus de manuel de la bonne ménagere ,
plus d'herbier historique , mais vous aurez plus de repos;
et votre réputation d'esprit et de talent n'aura plus à
redouter cette progression décroissante qui lui a fait
tant de tort dans ces dernières années .
Voilà , Madame , ce que j'avais à vous dire , je suis
fâché que vous m'ayez forcé à entretenir si long-tems
le public de moi et de mes faibles productions ; je l'en
dédommagerai la première fois , en l'entretenant des
vôtres ; il est juste de faire connaître dans le Mercure de
France , un Journal qui a tant de ressemblance avec le
Mercure, et qui , tout imaginaire que vous le disiez , contient
un assez grand nombre de réalités dont je me ferai
un vrai plaisir de rendre compte . SALGUES .
し
VARIÉTÉS .
REVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES , LES ARTS ; LES MEURS
:
ET LES USAGES .
Cinquième lettre de l'Observateur provincial à Messieurs
les Rédacteurs du Mercure .
MESSIEURS , s'appesantir sur des choses légères , c'est ,
selon l'expression de Rivarol , imiter les douaniers qui attachent
des plombs aux gazes d'Italie. Afin d'éviter ce reproche
, je m'étais promis d'abandonner tout ce qui tient à
Ja toilette des dames , et de diriger mes observations vers
des objets plus importans . Mais mon esquisse du coiffeur
veut un pendant . Je le trouve dans la marchande de modes ;
personnage dont les talens ne sont pas sans analogie avec
les siens , et qui n'est pas moins chéri du beau sexe. Je dis
la marchande de modes , bien que la ville que j'habite en
compte plusieurs , parce qu'une seu seule a la vogue. Est-elle
supérieure à ses rivales ? Il ne m'appartient pas de décider
Aa
370 MERCURE DE FRANCE ,
une question de cette importance . Je ne puis que répéter:
elle a la vogue. Cela répond à tout .
Il ne se passe pas de jours sans que les femmes qui se
piquent d'une certaine élégance , et quelles sont celles qui
ne s'en piquent pas ? ne lui fassent une ou deux visites ;
mais c'est sur-tout lorsqu'elle reçoit de Paris , ou soi-disant
de Paris , quelqu'assortiment de pompons , qu'ily a foule
chez elle . Il faut la voir étaler en triomphe ces délicieuses
nouveautés promises depuis six mois . Il faut voir l'empressement
des dames à les faire circuler de main en main. On
examine , on discute , on admire . Que de superlatifs employés
pour exprimer ce dernier sentiment ! Mais remarquez
qu'on a grand soin de ne louer que les objets qui
plaisent le moins , afin de faire oublier ceux que l'on
préfère. Toutes se servant à-peu-près de la même tactique ,
il arrive que l'admiration générale se porte sur ce qui en
est indigne. Chacune alors s'applaudit en secret de sa
petite ruse , et sourit à l'espoir de faire un choix plus heureux
, et d'ajouter ainsi à l'éclat de ses charmes .
On se sépare sans rien acheter , en assurant même qu'on
n'achetera rien; mais on revient le lendemain bien clandestinement
faire un examen plus approfondi de tout ce qu'on
n'a fait qu'effleurer la veille .
L'affaire est des plus importantes. Il ne suffit plus de
voir , il faut essayer ces diverses parures , il faut juger de
l'effet; et pour cela il est essentiel d'éviter les regards d'une
maligne curiosité . Tout est prévu. Au-dessus du magasin
estun entresol de quelques pieds carrés , où l'on arrive à
l'aide d'une espèce de casse-cou tournant. C'est dans cet
asile mystérieux , dans ce sanctuaire interdit à tout profane,
que les belles , comme celles qui ne le sontpas , viennent
étudier les intimes secrets de l'art de la toilette. La prêtresse
est là qui en dévoile toutes les ressources , en démontre
la théorie , et en fait l'application suivant les besoins
de l'initiée .
C'est au moyen de cet art vraiment réparateur qu'elle
sait , pour me servir de l'expression pittoresque d'un écrivain
toujours original et gai ( 1) , qu'elle sait ,dis-je , séparer
des appas qu'un penchant vicieux rapproche , ramener
des fuyards à leur poste , aligner des hauteurs et combler
des vallées ; qu'elle sait enfin corriger les outrages du tems
ou les bévues de la nature .
(1) L'auteur de Raison et Folie , ouvrage original , plein d'esprit
et de gaité.
FEVRIER 1813 . 371.
i
L'attrait de la parure n'est pas le seul qui attire les
dames dans ces lieux chers au dieu du goût. Elles y viennent
chercher des nouveautés de plus d'un genre , c'est-àdire
, que là se débite chaque jour , avec le Journal des
Modes, un petit bulletin verbal des nouvelles de la ville .
Savez-vous , dit l'une , que Monsieur un tel a fait hier une
scène épouvantable à sa femme , et cela parce qu'elle dépense
trop pour sa toilette? Il a grand tort, car , entre nous
soit dit, elle se met assez mal. Cela est affreux , dit l'autre ;
ces maris sont tous comme cela , ils voudraient que nous
1
fissions peur. A propos., dit une troisième , Madame une
telle a renvoyé sa femme-de-chambre. Cela est bien imprudent
, ajoute la voisine avec un demi-sourire qu'elle
cherche à rendre significatif.
1
1 1
C'est ainsi qu'en payant son petit contingent à la curiosité
publique, on parvient à satisfaire amplement la sienne .
Quand la matière manque , on a recours à ce précepte qui
dit que l'on doit mettre du sien dans la société : précepte
fidèlement suivi par tous les nouvellistes .
Les élégans de l'endroit ne sont pas étrangers à ces galans
conciliabules . Ils y sont sur-tout attirés par deux
jeunes et jolies desservantes des autels de la mode, auxquelles
ils s'empressent d'offrir un tribut journalier de
fleurs et de fleurettes . Les amoureux s'y rendent aussi
avec empressement. Ils viennent y épier un regard de leur
divinité ; et l'on dit , car mes observations ne vont pas jusque-
là , que parfois un tendre poulet se glisse furtivement
dans le gantmignon choisi par une belle.
Vous voyez , Messieurs , que le magasin d'une marchande
de modes, lorsqu'elle a la vogue , mérite bien quelqu'attention
de la part d'un étranger qui veut connaître sonmonde.
C'est là qu'il doit aller s'il désire avoir un aperçu des différentes
sociétés d'une ville. C'est ainsi que dans le cabinet
d'un curieux on peut connaître toutes les espèces de pierres
précieuses par les échantillons qu'on y trouve.
1-
J'ai l'honneur de vous saluer.
L'Observateur Provincial.
SPECTACLES . -Académie Impériale de Musique . -Le
Laboureur Chinois , opéra en un acte , paroles de M. ****,
musique de Hayden , Mozart et Mayer.
L'auteur avait modestement prévenu le public qu'il
n'avait pas prétendu faire un opéra , et que son but était
Aa a
/
372 MERCURE DE FRANCE ;
,
seulement de faire jouir le public des symphonies de Hay
den et de quelques morceaux peu connus de Mozart et de
Mayer. Cet auteur qui a gardé l'anonyme , fait sagement
de n'attacher aucune importance à un canevasbieennffaaiibbllee
uniquement destiné à rassembler des portions de symphonies
, des airs , duos , etc. assez étonnés de se trouver à
côté les uns des autres ; tous ces morceaux étaient connus
depuis long-tems , et ils ne me paraissent pas avoir gagné
à la réunion ; ils ont perdu l'expression primitive , premier
charme de la musique . Puisque l'auteur a fait un acte de
contrition sur son ouvrage , je veux aussi faire preuve d'indulgence'
; je n'examinerai donc ni le plan , ni le style , et
certes ily a de la générosité dans cette conduite , car j'aurais
pu trouver ample matière à réjouir mes lecteurs . Je
bornerai à avertir l'auteur qu'il n'est pas d'usage de
placer de suite six rimes masculines .
me
Monsieur, la poésie a ses licences , mais
Celle-ci passe un peu les bornes que j'y mets .
On a remis au courant du répertoire Achille à Scyros ;
ce suberbe ballet de M. Gardel est toujours monté avec
le plus grand soin et une pompe digne du sujet . Albert
est maintenant chargé du rôle d'Achille . Ce personnage
dans le ballet est d'autant plus difficile à représenter, qu'il
faut paraître sous des habits de femme ; la figure avantageuse
d'Albert lui permet de vaincre cette difficulté. Dans
tout son rôle il fait preuve de talent , et comme mime et
comme danseur . Mme Gardel a conservé le rôle de Déidamie
, et le personnage s'en trouve bien. Il est impossible
d'y mettre plus de grâce et de décence. Depuis longtems
Mme Gardel ne connaît pas de rivale , son talent l'a
placée hors de toute comparaison.
Le ballet d'Achille à Scyros a pris sa place au rang des
premières compositions de M. Gardel , et c'est en faire un
éloge complet que de le mettre à côté de Télémaque et de
Psyché. B.
au
Théâtre Français .-Quand le fier Tippo-Saëb , malgré
son horoscope tiré par un de nos plus fameux devins ,
qui le chassait de la scène u bout de trois représentations
, est encore ferme sur ses pieds , et ne craint que le
poignard anglais ; quandTalma , tantôt chef indien , fantôt
prince asiatique , sous les traits d'Hector, rajeunit chaque
FEVRIER 1813 . 373
jour sa renommée ; lorsqu'enfin Mlle Duchesnois , nouvelle
Andromaque , jamais
Ne coûta tant de pleurs à la Grèce assemblée ;
le feu est allumé dans l'empire de Thalie. Deux princesses
du sang , célèbres par leurs talens et leur beauté ,
peu satisfaites de leurs droits d'héritage , veulent agrandir
ſeurs Etats . L'aveugle ambition souffle entr'elles la guerre .
Cependant des médiations puissantes sont mises en jeu
pour leur faire signer la paix. Jamais on n'a délivré plus
de diplômes , employé plus d'agens , plus d'ambassadeurs .
Les ministres des deux Etats , les premiers commis lancent
dépêche sur dépêche , les couriers se croisent sur la
route . Quel sera le résultat de tant de démêlés , le fruit de
tant de négociations ? Peut-être la perte d'une des deux
princesses . Oisifs du Palais -Royal et de la Chaussée-d'Antin
, vous en porterez la peine.
Quidquid delirant reges , plectuntur Achivi.
Du caprice des grands nous sommes les victimes.
-
}
D. D.
-L'Opéra- Opéra-Buffa. - Rentrée de Mme Festa.
Buffa ressemble à une coquette qui change d'amant jusqu'à
ce qu'elle puisse en trouver un qui soit digne d'elle . Voilà
plusieurs directeurs que ce théâtre a pris et quittés . Il faut
espérer qu'il va se fixer enfin à M. Paer. Ce célèbre compositeur
a, pourjustifier le choix de l'Empereur, deux choses
bien rares aujourd'hui , le talent et la modestie . Malgré la
réputation méritée dont il jouit, il se regarde plutôt comnie
l'élève des grands-maîtres qui l'ont précédé que comme
leur égal. Il ne croit pas devoir sacrifier leur musique à la
sienne , et les plaisirs du public à une ridicule vanité.
-C'est sous les auspices de M. Paër , de ce directeur intelligent
, que Mme Festa a reparu lundi dernier à l'Odéon .
La sérénité brillait sur son visage , rien ne pouvait manquer
à sa gloire. Elle voyait en espérance devant elle
soixante - dix-huit mille francs fruit d'un engagement
bien cimenté , et qui nous donne l'espoir de la posséder
encore trois ans . La bourse et l'amour-propre de Mme Festa
étaient donc satisfaits ; elle était en droit de penser qu'Euterpe
lui sourirait, puisque la grondeuse Thémis , à qui elle
s'était adressée pour revendiquer ses droits , l'avait favorablement
accueillie . L'assemblée était nombreuse et brillante
, et les oreilles les plus exercées de lacapitale s'étaient
,
374 MERCURE DE FRANCE ,
donné rendez-vous à l'Odéon. Au plaisir d'entendre la
virtuose célèbre , se joignait un motif de curiosité. Depuis
cinq mois , le bruit circulait que M Festa avait perduune
partie de sa voix , et que ce grief formait une des bases du
procès intenté contre elle.Au fait, si ce bruit eût été fondé,
les administrateurs auraient-ils eu tort ? Ils soutenaient
avec raison qu'il leur fallait une chanteuse et non une
femme privée de la voix , que puisqu'elle ne pouvait s'acquitter
envers eux par l'harmonie des sons , ils étaient dispensés
de s'acquitter envers elle par celle des écus . De
gravesjuges ont prononcé dans cette affaire; il nous semble
ànous que c'était au tribunal des musiciens qu'une pareille
cause devait être décidée .
,
Quoi qu'il en soit , M Festa gagnerait son procès pardevanttous
les tribunaux du monde, comme elle l'a gagné
jeudi dernier au tribunal du goût. A peine a-t-elle paru
que de nombreux applaudissemens lui ont témoigné le
plaisir qu'on avait à la revoir. La nature l'a douée d'une de
ces physionomies vives et piquantes qui préviennent en sa
faveur; mais c'est peu des agrémens physiques , elle saity
joindre l'aisance et les grâces qu'exige la scène. C'est sur
le jeu de nos actrices célèbres qu'elle s'est modelée depuis
qu'elle est en France , bien persuadée qu'un jeu piquant et
expressif ne gâte point un chant vif et enjoué. La plupart
de nos cantatrices italiennes , disait Gluck dans ses instans
de boutade , ressemblent à des automates sonores , à des
espaliers chantans . Mm Festa , quoique bien sûre de son
triomphe , a paru un instant intimidée à son premier air ,
à cette cavatine charmante :
La Rachelina
Molinarina.
Mais rassurée bientôt , elle a déployé le volume de cette
belle voix, qui, comme celle du rossignol, ne franchit point
différens octaves , mais retentit mélodieusement à l'oreille,
et semble être l'organe du sentiment; c'est sur-tout au second
acte qu'elle a ravi tous les suffrages .
Elle a chanté avec une sagesse qui devient tous les jours
plus rare. Sa méthode s'est perfectionnée; on Ini reprochait
avec quelque raison de se complaire un peuttrroopp dans les
sons brillans de son organe , ellea su en enchaîner les ressorts
, et le dédommager par la flexibilité de ce qu'il perdait
du côté de la force. Jamais elle n'a fait plus de plaisir que
dans le dernierduo qu'elle a chanté avec Porto; il est vrai
FEVRIER 1813 . 375
18
1
1
qu'il est impossible d'être mieux secondé. Depuis Cheron
on n'a point entendu de voix comparable à celle de ce virtuose
, de voix dont les sons soient plus égaux , de voix
plus ronde , plus pleine , plus harmonieuse , et à-la-fois
plus souple et plus légère : elle a d'ailleurs l'avantage d'être
d'une trempe assez robuste pour résister à l'humide climat
deParriiss..Cebelorganes'embellit tous les jours, et tous les
jours a plus d'éclat , de moelleux et de volume .
Tous les chanteurs italiens ne peuvent pas se vanter du
même bonheur. La moindre variation dans le baromètre ,
le moindre courant d'air , le plus léger indice de rhume ,
enroue leur gosier , et met une sourdine à leur voix. Ce
sont des oiseaux de passage qui ne gazouillent bien que
sous le ciel de la patrie. L'Odéon doit bénir l'heureuse étoile
quilui a fait perdre son procès avec Mm Festa . Que serait-il
devenu sans cette cantatrice? Crevelli n'a pu , depuis deux
mois , attaquer la moindre note , essayer le plus petit port
de voix. Mme Sessi depuis long-tems n'a pas filé un son.
Cependant l'administration inquiète et chagrine n'en danne
pas moins soixante mille francs par an à ces deux illustres
enrhumés. Que faire ? Mm Barilli qui s'accomode à tout ,
et qui nous avait dédommagés jusqu'ici de l'absence de
M Festa , n'est cependant pas infatigable . Tachinardi ne
peut pas toujours être le prince de Jérusalem. Allons ,
Mmes Festa et Barilli , allons , M. Porto , cottisez-vous pour
faire vivre l'opéra italien, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'éclaircir
la voix de Mme Sessi et de désenrouer Crevelli ..
D. D.
Théâtre du Vaudeville. -Les romans de M. Pigault-
Lebrun ont fourni bien des sujets de comédies , vaudevilles
et même de mélodrames . Voici un vaudeville nouveau ,
tiré des Barons de Flesheim , la Tour de Wittikind. Les
auteurs ont fait peu de frais d'imagination ; plan , dialogue ,
tout est emprunté au roman , et je ne les en blâme pas ,
car on retrouve dans l'ouvrage de MM. Dupin et Dartois
l'esprit et la gaîté qui distinguent si éminemment notre
romancier le plus fécond et le plus ingénieux. Heureux
M. Pigault-Lebrun , s'il savait quelquefois se restreindre
et s'il se méfiait un peu plus de son extrême facilité ! Une
personne d'un goût un peu sévère disait que dans tous les
ouvrages de M. Pigault-Lebrun ily en avait toujours une
moitié pour sa réputation , et l'autre pour son libraire .
B.
,
POLITIQUE.
LES nouvelles de Constantinople annoncent que la
guerre contre les Whahabites , poussée avec vigueur et
intelligence , tourne décidément en faveur de la Porte . Un
grand nombre de chefs arabes se sont réunis sous les étendards
de leur souverain , et la prise de Médine est regardée
comme très-prochaine. Les nouvelles de Bagdad sontmoins
favorables que celles de Constantinople. Le pacha rebelle
a trouvé un asile en Perse . On sait qu'il est suscité et sous
tenu par le consul anglais . Il en est résulté que les Anglais
sont vus par le gouvernement avec une extrême défiance ;
on ne laisse point aller leurs couriers à Bagdad , et on en
a arrêté trois aux portes mêmes de Scutari. Les procédés
des Russes et de leurs agens , les bruits qu'ils colportent ,
les mesures prises pareux sur le territoire qu'ils ont acquis ,
et qui privent la Moldavie des approvisionnemens dont
elle avait besoin , tout contribue à indisposer contr'eux le
gouvernement ottoman .
La nomination de M. Madisson à la présidence des
Etats-Unis paraît assurée à la majorité de 39 võix . Quelques
changemens ont eu lieu dans le cabinet . Des augmentations
considérables ont été votées dans les forces de
terre et de mer. Les législateurs des divers états offrent
des frégates , et les dons volontaires se multiplient pour le
soutien de la cause commune .
La question de savoir si la compagnie des Indes contihuera
d'exercer son privilége exclusif, ou si le commerce
de l'Inde sera rendu libre , occupe tous les esprits à Londres
, et elle a été débattue dans de nombreuses séances
de la compagnie , dans des réunions particulières , et dans
une assemblée de la cité . Un autre objet partage l'attention
, c'est une lettre de la princesse de Galles au prince
régent son époux. La princesse , sans revenir sur les événemens
passés , se plaint d'être séparée de sa fille , et paraît
redouter qu'une personne , que les événemens peuvent
appeler au trône , n'ait pas une éducation convenable à sa
destinée , que ses premiers devoirs religieux n'aient pas été
encore accomplis .
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 377
Le Courrier, journal ministériel , reproche vivement au
Morning- Chronicle d'avoir publié cette lettre , que le prince
avait renvoyé trois fois sans la lire . Le but de l'article est
d'établir que la jeune princesse a reçu toute l'éducation
nécessaire , sous la direction de l'évêque de Salisbury , et
que , sous aucun motif, elle ne doit être rendue à sa mère .
Le Courrier ajoute qu'une telle publication ne peut avoir
pour but que de montrer la famille royale divisée , renouvelant
d'anciennes dissentions . Cette affaire fait en Angleterre
une très-vive sensation . Les nouvelles d'Espagne et
d'Amérique n'ont d'ailleurs rien appris à Londres qu'il
importé de rapporter.
Les lettres de Berlin annoncent que cette ville est le
centre d'un mouvement d'officiers généraux , qui se dirigent,
les uns vers le quartier-général du prince vice-roi ,
Les autres sur Magdebourg , les autres vers Francfortet
Mayence , pour servir dans les corps d'observation de l'Elbe
et dans l'armée de réserve du Rhin. Les mêmes lettres , en
date du 6 , citées parle journal de l'Elbe , portent que deux
corp de troupes françaises manoeuvraient sur la rive droite
de l'Oder. Des nombreux renforts traversent ce fleuve .
Tout annonce un prochain mouvement sur la Vistule . Les
levées du duché de Varsovie sont nombreuses . Il paraît
qu'à la reprise des opérations elles donneront 20 mille
hommes de troupes légères , armées comme les Cosaques ,
et destinées à être opposées à ces troupes irrégulières . Les
incursions des détachemens russes dans le duché de Varsovie
sont sur tous les points repoussées avec perte . Les
troupes réglées russes restent sur la rive droite de la Vistule
, d'où il paraît que les pertes énormes que la saison et
les combats leur ont fait éprouver , ne leur permettent de
faire aucun mouvement sérieux . Thorn est en état de défense.
Le quartier-général français est toujours à Posen .
S. A. S. le prince archi-chancelier de l'Empire s'est
rendu , le samedi 13 février , au Sénat , par ordre de S. M.
l'Empereur et Roi , pour y présider la séance.
S. A. S. ayant été reçue avec le cérémonial d'usage , a
fait donner lecture par l'un de MM. les secrétaires , du
concordat signé à Fontainebleau le 25 janvier 1813 , entre
S. M. l'Empereur et Roi et S. S. Pie VII .
Concordat.
S. M. l'Empereur et Roi et Sa Sainteté , voulant mettre un terme
auxdifférends qui se sont élevés entr'eux , et pourvoir aux difficultés
€
2
378 MERCURE DE FRANCE ,
1
survenues sur plusieurs affaires de l'église , sont convenus des articles
suivans , comme devant servir de base à un arrangement définitif.
Art. rer. Sa Sainteté exercera le pontificat en France et dans le
royaume d'Italie , de la même manière et avec les mêmes formes que
ses prédécesseurs.
2. Les ambassadeurs , ministres chargés d'affaires des puissances
près le Saint-Père , et les ambassadeurs , ministres ou chargés d'affaires
que le Pape pourrait avoir près des puissances étrangères ,
jouiront des immunités et priviléges dont jouissent les membres du
corps diplomatique.
3. Les domaines que le Saint-Père possédait , et qui ne sontpas
aliénés , seront exempts de toute espèce d'impôts ; ils seront administrés
par ses agens ou chargés d'affaires . Ceux qui seraient aliénés
seront remplacés jusqu'à la concurrence de deux millions de fr. de
revenu.
4. Dans les six mois qui suivront la notification d'usage de la nomination
par l'Empereur aux archevêchés et évéchés de l'Empire et
du royaume d'Italie , le Pape donnera l'institution canonique , conformément
aux concordats , et en vertu du présent indult. L'information
préalable sera faite par le métropolitain. Les six mois expirés
, sans que le Pape ait accordé l'institution , le métropolitain , et
à son défaut , ou s'il s'agit du métropolitain , l'évêque le plus ancien
de la province , procédera à l'institution de l'évêque nommé , de
manière qu'un siége ne soit jamais vacant plus d'une année.
5. Le Pape nommera , soit en France , soit dans le royaume
d'Italie , à dix évêchés qui seront ultérieurement désignés de concert.
6. Les six évêchés suburbicaires seront rétablis ; ils seront à la
nomination du Pape. Les biens actuellement existans seront restitués ,
et il sera pris des mesures pour les biens vendus . A la mort des évêques
d'Anagni et de Rieti , leurs diocèses seront réunis auxdits six
évêchés , conformément au concert qui aura lieu entre S. M. et le
Saint-Père .
7. A l'égard des évêques des Etats romains , absens de leurs diocèses
par les circonstances , le Saint-Père pourra exercer en leur
faveur son droit de donner des évêchés in partibus . Il leur sera fait
une pension égale au revenu dont ils jouissaient , et ils pourront
être replacés aux siéges vacans , soit de l'Empire , soit du royaume
d'Italie.
8. S. M. et S. S. se concerteront en tems opportun sur la réduction
à faire , s'il y a lieu , aux évêchés de la Toscane et du pays de Gênes.
ainsi que pour les évêchés à établir en Hollande et dans les départemens
anséatiques .
FEVRIER 1813 . 379
i
3
6
a
:
9. La propagande , la pénitencerie , les archives seront établies
dans le lieudu séjour du Saint-Père.
10. S. M. rend ses bonnes grâces aux cardinaux, évêques , prêtres ,
laïcs, qui ont encouru sa disgrace par suite des événemens actuels .
11. Le Saint-Père se porte aux dispositions ci-dessus par considérationde
l'état actuel de l'Eglise , et dans la confiance que lui a inspirée
S. M. qu'elle accordera sa puissante protection aux besoins si
nombreux qu'a la religiondans les tems où nous vivons.
PIUS P. P. VII.
NAPOLÉON.
Fontainebleau , le 25 janvier 1813 .
Dimanche dernier , S. M. l'Empereur et Roi est parti
àune heure du palais des Tuileries en grand cortége , pour
se rendre au Corps-Législatif.
Des salves d'artillerie ont annoncé le départ de S. M.
des Tuileries , et son arrivée au Corps-Législatif.
Le cortége a traversé le jardin des Tuileries , la place ,
le pont de la Concorde , et S. M. est descendue de voiture
au perron de la nouvelle façade du palais du Corps-
Législatif.
M. le président du Corps -Législatif et vingt-cinq députés
ont reçu S. M. au bas du perron , et l'ont conduite à l'appartement
qui avait été préparé pour la recevoir .
La députation du Sénat et le Conseil-d'Etat se sont
placés , l'une sur des chaises dans le parquet en face du
trône , et l'autre sur les deux premiers rangs de banquettes
Iavant l'arrivée de S. M.
S. M. l'Impératrice était dans la tribune en face du trône
de l'Empereur , accompagnée de S. M. la reine Hortense ,
et entourée des officiers de sa maison .
Le corps diplomatique occupait une tribune à droite .
L'Empereur , après s'être reposé dans son appartement,
s'est rendu dans la salle du Corps-Législatif, précédé de
son cortége.
Al'arrivée de S. M. , tous les députés se sont levés. S. M.
's'est placée sur son trône. Les princes grands-dignitaires ,
les ministres, les grands-officiers de l'Empire et de la couronne
, les grands-aigles de la Légion-d'Honneur , et les
officiers qui formaient le cortége de S. M. , ont occupé
leurs places accoutumées autour du trône : les princes
grands-dignitaires à droite et à gauche, suivantleurs rangs .
L'Empereur étant assis , le grand-maître des cérémonies
a pris les ordres de S. M. pour ouvrir la séance .
380 MERCURE DE FRANCE ,
\ Le prince vice-grand- électeur , prévenu par le grandmaître
, a demandé à S. M. la permission de lui présenter
les membres du Corps - Législatif nouvellement élus , et les
admettre à prêter serment. L'un des questeurs a fait l'appel
nominal , et le serment a été prêté .
L'appel étant terminé , l'Empereur a prononcé le discours
suivant : :
« Messieurs les députés des départemens au Corps-Législatif.
> La guerre rallumée dans le nord de l'Europe , offrait une oсса-
> sion favorable aux projets des Anglais sur la péninsule. Ils ont fait
> de grands efforts. Toutes leurs espérances ont été déçues .... Leur
>> armée a échoué devant la citadelle de Burgos , et a dû , après avoir
>> essuyé de grandes pertes , évacuer le territoire de toutes les Espa-
» gnes .
» Je suis moi-même entré en Russie . Les armes françaises ont été
>> constamment victorieuses aux champs d'Ostrowno , de Polotsk , de
>>>Mohilow , de Smolensk , de la Moscowa , de Moloïaroslawetz .
> Nulle part les armées russes n'ont pu tenir devant nos aigles ;
Moscou est tombé en notre pouvoir.
>>Lorsque les barrières de la Russie ont été forcées , et que l'im-
>> puissance de ses armes a été reconnue un essaim de Tartares out
>> tourné leurs mains parricides contre les plus belles provinces de ce
> vaste Empire qu'ils avaient été appelés à défendre . Ils ont . en peu
» de semaines , malgré les larmes et le désespoir des infortunés Mos-
>> covites , incendié plus de quatre mille de leurs plus beaux villages ,
>> plus de cinquante de leurs plus belles villes , assouvissant ainsi leur
>> ancienne haine et sous le prétexte de retarder notre marche en
> nous environnant d'un désert . Nous avons triompé de tous ces obs-
» tacles ! L'incendie même de Moscou où , en quatre jours , ils ont
> anéanti le fruit des travaux et des épargnes de quarante généra-
» tions , n'avait rien changé à l'état prospère de mes affaires ....
>> Mais la rigueur excessive et prématurée de l'hiver a fait peser sur
>> mon armée une affreuse calamité. En peu de nuits , j'ai vu tout
> changer. J'ai fait de grandes pertes. Elles auraient brisé mon ame
>> si , dans ces grandes circonstances , j'avais dû être accessible à
> d'autres sentimens qu'à l'intérêt , à la gloire et à l'avenir de mes
>peuples.
:
Ala vue des maux qui ont pesé sur nous , la joie de l'Angleterre
› a été grande , ses espérances n'ont pas eu de bornes. Elle offrait
>> nos plus belles provinces pour récompense à la trahison. Elle met-
> tait pour condition à la paix le déchirement de ce bel Empire :
> c'était , sous d'autres termes , proclamer la guerre perpétuelle.
FEVRIER 1813 . 381 F
1
$
>
>> L'énergie de mes peuples , dans ces grandes circonstances , leur
> attachement à l'intégrité de l'Empire , qu'ils m'ont montré , ont
>> dissipé toutes ces chimères , et ramené nos ennemis à un sentiment
>>plus juste des choses .
>>Les malheurs qu'a produits la rigueur des frimas ont fait ressor-
>> tir dans toute leur étendue la grandeur et la solidité de cet Empire ,
>> fondé sur les efforts et l'amour de cinquante millions de citoyens ,
>> et sur les ressources territoriales des plus belles contrées du Monde.
>>C'est avec une vive satisfaction que nous avons vu nos peuples
» du royaume d'Italie , ceux de l'ancienne Hollande et des dépar-
» temens réunis , rivaliser avec les anciens Français , et sentir qu'il
» n'y a pour eux d'espérance , d'avenir et de bien , que dans la con-
>> solidation et le triomphe du grand Empire .
>>Les agens de l'Angleterre propagent chez tous nos voisins l'es-
> prit de révolte contre les souverains . L'Angleterre voudrait voir le
> Continent entier en proie à la guerre civile et à toutes les fureurs
>> de l'anarchie ; mais la Providence l'a elle-même désignée pour être
>> la première victime de l'anarchie et de la guerre civile.
» J'ai signé directement avec le Pape un Concordat qui termine
>> tous les différens qui s'étaient malheureusement élevés dans l'Eglise.
>>La dynastie française règne et régnera en Espagne. Je suis satisfait
▸ de la conduite de tous mes alliés . Je n'en abandonnerai aucun ; je
> maintiendrai l'intégrité de leurs Etats . Les Russes rentreront dans
>>> leur affreux climat.
» Je désire la paix ; elle est nécessaire au Monde. Quatre fois
> depuis la rupture qui a suivi le traité d'Amiens , je l'ai proposée
> dans des démarches solennelles. Je ne ferai jamais qu'une paix
>> honorable et conforme aux intérêts et à la grandeur de mon Em-
>>pire.. Ma politique n'est point mystérieuse ; j'ai fait connaître les
> sacrifices que je pouvais faire .
>> Tant que cette guerre maritime durera , mes peuples doivent se
>> tenir prêts à toutes espèces de sacrifices ; car une mauvaise paix
>> nous ferait tout perdre , jusqu'à l'espérance , et tout serait compro-
> mis , même la prospérité de nos neveux.
• L'Amérique a recouru aux armes pour faire respecter la souve
» raineté de son pavillon ; les voeux du Monde l'accompagnent dans
>> cette glorieuse lutte . Si elle la termine en obligeant les ennemis du
>> Continent à reconnaître le principe que le pavillon couvre la mar-
> chandise et l'équipage , et que les neutres ne doivent pas être sou-
>>mis à des bloous sur le papier , le tout conformément aux stipula-
» tions du traité d'Utrecht , l'Amérique aura mérité de tous les peu
382 MERCORE DE FRANCE ,
>>ples . La postérité dira que l'ancien Monde avait perdu ses droits ,
>> et que le nouveau les a reconquis .
«
>> Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître , dans l'exposé
>> de la situation de l'Empire , l'état prospère de l'agriculture , des
>> manufactures et de notre commerce intérieur , ainsi que l'accrois-
>> sement toujours constant de notre population. Dans aucun siècle
→ l'agriculture et les manufactures n'ont été en France àun plus haut
> degré de prospérité.
J'ai besoin de grandes ressources pour faire face à toutes les dé-
>> penses qu'exigent les circonstances ; mais , moyennant différentes
>> mesures que vous proposera mon ministre des finances , je ne de-
>> vrai imposer aucune nouvelle charge à mes peuples.>>
Après le discours , la séance terminée , S. M. s'est
Ievée au milieu des acclamations .
S. M. est retournée au palais des Tuileries avec son
cortége , en suivant le même chemin qu'elle avait pris
pour se rendre au Corps-Législatif.
Les salves d'artillerie ont été répétées au départ de
S. M. du palais du Corps-Législatif , et à son arrivée au
palais des Tuileries .
Dans les séances subséquentes , le Corps-Législatif ne
s'est occupé que de la formation de son bureau.
も
S....
८
ANNONCES .
Séthos , Histoire ou Vie tirée des monumens anecdotes de l'ancienne
Egypte. Traduit d'un manuscrit grec , par l'abbé Terrasson . Nou
velle édition , revue , corrigée , précédée d'une Notice historique et
littéraire sur la vie et les ouvrages de l'abbé Terrasson , et suivie
d'une table alphabétique. Six vol. in-18. Prix , 9 fr . , et 11 fr . franc
deport. Chez d'Hautel , libraire , rue de la Harpe , nº 80.
Nouvelle Bibliothèque philosophique , contenant : 1º les Prolégomènes
philosophiques , ou Notions préliminaires du nouveau sys
tème proposé ; 2º son Analyse , avec le tableau généalogique ; 3º la
Classification des opérations de l'entendement humain, ou Catalogue
de bibliothèques ; rédigée et mise en ordre par J.-D. Langlois , cidevant
avocat en parlement , et ancien imprimeur. Un vol. in-8° .
Prix , broché , 3 fr. , et 3 fr . 60 c. franc de port . Chez l'Auteur, rue
du Petit-Pont-Saint-Jacques , nº 20 ; et chez Laurens aîné , impr.-
fibraire , quai des Augustins , nº ، مو . 19
COLT FEVRIER 1813. 983
Description des maladies de la peau , observées à Phôpital Saint-
Louis , et exposition des meilleures méthodes suivies pour leur traitement
; par J. L. Alibert , médecin de cet hôpital , et membre de la
société de l'Ecole de médecine de Paris , médecin consultant des
maisons impériales d'Ecouen et de Saint-Denis , des académies de
Madrid , de Turin, de Saint-Pétersbourg , du collége royal de médecine
deStockholm, etc. Ouvrage publié par livraisons , grand-infolic,
avec figures magnifiquement coloriées ; imprimé sur papier vélin ,
avec les beaux caractères de Crapelet. On souscrit à Paris , chez
Caille et Ravier , libraires , rue Pavée-Saint-André-des-Arcs , nº 17.
Aucun hôpital en Europe n'est plus propre au traitement des maladies
cutanées que l'hôpital Saint-Louis , par son heureuse exposition
, par l'air salubre qui l'environne , et sur- tout par la régularité
de la construction de ses salles . Cet hôpital , dit Duhamel , aurait dû
servir de modèle pour tous ceux qu'on a construits depuis ce tems.
Plus on examine en détail ce beau bâtiment , plus on reconnait
l'étendue du génie de celui qui l'a projeté. On n'y trouve rien à désirer.
Le Christianisme en harmonie avec les plus douces affections de
P'homme; par Biret , juge-de-paix à la Rochelle. Deux vol . in-12 .
Prix , 6 fr . , et 7 fr . 50 c. franc de port. Chez Arthus-Bertrand , rue
Hautefeuille , nº 23 .
Le plan de l'auteur est justifié par toutes les facultés et les sensations
de l'homme. Ses démonstrations sontmises à la portée de toutes
les classes ; ses discussions détruisent , l'une par l'autre , ces critiques
éphémères , dont la moderne philosophie a voulu noircir le christianisme
, et qui n'ont fait que précipiter l'humanité dans un torrent de
démoralisation et de malheurs .
Enfin , l'auteur présente heureusement le christianisme commeun
pacte sacré de dieu avec l'homine , comme le premier pacte des sujets
avec les souverains , et comme un lien de bienfaisance , fait pour unir
fortement les peuples dans leurs devoirs sociaux. Tel est le jugement
qu'à porté de cetouvrage un respectable prélat qui a daigné en agréer
la dédicace.
Souvenirset Portraits; 1780-1789 ; par M. de Levis. Un volume
in-8° . Prix , 5 fr. , broché , et 6 fr. franc de port. En papier vélin ,
le prix est double. Chez Fr. Buisson , libraire , rue Gilles - Coeur ,
n° 10.
Narcisse dans l'île de Vénus, poëme en quatre chants ; par Malfilâtre.
Imprimé pour la première fois in-18 , sur beau carré de Hol384
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813 .
lande , orné de six vignettes et d'un titre gravé. Prix , br. , figures
avec la lettre , 3 fr. 50 c. , et 4 fr . franc de port ; cartonné à laBra
del ,4fr.; relié en veau , doré sur tranche , avec filet , 6 fr .; figures
avant la lettre , cartonné à la Bradel , 8 fr .; relié en veau','doré sur
tranche , etc. 10 fr.; épreuves doubles , la première à l'eau forte , lá
seconde finie , avant la lettre , et cartonné , 12 fr . Chez Arthus-
Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23.
1
Physionomies nationales des peuples , ou les traits de leur visage
comparés à leurs moeurs et caractères. Un vol. in-18 , grand papier
raisin- vélin , avec vingt- cinq planches coloriées . Prix , 4 fr. , et 4 fr.
50 c. franc de port. Chez Delaunay , libraire , Palais-Royal , galeries
de bois , nos 243 et 244.
Avis aux anciens abonnés de la Décade philosophique ,
politique et littéraire .
, Un littérateur se dispose à publier , en deux volumes in-8º une
Table de ce Journal , divisée en deux parties , l'une politique et
l'autre littéraire . Cette Table a le double avantage d'offrir l'ordre
méthodique et alphabétique pour les ouvrages , et l'ordre alphabétique
pour les noms des auteurs avec des numéros qui renvoyent aux
ouvrages.
Le prix des deux volumes sera de 12 francs .
१
On souscrit en attendant , chez D. Colas , imprimeur du Mercure
, et libraire , rue du Vieux- Colombier , nº 26 .
Quand le nombre des souscripteurs sera suffisant , on commencera
l'impression des deux volumes.
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine',
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13franes pour un
trimestre.
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles . Le prix de la souscription est de 20franes
pour l'année , et de II francs pour six mois. ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr . pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger. )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour leMercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
àParis .
A
SEINE
:
5.
cen
MERCURE
DE FRANCE.
N° DCVI . - Samedi 27 Février 1813 .
POÉSIE .
LA VALEUR FRANÇAISE AUX XVIII ET XIX. SIÈCLES . *
Poëme historique (*) ; par CL. -ANTOINE CHAMBELLAND
(de Dijon ) .
FRAGMENT TIRÉ DU CINQUIÈME CHANT .
(Laflottefrançaise aperçoit les côtes d'Egypte le ... messidor an VI.)
LES souhaits sont remplis , la flotte impatiente
Apprend qu'enfin le but va frapper ses regards.
Salut ! noble climat où la Grèce ignorante
Vint emprunter un culte , et des lois , et les arts !
(*) Ce poëme , divisé en quatorze chants , et qui offrira le tableau
de tous les grands événemens militaires , depuis la bataille de Jemmapes
jusqu'à celle de Wagram inclusivement , aurait paru dans le
cours de 1812 , si les nombreux embarras de l'auteur ne l'eussent pas
empêché d'y mettre la dernière main. Il sera entièrement terminé
au commencement de l'année 1814 . ( Note de l'Auteur. )
Bb
1
:
386 MERCURE DE FRANCE ,
Salut ! fille du tems , terre auguste et sacrée ,
Qu'Hermès combla de biens , qu'embellit Sésostris ,
Et du monde jaloux si long-tems admirée ,
Quand Thèbes se montrait rivale de Memphis !
Salut ! amour des Dieux , prodigieux théâtre (1 ) ,
Qui dans tes souvenirs joint Moïse à Bacchus ,
Le grand nom de Pompée au nom de Cléopâtre ,
Les prestiges au vrai , les vices aux vertus !
Entendez- vous l'airain ,manes du Peuple antique ,
Trois fois interrogeant vos immenses tombeaux (2) ?
Le salpêtre embrasé tonne au mont Samargdique (3)
Et du temple d'Abyde ébranle les échos (4).
Cent rois sont réveillés dans leur retraite obscure ;
De Cambyse et d'Omar détestant la fureur ,
Al'ombre du cercueil , ils acceptent l'augure ,
Qu'offre aux champs de Ménès ce jour réparateur,
Les murs d'Arsinoë reprennent l'existence (5) ;
Au loin l'urne du Nil rend un magique son ,
Et le Sphinx , en rompant vingt siècles de silence ,
Fait répéter ses cris au torse de Memnon (6) .
Unhéros apparaît , la ville d'Alexandre
Verra placer un camp sur ses vastes débris ;
Vainement son pacha l'invite à se défendre ,
Ses remparts s'ouvriront à d'illustres amis.
Les arts rentrent enfin aux lieax de leur naissance ,
Mais ils s'y montreront plus nombreux , plus parfaits :
:
(1) Il n'est point de pays dont l'histoire soit plus remplie de prodiges
que l'antique Egypte .
(2) Les pyramides. Le poëte suppose que la flotte salue trois fois
les côtes d'Egypte , et que le canon se fait entendre jusqu'à l'extrémité
de cette vaste contrée.
(3) Les auteurs anciens nomment Samarargdus , Samaragdus ,
Samargdicus , une chaîne de montagnes de granit qui traverse
l'Egypte.
(4) Le temple d'Abyde , ou d'Abydus , le plus célèbre de l'antiquitéhermétique
, se trouve dans la haute Egypte. De grandes parties
de cet édifice subsistent encore.
(5) Arsinoë , ville de Faioum , entièrement détruite .
(6) On voit au milien des ruines de Thèbes les restes de la meryeilleuse
statue de Mennon. 1
FEVRIER 1813 . 387
S'exilant de nouveau la barbare ignorance
Doit céder ce pays à leurs féconds bienfaits (7) .
Fuyez , retirez-vous aux déserts de Lybie ,
Du vaillant Saladin farouches successeurs ,
D'Hélios et d'Athor la fertile patrie (8)
Doit cesser de gémir sous vos bras oppresseurs.
Ces fils de l'étranger , que l'avarice inspire ;
Ces Mamlouks , tour-à-tour vaincus et conquérans ,
Qui sur d'humbles Fellahs exerçaient leur empire (9)
Dès ce jour ont cessé de régner en tyrans .
La contrée où Louis a porté sa bannière (10)
Voit les flots ramener les bataillons français ;
Elle reconnaîtra ce bouillant caractère ,
Cemépris de la mort , qui donnent le succès.
Chevaliers dont la gloire aux rives Phatmétiques (II) ,
Jadis a moissonné les rangs des Sarrasins ,
Sachez que d'autres preux les armes héroïques ,
Brillent pour accomplir vos glorieux desseins (12) .
Si trompant tant d'ardeur la fortune infidelle
Prépare à ces guerriers quelqu'indigne revers ,
Accusant le destin et célébrant leur zèle
Clio les vengera devant tout l'univers !
Sur les mâts orgueilleux les flammes déployées
De l'écharpe d'Iris arborent les couleurs ;
Zéphir souffle , bientôtles voiles sont enflées ,
Neptune , ses tritons pardes soins protecteurs ,
1
(7) Le séjour des Français en Egypte y a laissé le germe d'une
nouvelle civilisation .
(8) L'Egypte .
(9) Les Fellahs sont les descendans des anciens Egyptiens . Ils
cultivent la terre.
(10) Saint Louis prit terre sur la côte du Delta opposée à celle où
estdescendue l'expédition de l'anVI.
(11) La bouche du Nil , près de laquelle les Croisés abordèrent ,
porte le nom de Phatmétique.
1
(12) Onse tromperait si l'on croyait que la religion seule entraîna
Louis IX sur les bords du Nil ; de grandes vues de commerce et de
colonisation se joignaient à son enthousiasme pour la délivrance des
lieux saints.
Bba
388 MERCURE DE FRANCE ,
!
Soutiennent les vaisseaux , les poussent au rivage ,
Et près du gouvernail on observe l'Ibis ( 13 ) ,
Qui volant de ses monts à la liquide plage ,
Indique aux nautonniers les tours de Rhacotis (14) .
Sortant de ses marais , le divin crocodile (15)
S'empresse de courir à ses maîtres nouveaux ,
Et montre les écueils de la côte stérile ,
Où du fleuve aux sept bras se dispersent les eaux.
Pour les navigateurs quelle douce surprise !
Mille acclamations partent de chaque nef.
L'armée applaudissant à l'heureuse entreprise ,
Chante l'air du triomphe en l'honneur de son chef.
Ainsi , des Grecs fameux une troupe intrépide ,
Destinée à ravir la plus riche toison
Devant les noirs rochers qui ceignent la Colchide
Proclama jusqu'au ciel la valeur de Jason .
Ainsi , prêts à quitter les rives de Neustrie
Pour combattre et punir un Anglais insensé ,
Les soldats de Guillaume , avec idolatrie ,
Invoquèrent le nom de leur prince offensé.
,
Cependant Amphitrite au croissant favorable
Veut encor se jouer des lois de son époux (16) :
Contre les fils de Mars la déesse implacable
Des autans déchaînés excite le courroux.
Par ses ordres secrets la vague impétueuse
Augmente le danger des rescifs menaçans ,
Et dans les tourbillons de cette onde orageuse
Desmatelots surpris les bras sont impuissans .
(13) Oiseau sacré chez les anciens Egyptiens .
(14) Ancien nom d'Alexandrie .
(15) Le crocodile est encore révéré parmi les habitans de la haute
Egypte.
(16) Dans le cours de ce poëme , Amphitrite se montre l'amie des
Anglais et de leurs alliés , tandis que Neptune , protecteur des Français
, prédit qu'un jour viendra où la déesse cessera d'appuyer les
sentreprises de ces pirates . C'est la seule fiction où le poëte a cru
pouvoir se permettre de faire intervenir les Dieux du paganisme.
FEVRIER 1813 . 389
A
De l'élément perfide un caprice bizarre ,
Conduit la flotte au port , l'en chasse avec fureur;
Les pilotes deux fois se dirigent au phare ,
Deux fois ils sont jetés loin du fanal trompeur !
Quel Dieu peut des Français alarmer le courage?
Irrités par l'obstacle et redoublant d'efforts ,
Dans de frêles esquifs ils tentent le passage ,
Et du sol africain leurs pieds foulent les bords .
Sur le sable de feu Napoléon s'élance ,
En signe de victoire il y fixe déjà
Un sacré talisman , le drapeau de la France :,
C'est César plantant l'aigle au pays de Juba.
1
O chantre harmonieux d'une guerre héroïque !
Des exploits de Bouillon sublime narrateur (17) !
Prête-moi tes secours et la voix homérique ,
Qui célébra Solyme et son libérateur .
Comment peindre en mes vers , privé de ton génie ,
Un merveilleux guerrier que la gloire adopta ,
Qui veut joindre la palme aux lauriers d'Ausonic ,
Et marcher au Jourdain des plaines du Delta ?
Mais repoussant ces voeux si ta muse trop fière
Dédaigne d'inspirer mes lyriques accens ,
La vérité du moins entendra ma prière ,
Mon sujet se refuse à de faux ornemens.
A UNE VIEILLE COQUETTE.
La vieille Elzeau va , vient , court , se travaille ,
Pour , s'il se peut , dénicher quelqu'amant ,
Hardi garçon , à qui , vaille que vaille ,
Elle escamote un petit compliment.
(17) Dans le troisième et le quatrième chants , le poëte , en chantant
les exploits de Napoléon , dans la conquête de l'Italie , a invoqué
Homère , Virgile et Lucain; ici il croit devoir adresser ses voeux au
sublime génie qui a peint en traits de feu les actions d'un prince
français , libérateur de la Palestine .
390 MERCURE DE FRANCE ,
L'amant trouvé , ciel ! quel ravissement !
Et quel honneur , si dans cette aventure
Il trahissait un amoureux secret !
La pauvre Elzeau , grâces à sa figure ,
N'apoint encor rencontré d'indiscret.
DU PUY DES ISLETS.
A MADEMOISELLE BIGOTINI ,
Danseuse célèbre de l'Académie Impériale de Musique ,
jouant le rôle de Psyché.
QU'IL te sied bien de nous peindre Psyché ,
Bigotini ! c'est un droit d'héritage ,
Et ton triomphe est attaché
Ates attraits comme à ton age.
Voilà bien cette taille aux contours onduleux ,
Qu'entre dix doigts voluptueux ,
L'Amour adolescent emprisonnait sans peine :
Voilà ces traits chéris , voilà ces beaux cheveux ,
Dont une simple fleur enrichissait l'ébène .
C'est bien son air doux , enfantin ,
C'estbien cette bouche mi- close ,
Que l'abeille indécise , en cherchant son butin ,
Plus d'une fois prit pour la rose.
C'est sa crainte , c'est sa candeur ,
C'est son amoureuse pudeur ,
Quand éperdue et hors d'haleint ,
Elledévoile son ardeur
Al'aimable Dieu qui l'entraîne .
Qui ne revoit Psyché sous tes traits ravissans ?
Tout sert l'illusion , fait délirer les sens .
L'Amour à tes genoux n'en est que plus fidèle .
Bigotini , par toi blessé d'un nouveau trait ,
Il languit , il soupire ... Et ravi du portrait
Se croit encor dans les bras du modèle .
Parlemême.
FEVRIER 1813 . 391
ÉNIGME).
J'APPARTIENS ,cher lecteur , au règne ininéral ,--
Et lorsque tous les ans le règne végétal
Est près d'étaler sa parure ,
J'arrive pour donner l'éveil à la nature.
Mobile dans les airs
Et fixe dans la terre ,
Mon amour pour la guerre
Anime l'univers .
Je suis le fils d'une déesse ,
Et d'une fleur je tiens le jour ;
Enchangeant de sexe à Lutèce ,
Maintenant j'embellis la cour
D'unedes nymphes du Permesse ,
Et là , chaque soir , tour-a-tour ,
Ingénue ou coquette ,
Ou baronne , ou soubrette ,
J'enflamme mille amans.
De mon art la finesse
Excite dans leurs sens
Une amoureuse ivresse ,
La gaîté , la tristesse ,
✓ Et tous les sentimens .
V. B. (d'Agen. )
LOGOGRIPHE
Je suis un lieu d'horreur ,
De tourmens , de supplices ;
En m'arrachant le coeur
Je faisais les délices
Du peuple de Paris
L'année après quatre-vingt-six.
V. B. (d'Agen. )
392 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813.
✔CHARADE .
Mon premier est un terme de blason ,
Mon dernier après la moisson
1
Reçoit un corps sur qui pleut maint coup de bâton ;
Mon tout est un juré-fripon
Qui jour et nuit , comme en toute saison ,
De vous piller saisit l'occasion.
S ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Pot-pourri.
Celui du Logogriphe est Athalie , dans lequel on trouve : Thalie.
Celui de la Charade est Franche- Comté.
( A ) C
F
رام
L
SCIENCES ET ARTS .
DES VERS A SOIE ET DE LEUR ÉDUCATION SELON LA
PRATIQUE DES CÉVENNES ; par M. REYNAUD , fabricant
à Saint- Jean- du-Gard , avec des notes par P. F. F.
J. GIRAUD . - A Paris , chez Bailleul , imprimeurlibraire
, rue Helvétius , nº 71 .
Nous avons moins de regret à annoncer, des derniers ,
cet ouvrage en pensant que c'est le moment où la lecture
peut en être le plus utile. Les livres , assez généralement
, sont de toutes les saisons . Il importe peu en
quel tems de l'année ils paraissent et soient recommandés
à l'attention des lecteurs. Ce livre , cependant , bon à
'être lu en tout tems par ceux qui s'adonnent au genre
d'industrie dont il traite , peut être lu par eux avec
encore plus d'intérêt et de profit à l'époque où nous
touchons ; celle de la couvaison des vers à soie , celle
où commencent les premiers soins qu'on doit à leur
éducation.
12
,
Deux choses recommandent cet ouvrage , deux
moyens , dont le concours est devenu bien précieux :
une pratique judicieuse et une habile théorie . M. Reynaud
, auteur du livre , est lui-même fabricant et parle
d'après une expérience de cinquante ans ; M. Giraud
auteur des notes , et déjà connu par divers travaux sur
l'agronomie , met à profit et les leçons de l'expérience ,
et les recherches des agronomes français et étrangers. Il
discute , il compare , et sans se laisser imposer par l'autorité
des noms , prend un parti , établit une opinion .
On reconnaît dans ces notes un esprit libre des préjugés
de la routine , et en garde contre les séductions dangereuses
de l'innovation.
Quant à l'utilité de ce genre d'industrie , et à la
richesse de cette branche de commerce , nous nous gar-
1
394 MERCURE DE FRANCE ,
derons bien du ridicule de ladémontrer. Nous aimons
mieux citer ces vers de l'apologiste du luxe :
Oh ! que Colbert était un esprit sage !
Certainbutor conseillait , par ménage ,
Qu'on abolit ces travaux précieux
Des Lyonnais ouvrage industrieux.
Du conseiller l'absurde prud'hommie
Eût tout perdu par pure économie ;
Mais le ministre , utile avec éclat ,
Sut par le luxe enrichir notre état ;
De tous nos arts il agrandit la source ,
Et du Midi , du Levant et de l'Ourse ,
Nos fiers voisins , de nos progrès jaloux ,
Payaient l'esprit qu'ils admiraient en nous .
A
Le plan de l'ouvrage se trouve indiqué avec autant
d'exactitude que de précision dans le passage suivant
que nous extrayons de l'avant-propos , et dans lequel
l'auteur annonce qu'il « traitera successivement des mûriers
, de la couvaison et éclosion des vers , de leurs
›› progrès et changemens réguliers , de leurs maladies
>> accidentelles , de la formation des cocons , ainsi que
>> des soins qu'ils exigent , de la ponte pour obtenir une
>>>bonne graine; enfin , du dévidage et des oeuvraisons
>>de la soie, et des nouvelles machines qui ont porté au-
>> jourd'hui ces travaux à un haut point de perfection.
>>Plus habile à faire qu'à dire , ajoute-t-il , je ne
>>prétends pas me placer au rang des écrivains dont
>> s'honore l'agronomie française. >> M. Reynaud est trop
modeste , ou il s'est fait une idée exagérée du talent
d'écrire qu'exige le genre de son ouvrage. Dieu garde
les écrits de cette nature , d'autres ornemens que la simplicité
, la correction , la méthode et la clarté , qualités
de style dont M. Reynaud est très- suffisamment pourvu!
Quoique son ouvrage puisse être regardé comme une
théorie complète de l'éducation des vers à soie , il n'ose
cependant se flatter d'avoir approfondi et embrassé tout
son sujet. Dans un chapitre par lequel il termine , il
indique de nouvelles questions à résoudre , de nouvelles
observations à vérifier. Il appelle l'attention des sociétés
FEVRIER 1813. 395 1
d'agriculture sur divers points relatifs à la culture du
mûrier , à la meilleure méthode d'exploitation de cet
arbre et aux propriétés de ses différentes espèces . Il
voudraitque l'on recherchât si les mûriers de la Chine ,
de la Tartarie et du Canada , qui prospèrent sous des
zônes plus froides que la nôtre , ne seraient pas plus
robustes et plus vivaces que ceux du midi de notre
Europe. Il passe ensuite à d'autres observations générales
sur l'éducation des vers à soie , les moyens de se
procurer de meilleures graines , les essais déjà faits et
ceux qui restent à faire en ce genre. Venant enfin à
examiner la chose sous des rapports d'économie politique
, il suggère , comme moyen de parvenir à un système
complet et uniforme , l'emploi des dépôts de mendicité
et autres établissemens de cette nature , qui deviendraient
, à peu de frais , des écoles pratiques « où
>> l'on pourrait , d'un côté , faire produire de la soie par
>>>les meilleures méthodes connues , et appliquer ensuite
>> les bénéfices de cette industrie à des essais et tenta-
>>tives que dirigeraient des personnes instruites et intel-
>>>l>igentes. >>>
Les notes de M. Giraud sont un complément utile de
l'ouvrage de M. Reynaud. Elles paraissent être le résultat
non-seulement d'une grande lecture , mais encore de
beaucoup d'observations . Nous avons parlé plus haut
du bon esprit dans lequel elles sont écrites. Nous n'en
citerons qu'une , la moins importante , peut-être , mais
qui pourra rappeler à quelques-uns de nos lecteurs des
souvenirs d'enfance , et leur faire honneur d'un procédé
qu'on peut employer avec succès dans les maladies des
vers à soie .
« Il est peu d'écoliers , ditM. Giraud , qui ne s'amusent
>> à en élever , dans la saison , quelques douzaines . Or
>>> un remède constamment pratiqué par eux contre la
>>jaunisse , est de passer avec la plume une couche
>> d'encre sur le corps des vers jaunes ; et ils sont per-
>> suadés , en général , que cette teinture guérit ces vers .
>> L'encre agirait-elle comme tonique en certaines cir-
>> constances ? et rendrait-elle à la peau des vers à soie
» le ressort qui lui manque , et dont l'absence , cause de
396 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813.
>> relâchement et d'atonie , paraît entrer pour beaucoup
>>dans la formation de la maladie des jaunes et des
» gras ?
Il y a un fort joli poëme latin de Vida , sur les vers à
soie , dont la partie technique a même des rapports étonnans
pour le tems , avec la méthode de M. Reynaud.
Le poëte latin , par exemple , est resté en arrière des
procédés inventés depuis pour la couvaison et l'éclosion
des oeufs ; il n'en connaît pas d'autres que de les exposer
au soleil ou de les réchauffer dans son sein.
Nec pudeat roseas interfovisse papillas .
Il n'en sait pas aussi long sur cet article que le savant
abbé Boissier de Sauvages , ou seulement qu'un paysan
des Cévennes . En revanche , sa prévoyance se porte
sur d'autres objets . Ainsi il recommande , si la feuille
du mûrier vient à manquer , d'employer la feuille de
l'orme ; mais il ne veut pas que ce soit la jeune fille qui
monte à l'arbre , et se déchire , à ce métier, les cuisses
et les mains ; il craint pour elle , au fond des bois ,
les insolences de quelque satyre entreprenant. Il veut
que ce soin soit abandonné aux vieilles , qui ont moins
à risquer et la peau plus dure .
On peut juger par cet échantillon que quelque agréable
et instructif que puisse être le poëme de Vida , l'ouvrage
de MM. Reynaud et Giraud plaira cependant encore
davantage à ceux qui élèvent des vers à soie .
:
1
Be
T
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
VOYAGES EN RUSSIE , EN TARTARIE ET EN TURQUIE ; par
M. E. D. CLARKE , professeur de minéralogie en l'Université
de Cambridge; traduits de l'anglais . - Trois
vol . in-8°, avec trois cartes géographiques et deux
plans .- Prix , 18 fr. , et 22 fr. franc de port; papier
vélin 36 fr . - A Paris , chez Buisson , libraire , rue
Gilles- Coeur , nº 10 ; etArthus-Bertrand , libraire , rue
Hautefeuille , nº 23 .
:
Si les voyages du professeur Clarke ont en France le
même succès qu'en Angleterre , ce voyageur en devra
savoir quelque gré au traducteur habile et judicieux qui
a entrepris de nous faire connaître cet ouvrage , et qui ,
par les notes critiques et savantes dont il l'a enrichi , lui
aassuré pour nous un nouveau degré d'intérêt. C'est
déjà depuis 1810 que le D. Clarke jouit dans les trois
royaumes de toute la plénitude de sa gloire ; mais chez
nous , malgré le goût bien prononcé du public pour les
livres de ce genre , le sien n'était guère connu que dans
le monde savant. Il paraît même que le ton d'aigreur et
de violence avec lequel l'auteur à tout propos , ou même
hors de propos , s'exprime contre la Russie , l'avait fait
assez généralement regarder comme lefactum déguisé
ou le Mémoire d'un agent politique jeté dans le cadre
de l'itinéraire d'un voyageur , plutôt que comme un
livre véritablement consacré aux progrès de la géographie
et des sciences qui en dépendent. C'était du
moins à-peu-près ainsi que l'avait considéré M. le rédacteur
des Annales des Voyages , qui , dans son 54 numéro
, en avait offert à ses lecteurs une assez longue
analyse , où il reprochait aux Anglais de regarder souvent
et de vouloir faire passer comme neuf en fait de
sciences ou de découvertes , ce qu'ils avaient refait
d'après vingt livres allemands ou français. Il terminait
398 MERCURE DE FRANCE ,
son article en énonçant l'opinion que si on venait à
entreprendre une traduction française de ces Voyages ,
elle devrait pour l'honneur de notre littérature être accompagnée
de beaucoup de notes correatives. M. le rédacteur
des Annales aura aujourd'hui la satisfaction de voir son
idée réalisée dans la traduction qui nous occupe ; et le
public en même tems pourra suivre avec sécurité , graces
àces notes correctives , les récits d'un voyageur , quelquefois
égaré par son anglicisme et son caractère passionné
, mais dont les observations purement scientifiques
ne nous paraissent pas méprisables , et qui , par la
facilité de sa narration , par la variété de ses tableaux ,
par l'étrangeté des pays qu'il a parcourus , a bien quelques
droits à revendiquer pour lecompte de son propre mérite
une bonne partie des succès qu'il a déjà obtenus chez ses
compatriotes , et qu'il obtiendra probablement encore
de la traduction qui va le faire connaître parmi nous . +
Telle est du moins l'impression que nous avons reçue
de la lecture de ces Voyages; tel est le point de vue sous
lequel nous croyons pouvoir en présenter l'auteur
dans l'exposé sommaire que nous allons en faire à nos
lecteurs .
Le D. Clarke , et son ami et compagnon de voyage ,
M. Cripps , attaché comme lui à l'Université de Cambridge
, se trouvaient à Pétersbourg en 1800 , lorsque
Paul fet , revenu aux idées d'une politique continentale ,
menaçait l'Angleterre dans son commerce , dans ses possessions
, et poursuivait le projet d'affranchir la Russie
de son alliance oppressive , de sa périlleuse amitié.
C'était là aux yeux des Anglais une trahison , un vrai
crimede forfaiture envers le principe secret et inviolable
de la suzeraineté britannique. Les plaintes audacieuses
de leurs agens ne firent qu'aigrir Paul qui , avec plus
d'énergie peut- être que de prudence et d'habileté dans
l'exécution , découvrit trop hautement des desseins faits
pour alarmer Londres , et se livra , si l'on en croit le D.
Clarke , même contre de simples particuliers , à un système
de persécution , tel que Mungot-Parck supporta
moins de rigueurs , d'exactions et d'insultes au milieu
des Maures en Afrique , que ses compatriotes n'en
,
FEVRIER 1813. 399
eurent alors à souffrir en Russie , et particulièrement
à Pétersbourg . Ce fut , d'après cet état de choses ,
que les deux amis reçurent de lord Withworth , ambassadeur
d'Angleterre , le conseil et l'invitation pressante
de quitter la capitale de la Russie pour se réfugier
d'abord à Moscow , et de là voyager dans le
midi de cet Empire. Il paraîtra peut-être ici singulier
que deux savans , deux membres d'un corps enseignant
, eussent quelque chose à démêler avec la politique
de Paul et tant à craindre de ses fureurs , et
plus singulier sans doute encore non-seulement qu'ils
aient choisi ces circonstances pour explorer divers points
importans , et les frontières de son Empire , mais même
que , d'après leur propre relation , et malgré force déclamations
contre la tyrannie et la barbarie russe , ils l'aient
fait avec autant d'agrément que de sécurité. Ce pourrait
bien être là un des points de cette narration à éclaircir
ou corriger. Quoi qu'il en soit , tels sont les motifs apparens
qui déterminèrent le D. Clarke à quitter Pétersbourg
, et auxquels nous devons le voyage qu'il paraît
d'ailleurs avoir beaucoup désiré d'exécuter. De Moscow
il se porta au midi de la Russie en tirant vers l'est; visita
les Cosaques du Don , et ceux de la Mer-Noire ou du
Kouban; assista à l'expédition que ceux-ci entreprirent
pour repousser les Circassiens vers le Caucase , et eut
occasion d'observer ces féroces montagnards lors de la
conclusion du traité qui termina cette expédition. Revenant
de là vers l'ouest , et suivant la frontière de la
Mer-Noire , il en décrit plusieurs points importans , tels
que les bouches du Don , l'île Taman , la Chersonèse ,
où il visita le savant Pallas , et chercha avec lui les débris
et les traces presque totalement effacées du temple ou
des temples où Diane demandait le sacrifice des étrangers
jetés par le sort sur ces rivages inhospitaliers .
Enpassant à Aktiar , il s'y procure le relevé de sa baieet
desautres points de cette position maritime d'une grande
importance , afin de faciliter à son gouvernement les
moyens de l'occuper , d'inquiéter et de dominer le commerce
dumidi dela Russie , lui dicter des lois , et punir
M
3
3
400. MERCURE DE FRANCE;
où prévenir , selon l'expression même de notre voyageur,
les trahisons de son cabinet.
A Cherson , il rend hommage aux restes de son compatriote
le philanthrope Howard , et demande vainement
la place de ceux du puissant Potemkin , déjà dérobés aux
regards des hommes , et disparus du théâtre même de sa
gloire. Embarqué à Odessa pour Constantinople, il côtoie
les provinces de la Turquie européenne , et engagé dans
le Bosphore , il y cherche les traces de l'ancien déchirement
qui ouvrit entre l'Europe et l'Asie le passage aux
nouvelles conquêtes d'une vaste mer , occupant primitivement
le plateau de la Tartarie , et dont l'Euxin , la mer
Caspienne et l'Aral étaient des portions ou des golfes ,
et en sont restées comme des points indicateurs . Parvenu
à Constantinople , le D. Clarke y termine sa narration,
quoique ce n'ait point été là lc ' 'rme de ses courses. La
magnificence de cette position, ses avantages politiques et
commerciaux lui font prophétiser que tant de biens , tant
de richesses ne resteront pas dans les mains de leurs
aveugles et insoucians possesseurs ; mais il est permis
de croire que cette prophétie n'est qu'un voeu patriotique
anglais , et que le savant professeur prend ici trop aisément
ses espérances pour des réalités .
On peut aisément distinguer deux hommes dans le
D. Clarke , Panglais et le savant ou le voyageur. L'anglais ,
toujours interprète des prétentions , ainsi que des passions
de son gouvernement , et quelquefois des siennes
propres , méprise , fronde , déchire tout ce qui tient à
l'Empire russe , et donne , à cet égard , à la vérité même
une couleur d'exagération et de violence , telle que l'on
est tenté de révoquer en doute le mal qu'on en croyait
ou qu'on en savait avant lui . Les tableaux qu'il trace des
Russes , de leur mal-propreté , de leur gourmandise , de
leur grossièreté , de leur frivolité , de leurs débauches ,
de leur bassesse sous le fouet du despote , de leurs goûts
stupides , cruels et destructeurs , de leurs moeurs barbares
, de leur penchant , pour ainsi dire , national au
vol , à la mauvaise foi dans toutes les transactions , à la
paresse , à l'ivrognerie , seul ressort avec le bâton qui
puisse mettre en mouvement cet être abruti , enfont véri-
1
1
10
20
TE
9
1
F
S
FEVRIER 1813 . 401 tablement un peuple hideux et révoltant. Les
DLIN
seules ont trouvé quelque grace devant ses yeux , il leur
pardonne bien volontiers de se rendre assez facilement
infidèles à des époux qui ne peuvent que leur inspirer le
mépris , le dégoût ou l'horreur ; et le plus grand défaut
qu'il leur trouve, c'est d'être encore trop soutiselys
vil comme au plus méchant docteur Clarke conserve de bdieesnetsecrlraivbelse.s Erenssentimens
contre ces pauvres Russes ; il semble avoir pris pour
devise à leur égard :
t
Dolus an virtus quis in hoste requirat ?
e
Et quand il serait vrai qu'ils auraient voulu le chasser
de leurs pays , seraient-ils si blamables d'avoir redouté
la présence d'un ennemi qui , non content de prendre
une part active aux querelles de peuple à peuple , se
montre , en véritable anglais , très-peu scrupuleux sur le
choix des moyens , pour amasser les vengeances jusque
sur la tête des particuliers ?
Cependant , au milieu de toutes ses déclamations contre
cette nation inhospitalière , notre voyageur se représente
lui-même par-tout où il passe comme l'objet des soins ,
des attentions , de l'intérêt des classes les plus distinguées
de la société ; son costume sert de modèle aux
merveilleux de Moscow ; ailleurs son arrivée est un jour
de fête ; il est si peu surveillé qu'il relève un point militaire
et maritime important, en fait passer les plans à son
gouvernement pour que celui-ci puisse s'en emparer
comme d'une chose de son domaine et tout-à-fait à sa
convenance : certes voilà bien la reconnaissance britannique
; voilà le prix de l'anglomanie des Russes ! Ingratitude
, orgueil , intérêt ; faut-il s'étonner que ce soit
par-là que se terminent à toute époque et en toute circonstance
leurs relations avec le gouvernement anglais ,
quand les simples particuliers pensent, à ce qu'il paraît,
faire preuve d'esprit national en suivant avec eux les
mêmes principes de conduite ? Au reste , et nous l'avons
fait sentir plus haut , nous conviendrons volontiers avec
le D. Clarke que le Russe est réellement très-en arrière
de la civilisation européenne ; nous pensons seulement
Cc
402 MERCURE DE FRANCE ,
(
que quand il le rabaisse au-dessous de la brute , et qu'il
loue avec une complaisance presque fanatique les Cosaques
, les Malorusses , les Tartares et tout ce qui n'est
pas russe ou s'en montre l'ennemi , il sacrifie quelquefois
les intérêts de la vérité à ceux de ses passions , et
prouve , ce qui la déjà été tant de fois ,que le langage
de la satire ou de l'enthousiasme ne fut jamais celui du
véritable observateur. C'est ce que développent fréquemment
, et très-bien , les notes instructives du traducteur
de ses voyages , qui combat , rectifie , réduit à leur juste
valeur , avec autant de loyauté que de justesse , plus
d'une idée erronée , plus d'une exagération ridicule de
son auteur.
Il nous reste bien peu d'espace pour considérer le
D. Clarke comme voyageur et écrivain. Contentonsnous
de dire que , sans offrir peut-être beaucoup de
résultats ou très-neufs , ou très- profonds , son ouvrage
présente , dans une multitude de détails et d'obsen
vations , une lecture agréable , attachante , et pique
vivement la curiosité. Les lieux et les peuples divers qu'il
a visités , donnent à ses peintures de l'éclat , du mouve
ment et de la vie : sans qu'on puisse tirer de ses récits
des notions de statistique ou d'économie politique trèsprécises
et très-savantes , on y en recueillera du moins
beaucoup de satisfaisantes sur les moeurs , l'industrie , le
commerce , les productions et toutes les ressources de
la partie méridionale de l'empire russe. En décrivant
les mêmes lieux que Pallas , avec lequel il n'est pas toujours
parfaitement d'accord , il est aussi quelquefois
plus abondant et plus varié que lui. Cependant , en,
général , il voit plus en courant , et par conséquent plus
superficiellement que son savant ami. Les parties scientifiques
qui sont traitées avec le plus de soin , sont les
recherches géologiques et géographiques sur la Crimée
et en général toutes les côtes de l'Euxin , sur les anciens
monumens des Grecs , ou même de peuples antérieurs
dont ces contrées , malgré les destructions des Tartares
et des Russes , conservent encore de nombreuses traces,
sur les tombeaux antiques ou tumuli , dont l'un passe
pour renfermer le corps de Mithridate,
FEVRIER 1813 . 403
et
28
de
пр
4
1
Il se complaît sur-tout à suivre les traces du grand
phénomène qui aurait fait sortir la Tartarie et la Crimée
de dessous les eaux , par le dégorgement de celles-ci sur
le lit actuel de la Méditerrannée , et leur invasion à travers
le canal de Constantinople ; il prétend même que
la retraite de l'Euxin par le même passage n'a point
discontinué. C'est une question sur laquelle toutes les
opinions ne sont point encore réunies .
En résumé , et à l'anglicisme près , le D. Clarke se
montre dans cet ouvrage homme aimable , observateur
ingénieux , écrivain facile et piquant. Quelques redites
allongent quelquefois inutilement ses récits ; des notes
curieuses , tirées d'un voyage inédit d'un de ses compatriotes
, le rever. M. Héber , en augmentent souvent
l'intérêt. Nous avons déjà dit combien étaient précieuses
celles du traducteurfrançais , à qui nous ne reprocherons
que le soin qu'il a pris de cacher le nom de l'auteur d'un
travail aussi estimable , tandis que tant d'assembleurs de
fadaises s'efforcent de faire retentir le leur jusque par
dessus les greniers d'où ils n'auraient pas dû sortir.
Outre ses nombreuses remarques historiques et critiques ,
il a encore traduit et souvent rectifié plusieurs anciennes
inscriptions grecques , citées par le voyageur. Enfin ,
pour que rien ne manque à cette édition , on y a joint
une table alphabétique et raisonnée des matières qui ellemême
forme une rapide analyse de l'ouvrage , et facilite
toutes les recherches que voudrait faire le lecteur. C'est
à tous ces titres que nous appelons son attention sur ce
livre , qui a par lui-même deux recommandations bien
puissantes auprès de tous les esprits ; beaucoup de malignité
et beaucoup de variété....... 1
1
GIRAUD.
Cca
[
404 MERCURE DE FRANCE ,
1
DES MOYENS DE PRÉVENIR LA DÉCADENCE DE L'ART DU
** COMÉDIEN , ET D'ASSURER LE SORT DE CEUX QUI EXERCENT
CET ART ; par A. J. DUMANIANT . AParis , chez
Barba , libraire , Palais-Rosal , galerie derrière le
Théâtre Français , nº 51 .
६
DANS le moment où quelques-unes des idées du gouvernement
se sont portées sur l'organisation des grands
théâtres de la capitale , la brochure que nous annonçons
au public doit être d'un grand intérêt pour les personnes
chargées de mettre l'ordre dans une petite république
assez mal disciplinée.
Les plus beaux titres qu'une nation ait à la gloire ,
sontdans les monumens de son génie , car ils sont aussi
les monumens de ses moeurs . Or , la plus brillante partie
de notre gloire littéraire , celle qui nous est le moins
contestée par les autres nations , consiste dans les chefsd'oeuvre
de notre théâtre .
1
Il est donc important de soutenir une réputation qui
ne s'est point démentie depuis deux siècles ; il est de
notre honneur de ne pas laisser tomber les chefs -d'oeuvre
de Molière , de Corneille et de Racine entre des mains
qui ne feraient que les défigurer. Si l'art du Comédien
vient à se perdre ou à se dénaturer , il entraînera nécessairement
l'art dramatique dans sa chute. Quel écrivain,
doué d'un véritable talent , osera s'élancer dans une
carrière où il verra les interprètes du génie méconnaître
la voix de la nature et de la vérité ?
Ces observations ne sont pas nouvelles ; elles ont été
faites par tous les amis éclairés de la littérature et de
celui de tous les arts où nous nous sommes le plus approchés
de la perfection. Tous , en jetant leurs regards
sur le premier théâtre de la capitale et du monde , ont
redouté une décadence prochaine. Les talens qui brillent
aujourd'hui sur la scène française et qui lui conservent
son premier éclat , seront bientôt entraînés par ce
rapide torrent qui entraîne et les hommes et les choses .
Malheureusement des espérances bien fondées , ne nous
)
FEVRIER 1813. 405
10
008
offrant pas de jouissances à venir , ne peuvent empêcher
notre prévoyance de s'étendre au-delà de nos jouissances
présentes . 43
Des hommes éclairés ont écrit sur cette matière importante
. Presque tous n'ont vu que l'état actuel des
choses . Lorsqu'on voit un art parvenu à sa perfection ,
on prévoit sa décadence , par la seule raison de l'instabilité
des choses humaines . Des raisons aussi vagues ne
peuvent satisfaire les esprits droits et découragent ceux
qui songeraient à apporter quelque remède au mal. Les
hommes qui raisonnent sur des principes généraux , res
semblent à un médecin assez ignorant de ma connaissance.
On lui demandait les causes d'une maladie qui
paraissait extraordinaire . Cette maladie , répondit le
médecin , vient de ce que le corps humain étant imparfait
par sa nature , ne peut demeurer dans un état de
santé parfaite.
i Le déclin de tous les arts , comme celui des Empires ,
a ses causes physiques , morales et politiques . Il me
serait bien facile de développer celles qui doivent amener
tous les jours la décadence dont le Théâtre Français
est menacé ; mais je n'écris point dans ce moment pour
faire valoir mes propres idées . Si j'imitais certains critiques
à la mode qui oublient souvent l'auteur dont ils
doivent parler , pour se faire auteurs eux-mêmes , le
public y perdrait beaucoup plus que je ne pourrais y
gagner.
La petite brochure de M. Dumaniant est écrite avec
méthode; elle est divisée en cinq chapitres ; les mots y
tiennent peu de place , il n'y a que des choses .
L'aufeur traite d'abord de la difficulté que les Comédiens
français éprouvent à se procurer des sujets qui
puissent remplacer un jour ceux que le tems force à la
retraite . L'auteur prouve que cette difficulté naît de la
préférence que l'on accorde , dans les provinces , à
l'opéra-comique sur la bonne comédie. « Les entrepreneurs
dans les villes secondaires , dit-il , n'ont plus
engagé que des chanteurs et des chanteuses ...... Les
Comédiens sans place , ont quitté leur état , ou se sont
réfugiés chez l'étranger. Il ne s'est plus formé de nou-
1
406 MERCURE DE FRANCE ,
veaux sujets ..... On compte maintenant peu de villes ?
dans tout l'Empire français , où la tragédie et la comédie
soient jouées d'une manière satisfaisante .>>>
Malheureusement il était impossible d'empêcher cette
revolution. Dès qu'il 'paraît un spectacle où toutes les
pièces sont à la portée de tous les esprits , où les sens et
tous les mouvemens de l'ame sont puissamment excités
par la musique et les décorations , la multitude doit
abandonner un spectacle qui ne parle qu'au coeur et à la
pensée. Les plaisirs de la pensée et du sentiment sont
les plus nobles jouissances de l'homme , mais ne sont pas
les plus généralement goûtées .
Dans le chapitre suivant , l'auteur cherche les moyens
de procurer au Théâtre Français des artistes qui puissent
remplacer un jour ceux qui sont maintenant employés;
mais parmi les moyens qu'il propose , il en est
un qui mẹ paraît insuffisant et même dangereux. Il voudrait
que le gouvernement exigeât que tous ceux qui
reçoivent un traitement au-dessus de 1500 fr. fussent
de droit abonnés au spectacle. On leur ferait , pour cela ,
uné retenue sur leurs appointemens . On pourvoierait
à l'entretien des spectacles dans les villes , par des sous
additionnels sur les impositions , lesquels ne seraient payés
que par ceux dont les revenus excéderaient une certaine
somme. Ce moyen ne ferait , je crois , qu'agraver le mal.
L'impôt que nous levons sur nous-mêmes et de notre
plein gré , pour nous procurer une jouissance , n'est pas
unimpôt , mais un échange. Je satisfais à une fantaisie ;
je n'obéis pas à une loi ; or , si l'homme a besoin de
quelque liberté , c'est sur-tout dans ses plaisirs . Dès que
vous me forcez d'acheter le superflu , vous m'ôtez le nécessaire.
Mais en revanche la seconde partie de ce chapitre
offre un plan bien conçu . M. Dumaniant voudrait qu'il
ý eût à Paris une agence centrale de tous les spectacles
de l'Empire . Ce serait une sorte de tribunal duquel ressortiraient
toutes les discussions dramatiques , et qui
ferait exécuter toutes les lois établies pour entretenir
l'harmonie dans ce vaste corps assez difficile à gouverner.
Cette agence centrale tiendrait un registre de tous
1
FEVRIER 1813 . 407
SOC
Тра
6
qui
te
1
les artistes , comédiens , chanteurs , danseurs , musiciens
, décorateurs , machinistes, etc .... Toutes ces personnes
auraient droit à une pension de retraite , et pour
cet objet on leur ferait une retenue annuelle sur leurs
appointemens. Cette dernière mesure est de la plus
grande importance. Si l'on veut donner quelque consistance
à une profession , il faut à celui qui l'exerce une
perspective de repos et non une perspective de misère
et de souffrance. L'homme qui désespère de l'avenir se
jette tout entier dans le présent ; il s'abandonne à ses
goûts , à ses penchans , à ses vices ...... et fait d'une
profession ingrate l'instrument de ses désordres .
- Le chapitre suivant offrira beaucoup d'intérêt aux lecteurs
étrangers à la partie administrative des théâtres .
Ils y apprendront quel est le nombre des comédiens
répandus sur toute la surface de l'Empire , quelle est la
situation de l'art dramatique en France. Ce chapitre renferme
des faits curieux et tout neufs pour les gens du
monde. Il est sans contredit le plus intéressant de l'ouvrage
, en ce qu'il offre des vues tout-à-la-fois utiles et
économiques . L'auteur voudrait que le gouvernement
eût à son compte vingt-quatre troupes ambulantes , dont
douze ne joueraient que la comédie et la tragédie , et
les douze autres l'opéra-comique . L'agence centrale établie
à Paris réglerait leur marche et les dirigerait sur
les villes qui seraient en état de les soutenir. Par ce
moyen , dit l'auteur , on assurerait l'existence de neuf
cent soixante-six artistes , et la dépense de ces troupes
n'excéderait pas la somme de deux millions huit cent
mille francs . Or les trois principaux théâtres de la capi
tale absorbent une somme de 3,400,000 fr.; ainsi avec
moins de dépense on donnerait des spectacles bien montés
à plus de cent cinquante villes dans l'intérieur de la
France.
: De semblables vues ne sont point dictées par l'esprit
de système , mais elles sont le fruit de la réflexion et de
l'expérience . M. Dumaniant termine sa brochure par
unedissertation sur les moyens de rendre le Conservatoire
et le théâtre de l'Odéon utiles au Théâtre-Français ,
et propose l'établissement d'un théâtre d'élèves . Je n'en
408 MERCURE DE FRANCE ;
trerai point avec lui dans les détails d'un sujet aussi délicat
et qui passe d'ailleurs les bornes de mes connaissances .
Je me contenterai de dire que son ouvrage n'est point
un ouvrage littéraire , mais purement administratif; que
sous ce rapport il m'a paru renfermer des idées qui dans
les circonstances présentes ne sont pas à négliger , et
auxquelles je me crois permis d'ajouter quelques réflexions
qui ne sont pas sans importance .
Dans les innovations , de quelque genre qu'elles soient,
il faut toujours penser à deux choses , à l'utilité et aux
convenances. Qui voit seulement le côté utile d'un projet
, ne voit qu'une vaine théorie toute prête à s'évanouir
dès qu'on veut la mettre en pratique. Les moyens phy-
'siques sont bons , mais ils se trouvent repoussés par des
forces morales auxquelles on n'avait pas songé , et les
passions humaines ne se conduisent pas au gré de la
raison et de la puissance comme des machines au gré
du mécanicien .
Voulez- vous réformer un corps ? il faut savoir quel est
l'esprit dont il est animé; sans cette connaissance préliminaire
, l'édifice que vous voudrez élever s'écroulera par
sabase.
Les comédiens forment un corps séparé dans l'ordre
social . C'est une petite société à part qui a ses lois , ses
moeurs , ses habitudes , ses préjugés , ses vices et ses
vertus . Ses passions sont vives , parce qu'elles sont toujours
mises en jeu ; ce qui est nécessaire au développement
d'un art qui vit de passions .
Il y a trois sortes d'indépendance , l'indépendance du
caractère , celle de la fortune et celle de la profession.
L'artiste a éminemment besoin de la dernière , parce
qu'elle tient à la considération publique , dont ne peut
se passer un homme qui vise à la gloire. L'artiste veut
être considéré comme homme , et l'homme comme faisant
partie de l'ordre social . Il a besoin de sa profession
pour vivre , et il veut que ses moyens d'existence soient
honorés ; sans cela il se gendarme contre le préjugé ou
l'opinion qui réprouve un état auquel il s'est voué pour
donner du pain à sa famille . Il refuse aux autres ce qu'on
lui refuse à lui-même. Son amour-propre s'irrite contre
1
FEVRIER 1813.04.11 409
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l'injustice; l'indépendance naturelle de son caractère
dégénère en licence et passe souvent toutes les bornes .
faute d'avoir un état fixe qui détermine dans l'ordre
social la mesure positive de ses prétentions . Ainsi donc
enhonorant la profession des comédiens , vous lui donnez
une indépendance légale dont il ne peut passer les
limites sans tomber dans le ridicule ; mais si vous agissez
dans le sens contraire, comme certains écrivains l'ont fait,
et le font tous les jours , vous le forcerez d'usurper ce
qu'il croit lui être légitimement dû, et je ne vois pas où ,
dans ce genre , l'usurpation peut s'arrêter ...
De là sont venus la plupart des défauts tant reprochés
aux Comédiens ; de là toutes les plaintes que les auteurs
soumis à leur tribunal ne cessent d'élever contre eux .
L'amour-propre blessé a besoin de s'immoler d'autres
amours-propres . Un habitant de Saint-Domingue , homme
d'esprit , me racontait qu'il voyageait un jour avec un
de ses nègres et un mulet chargé de provisions . Le nègre
maltraitait injustement le pauvre mulet qui portait de
son mieux sa charge . Que t'a fait cette pauvre bête ,
lui dit le colon , et pourquoi la maltraiter ainsi ?-Pourquoi
, maître , répondit le nègre ; moi nègre à vous ; li
nègre à moi . Le Comédien est le nègre du public , et
par contre-coup l'auteur doit être souvent le nègre du
Comédien . Cela suit tout naturellement la marche des
passions humaines . Mais placez le Comédien dans une
autre situation , il changera de caractère ; il ne fera plus
de victimes quand il ne le sera plus lui-même ; il n'humiliera
personne quand il ne sera pas constamment
humilié , et le rapprochement qui doit exister entre l'auteur
et lui se fera sans effort et par la nature même des
choses ; car si deux hommes ont des intérêts communs
et refusent de se rapprocher , il faut qu'il y ait dans la
situation de l'un des deux quelque chose qui ne soit pas
naturel . Or , la situation du Comédien dans la société
est une situation forcée .- Quoi ! me dira-t- on , vous
voulez que la profession du Comédien soit mise au niveau
de toutes les autres ? c'est tenter ce qui n'a jamais été
fait dans aucun siècle ; c'est vouloir renverser toutes les
idées reçues depuis si long-tems . - D'autres tems amè-1
410 MERCURE DE FRANCE ,
nent d'autres opinions , quand il n'est pas question de
l'un des principes conservateurs de la société. Nos pères
ont eu leurs raisons pour dédaigner la profession du
Comédien , car je ne connais point de préjugé qui n'ait
eu à sa naissance la raison pour base. Dans l'origine ,
les Comédiens n'étaient que de misérables bateleurs ,
courant le monde et amusant la populace par des caricatures
ignobles et dégoûtantes. La licence la plus
effrénée les suivait dans leurs excursions , et leurs ames
se mettaient au niveau des personnages grossiers qu'ils
devaient représenter , et des personnages peu délicats
qu'ils devaient amuser. Il n'est donc pas étonnant qu'un
préjugé très-fort se soit élevé contre une profession qui
n'était alors qu'un vil métier ; mais depuis que le génie a
pris un vol si rapide , un essor aussi sublime , l'état du
Comédien n'a-t-il pas cessé d'être un métier ? N'est- il pas
un art qui , pour être porté à sa perfection , demande du
travail , de l'étude , et une intelligence peu commune ?
L'ame de l'acteur tend à s'élever naturellement à la hauteur
des personnages qu'il représente , et il me paraît
impossible que les plus beaux sentimens imprimés dans
sa mémoire , ne laissent pas quelques traces dans son
coeur . Aussi a-t-on vu souvent et voit-on encore sur la
scène française des hommes estimables par leur caractère
comme par leurs talens . Quoi ! je cesserais d'estimer
un homme parce qu'il débite devant moi les beaux vers
deRodogune , d'Athalie et du Misanthrope ? Et j'estimerais
l'avocat qui , par profession , défend à tour de rôle ,
labonne et la mauvaise cause; le marchand qui passe sa
vie à acheter pour revendre , dont toutes les idées ne
sortent pas de son comptoir , dont tout le savoir se borne
à son Barême , et tous les sentimens au succès d'une
spéculation ? Le Comédien , me direz-vous , est payé par
le public , et dès ce moment il en devient l'esclave ; je ne
puis estimer une profession qui l'expose aux sifflets du
parterre. A cela , je répondrai : quelle profession n'est
payée ? On ne fait rien pour rien dans ce monde. L'argent
est le buf de toutes les pensées , de toutes les
actions . L'auteur est payé , le critique payé , l'avocat
payé, le juge payé , le prédicateur même est payé. ChaFEVRIER
1813 . 411
e
3,
13
20
d4
f
5
cun reçoit un socaire plus ou moins considérable , plus
ou moins légitione. Chacun s'expose tous les jours aux
sifflets de son pulic. L'avocat est souvent sifflé hors du
tribunal , le prédicateur hors de la chaire , l'auteur dans
les journaux , le critique par ses lecteurs . Le monde est
un composé de siffleurs qui se renvoient les sons . Il est
vrai qu'on siffle l'acteur en face ; mais qui est-ce qui le
siffle ? J'ai ouï-dire que les gens d'esprit et de bon sens
m'usaient jamais d'un pareil privilége acquis à si bon
marché.
-Mais , me direz-vous , lorsque vous aurez élevé la profession
du Comédien au niveau de toutes les autres ,
aurons-nous de meilleurs acteurs ? Nous rendra-t-on les
Préville , les Lekain , les Molé? Ces hommes doués d'un
grand talentne sont- ils pas nés dans le tems où le préjugé
contre leur art était dans toute sa force ?
Oui , sans doute; mais ils ont paru à une époque où
les hommes n'avaient pas toujours le choix d'une profession,
dans un tems de calme où tous les rangs étaient
fixés par les moeurs , par les lois et l'opinion . Mais dans
le bouleversement social opéré par la révolution , toutes
les carrières se sont ouvertes à toutes les ambitions humaines
. Les hommes doués de quelqu'intelligence se
sont précipités sur ce vaste torrent qu'ils ont pris pour
le Pactole. Comment auraient-ils songé à embrasser une
profession dédaignée , lorsqu'ils croyaient voir s'ouvrir
devant eux le chemin de la fortune , des honneurs et de
la puissance ? L'art du Comédien a donc dû se voir négligé
, lorsque tant d'hommes croyaient pouvoir jouer
sur le théâtre du monde des rôles dont l'éclat ne serait
point imaginaire ; mais si cet art eût joui de quelque
considération , quelques hommes à talent ne l'auraient
pas dédaigné , et ils auraient porté dans l'espérance de
ses succès toutes leurs illusions de fortune et de gloire.
Revenons sur les idées que je viens de développer ,
et réduisons-les à quelques principes qui me semblent
incontestables . La profession du Comédien est un art.
C'estun art innocent, toutes les fois qu'il ne s'exerce
pas sur des ouvrages réprouvés par les moeurs .
C'est un art estimable , toutes les fois qu'il tend à
1
)
412 MERCURE DE FRANCEE .
élever l'ame par la peinture énergiqueste nobles sentimens
, ou à nous corriger de nos ridules et de nos
vices .
C'est donc une injustice de refuser an rang dans l'ordre
social à un homme , par la seule raison qu'il remplit
une profession innocente aux yeux de la loi .
Quoique ces vérités me paraissent évidentes , je ne
prétends point enchaîner l'opinion des autres à des principes
qui ne seraient pas d'accord avec leurs sentimens.
Me défiant de mes propres lumières , je respecte , sans
les adopter , des préjugés que le tems a consacrés , prêt
à croire à leur utilité , par la seule raison qu'ils subsistent
depuis des siècles. Cependant il m'est impossible de ne
pas penser que si l'on veut prévenir la décadence d'un
art , on doit protéger l'artiste contre la défaveur attachée
à sa profession .
Tous les jours , au contraire , nous voyons des écrivains
mettre en jeu tous les ressorts de leur esprit pour
avilir cet art auquel nous devons une jouissance noble et
délicate . Ils se font un vil plaisir de dévoiler aux regards
du public toutes ces petites passions d'un amour-propre
qu'ils s'efforcent d'irriter et que la décence devrait couvrir
d'un voile . Ils se font les instrumens de ces passions;
ils prennent fait et cause dans des querelles qu'ils devraient
ignorer . Ils s'attaquent , se déchirent et souillent
de leur fiel des journaux qui devraient être consacrés à
nous transmettre des événemens politiques d'une haute
importance , ou à nous éclairer sur les vrais principes
de la littérature et des arts . Ils tourmentent le talent ;
par eux et avec eux les acteurs se trouvent le jouet du
public. Ils emploient tous ces moyens pour courir après
la chétive réputation de gens d'esprit, qu'ils obtiendraient
plus facilement en gardant le silence . Mais moi , je leur
dirai avec une pleine franchise : de grâce , Messieurs ,
tâchez de vous respecter vous-mêmes , si vous pouvez .
De quel droit venez -vous vous initier dans le secret des
passions qui troublent une classe de la société ? De quel
droit jugez-vous les acteurs hors du théâtre ? Ce droit
que vous avez acheté en entrant , si vous l'avez conservé
lorsque vous êtes sortis , soyez généreux etn'en abusez
L
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O FEVRIER 1813. 413
Π
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pas. Pourquoi n'attaquez-vous pas de même les autres
classes de la société ? Pourquoi ne nous montrez-vous
pas aussi les petites passions qui la gouvernent ? Que
diriez-vous si quelqu'un dévoilait aux regards du public
toutes les prétentions actuelles des gens de lettres , leurs
manoeuvres honteuses, pour se supplanter les uns les
'autres , non dans l'espérance de la gloire , mais pour
gagner un peu d'argent? Croyez -moi ; au lieu de crier
contre des abus inséparables des choses humaines , abus
que vous agravez tous les jours par vos déclamations ,
tâchez de relever un art dont vous vous dites les appuis
et que vous ne cessez d'avilir. Prévenez sa décadence
que vous semblez redouter , et faites en sorte qu'un honnête
homme puisse au moins embrasser sans, honte une
profession que l'on peut exercer sans crime . いた。
Ces idées ne seront pas du goût de tout le monde peutêtre
; mais je n'ai point la ridicule prétention de faire
entendre raison aux petites passions humaines . Je dis ce
que je pense , parce que je le pense , n'appartenant et ne
voulant appartenir à aucune coterie littéraire , ne reconnaissant
d'autre, frein que celui de la décence et d'autre
guide que la vérité, me A.Souliπο του
NOUVEL ALMANACH DES MUSES. Un vol, in-187Prix,
St 1 fr. 80c, liet 2 fr 30 c. francde port. A Paris
chez Moronval , libraire , quai des Augustins, niho
T
Ce recueil qui compte une existence de douze an
nées , dispute , depuis son berceau , la prééminence à son
aîné . Je ne sais si ce cadet littéraire a bien justifié jus
qu'ici ses prétentions envers son frère, illustré par tant
de muses célèbres ; mais je sais qu'onaurait tort d'exiger
qu'il exhibât cette année des preuves authentiques . Il a
subitement changé d'instituteur , et a passé des mains de
M. Capelle aux mains de M. Moronval qui l'a confié à
d'autres mains encore . Ses principes d'éducation ne sont
donc plus les mêmes. Je présume que ne pouvant acquérir
à l'improviste de nouvelles richesses , il s'est vu
forcé de grossir son magasin de denrées déjà mises en
1
1
1
414 MERCURE DE FRANCE ;
circulation . Il s'est emparé du butin de MM. de Fontanes
, Ducis , Michaud, Millevoie , d'Avrigny , Victorin-
Fabre , Mollevaut , et de quelques autres . Certes , il
pouvait faire beaucoup plus mal. C'est à l'abri de ces
noms chers aux muses qu'il fait avec assurance , pour la
douzième fois , son entrée dans le monde . En effet , il
est sûr d'être bien reçu en reproduisant le beau discours
de M. de Fontanes sur la Bible :
La mer s'ouvre : Israël chante sa délivrance .
C'est sur ce haut sommet qu'en un jour d'alliance
Descendit avec pompe , en des torrens de feu ,
Le nuage tonnant qui renfermait un dieu.
Dirai-je la colonne et lumineuse et sombre ,
Et le désert témoin de merveilles sans nombre ,
Aux murs de Gabaon le soleil arrêté ,
Ruth , Samson , Débora , la fille de Jephté ,
Qui s'apprête à la mort , et parmi ses compagnes
Vierge encor , va deux fois pleurer sur les montagnes ?
)
Voilà des vers , si j'étais assez audacieux pour m'exprimer
ainsi , qui se tiennent debout , des vers frappés
sur l'enclume d'Apollon . On éprouve , en lisant tout ce
discours sur la Bible , je ne sais quelle mélancolie pieuse ,
qui vous porte à l'attendrissement , et humecte vos yeux
des larmes les plus douces.
On aime à relire aussi dans ce recueil les éloges de
Coffin qui ont mérité à juste titre à deux jeunes auteurs
une couronne célèbre que l'envie même n'a pu leur disputer.
MM. Millevoie et Mollevaut ont fait voir dans un
sujet qui semblait au premier coup-d'oeil rebelle aux
muses , qu'ils connaissaient toutes les ressources de la
langue poétique , le rhythme , le nombre et l'harmonie
imitative. On trouve plus de sentiment dans la pièce de
M. Millevoie , et plus d'élan dans celle de M. Mollevaut.
Citons de ce dernier un mouvement pleinde verve ,
aussi heureux que naturel. Il parle de Coffin :
Son fils qu'il va sauver rend sa force invincible.
Oprodige ! ce fils levant un front paisible :
FEVRIER 1813. 415
い
}
1
3
D
Hommes moins forts , dit-il , que de faibles enfans,
Mon père l'a promis , nous serons triomphans ;
Obéissez , ouvrons un glorieux passage.
Il faut pourtant le dire , dans la pièce de M. Mollevaut
, parmi une foule de vers d'une attitude noble et
ferme , on en remarque quelques-uns de prosaïques et
de languissans , tels que ceux-ci , par exemple :
Entends-le traverser l'abîme du silence ,
Vois à pas lents creuser , etc.
Ces espèces de consonnances à l'hémistiche quand
elles ne font point beautés , et qu'on sent quel'auteur
ne les apas employées à dessein , dénaturent le style
poétique , et font dégénérer les vers en vers léonins..
On remarque trop de beautés dans ta pièce de M. Mollevaut
pour qu'il ne s'efforce pas d'en faire disparaître
quelques taches . On ne saurait trop répéter ce que
Voltaire, dans le Temple du Goût, dit de Boileau luimême
:
1,
Il revoit ses enfans avec un oeil sévère .
>
Parmi les noms distingués qu'on vient de citer , on
est bien aise de rencontrer celui de Malfilâtre , poëte
moissonné si jeune , et dont Laharpe a eu l'honneur de
signaler un des premiers la gloire . On lit avec plaisir sa
traduction de l'ode d'Horace : Pindarum quisquis studet
æmulari , quoique cette traduction soit en général trèsinférieure
à celle de Le Brun , surnommé peut-être avec
quelque justice le Pindare français . LeBrun est , comme
le poëte grec , décousú , désordonné ; il cherche comme
une conquête l'expression audacieuse qu'il exagère souvent
, mais il s'élève par fois à la hauteur de l'aigle
thébain. Puisque M. l'Editeur n'avait pas le choix des
nouveautés, ne pouvait-il pas mettre à contribution les
oeuvres de ce poëte lyrique ? Il eût trouvé dans ses odes ,
dans ses élégies , dans ses épîtres , dans ses épigrammes
même , une ample moisson pour son recueil. Cela ne
valait-il pas mieux que d'exhumer du porte-feuille de
leurs auteurs une foule de petits vers à prétention , dont
1
416 MERCURE DE FRANCE ;
4
le moindre défaut est d'être à la glace ? Pourquoi voler
des devises à M. Mezes ? L'éditeur a-t-il cru s'enrichir
beaucoup en imprimant les ennuyeux bouts-rimés que
ce Céladon moderne adresse à .... l'on ne sait qui , et
dont voici le début :
Allons , il est tems d'en finir ,
C'est assez nous tromper l'un l'autre ,
Vous ne sauriez plus me revenir ,
Je ne saurais plus être vôtre .
Quel ton ! quelle grâce ! quelle harmonie ! n'admirezvous
pas l'élégance de ce dernier joli vers , à moitié
marotique : Je ne saurais plus être vôtre. Déifiant une
aimable impertinence , il se console lestement des rigueurs
de sa belle en s'écriant :
Vous ne m'adorez plus , hélas !
Que voulez-vous que je vous dise ?
11
21 1.
MILIA
-Effectivement , il est difficile de trouver après cela
quelque chose à dire . Il a préféré le mot d'adorer à celui
d'aimer. Aimer , fi donc ! On n'aime qu'un provincial ,
un bon diable . Tout en grondant sa dame , qui a eu
l'imprudence de le quitter pour un rival , dit- il , plus
aimable que lui , il l'engage à ne point se plaindre de ses
mépris , sur-tout à ne pointjeter les hauts cris ; voilà
au moins qui est généreux , charitable , c'est avoir des
moeurs et des principes . Je vois que M. Mezes menace
-de recommencer Dorat , au talent près , car Dorat avait
dans son style du coloris , de l'éclat , de la fraîcheur ;
c'était , pour me servir de son langage , un papillon
poétique dont les ailes étaient bien enluminées . Je ne
-sais si le nouveau Céladon a autant de bonnes fortunes
que son devancier en avait ou croyait en avoir ; mais
je voudrais qu'en visant à l'esprit.il le rencontrât quelquefois
, et qu'en parlant de légéreté il en mît un peu
plus dans ses vers ........
D.
FEVRIER 1813 . 417
L
!
VARIÉTÉS .
REVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES ,
ET LES USAGES .
5
LES ARTS ; LES MOOEURSOR
LES COTERIES .
L'ESPRIT de coterie est tellement répandu en France ,
que pour plaire à chaque coterie il faudrait diversifier ses
couleurs comme celles du Caméléon . Tout est soumis à
son influence , depuis la jeune beauté qui entre dans le
monde jusqu'à la coquette qui est tout près de lui dire
adieu , et depuis le compilateur à la toise jusqu'au leste
écrivain qui broche sur son genou , au spectacle, pendant
que telle actrice chante ou déclame , l'article dont il doit le
lendemain régaler son public. Un pauvre diable , condamné
àmettre du noir sur du blanc , à tant la feuille , qui taille
de bonne heure sa plume , afin d'avoir plus tôt rempli sa
tâche et de pouvoir s'égayer à dîner , est triste ou gai , charmant
, ou frappé de bêtise , suivant la coterie où il est invité
. Est-il assis à la table bien servie d'une de ces nymphes
radieuses qui ne s'occupent que du soin de faire valoir leurs
charmes ? l'a-t-on placé près de ce beau diseur qui vient
de faire la toilette de son esprit ? s'il n'est le singe , le génie
de la coterie , tout ce qu'il a pensé , fait , dit ou écrit ,
n'a pas le sens commun . <<Comment ! s'écrie la dame du
logis , Monsieur trouve quelque chose dans Tipoo-
Saeb ? à moins que ce ne soit de l'ennui , je ne vois pas
ce qu'on peut y découvrir. Eh puis ! c'est une mauvaise
plaisanterie qu'un homme qui fait une tragédie , quand il
n'a jamais composé que des vaudevilles et des opéras . Il
faut le renvoyer à sa Vestale. " 4 Mais il n'est pas si à
plaindre , Madame , et bien des gens se contenteraient de
son lot. Quant à Tipoo-Saeb , on a beau le poignarder , il
ressuscite , et l'auteur peut dire comme la Mothe , qui
entendait mettre en pièces Inès de Castro : Allons à la
onzième représentation de cette mauvaise tragédie . "
-
Le lendemain , le pauvre diable d'homme de lettres est
plus heureux. « Votre article sur Mme Festa , lui dit en
grasseyant une belle qui copie une de nos plus jolies actrices
, est vraiment fort aimable ; il estplus , il est juste .
Dd
418 MERCURE DE FRANCE ,
-
Tout le monde hier chez moi en a fait l'éloge : quand vous
auriez été l'écho de ma société , vous n'auriez pas mieux
dit.n-Votre compliment me paie de l'injure que j'ai reçue
ailleurs . Madame , un croquenote , qui n'a certainement
pas vos oreilles , a jugé les miennes très-anti-musicales ,
pour avoir eu l'impudence de vanter une cantatrice dont
la voix ne comporte pas deux octaves et demie , et même ne
donne pas franchement le si bemol. J'ai entendu, pourraisje
lui répondre , des violons qui m'ont fait moins de plaisir
que des bassons et des violoncelles . L'étendue de la voix
est en raison de la musique qu'on chante . Faudra -t- il
renoncer à mon admiration pour Mme Barilli , dont les intonations
sont toujours si justes , l'organe si jeune , si frais ,
si pur , la méthode si parfaite , parce que la célèbre Catalani
a les cordes aiguës de la voix un peu plus hautes
encore que les siennes et qu'elle franchit avec plus de
rapidité peut-être l'échelle des sons ? N'estimez-vous un
virtuose que parce qu'il joue toujours sur la chanterelle ?
Il est des genres divers : plus d'un chemin mène au plaisir.
Jouissons de nos richesses sans les déprécier , et n'opposons
point une cantatrice à l'autre . Elles ont un mérite
particulier à leur organe .
,
Chacun se doit contenter de son bien ,
Toutuniment , sans se vanter de rien.
Que de coteries n'ont-elles pas croisé la lance , aiguisé
l'épigramme , depuis le fameux débat entre Mile Mars et
Mie Levert ? La société a ses petites guerres , ses carrousels
et ses tournois ; elle aime à distribuer les couronnes . C'est
même un chagrin pour elle que la lutte entre nos deux
héritières de Thalie se soit aussitôt terminée . C'est un aliment
qui lui manque , il faudra s'en créer un autre . Quoi
qu'il en soit , Mlle Mars , au jugement de toutes les coteries
, toujours sûre par son talent d'être la reine des
ingénues , cède dans cet emploi son droit d'aînesse , pour
prendre le sceptre des coquettes. Mlle Levert , devenue
souveraine dans les ingénuités , sseedispose à faire respecter
les droits de sa couronne , et malheur aux princesses qui
voudront contester sa puissance , et ne pas lui rendre foi
ethommage . On parlait , il a quelques jours , au foyer de
Feydeau , du contrat définitif passé entre Miles Mars et
Levert ; on s'échauffait , quand un merveilleux d'un de nos
théâtres dit à l'oreille d'un autre merveilleux de ses amis :
" On n'y conçoit plus rien; de quoi se mêle donc lepublic ?»
D. D.
ya
FEVRIER 1813. 419
Π
The
25
10-
Π
SPECTACLES . Opéra-Séria. - Roméo et Juliette .
Nous nous croyions menacés de ne pas entendre Mm
Sessi de deux mois encore. Elle a reparu dans Roméo et
Juliette avec plus d'éclat que jamais. Les spectateurs
s'étaient portés en foule à l'Odéon; et par l'accueil qu'elle
a reçu on aurait pu croire que c'était un jour de début pour
elle . Mme Sessi est une de ces cantatrices qui ne sollicitent
pas , mais qui arrachent l'applaudissement. Quand elle ne
se jette point dans ces écarts réprimés par le goût , l'admirer
à demi serait presqu'une insulte ; mais son ambition
parfois l'égare : elle veut trop souvent franchir les
limites de son art , et chanter , pour ainsi dire , d'inspiration
. De pareils défauts n'appartiennent qu'aux trèsgrands
talens , et à moins qu'on ne soit descendu en droite
ligne du roi Midas , on ne peut nier que Mme Sessi ne
soit une excellente virtuose . Dans ce second acte de
Roméo et Juliette , formé d'une seule scène , et dont la
catastrophe est si dramatique , elle a su fondre avec adresse
les teintes délicieuses du sentiment et les déchiremens du
désespoir ; ce chant mélancolique et , si j'ose m'exprimer
ainsi , tout mouillé de larmes , navre et attendrit tour-a-tour
le coeur. Que le jeu de Mm Sessi n'est- il égal à son organe !
La surprise , le saisissement , ce froid mortel qui doit se
répandre sur tous les membres de Roméo , à l'apparition
subite de Juliette , tout ce concours d'expressions terribles ,
exigerait , pour être bien rendu , le talent de l'acteur le plus
énergique et le plus versé dans son art. Je ne connais que
Talma qui fût à la hauteur d'une situation semblable .
Mme Sessi a été bien secondée par Mme Neri. Cette
jeune cantatrice fait des progrès visibles . Son début dans
l'Opéra-Séria est une bonne fortune pour elle et pour nous .
Il nous apprend que sa voix se prête également aux deux
genres ; elle a de l'éclat , de la légèreté et de la force. On
ne saurait trop cependant recommander à Mme Neri de ne
point se laisser entraîner au désir de risquer des choses
trop au- dessus de ses moyens , de marteler moins ses roulades
, et sur-tout de perfectionner ses cadences qui dégénèrent
quelquefois en chevrottemens. Du reste , Mme Neri
justifie pleinement les espérances qu'elle a données. Son
talent qui fleurit à peine , promet à son été de la gloire et
des jouissances , et puisse-t-on lui répéter un jour le vers
de Malherbe !
Et les fruits ont passé la promesse des fleurs .
D. D.
420 MERCURE DE FRANCE ,
SOCIÉTÉS SAVANTES.
Programme des prix proposés par l'Académie de dessin ,
peinture , sculpture et architecture de la ville de Gand ,
pour le concours de 1814 ; précédé d'une notice sur les
vainqueurs aux concours de 1812 .
DIX tableaux ont été présentés au Concours d'Histoire de 1812 ,
dont le sujet était : Virgile lisant le VIe livre de l'Enéide à Auguste
en présence d'Octavie et de Julie ; les artistes -juges , après avoir
honoré d'une distinction particulière quatre tableaux parmi ceux qui
étaient exposés , ont adjugé le prix à celui qui portait pour épigraphe :
S'occuper , c'est savoirjouir.
A l'ouverture du billet joint au tableau , on a reconnu que l'auteur
était M. F. J. Navez , de Charleroi .
1
Le tableau portant pour marque trois *** , et indiqué dans la notice
G. 179 , est celui qui a obtenu le plus de voix après le tableau couronné.
Seize tableaux ont été présentés au Concours du Paysage ; le prix
a été remporté par M. J. B. Dejonghe , de Courtrai .
L'accessit a été accordé à M. Ducorron , d'Ath .
1
Mention honorable a été faite des tableaux de M. Paul Joseph
Noël , de Wausort , et de M. Henry Voordekkers , de Bruxelles .
L'Académie avait proposé pour prix de Sculpture le buste de Gaspar
Craeyer , peintre flamand . Ce prix a été remporté par M. J. В.
Depauw , de Termonde.
Celui d' Architecture , dont le sujet était une Bourse pour la ville de
Gand , a été adjugé à M. J. B. Debaets , d'Everghem , et celui du
Dessin , d'après l'Achille de la galerie des antiques , à M. P. Van
Hanselaere , de Gand , actuellement élève de M. David , à Paris .
M. le Maire de Gand ayant proposé un prix pour la meilleure
esquisse sur la Naissance de S. M. le Roi de Rome ce prix a été
remporté par M. J. Bailly , de Gand , membre de la Société des
Beaux- Arts .
L'esquisse portant pour marque : une louve allaitant un enfant , et
indiqué dans la notice sous le No 198 , est celle qui a obtenu le plus
de voix après l'esquisse couronnée.
La direction de l'Académie propose les sujets suivans :
I. Pour le prix du tableau d'Histoire :
SACRIFICE D'ABEL . Abel offre un sacrifice à Dieu , Cain , déjà
dévoré dejalousie , survient etfrémit .
Conditions .- 1º . Le tableau n'offrira que deux figures .
FEVRIER 1813. 425
E
F
B
2º. Les figures auront la grandeur de demi-nature.
Le prix sera de huit cents fr . et d'une médaille d'honneur .
II. Pour le prix de Sculpture :
Le buste de David Teniers ( le fils ) .
Le buste sera de grandeur naturelle en terre cuite , ousjeté en
plâtre.
L'Académie honorera d'une médaille d'argent celui qui remportera
le prix . :
III . Pour le prix du Paysage : .....
Site boisé ; soleil de la mi-septembre vers trois heures après -midi .
Conditions . - 10. Sur le devant , à gauche du spectateur, un terrain
sablonneux , entrecoupé de grands arbres ; au-delà , une chapelle
à l'entrée d'un bois . Ces conditions sont de rigueur.
20. Sur la droite et dans le fond , des plaines ou des collines
quelques habitations et des figures . Toute cette partie est laissée au
choix du peintre .
し
3º. Le tableau aura au moins 65 centimètres de large sur 50 centimètres
de haut .
Il sera accordé à l'artiste qui remportera le prix , une somme de
trois cents vingt francs , et une médaille d'honneur.
IV. Pour prix d'Architecture :
Le projet d'Une Halle aux toiles pour la ville de Gand , à construire
sur un terrain isolé .
>
Conditions . 19. La profondeur de ce monument est fixée à 40
mètres , et sa longueur à 70 mètres. Ce dernier côté qui formera la
façade principale , donnera sur une place publique faisant un parallélogramme
de 100 mètres.
2º . La profondeur et la longueur déterminées dans l'article précédent
, sont de rigueur ; toutes saillies d'avant- corps , de marches ou
autres , devront y être comprises .
3º. Les concurrens ont la liberté la plus entière de projeter ou de
ne pas projeter de soubassement , ou de travailler de toute autre manière
qu'ils jugeront convenable .
4°. Il sont tenus de fournir le plan de chaque étage qu'ils se proposeront
de construire , et d'y joindre l'élévation de la façade principales
, et celle d'une des façades latérales ; en outre la coupe du bâtimentmême
, sur telle ligne qu'ils préféreront choisir (1 ) .
(1 ) Pour donner aux Concurrens une idée précise de l'emploi de ce
bâtiment , on fera observer que les toiles sont une des principales
branches du commerce de cette ville .
Onprésente chaque jour de marché environ 2000 pièces . Les toiles,
422 MERCURE DE FRANCE ,
Celui qui remportera le prix , recevra la somme de trois cents fr .
et une médaille d'honneur .
Tous les artistes , domiciliés dans l'Empire français , sont invités à
concourir pour les prix proposés dans les IV articles précédens .
V. La direction honorerad'une médaille d'argent celui des élèves
ou anciens élèves de l'Académie qui aura fait le meilleur dessin
d'après la Diane à la biche du Muséum des antiques .
Les noms des vainqueurs et le sujet du concours seront gravés sur
chacune des médailles d'honneur .
Conditions générales des Concours .
1º . Tous les tableaux , bustes , dessins et plans d'architecture ,
seront remis frano de port avant le 19 juillet 1814 , au sieur Verplancke
, concierge de l'Académie , rue Sainte-Marguerite ,
20. Aucun artiste ne mettra son nom , ni sur les tableaux , ni sur
les bustes , dessins et plans d'architecture ; mais il fera sur un morceau
de papier collé sur les pièces , une marque quelconque , qu'il
aura soin de répéter sur un billet cacheté , contenant son nom et sa
demeure , et joint à son envoi .
3º. La direction rendra tous les tableaux , bustes , dessins et plans
d'architecture , à l'exception de ceux qui remporteront les prix .
Ceux- ci resteront à la disposition de l'Académie .
3
Salon d'Exposition .
:
Conditions générales ,- Art. 1. L'ouverture du Salon d'Exposition
se fera le lundi 26 juillet , à neuf heures du matin , dans la grande
salle du Muséum aux Augustins , sous l'agrément de M. l'Auditeur
préfet du département , et sous celui de M. le Maire de la ville.
3. Le Salon sera ouvert pendant trois semaines , le matin depuis
neufheures jusqu'à midi , et après midi depuis trois heures jusqu'à six .
avant d'être exposées en vente , sont timbrées , afin d'en constater la
largeur ; et après avoir été vendues , elles sont mesurées .
Il est encore à remarquer qu'à l'occasion de certaines fêtes publiques,
et dans la vue d'encourager la fabrique des toiles indigènes .
P'administration décerne des prix publics aux tisserands qui , dans
l'exposition de leurs toiles , ont été jugés avoir mérité cette distinction.
Ainsi donc , outre le local approprié au marché proprement dit ,
le monument devra contenir :
10. Une salle où les toiles sont timbrées .
20. Une ou deux salles où les toiles sont mesurées .
30. Une salle consacrée à l'exposition publique , et à la distribution
des prix.
FEVRIER 1813 . 423
3. On y recevra toute espèce de production des arts du dessin
peinture , sculpture , gravure et architecture , faite par des artistes
vivans.
4. Les tableaux , bustes , dessins et plans d'architecture , envoyés
au Concours , y seront également exposés .
T
5. Les artistes qui soutiennent par leurs talens la gloire de l'école
flamande , seront invités à venir juger les pièces envoyées au
Concours.
,
6. Le jugement sera prononcé le premier dimanche ( rer août ) ,
après l'ouverture du Salon ; les vainqueurs seront solennellement
proclamés , et les prix distribués le jour suivant à l'Hôtel-de-Ville ,
en présence des autorités constituées , et de MM. les juges du
Concours.
7. Toutes les pièces envoyées , soit pour le Concours , soit pour
l'exposition , resteront au Salon jusqu'à la fin de l'exposition ,
8. Les artistes qui veulent faire exposer des productions de l'art au
Salon, sont invités d'écrire , franc de port , au moins dix jours avant
l'ouverture , à M. P. F. De Goesin-Verhaeghe , imprimeur-libraire
et ancień professeur de l'Académie , rue Hautport , no 229 , et de
lui envoyer une note contenant leur nom et leur demeure , le nom
de leur maître , s'ils désirent qu'il en soit fait inention dans le livre
d'indication , les dimensions de leurs tableaux , et une description
succincte de ce que ceux-ci représentent.
9. Toutes les pièces devront être envoyées à l'adresse du Sr. Verplancke
, au moins huit jours avant l'ouverture de l'exposition. Cette
époque est de rigueur.
10. On aura tout le soin possible pour la conservation des pièces
envoyées au salon ; à cette fin un des directeurs de l'Académie restera
au salon pendant tout le tems de l'exposition . On donnera à cet
égard toute assurance aux artistes , sans pouvoir cependant répondre
des événemens imprévus.
2
II. Tous les frais de transport restent à la charge de ceux qui
enverront au salon.
12. Chaque artiste fera connaître de quelle manière il désire que
ses tableaux ou autres productions lui soient renvoyés .
Fait en séance de la direction , le 26 décembre 1812 .
} J. DELLAFAILLE , président.
N. CORNELISSEN , secrétaire honoraire
POLITIQUE.
LES nouvelles d'Allemagne ne contiennent que des détails
sur la marche des divisions et des corps qui traversent
les Etats de la Confédération pour se rendre aux destinafions
qui leur sont assignées . On écrit d'Hambourg que le
comte Lauriston a passé la revue du corps d'observation
de l'Elbe , stationné depuis Wesel jusqu'à Hambourg , et
qu'il a été extrêmement satisfait de la conduite, de l'esprit,
de l'instruction et de l'ardeur qui caractérisent les troupes
dont ce corps est composé. Les lettres de Posen en date
du 8 portent que le quartier-général du prince vice-roi y
était toujours établi, et que les têtes de colonnes des troupes
attendues de divers points y arrivaient. Une épidémie
affreuse ravage les troupes russes à Kænisberg et dans les
environs dévastés par leurs troupes irrégulières .
1.1 En Espagne , un nouveau d'Assas s'est montré dans les
rangs de l'infanterie française . Le 9 février un parti d'insurgés
débarqués près du bouton de Roses ont pénétré par
le poste nº 2 de ce fort . Parvenus à la sentinelle du poste
principal et de la caserne des grenadiers , ils s'élancent
sur elle et lui disent en français : tais -toi , il ne te sera
pointfait de mal. Le brave soldat crie aussitôt aux armes ,
et tombe percé de coups . Ses cris avaient été entendus , et
sa mort n'a été ni sans fruit , ni sans vengeance ; la garnison
est accourue de tous les points de la place , et les Espagnols
ont été chassés avec une perte très-considérable.
D'autres tentatives ont été également faites sur les côtes
de la Catalogne ; les troupes aux ordres du général Decaen
les ont partout rendues vaines .
CA 16 ::
Nous avons parlé de l'effet produit en Angleterre par la
lettre de la princesse de Galles au prince régent. L'opinion
publique est vivement partagée à l'égard des différends qui
règnent , entre les deux époux , et l'objet actuel de la contestation
est l'éducation de la princesse . L'article suivant ,
extrait du Courier , met très-bien au courant de l'état de la
question , et désigne clairement les partis qui se prononcent
en cette circonstance délicate .
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 425
L
1
Le but de la lettre de la princesse de Galles , dit le
Courier , est plutôt de tâcher d'acquérir de l'influence sur
l'esprit de l'héritière présomptive de la couronne , que de
se plaindre d'avoir été calomniée . Quoique ces plaintes
tiennent une grande place dans la lettre , il est évident
qu'elles n'étaient pas l'objet qu'on avait en vue en l'écrivant.
Les calomnies dont il s'agit avaient eu lieu depuis
long-tems , sans que la princesse les eût relevées personnellement
d'une manière publique ; et il n'est rien survenu
de nouveau qui rende plus nécessaire actuellement de les
réfuter ; mais dès qu'on a prévu que les communications
avec sa fille seraient moins fréquentes , et qu'il en résulterait
une diminution d'influence sur son esprit , on a prétendu
que leur réfutation était devenue indispensable.
D'après la conduite de ses partisans , il est àpprreéssuunmerque
la princesse considère la publicité de ces calomnies comine
la plus terrible menace qu'on puisse faire au prince , et
qu'elle se flatte de réussir par ce moyen à lui faire trahir
le devoir que lui impose la constitution , en abandonnant
l'éducation de la fille à la mère , à une étrangère . Cette
même menace a- t-elle été employée jusqu'ici avec assez de
succès , pour qu'on en espère tant aujourd'hui?
,
» On tâche donc et l'on tâchera de s'emparer de la jeune
princesse ; et nous pouvons prévoir quels seront les gens
qui s'enrôleront dans cette lutte vu que les premiers qui
se sont montrés sont sir Francis Burdett , M. Whitbread
et le rédacteur du Morning-Chronicle . Le premier doit
faire un motion pour faire déclarer que la fille est en état
de gouverner , et pour lui faire accorder une maison. Par
ce double moyen , on la mettrait tout-à -fait à la portée de
la mère . Le second a laissé échapper quelques menaces
relativement à la mère ; et le troisième a avancé qu'il convenait
que la fille fût introduite dans le monde , situation
qui l'exposerait à être corrompue par le premier factieux
qui saurait la flatter. Telle a été la première esquisse du
plan en faveur duquel la princesse de Galles se montre à
présent en personne. Ce plan a pris entièrement naissance
dans le parti de l'opposition , et a été renouvelé de jour en
jour par les gazettes de ce parti , en haine du prince pour
ne leur avoir pas donné les places du gouvernement, et
dans l'espérance probablement de l'y forcer , ainsi que le
fit M. Perceval , en épousant la cause de la princesse : car
les gens de ce parti prétendent que le prix de la suppression
du livre fut un changement de ministère ; calomnie
426 MERCURE DE FRANCE ,
1
absurde , qui n'eut jamais le moindre fondement raisonnable
, ni même l'ombre du sens commun.
,
» Mais il faut tâcher de s'emparer de la jeune princesse.
La mère ne pouvant régner comme épouse du régent , se
flatte d'acquérir tout autant d'autorité , et beaucoup de
moyens de se venger , en devenant la directrice de notre
future souveraine. Dans sa position actuelle , la princesse
mère est à peine digne de l'attention d'un parti politique ;
mais le parti de l'opposition se prosternerait devant elle
si elle tenait dans ses mains notre future souveraine . Elle
pourrait alors se mettre à la tête de la confédération des
grandes familles , et s'entourer d'une cour , sous prétexte
de mettre sa fille à même de connaître le monde et d'étudier
les hommes . Dans une position aussi relevée , la
princesse-mère rivaliserait les ministres en autorité , et
effacerait par sa splendeur la cour du régent. Ce n'est qu'en
empruntant du lustre , soit du père , soit de la fille , qu'elle
peutbriller.
-
>>L'effet que cette lutte peut produire sur la jeune princesse
a de quoi nous alarmer. Si elle lit les gazettes , son
caractère ne peut manquer d'être altéré . En s'apercevant
qu'on fait tant de bruit à son sujet , il est bien difficile
qu'elle ne désire pas avec quelqu'impatience de jouir au
plus tôtde l'autorité, et ne regarde pas comme ses ennemis
personnels les personnes qui la tiennent séquestrée de la
société. Quand nous parlons de l'autorité , nous ne voulons
pas dire l'autorité publique , le gouvernement , mais seulement
l'autorité exercée sur la société. Il y a quelques années
que la jeune princesse fut conduite à une foire près de
Londres . Tous ceux dont elle fut entourée la regardèrent
avec admiration, et lui témoiguèrent les plus grands égards
et le plus grand respect . La princesse prit à cela le plus
grand plaisir , ainsi que l'aurait fait tout autre enfant en
pareil cas . Quelques jours après , on lui fit faire une promenade
dans le même lieu , après que la foire fut terminée;
et s'adressant alors aux personnes qui l'accompagnaient ,
elle leur dit avec un air de chagrin manifeste : « Il n'y a
aujourd'hui ici personne pour me regarder. » C'est ainsi
qu'elle a témoigné de bonne heure ( il y a cinq ou six années
) , et sans doute bien avant encore , qu'elle sentait son
importance personnelle , et qu'elle prenait plaisir à être admirée
. Nous ne voulons pas dire que ces sentimens chez
elle aient rien de particulier. Tout autre enfant aurait fait
comme elle ; mais puisque telle est la nature humaine , le
FEVRIER 1813 . 427
t
1
-
danger qu'il y a de lancer dans la société une jeune princesse
de si grande espérance est évident et incalculable .
Parmi les pères et les mères qui ont eu des enfans parvenus
àl'âge de vingt ans , ily en aura peu qui nous contestent la
vérité de cette assertion ; savoir : qu'une jouissance précoce
de l'autorité mène ordinairement la jeunesse à sa perte!
Dans les livres et dans sa société particulière , la jeune
princesse apprendra mieux à connaître le monde et les
hommes , qu'elle ne pourrait le faire dans les cercles et les
bals. Quant à ses manières , il est moins nécessaire de s'en
occuper. On acquiert des manières aisées par l'habitude
d'être continuellement en bonne société , et par le senti
iment intérieur de sa propre importance . Quant à son im
portance personnelle , la jeune princesse ne peut l'ignorer;
la confiance et l'aisance ne lui manqueront donc pas . Et
quant à ce qui concerne la bonne société , certainement on
peut s'en rapporter à la reine et à ses filles , autant qu'à la
princesse de Galles et à lady Charlotte Campbell. La reine
s'est montrée constamment comme une femme attachée à
ses devoirs , tendre et soumise , dans plusieurs occasions
délicates : la princesse de Galles vit séparée de son mari ,
et l'accuse publiquement dans une lettre de se conduire
envers elle de manière à accréditer tous les soupçons que
lamalice peut suggérer , tandis qu'elle est irréprochable , et
qu'il le sait. La future souveraine de ce royaume doit-elle
être élevée dans l'habitude et la douceur des moeurs domestiques
, ou livrée aux conseils de l'arrogance et aux
intrigues politiques ? telle serait la question qu'on aurait à
décider , si nous pouvions oublier que la constitution a
imposé au souverain l'important devoir d'élever sa fille de
la manière qu'il juge la plus convenable . Dans ces circonstances
, le public doit déplorer vivement les discussions
quiont lieu actuellement à ce sujet , discussions qui ont
été entamées par le parti de l'opposition , et sont à-présent
soutenues par la princesse mère en personne ; vu qu'elles
sont capables d'égarer l'esprit et d'enflammer les passions
d'une jeune princesse aussi aimable que l'est la princesse
Charlotte, dans un âge où la raison n'est pas ordinairement
aussi puissante que le désir .
Cette affaire n'occupe pas seulement l'opinion et les
journaux; les ministres en font l'objet de sérieuses et longues
conférences . Depuis la publication de la lettre de la
princesse , ils se sont assemblés tous les jours deux fois , à
onzeheures du matin, et à dix heures du soir ; ces heures
:
438 MERCURE DE FRANCE ,
,
sont celles qui les empêchent le moins de vaquer à leurs
autres occupations , soit ministérielles soit parlementaires
. On continue à consulter les jurisconsultes de la couronne
. Une madame de Lisle qui a déjà concouru dans
l'enquête royale , appelée généralement l'enquête délicate ,
a été de nouveau mandée par les ministres , pour être
examinée et interrogée sur la conduite de la princesse de
Galles.
La question de savoir si la compagnie des Indes-Orientales
conservera son privilége , continue aussi d'occuper les
esprits ; les lettres pour ou contre ce privilége se succèdent
avec rapidité dans les journaux. Cette question élevera incessammentdes
débats parlementaires d'un très-haut intérêt .
Unegrande et solennelle récompense vient d'être décernée
par l'Empereur à M le maréchal Ney , duc d'Elchingen ;
il est créé prince . Voicila lettre que S. M. a daigné adresser
à cet égard au Sénat :
" SÉNATEURS , nous avons jugé utile de reconnaître par
des récompenses éclatantes les services qui nous ont été
>>rendus , spécialement dans cette dernière campagne, par
>>notre cousin le maréchal duc d'Elchingen .
» Nous avons pensé d'ailleurs qu'il convenait de consa-
* crer le souvenir honorable pour nos peuples , de ces
> grandes circonstances où nos armées nous ont donnédes
> preuves signalées de leur bravoure et de leur dévouement,
» et que tout ce qui tendrait à en perpétuer la mémoire
> dans la postérité était conforme à la gloire et aux intérêts
> de notre couronne .
27
>>Nous avons en conséquence érigé en principauté , sous
le titre de principauté de la Moskowa , le château de
Rivoli , département du Pô , et les terres qui en dépen-
» dent, pour être possédées par notre cousin le maréchal
> duc d'Elchingen et ses descendans , aux clauses et con-
» ditions portées aux lettres -patentes que nous avons
> ordonné à notre cousin le prince archichancelier de l'Empire
de faire expédier par le conseil du sceau des titres .
Nous avons pris des mesures pour que les domaines
> de ladite principauté soient augmentés de manière àce
que le titulaire et ses descendans puissent soutenir digne-
>>ment le nouveau titre que nous conférons , et ce , au
» moyen des dispositions qui nous sont compétentes .
Notre intention est , ainsi qu'il est spécifié dans nos
" lettres-patentes , que la principauté que nous avons érigée
FEVRIER 1813 . 429
1
➤ en faveur de notre dit cousin le maréchal duc d'Elchin-
» gen , ne donne à lui et à ses descendans d'autres rangs
>>et prérogatives que ceux dont jouissent les ducs parmi
> lesquels ils prendront rang selon la date de l'érection du
» titre . "
Donné au palais des Tuileries , le 8 février 1813 .
Signé, NAPOLÉON .
Par l'Empereur ,
Le ministre secrétaire-d'Etat ,
Signé , le comte DARU.
Dimanche dernier ont été présentés au serment qu'ils
ont eu l'honneur de prêter entre les mains de S. M. l'Empereur
et Roi , savoir : :
Par S. A. S. le prince archi-chancelier de l'Empire ,
M. le comte de Saint-Sulpice , gouverneur du palais de
Fontainebleau ; M. le baron de Flahaut , général de brigade
, aide-de-camp de S. M. l'Empereur.
Par S. A. S. le prince archi-chancelier , en l'absence du
prince vice- connétable , M. le baron de Fézensac , colonel
du 4º régiment d'infanterie légère ; M. Lamarre , colonel
du génie , membre du comité des fortifications .
Par S. A. S. le prince archi-chancelier de l'Empire ,
M. Bouchard , procureur-général en la cour impériale de
Poitiers ; M. Bouvier , procureur-général en la cour impériale
de Besançon ; M. Daniels , procureur-général en la
cour impériale de Bruxelles .
L'Empereur a présidé plusieurs fois le conseil-d'Etat.
Mercredi , il y a eu conseil des ministres . Le même jour
S. M. était sortie à cheval et sans suite , et elle est rentrée
par le Jardin des Tuileries , où la foule s'est pressée sur
son passage , et l'a saluée par de vives acclamations ; les
mêmes acclamations ont suivi l'Impératrice dans ses promenades
, où elle est accompagnée de son auguste enfant
sur la terrasse du Jardin , que le public ne nomme plus que
la terrasse du Roi de Rome .
Les séances du Corps-Législatif ont été consacrées à des
élections d'ordre intérieur. Parmi les candidats présentés
pour la présidence , S. M. a daigné choisir M. le comte de
Montesquiou .
Jeudi , S. Exc . le Ministre de l'intérieur, accompagné de
M. le comte Molé et de M. le comte La Valette, conseillers
430 MERCURE DE FRANCE ;
d'Etat , a présenté l'exposé de la situation de l'Empire.
Nous ne pouvons faire connaître encore ce travail important
, dont , au moment où nous écrivons , la publication
officielle n'a pas encore été faite . Nous nous bornerons à
dire que S. Exc. a présenté le tableau des améliorations
qu'ont éprouvées en 1811 et 1812 la population de l'Empire
, son industrie , la culture des terres , toutes les
branches de l'agriculture , les manufactures et les arts .
S. Exc. a établi des calculs comparatifs sur les produits
actuels de notre sol et de notre industrie avec ceux de
l'ancienne France avant 1789 , et elle a démontré par les
calculs la supériorité toujours croissante de la circulation
intérieure et des exportations . Les grands travaux qui s'exécutent
dans l'intérieur , et les travaux maritimes qui se
continuent avec persévérance , ont aussi été décrits par le
ministre , dont le discours , ainsi que la réponse du président
, ont excité les plus vives acclamations . S......
,
ANNONCES.
Chefs-d'oeuvre d'éloquence chrétienne , ou Sermons de Bourdaloue,
Bossuet , Fénélon , Massillon , sur la vérité de la religion. Deux
vol. in- 12 . Prix , 6 fr. Cet ouvrage se vend à Paris , à la librairie
de la Société Typographique , place Saint-Sulpice , nº 6 ; chez Lenormant
, imprimeur-libraire , rue de Seine , nº 8 ; Blaise , quai des
Augustins , nº 61 ; et Fantin , même quai , nº 55 .
Le plus grand nombre des Sermons qui forment ce recueil sont de
Bourdaloue ou de Massillon.
Il semble d'abord qu'il est fort difficile de faire un choix dans les
ouvrages de ces grands hommes dont le nom est devenu parmi nous
celui de l'éloquence même , et dont presque tous les discours sont
autant de chefs -d'oeuvre .
S'il est arrivé , néanmoins , que ces grands hommes se soient quelquefois
surpassés eux-mêmes , on peut assurer que c'est dans les
sublimes discours où ils ont exposé les preuves de la religion . Qu'il
nous suffise , pour en donner un exemple , de citer la passion de
Bourdaloue sur la divinité de Jésus- Christ , et le sermon de Massillon
sur le même sujet , qui passent pour leurs chefs-d'oeuvre. (Voyez
pages 99 et 202 , tome II de ce recueil . )
On pourrait également citer le sermon de Massillon sur la vérité
d'un avenir, où l'évêque de Clermont combat les athées et les maté-
A
FEVRIER 1813 . 43г
rialistes. « Aucun écrivain , dit M. de Laharpe en parlant de ce
>> discours , ne les a plus éloquemment combattus. » Onpourrait
ajouter : ni plus solidement , et faire remarquer que les plus beaux
traités sur l'immortalité de l'ame , ne renferment ni de plus fortes
preuves , ni en plus grand nombre que celles qui sont exposées d'une
manière si sublime dans ce discours incomparable . ( Voyez tome I ,
page tre de ce recueil.)
Un recueil de discours sur de si importans sujets , réunit donc un
double avantage en offrant tout à-la- fois les monumens les plus durables
de l'éloquence , et les plus sublimes apologies de la religion .
Sous l'un ou l'autre de ces rapports , ce recueil convient à bien des
lecteurs , et sous tous les deux aux jeunes gens , d'une manière plus
spéciale.
N. B. Il a été adopté , par l'Université impériale , comme livre
qui peut être donné en prix dans les Lycées et les Colléges .
Arnoldiana , ou Sophie Arnould et ses Contemporaines ; Recueil
choisi d'Anecdotes piquantes , de réparties et de bons mots de Mlle
Arnould , actrice de l'Opéra ; précédé d'une Notice sur sa vie et sur
l'Académie Impériale de Musique ; par l'auteur du Biévriana , avec
cette épigraphe : Son coeur n'eut jamais part auxjeux de son esprit.
Un vol. in- 12 de 380 pages , orné du portrait de Mile Arnould , gravé
au pointillé par M. Bourgeois de la Richardière , d'après le tableau
de Latour , peintre du Roi. Prix , 3 fr. 50c. , et 4 fr . 50 c. franc de
port . Chez Gerard , libraire , rue Saint-André-des-Arcs , nº 59:
Traité de Vaccination avec des Observations sur lejavart et la
variole des bêtes à cornes ; par le docteur Louis Sacco , médecin-chirurgien
, directeur-général de vaccination , premier médecin du grand
hôpital de Milan , etc .; traduit de l'italien par Joseph Daquin, docteur
en médecine de l'Université de Turin , médecin des hôpitaux
civils de Chambéri , etc. Seconde édition . Un vol. in-80. Prix , 7 fr . ,
et 9 fr. franc de port. Chez Michaud frères , libraires , rue des Bons-
Enfans , nº 34.
Epître d'Héloïse à Abeilard , nouvellement traduite de l'anglais ,
de Pope. Brochure in-8° . Prix , I fr. , et 1 fr. 25 c. franc de port .
Chez le même .
Propositiones medicæ et philosophicæ , ou Théorêmes de médecine,
de chirurgie et de philosophie d'après l'observation et les auteurs
anciens et modernes ; par J.-B. Guyonnet-Sénac , docteur en médecine
de la faculté de Paris , professeur de médecine légale , de ma-
2
432 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813 .
tière médicale et de chimie. Brochure in- 40. Prix , 75c. , franc de
port. Chez l'auteur , rue du Bouloy , nº 18.
: Les Deux Educations , ou le Pouvoir de l'Exemple ; par Mme Derenneville
, auteur de la Mère- Gouvernante . Un vol . in- 12 , avec six
jolies gravures . Prix , a fr . 50 c. , et 3 fr . 25 c. franc de port ; avec
les gravures coloriées , 3 fr . , et 3 fr . 75 c. franc de port. A la librairie
d'éducation et de jurisprudence d'Alexis Eymery , rue Mazarine
, nº 30 .
Le Dernier Ballon , ou Recueil de Chansons et autres poésies nouvelles
d'Armand Gouffé , pour faire suite aux trois volumes déjà
publiés par le même auteur sous les titres suivans : Ballon d'Essai ,
Ballon Perdu , Encore un Ballon . Un vol. in- 18 , figure . Prix , I fr.
80 c. , et 2 fr . 20 c. franc de port . Chez Delaunay , libraire , Palais-
Royal , galeries de bois , nº 243 .
Alexina , on la Vieille tour du Château de Holdheim ; par l'auteur
d'Orfeuil et Juliette , d'Eugenio et Virgina. Quatre vol. in -12 .
Prix , 8 fr . , et 10 fr. franc de port. Chez Renard , libr. de S. A. I.
Madame la princesse Pauline , rues de Caumartin , nº 12 , et de
l'Université , nº 5 .
L'Abbaye de Saint- Oswithe , par l'auteur d'Ethelwina ; traduit de
l'anglais par Mme de M ...... 1. Deux vol . in-12 . Prix , 4 fr . 50 c . ,
et 5 fr. 50 c. franc de port. Chez le même.
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois. ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger. )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et del'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure ,
àParis.
N
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
N° DCVII . -
1
Samedi 6 Mars 1813 .
POÉSIE .
Fragmens inédits qui doivent être ajoutés à la seconde
édition (1 ) d'un Essai didactique sur les genres dont
Boileau n'a point fait mention dans son Art Poétique (2) .
م
PREMIER FRAGMENT .
La lecture de salon : Episode.
Muse , dis-nous pourquoi . gonflés d'an vain encens ,
Tant d'illustres rimeurs dédaignent le bon sens ?
Le triomphe d'Arcas (3) en nos salons s'apprête :
Ses vers , loués d'avance , ont promis une fête ;
706
(1) Cette édition paraîtra sous peu de tems.
(2) Voyez le compte que l'on a rendu de cet ouvrage , Mercure da
30 novembre 1811 , Nº DXLI , p . 397 . )
(3) L'auteur attaque un travers général , et ne désigne personne
enparticulier.
Ee
434 MERCURE DE FRANCE ,
Il suspend à sa voix les auditeurs émus ,
Encor tout échauffés des vapeurs de Comus ;
Le récit est spectacle , et le cercle se presse :
Déjà s'étend au loin l'épidémique ivresse ;
Un fat , qui ne sait rien , prompt à juger de tout ,
S'écrie : « Il est divin ; je suis homme de goût ; »
Modeste avec orgueil , l'auteur sourit ; les Belles
Vantent , en minaudant , ses grâces naturelles :
Bientôt sa voix s'élève , avec un art nouveau
Il fait briller le trait qu'il désigne aux bravo ;
Aleur bruit complaisant , qui croît dans sa vitesse ,
Tout s'émeut; j'applaudis , du moins par politesse .
-Vous trouvez donc l'ouvrage....-Extravagant.- Il plaît
Par de fort beaux détails .-Dont l'ensemble est fort laid .
-Et l'auteur...- Il triomphe; en ce docte auditoire ,
Par trimestre une fois il escompte sa gloire.
Grâce à ce grand fracas , du succès convaincus ,
Nos libraires déjà risquent vingt mille écus ;
On l'imprime : 6 prodige ! en naissant surannée
LaMuse a vu tomber sa guirlande fanée ,
Et l'éditeur confus , qui tremble pour ses frais ,
Court d'unjournal benin marchander les arrêts .
Heureux l'auteur marqué du sceau des coteries!
Cent bouches vont prônant ses froides rêveries ;
Sonnomde feuille en feuille arrive par écho :
Il estdès son vivant grand homme... incognito.
Laissons-le s'enivrer d'un suffrage éphémère.
SECOND FRAGMENT.
Del'Epître légère; en vers libres , mêlée de prose ; de l'Epitre marotique
: préceptes généraux de l'Epître légère . Modèles : Voltaire ,
Gresset , Chaulieu .
Del'Epître sérieuse. Boileau , Voltaire , Horace.
(
Voyez courir au gré du folâtre délire
Ces metres inégaux qu'une saillie inspire ,
Gracieux messagers dont le piquant récit
Epanouit le coeur et déride l'esprit.
:
• ১
MARS 1813 . 435
Que leurs tours balancés tombent avec aisance ;
Qu'un art dissimulé pare leur négligence ;
Et que le trait brillant de naïve gaîté
Soit finement lancé par l'ingénuité.
Tel était d'Hamilton l'aimable badinage.
La prose qui s'unit à ce riant langage
Sait lui prêter un charme agréable et divers .
Craignez son voisinage , il usurpe le vers.
Les frivoles retours d'une rime obstinée
Fatiguent quelquefois l'oreille inutinée .
:
Le bizarre est pénible , et l'effort nous déplait.
Le travail cherche en vain ce que Marot trouvait.
Rhythme heureux , style aisé , marche légère et vive ,
Onsut tout imiter , hors sa grâce naïve .
Son unique héritier fut le bonhomme Jean.
1
1 D'un éclat emprunté le luxe est indigent .
Brillez donc par vous-même , à vos talens fidèle
Et peut-être qu'un jour vous deviendrez modèle .
Chaque esprit est marqué d'un sceau particulier .
Soyez original et non pas singulier.
Voyez comme , expiant sa gloire illégitime ,
Le hérault du faux goût (4) en devient la victime;
Il tombe,et cependant des nouveaux Scuderys
Le peuple trop fécond pullule dans Paris..
De trois Auteurs charmans on a quitté les traces .
Chacun d'eux était cher à l'une des trois Graces :
Le premier les unit ; c'est l'écrivain fécond
Qui sut être à-la-fois et frivole et profond ;
Le second plus égal déploie avec mollesse
De ses nombres fleuris l'élégante souplesse ,
Par de malins portraits il prélude au Méchant ;
L'autre des voluptés est le peintre touchant ;
Ils enseignent le ton de l'Epître légère.
Boileau donne à ce genre un plus grand caractère :
Ainsi quand du Poussin les austères pinceaux
(4) Voiture.
[
Γ
Ee 2
436 MERCURE DE FRANCE ,
!
Descendent à tracer de champêtres tableaux ,
Tout annonce et trahit son génie héroïque ;
L'Epître s'étonna de devenir épique ;
Homère couronna le chantre du Lutrin ,
Achille revivait dans le vainqueur du Rhin.
Qui n'a relu cent fois cette page divine
Où, vengeur de Molière , et soutien de Racine ,
Sublimede raison, et fort de vérité ,
Boileau traça l'arrêt de la postérité?
Quelle verve de sens ! la probité l'enflamme
Sonvers pur réfléchit la beauté de son ame .
Protée étincelant , génie irrégulier ,
Sousmille aspects habile à te multiplier ,
Toi dont le talent , souple en sa vaste étendue ,
Ade l'esprit humain saisi chaque avenue ,
OVoltaire , sans cesse il faut donc te citer!
Envain Zoïle en gronde , il ne peut t'imíter.
Tu répands avec luxe , en rimes hasardées ,
Les bons mots , l'ironie , et les grandes idées ;
De tes vers séducteurs le pouvoir gracieux
T'assujétit les rois , et sut venger les cieux ;
La cour fut ton olympe , et , quand mûri par l'âge ,
Entre un lac et des monts tu bâtis un village ,
Du rien , qu'on nomme tout , alors désabusé ,
Tu ris en observant , Démocrite rusé.
Onditque dans ces vers où la raison éclate ,
Tes fougues ont jeté l'injure disparate ,
Que du sujet parfois l'intérêt suspendu
S'évanouit , blessé d'un trait inattendu ,
Que ta verve sceptique , et sublime et profane ,
APlaton trop souvent allie Aristophane ;
Mais qui sut mieux que toi , dans ce style inégal ,
Etre docte , enjoué , piquant , original?
LesAnciens , comme toi coupables de cynisme ,
Ne surpassèrent point ton brillant atticisine :
Un peud'ombre se mêle à l'éclat le plus beau.
Malgré tes vers jaloux , rapproché de Boileau
Viens avec lui t'asseoir aux pieds du sage Horace ,
Etpour le célébrer inspire-moi ta grâce.
Emule de Socrate , égayant la leçon ,
Parde malins détours il mène à la raison.
:
MARS 1813 . 437 1
Samusequi sejoue enprose mesurée ,
Sur des pieds indécis courant mal assurée ,
Charme par un air simple , et c'est un art de plus.
Il suit de nos erreurs le flux et le reflux ,
Et , pilote éclairé par son propre naufrage ,
Il reconnaît l'écueil et de loin voit l'orage ;
Il le fuit , ou le brave ; il cède aux tems , au lieu ,
Et place la vertu dans un juste milieu .
Le goût et le bon sens composèrent son livre ;
Horace enseigne l'art et d'écrire et de vivre (5) ,
TROISIÈME FRAGMENT .
J
Du Discours moral ( à l'occasion des discours de Pope et de Voltaire):
caractère et devoirs de la saine philosophie : du dogmatisme ; du
scepticismė ; nécessité de recourir à l'expérience ; bornes des connaissances
humaines ; contradictions de l'école. Que les vérités
premières sont démontrées par le sens commun ; que de toutes les
opinions il faut choisir l'opinion la plus favorable au bonheur , la
plus convenable à la dignité de l'homme .
Noble fille du Dieu qu'annonce l'univers
Osublime raison ,juste effroi des pervers ,
Al'homme en sa faiblesse apprends à se connaître ;
Du doute à la sagesse élève enfin son être ;
Sur la Vertu , docile aux règles du devoir ,
Etablis son bonheur et sur- tout son pouvoir
Oh ! combien tu frémis à l'aspect des ruines
Qu'entassaient follement les fureurs intestines !
Loin de les ébranler , tu soutiens les Etats .
Prends pitié du méchant qui ne te connaît pas !
Venge-toi de l'aveugle en ouvrant sa paupière
Aux célestes clartés de ta pure lumière !
De la sage raison vain et subtil rival ,
Le système , qui tourne en un cercle idéal ,
S'égare avec méthode , et cet amant du songe
Dans une vaste erreur et s'admire et se plonge.
(5) Ona conservé dans ces trois fragmens dix vers de la première
editio.n
438 MERCURE DE FRANCE ,
Hélas ! s'il a trompé ces sublimes esprits ,
Descartes , Mallebranche , et toi-même , ô Leibnitz ,
Craignons le vide orgueil du pompeux dogmatisme.
En fuyant évitons l'écueil du scepticisme ,
Et que l'expérience , un flambeau dans les mains ,
De ce grand labyrinthe enseigne les chemins .
1
Qu'est-ce que le savoir ? un lumineux fantôme.
Apeine je saisis , ambitieux atôme ,
Quelques anneaux épars du tout mystérieux ;
Le sommet de la chaine est eaché dans les cieux.
Comment de l'infini dévoiler le problême ?
Tout en nous est borné , les sens et l'esprit même.
Envainje vous consulte , ô Sages trop vantés :
Vos lumières ne sont que d'obscures clartés ;
Je lis dans vos discours , malgré leur assurance ,
L'orgueilleux désespoir d'une docte ignorance.
Sur les premières lois vous n'êtes pas d'accord ,
Et chacun à son tour prouve que l'autre à tort.
Il est des vérités d'un ordre nécessaire ,
Et dont le sentiment est le miroir sincère ,
Flamme que Dieu lui-même allume au sein de nous ,
Lumière irrésistible et qui brille pour tous ;
Tel est le sens moral , oeil de l'intelligence ;
C'est lui qui donne un but , un prix à l'existence :
Par l'effroi du néant il réfute Straton ,
Etd'immortalité s'enivre avec Platon ;
L'ame au fond d'elle-même , à cette voix divine ,
Trouva le souvenir de sa haute origine ,
Et , pleine des clartés du céleste flambeau ,
Connut l'accord sublime et du hon et du beau .
Magnanimes pensers ! doctrine généreuse !
Par vous la vie humaine est déjà plus heureuse.
Un consolant espoir sourit à ma douleur ,
Et je me réfugie en un monde meilleur.
Loin de nous l'insensé qu'un faux savoir dégrade ,
Un frivole Aristippe , un subtil Carnéade !
Al'homme révélons toute sa dignité.
Telle , dans la Vertu plaçant la volupté ,
MARS 1813 439
1
Desdieux se rapprocha cette secte immortelle
Quinomme avec orgueil Caton et Marc-Aurèle.
Mettez dans vos écrits la prudence du goût .
Lebel esprit n'est rien et le bon sens est tout.
" T
1.
Par M. CHAUSSARD , Prof.Acad. dans l'Univ . imp.
TRADUCTION DE MARTIAL .
ÉPIGR. XX , LIV. VIII.
Tu fais des vers et défens
Quejamais onles publie :
Paul , j'admire en même tems
Tasagesse et ta folie.
ÉPIGR . XVI , LIV. I.
Le passé nous a fui : l'avenir , on l'ignore :
L'un n'est déjà plus rien , l'autre n'est pas encore ;
Ne leur confions pas un bonheur incertain.
Jouissons du présent , la raison le conseille ,
Et vivons aujourd'hui , sans regretter la veille ,
Sans attendre le lendemain.
ÉNIGME .
DE CAZENOVE.
Je suis de haute ou de petite forme ,
Et l'on me voit toujours en uniforme :
Je ne sais si de toi je serai reconnu ,
* Lecteur ; mais j'ai déjà tant comparu ,
Et sous tes yeux je paraîs tant encore ,
Qu'en vérité si ton esprit m'ignore
Je n'y puis mais ; .... tantôt chez l'un ,
Tantôt chez l'autre , et tantôt chez chacun.
Si ma figure n'est pas vue ,
C'est que les regardans , sans doute , ont la berlue ;
Carplus que moi rien n'est commun.
191
S ........
44. MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 ,
LOGOGRIPHE
LICTEUR , des rois français je désignais la soeur ,
Etmaintenantje şais d'un très -grand Empereur
Qualifier l'illustre mère ;.
Mes fête et quene à bas je deviens ton grand père .
CHARADE .
V. B. (d'Agen. )
D'ÊTRE Grec mon premier se pique ;
Par son pouvoir presque magique ,
Tout ce qu'il touche il l'agrandit .
Mon dernier fut sans contredit
Très-bon soldat : en hydraulique ,
Géométrie et mécanique ,
Du Japon jusqu'au Sénégal.co
Mon entier n'eut jamais dd''éégal. T Γ
V. B. ( d'Agon. ). 1
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Mars :
Celui du Logogriphe est Tartare,dans lequél ón trouve : Tarare.
Çelui de la Charade est Corsaire.
31 [
داب
... SCIENCES ET ARTS.
TABLEAU MÉTHODIQUE DES ESPÈCES MINÉRALES. Seconde
partie , contenant : la Distribution méthodique des
espèces minérales , extraite du Tableau cristallographique
, publié par M. HAÜY en 1809 , leurs synonymies
française , allemande , italienne , espagnole et
anglaise , avec l'indication de leurs gisemens , auxquelles
on a joint la description abrégée de la collection
de minéraux du Muséum d'Histoire naturelle ,
+ et celle des espèces et des variétés observées depuis
1806 jusqu'en 18125 par J. A. H. Lucas , adjoint à
son père , garde des galeries du Muséum d'Histoire
naturelle et agent de l'Institut impérial de France ,
membre de plusieurs sociétés savantes. Imprimé avec
l'approbation de l'assemblée administrative des professeurs
du Muséum d'Histoire naturelle.-Deux vol.
in-8° , fig . - Prix, 15 fr. , et 18 fr. franc de port.
Tome I , pris séparément , 8 fr. , et 9 fr. 25 c. franc
de port. Tome II, pris séparément , 8 fr . , et 10 fr .
franc de port.- Paris , chez d'Hautel , libraire , rue
de la Harpe , nº 80 .
PARMI les causes qui ont contribué aux progrès de
l'Histoire naturelle , on peut compter l'influence qu'ont
eue sur cette étude , les collections formées dans le but
de réunir les productions de la nature. Sous ce rapport ,
les conquêtes d'Alexandre ont été utiles aux sciences
naturelles , en fournissant à Aristote les matériaux de
son immortel ouvrage de l'Histoire des animaux. En
homme supérieur , Alexandre jugea qu'il ne devait pas
se borner à faire recueillir les productions des pays qu'il
parcourait , mais qu'il fallait encore faire entreprendre
des voyages destinés à rassembler les productions des
contrées où il ne pouvait porter ses armes victorieuses .
Il fut donc le premier souverain qui mit de l'importance
442 MERCURE DE FRANCE ,
àformer des collections , ainsi qu'à des voyages dont le
seul but était de les augmenter (1) ; mais en favorisant
l'étude de la nature , ce conquérant ne pensait probable
ment pas à faire naître un chef-d'oeuvre qui lui survivrait
plus que la plupart de ses conquêtes .
Telle a été l'origine des collections d'Histoire naturelle
, et malgré le pas immense que ces collections avaient
fait faire à la science , on négligea bientôt ce moyen de
comparer et de vérifier les observations des voyageurs
etdes naturalistes . Eneffet , à l'exception de quelques
médecins , personne ne songea plus à réunir des collections
; aussi se borna-t-on à copier ou à commenter ,
sans trop les comprendre , les oeuvres du chef de l'école
péripatéticienne . 1
Parmi les modernes Apulée paraît avoir été le premier
qui ait eu l'idée de recueillir toutes les productions des
trois règnes , et cette idée fut trouvée si extravagante dans
le quatrième siècle où il vivait qu'on l'accusa de magie .
L'auteur si plaisant de l'Ane d'Or fut obligé de se défendre
et de s'armer de toute sa logique pour repousser
une accusation qui nous paraît aujourd'hui şi ridicule .
Cependant son exemple ne fut point perdu , et l'on vit
peu-à-peu se former des collections plus ou moins importantes.
On s'en occupa en Italie d'une manière particulière
, et probablement la découverte du Nouveau-
Monde et la vue d'une nouvelle création , contribuèrent
pour beaucoup à donner à l'étude de la nature une plus
grande impulsion. Peu-à-peu les souverains même mirent
une certaine gloire à fonder des Musées d'Histoire naturelle
, et àles enrichir , autant qu'il leur était possible ,
des diverses productions de la nature.
Si les collections avaient puissamment influé sur les
progrès de la science , le mode de conservation des
aal siol
14
!
(1 ) Il nous reste encore une relation très-curieuse de la navigation
de Néarque , un des capitaines d'Alexandre depuis l'embouchure
de l'Indus jusqu'à Babylone. Cette relation , mise en anglais par
William Vincent , a été traduite en français par M. Billecoq. Il est
à remarquer que Néarque et Pythéas sont les seuls parmi les anciens
qui aient fait sur l'Océan des voyages de quelqu'étendue .
и пород.
4
120
MARS 1813 . 443
att
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des
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ne
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es
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objets d'Histoire naturelle n'y a pas moins contribué.
Ainsi l'anatomie ne pouvait faire de grands progrès ,
sans la connaissance de l'art des préparations , ou de la
conservation des objets dans la liqueur. Cette science
n'a donc pu s'avancer que très-tard , car ces deux méthodes
n'ont été bien connues que depuis une époque
qui n'est pas bien reculée. Les anciens ne pouvaient
avoir qu'une idée bien imparfaite de ces méthodes de
conservation , car le verre était extrêmement rare chez
eux , et l'eau-de-vie , que les Arabes ont les premiers....
préparée , ne leur était pas connue. Quant à l'art du
desséchement, il ne leur était pas non plus très-familier,
et aussi se bornaient-ils à conserver quelques peaux
d'animaux. Ainsi Philippe fit préparer la peau de l'Aurochs
( Bos urus ) et les peaux des hommes prétendus
sauvages ( qui n'étaient que de grands individus du singe
chimpanzée ou le simia troglodytes ) , furent conservées
à Carthage avec tant de soin , que quoique tués 336 ans
avant l'ère vulgaire , les Romains les y trouvèrent encore
quand ils détruisirent cette ville (2) . Pausanias rapporte
que de son tems on voyait à Tégée la peau du
sanglier de Calydon (3) , et enfin la peau du serpent
tué par l'armée de Régulus , fut conservée à Rome
comme un des monumens les plus curieux. Tout l'art
du desséchement se bornait donc , chez les anciens , à
la conservation de quelques objets précieux , et comme
l'eau-de-vie et l'esprit-de-vin ne leur étaient pas connus ,
ils ne pouvaient conserver les cadavres qu'en les mettant
dans de la saumure ou dans du miel , ainsi qu'on le fit
pour les corps de Mithridate et d'Alexandre . Concluons
:
(2)Hannonis Periplus. Hage Comit . , pag. 77 , 1674 , trad. de
van Berkel .
K
(3) Les défenses et la peau du sanglier de Calydon furent consacrées
à Diane et suspendues dans le temple à Tégée. Auguste en
emporta les défenses à Rome ; l'une fut cassée , et l'autre suspendue
dans le temple de Bacchus , situé au milieu des jardins de César. La
peau resta dans le temple de la déesse à Tégée . Pausanias dit bien
que de son tems on l'y voyait encore , mais qu'elle était presquetoute
dépouillée de ses soies.
L
(
444 MERCURE DE FRANCE ,
de ces faits , que les anciens auraient beaucoup plus
profité , pour l'avantage des sciences naturelles , de la
facilité qu'ils paraissent avoir eu de réunir un grand
nombre d'animaux curieux , s'ils avaient connu les
moyens d'en conserver les dépouilles .
Les minéraux ne demandent point, comme les animaux
, des soins particuliers pour leur conservation , et
cependanton ne voit point que les anciens aient eu l'idée
d'en former des collections . Tout ce qu'ils avaient
recueilli en ce genre se bornait aux pierres précieuses
(et l'on sait à quel point les Romains ont poussé ce
luxe ) , ou bien aux pierres atmosphériques qu'ils regardèrent
comme sacrées (4). Cette vénération des
anciens pour les aérolithes semble prouvée par la statue
de la mère des Dieux , qui du tems de Scipion Nasica
fut transportée de Phrygie à Rome , et qui avait été
faite avec une pierre atmosphérique , ainsi que l'a
remarqué M. Biot. On conserva également , avec le
plus grand soin , d'autres aérolithes , et Plutarque , ainsi
que Pline , fontmention de celle qui était tombée àÆgos
Potamos , 462 ans avant notre ère. Ces collections partielles
étaient encore bien loin de celles que nous avons
formées avec méthode , et qui réunissent plutôt les productions
d'un véritable intérêt que celles dont nosyeux
sont agréablement frappés .
A mesure que l'art de former des collections a été
dirigé par de bons principes , les objets d'histoire naturelle
qu'on a recueillis ontpris un tel degré d'importance ,
que bientôt il a été nécessaire d'en dresser des catalogues
; mais ces catalogues sont devenus bientôt euxmêmes
des ouvrages utites à la science , à cause du
grand nombre de faits qu'ils renfermaient , et ils ont
(4) Il fant cependant remarquer que les anciens avaient fait de
grands travaux pour découvrir des carrières de marbre , de granit et
de porphyre , et rien n'égale la beauté et la grosseur des bloes qu'ils
ont employés avec une sorte de profusion dans leurs monumens. Ces
travauxn'ont pas été tout-à-fait inutiles à l'avancement de la science
et même à l'art des mines .
MARS 1813 . 445
PA
ןק
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100.
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cieu
20 :
118
on2
Var
ainsi contribué à avancer l'histoire naturelle particulière.
S'il fallait en donner des preuves , nous pourrions
enciter de nombreux exemples ; mais qu'il nous suffise ,
pour le moment, de parler de celui que M. Lucas vient
tout récemment de nous donner .
)
On sait que le nombre des minéraux s'est d'autant
plus accru que la science de la minéralogie a pris une
nouvelle importance , depuis qu'elle s'est appuyée et sur
la chimie et sur la structure des cristaux. Ainsi un guide
est devenu nécessaire pour se retrouver au milieu de
toutes les productions variées du règne minéral , surtout
lorsque ces productions sont réunies dans un même
lieu , comme dans le musée du Jardin des Plantes , de
Paris . M. Lucas a donc rendu un service essentiel à
ceux qui veulent étudier les collections de ce musée :
mais ajoutons encore que son ouvrage est utile sous le
rapport de la science elle-même. Déjà dans la première
partie de son Tableau méthodique des espèces minérales
il nous avait mis à même de connaître toutes les nouvelles
substances dont M. Haüy avait enrichi la science
3,20 depuis la publication de son Traité de Minéralogie.
Dans sa seconde partie , M. Lucas ne s'est point borné
ànous donner un catalogue raisonné des minéraux qui
se trouvent dans la collection du muséum , collection
que M. Haüy a tant contribué à rendre une des plus
belles de l'Europe ; mais il a joint à l'indication des
caractères des diverses substances , toutes les analyses
qui en ont été faites , ainsi que tout ce que l'on sait
d'essentiel sur leur gisement. Enfin l'auteur s'est nonseulement
attaché à éclaircir la synonymie des espèces
minerales , mais il a encore porté son attention sur la
synonymie bien plus difficile des variétés .
que
aver
AS
es
후
2
La seconde partie du Tableau méthodique des espèces
minérales , contient donc à-peu-près tout ce qu'il y a
d'important à savoir sur les diverses substances minérales
, et on peut la considérer comme un recueil trèsbien
fait de toutes les observations des géologues et des
voyageurs . Elle annonce beaucoup de recherches , et
par conséquent ne peut qu'en épargner un grandnombre
ceux qui s'occupent de minéralogie . Cette seconde
1
446 MERCURE DE FRANCE ,
1
:
partie est sur-tout nécessaire à tous les minéralogistes
qui ne sont point à portée des grandes bibliothèques , et
enfin les savans qui n'habitent point Paris , y verront
avec intérêt les observations que plusieurs professeurs
de la capitale n'ont encore fait connaître que dans leurs
cours . Pour rendre son ouvrage plus complet , M. Lucas
ne s'est point borné à rassembler toutes les observations
éparses dans les divers journaux scientifiques , mais il a
encore consulté tous les minéralogistes quí avaient fait
des remarques particulières sur telles ou telles espèces ,
et il nous fait part du résultat de leurs recherches après
s'être assuré de leur assentiment. C'est ainsi que cette
seconde partie renferme plusieurs observations encore
inédites de M. Haüy , ce qui donnerait déjà un grand
intérêt à un ouvrage , ainsi que diverses remarques de
MM. Faujas de Saint-Fond , Selb , et Héricart de Thury ,
dont les travaux ont été si utiles à la science .
Par la publication de la seconde partie de son Tableau
Méthodique , M. Lucas a encore rendu à la minéralogie
un service important. Tout le monde convient aujourd'hui
qu'une des causes qui a le plus contribué aux progrès
de la chimie , est la nomenclature uniforme qu'on
est parvenu à lui donner. Cette nomenclature , fondée
sur des principes simples , caractérisant les objets qu'elle
désigne , a rendu les démonstrations plus faciles à saisir,
et par cela même , la chimie a été plus cultivée qu'à
l'époque où son langage était hérissé de mots aussi barbares
qu'insignifians . M. Haüy , dont le nom doit toujours
être prononcé lorsqu'on veut parler des progrès de
la minéralogie , a également créé pour cette science un
langage fondé sur les mêmes principes , et qu'on désire
voir adopté dans toute l'Europe savante. Pour faciliter
aux étrangers l'intelligence de la nomenclature du savan
professeur de Paris , M. Lucas l'a fait connaître en
allemand , en italien , en espagnol , en anglais et en
latin. Ces traductions peuvent contribuer à rendre cette
nomenclature universelle : et puisse également le devenir
la méthode fondée sur la structure des minéraux , méthode
qui a placée la minéralogię au rang des sciences
1
MARS 1813 . 447
!
ef
exactes , et qui lui empêchera à jamais de faire unpas
en arrière !
Enfin M. Lucas a enrichi son ouvrage d'un petit
tableau d'orégnosie que nous devons à M. Tondi. Cet
essai offre quelques aperçus nouveaux ; mais l'on désirerait
que l'auteur eût adopté des noms plus conformes
au génie de notre langue . Une critique sévère pourrait
également remarquer quelques légères imperfections
dans l'ouvrage de M. Lucas , ce qui n'empêche point
qu'il ne soit écrit dans un style clair et précis ; mais pour
en faire juger le mérite , il nous aurait certainement
suffide faire connaître le jugement qu'en a porté M. Haüy.
<<Cet ouvrage , dit le savant professeur , offre l'ennsemble
de toutes les connaissances relatives à l'état
>> actuel de la minéralogie , que M. Lucas a recueillies
>> dans différens ouvrages et dans les cours publics de
>> cette partie .
>>Ce dernier volume , rédigé avec autant d'exactitude
>> que de soin , sera d'autant plus utile qu'on l'on y trouve
>> l'indication des minéraux qui composent la collection
» du Muséum , et que ceux qui l'auront à la main pour-
>> ront suivre avec fruit l'ordre qui y est établi . »
MARCEL de SERRES. :
है;
fi
2
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
OEUVRES COMPLETES DE MESDAMES DE LA FAYETTE , DE
TENCIN , DE FONTAINES ET ELIE DE BEAUMONT.
(TROISIÈME ARTICLE. )
OOEuvres de Madame DE FONTAINES , un vol. in-18 , et
deMme ELIE DE BEAUMONT , deux vol. in-18.-Paris ,
chez d'Hautel , libraire , rue de la Harpe , nº 80 .
DEUX romans fort courts , la Comtesse de Savoie et
Aménophis , composent toutes les oeuvres de Mme de Fontaines
; mais si elle a peu écrit , ce qu'on a d'elle prouve
un talent distingué , et fait regretter qu'elle n'ait pas suivi
le conseil que lui donnait Voltaire , de faire deux ou trois
ouvrages par an. La Comtesse de Savoie , le premier et
le meilleur de ses deux romans , est aussi connue que
la Princesse de Clèves dont il peut faire le pendant. Je
n'en donnerai donc pas une analyse qui n'apprendrait
aux lecteurs du Mercure que ce qu'ils savent déjà . Les
analyses que les journalistes sont obligés de faire , n'ont
d'intérêt qu'autant qu'il s'agit d'un ouvrage nouveau ,
ou d'un ouvrage auquel des circonstances ont empêché
d'obtenir le succès qu'il méritait ; hors ces cas , elles deviennent
inutiles. Un critique qui serait chargé d'annoncer
une nouvelle édition de Gilblas ou de la Nouvelle
Héloïse , n'aurait-il pas mauvaise grace d'analyser ces
deux romans que toute personne qui aime la lecture a
lus et relus plusieurs fois , et toujours avec un plaisir
nouveau ? Certainement on ne daignerait pas le lire , car
une analyse n'étant que le squelette de l'ouvrage analysé ,
elle devient inutile dès que l'ouvrage est universellement
connu , et que tout ce qu'on pouvait en dire l'a été plusieurs
fois . Cependant, lorsqu'il est peu intéressant d'examiner
l'ouvrage lui-même , on peut encore en faire l'histoire
, et rappeler les diverses anecdotes auxquelles il a
MERCURE DE FRANCE , MARS 1813. 449
S
,1
-
For
donné lieu. C'est la méthode que j'ai suivie en annonçant
les oeuvres de Mmes de La Fayette et de Tencin , et
c'est celle que je vais suivre pour Mme me de Fontaines
ensuite pour Mme Elie de Beaumont.
DE
LA SEIM
On a prétendu que Voltaire a eu quelque part
compositionde la Comtesse de Savoie. Cependant , si fon
fait attention qu'il avait à peine dix-sept ans lorsque le
roman fut composé, on conviendra que cela n'est guère
possible : il est vrai que , tout jeune qu'il était , Mme de
Fontaines lui lisait son ouvrage , qu'elle le soumettait à
ses observations critiques , à ses corrections , ou , comme
il le dit lui-même , à ses épilogues ; mais cela ne prouve
rien autre chose , sinon qu'il a fait quelques corrections
de détails , et que la part qu'on lui attribue dans la
Comtesse de Savoie , se borna à quelques observations
qu'il soumettait à l'auteur de ce joli roman , qui lui avait
confié son manuscrit.
1
Je crois devoir rapporter ici les vers que Voltaire a
adressés à Mme de Fontaines , parce qu'ils sontpeu connus .
Si en les lisant on sent que c'est un jeune homme qui
en est l'auteur , une foule de traits heureux et de pensées
ingénieuses font apercevoir que ce jeune homme est
Voltaire.
11
La Fayette et Ségrais , couple sublime et tendre ,
Lemodèle avant vous de nos galans écrits ,
Des Champs Elysiens , sur les alles des ris
Vinrent depuis peu dans Paris .
D'où ne viendrait- on point , Sapho , pour vous entendre ?
A vos genoux tous deux humiliés ,
Tous deux vaincus et pourtant pleins de joie ,
Ils mirent leur Zaïde aux pieds
Dela Comtesse de Savoie.
Ils avaient bien raison. Quel dieu ! charmant auteur ,
Quel dieu vous a donné ce langage enchanteur ,
1
!
3
:
+
5.以
cent
La force et la délicatesse ,
La simplicité , la noblesse
Que Fénélon seul avaitjoint,
Ce naturel aisé dont l'art n'approche point.
Sapho , qui ne croirait que l'Amour vous inspire ?
Mais vous vous contentez de vanter son empire ;
Ff
450 MERCURE DE FRANCE ;
i
1
دمحم
De Mendoce amoureux vous peignez le beaufeu,
Et la vertueuse faiblesse
D'une maîtresse ,
Qui lui fait en fuyant un si charmant aveu .
Ah ! pouvez-vous donner ces leçons de tendresse ,
Vous qui les pratiquez si peu ?
C'est ainsi que Marot sur sa lyre incrédule
Du dieu qu'il méconnut prôna la sainteté .
Vous avez pour l'Ainour aussi peu de scrupule :
Vous ne le servez point et vous l'avez chanté.
Adieu . Malgré mes épilogues ,
Puissiez -vous pourtant tous les ans
Me lire deux ou trois romans ,
Et taxer quatre synagogues !.
:
i
** Dans cette pièce de vers qui , malgré quelques négligences
, est fort jolie , Voltaire adopte l'opinion répandue
alors parmi les gens de lettres , que Ségrais avait eu
une grande part aux romans de Mme de La Fayette . On
aprouvé, en parlant des ouvrages de cette dame dans un
des Mercures précédens , que rien n'était plus faux. Voltaire
lui-même abandonna plus tard une opinion que
son goût si pur dut lui faire rejeter , lorsqu'il eut compáré
les ouvrages avoués par Ségrais et ceux qu'on voulait
bien lui attribuer .
Ces vers prouvént encore que Voltaire n'a eu d'autre
part à la Comtesse de Savoie que d'avoir donné à son
auteur quelques conseils , ssooiit pour la distribution
du plan et des idées , soit pour le développement des
situations , soit pour la correction du style. De semblables
conseils n'attribuent aucun droit sur la propriété
d'un ouvrage , sur-tout lorsque le conseiller s'est payé
eny empruntant le sujet de deux de ses tragédies .
La Comtesse de Savoie est remplie de situations extrêmement
intéressantes , mais toujours amenées et développées
avec un art infini , telle entr'autres celle dont
Voltaire parle dans ses vers lorsqu'il dit :
De Mendoce amoureux vous peignez le beau feu ,
Etla vertueuse faiblesse
D'une maîtresse
Qui lui fait en fuyant un si charmant aveu.
?
1
MARS 1813 . 45
Cette scène , sans contredit la plus intéressante du
roman de Mme de Fontaines , mérite bien qu'on s'y arrête
quelques instans ; cela rappellera d'ailleurs au plus
grand nombre de nos lecteurs le plaisir que la lecture
de la Comtesse de Savoie leur a fait éprouver, et donnera
à ceux qui ne l'auraient pas lue l'envie de la lire .
de
La soeur d'Edouard, roi d'Angleterre , épouse d'Odon ,
comte de Savoie , aime et est aimée de Mendoce ,
prince de la province de Murcie ; mais vertueuse et soumise
à ses devoirs , elle luttait avec courage pour éteindre
ou du moins pour cacher une passion qui faisait son
malheur . Mendoce lui-même , beau , bien fait , aimable ,
sensible et doué de toutes les qualités qui font les héros ,
était éperdument amoureux de la comtesse ; mais , timide
comme on l'est toujours dans les grandes passions ,
il n'osait faire un aveu au succès duquel son bonheur
était attaché. La comtesse , qui possédait le portrait de
Mendoce , que lui avait donné Dona Isabelle , soeur de
ce charmant chevalier, seule dans unbosquet de myrtes,
rêvait, en contemplant ce dangereux portrait , au moyen
d'éteindre l'amour dont elle était dominée .
FO
d
a
Mendoce , qui ignorait son bonheur , arriva près de
la comtesse , guidé par le hasard et par sa rêverie amoureuse
: celle- ci ne l'aperçut pas , et son amant eut le tems
de voir qu'elle tenait le portrait d'un jeune homme , sans
pouvoir cependant en reconnaître les traits . Egaré par
la jalousie , il lui adressa des reproches qui amenèrent
un aveu que , sans cette circonstance , il n'eût osé risquer
. « La comtesse s'était fait jusqu'alors une si grande
>>>violence pour cacher à Mendoce la tendresse qu'elle
>>> avait pour lui , qu'elle ne put se faire encore la cruelle
>> douleur de lui laisser penser qu'elle en ressentait pour
>> un autre ; toute sa raison l'abandonna , et par un
>> transport dont elle ne fut pas la maîtresse , elle tira de
>> sa poche le portrait , et le jetant aux pieds de ce
>> prince : Mendoce , lui dit- elle en le regardant avec
>> des yeux où sa passion était entièrement déclarée , ce
>> portrait vous fera connaître l'injustice de vos soupçons ;
>> si vous n'en croyez pas vos yeux , demandez à Dona
>> Isabelle , si vous devez en être jaloux. En achevant
Ff2
452 MERCURE DE FRANCE ,
\
>> ces mots , elle le quitta brusquement et courut pour
>> gagner son appartement ; elle y arriva comme une
>>personne éperdue et hors d'elle-même . >>>
On ne trouvera ici que l'esquisse de cette scène , que
Mme de Fontaines a tracée avec beaucoup de talent , et
qui est pleine de ces détails que le coeur seul d'une
femme peut inspirer ; la sensibilité n'est point dans les
mots , mais bien dans la situation . Le caractère de Mendoce
et celui de la comtesse contrastent sans aucun
effort et par l'effet seul des impressions qu'ils éprouvent ;
enfin la passion des deux amans abandonne par gradation
la contrainte dans laquelle leur raison la retenait, et
se trahit malgré eux par un double aveu que rien ne pouvait
retarder plus long-tems. Le mérite du style répond
à celui du sujet , et tout le roman est écrit du même ton
et de la même manière .
Voltaire , comme je viens de le dire , a tiré de la Comtesse
de Savoie le sujet de deux de ses tragédies . Celle
d'Artémire , dont on ne connaît que le plan , offre , aux
noms près , la même marche et les mêmes détails que le
roman de Mme de Fontaines . Au lieu de la Comtesse , le
poëte a mis Artémire , femme de Cassandre , roi deMacédoine
: le ministre Pallante , amoureux de la reine , et
qui veut la perdre parce qu'il n'a pu s'en faire aimer ,
rappelle le comte de Pancullier: le caractère de Philotas
qu'Artémire aime, a été tracé d'après celui de Mendoce ;
seulement , au dénouement , le poëte , qui ne pouvait
employer lejugement de Dieu , combat singulier que les
anciens n'ont pas connu , fait soulever le peuple par
Philotas , et le roi , ainsi que son ministre, périssent
dans cette insurrection . Mais un semblable sujet était
trop défectueux pour une tragédie ; celle de Voltaire
tomba , et l'on n'en a conservé que le rôle d'Artémire ,
dont la poésie est souvent digne de Racine , et qui avait
été fait pour le début d'une maîtresse de l'auteur que
lui-même dirigeait dans ses études sur l'art de la déclamation.
Au reste , pour se convaincre combien un sujet,
si défectueux pour une tragédie , était favorable pour un
roman , il suffira de lire celui de Mme de Fontaines .
Voltaire a également emprunté à la Comtesse de Savoie
t
a MARS 1813 . 453
UDN
CA
ada
it,e
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Com
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C
plusieurs idées pour sa tragédie de Tancrède . La Harpe
en fait l'observation dans son Cours de Littérature , mais
Ia situation de la comtesse a bien moins de rapports avec
celle d'Aménaïde qu'avec celle d'Artémire , et peut-être
même ces rapports viennent-ils de ce que Voltaire et
Mme de Fontaines ont tiré leurs sujets de l'épisode
d'Ariodant et de Genevre dans l'Orlando furioso .
Une chose cependant à observer au sujet de la Comtesse
de Savoie, c'est que l'auteur a non-seulement imité
quelques situations des divers romans de Mme de Lafayette
, mais trop souvent aussi la tournure de ses
phrases et les formes de son style . Mme de Lafayette est
sans doute un excellent modèle , cependant il fallait
mettre plus de discrétion dans ces imitations ; et d'ailleurs
, comme Mme de Fontaines a prouvé que , digne
rivale de celle qu'elle imita , elle pouvait l'égaler dans
l'art de tracer un caractère , de développer une situation
et d'écrire , c'est là ce qui fait remarquer ses imitations
trop fréquentes d'un excellent modèle , à côté duquel
elle ne s'élève que lorsqu'elle vent devenir modèle à son
tour , en créant des beautés qui n'appartiennent qu'à
elle.
Aménophis est le second roman de Mme de Fontaines,
mais il est bien inférieur au premier , quoique ce ne
soit pas l'ouvrage d'un talent vulgaire . Il règne en général
beaucoup trop de confusion dans les évènemens ,
et l'on ne sait pourquoi l'auteur a pris son sujet dans
l'histoire de je ne sais quelle reine de Lybie qui donna
le jour à sept jumeaux. Les charmes du style couvrent
au reste les défauts du plan et de l'exécution , et c'est
bien le cas de dire que la forme emporte le fond. La
lecture d'Aménophis m'a fait naître une observation qui
me paraît mériter l'attention des gens de lettres ; c'est que
toutes les fois que les romanciers choisissent leurs héros
dans l'antiquité , ils font des anachronismes moraux. En
effet , en rendant amoureux leurs personnages , ils peignent
toujours le moral de l'amour , tandis que les anciens
n'en connaissaient guères que le physique.
Les idées morales qui épurent la plus active des passions
se sont développées chez les modernes par une fré
454 MERCURE DE FRANCE ;
quentation plus habituelle des femmes . Chez les anciens;
au contraire , les deux sexes vivaient séparés , et tandis
que les enfans mâles , arrachés dès leur enfance à la sollicitude
maternelle , allaient fortifier leurs corps dans les
gymnases , et cultiver leur raison à l'école des philosophes
, les femmes ensevelies dans leur gynécée étaient , à
quelques prérogatives près , considérées comme des esclaves
. L'épouse servait son mari , la soeur son frère , et
les Grecs , auxquels il n'a manqué que l'influence des
femmes pour avoir atteint le dernier degré de la civilisation
, méconnurent toujours l'égalité naturelle des deux
sexes . Avec des institutions si contraires à la nature , il
était impossible qu'ils n'ignorassent pas le moral de
l'amour , car aussitôt qu'ils s'éveillaient au plaisir , c'est
aux pieds des courtisanes qu'ils allaient en prendre des
leçons , et ces habiles séductrices enflammaient leurs
sens sans rien dire à leur coeur . L'adolescent à qui l'accès
du gynécée était interdit, ne voyant pas d'autres femmes ,
ne pouvait au milieu de ses désirs connaître cette timidité
qu'inspire la beauté , que son innocence embellit du
coloris de la pudeur , et qui réprimant l'impétuosité des
sens fait naître cette mélancolie douce et pure , cette
sensibilité de l'ame et cette exaltation morale qui est le
principe du culte des femmes . Chez les modernes , le
coeur choisit une amante d'après les lois d'une sympathie
secrète qui établit des rapports entre elle et lui; les anciens
, au contraire , éteignaient dans les bras d'une belle
femme les désirs qu'elle avait fait naître .
Voilà ce qu'à l'exception de l'auteur des Voyages
d'Anténor , n'ont pas considéré ceux qui ont pris chez
les anciens les héros de leurs romans ; mais il est tems
de venir à ceux de Mme Elie de Beaumont , dont cette
discussion nous a écarté.
Le premier ouvrage de cette dame est la troisième
partie des Anecdotes de la cour d'Edouard, roman que
d'Argental laissa imparfait à la mort de Mme de Tencin
sa tante , sous le nom de laquelle les deux premières
parties ont paru . On sent bien en lisant cette continuation
qu'elle est d'une autre main , car , quel que soit le
mérite du style , il est inférieur à celui de d'Argental ;
MARS 1813 . 455
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mais Mme de Beaumont a , ce me semble , bien saisi l'esprit
et le ton de l'ouvrage qu'elle a continué ; elle a conservé
aux personnages le caractère que le premier auteur leur
avait donné , et la manière dont elle dénoue leurs aventures
est satisfaisante .
Mme Elie de Beaumont publia ensuite le Marquis de
Roselle, roman en lettres . On les lit avec plaisir quoique
l'auteur n'ait pas assez varié son style pour l'adapter
au caractère de ses personnages . Mademoiselle de Ferval ,
Mme de Newton , Mme de Saint-Sever , M. de Valville ,
Léonore , le marquis Juliette , etc. , arrivent tous de la
même manière ou à-peu -près . C'est-là un grand défaut ,
mais enfin il ne doit pas faire oublier que le roman de
Mme de Beaumont occupe un rang recommandable et
bien mérité dans notre littérature .
Plusieurs dames françaises et anglaises ont réussi dans
ce genre plus difficile à traiter qu'on ne pense , et les romans
qu'elles ont composés sont les meilleurs du second
ordre ; je dis du second ordre , car il ne faut pas les comparer
à Don Quichotte , à Gilblas , à Télémaque , à Clarisse
, à la Nouvelle Héloïse , à Manon Lescaut , à Candide
, à l'Ingénu , à Faublas , aux Souffrances de Werther,
à Paul et Virginie. Ces chefs-d'oeuvre occupent le
premier rang , chacun dans un genre différent. Mais au
second, les femmes disputent aux hommes les meilleures
places , et si l'Angleterre se glorifie de ses Burnet , de ses
Regina Roche , de ses Inchbald , de ses Radeclif, la
France peut lui opposer avec succès une Lafayette , une
Fontaines , une Riccoboni , et sur-tout Mme Cottin , enlevée
si jeune encore à l'amitié et aux lettres qu'elle a
cultivées avec tant de succès ; si une rivale jalouse a outragé
sa cendre encore si récente , les suffrages des littérateurs
ont couronné ses travaux en admirant ce pathétique
entraînant qui fait le charme des cinq romans qu'elle
nous a donnés . Les auteurs d'Adèle de Sénanges , de
Caroline de Lichtefield , de Valérie , etc. , dont l'heureuse
fécondité nous promet encore des jouissances égales à
celles qu'elles nous ont déjà procurées , augmentent la
brillante série que Mme de la Fayette a ouverte , et se
placent à côté de ce modèle.
۱
1
456 MERCURE DE FRANCE ,
L'éditeur de la collection que j'annonce y a joint
d'excellentes notices sur Mms de la Fayette , de Tencin ,
de Fontaines , et a passé sous silence M Elie de Beaumont
: je ne lui en fais point de reproche parce qu'on ne
sait rien sur cette dame , sinon qu'elle naquit à Caen , je
crois en 1730 , qu'elle se nommait Dumesnil Molin , et
qu'elle mourut à Paris en 1783. Elle avait épousé Elie
de Beaumont , avocat célèbre qui a fait un excellent mémoire
dans l'affaire des Calas . J. B. B. ROQUEFORT.
THEATRE DE L. B. PICARD , membre de l'Institut . Six
vol . in-8° . - Prix , 36fr. Chez Mame , imprimeurlibraire
, rue Pot-de-Fer.
(TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE. )
:
Le Conteur , joué en 1793 à la comédie française ,
est resté au théâtre où il se voit toujours avec plaisir. Le
ridicule du Conteur ne pouvait fournir seul la matière.
de trois actes . Aussi l'auteur a-t- il eu besoin de multiplier
les ressorts de l'action et les personnages . <<Si je
>> ne m'étais borné , observe- t-il très -bien , à faire
>> raconter à M. Duflos une seule petite historiette , qui
>>sait si le public n'aurait point éprouvé tout l'ennui ,
>> toute la fatigue que nous causent souvent , dans la
>>société , certains conteurs impitoyables qui s'obstinent
» à être exacts , cherchent les noms , hésitent sur les
>> dates , reviennent sur leurs pas , et nous promènent
>>jusqu'au dénouement d'une histoire , auquel ils n'ar
>> rivent pas toujours , à travers les redites , les épisodes
>> et les parenthèses ? >> C'est que , sur la scène , comme
dans le monde , il y a des manies qui sont plus insupportables
que certains vices. Ce mot de manie me conduit
à parler des Conjectures , la première comédie en
vers de M. Picard , et qui roule toute entière sur un de
ces travers de l'esprit. L'auteur ne se défend pas d'une
certaine prédilection pour cette pièce ; ce qu'il prouve
bien moins encore en disant : « J'aime mes Conjectures, >>..
qu'en cherchant à en excuser les défauts . Ce qui n'en
est pas un , mais plutôt une inadvertance occasionnés
MARS 1813. 457
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sans doute par les coupures faites à la pièce , c'est ce
que dit Prosper à Rigolot , dans la scène 17º du premier
acte , où il l'appelle : « Cher Barbier. >> Ce jeune étranger
admis dans la maison de Michel , ne connaît Rigolot
que comme un voisin de ses hôtes , mais dont il ignore
la profession , et il n'a pu l'apprendre ailleurs , puisqu'il
n'a quitté la scène que pour aller se reposer dans une
chambre voisine . Cette pièce , jouée en 1795 , fut suivie ,
la même année , des Amis de Collége : pièce où l'auteur,
comme il le dit lui-même , parla à l'ame de tous les
spectateurs . « Quel est l'homme qui n'a pas eu un ami
>>au collége .... ou à l'école ? » Aussi doit-on le croire
lorsqu'il ajoute qu'il n'a pas rencontré un de ses nombreux
camarades de collége qui ne l'ait félicité et presque
remercié de l'avoir faite . Dans les Conjectures , et plus
encore dans les Amis de Collége , on croit sentir l'influence
que dûrent avoir sur un jeune talent , tel que
celui de M. Picard , les succès brillans et mérités de
l'Inconstant , de l'Optimiste et des Châteaux en Espagne.
Ce sont , comme dans les pièces de Collin-Harleville ,
de légers travers plutôt que des vices , d'innocentes folies
plutôt que des ridicules . Les personnages sont de « ces
>> bonnes gens qu'on est assez heureux pour rencontrer
>> de tems en tems dans le monde , >> et dont l'imagination
de Collin fut peut-être un peu prodigue . Si , des sujets ,
on passe à l'exécution , on trouve même mélange de
comique et de sentiment , même emploi des teintes
douces ; moins de finesse de pinceau dans les deux
pièces de M. Picard , mais quelquefois aussi plus d'originalité
. Collin eût peint de couleurs plus nobles et plus
vives le jeune poëte des Amis de Collége ; mais il n'eût
peut- être pas trouvéles personnages du barbierRigolot et
du père Bonard , le vieux professeur de rhétorique.
Citerai-je maintenant ce que dit M. Picard dans sa
préface des Amis de Collége ? « Que ce fut à la repré-
>>sentation de cette pièce qu'il abtint , pour la première
>> fois , le suffrage de son ami Gollin-Harleville.>> Ne
vais-je pas , par cette citation , perdre tout l'honneur du
petit parallèle que j'avais cru pouvoir établir entre ces
deux comiques ? Ce suffrage de Collin ne peut-il pas 2
458 MERCURE DE FRANCE ;
en effet , passer pour l'aveu d'une imitation assez heureuse
de sa manière ? et ne dira-t-on pas que c'est-là ce
qui m'a fait chercher des rapports entre lui et M. Picard?
Quoi qu'il en soit et quelque sûreté qu'il y eût pour
celui- ci à suivre les traces d'un homme qui venait de ramener
le bon goût de la comédie , on le voit bientôt ,
s'abandonnant à son propre talent , marcher dans une
route nouvelle avec plus de hardiesse et de liberté. Le
premier fruit de cette confiance en ses forces , fut une
comédie de moeurs , Médiocre et Rampant. Un mot de
Figaro : Médiocre et rampant , et l'on arrive à tout , »
lui fournit l'épigraphe et le sujet.
Nous avons déjà vu quelles difficultés attendaient
M. Picard à l'entrée de cette carrière. « Les moeurs
>> changeaient dans la société, dit-il encore ; j'essayais de
>> peindre celles du jour dans la pièce queje composais . >>>
Cette inconstance et cette mobilitédes usages et des moeurs
pourraient servir à justifier M. Picard de la précipitation
à composer , dont on lui a fait un reproche . Qu'on
se figure une pièce où auraient été peintes ces moeurs
fugitives , portée à la comédie française , reçue avec
les formalités d'usage , et que n'auraient pas déjà recommandée
quelques succès de son auteur ; enfermée
dans les cartons de la comédie , pour y attendre , à la
suite de douze ou quinze autres , son tour d'être jouée , elle
en sort enfin , après un sommeil de deux ou trois ans ,
sommeil relativement plus long que celui d'Epimenide ;
combien , dans cet intervalle , les choses ont change !
La moitié des spectateurs sourit froidement et de souvenir
à ces vieilles peintures ; les autres demandent où
est la vérité de ce tableau. Plus heureux , M. Picard a
du moins été joué en tems utile; du reste , les moeurs
qu'il a peintes n'existent plus. « Ma pièce a veilli avant
>>>>moi , >> dit- il ingénieusement à propos de Médiocre et
Rampant. Puis rappelant ce qui existait au moment où
il la donna , il ajoute :
<<En 1797 , la France était gouvernée par le Direc-
>>>toire . Un ministre n'avait pas le titre d'Excellence. On
>>>commençait à ne plus l'appeler citoyen ; mais on ne
>> l'appelait pas encore Monseigneur. Non-seulement les
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>> employés de son ministère , mais encore les plus petits
>> bourgeois arrivaient à lui facilement , lui parlaient
>> familièrement ..... Au milieu du trouble et de la
>> confusion , un homme médiocre et rampant , comme
>> mon Dorival , avait l'espérance d'arriver aux pre-
>> mières places de l'Etat , sans autres moyens que l'in-
>> trigue et la flatterie .>>>
C'était pourtant un commencement de retour à l'ordre
qu'un état de choses dans lequel la médiocrité ne parvenait
plus qu'en rampant. Deux ans plus tôt , le premier
commis d'un ministre , aussi médiocre que Dorival ,
pouvait n'être pas rampant . C'eût êté un homme porté
là par la faveur populaire , couvrant sa nullité par l'exagération
de ses principes , menaçant de son civisme quiconque
était au-dessus de lui , et devant qui le ministre
lui-même eût peut-être tremblé. L'époque choisie par
M. Picard était donc déjà plus propre à faire ressortir
le caractère qu'il voulait peindre. Cependant la pièce
conserve encore des impressions trop récentes du régime
de l'égalilé et de cette simplicité de moeurs que
trois ans de révolution avaient nécessairement introduite .
C'est un ministre , homme simple et affable , qui dit :
Pour nous connaître mieux ,
Chez moi venez souper aujourd'hui tous les deux ;
Nous aurons une aimable et bonne compagnie ,
Mes parens , mes amis , gens sans cérémonie
Ma mère , à qui mon rang n'a pas donné d'orgueil .
:
Ce sont ces détails , vrais à l'époque où écrivait
M. Picard , qui blessent aujourd'hui nos yeux accoutumés
à plus de grandeur et de représentation , et qui
nous semblent retrécir son tableau . Le sublime de la
bassesse est le mot du comte d'Argenson , qui disait :
« Mes ennemis ont beau faire , ils ne me culbuteront
>> pas ; il n'y a ici personne plus valet que moi . » Mais
ce mot demande un grand théâtre . Combien l'auteur eût
gagné à attendre quelques années de plus ! il eût pu représenter
l'homme médiocre , remis par la force des
choses à sa place , et , partant encore de plus bas , obligé
par conséquent à redoubler d'efforts , non plus seulement
460 MERCURE DE FRANCE ,
le lâche complaisant de quelques faiblesses , mais abject
et d'autant plus rampant que l'autorité , devenue moins
accessible , serait environnée de plus d'éclat. Je sens
qu'il ne doit pas être aisé d'entreprendre un sujet déjà
traité par M. Picard. Celui de Médiocre et Rampant me
paraît cependant susceptible de nouveaux développemens
et mériter l'attention de nos poëtes comiques .
,
L'Entrée dans le Monde est encore une de ces comédies
de moeurs , dont le fond sera éternellement vrai ,
mais dont les accessoires ont changé. La jeunesse sera
encore long-tems crédule , confiante , facile à se laisser
entraîner au vice ; les vicieux changeront encore de
masques et d'habits . On a reproché à M. Picard l'immoralité
de ses personnages ; c'est lui qui , bien mieux que
l'auteur des Liaisons Dangereuses , pourrait répondre à
ce reproche par une application détournée de cette épigraphe
de la Nouvelle Héloïse : « J'ai vu les moeurs de
» mon siècle . >> Personne, au surplus ne paraît avoir
mieux senti que lui-même le vice du sujet : « Sujet bien
>> vaste , dit- il , ou plutôt bien vague. >> J'ajouterais , et
que semble réclamer le roman critique , plus que la comédie.
Après être tombé d'accord avec lui de quelques
autres défauts dans la fable de sa pièce , il fautbien lui
accorder qu'on trouvera de la force comique dans les
caractères de Mme Saint-Allard et de Dablanville , et particulièrement
dans la scène où celui-ci , voyant Mme
Saint-Allard démasquée , l'abandonne , et rend de luimême
à Terigny le dédit qu'il lui a fait signer ; moyen
comique , qui seul renouerait l'intrigue , s'il ne contribuait
à la péripétie. On reconnaîtra enfin qu'un intérêt
doux et tendre anime les scènes entre Fabrice , sa soeur
et leur jeune ami .
Le Collatéral est peut-être la pièce où M. Picard a
développé le plus de talent pour la comédie d'intrigue ,
non pas celle qui
D'un divertissement nous fait une fatigue ,
mais bien cette peinture d'une action vive et comique,
dont les fils , légèrement embrouillés , semblent
toujours prêts à se rompre , et finissent par se démêler
MARS 1813 . 46r
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d'eux-mêmes et sans effort. Ici M. Picard semble se jouer
de la difficulté , et comme si c'était trop pour lui de ces
vingt-quatre heures dont Aristote a fait une règle si
sévère , il lui fait remise de la moitié , et ne lui demande,
pour commencer et mettre à fin son action , que le tems
accordé par la diligence au repos des voyageurs .
Je serais tenté de regarder le MariAmbitieux comme
la meilleure comédie en vers de M. Picard ; elle me
paraît la mieux écrite de toutes , si j'en excepte les Capitulations
de Conscience. Je me fonde sur ce que dit , à
propos d'une autre pièce , M. Picard lui-même : « Que
>> c'est sur-tout dans les scènes sans intérêt , ( et dans
>> quel ouvrage nes'en trouve-t-il pas ?) qu'il sent ses vers
> d'une faiblesse désespérante. >> Or , la comédie du
MariAmbitieux écrite presqu'en entier d'un style ferme ,
et qui quelquefois n'est pas sans éclat , pourrait bien
devoir cet avantage au mérite d'une fable généralement
mieux conçue et d'un caractère mieux développé. Le
personnage de Duplessis , le beau-père de l'ambitieux
me paraît sur- tout une heureuse conception. Il y a tel
couplet de ce rôle et de celui de Mme Cléon qui ferait
honneur à nos meilleurs écrivains en vers. Du reste ,
cette pièce , ainsi que Duhautcours , sont de celles qui ont
mérité de fixer l'attention du premier corps littéraire de
France. Elles ont paru toutes deux avec distinction
parmi les ouvrages qui , pendant un espace de dix années ,
ont honoré la littérature française , et entre lesquels
l'Académie a été appelée à prononcer ; espèce de lice
où il a été glorieux même d'être vaincu . M. Picard
s'associa , pour la composition de Duhautcours , avec un
ami , homme d'esprit , dont cette association ne sera pas
le moindre titre littéraire , et qui y a de plus trouvé l'occasion
d'honorer son caractère , en repoussant , par une
déclaration publique , des insinuations qui n'allaient à
rien moins qu'à contester le droit de M. Picard à la propriété
de cette comédie . On pourrait citer à la gloire des
lettres et de ceux qui les cultivent de nos jours , plusieurs
exemples , soit de talens mis en commun, et dont aucun
n'a jamais voulu prétendre de supériorité sur l'autre , soit
d'amis à qui l'on a voulu faire indiscrétement honneur
462 MERCURE DE FRANCE ,
des ouvrages de leurs amis , et qui ont répondu à ces
douces perfidies par une franchise brutale et des désaveux
publics , au lieu d'autoriser ces bruits par leur
silence , ou en s'en défendant mollement , comme avaient
fait l'abbé de Voisenon et le gascon Palaprat .
<<Voici ma pièce favorite , et c'est de toutes mes
>> pièces celle où je trouve moi-même les plus grands
>> défauts ; mais je crois que c'est aussi celle qui annonce
>> le plus de talent pour la comédie. » Le lecteur a déjà
deviné que M. Picard parle ici de sa Petite Ville. C'est
tout ce que nous dirons de cette comédie que tout le
mondesait par coeur, dont presque tous les personnages
sont devenus des types d'originaux , et le hobereau
Rifflard , et le processif Vernon , et la coquette de province
Mme de Senneville, et la bourgeoise Me Guibert ,
etutti quanti.
La Grande Ville , ou les Provinciaux à Paris , sont
une erreur d'un homme d'esprit ; c'est une pièce défectueuse
qu'il n'appartenait pas à tout le monde de faire.
Ondirait que quelque malin provincial à qui M. Picard
aurait jeté la pierre dans la Petite Ville , lui a conseillé ,
comme certain personnage de la fable , d'en prendre une
autre et de la jeter à la grande ville en lui promettant le
double du succès : la vengeance aurait été à-peu-près
lamême .
Nous ne ferons que citer ici les Trois Maris , la Noce
sans Mariage, les Tracasseries , et les Filles à Marier,
pièces où se retrouvent à un degré plus ou moins éminent
les qualités constitutives du talent de l'auteur , l'esprit
, la gaieté et le naturel ; nous passerons tout d'un
coup aux Marionnettes, l'une des comédies de M. Picard ,
dont le succès a été le plus brillant et dans laquelle il paraît
avoir cherché une nouvelle source de comique . Cette
pièce paraît en effet plus fortement teinte qu'aucune
autre de la couleur philosophique. Ce ne sont plus seulement
des ridicules passagers , des travers apparens ,
des vices , pour ainsi dire , extérieurs , que l'auteur se
propose de peindre ; c'est dans les replis du coeur humain
qu'il va prendre son sujet. Il suit le précepte d'Horace
qui recommande la lecture des philosophes .
Rem tibi Socraticæ poterunt ostendere chartæ.
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Cependant quelques personnes en voyant M. Picard
s'engager sur les pas de Montaigne et de La Bruyère ,
dans les profondeurs du coeur humain, parurent effrayées
de la clarté qu'il jetait sur cet abîme. « Votre pièce est
>> bien vraie , lui dit-on , mais elle est bien affligeante
>>pour l'humanité . » M. Picard répond dans sa préface
à ces reproches : « Ne vous affligez pas , et si vous trou-
>> vez ma pièce bonne , venez-y prendre une leçon d'in-
>> dulgence pour autrui , une leçon de sévérité pour
» vous-même . »
<< Eh mon Dieu ! dit-il en finissant , voilà une préface
>> bien remplie d'éloges. Je ne m'y accuse de rien. Je
>>vante beaucoup de choses , et je cherche à répondre à
>> toutes les critiques . Que le lecteur me le pardonne ; je
>> fus enivré du succès de cette pièce comme mon maître
>> d'école est enivré de sa fortune . Je crois n'avoir été ni
>> fier , ni insolent. Cependant , en relisant mes notes , je
>> trouve à la date des premières représentations de cette
» comédie ces mots bien écrits de ma main : Ne suis-je
>> pas une vraie marionnette ? Je n'en rougis pas ; je n'ai
>>pas prétendu m'excepter. >>>
L'analogie, bien plus que l'ordre chronologique, nous
engage à placer après les Marionnettes , les Capitulations
de Conscience , comédie en cinq actes et en vers , dont le
sujet est encore pris dans les faiblesses du coeur humain ,
communes à tous les hommes . On s'est beaucoup récrié
contre l'immoralité de cette pièce. Le public parut ne
pouvoir supporter la vue d'un homme qui hésitait pendant
deux heures à rendre un portefeuille qu'il avait
trouvé , et proscrivit impitoyablement l'ouvrage. L'auteur
aurait pu se consoler de cette mésaventure et rendre
grâce aux Dieux , en pensant qu'il y avait encore tant
d'hommes délicats , que révoltait la seule idée d'une capitulation
avec l'honneur. Il n'était cependant pas sans
exemple de voir au théâtre des hommes probes à qui des
circonstances bien moins adroitement ménagées causent
un de ces momens d'éblouissement dont le plus vil intérêt
profite quelquefois pour mettre en problême ce qui
est de devoir. Un des plus beaux caractères d'honnête
homme qu'il y ait sur la scène , est sans contredit le Pro-
;
464 MERCURE DE FRANCE ,
cureur arbitre. Cependant , lorsque les deux vieillards
viennent se débattre devant lui à qui n'aura pas un trésor
que chacun soutient appartenir à l'autre , et que le procureur
les a décidés à le donner à des infortunés , l'auteur
n'a pas craint de le représenter hésitant dans l'exécu
tion de ce projet .
Endispersant ce bien à tous les malheureux ,
Parma foi , ce sera peu de chose pour eux ;
Ilsn'auront pas chacun une obole peut-être ,
Et c'est cent mille francs jetés par la fenêtre .
Cet argent répandu sur tant et tant de gens ,
Loin de les enrichir ferait mille indigens ;
Etque toutes ces parts soient réduites en une ,
D'un seul homme à l'instant elle fait la fortune ,
Même sans se donner le moindre mouvement.
Cette réflexion me plait infiniment ,
Et coule dans mes sens .... Mais quelle erreur extrême !
Que dis-je , malheureux !
:
Dans un tems où l'on était moins sévère sur la probité
, ces hésitations d'Ariste n'avaient rien dont le spéctateur
s'offensât .
Cette pièce des Capitulations de Conscience , que le
public traita avec tant de rigueur , avait été refaite trois
fois par M. Picard , avant qu'il l'eût jugé digne de la représentation.
Il ne faut donc pas s'étonner de le voir défendre
avec quelque chaleur un ouvrage auquel il avait
donné tant de soins , et en appeler
Du parterre en tumulte au lecteur attentif.
On retrouve cependant , même dans sa défense , le ton
de candeur et de bonne-foi qui plaît tant dans ses autres
examens. Si , dans la partie apologétique , il trouve que
<<l'action est simple et bien graduée , que le caractère
>>de Probincour est vrai et malheureusement trop com-
> mun dans la société, » il convient aussi que la pièce
>> devrait avoir un plus grand intérêt oti un comique plus
>>prononcé ; que le troisième acte dégénère en discus-
>> sion en controverse ; que le jeune homme y joue
>>trop le rôle d'un raisonneur; qu'il y a des entrées
>> brusques et multipliées dans le quatrième acte; que
,
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>> Descobard est peut-être sans modèle dans lemonde.LA
>> Quand , dit- il , il ne reste plus guère de casuistes
>> parmi les théologiens , comment y en aurait parmi
les procureurs ?>>
Il serait possible de défendre le personnage de Des
cobard contre M. Picard lui-même , devant des juges
tant soit peu instruits des querelles qui divisèrenlt'eclise
dans le milieu du 17º siècle , et qui auraient appris a
connaître dans les Provinciales , le casuiste Escobar
nom que Pascal a rendu aüssi comique que Molière
ceux de Tartuffe et d'Harpagon .
Les Capitulations sont, de toutes les pièces en vers de
M. Picard , celle où il a incontestablement montré le plus
de talent comme écrivain . Rien que sous le rapport du
style , elle justifierait le choix que l'Académie avait fait
peu auparavant de l'auteur pour réparer une de ses
pertes . Elle en a fait depuis de nouvelles , et a trouvé
deux fois à se recruter honorablement parmi nos poëtes
comiques ; autant de fois le public lui en a témoigné
son assentiment , et a paru regarder ces choix comme
les meilleurs qu'elle pût faire .
La pièce des Capitulations n'ayant encore été imprimée
que dans le théâtre de M. Picard , et ayant eu par conséquent
moins de lecteurs que les autres , nous voudrions
justifier par quelques citations le bien que nous avons
dit du style ; nous n'éprouvons en cette circonstance
que l'embarras du choix ; nous nous arrêtons toutefois à
ce couplet du fils de Probincour :
;
Par une bouche adroite , ainsi quand elle passe ,
L'horreur d'une action s'atténue et s'efface :
Il vaudrait mieux , je crois , sur ces points délicats ,
Prendre pour conseillers de bien francs scélérats ,
Que ces hommes douteux , commodes et flexibles ,
Dont l'ame aux sentimens les plus incompatibles
Et se prête et se plie avec facilité .
Des conseils de ceux-là vous seriez révolté ,
Car ils prêchent le mal avec effronterie.
Bien munis d'argumens, couverts d'hypocrisie ,
Ceux-ci vous meneront par un chemin plus doux ,
Au dessein de garder ce qui n'est pas à vous.
Gg
1
>
466 1 MERCURE DE FRANCE ,
:
少
C'est peu que pour leur compte ils aient deux consciences ,
Aux autres de bien faire ils donnent des dispenses ,
D'autant plús dangereux , qu'en léur perversité ,
Ils se font fanfarons encor de probité . A
Il faudrait pouvoir citer toute cette scène , ainsi que la
troisième du 3º acte , dans laquelle Descobard , consulté
sur l'emploi d'un trésor trouvé , étale tous les sophismes
de la mauvaise foi .
PROBINCOUR
Apeu de chose près ,
Tels qu'ils se sont passés , Monsieur , voici les faits .
Quelqu'un trouve un trésor en un lieu solitaire.
Ah!
4
1 Ah!
DESCOBARD .
Mme PROBINCOUR .
Nul renseignement sur le propriétaire.
DESCOBARD .
Mme PROBINCOUR .
Un forte somme en papier excellent .
DESCOBARD .
Et qui trouve cela ? Vous ?
PROBINCOUR .
Non, notreparent.
DESCOBARD .
Il est des gens heureux .
Les Capitulations de Conscience nous ont fait laisser
en arrière la Manie de briller, l'une des plus jolies comédies
de M. Picard , et où il attaque un des travers les
plus communs. Il n'a peut- être jamais allié avec plus de
bonheur , que dans cette pièce , l'intérêt au comique ;
j'entends cet intérêt doux qui naît de sentimens bons et
honnêtes .
La Vieille Tante et l'Alcade de Molorédo sont les
deux derniers grands ouvrages de M. Picard. Tous deux
ont eu beaucoup de succès , et ce succès se soutient
encore. L'Alcade joint au mérite de l'intrigue la plus
vive et la plus amusante , le développement d'un caractère
original et comique. Il y a peu d'expositions aussi
gaies et aussi plaisantes .
C'est sur-tout en terminant cette analyse ou plutôt
MARS 1813. 467
0:
cette nomenclature des pièces composant le recueil de
M. Picard, que nous sentons avec peine ce qui manque
d'autorité à notre critique. Comment , en effet , donner
pour règle du plaisir des autres le plaisir que nous a fait
éprouver la lecture de son théâtre ? La gaîté franche , le
naturel et la vérité sont-ils à jamais sûrs de plaire ?
LANDRIEUX.
:
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POLITIQUE.
Le ministre de l'intérieur , accompagné de MM. les
conseillers-d'état comtes La Valetteet Molé , a présenté
au Corps -Législatif , dans sa séance du 25 février , l'exposé
de la situation de l'Empire. Toutes les sessions du Corps-
Législatif sont ouvertes par cette utile communication ,
mais aucune des années précédentes n'en a offert une aussi
étendue , aussi détaillée , aussi importante , aussi satisfaisante
dans tous ses résultats . L'Empire y est considéré dans
l'ensemble de sa richesse territoriale , agricole , commerciale
, industrielle , et le vaste aperçu que présente cet
ensemble est , en quelque sorte , éclairé par les détails
clairs et précis qui l'accompagnent. Ce travail est le plus
beau monument que l'administration de l'Empire ait pu
⚫élever à la gloire de son auguste chef : les anciens Français
yverront ce quelleessacquisitions faites par la victoire
ont apporté d'accroissement à leur prospérité ; les départemens
réunis , ce que leur situation nouvelle , l'avantage
d'une législation uniforme et d'une protection puissante
ajoutent au développement de leurs moyens ; l'étrangery
calculera les inépuisables ressources de ce vaste Empire ,
et ne s'en fera une juste idée qu'en les mesurant sur le
* dévouement de ses habitans et leur attachement inviolable
an prince qui règue glorieusement sur eux.
९
2
L'exposé de a situation de l'Empire a déjà obtenu une
publicité égale à son importance ; de nombreux tableaux
l'accompagnent et sont journellement publiés par le Moniteur
dans des feuilles supplémentaires. Nous essayerons ,
dans une analyse aussi rapide que l'exige le cadre où nous
sommes renfermés , de ne faire perdre au lecteur aucune
notion essentielle , aucun résultat important .
Le ministre a commencé par donner une idée générale
Gg 2
468 MERCURE DE FRANCE ,
1
des améliorations en tout genre dont il allait présenter le
tableau .
Vous verrez avec satisfaction , Messieurs , a-t-il dit , que
malgré les grandes armées que l'état de guerre maritime et
continentale oblige de tenir sur pied , la population a continué
de s'accroître ; que notre industrie a fait de nouveaux
progrès ; que jamais les terres n'ont été mieux cultivées ,
les manufactures plus florissantes ; qu'à aucune époque de
notre histoire la richesse n'a été plus répandue dans les
diverses classes de la société.
Le simple cultivateur aujourd'hui connaît les jouissances
qui lui furent jusqu'à présent étrangères ; il achète au plus
haut prix les terres qui sont à sa convenance ; ses vêtemens
sont meilleurs , sa nourriture est plus abondante et plus
substantielle ; il reconstruit ses maisons plus commodes et
plus solides.
,
Les nouveaux procédés dans l'agriculture , dans l'industrie
, dans les arts utiles , ne sont plus repoussés , par cela
même qu'ils sont nouveaux. Par-tout on tente des essais
et ce que l'expérience démontre préférable , est utilement
substitué aux anciennes routines . Les prairies artificielles
se sont multipliées ; le système des jachères s'abandonne ;
des assolemens mieux entendus , de nouvelles cultures
augmentent le produit de nos terres ; les bestiaux se multiplient
; les races s'améliorent ; de simples laboureurs ont
acquis les moyens de se procurer à de hauts prix les béliers
de race espagnole , les étalons de nos meilleures espèces
de chevaux ; éclairés sur leurs vrais intérêts , ils n'hésitent
pas à faire ces utiles achats. Ainsi les besoins de nos manufactures
, de notre agriculture et de nos armées sont-ils
chaque jour mieux assurés .
Ce degré de prospérité est dû aux lois libérales qui régissent
ce grand Empire , à la suppression de la féodalité ,
des dîmes , des mains-mortes, des ordres monastiques ,
suppression qui a constitué ou affranchi ce grand nombre
de propriétés particulières , aujourd'hui le patrimoine libre
'd'une multitude de familles jadis prolétaires ; il est dû à
l'égalité des partages , à la clarté et à la simplification des
lois sur la propriété et sur les hypothèques , à la promptitude
avec laquelle sont jugés les procès dont le nombre
décroît chaque jour : c'est à ces mêmes causes et à l'influence
de la vaccine que l'on doit attribuer l'accroissement
de la population. Et pourquoi ne dirions-nous pas que la
conscription elle même , qui , chaque année , fait passer
MARS 1813 . 469
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sous nos drapeaux l'élite de notre jeunesse , a contribué
à cet accroissement en multipliant le nombre des mariages ,
en les favorisant , parce qu'ils fixent pour toujours le sort
du jeune Français qui , une première fois , a obéi à la loi ?
La population de la France était , en 1789 , de 26,000,000
d'individus ; quelques personnes réduisaient même leurs
calculs à 25,000,000 . La population actuelle de l'Empire
est de 42,700,000 ames , dont 28,700,000 pour les départemens
de l'ancienne France . Cette population n'est pas le
résultat de simples conjectures , mais de recensemens exacts ,
c'est une augmentation de 2,500,000 ou de près d'un
dixième depuis 24 ans .
La France par l'étendue , par la fertilité de son sol , doit
être considérée comme un Etat essentiellement agricole.
Cependant elle a dû long- tems recourir à ses voisins pour
fournir à plusieurs de ses besoins principaux. Elle s'est
presqu'entièrement affranchie de cette nécessité.
Nos produits en céréales se sont donc accrus d'un
dixième .
En 1789 , la France avait tiré des pays qui sont aujourd'hui
pour nous l'étranger , pour une valeur de 70 millions
de grains , et en 1812 , année où la disette devait être bien
plus sensible , la récolte de 1811 ayant été incomparablement
plus mauvaise que celle de 1788 , nous n'avons tiré
du dehors que pour 18 millions de grains . Cependant si la
cherté a été grande , le besoin réel s'est fait beaucoup moins
sentir qu'en 1789 .
Le Gouverneinent n'a rien négligé pour rendre moins
pénibles les suites de la mauvaise récolte de 1811 .
Les dépenses de ses opérations , à cet égard , n'ont pas
excédé 40,000,000 fr. dont la moitié a été employée à
donner des secours individuels en subsistances à la classe
la moins aisée du peuple .
Après les blés , la principale production de notre sol est
le vin.
La France produit , année moyenne , 40 millions d'hectolitres
de vin .
L'on reconnaît tous les progrès qu'a faits ce genre de
culture , lorsque l'on compare l'année moyenne des exportations
avant la révolution et depuis dix ans , et la consom-.
mation intérieure à ces deux époques .
Huit millions d'hectares en bois et forêts , outre les arbres
épars , assurent à la France ses besoins en combustible et
en bois de construction . Des recensemens faits avec soin
:
1
470 MERCURE DE FRANCE ; )
1
dans toutes nos forêts , ont prouvé que nous avions sur pied
- en hautes futaies , bordures ou baliveaux , de quoi cons-.
truire plusieurs milliers de vaisseaux de guerre . Un million
huit cent mille hectares de ces bois appartiennent à des)
particuliers; le reste appartient à l'Etat et aux communes.
Le revenu annuel des bois est de 100,000,000 . L'ordre est
rétabli dans cette branche de notre agriculture .
Après avoir parlé de nos plus importantes productions
végétales , les soies fixent l'attention du Ministre . Tout .
est à nous on au royaume d'Italie dans cette matière précieuse
, production première et fabrication : la France seule
et l'Italie possèdent en Europe des soies en quantité de
quelqu'importance ; et pour la qualité ces soies sont préférables
à toutes celles connues .
, La matière première , les cocons sont pour les deux
Etats un produit annuel de 70,000,000 , dans lequel la
France est comprise pour 30 millions .
Notre récolte moyenne est de 22 millions de livres pesant
de cocons .
Celle d'Italie est de 30 millions de livres .
Trente-cinq millions de moutons nous donnent 120 millions
de livres pesant de laine , dont 9 millions sont en
laine fine ou perfectionnée . C'est un produit brut de 129mil.
L'exécution du système qui , par-tout où l'industrie particulière
ne saurait agir assez efficacement , met à la portée
des cultivateurs des moyens faciles de perfectionnement ,
se poursuit avec soin.
Dès cette année 28 dépôts de béliers mérinos , établis
par les soins de l'administration , ont amélioré la race de
54,000 brebis .
Le type des belles espèces est conservé dans de nombreux
établissemens formés par de grands propriétaires , et
dans dix bergeries appartenant à l'Etat .
:
1
La France a 3,500,000 chevaux. La reproduction annuelle
est de 280,000 : 250,000 arrivent à quatre ans eti
donnent un produit annuel de 75 millions .
L'éducation des chevaux avait été singulièrement négligée
à l'époque de nos troubles ; l'administration s'est
occupée avec succès du rétablissement des races les plus
utiles .
Les bêtes à cornes n'ont pas seulement une valeur comme
instrument d'agriculture , elles fournissent à nos subsistances
, à nos tanneries , à diverses branches de notre industrie
, des matières très-importantes . او こ
MARS 1813.... 471
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Leur nombre est de 12,000,000 .
Les substances minérales tiennent leur rang parmi les
riches productions de notre sol .
Nos mines de fer qui fournissaient , en 1789 , 1,960,000
quintauxde fonte en gueuse , et 160,000 quintaux de fonte
moulée , donnent aujourd'hui 2,860,000 quintaux de cette
première matière , et 400,000 quintaux dela seconde ; c'est
une augmentation d'une moitié en sus. Nous recevons
néanmoins encore quelques fers de l'étranger .
Les différentes parties de l'agriculture ainsi analysées
conduisent à ce résultat que c'est une valeur de 5,031 millions
que reproduit annuellement notre beau sol en matières
brutes et premières seulement .
Le chapitre II est consacré aux manufactures.
Les productions du sol , dit le Ministre , n'ont acquis
leur utilité et leur valeur réelle que lorsque l'industrie les
a préparées pour nos consommations et c'est sur-tout
quand elle s'exerce sur des matières premières qui nous
appartiennent , qu'elle accroît notre richesse .
,
L'année moyenne de nos exportations en soieries était ,
ilya vingt-cinq ans , de 26 millions ; elle est aujourd'hui de
64millions. 1
Le nombre de nos manufactures de draps s'est sensiblement
augmenté ; l'aisance plus généralement répandue , a
beatucoup influé sur la consommation intérieure , particulièrement
en lainages moins grossiers . La comparaison des
métiers et des fabrications à diverses époques donne une
idée de cet accroissement ; il a rendu plus grands nos besoins
en matière première , sur-tout en laines de qualité .
Les étoffes de laine fabriquées en France ont une valeur
de 370,000,000 . La matière première que nous fournissent
nos troupeaux est de 129,000,000 ; celle que nous impor
tons est de 31 millions .
L'année moyenne de nos anciennes exportations en draperies
, n'était que de 19 millions .
Nous avons naturalisé chez Dous la fabrique des casi
mirs ; nous avons perfectionné pardes machines ingénieuses
les divers procédés de la manufacture .
La tannerie , les mégisseries , les ganteries , fabriquent
pour95 millions .
La chapellerie emploie 19,000 ouvriers et crée pour 23
millions de produits .
Les toiles de coton se sont multipliées , sans que nous
ayons cessé d'employer les chanvres et les lins de notre sol.
472 MERCURE DE FRANCE ,
T
Tous les ans nous importons pour II millions de ces
matières premières .
Nos toiles , fils et cordages de chanvre sont un objet de
108 millions .
Nos toiles , nos fils de lin et nos dentelles , de 124 millions .
Ce genre de manufacture alimente notre commerce extérieur
pour une somme annuelle de 37 millions .
Les cotonnades ont dans les marchés un avantage qu'elles
doivent à la souplesse , au moelleux de leurs tissus , aux
prix , à la finesse et à la durée relatives de ces étoffes , comparées
avec leurs analogues .
Des machines ingénieuses ont porté la filature du coton
au plus haut degré de fin . Le Gouvernement a proposé un
prix d'un million à l'inventeur d'une mécanique qui perfectionnerait
la filature du lin autant que celle du coton, et
qui diminuerait ainsi le prix de la main-d'oeuvre nécessaire
à l'emploi de nos matières premières .
Déjà de grandes améliorations sont obtenues , et l'on est
sur la voie de faire cette importante découverte .
Nos lois ont repoussé d'abord tous les tissus de l'étranger :
on s'était alarmé de l'effet que devait produire cette prohibition;
mais bientôt de nombreux métiers ont fabriqué
chez nous les toiles de coton avec une perfection à laquelle
nos concurrens étrangers n'ont pas même pu atteindre .
De 1807 à 1811 , l'introduction annuelle des cotons en
laine s'est élevée jusqu'à 72 millions , mais l'année moyenne
n'a été que de 55 millions . Cette somme , d'après les évaluations
faites à la douane, représente 20 millions de livres
pesant.
Les importations de toiles ou fils ont été d'abord réduites
à un million , et depuis deux ans elles ont entièrement
cessé : nous avons , au contraire , exporté , et l'année
moyenne des exportations a été de 17 millions .
La main- d'oeuvre des cotons occupe aujourd'hui 233,000
ouvriers .
Les cotonnades fabriquées en France ont une valeur de
290millions .
Le produit de nos mines de fer , qui est de 50 millions ,
se trouve plus que doublé par la première main-d'oeuvre
dans nos forges , dans nos hauts-fourneaux , dans nos
taillanderies , dans nos aciéries , dans nos laminoirs , dans
nos clouteries : ces fabriques augmentent cette valeur de
70millions.
4
MARS 1813 . 473
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Les autres mines , celles de cuivre , d'alun , de gypse , les
carrières de marbre , etc. , produisent douze millions .
Les manufactures qui ont pour matières premières les
métaux , les clincailleries , la coutellerie , l'armurerie , les
manufactures de bronze , de dorure , sont un objet de 67
millions .
L'orfévrerie et la bijouterie occupent près de 8,000 ouvriers
, et produisent 96 millions , dont un tiers seulement
pour la main-d'oeuvre .
L'horlogerie , en occupant le même nombre de bras ,
produit 30millions ; la matière première y est pour un tiers .
Les glaces , les verreries , les porcelaines , les diverses,
manufactures de substances minérales occupent 43,000
ouvriers . Ces fabrications arrivent à 82,000,000. Jamais
elles n'avaient eu autant d'activité .
L'exposé continue ici les détails des produits de ce qu'on
peut appeler l'industrie nouvelle , celle destinée à nous
affranchir des tributs payés à l'Angleterre .
Voici la récapitulation des deux premiers chapitres ,
agriculture et manufacture .
Nous avons trouvé que les produits bruts de notre agriculture
et de notre sol étaient de 5,031,000,000 .
Que la main-d'oeuvre et la première fabrication accroissent
d'abord ces produits bruts de 1,300,000,000 .
Que les produits de notre nouvelle industrie sont de
65,000,000 .
En tout , 6,396,000,000 .
Mais ces matières premières n'ont pas été toutes manufacturées
encore . Celles qui l'ont été ne sont pas elles -mêmes
au point où elles doivent arriver pour être livrées à nos
usages , à nos consommations journalières : le blé n'est pas
devenu du pain , les étoffes ne sont pas devenues des vêtemens
, et la dernière main- d'oeuvre qui doit compléter la
valeur définitive de toutes les valeurs déjà créées est au
moins du dixième de ces valeurs ou de 639,600,000 .
Ainsi la valeur totale des matières que chaque année
leur reproduction réelle donne à nos consommations , est
au moins de 7,035,600,000 .
Le chapitre III traite du commerce .
En 1789 , l'une des années où le commerce extérieur de
la France a été le plus considérable , il ne s'est élevé qu'à
357 millions en exportations , et à 400 millions en importations
; car ilne faut pas compter , comme importations
:
474 MERCURE DE FRANCE ,
1
les 236 millions que nous recevions de nos colonies , qui
faisaient alors partie intégrante de la France .
Aujourd'hui nous introduisons beaucoup moins de matières
premières , nous exportons beaucoup plus d'objets
manufacturés .
,
En cherchant à reconnaître les causes de l'accroissement
de nos manufactures et de notre commerce continental
on võit une administration surveillante et éclairée s'occuper
sans cesse de la situation de nos divers genres d'industrie,
varier les tarifs des droits d'entrée et de sortie , écarter par
des prohibitions , par un système de douanes qui garde en
effet nos frontières , la concurrence qui pourrait arrêter
l'essorde nos manufactures ; elles conservent ainsi la prime
importante que leur donne la consommation d'un Empire
peuplé de 42 millions d'habitans; elles fournissent avec
avantage nos marchés et ceux de l'étranger .
Des lois simples et uniformes préviennent toutes les discussions
, rendent les transactions sûres et faciles ; le commerce
trouvé par-tout la même liberté , la même protection
; des routes commodes , de nombreux canaux assureut
et abrègent les transports ; de l'Espagne en Hollande
et à Hambourg , de Rome à Brest , les plus grosses voitures
cifculent librement ; Amsterdam et Marseille communiquent
ensemble par les canaux de Saint-Quentinet
du centre ; la navigation des fleuves et des rivières est perfectionnée
; elle est entretenue par des travaux journaliers .
L'Angleterrea , par ses arrêts du conseil , dénationalisé
tous les pavillons . Plus de neutres , dès -lors plus de communications
maritimes régulières ; cette époque devait être
critique ; l'Angleterre y avait compté ; mais la vigilance ,
T'habileté , l'énergie de notre Gouvernement ont su en faire
une époque d'amélioration , et c'est depuis 1806 que notre
industrie a fait les plus grands progrès .
Si l'Amérique , ou toute autre puissance , faisait reconnaître
l'indépendance de son pavillon et le principe consacré
par le traité d'Utrecht , que le pavillon couvre la marchandise
, nos ports seraient ouverts à de tels neutres , et
notre commerce prendrait de nouveaux accroissemens .
Mais il atteindra au plus haut degré prospérité
lorsque sous un Gouvernement tel que le nôtre ,
toutes les richesses de notre sol , toute l'activité de nos
manufactures nous jouirons , nous mêmes, de cette paix
qu'appellent les voux du Monde , de cette paix honorable
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et sûre qui rendra à l'industrie humaine tout son développement.
C'est à la situation territoriale dont je viens de fairel'exposé
, que nous devons l'état de nos finances , lajouissance
du meilleur système monétaire de l'Europe , l'absence
de tout papier-monnaie , une dette réduite à ce
qu'elle doit être pour le besoin des capitalistes : c'est une
telle situation , Messieurs , qui nous permet de faire face
à-la- fois à une guerre maritime et à deux guerres continentales
, d'avoir constamment 900,000 hommes sous les
armes , d'entretenir 100,000 hommes de matelots ou d'équipages
maritimes , d'avoir cent vaisseaux de ligne , au-,
tant de frégates à l'entretien ou en construction , et de dépenser
tous les ans 120 à 150 millions en travaux publics .
Le chapitre IV, des travaux publics , donne les résultats
suivans :
Depuis l'avénement de S. M. au trône impérial , on a
dépensé ,
Pour les palais impériaux et bâtimens
de la couronne . •
Pour les fortifications
62,000,000
• 144,000,000
Pour les ports maritimes .
Pour les routes .
117,008,800
277,000,000
COMM Pour les ponts .
• 31,000,000
Pour les canaux , la navigation et les
per desséchemens . 123,000,000
hers Pour les travaux de Paris ' . • 102,000,000
alisé Pour les édifices publics des départe-
COLN mens et des principales villes • 149,000,000
Total 1,005,000,000 200
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Les Palais impériaux ont été rétablis ; ils ont reça de nouveaux
accroissemens .
Le Louvre s'achève ; il coûtera 50,000,000 fr . , y compris la valeur
des maisons à abattre ; 21.400.000 fr . sont dépensés .
Les Tuileries ont été dégagées de tous les bâtimens qui en obstruaient
les abords ; le plan régulier de ce palais et de ses jardins est
entièrement exécuté ; 6,700,000 fr. y ont été employés.
Le palais du Roi de Rome est fondé en face du pont d'Iena. L'époque
de sa construction en fera un monument historique. Les projets
sont de 30 millions : la préparation du sol a employé une somme de
2,500,000 fr .
On répare Versailles , 5,200,000 fr. y ont été dépensés .
La machine de Marly , qui lui donne des eaux , se remplace par™
une pompe à feu : la dépense sera de trois millions. On a fait pour
2,450,000 fr. de travaux. را
476 MERCURE DE FRANCE;
Fontainebleau et Compiègne sont restaurés ; leurs intérieurs ont été
entièrement renouvelés ; leurs jardins replantés ; 10,600,000 fr . y
ont été dépensés. :
Les palais de Saint- Cloud , de Trianon , de Rambouillet , de Stupinis
, de Laken , de Strasbourg , de Rome , ont employé 10,800,000 fr .
Les diamans de la couronne engagés à l'époque de nos troubles ont
été retirés ; des acquisitions pour les compléter ont été faites .
Le mobilier de la couronne , qui doit , conformément aux statuts ,
être de 30 millions , a été également complété .
Trente millions ont été employés en tableaux , en statues , en objets
d'art et d'antiquités , qui ont été ajoutés à l'immense collection du
Musée Napoléon.
Toutes ces dépenses ont été acquittées sur les fonds de la couronne
et du domaine extraordinaire
Le soin d'assurer nos frontières n'a pas été un instant perdu de vue.
De grands travaux ont consolidé le système de défense du Helder ,
qui est la clef de la Hollande. Ils ont employé 4,800.000 fr.
Pendant qu'on achevait de creuser le bassin d'Anvers , cette place
recevait une augmentation de forces proportionnée à l'importance du
dépôt qui devaitlui être confié ; les travaux faits s'élèvent à 8,400,000 fr.
Le port de Cherbourg est maintenant renfermé dans une vaste enceinte
, qu'une dépense de 3,700,000 fr. a mise en état de soutenir un
siége. Quatre forts sur les hauteurs ont été terminés au commencement
de cette année. Dans son état actuel , cette place peut soutenir
30 jours de tranchée , et dans un an elle en pourra soutenir 90 .
Brest , Belle - Isle , Quiberon , la Rochelle ont été améliorés ; de
nouveaux forts s'élèvent à l'Isle- d'Aix , à l'Isle -d'Oleron , à l'embouchure
de la Gironde , à Toulon , aux îles d'Hières , à la Spezzia ,
àPortoferrajo .
( Sur toutes nos côtes , les batteries les plus importantes ont été fermées
à la gorge par des tours voûtées à l'épreuve de la bombe , et
armées de canons .
Chaque année voit augmenter la force de Corfou ; des camps retranchés
couvrent la place.
Du côté de terre notre ligne de défense du Rhin a reçu par-tout un
nouvel accroissement. Kehl est achevé. On a fait pour 5,700.000 fr .
d'ouvrages à Cassel et à Mayence , pour 3,800,000 fr. à Juliers , à
Wesel pour 4.700,000 fr .
Enfin , les travaux d'Alexandrie , où l'on a dépensé 25,000,000 ,
ont continué à recevoir les mêmes améliorations .
Les places d'une moindre importance ont reçu les fonds que réclamaient
leurs besoins ; leur dépense a été de 71,000,000 .
Les titres suivans font connaître les travaux de la marine
et des ports , l'état des routes , celui des canaux des dessé
chement , les travaux de Paris et des départemens .
Le chapitre V est consacré à l'administration intérieure.
Les divers cultes ont reçu des marques d'intérêt et de protection.
Des supplémens sur le trésor impérial ont été accordés aux curés au
delà des Alpes , qui n'avaient pas un revenu suffisant .
Des palais épiscopaux , des séminaires ont été achetés.
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Le concordat de Fontainebleau a mis un terme aux dissentions de
l'Eglise . Le Gouvernement a été constamment satisfait de l'attachement
que lui ont montré les évêques et le clergé .
Les anciens principes de l'Eglise de France connus sous le nom
de libertés de l'Eglise gallicane , concilient parfaitement les droits du
trône et ceux des pontifes . Ils doivent être constamment la base de
l'enseignement dans toutes les Ecoles de l'Empire .
La conduite des ministres des autres religions a été exemplaire.
Tont est prêt pour l'organisation définitive des cultes réformés et
luthériens dans le nord ; leurs pasteurs ont reçu des traitemens provisoires
.
Le nombre des procès civils a diminué sensiblement ; leur jugement
est plus prompt ; les discussions sont moins embarrassées ; c'est
un des bienfaits de notre nouveau Code civil Chacun désormais
connaît ses droits , et sait mieux quand et comment il peutles exercer .
Les procès criminels sont plus sensiblement réduits encore que les
procès civils . En 1801 , la population était de 34 millions d'individus.
Cette année présentait 8500 affaires criminelles , dans lesquelles
12.400 prévenus étaient impliqués . En 1811 une populations de
42millions n'a plus présenté que 6000 affaires , dans lesquelles 8600
prévenus étaient intéresssés .
१
Les caisses municipales sont tenues avec le même soin que celles
de tous les autres comptables .
Huit cent cinquante villes ont plus de 10,000 francs de revenus; la
majeure parrttiiee de leurs budjets de1813 est arrêtée.
En 1809 , le nombre des élèves des Lycées n'était que de 9,500 ,
dont 2.700 externes , et 6.800 pensionnaires ;
Aujourd'hui , le nombre des élèves est de 18,000 , dont 10,000
externes , et 8,000 pensionnaires .
Cinq cent dix colléges donnent l'instruction à 50,000 élèves , dont
12,000 pensionnaires . L
Dix-huit cent soixante-dix -sept pensions ou institutions particulières
sont fréquentées par 47,000 élèves .
Trente-un mille écoles primaires donnent l'instruction du premier
degré à 920 000 jeunes garçons . Ainsi 1,000,000 de jeunes français
reçoit le bienfait de l'instruction publique .
L'école normale de l'Université forme des sujets distingués dans
les sciences , dans les lettres , dans la manière de les enseigner. Ils
portent chaque année dans les lycées les bonnes traditions , les méthodes
perfectionnées .
Les trente-cinq académies de l'Université ont 9,000 auditeurs ; les
deux tiers de ces élèves suivent les cours de droit et de médecine .
L'école polytechnique donne tous les ans aux écoles spéciales du
génie , de l'artillerie , des ponts et chaussées et des mines , 150 sujets
déjà recommandables par leurs.connaissances .
Les écoles de Saint- Cyr , de Saint- Germain , de la Flèche , fournissent
tous les ans 1,500 jeunes gens pour la carrière militaire. :
-
478 MERCURE DE FRANCE ,
4
Le nombre des élèves des écoles vétérinaires est doublé . Les intérêts
de l'agriculture ontdicté une meilleure organisation de ces écoles .
L'académie de la Crusca de Florence dépositaire du plus pur
idiôme de la langue italienne ,
L'institut d'Amsterdam ,
L'académie de Saint-Luc de Rome ,
Ont reçu de nouveaux réglemens et des dotations suffisantes.
Les travaux de l'Institut de France se continuent ; le tiers de son
dictionnaire est fait , il peut être achevé dans deux ans ; les recherohes
sur notre langue , sur notre histoire occupent un grand nombre
de ses membres .
-Quant à la marine , les chantiers de Lorient , de Rochefortet de
Toulon , continuent à avoir l'activité dont ils sont susceptibles , et
d'employer tous les matériaux que leur offrent les bassins des rivières
destinées à les alimenter.
GO
En peu d'années , nous serons arrivés à avoir 150 vaisseaux , dont
12 à trois ponts , et un plus grand nombre de frégates .
Enfin, sur nos 100 vaisseaux , nous en avons aujourd'hui 65 armés,
équipés , approvisionnés pour six mois , constamment en partance ,
appareillant tous les jours et dans une situation telle , qu'aucun ne
sait, au moment où on lève l'ancre , si c'est pour un exercice ou pour
une expédition lointaine.
La conscription maritime produit tous les ans vingt mille jeunes
gens . L'inscription des pécheurs produit aussi des ressources importantes.
Enfin, au moment où la paix continentale aurait rendu disponible
la conscription de tout l'Empire , nous pourrions à volonté accroître
la conscription maritime.
L'Angleterre peut avoir le nombre de vaisseaux et de troupes de
terre qu'elle voudra; elle peut donner à son commerce la direction
qui lui convient ; mais nous prétendons rester dans les mêmes droits .
Si elle prétend nous imposer la condition secrette de détruire nos escadres,
de les réduire à 30 vaisseaux ou de souscrire à des traités de
commerce non conformes à nos intérêts , une telle paix ne sera jamais
signée par l'Empereur , ni désirée par aucun Français.
Nous désirons la paix ; mais si nous ne pouvions l'avoir qu'à ces
conditions , il faudrait bien continuer la guerre , et chaque année de
guerre nous accroîtrions nos forces navales , sans que la supériorité
de l'ennemi pût nous en empêcher .
L'armée de terre se compose de la garde impériale , qui comprend
zo régimens d'infanterie et 44 escadrons ; de 152 régimens de ligne
et de 37 d'infanterie légère , faisant 189 régimens d'infanterie ou 945
bataillons français ; de 15 régimens d'artillerie , de 30 bataillons du
train , de 90 régimens de cavalerie , à huit compagnies chacun ; indé-
2 pendamment de quatre régimens suisses , de six régimens étrangers
et de plusieurs bataillons coloniaux .
Je ne vous parlerai point , Messieurs , d'événemens militaires ni
politiques ; je ne pourrais rien ajouter à ce qui est à votre connais۱
MARS 1813. 479
20
t
ناولا
tro
لا
N
el
sance et à ce que l'Empereur vous a dit en peu de mots , mais avec
tant de profondeur.
: Il m'a paru que le simple exposé de notre situation intérieure , appuyé
sur des états et sur des chiffres , l'exposé de notre situation maritime
et militaire étaient suffisans pour faire comprendre l'immensité
de nos ressources , la solidité de notre systême et les grâces que nous
avons à rendre à un gouvernement vigilant dont les travaux sont
constamment consacrés à tout ce qui est grand et utile à la gloire de
Empire.. )、
Le compte de l'administration des finances , qui vous sera incessamment
communiqué , vous fera connaître leur situation prospère ;
ce que je pourrais en dire serait insuffisant et incomplet.
La ferme résolution du souverain de protéger également toutes les
parties de son Empire, et de marcher constamment dans le même
systêmed'économie et de grande administration , ne peut que redoubler
, s'il est possible , la confiance et l'amour que lui portent tous
ses sujets. 1
Il est inutile de dire avec quel intérêt un tel rapport a
été entendu au sein du Corps-Législatif, qui en a ordonné
l'impression au nombre de trois mille exemplaires . M. le
comte de Montesquiou , dans sa réponse , s'est noblement
rendu l'interprète de la reconnaissance du Corps-Législatif
pour cette importante communication , et des espérances
auxquelles un tel état de situation permet de se livrer pour
-l'avenir.
९
Dimanche 28 février il y a eu audience de présentation .
M. le comte de Narbonne a été présenté au serment , qu'il
aeu l'honneur de prêter entre les mains de S. M. , en qualité
d'ambassadeur à Vienne . M. le comte Otto , qui occupait
ce poste , est nommé ministre d'état; il rentre au
Conseil d'état en service ordinaire , office des relations
extérieures .
S. M. a tenu mercredi un conseil des ministres : lejeudi
elle a présidé son conseil-d'état.
Aujourd'hui vendredi , à 11 heures , elle a passé en revne
sur la place du Palais des Tuileries , des corps nombreux
de cavalerie et d'infanterie de la garde impériale , et un
immense convoi d'artillerie , de munitions et d'équipages
de guerre. L'Empereur a passé cette revue dans le plus
grand détail : la cavalerie a défilé homme par homme : les
troupes de toutes armes en passant devant l'Empereur l'ont
salué par les plus vives acclamations . Une foule considérable
de spectateurs assistait à cette revue,
Un bal masqué très-brillant avait eu lieu le mardi
au palais des Tuileries , dans la grande salle de spectacle
, disposée à cet effet. Les loges étaient occupées par
480 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
un grand nombre d'habitans de Paris et de personnes in
vitées : les femmes étaient d'un luxe égal à leur élégance ;
- les hommes en dominos de toutes couleurs , le noir excepté ;
presque toutes les femmes en habits de caractère . La fête
s'est prolongée très - avant dans la nuit ; LL. MM. ne se sont
retirées qu'à trois heures .
Dans le sein de la capitale , un tems magnifique a contribué
à rendre les mascarades brillantes , et en a fait un
spectacle très -agréable. Les boulevards étaient occupés par
tout ce que Paris compte de femmes élégantes et de riches
équipages , dont les files pressées se succédaient avec
beaucoup d'ordre , depuis la porte Saint-Honoré jusqu'à la
rue Saint-Denis , et de-là , en retour , par cette rue et celle
Saint-Honoré jusqu'au boulevard de la Madeleine . Les
masques étaient nombreux, quelques déguisemens ont paru
piquans , etplusieurs troupes de masques ontoffert des scènes
bien disposées . Le soir, les innombrables lieux publics consacrés
à la danse dans les divers quartiers n'ont offert qu'une
⚫enceinte trop étroite aux masques qui venaient s'y porter.
Aucun accident n'a troublé l'ordre public. Le mercredi , la
corporation des bouchers a fait en grande pompe sa promenade
accoutumée .
L
८
4
هو 2
N. B. Au moment où nous écrivons , un de nos journaux
annonce le prochain départ de l'Empereur pour
Magdebourg , en passant par la Hollande et les villes
Anséatiques : il n'a été rien publié d'officiel à cet égard.
३
S....
3
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre.
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles . Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de 11 francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger. )
2
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Etranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
i de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
àParis.
:
:
!
ap
1
MERCURE
DE FRANCE.
S
N° DCVIII . Samedi 13 Mars 1813 . -
POÉSIE.
A MISS CLARKE ,
EN LUI ENVOYANT L'ES ÉLÉGIES DE TIBULLE:
Vers imités de l'anglais .
CHAQUE mot , dans ces vers inspirés par les Grâces ,
Du chantre des Amours nous révèle les traces ;
Chaque mot , de son coeur échappé mollement ,
Fait rêver la maîtresse et soupirer l'amant .
Des Dieux enfant gâté , Tibulle eut en partage
Les dons de la fortune et les dons du bel âge ,
Et l'art plus précieux , l'art d'en savoir jouir .
D'un faste , ami des cours , bien loin de s'éblouir ,
Libre d'ambition , exempt de défiance ,
Gaîment il promenait sa douce insouciance ;
Et d'un bras caressant embrassait tour-à-tour ,
L'autel de l'Amitié , le trône de l'Amour .
Sans y songer à peine , il quitta la lumière :
Tel cédant au sommeil l'enfant clos sa paupière ,
८
Hh
482 MERCURE DE FRANCE ,
Zéphire perd son souffle , et Flore ses attraits !
La guirlande de rose est cliangée en cyprès.
La naïade gémit , et sombre et taciturne ,
Sur les gazons flétris n'épanche plus son urne.
Vénus même fuyant l'essaim des voluptés
Détèle de son char ses cygnes attristés .
Des plus beaux yeux les pleurs obscurcissent les charmes ;
Qui ne pleura jamais , versa pour lui des larmes.
On crut voir s'éclipser les Amours et les Ris,
Mais ils vivent encore au sein de ses écrits .
Tibulle suit encore , exilé de la terre ,
De ses premiers penchans l'attrait involontaire ;
Jeune et toujours sensible , aux Champs-Elysiens ,
Il cherche des amans les naïfs entretiens ;
Etson ombre amoureuse et de myrtes parée ,
Dicte encor ses leçons à leur foule enivrée .
Souvent , sa lyre en main , il attendrit les bois ,
Etleurs fronts embaumés s'inclinent à sa voix .
Vous répétez ses chants : à sa palme immortelle ,
Emma , vous ajoutez une palme nouvelle .
Il vous plait , serait-il un sort plus glorieux ?
Il charme la beauté , qui charme tous les yeux.
DU PUY DES ISLETS .
PORTRAIT D'UNE PETITE CHIENNE .
1
Issa est passere nequior Catulli , etc.
2
MART. , Lib . I , EP. CX.
FLORE surpasse en malice , en gaîté ,
Le passereau par Catulle chanté.
On ne voit point de chienne si gentille :
Flore est d'un prix au-dessus des bijoux .
Quelle colombe , ou quelle jeune fille ,
Donna jamais des baisers aussi doux ?
Par son instinct , par ses charmans caprices ,
De mon ani Flore fait les délices .
Un léger souffle , ou le moindre soupir ,
Quand elle dort , ne se fait pas entendre :
Comme elle sent la peine et le plaisir !
MARS 1813 .
483
Que son langage est expressif et tendre !
Qui plus que Flore aime la propreté ?
Sa douce patte , avec légéreté ,
Sait avertir , dès qu'elle veut descendre :
Flore jamais ne salit un tapis ,
Tant la décence à Flore est naturelle !
Il s'est offert grand nombre de partis ;
Aucun époux n'a paru digne d'elle .
Aussi craignant que le fatal ciseau
Tranchant le fil d'une si belle vie ,
A son amour Flore ne fût ravie
Et toute entière emportée au tombeau
Son maître a su , dans un tableau fidèle ,
Nous conserver les grâces du modèle
Avec tant d'art , et si bien trait pour trait ,
Qu'en voyantFlore auprès de sa copie ,
On jurerait qu'il en est deux en vie ,
Ou qu'elles sont l'une et l'autre en portrait .
१
,
L
DE KERIVALANT.
LES AVANTAGES DU TALENT.
Sum , fateor , etc. ( MART ., Lib. Vep . XIII . )
J'Ar toujours été pauvre ; oui , Chrysès , je l'avoue ;
Mais non pas inconnu , ni dans l'obscurité.
« Le voilà , dit chacun ! On me lit , on me love :
J'obtins , dès mon vivant , une célébrité
Que peu d'auteurs ont due à la postérité.
Pour toi , de tes palais , où brille la dorure ,
Cent colonnes de marbre ornent l'architecture ;
Tes immenses guérets se couvrent de moissons ,
Et tes nombreux troupeaux , des plus belles toisons.
Tes coffres sont pleins d'or ... Mais apprends à connaître
En quoi , sur tes grands biens , l'emporte le talent !
Je puis , ainsi que toi , devenir opulent :
Ce que je suis , Chrysès , tu ne peux jamais l'être.
Par le même .
Hh 2
484 MERCURE DE FRANCE ,
1.
LES MASQUES .
POLICHINELLE est un sage estimé ;
Gille et Pierrot brillent par leur mérite ;
Pour sa bravoure Arlequin renommé
Des anciens preux eût défié l'élite .
Dame Gigognea , pour la chasteté ,
Vaincu Lucrèce : en ingénuité
Comme en pudeur tout cède à Zirzabelle ....
Ormaintenant retournons mon propos :
Ce sage austère est un Polichinelle ;
Ces grands esprits , des Gilles , des Pierrots ;
UnArlequin , ce soi- disant héros ;
Cette beauté naïve et pudibonde
Et sa maman , vertus de carnaval ! ...
Et j'aurai peint , sur maint original ,
Comine l'on est déguisé dans un bal ,
Comme l'on est déguisé dans le monde.
EUSÈBE SALVERTE.
ÉNIGME .
Je ne suis point , lecteur , une chose ordinaire,
Souvent du genre masculin
Et quelquefois du féminin.
Jesuis en terre , au ciel , chez ton apothicaire ,
Et très-utile aux parfumeurs.
7
De diverses couleurs
Ma robe se compose ;
Emule de la rose ,
Au printems j'étale mes fleurs .
Je suis tendre , je suis cruelle ;
Toujours les mortels amoureux
M'adressèrent leurs voeux ,
Car il est convenu que je dois être belle .
On dit que je sus plaire à la reine des cieux ,
Dans bien des cas je lui fus nécessaire .
Pour me trouver que dois- tu faire ?
Prendre un miroir et regarder tes yeux.
V. B. (d'Agen.)
MARS 1813 . 485
1
LOGOGRIPHE
SUR mes six pieds , lecteur , crois-le de bonne foi ,
Je suis un objet très-utile .
A la campagne , encor plus à la ville ,
Tu ne peux , bien souvent , rien terminer sans moi.
Tel est pourtant l'ordre de la nature ,
Qu'avant de passer dans tes mains ,
Je dois séjourner dans l'ordure ;
Après cela , moyennant quelques bains
Qui m'ont mis en capilotade ,
Sans en avoir été malade
१
On me jette au moule , et j'en sors
Exempt de crainte et de remords .
Mais , chose bien singulière !"
Tantôt ambassadeur , et tantôt secrétaire ,
On me voit dans la paix ,
Onme voit dans la guerre ,
A la cour , au palais ,
Chez l'avocat , chez le notaire ,
Chez le droguiste , l'épicier ,
Le procureur et chez l'huissier ;
J'assiste à la toilette
Du vieillard et de la coquette ;
Je suis souvent d'une grande valeur ,
Et mille fois par jour on me méprise.
. Je ne finirai pas , lecteur ,
S'il faut que je te dise
Tout ce qu'on fait de mon individu ,
Et ce serait , vraiment , un tems perdu ,
Car tu m'as reconnu sans doute .
Or , si tu ne me tiens , écoute !
Enme décomposant d'abord tu trouveras
Une divinité païenne
En honneur en Egypte avant l'ère chrétienne ;
Un prince pacifique , aujourd'hui sans Etats ,
Mais autrefois redoutable ;
Un oiseau familier , bavard impitoyable ;
Un des quatre élémens , une mesure agraire ,
Ungénéral français , un titre en Angleterre
1
486 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
Un objet , aux soldats , parfois d'un grand secours
Dans un voyage de long cours ,.
Voire même sur le coche .
Si tune m'as trouvé , cherche-moi dans ta poche.
Par M. C****** , employé à l'administration
del'Ecole Polytechnique.
CHARADE .
Mon premier est un très-vil animal ,
Mon second est sublime végétal ;
Mon entier est créature pensante
Dont la propreté nous enchante.
S ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est U( la lettre ).
Celui du Logogriphe est Madame ,dans lequel on trouve : Adam.
Celui de la Charade est Archimède .
Aim
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
SOUVENIRS ET PORTRAITS , 1780-1789 ; par M. DE LÉVIS ,
avec cette épigraphe :
Il serait à souhaiter que ceux qui ont été à portée de connaître
les hommes fissent part de leurs observations .
DUCLOS , Consid. sur les Moeurs .
Un vol. in-8°. - Prix , 5 fr . , broché , et 6 fr . franc
de port. En papier vélin , le prix est double.-Paris ,
chez Fr. Buisson , libraire , rue Gilles- Coeur , nº 10 .
Nous ne sommes que trop riches en Mémoires , en
Journaux , en Souvenirs . Depuis l'époque où la révolution
mit toutes les passions à leur aise et vint anéantir
pour tant de gens toutes les lois des bienséances sociales ,
on a vu se multiplier les ouvrages de ce genre , écrits par
des témoins oculaires ou soi-disant tels . De toutes ces
révélations quelquefois criminelles et le plus souvent
indiscrètes , il est résulté quelque profit sans doute pour
les auteurs , éditeurs et imprimeurs. La curiosité et la
malignité du public y ont également trouvé leur compte ,
mais on peut douter que l'histoire y gagne beaucoup.
Dans ces ouvrages , dit fort bien M. de Lévis , le vrai
est entassé avec le faux , sans choix , sans pudeur et sans
critique , et souvent le vrai même est déguisé sous des
circonstances qui le rendent méconnaissable. De pareils
matériaux seront dans la suite très-embarrassans pour
l'historien , et s'il est des époques dont il est très -difficile
d'écrire l'histoire faute de monumens contemporains , il
ne sera guère plus aisé de traiter celle de notre âge , précisément
parce que les monumens contemporains seront
trop nombreux .
Je n'ai sûrement pas besoin de prévenir mes lecteurs
que ces réflexións que j'emprunte en partie à M. de Lévis
ne peuvent aucunement s'appliquer à son ouvrage. Ses
Portraits et ses Souvenirs seront très-propres , au con
488 MERCURE DE FRANCE ;
traire , à servir d'antidote aux publications scandaleuses
dont nous venons de parler . « Le but que je me propose ,
dit-il , est de donner des notions précises sur quelques
personnes qui ont joué un rôle important , afin que désormais
l'ignorance ou la mauvaise foi ne puisse plus les
représenter sous des couleurs mensongères . >> Voilà un
but véritablement louable ; il annonce un esprit de justice
bien rare aujourd'hui parmi nos écrivains , et M. de
Lévis y joint une délicatesse moins commune encore . Il
veut donner des notions précises , mais non des notions
complètes . Il ne dira pas tout ce qu'il sait. Il est loin de
penser que dans le portrait des personnages comme dans
le récit des événemens , le tems ne fasse rien à l'affaire..
Il sait fort bien que l'histoire ne commence pas pour
chaque individu au moment de sa mort , ni pour chaque
événement au moment qui le dénoue. A la vérité , nous
ne sommes pas tout- à-fait de son avis sur la règle qu'il
établit pour déterminer ce commencement de l'époque
historique. Il pense que l'histoire de chaque individu
appartient d'autant plus tôt au public , que cet individu a
joué un rôle plus important sur la scène du monde. Je
crains , au contraire , que si l'on voulait prouver la règle
par des exemples , on n'arrivât souvent à un résultat
opposé ; mais il ne s'agit que d'un léger changement
pour rendre son principe juste ; il ne faut qu'en ôter l'idée
du tems ; l'histoire d'un individu n'appartient , en effet ,
au public qu'autant qu'il a joué un rôle dans le monde ,
et lui appartient d'autant plus que ce rôle a été plus important
. Quant à l'époque où le public acquiert le droit
d'en jouir , sa détermination tient à tant de causes qu'il
faudrait , en quelque sorte , un code entier de bienséance
et de politique pour la fixer dans le droit , et qu'il vaut
mieux s'en rapporter , dans la pratique , au tact des auteurs
et à la sagesse des gouvernemens .
L'ouvrage de M. de Lévis peut , à cet égard , servir de
modèle, Il s'y est conformé avec scrupule au principe
que nous venons de poser. Moins les personnages dont
il s'occupe ont eu d'influence sur les affaires publiques ,
etplus iluse avec eux d'indulgence et de discrétion. En
parlant même des hommes d'état et des ministres , it
MARS 1813 . 489
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3
ف
n'entre point dans l'intérieur des familles , dans les détails
domestiques ; il se contente d'apprécier les talens politiques
, de juger les hommes dans leurs opérations . Au
reste , M. de Lévis ne s'était point dissimulé tout ce que
son ouvrage avait à perdre auprès d'une classe de lecteurs
bien nombreuse , par cette sage retenue de l'auteur .
« J'essaie , dit- il , la solution d'un problême que bien
des gens croient impossible à résoudre : composer un
ouvrage sur les personnes , qui soit sans malignité , et
qui cependant ne paraisse pas insipide .>> Et il ajoute :
« Si je réussis , je partagerai l'honneur du succès avec la
nature humaine qu'on aura calomniée . » Il est vrai qu'on
la calomnie souvent , mais sera-t-elle justifiée par M. de
Lévis , par cela seul que des lecteurs sensés auront goûté
le dédommagement qu'il leur présente de l'omission des
anecdotes scandaleuses , dans ses observations sur les
moeurs et dans ses réflexions sur les événemens mémorables
qui se sont passés sous ses yeux ? Je crois qu'il est
permis d'en douter , car il ne sera pas démontré par-là
que les lecteurs , même sensés , n'auraient pas accueilli
avec plus d'empressement encore des traits piquans et
des anecdotes malignes .
Mais au lieu de chicaner M. de Lévis sur un sentiment
qui lui fait honneur , occupons-nous de son ouvrage .
Le premier personnage qu'il met en scène est le comte
de Maurepas . Ce ministre est peint avec une grande
fidélité . On nous le montre , non comme un génie supérieur
, mais comme un homme d'esprit et de sens , habile
dans les affaires , ayant du discernement et de l'expérience
, mais trop léger , trop enclin à la plaisanterie ,
facile à séduire et à gouverner. « Si on le compare , dit
M. de Lévis , aux fameux personnages qui ont occupé
avant lui ce poste si important pour la France et pour
l'Europe , on trouvera qu'il n'avait ni la profondeur énergique
de Richelieu , ni la grande habileté de Mazarin ,
ni la sagesse de Fleury , mais aussi qu'il ne fut ni immoral
comme Dubois , ni follement présomptueux comme
le cardinal de Loménie. » Ce jugement nous paraît fort
équitable , et même plus favorable à M. de Maurepas
qu'on ne devait l'attendre , après le blâme jeté par l'aus
490 MERCURE DE FRANCE ,
!
teur sur deux opérations, les plus importantes peut-être
de son ministère , la guerre d'Amérique et le rappel des
parlemens . Je ne sais mnêêmmee si M. de Levis ne se déclare
pas trop fortement contre ces deux mesures. La guerre
d'Amérique , il est vrai , amena les emprunts , et les emprunts
la révolution. La résistance des parlemens rétablis
est encore une des causes auxquelles la révolution
est attribuée ; mais la guerre d'Amérique n'était-elle pas
commandée par l'honneur national ? Et M. de Lévis ne,
convient- il pas lui-même qu'en ne rappelant pas les parlemens
il aurait fallu des assemblées provinciales ? Or ,
je doute qu'alors le gouvernement y eût gagné . La résistance
des parlemens ne devint si puissante que par l'opinion
publique , et par la résistance pareille des Etats de
Bretagne et de Béarn.
Trois autres ministres de Louis XVI paraissent dans
cet ouvrage après M. de Maurepas ; ce sont MM. de
Calonne , Necker et le cardinal de Loménie. Je doute
que leurs amis soient fort satisfaits de la manière dont
M. de Lévis les apprécie ; leurs ennemis ne le seront pas
non plus ; mais les portraits qu'en trace notre auteur
pourront bien être adoptés par l'histoire : elle consacrera
sans doute la probité et l'orgueil de M. Necker , la bonté
de ses intentions et son imprudence dans le choix des
moyens , ses talens comme financier , son incapacité
comme premier ministre. Je crois qu'elle confirmera de
même le jugement que M. de Lévis porte de son rival ;
elle ne contestera point à M. de Calonne un esprit vif ,
étendu , et une extrême facilité pour le travail; elle lui
accordera d'avoir été moins systématique , et d'avoir
mieux connu les Français que M. Necker ; mais elle lui
reprochera sa légèreté , sa prodigalité , son aversion pour
les calculs , et l'énorme perte de tems qui en était la suite.
Quant au cardinal de Loménie , léger météore qui brilla
un instant sur cette scène orageuse , M. de Lévis le fait
connaître encore plus complétement. Son chapitre est
un des plus curieux de l'ouvrage. L'auteur y a inséré
un tableau très-piquant et très-fidèle de la fermentation
qui régnait alors dans toutes les têtes , et il le termine
1
: MARS 1813. 491
$
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par le récit d'une conversation qu'il eut lui-même avec
le principal ministre , et qui suffit pour le juger .
Un seul souverain figure parmi les personnages dont
M. de Lévis nous donne le portrait : c'est Gustave III ,
roi de Suède . Ce prince , justement célèbre , est apprécié
d'après ses actions publiques ; la plupart sont glorieuses ,
et les contrariétés qu'il éprouva pendant tout son règne ,
ainsi que sa fin tragique , répandent sur sa vie un touchant
intérêt. Nous ne blâmerons donc pointcertaine réticence
que M. de Lévis s'est imposée sur son compte ; mais nous
craignons que l'histoire ne soit plus sévère que lui ; ello
transmettra sans doute à la postérité les singulières contradictions
qui existaient dans le caractère de ce prince ;
elle dira que des réformes minutieuses compromirent la
stabilité de sa grande révolution , et qu'il fit quelquefois
le héros de théâtre , quoiqu'il fût un véritable héros .
Dans l'impossibilité où nous sommes de faire connaître
à nos lecteurs tous les portraits renfermés dans ce volume
, nous nous arrêterons de préférence à ceux qui
sont les plus intéressans , soit par le caractère du personnage
, soit par le talent du peintre . Nous citerons à
ce double titre celui du maréchal de Richelieu , où l'auteur
a fait entrer des détails curieux sur les dernières
années de Louis XIV. On y distinguera la seule plaisanterie
que l'on connaisse de ce prince , plaisanterie qui
peut-être n'est pas très-piquante , mais qu'on n'avait
point encore imprimée. L'article de M. de Malesherbes
mérite aussi d'être distingué par la manière dont l'auteur
a su caractériser l'héroïsme de ce personnage vraiment
vertueux. La curiosité ne sera pas complétement satisfaite
dans l'article du cardinal de Rohan ; la fameuse
affaire du collier y est traitée avec une réserve remarquable.
Cependant une anecdote que M. de Lévis raconte
, comme témoin oculaire , sera du moins suffisante
pour donner une idée de l'étonnante crédulité du cardinal.
Le chapitre de Mirabeau pourra bien essuyer des
contradictions ; les uns y trouveront trop peu d'admiration
, et les autres trop d'indulgence . Le portrait de Barnave
sera aussi jugé différemment par les différens partis ,
۱
492 MERCURE DE FRANCE ,
mais tous se réuniront pour applaudir au parallèle que
l'auteur établit entre le célèbre Fox et M. de Cazalès .
Cequi plairaautant , en étonnant peut-être les personnes
qui ont trouvé trop peu de galanterie dans les maximes
de M. de Lévis , c'est la manière dont il peint dans ce
volume quelques femmes célèbres . Il s'attache à faire
valoir leurs vertus , leur esprit , leur amabilité , leurs
grâces ; il passe légèrement sur leurs défauts , ou les couvre
d'une réticence . Ce sont des portraits charmans que ceux
qu'il nous donne de la maréchale de Mirepoix et de la
maréchale de Beauveau . En parlant de Mme de Montesson
il lui sauve ses ridicules , autant que cela est possible
, et c'est par ses qualités aimables qu'il fait connaître
la comtesse de Boufflers . M. de Lévis n'est pas cependant
infidèle à ses maximes ; dans plusieurs endroits de
ce volume , il s'élève contre l'influence que les femmes
ont si long-tems exercée dans la société , contre le danger
de se laisser conduire par elles dans le choix des ministres
et des généraux ; mais ses portraits prouvent du
moins que lorsqu'il s'agit de juger une femme en particulier
, il sait se départir de la rigueur de ses maximes
générales .
Je terminerais ici cette revue , si je ne croyais devoir
une mention particulière à l'article que l'auteur a consacré
à la mémoire du maréchal de Lévis son père . Il y
remplit dignement les devoirs de fils et d'historien . Le
maréchal de Lévis appartient à- la- fois aux souvenirs de
la cour et à ceux de l'histoire. Sa conduite au Canada ,
où il prit le commandement de l'armée française après
lamort du marquis de Montcalm , prouve qu'il réunissait
l'audace , la prudence et les ressources ingénieuses
qui constituent les grands généraux. Sans doute les
futurs historiens de la France au dix-huitième siècle
sauront mettre en évidence cette partie peu importante ,
mais glorieuse , d'une guerre où nous n'essuyâmes que
trop et de trop honteux revers .
Nous avons dit que M. de Lévis avait semé son quvrage
d'observations sur les moeurs , de réflexions sur
les événemens . Toutes sont ingénieuses ou piquantes ;
elles annoncent un esprit observateur. Peut-être cepen
1
MARS 1813 : 493
8
10
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2.
コ
1
dant l'auteur s'est-il livré quelquefois avec trop de confiance
à des opinions qui , pour être répandues dans le
grand monde , ne sont pas toujours d'une parfaite vérité.
Tel est son jugement sur les dangers auxquels la cour
s'exposa par l'abolition de l'étiquette ; telle est l'importance
qu'il attache et les regrets qu'il accorde à la suppression
des Jésuites . L'étiquette seule n'eût pas sauvé
le pouvoir royal. Les Jésuites n'eussent pas seuls arrêté
les progrès de l'incrédulité , car elle devait être déjà bien
répandue lorsqu'on osa les détruire. On peut faire une
remarque singulière sur les raisonnemens encore plus
singuliers que l'on entend faire tous les jours sur les
causes de la révolution . Tout le monde en admet plusieurs
, et semble cependant persuadé qu'elle aurait pu
être opérée par une seule , que chacun choisit à son
gré , selon ses préjugés et ses opinions particulières ; et
cependant chacun retrouve aussi dans l'histoire de cette
mémorable catastrophe un ou même plusieurs momens
favorables où il eût été facile de la prévenir ou de l'arrêter.
Soyons de bonne foi : puisqu'il s'est réuni pour
opérer la révolution tant de causes si puissantes , puisqu'aucun
des moyens si faciles de la prévenir n'ont été
employés , il faut bien se résoudre à penser qu'elle était
inévitable , c'est-à-dire qu'elle était amenée par la marche
nécessaire des moeurs et des opinions . :
Mais ne nous engageons pas plus avant dans une discussion
si épineuse. Revenons à M. de Lévis . Nous
n'avons encore rien dit de son style , partie si importante
du talent d'un auteur. M. de Lévis a soigné le sien ,
quoiqu'il s'élève avec raison contre la maxime deBuffor,
que le style fait tout l'homme. Il montre fort bien au
contraire que le style n'est qu'un instrument ; il blâme le
goût de certains auteurs de nos jours qui croient avoir
tout fait lorsqu'ils ont construit des phrases harmonieuses
. M. de Lévis croit que le naturel et la simplicité
sont bien préférables à ce luxe de mots et de périodes;
il n'a voulu qu'être simple et naturel. Il s'attend que l'on
trouvera de l'inégalité dans son style , mais il annonce
que cette accusation le touchera peu , qu'il sera même
tenté de la prendre pour un éloge. Aun petit nombre
494 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
d'exceptions près , il pense que le style « de toutes les
compositions littéraires doit s'élever et s'abaisser avec le
sujet , tel que ces chemins tracés parun ingénieur habile ,
quisuivent , en les adoucissant , les inégalités du terrain ;
ou, si l'on veut encore , il le comparera à une eau limpide
qui laisse voir la couleur du fond sur lequel elle
coule; plus elle est transparente et pure , moins elle se
fait remarquer.>> Nous souscrirons volontiers à ces principes
ainsi qu'à cette apostrophe où l'auteur donne à- lafois
le précepte et l'exemple , car autant son style est
simple et se rapproche du ton de la conversation lorsque
le sujet le demande , autant il s'élève dans cet
endroit:
« Vous ( dit-il ) qui courez la carrière des lettres ,
croyez-moi , montrez-vous tels que vous êtes ; c'est le
seul moyen d'avoir de la grâce. Je sais bien que cela ne
donne pas de la force ; mais si vous en manquez , tous
ces déguisemens , au lieu de cacher votre faiblesse , ne
feront que plus ressortir votre impuissance. Il vaudrait
mieux vous retirer , car on n'entre point par ruse dans
le temple de Mémoire ; ses portes , toujours fermées ,
roulent péniblement sur leurs gonds , et ne cèdent qu'aux
efforts d'une main vigoureuse . »
J'en ai assez dit , je crois , pour montrer que l'auteur
a très-bien résolu le problême qu'il s'était proposé . Ce
volume , sans malignité et sans scandale , non-seulement
ne paraîtra point insipide , mais se fera lire avec empressement.
C'est un moyen sûr de parvenir à ce but que
d'entretenir ses lecteurs avec autant d'esprit que d'impartialité
et de décence , des personnages sur qui la
France et l'Europe ont eu les yeux fixés pendant si longtems
.
M. de Lévis nous promet une seconde partie de cet
ouvrage ; elle doit contenir ses observations sur les principaux
personnages qu'il a eu occasion de connaître en
Angleterre , en Allemagne et en Russie, Le public attendra
sans doute l'accomplissement de cette promesse avec
impatience , mais non avec inquiétude , puisque l'auteur
n'y met pour condition que le succès du volume qu'il
publie; il n'était permis qu'à lui d'en douter.
A MARS 1813. 495
ea
tra
Ilnous reste, pour l'acquit de notre conscience de critique
, à relever deux inexactitudes qui sont échappées à
M. de Lévis . En racontant le trait généreux et chevaleresque
du maréchal de Biron , qui paya en 1778 les
dettes de l'amiral Rodney , pour que ce marin célèbre
pût retourner en Angleterre , et servir sa patrie contre
nous , M. de Lévis ajoute que , deux ans après , cet
amiral détruisit notre flotte : ce ne fut pas deux ans ,
mais quatre ans après , car la défaite et la prise du comte
de Grasse sont du 12 avril 1782. Le seconde erreur ne
roule que sur unnom propre . M. de Lévis écrit Pemesja ,
Je nom de l'ami du médecin Dubreuil : c'est Pechméja
qu'il devait écrire . C. V.
3
2.
即
T
ef
ARNOLDIANA , Ou Sophie Arnould et ses Contemporaines ;
Recueil choisi d'Anecdotes piquantes , de Réparties
et de bons Mots de Mlle ARNOULD , actrice de l'Opéra ;
précédé d'une Notice sur sa vie et sur l'Académie
Impériale de Musique ; par l'auteur du Biévriana ,
avec cette épigraphe :
1
Son coeur n'eut jamais part aux jeux de son esprit .
Un volume in- 12 de 380 pages , orné du portrait de
Mlle Arnould , gravé au pointillé par M. Bourgeois de
la Richardière , d'après le tableau de Latour , peintre
du roi. - Prix , 3 fr. 5o c. , et 4 fr. 50 c . franc de
port . A Paris , chez Gerard , libraire , rue Saint-
André-des-Arcs , nº 59 .
Dans le Mercure de France du 16 mars et du 11 mai
1811 , à l'occasion du Répertoire de Bibliographies spéciales
, curieuses et instructives , de M. Peignot , il a été
donné quelques détails sur les Ana. Il a paru depuis
quelques livres de ce genre , et les recherches que j'ai
faites m'ont procuré la connaissance de quelques autres .
En voici la liste :
I. ANONYMIANA . Nous possédions déjà un ouvrage
1
496 MERCURE DE FRANCE ,
sous ce titre , il paraît qu'il en a paru un second a
Londres ( 1 ) .
II. ARCERIANA. Quatre vol. in-folio , manuscrit. Il en
est fait mention dans la Biographie Universelle (2) .
III . BEAUMARCHAISIANA , ou Recueil d'Anecdotes ,
bons Mots , Sarcasmes , Réparties , Satires , Epigrammes
et autres pièces peu connues de Caron de Beaumarchais
, avec des notes et éclaircissemens , précédés de la
vie de l'auteur , par Cousin d'Avalon . Paris , 1812. In-18 .
IV. BRUMMERIANA . Leipzick , 1712. In-8°.
Georges Beyer a recueilli sous ce titre plusieurs opuscules
de Fréderic Brummer. Je ne connais , au reste ,
ce recueil que par ce qu'en dit M. Guizot dans la Biographie
Universelle .
V. CECILIANA , ou Procès-verbal de la fête donnée par
M. Casimir Dechevestre à Mademoiselle Cécile Leduc .
Paris , frimaire an XI , 1802 ( v. s. ) . In-8º de 16 pages .
C'est le récit de ce qui s'est passé à la fête de Mll
Cécile Leduc, et le recueil des couplets qui lui ont été
adressés .
VI. CICERONIANA , ou Recueil des bons Mots etApophthegmes
de Cicéron , suivi d'Anecdotes et de Pensées
tirées de ses ouvrages , et précédé d'un abrégé de son histoire
avec des notes . Lyon , imprimerie de Ballanche
*1812 . In-8° .
,
Ce volume n'a été tiré qu'à cent exemplaires ; on le
doit à deux jeunes avocats de Lyon qui ont voulu garder
l'anonyme ; je respecterai leur secret. Je me contenterai
de dire que c'est un bon livre qui ne peut que
leur faire honneur .
VII. DALEMBERTIANA .
On nous a assuré que ce recueil existait en manuscrit
dans le portefeuille de M. C... ď'A ....
VIII . DAVIERANA , composé par M. Davier de Joigny.
Il est question de cet auteur dans la Bibl. hist. de la
France.
(1 ) Journal de littérature étrangère , 1811 , page 287.
(2) II , 370.
Y
草
MARS 1813 .
IX. FANTASMAGORIANA(3). Le traducteur et
1491SEINE
Eyries .
X. FRANCKLINIANA. Imprimé dans l'Almanach fitteraire
, ou Etrennes d'Apollon pour 1791 , page 78-85.
XI. FRERONIANA . Ouvrage de l'abbé Tue , 5 resté
manuscrit , et qui se trouve dans la bibliothèque de
M. Tarbé , de Sens , qui m'a fait passer plusieurs notes
curieuses .
XII . JANOCIANA , sive clarorum atque illustrium Poloniæ
auctorum mæcenatumque memorice miscelle . Varsovie
et Leipzick , 1776. In-8º de 308 pages . Je ne connais
cet ouvrage que d'après l'éditeur d'Heumann (4) ,
qui le met au rang des écrits sur l'Histoire littéraire de
Pologne.
XIII. JURISPRUDENTIANA , ou Recueil de faits singuliers
et d'anecdotes concernant la jurisprudence et les
jurisconsultes . Lille , 1811. In-32 . Réimprimé en 1812 .
XIV. KOTZEBUANA , etc. ( Curiosités de la vie , des
aventures et des ouvrages du poëte dramatique Kotzebue.
) en allemand. Hambourg , Wolmer , 1809. In-8°
de 120 p . , avec le portrait de Kotzebue. C'est encore
au Journal de littérature étrangère (5) que je dois l'indication
de cet Ana .
XV. LAGOUALANA , ou Collection incomplète des oeu
vres prototypes d'un habitant de la ville de Cena ( Caen ) ,
département du Salvodac ( Calvados ) , par une société
d'oisifs ; première et dernière édition . De l'imprimerie de
Carnaval aîné . In- 12 de 22 pages , sans date , mais imprimé
vers 1805 .
XVI . LECAMUSIANA. J'ai ai vu le manuscrit chez
M. Barrois l'aîné , qui a bien voulu me le communiquer;
c'est un recueil de pièces en prose et en vers , français
et latins . Ces pièces sont de différens auteurs . La plus
longue est un poëme en vers latins hexamètres, intitulé :
Bibliotheca .
(3) On en a parlé dans le Mercure du 4 juillet 1812 , page 32 .
(4) Conspectus reipublicæ litterariæ . Huitième édition revue .
par T. N. Eyring. Hanovre , 1791 , page 164.
(5) 1810 , page 214 .
१
Ii
498 MERCURE DE FRANCE ,
XVII . MERCERIANA , manuscrit.
M. Parison devait publier sous ce titre les notes particulières
trouvées dans les papiers de l'abbé de Saint-
Leger , ou communiquées par des amis avec qui cet
abbé était en correspondance. Je ne crains pas d'assurer,
dit M. Chardon de la Rochette (6) , qu'après le Menagiana
ce sera l'un des plus curieux Ana .
XVIII . MEISTERIANA ( de Léonard Meister ) .
Il est fait mention de ce recueil dans le Journal de
Paris du 9 décembre 1811 , article Confédération Suisse .
XIX. EDIPIANA , recueil choisi de près de trois cents
énigmes., charades et logogriphes . Landau , Ve Friedel
et fils , 1812. In-18 de 144 pages .
Ce recueil imprimé à Metz chez C. M. B. Antoine ,
contient 295 énigmes , 296 charades , 290 logogriphes .
L
XX. POISSARDIANA , ou Recueil d'entretiens poissards
et bouffons , d'après les propos facétieux qui se tiennent
aux halles et sur les ports , entremêlés de chansons grivoises
, de vaudevilles et de rondes de table ; sur des airs
choisis , par un marinier. Au Gros-Caillou , de l'imprimerie
de Pierre Leblanc , charbonnier ; avec permission
des bateliers de la Grenouillère . Un volume in- 12 de
324 pages , sans date. Ce recueil est de Cailleau .
XXI. RIVAROLIANA , ou Recueil d'Anecdotes , bons
Mots , Sarcasmes , Réparties , Satires , Epigrammes et
autres pièces peu connues , de Rivarol , avec des notes et
éclaircissemens , précédés de la vie de l'auteur , par Cousin
d'Avalon . 1
XXII . SCHILLERIANA , etc. ( Traits de la vie , du caractère
et des ouvrages de Fr. Schiller. ) en allemand.
Hambourg , Volmer , 1809. In-8° de 118 pages , avec
le portrait de Schiller .
Je ne connais cet ouvrage que par l'annonce quơn
en lit dans le Journal général de la littérature étrangère
(7) .
(6) Mélanges de critique et de philologie , II ,264.
(7) 1810 , page 214 .
:
t
499
OMARS 1813 .
f
را
bon
5.
هل
XXII . TAISANIANA. Mentionné dans la vie de Taisand
à la tête de ses vies des plus célèbres jurisconsultes .
Il est tems d'en venir à l'Arnoldiana . C'est sous ce
titre qu'on vient de recueillir les bons mots qui ont circulé
dans le monde sous le nom de Sophie Arnould. Ce
n'est point, comme le Ménagiana et quelques autres , un
ouvrage pour les savans ; mais c'est un recueil qui doit
être agréable aux gens du monde. Il n'apprend rien
d'important , mais il peut amuser ; et que de lecteurs
ne veulent pas autre chose ! Depuis une douzaine d'années
nous avons été inondés d'Ana ; il est étonnant
qu'on nous ait donné si tard l'Arnoldiana , mais nous
n'avons rien perdu pour attendre . Au lieu d'un modeste
in-18 on nous donne un gros volume in- 12 , auquel
rien ne manque , portrait de l'héroïne , avant-propos ,
notice sur l'opéra , notice sur Sophie Arnould ; puis
enfin le livre lui-même .
Je ne parlerai ni de l'avant-propos , où l'éditeur rend
compte des motifs qui lui ont fait entreprendre l'Arnoldiana
, ni de la Notice sur l'Opéra , qui me paraît
inutile , à moins qu'on ne prétende qu'on ne peut parler
d'un acteur ou d'une actrice , et donner leur histoire ,
sans faire en même tems l'histoire du théâtre sur lequel
ils ont brillé.
Mais je ne dirai pas la même chose de la notice
sur Mue Arnould. Quoi qu'on en dise , la vie de cette
actrice n'est pas connue ; on sait qu'elle était de son
tems la seule déesse au théâtre des Arts ; mais les détails
que l'auteur de l'Arnoldiana donne sur la famille de
Mlle Arnould , sur la manière dont M. de L. parvint à
l'enlever de chez ses parens , etc. , seront sans doute
nouveaux pour la plupart des lecteurs comme ils l'ont été
pour moi .
- Me Arnould naquit à Paris le 14 février 1740 ( et
non 1744) . Son père tenait , rue des Fossés-Saint-Germain
une maison garnie , connue sous le nom d'hôtel
de Lisieux (8) . Sa fortune lui permettait de faire donner
de l'éducation à ses enfans , et on ne négligea pas les
(8) C'est dans cette maison que fut assassiné l'amiral Coligni .
Ii a
500 MERCURE DE FRANCE ,
dispositions de Sophie Arnould pour la musique. Sophie
Arnould chantait d'abord dans quelques communautés
les leçons de ténèbres ; elle fut ensuite mise sur l'état
de la musique du roi ; de-là à l'opéra il n'y avait qu'un
pas ; elle le fit . Rebel et Francoeur la sollicitèrent secrètement
d'entrer à l'Opéra ; elle y consentit et reçut un
ordre de début. La famille de Mile Arnould voulut alors
la faire mettre dans un couvent ; l'autorité s'y opposa ,
mais du moins Mme Arnould surveilla sa fille ; elle l'accompagnait
elle-même à l'Opéra et ne la perdait pas de
vue un instant. Ce fut le 15 décembre 1757 que Mlle
Arnould débuta sur le théâtre de l'Académie royale de
Musique. Les connaisseurs et les amateurs l'admirèrent;
mais la surveillance de Mme Arnould ne leur laissait pas
le moindre espoir d'approcher de sa fille . Dans ces cir
constances , un jeune seigneur s'avisa d'un stratagême
assez dramatique . Il se présente à l'hôtel de Lisieux
sous le nom de Dorval , et comme un poëte arrivant de
province pour courir la carrière dramatique. Il avait
en effet , dans son portefeuille , une tragédie de sa composition
. Bientôt M. et Mme Arnould l'admirent chez
eux ; il leur faisait confidence de ses essais poétiques ;
et , un soir d'hiver , à la suite d'une lecture larmoyante
qui avait obscurci les yeux de toute la famille , Dorval
et Sophie disparurent .
Mile Arnould devint une actrice célèbre et fut citée
pour ses bons mots ; il est vrai qu'elle ne ménageait personne.
Son gendre lui-même ne se trouva pas à l'abri
de ses traits . Ce gendre , qui dans l'Arnoldiana est désigné
tantôt par les initiales M. A. M. , tantôt par les lettres
A. M.. disait un jour à sa belle-mère : Sije ne suis
pas de l'Académie à trente ans , je me brûle la cervelle.
-Taisez- vous , cerveau brûlé , répliqua Mlle Arnould.
Un mot aussi heureux n'a pas été oublié dans l'Arnoldiana
; mais je reprocherai à l'éditeur de n'avoir pas
nommé ce gendre de Mlle Arnould. Les initiales des
contemporains de Mlle Arnould sont aujourd'hui des
énigmes , sur- tout lorsqu'il s'agit de personnages obscurs
; et j'avoue que je n'ai pu deviner qui désignent les
lettres M. A. M. et A. M. J'en ai été d'autant plus fâché ,
2.
९ MARS 1813. 501
LA
alcs
DOS,
que le désirde connaître le nom du gendre de MeArnould
a redoublé après avoir lu dans l'Arnoldiana ( pag . 88 et
89) ces deux couplets sur le même personnage .
Air : Vive Henri quatre .
Hormis à table
Il est toujous au lit ;
Qu'il est aimable
as
Quand il sait ce qu'il dit !
Mais c'est pis qu'un diable
Pour cacher son esprit .
DS
Of
Coll
T
de
190
om
per
He
es
Al'art de plaire
Qu'il esquive souvent ,
Par caractère
Il joint heureusement
L'esprit de se taire ,
Et chacun est content .
On aime à savoir sur qui portent des traits piquans .
Je désire que mes lecteurs aient plus de pénétration
que moi.
L'Arnoldiana contient plus de quatre cents articles ;
il y en a pour tous les goûts , et sur tous les contemporains
de Mile Arnould. On pense bien que Mme du
Barri y est quelquefois en scène . L'éditeur de l'Arnoldiana
a répété dans une note que cette fameuse comtesse
devait le jour à un moine picpus ; c'est l'opinion reçue
par beaucoup de personnes . J'oserai en avoir une autre :
voici l'autorité sur laquelle je m'appuie. Dans la Vie de
M. Grosley écrite en partie par lui-même ( page 112 ) ,
on lit ce qui suit :
«Dans mes campagnes d'Italie , je ne négligeais au-
>> cune des occasions qui pouvaient prêter à la gaîté.
>> Telle fut celle que m'offrit le baptême d'un enfant qui
>> fut depuis la fameuse comtesse D .. B ....
>> A notre passage en Italie , elle venait de naître dans
>> le mariage d'une ancienne cuisinière de M. Dumon-
>> ceau et d'un homme pâle et gravé de petite-vérole ,
>> auquel , en considération de ce mariage , il avait con-
>> féré le magasin d'Albenga .
>> Le garde-magasin d'Albenga proposa à M. Dumon
502 MERCURE DE FRANCE ,
>> ceau (Billard Dumonceau , munitionnaire - général de
>>l'armée d'Italie en 1745 ) d'être le parrain de la nou-
>> velle née ; mais pressé de continuer sa route , il pro
>>mit de faire la chose au retour et tint parole. Je fus
>> chargé , comme caissier , de l'arrangement et de la
>>dépense de la cérémonie. En faisant cet arrangement
>> avec le curé , je lui dis qu'il était d'usage en France
>> de demander le catéchisme aux parrains , et que je
>>>l'engageais d'autant plus à en user ainsi avec M. Du-
>>monceau , qu'il était très-délicat sur ces pieux usages ,
>> et qu'il se trouverait choqué si on y manquait à son
>>égard . L'enfant fut porté à l'église par sa mère , qui
>> suivait M. Dumonceau , donnant la main à la mar-
>> raine , et escorté des chefs des vivres . Il trouva à
>> l'église le curé cantonné d'une part par moi qui tenais
>> un grand cierge , et de l'autre par Billard portant une
>> chandelle . Le cortége arrivé aux fonts , le curé se
>> tourna vers M. Dumonceau et lui demanda , en mau-
>> vais français : Combien y a-t-il de sacremens ? Le
>> baptême en est un , répondit M. Dumonceau , je ne me
>>rappelle pas des autres. Le curé se retournant lui
>> demanda : Combien y a-t-il de péchés capitaux ?
» Bon , bon , monsieur , répliqua M. Dumonceau , si
nous nous mettions à les compter, nous en aurions pour
>> la journée. Le bon curé désarçonné ne poussa pas plus
>> loin ses questions et finit la cérémonie , au retour de
>>laquelle M. Dumonceau , furieux , chanta pouille au
>>père , à la mère , qui augmentèrent son chagrin en
>>>l'assurant que ces questions n'étaient point d'usage.
>> C'est donc un tour qu'on m'a joué , s'écria-t- il , etme
>> fixant , il ajouta : Je parie que c'est à ce grand nigaud
>> avec son grand cierge que j'en ai l'obligation. Je ne
>>m'en défendis point , et cet événement nous apprêta à
>>rire pour le reste de la route. Ainsi fit son entrée dans
>>> le monde la comtesse D... B .... »
1
Je n'ai pas le mérite d'avoir deviné ce que signifiaient
ces initiales ; le nom de Mme du Barri est écrit à la main
dans mon exemplaire de la Vie de Grosley , et j'écrirai
dans l'Arnoldiana la signification des initiales A. M.
quand je l'aurai apprise. A. J. Q. Βε
MARS 1813 . 503
POL
に
S
6
3
1
F
:
LES CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE , poëme en vingt
chants , tirés des vieux romanciers ; par M. CREUZE
DE LESSER. Seconde édition . Un vol . in- 12 . - Prix ,
3 fr. , et 3 fr . 50 c. franc de port . -- A Paris , chez
Delaunay , libraire , Palais- Royal , galeries de bois ,
n° 243 .
Tout ce qu'on a jamais pu dire de plus encourageant
pour les écrivains et de plus glorieux pour la littérature ,
c'est qu'un livre est un ami ; puisque cet éloge , en supposant
qu'il fût mérité , serait en même tems le plus grand
qu'on pût faire d'un d'entre nous ; mais aussi combien
peu de gens , et à plus forte raison combien peu de
livres dignes de ce nom ! Parmi ces prétendus amis de
la seconde classe , aussi bien que dans la première , on
en rencontre par-ci , par-là, de tristes , de secs , et même
de fatigans , qui ne parlent ni à votre esprit , ni à votre
coeur , et avec qui l'on s'en tient à une simple connaissance
, averti par un secret pressentiment qu'on ne les
aimera jamais . Tantôt ce seront des bavards qui vous
diront et rediront impitoyablement mille choses que
vous savez , et mille qu'ils ne savent pas : un bavard ne
peut pas être un ami. D'autres vous feront des raisonnemens
à perte de vue sur la métaphysique , la morale ,
la politique , l'histoire , etc .; ils se perdent dans les
nues ; ils s'enfoncent dans les abîmes ; vous ne les suivez
ni là , ni là , et vous cherchez ailleurs vos amis . On en
rencontre qui ne cessent de déplorer le sort de cé bas
monde et qui vous en dépeignent les misères de manière
à les augmenter. Ces très-dignes gens-là peuvent avoir
tout l'esprit , toute l'éloquence imaginables ... mais Jérémie
est sans doute un grand poëte , qui plus est , ungrand
prophète , et cependant , je lui en demande pardon... il ne
serajamais mon ami. N'en avez-vous pas vu qui ne cessent
de soigner leurs périodes , de cadencer leurs phrates ,
d'assortir toutes leurs paroles avec un soin qui ne se dément
jamais , espérant sans doute que les belles pensées
viendront d'elles-mêmes s'y loger ? mais ce sont de ma
504 MERCURE DE FRANCE ,
gnifiques écrins , où il ne manquerien , que des diamans ,
et l'amitié ne se paie pas de cette monnaie-là . Il s'en
rencontre , en petit nombre , à la vérité , dont chaque parole
est une flèche , qui de près ou de loin portera toujours
sur quelqu'un ; vous en rirez tant que ce ne sera pas
sur vous ; mais ce qui ne plaît qu'à votre malice , ne suffit
pas à votre coeur ; ainsi point d'ami . Vous avez encore
dans vos bibliothèques certains amis prédicateurs qui
vous parlent soi-disant pour le plus grand bien de tous ;
mais on reconnaît bientôt que c'est pour le plus grand
ennui de chacun ; or , l'ennui est en amitié un empêchement
dirimant . L'esprit humain a besoin de la vérité
pour sa nourriture , c'est pour lui le meilleur et sur-tout
le plus sain de tous les mets ; il est même du goût de
tout le monde , mais il faut savoir l'apprêter. Que dironsnous
maintenant de quelques-uns de ces amis-là qui ne
songent qu'à montrer plus d'esprit qu'on ne leur en montrera
jamais , et qui en montrent toujours , et sur tout , et
sur rien , de manière qu'on en serait , à la longue , ébloui ,
étourdi , comme d'un feu d'artifice éternel ? Quant à
moi , je n'aimerais pas trop un ami si merveilleux , je trouverais
trop de distance de lui à moi pour que tous ses
beaux discours pussent se marier avec mes très-humbles
pensées , et sans cela point d'amitié .
Parlerons-nous ici de ces conteurs de profession ,
moitié revendeurs , moitié fabricans , qui tiennent soit
dans leur mémoire , soit dans leur imagination , un magasin
de tant de choses ( et quelles choses encore ! ) qu'ils
se plaisent à nous débiter ? Eh oui ! nous en parlerons ;
car c'était précisément où nous en voulions venir. Quoi !
me dira- t- on , vous qui vous êtes montré si difficile jusqu'ici
, vous iriez vous relâcher en faveur d'un genre qui
convient mieux pour de petits enfans que pour des
hommes , et pour lequel tant d'esprits de la première
volée affectent si peu d'estime ! Grace au ciel ! nous ne
sommes point de ces esprits-là , et heureusement pour
nous , ni le bon La Fontaine non plus .
Si Peau - d'Ane m'était conté ,
J'y prendrais un plaisir extrême.
MARS 1813 . 505
M
*
院
005.
10
12
et
Nous ne ferions pas plus les dégoûtés que lui , surtout
s'il était conté par celui qui en parle , ou même par
quelqu'un que nous savons , et qui sûrement aurait fait
grand plaisir au bonhomme ; mais tout dépend de la
manière de s'y prendre , et c'est dans ce genre-là particulièrement
qu'il y a fagots et fagots .
Si , dans le nombre de nos conteurs modernes , il
s'en présentait un par hasard qui ne songeât point à
montrer plus d'esprit qu'on ne lui en demanderait , et
qui aurait toujours celui qu'on n'attendrait pas ; qui
semblerait souvent oublier qu'il est en présence de lecteurs
, pour rire , comme s'il était seul , de tout ce qui
lui passerait par la tête; qui tantôt nous endormirait par
ses bonnes simplicités , tantôt nous réveillerait par ses
saillies ; qui saurait également donner aux vieilleries le
vernis de la nouveauté , et la couleur antique à des
pensées toutes battant - neuves ; que nous trouverions
toujours divers , toujours le même , qu'on croirait partout
à sa portée sans pouvoir l'atteindre ; qui cacherait
anla plus de raison dans sa folie , plus de talent dans son
abandon , que d'autres n'en montrent dans leurs compositions
les plus pédantesques et les plus travaillées ;
enfin qui suivrait d'un bout à l'autre son caractère , son
humeur , son caprice ( le premier conseiller des poëtes) ,
racontant , divaguant , chantant , quand la fantaisie lui
en prendrait , changeant de manière , comme un virtuose
qui jouerait de plusieurs instrumens , et qui laisserait
chaque fois en doute , si ce n'est pas le dernier dont il
joue le mieux : enfin , songeant moins à se faire admirer
qu'à nous plaire , moins à nous plaire qu'à nous amuser ,
moins à nous amuser qu'à s'amuser lui-même , comme
un aimable échanson qui s'enivrerait le premier de la
liqueur qu'il nous verserait.... Et voilà précisément ce
qui arrive à l'ami si bien choisi , qui vient de nouveau
nous inviter à la Table Ronde .
島
254
LN
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ma-
무
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1
1
Le voici donc encore une fois ce joli poëme qui a
fait tant de plaisir à sa première apparition , et qui en
fera toutes les fois qu'il reparaîtra , à moins ( ce qui est
impossible ) que l'honneur , l'audace , la gaîté , la courtoisie
, que nous aimons à regarder comme des produc
1
506 MERCURE DE FRANCE ,
C
tions indigènes de notre sol , ne perdent un jour tout leur
prix à des yeux français . Tout ce qu'on peut dire de cette
seconde édition , en attendant qu'on la lise , c'est qu'elle
vaut mieux que la première , si elle y ajoute quelque
chose; et que pour peu qu'elle en retranche , elle ne la
vaudra pas .
Néanmoins beaucoup de gens très- importans diront :
Au fait , des contes ne sont que des contes ; quand
ón les a entendus ou lus une fois , deux fois si vous
voulez , chacun en a tout ce qu'il lui en faut; et comme
disait je ne sais plus qui , à propos de je ne sais plus
quoi , on recommencerait cent fois que ce serait toujours
la même chose : adage qui pourrait avoir plus d'une
application , mais qui annonce d'ordinaire quelqu'un
plus près d'être las que d'être content. Il serait sur-tout
bien placé dans la bouche d'une certaine classe de lecfeurs
, dédaigneux par air , indifférens par ignorance ,
qui , d'après je ne sais quels exemples à la glace , prennent
le dégoût pour le vrai goût , et qui pensent triste
ment que presque rien en littérature n'est digne d'un
second regard . Mais non , mes chers messieurs , ce ne
séra point la même chose. Je vais tâcher de m'expliquer.
La perfection , dans quelque genre que ce puisse
être , paraît toute simple au premier aperçu ; c'est même
un de ses attributs les plus précieux : mais pour qui
essayerait de la méditer , rien n'est plus composé , puisqu'elle
consiste dans la juste harmonie de tout ce qui
tient de près ou de loin au sujet . Imaginez un tissu merveilleux
de fils si déliés qu'ils échappent souvent à notre
attention , et en même tems si multipliés que d'un même
coup-d'oeil on ne saurait les embrasser tous à la fois ;
c'est tantôt une de ces choses , tantôt une autre que vous
aurez pu remarquer ; vous aurez été frappé un jour de
tels ou tel détails , un autre jour de l'ensemble ; vous
aurez admiré une fois la finesse des pensées , une autre
fois le bonheur de l'expression , une autre fois l'artifice
du travail , etc. , etc. On sait La Fontaine par coeur ,
on sait l'Arioste par coeur , on les a lus cent fois , on les
relit pourtant , et on neles relirait pas si c'était toujours
la même chose . C'est à vous que j'en appelle, Messieurs ,
MARS 1813 . 507
H
2
FO
)
vous savez peut-être aussi votre Virgile , votre Horace ,
votre Racine , votre Voltaire , votre abbé Delille , sans
qu'il s'en manque un vers ; mais si par pur hasard vous
les ouvrez sur les endroits même qui vous sont les plus
présens , vous découvrirez une foule de choses que vous
serez étonnés de n'y avoir point encore aperçues. C'est
ainsi qu'une admiration réfléchie devient , pour un esprit
clairvoyant , une source de délices toujours nouvelles ,
parce que la perfection ne révèle pas tous ses secrets
à-la-fois , et qu'il y a différens charmes cachés dans la
beauté , comme différentes couleurs dans la lumière .
: Ce qui est vrai de tout ce qui est parfait dans son
genre , est encore plus sensible , comme ici , dans ce qui
est parfaitement gai ; or , entre tous les genres de mérite
qui distinguent l'entrepreneur de la Table Ronde ,.
c'est-là celui que les plus redoutables Aristarques lui
disputeraient le moins , et avec lui la presque-perfection
suffit. En effet , la vraie gaîté , vive , adroite , et même
un peu leste de sa nature , a cent manières toutes nouvelles
de montrer les choses , et cent manières toutes
inattendues de se montrer dans les choses qui paraissent
le moins de son ressort. En vain la croirait-on épuisée ,
elle trouvera sans cesse en elle-même de nouvelles ressources
. Représentez-vous un excellent vin de Champagne
( la gaîté semblerait l'avoir choisi pour son emblème
) qui ne cesse de lancer du fond à la surface
des gerbes de bulles pétillantes comme autant d'étincelles
, toujours remplacées par une égale foule d'autres
aussi vives , aussi promptes à s'échapper , et qui vous
invitent à boire jusqu'à ce qu'il ne reste plus ni vin
dans votre verre , ni raison dans votre tête. C'est avec
ce vin inspirateur , peut-être un peu capiteux , mais en
même tems si léger , si agréable , même aux dames les
plus réservées , que M. Creuzé semble avoir écrit son
joli poëme ; c'est là qu'il puise à tout moment et ces
idées soudaines , et cette brillante déraison , et ces lubies
héroïques qu'il prête à ses paladins , et les tendres faiblesses
qu'il aime à nous raconter de ses héroïnes . Eh !
qui ne l'aimerait pas cette gaîté , mère de la variété , que
le poëte a choisie pour sa muse ? il la chargée , en
508 MERCURE DE FRANCE , !
,
quelque façon , de faire les honneurs de la TableRonde,
et , sauf le respect qu'on doit aux muses , elle n'y a pas
toujours gardé son sang froid ; aussi voyez comme elle
anime , comme elle excite , comme elle engage , comme
elle met tout le monde en train ! Il faut , avec elle , que
tout marche que tout danse , que tout se mêle et se
démêle comme on pourra. On jase , on rit , on chante ,
on se défie , on se mesure , on se bat , on se blesse , on'
se tue .... Enfin on s'amuse de son mieux : c'est une
agitation , une confusion un tourbillonnement , où
l'attention est déroutée en sorte qu'il ne vous reste
qu'un souvenir vague de tout le plaisir que cela vous a
fait , sans que vous sachiez précisément à quoi l'attribuer.
Voilà le vrai charme du poëme , voilà ce qui
compensera toujours de reste le peu qui pourrait manquer
à la perfection de l'ouvrage , et c'est pour cela
qu'on y reviendra souvent avec le même attrait , qu'on
poursuivra chaque fois avec le même plaisir , et qu'on
le quittera toujours avec le même regret .
,
,
Nous avons , je crois , déjà parlé une fois sur le plan'
de laTable Ronde , et si alors nous nous sommes trompés ,'
nous nous tromperions encore aujourd'hui , ainsi nous
n'en parlerons plus. Au fait , ce genre de poëme n'exige,
ne comporte même guères plus de plan qu'on n'en voit ,
et celui de la Table Ronde ne peut guères être attaqué ,
je crois , que par certains censeurs de profession , voués
dès l'enfance à la sévérité , hommes très-respectables ,
sans doute , mais que la grâce libre et l'aimable négligence
n'ont jamais initiés à leurs mystères , et qui voudraient
mettre la légèreté même à leur pas . Jamais la moindre petite
licence , jamais le moindre petit écart ne trouveront
d'excuse auprès d'eux , et s'ils avaient à conduire la marche
triomphale de Bacchus revenant des Indes , avec la
troupe indisciplinée des satyres , des faunes , des silènes ,
✔des ménades , deségipans , il faudrait , en dépit du dieu ,
que le cortége marchat droit , et qu'on y fit le maniement
du thyrse avec la même précision que nos régimens
les mieux exercés font le maniement des armes .
Ces pauvres gens n'ont-ils donc pas lu quelque part ?
Dulce est desipere in loco.
;. 509 MARS 1813 . :
et
an
rs
bile
Cependant , ni le plan , ni la conduite d'un poëme ,
ne servent que de bien peu de chose à la gloire du
poëte , non plus qu'au plaisir du lecteur , sans une condition
plus difficile à observer , et sur laquelle nous ne
pouvons que donner et promettre les plus justes éloges
à notre ingénieux trouverre. C'est l'art de tracer et de
soutenir les caractères de ses personnages , de les esquisser
juste du premier coup de crayon , de les montrer
mieux à chaque nouveau trait , de les tenir toujours
dans leur rôle , de ne leur imprimer que des mouvemens
qui doivent , pour ainsi parler , dériver de leur constitution
organique , et de ne leur prêter que les actions ,
les sentimens , les discours qui conviennent le mieux
à chacun , convenientia personce; enfin de mesurer , de
doser , de différentier , de nuancer les mérites , de façon
que tout s'accorde et que tout se distingue . Voilà comme
sont les héros de la Table Ronde , et voilă comme nous
voyons aussi leurs belles amies ; toutes belles , sans avoir
les mêmes traits ; toutes aimables sans montrer le
même caractère ; toutes complaisantes , sans s'y prendre
de la même manière ; enfin toutes charmantes et toutes
différentes . Il en faut , et heureusement il y en a pour
les différens goûts ; car , même en supposant que tout
fût parfait , si tout se ressemblait dans le monde , il est
douteux qu'on s'y amusat seulement autant qu'aujourd'hui
.
L'ennuinaquit un jour de l'uniformité.
Reste encore un point à examiner , un point sur lequel
on n'accorde point de dispense , pas même à la gaîté :
c'est la morale . Celle de ce poëme-ci est éminemment
chevaleresque ; elle n'en vaut que mieux ; et à beaucoup
d'égards nous doutons que les plus austères cénobites
enaient jamais professé une plus pure et plus chrétienne .
J'en citerai pour preuve une très- antique ballade , que
l'auteur a bien voulu rajeunir de quelques siècles pour
la mettre à notre usage , et qu'on peut regarder comme
le catéchisme de la chevalerie .
Vous qui voulez l'ordre de chevalerie ,
Il vous convient mener nouvelle vie ,
1
010 MERCURE DE FRANCE ,
Dévotement en oraison veiller ,
Fuir tous péchés et sur-tout félonie ,
Garder l'église , être grand-justicier ,
Au pauvre peuple être courtois et tendre ,
Sauver la veuve , et l'orphelin défendre.
Ainsi se doit gouverner chevalier.
Je ne dis pas que tout l'ouvrage ne soit que le développement
de ces pieuses maximes . Non , M. Creuze
prêche quelquefois une doctrine plus mondaine , plus
accommodée aux caractères , aux moeurs et aux imperfections
de nos bons Français.
Il doit par- tout poursuivre avec ardeur ,
Dangers brillans , faits de chevalerie ;
Guerrier loyal , être grand voyageur ,
Suivre tournois et joûter pour sa mie ;
Bien et souvent des présens octroyer ,
Etdonner tout si le cas le réclame ,
Hors le secret et l'amour de sa dame .
Ainsi se doit gouverner chevalier.
:
Je ne dis pas que la morale de ce livre , quoique-partout
aussi française , soit par-tout aussi édifiante , et que
le poëte qui nous amuse tant ne doive s'attendre à quelques
observations assez motivées de la part de certaines
gens qu'on n'amuse point , ou qui vous en veulent pour
les avoir amusés . Ils pourront bien le quereller sur l'excessive
complaisance qu'il lui plaît , diront-ils , de prêter
aux belles dames qui figurent dans ses tableaux ; mais
enessayant de nous offrir une peinture fidèle des engagemens
, des travaux et des prouesses des chevaliers ,
M. Creuzé pouvait-il oublier les profits de la chevalerie?
Car , au fait , c'était pour cela qu'on se battait ; et la chevalerie
, toute catholique , toute religieuse qu'elle paraissait
au-dehors , n'en était pas moins dans le fond une
sorte d'islamisme , dont les dames du plus haut parage
voulaient bien être les houris . Eût-il été juste , en effet ,
que le sang de tant de braves et beaux chevaliers n'eût
coulé que pour des statues ? Et après tant de travaux
entrepris , tant de périls affrontés , tant de tours escaladées
, tant de géans pourfendus , enfin, tantde faits inMARS
1813 . Bi
هلا
e
royables , toujours en l'honneur de ces dames , auraientelles
en bonne grace à refuser ce que la courtoisie était
loin d'exiger , je le sais , mais qu'elle pouvait attendre
de leurs nobles et belles ames ? Les uns pouvaient offrir
de servir gratis , les autres pouvaient-elles consentir à
être servies pour rien ? Non , la vertu même plaidait la
cause des chevaliers ; plus la générosité se montre modeste
, plus la reconnaissance devient impérieuse. Nos
bonnes arrière-grand'mères l'ont senti ; et si , dans le
cours des siècles , les mêmes occasions renaissaient,
nous osons croire que leurs arrière-petites -filles ne dérogeraient
point. BOUFFLERS. ,
P. S. Nous nous réservons à parler, dans un numéro
prochain , des différences que nous avons remarquées
entre cette seconde édition et la première.
VARIÉTÉS .
SPECTACLES . - Théâtre Français . - L'Intrigante.-
Rien de plus orageux. que la première représentation de
cette pièce. Les sifflets et les applaudissemens se sont
disputé le champ de bataille avec un acharnement incon
čevable , et la victoire est restée indécise . Cette lutte était
plutôt un triomphe pour l'amour-propre de M. Etienne
qu'un outrage. Qui ne connaît l'envie ?
Triste amante des morts , elle hait les vivans. 1
Il semblait que ce fût plus au noin et au talent de M.
Etienne qu'on déclarait la guerre qu'à sa pièce. De la fortune
, un grand succès , un fauteuil à l'Académie sont des
péchés sans rémission. Ils ont valu de tout tems à l'auteur
que l'on a pu en accuser , plus d'épigrammes que de madrigaux
, plus d'épines que de lauriers. Il paraît que la
Frame ourdie contre M. Etienne ne datait pas d'un senl
jour. On s'était habilement distribué les postes . On
prétend même que ceux qui s'étaient déclarés les amis
les plus ardens de l'auteur avant la représentation de la
pièce , et lors de l'émission des billets , ont déserté,an
milieu du combat pour passer dans le camp ennemi ,
manoeuvre astucieuse , et malheureusement trop à la
512 MERCURE DE FRANCE ,
mode depuis que les auteurs ont tant d'amis . Les malveil
lans ne pouvant attaquer , même en détail , les vers de
l'ouvrage qui se défendent trop bien , se sont retranchés
sur le plan. Accoutumés à n'applaudir que des mélodrames
, à ne démêler que des imbroglios , à ne deviner au
théâtre que des énigmes , ils auraient voulu que l'auteur
D'un divertissement leur fit une fatigue .
:
Rien de plus simple que la fable de la pièce . Une baronne
, versée dans l'art de l'intrigue , après avoir mis en
usage ses talens à la cour de certain électeur , dont on la
soupçonnait même d'être un peu l'amie , ambitionne pour
sagloire un plus vaste théâtre. Elle arrive à Paris chez une
de ses soeurs , encore jeune et jolie ; cette soeura pour mari
un négociant distingué , père d'une fille unique , issue
d'un premier mariage . Le négociant est en voyage , son
beau--ffrrèèrree absent , quelle joie pour la baronne ! d'une
maison simple et modeste elle fait un palais ; renvoie les
anciens serviteurs , pour prendre des laquais plus brillans ;
joint le luxe des équipages à la somptuosité de la table.
Son hôtel est le rendez-vous des étrangers les plus opulens,
des grands seigneurs les plus en crédit :
Elle cherche l'éclat et la célébrité ,
Le repos est pour elle une calamité .
Tout ce luxe effrené n'est pas fort du goût d'un caissier,
nommé Dubreuil , ami de la maison et attaché depuis
long-tems à M. Dorvillé , c'est le nom du négociant ; mais
la bienséance le force à se contenir , jusqu'au moment où
son humeur un peu brusque , mais loyale , pourra éclater
utilement . La baronne , ivre d'ambition , voudrait déjà
voir sa nièce élevée au plus haut rang , et cherche à l'éblouir
par les descriptions les plus pompeuses du faste et
des plaisirs de la cour ; mais Julie , c'est la jeune personne
, aussi modeste que belle , aussi naïve que sage , ne
la comprend pas : son coeur n'est occupé que du jeune
Sainville , fils d'un ancien ami de son père , qui , après
avoir travaillé en qualité de commis dans la maison , a
pris le parti des armes , et a déjà fait retentir de ses exploits
les gazettes , que Julie ne manque pas de lire. Ce
fatal amour contrarie les idées de la baronne , mais il n'est
point de ressorts qu'elle ne fasse jouer pour réussir. C'est
au comte de Saint-Far qu'elle destine Julie . Ce comte ,
homme de cour , est d'une nature fort originale , etqui
MARS 1813 . 513
1
Iter
12
25
paules
cour .
D
figure d'une manière neuve dans la dese courti- Il n'ose aimer , ni même penser sans l'ordre de la
Il craint de paraître indépendant. Les choses en
sont à ce point quand M. Dorvillé arrivesQuelle surprise !
il ne trouve plus ses anciens serviteurs.Quel bouleversement
s'est fait dans sa maison ! Une belle-soeur , qu'il ne
connaît point , y règne despotiquement . apprend, par le
fidèle Dubreuil , tout le scandale qui s'estopére. Il apprend
même que la baronne veut disposer de la main de sa fille.
Il ordonne la réforme la plus prompte. Plus de valets
dorés , plus de festin magnifique , plus de prince. Adieu ,
L'envoyé de Maroc et l'évêque de Senlis .
Il jouit du trouble de la baronne qui attend à dîner
quarante- deux convives , sans compter certain baron , espèce
de prince supprimé , fort plaisant par son emphase
germanique et ses complimens mythologiques . Vous quittâtes
Munich , madame ,
Les plaisirs avaient fui quand Vénus est partie .
Et la baronne répond :
Ah ! que ce compliment sent bien la Germanie !
Cependant le comte de Saint-Far veut bien faire à
M. Dorvillé l'honneur d'épouser sa fille et une dot d'un
million d'écus . Le négociant s'excuse adroitement et sort .
Bientôt la baronne le menace de l'autorité de la cour , s'il
ne consent à un hymen aussi honorable pour sa famille .
Que peut faire la cour à l'hymen de ma fille ?
Je suis sujet du prince et roi dans ma famille .
Mais Sainville , instruit que le comte doit épouser Julie,
vient lui demander raison des moyens peu délicats dont il
se sert pour obtenir celle qu'il aime. Le comte , aussi indigné
que surpris d'un pareil reproche , répond avec
dignité : ignorez-vous qui je suis ?
Je sers , dit-il , le prince ....
- Et moi , je le défends ,
réplique Sainville. Mais le comte, informé enfin des expédiens
tentés par la baronne pour éloigner Sainville de Paris ,
court lui-même solliciterle ministre en faveur de son rival ;
il va sortir quand se présente M. Dorvillé qui vient de tout
apprendre . Il s'indigne de la légèreté avec laquelle on fait
parler la cour. Tout son ressentiment tombe sur sa cou-
Kk
1
514 MERCURE DE FRANCE ,
pable belle- soeur. Le calme se rétablit , et Sainville , plein
de joie et de surprise , obtient la main de Julie. J'ai omis
de parler d'un médecin qui manoeuvrait avec l'intrigante ,
parce que l'auteur a supprimé ce personnage à la seconde
représentation . Cependant ce rôle neuf et piquant , semé
de fort jolis vers , pouvait avoir un grand succès. Il est à
souhaiter que l'auteur le rétablisse .
Cet ouvrage se soutiendra par l'énergie des deux caractères
principaux habilement contrastés , celui de M. Dorvillé
et celui de la baronne . La ruse et l'hypocrisie sont
constamment en opposition avec la franchise et la vertu .
Des effets semblables ont été employés par Molière dans
le Misanthrope et dans le Tartuffe. Que serait Alceste sans
le doucereux Philinte , et l'odieux Tartuffe sans le crédule
Orgon? Il me semble que Molière , ce père du théâtre ,
est l'auteur que M. Etienne s'est plu à étudier avec le plus
de soin. Comme lui il trace des portraits d'après des modèles
vivans . Les comédies de Molière sont des tableaux
fidèles et historiques , de vastes miroirs qui réfléchissent
aux yeux de la postérité les moeurs et les ridicules de son
siècle . M. Etienne essaie de marcher sur ses traces .
On lui reproche de n'avoir pas assez mis en action son
intrigante . Voulait- on qu'elle menât de front plusieurs intrigues
? c'était le moyen de n'en faire réussir aucune . En
entravant à chaque instant la marche du personnage , il se
condamnait à l'imbroglio , ressource des esprits médiocres .
Quand on n'a pas le talent d'intéresser par le style , il faut
bien s'amuser à nouer et à dénouer les fils d'une intrigue .
Cette ressource mécanique ne fut jamais celle des grands
écrivains du siècle de Louis XIV. Un simple adieu suffit
à Racine pour tracer Bérénice , et cet adieu fit éclore
un chef-d'oeuvre . Proposez le même plan à certains fabri
cateurs de carcasses dramatiques , et vous verrez le parti
qu'ils en tireront . Des gens d'un goût sévère ont prétendu
que l'intrigante de M. Etienne était une femme
atroce. Pas un seul de ses discours , pas une seule de ses
actions ne tend à l'atrocité . Quel crime commet-elle , pour
vouloir marier sa parente à un homme de cour , qui par
ses places , ses titreess,, son crédit , peut accroître la fortune
de son épouse et donner du lustre à son nom ? Il perce
même dans la conduite de l'intrigante un air de grandeur,
une certaine noblesse d'ame : elle s'oublie pour ne songer
qu'à sa famille.
On soutient encore que l'intrigante manque de gaîté;
MARS 1813 . 515
j'en conviens , si l'on entend par gaîté ce rire qui agacé
les nerfs et agite les fibres du cerveau. Les grâces ne rient
point et ne font point rire : le sourire est leur gaîté . La joie
intérieure de l'ame est bien préférable à cette ivresse bruyante
qui ne peut convenir qu'à la populace des spectateurs .
Je ne prétends pas que l'ouvrage de M. Etienne soit sans
défauts , on les a saisis dans plusieurs journaux avec une
grande sagacité . Peut-être exigerait-on dans la pièce une
conception plus vaste et plus d'effets dramatiques ? Mais
quel est l'auteur qui pourra se flatter de rivaliser celui de
l'Intrigante sous le rapport de la finesse , de la grâce , et
sur-tout du coloris ? Chaque coterie a envisagé l'ouvrage
d'après ses petites passions et l'intérêt de ses protégés ; les
femmes ont prononcé en dernier ressort . Je rencontrai sous
le vestibule en sortant une dame d'une santé robuste qui
三連me dit : la pièce de M. Etienne ressemble à une femme
élégante et bien mise , mais qui manque d'embonpoint.
Peut-être y a-t-il quelque vérité dans cette critique : mais
cette dame jugeait un peu trop d'après elle .
滿
OCH
тар
Fabr
DUS
10
هللا
La seconde représentation a vengé amplement M.
Etienne .
J'étais sûr du succès , si l'on voulait m'entendre ,
est un vers dont on a saisi l'allusion avec avidité .
La pièce a été parfaitement jouée. Mn Mars a tout fait
ressortir avec son naturel inimitable . M Levert , un peu
trop tragique à la première représentation , s'est renfermé
à la seconde dans de justes limites . Elle a abandonné les
gestes pour ne faire parler que son sourire et ses yeux. Le
rôle de l'intrigante commencerait sa réputation , si elle
n'était pas déjà si bien établie . Baptiste est tout entier le
baron , prince supprimé. La brusquerie de Michelot dans
Dubreuil est très -comique . Damas ne laisse rien à désirer
dans le rôle du comte . Cet acteur n'imite personne : comme
Molé , il a créé sa manière . Fleury a retrouvé toute la
vigueur de ses jeunes années :
Pour un semblable acteur l'hiver n'a point de glace .
D. D.
4
Théâtre impérial de l'Opéra- Comique . - Première représentation
du Séjour Militaire , opéra-comique en un
acte , paroles de M. Bouilly , musique de M. Aubert .
Il est d'usage que chacun des théâtres de la capitale
représente , à l'époque du carnaval , quelque pièce bouf-
1
Kk2
516 MERCURE DE FRANCE ;
fone; et les auteurs profitent souvent de l'indulgence du
public pour faire passer des ouvrages dont on ne supporterait
pas la représentation à d'autres époques. Cette réflexion
ne s'applique pas entièrement au Séjour Militaire :
dans tous les tems de l'année cette pièce aurait pu réussir ,
parce qu'il n'est pas de tems où l'on n'aime à rire . Je ne
conçois rien à l'excessive sévérité de ceux qui ont gravement
disséqué cette bluette . On eût dit qu'il s'agissait du
Misanthrope . La sévérité doit toujours être proportionnée
aux prétentions de l'auteur ou au rang que l'ouvrage occupe
dans la littérature . On n'avait à juger ici qu'un petit opéracomique
, et l'on a affecté d'oublier que l'auteur l'avait
même annoncé sous le titre modeste de Folie .
Les officiers d'un régiment de dragons font séjour à Saverne
; ils regrettent de ne pas être à Strasbourg , où le
carnaval leur offrirait les moyens de faire mainte folie ;
tous ne sont pourtant pas à plaindre , car l'un d'eux, le capitaine
Doricourt , possède sa jeune épouse qui , sous les
habits d'un jockey , est venue passer quelques jours auprès
de lui . L'hôtesse informe ces Messieurs qu'une entrevue
importante doit avoir lieu dans son auberge . M. Desécarts ,
secrétaire-perpétuel de l'Athénée de Landau , doit y rencontrer
Mlle Benoît de Strasbourg , qui viendra escortée de
toute sa famille au-devant du bel- esprit qu'elle doit épouser.
Les officiers , apprenant que Desécarts ne connaît pas sa
future , projettent de représenter la famille toute entière ;
l'un d'eux jouera le rôle du père sensible , l'autre celui de
la mère tendre et nerveuse ; le capitaine Doricourt passera
pour l'oncle , professeur au Lycée de Strasbourg ; il a de
plus qué ses camarades une vengeance à exercer contre
Desécarts , qui s'est permis de chansonner Mme Doricourt
qui habite une terre aux environs de Landau . Nos fous
partent pour se déguiser : mais le complot a été entendu
par le nouveau colonel du régiment qui , voulant connaître
les officiers qu'il doit commander , forme le projet non
moins extravagant de prendre un rôle dans cette mascarade
. A peine nos acteurs sont-ils revêtus de leurs habits
de caractère , qu'on annonce M. Desécarts . La jeune personne
, pour se moquer de lui , et l'effrayer sur l'hymen
projetté,montre de grandes dispositions à la coquetterie,
et finit par déclarer qu'elle ne peut se passer de la société
de son petit cousin Charles ; mais rien n'émeut M. Desécarts
, un secrétaire d'Athénée doit avoir de la philosophie.
Alors le professeur demande un entretien particulier avec
MARS 1813 . 517
W
한
限
SE
مال
le futur ; à peine sont- ils seuls que celui -ci , au moyen d'une
fausse confidence , intrigue Doricourt lui-même au sujet
de sa femme , et le mystificateur devient mystifić . Paraît
ensuite le petit cousin Charles , enfant de cinq pieds six
pouces , qui vient déclarer à M. Desécarts qu'il adore sa
cousine , et qu'avant de l'épouser , il faut se couper la
gorge avec lui ; cette clause devrait tempérer l'ardeur du
provincial , mais par malheur il est né taquin ; il faut donc
se battre ; les rivaux se mettent en garde , mais tout en
faisant semblant d'avoir peur , le prétendu secrétaire de
l'Athénée désarme l'officier de dragons . Au bruit du combat
, les camarades , l'hôtesse sont accourus . Dans ce momentun
domestique annonce que la voiture de M. le baron
de Saint-Eugène est prête , et nos étourdis reconnaissent
leur nouveau colonel.
Ce petit acte est gai ; le dialogue est semé de mots heureux
, et dont plusieurs seraient bien placés dans une comédie;
la scène du capitaine Doricourt a particulièrement
amusé ; on aime à voir le trompeur trompé. Celle où le
cousin Charles est désarmé est aussi très-comique , et d'autant
mieux en situation que le colonel est vainqueur , et
que l'officier de dragons n'est vainen que par son supérieur.
La pièce est de M. Bonilly , l'un de nos auteurs les plus
féconds; il est connu pour entendre parfaitement la scène ,
et l'on retrouve ce talent jusque dans cette folie de carnaval .
La musique est le coup d'essai de M. Aubert , et ce coup
d'essai est d'un heureux augure ; on y trouve souvent du
chant , jamais de bruit .
-
Le Cimetière du Parnasse , et Cadet Roussel Esturgeon .
Le premier de ces deux ouvrages est , à ce qu'on m'a
assuré , la parodie de Tippoo - Saëb , dans laquelle les auteurs
ont distribué de petites méchancetés à vingt ou trente
confrères , dont les ouvrages ont été représentés sur différens
théâtres depuis plus d'un an. Pour s'armer ainsi contre
tant de gens qui tous ont fait preuve de talent , pour se
constituer les régens du Parnasse , il faut avoir un nom , il
faut avoir consacré sa mission par des succès ; mais il n'en
est pas de même ici . Tous nos lecteurs connaîtraient les
auteurs que l'on a voulu maltraiter dans la parodie , si nous
voulions les nommer ; mais si je dis que cette prétendue
parodie ou plutôt cette satire en action , est de MM. Theaulon
et Dartois , on me demandera quels sont ces deux
Messieurs . En vain j'ajouterai qu'ils ont , à eux deux , pros518
MERCURE DE FRANCE ,
1
duit deux ou trois vaudevilles ; on me répondra qu'il faut
des titres plus sérieux pour s'ériger en grands pénitenciers
de la littérature . C'était bon autrefois , mais nous avons
changé tout cela.
Cadet Roussel Esturgeon , représenté sur le théâtre des
Variétés , est une véritable parade de carnaval , mais une
parade pleine de gaîté , de folie . Il est plus difficile qu'on
ne pense de faire rire . Il faut voir Brunet en esturgeon , et
Pottier en bailli ; ces deux acteurs rivalisent de talent et de
zèle ; c'est à qui des deux sera le plus comique , et le public
profite de cette heureuse rivalité qui double ses plaisirs .
SOCIÉTÉS SAVANTES .
B.
Société d'Agriculture , Commerce , Sciences et Arts du
département de la Marne , à Châlons .
Voici les sujets de prix et d'encouragement que la Société propose
pour les années 1813 et 1814.
La Société avait proposé , deux ans de suite , pour sujet de prix
cette question :
<<Quels seraient les meilleurs systèmes d'irrigation à introduire
dans le département de la Marne , suivant la nature et la situation
des différens sols ? >>>
Deux Mémoires lui ont été adressés , l'un l'année dernière , l'autre
cette année. Ils portent l'un et l'autre pour épigraphe : De l'eau et des
engrais peuvent améliorer le sol des plaines du département de la
Marne . Mais comme ils n'éclaircissent pas suffisamment la question ,
la Société n'a pas cru devoir décerner le prix : seulement elle accorde
une mention honorable à l'auteur de ces deux Mémoires , dont quelques
observations pourraient amener des résultats avantageux. Elle
retire ce sujet du concours .
La Société avait aussi proposé pour sujet de prix , la question
suivante :
« Quels seraient les moyens d'accroître , dans le département de
la Marne, la fabrication de ses chanvres , dont la majeure partie
s'exporte brute ? Quels genres de fabrication seraient les plus avantageux
?>>
Aucun des Mémoires envoyés n'a rempli le voeu de la Société : il
en est un néanmoins qui lui a paru mériter une attention particulière.
*Ce Mémoire a pour épigraphe : Fils , tissure , cordages . L'auteur
MARS 1813 . 519 7
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15
-15
201
一進
호
que
Fa
2
C
offre sur chacune de ces parties des observations intéressantes : seulement
on aurait désiré plus de développement et de méthode.
Convaincue qu'il serait très -avantageux au département de la
Marne , renommé pour la quantité et la qualité de ses chanvres , d'y
voir multiplier les fabriques en ce genre , et ne désespérant pas d'obtenir
une solution complète , la Société juge à propos de renouveler la
même question : elle double le prix qui sera une médaille d'or de
quatre cents francs .
Elle invite les auteurs à développer leurs idées sur les divers moyens
qui peuvent tendre au perfectionnement , soit des fils , soit de la
tissure , soit de la corderie ; sur ceux qui seraient propres à multiplier
le nombre des fileuses et des fabricans isolés ; à provoquer et à faciliter
l'établissement de grandes fabriques , et à favoriser l'écoulement
de leurs produits . Ils auront par conséquent à suivre , d'une manière
distincte , le développement de chacune des branches d'industrie dont
le chanvre est la matière première .
La Société décernera également , en 1813 , deux prix d'encouragement
, l'un au médecin ou chirurgien qui justifiera avoir vacciné le
plus grand nombre d'individus dans le département , depuis le rez
janvier 1812 , jusqu'au 1er juillet 1813 ;
L'autre , à la personne qui sera parvenue , par les procédés les
plus économiques , à épurer l'huile de navette du département de la
Marne , et à la rendre propre au même éclairage que celle de Flandres
, connue sous le nom d'huile de Colza , épurée à Quinquets .
Les concurrens feront connaître à la Société leurs procédés , et le
prix comparatifde l'huile ordinaire et de leur huile épurée , dont ils
lui feront passer , avant le 1er juillet prochain , un échantillon d'un
litre ou environ.
Le prix sera adjugé , toutes choses égales , à celui qui aura opéré
sur une plus grande quantité d'huile de navette ; et cette quantité ne
pourra être moindre de 500 kilogr.
La Société décernera en 1814 une médaille d'or de deux cents
francs , à l'auteur qui aura le mieux traité cette question :
« Déterminer approximativement l'importance du débouché qu'offraient
à la vente des laines en France , il y a un demi-siècle , la
fabrication et l'usage des tentures et tapisseries d'étoffes dans toutes
les classes de la société . Exposer et déterminer pareillement la diminution
progressive qu'a éprouvée ce débouché par suite de la faveur
et de l'usage presque général des papiers peints employés comme
tentures des appartemens . Comparer analytiquement , et sous tous
les points de vue , ces deux branches d'industrie; et, si la première
(
1
520 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
est reconnue digne d'un très - grand intérêt sous les rapports essentiels
de l'agriculture , du commerce , de l'économie publique et privée , et
même des arts du dessin , présenter les moyens d'encouragement
propres à la relever et à la faire prospérer dans la mesure de l'intérêt
général le mieux entendu . >>>
La Société décernera , pour la même année 1814 , un prix d'encouragement
à la personne qui aura le mieux fait connaître l'insecte
qui , vivant sur le Pin (pinus silvestris ) , en corrode et en fait périr
les pousses de l'année et aura indiqué les moyens de préserver des
ravages de cet insecte un arbre qui se multiplie si utilement dans le
département de la Marne .
,
Les Mémoires et les renseignemens devront être parvenus , francs
de port , au secrétaire de la Société , à Châlons- sur- Marne , avant le
Ier juillet de l'année à laquelle ils appartiendront. Aux Mémoires sera
joint un billet cacheté contenant , avec le nom et l'adresse de l'auteur ,
une épigraphe ou sentence qui sera mise aussi à la tête des ouvrages
envoyés au Concours .
La Société des sciences , belles - lettres et arts de Mâcon , avait
mis au concours , pour l'année 1812 , cette question :
« Les anciens avaient-ils des établissemens publics en faveur des
>> indigens , des enfans orphelins ou abandonnés , des malades et des
>> militaires blessés ? Et , s'ils n'en avaient pas , qu'est- ce qui en..
>> tenait lieu ? »
Le Mémoire nº 2 fut couronné ; mais le billet cacheté annexé à ce
Mémoire , ne portant que des lettres initiales , la Société n'avait su à
qui l'attribuer. Seulement elle avait jugé qu'il était l'ouvrage de deux
coopérateurs , par cette épigraphe :
Melius est duos esse quàm unum ; habent enim emolumentum
societatis suæ ; si unus ceciderit , ab alterofulcietur .
Ecclesiast. , cap . IV, § 9.
Elle vient enfin de percer le voile de l'anonyme et de découvrir que
les auteurs sont M. le baron Percy , commandant de la Légion d'honneur
, chirurgien-inspecteur-général des armées françaises , etc. , et
M. Willaume , membre de la Légion d'honneur , chevalier du Mérite
civil de Wurtemberg , chirurgien en chef d'armée , etc.
L'un et l'autre , en acceptant la palme académique , ont prié la
Société de consacrer la valeur numéraire du prix à un acte de bienfaisance
dans la ville de Mâcon. On ne saurait faire un plus noble
usage du fruit de l'étude et du talent : il est à présumer que les auteurs
publieront leur Mémoire , qui ne peut être que très-curieux et
très - intéressant , si on en juge par le savoir et l'érudition dont ils ont
donné d'honorables preuves dans plus d'une occasion.
4
cte
sap
1
POLITIQUE..
LES nouvelles de Turquie font connaître que les affaires
des Serviens touchent à leur fin . Une amnistie générale
va être publiée avec solennité . Les troupes Bosniaques sont
rentrées dans l'intérieur des pays . Le nouveau pacha a été
reçu à Belgrade . Celui de Widdin négocie pour se soumettre.
Les hostilités entre ce pacha et les troupes ottomanes
⚫ont cessé : pendant ce tems les Turcs augmentent considérablement
leurs forces sur les bords du Danube : on prétend
que ces mouvemens recommencent à donner des inquiétudes
aux Russes .
Les derniers éprouvent un terrible fléau dans une de
leurs possessions les plus importantes . Odessa et son ter-
⚫ritoire ont été en proie à la peste ; malgré l'extrême rigueur
du froid qui s'est maintenu de 16 à 22 degrés , les pertes
ont été très -considérables . Cependant, aux dernières nouvelles
, les communications commençaient à se rétablir
sans résultats fâcheux. Les médecins de Vienne prétendent
qu'à Constantinople , où le même fléau a enlevé une quantité
immense d'individus , ceux qui avaient été vaccinés ont
été à l'abri de la maladie , qu'un médecin italien a fait sur
lui-même la courageuse expérience de ce préservatif en
s'inoculant la peste , sans qu'elle se soit développée .
Les nouvelles d'Allemagne n'offrent toujours aucune
nouvelle politique : elles continuent à annoncer le passage
successif des troupes françaises qui traversent ce territoire
* pour se rendre aux points qui leur sont indiqués , sur l'Elbe
et sur l'Oder. On n'a connaissance d'aucun mouvement
régulier de l'armée russe , et l'on écrit de Berlin que les
troupes légères qui s'étaient en petit nombre hasardées à
passer l'Oder , se sont hâtées de se replier. Les lettres de
Saxe , de Westphalie , de Bavière et de Wurtemberg , ne
parlent que de la prompte exécution des ordres donnés
par les souverains de ces pays pour porter leurs contingens
au grand complet de guerre .
Les journaux anglais n'ont pas en ce moment d'aliment
plus piquant pour la curiosité et la malignité publique que
les discussions auxquelles la lettre de la princesse deGalles
/
522 MERCURE DE FRANCE ,
1
a donné lieu . S. A. R. a adressé une nouvelle lettre à l'orateur
de la chambre des communes , et elle y a été lue publiquement.
La princesse réclame hautement un examen
légal de ses griefs , et récuse le conseil privé qui s'est occupé
de cette affaire .
Les réclamations des catholiques , tant de fois et si vainement
présentées , ont acquis tant de poids des circonstances
actuelles , et l'on sent si généralement en Angleterre
la nécessité de ne pas augmenter les embarras du
ministère par les soins et la surveillance qu'exigeraient des
dissentions. s intérieures , qu'enfin , au sein de la chambre
-des communes , et conformément à la motion de M. Grattan
, un comité sera formé pour s'occuper de ces récla-
-mations . Les affaires relatives à la compagnie des Indes
et à son privilège ne sont pas encore terminées .
-:: Le Moniteur a publié des lettres adressées par les généraux
Reille , commandant l'arinée de Portugal , et Derlon ,
commandant l'armée du centre en Espagne , à S. Exc . le
-ministre de la guerre. Ces lettres annoncent de grands
avantages remportés sur divers points par les troupes de
S.M.,sur les Guerillas et les troupes de l'armée deGal-
-lice. Les généraux Vichery , Fey , Boyer ont exécuté les
*ordres donnés avec la plus grande intelligence. Diverses
bandes ont été détruites , et on a fait des prises considérables
, utiles spécialement à la remonte de la cavalerie. Ces
affaires sont sur-tout un bienfait pour les provinces qu'elles
délivrent de la présence des insurgés , et où elles ramènent
avec l'obéissance aux lois le calme et la sécurité sous la
protection des troupes françaises. Voici la première de ces
lettres , et celle qui contient le fait le plus important.
Madrid , le 10 février 1813 .
Monseigneur , le général Vichery , commandant dans
la province de Guadalaxara , les 16º régiment d'infanterie
légère , 8º de ligne , royal étranger , et 19º de dragons ,
s'étant mis en marche de Guadalaxara , le 29 janvier , avec
environ 2300 hommes d'infanterie et 200 chevaux , pour
se porter sur Siguenza , où se trouvaient les établissemens
de l'Empecinado , son artillerie et le bataillon des volontaires
de Madrid , est arrivé à Siguenza le 30 au matin .
Les troupes ennemies ayant eu connaissance de sonmouvement
, avaient évacué cette ville , mais n'ayant pas eu le
tems d'enlever les effets qui s'y trouvaient , le général Vichery
y a pris environ 3000 fusils , détruit tous les ateliers ;
MARS 1813 . 523
لا
A
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6
E
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20
R
0
et s'étant mis , le 1 février , à la poursuite du corps ennemi
, il l'a joint près de Medina- Celi . Dans une affaire
très -vive qu'il a ene sous cette ville , il a pris le bataillon
des volontaires de Madrid , fort d'environ 1000 hommes ;
ungrand nombre fut tué , et près de 600 , dont 29 officiers ,
viennent d'être amenés à Madrid. Après cette affaire avantageuse
, le général Vichery voulant revenir à Guadalaxara
, pour y ramener ses prisonniers , a été , le 30 février
, attaqué près de Siguenza par tout le corps de l'Empecinado,
auquel s'étaientjoints ceux d'Avril et de Saornill,
et qui portait les forces ennemies à plus de 3000 hommes
d'infanterie , et 1000 de cavalerie. Le général Vichery ,
embarrassé par le nombre de ses prisonniers , ne voulait
pas engager une affaire générale ; mais comme l'ennemi
occupait en force une position qui commandait la route
qu'il devait suivre , il la fit enlever et occuper par le 16°
léger , qui l'attaqua de front , et par le régiment de royal
étranger , qui dirigea son attaque par la gauche de l'ennemi
et lui fit éprouver une très -grande perte. Dans cette affaire
nous prîmes à l'ennemi un drapeau appartenant au bataillon
de Guadalaxara , une cinquantaine de soldats , et on
lui tua un bon nombre d'hommes . Le général Vichery ,
s'étant emparé de la position qui pouvait protéger son
mouvement , l'opéra , faisant couvrir sa marche par le 8º
de ligne qui la soutint avec une grande valeur, forçant
l'ennemi à rétrograder toutes les fois qu'il s'approchait trop
près , et rentra à Guadalaxara , le 5 février , après une expédition
de quelques jours , pendant laquelle il a fait éprouver
à l'ennemi une perte de plus de 1200 hommes , pris
3000 fusils , et détruit tous les ateliers de Siguenza . Dans
ces affaires , le général Vichery , dont on ne saurait trop
faire l'éloge pour son courage, son dévouement et ses talens ,
a eu le bras traversé d'une balle. Il se loue des troupes
-employées sous ses ordres , et particulièrement du brave
19 de dragons , commandé par le major Bessode , qui , à
l'affaire du 1 , a rendu les plus grands services . Le dra-
-peau du bataillon des volontaires de Madrid a été pris par
le maréchal-des - logis Louis Forser.
Signé, le général comte D'ERLON .
MM. les conseillers-d'état Molé , Begouen et Louis ,
orateurs du Gouvernement , ont présenté , le jeudi , au
Corps Législatif , le budjet des finances pour l'an 1813 .
M. Molé a porté la parole ; il a établi comme cause de la
524 MERCURE DE FRANCE ,
-prospérité toujours croissante de l'état des finances de
l'Empire , le système actuellement suivi , l'ordre qui règne
dans toutes les parties de l'administration , la publicité
annuelle donnée sur l'emploi des deniers publics. Les circonstances
extraordinaires dans lesquelles nous nous trou
vons , exigeant un très-grand déploiement de forces , occasionnent
un surcroît de dépenses. Nous n'aurons pas recours
, comme l'Angleterre , à des emprunts , à du papiermonnaie
, à une élévation démesurée des contributions .
La vente de ce qui restait de disponible sur les biens communaux
remplira de beaucoup au-delà les sommes nécessaires
pour les exercices arriérés et celui de la présente
année. Aucun des grands travaux commencés ne sera
ralenti ; aucun établissement utile ne sera retardé ; aucune
réduction , aucune économie à cet égard ne sera nécessaire
. M. le comte Molé n'a rien voulu ajouter , sous ce
rapport , au tableau présenté par S. Exc. le ministre de
l'intérieur , et il a terminé par ce beau mouvement qui a
produit la sensation la plus vive : « Si un homme du tems
des Médicis ou de Louis XIV , a-t-il dit , revenait sur la
terre , et qu'il demandat combien de règnes heureux ,
combien d'années de paix il a fallu pour opérer tant de
prodiges , quel étonnement serait le sien lorsqu'on lui
ferait cette réponse : Il a suffi de douze ans de guerre et
d'un seul homme ! »
Voici le texte du projet de loi .
TITRE PREMIER . -De l'aliénation de quelques parties des
biens des communes .
Art. 1er. Les biens ruraux , maisons et usines possédés
par les communes sont cédés à la caisse d'amortissement ,
qui en percevra les revenus à partir du 1er janvier 1813 .
2. Sont exceptés les bois , les biens communaux proprement
dits , tels que pâtis , pâturages , tourbières et autres
dont les habitans jouissent en commun, ainsi que les halles ,
marchés , promenades et emplacemens utiles pour la salubrité
ou l'agrément .
Sont également exceptés les églises , les casernes , les
hôtels de ville , les salles de spectacles et autres édifices que
possèdent les communes et qui sont affectés à un service
public.
En cas de difficulté entre les municipalités et la régie
des domaines , il sera sursis par elle à la prise de posses
)
MARS 1813 . 525
300
S
N
1
siondes articles réclamés , et statué par le préfet , sauf le
pourvoi au conseil .
3. Les communes recevront en inscriptions , cinq pour
cent,une renteproportionnée au revenu net des biens cédés,
d'après la fixation qui en sera déterminée par un arrêt du
conseil.
4. La régie de l'enregistrement prendra possession , au
nom de la caisse d'amortissement , des biens cédés par
l'article 1er , et ils seront mis en vente devant les préfets , et
à la diligence des préposés de la régie , en la forme ordinaire
, sur une première mise à prix de vingt fois le revenu
pour les biens ruraux , et de quinze fois pour les maisons
et usines . Le prix des adjudications sera payable , un sixième
comptant , un second sixième dans les trois mois de l'adjudication
, et les deux autres tiers d'année en année , à
compter de l'échéance du premier terme , avec intérêt à
cinq pour cent par an , tant du second sixième que des deux
autres tiers , à partir du jour de l'adjudication .
5. La régie versera les revenus jusqu'à la vente et le prix
des adjudications , ainsi que les intérêts , à la caisse d'amortissement
, qui réservera cinq millions pour le fonds
d'amortissement créé par l'article 8 , et fournira au trésor
impérial jusqu'à concurrence de deux cent trente-deux
millions cinq cent mille francs , pour le service des exercices
1811 , 1812 et 1813 .
Sur le surpplluuss,, elle emploiera en achat de cinq pourcent,
la somme nécessaire pour être en mesure de remplir la disposition
de l'article 3.
6. La caisse d'amortissement paiera à chaque commune
l'équivalent du revenu net dont elle aurait joui en 1813 ,
d'après la fixation déterminée par un arrêt du conseil .
Les créanciers qui auront des hypothèques sur des biens
compris dans la cession , auront le droit de transférer leurs
hypothèques sur les autres biens qui restentà la commune;
eten prenant cette inscription avant le 1er janvier 1814, ils
conserveront leur rang d'hypothèque .
A défaut d'autres biens restans à la commune , la rente
assurée par l'article 3 , et les autres revenus de la commune
sont spécialement affectés à ces créanciers .
TITRE II . - De la liquidation des exercices 1809 et
antérieurs .
7. Tout ce qui reste dû pour les exercices 1809et antérieurs
, jusques et compris l'an 9 ( 1801 ) , sera inscrit au
526 MERCURE DE FRANCE ,
1
grand livrede la dette publique. A cet effet, un créditd'on
million de rente est mis à la disposition du ministre des
finances .
8. Il sera procédé à l'amortissement de la nouvelle rente
d'un million , conformément à l'article 14 de la loi des
finances du 15 juillet 1811. Les moyens d'amortissement
réglés par cette loi , sont augmentés , 1 d'un capital de
cinq millions à prélever sur le produit des biens désignés
au titre précédent; 2º des arrérages des rentes non réclamés ,
après cinq ans révolus , dont le paiement sera fait par le
trésor impérial à la caisse d'amortissement.
TITRE III . - De l'exercice de 1810.
9. Le budjet de l'exercice 1810 est définitivement réglé
en recette à la somme de sept cent quatre-vingt-cinq millions
soixante mille quatre cent quarante-trois francs , et en
dépense à pareilte somme , conformément aux états A et
B annexés à la présente loi .
TITRE IV. -De l'exercice de 1811 .
10. Le budjet de l'exercice 1811 est réglé en recette à la
somme d'un milliard , et en dépense à pareille somme ,
conformément aux états C et D annexés à la présente loi .
TITRE V. -De l'exercice 1812 .
11. Le budjet de l'exercice 1812 est réglé en recette à la
somme d'un milliard trente millions , et en dépense à la
même somme , conformément aux états E et F ci-annexés .
TITRE VI. - De l'exercice 1813 .
12. Le budjet de l'exercice 1813 est réglé en recette à la
somme d'un milliard cent cinquante millions , et en dépense
à la même somme , conformément aux états Get H
annexés à la présente loi .
TITRE VII . - Des perceptions dela régie des droits réunis .
13. Les droits dont la perception est confiée à la régie
des droits réunis , continueront à être perçus conformément
aux tarifs actuels .
TITRE VIII.-Disposition relative au cadastre. :
14. L'article 33 de la loi du 15 septembre 1807 , portant
que la masse des contingens actuels , pour la contribution
foncière des communes composant un canton définitivement
cadastré , sera répartie entr'elles au prorata de leur
allivrement cadastral , est applicable à tous les cantons
cadastrés d'un même département. En conséquence , la
MARS 1813. 52.7
20
balt
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1
2
1
masse des contingens actuels de ces cantons sera répartie
entr'eux , à partir de 1814 , au prorata de leur allivrement
cadastral réuni .
La discussion de ce projet de loi a été indiquée au 20
mars .
LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice se sont rendus ,
le 6 de ce mois , à une heure un quart , à l'hôtel des Invalides
. La voiture de LL. MM. était précédée et suivie de
plusieurs voitures de la cour , dans lesquelles étaient des
dames d'honneur de S. M. l'Impératrice et autres personnes
de distinction . LL. MM. ont été reçues par S. Exc .
le ministre de la guerre , par M. le maréchal Serrurier ,
l'état-major , etc.
S. M. a fait la revue de l'état-major et de tous les officiers
et soldats .
LL. MM. se sont rendues dans l'église , où l'on a chanté
un Te Deum. Elles ont ensuite visité l'infirmerie , la boulangerie
, la lingerie , la bibliothèque , le dépôt des plans ;
elles ont assisté au dîner de MM. les officiers .
S. M. a accordé un grand nombre de croix de la Légiond'Honneur
à l'état- major , aux officiers et soldats . La joie
éclatait dans les regards de cés braves invalides , à qui il
ne reste qu'un regret , celui de ne pouvoir plus suivre leur
augusté souverain au champ d'honneur ; ils garderont éternellement
le souvenir des marques d'intérêt que LL. MM.
ont daigné leur accorder.
Les acclamations long-tems répétées de vive l'Empereur!
vive l'Impératrice ! vive le Roi de Rome ! se sont fait entendre
dans l'intérieur de l'hôtel ainsi qu'au-dehors , à l'arrivée
et au retour de LL . MM. palais des Tuilerie qui
a eu lieu à quatre heures .
au
Des salves d'artillerie ont annoncé l'arrivée et la sortie
de LL . MM.
LL. MM. sont parties depuis quelques jours pour
Trianon . Leur retour est regardé comme très-prochain .
S.....
ANNONCES .
Jurisprudence sur la capacité personnelle et sur l'effet des contrats
desfemmes mariées , ou ayant des biens situés tant dans les ci-devant
pays de droit civil , que dans quelques coutumes , principalement
dans la ci-devant Normandie , avant et depuis la loi du 17 nivose
1
528 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
an II ( 6 janvier 1794 ) ; par J. B. M. Robert , ancien avocat au cidevant
parlement de Rouen , avocat à la cour impériale de Paris .
Ouvrage dédié à M. le baron Séguier , commandant la Légiond'Honneur
, maître des requêtes au conseil-d'état , et premier président
de la cour impériale de Paris . Un vol . in-8º de 600 pages . Prix ,
7 fr . , et 8 fr . 50 c. franc de port. Chez Arthus-Bertrand , libraire ,
rue Hautefeuille , nº 23 ; et P. Gueffier , imprimeur-libraire , rue du
Foin- Saint- Jacques , nº 18 .
L'Hermite de la Chaussée-d'Antin , ou Observations sur les moeurs
et les usages parisiens au commencement du dix-neuvième siècle . Deux
vol . in-12. Prix , 7 fr . 25 c. , et 8 fr . 30 c. franc de port. Le même ,
in-80. Prix , 10 fr . , et 12 fr . franc de port. Chez Pillet , imprimeurlibraire
, rue Christine , nº 5 .
'Avis aux anciens abonnés de la Décade philosophique ,
politique et littéraire .
Un littérateur se dispose à publier , en deux volumes in-8° , une
Table de ce Journal , divisée en deux parties , l'une politique et
l'autre littéraire. Cette Table a le double avantage d'offrir l'ordre
méthodique et alphabétique pour les ouvrages , et l'ordre alphabétique
pour les noms des auteurs avec des numéros qui renvoyent aux
ouvrages .
Le prix des deux volumes sera de 12 francs .
On souscrit , en attendant , chez D. Colas , imprimeur du Mercure
, et libraire , rue du Vieux - Colombier , nº 26 .
Quand le nombre des souscripteurs sera suffisant , on commencera
l'impression des deux volumes.
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles . Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr . pour l'année , et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger . )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
Paris.
DE
LA
SEINE
(
2
MERCURE
35 2 <
DE FRANCE.
=
1
1
!
N° DCIX Samedi 20 Mars 1813 .
...
2007
POESI E.
;
Divers traits de l'histoire ancienne et de l'histoire moderne
, mis en vers par C. EUGÈNE GOSSUIN , auditeur
au Conseil-d'Etat...
Trait de courage de Cynégire , à la bataille de Marathon .
(Histoire grecque . )
DES bataillons persans la multitude immense ,
Sûre de la victoire , avec orgueil s'avance ;
Mais dans un défilé l'ennemi les attend ,
Et contre sa valeur leur nombre est impuissant.
En vain d'un rang qui tombe un autre prend la place ,
Aunombre renaissant le courage fait face.
Ils fuient.... Jusqu'à leur flotte en foule repoussés ,
Ils tombent en courant , l'un sur l'autre entassés .
Un navire partait : ô ciel ! comment décrire
L'héroïque action du vaillant Cynégire ?
Fatigué du combat dont il sortait vainqueur ,
L'espoir de vaincre encor ranime son ardeur.
Il s'élance au vaisseau , d'une main il l'arrête ;
De l'autre , il soutient seul l'effort de la tempête.
१८
LI
530 MERCURE DE FRANCE,
Bientôt tombe le bras qui retient le vaisseau ,
Il tombe et l'autre bras le retient de nouveau .
/ Il tombe encore : alors , tel qu'un lion terrible ,
Plus il semble vaincu , plus il est invincible.
Dépourvu des deux bras , il tient avec ses dents
Le vaisseau tout chargé de mille combattans.
Par sa mort seulement l'ennemi se dégage ,
Et déjà loin de lui fuit encor son courage.
Mort de Bertrand Duguesclin . ( Histoire de France. )
DUGUESCLIN ! à ce nom de mémoire chérie ,
S'éveillent aussitôt la Gloire et la Patrie.
Duguesclin ! que son nom est beau pour les Français !
Tous les jours de sa vie ont été des succès .
La mort , qui détruit tout , accrut encor sa gloire ;
Après lui , son nom seul enfanta la victoire.
Les Anglais assiégés , pressés et sans secours ,
Pour se rendre au vainqueur , imploraient quelques jours .
Duguesclin que jamais n'ébranla la Fortune ,
Dans ses faveurs , l'écueil de toute ame commune ,
Respectait l'ennemi qui tombe à ses genoux ,
Ecoute la prière et suspend son courroux.
- Mais au sein de la trève , un fièvre
0120
cruelles clinda
,
e Vient frapper ce héros d'une atteinte mortelle .
Il le sait et regarde approcher le trépas৩৯
Comme il a vu son sang couler dans les combats .
Tranquille ,, il dit auxsiens quuee sa mort semble abattre
«Amis ! sans Duguesclin il vous faudra combattre
>> Il vous reste Clisson ; cehéros , après moiiated aru
>> Saura bien soutenir l'honneur de notre piston siê
>> Ce que j'ai commencé ,que mon ami lachève
> Pour vaincre les Anglais ,je lui laisse le glaive.n
>> Dont le prince honora mon bras long-tems heureux
>> Le remettre à Clisson , c'est prévenir vos voeux
» Ildevient votre chef , il va prendre ma place
>> Mais avant de mourir je demande une grace:
>> Soldats ! yous allez vaincre en suivant ce héro
>>>La guerre offre la gloire , écartez en les maux
• Chateauneuf de Randon en vos mains doit se rendre ,
>> De votre général ne troublez point la cendre i
A
>> Que des Anglais vaincus les jours soient respectés;
>>QueT'habitant somnis , sur la foi des traités,
1.5
2
MARS18137 ЛЯЛЯНИ 53
.
• Croie en chaque soldat ne rencontrer qu'un frère ;
>> Loin d'agraver leurs maux , partagez leur misère.
>>Sans la vertu, soldats , que peut être l'honneur ?
> Et sans l'humanité qu'est-ce que la valeur ?
> Il n'est point de forfait que le devoir excuse ;
» Ecoutez la raison', si l'honneur vous abuse
> Vous allez triompher , et je mourrai content ,
>>>Si vous suivez la voix de Duguesclin mourant :
>> En soumettant la force , épargnez la faiblesse ;
>> Respectez les enfans , les femmes ,la vieillesse ;
>> Sans arme et sans défense , ils vous tendent les mains ,
Soyez-en les vainqueurs et non les assassins. «
, Aces mots que souvent la vertu lui fit dire
Auseinde lavertu le grand Guesclin expire .
Tout le camp est en pleurs : dans cet instant fatal
Le soldat perd l'espoir avec son général ;
Pour la première fois il ressentdes alarmes ;
La trève va cesser , il ne court point aux armes ;
Desonchef qui n'est plus , il cherche le tombeau ,
Et tout prêt d'y mouriryplante son drapeau.
Il attend le signal et l'ennemi le donne ,
,
Les traités sont rompas et la trompette sonne.
Aussitôt se déploie ,à la face du camp
Toute la garnison dans un ordre effrayant.
Tandis que des deux parts règne un morne silence ,
Le gouverneur anglais vers le tombeau s'avance :
<Bertrand n'est plus , dit-il , mais fidèle à l'honneur ,
>> Je viens me rendre à lui comme à mon seul vainqueur.
>> Français , cette victoire est un dernier hommage
>> Que nos bras invaincus rendent à son courage.
>>>Il avait notre foi : si ce héros n'est plus ,
» Il conserve sur nous l'empire des vertus . »
Il dit et sur la tombe il pose son épée ,
Des pleurs d'un ennemi si noblement trempée!
ÉNIGME.
tom od
TS PE
Je ne me cite pas au nombre des merveilles ; абрев
Mais je n'en ai pas moins trois pieds et trois oreilles ; 200
Je suis manchot , et dans mon ventre
Lecteur , il entre
Lla
532 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813.
Des morceaux enflammés , ardens ,
Que je digère en peu de tems .
Un frère mien avale aussi la brique ,
Mais de la digérer il n'a pas la rubrique ,
Ettelle qu'il la prend
Telle aussi mon frère la rend. si
24
:
>
19
D- LOGOGRIPHE of potagese
7
Pars ensens droit , je suis un Empire africain,
Etdans un sens contraire un adverbe latin. 29
T
V.B. (d'Agen.)
1
CHARADE? 1961
15 290 BY " ל
L'AUVERGNE , la Hollande
La Bretagne , l'Irlande som 154 1
Trouvent dans mon premiera
Leur or et leur celier :
Constante à son ouvrage silyon sa sút ,
Toute fillette sage
Avant de se coucher, baobangail
Doit remplir mon derniers ar
:
Janvier , quand tu ramènes
L'époque des étrennes ,
Mon entier tous les ans
Trouve des partisans .
4 V. B. (d'Agen. )
20
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernierNuméro .
Le mot de l'Enigme est Iris .
Celui du Logogriphe est Papier , dans lequel on trouve :Apis
pape, pie , air , are , Rap , pair's rape: nو داب
Celui de la Charade'est Poupin .
9%
SCIENCES ET ARTS.
DES MALADIES AIGUES DES FEMMES EN COUCHE ; par RÉNÉ-
GEORGES GASTELLIER , docteur-médecin licencié en
droit , membre d'un grand nombre de Sociétés savantes
. A Paris , chez Crapart , libraire , rue du
Jardinet , nº 10 ; et chez Lenormant , libraire , rue de
Seine , nº 8 .
L'on a souvent dit et chacun se plaît à répéter jusqu'à
la nausée , que la médecine n'a point suivi les progrès
des diverses sciences physiques ; que les médecins des
siècles modernes n'ont rien fait pour elle , rien ajouté
aux sublimes travaux du grand Hippocrate . On veut que
ceprince de la médecine ait tout dit , tout connu ; que
dans ses oeuvres se trouvent les germes de toutes les
connaissances médicales , de toutes les découvertes des
siècles modernes. Les fauteurs de cette opinion déjà surannée
, poussent même leur réprobation contre tout ce
qui sort de la plume de nos nouveaux Esculapes , jusqu'à
penser qu'on ferait un acte méritoire en livrant tous
leurs écrits à l'oubli ou même aux flammes . Cette sin-,
gulière partialité ne peut être que le résultat de l'ignorance
où se trouvent quelques personnes relativement
aux travaux de la médecine de nos jours , peut- être même
encore un effet de la prévention , de cette vieille habitude
attachée à l'espèce humaine , et qui ne voit rien de bien
que dans le passé. Laudator temporis acti.
Hippocrate était sans doute un génie du premier
ordre . Il pouvait dire de ses oeuvres ce qu' Horace disait
de ses écrits's
21
Exegimonumentum ære perennius.
i
Auçun médecin ne conteste ceci . Tous avouent même
qu'on ne saurait faire de bonnes études médicales , sans
534 MERCURE DE FRANCE ,
se pénétrer intimement des grands préceptes transmis
par lui. Rien n'égale peut-être dans cette science le
traité De aëre , locis et aquis ; celui intitulé Aphorismi ;
ses Liber primus et tertius epidemicorum . Ces écrits
sontdes mines inépuisables , où l'on peut acquérir des
connaissances profondes sur les objets qui y sont traités .
C'est, en un mot , le bréviaire des médecins . Mais gardons-
nous bien de vouer à ces ouvrages un respect trop
exclusif. Combien de grands hommes qui , s'ils marchent
après lui , n'en sont pas moins regardés comme les oracles
de l'art ! Ressemblent-ils aux médecins de Molière ,
ces Galien, ces Arétée , Boerhaave , Sydenham , Baglivi ,
Sthall , Hoffmann , Morgagni , etc.... , qui tour-à-tour
ont fait retentir le monde de leur savoir , et dont les
immortels écrits sont des flambeaux sans lesquels on ne
trouverait en médecine qu'erreurs et obscurité ? Il est
d'autres hommes formés à l'école de ces grands modèles
qui , s'ils n'ont pas leur célébrité , ont cependant
encore de grands droits à la reconnaissance publique.
Guidés par le désir d'être utiles à l'humanité , mus par
une noble émulation , ils notent en silence les observations
qui leur sont particulières ; ils observent , épient
la nature , et surprennent quelques-uns des secrets qu'elle
cherche à dérober à leur attention. Animés toujours du
même esprit , ils rassemblent les fruits de leur pénible
travail , les comparent avec ceux de leurs devanciers
ou de leurs contemporains , et en renversant de vieilles
erreurs , ils donnent à la science un degré de certitude
qu'elle n'avait point avant. De grands avantages résul
tent de ces travaux. Qui ne sait d ailleurs que
Go Du choc des sentimens et des opinions ,
La vérité jaillit et s'échappe en rayons ?
69
C'est à M. Gastellier , l'un de ces habiles observateurs ,
l'un des praticiens les plus distingués de la capitale, que la
médecine est redevable de l'excellent ouvrage que nous
annonçons. Le sujet qu'il a choisi est un de ceux sur
quel les anciens ont laissé les notions les plus vagues .
tait réservé aux médecins du siècle passé et du nôtre
JOCAMARS 1873 ॐॐ
1
1
de nous laisser sur cet important article les écrits les
plus remarquables . Parmi ceux- ci on distingue sur-font
ceux de Doucet , Doublet , White , Stoll, Johnson ,
Walter , Bichat , MM. Pinel , Chaussier , Gastellier ,
Laennec , etc .; plusieurs cependant y noient les faits
dans toutes les subtilités d'un raisonnement alambiqué ,
dans des hypothèses qui déparent leurs ouvrages . Quelques
autres prennent l'effet pour la cause , et vice versa;
d'où résultent aussi des opinions erronées , et une pratique
timide et quelquefois mal assurée. M. Gastellier a voulu ,
aumilieu de ces ténèbres , rechercher la vérité et la tirer
tout-à-fait du cahos , où la retenaient tous les écarts de
l'imagination déréglée de quelques-uns de ses confrères .
Un excellent esprit , une pratique de quarante années ,
soitparticulière , soit dans les hôpitaux , une instruction
très-étendue , voilà les moyens dont il s'est servi pour
arriver à ce but. Il discute avec une rare sagacité plusieurs
points de la doctrine médicale sur les maladies des
femmes en couche , et sur lesquels il règne encore beaucoup
de dissidence parmi les médecins. M. Gastellier
établit ces diverses questions : Existe-t- il unefièvre puerpérale
sui generis ? 1
N'a-t-on pas confondu sous cette expression plusieurs
maladies des femmes en couche , quelques fièvres déjà
très-connues , mais seulement modifiées par le nouvel étát
où se trouvent alors toutes les femmes , ou par quelques
autres circonstances ?
Les altérations , diverses déviations du lait ne sont-elles
pas les causes de toutes ces affections , loin d'en être le
résultat? :
M. Gastellier répond à la première question par la
négative. Sur ce point tous les bons esprits sont d'accord
avec lui.
La seule fièvre de lait paraît suivant lui réclamer ce
titre. Ecoutons-le : « La fièvre improprement dite puer-
>> pérale , est suivant nous la fièvre de lait ; cette fièvre
>> une fois prolongée , ou dégénérée par une infinité de
>> causes physiques et morales , perd sonnom ; elle prend
>>celui de son caractère particulier prononcé par la na
>> ture des symptômes ; en effet l'ascension du lait dans
536 MERCURE DE FRANCE ,
les mamelles , qui est une crise salutaire déterminée
» par la nature en faveur des mères qui nourrissent leurs
>> enfans , est souvent un dépôt ou un abcès laiteux
>> pour celles qui ne nourrissent pas . Ce n'est point ce-
>> pendant que les femmes qui nourrissent soient entiè-
>> rement exemptes de ces sortes de dépôts , parce que ,
>>>comme les autres , elles sont exposées aux mêmes in-
>> fluences physiques et morales ; mais elles y sont infi-
>> niment moins sujettes lorsqu'il ne leur survient pas
>> d'accidens qui y donnent lieu.
>> La fièvre de lait , renfermée dans ses justes bornes,
est un moyen d'élaboration , une véritable crise que
>> la nature emploie pour porter les sucs nutritifs aux
>> vaisseaux mammaires, qui se dilatent pour les recevoir;
>> mais cette fièvre, de lait prolongée et dégénérée sus-
>> pend toutes les excrétions , la laiteuse comme les
>>>autres , et cette suppression donne à son tour de l'in-
>> tensité à la fièvre delait, qui alors change de caractère
>> pour prendre celui de telle ou telle maladie ; d'où il
>> résulte qu'une substance , qu'une liqueur naguères
>> douce, bienfaisante et nutritive , devient tout-à-coup
>> une matière morbifique , un délétère qui , après avoir
>> porté le trouble dans toutes les fonctions , finit par
>>aller se déposer sur des organes plus ou moins essen-
>> tiels à la vie. »
Les médecins applaudiront encore à la seconde proposition
de M. Gastellier. Elle est d'ailleurs démontrée
par l'expérience et l'observation . Peut-être cependant lui
reprochera-t-on de ne point admettre que l'inflammation
du péritoine est une maladie fort fréquente à la suite des
couches, et souvent une cause qui enlève une femme
chérie à son époux , une bonne mère à ses enfans. Il ne
l'a pas vue , dit-il , mais combien d'autres médecins ont
eu le malheur de voir succomber des femmes nouvellement
accouchées , par suite de l'influence de cette
funeste maladie !
Les déviations du lait sont-elles l'effet ou la cause
des diverses maladies qui sévissent contre les femmes
accouchées depuis peudoinoy our 1
(
MARS 1813.535
pos
tere
Dera
C00
re
теро
25
Voilà une de ces questions épineuses et subtiles qui
diviseront long-tems les personnes qui s'occupent de
l'art de guérir. Les humoristes , et M. Gastellier paraît se
ranger sous leurs bannières , voient dans le lait une
liqueur susceptible d'éprouver beaucoup d'altérations et
de produire, par suite de son transport sur les organes ,
les affections les plus profondes comme les plus fâcheuses.
Les solidistes , au contraire , répugnent à admettre ces
altérations primitives des humeurs et ne voient dans ces
maladies que des actions vitales dérangées , des spasmes ,
des inflammations ou de l'atonie dont les liqueurs animales
se ressentent plus ou moins . Dans le premier systême
, le lait est quelquefois un ennemi perfide qu'on ne
saurait trop redouter , un être qu'on doitpoursuivre dans
toutes les routes de la circulation et dans les cellules les
plus profondes de l'organisation humaine . Dans le second
, on ne voit en lui qu'une liqueur douce , incapable
de nuire et qui suit constamment les irritations et les
mouvemens des solides. Quel que soit le parti que l'on
embrasse dans cette lutte médicale , les conséquences
n'en sont point fàcheuses pour les malades . Ces opinions
ne changent heureusement rien au traitement , et il est
vrai de dire pour l'honneur des médecins et le repos des
familles , que les solidistes comme les humoristes s'accordent
presqu'en tout sur les règles du traitement. Nous
ne saurions trop faire l'éloge de M. Gastellier pour les
observations savantes qu'il a consignées dans son livre.
Toutes annoncent un homme profondément versé dans
l'art médical ; lorsqu'il décrit une maladie , ce n'est
qu'après l'avoir bien vue et analysée. Craint-il de laisser
des doutes sur une question ? il a recours à l'autorité des
plus grands médecins , et ce n'est pas sans quelque étonnementquel'on
envisage son érudition et l'exactitude de
ses recherches . Il signale aussi avec beaucoup de sagacié
les erreurs funestes que commettent encore les personnes
chargées du soin des femmes en couche . Qui n'a pas vu,
nous dit-il, ces dernières enterrées presque toutes vivantes
dans un lit hermétiquement fermé par ses rideaux , dans
l'intention de provoquer une sueur abondante? Les portes,
1
538 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
les croisées , tout est exactement clos , et la malheureuse
victime de l'ignorance et des préjugés , ne reçoit de lumière
que le peu qui lui est fourni par une espèce de
lampe sépulcrale placée dans la cheminée. Qui ne sait
encore qu'on ne croit point devoir lui donner de linge
blanc, comme si celui- ci portait avec lui un principe de
dérangement fâcheux et même de mort? Des chemises
mille fois imprégnées par des flots de sueurs , voilà les
nobles vêtemens que la sottise lui accordait sans qu'il fût
possible à la raison d'interposer son autorité. Delà des
éruptions miliaires , des maladies inflammatoires , putrides
, malignes , résultats constans d'une méthode aussi
blamable .
Si nous passons au style de M. Gastellier , nous le
voyons partout clair, précis et quelquefois même élégant.
Son ouvrage n'offre point à la lecture cette sécheresse
que l'on reproche quelquefois avec raison aux livres des
savans . L'occasion le lui permet-elle , tour-à-tour il cite
Horace et Virgile , Juvénał et Sénèque , dont les meilleures
maximes viennent servir comme de point d'appui
àses idées propres .
700057
4
SALGUES , médecin .
:
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1.
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1 "
85,1
dez
LITTERATURE ET BEAUX-ARTS .
NARCISSE DANS L'ILE DE VENUS , poëme en quatre chants ;
par MALFILATRE .-Un vol . in-18 .-A Paris , chez
'Editeur , rue du Battoir , nº 13 ; Arthus-Bertrand,
libraire , rue Hautefeuille , nº 23 ; Delaunay , libr. ,
au Palais-Royal , galerie de bois , nº 243 ; Poley ,
libraire f , rue du Bac , nº 46.
1
La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré ;
S'il n'eût été qu'un sot , n'eût-il pas prospéré? 1
i
J
On peut regarder ces vers comme un hommage rendu
au malheur et au génie : mais cette fleur cueillie au
champ de la satire honorerait peu la tombe de Malfi-
1 lâtre , sans le nom de Gilbert qui lui donne quelque
lustre. Gilbert , dans sa colère poétique , plaidait sa
cause autantque celle de Malfilâtre . L'auteur du poëme
de Narcisseet celui de la Satire du dix-huitième siècle,
eurent un double rapport , l'infortune et le talent. Leur
genre de mort , sans être le même , fut aussi déplorable ;
leurs succès se fortifient et s'accroissent tous les jours .
Gilbert , peu versé dans les langues mortes , se modela
sur les illustres écrivains contemporains du siècle de
Louis XIV ; c'est dans les excellens ouvrages de l'auteur
du Lutrin et de PArt Poétique , et dans les belles Odes
de J.-B. Rousseau , qu'il puisa son talent. Malfilâtre ,
idolâtre des anciens , s'était tellement naturalisé dans la
terre classique , que sans la langue que parlait sa muse,
on l'eût pris pour un poëte grec ou romain. On pourrait
le comparer au statuaire enthousiaste qui détourne l'oeil
du modèle vivant , offert à ses yeux , pour interroger le
marbre antique à qui l'art imprima l'immortalité.
Mais, dira-t- on , quel intérêt présente un sujet tel que
celui d'Echo et Narcisse ? quel attrait pouvait-il offrir à
Malfilatre ?.
1
Venus forme une île peuplée d'adolescens des deux
540
,
MERCURE DE FRANCE ,
sexes. Elle veut qu'avant qu'ils parviennent au temple
de l'Amour , ils passent par celui de l'Amitié. La
déesse leur donne pour guide le dévin Tirésias , infortuné
que Junon frappa de cécité en punition de son imprudence.
Vénus ordonne au vieillard de lui raconter
T'histoire de ses malheurs , histoire passablement graveleuse
, et qui devrait alarmer la pudeur de Vénus même.
Il obéit : la curieuse Echo prête l'oreille au travers d'un
buisson , et ne perd pas un mot du récit de son père.
Junon , ainsi que sa chaste soeur Diane , connue pour
ne point aimer les curieux , métamorphose Echo en
rocher et Narcisse en cette fleur qui a hérité de son
nom. Il n'est certes rien là qui puisse vivement intéresser.
Malfilâtre s'est laissé séduire par le prestige des
descriptions qui se présentaient en foule à son imagination
amoureuse du merveilleux. Il aspirait sans doute
à la gloire de lutter avec Ovide , et de faire usage des
richesses qu'il avait conquises sur l'antiquité. D'ailleurs
ce sujet le transportait dans le beau site de la Grèce ;
il errait parmi les divinités mythologiques ; il s'élan
çait , enfin , d'un monde créé , pour voyager dans un
monde idéal. Eût-il été poëte , s'il eût résisté à des
illusions qui font le charme de la poésie ? Aussi planet-
il constamment sur son sujet. Il commande à sa pensée
qui lui sourit sans cesse. Il dispose , il ordonne ; il
semble que les muses s'empressent de lui cueillirles
fleurs les plus fraîches et les plus variées , écloses dans
leur domaine . Rien n'arrête son vol : comme il sait
s'élever et descendre ! Que de souplesse et de légéreté ,
de grâce et de force ! Il marche l'égal de Virgile dans
la description énergique et animée : témoin celle des
deux serpens qui viennent assiéger à Samos l'autel de
Junon , à l'instant où le fer du sacrificateur est prêt à
tomber sur le front du taureau immolé à la déesse , des
cription inimitable et que je citerais toute entière , sans
les citations multipliées qu'on en a faites. Il est aussi
passionné que Properce , aussi gracieux que Catulle ,
aussi tendre que Tibulle. Plus correct en général que
Lafontaine , il me rappelle quelquefois la malicieuse
naïveté du bonhomme. Necroirait-on pas , dans lesvers
HOW & MARS 181312 541
A
Ta
res
Dal
ia G
er
T
40
DEL
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lepp
網
qu'on va lire , entendre le conteur ingénieux qui fit
parler Joconde ?
fat so Elle était fille ,elle était amoureuse
Elle tremblait pour l'objet de ses voeux ;
Clétait assez pour être curieuse ,
C'était assez filles le sont pour moins .
Mais je ne veux fronder ce sexe aimable ,
Et pour Echo , sa faute est excusable.
Si cette nymphe est coupable en ceci ,
Je lui pardonne : amour la fit coupable
Puisse le sort lui pardonner aussi! びい
Doucement et d'une main habile ,
En écartant le feuillage mobile ,
L'oeil et l'oreille avidement ouverts ,
Elle regarde , elle écoute à travers ,
Ne peut qu'à peine en ce petit asile
Trouver sa place', et craint de se montrer,
Ne se meut pas , et n'ose respirer,
Sait ramasser son corps souple etfacile,
Se promettant durant son entretien
D'épier tout , un mot , un geste ,un rien
Unmot', un geste , un rien , tout est utile .
1
}
:
Elle écoute à travers . De graves censeurs trouveront
peut-être cette ellipse un peu hasardée , mais peut-on ne
pas l'approuver dans le sujet , et au lieu où elle est employée?
Un corps souple etfacile , est aussi une expression
elliptique , car on ne dit pas un corps facile , mais
un corps facile , aisé dans ses mouvemens . La poésie a
ses priviléges , et c'est au goût à fixer la place où ces
aimables négligences peuvent plaire ou déplaire . Eh !
qui fut doué de plus de goût , d'un tact plus exquis et
plus fin que Malfilâtre ? C'est par l'effet de ce même instinet
qu'il a fait choix du rhythme le plus convenable à
son sujet. La marche du vers alexandrin eût été trop
imposante. Le vers de dix syllabes se prête mieux à la
flexibilité , à la variété des coupes . L'enjambement à la
quatrième syllabe sert le poëte ; il est non-seulement
permis , mais il a même de la grâce . Malfilâtre , si bien
servi par la nature , n'avait rien négligé de ce que l'art
MERCURE DE FRANCE ,
pouvait lui apprendre. Admirable par me poésie pleine
de charme et d'abandon , il ne l'est pas moins par le
mécanisme de sa versification , par ce poli , par ce fini
savant , dans les détails les plus minutieux. Avec quelle
exactitude et quelle grâce il dessine les contours de ce
vêtement grec , qui convenait , dit-il , aux deux sexes !
Narcisse , épris de cet objet nouveau
Rougit , se trouble , et voit dans le ruisseau ,
Sur lebeau front de sajeune merveille ,
Paraître un trouble , une rougeur pareille ,
Courir un feu subit et passager ,
Et tous les lis en roses se changer
Pour une nymphe il a pris son image
Dans cette erreur aisément tout l'engage ,
Et sonmenton qui d'un duvet léger
Apeine encor commence à s'ombrager ,
Et ses regards aussi doux que son ame ,
1 4
f
1
T
L
Et sa pudeur , et ces grâces de femme ,
Que l'homme n'a qu'à son premier printems.
Oui , tout l'abuse , et jusqu'aux vêtemens .
Les vêtemens , sans différence aucuде 100
Sont une robe,aux deux sexes commune
Simple en sa forme , élégante sans art ,
1
Autour du corps négligemment jetée I
Qui sous le sein d'une écharpe arrêtée. O
Retombe en plis ,ondoyant au hasard δίας 1 asq
Mais qui souvent , quand il court à la chasse
Franchir les monts , braver les feux dujour, :
Пом
Sur un genou , relevée avec grâce is cliont
Du brodequin laisse voir le contour,
1
:
L'expression de jeune merveille , que j'ai mise en
italique , serait peut-être ailleurs un peu précieuse ; ici
elle n'est que juste et élégante. Il s'agit d'une image
reflettée dans l'eau , d'une forme purement fantastique
Malgré le faible plan du poëme de Narcisse et son
peu d'intérêt , cet ouvrage qui devrait être le breviaire
du poëte , se fera toujours lire avec plaisir. La riche
exécution couvrira toujours la stérilité du fond. Sous le
rapport du style , ce poëme offre bien peu de taches. H
en est que l'auteur eût fait disparaître facilement, Par
AMARS 18 543
exemple , il a employé le mot de guitare; celui de cip
thare eût été , ce me semble , plus convenable dans un
sujet grec . Laloithara était une espèce de lyre , la gui
tare est un instrument moderne. Je ne puis aussi m'empêcher
de relever ce vers défectueux , ou , plutôt , cette
ligne de prose ,
Et la débauche hideuse en son ivresse .
Qui ne sait que l'h est aspiré dans hideuse ? Malfilâtre
eût sans doute aussi corrigé cet autre vers qui n'est pas ,
je crois , strictement français :
dishaon C'est trop long-tems différer tous les jours. A
-L'éditeur a placé à la tête du poëme la traduction de
la fable d'Echo et Narcisse par M. de Saint-Ange
apparemment pour nous montrer la différence entre
poëte formé par l'art seul, et un poëte enfant de la
nature et de l'art. Au reste , cette édition se recommande
d'elle-même. Le format en est portatif , les
estampes agréables . Les vers de Malfilâtre peuvent, il
estvrai , se passer d'un luxe typographique.
e
Voltaire a dit : Tableau d'après nature ,
col: 72.
S'il estbien fait , n'a besoin de bordure . :
?
1
Mais la richesse du cadre prouve le prix que l'on attache
au tableau . DU PUY DES ISLETS .
Lecture des Fables de M. ARNAULT à l'Ecole de Sorèze .
L'APPARITION d'un nouveau Recueil de fables est un
grand évènement pour la jeunesse studieuse. Dès notre
première enfance , on nous a récréés par des fables. Nous
savions à peine parler qu'on nous montrait , en images ,
celles d'Esope ; nous avons ensuite appris par coeur celles
de Phèdre ; notre diction s'est formée en déclamant en
famille celles de La Fontaine. Ces petits drames sont , en
effet, ce qu'ily adans la littérature de plus la portéeddees
enfans . Le style naïf et gai , qui est celui de tous les con-
, puisque on ne conte que pour amuser , doitplaire
à l'âge des jeux. Cet âge léger , effrayé d'ordinaire par les
longs ouvrages , saisittavec plaisir une action exposée en
telirs
à
3
544 MERCURE DE FRANCE
quelques lignes ; ce sont d'ailleurs dés poëmes où tout
parle à l'imagination , et l'on sait combien cette faculté
domine dans les enfans . Il faut l'être , ou le redevenir un
moment , pour lire avec intérêt des fables : eti si l'on y a
eu recours pour captiver de graves assemblées , c'est que
dans les réunions nombreuses l'imagination est bien plus
en activité que le jugement ; c'est qu'en général on y est
plus enfant qu'homme raisonnable . Ménénius etDémosthènes
l'avaient observé avant nous . Mee
Jugez donc la curiosité des jeunes littérateurs réunis à
Sorèze ,quand ils apprirent par les journaux que des fables
nouvelles avaient paru et qu'elles faisaient grand bruit
dans les salons de la capitale . Un professeur qui attendait
son exemplairé leur avait promis de leur en dire son sentiment.
Ce jour si vivement désiré arriva . Les plus avancés
d'entre eux étaient assemblés en séance académique , lorsqu'un
de leurs condisciples se présente . Il vient d'entendre
lire les fables , il eni a retenu beaucoup de vers qu'il va
leur réciter. Grand empressement autour de lui ! Il cite
les Bulles de sapon , qu'il a saisies en l'air ; le Coup de
fusil, l'Arbre exotique , les Cygnes et les Dindons , les
Eponges , le Riche etle Pauvre , etc. Il reproduit ces
images rapides qui l'ont frappé. J'aime , dit-il , les vérités
rendues sensibles par un seul trait , c'est un éclair qui illumine
un grand espace . Tenez , écoutez celle - ci , vous la
retiendrez comme moi mong cho obert
م
1
Tandis qu'en vain cet arbre utile
Attendl'eau dont il a besoin
Pourquoi prenez - vous tant de soin.
De cet arbre ingrat et stérile ?
Mon ami c'est qu'il vient de loin.
23 10%
Voilà qui est vif et précis , répond un des auditeurs ,
mais ces vers et les autres petits tableaux dont vous nous
avez exposé les traits , et qui sont , dites -vous , nombreux
dans ce recueil sont-ce vraiment des fables ? - Faire
cette question , continua le jeune commentateur , c'est
avoir oublié notre Phèdre , un des plus parfaits modèles
du genre. Cet auteur qu'on ne médite pas assez pour
savoir tout ce qu'il vaut ; etpour apprécier ce qu'en pensait
LaFontaine , a aussi intituléfable un seulmotpiquant ,
une comparaison , d'où résulte une vérité , un emblême
MARS 1813 .
545
DE
LA
SEINE
1
.
1
qui rend un précepte plus sensible. Voyez la dixieme da
quatrième livre : A
Jupin à l'homme a fait double besace ,
L'une devant , où se logent , en masse ,
Défauts d'autrui ; l'autre nous pend au dos ,
5.
cen
Immense poche , où pèsent tous les nôtres .
Par ce moyen , nul ne voit ses défauts ,
Mais en revanche , on voit bien ceux des autres (1) .
Tout le monde connaît celle-ci qui est devenue proverbe
:
Une montagne accouchait , et ses cris
Tenaient au loin l'univers dans l'attente .
Ce fut un rat qu'elle fit ... Tel se vante
Et resté nul , quand il a tout promis (2) .
Ces traits-là sont regardés comme d'excellentes fables
dans Phèdre , pourquoi , dans le livre de M. Arnault ,
quand ils ne sont ni moins ingénieux , ni moins énergiques
, perdraient-ils ce titre ? On a admiré dans cet auteur
le portrait du colimaçon .
Sans ami , comme sans famille ,
Ici bas vivre en étranger ,
Se retirer dans sa coquille ,
Au signal du moindre danger ;
S'aimer d'une amitié sans bornes ;
De soi seul emplir sa maison ,
En sortir , suivant la saison
,
Pour faire à son prochain les cornes ;
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures ;
Outrager les plus tendres fleurs ,
(1) Peras imposuit Jupiter nobis duas ;
Propriis replėtam vitiis post tergum dedit ,
Alienis ante pectus suspendit gravem .
Hac re, videre nostra mala non possumus ,
Alii simul delinquunt , censores sumus .
(2) Mons parturibat , gemitus immanes ciens ,
Eratque in terris maxima expectatio.
At illamurem peperit.... Hoc scriptum est tibi ,
Qui magna cum minaris , extricas nihil.
Mm
546 MERCURE DE FRANCE ,
Par ses baisers ou ses morsures ;
Enfin , chez soi comme en prison ,
Vieillir , de jour en jour plus triste ,
C'est l'histoire de l'égoïste ,
Et celle du colimaçon .
Mais ch louant l'élégance jointe à l'extrême précision de
ce style, on a dit : Encore un coup, ce n'est pas unefable !
Cependant vous en connaissez une dans Phèdre écrite du
même style , dans la même forme , et dont le dessin est
exactement pareil :
Courant tout nud sur un acier tranchant ,
Toupet au front , et le crâne fort chauve ,
Facile à prendre à qui vient par devant ,
Mais imprenable une fois qu'il se sauve ,,
Fût- ce Jupin qui lui courût après ,
Voilà le Tems , sa fuite et nos regrets (3).
Le poëte latin ne se borne pas toujours , il est vrai ,
cette concision pittoresque , à cette force qui frappe à
poing serré . S'il raconte une action plus importante , il en
exprime les détails avec tout l'agrément dont ils sont susceptibles
. Quoi qu'on en dise , ses longues fables sont ,
pour l'art du récit et la beauté du dialogue , aussi attachantes
que celles de Lafontaine . Celles du Loup et de
l'Agneau , du Chien et du Loup , de la Chatte , l'Aigle et
la Laye , du Testament , du Cerfet des Boeufs , du Lion
mourant , des Grenouilles demandant un roi , et tant d'autres
, n'ont pas moins de charme que dans le bonhomme ,
avec une versification toujours élégante , un style toujours
sévèrement soigné. M. Arnault sait aussi se donner plus
d'étendue , suivant l'importance des actions qu'il choisit.
Il a déployé même quelquefois les couleurs de la plus belle
poésie . Telle est la peinture allégorique du Pactole ; telle
celle-ci de la chasse :
Le silence a fui loin des bois ,
Leur écho redit à- la- fois
(3) Cursu veloci pendens in novacula ,
Calvus , comosâfronte , nudo corpore ,
Quem si occupâris teneas , elapsum semel ,
Non ipse possit Jupiter reprehendere ,
@ccasionem rerum significat brevem .
:
MARS 1813 547
Les juremens , les cris , les voix
Des chiens , des chevaux et des hommes .
Déjà le limier est lâché ,
105
L
10
,
Sur ses pas , de très -près, le chien courant détale ,
La queue en l'air , le nez à la terre attaché
Des bassets suit la neute intrépide et bançale .
Un commun espoir les soutient ;
On trotte , on court , on va , l'on vient ,
On se rejoint , on se sépare ,
On presse , on retient son essor ,
Au gré des sons bruyans du cor ,
Aux caprices de la fanfare ;
Point de repos...
La fatigue qui suit la chasse forme , avec cette peinture ,
un contraste qui rend les deux tableaux beaucoup plus vifs :
Tout l'équipage est sur les dents ;
Couvert d'écume et de fumée ,
Le coursier du maître est rendu ;
Plus d'un chien hâletant , sur l'herbe est étendu ,
Et , de sa gueule en feu , pend sa langue enflammée.
Dans l'oeuf de l'Aigle vous verrez aussi de ces développemens
qui attestent le grand poëte . Le Chêne et les Buissons
peint un ridicule , nouveau dans l'apologue , et saisi
avec esprit. La crue du chêne , méprisé dans son germe ,
est hardiment peinte .
D'arbuste il devient arbre , et les sues généreux ,
Qui fermentent sous son écorce ,
De son robuste tronc , à ses rameaux nombreux ,
Renouvellent sans cesse et la vie et la force..
Il grandit , il grossit , il s'alonge , il s'étend ,
Il se développe , il s'élance ,
Etl'arbre , comme on en voit tant ,
Finit par être un arbre immense .
L'abeille dans son sein va déposer son miel ,
Et l'aigle suspendre son aire
A l'un des mille bras dont il perce le ciel ,
Tandis que mille pieds l'attachent à la terre ....
Aquelques mots près , qui font pléonasme dans ce morceau
, Phèdre n'a pas souvent cette élévation . Il n'a pas
Mm 2
548 MERCURE DE FRANCE ,
non plus une grâce plus aimable , que dans l'image suivante
où l'on voit
Parmi les blés , dans la saison ,
Un berger semant à foison
Bluets , coquelicots , et mainte fleur pareille
Qu'on voit égayer nos guérets ,
Quand Flore , en passant chez Cérès ,
Alaissé pencher sa corbeille .
Le Secret de Polichinelle est , comme bienvous pensez ,
une des plus jolies fables du recueil. Vousy reconnaîtrez
Sondos , un peu trop arrondi ,
Son ventre , un peu trop rebondi ,
Sa figure , un peu trop vermeille ;
Imaginez -vous mon grivois
Psalmodiant Racine et grasseyant Corneille.
Le parti qu'il prend pour s'illustrer est l'histoire de plus
d'un grand personnage.
Mes défauts sont connus , pourquoi m'en affliger?
Mieux vaudrait les mettre à la mode.
Je ne saurais les corriger ,
Affichons-les , c'est plus commode.
Il est plusieurs célébrités :
Hommes de goût , gens à scrupules ,
La vôtre est dans vos qualités ,
La nôtre est dans nos ridicules .
Ces jolis vers rendent , avec autant de netteté que d'agrément,
une observation morale qui n'avait pas été exprimée.
Ils amènent et font mieux saisir une foule de détails fort
gais.
Ici le rapporteur fut interrompu : je vois , à ce ton admiratif
, que vous allez classer ces fables immédiatement
après La Fontaine. Il n'y a pas de fabuliste qui n'ait eu cet
honneur. Dans son tems , on éleva M. l'abbé Aubert le
plus près du bonhomme. Le duc de Nivernois lut les
siennes et il fut le plus digne rival du fablier français
Imbert prit ensuite la place , que Florian après lui emporta
sans difficulté . A présent , elle appartenait , sans contredit,
à M. Bailli , qui va être à son tour éloigné par M. Arnault.
J'en ai immanquablement oublié plusieurs dans cette
série; mais nul n'a paru qui n'ait été proclamé, pendant
,
1 MARS 1813. 549
quelques jours , comme prenant le premier rang après
L'INIMITABLE. Ne le direz-vous pas de celui-ci ? Ou bien le
mettrez-vous à côté de Phèdre que vous avez cité à son
occasion ? -Notre poëte , mes amis, a déclaré qu'il n'avait
voulu imiter personne . Il fait plus , il le prouve ; mais s'il
faut lui trouver quelque ressemblance , il me paraît que sa
composition aurait plus d'analogie avec celle de l'affranchi
d'Auguste. Il est au moins certain qu'il n'a pas la prétention
d'être taxé de bonhommie. Phèdre est un peu misanthrope
, il frappe fort et juste; notre auteur ne ménage
pas non plus les vérités ; elles jaillissent toujours un peu
brusquement et saisissent avec force le lecteur. Il dit au
factieux :
Ne te crois pas indépendant ,
Mon ami , tu n'es qu'indocile.
Au riche avili :
J'aime mieux maigrir dans l'honneur ,
Qued'engraisser dans l'infamie .
Aplus d'un insecte :
Si l'on te nomme , on te maudit ;
Si l'on te rencontre , on t'écrase .
Au réformateur imprudent :
Il ne faut pas casser les vitres ,
Mais il faut bien les nétoyer .
Aux instituteurs encyclopédiques :
Ne cultivons que le froment ,
Le bluet viendra de lui-même.
L'homme de génie dit à l'homme médiocre et jaloux :
Je ne dois pas , en bonne foi ,
Me rapetisser pour vous plaire ,
Mes frères , tâchez donc de grandir comme moi.
Le lâche au courageux :
Tu cours sur l'ennemi debout ,
Et moi j'attends qu'il soit par terre .
Le philosophe à l'ami des préjugés :
La nuit te fait briller , je la fais disparaître.
Il est peu d'écrivains dont la pensée soit rendue en style
plus franc et plus concis. Cette fermeté annonce un poëte
550 MERCURE DE FRANCE ,
qui a fait plus que des fables . Les trois vers suivans , adressés
au soleil , valent tout l'hymne de l'abbé de Reyrac :
Ton domaine est l'immensité ,
Ta durée est l'éternité ,
Et ta présence est la lumière.
Oui , mais , dit un autre élève , ne lui a-t-on pas reproché
de ne pas dialoguer ?- Ce serait un défaut , et presque
toutes ses fables prouvent que ce n'est pas le sien. Voici
notre professeur . Il vous dira mieux que moi ce qu'il faut
penser de l'ensemble et des détails .- Vous nous avez dit ,
en effet , beaucoup de vers , mais des vers ne sont pas des
fables . M. le professeur , voudrez-vous nous en lire?
Il en lut aussitôt quelques-unes qu'il avait déjà goûtées .
Mais , le dirai-je , les élèves , quoiqu'attentifs , avaient l'air de
n'y point prendre un grand intérêt. Ils applaudissaient vivement
beaucoup de traits , le fonds des choses ne semblait
pas les attacher . Messieurs , leur dit le professeur , j'avais
prévu cet effet . Avotre âge on ne cherche dans les fables
que le plaisant des situations . L'objet principal pour vous ,
c'est le récit. Notre fabuliste n'y voit que la figure qui doit
rendre la moralité plus saillante. Tout ce qui ne sert pas à
la faire ressortir , il le retranche . Il cherche sur-tout le
piquant de la pensée , et ce n'est pas ce qui peut vous
frapper.
Il en est d'ailleurs de l'apologue comme de tout ce qui
tient aux beaux-arts. Les premiers qui s'y livrent s'emparent
des idées mères qui deviennent leur propriété quand
ils savent les mettre dans un beau jour. A mesure qu'on
vient plus tard, les difficultés augmentent , non-seulement
parce qu'il y a déjà des chefs-d'oeuvre qu'il faut au moins
égaler , mais parce que les sujets de première ligne ont été
mis en oeuvre . Les surfaces sont occupées , on est obligé
de creuser pour exploiter la mine ; c'est-à-dire , qu'il faut
découvrir des rapports inaperçus , qui moins sensibles
que les premiers , exigent , dans les auteurs , plus de
sagacité , des observasions plus fines et plus déliées. C'est
ce qui rend les ouvrages des auteurs de la seconde époque
plus abstraits , plus difficiles à comprendre que ceux de
leurs devanciers . Il est moins aisé alors d'être l'écrivain de
toutes les conditions et de tous les âges . Le Méchant et
la Métromanie ne sont pas à la portée d'autant de lecteurs
que le Tartuffe et le Misanthrope. Les vers de M. Delille
circulent dans un cercle plus étroit que ceux de Voltairs .
: MARS 1813 . 551 1.
T
at
a5
ai
te
نا
C'est ainsi que les fables que je viens de vous lire supposent,
pour être comprises , plus de culture plusde
réflexions que celles de La Fontaine . Actéon ,
,
,le Secret de
Polichinelle, les Vitres cassées , le Chêne et les Buissons ,
sont moins faites pour vous autres écoliers que le Loup et
l'Agneau, le Geai superbe , les Grenouilles demandant un
roi , etc. Les enfans liront moins M. Arnault , mais les
hommes faits , les hommes cultivés , admireront dans son
livre une foule de rapprochemens heureux , une abondance
de pensées et d'analogies qui , pour échapper à vos jeunes
regards, n'en sont pas moins intéressantes .
-
-Plusieurs journaux ont remarqué que ce sont plutôt
des épigrammes . C'est ne rien dire de nouveau. Les
fables n'ont jamais été que des épigrammes en action ,
comme les comédies ne sont que des satires en scène .
L'auteur a manifesté un peu plus son intention que les
autres fabulistes , et cet aveu n'a point diminué son succès ,
d'autant qu'avec ce caractère il a fallu qu'il donnât à son
style plus de force que l'apologue n'en avait paru susceptible.
-Dites- nous , monsieur , si vous nous donnerez ces
fables à déclamer, comme celles de La Fontaine ?-On les
déclamera peu , on les citera souvent , répondit le professeur
, et il leva la séance dont l'un des élèves écrivit la
rédaction telle qu'il l'envoie aux rédacteurs du Mercure .
MAUVAISE TÊTE ET BON COEUR .
NOUVELLE .
Lejeune Dorville était seul dans sa chambre , occupé à
écrire au bon M. de Lormeuil son oncle et son tuteur.
Dorville , après avoir écrit sa lettre , la relit avec toute l'attention
dont il est susceptible , ce qui n'est pas beaucoup
dire . Elle était conçue en ces termes :
«Vous m'avez défié , mon cher oncle , de passer huit
jours de suite sans faire des folies . Vous voyez bien qu'il ne
faut jamais défier un fou , car voilà sept jours et demi que
je suis d'une sagesse exemplaire . J'ai gagné mon pari , et
votre chère fille , votre charmante Sophie est à moi , puisque
, suivant nos conventions , elle devait être le prix de
ces huit jours de raison . Vous me demanderez comment
j'ai fait pour être raisonnable huit jours de suite? Je vais
552 MERCURE DE FRANCE ,
vous le dire tout franchement. Je n'ai point quitté mon
appartement , et j'ai fermé ma porte à tous mes amis. Voilà
ce qui s'appelle un homme de précaution ; et vous ne direz
plus , j'espère , que je suis une mauvaise téte. L'amour
m'arendu saaggee pour la vie, et les réflexions quej'ai faites ,
pendant ces huit jours de retraite , ne sortiront jamais de
mon esprit. Venez donc me voir. Je brûle d'impatience de
vous montrer le fruit de ma solitude ; c'est le portrait dé
Sophie . Ce portrait est mon ouvrage , ou plutôt celui de
l'amour. Il est d'une ressemblance ! ...... Ah ! l'original ,
quoiqu'absent , était toujours devant més yeux . Venez
donc , je vous prie. Dans une heure au plus tard mes créanciers
seront payés , graces aux mille louis que vous m'avez
prêtés pour consommer cette bonne oeuvre . »
Cette lettre est fort bien , dit le jeune Dorville ; elle pent
partir sur-le-champ . Mon cher oncle va être bien étonné !
Il appelle son valet-de- chambre et lui remettant sa lettre :
tu ne seras pas fâché de sortir , mon pauvre Lafleur , lui .
dit-il avec bonté. Depuis que tu partages ma solitude , tu
as eu le tems de t'ennuyer.-Oh ! monsieur , dit Lafleur ,
jene m'ennuie jamais en bonne compagnie . -Eh ! eh ! la
mauvaise ne te déplaît pas toujours.-Un homme de bon
sens s'arrange de tout , monsieur. La bonne compagnie a
sonmérite, et la mauvaise a sa gaîté.-Tu seras bien aise
de revoir ta chère Finette , l'aimable suivante de Mlle de
Lormeuil. - Oh ! monsieur , je l'ai vue presque tous les
jours . On m'a bien défendu de vous en parler , mais on
venait savoir de tems en tems commentvous vous portiez ,
et si vous ne faisiez point d'extravagances . Lorsque je répondais
que vous vous portiez à merveille , el que vous
étiez sage comme Caton : Ma maîtresse sera donc bien
contente ! disait Finette . Ah ! mon cher Lafleur ! s'écrie
Dorville , tu me rends le plus heureux des hommes ! Dès
que jjee serai marié, jee m'occuperai de ton bonheur.-Vous
mariez-vous bientôt , monsieur? Ce soir , mon cher , ce
soir. Ne sais-tu pas que mon oncle avait exigé de moi ,
comme une chose impossible , huit jours de sagesse et de
raison ? Voilà sept jours et demi , et ce soir.....
monsieur ! que je voudrais être à demain !
heures .
-
ةم
-
-
- Ah !
Dans six
Dans six heures on peut faire encore bien
des folies , quand on a une mauvaise tête et un bon coeur.
-Ne crains rien , ne crains rien ; je puis répondre de
moi ..... pour six heures. En quittant mon oncle , tu passeras
chez M. Galoni mon tailleur , chez M. Pincemaille et
:
MARS 1813 . 553
6
1
+
1
E
1
1
M. Serré , ces deux honnêtes usuriers qui m'ont si généreusement
prêté leur argent à trente pour cent. Tu leur
diras de m'apporter leur mémoire , et que je vais les payer
sur-le-champ.- Diable ! quelle réforme ! -De là tu passeras
chez Sainclair , et tu le prieras de venir me tenir compagnie
, car je puis à présent ouvrir sans inconvénient ma
porte à tous mes amis.- Quoi , monsieur ! ce jeune fou
de Sainclair , avec qui vous vous êtes battu il y a quelque
tems , et qui vous a si grièvement blessé !.....- Bon! il
n'y paraît plus . Cette blessure si grave n'a pas passé l'épiderme
et je suis guéri . Va donc.-Oh ! le bon enfant !
dit Lafleur en sortant; c'est bien la plus mauvaise tête ,
mais aussi le meilleur coeur du monde. On le tuerait , qu'il
n'en conserverait pas de rancune .
Ily avait à peine une heure que Lafleur était parti pour
s'acquitter de ses commissions , lorsque Sainclairlui-même
entre dans l'appartement de Dorville , avec l'agitation d'un
homme tourmenté par de violentes inquiétudes.-Ah !
te voilà ! s'écrie Dorville en lui pressant affectueusementla
main. Je suis enchanté de te voir , mon cher ami.... mais
qu'as-tu donc? D'où vient cette émotion, cette pâleur ? .....
As-tu besoin de secours ? Ciel ! que t'est-il donc arrivé ?
-Sauve-moi la vie , lui dit Sainclair.-Aux risques de la
mienne , lui répond Dorville avec beaucoup de vivacité ;
mais parle donc , morbleu ! je suis sur les épines .-Dorville,
je suis amoureux comme un fou. C'est ainsi qu'il
faut l'être , ou ne pas s'en mêler . - Celle que j'aime est
charmante .-Tant mieux ! -Elle partage mon amour.
-Tant mieux ! tant mieux ! - Mais elle a pour tuteur
l'homme le plus injuste , le plus dur que je connaisse. Il a
perdu autrefois un procès contre mon père , et veut m'en
punir, en me refusant ma chère Angélique.-Il faut enlever
ta maîtresse.-C'est ce que j'ai fait.-Bravo !-Tu
m'approuves ?-J'aurais agi comme toi . Quel bonheur
que celui d'enlever une jeune personne qu'on aime et dont
on est aimé ! Je lui cherche un refuge où je puisse la
dérober aux premières poursuites . Si je pouvais mettre
Angélique en sûreté pendant quelques heures , je ferais
agir tous mes parens et les siens auprès de son tuteur , qui
ne pourrait , après un tel éclat , me la refuser sans se déshonorer
lui-même ; car enfin il n'a point d'objections à faire
contre ma fortune , ma naissance ou mon caractère . Mais
où cacher Angélique ? A qui la confier ?- A moi , mon
cher, à moi , parbleu ! conduis-la chezmoi ; je t'en réponds
-
554 MERCURE DE FRANCE ,
-
-
- Je
sur ma tête .- Oh ! généreux Dorville ! quelle reconnais
sance ! ..... Tu ferais la même chose pour moi , n'est-il
pas vrai ?- Oui , sans doute . Eh bien ! nous sommes
quittes . Va donc me chercher ta jolie maîtresse .
n'attendais que ta réponse . - Tu deyais la deviner. »
Sainclair s'éloigne pour un moment avec la joie,dans le
coeur . Deux amans malheureux ! dit le jeune Dorville en
se promenant dans sa chambre ! une jeune fille victimedu
despotisme_d'un tuteur ! l'amour persécuté ! un enlèvement
! .... Je suis bien aise que Sainclair ait pensé à moi
dans cette circonstance épineuse , et je lui sais gré de cette
gre
attention délicate . J'aime les aventtuurreess extraordinaires ;
cela donne du mouvement. Ah ! mon cher oncle ! si votre
Sophie avait voulu être enlevée , au lieu de rester huit
grands jours cloué dans ma chambre , je vous aurais fait
faire bien du chemin . »
Il achevait à peine ce discours que Sainclair arrive
donnant le bras à une jeune personne dont la figure est
couverte d'un voile. Angélique tremble ; son émotion est
si vive qu'à peine peut-elle se soutenir. Il est aisé de voir
qu'elle a fait une grande faute et que son coeur se la
reproche. Dorville la salue avec beaucoup de respect.
Vous êtes ici chez vous , mademoiselle , lui dit-il , dis
posez de tout ce qui m'appartient. Voici un cabinet vaste
et commode; vous y trouverez une jolie bibliothèque pour
vous distraire , et personne ne viendra vous y troubler.
Moi-même , tant que vous me ferez l'honneur de rester
chez moi , je m'en interdirai l'entrée . Angélique veut le
remercier , mais elle ne peut lui répondre que par des
larmes . Sainclair prenant la parole , dit à Dorville : Oh
mon ami ! c'est mon bonheur , c'est mon existence toute
entière quejeteconfie. >'Sainclair , répond Dorville avec
enthousiasme, ce dépôt est sous la sauvegarde de l'amour.
Le portrait de ma chère Sophie est dans ce cabinet ; voilà
le plus sûr gardien de ton Angélique . Qu'elle jette de tems
en tems les yeux sur ce portrait chéri , elle comptera sur
ma délicatesse . Oh ! l'excellent homme ! s'écrie Sainclair.
Je n'ai pas besoin , Dorville , de te recommander le
plus profond secret. Adieu , mon ami , adieu ; je te quitte
pour un instant, et vous , chère Angélique , reprenez un
peu de tranquillité , je vais me jeter aux pieds de votre tuteur
, et pendant que j'emploierai tous les moyens de le
fléchir , vous resterez sous la protection de l'ami le plus
généreux , le plus loyal , le plus sensible et le plus délicat.
-
MARS 1813 . 555
1
1
1
1
A ces mots , le jeune Sainclair s'éloigne , et Dorville
s'approchant de la jeune infortunée qui pleure , emploie
toute son éloquence pour la consoler . Ce pauvre Sainclair !
dit- il , comme il vous aime , mademoiselle , morbleu ! que
vous avez bien fait de vous laisser enlever par lui ! C'est
un garçon plein d'honneur , d'esprit , d'agrémens et de
goût. Il aime le jeu , la table , le plaisir , les femmes , enfin
tout ce qu'il y a d'aimable au monde. Vous serez bien
heureuse quand vous l'aurez épousé ; j'en répondrais sur
ma tête . Oh ! que vous avez bien fait de vous laisser enlever
! .... -Cependant , monsieur , je vais être la fable du
public .- Je vous défendrai , mademoiselle , et tous les
honnêtes gens avec moi. Qu'est- ce que le public d'ailleurs?
Doit-on sacrifier son bonheur à l'opinion d'un être qui
n'en a point , ou qui en change tous les jours. Il est
composé d'égoïstes qui donnent toujours tort aux malheureux,
tandis que les malheureux ont toujours raison......
Mais , chut ! j'entends quelqu'un . Entrez vîte dans ce cabinet.
Si on osait troubler votre retraite , pensez que Dorville
est là pour vous protéger et vous défendre .
Cet importun qui vient interrompre Dorville dans la
consolation qu'il donne à la belle Angélique , n'est autre
que le bon Lafleur, très -empressé de rendre un compte
exact à son maître des commissions dont il s'est fidèlement
acquitté.- Votre oncle , lui dit Lafleur , est enchanté de
votre conduite , monsieur, et va sans doute venir vous voir
dans un instant; du moins il me l'a promis . J'ai vu vos
créanciers . Ils m'ont fait l'accueil le plus gracieux et m'ont
bien assuré qu'ils ne vous laisseraient pas languir dans
l'impatience où vous êtes de leur donner de l'argent. Dor-
'ville remercie Lafleur de son zèle et de sa promptitude ,
lorsque tout-à-coup il entend sonner à la porte de son appartement.
S'il me vient quelque visite importune , dit - il à
Lafleur, tu répondras queje suis très-sérieusement occupé .
Je ne puis recevoir que mon oncle et mes créanciers .
Lafleur rentre quelques momens après .- Parbleu , monsieur
, dit- il , c'est encore un jeune fou de vos amis ,
M. Charles de Versac . - Il faut le renvoyer. - Il veut
*absolument vous parler .-Et moi , je ne veux pas absolument
qu'il me parle , dit Dorville avec impatience. Mais
Versac est déjà dans l'appartement; une tristesse profonde
se peint sur sa figure , sur-tout lorsque Dorville s'appro-
*chant de lui , lui dit d'un ton un peu brusque : Ma foi ,
*mon cher, vous venez fort mal-à-propos , je vous en de
556 MERCURE DE FRANCE ,
mande pardon . -Eh bien ! je me retire , répond Versac
d'une voix altérée . -Demain , tant que vous voudrez , reprend
Dorville avec plus de douceur; mais aujourd'hui je
p'ai pas une minute à donner à mes amis .- Demain
Dorville , il ne sera plus tems .- Que signifie celangage?
Qu'est- ce ? Qu'avez-vous donc , Versac? s'écrie Dorville
avec la plus vive inquiétude. Pourquoi ce trouble ?......
Vous étiez monunique ressource et vous m'abandonnez !
-
-
Moi t'abandonner, grand Dieu ! tu ne me connais pas.
Mais au nom du ciel , parle, explique-toi .-Mon parti est
pris , je n'ai plus besoin de personne; adieu . -Non , non ,
tu ne t'éloigneras pas ainsi ; je connaîtrai les raisons qui
t'ont conduit chez moi ; je saurai la cause de cette tristesse
répandue sur une figure que j'ai toujours vue rayonnante
de gaieté .-Je suis le plus malheureux des hommes , et
vous m'avez si mal reçu !-Ah ! mon ami, pardon . Quand
je t'ai si mal reçu , je ne te croyais pas malheureux. Mets
en moi ta confiance .-Tu me promets un secret inviolable?
Je te le jure. -Eh bien ! j'ai joué hier pour la
première fois de ma vie .-Et tu as perdu?-Surparole.
-Cela m'est arrivé cent fois . Maudit jeu ! on perd toujours
.- Je n'ai point d'argent et ne puis recourir qu'à
mon père qui , sur cet article , est inexorable. S'il apprend
que j'ai joué , je suis perdu , et s'il l'ignore , je suis déshonoré
, car je n'ai pu payer ma dette. Est-elle bien considérable
?-Hélas ! oui , elle est de mille louis .-Mille
louis ! oh ciel ! embrasse-moi , mon cher; j'ai précisément
là tes mille louis , tiens , les voilà, Parbleu ! nous sommes
bien heureux que tu n'ayes pas perdu davantage !-Tu
me rends l'honneur et la vie, dit le jeune Versac avec réconnaissance.
Sans toi , Dorville , je n'avais d'autre parti à
prendre que celui de me brûler la cervelle .- Nou , non ,
tu aurais trouvé d'autres amis . Je te sais bon gré de m'avoir
donné la préférence . Mais adieu ; tu me remercieras une
autre fois. Va payer ta dette et laisse-moi seul , car , je te
le répète , je suis l'homme de France le plus sérieusement
occupé.
Le bon Dorville, tout entier à la situation malheureuse du
jeune Versac , avait entièrement perdu de vue ses créanciers;
mais ses créanciers ne l'avaient point oublié , car
d'ordinaire ces braves gens -là ont bonne mémoire . Apeine
Versac était-il parti que M. Galoni , M. Pincemaille et
M. Serré se présentent cchhez Dorville en lui faisantde profondes
révérences . Dorville est d'abord aussi surpris de les
MARS 1813. 557
....
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voir que s'il ne les attendait pas .-Messieurs , leur dit-il
avec un peu d'embarras , je vous ai fait venir pour vous
donner de l'argent. - Oui , Monsieur , de l'argent , dit
M. Pincemaille . -De l'argent , répète M. Serré qui trouve
ce mot bien doux à l'oreille , et qui pense qu'on ne peut
trop souvent le répéter.-Eh bien ! Messieurs , leur dit
Dorville, il faudra bien pour aujourd'hui vous contenter de
P'intention . - L'intention! l'intention ! nous ne connaissons
point cette monnaie-là . - Je n'en ai point d'autre pour le
moment. - Elle n'a point cours sur la place.-Les intentions
peuvent être bonnes, mais elles ne valent pas l'argent.-
Nous ne connaissons que l'argent. -Vous en
aurez demain. -Il nous en faut aujourd'hui . On ne fait
pas venir ainsi d'honnêtes gens pour s'en moquer. -Je
vous en promets .-Promettre et tenir sont deux.- Ma
parole d'honneur . -Mauvaise monnaie.-Comment?...
-Elle n'a pas plus de cours que les intentions . Vous
osez m'insulter , coquins ! vous doutez de ma parole!-
C'est un effet douteux. Sortez d'ici , fripons , sortez .-
Nous ne sortirons pas les mains vides .-Nous n'y sommes
pas accoutumés .- Sortez , vous dis-je , s'écrie Dorville
avec fureur ; sortez par la porte , ou je vous fais sortir par
la fenêtre ; choisissez .-Messieurs , leur dit Lafleur d'un
air flegmatique; je vous conseille en ami de choisir la porte,
c'est le chemin le plus sûr. Vous ne connaissez pas encore
monmaître ; sa parole est de poids. Les usuriers suivent
prudemment ce conseil amical de Lafleur , et s'éloignent
enmenaçant Dorville d'employer contre luitoutes les armes
que la justice remet entre leurs mains.
-
Quand ils sont partis , la colère de Dorville s'apaise par
degrés . Il s'aperçoit que son tailleur , M. Galoni , qui jusqu'à
ce moment n'avait pas dit un seul mot, n'a point suivi
les deux usuriers . Ah ! vous voilà mon cher Galoni? lui
dit-il avec beaucoup de douceur; je suis vraiment au désespoir
, mais vous voyez que je ne puis rien vous donner
aujourd'hui .-Hélas ! signor , répond M. Galoni dans son
jargon moitié italien et moitié français ; je ne viens point
per tormentar la vostra signoria. Cependant la mia povera
femme, elle est ben malade , signore . J'ai quatrò petits
enfans qui vont morire difame. Je ne puis pagar lt loyer
dellamia maison , et nous serons tutti obligés di coucher
questa notte dans la rue . Comment ? que dites vous ?
votre femme ? ..... - E ben malade.-Vos enfans ?....-
N'ont pas solamente une bouchée di pane. Pauvre
1
-
558 MERCURE DE FRANCE ;
M. Galomi ! dit le jeune Dorville avec un profond soupir ;
que je suis malheureux ! ...... Votre mémoire monte ? ........
-Acinquantà louis , signore.-Tenez , voilà ma montre;
elle vaut bien le double de cette somme; allez la vendre .
Vous êtes un honnête homme , vous !
-
-
-
Que vous êtes bon ! monsieur , dit Lafleur lorsque
M. Galoni est hors de l'appartement : on vous fait croire
tout ce que l'on veut . - Comment? - Oui , avec son accent
plaintif et sa souplesse italienne , ce pauvre M. Galoni
est plus riche que vous , peut-être . -Tu ne sais ce que tu
dis; il est dans la dernière détresse . Rien de plus
faux. - Sa femme..... Elle se porte comme vous et
moi . Parbleu ! j'en suis bien aise , ce que tu dis là me
fait grand plaisir . C'est un brave homme que ce M. Galoni;
son sort me faisait pitié , et je suis enchanté de le savoir
heureux. Mais n'entends-je pas la voix de mon oncle ?
Précisément , monsieur , c'est lui - même avec Mlle Sophie.
Dorville ne se possède pas de joie; il vole dans les bras
de M. de Lormeuil qui les presse avec tendresse contre son
coeur.iAh! mon cher oncle, s'écrie Dorville , que je suis
heureux de vous revoir ! et Sophie avec vous ! quel excès de
bonté !- Non , non , mon cher ami, ce n'est point bonté,
c'est justice de ma part. J'ai blâmé vos extravagances , je
dois récompenser votre sagesse . - Quelle douce récompense
! vous êtes le meilleur des oncles , et vous , Sophie ,
la plus charmante de toutes les femmes !-Vous avez donc
été bien raisonnable pendant ces huit jours? lu: ditSophie
dont la jolie figure est toute rayonnante de joie .-Avezvous
craint , Sophie , que je ne perdisse mon pari ?-Un
peu ; je l'avoue, puisque vous l'avez gagné . -Oh! bien
gagné , je vous assure . J'ai été d'une sagesse ! .... Tous
vos créanciers sont payés , mon ami? demande M. de Lormeuil
. Mes créanciers ? - Qui . Mais ..... non ; ils ne
sont pas encore payés . - Pourquoi donc ce retard ?-
C'est que .... lorsqu'ils sont venus ..... je n'avais plus d'argent.
Et les mille louis que je vous ai prêtés ? Je les
avais employés à autre chose , à une chose indispensable.
Monsieur , dit M. de Lormeuil en fronçant le sourcil,
un jeune homme qui reste huit jours de suite dans sa
chambre nepeut trouver le moyen de dépenser mille louis,
sans faire quelques grandes folies . Eh bien ! mon cher
oncle , j'ai dépensé cette somme et je n'ai pas une folie à
me reprocher. - Mais enfin qu'en avez-vous fait ? C'est
un mystère.- Pourquoi nous le eacher ? dit Sophie avec
-
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:
MARS 1813 . 559
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1
tristesse. Je le dois . Vous nous le direz . - Plutôt
mourir. Eh bien ! monsieur , je dois juger par votre
silence que vous êtes très-coupable et que vous avez perdú
votre pari .-Oh ! cela n'est pas encore bien sûr , mon
père , dit Sophie alarmée. --- Non , Sophie , ne me jugez
pas sans m'entendre .- Eh ! comment voulez-vous qu'on
vous entende si vous ne voulez pas parler ? Qu'avez-vous
fait de cet argent ? -- Un bon usage .-Quel est-il? J'ai
K
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payé .... - Quoi ? - Une dette sacrée . Comment ! une
dette qui m'était inconnue ? Oui .... une dette .... de jeu .
Une dette de jeu ! vous avez joué , monsieur ,et vous
appelez cela avoir été raisonnable ? Voilà comme vous
m'aimez ? dit Sophie avec douleur . - Non , Sophie , je
n'ai point joué; je vous aime plus que ma vie. - Vous
voulez nous persuader , reprend M. de Lormeuil , que
vous n'avez pas joué , et vous avez payé une dette de jeu !
Rien de plus vrai . Je le jure par mon honneur, par ma
chère Sophie . - Payer une dette de jeu et cependant soutenir
qu'on n'a pas joué ! Est-ce que cela serait absolument
impossible? demande Sophie avec beaucoup d'ingénuité.
Absolument impossible , ma fille . -Cependant
il ajuré par son honneur, il a juré par moi ; il faut bien que
cela soit possible . - Chère Sophie , s'écrie Dorville , prenez
ma défense. Vous saurez tout unjour. Ah ! loin d'avoir
joué , ajoute-t-il avec la plus grande vivacité , je n'étais occupé
que de vous seule. J'ai fait votre portrait . C'est un
chef-d'oeuvre. Venez , venez voir combien il vous ressemble.
A ces mots , ne pensant qu'à se justifier , qu'à prouver à
Sophie tout son amour , il ouvre la porte du cabinet , il
entraîne son oncle et Sophie , et leur montrant le portrait :
Le voilà , dit-il , avouez qu'il est parlant . - Que vois-je ?
dit M. de Lormeuil en sortant avec précipitation du cabinet
, une jeune personne renfermée ici ? - Qu'ai-je fait ,
malheureux ! s'écrie le pauvre Dorville , qui vient de s'appercevoir
de son imprudence lorsqu'il n'est plus tems de la
réparer ; je suis perdu ! M. de Lormeuil se promène avec
agitation en répétant : quelle horreur! quelle perfidie !
quelle trahison! Dorville le suit avec une anxiété difficile à
peindre .- Ah ! mon oncle . Ne m'appelez plus votre
oncle , monsieur , je ne suis plus rien pour vous .
pitié.... - Je ne vous connais plus. Sortons , ma fille
sortons , abandonnons ce jeune homme à son malheurenx
sort . Dorville est hors de lui-même ; il perd tout à ne pas
se défendre, et cependant il ne peut parler pour sejustifier.
-
- Par
,
560 MERCURE DE FRANCE ,
-
Il se jette aux genoux de Sophie : toutes les apparences
sont contre moi , dit-il , mais je suis innocent , je suis innocent.-
Quoi ! monsieur , lui dit M. de Lormeuil , vous
me faites venir chez vous pour être le témoin ..... Ecou
tez-moi , écoutez-moi . -Je vous croyais un fou , mais je
vous faisais encore trop d'honneur. Adieu , monsieur ,
adieu . Ah ! mon oncle , mon second père ! ne m'abandonnez
pas àmondésespoir. J'implore votre pitié, en attendant
que votre justice .... Mais que vois-je? voilà Sainclair ! je
suis sauvé !
Oui , mon cherami , lui dit Sainclair en riant , te voilà
sauvé d'un péril imaginaire. Calme-toi ; la colère deM. de
Lormeuil n'est qu'une plaisanterie. A ces mots , Sainclair
entre dans le cabinet et ramène l'intéressante Angélique
qui lève son voile en riant aux éclats , et montre aux yeux
étonnés de Dorville les traits de Finette dont les charmes ,
fort séduisans pour le bon Lafleur , n'avaient rien de ce
qu'il faut pour tenter la fidélité d'un jeune homme un peu
délicat,
Versac arrive dans le même instant pour prendre part à
cette scène , et remet entre les mains de Dorville les mille
louis qu'il en a reçus , en lui témoignant toute sa reconnaissance
pour un service dont heureusement il n'avait pas
besoin.
Dorville ne conçoit rien à tout ce qu'il voit , à tout ce
qu'il entend . Il croit rêver , et regarde tour-à-tour les spectateurs
avec une surprise comique . « Je conçois ton éton
nement , mon pauvre Dorville, lui dit enfin Sainclair.
Cette énigme ne te paraît pas facile à débrouiller ; je vais
t'en donner le mot. Versac et moi , nous nous trouvions
chez ton oncle au moment où ta lettre est arrivée. M. de
Lormeuil forme sur-le-champ le projet de te jouer un tour
et de mettre à l'épreuve ton étourderie et ta générosité . Il
lui fallait deux acteurs , et il était nécessaire qu'ils fussent
au nombre de tes amis. Nous avons été enchantés Versac
etmoi de prendre chacun un rôle dans une petite comédie
où ton caractère devait se montrer dans tout son jour ; nous
savions tout ce qu'il devait y gagner. Quoi ! s'écrie
Dorville; quoi ! tout cela n'était qu'un jeu ? l'enlèvement
d'Angélique était un enlèvement imaginaire ? Versac n'a
point perdu mille louis sur parole? Parbleu ! vous possédez
l'un et l'autre un grand talent pour peindre des sentimens
que vous n'avez pas !-Dis plutôt que de tous les hommes,
tues le plus facile à tromper. Versac etmoi, nous avons
MARS 1813 . 561
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fort mal joué notre rôle , et lorsque nous cherchions à
peindre le trouble , la douleur et tous les sentimens que
fait naître une situation pénible et délicate , nous étions
tout prêts à éclater de rire . Et Sophie était du
- Oui , sans doute , répond gaîment Sophie . —
avez trop bien joué votre rôle. C'est quej'en connaissais
-
-
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Ah vous
d'avance le dénouement . - Vous auriez bien dû ne dé
tromper.-Je l'ai essayé vingt fois ; mais vous diez si
vivément ému que vous n'avez compris ni mes gestes , r
mes regards . Est-il possible ! Cher Dorville, ditMen
Lormeuil en le pressant contre son coeur , excellent jeune
homme ! viens dans mes bras ; sois mon fils; je te donne
ma fille ; tu es digne d'elle . - Quoi , mon oncle ! vous ne
craignez donc plus ma mauvaise tête? - Je l'ai redoutée
unmoment; mais je suis bien rassuré par la bonté de ton
coeur .
Quelques jours après , Dorville épousa sa jolie cousine
et la rendit parfaitement heureuse. Son coeur ne changea
point et les années mûrirent fort peu sa tête ; mais sa tendresse
pour Sophie, la crainte d'affliger une femme adorée ,
lui tinrent lieu de raison. Aux hommes de ce caractère , il
ne faut point donner de conseils . Intéressez leur coeur à la
sagesse et vous les rendrez sages . Quand ils sont sur le
point de se livrer anx mouvemens irréfléchis de leurs passions
, une larme suffit pour les retenir. Ils ne craignent
pointde secompromettre par une étourderie , mais ils craignent
de faire une victime , et leur générosité leur donne
de la prudence. ADRIEN DE SARRAZIN .
?
i
VARIÉTÉS .
SPECTACLES. - Théâtre Français . - L'Intrigante. -
Sans s'apercevoir des obstacles qu'elle rencontre sur sa
route , l'Intrigante poursuit glorieusement sa carrière . Elle
vient de s'offrir , pour la sixième fois , aux yeux d'une
assemblée brillante , empressée de l'applaudir; chacun ré
pète avec Dubreuil :
Depuis son arrivée on s'empresse autour d'elle ,
Toutapris en ces lieux une face nouvelle.
Les étrangers d'abord ont afflué chez nous ,
De l'Europe on dirait que c'est le rendez-vous .
Vous n'imaginez pas ce bizarre assemblage ,
Car chacun d'eux ayant son accent , son langage ,
٠١٠
Nn
562 MERCURE DE FRANCE ,
De jargons différens c'est un mélange tel , 21
Qu'on prendrait la maison pour la tour de Babel.
La baronne à- la- fois sollicite et protège :
De nombreux supplians lui forment un cortège.
Intrigante , en un mot, si jamais il en fut ,
Elle fait même avoir des voix pour l'Institut.
2
1
Ces vers légers , faciles , élégans , ont la vraie couleur de
la comédie. Le dernier trait de la tirade est non-seulement
finementdécoché, mais part d'un esprit libre et indépendant.
Insinuer que l'intrigue a souvent ouvert les portes de l'Académiee,
que le mérite sans appui fut souvent victime de
la sottise en faveur , n'est certes pas dire une chose nou
velle ; Boileau ne se plaignait-il pas avec raison de se
trouver assis au Louvre auprès de Cotin ? Mais quel est
l'Académicien qui ait fait aussi généreusement que M.
Etienne le procès à son fauteuil ? Toute considération doit
se taire quand il s'agit de la vérité. Les ennemis mêmes de
P'auteur ne lui contestent point l'art de présenter au théâ
tre ses tableaux sous un vêtement neuf. Comme les ridi
cules rajeunissent de siècle en siècle , d'époque en époque ,
dejour en jour , le peintre qui les suit à la trace , doit , pour
être original comme eux, rajeunir ses pinceaux et sa pa
lette. Le peintre de moeurs est le seul que Thalie puisse
adopter , car peindre un autre siècle que le sien , c'est tracer
le roman ou l'histoire. C'est cet art observateur , c'est cette
juste appréciation des moeurs et des usages qui vivent sous
nos yeux , enfin ce talent de saisir les nuances les plus fines,
qui ont fait sortir si justement de la foule l'auteur des Deux
Gendres. On a prétendu que M. Etienne était plutôt né
pour la satire que pour la comédie. On n'a pas observé la
grande affinité qui existe entre l'art de la satire et l'art de la
comédie. Le satirique doit voir à-peu-près des mêmes yeux
que le poëte comique. Les mêmes tableaux appellent leur
⚫génie. Lisez la satire des Femmes; cette lecture ne vous
transporte-t-elle pas au milieu du siècle de Louis XIV ?
vous croyez-y vivre , de même que , lorsque vous assistez
aux chefs -d'oeuvre de Molière , vous croyez être en face de
la cour. Les caractères habilement crayonnés par Boileau ,
ont cette vérité historique qu'on retrouve dans ceux que
Molière a tracés dans le Misanthrope. Le poëte comique a
l'avantage de mettre en action ce que le satirique ne peut
quedesssiinneerr avec exactitude; mais dans l'exécution ils emploient
le même talent et les mêmes couleurs . Pourquoi
danc M. Etienne qui possède si éminemment l'art de saisir
MARS 1813. 563
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les ridicules etde les peindre , n'aurait-il pas le talent de
faire une bonne comédie de caractère ? Serait-ce l'invention
qui lui manque ? Pour décider cette question , il faudrait
attendre qu'il s'essayât sur de nouveaux sujets. Corneille ,
en débutant , avait-il inventé le plan du Cid, et Voltaire
celui d'Edipe ? Molière n'a-t- il pas mis à contribution les
anciens ? et Térence ne doit-il pas une partie de sa gloire à
Ménandre ? Le poëte romain , si je l'ose dire , bâtit un nouveau
temple à Thalie avec des tronçons de colonnes grecques
. Tous les grands caractères appartiennent à tous les
tems; on ne peut leur donner du relief qu'en les ajustant
aux moeurs et aux habitudes de son siècle . M. Etienne , en
imitant la comédie allemande intitulée : Six Plats , a fait
plutôt une conquête qu'une imitation. S'il se fût asservi
scrupuleusement à la marche de l'auteur allemand , c'est
pour le coup que les accusations de plagiat seraient venues
fondre sur lui. Le caractère de M. Dorvillers , dans la pièce
française , n'a qu'un rapport très superficiel avec celui du
conseiller intime dans la pièce de Six Plats. Ce caractère
fait beaucoup d'honneur au talent de M. Etienne , et peut
être regardé comme une création. Ce caractère honore la
dignité de l'homme , et fait respecter la profession de commerçant.
Ce n'est point un personnage chimérique que
celui de M. Dorvillers ; s'il est des banqueroutiers frauduleux
, s'il est des hommes enrichis des dépouilles du malheur
, il en est quelques-uns dont le caractère , semblable
à l'or pur , qui ne subit point d'altérationdans le creuset ,
est resté intact et fidèle à l'honneur et à la probité...
Tels sont les modèles sur lesquels l'auteur de l'Intrigante
a calqué M. Dorvillers . Les vers suivans donneront
une idée de la noblesse d'ame et des sentimens de ce personnage
qui n'a aucun rapport avec le Philosophe sans le
savoir. Voici comme il répond à la baronne , qui lui dit
d'un air ironique , en se plaignant de son humeur :
D'une pareille humeur dites-moi la raison ?
Quoi ! pour avoir , Monsieur , meublé votre maison
Avec un peu de goût , suis-je donc si coupable?
Je n'ai fait , cependant , que la rendre habitable.
M. DORVILLERS .
D'un grand seigneur , ici , ce n'est point le séjour ,
Et je n'ai pas besoin du luxe de la cour.
Cen'est pas sans dessein , qu'en ce modeste asile ,
J'avais sacrifié l'agréable à l'utile.
f
1
Nn 2
564 MERCURE DE FRANCE ,
1
Cette simplicité que vous avez pu voir ,
Je l'observais par goût autant que par devoir.
Un vrai négociant est toujours économe ;
S'il est dissipateur , il n'est point honnête homme.
Il ne prodigue rien , quelqu'opulent qu'il soit ;
Je vais plus loin , Madame , il n'en apas ledroit.
Quandà sa probité le publie s'abandonne ,
Il ne peut , il ne doit inquiéter personne ;
Et tant que dans ses mains il a les fonds d'autrui ,
Lebien qu'il a gagné n'est point encore àlui.
LA BARONNE .
Une tellemorale est tout-à-fait gothique ,
Etdu commerce entier vous faites la critique.
Autour de vous , Monsieur , daignez jeter les yeux ,
Voyez quel est le train de nos banquiers fameux ,
De tout l'éclat des arts leurs maisons resplendissent.
M. DORVILLERS .
Aussi l'on sait comment ces maisons- là finissent .
LA BARONNE.
Ahl du moins ils se font honneur de leurs profits ,
Et même je soutiens qu'ils servent leur pays.
Ce que je vous dis là n'est pas si ridicule ;
• Il est essentiel , monsieur , que l'or circule ;
Pour le garder toujours à quoi bon l'amasser ?
De même qu'on le gagne il faut le dépenser.
M. DORVILLERS .
Je ne puis qu'admirer de si belles maximes ;
Voilà , sans contredit , des préceptes sublimes ,
Et c'est , n'en doutez pas , pour les avoir suivis ,
Que tout depuis vingt ans va si bien à Paris .
Par eux ont disparu des maisons opulentes ;
Par eux ont éclaté des faillites brillantes ,
Et l'on a vu signer ces bilans imposteurs ,
Ruinant tout le monde excepté leurs auteurs .
Des exemples si beaux ne sauraient me séduire ,
Cette richesse-là n'est pas celle où j'aspire .
La fortune àmes yeux cesse d'avoir du prix ,
Quand il faut avec l'or recueillir le mépris .
Né pauvre , je fus seul l'artisan de la mienne ;
C'est déjà dans Paris une fortune ancienne :
Le travail et le tems me l'ont fait achever ,
Etpar l'ordre aujourd'hui je la veux conserver.
८,
MARS 1813 . 565
Ce n'est point là , comme on voit , une vaine déclamation
; ce ne sont point des lieux-communs ampoulés
des lambeaux de traités de morale mis en vers ; tout ce
discours est inspiré au personnage par la situation même ,
et sort des entrailles du sujet . La pièce est écrite à peu
,près de ce ton , et on y peut à peine remarquer quelques
légères négligences qui disparaîtront aisément à l'impression
. Le rôle de l'intrigante est brillant d'un bout à l'autre ,
et semé de traits ingénieux , vifs et piquans . Dieu veuille
qu'il arrive souvent de semblables bonnes fortunes à Mlle
Leverd ! le public y gagnera comme l'actrice . "
Le caractère de Julie est tracé aussi avec une grande
finesse , c'est une esquisse de l'Albane ou du Corrége.
Julie n'est point une ingénne ; on voit en elle une fille
douce , aimable , sensible , mais qui sait renfermer sa
tendresse dans des bornes légitimes . Elle voudrait posséder
son amant , mais elle voudrait aussi que ce fût de
l'aveu de son père. Ce mélange de grâces , de sentiment ,
de soumission , enfaituunn objet céleste. Qui ne voudrait
avoir Julie pour amante ou pour épouse ? Mile Mars saisit
toutes les nuances délicates de ce personnage avec un art
dont elle seule a le secret. Il faut , pour bien rendre un
pareil caractère , cet accord enchanteur de l'expression et
du langage des yeux et de la voix , dugeste et du sourire .
Mars dès long-tems ne craint plus de rivales .
Théâtre de l'Impératrice.-Première représentation du
Temporiseur.- Je voudrais traiter aussi bien le Temporiseur
que l'Intrigante ; mais malheureusement ma bonne
volonté se trouve en défaut. Les Temporiseurs ne font
pas , en général , aussi bien leurs affaires à la cour et au
théâtre que les Intrigantes ; celui de l'Odéon en a fourni
la triste preuve .
C'est une idée bien peu dramatique que celle de mettre
sur la scène un personnage dont l'attitude glacée et passive
avoisine constainment la léthargie. Le théâtre ne vit que
d'action. On doit tenir sans cesse en haleine le spectateur,
le laisser respirer à peine. Que peut faire un Temporiseur?
débiter de beaux discours :les beaux discours endorment
l'acteur et le public. Le Temporiseur , peu économe du
tems , a paru l'être un peu trop de l'esprit. On n'a pas
trouvé un seul petit mot pour rire , la pièce était décidément
vouée à l'Ennui . Ni l'enrhumé Vigneaux qui est
venu réclamer de l'indulgence pour son rhume , ni les
grâces variées et piquantes de Mlle Delia , ni le jeu noble
566 MERCURE DE FRANCE ,
et brillant , les bonnes intentions , la ferme contenance et
le riche habit brodé de Closel, n'ont pu désarmer le courroux
des sifflets et réparer de lapièce la chute irréparable ;
cependant l'auteur de cet ouvrage n'est pas sans talent, on
y remarque des vers d'une excellente facture. En voici un
qui ferait fortune dans un meilleur cadre :
Quand on hait on est deux , quand on aime on n'est qu'un..
Le vers est dur , d'accord; maisfort de choses .....
En temporisant un peu , l'auteur peut prendre une revanche
utile .
Le nocher dans son art s'instruit pendant l'orage ;
Onn'y devient fameux qu'après plus d'un naufrage.
Notre sort est pareil dans le métier des vers ,
Etpoury réussir il faut plus d'un revers.
-
Théâtre de l'Impératrice ( Opéra Séria ) . -Axur, roi
d'Ormus. Cette composition vaste et pleine de suavité
et d'énergie , annonce la prodigieuse fécondité de l'auteur
des Danaïdes et de Tarare. On prétend que Joseph II ,
ébloui de son rare mérite , se l'étant attaché , voulut qu'il
composât une nouvelle musique sur les paroles de Tarare,
traduites en italien. Ce projet n'ayant pu s'exécuter stric
tement , un poëte tira des débris de ce poëme l'opéra du
Roi d'Ormus ; Salieri s'exerça sur ce nouvel ouvrage. Il
lutta contre sa première musique , et aux yeux de plus
d'un connaisseur remporta la victoire sur son propre talent.
Rien de plus enchanteur que le duo de l'introduction : (
Qui dove scherza l'aura
Con grato mormorio , etc.
Ce duo est parfaitement chanté par M Sessi et par
Tachinardi ; la voix du chanteur fait oublier la stature du
héros .
La musique du choeur , à la seconde scène , dans l'instant
où l'incendie éclate , est male et expressive , et les
effets de l'orchestre sont terribles et pittoresques ; mais
l'enlèvement d'Aspasie s'exécute mal. Un Italien a des
accens plus tendres que nous quand il faut chanter une
maîtresse; mais un Français est plus expéditif quand il
s'agit de l'enlever. Du reste , cet opéra est magnifique ,
ment monté , et fait le plus grand honneur au zèle des
administrateurs du Théâtre de l'Impératrice. Ils n'ont rien
épargné pour rendre la pompe du spectacle digne de la
MARS 1813. 567
نا
ل
1
musique. Danse, habits , décors , rien n'y manque . Au
bruit près , l'on se croit au grand opéra . Mme Sessi , prima
donna, à l'âge de quatorze ans, joua d'original ce beau
rôle d'Aspasie , ne l'ayant jamais vu jouer par la virtuose
célèbre , dont elle occupait la place . Ce rôle lui acquit une
réputation brillante , qui s'est accrue depuis , et qui s'accroît
encore par le nouveau succès qu'elle vient d'obtenir . La
voix vigoureuse et noble de Porto répond bien au caractère
qu'il représente. Bassi est très-utile dans l'emploi qu'il
remplit , parce qu'il est à-la-fois chanteur et acteur. Mademoiselle
Neri a une voix sonore et brillante , mais l'ambition
l'égare quelquefois ; elle se perd dans ses roulades ;
elle ferait plus , je crois , si elle voulait moins faire . Angrisanni
a maîtrisé sa voix avec un art qu'il n'avait pasdéployé
jusqu'ici . Il a partagé avec le jeune Cholet les honneurs
du bis , dans un duo religieux , mais qui n'a point la teinte
sombre et mélancolique dela musique d'église. Les amateurs
de la bonne musique doivent de la reconnaissance à
M. Paër, qui a débuté , dans sa direction de l'Opéra Buffa,
par un aussi bel ouvrage que le Roid'Ormus, et des remercîmens
à l'administration du Théâtre de l'Impératrice qui
l'a si bien secondé dans ses projets . D.D
NÉCROLOGIE.- Les arts , l'amitié et la société viennent
de faire une perte bien sensible dans la personne de Mme de
Parny , née Contat , morte à Paris , le 9 mars , à l'âge de
cinquante-deux ans .
La carrière dramatique de cette femme célèbre a brillé
d'un éclat trop vif; le souvenir en est si présent aux ama
teurs de la bonne comédie , qu'il serait inutile de faire ici
l'éloge de son talent.
Mais ce n'est pas sous ce rapport seul qu'il faut la regretter.
Il y avait plusieurs femmes remarquables dans
Mile Contat, la grande comédienne , l'excellente mère de
famille , et la femme de société aussi bonne que spirituelle.
Comme actrice Mlle Contat sera difficilement remplacée ;
que celles qui lui succèdent , se contentent de marcher de
loin sur ses traces ; leur plus beau triomphe sera de la rappeler
quelquefois à notre souvenir. Dans la société , quelle
femme réunissait à un esprit plus distingué , tantde grâce,
une bonté si constante ?
Lamémoire de Mme de Parny sera éternellement chère
àses amis nombreux qui admiraient en elle cette réunion
si rare du talent , de l'esprit et d'un bon coeur. B.
1
POLITIQUE.
LES nouvelles de Vienne portent que le prince de
Schwarzenberg est toujours dans cette capitale. Ce prince
va souvent à la cour , et a de fréquentes conférences avec
les chefs du département de la guerre . Le départ de ce
prince pour Paris est très-prochain . Le général Frimont
commande en son absence. Le général Siegenthal commande
l'avant-garde du corps autrichien . M. de Metternich
, ministre des affaires étrangères , a été nommé par
l'Empereur , chancelier de l'ordre de Marie-Thérèse . La
lettre de S. M. qui annoncé cette nomination est conçue
dans les termes les plus flatteurs .
La réclamation de la princesse de Galles a de nouveau
occupé les chambres du parlement britannique . Voici le
texte du rapport présenté au prince régent par le conseil
privé.
<<En vertu des ordres de V. A. R. , nous avons examiné
avec l'attention la plus scrupuleuse la lettre de S. A. R. la
princesse de Galles à V. A. R. , qui a paru dans les papiers
publics , et dont V. A. R. nous a fait part , et dans
laquelle la princesse de Galles , entre autres choses , se plaint
de ce que les communications entre S. A. R. et S. A. R.
la princesse Charlotte ont éétléé assujéties à de certaines res
trictions .
> Nous avons aussi examiné le plus attentivement possible
les autres papiers qui nous ont été communiqués par
V. A. R. , ainsi que tous les documens relatifs à l'enquête
établie en 1806 , par ordre de S. M. , pour vérifier certaines
imputations touchant la conduite de S. A. R. la princesse
deGalles , qui paraissent avoir mérité l'attention de V. A. R. ,
en conséquence de l'avis de lord Thurlow , qui , en sa qualité
d'homme public , a cru devoir en faire part à S. M.; et
V. A. R. ayant daigné nous commander de lui déclarer
si , d'après toutes les circonstances de cette affaire , nous
jugeons convenable que les communications entre la princesse
de Galles et sa fille la princesse Charlotte continuent
à être assujéties à certains réglemens et à quelques res
trictions
:
MERCURE DE FRANCE , MARS 1813. 569
" Nous prenons humblement la liberté de déclarer à
V. A. R. qu'après avoir examiné scrupuleusement tous les
documens que nous avons sous les yeux , nous sommes
d'avis que, d'après toutes les circonstances qui ont eu lieu,
il est absolument convenable pour le bonneur de S. A. R.
la princesse Charlotte , dans lequel se trouve également
compris celui de V. A. R. , sous le double rapport de la
parenté etde la royauté, ainsi que pour les intérêts les plus
importans de l'Etat, que les communications entre S. A. R.
la princesse de Galles et S. A. R. la princesse Charlotte ,
continuent à être assujéties à des réglemens età des restrictions
.
» Nous demandons humblement qu'il nous soit permis,
sans que l'on puisse penser que nous excédons les bornes
du devoir qui nous a été imposé, d'exprimer respectueusement
combien nous approuvons les motifs qui ont porté
V. A. R. à différer de faire confirmer S. A. R. la princesse
Charlotte , attendu qu'il paraît, par un écrit signé de la main
de S. M. la reine , que V. A. R. s'est conformée à cet égard
à la volonté positive de S. M. qui avait bien voulu ordonner
que cette cérémonie n'aurait lieu que lorsque S. A. R.
aurait dix-huit ans accomplis .
>>Nous espérons aussi humblement qu'il nous sera permis
de remarquer quelques expressions qui se trouvent dans
la lettre de S. A. R. la princesse de Galles , que l'on pourrait
interprêter d'une manière trop sérieuse pour qu'on les
laisse passer sans observation. Nous voulons parler de ces
mots , calomniateurs , subornés . Comme cette expression ,
d'après la manière dont elle est présentée , pourrait peutêtre
être mal interprétée ( quelqu'impossible qu'il puisse
être de supposer que l'on ait eu cette intention ) , et qu'elle
pourrait paraître avoir rapport à quelque partie de la conduite
de V. A. R. , nous croyons de notre devoir de déclarerque
les documens que nous avons sous les yeux donnent
les preuves les plus fortes qu'il n'y a pas le plus léger
fondement à une telle diffamation . »
M. Cochrane Jonston a vainement insisté dans la
chambre des communes pour que le parlement s'immiscât
dans cette affaire , et fit déposer sur son bureau toutes les
pièces y relatives ; la question mise aux voix a été rejetée
sans division ."
Les feuilles allemandes que nous avons fréquemment
analysées , ne nous entretiennent depuis le commencement
de ce mois que de la direction des troupes françaises et
570 MERCURE DE FRANCE,
alliées vers les points de rassemblement qui leur sont indiqués.
Le Moniteur du 18 vient de publier une note qui
donne une idée exacte des positions des divers corps de
l'armée , des mouvemens des ennemis , et du moment où
Yestroupes impériales seront appelées à reprendre l'offensive.
Aucun document historique ne pouvait en ce moment
inspirer d'intérêt à un plus haut degré : nous nous
empressons de transcrire le texte de cette note importante.
Voici la situation exacte de nos armées dans le nord de
Europe au 10 mars .
Pillau.-Le général Castella occupait avec 1200 Français
le port de Pillau. Il a capitulé le 26 janvier. Cette
capitulation est une convention par laquelle les troupes
françaises sortent avec armes et bagages pour revenir en
France. La conduite du général Castella , qui a rendu ,
sans avoir soutenu un siége , la place qu'il commandait ,
sera examiuée ppaarun conseil d'enquête..
Dantzick.-Le général Rapp , ayant sous ses ordres les
généraux de division Heudelet et Grandjean , le général
de cavalerie Cavaignac , le général Campredon commandant
le génie , etle général Lepin , commandant l'artillerie ,
adans laplace de Dantzick une garnison de plusde 30,000
hommes etun approvisionnement en pain pour 820 jours ,
et en viande et autres objets pour plus d'un an .- Dans
les derniers jours de janvier , l'armée russe s'approchant
de Dantzick , il se porta à sa rencontre , culbuta l'avantgarde
et lui fit 800 prisonniers . Vers le milieu de février ,
il sortit lui-même à la tête de 15,000 hommes et de 1500
chevaux, enleva trois redoutes que l'ennemi faisait construire
, lui prit 8 pièces de canon et 1800 hommes . Il
repoussa l'ennemi jusqu'à trois lieues de la place .- Les
Russes avaient espéré , dans le courant de février , de profiter
des glaces pour attaquer le Holm ; mais les glaces
avaient été rompues par les soins du gouverneur. On laissa
avancer l'ennemi , et quand il fut à portée , on l'écrasa
de mitraille . Il a laissé au pied des ouvrages beaucoup
d'hommes blessés et tués.
1 Dans les premiers jours de mars , le dégel ayant commence,
oon a tendu l'inondation.
Thorn . Le général du génie Poitevin commande à
Thorn. La garnison consiste en 4,000 Bavarois et en 1.500
Trançais . L'armée russe , dans le courant de février , fit
des tentatives pour enlever les lunettes qui sont en avant
de la place , mais elle fut repoussée , et sa perte ne futpas
MARS 1813 . 571
16
JE
.
demoins de8 ou 900 hommes tués ou blessés . Thorn a
des vivres en pain pour plus de 2 ans , en viande et en légumes
pour plus de 9 mois.
Modlin . -
-
Le général de division Daendels commande
à Modlin : sa garnison est composée de 1000 Saxons , de
1000 Français et de 6000 Polonais. La place était approvisionnée
en pain pour plusieurs années , en viande et
autres denrées pour 9mois.
Ces grands approvisionnemens
en pain , dans les places de laVistule , proviennent
des grands magasins de l'armée qui s'y trouvaient.
Zamosc a une garnison de 4000 Polonais.
Czenstochau a une garnison de 900Polonais .
Le prince de Schwartzenberg a pris le 12 février la position
de la Piliça . Un nouveau corps d'observation autrichien
se réunit sur les frontières de la Bohême .
Le général Reynier avec le 7º corps s'est dirigé par Petrikau
etRawa sur Kalitch. Sa cavalerie y a été attaquée le
13 février par un corps de troupes russes qui avait passé
la Vistule sur la glace , entre Thorn et Modlin , du côté de
Plock. Le général Reynier a repoussé cette attaque dans la
villemême de Kalitch . Un général de brigade saxon avec
sa brigade , a été coupé par l'ennemi , mais il s'est reployé
sur le corps du prince Poniatowski , lequel a fait sa jonctionavec
le corps autrichien , et se trouve entre la Piliça
etCracovie.
Le général Reynier a repassé l'Oder et a pris position
en avant de Dresde .
Voilà pour la Pologne .
2
Le vice-roi avait fait avancer , dans les premiers jours
de février , le 11º corps de Berlin sur l'Oder. Ce corps
arrivait à Francfort , lorsque le vice-roi , instruit de l'évacuation
de Varsovie , comprit que sa position sur Posen
n'avait désormais plus aucun but. Il se reporta tranquillementderrière
l'Oder.
Le 18 février , un corps de 1500 hommes de cavalerie
légère russe, passa le Bas-Oder sur la glace . Le maréchal duc
deCastiglione chargea le général Poinsot de marcher à sa
rencontre avec deux bataillons d'infanterie et 100 chevaux.
Dans une reconnaissance à quelques lieues de Berlin , ce
général leur tua une soixantaine d'hommes , entr'autres un
seigneur prussien nommé le comte de Schwerin. La nuit ,
les cavaliers ennemis tournèrent Berlin ; ils surprirent
Je poste qui gardait la porte d'Oranienbourg , et 3 à 400
pénétrèrent dans la ville; c'était dans la matinée du 20
1 573 MERCURE DE FRANCE,
ト
février. Le duc de Castiglione fit tirer sur eux quelques
coup de canon et les fit chasser par de l'infanterie . Le baspeuple
de Berlin voulut profiter de la circonstance pour
faire quelques mouvemens ; mais la garde civique qui se
composait de tous les bourgeois , fit la police , et l'ordre se
rétablit aussitôt .
Après cette affaire , les troupes légères ennemies disparurent.
Le 22 février , le vice-roi arriva à Berlin avec 500 chevaux
de la garde. Il prit ensuite , avec tout son monde ,
position à Kopnik.
Le lieutenant-colonel Ciceron occupait avec son bataillon
le pontde Furstenwald sur la Sprée . Il s'en laissa imposer
par 600 cavaliers russes qui lui firent accroire qu'ils
avaient avec eux de l'artillerie et de l'infanterie . Il eut la
simplicité de consentir à quitter le poste qu'il devait défendre
, et il se replia avec son bataillon sur l'armée . Des
ordres ont été donnés pour arrêter cet officier , qui sera
puni selon la rigueur des lois militaires .
Le général Gérard était resté avec une brigade à Francfort
pour brûler le pont. 2000 hommes de cavalerie russe le
coupèrent de Berlin. Il marcha à eux , en tua 60 à 80 , fit
plusieurs officiers prisonniers , brûla le pont de Francfort
et rejoignit le vice-roi .
Le vice-roi avait un de ces deux partis à prendre : ou de
faire venir la cavalerie des premier et second corps , qui
s'était réorganisée sur la rive gauche de l'Elbe et de l'employer
à nétoyer le pays entre l'Elbe et l'Oder , ou de marcher
au-devant des autres armées en s'approchant de
l'Elbe.. 17
Mais cette cavalerie n'était pas encore entièrement réorganisée
, et tant de vieux soldats , ressource si précieuse ,
pouvaient être compromis dans une lutte prématurée;
d'ailleurs le général Bulow , commandant un corps prussien
sur la droite du Bas -Oder , avait laissé passer cefleuve
à la cavalerie légère de l'ennemi . :
Le vice-roi prit le parti de se retirer en bon ordre sur
l'Elbe; il laissa l'Oder garni de la manière suivante :
Le général Grandeau avec une garnison de gooohommes,
ayant des vivres pour 8 mois , commande à Stettin. Le général
de brigade Dufresse commande en second . Le général
Chamberlhac commande le génie...
Le général Fornier d'Albe garde la place de Custrin avee
3000 hommes
1
MARS 1813 : 573
De
1
Le général Laplane et le général du génie Dode sont
dans Glogau avec 6000 hommes,
Spandau est gardé avec 3000 hommes par le général
Bruny.
Toutes ces places sont approvisionnées depuis 9 mois
jusqu'à un an.
Le 4, entre Berlin et Vittenberg , 1200 hommes de
cavaleerriiee légère russe voulurent charger sur l'arrière-garde
du vice-roi. Un bataillon du 6º de ligne les reçut à bout
portant et leur tua une centaine d'hommes . Depuis , cette
cavalerie a disparu , et on ne l'a plus vue.
On vient de faire connaître notre position
et sur l'Oder ; voici celle sur l'Elbe :
enPologne
Le général Lauriston , avec cinq nouvelles divisions formées
de vieilles troupes tirées de France et munies d'un
nombreux équipage d'artillerie , ayant un double appro
visionnement attelé , avec le corps westphalien et le 1
corps de cavalerie , occupe Magdebourg , et réunit sur ce
point une grande force militaire.
Le prince d'Eckmuhl , avec le 1er corps de la Grande-
Armée , et le duc de Bellune , avec le 2º , bordent l'Elbe .
Le général Grenier , avec le 11º corps , était devant Vittenberg.
Cette place était armée et mise en état de défense.
Le lieutenant-général saxon Thilman était avec 6000
saxons en garnison à Torgau , place que le roi a fail construire
sur l'Elbe depuis 1809 , et dont les travaux ont été
poussés avec une telle activité qu'elle se trouve aujourd'hui
dans le meilleur état de défense. Elle est armée de
200 pièces de canon .
Le général Reynier était en avant de Dresde avec le corps
saxon et la division Durutte , et ayant une division bavaroise
sur la gauche. Ce corps d'armée se renforce de 10,000
hommes qui arrivent des dépôts de Saxe .
Afin de pouvoir surveiller tous les pointsde cette ligne ,
Je quartier-général s'est porté à Leipsick .
Dans cet état de choses le roi de Saxe, pour se tenir plus
éloigné du théâtre de la guerre , a jugé à propos de se
retirer sur Plauen .
Le roi de Westphalie voulant avoir à sa libre disposition
sa garde et ses troupespour se porter en personne partout
où les circonstances l'exigeraient , a désiré que la reine
vînt en France . Cette princesse est arrivée à Trianon .
Cependant le général Lauriston avait , avec raison , retiré
toutes les troupes de la 32º division militaire ,pour les cou
574 MERCURE DE FRANCE ,
centrer à Magdebourg. Le corps du général Vandamme ,
composé de 50 bataillons , qui a déjà commencé à déboucher
de Vezel pour aller occuper la 32 division militaire ,
n'y arrivera que vers la fin de Mars . Hambourg se trouvait
donc gardé par des forces bien faibles . Le petit peuple
vouluten profiter ; le 24 février , il insulta les douanes , on
fit feu sur les plus mutins , et l'attroupement se dissipa .
La bourgeoisie de Hambourg eut le bon esprit de sentir la
nécessité de contenir la populace , elle forma la garde
nationale , et rétablit l'ordre. Plusieurs piguets de cavalerie
danoise ont contribué à maintenir l'ordre à Hambourg.
Un espion russe a été arrêté et fusillé. Six hommes ,
auteurs de l'émeute , ont été fusillés également ........
Le 12 de ce mois , le général Cara Saint-Cyr jugea àpropos
de passer sur la rive gauche de l'Elbe et de fixer le
quartier-général de la 32º division militaire à Artlenbourg.
Le 1 corps d'observation du Rhin, composé des 8 ,
9°, 10%, 11°, 29 , 38" et 39 divisions de la Grande-Armée,
se réunit sur le Mein . Le prince de la Moskowa qui le commande
, a dans ce moment son quartier-général à Hanau .
Legénéral de Wrede a pris son quartier-général à Bam
berg , avec une division bavaroise. Les divisions wurtembourgeoise
, hessoise et badoise , se réunissent à Wurtzbourg.
e
Le 2 corps d'observation du Rhin , composé des 16º,
17 ; 18° et 19ª divisions de la Grande-Armée , se réunit à
Francfort sous les ordres du duc de Raguse.
Le général Bertrand a débouché du Tyrol avec les 5-divisions
qui composent le corps d'observation d'Italie.
Les divisions de la garde impériale , sous les ordres du
duc de Trévise , sont arrivées à Francfort.
Plus de 20,000 vieux cavaliers ayant tous fait la guerre
sont remontés , équipés et réunis sur l'Elbe . Ils pourront
tous rentrer en ligne dans les premiers jours d'avril.
60,000 hommes de cavalerie s'équipent dans nos dépôts
enFrance. Lamoitié estdéjà en route pour Metzet Mayence.
Malgré les pertes que nous avons essayées cet hiver, une
armée beaucoup plus nombreuse , ayant un tiers de plus
d'équipages d'artillerie , entrera bientôt en campagne. Un
corps de 80 bataillons gardera la 32 division militaire , et
150 bataillons se formeront dans des camps à des manoeuvres
, et en réserve dans l'intérieur.
Indépendamment des corps que le royaume d'Italie a à
lagrande armée , 40,000Italiens formeront des camps pour!
MARS 1813.ПИТАН 575
館
1
défendre les côtes de Venise , des provinces Illyriennes et
de l'Adriatique.
L'armée d'Espagne a renvoyé en France à-peu-près 150
cadres de bataillon, et une cinquantaine de cadres d'escadron;
mais elle a reçu des recrues qui compensent et bien
au-delà cette perte. Le 7º régiment de chevau-légers polonais
, la belle légion de gendarmerie qui a culbuté d'une
manière si distinguée la cavalerie anglaise , et 4 régimens
de la garde , sont les seuls corps entiers qu'on ait retirés
d'Espagne où ils ont été remplacés .
La gendarmerie de France a fourni 3,000 officiers ou
sous-officiers pour compléter tous les cadres de la cavalerie.
Voilà au vrai la situation militaire de la France ; c'est le
résultat de l'énergie et du patriotisme des Français.
Les Russes avaient été accueillis à Koenigsberg et dans
la vieille Prusse avec l'empressement qu'on porte à ce qui
estnouveau ; mais déjà leur administration de plomb s'est
fait sentir. Les Cosaques pillent par-tout ; le pays est obligé
de fournir à tous leurs besoins ; et toutes les dépenses ,
même celles des généraux et des officiers , celles des postes ,
celles des auberges , ne sont acquittées qu'en bons ou en
roubles de papier. On ne voit plus de pièces d'or ou d'argent.
Ainsise consomme la ruine de ce pays , où les Russes
disaient se présenter comme des libérateurs .
La Prusse est en proie aux mêmes factions qui ont précédé
la guerre de 1806 .
Par divers décrets impériaux , les conseils d'arrondissemens
sont convoqués pour le 26 avril pour leurs opérations
en 1813. Les conseils généraux des départemens se réuniront
le ro mai . M. Estève est nommé l'un des administrateurs
des postes à la place de M. Sicyes décédé. M. deBreteuil
, préfet de la Nièvre, passe à la préfecture des Bouchesde-
l'Elbe , chef- lieu Hambourg . Par d'autres décrets , un
grand nombre de militaires retirés sont nommés à des inspections
de première ou seconde classe dans l'administrationforestière.
1
"L'Empereur est venu , le 15 , de Trianon au Champ-de-
Mars , où il a passé en revue une nombreuse division d'infanterie,
de cavalerie et d'artillerie . S. M. a parcouru tous
les rangs au milieu des cris de vive l'Empereur ! On a
admiré la belle tenue des nombreux régimens qui se trouvaient
à cette revue. Les troupes qui l'avaient passée se sont
de suite mises en mouvement. Quand elle a été terminée ,
Γ
576 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
S.M. a bien voulu accepter un déjeûner à l'Ecole-Militaire,
chez M. le maréchal duc d'Istrie. Elle est ensuite repartie
pour Trianon . Jamais S. M. ne s'est mieux portée. Le
séjour de Trianon paraît très-favorable à sa santé ainsi qu'à
celle du Roi de Rome. $....
ANNONCES .
Manuel des amateurs de la languefrançaise , contenant des solutions
sur l'étymologie , l'orthographe , la prononciation , la synonymie et la
syntaxe; par A. Boniface , professeur à l'institution de M. Dubois
membre de l'académie celtiiqquuee., et de la société grammaticale;; et
par plusieurs gens de lettres.-NUMÉRO Ier. Cet ouvrage paraît
dans les premiers jours de chaque mois , par cahier de deux feuilles
d'impression in-8°, petit-romain et petit-texte . Prix de la souscription
annuelle , portfranc , pour Paris , 10 fr . pour les départemens , II fr .
On s'abonne chez l'Auteur , rue de la Planche , nº 13 .
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Walter Scott. Prix , 4 fr. , et 4 fr. 80 c. franc de port. Ala librairie
française et étrangère de Galignani , rue Vivienne , nº 17 .
Modèledes Femmes. Deux vol . in-12 , traduit de l'anglais de miss
Edgeworth. Prix , 4 fr. 50 c. , et 5 fr. 40 c. frane de port. Chez le
même.
Les Deux Grisellidis ; traduit de l'anglais. Une de Chaucer et
l'autre de miss Edgeworth . Deux vol. in-12. Prix , 4 fr . , et 4 fr.
80 c. franc de port. Chez le même .
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Leprix de lasouscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pourun
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription estde 20francs
pour l'année , et de II franes pour six mois. ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger. )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Etranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure ;
àParis.
!
LA
SEINE
10
MERCURE
DE FRANCE .
N° DCX . - Samedi 27 Mars 1813 .
POÉSIE .
LA MORT DU TASSE.
POÈME ÉLÉGIAQUE .
CLÉMENT Huit veut enfin , pour venger ungrand homme ,
Du laurier d'Apollon le décorer dans Rome .
Cédant aux nobles voeux d'un pape ami des arts ,
Le Tasse revoyait la ville des Césars .
Après tant de tourmens , un destin si contraire ,
A ses persécuteurs onvientde le soustraire ;
Et toute l'Italie avec empressement
Prépare sontriomphe et son couronnement.
La veille de ce jour , à travers des ruines ,
Il parcourait pensif l'une des sept collines :
Ici , dans le Forum , les citoyens romains ,
Libres , forgeaient les fers du reste des humains ;
Là .Numa vers le soir consultait Egérie ;
Là , Brutus immola ses fils à la patrie ;
Là , Cicéron sauva Rome des factieux ;
Et , plus loin , Scipion vint rendre grâce aux Dieux.
=
:
00
578 MERCURE DE FRANCE ,
Le Tasse rêve alors : son heureuse pensée
Par um songe flatteur est mollement bercée.
Au pied du monument de l'Homère latin
Il a vu s'élever sa grande ombre ; et soudain
Se détache un rameau de ce laurier fertile
Qui renaît de lui-même au tombeau de Virgile .
Son ombre harmonieuse exhale des accens ,
Et le Tasse s'éveille à ses sons ravissans .
Cependant le soleil achevait sa carrière ,
Et lançait sur le monde une oblique lumière.
Le poëte , de l'astre observant le déclin
S'attendrit , et déjà croit toucher à sa fin .
Le feu des passions et le feu du génie ,
Et sa captivité , source de sa folie ,
,
۱
Ont hâté de ses sens l'importune langueur ;
Son esprit seul conserve encore sa vigueur.
En contemplant , non loin d'un monument superbe ,
Les débris que le Tems ensevelit sous l'herbe ,
Il pense à ces mortels , nobles infortunés ,
Comme lui , par le sort à souffrir condamnés ,
Et de ses longs malheurs son ame se console .
La roche Tarpéienne est près du Capitole ....
Ce triste souvenir accable ses esprits .
Mais pourtant de la gloire il recevra le prix ;
De Pétrarque son front doit ceindre la couronne
Et demain au Génie un peuple entier la donne.
Le Tasse languissant regagne ses foyers ,
Et voit de noirs cyprès mêlés à ses lauriers .
Ses amis , sur le seuil , avec impatience ,
Pour le féliciter , attendaient sa présence.
Il se sent défaillir .... Près de son lit rangés ,
Tous d'un malheur prochain paraissent affligés .
Bientôt sa fièvre augmente , et d'un air triste et sombre :
« O mes amis , dit-il , vous couronnez mon ombre .
> Le laurier qui m'attend sans doute m'est bien doux ,
>> Puisque j'ai le bonheur de l'obtenir de vous .
>> Quelle longue infortune a pesé sur ma vie !
>>>Sans cesse harcelé par la Haine et l'Envie ,
> Je n'ai fait qu'effleurer la coupe de l'Amour.
>>Je fusprivé sept ans de la clarté dujour.
HOW MARS 1813M 579
> Alphonse! quel barbare ! et par quelle vengeance:
» Au fond des noirs cachots il accrut ma souffrance !
>> J'étais seul , et mon coeur qui long- tems a gémi ,
>> Ne pouvait s'épancher dans le coeur d'un ami ..
>>Pour calmer les tourmens de mon ame ulcérée ,
> Je croyais voir en songe une amante adorée .
>Dans ces lieux où les jours sont de secondes nuits ,
>> Que de fois son image a charmé mes ennuis !
>> Pour elle je pensais et j'écrivais encore ;
>>>J'écrivais , en pleurant , le nom de Léonore.
>D'un amour combattu le funeste poison
>>>Venait par intervalle obscurcir ma raison ;
>>Mais la raisen rentrait dans mon ame offensée ,
1
4
•Et cet amour lui-même éveillait ma pensée.
» Souvent j'aurais voulu revoir mon Godefroi ;
>>>Mais tout , sur ce poëme , augmentait mon effroi .
>> Alphonse à mes désirs refuse de le rendre .
» Je sollicite en vain ... Mais que viens-je d'apprendre ?
>> Mon poëme imprimé paraît dans l'univers .
►Mon nom remplit le monde , et je suis dans les fers !
» Ces fers , vous le savez , je les romps avec peine ,
» Et je semble en tout lieu traîner encor ma chaîne.
> Toujours errant , proscrit , je suis persécuté
» Jusqu'au dernier moment par la fatalité .
» Quand sous des traits vengeurs l'Envie enfin succombe ,
› Je viens chercher la gloire , et je trouve la tombe.
> Une langueur mortelle affaiblit tout mon corps ;
>> Les maux , plus que les ans , ont usé ses ressorts ,
>> Et j'expire .... Ah ! du moins , que mon ame exhalée
» Au sein du Dieu vivant repose consolée !»
En achevant ces mots , il tombe dans les bras
Des amis généreux qui pleurent son trépas .
Mais c'est le lendemain qu'on célèbre la fête ,
Et pour un grand triomphe un grand peuple s'apprête.
Du Tasse enveloppé d'un vêtement de deuil
رق
Le corps est étendu dans un pompeux cercueil.
La foule à flots pressés accourant dans le temple ,
De ses yeux attendris l'admire et le contemple .
Bientôt au Capitole un cortége nombreux
S'avance , et pousse au ciel ses regrets douloureux.
002
580
MERCURE DE FRANCE ;
Desvierges , des enfans , selon l'antique usage,
Répandent à l'envi des fleurs sur son passage.
Lepape enfin paraît , des grands environné ,
Etdu mort glorieux le front est couronné.
Quand la nuit eut mis fin à ces honneurs funestes ,
Du Tasse à Saint-Onuphre on rapporta les restes ,
Et sur la pierre étroite on inscrivit ces mots :
« Le Tasse ici jouit de l'éternel repos. >>>
Mais depuis , au milieu de cet asile auguste ,
S'élève son tombeau que couronne son buste ;
Et l'étranger sensible éprouve à cet aspect
Unmélangepieux d'amour et de respect.
FAYOLLE.
LE PRINTEMS MALHEUREUX.
STANCES .
Ja les oiseaux recommencent leurs chants ,
La fleur nouvelle est presque épanouie ,
Jà tout sourit au retour du printems ;
Suis triste, seul ,ayantperdu ma mie. 20
Quand lui vantais son sourire enchanteur ,
Me répondait : suis constante et jolie ;
Je la croyais ; mais tout est donc menteur,
Puisqu'a menti la bouche de ma mie ?
Au rendez-vous la trouvai l'autre jour
Embarrassée en froide rêverie ;
Point ne rendit le doux baiser d'amour.
Alors fuyant , je dis : Adieu , ma mio.
Depuis ce tems je vais dans le bosquet
Où nous allions ; j'y cueille fleur jolie;
Puis réfléchis , et jette mon bouquet :
Quel seinparer quand j'ai perdu ma mie ?
1
Parfois , guidé par le bruit des plaisirs ,
Je suis la foule où règne la folie ;
M'y trouve seul , sans but et sans désirs ;:
Elleyserait qu'elle n'est plus ma mie !
MARS 1813 . 581
Si prends ma lyre , un douloureux accent
Vient ajouter à ma mélancolie ;
Pour commencer et pour finir mon chant
Netrouve rien que le nom de mamie.
Au point du jour , le coeur triste et confus ,
Je pars demain pour les bois d'Idalie ,
Etvais , en pleurs , demander à Vénus :
Que faire au monde ayant perdu sa mie ? »
PLANARD .
IMITATION DE MARTIAL. ( Livre VI , Ep . 53. )
APRÈS avoir diné d'un fort bon appétit ,
Hier il se coucha , sain de corps et d'esprit :
Il n'est plus .- Qui ? le jeune Orose !
-Lui-même ; il est mort ce matin.
-D'un trépas si soudain connaissez-vous la cause?
En songe il avait vu , dit-on , son médecin.
L. DAMIN.
/
LE CONVOI MAGNIFIQUE.
: ÉPIGRAMME .
LE riche Orgon vécut avec simplicité :
Il meurt ; avec pompe on l'enterre .
Ainsi ses fils ont hérité
Des trésors et non pas des vertus de leur père.
Par le même.
A MADEMOISELLE PAULIN .
DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.
PAR Martin ta voix est formée ,
Comme ton jeu par Dugazon :
L'un est le moderne Amphion ;
L'autre est cette Nina , du public tant aimée ,
Sublime par sa verve et par son abandon.
Dans le temple de Polymnie ,
Tu reproduis pour nous la noble Iphigénie,
La généreuse Alceste et la tendre Didon.
1
(
582 MERCURE DE FRANCE ,
Tunous fais encor plus chérir cette Antigone ,
Qui , seule , de son père a suivi le malheur :
Elle augmente par sa douleur
Le charme que ta voix lui donne .
Tous ces débuts sont autant de succès ;
Avec éclat ton talent se décide .
Poursuis ,et couronnant tes glorieux essais ,
Prends , pour nous enchanter , la baguette d'Armide.
ÉNIGME .
Du printems j'annonce l'aurore :
Par ma fraîcheur , par ma beauté ,
F.
Je tiens le premier rang dans l'empire de Flore ,
Et je suis à l'abri de la rivalité :.
On connaît ma délicatesse ;
Il ne faut pas m'approcher de trop près ;
Celui qui , brusquement me touche et me caresse ,
A l'instant même est blessé de mes traits .
De la belle qui me possède
Je fais ressortir les appas ;
-Mais le néant bientôt à mon pouvoir succède :
Et c'est ainsi que tout passe ici bas .
Le souvenir du moins de ma splendeur passée
Reste gravé dans tous les coeurs :
Et tout jeune minois par ses fraîches couleurs
Sur moi rappelle la pensée .
LOGOGRIPHE
VEUT- ON de ma substance une image précise ?
De mes membres épars qu'on fasse l'analyse .
Chacun m'en donne cinq : d'abord l'on trouve en moi
La plante dont la fleur forme l'écu d'un roi ;
Le nom d'un sectateur du plus grand fanatique ;
Un ancien minéral , deux notes de musique ;
Un article un pronom , une conjonction ;
Un meuble très -commun dans la construction ;
Un mets fort estimé du peuple de Provence ;
Unmoine que , jadis , on connaissait en France ;
१
MARS 1813 . 583
Le nom d'un ordre saint qui , rempli de ferveur ,
De Rome défendait et les biens et l'honneur ;
Un coteau dont le vin par sa sève écumante
Dans notre ame à grands flots verse un feu qui l'enchante ;
Un point qui , dans le jeu , causa plus d'un ımalheur ;
Un soupir qu'enfanta trop souvent la douleur.
Encore un mot , lecteur , tu vas me reconnaitre ,
Déjà je te vois rire en devinant mon être :
Sur le sein de Philis , jaloux de mon bonheur ,
Cent fois tu désiras respirer mon odeur .
Messager des beaux jours , la fleur de mon aigrette
Charme l'ami des champs , et flatte la coquette .
CHARADE .
SANS connaître , lecteur , la langue de Sophocle ,
Tu peux voir mon premier écrit dans Themistocle.
Héloïse en son coeur concentra mon second.
Mon dernier , tous les jours , de messire Purgon
Exerce le savoir ; et dans Thessalonique
Mon entier fit commettre une action inique .
V. B. ( d'Agen. )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
- insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Réchaud.
Celui du Logogriphe est Maroc , dans lequel on trouve : coram.
Celui de la Charade est Pistache.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
DE L'ETUDE DES HIEROGLYPHES . Fragmens . Cinq volumes
in- 12 .-A Paris , chez Colnet , quai Voltaire , nº 27 ;
Delaunay , Palais -Royal , nº 243 ; Treuttel et Würtz ,
rue de Lille , nº 17 .
QU'EST devenu le tems où les princes de l'Orient s'envoyaient
des énigmes à deviner ? Le Mercure eût été dans
ce pays- là le premier des journaux , et l'auteur de l'Etude
des hiéroglyphes par fragmens aurait pu prétendre au
moins à une place de premier ministre. Aujourd'hui les
cours occupées de tout autre mystère se soucieront .
probableinent fort peu de la révélation de ceux que nous
atransmis la docte antiquité , et les amateurs bourgeois
ayant assez à faire que de débrouiller la Charade du
jour et le Logogriphe de la semaine , s'épouvanteront
sans doute aussi de cinq volumes d'énigmes en prose
passablement mystérieuse , et le disputant par fois pour
les formes apocalyptiques aux vers des Sybilles et de
tous les Cryptographes .
Que restera- t- il donc de lecteurs au profond scrutateur
des hiéroglyphes ? J'ai quelque honte de le dire ;
mais je crains bien que leur nombre ne se réduise , soit
à quel ques- uns de ces esprits curieux qui veulent tout
savoir , tout approfondir , gens de peu de foi , ne croyant
pas sur parole que les sages de l'antique Egypte fussent
des imbéciles , soit aux journalistes condamnés à parler
un peu de tout , en supposant encore que l'ouvrage ne
tombera pas entre les mains de ceux de nos confrères
qui ont le talent d'analyser un livre sans l'avoir lu .
De quoi aussi s'avise cet auteur qui veut nous donner
une clef satisfaisante et raisonnable de la science sacrée ,
recouverte jadis des voiles mystiques du sanctuaire ?
De graves docteurs ne nous ont-ils pas appris là-dessus
tout ce qu'il faut savoir pour prétendre à la béatitude
MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 . 585
S
20
200
nou
ge
el
ero
promise aux pauvres d'esprit , quand ils nous ont dit que
ces dieux astres , animaux , légumes , etc. , étaient l'ouvrage
de l'ange des ténèbres , et la preuve de la corruption
, de la dégradation du coeur humain ? N'avons-nous
pas pour les gens un peu plus difficiles à contenter les
savantes explications de l'abbé Bannier , qui , ayant retrouvé
probablement les Mémoires secrets des cours de
l'Orient d'avant et d'après le déluge , ne laisse pas lieu
de douter qu'lo ne fût une princesse , fille du roi Inachus
, et qu'enleva un autre roi , sur la frégate la Vache ,
d'où ces agréables menteurs nommés poëtes , peu respectueux
envers les princesses qu'on enlève , ont fait
courir le monde à cette pauvre Io en la déguisant en
vache . C'est ainsi encore que le roi Jupiter III enleva
aussi la princesse Europe , sur le vaisseau de ligne le
Taureau; que le corsaire le Pégase , monté par le capitaine
Persée , ayant rencontré et attaqué le chebeck algérien
la Baleine, le prit à l'abordage , ety trouva et délivra
la princesse éthiopienne Andromède , que des écumeurs
de mer avaient enlevée , pour la vendre à quelque pourvoyeur
du harem du sultan Phinée ; tant les princesses
de ce tems-là étaient faciles à enlever!
Quand on a trouvé une solution aussi lumineuse , et
sur-tout aussi commode, de toutes les difficultés des fables
anciennes , qu'est- il besoin d'aller encore y chercher un
sens allégorique et caché , et de vouloir découvrir sous
leurs formes emblématiques les plus hautes leçons de la
sagesse , les secrets de la législation morale et religieuse ?
C'est pourtant ce qu'a osé tenter l'auteur de l'Etude des
hiéroglyphes , sans craindre l'anathême lancé par Paschal
contre toute raison qui voudrait trop raisonner ; et
j'ose à mon tour assurer qu'il l'a fait avec un succès trèsremarquable
. Il est malheureux seulement que l'exécu
tion de son ouvrage ne réponde pas à sa solidité. Il y a
peu d'ordre et de liaison . C'est une carrière où les pierres
sont entassées en attendant l'architecte ; mais malgré ces
défauts , que je commence par signaler , je pense que
ceux qui auront le courage de franchir ces premières
difficultés , en seront dédommagés , à mesure qu'ils se
familiariseront avec l'auteur et son système , par des ré
)
586 MERCURE DE FRANCE ,
sultats aussi curieux que neufs , par une multitude
d'aperçus piquans , ingénieux , et d'un véritable intérêt
pour ceux qui s'occupent de l'étude de l'esprit humain
et de l'état des connaissances primitives dans des tems
dont on ne peut plus calculer l'antiquité.
L'auteur commence par exposer les élémens et les
premiers caractères de l'écriture symbolique et allégorique
chez les différens peuples , et dans toutes les parties
du monde . Les débris des monumens de l'ancienne
Egypte sur-tout , sont pour lui comme une immense
bibliothèque , dont les rocs de granit encore couverts de
caractères sacrés ont été lesfeuillets primitifs . Par-tout ,
au reste , il retrouve la même pensée , les mêmes combinaisons
, tirant des objets sensibles les premières représentations
des idées et des opérations intellectuelles .
Ainsi le serpent et la pierre droite furent généralement
les images symboliques de Dieu ; de même , et dès les
tems les plus reculés , les flèches et la corne , emblême
de la puissance et des combats , furent employées à désigner
l'homme ; le vase , premier meuble de la famille ,
fut sous d'autres rapports l'emblême de lafemme .
Les animaux , leurs habitudes et les actions qui les
caractérisent devinrent aussi autant de types propres à
rappeler le souvenir des lois et des opérations de la nature
, à célébrer la puissance de son auteur ; en un mot,
toutes les parties visibles de l'univers servirent successivement
à en représenter les merveilles considérées dans
leurs causes et leurs rapports invisibles , et composèrent
le vaste système de l'écriture hiéroglyphique , qui traduisait
, pour ainsi dire , et rendait sensibles , à l'aide
d'images matérielles , toutes les idées de l'ordre métaphysique
et moral.
Ce qu'il y a même de très-remarquable à cet égard ,
c'est que plus on avance dans l'explication des hiéroglyphes
, plus on est frappé d'y reconnaître toutes les
images d'un dieu créateur et conservateur , toutes les
descriptions de sa force , de sa justice , enfin de tous ses
attributs , et jusques aux formules des prières ou des
louanges orientales qui lui sont consacrées dans la poésie
hébraïque; et cependant il est bien difficile de supposer
MARS 1813 . 587
!
1
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i
que l'écriture sacrée de l'Egypte ait été postérieure aux
livres des Hébreux .
Comme cette écriture prenait tous ses signes dans les
objets naturels , et que les plus clairs , et par conséquent
les plus expressifs , devaient nécessairement être préférés
à tous les autres , sur-tout dans cette enfance de la
société naissante , où les imaginations vierges encore ne
songeaient point à détourner , au profit des sens corrompus
, les élémens sacrés de la pensée , il dut arriver
que des emblêmes dont on décorerait à peine aujourd'hui
les moins chastes boudoirs , furent alors multipliés et
combinés de mille manières , tantôt pour représenter la
puissance créatrice et conservatrice , tantôt même pour
donner les leçons de la plus pure morale .
On est souvent tout étonné du sens ingénieux , clair et
satisfaisant qui , au moyen des clefs naturelles offertes
par notre auteur , sort tout-à-coup de l'explication d'une
peinture où au premier aspect un oeil profane ne verrait
que le jeu d'une imagination passablement déréglée.
C'est ainsi que , pour n'en offrir ici qu'un exemple qui
n'effarouche aucun lecteur , l'emblême de Ganimède enlevé
par l'aigle de Jupiter , image devenue passablement
érotique , fut primitivement l'expression de l'innocence
's'élevant avec confiance vers le ciel , et se reposant sur
Dieu .
.
Si l'espace me le permettait , je pourrais multiplier les
exemples , mais forcé d'abréger , je les réduis à deux qui
me paraissent très-remarquables . Le scarabée , par son
habitude caractéristiqué de rouler ses ordures en forme
de boules , devint à ce titre le signe du génie créateur des
globes . Le tau d'Osiris , ou clefdu Nil, qui rend la vie à
l'Egypte , fait enforme de croix , et trouvé fréquemment
sur les dépouilles des morts , était l'emblême de la vie
future et de l'espérance d'une régénération après la mort .
En général , les expressions figuratives de ce dogme
d'une vie future paraissent avoir été très-multipliées , et
supposent que la connaissance en était plus développée
chez les peuples primitifs que chez quelques-uns de ceux
qui n'ont souvent fait que copier, altérer, puis calomnier
leurs connaissances . C'est ainsi , par exemple , que ta
588 MERCURE DE FRANCE ,
figure du scarabée citée tout-à-l'heure et d'autres encore
ont été présentées comme des monstruosités ridicules et
indécentes , quand , pour assurer la propagation de nouvelles
doctrines , il a été plus utile de méconnaître le
sens de l'ancienne écriture que de conserver les preuves
de la haute sagesse et des vérités religieuses et morales
cachées sous ses ingénieux emblêmes .
,
L'auteur , en terminant son ouvrage , exprime le voeu
tout paternel de voir l'étude des hiéroglyphes nous ramener
à l'origine même et à la véritable découverte des
sciences et de la philosophie ancienne ; il voit déjà les
murailles de nos demeures et de nos temples réciter à la
postérité , dans un langage universel et encore intelligible
, quand nos idiomes auront péri , lesfaits de notre
histoire nos sentimens et nos dogmes . C'est une pasigraphie
naturelle dont notre auteur nous propose ici le
secret. Je ne sais , toutefois , si la théologie que nous
avons vue naguère faire un si bel effet dans les poëmes
en prose et les romans moraux , et qui a bien aussi ses
hiéroglyphes , s'accommoderait de ceux de l'antique
orient , si nos sens ne sont pas un peu trop matérialisés
pour espérer qu'ils s'élèvent jusqu'à la pureté des idées
religieuses par la contemplation des images , beaucoup
trop naïves pour une civilisation aussi perfectionnée que
la nôtre , de la nature mère et vierge , de la puissance
créatrice et conservatrice , etc. , efc . Toutefois je ne
doute pas que l'idée de notre inconnu ne puisse avoir
souvent d'heureuses applications dans la sculpture d'ornement
, et lui servir à étendre le champ un peu borné
de la composition allégorique.
Mais cet inconnu qui se cache lui-même en écartant
les voiles de la science sacrée , quel est-il ? quel est son
nom , sa patrie ? est-ce aussi là un mystère à deviner ?
Voilà , j'imagine , les questions que fera le lecteur qui
aura pris quelque intérêt à cet ouvrage. Je lui réponds
qu'en effet , sans doute pour essayer si l'on aura profité
à sa lecture , ce singulier auteur ne s'est montré qu'en
énigme ; mais voici des données pour les oedipes qui
voudront le deviner. D'abord l'étendue , le caractère ,
les formes même un peu irrégulières et bizarres de
MARS 1813: 589
1
1
1
1
l'érudition répandue dans son livre , permettent de l'attribuer
à quelque docte étranger . Ensuite l'auteur , dans
ses adieux à son lecteur , lui annonce qu'il laisse à d'autres
le soin de poursuivre la carrière qu'il a commencée :
il déclare qu'il n'y serait pas même rappelé par la promesse
que fait Enée à son pilote , de donner son nom
au port où il l'a conduit , et qu'on lui répéterait en vain :
PALINuri nomen habebit .
Il portera le nom de PALINure.
N'en est-ce pas assez pour faire reconnaître le savant
comte suédois que la philosophie , la vénérable antiquité
comptent parmi leurs défenseurs les plus distingués ,
leurs plus heureux interprêtes? GIRAUD .
OEUVRES CHOISIES DE SAURIN. Edition stéréotype d'après
** le procédé de Firmin Didot : un volume in- 18 .
:
QUELQUES ouvrages d'un mérite réel ont fait à Saurin
une réputation sinon brillante , du moins estimable. Cet
auteur , fils d'un géomètre célèbre , était déjà dans l'âge
mûr lorsqu'il abandonna le barreau pour le théâtre ; et
une comédie en cinq actes et en vers , qui n'eut aucun
succès , et qui n'en méritait pas , fut son début. Une
tragédie , inférieure même à la comédie , lui succéda et
n'eut que trois représentations. Pour un auteur qui débute
à trente-sept ans , deux chutes sont un mauvais
présage ; mais Saurin obtint ensuite plus de succès. Des
divers ouvrages dramatiques qu'ils donna , quatre sont
demeurés au répertoire , et leur auteur fut jugé digne
de siéger à l'Académie française .
M. Fayolle a donc rendu un véritable service à la littérature
en publiant une édition des OOEuvres choisies de
Saurin. Un goût pur et sévère a présidé au choix qu'il
a fait dans les deux énormes volumes qui composent les
oeuvres complètes de cet auteur; quatre pièces seulement
ont été conservées dans la nouvelle édition ; savoir ,
deux tragédies : Spartacus et Blanche et Guiscard; la
jolie comédie des Moeurs du tems , et Beverley , drame.
590 MERCURE DE FRANCE ,
Spartacus eut un grand succès et le méritait , car si
cette tragédie a plusieurs défauts , elle a aussi des beautés
du premier ordre. Voltaire y trouvait des vers frappés
sur l'enclume de Corneille. En effet , on rencontre
dans Spartacus un grand nombre de morceaux pleins de
force , d'énergie et d'élévation , non-seulement dans
l'expression , mais encore dans la pensée : telle est la
première scène du troisième acte , entre Spartacus ,
Noricus et les soldats ; eelle entre Spartacus et Messala ,
et tel est sur-tout le beau récit qu'Emilie fait à sa confidente
, où se trouve cette belle expression : indigné de
sa gloire , pour peindre la honte que Spartacus , vainqueur
d'un Cimbre dans un combat de gladiateur ,
éprouve en recevant les applaudissemens des Romains .
Un de nos meilleurs littérateurs a prétendu que Racine
avait condamné d'avance le sujet de Spartacus par les
vers qu'il met dans la bouche de Mithridate , lorsque ce
monarque expose ses projets à ses fils et leur dit en parlant
des ennemis des Romains :
:
Ah ! s'ils ont pu choisir pour leur libérateur
Spartacus , un esclave , un vil gladiateur ,
S'ils suivent au combat les brigands qui les vengent ,
De quelle noble ardeur pensez -vous qu'ils se rangent
Sous les drapeaux d'un roi long-tems victorieux ,
Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux ?
:
Ge littérateur prétend que ces épithètes de vil gladiateur
, d'esclave , de brigand , données à Spartacus , l'avilissent
tellement qu'il n'a plus été permis de le mettre
sur la scène . Une semblable critique serait juste si
Saurin avait fait de son principal personnage un de ces
gladiateurs d'une origine méconnue , et dont la mort
servait de divertissement aux déprédateurs du monde ;
mais il a évité ce reproche en faisant de Spartacus un
fils d'Arioviste , un héros dont les victoires ont ébranlé
la puissance de Rome .
Saurin , dans cette tragédie , excita l'admiration par
quelques traits dignes de Corneille. Il faut cependant
avouer qu'en lisant les belles scènes du créateur des
Horaces et de Cinna , on sent que l'élévation et les
MARS 1813. 591
1
1
grandes pensées lui sont naturelles , au lieu qu'en admirant
les beaux traits de Saurin on s'aperçoit qu'il lui a
fallu des efforts pour les trouver.
Blanche et Guiscard succède à Spartacus . Le Mariage
par vengeance , épisode du Gilblas , a fourni à
Saurin le sujet de cette tragédie , qui est pleine d'intérêt ;
mais les évènemens s'y succèdent avec beaucoup trop
de rapidité , ce qui multiplie les invraisemblances et
rend la pièce plus romanesque qu'il ne convient à une
tragédie.
M. Fayolle prétend que Blanche blesse toutes les
convenances en recevant , le jour même de son mariage,
un billet de son amant . Je ferai observer que c'est ici
une faute de Blanche et non unefaute de Saurin , car les
auteurs dramatiques doivent faire commettre des fautes
aux personnages qu'ils mettent en scène , parce que
rien n'est plus froid qu'un héros ou qu'une héroïne parfaite.
Comme la faute de Blanche amène des situations
pleines d'intérêt , cette faute blamable aux yeux de la
morale devient une beauté en poésie . D'ailleurs on excuse
Blanche quand on sait combien elle aime et comment
elle a été trompée , et l'on pleure sa mort sans songer à
blâmer sa conduite .
Les Moeurs du tems , comédie en un acte , se fait distinguer
par un dialogue franc et naturel , par beaucoup
de vérité dans les caractères , et par une foule de mots
heureux . On a cité souvent celui de la comtesse qui
causant à sa toilette avec une suivante qui lui dit que sa
rivale est charmante , répond : Charmante ! Donnez-moi
d'autre rouge : celui-là est pâle comme la mort.
Cette petite comédie est écrite avec beaucoup de
vivacité , on n'y trouve aucune trace de cette sensiblerie
et de ce marivaudage qui caractérisent les trois quarts
des comédies qui parurent à la même époque .
Beverley fut joué huit ans après les Moeurs du tems .
LeJoueurAnglais , d'Edouard Moore , a beaucoup servi
à Saurin pour composer son drame . Regnard , qui n'eut
jamais d'intentions morales , n'a peint que ce que la passion
du jeu a de ridicule. Il ne voulait que faire rire et
il a très-bien réussi. Saurin a tenté de peindre les fu
592 MERCURE DE FRANCE ,
nestes effets de cette passion dangereuse; je ne sais s'il
a corrigé beaucoup de joueurs , mais il s'était proposé
un but utile et il l'a atteint. L'action de son drame est
bien développée , les scènes en sont filées avec beaucoup
d'art , et le style se fait remarquer par une grande
vérité et une grande force. On ne trouve point de recherche
, point de phrases à effet , de fausse chaleur et
de déclamation dans le dialogue qui est constamment
pathétique et affecte l'ame . On plaint le malheureux
Beverley dont de faux amis ont perverti les bonnes qualités
. On pleuré sur son sort , sur celui de sa famille ,
dont il fait le malheur , et l'on frémit , en le plaignant
encore , lorsqu'on le voit prêt à poignarder son enfant.
Sa tendresse pour sa femme , ses remords ses fureurs
et son désespoir , font une impression si profonde sur
les spectateurs et les lecteurs , qu'ils ne s'aperçoivent
pas des défauts de convenances dont fourmille le drame
de Sautin.
: Un des premiers , et le plus grave peut-être , est la
résignation de Mme Beverley , qui ne fait pas un seul
reproche à son mari que ses déréglemens ont réduit à
la misère.
On a remarqué aussi que lorsqu'elle n'avait plus de
meubles , elle possédait encore des diamans , comme si
l'on n'était pas dans l'usage de se défaire du superfiu
avant que de toucher au nécessaire.
Peut-être même doit-on reprocher au poëte d'avoir
donné trop d'étendue aux scènes d'amour entre Henriette
etLeuson ? Cet amour, si intéressant parce qu'il
est vrai , forme presque une double action , tandis qu'il
suffisait de l'indiquer .
Les poésies diverses de Saurin , à l'exception d'une
demi-douzaine de pièces , ne s'élèvent pas au-dessus du
médiocre . L'Epître surla Vérité, l'Epître sur les Malheurs
attachés à la vieillesse , et quelques autres , pouvaient
seulés entrer dans une édition choisie ; aussi l'éditeur
s'est-il empressé de les recueillir .
Lanotice sur Saurin est digne de l'ingénieuxbiographe
de Gentil-Bernard , de Gresset , de Démoustier , etc.
c'est l'ouvrage d'un littérateur habile qui sait apprécier
1
MARS 1813 : 503
DEPDTE LA
T
N
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N
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10
réd
1
1
les ouvrages qu'il examine. Le seul reproche qu'on puisse
faire à cette notice , c'est qu'elle est trop courte, On
aimerait à y trouver plus de détails surla vieprivée de
Saurin . LAM
L'ABBAYE DE SAINT- OSWITHE , par l'auteur d'Ethelwina ,
traduit de l'anglais ; par Madame..... Deux vol . in- 12 .
On doit aux Anglais cette espèce de roman qui a
pour objet d'effrayer l'imagination en lui présentant des
tableaux terribles , tels que le spectacle des plus grands
crimes employés par des scélérats pour persécuter l'innocence.
On dirait que ce peuple , qui a besoin des plus
fortes émotions pour échapper à la funeste influence du
spleen , ne peut les trouver qu'au milieu des récits d'assassinats
, accompagnés de circonstances qui en augmentent
l'atrocité. Le théâtre de Shakespear est rempli
de situations capables de donner des spasmes à nos
petits -maîtres , mais qui peuvent à peine émouvoir des
spectateurs anglais. La plupart des romanciers de cette
nation ont encore enchéri sur les dramaturges , et ont
même usé de moyens surnaturels , tels que des apparitions
de diables , de revenans et de fantômes pour amuser
les lecteurs en les effrayant. Le chef-d'oeuvre de ce genre
est sans contredit le Moine , par M. Lewis ; roman où
le diable , le juif- errant , la none sanglante et les spectres
les plus épouvantables remplissent les principaux
rôles , et emploient toute espèce de ressorts pour faire
d'un moine vertueux , le plus affreux des scélérats . Mme
Radcliff , en marchant sur les traces de M. Lewis , a plus
imité ses conceptions tragiques que ses moyens surnaturels
. Les souterrains , les vieux châteaux et les couvens
sont les lieux où elle établit ses scènes ; mais l'on
ne peut se dissimuler que ses romans, auxquels il faut
cependant reprocher trop de bavardage , se font lire avec
intérêt. Le plus célèbre de tous , celui qui est intitulé
Les Mystères d'Udolphe , a été traduit en français par
une dame à qui nous sommes redevables de plusieurs
bons ouvrages ; et l'un des membres les plus distingués
de l'Académie française a également traduit d'une ma-
PP
594 MERCURE DE FRANCE ,
nière supérieure l'Italien , autre roman de Mme Radcliff.
C'est un bonheur pour cette dame d'avoir eu un traducteur
capable de faire la réputation de l'ouvrage qu'il
a traduit.
Mme Radcliffa , dans sa patrie , une foule d'imitateurs
et d'imitatrices . Tel est l'auteur du roman que j'annonce
aujourd'hui ; mais avant d'en donner une idée , je crois
qu'il est bon d'avertir que , si Mme Radcliff , douée d'un
talent très -rare , a fait école , ses disciples ne sont que
de bien tristes écoliers. On en jugera par une analyse
incomplète de l'Abbaye de Saint- Oswithe. Je dis incomplète
, car ce roman est si embrouillé , qu'il faudrait plus
d'une lecture pour saisir tous les détails de l'action . :
Le baron d'Edmonville eut deux fils , issus de deux
mariages différens . L'aîné , nommé Alfred , avait d'excellentes
qualités ; mais le cadet , qui s'appelait Rudolph,
était un franc scélérat . Sans m'arrêter à faire connaître
l'histoire des deux frères depuis leur enfance , je dirai -
seulement que Rudolph parvint , par ses intrigues et ses
crimes , à dépouiller Alfred de tous ses biens , et qu'il
lui enleva même la belle Mathilde son épouse , qui l'avait
rendu père de Rosaline , l'héroïne du roman . Alfred
aurait pu réclamer ses biens et même sa femme devant
les tribunaux ; mais outre qu'un procès n'est pas un épisode
digne de figurer dans un roman , c'eût été le moyen
de débrouiller bien vîte l'intrigue ; car la justice en envoyant
le ravisseur aux galères aurait délivré son honnête
frère de ses persécutions , et le roman eût été bien
vîte fini , ce qui n'était pas le compte du romancier.
Aussi a-t- il feint que Rudolph avait exigé d'Alfred , en lui
mettant le poignard sur la gorge , le serment de ne jamais
faire valoir ses droits . Alfred , épouvanté par ces gestes
peu fraternels , prêta ce serment et le tint fidèlement. Les
mauvais plaisans diront peut-être que la crainte de ravoir
sa femme l'empêcha de revendiquer sa fortune , et que
perdre ainsi c'était gagner; mais Alfred avait des idées
plus nobles. Ne voulant pas trahir son serment , il se
contenta de rédiger un Mémoire , à l'aide duquel sa fille
pût un jour réclamer les biens de son père ; mais Rosaine,
avant de les obtenir, avait bien d'autres traverses à
esstiver. Mathilde sa mère, enlevée , comme on sait , par
.
MARS 1813. 595
ater
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D
Rudolph , mit au jour une fille , dont le ravisseur est le
père. Alfred meurt, et Mathilde est empoisonnée par une
rivale jalouse que le père de Rosaline avait dédaignée .
Rosaline , après avoir éprouvé malheurs sur malheurs ,
après avoir vu son amant percé d'un coup d'épée au
coeur , et entendu son long et dernier gémissement, tombe
entre les mains d'Agnès qui avait ôté la vie à Mathilde
par jalousie , et de la comtesse d'Olhin , fille de cette
même Mathilde et de Rudolph. Ces deux furies l'enferment
pendant quelque tems dans un souterrain , et forment
ensuite le dessein de l'assassiner ; mais un fantôme
paraît tout-à-coup au moment où elle allait être égorgée .
Cette apparition lui sauve la vie. Agnès meurt et Rosaline
sort de son cachot. A peine est-elle dehors qu'elle
est prise par des brigands que des soldats prennent à
leur tour; elle est conduite devant Marguerite , reine
d'Angleterre , qui se trouvait par hasard dans ces lieux.
Rosaline plaide elle-même sa cause devant la reine qui
lui rend justice; alors son amant qui avait été percé
d'un coup dans le coeur , et dont elle avait entendu le
long et dernier gémissement , paraît comme par miracle,
et ils sont unis .
i
Telle est l'esquisse de ce roman , où il y a je ne sais
combien de scélérats , d'assassinats , et même de fratricides
, mais peu ou point d'intérêt. On le doit à l'auteur
d'Ethelwina , roman à-peu-près inconnu , et qui n'a pas
même obtenu cette espèce de succès qu'obtiennent toujours
les nouveautés . Je crains bien que l'Abbayede Saint-
Oswithe n'ait le même sort , en France du moins , où
l'on lit encore les romans médiocres , mais où l'on ne lit
pas les mauvais .
,
Le traducteur de ce misérable ouvrage est une femme ;
je la plains bien sincèrement de n'avoir pas fait un meilleur
choix , d'autant que son style facile et élégant ne
manque pas de correction quoiqu'on y rencontre
quelques-unes de ces taches dont nos meilleurs écrivains
ne sont pas exempts . Je l'invite donc au nom des
talens qu'elle annonce à composer elle-même , ou à mieux
choisir les ouvrages qu'elle veut traduire .
J. B. B. ROQUEFORT .
Pp2
596 MERCURE DE FRANCE;
VARIÉTÉS .
RÉVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES , LES ARTS ; LES MOEURS
ET LES USAGES .
Sixième lettre de l'Observateur provincial à Messieurs
les Rédacteurs du Mercure .
MESSIEURS , je me promenais un de ces jours à l'heure
où le soleil dans toute sa force tempère les rigueurs de la
saison . Je suivais un chemin solitaire , et tout en cheminant
je lisais quelques fragmens du célèbre auteur d'Atala.
Entraîné par les périodes ronflantes de cette prose poétique
, je me mis à la déclamer avec toute la pompe qui
lui convient . J'en étais à cette phrase : « Le désintéressement
est une qualité que les Français possèdent éminemment
au-dessus des autres nations de l'Europe. L'argent
n'est rien pour eux , etc .... " J'en étais à cette phrase
Lorsqu'une voix s'écrie : Dites , au contraire ,que le peuple
français est aujourd'hui le plus intéressé de l'Europe .
Dites que l'argent est le mobile secret de toutes ses actions ,
et l'unique objet de son culte.
Etonné , je lève les yeux pour savoir d'où vient cette vive
apostrophe , et je vois , marchant à ma gauche , un homme
d'assez bonne mine , mais dont le costume annonçait une
extrême misère . Au bout d'un bâton , qu'il portait sur
son épaule , était attaché un petit paquet contenant , je
crois , toute sa garde-robe. Une gourde pendait à son
côté . Sa chaussure était délabrée , et un mauvais mouchoir
noué autour de sa tête lui tenait lieu de chapeau. A l'aspect
de son dénûment j'éprouvai le besoin de lui offrir
quelque secours . Cette première impulsion était bien celle
de l'humanité ; mais comme il entre toujours un peu
d'alliage dans nos sentimens les plus purs , j'étais bien
aise aussi de lui prouver qu'il ne devait pas me regarder
comme atteint du vice qu'il venait de reprocher à ses compatriotes
. D'un autre côté , je craignais de blesser son
amour-propre . Si tout en lui annonçait la dernière détresse,
son langage semblait le mettre au-dessus de cette classe
MARS 1813 . 597
da
De
ale
da
T
11
i
d'hommes qui n'a d'autre ressource que les bienfaits de la
pitié publique..
Je hasardai cependant ma petite offrande ; il la refusa
sans se parer d'un faux orgueil. Monsieur , me dit-il , je
suis sensible à votre généreuse intention , mais ce n'est
pas pour la provoquer que j'ai interrompu votre lecture.
Sije me suis permis de contredire l'auteur qui vous occupe,
c'est que mon expérience dément son assertion , et que
dans toutes les circonstances de ma vie l'avarice m'a été
fatale .
Ces paroles , qui contrastaient fortement avec la mise de
celui qui les prononçait, me le firent considérer avec plus
d'attention . Sa physionomie vive et originale , certain caractère
aventureux répandu sur toute sa personne , ayant
de plus en plus piqué ma curiosité , je le priai de vouloir
bien la satisfaire en me donnant quelques détails sur sa vie ;
ce qu'il fit en ces termes :
<<Mon père et ma mère , ou, pour parler plus noblement,
les auteurs de mes jours étaient pauvres , ce qui est assez
commun ; mais honnêtes , ce qui est un peu plus rare . Les
ayant perdus de bonne heure , un mien parent , oncle maternel
,me recueillit , et se chargea de mon éducation . Cet
oncle jouissait d'une jolie fortune , ou plutôt il n'en jouissait
pas ; car le bonhomme était un vrai pince-maille , voué
sans pudeur à la plus honteuse lésine , et passant sa vie à
compter , recompter et fêter son or. Il prit tant de goût à
cette solitaire occupation qu'il retira ses capitaux , vendit
tout ce qu'il possédait en fonds de terre , afin de pouvoir
embrasser d'un coup-d'oeil et palper à son aise l'objet métallique
de toutes ses affections. Pendant ce tems-là je
n'apprenais pas grand chose . La morale de mon oncle se
bornait à des sermons sur l'économie , et ma littérature à
quelques romans que je lisais avec avidité. Les avares
vivent comme s'ils ne devaient jamais mourir ; mais ils
meurent enfin. Un beau matin mon oncle trépassa . J'étais
son unique et légitime héritier. Hélas ! je n'en devins pas
plus riche pour cela ; car vous saurez qu'il avait si bien
caché son trésor qquuee ,, malgré toutes les recherches possibles
, on ne put jamais le découvrir. Voilà , monsieur , le
premier coup que m'a porté l'avarice .
Ne sachant trop que devenir , je me mis comme Gil-
Blas à courir le monde , et comme lui bientôt je me vis
contraint , faute de mieux , à endosser la livrée . J'entrai
chez un homme nouvellement comblé des dons de la for
598 MERCURE DE FRANCE ;
1
tune. Au train de sa maison , au luxe effréné qui régnait
autour de lui , je crus que j'allais vivre dans l'abondance.,
et que , grace à la générosité que je lui supposais , je pourrais
voir un jour mes services récompensés. Combien je
me trompais ! Tout cet éclat n'était qu'une vaine apparence.
Je m'aperçus bientôt que , malgré ses cuisiniers ,
ses maisons , ses meubles , ses équipages , ses chiens , ses
chevaux , ses complaisans , ses flatteurs , l'avarice le rongeait
sourdement ; elle surnageait , pour ainsi dire , an
milieu de toutes ses profusions; elle luttait dans son coeur
contre l'orgueil , et ce combat me donnait souvent la comédie.
Lorsque l'orgueil l'emportait , et que , pour le satisfaire,
il tranchait du magnifique , l'avarice reprenait aussitôt
le dessus ; elle lui reprochait ses folles dépenses , et lui
suggérait mille moyens ingénieux de les réparer . Le plus
ordinaire était de nous imposer de longs jeûnes . Un festin
était pour nous comme le carnaval l'annonce du Carême ,
et nous étions sans cesse exposés à mourir de faim ou
d'indigestion.
» Tout était contraste dans les manières de cet homme.
Il achetait sans murmurer une pendule deux mille écus ,
et se débattait pendant une heure avec son cordonnier
pour le prix d'une paire de bottes. Il donnait des gratifications
aux artistes et ne payait pas nos gages . La même
inégalité régnait dans son humeur : sa figure était radieuse
lorsqu'il faisait les honneurs d'une fête ; mais , lorsque le
lendemain les ouvriers venaient réclamer leur salaire , il
devenait chagrin , querelleur , et gourmandait à tort et à
travers tous ceux qui se trouvaient sur son passage.
» Un jour qu'il devait recevoir quelques grands personnages
, et qu'une douce joie semblait circuler dans ses
veines , je crus pouvoir lui présenter un malheureux qui
depuis long-tems réclamait ses secours . Je payai cher mon
imprudence . Il repoussa mon protégé d'une manière fort
peu civile , et me donna mon congé pour l'avoir introduit ,
contre ma consigne , qui ne me permettait de laisser entrer
aucun solliciteur. Dans le même moment on vint lui apporter
une souscription , relative à je ne sais quelle expérience
publique , et il s'inscrivit pour une somme assez
forte . :
En sortant de chez ce fastueux avare, un particulier remarquable
par l'immense fortune qu'il tenait de ses aïeux
me prit à son service . Je me félicitai d'entrer chez un riche
devieille date; le supposant, par son éducation , accortMARS
1813 . 599
:
1
1
tumé à jouir noblement d'un légitime patrimoine . Vous
allez voir si mes espérances étaient fondées .
Lorsque j'entrai chez lui , sa maison était montée à raison
de la moitié du revenu , ce qui suffisait pour vivre honorablement.
Il employait l'autre moitié à s'arrondir. Toute
possession touchant les siennes était convoitée par lui et
bientôt achetée. Il avait horreur des voisins . Il craignait ,
disait-il , les discussions d'intérêt , et par amour pour la
paix il aurait bien voulu envahir toute la terre . Ses fréquentes
acquisitions ne se trouvant plus proportionnées à
ses économies , il fallut faire des réformes et ne manger
que le tiers du revenu . Deux bons chevaux de pareille encolure
le promenaient avec toute sa famille ; il en vendit
un et se contenta de ce qu'on appelle une demi-fortune .
Il renvoya son cuisinier pour n'avoir qu'une modeste cuisinière.
Enfin il supprima tout ce qui avait une apparence
de superfluité . Il appelait cela mettre de l'ordre dans ses
affaires . Il avait d'ailleurs une manie , c'était de se lamenter
du matin au soir , et de se dire ruiné par la révolution .
C'est ainsi que , tout en pleurant sur le délabrement de sa
fortune , le pauvre homme achetait chaque jour des prés ,
des champs et des bois ; mais , tandis que ses propriétés
croissaient à vue d'oeil , tout décroissait dans le ménage .
La dépense fut restreinte au quart durevenu. Plus de cheval.
De tous les domestiques mâles je fus seul conservé ,
mais pour bien peu de tems . Une taxe de guerre fut pour
moi le coup de grace . Mon maître , plus riche que jamais,
se retira à la campagne , et me renvoya en me disant , la
larme à l'oeil , que sa fortune ne lui permettait pas de me,
garder.
„Un peu dégoûté du service , je parvins , avec des protections
, à entrer en qualité de clerc chez un procureur.
Me voilà donc dans un greffe poudreux , assis sur une
escabelle , et griffonnant des exploits , des significations ,
des expropriations forcées , et des contraintes par corps .
Le maître était là qui me répétait sans cesse , grossoyez ,
monsieur , grossoyez , après m'avoir préalablement appris
que grossoyer était l'art d'allonger son écriture , afin de
vendre au pauvre plaideur une plus grande quantité de
ces paperasses ainsi barbouillées. J'étais un jour occupé à
transcrire je ne sais quel fatras juridique , et je grossoyais
de mon mieux lorsqu'il arrive derrière moi , met ses lunettes
, et s'écrie tout en colère : Y pensez-vous , monsieur,
avec vos pieds de mouche et ces lignes qui se confondent !
600 MERCURE DE FRANCE ,
(
ce que vous avez fait entrer dans quatre pages pourrait ea
occuper douze. Vous me ruinez , monsieur , vous me
ruinez . Je vous conseille de suivre une autre carrière ; je
vois bien que dans la nôtre on ne fera jamais rien de vous
Ce conseil était un ordre . Il fallut sortir de chez lui et
chercher fortune ailleurs .
» De clerc je devins commis chez un marchand de drap
des mieux accrédités ; lequel , ainsi que le procureur , me
donna d'amples instructions sur les finesses du métier. Il
m'apprit à surfaire en conscience; à gagner quelques lignes
sur l'aunage , toujours en conscience ; à. connaître à la
physionomie les bonnes pratiques , c'est-à-dire , celles que
l'on dupe aisément. Lorsqu'il me crut suffisamment édu
qué , il me fit entrer en exercice . Je m'acquittai de mon
emploi en conscience : je veux dire avec la conscience du
marchand et non avec la mienne. Tout allait bien , lorsqu'un
étranger étant un jour à examiner une pièce de drap,
seplaignit de l'obscurité qui régnait dans le magasin. Moi ,
naïvement , je m'empresse de lever un abat-jour placé audessus
de la fenêtre, oubliant qu'il n'était là que pour couvrir
d'une ombre propice les innocentes trichoteries du négoce.
Olumière fatale ! l'étranger , par son secours , ayant découvert
les défants du drap , s'éloigna sans rien acheter.
-A peine fut-il sorti que la colère du marchand éclata dans
toute sa force. Voyez , me dit-il , le tort irréparable que
vous me causez . Allez , monsieur , allez . On ne vaut rien
dans notre état avec une intelligence aussi épaisse . J'eus
beau lui représenter que c'était son drap qui était trop
mince, il me donna un congé formel.
>>Me voilà de nouveau sur le pavé , et toujours victime de
l'avarice ; mais au moment où elle semblait s'acharner à
ma perte , da fortune , par un coup d'éclat , me tira subitement
de la misère où j'étais plongé. Je fus compris dans
l'aveugle répartition de ses bienfaits pour un terne de cent
mille francs que je gaghai à la loterie. Muni de cette
somme , je voulus me marier. Je m'adressai à une jeune
et jolie personne qui agréa l'offre de ma main , ou plutôt
de mes cent mille francs . Tout allait se conclure lorsqu'un
rival plus riche se présenta etent la préférence ..
"Je fus bientôt consolé de ce petit revers . La possession
de mes cent mille francs était pour moi un doux lénitif.
Vous le dirai-je ? tout en m'occupant de ma nouvelle fortune,
je sentis naître en moi certains mouvemens cupides;
je cherchai s'il n'y aurait pas quelques moyens de doubler
41
い
MARS 1813 . 601
F
1
moncapital. Indigné contre moi-même d'éprouver cette
soifde l'or que j'avais si souvent condamnée dans les autres ,
je voulus en purger mon coeur ; et pour empêcher cet or
que je possédais de me posséder à son tour , je me mis à
m'en défaire le plus noblement possible .Enfin je luttai si
bien contre l'amour des richesses , qu'en peu de tems je
mé trouvai le plus désintéressé comme le plus pauvre des
hommes. :
Je serais encore voué à la misère la plus complète, si la
fortune ne m'avait pas secouru une seconde fois . Un de
mes parens m'écrit qu'on a retrouvé le trésor que mon oncle
avait si bien dérobé à tous les yeux. Je vais en prendre
possession , bien résolu de mettre à profit les leçons de
l'expérience , d'éviter les extrêmes et de jouir de mon bien
sans parcimonie comme sans prodigalité . »
*
En achevant ces mots , le pédestre voyageur me salua ,
doubla sa marche et disparut bientôt à mes regards . Ses
aventures n'ont rien d'héroïque ni de sentimental , mais je
les crois instructives ; voilà pourquoi je les ai recueillies .
Permettez-moi d'y joindre quelques réflexions .
Il est vrai qu'autrefois la nation française se distinguait
par son caractère désintéressé , par une générosité franche
et pleine de grâce. Il régnait dans les affaires d'intérêt une
délicatesse qui allait jusqu'au scrupule. Si chez quelquesuns
la conscience faiblissait , l'honneur était là , comme
une sentinelle , pour les maintenir dans le droit chemin.
Qu'est-ildevenu cet honneur ? Où sont ces manières droites
et généreuses qui ennoblissaient le commerce de la vie ? II
faut dire la vérité et la dire toute entière . L'avarice , cette
honteuse maladie de l'ame , empoisonneaujourd'hui , comme
autrefois la lèpre des Hébreux , toutes les classes de la société.
C'est sur-tout chez les riches qu'elle semble avoir jeté
de profondes racines. L'or entre leurs mains est comme
rentré dans la mine. Il en est peu qui sachent jouir de leur
fortune. La plupart vivent comme s'ils n'en avaient point
et ne songent qu'à amasser pour amasser encore .
Je sais bien que ceux qui ont dans le coeur ce malheureux
penchant ne manquent jamais de prétextes pour en déguiser
la honte. Je suis économe , dit l'un , mais l'économie
n'estpoint un vice . Je n'aime pas le faste , dit l'autre , j'ai
les goûts simples ; voilà pourquoi je dépense peu . Je travaille
pour mes enfans , dit untroisième; sij'éppiiee les occaf
1
602 MERCURE DE FRANCE ;
sions d'accroître mon petit pécule, c'est que toute mon ambition
est de leur laisser une fortune honnête.
Eh bien ! défendrez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?
LA FON .
2
Tout cela est très -spécieux sans doute. Je conviendrai
avec le premier que l'économie est une qualité estimable ,
nécessaire même , puisqu'elle est conservatrice de toute
propriété ; mais j'ajouterai qu'elle consiste moins à éviter
qu'à régler la dépense. Je dirai au second : vous n'aimez
pas le luxe , vous avez peu de besoins , que vous êtes heureux!
vous pouvez remplir dans toute son étendue le devoir
sacré de la bienfaisance , en donnant tout votre superflu aux
pauvres . Je ferai au troisième ce petit argument : vous travaillez
pour vos enfans ; rien de mieux : mais vos enfans
auront aussi des enfans ; et si en héritant de votre fortune
ils héritent de votre insatiable cupidité , ainsi que vous ,
sous le prétexte d'enrichir leurs descendans , ils tourmenteront
leur vie pour amasser de vains trésors ; ainsi que
vous , ils seront pauvres dans l'abondance , et l'avarice , devenue
héréditaire, sera pour jamais consacrée : croyez-moi,
laissez à vos enfans un peu moins de fortune et de plus
nobles sentimens .
Il est encore un petit raisonnement avec lequel on cherche
quelquefois à justifier l'avariçe. Chacun , dit-on , prend
son plaisir où il le trouve , et a le droit d'être heureux à
sa manière. Cette maxime sous le rapport du principe ne
mérite point de réponse ; mais , fût-elle mieux fondée , je
contesterais encore la justesse de son application. Une
passion qui rétrécit l'ame , qui l'isole dans ce monde en
la détachant de tout ce qui est en droit de l'intéresser ; une
passion qui détruit l'amitié , qui triomphe de l'amour , et
souvent même de la tendresse paternelle , peut-elle rendre
heureux ? Non , je ne crois point au bonheur des avares .
Ne sont-ils pas , d'ailleurs , tourmentés jusqu'au tombeau
par deux puissans ennemis de l'homme , le désir d'avoir et
la crainte de perdre ?
Au moment de terminer cette lettre , je lis dans un feuilleton
, où l'on rend compte d'une représentationde l'Avare,
que ce caractère n'existe plus. Cette observation peut être
vraie pour la capitale ; c'est ce que j'ignore ; mais je puis
affirmer qu'aujourd'hui , malgré un luxe apparent , l'avarice
est dans les grandes comme dans les petites villes un trait
MARS 1813 . боз
ن و
1
distinctif des moeurs de la nation. Les Harpagons du jour
ne sont plus , comme au tems de Molière , revêtus d'un
mauvais pourpoint et logés dans un taudis ; ils se mettent
avec décence et habitent de beaux appartemens : ils font ,
sous ce double rapport , quelques sacrifices à l'opinion ;
mais dans tout le reste leur sordide intérêt n'a plus de borne
et se montre à nu .
Voilà pourquoi j'ai cru devoir consacrer quelques pages
au signalement de ce vice hideux. Tous les moralistes anciens
et modernes , me dira-t-on , lui ont déjà déclaré la
guerre ; s'ils n'ont pu le déraciner , à quoi sert votre diatribe
? A rien peut-être : mais s'il ne m'appartient pas
d'écraser l'infâme, je veux du moins le montrer au doigt
et l'exposer à la risée publique.
J'ai l'honneur de vous saluer .
1
L'Observateur Provincial.
SPECTACLES .- Théâtre Feydeau .- Le Théâtre Feydeau
fixe en ce moment l'attention des amateurs : cet établissement
qui , depuis soixante ans , fait les plaisirs d'une nombreuse
partie des habitans de la capitale , perdra-t-il son
éclat parce qu'un de ses acteurs l'abandonne ? telle est
pourtant la question que des prôneurs indiscrets d'Elleviou
ont osé soumettre au public. Certainement la retraite de
ce grand acteur , inimitable dans plusieurs rôles , est une
vraie calamité pour les amateurs de l'Opéra-Comique ;
mais elle ne doit pas entraîner la perte d'un théâtre qui
conserve autant de sujets distingués : Martin , Gavaudan ,
Huet , Chenard , Juliet , Paul , Batiste , Lesage , mesdames
Duret , Gavaudan , Boulanger et Regnault , forment une
troupe très-complète d'excellens acteurs . Le Théâtre Favart
n'en offrait pas une semblable dans ses plus beaux
jours.
On reprochait à Elleviou de ne pas assez varier son
répertoire. Que l'administration de Feydeau se pénètre
bien de cette vérité , que c'est avec des ouvrages nouveaux
qu'elle attirera le public. La musique fait éprouver des
sensations moins durables , plus fugitives que la poésie.
L'Opéra Comique ne peut prétendre à un répertoire
aussi intéressant que celui du Théâtre Français ; il n'appartient
qu'à Molière et à Racine de paraître neufs après
cent cinquante ans : au lieu d'offrir quarante ou cinquante
fois le même acteur dans le même rôle , que les sociétaires
804 MERCURE DE FRANCE ,
3
de Feydeau mettent à la scène sept ou huit opéras nouveaux
, le public etl'arttyygagneront.
L'administration a déjà usé de cette recette. Depuis le
départ d'Elleviou on a représenté deux ouvrages ; le Séjour
militaire et le Prince de Catane. Nous avons rendu compte
dupremier ouvrage. Le second , annoncé avec fracas , ne
me paraît pas destiné à une longue existence , malgré ses
trois actes , les ballets , les décorations et le nom du compositeur.
M. Nicolo travaille beaucoup trop ; sa musique
du Prince de Catane , offre encore des défauts qu'on a déjà
eu occasion de lui reprocher ; avec quelques chants gracieux,
on y trouve des accompagnemens trop bruyans et
de fréquentes réminiscences.
Il me resterait à faire connaître l'intrigue du Prince de
Catane , mais Voltaire s'est chargé de ce soin : l'opéra
nouveau n'est autre que le conte charmant de l'Education
d'un Prince , dialogué et étendu en trois actes ; je crois
donc pouvoir me dispenser de parler du poëme , qui est de
M. Castel . B.
LeMari de Circonstance , opéra comique en un acte et
en prose, paroles de M. Planard , musique de M. Plantade,
a été représenté sur ce théâtre avec le plus grand succès;
l'abondance des matières nous force à renvoyer à notre
prochain numéro l'analyse de cet ouvrage .
ODEON . -Opéra Buffa. - Les Noces de Dorine. -
Voilà plus de vingt-cinq ans qu'on joue cet opéra , et on
l'entend toujours avec un nouveau plaisir. Les bons opéras
ressemblent aux bonnes tragédies . Quoique l'on fasse
tout ce qu'il faut pour les user , on n'y parvient pas aisément..
La musique de Sarti brille en général par la vivacité ,
P'esprit et l'enjouement. Nul compositeur n'a porté plus loin
que lui peut-être cet art de placer les instrumens dans le
jour qui leur est le plus favorable . Nul n'a mieux condu ,
si je l'ose dire , leur essence , et mieux deviné leur langage .
Ils font librement ce qu'ils peuvent faire , et rien de plus ;
de leur savant accord , il résulte pour l'oreille un dialogue
toujours simple et naturel , une causerie délicieuse . On
croit entendre gazouiller un essaim d'oiseaux .
De toutes les cantatrices qui ont précédé Me Barilli ,
sans même en excepter MlleBBaalotti, aucune ne l'a surpassée
, je dirai presque égalée , dans le rôle de Dorine. Sa
voix souple et légère se prête aux inflexions les plus diffi
MARS 1813 . 605
师
1
ciles , et n'est jamais au-dessous ni au-dessus du ton.
Mille virtuoses très -prônées ont eu quelquefois de la peine
à chanter juste , on pourrait défier Mm Barilli de chanter
faux. Les Noces de Dorine sont en général fortbien jouées.
CarBarilli , chargé d'un des rôles principaux, montre tourà-
tour le chanteur d'expression et le mime excellent , qui
sait faire rire sans se jeter dans une charge triviale ; et
Tachinardi , par son organe , est sûr d'obtenir le suffrage
des amateurs . Quant à Mile Berchter , personne , excepté
elle , ne l'a , je crois , entendue dans la salle ... mais ces
éspèces de personnages ne sont jetés dans l'ombre d'un
tableau que pour faire ressortir les figures principales .
D.D.
Aux Rédacteurs du Mercure de France .
MESSIEURS , l'auteur d'un article sur l'Arnoldiana , inséré
dans le dernier numéro du Mercure , dit qu'on a cru que
Mme la comtesse duBarry devait le jour à un moine Picpus ,
et qu'il est d'une autre opinion , d'après une anecdote de
la vie de Grosley. Je vais montrer que ces deux faits ne se
contredisent point .
Mme du Barry naquit en 1744 , à Vaucouleurs , de M.
Gomart de Vaubernier , commis aux aides dans cette ville.
Par un hasard singulier , c'est la patrie de Jeanne-d'Arc
qui a sauvé la France , et d'une autre Jeanne qui l'a perdue.
M. Billard Dumonceau , munitionnaire des vivres , passait
à Vaucouleurs , au moment de la naissance de cette dernière
; il fut prié de la tenir sur les fonts baptismaux , et
il accepta. Grosley nous apprend la manière dont il s'y
prit , anecdote plaisante et digne de Rabelais .
Si l'on en croit l'auteur des Mémoires secrets , Mme du
Barry , quoique née en légitime mariage , était fille de l'abbé
Gomart, ci-devant moine Picpus. Cette opinion (1) semble
avoir été accréditée par un bon mot du duc de Choiseul .
Ce ministre conversait un jour avec la fameuse comtesse
sur la destruction des moines . Il prenait contr'elle leur
défense , mais de manière à se laisser battre sur tous les
points . Enfin, convenez , lui dit- il , qu'ils saventfaire de
beaux enfans .
(1) Voyez Anecdotes de Mme la comtesse du Barry , 1776 , un vol .
in-12. Le mot du duc de Choiseul n'y est pas rapporté de la même
façon.
606 MERCURE DE FRANCE ,
Voici une autre anecdote peu connue , et qui doit trouver *
sa place dans des Mémoires historiques .
• Long-tems après sa disgrace , le duc de Choiseul alla
voir la comtesse à Lucienne , et lui demanda par quelle
intrigue elle l'avait fait renvoyer.- Cela , répondit-elle ,
ne m'a pas été plus difficile que defaire chasser un laquais .
Le duc reprit : Le jour de ma disgrace , vous étiez à la
fenêtre quandj'ai passé, et vous ne m'avez pas rendu le
salut.- C'était ma soeur ; j'étais au lit , etje lui dis : s'il
monte chez moi , il ne sortira pas du ministère.
1. Tous les biographes de Mme du Barry ont omis un trait
qui l'honore, et qui est rapporté par M. Dutens (2) .
«Un peu avant que la comtesse du Barry fût guillotinée
(le 8 décembre 1793 ) , un prêtre irlandais trouva le moyen
d'aller la voir dans la prison de la conciergerie , et lui offrit
de la sauver , si elle pouvait lui fournir une certaine somme
d'argent pour gagner les geoliers et faire le voyage . Elle
Iui demanda s'il ne pouvait pas sauver deux personnes ;
il lui répondit que son plan ne lui permettait pas d'en sauver
plus d'une. En ce cas , ditM du Barry , je vous donnerai
bien un ordre sur mon banquier pour toucher la
somme nécessaire ; mais j'aime mieux que ce soit la duchesse
de Mortemart qui échappe à la mort , que moi . Elle
est cachée dans un grenier de telle maison à Calais : voici
un mandat sur mon banquier ; volez à son secours . Le
prêtre , après l'avoir pressée de lui permettre de la tirer ellemême
de la prison , la voyant résolue à préférer la duchesse,
prit le mandat , toucha l'argent , se rendit à Calais , tira la
duchesse de Mortemart de sa retraite , la déguisa en femme
du commun ; et la prenant sous le bras , la fit voyager à
pied avec lui , disant qu'il était un bon prêtre constitutionnel
, et marié avec cette femme. On criait bravo , et on
le laissait passer. Il traversa ainsi les armées françaises , et
vint à Ostende , d'où il passa en Angleterre avec Mm la
duchesse de Mortemart , que j'ai vue depuis à Londres . "
FAYOLLE .
On commence à reparler beaucoup dans les salons d'un
ouvrage qui avait excité puissamment la curiosite , et était
devenu l'objet de toutes les conversations ily a dix ou onze
mois. C'est le discours qui produisit une si grande sen-
(2) Voyez le Datensiana , page 115 .
i
MARS 1813.607
購
lon
15
sationdans le dernier concours d'éloquence de l'Académie
française , où il parut sous le n° 10 , qu'on attendait avec
impatience , et qui n'était pas encore devenu public. Les
curieux ont cru le reconnaître dans un Eloge deMontaigne,
mis en vente ily a quelques jours (1) , et dont l'auteur est
M. Victorin Fabre. Rien dans l'ouvrage ni dans les notes
n'annonce que cet Eloge ait concouru : mais ceux qui l'ont
comparé avec lejugement exprimé dans le rapport lu à la
dernière séance de l'Académie sur lediscours dont nous
venons de parler , ne permettent aucun doute à cet égard .
Rien de plus évident , selon eux , que l'identité du nouvel
Eloge de Montaigne et du fameux nº 10 , lorsqu'on lit dans
ce rapport les deux pages 6 et 7 dont voici les traits les
plus saillans . L'à-propos qui nous engage à les citer , les
fera relire sans doute avec intérêt. « C'est le n° 10 , ayant
pour épigraphe ces paroles de Montaigne : Tout le monde
» me reconnaît en mon livre , et mon livre en moi. Ce
>discours a particulièrement fixé l'attention des juges par
» les beautés du premier ordre qui y sont répandues .....
Le plan en est hardi , le cadre vaste , la marche animée ;
> le style a de la couleur , du mouvement et de la variété ;
on y trouve beaucoup d'idées fortes et de mouvemens
» d'éloquence ; tout y annonce un esprit très-exercé et un
> talent supérieur .... L'auteur a fondé son plan sur le mot
». de Montaigne qu'il a pris pour épigraphe ; il en a conclu
quepourbien juger le livre , il fallait connaître l'homme;
juste et heureuse .... Le séjour de Montaigne à la
» cour de Charles IX , donne occasion à l'orateur de tracer
des tableaux où la corruption de cette cour , les fureurs
» de la guerre civile , et les crimes de la Saint-Barthélemi
sont peints avec énergie ..... Il fait l'analyse du talent et
» de la philosophie de Montaigne , dans la seconde moitié
-de son discours , où l'on reconnaît toujours un écrivain
» qui sait manier habilement la langue , et qui en connaît
> toutes les ressources , qui pense fortement , et qui ne
> parait étranger à aucun des sujets qui peuvent intéresser
> la raison humaine (2) . »
ท idée
( 1 ) Chez Maradan , libraire , rue des Grands-Augustins ,
Brochure , in-8° . Prix , I fr . 80 c .
n° 9 .
(2) Rapport sur le Concours de 1812 ; par M. le secrétaire perpétuel
de la classe de la langus et de la littérature française de l'Institut impérial
, pages 6 et 7.
&
1 608 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
Un jugement si frappant , énoncé dans une séance so
lennelle, au nom du premier corps littéraire de la nation ,
par un écrivain dont l'esprit sage et éclairé , le goût fin et
sévère ,ydonnaient un nouveau poids , était bien propre à
exciter vivement la curiosité lorsqu'on croirait voir paraître
l'ouvrage qui en avait été l'objet. Mais ce qui l'a plus excitée
encore, c'est cette conclusion du rappori et la prédiction
qu'elle contient : " On doit désirer que cet écrivain s'occupe
" à revoir son discours avec le soin dont il paraît capable ;
» qu'il cherche à se renfermer dans de justes bornes , et à
> ne donner à chaque partie de son plan que l'étendue qui
» convient au sujet. Il résultera de ce travail un ouvrage
» d'un mérite remarquable , digne de fixer l'attention , et
» d'emporter les suffrages de tous les bons esprits , qui , en
le lisant sous cette nouvelle forme, s'étonneront peut-
> être qu'une production d'un tel mérite n'ait pas obtenu
> un rang plus distingué dans ce concours (3) . "
Quoi qu'il en soit de tous ces jugemens sur l'heureux
discours si bien dédommagé , ou plutôt si bien mis au-dessus
de la perte d'une couronne que l'orateur présumé avait
remportée tant de fois , quoi qu'il en soit de son identité
avec l'Eloge de Montaigne , par M. Victorin-Fabre , qui
porte en effet la même épigraphe , présente le même plan ,
nous examinerons bientôt cet Eloge et les Notes ou Dissertations
qui le suivent , avec l'attention qu'ils méritent . En
attendant cet examena , nous pouvons assurer nos lecteurs
qui seraient empressés d'en juger par eux-mêmes, que leur
curiosité n'a point à craindre de mécompte , et qu'en effet
peu d'ouvrages même célèbres ont un mérite aussi réel , et
réunirent à leur apparition autant d'élémens de succès .
(3) Rapport sur le Concours de 1812 , etc. , page 7.
SEINE
A
R
ed
F
POLITIQUE.
5.
LAPorte a reconquis les villes saintes , fer clefiamont
étéportées au
de fêtes solennelles à Constantinople , et l'occasion d'actes
de clémence de la part du Grand-Seigneur. Dans cette
circonstance mémorable l'ambassadeur de France , M. le
comte Andréossi , a été reçu avec la solennité accoutumée .
Des arrestations pour délits politiques ont eu lieu à
Vienne; on cite parmi les détenus , dont le procès va s'instruire
, le conseiller aulique Hormayer , connu par divers
écrits ; le capitaine du cercle Rosehmann , et le docteur
Schneider , connu par les troubles qu'il a excités dans le
Tyrol pendant la dernière guerre . Le maréchal prince de
Scharzenberg était , aux dernières nouvelles , sur le point
de son départ pour Paris. En Bavière , une partie de la
garde nationale organisée a été mise en mouvement.
Erfurt , Magdebourg continuent à être le centre sur lequel
sedirigent les immenses renforts que reçoit l'armée française.
Le quartier-général est à Leipsick .
sérail. Cet important événement
Les journaux anglais ont saisi comme une occasion
favorable de piquer la curiosité de leurs lecteurs , le moment
où le parlement s'occupait de la réclamation de la
princesse de Galles , ou plutôt déclarait ne pas devoir s'en
occuper , pour reproduire les pièces relatives à cet étrange
différend , dont la publicité paraît être une arme nouvelle
dirigée par l'opposition contre le ministère. Les pièces
publiées remontent à lannée 1796. La première est une
lettre du prince deGalles à laprincesse; cette lettre contient
la signification de la rupture qui a éclaté : « Nos incli-
>>nations ne dépendent pas de nous , dit le prince; mais ce
» qui dépend de nous , c'est d'établir entre nous une société
» tranquille qui ne blesse ni l'un ni l'autre . Voici la réponse
de la princesse à cette proposition de séparation
volontaire.
« L'aveu que vous faites de votre conversation avec lord
Cholmondeley , ne m'étonne ni ne m'offense. Il confirme
seulement ce que vous avez laissé tacitement entrevoir
depuis un an. Mais , d'après cela , ce serait de ma part un
manque de délicatesse , ou plutôt une bassesse indigne ,
Qq
610 MERCURE DE FRANCE ,,,
que de me plaindre des conditions que vous vous imposez
vous-même .
Je n'aurais pas répondu à votre lettre , si elle n'avait
été conçue dans des termes qui font douter si l'arrangement
a été proposé par vous ou par moi , quoique vous sachiez
bien que le mérite vous en appartient tout entier .
» Comme vous m'annoncez que cette lettre est la dernière
que vous m'écrirez , je me vois obligée de communiquer
au roi , comme à mon souverain et à mon père , et
votre déclaration et ma réponse . Vous trouverez ci-joint la
copie de ma lettre au roi . Je vous en donne connaissance ,
afin d'éviter de paraître à vos yeux mériter le plus léger
reproche de duplicité . Comme je n'ai , dans ce moment ,
d'autre protecteur que S. M. , je m'en rapporte à elle seule
à cet égard ; et si ma conduite obtient son approbation , je
serai , au moins à quelques égards , consolée. Je vous conserve
un juste sentiment de reconnaissance pour la situas
tion où je me trouve placée , comme princesse de Galles ;
et où je vous dois les moyens de me livrer au libre exercice
d'une vertu qui m'est chère , je veux parler de la charité .
It me reste un autre devoir à remplir , celui de donner
l'exemple de la patience et de la résignation dans toutes les
épreuves de ma vie .
Rendez-moi lajustice de croire que je ne cesseraijamais
de prier pour votre bonheur , et d'être
> Votre très - dévouée CAROLINE. "
Ala suite de cette correspondance , on lit la lettre de la
princesse de Galles au roi , écrite à la fin de 1806 : la princesse
y mentionne le rapport des lords commissaires qui ,
agissant d'après l'ordre de S. M. , l'ont entièrement justifiée
de l'accusation d'adultère ; mais elle relève quelques expressions
du rapport, où il est dit que certains griefs, doivent
être crus jusqu'à ce qu'ils aient été démentis ; et elle demande
un examen solennel de sa conduite .
Suit l'extrait des registres du conseil du 22 avril 1807.
Il est ainsi conçu :
«Après l'examen le plus réfléchi des preuves qui ont été
fournies pardevant les commissaires , et des témoignages
antérieurs , ainsi que de la réponse et des observations y
relatives , qui ont été soumises à V. M. , les ministres
croient nécessaires de déclarer qu'ils adoptent entièrement
P'opinio,n claire et unanime des commissaires , confirmée
par celle de tous les ministres confidentiels précédens de
V. M. , savoir , que les deux accusations principales
tées contre S. A. R. la princesse de Galles , relatives à
,por
une
MARS11813JOM
A
高
12.4
201
ama
de
8
1
grossesse et à un accouchement , sont complétement réfutées
; etils soumettent en outre à V. M. leur opinion
unanime , que toutes les autres particularités de conduite
dont on a accusé S. A. R. ( la princesse de Galles ) , et
auxquelles on pourrait attribuer le caractère d'actes criminels
( criminality ) , sont, ou démenties d'une manière
satisfaisante , ou appuyées sur des témoignages d'une telle
nature , et données dans de telles circonstances , qu'aujuge
ment des ministres confidentiels de V. M. , elles ne meritent
point de confiance . T
En conséquence , les ministres de V. M. partagent
dans cette partie l'opinion de vos précédens ministres , telle
qu'elle est consignée dans leur minute du 25 janvier , savoir ,
qu'il n'y a plus aucune nécessité de conseiller à V. M. de
refuser d'admettre la princesse en votre présence royale ,
représentant humblement à V. M. qu'il est essentiellement
nécessaire , pour rendre justice à S. A. R. , et pour l'honneur
et les intérêts de l'illustre famille de V. que
S. A. R. la princesse de Galles soit admise dans le plus
court délai possible en la présence royale de V.M. , et
qu'elle soit reçue d'une manière digne de son rang et de sa
place, à la cour et dans lafamille de V.M. 2000
Un message du roi au prince de Galles a suivi ce rapport..
« Le roi , y est-il dit , voit avec beaucoup de satisfaction
la conformité,d'opinion de ses conseillers avec celle exprimée
par les quatre lords sur la fausseté des accusations,
degrossesse et d'accouchement intentées contre laprincesse,
par lady Douglas . Quant aux autres pièces produites pendant
le cours de l'enquête ,le roi pense qu'aucuns des faits
ou allégations produits dans les examens préliminaires ,
lesquels ont eu lieu en l'absence des parties intéressées ,
ne peuvent être considérés comme portant un caractère
légal etcomme étant définitivement prouvés. Mais dans ces
examens , et même dans la réponse faite au nom de la
princesse par ses conseillers légaux , il se trouve des cir
constances relatives à la conduite de la princesse , auxquelles
S. M. ne peut penser qu'avec beaucoup de peine.
Le rang illustre que la princesse occupe en ce pays , l'intime
alliance qu'elle a contractée avec S. M. et la famille
royale , doivent nécessairement lier , de la manière la plus
forte, les intérêts de l'Etat et les sentimens particuliers de
S. M. à l'exactitude de la conduite de la princesse. En
conséquence , S. M. ne peut se dispenser , en terminant
cette affaire , de manifester le désir et l'espoir qu'elle a que
1
1
612 MERCURE DE FRANCE ,
la princesse suivra désormais un plan de conduite qui
puisse entièrement justifier les marques d'amour et d'estime
paternelle que S. M. désire donner toujours à chacun
des membres de la famille royale.
" S. M. ordonne que ce message sera communiqué à la
princesse deGalles par son lord-chancelier , et que la copie
detoutes les pièces sera également transmise à son bienaimé
fils le prince de Galles.n
2
Le lecteur est impatient , sans doute , de connaître sur
quel fondement repose l'accusation principale ; elle est
contenue dans la déposition suivante de lady Douglas sur
la conduite de la princesse dans le tems de sa liaison avec
elle. Nous ne devons retrancher aucune des expressions
qui s'y trouvent , puisque la grave circonspection du journal
officiel ne lui a pas défendu de les admettre .
Je crois avoir fait la connaissance de la princesse de
Galles en 1801. Sir John Douglas avait une maison à
Blackheath. Un jour , en novembre 1801 , la terre était
couverte de neige , et la princesse qui était , je crois , avec
Mlle Heyman , passa plusieurs fois à pied devant notre
porte. Lady Stewart était avec moi , et elle me dit qu'elle
croyait que la princesse avait besoin de quelque chose, et
que je devrais aller au-devant d'elle . J'y allai. Elle me dit ,
qu'elle n'avait besoin de rien , mais qu'elle désirait entrer ;
que j'avais une très-jolie petite fille. Elle entra et resta
quelque tems. Environ quinze jours après cette visite , sir
John Douglas et moi reçûmes l'invitation d'aller à Montague-
House. Dès-lors j'allais à Montague-House trèsfréquemment
, et j'y dînais. La princesse dînait souvent
chez nous.
Vers le mois de mai ou de juin 1802 , la princesse me
parla pour la première fois de sa propre conduite. Sir Sidney
Smith, qui était l'ami de sir John depuis plus de vingt
ans, arriva en Angleterre vers le mois de novembre 1801 ,
et vint loger dans notre maison. J'appris que la princesse
connaissait sirSidney Smith avant d'être princesse deGalles.
La princesse voyait sir Sidney Smith aussi souvent que
nous-mêmes . Elle nous retenait ordinairement à Montague-
House plus tard que le reste de la société , quelquefois
même jusqu'à trois ou quatre heures du matin. Jen'ai
jamais rien remarqué d'inconvenant dans la conduite de
sir Sidney Smith et de la princesse. En mars 1802 , j'allai
passer une quinzaine à Montague-House avec la princesse.
Elle m'avait prié d'y venir, parce que Mlle Garth était
malade. 1
۱
MARS 1813. 613
T
Dat
首
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11
» Dans le mois de mai ou de juin säivant , la princesse
vint chez moi toute seule , et me dit qu'elle désirait que je
devinasse ce qui lui était arrivé. Je nommai différens objets
, et finis par dire que je ne pouvais deviner. Elle me
dit alors qu'elle était enceinte , et qu'elle sentait remuer
l'enfant. Je ne sais si c'est ce jour-là même ou quelques
jours auparavant , qu'elle dit , étant à déjeûner dans sa
chambre avec lady Willoughby , que le lait lui remontait
au sein , et perçait à travers sa robe ; elle se couvrit d'une
serviette , et alla dans sa chambre avec lady Willoughby
pour s'arranger de manière à ce que cela ne fût pas remarqué
. Elle ne m'a jamais dit quel était le père de l'enfant .
Elle me dit qu'elle espérait que ce serait un garçon. Elle
me dit aussi que , si cela était découvert , elle ferait passer
le prince de Galles pour son père , vu qu'elle avait passé
deux nuits à Carlton-House cette année. Je lui dis que
j'irais , si j'étais à sa place , en Allemagne , chez ma mère.
La princesse me répondit qu'elle arrangerait cette affaire ,
et qu'en supposant même le cas le plus fâcheux , elle ferait
croire que le prince était le père de l'enfant .
» J'étais à Montague-House , en mars , pendant que
j'étais enceinte ; et un jour avant dit que j'étais très-malade
, la princesse dit à Mme Sanders de me donner une
potion saline . J'observai qu'elle ne devait pas en avoir besoin
elle-même , et je la regardai .
» La princesse me dit : j'en ai besoin; pourquoi me regardez-
vous d'un air malin? vous me devinez toujours.
Mm Sanders parut très-embarrassée ; elle nous donna à
chacune une potion saline. Ce fut la première fois que je
soupçonnai qu'elle était enceinte . La princesse n'a jamais
dit quel était le père de l'enfant . Lorsqu'elle m'a dit qu'elle
était enceinte pensé d'abord que sir S. Smith était le
père de l'enfant , mais seulement parce que la princesse
avait beaucoup d'égards pour lui . Il n'ajamais , à ma connaissance
, été seul avec elle. Nous avons vu constamment
la princesse depuis ma première visite à Montague-House ,
jusqu'à la fin d'octobre..
,j'ai
» Depuis cemoment où elle m'a dit qu'elle était enceinte,
elle m'a fréquemment entretenue sur ce sujet. Elle a été
saignée deux fois pendant sa grossesse. Elle m'a conseillé
aussi de me faire saigner , disant que mes couches en seraient
d'autant plus heureuses . Ce fut M. Edmeads qui la
saigna. Elle m'a dit qu'une des deux fois elle avait le sang
très-échauffé. Je dis unjour à la princesse que j'étais fort
inquiète relativement à ses couches, et que je ne savaispas
614 MERCURE DE FRANCE ,
comment elle ferait pour que cela ne fût pas su ; que j'espérais
qu'elle aurait une personne de confiance . Elle me
répondit que oui ; qu'elle aurait une étrangère , ne pouvant
consentir à avoir des hommes auprès d'elle dans cette occasion
. Je suis sûre , me dit-elle , de réussir , et je désirerais
que vous ne parlassiez plus de cet objet .
» Je dirai tout , ajouta-t-elle , à Mme Sanders ( je crois
que c'est le même jour qu'elle me raconta ce qui était
arrivé chez lady Willoughby ) ; que Mme Sanders était
une bonne femme , qu'on pouvait avoir confiance en elle ,
et qu'elle assisterait à ses couches; qu'elle enverrait Mlle
Garth à Brunswick , et qu'il fallait éloigner Mlle de Milfield,
parce qu'elle était trop jeune. Je fis mes couches le
23 juillet 1802. La princesse désira être présente . J'aurais
voulu qu'elle n'y assistât pas , mais je ne voulais pas lui
faire un refus qui l'offensât. Le jour où j'accouchai , elle
vint chez moi et insista pour entrer. Le docteur Mackie ,
qui me soignait, ferma la porte du côté opposé de .... ; mais
ily avait une autre porte de l'autre côté de la chambre,
qui n'était pas fermée; elle entra par cette porte , et fut
présente à mes couches ; elle prit l'enfant aussitôt qu'il fut
au monde , et me dit qu'elle était bien aise d'avoir vu le
tout.
" La grossesse de la princesse me paraissait être bien visible
; elle portait un coussin derrière elle , et elle en fit faire
un pour moi par Mme Sanders . Pendant mes couches , la
princessevint un jour avec Mlle Fitzgerald. Elle la renvoya ,
prit une chaise et s'assit près de mon lit. Elle me dit :
Vous entendrez dire que je reçois des enfans dans leurs
berceaux , mais vous ne ferez pas attention à ce bruit .
C'est une pauvre femme qui me les apportera dans un panier.
J'emploierai cet artifice , afin que l'on m'apporte le
mien de la même manière , ou , c'est ainsi que je désire
qu'on m'apporte mon enfant , quand il sera au monde.
Peu de tems après , une pauvre femme apporta dans un
panier deux enfans jumeaux. La princesse les reçut , les
fit porter dans sa chambre , et les lava elle-même . C'est
elle-même qui me l'a raconté.
Quelques jours après , le père revint , voulut avoir ses
enfans, et on les lui rendit. La princesse me dit ensuite :
Vous voyez , j'ai pris les enfans , et cela a bien réussi . »
Le père était venu les reprendre ; et elle ne pouvait pas le
blâmer: il avaitdit qu'elle pouvait prendre d'autres enfans ,
et se faire mère nourrice . Je vis, le 30 ou le 31 octobre 1802 ,
la princesse se promener devant sa porte . Elle était habillée
:
MARS 1813 . 615
|
1
P
Π
20
de manière à cacher sa grossesse : elle avait une longue
robe et un très gros manchon . Elle revenait de l'église de
Greenwich . Elle paraissait très-pesante , et je crus qu'elle
devait être proche de son terme . Environ huit ou dix jours
après , je reçus de la princesse un billet dans lequel elle
me disait de ne point venir à Montague-House , qu'elle
craignait que les enfans qu'elle avait reçus chez elle , n'eussent
apporté la rougeqle dans leurs vêtemens , et qu'elle
craignait que mon enfant ne la gagnât. Quand la princesse
vint me voir lorsque j'étais en couche , elle me dit de ne
pas la venir voir quand elle serait elle-même en couche ,
parce que cela la rendrait confuse.
> Vers la fin de décembre , j'allai dans le comté de Glocester
, où je restai environ un mois . En janvier , je revins ,
j'allai à Montague-House , et je fus admise. La princesse
était occupée à renfermer quelque chose dans une boîte
noire. Il y avait sur le sopha un enfant couché et couvert
d'un morceau de drap rouge. La princesse se leva et
me prit par la main ; puis me conduisant au sopha : « Le
» voilà l'enfant , me dit-elle , je l'ai eu deux jours après
> vous avoir quittée . Ses propres expressions furent je
l'ai eu , on je l'ai mis au monde; mais elles signifiaient
clairement que c'était son propre enfant. Elle me dit
qu'elle s'était bien tirée d'affaire; elle me montra sur la
main de l'enfant une marque violette .
" La princesse me dit : Il a une marque comme votre
petite fille . J'ai souvent vu l'enfant après cela avec la princesse
jusqu'à Noël en 1803 , époque où je quittai Blackheath .
J'ai revu la marque sur la main de l'enfant , et je suis sûre
que c'était le même . Je n'ai jamais vu d'autre enfant chez
la princesse .
>>La princesse Charlotte avait coutume de voir l'enfant
et de jouer avec lui . L'enfant appelait la princesse de Galles
maman. Environ un mois avant que la princesse ne fût
dans le Devonshire , je vis l'enfant à la fenêtre de son palais ,
et je suis sûre que c'était le même enfant. Peu de tems
après avoir vu l'enfant pour la première fois , la princesse
me dit que pendant quelques nuits elle l'avait fait coucher
avec elle , mais que cela lui donnait des attaques de nerfs ,
et qu'alors elle lui avait donné une nourrice. Elle m'a dit
qu'elle lui donnait d'abord un peu de son lait , mais que
c'était au-dessus de ses forces , et qu'alors on le nourrissait
à la main , ce qui réussissait fort bien. Je puis faire serment
que l'enfant que j'ai vu à la fenêtre du palais , est le
même enfant que llaaprincesse m'a dit avoir en deuxjours
616 MERCURE DE FRANCE ;
après nous être quittées . Cet enfant fut nommé William :
je ne lui ai jamais entendu donner d'autre nom.
» Un jour que nous étions à déjeûner avec la princesse ,
l'enfant étant en maillot , elle dit à sir John Douglas :
<<Voici l'enfant de Depfort. Indépendamment des confidences
que la princesse m'a faites , je puis faire serment
qu'elle était enceinte en 1802. En octobre 1804 , à mon
retour de Devonshire , je laissai ma carte de visite à Montague-
House , et le 4 octobre , je reçus une lettre de Mme
Vernon , qui m'invitait à ne plus me présenter à Montague-
House . Je n'avais jamais dit jusqu'alors à personne , et pas
même à sir John Douglas , que laprincesse eût été enceinte
et qu'elle fût accouchée d'un enfant. Après avoir reçu la
lettre de Mme Vernon , j'écrivis à la princesse à ce sujet.
La lettre me fut renvoyée sans être décachetée. J'écrivis
alors à Mme Fitzgerald , en lui disant que je me croyais
très-maltraitée . Deux ou trois jours après je reçus la lettre
anonyme que je produis ici , que j'ai marquée de la lettreA,
et que j'ai signée tant dans le corps de la lettre que sur
l'enveloppe .
>>>La princesse de Galles m'a dit qu'elle avait un camarade
de lit toutes les fois qu'elle le pouvait , qu'il n'y avait
rien de meilleur pour la santé. Elle m'a dit qu'il n'y avait
pas de chambre plus commode que la sienne ; qu'elle était
au haut de l'escalier qui conduit dans le parc , ajoutant
« J'ai des verroux en-dedans , de sorte que j'ai un camarade
> de lit quand je veux. » Elle m'a dit plus d'une fois : je
suis surprise que vous vous contentiez de sir John . C'est
ce qu'elle m'a répété plus d'une fois. Elle m'a dit que sir
Sidney Smith avait couché avec elle; qu'elle croyait bien
que tous les hommes aimaient à avoir une camarade de
lit , mais que sir Sidney aimait cela plus que tout autre ;
que le prince était l'homme le plus complaisant du monde ,
qu'elle faisait ce qu'elle voulait , qu'elle couchait avec qui
bon lui semblait, et que le prince payait pour tout .
Le 1er juin 1806. Signé, Charlotte DOUGLAS.
M. Douglas a fait aussi la déclaration suivante :
« J'avais , en 1801 , une maison à Blackheath : sir Sidney
yvenait ordinairement. J'y avais une chambre pour lui.
La princesse de Galles fit laconnaissance de ladyDouglas ,
et elle venait fréquemment dans notre maison . Je pense
qu'elle y venait plus pour sir Sidney Smith que pour nous.
Quelque tems après qu'elle eut fait notre connaissance ,je
l'ai crue enceinte. Un jour étant penchée sur le sopha , elle
mit lamain sur sa poitrine , et dit : Sir John , je ne serai
1
1
}
1
MARS 1813 . 617
1
1
jamais reine d'Angleterre. Je lui répondis : Non , si
vous ne le méritez pas . » Elle parut d'abord fâchée .
» Le 27 octobre 1804 , je reçus deux lettres par la petite
posie; l'une à mon adresse , et que je produis maintenant ,
que j'ai marquée de la lettre B, tant dans l'intérieur que
sur l'enveloppe ; et l'autre adressée à lady Douglas , que je
produis ici également , et que j'ai marquée de lalettre C,
tantdansl'intérieurque sur son enveloppe. »
D'autres déclarations de divers domestiques de la princesse
ont été publiées ; la plupart tendant à la justifier de
tout soupçon.
Nous avons dit que sur la nouvelle réclamation de la
princesse et sur la demande de communiquer librement
avec sa fille la princesse Charlotte , le parlement s'était
refusé à connaître de nouveau de cette affaire trop scandaleuse.
Le Courrier , journal très - ministériel , partage l'opinion
de toute l'Angleterre , qui voit , dit-il , par ladécision
ou plutôt la non-décision du parlement , une justification
complette de la princesse sur le faitprincipal de l'accusation :
mais , ajoute-t- il , sur la demande récente de la princesse ,
peut-on dire qu'elle ait obtenu avantage et satisfaction ?
De quoi se plaignait-elle dans sa lettre ? de ce que les
communications avec sa fille avaient été restreintes , etde
ce qu'on se proposait d'augmenter encore les restrictions.
A-t-on fait cesser ces restrictions ? est- il vraisemblable
qu'on les fasse cesser ? Au contraire : la chambre des
communes, en évitant de s'expliquer sur ce point, n'a-t-elle
pas témoigné qu'elle était satisfaite des derniers arrangemens
qui ont eu lieu à cet égard , et laissé S. A. R. encore
sujette aux restrictions dont elle s'est plainte ? la chambre
n'a-t-elle pas reconnu de fait le droit qu'a le régent , en
qualité de père et de souverain , de faire tel réglement qu'il
trouvera bon ( relativement aux communications dont il
s'agit ) , et n'a -t-elle pas montré la plus grande répugnance
à se mêler de cette affaire-là ? Est-ce là un triomphe ou une
victoire?
>>Mais revenons au triomphe de la princesse de Galles.
Undes objets de la lettre de S. A. R. avait été de faire accroire
au public que l'éducation religieuse de sa fille avait
été négligée . Le délai mis à la confirmation de la jeune
princesse n'avait été mis en avant que pour colorer le reproche
de cette négligence. Eh bien ! ce reproche a-t-il
produit le moindre effet ? N'a-t-il pas été traité, que dis-je,
réprouvé comme un repreche affecté , hypocrite etdégoû
1
رد 618 MERCURE DE FRANCE,
tant, par tous ceux qui ont , dit- on , acquitté S. A. R. ? Of
est donc le triomphe sur ce point ?
>>Sur le tout , nous nous permettrons de demander s'ily
a en Angleterre une seule personne , dont l'opinion puisse
être de quelque poids à ce sujet , qui ait approuvé la lettre
de la princesse de Galles , et qui n'ait pas pensé qu'elle
méritait parfaitement le mauvais succès qu'elle a eu , par
l'indiscrétion , l'exagération et la fausseté des plaintes
qu'elle renferme ?
" Quant à la conduite du prince-régent , il serait inutile
d'en rien dire , parce que tous les partis s'accordent à louer
la dignité et la modération qu'a montrées S. A. R. en
renvoyant cette affaire à ses conseillers responsables , aidés
d'autres personnages distingués , dans lesquels le public
a la plus grande confiance . Et , bien que M. Whitbread
ait trouvé bon de rappeler les expressions dont se servit
Anne deBoulen quand elle était dans latour et condamnée
à mort , nous ne croyons pas que personne puisse trouver
la moindre ressemblance entre la conduite de Henri VIII
et celle du prince-régent . "
Par le rapprochement et l'analyse de ces pièces , nous
croyons avoir mis le lecteur en état de juger quels sont
en ce moment les rapports de la princesse avec le prince
son époux et avec sa famille , quelle opinion le parlement
a manifestée en ne s'immisçant pas dans cette affaire ,
quelle opinion manifestent les ministres par l'organe du
Courrier, quel effet a pu produire sur la nation la publicité
de semblables documens , et quels résultats de telles discussions
au sein de la famille royale peuvent avoir dans
l'avenir.
Le mardi 23 mars , S. M. l'Empereur et Roi étant sur
son trône , entouré des princes grands-dignitaires , des
ministres , des grands officiers de l'empire , des grandsaigles
, des officiers de sa maison , des membres du sénat
et de ceux du conseil d'état , a reçu une députation du
corps législatif.
Cette députation a été conduite à l'audience par un
maître et un aide des cérémonies , introduite par S. Exc. le
grand-maître , et présentée à S. M. par S. A. S. le prince de
Bénévent , vice-grand-électeur.
S. Exc. M. le comte de Montesquiou , président du corps
législatif , a présenté à S. M. l'adresse suivante :
<< Sire , vos fidèles sujets , les députés des départemens au corps
législatif , nous ont chargés de déposer au pied du trône le nouvel
hommage de leur reconnaissance et de leur fidélité.
MARS1813. 619
- Tandis que de grands intérêts politiques retenaient V. M. si loin
de ses états , elle était toujours présente à leur pensée ; ils s'associaient
par leurs voeux à ces nobles travaux dont leurs enfans partageaient
T'honneur et les périls . Aujourd'hui , comme alors , tous nos coeurs
répondent au vôtre , et l'ont dirait que nos trioniphes n'ont été suspendus
que pour mieux faire connaître l'énergie de votre caractère ,
l'étendue de nos ressources et notre confiance dans V. M.
Oui , Sire , les divers peuples de ce vaste empire . naguères
divisés de moeurs et d'intérêts , réunis par l'honneur et la fidélité , ne
rivalisent plus que de zèle et de dévouement pour V. M. Repoussant
jusqu'à l'idée d'une paix qui pourrait flétrir l'honneur national , aucuns
sacrifices ne leur coûteront pour maintenir l'intégrité de leur
territoire , celui de vos alliés , la prépondérance que vous leur avez
acquise , et pour conquérir une paix glorieuse , la seule digne des
Français et de V. M.
Le corps législatif est heureux et fier d'être l'interprète d'une nation
généreuse qui vous prêtera toujours une assistance sans bornes ,
parce qu'il n'en est point à la reconnaissance que lui inspire tout ce
que V.M. conçoit et exécute pour sa prospérité.
> En effet , ces grands progrès de l'agriculture et des arts , cesimmenses
travaux qui ouvrent de nouvelles routes au commerce et
embellissent nos villes de magnifiques monumens , la création d'une
marine instruite et nombreuse , le maintien de ce système des finances,
sans exemple jusqu'à nos jours , et digne de servir de modèle
aux siècles à venir , sont autant de bienfaits de V. M. envers ses
peuples. Nous retracerons à nos provinces toutes ces merveilles opérées
au milieu des plus grandes occupations de la guerre ; nous leur
dirons que les besoins du trésor et de l'armée sont assurés sans qu'aucune
charge nouvelle leur soit imposée.
>>Tranquilles sur le présent , nous ne redoutons plus pour l'avenir
ces minorités turbulentes , où le partage de l'autorité et l'incertitude
de ses droits ramenaient , comme à des époques déterminées , la
craintedes troubles civils . L'ordre de la régence est fixé comme celui
de la succession , et le coeur d'une mère sera la garde fidèle de son
enfant et de cette grande famille dont la monarchie est toujours l'emblême
.
>> Ainsi se rétablit et s'améliore ce gouvernement tutélaire si cherà
nos aïenx , et avec lui les sentimens généreux qui en ont fait la splendeur.
Ainsi se préparent les jours de la paix dans les travaux qui
peuvent le mieux en assurer les jouissances , et dans les efforts qui
doivent la commander. Puisse cet heureux accord du prince et des
sujets se perpétuer à jamais , devenir la force la plus imposante de
cet empire , le lien le plus heureux de l'autorité et de l'obéissance ,
et le corps législatif obtenir la gloire d'en donner le plus mémorable
exemple !>>>
Sa Majesté a répondu :
«Monsieur le président et messieurs les députés ,
>> Le corps législatif m'a donné , pendant cette courte mais importante
session , des preuves de sa fidélité et de son amour. J'y suis
sensible. Les Français'ont justifié entièrement l'opinion que j'ai
toujours eue d'eux.
›Appelé par la Providence et la volonté de la nation à constituer
620 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813.
cet empire, mamarche a été graduelle , uniforme , analogue à l'es
prit des événemens et à l'intérêt de mes peuples. Dans peu d'années
ce grand oeuvre sera terminé , et tout ce qui existe , complètement
consolidé. Tous mes desseins , toutes mes entreprises n'ont qu'un
but: la prospérité de l'Empire ; que je veux soustraire à jamais aux
lois de l'Angleterre.
>> L'histoire , qui juge les nations comme ellejuge les hommes ,
remarquera avec quel calme , quelle simplicité et quelle promptitude,
de grandes pertes ont été réparées ; on peut juger de quels efforts les
Français seraient capables , s'il était question de défendre leur territoire
ou l'indépendance de ma couronne.
>>Nos ennemis ont offert au roi de Danemarck , en compensation
de la Norwége , nos départemens de l'Elbe et du Wéser. Par suite
de ce projet, ils ont ourdi des trames dans ces contrées. Le Danemarck
a rejeté ces propositions insidieuses , dont le résultat était de
le priver de ses provinces , pour lui léguer en échange une guerre
éternelle avec nous .
» J'irai bientôt me mettre à la tête de mes troupes et confondre les
promesses fallacieuses de nos ennemis. Dans aucune négociation ,
l'intégrité de l'Empire n'est ni ne sera mise en question..
ή
4
»Aussitôt que les soins de la guerre nous laisserontun moment de
loisir , nous vous rappellerons dans cette capitale , ainsi que les notables
de notre Empire , pour assister au couronnement de l'Impératrice
, notre bien-aimée épouse , et du prince héréditaire , Roi de
Rome , notre très -cher fils .
>>La pensée de cette grande solennité , à-la-fois religieuse et politique
, émeut mon coeur. J'en presserai l'époque ,pour satisfaire aux
désirs de la France .>>>
Après cette réception , ily a eu audience dans les grands
appartemens .-Le corps législatif a tenu le 25 la séance
qui termine la présente session.
LL. MM. sont restées à Paris, Lundi on a donné Cinna
sur le théâtre de la cour. S....
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Leprix de lasouscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger.)
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23; et ches
les principaux libraires de Paris , des départemens et del'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure,
àParis.
1 TABLE
-
+
4
ا
=
DU TOME CINQUANTE - QUATRIÈME .
i
POÉSIE .
LIES Médailles .- Epitre ; parM. Chaudruc .
*La Maison des Champs ; par M. deKérivalant.
Ode à M. Lemaire ; par M. Lalannes.
1
Page3
49
52
Le voeu du Loup. Fable ; par M. Lefilleul...
Discours imité de Tite-Live; par M. Fréd. Batré.
53
97
Le Paon et le Choucas . Fable ; par M. Boinvilliers. 99
1
Ode à M. Lemaire ; par M. Barjaud. : 145
Un défaut de l'amour; par M. Réné Tredos.
Invocation , traduite du rer liv. de Lucrèce ; par M. Pascal.
148
193
1
Les Sermens trompeurs. Chanson ; par feu de Verneuil. 197
Milon. Idylle imitée de Gessner; par M. Mouffle. 241
Traduction d'une épigramme de Martial ; par M. de Cazenove. 243
La Lanterne sourde. Fable ; par M. Lefilleul. 244
Epitre à M. Creuzé de Lesser; par M. Charles Mullot. 289
Madame de la Vallière. Romance ; par M. Vieillard.
337
AMme Victorine M***.
338
Réponse à M. Charles Mullot ; par M. Creuzé de Lesser.
La valeur française aux 18e et 19e siècles. Fragment d'un
339
• poëme ; par M. Chambelland.
385
Aune vieille Coquette ; par M. Dupuydes Islets.
389
AMile Bigotini ; par le même.
390
Fragmens inédits ; par M. Chaussard.. 433
1
Traductionde Martial; par M. Cazenove.
439
Amiss Clarke ; par M. Dupuy des Islets.
482
Portrait d'une petite chiennes par M. de Kéripalant.
482
Les avantages du talent ; par le même. 483
622 TABLE DES MATIÈRES .
Les Masques ; par M. Eusèbe Salverte . 484
Traits de l'histoire ancienne et moderne ; par M. Eugène Gossuin . 529
La Mort du Tasse. Poëme élégiaque ; par M. Fayolle.
Le Printems malheureux. Stances ; par M. Planard.
Imitation de Martial ; par M. L. Damin .
Le Convoi magnifique. Epigramme ; par le même .
A Mademoiselle Paulin , de l'Académie impériale de Musique ;
par M. F.
577
580
581
Ib.
16 .
Enigmes , 10 , 53 , 100 , 148 , 198,244,297,340 , 391,439,484 ,
531,582 .
Logogriphes , 10,54,100,149,198,245,297,341 , 391,440 ,
485 , 532 , 582 .
532,583 .
Charades , 11 , 54 , 100 , 151 , 199 , 245, 298 , 341 , 392 , 440 , 486,
:
SCIENCES ET ARTS .
Doctrine générale des maladies chroniques ; par M. Charles-
Louis Dumas . ( Extrait. )
1
152
Composition mathématique de Claude Ptolemée ; traduite par
M. Halma . ( Extrait . ) 200
Description des maladies de la peau ; par J. L. Alibert . ( Extr . ) 204
Des vers à soie et de leur éducation ; par M. Reynaud. ( Extr. ) 393
Tableau méthodique des espèces minérales ; par M. J. A. H.
Lucas . (Extrait. )
.(' :
441
Des maladies aiguës des femmes en couche'; par M. Gastelier.
1
(Extrait . )
1
583
1
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS .
OEuvres de Le Brun. ( Quatrième et dernier extrait . )
Poésies de P. Dorange . ( Extrait . )
Salon de 1812 .
Les Bergères de Madian ; par Mme de Genlis. (Extrait. )
La mort de Pythagore ; par Mme Antoinette Legroing.
La Gaule poétique ; par M. Marchangy. (Fragment. )
Le Glaneur; par M. Jay. ( Extrait.)
OEuvres de Bertin . ( Extrait . )
Cours de poétique sacrée ; par le docteur Lowth . ( Extrait. )
12,63
22
25
55
78
ΙΟΙ
106
116
158
TABLE DES MATIÈRES. 623
Fables ; pariA.K. Arnault. ( Extrait . ) 164
OEuvres de Mmes de La Fayette , de Tencin et de Fontaines.
(Extrait. ) 170 , 258 , 448
Esprit de Sophie Arnould. ( Extrait . ) 179
Histoire dittéraire de l'Italie ; par M. Ginguené. ( 3me Extrait. ) 207
Alınanach des Muses de 1812. ( Extrait.') 219,251
Commentaire sur la 4me Eglogue de Virgile ; par M. Chaudru de
3
Crazannes . 246
Théâtre de L. B. Picard . membre de l'Institut. (Extr. ) 263, 358, 456
Les Princes rivaux , ou Mémoires de mistress Mary-Anne Clarke.
(Extrait. ) 299
Vies des poëtes français du siècle de Louis XIV; par M. F.
Guizot. ( Extrait. ) 300
Théâtre de La Fontaine . ( Extrait . ) 307
Les Parens de circonstance. Conte ; par M. Adrien de Sarrazin. 312
La Gaule poétique ; par M. Marchangy. ( Extrait. ) 342
La Feuille des gens du monde ; par Mme de Genlis . ( Extrait . ) 362
✓ Voyages en Russie , etc .; par Clarke. ( Extrait. ) 397
Des moyens de prévenir la décadence de l'art du Comédien ; par
.M. Dumaniant. ( Extrait. )
i
404
Nouvel Almanach des Muses . ( Extrait. ) 413
Souvenirs et Portraits ; par M. de Lévis . ( Extrait . ) 487
Arnoldiana. ( Extrait . ) 495
Les Chevaliers de la Table Ronde. ame édit. (Extrait . )
Narcisse dans l'ile de Vénus ; par Malfilâtre . ( Extrait. )
503
539
Lecture des Fables de M. Arnault à l'école de Sorèze. 543
Mauvaise tête et bon coeur. Nouvelle ; par M. Adrien de Sarrazin
. 551
1
De l'Etude des hiéroglyphes ; par M. Giraud. (Extrait . ) 584
i
OEuvres choisies de Saurin. ( Extrait. ) 589
L'Abbaye de Saint-Oswithe . ( Extrait. ) 593
VARIÉTÉS.
Revue littéraire et critique . 30,270,369,417,596
Nécrologie.
Lettres aux Rédacteurs .
Institut impérial de France .
34,184,567
36 , 120, 605
122
Sociétés savantes et littéraires . 124 , 185 , 420 , 518
BIBL. UMTV,
GENT
624 TABLE DES MATIÈRES.
Spectacles.-Académie impériale de Musique.-Le Laboureur
Chinois.
Théâtre Français . - L'Avis aux Mères .
Typoo-Saëb , tragédie.
L'Intrigante.
Odéon.- Washington ou les Représailles .
Le Voyageur Malencontreux.
Le Temporiseur .
Opéra-Comique.- Le Séjour Militaire .
Opera Seria et Buffa,-Romeo e Giuletta.
Axur re d'Ormus .
Le NozzediDorina.
Vaudeville.
9
Robert le Diable , etc.
La Tour de Witikind .
Le Cimetière du Parnasse .
Cadet-Roussel Esturgeon..
POLITIQUE. :
371
229
276
517, 561
87
319
565
515
419
506
604
182
38r
517
518
Evénemens historiques. 39 , 89 , 127 , 186 , 232, 282, 322, 376,424,
467,521 , 568 , 609.
ANNONCES.
Livres nouveaux. 46, 140 , 189 , 239 , 288 , 335 , 382 , 430 , 527,
576.
Finde la Table du tome cinquante-quatrième .
DE
FRANCE ,
5.
JOURNAL LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
>
TOME CINQUANTE- QUATRIÈME,
VIRES
ACQUIRIT
EUNDO
ET
SOCT
A PARIS ,
CHEZ ARTHUS-BERTRAND , Libraire , rue Hautefeuille
, Nº 23 , acquéreur du fonds de M. Buisson
et de celui de Mme Ve Desaint.
1813 .
BIBL. UNTV,
GMT
OMME
AVIS.
:
Nous avons reconnu qu'il était presque impossible de consacrer ,
dans le Mercure , un espace suffisant à la Littérature étrangère : notre
intention est donc de séparer cette partie , d'en composer une Feuille
périodique entièrement distincte.
Ce nouveau Journal formera une espèce d'appendice du Mercure
de France ; il le complétera , en fera le Répertoire des Littératures de
tous les pays . Il aura pour titre :
MERCURE ÉTRANGER , ou Annales de la Littérature étrangère .
Chaque numéro du Mercure étranger contiendra :
1º . Des Mélanges ou morceaux de poésie et de prose , traduits soit
des langues espagnole , portugaise , italienne , russe , suédoise , hollandaise
, anglaise , soit même de l'arabe, du persan , du grec moderne ,
enfin des langues orientales . Nous donnerons parfois , le texte
même de quelques morceaux écrits dans l'une ou l'autre des langues
étrangères de l'Europe , avec la traduction en regard.
Nous aurons soin d'insérer fréquemment , peut-être même dans
tous les numéros du Mercure étranger , la traduction de quelque
Conte ou Nouvelle. On sait que les Allemands et les Anglais cultivent
avec succès ce genre de littérature .
2º. De courtes Analyses des principaux Ouvrages qui paraissent
dans les pays étrangers ; le prix de ces Ouvrages , et les moyens de
se lès procurer.
3º . Une Gazette littéraire ou Extrait des Journaux étrangers , contenant
des Notices biographiques , des Anecdotes, des Nouvelles dramatiques
, les Séances des Académies , les Programmes des prix
proposés , etc. , etc.
M. Langlès , membre de l'Institut , conservateur des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque impériale , a bien voulu se charger de la
partie de littérature orientale que contiendra le Mercure étranger ;
MM. Vanderbourg , Sévelinges , Durdent , des traductions de l'allemand
, de l'anglais , etc. ; M. Catteau - Calleville , de la littérature
du Nord ; M. Ginguené , membre de l'Institut , de la partie italienne .
Il paraîtra , à la fin de chaque mois , un numéro du Mercure
étranger, composé de quatre feuilles d'impression , de même format
que le Mercure.
Quoique nous regardions le Mercure étranger comme un supplément
presque nécessaire du Mercure de France ,nos Abonnés ne
sont point tenus de souscrire à ce nouveau Journal .
L'abonnement au Mercure de France continuera d'être de 48 francs
par an ; mais pour six mois , il sera de 25 fr .; pour trois mois de 13 fr .
Les abonnés au Mercure de France qui voudront aussi souscrire
au Mercure étranger , paieront , en sus , pour cette dernière souscription
, 18 fr. pour un an et 10 fr. pour six mois .
Pour les personnes qui , sans s'abonner au Mercure de France ,
voudront souscrire au Mercure étranger , l'abonnement sera de 20 fr .
pour l'année , et de II fr. pour six mois .
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
étranger , au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris ,des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles 'dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure ,
àParis.
www.
MERCURE
DE FRANCE.
N° DXCVIII . - Samedi 2 Janvier 1813 .
POÉSIE.
A
LES MÉDAILLES.
ÉPITRE A M. DE TERSAN.
Otoi dont les vertus honorent le talent ,
Tersan, sage interprète et disciple savant
De cette antiquité sublime et révérée ,
Profane pour les sots , pour les doctes sacrée ;
Combienj'aime à te voir , d'un noble zèle épris ,
Recueillir ses trésors , rassembler ses débris ;
Sans cesse interroger la poussière éloquente
De ces âges fameux dont la gloire est vivante ;
Révéler la splendeur de ces vieux monumens
De l'histoire etdes arts augustes documens ;
Ett'abreuver enfin dans ces sources fécondes
En nobles souvenirs comme en leçons profondes!
Tu le sais , cher Tersan , sur nos frèles travaux
Le Tems impitoyable a promené sa faulx :
Les siècles dispersés attestent ses outrages .
Que de débris épars sur l'océan des âges !
A2
MERCURE DE FRANCE ;
1
Ocombiende cités , de pompeux monumens
De ses gouffres sans fond alimentent les flancs !
La ville des Césars , veuve de leur génie ,
Sous leurs palais détruits semble être ensevelie .
Son nom lui reste seul.... Vingt siècles entassés
Pèsent sur les lambeaux de ses murs dispersés .
Lamort plane aujourd'hui sur ce colosse immense ,
Mais sa dépouille encore atteste sa puissance.
Là , mon oeil curieux cherche en vain ces tombeaux
Dont la poudre se mêle aux cendres des héros .
Où sont-ils ces tributs de la Grèce domptée ,
Cesmarbres qu'animait le feu de Prométhée ,
Ces temples fastueux , l'orgueil des Dieux mortels
A qui Rome asservie élevait des autels ?
Leurs dômes , dépouillés de leur splendeur première ,
Comme ces dieux d'un jour, sont réduits en poussière .
Apeine quelques mots , obscurs , presqu'effacés ,
S'offrent à nos regards sur le marbre tracés .
La superstition , les Goths , leur fer impie ,
Ont porté le chaos au sein de l'harmonie.
Ce qu'épargnaient du tems les jalouses fureurs ,
Est tombé sous l'effort de leurs bras destructeurs .
O rage meurtrière ! ô funeste délire !
Al'aspect des tombeaux l'ambition soupire....
Craignant de voir encor ses plus chers monumens
Renversés sous les coups d'un barbare ou du tems ,
De ses vastes projets elle borne l'enceinte ;
Le bronze qui reçoit une durable empreinte ,
En médaille frappé , transmet à l'avenir
Des grands noms , des hauts faits l'éternel souvenir.
Al'ombre d'un palmier la plaintive Judée (1 )
De ses enfans captifs pleure la destinée .
De l'Euphrate dompté je distingue le cours ,
Une ligne légère en trace les contours :
Le fleuve s'élançant de ses grottes profondes ,
Roule aux pieds des vainqueurs le tribut de ses ondes ,
Tandis que sur ses bords l'aigle des légions
Proclame du vaincu la honte et les affronts .
(1) Judæa capta . Médailles de Vespasien et de Titus, V. Vaillant,
d'Hinery.
1
JANVIER 1813 . 5
7
modèle touchant d'amitié fraternelle (2) ,
Jevous vois réunis , Vérus et Marc-Aurèle ;
La Concorde , garant du bonheur des humains ,
Sur le bronze , à mes yeux , joint encor vos deux mains.
Par le Tems renversé , quand cet Empire immense ,
Chef-d'oeuvre de génie autant que de puissance ,
Un jour n'offrira plus aux siècles à venir ,
Que de grandes leçons et qu'un grand souvenir ;
Quand veuve de sa gloire , une cité superbe ,
Paris , comme Ilion , se courbera sous l'herbe ,
L'airain conservateur , du héros des Français
Chez nos derniers neveux fera vivre les traits ;
Et d'un âge fameux occupant leur mémoire ,
Du grand Napoléon leur redira l'histoire .
OMarengo , ton nom triomphera des ans (3) !
Le Consul a parlé : Souvenez -vous , enfans ,
Que toujoursje couchai sur le champ de bataille.
Ce discours belliqueux , protégeant ta médaille ,
Dans la postérité recommande à jamais
La vertu du héros , la gaîté du Français .
Ce prince généreux que la gloire environne (4) ,
Qui des lauriers d'Auguste a formé sa couronne ,
Enlevé dans les airs sur l'antique pavois ,
Du Peuple et du Sénat attestera le choix.
Vois-tu dans l'avenir ce savant antiquaire (5) ,
Fier du trésor caché qu'il ravit à la terre ?
O bonheur , de Louise et de Napoléon ,
Il contemple à-la-fois , et l'image , et le nom ,
Et voit ces deux époux sur l'autel d'Hyménée
Unir de leurs destins la trame fortunée !
(2) Concordiafratrum . Médailles de Marc-Aurèle et de Lucius
Vérus .
(3) Médaille de la bataille de Marengo. Enfans , rappelez-vous que
mon habitude est de coucher sur le champ de bataille , au revers .
(4) Médaille du couronnement. L'Empereur élevé sur le pavois
par deux personnages allégoriques représentant le Sénat et le Peuple.
(5) Médaille du mariage de l'Empereur et de l'archiduchesse
Marie-Louise.
MERCURE DE FRANCE ,
Mais quel enfant divin , comme un astre nouveau (6) ,
Aux yeux de l'univers brille dans son berceau ?
DeMars et de Vénus , par un doux assemblage ,
Les traits nobles et fiers composent son visage.
O toi qui dois un jour , digne fils d'un héros ,
Del'Alcide français égaler les travaux ,
Salut , noble César , prince de la jeunesse (7 ) ,
Des camps et des cités l'amour et l'allégresse !
Rome , au sein des débris , levant son front altier ,
Eu toi , d'un autre Auguste , invoque l'héritier ,
Et voit ce demi-dieu qu'une docte sibylle (8 ) ,
En des vers inspirés , révélait à Virgile .
Oui , l'oracle a parlé , tu dois nous rendre encor ,
Et le règne d'Astrée , et l'antique âge d'or ;
Et par leur charme heureux , dans une paix profonde ,
Tes lois , auguste enfant , te soumettront le monde.
Tel est l'arrêt des Dieux.... ; mais avant qu'aux humains
La céleste faveur accorde ces destins ,
Contre les ennemis de ton illustre père
La victoire armera ton audace guerrière .
Argonautes nouveaux , près d'un second Tiphys (9),
Tes guerriers braveront l'empire de Téthis ; -
Achille renaissant , sous une autre Pergame
Ira porter encore et le fer et la flamme ;
Et sous un bras d'airain crouleront ses remparts .
Ainsi , soeur de l'histoire , et fille des beaux arts ,
Lamédaille , fidèle au génie , à la gloire ,
Des plus grands souvenirs occupe ma mémoire ;
(6) Médaille frappée à l'occasion du baptême du roi de Rome.
(7) Les médailles et les monumens du Bas-Empire donnent aux
Empereurs et aux Césars le titre Nobilis Cæsar. Princeps juventutis ,
titre accordé pour la première fois aux petits-fils d'Auguste, Caius et
Lucius Cæsar, et qui servit depuis à désigner les successeurs à l'Empire
, les enfans des Césars .
(8) Ce vers et les suivans rappellent la quatrième Eglogue de Virgile
, Sicelides Muse , etc.
(9) Alter erit tum Tiphys , et altera quæ vehat argo
Delectos heroas : erunt etiam altera bella ,
Atque iterum ad Trojam magnus mittetur Achilles .
VIRG. , Ecl. IV.
JANVIER 1813 . 7
Etde l'antiquité le spectacle imposant
M'offre dans le passé le tableau du présent.
Eh ! quel siècle jamais à la numismatique
Ouvrit un champ plus beau que cet âge héroïque ,
Ce règne sans modèle où le plus grand des rois
Occupe l'univers du bruit de ses exploits ?
Son bras a reconquis les antiques limites (10) ,
Qu'à l'Empire des Francs Charles avait prescrites.
Législateur sublime , illustre conquérant ,
Dans la paix , dans la guerre , aussi juste que grand ,
Ah ! pour lui chaque année est un siècle de gloire ,
Déjà sur l'avenir conquis par la Victoire.
Ce sont là des sujets que rival du burin ,
Al'immortalité doit consacrer l'airain ......
Mais , amant éclairé de la numismatique ,
Ne pense pas qu'épris d'un culte fanatique ,
J'aille du gros l'Exergue adopter le travers ,
Ne rêver que légende , et queface et revers ,
Adorer comme lui cette rouille sacrée ,
Du tems qui la produit empreinte révérée ,
D'un Othon , d'un Cécrops , admirer la couleur (11 ) ,
Et la loupe à la main , empesé connaisseur ,
Emprunter l'air , le ton du poudreux antiquaire
Que dupe dans Vérone un habile faussaire.
Non : pour moi la médaille est un vrai monument :
Ce que me tait l'histoire , elle le dit souvent.
Débrouillant le chaos de la chronologie ,
Elle écarte la nuit dont elle est obscurcie;
Et des peuples divers , ainsi que leurs exploits ,
Elle me dit les moeurs , et le culte , et les lois ;
Elle me peint leurs jeux , leurs triomphes , leurs fêtes ;
Je les suis dans la paix , au sein de leurs conquêtes ;
(10) Celles de l'Empire de Charlemagne , borné par la mer Baltique
, l'Ebre et le Volturne .
(II) La rouille de couleur bleuâtre s'attache aux médailles d'argent
, et celle de couleur verte aux médailles de cuivre. Les antiquaires
font un cas particulier des médailles recouvertes de ce vernis
séculaire.
8 MERCURE DE FRANCE ,
Dans Athènes , dans Rome , elle offre à mes regards,
Et les fruits du génie , et les tributs des arts ;
De Palmyre , et de Tyr , de la fière Carthage
C'est elle qui chez nous a transmis le langage.
Des Empires souvent éclairant le berceau ,
La médaille sur eux fait luire un jour nouveau .
C'est au chantre inspiré des filles de Mémoire ,
De vanter ses trésors , de rehausser sa gloire :
Dans ses doctes écrits , des belles , des héros ,
Lui seul doit rappeler les charmes , les travaux ;
Leurs myrtes rajeunis , à sa voix refleurissent ,
Etleurs lauriers flétris croissent et reverdissent.
Interprète éloquent du marbre et de l'airain ,
Des peuples et des tems il est contemporain.
Oui , Tersan , de ton art l'auguste poésie
Se plaît à se montrer la compagne et l'amie .
Ces travaux renommés dont s'illustre ton nom (12)
Charmaient dans la grandeur les loisirs d'Addisson ,
Pope les célébrait , et pour eux dans Vérone
Maffey de Melpomène abdiquait la couronne.
C'est ainsi que le sage en ses doctes loisirs ,
Trouvant son plus doux charme et ses plus grands plaisirs ,
Sur le passé se plaît à reporterla vue.
Pour lui qu'est le présent? un point dans l'étendue ;
Plus vif que la pensée et plus prompt que l'éclair ,
Dans son rapide essor , c'est un trait qui fend l'air :
Prétendre l'arrêter dans sa course rapide ,
C'est vouloir embrasser une ombre fugitive .
Vivons dans le passé ; c'estjouir du présent.
Ah ! voilà ta maxime , ô sage et doux Tersan.
Chez ces grands raisonneurs qu'oisiveté rassemble ,
Bien plus que le plaisir de se trouver ensemble ,
(12) Nous avons du célèbre Addisson des Dialogues ou Entretiens
sur les médailles ; de Pope , une Epître sur ce sujet , adressée à ce
même Addisson ( nous en avons emprunté plusieurs traits dans notre
ouvrage ) , et du marquis Scipion Maffey , auteur de la Mérope italienne
, la Verona illustrata , et d'autres ouvrages qui traitent des
antiquités.
JANVIER 1813.
On ne te vit jamais , au sein du Luxembourg ,
Guider nos légions dans Londre ou Pétersbourg.
Révérant d'un grand roi la sagesse profonde ,
Tu laisses cet atlas porter le poids du monde.
Tu ne régentes point l'armée et le Sénat ,
Et tu ne prétends rien aux secrets de l'Etat .
Parmi nos beaux esprits il ne t'importe guère
Qui l'on siffle au Marais , à Faydeau , chez Molière :
Tu ne lis point leurs vers , et de monsieur G****
Jamais le feuilleton ne parvint jusqu'à toi .
Mais , si guidé vers toi , quelqu'ami de l'étude ,
Tersan , vient saluer ta docte solitude ,
Tu lui prodigueras , ainsi que tes loisirs ,
Cinquante ans de travaux qui furent tes plaisirs ;
Et de nouveaux attraits , par ta douce éloquence ,
Tu sauras , à ses yeux , embellir la science .
Ainsi lorsqu'au milieu de la grande cité ,
Je courais , sous le toit par un sage habité ,
Savourer les plaisirs que l'étude nous donne ,
Plaisirs purs que jamais le remord n'empoisonne .
Toujours , à mon aspect , tes bras étaient ouverts ,
Et tes plus chers trésors soudain m'étaient offerts .
Ta profonde doctrine , unie à l'indulgence ,
Charmait , en l'éclairant , ma timide ignorance ;
Je croyais , attentif à tes discours savans ,
Des Maffey , des Séguier , entendre les accens (13) ;
De mes esprits flottans tu bannissais le doute ;
Vers le grand , vers le beau , tu m'ouvrais une route ,
Et de tes entretiens le prestige enchanteur ,
Endirigeant mon goût , réglait aussi mon coeur.
M. CHAUDRUC DE CRAZANNES ,
Secrétaire-général de la préfecture du département du Loiret .
( 13) Le docte Seguier de Nimes , qui a rétabli l'inscription de la
maison carrée.
10 MERCURE DE FRANCE ,
ÉNIGME .
Sous quel astre ennemi le sort m'a- t-il fait naître !
Apeine sur la terre ai-je pu faire un pas ,
Qu'armé d'un fouet mon jeune maître ,
Pour me faire aller droit , me frappe à tour de bras .
Pourtant de sa rigueur ai-je droit de me plaindre ?
Oh ! non ; car j'aurais lieu de craindre ,
Si j'en étais traité moins rudement ,
Qu'une funeste léthargie ,
Sans les coups redoublés
Dont mes frères et moi nous sommes accablés ,
Privé de mouvement , ne m'enlevât la vie .
Au reste , le cas arrivant ,
Voilà que mon petit tyran
Dans de nouveaux liens m'enveloppant de suite ,
Me secoue et me ressuscite ,
Et c'est ce qui me console un moment.
Pris en un autre sens , comme mon premier frère ,
Je chemine toujours sur terre ,
Et j'y porte celui par qui je suis porté.
Mon frère marche seul , etmoi de compagnie ,
Tout uniment , sans vanité.
Je ne plais guère aux gens de qualité ;
Plus d'un d'entr'eux pourtant doit me porter envie ,
Car je fais plus de bruit en trois ou quatre jours ,
Qu'il n'en fait souvent dans le cours
De laplus longue vie.
S........
LOGOGRIPHE
Je fais souvent du bruit , sur six pieds , dans le monde ,
Lecteurs , et vis sans chef paisiblement dans l'onde.
Mes tête et queue à bas , je deviens à l'instant
Utile au matelot sur l'humide élément ,
Et raccourci d'un pied , je suis une machine
Qui sur terre et sur eau très-lourdement chemine.
V. B. (d'Agen. )
JANVIER 1813 . II
CHARADE .
Al'oeuvre on connaît l'ouvrier .
C'est ainsi que par mon premier ,
A Rome , Galien sut se faire connaître.
Mon dernier est un instrument ,
Dont se servent également
Le laboureur , le géomètre ,
Le poëte , le financier ,
Le négociant , le savetier
La paysanne et la comtesse ,
Etla servante et la maîtresse .
L'anachorète en son désert
Demon tout rarement se sert.
r
V. B. ( d'Agen. )
al
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
१
Le mot de l'Enigme est Soufflet ( traitement injurieux appliqué sur
lajoue ) .
Celui du Logogriphe est Pharisien , dans lequel on trouve : Partsien.
Celui de la Charade est Pallas .
۱
:
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
OEUVRES DE PONCE DENIS ( ECOUCHARD ) LE BRUN ,
membre de l'Institut de France et de la Légion-d'Honneur
, mises en ordre et publiées par P. L. GINGUENÉ ,
membre de l'Institut ; et précédées d'une Notice sur sa
vie et ses ouvrages , rédigée par l'Editeur . Quatre
vol . in-8° , imprimés par Crapelet. - A Paris , chez
Gabriel Warée , libraire , quai Voltaire , nº 21 .
-
( QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE. )
C'EST peut- être du plus loin qu'il souvienne aux lecteurs
du Mercure que d'y avoir vu dans quatre numéros
del'année qui vient d'expirer ( 1 ) , trois premiers extraits
des OEuvresde Le Brun. Je n'y ai examiné que ses
odes que j'ai regardées comme la partie de ce recueil la
plus importante pour sa gloire , et même pour la nôtre.
Des travaux plus urgens et d'autres causes qui ne sont
d'aucun intérêt pour le public m'ont empêché jusqu'ici
de continuer cet examen ; j'y reviens enfin ; mais avec
le dessein de m'étendre beaucoup moins sur le reste , et
de comprendre , si je puis , en un seul article tous les
autres genres que ce poëte a traités .
Il n'y en a point où on le reconnaisse plus facilement
que dans l'élégie pour un poëte de l'école de Racine . On
voit qu'il avait appris de ce grand maître l'art d'exprimer
la passion sans cesser d'être poëte, et de revêtir le sentiment
de formes poétiques sans lui faire perdre de sa
vérité. Ses élégies étaient la partie la moins connue de
ses ouvrages , celle qu'il affectionnait le plus , dont il
relisait le plus volontiers quelques pièces dans la société
intime , et qui y avait le plus de succès . Les femmes les
lui redemandaient de préférence , et j'ai vu la lecture de
(1) Numéros des 25 juillet , 29 août , 3 et Io octobre 1812.
.
1
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 . 13
ces productions de sa jeunesse lui fournir à plus de
cinquante ans le sujet d'élégies nouvelles , où l'on retrouve
tout le sentiment et toute la poésie de son jeune
âge (2) .
Il avait pour réussir dans ce genre une sensibilité
passionnée , moins profonde que facile à émouvoir et à
exalter ; de là vient cette véhémence qui paraît l'emporter
quelquefois , et qui donne à son style des mouvemens
si vifs et si rapides . Ses deux premiers livres sont
adressés , l'un à cette Fanni qui devint sa femme , et qui ,
lui fit payer cher quelques années de bonheur ( 3 ) ,
l'autre à une Adélaïde qui devait le venger de Fanni et
qui fut encore plus perfide. Une chose qu'on y voit clairement
, c'est qu'il les aima très - ardemment toutes deux.
Le premier livre n'offre d'abord que des sentimens doux ;
ce sont des descriptions champêtres , des rendez-vous ,
de tendres billets , des absences passagères , des jouissances
. Une absence prolongée pendant l'hiver amène
un changement de ton et de couleurs ; une maladie grave
pendant cette absence les rembrunit encore. Bientôt
l'infidélité de Fanni ne donne plus à exprimer au poëte
que des regrets et des désirs de vengeance , énergiquement
adressés à la Vengeance même dans la personne
de Némésis .
La première élégie de ce livre est un des meilleurs
morceaux de tout le recueil. L'opposition par où elle
commence , entre les froids plaisirs de la ville et les
jouissances champêtres , est de la poésie descriptive la
plus exquise , et se termine par une image champêtre
qui fournirait le sujet d'un tableau délicieux .
Ah ! fuyons des cités le profane séjour ;
Viens trouver au hameau la nature et l'amour ,
Fanni ! viens m'embellir les champêtres asiles .
Que les amans de l'art se plaisent dans les villes.
De leurs riches palais nocturnes habitans ,
Ils ne connaissent plus l'aurore et le printems ;
(2) Voyez la dernière Elégie du livre IV , à Lucile.
(3) Voyez la Notice sur la vie de Le Brun , tome I de ses oeuvres.
14 MERCURE DE FRANCE,
:
Ils ont dans le cristal des fleurs décolorées ,
Tristes et sans parfums , de Zéphire ignorées ;
Leurs fruits impatiens devancent les saisons ;
De Pomone trop lente ils méprisent les dons.
Leurs goûts sont insensés , leurs ames sont arides ;
Morphée est le seul dieu de leurs jours insipides ;
En des jeux fatigans ils consument les nuits ;
Et leur triste bonheur est de changer d'ennuis .
Heureux qui de Palès respirant tous les charmes
Va surprendre l'Aurore à ses premières larmes
Et d'un pied matineux effleurant le gazon ,
De l'oiseau qui s'éveille entend le premier son!
Heureux , si le premier cueillant la fleur naissante ,
J'en pare ton beau sein , ô ma fidèle amante ;
Si d'un nid , que la feuille à peine couvre encor ,
Je mets sur tes genoux le frêle et doux trésor ,
,
Et la timide mère , inquiète , éperdue ,
Qui le protège encor de son aile étendue !
Mais j'entends les regrets du père et de l'époux !
O ma Fanni ! cédons à des regrets si doux.
Ah ! remettons ce nid dans son palais mobile.
Croissez , petits oiseaux , goûtez un sort tranquille ;
Que jamais l'Epervier ni l'Autour ravisseur ,
Ni le plomb criminel lancé par le chasseur ,
N'abrègent de vos jours l'innocente durée ,
Et ne fassent gémir une veuve éplorée !
Voici encore de charmantes images rendues en vers ,
comme on en a bien peu fait depuis Racine et Boileau .
Avec l'aube éveillé , quel charme de te voir ,
En longs cheveux épars soulevant l'arrosoir ,
Prodiguer une eau pure aux tiges parfumées
Des fleurs que ton amant lui-même aura semées ,
Ou conduire avec art aux voûtes des berceaux
Du jasmin odorant les flexibles rameaux ,
Ou tondre d'un gazon la pointe jaunissante ,
Ou relever d'un cep l'espérance penchante ;
Ou quelquefois au bois , d'un caprice enfantin ,
Secouer sur mon front les perles du matin;
Et cueillir avant moi , sur la branche agitée ,
La noisette trompeuse et souvent rejetée !
Y
JANVIER 1813 . 15
C'estun confraste bien frappant que celui de cette
élégie avec la huitième ! Une hémorragie violente , le
frisson et l'ardeur de la fièvre , la mort déjà menaçante ,
un jeune poëte près d'expirer loin de ce qu'il aime et
sans laisser après lui aucun monument de gloire , y sont
exprimés en vingt- quatre vers . L'énergique brièveté de
ce morceau , qui respire en même tems une sensibilité
touchante , permet de le citer en entier .
Le sang baigne à longs flots mes lèvres pâlissantes ,
Et mon Tibulle échappe à mes mains défaillantes .
De mon sein oppressé les pénibles efforts
Ytourmentent la vie et brisent ses ressorts .
Dans ce combat mortel et de glace et de flamme ,
Fanni seule , Fanni retient encor mon ame ;
Ma voix , en expirant , soupire ce doux nom ,
Et de ma lyre éteinte il est le dernier son.
Ma lyre avait promis de la rendre immortelle ,
Et devait au printems défier Philomèle ;
Le printems reviendra pour Philomele....; et moi ,
D'un silence éternel j'aurai subi la loi.
Les roses reviendront , et cette main absente
N'aura point le bonheur d'en parer une amante !
Des myrtes , des lauriers que je devais cueillir
Tout l'espoir avec moi va donc s'ensevelir !
OMort ! divinité si terrible au vulgaire ,
Je ne crains pas le coup de ta main sanguinaire ;
De mes jours mal tissus romps le faible lien ;
La vie est peu de chose , et toi-même n'es rien .
Mais quitter à-la-fois une amante et la gloire ,
Sans avoir consacré ses feux et sa mémoire !
Mais dans la foule obscure indignement périr !
Cette mort est affreuse , et c'est plus que mourir.
Le danger s'accroît , et il semble , dans l'élégie suivante
, que le génie du poëte augmente de force avec les
progrès du mal . L'effet que produisent en lui l'approche
de la mort et l'idée de son convoi funèbre , n'est pas l'affaiblissement
, mais le délire ; et ce délire est à-la-fois poétique
et passionné.
L'heure fatale accourt ; d'un long crêpe voilée ,
Terrible , et conduisant la parque échevelée ,
:
16 MERCURE DE FRANCE ,
1 Elle accourt .... Je la vois .... J'entends son vol affreux;
Tel fond l'avide Autour sur un Cygne amoureux ;
१ Tel le noir Epervier , d'une aile frémissante
Vole , suit , presse , atteint la Colombe innocente ,
Qui du char de Vénus séparée un moment ,
Par des cris douloureux l'implore vainement.
Loin de tes yeux , Fanni , la tombe me dévore
Tu n'entends plus la voix d'un amant qui t'implore.
Je jurai mon retour à tes embrassemens ;
La mort , la mort jalouse a rompu mes sermens ;
Sa brûlante fureur circule dans mes veines ;
L'art se trouble , s'épuise en ressources trop vaines ;
Et mon sang , qui jaillit sous les couteaux mortels ,
A neuf fois de la parque arrosé les autels , etc.
L'attendrissement et les regrets succèdent , et ensuite
le voeu si naturel de se survivre dans un autre lui-même .
Si l'ame est immortelle ,
Si des feux de l'esprit il reste une étincelle ,
Qu'elle passe en ton sein , ô ma chère Fanni !
Amoi-même échappé , de moi-même banni ,
Deviens pour ton amant l'immortel Elysée ;
Quemon ame revole où je l'avais puisée !
J'adorerais le Styx , éclairé par tes yeux ,
Et l'Olympe sans toi me serait odieux .
Je ne me suis point arrêté à faire observer dans ces
citations un grand nombre de tours poétiques et d'expressions
nouvelles , fondues avec la plus grande adresse
dans un style plein de charme et de douceur ; mais je
ne puis me dispenser de remarquer dans ce dernier passage
une hardiesse si heureuse que des critiques difficultueux
ont pu citer ces vers sans l'apercevoir , et cependant
si forte qu'elle a besoin ,, pour être admise , de
l'exemple et de l'autorité de Racine .
Amoi-même échappé , de moi-même banni ,
Deviens pour ton amant l'immortel Elysée .
Essayez d'appliquer ici cette règle qu'on a voulu établir
, que des vers pour être bons doivent se réduire à la
construction de la prose; vous ne le pourrez pas . Il y a
JANVIER 1813 .
DEPT
DE
LA dans le premier vers non-seulement une forte elipse
mais la supposition d'un cas qui n'existe point dansnotre
langue , je veux dire l'ablatif absolu , comme dans ces .
deux vers de Racine , impossibles à construire
courir au même tour :
Captive , toujours triste , importune à moi-même ,
Pouvez-vous souhaiter qu'Andromaque vous aime .
sannssrree-
Tant il est vrai qu'en dépit des fausses doctrines ,
notre langue poétiquea , pour les grands poëtes , ses
tours particuliers , je dirais presque ses idiotismes qui la
différencient de la prose .
Toutes ces citations sont tirées du premier livre des
élégies ; chacun des trois autres livres n'en fournirait
pas moins . Dans le second , le ton véhément et passionné
domine. On sent que l'élégie qui a pour titre , à l'enfant
que porte dans son sein une maîtresse infidèle , que celle
où l'amant jaloux et trahi se peint lui -même témoin du
bonheur de son rival , que celle où il se représente
ramené malgré lui vers sa parjure Adélaïde , que celle
qu'il adresse à l'enfant de cette Adélaïde , mort treize
mois après sa naissance , qu'une autre enfin adressée à
un ami sur la mort de ce même fils , exigeaient de la part
du poëte autant de force et d'énergie que de sentiment et
de chaleur.
Le troisième livre est rempli en plus grande partie
d'élégies imitées de Tibulle , de Properce et d'Ovide .
Le Brun fit presque toutes ces imitations dans sa jeunesse
, pour se former à ce style poétique qu'il voulait
donner à l'élégie. On y trouve souvent la liberté d'une
composition originale . La première élégie , imitée de la
première de Tibulle , est celle que l'auteur avait le plus
soignée , et qui approche le plus du modèle .
On distingue principalement dans le quatrième livre ,
dont les sujets sont variés , une élégante imitation de
Moschus , et l'élégie adressée à Lucile , en lui rendant une
lettre où ellefaisait à l'auteur une proposition d'amitié un
peu tardive. Cet objet de la dernière passion qu'il ait
éprouvée , lui inspira aussi des odes érotiques , des madrigaux
et même des épigrammes . Soit uniquement par
B
BIBL, UNIV
OENT
18 MERCURE DE FRANCE ,
la faute du poëte , soit qu'il y eût un peu de celle de Lucile ,
il avait cru lui inspirer autre chose que de l'amitié ; cette
'élégie rappelle des souvenirs qui feraient penser qu'il
n'avait pas tout-à-fait tort , et ce qui importe davantage ,
il les y retrace en vers charmans .
Des deux plus grands défauts du style de Le Brun que
j'ai reconnus dans ses odes , le premier, l'excessive audace
et la nouveauté hasardée , se trouve très -peu dans ses
élégies ; le second , l'affectation ou le rafinement , y est
peut-être moins rare , sur-tout dans celles qui paraissent
avoir été de simples jeux d'esprit ou de galanterie
plutôt que les effusions d'un coeur vraiment passionné
; mais dans toutes celles où la passion parle , et
elles sont en grand nombre , elle s'exprime comme elle
le doit faire en poésie , et plusieurs de ces pièces peuvent
être citées parmi les morceaux écrits depuis Racine où
l'on retrouve le plus l'élégance , l'harmonie pure et variée ,
les tours nouveaux quoique naturels , et l'heureuse hardiesse
de son style .
Après les élégies viennent dans le même volume deux
livres d'épîtres . La première a depuis long-tems sa réputation
faite . C'est un petit poëme didactique, plein d'esprit,
de grâces et de sel sur la bonne et la mauvaise plaisanterie
, mais où ce sujet est traité avec la marche libre et
irrégulière de l'épître . Elle étincelle de ces traits piquans
nés pour devenir proverbes et dont plusieurs le sont devenus
.
O le fâcheux plaisant qui , dans son froid délire ,
L'ennui peint sur le front , prend le masque du rire ,
Et pesamment folátre en sa légèreté ,
Tourmente son prochain de sa triste gaîté !
Je plains le malheureux qui s'est mis dans la tête
De plaire aux gens d'esprit à force d'être bête .
Il est un art charmant d'amuser et de rire .
Il faut de sel Attique égayer la satire ;
L'adresse est de choisir le trait qu'on veut lancer ,
Qu'il effleure en volant , et pique sans blesser.
Labonne compagnie est par fois détestable , etc.
JANVIER 1813 .
19
Tout le monde a retenu les jolis vers sur La Harpe ,
quej'ai cités précédemment (4) ; ils flattent la malignité ,
c'est peut-être ce qui les a gravés dans la mémoire . En
voici de délicieux qui devraient s'y fixer par une raison
toute contraire ; la bonne compagnie serait moins détestable
, si elle se les rappelait quelquefois .
D'une gaité sans frein réprimez la licence ,
Et respectez les Dieux , la Pudeur et l'Absence .
Qu'un ami par vos traits ne soit point immolé.
En vain le Repentir honteux et désolé
Court après le bon mot aux ailes trop légères ;
Il perd ses pas tardifs et ses larmes amères .
Fuyez donc le sarcasıne et ses jeux indiscrets :
L'amour-propre offensé ne pardonne jamais .
Ménagez-lui toujours une heureuse retraite ;
Que l'objet du bon mot lui-même le répète .
1
On peut dire que ce dernier vers contient lui seul la
théorie , ou , si l'on veut, la législation du bon mot.
Les autres épîtres sont inférieures à celle- là ; il y en
a cependant où l'on reconnaît la même main : telles sont
entr'autres l'épitre à M. Chenier l'aîné ; celle à M. le
prince de Conti , sur l'amour que les princes doivent aux
lettres , ouvrage de la première jeunesse de l'auteur ,
mais qu'il avait ensuite corrigée et presque refaite ; celle
à de Belloi , l'auteur tragique , pour prévenir une brouillerie
prête à éclater entr'eux ; celle qui est adressée à
son fils Alphonse , né en 1783 ; quelques épitres satiriques
, dont la meilleure est intitulée la Métempsycose ;
et parmi un assez grand nombre d'autres , qui ne peuvent
être regardées qué comme des vers de société,
plusieurs qui sont remplies de détails agréables et spirituels
, toujours poétiquement rendus .
Les Veillées du Parnasse , qui suivent les épîtres , ne
sont qu'un fragment , ou plutôt une suite de quatre fragmens
d'un poëme qui ne fut point achevé . Le plan était
fort simple ; cen'était qu'un cadre où devaient entrer quatre
morceaux épiques, les uns traduits , les autres simple-
(4).Voyez le Mercure du 10 octobre ..
B2
20 MERCURE DE FRANCE ,
ment imités . Dans une longue nuit d'hiver , Apollon et les
Muses veillent sur le Parnasse , et charment par des récits
la lenteur du tems . Erato raconte une aventure
d'amour , la fable d'Orphée et d'Eurydice ; Calliope y
répond par un trait célèbre d'amitié , la mort de Nisus
et d'Euryale , deux admirables épisodes de Virgile. Thalie
, pour égayer la scène , devait raconter l'aventure plaisante
du faune avec Hercule et Omphale , qu'on trouve
au second livre des Fastes d'Ovide ; mais ce morceau ,
écrit en vers inégaux , n'est ni corrigé ni fini . Il ne
manque aux deux premiers que quelques vers qui devaient
les lier l'un à l'autre. L'épisode d'Orphée et d'Eurydice
est connu depuis long-tems ; celui de Nisus et
d'Euryale , aussi fort ancien , était resté inédit . Il est
aisé de préférer à ces deux traductions , les deux mêmes
morceaux traduits par M. Delille ; il le serait tout autant
de donner la préférence à ceux de Le Brun . Ce qui
serait plus difficile , mais plus utile en même-tems , ce
serait de les comparer ensemble, en les conférant tous
deux avec le texte. Il faudrait d'abord convenir de
quelques principes sur la traduction en vers , et mettre
ensuite à part toute prévention et toute partialité .
Mais quand l'auteur du parallèle aurait obtenu de luimême
ce point important , l'obtiendrait-il aussi de ses
juges ? Il est plus sage de s'en abstenir .
Pour terminer ces Veillées poétiques , Apollon ,
après avoir entendu Erato , Calliope et Thalie , raconte
àson tour l'histoire de Psyché , allégorie charmante que
Le Brun n'hésite pas à regarder comme le chef-d'oeuvre
de l'imagination grecque , mais que l'Africain Apulée a
défigurée par son latin barbare , et plus encore par le
personnage ignoble à qui il en a prêté le récit , et
que notre bon Lafontaine a noyée dans une prose lâche ,
bavarde et souvent puérile (5). Le Brun avait entrepris
de rétablir cette fable ingénieuse dans le rang qui lui
appartient ; il est bien à regretter qu'il n'ait pu finir
ce travail , interrompu par de tristes circonstances ,
24
(5) Expressions d'un fragment de lettre de Le Brun , t. II , p. 273 .
4
JANVIER 1813. 21
au moment où il le suivait avec le plus d'ardeur , et où
il y trouvait le plus de charme .
Ce qu'il en a laissé ne contient , dans environ deux
cent-cinquante vers , qu'à-peu-près un quart des aventures
de Psyché ; ce poëme, terminé et perfectionné ,
eût été , sans aucun doute , un des chefs -d'oeuvre de
notre langue . Qu'a-t-elle de plus poétique et de plus
gracieux que cette description de Venus voguant sur
les mers dans sa conque d'azur ?
Elle traverse l'onde en fille de Nérée ;
Sa vue enchaîne au loin l'impétueux Borée ;
Le vieux Triton lui fraie un liquide chemin;
Le jeune Palémon la suit sur un dauphin ;
L'onde joue à ses pieds , et la vague idolatre
Vient d'un baiser humide en effleurer l'albâtre .
Etquelbeau contraste forme avec cette peinture riante,
celle de l'état où la famille de Psyché est plongée quand
l'oracle a ordonné que cette jeune et innocente rivale de
Vénus , épouse un monstre , et soit conduite , avant neuf
jours expirés , au haut d'un mont désert , poury attendre
sonhorrible époux .
Huit fois la nuit s'écoule , et la neuvième aurore ,
Plus triste que la nuit, menace enfin d'éclore ;
D'un sourire lugubre elle attriste les cieux.
Psyché lit son malheur écrit dans tous les yeux.
On pare la victime : épouse infortunée ,
Tu confiais tes pleurs au voile d'hyménée !
Onapprête le char , ou plutôt le cercueil ;
Pour l'hymende Psyché tout l'empire est endeuil.
>
Il faudrait ici tout transcrire; autant de vers , autant
d'images funèbres . Psyché , mise sur le char d'ébène ,
et couverte d'un crêpe , se penche sur sa mère éplorée;
Le roi suit en pleurant cette pompe cruelle;
Les coursiers vont sans guide où le sort les appelle;
Par-tout de noirs cyprès les chemins sont ornés;
Le char roule à travers les peuples consternés.
Le char s'arrête au pied du mont fatal; le cortége
1
MERGURE DE FRANCE ,
monte à pas lents , dépose Psyché sur le sommet , et
redescend tristement .
Mais que devient Psyché , seule , en proie au silence
A la nuit , à l'horreur de ce désert immense ,
१ A cent monstres ailés autour d'elle sifflans
Amille que l'effroi peint à ses yeux tremblans ?
Mourante de frayeur , elle tombe ; Zéphire ,
Sous les voiles flottans s'insinue , et soupire ,
L'enlève au pied du roc , dans un vallon charmant ,
Et sur un lit de fleurs la pose mollement.
Tout le reste est écrit de même. Les descriptions les
plus brillantes , les images les plus riches ou les plus voluptueuses
, les pensées les plus délicates , tout est exprimé
avec cette concision poétique , harmonieuse ,
élégante sans remplissage , sans longueurs , sans aucune
de ces formes parasites , qui passent pour de
l'abondance , et ne sont que du verbiage .
,
( L'étendue de ce dernier article aforcé d'en renvoyer
lafin au No prochain. )
POÉSIES DE P. DORANGE . Un vol . in- 12 , orné de quatre
jolies gravures et d'un titre gravé .- Prix , 4 fr . , et
5 fr. franc de port . - A Paris , chez Rosa , libraire ,
rue de Bussy , nº 15 .
M. DORANGE est du nombre malheureusement trop
grand des poëtes morts avant d'avoir réalisé les espérances
que leurs essais avaient fait concevoir . Je ne comparerai
point cependant son sort à celui de Guimond de la
Touche , de Malfilâtre , de Gilbert et d'André Chénier ,
parce que ceux- ci en mourant ont laissé un petit nombre
d'ouvrages qui portent le cachet de la maturité du génie ,
au lieu que les vers de Dorange , quel que soit leur mérite ,
n'annoncent pas un poëte du premier ordre . La mort des
auteurs d'Iphiginie, de Narcisse, de la Satire du dix-huitième
siècle , fut pour notre littérature une perte irréparable
; celle de Dorange n'a pas été si vivement sentie ,
1
JANVIER 1813. 23
parce que le caractère du talent de ce jeune poëte n'était
pas encore décidé.
Sa traduction des Bucoliques de Virgile est le plus important
de ses ouvrages , on l'a réimprimé dans le recueil
que nous annonçons . Lorsqu'elle parut , elle valut à son
auteur des encouragemens honorables , et , dans la discussion
relative aux prix décennaux , l'Institut en fit
l'éloge .
On ne peut comparer la traduction de Dorange à celles
de MM. Tissot , Didot et Langeac. Ces trois poëtes
ont souvent approché de l'inimitable perfection de Virgile
, tandis que les vers de Dorange sont presque
toujours faibles et sans harmonie. Cependant il est un
petit nombre de morceaux où il se soutient à côté de
M. Tissot , ce qui annonce que s'il avait eu le tems
de revoir avec sévérité l'ouvrage de sa jeunesse , nous
aurions des Bucoliques de Virgile plusieurs traductions
dignes de ce grand poëte . Dorange paraît en avoir fait
une étude particulière , mais on a eu tort de publier les
fragmens qu'il a traduits des Géorgiques et de l'Enéide ,
parce que ces fragmens sont au -dessous du médiocre , et
d'ailleurs ils rappellent involontairement les beaux vers
de M. Delille , ce qui ne peut que nuire , même à un poëte
d'un talent supérieur à celui de Dorange .
Ce jeune auteur a sans doute cherché long-tems le
genre que la nature de son esprit l'appelait à traiter . Les
scènes de tragédie et de comédie qu'on a recueillies tenaient
bien certainement au dessein de courir la carrière
du théâtre , mais nous doutons fort qu'il y eût obtenu
des succès .
Les odes qui ouvrent le recueil de ses poésies , avaient
déjà été imprimées séparément . Les connaisseurs y remarquèrent
des beaux vers et quelques grandes idées :
mais on ne put se dissimuler qu'il y règne beaucoup
d'emphase , et cette fausse chaleur que puisent à l'école
de Le Brun , ceux qui n'ont pas le génie de ce poëte
sublime . En général les odes de Dorange sont pleines de
lieux communs , et manquent d'élévation poétique . La
meilleure de toutes est celle qui a pour titre les Adieux à
la Vie; elle a plusieurs strophes dignes des plus grands
24 MERCURE DE FRANCE ,
poëtes , et si l'on n'y trouve pas le charme des stances de
Gilbert , c'est que l'auteur , au lieu de s'abandonnner à
toute la sensibilité de son ame , a trop cherché ces
effets et ces alliances bizarres d'idées et de mots que
quelques poëtes nous donnent pour du sublime , et qui
ne sont que le sublime du galimathias .
La nature appelait Dorange vers la poésie légère , et
si la mort ne l'eût pas moissonné avant le tems , il s'y
serait fait une réputation assez brillante : les QuatreParties
du Jour, l'Epître à Cloris , l'Epître à Délie , les Stances
sur les Ravages du Vent du Nord, etc. , annoncent un
poëte sensible et gracieux ; ses vers corrects et élégans
n'ont ni le papillotage de l'école de Dorat , ni les fadeurs
et les niaiseries sentimentales de celle de Demoustier, Le
talent de Dorange est plus pur , parce qu'il avait étudié
les bons modèles ; sa poésie, presque toujours naturelle ,
n'a très - rarement ces tournures alambiquées et cette
afféterie dont il est bien difficile de se garantir aujourd'hui
, où l'on préfère aux belles formes des grands
maîtres le clinquant et les tours antithétiques d'une foule
de rimeurs , qui sont aux véritables poëtes ce que les faiseurs
de mélodrames sont aux auteurs tragiques .
C'est un grand éloge pour Dorange d'avoir su se garantir
de cette contagion , et cela doit augmenter les regrets
que sa mort a causés ; elle a été une véritable perte
pour lapoésie.
Dorange a composé plusieurs romances qui sont remplies
de cette mélancolie douce et rêveuse , qui fait le
charme de ce genre de poésie. Herminie et Bélisaire
peuvent être comparées au plus jolies romances de Florian
, et il serait à désirer qu'un musicien habile leur t
unemusique.
Je ne parlerai pas ici de la traduction en vers de la
Jérusalem délivrée. Le recueil de Dorange en contient
quelques fragmens . Comme ce ne sont que des essais ,
la critique ne doit pas s'appesantir sur les nombreux défauts
qui les déparent ; mais ils font douter que le poëte
eût eu la force suffisante pour achever un travail entrepris
dans un âge où l'homme ne croit rien impossible
. La romance , l'idylle et l'élégie , voilà les genres
JANVIER 1813 .. 25
queDorange eût traités avec succès ; il suffit , pour s'en
convaicre , de lire les pièces dont nous avons indiqué les
titres dans le cours de cette notice .
Dans un de ces fragmens traduits du Tasse , on lit
les vers suivans , relatifs à Argant qui ,,
Ases transports' altiers tout -à-coup s'abandonne ;
Et las de se défendre , ardent à se venger ,
Il méprise la mort , ne voit plus le danger :
Il vole sur Tancrède , et dans sa course altière .
L'éditeur a , ainsi qu'on le voit , mis en italique les
mots alliers et altière , au premier et au quatrième vers .
Quel a été son motif ? Est-ce de faire regarder leur rapprochement
comme une faute ? Mais alors il eût été souvent
obligé d'employer l'italique. Est-ce qu'il a cru que
le mot altierest de trois syllabes ?Alors c'est une erreur ;
les grands poëtes l'ont toujours fait de deux ..
M. Miger , avantageusement connu par plusieurs ouvrages
où brille un grand talent , a mis en tête des poésies
de Dorange une notice aussi intéressante que bien
écrite , et qui , avec les nombreuses gravures qu'il contient
, n'est pas un des moindres ornemens du recueil
que nous annonçons. J. B. ROQUEFORT.
2
A
BEAUX - ARTS .
SALON DE 1812 .
MM. RUTXHIEL , ROLAND , DE SENNE , BRIDAN , MOUTONY
, CHINARD , TAUNAY ET LEMOT .
Je vais continuer l'examen des ouvrages de sculpture
que j'avais un moment abandonné. Je parlerai dans cet
article de toutes les statues représentant des généraux ou
des grands personnages modernes. Ce genre de statues
exige une étude moins profonde et une connaissancemoins
parfaite de la forme que celles destinées à nous retracer
les héros ou les dieux de la mythologie ancienne ; mais il
présente en même tems des difficultés que bien peu det
sculpteurs sont parvenus à vaincre jusqu'à ce jour. C'est
26 MERCURE DE FRANCE ,
une chose universellement reconnue que notre costume ,
très -bien approprié sans doute à notre climat et à nos
usages , offre peu de ressources à la peinture et encore
moins à la sculpture ; il est pauvre , mesquin et compassé :
quel que soit le mouvement du corps , il conserve toujours
à-peu-près les mêmes formes ; l'artiste ne peut lui donner
aucun développement , ni varier les plis à son gré comme
dans les costumes antiques ; il est obligé même d'employer
avec beaucoup de ménagement le manteau , dont il pourrait
cependant tirer un parti avantageux , pour ne pas paraître
viser au style et s'éloigner de la vérité . On doit donc
l'excuser quand il n'a pas complétement réussi ; et quand
le succès a couronné ses efforts , on ne saurait lui prodiguer
trop d'éloges .
M. RUTXHIEL .
Zéphire qui enlève Psyché.
,
Ce groupe exécuté en marbre ne porte pas de numéro ,
et n'est point inscrit dans le catalogue . Il contient suivant
moi des défauts assez graves , et cependant il annonce
d'heureuses dispositions . L'audace avec laquelle la figure
de Zéphire est lancée en avant , la manière dont elle est,
groupée avec celle de Psyché , une certaine grâce répandue
sur l'ensemble de cette dernière figure , sont les causes de
l'effet agréable que cet ouvrage produit au premier aspect .
Je ne reprendrai qu'une seule chose dans la disposition
générale , c'est la pose de la jambe gauche de Zéphire ;
quand on est en face , elle se trouve cachée par la cuisse
et semble manquer entièrement. En analysant cette figure ,
j'observe que la tête est petite , sur-tout depuis les sourcils
jusqu'au sommet ; les traits en sont maigres et sans caractère
; le bras droit entre dans le sein de Psyché au lieu de
le faire fléchir ; le mouvement du bras gauche exigerait
qu'il fût plus prononcé à l'endroit où il se joint à l'épaule .
Dans la jambe droite , les muscles qui forment ce qu'on
appelle vulgairement le gras de la jambe prennent leur
origine un peu trop haut : je n'ignore pas que cela est motivé
par la pose ; mais il fallait faire ensorte de conserver
la beauté de la forme . Enfin le pied depuis la cheville jusqu'aux
doigts laisse beaucoup à désirer du côté de la finesse
du contour et des détails intérieurs .
La figure de Psyché n'est pas non plus à l'abri de la
critique : la hanche et la cuisse droites décrivent une courbe
trop exagérée ; vu de profil , le torse au-dessus du nombril
JANVIER 1813 . 27
1
n'a pas assez d'épaisseur ; le genou est lourd ; les doigts
des pieds manquent d'élégance , et les ongles sont mal
placés . Je crois m'apercevoir que l'auteur n'a pas étudié
avec assez de soin les belles statues antiques : il a besoin
de les consulter souvent pour apprendre l'art de réunir à
la pureté du trait cette souplesse qui peut seule animer le
marbre et lui donner l'aspect de la nature.
Quels que soient le nombre et l'importance de ces observations
, je me plais à reconnaître le mérite qui existe
dans cet ouvrage , et je pense qu'il doit faire augurer favorablement
de ceux que M. Rutxhiel exécutera par
la suite .
M. ROLAND .
Nº 1140. Tronchet (François - Denis ) , statue en marbre.
M. DE SENNE .
N° 1052. Statue en marbre de feu S. Ex . le ministre
des Cultes Portalis .
Ces deux statues ont assez de rapport entr'elles , pour
les comprendre dans un même examen . D'abord elles
sont exécutées par des hommes qui possèdent la pratique
de l'art ; la dimension des figures , leur attitude , leur
expression sont à-peu-près semblables ; on ne remarque
dans aucune des deux ce grand style dont la sculpture ne
peut se passer même dans un portrait; les auteurs n'ont su
nil'un ni l'autre ennoblir ce que le costume avait de trop
commun; tous les deux ont chargé les cuisses de leurs
figures d'une quantité de plis maigrement modelés , et
donné aux jambes un caractère pauvre et peu coulant ; tous
les deux ont représenté la chaussure avec cette exactitude
minutieuse qui n'est pas de rigueur dans les arts , quand
on ne peut l'obtenir qu'aux dépens de l'élégance . Examinons
maintenant ce qui est particulier à chacune de ces
statues . Dans celle de M. De Senne , le bras , placé devant
la poitrine et élevé presque à la hauteur de la tête , en cache
une partie sous certain point de vue , ce qui est contraire
aux règles ; le manteau n'est pas ajusté sur le bras gauche
d'une manière assez large , et la jambe en avant est beaucoup
plus faible que l'autre . Dans la statue de M. Roland ,
lesplis de la manche gauche n'ont point un mouvement
naturel vers le haut du bras ; ceux qui dessinent la poitrine
sont de mauvais goût ; on ne sent pas bien le corps à tra
28 MERCURE DE FRANCE ,
vers l'habit ; et ces basques brodées , dont les cuissés sont
en partie couvertes , présentent deux grandes surfaces
plates et sans détails , qui déplaisent à la vue . Du reste , ces
figures représentent assez fidèlement une nature ordinaire ;
mais on doit exiger quelque chose de plus dans un monument
élevé en l'honneur d'un grand personnage , après
sa mort .
M. MOUTONY.
Nº 1130. Statue du général Lacour.
M. BRIDAN .
N° 1019. Statue du général Vallongne .
Voilà encore deux ouvrages que l'on peut mettre en parallèle
sous le rapport de la faiblesse du style. Néanmoins
je mets le second fort au-dessus du premier. La tête du
généralVallongne est d'un caractère mesquin , et l'ensemble
enestdéfectueux; les genoux sont détaillés avec sécheresse ,
et l'on ne sent pas qu'il sont recouverts d'un vêtement .
Ces défauts existent aussi dans la statue du général Lacour ,
mais plus forts et plus choquans; et par malheur cé ne
sont pas les seuls. Il est impossible de ne pas s'apercevoirde
la forme bizarre du bas-ventre , de la roideur des
jambes , et de la différence de caractère des deux mains :
la droite est assez en rapport avec la forme jeune et peu
détaillée de la tête ; la gauche , au contraire , semble appartenir
àun individu plus âgé , et les articulations , les veines
etlesmuscles sont exprimés plus fortement ;il faut convenir
que c'est pousser un peu trop loin le goût pour la
variété.
Jedésire m'être trompé dans ces observations ; si elles
sont justes, MM. Bridan et Moutony peuvent encore rectifier
leurs ouvrages , et les rendre plus dignes de la place
qui leur est destinée .
M. CHINARD .
Nº 1033. Legénéral Cervoni .
L'ensemble de cette statue , qui doit être exécutée dans
une proportion double pour la décoration du pont de la
Concorde, est beaucoup plus satisfaisant que celui des deux
précédentes ; mais il serait difficile d'analyser les détails ,
car l'auteur paraît ne pas s'en être occupé lui-même : on
ne voit partout qu'une masse exprimée avec une extrême
négligence , et qui par conséquent ne peut avoir ni les qua
1 1
JANVIER 1813 . 29
lités ni les défauts que l'on pourrait trouver dans un ouvrage
étudié.
M. TAUNAY.
N° 1144. Statue en pieddugénéral La Salle.
J'ai dit au commencement de cet article combien il est
difficile de tirer parti de notre costume en sculpture ;
M. Taunay nous prouve que cette difficulté n'est pas insurmontable
: le manteau , la veste de hussard , le pantalon ,
les bottes même , sont arrangés avec un art infini ; tout cela
paraît élégant et de bon goût , et cependant l'on dirait qu'il
n'a fait que copier la nature telle qu'elle se présentait àlui.
Ce mérite n'est pas le seul que fon remarque dans cette
statue : la figure est posée avec noblesse et sans affectation;
elle a une tournure martiale parfaitement conforme au caractère
et à l'expression de la tête ; la forme est en général
svelte et élégante ; et si l'auteur n'a pas étudié les mains et
les cuisses avec tout le soin dont il était capable , il est probable
qu'il a craint de se refroidir sur son modèle , et qu'il
a l'intention d'ajouter les dernières finesses à son ouvrage
quand il l'exécutera en marbre . Pour ne rien omettre, je lui
ferai remarquer que la jambe droite , vue de profil , paraît
légèrement arquée , ce qui vient sans doute de la manière
dont la botte est ajustée. Je croirais trop peu louer cette
figure en disant qu'elle est de beaucoup supérieure à celles
dont je viens de parlertout-à-l'heure, et je ne crains point
d'ajouter que je n'en ai pas encore vu une seule du même
genre qui méritât de lui être comparée .
No 1145. Buste en marbre de M. Ducis .
Il était impossible de trouver une tête plus belle et de la
représenter avec plus de talent. Le marbre s'est animé sous
le ciseau de l'artiste : il vit , il respire , il va se mouvoir , il
va parler. Ces yeux et cette bouche sont remplis de feu ; on
remarque dans tous ces traits un heureux mélange de force
etdedouceur, et l'on reconnaît à-la-fois et l'honnête homme,
et le poëte ; ces rides que l'âge a tracées sur son front et sur
toute sa figure sont exprimées avec tant d'art , que , loin de
déplaire à la vue , elles ajoutent encore à l'intérêt que cette
tête inspire. On doit louer M. Taunay d'avoir rejeté l'usage,
adopté par un grand nombre de sculpteurs modernes , de
creuser la prunelle dans les yeux de leurs portraits ; il a fait
voir qu'on pouvait très-bien rendre l'expression de la physionomie
sans avoir recours à un moyen réprouvé par le
30
1 MERCURE DE FRANCE ,
goût , et qui n'a jamais été employé dans les beaux tems de
la sculpture antique .
Ce buste ajoute encore à l'opinion que la statue du général
La Salle nous donne du mérite de cet artiste , et doit
faire vivement regretter qu'il ait passé une partie de sa jeunesse
sans rien produire .
M. Lemot a exposé aussi une joliefigure defemme couchée
et une Hébé versant le nectar à Jupiter. Mais ces
statues sont d'une petite proportion , et la dernière est exécutée
, dit- on , depuis plus de quinze ans ; il serait injuste
dejuger d'après ces deux ouvrages le sculpteur auquel nous
devons le beau bas- relief qui décore le grand fronton de la
colonnade du Louvre . S. DELPECH .
Erratum . Au Nº dernier , dans cette phrase de l'examen
du portrait de S. M. le roi de Rome : je trouve d'abord
que l'oeil droit n'est pas parfaitement d'ensemble avec l'oeil
gauche, sa direction semblerait indiquer que la tête est dans
une situation moins verticale , lisez : plus verticale .
VARIÉTÉS .
/
REVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES , LES ARTS ; LES MOEURS
ET LES USAGES .
Troisième lettre de l'Observateur provincial à Messieurs
les Rédacteurs du Mercure .
B ..... ce ....
MESSIEURS , il y a ici un homme dont les femmes ne
peuvent se passer , qu'elles comblent de prévenances , pour
qui elles sont visibles à toutes les heures du jour , et souvent
même de la nuit ; un homme qu'elles attendent avec
la plus vive impatience , qu'elles maudissent au moindre
retard , et caressent aussitôt qu'il paraît ; un homme enfin
qu'elles s'arrachent : c'est le mot. Quel est donc ce mortel
heureux ? Est - ce un amant ? Est-ce un petit-maître ? Non :
c'est un coiffeur .
Mais gardez-vous de le mettre au rang de ces hommes
obscurs voués pour jamais à des têtes vulgaires . Sa supé-
1
JANVIER 1813 . 31
riorité est aussi grande que celle dupeintre sur le barbouilleur
d'enseignes , et du poëte sur le faiseur de charades .
C'est un artiste initié dans tous les secrets de l'art sublime
des papillotes , et qui , pour mieux orner les têtes modernes
, a fait de profondes études sur celles de l'antiquité (*) . '
Il a chez lui les bustes des beautés les plus célèbres dans
l'histoire ; celui d'Aspasie pour les profils grecs et de Flora
pour les nez à la romaine ; celui de Roxelane pour les minois
chiffonnés , d'Héloïse pour les physionomies à grande
passion , de la Vallière pour celles qui expriment la tendresse
; enfin celui de Ninon pour les beautés conservées .
Il a bien une Lucrèce , mais on dit qu'il cherche à s'en
défaire . C'est d'après ces bustes complaisans qu'il est parvenu
à découvrir l'accord mystérieux qui existe entre telle
coiffure et tel caractère de physionomie . Il ne se borne pas
aux principes généraux. Aucune des nuances les plus légères
ne lui échappe : tantôt il réveille trop d'indolence
par la manière piquante dont il place une ou deux mèches
assassines ; ou bien , par une feinte négligence , un désordre
savant , il tempère trop de vivacité . En un mot, rien
n'égale la justesse de son coup- d'oeil et la légèreté de ses
doigts.
Voilà , me direz-vous avec l'accent du doute , bien des
talens pour un coiffeur de province . Rassurez-vous . C'est
à Paris qu'il a perfectionné les dons heureux de la nature ;
et chaque année il a soin d'y faire un voyage , afin de renouveler
en lui le feu sacré . Aussi est- il avoué des maîtres
les plus célèbres en ce genre . Grace à cette glorieuse affiliation
, son mérite est aussi incontestable que celui d'un
correspondant d'académie .
Vous concevez , maintenant , quelle doit être son importance
auprès des femmes ; c'est sur-tout un jour de bal
qu'elles l'implorent avec le plus d'instance. Comme il ne
peut , en raison du nombre , toutes les satisfaire , toutes
éprouvent l'horrible crainte d'être privées de son secours ;
il a sur-tout quelques préférences pour la beauté qui font
frémir celles que , sous ce rapport , la nature n'a pas aussi
bien dotées . Il y a peut- être plus d'amour-propre que de
galanterie dans cette prédilection . Il réserve ses plus belles
coiffures pour les plus jolies femmes , comme un auteur
dramatique donne les rôles les plus brillans de sa pièce
aux meilleurs acteurs . Rien n'est plus naturel : un joli visage
(*) On voit que la province a , comme Paris , ses M.... on ...
32 MERCURE DE FRANCE ;
ne gâte jamais rien ; c'est dans tous les tems un excellent
passeport . Heureuses donc celles qui ont cet avantage !
elles sont bien sûres d'être du nombre de ses favorites ;
mais comme ce nombre est petit , les autres restent livrées
à cette sourde inquiétude qui dévore l'ambitieuse médiocrité
.
Aussi tout se ressent dans le ménage de l'attente cruelle
dont la maîtresse de la maison est agitée. Les domestiques
font message sur message et sont grondés tour-à-tour; les
enfans sont misen pénitence , et le mari , comme de raison,
a sa bonnepart de la bourrasque : c'est lui qui est cause de
ce retard; il y met trop d'indifférence , et ne paie pas assez
généreusement un homme aussi précieux ; mais ce dernier
vient-il à paraître , l'orage se calme comme par enchantement;
un gracieux sourire se montre , en signe de paix ,
sur les lèvres de la belle . Le mari pour lui plaire entame
une querelle avec l'artiste encore tout essoufflé de la rapidité
de sa course , mais elle est la première à le justifier ;
elle va même jusqu'à accuser l'époux trop officieux d'injustice
et de dureté. Dans tous les cas la destinée d'un
mari est d'avoir tort .
On ne se borne pas à de douces paroles avec cet homme
intéressant , c'est à qui lui prodiguera
Les petits soins , les attentions fines .
GRESSET.
Comme il lui est impossible de prendre ses repas chez
lui , des restaurans de toute espèce lui sont préparés dans
chaque maison où il va .
.... Sirops exquis , ratafias vantés ,
Confitures sur-tout volent de tous côtés .
BOILEAU .
On peut dire , en un mot , qu'il est choyé comme l'était
autrefois un directeur de nones .
Croirez-vous qu'il est des femmes qui , dans la crainte
de le manquer , se font coiffer dès les cinq heures du matin ,
et se condamnent , pour ne pas déranger le galant édifice ,
à rester tout le jour dans une parfaite immobilité ? d'autres
ne sortent de ses mains que fort avant dans la nuit , et arrivent
au bal au moment où , comme le dit un poëte ,
Lerayon du matin fait pálir les bougies .
COL.
JANVIER 1813 . 33DEPT
DE
LAS
Plusieurs ont imaginé de se réunir , et de se faire coiffe
en masse . L'artiste arrive pour expédier une tête , il e
trouve six. Il ne peut s'en défendre , et le tems qu'on le
dérobe par ce subterfuge est toujours perdu pour une autre
Malheur à celle qui est sacrifiée ! Comme il est impos
sible de se montrer au bal sans être coiffée de sa main ,
elle est condamnée à se coucher tristement , et à entendre
quelquefois de son lit les instrumens joyeux au son desquels
dansent ses heureuses compagnes .
Quel que soit le talent de cet habile homme , il n'a pas
toujours celui de contenter tout le monde . Si l'une de ses
coiffures produit par hasard plus d'effet que les autres ,
que de reproches l'attendent le lendemain ! Pourquoi , lui
dit - on , ne m'avoir pas coiffée comme madame une telle ?
sa coiffure était charmante , mais elle lui allait fort mal ;
elle a le nez trop long pour ce genre-là . Une autre se plaint
amèrement d'avoir rencontré une coiffure pareille à la
sienne , et celle - ci , qui enrage au fond du coeur des succès
de sa rivale , ne peut cacher le dépit qu'elle éprouve de
l'avoir vue aussi bien coiffée . Que fait l'artiste au milieu
de ce flux et reflux de plaintes et de mécontentemens ?
Comme le sage d'Horace , il demeure impassible . Il sait
bien que ces querelles n'ont jamais de suites . Pourrait-on
se brouiller avec le dieu du goût ? On renverrait plutôt dix
amans que de s'exposer à un si grand malheur .
Je n'ai fait qu'esquisser les traits principaux qui caractérisent
cet artiste distingué . Je laisse les détails à ceux qui
écriront sa vie. Mais , d'après tout ce que j'en ai dit , on
peut conclure qu'il est l'homme le plus essentiel de la ville .
Que ne ferait-il pas s'il voulait user de son influence ! Que
de destinées seraient attachées à une boucle de cheveux !
Son fer à papillotes serait vraiment le sceptre au gré duquel
tourneraient toutes les têtes .
Témoin familier de tant de scènes domestiques , il pourrait
, à l'exemple du Diable Boîteux , révéler bien des mystères
; mais on vante sa discrétion . Un soin plus important
et plus légitime l'occupe ; c'est celui d'arrondir sa petite
fortune : elle serait des plus brillantes , s'il avait le secret de
mettre de l'ordre dans les têtes comme il sait en mettre à
la superficie .
J'ai l'honneur de vous saluer .
L'Observateur Provincial.
C
5.
Cen
34 MERCURE DE FRANCE ,
NÉCROLOGIE. - La Classe d'histoire et de littérature
ancienne de l'Institut , a perdu deux de ses membres dans
la même semaine : 1 ° M. Larcher , si connu par ses discussions
avec Voltaire , et , bien plus , par ses traductions
d'Hérodote et de Xénophon . Il est mort à l'âge de quatrevingt
-six ans ; 2° M. de Toulongeon , auteur d'une Histoire
de la Révolution , et d'une traduction des Commentaires
de César. Il n'avait que soixante-trois ans .
Les discours que leur digne confrère , M. Quatremère
de Quincy , a prononcés sur leur tombe , ont été insérés
dans le Moniteur. Nous ne les répéterons point ici . Un
officier qui , nous a-t- on dit , avait autrefois servi sous
les ordres de M. de Toulongeon , lui a fait aussi ses adieux
dans un discours que nous n'avons pu nous procurer .
Enfin , M. Dupont (de Nemours) , son collègue à l'Institut
et son ami , a lu sur sa vie une Notice qui n'a point
encore été publiée , et que nous nous empressons de mettre
sous les yeux de nos lecteurs .
Notice sur M. de Toulongeon .
Je prendrai la té d'ajouter mon tribut personnel à ce que
viennent de si bi primer Monsieur notre vice- président , et le
noble compagno mes de M. de Toulongeon . J'aimais et j'estimais
ce collègue nous avons perdu : j'ai partagé ses plus importantes
fonctions , et me suis vivement intéressé à plusieurs de ses
travaux . Dans l'affliction qu'il nous cause aujourd'hui , je laisserai
quelques mots s'échapper de mon coeur.
François - Emanuel de Toulongeon avait ce que de son tems nous
appelions de la naissance. Ily joignait beaucoup d'esprit , de sensibilité
, de bonté .
Militaire instruit , il fut un colonel très-distingué . Il était maréchal
de camp avant la révolution .
En 1789 , il fut nommé , conjointement avec son ami intime l'estimable
Bureaux-de-Pusy , député de la noblesse de Franche- Comté
aux Etats-Généraux. C'est là que j'ai commencé à les connaître plus
particulièrement l'un et l'autre , et à leur vouer une amitié tendre et
durable . J'étais leur aîné de près de vingt ans , et je leur survis à
tous deux . Est-ce un bonheur ? Je sens du moins que c'est une
peine. Mais la vie est un devoir qu'il faut remplir aussi long- tems
JANVIER 1813 . 35
que la nature et les circonstances nous l'imposent , et en táchant de
se rendre utile autant qu'on le peut.
Toulongeon et Pusy s'y sont constamment appliqués durant la
courte carrière qui leur fut accordée.
Aux Etats- Généraux et dans l'Assemblée nationale , ils étaient ,
j'avais l'honneur d'être avec eux , du petit nombre de gens de bien
qui se réunissaient chez l'illustre et vertueux duc de la Rochefoucault
, et auxquels on donna le nom de modérés , en y ajoutant un
terme d'injure , parce qu'ils avaient de la prudence et de l'humanité ;
parce qu'ils voulaient des améliorations , non des renversemens ;
parce qu'ils combattaient , et , depuis , ils n'ont jamais cessé de combattre
, pour toutes les constitutions telles qu'elles fussent , contre
toutes les révolutions telles qu'elles pussent être .
M. de Toulongeon n'était pas l'aîné de sa famille. Son revenu se
trouva diminué d'un tiers par la suppression des droits féodaux : il
n'enmurmura point. Il se retira sur sa terre en Nivernais ; ce qui
lui restait donnait à peine de l'aisance .
Il épousa une demoiselle qu'il aimait depuis long-tems , et qui
avait du talent pour la peinture . Lui-même dessinait avec facilité et
avec originalité; il savait peindre. L'amour est le premier des consolateurs
; l'agriculture , l'étude des lettres , l'exercice des arts ,
sont les seconds . 1
Quelques Mémoires très-bien faits lui procurèrent d'abord le titre
d'associé , et lui ouvrirent ensuite comme membre les portes de la
seconde classe de l'Institut , alors consacrée aux sciences morales et
politiques , et devenue la nôtre destinée à l'histoire et à la littérature
ancienne.
Il a écrit l'histoire de la Révolution , travail peut-être prématuré ,
mais où dans un style élégant il a montré l'impartialité la plus rare .
Il a traduit les Commentaires de César , et les a enrichis de notes .
Les morceaux qu'il nous en a lus , ont eu le suffrage de la classe .
Il a fait un Mémoire sur les peuples sauvages , les peuples civilisés
et les peuples barbares. Il l'a lu à notre classe , et après à la
première qu'il pouvait concerner par des rapports de calcul. J'oserais
penser que , dans cet ouvrage , il a trop cru la décadence des
nations une conséquence nécessaire de leur prospérité . C'est une
opinion assez générale ; et cependant il est permis de croire que la
science du gouvernement est perfectionnable par l'étude , l'expérience
et le tems , comme les autres sciences ; et pour l'intérêt pro-
C2
1
36 MERCURE DE FRANCE ,
)
gressif des gouvernemens eux-mêmes autant que pour celui des
nations qui leur sont soumises , il est permis de croire qu'elle pourra
rendre plus général et prolonger le bonheur des Etats . Une autre fois
M. de Toulongeon nous a fait remarquer la singularité avec laquelle
Homère , dans son admirable Iliade , a mis les qualités violentes et
féroces du côté des Grecs , les sentimens touchans , les vertus intéressantes
de celui des Troyens .
Il a ouvert d'une manière ingénieuse la discussion qui a produit
l'excellent Mémoire de M. Daunou sur le destin , et l'opinion qu'en
avaient les anciens , un desplus remarquables ouvrages qu'on ait lu
dans notre classe .
M. de Toulongeon faisait en se jouant des vers agréables , et les
adressait souvent à l'épouse qui le rendait heureux. Elle lui a donné
quatre enfans , deux filles et deux garçons. Il a perdu le plus jeune
de ceux-ci , et c'est auprès de cet enfant chéri qu'il a ordonné de
placer son tombeau. L'ainé paraît avoir hérité de grandes dispositions
pour les arts du dessin .
Le suffrage de ses concitoyens et celui du sénat ont porté deux
fois M. de Toulongeon au Corps législatif. Sa mort y excitera ,
comme parmi nous , de bien justes regrets et un doux souvenir .
C'est quelque chose que d'avoir été à-la-fois savant , aimable ,
littérateur , philosophe et poëte ; et dans le cours d'une révolution
très-orageuse , très -variée , d'avoir été , à diverses reprises , occupé
de grandes affaires publiques sans offenser personne , sans laisser
aucun ennemi ; d'avoir ainsi mérité la bienveillance des hommes et
les bénédictions du ciel. La vie passée de notre collègue a été heureuse
: nous ne doutons pas que celle dans laquelle il est entré ne le
soit aussi. DUPONT ( de Nemours . )
Lettre de M. Bourrit à Messieurs les Rédacteurs du
Mercure de France .
Genève , le 30 novembre 1812 .
MESSIEURS , j'ai lu dans le N° DXC de votre excellent Journal
une analyse de l'ouvrage publié par M. Leschevin sur Genève et la
vallée de Chamouni. Dans cette analyse , ainsi que dans l'ouvrage ,
mes descriptions et mes tableaux des Alpes sont représentés comme
peu fidèles . C'est , je pense , l'accusation la plus grave que l'on puisse
faire à un auteur et à un peintre ; mais je demande si M. Leschevin
JANVIER 1813 . 37
en
devait se permettre une telle accusation , lui qui , de son propre
aveu , n'a mis que quatre jours à parcourir les glaciers , c'est-à -dire ,
des régions immenses où la nature est dans un mouvement continuel ,
où la scène est à chaque instant changée , où des filets d'eaux et de
petits réservoirs deviennent tout-à-coup des torrens impétueux et de
vastes bassins , où , après avoir admiré le matin de jolis bosquets et de
vertes collines , vous ne voyez le soir que des arbres abattus , des
sables amoncelés , des glaces , des rochers et d'affreux précipices ?
Il suffit à l'observateur de faire un pas ou d'attendre un instant , pour
que le théâtre ne soit plus le même ; et pour porter un jugement
exact sur la fidélité d'une description ou d'un dessin des Alpes , il
faudrait que le juge se fût trouvé avec l'auteur au moment et sur la
place où celui-ci prenait la plume et le crayon. Pendant cinquantecinq
années j'ai parcouru les lieux que j'ai dépeints , et il est probable
que si les milliers de voyageurs qui s'y sont rendus après moi eussent
trouvé mes descriptions puériles ou exagérées et mes tableaux
infidèles , ils ne les auraient mis ni dans leurs bibliothèques , ni dans
leurs cabinets : on n'eût pas traduit mes ouvrages en hollandais
italien , en allemand , en anglais : on n'en aurait pas fait plusieurs
éditions françaises . M. de Buffon , M. Delille et plusieurs autres
écrivains ne les eussent pas cités avec éloge. L'ancien sénat de
Genève , l'ancien roi de Sardaigne , Louis XVI , et une foule de particuliers
ne m'eussent pas commandé des tableaux , et si M. Lescheviu
désirait quelqu'autre témoignage , je lui citerais le jugement même
de l'illustre de Saussure . Il m'écrivait le 4 février 1774 : « Tout le
>> public vous doit des remercimens pour cette description vive ,
> piquante et vraiment pittoresque de ces objets si intéressans et si
» peu connus . Vous donnez à ceux qui ne les connaissent pas le désir
>> de les contempler , et vous les retracez d'une manière bien vraie
>> et bien agréable à ceux qui les ont vus : c'est du moins le sentiment
» que j'ai éprouvé en vous lisant . Je désire bien vivement que vous
>> vous hâtiez de donner au public les planches qu'il attend de vous ,
>> qui sont nécessaires pour rendre votre ouvrage absolument complet.
>> Je compte bien publier aussi quelque chose sur l'histoire de ces
>> mêmes montagnes : c'est dans ce dessein que je les étudie depuis
>> tant d'années . J'aurai à votre ouvrage l'obligation d'avoir réveillé
>> l'attention du public sur ces grands objets , et de lui avoir fait désirer
>> d'en connaitre les particularités , etc. >>>
Ace témoignage particulier j'ajouterai le témoignage public que
m'a rendu M. de Saussure en plusieurs endroits de ses ouvrages. En
parlant de mon tableau du lac de Chede , il disait : « Ce tableau est
38 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
>> du plus grand effet et répond parfaitement à la beauté du site : >> et
dans son Discours préliminaire , il dit : « Les vues des montagnes
>> que j'ai jointes à leurs descriptions ont été dessinées sur les lieux
>> par M. Bourrit avec une exactitude que l'on pourrait appeler ma-
>> thématique , puisque souvent j'en ai vérifié les proportions avec le
>> graphomètre sans pouvoir y découvrir d'erreur. Il a même sacrifié
>> à cette exactitude une partie de l'effet de ces dessins en exprimant
>> les détails des couches et en prononçant fortement les contours des
>> rochers . J'aurais volontiers fait graver quelques-uns de ses grands
>> tableaux des glaciers , si le burin pouvait rendre la force et la vérité
>> avec laquelle il exprime les glaces , les neiges , et les jeux infini-
>> ment variés de la lumière au travers de ces corps transparens . »
J'espère que M. Leschevin croira au graphomètre de M. de Saussure
, et voudra bien attribuer ces courtes réflexions non pas au
désir de critiquer son ouvrage , mais à la nécessité de me justifier aux
yeux de ses lecteurs .
Si vous avez la complaisance , Messieurs , d'imprimer cette lettre
dans un prochain numéro de votre Mercure , vous obligerez infiniment
celui qui a l'honneur d'être , etc.
BOURRIT .
1
1
POLITIQUE.
Les armées sont toujours en présence en Amérique ; une
troisième expédition se prépare contre le Canada , et les
succès maritimes des Américains continuent d'étonner et
d'affliger l'Angleterre . Dans les communications de l'envoyé
anglais sir Warren et M. de Monroë , ministre américain ,
c'est M. Warren qui parle d'armistice , de conciliation ,
d'échange de prisonniers , et de tout ce qui peut précéder
une négociation ou l'avoir pour résultat. Dans celui de
M. de Monroë il n'est question que des droits des Américains
méconnus , de leur liberté violée , de leur indépendance
attaquée. Le gouvernement ne se refuse pas à un
rapprochement , mais il ne consentira à un armistice
qu'après la reconnaissance formelle des droits qu'il réclame,
et tout annonce que c'est à ce degré de condescendance
que seront réduits les Anglais , qui sententenfin , par la plus
triste expérience et par des privations de toute nature , le
besoin de la paix et du commerce avec les Américains , et
la faute qu'ils ont faite en croyant à leur défaut d'énergie et
à leur impuissance. Dans l'Amérique méridionale , le général
Monteverde , commandant l'armée royale , le général
Miranda , chef des insurgés , en sont venus à une correspondance
dont les termes annoncent un rapprochement
avec des concessions mutuelles . Cette correspondance est
volumineuse ; elle confirme ce qu'on savait déjà de l'état
des provinces de Venezuela , où la guerre civile paraît foucher
à sa fin .
Le parlement britannique s'est ajourné au 2 février : ses
dernières séances n'ont offert aucune particularité remarquable
. Les deux chambres se sont occupées de différens
bills relatifs au service de la légion allemande , aux brasseries
de sucre et d'amidon , à la monnaie d'or. Les orateurs
de l'opposition n'ont pas eu de peine à prouver qu'il existait
dans le commerce une différence sensible dans les prix,
soit que l'on payât en or , soit que l'on payât en billets de
banque : la thèse contraire était soutenue par les ministres .
L'exportation du numéraire a aussi été l'objet des observations
de plusieurs membres ; des états ont été présentés
!
40 MERCURE DE FRANCE ,
relativement à cet écoulement successif qui laisse l'Angleterre
inondée d'un signe représentatif, et dépouillée du
signe de valeur réelle. Le comité des subsides a aussi été
vivement attaqué par M. Whitbread qui , passant en revue
les diverses classes d'individus auxquelles le gouvernement
accorde des secours , n'a pas cru qu'il fût nécessaire d'en
offrir aux Russes victimes de cette guerre , et a dit fort nettement
que charité bien ordonnée commençait par soimême
. Sir Francis Burdett l'a vivement appuyé. Cependant
lord Liverpool a insisté en faveur du bill ; il a peint les
efforts faits par la Russie pour résister à la France , et a regardé
sa résistance comme un service personnel rendu à
I'Angleterre . La Russie a donc brûlé Moscou pour assurer
les intérêts des capitalistes de Londres ; les Russes , qui vont
recevoir des secours de l'Angleterre pour avoir vu leurs habitations
incendiées par l'ordre de leurs chefs , ne se doutaient
peut-être pas qu'ils recevraient au sein du parlement
britannique des remercîmens d'un sacrifice qui , de l'aveu
des ministres , ne sert que l'Angleterre . C'est à l'égard de
ces subsides et de leur quotité que le Moniteur s'exprime
ainsi :
" Il faut au moins être conséquent ; la gazette de Pétersbourg
dit que ce sont les Français qui ont mis le feu à
Moscou et aux mille villages qui se trouvaient sur la route,
et dès- lors elle a raison de taxer les Français de cruauté et
de barbarie ; mais ce n'est pas là le langage que vous tenez
dans cette discussion ; vous dites que ce sont les Russes
eux-mêmes qui ont incendié Moscou et les villages qui sont
sur la route ; quelle plus grande cruauté restait à commettre
aux Français ? On peut évaluer le tort que la Russie s'est
faite à elle-même à trois milliards : que lui donne l'Angleterre
dans sa munificence et sa gratitude ? 200 mille livres
sterlings , cinq millions de France ? "
Les Anglais ont reçu de Cadix et de Lisbonne des nouvelles
qui leur apprennent que lord Wellington s'est retiré
à Ciudad-Rodrigo , et que son armée a pris des cantonnemens
aux environs de cette place , que le général Hill est
redescendu vers le Sud, que l'expédition d'Alicante est
toujours tenue en échec par le duc d'Albufera , et qu'en
Catalogne le général Decaen manoeuvre pour assurer sur
tous les points ses communications et ses approvisionnemens,
et pourfaire parvenir des renforts au duc d'Albufera :
voilà les nouvelles certaines et incontestables qu'ils ont
reçues.
JANVIER 1813 . 41
1
Voici celles qu'ils y ajoutent , nouvelles qu'a dû leur apporter
le Zéphir, venant de Saint-Ander. « Le général
Caffarelli a repris le chemin de la France avec toutes les
forces sous ses ordres . En combinant ce mouvement avec
les événemens qui ont lieu à 2,500 milles , les spéculateurs
politiques y trouveront de quoi occuper leur curiosité . "
Un autre Journal anglais , le Star , fait mieux : il imprime
en gros caractères , ces mots : ÉVACUATION DE L'ESPAGNE
PAR LES TROUPES FRANÇAISES ; puis il ajoute d'un ton
plus modeste : le bruit court que les troupes françaises ont
évacué l'Espagne . A ce bruit , à ces nouvelles de Cadix ou
de Saint-Ander , le Moniteur oppose les notés que l'on va
lire .
« Loin d'évacuer l'Espagne , de nouvelles troupes s'y
rendent ; 20,000 hommes , 6000 chevaux , et 600 chariots
qui existaient dans les 11 et 20º divisions militaires , viennent
de recevoir l'ordre de renforcer les armées de Portugal
, du centre et du midi de l'Espagne . Un convoi de
Io millions vient d'être envoyé pour aligner la solde . Si
vous croyez aux évènemens passés à 2,500 milles de vous ,
tels que les rapportent les gazettes de Pétersbourg , vous
êtes d'étranges dupes . Nos armées ont tendu et rendront
vains tous vos efforts . Votre pays et votre trésor s'épuisent
dans une lutte disproportionnée avec votre population , et
les besoins de vos établissemens d'Amérique et d'Asie .
L'Espagne est à la dynastie française ; aucun effort humain
ne peut l'empêcher. " 1
Poursuivant le cours de ses allégations , le journaliste
anglais , si bien instruit par la malle de Cadix , déclare que
la carrière de Napoléon , en Europe , est presque terminée ,
et qu'elle doit se trouver bornée à la France . Nous devons
nous attendre à chaque instant , dit- il , à appreudre que
l'empereur d'Autriche se sera déclaré contre lui. Lord
Walpole est depuis long-tems arrivé à Vienne . Il était
parti de Pétersbourg le 29 octobre , et son voyage a duré
un mois .
Relativement aux bornes que la politique anglaise met à
celle de l'Empereur , et aux cessions qu'elle lui demande ,
voici ce que répond le Moniteur ::
“ Même la Hollande , même Rome , la Toscane , le Piémont
, même la Belgique , même le comté de Nice , cela
serait beau ! Mais pourquoi tant de modération ? pourquoi
vous arrêter en si beau chemin ? pourquoi ne pas profiter
du moment et partager la France ? Croyez-moi , tant que
42 MERCURE DE FRANCE ,
vous laisserez réunis en un seul corps de nation ces 20
à25millions d'hommes qui sont près de vous , vous courrez
des dangers . Séparez-les : refaites un duc de Bourgogne
, un duc d'Aquitaine , un duc de Normandie , un
duc de Bretagne : alors seulement vous aurez de la sécurité
. Vous souvenez-vous des beaux tems de Charles - le-
Téméraire et de ceux de la maison de Montfort ? Cela serait
encore bien beau , n'est-ce pas ? Mais , pendant que
vous rêvez ces merveilles , l'Irlande se sépare de vous ,
votre pays se révolutionne , le Continent déjà est hors de
la dépendance de votre administration ; même cette Russie
, si chère aujourd'hui , ne veut pas de vos marchandises
manufacturées .
"
Et quant à la mission de lord Walpole , et son voyage
de Pétersbourg àVienne , voici une troisième note qui
doit être lue avec un vif intérêt .
« L'Autriche et la France sont inséparables pour le bonheur
du Continent : c'est l'alliance de 1756 qui a créé la
marine qui a délivré l'Amérique. Votre lord Walpole n'est
plus à Vienne . On ne l'a pas écouté. Aucune puissance dú
Continent ne s'éloignera de la France ; toutes seront
sourdes à vos intrigues. D'ailleurs , 40 millions de Français
ne craignent rien. Malheur à vous si quelque cabinet
faible écoutait vos conseils ! Vous seriez cause encore de
l'accroissement des forces de la France . Quatre cent mille
hommes sont actuellement sur pied dans l'intérieur de la
France , sans compter les armées d'Espagne et la Grande-
Armée. Aucun nouveau secours d'hommes ni d'argent
n'est nécessaire à la France ; mais , s'il le fallait , si les destinées
de l'Empire étaient menacées , sachez que 300,000
hommes et 300 millions sont prêts chaque année . Ni
hommes ni argent ne coûteront à la nation pour maintenir
sa considération et la sûreté générale de l'Empire , de
l'Italie et de la confédération du Rhin . "
Tous les journaux anglais n'ont cependant pas besoin
qu'on les réfute par de telles déclarations . Par exemple , le
Morning- Chronicle oppose les réflexions suivantes aux conjectures
et aux déclarations de ses confrères .
« Il est triste , dit-il , d'entendre nos ministres et leurs
adhérens parler , même en ce moment, de leur espoir
d'influencer la cour de Vienne , et de leur confiance dans
la mission de lord Walpole . Est-il rien de plus puéril
qu'un tel langage ? Ils n'ontpas honte d'émettre l'opinion ,
qu'un jeune homme sortant de l'école doit effectuer uts
JANVIER 1813 . 43
,
changement dans les conseils de l'empereur d'Autriche . Si
nous pouvons même en juger d'après le ton élevé que
prennent les journaux à la solde des ministres , ceux-ci
espéreraient que François irait jusqu'à déshériter son petitfils
et à aider la coalition à dépouiller son gendre de toutes
les conquêtes qu'il a faites . Si ce n'est pas là de la folie
nous ignorons la véritable signification de ce mot. Quelque
agent diplomatique que l'on eût envoyé près de la cour
de Vienne , même en tems opportun , cet agent aurait eu
à remplir une tâche très-difficile; car nous croyons que
jamais la jalousie et la haine n'ont été plus grandes entre
les cours de Vienne et de Pétersbourg , que pendant la
campagne actuelle .
"
,
Ainsi donc , au lieu de toutes ces mesures aussi absurdes
qu'impraticables , nous attendions du caractère le
plus connu de quelques membres les plus habiles de notre
cabinet , une démarche raisonnable et judicieuse auprès de
la cour de Vienne , par un de nos diplomates le plus habile
et du caractère le plus honorable , avec un projet de
paix générale ayant pour base d'assurer l'indépendance
actuelle de toutes les puissances . Mais sans songer à
mettre à exécution ce projet extravagant du rétablissement
des Bourbons ou celui de l'Europe dans l'état où elle
était ily a vingt ans , si on eût offert à l'Empereur d'Autriche
un plan modéré au commencement de cette campagne
, cela aurait pu engager Napoléon , ainsi que son
beau-père , à écouter des conditions . Nous craignons que
notre espoir de son entière déconfiture ne soit pas assez
bien fondé pour l'engager à se soumettre à des conditions
qui n'auraient pas pour base la modération . »
Relativement à l'arrivée de l'Empereur à Paris , le même
journal contient cet aveu précieux : en faisant cesser , ditil
, toutes les incertitudes sur la santé de Napoléon , cette
arrivée inattendue a changé complètement la face des affaires
dans le Nord .
Les nouvelles de Varsovie , en date du 19 , et de Berlin
, en date du 18 , offrent des détails intéressans , qui
viennent bien à l'appui des notes que nous venons de transcrire.
« Le duc de Bassano est parti le 19 de Varsovie , pour
se rendre à Berlin ; il a passé cinq jours à Varsovie ; il a
en plusieurs conférences avec les ministres , chez le prince
Poniatowski , ministre de la guerre . On ne s'est pas seulement
occupé du recrutement de l'armée : déjà les bases en
1
44 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
avaient été fixées , et 30,000 hommes arrivent dans cette
capitale du grand duché : on pouvoit à leur habillement ;
mais on a arrêté d'appeler à la défense du pays toute la
noblesse , ce qui fournira plus de 20,000 hommes de bonne
cavalerie .
" Le comte Lauriston a aussi passé quelques jours à Varsovie
: il vient de partir.
" Le comte de Narbonne , aide-de-camp de S. M. l'Empereur
des Français , a eu l'honneur de dîner avec S. M.
leRoi de Prusse : on assure qu'il lui a remis une lettre
de son souverain; il a eu plusieurs conférences avec le
grand- chancelier , comte de Hardenberg. "
Vendredi dernier S. M. a reçu dans la salle du trône
les hommages de la Cour de cassation , de la Cour des
comptes et de l'Université impériale .
Ne pouvantinsérer les trois discours prononcés , il paraîtra
naturel que cette feuille choisisse particulièrement le
discours de S. Exc . le grand-maître de l'Université pour le
mettre sous les yeux du lecteur.
« Sire , a dit M. le comte de Fontanes , l'Université que
les monarques vos prédécesseurs appelaient leur fille
aînée , doit partager vivement la joie que le retour de
V. M. fait naître dans tous les coeurs . Elle se félicite , en
ce moment , de porter aux pieds du trône les hommages
et les voeux d'une génération entière qu'elle instruit dans
ses écoles à vous servir et à vous aimer .
» Oui , Sire , l'Université fondée par Charlemagne , relevée
par Napoléon , mille ans après son premier fondateur
, ne peut oublier devant ces deux grands noms les
saints engagemens qu'elle a contractés envers le trône et
la patrie. Son origine et son antiquité lui rappellent tous
ses devoirs , dont le premier est de faire des sujets fidèles .
Sage dépositaire des vieux principes , elle parle au nom des
siècles et de l'expérience . Elle fut , elle sera toujours en
garde contre ces nouveautés hardies et ces systèmes désastreux
qui l'entraînèrent , dans la ruine universelle , avec
toutes les institutions monarchiques .
" L'étude des bonnes lettres qu'elle enseigne , est fondée
sur le bon sens , et le bon sens est le premier besoin des
sociétés ; c'est le bon sens qui montre par-tout l'accord de
l'intérêt et du devoir; c'est lui qui révère tout ce qui est
ntile , même avant de l'expliquer ; il s'arrête avec respect
devant le mystère du pouvoir et de l'obéissance ; il l'abandonne
à la religion qui rendit les princes sacrés en les fai
JANVIER 1813 . 45
sant l'image de Dieu même ; c'est lui qui terrasse l'anarchie
et les factions , en proclamant l'hérédité du trône ; c'est lui
qui fit de cette loi un dogme français , et , si je puis parler
ainsi , un article fondamental de la foi de nos pères . La
nature ordonne en vain que les rois se succèdent , le bon
sens veut que la royauté soit immortelle .
,
L'Université conservera toujours ces antiques maximes
qui font la sécurité des familles auxquelles son sort est lié.
Mère commune de tous les enfans que l'Etat lui confie
elle vous exprime leurs sentimens avec les siens . Permettez \
donc , Sire , qu'elle détourne un moment les yeux du trône
que vous remplissez de tant de gloire , vers cet auguste
berceau où repose l'héritier de votre grandeur . Toute la
jeunesse française environne avec nous de ses espérances
et de ses bénédictions cet enfant royal qui doit la gou-
{ verner un jour. Nous le confondons avec Votre Majesté
dans le même respect et dans le même amour. Nous lai
jurons d'avance un dévouement sans bornes comme à
vous -même .
» Sire , ce mouvement qui nous emporte vers lui ne
peut déplaire à votre coeur paternel. Il vous dit que votre
génie ne peut mourir , qu'il se perpétuera dans vos descendans
, et que la reconnaissance nationale doit être éternelle
comme votre nom. »
S. M. a répondu qu'elle agréait les sentimens exprimés
par MM. les présidens de la Cour de cassation , de la
Cour des comptes , et par S. Exc. le grand-maître de
l'Université .
Le dimanche suivant , S. M. a également reçu sur son
trône les hommages de la Cour impériale de la Seine, d'une
députation de Rome et du Corps municipal de Paris , ayant
à sa tête M. de Chabrol , préfet du département de la Seine .
S. M. a daigné témoigner sa satisfaction des sentimens
exprimés dans les discours qui lui ont été adressés .
Le même jour , il y a eu grande parade dans la place
du palais des Tuileries ; elle a duré trois heures . Trentecinq
à quarante mille hommes et de nombreux corps de
cavalerie ont été passés en revue par S. M. et ont défilé devant
elle aux acclamations de vive l'Empereur ! Dans le
même moment , le Moniteur publiait des adresses souscrites
par les officiers et soldats de dix cohortes formées par le
premier ban de la garde nationale , et cantonnées sur les
divers points du territoire de l'Empire : l'objet de ces
adresses est de demander une grâce à S. M. , celle de marr
46 MERCURE DE FRANCE ,
cher à l'armée active , d'aller partager ses dangers , ses fa-
-tigues et sa gloire. Toutes ces adresses parlent d'une inexpérience
dans le métier des armes , que l'aspect de ces
belles cohortes suffit pour démentir ; elles promettent d'y
suppléer par le dévouement et le courage ; il est donc vrai
de dire qu'elles réuniront les deux qualités qui forment le
soldat par excellence , et qui en tout tems ont distingué le
soldatfrançais .
Dimanche , LL. MM. ont assisté à l'Opéra à une belle
représentation de la Jérusalem délivrée. L'assemblée était
nombreuse et brillante . La présence de LL. MM. a excité
Jes transports de la plus vive allégresse . Le surlendemain ,
LL. MM . ont passé de leurs appartemens dans la grandegalerie
du Muséum , et sont venues visiter le salon d'exposition
. On avait voulu prendre des dispositions pour que
LL. MM. y fussent seules avec les personnes de leur suite ;
mais l'Empereur a ordonné que toutes les portes demeurassent
ouvertes , et a parcouru le salon , et les diverses
galeries , sous l'escorte et la garde de la foule des spectateurs
, qui se pressaient autour de sa personne . S ...
ANNONCES .
LE tome IIIe du Dictionnaire des Sciences médicales vient de
paraître . Nous ne saurions trop recommander un ouvrage aussi utile
et fait avec autant de soin . L'impression et le papier pourraient
appartenir à un ouvrage de luxe. Ce volume a 700 pages et contient
sans doute plus de matières que trois volumes in- 8° ordinaires . Nous
citerons l'article Passin , de M. Chaussier ; Blennorrhagie, de M. Cullerier
; Berceau et Callipodie , de M. Gordien ; Bourdonnement , de
M. Itard ; Poisson et Calorique , de MM. Hallé et Nysten ; Biscuit
demer de M. Keraudren ; Baptême , Blessure , de M. Marc ; Bezoard
, de M. Cadet-de-Gassicourt ; Barbe , par M. Pariset ; Benigne,
Brownisme , Cachexie , Cacochymie , par M. Pinel ; Bile, Caducité ,
par M. Renauldin ; Botanique , par M. Virey ; Calcuture , par
M. Fournier ; Bibliographie, par M. Chaumeton; et l'article Cancer,
de MM. Bayle et Cayole. Ses auteurs y ont développé les vues les
plus profondes : ce traité précis est le résultat de longs travaux et
d'une expérience de faits que l'on ne retrouverait nulle part .
2
JANVIER 1813 . 47
:
On voit aussi avec plaisir que les docteurs les plus célèbres , outre
seux que nous avons annoncés , concourent à cette entreprise. M. le
docteur Boyer est annoncé pour le mot Crane ( pathologie ) ;
M. Perey , pour le mot Charpie ; M. Cuvier , pour le mot Caverneux
( corps ) ; M. Gall , pour le mot Cerveau ; M. Legallois , dont
les découvertes ont excité l'intérêt de tous les savans , pour le mot
Coeur; M. Royer - Collard , chargé par le ministre d'un rapport
général sur tous les mémoires qui ont paru au sujet du Croup , traitera
de cette maladie , qui porte la désolation dans les familles .
Chez l'éditeur , M. Panckoucke , rue et hôtel Serpente , nº 16 ;
Lenormant , rue de Seine , nº 8. Les volumes mis au jour sont du
prix de 9 fr. au lieu de 6. Plus on se hâtera de souscrire , moins on
aura de volumes à payer au prix de 9francs . M. Panckoucke imprime
le tome IV , M. Lenormant le tome V. Ces deux volumes sortiront
à la fois . M. Panckoucke ayant acquis la part que son associé avait
dans l'entreprise , toutes les lettres doivent lui être adressées directement.
Messieurs les Souscripteurs sont priés d'envoyer chercher le
tome IIIe .
Dictionnaire Topographique , Etymologique et Historique des rues
deParis ; contenant les noms anciens et nouveaux des rues , etc. etc.
accompagné d'un plan de Paris ( lequel est réduit avec soin sur le
grand plan de Verniquet ) ; par J. de la Tynna , de la Société d'Encouragement
, etc. Un vol, de plus de 500 pages . Chez l'Auteur ,
rue J.-J. Rousseau , nº 20 ; et chez plusieurs libraires .
Cet ouvrage contient de grandes recherches , et se fait distinguer
essentiellement des simples compilations publiées sur le même sujet.
L'exactitude scrupuleuse qu'on y remarque d'abord , rappelle les
soins bien connus avec lesquels l'auteur rédige annuellement l'Almanach
du Commerce.
Nouveaux Elémens de littérature , ou Analyse raisonnée des différens
genres de compositions littéraires , et des meilleurs ouvrages
classiques , anciens et modernes , français et étrangers ; contenant
des extraits ou traductions des auteurs les plus estimés. Traduits en
partie de l'ouvrage allemand d'Eschenburg, par M. Bretom , traducteur
de la Biblioth . géogr. de Campe. A l'usage des jeunes gens .
Six vol . in- 18 . Prix , papier ordinaire , II fr . , pap . fin , 12 fr. Chez
D'Hautel , libraire , rue de la Harpe , nº 80 .
OEuvres de Mme Elie de Beaumont , contenant les Le ttres du marquis
de Roselle. Deux vol. in- 18 . Prix , 3 fr. 50 c. , et 4 fr. franc de
port . Chez le même .
48 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
Manuscrits de la Bibliothèque de Lyon , ou Notices sur leur ancienneté
, leurs auteurs , les objets qu'on y a traités , le caractère de
leur écriture , l'indication de ceux à qui ils appartinrent , etc .; précédées
1º d'une histoire des anciennes bibliothèques de Lyon , et en
particulier de celle de la ville ; 2º d'un Essai historique sur les manuscrits
en général , leurs ornemens , leur cherté , ceux qui sont à
remarquer dans les principales bibliothèques de l'Europe , avec une
bibliographie spéciale des catalogues qui les ont décrits ; par Ant.
Fr. Delandine , Bibliothécaire de Lyon , membre de l'Académie de
cette ville , correspondant de l'Institut . Trois vol . in-8 ° . Prix , 20 fr .
et 25 fr . franc de port. A Paris , chez A. A. Renouard , rue Saint-
André-des-Arts , nº 55 ; et à Lyon , à la Bibliothèque publique , et
chez les principaux libraires .
Abrégé de la Tachygraphie ou de l'Art d'écrire aussi vite qu'on
parle , divisé en deux leçons , dans lesquelles sont renfermées les
démonstrations relatives à la Prosodie et au Dictionnaire tachygraphique
de la langue française faites à l'Athénée de Paris ; par Mlle
Coulon de Thévenot . Seconde édition , augmentée de planches et de
modèles gravés sur cuivre , avec lesquels on peut apprendre de soimême
cette écriture . Prix , 4 fr . , et 4 fr . 50 c . franc de port. Chez
J'Auteur , rue du Faubourg-Saint-Honoré , près celle des Champs-
Elysées , no 30 .
Particularités et observations sur les ministres des finances de France
les plus célèbres , depuis 1660 jusqu'en 1791. Un vol. in-80 . Prix ,
6 fr. , et 7 fr . 25 c. franc de port. Chez Lenormant , impr.-libr. ,
rue de Seine , nº 8 ; Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille ,
nº 23 .
MUSIQUE . Dodici ariette con accompagnamento di piano, composte
dal signor Bassi , primo buffo del teatro di S. M. l'Imperatrice e Regina
, e dedicate dal medismo madama Barilli . Libro I e 2. Prezzo ,
4 fr . 50 c ..... 9 fr. Chez Carli , éditeur , marchand de musique ,
cordes de Naples , et librairie italienne , péristyle du Théâtre-Favart,
côté de la rue Marivaux.
Trois airs de l'opéra d'Enone , dont deux chantés par Mme Branchu
; parole de M. le Bailly , musique de feu Chrétien Kallsbrenner ,
arrangé pour le piano par M. Féderic Kallsbrenner . On vend les airs
rue de Chabanois , nº 9 , où on ouvre la souscription pour la vente de
la partition. Le prix pour les souscripteurs est de 25 fr . , et pour les
autres de 40 fr .
2
TABLE
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
N° DXCIX . -
Samedi 9 Janvier 1813 .
POÉSIE .
LA MAISON DES CHAMPS.
IMITATION DE MARTIAL .
Rure vero barbaroque lætatur..۰۰۰۰۰
AMI , je veux que ma maison des champs
Soit simple , agreste , et même un peu sauvage.
Les longs berceaux de myrtes odorans ,
Du buis tondu l'inutile feuillage ,
Du plane oiseux le parasite ombrage ,
N'y couvrent point de stériles arpens .
Tout doit ici tribut an labourage ;
Par-tout jaunit la fertile moisson ;
Et les coteaux , en l'arrière-saison ,
Sont tapissés des doux fruits de la treille.
Que j'aime alors à voir le vigneron ,
Chargé du poids de sa riche corbeille ,
Tout dégouttant de la liqueur vermeille ,
Sans se lasser , du matin jusqu'au soir ,
Aller,venir , de la vigne au pressoir !
1
D
50 MERCURE DE FRANCE ,
Cependant fier de sa naissante armure ,
En mugissant et prenant ses ébats ,
L'amant d'Io , dans la vallée obscure ,
Déjà s'essaie à de plus grands combats .
Près du logis , est une république ,
Où mille oiseaux de toutes les couleurs ,
Et différens de langage et de moeurs ,
Semblent former une famille unique :
L'oison criard , le canard aquatique ,
Le lourd dindon , et le coq vigoureux ,
Dans son sérail , sultan impérieux ,
Qui fièrement prodigue à vingt maitresses ,
Ou plutôt semble accorder ses caresses .
Sur la pintade on voit briller l'argent ;
L'orgueilleux paon se pavane et se joue ,
En déployant l'arc- en-ciel de sa roue ;
La pourpre et l'or décorent le faisan .
Tandis qu'ici les colombes fidèles ,
Du battement de leurs tremblantes ailes ,
Font retentir le sommet de leurs tours ,
Les doux ramiers , les tendres tourterelles
Au fond des bois , roucoulent leurs amours ;
L'avide porc poursuit la ménagère ,
Et l'agneau bêle en attendant sa mère.
,
L'hiver vient-il ? on allume des feux .
Un bois bien sec , qui s'enflamme et pétille ,
Réchauffe au loin la joyeuse famille .
Sans recourir à d'insipides jeux ,
Qu'ont inventés les désoeuvrés des villes ,
L'homme des champs rend ses loisirs utiles:
Armé de pieux , de toiles , de filets ,
Il fait la guerre aux hôtes des forêts ,
Offre aux oiseaux une amorce perfide ,
Prend à la ligne un poisson tropavide ,
Ou force un lièvre à travers les guérets.
A
Les travaux même , oui , les travaux champêtres
Sont la plupart autant d'amusemens ;
Chacun s'empresse , enfans , valets et maîtres ,
D'y consacrer ses plus heureux momens ;
JANVIER 1813 . 5г
L'écolier libre et loin de ses pédans ,
Au villageois obéit sans inurmure ;
Et du jardin la facile culture
Occupe aussi nos citadins brillans .
Ainsi l'on trouve au sein de la nature ,
Malgré le luxe et ses raffinemens
Des vrais plaisirs la source la plus pure.
१
Souvent encor d'honnêtes paysans
Viennent nous rendre un libre et franc hommage.
S'ils ne sont pas doués d'un beau langage ,
Toujours leurs mains sont pleines de présens .
L'un nous apporte un excellent fromage ,
L'autre un chevreau , la couple de poulets ,
Ou le chapon , oisif célibataire ,
Qui s'engraissa , réduit à ne rien faire ;
L'autre , du lait , du miel et des oeufs frais ;
Des bons fermiers les filles déjà grandes
Viennent aussi présenter leurs offrandes.
Après l'ouvrage on invite un voisin ,
Ades repas où la parcimonie
Ne garde point le plat du lendemain :
Les valets , sûrs de leur part du festin ,
Aux conviés ne portent point envie.
Mais ces jardins , où voisin des faubourgs ,
Et trop épris d'une gloire futile ,
Vous transportez le faste de la ville ;
Ce labyrinthe et ses nombreux détours ,
Ces boulingrins , ces vastes avenues
Ces belvéders élancés dans les nues ;
Qu'y voyez -vous ? des promenades nues ,
De grands bosquets habités par la faim.
Le vin , le fruit , les légumes , le pain ,
Tout , à grands frais , de fort loin s'y voiture :
Priape oisif n'y craint point le larcin. ✓
Non , vos palais de riche architecture ,
Vos beaux treillis , dégarnis de verdure ,
N'ont rien d'égal à ma maison des champs :
Votre jardin élégant et stérile ,
2
D2
:
BIBL. UNIV,
52 MERCURE DE FRANCE ,
A force d'art et de vains ornemens ,
N'est qu'un hôtel éloigné de la ville.
DE KÉRIVALANT .
ODE A M. LEMAIRE , SUR LA MORT DE SON FILS.
MUSE aux tendres accords , soutiens ma voix craintive ,
D'un rival de Rollindéplore le malheur ,
Etcalme , aux sons touchans de la flûte plaintive ,
L'amertume de sa douleur.
C'enestdonc fait ! le ciel prive de la lumière
Cet enfant malheureux , comblé de tant d'amour !
Unsommeil éternel pèse sur sa paupière ,
Que la mort ferme sans retour !
Hélas ! ce nourrissondes poëtes antiques
Suivant , avee honneur , ces guides immortels ,
Avait vu les lauriers de ses veilles classiques
Mêlés aux lauriers paternels .
Mais cet arbre si beau , jeune espoir de Pomone ,
Elevé sous ses yeux ,à l'abri des autans ,
De la foudre frappé , tombe avant que l'automne
Féconde les fleurs du printems .
Père jadis heureux , de cet arrêt funeste
Subissez la rigueur , sans vous plaindre du sort :
Rien ne peut éviter , sous la voûte céleste ,
La nécessité de la mort.
Ah ! si comme autrefois , un fils de Mnemosyno
Al'enfer étonné pouvait dicter des lois ,
Les fils harmonieux de la lyre latine
Frémiraient encor sous vos doigts .
Prêts à pleurer d'un fils la jeunesse ravie ,
Vous verriez s'attendrir Rhadamante et Minos
EtClotho , renouant la trame de sa vie ,
Tromper le ciseau d'Atropos .
Mais ces douces erreurs et ces rians mensonges
Qui régnèrent long-tems , sous le char du soleil ,
Auxyeux désenchantés ont lui comme les songes
Que je regrette à mon réveil.
JANVIER 1813 . 33
Le Dieu de vérité ,sous sa forme mortelle
De son nom aux humains a montré la grandeur ,
Et l'ame de ce fils , que votre bouche appelle ,
Se reposedans sa splendeur.
Loin de nous les regrets dont sa gloire s'outrage !
Dépouillons à l'envi nos vêtemens de deuil ,
Et portons , en chantant , quelques fleurs de son âge ,
Sur la pierre de son cercueil.
LALANNES .
LE VOEU DU LOUP.
FABLE .
1
Un vieux loup , tel qu'on n'en voit guère ,
Dévot presqu'autant que glouton ,
Dans certain piége un jour se trouva pris , dit-on ,
Comme il allait sans bruit marmottant sa prière .
Il fit un voeu : la chose est si facile à faire !
S'il échappe au danger , s'il revoit sa maison ,
Il renonce à la chair , il vivra de poisson.
Dieu peut-être écouta le voeu du bon apôtre ;
Il échappe ... Voyons comment il le tiendra.
Notre saint voit un porc , à quelques pas de là,
Qui dans un amas d'eau tranquillement se vautre,
«C'est un poisson , dit-il , et poisson que Dieu fit. »
Il accourt , le happe et s'enfuit
En achevant sa patenôtre.
Alever un scrupule ondit
Qu'un dévot s'entend mieux qu'un autre.
: M. LEFILLEUL.
ÉNIGME.
Je suis une brune piquante ,
De taille svelte , et d'humeur attachante;
Je suis polie , et j'unis quelquefois ,
Par les liens les plus étroits ,
Des objetsdont la différence
N'annonçait pas une telle alliance.
-54 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813.
J'assemble , par exemple , et le noir et le blanc ,
L'iris , le gris-de-lin , la rose , le safran ;
En quelque lieu qu'on me promène ,
Ce n'est qu'avec la corde au cou que l'on me mène .
Apeine j'ai , lecteur , rempli ma fonction ,
Qu'on me renferme au fond de ma prison .
T
:
LOGOGRIPHE
S ........
Le coeur sera toujours le foyer de la vie ,
Par lui tout se réchauffe et tout se vivifie ;
En conservant le mien, sous les plus durs climats
Je puis , malgré l'hiver , adoucir les frimas ;
Lecteur , pour lui , je te demande grâce :
Si je le perds , je suis de glace .
1
V. B. (d'Agen. )
CHARADE .
SANSmonpremier , lecteur , le pauvre genre humain
Avec des tas de blé serait privé de pain .
Mon second au rebours est le nom d'un grand fleuve ;
Dans l'ordre naturel , de fille , femme ou veuve ,
Il occupe souvent et les doigts et la main ;
Il fut aussi le nom d'un pontife romain.
Par ses propos mielleux à la brune , à la blonde
Mon entier réussit à plaire dans le monde .
V. B. ( d'Agen. )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Sabot .
Celui du Logogriphe est Cloche , dans lequel on trouve : loche ,
loch et coche .
Celui de la Charade est Cure- dent . :
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
LES BERGÈRES DE MADIAN , ou la Jeunesse de Moïse ;
poëme en prose , en six chants ;; par Mme DE GENLIS .
Un vol . in- 12 . Prix , 3 fr . 50 c. , ou un vol.in- 18 ,
prix , 2 fr. 50 c . -A Paris , à la librairie française et
étrangère de Galignani , rue Vivienne , nº 17 .
VOICI , dieu merci , une grande question littéraire de
décidée. Un ouvrage en prose peut-il être un poëme ?
Est- il permis d'écrire un poëme autrement qu'en vers ?
Voilà ce qu'on se demandait depuis long-tems . Les partisans
de la prose citaient en vain un passage assez décisif
d'Aristote , et deux phrases un peu équivoques de
Denys d'Halicarnasse. Les amis des vers ne se rendaient
point , l'exemple même du Télémaque ne les ébranlait
pas : ils refusaient à cet ouvrage une exception que Voltaire
et Laharpe n'avaient pas voulu faire . M.de Châteaubriand
, lui-même , s'était ouvertement déclaré pour les
vers dans la préface d'Atala , lorsqu'il n'avait aucun intérêt
personnel dans la querelle , et il avait laissé la
question indécise dans la préface des Martyrs , lorsqu'il
y était fortement intéressé. Mme de Genlis est plus hardie
; sans rien examiner , sans rien prouver , elle intitule
tout simplement ses Bergères de Madian , poëme en
prose ; et le doute se trouve résolu par le fait . Ce qui
existe est possible , dit la philosophie scolastique ; et
qui peut en effet douter de la possibilité d'un poëme en
prose , lorsque Mme de Genlis nous en présente un tou
fait?
t
A parler sérieusement , pourquoi ne voudrions-nous
pas tolérer les poëmes en prose ? Pourquoi ne pas les
permettre aux auteurs qui ne savent pas écrire en vers ?
C'est rejeter un moyen de varier nos plaisirs , comme
le disaient si bien les apologistes du drame. Vous nous
direz que c'est rendre la carrière trop facile ; vous nous
56 MERCURE DE FRANCE ,
citerez encore ce malicieux Voltaire qui , en fait de
poëme , n'aimait même pas la prose d'Ossian , etqui nous
amontré un Florentin improvisant une épopée ossianique
en prose , avec une rapidité capable de déconcerter
tous les Bardes ressuscités par Macpherson . Je
vous demanderai d'abord s'il y aurait un si grand mal à
rendre faciles les moyens de nous amuser , et je vous
dirai , en second lieu , que la carrière del'épopée en prose
n'est pas si facile ; qu'elle demande , à la versification
près , tout ce qu'on exige d'une épopée en vers : une
action grande et intéressante , variée par des épisodes
qui s'y rattachent naturellement ; des caractères divers
et fortement dessinés ; une peinture de moeurs brillante
et fidèle ; des tableaux de la nature pleins d'énergie et
de vérité ; un style toujours noble et correct , et qui soit
empreinttour-à-tour des différentes couleurs que le sujet
demande. Je vous dirai plus : on dit en termes de coulisse
, qu'il faut à l'Odéon des pièces plus corsées qu'au
théatre Français , parce qu'à l'Odéon on ne compte ni
sur l'harmonie des vers ni sur le charme du style. Eh
bien! comme , dans un poëme en prose , on ne peut pas
compter sur le style et sur l'harmonie , autant que dans
une épopée en vers , il faut aussi que la fable soit plus
corsée , c'est à dire plus compliquée , plus remplie d'évènemens
, plus romanesque ; d'où il suit qu'elle est plus
difficile à imaginer .
Ces principes bons oumauvais , sont du moins ceux
d'après lesquels j'ai cru devoir examiner les Bergères de
Madian , ou la Jeunesse de Moïse, et j'avoue même qu'ils
me prévenaient favorablement pour un ouvrage dont
l'auteur a fait tant de romans. Je me croyais à peu- près
sûr de trouver , sinon un poëme dans toute la rigueur
du mot , du moins une nouvelle fort intéressante ; j'ai lu ;
et puisqu'il faut le dire , j'ai été cruellement détrompé.
Mais qu'on ne me croie pas sur parole , je devais juger
la Jeunesse de Moïse; c'est au lecteur à me juger à mon
tour.
L'exorde du poëme m'a d'abord un peu surpris :
<<Filles brillantes de l'erreur ( s'écrie Mme de Genlis ) ,
muses séduisantes et trompeuses , ce n'est plus vous que
JANVIER 1813 . 57
!
jepuis invoquer ! Je ne veux plus m'égarer sur les bords
du Permesse et de Castalie.... » Diantre ! me suis-je
écrié à mon tour , ( pardonnez , lecteurs , cette exclamation
un peu populaire ) Mme de Genlis ne veut plus
invoquer les muses profanes ; elle les a donc invoquées
autrefois . Elle a donc fait plus d'un poëme un peu païen ;
et je n'en ai pas connaissance ! Et sans perdre de tems
je vais consulter un catalogue des oeuvres de Mme de
Genlis publié en 1808. J'y trouve 48 volumes in- 12 ,
2.vol. in-8° , un vol. in- 18 , de théâtre , de romans ,
d'ouvrages d'éducation , de morale , de piété , mais pas
un pauvre petit poëme. Si elle en a mis au jour depuis ,
je prie son libraire de me l'apprendre ; mais en attendant
, je penserai que Mme de Genlis s'est permis une
fiction assez forte , tout en renonçant à la fiction .
Cependant , Horace l'a dit ; en fait d'invention tout
est permis au peintre et au poëte , et quoiqu'il ne parle
pas expressément des poëtes en prose, je ne veux pas
chicaner plus long-tems Mme de Genlis . Venons à la
fable de son épopée; elle est fort simple, comme on va
le voir. Au premier chant on voit Moïse en fuite après
avoir tué un Egyptien . Il s'endort , et Dieu lui envoie
un songe prophétique , à l'imitation de celui qui est envoyé
à Henri IV par S. Louis. Après avoir dormi , il se
réveille , ce qui est fort naturel , et il arrive fort naturellement
encore au pays des Madianites où il allait.
Au chant second, Moïse s'assied auprès d'un puits . Sept
jeunes filles viennent y tirer de l'eau. Le farouche
Ithamar , à la tête d'une troupe de pâtres , veut les enlever.
Moïse , comme tous les héros de poëme et de
roman, met les ravisseurs en fuite , et comme dans tous
les romans et dans tous les poëmes , le père des sept
jeunes filles accueille leur libérateur. Les chants troisième
et quatrième n'ont pas coûté davantage à l'imagination
de l'auteur. Moïse , quoique bègue , comme
chacun sait , y parle seul d'un bout à l'autre sans que
ses auditeurs soient fatigués. Il raconte dans le troisième
tout ce que l'Ecriture nous apprend de sa naissance
et de la manière dont il fut sauvé des eaux. Il fait
des emprunts à l'historien Josephe pour nous parler de
58 MERCURE DE FRANCE ,
son éducation , et Mme de Genlis lui prête seulement
les détails de son retour chez ses parens , et la noble
résolution de partager leur esclavage . L'Ecriture fait
pour le quatrième chant les frais d'un sacrifice dans le
désert ; elle fournit l'histoire de l'Egyptien tué par Moïse ,
et de sa fuite causée par l'indigne reproche qu'il reçut
à ce sujet d'un Hébreu . Mme de Genlis n'y a ajouté que
la conversion de la fille de Pharaon opérée par Moïse ,
plus promptement et à bien meilleur marché que celle
de Félix par Polyeucte , tant il est vrai que tout renchérit
dans ce monde.... jusqu'aux conversions !
,
L'action recommence à marcher avec le cinquième
chant. Moïse devient amoureux de Séphora , l'aînée des
sept vierges qu'il a sauvées . Séphora devient en même
tems amoureuse de lui . En même tems aussi Jéthro
père de Séphora , conçoit le projet de les unir , et le
poëme finirait sans ce farouche Ithamar qui avait aussi
des vues sur elle . Il soulève tout Madian contre Moïse .
Il vient en force pour l'enlever et le déchirer ; mais pendant
qu'il parlemente avec Jéthro , Moïse , tout en gardant
les troupeaux , tue un lion , grand ennemi des
Madianites , et il rentre chez Jethro en triomphe , à la
barbe de son rival .
C'est avec le secours du R. P. Dom Calmet que
Mme de Genlis ouvre le sixième et dernier chant par la
fête de la Gerbe sacrée. Elle envoie ensuite en Egypte
demander aux parens de Moïse leur consentement à son
mariage avec Sephora. Le consentement arrive , mais
Ithamar n'est pas mort. Il conspire de nouveau contre
Moïse , et cette fois il prend pour complice le prophète
Balaam ; ici c'est encore la Bible qui contribue. Mime de
Genlis la quitte cependant bientôt pour mener Ithamar
etBalaamen guet- à-pens surprendre et assommer Moïse ;
mais la Sainte-Ecriture tire le prophète de ce nouveau
danger; il se retourne , son visage rayonnant met ses
ennemis en fuite , et il épouse Séphora.
On pensera sans doute avec moi que la faculté d'invention
n'a pas été prodigieusement fatiguée chez Mme
de Genlis pour la composition de cet ouvrage ; mais on
pourra dire aussi que l'invention des faits n'est pas une
JANVIER 1813 . 59
chose très-essentielle ; que le bon La Fontaine n'en a
point inventé , et que l'imagination peut se déployer dans
les détails d'une manière tout aussi brillante . Voyons
doncsi , sous ce point de vue , l'examen de la Jeunesse
de Moïse sera plus favorable à Mme de Genlis . On voit
des combats dans tous les poëmes , et j'en trouve deux
dans le sien. Le premier est soutenu par Moïse contre
Ithamar et son détachement. Les pâtres ont fait une
espèce de farandole autour des filles de Jéthro . Ithamar
a saisi Séphora , mais tout-à-coup Moïse , qui était à cent
pas , le saisit lui-mêmeet le terrasse . On le laisse faire ;
on le laisse mettre ses derrières en sûreté en s'adossant
au mur du puits , et c'est alors seulement qu'un pâtre
s'approche armé d'une massue . Que fait Moïse qui n'a
qu'une baguette pour se défendre? Il enlève d'une main
le téméraire , le suspend sur le puits , lui fait un long
discours qu'écoutent paisiblement ses camarades ; puis
imitant le quos ego de Virgile , il laisse tomber le pauvre
pâtre sur le gazon. Vous pensez peut- être que le farouche
Ithamar et ses compagnons vont le venger ? Rien
moins que cela : la frayeur les saisit , et ils prennent la
fuite . Ithamar seul s'arrête à cinquante pas ; il met un
caillou dans sa fronde , et le lance contre Moïse . Le
caillou devient en l'air une flèche homicide et va frapper
Moïse au pied ; mais aussitôt Moïse le ramasse , et quoique
la flèche soit redevenue caillou , il le lance à Ithamar
et lui casse l'épaule. Ithamar tombe , les bergers l'emportent
, et voilà le combat fini. Je le crois tout-à- fait
neuf et très-différent de ceux que l'on a pu voir dans
l'Iliade et dans l'Enéide ; mais je suis fâché qu'il soit aussi
invraisemblable que nouveau. Quant au second exploit
de Moïse , je m'y arrêterai moins long-tems ; c'est le
combat avec le lion , que j'ai annoncé d'avance . Ce qu'il
a de plus remarquable , c'est que , pendant que l'animal
fond sur Moïse , Moïse lui lance successivement et avec
une extrême promptitude deux cailloux aigus qui lui crèvent
les deux yeux. C'était un rude frondeur que ce
Moïse! Il est malheureux que son récit ressemble un peu
à celui du baron de Munichhausen , le plus grand craqueur
de l'Allemagne , qui , avec deux grains de plomb
60 MERCURE DE FRANCE ,
dans sa carabine , creva aussi les deux yeux d'un pauvre
lièvre qui avait l'insolence de le regarder .
On veut aussi des amours dans un poëme , et il yen
a dans les Bergères de Madian. On a déjà vu , il est vrai ,
qu'elles sont assez brièvement traitées , puisque les amans
et les parens y sont d'acord au premier mot : mais ce
premier mot est dit par Moïse avec une finesse, une galanterie
, dont nous ne voulons pas priver nos lecteurs .
Dans le grand combat contre Ithamar , l'agneau chéri
de Séphora avait été blessé legèrement , et ensuite sauvé
par Moïse . Dès le lendemain matin , Séphora, toute amoureuseet
toute rêveuse , tenait cet agneau sur ses genoux ;
elle pensait au départ de Moïse , qu'elle croyait prochain ,
attendu que la veille il n'avaitrienrépondu à l'offre obligeante
que Jethro lui avait faite de rester chez lui pour
garder ses troupeaux. « Pauvre petit agneau , disait-elle ,
toi qui m'es si cher, après son départ je t'offrirai en
'sacrifice dans le temple... » Je ne sais si l'agneau était
très-sensible à cette marque d'amitié ; mais , un moment
après , Moïse arriva. Séphora rougit , puis posant son
agneau à terre : « Il est guéri , dit-elle ; mais je ne le
joindrai point aux troupeaux; je le garderai près de
'moi tant que vous resterez avec nous ... Ainsi , répondit
Moïse , il ne vous quittera donc jamais . >> Dorat n'aurait
pas pu mieux dire , mais peut- être pensera-t-on que les
patriarches s'exprimaient un peu différemment.
En général , malgré les secours de la Bible et de Dom
Calmet , Mme de Genlis n'a pas été assez fidèle aux
moeurs et au costume. Je ne veux pour preuve que cette
description du désert , qu'elle met dans la bouche de
Moïse : « Qu'ils sont beaux ces asyles silencieux de la
paix et de l'indépendance ! Que j'aimais à m'enfoncer
dans ces vastes forêts livrées à la nature , à parcourir
ces plaines , cès vallons où l'industrie humaine , plus
inconstante encore qu'ingénieuse , n'a jamais rien changé ,
rien détruit ! Avec quel ravissement j'arrêtais mes regards
sur ces paysages admirables où l'on retrouve encore
le dessin primitif, tracé par la main divine du créateur!
Avec quel attendrissement je découvrais toutes les
richesses , tous les trésors du désert rassemblés là , sans
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JANVIER 1813 . 6г
doute , par la bonté suprême , pour l'homme persécuté ,
forcé de fuir ses semblables , ces oliviers , ces dattiers
chargés de fruits , ces sources abondantes , ces cavernes
profondes qui semblent faites pour servir de refuge au
fugitif poursuivi ! ... >> Mettons à part les vastes forêts ,
les arbres fruitiers , et sur-tout les sources abondantes ,
qui sont assez extraordinaires dans les déserts sablonneux
de l'Egypte ; il nous restera encore la nature , prise dans
un sens inconnu aux écrivains sacrés , des paysages , un
dessin primitif , et les richesses du désert qui me semblent
appartenir beaucoup plus au Meschassébé qu'à la
Bible..
Après ce qu'on vient de lire , il ne vaut peut-être pas
la peine de remarquer le pathos tragique que Mme de
Genlis débite en son nom et en sa qualité de poëte en.
prose , comme lorsqu'elle nous dit de Pharaon (p.45)
que la terreur lui inspira une pensée de destruction vaste
comme l'enfer , impitoyable comme la mort ! mais je ne
puis lui faire grâce du pathos un peu niais de la page.
précédente : « par une providence admirable , dit-elle ,
les tyrans qui veulent tout asservir sont forcés néanmoins
de craindre une trop grande multitude d'esclaves. >> Je
n'aurais pas cru que la providence eût quelque chose à
démêler dans cette vérité si simple que Racine a exprimée
dans un seul vers :
Craint de tout l'univers , il vous faudra tout craindre .
J'aime presque autant l'admiration des bonnes gens qui
remercient Dieu d'avoir fait couler les grandes rivières
auprès des grandes villes , de peur que les habitans ne
manquassent d'eau .
Les caractères sont une partie non moins essentielle
que les moeurs dans les romans et dans les poëmes ;
mais on se flatterait vainement d'être dédommagé de ce
côté-là dans l'ouvrage de Mme de Genlis . Ceux qu'elle
met en action sont presque tous fort communs. Séphora
n'est qu'une ingénue ; Ithamar un tyran de mélodrame ,
bien garnement et bien maladroit. Thermutis , fille de
Pharaon , est une fort bonne personne , et sur-tout
très-accommodante en matière de conversion. Jéthro
62 MERCURE DE FRANCE ,
ressemble à tous les pères du monde. Pour Moïse , c'est
un jeune héros plein de courage et de bonté ; j'avoue
même que je n'y ai point reconnu le Moïse de la Bible ,
beaucoup plus remarquable par sa fermeté que par sa
douceur. Mme de Genlis prétend , il est vrai , que l'Ecriture
dit qu'il était le plus doux de tous les hommes . Je
suis fàché qu'elle n'ait pas cité le passage : elle court
risque de trouver autant d'incrédules que lorsqu'elle
vanta la douceur du cardinal de Richelieu dans son
Siége de la Rochelle , en prenant à témoin d'une manière
aussi vague les Mémoires du tems .
Mais , diront les nombreux admirateurs de cette femme
si long-tems célèbre malgré tous les défauts que vous
reprochez à son poëme , vous ne pourrez du moins lui
refuser le mérite du style , mérite qui se fait remarquer
dans toutes ses productions . - Hélas ! je ne demanderais
pas mieux , si Mme de Genlis n'eût encore pris
soin de fermer cette porte bannale à la louange ; mais
quel éloge donner au style d'un ouvrage où l'on trouve ,
dès la page 3 , les flots tumultueux d'une onde ; à la
page 6 , un gouffreformé par un amas de rochers , tandis
que des rochers ne peuvent que combler un gouffre ?
Qui m'expliquera le sens de cette phrase de la page 5 :
« Il (Moïse ) traversa les riantes plaines d'Elim , bordées
de trois rangs de palmiers , qui forment autour de leur
enceinte une triple couronne , et dont les douze sources
d'une onde pure entretiennent l'éternelle fraîcheur ?>>
Trouvera-t- on plus clair ce passage de la page 6 : « Toutà-
coup le vent s'élève avec furie , il cause dans le désert
un bouleversement si terrible qu'il semble là que tout le
produise ? » Ce dernier le se rapporte-t-il au bouleversement
, au désert ou au vent ? Par quelle licence fait- on
dire à Moïse ( page 11 ) lorsqu'il craint de périr dans le
désert , qu'il sera privé de sépulture et que sa cendre
mêlée aux sables , sera dispersée par les vents ? Les morts
ne sont cendre que lorsqu'on leur a rendu les honneurs
de la sépulture en les brûlant sur un bûcher. Que de
fautes dans ce petit nombre de petites pages ! Les partisans
de l'auteur ne demanderont sûrement pas que nous
poussions l'examen plus loin , et nous nous en dispen
JANVIER 1813 . 63
serons d'autant plus volontiers que nous avons des reproches
bien autrement graves à lui faire .
Dans ces reproches , je ne comprendrai point labonhomie
avec laquelle Mme de Genlis se fait honneur de la
génealogie du bâton de Moïse , visiblement imitée de
celle qu'Homère nous donne du sceptre d'Agamemnon ;
ce n'est point mauvaise foi , c'est ignorance ; et c'est
au moins par inadvertance qu'elle nous montre son héros
taillant une houlette en forme de crosse , tandis qu'au
contraire la crosse a été imitée de la houlette , comme
chacun sait. Ce ne sont là que des bagatelles ; mais il
n'en est point ainsi de tout ce qui peut toucher au
texte de l'Ecriture , et c'est malheureusement ce que s'est
permis l'auteur des Bergères , malgré la vénération qu'elle
professe pour le texte saint. Elle nous dit formellement
dans ses notes ( pag . 154 ) , que par respect pour les
miracles , on ne doit point se permettre de donner comme
de vrais prodiges de vaines fictions , et de les confondre
ainsi avec les actes les plus éclatans de la puissance suprême
; et cependant sans parler de la verge miraculeuse,
qui se trouve entre les mains de Moïse , d'une manière
fort ambiguë , et dont le seul aspect met en fuite les
compagnons d'Ithamar , on peut bien regarder aussi la
conversion subite de Thermutis comme un miracle , et
Mme de Genlis en prête un bien conditionné à la puissance
suprême , lorsqu'elle nous dit que pendant la fuite
de Moïse , la providence multiplia , sur les routes qu'il
prenait auhasard , les fontaines jaillissantes et les dattiers
chargés defruits . Mais tout ceci n'est encore rien , et
c'est dans le sixième chant que Mme de Genlis a touché
à l'arche sacrée avec le plus de témérité . Nous avons vu
qu'elle y donne Balaam pour complice au farouche Ithamar
. Balaam , j'en conviens , fut un faux prophète ;
mais je pense qu'il ne faut pas même calomnier le
diable , et je ne sais pourquoi elle a calomnié Balaam ,
qui s'entretenait si souvent avec Dieu . Je le lui passerais
encore , si , pour calomnier Balaam , elle n'avait mis la
parole de Dieu dans la bouche du Diable . En vérité ,
pour le croire il faut le voir. Qu'on ouvre donc le volume
àla pag. 139 : on y verra Balaaın dans le temple de Phé
1
64 MERCURE DE FRANCE ,
gor , évoquant les esprits infernaux. Il est exaucé, dit
Mme de Genlis , et elle décrit son effroi , sa stupeur , bien
différens de l'extase d'un véritable prophète ; il parle enfin
, inspiré par ces esprits impurs , et c'est pour réciter
un passage inscrit par l'Esprit Saint au chapitre 34 du
Deuteronome !
Je ne ferai point remarquer l'anachronisme que commet
ici notre auteur et qu'elle appelle transposition , en
rapprochant Balaam de Moïse pendant le séjour de
celui-ci chez Jethro. Tout le monde s'en sera aperçu ,
et bien qu'il soit assez coupable , il est surpassé par un
autre sur lequel nous avons glissé légèrement. Ce ne fut
qu'après avoir reçu du Seigneur les tables de la loi que
Moïse eut le visage rayonnant d'un éclat si vif qu'il était
obligé de se voiler en parlant au peuple. Mme de Genlis
a transposé ce miracle , comme nous l'avons vu , puisque
c'est même avant le mariage de Moïse avec Séphora que
sa figure devient lumineuse . J'avoue que le moyen était
commode pour mettre en fuite Balaam et Ithamar ;
j'avoue qu'il était sous la main de l'auteur et qu'il amène
ledénouement d'une manière très-inattendue; mais avant
de profiter de ces avantages , Mme de Genlis aurait dû
calculer aussi les inconvéniens. Cette transposition ou
cette anticipation ne tend à rien moins qu'à dénaturer
toute l'histoire de Moïse. Qu'on la lise dans l'Ecriture ,
en supposant le visage de ce législateur rayonnantdepuis
sa sortie de chez Jéthro , et on la trouvera pleine d'invraisemblances
. Nous n'en citerons qu'une seule. Comment
Moïse demanderait-il à Dieu de pouvoir faire des
miracles devant Pharaon , si sa seule présence offrait un
miracle ? Et voilà le risque que l'on court à faire des
poëmes en prose sur des sujets sacrés . Si un auteur aussi
versé que Mime de Genlis dans l'étude des saints volumes
est tombée dans une aussi grave erreur , on peut juger
de ce qui arriverait à des écrivains profanes . Quant à
moi , j'ose conseiller à tous les poëtes tant en prose qu'en
vers , de revenir plutôt aux muses d'Homère et de Théocrite
, de Virgile et d'Ovide , que Mme de Genlis qualifie ,
j'en conviens , de dangereuses sirènes , mais qui n'en--
traîneront dans aucune falsification des saintes écritures ,
JANVIER 1813 . 65
et ne feront tomber dans aucune hérésie l'auteur qui les
invoquera.
Jaurais encore bien des observations à faire , m
fautfinir ,
de mon opinion sur cet ouvrage . L'auteur trouvera ima
critique sévère , ce n'est pas ma faute. Tout crifique devient
difficile pour les productions d'un écrivain dont la
célébrité repose sur cinquante volumes à tout le moins
et lorsqu'on a écrit cinquante volumes il n'est pas aisé
de produire encore des ouvrages qui puissent satisfaire
un critique exigeant. Je me console , au reste , en pensant
que le moment de chagrin que j'aurai causé à
Mme de Genlis se perdra bientôt dans le souvenir toujours
présent de sa longue et brillante gloire .
et je crois mes lecteurs suffisamment ristruifs
SEIN
C. V.
OEUVRES DE PONCE DENIS ( ECOUCHARD ) LE BRUN,
membre de l'Institut de France et de la Légion -d'Honneur
, mises en ordre et publiées par P. L. GINGUENÉ ,
membre de l'Institut ; et précédées d'une Notice sur sa
vie et ses ouvrages , rédigée par l'Editeur . -Quatre
vol . in-8° , imprimés par Crapelet. -A Paris , chez
Gabriel Warée , libraire , quai Voltaire , nº 21 .
( FIN DU QUATRIÈME ET DERNIER ARTICLE . )
C'EST un malheur pour un poëte que de former trop
jeune le projet d'un ouvrage difficile et de longue haleine
, de n'en tracer dans son imagination qu'un plan
vague , d'en exécuter quelques morceaux brillans dans
des momens d'inspiration , d'annoncer publiquement
son dessein , et de paraître fonder sur cette ébauche imparfaite
une bonne partie de sa gloire. C'est ce qui est
arrivé à Le Brun pour son poëme de la Nature , commencé
, annoncé , cité depuis tant d'années , et dont il
n'a laissé que des fragmens . 1
Son plan était d'abord assez borné . Persuadé par sentiment
que l'homme ne peut être vraiment sage et vraiment
libre qu'à la campagne , que c'est là seulement que
le Génie peut prendre tout son essor et l'Amour avoir
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66 MERCURE DE FRANCE ,
tout son charme , il conçut d'après cette idée un poëme
naturellement divisé en quatre chants , qu'il intitulait : le
Bonheur philosophique et champêtre. L'admiration et
l'attachement qu'il sentit pour M. de Buffon , et l'étude
de ses ouvrages , lui firent étendre ses vues plus loin ; il
se proposa de faire entrer dans le cadre qu'il s'était fait
la description des plus riches objets de la nature. Dèslors
il se trouva jeté dans une carrière presque sans
limites , dont il fut lui-même effrayé. Sa position changea
; forcé de renoncer à des sentimens qui lui faisaient
aimer la retraite , et d'interrompre tous ses travaux , il ne
put revenir de long-tems à celui- ci, quoiqu'il l'affectionnât
toujours. Il y revint par intervalles , mais sans les
illusions qui lui en avaient inspiré la première idée . Il
cessaenfin de s'en occuper, mais sans avouer à personne
et sans s'avouer à lui-même qu'il ne le finirait jamais .
Les fragmens qu'on en a pu recueillir et publier ne
sont pas tous également beaux ; mais il y en a un grand
nombre d'après lesquels on peut dire qu'un poëme philosophique
et descriptif écrit ainsi eût été pour notre
poésie une grande richesse de plus .
L'exposition du premier chant est longue et un peu
vague; la beauté des vers n'empêche pas d'apercevoir
que l'auteur ne s'étaitpas , dès le commencement, fait une
idée assez nette de son sujet . L'invocation , qui est double ,
contient une seconde exposition plus précise et qui annonce
clairement l'objet et la division du poëme .
Et vous , de la nature immortelles compagnes ,
Vous , déités des bois , vous , nymphes des campagnes ,
Laissez -moi parcourir vos bosquets ombragés.
Que l'art contagieux n'a jamais outragés ;
Ouvrez - moi ces berceaux de Pomone et de Flore ,
Où sourit la nature , où l'ame semble éclore .
Déesses , prêtez-moi l'ombre de vos rameaux ;
Je chante un bonheur pur né du sein des hameaux ,
Et toi qui , des grandeurs dédaignant l'imposture ,
Ne connais que l'amour , la gloire et la nature ,
Muse , qui sur ma tête as versé tes rayons ,
Sous les yeux de Palès dirige mes crayons .
JANVIER 1813 . 67
Des moissons du bonheur viens séparer l'ivraie ;
Peins-nous dans les hameaux la sagesse plus vraie ;
La liberté plus fière ; et d'un vol plus heureux
Le génie et l'amour y déployant leurs feux .
Ces deux derniers vers pourraient être meilleurs , mais
ils offrent avec le précédent la division du poëme en
quatre chants , dont le premier a pour titre , la Sagesse ,
le second la Liberté , le troisième le Génie , et le quatrième
l'Amour.
Quelques morceaux des trois premiers chants ont été
imprimés dans plusieurs recueils et sont connus depuis
long-tems ; en voici un qui l'est moins , et l'un de ceux
qui méritent le plus d'être cités . L'auteur explique par
un enchaînement de comparaisons graduelles comment
la vue des grandeurs qui éblouit le vulgaire n'a rien qui
étonne l'oeil du sage .
Tel á des yeux divers le spectacle varie ;
Tel aux yeux du pasteur couché dans la prairie ,
Le chêne qui déploie un front démesuré
Semble être un citoyen de l'empire azuré;
Mais au regard perçant de l'aigle vigilante ,
Qui pénètre des airs la voûte étincelante ,
L'orgueil du chêne rentre au niveau des sillons
Et se mêle aux tapis de nos humbles vallons ;
Mais la fierté de l'aigle errante sur la nue
Des regards du soleil est à peine connue ,
Et ce même soleil n'est au regard des dieux
Qu'une étincelle , un point dans l'abime des cieux .
Les comparaisons , ces riches ornemens de toute composition
poétique , sont une épreuve pour l'imagination
des poëtes ; rien n'y prouve plus de sécheresse et de
pauvreté que l'absence ou la rareté des comparaisons .
L'épopée ne leur permet que peu d'étendue , mais dans
le genre philosophique ou didactique , rien ne presse
de reprendre le fil des descriptions et des préceptes ,
et la comparaison peut s'étendre au gré du poëte , sans
crainte de trop distraire ou de fatiguer le lecteur . Les
fragmens de ce premier chant sont terminés par deux
comparaisons , les plus longues peut-être qui existent
E2
68 MERCURE DE FRANCE ,
en aucune langue. Le poëte a mis en opposition la mort
de son Sage champêtre et celle d'un tyran . Il compare
le premier à un chêne antique qui couvrait de son ombrage
les danses du hameau ; lorsqu'il tombe , ses branches
sont encore utiles ; il semble revivre par ses bienfaits.
Le tronc qui reste à peine est encore immortel ;
Jadis cher à Palès , il en devient l'autel ;
Et le voyageur même , instruit de sa disgrace ,
Du lieu qu'il ombrageait révère encor l'espace .
Le tyran au contraire disparaît comme un navire au
milieu de la tempête. Il entraînait avec lui vers les sources
de l'or d'avides mortels à qui sa voile triomphante promit
les trésors du Potose ; mais quand son jour fatal est
venu , quand les vents et les flots ont juré sa perte ,
Ni les voeux , ni les cris de ces pâles victimes ,
Ni les trésors de l'Inde en son sein renfermés ,
Ni les foudres des rois dont ses flancs sont armés ,
Rien n'a pu l'arracher au gouffre qui l'embrasse ,
Et l'onde inexorable en absorbe la trace .
Apeine un vil débris rejeté par les mers
Redira son naufrage à de lointains déserts.
La première comparaison est de vingt vers , tous les
détails en sont doux et agréables ; mais il y en a quelques-
uns de superflus , et six ou huit vers de moins
n'ôteraient rien au morceau entier de son mérite ; la seconde
en a vingt-trois , mais tout y est plein , fort et nécessaire
; on n'en voudrait rien retrancher .
:
Trois fragmens du second chant ont été souvent réimprimés
et cités ; l'un sur Dieu , l'autre sur les rois , où se
trouve l'énergique imprécation contre Charles IX , et le
troisième dans lequel le poëte offre les douceurs et la paix
de la vie champêtre pour consolation aux ministres disgraciés
. Ce dernier qui a plus de soixante vers est un des
plus beaux morceaux que Le Brun ait écrits. Entre une
foule de traits admirables pour la pensée et pour le style ,
ony distingue ce vers qui fait à lui seul un tableau :
La Fortune , en fuyant , vous cède à la Sagesse.
JANVIER 1813 . 69
Perse n'a point de vers dont on puisse dire avec plus de
vérité qu'il enferme moins de mots que de sens ; et ce sens
est rendu par une grande et noble image .
Si je n'avais pas déjà tant cité , je transcrirais ici tout
entière la belle fiction allégorique qui ouvre le troisième
chant . La nature avait tracé dans un livre d'or
ses plus secrets mystères ; mais les mortels séduits par
les prestiges de l'art daignaient à peine ouvrir ce livre
sacré . La nature indignée le déchira , en dispersa les
feuillets sur les monts , dans les bois , dans les flancs des
rochers , dans les gouffres profonds, dans les cieux . Ce
n'est qu'au génie ardent , audacieux à les y chercher ,
A rassembler encor , loin des cercles vulgaires ,
De ce livre égaré les divins caractères ,
A ravir , s'il se peut , à ces nobles débris
Leurs augustes secrets dont il est seul épris .
Ce chant , presqu'entièrement terminé , est consacré
aux succès du génie dans l'étude de la nature . Il est
rempli de beaux vers techniques et descriptifs , tels que
ceux-ci :
O voix , fille de l'air , dis-nous quelle est ta route ?
Dis comment , du larynx vers la glotte élancé ,
Al'aide du palais ma langue a prononcé
Le son qui sur ma lèvre impatient d'éclore ,
Diverge ses rayons , forme un cône sonore ,
Air lui -même , remplit tout l'air de mes accens ,
Franchit la pesanteur , roule au-dessus des vents ,
De globule en globule , ô rapide merveille !
Attache ma pensée aux fibres de l'oreille .
En voici d'autres où le poëte , que nous avons vu précédemment
tracer une espèce d'échelle des êtres , dans
une proportion toujours croissante , suit une gradation
toute contraire , et descend des corps les plus grands
jusqu'aux infiniment petits .
La plus vaste baleine est pour l'immensité
Dans une goutte amère un atôme jeté ;
Et du vaste océan la goutte qui s'écoule ,
Autre océan , nourrit d'autres monstres en foule .
i
70 MERCURE DE FRANCE,
,
Entre deux infinis l'homme en naissant placé
Se voit de tous les deux également pressé .
A l'aide d'un cristal , autrefois sable aride
Sur des peuples nouveaux s'il jette un oeil avide ,
Pour confondre ses yeux qu'effraya l'éléphant ,
Le ciron l'attendait aux confins du néant .
Du néant à l'atôme il voit l'espace immense ;
Où l'univers n'est plus , l'univers recommence , etc. 2
Le quatrième chant était le moins avancé ; on n'en a
retrouvé que trois fragmens , qui ne sont presque que
des ébauches . Le Brun voulait y prouver que c'est dans
une retraite champêtre que l'amour a tout son charme
et tout son pouvoir. On sait ce qui lui fit abandonner
cette partie de son sujet ; elle en devait être la principale
lorsqu'il l'avait conçu d'abord ; et il lui fallait ,
pour reprendre et pour terminer cette partie , une situation
d'esprit et de coeur où il ne se retrouva plus .
En général , les fragmens de ce poëme sont remplis
d'imperfections , mais ils le sont aussi de beautés . Le
premier plan de l'ouvrage était moins défectueux qu'on
ne l'a prétendu . Le malheur fut que l'auteur voulut ensuite
trop l'agrandir , qu'il l'annonça trop publiquement ,
et que n'ayant pu terminer son travail , on lui tient
moins de compte des beaux morceaux qu'il en a laissés
qu'on n'est tenté de lui reprocher d'avoir trompé une si
longue attente .
On lui a reproché , pour ainsi dire , d'avoir surpassé
celle où l'on était de son talent et de sa fécondité dans
l'épigramme. C'est encore un point sur lequel on s'est
montré souverainement injuste. On s'est récrié sur ce
nombre de plus de 600 épigrammes , comme si elles
étaient toutes satiriques. On a presque étendu à l'éditeur
les conséquences qu'on en a tirées contre le poëte. L'un
a cité des épigrammes qui ne sont pas dans le recueil ;
l'autre a'prétendu qu'un nom qui ne s'y trouve pas une
seule fois est un de ceux qui y reviennent le plus souvent
; enfin , on a fait voir en parlant de ces épigrammes
plus de malinvouloir qu'il n'en a fallu pour les faire . N'ayant
pour but que de prévenir le public contre l'auteur et contre
la collection de ses oeuvres , on s'est bien gardé de
JANVIER 1813 .
フェ
dire ce qui est très- vrai et très-simple , ce qui est ainsi annoncé
dans l'Avertissement de l'éditeur : « Le Brun donnait
, à l'exemple des anciens , ce titre d'épigrammes à
de petits poëmes de tous les tons , de tous les styles et
sur toute sorte de sujets , depuis le dixain jusqu'au distique
. Il y en a de galans , d'érotiques , de philosophiques
, de moraux , et , il en faut convenir , une grande
quantité de satiriques . » Peut-être en effet cette quantité ,
quoique considérablement réduite par l'éditeur , est-elle
encore trop grande . Son apologie là-dessus serait facile ;
mais il se croit dispensé de la faire. Il aime mieux
donner par quelques citations une idée juste de ces six
livres , compris sous le titre commun d'épigrammes , et
prouver ainsi au public qu'on l'a trompé sur cette partie
comme sur tout le reste .
Parmi les dizains philosophiques , je choisirai celui-ci
sur la mort .
Les yeux voilés du bandeau de l'erreur ,
Tu crains la mort ! La mort est nécessaire
Comme la vie ; et ce n'est qu'au vulgaire
A redouter la parque et sa fureur.
L'être immortel épuiserait le monde ;
Il faut mourir ; mais la tombe est féconde.
Calomnié par ta lâche terreur ,
Ce que tu crois la mort de la nature
Donne la vie à la race future ;
Tes préjugés en font toute l'horreur.
En voici un dont la morale est plus douce , et dont le
style est d'une grande perfection.
Qu'en son faux zèle une prude est amère !
Damner le monde est un plaisir d'élus ;
Mais le Sauveur à la femme adultère
Dit sans courroux : allez , ne péchez plus !
Telle est du ciel la sublime indulgence ;
Il plaint l'erreur , il pardonne à l'offense ;
Il n'arme point ou le fer ou le feu .
La pécheresse eut sa grace accordée ;
Mais qu'on suppose à la place de Dieu
Prude ou docteur , elle était lapidée.
72 MERCURE DE FRANCE ,
Entre celles de ces épigrammes où le sentiment parle
dans le style le plus noble et le plus doux , la première
du troisième livre est sans doute une des plus belles .
Il faut se rappeler pour la bien entendre que l'auteur
dut ses malheurs à un amour trompé , à un jugement
inique et à la perte de sa fortune.
Long-tems jouet de trois divinités
Dont le bandeau fait le malheur du monde (1) ,
Comme un vaisseau toujours battu de l'onde ,
Mon sort flottait dans les adversités .
Seule , au milieu de ce funeste orage ,
Ma lyre encor luttait avec courage ;
Elle accusait le ciel trop rigoureux ;
Le ciel fut sourd , mais Vaudreuil sut m'entendre ;
Il accourut : son ame fière et tendre
Connut la mienne , et je devins heureux.
1
S'il n'y eut jamais de Grand plus généreux , plus délicat
dans ses bienfaits , que l'homme aimable par qui ces
vers furent inspirés , jamais aussi reconnaissance poétique
ne s'exprima plus dignement. La poésie , les figures
hardies jusqu'à l'audace sont dans les premiers vers où
l'auteur peint noblement son infortune ; dans les deux
derniers , le style est rapide comme le bienfait , simple
et vrai comme la reconnaissance .
J'oserais demander quelles sont dans notre langue les
deux petites pièces de dix vers où il y ait plus de délicatesse
de sentiment et de style , que dans les deux suivantes.
S'il est deux coeurs bien unis par l'amour ,
Peine et plaisir , tout leur est jouissance ;
Ils ne sont point séparés par l'absence ;
Deux coeurs amans n'ont qu'un même séjour.
Le souvenir , ce doux lien des ames ,
Nourrit sans cesse et ranime leurs flammes ;
Le souvenir les unit plus souvent
Que lorsqu'amour librement les rassemble ;
Car l'un des deux est- il seul unmoment ,
Dès ce moment tous les deux sont ensemble .
(1) L'Amour , la Fortune et Thémis . 1
JANVIER 1813. 73
Amour , hier , voyant couler mes pleurs ,
Me caressait de son aile timide :
<<Q<ue fait , Misis , ta jeune Adélaïde ,
Qui te comblait de si douces faveurs ?
Je m'en souviens , et j'étais auprès d'elle ;
La nymphe , un soir , jura par mon carquois
Qu'elle t'aimait plus que ses yeux cent fois ,
Qu'elle mourrait avant d'être infidèle . >>>
Ah ! dis-je , Amour , va donc la secourir ;
Adélaïde est bien près de mourir.
J'oserais encore faire deux ou trois autres questions :
1 ° . Quand on est chargé d'annoncer un recueil de pièces
de vers , où il s'en trouve un grand nombre qui ont cette
espèce de mérite et sont écrites de ce style , est-on coupable
ou non envers le public de n'en citer aucune , de
n'en parler en aucune sorte , de les lui laisser totalement
ignorer ?
2°. Lorsque des pièces de ce genre se trouvent fréquemment
dans un tel recueil , lorsqu'on pourrait facilement
remplir des colonnes et des pages entières nonseulement
de dixains , mais de sixains , de quatrains , de
distiques , où il n'y a pas moins de délicatesse et de grâce ,
quel sentiment les critiques qui n'en ont pas même avoué
l'existence peuvent- ils être accusés d'avoir mis à la place
de la justice , qui est leur premier devoir ?
3°. Quel est parmi les journalistes qui ont rendu
compte des OEuvres de Le Brun celui qui a cité ou même
indiqué une seule des épigrammes de ce genre qui font
une partie si considérable et si intéressante de ce recueil ?
Al'égard de celles du genre satirique , la justice exige
encore qu'on les divise en deux classes , celles qui contiennent
une critique générale , et celles qui en offrent
une particulière ou personnelle . On peut citer , parmi
celles de la première de ces deux classes , celle-ci sur la
manie des jardins anglais .
1
Dans ce jardin d'où tu veux chasser l'art ,
C'est la nature , ami , que tu veux faire .
Las de Lenôtre , enfin ton goût préfère
Cegenre anglais qui ressemble au hasard.
74 MERCURE DE FRANCE ,
Là , tu bâtis une ruine antique ;
Là , d'un vieux puits sort la naïade étique
Qui vient mourir de soif dans ton enclos ;
Rocs et déserts y sont en miniature ;
Et tu fais tant que l'oeil , dans ce chaos ,
Ne trouve plus ni l'art ni la nature .
En voici une autre en forme d'apologue , dont le sens
est aussi juste que l'expression en est vive et poétique .
A son manoir las de borner sa vue ,
Certain hibou supplia l'aigle un jour
De lui montrer l'olympique séjour .
L'aigle , en jouant , le porta sur la nue ,
Jusqu'au soleil : Ami , le vois-tu bien ?
Je vois , je vois force brouillard , et rien ,
Dit le hibou . L'aigle moqueur et leste
Vous rejeta mon aveugle ici - bas .
Pour admirer un spectacle céleste
Il faut des yeux ; les hiboux n'en ont pas .
D'autres épigrammes de cette espèce tombent sur des
compagnies ou des assemblées entières , sur le Lycée ,
sur l'Académie , sur d'autres Sociétés littéraires , qu'en
général Le Brun n'aimait pas ; on peut dire qu'en attaquant
des corps entiers , et en y frappant tout le monde,
elles ne blessent personne , à moins que l'auteur n'y
lance un trait particulier contre quelqu'un , comme dans
la suivante , que je citerai à cause de son originalité ,
sans craindre de manquer de respect ni à l'ancienne
Académie française , contre qui elle fut faite , ni encore
moins à la nouvelle .
Si tu prétends avoir un jour ta niche
Dans ce beau temple où sont quarante élus ,
Et d'un portrait guindé vers la corniche (2)
Charmer les sots quand tu ne seras plus ,
Jà n'est besoin de chef-d'oeuvre bien ample ,
Mais de flatter le sacristain du temple ;
Puis ce monsieur t'ouvrira le guichet ;
(2) Il y avait au Louvre , à l'ancienne Académie française , une
salle où étaient les portraits de tous lesAcadémiciens.
JANVIER 1813 . 75
Puis de lauriers tu feras grande chère ;
Puis immortel seras , comme Porchère (3) ,
Boyer , Cotin , et Laharpe , et Danchet.
Quant aux épigrammes directes et personnelles , il est
certain que Le Brun en a trop fait , qu'il est revenú trop
souvent , non-seulement contre des hommes du mérite
de Laharpe et de Marmontel , mais contre Fréron , contre
d'Arnaud , Dorat , Domergue , Desorgues , etc. Encore
a-t- on beaucoup retranché de celles qu'il avait laissées .
Quelques-unes ont été citées dans les journaux ; mais ce
ne sont pas les plus jolies . On n'a point cité , par exemple
, celle-ci , qui est plus que jolie , et que Le Brun fit
après une séance du Lycée , où Laharpe avait parlé peu
respectueusement de Corneille .
Ce petit homme à son petit compas
Veut sans pudeur asservir le génie ;
Au bas du Pinde il trotte à petits pas ,
Et croit franchir les sommets d'Aonie .
Au grand Corneille il a fait avanie ;
Mais , à vrai dire , on riait aux éclats
De voir ce nain mesurer un Atlas ,
Et redoublant ses efforts de pygmée ,
Burlesquement roidir ses petits bras ,
Pour étouffer si haute renommée .
On n'a guère cité que des quatrains et des distiques ,
comme si les six livres n'étaient remplis que de ces petites
plaisanteries ; j'ai cité préférablement des dixains ,
parce que le dixain est l'épigramme française par excellence;
parce que dans notre langue les dixains sont
nombreux et les bons dixains sont rares ; parce que
depuis Marot et J. B. Rousseau aucun de nos poëtes
n'en a fait autant ni de meilleurs que Le Brun. Les
petites épigrammes semblent servir de transition de l'un
à l'autre , et mettent dans le tout ensemble une charmante
diversité . Aussi , malgré le retour trop fréquent de quelques
noms , on est frappé , en parcourant ces six livres ,
de la variété qui y règne , tant dans les sujets que dans
(3) Membres de l'ancienne Académie .
76 MERCURE DE FRANCE ,
1
les formes . On voit que presque à toute occasion la
pensée ou le sentiment de Le Brun se tournait naturellement
en vers , et que la plupart de ses épigrammes
ont été les fruits du moment. Elles représentent en quelque
sorte la scène mobile du monde , et lui mêlé parmi
les acteurs et les actrices , touché du bien , choqué du
mal , s'amusant des ridicules , lançant et recevant des
traits ; c'est ce qui donne à son récueil un caractère tout
particulier. Si un homme d'esprit affecte devant lui de
louer ses épigrammes aux dépens de ses odes , il le
regarde , et laisse échapper ce quatrain :
Dans l'épigramme au moins j'ai su te plaire ;
Là , je suis bon , tu le dis , je le croi ;
Je n'ai pourtant jamais parlé de toi :
O mon ami ! la meilleure est à faire .
4
Il trouve une tourterelle chez une femme un peu légère ,
qu'il appelait son joli rien ; il adresse à l'oiseau cette question
naïve :
De la fidélité doux et touchant modèle ,
Que fais-tu chez une infidèle ?
Gaston , qui n'avait point encore traduit l'Enéide , et qui
était peu connu , lui fait je ne sais quelle tracasserie
dans un Lycée. Le Brun se le fait nommer , et ce nom
ne lui apprenant rien , il dit avec simplicité , mais avec
une fierté qui paraît excusable :
De cet homme que j'ignore
En vain me suis-je informé ;
Depuis qu'on me l'a nommé
Je le connais moins encore.
:
Il commençait à perdre la vue ; il veut prier une jolie
femme de l'aider à se conduire et fait sur-le-champ ce
quatrain :
Las ! j'y vois peu ; l'amour qui n'y voit guère
Veut me guider ; en ce péril commun
Secourez -nous , bel ange de lumière :
Vous conduirez deux aveugles pour un .
Il était devenu tout-à-fait aveugle ; l'habile oculiste For-
Lenze lui fait l'opération de la cataracte; l'opération à
JANVIER 1813 .
77
peine finie , Le Brun dicte ces quatre vers , qui ont un
sens relatif à la position dans laquelle il était alors :
Un art divin me rend les yeux :
L'amour et l'amitié devant moi vont paraître ;
Grace à Forlenze , j'y vois mieux ;
Demain j'y verrai trop peut-être .
Enfin pour ne pas multiplier ces exemples autant qu'il
serait aisé de le faire , il se laisse mener à la campagne ;
on lui fait entendre de mauvaise musique , composée par
la maîtresse de la maison et chantée par elle avec une
prétention ridicule ; il s'en console en faisant en luimême
ce dixain naïf et comique , qui l'amusa beaucoup
et qu'il n'a peut-être jamais dit à personne .
Bonjour , madame du corbeau !
Vous êtes le vrai Gluck femelle ;
Vous chantez mieux que Philomèle ;
Vous savez l'art mieux que Rameau .
Par un accord bien sympathique ,
A votre voix , de ces étangs
Les mélodieux habitans
Joignent leur orchestre aquatique.
Bonsoir , madame du corbeau :
Votre concert est vraiment beau !
Il est plus que tems de finir ; mais comment se fixer et
se borner dans une si grande abondance ? L'espace et le
tems manquent avant la matière. J'aurais pourtant encore
à parler des Poésies diverses , qui terminent ce troisième
volume . Plusieurs pièces , fort agréables , étaient
déjà connues , telles que les vers sur l'arrivée de Voltaire
à Paris , le Jugement de l'Amour sur les yeux noirs et les
yeux bleus , l'idylle intitulée : l'Amour et les Oiseleurs ;
plusieurs morceaux écrits dans la guerre poétique contre
les femmes poëtes , etc. D'autres étaient inédites , et l'on
distingue sur-tout , dans ce nombre , des stances spirituelles
et piquantes sur La Fontaine , qui finissent par
celle-ci :
Qu'un petit docteur au front chauve
Dise que ces jeux (4) sont maudits ;
(4) Les contes .
!
78 MERCURE DE FRANCE ,
Je n'en crois rien ; si l'esprit sauve ,
La Fontaine est en paradis .
Il faudrait aussi dire quelque chose du quatrième
volume qui contient la correspondance de Le Brun avec
Voltaire , Buffon , d'Alembert , etc. et quelques morceaux
de prose , particulièrement des réflexions sur le
génie de l'ode , où Le Brun a si bien loué J. B. Rousseau
, le seul rival qu'il eût à craindre ; mais déjà forcé
d'avouer qu'il était plus que tems de finir , j'aurais trop
mauvaise grace à ne point finir encore .
,
Je me crois dispensé de tirer de tout ce que j'ai dit un
dernier résultat sur le génie de Le Brun , sur le genre de
son talent sur ses beautés , ses défauts , et sur le rang
que je crois lui être dû parmi nos poëtes . Dans l'Ode ,
dans l'Elégie et dans l'Epigramme , je ne pense pas qu'on
puisse lui en assigner un au -dessous du premier , quoiqu'il
ait quelques défauts que n'ont pas ceux auprès desquels
il y sera placé ; mais c'est à la postérité à prononcer
là dessus en dernier ressort. J'ai mis , des citapar
tions multipliées , le public en état de pressentir ce jugement
; je l'ai fait sans autre passion que mon zèle pour
un art que je cultive peut-être mal , mais que j'aime
toujours et que j'ai beaucoup étudié . C'est le même zèle
qui m'a soutenu dans les soins assidus que j'ai pris , pendant
dix-huit mois , de l'édition de ces quatre volumes ,
au milieu d'occupations multipliées , et sans aucun intérêt
quelconque , sans nulle autre récompense que la
persuasion intime d'avoir, par cette publication, accru les
richesses poétiques et la gloire littéraire de mon pays .
GINGUENÉ .
LA MORT DE PYTHAGORE .
LYSIS de Tarente , Timée de Locres et Euryphames de
Syracuse , s'avançaient dans un vallon solitaire , peu éloigné
de la ville de Métapont. Tous trois gardaient le silence ,
et souvent de profonds soupirs s'exhalaient de leurs poitrines
oppressées . Ils arrivèrent dans un bois , et Lysis dit
àses deux compagnons : C'est ici qu'il faut nous arrêter ;
c'est près de ce rocher, sije ne me trompe , que notre maîJANVIER
1813 .
79
1
tre veut que nous l'attendions . Les trois philosophes s'assirent
sur le trone d'un vieux cyprès qu'une tempête avait
abattu , et la tristesse dont ils étaient pénétrés , les empêcha
pendant quelque tems de s'entretenir comme ils avaient
coutume de le faire ; car , lorsqu'ils se trouvaient réunis
loin de tout profane , ils répétaient les préceptes qu'ils
avaient reçus de la bouche de celui qui leur avait enseigné
la sagesse.
Enfin , Euryphames s'adressant à Lysis , lui dit : Il est
donc vrai qu'après avoir passé sa vie à étudier la sagesse
et à la faire aimer , notre maître n'a plus d'asile sur la
terre ! Forcé de fuir de contrée en contrée , comme un
criminel , il est souvent réduit à chercher un abri dans
l'antre d'une bête sauvage . Les lions et les tigres sont moins
cruels que son implacable ennemi. Un jeune homme qui
n'est presque qu'adolescent , poursuit un illustre octogénaire
, avec celte ardeur qu'une jeunesse inconsidérée et
pervertie met toujours à satisfaire ses passions. Quel est
donc ce malheureux Cylon qui empoisonne lui-même son
ame en s'enivrant de haine et de vengeance ? Cher Lysis ,
vous étiez à Crotone ; vous avez été témoin de tout ce qui
s'y est passé . Daignez m'en instruire ; car , depuis son départ
pour la Sicile , je n'ai pas vu Pythagore .
Notre maître , répondit Lysis , a visité la plupart des
princes qui règnent dans cette île , et ses discours sages
ont contribué , dans presque toutes les villes , à rendre le
sort des peuples plus heureux. Le tyran de Centorupine
en fut si touché , qu'il déposa la tyrannie ; et même , afin
de vaquer sans distraction à l'étude de la sagesse , il donna
à sa soeur une partie de ses biens , laissa l'autre à la ville ,
et ne se réserva que ce qui lui était nécessaire pour vivre
dans l'état d'un simple particulier .
En arrivant à Agrigente , Pythagore vit sur la place
l'épouvantable machine que Pérille inventa pour seconder
les fureurs de Phalaris . Un courtisan subissait alors cet
horrible supplice . L'ardeur des flammes dont on échauffait
le taureau d'airain où cet infortuné était enfermé , lui faisait
pousser des cris qui ressemblaient au
و ,
d'un se rendit au
palais du tyran pour essayer d'adoucir cette ame féroce.
Phalaris avait souvent entendu parler de Pythagore ; il
fut curieux de juger par lui-même d'une éloquence qui
avait opéré tant de prodiges , et il ordonna que le philosophe
lui fût présenté en présence de toute sa cour. Dans
80 MERCURE DE FRANCE ,
و
cette assemblée , composée des satellites du plus cruel des
tyrans , Pythagore parla avec liberté , avec force avec
autorité , comme s'il eût été au milieu de ses disciples . II
leur dit que les ames sont filles du ciel , et qu'elles en descendent
pour venir habiter sur la terre , pendant un petit
nombre d'années ; qu'elles y sont comme dans un lieu
d'assemblée , où les unes travaillent pour la gloire , et les
autres pour le profit , tandis qu'un petit nombre d'ames ,
éclairées sur leurs véritables intérêts , foulent aux pieds
Lavarice et la vanité , étudient la nature , et cherchent à se
mettre sur le chemin de la vertu. Il leur montra aussi
l'oeil de la Providence fixé sur les hommes , sans qu'il
leur soit possible de se dérober un seul instant à ses
regards.
4
Ces vérités ne touchèrent point le tyran , mais elles l'effrayèrent
; il aurait voulu les anéantir , et s'imagina pouvoir
y parvenir , en quelque sorte , en faisant périr celui
qui les enseignait. Pythagore fut jeté dans un cachot , avec
le scythe Abaris qui l'accompagnait , et le jour de leur
trépas fut publiquement annoncé ; mais Phalaris avait
comblé la mesure de ses crimes : il fut lui-même frappé
par la mort quelques heures avant celle où les deux philosophes
devaient subir leur supplice .
:Pythagore revint ensuite à Crotone et reprit le cours de
ses instructions. Il enseignait , comme auparavant , les
femmes dans le temple de Junon , et les enfans dans celui
d'Apollon .
Les disciples se présentèrent en foule à son école , et
sollicitaient avec empressement la faveur d'être initiés
dans la partie la plus mystérieuse de nos maximes . Chaque
jour il en arrivait , non-seulement de l'Italie , mais aussi
des villes les plus célèbres de la Grèce , car le voyage de
Pythagore avait étendu au loin sa réputation; mais la
crainte de verser l'huile précieuse et pure de la sagesse
dans des vases corrompus , obligeait notre maître à prendre
des précautions scrupuleuses , pour connaître parfaitement
ceux qui demandaient à être instruits .
Le jeune Cylon , fier du crédit que lui donnaient dans
Crotone une naissance distinguée et des richesses immenses
, se présenta dans l'école. Il croyait honorer Pythagore
en se rangeant au nombre de ses disciples . Le philosophe
promit de lui donner , quelques jours après , une
réponse positive . Il examina la physionomie de Cylon ; elle
lui parut annoncer à-la-fois la bassesse et l'orgueil ; il
JANVIER 1813 . 81
observa avec soin ses discours , son rire , et même sa démarche
; il s'informa de sa conduite , de ses goûts , et des
sociétés qu'il fréquentait. Enfin , il reconnut que ce jeune
homme avait un fond de méchanceté et de complete il
jugea qu'il était aussi dangereux d'instruir un hommes
malheureusement né , que d'aiguiser l'ame d'un insense
Cylon , lui dit-il , toute espècede bois n'est pas propre
faire un Mercure , et toute espèce d'esprit n'est pas destinée
à acquérir de la science . Vous n'etes pas du nombre
de ceux à qui je puis révéler le véritable nom de Dieu
Cylon regarda cette réponse comme un outrage sanglant
Il se retira plein de courroux , en proférant des menaces
qu'il ne tarda pas à mettre à exécution .
Milon avait un jour réuni chez lui Pythagore et ses principaux
disciples . Tandis que nous étions à table , nous
vîmes autour de nous le feu étinceler de toutes parts . Uu
peuple ameuté , la torche à la main , propageait l'incendie
et repoussait cruellement , au milieu des flammes , ceux
d'entre nous qui essayaient de s'enfuir . C'est Pythagore
que nous voulons , criaient- ils ! Le vieillard s'avança aussitôt
vers eux. Nous ne nous opposâmes point à son dessein;
nous regardions sa perte comme inévitable : il fallait qu'il
pérît dans les flammes ou sous les coups de ces furieux .
Archippe et moi nous marchâmes à ses côtés pour avoir
laconsolation de mourir avec lui .
Combien Pythagore me parut grand dans ce moment
terrible ! Malgré son âge avancé , sa démarche était ferme :
rien ne décelait en lui ni trouble , ni agitation. Toute
l'élévation de son ame était peinte sur son visage et dans
ses yeux . A son aspect les cris cessent ; le peuple s'écarte
avec respect , et nous laisse un passage libre . Cylon luimême
, la tête basse et l'air humilié , fait quelques pas en
arrière . Nous nous hâtames de sortir de la ville , de mettre
Pythagore en sûreté ; puis je revins seul à Crotone pour
m'instruire du destin de nos amis .
Apeine Cylon était-il revenu de ce moment de confusion
où l'avait jeté , malgré lui , la présence de Pythagore ,
qu'il redouble de rage , promet de plus grandes récompenses
, et se venge sur les disciples de l'empire qu'un
seul regard du maître a exercé sur lui et sur ses complices .
Aucun de nos malheureux amis n'a échappé aux flammes :
mais une si cruelle vengeance n'a point éteint la colère de
Cylon , il lui faut le sang de Pythagore .
F
82 MERCURE DE FRANCE ,
Il le dénonce par-tout comme un séditieux qui cherche
à bouleverser l'Etat pour s'en rendre le maître . Il n'y a
point de calomnies si absurdes qu'on ne puisse persuader
au peuple , sur-tout quand on verse l'or avec profusion .
Les magistrats de Locres ayant appris que Pythagore allait
arriver dans leur ville , ont envoyé quelques citoyens audevant
de lui pour le prier de n'y point entrer. Ils craignaient
de ne pouvoir empêcher les malheurs qu'ils prévoyaient.
Pythagore a été obligé également de s'éloigner
de Tarente , où Archippe lui avait offert un asile . Aujourd'hui
, il veut se rendre à Métapont ; mais Cylon l'y a
précédé , et l'on assure que le peuple y est déjà dans une
grande fermentation.
Lysis parlait encore lorsqu'il aperçut Pythagore qui
s'avançait lentement. Les trois disciples se levèrent aussitôt
, allèrent à sa rencontre , le pressèrent dans leurs bras ,
et le firent asseoir sur un quartier de rocher qu'ils couvrirent
de mousse. Ils lui offrirent du pain , du miel , avec
un peu de vin , et le prièrent instamment de ne point entrer
dans Métapont.
J'ai promis à ma fille , répondit l'illustre vieillard , de
l'attendre dans le Temple des Muses , et de lui remettre le
livre sacré dont elle doit être dépositaire . Je passerai la
nuit dans ce temple ; j'y méditerai aux pieds de la céleste
Uranie , et si le ciel m'inspire quelques vérités utiles aux
hommes , je les ajouterai à ce que j'ai déjà écrit . Cylon ,
dites-vous , m'attend et me fera périr ! mais chargé d'ans
comme je suis , il n'existe ni antre , ni forêt qui puisse me
dérober aux traits de la mort. Laissons -lui dévorer sa proie
sans nous troubler. Ne savons-nous pas que quand nous
serons dépouillés de ce corps terrestre , nous arriverons
dans l'air le plus pur , où nous serons incorruptibles et
immortels comme les Dieux ! Pour vous , mes amis ,
prenez soin de votre ame comme d'un temple consacré à
recevoir la vérité . Vous êtes tous compagnons de voyage ,
marchez ensemble avec affection . Aidez-vous les uns les
autres , et choisissez toujours la voie qui vous semblera la
plus parfaite , quand même elle vous paraîtra dure et difficile.
Lejour commençait à baisser , Pythagore se leva , embrassa
ses amis , leur défendit expressémentde le suivre ,
entra dans Métapont et se rendit dans le Temple des Muses .
Cependant le jeune Cylon attendait sa victime depuis
JANVIER 1813 . 83
plusieurs jours. Ilavait chargé ses satellites de veiller sur
les portes , et de l'avertir dès que le vieillard qu'il poursuivait
serait entré dans la ville . Il avait eu soin de préparer
les esprits. Son or lui avait fait un parti considérable
, non -seulement dans le bas peuple , mais encore
dans une classe plus relevée.
Le peuple s'attroupe , et s'avance en poussant de grands
cris vers le Temple des Muses . Les prêtres craignant une
profanation , se hâtent d'en fermer les portes . Cylon
ordonne qu'on les brise ; mais les habitans de Métapont
hésitent à lui obéir. Qui d'entr'eux osera le premier porter
une main sacrilége sur le temple des filles de Jupiter ? Le
conseil s'assemble tumultueusement ; les opinions les plus
iniques sont les seules qui puissent se faire entendre .
Enfin , il est arrêté que le Temple des Muses sera respecté ,
mais que les portes en demeureront fermées pendant dix
jours , sans qu'il soit permis à personne , pas même aux
prêtres , d'y pénétrer. Il leur fut défendu sévérement de
faire parvenir à Pythagore aucune espèce d'aliment.
Tandis que les magistrats de Métapont rendaient un
arrêt si précipité , si cruel , si injuste , Damo , empressée
de revoir le plus tendre des pères , et de recevoir de ses
mains le livre précieux qui renfermait sa doctrine , s'avançait
vers Métapont. Elle était accompagnée de Zaleucus ,
l'esclave , le disciple , l'ami de Pythagore. La lune , qui
parcourait un ciel chargé de nuages , laissait échapper de
tems en tems quelques rayons , et cette lueur incertaine
suffisait pour empêcher Damo de s'égarer au milieu des
ténèbres de la nuit .
L'étoile du matin venait de disparaître , lorsqueDamo
arriva devant les portes de la ville . Elle se précipita vers le
Temple des Muses ; mais elle en trouva les portes fermées
et scellées du sceau des magistrats. Elle ne tarda point ,
hélas ! à apprendre que son père , privé de toute nourriture
, était condamné à périr dans ce vaste édifice.
Dans le premier moment de sa douleur , elle poussa des
gémissemens ; elle adressa à son père de tendres plaintes ;
elle s'écria : Voici Damo , voici votre fille chérie. O mon
père ! faites-lui du moins entendre votre voix : donnez-lui
vos ordres : qu'elle ait encore le bonheur de vous obéir.
Sa voix pénétrait dans le temple , mais Pythagore ne
l'entendait pas. Etendu sur les marches de l'autel , il dor
F2
84 MERCURE DE FRANCE ,
mait paisiblement. Un songe agréable lui offrait l'image de
l'épouse qu'il avait perdue ; elle lui semblait aussi belle ,
aussi jeune que le jour où elle lui avait juré de l'aimer
jusqu'à la mort. Elle lui souriait , lui tendait les bras , et
l'invitait à la suivre dans cette heureuse terre , séjour fortuné
des ames qui ont soigneusement travaillé ici bas à se
purifier .
Damo dédaigna de verser long-tems des larmes inutiles ;
elle avait puisé dans la doctrine de Pythagore cette vertueuse
fermeté qui laisse à l'ame , dans les circonstances
les plus fâcheuses , la liberté nécessaire pour agir. Elle
se répéta à elle-même cette maxime du livre sacré : Supporte
doucement ton sort , quelque rigoureux qu'il soit ;
ne t'en irrite pas , mais tâche d'y remédier autant qu'il te
sera possible.
,
Elle vit en particulier chacun des magistrats : elle les vit
ensuite tous réunis dans le conseil . Sans leur faire aucun
reproche sans leur demander de révoquer l'injuste sentence
qu'ils avaient prononcée , elle se contenta de les
supplier de lui permettre de voir, une seule fois , son père
avant qu'il mourût; mais cette grace lui fut impitoyablement
refusée .
Elle eut secrettement recours aux prêtres , et les supplia
de lui ouvrir une des issues souterraines qui n'étaient
connues que d'eux ; mais les prêtres n'osèrent point violer
les ordres des magistrats : ils craignaient aussi , en accordant
à Damo sa demande , de l'exposer à la fureur du
peuple qui attendait avec une impatience féroce la mort de
Pythagore.
Les jours se passaient en démarches , en sollicitations
inutiles ; et Damo n'avait pas vu son père : elle ignorait
même s'il existait encore. Son grand âge et le défaut de
toute nourriture pouvaient l'avoir fait succomber promptement
. Le livre sacré dont elle seule devait être dépositaire
, et dont il ne lui était permis de faire connaître
les maximes et les préceptes qu'à ceux qui auraient courageusement
subi de longues et pénibles épreuves , allait
tomber entre les mains profanes des ennemis de la vérité !
Cette pensée mettait le comble à sa douleur.
Dans toute la ville , Damo n'avait essuyé que des
refus : il ne lui restait personne à qui elle pût s'adresser
encore . On avait écouté avec attendrissement tout ce qu'elle
JANVIER 1813 . 85 1
,
avait dit pour obtenir la faveur de voir son père une seule
fois on avait déploré avec elle son infortune , on avait
même versé quelques larmes en l'écoutant ; mais personne
n'osait ni la servir , ni parler en sa faveur .
Le soleil avait disparu depuis long-tems ; la nuit était
même assez avancée , et Damo désespérant d'obtenir des
hommes la triste satisfaction qu'elle avait sollicitée avec
tant de zèle et si peu de succès , s'adressa à celui dont
Pythagore lui avait appris à connaître toute la puissance .
Elle lève les mains vers le ciel , et son ardente prière
enlève son ame et la plonge tonte entière dans cette vapeur
lumineuse qui entoure le trône de l'Eternel comme un
voile majestueux .
Tout-à-coup un léger bruit se fait entendre dans l'appartement
où elle s'est retirée . On lui adresse ces mots :
Damo , venez voir votre père. Elle se retourne et voit près
d'elle un jeune enfant. Les longs plis de sa robe blanche
sont retenus par une large ceinture d'or ; ses cheveux tombent
en boucles sur son front et sur ses épaules . Venez ,
Damo , reprit-il , ne perdons point de tems ; je marcherai
devant vous , et au milieu des ténèbres de la nuit qui nous
favorisent , vous distinguerez ma tunique blanche . Damo
le suivit aussitôt , en remerciant le ciel qui lui envoyait un
secours si inattendu . Ils arrivèrent devant la porte d'un
jardin . C'est ici , dit le jeune guide , qu'habitent les
prêtres et les enfans qui , comme moi , sont consacrés au
service du Temple des Muses . Tout le monde , je l'espère
, dort profondément ; mais prenons garde de faire le
moindre bruit ! Il fit rouler doucement la porte sur ses
gonds , entra dans le jardin , et pénétra ensuite sous une
voûte fort basse et fort étroite . Là il s'arrêta un instant
pour prendre un petit panier. C'est ma mère , dit-il , la sage
Mullias qui m'a apporté ceci ; elle est arrivée aujourd'hui
de Crotone ; elle m'a ordonné de me procurer les moyens
d'entrer dans le temple , d'aller vous chercher , de vous
conduire auprès de Pythagore , et de lui porter ce panier
qui renfermé du pain , du lait et du miel . Quoi , dit Damo ,
vous êtes le fils de Mullias ! C'est, de toutes les femmes que
Pythagore a instruites dans le temple de Junon , celle qui
a fait le plus de progrès dans la vertu .
Damo et l'enfant descendirent un long escalier ; ils marchèrent
long-tems dans un souterrain froid et humide ;
enfin la lueur des lampes leur fit connaître qu'ils n'étaient
1
86 MERCURE DE FRANCE ,
pas loin du temple. Damo précipita ses pas , et bientôt la
tête du vertueux vieillard se reposa sur le sein de sa fille
chérie. Le fils de Mullias offrit à Pythagore le présent que
lui envoyait sa mère. Il est trop tard , dit le vieillard d'une
voixmourante ! Puis jetant un regard vers le ciel , ilajouta :.
Le peu de liens qui retiennent encore mon ame captive
dans cette enveloppe de poussière , sont heureusement près
de se briser : encore un instant et j'entrerai dans une nouvelle
vie . Cependant , par condescendance pour Damo et
pour sonjeune guide , qui l'en suppliaient, il but un peu
de lait . Ses forces parurent se ranimer , et l'enfant , docile
aux ordres de sa mère , se retira à quelque distance , pour
laisser au vieillard la liberté de donner à sa fille ses précieuses
et dernières instructions .
Pythagore remit à sa fille le livre qui contenait un abrégé
de tout ce qu'il avait appris des prêtres de Diospolis , des
mages de Babylone , des sages de la Grèce , et tout ce qu'il
avait découvert lui-même dans ses longues et profondes
méditations . Ce livre , lui dit-il , est uniquementpour vous
et pour vos frères . Vous ne le confierez à personne ni
pour le lire , ni pour en tirer des copies . La vérité doit être
enseignée de vive voix , et il n'est ni bon , ni convenable
que des mystères si saints soient divulgués par des lettres
mortes .
Il invita ensuite le jeune prêtre des Muses à s'approcher ,
et le remercia de lui avoir procuré la satisfaction de mourir
entre les bras de Damo . O mon père , s'écria le fils de
Mullias , ne mourez pas , je vous en conjure , sans m'avoir
appris à connaître la vérité. Elle ne se montre aux hommes ,
reprit Pythagore , qu'à travers des voiles fort obscurs . Dans
l'ordre physique , vous voyez que la lumière et les ténèbres
se succèdent perpétuellement et se partagent presqu'également
l'empire de la terre ; mais dans l'ordre moral les
ténèbres surpassent de beaucoup la lumière. La vérité res
semble au soleil levant :il ne frappe de ses rayons que la
cîme des montagnes et les lieux les plus élevés . La vérité
ne peut pas être enseignée : elle se révèle elle-même aux
ames qu'elle juge dignes de la recevoir. Si vous voulez
participer à ses communications célestes , élevez un autel
àla muse tacite : l'ame se perfectionne dans le silence.
Jetez plutôt une pierre au hasard, qu'une parole inutile et
oiseuse . Habituez-vous à dire beaucoup de choses en peu
de paroles . Le vieillard ayant parlé ainsi , pencha sa tête
(
JANVIER 1813 . 87
१.
sur le sein de Damo , prononça le nom de ses deux fils
Arimneste et Télanges , et rendit le dernier soupir.
C'est ainsi que se termina la carrière de Pythagore ;
c'est ainsi qu'il fut récompensé du bien qu'il avait fait aux
hommes en leur apprenant que le bonheur ne se trouve ni
dans les honneurs , ni dans les richesses , mais dans la
pratique de la vertu . ANTOINETTE LEGROING .
:
1
-
VARIÉTÉS .
SPECTACLES . - Théâtre de l'Odéon . - Washington ,
ou les Représailles , drame en trois actes et en prose.
Dans la guerre d'Amérique , lordAsgill , officier anglais ,
blessé sur le champ de bataille et fait prisonnier , doit la
vie aux soins d'un quaker et de sa fille Betzy , dont il parvient
à se faire aimer et qu'il veut épouser. Il a écrit enAngleterre
pour donner sa démission et conjurer sa mère et
sa soeur de venir en Amérique être témoins de son bonheur.
Sur ces entrefaites , on apprend qu'un officier américain
, commandant d'un fort, après s'être rendu sur parole ,
a été condamné par un général anglais à périr sur un échafaud
; le général Washington demande que le général conpable
de cette violation du droit des gens lui soit livré ; le
général Clinton , commandant en chef des forces britanniques
, refuse , et le congrès ordonne que par une juste
représaille , un officier anglais que le sort désignera parmi
les prisonniers , périsse du même supplice , si le coupable
n'est abandonné aux Américains . Washington permet que
les prisonniers aillent sur parole auprès du lord Clinton lui
annoncer cet arrêt ; celui qui sera désigné par le sort doit
seul rester en ôtage : lord Asgill amène le billet fatal , et ses
compagnons d'infortune se rendent au camp anglais .
Mais le terme accordé par Washington va expirer ; lord
Asgill prêt à périr demande pour grâce unique au général ,
Washington de ne pas mourir d'une mort infamante :
Washington voudrait en vain accorder le devoir et la pitié ;
le signal fatal se fait entendre , Asgill va marcher à la
mort , lorsque ses compagnons se précipitent sur la scène
en annonçant que lord Clinton accorde l'extradition du général
coupable.
Le trait historique qui a fourni le fonds de cet ouvrage ,
1
88 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
est rapporté dans un ancien Mercure ; on y voit même qu'à
la paix le jeune Anglais vint à Versailles remercier le roi à la
puissante recommandation duquel il devait la vie .
Cette courte analyse donnera quelque idée de la conduite ,
mais non des détails de l'ouvrage. Cette pièce a un air
étranger qui la ferait prendre pour une traduction : le rôle
du quaker rappelle très-bien les moeurs , le caractère des
hommes de cette secte ; il cite un peu trop souvent la
Bible ; l'auteur , pour se faire pardonner ces éternelles
citations , aurait dû prévenir le public , par le moyen d'un
des interlocuteurs , que cette manière de s'eexxpprriimmeerr est
un des caractères distinctifs des quakers . Le caractère
de Betzy a de la grâce et de l'ingénuité ; la franchise des
'quakers motive fort bien la facilité avec laquelle elle
avoue son amour pour lord Asgill; ce joli rôle est bien
rendu par Mlle Fleury. Washington est représenté avectalent
par Vigneaux ; Clozel est bien placé dans celui dulord
Asgill .
Le dernier drame donné à ce théâtre n'avait pu obtenir
une représentation toute entière ; mais , par une juste représaille
, nous pouvons en prédire un bon nombre à Washington
. On y trouve des scènes fortes , des situations altachantes
, et lorsqu'on l'aura débarrassé de quelques tongueurs
, je ne doute pas qu'il ne fasse honneur à l'auteur
qui ne s'est fait connaître que sous le nom de Henri . Ce
n'est pas son véritable nom. B.
POLITIQUE.
DEs lettres de Varsovie et de Kænisberg , de la date la
plus, récenté , nous donnent le moyen de donner au lecteur
des détails sur la position occupée par l'armée française
rentrée dans le duché de Varsovie , sur celle des corps
alliés , et sur la marche des renforts qui de toutes parts
sont dirigés sur le point principal qu'elle occupe .
Les armées russes n'ont pu empêcher la retraite de
s'effectuer ; elles n'ont pu empêcher la nôtre de forcer un
passage important et de donner la main aux corps qui
avaient reçu l'ordre de se porter à sa rencontre . Les armées
russes ont prouvé par leur impossibilité de se porter en
avant de quelle manière les Français les avaient combattus ,
soit en se rendant maîtres de leur capitale , soit en l'abandonnant
pour se rapprocher de leurs magasins et pour se
refaire après une campagne marquée par la succession
d'événemens si extraordinaires. Les Français , que la
rigueur des élémens même n'a pu dompter , ont su, privés
de tout , marcher pendant soixante jours , combattre et
vaincre ; les Russes , sur leur propre territoire , sous la
protection du climat qui leur est familier , forts de tous les
moyens que ce climat nous avait ravis , n'ont pu s'avancer
pour profiter de leur supériorité matérielle . Les lignes
françaises se reforment et se grossissent sous leurs yeux.
L'armée est entrée dans des pays fertiles , et a pris des
cantonnemens où elle a trouvé des vivres et du repos .
Le quartier-général du maréchal duc de Tarente , commandant
l'aile gauche de l'armée, était aux dernières nouvelles
établi à Tilsitt. Le prince de Scharzenberg suivant
sen mouvement était le 12 décembre à Slonim . Le 7º corps
d'armée dont il est appuyé était à Swiflocs . Il n'y avait eu
sur les deux points opposés aucune nouvelle affaire . Le
général russe Kutusow était resté sur les bords du Dnieper
avec les débris d'une infanterie accablée , et ne pouvant
faire mouvoir que quelques partis de Cosaques .
Voici ce que font connaître des détails plus récens ,
écrits de Varsovie , les 23 et 25 décembre , et publiés par
le Moniteur ..
« Le feld-maréchal prince de Scharzenberg a établi
90 MERCURE DE FRANCE ,
son quartier-général à Bialystok ; celui du général Reynier
est à Brszesc . Cette position de l'armée autrichienne et du
7 corps a obligé les débris du général Sacken à se diriger
surPinsk pour se porter en Lithuanie et s'éloigner de
nos frontières .
Le prince Joseph Poniatowski , notre général en chef
et ministre de la guerre , qui s'est distingué dans la dernière
campagne , est ici depuis une huitaine de jours , et
montre la plus grande activité pour le complètement de
notre armée. Les régimens qui formaient le 5º corps sont
rentrés dans le duché. Vingt-cinq mille conscrits , dont la
levée a été ordonnée depuis deux mois , arrivent chaque
jour aux dépôts , où il trouvent leur habillement et leur
armement. Notre armée sera bientôt complétée : elle a
ramené 30 pièces de canon et ses équipages attelés , ce qui
a d'abord étonné , mais on s'explique comment elle a été
plus heureuse que les autres corps de la Grande-Armée :
nos chevaux sont acclimatés , ils peuvent résister davantage
au froid , et leurs conducteurs sont plus accoutumés
à prendre les précautions qui ont influé sur leur conservation
.
L'appel de 10,000 chevaux , ordonné dans les départemens
pour la remonte de notre cavalerie , s'est exécuté ,
et les premiers convois de remonte arrivent déjà aux
corps .
Nos places de Thorn , de Modlia , de Sierock , de
Praga et de Zamosc sont en très-bon état et bien approvisionnées
.
"
" Nous voyons arriver chaque jour ici un grand nombre
d'officiers et de soldats . On assure que les rations distribuées
journellement , par nos magasins , excèdent le
nombre de 40,000 .
" Les remontes pour l'armée francaise , qui sont dirigées
par le major Custine , se font avec succès . Il est arrivé
dans ces jours derniers plus de 3000 chevaux au dépôt-
général. Un nouveau marché , de 6000 chevaux, vient
d'être passé .
D'autres détails, non moins intéressans , sont arrivés
de Kænisberg , en date du 27 .
« Nous avons ici un grand nombre de généraux et
d'officiers français. Le roi de Naples a passé hier la revue
du corps du général Heudelet. Cette belle division , composée
de trois brigades et ayant une nombreuse artillerie ,
arrive de Dantzick.
77 Nous avons éprouvé ici un froid excessif et préma
JANVIER 1813 .
91
turé. Le thermomètre est descendu jusqu'à vingt-cinq degrés
; mais depuis deux jours , et par une transition subite ,
il a remonté jusqu'à zéro. Le dégel commence. On ne se
souvient pas d'une année aussi extraordinaire .
On assure que la division du général Heudelet se rend
aTilsitt , où l'on dit que le 10º corps est arrivé. Ce corps ,
qui n'a pas fait de longues marches , est très-beau . On le
porte à 30,000 hommes .
ห Notre roi vient d'ordonner qu'un détachement de
5000 hommes , rassemblés à Graudentz , parte de cette
garnison pour aller renforcer les troupes prussiennes qui
font partie du 10º corps. "
A ces lettres , il faut ajouter celles qui , des frontières de
laGalicie , annoncent la marche de nombreuses colonnes
dirigées sur le corps du prince de Scharzenberg ; cellès de
tous les états de la Confédération , qui ont mis en mouvement
les troupes nécessaires pour compléter leurs cadres ;
celles de la Bavière , traversée en ce moment par un corps
considérable , aux ordres du général Grenier , et venant
d'Italie ; celles des bords de l'Oder et de l'Elbe , qui font
mention de semblables mouvemens. Il faut ajouter spécialement
l'acte et les délibérations importantes que vient de
prendre le conseil de la Confédération générale du royaume
de Pologne .
« Des mesures avaient été proposées depuis plusieurs
mois pour organiser avec plus d'étendue les moyens de
défense de la patrie. Plusieurs dispositions nouvelles y
ont été ajoutées , et vont toutes recevoir leur exécution .
» Indépendament des 25,000 conscrits qui arrivent aux
dépôts des corps , la levée de 30,000 gardes du pays avait
été ordonnée . Déjà 10,000 hommes sur ce nombre prennent
les armes . Chaque district fournit 10 gendarmes :
ce qui fait , pour les 100 districts , 1000 cavaliers régulièrement
armés et montés .
> Le conseil des ministres vient d'ordonner , par un décret
du 20 de ce mois , la levée d'un cavalier habillé et
monté , fourni par 50 feux. Cette cavalerie légère , qu'on
pent assimiler aux Cosaques , sera , dans l'espace d'un
mois , en état de couvrir les cantonnemens de la Grande
Armée , ainsi que les frontières , contre l'incursion des
troupes légères de l'ennemi. Le succès de cette levée , qui
doit produire 15,000 hommes à cheval , est certain , puisque
, telle qu'elle est organisée, elle trouve dans le pays ses
chevaux , son équipement et son armement.
५
Ces mesures, dictées par la prudence et ledévouement
92 MERCURE DE FRANCE ,
du gouvernement du grand-duché , ne répondaient point
encore assez à ce qu'exigent l'amour de la patrie et le ressentiment
dont nous sommes animés contre les ennemis
du nom polonais . La Confédération s'est rendue aux voeux
de la nation , dont elle est le représentant et l'organe , en
appelant la noblesse aux armes . Les chefs qu'elle a donnés
à la noblesse armée ont toute la confiance de la nation ,
parce qu'ils sont choisis parmi les hommes qui , de tous
les temps , ont consacré leur sang et leur vie aux grands
intérêts de la patrie .
Venez
« Polonais , dit le conseil de la Confédération à la noblesse
du royaume , naguère nous réclamions de vous des
sacrifices qui paraîtraient impossibles à d'autres qu'à vous :
ils sont insuffisans aujourd'hui. Des résultats imprévus
nous ordonnent de nouveaux efforts . Le danger de la patrie
, l'honneur national , le devoir , nos sermens communs
, les réclament impérieusement. Aux armes , citoyens
! c'est la patrie qui vous appelle : il s'agit pour nous
de tout ce que nous avons de plus cher , de cette patrie
qu'on veut nous enlever , de notre existence présente , du
sort de notre postérité. C'est aujourd'hui que cette bravoure
, qui vous est si naturelle , doit devenir le rempart
de nos frontières menacées par l'inique agresset
pourun moment joindre votre valeur à celle de nos braves
soldats , et que votre constance les mette à même d'attendre
l'époque où le libérateur de la Pologne reparaîtra
parmi nous pour recouvrer , à la tête d'une armée victorieuse
, les avantages que , malgré toute sa prévoyance , la
rigueur de la saison vient de lui enlever. Aux armes
citoyens ! ce cri ne peut vous être étranger , vos ancêtres
l'ont entendu tant de fois ! tant de fois ils ont fait à la patrie
le sacrifice de leur fortune , de leur sang et de leur vie !
C'est d'après les usages les plus antiques , les constitutions
les plus respectables , les lois les plus saintes , que vous
avez formé ce noeud sacré qui nous lie tous . Voici le moment
de payer cette dette que la loi vous a fait contracter .
Braves descendans de tant de héros ! montrez-vous dignes
de vos ancêtres ; prouvez à l'univers qu'en héritant de ces
distinctions qu'ils avaient si bien méritées , vous vous y
êtes acquis des droits aussi avérés par des services seinblables
. Nous vous donnons pour commandant-général le
prince Poniatowski , général en chef de la force armée , ce
guerrier dont le nom seul réveille dans nos coeurs tous les
sentimens que nous a toujours inspirés le souvenir des héros
qui ont fait le plus d'honneur à la Pologne . Nous lui don-
,
JANVIER 1813 . 93
1
nons pour adjoint et suppléant , en qualité de vice-commandant
général , le prince Eustache Sanguszko , dont le
courage s'est montré avec tant d'éclat dans trois campagnes
successives , et dont le patriotisme , mis aux plus grandes
épreuves , appelle la confiance générale. Levez-vous ,
rassemblez - vous sous les enseignes des maréchaux , dans
les départemens et les districts ; mais que vos rassemblemens
annoncent l'ordre et la discipline ; observez dans
tous leurs points les réglemens que nous promulguons
aujourd'hui . Des travaux de quelques instans vous conduiront
à la gloire , plus chère aux Polonais que tous les
trésors , et vous assureront des droits aux récompenses
qui vous sont destinées . Les distinctions les plus honorables
vous attendent ; la patrie reconnaissante vous comblera
de ses dons . Le retour de l'été vous ramenera au sein
de vos familles , et vous rendra aux paisibles travaux de la
campagne . C'est au nom de la patrie que nous prenons
cet engagement envers vous , comme c'est en son nom
que nous réclamons aujourd'hui vos secours . Hâtez -vous
de vous rendre sous les drapeaux que vous devez honorer
par votre courage , votre discipline et votre enthousiasme
patriotique ; prouvez à l'Europe étonnée que ceux qui ont
déjà versé tant de sang pour la Pologne , en ont encore à
verser pour elle.n
,
Suit le mode d'organisation pour l'arrière-ban polonais .
Les Anglais ont , en ce moment , pour objet de leurs
rêves familiers , deux points principaux , la santé de l'Empereur
et le sort de l'Espagne. Ils font chaque matin, dans
leurs Journaux , l'Empereur plus ou moins malade , et
chaque matin aussi ils font évacuer l'Espagne par les
Français . Ils ne peuvent se résoudre à croire qu'après un
voyage de 1200 milles fait avec une incroyable rapidité
l'Empereur ait pu , malgré ce qu'ils appellent très-bien
une santé de fer comme la sienne , reprendre dès le lendemain
de son arrivée , et les travaux de son gouvernement ,
et la noble habitude de tout animer de ses propres regards .
Ils supposent donc l'Empereur plus ou moins dangereusement
malade , tandis que Paris voit journellement son
souverain se délasser des travaux de ses nombreux conseils
, par la visite des monumens qu'il élève à la gloire et
à la prospérité de sa capitale .
, Les Anglais croient aussi l'Espagne évacuée et préparent
une belle réception à lord Wellington qui doit ,
disent- ils , se mettre en route pour Londres et laisser le
commandement au général Hill , aussitôt que le maréchal
,
94 MERCURE DE FRANCE ,
duc de Dalmatie aura fait son mouvement vers la France .
Malheureusement le duc de Dalmatie ne fait pas ce mouvement
, il n'est pas prêt à le faire , et va en faire un tout
contraire en réoccuppant l'Andalousie ;de nouvelles troupes
sont en marche pour le renforcer. L'effectif des armées
françaises en Espagne monte à 300,000 hommes , dont
20,000 de cavalerie , et 300 pièces de canon attelées . Le
présent sous les armes étant réduit à 270,000 , 30,000
hommes filent et fileront dans le courant de janvier et de
février , pour compléter le nombre de 300,000 hommes .
L'Andalousie sera réoccupée , et si l'armée anglaise s'affaiblit
le moindrement , le Portugal sera attaqué .
Telle est la note que le Moniteur oppose aux espérances
conçues par les Anglais de voir le lord Wellington débarrassé
de la présence du duc de Dalmatie. S'ils annoncent
ailleurs qu'ils ont envoyé 100,000 liv. sterling en Portugal
pour le payement de l'armée , on leur objecte , par la
même voie , que cette armée n'a pas été payée depuis sept
mois et que 100,000 liv. sterling seront loin de suffire
pour mettre la solde au courant.
2
Ensuite , si par des insinuations qui leur sont familières
quoiqu'elles soient toujours sans succès , les Anglais prétendent
ébranler l'opinion sur la fidélité du Danemarck ,
et le faire joindre aux Russes et aux Snédois pour attaquer
la France dans l'Allemagne septentrionale ,le Moniteur
répond par le tableau du passé. L'outrage que les Anglais
ont fait au Danemarck , dit- il , en incendiant sa capitale
en pleine paix , et en prenant sa flotte , sont de ceux que
l'on efface avec de l'argent. Le Danemarck sera fidèle à
l'alliance contractée avec le protecteur de la Confédération .
Enfin , lorsque les Anglais paraissent disposés à ne plus
accorder de licences pour commercer avec la France , et
trouvent dans ce moyen d'échange une balance apparemment
trop défavorable pour eux, voici la note que le Moni
teur leur adresse en réponse :
,
«Aucune licence , dit-il , n'a été livrée depuis l'arrivée
de l'Empereur . Il est très-douteux qu'il en soit délivré .
Plus de cinq cents licences anglaises étant entre les mains
du commerce , c'est une vaine bravade que vous faites là
puisque déjà vous en avez livré en quantité suffisante pour
alimenter le commerce pendant deux ans. Il serait plus
avantageux à la France et au Continent qu'il n'y eût avec
vous aucune communication. Chaque licence que donne
le gouvernement français est une faveur qu'il vous fait ;
c'est une goutte d'huile qu'il jette dans votre lampe , qui
JANVIER 183 . 95
en a tant besoin !!! Malgré vos croisières , les Américains
arrivent en foule dans nos ports : dans le seul mois de décembre
, on en a compté plus de 50 , richement chargés . "
L'article suivant , extrait du Times , peut encore donner
comme un échantillon des mille moyens imaginés pour
égarer l'opinion anglaise sur l'opinion de Paris , et de l'art
qu'ont les écrivains britanniques pour tirer des plus misérables
circonstances des conséquences non moins absurdes
que l'esprit de parti qui les anime est aveugle .
«Des détails récens arrivés de France , dit le Times du
28 décembre , confirment le soupçon qui s'était élevé , que
le tapage qui a eu lieu au théâtre Feydeau , était dirigé ,
non contre le chanteur Martin , mais bien contre le gouvernement
de Napoléon , dont le bustea , dit-on , été mis
en pièces . Tel est cependant l'homme que l'on nous représente
comme aussi formidable que jamais , et au sujet
duquel on vient nous dire que c'est un vain espoir que de
songer à réduire son influence ou son pouvoir ; qu'il y a
une sorte d'impiété à parler de lui sans admiration ; et que
le seul effet de la campagne des Russes a été d'adoucir son
ame , et de le disposer , en ses différentes qualités d'Empereur
des Français et roi d'Italie , de médiateur de la
Suisse , de protecteur de la Confédération du Rhin , de
régénérateur de la Pologne et de seigneur suzerain du
royaume de Naples , etc. , à nous accorder une paix honorable
, etc. etc. etc. etc. etc. etc.
Dimanche dernier S. M. a tenu , de cinq à huit heures
du soir , un conseil des affaires étrangères ; lundi , à neuf
heures , un conseil des subsistances , et à une heure un
conseil des finances .
Mardi elle a tenu un conseil privé , arrêté et signé la
rédaction de plusieurs sénatus-consultes qui ont été portés
au sénat , qui s'est assemblé extraordinairement , le 6 , sous
la présidence du prince archichancelier.
Le Corps -Législatif est convoqué pour le 1 février
prochain .
AVIS .
S .....
Nous avons reconnu qu'il était presque impossible de consacrer ,
dans le Mercure , un espace suffisant à la Littérature étrangère : notre
intention estdonc de séparer cette partie , d'en composer une Feuille
périodique entièrement distincte.
Ce nouveau Journal forinera une espèce d'appendice du Mercure
de France ; il le complétera , en fera le Répertoire des Littératures de
tous les pays. Il aura pour titre :
MERCURE ÉTRANGER , ou Annales de la Littérature étrangère.
96 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
Donner aux Français une connaissance , aussi complète qu'il sera
possible , de la littérature de tous les pays . et sur-tout de celle de
nos voisins les Espagnols , les Italiens , les Allemands , les Anglais ,
tel sera le principal objet de cette nouvelle Feuille périodique . On ne
peut plus , aujourd'hui , prétendre au titre d'homme de lettres , si
l'on ne possède la statistique littéraire non- seulement de la Franee ,
mais de l'Europe .
,
و
Chaque numéro du Mercure étranger contiendra :
1º. Des Mélanges ou morceaux de poésie et de prose , traduits soit
des langues espagnole , portugaise italienne russe , suédoise , hollandaise
, anglaise , soit même de l'arabe, du persan , du grec moderne,
enfin des langues orientales . Nous donnerons , parfois , le texte
même de quelques morceaux écrits dans l'une ou l'autre des langues
étrangères de l'Europe , avec la traduction en regard.
Nous aurons soin d'insérer fréquemment , peut-être même dans
tous les numéros du Mercure étranger , la traduction de quelque
Conte ou Nouvelle. On sait que les Allemands et les Anglais cultivent
avec succès ce genre de littérature .
2 ° . De courtes Analyses des principaux Ouvrages qui paraissent
dans les pays étrangers ; le prix de ces Ouvrages , et les moyens de
se les procurer.
3º . Une Gazette littéraire ou Extrait des Journaux étrangers , contenant
des Notices biographiques , des Anecdotes , des Nouvelles dramatiques
, les Séances des Académies , les Programines des prix
proposés , etc. , etc.
M. Langlès , membre de l'Institut , conservateur des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque impériale , a bien voulu se charger de la
partie de littérature orientale que contiendra le Mercure étranger ;
MM. Vanderbourg , Sévelinges , Durdent , des traductions de l'allemand
, de l'anglais , etc .; M. Catteau- Calleville , de la littérature
du Nord ; M. Ginguené , membre de l'Institut , de la partie italienne .
Il paraîtra , à la fin de chaque mois , un numéro du Mercure
étranger, composé de quatre feuilles d'impression , de même format
que le Mercure.
Quoique nous regardions le Mercure étranger comme un supplément
presque nécessaire du Mercure de France , nos Abonnés ne
sont point tenus de souscrire à ce nouveau Journal .
L'abonnement au Mercure de France continuera d'être de 48 francs
par an ; mais pour six mois , il sera de 25 fr.; pour trois mois de 13 fr .
Les abonnés au Mercure de France qui voudront aussi souscrire
au Mercure étranger , paieront , en sus , pour cette dernière souscription
, 18 fr . pour un an et 10 fr. pour six mois .
Pour les personnes qui , sans s'abonner au Mercure de France ,
voudront souscrire au Mercure étranger , l'abonnement sera de 20 fr .
pour l'année , et de 11 fr . pour six mois .
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
étranger , au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , franes de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
Paris .
TA
MERCURE
DE FRANCE .
1.
EINE
N° DC . - Samedi 16 Janvier 1813 .
POÉSIE .
DISCOURS IMITÉ DE TITE- LIVE.
PACUVIUS désarme son fils PÉROLLA sur le point d'assas-
:
siner ANNIBAL (*) .
PÉROLLA , un poignard à la main .
:
Omon père , vois- tu ce glaive dans mes mains ?
Hé bien ! rends grâce aux Dieux , qui de ces fiers Romains
Permettent qu'en ce jour , par un grand sacrifice ,
Nous méritions enfin la bonté protectrice !
Oui , qu'il tombe immolé sous ce glaive vengeur ,
De notre liberté le cruel destructeur ,
Et que d'un même coup utile à ma patrie ,
D'un odieux tyran je purge l'Italie ! ....
PACUVIUS , consterné .
Justes Dieux ! Pérolla ! ... qu'as- tu dit ? ... je frémis ! ...
Quelle aveugle fureur égare tes esprits ?
(*) Res memo. p . 109 , Per ego te ,fili , etc.
G
98
MERCURE
DE
FRANCE
,
--
Oh ! si de la vertu la voix encor t'est chère ,
Au nom de la patrie , au nom de ton vieux père ,
-Par l'opprobre éternel qui couvre un meurtrier ,
Mon fils ! .. respeste un hôte : eh ! quel hôte ? .. un guerrier,
Le soutien de Capoue , et le vainqueur de Rome !
Faut-il donc qu'un tel crime à mes yeux se consomme ,
Quand naguères encore , aux pieds de ses autels ,
Jupiter a reçu nos sermens solennels ?
Hé quoi ! ce fier vainqueur pardonne à ta faiblesse ;
Et lorsqu'à ce banquet il admet ta jeunesse ,
(Honneur que t'envîraient les premiers de l'Etat ! )
Tu voudrais te souiller d'un lâche assassinat !
Tu voudrais , de nos Dieux foulant aux pieds la crainte ,
Du toit hospitalier ensanglanter l'enceinte ?
Mon fils ! faut- il qu'en vain j'embrasse tes genoux ,
Moi qui sus d'Annibal attendrir le courroux ?
Que de ces Dieux vengeurs la majesté sacrée ,
Et la foi des sermens que ta bouche a jurée ,
La faveur d'Annibal , le meurtre et son horreur
Ne touchent point , ingrat , ton inflexible coeur ,
J'y consens : mais au moins que la raison t'éclaire :
L'as-tu bien pu former , ce projet téméraire ?
Seul , tu veux attaquer le vainqueur des Romains !
Crois-tu qu'autour de lui , ces braves Africains ,
Tranquilles spectateurs de ta vaine démence ,
Te laissent sans obstacle assouvir ta vengeance ?
Penses- tu soutenir ces regards foudroyans ,
Que Mars lui-même arma d'éclairs étincelans ,
Ce front qui dissipait nos cohortes craintives ,
Ainsi qu'un vil troupeau de biches fugitives ?
Mais je veux , après tout , qu'un propice destin
Couvre tes noirs complots d'un voile clandestin.
Pourras-tu bien , dis-moi , de ton bras sanguinaire ,
Abattre , et sous tes pieds fouler le corps d'un père ?
Car il faudra , cruel , au travers de mon flanc
T'ouvrir jusqu'au vainqueur un passage sanglant ;
N'en doute pas , mon sein deviendra son égide :
Au meurtre tu joindras l'horreur du parricide ! ...
Tu recules d'effroi , tu trembles , ô mon fils ! ...
Des pleurs roulent déjà dans tes yeux attendris .
Ahl rougis , Pérolla , d'un coupable délire ;
Fuis , respecte un héros que l'univers admire ;
"
2
.. JANVIER 1813 .
99
Je t'en conjure ici : veuillent les immortels
Rendre ton coeur sensible aux accens paternels ,
Ainsi que pour toi-même , ils ont permis naguère
Qu'Annibal favorable écoutât ma prière !
PÉROLLAjette son glaive .
Tu l'emportes , mon père , Annibal est sauvé ! ....
> FRÉDERIC BATRÉ.
LE PAON ET LE CHOUCAS ,
Fable allégorique , imitée de FAERNE.
Le souverain de la gent emplumée
Venait de descendre au tombeau ;
Les petits et les grands , et le peuple et l'armée ,
Réclamaient à-la- fois un monarque nouveau.
On s'assemble , on cabale , ainsi qu'il est d'usage ;
L'un vend , l'autre achète un suffrage .
Tandis que l'on s'échauffe en vain ,
Le paon s'avance , et d'un ton fier et vain :
* Vous voyez , leur dit- il , cet éclatant plumage ,
» Ce cou d'azur , ce port noble et divin ;
» Le trône , je le crois , peut être le partage
>> De qui sut mériter les faveurs du Destin. >>>
Tous s'en allaient au Paon décernant la couronne ,
Quand le choucas l'apostrophant ainsi :
» Gentil oiseau , dit- il , parvenu sur le trône ,
>> Si l'on t'apprend qu'un farouche ennemi
» Menace d'envahir l'Etat et ta personne ,
» Réponds , que feras-tu ? quel sera notre appui ?
>> Le courage sert mieux que la beauté ; sans lui ,
» Jamais au rang suprême on ne devrait prétendre. n
Cet avis du choucas parut très-bon en soi ,
Et l'aigle courageux dès-lors fut élu roi .
Pour régir un Etat , pour savoir le défendre ,
Pour maintenir tout le peuple en repos ,
Il fallait plus qu'un chef , il fallait un Héros.
M. BOINVILLIERS , corresp . de l'Institut.
G2
10. MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
ÉNIGME.
DE moi l'on voit sortir une épaisse fumée
Qui de feu n'est pourtant jamais accompagnée ;
Demoi l'on voit couler un grand nombre de pleurs ,
Et je ne souffre pas la moindre des douleurs :
...Aux rigueurs des saisons sans pitié l'on m'expose ;
Au grand air est toujours le lit où je repose ,
Et pourtant j'y conserve une interne chaleur ,
Que sait mettre à profit l'adroit cultivateur .
A la ville on me croit un être méprisable ,
C'est le contraire aux champs : j'y suis recommandable.
Par moi l'on remédie à la stérilité ,
Et j'y double l'espoir de la fécondité.
LOGOGRIPHE
1
S ........
DES plus belles couleurs brillante avec ma tête ,
Je suis en la perdant d'une extrême pâleur ;
Quand le saint sacrifice à l'église s'apprête ,
On me voit sur l'autel dans les mains du recteur ;
Si je perds tête et queue , ô destin déplorable !
Je deviens aussitôt , j'en frissonne d'horreur ,
D'un supplice odieux l'instrument exécrable.
CHARADE .
V. B. (d'Agen. )
Mon dernier par l'usage et par la loi commune ,
Al'église , lecteur , ainsi qu'à la commune ,
Précède les époux conduits par l'amitié .
De leur lit mon premier tient plus de la moitié :
Mon tout sans être esclave , et sans la moindre gêne ,
Du Cap rouge à Damas est toujours à la chaîne .
V. B. ( d'Agen . )
1
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Lemotde l'Enigmmee estAiguille.
Celui du Logogriphe est Poêle , dans lequel on trouve : Pôle.
Celui de la Charade est Patelin . 1
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
LA GAULE POÉTIQUE , ou l'Histoire de France considérée
dans ses rapports avec la poésie , l'éloquence et les
beaux-arts ; par M. DE MARCHANGY. -Deux vol. in-8°.
-Prix , 10 fr . , et 12 fr. 50 c. franc de port . Paris ,
chez Chaumerot , libraire , place Saint-André-des-
Arts , nº 11 ; Chaumerot jeune , libraire , Palais-Royal ,
galerie de bois , nº 188 ; et Eymery , rue Mazarine ,
n° 30 .
Nous possédons plus de dix mille volumes sur l'histoire
de France , et cependant M. Marchangy est parvenu
à donner sur le même sujet un ouvrage aussi original
qu'intéressant ; c'est une entreprise ingénieuse et
nationale que celle d'avoir voulu prouver que nos chroniques
offraient à l'orateur , au poëte , au peintre , les
ressources les plus abondantes. On trouve , en effet , dans
la Gaule poétique des discours vraiment éloquens , des
sujets de tableaux faits pour tenter le pinceau de nos
meilleurs artistes , et des esquisses animées de poëmes
épiques et de tragédies. Avant de rendre un compte plus
détaillé de cet ouvrage , nous croyons devoir citer en
entier l'Introduction , qui donnera mieux que nous ne
le ferions nous-même une idée précise du plan et de la
manière d'écrire de M. Marchangy .
Introduction de la Gaule poétique. :
Jusqu'à présent on n'a cru voir dans les chroniques
françaises que des événemens obscurs , et des fables grossières
peu propres aux conceptions poétiques ; mais une
étude plus profonde sauraity trouver en grand nombre, des
germés précieux , qui n'attendent pour éclore que la volonté
du génie .
Notre histoire , que les Muses ont négligée , aurait pu
facilement leur plaire si elles eussent découvert , sous le
voile épais que n'ont osé lever de timides annalistes , une
102 MERCURE DE FRANCE ,
beauté vierge encore et des grâces ignorées . Sous quels
traits intéressans , sous quels divers attributs , la poésie et
la peinture , dont le privilége est de tout animer , ne pourraient-
elles point représenter la France ?
Tantôt on la verrait , intrépide amazone , portant la hache
du Sicambre , les bracelets du Celte , la lance des Paladins ,
Pépéron d'or , le faucon , et le cor retentissant des nobles
et des châtelains .
Tantôt errante pélerine , revenant des lieux sacrés avec
Ie rosaire des ermites , le bourdon , l'écharpe brodée par
les jouvencelles , la harpe du troubadour , et la cithare des
romanciers .
Tantôt puissante fée, couronnée de la verveine , dont les
prophétesses des Germains et des Gaulois ceignaient leur
front; armée de la baguette des Nécromans , de l'anneau
merveilleux , de la coupe aux philtres magiques ; transportée
sur un char aérien , et telle qu'apparurent à nos crédules
aïeux les Oberon , les Morgane et les Mélusine .
Mais plus souvent encore on la verrait , auguste divinité ,
élevée sur un trône dont les étrangers mêmes ont reconnu
laprééminence , et recevant les productions du génie , les
voeux , les sermens , les sacrifices d'une foule de héros:
fiers de répandre leur sang , et de mourir pour elle. A son
autel sont suspendus les oriflammes de Clovis , les faisceaux
que Charlemagne rapporta du Capitole , les bannières
des Louis et des Philippe , le panache blanc de
Henri IV , et les épées des Duguesclin , des Nemours ,
des Bayard , des Condé , des Turenne , des Catinat , des
Villars . Parmi ces trophées éclate son vaste bouclier , que
parent les armoiries de cent familles illustres , les couleurs ,
les chiffres et les devises des chevaliers et des bannerets .
Autour de ces nobles écussons s'entrelacent les rameaux
du chêne qu'adoraient nos Druides ; l'olivier que les
Phocéens transplantèrent sur nos rivages; le peuplier d'Italie
, emblême des colonies romaines dans les Gaules ;
les palmes de l'Idumée , et les lis couverts d'abeilles : sur
ces images symboliques la galanterie et les amours effeuillent
les roses cueillies dans les voluptueux bosquets d'Anet ,
de Blois et de Versailles .
Il n'est pas une époque dans notre histoire qui ne puisse
offrir aux beaux-arts des sujets dignes de les inspirer.
Si l'on parcourt rapidement nos fastes , on verra d'abord
les Gaulois fonder de grands royaumes dans l'Italie et dans
l'Asie , qui à leur tour élèvent parmi nous des cités célèJANVIER
1813. 103
bres; on verra un nouveau peuple , échappé des forêts du
word , signaler par mille exploits une audace intrépide .
Toute la nuit de ces premiers siècles étincelle de faits
éclatans .
Bientôt les murs de Cambrai et de Tours ont vu briller
l'aurore de notre monarchie : le ciel confie la garde de
Lutèce à une simple bergère , qui détourne avec sa hou
lette la grande armée d'Attila ; Clovis s'élève , et vingt rois
disparaissent ; la Gaule entière est saluée du beau nom de
France ; un miracle convertit le monarque idolâtre , et
PEternel , s'intéressant à nos drapeaux , se montre le Dieu
des victoires , comme au tems des Moïse et des Josué.
Mais sous le règne des Clotaire et des Chilpéric , la
France n'est qu'une plaie , et la muse de Sophocle et d'Euripide
oublie les murs de Thèbes et d'Argos , pour rêver
sur les bords de la Seine à de tragiques souvenirs . Un père
abesoin de bouclier devant l'épée de son fils , et le soleil
refuse sa lumière à de nouveaux Pélopides ; des femmes
ardentes à régner se font un sceptre du poignard; le jeune
héritier du trône est retrouvé dans les filets du pêcheur , et
de nombreux phénomènes ont consterné la terre .
Après cette époque horrible , mais poétique , s'avancent
indolemment du trône au cloître , et du cloître au tombeau
, ces rois qui n'ontpas régné , ces vains simulacres
qu'un maire proclame avec ironie , et que leurs sujets
ignorent .
Lasse d'un tel repos , la France se réveille , et bientôt se
couronne des lauriers que lui apportent Charles-Martel ,
Pépin et Charlemagne ; elle entonne l'hymne de Roland et
les chants que recueille Eginhard; ivre de sa gloire , elle
reçoit les armes brisées des Sarrasins et des Saxons , la
couronne de fer que la belle Teudelinde ceignit au roi des
Lombards son époux , l'étendard de Rome , le bandeau
impérial des Césars , les sceptres de la Germanie , les clefs
du sépulcre de Jérusalem , et les hommages d'Alphonse ,
d'Irène , d'Aaroun et de Nicéphore .
Mais un grand deuil succède à une grande splendeur ,
etdu fond du nord les enfans d'Odin , guidés par leurs
Valkiries et leurs Scaldes , apportent sur nos rivages la
guerre et l'idolatrie . Au milieu des discordes et des troubles
civils deux aimables princes règnent ensemble comme
deux lis sur une même tige ; tendres frères qu'un trône
même ne put désunir , et que la mort n'a pas séparés .
Cependant la chevalerie a reçu des mains de la beauté le
104 MERCURE DE FRANCE ,
ر ت ا
hautbert , les panaches flottans , les armes invincibles , et
la beauté lui doit à son tour un culte professé par la bravoure
et la courtoisie . Que la Grèce ne vante plus ses fabuleux
argonautes , et ses Alcide , et ses Thésée ; une race de
héros efface tous leurs exploits et se consacre à la défense
de la faiblesse et du malheur . Des aventures inquies , des
faits d'armes prodigieux , des tournois aussi beaux que les
jeux d'Olympie ; tout ce que la valeur et l'amour peuvent
enfanter de plus merveilleux se trouve dans cette partie de
notre histoire . is
Mais à la voix de l'ermite qui s'échappe, tout inspiré, du.
désert , nos guerriers marchent à la délivrance du tombean
sacré ; les tentes de France s'élèvent près du sycomore et
du palmier de la Syrie , et l'histoire s'assied sur les rives.
saintes du Cédron et du Jourdain . L'Orient brillantet policé,
enchante nos héros , qui reviennent dans l'Europe ignorante
et ténébreuse avec les flambeaux des sciences et des
arts .
De charmans concerts ont ravi l'Occitanie et la Provence ..
Des générations d'Amphions et d'Orphées se rendent sous
les rameaux du mélèze et du térébinthe , où siége la cour
souveraine que préside la beauté , et lui font entendre la
ballade et les plaidoyers d'amour. Non , jamais la flûte des
bergers du Ménale et du Sténiclare ne soupira de plus doux
airs que la lyre de ces poëtes amans et guerriers qui , des
bords parfumés de la Durance , se répandent de toutes parts
et charment le palais des rois et les salles des baróns et des
châtelains .
La langue française voit les romanciers couvrir de fleurs.
son berceau ; elle en sort avec les grâces de l'enfance ; ses
paroles simples et naïves donnent un air de candeur à tous
les sentimens qu'elle exprime .
Cependant la France accomplit ses destins , et multiplie
les exploits et les actions illustres ; mais c'est dans les revers
que paraît sur-tout sa grandeur. Qui oserait reprocher
à nos pères les journées de la Massoure , de Cressy , de
Pavie ? Fatales journées où moins braves , ils eussent été
vainqueurs , et où leur courage mérita le triomphe dont les
priva leur impétuosité ! C'est ici qu'on admire Saint-Louis,
captif des Sarrasins , qui respectant ses vertus , brisent ses
fers , lui demandent la paix et veulent le proclamer leur
souverain. Le roi Jean court prendre la place d'un ôtage
infidèle en s'écriant que sila bonne foi était perdue , il faudrait
la chercher dans le coeur des rois . François It rassure
"
JANVIER 1813 . 105
son pays en lui apprenant que tout est perdu , hormis
l'honneur.
Il est bien doux , bien consolant de voir la patrie , toujours
habile à relever ses ruines , faire éclore de son malheur
même un germe de prospérité..
Après les règnes désastreux des successeurs de Philippele-
Bel, apparaît , comme l'arc- en -ciel après l'orage , le règne
pacifique de Charles V, qui ne trouvait les rois heureux
que parce qu'ils peuvent faire le bien. "
Après l'envahissement du royaume parles Anglais , alors
que toutes nos cités subissaient un joug odieux , une jeune
vierge leva contre eux sa lance et les fit disparaître.
Al'ombrageux , au despote Louis XI , qui vivait inaccessible
dans le fond de son château de Plessis-lez-Tours ,
on voit succéder le courtois et l'affable Charles VIII , mêlant
des fêtes aux victoires , rapportant des rives de Parthénope
soumise des plantes et des fruits inconnus
France , qui bénit ses fertiles trophées .
20
à la
Consolant ses sujets des parricides horreurs de la Saint-
Barthélemi et des égaremens d'une Ligue insensée , arrive
ce Henri IV , qui laissa tant de souvenirs attendrissans à
latable du pauvre et à la cabane du charbonnier.
Après les troubles de la Fronde, le deuil et les misères de
la cour ,on contemple Louis XIV ajoutant à la majesté des
rois , et réalisant dans Versailles les fables de l'Olympe ,
les féeries d'Armide ef d'Alcine ; magnifique souverain
dont Homère et Phidias eussent fait leur grand Jupiter en
le voyant entouré de cent génies immortels qu'inspiraient
son sourire fécond et ses regards puissans .
Après les années honteuses de la révolution , où la terreur
, le carnage , la famine et tous les fléaux creusaient
l'effrayant tombeau de la France , on voit luire l'aurore ,
qui , dissipant tant de nuages , enfante un astre réparateur;
la patrie refleurit à son éclat , et sous les arcs-detriomphe
qui consacrent mille victoires , entre dans nos
remparts étonnés l'héritage de Rome et d'Athènes .
Ah ! gloire et honneur au pays que n'a point abaissé
l'infortune , et qui n'a jamais désespéré de son salut !
Gloire et honneur au pays de la vaillance , de l'esprit , de
la politesse , et des vertus hospitalières ! au pays qu'ont
défendu tant de héros , qu'ont embelli de si grands talens !
Vous donc , poëtes et artistes citoyens , que l'amour de
votre patrie échauffe de son feu sacré , saisissez la lyre , le
ciseau, la palette , et daignez me suivre dans les nouveaux
106 MERCURE DE FRANCE ,
✓
sentiers que je vais vous frayer : nous nous arrêterons
ensemble sous les chênes divinisés , où les antiques Semnothées
accomplissaient leurs mystères ; dans ces camps
nombreux que les Gaulois et les Francs ont dressés en face
de tant de nations différentes d'origine , de moeurs , de
coutumes; dans les fêtes et les cours plénières de nos
monarques ; dans les joûtes et les carousels de nos paladins
: nous parcourrons les cloîtres du cénobite , la grotte
du solitaire , les sombres églises , qu'on prendrait pour des
catacombes , et des forêts pétrifiées , et les manoirs féodaux
, et les castels hospitaliers , où les pélerins , les
preux , les écuyers , les pages et les damoiseaux contaient
leurs aventures de guerre et d'amour à la lueurdes brasiers .
Vous apprendrez les faits célèbres , les grandes vertus , les
grands crimes , les usages curieux , les fables nationales ,
les moeurs simples et la vie privée de nos aïeux ; alors
étonnés de tant de poétiques richesses , vous consacrerez
désormais vos veilles à célébrer une histoire trop long-tems
méconnue et dédaignée. Si j'ose marcher avec vous dans
cette lice glorieuse , où le mérite seul a droit de porter ses
pas, ce n'est point que je prétende vous donner des leçons
et des exemples ; ce n'est point que j'aspire aux palmes
dues à ceux qui sauront dignement raconter tant de merveilles
; mais le berger qui vit obscur dans les vallons solitaires
, conduit quelquefois le conquérant à travers les
routes inconnues , et le mène jusqu'au champ d'honneur
où l'attend la victoire .
1 (La suite à un prochain numéro . )
LE GLANEUR, ou Essais de Nicolas Freeman , recueillis
--
et publiés par M. A. JAY . Un vol . in -8 ° . Prix ,
6 fr . , et 7 fr. 50 c. franc de port . Chez Cérioux jeune ,
libraire , quai Malaquais , nº 15 ; Dargent , libraire
rue de l'Odéon , nº 34 ; et Lenormant , imprimeurlibraire
, rue de Seine , n° 8 .
CE titre simple et modeste , le nom de l'homme de
lettres qui veut bien ne s'annoncer que comme l'éditeur
de l'ouvrage qu'il offre au public , son talent si justement
apprécié ; voilà bien des motifs pour fixer l'attention du
lecteur qui cherche moins l'emploi de quelques heures
que l'occasion de méditer et de s'instruire. Des pensées
JANVIER 1813 . 107
profondes , des vues ingénieuses et piquantes , un aimable
badinage , une douce philosophie; telles sont les
qualités qui distinguent cette nouvelle production . Il
appartenait au panégyriste de Montaigne de nous les
retracer : il l'a fait dans un style formé sur les meilleurs
modèles , et qui rappelle souvent les tournures animées
et rapides , ainsi que l'élégante clarté de la prose de
Voltaire .
Il est assez difficile d'analyser un ouvrage qui se compose
de parties presqu'entièrement étrangères les unes
aux autres , et réunies seulement par un fil délié que le
moindre contact peut rompre. Des chapitres entiers sont
consacrés à la plus haute littérature , quelques-uns à la
morale et à la philosophie , d'autres au développement
des passions qui se partagent le coeur de l'homme : c'est
alors que M. Jay ou Nicolas Freeman fait agir les personnages
jetés dans l'action , etdonne ainsi tout-à-la-fois
l'exemple et le précepte. Mais quoi ! nous dira-t- on ,
vos premières réflexions semblaient annoncer un traité
didactique , où les résultats et les preuves étaient le
complément de propositions discutées avec méthode et
appuyées de toutes les armes du raisonnement , et vous
parlez maintenant d'action , de personnages ! le livre de
M. Jay serait-il donc un roman? Ni l'un ni l'autre . Un
tableau , quel qu'il soit , n'exige-t-il pas un cadre ? La
vérité toute nue trouverait peu d'adorateurs ; et sans
s'abandonner à de tristes élucubrations sur l'affaiblissement
des facultés intellectuelles ou physiques que
l'homme a reçues en partage , bornons - nous à remarquer
que , dès l'enfance des sociétés , il lui fallut présenter la
vérité sous le manteau de la fable . Le monde vieillit sans
devenir plus raisonnable , ou , pour mieux dire , il reste
avec les mêmes passions , les mêmes vertus et les mêmes
faiblesses ; il n'a fait que changer d'erreurs . Le sage les
voit et les apprécie ; mais comment les signaler ? Oserat-
il présenter à la multitude enivrée l'image sérieuse de
la froide raison ? Ne faut- il pas la voiler sous les tissus
Jégers de la mode ? elle passe à l'aide de ce déguisement ;
et le monde fait un mérite à l'étrangère , non pas de ce
qu'elle est , mais de ce qu'elle a voulu paraître . Quai
1
108 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il en soit , le charme opère sur quelques bons esprits;
ils eussent pris la fuite sans cette heureuse précaution ;
désormais éclairés par l'expérience , ils bénissent la sage
philosophie qui cède d'un côté pour tout reconquérir ;
la persuasion est son ouvrage , et quand l'erreur des
premiers instans se dissipe , on s'applaudit d'avoir été
trompé.
;
Cosi all' egrofanciul' porgiamo aspersi
Di soave liquor gli orli del vaso ,
Succhi amari ingannato intanto ei beve ,
Edal inganno suo vità riceve .
( Gerusalemme liberata . Canto primo . )
Cette digression peut paraître grave , mais elle n'est
pas étrangère au sujet qui nous occupe. Le livre de
M. Jay sera sans doute considéré sous différens aspects.
Les uns n'y verront que les pensées éparses , le délassement
d'esprit d'un homme à talent ; d'autres n'y chercheront
que des opinions toutes faites , soit pour mo
difier leur avis particulier , d'après le sien , soit pour
s'épargner la peine de penser d'après eux-mêmes ; méthode
facile de s'occuper de tout , de posséder toutes
les sciences , sans jamais s'embarrasser dans les épines
d'études longues et décourageantes . Quant à nous , nous
avons fait connaître assez , en commençant cet article ,
ce que nous pensons du Glaneur , et l'estime qu'il doit
inspirer à tous les gens de goût ; il est facile de tirer
Thoroscope d'un ouvrage qui réunit en sa faveur tant de
moyens de succès .
L'éditeur des Essais de Nicolas Freeman nous apprend
de quelle manière le manuscrit est tombé entre ses
mains ; il nous donne , dans une préface aussi spirituelle
que bien écrite , des détails très-circonstanciés sur l'origine
du bon Freeman , sur ses liaisons et l'amitié qui
Funissait à lui ; les derniers momens de ce rare ami et
la remise des papiers sont racontés sur-tout de la manière
la plus piquante. Il faut y voir le tableau de la
douleur de l'héritier à la nouvelle de la maladie de son
parent; sa colère contre d'imprudens amis qui voudraient
qu'on laissât agir la nature , le soin qu'il prend
JANVIER 1813 . 109
1
d'entourer le malade d'un grand nombre de médecins ;
enfin , l'excès de sa sensibilité qui ne lui permet pas
d'assister aux funérailles ..
L'ouvrage commence enfin , et plusieurs personnages
sont mis en scène dès les premières pages . Leurs caractères
différens sont établis dans un chapitre d'introduction
. L'un d'eux est un ancien gentilhomme de la Basse-
Bretagne , nommé Kerkabon ; il a parcouru plusieurs
pays étrangers ; les moeurs , les lois et les coutumes ont
été le sujet de ses méditations ; franc, loyal , indulgent
pour les autres , sévère pour lui-même , il est regardé
comme un sage .
:
M. Duhamel , ancien avocat au parlement de Grenoble
, vient ensuite. C'est un bibliomane déterminé , sa
maison toute entière est devenue une vaste bibliothèque .
Religieux jusqu'à l'intolérance , d'ailleurs rempli de
vertus solides , il a conservé chez lui une suprématie
absolue. Savant , il ne s'offense pas que Mme Duhamel
mêle ensemble Horace et Corneille , les Alde et les Variorum
, et soupçonne tous ces gens-là de n'être pas de
trop bons chrétiens .
Le troisième personnage de l'association est le major
Floranville , neveu de Kerkabon. Aux rhumatismes et à
la pituite près , il aurait pu servir de type aux auteurs du
ci-devant Jeune homme .
Enfin , le quatrième acteur principal est Nicolas Freeman
lui-même. Son ame est simple et naïve , il cache
un coeur excellent sous des dehors peu séduisans . Sa
figure assez hétéroclite lui procure l'honneur d'être placé
dans un tableau de l'Adoration des Mages ; on le prend
pour modèle du roi arabe ; il faut lire dans l'ouvrage
même le détail de cette burlesque aventure , dont la
suite amène un récit qui jette sur une partie de la composition
le plus doux intérèt.
Après l'exposition de ces différens caractères , l'auteur
les place dans une situation favorable pour exposer ses
principes et ses opinions . Duhamel , entouré de bou
quins , fait la revue de toutes ses richesses. On sent ce
qu'un pareil sujet pouvait fournir au talent d'observation
de M. Jay. En homme judicieux , il s'est contenté de
110 MERCURE DE FRANCE ,
1
montrer de l'érudition , du goût ; l'écueil de la satire
était là ; un autre y serait tombé ; ce n'est pas un petit
mérite que d'avoir su se préserver d'un tel appât. Floranville
noue une intrigue romanesque avec deux aventurières
; les querelles des journalistes , les amitiés d'auteurs
, la mode nouvelle , l'occupent entièrement. Kerkabon
, pendant ce tems , moralise avec tous , et Nicolas
Freeman s'évertue sur les questions littéraires les plus
délicates . C'est ici que M. Jay montre le talent le plus
recommandable ; son style s'élève avec le sujet , il arrive
au ton noble et sévère d'une discussion grave et méthodique.
,
M. Jay s'est proposé d'examiner les causes qui s'opposèrent
au succès des ouvrages de Milton à l'époque de
leur publication. Il n'a voulu , comme il nous l'annonce
lui-même , que chercher à démêler les causes qui influent
sur la destinée des productions du génie. Cette
déclaration franche bannit toute idée de critique de sa
part , quoique dans une semblable matière le champ
puisse être librement ouvert à la discussion . Beaucoup
de nos lecteurs se souviennent , sans doute , que dans
lexorde d'un discours académique , qui a obtenu dans
le monde une célébrité clandestine , un écrivain illustré
par d'éclatans succès , crut pouvoir établir , comme un
principe certain que la nation anglaise , animée d'un
même esprit et mue par un sentiment unanime , voulut
punir l'auteur du Paradis Perdu des erreurs de sa vie
politique , en condamnant à l'oubli son plus beau titre
de gloire. Cette idée porte avec elle un caractère solennel
de justice vengeresse qui frappa tous les esprits ;
presque tous l'adoptèrent sans hésiter , et ce qui n'était
peut-être de la part de l'auteur du discours qu'une hypothèse
, et qu'un moyen préparatoire , pour arriver à des
résultats dont nous puissions faire une application immédiate
et facile , devint pour le plus grand nombre des
lecteurs une démonstration rigoureuse. Il était digne
d'un homme également versé dans la littérature et dans
la connaissance de l'histoire , de vérifier l'exactitude d'un
fait aussi extraordinaire. Les preuves que M. Jay a
rassemblées sont tirées des écrits du tems , des moeurs de
JANVIER 1813 . III
l'Angleterre à l'époque de la publication du Paradis
Perdu , et du genre même de cet ouvrage .
« Lorsqu'en 1667 Milton publia le Paradis Perdu ,
>> la tranquillité était rétablie en Angleterre . La nation
>>anglaise présentait alors un singulier spectacle . Char-
>>les II , qui aimait la galanterie et le plaisir , avait
>>>introduit dans sa cour une licence de moeurs qui ne
>>connaissait point de bornes . Les femmes et les favoris
>> y régnaient despotiquement. Des parties de débauche ,
>> des fêtes continuelles étaient la principale affaire du sou-
>> verain etde ses courtisans . Il croyait imiter Louis XIV ;
>> mais il n'avait ni cette magnificence , ni cet amour de
>> la gloire , ni cette dignité qui couvraient les faiblesses
>>du monarque français , et le rendaient alors l'idole de la
>>>n>ation. Charles II ne manquait pas d'instruction , mais
> il ne montrait de goût que pour les comédies licen-
> cieuses de Wicherley et pour la partie frivole de la
>> littérature . D'ailleurs il n'estimait que les écrivains
>> français qui n'avaient point de rivaux en Europe. La
>> cour partageait les goûts et les opinions du maître ;
>> personne en Angleterre n'était moins Anglais que
>> Charles II , ses maîtresses et ses favoris .
» Il est incontestable que , même en mettant à part
>> l'impression fâcheuse que le nom de l'auteur du Paradis
>> Perdu devait produire à la cour , ce poëme était d'un
>> genre trop sévère pour y obtenir du succès . L'histoire
>> d'Adam et d'Eve , l'aventure de la pomme fatale , les
>> prouesses de Satan, les combats des Anges et des Dé-
>>mons , la peinture du Paradis et de l'Enfer , tous ces
> objets n'étaient pas de nature à intéresser des hommes
>> peu religieux , qui s'amusaient à jeter du ridicule sur
>>>les choses les plus sérieuses , et qui jouissaient du pré-
>> sent sans trop s'inquiéter de l'avenir. Les deux poëtes
>>les plus frivoles que l'Angleterre ait produits , Waller
>> et le comte de Rochester , étaient seuls en possession
>> d'amuser la cour. On n'y connaissait Milton que comme
>>l'auteur de quelques pamphlets séditieux , et lorsque
>>son chef-d'oeuvre parut , on s'imagina qu'il ressemblait
> à ces productions mystiques et ennuyeuses dont les
112 MERCURE DE FRANCE ,
>> presbytériens et les puritains inondaient encore l'An-
>>>gleterre . >>>
Ce raisonnement paraît sans réplique ; il est appuyé
sur la connaissance des faits et sur l'esprit qui régnait
alors à la cour d'Angleterre . Mais le corps de la nation
que pensa-t-il à l'apparition du poëme de Milton ? Si les
grands , livrés aux plaisirs et à la dissipation auprès d'un
prince voluptueux et léger , ne s'appesantirent pas sur le
mérite de ce chef-d'oeuvre , pourquoi le peuple qui
s'enivre si peu des mêmes voluptés , montra-t-il de son
côté la même indifférence ? M. Jay va nous l'apprendre
encore , et l'histoire du tems , la lecture des écrits qui
étaient le plus recherchés à cette époque , confirment la
justesse de ses observations .
« La masse du peuple avait conservé des moeurs aus
>> tères et un grand attachement à la religion . L'incré-
>>dulité n'avait fait aucun progrès dans la nation. Les
>> Anglais étaient chrétiens de bonne foi . La lecture de
>> la Bible était pour eux un devoir , et ils le remplis-
>> saient avec exactitude. Leur piété était sérieuse, et
» même sévère . L'érudition théologique , la méditation
>> des mystères du christianisme , le moyen de répandre
>> les vérités religieuses , tels étaient les sujets princi-
>> paux qui occupaient tous les esprits et alimentaient
>> toutes les conversations . Rien , au premier coup-
>> d'oeil , ne devait être plus favorable au Paradis Perdu ,
>> et cependant c'est à ces mêmes circonstances qu'il
>> faut attribuer l'indifférence avec laquelle il fut reçu .
» Il est impossible qu'un poëte qui traite un sujet chré-
>> tien et qui se livre à sa verve , n'embellisse pas son
>> ouvrage de quelques fictions , et ces mensonges poé-
>>tiques révoltent les hommes simplement religieux . Ils
>>regardent comme autant d'impiétés les allusions pro-
>> fanes qui se mêlent aux vérités du christianisme .
>> Si Milton eût raconté simplement la chute du pre-
>> mier homme et les funestes effets du péché , sans
>> s'écarter en rien du récit des Saintes-Ecritures , il est
>> vraisemblable que son ouvrage fût devenu populaire
» en naissant ; mais on ne pouvait lui pardonner ni ses
>> allusions fréquentes à la fable , ni ses descriptions
JANVIER 1813 . 113
"
> imaginaires des milices célestes , ni les épisodes dont
>> il a orné son poëme. Les amours horribles du Péché
>> et de la Mort , le pont jeté sur le chaos , la paradis des
>> fous , l'invention de la poudre à canon , même l'ex-
>> pression des chastes amours d'Adam et d'Eve , effa-
>>rouchent les chrétiens scrupuleux qui ne séparent pas
>> la vérité de la religion. Ils ne sauraient supporter qu'on
>> mette en scène le créateur de l'univers , et qu'on lui
>> fasse tenir des discours qui sont presque toujours
>>>indignes de la toute-puissance et de la majesté divine.»
On reconnaît dans un semblable raisonnement l'homme
de lettres profondément pénétré du sujet qu'il a entrepris
de traiter , l'observateur judicieux qui établit ses opinions
d'après l'expérience et la connaissance de l'esprit
humain . C'est par une discussion sage et raisonnée des
événemens qui se passaient en Angleterre au moment
de la publication du Paradis Perdu , que M. Jay appuie
son système , et non par de brillantes antithèses , et des
rapprochemens étrangers à une question à-la-fois historique
, littéraire et philosophique .
Les bornes de cet article ne nous ont pas permis de
faire connaître la totalité des preuves rapportées par
M. Jay ; nous n'avons pu qu'extraire des fragmens qui
perdent à être déplacés ; l'enchaînement des idées est
rompu ; c'est à l'ouvrage même que nous renvoyons nos
lecteurs ; ils y verront ce qu'un jugement sain , une
logique pure , et la plus franche impartialité , peuvent
jeter de lumière sur les faits qu'on nous a présentés avec
une éloquence captieuse .
i
Nous ne voulons pas terminer l'examen de ce mor- '
ceau sans rapporter un des passages qui le terminent .
On y verra une opinion frappante de vérité , elle est
comme le corollaire de toutes les propositions qui l'ont
précédée. Personne , jusqu'ici , n'avait fait encore une
semblable remarque , et nous ne doutons pas qu'elle
n'obtienne tous les suffrages désintéressés .
« Je suppose que le Génie du Christianisme et les
>> Martys eussent été publiés dans le siècle de Louis XIV,
>>lorsque les doctrines religieuses étaient encore dans
>> leur force ; il est plus que probable que ces ouvrages,
H
SETA
114 MERCURE DE FRANCE ,
>>malgré le talent de leur auteur , auraient été condam-
>>nés par les Arnaud , les Nicole , les Bourdaloue , les
>>>Pascal , les Bossuet , et les autres soutiens de la foi .
>> Comment des hommes qui ne pardonnaient point à
>>Racine de composer des tragédies , auraient- ils pu
>> tolérer ce mélange du sacré et du profane , de la vérité
>> et du mensonge , qu'on rencontre par-tout dans ces
>> deux productions ?
: » Il est certain qu'en lisant le poëme de Milton et les
>> ouvrages de M. de Chateaubriant , on est toujours
>> tenté de croire qu'on ne lit que des fables ; et cette
>> impression involontaire peut affaiblir le respect dû à
>>la religion. Je n'ai pas besoin d'avertir le lecteur que
→→→l'opinion que je soutiens est celle des hommes vraiment
>>pieux .
>> D'après toutes les recherches et les réflexions que
>> j'ai faites sur ce sujet , je suis convaincu que si le
>> siècle de Milton, eût été moins religieux , le Paradis
>>Perdu aurait jeté à sa naissance un grand éclat ; et
>> que M. de Châteaubriant doit une partie de ses succès
au peu de zèle et de ferveur religieuse de ses contem-
>>porains .>>>
1 M. Jay a fait précéder cet intéressant examen par une
notice très-détaillée de la vie et de tous les ouvrages de
Milton . L'Homère auglais n'est guère connu en France
que par le chef-d'oeuvre qui lui donne un rang si élevé
parmi les poëtes épiques . Peu de personnes lisent ses
autres ouvrages ; quelques-uns sont écrits en latin : tous
annoncent le génie sublime dont le nom est désormais
consacré à l'immortalité . M. Jay , attentif dans son ouvrage
à tout ce qui peut intéresser les lecteurs , l'a orné
de deux frangmens de la traduction de M. Delille ;
l'exorde du 3º chant du Paradis Perdu et la scène
touchante dans laquelle Eve sollicite et obtient le pardon
de sa faute : on sait avec quel rare talent le traducteur a
fait passer dans notre langue les beautés de l'original .
Un mérite d'autant plus remarquable dans le style de
M. Jay , mérite qui devient chaque jour plus rare , c'est
l'extrême clarté des tournures et le naturel de l'expression.
Ces deux qualités sont précieuses sur-tout dans la
:
:
r
JANVIER 1813 . 115
narration , et M. Jay, en homme qui sait plier son talent
aux divers genres de composition , a placé dans son livre
deux nouvelles qui doivent réunir tous les suffrages .
Dans la première , il s'agit de prouver, par un exemple ,
qu'une éducation soignée ne produit pas chez les femmes
le dangereux effet de diminuer leurs affections domestiques
et l'amour qu'elles doivent porter à leurs époux
ainsi qu'à leurs enfans . Kerkabon soutient cette thèse
galante , et raconte l'histoire d'Elvire , fille du vice-roi
du Mexique. Nous nous garderons bien de détruire l'intérêt
qu'inspire cette nouvelle , en cherchant à l'analyser .
Nous userons de la même discrétion à l'égard de la séconde
: c'est l'histoire du sage et sensible Kerkabon luimême
. Ici tout le charme naît de la grâce du récit ; on
n'y trouve aucun de ces événemens extraordinaires qui
agitent la vie de la belle Espagnole; tout se passecomme
dans notre Europe ; et quoique l'auteur , peut-être par
hasard , peut-être par une prédilection particulière , ait
placé dans le Nouveau-Monde les catastrophes qui terminent
ses récits , il n'est pas moins vrai que Kerkabon
n'abuse pas de la distance ; il touche le coeur sans effrayer
l'imagination . Cette partie du Glaneur n'est pas la moins
remarquable , elle prouve dans l'auteur un talent de
composition fort distingué. :
1
Quelque plaisir que le livre de M. Jay procure à
la lecture , quelque plaisir aussi vif qu'on éprouve à
le louer', encore faut-il que la critique ait sa part :
rien n'est perdu pour le malin . Si M. Jay a voulu
donner au public un roman littéraire et philosophique ,
la nullité de l'action devient un défaut que couvre à
peine le mérite des diverses parties de l'ouvrage. Si ,
au contraire , M. Jay n'a imaginé son cadre que
pour présenter au public des fragmens sur différens
sujets rassemblés dans un même volume , ainsi que le
démontre le titre , on avouera que la fable imaginée
pour mettre en oeuvre tous ces matériaux ajoute bien peu
à l'intérêt de l'ouvrage . M. Jay paraît lui-même ne pas
mettre une grande importance àses personnages , il agit
avec eux sans cérémonie , et se met à leur place lorsque
la gravité du sujet l'emporte , sans trop s'embarrasser
H2
116 MERCURE DE FRANCE ,
de ce qu'ils deviendront ; le lecteur les retrouve avec
plaisir , mais il ne s'inquiète nullement des causes de
leur disparution : ils ont été bien remplacés . Eh ! qu'importe
après tout que ce soit Freeman , Kerkabon ou
M. Jay lui-même qui entretienne le lecteur ! L'objet
principal est de plaire , d'attacher ou d'instruire ; il est
difficile de rencontrer un livre qui, mieux que le Glaneur,
remplisse à-la- fois ces importantes conditions .
G. M.
OEUVRES COMPLÈTES DE BERTIN , nouvelle édition , ornée
du portrait de l'auteur et de deux jolies figures .-
Deux vol. in- 18 . Prix , 2 fr. 50 c . , et 3 fr . franc
de port. Paris , chez Duprat-Duverger , rue des
Grands - Augustins , nº 21 .
,
SI M. de Parny a obtenu avec justice le surnom de
Tibulle français , Bertin , son compatriote et son ami
semble avoir ambitionné l'honneur d'être notre Properce
; on le lui a même accordé, quoiqu'il soit bien souvent
au-dessous du chantre de Cinthie . Tibulle et
l'amant d'Eléonore se font distinguer l'un et l'autre par
un naturel plein de grâce , par une sensibilité vive et
sans affectation , par une mélancolie douce qu'un heureux
choix d'expressions conserve fidèlement. Leurs
vers coulans et faciles ont la même harmonie , la même
pureté et la même élégance ; leurs pensées amoureuses
ont le même charme , et leurs transports le même délire.
Sans doute les Dames romaines savaient par coeur les
élégies de Tibulle, comme nos aimables Françaises savent
celles de son rival .
Properce , au contraire , moins tendre , et par conséquent
moins naturel , mais doué d'une imagination vive
et forte, prodigue les hors -d'oeuvres , les descriptions , et
se fait remarquer par la richesse et par la variété des
détails ; c'est bien plus l'esprit que le coeur qui parle
dans ses élégies , et son style surchargé d'ornemens poétiques
n'a pas la douceur , la mollesse et la grâce qui
conviennent au genre élégiaque . Properce a servi de
21
JANVIER 1813 . 117
!
modèle à Bertin , et il y a entr'eux une analogie de
talens qu'on reconnaît bientôt en lisant leurs ouvrages .
Si Bertin n'avait pas eu le bon esprit de bien choisir son
modèle , si , par exemple , séduit par les grâces enchanteresses
de Tibulle , il avait tenté d'imiter ce grand poëte,
il est certain qu'il aurait complétement échoué , et que
ses vers auraient grossi le nombre de ceux que dès leur
naissance on a dévoués à l'oubli .
Il ne faut pas se dissimuler cependant que si , dans un
grand nombre d'élégies , Bertin est un rival heureux de
Properce , quelquefois aussi il n'est que l'émule de Dorat.
Lié d'amitié avec ce versificateur petit- maître , ce pédant
couleur de rose , ce ver luisant du Parnasse , comme
l'ont ingénieusement nommé MM. Palissot et Le Brun ,
quelques-uns de ses vers se ressentent de ce commerce
qui a dénaturé le talent de plusieurs jeunes poëtes , et
leur a appris l'usage de je ne sais quel persifflage inintelligible
qui , en brillantant leurs productions , les a
dépouillées de la vérité sans laquelle il n'y a point de
poésie .
Maintenant que le goût des bonnes études nous a
complétement désabusés de l'éclat factice de l'école de
Dorat , il nous a paru nécessaire de prévenir que si
Bertin n'a pas toujours su s'en garantir , il faut du moins
avouer que de semblables taches sont rares dans ses
élégies , et que si elles se rencontrent plus fréquemment
dans le recueil publié en 1773 , c'est qu'il était fort jeune
alors ; mais de cette époque à l'année 1782 où parurent
ces mêmes élégies , le talent de Bertin prit un caractère
plus décidé , et une étude constante des grands modèles
le ramena aux principes de la bonne école.
Bertin a peint son caractère dans les vers suivans ;
quoiqu'ils soient bien connus , ainsi que toutes les productions
de cet aimable poëte , on nous permettra sans
doute de les citer , car ils le montrent sous un jour bien
avantageux .
Ovous qui lirez mes écrits ,
Lecteurs trop indulgens , voulez-vous me connaître ?
Au sein de vastes mers l'Afrique m'a vu naître :
Faible arbuste , à neuf ans , transplanté dans Paris ,
BIBL. UNIV,
118 MERCURE DE FRANCE ,
Et de mon premier ciel favorisé peut-être ,
Je surpassai l'espoir de mes maitres chéris .
Au Pinde et chez les Rois , dans les camps , à Cythère ..
J'osai me montrer tour- à-tour .
Sincère et timide à la cour ,
J'eus pourtant le bonheur de n'y pas trop déplaire .
En amitié , fidèle encor plus qu'en amour ,
Tout ce qu'aima mon coeur , il l'aima plus d'un jour .
१
Lorsque j'entrai dans la carrière ,
On caressa ma muse ; on daigna l'accueillir ,
Comme on accueille en France une jeune étrangère ,
Qui d'un lointain climat dans nos murs vient s'offrir .
Le chantre de Ferney , sous son toit solitaire
Voyait alors l'Europe à grands flots accourir :
Hélas ! j'ai peu connu Voltaire ;
Je l'ai vu seulement triompher et mourir.
Mais Dorat , mais Bonnard , mais cette foule ainable
De convives joyeux et d'esprits délicats
Me rechercha long-tems : je leur versais à table
Les rubis du Pomar et l'ambre des muscats.
Ces vers ne dépareraient pas les oeuvres de nos meilleurs
poëtes ; à l'exception du dernier dont la pensée est
trop recherchée , les autres sont corrects , faciles et
harmonieux ; la coupe en est heureuse , et ceux qui
concernent Voltaire sont d'une élégance remarquable.
Les Amours de Bertin , plusieurs fois réimprimés ,
sont si connus , qu'il serait inutile d'en citer ici des passages
sur le mérite desquels tout le monde est d'accord.
Il n'est pas un ami des vers qui n'ait lu plusieurs fois ces
élégies où le défaut d'abandon est compensé par un luxe
peut-être trop abondant d'images poétiques , et où si
l'amant n'est pas toujours passionné , il est presque
toujours poëte habile .
Ce défaut d'abandon qu'on reproche à Bertin , n'est
pas au reste si général que quelques personnes se l'imaginent.
L'élégie qui commence par ces vers :
Elle est à moi ! Divinités du Pinde ,
De vos lauriers ceignez mon front vainqueur , etc.
dans laquelle , suivant l'expression d'un critique , les
JANVIER 1813 .
119 f
11
images les plus voluptueuses sont voilées de la pudeur
de l'expression , et plusieurs autres que nous pourrions
citer , ont une chaleur qui , pour n'être pas aussi expansive
que celle de Tibulle , n'a pas moins un charme particulier
qui flatte et qui finit par séduire .
Ces élégies ont fait à leur auteur une réputation qui
durera long-tems ; ses autres productions se font lire ,
parce que, si elles ont beaucoup des défauts des disciples
de Dorat , elles ont aussi des beautés qu'on ne rencontre
dans aucun des nombreux versificateurs de cette école .
On lira long-tems le Voyage en Bourgogne , et quelques
jolies épîtres parfaitement rimées ; des idées agréables
élégamment exprimées , de la facilité , de la correction ,
une coupe heureuse et quelquefois savante , de l'harmonie
et des détails gracieux sont les qualités qui les distinguent.
Le chantre d'Eléonore et celui d'Eucharis , quoique
rivaux , furent toujours amis ; jamais la jalousie n'altéra
leur amitié , et ces deux poëtes qui obtinrent beaucoup
de succès dans le même genre , y trouvèrent des motifs
de resserrer encore davantage le lien qui les unissait . La
supériorité même de M. de Parny n'affecta jamais
P'amour-propre de Bertin, et les ouvrages de celui-ci
contiennent des éloges qui durent toucher agréablement
le poëte et l'ami auquel ils étaient adressés .
Nous avons cru devoir insister sur cette union si rare .
Elle servira peut-être d'exemple dans ce siècle où la
guerre civile règne dans la république des lettres , où
les rivaux se déchirent impitoyablement et où la haine
motive trop souvent les jugemens qu'on porte sur les
ouvrages. Il faut espérer que cette anarchie , si fatale
aux sciences et aux arts , finira enfin ; l'amitié entre les
gens de lettres leur fera obtenir plus de succès que la
désunion . Boileau et Racine se communiquaient leurs
productions et s'éclairaient mutuellement de leurs conseils
. La sévérité de l'ami prévoyait les remarques de la
critique et fournissait les moyens de les prévenir. De nos
jours n'a-t-on pas vu les auteurs des Etourdis , du Vieux
Célibataire , de Médiocre et Rampant , et d'une foule
d'autres ouvrages qui ont rappelé le règne de la bonne
120 MERCURE DE FRANCE ,
comédie , montrer l'exemple de cette amitié franche si
nécessaire aux gens de lettres , mais si rare entre des rivaux
fameux par de grands succès dans la même carrière
? Il faut espérer qu'ils auront des imitateurs .
J. B. B. ROQUEFORT .
VARIÉTÉS .
AM. le Rédacteur du Mercure de France.
MONSIEUR , Voltaire a écrit un chapitre charmant sur les
contradictions de ce monde; mais il était loin d'en imaginer
une de la force de celle dont je vais vous parler .
La Harpe , son disciple fidèle dans une partie de son
Cours , semble le combattre , le réfuter dans l'autre , c'està-
dire , depuis sa conversion. En voici un exemple bien
remarquable .
Dans le tome 7 , page 262 , du Cours de Littérature , je
lis les vers suivans :
Tout amour vient du ciel : Dieu nous chérit , il s'aime ;
Nous nous aimons dans nous , dans nos biens , dans nos fils ,
Dans nos concitoyens , sur- tout dans nos amis .
VOLTAIRE.
Voici les réflexions de La Harpe à ce sujet .
« Cette doctrine est parfaitement conforme à la raison ,
et c'est en ce sens que Dieu nous ordonne expressément
d'aimer notre prochain comme nous -mêmes . En effet ,
l'amour de soi ou l'amour-propre bien réglé , soit qu'on les
confonde ensemble , comme ont fait la plupart des moralistes
, soit qu'on les considère séparément , sont des sentimens
naturels et légitimes , donnés à l'homme pour l'attacher
au soin de sa conservation et lui inspirer le désir de se
rendre meilleur. Si la Rochefoucauld a voulu dire que cet
amour de nous entre dans l'amitié la plus désintéressée,
c'est une vérité et non pas un reproche , car nul ne peut se
séparer absolument de lui-même. Mais s'aimer ainsi dans
un autre n'est point un commerce d'amour-propre , du
moins dans l'acception vulgaire de ce mot , qui répond à
celle d'intérêt personnel : c'est au contraire l'usage le plus
noble de cette heureuse faculté d'étendre nos sentimens
JANVIER 1813. 121
hors de nous et de nous retrouver dans autrui. On sait
combien cetattrait réciproque a produit d'actions héroïques ,
et cet héroïsme ne sera pas détruit par la sentence équivoque
et vague de la Rochefoucauld : L'amitié la plus désintéressée
n'est qu'un commerce où notre amour-propre se propose
toujours quelque chose à gagner.
Nous venons d'entendre raisonner le philosophe , écoutons
maintenant déraisonner le théologien .
C'est au tome 15 , page 303 , que La Harpe cite les
mêmes vers avec les trois qui les précèdent :
Chez de sombres dévots l'amour-propre est damné ;
C'est l'ennemi de l'homme , aux enfers il est né .
Vous vous trompez , ingrats ; c'est un don de Dieu même.
Tout amour vient du ciel : Dieu nous chérit , il s'aime :
Nous nous aimons dans nous , dans nos biens , dans nos fils ,
Dans nos concitoyens , sur-tout dans nos amis .
VOLTAIRE.
Les réflexions de La Harpe sont curieuses :
A
« Que Dieu s'aime , qui en doute? Mais qui peut douter
aussi que lui seul n'ait le droit de s'aimer absolument et par
rapport à lui-même ? N'est - il pas parfait en tout , et dèslors
souverainement aimable ? En est-il ainsi de l'homme ?
Vous n'oseriez pas le dire. Quel homme ne s'est pas haï
souvent lui-même ? Il suffit pour cela qu'il ait fait une faute
et qu'il l'ait sentie ; car se repentir , c'est haïr sa faute (*) ,
et réellernent se haïr soi-même comme coupable : aussi
voyez partout en prose et en vers , comme se traitent euxmêmes
les criminels que l'on représente dans les remords .
Apeine les autres les traiteraient-ils avec la même rigueur.
L'amour- propre , même en se restreignant à l'amour de
soi , n'est donc pas et ne saurait être dans l'homme un sentiment
parfait : il est légitime , comme inhérent à tout
être sensible ; mais pour corriger l'imperfection inhérente
à ce sentiment , il faut , comme je l'ai déjà dit , et comme
tout le démontre , s'aimer primitivement dans le principe
parfait de notre étre , qui est Dieu ; dans celui de qui la
créature a tout reçu et attend tout , et c'est Dieu ; dans
(*) La Harpe oublie ici que Dieu , après avoir créé l'homme , se
repentit de son ouvrage ; c'est ce qui a fait dire si ingénieusement à
Malherbe : Dieu qui s'est repenti d'avoirfait l'homme , ne s'est pas
repenti d'avoirfait la femme.
122 MERCURE DE FRANCE ,
l'auteur de toutes nos lumières , et le modèle de toutes nos
vertus , et c'est Dieu. Je parle à un déiste , qui ne saurait ,
sans se contredire , nier une seule de ces propositions ,
évidemment renfermées dans sa doctrine ( dans la doctrine
actuelle de La Harpe , oui ; mais non dans celle de
Voltaire ) . Mais quel déiste est conséquent ? Il n'y en a
pas un seul : s'il l'était , il cesserait bientôt d'être déiste .
(Ici La Harpe cesse d'être raisonnable.) Il se ferait athée
par désespoir ( comme Naigeon sans doute ) , on deviendrait
chrétien par conviction (comme La Harpe peut-être) .
Voilà ce qu'enseigne la saine philosophie , ainsi que la
religion ; et le poëte qui aprétendu que nous nous aimons
pretendu
comme Dieu s'aime , a déraisonné plus qu'il n'est permis
à un poëte , et surtout à un poëte qui se donne pour philosophe.
»
En lisant ces belles phrases de cet autre avocat de Dieu ,
on peut dire avec Cérutti : Cet homme-là entend raillerie
comme un Allemand , et entend raison comme un théologien;
ce qui ne lui fera pas gagner la cause de son client.
FAYOLLE .
INSTITUT IMPÉRIALDE FRANCE.-La séance publique de
la classe des sciences mathématiques et physiques , a en
lieu lundi 4janvier 1813 , sous la présidence de M. le comte
de Laplace.
Voici l'ordre des lectures : 1° Proclamation des prix décernés
, et annonce des sujets de prix proposés . 2º Eloge
de M. Maskelyne , par M. le chevalier Delambre , secrétaire
perpétuel . 3º Eloge de M. Pallas , par M. le chevalier
Cuvier , secrétaire perpétuel . 4º Mémoire sur plusieurs
propriétés physiques nouvellement découvertes dans les
molécules de la lumière , par M. Biot . 5º Eloge de M. le
comte de Bougainville , par M. le chevalier Delambre .
Après ces lectures les prix ont été proclamés et décernés
dans l'ordre suivant :
Prix de Physique.-La classe avait proposé , pour la
seconde fois , en 1811 , la question suivante , pour le sujet
d'un prix de physique :
"Rechercher s'il existe une circulation dans les animaux
> connus sous les noms d'astéries ou étoiles de mer ,
» d'échinus , oursins ou hérissons de mer , et d'holothuries
» ou priapes de mer; et , dans le cas où elle existerait , en
» décrire la marche et les organes .
JANVIER 1813 . 123
Elle a reçu , au terme fixé par le programme , trois
Mémoires .
Le Mémoire enregistré sous le n° 2 , et portant pour épigraphe
ces mots de Sénèque : Nunquam autem invenietur
si contentifuerimus inventis ; præterea qui alium sequitur,
nihil invenit , imo nec quærit , sans avoir entièrement
résolu le problême , contient des détails si neufs et si intéressans
, avance tellement les connaissances sur l'anatomie
des animaux en question , et est accompagné de dessins
faits avec tant de soin , qu'il a paru à la classe mériter
le prix .
L'auteur est M. Frédéric Tiedeman , docteur en médecine
et en chirurgie , professeur d'anatomie et de zoologie
à l'université de Landshut en Bavière .
Les dessins , du fini le plus précieux , sont de M. Martin
Münz , docteur en médecine et en chirurgie .
La classe a mentionné honorablement le Mémoire nº 3 ,
portant cette épigraphe : ;
Venite et videte opera Domini , qui posuit prodigia super terram.
L'auteur est M. Da Olmi , professeur à l'école de Sorèze .
La classe avait proposé , en 1811 , la question suivante ,
pour sujet d'un autre prix qu'elle devait adjuger dans cette
séance :
«Déterminer la chaleur spécifique des gaz , et particu-
» lièrement celle de l'oxigène , de l'hydrogène , de l'azote
» et de quelques gaz composés , en la comparant à la cha-
▸ leur spécifique de l'eau; déterminer , au moins par approximation
, la différence de chaleur spécifique qui est
> produite par la dilatation de ces gaz . Les concurrens sont
> invités à indiquer les principales conséquences de ces
>nouvelles déterminations dans les théories physiques . "
La classe a reçu , pour ce concours , deux Mémoires ..
Elle a adjugé le prix à celui qui est enregistré sous le
nº 1 , et qui a pour épigraphe :
...... Tectus magis æstuat ignis .
Les auteurs de ce Mémoire sont MM. François Delaroche,
docteur en médecine , et Jacques -Etienne Bérard .
La classe a cru devoir aussi accorder une mention trèsparticulière
an Mémoire enregistré sous le n° 2 , portant
pour épigraphe ces paroles de Bacon ;
Multi pertransibunt et augebitur scientia .
Prix du Galvanisme. La classe n'a eu connaissance
d'aucun ouvrage publié pendant cette année qui ait paru
124 MERCURE DE FRANCE,
mériter le prix du galvanisme , fondé par S. M. l'Empereur
et Roi.
Prix d'Astronomie.- La médaille fondée par M. Lalande
pour l'observation la plus intéressante , ou le Mé-
> moire le plus utile à l'astronomie , qui aura paru dans
> l'année , a été décernée à M. le baron de Lindenau ,
directeur de l'Observatoire de Seeberg , près de Gotha ,
auteur de l'ouvrage intitulé : Nouvelles Tables de Mars ,
calculées d'après la théorie de M. le comte Laplace , et les
observations les plus récentes .
"
Théorie des Planètes . — Il y a deux ans que la classe
des sciences physiques et mathématiques de l'Institut impérial
a déclaré qu'elle tiendrait en réserve , jusqu'au 1
janvier 1816 , s'il ééttaait nécessaire , le prix qu'elle avait
> proposé pour la théorie générale des perturbations pla-
> nétaires . En répétant aujourd'hui cette annonce , trois
ans avant le terme fixé , elle rappelle en même tems les
termes du programme .
Le prix sera double , c'est-à-dire une médaille de la
valeur de 6000 fr .
Prix proposé au concours pour l'année 1814 .
La classe propose pour sujet du prix de physique qui
sera décerné dans sa séance publique de janvier 1815 , la
question suivante :
«Déterminer la chaleur spécifique des fluides élastiques
» de 20 en 20 degrés centigrades , entre la température de
>>laglace fondante et celle de l'eau bouillante , et sous deux
> pressions différentes , mais dans le rapport de 1 à 2 , soit
» en ne faisant point varier leur volume , soit en le laissant
» se dilater librement par l'action de la chaleur. »
Le prix sera d'une médaille d'or de la valeur de 3,000 fr.
Le terme du concours est fixé au 1 octobre 1814 ... (
SOCIÉTÉS SAVANTES . La Société d'Agriculture , Sciences et
Arts du département du Nord , a tenu sa séance publique le 29 novembre
dernier. On y a entendu avec beaucoup d'intérêt les morceaux
suivans :
1
1º . Un discours d'ouverture dans lequel M. Lenglet , président , a
exposé les rapports qui existent entre les Sciences et les Arts , leur
influence mutuelle et les nombreuses applications des unes et des
autres aux besoins de la Société .
20. Un compte détaillé des travaux de la Société pendant les années
1810 et 1811 ; par M. La Garde , secrétaire-général .
JANVIER 1813 . 125
30. Une traduction en vers de la troisième élégie du premier livre
deTibulle , par M. Lussiez .
4°. Un mémoire intitulé : une recréation d'histoire naturelle , par
M. le chevalier Michel , L'auteur y fait voir, par une suite d'observations
liées entr'elles , depuis l'écrevisse jusqu'au poulpe qu'il est
possible de rendre intéressantes , amusantes même , les explications
qu'un curieux peut désirer, lorsqu'il visite un cabinet d'histoire naturelle
en fixant son attention sur les moyens divers par lesquels la
nature tend à reproduire les mêmes formes , les mêmes habitudes
dans des êtres qui souvent ne paraissent avoir entr'eux aucun rapport
: ce qui prouve qu'elle ne fait ni des classes , ni des genres , mais
seulement des espèces et des individus .
5º. Une épître en vers aux mânes de Le Gouvé , précédée d'une
Notice nécrologique sur cet écrivain ; par M. Boinvilliers .
6° . Un Mémoire historique sur l'ancienne culture du wède ou pastel
dans l'arrondissement de Douai et dans les provinces voisines ;
par M. Guilmot.
7°. Un rapport sur les dernières expériences relatives à la culture
du pastel et à l'extraction de l'indigo ; par MM. Gautier-d'Agoty ,
père et fils , manufacturiers à Douai. Il résulte de ces expériences réitérées
, 1º que la culture du pastel peut réussir parfaitement dans le
département du Nord ; 2º qu'on peut espérer quatre cueillettes par
an; 3º que par un premier aperçu , mais établi sur un essai fait en,
petit , on peut obtenir 11,000 kilogrammes environ de feuilles par
hectare , chaque année ; 4º que cette quantité de feuilles peut donner
(également par aperçu ) 33 kilogrammes environ d'indigo ; 5º que
cet indigo est de la meilleure qualité , ce qui est démontré parles
produits qui ont été employés à la teinture de diverses étoffes en
laine , soie et coton , et dont les échantillons ont été transmis à M. le
préfet du département du Nord.
8°. Un rapport par M. Thomassin , dans lequel il rend compte des
motifs qui ont déterminé la Société à remettre pour le sujet de prix
du concours de 1815 une question concernant le rouissage des lins ,
sur laquelle elle n'a reçu cette année aucun mémoire qui l'ait entièrement
satisfaite . Il annonce ensuite que la Société décernera dans sa
séance publique de 1814 un prix au cultivateur du département du
Nord qui en 1813 aura cultivé en pastel , avec le plus de succès , un
terrain dont l'étendue sera au moins de 40 à 45 ares . La Société fera
connaître, dans un programme qu'elle publiera à cet effet, les conditions
à remplir pour ces deux prix .
Société Philomathique du Muséum d'instruction publique
de Bordeaux , département de la Gironde .
PROGRAMME DES PRIX . - 1 ° . La Société avait proposé pour sujet
du prix qu'elle doit décerner cette année , un ouvrage en vers sur les
soins et les hommages respectueux dus à la vieillesse .
Parmi les ouvrages envoyés au concours , la Société a distingué
ceux qui étaient inscrits sous les nos 2 et 1 .
Le n° 2 étant recommandable par la beauté des pensées , la pureté
des sentimens et l'élégance du style , la Société lui décerne le prix ,
consistant enune médaille d'or de la valeur de centfrancs .
126 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
1
Cet ouvrage a pour épigraphe:
Magnafuit quondani capitis rev reverentia
Inque suo pretio ruga senilis erat .
cani ,
1
OVID . 3 Fast . v. 57 .
L'auteur est M. J. M. Caillau , docteur-médecin .
Le no I a une trop grande prolixité ; il présente quelques morceaux
faibles , mais il renferme de bonnes idées , et le style s'élève
souvent jusqu'à la dignité du sujet. La Société accorde donc une
mention honorable à cet ouvrage , qui a pour épigraphe ces mots du
Lévitique :
Coram cano capite consurge , et honora personam senis ..
CAP . 19. v. 32.
etdont l'auteur est M. J. B. Espic , chef d'institution à Sainte-Foi ,
département de la Gironde.
20. Le prix auquel nous pouvions autrefois nous procurer lapotasse
chez l'étranger , ne nous perinettait pas d'entrer en concurrence
pour cette fabrication ; mais actuellement que ce prix a doublé , l'onpeut
reprendre avec succès un travail trop long- tems négligé .
•Ilreste beaucoup de recherches à faire sur ce genre de fabrication ,
tant pour le choix des substances végétales , que pour les procédés
préférables pour les incinérer . C'est sur-tout dans les pays des landes
que l'on peut se livrer à ce genre d'industrie , puisqu'elles produisent
des végétaux souvent inutiles , ou qui exigent de tropgrands frais
pour être transportés . Ces considérations ont déterminé la Société à
mettre au concours la proposition suivante :
Indiquer les substances végétales quifournissent le plus de potasse ,
et quelles sont les opérations les plus avantageuses et les plus économiques
pour obtenir cet alcali.
Les mémoires devront contenir l'exposé des connaissances acquises
jusqu'à ce jour sur cette fabrication , et donner les détails comparatifs
des nouveaux essais auxquels on se sera livré , de manière à pouvoir
constater les produits .
Leprix, consistant en une médaille d'or de la valeur de centfranes,
sera décerné dans la séance publique du 15 septembre 1813.
30. La ville de Bordeaux et le département doivent au zèle et à la
munificence d'un prélat qui a occupé le siége archiepiscopal de
cette cité , depuis 1599 jusqu'en 1623 , de grandes améliorations et de
grands établissemens. Cependant le rom de ce bienfaiteur de l'antique
Aquitaine n'a encore retenti dans aucune Académie . La Société
propose donc , pour sujet d'un prix extraordinaire , dont les fonds ont
été faits par un de ses membres , l'Eloge historique du cardinal de
Sourdis.
Le prix consiste en une médaille d'or de la valeur de cent francs .
Il sera décerné dans la séance publique de 1813 .
Les Mémoires , écrits lisiblement et en français , doivent être remis ,
francs de port , au secrétariat du Muséum . Allées de Tourny , nº 42 .
et adressés à M. J. F. Laterrade , secrétaire-général , qui en donnera
récépissé. L'auteur renfermera son nom dans un billet cacheté, portantl'épigraphe
du Mémoire.
Auçun ouvrage ne sera reçu après le 31 juillet 1813. Cette époque
estde rigueur.
POLITIQUE.
LES Anglais continuent de s'abandonner à leur chimère
favorite, une maladie de l'Empereur, une retraite de l'armée
d'Espagne ; c'est en revenant sans cesse sur ces deux points
essentiels que leurs journaux abusent de la crédulité publique
et lui donnent le change sur la véritable situation
des affaires en Angletere même , où , suivant les dernières
nonvelles, des troubles sérieux et de nouveaux excès ont
éclaté sur leur ancien théâtre , à Nottingham .
« Ces troubles , dit le Moniteur, sont la véritable explication
de la prétendue maladie de l'Empereur; voilà la véritable
explication de la mission de lord Walpole àVienne et
des courriers de Vienne qu'on fait arriver à Londres , del
tous les bruits que l'on colporte de troubles en France et de
mécontentemens du peuple , et enfinde toutes ces nouvelles
qui peuvent tromper le peuple anglais sur la situation dess
affaires . C'est que le peuple anglais se lasse d'être séparé
du continent; c'est qu'il est fatigué par la guerre d'Espagne
et d'Amérique ; c'est que de tous côtés il manifeste: des
voeux qui ofligeraient les oligarques de ce pays à devenir
sages et modérés et à donner la paix au monde. Pour détourner
le peuple de ces idées et l'amuser , on lui fait croire
que les troupes françaises abandonnent l'Espagne , et dèslors
qu'il n'y a plus de sacrifices à faire par le peuple anglais
pour que ses troupes soient maîtresses de la péninsule jus->
qu'aux Pyrénées ; que l'Empereur Napoléon est étique et
mourant ; que ce mauvais état de sa santé influe sur son
moral ; qu'il n'y a plus rien à craindre de lui ; que les Français
mécoutens , épuisés , sont sans énergie , sans amour de
lapatrie , sans fierté nationale ; qu'ils sont près de se ré
volter et d'accepter toute espèce ddee ccoonnddiittiioonnss...........Quelles
misérables jongleries !
» Les guerres d'Espagne et du Nord seront menées de
front : 300,000 hommes , tous Français , seront réunis dans
le courant de février à Hambourg, sur l'Elbe , sur le Rhin ,
et sur l'Oder , indépendamment de 200,000 hommes qui
sont à la Grande-Armée , et la campagne prochaine va
s'ouvrir avec une armée française plus forte de près du
128 MERCURE DE FRANCE ,
double que dans la campagne passée. En même tems l'ar
mée française d'Espagne sera renforcée et maintenue à son
complet de 300,000 hommes .
» L'Angleterre se vante d'avoir , y compris ses marins ,
400,000 hommes sur pied , soit en Europe , soit dans les
Indes, en Asie et en Amérique. La population de la France
est au moins quadruple. Ainsi , si l'Angleterre a 400,000
hommes , la proportion de la France serait triple. En retirant
de cette évaluation 200,000 hommes pour la marine
et les côtes , il reste un effectif d'un million d'hommes que
la France peut avoir sur pied aussi facilement que l'Angleterre
en a 400,000 . "
;
Le Moniteur a publié une note d'un haut intérêt sur la
position de l'armée . Le prince major-général fait connaître
cette position par une lettre , en date du 31 décembre ,
écrite du quartier-général à Koenisberg .
» Le maréchal duc de Tarente , avec le 10 corps , occupe
Tilsitt et les bords du Niémen ; il a pris plusieurs
bataillons russes et plusieurs pièces de canon .
» La division Heudelet occupe Labiaw , Welaw et Insterbourg
; le quartier-général de la 31ª division et la Garde
sont à Koenigsberg.
r
* Le 1º corps est à Thorn ; le 2º , à Marienwerder ;
le 4 , à Marienbourg ; le 3º occupe Elbing ; le 9º , Dantzick;
le 6º , Plok ; le corps autrichien sur Bialistock couvre
le duché de Varsovie ; le 7º corps , entre Presing et la
Vistule , est en avant de Varsovie ; le 5º corps , à Varsovie.
La saison a subitement changé ; et le thermomètre ,
de 23 degrés , a sauté à o , ce qui a occasionné le dégel ;
c'est en partie à cette circonstance que les médecins attri-
Duent la mauvaise tournure qu'a prise la maladie du général
Eblé , officier du premier mérite , qui vient de mourir,
regretté de toute l'armée . »
•Suit une lettre du maréchal duc de Tarente , faisant
connaître les événemens qui ont signalé la marche du 10
corps pour rejoindre l'armée . La voici :
Tilsitt , le 28 décembre 1812 .
Monseigneur , j'ai l'honneur d'informer V. A. de l'arrivée
du 10 corps qui sera réuni demain sur la gauche du
Niemen . V. A. sait que les Russes occupaient Tilsitt le
jour même où mon arrière-garde se retirait de Mittau.
L'ennemi avait inondé de cavalerie , d'artillerie et de
JANVIER 1813 .
129
SEINA
quelque peu d'infanterie les cercles de Rossiéna , de
Chawli et Telch .
La tête du corps d'armée est arrivée devant Picktüponen
le 26 , où elle trouva le général Laskow en position Le A
général Kutusow en tenait une seconde à Tilsit sur la
gauche du Niémen . Le général Dieditch commandait une
autre colonne sur mon flanc droit. Je fis attaquerimmé
diatement la position de Picktüponen : les Russes furent
renversés par une très-belle charge exécutée parles hussards
noirs et les dragons prussiens . Deux régimens d'infanterie
russe ont mis bas les armes ; , batobusier, ou licorne, altele ainsi queapris entre
légère prussienne , commandée par le major
Graumann , a tiré avec beaucoup de supériorité et de justesse
. Le lieutenant-colonel Treskow s'est de nouveau
distingué . Il a perdu un de ses braves capitaines ,
M. Manstin .
Mes têtes de colonnes arrivant hier , j'ai fait une disposition
pour attaquer l'ennemi ; mais les Russes n'ont pas
jugé à propos de soutenir une attaque qu'ils présumaient
bien leur être funeste . Ils se sont retirés sur les deux rives
du Niémen en le remontant . Il ne restait plus à Tilsitt que
quelques cosaques lorsque le général Bachelu , qui avait
attaqué avec tant de vigueur la veille la position de Picktüponen
qui couvrait Tilsitt sur la rive droite , est entré
dans cette ville à huit heures du soir .
Le général Bachelu marche ce matin sur Ragun. Le général
Granjean a sa seconde brigade en position à Baublen.
Mes aides-de-camp Tramnay et Cramayel ont chargé
avec les dragons à Picktüponen . Je les recommande aux
graces de S. M. , ainsi que d'autres officiers que je ferai
connaître par la relation plus détaillée de notre retraite de
la Dwina au Niémen .
Agréez , Monseigneur , etc.
Cette lettre du maréchal duc de Tarente venait de signaler
une marche savante et une manoeuvre glorieuse du 10
corps , et de prouver , par un avantage important obtenu
sur l'armée russe par un seul corps français , dans quel
état les derniers événemens ont réduit cette même armée ,
lorsqu'une lettre de Berlin fit connaître un de ces événemen's
auxquels il était impossible de s'attendre , quand l'on
met au nombre de ses moyens légitimes et de la garantie
/
र
I
130 MERCURE DE FRANCE ,
1
de ses succès , l'honneur , la foi jurée et la discipline militaire
. La France en a constamment porté le tribut à ses
alliés ; ils viennent d'être violés , non par un allié de la
France , mais par un général de cet allié . Ce général a
traité , de sa propre autorité , avec l'ennemi : il a stipulé
une neutralité pour ses troupes , une neutralité pour le
territoire qu'elles occupent . Voici ce qu'on écrivait de
Berlin le 5 janvier .
« Notre monarque a éprouvé l'indignation la plus vive
de la trahison du général d'Yorck dont il a reçu hier l'affligeante
nouvelle . S. M. a ordonné le même jour les mesures
suivantes :
99 Tous les moyens seront pris pour saisir le général
d'Yorck et le traduire à Berlin, afin d'y être jugé et puni
selon l'énormité de son crime .
" Le général de Kleist est nommé lieutenant-général
commandant le contingent prussien , en remplacement du
général d'Yorck .
Il prendra toutes les mesures nécessaires pour rappeler
les troupes et les conduire sous les ordres de S. M.
le roi de Naples , et dans le lieu que ce prince aura désigné.
» M. de Natzmer , aide-de-camp du roi , est parti ce
matin pour Kænigsberg , chargé d'une lettre par laquelle
Sa Majesté , après avoir déclaré qu'elle ne ratifie pas la
convention conclue par le général d'Yorck , considérant
que les dispositions à prendre à l'égard de ses troupes ,
appartiennent , d'après le traité d'alliance , à Sa Majesté,
l'Empereur , et dès-lors au roi de Naples comme son lieutenant
, invite ce prince à donner ses ordres au lieutenantgénéral
de Kleist , et à les signifier au major de Natzmer ,
qui fera connaître au corps prussien les volontés de son
souverain .
" Un ordre du jour sera publié dans tous les Etats de
S. M. prussienne , et le roi de Naples sera prié d'ordonner
qu'une publication semblable ait lieu dans l'armée française
, pour répandre par toutes les voies le désaveu du roi
et l'expression de son indignation .
" Si le général d'Yorck ne peut être arrêté , il sera jugé
pár contumace .
>>On assure que le prince de Hatzfeld se rendra sur-lechamp
à Paris , pour porter à S. M. l'Empereur l'expression
des sentimens du roi , et prouver ces mêmes sentimens à
l'Europe entière par cette mission éclatante . »
- JANVIER 1813 . 131
M. le comte de Saint- Marsan , ambassadeur de l'Empereur
près la cour de Berlin , et le maréchal duc de Tarente ,
ont chacun de leur côté rendu compte de cet événement ,
l'un au ministre des relations extérieures , l'autre au major
prince-général. Voici la lettre du maréchal.
Tilsitt , le 31 décembre 1812 .
« Monseigneur , après quatre jours d'attente , d'inquiétudes
et d'angoisses , dont une partie du corps prussien a
été témoin , sur le sort de l'arrière-garde qui , depuis Mittau
, me suivait à une marche de distance , j'apprends enfin ,
par une lettre du général d'Yorck , qu'il a décidé lui-même
du corps prussien .
» Je joins ici copie de cette lettre sur laquelle je ne me
permets aucune réflexion; elle excitera l'indignation de
tout homme d'honneur.
» Le général de Massenbach qui était ici avec moi , avec
deux batteries , six bataillons et six escadrons , est parti ce
matin sans mes ordres pour repasser le Niémen . Il va rejoindre
le général d'Yorck . Il nous abandonne ainsi devant
l'ennemi . "
Dans une circonstance qui intéresse aussi éminemment
l'honneur des armées alliées , la fidélité aux engagemens
contractés , les liens de la Confédération et la situation de
l'armée française sur le Niémen et la Vistule , l'Empereur
a tenu plusieurs conseils de cabinet qui ont donné lieu à
deux séances du Sénat , dans lesquelles les plus importantes
communications ont amené la délibération que nous
allons mettre sous les yeeuuxx du lecteur.
La première séance du Sénat a eu lieu le 10 , sous la présidence
de S. A. S. le prince archichancelier de l'Empire.
S. A. S. a pris la parole en ces termes :
« Messieurs , la nation se dispose d'elle -même à des
mesures qu'elle juge nécessaires pour le maintien de sa
gloire et pour la conservation de sa prépondérance dans
'Europe.
" De tous les points de ce vaste Empire , des adresses
se succèdent , des offres se multiplient; la volonté publique
est prête à devancer les appels de l'autorité souveraine .
" L'Empereur , qui compte sur l'amour de ses peuples ,
et qui apprécie leurs ressources , a jugé qu'il n'y avait pas
lieu de s'écarter des dispositions usuelles .
79 S. M. aurait même différé de les employer , si un événement
inattendu ne lui avait fait penser que , tout en pro
12
132 MERCURE DE FRANCE ,
fitant de l'utile coopération de nos alliés , c'est sur- tout le
développement de nos propres forces qui doit accélérer le
moment d'une paix honorable , telle qu'un coeur français
peut la désirer , et telle que S. M. n'a cessé de la présenter
å ses ennemis .
ท C'est dans cet esprit , Messieurs , qu'a été rédigé le
projet soumis à votre ddéélliibbéérration .
» MM. les orateurs du Conseil-d'Etat vous en exposeront
les motifs et les avantages , après que M. le ministre
des relations extérieures vous aura fait lecture d'un rapport
et de certaines pièces dont S. M. a commandé qu'il vous fût
donné communication.n
M. le duc de Bassano a ensuite donné communication
du rapport suivant .
<<<Sire , lorsque la Russie , violant ses traités et renonçant à son
alliance avec la France pour s'unir au système de l'Angleterre , déclara
la guerre à V. M. , vous appréciâtes , Sire , toute l'importance
de la lutte qui allait s'engager. Vous ordonnâtes la formation , sous
le titre de cohortes de la garde nationale , de cent bataillons composés
d'hommes âgés de 20 à 26 ans , qui , appartenant aux six dernières
classes de la conscription , n'avaient point été appelés à l'armée
active. Cette institution a eu tout le succès que V. M. pouvait en
attendre . Une belliqueuse jeunesse , préparée au métier de la guerre
dans des cadres de vieux soldats , demande avec empressement à
partager la gloire de ses frères d'armes .
>> Lorsque de Smolensk V. M. fit marcher vers Moscou ses
armées victorieuses , elle ne se dissimula point que ses progrès dans
le pays ennemi , ajoutaient de nouvelles chances aux chanees communes
de la guerre. Elle voulut fortifier encore la base de ses opérations
, et elle ordonna la levée de la conscription de 1813 , qui est
aujourd'hui toute entière sous les armes .
>>Avec les garnisons des places de France et d'Italie , V. M. a donc
dans l'intérieur de ses Etats une force de plus de 300,000 hommes
suffisante pour entretenir la guerre avec la Russie pendant la prochaine
campagne. Et votre intention était , Sire , de ne demander
aucun secours extraordinaire , si tous nos alliés , et spécialement
l'Autriche , le Danemarck et la Prusse , restaient fidèles à la cause
commune .
>>> L'Autriche , le Danemarck , la Prusse ont donné à V. M. les
plus fortes assurances de leurs sentimens . La Prusse a même offert
d'augmenter d'un tiers et de porter à 30,000 hommes le contingent
qu'elle avait fourni en exécution des traités .
JANVIER 1813 . 133
» Mais pendant que cette puissance manifestait des dispositions
aussi conformes à ses engagemens et aux intérêts de sa politique , les
intrigues de l'Angleterre préparaient un de ces événemens qui caractérisent
l'esprit de désordre et d'anarchie que cette puissance ne cesse
de fomenter en Europe. Le général d'Yorck , commandant le corps
prussien sous les ordres du maréchal duc de Tarente , a trahi tout àla-
fois son honneur , son général en chef et son roi. Il a fait un pacte
de perfidie avec l'ennemi .
» Il n'est point d'intrigues , il n'est point de sourdes menées que
l'Angleterre n'ait mises en oeuvre pour changer les dispositions des
souverains . Mais lorsqu'elle les a trouvés fermes dans leurs vrais
intérêts et inébranlables dans leur alliance avec V. M. , elle a entrepris
de produire un bouleversement général en cherchant à ébranler
la fidélité des peuples. Au-delà des Etats de V. M. Sire , il est peu de
contrées où l'audace et les manoeuvres des désorganisateurs n'aient
porté l'inquiétude parmi les dépositaires de la tranquillité publique .
Dans les cours des agens de corruption , dans les camps de lâches
instigateurs , et dans les villes enfin , dans les écoles et jusqu'au sein
des institutions les plus révérées , de faux enthousiastes travaillent
sans cesse à séduire par des doctrines ténébreuses , et ceux qui doivent
maintenir par la fidélité la plus courageuse l'autorité qui leur est
confiée , et ceux qui n'ont d'autre devoir que celui d'obéir .
>> Dans de telles circonstances , Sire et lorsque les intentions
même d'un prince allié n'ont pu garantir les avantages que votre
système politique devait vous assurer , il devient d'une impérieuse
nécessité de recourir aux moyens que V. M. trouvera dans la puissance
de son Empire et dans l'amour de ses sujets .
» Par ces considérations , les ministres de Votre Majesté , réunis
dans un conseil extraordinaire de cabinet , vous proposent :
>> 1º . De rendre à l'armée active les cent cohortes de gardes nationales
;
> 2º . De faire un appel de cent mille hommes sur les conscriptions
de 1809 , 1810 , 1811 et 1812 ;
>> 3° . De lever cent mille hommes de la conscription de 1814 , qui
se formeront dans les garnisons et dans les camps , sur nos frontières
et sur nos côtes , et pourront se porter où il sera nécessaire , pour
venir au secours des alliés de Votre Majesté.
>> Par cet immense développement de forces , les intérêts , la considération
de la France et la sûreté de ses alliés se trouveront garantis
contre tous les événemens .
>> Le peuple français sentira la force des circonstances ; il rendra
134 MERCURE DE FRANCE ,
un nouvel hommage à cette vérité si souvent proclamée par Votre
Majesté du haut de son trône , qu'il n'est aucun repos pour l'Europe
tant que l'Angleterre n'aura pas été forcée à conclure la paix.
>>Ce n'est point en vain , Sire , que vous avez donné à la France le
titre de grande nation . Aucun effort n'est pénible pour elle , lorsqu'il
s'agit de faire éclater et son amour pour Votre Majesté et son dévouement
à la gloire du nom français .
>> Je joins à ce rapport les pièces relatives à la défection du général
d'Yorck.
>> Je suis avec le plus profond respect ,
Sire १
De Votre Majesté ,
Le très-humble , très-obéissant et fidèle sujet.
Signé , le duc DE BASSANO.
Après la lecture de ce rapport et des pièces à l'appui ,
M. le comte Regnaud ( de Saint-Jean-d'Angely ) a exposé
les motifs du sénatus-consulte , dans les termes suivans :
<<<Monseigneur , Sénateurs , le traité de Tilsitt avait rendu au nord
de l'Europe une paix qui semblait devoir être durable.
>> Mais l'Angleterre menacée de la guerre avec les Etats-Unis
d'Amérique , redoutant avec raison la mauvaise issue que doit tôt ou
tard avoir pour elle la lutte engagée en Espagne , s'est occupée de
susciter à la France une nouvelle guerre , en faisant rompre l'alliance
récemment jurée par la Russie.
>> Les efforts de l'Empereur pour la maintenir et assurer l'exécution
des traités ont été inutiles , et la guerre s'est renouvelée .
>> Elle a été commandée par la violation des conventions les plus
solennelles , par des armemens nombreux , par des agressions évidentes
, par des refus répétés de toute explication , enfin par la nécessité
imposée à S. M. de maintenir les droits et la considération
de sa couronne et de celle de ses alliés .
5
>> Le succès de cette lutte nouvelle a été ce qu'il sera toujours pour
des Français conduits par le génie qui les a accoutumés à vaincre .
>> L'ennemi forcé dans tous les postes , repoussé dans tous les combats
, vaincu dans toutes les batailles , a été forcé d'abandonner sa
capitale au vainqueur ; mais il l'a livrée aux flammes et presque réduite
en cendres .
>> Delà , la nécessité de cette retraite glorieuse ; retraite dans laquelle
nous n'avons été atteints et frappés que par l'âpreté du climat ,
la dureté précoce de la saison , et l'excès inaccoutumé de sa rigueur.
» Quand le 29e Bulletin de la Grande-Armée vint étonner à-laJANVIER
1813 . 135
fois et rassurer la France , l'étendue de ses pertes dévoilées à la nation
avec une simplicité si énergique , avec une si noble confiance , éveilla
chez tous les Français le sentiment du besoin de les réparer ; tous
allèrent dès-lors au-devant des demandes qu'ils pressentaient , disposés
plutôt à les prévenir et à les réparer , qu'à les débattre ou à les
attendre .
>> Cependant l'Empereur , dont les ennemis doivent toujours
craindre , les alliés et les sujets toujours espérer la venue , était arrivé
dans sa capitale, lorsqu'on le croyait encore au-delà de Wilna ; et se
faisant rendre compte des ressources de ses arsenaux , de ses magasins
, de son trésor , du nombre de ses troupes , avait annoncé à la
France l'intention de ne faire aucune demande d'hommes ni de contributions
nouvelles .
» Avec les impositions annuelles , et les soldats déjà sous les
armes , il pouvait fournir à tous les besoins de la campagne au Midi
⚫et au Nord de l'Europe .
› Mais , Sénateurs, les faits que le ministre des relations extérieures
vient de vous faire connaître par ordre de S. M. , doivent changer
les premiers calculs de sa sagesse économe des sacrifices de ses peuples
, et y faire succéder les calculs de la prévoyance et de la nécessité .
» Déjà , Messieurs , j'ai vu éclater dans cette assemblée les témoignages
de l'indignation qu'éprouvera l'Europe entière au récit d'une
trahison à laquelle on hésiterait de croire si elle n'était avouée ,
écrite par son auteur même ..
>>>Le général prussien dont le nom deviendra désormais une injure ,
a trahi à-la- fois son souverain , l'honneur , les devoirs de citoyen et
ceux de soldat .
>> Il s'est séparé honteusement de l'armée dont il faisait partie , du
corps avec lequel il marchait ; il a livré ceux qui s'exposaient sur sa
foi aux suites hasardeuses de son lâche abandon , de sa désertion
inopinée.
>> Instruit de ce crime nouveau dans l'histoire des guerres modernes
, S. M. le roi de Prusse a montré un ressentiment digne de sa
loyauté et de sa fidélité à ses alliés . Uni de sentimens au monarque ,
son cabinet n'a éprouvé que le besoin de réparer , de punir un attentat
politique et militaire , qui offense la nation prussienne et outrage son
souverain.
>> Ces faits , ces assurances sont consignés dans les pièces dont le
ministre des relations extérieures vous a donné communication .
>> Elles garantissent que la gravité de cet événement sera appréciée ,
non-seulement par le gouvernement , mais encore par le peuple
136 MERCURE DE FRANCE ,
prussien tout entier. Il jugera , et toutes les nations du Nord jugeront
avec lui , de quels malheurs un tel crime pourrait être la source.
La Prusse montrera son attachement au prince qui la gouverne , en
se ralliant, à son exemple , à la voix de l'honneur , et à la fidèle observation
des traités .
» Cependant le politique attentif depuis plusieurs années à la marche
des événemens , s'arrêtera nécessairement sur les causes qui ont
amené celui dont je viens de vous entretenir , et ces causes , Sénateurs
, il ne me semble pas inutile de les retracer ici rapidement.
>> On les trouve évidemment dans les manoeuvres et les intrigues
de l'Angleterre sur le continent.
>> Trop faible pour se défendre seule même sur mer contre la
puissance française , elle a constamment et successivement travaillé
à armer contre elle tous les cabinets de l'Europe. C'est l'Angleterre
qui a amené et ramené sur les champs de bataille les armées que
l'Empereur a vaincues et vaincues encore depuis douze ans .
>> Lorsque les cabinets éclairés par l'expérience ont voulu la paix ,
lapaix qui a réjoui l'Europe , a fait frémir l'Angleterre .
>> Alors elle a répandu parmi les peuples , et sur-tout dans les
grandes cités , à l'aide de ses nombreux émissaires et au moyen d'une
active corruption , les germes de haine , les semences de division ,
les principes de désorganisation , qui éloignent ou séparent les sujets
de leurs princes , les peuples de leurs gouvernemens .
>> C'est ainsi que des sociétés nombreuses sous les noms d'amis de
la vérité , de la nature , etc. etc. , ou sous d'autres titres non moins
bizarres , ont été formées encouragées , soutenues , prêchant la
haine , l'insurrection , la désobéissance contre tout souverain ami de
la France et de la paix du Continent .
,
>> Hélas ! c'est dans notre belle France , si paisible aujourd'hui ,
alors si agitée et si misérable , que le cabinet anglais a fait , durant
plusieurs années , qui furent des années de crimes et de malheurs ,
l'essai de ces funestes moyens de discorde et de troubles civils .
>> C'est par ces moyens que l'Angleterre agissait en 1809 contre le
cabinet de Saint-Pétersbourg , alors qu'il montrait envers la France
des dispositions amies. C'est par ses agens que l'Angleterre préparait
enRussie l'influence du parti ennemi de la France , et par lui les hésitations
, les variations , les résolutions hostiles des cabinets , et enfin
cette dernière guerre qui a coûté à la Russie la dévastation de ses
plus belles provinces , le repos à l'Europe , des regrets à l'humanité.
>> L'Angleterre a employé , sans doute , pour préparer l'éternel
déshonneur du général York , les mêmes moyens , les mêmes asso
JANVIER 1813 . 137
ciations parlesquels elle amena, en 1809, des corps réglés à se mettre
en rebellion et , chose inouie , à faire la guerre pour leur compte ,
malgré l'intention , contre les ordres mêmes de leur souverain .
१
>> Ainsi l'Angleterre désunit et divise les pays qu'elle ne peutdominer
; elle prépare la ruine des Etats qu'elle ne peut soumettre à son
système .
(
>> En effet , quel moyen de destruction plus inévitable pour le trône
même le mieux affermi , que la désertion d'une armée , son oppcsition
aux intérêts de son pays , sa désobéissance aux ordres de son
monarque , si tous les souverains intéressés à la répression d'un tel
crime n'unissaient leur voix pour la provoquer , leurs efforts pour en
assurer le châtiment , leur pouvoir pour en empêcher le retour?
>> Heureusement , Messieurs , les tentatives de nos ennemis pour
étendre jusqu'à la France leur fatale influence , leurs funestes succès ,
sont impuissans .
>> Notre vaste territoire , notre immense population , n'éprouvent
que les sacrifices inséparables de l'état de guerre , mais sont loin de
redouter les malheurs des pays qui en sont le théâtre .
»Au-dedans , la tranquillité règne ; l'industrie , les arts , les travaux
publics suivent leur cours .
► Au- dehors , l'Autriche et nos autres alliés se montrent affectionnés
et fidèles .
» Nos forces , nos moyens , nos ressources militaires sont immenses
.
>> Toutefois , au moment où vient d'éclater la première éruption de
ces volcans destructeurs allumés par l'Angleterre sous les trônes qui
veulent rester indépendans de sa politique , il est nécessaire de réunir
des ressources proportionnées , supérieures même aux dangers que
la prudence envisage.
>>Ce qui suffisait hier à la sécurité du gouvernement , se trouve
aujourd'hui au-dessous de sa prévoyance. De nouveaux événemens
ont créé de nouveaux besoins des conjoncturés imprévues commandent
des sacrifices inattendus .
>> Un sentiment universel de fidélité et de dévouement s'unira chez
le peuple français au sentiment de son intérêt et de sa gloire , pour
diriger sa conduite et déterminer ses résolutions .
>> S. M. vous propose de mettre à la disposition de son ministre
de la guerre des forces assez considérables pour en imposer à tous
nos ennemis , pour détruire toutes les espérances dans toutes les suppositions
; et vous le savez , Messieurs , la réflexion et l'histoire vous
l'ont appris , c'est ainsi qu'on repousse le danger , qu'on garantit le
succès , qu'on assure la gloire , qu'on prépare la paix .
1
138 MERCURE DE FRANCE ,
>> Le nombre d'hommes demandés par le ministre de la guerre se
divise en trois classes .
,
>> La première se compose des cohortes dont les voeux sont allés
au-devant des besoins , et qui ont sollicité comme une faveur
d'échanger le devoir de défendre les frontières de la France , contre
l'honneur d'aller chercher l'ennemi au - delà des siennes .
» La 2e classe se compose d'une levée sur les hommes faisant
partie des quatre précédentes conscriptions , non compris la dernière .
>> Cette levée a pour objet de réserver dans l'intérieur jusqu'au
moment où elle aura acquis une force plus grande , une aptitude
plus décidée pour le service militaire , la 3e classe , appelée par le
sénatus - consulte , je veux dire la conscription de 1814 .
>> Elle pourra n'être pas immédiatement réunie : le ministre de la
guerre jugera dans quel moment il conviendra de la faire marcher.
>> Les efforts des insulaires , artisans de la guerre continentale ,
sectateurs d'une guerre sans terme , font à la France une loi impérieuse
de ces armemens formidables . Elle n'a oublié , ni l'insolence
des vainqueurs sous Louis XIV, nila honte des traités sous Louis XV;
elle n'oubliera pas non plus , les triomphes qui ont effacé ces humiliations
, la nécessité de conserver sans tache la gloire qu'elle a acquise
, le besoin de préparer de nouveaux succès , la dignité de la
couronne , l'honneur de la nation et des armes françaises . >>>
Voici les termes du sénatus-consulte adopté dans la
séance du II , et dont l'Empereur a ordonné la promulgation
selon les formes ordinaires , le même jour .
Extrait des registres du Sénat-Conservateur, du lundi
II janvier 1813.
Le Sénat - Conservateur , réuni au nombre de membres
prescrit par l'article 90 de l'acte des constitutions du 13 décembre
1799 ;
Vu le projet de sénatus- consulte rédigé en la forme prescrite
par l'article 57 de l'acte des constitutions du 4 août
1802;
Après avoir entendu , sur les motifs dudit projet , les
orateurs du Conseil-d'Etat et le rapport de la commission
spéciale nommée dans la séance d'hier ;
L'adoption ayant été délibérée au nombre de voix prescrit
par l'article 56 de l'acte des constitutions du 4 août 1802 ,
décrète :
Art. Ier. Trois cent cinquante mille hommes sont mis à
la disposition du ministre de la guerre , savoir :
JANVIER 1813 . 139
1. Cent mille hommes , formant les cent cohortes du
premier ban de la garde nationale ;
2º. Cent mille hommes des conscriptions de 1809, 1810,
1811 et 1812 , pris parmi ceux qui n'auront pas été appelés à
faire partie de l'armée active ;
3º. Cent cinquante mille hommes de la conscription
de 1814 .
2. En exécution de l'article précédent , les cent cohortes
du premier ban cesseront de faire partie de la garde nationale
, et feront partie de l'armée active.
Les hommes qui se sont mariés avant la publication du
présent sénatus-consulte , ne pourront être désignés pour
faire partie de la levée prise sur les conscriptions des années
1809 , 1810 , 1811 et 1812 .
Les cent cinquante mille hommes de la conscription de
1814 seront levés dans le courant de l'année , à l'époque
que désignera le ministre de la guerre .
3. Le présent sénatus-consulte sera transmis , par un message
, à S. M. l'Empereur et Roi .
Les président et secrétaires , Signé , CAMBACÉRÈS .
Le comte DE BEAUMONT , le comte DE LAPPARENT .
Vu et scellé :
Le chancelier du Sénat , signé , comte LAPLACE .
Le corps municipal de Paris s'étant extraordinairement
réuni le 12 , la lecture des pièces communiquées au sénat
ya produit la sensation la plus vive , et les Magistrats de la
bonne ville de Paris , avec un empressement et un ensemble
qui les honorent , se sont montrés les dignes interprètes
des sentimens de leurs concitoyens . Le corps municipal
a voté une adresse à S. M. , pour la supplier d'accepter
l'offre d'un régiment de 500 hommes de cavalerie montés
et équipés . Il appartenait , a dit le membre qui a proposé
cette adresse , il appartenait à la bonne ville de Paris , placée
en première ligne sur le chemin de l'honneur , de donner
de nouveau l'exemple du dévouement à la grande cause
soutenue par le génie de notre puissant monarque ; que
l'ennemi frémisse en apprenant que rien n'est capable de
nous faire descendre de cette hauteur de gloire où l'Empereur
nous a élevés , et où la postérité doit nous contempler
unjour. Paris est la 80º partie de l'Empire , que l'Empire
imite l'exemple de Paris , et quarante mille hommes de
cavalerie sont prêts en peu de jours à soutenir l'honneut
de la nation et la dignité de l'Empire . La proposition de
140 MERCURE DE FRANCE ,
l'adresse a passé par acclamation et au milieu des témoignages
du plus vif enthousiasme. Le corps municipal a
sollicité l'honneur de la déposer aux pieds du trône.
S .....
ANNONCES .
Lycée , ou Cours de Littérature ancienne et moderne , par J. F.
Laharpe , nouvelle édition , revue , corrigée , renfermée dans la partie
littéraire , et précédée de la Vie de l'auteur , par L. S. Auger. Huit
forts volumes in - 12 . Prix , broché , 25 fr . , et 33 fr . 30 e . franc de
port. Paris , chez H. Agasse , imprim.-libr . , rue des Poitevins , nº 6.
Il y a un certain nombre d'exemplaires , papier vélin , dont le prix
estdouble.
L'impression de cette nouvelle édition était fort avancée lorsque
M. Auger a été attaqué d'une maladie grave qui l'a empêché de mettre
la dernière main à la Vie de M. de Laharpe , qu'il est jaloux d'écrire
avec tout le soin et tout le talent qu'on lui connaît. Elle paraîtra
dans le courant de ce mois , et nous prions les acquéreurs de cette
nouvelle édition de se prêter à undélai qui rendra leur jouissance
plus complète. Ils seront avertis par la voie des journaux du jour où
ils pourront retirer la Vie de M. de Laharpe , sur le bon qui leur aura
été remis à cet effet. Ils sont invités à ne faire relier leur exemplaire
que quand cette pièce supplémentaire leur aura été livrée .
En attendant les extraits qui seront donnés dans ce journal , de la
nouvelle édition du Lycée ou Cours de Littérature de feu M. de
Labarpe , nous croyons devoir la faire connaître aux personnes qui
vou idront l'acquérir en ce moment-ci . Nous ne pouvons mieux remplis:
ce but qu'en transcrivant ici les derniers paragraphes de l'excellent
avertissement que M. Auger a mis en tête de cette nouvelle
édi tion.
<Depuis long- tems , dit l'éditeur (M. Auger) , un assez grand
>> nombre de personnes avaient témoigné le désir qu'enfin le Cours de
Littérature fût débarrassé de ses nuisibles superfluités . J'ai osé en-
>> treprendre ce travail , parce qu'il n'exigeait qu'un peu de discerne-
> ment et beaucoup de soin.
))
>> Je me suis imaginé Laharpe , sinon revenu à des opinions différentes
, du moins ramené à des sentimens plus doux , décidé à purger
son Cours de Littérature , de tant de digressions , de déclamations ,
> qui ne sont rien moins que littéraires , voulant enfin le réduire à ce
1
JANVIER 1813 . 141
» qu'il doit être , à ce qu'il aurait été sans la révolution. Ce qu'il eût
> fait dans une semblable disposition , j'ai essayé de le faire. Les
>> choses que j'ai dû retrancher , d'après ce plan , étaient étrangères
>>à l'objet de l'ouvrage ; l'auteur les y avait tellement fait entrer de
>> force . que souvent elles en étaient , pour ainsi dire , repoussées
> naturellement , ou du moins s'en détachaient avec une étonnante
> facilité ; aussi les parties qu'elles désunissaient se sont-elles rappro-
> chées comme d'elles-mêmes , sans qu'il fût nécessaire de les joindre
» paraucune liaison, et de manière à ne pas laisser apercevoir qu'elles
➤ eussent été séparées . Quelquefois , j'en conviens , la littérature et
› la révolution , la critique des ouvrages et la satire des personnes ,
>> toutes ces matières hétérogènes se trouvaient tellement incorporées
>> ensemble , qu'il n'était pas aussi aisé d'en faire le départ. J'ai pris
>> alors beaucoup de peine , et je l'ai prise avec plaisir. J'étais sûr ,
> en supprimant des invectives dont le moindre tort est d'être dépla-
>> cées , de servir quelquefois les intérêts de la justice et toujours ceux
>> du bon goût ; j'étais sûr de prouver du zèle et du respect pour la
>> mémoire de Laharpe , par mes égards mêmes pour ceux des écri-
» vains qu'il a traités trop sévérement.
>> Les parties du Cours de Littérature sont en général bien distri-
» buées , d'après le plan que l'auteur s'était tracé . Plusieurs cepen-
> dant ne sont pas à leur véritable place , et c'est encore ici qu'il faut
>>se rappeler la première destination de l'ouvrage , ainsi que la ma-
> nière dont il fut composé. Quelquefois , après que le professeur
» avait achevé de traiter tel ou tel sujet à la tribune du Lycée , des
» observations critiques lui étaient adressées , ou de nouvelles consi-
>>dérations se présentaient à son esprit ; alors il discutait les unes ou
> exposait les autres dans les séances subséquentes : de là les additions
> assez nombreuses qui , dans le Cours imprimé , se font remarquer
>> sous le titre d'Appendice . Quelquefois aussi , un écrivain encore
>> vivant à l'époque où le critique traitait du genre dans lequel il
➤ s'était principalement exercé , achevait sa carrière et devenait ,
>> par sa mort , justiciable d'un tribunal où ne devait comparaître
> aucun auteur vivant ; Laharpe alors , le rattachant à son Cours
> par la moins importante de ses productions , en prenait occasion
➤ d'examiner la totalité de ses ouvrages . J'ai fait entrer les Appen-
» dices dans les articles dont ils dépendent ; j'ai reporté en leur lieu
> les articles qui n'avaient pu s'y placer d'abord ; et cette opération
> dont je ne puis tirer aucun avantage , parce qu'elle a été la plus
>> facile de toutes , a beaucoup contribué à l'amélioration de l'ou-
> vrage.
१
>>Des critiques avaient déjà relevé , dans le Cours de Littérature,
:
-143 MERCURE DE FRANCE ,
>> un certain nombre d'erreurs de fait et d'incorrections ; moi-même
>> j'en ai découvert plusieurs qui leur avaient échappé. Je me suis
>> cru plus que permis de rectifier les unes et les autres . C'est la seule
» espèce de changement qu'il m'ait paru convenable defaire . Du reste ,
>> lefond et laforme , les opinions et le texte , n'ont éprouvé aucune
>> altération . »
On voit que M. Auger , en classant les diverses parties du Cours
de Littérature dans un ordre plus convenable , et en supprimant
avec autant de sagacité que de raison tout ce qui était étranger à la
littérature et ce qui pouvait même blesser , parfois , la justice et le
goût , a eu particulièrement en vue l'instruction de la jeunesse , à
laquelle on peut dire que cette nouvelle édition est spécialement
consacrée . G'est par le même motif qu'il se propose de donner en
un ou deux volumes le complément du Cours de Littérature , resté
imparfait par la mort de M. de Laharpe , et ces deux volumes seront
disposés de manière à pouvoir être adaptés à la grande édition .
,
:
Projets d'Architecture , par Peyre neveu , l'un des architectes du
gouvernement. Cet ouvrage contient : 1º Un projet pour le Temple
de la Gloire sur l'emplacement de la Madelaine , auquel l'Institut a
décerné le troisième accessit . 2º Un projet d'obélisque sur le terreplein
du Pont-Neuf. 3º Un projet de bains publics à proximité d'une
grande ville , contenant les bâtimens des bains , d'administration et
d'habitation , chapelle , salle de spectacle , naumachie , jardins , et tout
ce qui peut servir aux exercices et aux jeux. Le tout forme un recueil
grand in-folio ou format des grands prix d'architecture , et comprend
la description desdits projets et treize planches , dont huit
doubles . Le texte est imprimé par Firmin Didot , et l'architecture est
gravée avec le plus grand soin par Normand fils et Hibon. Le prix de
chacun des exemplaires est de 20 fr . sur papier ordinaire , et de 30 fr .
sur papier vélin. Chez l'Auteur , rue des Poitevins- Saint- André-des-
Arcs nº 14 ; F. Didot , imprimeur-libraire , rue Jacob , nº 24 ;
Panckoucke , libraire , rue et hôtel Serpente ; Treuttelet Würtz
libraires , rue de Lille , nº 17 ; J. B. L. Massard , quai Voltaire , nº 1 ;
Debure , libraire , rue Serpente ; au bureau des Annales , rue de
l'Université , nº 19 ; au bureau des grands prix , rue de l'Odéon ,
n° 28 ; et Arthus - Bertrand , libraire , rue Hautefeuille nº 23 .
१
१
Les personnes qui désireraient avoir des exemplaires lavés , pourront
en faire la demande chez l'Auteur .
On trouve chez les mêmes libraires , même format , les OEuvres
d'Architecture de M. J. Peyre , membre de l'ancienne Académie
pensionnaire du roi à Rome. Le prix est de 15 fr. en feuilles .
-
JANVIER 1813 . 143
Nous n'entrerons dans aucuns détails sur les projets que contient ce
dernier ouvrage , ni sur le mérite des discours qui l'accompagnent ,
parce qu'il est à sa troisième édition et connu de tous les architectes .
Considérations sur les élémens constitutifs des corps ; par M. A. L.
Guillontet. Brochure in-80 . Prix , 2 fr . , et 2 fr . 25 c. franc de port.
Chez Arthus -Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23 ; Latour ,
libraire , grande cour du Palais -Royal , près les galeries de bois .
Le Miroir de l'Enfance , ou Histoire et Aventures d'une mouche
et d'une épingle , écrites et racontées par elles -mêmes ; ouvrage
servant à démontrer les avantages d'une éducation soignée ; traduction
de l'anglais par T. P. Bertin. Un vol . in- 18 , très -bien imprimé
sur beau papier , orné de 5 jolies figures en taille-douce , gravées
avec soin . Prix , I fr . 50 c . , et 1 fr . 80 c . franc de port. Chez
L. Duprat-Duverger , rue des Grands-Augustins , nº 21 .
Les Princes rivaux , ou Mémoires de Mistress Mary-Anne Clarke ,
favorite du duc d'Yorck , écrits par elle-même ; dans lesquels l'auteur
dévoile le secret des intrigues du duc de Kent contre le duc d'Yorck,
son frère , etc. , traduits de l'anglais sur la 2e édition . Un vol. in-8° ,
avec le portrait de Mme Clarke , gravé en taille - douce , et parfaitement
ressemblant. Prix , 5 fr . , et 6 fr. 25 c. franc de port. Chez F.
Buisson , libraire , rue Gilles - Coeur , nº 10 .
Théâtre de L. B. Picard , membre de l'Institut. Six vol . in-80 .
Prix , 36 fr . Chez Mame , imprimeur-libraire , rue Pot-de - Fer .
Dissertation sur soixante traductions françaises de l'imitation de
Jésus - Christ , dédiée à S. M. l'Impératrice et Reine , par Ant.
Alexandre Barbier , bibliothécaire de S. M. l'Empereur et Roi , et de
son Conseil - d'Etat ; suivie de considérations sur la question relative
à l'Auteur de l'Imitation . In - 12 . Prix , 5 fr . , et 5 fr . 65 c . franc de
port. Les exemplaires en papier vélin se vendent 8 fr . Chez Lefèvre ,
libraire , rue du Foin- Saint- Jacques , nº II .
AVIS .
Nous avons reconnu qu'il était presque impossible de consacrer ,
dans le Mercure , un espace suffisant à la Littérature étrangère : notre
intention est donc de séparer cette partie , d'en composer une Feuille
périodique entièrement distincte .
Ce nouveau Journal formera une espèce d'appendice du Mercure
de France ; il le complétera , en fera le Répertoire des Littératures de
tous les pays . Il aura pour titre :
MERCURE ÉTRANGER , ou Annales de la Littérature étrangère .
Donner aux Français une connaissance , aussi complète qu'il sera
possible , de la littérature de tous les pays , et sur- tout de celle de
144 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
nos voisins les Espagnols , les Italiens , les Allemands , les Anglais ,
tel sera le principal objet de cette nouvelle Feuille périodique. On ne
peutplus , aauujjoouurrdd'hui , prétendre au titre d'homme de lettres , si
l'on ne possède la statistique littéraire non- seulement de la France ,
mais de l'Europe .
Chaque numéro du Mercure étranger contiendra :
1º . Des Mélanges ou morceaux de poésie et de prose , traduits soit
des langues espagnole , portugaise , italienne , russe , suédoise , hollandaise
, anglaise , soit même de l'arabé, du persan, du grec moderne ,
enfin des langues orientales . Nous donnerons , parfois , le texte
même de quelques morceaux écrits dans l'une ou l'autre des langues
étrangères de l'Europe , avec la traduction en regard .
Nous aurons soin d'insérer fréquemment , peut-être même dans
tous les numéros du Mercure étranger , la traduction de quelque
Conte ou Nouvelle . On sait que les Allemands et les Anglais cultivent
avec succès ce genre de littérature .
2º . De courtes Analyses des principaux Ouvrages qui paraissent
dans les pays étrangers ; le prix de ces Ouvrages , et les moyens de
se les procurer.
3º. Une Gazette littéraire ou Extrait des Journaux étrangers , contenant
des Notices biographiques , des Anecdotes , des Nouvelles dramatiques
, les Séances des Académies , les Programmes des prix
proposés , etc. , etc.
M. Langlès , membre de l'Institut , conservateur des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque impériale , a bien voulu se charger de la
partie de littérature orientale que contiendra le Mercure étranger ;
MM. Vanderbourg , Sévelinges , Durdent , des traductions de l'allemand
, de l'anglais , etc .; M. Catteau - Calleville , de la littérature
du Nord ; M. Ginguené , membre de l'Institut , de la partie italienne.
Il paraîtra , à la fin de chaque mois , un numéro du Mercure
étranger, composé de quatre feuilles d'impression , de même format
que le Mercure .
Quoique nous regardions le Mercure étranger comme un supplément
presque nécessaire du Mercure de France , nos Abonnés ne
sont point tenus de souscrire à ce nouveau Journal .
L'abonnement au Mercure de France continuera d'être de 48 francs.
par an ; mais pour six mois , il sera de 25 fr .; pour trois mois de 13 fr .
Les abonnés au Mercure de France qui voudront aussi souscrire
au Mercure étranger , paieront , en sus , pour cette dernière souscription
, 18 fr. pour un an et 10 fr. pour six mois .
Pour les personnes qui , sans s'abonner au Mercure de France ,
voudront souscrire au Mercure étranger , l'abonnement sera de 20 fr .
pour l'année , et de 11 fr. pour six mois .
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
étranger , au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure ,
àParis .
TABLE
A
SEIVE
MERCURE
DE FRANCE.
5.
cen
N° DCI . Samedi 23 Janvier 1813 . -
POÉSIE.
ODE A M. LEMAIRE ,
Avocat et Professeur de poésie latine dans la Faculté des
lettres de l'Université impériale , sur la mort de son
fils enlevé dans sa dix-septième année , le II décembre
1812 .
J'AI voulu consoler un père inconsolable ;
Mais plein de ses regrets , partageant son ennui ,
Je ne puis alléger le fardeau qui l'accable ,
Et je pleure avec lui .
Omon illustre ami ! pour charmer ta tristesse ,
Je chantais ; mes sanglots se mêlent à ma voix ;
Ma lyre à ton malheur vivement s'intéresse ,
Et gémit sous mes doigts .
Hélas ! tout est sensible à ta douleur profonde ;
Le soleil a pâli , les cieux se sont voilés ,
Les arbres sans verdure ont agité sur l'onde
Leurs fronts échevelés .
K
146 MERCURE DE FRANCE ,
A
Philomele se tait ; Zéphir n'a plus d'haleine ,
L'automne languissant fuit devant l'aquilon ,
Et l'Echo qui murmure en redisant ta peine
Attendrit le vallon .
Il n'est plus ce beau lis , ornement du rivage ;
Au lever de l'Aurore , il nous avait souri .
Rien n'a pu le sauver des fureurs de l'orage :
Il brille , il est flétri.
Nous admirions tous deux sa tige éblouissante.
Quel or pur renfermait son calice argenté !
Tes soins qui protégeaient sa couronne naissante
L'ont en vain abrité .
Le printems va bientôt ranimer la nature ;
Son retour désiré consolera nos champs ,
Et des oiseaux perdus sous la feuillée obscure
Réveillera les chants .
Mais tu n'entendras plus la voix , la voix si chère ,
Qui par toi-même instruite à moduler des sons ,
Timide , redisait à l'oreille d'un père
Ses naïves chansons .
Flore , d'un seul regard a fécondé la terre ;
Mais tout ce vain éclat ne saurait l'éblouir ,
Quand la plus belle fleur de son charmant parterre
Vient de s'évanouir .
Pleurons ce jeune lis ornement du rivage ,
Au lever de l'Aurore il nous avait souri .
Rien n'a pu le sauver des fureurs de l'orage ,
Il brille , il est flétri .
Hélas ! c'est vainement que la main maternelle ,
L'a d'un parfum d'amour constamment arrosé !
Quel coup affreux pour toi ! mais quel tourment pour elle !
Son coeur en est brisé .
Qui , ta digne moitié , sous le coup qui la tue ,
A force de douleur ne peut voir ni sentir ;
Sa constance s'épuise , et son ame abattue ,
Paraît s'anéantir.
7
JANVIER 1813 . 147
C'est pour elle sur-tout que la coupe est amère .
Ah ! qui sait tous les maux qu'elle cache à nos yeux?
Qui nous les redira ? la douleur d'une mère
Est un secret des cieux .
Soutiens son désespoir qui chancelle et qui tombe ;
Tu lui dois ton courage et les soins les plus doux .
Sous le fardeau commun l'épouse qui succombe
S'attache à son époux .
Si d'un fils adoré le destin te sépare ,
C'est qu'il a dû borner la course de ses ans .
L'avenir est cache : souvent il nous prépare
Ades chagrins cuisans .
Ami , n'accusons point la volonté céléste ,
Quand peut - être un bienfait s'est répandu sur nous ;
Dieu ! que souvent la vie est un présent funeste
Donné dans ton courroux !
Oui , le sort des mortels est peu digne d'envie.
Le vase de l'enfance est coloré de miel ,
Mais le tems vient remplir le banquet de la vie
D'amertume et de fiel.
Heureux qui se dérobe à ce séjour de larmes !
Heureux qui de ses fers esclave racheté ,
Entre , d'un front riant , sans trouble et sans alarmes ,
Dans l'immortalité !
Je sais que de ton fils cultivant la jeunesse ,
Tu vis ses vertus naître et ses talens fleurir ;
Tu recueillais les fruits ; ton active tendresse
Les avait fait mûrir .
Mais tes justes regrets doivent avoir un terme .
Hélas ! ignores- tu qu'aux talens attaché
Le souffle de l'Envie en dévore le germe ,
Qui tombe desséché ?
Plus ils jettent d'éclat dès leur naissante aurore ,
Plus ce monstre ennemi s'élève pour noircir
Le front éblouissant du laurier jeune encore
Qu'il jura d'obseurcir.
Ka
148 MERCURE DE FRANCE ,
Combien de fois , toi-même , en butte à ses outrages ,
De ses lâches discours elle t'a fatigué ?
En vain pour déchirer ton nom et tes ouvrages
Son courroux s'est ligué .
La ronce aux dards aigus , montant du sein de l'herbe ,
N'étouffera jamais de ses bras épineux
La puissante vigueur de ce chêne superbe
Qui brise tous ses noeuds .
Ainsi que l'amitié, la gloire t'est fidèle ;
De l'éclat de ton nom fais pâlir tes rivaux ;
O Lemaire , poursuis , plein d'une ardeur nouvelle,
Tes classiques travaux.
Je sais ce que tu perds . Un art divin te reste ,
Il charmera tes maux , il tarira tes pleurs .
La douce poésie est un baume céleste
Qui guérit nos douleurs.
J. B. BARJAUD .
UN GRAND DÉFAUT DE L'AMOUR .
PRÈS d'une image de l'Amour,
Le jeune Hylas et son amie
Vinrent se reposer un jour.
Vois , ô doux charme de ma vie ,
Disait Hylas , l'ame ravie ,
Ce Dieu ; qu'il est riant et beau !
-Il me plairait , répond Adèle ,
Malgré ses traits et son bandeau ;
Mais je vois le bout de son aile ! ...
Par M. RENÉ TREDOS.
ÉNIGME .
Je suis , lecteur , un monstre industrieux ,
Hideux , dangereux , furieux ;
Je suis un monstre curieux ,
Unmonstre à huit longs pieds, à quatre fois deux yeux.
Les alimens que j'entre ..
En certain sac qui me tient lieu de ventre
JANVIER 1813. 149
S'y convertissent , dit-on ,
Enun funeste poison.
C'est une erreur peut-être ,
Mais de ses préjugés on n'est pas toujours maitre;
(
Il suffit qu'elle en ait la peur ,
Pour que Lise m'ait en horreur.
Deux courtes mains , deux paires de tenailles
Ceignent mon chef; j'habite les murailles.
Au premier bruit je sors ; je m'élance et saisis
Le corps des ennemis
Qui , mis en voltigeurs , sont assez téméraires
Pour n'appréhender pas quelques partis contraires.
Si parfois quelque audacieux
Avec moi veut lutter , ne pouvant faire mieux ,
Aussitôt de ma longue chaîne ,
Je le garotte et je l'entraîne
De vive force dans mon coin ,
Sans que de l'avenir il ait à prendre soin.
*
Il est là pour sa ruine;
Car ma fureur assassine
Ne fait pas de prisonnier ,
Avecmoi point de quartier.
Incontinent je l'égorge ,
Puis de son sang je me gorge.
Si du combat tel est le sort
Que je ne sois pas le plus fort ,
De l'ennemi que j'assiège ,
Je brise incontinent le piège ,
Etje le laisse en liberté.
Puis je répare tout , tellement que personne
De ceux qui passent ne soupçonne
Jusqu'où va ma noirceur et maméchanceté.
S........
LOGOGRIPHE
SURmes huit pieds , lecteur , citoyenne des ondes ,
Je voyage sans cesse et parcours les deux mondes;
On me voit à-la- fois , au fond du Groënland ,
Au détroit découvert par Fernand Magellan ,
150 MERCURE DE FRANCE ,
Dans les bouches du Nil , sur les bords de la Loire ,
Au passage du Sund , même dans la Mer-Noire ,
Dans le golfe d'Ormus , sur les côtes d'Alger ,
Au milieu de la Manche , aux rives du Niger ;
Je fréquente les ports d'Asie et d'Amérique
Et brave les dangers du canal Mosambique.
Très-souvent , il est vrai , soyons de bonne foi ,
J'accompagne un ami beaucoup plus grand que moi ,
Qui pour me soulager dans unes courses lointaines
Me reçoit dans son sein et partage mes peines ;
Je ne suis point ingrate en mainte occasion ,
Je lui porte à mon tour bonne provision.
Sans te mettre à présent l'esprit à la torture ,
Aisément tu pourras disloquer ma structure
Et trouver dans mon être un insecte piquant ,
Un autre plus léger et fort inquiétant ,
Une ville de France , un animal vorace ,
Et ce que nos beautés pour avoir plus de grâce
Suppriment aujourd'hui dans leurs ajustemens ,
Un très-petit poisson , un des quatre élémens ,
Un fleuve d'Italie , et le nom qu'en tout âge
On donna par mépris aux hommes sans courage ,
Undéfaut dans le vin qui d'abord saute aux yeux ,
Un terme de blason , un jeu déjà fort vieux ,
Un légume pommé , vanté pour le potage ,
Ce qui pour mesurer d'un vaisseau le sillage
Est utile aux marins , un lieu pour débarquer ,
Et même , si l'on veut , très-propre à s'embarquer ,
L'habillement pompeux que met l'archidiacre ,
Cette grosse tumeur que produit un sang âcre
De bien de bassecours un bipède coquet ,
Aimé pour ses cadeaux qu'annonce son caquet ;
Le meuble qui pendait au cou du vieux Silène ;
L'albâtre sur lequel la tête de Climène
Pirouette à chaque instant , le tissu de satin
Couvrant son joli corps , et qui , dès le matin ,
Attire tous ses soins ; cet accessoire utile
Qu'endossait son aïeule en allant par la ville ;
Le ferrement aigu qu'un artiste bruyant
Fabrique au point dujour dans son âtre brûlant :
Ce qui sur nos autels pour le saint sacrifice
Estportépar le prêtre et couvre le calice ,
,
JANVIER 1813 . 151
D'une antique mesure une des fractions ,
Un apôtre éloquent , deux interjections .
Ce n'est pas tout encor , dans ma mine féconde ,
Tu pourras découvrir ce qui soutient le monde ,
Certain avancement qui dans le sein des mers
Paraît être le bout de ce vaste univers ;
Enfin une cité qui fut jadis fatale
Aux guerriers de Carthage et sauva sa rivale.
V. B. (d'Agen. )
CHARADE .
C'EST dans la révolution
Que mon premier a pris naissance ;
C'est d'une supposition
Que mon second tient l'existence ;
D'un raisonnement court et bon ,
Mon entier est la conséquence .
$ ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Fumier.
Celui du Logogriphe est Opale , dans lequel on trouve : pâle et
pal .
Celui de la Charade est Liban (le mont) .
SCIENCES ET ARTS .
DOCTRINE GÉNÉRALE DES MALADIES CHRONIQUES , pour
servir de fondement à la connaissance théorique et
pratique de ces mêmes maladies ; par CHARLES- LOUIS
DUMAS , conseiller ordinaire de l'Université impériale ,
recteur de l'Académie de Montpellier , doyen de la
Faculté de médecine , professeur d'anatomie et de
physiologie , professeur de clinique de perfectionnement
appliquée aux maladies chroniques , et médecin
de l'hospice pour le traitement de ces maladies , président
du juri de médecine , membre de la Légion
d'honneur , correspondant de l'Institut national de
France , etc. - Un yol . in - 8° de 800 pages .
Prix , 8 fr. , et 10 fr . 50 c. franc de port.-A Paris ,
chez Déterville , libraire , rue Hautefeuille , nº 8 .
-
CET ouvrage est précédé d'un savant discours sur la
manière d'étudier et d'observer les maladies chroniques .
On trouve dans ce discours préliminaire un tableau fort
bien fait de nos connaissances sur ces maladies dans les
différens âges de la médecine . Ces affections morbifiques ,
remarquables par une durée qui n'a point de terme fixe
et constant , sont beaucoup plus fréquentes parmi nous
qu'elles ne l'étaient parmi les peuples de l'antiquité ; et
cette différence explique en partie la négligence singulière
que les médecins anciens ont apportée dans leur
étude . Il est peu d'auteurs en médecine, si l'on en excepte
Arétée , qui aient laissé des ouvrages considérables sur
cette partie intéressante de l'art. L'exposition de la méthode
que l'auteur a suivie pour étudier ces maladies , se
fait aussi remarquer dans ce discours . Cette méthode
comprend l'observation , l'analyse , l'analogie et l'espèce
de raisonnement que le chancelier Bâcon appelait raisonnement
par exclusion ; ce qui réunit les quatre plus
puissans leviers qu'on ait inventés pour favoriser l'esprit
1
7
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 153
humain dans ses opérations , et pour soulager notre faible
intelligence .
La doctrine générale des maladies chroniques est divisée
en quatre parties. L'auteur , après avoir établi que
la fièvre forme l'un des caractères les plus constans des
affections morbifiques aiguës , caractérise ainsi les maladies
chroniques . Lorsque les puissances vitales déploient
une action faible et interrompue , que les symptômes
sont modérés , que leur succession est lente , qu'il n'existe
point de fièvre , ou que, s'il en existe, ses mouvemens sont
obscurs , irréguliers , sujets à des intermittences , et que
le même ordre de phénomènes se manifeste , sans variation
, pendant un long espace de tems , on dit que la
maladie est chronique. M. Dumas établit ici un principe ,
auquel il donne un plus grand développement dans le
cours de son ouvrage. C'est que la marche aiguë ou
chronique des maladies tient beaucoup à l'organisation
des parties où elles s'établissent. Les organes dans lesquels
les systèmes nerveux et limphatique dominent,
sont plus sujets aux affections chroniques ; tandis que
ceux dans lesquels le système vasculaire sanguin est dominant
, sont plus propres à développer les affections de
nature aiguë . Cette première partie , consacrée aux phénomènes
des maladies chroniques , embrasse toutes les
circonstances de ces maladies relatives à leur marche , à
leurs périodes , à leurs révolutions critiques , et à leurs
successions naturelles . L'auteur réfute l'opinion de
Coelius-Aurélianus , qui pensait que les maladies chroniques
ne pouvant être terminées heureusement par les
seules forces de la nature , devaient être absolument livrées
à l'habileté du médecin , et l'opinion de Bordeu qui regardait
toutes les maladies chroniques comme assujéties
aux révolutions spontanées et aux mouvemens critiques
. Ces deux manières de voir seraient également
nuisibles à l'humanité. La première conduirait à une
pratique violente, confuse et tumultueuse dans le traitement
de ces maladies : en suivant la seconde , on abandonnerait
les malades à une expectation funeste. La.
vérité consiste à garder un juste milieu entre deux sentimens
si opposés .
154 MERCURE DE FRANCE ,
Dans la seconde partie de son ouvrage , M. Dumas
traite de la formation des maladies chroniques . Chaque
maladie est formée d'un ou de plusieurs élémens ; on
appelle élémens dans une maladie , toutes les affections
simples que la différence des phénomènes comparés y
démontre , et qui sont assez dominans pour y produire
divers ordres de symptômes constans et déterminés . Il
est rare qu'une maladie chronique n'offre qu'un élément :
cependant il est des espèces de névralgies qui ne peuvent
être attribuées qu'à l'excès de sensibilité qui produit la
douleur . La plupart des maladies qui font le sujet de cet
ouvrage sont formées de la réunion de plusieurs affections
simples .
On attribue généralement aux modernes l'invention
de cette espèce d'analyse appliquée à la connaissance
des maladies , qui nous fait distinguer les affections
élémentaires dont elles sont composées : mais il faut
remonter plus haut si l'on veut découvrir le véritable
inventeur . Galien , dans son beau livre sur la différence
des maladies , indique qu'il connaissait cette analyse et
qu'il en fesait usage au lit des malades ; mais il n'entre à
cet égard dans aucun détail. M. Dumas aura la gloire
d'avoir le premier expliqué et perfectionné cette méthode ,
d'avoir conçu mieux que personne avant lui tous les procédés
, toutes les combinaisons auxquels on peut la réduire
, et de l'avoir appliquée d'une manière également
ingénieuse et satisfaisante à la solution des divers problêmes
qu'offrent les maladies chroniques les plus complexes
. On peut ranger sous trois chefs principaux toutes
les affections élémentaires des maladies chroniques . Le
premier comprend les affections essentielles qui sont déterminées
par les altérations des forces et de l'action
vitale ; le second renferme les affections essentielles qui
sont causées par les altérations générales des solides
et des fluides ; on placera dans la troisième classe les
affections essentielles qui sont dues aux vices spécifiques .
Le premier chef offre trois subdivisions naturelles : la
première est affectée aux élémens des maladies chroniques
qui prennent leur source dans l'accroissement des
forces et de l'action vitale ; la seconde , à ceux de ces
JANVIER 1813 . 155
élémens qui doivent leur origine à la diminution de ces
mêmes forces ; et la troisième renferme les élémens qui
se manifestent lorsque les forces vitales sont distribuées
d'une manière imparfaite ou irrégulière. Deux subdivisions
, appartenantes au second chef , comprennent ,
l'une les altérations générales des solides , l'autre celle
des fluides , produisant des affections élémentaires dans
les maladies chroniques ; enfin , le vice dartreux , le
goutteux , le rhumatismal , etc. donnent lieu à des élémens
qui , rapportés aux différens principes dont ils
émanent , forment des groupes distincts , lesquels constituent
les subdivisions de la troisième classe . Nous ne
suivrons pas l'auteur dans tous les détails où il a dû nécessairement
entrer : cette exposition sommaire de son
système montre déjà combien il est complet , étendu ,
soigné dans ses développemens , lumineux et fécond en
résultats utiles à la pratique . La doctrine de M. Dumas
ne laisse rien à désirer , si ce n'est une application des
principes sur lesquels elle repose à la connaissance
particulière et au traitement spécial des maladies chroniques
; mais l'auteur ne devait pas aller jusque-là ; il
annonce une doctrine générale, et le cercle qu'il a tracé
autour de son sujet , ne comportait pas une semblable
application , que chacun d'ailleurs peut faire , auprès des
malades , avec une grande facilité.
J'appelle particulièrement l'attention du lecteur sur
cette seconde partie , qui , quoiqu'elle appartienne toute
entière- à la métaphysique de la science , est cependant
traitée avec une excessive clarté . Au lieu de rechercher
péniblement les causes directes et prochaines des maladies
, l'auteur s'applique à connaître les affections primitives
dont elles se composent et à déterminer l'influence
qu'elles ont sur les phénomènes , sur la marche et sur
toutes les modifications de ces maladies . Cette méthode
est une imitation heureuse de celle que l'on snit dans les
autres sciences pour établir la théorie spéciale des objets
qu'elles considèrent. C'est ainsi que la chimie reconnaît
que la composition et les phénomènes chimiques des
corps ont pour cause l'action déterminée de leurs principes
constituans et le rapport des affinités mutuelles
156 MERCURE DE FRANCE ,
qu'ils exercent les uns à l'égard des autres; c'est ainsi
que l'idéologie attribue l'origine des connaissances et
des opérations de l'esprit au développement et au rapport
des affections primitives , comme la sensation , la perception
, la réflexion , etc. , qui en sont les matériaux ou les
élémens .
Dans la troisième partie de son ouvrage , M. Dumas
passe en revue toutes les circonstances générales , tirées
de l'âge , du sexe , du climat , des alimens et des boissons
qui concourent à produire et à modifier les maladies
chroniques . On trouve dans cette partie des idées aussi
justes que bien exprimées sur la différence des tempéramens.
Il réclame comme une découverte qui lui appartient
la distinction des tempéramens établis dans les physiologies
modernes , d'après l'extension relative des
systèmes d'organes qui composent le corps humain. Cette
doctrine donne lieu à des réflexions extrêmement justes
sur la constitution proprement dite et sur la différence à
faire entre elle et le tempérament. Ce dernier , selon
M. Dumas , est ce qui détermine le caractère des forces
vitales , avec les modifications les plus constantes dont
elles peuvent être affectées , au lieu que la constitution
est ce qui détermine l'énergie des forces physiques de
P'organisation , ainsi que les circonstances de la conformation
naturelle du corps ou de ses organes . Afin de
rendre cette différence plus sensible par un exemple ,
nous dirons que parmi les hommes constitués de la même
manière quant aux formes , à la vigueur et à la solidité
du corps , on trouve également des sanguins , des bilieux ,
des pituiteux, etc. Onvoitdes sanguins qui ont une haute
stature , une poitrine large , des membres bien fournis ;
on voit d'autres hommes à qui la nature a donné le même
tempérament avec des formes corporelles tout-à-fait opposées.
Le traitement des maladies chroniques occupe l'auteur
dans la quatrième partie de l'ouvrage. M. Dumas
rectifie d'abord l'idée que l'on se fait communément des
maladies héréditaires ; il prouve que l'on ne doit point
comprendre dans les maladies de cette classe toutes celles
qui , ayant existé parmi les parens , se déclarent ensuite
JANVIER 1813 . 157
parmi les enfans. Le chapitre des maladies incurables
est un des plus intéressans de tout l'ouvrage. L'auteur
réduit singulièrement le nombre de ces maladies . Il
prouve d'une manière bien satisfaisante pour l'humanité,
que beaucoup de maladies ne doivent pas être réputées
incurables , quoiqu'elles deviennent telles par l'ignorance
ou l'impéritie des médecins , par la négligence ou
l'indocilité des malades qui contrarient l'application des
moyens thérapeutiques et nuisent à leur succès .
L'ouvrage de M. Dumas suppose un nombre infini
de faits bien observés . De ces faits rassemblés avec soin
et comparés entr'eux , découlent , comme autant de corollaires
, les principes généraux que l'auteur a établis .
Après avoir enrichi la physique , animée par d'importantes
découvertes , et s'être fait, comme physiologiste,
un nom célèbre dans toute l'Europe , il va prendre un
rang encore plus distingué parmi les maîtres de l'art.
Aucunmédecin en France n'était peut-être plus propre
que M. Dumas à donner un bon Traité des maladies
chroniques . Ces maladies sont , depuis plus de vingtquatre
ans , l'objet particulier de ses études . La Société
royale de médecine couronna , en 1788 , un savant Mémoire
qu'il avait présenté à ses concours , et dans lequel
il discutait la question de l'utilité et des dangers de la
fièvre par rapport aux maladies chroniques . L'auteur , à
peine âgé de vingt ans , fut extrêmement sensible à ce
premier triomphe qui détermina la direction de son
esprit ; et par une suite non interrompue d'études et
d'observations s'est élevé peu-à-peu le grand ouvrage
dont il vient d'enrichir la science .
(Article communiqué par M. ETIENNE SAINTE- MARIE ,
Docteur en médecine de la Faculté de Montpellier. )
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
,
et
COURS DE POÉSIE SACRÉE , par le docteur LowTH , professeur
de poésie aux Collége d'Oxford ; traduit , pour
la première fois , du latin en français , par F. ROGER ,
conseiller ordinaire de l'Université impériale
membre de la Légion-d'Honneur. - Deux tomes en
›un volume . - Prix , 5 fr . , et 6 fr . 50 c. franc de
port. - A Paris , chez Migneret , imprim . -libraire ,
rue du Dragon , nº 20.
DEUX traductions de cet ouvrage viennent de paraître
à la fois ; l'une sans nom d'auteur et dont il a déjà
été rendu compte dans ce journal ; l'autre de M. Roger ,
conseiller ordinaire de l'Université , et dont il nous reste
à entretenir nos lecteurs . Cette dernière était annoncée
depuis long-tems et vivement désirée par ceux qui ne connaissant
pas l'ouvrage original , ou s'étant rebutés des
difficultés qu'offre le texte , attendaient une version dont
le nom du traducteur leur garantit l'élégance et la fidélité.
M. Roger , dans son commentaire du Théâtre classique
, publié en 1807 et adopté pour l'enseignement des
lycées , cite un passage du docteur Lowth , sur l'esprit
dans lequel il faut lire les poëtes hébreux . On voit que
dès lors il s'occupait de la traduction qu'il vient de publier
, et l'on peut croire que le traité du savant professeur
d'Oxford ne fut pas inutile à l'auteur du commentaire
sur Esther et Athalie .
Nous n'avions , en français , aucun ouvrage qui traitât ,
avec quelque étendue , de la poésie des Hébreux . Cette
branche de la littérature ancienne n'a offert à l'abbé
Fleury que la matière d'un discours où l'on ne trouve
ni le bon goût de style , ni la profondeur de vues des
excellens discours surl'histoire ecclésiastique . L'auteurs'y
abandonne à des digressions assez étrangères au sujet .
Il montre une admiration très-respectable , et sur-tout
1
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 159
bien fondée , pour les beautés que renferment les livres
saints ; mais son enthousiasme est quelquefois un peu
bourgeois. Queles beaux esprits modernes , dit- il , après
>> avoir cité quelques versets d'un psaume , viennent
>>après cela traiter de grossiers nos bons laboureurs
>> de Palestine ; et qu'ils nous trouvent dans les auteurs
>> profanes des pensées plus hautes , plus fines et mieux
>> tournées . » On n'est pas moins étonné de ce qu'il dit
du caractère que devait avoir la musique des Hébreux ,
>> qui n'avait pas ce mélange de différentes parties et ces
» adoucissemens de la musique moderne >> : ce qu'il devine
par l'air général des ouvrages . Il avait donné
plus haut , comme preuve de l'excellence de cette musique
, que « l'inclination des rois sert beaucoup à l'avan-
>> cement des arts , et que David fut toute sa vie grand
> musicien. » Il faut convenir que ces conclusions et
ces preuves ne sont ni bien convaincantes , ni bien
noblement exprimées .
La partie du Traité des Etudes que M. Rollin a consacrée
à la poésie des Hébreux , se fait remarquer par une
discussion plus littéraire et un ton plus analogue au
sujet . Mais ce qu'il y a d'extraordinaire , c'est que tous
ceux qui écrivent sur cette matière , se croyent obligés ,
pourmieux faire sentir des beautés que personne ne conteste
, et que d'ailleurs la foi ordonne de regarder comme
des inspirations divines , se croyent , dis-je , obligés de
rabaisser les plus beaux génies de l'antiquité , et de les
sacrifier tous aux poëtes sacrés . Selon eux , les plus parfaits
modèles de l'éloquence poétique n'ont rien qui approche
du psalmiste et des prophètes . Homère , Horace
et Virgile sont tout de glace , tandis que Moïse et David
sont tout de feu . Je laisse à juger ce qu'ils doivent
penser de la poésie moderne . « Il ne faut pas s'étonner ,
>> dit l'abbé Fleury , si nous sommes si éloignés du goût
» de l'antiquité sur le sujet de la poésie ; c'est qu'en
» effet , pour ne pas nousflatter , toute notre poésie mo-
>> derne est fort misérable en comparaison . >>
Si les écrivains dont je viens de parler , sont tombés
dans un excès d'admiration pour les poëtes hébreux
, Voltaire est tombé dans un excès contraire .
160 MERCURE DE FRANCE ,
Peut-être pensa-t-il qu'un peuple pauvre , peu avancé
dans la civilisation , comme le peuple hébreu , ayant
peu d'idées métaphysiques et point de termes dans sa
langue pour les rendre , devait s'exprimer par images ,
et que ce dont nous lui faisons un mérite , n'était que
l'impuissance de faire autrement. Peut- être crut-il que
ces ellipses dont nous admirons la hardiesse , au lieu
d'être des artifices de style , n'étaient que les tours familiers
d'une langue aujourd'hui très-peu connue, de purs
hébraïsmes . Toujours est-il certain que Voltaire ne fut
pas assez sensible aux beautés simples et sublimes de
l'Ecriture. Il n'en parle qu'avec une légéreté dénigrante,
peu faite pour rappeler les bons esprits à une opinion
modérée sur cette matière. Que ce fût l'effet d'une
fureur aveugle contre la religion, comme le dit Laharpe
dans lediscours préliminaire de son Psautier Français ;
c'est ce dont on peut raisonnablement douter. On sait
qu'un contemporain de Voltaire , connu par une bien
plus grande exaltation d'idées anti-religieuses , plaçait
dans sa bibliothèque la Bible à côté d'Homère . L'admiration
pour la Bible peut donc se concilier avec des
opinions très-opposées à l'esprit de ce livre . Mais Laharpe
a mieux aimé charger la mémoire de Voltaire d'un tort
grave , que de mettre seulement en doute l'excellence de
son jugement et de son goût. Cela tenait à ses nouvelles
opinions et à la ferveur quelquefois indiscrète d'un nouveauconverti.
Ce discours préliminaire de Laharpe , est un des ouvrages
qui ont le plus contribué à faire connaître en
France le Traité de la Poésie sacrée du docteur Lowth.
« De nos jours , dit- il , un Anglais plein de goût et de
>> connaissances , a consacré à la poésie des Hébreux un
>> ouvrage qui a été beaucoup lu , quoique fort savant ,
>> et qu'on regarde comme un des meilleurs livres que
>> l'Angleterre ait produits . >> Puis il ajoute dans une
note : « cet ouvrage est formé des leçons latines que le
>> docteur Lowth lisait au collège d'Oxford , comme de
>> nos jours quelques gens de lettres en lisaient de fran-
>> çaises au Lycée.>> Quand on connaît l'ouvrage , on
n'est pas frappé de cette ressemblance entre les leçons
JANVIER 1813 . 161
françaises et les leçons latines . Elles paraissent au contraire
différer autant par le fond que par la forme , par
le mérite particulier des professeurs , que par leur auditoire.
Il est très-douteux que le docteur Lowth professât
devant des jeunes femmes et d'agréables oisifs ; il
n'est pas moins douteux que Laharpe eût retenu des
auditeurs de cette nature par un traité sur la poésie
sacrée ; mais il a voulu donner une preuve de sa grande
estime pour le docteur Lowth , et il n'a cru pouvoir
mieux faire que de lui chercher quelques rapports avec
lui-même.
L'article qui a déjà paru dans le Mercure , sur la traduction
anonyme du Traité de la Poésie sacrée , nous
dispense d'indiquer le plan et les principales divisions de
cet ouvrage. Nous préférons donner à nos lecteurs une
idée du système de traduction qu'a suivi M. Roger ,
système qu'une lecture réfléchie de quelques passages de
l'original , nous a mis à même de mieux apprécier .
<<Je n'ai pas dû m'attacher , dit M. Roger , à l'exac-
>> titudelittérale, comme je l'aurais fait dans la traduction
>> de Tite- Live , de Cicéron , ou de quelqu'un de ces
>> grands écrivains qui , modèles achevés de style , im-
>> posent à leur interprête l'obligation de dessiner toutes
> leurs formes , de répéter tous leurs mouvemens , de
>> conserver toutes leurs intentions , et ne peuvent être
>> représentés heureusement qu'autant qu'ils sont exac-
» tement reproduits . Le latin moderne de Lowth n'étant
>> pas tout-à-fait irréprochable , n'obligeait pas à une
>> aussi rigoureuse fidélité ; sans chercher donc à rendre
>> tous les mots , j'ai tâché de bien rendre le sens et la
>> liaison des idées . » M. Roger ne pouvait mieux faire :
une version strictement littérale du docteur Lowth ,
pouvait paraître traînante , et quelquefois même inintelligible
; c'est dans ce cas qu'une extrême fidélité devenait
une extrême infidélité. Une des qualités de style de
l'ouvrage original , est l'abondance ; mais cette abondance
dégénère parfois en diffusion et en battologie. Le
docteur Lowth employe souvent plusieurs mots qui
*n'ont dans notre langue qu'unemêmesignification : etde
là une difficulté insurmontable et , l'on peut le dire , sans
L
162 MERCURE DE FRANCE ,
gloire à les rendre tous ; souvent encore , lorsque
Fexpression lui manque pour rendre certaines idées ,
il détourne certains mots de leur véritable acception , et
a recours au latin de l'école . M. Roger s'est alors servi
très-utilement d'une traduction anglaise faite sous les
yeux mêmes de l'auteur , par un de ses disciples , « et sur
>> cette autorité , dit-il , j'ai pu quelquefois adopter dans
>> l'interprétation , certaines nuances que n'indiquait
>> pas l'original. >>
L'ouvrage du docteur Lowth commence par un discours
d'ouverture , espèce de morceau obligé , commé
Hous én entendons prononcer dans quelques-uns de nos
cours publics , en pareille occasion. On sait que le plus
souvent , ce ne sont que des lieux communs , dont tout
le mérite est de se rattacher avec plus ou moins d'adresse
à l'objet principal du cours. Le docteur Lowth , dans ce
discours ou cette leçon, cherche à prouver que le premier
but de la poésie est l'utilité , que c'est là sa fin , et que
l'agrément n'est que le moyen dont elle se sert pour y
parvenir. Il établit cette différence entre le poëte et le
philosophe , que celui-ci croit avoir assez fait , quand il
a été simple , clair et précis , tandis que celui-là veut encore
répandre sur ses leçons le charme de l'élégance et
de l'agrément . Cette opinion ne mérite certainement pas
tous les développemens que lui donne l'auteur. C'est une
de ces questions qu'on peut appeler oiseuses , et bonnes
tout au plus à faire briller l'éloquente faconde d'un rhéteur.
Horace a depuis long-tems décidé celle-ci dans un
de ces vers proverbes , où , sans prendre parti pour l'uti
lité contre l'agrément , il dit que le comble de l'art est de
les réunir tousdeux. Quant à ladistinction entre le poëte
et le philosophe , les ouvrages de Platon et de Cicéron ,
deux des plus beaux génies et des écrivains les plus
fleuris de l'antiquité , prouveraient assez que ce n'est
qu'une vaine subtilité , et qu'aucun philosophe à qui il
aura été donné de plaire , n'a négligé ce moyen. M. Roger
a supprimé , dans sa traduction , cette première leçon .
Il a pensé avec raison qu'il valait mieux entrer dans le
sujet dès le commencement du livre ; « que d'ailleurs
>>> Lowth étend trop loinses principes 2. , et s'abandonne à
JANVIER 1813 : 163
>>des idées abstraites de perfection morale , qui s'éloi-
>> gnent autantde la vérité des choses que du goût par-
>> ticulier de notre nation. Le même esprit de critique
judicieuse lui fait retrancher aussi quelques ornemens
ambitieux et que le goût réprouve . Telle est, dans le chapitre
second de l'original, et le premier de la traduction ,
cette comparaison de la poésie sacrée à un fleuve , dont
l'auteur se propose de suivre les sinuosités , d'observer
l'élévation et l'abaissement , et de détourner quelquefois
les eaux , pourféconder les campagnes qu'il domine.
C'est rarement à un traducteur qu'il faut demander un
jugement impartial et désintéressé sur l'auteur qu'il a
traduit . Il arrive trop souvent qu'on voie avec des yeux
prévenus , l'ouvrage qu'on a cru digne de plusieurs années
de soins et de travaux. M. Roger n'a pas payé ce
ribut , et tout en rendant justice aux qualités brillantes
de son original , à son goût et à son immense érudition ,
il s'exprime sur ses défauts avec une franchise décente et
mesurée . Ainsi après avoir observé que le docteur Lowth,
dans l'analyse des beautés de sentiment , manque quelquefois
de grâce et d'abandon, que trop souvent il prouve
au lieu de faire sentir ; le traducteur remarque que dans
les morceaux de force et d'éclat , il s'élève , s'anime , redouble
d'énergie et se montre un digne interprête des
prophètes . Il cite pour exemple le chapitre sur Isaïe, que
nous prenons volontiers de samain et d'où nous extrayons
le passage suivant pour donner à-la-fois une idée de
l'original et de la traduction .
<< Isaïe , le premier des prophètes , pour le mérite au-
>>tant que pour l'ancienneté , réunit tous les genres de
>>perfection à un degré si éminent, qu'on peut regarder
ses ouvrages comme le modèle le plus accompli de la
>> poésie prophétique . Son style est à-la- fois élégant et
>> sublime, plein de force et d'agrément , de richesse et
» d'énergie , de noblesse et de variété. Ses sentimens
>> sont élevés ; ses images exactes , élégantes , fécondes ,
>> variées , majestueuses ; sa diction , remarquable par
nson élégance , ne l'est pas moins par sa clarté et sa sim-
→→ plicité . Il existe en outre une telle harmonie , soit na-
>>>turelle, soit artificielle , dans l'arrangement poétique
L2
164 MERCURE DE FRANCE ,
>> de ses sentences , que si la poésie hébraïque conserve
>> encore aujourd'hui quelque reste de sa grâce native et
>> de son antique mélodie , c'est aux écrits d'Isaïe qu'elle
>>en estprincipalement redevable . Il excelle encore d'une
>> manière toute particulière dans ce qui concerne la dis-
>> position des parties , l'ordre et la liaison naturelle des
>>>idées ; autant du moins que peut le permettre la nature
>>des inspirations prophétiques qui s'emparent de l'ame
>>>avec une violence irrésistible , et l'entraînent souvent ,
>>par de rapides transitions , des objets les plus voisins
>> des sens aux objets qui en sont les plus éloignés , et
>> des choses humaines aux choses divines . >>>
Le lecteur aura remarqué combien la traduction de ce
passage est élégante et facile , et qu'à lire ainsi l'ouvrage
du docteur Lowth , on croirait qu'il a été pensé et écrit
en français . Nous ajouterons que c'est un véritable service
rendu aux lettres , le traité de la poésie sacrée ayant
jusqu'ici joui plutôt d'une estime sur parole que d'une
estime réfléchie ; qu'enfin , si cette traduction justifie
l'opinion qu'on s'était faite du traducteur , elle ne justifie
pas moins le choix qui l'a placé parmi les chefs de l'instruction
publique.
:
FABLES ; par A. V. ARNAULT , de l'Institut impérial , de
l'Académie de Madrid , etc. etc. , avec cette épigraphe :
Calumniari si quis autem voluerit ,
Fictisjocari nos memineritfabulis .
Un volume in- 12 , orné d'une jolie gravure.- Prix ,
3 fr . , et 3 fr . 50 c. franc de port. Chez Joseph Chaumerot
, libraire , place Saint-André-des-Arcs , nº 11 ;
et Chaumerot jeune , Palais-Royal , galerie de bois ,
n° 188 .
DEPUIS quelques années il semble convenu qu'on ne
peut faire le moindre article de journal sans donner une
savante théorie du genre que l'auteur a traité , théorie
qu'apparemment l'auteur ignore et le public aussi. Quelqu'avantageuse
que soit cette méthode pour le journa
JANVIER 1813. 165
liste , nous croyons qu'il est encore permis de supposer
l'auteur et le lecteur suffisamment instruits , et de commencer
sans préambule par tâcher de donner une idée
juste et un jugement impartial de l'ouvrage qu'on s'est
chargé d'examiner . Cette marche , raisonnable parfois ,
est peut- être nécessaire lorsqu'il s'agit de l'apologue ,
sujet épuisé depuis long-tems par plusieurs écrivains
ingénieux , sans compter les médiocres .
Pour commencer mon métier de critique , je dirai que
M. Arnault , qui est si justement de l'Institut impérial ,
aurait peut-être bien fait d'ajouter qu'il est de la seconde
Classe . Cette désignation me semble nécessaire , jusqu'au
jour où le gouvernement aura permis à cette classe
de reprendre son noble titre d'Académie française ; car
l'Institut peut tout aussi bien être composé de quatre
académies que de quatre classes ; mais jusque-là je pense
que tout membre de l'Institut fera mieux d'indiquer à
quelle classe il appartient .
La préface de M. Arnault se fait lire avec beaucoup
de plaisir . On y remarque d'abord au milieu de beaucoup
d'esprit ce ton ferme qui est un des caractères du
talent de l'auteur. M. Arnault prouve très -bien une opinion
qu'il partage avec plusieurs bons esprits ; savoir ,
que l'apologue n'est pas du tout un art d'esclaves , que
ce n'est qu'une manière différente de dire la vérité , et
que s'il l'adoucit quelquefois , il l'éclaircit plus souvent
encore. M. Arnault défend ensuite une cause au moins
aussi bonne ; il soutient qu'on a tort de vouloir prendre
le ton de La Fontaine , et qu'on nedoit imiter ce grand
poëte que dans l'exemple qu'il a donné de n'imiter personne.
Nous citerons ici le prologue qui n'est qu'un
résumé élégant et ingénieux de cette partie de la préface.
Amis , dans la riante plaine
Qu'Esope ensemença jadis ,
J'ai ramassé quelques épis
Après Phèdre , après La Fontaine .
Récolte d'un pauvre glaneur ,
Ces épis ne sont pas superbes :
Ce sont des brins et non des gerbes
Qu'on trouve après le moissonneur.
166 MERCURE DE FRANCE ,
1.
:
N'importe , et . Dieu me le pardonne !
Quand je vois mon petit trésor ,
Je me trouve assez riche encore ,
Et je n'ai rien pris à personne.
Sans rivaliser ses travaux ,
De Jean j'ai suivi le système :
Je me dois le peu que je vaux ;
Je suis moi comme il est lui-même.
Ne forçons point notre talent
Nous ne ferions rien avec grace ,
Adit cet esprit excellent ,
Dont je n'ai pas suivi la trace.
De l'avis c'était profiter ,
J'écris d'après non caractère .
Bonhomme , en voulant t'imiter
J'aurais craint de te contrefaire .
Les vers ont cet avantage que tout homme de goût
qui en a lu trente d'un ouvrage , peut juger , non pas
tout-à-fait cet ouvrage , mais la manière dont il est
écrit , chose si importante et presque décisive en poésie.
Enune page on a vu le ton , le talent et souvent le caractère
de l'auteur. Dans les vers qu'on vient de lire on
reconnaît d'abord beaucoup d'esprit , de l'énergie qui se
cache sous de l'élégance , et le ton d'un homme qui a
pensé avant d'écrire , bien différent de tant d'autres qui
commencent toujours par écrire , sauf à penser. quand
ils le pourront. Eh bien ! cette manière qui caractérise
le prologue , se reconnaîtra à toutes les pages du livre.
Partant on y trouve quelqu'une des qualités distinctives
du talent de l'auteur , souvent de la force , ou de la
grâce , ou de la sévérité , et toujours de l'esprit. J'ai dit
de la sévérité ; et en effet l'auteur jette sur la société un
regard quelquefois un peu caustique , ce qui sera blamé
par les hommes qui veulent absolument des fables dans
la manière de La Fontaine : cette manière sans doute est
la meilleure ; mais, outre qu'il est inimitable , beaucoup
de juges éclairés pensent que le seul moyen de plaire
après lui , c'est d'avoir une manière à soi. On ne peut
trop louer M. Arnault du courage avec lequel il a suivi
JANVIER 1813 . 167
ce système , et son courage a été presque toujours heureux
: rien n'est si facile à prouver ; et la précision étant
une des qualités distinctives de ces fables , je puis ici
en citer un certain nombre .
En voici une qui me paraît pleine de grace et de
sentiment . i
Le Fer et l'Aimant.
Aux lois de la nature amis , soumettons-nous ; ,
Toujours sa volonté l'emporta sur la nôtre .
L'aimant disait au fer : pourquoi me cherchez-vous ?
Pourquoi m'attirez -vous , soudain répondait l'autre...
Notre faiblesse et ton pouvoir ,
Sexe enchanteur , s'expliqueraient de même.
Ainsi tu plais sans le vouloir :
Sans le vouloir ainsi l'on t'aime.
Voici une autre fable d'un tour tout différent , et plein
d'énergie et d'originalité .
Le Colimaçon.
Sans ami , comme sans famille ,
Ici bas vivre en étranger ,
Se retirer dans sa coquille
Au signal du moindre danger ,
S'aimer d'une amitié sans bornes ,
De soi seul emplir sa maison ,
En sortir suivant la saison ,
Pour faire à son voisin les cornes ,
Signaler ses pas destructeurs
... Par les traces les plus impures ,
Outrager les plus tendres fleurs
Par ses baisers ou ses morsures ,
Enfin , chez soi , comme en prison',
Vieillir de jour en jour plus triste ,
C'est l'histoire de l'égoïste
Et celle du colimaçon.
1
۴
า
Heureux les auteurs qu'on ne peut mieux louer qu'en
les citant ! Cette méthode commode est facile avec
M. Arnault.
168 MERCURE DE FRANCE ,
L'Homme et l'Echo .
Unmedisant accusait les échos .
Un médisant ! ... Je le ménage.
Le ciel , disait-il dans sa rage ,
Puisse-t-il les punir de leurs mauvais propos !
Que d'ennemis je dois à leur langue indiscrète !
Tout , jusqu'à mes moindres discours
:Devient article de gazette.
,
M'échappe-t- il un mot , il se trouve toujours
Un chien d'écho qui le répète .
Ami, repart l'écho , faut-il s'en prendre à nous ?
Je répète , il est vrai : mais pourquoi parlez-vous ?
:
On ne peut disconvenir que toutes ces fables ont un
tour particulier qui étonne en même tems qu'il plaît .
Les choses neuves sont si rares qu'on ne peut trop encourager
les écrivains qui nous en donnent , même
quand ils s'égareraient quelquefois en les cherchant.
Le Colin-Maillard.-Amafemme.
Que j'aime ce Colin-Maillard !
C'est le jeu de la ville et celui du village.
Il est de tout pays et même de tout âge .
1
Presque autant qu'un enfant , il égare un vieillard.
Voyez comme il se précipite :
Sans penser même aux casse-cou ,
Comme il tourne , comme il s'agite
Parmi ce jeune essaim de folles et de fous ,
Ce jeune homme enivré qu'on cherche et qu'on évite :
Quel plaisir ! il poursuit vingt belles à la fois .
Comme lamoins sévère , il prend la plus farouche .
S'il n'y voit pas , du moins il touche ,
Ses yeux sont au bout de ses doigts .
Que dis-je , hélas ! tout n'est pas fête .
Au lieu des doux attraits qu'on croit en son pouvoir ,
Si l'on rencontre pot au noir ,
Jeune homme , alors , gare a latête.l 1.
;
Enamour , comme au jeu qu'en ces vers nous chantons ,
Un bandeau sur les yeux on s'attrape à tâtons ...
JANVIER 1813 . 169
De son aveuglement , sage qui se défie ,
Et qui , même en trichant , cherche à voir tant soit peu.
Mais c'est ainsi , dit-on , que l'on friponne au jeu :
C'est ainsi qu'on y gagne et que j'ai pris Sophie.
"
Ces vers sont charmans ; mais la fable est finie, et , je
l'avoue , il me semble qu'il n'y a pas là de fable , parce
qu'il n'y a pas d'action particulière . L'auteur dit quelque
part , dans sa préface : une fable est-elle autre chose
qu'une comparaison? Je crois au moins qu'une fable est
une comparaison prolongée ; mais je crois sur-tout que
plus une fable aura une action marquée , plus elle sera
parfaite. Il y a de très-jolies fables qui ne sont qu'un
mot d'où il résulte une morale: mais ici je ne peux voir
que des réflexions , à la vérité très- ingénieuses , sur le
Colin- Maillard , et terminées par un trait charmant.
C'est un tableau ; mais il n'y a là ni un récit , ni une
morale . Je me borne donc à regarder ce morceau
comme un très-joli prologue , tel que La Fontaine en a
fait , et que M. Arnault est digne d'en faire. Je ne sais
encore si ce n'était pas là sa première destination , car
je vois que la fable qui suit le Colin- Maillard s'appelle
le Vieux jouant au Collin-Maillard. Elle est trèsagréable
; mais je crois que ces deux morceaux gagneraient
à être réunis .
Voici une fable remarquable par un sentiment profond
, mélancolique et malheureusement juste . Quelques
homines obstinés à la gaîté pourront y voir l'expression
d'un esprit chagrin : mais on pourra leur répondre
par ce mot de l'abbé Montgault , traducteur
élégant des Lettres de Cicéron : Les vapeurs sont une
maladie qui fait voir les choses telles qu'elles sont......
Les larmes du Crocodile.
Le crocodile en pleurs , aux animaux surpris
De la pitié vantait les charmes :
«Craignez ceux qui jamais ne se sont attendris ;
» Fiez-vous à quiconque a répandu des larmes :
>> Frères , l'homme est croyable et l'homme pense ainsi. >>
Je le sais , dit le boeuf, et même il pleute aussi.
1
170 MERCURE DE FRANCE ,
Je finirai toutes ces citations par une fable sur laquelle
je n'ai aucune réflexion à faire .
Les Taches et les Paillettes .
Au diable soient les étourdis
Qui m'ont fait une horrible tache !
Qu'ai- je dit , une ! en voilà dix ,
Et c'est à mon velours pistache !
Ainsi parlait monsieur Denys ,
Marchand fameux de l'ancien règne ;
Marchand connu de tout Paris ;
Marchand de soie à juste prix ,
Du moins si j'en crois son enseigne .
Conçois-tu bien tout mon malheur ,
Ma fille ? Un velours magnifique ,
Un velours de cette couleur
Va donc rester dans ma boutique !
4
1
1
:
L'art du dégraisseur n'y peut rien.
L'eau de Dupleix , à qui tout cède ,
Est sans vertu !-Mon père ! - Eh bien !
Essayons un autre remède ;
Envoyons l'étoffe au brodeur..
Elle a raison. Notre grondeur
.... Suit le conseil de la fillette.
Amis , plus souvent qu'on ne croit
La tache est tout juste à l'endroit
Où l'on voit briller la paillette .
T
1
٠٤
i
!
Je ne puis mieux faire l'éloge de ce recueil qu'en
disant qu'il renferme plusieurs fables de ce mérite.
;
T
On voit que l'auteur a des qualités qui lui sont propres
, et a eu le bon goût de n'en pas chercher qui lui
soient étrangères. Si le naturel est une grâce , ce livré
en a beaucoup. Dans les grandes compositions littéraires
, le genre emporte l'auteur et lui donne le ton :
dans les petits ouvrages comme des fables , c'est l'auteur
qui doit emporter le genre et lui imprimer sa physionomie.
Nous avons tant de fables qui ne ressemblent à
rien , qu'il est agréable d'en avoir à annoncer qui ressemblent
à un homme de beaucoup d'esprit et de talens .
Quelque intéressantes que soient ces fables , dont la
JANVIER 1813 . 174
forme est souvent neuve , et dont le sujet l'est toujours ,
tout le monde sait qu'elles ne sont qu'un des délassemens
de leur auteur. En lisant ces ingénieux apologues , on
aime à se rappeler les belles tragédies de Marius , d'Oscar
et des Vénitiens , pleines d'un sentiment profond et
d'une chaleur bien rare , car elle est vraie. On dési
rerait les voir plus souvent , ne fût-ce que pour encour
rager l'auteur à nous en donner de nouvelles : en attendant
, on jouira de ces ſables piquantes , et quelquefois
profondes , dont le recueil est aussi un bon ouvrage.
1.Les apologues, de M. Arnault sont imprimés d'un
caractère élégant , mais beaucoup trop fin pour la commodité
des lecteurs et aussi pour l'étendue de l'ouvrage .
Ce petit défaut est bien avantageusement compensé par
la gravure très-jolie dont on a fait précéder levolume.
Cette gravure est faite d'après un tableau de M. Boilly ,
peintre qui , s'il veut jamais travailler moins et moins
vite , s'acquerra dans son art une très-grande réputation,
et lui donnera un genre qui lui manque presque entiè
rement. En effet , la peinture ne connaît guère que la
tragédie , et passe presque immédiatement de la noblesse
des tableaux d'histoire à lafarce des bambochades et des
scènes de cabaret. Pourquoi la peinture n'aurait-elle pas ,
comme la poésie , sa comédie ? Pourquoi n'exprimeraitelle
pas plus souvent ces scènes gaies et singulières que
fournit la société ? M. Boilly, qui a donné plusieurs
essais en ce genre , me paraît, plus que personne ,
propre à le perfectionner , par l'esprit qui pétille dans
ses compositions , et qui serait ici de rigueur. On peut
en juger par la description de son tableau qui n'a pas
besoin d'être vu pour paraître piquant , et qui semble fait
exprès pour être gravé à la tête du recueil d'un fabuliste .
La scène se passe dans un salon. Le milieu en est
occupé par une guenon parée à la dernière mode. Un
lion , avec un chapeau militaire , lui baise la pate.
Entr'eux deux on voit endormi un individu que j'ai vu
soupçonner d'être son mari : c'est un cochon qui a une
veste très- riche , et une figure qu'en vérité on rencontre
quelquefois parmi les hommes. Dans le même tems et
de l'autre côté , un âne , en médecin , tient l'autre pate
173 MERCURE DE FRANCE ,
de la guenon et lui tâte le pouls , tandis qu'un chat , aux
genoux de sa maîtresse , pince de la guitare. Sur le
devant de la scène on voit un loup et un mouton qui
jouent ensemble aux dames , et par dessous la table un
renard tond le mouton . D'un autre côté on voit en
habits de gala un singe et une fouine qui prennent un
verre d'eau sucrée que leur présente un chien en livrée.
Plus loin on voit arriver un dindon en robe et en rabat ,
et une oie en jupon et en schall , introduits par un
dogue en suisse , dont la figure est extrêmement plaisante.
Du côté opposé , et auprès d'une cheminée où
sont les bustes d'Esope , de Phèdre et de La Fontaine ,
est en observation un ours avec une robe de philosophe.
Plus près de la guenon , on voit appuyé sur un paravent
et en habit à la mode , un cerf , sur les cornes duquel
est poséun perroquet. Enfin on voit sortir de derrière
le paravent un homme qui a à la main des tablettes , et
écrit les scènes dont il est témoin. M. Arnault devrait
bien traduire en vers cette jolie fable.
Ce recueil , enrichi encore de notes piquantes et spirituelles
, ne peut que plaire à tous les bons esprits .
Sans doute , en cherchant bien , on y trouverait quelques
taches . Les dissimuler serait un tort : les détailler
en serait peut-être un autre. On abuse trop de ces petits
défauts pour condamner les longs ouvrages , et il y a
trop d'hommes qui aiment à juger un livre sur quelques
syllabes . De sincères amis , et M. Arnault lui-même ,
ont sûrement déjà remarqué ces légères imperfections .
Elles disparaîtront vraisemblablement , mais elles ne
m'ont pas empêché de lire l'ouvrage avec un grand plaisir
, partagé déjà par un grand nombre de lecteurs . Les
hommes d'un goût sévère conseilleront peut- être à
M. Arnault de supprimer deux ou trois de ses fables , et
certainement d'en ajouter un très-grand nombre.
A. C.
JANVIER 1813 . 173
OEUVRES COMPLÈTES DE MESDAMES DE LA FAYETTE , DE
TENCIN , ET DE FONTAINE.
(PREMIER ARTICLE. )
OOEuvres de Madame de La Fayette (*) .
PEU de romans ont eu autant de lecteurs que ceux de
Mme de La Fayette. Les amateurs de ce genre d'ouvrages
( et qui ne le serait pas ? ) les lisentsouvent , et ne les quittent
jamais sans se promettre de nouvelles jouissances
par une nouvelle lecture. Leur auteur était une des
femmes les plus spirituelles du dix-septième siècle , si
fécond en merveilles , où l'on vit briller à côté de Racine
, de Boileau , de Corneille , de La Fontaine , une
Sévigné , une Deshoulières , une Maintenon , une Ninon ,
qui réunissaient la beauté aux charmes de l'esprit , et
auxquelles la galanterie française permit d'exercer cet empire
si doux , dont l'influence est si propre à adoucir les
moeurs et à donner une physionomie morale à la peinture
des passions .
,
Avant Mme de La Fayette , la poétique du roman était
inconnue. Les ouvrages de ce genre qu'on doit aux
Grecs appartiennent à la décadence de leur littérature
et ne sont consultés que par les philologues. On n'y
trouve ni vérité , ni intérêt; ce sont des recueils d'aventures
ou communes ou bizarres , ou invraisemblables , ou
dégoûtantes , et si le roman de Longus a de la réputation
, c'est parce que le style d'Amiot lui a donné une
naïveté qu'il n'a pas dans l'original .
Quant aux romans français antérieurs à ceux de Mme
de La Fayette, ils ne sont connus que par le ridicule dont
ils ont été l'objet. Je ne parle pas ici de ces anciennes
archives de notre littérature , de ces vieux ouvrages en
(*) Nouvelle édition , revue , corrigée , et précédée d'une Notice
historique et littéraire et d'un traité sur l'origine des romans. Cinq
vol. in-18. Paris , chez d'Hautel , libraire , rue de la Harpe , nº 80.
174 MERCURE DE FRANCE ,
vers qui remontent jusqu'au XIe siècle , parce qu'ils ont
un intérêt particulier, indépendant de leur mérite littéraire
qui est à-peu-pres nul pour nous . Ils sont en effet , avec
les fabliaux , les seuls monumens qui nous restent de la
langue romane. Mais je veux parler de cette foule de
romans qui ont paru dans la période écoulée entre la
publication de l'Astrée et de Zaïde. Le premier de ces
deux ouvrages , qui a joui d'une réputation si grande
qu'Huet lui donne l'épithète d'incomparable , n'est qu'un
tissu de fadeurs ridicules , de sentimens faux et d'aventures
invraisemblables ; Celadon est un triste personnage
que son amour insensé , à force de respect , rend
glacial. Ajoutez à cela des conversations interminables ,
des détails à n'en plus finir , et je ne sais quel jargon
quintessencié qui remplit dix gros volumes ou billots , et
vous n'aurez encore qu'une bien légère idée de tout
P'ennui que doit inspirer cette incomparable Astrée que
personne ne lit plus , malgré les grands éloges qué
Patru lui a donnés , et malgré la réputation plus grande
encore dont elle a joui .
Al'Astrée succédèrent des romans auxquels elle servit
de modèle , quoiqu'ils soient d'un autre genre . Il n'est
personne qui ne connaisse de nom les Polexandre , les
Pharamond , les Cléopâtre , les Artamène , les Clélie , etc.
dont le législateur du Parnasse n'a pas peu contribué à
desabuser son siècle, et que Voltaire appelait , avec plus
de vérité encore que de malice , une boutique de verbiage.
On sait que dans l'Artamène et la Clélie de Mlle Scuděry
, tes personnages célèbres de l'antiquité , tels que
Cyrus , Mandane , Brutus , Horatius-Coclès , Lucrèce ,
Clélie , etc. , devenus d'une fadeur glaciale à force de
galanterie , s'amusent à filer le parfait amour , et ont
entr'eux des conversations d'un volume (de 6 à 700 р . ) .
Le ton de ces conversations est inintelligible , parce
qu'il y règne ce jargon bizarre que Ménage et Voiture
copiaient en l'admirant , et qui était en faveur à l'hôtel
de Rambouillet , mais que Molière a immolé au parterre
dans les Précieuses ridicules . Il suffit de firé deux pages
d'Artamène pour voir que Molière , bien loin d'exagérer ,
estdémeuré presque toujours au-dessous de la vérité.
JANVIER 1813 . 155
Tel était l'esprit dans lequel on écrivait les romans ,
Jorsque Mme de La Fayette publia successivement Zuide
et la Princesse de Clèves . Ces deux ouvrages opérèrent
une révolution subite. Dès-lors la bonne société se désabusa
dés d'Urfé , des Baro , des Gomberville , de la
Calprenède , des Ville-Dieu , des Scudéry , et de leurs
imitateurs . Ainsi , sur la fin du dernier siècle , lorsque
les farces larmoyantes des successeurs de La Chaussée ,
et l'imperceptible métaphysique de ceux de Marivaux ,
dénaturaient la scène française , Collin-d'Harleville fit
jouer son Inconstant. Cette excellente comédie éclaira
les bons esprits qui s'étaient laissé séduire par les prestiges
d'une mauvaise école , et rouvrit la bonne voie que
l'auteur des Etourdis , d'Anaximandre, du Trésor, etc. ,
et les auteurs de Médiocre et Rampant, du Tyran Domestique
, des Marionnettes , des Héritiers , et d'une foule
de jolies comédies , ont suivie avec les plus brillans succès
.
Les ouvrages de Mme de La Fayette sont trop connus
pour que je ne sois pas dispensé d'en refaire une analyse
faite si souvent. Que peut-on dire sur la Princesse de
Clèves ou Zaïde qui n'ait pas été dit cent fois et bien
mieux que je ne le redirais moi-même ? Tous nos litté
rateurs ont témoigné de mille manières le plaisir que
leur a fait éprouver la lecture de ces deux romans. Ils
en ont admiré le style correct , naturel , animé , gracieux
, élégant , et plein de chaleur. Ils ont reconnu que
les caractères sont bien tracés et pleins d'intérêt , que
l'auteur entend le langage des passions , qu'il dévoile
avec beaucoup de finesse les sentimens du coeur , que
les situations dans lesquelles il place ses héros sont
amenées d'une manière naturelle , et développées d'après
le cours des événemens qui les font naître . Nier aujourd'hui
ces vérités serait un manque de goût comparable à
celui de l'homme qui , en lisant Cinna, Phèdre ou Zaïre ,
nierait l'élévation de Corneille , l'harmonie de Racine , ou
le pathétique de Voltaire ; entreprendre de les démontrer
, c'est vouloir prêcher des convertis , et si par
hasard il existe encore des coeurs endurcis , comment
pourrais-je espérer de les ramener , lorsque Voltaire ,
176 MERCURE DE FRANCE ;
Laharpe , et nos meilleurs critiques , dont je suppose
qu'ils connaissent les ouvrages , n'ont pu le faire ? qu'ils
meurent donc dans l'impénitence finale : leur conversion
est une tâche au- dessus de mes forces , et d'ailleurs
ceux qui n'ont pas versé de douces larmes à la lecture
de la Princesse de Clèves ne sont pas dignes de sentir le
mérite et d'admirer les beautés de cet ouvrage , que
sans ceux de Rousseau et de Richardson j'appellerais
le chef-d'oeuvre du genre .
Zaïde parut sous le nom de Segrais qui était incapable
d'en écrire une page , et quelques critiques ont même
prétendu qu'il en était réellement l'auteur. Il suffit cependant
de comparer ce roman aux Nouvelles françaises
et aux autres ouvrages de Ségrais pour se convaincre du
contraire . D'ailleurs , le savant Huet qui a composé une
dissertation sur l'origine des romans pour être mise en
tête de Zaïde , s'exprime ainsi dans ses Origines de
Caen .
« Les Nouvellesfrançaises de Segrais furent bien re-
>> çues du public , moins toutefois que Zaide et quelques
>> autres ouvrages de ce genre qui parurent sous son nom
>> et qui étaient en effet de la comtesse de La Fayette ,
>> comme lui et la comtesse l'ont déclaré souvent à plu-
>>sieurs de leurs amis , qui en peuvent rendre un assuré
>> témoignage. Pour Zaïde , je le sais d'original , car j'ai
» vu souvent Mme de La Fayette occupée à ce travail ; et
>> elle me l'a communiqué tout entier , et pièce à pièce ,
>> avant que de le rendre public. Comme ce fut pour cet
>> ouvrage que je composai le Traité de l'origine des
>> Romans qui fut mis à la tête , elle me disait souvent
>>que nous avions marié nos enfans ensemble .....
>> Mme de La Fayette négligea si fort la gloire qu'elle
>> méritait , qu'elle laissa paraître Zaïde sous le nom de
>>Segrais : mais lorsque j'eus rapporté cette anecdote ,
>> quelques amis de Segrais qui ne savaient pas la vérité ,
>> s'en plaignirent comme d'un outrage fait à sa mémoire;
>> mais c'était un fait dont j'avais été long-tems le témoin
>> oculaire ; et c'est ce que je suis en état de prouver
>> par plusieurs lettres de Mme de La Fayette, et par l'ori-
+
4
JANVIER 1813 .
177
SEINE
>> ginal du manuscrit de Zaïde , dont elle m'envoyait les
>> feuilles à mesure qu'elle les composait. >>>
Si l'on considère maintenant que Huet ami de M
La Fayette l'était également
DE dea
de Segrais , on ne pourra
disconvenir que son témoignage ne mérite une endere
confiance . Segrais a dit , il est vrai , qu'il avait euquotque
part à la disposition du sujet , cela fait voir seulement
que Mme de La Fayette lui communiqua son plan et qu'il
indiqua les changemens à y faire . D'ailleurs on sait que
Mme de la Fayette aimait à montrer ses écrits à ses amis
afin qu'ils les revissent , que de l'aveu de Huet elle lui fit
part de cette même Zaïde à mesure qu'elle la composait,
et que le manuscrit de la Princesse de Clèves fut remis
au célèbre Larochefoucauld . Mais de tout cela on doit
seulement conclure qu'elle s'adressait aux personnes qui
pouvaient lui donner de bons conseils , et non pas qu'elle
eût ce qu'on appelle un teinturier .
Le second ouvrage de l'auteur de Zaïde est celui qui
est intitulé la Princesse de Montpensier. C'est un petitroman
fort ingénieux , à qui Zaïde et sur-tout la Princesse
de Clèves ont fait tort . Ce dernier ouvrage , qui est sans
contredit le chef- d'oeuvre de Mme de La Fayette , a été
attribué à Segrais avec tout aussi peu de fondément que
Zaïde. Il suffit de lire quelque chose de ce bel esprit pour
se convaincre qu'il était incapable , comme nous l'avons
dit' , d'écrire ces morceaux touchans et remplis d'une
mélancolique sensibilité qui sont dans la Princesse de
Clèves , et qui décèlent la plume et sur-tout le coeur
d'une femme .
Ce roman que Fontenelle admirait fut attaqué dès sa
naissance. Valincourt en publia une critique insignifiante
lorsqu'elle n'est pas amère , et qui est intitulée : Lettres à
Me la marquise de ...... , sur le sujet de la Princesse de
Clèves . Il est à- peu- près reconnu aujourd'hui que la plupartdeces
lettres furentcomposées par lejésuite Bouhours ,
dont Valincourt était l'élève . Bussy-Rabutin , homme
d'esprit qui n'a fait que de mauvais ouvrages , a été aussi
un des critiques les plus acharnés de Mme de La Fayette .
Au reste , ces censeurs blamaient l'une des situations les
plus intéressantes du roman , c'est celle où la princesse
M
178 MERCURE DE FRANCE ,
effrayée de sa violente passion pour Nemours prend enfin
le parti désespéré de se jeter aux genoux de son mari
pour lui faire l'aveu d'un coupable amour qu'elle a vainement
combattu . Il fallait avoir un goût bien étrange ,
j'ose dire même bien faux, pour oser critiquer une situation
pleine d'intérêt et qui produit un effet étonnant sur
l'ame des lecteurs sensibles .
Ces attaques acharnées ne restèrent pas sans réponse ,
et il parut un petit ouvrage intitulé , Conversations sur
la Princesse de Clèves , où elles étaient repoussées avec
beaucoup de force . On crut long-tems que Barbier-d'Aucour
en était l'auteur , mais on sait maintenant qu'elles
sont de Descharnes .
La Princesse de Clèves n'est point un de ces romans
historiques qui depuis quelques années infectent notre
littérature . Elle n'a rien de commun avec ces misérables
rapsodies où la majesté de l'histoire est dégradée au
point de ne servir qu'à débrouiller des intrigues d'amour .
Ces monstrueuses compositions qui sont à l'histoire et
au roman ce que le mélodrame est à la comédie et à la
tragédie , décèlent le manque d'imagination de leurs
auteurs ; elles n'ont joui que d'une vogue éphémère .
Mme de La Fayette ne répondit aux critiques de la
Princesse de Clèves que par la Comtesse de Tende , nouvelle
où les évènemens se pressent et amènent après
diverses situations intéressantes un dénouement des
plus pathétiques . L'auteur place son héroïne au point
de ne plus intéresser que par ses remords , et lui fait
révéler à son mari la faiblesse dont elle s'est rendue
coupable. Cette confidence , bien plus délicate que celle
de la princesse de Clèves , est si bien motivée , qu'elle
ne choque ni la vraisemblance , ni les moeurs . Les autres
ouvrages de Mme de La Fayette sont : Les Mémoires de la
cour de France pour les années 1688 et 1689 , qui sont
remplis de railleries piquantes contre Mme de Maintenon ,
et une Histoire d'Henriette d'Angleterre . Elle en avait
composé un plus grand nombre , dont l'insouciance de
son fils a causé la perte ; car il prêtait les manuscrits de
samère à ceux qui les lui demandaient et ne les réclamait
pas. Les contemporains de Mme de La Fayette nous
JANVIER 1813 .
179
apprennent qu'elle n'était pas moins remarquable par
ses qualités morales que par son esprit. Ces témoignages
universels réfutent assez Labeaumelle qui l'insulte dans
ses mémoires sur Mme de Maintenon comme il insulte
plusieurs autres personnages extrêmement recommandables
. J. B. B. ROQUEFORT .
ESPRIT DE SOPHIE ARNOULD . - Un vol . in- 18 . -AParis ,
chez les libraires du Palais-Royal .
SOPHIE ARNOULD a obtenu , au Théâtre de l'Opéra ,
une réputation égale à celle qu'obtinrent , au Théâtre-
Français , les Dumesnil , les Clairon et les Dangeville :
elle a été contemporaine de ces actrices célèbres , et la
mort l'a enlevée la même année que les deux premières .
Les vieillards , qui dans leur jeunesse ont assidûment
fréquenté les spectacles , aiment à se rappeler que Mlle
Arnould enlevait tous les suffrages dans le rôle de Proserpine
, parce que son jeu réunissait les grâces au sentiment
; que dans celui de Télaïre de l'opéra de Castor,
elle déployait le pathétique le plus entraînant , et que
dans Dardanus , où elle jouait le rôle de Céphise , elle
avait des momens d'inspiration vraiment sublimes .
Cette actrice , de son tems , seule déesse au Théâtre
des Arts , se fit encore remarquer par un esprit de saillie
qui charmait les sociétés où elle était admise ; ses réparties
et ses bons mots étaient presque toujours pleins de
finesse , de malice , et souvent même de causticité.
Un écrivain connu par des succès dans des genres
très -opposés , s'est amusé à réunir ces bons mots , et
en a publié le recueil sous le titre d'Esprit de Sophie
Arnould.
11
Il a fait précéder le recueil consacré àM. Arnould
d'une notice qui se ressent un peu de l'aimable causticité
de la personne à laquelle elle est consacrée ; mais
j'aime mieux reproduire ici quelques-uns des bons mots
de cette actrice que de m'arrêter aux détails de sa vie :
d'ailleurs ces détails sont bien connus . Je dirai seule
M2
180 MERCURE DE FRANCE ,
ment que l'éditeur a su , par la manière dont il les raconte
, les rendre aussi intéressans que s'ils étaient neufs ;
mais je dois le féliciter d'avoir écarté avec sévérité tout
ce qui se ressentait des moeurs de Me Arnould , vivant
dans un siècle où les idées morales et religieuses n'étaient
regardées que comme des préjugés . Cette actrice respira
le vice au milieu de l'atmosphère empoisonnée qui
l'environnait ; peut-être même l'éditeur mérite-t- il le
reproche d'avoir conservé trop de détails qui pourront
alarmer la pudeur. Personne ne sait mieux que
lui , que lorsqu'on écrit pour les femmes , il faut toujours
respecter leur plus bel ornement.
Mais revenons à Sophie Arnould.
« Quelqu'un lui disait après la première représenta-
» tion du Mariage de Figaro : C'est une pièce qui ne
>>peut se soutenir . Oui , répondit- elle , c'est une pièce
» qui tombera quarante fois de suite.
>>Elle disait de l'opéra de Zémire et Azor ou la belle
net la bête : C'est la musique qui est la belle. »
L'épigramme est plaisante , mais elle est injuste ; si la
musique de Zémire est admirable , le poëme n'est point
un ouvrage sans mérite , et il y a tel de nos auteurs
d'opéras comiques qui a obtenu et qui obtient encore
beaucoup de succès , sans avoir rien fait de comparable
à la pièce que Sophie Arnould sacrifiait au plaisir de
faire une épigramme .
:
<<Mlle Clairon au sortir du Fort-l'Evêque quitta le
>> théâtre : elle disait avec emphase que le roi était maître
>> de sa vie et de sa fortune , mais non de son honneur.
» Vous avez raison , observa Sophie , où il n'y a rien le
» roi perd ses droits . »
M. Lemazurier, dans la Galerie des Acteurs du Théâtre-
Français , raconte autrement l'anecdote . On sait que
l'emprisonnement de Me Clairon fut la suite d'une affaire
scandaleuse occasionnée par le comédien Dubois et qui
troubla la comédie française. Comme Mlue Clairon se
prononça avec beaucoup de vigueur dans cette affaire ,
où pour ne pas jouer avec Dubois les acteurs firent manquer
une représentation du Siége de Calais, la police fit
mettre l'actrice en prison .
(
JANVIER 1813 . 181
<<Au reste , dit M. Lemazurier , en recevant l'ordre
» de sa détention , Mlle Clairon, toujours constante dans
>>sa dignité habituelle, n'oublia pas son ton imposant et
>> auguste ; elle traita l'exempt avec toute la hauteur de
» Viriate quand elle parle à Perpenna : elle lui déclara
» qu'elle était soumise aux ordres du roi ; que tout en elle
» était à la disposition de Sa Majesté ; que ses biens , sa
» personne, sa vie en dépendaient , mais que son honneur
>> était intact, et que le roi lui-même n'y pouvait rien .
» Vous avez raison , Mademoiselle , répondit l'exempt
>> très - peu flatté de tout cet étalage , là où il n'y a rien le
» roi perd ses droits . »
-
Les personnes curieuses de savoir lequel des deux récits
est le véritable , n'ont qu'à consulter les Mémoires de
Bachaumont , le Journal historique de Collé , ou la Correspondance
de Grimm , elles y trouveront de quoi éclair- .
cir leurs doutes. Pour moi , j'attribuerais plus volontiers
la répartie à M Arnould qu'à un huissier quelconque ;
ce n'est pas là le genre d'esprit des hommes de cette robe ,
si nous en croyons du moins les ouvrages de M. Selves .
<< Sedaine après la chute d'une de ses pièces vint voir
>>Sophie et lui dit : J'aurais dû le prévoir , la poire
» n'était pas mûre . Cela ne l'a pas empêché de tomber, re
>> prit-elle . >>>
<<Elle disait de Beaumarchais : cet homme sera pendu,
» mais la corde cassera, » mot heureux qui fait connaître
d'une manière bien plaisante le bonheur de l'auteur de
Figaro .
<<Après le déplacement de M. de Choiseul, on fit des
>> tabatières où il y avait d'un côté le buste de Sully etde
>> l'autre celui de Choiseul. C'est bien, dit Sophie , on a
» mis la recette et la dépense ensemble . »
<<Elle disait en regrettant les fureurs de son premier
>> amant : oh ! c'était le bon tems; j'étais bien malheureuse .
>> Quelqu'un lui reprochait de s'être attachée à un ar-
>> chitecte : c'est , répondit- elle , pour employer les pierres
» qu'on jette de tous côtés dans mon jardin .
>>Elle appelait le divorce le sacrement de l'adultère , >>
182 MERCURE DE FRANCE ,
pensée ingénieuse que M. Bourgeuil a mis en vers de la
manière suivante :
L'autre soir du divorce on causait entre amis ;
Chacun de cette loi parlait à sa manière .
Cette loi , dit Chloë , moi je la définis
Le sacrement de l'adultère .
Cette Sophie si caustique et si spirituelle n'a pas échappé
aux épigrammes . C'est la punition ordinaire de ceux qui
en font . Le Brun entr'autres , ce misogyne si passionné ,
mais si admirable , même dans ses sorties les plus violentes
contre un sexe assez indulgent pour lui pardonner
ses injustices à cause de son génie ; Le Brun , dans son
Epître sur la bonne et mauvaise plaisanterie , n'a point
épargné Mlle Arnould. Elle disait un jourà Champcenetz
qu'elle s'était mordu la langue : comment ne vous êtes
vous pas empoisonnée? lui répondit- il . Une autre fois que
devant le même personnage elle se vantait d'avoir le coeur
sur les lèvres :je ne m'étonne plus , reprit-il vivement ,
que vous ayez l'haleine si perfide. Des réponses si grossières
font peu d'honneur à Champcenetz .
Cet opuscule sur l'Esprit de M¹¹ Arnould , fera passer
aux lecteurs une heure agréable. C'est quelque chose :
l'auteur n'a sans doute désiré ni plus de succès , ni
plus de gloire . L. M. A. B.
:
VARIÉTÉS .
SPECTACLES. - Théâtre -Français . - On a donné à ce
théâtre les Deux Fêtes , ou l'Avis aux Mères , comédie en
un acte et en vers par M. Dupaty.
de cette nouveauté .
Des vers brillans , épigrammatiques , ont fait le succès
Nous en rendrons un compte détaillé dans le No prochain.
Théâtre du Vaudeville . -Nous avons un petit arriéré
à solder avec ce théâtre : On n'a pas entretenu nos lecteurs
des trois dernières nouveautés qu'on y a données . La Chevalière
d'Eon a obtenu un succès mérité. Robert le Diable
à sa première apparition ne put contenter tous les esprits ,
JANVIER 1813 . 183
'un second examen a prouvé que ce Robert était un assez
bon diable : le public qui aime les mauvais sujets , sur-tout
lorsqu'ils sont aimables , l'a pris sous sa protection. Le
Retour d'un Fils ne fournira pas, je crois , une longue carrière
.
Le sort différent de ces trois ouvrages fait naître bien des
réflexions Je suis un des amateurs les plus assidus du
Vaudeville , j'ai vu le tems où l'annonce d'une nouveauté
à ce théâtre était le signal de nouveaux plaisirs pour les
amateurs de la gaîté française .
Cet heureux tems n'est plus. Ce sont maintenant des
drames bien moraux , ornés de couplets à pointe , qui ont
seuls le droit d'y réussir ; les vieux desservans du temple
cèdent trop souvent le pas à de jeunes néophytes inexpérimentés
; pour retrouver sa splendeur première , ce théâtre
devrait user de ma recette : dejeunes acteurs et de vieux
B. auteurs .
6
On lit les deux articles suivans dans la Gazette deSanté.
Il y a environ un an que M. Dulong obtint , par des
opérations chimiques , une liqueur particulière , tellement
susceptible de détonation , que cet babile chimiste pensa
être victime de sa découverte , et fut blessé très-grièvement.
Cette année , ayant voulu reprendre la suite de ses recherches
interrompues par cet accident , une nouvelle explosion
, qui a eu lieu malgré les précautions les plus grandes ,
a encore compromis la vie de l'expérimentateur , et prouvé
complètement que toutes les perquisitions sur cet objet
étaient trop dangereuses pour pouvoir être continuées .
Plusieurs personnes connaissaient déjà la substance dont
la découverte avait coûté si cher à M. Dulong, mais le plus
grandnombre des savans en attendait la publication avec
impatience. M. Dulong l'a fait connaître dans la dernière
séance de l'Institut : c'est une combinaison d'azote et
d'acide muriatique oxigéné. On n'avait point encore pu
parvenir à opérer cette combinaison , et M. Dulong n'y est
parvenu qu'en employant un procédé fort savantet fort ingénieux
, dont il a rendu compte à l'Institut , mais qu'il est
assez inutile d'exposer ici. Conformément aux règles de la
nomenclature chimique , il a nommé cette liqueur acide
muriatique oxi-azoté.
On a appris en même que le célèbre chimiste anglais
Humfry Davy , ayant voulu , sur des indications qu'il avait
reçues , tenter l'expérience de M. Dulong , a éprouvé un
184 MERCURE DE FRANCE ,
accident tout semblable ; on espère cependant qu'un oeil
qu'il avait eu fortement compromis , ne sera pas entièrement
perdu .
-
,
La Faculté de médecine de Paris a ouvert les salles
de dissection dans lesquelles elle procure gratuitement à
ses élèves tout ce qui est nécessaire à leur instruction anatomique
et physiologique ; plus de quatre cents jeunes gens
ont déjà profité l'année dernière des conférences , des
exercices pratiques sur la physiologie , l'anatomie , la médecine
opératoire , et de plusieurs autres avantages que la
Faculté leur accorde . Six pavillons aérés de tous côtés
placés au milieu d'un vaste jardin et réunissant tous les
avantages d'une localité agréable et salubre , sont destinés
aux travaux anatomiques . Chacun de ces pavillons peut
admettre plus de 50 étudians ; ceux d'entr'eux qui font
partie de l'école pratique jouissent de prérogatives particulières
et sont sur-tout exercés à la pratique des opérations .
Il n'est aucune branche des sciences médicinales sur laquelle
des médecins attachés à la Faculté ne soient chargés
de faire des conférences instructives .
NÉCROLOGIE .- M. Gérard de Rayneval , premier commis
des affaires étrangères sous quatre ministres , conseiller
d'Etat dans l'ancienne monarchie , et correspondant
de la 3º classe de l'Institut , vient de mourir âgé de plus
de soixante-seize ans . Il laisse une mémoire estimée ,
comme diplomate et comme publiciste .
M. de Rayneval prit part à des négociations difficiles ,
concourut à plusieurs traités , et négocia seul le traité de
commerce avec l'Angleterre en 1786. Sa correspondance
diplomatique est vive , pressante et toujours appuyée sur
de graves motifs . M. de Vergennes , dont il eut toute la
confiance , faisait un grand cas de ses talens . M. de Rayneval
, depuis sa sortie des affaires étrangères en 1792 ,
s'occupa d'écrire sur les rapports des nations . Ses Institutions
du droit de la nature et des gens offrent une analyse
raisonnée des principes le plus généralement avoués sur
cette matière . M. de Rayneval avait publié , il y a à peine
un an , sur la Liberté des mers , un excellent travail . Il
laisse en manuscrit un Commentaire sur Machiavel , dans
lequel il s'attache à venger la mémoire de cet écrivain politique
, jugé avec trop de rigueur, d'après plusieurs fausses
interprétations de ses maximes d'Etat.
JANVIER 1813 . 185
Les connaissances de ce publiciste n'étaient point bornées
au droit des gens ; elles embrassaient plusieurs branches
importantes des lettres humaines , telles que l'histoire
universelle , la philosophie morale et la métaphysique des
langues . Il possédait les idiomes de la plupart des peuples
du nord et du midi de l'Europe . It emporte les regrets de
sa famille et de ses nombreux amis .
SOCIÉTÉS SAVANTES.
:
L'Académie de Mâcon avait mis au concours cette question : <<<Les
» anciens avaient-ils des établissemens publics en faveur des indi-
>> gens ,. des enfans orphelins ou abandonnés , des malades et des
> militaires blessés ; et s'ils n'en avaient point , qu'est-ce qui en tenait
>> lieu ?>> Elle a décerné le prix au Mémoire anonyme sous la devise :
Meliùs est ergo duos esse simul quàm unum ; habent enim emolumentum
societatis suæ : si unus ceciderit , ab altero fulcietur. Regrettant
de n'avoir pas un second prix à offrir , elle a donné l'accessit
à M. Dumas , secrétaire-général de la Société des sciences et belleslettres
de Lyon .
L'Académie propose cette autre question : « Les historiens anciens
>> sont- ils supérieurs aux modernes , et quelles sont les causes de la
>> supériorité des uns ou des autres ? >>>
Les concurrens adresseront leurs ouvrages , suivant les formes
usitées , et francs de port , avant le 1er décembre 1813 , à M. Cortambet
, docteur-médecin , secrétaire perpétuel de la Société , à
Mâcon.
POLITIQUE.
,
Nous avons fait connaître le message important par
lequel le président des Etats -Unis a rendu compte au congrès
de la gestion des affaires , des efforts qu'il a faits pour
maintenir à-la- fois et la paix et l'indépendance américaine
du refus de satisfaction éprouvé de la part de l'Angleterre ;
enfin des événemens de la guerre qui a dû suivre le mouvement
général de résistance à l'oppression britannique ,
qui a éclaté dans toutes les parties de l'Union. Ce message
offrait un heureux enchaînement de faits et de consé
quences exposés avec une clarté parfaite ; il a produit en
Europe et en Amérique une égale senssaattiioonn ,, et il paraît
que la réélection de M. Maddisson sera la digne récompense
des efforts qu'il a faits jusqu'ici pour soutenir la
dignité du nom américain, faire respecter le pavillon de
l'Union . Le voeu national est connu , et la réélection n'est
plus douteuse ; onze Etats ont voté pour M. Maddisson ,
sept seulement pour M. Clinton. C'est le 1er de janvier
queles électeurs ont dû s'assembler pour donner leur vote
dans le sens qui leur est prescrit par le voeu de la majorité
de leurs commettans . Les préparatifs pour l'expédition du
Canada se continuent avec une nouvelle activité . L'heureux
événement de la capture de la frégate la Macédonian,
a été l'objet de réjouissances publiques en honneur de ce
fait d'armes glorieux pour la marine américaine .
Les esprits sont si éloignés de pencher vers des idées de
rapprochement avec les Anglais, qu'une lettre de Washington
fait mention que le comité des relations extérieures est
sur le point de présenter un bill pour empêcher les citoyens
américains d'accepter des licences anglaises , et dans le cas
où ils les accepteraient de les punirpar le gibet. Les lettres
d'Amérique ajoutent encore , relativement à Saint -Domingue
, que Péthion y est complètement vainqueur , et
que son antagoniste Christophe a été tué .
Les dernières nouvelles de Constantinople présentent le
sultan comme occupé sans relâche de ressaisir l'autorité
ébranlée par les rébellions successives de divers pachas ,
et l'influence de familles trop puissantes dévouées à la Rús
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 187
sie ,telle que celle des Morousi qui vient d'être détruite ,
et qu'aucune autre ne sera tentée d'imiter. Des succès en
Egypte et en Syrie contre les Wahabis ont donné lieu à
des réjouissances dans le sérail. Les affaires de Servie sont
toujours l'objet de négociations et de conférences . Les pachas
rébelles de Widdin et d'Orsowa sont vivement pressés .
Les dernières nouvelles de Vienne, en datedu7janvier,
donnent des détails qu'il sera intéressantde connaître .
Dans la dernière conférence d'état , à laquelle ont assisté
tous les ministres , et qui a été présidée par Sa Majesté
l'Empereur , il a été arrêté qu'aucune considération ne
pouvait porter la moindre atteinte au traité d'alliance conclu
entre les deux cours impériales de France et d'Autriche
, et que les deux cours se prêteraient mutuellement
tous les secours possibles et requis par les circonstances.
Il a été arrêté de plus que le corps auxiliaire d'Autriche
serait porté au plus vîte au grand complet , et que M. le
comte de Stadion se rendrait sans délai à l'armée avec le
titre de commissaire-impérial , afin de pourvoir aux besoins
du corps , qui sont le résultat des fatigues d'une
longue campagne et du froid excessif. M. le comte de
Stadion aura les pouvoirs les plus étendus pour contracter
les marchés qu'il jugera nécessaires , et pour que l'armée
n'éprouve aucun retard dans les fournitures . Afin de faire
respecter nos frontières , et assurer aux provinces limitrophes
du théâtre de la guerre une parfaite tranquillité , le
corps de réserve sera composé de 120,000 hommes effectifs
; en conséquence , l'on rendra mobiles les régimens
qui sont en Bohême et en Moravie , et l'on tirera de Hongrie
les régimens de grosse cavalerie pour remplacer les
vides . Le ministre des finances a reçu l'ordre de dresser ,
le plus tôt possible , un plan qui mît à même de faire face
aux nouvelles dépenses , sans décréditer le papier qui est
actuellement en circulation .
On dit que M. le comte Zichy , ancien ministre des
finances , a reçu le même ordre , et que son travail doit être
indépendant de celuide M. le comte de Wallis . On veut
savoir lequel des deux résoudra mieux le problême , et on
adoptera le plan qui sera décidé le meilleur. L'on estime
vingt millions de florins la dépense extraordinaire occasionnée
par ces mesures , et le gouvernement désirerait
bien ne pas mettre de nouvelles contributions .
Les nouvelles de Saxe ont fait connaître le mouvement
du corps saxon et du 7º corps français aux ordres du gé
188 MERCURE DE FRANCE ,
néral Regnier sur Varsovie . Ces corps ont reçu d'abondans
secours . Le corps du général Grenier , estimé à 25 mille
hommes de vieilles troupes venant d'Italie , traverse la
Saxe se rendant à Berlin , où S. Ex. le colonel-général des
dragons comte Baraguay- d'Hilliers est mort d'une fièvre
nerveuse , et a été inhumé avec tous les honneurs dus à un
grand-officier de l'Empire . Le quartier-général du prince
Scharzenberg a été porté à Pulstuck. Les renforts des princes
de la Confédération sont en marche de toutes parts
avec leurs objets d'équipement et d'artillerie pour tous les
divers contingens au complet . Le 1 janvier le roi de
Naples , chargé du commandement général de l'armée , est
parti de Koenisberg avec une partie de la garnison française ,
et s'est porté du côté de l'Est , mais il est revenu le soir. Le
3 janvier S. M. a transféré son quartier-général à Elbing.
Quant au mouvement dirigé de l'intérieur , un journal trèsaccrédité
a publié , sous la date de Francfort , la note suivante
qui mérite d'être remarquée et par son importance
et pour sa précision. Les renforts destinés pour les grandes
armées , y est-il dit , doivent arriver incessamment dans
nos contrées ; ils consistent en 180,000 hommes , dont
60 passeront le Rhin à Strasbourg , 60 à Mayence , et le
reste vis - à- vis de Wesel .
Tandis que les troupes que le gouvernement tenait
prêtes à soutenir l'effort de celles qui les ont précédées , et
à réparer leurs pertes , se mettent en mouvement , tandis
que les décrets pour les nouvelles levées s'accomplissent ,
et vont peupler les dépôts de toutes armes , d'une jeunesse
impatiente de s'instruire dans sa noble profession , et
bientôt de s'y distinguer , l'esprit public qui n'est plus
aujourd'hui le domaine d'un parti , le mot de ralliement
d'une faction , l'esprit public, qui se compose au sein de la
France ramenée à ses anciennes institutions, de l'amour de
la patrie , de la fidélité au prince , de l'attachement inébranlable
aux principes et aux institutions qui constituent
la monarchie , l'esprit public dicte aux premiers corps de
l'Etat , aux conseils -généraux de départemens , aux mairies
des bonnes villes de Sa Majesté , et aux principaux propriétaires
de toutes les parties de l'Empire , l'expression
vive et animée du voeu général , et l'offre de tous les sacrifices
que les circonstances peuvent exiger. Les adresses signées
de tous les noms de ceux qui supplient S. M. d'accepter
leur offrande , arrivent en foule et sont déposées aux pieds
du trône , d'où émaneront les ordres régulateurs de cet
JANVIER 1813 .
189
élan vraiment français , véritablement patriotique , qu'à
toutes les époques les ordres de l'Etat , les diverses classes )
de citoyens , les différentes corporatious ont toujours été
disposées à recevoir et à se communiquer mutuellement .
LL. MM. sont parties pour Fontainebleau , où il paraît
qu'elles feront quelques jours de résidence . Elles y ont été
suivies par une partie des ministres de S. M. , et par les
officiers de leurs maisons . S....
:
ΑΝΝΟΝCES .
Les Ruines de Pompei, dessinées et mesurées par François Mazois,
architecte , pendant les années 1809 , 1810 , 1811 ; ouvrage format
grand in- folio , gravé à Rome , publié à Paris , par souscription , et
dédié à Sa Majesté la Reine des Deux- Siciles .
PROSPECTUS . - La ville de Pompei ensevelie sous les cendres
du Vésuve , l'an 79 de l'ère chrétienne , fut retrouvée presque intacte
1676 ans plus tard . Les édifices endommagés seulement dans leurs
parties supérieures étaient du reste parfaitement conservés ; les stucs ,
les peintures , les mosaïques , avaient encore toute leur fraîcheur ;
les meubles , les ustensiles , les moindres objets étaient demeurés à la
place qu'ils occupaient seize siècles auparavant ; le pain , le blé , les
fruits , quoique desséchés , ou légérement calcinés , étaient encore
reconnaissables ; enfin l'on y retrouva inême les corps de plusieurs
habitans , vêtus comme à leur dernier jour et dans les attitudes où la
mort les avait frappés , les uns cherchant à fuir avec leurs bijoux les
plus précieux , ou cachés dans des lieux obscurs ; les autres surpris à
table , ou étouffés dans leur bain. Cette découverte , qui promettait à
la fois des modèles de tous genres aux arts , des éclaircissemens sur
les points obscurs de la science de l'antiquité , des notions curieuses
pour l'histoire de la vie privée des anciens , fit concevoir les plus
heureuses espérauces à l'Europe savante et elles ne furent point
déçues . Pendant 57 ans on découvrit successivement un grand nombre
d'édifices de toute espèce , et une foule d'objets précieux ; mais
ces richesses en partie dispersées par la guerre , ou menacées déjà
par le tems d'une destruction désormais irréparable , ont été jusqu'ici
comme perdues pour la science , puisqu'elles sont restées inédites , et
à l'exception de quelques peintures et mosaïques publiées par l'Académie
de Naples , on n'a pu jouir encore d'aucun ouvrage exact sur
les antiquités de Pompei.
,
190 MERCURE DE FRANCE ,
Unheureux concours de circonstances ayant permis à M. Mazois ,
architecte français , de dessiner , de mesurer les ruines de cette ville,
il s'en est occupé pendant un séjour de plus de deux ans à Naples , et
s'empresse d'offrir aujourd'hui le résultat de ses travaux aux amis des
arts et de l'antiquité. Tous les dessins ont été mis au net sur les lieux
mêmes , ce qui doit garantir leur exactitude , et gravés ensuite sous
les yeux de l'Auteur par les meilleurs artistes de Rome.
Cet Ouvrage est divisé en cinq parties ; la première comprend tout
ce qui a rapport à la Voie , aux Tombeaux , aux Portes et Murailles
de la ville ; la seconde traite des Habitations particulières ; la troisième
des Temples; la quatrième des Théâtres; la cinquième des
Portiques. Il est précédé d'une notice historique , et terminé par un
plan général détaillé avec un appendix explicatif de tous les édifices
trouvés depuis 1757 jusqu'en 1812. Ony joindra une Table alphabétique
et la liste des Souscripteurs .
१
Cet Ouvrage paraîtra sans interruption de mois en mois par
livraison de six planches , terminées au burin avec le texte annexé
au premier et au dernier cahier de chaque Partie. Il sera composé
de 15 à 16 livraisons .
Prix de chaque livraison :
Sur papier colombier ordinaire.
Sur papier colombier vélin .
20fr.
30
Il n'y aura point d'exemplaires avant la lettre ; chaque Souscripteur
recevra les épreuves selon son numéro d'inscription. Une fois
la dernière livraison publiée , l'Ouvrage ne se vendra plus que complet
, et le prix en sera augmenté.
On souscrit , à Paris , chez M. Le Clere , architecte , rue Basse ,
Porte Saint -Denis , nº 30 ; P. Didot l'aîné , imprimeur- libraire , rue
du Pont-de- Lodi , nº 6 ; et chez les principaux libraires de l'Empire .
Les frais d'envoi sont à la charge des Souscripteurs.
VIIe , VIIIe et IXe cahiers de la cinquième souscription , ou 55e ,
56e et 57e de la collection des Annales des Voyages , de la Géographie
et de l'Histoire , publiées par M. Malte-Brun .
Chaque mois , depuis le 1er septembre 1807 , il paraît un cahier
de cet ouvrage , de 128 ou 144 pages in-8°, accompagné d'une estampe
ou d'une Carte géographique , quelquefois coloriée .
Les première , deuxième , troisième et quatrième souscriptions ( formant
16 volumes in-8° avec 48 cartes ou gravures) sont complètes ,
et coûtent chacune 27 fr. pourParis , et 33 fr. frane de port. Les per
JANVIER 1813. 191
sonnes qui souscrivent en même tems pour les cinq souscriptions ,
payent les trois premières 3 fr . de moins chacune .
Le prix de l'abonnement pour la cinquième souscription est de
27 fr . pour Paris , pour 12 cahiers et de 33 fr. rendus francs de
port par la poste . L'argent et la lettre d'avis doivent être affranchis
et adressés à Fr. Buisson , libraire- éditeur, rue Gilles-Coeur , nº 10 ,
à Paris .
Ephémérides politiques , littéraires et religieuses , présentant pour
chacun des jours de l'année un tableau des événemens remarquables
qui datent de ce même jour dans l'histoire de tous les siècles et de
tous les pays , jusqu'au 1er janvier 1812. Troisième édition , revue ,
corrigée et augmentée . Douze vol . in - 8 ° . Prix , 48 fr . , et 60 fr . franc
de port. Chez Lenormant , imprimeur- libraire , rue de Seine , n°8 ;
et chez Arthus-Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23 .
Double Histoire , ou les Deux Inès , nouvelle espagnole , parM***.
Deux vol . in- 12 . Prix , 3 fr . , et 4 fr. franc de port . Chez Michaud
frères , libraires , rue des Bons-Enfans , nº 34 .
Salon littéraire , rue Vivienne , nº 17 , au premier .
Cet établissement mérite d'être connu par le Public , et particuliérement
par tous les Etrangers ; nous l'avons visité , et nous avons
trouvé un local très-commode , joli , et même élégant; nous avons
particulièrement porté notre attention sur les Ouvrages et Journaux
tant français qu'étrangers , qui s'y trouvent , et nous croyons pouvoir
dire , sans crainte d'exagération , qu'aucun établissement de ce
genre n'offre autant d'avantages réunis ; nous ne doutons point qu'un
tel établissement n'obtienne le plus grand succès.
AVIS .
Nous avons reconnu qu'il était presque impossible de consacrer ,
dans le Mercure , un espace suffisant à la Littérature étrangère : notre
intention est donc de séparer cette partie , d'en composer une Feuille
périodique entièrement distincte .
Ce nouveau Journal formera une espèce d'appendice du Mercure
de France ; il le complétera , en fera le Répertoire des Littératures de
tous les pays.
Il aura pour titre :
MERCURE ÉTRANGER , ou Annales de la Littérature étrangère .
Donner aux Français une connaissance , aussi complète qu'il sera
possible , de la littérature de tous les pays , et sur-tout de celle de
182 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
nos voisins les Espagnols , les Italiens , les Allemands , les Anglais ,
tel sera le principal objet de cette nouvelle Feuille périodique . On ne
peut plus , aujourd'hui , prétendre au titre d'homme de lettres , si
l'on ne possède la statistique littéraire non-seulement de la France ,
mais de l'Europe .
6 Chaque numéro du Mercure étranger contiendra :
1º . Des Mélanges ou morceaux de poésie et de prose , traduits soit
des langues espagnole , portugaise , italienne , russe , suédoise , hollandaise
, anglaise , soit même de l'arabe, du persan , du grec moderne ,
enfin des langues orientales . Nous donnerons , parfois , le texte
même de quelques morceaux écrits dans l'une ou l'autre des langues
étrangères de l'Europe , avec la traduction en regard .
Nous aurons soin d'insérer fréquemment , peut-être même dans
tous les numéros du Mercure étranger , la traduction de quelque
Conte ou Nouvelle. On sait que les Allemands et les Anglais cultivent
avec succès ce genre de littérature .
29. De courtes Analyses des principaux Ouvrages qui paraissent
dans les pays étrangers ; le prix de ces Ouvrages , et les moyens de
se les procurer.
3º. Une Gazette littéraire ou Extrait des Journaux étrangers , contenant
des Notices biographiques , des Anecdotes , des Nouvelles dramatiques
, les Séances des Académies , les Programmes des prix
proposés , etc. , etc.
M. Langlès , membre de l'Institut , conservateur des manuscrits
orientaux de la Bibliothèque impériale , a bien voulu se charger de la
partie de littérature orientale que contiendra le Mercure étranger ;
MM. Vanderbourg , Sévelinges , Durdent , des traductions de l'allemand
, de l'anglais , etc .; M. Catteau - Calleville , de la littérature
du Nord ; M. Ginguené , membre de l'Institut , de la partie italienne .
Il paraîtra , à la fin de chaque mois , un numéro du Mercure
étranger, composé de quatre feuilles d'impression , de même format
que le Mercure.
Quoique nous regardions le Mercure étranger comme un supplément
presque nécessaire du Mercure de France , nos Abonnés ne
sont point tenus de souscrire à ce nouveau Journal.
L'abonnement au Mercure de France continuera d'être de 48 francs
paran ; mais pour six mois , il sera de 25 fr.; pour trois mois de 13 fr .
Les abonnés au Mercure de France qui voudront aussi souscrire
au Mercure étranger , paieront , en sus , pour cette dernière souscription
, 18 fr. pour un an et 10 fr. pour six mois.
Pour les personnes qui , sans s'abonner au Mercure de France ,
voudront souscrire au Mercure étranger , l'abonnement sera de 20 fr.
pour l'année , et de 11 fr. pour six mois .
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
étranger , au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
àParis.
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
5.
cen
N° DCII . - Samedi 30 Janvier 1813 .
POÉSIE.
INVOCATION,
TRADUITE DU PREMIER LIVRE DE LUCRÈCE.
Omère des Romains , tige en héros féconde ,
Vénus , charme des Dieux et volupté du monde ,
Ton essence remplit et la terre et les mers ;
Les êtres infinis qui peuplent l'univers .
Conçus par ton pouvoir , t'adressent leurs hommages ;
Unseulde tes regards dissipe les nuages ;
Tuparais,et nos champs ornés de mille fleurs
Exhalent sous tes pas les plus douces odeurs ,
Les vents sont enchaines , et la mer immobile
Te sourit sous l'azur d'un ciel pur et tranquile.
Apeine le Zéphir annonce à nos vallons
Le retourdu printems et les rians gazons ,
Les oiseaux dont les coeurs sont pleins de ta puissance ,
Par leurs chants amoureux célèbrent ta présence";
N
194 ١٠ MERCURE DE FRANCE ,
1
Les hôtes des forêts , les agiles troupeaux
Bondissent dans les champs , ou traversent les eaux ,
Et tel est ton pouvoir , divine enchanteresse ,
Que chaque être entraîné par une douce ivresse
'Te cherche avec ardeur , te suit à pas constans
Dans le gouffre des mers , à travers les torrens ,
Sur le flanc caverneux des arides montagnes ,
Ou parmi les bosquets et les vertes campagnes ,
Et qu'embrasé par toi tout ce qui voit le jour
Eprouve le besoin d'un éternel amour.
Puisque sans ton secours , déesse tutélaire ,
Rien ne peut exister et rien ne saurait plaire,
Puisqu'à tes douces lois l'univers est soumis ,
Inspire-moi , Vénus , répands sur mes écrite
Cet attrait séduisant dont toi seule disposes :
Je m'essaie à chanter la nature des choses ,
Et consacre mes vers à notre Memmius
Que tes dous ont paré de toutes les vertus.
Assoupis , cependant , une homicide guerre ;
Trop long-tems ses fureurs ont désolé la terre ;
Toi seule ramenant de plus heureux destins
Peux de tant de malheurs affranchir les humains .
N'est- ce pas à tes pieds que le Dieu des alarmes
Dépose quelquefois le fardeau de ses armes ,
Lorsque fuyant des camps les pénibles travaux ,
Il accourt près de toi goûter un doux repos ?
Profondément atteint d'une flèche brûlante ,
Il penche sur ton sein sa tête languissante ,
Des soupirs prolongés s'exhalent de son coeur ;
Fixés sur toi , ses yeux aspirent le bonheur ,
Et consumé d'amour , dans un baiser de flamme ,
Sur tes lèvres de rose il dépose son ame.
Ainsi , lorsqu'enlacé dans tes bras amoureux
Il presse de son sein ton sein voluptueux ,
Que le charme éloquent qui coule de ta bouche ,
En des momens si doux , le désarme et le touche ,
Pour ton peuple chéri signale tes bienfaits ,
Et comble tous nos voeux en nous donnant la paix.
L
JANVIER 1813 . 195
Ah! dans ces jours affreux , lorsqu'au sein de nos villes
S'allume le flambeau des discordes civiles ,
Oserai-je , au milieu du désordre et du bruit ,
A l'étude des arts me livrer avec fruit ?
Toi-même , ô Memmius , dans la crise publique ,
Pourrais-tu , d'un oeil sec et d'une ame stoïque ,
Pour écouter mes vers oubliant le danger ,
Al'intérêt commun demeurer étranger ?
Que des tems plus heureux brillent pour la patrie !
Puisse ton ame alors de soucis affranchie
Ala saine raison consacrer ses momens ,
Et saisir les secrets que révèlent res chants !
Contre eux le préjugé te préviendapeut-être ,
Mais ne les blâme point avant de les connaître.
:
Prenant mon vol hardi vers la voûte des cieux ,
Je parlerai d'abord de l'essence des Dieux ;
Mes vers t'expliqueront le principe des choses ,
La nature du monde et ses métamorphoses ,
Par quels moyens secrets tout ce qui voit le jour
Produit , formé vivant , se dissout tour- à-tour ,
Et ces corps primitifs , ces actives substances
Qu'on appelle élémens , atômes ou semences ,
Qui toujours en contact , sans cesse en action ,
Sont les seuls ouvriers de la création.
Ne crois pas que des Dieux la puissance infinie
Ordonne aux élémens la marche de la vie ;
Par leur propre vertu , ces esprits immortels
S'enivrent loin de nous de plaisirs éternels .
Dégagés du lien des passions humaines ,
Peu touchés de nos biens , étrangers à nos peines ,
Egalement exempts et de haine et d'amour ,
Leur être se suffit au céleste séjour,
Ou goûtant leur bonheur dans une paix profonde ,
Ils ne se mêlent point de diriger le monde.
La Superstition , monstre fallacieux ,
Jadis asservit l'homme à son joug ténébreux.
Cet être fantastique , assis près du tonnerre ,
Long-tems de son aspect épouvanta la terre.
Na
1
:
196 MERCURE DE FRANCE ,
Lepremier chez les Grecs , un sage (*) observateur ,
Osa sur lui fixer un regard scrutateur.
Ni la crainte des Dieux , ni le ciel qui murmure ,
Ni les foudres vengeurs , effroi de la nature ,
Rien ne put l'arrêter : son courage indompté
N'en fut que plus ardent par l'obstacle irrité .
Dédaignant dans son vol les routes ordinaires
De l'antique univers il franchit les barrières ;
Dans des mondes nouveaux son esprit transporté ,
De l'espace éternel sonda l'immensité ,
Et maître des secrets de la nature innée ,
Il les a révélés à la terre étonnée .
१
C'est lui qui mesura dans son calcul savant
Les bornes de la vie et celles du néant.
Le monstre frémissant d'impuissance et de rage ,
Ason tour succomba sous les efforts du sage ,
Et nous avons béni će triomphe immortel
Qui brise nos liens et nous égale au ciel.
Garde- toi de penser qu'impie et téméraire
Je te fraie au mensonge une indigne carrière.
Ah ! quand de la sagesse et de la vérité
Je découvre à tes yeux la céleste beauté ,
Ecoute sans remords mes préceptes sublimes ;
La raison n'a jamais enseigné l'art des crimes ,
Tandis que trop souvent le vain culte des Dieux
Aservi de prétexte aux maux les plus affreux.
C'est ainsi que les Grecs , aux rives de l'Aulide ,
S'apprêtant aux combats par un lâche homicide ,
Abusèrent jadis du nom des immortels ,
Et du sang le plus pur rougirent leurs autels .
La triste Iphigénie , à la mort destinée ,
Du funeste bandeau la tête environnée ,
Debout , devant l'autel , vit son père éploré ;
Les prêtres devant lui cachaient le fer sacré ,
Et muet de terreur , tout un peuple en alarmes
Se pressait autour d'elle en répandant des larmes .
Ace sombre appareil , sinistre avant- coureur ,
Ses genoux chancelans trahirent sa douleur.
(*) Epicure.
1
JANVIER 1813 . 197
Que lui servit alors que des rois de Mycènes
Le sang issu des Dieux circulât dans ses veines ?
Sa jeunesse , son rang , sa touchante beauté ,
Purent-ils des bourreaux fléchir la cruauté ?
Vain espoir ! dans le temple elle fut entraînée ,
Non comme au jour brillant d'un pompeux hyménée ,
Mais dans cet âge heureux où son front virginal
Devait ceindre bientôt l'ornement nuptial ,
Telle qu'une victime auguste et nécessaire
Qu'à ses barbares Dieux sacrifiait son père ,
Pour obtenir un vent propice à ses vaisseaux ;
Tant la religion peut enfanter de maux !
V
PASCAL .
LES SERMENS TROMPEURS .
CHANSON .
Our , jurer est une folie
Commune au poëte , à l'amant ,
Et le buveur parfois s'oublie
Jusqu'à s'engager par serment.
Mais quand leur bouche les prononce
Tout dit que leurs sermens sont vains ;
Car se peut-il que l'on renonce
Aux amours , aux vers , aux bons vins ?
L'auteur que la nature entraîne
Apeindre gaîment nos travers ,
Voit , en paraissant sur la scène ,
La cabale attaquer ses vers.
Il jure après un tel outrage
De fuir le Dieu de l'agrément ;
Et ce poëte , dans sa rage ,
Aussitôt rime son serment.
L'amant qui souvent exagère
Et ses peines et ses plaisirs ,
Pense toujours voir sa bergère
Prête à former d'autres désirs :
২
198 MERCURE DE FRANCE;
Bientôt il court chez l'infidelle
Jurer de la fuir constamment ,
Et revient aux pieds de sa belle
Jurer d'oublier son serment.
Prêchez l'amant de la bouteille ,
Il vous jurera sans façon
Que jamais la liqueur vermeille
Ne viendra troubler sa raison ;
Mais enfin pour vivre il faut boire.
Il boit un peu , puis amplement ;
Il perd la raison , la mémoire ,
Et vous fait un nouveau serment .
Un proverbe plein de justesse
Nous dit : Quiconque a bu boira.
Moi , je dis qu'un fils du Permesse
A coup sûr toujours rimera.
Je dis qu'aux pieds de sa maitresse ,
Tendre amant toujours reviendra ,
Et qu'à leur frivole promesse
Serabien fou qui se fiera.
ÉNIGME .
Feu M. DE VERNEUIL.
De charmantes erreurs j'ai rempli l'univers ;
Mon front touche à l'Olympe et mes pieds aux Enfers .
Homère est le premier de ma bibliothèque ;
Chaque peuple m'orna de costumes divers
Mais je brille sur-tout habillée à la grecque.
AUG . CH ...... J .... c ( Charente-Inférieure).
LOGOGRIPHE
TANT que mon entier a sa tête ,
Il met à l'abri mainte bête ;
Si tu le prives de sa tête ,
Autour de lui , sur lui , tu verras mainte bête.
GARDAREINS , électeur du département du Lot.
JANVIER 1813 . 199
CHARADE .
L'HOMME riche , sans mon premier ,
Rarement se met en voyage ;
Philomèle sur mon dernier
Dans les bosquets par son ramage
Du printems chante le retour.
Mon entier est le nom d'un sage
Naïf et profond tour-à -tour ;
Dans ses écrits , à chaque page ,
On trouve Thales et Platon ,
Sénèque , Montaigne et Bacon .
V. B. ( d'Agen . )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Araignée.
Celui du Logogriphe est Chaloupe, dans lequel on trouve : poй ,
puce, Pau , loup , poche , loche , eau , Pô , lâche , louche , pal , hoc ,
hou , loch , chape , loupe , poule , coupe , cou , cape , clou , pale ,
Paul , ah , oh , pole , cap et Capoue .
+ Celui de la Charade est Aipsi.
SCIENCES ET ARTS.
COMPOSITION MATHEMATIQUE DE CLAUDE PTOLEMÉE , traduite
pour la première fois du grec en français , sur
les manuscrits originaux de la Bibliothèque impériale
de Paris , par M. HALMA ; et suivie des notes de
M. DELAMBRE . -Un vol. in-4º de plus de 500 pages,
grec et français , avec les figures géométriques dans
le texte , un médaillon , et les instrumens gravés . -
Prix , broché , 50 fr . A Paris , chez Henri Grand,
libraire , rue Saint-André-des-Arcs , nº 51 .
-
CET ouvrage est plus connu sous le nom d'Almageste,
que les Arabes lui ont donné. Il a été annoncé au public
par le Moniteur , nº201 , en 1810 , et l'année suivante
par un Prospectus qui , en citant le jugement avantageux
qu'a porté de cette traduction le jury d'examen
pour les prix décennaux , donne un extrait du rapport
de M. le sénateur comte de la Grange et de M. le che
valier Delambre au ministère de l'intérieur sur l'utilité et
le mérite de ce travail , et expose les motifs de quelques
autres ouvrages dont M. Halma a le projet de faire suivre
celui dont il publie aujourd'hui le premier volume .
,
Nous ne pouvons mieux faire connaître cet ouvrage
et la traduction que M. Halma en a faite , qu'en analysant
la préface qu'il a mise en tête sous la forme d'une
dissertation historique et critique . M. Halma s'y demande
quelle peut être l'utilité du premier et de l'unique
traité mathématique d'astronomie des anciens Grecs , et
celle d'une traduction de ce traité , après les deux versions
latines que nous en avons .
M. Halma répond à la première de ces questions par
les témoignages de Cassini , de Lalande , et des autres
astronomes les plus célèbres , que ce traité étant la base
de l'astronomie moderne , l'étude en est non-seulement
4
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 201
utile , mais encore nécessaire aux astronomes de nos
jours. Il répond à la seconde par des citations de plusieurs
passages des deux versions latines qui sont , les
uns inintelligibles , les autres contraires au sens de
Ptolemée , et il en conclut que, ces deux versions ne
pouvant servir , puisqu'elles sont infidèles , il en faut
une autre qui soit exacte et qui , exécutée en français ,
dont l'universalité a remplacé celle du latin , sera à portée
d'un plus grand nombre de personnes ; et bien loin
de retarder les progrès de l'astronomie , elle les favorisera
en assurant les époques véritables des anciennes
observations auxquelles il faut toujours comparer les
modernes , pour déduire de cette comparaison les mouvemens
moyens avec plus de certitude .
M. Halma trace ensuite , à grands traits , l'histoire de
l'astronomie chez les Grecs , depuis son origine puisée
chez les Chaldéens jusqu'à Ptolemée. Il la divise en trois
âges bien distincts , celui qui a précédé Thalès , celui
de Thalès à Hipparque , et celui d'Hipparque à Ptolemée.
Il entre dans des détails très-intéressans pour la
science , sur les caractères propres à chacun de ces
âges ; il avoue avec franchise les grandes obligations
qu'a eues à Hipparque non- seulement Ptolemée , mais
encore l'astronomie , et il montre combien est injuste
l'accusation intentée contre Ptolemée , de s'être attribué
les travaux d'Hipparque , dont , à la vérité , il s'est servi ,
mais en reconnaissant qu'il les tenait de lui , ce qui doit
par conséquent augmenter le prix de l'ouvrage de Ptolemée,
qui est le seul qui nous les ait conservés , au
moins en grande partie .
M. Halma arrivé au tems où Ptolemée a écrit , dans le
second siècle de l'ère de J. C. , expose le contenu des treize
livres de cet auteur , ce qui donne occasion à plusieurs
discussions très-curieuses , entr'autres sur le catalogue
des étoiles , que l'on prétend être d'Hipparque. M. Halma
Jaisse cette question indécise , et les étoiles aux lieux où
Ptolemée les a placées .
Continuant l'exposé historique de l'astronomie , au
moins dans son rapport avec la composition mathéma
1
202 MERCURE DE FRANCE ,
tique de Ptolemée , M. Halma raconte que cet ouvrage,
dès qu'il parut , fut enseigné dans toutes les écoles de la
Grèce , et fut adopté par les Arabes qui s'empressèrent
de le traduire dans leur langue , sous le nom d'Almageste(
le très -grand ) , qu'ils lui donnèrent , au lieu de
celui de Composition mathématique que son auteur lui
avait donné , pour annoncer qu'on ne pouvait l'entendre
sans une connaissance préalable des mathématiques , ce
qui est cause que M. Halma lui applique ces mots écrits
au-dessus de l'école de Platon : Que nul ne se présente
ici , s'il n'est auparavant géomètre.
Les Arabes portèrent en Espagne et en Italie la version
qu'ils en avaient faite , les juifs l'y mirent en hébreu
, et l'empereur Frédéric II le fit traduire en latin , à
Naples , dans le treizième siècle. Cette version latine
qui se répandit dans tout l'Occident , y porta le goût de
l'astronomie , comme le texte grec et l'arabe en entretenaient
l'étude dans l'Orient et dans le Midi . Toutes les
écoles se mirent à l'expliquer , mais le latin barbare de
cette version , et les difficultés de la matière le firent
abréger par Sacrobosco qui , dans son Traité de la
Sphère , n'en conserva que ce qu'il y a de plus aisé
dans Ptolemée , et l'on s'en tint à cet abrégé en Europe ,
pendant que les Grecs et les Arabes s'épuisaient en commentaires
pour éclaircir le texte de Ptolemée.
Enfin , après la prise de Constantinople par les Turcs
en 1453 , le texte original , non l'autographe de Ptolemée
, ( car M. Halma présume qu'il fut brûlé , en 641 ,
par les Arabes , avec la bibliothèque d'Alexandrie , où
Ptolemée avait enseigné et observé pendant quarante
ans ) mais le manuscrit grec de la Composition mathématique
, fut apporté en Italie où George de Trébizonde
en fit une seconde version latine;mais cet homme , grec,
de nation , et possédant bien sa langue , sans doute ,
n'était pas en état de bien traduire un pareil ouvrage ,
n'étant nullement versé dans les sciences mathématiques .
Aussi les fautes sont tellement multipliées dans cette
seconde version , que Jean Muller Régiomontan crut
devoir y remédier par un abrégé qu'il fit en latin , avec
JANVIER 1813 . 203
,
son maître Purbach et après lui , non de l'Almageste
même de Ptolemée , mais de la version latine du commentaire
arabe que Géber avait fait sur l'original grec .
le
M. Halma le prouve , et de tous ces faits il tire
motif de la traduction française qu'il publie. Il y a été
engagé par les savans les plus respectables . M. Delambre
a revu son manuscrit avant l'impression , il en rend
témoignage dans sa préface , où après s'être étendu sur
les éditions grecques et latines de cet ouvrage , il décrit
les manuscrits grecs sur lesquels il a fait cette traduction.
Il rend compte de l'interprétation de ces manuscrits
, des significations de leurs caractères numériques ,
et à ce sujet il fait une digression très-instructive sur
l'origine de notre arithmétique actuelle et de nos chiffres.
Après avoir parlé de l'ouvrage , il parle de l'auteur ,
du lieu de sa naissance , de sa personne, de ses qualités,
de l'endroit où il habitait , de celui où il enseignait ,
et à cette occasion , il donne une courte description des
écoles d'Alexandrie , du quartier de cette ville dans
lequel elles étaient situées , détails qui ne sont pas indifférens
pour l'astronomie , car il est important , pour les
latitudes , de savoir le lieu précis où Ptolemée observait .
C'est dans la même vue d'utilité que M. Halma a répandu
dans cette préface des descriptions de l'astrolabe et des
armilles d'Alexandrie , ainsi que des autres instrumens
de l'astronomie ancienne . Il les a même fait graver pour
en donner les représentations dans ce volume , au frontispice
duquel il a ajouté un médaillon de l'empereur
Antonin , sous qui Ptolemée a composé son ouvrage ,
avec le revers qui présente le seul globe céleste qui nous
soit parvenu des anciens , et qui existe encore actuellement
au palais Farnèse , à Rome. La parfaite ressemblance
de ce monument avec la figure qu'en offre le
revers de ce médaillon , prouve aux antiquaires que ce
globe est du tems même de Ptolemée , comme la considération
du point où le colure des équinoxes passe sur
ce globe le prouve encore mieux aux astronomes .
M. Halma termine cette savante préface par des ré204
MERCURE DE FRANCE ,
:
flexions sur les difficultés de l'ouvrage de Ptolemée , qui
jusqu'à présent ont empêché d'en donner une traduction
complète , et il met à la suite , pour aider le lecteur dans
le calcul des dates , la fameuse table chronologique des
rois , attribuée à Ptolemée , qu'il a extraite d'un manuscrit
grec de la Bibliothèque impériale de Paris , et une
table des mois alexandrins d'Egypte , avec leurs rapports
à nos mois actuels ; l'une et l'autre avec le grec en
regard du français : c'est ainsi qu'il donnera tout le grand
ouvrage de Ptolemée , dont le second volume est actuellement
sous presse . B.
DESCRIPTION DES MALADIES DE LA PEAU OBSERVÉES A L'HÔ-
PITAL SAINT- LOUIS , ET EXPOSITION DES MEILLEURES MÉ-
THODES SUIVIES POUR LEUR TRAITEMENT ; par J. L.
ALIBERT , médecin de cet hôpital et du lycée Napoléon,
membre de la Société de l'école et de celle de médecine
de Paris , de l'académie royale de médecine de Madrid,
de l'académie impériale des sciences , belles - lettres et
arts de Turin , du collége royal de médecine de Stockholm
, etc. Huitième et neuvième livraisons , in-folio
atlant. , avec figures coloriées .-A Paris , de l'imprimerie
de Crapelet , 1806 .
Le diagnostic est une des branches les plus importantes
de la médecine . Aussi ne cesse-t-on de répéter
qu'une maladie bien connue est à moitié guérie. Pour
acquérir cette précieuse connaissance , le médecin doit
suivre pas à pas la marche de la nature , épier ses plus
légers mouvemens , et déchirer une partie du voile dont
souvent elle enveloppe ses admirables mystères. Tel est
le but que s'est proposé le docteur Alibert , et je me plais
àdire qu'on ne pouvait l'atteindre avec plus de succès et
de gloire . Les huitième et neuvième livraisons de sa magnifique
dermonosographie méritent à tous égards l'açcueil
, ou , pour mieux dire , l'enthousiasme avec lequel
ont été reçues les sept premières. Il semble que les circonstances
les plus heureuses se réunissent pour favo-
Y
JANVIER 1813 . 205
riser les utiles recherches d'un savant philanthrope, qui
consacre toutes ses veilles aux progrès des sciences mé--
dicales et au soulagement de ses semblables . On se rappelle
qu'à l'époque où M. Alibert étudiait avec ardeur
dans les livres les phénomènes de la plique polonaise ,
confinée sur les bords de la Vistule , le hasard vint lui
offrir deux individus atteints de cette singulière maladie,
et lui fournir les matériaux de la meilleure description
qui en ait jamais été publiée , même dans le pays où
elle est endémique . C'est encore le hasard seul qui lui a
présenté deux exemples de pian ; car cette affection terrible
n'existe guère dans les climats où la température
estmodérée. Née au milieu des sables brûlans de l'Afrique
, sur les rives du Sénégal , et dans l'air impur de la
Guinée , elle est le triste apanage des noirs habitans de
la zône torride .
Le docteur Alibert établit deux espèces de pian , le
ruboïde et le fongoïde , et assigne à chacune d'elles des
caractères distinctifs tellement tranchés , qu'il ne sera
plus désormais permis de les confondre. Il prouve que
malgré la différence réelle qui existe entre l'éruption
pianique et la syphilis , le mercure est cependant aussi
efficace , aussi infaillible dans l'une que dans l'autre.
Les ichthyoses constituent une autre famille de maladies
, formées par la dégénération écailleuse des tégumens
. M. Alibert en reconnaît trois espèces , la nacrée ,
la cornée et la pellagre. Le tableau de cette dernière ,
que j'ai souvent observée dans les campagnes de la Lombardie
, est tracé de main de maître par le docteur Alibert
, qui ne laisse rien à désirer sur les causes qui la
développent , les symptômes qui la caractérisent , et le
traitement qui lui convient.
La neuvième livraison est consacrée toute entière à
l'histoire des syphilides , divisées par l'auteur en trois
espèces ( la pustuleuse , la végétante et l'ulcérée ) , qui
se subdivisent elles-mêmes en de nombreuses variétés .
Obligé de me resserrer dans des bornes trop étroites , je
regrette vivement de ne pouvoir même esquisser , avec
le crayon énergique du docteur Alibert , ces exanthemes
:
206 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813.
hideux , ces excroissances et ces végétations fongueuses,
ces ulcères profonds et fétides , qui attristent les regards ,
qui placent sans cesse la crainte à côté des plus douces
illusions de la vie , et qui désenchantent les plus tendres
rapports de notre existence fugitive. Qu'il me soit du
moins permis de signaler en peu de mots le bel ouvrage
que j'ai sous les yeux. Si d'abord j'examine le style , je
le vois toujours approprié au sujet. Sévère , aphoristique,
dans les définitions , il devient élégant , animé , fleuri ,
pittoresque dans les descriptions . Est-il encore besoin
de remarquer , dans une production de M. Alibert , la
pureté de la doctrine et l'exactitude des observations ?
Ne suffit- il pas de dire que par-tout on reconnaît l'illustre
auteur du Traité des fièvres pernicieuses , et des Nouveaux
Elémens de Thérapeutique ? A tant et de si précieuses
qualités viennent se joindre le luxe typographique
, et le chef-d''oeoeuuvvrree ou plutôt les merveilles de
la peinture et de la gravure. Ce superbe travail fait le
plus grand honneur aux presses de M. Crapelet : il
immortalise le pinceau de M. Moreau Valvile , et le
burin de M. Tresca.
F. P. CHAUMETON .
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
HISTOIRE LITTÉRAIRE DE L'ITALIE ; par M. GINGUENÉ .
(TROISIÈME ET DERNIER EXTRAIT. )
C'EST dans le treizième chapitre de son ouvrage que
M. Ginguené commence à traiter de l'épopée héroïque ;
et ce chapitre est spécialement destiné à donner une
idée des principaux poëmes de ce genre qui ont précédé
la Jérusalem Délivrée . Comme ces poëmes sont
moins nombreux que ceux du genre romanesque antérieurs
au Roland Furieux ; comme d'ailleurs le genre
auquel ils appartiennent est fondé sur des idées à-peuprès
communes à toutes les nations cultivées de l'Europe
, cette partie n'a exigé de M. Ginguené ni des développemens
aussi étendus , ni des recherches aussi particulières
que les préliminaires de l'épopée romanesque .
Le treizième chapitre est donc assez court ; mais il contient
néanmoins tout ce qui était nécessaire ou convenable
pour qu'il n'y eût pas de lacune , et pour qu'il y
eût proportion entre les diverses parties de l'ouvrage .
Une esquisse de la vie du Trissino et l'analyse de son
poëme de l'Italie délivrée des Goths en forment l'article
principal . M. Ginguené a glissé plus rapidement sur
quelques autres poëmes , et même sur l'Avarchide de
Alamanni. Ceux qui ont lu ou essayé de lire ces ouvrages
sauront gré à M. Ginguené de la concision avec
laquelle il en a parlé : de tels poëmes n'ont guère en
effet de plus grand mérite , que celui de provoquer naturellement
quelques réflexions utiles sur l'abus et
l'inconvenance d'une imitation directe et servile des
anciens .
A la suite de ces préliminaires , le nom du Tasse se
présente ; et ce nom réveille et rafraîchit subitement
l'attention qui commençait à se fatiguer sur des ouvrages
dépourvus de toute invention et de tout agrément. Si le
1
208 MERCURE DE FRANCE ,
1
Tasse n'est pas le plus grand poëte de l'Italie , ou , pour
mieux dire , celui dont le talent répond le mieux au goût
national des Italiens , il est incontestablement celui de
tous leurs poëtes le plus généralement connu et le mieux
goûté hors de l'Italie , et sur-tout en France. Ce que
M. Ginguené avait à dire de lui forme donc la portion
de son ouvrage , sinon la plus importante par ellemême
, du moins la plus délicate et la plus difficile ,
comme devant rencontrer le plus grand nombre de juges
éclairés ou prétendant l'être. Il suffira d'en donner un
aperçu exact , pour montrer qu'elle n'est en rien infé-"
rieure à aucune des autres parties les plus distinguées
de tout l'ouvrage.
Ce grand article occupe environ les deux tiers du
einquième volume : il est composé des chapitres XIV,
XV, XVI et de la presque-totalité du XVII . Ces quatre
chapitres formeraient à eux seuls un volume d'une étendue
ordinaire : mais il faut considérer qu'il n'y est pas
seulement question de la Jérusalem Délivrée; l'historien
y passe en revue tous les ouvrages du Tasse qui appartiennent
au genre épique , tels que le Rinaldo , la Jérusalem
reconquise, et même les Sept Journées , quoique
ce dernier poëme ne doive point être rangé parmi les
épopées , comme M. Ginguené le dit , avec raison , contre
l'opinion du Crescimbeni .
La vie du Tasse remplit le chapitre XIV. On sait
combien cette vie fut agitée, malheureuse et féconde en
incidens romanesques . Aussi parmi les poëtes italiens
n'y en a-t-il que deux dont l'histoire personnelle présente
autant d'intérêt que celle du Tasse ; je veux dire
Dante et Pétrarque. Encore faut- il remarquer que la vie
du premier ne saurait être complétement éclaircie , faute
de matériaux suffisans ; et que celle de Pétrarque a été ,
en quelque façon , trop constamment fortunée , pour
être aussi piquante et aussi touchante que celle du
Tasse. Il est donc bien naturel qu'il existe un grand
nombre de notices biographiques sur ce grand poëte ;
mais la très-grande majorité de ces notices , outre le
défaut d'être incomplètes , ont le défaut plus grand de
n'être pas suffisamment exactes. L'abbé Serrassi, endon
JANVIER 1813 . 209
SEINE
nant une vie du Tasse ; semblait ne devoir rien laisser à
faire aux biographes futurs ; et pour être juste , il faut
convenir qu'en tout ce qui tient à la patience , à l'exac
titude des recherches , son volumineux travail sur
Tasse est , dans son genre , un des meilleurs et des
intéressans qu'ait produits l'Italie . Mais ce n'est pas
peine , ni sans étonnement que l'on voit combientet
A
estimable écrivain , l'admirateur peut-être le plus - 5. qu'ait jamais eu le Tasse , a néanmoins lais cen
d'obscurité et d'incertitude sur quelques points essentiels
de la vie et du caractère de son héros ; et cela par un
lâche et ridicule ménagement pour des personnages évidemment
cruels et coupables envers le Tasse . Une
biographie de ce poëté qui , dans un cadre borné , ne
laissât rien à désirer , était donc un travail à-la-fois plus
difficile et plus utile qu'on ne l'aurait d'abord présumé
; c'est une raison de plus pour se féliciter que
M. Ginguené ait eu à traiter ce sujet , l'un des plus beaux
de son genre , et qu'il n'ait pu se dispenser de le faire
avec quelqu'étendue . Il a divisé la vie du Tasse en trois
sections ou en trois périodes principales , dans chacune
desquelles il a réuni ce qu'elle offrait de plus important
et de mieux constaté , tantôt faisant ressortir , par des
réflexions nées directement desfaits , les traits principaux
du caractère du Tasse , tantôt éclaircissant , par des
recherches ou des rapprochemens qui n'avaient point
encore été faits , quelques -unes des circonstances les
plus délicates et les plus incertaines des malheurs de ce
grand homme. C'est sur-tout en ce qui concerne les
amours du Tasse à la cour de Ferrare , que M. Ginguené
a cherché avec le plus de sagacité et de soin à dissiper
les obscurités et les doutes ; et il me semble que le sentiment
auquel il s'est arrêté sur ce point doit paraître le
plus vraisemblable .
Malgré la persuasion où je suis qu'il est impossible
d'extraire et de présenter isolément aucun passage de
cet excellent morceau de biographie , sans le dépouiller
d'une grande partie de son effet , je ne puis m'empêcher
d'en citer un que je choisirai de préférence parmi ceux
dont le mérite résulte beaucoup plus des idées et du
0
210 MERCURE DE FRANCE ,
sentiment de l'historien que de l'intérêt même des événemens
. Voici , par exemple , comment M. Ginguené
décrit et explique l'état pénible où se trouvait le Tasse
en discutant les diverses critiques , et les opinions souvent
contradictoires des amis qu'il avait consultés sur sa
Jérusalem Délivrée , au moment de la publier :
<< Avant de le publier (son poëme ) il voulut le sou-
>>mettre au jugement de ses amis les plus éclairés et les
>>plus intimes . Il en fit passer une copie à Scipion de
Gonzague qui était alors à Rome , en le priant de le
>>revoir avec le plus grand soin , et de le faire examiner
>>par tout ce qu'il pourrait réunir d'hommes d'un goût
>> sûr et exercé. Scipion suivit les intentions du Tasse
>> avec le zèle de l'amitié . Il fut secondé par de savans
>>littérateurs qui mirent à cet examen toute leur appli-
>> cation et tous leurs soins . Mais qu'en résulta-t-il ?
>>Presque tous furent d'avis différens sur le sujet , le
>> plan , les épisodes , le style. Ce qui paraissait défaut
>> aux uns était beauté pour les autres . Le Tasse , avec
>> une patience et une docilité infatigables , recevait tous
>> les conseils , les suivait , ou donnait, dans des lettres
>> raisonnées , ses motifs pour ne les pas suivre. Outre
>> ceux qu'il recevait de Rome , il en demandait encore
-à ses amis de Ferrare : il en alla même demander à
>>>Padoue , et revint avec de nouveaux sujets d'incerti-
>> tudes , de corrections et de travaux.
>>Le mouvement que cette sorte d'occupation donne
>>à l'esprit est tout différent de celui qu'il éprouve dans
>>le feu de la composition. En composant , la préoccu-
>>pation est profonde , constante , et s'exerce long-tems
>> sur le même objet : en corrigeant , elle se porte rapi-
>>dement sur de petits détails , sur des objets indépen-
>>dans les uns des autres , qui ébranlent presqu'à la fois
>>>l'imagination , et appellent souvent l'attention en sens
>>contraire . Il résulte du premier travail un état con-
>>templatif , et , pour ainsi dire , extatique , dans lequel
>> tout entier aux objets qu'il invente et aux sentimens
>> qu'il exprime , le poëte est étranger et presqu'inacces-
>> sible à tout ce qui est extérieur ; il résulte du second
>> une espèce d'émotion fébrile , qui ouvre facilement
JANVIER 1813. 211
1
1
,
>>l'esprit à ce que l'on voit ou entend , même à ce que
>>> l'on croit voir ou entendre , à toutes les impressions
>> fâcheuses , aux inquiétudes , aux soupçons , sur-tout
>>lorsqu'on se trouve comme assailli par des conseils
>> contradictoires , forcé de choisir à la hâte , et d'autant
>>plus incertain dans son choix , que l'on est plus mo-
>> deste et qu'on abonde moins dans son sens . C'est
>>précisément la position où se trouva le Tasse . Il avait
>>à la cour des ennemis ; il le savait depuis long-tems ,
>> et ne commença qu'en ce moment à les craindre , etc. >>>
Je ne m'arrêterai pas à faire remarquer en détail tout
ce qu'il y a de justesse dans ces réflexions , et d'à-propos
dans leur application : cela serait certainement superflu
pour les hommes d'un jugement exercé et d'un goût délicat
, et pourrait être fort inutile pour les autres . Je me
bornerai à dire aux premiers qu'ils trouveront dans la vie
du Tasse , par M. Ginguené , beaucoup de morceaux
d'un mérite égal , en des genres divers , à celui que je
viens de citer , et que , dans tout le reste , rien ne fait
disparate avec ces morceaux saillans , parce que tout
est également à sa place , également inspiré par le
sujet.
Mais quelque vif et touchant que soit l'intérêt que l'on
porte à la personne du Tasse , c'étaient cependant ses
ouvrages qui devaient être et ont été , en effet , l'objet
principal des réflexions de l'historien de l'épopée italienne.
Peut- être même la plus haute importance d'une
bonne biographie du Tasse consiste-t-elle dans l'utilité ,
dont doit être nécessairement pour la parfaite appréciationde
son talent et de ses ouvrages une connaissance
approfondie de son caractère et des événemens dont ce
caractère a été la source. Quoi qu'il en soit , tout le
monde sait de combien de discussions et de querelles la
Jérusalem Délivrée a été le sujet ou l'occasion , avec
quel acharnement elle a été attaquée , avec quel enthousiasme
elle a été défendue . Il ne s'agit point ici pour
moi de rappeler ces discussions , et encore moins d'essayer
de faire voir en quoi elles sont motivées et plausibles
, ou gratuites et stériles . Je remarquerai seulement
qu'il paraîtra difficile de prendre et de justifier un
1
02
212 MERCURE DE FRANCE ,
parti entre tant de sentimens contraires dont chacun a
son autorité . M. Ginguené s'est franchement décidé à
ne dissimuler , ni même à ne pallier aucun des défauts
qu'il a cru reconnaître dans la Jérusalem Délivrée ; et
personne , d'un autre côté , n'en a loué avec plus de
force , avec plus de sagacité , j'ajouterai ni avec plus de
plaisir les beautés et les côtés supérieurs . On peut seulement
remarquer qu'il a pris , pour énoncer son jugement
surces deux points , une forme qui semblera peutêtre
assez nouvelle. Au lieu de présenter et de fondre
comme dans un seul et même tableau les beautés et les
imperfections du poëme du Tasse , et de tempérer , en
quelque façon , les unes par les autres , il a donné dans
deux cadres séparés et distincts les éloges et les critiques
, en commençant par celles -ci qui se trouvent , en
grande majorité , réunies dans le chapitre XV , tandis
que le chapitre suivant est spécialement destiné aux
éloges . Cette méthode doit certainement rendre plus
saillante l'admiration comme le blâme; mais c'est peutêtre
là un inconvénient , du moins par rapport aux admirateurs
passionnés du Tasse , et par rapport à ses
dépréciateurs . Les premiers n'aimeront probablement
pas à trouver les défauts de leur poëte favori étalés , pour
ainsi dire , de file ; ils pourront craindre que l'on ne
les trouve plus grands et plus choquans , en les voyant
détachés des beautés auxquelles ils sont mêlés , et dont
il leur semblera même qu'ils font une partie moins heureuse
sans doute , mais jusqu'à un certain point nécessaire
. D'un autre côté , les dépréciateurs du Tasse auront
peut- être quelque peine à concevoir comment un
poëte peut être aussi grand que le Tasse le paraît à.
M. Ginguené , avec des défauts aussi graves que ceux
qu'il découvre en lui. Mais , au fait , il n'y a en tout cela
qu'une chose essentielle , c'est que les éloges et les cri-,
tiques soient justes en eux-mêmes ,bet fondés les uns,
comme les autres sur des raisons qui ne soient point
contradictoires : s'ils sont tels , ils ne se balanceront pas :
moins les uns les autres pour se trouver séparés , qu'ils
ne feraient s'ils étaient entremêlés avec tous les ménagemensiimaginablesь
солод Гура
L
DJANVIER 1813 . 213
Jé crois devoir donner une idée du ton qu'a pris M.
Ginguené pour parler de la Jérusalem Délivrée . Il suffira
pour cela de citer le commencement du XVe chapitre ,
qui forme le début de toute la partie critique du cin
quième volume relative au Tasse .
<< Tandis que nous avons erré dans le pays enchanté ,
>> mais vague , dans les régions immenses , inégales et
>> souvent entrecoupées , de la poésie romanesque , j'ai
>> cru , pour me guider moi-même plus sûrement , et
>> pour ne pas égarer ceux qui voyageaient avec moi ,
>>.>devoir les y conduire toujours avec le fil de l'analyse.
>> C'étaient le plus souvent pour eux des routes nouvelles
>>et inconnues ; et si je puis me permettre une fois ce
>›› style métaphorique que je n'approuve pas toujours ,
>> lors même qu'il nous a fallu entrer dans le labyrinthe
>> délicieux et mille fois parcouru , où le génie de
>>> l'Arioste a semé tant de merveilles , mais dont il a tant
>>multiplié les détours , j'ai cru plus nécessaire que
>> jamais d'employer ce fil secourable . Maintenant que
nous devons marcher dans des plaines vastes encore ,
>> et agréablement variées , mais circonscrites , où s'élève
>> un édifice régulier , je crois pouvoir suivre un autre
>>>plan. Un des plus grands avantages du poëme héroïque,
>> soumis aux règles de l'unité , c'est que l'espritten par
>>> court l'étendue sans embarras , et qu'il s'en relrace faci
>>> lement et nettement le souvenir. roash
M. Ginguené n'avait fait qu'effleurer dans la vie du
Tasse l'histoire de la trop fameuse querelle dont la Jérusalem
délivrée devint le sujet aussitôt qu'elle parut. Il
revient donc sur cette histoire dans la première partie
du chapitre XV , où elle se trouve en effet beaucoup plus
convenablement placée , comme servant naturellement
d'introduction à l'examen critique du poëme. On verra
sans doute avec plaisir qu'il ait abordé le reproche généralement
fait à Boileau du vers célèbre où ce juge rigoureux
passe pour avoir condamné la Jérusalem délivrée.
D'après les éclaircissemens que donne notre judicieux et
impartial historien sur la manière dont ce vers doit être
entendu, d'après les rapprochemens dont il s'aide pour
en déterminer le véritable sens , le prétendu blaspheme
214 MERCURE DE FRANCE ,
de Boileau se réduirait à une critique partielle , modérée
et juste , au lieu d'être un jugement exclusif portant sur
le fond et sur l'ensemble du poëme du Tasse. Je ne saurais
présumer jusqu'à quel point on admettra l'interprétation
donnée par M. Ginguené du sentiment et de l'expressión
de Boileau ; mais on ne pourra , je crois ,
méconnaître la justesse et la force de plusieurs des raisons
sur lesquelles elle est fondée .
C'est encore par d'autres réflexions générales que
notre historien prélude, avec autant de ménagement que
de convenance , à ses considérations critiques sur la
Jérusalem délivrée . Ces réflexions sont trop étendues
pour que je me permette de les citer; mais les lecteurs
instruits et attentifs y remarqueront sans doute avec quel
doute , avec quel art notre historien , avant d'entrer dans
aucuns détails sur les imperfections du Tasse , en montre
d'avance la source première dans des circonstances générales
plus ou moins saillantes , et tendant toutes à
modifier plus ou moins désavantageusement le goût et le
sentiment du poëte. Ce n'est qu'à la suite de ces préliminaires
utiles , et jusqu'à un certain point nécessaires , que
M. Ginguené entreprend de faire voir les fautes les plus
graves auxquelles le Tasse s'est laissé aller dans la composition
de son chef-d'oeuvre. Il rapporte ces fautes à
trois chefs principaux , c'est-à-dire , aux narrations , aux
descriptions , et à l'expression des sentimens et des passions:
٢٠ Sur le premier de ces trois points essentiels , M. Ginguené
pose en principe , d'après les meilleurs exemples
des anciens , et d'après le bon sens , que dans toute narration
poétique on doit regarder comme des défauts toute
particularité inutile et purement accessoire , tout détail
minutieux , toute prétention à des effets exagérés . Il fait
l'application de ce principe au discours dans lequel un
vieillard , ami des chrétiens , raconte aux deux chevaliers
chargés d'aller délivrer Renaud de quelle manière ce
guerrier est també dans les piéges d'Armide' ; il fait trèsbien
sentir les inconvenances mêlées aux beautés de ce
récit , et il n'eût tenu qu'à lui de trouver et de citer d'autres
exemples du même genre de défaut; mais , pour
JANVIER 1813 . 215
م
pouvoir se borner à un seul , il s'est contenté de le choisir
saillant. Ce qui concerne la manière particulière du
T'asse dans les descriptions se trouve développé par
forme d'épisode dans le chapitre suivant , comme j'aurai
tout-à-l'heure l'occasion de l'indiquer. Les critiques les
plus détaillées et les plus nombreuses de M. Ginguené
sur le Tasse sont celles qui s'appliquent aux endroits de
la Jérusalem délivrée où le poëte a eu à peindre les passions
et les situations pathétiques . Il cite un assez grand
nombre de passages où des jeux d'esprit sont mis à la
place du naturel et du vrai; et il avoue franchementqu'il
aurait pu multiplier les citations de ce genre beaucoup
plus qu'il ne l'a fait .
J'avouerai que quelques-uns de ces endroits du Tasse
blâmés par notre historien me paraissent susceptibles
d'être défendus avec avantage : mais on sait, et peut- être
devrait-on savoir encore mieux , combien dans les détails
de la critique il est mal aisé , pour ne pas dire impossible,
de ne rien laisser à la diversité du goût chez les différentes
nations , ni à l'arbitraire des goûts individuels.
L'essentiel dans ces sortes de jugemens , c'est de partir
de principes généralement admis pour vrais et pour sains ,
et que l'application en soit juste et directe dans la grande
majorité des cas où l'on en fait usage. Or il me semble
que personne , à moins d'un aveugle enthousiasme pour
le Tasse , ne méconnaîtra ce caractère et ces conditions
dans la critique de M. Ginguené .
En entrant avec notre éloquent historien dans l'analyse
et le développement des beautés de la Jérusalem délivrée,
on sent et l'on partagé le plaisir qu'il éprouve à pouvoir
se livrer sans contrainte à l'admiration , après s'être débarrassé
de la tâche de critique , tâche qui a toujours
quelque chose de pénible pour les esprits élevés . Dans
cette nouvelle portion de son travail , M. Ginguené débute
par des considérations générales sur le plan , sur
l'esprit de la Jérusalem délivrée, sur les sources premières
de l'intérêt , en un mot sur les diverses parties fondamentales
de ce poëme ; et à mesure qu'ilavance , il entre avec
art et avec méthode dans l'examen plus détaillé de ses
beautés les plus caractéristiques , Ici, les éloges ne sont que
216 MERCURE DE FRANCE ,
rarement et faiblement interrompus par quelques observations
critiques que l'auteur n'aurait pu fondre aussi
bien dans le chapitre XV , quoique spécialement destiné
Jaux observations de ce genre . Pour donner une idée
juste du chapitre XVIe , il faudrait le citer tout entier ;
mais je regrette plus particulièrement de ne pouvoir citer
au moins un parallèle détaillé de l'enchantement de Renaud
dans les jardins d'Armide , avec celui de Roger ,
dans l'île merveilleuse d'Alcine , dans le Rolandfurieux .
C'est un morceau dans lequel tout plaît et tout satisfait ;
le motif , l'exécution et les résultats : dans lequel le
charme du sujet respire , sans rien prendre sur la justesse -
des rapprochemens et des idées . Il est à peine nécessaire
d'avertir que M. Ginguené a dû se trouver , dans ce parallèle
, comme forcé de traduire au moins en partie les
deux fragmens de poëme qu'il voulait comparer , ou plutôt
dont il voulait comparer les deux auteurs : on remarquera
sans doute ces échantillons de traduction ; ils me
semblent prouver qu'il ne serait pas aussi impossible que
l'on est jusqu'à présent autorisé à le craindre , de donner
en notre langue une idée juste de l'Arioste et du Tasse .
Ne pouvant rapporter , ni même analyser cet aimable et
brillant passage de l'histoire littéraire d'Italie , sans excéder
toutes les bornes d'un extrait , je citerai du moins les observations
qui le terminent , et qui en font la transition à
la suite du chapitre.....
« J'ai peut- être fait comme Renaud , dit M. Ginguené;
» je me suis trop arrêté dans les jardins d'Armide . S'il
>> est difficile d'en sortir , il l'est peut-être encore plus d'y
>> conserver assez de raison pour ne s'en pas laisser tout-
১১ à-fait éblouir et pour y distinguer , de la belle et riche
>> nature , les purs effets de la baguette et les mensonges
>> de l'art. D'autres beautés , répandues dans toutes les
>>> parties du poëme , n'exigent point cet effort ; je veux
>> parler de ces, traits sublimes , qui sont en si grand
>> nombre , et qui attestent si évidemment cette tendance
>> habituelle du génie du Tasse vers les hautes régions
>> du beau idéal . On la voit dès l'invocation du poëme
>> adressée à cette muse qui n'a point sur l'Hélicon le
> front ceint d'un laurier périssable , mais qui là-haut ,
JANVIER 1813. 217
i
>> parmi les choeurs célestes , porte une couronne d'or et
>> d'étoiles immortelles . On la voit dans la manière neuve
>> et vraiment sublime dont se fait l'exposition , dans ce
> regard que l'Eternel jette sur la Syrie et sur l'armée chré-
>> tienne , regard qui pénètre au foud des coeurs de tous
>> les chefs , qui nous y fait pénétrer nous-mêmes , et
>>> nous fait connaître ainsi , dès le début , non seulement
>> les personnages , mais les caractères ; enfin , sans par-
>> ler des morceaux et des épisodes entiers , qui semblent
>> dictés par cette aspiration continuelle vers le grand ,
>> le beau et l'honnête , on la voit dans un nombre infini
>> de pensées et de sentimens , quelquefois indiqués par
>> l'attitude seule , ou par l'expression du visage , comme
» lorsque Renaud , averti par Tancrède que Godefroi
>> veut le faire arrêter , sourit avant de répondre , et
>> qu'un couroux dédaigneux éclateà travers ce sourire ;
» quelquefois énoncées dans le style le plus noble et le
>> plus poétique , comme sont ceux de ce vieillard qui
>> montre au même héros , à peine échappé des bras
> d'Armide , notre vrai bien , non dans des plaines
>> agréables , parmi les fontaines et les fleurs , au milieu
>> des nymphes et des sirènes , mais sur la cîme du mont
>> escarpé où habite la vertu . », LD
Le résultat général de toutes les considérations de M.
Ginguené sur la Jérusalem délivrée , c'est que , si ce
poëme ne peut être justement placé au niveau de l'Iliade
et de l'Enéide , il doit au moins tenir à leur suite le
troisième rang , c'est- à-dire le premier parmi les poëmes
épiques modernes ; et tout le monde conviendra avec M.
Ginguené que cette place est assez belle.
Le chapitre XVII termine tout ce qui concerne l'épopée
héroïque du XVI siècle . On sent bien qu'il ne peut
avoir l'intérêt des précédens ; mais il en a cependant un
très- réel : il s'y agit encore du Tasse comme poëte
épique ; c'est là que M. Ginguené parle du Renaud et de
Ja Jérusalem reconquise . On sait que le Tasse n'avait
que dix-huit ans quand il composa le premier de ces
deux poëmes , et que l'autre est un des derniers fruits de
sa muse. Ces deux ouvrages ne sont guère connus parmi
nous que de nom; mais en lisant M. Ginguené on pourra
218- MERCURE DE FRANCE ,
se convaincre qu'ils mériteraient de l'être en effet , ne fûtce
que pour le plaisir d'y observer les diverses phases
du génie épique du Tasse , son développement précoce ,
sapleine maturité dans la première fleur de l'âge , et sa
décadence également anticipée . LaJérusalem reconquise,
sur-tout , est intéressante à étudier : l'examen des sentimens,
des vues et du but dans lequel fut composé ce
poëme , estune source féconde de remarques utiles en
elles-mêmes , et nécessaires pour pénétrer aussi avant
que possible dans tous les secrets de la force et des côtés
faibles du génie du Tasse .
Après avoir si dignement et si soigneusement apprécié
ce grand poëte , M. Ginguené ne s'arrête plus qu'à
une seule production du XVIe siècle , dans le genre de
l'épopée héroïque ; et encore ne s'y arrête-t'il qu'autant
qu'il le faut pour en donner une notion très- sommaire .
Cette production est un poëme de 30,000 vers , intitulé :
IlFido Amante , et dont l'auteur est Curzio Gonzaga.
Je ne connais ce poëme que par ce qu'en dit notre historien
; et ce qu'il en dit donne peu de désir de le connaître
plus particulièrement . Il paraît que c'est un de ces
ouvrages dont tout le mérite se réduit à n'être pas ridicules
, ni aussi mauvais que possible .
Me voici arrivé à la fin de la 2º livraison de l'Histoire
Littéraire de l'Italie ; et j'y arrive avec le regret de n'avoir
pu endonner une idée aussi complètte que je l'au
rais souhaité . Mais on m'excusera sans doute , en songeant
que cet ouvrage est au nombre de ceux qui échappent
par leur importance , autant que par leur étendue ,
aux analyses les plus détaillées qu'admette le cadre d'un
journal .
C. F.
;
১
JANVIER 1813. : 219
ALMANACH DES MUSES , ou Choix de Poésies fugitives de
1812. Paris ( 1813 ) . - Chez F. Louis , libraire , rue
de Savoie .
1
De tous les recueils de vers qu'on publie au renouvellement
de l'année , l'Almanach des Muses est le plus
ancien ; et c'est en général celui qui offre le meilleur
choix . Le volume qui vient de paraître est le XLIX de
la collection . Ilest , comme les précédens , imprimé avec
soin , orné d'un titre gravé et d'une vignette.
Malgré la décadence dont on accuse avec plus ou moins
de raison la littérature actuelle , on voit en lisant ce recueil
que les genres les plus élévés ne sont pas abandonnés .
Parmi les pièces qu'il renferme , il en est quelques-unes
qui auraient peut-être honoré notre poésie dans tous les
tems . D'autres , en assez grand nombre , se distinguent
dans des genres différens , soit par l'originalité du sujet ,
soit par des pensées ingénieuses , soit par le mérite de la
versification . Il est vrai aussi que beaucoup d'autres ne
méritent pas d'être distinguées , et qu'elles offrent, à tout
prendre , plus de défauts que de mérite réel. Mais le devoir
de l'éditeur était- il de n'imprimer que des morceaux
excellens ? Non ; tout ce qu'on pouvait exiger de lui , c'est
qu'il offrît une élite des poésies fugitives publiées dans
l'année. Il n'a omis aucune de celles qui méritaient
d'être conservées , et qui pouvaient entrer dans son recueil
sans nuire à la variété piquante qu'il a su lui donner.
Ce n'est point sa faute si ce recueiln'en renferme
pas davantage , et l'on n'a point de reproches à lui faire .
Plusieurs de nos dames poëtes ont enrichi de leurs
productions ce volume de l'Almanach des Muses . On y
remarque d'abord une Epître sur la rime de Mme de Salın ,
dont le style nourri de pensées à une fermeté qu'on
trouve rarement dans les ouvrages de son sexe . J'en
citerais avec plaisir des fragmens remarquables , si cette
épître était moins connue . Par la même raison , je crois
qu'il suffira de nommer l'élégie de Mme Dufresnoy , intitulée
: la Promesse à ma mère . Cette pièce , publiée
dans le charmant recueil des poésies de l'auteur , a été
220 MERCURE DE FRANCE ,
réimprimée et jugée plusieurs fois . Si l'on a pu y découvrir
des négligences , on n'a pu s'empêcher d'y louer la
délicatesse des pensées et la douceur d'une versification
naturelle et harmonieuse , véritable mérite du genre . Le
naturel et la facilité sont aussi ce qui distingue cette
idylle de Mme de Mandelot , qui n'étant pas , je crois ,
connue , mérite d'être citée .
Déjà les troupeaux languissans
Quittent ce valon solitaire ;
Et de nos bosquets jaunissans ,
La froide haleine des autans
Fane la parure légère
Dont les couronna le printems .
Les aquilons , par intervalle ,
Remplacent les tièdes zéphyrs ;
Et l'Aurore , au front triste et pâle ,
Rappelle en vain les doux loisirs
Sur la cabane pastorale.
;
12
Un brouillard sombre et nébuleux ,
D'une teinte mélancolique ,
Flétrit le tableau romantique
Que j'ai sans cesse sous les yeux.
Ces hameaux , ces vastes campagnes ,
८
Me semblent maintenant déserts :
Bientôt le sommet des montagnes
Sera blanchi par les hivers .
Déjà la rose pâlissante ,
Que le zéphyr caresse en vain , ...
Sur sa tige faible et mourante.
Penche son calice incertain .
;
1
Déjà tout languit sur la terre ,
Et l'arbre au front majestueux ,
Qui naguère ombrageait ces lieux ,
Voit se rouler sur la poussière
Sa dépouille errante et légère
Qu'entraîne l'aquilon fougueux..
1
Triste image de notre vie
Et de l'inconstance du sort !
ر
)
)
t
JANVIER 1813 . 221
A
Par-tout la nature est flétrie
Par le souffle bruyant du Nord.
L'homme , qui bientôt cesse d'être ,
Comme elle , subit le trépas ;
Mais le printems la fait renaître ,
Et nos jours ne reviennent pas .
Cette jolie pièce offre , sur-tout dans sa première moitié
, des images choisies avec goût , et des vers d'une
douceur et d'une élégance parfaites ; mais on désirerait
qu'elle finît par une pensée moins commune , ou que
cette pensée fût rajeunie par des expressions plus neuves
et plus poétiques , telles qu'on en trouve quelquefois
dans un autre morceau de ce recueil qui a pour titre :
A mon Laurier ; et dont l'auteur ( qui débute sans doute
dans la carrière des lettres ) , est Mlle Iphigénie de Végabre
.
Passerai-je de nos dames poëtes aux bonnes femmes
de M. Ducis ? Il y a loin des unes aux autres . Mais , ce
qui rapproche un peu la distance , c'est que ces bonnes
femmes là sont les compagnes des deux Corneille.
M. Ducis peint ces hommes fameux dans le paisible intérieur
de leur ménage . Son style est simple comme son
sujet : on y sent une bonhomie qui charme dans l'énergique
auteur de Macbeth , et il plaît malgré les longs circuits
d'une versification verbeuse et un peu traînante ,
mais pleine d'abandon et de facilité .
Cette facilité dangereuse , à laquelle un grand talent
lui-même s'abandonne trop quelquefois , est un écueil.
pour mille autres qui n'offrent pas les mêmes dédommagemens.
Jepourrais en citer de bien nombreux exemples ,
et je n'aurais pas besoin d'aller en chercher ailleurs que
dans le volume que j'examine. Mais je préfère montrer
comment la facilité peut s'allier à la précision des idées
et à la correction du style. L'Optimiste de M. Vigée me
semble réunir ces conditions .
On me dit qu'un homme est un sot ;
Amédire l'esprit invite :
Qu'il sait à peine dire un mot ;
Atrop parler savoir excite :
-
1
222 MERCURE DE FRANCE ,
Qu'il est avare ; - vice affreux ,
Mais dont un héritier profite :
Qu'il est prodigue ; - au dernier gîte
Arriver nu n'est pas fâcheux :
Qu'il est querelleur ; - on l'irrite :
Qu'il est poltron ; - on meurt si vite !
Qu'il est intrigant ; eh ! tant mieux ;
L'intrigue tient lieu de mérite :
い
Qu'il est égoïste ; - de soi
Il est bien juste qu'on s'occupe :
Qu'il est défiant ;- je conçoi
Qu'on ait toujours peur d'être dupe :
Qu'il est flatteur; - franc-parler nuit :
Qu'il est gourmand ; - bon mets séduit:
Qu'il a penchant vif pour la femme ;
-Dieu dit : Aimez votre prochain :
Qu'ambition poigne son ame ;
- Chacun veut faire son chemin :
Qu'il est paresseux ;- ne rien faire
Estassez doux : qu'il est colère ;
-On est souvent contrarié :
Qu'orgueil enfle son caractère ;
- On l'a sans doute humilié .
,
Ainsi dans l'oeuvre de nature
J'approuve tout , ne blâme rien
Etm'estime heureux de conclure
Qu'en ce bas monde tout est bien.
1
Je lis quelques pages plus loin un excellent dixain de
M. Lemercier , qu'on me saura gré de transcrire , et que
je transcris avec d'autant plus de plaisir qu'il me rappelle ,
et qu'il rappellera sans doute à ceux qui ont comme moi
l'avantage de connaître personnellement l'auteur d'Agamemnon
, l'originalité , le sel de sa conversation ingénieuse
et piquante .
Le grand Ronsard au Pinde fit des lois ;
Des preux de cour il chanta l'héroïsme ;
En beaux sonnets rima son latinisme ,
Et pour Francus , maints nobles vers gaulois .
Belles du tems goûtaient son hellénisme ;
Savant flatteur , il fut flatté des rois ;
:
JANVIER 1813 233
Tant qu'il vécut , on vantait sa mémoire.
Que de succès et d'honneurs n'eût-il pas !
Lorsqu'il mourut , princes , dames , prélats ,
En grande pompe enterrèrent sa gloire .
Je pourrais citer encore plusieurs morceaux détachés ,
puisque ce recueil offre les noms célèbres de MM. Andrieux
, Arnauld , Parny , Millevoye , etc .; mais je me
hâte d'arriver à des pièces d'une plus grande étendue .
Deux sur-tout m'ont beaucoup frappé , et méritent selon
moi une distinction particulière . L'une est l'ode de M. de
Cormenin à la Nymphe de Blanduse ; l'autre , une ode
sur le Tasse , qui a mérité le premier prix de poésie au
jugement de l'Académie des Jeux-Floraux , et dont l'auteur
est M. Victorin-Fabre . L'on me pardonnera sans
doute de m'étendre davantage sur ces deux pièces , en
raison de leur mérite et de la difficulté du genre . Voici
le début de la première .
O fontaine sacrée , ô toi qui me vis naître ,
Nymphe de ce beau lieu !
Il faut nous séparer , et je te dis peut-être
Un éternel adieu .
Vespasien m'enlève à mon humble fortune ;
Belle nymphe , je pars ;
Que la pompe des cours va sembler importune
Ames tristes regards !
Quand les Muses en deuil , loin de Rome exilées
S'enfuyant aux déserts
Sur le penchant des monts , dans le creux des vallées ,
Soupiraient leurs concerts ;
Tu me vis rechercher , ô Nymphe de Blanduse !
Loin de la cour des rois ,
La fraîcheur de ses bords , le doux loisir des muses ,
Le silence des bois .
Je cachais mon bonheur dans ta vallée obscure ,
Et du monde oubliés ,
Tous mes jours s'écoulaient , comme cette onde pure
: Qui s'enfuit à mes pieds .
On reconnaît ici l'école des anciens . Quel naturel !
224 MERCURE DE FRANCE ,
Quelle fraîcheur ! Que ce style est doux et harmonieux !
et que ces stances tombent avec grâce et avec mollesse !
En voici cependant quelques autres qui ont encore plus
de charme , et que l'ame du poëte semble lui avoir inspirées
encore plus que son esprit.
1
1
1
Que l'ombre a de fraîcheur près de ce roc sauvage
Où ton ruisseau naissant
Murmure à petit bruit , et baise le rivage
De son flot caressant !
C'est là que , respirant sous d'épaisses yeuses
Le parfum du matin १
Je pressais le retour des heures paresseuses ,
Une lyre à la main.
1
Que demandai-je au ciel dans mon humble prière ?
De vivre sous les lois ,
Et de mourir aux lieux où je vis la lumière
Pour la première fois .
Qui , lorsqu'au noir empire il m'eût fallu descendre ,
Ton limpide ruisseau
De son léger murmure eût réjoui ma cendre
Sous l'herbe du tombeau .
Nous sommes devenus fort difficiles et même un peu
dédaigneux . Des poëtes se sont fait autrefois une assez
grande réputation avec un petit nombre de stances qui
ne valaient peut-être pas celles-là. Si toutes les parties
de cette ode étaient égales en mérite , sur-tout si je ne
croyais pas y voir un certain vague dans les idées , je la
regarderais comme une des plus remarquables qu'on ait
faites dans ce genre , où la poésie lyrique , proportionnant
son ton au sujet , n'exige que des images et des
émotions douces , un style élégant , flatteur pour l'oreille
et d'un éclat tempéré .
1
Celle de M. Victorin- Fabre est d'un autre genre ; c'est
véritablement l'ode dont parlait Jean- Baptiste Rousseau ,
lorsqu'il a dit qu'elle était le champ du sublime et du
pathétique . M. Victorin- Fabre doit beaucoup , sous ce
dernier rapport , au sujet qu'il a choisi. Cependant ce
n'est pas un sujet , quel qu'il soit, qui peut donner ces
1
JANVIER 1813 . 225
SEINE
A
mouvemens vrais et pathétiques qui sont l'ame de la
poésie , et qui vivifient toutes les parties de son ode
sur le Tasse. Mais ce sujet difficile par son abondance
et sa variété , a dû lui faire éprouver quel avantage
c'était pour un talent tel que le sien d'avoir à resserrer
tant de choses et des choses si différentes , dans de si
étroites limites .
Voici son début où l'on est d'abord frappé de cette
idée si heureuse de se servir de l'intervention d'Homère ,
pour rapprocher le tombeau de Virgile du berceau du
Tasse :
L'aigle immortel de Méonie ,
Le chantre d'Achille et d'Hector ,
Sur les campagnes d'Ausonie
Adéployé ses ailes d'or :
Au sacré ( 1 ) tombeau de Virgile
Il vole , du laurier fertile
Cueille le plus jeune rameau ;
Et vient dans les murs de Sorrente
Parer de sa feuille odorante
Le front d'un enfant au berceau .
Apeine tes jeunes années
Auront fui sur l'aile du tems ,
Enfant aux nobles destinées
La gloire applaudira tes chants .
Telle , sous le ciel de Golconde ,
La tige naissante et féconde
S'enrichit d'heureuses primeurs ;
Le jour le plus pur la colore ,
Et les fruits qu'elle fait éclore
Devancent la saison des fleurs .
:
J'entends le clairon héroïque .
-Clorinde , Tancrède , Aladin ,
L'Asie et l'Europe et l'Afrique
Se choquent aux bords du Jourdain.
1
(1) Sacrés murs que n'a pu conserver mon Hector.
(RACINE , Andromaque.)
P
1
226 MERCURE DE FRANCE ,
Dans les profondeurs du Tartare ,
La trompette rauque et barbare
Appelle aux combats les enfers (2) ;
Et des milices immortelles
L'archange aux flamboyantes ailes
Guide les drapeaux dans les airs (3) .
Nous n'avons encore vu que trois strophes , et déjà
une image grande et neuve nous a montré Homère cueillant
le plus jeune rameau du laurier qui ombrage le
tombeau de Virgile , et en couronnant le front du Tasse
au berceau . Une comparaison charmante a exprimé ce
qu'il y eut de prématuré dans son génie . D'autres images
ont mis sous nos yeux le poëme qui l'a illustré , les principaux
personnages qu'il y fait agir , le genre de merveilleux
qu'il y emploie , et le ton du poëte a déjà changé
plusieurs fois comme son sujet , d'abord grave et solennel
, puis riant et gracieux , enfin énergique et fier .
C'est avec la même variété de tons et la même rapidité
de marche que M. Victorin-Fabre continue jusqu'à la
fin de son ode . Après qu'il a peint les amours d'Armide
et de Renaud , une heureuse allusion le conduit naturellement
des ouvrages du Tasse aux événemens de sa vie ,
dont les circonstances ont l'intérêt d'un roman . Il choisit
les principales qui rappellent toutes les autres , et de
nouvelles allusions à la Jérusalem montrent encore dans
le Tasse amoureux , persécuté , insensé , le brillant auteur
dont le chef- d'oeuvre a illustré l'Italie . Si je pouvais
analyser toute l'ode de M. Victorin-Fabre , j'insisterais
sur la nouveauté et le mérite de ce plan , avec d'autant
plus de confiance , que je l'ai entendu beaucoup louer
par des personnes dont l'avis est du plus grand poids
dans ces matières . C'est , comme on pense bien , en retraçant
la vie du Tasse , sa gloire , ses malheurs , son
triomphe , ou plutôt les apprêts de son triomphe , que
(2) Chiama gli habitator de l'ombre eterne
Il rauco suon de la Tartarea tromba , etc.
(3) Canto XVIII.
CANTO IV.
JANVIER 1813 .
227
le poëte s'élève à ces mouvemens passionnés , et à ce
pathétique dont je parlais tout-à-l'heure. Pour justifier
mon opinion , j'en donnerai un exemple . M. Victorin-
Fabre a peint le Tasse dans cette prison où il perdit la
santé , et , qui pis est , la raison.
De longs regrets , un coeur de flamme
Restent seuls au Tasse éclipsé.
Sans m'arrêter à la beauté poétique de cette dernière
expression et à l'apostrophe éloquente adressée au duc
Alphonse , auteur des malheurs du Tasse , je passe encore
une strophe où le poëte montre le Tasse retrouvant
la liberté , la raison , et Rome préludant par des chants
de gloire au triomphe qu'elle lui destine.
Oui , Rome ! devance l'histoire ,.
Venge le Tasse , il vit encor :
Hâte-toi ... Sur le char d'ivoire
Porte-lui la couronne d'or .
Qu'une pompe auguste et chrétienne
Rende à la roche tarpéienne
Ses vieux triomphes abolis .
Et toi , Capitole sublime ,
Ouvre à l'Homère de Solyme
Tes portiques enorgueillis !
2
Ace premier mouvement d'enthousiasme et de joie en
succède à l'instant un autre de douleur et d'effroi . Le
Capitole ! s'écrie le poëte , et il se suppose , il paraît se
croire lui-meme sur la route que le char triomphal devait
parcourir ; trois fois l'airain sonne. Un saint temple
s'ouvre , il entre , et lit sur la pierre : les os du Tasse
sont ici . Torquati Tassi ossa hic jacent.
1
Qui que tu sois , mortel célèbre ,
Qu'opprime un sort injurieux ,
Devant cette pierre funèbre
Apprends à pardonner aux dieux.
Cet astre que le Perse adore
,
Et que le Samoyède implore
Dans la longue nuit des hivers ,
Céleste image du génie ,
P2
228 MERCURE DE FRANCE ,
Voit-il sa lumière impunie
Eclairer en paix l'univers ?
Non , non , vaincu par la tempête ,
Au sein de l'Empire étoilé ,
Souvent le dieu cache sa tête ,
Lumineux encor , mais voilé .
Entouré de flammes livides ,
Au fond des ténèbres humides ,
Il semble décroître et pâlir :
Sous le voile impur qui l'outrage ,
Il marche d'orage en orage ,
Et la nuit vient l'ensevelir . "
O Tasse ! voilà ton histoire ,
Ta mort , ton immortalité , etc.
Je ne connais guères de poésie plus riche , plus réellement
inspirée , ni de peinture qui fasse mieux voir
l'objet qu'elle retrace et produise plus d'illusion . Voilà la
véritable marche lyrique et le vrai style du genre .
Souvent le dieu cache sa tête ;
Lumineux encor , mais voilé ,
Est sur-tout une image sublime . La strophe qui suit en
présente encore une autre plus vive et très-touchante .
Mais , puisqu'il s'agit de pathétique et de grands mouvemens
, je passe , sans m'arrêter sur les beautés d'une autre
sorte , à celui qui termine l'ode par l'expression d'une
magnifique pensée. M. Victorin-Fabre , ramené par un
retour lyrique aux derniers momens du Tasse , entend
l'auteur de la Jérusalem ordonner qu'on brûle ce chefd'oeuvre
expié par tant d'infortunes , et demander avec
prière d'être enseveli sans pompe dans l'église du couvent
de Saint- Onuphre ; d'y cacher sa cendre à la gloire
et à ses persécuteurs .
Le temple obscur d'un monastère
Cachera mes pâles débris .
JANVIER 1813 .
229
Il voit cet illustre infortuné qui , dans le dernier asyle
de la vertu poursuivie ,
Sous la pierre étroite et modeste
Redoute encor l'éclat funeste
D'un nom payé par tant de pleurs .
Sa sensibilité se trouble . Il croit voir dans la destinée du
Tasse celle de tous les grands hommes; il s'écrie en
montrant son tombeau :
Hélas ! quand déjà l'espérance
Lui promet des lauriers lointains ,
Si le grand homme à son enfance ,
Pouvait lire dans ses destins ! ...
Quel tableau s'offrirait à ses yeux ! comme il repousserait
avec terreur leflambeau du génie ! Là , le poëte s'arrête ,
et se hâtant d'étouffer le sentiment d'effroi qu'il n'a exprimé
qu'à demi , il termine brusquement par cette noble
apostrophe qui rappelle tout son sujet, et donne un
autre cours aux idées :
O toi dont la gloire est l'idole ,
Va d'un pas ferme au Capitole ....
Ne regarde pas ce tombeau .
Ce sont- là des beautés du premier ordre , sur lesquelles
il est inutile d'insister .
-
(La suite au prochain numéro . )
VARIÉTÉS .
-
"
SPECTACLES . Théâtre Français . Les Comédiens
français avaient tort de ne pas mettre plus souvent en
scène des ouvrages nouveaux ; tous ne réussissaient pas , je
le sais : mais à quelle époque de la littérature toutes les
nouveautés ont-elles obtenu un égal succès ? Nous jouissons
aujourd'hui du fruit de deux siècles de travaux , sans
songer à l'immense quantité de mauvais ouvrages que le
parterre a dû réprouver ; le seul catalogue des pièces de
théâtre sifflées depuis le Menteur , formerait un gros vo
230 MERCURE DE FRANCE ,
lume; c'est en essayant beaucoup de pièces que l'on finit
par en trouver qui sont dignes de rester au répertoire .
Les gens les plus exigeans ne pourraient maintenant accuser
les acteurs du Théâtre-Français : tout ce que l'on
peut désirer , c'est que leur zèle se soutienne ; en douze
jours ils ont représenté deux nouveautés : l'Avis aux
Mères , comédie en un acte de M. Dupaty , dont nous
avons promis à nos lecteurs de parler dans ce numéro , et
Tippoo-Saeb , tragédie en cinq actes et en vers , de M. de
Jouy , représentée avec succès mercredi dernier . Ces deux
auteurs , connus par de nombreuses productions sur d'autres ⚫
théâtres , débutent ensemble sur la scène française ; le bonheur
qui a signalé leurs premiers pas , doit les engager à
consacrer au public le fruit de leurs veilles .
Sur une seule représentation , je pense qu'il est difficile
de porter un jugement raisonné , sur-tout quand il s'agit
d'un ouvrage aussi important qu'une tragédie en cinq
actes ; je demande donc à mes lecteurs la permission de
ne les entretenir aujourd'hui que de la jolie comédie de
M. Dupaty.
Deux mères , jeunes encore , sont restées veuves chacune
avec un enfant ; l'amitié la plus tendre les unit , quoique
leur caractère et leur manière de vivre soient diamétralement
opposés. Mme de Mireval a consacré son tems à
l'éducation d'Armand , son fils unique , qui a puisé les
meilleurs principes dans la fréquentation de quelques
amis estimables , avec lesquels sa mère a conservé des
relations ; le lecteur voit déjà que Mme de Mireval est
une femme raisonnable , à laquelle M. Dupaty a opposé
une femme étourdie , Mme Derlon . Celle-ci , mère d'une
jeune fille , l'a placée dans un pensionnat fameux , et se
livre avec ardeur à tous les plaisirs que le monde offre
encore à une femme de son âge ; l'auteur en a tiré la conclusion
qui n'est pas toujours juste , que la fortune de
Mme de Mireval est en bon état , et que Mme Derlon doit
être ruinée . On peut fréquenter le monde , en recevoir
chez soi sans se ruiner; on peut mettre sa fille dans une
pension sans être une mauvaise mère , et ce que l'on appelle
le monde serait chose assez ennuyeuse , si l'on
ne rencontrait que des dames de Mireval. D'ailleurs les
traits contre les pensions de demoiselles commencent à
être bien émoussés ; on peut même dire qu'ils manquent
de justice depuis qu'une sage administration a proscrit de
ces maisons d'éducation ces fameuses distributions de prix ,
une
JANVIER 1813 . 231
objets de tant de plaisanteries , et dont on avait peut-être
exagéré le ridicule , afin d'en amuser le public .
Quoi qu'il en soit , arrive l'époque de la fête des deux
mères : chacun des enfans veut la célébrer ; le jeune
homme , qui n'a pas d'argent parce que sa bourse est ouverte
à tous ses amis , emprunte cent louis par le moyen
d'un valet fripon , démarche un peu hasardée de la part
d'un jeune homme si rangé , et qui se trouve superflue ,
puisque la bonne mère avait chargé un ami de lui remettre
une somme égale . Julie , la jeune personne , se munit de
couplets , de bouquets , mais les apprêts de la fête sont
interrompus par un huissier qui vient saisir chez Mme
Derlon , pour une somme de vingt mille écus . On sent
que Mme de Mireval offre à son amie ses économies pour
la tirer d'embarras ; Mme Derlon accepte , mais pour que
ce service lui soit doublement utile , elle laisse quelque
tems sa fille dans l'inquiétude , et lui apprend enfin la générosité
de Mme de Mireval. Le mariage des jeunes gens
convertit tout le monde ; mais la conversion de Julie est
bien subite , et je crains que dans son ménage elle ne
conserve les habitudes de sa jeunesse .
Le style est la partie la plus brillante de cet ouvrage : si
je voulais citer tous les vers comiques ou spirituels , je dépasserais
à coup sûr les bornes d'un article ; on s'aperçoit
que l'auteur a fait des portraits d'après nature ; c'est encore
un avantage qu'il a sur quelques-uns de ses rivaux ,
qui peignent le monde sans l'avoir vu , et s'exposent ainsi
à fronder des ridicules qui n'existent pas .
Le reproche que l'on fait à cette comédie n'est pas commun
, et on peut en absoudre l'auteur à cause de la
rareté : on y trouve , dit-on , trop d'esprit. Il est beau de
pécher par ce côté , et à peine ai-je le courage de me
joindre aux critiques , tant cette faute est aimable .
Il est superflu de dire que la pièce est bien jouée ,
puisque les rôles sont remplis par MM. Fleury , Armand ,
Baptiste cadet , Thénard , et Mesdames Mezerai , Mars ,
Leverd et Emilie Contat . B.
POLITIQUE.
Les dernières nouvelles anglaises nous ont donné connaissance
d'une lettre de lord Wellington aux différens
chefs de son armée , lettre dans laquelle il leur reproche
avec vivacité l'état d'indiscipline dans lequel ils ont laissé
tomber l'armée dans sa retraite , dans une saison et dans
des pays où elle n'éprouvait aucun de ces besoins forcés
qui justifieraient quelques excès . Cependant du moment
où l'armée a quitté Burgos , les officiers ont perdu toute
espèce d'autorité , des outrages de toute espèce ont été
commis avec impunité , et l'armée a souffert des pertes
qu'elle n'a pu attribuer qu'à son indiscrétion et à sa
mauvaise conduite . Les marches étaient courtes , les
haltes fréquentes , les officiers n'ont rien fait pour réprimer
les excès . Ces officiers sont braves sans doute ,
mais sans instruction , sans expérience de la guerre. Ils
croient que le tems du service actif est celui du relachement
dans la discipline , ils tombent ainsi dans une
erreur bien dangereuse ; car c'est dans le tems du service
actif qu'aucun soin ne doit être négligé pour la conduite du
soldat , l'inspection de ses armes , des munitions , de la
nourriture de l'homme et du cheval , si l'on veut qu'une
armée , et sur-tout une armée anglaise , soit en état de faire
face à l'ennemi un jour de bataille.
Après s'être exprimé dans ces termes assez significatifs ,
lord Wellington donne les ordres qu'il croit propres à réprimer
les ſautes dont il a eu à se plaindre ; il est à remarquer
que dans tout ce qu'il ordonne , il s'appuie principalement
de l'exemple de l'armée française , des officiers , du
soldat français , dans telle ou telle partie du service . Les
moyens que le général indique sont les seuls , dit-il , qui
puissent rétablir la discipline de l'armée , et la rendre
propre à un service actif dans la campagne prochaine .
Lord Wellington a fait un voyage à Cadix. Les Français
ont réoccupé Bilbao . L'expédition pour l'Amérique Septentrionale
est de huit vaisseaux de ligne . L'escadre de
Pamiral Rogers croise toujours à la hauteur des Açores .
Les corsaires- américaiinnss continuent de poursuivre sans
MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813. 233
relâche les bâtimens de commerce , et sont beaucoup plus
heureux dans cette chasse que ne pourrait le faire présumer
le nombre des vaisseaux de guerre anglais destinés à protéger
ce même commerce.
Le prince-régent a répondu par une déclaration solennelle
au discours de M. Maddisson au congrès . Cette pièce
diplomatique est d'une étendue extraordinaire , et il est
inutile de dire par quels raisonnemens le prince- régent
•cherche à prouver que l'Amérique a tort de vouloir défendre
son pavillon insulté , son territoire violé , et les matelots
pressés . Le prince témoigne sur-tout un vif mécontentement
de ce que dans tous ses actes l'Amérique traite
la France avec des ménagemens remarquables , quoiqu'elle
témoigne du mécontentement sur certains points en discussion
.
Tandis que toutes les expressions de la haine et d'une
animosité sans exemple sont réservés à l'Angleterre de la
part du gouvernement américain , le prince-régent déclare
avoir été trompé dans ses espérances et dans ses voeux, sur
les moyens de finir cette guerre d'une manière honorable
pour les deux nations . Il déclare être obligé de suivre le
même système politique que le gouvernement britannique
suit depuis si long-tems , en repoussant l'injustice et en
soutenant les droits généraux des peuples . Aidé de la Providence
et comptant sur la justice de sa cause , et sur la
loyautéet la fermeté éprouvée de la nation anglaise , S. A. R.
attend avec confiance une heureuse issue de la lutte dans
laquelle elle s'est vu forcée de s'engager malgré sa répugnance.
Cet acte est du 9 janvier .
Les nouvelles d'Allemagne ne font connaître que les
prompts résultats des ordres donnés par les princes de la
Confédération, pour mettre au completles contingens qu'ils
fournissent à la Grande-Armée . Pendant quelques jours
le silence avait été gardé sur les positions qu'elle occupe ,
et mille bruits avaient couru . Aussi l'article suivant, publié
dans le Moniteur, a-t - il produit dans toutes les classes de la
société l'impression la plus favorable et l'effet le plus utile.
Le roi de Naples étant indisposé a dû quitter le commandement
de l'armée , qu'il a remis entre les mains du
vice- roi . Ce dernier a plus d'habitude d'une grande administration
, il a la confiance entière de l'Empereur.
Après la trahison du général Yorck , le roi de Naples
ajugé convenable de se porter sur la route d'Elbing , et de
234 MERCURE DE FRANCE ,
là sur Posen , où son quartier-général est arrivé le 16 janvier.
» Le général Rapp , avec 30,000 hommes de garnison
occupe l'île de Novat et Dantzick ; 6000 hommes occupent
Thorn et ses environs ; 6000 Prussiens occupent Graudentz
; un corps d'observation que commande le prince
d'Eckmuhl est sur Bromberg ; le prince Schwarzenberg et
le général Reynier sont en avant de Varsovie . Le 5º corps
se réorganise dans cette place , et le duc de Tarente s'est
dirigé sur Posen ; le maréchal Saint- Cyr est rétabli de sa
blessure . Le duc de Bellune est arrivé à Posen .
» Il n'y a eu , depuis l'affaire du duc de Tarente sur le
Niémen , dans laquelle il a fait aux Russes trois bataillons
prisonniers , aucun engagement quelconque avec l'ennemi
; il n'y a eu que quelques rencontres de cosaques de
peu d'importance .
Toute la cavalerie à pied est arrivée sur l'Oder. Le
général Boursier , qui est à Berlin , mande qu'il a des marchés
pour 30,000 chevaux, dont 20,000 sont livrés et dans
les dépôts , tant pour les remontes de la cavalerie que pour
celles de l'artillerie et des équipages militaires .
Le froid continue à régner.
Le roi de Prusse réorganise son contingent entre Stettin
et Colberg.
» Le général Lauriston est parti le 25 de Paris pour porter
son quartier-général sur Magdebourg, où arrive le corps
d'observation de l'Elbe qu'il commande .
» Le général Souham passe le Rhin avec l'avant-garde
du corps d'observation du Rhin et va se porter sur Francfort.
S. M. a donné au général Bertrand le commandement
du corps d'observation d'Italie qui se réunit à Vérone .
" Une avant-garde composée de 40,000 hommes de
troupes fraîches , se réunit à Posen , sous les ordres du
maréchal duc d'Elchingen. Ce maréchal est du nombre de
ceux dont le courage et la force d'ame ont été éprouvés .
>>Le roi de Saxe réunit des troupes autour de Glogau .
» L'empereur d'Autriche rassemble des forces considérables
dans la Gallicie . On y compte déjà une armée de plus
de 80,000 hommes . La confiance et l'harmonie sont entières
entre les deux cours impériales de Vienne et de Paris .
Le roi de Danemarck est sourd aux menaces et aux
intrigues de l'Angleterre , de la Russie et de la Suède .
" Dantzick est aujourd'hui une place inexpugnable ;
1
JANVIER 1813 . 235
: mille hommes de bonnes troupes y sont réunis ; de bons
généraux les commandent , et le gouverneur de la ville est
le général Rapp , brave et intrépide soldat ; bon nombre
d'officiers du génie et d'artilleries'y trouvent ; la place est
approvisionnée de tout pour deux ans .
» Tous les bruits qu'on fait courir sont donc faux : il
n'y a pas eu de bataille à Koenigsberg ; il n'y en a pas eu à
Elbing ; aucun officier-général n'a été blessé ; et nous le
répétons , aucune affaire n'a eu lieu depuis celle du duc de
Tarente , sur le Niémen .
» L'Allemagne n'a rien à craindre ni des intrigues de
l'Angleterre , ni de l'irruption des barbares , qui n'ont su
défendre leur pays qu'en le dévastant , et leur capitale qu'en
la brûlant .
» Enfin , aussitôt que l'hiver sera passé , les Russes seront
chassés et renvoyés d'autant plus vite qu'ils se seront
avancés davantage .
> Nous sommes autorisés à faire cet exposé pour tranquilliser
les bons citoyens de l'Allemagne et de France , et
nous ajoutons qu'ils peuvent être certains que s'il survenait
des événemens , on en donnerait sur-le-champ communication
au public avec la même vérité et simplicité
que l'on a fait connaître les malheurs de l'armée dans le
29º bulletin . On ne sait pourquoi les Anglais attachent de
l'importance à inonder nos côtes et le continent de pamphlets
remplis de fausses relations ; en effet , tout le mal
qu'a éprouvé l'armée est dit dans le 29 bulletin ; mais ce
que les gazettes de Pétersbourg ajoutent , que des aigles et
des canons nous ont été pris enfront de bandière , est faux !
très- faux ! "
A cette note succèdent des lettres qu'on lit avec beaucoup
d'intérêt ; leur étendue et la conformité que leur sujet
entraîne nous empêchent de les citer en entier ; elles sont
écrites au ministre de la guerre par le prince vice-roi , le
prince d'Eckmuhl , et le maréchal duc d'Elchingen ; toutes
les trois ont pour objet de réfuter les rapports russes sur
les événemens de novembre et de décembre , en ce qui
concerne les corps commandés par les chefs illustres que
nous venons de nommer .
Les Russes ont battu l'armée française par-tout , et dans
toutes les occasions où elle s'est présentée devant eux.
Telle est la substance de toutes les relations officielles publiées
par la cour de Saint-Pétersbourg . Les Russes nous
ontbattus quand nous avons passé le Niémen devant eux,
236 MERCURE DE FRANCE ,
quand ils ont évacué le camp retranché de la Dwina , quand
nous avons pris Smolensk de vive force ; ils nous ont battus
à la terrible journée de la Moscowa , et nous ont repoussés
à seize werstes du champ de bataille , sans nous empêcher
de marcher à Moscou , de nous y établir , et de défendre
la capitale de notre ennemi de la fureur de ses incendiaires
. Tels sont les rapports dont les généraux russes
n'ont pas craint de bercer la crédulíté de l'ambassadeur
anglais , et dont celui-ci s'est empressé d'entretenir l'inimitié
et l'orgueil de sa nation . Ces rapports , les lettres dont
nous parlons , les repoussent comme injurieux , et les réfutent
comme de toute fausseté . Platoff, dit le prince
vice-roi , a pu faire des prisonniers de mon corps d'arinée,
mais ce n'est pas les armes à la main ; il a pris des hommes
isolés que le froid et la faim avaient éparpillés dans les
villages ; j'ai perdu mes chevaux morts de froid , et la plus
grande partie de mon artillerie démontée et brisée , mais
l'ennemi ne m'a pas enlevé un seul canon .
Mon corps , dit le prince d'Eckmuhl , n'a jamais rencontré
l'ennemi qu'il ne l'ait battu . Les relations russes
sont un tissu de faussetés à l'égard desquelles on peut en
appeler au témoignage et à la bonne foi des militaires des
deux armées . J'ai fait des pertes très - fortes par la fatigue ,
le froid , et cette fatalité qui a fait périr tous nos chevaux
d'artillerie et de cavalerie ; une grande quantité de mes
hommes s'est éparpillée pour chercher des refuges contre
les rigueurs du froid , et beaucoup ont été pris . V. A. sait
que je ne dissimule pas mes pertes; elles sont sensibles ,
sans doute , et me navrent de douleur ; mais la gloire des
armes de S. M. n'a pas été compromise un seul instant.
Les Russes , dit le maréchal duc d'Elchingen , disent que
le 17 novembre , à minuit , mon corps , fort de 12,000
hommes , a envoyé parlementer et a posé les armes ; que,
moi , je me suis sauvé seul et blessé en passant le Borysthène
sur les glaces . Je donne à l'auteur de cette relation
un démenti formel. Dans la journée du 17 j'ai contenu
tous les efforts de l'ennemi ; je n'avais pas 4000 hommes et
plus d'artillerie ; l'ennemi vint à moi plusieurs fois ; je
reconnus bien que ce n'était plus sa même infanterie .
A 10 heures je reçus un parlementaire qui me proposait
de me rendre ; je répondis en emmenant le parlementaire
avec moi , et en lui faisant passer le Borysthène avec nos
troupes , et je l'ai remis à Orcha , au quartier-général de
Sa Majesté . Tous les rapports officiels russes sont faux ; il
JANVIER 1813 .
237
n'y a de vrai en ce qui me concerne que la perte de mon
artillerie , non pas prise , mais détruite et abandonnée.
Les Russes n'ont pris ni à moi , ni à aucun de mes camarades
, une seule pièce d'artillerie , quoiqu'il soit vrai que
nos attelages tombans morts de froid , nous ayons été
obligés de la laisser sur place . Le printems nous fera raison
de toutes les fanfaronades de l'ennemi , qui retrouvera
toujours dans l'armée française les hommes d'Austerlitz ,
d'Eylau , de Friedland , de Witepsh , de Smolensk , de la
Moscoua et de la Bérésina .
Des détails authentiques , donnés par un Journal trèsaccrédité
et reçus de Varsovie , doivent ici trouver leur
place. Un Polonais , prisonnier chez les Russes , revenu à
Varsovie , a déclaré avoir trouvé l'armée russe dans un état
de faiblesse et de désorganisation presque complète . Un
corps de quinze régimens de cavalerie, stationné à Grodno ,
ne comptait pas plus de 3600 hommes . Le général Kutusow
avait quitté le commandement de l'armée , extrêmement
réduite par le froid , la faim et les maladies . Il a
échangé son commandément contre celui du général
Tischagoff , dont le corps d'armée , quoique réduit à moitié
de sa force , est cependant en meilleur état que la principale
armée . Depuis ce changement , on prétendait que
l'amiral Tischagoff ne resterait pas à l'armée . On ne lui
pardonne pas de s'être laissé battre au passage de laBérésina
. M. Barclay de Toley devait lui succéder. Les maladies
faisaient de grands ravages parmi les troupes russes .
Plusieurs généraux et hommes de marque ont succombé .
Parmi les pertes les plus sensibles , on compte celle du
prince Holstein-Oldenbourg , mort d'une fièvre d'hôpital à
Twer , le 27 décembre. Cette nouvelle est parvenue au
corps du prince de Scharzenberg. Les levées du Grand-
Duché se font avec activité . Le conseil-général de la Confédération
a fait une adresse à l'armée polonaise de retour
sous les ordres du prince Poniatowski . Cette adresse rend
hommage à la valeur , à la constance , au dévoûment de
cette armée , et lui garantit tous les secours dont elle a
besoinpour poursuivre ses travaux honorablement inscrits
dans les fastes polonais .
Une autre notification donnée officiellement par le Moniteur
va fixer toutes les idées sur des questions majeures
qu'il importait de résoudre , pour que la France pût
jouir pleinement des salutaires effets de cette haute pensée
morale et politique à laquelle nous devons leconcordat.
238 MERCURE DE FRANCE ,
Voici cette note qui comblera les voeux de tout véritable
citoyen habitué à confondre dans un sentiment commun
ses devoirs civils et religieux , à ne pas séparer sa fidélité à
son culte , de sa fidélité à son prince , et son respect pour
la foi , de son respect pour les lois de l'Etat.
« LL. MM. sont parties de Paris , le mardi 19 , pour aller
chasser à Grosbois .
» Le soir , elles ont été coucher à Fontainebleau , où on
ne les attendait point .
» En arrivant , l'Empereur s'est rendu chez le Pape qui
était en conversation avec des cardinaux et des prélats .
» Sa Majesté et le Saint-Père sont restés ensemble près
de deux heures .
> Le lendemain mercredi , le Pape , accompagné des cardinaux
de Bayane , Doria , Ruffo , de l'archevêque de Tours ,
et des évêques d'Evreux , de Nantes , de Trèves et d'Edesse ,
a été rendre visite à S. M. l'Empereur , qui a reçu le Saint-
Père dans ses grands appartemens .
> Auretour de chez l'Empereur , le Saint-Père s'est rendu
chez S. M. l'Impératrice . Peu de tems après , S. M. l'Impératrice
, accompagnée des dames du palais et des autres
personnes de son service , a été rendre visite au Pape .
" Les jours suivans , Sa Majesté et le Saint-Père ont eu
de fréquens entretiens .
> Enfin , le lundi 25 , à sept heures du soir , S. M. et le
Saint-Père , réunis dans le grand salon des appartemens
occupés par le Pape , ont signé le concordat qui termine
tous les différens élevés à l'occasion des affaires de l'Eglise .
» Cet acte a été signé par l'Empereur et par le Pape en
présence des cardinaux et des prélats qui étaient à Fontainebleau
. ८
» A peine le concordat avait été signé , que S. M. l'Impératrice
est venue, de son propre mouvement , féliciter le
Pape sur cet heureux événement.
» Mercredi , à quatre heures et demie , LL. MM. sont
parties du palais de Fontainebleau , et elles sont arrivées à
huit heures au palais des Tuileries . »
L'exemple donné par le département de la Seine a été
suivi par ceux de ce vaste Empire . Toutes les villes se sont
réunies , et par l'organe de leurs municipaux , elles ont voté
en hommes , en chevaux en équipemens , les offrandes
destinées à réparer les pertes de la cavalerie de l'armée.
Les chefs -lieux de canton ont aussi consulté le voeu des
communes , et chacun d'eux fournit quatre , six , jusqu'à
,
JANVIER 1813 , 239
C
huit et dix chevaux montés et complètement équipés . Les
conseils de préfecture , les diverses corporations desgrandes
villes , les grandes administrations publiques , les sociétés
particulières , et un nombre immense de simples particuliers
, adressent également leurs offrandes . Le Sénat offre
300 chevaux , et beaucoup de sénateurs , indépendamment
de ce don fait par le corps , ont envoyé leurs plus beaux
chevaux . Sur les 500 cavaliers de la Seine , 330 sont déjà
rendus à l'Ecole-Militaire , où 400 chevaux sont réunis . Le
Moniteur consigue avec soin les adresses des villes principales
de l'Empire . Un même sentiment les a dictées ; toutes
respirent le dévouement à la patrie , l'amour du nom français
, l'honneur de nos armes , et sur-tout l'attachement et
la fidélité au prince qui a rendu ces armes si honorées , ce
nom si glorieux , cette patrie si florissante , et auquel le
concours de toutes les volontés et de tous les sacrifices né-
S ..... cessaires promet d'achever son grand ouvrage .
ANNONCES .
De l'Exercice du Commerce , ou Tableau par ordre alphabétique
des diverses espèces de commerces , de professions , d'industries ,
d'arts et métiers , qui s'exercent , en vertu de patente , dans tout
l'Empire français , sous chacun desquels on trouve : 1º le droit de
patente auquel il est soumis ; 2º sa définition ; 3º les lois et réglemens
de police qui le concernent particulièrement ; 4º le classement de
toutes les marchandises qui peuvent ou ne peuvent en faire partie , la
nomenclature des autres commerces , professions , arts et métiers
qui peuvent ou ne peuvent y être réunis ; 5º des observations sur les
contraventions à la loi des patentes auxquelles il donne lieu . Précédé
d'une instruction sur les anciennes corporations , les abus qui les ont
fait supprimer ; la liberté du commerce ; la surveillance de la police
sur les commerces , professions , arts et métiers qui intéressent la
salubrité , la santé et la sûreté publique ; la prévoyance du gouvernement
à maintenir l'ordre et la discipline dans le commerce ; enfin
la loi des patentes . Ouvrage utile à tous les négocians , marchands ,
manufacturiers , artisans et ouvriers ; à tous les maires , adjoints de
maire , commissaires de police chargés de surveiller le commerce ,
les arts et métiers , d'en faire exécuter les lois et réglemens ; à tous
les directeurs et receveurs des contributions auxquels l'exécution des
lois sur les patentes est spécialement confiée ; par M*** , ancien doc-
1
240 MERCURE DE FRANCE , JANVIER 1813 .
teur en droit . Un vol. in -12. Prix , 2 fr . 50c . , et 3 fr . 25 c. franc de
port. Ala librairie d'éducation et de jurisprudence d'Alexis Eymery,
rue Mazarine , nº 30 .
L'Enfance éclairée , ou les Vertus et les Vices ; par Madame ***.
Un vol. in- 18 , orne de 10 jolies gravures . Prix , I fr . 80 c. , et2 fr.
20 c. franc de port ; avec les gravures coloriées , 2 fr . 50c . , et 2 fr.
90 c. franc de port . Chez le même libraire.
On a mis au jour , depuis peu , la suite du tableau figuré des opérations
de la Grande-Armée en 1812 ; la carte qui forme le nº rer ,
donnait les pays compris entre la Vistule et le Borysthène ; le n° 2
contient les pays situés entre le Borysthène , le Wolga et la Moskwa.
Sur cette seconde carte , comme sur la précédente , on a indiqué , à
l'aide des couleurs , les marches , les positions des troupes , et les
quartiers généraux. On a suivi la même méthode pour les noms
de lieux mentionnés dans les rapports officiels; c'est-à-dire qu'on
`les a écrits en lettres romaines et en lettres capitales , pour les distinguer
des autres qui ne sont qu'en caractères italiques . L'on jugera
au premier aspect ce qui a un rapport immédiat avec la campagne , et
cette carte offrira toutes les indications utiles pour la lecture des
Bulletins qui ont paru depuis le 8 août jusqu'au 22 novembre . Al'exception
du village Ignatiers qui n'est pas sur le grand atlas de Russie,
on y trouvera tous les noms de lieux mentionnés dans ces Bulletins .
Chez Lenormant , rue de Seine , nº 8 ; Magimel , rue de Thionville ,
près le Pont-Neuf ; Delaunay , Palais-Royal. galeries de bois ; Goujeon
, rue du Bac , nº6 , près le Pont-Royal ; Bance , rue St- Denis
près celle aux Ours .
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercurede France , ne paient que 18 fr. pour l'année , et 10 fr . pour
six m de souscription au Mercure Etranger. )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et cher
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure,
àParis .
MAN
M
LA
SEIN
MERCURE
DE FRANCE.
N° DCIII. - Samedi 6 Février 1813 .
POÉSIE .
MILON.
IDYLLE IMITÉE DE GESSNER .
5.
cen
JEUNE bergère , ô toi dont la beauté touchante
Est plus chère à mon coeur que l'odeur ravissante
Par la rose exhalée , à l'heure du matin
Où la brise amoureuse a rafraichi son sein !
Chloé ! que j'aime à voir ta blonde chevelure
En anneaux ondoyans flotter à l'aventure !
Quel charme , quels transports , quand ton aimable voix
De sons harmonieux fait retentir les bois!.
Je t'écoutais , Chloé , lorsque , sur l'herbe tendre ,
Tu chantais l'autre jour.... Tout-à-coup , pour t'entendre ,
Les oiseaux du bocage ont cessé leurs concerts ;
Le murmure des eaux n'agitait plus les airs ,
Et , craignant de troubler ta douce mélodie ,
Les Zéphirs retenaient leur haleine attiédie .
Apeine quinze fois , des trésors de Cérès ,
Ai-je vu se charger nos fertiles guérets.
Q
242 MERCURE DE FRANCE ,
Je suis léger : le eerf n'a pas plus de vitesse .
Je sais aimer : l'Amour n'a pas plus de tendresse.
J'ai souvent entendu , sur le sommet des monts
Dont les échos plaintifs répètent mes chansons ,
Quand ma voix , saluant le jour qui vient de naître ,
Se marie aux accords du chalumeau champêtre ,
Les bergers étonnés applaudir mes accens .
Crois-moi , chère Chloé , jouissons du printems ;
Aime-moi !... le tems fuit et l'Amour a des ailes ! ...
Combien il sera doux , pour des amans fidèles ,
D'errer dans ce bocage où les épais buissons
Contre l'ardeur du jour protègent les gazons ! ....
Duhaut demon rocher , vois ces eaux transparentes
Tomber dans la prairie en cascades bruyantes ,
Fuir à travers les fleurs dans leur cours sinueux ,
De leur brillant cristal rafraîchir ces beaux lieux ,
Et , s'amassant enfin , au pied de la colline ,
Former un petit lac entouré d'aubépine.
Là , souvent , quand Phébus se plonge au sein des mers ,
En ton honneur , Chloé , je vais chanter des vers ,
Et perçant des bosquets la voûte ténébreuse ,
Attendre de la nuit l'heure silencieuse .
De Philomèle alors j'accompagne le chant ;
:
Le Faune , au pied de chèvre , accourt en bondissant ,
Et les joyeux Sylvains , les Nymphes sémillantes
Commencent , à ma voix , leurs fêtes innocentes .
Vois , autour de ma grotte , et ces verds coudriers ,
Et ces pampres tortus , et ces riches pommiers !
Couvertes de leurs fleurs , vois ces épaisses ronces ! ...
Ces vergers odorans , ces jardins , ces quinconces ,
Tout cela m'appartient : que souhaiter encor ?
Je t'offre le bonheur: eh ! quel plus beau trésor
Puis-je faire briller aux yeux de mon amie ?
Ici nous goûterons les vrais biens de la vie !
Ici.... mais , ô Chloé ! si tu ne m'aimes pas ,
Tous ces beaux lieux pour moi deviendront sans appas ;
Le plus sombre brouillard couvrira les campagnes :
Je ne conduirai plus , sur le ffane des montagnes ,
Mes chevreaux bondissans , ni mes tristes brebis ....
Ne sois pas insensible à mes pleurs , à mes cris ;
Aime-moi ! ... De l'Amour ne crains point les alarmes :
Sesplaisirs sont divins , ses soucis ont leurs charmes.
FEVRIER 1813. : 243
Soit que ,dans les bosquets , au sommet des coteaux,
Sur la mousse vermeille au bord des clairs ruisseaux ,
Nous menions nos brebis paître l'herbe fleurie; ..
Soitque nous jouissions . assis dans la prairie ,
Des chants mélodieux de mille oiseaux divers ;
Soit qu'enfin , parcourant le rivage des mers ,
Anos regards surpris les filles de Nérée
Fendent des flots amers la surface azurée ,
Des doux sons de ma flûte , et de nos chants d'amour ,
Nous ferons retentir les échos d'alentour .
Dans mes vers solennels je chanterai l'Aurore ,
Et les dons de Palès , et les trésors de Flore ;
Et tu verras bientôt , aux accens de ma voix ,
Accourir les Sylvains et les Nymphes des bois.
Ainsi chanta Milon , berger tendre et fidèle .
Chloé qui l'écoutait , ô Milon ! lui dit-elle ,
C'est assez t'éprouver , vient et connais mon coeur !
Chloé ne prétend plus retarder ton bonheur :
Elle t'aime ! ... Ah ! Milon, de quel amour encore !
Oui , la rose aime moins les larmes de l'Aurore ,
Le papillon les fleurs , les brebis le gazon ,
Que Chloé , dans ce jour , n'aime son cher Milon.
AUGUSTE MOUFLE.
Traduction de l'Epigramme goeme du 2eme livre de Martial.
A QUINTILIEN.
Tor dont le nom fameux doit , vainqueur de l'Envie ,
De la toge romaine être à jamais l'honneur ;
D'un âge trop ardent sage modérateur ,
Pardonne si , pressé de jouir de la vic
J'abandonne au repos mes inutiles ans.
!
Dois-je , quand le présent remplit mon existence , ...
D'un avenir douteux occuper mes momens ? ...
D'autres peuvent poursuivre en leur vaine espérance
La fortune et la gloire aux palais des Césars :
Moi que n'éblouit point un peu de renommée ,
Je n'affronterai pas cette mer de hasards .
Heureux si , sous montoit noirci par la fumee ,
Q2 !
244 MERCURE DE FRANCE ,
Autourde mon foyer je réunis jamais
de bons serviteurs une femme fidelle !
Et doublement heureux si je puis auprès d'elle
Passermes nuits sans veille et mes jours sans procès !
M. DE CAZENOVE.
LA LANTERNE SOURDE.
FABLE .
LANTERNE sourde en main , d'un pas ferme et rapide ,
Unhomme cheminait dans l'ombre de la nuit.
Un voyageur l'entend , le suit ,
Espérant partager la clarté qui le guide.
Mais il ouvre les yeux en vain :
L'obscurité pour lui n'est pas moins forte .
La lanterne ne sert qu'à celui qui la porte ,
Et n'éclaire que son chemin.
Ade certains esprits qu'on juge à la légère
Cette fable peut s'appliquer.
Tel nous étonnerait par sa judiciaire ,
Qui n'a point l'art de s'expliquer :
Il possède bien la lumière ,
Mais ne peut la communiquer.
M. LE FILLEUL .
ÉNIGME .
Nous portions autrefois le sexe féminin ;
Nous portons aujourd'hui le sexe masculin :
!
Jeunehomme qui , parfois , de nous veut faire usage ,
Lorsqu'il ne tombe pas , est plus heureux que sage.
$........
FEVRIER 1813. 245
LOGOGRIPHE
Je suis assurément de très-peu de valeur ,
Etpourtant dans mon être on peut trouver , lecteur ,
Cequidans tous les lieux , sur la terre et sur l'onde ,
Chaque jour , sans manquer , fait dî ner tout lemonde..
V. B. ( d'Agen. )
CHARADE .
CHAQUE année en janvier
Commence mon premier ;
Les canons et la foudre
Et la machine à moudre ,
Produisent mon dernier ;
Mon tout , lecteur , sur l'onde
Afait le tour du monde.
V. B. (d'Agen .)
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernierNuméro.
Le mot de l'Enigme est Fable.
Celui du Logogriphe est Etable , dans lequel on trouve : table..
Celui de la Charade est Mallebranche .
:
תועק
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
Sur la quatrième Eclogue de Virgile , à l'occasion d'un
poëme de M. ELOI JOHANNEAU , intitulé : Hymne au
Soleil, imité d'un hymne antique qui se chantait aux
mystères d' Eleusis , à la fête du solstice d'hiver.
DEPUIS Servius jusqu'à M. Le Maire ( 1 ) , tous les commentateurs
et les traducteurs de Virgile ont cherché à
deviner quel pouvait être l'enfant illustre dont le poëte
romain annonce si pompeusement l'avénement au monde
dans ce fameux chant génethliaque , adressé au consul
Pollion , et si improprement nommé Eclogue .
Les chrétiens des premiers siècles , avec plus de zèle
que de discernement , appliquèrent au Messie l'espèce de
prophétie que contient cet ouvrage singulier et vraiment
mystique (2) :
Teste David cum sibylla.
Les auteurs qui ont pensé , avec raison , qu'il fallait cher
cher cet enfant dans la famille d'Auguste , se sont perdus
jusqu'à ce jour en conjectures , et ne nous ont point encore
donné la solution de ce problême historique . Tour- à -tour
on a cru y voir le jeune Marcellus (3) , neveu d'Auguste ,
qui inspira de si beaux vers à ce même Virgile , Caïus et
Lucius César , fils d'Agrippa et de Julie , et qui , lés premiers
, reçurent du sénat le beau titre de Princes de la
jeunesse , Drusus , fils de Livie (4) , etc. Quant à l'opinion
émise par le commentateur Servius , que cette Eclogue a
été composée à l'occasion de la naissance de Salonin, fils
de Pollion , une saine critique historique ne saurait l'admettre
un seul instant .
(1) Virgile expliqué par le règne de Napoléon . Leçons de littérature
au Collège de France , 1812 .
(2) Entr'autres l'empereur Constantin , selon Eusèbe .
(3) C'est le sentiment de Badius Ascensius et de Catrou.
(4) Selon l'abbé Desfontaines.
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 247
Le consulat de Pollion , sous lequel Virgile prédit que
ce grand événement doit avoir lieu , se rapporte à l'an 713
de la fondation de Rome , selon le comput de Varron .
Dion Cassius (Histor. XXXXVIII) , en parlant de ce consulat,
nous apprend que Pollion eut d'abord pour collègue , cette
année , Domitius Calvinus , auquel Lucius Cornelius Balbus
fut subrogé , et qu'à Pollion lui-même fut subrogé
Canidius Crassus. Les fastes consulaires , la chronique de
Cassiodore , etc. ne font mention que de ce seul consulat
de l'ami deVirgile et d'Horace . 11 fautdonc faire coïncider
avec cette époque , l'an 713 , la naissance d'un membre de
la famille impériale .
Ce ne peut être Drusus qui ne naquit qu'en 716 , l'année
oùAuguste répudia Scribonia , pour épouser Livie , en-
*ceinte de ce prince ( Claudius Drusus Néro ). 5
C'est encore moins Caïus ou Lucius César , puisque la
naissance du premier n'eut lieu qu'en l'an 733 , et lanaissance
du second l'an 736.
L'opinion en faveur de Marcellus , né dès 709 , n'est pas
mieux fondée.
M. Dupuis , dans son grand et savant ouvrage , et M. Eloi
Johanneau , dans son imitation d'un hymne antique qui
se chantait aux mystères d'Eleusis , en nous donnant la
clefdes allégories astronomiques et sacrées que renferme
la quatrième Eclogue de Virgile , ont dit des choses neuves
et curieuses sur ce poëme.
Mais M. Johanneau a été plus loin que M. Dupuis , qui
s'était contenté d'expliquer les fictions cosmogoniques de
ce chant généthliaque , sans aborder le fond de la question
que nous traitons ici . Ce secrétaire de l'Académie
celtique n'hésite point à dire que l'être mystérieux annoncé
si solennellement par le poëte latin est le deus solinvictus ,
dont la naissance est marquée sur les calendriers des pontifes
romains , le 25 décembre , au solstice d'hiver (5) , et
dont l'heureux avénement , célébré avec tant de pompe et
de démonstrations de joie dans toute l'antiquité , formait
l'objet principal de tous les mystères (6). Cette explication ,
(5) Dies natalis solis invicti , 8 ant . Kal. Jan. Voyez dans l'Uranologie
du P. Pétau , tom. 3 , pag. 72 , le calendrier publié sous les
règnes de Constantin et de Julien.
(6) Ainsi que ses travaux , ses victoires , ses souffrances et sa
mort .
1
248 MERCURE DE FRANCE ,
sans doute , est neuve et ingénieuse , mais est-elle aussi
bien établie et à l'abri des contradictions que le pense son
auteur ? Je ne le crois pas .
M. Johanneau dit qu'il n'y a point de mortel capablede
remplir les hautes destinées de cet enfant.
こ
Magnus ab integro seculorum nascitur orde ;
Jam redit et virgo , redeunt Saturnia regna.
251
Mais Virgile ne fait-il pas également prédire à Anchise ,
dans le sixième livre de l'Enéide , qu'Auguste doit ramener
l'âge d'or et le règne de Saturne dans le Latium ?
Augustus Cæsar , divigenus , aurea condet
Secula qui rursus Latio , regnata per arva
Saturno quondam .....
Ce que Virgile dit d'Auguste dans son Enéide , il a bien
pu le dire ailleurs de l'héritier de ce prince.
Ce sont là des allégories et des façons de parler familières
aux poëtes , de ces exagérations si souvent reproduites
par eux.
Le poëte inspiré révèle à Pollion que c'est sous son.consulat
que commencera ce glorieux événement; mais s'il
s'agissait de la naissance du dieu Soleil , pourquoi dire que
cet événement aura lieu précisément sous le consulat de
Pollion , puisqu'il avait lieu tous les ans et sous tous les
consuls ?
Virgile nous apprend que cet enfant régnera sur l'univers
, pacifié par les vertus de son père.
Pacatumque reget patriis virtutibus orbem .
Cette prophétie ne peut être applicable qu'à Auguste
qui , postérieurement , donna , en effet , la paix au monde ,
et ferma le temple de Janus , et au prince destiné à lui
succéder . Comment se persuader qu'elle peut regarder le
dieu Soleil, le dieu Lumière , le dieu Jour, né de laVierge
Céleste (7) et de l'Étre Suprême qui l'a engendré semblable
à lui-même , selon Platon , Martianus Capella ,
Julien , et tous les mystagogues de l'antiquité ?
(7) La Vierge Constellée qui présidait à sa naissance , le 25 décembre
à minuit , in stabulâ Augiæ ; elle est représentée dans les
sphères pusiques , etc. le tenant dans ses bras et l'allaitant ; ainsi que
dans le fameux monument mythriaque d'Oxford.
FEVRIER 1813... 249
Cette perspective d'une paix prochaine devait être favorablement
accueillie par les Romains , encore menacés des
calamités d'une guerre civile , et à peine échappés aux
horreurs des proscriptions .
Peut-on faire raisonnablement l'application des vers
suivans au personnage allégorique du Soleil incarné ?
At simul heroum laudes , etfacta parentis
Jam legere ....
Et serait-il croyable que Virgile ait voulu dire , même
en parlant la langue des mystères , que le Soleil lirait les
hautsfaits de son père ?
Omihi tam longæ maneat pars ultima vitæ ,
Spiritus , et quantum sat erit tua dicerefacta !"
८
S'il s'agissait ici du dieu Soleil qui naît , meurt et ressuscite
tous les ans , pourquoi Virgile formerait-il le voeu
de vivre assez long-tems , et de pouvoir, dans un âge avancé,
conserver assez de forces , pour chanter les faits héroïques
du dieu , lorsque , devenu grand , il accomplira ses hautes
destinées ?
Il est évident qu'il est ici question du règne d'un prince
appelé à succéder au souverain qui gouverne , au moment
où l'auteur écrit : événement que le poëte ne doit envisager
que dans l'éloignement , et dont peu d'individus appartenant
à la génération présente sont destinés à être les témoins
. Celangage, dicté parles convenances , était motivé
d'ailleurs par l'âge d'Auguste , et il fut justifié par le long
règne de cet empereur qui survécut , comme Louis XIV,
àpresque tous les grands hommes de son siècle , et surtout
àVirgile .
Si , dans le poëme dédié à Pollion , il s'agissait de la.
paissance du sol invictus , et non de celle d'un enfant
mortel , il n'est pas vraisemblable que Virgile eût débuté
par solliciter Lucine de la favoriser , comme présidant aux
accouchemens .
Castafave Lucina ......
Un tel enfantement n'était pas de son domaine.
M. Johanneau ne doute point que cette fameuse éclogue
ne soit la traduction d'une ancienne prophétie , ou allégorie
, attribuée à la sibylle de Cumes , s'appuyant de
l'autorité de ce vers ,
Ultima cumæi venitjam carminis atas
250 MERCURE DE FRANCE ,
Mais les vers prétendus sibyllins n'existaient plus à
l'époque où Virgile écrivait , et cette prophétie sur le
retour d'Astrée et de l'âge d'or n'était parvenue jusqu'à
lui que par tradition . On croyait généralement au prochain
accomplissement de cette opinion populaire sous l'empire
d'Auguste . Nous attendons des cieux nouveaux et une
terre nouvelle , disait et écrivait l'apôtre Paul.
Mais quel est donc le héros , le demi-dieu , qui dans
Virgile doit opérer cette heureuse révolution ? Faut- il le
dire , c'est Julie , fille d'Auguste et de Scribonia (troisième
femme de cet empereur ) , qui naquit l'année du
consulat de Pollion , en 713 . A
Virgile , comme on vient de le voir , ne dit point que
cet enfant soit déjà né à l'instant où il écrit , mais qu'il
doit naître sous le consulat de Pollion , qui sera témoin
de ce mémorable événement .
La chose eut effectivement lieu. Le poëte et la sibylle
qui l'inspirait , ne se trompèrent que sur le sexe de l'enfant .
८:
La signora mit au monde une fille .
Virgile aurait pu intituler son éclogue : l'Espérance des
Romains , comme M. le chevalier Delafont , major d'artillerie
, a intitulé l'ode qu'il a publiée dans une circonstance
semblable , et quelques mois avant la naissance de
S. M. le roi de Rome , l'Espérance des Français (8) .
Mais le poëte moderne a été meilleur prophête que son
illustre modèle. Les poëtes ne justifient pas toujours le
beau nom de Vates que leur donna l'antiquité , à moins
qu'ils ne prophétisent après l'événement , comme il est
arrivé à l'épique romain lui-même , dans le VIº livre de
son Enéide .
:
Au reste , il ne nous paraît point douteux que la IV
éclogue de Virgile, cette composition d'une espèce unique,
et qui , par le mouvement et la sublimité continue de la
pensée et de l'expression , tient essentiellement du genre
de l'ode , ne soit un monument précieux de la doctrine et
des systèmes cosmogoniques enseignés dans les mystères
de l'antiquité. Cette éclogue , et le VI chant de l'Enéide ,
qui nous offre un tableau fidèle des cérémonies de l'an-
٠٠
(8) Insérée au Mereure de France ...... 1810 , et réimprimée chez
Didot. C'est le premier poëme qui ait paru à l'occasion de ce grand
et heureux événement.
FEVRIER 1813 . 251
:
cienne initiation , des formules qui y étaient usitées , et
des divers objets présentés aux regards du récipiendaire
dans le cours des épreuves qu'il avait à subir (9) , nous
donnent la certitude que Virgile , ainsi que Cicéron,
Lucrèce , Auguste , Horace , Ovide , etc. et tous les
Romains illustres de son tems , étaient initiés à ces mystères
célèbres , la religion des sages et des philosophes de
l'antiquité. On trouve à chaque instant , dans les ouvrages
de ces grands hommes , des preuves de leur autopsie .
M. CHAUDRUC DE CRAZANNES ,
Membre de l'Académie Celtique et de plusieurs
Sociétés savantes , nationales et étrangères .
!
ALMANACH DES MUSES , ou Choix de Poésies fugitives de
1812. Paris ( 1813).-ChezF. Louis , libraire , rue
de Savoie.
(SUITE ET FIN. )
APRÈS avoir parlé des productions originales , il me
reste à rendre compte des traductions qui sont en grand
nombre dans ce recueil : il y en a même de fort estimables
.
Parmi ces traductions , la première que j'ai lue , attiré
(9) La sibylle Déiphobe prépare d'abord Enée à l'initiation
par les cérémonies mystérieuses et allégoriques de la sépulture
du prétendu Misène , et la recherche du rameau d'or : parvenu aux
enfers avec sa conductrice , là commencent les épreuves du récipiendaire.
Divers objets également hideux sont successivement
offerts à ses regards , dans le double but que l'on a de s'assurer de
son courage et de sa persévérance , et de lui faire connaître quels
sont les châtimens et les souffrances réservés à l'initié qui manquerait
aux vertus et aux engagemens exigés de lui. A la suite de ces
épreuves , arrivé aux Champs-Elysées , toujours guidé par sa conductrice
mystérieuse , c'est-à-dire , dans la demeure desjustes ou des
initiés , Enée retrouve son père Anchise , jouissant d'une nouvelle
vie par le bienfait de l'initiation qui a opéré sa régénération morale.
Anchise remplit auprès de son fils les fonctions de l'hierophante
chargé d'expliquer au nouvel initié la doctrine des mystères , et tous
les objets nouveaux pour lui dont il est entouré.
252 MERCURE DE FRANCE ,
:
:
par le nom de l'auteur , est celle qu'a faite Malfilâtre de
l'ode d'Horace: Pindarum quisquis studet æmulari , etc.
Je crois qu'elle était restée inédite jusqu'à présent , et
que nous en devons la publication au rédacteur de l'Almanach
des Muses. Tout ce qui est sorti de la plume
d'un poëte aussi distingué que Malfilâtre , est fait pour
intéresser la curiosité ; mais cette traduction , fort bien
versifiée , est cependant trop méthodique et trop dépourvue
de chaleur pour donner une juste idée du feu ,
de la verve , des mouvemens hardis de l'original , qui est
toujours véhément et passionné. Pour le retrouver tout
entier dans notre langue , il faut en relire la traduction
parmi les odes de Le Brun , dans le premier volume de
ses oeuvres ; on y reconnaît Horace et Pindare , tandis
que la version de Malfilâtre ne retrace ni l'un ni l'autre.
Un fragment de la satire des Voeux , traduit de Juvénal
par M. de Saint-Marol , me semble conserver beaucoup
mieux le caractère de l'auteur latin. Cette peinture
du vieillard, qui n'était pas facile à transporter dans
notre langue , offre encore dans la traduction assez de
couleur et d'énergie pour justifier ce que j'avance.
1
<<Prolongez de mes jours les restes languissans ,
» Dit aux Dieux le vieillard affaissé sous les ans. >>
Que de maux toutefois assiègent son grand âge !
Ses rides à longs traits sillonnent son visage ;
Sa peau n'offre à nos yeux qu'un masque desséché ,
Semblable au tronc de l'arbre à la terre arraché.
Toujours quelque avantage embellit la jeunesse ;
C'est la beauté , la force , ou la grâce , ou l'adresse.
Mais voyez les vieillards , ils se ressemblent tous ;
Leur front chauve est courbé sur leurs tremblans genoux ;
Leurs yeux sont sans couleur ; leur voix faible et timide ,
S'éteint à chaque mot dans leur bouche livide ;
Leur estomac débile implore le secours ;
Des seuls mets dont l'enfance alimente ses jours .
Des plus tendres accords la douce mélodie
Vient frapper vainement leur oreille engourdie ;
Les vins les plus exquis sont pour eux sans attraits ;
L'Amour , pour les percer , épuise en vain ses traits .
De la plus longue nuit , remplissant la carrière ,
Vénus même, en leurs bras , passerait toute entière ,
7
1 4
:
FEVRIER 18130 253
Que Vénus elle-même y perdrait ses efforts ,
Tant l'âge de leur ame a glacé les ressorts !
La fièvre seulement , dans ses accès funestes ,
De leur sang appauvri peut ranimer les restes .
Je transcrirais avec plaisir un fragment de l'Atys
de Catulle , traduit par M. Mollevaut , si ce morceau
n'eût déjà paru dans quelques feuilles périodiques , et
dans un volume publié par l'auteur. Une raison contraire
m'engage à m'arrêter quelque tems sur deux pièces
que je vois imprimées pour la première fois ; l'une est
la traduction du Cimetière de Gray , par M. Augustin
Soulié ; l'autre une ode presqu'aussi célèbre du même
poëte , traduite par M. Fayolle .
1
Le Cimetière du Village a été si souvent traduit ou
imité qu'on peut se dispenser d'en faire l'analyse et
l'éloge. Ce morceau admirable est presqu'aussi connu
en France que s'il était d'un poëte français . Je me borne
donc à citer ce passage l'un des plus beaux de l'original ,
et l'un des mieux rendus par le traducteur.
Pardonnez , grands du monde ! une feinte douleur
Pour eux n'éleva point un riche mausolée ;
Pour eux , au chant des morts , dans la nef ébranlée
Ne vint point se mêler un éloge imposteur.
Mais un deuil fastueux , un marbre qui respire ,
Peuvent-ils ranimer d'arides ossemens?
Cet encens , ces honneurs que le vulgaire admire ,
Réveille-t- il les morts au sein des monumens?
Peut- être ces gazous couvrent l'humble poussière
D'un mortel dont le coeur rêva de grands desseins ;
Le monde eût vu peut-être en ses habiles mains
Le sceptre d'Alexandre ou la lyre d'Homère .
Mais pour lui la science , héritière du tems ,
Ne déroula jamais ses annales sublimes ;
L'indigence étouffa ses transports magnanimes ,
Et glaça dans son coeur le germe des talens .
Aux regards des humains , à jamais inconnue ,
Ainsi brille la perle au sein des vastes mers ;
Ainsi plus d'une fleur rougit sans être vue ,
Et d'une odeur suave embaume les déserts .
254 MERCURE DE FRANCE ,
Là repose peut-être unHampden , dont l'audace
Eût sauvé son hameau d'une odieuse loi ,
Un Milton ignoré des vierges du Parnasse ,
Un Cromwel innocent du meurtre de son roi.
Il y a beaucoup de mérite dans ces strophes; cependant
elles sont encore loin de l'original. On y vient de
peindre avec de vives couleurs , qui ont été fortement
rendues par le traducteur , le bonheur domestique des
rustiques ancêtres du hameau . Il vient de décrire leurs
travaux , la gaîté avec laquelle ils s'y livrent. <<< Que
>> l'ambition , s'écrie ensuite le poëte , se garde de mé-
>>priser leurs utiles travaux , leurs plaisirs domestiques ,
>> leur obscure destinée; que la grandeur n'écoute pas
>> avec un sourire dédaigneux les courtes et simples
>> annales du pauvre..
>>Vous , hommes superbes , ne leur imputez pas à
>> crime si la mémoire n'a point élevé de trophées sur
>>leur tombe , etc.>>
Noryou , ye proud ! impute to these thefault .
Ifmem'ry o'er their thomb no trophies raise , etc.
1.3
Non-seulement le traducteur n'a pas conservé la liaison
des idées du poëte anglais , non-seulement il n'a
pas suivi le mouvement imprimé par Gray à cette belle
partie de son élégie ; mais il n'a pas rendu le sens du
poëte dans cette strophe , il a substitué ses propres idées
à celles de l'original. Gray n'a pas voulu faire ici la
satire de la gloire ni de la grandeur ; il n'a pas parlé de
feinte douleur, ni d'éloge imposteur. Il justifie au contraire
ses villageois de ce qu'aucun trophée ne leur a été
élevé , et de ce qu'aucun accent religieux ne fait retentir
la voûte gothique et la nef prolongée des chants de la
louange.
Where thre the long-drawn isle andfrelted vault
The pealing autheur swells the note ofpraise.
Ne leur en faites pas de reproches , dit le poëte : Nor
you impute to these the faull . L'indigence est leur excuse
; là peut-être est la tombe d'un Milton , d'un
Hampden, etc. Il me semble que le poëte qui vient de
4
$ FEVRIER 1813. 255
se placer à une grande élévation morale , ne pouvait
admettre aucune pensée qui l'en fit descendre ; et que la
teinte satirique que le traducteur français lui a donnée ,
gâte entièrement la beauté du tableau qu'il rapétisse .
:
L'ode sur le collége d'Eton , moins connue en France
que le Cimetière de Village , n'est pas moins célèbre
dans la patrie de Gray , qui l'a nommé le dernier de
ses grands poëtes . Je remarquerai que M. Delille , qui
est , dans tous ses ouvrages , plein d'imitations des auteurs
anglais , n'a imité d'aucun autre autantde pensées ,
d'expressions , même de fragmens entiers ; et qu'en
particulier l'Elégie sur un Cimetière de campagne , et
l'Ode sur le collége d'Eton , paraissent lui en avoir inspiré
plusieurs . Gray avait été élevé dans ce collége
fameux ; à l'aspect de ses vieilles tours , il sent se
réveiller dans son ame le souvenir et le regret des jours
tranquilles de son enfance. Il voit les jeunes élèves goûter
cette même tranquillité , ces mêmes plaisirs dont il jouit
autrefois ; mais ces enfans sont hommes comme lui , ils
doivent un jour éprouver les maux attachés à la condition
humaine . Quels maux ! .... Le poëte en trace alors
une peinture rapide , et finit par un retour touchant sur
le calme heureux de l'enfance. Ces maux sont un secret
qu'il faut lui taire ; elle apprendra trop tôt à les sentir.
Tel est le sujet simple et intéressant du poëte. Il composa
cette ode quelque tems après la mort de son ami
West , dont il déplora la perte dans un sonnet plein
d'une douce mélancolie. Les Anglais croyent que le
chagrin dont il était pénétré a beaucoup influé sur le ton
qui règne dans l'Ode sur le collège d'Eton. Le souvenir
de cette circonstance ajoute encore à l'intérêt que cette
ode inspire . Voici maintenant les trois premières strophes
du traducteur. Elle donneront , je crois , une idée
avantageuse de son goût et de son talent. Je les choisis
parce qu'elles me paraissent les plus élégantes et les plus
travaillées dans la traduction .
Clochers lointains , créneaux antiqués ,
De l'étude asile chéri ,
Qui vois errer sous tes portiques
L'ombre du sixième Henri ;
256 MERCURE DE FRANCE ,
1
Et toi qui du haut des collines ,
Superbe , avec Windsor domines .
Sur des bocages enchanteurs
Où la Tamise révérée
Promène son onde azurée ,
Atravers l'ombrage et les fleurs .
Salut , campagne verdoyante ,
Où je coulai des jours sereins ,
Où ma jeunesse imprévoyante
Fut étrangère aux noirs chagrins.
De tes zéphirs l'aile embaumée ,
Fait dans mon ame ranimée
Couler l'ivresse de mes sens :
Et ramené vers mon enfance ,
Riche de joie et d'innocence ,
Je respire un second printems .
Tu vois une troupe folâtre
Errer au gré de ses désirs ,
Et ton rivage est le théâtre
De ses jeux et de ses plaisirs .
L'un fend le sein mouvant de l'onde ,
L'autre , habile à tourner la fronde ,
Al'oiseau lance le trépas ;
Et cet autre , en sa course agile ,
Fait rouler le cerceau docile
Qui fuit toujours devant ses pas.
M. Fayolle s'est tenu plus loin de Gray que M. Soulié :
aussi l'un se donne-t-il comme imitateur , et l'autre
comme traducteur . Malgré tout le mérite de cette imi- ^
tation , je préfère la première strophe de Gray à celle de
M. Fayolle : il n'a pas rendu plusieurs beautés de l'original
; je ne retrouve pas sur-tout ce charme , cette
mélancolie qu'inspirent ces vers du poëte anglais , ni la
touchante expression de la reconnaissance qu'ils présentent.
Ye antique towers ,
That crown the wat'ry glade ,
Where grateful sciencə still adores
Her Henry's holy shade. 501
FEVRIER 1813 . 257
SEINE
Tours antiques, qui couronnez la fraîche vallée où la
science reconnaissante adore encore l'ombre religieuse de
son Henri.
Dans la strophe suivante , campagne verdoyante rend
bien faiblement ou plutôt ne rend pas....
An happyhills ! ah pleasing shade!
Ahfields Below'd invain !
Gen
J'insiste sur cette remarque , parce que c'est ici l'expression
de la reconnaissance et des souvenirs heureux ,
etque l'abondance est le langage naturel de tous les
sentimens qui s'épanchent avec effusion ; mais les vers
qui suivent dans l'imitation , ont un charme , une suavité
qui ne se fait pas aussi bien sentir dans Gray lui-mème .
Comment l'auteur de ces vers a-t-il pu dire : l'aile des
zéphyrs
Fait dans mon ame ranimée
Couler l'ivresse de mes sens ?
:
Ce n'est pas-là de la poésie ; mais , ce qui est pis , cela
n'a pas de sens . Qu'est- ce qu'une ame ranimée, et quelle
idée peut présenter à l'esprit : L'ivresse des sens qui coule
dans uneame ? Comme on peutbien le croire , M. Fay olle
a entièrement abandonné l'original ; il n'y a plus ni imitation
, ni traduction. Voici Gray :
Ifeel the gales , thatfrom ye blow ,
Amomentary bliss bestow ,
As vavingfresh their gladsome wing ,
My weary soul they seem to sooth , etc.
Je sens tes zéphirs qui soufflent vers moi , ils m'apportent
quelques instans de bonheur ; la fraîcheur qui
s'élève au joyeux battement de leurs ailes , semble recréer
mon ame fatiguée .
Dans la troisième strophe , l'imitateurmarche au moins
l'égal de Gray . Je pourrais encore adresser à M. Fayolle
d'autres critiques fondées ; je pourrais aussi m'étendre
sur des beautés remarquables ; mais il est tems de mettre
fin à cet article .
*
Ce volume est, selon l'usage , terminé par une notice
:
R
258 MERCURE DE FRANCE ,
des poésies et des pièces de théâtre qui ont paru pendant
l'année ; elle est rédigée avec soin et avec goût. Les
jugemens qu'elle renferme , et qui sont en général fort
courts , ont tous un ton de décence et de modération
qui inspire de la confiance , et qui fait honneur au
rédacteur .
ROLLE , Bibliothécaire de la ville .
OEUVRES COMPLÈTES DE MESDAMES DE LA FAYETTE , DE
TENCIN , DE FONTAINE ET ELIE DE BEAUMONT.
(SECOND ARTICLE. )
OEuvres complètes de Madame de Tencin (*) .
RIEN n'est plus ennuyeux pour un critique que d'avoir
à rendre compte d'un ouvrage dont la réputation est
faite depuis long-tems , et qu'on réimprime peut- être
pour la vingtième fois. Les Journalistes sont tous les
jours exposés à ce désagrement . Qu'il paraisse une nouvelle
édition de Racine , de Boileau , de Massillon , de
Pascal , ou de quelqu'autre de nos classiques , le libraire
la portera aussitôt au bureau d'un Journal , et demandera
qu'on en fasse une longue annonce , sans s'informer
seulement s'il est possible de dire quelque chose de
neuf sur des ouvrages dont on a parlé mille fois , et de
faire mieux connaître des auteurs bien connus . Un critique
qui ne veut pas répéter ce que d'autres critiques.
plus anciens ont dit bien long-tems avant lui , se voit
réduit alors à parler de l'exécution typographique , de la
beauté du papier, si c'est une édition de luxe , et delaperfectiondes
gravures , s'il y en a ; mais , si l'impression n'a
rien qui la distingue des impressions ordinaires , il est
obligé ou de faire l'histoire des ouvrages dont il doit
parler, ou d'entrer dans quelques détails biographiques
F
(*) Nouvelle édition , revue , corrigée , et précédée d'une Notice
historique et littéraire. Quatre volumes in-12 . Paris , chez d'Hautel ,
libraire , rue de la Harpe , nº 80.
FEVRIER 1813. 259
es
1
st
es
e
10
e
a
sur les auteurs de ces ouvrages ; ce qui ne laisse pas
d'intéresser quelques lecteurs .
Les romans attribués à Mme de Tencin , soeur de ce
cardinal qui , suivant les expressions de l'ingénieux
historien du dix-huitième siècle , aurait été le plus immoral
des ecclésiastiques de son tems , s'il n'avait pas eu
Dubois pour contemporain ; ces romans , dis-je , sont si
connus que je n'apprendrais rien aux lecteurs si j'en
faisais une analyse . Réimprimés plusieurs fois séparément
, ils furent ensuite recueillis avec ceux de Mme de
La Fayette , par M. Delandine , aujourd'hui correspondant
de la troisième classe de l'Institut . Cette collection,
qui a quinze volumes , fut bientôt épuisée. Il y a quelques
années qu'un homme de lettres distingué fit imprimer
de nouveau les ouvrages de Mmes de La Fayette
et de Tencin , auxquels il réunit ceux de Mme de Fontaine.
Le mérite de cette édition , à laquelle l'éditeur
joignit des notices aussi intéressantes que bien écrites ,
lui procura un prompt débit , et elle fut vendue en bien
peu de tems . Comme on sent la nécessité de réimprimer
des ouvrages qu'on ne se lasse pas de relire , un libraire
en a entrepris une nouvelle. J'ai déjà annoncé les ouvrages
de Mme de La Fayette ; ceux de Mme de Tencin ,
que j'annonce aujourd'hui , ont paru presqu'aussitôt que
les premiers , et ceux de Mme de Fontaine les ont rapidement
suivis .
L'éditeur a annoncé qu'il ajouterait successivement à
sa collection les ouvrages de plusieurs autres femmes
célèbres , et pour prouver qu'il ne promettait pas en
vain , il a déjà fait paraître les oeuvres de Mme Elie de
Beaumont , et a promis les oeuvres choisies de Mme Riccoboni
; mais pourquoi ne nous donnerait-il pas les
oeuvres complètes de cette dame ? Je sais bien que tous
ses ouvrages ne valent pas Ernestine , Juliette Catesby
et l'Histoire du marquis de Cressy; mais les Lettres de
madame de Sancerre et Amélie Booth, imitation de Fielding
, se font lire avec plaisir , et sont remplies de détails
intéressans . La traduction des pièces anglaises est bien
écrite , et le plus médiocre ouvrage de Mme Riccoboni
: ;
R2
160 MERCURE DE FRANCE ,
T
vaut mieux que l'histoire d'Aménophis , par Mme de
Fontaine..
4
L'éditeur joindra , sans doute , à son recueilles Anecdotes
de la cour de Philippe-Auguste, par Mlle de Lus
san ; le mérite de cet ouvrage lui en fait un devoir , et
les oeuvres de Mme de Graffigny qui , malgré le marivaudage
qui les dépare , prouvent un talent peu commun.
Si même son intention n'était pas de se borner aux
romans , on lui conseillerait d'embellir sa collection en
y insérant les oeuvres de Mmes Lambert, de Staël , et de
quelques autres dames illustres .
Le premier des romans qu'on attribue à Mme de
Tencin est le Comte de Comminges . Je dis qu'on
attribue , car cet ouvrage n'est point d'elle , mais bien
de d'Argental son neveu , qui fut très-lié avec une dame
dont je ne me rappelle pas le nom maintenant , et à laquelle
il adressa , en mourant , de très -jolis vers ; il déclara
plusieurs fois à cette amie , qu'il était l'unique
auteur du Comte de Comminges , mais qu'il avait renoncé
ày mettre son nom en faveur de sa tante. Tous les
comtemporains de d'Argental rendent justice à son
exacte probité , à laquelle il eût manqué s'il se fût dit
auteur d'un ouvrage qui ne lui appartenait pas . D'ailleurs
il n'y a qu'une ame sensible qui eût pu écrire le
Comtede Comminges. Or, on sait bien que Mme de Tencin,
femme d'esprit , mais méprisable par ses intrigues
et ses mauvaises moeurs , n'avait aucune sensibilité ,
ainsi que le prouve sa conduite dénaturée envers son
fils , qu'elle dévoua à la misère pour cacher la honte de sa
naissance . Il suffit au reste de lire ses Lettres au Maréchal
de Richelieu , pour se convaincre qu'elle était incapable
d'écrire une de ces pages que le coeur dicte , et qu'on
rencontre dans tous les romans auxquels elle a mis son
nom . En lisant , au contraire , l'excellente notice sur
d'Argental , qui se trouve à la suite des lettres de Mme
du Chastelet , on voit facilement que le neveu avait autant
d'ame et de sensibilité que la tante en avait peu .
Cette preuve morale fortifie beaucoup l'aveu fait par
d'Argental à son amie .
Laharpe a, dans son Cours de Littérature , porté un
FEVRIER 1813.
!
jugement bien favorable sur le Comte de Comminges . II
s'exprime ainsi , en parlant de la Princesse de Clèves :
« Jamais l'amour combattu par le devoir , n'a été
>> peint avec plus de délicatesse ; il n'a été donné qu'à
> une autre femme , de peindre , un siècle après , avecun
>> sucès égal , l'amour luttant contre les obstacles , et la
>> vertu. Le Comte de Comminges , par Mme de Tencin,
>> peut être regardé comme le pendant de la Princesse
n.de Clèves . »
Je suis bien loin d'adopter l'opinion de Laharpe , qui
met les deux romans sur la même ligne ; car , quelque
soit le mérite du roman de Mme de Tencin , ou plutôt
de d'Argental , celui de Mme de la Fayette est bien supérieur
, soit pour la conduite , soit pour le style .
Baculard d'Arnaud a fait du sujet du Comte de Com
minges un drame qui est le plus mauvais d'un genre où ,
pour quatre ou cinq bons ouvrages , on en rencontre
quatre ou cinq cents de détestables . Dorat qui , n'avait
pas craint de répondre , au nom d'Abeilard , à cette
belle épître d'Héloise , qui est peut-être le chef d'oeuvre
de Colardeau , a composé une triste héroïde , où Comminges
se lamente , et délaye son histoire en six cents
vers , les plus mauvais , sans contredit , de cet auteur qui
en a fait tant de mauvais . - T
Le Siége de Calais suivit le Comte de Comminges ,
auquel il est bien inférieur; on sent en le lisant que ce
n'est pas la même plume qui les a écrits. Le second de
ces romans se fait distinguer par le charme du style , la
simplicité des événemens , la rapidité de l'action et le
pathétiquedu dénouement . Dans le premier, au contraire ,
l'auteur fait jouer des ressorts trop puissans , et la multiplicité
de évènemens qui produisent souvent, il est vrai ,
des résultats intéressans , fatigue l'attention des lecteurs .
Le siége de Calais est totalement étranger à l'action
principale, et , quoi qu'il serve au dénouement , il aurait
été facile d'employer un autre moyen plus lié au sujet ;
enfin , le style manque quelquefois de pureté et d'élégance.
Cependant le Siége de Calais est un roman qui
mérite d'être lu , parce que ses beautés l'emportent sur
ses défauts ; mais il est reconnu aujourd'hui par tous les
262 MERCURE DE FRANCE ,
gens de lettres , que Mme de Tencin n'a pas plus composé
le Siége de Calais , qu'elle n'a composé le Comte de Comminges
, et , si celui-ci est de d'Argental , l'autre est de
Pont de Vesle , qui est également auteur des Malheurs
de l'Amour.
Pont de Vesle , à qui l'on doit plusieurs pièces de
théâtre , dont la meilleure est sans contredit le Somnambule
, était frère de d'Argental , et par conséquent neveu
de Mme de Tencin , à laquelle il prêta sa plume en composant
pour elle le Siége de Calais et les Malheurs de
Amour. Ce dernier roman a tous les défauts de l'autre
et moins de beautés encore. Au reste , je ne prétends pas
nier que Mme de Tencin n'ait pris quelque part à leur composition,
soit en fournissant à son neveu quelques détails
, soit en corrigeant quelques parties de ses plans .
Les Anecdotes de la cour d'Edouard 11 sont de d'Argental,
dans les papiers duquel on trouva à sa mort le manuscrit
des deux premières parties , entièrement écrit
et raturé de sa main. Ces deux premières parties parurent
seules long-tems avant le décès de d'Argental , sous le
nom deMme de Tencin ; après la mort de cette femme
célèbre , Mme Elie de Beaumont fit la troisième partie ,
qui complètte les Anecdotes de la cour d'Edouard 11,
roman qui mérite d'être placé presqu'au même rang que
le Comte de Comminges .
De tous les écrits qui forment la collection des oeuvres
de Mme de Tencin , les seules Lettres au Maréchal de
Richelieu sont véritablement d'elles ; mais , si ces lettres
font honneur à son esprit , elles n'en font ni à son caractère
ni à ses moeurs .
J. B. B. ROCQUEFORT.
1
FEVRIER 1813. 263
THEATRE DE L. B. PICARD , membre de l'Institut. Six
vol. in-8°. - Prix , 36 fr. Chez Mame , imprimeurlibraire
, rue Pot- de-Fer .
Iz y a peu d'amis des lettres , et sur-tout de la comédie
, qui n'aient une collection plus ou moins complète
des pièces de M. Picard . Ces collections , qui vont
devenir plus rares et plus chères aux amateurs d'oeuvres
complètes , seront un jour des monumens curieux de la
brillante fécondité de l'auteur ; mais c'est sur l'édition
de son théâtre , revue , corrigée , et considérablement
diminuée , par lui-même , que se fonde , sinon toute sa
gloire littéraire , au moins celle à laquelle ila , dès à
présent , droit de prétendre ; car je suis loin de penser ,
comme on a voulu l'induire de cette édition même , que
M. Picard , dans la force de l'âge et du talent , ait entièrement
renoncé à un art qui a fait ses délices , et qui lui
a valu tant de succès . J'aime mieux croire qu'ayant examiné
ses titres comme écrivain , et ne les trouvant pas
tous d'égale valeur , il aura fait un choix , et rejeté ceux
qui lui auront paru trop légers , pour mieux consolider
les autres ; qu'enfin , il a fait une espèce d'inventaire de
ses biens , mais ne s'est pas interdit le droit de les augmenter.
Quel moment choisirait-il pour s'arrêter et cesser
de produire ? Celui peut-être où son talent peut porter
les meilleurs fruits , où une plus grande expérience des
hommes et des choses peut donner plus de vigueur à
ses compositions , teindre ses pinceaux de couleurs plus
fortes , et lui faire enfoncer plus avant le trait dont il n'a
fait souvent qu'effleurer nos vices et nos travers . Mais
il s'agit moins ici de ce qu'il peut devenir un jour , que
de ce qu'il est maintenant ; de ce qu'il peut faire , que
de ce qu'il a fait . On sait que sa part est déjà assez belle;
quelles espérances vaudraient cette réalité ?
M. Picard est celui de nos auteurs comiques dont la
réputation est la plus populaire ; mais comme tous ceux
qui ont été l'objet de l'affection du public , il éprouve
l'inconstance et même l'injustice de ses jugemens ; il
5264 MERCURE DE FRANCE ,
1
A
:
semble qu'on se soit lassé de l'entendre appeler le gai,
lejoyeux Picard . On l'a puni d'une espèce d'ostracisme ;
on la exilé au-delà des ponts . Là seulement on lui permet
d'amuser ce public qu'il a diverti pendant vingt
années . Là seulement on lui permet d'avoir encore des
succès . Veut- il porter sur un plus grand théâtre le fruit
de ses travaux , un accueil froid et glacé , quand ce
n'est pas un dur et superbe dédain , est son partage.
«Plaisante justice que borne une rivière! >> dirait Montaigne.
Singulière loi du goût ! Vérité de peintures ,
gaîté , force comique , au-delà du Pont-Royal ; carricature
, invraisemblance , mauvais ton , en-deçà . Comment
expliquer ces bizarreries , dont au surplus M. Picard
n'est pas la seule victime ? Qui pourrait dire pourquoi
une comédie nouvelle , où l'on remarquera de la vérité
dans les caractères , de la franchise dans le style , du
naturel dans le dialogue , a quelquefois tant de peine à
s'acclimater au théâtre français ; pourquoi même des
pièces de l'ancien répertoire , mais qui sont nouvelles
pour la grande partie des spectateurs , sont souvent exposées
aux mêmes disgraces ? Les quinze années de
succès de M. Picard serviront peut-être à expliquer cet
étrange phénomène.
Les pièces de cet écrivain qui ont commencé sa réputation
, les premières qui aient marqué son entrée dans
la carrière dramatique , datent d'une époque qui n'est
pas assez éloignée , pour que beaucoup de gens ne se la
rappellent pas encore . La gaîté française venait d'être
singulièrement comprimée. Pendant trois ans nos ridicules
n'avaient rien éu de risible; et quand la tragédie
courait les rues , comme disait Lemierre , il n'y avait pas
grande moisson à faire pour le poëte comique. Nos modernes
Cléons eussent envoyé bien vîte au tribunal révolutionnaire
l'indiscret Aristophane qui aurait voulu les
jouer. A ces jours de désolation et de deuil , succédèrent
presqu'aussitôt , et sans transition sensible ; des
plaisirs bruyans etjusqu'alors inconnus aux tems même
les plus heureux. A la stupeur succéda l'enivrement de
la plus folle dissipation. Ce fut avec une sorte de fureur
qu'on se livra aux amusemens de toute espèce que la
... FEVRIER 1813 . 265
cupidité s'empressait d'offrir aux avides Parisiens . Du
reste , ces amusemens n'étaient pas toujours d'un choix
délicat ; mais tout fut trouvé bon par des gens fatigués
d'un long jeûne. Les plaisirs de l'esprit s'en ressentirent
eux-mêmes : le goût eut à gémir de certains succès ;
mais ceux qu'il put avouer , ne furent peut-être jamais
plus francs ni plus complets . La révolution , qui venait
de détruire toutes les distinctions sociales , avait emporté
en même tems les prétentions qu'elles font naître.
Chacun prenait volontiers sa part du plaisir de tous . Le
rire ne dérogeait pas; le bourgeois s'amusait des mêmes
choses que l'artisan dont il croyait encore avoir besoin
de paraître l'égal. Il fallait encore être peuple , et cette
contrainte excluait les belles manières et les délicatesses
du bon ton . Ajoutez qu'à cette époque l'opinion publique
, à l'ombre de l'anarchie des journaux , conservait ,
en faitde littérature., une espèce de liberté et d'indépendance
. On ne prenait pas une opinion toute faite dans
un journal en crédit.
€ Cependant les ridicules et les vices qui sont justiciables
de la comédie , avaient commencé à reparaître ; et
les airs éventés de lajeunesse , et la médiocrité rampante
qui s'attache au pouvoir , et l'intrigue qui guette ,
àson entrée dans le monde , la candeur et l'innocence ,
et la fureur des fortunes rapides , et les prétentions risibles
de la petite ville , et les menées ténébreuses de la
grande , l'honneur et l'amour aux prises avec l'ambition
dans le coeur d'un mari , enfin la manie de briller et de
sortir de son état.
Placé dans ces circonstances , avec le plus heureux
talent pour la comédie , un grand esprit d'observation , et
une admirable aptitude à revêtir de formes dramatiques
les résultats de ses réflexions et de ses lectures , M. Picard
saisit avec adresse chacun des ridicules qui s'offraient à
son pinceau . Ses pièces de moeurs , de cette époque ,
sontune histoire vivante et animée de nos travers ; histoire
où la vérité s'appuie de la chronologie et de l'ordre
des tems . En effet , qui placerait la Manie de briller ,
jouée en 1806 , dix ou douze ans plus tôt , c'est-à-dire à
Képoque où chacun ne cherchait qu'à s'effacer et à n'être
266 MERCURE DE FRANCE ;
rien , parlerait d'un portrait , non-seulement sans ressemblance
, mais même sans modèle .
Presque tous nos ridicules sont éternels , mais ils se
modifient suivant les tems et les moeurs; quelques-uns
d'ailleurs paraissent appelés à briller chacun à leur tour
sur la scène de ce monde. De là naît pour le poëte comique
, la difficulté de saisir ces traits généraux , qui
servent à les faire reconnaître sous quelque costume et
dans quelques circonstances qu'ils se représentent . « Il
***» n'a été donné , dit M. Picard , qu'à notre grandMolière
>> de peindre constamment les hommes et les moeurs de
>>tous les siècles et de tous les pays. Depuis l'Etourdi
>>jusqu'au Malade Imaginaire je vois sous les vêtemens ,
>> les habitudes et le langage du tems où il écrivait , les
>> tuteurs et les pupilles , les vieux maris et les jeunes
>> femmes , les dupes et les fripons , les malades et les
>>médecins de toutes les époques , les prudes , les co-
>>quettes , les fats , les amans , les avares , les bourgeois
>>>de toutes les grandes villes , les grands seigneurs de
>> toutes les cours , les pédans et les précieuses de toutes
>> les littératures , les hypocrites de toutes les religions . »
Après cet hommage rendu à Molière , M. Picard vient
aux auteurs comiques , qui du moins écrivaient dans un
tems où les moeurs , les rangs , les états étaient fixés ;
<< mais , ajoute-t-il , au moment où mes amis et moi
>>nous avons écrit nos premiers ouvrages , non-seule-
>>ment les habitudes , mais les institutions changeaient
>> d'année en année. Les moeurs ne pouvaient rester les
>>mêmes. Que devait faire l'auteur comique ? Fallait- il
» qu'il se reportât aux moeurs du tems passé ? Fallait-il
>>qu'il s'attachât à peindre les moeurs fugitives du tems
>> présent ? J'embrassai ce dernier parti. Les moeurs
>> changeaient dans la société : j'essayais de peindre
>> celles du jour dans la pièce que je composais>. >>
M. Picard ne doit pas se repentir d'avoir pris ce parti .
Si ses succès au théâtre doivent être moins durables , ses
portraits auront toujours le mérite de la peinture , lors
même qu'on ne sera plus en état de juger de la ressemblance.
Et qui sait si lui-même n'a pas contribué à en
atténuer l'effet , en détruisant quelques-uns de ses mor
y
FEVRIER 1813 . 267
dèles , espèce de triomphe dont je n'ose le féliciter , mais
qui , certes , serait un des plus dignes d'envie pour un
poëte homme de bien!
Ainsi , d'un côté , des ridicules qui paraissaient nouveaux
, bien qu'ils ne fussent que renouvelés ; de l'autre ,
une critique vive , fine et enjouée de ces ridicules , la
franchise et le naturel , caractères particuliers du talent
de M. Picard , tout assura long-tems le succès de ses
nombreuses productions . Mais le naturel , en fait de comédie
, n'est pas un mets que tous les palais sachent
goûter. C'est un régime auquel on peut bien astreindre ,
pendant quelque tems , certains esprits blasés; mais ils
reviennent bientôt d'eux-mêmes , soit aux douceurs affadissantes
de la comédie musquée , soit au gros sel de la
farce : deux genres ennemis de la bonne comédie , et
qui , par des voies différentes , concourent à en altérer
l'esprit; l'un , en peignant une nature factice et de convention
; l'autre , en peignant une nature grossière et sans
choix; le premier , en proscrivant le rire ; le second , en
faisant presque rougir de celui qu'il fait naître , et surtout
en favorisant , par la facilité du succès , la paresse
de quelques gens d'esprit. Ce que le mélodrame est à la
tragédie , la farce ( au moins celle dont je parle ) l'est à
la comédie. Le secret de tous deux est d'exagérer , de
grossir les proportions et de faire des caricatures de ce
qu'avait dessiné le crayon pur et correct de l'art . Ainsi
nous avons vu mettre en scène sur deux théâtres bien
différens , et avec une différence de talent bien plus
grande encore , le ridicule d'un de ces vétérans de la
fatuité ; et les applaudissemens qu'avait eu bien de la
peine à obtenir une peinture fine et naïve , prodigués à
la charge et à l'exagération .
Au moment où M. Picard publie son théâtre , il est
assez naturel de se rappeler avec quelle faveur furent
accueillies la plupart des pièces qui le composent; mais
c'est sur-tout après les avoir relues , qu'on est étonné du
refroidissement qu'elles ont éprouvé depuis , de la part
du public , à la représentation , et qu'on est tenté d'en
rechercher les causes . Serait-ce que l'optique du théâtre
est moins favorable à certaines pièces dont les sujets ont
268 MERCURE DE FRANCE ,
vieilli ? Ferait- elle trancher et paraître trop crués certaines
couleurs auxquelles nos yeux ne sont plus accoutumés ;
tandis que la lecture , aidée d'un peu d'imagination et
d'une connaissance suffisante de la scène , tempère l'éclat
de certains tons , et place dans la demi-teinte des objets
qui réellement et par le fait s'éloignent de nous ? Seraitce
que , dans les pièces où l'intrigue est vive et chaudement
conduite , le lecteur , moins près de la sphère dans
laquelle sont emportés la pièce et les personnages , est
moins blessé de ce mouvement rapide , et plus indulgent
sur la nature de quelques ressorts ? Quel que soit , au
surplus , la vraie cause de ce succès de lecture , il est le
complément utile et glorieux de vingt ans de succès au
théâtre , et fixe plus que jamais le rang de M. Picard
dans les lettres . Il n'a rien négligé d'ailleurs pour rendre
digne du public cette édition de son théâtre . « J'ai
>> revu , dit- il , chaque ouvrage avec le plus grand soin.
» J'ai cherché à m'entourer des conseils les plus sévères
>> et les plus sincères . J'ai fait peu de changemens à la
>>marche et au fond des pièces ; mais j'en ai fait de très-
>>>nombreux dans le style et les détails .>> }
Il fait précéder chaque comédie de préfaces ou examens
, dans lesquels il espère qu'on trouvera toujours de
la franchise . C'est ce qu'il dit lui-même; mais ce que
dira le lecteur, même le moins bénévole , c'est que cette
franchise est quelquefois poussée jusqu'à la rigueur et à
une sévérité presque excessive. Nous aurons quelques
occasions de le remarquer. Ces préfaces ont en outre le
mérite de renfermer des vues saines et profondes sur
l'art ; quelques-unes même des tableaux piquans de
moeurs . Nous citerons pour exemple celle des Provinciaux
à Paris , et le passage suivant.
« Dix jours avant la première représentation , je fus
>> entraîné , je ne sais comment , à lire la pièce dans une
>>maison qui donnait alors le ton à tout Paris . Je comp-
>>tais lire devant vingt ou trente personnes . C'était déjà
>>>un grand tort ; un auteur prudent ne lit qu'à ses amis .
>>Mais quelle fut ma surprise , quand, après le dîner, je
> vis arriver cent ou cent cinquante personnes , les
femmes les plus élégantes , des généraux , des séna-
;
FEVRIER 1813 . 269
teurs , des juges , des poëtes et un cardinal ! Je fus
>> tenté de m'enfuir. Je crus qu'en sortant , je m'expo-
» serais encore plus aux quolibets et au ridicule. Je pris
» mon parti , je cherchai à ne pas paraître trop décon
» tenancé , et je lus fort rapidement. Mais quelle école!
» La maîtresse de la maison se souciait fort peu de l'au
>> teur et de sa pièce , et n'avait songé qu'à donner une
>>soirée où le jeu et la danse ne fussent pas en première
>> ligne'; parmi les autres , de l'indifférence , de la mau
>> lice , des amitiés fausses ou froides , des applaudisse-
>mens de politesse , des complimens exagérés en face,
» des critiques amères en arrière , pas un conseil , et le
>> cardinal qu'on avait placé à côté de moi , parce qu'il
>> étaitun peu sourd , et qui avait dormi pendant les trois
>> derniers actes , se réveillant pour me dire : Monsieur ,
>>voilà une bien jolie comédie ; a-t-elle déja été jouéé ?
» J'aurais dû essayer de mettre cette lecture en scène
pour compléter letableau de la grande ville , malheu-
>> reusement j'y aurais joué le plus mauvais rôle . »
)
Les premières représentations de cette pièce des Provinciaux
à Paris , furent mêlées de quelques orages .
L'auteur rapporte , à cette occasion , un fait dont la simplicité
est relevée par l'agrément des détails et la naïveté
de l'observation qu'il lui fournit alors.
<< A la troisième représentation , dit-il , je m'aperçus
>>presqu'au moment de commencer , qu'une des actrices
m'était pas encore arrivée . La salle était pleine ; une
partie des spectateurs témoignait d'avance des inten-
>>>t>ions hostiles. J'étais fort agité , fort inquiet . L'aba
>> sence de cette actrice redoublait encore mon anxiété.
>>On n'indiqua la maison où je pourrais la trouver.
» J'allai moi-même la chercher . A peine hors de cette
>> salle déjà si tumultueuse , je me sentis frappé du
>> calme qui régnait autour de moi . Je vis , en traver-
>> sant les boulevards , beaucoup de personnes qui
> allaient tranquillement à leurs affaires ou à leurs plai+
»sirs , sans se douter seulement qu'il existât une pièce
>> intitulée : LaGrande ville , ou les Provinciaux à Paris.
>>>Je pensai alors , qu'à l'exception des grands génies
vraiment créateurs , un auteur , quel qu'il soit , peut
270 MERCURE DE FRANCE ,
>> faire une très-bonne ou une très-mauvaise pièce , sans
>> que sa gloire ou sa honte sorte d'un cercle très- étroit.
>> Cette réflexion contribua à me donner de la philoso-
>> phie pendant la représentation qui fut fort orageuse. >>>
Dans un second article nous ferons connaître , avec
plus de détails , les pièces dont se compose le théâtre de
M. Picard . Nous remarquerons toutefois , dès à présent,
que ces pièces sont placées dans l'ordre où elles ont
paru ; ce qui met à même d'observer l'auteur dans sa
marche croissante et dans ses progrès ; car cette diffé
rence qu'on aime à trouver entre les ébauches de la
jeunesse et les compositions de l'âge mur , est encore ,
si nous ne nous trompons , un des caractères particuliers
du talent. L. X.
REVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
1
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES , LES ARTS ; LES MOEURS
ET LES USAGES .
Quatrième lettre de l'Observateur provincial à Messieurs
les Rédacteurs du Mercure .
MESSIEURS , Lebrun a dit :
Se fâcher d'un bon mot c'est lui prêter des ailes .
Une plaisanterie hasardée dans mon journal d'observations
a reçu les honneurs du bon mot , c'est-à-dire que
quelques femmes se sont fâchées . J'en sais même qui ont
donné un libre cours à leur énergique indignation. Puisse
cet épanchement de bile les avoir soulagées ! D'autres ont
eu le bon esprit d'en rire , et ont senti que le courroux en
pareil cas était souvent délateur.
J'ai reçu à ce sujet plusieurs lettres de reproches . Il en
est une sur-tout où ils sont exprimés avec tant d'esprit et
de grace , que je regarde comme heureuse la faute qui me
les a mérités . Si elle contenait moins d'éloges , et si les
détails qu'elle renferme étaient d'un intérêt plus général ,
je me serais empressé de vous l'envoyer , bien persuadé
qu'elle aurait embelli ma correspondance. Permettez-moi
de la remplacer par une autre moins agréable peut-être ,
FEVRIER 1813. 271
mais qui rentre davantage dans le plan que je me sui
tracé. Permettez-moi aussi d'y joindre ma réponse .
A l'Observateur Provincial.
Bar-le-Due , 15 janvier 1813.
:
:
Je suis femme , et comme telle , M. l'Observateur , jo
trouve vos lettres très -impertinentes . Si ce début n'est pas
galant , c'est que vous-même l'êtes fort peu avec mon sexe .
Vous semblez vous plaire à le mettre en scène , et toujours
sous un aspect défavorable. Rien n'est usé comme ce
genre-là; je vous en avertis. Ceux qui le prennent , jouent
d'ordinaire un fort triste rôle. Nous pardonnons de grosses
injures ; jamais la raillerie . J. J. Rousseau , dans ses pages
les plus éloquentes , nous adresse de vives apostrophes ;
mais il parle de nous avec enthousiasme ; il nous rend un
espèce de culte ; Rousseau est pardonné. Nous ne sommes
pas si indulgentes pour les plaisans bons ou mauvais .
Boileau , malgré l'excellence de ses vers , est à jamais perdu
dans notre esprit. Que devons-nous penser de vous ,
M. l'Observateur , qui certes n'êtes pas un Boileau ? Injuriez
- nous et adorez-nous . A la bonne heure . Nous excusons
, que dis -je ? nous aimons les écarts d'une passion
exaltée , parce qu'ils naissent d'un excès de sentiment.
L'ironie au contraire nous révolte ; elle est l'arme des incrédules
; et qui ne croitpoint en nous est indigne de nous .
C'est lorsque les beaux esprits de Rome commencèrent à
s'amuser sur le compte de Vénus et des autres déesses ,
que l'Olympe fut ébranlé. Nous sommes depuis long-tems
les divinités terrestres de l'Europe galante . Rire à nos dépens
est un sacrilége . Laissez donc là ces froides plaisanteries
qui ne sont guère qu'à l'usage de ceux qui , comme
l'adit je ne sais quel néologue , ont reçu tout leur coeur en
esprit . Sachez d'ailleurs que depuis qu'un poëte aimable
a chanté notre mérite , il n'est plus permis de nous attaquer.
Douze éditions de ce poëme , plus divin que celui
d'Homère , sont bien faites pour écraser nos détracteurs .
Vous parlez sans cesse de notre goût pour la parure .
Je ne répéterai point tout ce qu'on a dit de raisonnable
pour le justifier. J'userai , pour vous confondre , d'une
juste représaille ;
Carje sais même sur ce fait
Bonnombre d'hommes qui sont femmes..
272 MERCURE DE FRANCE ,
Sénèque dit quelque part que , de son tems,les hommes
étaient plus jaloux de leur parure que les femmes . Au
risque de passer pour une savante en us , je vous citerai
encore le grand Hortensius qui traduisit en justice un panvre
malheureux , seulement pour avoir , par mégarde , dérangé
un pli de sa robe. Lucullus se vantait d'avoir cinq
mille habits à changer. Néron ne porta jamais deux fois
le même .
Sans remonter si haut , que de bizarreries dans les modes
successivement adoptées en France par les hommes ! La
coiffure à l'oiseau royal était-elle assez plaisante ? Celle
que vous avez adoptée est plus naturelle , je l'avoue , et en
général votre habillement offre plus de simplicité ; mais
cette coiffure et cet habillement sont encore , pour la forme,
assujétis à tous les caprices de la mode.
Hier , les cheveux élégamment bouclés devaient tomber
sur le front , et ombrager les yeux deleurs masses touffues ,
tandis que le derrière de la tête était rasé de si près que
j'ai cru qu'on en viendrait à enlever la première peau. Aujourd'hui
ce n'est plus cela. Les cheveux bien relevés
imitent , par leur roideur , les défenses du hérisson , et
laissent à découvert plus d'un front qu'il ne faudrait pas
soumettre aux épreuves physionognomoniques de Lavater.
Tantôt on vous voit le menton empaqueté dans une
triple cravate , comme si vous vouliez hâter la résolution
d'une esquinancie ; tantôt l'usage veut que la tête d'un
petit-maître soit comme celle du héron , emmanchée d'un
long cou.
Vos habits tombent souvent dans la caricature ; et des
variations survenues seulement dans la forme et dans la
couleur du collet , on ferait un livre plus gros que celui des
variations de l'église ; collets verts , collets noirs , collets
plissés , froncés , juponnés , collets -schalls , collets debout ,
collets- capuchons , sans compter ceux que MM. les tailleurs
, ministres ingénieux de la mode , inventeront encore
å la plus grande gloire des arts .
5
Vous voyez , M. l'Observateur , que les hommes partagent
tout- au- moins ce goût pour la parure , objet de vos
plaisanteries . J'ai fait aussi dans la petite ville que j'habite
quelques observations qui confirment pleinement ce que
j'avance.
Par exemple , nos jeunes gens rougiraient de porter un
habit fait en province. Le bon ton veut qu'il vienne à
grands frais de la capitale , ou tout au moins de la grande
2
1
FEVRIER 1813 . 273
,
ville la plus voisine. Un honnête bottier leur corgim
pour la somme de 30 francs , une paire de bates blen
cONETA
ditionnées ; mais il faut qu'elles en coûtento 48
et qu'elles sortent d'une main célèbre danes tastes de la
chaussure . Aussi un tailleur ou un coronnier qui a là
vogue est aujourd'hui un personnage important. I-sait
mettre à profit les faveurs du caprice. On ve le voit plus
comme autrefois , travailler dans une modeste boutique .
Que dis-je ? il ne travaille plus . C'est dans ammense
magasins , où la richesse éclate de toute part , qu'il commande
à de nombreux ouvriers . Rien n'égale le luxe qui
l'entoure , si ce n'est son insolence et sa mauvaise for. On
ne brille pas sans faire des dupes. C'est pour en augmenter
le nombre qu'il a des commis voyageurs chargés de parcourir
les petites villes et de mettre à contribution la vanité
des provinciaux qui visent à l'élégance .
18
Si du costume je passais aux manières , je pourrais
prendre une revanche complète. Le tems n'est pas loin
où unjeune homme devait , avec de très -bons yeux , porter
une paire de besicles , grassayer en parlant , et ne prononcer
que la moitié des syllabes. Ces petites mignardises
avec lesquelles il croyait nous charmer ne sont plus de
mode , je le sais ; mais il les remplace auprès de nous par
unpetit air délibéré , un certain sans-façon qui n'est pas
celui de la bonhomie , et qui frise par fois l'impertinence .
'Il voudrait , au moyen de cette familiarité avec les femmes ,
et à l'aide de quelques demi mots , de quelques demiapparences
, faire croire à des succès plus intimes . On dit
même qu'il préfère ces bonnes fortunes imaginaires ,
pourvu que le public en jase , à celles qui plus réelles sont
couvertes des voiles du mystère .
Je ne pousserai pas plus loin cette récrimination . Elle
prouve assez qu'en fait de ridicules chaque sexe a les siens .
J'espère donc , monsieur l'Observateur , que si vous continuez
vos tableaux de moeurs , nous cesserons d'y occuper
le premier plan . Tout mon sexe vous jette la pierre ; je
pense trop bien de votre galanterie pour croire que vous
puissiez vivre heureux sous le poids de notre courroux.
J'ai l'honneur de vous saluer .
(
THÉRÉSINA DE B....
۲
S
)
374 MERCURE DE FRANCE;
Réponse de l'Observateur provincial.
Eh quoi ! Madame ou Mesdames , ma plume jusqu'ici
trop futile n'a fait qu'effleurer quelques ridicules peu importans
, ceux qui au fond nuisent le moins à la société
et déjà j'entends VOS clameurs . Que serait-ce donc si ,
usant de mon droit d'observateur moraliste , je venais à
signaler des penchans plus dangereux , et qui , par cela
même qu'ils naissent du coeur , tiennent plus à un.vice
qu'à un ridicule ? Que serait-ce donc ssii j'avais ou le cynisme
de Montaigne , ou l'amertume de la Rochefoucauld,
ou l'austérité mordante de La Bruyère ? Que serait-ce
enfin , si j'avais leur génie ? Voilà de terribles adversaires ,
d'autant plus redoutables qu'ils sont immortels . Mais
qu'avez-vous à craindre d'un badinage éphémère qui meurt
avec le jour qui l'a vu naîtres? Suis -je donc votre ennemi
pour quelques vérités dites sans fiel , et pour quelques
traits puisés dans le carquois de Momus ? non , sans doute .
Vos véritables ennemis sont les flatteurs .
,
)
:
Un philosophe de l'antiquité disait que les fils des rois
ne pouvaient apprendre qu'à bien monter à cheval , parce
que leurs coursiers ne connaissaient pas la flatterie . Vous
êtes , sous ce rapport , plus à plaindre que les fils des rois ,
puisque l'exercice de cet art n'entre pas dans votre éducation.
C'est un petit malheur, sans doute , mais c'en est un
que d'être , dès votre enfance , livrées à un commerce
puéril d'adorations trop souvent simulées . Il en résulte
que l'apparence d'une vérité vous blesse , comme le pli
d'une feuille de rose blessait jadis un sybarite .
Vous connaissez le trait de cette dame qui se faisant
peindre se pinçait les lèvres afin d'avoir la bouche plus
petite. Madame , ne vous gênéz pas , lui dit le peintre ;
pour peu que vous le désiriez, je n'en ferai pas du tout. Si
l'artiste , exagérant le désir de la dame , eût supprimé la
bouche dans son portrait, il aurait reimplacé un léger défaut
par une difformité. Voilà l'effet de la flatterie. Pourquoi
proclamer sans cesse une perfection qui n'est pas dans la
nature , à laquelle on ne croit pas , et qui serait peut-être
le pire de tous les défauts ? Je suis , je l'avoue , un peu
moins complaisant que le peintre dont je viens de parler ,
et je n'ai pas suivi le précepte de je ne sais quel enthousiaste
qui veut que lorsqu'on écrit sur les femmes on trempe sa
plume dans l'arc-en-ciel. Mais peut-être me devez-vous
plus de reconnaissance qu'à tant d'auteurs doucereux qui ,
FEVRIER 1813 . 275
àforce de vous prodiguer leur encens banal , parviennent
àcorrompre mille dons heureux que vous tenez de la nature .
J'ai attaqué le goût un peu vifque vous avez pour la
parure . Vous me répondez par une récrimination dont je
ne conteste point la vérité . Il est des hommes qui , j'en
conviens, attachent quelqu'importance à leur toilette; mais
les sacrifices qu'ils font à la mode sent autant d'hommages
qu'ils vous rendent :
3
De celle qu'on adore
On adopte aisément la patrie et les Dieux .
CAMP.
Souffrez à ce propos que je vous fasse le récit d'un procès
qui vient de se plaider dans un département assez voisin
de celui où j'écris . L'anecdote est un peu burlesque , mais.
elle est vraie. Vous avez été chercher des autorités jusque
chez les Romains . Les miennes sont contemporaines ; si
elles font moins d'honneur à mon érudition , elles seront
plus utiles à ma cause .
Un jeune homme estimable sons tous les rapports , et
doué d'un caractère heureux , se leva un matin avec la fantaisie
de se marier . Après un mûr examen des beautés de
sa connaissance , il en distingua une , et courut lui porterses
voeux et son hommage . Avec le titre de prétendu , onest
sûr d'être écouté et d'exciter une attention toute particulière.
C'est ce qui arriva. Le jeune homme , encouragé par
le plus doux accueil , crut devoir faire sa demande en
forme . Une personne tierce fut , comme cela se pratique ,
chargéede négocier auprès du père. Celui-ci enchanté fait
venir sa fille et s'empresssseedelui nommer son époux , ne
doutant pas qu'il ne fût accepté . Quelle est sa surprise
d'essuyer un refus positif et soutenu ! Ma fille , y pensezvous
? s'écria-t - il ; ce jeune homme vous convient . - Oui ,
mon père.
Il est doux et honnête . Qui , mon père .
-
-
1
Sa fortune est égale à la vôtre .- Oui , mon père.- Eh
bien ! Eh bien ! mon père , il a une queue.
En effet , le jeune homme avait une queue qu'il conservait
, non sans doute pour sa commodité , mais par
habitude, ou comme un monument de la coiffure de ses
aïeux. C'est vainement que l'on voulut faire entendre raison
à la jeune personne. Elle voyait toujours cette queue ,
cette fatale queue réprouvée par la mode , et qui à ses yeux
détruisait tout le mérite de celui qui la portait .
S2
276 MERCURE DE FRANCE ,
1 Le negociateur , un peu honteux de son ambassade , fut
obligé d'en rendre compte à celui quil'avait envoyé. Quelle
douleur pour notre prétendu ! Il tenait beaucoup à sa
queue , et s'en défaire lui paraissait une dure extrémité ;
✔délibère , il hésite ; puis il s'écrie':
ع٠
85
17
Omnia vincit amor, et nos cedamus amori.
VIR:
1
Par-tout l'amour triomphe , et je cède à l'amour.
B.
100
5
Le coiffeur est mandé ; il arrive , et les ciseaux complaisans
ont bientôt consommé ce grand sacrifice. Le voilà
enfin à la Titus . Tout fier de sa métamorphose , il vole
auprès de son amante , bien persuadé qu'il va recevoir le
prix de son dévoûment. O caprice indéfinissable ! A peine
l'a-t-elle aperçu qu'elle le refuse une seconde fois , en disant
que la coiffure à la Titus lui allait encore plus mal que
celle qu'il venait de quitter.
)
Outré avec raison d'un procédé aussi bizarre , notre
malheureux amant a intenté un procès à cette nouvelle
Dalila , et lui a démandé de gros dédommagemens pour
cette queue , cette portion de lui-même qu'il lui a si vainement
sacrifiée .
J'ignore le résultat d'une procédure aussi plaisante que
nouvelle : mais qu'importe le dénouement? Vous conviendrez
, Madame , que le fond de l'aventure atteste assez
l'empire des petites choses sur les actions les plus importantes
de votre vie. C'est ce qui a fait dire aux malins que
Prométhée avait sans doute usé tout son flambeau lorsqu'il
voulut animer la beauté , et que c'est pour suppléer à
l'inertie du coeur qu'il alluma dans sa tête le léger phosphore
des fantaisies .
J'ai l'honneur de vous saluer .
1
L'Observateur Provincial.
L
SPECTACLES. - Théâtre-Français . - Tippoo-Saeb , tragédie
encinq actes et en vers de M. de Jouy.
Le public avaitle droit d'attendre une tragédie de l'auteur
de la Vestale, M. de Jouy a tenu parole; examinons le
sujet qu'il a mis à la scène.
FEVRIER 1813 .
277
:
Tippoo-Saëb , digne fils d'Hider-Aly , empereur du
Mysore, ajuré de ne poser les armes qu'après avoir délivré
l'Inde du joug de ses oppresseurs ; mais la fortune ne sert
pas de si nobles projets ; Tippoo est assiégé par les Anglais
dans Séringapatuam; quelques Français sous les ordres de
Raymond combattent pour lui , et l'armée anglaise com
mandée par le général Stuart occupe la majeure partie de
l'empire du Mysore : tel est l'état des choses lorsque l'action
commence .
Narséa , ministre de Tippoo , est jaloux de la faveur dent
son maître honore Raymond ; il a juré la perte de ce der
nier, il trahit son prince et sa patrie pour se venger d'un
rival ; il s'est vendu aux Anglais auxquels il a promis de
livrer une des portes de la ville . Le sultan consulte Narséa
etRaymond sur sa position ; Raymond propose de sortir
de nuit à la tête de l'armée pour se réunir au roi des Abdalis
qui marche au secours de Tippoo ; Narséa , dont ce projet
contrarie les desseins secrets , pense que son maître doit
attendre l'armée alliée dans les murs de Séringapatnam .
On annonce qu'un officier anglais envoyé par Stuart , demande
à être introduit; il exige pour sûreté la parole du
général français ; Raymond s'oppose à ce qu'il soit entendu,
mais l'avis de Narsea l'emporte , et le sultan permet que
l'envoyé anglais paraisse devant lui . Cet envoyé est annoncé
sous le nom de Seymour; il ne s'est chargé de cette mission
délicate que pour hâter la chute de Tippoo : un motif particulier
l'anime; il est le fils de Dunkan, général anglais que
Tippoo fit autrefois périr dans des supplices affreux pour
avoir fait égorger des femmes de son sérail. Narséa et Seymoursont
surpris ensemble par Raymond ; le sultan paraît;
Seymour essaie de l'effrayer sur le sort qui le menace, il ose
enfin lui proposer de livrer ses enfans pour gage de la
paix; Tippooveut lui répondre par cent coupsde poignard,
mais Raymond arrête son bras . Le sultan ordonne que l'insolent
envoyé soit retenu : Raymond , dont l'honneur estlé
premier devoir , protége la fuite de Seymour au moment où
Tippoo venait d'être instruit qu'il était fils de Dunkan.
Narséa irrite la colère de son maître contre Raymond , il
cherche à lui inspirer quelques soupçons sur sa fidélité ;
Raymond paraît devant le sultan , il avoue avoir favorisé
la fuite de Seymour , l'honneur l'ordonnait ; à son tour il
accuse Narséa , il dévoile ses projets, sa complicité avec les
Anglais , il invoque enfin le témoignage d'Achmed , confident
de Narseat à ce nom le ministre se trouble , mais
278 MERCURE DE FRANCE ,
Achmed vient de périr frappé par une main inconnue , et
ilne reste ainsiausultan aucun moyen de connaître la vérité;
perplexité affreuse ; qui des deux le trahit ? Est-ce son premier
ministre , celui qui veilla sur son berceau ? Est-ce Raymond,
qui mille fois a bravé pour lui la mort ? Eh ! du
moins , s'écrie-t-il , que le traître
f
Se révèle à mes yeux un poignard à la main .
Cette scène qui est d'une rare beauté , a produit le plus
grand effet ; Narséa rappelle ses services passés ; Raymond
croirait s'avilir s'il consentait à se justifier ; Tippoo reconnaît
l'accent de la vérité , il fait arrêter son perfide ministre,
et charge Raymond de protéger la fuite de ses enfans qu'il
s'est décidé à éloigner ; mais les Anglais avertis par Narséa
sont prêts à s'emparer d'une si riche proje, un miracle seul
peut les sauver , et ce miracle est l'ouvrage de Raymond.
Enfin on annonce que l'armée anglaise menace les remparts ;
le canon gronde de toutes parts ; Tippoo à la tête de ses
soldats repousse l'ennemi , mais il est lâchement assassiné
par Narséa , et il vient expirer sur la scène en recommandant
à ses enfans le soin de sa vengeance et l'horreur des
Anglais.
Cette tragédie a obtenu le succès le plus complet , et
qu'un public nombreux s'empresse de sanctionner à chaque
nouvelle représentation ; le plan est conçu avec art ; les
caractères , bien annoncés dès les premières scènes , conservent
la physionomie qui leur est particulière. Mais un
mérite précieux , et que l'on ne saurait trop relever , c'est
celui du style ; il m'a paru constamment poétique ,, sans
emphase , et d'une égalité remarquable ; graces à la sténographie
, je puis offrir à mes lecteurs une preuve à l'appui
de ce que j'avance. Tippoo fait en ces termes le tableau
des cruautés des Anglais dans l'Inde .
i
Je suis le fils d'Hider ; une invincible horreur ,
Au nom seul des Anglais , fait palpiter mon coeur ;
Pour cette nation fourbe , avare , cruelle ,
Je porte dans mon sein la haine paternelle .
Que sert de s'aveugler , et quel dieu désormais
Entre ce peuple et moi peut rétablir la paix ?
Il n'en est point pour lui tandis que je respire ;
Je vis pour sa ruine , à ma mort il aspire ,
:
1
1
FEVRIER 1813.
279
i
4
>
,
Etde la lutte extrême où je suis engagé ,
Si je ne sors vainqueur, je veux mourir vengé .
Toi-même qui défends ces coupables victimes
Des tyrans de l'Asie as -tu compté les crimes ?
Vois des plus noirs forfaits l'exécrable artisan ,
Clive au seinde la paix embraser l'Indoustan ;
Par le fer , le poison , suppléant au courage ,
Des rois qu'il assassine envahir l'héritage .
Détournes-tu les yeux de ce monstre oppresseur ,
Plus cruel et plus vil son lâche successeur ,
Pour étancher la soif de l'or qui le domine
Dans nos fertiles champs fait naître la famine ;
Trois millions d'Indiens expirent sur ces bords
LeGange épouvanté ne roule que des morts ;
Tandis que leurs bourreaux , au sein de l'abondance ,
Calculent les produits de ce désastre immense .
Detant d'infortunés les cris , les pleurs amers ,
Les longs gémissemens ont traversé les mers ,
Et de ce grand forfait l'Europe accusatrice ,
Dix ans sans l'obtenir a demandé justice.
As-tu donc oublié cette ville d'Hyder
QueDunkan détruisit par la flamme et le fer ,
Sur ses débris fumans mes femmes outragées ,
Et pour comble d'horreur lâchement égorgées ?
Il a payé bien cher ses exploits inhumains ,
Le barbare à son tour est tombé dans mes mains ,
Et le supplice affreux qui fut sa récompense ,
Sans calmer ma fureur , fatigua ma vengeance.
Pes sables du Corée aux rivages d'Ormus ,
Des mers de Taprobane aux sources de l'Indus
Suis ces persécuteurs des nations tremblantes ,
Leurs pas laissent par- tout des empreintes sanglantes ,
Et par- tout détestés les brigands d'Albion
Ont mérité l'horreur que j'attache à leur nom.
Si le lecteur concluait de mon examen que je regarde
cette production comme un ouvrage sans défauts , il se
tromperait. Peut- être l'auteur aurait-il dû ne pas présenter
Tippoo -Saëb dans une position aussi désespérée : sidepuis
long-tems le spectateur ne prévoyait pas sa perte , la
chute de ce prince , causée sur-tout par la trahison de
Narséa , en paraîtrait plus inopinée , produirait , je crois ,
اد
278 MERCURE DE FRANCE ,
Achmed vient de périr frappé par une main inconnue , et
il ne reste ainsi ausultan aucun moyen de connaître la vérité;
perplexité affreuse ; qui des deux le trahit ? Est-ce son premier
ministre , celui qui veilla sur son berceau ? Est-ce Raymond
, qui mille fois a bravé pour lui la mort ? Eh ! du
moins , s'écrie-t -il , que le traître
Se révèle à mes yeux un poignard à la main.
Cette scène qui est d'une rare beauté , a produit le plus
grand effet ; Narséa rappelle ses services passés ; Raymond
croirait s'avilir s'il consentait à se justifier ; Tippoo reconnaît
l'accent de la vérité , il fait arrêter son perfide ministre,
et charge Raymond de protéger la fuite de ses enfans qu'il
s'est décidé à éloigner ; mais les Anglais avertis par Narséa
sont prêts à s'emparer d'une si riche proje, un miracle seul
peut les sauver , et ce miracle est l'ouvrage de Raymond.
Enfin on annonce que l'armée anglaise menace les remparts;
le canon gronde de toutes parts ; Tippoo à la tête de ses
soldats repousse l'ennemi , mais il est lâchement assassiné
par Narséa , et il vient expirer sur la scène en recommandant
à ses enfans le soin de sa vengeance et l'horreur des
Anglais .
Cette tragédie a obtenu le succès le plus complet , et
qu'un public nombreux s'empresse de sanctionner à chaque
nouvelle représentation ; le plan est conçu avec art ; les
caractères , bien annoncés dès les premières scènes , conservent
la physionomie qui leur est particulière . Mais un
mérite précieux , et que l'on ne saurait trop relever , c'est
celui du style ; il m'a paru constamment poétique , sans
emphase , et d'une égalité remarquable ; graces à la sténographie
, je puis offrir à mes lecteurs une preuve à l'appui
de ce que j'avance. Tippoo fait en ces termes le tableau
des cruautés des Anglais dans l'Inde .
!
Je suis le fils d'Hider ; une invincible horreur ,
Au nom seul des Anglais , fait palpiter mon coeur ;
Pour cette nation fourbe , avare , cruelle ,
Je porte dans mon sein la haine paternelle.
Que sert de s'aveugler , et quel dieu désormais
Entre ce peuple et moi peut rétablir la paix ?
Il n'en est point pour lui tandis que je respire ;
Je vis pour sa ruine , à ma mort il aspire ,
4
{
FEVRIER 1813.
279
1
4
Etde la lutte extrême où je suis engagé ,
Si je ne sors vainqueur, je veux mourir vengé.
Toi-même qui défends ces coupables victimes
Des tyrans de l'Asie as-tu compté les crimes ?
Vois des plus noirs forfaits l'exécrable artisan ,
Clive au sein de la paix embraser l'Indoustan ;
Par le fer , le poison , suppléant au courage ,
Des rois qu'il assassine envahir l'héritage.
Détournes-tu les yeux de ce monstre oppresseur ,
Plus cruel et plus vil son lâche successeur ,
Pour étancher la soif de l'or qui le domine
Dans nos fertiles champs fait naître la famine ;
Trois millions d'Indiens expirent sur ces bords ,
Le Gange épouvanté ne roule que des morts ;
Tandis que leurs bourreaux , au sein de l'abondance ,
Calculent les produits de ce désastre immense .
Detant d'infortunés les cris , les pleurs amers ,
Les longs gémissemens ont traversé les mers ,
Et de ce grand forfait l'Europe accusatrice ,
Dix ans sans l'obtenir a demandé justice .
As-tu donc oublié cette ville d'Hyder
Que Dunkan détruisit par la flamme et le fer ,
Sur ses débris fumans mes femmes outragées ,
Et pour comble d'horreur lâchement égorgées ?
Il a payé bien cher ses exploits inhumains ,
Le barbare à son tour est tombé dans mes mains ,
Et le supplice affreux qui fut sa récompense ,
Sans calmer ma fureur , fatigua ma vengeance.
Pes sables du Corée aux rivages d'Ormus ,
Des mers de Taprobane aux sources de l'Indus
Suis ces persécuteurs des nations tremblantes ,
Leurs pas laissent par- tout des empreintes sanglantes ,
Et par-tout détestés les brigands d'Albion
Ont mérité l'horreur que j'attache à leur nom.
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M
Si le lecteur concluait de mon examen que je regarde
cette production comme un ouvrage sans défauts , il se
tromperait. Peut- être l'auteur aurait-il dû ne pas présenter
Tippoo-Saëb dans une position aussi désespérée : si depuis
long-tems le spectateur ne prévoyait pas sa perte , la
chute de ce prince , causée sur-tout par la trahison de
Narséa , en paraîtrait plus inopinée , produirait , je crois
280 MERCURE DE FRANCE ,
:
encore plus d'impression , et ce vers que prononce Tippoo
avant d'expirer , serait plus complétement justifié.
2
f
Ils ne pouvaient me vaincre , ils m'ont assassiné.
Le rôle de Tippoo est d'une vérité historique ; personne
ne pouvait mieux le tracer que M. de Jouy qui fut présenté
à la cour de ce prince ; c'est dans les lieux mêmes où il
nous transporte que l'auteur a ramassé ses matériaux.
Talma exprime avec une heureuse flexibilité les sentimens
différens qui animent ce monarque ; la soif de la vengeance
, l'horreur des oppresseurs de son pays , les angoisses
d'un père à la vue des périls qui menacent ses enfans
. Un aussi beau rôle suffirait pour établir la réputation
de ce grand acteur , si depuis long-tems il n'était pas reconnu
que Talma est le premier talent tragique de la scène
française.
Le caractère de Raymond est peint des plus nobles couleurs
; la franchise , la bravoure et la loyauté qui distinguent
les officiers français , y brillent dans tout leur éclat. Ge rôle
est vraiment national ; il est joué avec une rare intelligence
par Damas. Michelot représente Seymour , et Baptiste
aîné Narséa : ils ont su tirer parti de deux rôles nécessairement
ingrats . MH Bourgoing est douce et intéressante
dans le personnage d'Aldeïr , fille de Tippoo ..
Rien ne me paraît moins fondé que la plupart des réflexions
ou critiques auxquelles cette tragédie a donné lieu...
On a dit , par exemple , qu'Hider-Aly , fondateur de l'empire
de Mysore , était un chef de Marattes ; l'erreur est
plaisante : ilme semble que l'on n'aurait pas dû ignorer que
les Marattes forment une république , la seule del'Inde, que
cette république est gouvernée par un chef qu'on appelle
Pé-Scha ; ce peuple guerrier , que l'on peut comparer aux
Suisses d'autrefois , se met à la solde des princes de l'Inde
qui veulent payer leurs services ; on en a vu souvent dans
la même guerre servir dans les deux armées opposées .
Un autre critique prétend que Tippoo-Saëb devrait entendre
avec calme la proposition de l'envoyé anglais : si un
prince de l'Europe se conduisait ainsi que le fait Tippoo ,
certes la critique serait fondée; mais on oublie qu'il s'agit
iei d'un prince indien , despote absolu , dont les moindres
désirs ont toujours été des lois, et qu'ose-t-on lui proposer?
de livrer ses enfans, On blâme encore M. de Jony , d'avoir
prêtéàTippoo Vintention de faire périr les prisonniers anFEVRIER
1813. 281
glais , et pourtant ce qu'il a mis en proposition est l'exacte
vérité; qui ne sait qu'Hider-Aly fesait mutiler ou mettre à
mort les prisonniers qui tombaient entre ses mains ?
Enfin, on reproche à l'auteur d'avoir donné à son héros
trop d'horreur du nom anglais . Qu'on lise l'histoire , qu'on
se donne la peine de revoir le procès d'Hastings , gouverneur
de l'Inde , et l'on ne sera plus surpris de cette haine
pour des hommes qui amenèrent , par calcul , la famine
dans la contrée la plus fertile de l'univers : les cruautés
commises par cet Hastings , furent si épouvantables , qu'à
son retouren Angleterre il fut accusé devant le parlement;
des femmes s'évanouirent en entendant la lecture des
forfaits qu'on lui imputait. Ce procès qui dura dix ans,
fixa l'attention de l'Europe entière ; on vit dans cette lutte
le spoliateur des peuples payer son absolution d'une partie
du sang de ses victimes ; on m'a assuré qu'il y dépensa
quarante millions... Et que cette somme ne paraisse pas
exagérée ; ces richesses qu'il avait acquises montaient bien.
plushaut. Le jour qu'il fut présenté à la reine d'Angleterre , t
il portait un habit brodé en perles fines , estimé huit cent
mille livres : ces détails m'ont été donnés par un homme
irrécusable et qui se trouvait alors à Londres. Cette cause
àjamais mémorable , donna lieu au fongueux Burke et à
l'éloquent Schéridan , de déployer leurs talens ; ils ne
purent cependant faire triompher la cause de l'humanité :
Hastings quoique convaincu d'avoir fait périr par le fer ou
le poison vingt-huit princes findiens , nababs ou rajahs ,
fut absous sans être innocent; il garda la majeure partie
de ses affreuses dépouilles , et l'on peut dire que l'issue de
cette enquête , à jamais mémorable , fut encore plus hon
teuse pour le peuple anglais que les crimes quiy avaient
donné lieu . B.
POLITIQUE.
Nous avons annoncé que lord Wellington s'était rendu
à Cadix. On sait que ce général a été présenter à la régence
un nouveau plan pour mettre les armées en état de soutenir
la campagne prochaine . Il paraît qu'il a proposé de
diviser le territoire en quatre départemens , et de placer à
la tête de chacun d'eux un capitaine et un intendant-général
, qui seraientdésignés par S. S. Le dernier serait chargé
de percevoir tous lesfonds levés par le gouvernement pour
l'entretien des armées espagnoles . L'organisation de ces
armées serait achevée sous la direction de S. S. , qui s'engagerait
à solder au gouvernement les comptes qui pourraient
n'être pas terminés à la fin de l'année ..
}
Ce plan fut envoyé à la régence sous la forme d'un mémoire
, et accompagné d'observations de S. S. Mais il a été
rejeté , sans être remplacé par un autre , la régence ayant
déclaré ne pouvoir remplir les intentions de lord Wellington
sans violer les principes de la constitution espagnole ..
: Nous ignorons , dit le Times , la résolution prise par le
général anglais , en conséquence de ce refus. Quoi qu'il en
soit, il est fort à désirer qu'il soit présenté unplan conforme
aux vues du marquis , et en même tems capable d'activer
les opérations des Espagnols.
D'autres journaux anglais donnent des nouvelles de
l'armée de Portugal ; cette armée jouit de quelque repos ;
elle en avait un indispensable besoin après une campagne
où de si grands efforts , des marches si pénibles , des sacrifices
si nombreux ont eu un si triste résultat . Cette armée
compte un nombre considérable de malades ; elle a beaucoup
souffert faute de vêtemens , et dans sa retraite elle a
perdu un grand nombre d'hommes. De leur côté , les
Français sont en force sur le Tage , ils occupent la rive
gauche du fleuve et fortifient les positions qui en sont susceptibles
. Le grand quartier- général est à Valladolid ; c'est
de cette ville que le général Reille adresse le 2 janvier un
compte rendu au ministre de la guerre , sur une reconnaissance
faite sur Astorga par le général Foy , reconnaissance
dans laquelle cet officier a rempli sa mission, vérifié
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 283
1
l'état de la place qu'il a trouvé démantelée , et fait d'assez
nombreux prisonniers .
Le Star, relativement aux affaires du nord , publie aussi
l'article suivant qui a été transcrit par le Moniteur : on y
verra que la politique anglaise y est empreinte , et l'on reconnaîtra
de nouveau cette même politique à ses caractères
essentiels , la corruption et la duplicité .
«Nous avons annoncé hier que les ministres se préparaient
à agir avec toute l'énergie et toute la promptitudepssibles
, pour profiter des dispositions que les Etats du Nord
témoignent à secouer le joug de la France . Le général
Alexandre Hope, qui a souvent servi dans la Baltique , et
qui entre autres commandait en second sous lord Cathcart
dans l'expédition de Copenhague , a été charg , en qualité
de négociateur , de déclarer les sentimens de la cour
d'Angleterre aux puissances de la Baltique .
> Ondit quede concert avec le général d'Yorck, les Etats
dePrusse seront assemblés , et que leur indépendance sera
déclarée et garantic par la Grande-Bretagne . Il ne sera point
obéi aux ordres du roi de Prusse . »
Le Morning Chronicle tire de la situation actuelle des
choses d'autres conséquences , et il considère la conduite
des ministres sous un autre point de vue . Ses réflexions
peuvent être lues avec intérêt.
Nous avons parlé hier du bruit qui était venu jusqu'à
nous , qu'un général prussien devait se rendre sur le Continent
, avec une commission qui lui donnait rang dans
l'armée anglaise . Les recherches que nous avons faites à
ce sujet nous mettent à même d'annoncer comme un fait
positif , que non-seulement un général prussien , mais
aussi un général autrichien , ont reçu des commissions
d'officiers-généraux au service de S. M. , mais pour prendre
rang comme tels sur le Continent seulement ; et doivent
s'embarquer sans délai pour le nord de l'Allemagne , afin
de tirer avantage des circonstances favorables du moment.
On peut inférer de-là que les ministres se sont prononcés
contre la publication de toute note officielle , par
laquelle les calomnies de Napoléon pourraient être réfutées
, et le peuple français instruit de la modération de nos
vues dans la continuation de la guerre actuelle . Ils ne
craignent pas de nous dire , dans le Morning-Post et dans
les autres feuilles qui leur sont dévouées , qu'il serait impolitique
et peu raisonnable de publier une déclaration
quelconque , par laquelle nous demeurerions engagés ,
284 MERCURE DE FRANCE ,
quoique des circonstances ultérieures pussent nous autoriser
, on au moins nous engager , à prétendre à des conditions
plus avantageuses . En d'autres termes , ils désirent
nous insinuer que , dans leur opinion , la situation de Napoléon
est si désespérée , que l'on peut compter sur son
renversement , et qu'ainsi il serait imprudent de nous lier
par des déclarations dont , au fond du coeur , nous regretterions
d'être obligés de remplir les conditions .
Selon nous , c'est jouer précisément le jeu de Napoléon
, et c'est la ligne de conduite que lui-même eût dictée
au cabinet anglais ; il ne manquera pas d'en tirer parti
et dela citer au peuple français comme une preuve incontestable
que l'intention de l'Angleterre est de dépouiller la
France de ses possessions , et de rétablir l'ancien ordre de
choses aussi bien que les anciennes limites de la monarchie
française . Est- il un seul homme raisonnable accoutumé
à observer le caractère des nations , qui ne soit d'avis
que cela seul suffirait pour enflammer toute la population
de la France , et pour réveiller en elle cet enthousiasme
qu'elle fit éclater lors de la première coalition contre son
indépendance ? Si Napoléon avait des conseillers à notre
cour ( et nous savons qu'il y a des apologistes ) eussent-ils
pu rien conseiller qui lui fût plus avantageux ? Nous ne
tarderons pas à voir , à ce sujet , dans les journaux français
, une tirade véhémente contre nos ministres , tandis
que , au fond du coeur , Napoléon se félicitera de cet aste
de leur part , qu'il regardera comme une garantie de plus
de
sa sûreté politique .
» Ne perdons pas de vue aussi que cette mesure est
prise au moment même où nous apprenons que l'empereur
Alexandre s'est rendu à Grodno , sans être accompagné ni
de l'ambassadeur d'Angleterre , ni de celui de Suède
évidemment afin de n'être point gêné par leur présence
dans les négociations qu'il peut avoir l'intention d'ouvrir
séparément avec l'Autriche , et probablement avec la
France, Il est difficile de concevoir une situation plus
embarrassante que celle où se trouveraient nos ministres ,
si , par leur entêtement et leur infatuation , dans ce moment
où l'horizon politique s'est soudainement éclairci , ils
faisaient que la France développât ses immenses ressour
ces , tandis qu'Alexandre et Napoléon accommoderaient
leurs différends , et que les armées françaises renouvelées
seraient toutes dirigées contre l'Espagne . »
Nous ferons suivre ces réflexions politiques de l'aperçu
FEVRIER 1813 . 285
:
de situation que donnent les nouvelles reçues parl'Allemagne
du théâtre de la guerre . On apprend de Gallicie
par les gazettes de Saint-Pétersbourg que le gouvernement
russe est extrêmement embarrassé pour compléter l'effectif
etle matériel de ses armées . Tous les paysans en état de
porter les armes sont enrôlés ; et comme on manque de
fusils dans quelques endroits , on les arme de pistolets et
de piques : ceux qui se cachent pour échapper au service
sont rudement bâtonnés quand on les retrouve . En même
tems , les paysans sont épuisés de réquisitions : dans le
seul gouvernement de Sinolensk , on a requis quatre mille
chariots pour mener des vivres à la suite de l'armée d'e
Kutusow. La noblesse de Kursk , de Toula et de Kaluga ,
a été obligée de se mettre à la tête d'une nouvelle milice
qu'on forme pour faire le service . Le gouvernement exige
dës nobles de l'argent et des chevaux , qu'ils lèvent sur
leurs malheureux paysans . On a ordonné à tous les nobles
de donner leurs propres chevaux , la cavalerie régulière
russe étant entièrement ruinée , et les seuls Cosaques ayant
pu conserver leurs chevaux , accoutumés à vivre dans les
campagnes pendant l'hiver. Un certain M. Starinski , du
gouvernement de Cherson , a été engagé par la cour à
soulever tous ses paysans , et à se mettre à leur tête ; mais
cet exemple n'a pas eu d'imitateurs .
Ea noblesse polonaise de l'Ukraine a été obligée de
fournir un nouveau corps de 13,211 hommes , qu'elle est
en même tems chargée de nourrir pendant toute la durée
de la guerre. La violence avec laquelle on exécute ces
mesures canse un grand mécontentement , auquel on
cherche à opposer toutes sortes d'illusions populaires. On
a reconduit à Smolensk l'image de la Sainte-Vierge , qui
avait , de son propre gré , suivi l'armée orthodoxe : une
autre image de la Vierge est reconduite en pompe de Voronèse
à Moscou; on fait des proclamations et des mandemens
où il est dit que les Français étaient venus en
Russie pour détruire la religion grecque et pour propager
la philosophie moderne .
C'est ici le lieu d'ajouter que les Persans ont fait une
nouvelle irruption dans un district de la Géorgie . Les
-Russes , commandés sur ce point par le général Ratichef,
se vantent de les avoir battus , et d'avoir repoussé leur
agression ; mais la conséquence naturelle qu'on en doit
tirer, c'est que vainqueurs ou vaincus , les Persans entretiennent
la guerre avec les Russes , et que le gouverne
286 MERCURE DE FRANCE ,
ment ne peut pas plus dégarnir ces parties de son immense
territoire que les provinces voisines du Danube .
Le Moniteur a fait connaître par une nouvelle note la
position actuelle de l'armée : cette note est extraite de la
correspondance du prince vice-roi , lieutenant de l'Empereur
, et commandant en chef la Grande-Armée . Ce prince
écrit de Posen , le 26 janvier , à six heures du soir , que les
remontes de chevaux se font avec la plus grande activité ;
que le corps que commande le général Rapp , à Dantzick ,
estde 30,000hommes sansy comprendre les troupes d'artillerie
, du génie et de marine ; qu'il a sous ses ordres les
générauxHeudelet et Grandjean ; que le général Campredon
ycommande le génie , et le général Lepin l'artillerie ; que
laplace est approvisionnée en pain et légumes pour cinq
ans , en viande et en eau-de-vie , médicamens , etc. , pour
quatorze mois ; que tout l'équipage de siége de Riga est
rentré dans la place ; que l'équipage de siége parti de Magdebourg
, et destiné pour Dunabourg , était précédemment
rentré à Dantzick; que les fortifications étaient en bon état ;
que les magasins étaient abondamment fournis d'effets
d'habillement , d'armement et de munitions de guerre ;
qu'une brigade de cavalerie composée de dragons et de
chasseurs , et forte de 2000 chevaux , est à Dantzick sous
les ordres du général Cavaignac ; que le général Rapp occupe
les dehors de la cupe place , à dix lieues autour. Il y a au
trésor de quoi assurer la solde pendant une année..
De Thorn , les nouvelles étaient également satisfaisantes.
Les communications de cette ville avec le quartier général
étaient libres . La place était bien armée . La division
chargé de sa défense était de 6000 hommes , et portait ses
postes à six lieues de la ville .
Le prince d'Eckmühl avait envoyé le général Gérard sur
Bromberg , d'où il avait repoussé le général russe Wo
ronzoff, après avoir pris ou tué quelques cosaques ; les
Bavarois étaient cantonnés entre Posen et Thorn , liant la
communication .
Le vice- roi annonce en outre que le prince Schwarzenberg
occupaitPulstusk et Ostrolenka ; le général Reynier
avec le 7º corps , était à la droite ; le 5º corps , que com
mande le prince Poniatowski se réorganisait et comptait..
déjà 20,000 hommes sous les armes ; les chevaux abon.
daient à Varsovie ;
,
Que le prince de Neuchâtel avait été très-malade ; la
goutte , qui s'était portée sur sa poitrine , lui avait fait soufFEVRIER
1813. 287
frir des douleurs aiguës ; mais on était parvenu à la rappeler
aux pieds , et le prince était en meilleur état ; que
le corps prussien se reformait entre Stettin et Posen ; que
le roi de Prusse , accompagné de M. de Saint-Marsan ,
ministre de France , et du ministre d'Autriche , s'était
rendu à Breslau ; que les ordres avaient été expédiés pour
former une forte avant-garde française , et ccoomposée de
plus de 40,000 hommes de troupes fraîches ; que toutes les
places , Stettin , Custrin , Glogau étaient approvisionnées
pour un an , et en bon état .
Le 28 janvier , à deux heures , Sa Majesté a tenu le
conseil ordinaire des ministres , et à quatre heures le conseil
des travaux de l'intérieur. Elle a daigné y appeler le
ministre de l'intérieur ; le comte Regnaud de Saint-Jeand'Angély
, ministre d'Etat ; le comte Molé , directeur-général
des ponts et chaussées , et le baron de Chabrol ,
préfet du départementdde la Seine . Sa Majesté a entendu
dans ce conseil, M. Girard , ingénieur en chef et directeur
des travaux du canal de l'Ourcq et des eaux de Paris ;
M. Deschamp , inspecteur divisionnaire chargé de la construction
du pont de Bordeaux; MM. Tarbé , inspecteurgénéral
, el Bonessel , inspecteur divisionnaire , qui ont
présenté le projet de canal de Caen à la mer , lequel a été
adopté par Sa Majesté ; M. Saint-Fard , ingénieur en chef
Mont-Tonnerre , chargédu projet dupont de Mayence;
et M. Roussigné , inspecteur-général , chargé de terminer
la route de Wesel à Hambourg .
du
Le projet sur le canal de la mer Baltique au Rhin a été
soumis à S. M. et approuvé par elle .
** Le 2 février , Sa Majesté a tenu un conseil des finances ,
dans lequel elle a décidé que les créances pour fournitures
faites àSaint-Domingue , qui ont étéliquidééeess àunesomme
de7 millions 100 mille fr. , seraient payées par le trésor
en rentes à 5 pour 100 , provenant des recouvremens faits
par le trésor en cette nature de valeur , et qui sont entrés
dans ses recettes . Ce paiement sera effectué en mars , avril
etmai
Le Moniteur continue à se rendre le dépositaire fidèle
de l'expression des voeux et des hommages qui de tous les
points de l'Empire, des grandes cités , des plus petites villes ,
des garnisons et des campagnes parviennent à l'Empereur.
Toutes les cohortes de gardes nationales ont demandé à
marcher : les bataillons de dépôt des régimens de ligne ont
ausși hâté par leurs voeux le moment de rejoindre leurs ca
288 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813.
marades au champ d'honneur : d'autres dépôts ont ajouté
l'offre de cavaliers pris parmi les hommes qui les composent,
et quant aux dons de chevaux montés et équipés ,
l'exemple de Paris a été si rapidement transmis aux extré
mités de l'Empire , que les offrandes des peuples du Tibre
et de ceux de l'Elbe sont venues se confondre aux pieds
du trône presqu'aussitôt que celles de la Loire et du Rhin.
Rome a offert 250 chevaux à l'Empereur , et a ainsi noblement
conquis le droit de lui dire dans son adresse que pour
les sentimens de dévouement et de fidélité qui l'animent.,
ellene pouvait consentir à n'avoir que le second rang parmi
les cités de l'Empire : le royaume d'Italie le dispute à la
France, ses offrandes aussi sont multipliées, et son dévouement
exprimé dans les termes les plus énergiques .
ANNONCES .
1
S .....
Histoire de la Guerre de l'Indépendance des Etats - Unis d'Amérique;
par M. Charles Botta , chevalier de l'ordre Impérial de la
Réunion , membre du Corps Législatif ; traduite de l'italien par
M. L. de Sevelinges , et précédée d'une introduction par le traduoteur.
Quatre vol. in-8º de 2600 pages , imprimés sur papier fin ,
ornés de cartes , plans de batailles , et du portrait de Washington.
Prix, 30 fr . Il y a quelques exemplaires papier vélin , prix double.
On publie aujourd'hui les deux premiers volumes , 15fr. Il faut
ajouter8 fr. pour recevoir franc de port. Chez J. G. Dentu, imp.-
libraire , rue du Pont-de-Lodi , nº 3; et au Palais-Royal, galeries de
bois , nos 265 et 266.
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
parcahier de trois feuilles. Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25franes pour six mois , et de 13francs pour un
tranestre . T
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20franes
pour l'année , et de 11 francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger.)
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercúre , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris,des départemens et del'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes...
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
Parise
A
SETH
MERCURE
DE FRANCE.
13
N° DCIV . Samedi 13 Février 1813 . -
POÉSIE.
ÉPITRE A M. CREUSE DE LESSER ,
AUTEUR DES CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE.
۱
O chantre heureux des anciens chevaliers ,
Assis autour de cette table ronde
Qui par Merlin , le plus grand des sorciers ,
Fut protégéé , et devint si féconde
Soit en amours naïfs et cavaliers ,
Soit en vertus soit en exploits guerriers
Dont retentit le théâtre du monde ;
Ami , Lesser , l'Arioste Français ,
(Oh ! sans façon , je te donne ce titre ,
Dût un censeur , jaloux de tes succès ,
Avec dépit m'intenter un procès :)
Tant bienque mal , il faut qu'à son pupître
Un paresseux te griffonne une épître
Surleplaisirque tes chants nous ont faits.
T
go MERCURE DE FRANCE ,
Je ne sais trop si quelque journaliste
Qu'unfin souris n'ajamais déridé ,
De tes écarts dressant la longue liste
Ne t'a d'abord sur ton plan bien grondé ;
Si, d'un oeil froid te suivant à la piste ,
Dans plus d'un vers il n'a pas gourmandé
Plus d'une rime un peu trop moliniste :
Mais au beau sexe , aimable easuiste
,
,
L'ouvrage a plu ; c'est un point décidé.
Quand de ta mise , une critique obscure
Eût alourdi ta gentille parure ,
Grace à Boufflers , chevalier-troubadour ,
Dont le goût pur fait taire la censure ,
N'irais-tu pas , sur l'aile de Mercure ,
Du champ d'honneur au boudoir de l'Amour ?
Oui , comme toi , j'admire l'Iliade;
Mais pour mavue Homère est trop altier";
Je crains Pégase et sa fière ruade :
Sur Chevillard , ce docile coursier ,
Qui ne saurait punir mon incartade ,
Je te suis donc , apprentif cavalier .
D'ailleurs , depuis la mort du Méonide ,
Ton Apollon , espiègle et jovial ,
Dans son vol leste , incertain ou rapide .
Est préférable au poëte banal
1
Se promenant des Enfers dans le vide
D'un ciel vulgaire , ennuyeux , glacial ,
Où l'ambroisie est assez insipide .
Lorsqu'en fuyant cet Olympe vieilli ,
De nos aïeux tu recherches les traces ,
Il nous suffit que . dans un triste oubli ,
Couvert d'acier , l'Amour , frère des Grâces ,
}
1912
N'ait point des Dieux partagé les disgraces ,
Et que ton art l'ait vraiment ennobli .
ない。
S'ils lisent bien , nos auteurs homériques ,
Tes chants naïfs , puisés dans nos chroniques ,
Tableaux des moeurs des siècles d'autrefois ,
Ils conviendront qu'un mépris discourtois
Dédaignait trop nos sources poétiques.
FEVRIER 18136 291
4
Qui n'aime à voir à la table d'Artus
L'honneur loyal , compagnon des vertus ,
Prendre l'épée , escalibor antique ,
Etde lapointe en graver les statuts ?
Qui ne se plaît à revoir suspendus
Casques , brassards , des lances , des écus ,
Autour des murs de ce salon gothique ?
Qu'avec plaisir chacun relit encor
Sur les écus les devises fidèles
De ces héros , fiers défenseurs des belles !
On croit ouïr , d'une voix de Stentor ,
Ces mots tonnans : Silence à Sacrémor .
Là , Palamède a peint ainsi son ame :
Prêt à mourir pour son prince et sa dame.
A Lancelot Galléhaul dévoué
Montre à nos yeux la Gloire et l'Amitié.
Là , surmonté d'une triple couronne ,
Brille l'écu du vieil et grand Artus ;
On lit au bas : Encor plus de vertus .
Là , contemplant le soleil qui rayonne ,
L'aigle d'un preux vole et rien ne l'étonne.
Tristan fait voir un lion , mais autour
Il est inscrit : Désarmé par l'Amour .
Regardez peuple , est la noble devise
De Lyonnel , ce roi juste qu'on prise.
Sur un champ d'or , la foudre , en un seul mot ,
D'un trait de feu grave ; c'est Lancelot .... (1)
Arrêtons-nous ; ma voix pourrait s'éteindre
En dénombrant ces valeureux guerriers ;
Toi seul , Lesser , as le droit de les peindre ;
Ma main , sans art , ternirait leurs lauriers .
Mais quelle était , dans l'Europe et la France ,
Le véhicule ardent dont la puissance
Multipliait d'héroïques exploits ?
C'était l'Amour : l'Amour tendre et fidèle ,
Du sexe alors reconnaissait les lois ;
1
(1) Voyez les statuts de la Table Ronde , dans le Ve chant du
poëme , et les devises des chevaliers , dans le chant XVIII .
Ta
292
MERCURE DE FRANCE ,
2
Et la valeur , sous sa douce tutelle ,
Etait l'appui du trône de nos rois .
Le sentiment, source du don de plaire ,
Guidait le coeur , choisissait la beauté
Dont le maintien , gracieux et sévère
A la pudeur alliait la fierté.
L'amant ployait un genou devant elle ,
Puis , d'espérance et de crainte agité ,
« Pour les combats je pars , gente pucelle !
» Lui disait-il ; ah ! lisez dans mon coeur ,
» Et j'oserai vous choisir pour ma belle .
"
»
Preux chevalier , j'aime votre valeur ;
!
Partez , servez la patrie et l'honneur ;
» Mon oeil vous suit ... - Merci, mademoiselle ! »
Dans ce merci , le héros tressaillant
Exprime tout , sa belliqueuse audace
Et son amour : la vierge , en rougissant ,
Baisse les yeux , puis détache avec grace
Sa belle écharpe , ornement de son sein ,
Au chevalier l'abandonne , l'embrasse
Et le relève , et lui serre la main .
9
1
Qu'en sons bruyans la trompete guerrière
Ait retenti : vêtu d'or et d'acier ,
Le casque en tête et baissant la visière ,
La dague au point , ferme sur l'étrier ,
Notre héros presse son destrier ,
Va se couvrir d'une noble poussière ,
Venger son roi contre unfèlon altier ;
Ou , dans des jeux , devant la cour plénière ,
Vaincre un rival , terrible chevalier.
Que ne peut-il pour son prince et sa dame ?
Enorgueilli de porter la couleur ,
Gage si cher d'une discrète flamme ,
Il a juré de revenir vainqueur ;
Il sent doubler les forces de son ame ;
Sa récompense , elle est là ; c'est l'honneur ,
C'est son amante , au sourire enchanteur.
Ainsi l'amour , frère de la vaillance ,
Sans s'amollir adorait la beauté
4
FEVRIER 1813.
293
(
Dont les vertus enchaînaient la constance :
Maitresse , amant , chacun de son côté,
Se respectait dans une longue absence ,
Et les soupçons étaient sans apparence ,
Tant on avait de foi , de loyauté !
J'atteste ici la jeune demoiselle
Dont le grand coeur fait voeu de chasteté
Au fier Gauvain que la victoire appelle (2) :
Ce trait , Lesser , demeure étiqueté
Dans ton poëme ; ( oh ! non pour moi , modèle
De courtoisie et de fidélité ) ;
Mais , entre nous , pour le lire à ma belle ...
Je vais partir , lui faire mes adieux ;
L'honneur français réclame ma cohorte :
Puisse son coeur , s'arrangeant de son mieux ,
Ames rivaux fermer au nez sa porte ,
Jusqu'au retour d'un amant glorieux
Qui la viendra relever de ses voeux
Avec l'Amour et sa riante escorte ! ...
Jadis pourtant ce dieu fit à l'Hymen ,
( Je ne saurais en garder le silence )
Des passedroits qu'au premier examen
Plus d'unmari trouve de conséquence ;
Mais honni soit , Messieurs , qui mal y pense ;
Grâce à Lesser , je le prouverai bien.
Figurez - vous , dans leurs fureurs jalouses ,
Ces vieux barons qui , lâches et cruels ,
Persécuteurs d'innocentes épouses ,
Les enfermaient dans leurs sombres châtels .
Nos chevaliers , courtois et redoutables ,
Prêtant au faible un bras officieux ,
Pouvaient- ils , sourds à leurs cris lamentables
Abandonner ces victimes aimables
Aux noirs accès de tyrans odieux ?
Non , ils devaient punir l'indigne outrage
Fait au beau sexe , aux vertus , aux amours .
(2) Voyez ce beau trait dans le poëme , chant XIe.
294
MERCURE DE FRANCE ,
Qu'un noir baron oppose à leur courage
Larges fossés , impénétrables tours :
Du pont-levis eux s'ouvrent le passage ;
Les traits sifflans , les débris de rocher
Portent la mort ! voyez les s'approcher ;
Ils bravent tout , couverts de leurs rondaches.
Nains et géans , suscités par l'Enfer ,
Sont pourfendus ; sous leurs bruyantes haches
Ils font crouler la porte aux gonds de fer.
Quels coups affreux ! quelle terrible lutte !
Mais ce Bréhus tombe , expire , et sa chute (3) ,
Réjouissant les échos de la tour ,
Rend à la belle et l'espoir et le jour.
Or , quel mari peut crier au scandale ,
Si , de bon coeur , la sensible beauté
Au détriment d'une austère morale ,
Récompensait tant d'intrépidité ,
Et recouvrait sa douce liberté
,
Par quelque brêche à la fois conjugale ?
Certes , l'amour ne se commande pas ;
Qu'il soit permis au sexe sans défense
De se venger d'un tyran qui l'offense ,
En disposant au moins de ses appas ,
Pour s'acquitter de sa reconnaissance
Envers ces preux armés , qui de leurs bras
Le délivraient d'une injuste puissance.
Je ne dis point qu'en ces tems vertueux
On n'eût jamais des faiblesses blamables ;
Je ne dis point qu'à des reines aimables
On ne portât des échecs dangereux ;
Deux grands héros furent même coupables.
Maris , boudez Tristan et Lancelot (4) ,
(Eux si loyaux au milieu des batailles ! )
L'un d'avoir fait , jusque dans Cramalot ,
(3) Voyez la tour sans huis et la punition de Bréhus ,
chant XVe du poёте.
(4) Chant IIe et VIII .
dans le
FEVRIER 1813.... 295
Le bon Artus , pic , repic et capot ,
Et l'autre , un oncle , un roi de Cornouailles!
Vingt fois cocu ( qu'on me passe le mot ).
Marc toutefois qui n'est point sans entrailles ,
Pouvait se faire un reproche in petto :
N'avait-il pas opposé son veto
A l'amour même , et par ses épousailles (5)
Soufflé jadis son Yseult au héros ?
Ma foi , c'était assez mal-à -propos
Forcer Tristan à justes représailles .
Le bon Artus avait aussi des torts :
N'eût-il pas dû conserver la mémoire
Du triste essai de la corne d'ivoire ( 6)
Où tout mari , malgré d'adroits efforts ,
Trop peu fidèle , en vain tenta de boire
Sans épancher la liqueur sur les bords ?
Pour ces amans j'use encor d'indulgence ,
Lorsque je songe aux philtres amoureux (7)
Dont la Morgain , pour les perdre tous deux ,
Les enivrait dans sa lâche vengeance .
Un froid Caton ( s'il eût vu l'oeil d'azur
D'Yseult'la blonde , ou l'oeil noir de Genièvre ) ,
Pressant la coupe , aurait , j'en suis bien sûr ,
Bu de l'amour la dévorante fièvre .
Mais nous doutons que le sage eût , comme eux .
De sa faiblesse effacé la mémoire ;
Etqu'en prêtant un appui généreux
Pour relever et le trône et la gloire
D'Artus jaloux et de Marc furieux ,
Il eût suivi l'exemple de ces preux :
Nous doutons bien que , d'un charme illusoire ,
Comme Tristan il eût gémi tout bas ,
Frappé sa coulpe en forme expiatoire (8 ) ,
(5) Chant VII . :
(6) Chant IXe . La lecture ou le souvenir de ces faits aide à l'intelligence
de la justificationde Lancelot et de Tristan.
(7) Le boire amoureux , chant VIe .
(8) La mortde Tristan , chant XIX .
296 MERCURE DE FRANCE ,
Et qu'un remord , chrétien et méritoire ,
Eût dans la tombe accompagné ses pas ....
Ages lointains , dont l'aimable ignorance
En égayant l'imagination ,
De nos aïeux nous rappellent l'enfance ;
Vous qui méliez à la religion
L'amour naïf , l'amitié , la vaillance.
Avec un grain de superstition ;
Ages heureux , où la chevalerie ,
En inspirant l'honneur , la loyauté ,
Et des vertus la magnanimité ,
Usait des moeurs la rude barbarie !
Faut- il choisir ? Je sens , en vérité ,
Que de vos preux l'héroïque folie
Est préférable à la raison polie
D'un siècle enclin à la frivolité
Qui , tour-à- tour , se rit de la beauté
Et des devoirs qu'impose la patrie .....
Mais qu'ai- je dit ? se sont-ils obscurcis
Ces jours brillans , célébrés par le Tasse ,
Et ces hauts faits qu'Arioste avec grâce
Aconsacrés par d'immortels récits ?
Ces rois si grands , si naïfs dans le style
Dont les peignaient et Comine et Joinville ,
Tous nos Français , nos Charles , nos.Louis ,
Se seraient-ils pour nous évanouis ?
Non ; dans ce siècle , en héros si fertile
Où son grand-homme efface le Dieu Mars ,
Nous reverrons , dans la France aguerrie ,
L'antique honneur de la chevalerie
Faire revivre , au sein même des arts ,
Les franches moeurs , l'aimable courtoisie ,
Et les vertus des Henris , des Bayards.
C'est toi , Lesser , toi dont la muse habile
Ades vieux tems distillé le trésor ,
Comme l'abeille industrieuse , agile ,
Se délassant de son lointain essor ,
ب
Du suc des fleurs , dans des cellules d'orm ( )
Pétrit , compose , épure un miel utile :
FEVRIER 1813 . 297
:
A
Eh bien ! poursuis ; rends à tes chevaliers
Que , chez Artus , le S. Gréal rassemble ..
Leurs traits naïfs et leurs exploits altiers ,
Défigurés par tant de romanciers
Dans leurs détails comme dans leur ensemble...
Oui , l'Arioste , un de tes devanciers ,
Surpris , charmé de te voir sur sa trace ,
Aton poëme a souri du Parnasse ,
Et , détachant un brin de ses lauriers ,
De son émule en couronne l'audace.
CHARLES MULLOT ( de la Gironde).
ÉNIGME.
Nous sommes vingt : dix sont toujours cachés
Au fond d'un double cloître ,
Ce qui fait qu'ils sont empêchés
D'embellir et de croître ,
Ainsique font
Les dix autres qui sont
D'une bien plus belle stature ,
Etdont on fait plus souvent la parure.
Chacun de nous est planté
Achaque extrémité
De vingt rejetons nés d'une quadruple branche.
On nous émonde , et l'on retranche
Ce qu'on voit en nous d'excédent.
Par ce qu'on voit sous nous de sang ,
On augure bien du courage ;
Et quand de nous le lion fait usage ,
Il fait trembler les plus vaillans ,
Et sa marque reste long-tems.
S ........
LOGOGRIPHE
SECTATEUR zélé d'Épicure ,
Chaud partisan du friand Lucullus ,
298 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813 .
Du vorace Vitellius
Etdes nouveauxApicius ,
Chez Méhot , chez Véry , je fais bonne figure ;
Ma tête à bas , de Saturne et Mercure ,
De Jupiter , de Mars et de Vénus ,
A Greenwich , à Paris , j'observe la tournure.
r
V. B. ( d'Agen . )
CHARADE .
S'IL faut croire Fontenelle ,
Lecteur , mon premier souvent
A fait tourner la cervelle
Au mortel le plus savant.
Mon dernier avec bas peut faire une antithèse .
Etmon entier , sans doute , était mal à son aise ,
Lorsque sur un chameau ,
Tout près des rives de la Saone ,
( Le fait est vrai , mais le trait n'est pas beau )
Il lui fallut comparaître en personne .
V. B. (d'Agen.)
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Patins.
Celui du Logogriphe est Dénier, dans lequel on trouve : diner,
Celui de la Charade est Anson .
)
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
LES PRINCES RIVAUX , ou Mémoires de mistress Mary-
Anne Clarke , favorite du duc d'Yorck , écrits par ellemême
, où l'auteur dévoile le secret des intrigues du duc
de Kent contre le duc d'Yorck son frère , etc. Un
vol . in-8 ° , avec le portrait de mistress CLARKE . -
Paris , chez Buisson , libraire , rue Gilles-Coeur , nº 10 .
On se rappelle les scandaleux débats qui eurent lieu ,
il y a trois ans , dans le parlement d'Angleterre , où l'on
reprocha publiquement au duc d'Yorck , généralissime
de l'armée anglaise , d'avoir vendu les places et les
faveurs dont cette espèce de ministère lui permettait de
disposer. On produisit une mistress Clarke , l'une des
maîtresses du duc , qui confessa en plein parlement
qu'elle avait reçu de l'argent , et qu'elle avait partagé
avec le prince . Le parlement fit une adresse au roi pour
le prier de retirer au duc d'Yorck son commandement ;
ce qui fut fait.
Si le duc d'Yorck qui , malgré ses déprédations, était
toujours obéré , avait pu fournir assez d'argent à sa
maîtresse , il lui aurait fermé la bouche , ou bien elle
aurait fait une déposition en sa faveur ; et cela n'est
point une supposition gratuite : elle avoue elle-même ,
sans trop se gêner , les nobles motifs qui la font agir
(page 13 ) ; mais ce n'est pas tout : elle ne se trouve pas
assez bien payée par ceux qui l'ont mise en jeu contre
son ancien amant. « Comme j'avais fait , dit- elle , page
» 198 , au duc d'Yorck tout le mal dont nous étions
>> convenus , je croyais avoir droit, jusqu'au dernier sou ,
» à la rétribution qui m'avait été promise. » En conséquence
,' elle les cite en justice pour les forcer à exécuter
leurs promesses prétendues ; elle publie contre eux un
libelle diffamatoire , honteux par son objet , dégoûtant
par sa forme , et qui , tel quel , n'a pas laissé de trouver
un traducteur. C'est ce libelle qu'on publie aujourd'hui.
300 MERCURE DE FRANCE ,
En parlant d'un de ces Messieurs qui n'ont pas jugé à
propos d'acheter son silence , elle dit de lui : « Il sred
>>bien à un tel gredin de parler de justice ! Si elle n'avait
>> pas été aveugle , elle l'aurait fait pendre ( page 179) . »
Ailleurs , après avoir révélé la manière dont deux amis
du duc de Kent s'exprimaient sur le compte l'un de
l'autre , elle ajoute : « Au surplus , si le lord Folkstone
>>est obligé d'aller sur le terrain avec le major Dodd ou
>> le colonel Wardle , je lui servirai de second avec
>>plaisir ; et si par hasard il venait à trembler , je diri-
>>> gerais son bras , et je tirerais la gachette (page 216).>>>
Tout cela est passablement nauséabonde, et le traducteur
en plusieurs endroits en prend occasion de
témoigner , avec raison , une sainte indignation contre
les moeurs de la nation où de telles choses se passent.
Cependant , comme par-tout il y a des motifs pour se
consoler , n'y en a-t-il point ici pour prendre son parti
sur le scandale ? On se rappelle la réponse du tragédien
Baron à ce seigneur qui trouvait scandaleux aussi qu'un
histrion osât prendre avec lui un ton d'égalité. Comptezvous
pour rien , Monseigneur , le droit de me le dire ?
VIES DES POETES FRANÇAIS DU SIÈCLE DE LOUIS XIV ; par
4
M. F. GUIZOT . Première livraison . Cet ouvrage formera
3 vol. in- 8° de 500 pages , et paraîtra en douze
livraisons qui se suivront de mois en mois . -Prix,
18 fr . - Paris , chez F. Schoell , libraire , rue des
Fossés- Montmartre , nº 14.
IL n'est aucun de nos poëtes célèbres qui n'ait trouvé
son biographe ; leurs vies figurent ordinairement à la
tête de leurs oeuvres , et si toutes étaient également bien
faites et bien écrites , peut- être serait-il inutile de les
écrire de nouveau . Je dis peut-être , car je n'oserais pas
P'assurer. Ces vies , en effet , étant l'ouvrage d'un grand
nombre de plumes différentes ne peuvent avoir été composées
dans un même esprit , et chacune pouvant l'avoir
été par un admirateur particulier du poëte, qui en est le
héros , il peut en résulter que tous soient appréciés beau
FEVRIER 1813 . 301
coup plus haut qu'ils ne le méritent. Le biographe d'un
seul poëte ressemble beaucoup au commentateur qui ne
voit rien à comparer à l'ouvrage dont il s'occupe. Mais
si l'on avoue qu'il serait encore permis de recommencer
cette partie de notre histoire littéraire prise dans son
ensemble , quand même elle aurait déjà été traitée avec
succès séparément , on conviendra qu'une telle entreprise
n'est pas seulement permise , mais nécessaire , lorsque
l'on sait que trop souvent nos poëtes n'ont trouvé que
des biographes très-peu dignes d'eux. Il y a d'ailleurs
un autre avantage à rassembler leurs vies dans un même
cadre où elles se suivent chronologiquement. Leur réuniondevient
alors l'histoire de la poésie française. L'importance
historique se joint à l'intérêt biographique. Des
anecdotes qui n'avaient servi jusque-là qu'à peindre le
caractère de tel homme , les habitudes de telle coterie ,
la physionomie de telle société , deviennent des traits
saillans dans l'histoire de l'esprit humain , et acquièrent
une utilité morale et philosophique . Ce fut probablement
avec de pareilles vues que le célèbre Johnson entreprit
de rassembler en un corps d'ouvrage les vies des poëtes
anglais , et c'est sûrement dans cette intention que
M. Guizot se fait aujourd'hui le biographe des poëtes
du siècle de Louis XIV. Il porte un coup-d'oeil philosophique
sur tous les sujets dont il s'empare , et son
Introduction que nous avons sous les yeux ne peut nous
laisser aucun doute sur la manière dont il a considéré
celui-ci .
Au reste , je ne dissimulerai point qu'il peut se trouver
des lecteurs assez empressés d'arriver aux faits pour me
demander si cette Introduction était vraiment nécessaire,
sidu moins elle n'est pas trop longue , puisqu'elle occupe
le quart du premier volume dans un ouvrage qui n'en
aura que trois , Les goûts sont quelquefois si différens
que je trouverais plutôt à cette Introduction le défaut
contraire ; elle n'est point assez étendue pour le vaste
sujet qu'elle traite , ou plutôt (disons-le franchement) ,
l'auteur a pris son sujet d'un peu trop haut. Il n'était
pas absolument nécessaire, pour nous préparer à lire les
vies de Corneille et de Racine , de remonter à la manière
302 MERCURE DE FRANCE ,
dont la littérature est née et s'est perfectionnée chez les
Grecs . Ce n'est pas que l'auteur ne présente sur cet
objet des vues très- ingénieuses , et qu'il ne nous donne
des aperçus très -heureux sur la différence très -remarquable
qui existe entre la manière dont les Grecs se sont
éclairés et civilisés , et celle dont les lumières et la civilisation
sont nées et se sont propagées chez les peuples
modernes ; mais les bornes qu'il s'était prescrites dans
ce morceau l'ont forcé de resserrer beaucoup trop cet
intéressant parallèle ; il sera compris sans doute des lecteurs
qui ont déjà médité sur ce sujet ; il pourra même
l'être aussi de quelques- uns des autres , mais ceux-ci
auront besoin de travailler ensuite eux-mêmes sur les
idées qu'il leur fournit , s'ils veulent que cette lecture
leur profite. J'en dis autant du coup-d'oeil rapide que
jette M. Guizot sur notre poésie , depuis son origine
jusqu'à François Ier; il n'est pas seulement rapide , il est
incomplet. Les Troubadours provençaux y occupent
cependant assez de płace ; mais l'auteur ne nomme ni
Thibaut , comte de Champagne , ni Raoul de Couci ; il
ne parle point de ce fameux poëme d'Alexandre , qui
donna son nom aux vers alexandrins , ou bien il le confond
avec les romans du même siècle . Mais il y aurait
de l'injustice à nous arrêter plus long-tems sur ces omissions
: elles sont excusées par cela seul que M. Guizot
s'est vu contraint , par son plan , à resserrer en trente
pages le tableau des quatre premiers siècles de notre
poésie . Arrivé à l'époque où il pouvait donner plus
d'étendue à ses idées , il reprend cette clarté , cette exactitude
que l'on est accoutumé à trouver dans son style et
dans ses recherches , et il dédommage amplement ses
lecteurs .
C'est à Marot et à Ronsard que M. Guizot commence
à apprécier , avec un goût supérieur , et les qualités de
notre poésie , et le mérite de nos poëtes . Ces deux écrivains
jouirent chacun dans son tems de la plus haute
réputation . On lit , on cite , on admire encore quelques
pièces de Marot ; on ne parle plus guère de Ronsard que
pour le tourner en ridicule. M. Guizot explique trèsbien
la destinée de ces deux poëtes, dont le mérite fut
1
7
FEVRIER 1813 . 303
peut-être égal . Marot , avec moins de génie et moins
d'imagination que Ronsard , recueillit avec sagesse l'héritage
de nos anciens auteurs de fabliaux , où l'on trouve,
dit notre auteur , une vérité de détails et de sentimens ,
un caractère naïf , badin et un peu malicieux , qui appartient
spécialement à l'esprit français laissé à lui-même.
Ce caractère est encore aujourd'hui celui de nos poésies
fugitives , genre dans lequel aucune nation n'a pu nous
égaler. Pourquoi s'étonner que les premiers titres de
cette gloire nous charment encore dans les heureux
essais de Marot ? Ronsard , au contraire , succédant à ce
poëte , à l'époque où tout ce qui cultivait les lettres tournait
ses regards vers les trésors des littératures grecque
et latine qui venaient , en quelque sorte , d'être exhumés,
Ronsard , dis-je , voulut enrichir le français de ces
richesses latines et grecques . L'antique simplicité lui
parut au-dessous de la magnificence qui devait revêtir
ła poésie ; il voulut ennoblir notre langue , il voulut
qu'elle pût lutter avec les anciens ; mais il n'en connut
point assez le génie ; et sa réputation dut passer avec
ses ouvrages , lorsque ce génie eut été découvert par
Malherbe , lorsqu'il eut brillé dans les ouvrages de Corneille
, de Racine et de Boileau. Toutefois (et c'est ici
que se distinguent le jugement sain , le goût délicat de
notre auteur ) les erreurs de Ronsard ne nuisirent qu'à
lui-même , et la langue profita de ce qu'il avait eu d'heureux
dans ses témérités . Notre poésie , dit M. Guizot ,
apprit à se parer d'une magnificence qu'elle n'avait point
connue jusqu'alors ; les trésors dont elle s'enrichit , bien
qu'empruntés hors de son territoire , n'ont pas peu contribué
à l'élever au rang où elle s'est placée depuis cette
époque. Ainsi, ajouterai-je , jusqu'à ce que la langue et
le goût soient fixés , la littérature , la poésie même , ont
cela de commun avec les sciences , qu'elles profitent des
erreurs comme des découvertes de ceux qui les cultivent;
mais les littérateurs ont l'injustice d'oublier ceux
qui les ont instruits , tandis que les savans ne parlent
qu'avec respect des hommes qui leur ont frayé la carrière
; on rit de Ronsard et de Desportes ; Tycho et
Ptolomée sont toujours nommés avec honneur.
304 MERCURE DE FRANCE ,
(
M. Guizot n'apprécie pas avec moins d'équité l'école
deMalherbe que celle de Ronsard . Rien de plus opposé
que l'esprit qui régna dans l'une et dans l'autre . Ronsard
et ses élèves vivant dans un tems de troubles n'avaient
écrit que pour les écrivains , n'avaient fait de la poésie
que pour les poëtes . Ils avaient nourri leurs ouvrages
d'érudition , parce qu'elle n'était point étrangère à ce petit
nombre de lecteurs choisis ; ils s'étaient pliés aux tournures
grecques et latines , parce que ces lecteurs savaient
le grec et le latin; ils n'avaient pas même craint d'être
quelquefois obscurs , assurés qu'ils étaient de la patience
et de l'intelligence de leurs zélès admirateurs . Malherbe
sous Henri IV et Louis XIII dut en agir différemment.
La paix intérieure avait succédé aux guerres civiles :
les lettres n'étaient plus seulement l'occupation de quelques
savans de profession; elles devenaient peu-à-peu
l'amusement de beaucoup d'oisifs . Ce fut à ceux -ci qu'il
s'agit de plaire , et la première condition fut de leur parler
leur langue , de se faire entendre avec facilité , de ne
traiter que des objets qui fussent à leur portée. Dès-lors
ondut abandonner tous les hellénismes et les latinismes
de l'ancienne école ; l'érudition dut être restreinte aux
connaissances peu étendues qui entraient alors dans
l'éducation des honnêtes gens . La langue sur-tout dut
être épurée , et la tâche était laborieuse après toutes les
richesses non-seulement latines et grecques , mais limosines
, provençales et normandes , dont Ronsard avait
prétendu la charger. Socrate avait fait descendre laphi
losophie du ciel sur la terre . Malherbe ramena la poésie
française de l'Université dans les sallons . Mais à peine
sa révolution fût-elle opérée que lui-même , et sur-tout
ses disciples , l'outrèrent , comme cela arrive à toutes les
révolutions . D'empoulé , d'exagéré que l'on était , on devint
bas et trivial. On avait trop négligé les formes ; et
pour les polir on négligea le fonds . Les disciples de
Ronsard se plaignirent des premiers abus ; les disciples
de Malherbe lui-même relevèrent le second , et ainsi se
préparait l'époque brillante de notre gloire littéraire ,
celle où notre poésie devait avoir de la noblesse sans
enflure , du naturel sans trivialité , et où le mérite des
KOFEVRIER 1813 305
SELA
4
pensées serait encore relevé par la correction du fangage.
Toutefois ily avait encore un enorme pas à faire , je
dirais presque un abîme à franchir avant d'arriver à ces
heureux jours . Deux vices essentiels semblaient inhérentsà
notre littérature. Une galanterie exaltée et froide,
nourrie des hyperboles de l'Espagne et des subtilités
lItalie était en quelque sorte l'unique sujet des faiseurs
de vers. Personne ne contemplait , ne sentait les b
de la nature. On s'occupait moins d'images que depen
sées ; on prétendait sur-tout au bel esprit ; on voulait
éblouir plutôt que toucher , étonner plutôt que seduire.
Nous avons vuque les poëtes ramenés par Malherbe dans
lemonde avaient voulu plaire à un public très - nombreux .
Asy réussirent, et le rapprochement des gens de lettres
et des gens du monde date à- peu près de ses succès .
Mais quelque bien que ce rapprochement ait pu opérer
alors el depuis , il produisit d'abord un mal dont les suites
n'ont jamais été totalement effacées . Les gens du monde
ne se contentèrent pas de lire les poëtes , ils voulurent
les juger et prendre rang parmi eux. Il se forma de tous
côtés des coteries littéraires , chacun voulut y apporter
son contingent; tout le monde voulut faire des vers , les
faire promptement , sans méditation et sans étude. Qu'on
juge du beau résultat de tant de prétentions ! Qu'on se
figure des poëtes empressés d'obtenir le suffrage de gen's
qui ne pouvaient pas captiver leur attention plus longtems
qu'iln'en fallait pour juger d'un sonnet etd'une ballade,
et qui voulaient sans cesse des vers nouveaux;
qu'on leur associe ces mêmes juges entrant à leur tour
dans la lice avec des ouvrages du même genre composés
encore plus cavalièrement , et il ne faudra pas de bien
longues réflexions sur cette direction singulière qu'avait
prise alors notre poésie pour ne plus s'étonner de cette
manie du faux bel esprit , de ce jargon de métaphysique
amoureuse, de ces petits vers à la glace qui sous Louis XIII
et dans les premières années de Louis XIV eurent une
vogue si désespérante à la ville et à la cour. On comprendra
l'autorité de l'hôtel de Rambouillet et le langage
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
des précieuses , le succès de l'esprit de Voiture et des
romans de Mlle Scudéry.
,
C'est principalement de cette époque de notre littérature
que M. Guizot s'est occupé dans son introduction ,
parce qu'en effet elle précède immédiatement celle dont
il va nous donner l'histoire . On y trouvera des faits
curieux rapprochés avec beaucoup d'art , et d'où l'auteur
tire des observations extrémement intéressantes . Les
noms de cette époque trop peu connue parce qu'elle a
été éclipsée par celle qui lui succéda présentent , dans
les tableaux qu'il en trace ,des phénomènes très-singuliers .
Il faut les aller chercher dans son ouvrage . C'est là qu'il
faut voir comment , à la même cour et dans le même
tems , régnaient la précieuse métaphysique de l'hôtel de
Rambouillet et le burlesque de l'Enéide Travestie ; comment
on parlait sans cesse d'amour sans être amoureux ,
de débauche sans être débauché ; comment , en un mot ,
l'homme entièrement séparé du poëte avait des sentimens
àpart et tout-à- fait différens de ceux que le poëte chantait.
Trois choses , dit M. Guizot , contribuèrent à
remettre notre poésie dans une meilleure voie : l'institution
de l'Académie française , l'établissement des
théâtres , et plus tard la protection directe de Louis XIV.
De ces trois causes , l'institution de l'Académie était la
seule qu'il dût traiter dans son Introduction . Il la raconte
avec briéveté , mais d'une manière très -satisfaisante . II
n'a négligé aucune des sources qui pouvaient lui fournir
des faits intéressans . En général , il a fait pour cette
Introduction des recherches très-étendues , et , ce qui
vaut mieux encore , loin d'en prodiguer les résultats , il
ne les a offerts au public qu'avec une sage économie. Il
a choisi parmi les anecdotes celles qui étaient les plus
propres à caractériser les moeurs du tems , et parmi les
vers il n'a cité que ceux qui pouvaient donner une idée
bien positive , soit du mérite des poëtes , soit de leurs
défauts . Ces citations ne peuvent manquer de plaire aux
amis de la littérature , et ils sauront gré à M. Guizot
d'avoir été les chercher dans des livres qui ne sont guère
connus aujourd'hui que des littérateurs de profession.
Après avoir donné à notre auteur des éloges qu'il a
A
FEVRIER 1813 . 307
1
.
1
5
i
i
ل
bienmérités , je dois relever une inexactitude , ou plutôt
une distraction qui lui est échappée , et je le ferai avec
d'autant moins de répugnance qu'elle est la seule qui
m'ait frappé , et qu'il lui sera facile de la réparer dans
la seconde livraison de son ouvrage. Au nombre des
grands écrivains du siècle de Louis XIV , qui ne sont
point entrés à l'Académie française , il place Molière et
La Fontaine . Molière , en effet , n'y fut point admis , et
c'est déjà trop; mais La Fontaine y fut reçu le 2 mai
1684. Il faut rendre , non à La Fontaine , mais à l'Académie
, ce qui lui appartient . Il y a aussi quelques obscurités
dans l'Avertissement qui ouvre ce volume. Elles
ne sont dues sans doute qu'à des fautes typographiques .
M. Guizot pourra également y remédier dans un errata.
On assure que sa seconde livraison est sous presse ,
et qu'elle paraîtra incessamment. La vie de Corneille
doit l'ouvrir et peut-être la remplir toute entière . Ceux
qui connaissent le bon esprit , le goût sûr de M. Guizot ,
l'accueilleront avec empressement. Elle lui offre à déerire
un spectacle du plus grand intérêt. Ce ne sera pas
précisément celui dont parle Sénèque ; l'homme de bien
luttant contre la mauvaise fortune , vir bonus cum malá
fortuna compositus , mais l'homme de génie luttant contre
le mauvais goût. On peut se promettre d'avance que
ce sujet sera bien traité par l'auteur , et l'on doit désirer
qu'ensuite la personne qui coopère à son ouvrage nous
donne la vie de quelqu'autre poëte , où elle déploiera
cette finèsse de tact , et ce talent de découvrir aux objets
des faces nouvelles qu'on a déjà si souvent admirés dans
ses écrits . C. V.
:
THEATRE DE LA FONTAINE . - Edition stéréotype. - Un
volume in- 18 .
LA FONTAINE est plus connu des gens du monde ;
comme fabuliste et conteur , que comme auteur dramatique
. Les gens du monde , sinon les hommes de lettres ,
ignorent , pour la plupart , que le même écrivain qui
narrait avec tant de charmes,acomposé des scènes dignes
V2
308 MERCURE DE FRANCE ,
de Molière , et je gagerais volontiers que parmi tant de
personnes qui savent par coeur ses fables , et même ses
contes , il en est plusieurs qui ne connaissent ni le Florentin
, ni sur-tout la Coupe enchantée , qui ne sejoue
plus . Cependant on doit à La Fontaine cinq comédies ,
dont quatre furent jouées avec succès , trois grands
opéras , et il avait même commencé une tragédie .
Il est vrai que quatre de ces pièces , le Florentin ,
la Coupe enchantée , le Veau perdu et retrouvé , et Je vous
prends sans verd , ont été attribuées à Champmeslé , acteur
célèbre et auteur de plusieurs comédies qui sont
mauvaises , à la vérité , mais dans lesquelles on rencontre
quelques jolis détails . Les liaisons de La Fontaine
avec cet acteur , qu'il chargeait de faire recevoir
ses ouvrages au théâtre , donnèrent sans doute lieu à
ces bruits qui n'étaient pas encore éteints un siècle après
lamort de Champmeslé, ainsi que l'atteste l'épigramme
suivante :
Que manque-t- il à Champmeslé
Pour que sa gloire soit certaine ,
Puisqu'un siècle s'est écoulé ,
Sans qu'on ait encor démêlé
S'il ne fut pas l'auteur des pièces qu'à la scène
On attribue à La Fontaine?
Les hommes de lettres qui ont comparé les Grisettes
ou Crispin Chevalier, sans contredit le chef-d'oeuvre de
Champmeslé , avec les pièces de La Fontaine qu'on
attribue à cet auteur et dont trois seulement nous restent
, car le Veau perdu n'a jamais été imprimé ; les
hommes de lettres , dis-je , ont acquis la conviction que
T'auteur des Grisettes était incapable de faire , je ne dis
pas le Florentin , mais Je vous prends sans verd , qui ne
s'élève pas au- dessus du médiocre.
Cette dernière pièce passe encore aujourd'hui , aux
yeux de bien du monde , pour être de Champméslé ;
cependant il est impossible , malgré un grand nombre de
négligences et même malgré les défauts graves qui la déparent
, de ne pas y reconnaître le cachet original de
La Fontaine , principalement dans la scène où SaintFEVRIER
1813 . 309
3
L
Amand surprend sa femme dans un tendre entretien
avec Montreuil , scène que la fable de la Tourterelle et
du Hibou rend extrémement ingénieuse , et que , parconséquent
, Champmeslé aurait été incapable de fairer:
aussi les éditeurs qui , en 1791 , publièrent les Chefsd'oeuvre
dramatiques de La Fontaine , y firent-ils entrer
Je vous prends sans verd.
M. Fayolle , à qui nous sommes redevables de la
nouvelle édition que j'annonce , a réuni en un volume
l'Eunuque ,le Florentin , Ragotin , la Coupe enchantée ,
et les deux actes de la tragédie d'Achille. Ces quatre
comédies ne sont guères connues , comme nous l'avons
dit , que des gens de lettres. Cependant le Florentin se
joue encore assez souvent , et la Coupe enchantée a longtems
été au courant du répertoire : je ne doute pas que
si elle était reprise elle n'obtînt un grand succès . !
L'Eunuque est imité de celui de Térence , que Bruyeis
a mis au théâtre sous le titre du Muet. Il ne paraît pas
que la pièce de La Fontaine ait eu beaucoup de représentations
, au lieu que celle de Bruyeis , dont la marche
est plus rapide , a obtenu un succès d'estime qui s'est
toujours soutenu . La Fontaine , admirateur zélé des anciens
, s'est trop scrupuleusement attaché à traduire
Térence en vers , tandis que Bruyeis se contenta de
limiter dans une prose pleine d'enjouement et d'originalité;
mais en transportant la scène ànos tems modernes
, cet auteur a rendu le dénouement invraisemblable
. D'ailleurs , son Frontin dégénère trop souvent
en caricature , ce qui n'arrive pas au Parmenon de l'Eunuque
, qui est un habile intrigant , mais non un farceur.
Il n'y a , au reste , dans le Muet rien de comparable
aux caractères de Trason et de Gnathon , tracés
avectant de force comique par La Fontaine . Je ne crains
pas même d'assurer , qu'avec de légères corrections et
-en adoucissant quelques détails un peu trop vifs , l'Eunuque
ne fût joué avec succès .
Le Florentin est le chef-d'oeuvre dramatique de
La Fontaine . L'intrigue de cette comédie est , il est vrai ,
un peu faible , et manque de vraisemblance , mais l'intérêt
qu'elle excite, l'art avec lequel elle est conduite ,
310 MERCURE DE FRANCE ,
+
la manière dont les scènes et sur-tout celle d'Hortense
et d'Harpagème sont filées , et les charmes du style , rachètent
bien quelques défauts. Il existe une édition de
1740, où le Florentin esten deux actes . Dans le premier ,
Timante qui s'est introduit chez Harpagème , craignant
d'être surpris , se cache dans un fauteuil , et son valet
Gusman dans une horloge. De telles scènes plus plaisantes
que comiques furent sans doute retranchées par
l'auteur aux premières représentations . Ces suppressions,
mais sur-tout celle du personnage de Gusman , réduisirent
la pièce en un acte , et il paraît que l'édition de
1740 a été faite d'après un manuscrit où les scènes supprimées
existaient encore .
Ragotin , comédie en cinq actes et en vers , dans laquelle
La Fontaine a rassemblé , autant qu'il a été en
lui , les événemens du Roman comique , pèche et par la
conduite et par le style. Le poëte traduit , pour l'ordinaire
, en vers faibles et communs la prose bizarre , mais
originale , de Scarron , et à peine rencontre-t- on dans sa
pièce quelques détails où le génie du grand homme se
laisse apercevoir. Ragotin est bien inférieur à Je vous
prends sans verd , que je regrette beaucoup de ne pas
trouver ici ; et s'il faut absolument donner à Champmeslé
une des pièces de La Fontaine , Ragotin me semble
plus digne de l'auteur du Parisien et de la rue Saint-
Denis , que de celui du Florentin et de la Coupe enchantée
. Z
Cette dernière comédie est tirée de la nouvelle de
Boccace , intitulée : Les Oies de Frère Philippe , et de
l'un des épisodes de l'Orlando Furioso , morceaux qui
avaient déjà fourni à La Fontaine les sujets de deux de
ses Contes ; il les réunit ensuite , et en fit une très-jolie
comédie . Le caractère de Lélie , qui n'a jamais vu de
femme , est d'une naïveté charmante ; celui de Tibaut
est bien imaginé et mieux soutenu encore . On en peut
dire autant de tous les autres . Les scènes sont parfaitement
conduites , le dialogue est facile et naturel , et le
dénouement bien amené.
Je ne dirai rien autre chose des deux actes d'Achille ,
sinon que La Fontaine y fait parler les héros d'Homère
FEVRIER 1813. 311
コ
E
1
comme il a fait paver Janot Lapin et demoiselle Belette.
Unde nos plus ingénieux critiques, en rendant compte,
dans un journal très- répandu , d'une nouvelle édition'
d'Hamilton , s'est plaint de ce que les éditeurs actuels
publient des oeuvres trop complètes et choisissent mal
les oeuvres choisies . Tout le monde doit être de son avis
sur ce dernier reproche, dont il prouverait la justesse par
beaucoup d'exemples , si cela était nécessaire. Quant
aux oeuvres trop complètes , il me permettra de ne pas
penser comme lui . Les oeuvres choisies sont pour les
gens du monde , mais il faut à l'homme de lettres les
collections complètes de nos écrivains du premier et
même de ceux du second ordre ; il trouvera l'histoire de
leur génie dans leurs ouvrages , et il apprendra la manière
dont ils travaillaient , en lisant leurs variantes . On
aime à connaître comment Corneille , après avoir créé
le Cid , Cinna , les Horaces , etc. a fait Agésilas , Attila
ou Pertharite , et comment Voltaire fitAgathocle ou les
Pélopides , après Zaïre , Mérope et Brutus . La lecture
des oeuvres choisies n'apprendra jamais quels ont été les
progrès du grand écrivain dont on n'a imprimé que les
chefs-d'oeuvre , et quelle a été ladécadence de songénie ;
il faut lire pour cela ses oeuvres complètes .
Il est plus utile aussi qu'on ne pense de savoir quelles
chutes humiliantes a éprouvées le talent, qui a voulu sortir
du genre que la nature lui avait tracé , pour en traiter
d'autres auxquels il était étranger. Or , comme les fautes
du génie peuvent ramener ceux qui s'égarent , il est
nécessaire que les jeunes littérateurs aient dans leur
bibliothèque des oeuvres complètes de nos classiques ,
pour y apprendre à quoi its s'exposent eux-mêmes en
forçant leur talent.
Je regrette donc que l'éditeur du Théâtre de La Fon
taine n'y ait pas joint Daphné , Astrée et Galathée ,
opéras que le bonhomme composa lorsqu'il se laissa
enquinauder par Lulli. Quant à Climène , ce n'est qu'un
dialogue plein de détails gracieux et un peu libres .
Climène futd'abord imprimée à la suite des Contes ; quelques
éditeurs mal avisés la réunirent ensuite au théâtre ,
1
312 MERCURE DE FRANCE ,
mais c'est dans les poésies diverses qu'est sa place naturelle
.
L'opéra d'Astrée , le meilleur des trois , obtint une
espèce de succès . A la première représentation , l'auteur
, placé derrière des dames qui ne le connaissaient,
pas , s'écriait à chaque instant , cela est détestable. Ces
dames , choquées de ses continuelles exclamations , lui
dirent enfin : Monsieur , cela n'est pas si mauvais , l'au
teur est un homme d'esprit , c'est M. de La Fontaine.
Eh ! mesdames , reprit-il sans s'émouvoir , la pièce ne
vaut rien ; ce La Fontaine dont vous parlez est un stupide;
c'est moi qui le suis . Il sort après le premier acte , et
va s'endormir dans un café. Quelqu'un de sa connaissance
, surpris de le voir dans cet état , s'écrie : Comment
donc ! M. de La Fontaine est ici ? Ne devrait- il pas être
à la première représentation de son opéra ? A ces mots
La Fontaine se réveille , et dit en bâillant : J'en piens ,
j'ai essuyé le premier acte qui m'a si prodigieusement
ennuyé, que je n'ai pas voulu en entendre davantage ;
j'admire la patience des Parisiens . C'est-là un de ces
traits de caractère dont La Fontaine seul a fourni des
exemples. L. A. M. В.
LES PARENS DE CIRCONSTANCE.
CONTE .
LE calife Haroun-al-Raschid , qui , comme vous le
savez , était un grand promeneur , se promenait un soir
dans les rues de Bagdad avec son grand-visir Giafar.
Sa promenade était finie , et le calife se plaignait de
n'avoir pas rencontré dans sa soirée une seule aventure......
Voilà que , dans le même instant , il entend pleurer et
gémir. Il s'avance du côté d'où partaient les plaintes et les
sanglots , et voit , au clair de la lune , un bon jeune homme
assis devant une petite boutique de cordonnier.
Le calife dit à ce jeune homme : Pourquoi pleures-tu ?
Et le jeune homme lui répondit : Quevous importe ma
joie ou mes larmes , mes plaisirs ou mes peines? quand
vous seriez le calife en personne,vous ne pourriez medon
ner ce qui me manque pour être heureux.
FEVRIER 1813 . 313
Le calife sourit et dit : Qu'en sais-tu ? je suis peut-être
plus puissant que tu ne crois ; je suis peut-être un envoyé
du prophète , qui vient pour te secourir et te consoler...
Ah ! si vous êtes un envoyé du prophète , répond le
jeune homme , c'est une autre affaire , et vous devez savoir
aussi bien que moi ce que vous me demandez. Vous
devez savoir que je suis amoureux de la belle Agéli ,
qui est fille d'un pauvre cordonnier comme moi ; et qu'on
me la refuse parce qu'elle a un père , une mère , des
frères , des oncles et des cousins , tandis que moi je n'ai
rien de tout cela . Ils disent qu'ils ne peuvent donner leur
fille à un inconnu , à un homme sans parens . En effet ,
seigneur, je suis venu au monde je ne sais comment,je
suis né je ne sais où , je suis fils de je ne sais qui . Un
pauvre cordonnier m'a trouvé un beau soir à sa porte , où ,
sans doute , ma mère m'avait abandonné ; il m'a fait éle+
ver , m'a montré son métier , et en mourant il m'a laissé
son échoppe . Voilà six mois , seigneur , que je cherche à
découvrir quels sont les auteurs de mes jours sans pouvoir
en venir à bout , et pourtantje dois avoir quelque part des
frères , des oncles , ou pour le moins des cousins , puisque
tout le monde en a .
La naïveté du bon Kadib amuse beaucoup le calife , qui
lui dit : Des frères , des oncles , il serait peut-être assez
difficile de t'en procurer ; mais pour des cousins , sois
tranquille , je t'en procurerai à tous les degrés possibles.
Le jeune homme , bien content de cette promesse , suit
le calife qui le conduit dans son palais et le fait revêtir
d'un riche costume.
Quand tout cela est fait , le calife dit à Giafar : Te voila
disgracié pour huit jours ; je t'exile dans une de tes belles
maisons de campagne : et toi , Kadib , je te fais mon grandvisir
; tâche de remplir cette importante fonction avec
intelligence et fidélité. J'y ferai tout mon possible ,
répond Kadib , en se prosternant la face contre terre.
Quand le pauvre cordonnier , mon père adoptif , voulut
m'apprendre à faire des souliers , je ne savais pas seulement
enfiler une aiguille ; mais il me disait : Courage ,
mon enfant ; avec un peu de bonne volonté et d'habitude ,
un homme apprend tous les métiers .
Dès le lendemain on sait à la cour la disgrâce de Giafar.
Detous côtés on l'accuse , de toutes les parties de l'Empire
des plaintes s'élèvent contre lui. Les courtisans , ceux
à qui il avait fait un peu de mal , ceux sur-tout à qui il
314 MERCURE DE FRANCE ,
avait fait beaucoup de bien , viennent féliciter le calife de
cet acte de justice.
2
Le calife en voyant la bassesse et la cupidité des
hommes calomnier les vertus dont ils n'ont plus rien à
craindre ni à espérer , ne peut s'empêcher de dire :
Ohommes ! que vous êtes méprisables ! et vous voulez
que les rois vous comptent pour quelque chose ! qui vous
méprise le plus , vous connaît le mieux ; qui vous foule
sous ses pieds n'a point de reproche à se faire . Eprouvet-
on des remords quand on écrase des reptiles ?
Cette réflexion n'est pas philanthropique ; mais n'accusons
pas les despotes de l'Orient de la mauvaise opinion
qu'ils ont des hommes ; ils les jugent par ceux dont ils
sont entourés .
Bientôt le nouveau visir est environné d'un grand
nombre d'amis comme l'était la veille le visir Giafar . Tout
ce qu'il dit est sublime , tout ce qu'il fait est admirable ,
tout ce qu'il désire s'accomplit , tout ce qu'il aime est
aimable , tout ce qu'il n'aime pas est odieux .
Il est entouré de flatteurs , de solliciteurs , et ne sait
auquel entendre . " Par Mahomet ! se dit-il , c'est une
chose plaisante ! hier j'étais aux pieds de tout le monde ,
aujourd'hui tout le monde est à mes pieds ; hier je faisais
des babouches , aujourd'hui c'est à qui baisera les miennes
! "
Dès le soir même de sa nomination , le visir reçoit un
placet d'un des plus riches habitans de Bagdad qui se dit
son parent , et qui le prie de vouloir bien lui octroyer ,
à ce titre , un des premiers gouvernemens de l'Empire .
Ah ! ah ! dit Kadib ; voilà déjà un parent ! le calife me
tient parole . Il n'y a rien de tel qu'une bonne place de
visir pour retrouver ses parens . Il fait donc venir le solliciteur
, et lui dit : Je veux profiter de la faveur du calife
pour élever ma famille aussi haut qu'il me sera possible .
Vous vous dites mon parent , j'en suis fort aise et pour
vous et pour moi ; mais prouvez-moi que vous l'êtes , car
j'entends parler de vous et de notre parenté pour la prémière
fois de ma vie .
(
vertus . -
Alors le solliciteur prouve qu'il avait un arrière-grandpère
, nommé Kadib , doué de beaucoup d'esprit et de
Etait-il riche et puissant ? Jouait-il un rôle dans
Un très-bean rôle , Seigneur; il était très-riche
et très-considéré , comme l'ont toujours été et le seront
toujours les membres de notre famille .-Ah ! je l'espère.
l'Etat ? -
FEVRIER 1813 . 315
Combien a-t -il laissé d'enfans ? - Deux , Seigneur.-Se
sont-ils mariés ?- Oui , Seigneur , ils ont eu deux enfans
qui se sont mariés à leur tour , et qui ont eu aussi chacun
deux enfans , au nombre desquels était sans doute votre
illustre père . — Oh ! je n'en doute pas , et je vois que
vous connaissez parfaitement notre généalogie . Je n'ai sur
ce que vous me dites qu'une légère observation à vous
faire . J'aurais dû partager un peu la succession de cet
aïeul si riche , et je n'en ai pas reçu une drachme . Je suis
de la branche cadette , et je sais , à n'en pas douter , qu'elle
fut dépouillée autrefois par la branche aînée dont vous
êtes aujourd'hui l'unique héritier , mon cher cousin. La
fortune de notre grand-père commun pouvait bien monter
à mille bourses pour le moins . Je n'en demande que la
moitié pour ma part . - Mais , Seigneur ..... - Vous ne
serez bien reconnu pour mon parent qu'à cette condition.
-Je jure..... - Cinq cents bourses , on nous ne serons
jamais cousins .-Je ne puis ....…… 1 Il ne manque que
cette petite preuve pour établir notre parenté d'une manière
directe et positive. C'est une bagatelle ; mais enfin
je vous l'ai dit , je ne suis occupé que de ma famille ; il
est donc juste que ma famille avant tout me rende ce qui
m'est dû.
Le lendemain , de grand matin , le solliciteur arrive
avec les cinq cents bourses ; Kadib lui saute au cou , le
nomme cent fois son cher cousin , et lui promet qu'avant
huit jours il lui donnera le gouvernement du Khorassan .
Oui , lui dit-il , je jure par Mahomet , qu'à cette époque
vous serez gouverneur , ou je perdrai ma place de
grand-visir. "
Le cousin est enchanté de cette promesse ; il sort et va
conter sa bonne fortune à tout le monde; il ne parle pas
des cinq cents bourses qu'il a données , mais il vante partout
la manière affectueuse dont le visir accueille ses parens
, ce qui fait bientôt éclore pour Kadib une foute de
cousins tant gernains qu'issus de germains , dans les rangs
les plus élevés de la société .
Il dit au second qui se présente : " Pas le moindre doute;
nous sommes parens et même très-proches parens ; je connais
tous les titres dont vous me parlez. N'y avez-vous pas
lu que nos deux grands pères ont eu ensemble un terrible
procès?-Oui , seigneur , je crois me souvenir.....-Que
le vôtre avait tort dans cette affaire , n'est-il pas vrai ? mais
comme votre grand-père était beaucoup plus riche que le
(
316 MERCURE DE FRANCE ,
mien , il a en raison devant le tribunal du cadi , et le mien
s'est trouvé ruiné de fond en comble. Je veux faire réviser
cette affaire , et comme me voilà plus riche et plus puissant
que vous, j'aurai peut-être ma revanche , à moins pourtant
que vous n'aimiez mieux réparer par un petit sacrifice cette
injustice oriante. Le procès perdu par mon grand-père lui
acoûté quatre cents bourses ; je veux bien partager le différend
par la moitié. Donnez-moi seulement deux cents
bourses , et je vous fais grâce des frais de la procédure et
dos intérêts.n
Il dit à un autre : " Je me souviens fort bien de tout ce
que vous me dites. Vos titres sont incontestables . Vous
devezy avoir In qu'un de mes aïeux avait déposé entre les
mains de l'un des vôtres une somme de cent mille tomans,
tant il avait de confiance dans la probité de ce parent qui
passait pour le plus honnête homme du pays .- Oui,
seigneur , je me souviens parfaitement de cette circonstance.-
Vous voyez bien que je sais sur le bout du doigt
tontes les anécdotes de ma famille. Mais vous ignorez peutêtre
ce que sont devenus les cent mille tomans déposés
chez votre aïeul ?- Seigneur , je crois que .....-Vous
croyez que ...... mon cher cousin; mais moi je suis sûr
que..... je n'ai rien touché de ce dépôt dont vous avez sans
doute hérité , ainsi je vous prie de me restituer au plus vite
une somme si légitimement due. Vous réparerez par-là une
injustice qui , si elle était connue , nuirait certainement à
la réputation denotre famille dont la probité n'a jamais été
mise en doute. "
Kadib accompagne ces discours des plus belles promesses
, et jure à tous ses parens que dans huit jours il
leur accordera toutes les places et dignités qu'ils demandent
, ou qu'il perdra plutôt sa place de grand-visir.
En peu de tems il se voit un si grand nombre de cousins
qu'il en est embarrassé ; car pour prouver , il faut payert ,
et il s'en trouve quelques-uns qui ne peuvent faire leurs
preuves ; mais il dit àtous ceux dont les titres ne sont pas
douteux : « Vous êtes riches , vous avouez que nos aïeux
communs ont toujours été riches , puissans et considérés .
Il faut donc que j'aie éprouvé de votre partune grande injustice
, puisque sans la munificence du calife Harotun- al-
Raschid qui sait distinguer le mérite dans quelque situat
tion qu'il se trouve ,je serais plongé dans la plus profonde
misère. "
Il y avait bien quelque réponse à faire à cet argument;
FEVRIER 1813 . 317
(
mais comme l'argent était la meilleure de toutes , en pen
dejours Kadib se vit possesseurd'une fortune considérable.
Alors il envoie chercher le père de la belle Agéli , afin
de lui commander une paire de babonches. Lorsque le
vieux cordonnier Rustafapprend qu'il est choisi pour avoir
'honneur de chausser le grand-visir , il est près de mourir
de joie; tant il fant peu de choses pour faire mourir un
homme! Il arrive au palais du visir , après avoir pris ses
plus beaux habits et s'être coiffé d'un turban tout neuf. II
entre dans l'appartement magnifique où Kadib , entouré
d'une centaine de personnes richement vêtues , était couché
sur une ottomane et fumait des aromates . Rustaf tremble
comme une feuille agitée par le vent. Il se met à genoux
dès la porte de l'appartement et s'avance ainsi jusqu'aux
pieds du visir, qu'il n'ose regarder en face et qui lui tend
négligemment sa jambe , sans lui dire un seul mot. Quand
Rustaf lui a pris mesure d'une paire de babouches , Kadib
prend la parole et lui dit , en déguisant sa voix: Tu as une
fille ? Oui , magnifique seigneur. - Est-elle belle ?-
Oui , seigneur , à votre service Elle aime , dit-on , un
jeune homme nommé Kadib.-Hélas ! seigneur...... -
Est-ce vrai ? - Que trop vrai .-Quel est ce Kadib ?-
Un mauvais sujet , seigneur , un paresseux qui ne fera
jamais rien et qui ne sera toute sa vie quele plus misérable
de tous les cordonniers . - J'ai eu quelque tems l'envie de
le prendre pour me faire des babouches .-Ah ! seigneur!
que votre magnificence eût été mal chaussée !-Ce Kadib
dont tu dis tant de mal, a-t-il encore d'autres défauts ?
Il en a plus , seigneur , que vous n'avez de cheveux sur la
tête; mais quand il serait sans défauts , je ne pourrais lui
donner ma fille ! - Pourquoi donc cela ? - C'est un
homme sans parens , sans aveu..... - Sans parens ! tiens,
lève les yeux et regarde autour de toi ; voilà tous les parens
deKadib .
-
Le vieux Rustaf promène autour de l'appartement des
regards ébahis , mais quand il voit tant de grands seigneurs
réunis et si magnifiquement vêtus , il croitque le grand-visir
se moque de lui ; il ose enfin le regarder en tremblant et
reconnaît Kadib . A cette reconnaissance imprévue , le
pauvre Rustaftombe à la renverse et s'écrie : Allah ! allah !
je suis mort!
Cette exclamation fit rire Kadib et tous les spectateurs.
Non , non , Rustaf , tu n'es pas mort , répond Kadib ; tu
es mon beau -père , si toutefois tu me trouves aujourd'hui
1
318 MERCURE DE FRANCE;
1
un assez grand nombre de parens . Va donc sur-le-champ
me chercher ta fille ; je vais donner ordre au cadi de venir
célébrer le mariage dans mon palais . Demain peut-être il
ne serait plus tems .
Rustaf est toujours à genoux , il voudrait parler , mais
'sa langue est enchaînée comme sa pensée . Il aurait tant de
choses à dire qu'il ne peut articuler un seul mot . Il se lève
enfin , sort de l'appartement du visir et va préparer sa fille
au sort brillant qui lui est réservé .
Je ne peindrai point la joie et la surprise de la belle
Agéli : de fille d'un pauvre cordonnier, elle devient tout-àcoup
la femme d'un homme qu'elle aime et d'un grandvisir
! Son amour et sa vanité sont également satisfaits , et
qui ne connaît les jouissances de l'amour peut apprécier
au moins celles de la vanité .
,
Le mariage est bientôt célébré avec une magnificence
digne des deux époux. La cérémonie est suivie d'un repas
somptueux , auquel sont invités tous les parens de Kadib .
Rien selon eux n'est plus beau dans la nature que la belle
Agéli . On chante des vers à sa louange ; on la compare aux
houris , à cela près que les houris ont moins de charmes .
Dans cet encens prodigué par la tendresse des parens
Kadib reçoit aussi son tribut d d'homınages . C'est le plus
grand de tous les visirs qui jusqu'à ce jour ont tenu les
rênes de l'Etat ; c'est le premier politique du monde. On
ne sait ce que l'on doit le plus admirer , les grâces , la
finesse de son esprit , ou la profondeur de son génie et
l'étendue de ses connaissances . Déjà on le gratifie du titre
de grand , on célèbre la gloire de Kadib-le-Grand. Le vieux
Rustaf même n'est pas oublié , et la flatteuse poésie trouve
le moyen d'en faire quelque chose , tant la poésie a de
puissance ! tant la tendresse des parens est ingénieuse dans
ces circonstances importantes !
Pendant que cette famille intéressante et nombreuse
s'abandonnait aux transports de la joie la plus vive et se
livrait sans réserve aux doux épanchemens de la confiance
et de l'amitié , on annonce un envoyé du calife . Tous les
parens ne doutent pas que cet envoyé n'apporte au visir
quelque magnifique présent. Leur curiosité est dans l'attente.
L'envoyé est introduit ; il s'avance d'un ppaass grave
tire de sa poche un papier , impose silence à toute l'assemblée
, et lit :
" De la part du commandeur des croyans , le grand
Haroun-al-Raschid . >>>
,
1
FEVRIER 1813 . 319
Aces mots , les convives se prosternent la face contre
terre , et l'envoyé continue :
« Moi , Haroun-al-Raschid , représentant du prophète ,
il m'a plu de nommer Kadib mon premier visir après avoir
disgracié Giafar. Aujourd'hui il me plaît de rappelerGiafar.
et de disgracier Kadib avec toute sa famille. Qu'il´abandonne
donc un poste pour lequel il n'est point fait, et qu'il
rentre dans la poussière d'où je l'ai tiré . »
Après la lecture de cet arrêt foudroyant , les convives se
relèvent , se regardent avec étonnement et stupeur. Toutes
leurs espérances sont détruites ; il n'auront point ces belles
et bonnes places sur lesquelles ils avaient si bien compté .
La disgrace de Kadib entraîne celle de toute sa famille; il
n'a plus de parens , c'est à qui ne le sera pas , et dans un
clin - d'oeil la salle du festin est déserte ; il n'y reste plus que
le bon Kadib qui rit, le vieux Rustaf qui tremble et la belle
Agéli qui pleure . Kadib prend le premier la parole et dit
en riant : Vous voilà bien étonnés , mes chers amis ? Toutà-
l'heure mon palais était rempli de parens qui célébraient
mes louanges et qui m'aimaient à la folie ; et maintenant il
ne m'en reste pas un seul. La fortune me les avait donnés ,
la fortune me les ôte. J'étais un visir de circonstance , et
j'avais beaucoup de parens de circonstance ; mais grâce à
Mahomet et à mon adresse , ces parens-là m'en ont valu
d'autres qui me consoleront de leur perte , qui sont nombreux
et ne m'abandonneront pas au besoin. Vous vous
demandez où sont ces bons parens dont je vous parle ? dans
mes coffres , mes chers amis , dans mes coffres . J'ai pour
le moins six cent mille tomans , et ces cousins-là sont
plus solides que les autres . ADRIEN DE SARRAZIN .
-
VARIÉTÉS .
SPECTACLES .
Voyageur Malencontreux .
Rivarol , précieuse ridicule de son siècle , et qui débitait
Théâtre de l'Impératrice (1) . - Le
(1) Quelques abonnés ayant paru désirer que nous donnassions
une certaine étendue à nos articles sur les grands théâtres , un homme
de lettres connu a bien voulu se charger de la rédaction de ces articles
, qui contiendront à l'avenir plus de détails et d'observations littéraires
.
320 MERGURE DE FRANCE ,
avec assez d'art une trentaine de conversations écrites
d'avance dans sa mémoire , assis au banquet de quelques
gens de qualité , chez lesquels il n'était pas fâché de faire
croire à sa qualité, récitait souvent ce vers , qu'il a consigré
dans une épître anti-poétique , adressée au roi de
Prusse , qui ne l'a jamais lue :
Le vaste champ des arts n'est plus qu'un cimetière .
Ce cimetière s'est bien accru depuis même qu'il est mort
d'une indigestion à Berlin. On n'a jamais vu plus de funérailles
, plus de convois d'auteurs . N'est- il pas juste , au
reste , que la sotte vanité qui porte une jeunesse imberbe
à s'élancer dans une carrière que lui ferma la nature , reçoive
à la fin son châtiment ? Plus l'éducation s'affaiblit ,
plus s'affaissent ses ressorts , plus la démangeaison de produire
s'exalte et se fortifie . L'ignorance est sans pudeur.
Ce déluge d'écrivains morts-nés se fait sur-tout sentir après
les époques calamiteuses . Le champ des arts en est alors
inondé. C'est ainsi qu'à la suite des longs orages , les
charmilles des jardins et les feuilles des arbres se peuplent
de chenilles et d'insectes de toute espèce .
C'est cette effervescence inconsidérée de la jeunesse qui
semble avoir donné le jour au Voyageur Malencontreux.
Son peu de succès a justifié son titre . Les Voyageurs
deM. Charlemagne n'avaient rencontré que des amis sur
leur route; et le Voyage Interrompu de M. Picard ne l'a
point empêché d'arriver à bon port. C'est que l'ouvrage du
premierde ces auteurs est semé de vers piquanset agréa
bles , que les scènes en sont l'une à l'autre liées; et que
celui du second , quoiqu'il ne soit pas d'un comique fort
élevé , étincèle d'une gaîté franche et naturelle , apanage
particulier du talent de M. Picard . On y remarque surtout
une scène fort divertissante , celle du notaire . Appelé
pour dresser un contrat de mariage qu'on sollicite avec
instance , il s'entretient de tout autre chose que de l'objet
qui l'amène . Cette scène est visiblement empruntée d'une
pièce anglaise , intitulée , si je ne me trompe : My Great
Mother. C'est un barbier , des plus bavards , qui se présente
pour raser un jeune homme d'un caractère vif et
bouillant. Avant de se mettre en devoir d'exercer son
ministère , il lui fait mille contes , et met à l'épreuve sa
patience. A l'instant de faire glisser le rasoir sur son visage,
il entame de nouvelles histoires , et lui chante des conplets
. A Londres comme à Paris cette scène provoque un
{
a
FEVRIER 1813 . 321
14
ERT
DE
LA
SA
0-15.6
rire franc etjovial , parce qu'elle fait ressortir le contraste
des caractères . Je suis bien loin de faire un crime a
M. Picard d'une imitation semblable. Les larcins sur
étrangers sont des conquêtes . On ne dérobe pas toujour
aussi adroitement que lui ; et en bonne conscience le plé
devrait remercier le voleur. Il n'en est pas ainsi des
teurs du Voyageur Malencontreux, car deux auteurs Co
sont cotisés pour cette production : l'un est encore debout ,
et l'autre a vu , dit-on , le noir rivage ; leur destinée physique
est différente , mais celle de leur esprit est la même.
Nous désirions analyser la pièce , mais son existence menace
d'être si courte , que nous ne voulons point perdre
notre tems et abuser de la patience du lecteur.
J'aurais voulu pourles auteurs que le publiceût oublié les
sifflets. Ils avaient préludé d'une manière peu satisfaisante
pour la pièce au premier acte : ils ont retenti à la fin avec
un acharnement inconcevable. Le fait est qu'il n'y a point
de motif de pièce. Il n'était pas nécessaire de courir les
grands chemins et les auberges pour duper d'aussi bons
diables qu'un tuteur et un prétendu tels que ceux qu'on a
mis sur la scène .
,
,
Mais , dira-t-on , pourquoi offrir aux gens de goût de
semblables ouvrages ? Parce que les bons ouvrages sont
rares , et qu'on n'a pas le droit d'exercer son palais sur
des mets plus exquis . D'ailleurs ne faut- il pas amorcer
le public par des nouveautés ? Une sotte pièce
peut avoir une hetireuse destinée . Les preuves ne nous
manquent pas. Quand on est soutenu par un excellent
répertoire , on peut attendre et se montrer difficile . La
Comédie française court peu après les ouvrages nouveaux.
Elle fait même de tems en tems des actes d'indulgence
envers certains auteurs , dont les noms expulsés depuis
long-tems de l'affiche sont tout étonnés de s'y retrouver .
Eh! que lui fait le succès ou la chute de plus d'une pièce ?
Le lendemain elle se console avec le Misanthrope , Tartuffe
, la jeunesse de Henri V , les Héritiers , les Deux
Gendres , Bruyeis et Palaprat , les Etourdis . Mais à
l'Odéon , après une chute signalée , il faut regarder de
quel côté vient le vent.
D.
こ
X
POLITIQUE.
LES dernières nouvelles de Posen sont du 3 février . Le
quartier-général français est toujours dans cette ville . Le
prince vice-roi habite le palais de la préfecture . Le prince
de Neufchâtel , qui est rétabli , est parti de Posen pour
Paris , où il est arrivé . Le prince d'Ekmull est également
parti de Posen , après y avoir fait quelque séjour.
Le maréchal duc d'Istrie y est arrivé. Quarante
mille hommes de toutes armes , dont beaucoup de cavalerie
, étaient attendus dans cette ville vers le 5 février . Le
prince de Scharzenberg est toujours à Pulstuck , et le général
Regnier , avec son corps , occupe des cantonnemens
étendus sur les bords du Bug . Il repousse vivement toutes
les attaques de l'avant-garde russe. Les Saxons destinés à
porter au complet le contingent faisant partie de l'armée ,
sont en pleine marche . La division Grenier est arrivée à
sa destination. Le passage des troupes françaises par
Francfort est très - considérable ; on y attend , vers la mifévrier
, beaucoup de corps complets , et 30 bataillons .
En Bavière comme en Saxe , et dans le Wurtemberg ,
toutes les autorités mettent la plus grande activité dans les
opérations relatives aux levées d'hommes et de chevaux.
De nombreux transports traversent la Souabe, serendant à
leur destination respective .
Les séances du parlement anglais paraissent devoir devenir
sous peu extrêmement intéressantes. Deux objets y
appelleront l'attention . L'un est le privilége de la compagnie
des Indes et les réclamations nombreuses auxquelles
'il donne lieu . Celui-ci est uniquement relatif au commerce
anglais et à ses bénéfices . L'autre objet est bien
plus important , puisqu'il s'agit du commerce du monde ,
de la liberté des mers , de l'indépendance des pavillons
de la sûreté des neutres , de l'existence des nations , c'està-
dire , de la plus grande des questions , celle de la paix.
C'est sous ce titre : question de la paix , que les journaux
anglais parlent d'une prochaine motion de M. Whitbread.
Vous rapporterons à cet égard les raisonnemens de quel
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 323
ques-unes de ces feuilles , cités par le Moniteur , et tous
également curieux.
« M. Whitbread , dit le Sun du 4 février, a annoncé hier
à la chambre des communes qu'il ferait , le 4 du mois prochain
, une motion au sujet de la paix . Ce n'est pas à nous
- à rechercher les motifs qui engagent ce gentleman à faire
une telle motion; mais il ne peuty avoirle moindre doute
sur l'effet qu'elle produirait si elle était adoptée. L'ambition
de Napoléon l'a jeté dans le danger le plus imminent ;
il marche à grands pas vers sa chute : et voilà le moment
que l'on choisit pour solliciter l'Angleterre de lui tendre la
main pour le sauver , et le mettre à même , à quelque
époque future , d'accomplir tous ses projets pour subjuguer
l'Europe ! La paix seule peut en ce moment sauver Napoléon
. Les fautes de ses ennemis l'ont fréquemment mis à
même de se tirer des positions difficiles où il se trouvait ;
mais si les puissances de l'Europe le laissent actuellement
en repos jusqu'à ce qu'il ait recruté ses forces pour les
attaquer de nouveau , c'est à elles-mêmes qu'elles devront
s'en prendre de leur propre destruction . »
"Les journaux ministériels , dit le Morning-Chronicle
nous assurent que les Français semblent vouloir retirer
leurs principales forces de la péninsule . Nous voudrions
pouvoir accorder quelque confiance à ces rapports , car, s'ils
étaient exacts , ils prouveraient plus qu'aucune autre cir
constance possible la difficulté qu'éprouve Napoléon à
lever les hommes dont il a besoin pour renouveler son
armée ; mais nous n'apercevons aucuns symptômes d'une
telle mesure , et toutes les observations que nous a suggérées
la politique de l'Empereur des Français , sont contraires
à la supposition , qu'il projette d'abandonner entièrement
la péninsule. Son intention n'est , ni de l'évacuer ,
ni d'augmenter ses moyens d'attaque de manière à nous
forcer nous -mêmes à nous en retirer ; car son premier
objet , en continuant cette guerre , est de nous engager à
user notre population et nos ressources en Espagne , bien
certain que tant que nous y aurons des troupes , les Espagnols
resteront dans l'inaction , et convaincu d'ailleurs
que si nous venions à retirer nos forces et à abandonner
les Espagnols à leurs propres efforts , il lui faudrait autant
de milliers de Français pour les contenir , qu'il en emploie
à s'opposer aux efforts que nous faisons en leur faveur ,
sans en être soutenus . ”
Le Statesman ajoute : « Les journaux français , qui sont
,
X2
324 1 MERCURE DE FRANCE ,
arrivés , contiennent sans contredit des matières fort importantes
; si la moitié seulement de ce qu'ils affirment est
vrai, les ministres doivent , sans perdre de tems , faire
usage de leurs talens pour la négociation ou pour la guerre.
S'ils se croient capables de gouverner les affaires d'une
grande, nation , dans une crise comme celle où nous nous
trouvons , au nom de Dieu , qu'ils le prouvent par leurs
actions , et non par les absurdes et ridicules fanfaronades
des rédacteurs des journaux à leur solde . En effet , les
feuilles qui prêchent la guerre d'extermination , semblent
s'obstiner d'autant plus à crier contre la paix , que les frais
et les ravagés de la guerre réduisent le peuple à une plus
grande misère . Ces écrivains craignent le retour de la paix ;
car la nature de leur emploi en fait des espèces de fournisseurs
de raisons en faveur de la guerre , et par conséquent
de soldats aux officiers recruteurs , puisque la ruine
da commerce , privant les ouvriers de travail, les force à
s'enrôler pour remplacer les soldats que la guerre a moissonnés.
> Nous voyons cependant avec joie l'annonce d'une mofion
que doit faire M. Whitbréad en faveur de la paix , le
4du mois prochain. Ce patriote , vers lequel se tournent
les regards du peuple , ainsi que vers un petit nombre
d'autres hommes qui professentdes principes aussi sains ,
doit s'attendre à être tancé vertement par les écrivains mercenaires
dont nous avons parlé ci-dessus . Ceux-ci reproduiront
sans doute leurs motifs surannés pour rejeter toute
idée de paix , savoir : que les circonstances ne sont pas
favorables . Ils iront probablement jusqu'à dire que de
telles motions ne servent qu'à encourager l'ennemi .
Nous ne doutons pas cependant que dans les circonstances
actuelles , il ne soit plus puissamment secondé qu'il
ne l'a encore été . La voje des négociations est raisonnablement
ouverte en ce moment , elle pourrait bien ne pas
rester long- tems en cet état . En tout cas , ily auraitde la
folie à ne pas tenter l'événement . "
Le Sénat s'est assemblé , le 7 de ce mois , sous la présidence
du prince archi- chancelier. Le prince a pris la
parole en ces termes :
" Messieurs , Sa Majesté Impériale et Royale a ordonné
qu'il vous fût présenté un projet relatif à la régence .
» Cette partie de nos institutions n'ayant pu atteindre
encorele degré de perfection que les lois reçoiventdutems,
il a paru utile d'ajouter des dispositions plus étendues aux
FEVRIER 1813. 325
dispositions déjà existantes ; et l'ona , en même tems ,
senti le besoin de faire revivre des usages consacrés dans
nos fastes , et fondés sur les anciennes moeurs de la nation .
» Ainsi , le plan qui vous est soumis , rétablit dans toute
sa latitude le droit non contesté qu'a le souverain de disposer
de la régence .
» Toutefois , il empêche qu'un excès de précaution , en
restreignant arbitrairement les pouvoirs de cette même
régence , ne tende à dénaturer l'essence du gouvernement
monarchique .
» Si l'Empereur n'a point manifesté sa volonté , la régence
appartiendra de plein droit à l'Impératrice .
>> Tout ce que le coeur et la raison ont pu suggérer sur
happe
cette matière , à l'égard des familles particulières , doit
s'appliquer à la grande famille de l'Etat . Nul n'aura plus
de zèle que l'Impératrice-mère pour préserver de toule
atteinte l'autorité de son pupille. Personne ne présentera ,
comme elle , à l'imagination des peuples des souvenirs
imposans et propres à rendre l'obéissance noble et facile.
Un système dd'' exclusion gênerait le choixdu monarque.
Les lois prohibitives , par la contrainte qu'elles imposent ,
contiennent souvent des germes de discorde .
n
» Au défaut de l'Impératrice , il est établi un ordre tel
qu'il ne peut y avoir aucune incertitude sur le choix du
Régent . A cet égard, la loi , en respectant les droits de l'hérédité
, a dû se livrer à tous les détails de la prévoyance ,
et prendre toutes les précautions de la sagesse .
>>La moindre interruption dans l'exercice du pouvoirsouverain
deviendrait pour les peuples une grande calamité.
» Ce pouvoir , pendant la minorité de l'Empereur , est
exercé en son nom et dans son intégrité par l'Impératrice-
Régente ou par le Régent .
» Auprès d'eux , le conseil de régence concourra à la décision
des grandes questions , et fortifiera l'autorité de tout
le poids de l'opinion publique .
Les autres articles du projet dérivent de ce que je
viens d'énoncer , ou s'y rapportent .
» Dans une matière aussi grave , vous jugerez , Messieurs
, qu'il ne suffit pas de poser quelques principes : le
législateur étend ses vues plus loin , et , sans aspirer à tout
dire , il est de son devoir d'écarter d'avance beaucoup de
doutes et de laisser subsister peu de questions .
» Quelle que soit , Messieurs , l'utilité des dispositions
sur lesquelles nous appelons votre suffrage , il est doux
326 MERCURE DE FRANCE ,
d'espérer que , suivant l'ordre de la nature , leur application
ne se présentera que dans un avenir éloigné et incertain.
> Heureuse la France , si tous les princes de cette dynastie
auguste ne parvenaient au trône que mûris par l'âge ,
animés par de glorieux exemples et long-tems nourris par
de sages leçons ! »
M.le comte Regnault- de - Saint-Jean-d'Angély a ensuite
exposé les motifs du projet de sénatus -consulte . Avant d'en
développer et d'en motiver les dispositions , l'orateur du
Conseil- d'Etat s'est exprimé en ces termes :
« Ajouter de nouvelles garanties de stabilité à nos institutions
, assurer, dans tous les cas que la prudence conçoit,
que l'expérience indique , l'action non interrrompue du
Gouvernement , pourvoir d'avance dans le calme de la
la réflexion , dans l'absence de tous les intérêts , dans le
silence de toutes les passions , dans l'éloignement de toutes
Jes douleurs , aux difficultés , aux embarras d'une minorité,
tel est l'objet principal de l'acte important qui est présenté
à vos délibérations .
» Les motifs qui en ont dicté les dispositions , Messieurs ,
sont puisés dans l'expérience des nations , dans les leçons
de l'histoire , dans les traditions de la monarchie française ,
dans les exemples offerts par ses annales . "
Le projet de sénatus-consulte a été renvoyé à une commission
spéciale , et c'est dans la séance du vendredi 7 que
cette commission a fait son rapport par l'organe de M. le
sénateur Pastoret .
L'orateur du Sénat a dans cette circonstance développé
sur l'utilité et sur la puissance des institutions ces aperçus
vastes et lumineux que lui rend familiers la connaissance
profonde qu'il a de notre histoire : on a pu remarquer avec
un vif intérêt un rapprochement heureux que cette étude
consommée lui a permis de faire en parlant des régences
accordées aux mères de nos rois .
« Je n'entrerai point ici , Messieurs , a-t-il dit , dans des
détails historiques qui ont été recueillis avec soin et placés ,
naguères , sous les yeux de tous les Français (1) . Je ne
(1) Le Moniteur a publié dans le courant de janvier un document
historique intéressant renfermant l'indication des reines et princesses
qui ont été régentes de France , et des fils de rois qui ont été sacrés et
couronnés.
FEVRIER 1813 . 327
m'arrêterai pas même sur cette reine Blanche , au sujet de
laquelle j'aimerais pourtant à rappeler un fait trop peu connu
et bien digne de l'être ; c'est quela petite-fille de son illustre
fils , de Saint - Louis , épousa le fils du premier empereur de
la maison d'Autriche , et que cette maison par-là même
remonte à la plus célèbre de toutes les régentes dont notre
histoire ait conservé le souvenir . J'éprouve , je l'avoue ,
Messieurs , quelque bonheur à rappeler ce fait dans une
époque où les Français doivent à la petite-fille de Marie-
Thérèse le gage de tant d'affections et le modèle de tant de
vertus . »
Nous recueillerons encore de la bouche de l'orateur ces
paroles remarquables sur les institutions . « C'est par les
institutions que le génie des plus grands rois est présent
encore à la postérité la plus reculée : c'est le défaut des institutions
qui peut amener successivement les efforts de
l'ambition, les troubles civils , et enfin le plus épouvantable
fléau dont la colère céleste puisse frapper les hommes ,
l'anarchie . Charlemagne avait répandu sur la France, pendant
près d'un demi-siècle , la gloire et les bienfaits . A la
mort de son petit-fils , le trône commence à chanceler ;
neuf rois y passent avec une étonnante rapidité. Ils ymontent,
ils en descendent, ilsy remontent pour en redescendre
encore; des ambitieux s'en emparent , sous le prétexte de
le protéger ; ils exercent tout le pouvoir au nom du prince
légitime qui n'en a plus aucun . La France a durant un siècle
des règnes sans rois et des rois vivant sous un autre règne ;
et au milieu de ces dissentions , le peuple est entraîné et
avili par la tyrannie féodale , pour offrir un nouveau témoignage
de cette vérité que l'histoire a toujours et par-tout
consacrée : que le plus grand intérêt, des peuples est nécessairement
lié àla plus grande force du trône , à sa plus
grande solidité .
» Et c'est sur-tout dans cette enceinte , Messieurs , que
doivent être constamment rappelés ces principes tutélaires
du bonheur des nations . C'est ici que doitbriller sans cesse
dans son plus grand éclat , le flambeau de l'expérience .
Par combien de maux la France n'a-t- elle pas expié le malheur
de l'avoir laissé éteindre ! »
Le Sénat a adopté à l'unanimité le projet de sénatusconsulte.
En voici le texte. Cette pièce est d'un ordre trop
élevé et d'un intérêt trop grand pour qu'il nous paraisse
convenable de n'en mettre que la substance sous les yeux
dulecteur.
328 MERCURE DE FRANCE ,
NAPOLÉON , par la grâce de Dieu et les constitutions de l'Ent
pire , Empereur des Français , Roi d'Italie , Protecteur de la Confé
dération du Rhin , Médiateur de la Confédération suisse , etc.ete.ete.
Atous présens et à venir , salut .
Le Sénat , après avoir entendu les orateurs du conseil-d'état , a
décrété et nous ordonnons ce qui suit :
Extrait des registres du Sénat- Conservateur du vendredi
5février 1813 .
Le Sénat-Conservateur , réuni au nombre de membres prescrit par
l'article go de l'acte des Constitutions du 13 décembre 1799 ;
Vu le projet de sénatus-consulte organique rédigé en la forme
prescrite par l'art. 57 de l'acte des Constitutions du 4 août 1812 ;
Après avoir entendu , sur les motifs dudit projet , les orateurs du
conseil-d'état et le rapport de la commission spéciale nommée dans
la séance du 2 de ce mois ;
L'adoption ayant été délibérée au nombre de voix prescrit par
T'art. 56 de l'acte des Constitutions en date du 4 août 1802 , décrète :
Titre Ier . De la Régence .
Art. rer. Le cas arrivant où l'Empereur mineur monte sur le trône
sans que l'Empereur son père ait disposé de la régence de l'Empire ,
l'Impératrice-mère réunit , de droit , à la garde de son fils mineur ,
la régence de l'Empire.
2. L'Impératrice-Régente ne peut passer à de secondes noces .
3. A défaut de l'Impératrice , la régence , si l'Empereur n'en a
autrement disposé , appartient au premier prince du sang , et , à sơn
défaut , à l'un des autres princes français , dans l'ordre de l'hérédité
de la couronne .
4. S'il n'existe aucun prince du sang habile à exercer la régence ,
elle est déférée de droit au premier des princes grands- dignitaires de
l'empire en fonctions au moment du décès de l'Empereur , à l'un à
défaut de l'autre dans l'ordre suivant ; savoir :
Le premier , l'archi- chancelier de l'empire ;
Le second , l'archi- chancelier d'état ;
Le troisième , le grand- électeur ;
Le quatrième , le connétable ;
Le cinquième , l'archi- trésorier ;
Le sixième , le grand-amiral .
5. Un prince français assis sur un trône royal étranger , au moment
du décès de l'Empereur , n'est pas habile à exercer la régence.:
6. L'Empereur ne nommant de vice- grands-dignitaires que quand
FEVRIER 1813 . 329
les titulaires sont appelés à des couronnes étrangères , les vice-grandsdignitaires
exercent les droits des titulaires qu'ils suppléent , même
en ce qui touche l'entrée au conseil de régence.
7. Les princes titulaires des grandes dignités de l'empire qui ,
d'après l'article 51 de l'acte des Constitutions du 18 mai 2o , se
trouvent privés de l'exercice de leurs fonctions au moment du décès
de l'Empereur , ne reprennent leurs fonctions que lorsqu'ils sont
rappelés par la Régente ou le Régent .
8. Pour être habile à exercer la régence , et pour entrer au conseil
de régence , un prince français doit être âgé au moins de vingt-un ans
accomplis.
9. Tous lesactes de la régence sontau nom de l'Empereur mineur.
Titre II. De la manière dont l'Empereur dispose de
la Régence .
-
10. L'Empereur dispose de la régence , soit par acte de dernière
volonté rédigé dans les formes établies par le statut du 30 mars 1806,
soit par lettres-patentes .
Titre III.-De l'étendue du pouvoir de la Régence et de
:
sa durée.
II . Jusqu'à la majorité de l'Empereur , l'Impératrice-Régente ou
le Prince-Régent exercent pour l'Empereur mineur toute la plénitude
de l'autorité impériale .
12. Leurs fonctions commencent au moment du décès de l'Empereur.
13. L'Impératrice-Régente nomme aux grandes dignités et aux
grands offices de l'Empire et de la couronne qui sont ou deviennent
vacans durant sa régence .
14. L'Impératrice-Régente ou le Régent nomment , révoquent tous
les ministres , sans exception , et peuvent élever des citoyens au rang
de sénateurs , conformément à l'article 57 de l'acte des Constitutions
du 18 mai 1804.
15. Si l'Empereur mineur décède laissant un frère héritier du trône ,
la régence de l'Impératrice , ou celle du prince Régent, continue sans
aucune formalité nouvelle .
16. La régence de l'Impératrice cesse , si l'ordre d'hérédité appelle
au trône un prince qui ne soit pas son fils ; il est pourvu , dans ce
cas , à l'exercice de la régence conformément à l'article 4.
17. Si l'Empereur mineur décède laissant la couronne à un Empereur
mineur d'une autre branche , leprince Régent conserveral'exercice
de la régencejusqu'à la majorité du nouvel Empereur...
330 MERCURE DE FRANCE ,
:
18. Le prince français ou le prince grand dignitaire qui exerce la
régence par défaut d'âge ou autre cause d'empêchement du prince
appelé avant lui à la régence par les constitutions , conserve la régence
jusqu'à la majorité de l'Empereur .
Le prince français qui s'est trouvé empêché , pour quelque cause
que ce soit , d'exercer la régence au moment du décès de l'Empereur,
ne peut , l'empêchement cessant , reprendre l'exercice de la régence.
Titre IV. - Du Conseil de Régence .
Section I. - De laformation du Conseil de Régence.
19. Le conseil de régence est composé du premier prince du sang,
des princes du sang oncles de l'Empereur , et des princes grandsdignitaires
de l'Empire .
20. S'il n'existe qu'un prince oncle de l'Empereur , ou s'il n'en
existe pas du tout , un prince français dans le premier cas , et deux
dans le second , les plus proches parens de l'Empereur dans l'ordre
de l'hérédité , ont entrée au conseil de régence.
21. L'Empereur , soit par ses lettres -patentes , soit par son testament
, ajoute au conseil de régence le nombre de membres qu'il juge
convenable .
22. Aucun des membres du conseil de régence ne peut être éloigné
de ses fonctions par l'Impératrice Régente ou le Régent .
23. L'Impératrice Régente ou le Régent président le conseil de
régence , ou déléguent , pour présider à leur place , un des princes
français ou un des princes grands- dignitaires .
Section II . - Des délibérations du Conseil de régence.
24. Le conseil de régence délibère nécessairement à la majorité
absolue des voix .
10. Sur le mariage de l'Empereur ;
2º . Sur les déclarations de guerre , la signature des traités de paix ,
d'alliance ou de commerce ;
3º . Sur toute aliénation ou disposition pour former de nouvelles
dotations , des immeubles ou des valeurs immobilières , composant
le domaine extraordinaire de la couronne ;
4°. Sur la question de savoir s'il sera nommé par le Régent à une
ou plusieurs des grandes dignités de l'Empire vacantes pendant la
minorité.
25. Le conseil de régence fait les fonctions de conseil privé , tant
pour les recours en grâce que pour la rédaction des sénatus-consultes .
26. En cas de partage , la voix de l'Impératrice ou du Régent est
prépondérante.
f
FEVRIER 1813 . 331
i
τ
5
1
Si la présidence est exercée par la délégation, l'Impératrice-régente
ou le Régent décident.
27. Sur toutes les autres affaires renvoyées à son examen , le conseil
de régence n'a que voix consultative .
28. Le ministre secrétaire-d'état tient la plume aux séances du
conseil de régence , et dresse procès -verbal de ses délibérations .
Titre V. - De la Garde de l'Empereur mineur.
29. La garde de l'Empereur mineur , la surintendance de sa maison
et la surveillance de son éducation sont confiées à sa mère .
30. A défaut de la mère ou d'un prince désigné par le feu Empereur
, la garde de l'Empereur est confiée , par le conseil de régence ,
à l'un des princes titulaires des grandes dignités de l'Empire.
31. Ce choix se fait au scrutin , à la majorité absolue des voix ; en
*cas de partage , le Régent décide .
Titre VI. -Du serment de l'Impératrice-Régente, et de
celui du prince Régent pour l'exercice de la régence.
Section I. Du serment de l'Impératrice-Régente.
32. Si l'Impératrice-Régente n'a pas prêté serment du vivant de
l'Empereur pour l'exercice de la régence , elle le prête dans les trois
mois qui suivent le décès de l'Empereur .
33. Le serment est prêté à l'Empereur mineur assis sur le trône ,
assisté du prince archi-chancelier de l'Empire , des princes français ,
des membres du conseil de régence , des ministres du cabinet , des
grands-officiers de l'Empire et de la couronne , des ministres d'état
et des grands-aigles de la légion d'honneur , en présence du sénat et
du conseil-d'état .
34. Le serment que prête l'Impératrice est conçu en ces termes :
< Je jure fidélité à l'Empereur.
» Je jure de me conformer aux actes des Constitutions et d'ob-
> server les dispositions faites par l'Empereur , mon époux , sur
>> l'exercice de la régence ; de ne consulter , dans l'emploi de mon
* >> autorité , que mon amour et mon dévoueinent pour mon fils et pour
> la France ; et de remettre fidélement à l'Empereur , à sa majorité ,
> le pouvoir qui m'est confié .
,
> Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de l'Empire ; de
>> respecter et de faire respecter les lois du concordat et la liberté
>> des cultes ; de respecter et de faire respecter l'égalité des droits
>> la liberté civile et l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux ;
» de ne lever aucun impôt , de n'établir aucune taxe que pour les
besoins de l'état ; et conformément aux lois fondamentales de la
332 MERCURE DE FRANCE ,
:
> monarchie , de maintenir l'institution de la légion d'honneur; de
>gouverner dans la seule vue de l'intérêt , du bonheur et de la gloire
> du peuple français . »
Section II . -Du serment du Régent .
35. Le prince appelé à la régence prête , dans les trois mois qui
suivent le décès de l'Empereur , de la même manière , et devant les
personnes désignées pour assister au serment de l'Impératrice , le
serment dont la teneur suit :
•Jejure fidélité à l'Empereur.
Je jure de me conformer aux actes des Constitutions , et d'ob-
> server les dispositions faites par l'Empereur sur l'exercice de la
› régence , et de remettre fidélement à l'Empereur , à sa majorité , le
>> pouvoir qui m'est confié.
› Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de l'Empire ; de res-
› pecter et faire respecter les lois du concordat et la liberté des
>> cultes; de respecter et faire respecter l'égalité des droits , la liberté
>> civile , l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux ; de ne lever
>> aucun impôt , de n'établir aucune taxe que pour les besoins de
l'état ; conformément aux lois fondamentales de la monarchie , de
> maintenir l'institutionde la légion d'honneur ; de gouverner dans
> la seule vue de l'intérêt. , du bonheur et de la gloire du peuple
>> français .>>>
36. Le prince archi-chancelier, assisté du ministre secrétaire-d'état,
dresse procès- verbal de ce serment. L'acte est signé par l'Impératrice ,
ou le Régent , par les princes , par les grands-dignitaires , les ministres
et les grands-officiers de l'Empire .
Titre VII. -De l'administration du domaine impérial etde
ladispositiondes revenus en cas de minorité etde régence.
Section Ire - De la dotation de la couronne .
37. Durant la régence , l'administration de la dotation de la couronne
continue selon les règles établies .
L'emploi des revenus est déterminé dans les formes accoutumées ,
sous l'autorité de l'Impératrice-Régente ou du Régent.
38. Les dépenses d'entretien de leur maison , et leurs dépenses
personnelles feront partie du budjet de la couronne.
Section II . - Du domaine privé.
:
39. Arrivant le décès de l'Empereur , le prince archi- chancelier de
l'empire , et , à sondéfaut , le premier en rang des grands dignitaires ,
fera apposer les scellés sur les caisses du trésor du domaine privé par
FEVRIER 1813 . 333
3
le secrétaire de l'état de la famille impériale , en présence du grand
juge , du chancelier du sénat et de l'intendant du domaine privé.
40. 11 sera , d'après les ordres du conseil de famille , procédé à
l'inventaire des fonds et des objets mobiliers , par le secrétaire de
l'état de la famille impériale , assisté des personnes dénommées dans
l'article précédent.
41. Le conseil de famille veillera à l'exécution des dispositions du
sénatus-consulte du 30 janvier 1810 , pour le partage des biens.du
domaine privé . Les fonds appartenant à l'Empereur après ce partage ,
seront versés , par le trésorier du domaine privé , au trésor impérial ,
sous la surveillance du conseil de famille , et placés de la manière la
plusutile.
42. Les produits en seront successivement réunis au capital , et le
tout restera en réserve jusqu'à la majorité de l'Empereur.
43. Il sera rendu compte de toutes ces opérations . par le conseil de
famille , à la Régente ou au Régent , qui donnera l'autorisation définitive
pour les placemens.
Section III . - Du domaine extraordinaire .
44. L'Impératrice-Régente ou le Prince-Régent disposent , s'ils le
jugent convenable , de toutes les dotations de 50,000 fr . de rentes et
au-dessous , qui ont fait avant la minorité , sans qu'il en ait été disposé
, ou font , durant la régence , retour au domaine extraordinaire
de la couronne.
45. Les autres dotations restent en réserve jusqu'à la majorité de
l'Empereur.
46. L'administration du domaine extraordinaire continuera , selon
les règles accoutumées , comme il est dit ci-dessus du domaine de la
couronne .
47. Les fonds qui se trouveront au trésor du domaine extraordinaire
, au moment du décès de l'Empereur , seront versés au trésor
de l'état , et y resteront jusqu'à la majorité de l'Empereur.
Titre VIII. Du cas d'absence del'Empereur ou du Régent.
Section Ire.-Du cas d'absence de l'Empereur.
48. Si , au noment du décès de l'Empereur , son successeur majeur
est hors du territoire de l'empire , les pouvoirs des ministres se trouvent
prorogés jusqu'à ce que l'Empereur soit arrivé sur le territoire
de l'Empire. Le premier en rang des grands-dignitaires préside le
conseil qui gouverne l'état sous la forme de conseilde gouvernement.
Lesdélibérations y sont prises à la majorité absolue des voix , le présidenta
voix prépondérante en cas de partage.
334 MERCURE DE FRANCE;
49. Tous les actes sont faits au nom de l'Empereur : mais il ne
commence l'exercice de la puissance impériale que lorsqu'il est entré
sur le territoire de l'empire .
9
Section II . - Des cas d'absence du Régent.
50. En cas d'absence du Régent , au commencement d'une minorité
sans qu'il y a été pourvu par l'Empereur avant son décès , les
pouvoirs des ministres se trouvent prorogés jusqu'à l'arrivée du Régent
, comme il est dit à l'article 48.
Section III . -Des cas non prévus .
51. Si , en l'absence de l'Empereur majeur ou mineur , ou en l'absence
du Régent , le gouvernement étant entre les mains du conseil
des ministres , présidé par un grand dignitaire , il se présentait à résoudre
des questions non décidées par le présent acte , ledit conseil
de gouvernement , faisant fonctions de conseil -privé , rédigerait le
projet de sénatus-consulte , et le ferait présenter au sénat par deux de
ses membres .
Titre IX. Du sacre et du couronnement de l'Impératrice.
52. L'Impératrice mère du prince- héréditaire Roi de Rome, pourra
être sacrée et couronnée .
53. Cette prérogative sera accordée à l'Impératrice par des lettrespatentes
publiées dans les formes accoutumées, et qui seront en outre
adressées au sénat et transcrites sur ses registres .
54. Le couronnement se fera dans la basilique de Notre-Dame ,
ou dans toute autre église désignée dans les lettres-patentes .
Titre X. - Du sacre et couronnement du prince impérial
Roi de Rome .
55. Le prince impérial Roi de Rome pourra , en sa qualité d'héritier
de l'empire , être sacré et couronné du vivant de l'Empereur .
56. Cette cérémonie n'aura lieu qu'en vertu de lettres- patentes
dans les mêmes formes que celles relatives au couronnement de l'Impératrice.
57. Après 10 sacre et le couronnement du prince impérial Roi de
Rome , les sénatus-consultes , lois , réglemens , statuts impériaux ,
décrets , et tous actes émanés de nous , ou faits en notre nom , porteront
, outre l'indication de l'année de notre règne , l'année du couronnement
du prince-impérial Roi de Rome.
58. Le présent sénatus -consulte organique sera transmis , par un
message , à S. M. l'Empereur et Roi.
Les président et secrétaires , signé , CAMBACÉRÉS .
Le comte DEBEAUMONT , le comte DE LAPPARENT.
FEVRIER 1813 . 335
Il y a eu dimanche grande parade et présentations , ensuite
conseil privé. Mardi S. M. a présidé la séance du
Conseil-d'Etat. Mercredi elle a présidé le conseil des ministres
et ensuite celui des finances . Lundi S. M. l'Impératrice
a été visiter la maison impériale des orphelines de la
Légion-d'Honneur , établie rue Barbette. S. M. a daigné
parcourir les différentes salles de cette maison impériale ,
et témoigner sa satisfaction à M. de Lazaac , supérieur général.
Elle a accueilli avec bonté les voeux desjeunes orphelines
, qui n'ont cessé de faire retentir la maison des cris de
vive l'Empereur ! vive l'Imperatrice !
S. M. l'Impératrice a désiré , avant la fermeture du
Salon , voir encore avec détail les principaux tableaux et
statues qui avaient déjà fixé son attention. S. M. a permis
que les artistes qui ont obtenu des travaux et des encouragemens
du gouvernement , fussent admis à cette visite , et
elle a daigné adresser des paroles de bienveillance à tous
ceux qui ont eu le bonheur de l'approcher . M. Desuryer a
eu l'honneur de lui présenter , en cette circonstance , la
gravure du portait du Roi de Rome , par Gérard . S. M. a
paru particulièrement sensible à cet hommage .
-Aujourd'hui , vendredi , l'Empereur à cheval , suivi
de deux aides - de-camp et de deux piqueurs , a parcouru
divers quartiers de la ville. La foule qui se pressait sous
les pas de son cheval faisait retentir l'air des plus vives
acclamations . Dimanche prochain S. M. ouvrira la session
du Corps législatif , dans les formes et avec la solennité
accoutumées .
Les offrandes que le patriotisme des Français s'empresse
de déposer aux pieds du trône , sont toujours extrêmement
nombreuses , et le Moniteur est toujours presqu'entièrement
consacré à consigner l'expression des voeux et des sentimens
qui les ont fait voter. Il n'est pas de commune , pás de
hameau , pour ainsi dire , qui n'ait désiré et obtenu de concourir
de tous ses moyens à ce mouvement général et
spontané au milieu duquel la France , soutenant son honorable
caractère , paraît sous ses véritables traits , la noblesse
, la confiance, l'affection , le dévouement et la fidélité:
ΑΝΝΟΝCES .
S.....
Voyage en Russie , en Tartarie et en Turquie ; par M. Edouard-
Daniel Clarke , professeur de minéralogie à l'Université de Cam
336 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813 .
bridge ; traduit de l'anglais . Trois vol. in-80, avec trois cartes géographiques
et deux plans. Prix . 18 fr. , et 22 fr . franc de port. Chez
Buisson, libraire , rue Gilles- Coeur , nº 10 ; et Arthus-Bertrand ,
libraire , rue Hautefeuille , nº 23.
Nous donnerons un extrait de oes Voyages .
Contes à monfils ; par Maria Edgeworth , auteur de Bilinde ,de
la Mère intrigante , de Léonora , de l'Education pratique , etc. traduit
librement de l'anglais , par T. P. Bertin. Deux gros vol. in-12 ,
ornés de sept gravures en taille-douce. Prix , 6 fr.; cartonnés à la
Bradel , 7 fr . 50 c.; papier vélin , 12 fr . brochés. Il faut ajouter
a fr . pour recevoir franc de port. Chez J. G. Dentu ,imprimeurlibraire
, rue du Pont-de-Lodi , nº 3 ; et au Palais-Royal , galeries de
bois , nos 265 et 266.
!
Les Amateurs de la lecture des Romans apprendront sans doute
avec plaisir que l'on va faire paraître sous peu trois nouveaux Romans ,
dont voici les titres : Modèle des Femmes , par miss Edgeworth.-
La Dame du Lac , histoire tirée du fameux poëme de Walter Scott,
The Lady ofthe Lake .-Les deux Grisellidis , une par Chausser ,
et l'autre par miss Edgeworth. Quelques personnes qui ont lu ces
ouvrages en anglais , en disent beaucoup de bien .
:
ERRATA pour le dernier No.
Page 252, ligne 17 , de Saint-Marol , lises : de Saint-Marcel.
Fage254, ligne 6 , Ony , lisez : Gray,
Idem , ligne 7 , fortement , lisez : faiblement.
۱
LeMERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine,
par cahier de trois feuilles. Leprix de la souscription est de 48franos
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pourun
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois . pat
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois. ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année , et 10 fr. pout
six mois de souscription au Mercure Etranger.)
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
à Paris .
LA
SEINE
.
MERCURE
DE FRANCE .
-
:
N° DCV . Samedi 20 Février 1813 .
POÉSIE .
Madame DE LA VALLIÈRE donnant des leçons de piéte
à mademoiselle DE BLOIS , sa fille .
ROMANCE .
GAGE d'un amour trop funeste
Qui fixa mes pas en ce lieu ,
Ma fille , abaisse un front modeste
Vers la croix , trône de ton Dieu.
Clément jusque dans sa vengeance ,
Ce Dieu touche au lieu de punir.
Au coeur perdu pour l'innocence
Sa grâce offre le repentir.
En recevant le nom de mère ,
Hélas ! j'en ai perdu les droits.
Aux leçons du devoir austère
Je ne puis plus prêter ma voix :
Mais , d'un tel sort , que maprésence
Serve , au moins , à te garantir ;
Gonnais le prix de l'innocence ,
Par l'exemple du repentir.
5.
338 MERCURE DE FRANCE,
Tout l'éclat dont la gloire brille ,
Se réfléchit sur ton berceau ;
Quel en est le fruit , ô ma fille ? ....
Un cloître sera mon tombeau ....
१ Du palais qui vit ta naissance
Quand , vers moi , tu peux accourir ,
Ramène toujours l'innocence
Dans l'asile du repentir.
: ✔A MADAME LEMIRE ,
Auteur du tableau sur le même sujet.
Au sein de l'austère demeure ,
Où la guida le repentir ,
Vous montrez la Vallière , avant sa dernière heure ,
Enseignant à sa fille un Dieu qu'il faut bénir ;
A cet aspect on admire et l'on pleure :
Pleurer ainsi , n'est-ce pas applaudir ?
Par M. VIEILLARD .
A MADAME VICTORINE M*** ,
T
SUR SON JOLI RÊVE ALLÉGORIQUE DES FLEURS.
Envoi de mon Epître sur l'heureuse destinée dupočte .
J'AI lu , relu vingt fois votre ouvrage charmant ;
Quel songe heureux ! quel tableau ravissant !
Vous savez d'une main habile ,
Nuancer avec art les tons et les couleurs ,
Et tout l'éclat des plus brillantesfleurs
Se réfléchit dans votre style.
Belle rêveuse , apprenez -nous comment
Onpeut avoir tant d'esprit en dormant.
Eh quoi ! sur le chevet trouver ainsi la gloire ?
OPhénomène sans pareil
Le Dieu du Pinde , il faut le croire , ::
Vient vous bercer dans les bras du Sommeil ,
Et votre alcove touche au temple de Mémoire .
Mais faisons trêve aux élogesfleuriςδε
1
FEVRIER 1813 , ALI 339
Il faut , pour vous louer , user de stratagemen
J'oubliais que vous avez priso
La violette pour embleme
Vous n'aimez done que dans vos chants :
Les doux parfums de Flore et ses riches présens !
Ah! je vous plains ! car la moisson s'apprête :
Déjà l'essaim musqué de nos petits auteurs
Verseà grands flots sur vous de suaves odeurs ;
Guirlandes et festons pleuvent sur votre tête .
L'unpoliment vous présente la fleur
I
Que sous vos pas il trouve éclose ,
Et rajeunit en votre honneur
Ia comparaison de la rose.
L'autre prend feu d'abord; amant tendre et coquet ,
Demyrte et de jonquille il ose:
Vous tresserun galant bouquet.
47
Celui-ci gravement fait votre apothéose ,
T
Etvous allez recevoir de sa main
Une couronne qu'il compose
Et d'immortelle et de jasmin ....
Ne vous éveillez point à ces belles fleurettes .
Puisque dans le sommeil vous faites
Des rêves si jolis , créez - en de nouveaux ;
Et pour vous préparer à vos brillans travaux ,
Exigez seulement que tous ces grands poëtesT
Vous offrent , comme moi , leurs vers ou des papots.
T
Par le plus dévoué et le plus respectueux de ses
admirateurs , DE DESSEY DU LEYRÈS.
Réponse de l'Auteur du poème de LA TABLE RONDE ; d
l'Epître que lui a adressée M. CHARLES MULLOT ( de la
Gironde) .
AIMABLE auteur , que je ne vis jamais ,
Qui de bontés me comblez sans mesure ,
J'ai lu vos vers , vos vers que j'ignorais
Quand je les ai reçus par le Mercure .
น
L'éloge pur et non sollicité
Qui vient vers moi d'une rive lointaine ,
Ce doux tribut , il faut que j'en convienne ,
Le serait trop , s'il était mérité.
.14
1
Y 2
MERCURE DE FRANCE ,
Enm'honorant , votre Epitre m'étonne.
Mevoudrez-vous pardonner cet aveu?
Vos jolis vers ont passé laGaronne ,
Qui fait , dit-on , exagérer un peu.
Vous comparez l'écolier à son maître.
Acet excès je ne puis m'oublier.
Mon maître est grand , et je sais me connaitres
Heureux encor d'être son écolier !
Nous qui fêtons l'aimable poésie ,
L'éloge est cher à nos coeurs éperdus.
Oui : la louange est pour nous l'ambrosie ;
Mais nous devons en goûter tout au plus.
De trop l'aimer quand on fait la folie ,
Vient laCritique avec sonris cruel
Pour réveiller l'orgueilleux qui s'oublie.
Qui se croit Dieu , bientôt se sent mortel.
Je ne suis rien. D'autres ont le génie ,
Et l'éloquence , et ses mâles couleurs :
Moi , dans le champ de la chevalerie ,
Enmejouant j'ai cueilli quelques fleurs .
Encor ce culte a de rians apôtres ,
Dontmieux que moi la voix le chanterait ;
Et quand je lis des vers tels que les vôtres ,
Jesens qu'il faut partager monbouquet.
CREUZÉ DE LESSER
ÉNIGME .
LECTEUR , je suis dans la musique
Un petit poëme anarchique ,
Où jamais l'auteur ne se pique
De suivre un ordre méthodique.
Sans m'astreindre à telle rubrique ,
Tantôt , d'un ton mélancolique ,
Je raconte un fait dont j'explique ,
Dans un style très-emphatique ,
Quelle fut lasuite tragique :
FEVRIER 1813. 4 34г
Tantôt laissant le pathétique ,
Et reprenant le ton comique ,
Sur des airs différens j'applique
Et la louange et la critique.
Pour finir mon panégyrique ,
Je suis en chanson , en cantique,
L'arlequin du genre lyrique .
A
S ........
LOGOGRIPHE
BARBARE , inexorable
Dans mahaine implacable,
Je fus jadis une reine exécrable ;
Ma tête à bas , maintenant à Paris
Tous les jours , sous le nom de l'amant de Cypris ,
Par mon art admirable ,
Jeplais , je charme , je ravis .
V. B. (d'Agen. )
CHARADE .
Vous êtesmon premier, jeune et charmante Iris ;
Chaque femme pourtant aujourd'hui ne l'est guère ;
Mais par les qualités d'un coeur que je chéris ,
Vous n'êtes pas non plus une femme ordinaire,
EnFrancemon second , d'un prince ou grand seigneur,
Jadis , au tems des rois , devenait l'apanage.
Dans mon entier deux fois un des Bourbons , vainqueur
vu ses étendards renverser ceuxdu Tage.
FÉLIX MERCIER ( de Rougemont).
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Lemot de l'Enigme est Ongles (les).
Celui du Logogriphe est Gastronome, dans lequel on trouve a
astronome.
Celui de la Charade est Brunshaus
Isl
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
LA GAULE POÉTIQUE , ou l'Histoire de France considérée
dans ses rapports avec la poésie , l'éloquence et les
beaux-arts ; par M. F. DE MARCHANGY. -Première
Epoque. -Deux vol. in -8°. Prix , 10 fr . , et 13 fr .
franc de port. - Paris , chez Joseph Chaumerot ,
libraire , place Saint-André-des-Ares n° 11 ; Chaumerot
jeune , libraire , Palais-Royal galeries de bois ,
n° 188 ; et Eymery , fue Mazarine , nº 30.0
r
PREMIER ARTICLE ), rojasi
:
:
Si un jeune auteur , voulant débuter dans la carrière
des lettres , était assez heureux pour choisir un sujet
qui eût l'attrait puissant de la nouveauté ; qui , admettant
toutes les formes de style , permît d'être tour-àtour
orateur , historien , peintre et poëte ; où , dans la
fidélité de l'histoire se rencontrât souvent le charme
du merveilleux , l'intérêt du rrooman ; qui , parlant à l'imagination
et aux souvenirs au coeur et àa l'esprit , dût
exciter la curiosité de toutes les classes de lecteurs : il
resterait encore à savoir mettre en oeuvre un sujet si heureusement
trouvé .
,
3
1
Remonter au-delà des premiers tems de la monarchie
française , à ces Gaulois qui , les premiers, passèrent les
Alpes indomptées , fondèrent des colonies dans le Latium ,
combattirent sur les bords de l'Euphrate , du Nil , du
Bosphore et de l'Eurotas ; chercher dans les traces effacées
des peuples celtiques , dans la sombre mythologie
des Druides , dans les chants si renommés des Bardes
antiques , dans les moeurs et les coutumes ignorées des
premiers peuples de la Gaule, dans les monumens de
T'histoire nationale , depuis les Francs jusqu'à nos jours ,
les rapports de cette histoire avec la poésie , l'éloquence
et les beaux-arts : tel est le plan de l'ouvrage de M. Mát
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 343
changy. Les deux premiers volumes comprennent la
première époque , et se terminent avec la dynastie de
Mérovée.
: Ce qu'on ignore , ou ce qu'on oublie , c'est , comme
le dit l'auteur , que « toute la nuit de ces premiers siè
cles étincelle de faits éclatans . » Pour en tracer des
tableaux fidèles , il a fallu se livrer à des recherches
longues et pénibles ; et pour les rendre éclatans , savoir
joindre le vif enthousiasme du poëte à la sévère exactitude
du critique , la verve de l'orateur à la patience de
l'antiquaire , et le coloris des grands maîtres aux sèches
nomenclatures de l'érudition . Le but était haut , le prix
difficile : l'auteur a su s'élever et l'atteindre.
Sa vaste érudition satisfera les savans sans épouvanter
les esprits légers. Toutes les citations , d'ailleurs extrêmementnombreuses
, sont réléguées dans des notes dont
le travail me paraît bien plus considérable que celui du
texte : « Je n'ai point épargné les citations , dit M. Maga
>>changy : cet ouvrage est plein de faits peu connus
>> et d'opinions nouvelles qu'on prendrait d'abord pour
>> des paradoxes , si je ne me hâtais point d'invoquer les
>>témoignages qui concourent à les accréditer , et qui
>>leur impriment le sceau authentique dont toutes les
pages de l'histoire doivent être marquées. Ainsi , la
Gaule Poétique a le premier de tous les mérites dans les
ouvrages historiques , celui de la solidité qui résulte des
preuves et des autorités . Elles sont là comme la base
d'un ancien monument que l'architecte mesure , que le
plus grand nombre des voyageurs néglige , mais sans
laquelle l'édifice ne pourrait se soutenir. Je crois néanmoins
que M. Marchangy aurait pu élever le sien sur
des fondemens moins larges et moins profonds . En effet ,
de simples citations de livres et d'auteurs occupent ,
dans la Gaule Poétique , au bas de chaque page , un
és pace presqu'aussi considérable que le texte; et tout ce
luxe de preuves n'était point nécessaire .
L'auteur commence par avertir que ce n'est point une
histoire de France qu'il publie , mais bien un ouvrage
littéraire sur cette histoire . Ainsi , sa marche sera plus
libre; il peut ne prendre que la fleur de son sujet. Ce
344 MERCURE DE FRANCE ,
pendant , il suivra l'ordre des tems , parce que cet ordre
ne peut nuire au plan qu'il s'est proposé , et qu'alors il
devient utile ; mais son style sera débarrassé de la gravité
des formes historiques . Il pourra être , et il est en
effet tour-à-tour oratoire , descriptif , poétique ; tantôt
élevé ou brillant, soutenu ou rapide ; tantôt facile , gracieux
et léger .
La Gaule Poétique n'est cependant point , sous le
rapport du style , un ouvrage sans défauts ; il y en a
même plus qu'on n'en trouve souvent dans des livres
médiocres . L'imagination a ses écarts , la médiocrité est
plus régulière .
Ce serait une histoire utile et curieuse que cellede
laprose française depuis le seizième siècle jusqu'à nos
jours . Naïve et gracieuse dans Amiot; libre et énergique
dans Montaigne ; guindée et métaphorique dans Balzac;
forte et sévère dans Pascal ; grave dans Bourdaloue ;
sublime dans Bossuet; noble et élégante dans Fénélon ;
naturelle et négligée dans Mme de Sévigné ; richede tours
et d'harmonie dans Massillon ; vive et légère dans Voltaire
; nerveuse et passionnée dans Rousseau ; calme et
majestueuse dans Buffon ; froide et emphatique dans
Thomas : qu'est-elle devenue dans les écrits de quelques
modernes prosateurs ? Quel mélange singulier et souvent
bizarre de mots détournés de leur signification ordinaire
pour les appliquer à des objets ou à des idées
qui avaient , dans la langue , des signes naturels pour
les peindre ou pour les exprimer ! La prose a usurpé le
vaste domaine de la poésie; elle a voulu même l'étendre ,
et la poésie rejetterait sa pompe désordonnée. L'éloquence
qu'on appelle académique , et qui est née vers
le milieu du dernier siècle , a confondu les genres et
gâté d'heureux talens . La critique ne saurait s'élever ,
avec trop de courage , contre cette ambition du gigantesque
, qui n'est pas le grand; contre cette prétention à
la magnificence des mots , qui n'est pas le sublime ; contro
cette profusion de tours nouveaux , d'images et d'effets
qu'il faudrait d'ailleurs trouver sans effort, au lieu de les
chercher si péniblement. Et l'on a vu le plus heureux
talent tourmenter la langue, blesser le goût et touchex
FEVRIER 1813 . 345
1
:
au ridicule , tandis qu'il pouvait acquérir facilement des
droits à l'estime et à l'admiration de ses contemporains.
La Gaule Poétique a pu faire naître ces réflexions ;
mais il serait injuste de les appliquer à l'auteur dans
toute leur étendue , dans toute leur rigueur. Cependant ,
s'il n'appartient point à une école fameuse et décriée ,
son style n'est pas exempt de recherche et d'ambition.
Jeune , plein de verve et d'imagination , peintre et poëte ,
il s'égare quelquefois , et l'on aperçoit, à regret , sur
ses riches tableaux , quelques traits de la moderne enluminure.
Je n'aime ni les églises gothiques et sombres
, qu'on prendrait pour des forêts pétrifiées ; ni le
jour du baptême de Clovis qui vient s'ouvrir les portes
de l'église de Reims ; ni l'imagination qui s'épanouit au
souffle de l'avenir; ni l'amant des beaux-arts qui demande
à la Troade et au Péloponèse des vestiges inspirateurs ;
ni un épisode d'amour qui , au milieu de l'action rapide ,
impétueuse , ressemble à lafleur jetée sur le cours du
torrent; ni cette peuplade enivrée des prestiges et des
séductions de la terre poétique; ni le beau visage de Clotilde
, où la tendre compassion imprime une céleste
mélancolie , reflet de la douleur des autres . Je n'aime
enfin ni la nymphe qui prend le bain accoutumé , ni
Clotilde qui fait les aumônes accoutumées .
Voilà ce qui m'a principalement déplu dans le premier
volume , le seul dont je m'occuperai dans cet article ;
mais ces défauts de style , il faut les chercher , tandis
que les beautés s'offrent à chaque page. Puisque je fais
la part de la critique , je me haterai de l'achever ; je ne
crois pas qu'on puisse dire correctement : « Quel spec-
>> tacle attendrissant qu'un concours goûtant tous les
>> transports que peut éprouver un coeur ! etc. >> Enfin, je
releverai cette inversion pénible : <<<D'autrefois de ces
>>solitudes impénétrables la nuit fuyait tout-à-coup . >>>
En général , le style est par-tout travaillé , et avec trop
de soin peut-être . Il est toujours brillant , toujours poétique.
Le sujet semblait sans doute le demander ainsi
le style devait être comme le titre de l'ouvrage : mais si
on le trouve assez souvent ambitieux , il est rarement
voisin de l'emphase ; et, jusque dans ses écarts , M. Mars
346 MERCURE DE FRANCE ,
changy annonce un talent solide et très-distingué. Je
pourrais le prouver par une foule de citations. Ici je ne
puis être embarrassé que pour le choix. 50.4
L'auteur parle ainside l'imagination , faculté qui brille
avec éclat dans son ouvrage : « L'imagination sourit aux
>>lointains promontoires et aux îles verdoyantes ; elle
>>. aime à voir l'azur des eaux et l'azur du firmament ;
>>placée comme au centre d'une sphère aérienne et bril-,
>> lante , ses pensées n'ont plus rien de terrestre , et
>>l'espace vide de tout objet semble livré à sa puissance
>> créatrice pour être peuplé de fécondes illusions . L'an
>> tiquité , si ingénieuse dans ses allégories , aurait pu faire
>> naître l'imagination sur les mers , comme une autre
>>Cythérée bercée par les vagues natales sur une conque
>>de nacre nuancée des couleurs de Iris.w
カー
:Le plan de la Gaule Poétique a été fort heureusement
tracé par l'auteur. Il divise la première époque en dix
récits . Le premier contient le tableau éloquent et rapide
de tous les âges de la Gaule , depuis les Celtes jusqu'à
nos jours . Il faudrait citer toute entière celte belle Introduction.
Elle est terminée par ces mots : « Ah ! gloire
>>et honneur au pays que n'a point abaissé l'infortune ,
>>et qui n'a jamais désespéré de son salut ! Gloire et hon-
>>neur au pays de la vaillance ,de l'esprit , de lapolitesse ,
set des vertus hospitalières ! Au pays qu'ont défendu
>> tant de héros , qu'ont embelli de si grands talens !>>>
M. Marchangy ne perd jamais de vue , dans son ouvrage,
la gloire de la France , et c'est un monument national
qu'il a voulu et su élever.
L'auteur parle ensuite des premiers habitans des
Gaules :
F
:
« Il fut jadis un peuple connu sous le nom de Geltes :
>> sa source est cachée dans la nuit des siècles. Les his
>> toires les plus anciennes le trouvent déjà avancé dans
>››sa renommée et remplissant de ses tribus guerrières
>> l'Europe et une partie de l'Asie. Le savant qui voit des
>>mots celtiques dans toutes les langues mortes et vivan-
>> tes , ressemble au voyageur qui , remarquant des
>>coquillages sur les montagnes de tous les pays , croit
» que la mer roula jadis ses ondes sur leur sommet.
ή.
10 FEVRIER 1813.. 347
Les Gaulois étaient des Celtes , et l'on a même
>>soutenu que tous les Celtes n'étaient que des Gaulois .
>> Notre contrée fut le berceau de vingt nations. Deux
>> de ses princes , Bellovèse et Sigovèse , fatigués d'un
>>long repos , entraînent sous leurs enseignés un grand
>>-nombre de héros , et rien dans l'histoire n'est plus
>>curieux que leurs migrations . Le premier conduit ses
>>guerriers à travers les Alpes sauvages , que nulle armée
>> n'avait encore franchies..... Dans la vaste contrée que
les Gaulois soumirent au-delà des Alpes , et dont ils
>», expulsèrent les habitans , s'élevèrent Milan , Côme
>>Brescia , Vérone , Bergame , Vicence , Mantoue , ef
>>c'est ici qu'un noble et juste orgueil sied bien à notre
>>histoire ; non-seulement elle peut réclamer l'honneur
>>de ces fondations célèbres , mais Virgile , Catulle ,
>>Tite-Live , Suétone ; les deux Plinë , Vitruve et bean"
>> coup d'autres grands-hommes (Valère- Maxime , Ceci
>>lius , Stacey etc.)snes dans ces cités d'origine cél--
tique , durent peut-être aussi le jour à nos ancêtres .
M. Marchangy parle ensuite des guerriers de Brennus ,
descendans de ces colonies de Bellovèse , et qui firent
trembler dans le capitole « ce peuple-roi qui devait un
>>jour couvrir toute la terre...
Les Gaulois qui obéissaient à Sigovèse « se laissanť
>», guider par lé vol des oiseaux , arrivérent dans la Pan-
>> honie et sur les rives de l'Ister où ils s'établirent.... Is
>> affrontèrent laMacédoine , encore fière des triomphes
de son Alexandre . Vainqueurs de toutes parts , ils se
>> répandirent dans la Thessalie , traversèrent le Sperchitis
à la nage , et trouvèrent les Grecs assemblés
>>aux Thermopyles pour défendre ce passage, où erraiť
>>encore l'ombre du généreux Léonidas . Alors s'engagea
>iîn combat terrible. Les Gaulois rejetant tout autre
>> avantage que ceux de la force et de l'adresse , se dé-
>>pouiflèrent de leurs vêtemens et ne voulurent garder
>> que leurs épées . C'est ainsi qu'on les vit combattre
>>depuis aux plaines de Cannes , sur le mont Olympe
>>et près des remparts d'Ancyre ....
Après avoir forcé les Thermopyles et traversé le
>»,mont (Eta , les Gaulois marchent vers le Parnasse ,
348
e
MERCURE DE FRANCE ;
>> qui domine la ville de Delphes.... Ils pénètrent dans
>>la Thrace et ravagent la cité de Bysance. L'Asie est
>> ouverte à leur courage ; alliés à Nicomède , ils ran-
>> gent la Bithynie sous ses lois et reçoivent en partage
>>les Etats voisins , auxquels ils donnent , par un tou-
>>>chant souvenir , le doux nom de la Galatie . Pros-
>>pérant de plus en plus par leur célébrité et leurvaleur ,
>>> ils se font les arbitres des Empires , et leur glaive pèse
>> dans toutes les balances de la politique.
>>Les souverains apprirent que sans les Gaulois il n'y
>> avait pas d'armée complète , point de trône solide ,
>> point de victoire certaine : l'antiquité les regarda
>> long-tems comme invincibles , et Salluste les crut su-
>> périeurs aux Romains pour la gloire des armes .
>>On vit des Gaulois à la cour de Denys l'ancien , de
>>Juba , de Pyrrhus , de Cléopâtre , de Bérénice , d'An-
>> tigone , d'Hérode et de tous les Césars .
>> Quatre mille Gaulois appelés au secours de Ptolo-
» mée , roi d'Egypte , osèrent tenter en leur nom la
>> conquête de ce pays , et peut-être leur courage eût-il
>> opéré ce prodige si l'on ne se fût point hâté de les
>> attirer par trahison dans une île déserte où ces héros
>>lâchement abandonnés , se percèrent le coeur avec
>>leurs épées .
,
>>Agésilas salua les drapeaux de nos pères lorsque ,
> unis aux Spartiates , ils triomphèrent, sur les bords de
>>l'Eurotas , des guerriers d'Argos et d'Arcadie .
>> Annibal recueillit les lauriers qu'ils moissonnèrent
>> aux journées de Trasimène et de Litana.
>>Alexandre , qui dans son orgueil en attendait une
>>réponse flatteuse , leur ayant demandé au milieu des
>>pompes de Babylone ce qu'ils redoutaient le plus sur
>>la terre , apprit d'eux qu'ils ne craignaient que la chûte
>> du ciel .
>>>Mithridate haranguant ses soldats , leur montrait
>>comme le gage de la victoire les Gaulois qu'ils avaient
>> dans leurs rangs .
>> Ainsi donc nos ancêtres ont uni leurs noms aux
>> plus beaux noms , et leurs souvenirs aux plus beaux
▸ souvenirs ! Ainsi donc, mêlés aux peuples renommés
FEVRIER 1813 : 349
ils ont passé avec eux sous les arcs de gloire érigés
> dans l'antiquité. >>>
J'ai voulu citer ce morceau , d'une certaine étendue ,
mais qu'on ne trouvera pas trop long , pour faire connaître
le style animé , figuré et rapide de l'auteur , ainsi
que sa manière de présenter en tableaux et de resserrer
enune ou deux pages les faits qui font la matière de
plusieurs volumes. Environ cent cinquante autorités
sont rapportées à l'appui de ce fragment : ensorte que
toutes les sources se trouvent indiquées à celui qui veut
s'instruire à fond sur l'origine des Celtes et des Gaulois ,
sur leurs migrations , et connaître les colonies fondées
par nos ancêtres , et l'éclat dont l'histoire les fait briller
dans les fastes antiques . La même méthode est suivie
dans tout l'ouvrage , et depuis la publication du Voyage
d'Anacharsis , on n'avait point vu peut-être une association
aussi remarquable du talent de l'écrivain et de la
science de l'érudit .
Les colonies établies dans les Gaules par les Grecs et
les Romains , font le sujetdu second récit. L'auteur indique,
dans la fondation de Marseille par les Phocéens ,
le sujet d'un poëme épique. Il en trace le plan, et fait
preuve de goût et d'imagination. Parle-t-il des combats
livrés dans les Gaules par les Romains , il peint d'un
seul trait l'héroïque valeur de nos pères : « Ces combats
>> interminables , dit- il , firent croire aux Romains que
>> les Gaulois étaient exceptés de la conquête dumonde. >>>
Les Francs sont l'objet du troisième récit. On lira ,
avec intérêt ce que M. Marchangy dit de leur origine ,
de leur audace guerrière , de leurs moeurs et de leur
religion : « Tout ce qui avait du mouvement renfermait,
>> disaient-ils , une parcelle de la céleste intelligence , et
>> Dieu était pour eux l'ensemble de la nature animée ;
>> ils écoutaient sa voix dans la foudre , dans les aquilons
>> et les torrens ; les brises parfumées étaient son souffle
>> divin ; ils contemplaient sa gloire dans les rayons du
>> soleil , dans la splendeur des météores et des astres
>> qu'il a prodigués à la nuit ; ils voyaient le reflet de
>> sonsourire sur les nuages pourprés du matin , dans le
>> limpide azur des fontaines , et sur les gazons émaillés
350 MERCURE DE FRANCE ,
>de fleurs : c'est ainsi que l'être invisible était vun wilde
tableau de l'entrée des Francs dans les Gaules , de leurs
conquêtes et de leurs premiers établissemens sous Clodion,
est tracé avec les couleurs brillantes de l'imagination
, sans que la vérité historique , si difficile à saisiv
dans les ténèbres qui couvrent le berceau de tous les
peuples , puisse paraître avoir reçu quelque altération.
Au reste , cette partie si obscure de l'histoire nationaler,
qui n'est souvent peut-être qu'une fable convenue , est
présentée ici avec tout le cortége de ses autorités ..
t Dans le quatrième récit , M. Marchangy peint à grands
traits l'invasión des Gaules par Attila. Peu de sujets lai
paraissent plus favorables à la poésie héroïque. En trdçant
le plan , la división , le sujet de chaque chant , sa
narration s'anime et devient épique elle-même . Je voudrois
pouvoir citer l'épisode de Childéric et de la jeune
Néliska. Ce n'est pas une rapide esquisse , comme le dit
modestement l'auteur , c'est un tableau poétique et tonchant
: c'est l'épisode lui-même , tout entier. Tracer
ainsi des plans de poëmes épiques , c'est ne laisser aux
poëtes qui seraient tentés de les suivre , que le mérite de
l'exécution . C'est leur enlever celui de l'invention . Les
sujets que M. Marchangy indique à la peinture n'ont pas
le même inconvénient. Les artistes ne seront point découragés
en le lisant , puisque souvent ils aiment à
reproduire sur la toile des tableaux déjà faits dans des
livres : mais ce sont des genres différens .
Clovis fournit aussi le sujet d'un poëme épique ,dont
l'auteur développe le plan dans le cinquième récit. Il peint
ainsi les commencemens de la bataille de Tolbiae
..... Le choc est épouvantable . Accoutumés à faire
>>>>plier l'ennemi , les Francs s'étonnent d'une résistance
>>inconnue ; vingt fois ils vont à l'attaque , et vingt fois
>> leurs bataillons se brisent contre les bataillons qu'ils
» veulent enfoncer ; eux-mêmes , assaillis à leur tour ,
>> ne peuventlong-tems résister. Les Allemands que rien
» n'arrête , semblent grandir en approchant ; ils s'avan
cent comme le flux de lamer , quí , réglé dans sa furie,
>> écume , gronde et submerge. Ces guerriers farouches
vet gigantesques poussent dans les phalanges de la
FEVRIER: 1818 350
Gaulerleurs chars attelés de taureaux, que la pointe
des javelots aiguillonne . Ces animaux furieux , dont les
prunelles s'enflamment et dont le poil exhale d'épaisses
» fumées , mugissent dans l'horrible mêlée , et secouent
leurs cornes meurtrières surchargées de lambeaux
sanglans . » : L
M. Marchangy voit , dans les amours de Childéric et
de Basine , un double sujet pour le peintre et pour le
poëte lyrique . Il indique trois sujets de tragédie dans
Eponine , Chémora et Camma, Il eût pu remarquer ,
dans une de ses notes , que le sujet de Camma avait été
traité par Thomas Corneille , et celui d'Eponine par
Passerat , Richer et Chabanon..
Il ne nous reste rien des poëmes druidiques , celtiques
et gaulois . M. Marchangy a voulu nous donner une idée
de ce qu'ils étaient , ou de ce qu'ils pouvaient être , dans
le Chant Gaulois , le Chant des Bardes et le Bardit dont
ilaorné ses trois premiers récits . Il a puisé aux meilleures
sources les préceptes , la science et les traits de
moeurs dont il a composé ces trois hymnes . On trouve
dans le premier cette belle image extraite d'un discours
attribué à Odin , et que Mallet rapporte dans son Introduction
à l'Histoire du Danemarck : « Les chemins de
-> l'amitié se couvrent de ronces quand on n'y marche
>> pas .» Ilest cependant permis de douter que les Bardes ,
avant l'établissement des colonies grecques et romaines
dans les Gaules , aient connu la belle Galathée , le triple
Géryon et le sage Pythagore ; et , si je ne me trompe ,
le Barde antique ne chantait point ces paroles qui me
paraissent appartenir à des tems beaucoup plus près de
nous : Quand le son des lyres jette l'homme en une
>> douce extase , on dirait qu'il cherche dans le vague de
-> sa pensée à reconnaître l'image vaporeuse et confuse de
la vierge chérie. Ou si les Bardes chantaient ainsi ,
con peut dire que leur génie , perdu depuis tant de siècles ,
s'est retrouvé de nos jours . J'aime mieux cet éloge de
Ja femme, que je lis dans le Chant Gaulois de M. Marcliangy
: Mon frère , ne dédaigne point les avis d'une
femme; elle aperçoit de bien loinles choses de l'avenir ,
etsait des paroles qui endorment les douleurs. Ah !
352 MERCURE DE FRANCE ,
:
>>ce n'est pas seulement avec les yeux qu'on la voit
>> l'aveugle même a deviné sa beauté ; le sourd a compris
>> son langage. OEuvre de mystère et d'amour ! quel
>> souffle divin épura tes traits , fit éclore ton sourire , et
>> plaça sur tes lèvres le baume qui vivifie et le poison
>> qui consume ? O femme ! quand tu parles , tes dents
>>brillent comme les étoiles du matin à travers la pourpre
» du ciel humide de rosée ; ta voix est une magie , et
>> ton regard un enchantement. » Ce sont Tacite , Pomponius
-Méla , Mallet et Macpherson , qui ont fourni à
l'auteur les traits de cet éloge. Il les a polis , sans doute ,
et mieux qu'un Barde n'eût su le faire ; mais , dignes de
la lyre française, ils le sont aussi de la harpe des Gaulois .
Le chant des Scaldes qu'on trouve dans le quatrième
récit , offrait peut-être plus de difficultés à surmonter;
et comme il nous resté un assez grand nombre de poésies
scandinaves recueillies par les auteurs du nord , l'exactitude
était plus rigoureusement prescrite , et l'imitation
plus facile à constater . Aussi le chant des Scaldes a-t-il
quelque chose de plus sauvage et de plus caractéristique
que les précédens ; on peut en juger par ce fragment :
«Le chef des guerriers a combattu , et les corbeaux
>> vivront long-teins sur les traces de son épée.... Tantôt
» mêlé à la foule des dieux , tu combattras les géans des-
>>cendans d'Ymer ; tantôt , imitant le génie Uller , qui ,
>> sur des patins radieux , devance les aquilons et les f
» éclairs , tu glisseras sur le fleuve de glace , et tu t'en-
>>fonceras par des portiques nébuleux dans les palais
>> aériens ; là , des vierges aux yeux bleus et aux pieds
>> d'albâtre te verseront la boisson des héros dans le crâne
>> des Huns et des Vandales , tandis que Braga , assis
>>sous le chêne d'Idrasil , te charmera du son de sa lyre ,
>> et que la déesse Yduna t'offrira les pommes qui don-
>> nent l'immortalité . Le chef des guerriers a com-
>> battu , et les corbeaux vivront long- tems sur les traces
>>de son épée . »
-
Il n'y a point de chant dans le cinquième récit ; mais
ony trouve quatre discours . M. Marchangy , traçant le
plan du poëme de Clovis , suppose ingénieusement que
lefondateur de la monarchie française délibère sur le
:
FEVRIER 1813 . 353
choix d'une religion dominante. Un Romain se lève lo premier , et , dans un discours brillant , loue les disos LA
SEIN
d'Homère , et la brillante mythologie des Grecs , qui
ayant perdu son empire sur les peuples , retient encor
celui de la poésie et des arts . Un Scandinave prend
ensuite la parole et célèbre la religion d'Odin. Ly a5.
dans cette religion des fictions dégoûtantes qui ne peucen
vent inspirer ni le génie du poëte , ni sur-tout celui de
l'artiste . Quel est le peintre qui oserait représenter sur
la toile les parques du nord ? « Les douze Valkiries ....
>> travaillent les destins des héros autour d'un métier
>> dressé sur quatre lances ; leur trame est composée
>> d'entrailles frémissantes ; à chaque poids, une tête hu-
>> maine et des coeurs encore palpitans sont suspendus .>>>
Après l'apologie de la religion celtique , faite par un
Gaulois , Clotilde chante la grandeur et les bienfaits du
christianisme , de cette religion consolatrice , « qui ne
>>>montre la mort que près de l'immortalité. » Le dieu de
Clotilde devait l'emporter ; mais cette princesse ne devait
pas dire sainte Geneviève , en parlant de la vierge de
Nanterre qui vivait encore , et n'était point honorée d'un
culte public. ( La bataille de Tolbiac fut livrée en 496.
La mort de Geneviève est fixée par les historiens à l'an
511 , et celle de Clovis à l'année suivante. )
Il est difficile de trouver M. Marchangy en faute. Son
talent très-remarquable donne plus de droit que de prise
à la sévérité de la critique. Dans un autre article j'exa
minerai le second volume de son ouvrage.
VILLENAVE .
THEATRE DE L. B. PICARD , membre de l'Institut. Six
vol . in-8°. - Prix , 36 fr . Chez Mame , imprimeurlibraire
, rue Pot-de-Fer.
(SECOND ARTICLE. )
Le théâtre de M. Picard se compose de trente-trois
pièces. Il y a des gens que ce nombre pourrait effrayer ,
et qui croient , comme l'on dit communément, que la
Z
354 MERCURE DE FRANCE ,
1
quantité nuit à la qualité ; il faut se hater de leur dire
que , de ces trente-trois pièces , deux sont des opéras
comiques , et dix des comédies en un acte. « Quand mes
>>>amis , dit M. Picard , veulent choisir entre mes petites
>>pièces , ils balancent entre les Voisins , M. Musard et
>>> les Ricochets . >>> Je demanderais qu'il y ajoutât le
Vieux Comédien. J'ai pour moi une autorité que personne
ne contestera en fait de goût , et sur-tout de comédie;
c'est celle d'un de ces amis de M. Picard , dont
Jenom est devenu inséparable du sien , et qui , naguère
en rendant comple de ce même théâtre , a donné le noble
exemple de l'amitié remplissant les fonctions de la cri
tique. Cet ami , que j'ai déjà assez désigné , paraît dér
sirer une quatrième place pour le Vieux Comédien , dans
le choix des plus jolies pièces de M. Picard . Et en effet,
me fût-ce que le souvenir de Préville , que l'auteur a eu
Je dessein de rappeler , cette petite comédie , pleine
d'ailleurs de détails agréables , pourrait figurer au premier
rang des productions de ce genre . C'est dans la
préface du Vieux Comédien , que M. Picard , après avoir.
répondu à une critique faite sur la pièce , ajoute : « Il y
ia des gens qui veulent que la comédie soit une école
>> de moeurs. Moi je crois qu'elle ne doit être qu'un ta
>> bleau des moeurs et des ridicules . Tant mieux pour
> l'auteur si son tableau peut corriger ou au moins faire
>> réfléchir le spectateur ; mais son but est atteint , quand
› il a été vrai et comique. >> Je cite ce passage , nonseulement
parce qu'il me paraît être un résumé aussi
exact que fidèle de la doctrine littéraire de M. Picard.
mais parce qu'il est aussi une preuve de ce sens droit qui
est une des premières qualités du poëte comique.
C'est parce que la comédie a prétendu corriger les
moeurs , qu'on a si sévèrement examiné ses titres à une
pareille mission ; c'est parce qu'on a voulu la représenter
comme une école de moeurs , que le plus éloquent
de nos philosophes a voulu prouver qu'au lieu de les
corriger , elle les renforçait. Cette question bien débattue
se réduit peut- être au voeu simple et modeste que
forme M. Picard , d'amuser et de faire réfléchir. Quant
à laprétention ambitieuse de corriger en riant, elle n'est
"
1
FEVRIER 1813 . ་ ༧ ན་ 355:
1
F
1
plus pardonnable qu'à l'opéra-comique , sur-tout depuis..
qu'ony joue des mélodrames .
Ces réflexions m'ont fait perdre de vue les petites
pièces de M. Picard , entre lesquelles on éprouve l'embarras
de choisir. « Moi , dit- il , je suis pour les Rico-
>> chets ; qu'on me pardonne cette franchise d'amour-
>> propre. >> Je serais assez tenté de m'en rapporter à son
jugement . Chez lui l'amour-propre d'auteur n'est pas
aveugle ; il n'est pas de ces pères qui se passionnent
souvent pour ceux de leurs enfans les moins dignes de
leur affection . Mais , puisqu'il faut aussi faire un choix ,
j'avouerai ma prédilection pour Musard. Musard me
paraît un des tableaux les plus vrais , un des portraits
les plus frappans de ressemblance qu'aient produits les
pinceaux de M. Picard . « J'ai souvent fait la remarque ,
>> dit-il , que c'est celle de mes comédies où j'ai été le
>>plus économe d'esprit.>> Je sais qu'un amateur du
théâtre , inconnu par quelques pièces jouées à laComédie
française , et qu'un ami félicitait du peu d'esprit qu'il y
mettait, lui répondit un jour : « L'esprit ! je l'abhorre.>>
Je ne partage pas tout-à- fait cette horreur , et je ne puis
pas dire que ce soit précisément par cette raisonque me
plaît Musard. Une anecdote qui m'est particulière , mais
qu'en raison de l'à-propos , on m'excusera de rapporter
ici , est peut- être la vraie cause de la préférence que
j'accorde à cette comédie. Je connais un homme qui ne
sait jamais sortir de chez lui , et jamais y rentrer , négligeant
pour des niaiseries et des bagatelles un commerce
qui demanderait une grande partie de son tems , beaucoup
moins occupé de ses affaires que de la caricature
nouvelle , du dernier opéra bouffon , de la revue , de la
hauteur de la rivière , et des bateaux arrivés au port
Saint-Nicolas , vrai Musard enfin , et que l'on croirait
avoir servi de modèle à M. Picard. La pièce était depuis
quelque tems annoncée dans les journaux et sur l'affiche
du théâtre de l'Impératrice. Un ami commun s'amuse
à faire accroire à notre Musard que c'est lui qu'on va
jouer , et que c'est lui-même ( cet ami) qui en a donné
l'idée à l'auteur. Des rapports d'esprit et de goût qu'il
avait dès-lors avec M. Picard , et qui sont devenus de-
Z2
356 MERCURE DE FRANCE ;
puis des relations d'amitié intime , donnaient à cette
petite fable le degré de vraisemblance nécessaire . Notre
homme en fut dupe , et jusque-là n'en parut pas autrement
fâché. Vint enfin le jour de la représentation. Il y
court et se reconnaît tellement au portrait , qu'il passe
bientôt de l'admiration pour le peintre , à un mouvement
d'humeur chagrine contre l'indiscret ami qui a fourni
sur son compte des renseignemens si exacts et si positifs .
Le voilà se plaignant de l'amitié violée , de la confiance
trahie; disant que l'on pouvait bien chercher à corriger
ses amis de leurs défauts , mais que c'était passer les
bornes , que de les exposer sur un théâtre , et de les livrer
à la risée publique. Plus il se fachait , plus il donnait à
rire à des gens bien persuadés d'ailleurs qu'il n'y avait
pas le plus léger fondement à ces reproches . Il fallut
enfin le désabuser , mais ce ne fut pas sans peine. Le
succès inattendu de cette très-innocente mystification ,
me parut alors une preuve irrécusable de la bonté de
l'ouvrage , et consacrer ce fait , que dans une peinture
comique et vraie , on peut non-seulement reconnaître
son voisin , mais quelquefois aussi se reconnaître soimême.
J'observe en passant que l'anecdote que je viens
de citer et dont le principal personnage est un commerçant
, pourrait justifier suffisamment M. Picard , du
reproche d'avoir fait de Musard unnégociant. Le Musard
que je connais justifierait celui de la comédie , de tout ,
même de la négligence dans la rentrée de ses fonds ;
sauf cependant le retard dans ses paiemens , la seule
chose que ses distractions ne lui fassent pas oublier.
« La principale cause du succès de ma comédie , dit
> encore M. Picard , c'est qu'à la différence de tous les
>> autres défauts mis en scène , chacun avoue franche-
>> ment qu'il est atteint de celui-ci . Personne ne veut être
>> avare , joueur , glorieux . Tout le monde consent à être
>> Musard. Que dis-je ? on s'en fait gloire . >> J'irais , si
j'osais , plus loin que M. Picard. Je dirais qu'il y a des
fanfarons de músarderie , des hommes très- actifs , trèslaborieux
, qui ne seraient pas fâchés qu'on les prît pour
des indolens et des désoeuvrés .
,
*Il est de faux musards ainsi que de faux braves .
FEVRIER 1813 . 357
그럼
1
Me pardonnera-t- on de citer encore à ce sujet un
exemple de ridicule que j'ai eu sous les yeux ? J'ai connu
un homme de finance , un des plus habiles banquiers de
Paris , et sur-tout des plus travailleurs. J'ai ri quelquefois
de le voir , après huit ou dix heures du travail le plus
opiniâtre et le plus assidu , exalter les charmes du far
niente , ou peindre à sa manière son ravissement , ses
extases , lorsque dans le fond d'une loge de l'opéra bouffon
, enivré des accens de Mozart ou de Cimarosa , il
savourait un numéro du Journal de Commerce , et méditait
quelques combinaisons de change. Peu s'en fallait
alors que ce voluptueux oisif ne vantât aussi , comme
Musard, cette incertitude , ce vague heureux de l'esprit ,
et qu'on ne le prît pour un fainéant qui passait sa matinée
à observer les passans , et à deviner à quel point en sont
un homme et unefemme qui se donnent le bras . Ce caractère
ne serait sûrement pas aussi comique que celui de
Musard; mais il existe , et j'en garantis la vérité.
Quoique ces réflexions sur Musard puissent paraître
déjà bien longues , je ne finirai pas sans faire à M. Picard
un reproche grave et qui a cette comédie pour objet.
M. Picard se vante d'indiquer avec soin et avec franchise
toutes les sources où il a puisé . Cependant il ne dit rien
de M. Musard. C'est donc à moi à lui apprendre d'où il
a tiré le sujet de sa pièce . Je croyais encore , il y a huit
jours , qu'il lui appartenait tout entier. Mon bonheur a
fait tomber entre mes mains une satire nouvelle intitulée
: Epître aux mânes de Dorvigny . J'y ai lu ce vers
du tour le plus fin et le plus épigrammatique :
On a beaucoup d'esprit , de mémoire aujourd'hui.
Ce vers m'a renvoyé à une note , et cette note m'a
appris que le véritable auteur de Musard était un M. Rousseau
, auteur d'une comédie intitulée : M. Lambin , dans
laquelle le nouveau satirique a reconnu le fond et la
coupe de plusieurs scènes de Musard ; ensorte que M.
Picard n'a peut-être fait que trouver un titre plus heureux
à la pièce de M. Rousseau. Mais il faut convenir
que celui-ci , en gardant si long-tems le silence sur une
aussi criante spoliation , a donné unbel exemple de dis
1
358 MERCURE DE FRANCE ,
crétion et de magnanimité ; car c'est encore une preuve
de sa discrétion , que de confier le soin de sa vengeance
à l'auteur de l'Epitre aux mânes de Dorvigny.
Outre les pièces en un acte que j'ai déjà eu occasion
de citer , le recueil contient encore le Cousin de tout le
monde , jolie esquisse , l'une des premières productions
de l'auteur , dans laquelle on reconnaît déjà sa vocation
pour ce genre de comique qui fait servir habilement
l'anecdote du jour au développement d'un caractère ou
d'une intrigue.
L'Acte de Naissance , qui rappelle pour le fond et
l'agrément de quelques détails , la Mère coquette.
Les Oisifs et le Cafédu Printems , deux pièces épisodiques
, dans lesquelles l'auteur amène , avec la liberté
qu'admet le genre , plusieurs de ces originaux que tout
le monde connaît , que tout le monde a vus , un M. Leffilé
, entr'autres , qui vient d'être guéri d'une maladie
grave , par une méprise de son apothicaire qui lui adonné
une potion toute contraire à l'ordonnance de son médecin
, du reste , le premier oisif de Paris , le plus ponctuel
sur les visites , le plus exact aux revues et aux promenades
; enfin , à la fraise et aux canons près , t'homme
de La Bruyère , dont on voit le visage représenter sur
les Almanachs , le peuple ou l'assistance.
Un Lendemain de Fortune , jouée à la Comédie franfrançaise
, et dont il faut expliquer le médiocre succès ,
en reconnaissant avec l'auteur , que la pièce , comme il
l'a conçue , n'a pas tous les développeinens nécessaires .
Au surplus , à la lecture , où ce défaut est moins choquant
, elle plaît et amuse. Elle peut être aussi une consolation
utile pour ces pauvres gens en place, qui se sont
vus transportés d'un état médiocre à des postes éminens ,
et qui , ainsi que les Hébreux , seraient tentés de regretter
les oignons d'Egypte . Car c'est la Bible qui a
fourni à M. Picard le sujet de cette comédie , de même
que c'est un Père de l'Eglise qui lui a fourni le sujet de
l'Alcade de Molorido. Cesont des obligations qu'il avoue ,
sans paraître autrement surpris que les livres les plus
graves fournissent quelquefois l'idée d'une intrigue plaisante.
Il est vrai qu'il faut un oeil exercé pour l'y découFEVRIER
1813 . 350
Π
1.
L
८
!
$
1
vrir, et que le germe d'une comédie , déposé dans les
écrits de saint Jérôme , a besoin d'être fécondé par le
talent comique .
Je ne puis oublier dans cette nomenclature de petites
pièces de M. Picard , le Susceptible ; non que l'idée ni
l'exécution m'en paraissent bien heureuses . Il explique
lui-même d'une manière très-satisfaisante le vice du
sujet : c'est que c'est un caractère plus souvent triste que
comique , et qu'on est plus tenté de plaindre le Susceptible
que d'en rire. Peut-être pourrait-on ajouter , en se
servant d'une expression que les comédiens appliquent
à certains rôles , que c'est un caractère en-dedans , qui
sent sa faiblesse , en rougit quelquefois , et craint sans
cesse de se trahir ; disposition peu propre à laisser
échapper ces naïvetés comiques , ces mots du coeur qui
décèlent et mettent si bien en scène un personnage. Le
Susceptible est un malade auquel il faut un régime doux ,
etdont il vaut mieux , je crois , laisser la guérison aux
moralistes de profession ; mais cette pièce a fourni à
M. Picard le sujet d'une de ses meilleures préfaces , et
je ne résiste pas au plaisir d'en faire connaître quelques
passages . Il y répond d'abord au reproche qu'on lui a
fait de ne mettre en scène que des bourgeois .
<< Pourquoi , dit-il , fait-on ce reproche à Dancourt
comme à moi , et ne le fait-on jamais à Molière , dont
>> presque tous les personnages ont des moeurs très-bour-
>> geoises ? C'est , je crois , parce que Molière n'indique
>>>que fort rarement la qualité , la profession de ses prin-
>> cipaux personnages , tandis que dans les pièces de
>> Dancourt et dans les iniennes on voit toujours des
>> financiers , des hommes de robe et des marchands .
» Par- là nous rapétissons nos tableaux ; Molière agrandit
>> les siens . Arnolphe , Orgon , Chrysale , et tant d'autres
>> sont représentés comme des chefs de famille , comme
>> des maîtres de maison. Quelle profession ont-ils exercé?
>> En ont-ils jamais exercé une ? On n'en sait rien , et
>>leurs moeurs et leurs ridicules peuvent s'appliquer à
toutes les classes de la société . Il faut dire pourtant
>> qu'aujourd'hui nous voyons bien moins que du tems
de Molière , de ces bourgeois aisés , sans état , et vivant
360 MERCURE DE FRANCE ;
>>de leur bien . Tout le monde s'occupe ou veut avoir
>> l'air de s'occuper . On court à la fortune; chacun veut
>> être plus riche que ne le fut son père , et puis on veut
>>être quelque chose. Il y avait de l'ambition dans toutes
>> les têtes du tems de Molière ; mais elle était bornée
>> pour chacun par son rang dans la société. Le grand
>> seigneur tendait à devenir ministre ou maréchal de
>>France . Le bourgeois visait à devenir marguillier de
>> sa paroisse , syndic de sa communauté , échevin ou
>>quartinier .>>>
L'examen de cette même pièce du Susceptible , conduit
l'auteur à parler des rôles d'opposition : moyen
comique dont on a fait un emploi peut-être indiscret et
une critique peut- être trop sévère . Je crois aider ici la
mémoire de M. Picard en lui rappelant où il a lu que
Molière avait dédaigné ces oppositions de caractère . Ce
doit être , si je ne me trompe , dans la poétique du
théâtre de Diderot ; mais si je ne me trompe aussi , les
réflexions de Diderot à ce sujet , paraissent moins dictées
par l'intérêt de l'art , que par un sentiment de vengeance
personnelle. Il ne s'élève avec autant de vivacité
contre ces contrastes , que pour mieux faire la critique
du Bourru Bienfaisant de Goldoni , dont il croyait avoir
àse plaindre. Cette intention qu'il laisse trop facilement
percer , ôte de leur poids aux argumens dont il cherche
à appuyer son assertion . On ne voit pas pourquoi , ce
qu'on rencontre tous les jours dans le monde , c'est- àdire
, des unions de caractères et d'humeurs en apparence
les plus opposées et les plus incompatibles , ne
pourraient pas se rencontrer de même sur la scène . Il
faut sans doute éviter que ces oppositions ayent rien de
trop symétrique et de trop régulier , rien qui sente la
machine ; mais , comme le dit M. Picard , si le ca-
>> ractère principal est bien choisi , il est à présumer que
>> le caractère d'opposition viendra naturellement se pré-
>> senter . Si cependant il ne se présente pas , il n'est pas
» défendu de le chercher. Il faut que ce caractère ne
>> soit ni forcé , ni invraisemblable , ni mal amené...
>> Quand le caractère d'opposition ne vient pas naturel
FEVRIER 1813 . 361
>> lement , et par la seule force de l'intrigue , faire con-
>> traste avec le principal caractère , comme le fils dans
>> l'Avare , comme Clitandre et Henriette dans les Fem-
>> mes savantes , je crois qu'il faut l'appliquer à un père ,
>> à un oncle , à un personnage exerçant une autorité ou
>> un droit d'amitié sur un ou plusieurs des personnages
>> principaux. Tels sont les frères de Molière dans beau-
>> coup de ses comédies et Baliveau dans la Métromanie .
>> Souvent alors le caractère d'opposition se confond
>> avec celui de l'homme raisonnable , qu'en style de
>> théâtre on appelle le raisonneur ; mais souvent aussi
>> ces deux caractères se divisent en plusieurs person-
>> nages. Je crois que lorsque le caractère principal est
>> odieux , il est bon de donner au même personnage le
>>caractère d'opposition et celui de l'homme raison-
>> nable , comme a fait Molière dans le rôle de Cléante
>> du Tartuffe . On peut les diviser quand le caractère
>>principal n'exclut ni l'honneur , ni la bonté . Dans
>> les Femmes savantes , Clitandre et Henriette sont des
>> caractères d'opposition , Ariste est l'homme raison-
>>>nable.>>>
Ces citations , et beaucoup d'autres que ne nous permettent
pas les bornes d'un article , n'apprendront pas
aux gens qui réfléchissent , que M. Picard a fait une
étude approfondie de son art ; mais il y en a d'autres
qui sont trop disposés à croire que tout ce qui porte le
caractère du naturel et de la facilité , est le produit d'une
organisation particulière et d'une espèce d'instinct ; ceuxlà
liront peut-être avec un degré d'intérêt de plus , et
d'estime pour l'auteur , les théories fines et savantes qu'il
développe dans plusieurs de ses examens.
Dans un troisième et dernier article nous parlerons
des grandes comédies de M. Picard ; nous contentant
d'indiquer celles qui sont les plus connues , et au succès.
desquelles il n'a manqué ni suffrages , ni critiques ;
réservant unemention particulière à celles dont le public
s'est éloigné , soit après les avoir beaucoup vues , soit
après ne les avoir pas assez vues .
LANDRIEUX.
363 MERCURE DE FRANCE ,
.
LA FEUILLE DES GENS DU MONDE , ou le Journal Imaginaire
; par Mme DE GENLIS . Un vol . in-8° . -
IL est presque impossible d'avoir à rendre compte
d'un livre de Mme de Genlis , sans parler en même
tems de sa personne. Mme de Genlis a naturellement
l'humeur belliqueuse . Elle ne souffre point la critique
, et quand elle publie un ouvrage elle est convaincue
qu'il ne reste à ceux qui ont le bonheur de le
lire d'autre parti que de l'admirer . Mme de Genlis se plaît
à attaquer les plus illustres réputations littéraires , mais
elle veut qu'on révère la sienne. Elle ne craint pas de
prêcher l'intolérance , mais elle prétend qu'on doit tout
tolérer de sa part. Elle ne cesse de réclamer des égards ,
mais elle se dispense d'égards envers tout le monde .
Elle professe des principes de morale et de religion , mais
sa religion est superbe et hautaine , et semblable au
pharisien qui , debout devant les autels , remerciait
Dieu de ne l'avoir point fait comme les autres hommes
injuste , ravisseur , adultère , elle se glorifie , comme
lui , de jeûner deux fois le jour du sabbat , et de remplir
tous les devoirs de la loi .
Mme de Genlis a été , pendant quelque tems , attachée
à la rédaction du Mercure de France. Ce journal était
ators , à ses yeux , le premier des ouvrages périodiques .
Elle a cessé d'y travailler , et dès ce jour elle n'a plus
aperçu aucun mérite dans le Mercure .
,
Quand on lit les préfaces de Mme de Genlis , il est
impossible de ne pas se persuader qu'elle aspire à la
suprématie de la littérature ; qu'elle se croit sincèrement
au-dessus de tous les beaux génies qui l'ont précédée ;
qu'elle ne doute pas que la nature ne l'ait faite pour régenter
l'univers et donner des modèles de tous les genres
deproductions .
Je suis persuadé que c'est de très-bonne foi qu'elle a
composé le Journal Imaginaire ; elle s'est dit : « Les
>> hommes de lettres chargés de la rédaction du Mer-
> cure n'ont pas reçu du ciel pes dons supérieurs qui
FEVRIER 1813 . -363
>> me distinguent , ils s'acquittent faiblement de leur
* >> tâche . Composons pour eux un journal qui puisse leur
>> servir de guide , les éclairer dans la carrière qu'ils
>> parcourent , et leur montrer par quel art on peut ,
>> avec honneur , remplir le noble ministère de la cri-
>> tique. Il existe dans la nature un beau idéal ; indi-
>> quons- leur ce beau idéal , et pour cela intitulons
>> notre feuille le Journal Imaginaire. >>>
Il ne faut , en effet , que jeter un coup-d'oeil sur cette
nouvelle production de Mme de Genlis , pour se convaincre
que son intention a été de faire une heureuse
parodie du Mercure de France , et de montrer avec
quelle supériorité cette feuille eût été rédigée , si elle
eût été exclusivement confiée à Mme de Genlis .
C'est le même format , le même ordre , la même distribution
des matières . L'énigme , le logogriphe et les
poésies fugitives n'y manquent point. On y trouve des
analyses de livres , des contes , des lettres aux rédacteurs
, des annonces de musique , et jusqu'à des articles
sur une exposition imaginaire de tableaux. Ce sont
donc des modèles dans tous les genres , et la littérature
ne saurait trop se féliciter d'avoir trouvé , dans Mme de
Genlis , un de ces génies universels capables de tout
concevoir et de tout entreprendre. Qu'on n'accuse
point Mme de Genlis de trop de présomption , un travail
+ de ce genre ne lui paraît qu'un simple délassement .
<<Un auteur , dit-elle , qui se fiatterait de faire avec un
>> égal succès des romans , des opéras , des odes , des
>>> livres d'histoire , des comédies , des tragédies et des
>> poëmes épiques , aurait assurément une haute opinion
- >> de lui-même ; mais parler raisonnablement sur toutes
>>ces choses , n'est que l'espèce de talent que tout jour-
>> naliste doit avoir , et il ne faut qu'un peu d'instruction
>> et d'imagination pour indiquer ou pour inventer quel-
» ques sujets nouveaux dans ces différens genres. >>>
Il est rare qu'un journaliste quand il exprime son opinion
avec franchise , ou qu'il assaisonne sa critique de
quelques grains de malignité , ne fasse pas quelques mé-
-contens . Le Journal Imaginaire est à l'abri de ce danger ;
car , si j'en crois Mme de Genlis , tout est imaginaire
364 MERCURE DE FRANCE ,
dans ce prétendu journal . Les critiques tombent sur
des ouvrages qui n'existent point. Les éloges et les disputes
n'ont pas plus de fondement. Les extraits de pièces
dramatiques , de poëmes , de romans et d'histoire qu'on
y donne , ne sont que des fictions et des plans d'ouvrages
, parmi lesquels les jeunes auteurs pourront peutêtre
trouver quelques idées neuves .
Quand on procède avec tant de franchise et d'innocence,
aurait-on lieu de s'attendre à trouver des contradicteurs
? Cependant Mme de Genlis en a trouvé , et ( ce
que l'on aura peine à concevoir) , elle en a trouvé lors
même que son ouvrage n'était encore qu'en épreuves .
Aquoi la gloire et le génie ne sont-ils pas exposés ?
« Nous apprenons , dit Mme de Genlis , au moment
>> où l'on nous apporte l'épreuve de notre préface , que ,
>> dans la Gazette de France , un journaliste , acharné
>> depuis dix ans à nous dire des injures , quoique nous
» n'ayons jamais eu l'honneur de lui répondre un mot ,
>> vient de faire d'avance la, satire la plus amère de ce
>> journal , parce qu'il croit ( par une supposition qui
>> noushonore) qu'ony trouvera des sentimens religieux .
>> Nous pouvons pourtant l'assurer que nous n'avons
>> point parlé de religion dans les charades , les énigmes ,
>> les logogriphes , les petites pièces de poésie , les ex-
>> traits de pièces de théâtre , de livres d'histoire , de
>> voyages , de divers traités moraux , de romans , dans
>> les contes de féerie , les poëmes dont les sujets sont
» tirés de la mythologie , etc.>>>
On sait combien la Gazette de France est modeste et
retenue dans ses critiques . Nulle part les bienséances ne
sont plus scrupuleusement observées ; et si l'on avait
quelque reproche à lui faire , će serait un excès de modération
qui lui donne quelquefois l'air de la timidité et
de la faiblesse .
Quel est ce rédacteur , quel est ce téméraire , qui s'élevant
au-dessus des lois de la Gazette , s'acharne depuis
dix ans contre Mme de Genlis ? Hélas ! faut-il l'avouer à
ma grande confusion ? c'est à moi que Mme de Genlis
impute ce délit, Il ne faut rien retrancher de son acte
d'accusation.
1
FEVRIER 1813 . 365
«Il est vrai , dit-elle , que nous n'avons point inséré
>> dans ce recueil des épigrammes contre la religion , et
>> des traits malins contre ses ministres : les lecteurs in-
>> trépides qui veulent tout lire, pourront trouver toutes
>> ces choses dans un petit extrait d'un vieux livre ( le
>>Traité de l'opinion) , extrait intitulé : des Erreurs et des
>>Préjugés populaires , et que le compilateur a semé de
>> sarcasmes tirés des oeuvres de Voltaire ; mais nous
>>avouons qu'il ne s'est approprié que le fonds des
>>pensées . Il n'en a pris ni les tournures piquantes , ni
>>la gaîté . Sa plume se refuse absolument à ce genre de
>>plagiat.>>
Ainsi , je suis non-seulement un ennemi acharné de
Mmede Genlis , mais un détracteur de la religion et de
ses ministres , mais un servile compilateur qui me suis
approprié les ouvrages et l'esprit d'autrui. Il faut répondre
à ces diverses inculpations.
Et d'abord je demanderai à Mme de Genlis comment
elle sait que je suis l'auteur de l'article publié dans la
Gazette de France , quelque tems avant que son Journal
Imaginaire parut ? J'étais alors à la campagne , l'article
était jeté dans le corps du Journal , il ne portait aucun
sigue caractéristique qui en indiquât l'auteur. Mon accusatrice
aurait- elle des affidés jusque dans l'ombre des
imprimeries ? Mais je veux bien me charger de tout le
poids du délit . De quelle offense suis-je coupable envers
Mme de Genlis ? Elle parle d'injures ; on la prie de citer
dans cet article et dans tous ceux qui sont sortis de la
même plume une seule expression injurieuse , un seul
reproche qui ne soit pas fondé sur la plus exacte vérité.
J'ai rendu compte dans la Gazette de France d'une historiette
qui figure aujourd'hui dans le Journal Imaginaire.
Le Journal de Paris en avait publié une partie.
J'en ai parlé comme d'une production puérile , ridicule ,
indécente ; j'ai pris la liberté de m'en moquer , mais de
m'en moquer avec décence. Que pouvais-je faire de
moins ? L'opinion publique n'a-t-elle pas depuis frappé
d'improbation ce conte , dont les détails souvent licencieux
n'auraient pas dû échapper à une femme qui se
respecte ?
366 MERCURE DE FRANCE ,
Mme deGenlis se glorifie sans cesse de son respect pour
la morale et la religion ; comment se fait-il qu'elle aime.
à promener si souvent son imagination à travers des
scènes que ni la morale , ni la religion , ni la bienséance.
même ne sauraient approuver? Voudrait-elle que je lui
rappelasse quelques épisodes de son roman d'Alphonsine ,
de ses Chevaliers du Cygne ? Si quelquefois j'ai blâmé
ces écarts d'une imagination évaporée ( et comment
Mme de Genlis , à son âge , a- t-elle encore une imagination
évaporée ? ) , s'ensuit-il que je me sois acharné contre
Mme de Genlis ? Loin de m'acharner contre elle , je me
suis souvent fait un devoir agréable de louer quelquesuns
de ses ouvrages. Car, malgré les injustices de Mme de
Genlis envers moi, je me plais à être juste envers elle.
Je conviens avec plaisir qu'elle joint à un esprit distingué
une instruction assez étendue ; qu'elle écrit habituellement
avec pureté , quelquefois avec grâce ; qu'elle
possède sur-tout le talent de peindre d'une manière intéressante
, les moeurs , les habitudes, les ridicules de la
bonne compagnie ; qu'on s'aperçoit aisément qu'elle y a
vécu long-tems et qu'elle l'a étudiée avec soin.
Mais je suis loin de partager toutes les opinions de
Mme de Genlis , de m'associer à ses petites ambitions , de
caresser cet esprit de tracasserie qui perce dans la plupart
de ses écrits. J'ai même pris quelquefois la liberté
de lui adresser de respectueuses remontrances sur ce
beau système d'intolérance qu'elle voulait introduire dans
la religion; sur certaines images voluptueuses qui me
semblaient figurer assez mal dans des livres consacrés à
la morale et à la piété ; et quand j'ai parlé du Journal
Imaginaire , je n'ai fait attention qu'au conte de Célestine
, historiette d'une innocence et d'une naïveté si singulière
, qu'aucune mère de famille n'oserait la laisser
entre les mains de sa fille . J'ai constamment soutenu
qu'on ne devait point introduire l'abomination de la
désolation dans le lieu saint , et que c'était l'y mettre en
quelque sorte que de traîner les augustes vérités de la
religion dans la licence et la profanation des romans .
Mme de Genlis s'est persuadée qu'elle me ferait je ne sais
quel tort dans je ne sais quelle classe de la société , en
FEVRIER 13 367.
m'accusant d'irrévérence pour la religion et ses ministres;
mais ce projet charitable ne m'effraie nullement.
J'ai quelquefois attaqué la superstition et la bigoterie ,
mais non pas la religion. J'ai toujours regardé la religion
comme le lien le plus sublime qui unit l'homme au ciel ,
comme la garantie la plus précieuse des moeurs , comme
le soutien le plus important des Empires ; mais je n'ai
jamais confondu avec la religion cet esprit pharisaïque
qui attache tant de mérite à l'observation de quelques
vaines pratiques et si peu à l'observation de la morale.
J'aime sur-tout qu'on prêche d'exemple , je n'ai jamais
fait à Dieu l'outrage de le peindre comme un être souverainement
intolérant ( ainsi qu'il a plu à Mme de Genlis
de le représenter ). Je me suis gardé bien plus soigneusement
encore de recommander l'intolérance aux hommes
etde proposer en quelque sorte de nouvelles dragonades .
Je sais que les fervens s'excusent sur ce point , qu'ils
prétendentque le zèle de la maison du seigneur les dévore ,
que Dieu vomit les tièdes ; mais je sais aussi que les
François de Sales , les Charles Boromée , les Vincent de
Paule, ont honoré et fait chérir la religion par la douceur
de leurs moeurs et leur éminente charité . Voilà les vrais
ministres de l'évangile. Quant à ceux qui prêchent la
persécution et prétendent tourmenter la terre pour la
plus grande gloire du ciel , c'est , je crois , les traiter bien
doucement que de se contenter contre eux de quelques
épigrammes . Me de Genlis prétend que j'ai pris le fonds
de ces épigrammes à Voltaire , mais que je n'ai pu m'approprier
ses tournures et sa gaîté piquante . Hélas ! madame,
je n'ai rien pris à personne. Je sais trop bien que
vous et moi ne sommes pas dignes de dénouer les cordons
des souliers de nos grands écrivains ; qu'il y aurait
de mapart autant de folie à me comparer à Voltaire, qu'à
vous , madame , à vous comparer à Mme de Sévigné
pour la grâce du style , à Fénélon pour vos poëmes en
prose , à Mm de la Fayette et même à Mme Cottin pour les
romans .
Non, je n'ai rien pris à personne , et quand vous
assurez que mon ouvrage sur les Erreurs et les Préjugés
n'est qu'un extrait du Traité de l'Opinion , c'est de toutes
A
368 MERCURE DE FRANCE ,
les folies imaginaires qui vous ont passé par la tête , la
plus imaginaire. Il est évident pour moi que vous n'avez
jamais lu mon livre . Vous en ignorez jusqu'au véritable
titre ; vous en parlez comme d'une petite brochure , vous
ne savez pas que cette petite brochure se compose dé
deux volumes in-8° , d'environ 500 pages chacun. Je ne
veux point vous rappeler un des commandemens de
Dieu , qui commence par ces paroles : Faux témoignage
ne diras , etc. Mais assurément votre raison était un peu
dans les espaces imaginaires , quand vous avez imaginé
cette prétendue ressemblance entre le Traité de l'Opinion
du marquis de Saint-Aubin et l'ouvrage sur les
préjugés . Je prends la liberté de vous prier de fournir
les preuves de cette accusation , et j'ose même vous porter
d'avance le défi de produire une seule phrase , une seule
ligne que l'auteur des Erreurs et des Préjugés ait textuellement
empruntée au Traité de l'Opinion , sans le
citer. Et comment voulez-vous , Madame , que j'aie eu
la mauvaise pensée de m'approprier le Traité de l'Opinion
? Vous assurez vous-même , dans le cours de votre
Journal , que ce livre n'offre aucun intérêt ni pour le
sujet , ni pour le style ; il faudrait être bien mal avisé
pour aller chercher dans une pareille production les
matériaux d'un livre amusant. Le Traité de l'Opinion est
si loin de pouvoir servir à la composition d'un ouvrage
contre les Erreurs et les Préjugés , qu'il renferme luimême
beaucoup d'erreurs et de préjugés , et que j'ai
souvent été obligé de le réfuter. Convenez , Madame ,
que , malgré la sainteté à laquelle vous vous êtes vouée ,
le dépit a un peu égaré votre sagesse. Vous aviez préparé
, dans votre Journal Imaginaire , une petite diatribe
bien réelle contre l'auteur des Erreurs et des Préjugés ;
il le savait ; il vous a prévenue , et s'est permis de rire
de votre article et de votre journal avant qu'ils parussent.
Je sens tout ce que ce tort a d'impardonnable ; il est
piquant pour une femme d'esprit de voir ses plans renversés
et ses combinaisons déconcertées .
J'espère néanmoins que vous me pardonnerez cette
petite malice , et que nous n'aurons plus rien désormais
àdémêler ensemble. On m'assure que votre porte-feuille
FEVRIER 1813 . 369
ب
e
2
Es
Π
est vide , que vous en avez versé les derniers restes dans
votre Feuille des Gens du monde. Je vous félicite d'avoir
enfin terminé votre carrière littéraire . Nous n'aurons
plus , il est vrai , de poëmes en prose, plus d'arabesques
mythologiques , plus de manuel de la bonne ménagere ,
plus d'herbier historique , mais vous aurez plus de repos;
et votre réputation d'esprit et de talent n'aura plus à
redouter cette progression décroissante qui lui a fait
tant de tort dans ces dernières années .
Voilà , Madame , ce que j'avais à vous dire , je suis
fâché que vous m'ayez forcé à entretenir si long-tems
le public de moi et de mes faibles productions ; je l'en
dédommagerai la première fois , en l'entretenant des
vôtres ; il est juste de faire connaître dans le Mercure de
France , un Journal qui a tant de ressemblance avec le
Mercure, et qui , tout imaginaire que vous le disiez , contient
un assez grand nombre de réalités dont je me ferai
un vrai plaisir de rendre compte . SALGUES .
し
VARIÉTÉS .
REVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES , LES ARTS ; LES MEURS
:
ET LES USAGES .
Cinquième lettre de l'Observateur provincial à Messieurs
les Rédacteurs du Mercure .
MESSIEURS , s'appesantir sur des choses légères , c'est ,
selon l'expression de Rivarol , imiter les douaniers qui attachent
des plombs aux gazes d'Italie. Afin d'éviter ce reproche
, je m'étais promis d'abandonner tout ce qui tient à
Ja toilette des dames , et de diriger mes observations vers
des objets plus importans . Mais mon esquisse du coiffeur
veut un pendant . Je le trouve dans la marchande de modes ;
personnage dont les talens ne sont pas sans analogie avec
les siens , et qui n'est pas moins chéri du beau sexe. Je dis
la marchande de modes , bien que la ville que j'habite en
compte plusieurs , parce qu'une seu seule a la vogue. Est-elle
supérieure à ses rivales ? Il ne m'appartient pas de décider
Aa
370 MERCURE DE FRANCE ,
une question de cette importance . Je ne puis que répéter:
elle a la vogue. Cela répond à tout .
Il ne se passe pas de jours sans que les femmes qui se
piquent d'une certaine élégance , et quelles sont celles qui
ne s'en piquent pas ? ne lui fassent une ou deux visites ;
mais c'est sur-tout lorsqu'elle reçoit de Paris , ou soi-disant
de Paris , quelqu'assortiment de pompons , qu'ily a foule
chez elle . Il faut la voir étaler en triomphe ces délicieuses
nouveautés promises depuis six mois . Il faut voir l'empressement
des dames à les faire circuler de main en main. On
examine , on discute , on admire . Que de superlatifs employés
pour exprimer ce dernier sentiment ! Mais remarquez
qu'on a grand soin de ne louer que les objets qui
plaisent le moins , afin de faire oublier ceux que l'on
préfère. Toutes se servant à-peu-près de la même tactique ,
il arrive que l'admiration générale se porte sur ce qui en
est indigne. Chacune alors s'applaudit en secret de sa
petite ruse , et sourit à l'espoir de faire un choix plus heureux
, et d'ajouter ainsi à l'éclat de ses charmes .
On se sépare sans rien acheter , en assurant même qu'on
n'achetera rien; mais on revient le lendemain bien clandestinement
faire un examen plus approfondi de tout ce qu'on
n'a fait qu'effleurer la veille .
L'affaire est des plus importantes. Il ne suffit plus de
voir , il faut essayer ces diverses parures , il faut juger de
l'effet; et pour cela il est essentiel d'éviter les regards d'une
maligne curiosité . Tout est prévu. Au-dessus du magasin
estun entresol de quelques pieds carrés , où l'on arrive à
l'aide d'une espèce de casse-cou tournant. C'est dans cet
asile mystérieux , dans ce sanctuaire interdit à tout profane,
que les belles , comme celles qui ne le sontpas , viennent
étudier les intimes secrets de l'art de la toilette. La prêtresse
est là qui en dévoile toutes les ressources , en démontre
la théorie , et en fait l'application suivant les besoins
de l'initiée .
C'est au moyen de cet art vraiment réparateur qu'elle
sait , pour me servir de l'expression pittoresque d'un écrivain
toujours original et gai ( 1) , qu'elle sait ,dis-je , séparer
des appas qu'un penchant vicieux rapproche , ramener
des fuyards à leur poste , aligner des hauteurs et combler
des vallées ; qu'elle sait enfin corriger les outrages du tems
ou les bévues de la nature .
(1) L'auteur de Raison et Folie , ouvrage original , plein d'esprit
et de gaité.
FEVRIER 1813 . 371.
i
L'attrait de la parure n'est pas le seul qui attire les
dames dans ces lieux chers au dieu du goût. Elles y viennent
chercher des nouveautés de plus d'un genre , c'est-àdire
, que là se débite chaque jour , avec le Journal des
Modes, un petit bulletin verbal des nouvelles de la ville .
Savez-vous , dit l'une , que Monsieur un tel a fait hier une
scène épouvantable à sa femme , et cela parce qu'elle dépense
trop pour sa toilette? Il a grand tort, car , entre nous
soit dit, elle se met assez mal. Cela est affreux , dit l'autre ;
ces maris sont tous comme cela , ils voudraient que nous
1
fissions peur. A propos., dit une troisième , Madame une
telle a renvoyé sa femme-de-chambre. Cela est bien imprudent
, ajoute la voisine avec un demi-sourire qu'elle
cherche à rendre significatif.
1
1 1
C'est ainsi qu'en payant son petit contingent à la curiosité
publique, on parvient à satisfaire amplement la sienne .
Quand la matière manque , on a recours à ce précepte qui
dit que l'on doit mettre du sien dans la société : précepte
fidèlement suivi par tous les nouvellistes .
Les élégans de l'endroit ne sont pas étrangers à ces galans
conciliabules . Ils y sont sur-tout attirés par deux
jeunes et jolies desservantes des autels de la mode, auxquelles
ils s'empressent d'offrir un tribut journalier de
fleurs et de fleurettes . Les amoureux s'y rendent aussi
avec empressement. Ils viennent y épier un regard de leur
divinité ; et l'on dit , car mes observations ne vont pas jusque-
là , que parfois un tendre poulet se glisse furtivement
dans le gantmignon choisi par une belle.
Vous voyez , Messieurs , que le magasin d'une marchande
de modes, lorsqu'elle a la vogue , mérite bien quelqu'attention
de la part d'un étranger qui veut connaître sonmonde.
C'est là qu'il doit aller s'il désire avoir un aperçu des différentes
sociétés d'une ville. C'est ainsi que dans le cabinet
d'un curieux on peut connaître toutes les espèces de pierres
précieuses par les échantillons qu'on y trouve.
1-
J'ai l'honneur de vous saluer.
L'Observateur Provincial.
SPECTACLES . -Académie Impériale de Musique . -Le
Laboureur Chinois , opéra en un acte , paroles de M. ****,
musique de Hayden , Mozart et Mayer.
L'auteur avait modestement prévenu le public qu'il
n'avait pas prétendu faire un opéra , et que son but était
Aa a
/
372 MERCURE DE FRANCE ;
,
seulement de faire jouir le public des symphonies de Hay
den et de quelques morceaux peu connus de Mozart et de
Mayer. Cet auteur qui a gardé l'anonyme , fait sagement
de n'attacher aucune importance à un canevasbieennffaaiibbllee
uniquement destiné à rassembler des portions de symphonies
, des airs , duos , etc. assez étonnés de se trouver à
côté les uns des autres ; tous ces morceaux étaient connus
depuis long-tems , et ils ne me paraissent pas avoir gagné
à la réunion ; ils ont perdu l'expression primitive , premier
charme de la musique . Puisque l'auteur a fait un acte de
contrition sur son ouvrage , je veux aussi faire preuve d'indulgence'
; je n'examinerai donc ni le plan , ni le style , et
certes ily a de la générosité dans cette conduite , car j'aurais
pu trouver ample matière à réjouir mes lecteurs . Je
bornerai à avertir l'auteur qu'il n'est pas d'usage de
placer de suite six rimes masculines .
me
Monsieur, la poésie a ses licences , mais
Celle-ci passe un peu les bornes que j'y mets .
On a remis au courant du répertoire Achille à Scyros ;
ce suberbe ballet de M. Gardel est toujours monté avec
le plus grand soin et une pompe digne du sujet . Albert
est maintenant chargé du rôle d'Achille . Ce personnage
dans le ballet est d'autant plus difficile à représenter, qu'il
faut paraître sous des habits de femme ; la figure avantageuse
d'Albert lui permet de vaincre cette difficulté. Dans
tout son rôle il fait preuve de talent , et comme mime et
comme danseur . Mme Gardel a conservé le rôle de Déidamie
, et le personnage s'en trouve bien. Il est impossible
d'y mettre plus de grâce et de décence. Depuis longtems
Mme Gardel ne connaît pas de rivale , son talent l'a
placée hors de toute comparaison.
Le ballet d'Achille à Scyros a pris sa place au rang des
premières compositions de M. Gardel , et c'est en faire un
éloge complet que de le mettre à côté de Télémaque et de
Psyché. B.
au
Théâtre Français .-Quand le fier Tippo-Saëb , malgré
son horoscope tiré par un de nos plus fameux devins ,
qui le chassait de la scène u bout de trois représentations
, est encore ferme sur ses pieds , et ne craint que le
poignard anglais ; quandTalma , tantôt chef indien , fantôt
prince asiatique , sous les traits d'Hector, rajeunit chaque
FEVRIER 1813 . 373
jour sa renommée ; lorsqu'enfin Mlle Duchesnois , nouvelle
Andromaque , jamais
Ne coûta tant de pleurs à la Grèce assemblée ;
le feu est allumé dans l'empire de Thalie. Deux princesses
du sang , célèbres par leurs talens et leur beauté ,
peu satisfaites de leurs droits d'héritage , veulent agrandir
ſeurs Etats . L'aveugle ambition souffle entr'elles la guerre .
Cependant des médiations puissantes sont mises en jeu
pour leur faire signer la paix. Jamais on n'a délivré plus
de diplômes , employé plus d'agens , plus d'ambassadeurs .
Les ministres des deux Etats , les premiers commis lancent
dépêche sur dépêche , les couriers se croisent sur la
route . Quel sera le résultat de tant de démêlés , le fruit de
tant de négociations ? Peut-être la perte d'une des deux
princesses . Oisifs du Palais -Royal et de la Chaussée-d'Antin
, vous en porterez la peine.
Quidquid delirant reges , plectuntur Achivi.
Du caprice des grands nous sommes les victimes.
-
}
D. D.
-L'Opéra- Opéra-Buffa. - Rentrée de Mme Festa.
Buffa ressemble à une coquette qui change d'amant jusqu'à
ce qu'elle puisse en trouver un qui soit digne d'elle . Voilà
plusieurs directeurs que ce théâtre a pris et quittés . Il faut
espérer qu'il va se fixer enfin à M. Paer. Ce célèbre compositeur
a, pourjustifier le choix de l'Empereur, deux choses
bien rares aujourd'hui , le talent et la modestie . Malgré la
réputation méritée dont il jouit, il se regarde plutôt comnie
l'élève des grands-maîtres qui l'ont précédé que comme
leur égal. Il ne croit pas devoir sacrifier leur musique à la
sienne , et les plaisirs du public à une ridicule vanité.
-C'est sous les auspices de M. Paër , de ce directeur intelligent
, que Mme Festa a reparu lundi dernier à l'Odéon .
La sérénité brillait sur son visage , rien ne pouvait manquer
à sa gloire. Elle voyait en espérance devant elle
soixante - dix-huit mille francs fruit d'un engagement
bien cimenté , et qui nous donne l'espoir de la posséder
encore trois ans . La bourse et l'amour-propre de Mme Festa
étaient donc satisfaits ; elle était en droit de penser qu'Euterpe
lui sourirait, puisque la grondeuse Thémis , à qui elle
s'était adressée pour revendiquer ses droits , l'avait favorablement
accueillie . L'assemblée était nombreuse et brillante
, et les oreilles les plus exercées de lacapitale s'étaient
,
374 MERCURE DE FRANCE ,
donné rendez-vous à l'Odéon. Au plaisir d'entendre la
virtuose célèbre , se joignait un motif de curiosité. Depuis
cinq mois , le bruit circulait que M Festa avait perduune
partie de sa voix , et que ce grief formait une des bases du
procès intenté contre elle.Au fait, si ce bruit eût été fondé,
les administrateurs auraient-ils eu tort ? Ils soutenaient
avec raison qu'il leur fallait une chanteuse et non une
femme privée de la voix , que puisqu'elle ne pouvait s'acquitter
envers eux par l'harmonie des sons , ils étaient dispensés
de s'acquitter envers elle par celle des écus . De
gravesjuges ont prononcé dans cette affaire; il nous semble
ànous que c'était au tribunal des musiciens qu'une pareille
cause devait être décidée .
,
Quoi qu'il en soit , M Festa gagnerait son procès pardevanttous
les tribunaux du monde, comme elle l'a gagné
jeudi dernier au tribunal du goût. A peine a-t-elle paru
que de nombreux applaudissemens lui ont témoigné le
plaisir qu'on avait à la revoir. La nature l'a douée d'une de
ces physionomies vives et piquantes qui préviennent en sa
faveur; mais c'est peu des agrémens physiques , elle saity
joindre l'aisance et les grâces qu'exige la scène. C'est sur
le jeu de nos actrices célèbres qu'elle s'est modelée depuis
qu'elle est en France , bien persuadée qu'un jeu piquant et
expressif ne gâte point un chant vif et enjoué. La plupart
de nos cantatrices italiennes , disait Gluck dans ses instans
de boutade , ressemblent à des automates sonores , à des
espaliers chantans . Mm Festa , quoique bien sûre de son
triomphe , a paru un instant intimidée à son premier air ,
à cette cavatine charmante :
La Rachelina
Molinarina.
Mais rassurée bientôt , elle a déployé le volume de cette
belle voix, qui, comme celle du rossignol, ne franchit point
différens octaves , mais retentit mélodieusement à l'oreille,
et semble être l'organe du sentiment; c'est sur-tout au second
acte qu'elle a ravi tous les suffrages .
Elle a chanté avec une sagesse qui devient tous les jours
plus rare. Sa méthode s'est perfectionnée; on Ini reprochait
avec quelque raison de se complaire un peuttrroopp dans les
sons brillans de son organe , ellea su en enchaîner les ressorts
, et le dédommager par la flexibilité de ce qu'il perdait
du côté de la force. Jamais elle n'a fait plus de plaisir que
dans le dernierduo qu'elle a chanté avec Porto; il est vrai
FEVRIER 1813 . 375
18
1
1
qu'il est impossible d'être mieux secondé. Depuis Cheron
on n'a point entendu de voix comparable à celle de ce virtuose
, de voix dont les sons soient plus égaux , de voix
plus ronde , plus pleine , plus harmonieuse , et à-la-fois
plus souple et plus légère : elle a d'ailleurs l'avantage d'être
d'une trempe assez robuste pour résister à l'humide climat
deParriiss..Cebelorganes'embellit tous les jours, et tous les
jours a plus d'éclat , de moelleux et de volume .
Tous les chanteurs italiens ne peuvent pas se vanter du
même bonheur. La moindre variation dans le baromètre ,
le moindre courant d'air , le plus léger indice de rhume ,
enroue leur gosier , et met une sourdine à leur voix. Ce
sont des oiseaux de passage qui ne gazouillent bien que
sous le ciel de la patrie. L'Odéon doit bénir l'heureuse étoile
quilui a fait perdre son procès avec Mm Festa . Que serait-il
devenu sans cette cantatrice? Crevelli n'a pu , depuis deux
mois , attaquer la moindre note , essayer le plus petit port
de voix. Mme Sessi depuis long-tems n'a pas filé un son.
Cependant l'administration inquiète et chagrine n'en danne
pas moins soixante mille francs par an à ces deux illustres
enrhumés. Que faire ? Mm Barilli qui s'accomode à tout ,
et qui nous avait dédommagés jusqu'ici de l'absence de
M Festa , n'est cependant pas infatigable . Tachinardi ne
peut pas toujours être le prince de Jérusalem. Allons ,
Mmes Festa et Barilli , allons , M. Porto , cottisez-vous pour
faire vivre l'opéra italien, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'éclaircir
la voix de Mme Sessi et de désenrouer Crevelli ..
D. D.
Théâtre du Vaudeville. -Les romans de M. Pigault-
Lebrun ont fourni bien des sujets de comédies , vaudevilles
et même de mélodrames . Voici un vaudeville nouveau ,
tiré des Barons de Flesheim , la Tour de Wittikind. Les
auteurs ont fait peu de frais d'imagination ; plan , dialogue ,
tout est emprunté au roman , et je ne les en blâme pas ,
car on retrouve dans l'ouvrage de MM. Dupin et Dartois
l'esprit et la gaîté qui distinguent si éminemment notre
romancier le plus fécond et le plus ingénieux. Heureux
M. Pigault-Lebrun , s'il savait quelquefois se restreindre
et s'il se méfiait un peu plus de son extrême facilité ! Une
personne d'un goût un peu sévère disait que dans tous les
ouvrages de M. Pigault-Lebrun ily en avait toujours une
moitié pour sa réputation , et l'autre pour son libraire .
B.
,
POLITIQUE.
LES nouvelles de Constantinople annoncent que la
guerre contre les Whahabites , poussée avec vigueur et
intelligence , tourne décidément en faveur de la Porte . Un
grand nombre de chefs arabes se sont réunis sous les étendards
de leur souverain , et la prise de Médine est regardée
comme très-prochaine. Les nouvelles de Bagdad sontmoins
favorables que celles de Constantinople. Le pacha rebelle
a trouvé un asile en Perse . On sait qu'il est suscité et sous
tenu par le consul anglais . Il en est résulté que les Anglais
sont vus par le gouvernement avec une extrême défiance ;
on ne laisse point aller leurs couriers à Bagdad , et on en
a arrêté trois aux portes mêmes de Scutari. Les procédés
des Russes et de leurs agens , les bruits qu'ils colportent ,
les mesures prises pareux sur le territoire qu'ils ont acquis ,
et qui privent la Moldavie des approvisionnemens dont
elle avait besoin , tout contribue à indisposer contr'eux le
gouvernement ottoman .
La nomination de M. Madisson à la présidence des
Etats-Unis paraît assurée à la majorité de 39 võix . Quelques
changemens ont eu lieu dans le cabinet . Des augmentations
considérables ont été votées dans les forces de
terre et de mer. Les législateurs des divers états offrent
des frégates , et les dons volontaires se multiplient pour le
soutien de la cause commune .
La question de savoir si la compagnie des Indes contihuera
d'exercer son privilége exclusif, ou si le commerce
de l'Inde sera rendu libre , occupe tous les esprits à Londres
, et elle a été débattue dans de nombreuses séances
de la compagnie , dans des réunions particulières , et dans
une assemblée de la cité . Un autre objet partage l'attention
, c'est une lettre de la princesse de Galles au prince
régent son époux. La princesse , sans revenir sur les événemens
passés , se plaint d'être séparée de sa fille , et paraît
redouter qu'une personne , que les événemens peuvent
appeler au trône , n'ait pas une éducation convenable à sa
destinée , que ses premiers devoirs religieux n'aient pas été
encore accomplis .
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 377
Le Courrier, journal ministériel , reproche vivement au
Morning- Chronicle d'avoir publié cette lettre , que le prince
avait renvoyé trois fois sans la lire . Le but de l'article est
d'établir que la jeune princesse a reçu toute l'éducation
nécessaire , sous la direction de l'évêque de Salisbury , et
que , sous aucun motif, elle ne doit être rendue à sa mère .
Le Courrier ajoute qu'une telle publication ne peut avoir
pour but que de montrer la famille royale divisée , renouvelant
d'anciennes dissentions . Cette affaire fait en Angleterre
une très-vive sensation . Les nouvelles d'Espagne et
d'Amérique n'ont d'ailleurs rien appris à Londres qu'il
importé de rapporter.
Les lettres de Berlin annoncent que cette ville est le
centre d'un mouvement d'officiers généraux , qui se dirigent,
les uns vers le quartier-général du prince vice-roi ,
Les autres sur Magdebourg , les autres vers Francfortet
Mayence , pour servir dans les corps d'observation de l'Elbe
et dans l'armée de réserve du Rhin. Les mêmes lettres , en
date du 6 , citées parle journal de l'Elbe , portent que deux
corp de troupes françaises manoeuvraient sur la rive droite
de l'Oder. Des nombreux renforts traversent ce fleuve .
Tout annonce un prochain mouvement sur la Vistule . Les
levées du duché de Varsovie sont nombreuses . Il paraît
qu'à la reprise des opérations elles donneront 20 mille
hommes de troupes légères , armées comme les Cosaques ,
et destinées à être opposées à ces troupes irrégulières . Les
incursions des détachemens russes dans le duché de Varsovie
sont sur tous les points repoussées avec perte . Les
troupes réglées russes restent sur la rive droite de la Vistule
, d'où il paraît que les pertes énormes que la saison et
les combats leur ont fait éprouver , ne leur permettent de
faire aucun mouvement sérieux . Thorn est en état de défense.
Le quartier-général français est toujours à Posen .
S. A. S. le prince archi-chancelier de l'Empire s'est
rendu , le samedi 13 février , au Sénat , par ordre de S. M.
l'Empereur et Roi , pour y présider la séance.
S. A. S. ayant été reçue avec le cérémonial d'usage , a
fait donner lecture par l'un de MM. les secrétaires , du
concordat signé à Fontainebleau le 25 janvier 1813 , entre
S. M. l'Empereur et Roi et S. S. Pie VII .
Concordat.
S. M. l'Empereur et Roi et Sa Sainteté , voulant mettre un terme
auxdifférends qui se sont élevés entr'eux , et pourvoir aux difficultés
€
2
378 MERCURE DE FRANCE ,
1
survenues sur plusieurs affaires de l'église , sont convenus des articles
suivans , comme devant servir de base à un arrangement définitif.
Art. rer. Sa Sainteté exercera le pontificat en France et dans le
royaume d'Italie , de la même manière et avec les mêmes formes que
ses prédécesseurs.
2. Les ambassadeurs , ministres chargés d'affaires des puissances
près le Saint-Père , et les ambassadeurs , ministres ou chargés d'affaires
que le Pape pourrait avoir près des puissances étrangères ,
jouiront des immunités et priviléges dont jouissent les membres du
corps diplomatique.
3. Les domaines que le Saint-Père possédait , et qui ne sontpas
aliénés , seront exempts de toute espèce d'impôts ; ils seront administrés
par ses agens ou chargés d'affaires . Ceux qui seraient aliénés
seront remplacés jusqu'à la concurrence de deux millions de fr. de
revenu.
4. Dans les six mois qui suivront la notification d'usage de la nomination
par l'Empereur aux archevêchés et évéchés de l'Empire et
du royaume d'Italie , le Pape donnera l'institution canonique , conformément
aux concordats , et en vertu du présent indult. L'information
préalable sera faite par le métropolitain. Les six mois expirés
, sans que le Pape ait accordé l'institution , le métropolitain , et
à son défaut , ou s'il s'agit du métropolitain , l'évêque le plus ancien
de la province , procédera à l'institution de l'évêque nommé , de
manière qu'un siége ne soit jamais vacant plus d'une année.
5. Le Pape nommera , soit en France , soit dans le royaume
d'Italie , à dix évêchés qui seront ultérieurement désignés de concert.
6. Les six évêchés suburbicaires seront rétablis ; ils seront à la
nomination du Pape. Les biens actuellement existans seront restitués ,
et il sera pris des mesures pour les biens vendus . A la mort des évêques
d'Anagni et de Rieti , leurs diocèses seront réunis auxdits six
évêchés , conformément au concert qui aura lieu entre S. M. et le
Saint-Père .
7. A l'égard des évêques des Etats romains , absens de leurs diocèses
par les circonstances , le Saint-Père pourra exercer en leur
faveur son droit de donner des évêchés in partibus . Il leur sera fait
une pension égale au revenu dont ils jouissaient , et ils pourront
être replacés aux siéges vacans , soit de l'Empire , soit du royaume
d'Italie.
8. S. M. et S. S. se concerteront en tems opportun sur la réduction
à faire , s'il y a lieu , aux évêchés de la Toscane et du pays de Gênes.
ainsi que pour les évêchés à établir en Hollande et dans les départemens
anséatiques .
FEVRIER 1813 . 379
i
3
6
a
:
9. La propagande , la pénitencerie , les archives seront établies
dans le lieudu séjour du Saint-Père.
10. S. M. rend ses bonnes grâces aux cardinaux, évêques , prêtres ,
laïcs, qui ont encouru sa disgrace par suite des événemens actuels .
11. Le Saint-Père se porte aux dispositions ci-dessus par considérationde
l'état actuel de l'Eglise , et dans la confiance que lui a inspirée
S. M. qu'elle accordera sa puissante protection aux besoins si
nombreux qu'a la religiondans les tems où nous vivons.
PIUS P. P. VII.
NAPOLÉON.
Fontainebleau , le 25 janvier 1813 .
Dimanche dernier , S. M. l'Empereur et Roi est parti
àune heure du palais des Tuileries en grand cortége , pour
se rendre au Corps-Législatif.
Des salves d'artillerie ont annoncé le départ de S. M.
des Tuileries , et son arrivée au Corps-Législatif.
Le cortége a traversé le jardin des Tuileries , la place ,
le pont de la Concorde , et S. M. est descendue de voiture
au perron de la nouvelle façade du palais du Corps-
Législatif.
M. le président du Corps -Législatif et vingt-cinq députés
ont reçu S. M. au bas du perron , et l'ont conduite à l'appartement
qui avait été préparé pour la recevoir .
La députation du Sénat et le Conseil-d'Etat se sont
placés , l'une sur des chaises dans le parquet en face du
trône , et l'autre sur les deux premiers rangs de banquettes
Iavant l'arrivée de S. M.
S. M. l'Impératrice était dans la tribune en face du trône
de l'Empereur , accompagnée de S. M. la reine Hortense ,
et entourée des officiers de sa maison .
Le corps diplomatique occupait une tribune à droite .
L'Empereur , après s'être reposé dans son appartement,
s'est rendu dans la salle du Corps-Législatif, précédé de
son cortége.
Al'arrivée de S. M. , tous les députés se sont levés. S. M.
's'est placée sur son trône. Les princes grands-dignitaires ,
les ministres, les grands-officiers de l'Empire et de la couronne
, les grands-aigles de la Légion-d'Honneur , et les
officiers qui formaient le cortége de S. M. , ont occupé
leurs places accoutumées autour du trône : les princes
grands-dignitaires à droite et à gauche, suivantleurs rangs .
L'Empereur étant assis , le grand-maître des cérémonies
a pris les ordres de S. M. pour ouvrir la séance .
380 MERCURE DE FRANCE ,
\ Le prince vice-grand- électeur , prévenu par le grandmaître
, a demandé à S. M. la permission de lui présenter
les membres du Corps - Législatif nouvellement élus , et les
admettre à prêter serment. L'un des questeurs a fait l'appel
nominal , et le serment a été prêté .
L'appel étant terminé , l'Empereur a prononcé le discours
suivant : :
« Messieurs les députés des départemens au Corps-Législatif.
> La guerre rallumée dans le nord de l'Europe , offrait une oсса-
> sion favorable aux projets des Anglais sur la péninsule. Ils ont fait
> de grands efforts. Toutes leurs espérances ont été déçues .... Leur
>> armée a échoué devant la citadelle de Burgos , et a dû , après avoir
>> essuyé de grandes pertes , évacuer le territoire de toutes les Espa-
» gnes .
» Je suis moi-même entré en Russie . Les armes françaises ont été
>> constamment victorieuses aux champs d'Ostrowno , de Polotsk , de
>>>Mohilow , de Smolensk , de la Moscowa , de Moloïaroslawetz .
> Nulle part les armées russes n'ont pu tenir devant nos aigles ;
Moscou est tombé en notre pouvoir.
>>Lorsque les barrières de la Russie ont été forcées , et que l'im-
>> puissance de ses armes a été reconnue un essaim de Tartares out
>> tourné leurs mains parricides contre les plus belles provinces de ce
> vaste Empire qu'ils avaient été appelés à défendre . Ils ont . en peu
» de semaines , malgré les larmes et le désespoir des infortunés Mos-
>> covites , incendié plus de quatre mille de leurs plus beaux villages ,
>> plus de cinquante de leurs plus belles villes , assouvissant ainsi leur
>> ancienne haine et sous le prétexte de retarder notre marche en
> nous environnant d'un désert . Nous avons triompé de tous ces obs-
» tacles ! L'incendie même de Moscou où , en quatre jours , ils ont
> anéanti le fruit des travaux et des épargnes de quarante généra-
» tions , n'avait rien changé à l'état prospère de mes affaires ....
>> Mais la rigueur excessive et prématurée de l'hiver a fait peser sur
>> mon armée une affreuse calamité. En peu de nuits , j'ai vu tout
> changer. J'ai fait de grandes pertes. Elles auraient brisé mon ame
>> si , dans ces grandes circonstances , j'avais dû être accessible à
> d'autres sentimens qu'à l'intérêt , à la gloire et à l'avenir de mes
>peuples.
:
Ala vue des maux qui ont pesé sur nous , la joie de l'Angleterre
› a été grande , ses espérances n'ont pas eu de bornes. Elle offrait
>> nos plus belles provinces pour récompense à la trahison. Elle met-
> tait pour condition à la paix le déchirement de ce bel Empire :
> c'était , sous d'autres termes , proclamer la guerre perpétuelle.
FEVRIER 1813 . 381 F
1
$
>
>> L'énergie de mes peuples , dans ces grandes circonstances , leur
> attachement à l'intégrité de l'Empire , qu'ils m'ont montré , ont
>> dissipé toutes ces chimères , et ramené nos ennemis à un sentiment
>>plus juste des choses .
>>Les malheurs qu'a produits la rigueur des frimas ont fait ressor-
>> tir dans toute leur étendue la grandeur et la solidité de cet Empire ,
>> fondé sur les efforts et l'amour de cinquante millions de citoyens ,
>> et sur les ressources territoriales des plus belles contrées du Monde.
>>C'est avec une vive satisfaction que nous avons vu nos peuples
» du royaume d'Italie , ceux de l'ancienne Hollande et des dépar-
» temens réunis , rivaliser avec les anciens Français , et sentir qu'il
» n'y a pour eux d'espérance , d'avenir et de bien , que dans la con-
>> solidation et le triomphe du grand Empire .
>>Les agens de l'Angleterre propagent chez tous nos voisins l'es-
> prit de révolte contre les souverains . L'Angleterre voudrait voir le
> Continent entier en proie à la guerre civile et à toutes les fureurs
>> de l'anarchie ; mais la Providence l'a elle-même désignée pour être
>> la première victime de l'anarchie et de la guerre civile.
» J'ai signé directement avec le Pape un Concordat qui termine
>> tous les différens qui s'étaient malheureusement élevés dans l'Eglise.
>>La dynastie française règne et régnera en Espagne. Je suis satisfait
▸ de la conduite de tous mes alliés . Je n'en abandonnerai aucun ; je
> maintiendrai l'intégrité de leurs Etats . Les Russes rentreront dans
>>> leur affreux climat.
» Je désire la paix ; elle est nécessaire au Monde. Quatre fois
> depuis la rupture qui a suivi le traité d'Amiens , je l'ai proposée
> dans des démarches solennelles. Je ne ferai jamais qu'une paix
>> honorable et conforme aux intérêts et à la grandeur de mon Em-
>>pire.. Ma politique n'est point mystérieuse ; j'ai fait connaître les
> sacrifices que je pouvais faire .
>> Tant que cette guerre maritime durera , mes peuples doivent se
>> tenir prêts à toutes espèces de sacrifices ; car une mauvaise paix
>> nous ferait tout perdre , jusqu'à l'espérance , et tout serait compro-
> mis , même la prospérité de nos neveux.
• L'Amérique a recouru aux armes pour faire respecter la souve
» raineté de son pavillon ; les voeux du Monde l'accompagnent dans
>> cette glorieuse lutte . Si elle la termine en obligeant les ennemis du
>> Continent à reconnaître le principe que le pavillon couvre la mar-
> chandise et l'équipage , et que les neutres ne doivent pas être sou-
>>mis à des bloous sur le papier , le tout conformément aux stipula-
» tions du traité d'Utrecht , l'Amérique aura mérité de tous les peu
382 MERCORE DE FRANCE ,
>>ples . La postérité dira que l'ancien Monde avait perdu ses droits ,
>> et que le nouveau les a reconquis .
«
>> Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître , dans l'exposé
>> de la situation de l'Empire , l'état prospère de l'agriculture , des
>> manufactures et de notre commerce intérieur , ainsi que l'accrois-
>> sement toujours constant de notre population. Dans aucun siècle
→ l'agriculture et les manufactures n'ont été en France àun plus haut
> degré de prospérité.
J'ai besoin de grandes ressources pour faire face à toutes les dé-
>> penses qu'exigent les circonstances ; mais , moyennant différentes
>> mesures que vous proposera mon ministre des finances , je ne de-
>> vrai imposer aucune nouvelle charge à mes peuples.>>
Après le discours , la séance terminée , S. M. s'est
Ievée au milieu des acclamations .
S. M. est retournée au palais des Tuileries avec son
cortége , en suivant le même chemin qu'elle avait pris
pour se rendre au Corps-Législatif.
Les salves d'artillerie ont été répétées au départ de
S. M. du palais du Corps-Législatif , et à son arrivée au
palais des Tuileries .
Dans les séances subséquentes , le Corps-Législatif ne
s'est occupé que de la formation de son bureau.
も
S....
८
ANNONCES .
Séthos , Histoire ou Vie tirée des monumens anecdotes de l'ancienne
Egypte. Traduit d'un manuscrit grec , par l'abbé Terrasson . Nou
velle édition , revue , corrigée , précédée d'une Notice historique et
littéraire sur la vie et les ouvrages de l'abbé Terrasson , et suivie
d'une table alphabétique. Six vol. in-18. Prix , 9 fr . , et 11 fr . franc
deport. Chez d'Hautel , libraire , rue de la Harpe , nº 80.
Nouvelle Bibliothèque philosophique , contenant : 1º les Prolégomènes
philosophiques , ou Notions préliminaires du nouveau sys
tème proposé ; 2º son Analyse , avec le tableau généalogique ; 3º la
Classification des opérations de l'entendement humain, ou Catalogue
de bibliothèques ; rédigée et mise en ordre par J.-D. Langlois , cidevant
avocat en parlement , et ancien imprimeur. Un vol. in-8° .
Prix , broché , 3 fr. , et 3 fr . 60 c. franc de port . Chez l'Auteur, rue
du Petit-Pont-Saint-Jacques , nº 20 ; et chez Laurens aîné , impr.-
fibraire , quai des Augustins , nº ، مو . 19
COLT FEVRIER 1813. 983
Description des maladies de la peau , observées à Phôpital Saint-
Louis , et exposition des meilleures méthodes suivies pour leur traitement
; par J. L. Alibert , médecin de cet hôpital , et membre de la
société de l'Ecole de médecine de Paris , médecin consultant des
maisons impériales d'Ecouen et de Saint-Denis , des académies de
Madrid , de Turin, de Saint-Pétersbourg , du collége royal de médecine
deStockholm, etc. Ouvrage publié par livraisons , grand-infolic,
avec figures magnifiquement coloriées ; imprimé sur papier vélin ,
avec les beaux caractères de Crapelet. On souscrit à Paris , chez
Caille et Ravier , libraires , rue Pavée-Saint-André-des-Arcs , nº 17.
Aucun hôpital en Europe n'est plus propre au traitement des maladies
cutanées que l'hôpital Saint-Louis , par son heureuse exposition
, par l'air salubre qui l'environne , et sur- tout par la régularité
de la construction de ses salles . Cet hôpital , dit Duhamel , aurait dû
servir de modèle pour tous ceux qu'on a construits depuis ce tems.
Plus on examine en détail ce beau bâtiment , plus on reconnait
l'étendue du génie de celui qui l'a projeté. On n'y trouve rien à désirer.
Le Christianisme en harmonie avec les plus douces affections de
P'homme; par Biret , juge-de-paix à la Rochelle. Deux vol . in-12 .
Prix , 6 fr . , et 7 fr . 50 c. franc de port. Chez Arthus-Bertrand , rue
Hautefeuille , nº 23 .
Le plan de l'auteur est justifié par toutes les facultés et les sensations
de l'homme. Ses démonstrations sontmises à la portée de toutes
les classes ; ses discussions détruisent , l'une par l'autre , ces critiques
éphémères , dont la moderne philosophie a voulu noircir le christianisme
, et qui n'ont fait que précipiter l'humanité dans un torrent de
démoralisation et de malheurs .
Enfin , l'auteur présente heureusement le christianisme commeun
pacte sacré de dieu avec l'homine , comme le premier pacte des sujets
avec les souverains , et comme un lien de bienfaisance , fait pour unir
fortement les peuples dans leurs devoirs sociaux. Tel est le jugement
qu'à porté de cetouvrage un respectable prélat qui a daigné en agréer
la dédicace.
Souvenirset Portraits; 1780-1789 ; par M. de Levis. Un volume
in-8° . Prix , 5 fr. , broché , et 6 fr. franc de port. En papier vélin ,
le prix est double. Chez Fr. Buisson , libraire , rue Gilles - Coeur ,
n° 10.
Narcisse dans l'île de Vénus, poëme en quatre chants ; par Malfilâtre.
Imprimé pour la première fois in-18 , sur beau carré de Hol384
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813 .
lande , orné de six vignettes et d'un titre gravé. Prix , br. , figures
avec la lettre , 3 fr. 50 c. , et 4 fr . franc de port ; cartonné à laBra
del ,4fr.; relié en veau , doré sur tranche , avec filet , 6 fr .; figures
avant la lettre , cartonné à la Bradel , 8 fr .; relié en veau','doré sur
tranche , etc. 10 fr.; épreuves doubles , la première à l'eau forte , lá
seconde finie , avant la lettre , et cartonné , 12 fr . Chez Arthus-
Bertrand , libraire , rue Hautefeuille , nº 23.
1
Physionomies nationales des peuples , ou les traits de leur visage
comparés à leurs moeurs et caractères. Un vol. in-18 , grand papier
raisin- vélin , avec vingt- cinq planches coloriées . Prix , 4 fr. , et 4 fr.
50 c. franc de port. Chez Delaunay , libraire , Palais-Royal , galeries
de bois , nos 243 et 244.
Avis aux anciens abonnés de la Décade philosophique ,
politique et littéraire .
, Un littérateur se dispose à publier , en deux volumes in-8º une
Table de ce Journal , divisée en deux parties , l'une politique et
l'autre littéraire . Cette Table a le double avantage d'offrir l'ordre
méthodique et alphabétique pour les ouvrages , et l'ordre alphabétique
pour les noms des auteurs avec des numéros qui renvoyent aux
ouvrages.
Le prix des deux volumes sera de 12 francs .
१
On souscrit en attendant , chez D. Colas , imprimeur du Mercure
, et libraire , rue du Vieux- Colombier , nº 26 .
Quand le nombre des souscripteurs sera suffisant , on commencera
l'impression des deux volumes.
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine',
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13franes pour un
trimestre.
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles . Le prix de la souscription est de 20franes
pour l'année , et de II francs pour six mois. ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr . pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger. )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour leMercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
àParis .
A
SEINE
:
5.
cen
MERCURE
DE FRANCE.
N° DCVI . - Samedi 27 Février 1813 .
POÉSIE .
LA VALEUR FRANÇAISE AUX XVIII ET XIX. SIÈCLES . *
Poëme historique (*) ; par CL. -ANTOINE CHAMBELLAND
(de Dijon ) .
FRAGMENT TIRÉ DU CINQUIÈME CHANT .
(Laflottefrançaise aperçoit les côtes d'Egypte le ... messidor an VI.)
LES souhaits sont remplis , la flotte impatiente
Apprend qu'enfin le but va frapper ses regards.
Salut ! noble climat où la Grèce ignorante
Vint emprunter un culte , et des lois , et les arts !
(*) Ce poëme , divisé en quatorze chants , et qui offrira le tableau
de tous les grands événemens militaires , depuis la bataille de Jemmapes
jusqu'à celle de Wagram inclusivement , aurait paru dans le
cours de 1812 , si les nombreux embarras de l'auteur ne l'eussent pas
empêché d'y mettre la dernière main. Il sera entièrement terminé
au commencement de l'année 1814 . ( Note de l'Auteur. )
Bb
1
:
386 MERCURE DE FRANCE ,
Salut ! fille du tems , terre auguste et sacrée ,
Qu'Hermès combla de biens , qu'embellit Sésostris ,
Et du monde jaloux si long-tems admirée ,
Quand Thèbes se montrait rivale de Memphis !
Salut ! amour des Dieux , prodigieux théâtre (1 ) ,
Qui dans tes souvenirs joint Moïse à Bacchus ,
Le grand nom de Pompée au nom de Cléopâtre ,
Les prestiges au vrai , les vices aux vertus !
Entendez- vous l'airain ,manes du Peuple antique ,
Trois fois interrogeant vos immenses tombeaux (2) ?
Le salpêtre embrasé tonne au mont Samargdique (3)
Et du temple d'Abyde ébranle les échos (4).
Cent rois sont réveillés dans leur retraite obscure ;
De Cambyse et d'Omar détestant la fureur ,
Al'ombre du cercueil , ils acceptent l'augure ,
Qu'offre aux champs de Ménès ce jour réparateur,
Les murs d'Arsinoë reprennent l'existence (5) ;
Au loin l'urne du Nil rend un magique son ,
Et le Sphinx , en rompant vingt siècles de silence ,
Fait répéter ses cris au torse de Memnon (6) .
Unhéros apparaît , la ville d'Alexandre
Verra placer un camp sur ses vastes débris ;
Vainement son pacha l'invite à se défendre ,
Ses remparts s'ouvriront à d'illustres amis.
Les arts rentrent enfin aux lieax de leur naissance ,
Mais ils s'y montreront plus nombreux , plus parfaits :
:
(1) Il n'est point de pays dont l'histoire soit plus remplie de prodiges
que l'antique Egypte .
(2) Les pyramides. Le poëte suppose que la flotte salue trois fois
les côtes d'Egypte , et que le canon se fait entendre jusqu'à l'extrémité
de cette vaste contrée.
(3) Les auteurs anciens nomment Samarargdus , Samaragdus ,
Samargdicus , une chaîne de montagnes de granit qui traverse
l'Egypte.
(4) Le temple d'Abyde , ou d'Abydus , le plus célèbre de l'antiquitéhermétique
, se trouve dans la haute Egypte. De grandes parties
de cet édifice subsistent encore.
(5) Arsinoë , ville de Faioum , entièrement détruite .
(6) On voit au milien des ruines de Thèbes les restes de la meryeilleuse
statue de Mennon. 1
FEVRIER 1813 . 387
S'exilant de nouveau la barbare ignorance
Doit céder ce pays à leurs féconds bienfaits (7) .
Fuyez , retirez-vous aux déserts de Lybie ,
Du vaillant Saladin farouches successeurs ,
D'Hélios et d'Athor la fertile patrie (8)
Doit cesser de gémir sous vos bras oppresseurs.
Ces fils de l'étranger , que l'avarice inspire ;
Ces Mamlouks , tour-à-tour vaincus et conquérans ,
Qui sur d'humbles Fellahs exerçaient leur empire (9)
Dès ce jour ont cessé de régner en tyrans .
La contrée où Louis a porté sa bannière (10)
Voit les flots ramener les bataillons français ;
Elle reconnaîtra ce bouillant caractère ,
Cemépris de la mort , qui donnent le succès.
Chevaliers dont la gloire aux rives Phatmétiques (II) ,
Jadis a moissonné les rangs des Sarrasins ,
Sachez que d'autres preux les armes héroïques ,
Brillent pour accomplir vos glorieux desseins (12) .
Si trompant tant d'ardeur la fortune infidelle
Prépare à ces guerriers quelqu'indigne revers ,
Accusant le destin et célébrant leur zèle
Clio les vengera devant tout l'univers !
Sur les mâts orgueilleux les flammes déployées
De l'écharpe d'Iris arborent les couleurs ;
Zéphir souffle , bientôtles voiles sont enflées ,
Neptune , ses tritons pardes soins protecteurs ,
1
(7) Le séjour des Français en Egypte y a laissé le germe d'une
nouvelle civilisation .
(8) L'Egypte .
(9) Les Fellahs sont les descendans des anciens Egyptiens . Ils
cultivent la terre.
(10) Saint Louis prit terre sur la côte du Delta opposée à celle où
estdescendue l'expédition de l'anVI.
(11) La bouche du Nil , près de laquelle les Croisés abordèrent ,
porte le nom de Phatmétique.
1
(12) Onse tromperait si l'on croyait que la religion seule entraîna
Louis IX sur les bords du Nil ; de grandes vues de commerce et de
colonisation se joignaient à son enthousiasme pour la délivrance des
lieux saints.
Bba
388 MERCURE DE FRANCE ,
!
Soutiennent les vaisseaux , les poussent au rivage ,
Et près du gouvernail on observe l'Ibis ( 13 ) ,
Qui volant de ses monts à la liquide plage ,
Indique aux nautonniers les tours de Rhacotis (14) .
Sortant de ses marais , le divin crocodile (15)
S'empresse de courir à ses maîtres nouveaux ,
Et montre les écueils de la côte stérile ,
Où du fleuve aux sept bras se dispersent les eaux.
Pour les navigateurs quelle douce surprise !
Mille acclamations partent de chaque nef.
L'armée applaudissant à l'heureuse entreprise ,
Chante l'air du triomphe en l'honneur de son chef.
Ainsi , des Grecs fameux une troupe intrépide ,
Destinée à ravir la plus riche toison
Devant les noirs rochers qui ceignent la Colchide
Proclama jusqu'au ciel la valeur de Jason .
Ainsi , prêts à quitter les rives de Neustrie
Pour combattre et punir un Anglais insensé ,
Les soldats de Guillaume , avec idolatrie ,
Invoquèrent le nom de leur prince offensé.
,
Cependant Amphitrite au croissant favorable
Veut encor se jouer des lois de son époux (16) :
Contre les fils de Mars la déesse implacable
Des autans déchaînés excite le courroux.
Par ses ordres secrets la vague impétueuse
Augmente le danger des rescifs menaçans ,
Et dans les tourbillons de cette onde orageuse
Desmatelots surpris les bras sont impuissans .
(13) Oiseau sacré chez les anciens Egyptiens .
(14) Ancien nom d'Alexandrie .
(15) Le crocodile est encore révéré parmi les habitans de la haute
Egypte.
(16) Dans le cours de ce poëme , Amphitrite se montre l'amie des
Anglais et de leurs alliés , tandis que Neptune , protecteur des Français
, prédit qu'un jour viendra où la déesse cessera d'appuyer les
sentreprises de ces pirates . C'est la seule fiction où le poëte a cru
pouvoir se permettre de faire intervenir les Dieux du paganisme.
FEVRIER 1813 . 389
A
De l'élément perfide un caprice bizarre ,
Conduit la flotte au port , l'en chasse avec fureur;
Les pilotes deux fois se dirigent au phare ,
Deux fois ils sont jetés loin du fanal trompeur !
Quel Dieu peut des Français alarmer le courage?
Irrités par l'obstacle et redoublant d'efforts ,
Dans de frêles esquifs ils tentent le passage ,
Et du sol africain leurs pieds foulent les bords .
Sur le sable de feu Napoléon s'élance ,
En signe de victoire il y fixe déjà
Un sacré talisman , le drapeau de la France :,
C'est César plantant l'aigle au pays de Juba.
1
O chantre harmonieux d'une guerre héroïque !
Des exploits de Bouillon sublime narrateur (17) !
Prête-moi tes secours et la voix homérique ,
Qui célébra Solyme et son libérateur .
Comment peindre en mes vers , privé de ton génie ,
Un merveilleux guerrier que la gloire adopta ,
Qui veut joindre la palme aux lauriers d'Ausonic ,
Et marcher au Jourdain des plaines du Delta ?
Mais repoussant ces voeux si ta muse trop fière
Dédaigne d'inspirer mes lyriques accens ,
La vérité du moins entendra ma prière ,
Mon sujet se refuse à de faux ornemens.
A UNE VIEILLE COQUETTE.
La vieille Elzeau va , vient , court , se travaille ,
Pour , s'il se peut , dénicher quelqu'amant ,
Hardi garçon , à qui , vaille que vaille ,
Elle escamote un petit compliment.
(17) Dans le troisième et le quatrième chants , le poëte , en chantant
les exploits de Napoléon , dans la conquête de l'Italie , a invoqué
Homère , Virgile et Lucain; ici il croit devoir adresser ses voeux au
sublime génie qui a peint en traits de feu les actions d'un prince
français , libérateur de la Palestine .
390 MERCURE DE FRANCE ,
L'amant trouvé , ciel ! quel ravissement !
Et quel honneur , si dans cette aventure
Il trahissait un amoureux secret !
La pauvre Elzeau , grâces à sa figure ,
N'apoint encor rencontré d'indiscret.
DU PUY DES ISLETS.
A MADEMOISELLE BIGOTINI ,
Danseuse célèbre de l'Académie Impériale de Musique ,
jouant le rôle de Psyché.
QU'IL te sied bien de nous peindre Psyché ,
Bigotini ! c'est un droit d'héritage ,
Et ton triomphe est attaché
Ates attraits comme à ton age.
Voilà bien cette taille aux contours onduleux ,
Qu'entre dix doigts voluptueux ,
L'Amour adolescent emprisonnait sans peine :
Voilà ces traits chéris , voilà ces beaux cheveux ,
Dont une simple fleur enrichissait l'ébène .
C'est bien son air doux , enfantin ,
C'estbien cette bouche mi- close ,
Que l'abeille indécise , en cherchant son butin ,
Plus d'une fois prit pour la rose.
C'est sa crainte , c'est sa candeur ,
C'est son amoureuse pudeur ,
Quand éperdue et hors d'haleint ,
Elledévoile son ardeur
Al'aimable Dieu qui l'entraîne .
Qui ne revoit Psyché sous tes traits ravissans ?
Tout sert l'illusion , fait délirer les sens .
L'Amour à tes genoux n'en est que plus fidèle .
Bigotini , par toi blessé d'un nouveau trait ,
Il languit , il soupire ... Et ravi du portrait
Se croit encor dans les bras du modèle .
Parlemême.
FEVRIER 1813 . 391
ÉNIGME).
J'APPARTIENS ,cher lecteur , au règne ininéral ,--
Et lorsque tous les ans le règne végétal
Est près d'étaler sa parure ,
J'arrive pour donner l'éveil à la nature.
Mobile dans les airs
Et fixe dans la terre ,
Mon amour pour la guerre
Anime l'univers .
Je suis le fils d'une déesse ,
Et d'une fleur je tiens le jour ;
Enchangeant de sexe à Lutèce ,
Maintenant j'embellis la cour
D'unedes nymphes du Permesse ,
Et là , chaque soir , tour-a-tour ,
Ingénue ou coquette ,
Ou baronne , ou soubrette ,
J'enflamme mille amans.
De mon art la finesse
Excite dans leurs sens
Une amoureuse ivresse ,
La gaîté , la tristesse ,
✓ Et tous les sentimens .
V. B. (d'Agen. )
LOGOGRIPHE
Je suis un lieu d'horreur ,
De tourmens , de supplices ;
En m'arrachant le coeur
Je faisais les délices
Du peuple de Paris
L'année après quatre-vingt-six.
V. B. (d'Agen. )
392 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813.
✔CHARADE .
Mon premier est un terme de blason ,
Mon dernier après la moisson
1
Reçoit un corps sur qui pleut maint coup de bâton ;
Mon tout est un juré-fripon
Qui jour et nuit , comme en toute saison ,
De vous piller saisit l'occasion.
S ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Pot-pourri.
Celui du Logogriphe est Athalie , dans lequel on trouve : Thalie.
Celui de la Charade est Franche- Comté.
( A ) C
F
رام
L
SCIENCES ET ARTS .
DES VERS A SOIE ET DE LEUR ÉDUCATION SELON LA
PRATIQUE DES CÉVENNES ; par M. REYNAUD , fabricant
à Saint- Jean- du-Gard , avec des notes par P. F. F.
J. GIRAUD . - A Paris , chez Bailleul , imprimeurlibraire
, rue Helvétius , nº 71 .
Nous avons moins de regret à annoncer, des derniers ,
cet ouvrage en pensant que c'est le moment où la lecture
peut en être le plus utile. Les livres , assez généralement
, sont de toutes les saisons . Il importe peu en
quel tems de l'année ils paraissent et soient recommandés
à l'attention des lecteurs. Ce livre , cependant , bon à
'être lu en tout tems par ceux qui s'adonnent au genre
d'industrie dont il traite , peut être lu par eux avec
encore plus d'intérêt et de profit à l'époque où nous
touchons ; celle de la couvaison des vers à soie , celle
où commencent les premiers soins qu'on doit à leur
éducation.
12
,
Deux choses recommandent cet ouvrage , deux
moyens , dont le concours est devenu bien précieux :
une pratique judicieuse et une habile théorie . M. Reynaud
, auteur du livre , est lui-même fabricant et parle
d'après une expérience de cinquante ans ; M. Giraud
auteur des notes , et déjà connu par divers travaux sur
l'agronomie , met à profit et les leçons de l'expérience ,
et les recherches des agronomes français et étrangers. Il
discute , il compare , et sans se laisser imposer par l'autorité
des noms , prend un parti , établit une opinion .
On reconnaît dans ces notes un esprit libre des préjugés
de la routine , et en garde contre les séductions dangereuses
de l'innovation.
Quant à l'utilité de ce genre d'industrie , et à la
richesse de cette branche de commerce , nous nous gar-
1
394 MERCURE DE FRANCE ,
derons bien du ridicule de ladémontrer. Nous aimons
mieux citer ces vers de l'apologiste du luxe :
Oh ! que Colbert était un esprit sage !
Certainbutor conseillait , par ménage ,
Qu'on abolit ces travaux précieux
Des Lyonnais ouvrage industrieux.
Du conseiller l'absurde prud'hommie
Eût tout perdu par pure économie ;
Mais le ministre , utile avec éclat ,
Sut par le luxe enrichir notre état ;
De tous nos arts il agrandit la source ,
Et du Midi , du Levant et de l'Ourse ,
Nos fiers voisins , de nos progrès jaloux ,
Payaient l'esprit qu'ils admiraient en nous .
A
Le plan de l'ouvrage se trouve indiqué avec autant
d'exactitude que de précision dans le passage suivant
que nous extrayons de l'avant-propos , et dans lequel
l'auteur annonce qu'il « traitera successivement des mûriers
, de la couvaison et éclosion des vers , de leurs
›› progrès et changemens réguliers , de leurs maladies
>> accidentelles , de la formation des cocons , ainsi que
>> des soins qu'ils exigent , de la ponte pour obtenir une
>>>bonne graine; enfin , du dévidage et des oeuvraisons
>>de la soie, et des nouvelles machines qui ont porté au-
>> jourd'hui ces travaux à un haut point de perfection.
>>Plus habile à faire qu'à dire , ajoute-t-il , je ne
>>prétends pas me placer au rang des écrivains dont
>> s'honore l'agronomie française. >> M. Reynaud est trop
modeste , ou il s'est fait une idée exagérée du talent
d'écrire qu'exige le genre de son ouvrage. Dieu garde
les écrits de cette nature , d'autres ornemens que la simplicité
, la correction , la méthode et la clarté , qualités
de style dont M. Reynaud est très- suffisamment pourvu!
Quoique son ouvrage puisse être regardé comme une
théorie complète de l'éducation des vers à soie , il n'ose
cependant se flatter d'avoir approfondi et embrassé tout
son sujet. Dans un chapitre par lequel il termine , il
indique de nouvelles questions à résoudre , de nouvelles
observations à vérifier. Il appelle l'attention des sociétés
FEVRIER 1813. 395 1
d'agriculture sur divers points relatifs à la culture du
mûrier , à la meilleure méthode d'exploitation de cet
arbre et aux propriétés de ses différentes espèces . Il
voudraitque l'on recherchât si les mûriers de la Chine ,
de la Tartarie et du Canada , qui prospèrent sous des
zônes plus froides que la nôtre , ne seraient pas plus
robustes et plus vivaces que ceux du midi de notre
Europe. Il passe ensuite à d'autres observations générales
sur l'éducation des vers à soie , les moyens de se
procurer de meilleures graines , les essais déjà faits et
ceux qui restent à faire en ce genre. Venant enfin à
examiner la chose sous des rapports d'économie politique
, il suggère , comme moyen de parvenir à un système
complet et uniforme , l'emploi des dépôts de mendicité
et autres établissemens de cette nature , qui deviendraient
, à peu de frais , des écoles pratiques « où
>> l'on pourrait , d'un côté , faire produire de la soie par
>>>les meilleures méthodes connues , et appliquer ensuite
>> les bénéfices de cette industrie à des essais et tenta-
>>tives que dirigeraient des personnes instruites et intel-
>>>l>igentes. >>>
Les notes de M. Giraud sont un complément utile de
l'ouvrage de M. Reynaud. Elles paraissent être le résultat
non-seulement d'une grande lecture , mais encore de
beaucoup d'observations . Nous avons parlé plus haut
du bon esprit dans lequel elles sont écrites. Nous n'en
citerons qu'une , la moins importante , peut-être , mais
qui pourra rappeler à quelques-uns de nos lecteurs des
souvenirs d'enfance , et leur faire honneur d'un procédé
qu'on peut employer avec succès dans les maladies des
vers à soie .
« Il est peu d'écoliers , ditM. Giraud , qui ne s'amusent
>> à en élever , dans la saison , quelques douzaines . Or
>>> un remède constamment pratiqué par eux contre la
>>jaunisse , est de passer avec la plume une couche
>> d'encre sur le corps des vers jaunes ; et ils sont per-
>> suadés , en général , que cette teinture guérit ces vers .
>> L'encre agirait-elle comme tonique en certaines cir-
>> constances ? et rendrait-elle à la peau des vers à soie
» le ressort qui lui manque , et dont l'absence , cause de
396 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813.
>> relâchement et d'atonie , paraît entrer pour beaucoup
>>dans la formation de la maladie des jaunes et des
» gras ?
Il y a un fort joli poëme latin de Vida , sur les vers à
soie , dont la partie technique a même des rapports étonnans
pour le tems , avec la méthode de M. Reynaud.
Le poëte latin , par exemple , est resté en arrière des
procédés inventés depuis pour la couvaison et l'éclosion
des oeufs ; il n'en connaît pas d'autres que de les exposer
au soleil ou de les réchauffer dans son sein.
Nec pudeat roseas interfovisse papillas .
Il n'en sait pas aussi long sur cet article que le savant
abbé Boissier de Sauvages , ou seulement qu'un paysan
des Cévennes . En revanche , sa prévoyance se porte
sur d'autres objets . Ainsi il recommande , si la feuille
du mûrier vient à manquer , d'employer la feuille de
l'orme ; mais il ne veut pas que ce soit la jeune fille qui
monte à l'arbre , et se déchire , à ce métier, les cuisses
et les mains ; il craint pour elle , au fond des bois ,
les insolences de quelque satyre entreprenant. Il veut
que ce soin soit abandonné aux vieilles , qui ont moins
à risquer et la peau plus dure .
On peut juger par cet échantillon que quelque agréable
et instructif que puisse être le poëme de Vida , l'ouvrage
de MM. Reynaud et Giraud plaira cependant encore
davantage à ceux qui élèvent des vers à soie .
:
1
Be
T
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
VOYAGES EN RUSSIE , EN TARTARIE ET EN TURQUIE ; par
M. E. D. CLARKE , professeur de minéralogie en l'Université
de Cambridge; traduits de l'anglais . - Trois
vol . in-8°, avec trois cartes géographiques et deux
plans .- Prix , 18 fr. , et 22 fr. franc de port; papier
vélin 36 fr . - A Paris , chez Buisson , libraire , rue
Gilles- Coeur , nº 10 ; etArthus-Bertrand , libraire , rue
Hautefeuille , nº 23 .
:
Si les voyages du professeur Clarke ont en France le
même succès qu'en Angleterre , ce voyageur en devra
savoir quelque gré au traducteur habile et judicieux qui
a entrepris de nous faire connaître cet ouvrage , et qui ,
par les notes critiques et savantes dont il l'a enrichi , lui
aassuré pour nous un nouveau degré d'intérêt. C'est
déjà depuis 1810 que le D. Clarke jouit dans les trois
royaumes de toute la plénitude de sa gloire ; mais chez
nous , malgré le goût bien prononcé du public pour les
livres de ce genre , le sien n'était guère connu que dans
le monde savant. Il paraît même que le ton d'aigreur et
de violence avec lequel l'auteur à tout propos , ou même
hors de propos , s'exprime contre la Russie , l'avait fait
assez généralement regarder comme lefactum déguisé
ou le Mémoire d'un agent politique jeté dans le cadre
de l'itinéraire d'un voyageur , plutôt que comme un
livre véritablement consacré aux progrès de la géographie
et des sciences qui en dépendent. C'était du
moins à-peu-près ainsi que l'avait considéré M. le rédacteur
des Annales des Voyages , qui , dans son 54 numéro
, en avait offert à ses lecteurs une assez longue
analyse , où il reprochait aux Anglais de regarder souvent
et de vouloir faire passer comme neuf en fait de
sciences ou de découvertes , ce qu'ils avaient refait
d'après vingt livres allemands ou français. Il terminait
398 MERCURE DE FRANCE ,
son article en énonçant l'opinion que si on venait à
entreprendre une traduction française de ces Voyages ,
elle devrait pour l'honneur de notre littérature être accompagnée
de beaucoup de notes correatives. M. le rédacteur
des Annales aura aujourd'hui la satisfaction de voir son
idée réalisée dans la traduction qui nous occupe ; et le
public en même tems pourra suivre avec sécurité , graces
àces notes correctives , les récits d'un voyageur , quelquefois
égaré par son anglicisme et son caractère passionné
, mais dont les observations purement scientifiques
ne nous paraissent pas méprisables , et qui , par la
facilité de sa narration , par la variété de ses tableaux ,
par l'étrangeté des pays qu'il a parcourus , a bien quelques
droits à revendiquer pour lecompte de son propre mérite
une bonne partie des succès qu'il a déjà obtenus chez ses
compatriotes , et qu'il obtiendra probablement encore
de la traduction qui va le faire connaître parmi nous . +
Telle est du moins l'impression que nous avons reçue
de la lecture de ces Voyages; tel est le point de vue sous
lequel nous croyons pouvoir en présenter l'auteur
dans l'exposé sommaire que nous allons en faire à nos
lecteurs .
Le D. Clarke , et son ami et compagnon de voyage ,
M. Cripps , attaché comme lui à l'Université de Cambridge
, se trouvaient à Pétersbourg en 1800 , lorsque
Paul fet , revenu aux idées d'une politique continentale ,
menaçait l'Angleterre dans son commerce , dans ses possessions
, et poursuivait le projet d'affranchir la Russie
de son alliance oppressive , de sa périlleuse amitié.
C'était là aux yeux des Anglais une trahison , un vrai
crimede forfaiture envers le principe secret et inviolable
de la suzeraineté britannique. Les plaintes audacieuses
de leurs agens ne firent qu'aigrir Paul qui , avec plus
d'énergie peut- être que de prudence et d'habileté dans
l'exécution , découvrit trop hautement des desseins faits
pour alarmer Londres , et se livra , si l'on en croit le D.
Clarke , même contre de simples particuliers , à un système
de persécution , tel que Mungot-Parck supporta
moins de rigueurs , d'exactions et d'insultes au milieu
des Maures en Afrique , que ses compatriotes n'en
,
FEVRIER 1813. 399
eurent alors à souffrir en Russie , et particulièrement
à Pétersbourg . Ce fut , d'après cet état de choses ,
que les deux amis reçurent de lord Withworth , ambassadeur
d'Angleterre , le conseil et l'invitation pressante
de quitter la capitale de la Russie pour se réfugier
d'abord à Moscow , et de là voyager dans le
midi de cet Empire. Il paraîtra peut-être ici singulier
que deux savans , deux membres d'un corps enseignant
, eussent quelque chose à démêler avec la politique
de Paul et tant à craindre de ses fureurs , et
plus singulier sans doute encore non-seulement qu'ils
aient choisi ces circonstances pour explorer divers points
importans , et les frontières de son Empire , mais même
que , d'après leur propre relation , et malgré force déclamations
contre la tyrannie et la barbarie russe , ils l'aient
fait avec autant d'agrément que de sécurité. Ce pourrait
bien être là un des points de cette narration à éclaircir
ou corriger. Quoi qu'il en soit , tels sont les motifs apparens
qui déterminèrent le D. Clarke à quitter Pétersbourg
, et auxquels nous devons le voyage qu'il paraît
d'ailleurs avoir beaucoup désiré d'exécuter. De Moscow
il se porta au midi de la Russie en tirant vers l'est; visita
les Cosaques du Don , et ceux de la Mer-Noire ou du
Kouban; assista à l'expédition que ceux-ci entreprirent
pour repousser les Circassiens vers le Caucase , et eut
occasion d'observer ces féroces montagnards lors de la
conclusion du traité qui termina cette expédition. Revenant
de là vers l'ouest , et suivant la frontière de la
Mer-Noire , il en décrit plusieurs points importans , tels
que les bouches du Don , l'île Taman , la Chersonèse ,
où il visita le savant Pallas , et chercha avec lui les débris
et les traces presque totalement effacées du temple ou
des temples où Diane demandait le sacrifice des étrangers
jetés par le sort sur ces rivages inhospitaliers .
Enpassant à Aktiar , il s'y procure le relevé de sa baieet
desautres points de cette position maritime d'une grande
importance , afin de faciliter à son gouvernement les
moyens de l'occuper , d'inquiéter et de dominer le commerce
dumidi dela Russie , lui dicter des lois , et punir
M
3
3
400. MERCURE DE FRANCE;
où prévenir , selon l'expression même de notre voyageur,
les trahisons de son cabinet.
A Cherson , il rend hommage aux restes de son compatriote
le philanthrope Howard , et demande vainement
la place de ceux du puissant Potemkin , déjà dérobés aux
regards des hommes , et disparus du théâtre même de sa
gloire. Embarqué à Odessa pour Constantinople, il côtoie
les provinces de la Turquie européenne , et engagé dans
le Bosphore , il y cherche les traces de l'ancien déchirement
qui ouvrit entre l'Europe et l'Asie le passage aux
nouvelles conquêtes d'une vaste mer , occupant primitivement
le plateau de la Tartarie , et dont l'Euxin , la mer
Caspienne et l'Aral étaient des portions ou des golfes ,
et en sont restées comme des points indicateurs . Parvenu
à Constantinople , le D. Clarke y termine sa narration,
quoique ce n'ait point été là lc ' 'rme de ses courses. La
magnificence de cette position, ses avantages politiques et
commerciaux lui font prophétiser que tant de biens , tant
de richesses ne resteront pas dans les mains de leurs
aveugles et insoucians possesseurs ; mais il est permis
de croire que cette prophétie n'est qu'un voeu patriotique
anglais , et que le savant professeur prend ici trop aisément
ses espérances pour des réalités .
On peut aisément distinguer deux hommes dans le
D. Clarke , Panglais et le savant ou le voyageur. L'anglais ,
toujours interprète des prétentions , ainsi que des passions
de son gouvernement , et quelquefois des siennes
propres , méprise , fronde , déchire tout ce qui tient à
l'Empire russe , et donne , à cet égard , à la vérité même
une couleur d'exagération et de violence , telle que l'on
est tenté de révoquer en doute le mal qu'on en croyait
ou qu'on en savait avant lui . Les tableaux qu'il trace des
Russes , de leur mal-propreté , de leur gourmandise , de
leur grossièreté , de leur frivolité , de leurs débauches ,
de leur bassesse sous le fouet du despote , de leurs goûts
stupides , cruels et destructeurs , de leurs moeurs barbares
, de leur penchant , pour ainsi dire , national au
vol , à la mauvaise foi dans toutes les transactions , à la
paresse , à l'ivrognerie , seul ressort avec le bâton qui
puisse mettre en mouvement cet être abruti , enfont véri-
1
1
10
20
TE
9
1
F
S
FEVRIER 1813 . 401 tablement un peuple hideux et révoltant. Les
DLIN
seules ont trouvé quelque grace devant ses yeux , il leur
pardonne bien volontiers de se rendre assez facilement
infidèles à des époux qui ne peuvent que leur inspirer le
mépris , le dégoût ou l'horreur ; et le plus grand défaut
qu'il leur trouve, c'est d'être encore trop soutiselys
vil comme au plus méchant docteur Clarke conserve de bdieesnetsecrlraivbelse.s Erenssentimens
contre ces pauvres Russes ; il semble avoir pris pour
devise à leur égard :
t
Dolus an virtus quis in hoste requirat ?
e
Et quand il serait vrai qu'ils auraient voulu le chasser
de leurs pays , seraient-ils si blamables d'avoir redouté
la présence d'un ennemi qui , non content de prendre
une part active aux querelles de peuple à peuple , se
montre , en véritable anglais , très-peu scrupuleux sur le
choix des moyens , pour amasser les vengeances jusque
sur la tête des particuliers ?
Cependant , au milieu de toutes ses déclamations contre
cette nation inhospitalière , notre voyageur se représente
lui-même par-tout où il passe comme l'objet des soins ,
des attentions , de l'intérêt des classes les plus distinguées
de la société ; son costume sert de modèle aux
merveilleux de Moscow ; ailleurs son arrivée est un jour
de fête ; il est si peu surveillé qu'il relève un point militaire
et maritime important, en fait passer les plans à son
gouvernement pour que celui-ci puisse s'en emparer
comme d'une chose de son domaine et tout-à-fait à sa
convenance : certes voilà bien la reconnaissance britannique
; voilà le prix de l'anglomanie des Russes ! Ingratitude
, orgueil , intérêt ; faut-il s'étonner que ce soit
par-là que se terminent à toute époque et en toute circonstance
leurs relations avec le gouvernement anglais ,
quand les simples particuliers pensent, à ce qu'il paraît,
faire preuve d'esprit national en suivant avec eux les
mêmes principes de conduite ? Au reste , et nous l'avons
fait sentir plus haut , nous conviendrons volontiers avec
le D. Clarke que le Russe est réellement très-en arrière
de la civilisation européenne ; nous pensons seulement
Cc
402 MERCURE DE FRANCE ,
(
que quand il le rabaisse au-dessous de la brute , et qu'il
loue avec une complaisance presque fanatique les Cosaques
, les Malorusses , les Tartares et tout ce qui n'est
pas russe ou s'en montre l'ennemi , il sacrifie quelquefois
les intérêts de la vérité à ceux de ses passions , et
prouve , ce qui la déjà été tant de fois ,que le langage
de la satire ou de l'enthousiasme ne fut jamais celui du
véritable observateur. C'est ce que développent fréquemment
, et très-bien , les notes instructives du traducteur
de ses voyages , qui combat , rectifie , réduit à leur juste
valeur , avec autant de loyauté que de justesse , plus
d'une idée erronée , plus d'une exagération ridicule de
son auteur.
Il nous reste bien peu d'espace pour considérer le
D. Clarke comme voyageur et écrivain. Contentonsnous
de dire que , sans offrir peut-être beaucoup de
résultats ou très-neufs , ou très- profonds , son ouvrage
présente , dans une multitude de détails et d'obsen
vations , une lecture agréable , attachante , et pique
vivement la curiosité. Les lieux et les peuples divers qu'il
a visités , donnent à ses peintures de l'éclat , du mouve
ment et de la vie : sans qu'on puisse tirer de ses récits
des notions de statistique ou d'économie politique trèsprécises
et très-savantes , on y en recueillera du moins
beaucoup de satisfaisantes sur les moeurs , l'industrie , le
commerce , les productions et toutes les ressources de
la partie méridionale de l'empire russe. En décrivant
les mêmes lieux que Pallas , avec lequel il n'est pas toujours
parfaitement d'accord , il est aussi quelquefois
plus abondant et plus varié que lui. Cependant , en,
général , il voit plus en courant , et par conséquent plus
superficiellement que son savant ami. Les parties scientifiques
qui sont traitées avec le plus de soin , sont les
recherches géologiques et géographiques sur la Crimée
et en général toutes les côtes de l'Euxin , sur les anciens
monumens des Grecs , ou même de peuples antérieurs
dont ces contrées , malgré les destructions des Tartares
et des Russes , conservent encore de nombreuses traces,
sur les tombeaux antiques ou tumuli , dont l'un passe
pour renfermer le corps de Mithridate,
FEVRIER 1813 . 403
et
28
de
пр
4
1
Il se complaît sur-tout à suivre les traces du grand
phénomène qui aurait fait sortir la Tartarie et la Crimée
de dessous les eaux , par le dégorgement de celles-ci sur
le lit actuel de la Méditerrannée , et leur invasion à travers
le canal de Constantinople ; il prétend même que
la retraite de l'Euxin par le même passage n'a point
discontinué. C'est une question sur laquelle toutes les
opinions ne sont point encore réunies .
En résumé , et à l'anglicisme près , le D. Clarke se
montre dans cet ouvrage homme aimable , observateur
ingénieux , écrivain facile et piquant. Quelques redites
allongent quelquefois inutilement ses récits ; des notes
curieuses , tirées d'un voyage inédit d'un de ses compatriotes
, le rever. M. Héber , en augmentent souvent
l'intérêt. Nous avons déjà dit combien étaient précieuses
celles du traducteurfrançais , à qui nous ne reprocherons
que le soin qu'il a pris de cacher le nom de l'auteur d'un
travail aussi estimable , tandis que tant d'assembleurs de
fadaises s'efforcent de faire retentir le leur jusque par
dessus les greniers d'où ils n'auraient pas dû sortir.
Outre ses nombreuses remarques historiques et critiques ,
il a encore traduit et souvent rectifié plusieurs anciennes
inscriptions grecques , citées par le voyageur. Enfin ,
pour que rien ne manque à cette édition , on y a joint
une table alphabétique et raisonnée des matières qui ellemême
forme une rapide analyse de l'ouvrage , et facilite
toutes les recherches que voudrait faire le lecteur. C'est
à tous ces titres que nous appelons son attention sur ce
livre , qui a par lui-même deux recommandations bien
puissantes auprès de tous les esprits ; beaucoup de malignité
et beaucoup de variété....... 1
1
GIRAUD.
Cca
[
404 MERCURE DE FRANCE ,
1
DES MOYENS DE PRÉVENIR LA DÉCADENCE DE L'ART DU
** COMÉDIEN , ET D'ASSURER LE SORT DE CEUX QUI EXERCENT
CET ART ; par A. J. DUMANIANT . AParis , chez
Barba , libraire , Palais-Rosal , galerie derrière le
Théâtre Français , nº 51 .
६
DANS le moment où quelques-unes des idées du gouvernement
se sont portées sur l'organisation des grands
théâtres de la capitale , la brochure que nous annonçons
au public doit être d'un grand intérêt pour les personnes
chargées de mettre l'ordre dans une petite république
assez mal disciplinée.
Les plus beaux titres qu'une nation ait à la gloire ,
sontdans les monumens de son génie , car ils sont aussi
les monumens de ses moeurs . Or , la plus brillante partie
de notre gloire littéraire , celle qui nous est le moins
contestée par les autres nations , consiste dans les chefsd'oeuvre
de notre théâtre .
1
Il est donc important de soutenir une réputation qui
ne s'est point démentie depuis deux siècles ; il est de
notre honneur de ne pas laisser tomber les chefs -d'oeuvre
de Molière , de Corneille et de Racine entre des mains
qui ne feraient que les défigurer. Si l'art du Comédien
vient à se perdre ou à se dénaturer , il entraînera nécessairement
l'art dramatique dans sa chute. Quel écrivain,
doué d'un véritable talent , osera s'élancer dans une
carrière où il verra les interprètes du génie méconnaître
la voix de la nature et de la vérité ?
Ces observations ne sont pas nouvelles ; elles ont été
faites par tous les amis éclairés de la littérature et de
celui de tous les arts où nous nous sommes le plus approchés
de la perfection. Tous , en jetant leurs regards
sur le premier théâtre de la capitale et du monde , ont
redouté une décadence prochaine. Les talens qui brillent
aujourd'hui sur la scène française et qui lui conservent
son premier éclat , seront bientôt entraînés par ce
rapide torrent qui entraîne et les hommes et les choses .
Malheureusement des espérances bien fondées , ne nous
)
FEVRIER 1813. 405
10
008
offrant pas de jouissances à venir , ne peuvent empêcher
notre prévoyance de s'étendre au-delà de nos jouissances
présentes . 43
Des hommes éclairés ont écrit sur cette matière importante
. Presque tous n'ont vu que l'état actuel des
choses . Lorsqu'on voit un art parvenu à sa perfection ,
on prévoit sa décadence , par la seule raison de l'instabilité
des choses humaines . Des raisons aussi vagues ne
peuvent satisfaire les esprits droits et découragent ceux
qui songeraient à apporter quelque remède au mal. Les
hommes qui raisonnent sur des principes généraux , res
semblent à un médecin assez ignorant de ma connaissance.
On lui demandait les causes d'une maladie qui
paraissait extraordinaire . Cette maladie , répondit le
médecin , vient de ce que le corps humain étant imparfait
par sa nature , ne peut demeurer dans un état de
santé parfaite.
i Le déclin de tous les arts , comme celui des Empires ,
a ses causes physiques , morales et politiques . Il me
serait bien facile de développer celles qui doivent amener
tous les jours la décadence dont le Théâtre Français
est menacé ; mais je n'écris point dans ce moment pour
faire valoir mes propres idées . Si j'imitais certains critiques
à la mode qui oublient souvent l'auteur dont ils
doivent parler , pour se faire auteurs eux-mêmes , le
public y perdrait beaucoup plus que je ne pourrais y
gagner.
La petite brochure de M. Dumaniant est écrite avec
méthode; elle est divisée en cinq chapitres ; les mots y
tiennent peu de place , il n'y a que des choses .
L'aufeur traite d'abord de la difficulté que les Comédiens
français éprouvent à se procurer des sujets qui
puissent remplacer un jour ceux que le tems force à la
retraite . L'auteur prouve que cette difficulté naît de la
préférence que l'on accorde , dans les provinces , à
l'opéra-comique sur la bonne comédie. « Les entrepreneurs
dans les villes secondaires , dit-il , n'ont plus
engagé que des chanteurs et des chanteuses ...... Les
Comédiens sans place , ont quitté leur état , ou se sont
réfugiés chez l'étranger. Il ne s'est plus formé de nou-
1
406 MERCURE DE FRANCE ,
veaux sujets ..... On compte maintenant peu de villes ?
dans tout l'Empire français , où la tragédie et la comédie
soient jouées d'une manière satisfaisante .>>>
Malheureusement il était impossible d'empêcher cette
revolution. Dès qu'il 'paraît un spectacle où toutes les
pièces sont à la portée de tous les esprits , où les sens et
tous les mouvemens de l'ame sont puissamment excités
par la musique et les décorations , la multitude doit
abandonner un spectacle qui ne parle qu'au coeur et à la
pensée. Les plaisirs de la pensée et du sentiment sont
les plus nobles jouissances de l'homme , mais ne sont pas
les plus généralement goûtées .
Dans le chapitre suivant , l'auteur cherche les moyens
de procurer au Théâtre Français des artistes qui puissent
remplacer un jour ceux qui sont maintenant employés;
mais parmi les moyens qu'il propose , il en est
un qui mẹ paraît insuffisant et même dangereux. Il voudrait
que le gouvernement exigeât que tous ceux qui
reçoivent un traitement au-dessus de 1500 fr. fussent
de droit abonnés au spectacle. On leur ferait , pour cela ,
uné retenue sur leurs appointemens . On pourvoierait
à l'entretien des spectacles dans les villes , par des sous
additionnels sur les impositions , lesquels ne seraient payés
que par ceux dont les revenus excéderaient une certaine
somme. Ce moyen ne ferait , je crois , qu'agraver le mal.
L'impôt que nous levons sur nous-mêmes et de notre
plein gré , pour nous procurer une jouissance , n'est pas
unimpôt , mais un échange. Je satisfais à une fantaisie ;
je n'obéis pas à une loi ; or , si l'homme a besoin de
quelque liberté , c'est sur-tout dans ses plaisirs . Dès que
vous me forcez d'acheter le superflu , vous m'ôtez le nécessaire.
Mais en revanche la seconde partie de ce chapitre
offre un plan bien conçu . M. Dumaniant voudrait qu'il
ý eût à Paris une agence centrale de tous les spectacles
de l'Empire . Ce serait une sorte de tribunal duquel ressortiraient
toutes les discussions dramatiques , et qui
ferait exécuter toutes les lois établies pour entretenir
l'harmonie dans ce vaste corps assez difficile à gouverner.
Cette agence centrale tiendrait un registre de tous
1
FEVRIER 1813 . 407
SOC
Тра
6
qui
te
1
les artistes , comédiens , chanteurs , danseurs , musiciens
, décorateurs , machinistes, etc .... Toutes ces personnes
auraient droit à une pension de retraite , et pour
cet objet on leur ferait une retenue annuelle sur leurs
appointemens. Cette dernière mesure est de la plus
grande importance. Si l'on veut donner quelque consistance
à une profession , il faut à celui qui l'exerce une
perspective de repos et non une perspective de misère
et de souffrance. L'homme qui désespère de l'avenir se
jette tout entier dans le présent ; il s'abandonne à ses
goûts , à ses penchans , à ses vices ...... et fait d'une
profession ingrate l'instrument de ses désordres .
- Le chapitre suivant offrira beaucoup d'intérêt aux lecteurs
étrangers à la partie administrative des théâtres .
Ils y apprendront quel est le nombre des comédiens
répandus sur toute la surface de l'Empire , quelle est la
situation de l'art dramatique en France. Ce chapitre renferme
des faits curieux et tout neufs pour les gens du
monde. Il est sans contredit le plus intéressant de l'ouvrage
, en ce qu'il offre des vues tout-à-la-fois utiles et
économiques . L'auteur voudrait que le gouvernement
eût à son compte vingt-quatre troupes ambulantes , dont
douze ne joueraient que la comédie et la tragédie , et
les douze autres l'opéra-comique . L'agence centrale établie
à Paris réglerait leur marche et les dirigerait sur
les villes qui seraient en état de les soutenir. Par ce
moyen , dit l'auteur , on assurerait l'existence de neuf
cent soixante-six artistes , et la dépense de ces troupes
n'excéderait pas la somme de deux millions huit cent
mille francs . Or les trois principaux théâtres de la capi
tale absorbent une somme de 3,400,000 fr.; ainsi avec
moins de dépense on donnerait des spectacles bien montés
à plus de cent cinquante villes dans l'intérieur de la
France.
: De semblables vues ne sont point dictées par l'esprit
de système , mais elles sont le fruit de la réflexion et de
l'expérience . M. Dumaniant termine sa brochure par
unedissertation sur les moyens de rendre le Conservatoire
et le théâtre de l'Odéon utiles au Théâtre-Français ,
et propose l'établissement d'un théâtre d'élèves . Je n'en
408 MERCURE DE FRANCE ;
trerai point avec lui dans les détails d'un sujet aussi délicat
et qui passe d'ailleurs les bornes de mes connaissances .
Je me contenterai de dire que son ouvrage n'est point
un ouvrage littéraire , mais purement administratif; que
sous ce rapport il m'a paru renfermer des idées qui dans
les circonstances présentes ne sont pas à négliger , et
auxquelles je me crois permis d'ajouter quelques réflexions
qui ne sont pas sans importance .
Dans les innovations , de quelque genre qu'elles soient,
il faut toujours penser à deux choses , à l'utilité et aux
convenances. Qui voit seulement le côté utile d'un projet
, ne voit qu'une vaine théorie toute prête à s'évanouir
dès qu'on veut la mettre en pratique. Les moyens phy-
'siques sont bons , mais ils se trouvent repoussés par des
forces morales auxquelles on n'avait pas songé , et les
passions humaines ne se conduisent pas au gré de la
raison et de la puissance comme des machines au gré
du mécanicien .
Voulez- vous réformer un corps ? il faut savoir quel est
l'esprit dont il est animé; sans cette connaissance préliminaire
, l'édifice que vous voudrez élever s'écroulera par
sabase.
Les comédiens forment un corps séparé dans l'ordre
social . C'est une petite société à part qui a ses lois , ses
moeurs , ses habitudes , ses préjugés , ses vices et ses
vertus . Ses passions sont vives , parce qu'elles sont toujours
mises en jeu ; ce qui est nécessaire au développement
d'un art qui vit de passions .
Il y a trois sortes d'indépendance , l'indépendance du
caractère , celle de la fortune et celle de la profession.
L'artiste a éminemment besoin de la dernière , parce
qu'elle tient à la considération publique , dont ne peut
se passer un homme qui vise à la gloire. L'artiste veut
être considéré comme homme , et l'homme comme faisant
partie de l'ordre social . Il a besoin de sa profession
pour vivre , et il veut que ses moyens d'existence soient
honorés ; sans cela il se gendarme contre le préjugé ou
l'opinion qui réprouve un état auquel il s'est voué pour
donner du pain à sa famille . Il refuse aux autres ce qu'on
lui refuse à lui-même. Son amour-propre s'irrite contre
1
FEVRIER 1813.04.11 409
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1
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l'injustice; l'indépendance naturelle de son caractère
dégénère en licence et passe souvent toutes les bornes .
faute d'avoir un état fixe qui détermine dans l'ordre
social la mesure positive de ses prétentions . Ainsi donc
enhonorant la profession des comédiens , vous lui donnez
une indépendance légale dont il ne peut passer les
limites sans tomber dans le ridicule ; mais si vous agissez
dans le sens contraire, comme certains écrivains l'ont fait,
et le font tous les jours , vous le forcerez d'usurper ce
qu'il croit lui être légitimement dû, et je ne vois pas où ,
dans ce genre , l'usurpation peut s'arrêter ...
De là sont venus la plupart des défauts tant reprochés
aux Comédiens ; de là toutes les plaintes que les auteurs
soumis à leur tribunal ne cessent d'élever contre eux .
L'amour-propre blessé a besoin de s'immoler d'autres
amours-propres . Un habitant de Saint-Domingue , homme
d'esprit , me racontait qu'il voyageait un jour avec un
de ses nègres et un mulet chargé de provisions . Le nègre
maltraitait injustement le pauvre mulet qui portait de
son mieux sa charge . Que t'a fait cette pauvre bête ,
lui dit le colon , et pourquoi la maltraiter ainsi ?-Pourquoi
, maître , répondit le nègre ; moi nègre à vous ; li
nègre à moi . Le Comédien est le nègre du public , et
par contre-coup l'auteur doit être souvent le nègre du
Comédien . Cela suit tout naturellement la marche des
passions humaines . Mais placez le Comédien dans une
autre situation , il changera de caractère ; il ne fera plus
de victimes quand il ne le sera plus lui-même ; il n'humiliera
personne quand il ne sera pas constamment
humilié , et le rapprochement qui doit exister entre l'auteur
et lui se fera sans effort et par la nature même des
choses ; car si deux hommes ont des intérêts communs
et refusent de se rapprocher , il faut qu'il y ait dans la
situation de l'un des deux quelque chose qui ne soit pas
naturel . Or , la situation du Comédien dans la société
est une situation forcée .- Quoi ! me dira-t- on , vous
voulez que la profession du Comédien soit mise au niveau
de toutes les autres ? c'est tenter ce qui n'a jamais été
fait dans aucun siècle ; c'est vouloir renverser toutes les
idées reçues depuis si long-tems . - D'autres tems amè-1
410 MERCURE DE FRANCE ,
nent d'autres opinions , quand il n'est pas question de
l'un des principes conservateurs de la société. Nos pères
ont eu leurs raisons pour dédaigner la profession du
Comédien , car je ne connais point de préjugé qui n'ait
eu à sa naissance la raison pour base. Dans l'origine ,
les Comédiens n'étaient que de misérables bateleurs ,
courant le monde et amusant la populace par des caricatures
ignobles et dégoûtantes. La licence la plus
effrénée les suivait dans leurs excursions , et leurs ames
se mettaient au niveau des personnages grossiers qu'ils
devaient représenter , et des personnages peu délicats
qu'ils devaient amuser. Il n'est donc pas étonnant qu'un
préjugé très-fort se soit élevé contre une profession qui
n'était alors qu'un vil métier ; mais depuis que le génie a
pris un vol si rapide , un essor aussi sublime , l'état du
Comédien n'a-t-il pas cessé d'être un métier ? N'est- il pas
un art qui , pour être porté à sa perfection , demande du
travail , de l'étude , et une intelligence peu commune ?
L'ame de l'acteur tend à s'élever naturellement à la hauteur
des personnages qu'il représente , et il me paraît
impossible que les plus beaux sentimens imprimés dans
sa mémoire , ne laissent pas quelques traces dans son
coeur . Aussi a-t-on vu souvent et voit-on encore sur la
scène française des hommes estimables par leur caractère
comme par leurs talens . Quoi ! je cesserais d'estimer
un homme parce qu'il débite devant moi les beaux vers
deRodogune , d'Athalie et du Misanthrope ? Et j'estimerais
l'avocat qui , par profession , défend à tour de rôle ,
labonne et la mauvaise cause; le marchand qui passe sa
vie à acheter pour revendre , dont toutes les idées ne
sortent pas de son comptoir , dont tout le savoir se borne
à son Barême , et tous les sentimens au succès d'une
spéculation ? Le Comédien , me direz-vous , est payé par
le public , et dès ce moment il en devient l'esclave ; je ne
puis estimer une profession qui l'expose aux sifflets du
parterre. A cela , je répondrai : quelle profession n'est
payée ? On ne fait rien pour rien dans ce monde. L'argent
est le buf de toutes les pensées , de toutes les
actions . L'auteur est payé , le critique payé , l'avocat
payé, le juge payé , le prédicateur même est payé. ChaFEVRIER
1813 . 411
e
3,
13
20
d4
f
5
cun reçoit un socaire plus ou moins considérable , plus
ou moins légitione. Chacun s'expose tous les jours aux
sifflets de son pulic. L'avocat est souvent sifflé hors du
tribunal , le prédicateur hors de la chaire , l'auteur dans
les journaux , le critique par ses lecteurs . Le monde est
un composé de siffleurs qui se renvoient les sons . Il est
vrai qu'on siffle l'acteur en face ; mais qui est-ce qui le
siffle ? J'ai ouï-dire que les gens d'esprit et de bon sens
m'usaient jamais d'un pareil privilége acquis à si bon
marché.
-Mais , me direz-vous , lorsque vous aurez élevé la profession
du Comédien au niveau de toutes les autres ,
aurons-nous de meilleurs acteurs ? Nous rendra-t-on les
Préville , les Lekain , les Molé? Ces hommes doués d'un
grand talentne sont- ils pas nés dans le tems où le préjugé
contre leur art était dans toute sa force ?
Oui , sans doute; mais ils ont paru à une époque où
les hommes n'avaient pas toujours le choix d'une profession,
dans un tems de calme où tous les rangs étaient
fixés par les moeurs , par les lois et l'opinion . Mais dans
le bouleversement social opéré par la révolution , toutes
les carrières se sont ouvertes à toutes les ambitions humaines
. Les hommes doués de quelqu'intelligence se
sont précipités sur ce vaste torrent qu'ils ont pris pour
le Pactole. Comment auraient-ils songé à embrasser une
profession dédaignée , lorsqu'ils croyaient voir s'ouvrir
devant eux le chemin de la fortune , des honneurs et de
la puissance ? L'art du Comédien a donc dû se voir négligé
, lorsque tant d'hommes croyaient pouvoir jouer
sur le théâtre du monde des rôles dont l'éclat ne serait
point imaginaire ; mais si cet art eût joui de quelque
considération , quelques hommes à talent ne l'auraient
pas dédaigné , et ils auraient porté dans l'espérance de
ses succès toutes leurs illusions de fortune et de gloire.
Revenons sur les idées que je viens de développer ,
et réduisons-les à quelques principes qui me semblent
incontestables . La profession du Comédien est un art.
C'estun art innocent, toutes les fois qu'il ne s'exerce
pas sur des ouvrages réprouvés par les moeurs .
C'est un art estimable , toutes les fois qu'il tend à
1
)
412 MERCURE DE FRANCEE .
élever l'ame par la peinture énergiqueste nobles sentimens
, ou à nous corriger de nos ridules et de nos
vices .
C'est donc une injustice de refuser an rang dans l'ordre
social à un homme , par la seule raison qu'il remplit
une profession innocente aux yeux de la loi .
Quoique ces vérités me paraissent évidentes , je ne
prétends point enchaîner l'opinion des autres à des principes
qui ne seraient pas d'accord avec leurs sentimens.
Me défiant de mes propres lumières , je respecte , sans
les adopter , des préjugés que le tems a consacrés , prêt
à croire à leur utilité , par la seule raison qu'ils subsistent
depuis des siècles. Cependant il m'est impossible de ne
pas penser que si l'on veut prévenir la décadence d'un
art , on doit protéger l'artiste contre la défaveur attachée
à sa profession .
Tous les jours , au contraire , nous voyons des écrivains
mettre en jeu tous les ressorts de leur esprit pour
avilir cet art auquel nous devons une jouissance noble et
délicate . Ils se font un vil plaisir de dévoiler aux regards
du public toutes ces petites passions d'un amour-propre
qu'ils s'efforcent d'irriter et que la décence devrait couvrir
d'un voile . Ils se font les instrumens de ces passions;
ils prennent fait et cause dans des querelles qu'ils devraient
ignorer . Ils s'attaquent , se déchirent et souillent
de leur fiel des journaux qui devraient être consacrés à
nous transmettre des événemens politiques d'une haute
importance , ou à nous éclairer sur les vrais principes
de la littérature et des arts . Ils tourmentent le talent ;
par eux et avec eux les acteurs se trouvent le jouet du
public. Ils emploient tous ces moyens pour courir après
la chétive réputation de gens d'esprit, qu'ils obtiendraient
plus facilement en gardant le silence . Mais moi , je leur
dirai avec une pleine franchise : de grâce , Messieurs ,
tâchez de vous respecter vous-mêmes , si vous pouvez .
De quel droit venez -vous vous initier dans le secret des
passions qui troublent une classe de la société ? De quel
droit jugez-vous les acteurs hors du théâtre ? Ce droit
que vous avez acheté en entrant , si vous l'avez conservé
lorsque vous êtes sortis , soyez généreux etn'en abusez
L
1
O FEVRIER 1813. 413
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1
e
a
1
pas. Pourquoi n'attaquez-vous pas de même les autres
classes de la société ? Pourquoi ne nous montrez-vous
pas aussi les petites passions qui la gouvernent ? Que
diriez-vous si quelqu'un dévoilait aux regards du public
toutes les prétentions actuelles des gens de lettres , leurs
manoeuvres honteuses, pour se supplanter les uns les
'autres , non dans l'espérance de la gloire , mais pour
gagner un peu d'argent? Croyez -moi ; au lieu de crier
contre des abus inséparables des choses humaines , abus
que vous agravez tous les jours par vos déclamations ,
tâchez de relever un art dont vous vous dites les appuis
et que vous ne cessez d'avilir. Prévenez sa décadence
que vous semblez redouter , et faites en sorte qu'un honnête
homme puisse au moins embrasser sans, honte une
profession que l'on peut exercer sans crime . いた。
Ces idées ne seront pas du goût de tout le monde peutêtre
; mais je n'ai point la ridicule prétention de faire
entendre raison aux petites passions humaines . Je dis ce
que je pense , parce que je le pense , n'appartenant et ne
voulant appartenir à aucune coterie littéraire , ne reconnaissant
d'autre, frein que celui de la décence et d'autre
guide que la vérité, me A.Souliπο του
NOUVEL ALMANACH DES MUSES. Un vol, in-187Prix,
St 1 fr. 80c, liet 2 fr 30 c. francde port. A Paris
chez Moronval , libraire , quai des Augustins, niho
T
Ce recueil qui compte une existence de douze an
nées , dispute , depuis son berceau , la prééminence à son
aîné . Je ne sais si ce cadet littéraire a bien justifié jus
qu'ici ses prétentions envers son frère, illustré par tant
de muses célèbres ; mais je sais qu'onaurait tort d'exiger
qu'il exhibât cette année des preuves authentiques . Il a
subitement changé d'instituteur , et a passé des mains de
M. Capelle aux mains de M. Moronval qui l'a confié à
d'autres mains encore . Ses principes d'éducation ne sont
donc plus les mêmes. Je présume que ne pouvant acquérir
à l'improviste de nouvelles richesses , il s'est vu
forcé de grossir son magasin de denrées déjà mises en
1
1
1
414 MERCURE DE FRANCE ;
circulation . Il s'est emparé du butin de MM. de Fontanes
, Ducis , Michaud, Millevoie , d'Avrigny , Victorin-
Fabre , Mollevaut , et de quelques autres . Certes , il
pouvait faire beaucoup plus mal. C'est à l'abri de ces
noms chers aux muses qu'il fait avec assurance , pour la
douzième fois , son entrée dans le monde . En effet , il
est sûr d'être bien reçu en reproduisant le beau discours
de M. de Fontanes sur la Bible :
La mer s'ouvre : Israël chante sa délivrance .
C'est sur ce haut sommet qu'en un jour d'alliance
Descendit avec pompe , en des torrens de feu ,
Le nuage tonnant qui renfermait un dieu.
Dirai-je la colonne et lumineuse et sombre ,
Et le désert témoin de merveilles sans nombre ,
Aux murs de Gabaon le soleil arrêté ,
Ruth , Samson , Débora , la fille de Jephté ,
Qui s'apprête à la mort , et parmi ses compagnes
Vierge encor , va deux fois pleurer sur les montagnes ?
)
Voilà des vers , si j'étais assez audacieux pour m'exprimer
ainsi , qui se tiennent debout , des vers frappés
sur l'enclume d'Apollon . On éprouve , en lisant tout ce
discours sur la Bible , je ne sais quelle mélancolie pieuse ,
qui vous porte à l'attendrissement , et humecte vos yeux
des larmes les plus douces.
On aime à relire aussi dans ce recueil les éloges de
Coffin qui ont mérité à juste titre à deux jeunes auteurs
une couronne célèbre que l'envie même n'a pu leur disputer.
MM. Millevoie et Mollevaut ont fait voir dans un
sujet qui semblait au premier coup-d'oeil rebelle aux
muses , qu'ils connaissaient toutes les ressources de la
langue poétique , le rhythme , le nombre et l'harmonie
imitative. On trouve plus de sentiment dans la pièce de
M. Millevoie , et plus d'élan dans celle de M. Mollevaut.
Citons de ce dernier un mouvement pleinde verve ,
aussi heureux que naturel. Il parle de Coffin :
Son fils qu'il va sauver rend sa force invincible.
Oprodige ! ce fils levant un front paisible :
FEVRIER 1813. 415
い
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1
3
D
Hommes moins forts , dit-il , que de faibles enfans,
Mon père l'a promis , nous serons triomphans ;
Obéissez , ouvrons un glorieux passage.
Il faut pourtant le dire , dans la pièce de M. Mollevaut
, parmi une foule de vers d'une attitude noble et
ferme , on en remarque quelques-uns de prosaïques et
de languissans , tels que ceux-ci , par exemple :
Entends-le traverser l'abîme du silence ,
Vois à pas lents creuser , etc.
Ces espèces de consonnances à l'hémistiche quand
elles ne font point beautés , et qu'on sent quel'auteur
ne les apas employées à dessein , dénaturent le style
poétique , et font dégénérer les vers en vers léonins..
On remarque trop de beautés dans ta pièce de M. Mollevaut
pour qu'il ne s'efforce pas d'en faire disparaître
quelques taches . On ne saurait trop répéter ce que
Voltaire, dans le Temple du Goût, dit de Boileau luimême
:
1,
Il revoit ses enfans avec un oeil sévère .
>
Parmi les noms distingués qu'on vient de citer , on
est bien aise de rencontrer celui de Malfilâtre , poëte
moissonné si jeune , et dont Laharpe a eu l'honneur de
signaler un des premiers la gloire . On lit avec plaisir sa
traduction de l'ode d'Horace : Pindarum quisquis studet
æmulari , quoique cette traduction soit en général trèsinférieure
à celle de Le Brun , surnommé peut-être avec
quelque justice le Pindare français . LeBrun est , comme
le poëte grec , décousú , désordonné ; il cherche comme
une conquête l'expression audacieuse qu'il exagère souvent
, mais il s'élève par fois à la hauteur de l'aigle
thébain. Puisque M. l'Editeur n'avait pas le choix des
nouveautés, ne pouvait-il pas mettre à contribution les
oeuvres de ce poëte lyrique ? Il eût trouvé dans ses odes ,
dans ses élégies , dans ses épîtres , dans ses épigrammes
même , une ample moisson pour son recueil. Cela ne
valait-il pas mieux que d'exhumer du porte-feuille de
leurs auteurs une foule de petits vers à prétention , dont
1
416 MERCURE DE FRANCE ;
4
le moindre défaut est d'être à la glace ? Pourquoi voler
des devises à M. Mezes ? L'éditeur a-t-il cru s'enrichir
beaucoup en imprimant les ennuyeux bouts-rimés que
ce Céladon moderne adresse à .... l'on ne sait qui , et
dont voici le début :
Allons , il est tems d'en finir ,
C'est assez nous tromper l'un l'autre ,
Vous ne sauriez plus me revenir ,
Je ne saurais plus être vôtre .
Quel ton ! quelle grâce ! quelle harmonie ! n'admirezvous
pas l'élégance de ce dernier joli vers , à moitié
marotique : Je ne saurais plus être vôtre. Déifiant une
aimable impertinence , il se console lestement des rigueurs
de sa belle en s'écriant :
Vous ne m'adorez plus , hélas !
Que voulez-vous que je vous dise ?
11
21 1.
MILIA
-Effectivement , il est difficile de trouver après cela
quelque chose à dire . Il a préféré le mot d'adorer à celui
d'aimer. Aimer , fi donc ! On n'aime qu'un provincial ,
un bon diable . Tout en grondant sa dame , qui a eu
l'imprudence de le quitter pour un rival , dit- il , plus
aimable que lui , il l'engage à ne point se plaindre de ses
mépris , sur-tout à ne pointjeter les hauts cris ; voilà
au moins qui est généreux , charitable , c'est avoir des
moeurs et des principes . Je vois que M. Mezes menace
-de recommencer Dorat , au talent près , car Dorat avait
dans son style du coloris , de l'éclat , de la fraîcheur ;
c'était , pour me servir de son langage , un papillon
poétique dont les ailes étaient bien enluminées . Je ne
-sais si le nouveau Céladon a autant de bonnes fortunes
que son devancier en avait ou croyait en avoir ; mais
je voudrais qu'en visant à l'esprit.il le rencontrât quelquefois
, et qu'en parlant de légéreté il en mît un peu
plus dans ses vers ........
D.
FEVRIER 1813 . 417
L
!
VARIÉTÉS .
REVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES ,
ET LES USAGES .
5
LES ARTS ; LES MOOEURSOR
LES COTERIES .
L'ESPRIT de coterie est tellement répandu en France ,
que pour plaire à chaque coterie il faudrait diversifier ses
couleurs comme celles du Caméléon . Tout est soumis à
son influence , depuis la jeune beauté qui entre dans le
monde jusqu'à la coquette qui est tout près de lui dire
adieu , et depuis le compilateur à la toise jusqu'au leste
écrivain qui broche sur son genou , au spectacle, pendant
que telle actrice chante ou déclame , l'article dont il doit le
lendemain régaler son public. Un pauvre diable , condamné
àmettre du noir sur du blanc , à tant la feuille , qui taille
de bonne heure sa plume , afin d'avoir plus tôt rempli sa
tâche et de pouvoir s'égayer à dîner , est triste ou gai , charmant
, ou frappé de bêtise , suivant la coterie où il est invité
. Est-il assis à la table bien servie d'une de ces nymphes
radieuses qui ne s'occupent que du soin de faire valoir leurs
charmes ? l'a-t-on placé près de ce beau diseur qui vient
de faire la toilette de son esprit ? s'il n'est le singe , le génie
de la coterie , tout ce qu'il a pensé , fait , dit ou écrit ,
n'a pas le sens commun . <<Comment ! s'écrie la dame du
logis , Monsieur trouve quelque chose dans Tipoo-
Saeb ? à moins que ce ne soit de l'ennui , je ne vois pas
ce qu'on peut y découvrir. Eh puis ! c'est une mauvaise
plaisanterie qu'un homme qui fait une tragédie , quand il
n'a jamais composé que des vaudevilles et des opéras . Il
faut le renvoyer à sa Vestale. " 4 Mais il n'est pas si à
plaindre , Madame , et bien des gens se contenteraient de
son lot. Quant à Tipoo-Saeb , on a beau le poignarder , il
ressuscite , et l'auteur peut dire comme la Mothe , qui
entendait mettre en pièces Inès de Castro : Allons à la
onzième représentation de cette mauvaise tragédie . "
-
Le lendemain , le pauvre diable d'homme de lettres est
plus heureux. « Votre article sur Mme Festa , lui dit en
grasseyant une belle qui copie une de nos plus jolies actrices
, est vraiment fort aimable ; il estplus , il est juste .
Dd
418 MERCURE DE FRANCE ,
-
Tout le monde hier chez moi en a fait l'éloge : quand vous
auriez été l'écho de ma société , vous n'auriez pas mieux
dit.n-Votre compliment me paie de l'injure que j'ai reçue
ailleurs . Madame , un croquenote , qui n'a certainement
pas vos oreilles , a jugé les miennes très-anti-musicales ,
pour avoir eu l'impudence de vanter une cantatrice dont
la voix ne comporte pas deux octaves et demie , et même ne
donne pas franchement le si bemol. J'ai entendu, pourraisje
lui répondre , des violons qui m'ont fait moins de plaisir
que des bassons et des violoncelles . L'étendue de la voix
est en raison de la musique qu'on chante . Faudra -t- il
renoncer à mon admiration pour Mme Barilli , dont les intonations
sont toujours si justes , l'organe si jeune , si frais ,
si pur , la méthode si parfaite , parce que la célèbre Catalani
a les cordes aiguës de la voix un peu plus hautes
encore que les siennes et qu'elle franchit avec plus de
rapidité peut-être l'échelle des sons ? N'estimez-vous un
virtuose que parce qu'il joue toujours sur la chanterelle ?
Il est des genres divers : plus d'un chemin mène au plaisir.
Jouissons de nos richesses sans les déprécier , et n'opposons
point une cantatrice à l'autre . Elles ont un mérite
particulier à leur organe .
,
Chacun se doit contenter de son bien ,
Toutuniment , sans se vanter de rien.
Que de coteries n'ont-elles pas croisé la lance , aiguisé
l'épigramme , depuis le fameux débat entre Mile Mars et
Mie Levert ? La société a ses petites guerres , ses carrousels
et ses tournois ; elle aime à distribuer les couronnes . C'est
même un chagrin pour elle que la lutte entre nos deux
héritières de Thalie se soit aussitôt terminée . C'est un aliment
qui lui manque , il faudra s'en créer un autre . Quoi
qu'il en soit , Mlle Mars , au jugement de toutes les coteries
, toujours sûre par son talent d'être la reine des
ingénues , cède dans cet emploi son droit d'aînesse , pour
prendre le sceptre des coquettes. Mlle Levert , devenue
souveraine dans les ingénuités , sseedispose à faire respecter
les droits de sa couronne , et malheur aux princesses qui
voudront contester sa puissance , et ne pas lui rendre foi
ethommage . On parlait , il a quelques jours , au foyer de
Feydeau , du contrat définitif passé entre Miles Mars et
Levert ; on s'échauffait , quand un merveilleux d'un de nos
théâtres dit à l'oreille d'un autre merveilleux de ses amis :
" On n'y conçoit plus rien; de quoi se mêle donc lepublic ?»
D. D.
ya
FEVRIER 1813. 419
Π
The
25
10-
Π
SPECTACLES . Opéra-Séria. - Roméo et Juliette .
Nous nous croyions menacés de ne pas entendre Mm
Sessi de deux mois encore. Elle a reparu dans Roméo et
Juliette avec plus d'éclat que jamais. Les spectateurs
s'étaient portés en foule à l'Odéon; et par l'accueil qu'elle
a reçu on aurait pu croire que c'était un jour de début pour
elle . Mme Sessi est une de ces cantatrices qui ne sollicitent
pas , mais qui arrachent l'applaudissement. Quand elle ne
se jette point dans ces écarts réprimés par le goût , l'admirer
à demi serait presqu'une insulte ; mais son ambition
parfois l'égare : elle veut trop souvent franchir les
limites de son art , et chanter , pour ainsi dire , d'inspiration
. De pareils défauts n'appartiennent qu'aux trèsgrands
talens , et à moins qu'on ne soit descendu en droite
ligne du roi Midas , on ne peut nier que Mme Sessi ne
soit une excellente virtuose . Dans ce second acte de
Roméo et Juliette , formé d'une seule scène , et dont la
catastrophe est si dramatique , elle a su fondre avec adresse
les teintes délicieuses du sentiment et les déchiremens du
désespoir ; ce chant mélancolique et , si j'ose m'exprimer
ainsi , tout mouillé de larmes , navre et attendrit tour-a-tour
le coeur. Que le jeu de Mm Sessi n'est- il égal à son organe !
La surprise , le saisissement , ce froid mortel qui doit se
répandre sur tous les membres de Roméo , à l'apparition
subite de Juliette , tout ce concours d'expressions terribles ,
exigerait , pour être bien rendu , le talent de l'acteur le plus
énergique et le plus versé dans son art. Je ne connais que
Talma qui fût à la hauteur d'une situation semblable .
Mme Sessi a été bien secondée par Mme Neri. Cette
jeune cantatrice fait des progrès visibles . Son début dans
l'Opéra-Séria est une bonne fortune pour elle et pour nous .
Il nous apprend que sa voix se prête également aux deux
genres ; elle a de l'éclat , de la légèreté et de la force. On
ne saurait trop cependant recommander à Mme Neri de ne
point se laisser entraîner au désir de risquer des choses
trop au- dessus de ses moyens , de marteler moins ses roulades
, et sur-tout de perfectionner ses cadences qui dégénèrent
quelquefois en chevrottemens. Du reste , Mme Neri
justifie pleinement les espérances qu'elle a données. Son
talent qui fleurit à peine , promet à son été de la gloire et
des jouissances , et puisse-t-on lui répéter un jour le vers
de Malherbe !
Et les fruits ont passé la promesse des fleurs .
D. D.
420 MERCURE DE FRANCE ,
SOCIÉTÉS SAVANTES.
Programme des prix proposés par l'Académie de dessin ,
peinture , sculpture et architecture de la ville de Gand ,
pour le concours de 1814 ; précédé d'une notice sur les
vainqueurs aux concours de 1812 .
DIX tableaux ont été présentés au Concours d'Histoire de 1812 ,
dont le sujet était : Virgile lisant le VIe livre de l'Enéide à Auguste
en présence d'Octavie et de Julie ; les artistes -juges , après avoir
honoré d'une distinction particulière quatre tableaux parmi ceux qui
étaient exposés , ont adjugé le prix à celui qui portait pour épigraphe :
S'occuper , c'est savoirjouir.
A l'ouverture du billet joint au tableau , on a reconnu que l'auteur
était M. F. J. Navez , de Charleroi .
1
Le tableau portant pour marque trois *** , et indiqué dans la notice
G. 179 , est celui qui a obtenu le plus de voix après le tableau couronné.
Seize tableaux ont été présentés au Concours du Paysage ; le prix
a été remporté par M. J. B. Dejonghe , de Courtrai .
L'accessit a été accordé à M. Ducorron , d'Ath .
1
Mention honorable a été faite des tableaux de M. Paul Joseph
Noël , de Wausort , et de M. Henry Voordekkers , de Bruxelles .
L'Académie avait proposé pour prix de Sculpture le buste de Gaspar
Craeyer , peintre flamand . Ce prix a été remporté par M. J. В.
Depauw , de Termonde.
Celui d' Architecture , dont le sujet était une Bourse pour la ville de
Gand , a été adjugé à M. J. B. Debaets , d'Everghem , et celui du
Dessin , d'après l'Achille de la galerie des antiques , à M. P. Van
Hanselaere , de Gand , actuellement élève de M. David , à Paris .
M. le Maire de Gand ayant proposé un prix pour la meilleure
esquisse sur la Naissance de S. M. le Roi de Rome ce prix a été
remporté par M. J. Bailly , de Gand , membre de la Société des
Beaux- Arts .
L'esquisse portant pour marque : une louve allaitant un enfant , et
indiqué dans la notice sous le No 198 , est celle qui a obtenu le plus
de voix après l'esquisse couronnée.
La direction de l'Académie propose les sujets suivans :
I. Pour le prix du tableau d'Histoire :
SACRIFICE D'ABEL . Abel offre un sacrifice à Dieu , Cain , déjà
dévoré dejalousie , survient etfrémit .
Conditions .- 1º . Le tableau n'offrira que deux figures .
FEVRIER 1813. 425
E
F
B
2º. Les figures auront la grandeur de demi-nature.
Le prix sera de huit cents fr . et d'une médaille d'honneur .
II. Pour le prix de Sculpture :
Le buste de David Teniers ( le fils ) .
Le buste sera de grandeur naturelle en terre cuite , ousjeté en
plâtre.
L'Académie honorera d'une médaille d'argent celui qui remportera
le prix . :
III . Pour le prix du Paysage : .....
Site boisé ; soleil de la mi-septembre vers trois heures après -midi .
Conditions . - 10. Sur le devant , à gauche du spectateur, un terrain
sablonneux , entrecoupé de grands arbres ; au-delà , une chapelle
à l'entrée d'un bois . Ces conditions sont de rigueur.
20. Sur la droite et dans le fond , des plaines ou des collines
quelques habitations et des figures . Toute cette partie est laissée au
choix du peintre .
し
3º. Le tableau aura au moins 65 centimètres de large sur 50 centimètres
de haut .
Il sera accordé à l'artiste qui remportera le prix , une somme de
trois cents vingt francs , et une médaille d'honneur.
IV. Pour prix d'Architecture :
Le projet d'Une Halle aux toiles pour la ville de Gand , à construire
sur un terrain isolé .
>
Conditions . 19. La profondeur de ce monument est fixée à 40
mètres , et sa longueur à 70 mètres. Ce dernier côté qui formera la
façade principale , donnera sur une place publique faisant un parallélogramme
de 100 mètres.
2º . La profondeur et la longueur déterminées dans l'article précédent
, sont de rigueur ; toutes saillies d'avant- corps , de marches ou
autres , devront y être comprises .
3º. Les concurrens ont la liberté la plus entière de projeter ou de
ne pas projeter de soubassement , ou de travailler de toute autre manière
qu'ils jugeront convenable .
4°. Il sont tenus de fournir le plan de chaque étage qu'ils se proposeront
de construire , et d'y joindre l'élévation de la façade principales
, et celle d'une des façades latérales ; en outre la coupe du bâtimentmême
, sur telle ligne qu'ils préféreront choisir (1 ) .
(1 ) Pour donner aux Concurrens une idée précise de l'emploi de ce
bâtiment , on fera observer que les toiles sont une des principales
branches du commerce de cette ville .
Onprésente chaque jour de marché environ 2000 pièces . Les toiles,
422 MERCURE DE FRANCE ,
Celui qui remportera le prix , recevra la somme de trois cents fr .
et une médaille d'honneur .
Tous les artistes , domiciliés dans l'Empire français , sont invités à
concourir pour les prix proposés dans les IV articles précédens .
V. La direction honorerad'une médaille d'argent celui des élèves
ou anciens élèves de l'Académie qui aura fait le meilleur dessin
d'après la Diane à la biche du Muséum des antiques .
Les noms des vainqueurs et le sujet du concours seront gravés sur
chacune des médailles d'honneur .
Conditions générales des Concours .
1º . Tous les tableaux , bustes , dessins et plans d'architecture ,
seront remis frano de port avant le 19 juillet 1814 , au sieur Verplancke
, concierge de l'Académie , rue Sainte-Marguerite ,
20. Aucun artiste ne mettra son nom , ni sur les tableaux , ni sur
les bustes , dessins et plans d'architecture ; mais il fera sur un morceau
de papier collé sur les pièces , une marque quelconque , qu'il
aura soin de répéter sur un billet cacheté , contenant son nom et sa
demeure , et joint à son envoi .
3º. La direction rendra tous les tableaux , bustes , dessins et plans
d'architecture , à l'exception de ceux qui remporteront les prix .
Ceux- ci resteront à la disposition de l'Académie .
3
Salon d'Exposition .
:
Conditions générales ,- Art. 1. L'ouverture du Salon d'Exposition
se fera le lundi 26 juillet , à neuf heures du matin , dans la grande
salle du Muséum aux Augustins , sous l'agrément de M. l'Auditeur
préfet du département , et sous celui de M. le Maire de la ville.
3. Le Salon sera ouvert pendant trois semaines , le matin depuis
neufheures jusqu'à midi , et après midi depuis trois heures jusqu'à six .
avant d'être exposées en vente , sont timbrées , afin d'en constater la
largeur ; et après avoir été vendues , elles sont mesurées .
Il est encore à remarquer qu'à l'occasion de certaines fêtes publiques,
et dans la vue d'encourager la fabrique des toiles indigènes .
P'administration décerne des prix publics aux tisserands qui , dans
l'exposition de leurs toiles , ont été jugés avoir mérité cette distinction.
Ainsi donc , outre le local approprié au marché proprement dit ,
le monument devra contenir :
10. Une salle où les toiles sont timbrées .
20. Une ou deux salles où les toiles sont mesurées .
30. Une salle consacrée à l'exposition publique , et à la distribution
des prix.
FEVRIER 1813 . 423
3. On y recevra toute espèce de production des arts du dessin
peinture , sculpture , gravure et architecture , faite par des artistes
vivans.
4. Les tableaux , bustes , dessins et plans d'architecture , envoyés
au Concours , y seront également exposés .
T
5. Les artistes qui soutiennent par leurs talens la gloire de l'école
flamande , seront invités à venir juger les pièces envoyées au
Concours.
,
6. Le jugement sera prononcé le premier dimanche ( rer août ) ,
après l'ouverture du Salon ; les vainqueurs seront solennellement
proclamés , et les prix distribués le jour suivant à l'Hôtel-de-Ville ,
en présence des autorités constituées , et de MM. les juges du
Concours.
7. Toutes les pièces envoyées , soit pour le Concours , soit pour
l'exposition , resteront au Salon jusqu'à la fin de l'exposition ,
8. Les artistes qui veulent faire exposer des productions de l'art au
Salon, sont invités d'écrire , franc de port , au moins dix jours avant
l'ouverture , à M. P. F. De Goesin-Verhaeghe , imprimeur-libraire
et ancień professeur de l'Académie , rue Hautport , no 229 , et de
lui envoyer une note contenant leur nom et leur demeure , le nom
de leur maître , s'ils désirent qu'il en soit fait inention dans le livre
d'indication , les dimensions de leurs tableaux , et une description
succincte de ce que ceux-ci représentent.
9. Toutes les pièces devront être envoyées à l'adresse du Sr. Verplancke
, au moins huit jours avant l'ouverture de l'exposition. Cette
époque est de rigueur.
10. On aura tout le soin possible pour la conservation des pièces
envoyées au salon ; à cette fin un des directeurs de l'Académie restera
au salon pendant tout le tems de l'exposition . On donnera à cet
égard toute assurance aux artistes , sans pouvoir cependant répondre
des événemens imprévus.
2
II. Tous les frais de transport restent à la charge de ceux qui
enverront au salon.
12. Chaque artiste fera connaître de quelle manière il désire que
ses tableaux ou autres productions lui soient renvoyés .
Fait en séance de la direction , le 26 décembre 1812 .
} J. DELLAFAILLE , président.
N. CORNELISSEN , secrétaire honoraire
POLITIQUE.
LES nouvelles d'Allemagne ne contiennent que des détails
sur la marche des divisions et des corps qui traversent
les Etats de la Confédération pour se rendre aux destinafions
qui leur sont assignées . On écrit d'Hambourg que le
comte Lauriston a passé la revue du corps d'observation
de l'Elbe , stationné depuis Wesel jusqu'à Hambourg , et
qu'il a été extrêmement satisfait de la conduite, de l'esprit,
de l'instruction et de l'ardeur qui caractérisent les troupes
dont ce corps est composé. Les lettres de Posen en date
du 8 portent que le quartier-général du prince vice-roi y
était toujours établi, et que les têtes de colonnes des troupes
attendues de divers points y arrivaient. Une épidémie
affreuse ravage les troupes russes à Kænisberg et dans les
environs dévastés par leurs troupes irrégulières .
1.1 En Espagne , un nouveau d'Assas s'est montré dans les
rangs de l'infanterie française . Le 9 février un parti d'insurgés
débarqués près du bouton de Roses ont pénétré par
le poste nº 2 de ce fort . Parvenus à la sentinelle du poste
principal et de la caserne des grenadiers , ils s'élancent
sur elle et lui disent en français : tais -toi , il ne te sera
pointfait de mal. Le brave soldat crie aussitôt aux armes ,
et tombe percé de coups . Ses cris avaient été entendus , et
sa mort n'a été ni sans fruit , ni sans vengeance ; la garnison
est accourue de tous les points de la place , et les Espagnols
ont été chassés avec une perte très-considérable.
D'autres tentatives ont été également faites sur les côtes
de la Catalogne ; les troupes aux ordres du général Decaen
les ont partout rendues vaines .
CA 16 ::
Nous avons parlé de l'effet produit en Angleterre par la
lettre de la princesse de Galles au prince régent. L'opinion
publique est vivement partagée à l'égard des différends qui
règnent , entre les deux époux , et l'objet actuel de la contestation
est l'éducation de la princesse . L'article suivant ,
extrait du Courier , met très-bien au courant de l'état de la
question , et désigne clairement les partis qui se prononcent
en cette circonstance délicate .
MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813. 425
L
1
Le but de la lettre de la princesse de Galles , dit le
Courier , est plutôt de tâcher d'acquérir de l'influence sur
l'esprit de l'héritière présomptive de la couronne , que de
se plaindre d'avoir été calomniée . Quoique ces plaintes
tiennent une grande place dans la lettre , il est évident
qu'elles n'étaient pas l'objet qu'on avait en vue en l'écrivant.
Les calomnies dont il s'agit avaient eu lieu depuis
long-tems , sans que la princesse les eût relevées personnellement
d'une manière publique ; et il n'est rien survenu
de nouveau qui rende plus nécessaire actuellement de les
réfuter ; mais dès qu'on a prévu que les communications
avec sa fille seraient moins fréquentes , et qu'il en résulterait
une diminution d'influence sur son esprit , on a prétendu
que leur réfutation était devenue indispensable.
D'après la conduite de ses partisans , il est àpprreéssuunmerque
la princesse considère la publicité de ces calomnies comine
la plus terrible menace qu'on puisse faire au prince , et
qu'elle se flatte de réussir par ce moyen à lui faire trahir
le devoir que lui impose la constitution , en abandonnant
l'éducation de la fille à la mère , à une étrangère . Cette
même menace a- t-elle été employée jusqu'ici avec assez de
succès , pour qu'on en espère tant aujourd'hui?
,
» On tâche donc et l'on tâchera de s'emparer de la jeune
princesse ; et nous pouvons prévoir quels seront les gens
qui s'enrôleront dans cette lutte vu que les premiers qui
se sont montrés sont sir Francis Burdett , M. Whitbread
et le rédacteur du Morning-Chronicle . Le premier doit
faire un motion pour faire déclarer que la fille est en état
de gouverner , et pour lui faire accorder une maison. Par
ce double moyen , on la mettrait tout-à -fait à la portée de
la mère . Le second a laissé échapper quelques menaces
relativement à la mère ; et le troisième a avancé qu'il convenait
que la fille fût introduite dans le monde , situation
qui l'exposerait à être corrompue par le premier factieux
qui saurait la flatter. Telle a été la première esquisse du
plan en faveur duquel la princesse de Galles se montre à
présent en personne. Ce plan a pris entièrement naissance
dans le parti de l'opposition , et a été renouvelé de jour en
jour par les gazettes de ce parti , en haine du prince pour
ne leur avoir pas donné les places du gouvernement, et
dans l'espérance probablement de l'y forcer , ainsi que le
fit M. Perceval , en épousant la cause de la princesse : car
les gens de ce parti prétendent que le prix de la suppression
du livre fut un changement de ministère ; calomnie
426 MERCURE DE FRANCE ,
1
absurde , qui n'eut jamais le moindre fondement raisonnable
, ni même l'ombre du sens commun.
,
» Mais il faut tâcher de s'emparer de la jeune princesse.
La mère ne pouvant régner comme épouse du régent , se
flatte d'acquérir tout autant d'autorité , et beaucoup de
moyens de se venger , en devenant la directrice de notre
future souveraine. Dans sa position actuelle , la princesse
mère est à peine digne de l'attention d'un parti politique ;
mais le parti de l'opposition se prosternerait devant elle
si elle tenait dans ses mains notre future souveraine . Elle
pourrait alors se mettre à la tête de la confédération des
grandes familles , et s'entourer d'une cour , sous prétexte
de mettre sa fille à même de connaître le monde et d'étudier
les hommes . Dans une position aussi relevée , la
princesse-mère rivaliserait les ministres en autorité , et
effacerait par sa splendeur la cour du régent. Ce n'est qu'en
empruntant du lustre , soit du père , soit de la fille , qu'elle
peutbriller.
-
>>L'effet que cette lutte peut produire sur la jeune princesse
a de quoi nous alarmer. Si elle lit les gazettes , son
caractère ne peut manquer d'être altéré . En s'apercevant
qu'on fait tant de bruit à son sujet , il est bien difficile
qu'elle ne désire pas avec quelqu'impatience de jouir au
plus tôtde l'autorité, et ne regarde pas comme ses ennemis
personnels les personnes qui la tiennent séquestrée de la
société. Quand nous parlons de l'autorité , nous ne voulons
pas dire l'autorité publique , le gouvernement , mais seulement
l'autorité exercée sur la société. Il y a quelques années
que la jeune princesse fut conduite à une foire près de
Londres . Tous ceux dont elle fut entourée la regardèrent
avec admiration, et lui témoiguèrent les plus grands égards
et le plus grand respect . La princesse prit à cela le plus
grand plaisir , ainsi que l'aurait fait tout autre enfant en
pareil cas . Quelques jours après , on lui fit faire une promenade
dans le même lieu , après que la foire fut terminée;
et s'adressant alors aux personnes qui l'accompagnaient ,
elle leur dit avec un air de chagrin manifeste : « Il n'y a
aujourd'hui ici personne pour me regarder. » C'est ainsi
qu'elle a témoigné de bonne heure ( il y a cinq ou six années
) , et sans doute bien avant encore , qu'elle sentait son
importance personnelle , et qu'elle prenait plaisir à être admirée
. Nous ne voulons pas dire que ces sentimens chez
elle aient rien de particulier. Tout autre enfant aurait fait
comme elle ; mais puisque telle est la nature humaine , le
FEVRIER 1813 . 427
t
1
-
danger qu'il y a de lancer dans la société une jeune princesse
de si grande espérance est évident et incalculable .
Parmi les pères et les mères qui ont eu des enfans parvenus
àl'âge de vingt ans , ily en aura peu qui nous contestent la
vérité de cette assertion ; savoir : qu'une jouissance précoce
de l'autorité mène ordinairement la jeunesse à sa perte!
Dans les livres et dans sa société particulière , la jeune
princesse apprendra mieux à connaître le monde et les
hommes , qu'elle ne pourrait le faire dans les cercles et les
bals. Quant à ses manières , il est moins nécessaire de s'en
occuper. On acquiert des manières aisées par l'habitude
d'être continuellement en bonne société , et par le senti
iment intérieur de sa propre importance . Quant à son im
portance personnelle , la jeune princesse ne peut l'ignorer;
la confiance et l'aisance ne lui manqueront donc pas . Et
quant à ce qui concerne la bonne société , certainement on
peut s'en rapporter à la reine et à ses filles , autant qu'à la
princesse de Galles et à lady Charlotte Campbell. La reine
s'est montrée constamment comme une femme attachée à
ses devoirs , tendre et soumise , dans plusieurs occasions
délicates : la princesse de Galles vit séparée de son mari ,
et l'accuse publiquement dans une lettre de se conduire
envers elle de manière à accréditer tous les soupçons que
lamalice peut suggérer , tandis qu'elle est irréprochable , et
qu'il le sait. La future souveraine de ce royaume doit-elle
être élevée dans l'habitude et la douceur des moeurs domestiques
, ou livrée aux conseils de l'arrogance et aux
intrigues politiques ? telle serait la question qu'on aurait à
décider , si nous pouvions oublier que la constitution a
imposé au souverain l'important devoir d'élever sa fille de
la manière qu'il juge la plus convenable . Dans ces circonstances
, le public doit déplorer vivement les discussions
quiont lieu actuellement à ce sujet , discussions qui ont
été entamées par le parti de l'opposition , et sont à-présent
soutenues par la princesse mère en personne ; vu qu'elles
sont capables d'égarer l'esprit et d'enflammer les passions
d'une jeune princesse aussi aimable que l'est la princesse
Charlotte, dans un âge où la raison n'est pas ordinairement
aussi puissante que le désir .
Cette affaire n'occupe pas seulement l'opinion et les
journaux; les ministres en font l'objet de sérieuses et longues
conférences . Depuis la publication de la lettre de la
princesse , ils se sont assemblés tous les jours deux fois , à
onzeheures du matin, et à dix heures du soir ; ces heures
:
438 MERCURE DE FRANCE ,
,
sont celles qui les empêchent le moins de vaquer à leurs
autres occupations , soit ministérielles soit parlementaires
. On continue à consulter les jurisconsultes de la couronne
. Une madame de Lisle qui a déjà concouru dans
l'enquête royale , appelée généralement l'enquête délicate ,
a été de nouveau mandée par les ministres , pour être
examinée et interrogée sur la conduite de la princesse de
Galles.
La question de savoir si la compagnie des Indes-Orientales
conservera son privilége , continue aussi d'occuper les
esprits ; les lettres pour ou contre ce privilége se succèdent
avec rapidité dans les journaux. Cette question élevera incessammentdes
débats parlementaires d'un très-haut intérêt .
Unegrande et solennelle récompense vient d'être décernée
par l'Empereur à M le maréchal Ney , duc d'Elchingen ;
il est créé prince . Voicila lettre que S. M. a daigné adresser
à cet égard au Sénat :
" SÉNATEURS , nous avons jugé utile de reconnaître par
des récompenses éclatantes les services qui nous ont été
>>rendus , spécialement dans cette dernière campagne, par
>>notre cousin le maréchal duc d'Elchingen .
» Nous avons pensé d'ailleurs qu'il convenait de consa-
* crer le souvenir honorable pour nos peuples , de ces
> grandes circonstances où nos armées nous ont donnédes
> preuves signalées de leur bravoure et de leur dévouement,
» et que tout ce qui tendrait à en perpétuer la mémoire
> dans la postérité était conforme à la gloire et aux intérêts
> de notre couronne .
27
>>Nous avons en conséquence érigé en principauté , sous
le titre de principauté de la Moskowa , le château de
Rivoli , département du Pô , et les terres qui en dépen-
» dent, pour être possédées par notre cousin le maréchal
> duc d'Elchingen et ses descendans , aux clauses et con-
» ditions portées aux lettres -patentes que nous avons
> ordonné à notre cousin le prince archichancelier de l'Empire
de faire expédier par le conseil du sceau des titres .
Nous avons pris des mesures pour que les domaines
> de ladite principauté soient augmentés de manière àce
que le titulaire et ses descendans puissent soutenir digne-
>>ment le nouveau titre que nous conférons , et ce , au
» moyen des dispositions qui nous sont compétentes .
Notre intention est , ainsi qu'il est spécifié dans nos
" lettres-patentes , que la principauté que nous avons érigée
FEVRIER 1813 . 429
1
➤ en faveur de notre dit cousin le maréchal duc d'Elchin-
» gen , ne donne à lui et à ses descendans d'autres rangs
>>et prérogatives que ceux dont jouissent les ducs parmi
> lesquels ils prendront rang selon la date de l'érection du
» titre . "
Donné au palais des Tuileries , le 8 février 1813 .
Signé, NAPOLÉON .
Par l'Empereur ,
Le ministre secrétaire-d'Etat ,
Signé , le comte DARU.
Dimanche dernier ont été présentés au serment qu'ils
ont eu l'honneur de prêter entre les mains de S. M. l'Empereur
et Roi , savoir : :
Par S. A. S. le prince archi-chancelier de l'Empire ,
M. le comte de Saint-Sulpice , gouverneur du palais de
Fontainebleau ; M. le baron de Flahaut , général de brigade
, aide-de-camp de S. M. l'Empereur.
Par S. A. S. le prince archi-chancelier , en l'absence du
prince vice- connétable , M. le baron de Fézensac , colonel
du 4º régiment d'infanterie légère ; M. Lamarre , colonel
du génie , membre du comité des fortifications .
Par S. A. S. le prince archi-chancelier de l'Empire ,
M. Bouchard , procureur-général en la cour impériale de
Poitiers ; M. Bouvier , procureur-général en la cour impériale
de Besançon ; M. Daniels , procureur-général en la
cour impériale de Bruxelles .
L'Empereur a présidé plusieurs fois le conseil-d'Etat.
Mercredi , il y a eu conseil des ministres . Le même jour
S. M. était sortie à cheval et sans suite , et elle est rentrée
par le Jardin des Tuileries , où la foule s'est pressée sur
son passage , et l'a saluée par de vives acclamations ; les
mêmes acclamations ont suivi l'Impératrice dans ses promenades
, où elle est accompagnée de son auguste enfant
sur la terrasse du Jardin , que le public ne nomme plus que
la terrasse du Roi de Rome .
Les séances du Corps-Législatif ont été consacrées à des
élections d'ordre intérieur. Parmi les candidats présentés
pour la présidence , S. M. a daigné choisir M. le comte de
Montesquiou .
Jeudi , S. Exc . le Ministre de l'intérieur, accompagné de
M. le comte Molé et de M. le comte La Valette, conseillers
430 MERCURE DE FRANCE ;
d'Etat , a présenté l'exposé de la situation de l'Empire.
Nous ne pouvons faire connaître encore ce travail important
, dont , au moment où nous écrivons , la publication
officielle n'a pas encore été faite . Nous nous bornerons à
dire que S. Exc. a présenté le tableau des améliorations
qu'ont éprouvées en 1811 et 1812 la population de l'Empire
, son industrie , la culture des terres , toutes les
branches de l'agriculture , les manufactures et les arts .
S. Exc. a établi des calculs comparatifs sur les produits
actuels de notre sol et de notre industrie avec ceux de
l'ancienne France avant 1789 , et elle a démontré par les
calculs la supériorité toujours croissante de la circulation
intérieure et des exportations . Les grands travaux qui s'exécutent
dans l'intérieur , et les travaux maritimes qui se
continuent avec persévérance , ont aussi été décrits par le
ministre , dont le discours , ainsi que la réponse du président
, ont excité les plus vives acclamations . S......
,
ANNONCES.
Chefs-d'oeuvre d'éloquence chrétienne , ou Sermons de Bourdaloue,
Bossuet , Fénélon , Massillon , sur la vérité de la religion. Deux
vol. in- 12 . Prix , 6 fr. Cet ouvrage se vend à Paris , à la librairie
de la Société Typographique , place Saint-Sulpice , nº 6 ; chez Lenormant
, imprimeur-libraire , rue de Seine , nº 8 ; Blaise , quai des
Augustins , nº 61 ; et Fantin , même quai , nº 55 .
Le plus grand nombre des Sermons qui forment ce recueil sont de
Bourdaloue ou de Massillon.
Il semble d'abord qu'il est fort difficile de faire un choix dans les
ouvrages de ces grands hommes dont le nom est devenu parmi nous
celui de l'éloquence même , et dont presque tous les discours sont
autant de chefs -d'oeuvre .
S'il est arrivé , néanmoins , que ces grands hommes se soient quelquefois
surpassés eux-mêmes , on peut assurer que c'est dans les
sublimes discours où ils ont exposé les preuves de la religion . Qu'il
nous suffise , pour en donner un exemple , de citer la passion de
Bourdaloue sur la divinité de Jésus- Christ , et le sermon de Massillon
sur le même sujet , qui passent pour leurs chefs-d'oeuvre. (Voyez
pages 99 et 202 , tome II de ce recueil . )
On pourrait également citer le sermon de Massillon sur la vérité
d'un avenir, où l'évêque de Clermont combat les athées et les maté-
A
FEVRIER 1813 . 43г
rialistes. « Aucun écrivain , dit M. de Laharpe en parlant de ce
>> discours , ne les a plus éloquemment combattus. » Onpourrait
ajouter : ni plus solidement , et faire remarquer que les plus beaux
traités sur l'immortalité de l'ame , ne renferment ni de plus fortes
preuves , ni en plus grand nombre que celles qui sont exposées d'une
manière si sublime dans ce discours incomparable . ( Voyez tome I ,
page tre de ce recueil.)
Un recueil de discours sur de si importans sujets , réunit donc un
double avantage en offrant tout à-la- fois les monumens les plus durables
de l'éloquence , et les plus sublimes apologies de la religion .
Sous l'un ou l'autre de ces rapports , ce recueil convient à bien des
lecteurs , et sous tous les deux aux jeunes gens , d'une manière plus
spéciale.
N. B. Il a été adopté , par l'Université impériale , comme livre
qui peut être donné en prix dans les Lycées et les Colléges .
Arnoldiana , ou Sophie Arnould et ses Contemporaines ; Recueil
choisi d'Anecdotes piquantes , de réparties et de bons mots de Mlle
Arnould , actrice de l'Opéra ; précédé d'une Notice sur sa vie et sur
l'Académie Impériale de Musique ; par l'auteur du Biévriana , avec
cette épigraphe : Son coeur n'eut jamais part auxjeux de son esprit.
Un vol. in- 12 de 380 pages , orné du portrait de Mile Arnould , gravé
au pointillé par M. Bourgeois de la Richardière , d'après le tableau
de Latour , peintre du Roi. Prix , 3 fr. 50c. , et 4 fr . 50 c. franc de
port . Chez Gerard , libraire , rue Saint-André-des-Arcs , nº 59:
Traité de Vaccination avec des Observations sur lejavart et la
variole des bêtes à cornes ; par le docteur Louis Sacco , médecin-chirurgien
, directeur-général de vaccination , premier médecin du grand
hôpital de Milan , etc .; traduit de l'italien par Joseph Daquin, docteur
en médecine de l'Université de Turin , médecin des hôpitaux
civils de Chambéri , etc. Seconde édition . Un vol. in-80. Prix , 7 fr . ,
et 9 fr. franc de port. Chez Michaud frères , libraires , rue des Bons-
Enfans , nº 34.
Epître d'Héloïse à Abeilard , nouvellement traduite de l'anglais ,
de Pope. Brochure in-8° . Prix , I fr. , et 1 fr. 25 c. franc de port .
Chez le même .
Propositiones medicæ et philosophicæ , ou Théorêmes de médecine,
de chirurgie et de philosophie d'après l'observation et les auteurs
anciens et modernes ; par J.-B. Guyonnet-Sénac , docteur en médecine
de la faculté de Paris , professeur de médecine légale , de ma-
2
432 MERCURE DE FRANCE , FEVRIER 1813 .
tière médicale et de chimie. Brochure in- 40. Prix , 75c. , franc de
port. Chez l'auteur , rue du Bouloy , nº 18.
: Les Deux Educations , ou le Pouvoir de l'Exemple ; par Mme Derenneville
, auteur de la Mère- Gouvernante . Un vol . in- 12 , avec six
jolies gravures . Prix , a fr . 50 c. , et 3 fr . 25 c. franc de port ; avec
les gravures coloriées , 3 fr . , et 3 fr . 75 c. franc de port. A la librairie
d'éducation et de jurisprudence d'Alexis Eymery , rue Mazarine
, nº 30 .
Le Dernier Ballon , ou Recueil de Chansons et autres poésies nouvelles
d'Armand Gouffé , pour faire suite aux trois volumes déjà
publiés par le même auteur sous les titres suivans : Ballon d'Essai ,
Ballon Perdu , Encore un Ballon . Un vol. in- 18 , figure . Prix , I fr.
80 c. , et 2 fr . 20 c. franc de port . Chez Delaunay , libraire , Palais-
Royal , galeries de bois , nº 243 .
Alexina , on la Vieille tour du Château de Holdheim ; par l'auteur
d'Orfeuil et Juliette , d'Eugenio et Virgina. Quatre vol. in -12 .
Prix , 8 fr . , et 10 fr. franc de port. Chez Renard , libr. de S. A. I.
Madame la princesse Pauline , rues de Caumartin , nº 12 , et de
l'Université , nº 5 .
L'Abbaye de Saint- Oswithe , par l'auteur d'Ethelwina ; traduit de
l'anglais par Mme de M ...... 1. Deux vol . in-12 . Prix , 4 fr . 50 c . ,
et 5 fr. 50 c. franc de port. Chez le même.
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois. ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger. )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et del'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure ,
àParis.
N
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
N° DCVII . -
1
Samedi 6 Mars 1813 .
POÉSIE .
Fragmens inédits qui doivent être ajoutés à la seconde
édition (1 ) d'un Essai didactique sur les genres dont
Boileau n'a point fait mention dans son Art Poétique (2) .
م
PREMIER FRAGMENT .
La lecture de salon : Episode.
Muse , dis-nous pourquoi . gonflés d'an vain encens ,
Tant d'illustres rimeurs dédaignent le bon sens ?
Le triomphe d'Arcas (3) en nos salons s'apprête :
Ses vers , loués d'avance , ont promis une fête ;
706
(1) Cette édition paraîtra sous peu de tems.
(2) Voyez le compte que l'on a rendu de cet ouvrage , Mercure da
30 novembre 1811 , Nº DXLI , p . 397 . )
(3) L'auteur attaque un travers général , et ne désigne personne
enparticulier.
Ee
434 MERCURE DE FRANCE ,
Il suspend à sa voix les auditeurs émus ,
Encor tout échauffés des vapeurs de Comus ;
Le récit est spectacle , et le cercle se presse :
Déjà s'étend au loin l'épidémique ivresse ;
Un fat , qui ne sait rien , prompt à juger de tout ,
S'écrie : « Il est divin ; je suis homme de goût ; »
Modeste avec orgueil , l'auteur sourit ; les Belles
Vantent , en minaudant , ses grâces naturelles :
Bientôt sa voix s'élève , avec un art nouveau
Il fait briller le trait qu'il désigne aux bravo ;
Aleur bruit complaisant , qui croît dans sa vitesse ,
Tout s'émeut; j'applaudis , du moins par politesse .
-Vous trouvez donc l'ouvrage....-Extravagant.- Il plaît
Par de fort beaux détails .-Dont l'ensemble est fort laid .
-Et l'auteur...- Il triomphe; en ce docte auditoire ,
Par trimestre une fois il escompte sa gloire.
Grâce à ce grand fracas , du succès convaincus ,
Nos libraires déjà risquent vingt mille écus ;
On l'imprime : 6 prodige ! en naissant surannée
LaMuse a vu tomber sa guirlande fanée ,
Et l'éditeur confus , qui tremble pour ses frais ,
Court d'unjournal benin marchander les arrêts .
Heureux l'auteur marqué du sceau des coteries!
Cent bouches vont prônant ses froides rêveries ;
Sonnomde feuille en feuille arrive par écho :
Il estdès son vivant grand homme... incognito.
Laissons-le s'enivrer d'un suffrage éphémère.
SECOND FRAGMENT.
Del'Epître légère; en vers libres , mêlée de prose ; de l'Epitre marotique
: préceptes généraux de l'Epître légère . Modèles : Voltaire ,
Gresset , Chaulieu .
Del'Epître sérieuse. Boileau , Voltaire , Horace.
(
Voyez courir au gré du folâtre délire
Ces metres inégaux qu'une saillie inspire ,
Gracieux messagers dont le piquant récit
Epanouit le coeur et déride l'esprit.
:
• ১
MARS 1813 . 435
Que leurs tours balancés tombent avec aisance ;
Qu'un art dissimulé pare leur négligence ;
Et que le trait brillant de naïve gaîté
Soit finement lancé par l'ingénuité.
Tel était d'Hamilton l'aimable badinage.
La prose qui s'unit à ce riant langage
Sait lui prêter un charme agréable et divers .
Craignez son voisinage , il usurpe le vers.
Les frivoles retours d'une rime obstinée
Fatiguent quelquefois l'oreille inutinée .
:
Le bizarre est pénible , et l'effort nous déplait.
Le travail cherche en vain ce que Marot trouvait.
Rhythme heureux , style aisé , marche légère et vive ,
Onsut tout imiter , hors sa grâce naïve .
Son unique héritier fut le bonhomme Jean.
1
1 D'un éclat emprunté le luxe est indigent .
Brillez donc par vous-même , à vos talens fidèle
Et peut-être qu'un jour vous deviendrez modèle .
Chaque esprit est marqué d'un sceau particulier .
Soyez original et non pas singulier.
Voyez comme , expiant sa gloire illégitime ,
Le hérault du faux goût (4) en devient la victime;
Il tombe,et cependant des nouveaux Scuderys
Le peuple trop fécond pullule dans Paris..
De trois Auteurs charmans on a quitté les traces .
Chacun d'eux était cher à l'une des trois Graces :
Le premier les unit ; c'est l'écrivain fécond
Qui sut être à-la-fois et frivole et profond ;
Le second plus égal déploie avec mollesse
De ses nombres fleuris l'élégante souplesse ,
Par de malins portraits il prélude au Méchant ;
L'autre des voluptés est le peintre touchant ;
Ils enseignent le ton de l'Epître légère.
Boileau donne à ce genre un plus grand caractère :
Ainsi quand du Poussin les austères pinceaux
(4) Voiture.
[
Γ
Ee 2
436 MERCURE DE FRANCE ,
!
Descendent à tracer de champêtres tableaux ,
Tout annonce et trahit son génie héroïque ;
L'Epître s'étonna de devenir épique ;
Homère couronna le chantre du Lutrin ,
Achille revivait dans le vainqueur du Rhin.
Qui n'a relu cent fois cette page divine
Où, vengeur de Molière , et soutien de Racine ,
Sublimede raison, et fort de vérité ,
Boileau traça l'arrêt de la postérité?
Quelle verve de sens ! la probité l'enflamme
Sonvers pur réfléchit la beauté de son ame .
Protée étincelant , génie irrégulier ,
Sousmille aspects habile à te multiplier ,
Toi dont le talent , souple en sa vaste étendue ,
Ade l'esprit humain saisi chaque avenue ,
OVoltaire , sans cesse il faut donc te citer!
Envain Zoïle en gronde , il ne peut t'imíter.
Tu répands avec luxe , en rimes hasardées ,
Les bons mots , l'ironie , et les grandes idées ;
De tes vers séducteurs le pouvoir gracieux
T'assujétit les rois , et sut venger les cieux ;
La cour fut ton olympe , et , quand mûri par l'âge ,
Entre un lac et des monts tu bâtis un village ,
Du rien , qu'on nomme tout , alors désabusé ,
Tu ris en observant , Démocrite rusé.
Onditque dans ces vers où la raison éclate ,
Tes fougues ont jeté l'injure disparate ,
Que du sujet parfois l'intérêt suspendu
S'évanouit , blessé d'un trait inattendu ,
Que ta verve sceptique , et sublime et profane ,
APlaton trop souvent allie Aristophane ;
Mais qui sut mieux que toi , dans ce style inégal ,
Etre docte , enjoué , piquant , original?
LesAnciens , comme toi coupables de cynisme ,
Ne surpassèrent point ton brillant atticisine :
Un peud'ombre se mêle à l'éclat le plus beau.
Malgré tes vers jaloux , rapproché de Boileau
Viens avec lui t'asseoir aux pieds du sage Horace ,
Etpour le célébrer inspire-moi ta grâce.
Emule de Socrate , égayant la leçon ,
Parde malins détours il mène à la raison.
:
MARS 1813 . 437 1
Samusequi sejoue enprose mesurée ,
Sur des pieds indécis courant mal assurée ,
Charme par un air simple , et c'est un art de plus.
Il suit de nos erreurs le flux et le reflux ,
Et , pilote éclairé par son propre naufrage ,
Il reconnaît l'écueil et de loin voit l'orage ;
Il le fuit , ou le brave ; il cède aux tems , au lieu ,
Et place la vertu dans un juste milieu .
Le goût et le bon sens composèrent son livre ;
Horace enseigne l'art et d'écrire et de vivre (5) ,
TROISIÈME FRAGMENT .
J
Du Discours moral ( à l'occasion des discours de Pope et de Voltaire):
caractère et devoirs de la saine philosophie : du dogmatisme ; du
scepticismė ; nécessité de recourir à l'expérience ; bornes des connaissances
humaines ; contradictions de l'école. Que les vérités
premières sont démontrées par le sens commun ; que de toutes les
opinions il faut choisir l'opinion la plus favorable au bonheur , la
plus convenable à la dignité de l'homme .
Noble fille du Dieu qu'annonce l'univers
Osublime raison ,juste effroi des pervers ,
Al'homme en sa faiblesse apprends à se connaître ;
Du doute à la sagesse élève enfin son être ;
Sur la Vertu , docile aux règles du devoir ,
Etablis son bonheur et sur- tout son pouvoir
Oh ! combien tu frémis à l'aspect des ruines
Qu'entassaient follement les fureurs intestines !
Loin de les ébranler , tu soutiens les Etats .
Prends pitié du méchant qui ne te connaît pas !
Venge-toi de l'aveugle en ouvrant sa paupière
Aux célestes clartés de ta pure lumière !
De la sage raison vain et subtil rival ,
Le système , qui tourne en un cercle idéal ,
S'égare avec méthode , et cet amant du songe
Dans une vaste erreur et s'admire et se plonge.
(5) Ona conservé dans ces trois fragmens dix vers de la première
editio.n
438 MERCURE DE FRANCE ,
Hélas ! s'il a trompé ces sublimes esprits ,
Descartes , Mallebranche , et toi-même , ô Leibnitz ,
Craignons le vide orgueil du pompeux dogmatisme.
En fuyant évitons l'écueil du scepticisme ,
Et que l'expérience , un flambeau dans les mains ,
De ce grand labyrinthe enseigne les chemins .
1
Qu'est-ce que le savoir ? un lumineux fantôme.
Apeine je saisis , ambitieux atôme ,
Quelques anneaux épars du tout mystérieux ;
Le sommet de la chaine est eaché dans les cieux.
Comment de l'infini dévoiler le problême ?
Tout en nous est borné , les sens et l'esprit même.
Envainje vous consulte , ô Sages trop vantés :
Vos lumières ne sont que d'obscures clartés ;
Je lis dans vos discours , malgré leur assurance ,
L'orgueilleux désespoir d'une docte ignorance.
Sur les premières lois vous n'êtes pas d'accord ,
Et chacun à son tour prouve que l'autre à tort.
Il est des vérités d'un ordre nécessaire ,
Et dont le sentiment est le miroir sincère ,
Flamme que Dieu lui-même allume au sein de nous ,
Lumière irrésistible et qui brille pour tous ;
Tel est le sens moral , oeil de l'intelligence ;
C'est lui qui donne un but , un prix à l'existence :
Par l'effroi du néant il réfute Straton ,
Etd'immortalité s'enivre avec Platon ;
L'ame au fond d'elle-même , à cette voix divine ,
Trouva le souvenir de sa haute origine ,
Et , pleine des clartés du céleste flambeau ,
Connut l'accord sublime et du hon et du beau .
Magnanimes pensers ! doctrine généreuse !
Par vous la vie humaine est déjà plus heureuse.
Un consolant espoir sourit à ma douleur ,
Et je me réfugie en un monde meilleur.
Loin de nous l'insensé qu'un faux savoir dégrade ,
Un frivole Aristippe , un subtil Carnéade !
Al'homme révélons toute sa dignité.
Telle , dans la Vertu plaçant la volupté ,
MARS 1813 439
1
Desdieux se rapprocha cette secte immortelle
Quinomme avec orgueil Caton et Marc-Aurèle.
Mettez dans vos écrits la prudence du goût .
Lebel esprit n'est rien et le bon sens est tout.
" T
1.
Par M. CHAUSSARD , Prof.Acad. dans l'Univ . imp.
TRADUCTION DE MARTIAL .
ÉPIGR. XX , LIV. VIII.
Tu fais des vers et défens
Quejamais onles publie :
Paul , j'admire en même tems
Tasagesse et ta folie.
ÉPIGR . XVI , LIV. I.
Le passé nous a fui : l'avenir , on l'ignore :
L'un n'est déjà plus rien , l'autre n'est pas encore ;
Ne leur confions pas un bonheur incertain.
Jouissons du présent , la raison le conseille ,
Et vivons aujourd'hui , sans regretter la veille ,
Sans attendre le lendemain.
ÉNIGME .
DE CAZENOVE.
Je suis de haute ou de petite forme ,
Et l'on me voit toujours en uniforme :
Je ne sais si de toi je serai reconnu ,
* Lecteur ; mais j'ai déjà tant comparu ,
Et sous tes yeux je paraîs tant encore ,
Qu'en vérité si ton esprit m'ignore
Je n'y puis mais ; .... tantôt chez l'un ,
Tantôt chez l'autre , et tantôt chez chacun.
Si ma figure n'est pas vue ,
C'est que les regardans , sans doute , ont la berlue ;
Carplus que moi rien n'est commun.
191
S ........
44. MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 ,
LOGOGRIPHE
LICTEUR , des rois français je désignais la soeur ,
Etmaintenantje şais d'un très -grand Empereur
Qualifier l'illustre mère ;.
Mes fête et quene à bas je deviens ton grand père .
CHARADE .
V. B. (d'Agen. )
D'ÊTRE Grec mon premier se pique ;
Par son pouvoir presque magique ,
Tout ce qu'il touche il l'agrandit .
Mon dernier fut sans contredit
Très-bon soldat : en hydraulique ,
Géométrie et mécanique ,
Du Japon jusqu'au Sénégal.co
Mon entier n'eut jamais dd''éégal. T Γ
V. B. ( d'Agon. ). 1
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est Mars :
Celui du Logogriphe est Tartare,dans lequél ón trouve : Tarare.
Çelui de la Charade est Corsaire.
31 [
داب
... SCIENCES ET ARTS.
TABLEAU MÉTHODIQUE DES ESPÈCES MINÉRALES. Seconde
partie , contenant : la Distribution méthodique des
espèces minérales , extraite du Tableau cristallographique
, publié par M. HAÜY en 1809 , leurs synonymies
française , allemande , italienne , espagnole et
anglaise , avec l'indication de leurs gisemens , auxquelles
on a joint la description abrégée de la collection
de minéraux du Muséum d'Histoire naturelle ,
+ et celle des espèces et des variétés observées depuis
1806 jusqu'en 18125 par J. A. H. Lucas , adjoint à
son père , garde des galeries du Muséum d'Histoire
naturelle et agent de l'Institut impérial de France ,
membre de plusieurs sociétés savantes. Imprimé avec
l'approbation de l'assemblée administrative des professeurs
du Muséum d'Histoire naturelle.-Deux vol.
in-8° , fig . - Prix, 15 fr. , et 18 fr. franc de port.
Tome I , pris séparément , 8 fr. , et 9 fr. 25 c. franc
de port. Tome II, pris séparément , 8 fr . , et 10 fr .
franc de port.- Paris , chez d'Hautel , libraire , rue
de la Harpe , nº 80 .
PARMI les causes qui ont contribué aux progrès de
l'Histoire naturelle , on peut compter l'influence qu'ont
eue sur cette étude , les collections formées dans le but
de réunir les productions de la nature. Sous ce rapport ,
les conquêtes d'Alexandre ont été utiles aux sciences
naturelles , en fournissant à Aristote les matériaux de
son immortel ouvrage de l'Histoire des animaux. En
homme supérieur , Alexandre jugea qu'il ne devait pas
se borner à faire recueillir les productions des pays qu'il
parcourait , mais qu'il fallait encore faire entreprendre
des voyages destinés à rassembler les productions des
contrées où il ne pouvait porter ses armes victorieuses .
Il fut donc le premier souverain qui mit de l'importance
442 MERCURE DE FRANCE ,
àformer des collections , ainsi qu'à des voyages dont le
seul but était de les augmenter (1) ; mais en favorisant
l'étude de la nature , ce conquérant ne pensait probable
ment pas à faire naître un chef-d'oeuvre qui lui survivrait
plus que la plupart de ses conquêtes .
Telle a été l'origine des collections d'Histoire naturelle
, et malgré le pas immense que ces collections avaient
fait faire à la science , on négligea bientôt ce moyen de
comparer et de vérifier les observations des voyageurs
etdes naturalistes . Eneffet , à l'exception de quelques
médecins , personne ne songea plus à réunir des collections
; aussi se borna-t-on à copier ou à commenter ,
sans trop les comprendre , les oeuvres du chef de l'école
péripatéticienne . 1
Parmi les modernes Apulée paraît avoir été le premier
qui ait eu l'idée de recueillir toutes les productions des
trois règnes , et cette idée fut trouvée si extravagante dans
le quatrième siècle où il vivait qu'on l'accusa de magie .
L'auteur si plaisant de l'Ane d'Or fut obligé de se défendre
et de s'armer de toute sa logique pour repousser
une accusation qui nous paraît aujourd'hui şi ridicule .
Cependant son exemple ne fut point perdu , et l'on vit
peu-à-peu se former des collections plus ou moins importantes.
On s'en occupa en Italie d'une manière particulière
, et probablement la découverte du Nouveau-
Monde et la vue d'une nouvelle création , contribuèrent
pour beaucoup à donner à l'étude de la nature une plus
grande impulsion. Peu-à-peu les souverains même mirent
une certaine gloire à fonder des Musées d'Histoire naturelle
, et àles enrichir , autant qu'il leur était possible ,
des diverses productions de la nature.
Si les collections avaient puissamment influé sur les
progrès de la science , le mode de conservation des
aal siol
14
!
(1 ) Il nous reste encore une relation très-curieuse de la navigation
de Néarque , un des capitaines d'Alexandre depuis l'embouchure
de l'Indus jusqu'à Babylone. Cette relation , mise en anglais par
William Vincent , a été traduite en français par M. Billecoq. Il est
à remarquer que Néarque et Pythéas sont les seuls parmi les anciens
qui aient fait sur l'Océan des voyages de quelqu'étendue .
и пород.
4
120
MARS 1813 . 443
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objets d'Histoire naturelle n'y a pas moins contribué.
Ainsi l'anatomie ne pouvait faire de grands progrès ,
sans la connaissance de l'art des préparations , ou de la
conservation des objets dans la liqueur. Cette science
n'a donc pu s'avancer que très-tard , car ces deux méthodes
n'ont été bien connues que depuis une époque
qui n'est pas bien reculée. Les anciens ne pouvaient
avoir qu'une idée bien imparfaite de ces méthodes de
conservation , car le verre était extrêmement rare chez
eux , et l'eau-de-vie , que les Arabes ont les premiers....
préparée , ne leur était pas connue. Quant à l'art du
desséchement, il ne leur était pas non plus très-familier,
et aussi se bornaient-ils à conserver quelques peaux
d'animaux. Ainsi Philippe fit préparer la peau de l'Aurochs
( Bos urus ) et les peaux des hommes prétendus
sauvages ( qui n'étaient que de grands individus du singe
chimpanzée ou le simia troglodytes ) , furent conservées
à Carthage avec tant de soin , que quoique tués 336 ans
avant l'ère vulgaire , les Romains les y trouvèrent encore
quand ils détruisirent cette ville (2) . Pausanias rapporte
que de son tems on voyait à Tégée la peau du
sanglier de Calydon (3) , et enfin la peau du serpent
tué par l'armée de Régulus , fut conservée à Rome
comme un des monumens les plus curieux. Tout l'art
du desséchement se bornait donc , chez les anciens , à
la conservation de quelques objets précieux , et comme
l'eau-de-vie et l'esprit-de-vin ne leur étaient pas connus ,
ils ne pouvaient conserver les cadavres qu'en les mettant
dans de la saumure ou dans du miel , ainsi qu'on le fit
pour les corps de Mithridate et d'Alexandre . Concluons
:
(2)Hannonis Periplus. Hage Comit . , pag. 77 , 1674 , trad. de
van Berkel .
K
(3) Les défenses et la peau du sanglier de Calydon furent consacrées
à Diane et suspendues dans le temple à Tégée. Auguste en
emporta les défenses à Rome ; l'une fut cassée , et l'autre suspendue
dans le temple de Bacchus , situé au milieu des jardins de César. La
peau resta dans le temple de la déesse à Tégée . Pausanias dit bien
que de son tems on l'y voyait encore , mais qu'elle était presquetoute
dépouillée de ses soies.
L
(
444 MERCURE DE FRANCE ,
de ces faits , que les anciens auraient beaucoup plus
profité , pour l'avantage des sciences naturelles , de la
facilité qu'ils paraissent avoir eu de réunir un grand
nombre d'animaux curieux , s'ils avaient connu les
moyens d'en conserver les dépouilles .
Les minéraux ne demandent point, comme les animaux
, des soins particuliers pour leur conservation , et
cependanton ne voit point que les anciens aient eu l'idée
d'en former des collections . Tout ce qu'ils avaient
recueilli en ce genre se bornait aux pierres précieuses
(et l'on sait à quel point les Romains ont poussé ce
luxe ) , ou bien aux pierres atmosphériques qu'ils regardèrent
comme sacrées (4). Cette vénération des
anciens pour les aérolithes semble prouvée par la statue
de la mère des Dieux , qui du tems de Scipion Nasica
fut transportée de Phrygie à Rome , et qui avait été
faite avec une pierre atmosphérique , ainsi que l'a
remarqué M. Biot. On conserva également , avec le
plus grand soin , d'autres aérolithes , et Plutarque , ainsi
que Pline , fontmention de celle qui était tombée àÆgos
Potamos , 462 ans avant notre ère. Ces collections partielles
étaient encore bien loin de celles que nous avons
formées avec méthode , et qui réunissent plutôt les productions
d'un véritable intérêt que celles dont nosyeux
sont agréablement frappés .
A mesure que l'art de former des collections a été
dirigé par de bons principes , les objets d'histoire naturelle
qu'on a recueillis ontpris un tel degré d'importance ,
que bientôt il a été nécessaire d'en dresser des catalogues
; mais ces catalogues sont devenus bientôt euxmêmes
des ouvrages utites à la science , à cause du
grand nombre de faits qu'ils renfermaient , et ils ont
(4) Il fant cependant remarquer que les anciens avaient fait de
grands travaux pour découvrir des carrières de marbre , de granit et
de porphyre , et rien n'égale la beauté et la grosseur des bloes qu'ils
ont employés avec une sorte de profusion dans leurs monumens. Ces
travauxn'ont pas été tout-à-fait inutiles à l'avancement de la science
et même à l'art des mines .
MARS 1813 . 445
PA
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20 :
118
on2
Var
ainsi contribué à avancer l'histoire naturelle particulière.
S'il fallait en donner des preuves , nous pourrions
enciter de nombreux exemples ; mais qu'il nous suffise ,
pour le moment, de parler de celui que M. Lucas vient
tout récemment de nous donner .
)
On sait que le nombre des minéraux s'est d'autant
plus accru que la science de la minéralogie a pris une
nouvelle importance , depuis qu'elle s'est appuyée et sur
la chimie et sur la structure des cristaux. Ainsi un guide
est devenu nécessaire pour se retrouver au milieu de
toutes les productions variées du règne minéral , surtout
lorsque ces productions sont réunies dans un même
lieu , comme dans le musée du Jardin des Plantes , de
Paris . M. Lucas a donc rendu un service essentiel à
ceux qui veulent étudier les collections de ce musée :
mais ajoutons encore que son ouvrage est utile sous le
rapport de la science elle-même. Déjà dans la première
partie de son Tableau méthodique des espèces minérales
il nous avait mis à même de connaître toutes les nouvelles
substances dont M. Haüy avait enrichi la science
3,20 depuis la publication de son Traité de Minéralogie.
Dans sa seconde partie , M. Lucas ne s'est point borné
ànous donner un catalogue raisonné des minéraux qui
se trouvent dans la collection du muséum , collection
que M. Haüy a tant contribué à rendre une des plus
belles de l'Europe ; mais il a joint à l'indication des
caractères des diverses substances , toutes les analyses
qui en ont été faites , ainsi que tout ce que l'on sait
d'essentiel sur leur gisement. Enfin l'auteur s'est nonseulement
attaché à éclaircir la synonymie des espèces
minerales , mais il a encore porté son attention sur la
synonymie bien plus difficile des variétés .
que
aver
AS
es
후
2
La seconde partie du Tableau méthodique des espèces
minérales , contient donc à-peu-près tout ce qu'il y a
d'important à savoir sur les diverses substances minérales
, et on peut la considérer comme un recueil trèsbien
fait de toutes les observations des géologues et des
voyageurs . Elle annonce beaucoup de recherches , et
par conséquent ne peut qu'en épargner un grandnombre
ceux qui s'occupent de minéralogie . Cette seconde
1
446 MERCURE DE FRANCE ,
1
:
partie est sur-tout nécessaire à tous les minéralogistes
qui ne sont point à portée des grandes bibliothèques , et
enfin les savans qui n'habitent point Paris , y verront
avec intérêt les observations que plusieurs professeurs
de la capitale n'ont encore fait connaître que dans leurs
cours . Pour rendre son ouvrage plus complet , M. Lucas
ne s'est point borné à rassembler toutes les observations
éparses dans les divers journaux scientifiques , mais il a
encore consulté tous les minéralogistes quí avaient fait
des remarques particulières sur telles ou telles espèces ,
et il nous fait part du résultat de leurs recherches après
s'être assuré de leur assentiment. C'est ainsi que cette
seconde partie renferme plusieurs observations encore
inédites de M. Haüy , ce qui donnerait déjà un grand
intérêt à un ouvrage , ainsi que diverses remarques de
MM. Faujas de Saint-Fond , Selb , et Héricart de Thury ,
dont les travaux ont été si utiles à la science .
Par la publication de la seconde partie de son Tableau
Méthodique , M. Lucas a encore rendu à la minéralogie
un service important. Tout le monde convient aujourd'hui
qu'une des causes qui a le plus contribué aux progrès
de la chimie , est la nomenclature uniforme qu'on
est parvenu à lui donner. Cette nomenclature , fondée
sur des principes simples , caractérisant les objets qu'elle
désigne , a rendu les démonstrations plus faciles à saisir,
et par cela même , la chimie a été plus cultivée qu'à
l'époque où son langage était hérissé de mots aussi barbares
qu'insignifians . M. Haüy , dont le nom doit toujours
être prononcé lorsqu'on veut parler des progrès de
la minéralogie , a également créé pour cette science un
langage fondé sur les mêmes principes , et qu'on désire
voir adopté dans toute l'Europe savante. Pour faciliter
aux étrangers l'intelligence de la nomenclature du savan
professeur de Paris , M. Lucas l'a fait connaître en
allemand , en italien , en espagnol , en anglais et en
latin. Ces traductions peuvent contribuer à rendre cette
nomenclature universelle : et puisse également le devenir
la méthode fondée sur la structure des minéraux , méthode
qui a placée la minéralogię au rang des sciences
1
MARS 1813 . 447
!
ef
exactes , et qui lui empêchera à jamais de faire unpas
en arrière !
Enfin M. Lucas a enrichi son ouvrage d'un petit
tableau d'orégnosie que nous devons à M. Tondi. Cet
essai offre quelques aperçus nouveaux ; mais l'on désirerait
que l'auteur eût adopté des noms plus conformes
au génie de notre langue . Une critique sévère pourrait
également remarquer quelques légères imperfections
dans l'ouvrage de M. Lucas , ce qui n'empêche point
qu'il ne soit écrit dans un style clair et précis ; mais pour
en faire juger le mérite , il nous aurait certainement
suffide faire connaître le jugement qu'en a porté M. Haüy.
<<Cet ouvrage , dit le savant professeur , offre l'ennsemble
de toutes les connaissances relatives à l'état
>> actuel de la minéralogie , que M. Lucas a recueillies
>> dans différens ouvrages et dans les cours publics de
>> cette partie .
>>Ce dernier volume , rédigé avec autant d'exactitude
>> que de soin , sera d'autant plus utile qu'on l'on y trouve
>> l'indication des minéraux qui composent la collection
» du Muséum , et que ceux qui l'auront à la main pour-
>> ront suivre avec fruit l'ordre qui y est établi . »
MARCEL de SERRES. :
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fi
2
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
OEUVRES COMPLETES DE MESDAMES DE LA FAYETTE , DE
TENCIN , DE FONTAINES ET ELIE DE BEAUMONT.
(TROISIÈME ARTICLE. )
OOEuvres de Madame DE FONTAINES , un vol. in-18 , et
deMme ELIE DE BEAUMONT , deux vol. in-18.-Paris ,
chez d'Hautel , libraire , rue de la Harpe , nº 80 .
DEUX romans fort courts , la Comtesse de Savoie et
Aménophis , composent toutes les oeuvres de Mme de Fontaines
; mais si elle a peu écrit , ce qu'on a d'elle prouve
un talent distingué , et fait regretter qu'elle n'ait pas suivi
le conseil que lui donnait Voltaire , de faire deux ou trois
ouvrages par an. La Comtesse de Savoie , le premier et
le meilleur de ses deux romans , est aussi connue que
la Princesse de Clèves dont il peut faire le pendant. Je
n'en donnerai donc pas une analyse qui n'apprendrait
aux lecteurs du Mercure que ce qu'ils savent déjà . Les
analyses que les journalistes sont obligés de faire , n'ont
d'intérêt qu'autant qu'il s'agit d'un ouvrage nouveau ,
ou d'un ouvrage auquel des circonstances ont empêché
d'obtenir le succès qu'il méritait ; hors ces cas , elles deviennent
inutiles. Un critique qui serait chargé d'annoncer
une nouvelle édition de Gilblas ou de la Nouvelle
Héloïse , n'aurait-il pas mauvaise grace d'analyser ces
deux romans que toute personne qui aime la lecture a
lus et relus plusieurs fois , et toujours avec un plaisir
nouveau ? Certainement on ne daignerait pas le lire , car
une analyse n'étant que le squelette de l'ouvrage analysé ,
elle devient inutile dès que l'ouvrage est universellement
connu , et que tout ce qu'on pouvait en dire l'a été plusieurs
fois . Cependant, lorsqu'il est peu intéressant d'examiner
l'ouvrage lui-même , on peut encore en faire l'histoire
, et rappeler les diverses anecdotes auxquelles il a
MERCURE DE FRANCE , MARS 1813. 449
S
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-
For
donné lieu. C'est la méthode que j'ai suivie en annonçant
les oeuvres de Mmes de La Fayette et de Tencin , et
c'est celle que je vais suivre pour Mme me de Fontaines
ensuite pour Mme Elie de Beaumont.
DE
LA SEIM
On a prétendu que Voltaire a eu quelque part
compositionde la Comtesse de Savoie. Cependant , si fon
fait attention qu'il avait à peine dix-sept ans lorsque le
roman fut composé, on conviendra que cela n'est guère
possible : il est vrai que , tout jeune qu'il était , Mme de
Fontaines lui lisait son ouvrage , qu'elle le soumettait à
ses observations critiques , à ses corrections , ou , comme
il le dit lui-même , à ses épilogues ; mais cela ne prouve
rien autre chose , sinon qu'il a fait quelques corrections
de détails , et que la part qu'on lui attribue dans la
Comtesse de Savoie , se borna à quelques observations
qu'il soumettait à l'auteur de ce joli roman , qui lui avait
confié son manuscrit.
1
Je crois devoir rapporter ici les vers que Voltaire a
adressés à Mme de Fontaines , parce qu'ils sontpeu connus .
Si en les lisant on sent que c'est un jeune homme qui
en est l'auteur , une foule de traits heureux et de pensées
ingénieuses font apercevoir que ce jeune homme est
Voltaire.
11
La Fayette et Ségrais , couple sublime et tendre ,
Lemodèle avant vous de nos galans écrits ,
Des Champs Elysiens , sur les alles des ris
Vinrent depuis peu dans Paris .
D'où ne viendrait- on point , Sapho , pour vous entendre ?
A vos genoux tous deux humiliés ,
Tous deux vaincus et pourtant pleins de joie ,
Ils mirent leur Zaïde aux pieds
Dela Comtesse de Savoie.
Ils avaient bien raison. Quel dieu ! charmant auteur ,
Quel dieu vous a donné ce langage enchanteur ,
1
!
3
:
+
5.以
cent
La force et la délicatesse ,
La simplicité , la noblesse
Que Fénélon seul avaitjoint,
Ce naturel aisé dont l'art n'approche point.
Sapho , qui ne croirait que l'Amour vous inspire ?
Mais vous vous contentez de vanter son empire ;
Ff
450 MERCURE DE FRANCE ;
i
1
دمحم
De Mendoce amoureux vous peignez le beaufeu,
Et la vertueuse faiblesse
D'une maîtresse ,
Qui lui fait en fuyant un si charmant aveu .
Ah ! pouvez-vous donner ces leçons de tendresse ,
Vous qui les pratiquez si peu ?
C'est ainsi que Marot sur sa lyre incrédule
Du dieu qu'il méconnut prôna la sainteté .
Vous avez pour l'Ainour aussi peu de scrupule :
Vous ne le servez point et vous l'avez chanté.
Adieu . Malgré mes épilogues ,
Puissiez -vous pourtant tous les ans
Me lire deux ou trois romans ,
Et taxer quatre synagogues !.
:
i
** Dans cette pièce de vers qui , malgré quelques négligences
, est fort jolie , Voltaire adopte l'opinion répandue
alors parmi les gens de lettres , que Ségrais avait eu
une grande part aux romans de Mme de La Fayette . On
aprouvé, en parlant des ouvrages de cette dame dans un
des Mercures précédens , que rien n'était plus faux. Voltaire
lui-même abandonna plus tard une opinion que
son goût si pur dut lui faire rejeter , lorsqu'il eut compáré
les ouvrages avoués par Ségrais et ceux qu'on voulait
bien lui attribuer .
Ces vers prouvént encore que Voltaire n'a eu d'autre
part à la Comtesse de Savoie que d'avoir donné à son
auteur quelques conseils , ssooiit pour la distribution
du plan et des idées , soit pour le développement des
situations , soit pour la correction du style. De semblables
conseils n'attribuent aucun droit sur la propriété
d'un ouvrage , sur-tout lorsque le conseiller s'est payé
eny empruntant le sujet de deux de ses tragédies .
La Comtesse de Savoie est remplie de situations extrêmement
intéressantes , mais toujours amenées et développées
avec un art infini , telle entr'autres celle dont
Voltaire parle dans ses vers lorsqu'il dit :
De Mendoce amoureux vous peignez le beau feu ,
Etla vertueuse faiblesse
D'une maîtresse
Qui lui fait en fuyant un si charmant aveu.
?
1
MARS 1813 . 45
Cette scène , sans contredit la plus intéressante du
roman de Mme de Fontaines , mérite bien qu'on s'y arrête
quelques instans ; cela rappellera d'ailleurs au plus
grand nombre de nos lecteurs le plaisir que la lecture
de la Comtesse de Savoie leur a fait éprouver, et donnera
à ceux qui ne l'auraient pas lue l'envie de la lire .
de
La soeur d'Edouard, roi d'Angleterre , épouse d'Odon ,
comte de Savoie , aime et est aimée de Mendoce ,
prince de la province de Murcie ; mais vertueuse et soumise
à ses devoirs , elle luttait avec courage pour éteindre
ou du moins pour cacher une passion qui faisait son
malheur . Mendoce lui-même , beau , bien fait , aimable ,
sensible et doué de toutes les qualités qui font les héros ,
était éperdument amoureux de la comtesse ; mais , timide
comme on l'est toujours dans les grandes passions ,
il n'osait faire un aveu au succès duquel son bonheur
était attaché. La comtesse , qui possédait le portrait de
Mendoce , que lui avait donné Dona Isabelle , soeur de
ce charmant chevalier, seule dans unbosquet de myrtes,
rêvait, en contemplant ce dangereux portrait , au moyen
d'éteindre l'amour dont elle était dominée .
FO
d
a
Mendoce , qui ignorait son bonheur , arriva près de
la comtesse , guidé par le hasard et par sa rêverie amoureuse
: celle- ci ne l'aperçut pas , et son amant eut le tems
de voir qu'elle tenait le portrait d'un jeune homme , sans
pouvoir cependant en reconnaître les traits . Egaré par
la jalousie , il lui adressa des reproches qui amenèrent
un aveu que , sans cette circonstance , il n'eût osé risquer
. « La comtesse s'était fait jusqu'alors une si grande
>>>violence pour cacher à Mendoce la tendresse qu'elle
>>> avait pour lui , qu'elle ne put se faire encore la cruelle
>> douleur de lui laisser penser qu'elle en ressentait pour
>> un autre ; toute sa raison l'abandonna , et par un
>> transport dont elle ne fut pas la maîtresse , elle tira de
>> sa poche le portrait , et le jetant aux pieds de ce
>> prince : Mendoce , lui dit- elle en le regardant avec
>> des yeux où sa passion était entièrement déclarée , ce
>> portrait vous fera connaître l'injustice de vos soupçons ;
>> si vous n'en croyez pas vos yeux , demandez à Dona
>> Isabelle , si vous devez en être jaloux. En achevant
Ff2
452 MERCURE DE FRANCE ,
\
>> ces mots , elle le quitta brusquement et courut pour
>> gagner son appartement ; elle y arriva comme une
>>personne éperdue et hors d'elle-même . >>>
On ne trouvera ici que l'esquisse de cette scène , que
Mme de Fontaines a tracée avec beaucoup de talent , et
qui est pleine de ces détails que le coeur seul d'une
femme peut inspirer ; la sensibilité n'est point dans les
mots , mais bien dans la situation . Le caractère de Mendoce
et celui de la comtesse contrastent sans aucun
effort et par l'effet seul des impressions qu'ils éprouvent ;
enfin la passion des deux amans abandonne par gradation
la contrainte dans laquelle leur raison la retenait, et
se trahit malgré eux par un double aveu que rien ne pouvait
retarder plus long-tems. Le mérite du style répond
à celui du sujet , et tout le roman est écrit du même ton
et de la même manière .
Voltaire , comme je viens de le dire , a tiré de la Comtesse
de Savoie le sujet de deux de ses tragédies . Celle
d'Artémire , dont on ne connaît que le plan , offre , aux
noms près , la même marche et les mêmes détails que le
roman de Mme de Fontaines . Au lieu de la Comtesse , le
poëte a mis Artémire , femme de Cassandre , roi deMacédoine
: le ministre Pallante , amoureux de la reine , et
qui veut la perdre parce qu'il n'a pu s'en faire aimer ,
rappelle le comte de Pancullier: le caractère de Philotas
qu'Artémire aime, a été tracé d'après celui de Mendoce ;
seulement , au dénouement , le poëte , qui ne pouvait
employer lejugement de Dieu , combat singulier que les
anciens n'ont pas connu , fait soulever le peuple par
Philotas , et le roi , ainsi que son ministre, périssent
dans cette insurrection . Mais un semblable sujet était
trop défectueux pour une tragédie ; celle de Voltaire
tomba , et l'on n'en a conservé que le rôle d'Artémire ,
dont la poésie est souvent digne de Racine , et qui avait
été fait pour le début d'une maîtresse de l'auteur que
lui-même dirigeait dans ses études sur l'art de la déclamation.
Au reste , pour se convaincre combien un sujet,
si défectueux pour une tragédie , était favorable pour un
roman , il suffira de lire celui de Mme de Fontaines .
Voltaire a également emprunté à la Comtesse de Savoie
t
a MARS 1813 . 453
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plusieurs idées pour sa tragédie de Tancrède . La Harpe
en fait l'observation dans son Cours de Littérature , mais
Ia situation de la comtesse a bien moins de rapports avec
celle d'Aménaïde qu'avec celle d'Artémire , et peut-être
même ces rapports viennent-ils de ce que Voltaire et
Mme de Fontaines ont tiré leurs sujets de l'épisode
d'Ariodant et de Genevre dans l'Orlando furioso .
Une chose cependant à observer au sujet de la Comtesse
de Savoie, c'est que l'auteur a non-seulement imité
quelques situations des divers romans de Mme de Lafayette
, mais trop souvent aussi la tournure de ses
phrases et les formes de son style . Mme de Lafayette est
sans doute un excellent modèle , cependant il fallait
mettre plus de discrétion dans ces imitations ; et d'ailleurs
, comme Mme de Fontaines a prouvé que , digne
rivale de celle qu'elle imita , elle pouvait l'égaler dans
l'art de tracer un caractère , de développer une situation
et d'écrire , c'est là ce qui fait remarquer ses imitations
trop fréquentes d'un excellent modèle , à côté duquel
elle ne s'élève que lorsqu'elle vent devenir modèle à son
tour , en créant des beautés qui n'appartiennent qu'à
elle.
Aménophis est le second roman de Mme de Fontaines,
mais il est bien inférieur au premier , quoique ce ne
soit pas l'ouvrage d'un talent vulgaire . Il règne en général
beaucoup trop de confusion dans les évènemens ,
et l'on ne sait pourquoi l'auteur a pris son sujet dans
l'histoire de je ne sais quelle reine de Lybie qui donna
le jour à sept jumeaux. Les charmes du style couvrent
au reste les défauts du plan et de l'exécution , et c'est
bien le cas de dire que la forme emporte le fond. La
lecture d'Aménophis m'a fait naître une observation qui
me paraît mériter l'attention des gens de lettres ; c'est que
toutes les fois que les romanciers choisissent leurs héros
dans l'antiquité , ils font des anachronismes moraux. En
effet , en rendant amoureux leurs personnages , ils peignent
toujours le moral de l'amour , tandis que les anciens
n'en connaissaient guères que le physique.
Les idées morales qui épurent la plus active des passions
se sont développées chez les modernes par une fré
454 MERCURE DE FRANCE ;
quentation plus habituelle des femmes . Chez les anciens;
au contraire , les deux sexes vivaient séparés , et tandis
que les enfans mâles , arrachés dès leur enfance à la sollicitude
maternelle , allaient fortifier leurs corps dans les
gymnases , et cultiver leur raison à l'école des philosophes
, les femmes ensevelies dans leur gynécée étaient , à
quelques prérogatives près , considérées comme des esclaves
. L'épouse servait son mari , la soeur son frère , et
les Grecs , auxquels il n'a manqué que l'influence des
femmes pour avoir atteint le dernier degré de la civilisation
, méconnurent toujours l'égalité naturelle des deux
sexes . Avec des institutions si contraires à la nature , il
était impossible qu'ils n'ignorassent pas le moral de
l'amour , car aussitôt qu'ils s'éveillaient au plaisir , c'est
aux pieds des courtisanes qu'ils allaient en prendre des
leçons , et ces habiles séductrices enflammaient leurs
sens sans rien dire à leur coeur . L'adolescent à qui l'accès
du gynécée était interdit, ne voyant pas d'autres femmes ,
ne pouvait au milieu de ses désirs connaître cette timidité
qu'inspire la beauté , que son innocence embellit du
coloris de la pudeur , et qui réprimant l'impétuosité des
sens fait naître cette mélancolie douce et pure , cette
sensibilité de l'ame et cette exaltation morale qui est le
principe du culte des femmes . Chez les modernes , le
coeur choisit une amante d'après les lois d'une sympathie
secrète qui établit des rapports entre elle et lui; les anciens
, au contraire , éteignaient dans les bras d'une belle
femme les désirs qu'elle avait fait naître .
Voilà ce qu'à l'exception de l'auteur des Voyages
d'Anténor , n'ont pas considéré ceux qui ont pris chez
les anciens les héros de leurs romans ; mais il est tems
de venir à ceux de Mme Elie de Beaumont , dont cette
discussion nous a écarté.
Le premier ouvrage de cette dame est la troisième
partie des Anecdotes de la cour d'Edouard, roman que
d'Argental laissa imparfait à la mort de Mme de Tencin
sa tante , sous le nom de laquelle les deux premières
parties ont paru . On sent bien en lisant cette continuation
qu'elle est d'une autre main , car , quel que soit le
mérite du style , il est inférieur à celui de d'Argental ;
MARS 1813 . 455
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mais Mme de Beaumont a , ce me semble , bien saisi l'esprit
et le ton de l'ouvrage qu'elle a continué ; elle a conservé
aux personnages le caractère que le premier auteur leur
avait donné , et la manière dont elle dénoue leurs aventures
est satisfaisante .
Mme Elie de Beaumont publia ensuite le Marquis de
Roselle, roman en lettres . On les lit avec plaisir quoique
l'auteur n'ait pas assez varié son style pour l'adapter
au caractère de ses personnages . Mademoiselle de Ferval ,
Mme de Newton , Mme de Saint-Sever , M. de Valville ,
Léonore , le marquis Juliette , etc. , arrivent tous de la
même manière ou à-peu -près . C'est-là un grand défaut ,
mais enfin il ne doit pas faire oublier que le roman de
Mme de Beaumont occupe un rang recommandable et
bien mérité dans notre littérature .
Plusieurs dames françaises et anglaises ont réussi dans
ce genre plus difficile à traiter qu'on ne pense , et les romans
qu'elles ont composés sont les meilleurs du second
ordre ; je dis du second ordre , car il ne faut pas les comparer
à Don Quichotte , à Gilblas , à Télémaque , à Clarisse
, à la Nouvelle Héloïse , à Manon Lescaut , à Candide
, à l'Ingénu , à Faublas , aux Souffrances de Werther,
à Paul et Virginie. Ces chefs-d'oeuvre occupent le
premier rang , chacun dans un genre différent. Mais au
second, les femmes disputent aux hommes les meilleures
places , et si l'Angleterre se glorifie de ses Burnet , de ses
Regina Roche , de ses Inchbald , de ses Radeclif, la
France peut lui opposer avec succès une Lafayette , une
Fontaines , une Riccoboni , et sur-tout Mme Cottin , enlevée
si jeune encore à l'amitié et aux lettres qu'elle a
cultivées avec tant de succès ; si une rivale jalouse a outragé
sa cendre encore si récente , les suffrages des littérateurs
ont couronné ses travaux en admirant ce pathétique
entraînant qui fait le charme des cinq romans qu'elle
nous a donnés . Les auteurs d'Adèle de Sénanges , de
Caroline de Lichtefield , de Valérie , etc. , dont l'heureuse
fécondité nous promet encore des jouissances égales à
celles qu'elles nous ont déjà procurées , augmentent la
brillante série que Mme de la Fayette a ouverte , et se
placent à côté de ce modèle.
۱
1
456 MERCURE DE FRANCE ,
L'éditeur de la collection que j'annonce y a joint
d'excellentes notices sur Mms de la Fayette , de Tencin ,
de Fontaines , et a passé sous silence M Elie de Beaumont
: je ne lui en fais point de reproche parce qu'on ne
sait rien sur cette dame , sinon qu'elle naquit à Caen , je
crois en 1730 , qu'elle se nommait Dumesnil Molin , et
qu'elle mourut à Paris en 1783. Elle avait épousé Elie
de Beaumont , avocat célèbre qui a fait un excellent mémoire
dans l'affaire des Calas . J. B. B. ROQUEFORT.
THEATRE DE L. B. PICARD , membre de l'Institut . Six
vol . in-8° . - Prix , 36fr. Chez Mame , imprimeurlibraire
, rue Pot-de-Fer.
(TROISIÈME ET DERNIER ARTICLE. )
:
Le Conteur , joué en 1793 à la comédie française ,
est resté au théâtre où il se voit toujours avec plaisir. Le
ridicule du Conteur ne pouvait fournir seul la matière.
de trois actes . Aussi l'auteur a-t- il eu besoin de multiplier
les ressorts de l'action et les personnages . <<Si je
>> ne m'étais borné , observe- t-il très -bien , à faire
>> raconter à M. Duflos une seule petite historiette , qui
>>sait si le public n'aurait point éprouvé tout l'ennui ,
>> toute la fatigue que nous causent souvent , dans la
>>société , certains conteurs impitoyables qui s'obstinent
» à être exacts , cherchent les noms , hésitent sur les
>> dates , reviennent sur leurs pas , et nous promènent
>>jusqu'au dénouement d'une histoire , auquel ils n'ar
>> rivent pas toujours , à travers les redites , les épisodes
>> et les parenthèses ? >> C'est que , sur la scène , comme
dans le monde , il y a des manies qui sont plus insupportables
que certains vices. Ce mot de manie me conduit
à parler des Conjectures , la première comédie en
vers de M. Picard , et qui roule toute entière sur un de
ces travers de l'esprit. L'auteur ne se défend pas d'une
certaine prédilection pour cette pièce ; ce qu'il prouve
bien moins encore en disant : « J'aime mes Conjectures, >>..
qu'en cherchant à en excuser les défauts . Ce qui n'en
est pas un , mais plutôt une inadvertance occasionnés
MARS 1813. 457
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sans doute par les coupures faites à la pièce , c'est ce
que dit Prosper à Rigolot , dans la scène 17º du premier
acte , où il l'appelle : « Cher Barbier. >> Ce jeune étranger
admis dans la maison de Michel , ne connaît Rigolot
que comme un voisin de ses hôtes , mais dont il ignore
la profession , et il n'a pu l'apprendre ailleurs , puisqu'il
n'a quitté la scène que pour aller se reposer dans une
chambre voisine . Cette pièce , jouée en 1795 , fut suivie ,
la même année , des Amis de Collége : pièce où l'auteur,
comme il le dit lui-même , parla à l'ame de tous les
spectateurs . « Quel est l'homme qui n'a pas eu un ami
>>au collége .... ou à l'école ? » Aussi doit-on le croire
lorsqu'il ajoute qu'il n'a pas rencontré un de ses nombreux
camarades de collége qui ne l'ait félicité et presque
remercié de l'avoir faite . Dans les Conjectures , et plus
encore dans les Amis de Collége , on croit sentir l'influence
que dûrent avoir sur un jeune talent , tel que
celui de M. Picard , les succès brillans et mérités de
l'Inconstant , de l'Optimiste et des Châteaux en Espagne.
Ce sont , comme dans les pièces de Collin-Harleville ,
de légers travers plutôt que des vices , d'innocentes folies
plutôt que des ridicules . Les personnages sont de « ces
>> bonnes gens qu'on est assez heureux pour rencontrer
>> de tems en tems dans le monde , >> et dont l'imagination
de Collin fut peut-être un peu prodigue . Si , des sujets ,
on passe à l'exécution , on trouve même mélange de
comique et de sentiment , même emploi des teintes
douces ; moins de finesse de pinceau dans les deux
pièces de M. Picard , mais quelquefois aussi plus d'originalité
. Collin eût peint de couleurs plus nobles et plus
vives le jeune poëte des Amis de Collége ; mais il n'eût
peut- être pas trouvéles personnages du barbierRigolot et
du père Bonard , le vieux professeur de rhétorique.
Citerai-je maintenant ce que dit M. Picard dans sa
préface des Amis de Collége ? « Que ce fut à la repré-
>>sentation de cette pièce qu'il abtint , pour la première
>> fois , le suffrage de son ami Gollin-Harleville.>> Ne
vais-je pas , par cette citation , perdre tout l'honneur du
petit parallèle que j'avais cru pouvoir établir entre ces
deux comiques ? Ce suffrage de Collin ne peut-il pas 2
458 MERCURE DE FRANCE ;
en effet , passer pour l'aveu d'une imitation assez heureuse
de sa manière ? et ne dira-t-on pas que c'est-là ce
qui m'a fait chercher des rapports entre lui et M. Picard?
Quoi qu'il en soit et quelque sûreté qu'il y eût pour
celui- ci à suivre les traces d'un homme qui venait de ramener
le bon goût de la comédie , on le voit bientôt ,
s'abandonnant à son propre talent , marcher dans une
route nouvelle avec plus de hardiesse et de liberté. Le
premier fruit de cette confiance en ses forces , fut une
comédie de moeurs , Médiocre et Rampant. Un mot de
Figaro : Médiocre et rampant , et l'on arrive à tout , »
lui fournit l'épigraphe et le sujet.
Nous avons déjà vu quelles difficultés attendaient
M. Picard à l'entrée de cette carrière. « Les moeurs
>> changeaient dans la société, dit-il encore ; j'essayais de
>> peindre celles du jour dans la pièce queje composais . >>>
Cette inconstance et cette mobilitédes usages et des moeurs
pourraient servir à justifier M. Picard de la précipitation
à composer , dont on lui a fait un reproche . Qu'on
se figure une pièce où auraient été peintes ces moeurs
fugitives , portée à la comédie française , reçue avec
les formalités d'usage , et que n'auraient pas déjà recommandée
quelques succès de son auteur ; enfermée
dans les cartons de la comédie , pour y attendre , à la
suite de douze ou quinze autres , son tour d'être jouée , elle
en sort enfin , après un sommeil de deux ou trois ans ,
sommeil relativement plus long que celui d'Epimenide ;
combien , dans cet intervalle , les choses ont change !
La moitié des spectateurs sourit froidement et de souvenir
à ces vieilles peintures ; les autres demandent où
est la vérité de ce tableau. Plus heureux , M. Picard a
du moins été joué en tems utile; du reste , les moeurs
qu'il a peintes n'existent plus. « Ma pièce a veilli avant
>>>>moi , >> dit- il ingénieusement à propos de Médiocre et
Rampant. Puis rappelant ce qui existait au moment où
il la donna , il ajoute :
<<En 1797 , la France était gouvernée par le Direc-
>>>toire . Un ministre n'avait pas le titre d'Excellence. On
>>>commençait à ne plus l'appeler citoyen ; mais on ne
>> l'appelait pas encore Monseigneur. Non-seulement les
»;
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>> employés de son ministère , mais encore les plus petits
>> bourgeois arrivaient à lui facilement , lui parlaient
>> familièrement ..... Au milieu du trouble et de la
>> confusion , un homme médiocre et rampant , comme
>> mon Dorival , avait l'espérance d'arriver aux pre-
>> mières places de l'Etat , sans autres moyens que l'in-
>> trigue et la flatterie .>>>
C'était pourtant un commencement de retour à l'ordre
qu'un état de choses dans lequel la médiocrité ne parvenait
plus qu'en rampant. Deux ans plus tôt , le premier
commis d'un ministre , aussi médiocre que Dorival ,
pouvait n'être pas rampant . C'eût êté un homme porté
là par la faveur populaire , couvrant sa nullité par l'exagération
de ses principes , menaçant de son civisme quiconque
était au-dessus de lui , et devant qui le ministre
lui-même eût peut-être tremblé. L'époque choisie par
M. Picard était donc déjà plus propre à faire ressortir
le caractère qu'il voulait peindre. Cependant la pièce
conserve encore des impressions trop récentes du régime
de l'égalilé et de cette simplicité de moeurs que
trois ans de révolution avaient nécessairement introduite .
C'est un ministre , homme simple et affable , qui dit :
Pour nous connaître mieux ,
Chez moi venez souper aujourd'hui tous les deux ;
Nous aurons une aimable et bonne compagnie ,
Mes parens , mes amis , gens sans cérémonie
Ma mère , à qui mon rang n'a pas donné d'orgueil .
:
Ce sont ces détails , vrais à l'époque où écrivait
M. Picard , qui blessent aujourd'hui nos yeux accoutumés
à plus de grandeur et de représentation , et qui
nous semblent retrécir son tableau . Le sublime de la
bassesse est le mot du comte d'Argenson , qui disait :
« Mes ennemis ont beau faire , ils ne me culbuteront
>> pas ; il n'y a ici personne plus valet que moi . » Mais
ce mot demande un grand théâtre . Combien l'auteur eût
gagné à attendre quelques années de plus ! il eût pu représenter
l'homme médiocre , remis par la force des
choses à sa place , et , partant encore de plus bas , obligé
par conséquent à redoubler d'efforts , non plus seulement
460 MERCURE DE FRANCE ,
le lâche complaisant de quelques faiblesses , mais abject
et d'autant plus rampant que l'autorité , devenue moins
accessible , serait environnée de plus d'éclat. Je sens
qu'il ne doit pas être aisé d'entreprendre un sujet déjà
traité par M. Picard. Celui de Médiocre et Rampant me
paraît cependant susceptible de nouveaux développemens
et mériter l'attention de nos poëtes comiques .
,
L'Entrée dans le Monde est encore une de ces comédies
de moeurs , dont le fond sera éternellement vrai ,
mais dont les accessoires ont changé. La jeunesse sera
encore long-tems crédule , confiante , facile à se laisser
entraîner au vice ; les vicieux changeront encore de
masques et d'habits . On a reproché à M. Picard l'immoralité
de ses personnages ; c'est lui qui , bien mieux que
l'auteur des Liaisons Dangereuses , pourrait répondre à
ce reproche par une application détournée de cette épigraphe
de la Nouvelle Héloïse : « J'ai vu les moeurs de
» mon siècle . >> Personne, au surplus ne paraît avoir
mieux senti que lui-même le vice du sujet : « Sujet bien
>> vaste , dit- il , ou plutôt bien vague. >> J'ajouterais , et
que semble réclamer le roman critique , plus que la comédie.
Après être tombé d'accord avec lui de quelques
autres défauts dans la fable de sa pièce , il fautbien lui
accorder qu'on trouvera de la force comique dans les
caractères de Mme Saint-Allard et de Dablanville , et particulièrement
dans la scène où celui-ci , voyant Mme
Saint-Allard démasquée , l'abandonne , et rend de luimême
à Terigny le dédit qu'il lui a fait signer ; moyen
comique , qui seul renouerait l'intrigue , s'il ne contribuait
à la péripétie. On reconnaîtra enfin qu'un intérêt
doux et tendre anime les scènes entre Fabrice , sa soeur
et leur jeune ami .
Le Collatéral est peut-être la pièce où M. Picard a
développé le plus de talent pour la comédie d'intrigue ,
non pas celle qui
D'un divertissement nous fait une fatigue ,
mais bien cette peinture d'une action vive et comique,
dont les fils , légèrement embrouillés , semblent
toujours prêts à se rompre , et finissent par se démêler
MARS 1813 . 46r
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d'eux-mêmes et sans effort. Ici M. Picard semble se jouer
de la difficulté , et comme si c'était trop pour lui de ces
vingt-quatre heures dont Aristote a fait une règle si
sévère , il lui fait remise de la moitié , et ne lui demande,
pour commencer et mettre à fin son action , que le tems
accordé par la diligence au repos des voyageurs .
Je serais tenté de regarder le MariAmbitieux comme
la meilleure comédie en vers de M. Picard ; elle me
paraît la mieux écrite de toutes , si j'en excepte les Capitulations
de Conscience. Je me fonde sur ce que dit , à
propos d'une autre pièce , M. Picard lui-même : « Que
>> c'est sur-tout dans les scènes sans intérêt , ( et dans
>> quel ouvrage nes'en trouve-t-il pas ?) qu'il sent ses vers
> d'une faiblesse désespérante. >> Or , la comédie du
MariAmbitieux écrite presqu'en entier d'un style ferme ,
et qui quelquefois n'est pas sans éclat , pourrait bien
devoir cet avantage au mérite d'une fable généralement
mieux conçue et d'un caractère mieux développé. Le
personnage de Duplessis , le beau-père de l'ambitieux
me paraît sur- tout une heureuse conception. Il y a tel
couplet de ce rôle et de celui de Mme Cléon qui ferait
honneur à nos meilleurs écrivains en vers. Du reste ,
cette pièce , ainsi que Duhautcours , sont de celles qui ont
mérité de fixer l'attention du premier corps littéraire de
France. Elles ont paru toutes deux avec distinction
parmi les ouvrages qui , pendant un espace de dix années ,
ont honoré la littérature française , et entre lesquels
l'Académie a été appelée à prononcer ; espèce de lice
où il a été glorieux même d'être vaincu . M. Picard
s'associa , pour la composition de Duhautcours , avec un
ami , homme d'esprit , dont cette association ne sera pas
le moindre titre littéraire , et qui y a de plus trouvé l'occasion
d'honorer son caractère , en repoussant , par une
déclaration publique , des insinuations qui n'allaient à
rien moins qu'à contester le droit de M. Picard à la propriété
de cette comédie . On pourrait citer à la gloire des
lettres et de ceux qui les cultivent de nos jours , plusieurs
exemples , soit de talens mis en commun, et dont aucun
n'a jamais voulu prétendre de supériorité sur l'autre , soit
d'amis à qui l'on a voulu faire indiscrétement honneur
462 MERCURE DE FRANCE ,
des ouvrages de leurs amis , et qui ont répondu à ces
douces perfidies par une franchise brutale et des désaveux
publics , au lieu d'autoriser ces bruits par leur
silence , ou en s'en défendant mollement , comme avaient
fait l'abbé de Voisenon et le gascon Palaprat .
<<Voici ma pièce favorite , et c'est de toutes mes
>> pièces celle où je trouve moi-même les plus grands
>> défauts ; mais je crois que c'est aussi celle qui annonce
>> le plus de talent pour la comédie. » Le lecteur a déjà
deviné que M. Picard parle ici de sa Petite Ville. C'est
tout ce que nous dirons de cette comédie que tout le
mondesait par coeur, dont presque tous les personnages
sont devenus des types d'originaux , et le hobereau
Rifflard , et le processif Vernon , et la coquette de province
Mme de Senneville, et la bourgeoise Me Guibert ,
etutti quanti.
La Grande Ville , ou les Provinciaux à Paris , sont
une erreur d'un homme d'esprit ; c'est une pièce défectueuse
qu'il n'appartenait pas à tout le monde de faire.
Ondirait que quelque malin provincial à qui M. Picard
aurait jeté la pierre dans la Petite Ville , lui a conseillé ,
comme certain personnage de la fable , d'en prendre une
autre et de la jeter à la grande ville en lui promettant le
double du succès : la vengeance aurait été à-peu-près
lamême .
Nous ne ferons que citer ici les Trois Maris , la Noce
sans Mariage, les Tracasseries , et les Filles à Marier,
pièces où se retrouvent à un degré plus ou moins éminent
les qualités constitutives du talent de l'auteur , l'esprit
, la gaieté et le naturel ; nous passerons tout d'un
coup aux Marionnettes, l'une des comédies de M. Picard ,
dont le succès a été le plus brillant et dans laquelle il paraît
avoir cherché une nouvelle source de comique . Cette
pièce paraît en effet plus fortement teinte qu'aucune
autre de la couleur philosophique. Ce ne sont plus seulement
des ridicules passagers , des travers apparens ,
des vices , pour ainsi dire , extérieurs , que l'auteur se
propose de peindre ; c'est dans les replis du coeur humain
qu'il va prendre son sujet. Il suit le précepte d'Horace
qui recommande la lecture des philosophes .
Rem tibi Socraticæ poterunt ostendere chartæ.
MARS 1813. 463
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Cependant quelques personnes en voyant M. Picard
s'engager sur les pas de Montaigne et de La Bruyère ,
dans les profondeurs du coeur humain, parurent effrayées
de la clarté qu'il jetait sur cet abîme. « Votre pièce est
>> bien vraie , lui dit-on , mais elle est bien affligeante
>>pour l'humanité . » M. Picard répond dans sa préface
à ces reproches : « Ne vous affligez pas , et si vous trou-
>> vez ma pièce bonne , venez-y prendre une leçon d'in-
>> dulgence pour autrui , une leçon de sévérité pour
» vous-même . »
<< Eh mon Dieu ! dit-il en finissant , voilà une préface
>> bien remplie d'éloges. Je ne m'y accuse de rien. Je
>>vante beaucoup de choses , et je cherche à répondre à
>> toutes les critiques . Que le lecteur me le pardonne ; je
>> fus enivré du succès de cette pièce comme mon maître
>> d'école est enivré de sa fortune . Je crois n'avoir été ni
>> fier , ni insolent. Cependant , en relisant mes notes , je
>> trouve à la date des premières représentations de cette
» comédie ces mots bien écrits de ma main : Ne suis-je
>> pas une vraie marionnette ? Je n'en rougis pas ; je n'ai
>>pas prétendu m'excepter. >>>
L'analogie, bien plus que l'ordre chronologique, nous
engage à placer après les Marionnettes , les Capitulations
de Conscience , comédie en cinq actes et en vers , dont le
sujet est encore pris dans les faiblesses du coeur humain ,
communes à tous les hommes . On s'est beaucoup récrié
contre l'immoralité de cette pièce. Le public parut ne
pouvoir supporter la vue d'un homme qui hésitait pendant
deux heures à rendre un portefeuille qu'il avait
trouvé , et proscrivit impitoyablement l'ouvrage. L'auteur
aurait pu se consoler de cette mésaventure et rendre
grâce aux Dieux , en pensant qu'il y avait encore tant
d'hommes délicats , que révoltait la seule idée d'une capitulation
avec l'honneur. Il n'était cependant pas sans
exemple de voir au théâtre des hommes probes à qui des
circonstances bien moins adroitement ménagées causent
un de ces momens d'éblouissement dont le plus vil intérêt
profite quelquefois pour mettre en problême ce qui
est de devoir. Un des plus beaux caractères d'honnête
homme qu'il y ait sur la scène , est sans contredit le Pro-
;
464 MERCURE DE FRANCE ,
cureur arbitre. Cependant , lorsque les deux vieillards
viennent se débattre devant lui à qui n'aura pas un trésor
que chacun soutient appartenir à l'autre , et que le procureur
les a décidés à le donner à des infortunés , l'auteur
n'a pas craint de le représenter hésitant dans l'exécu
tion de ce projet .
Endispersant ce bien à tous les malheureux ,
Parma foi , ce sera peu de chose pour eux ;
Ilsn'auront pas chacun une obole peut-être ,
Et c'est cent mille francs jetés par la fenêtre .
Cet argent répandu sur tant et tant de gens ,
Loin de les enrichir ferait mille indigens ;
Etque toutes ces parts soient réduites en une ,
D'un seul homme à l'instant elle fait la fortune ,
Même sans se donner le moindre mouvement.
Cette réflexion me plait infiniment ,
Et coule dans mes sens .... Mais quelle erreur extrême !
Que dis-je , malheureux !
:
Dans un tems où l'on était moins sévère sur la probité
, ces hésitations d'Ariste n'avaient rien dont le spéctateur
s'offensât .
Cette pièce des Capitulations de Conscience , que le
public traita avec tant de rigueur , avait été refaite trois
fois par M. Picard , avant qu'il l'eût jugé digne de la représentation.
Il ne faut donc pas s'étonner de le voir défendre
avec quelque chaleur un ouvrage auquel il avait
donné tant de soins , et en appeler
Du parterre en tumulte au lecteur attentif.
On retrouve cependant , même dans sa défense , le ton
de candeur et de bonne-foi qui plaît tant dans ses autres
examens. Si , dans la partie apologétique , il trouve que
<<l'action est simple et bien graduée , que le caractère
>>de Probincour est vrai et malheureusement trop com-
> mun dans la société, » il convient aussi que la pièce
>> devrait avoir un plus grand intérêt oti un comique plus
>>prononcé ; que le troisième acte dégénère en discus-
>> sion en controverse ; que le jeune homme y joue
>>trop le rôle d'un raisonneur; qu'il y a des entrées
>> brusques et multipliées dans le quatrième acte; que
,
MARS 1813 . 465
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>> Descobard est peut-être sans modèle dans lemonde.LA
>> Quand , dit- il , il ne reste plus guère de casuistes
>> parmi les théologiens , comment y en aurait parmi
les procureurs ?>>
Il serait possible de défendre le personnage de Des
cobard contre M. Picard lui-même , devant des juges
tant soit peu instruits des querelles qui divisèrenlt'eclise
dans le milieu du 17º siècle , et qui auraient appris a
connaître dans les Provinciales , le casuiste Escobar
nom que Pascal a rendu aüssi comique que Molière
ceux de Tartuffe et d'Harpagon .
Les Capitulations sont, de toutes les pièces en vers de
M. Picard , celle où il a incontestablement montré le plus
de talent comme écrivain . Rien que sous le rapport du
style , elle justifierait le choix que l'Académie avait fait
peu auparavant de l'auteur pour réparer une de ses
pertes . Elle en a fait depuis de nouvelles , et a trouvé
deux fois à se recruter honorablement parmi nos poëtes
comiques ; autant de fois le public lui en a témoigné
son assentiment , et a paru regarder ces choix comme
les meilleurs qu'elle pût faire .
La pièce des Capitulations n'ayant encore été imprimée
que dans le théâtre de M. Picard , et ayant eu par conséquent
moins de lecteurs que les autres , nous voudrions
justifier par quelques citations le bien que nous avons
dit du style ; nous n'éprouvons en cette circonstance
que l'embarras du choix ; nous nous arrêtons toutefois à
ce couplet du fils de Probincour :
;
Par une bouche adroite , ainsi quand elle passe ,
L'horreur d'une action s'atténue et s'efface :
Il vaudrait mieux , je crois , sur ces points délicats ,
Prendre pour conseillers de bien francs scélérats ,
Que ces hommes douteux , commodes et flexibles ,
Dont l'ame aux sentimens les plus incompatibles
Et se prête et se plie avec facilité .
Des conseils de ceux-là vous seriez révolté ,
Car ils prêchent le mal avec effronterie.
Bien munis d'argumens, couverts d'hypocrisie ,
Ceux-ci vous meneront par un chemin plus doux ,
Au dessein de garder ce qui n'est pas à vous.
Gg
1
>
466 1 MERCURE DE FRANCE ,
:
少
C'est peu que pour leur compte ils aient deux consciences ,
Aux autres de bien faire ils donnent des dispenses ,
D'autant plús dangereux , qu'en léur perversité ,
Ils se font fanfarons encor de probité . A
Il faudrait pouvoir citer toute cette scène , ainsi que la
troisième du 3º acte , dans laquelle Descobard , consulté
sur l'emploi d'un trésor trouvé , étale tous les sophismes
de la mauvaise foi .
PROBINCOUR
Apeu de chose près ,
Tels qu'ils se sont passés , Monsieur , voici les faits .
Quelqu'un trouve un trésor en un lieu solitaire.
Ah!
4
1 Ah!
DESCOBARD .
Mme PROBINCOUR .
Nul renseignement sur le propriétaire.
DESCOBARD .
Mme PROBINCOUR .
Un forte somme en papier excellent .
DESCOBARD .
Et qui trouve cela ? Vous ?
PROBINCOUR .
Non, notreparent.
DESCOBARD .
Il est des gens heureux .
Les Capitulations de Conscience nous ont fait laisser
en arrière la Manie de briller, l'une des plus jolies comédies
de M. Picard , et où il attaque un des travers les
plus communs. Il n'a peut- être jamais allié avec plus de
bonheur , que dans cette pièce , l'intérêt au comique ;
j'entends cet intérêt doux qui naît de sentimens bons et
honnêtes .
La Vieille Tante et l'Alcade de Molorédo sont les
deux derniers grands ouvrages de M. Picard. Tous deux
ont eu beaucoup de succès , et ce succès se soutient
encore. L'Alcade joint au mérite de l'intrigue la plus
vive et la plus amusante , le développement d'un caractère
original et comique. Il y a peu d'expositions aussi
gaies et aussi plaisantes .
C'est sur-tout en terminant cette analyse ou plutôt
MARS 1813. 467
0:
cette nomenclature des pièces composant le recueil de
M. Picard, que nous sentons avec peine ce qui manque
d'autorité à notre critique. Comment , en effet , donner
pour règle du plaisir des autres le plaisir que nous a fait
éprouver la lecture de son théâtre ? La gaîté franche , le
naturel et la vérité sont-ils à jamais sûrs de plaire ?
LANDRIEUX.
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POLITIQUE.
Le ministre de l'intérieur , accompagné de MM. les
conseillers-d'état comtes La Valetteet Molé , a présenté
au Corps -Législatif , dans sa séance du 25 février , l'exposé
de la situation de l'Empire. Toutes les sessions du Corps-
Législatif sont ouvertes par cette utile communication ,
mais aucune des années précédentes n'en a offert une aussi
étendue , aussi détaillée , aussi importante , aussi satisfaisante
dans tous ses résultats . L'Empire y est considéré dans
l'ensemble de sa richesse territoriale , agricole , commerciale
, industrielle , et le vaste aperçu que présente cet
ensemble est , en quelque sorte , éclairé par les détails
clairs et précis qui l'accompagnent. Ce travail est le plus
beau monument que l'administration de l'Empire ait pu
⚫élever à la gloire de son auguste chef : les anciens Français
yverront ce quelleessacquisitions faites par la victoire
ont apporté d'accroissement à leur prospérité ; les départemens
réunis , ce que leur situation nouvelle , l'avantage
d'une législation uniforme et d'une protection puissante
ajoutent au développement de leurs moyens ; l'étrangery
calculera les inépuisables ressources de ce vaste Empire ,
et ne s'en fera une juste idée qu'en les mesurant sur le
* dévouement de ses habitans et leur attachement inviolable
an prince qui règue glorieusement sur eux.
९
2
L'exposé de a situation de l'Empire a déjà obtenu une
publicité égale à son importance ; de nombreux tableaux
l'accompagnent et sont journellement publiés par le Moniteur
dans des feuilles supplémentaires. Nous essayerons ,
dans une analyse aussi rapide que l'exige le cadre où nous
sommes renfermés , de ne faire perdre au lecteur aucune
notion essentielle , aucun résultat important .
Le ministre a commencé par donner une idée générale
Gg 2
468 MERCURE DE FRANCE ,
1
des améliorations en tout genre dont il allait présenter le
tableau .
Vous verrez avec satisfaction , Messieurs , a-t-il dit , que
malgré les grandes armées que l'état de guerre maritime et
continentale oblige de tenir sur pied , la population a continué
de s'accroître ; que notre industrie a fait de nouveaux
progrès ; que jamais les terres n'ont été mieux cultivées ,
les manufactures plus florissantes ; qu'à aucune époque de
notre histoire la richesse n'a été plus répandue dans les
diverses classes de la société.
Le simple cultivateur aujourd'hui connaît les jouissances
qui lui furent jusqu'à présent étrangères ; il achète au plus
haut prix les terres qui sont à sa convenance ; ses vêtemens
sont meilleurs , sa nourriture est plus abondante et plus
substantielle ; il reconstruit ses maisons plus commodes et
plus solides.
,
Les nouveaux procédés dans l'agriculture , dans l'industrie
, dans les arts utiles , ne sont plus repoussés , par cela
même qu'ils sont nouveaux. Par-tout on tente des essais
et ce que l'expérience démontre préférable , est utilement
substitué aux anciennes routines . Les prairies artificielles
se sont multipliées ; le système des jachères s'abandonne ;
des assolemens mieux entendus , de nouvelles cultures
augmentent le produit de nos terres ; les bestiaux se multiplient
; les races s'améliorent ; de simples laboureurs ont
acquis les moyens de se procurer à de hauts prix les béliers
de race espagnole , les étalons de nos meilleures espèces
de chevaux ; éclairés sur leurs vrais intérêts , ils n'hésitent
pas à faire ces utiles achats. Ainsi les besoins de nos manufactures
, de notre agriculture et de nos armées sont-ils
chaque jour mieux assurés .
Ce degré de prospérité est dû aux lois libérales qui régissent
ce grand Empire , à la suppression de la féodalité ,
des dîmes , des mains-mortes, des ordres monastiques ,
suppression qui a constitué ou affranchi ce grand nombre
de propriétés particulières , aujourd'hui le patrimoine libre
'd'une multitude de familles jadis prolétaires ; il est dû à
l'égalité des partages , à la clarté et à la simplification des
lois sur la propriété et sur les hypothèques , à la promptitude
avec laquelle sont jugés les procès dont le nombre
décroît chaque jour : c'est à ces mêmes causes et à l'influence
de la vaccine que l'on doit attribuer l'accroissement
de la population. Et pourquoi ne dirions-nous pas que la
conscription elle même , qui , chaque année , fait passer
MARS 1813 . 469
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sous nos drapeaux l'élite de notre jeunesse , a contribué
à cet accroissement en multipliant le nombre des mariages ,
en les favorisant , parce qu'ils fixent pour toujours le sort
du jeune Français qui , une première fois , a obéi à la loi ?
La population de la France était , en 1789 , de 26,000,000
d'individus ; quelques personnes réduisaient même leurs
calculs à 25,000,000 . La population actuelle de l'Empire
est de 42,700,000 ames , dont 28,700,000 pour les départemens
de l'ancienne France . Cette population n'est pas le
résultat de simples conjectures , mais de recensemens exacts ,
c'est une augmentation de 2,500,000 ou de près d'un
dixième depuis 24 ans .
La France par l'étendue , par la fertilité de son sol , doit
être considérée comme un Etat essentiellement agricole.
Cependant elle a dû long- tems recourir à ses voisins pour
fournir à plusieurs de ses besoins principaux. Elle s'est
presqu'entièrement affranchie de cette nécessité.
Nos produits en céréales se sont donc accrus d'un
dixième .
En 1789 , la France avait tiré des pays qui sont aujourd'hui
pour nous l'étranger , pour une valeur de 70 millions
de grains , et en 1812 , année où la disette devait être bien
plus sensible , la récolte de 1811 ayant été incomparablement
plus mauvaise que celle de 1788 , nous n'avons tiré
du dehors que pour 18 millions de grains . Cependant si la
cherté a été grande , le besoin réel s'est fait beaucoup moins
sentir qu'en 1789 .
Le Gouverneinent n'a rien négligé pour rendre moins
pénibles les suites de la mauvaise récolte de 1811 .
Les dépenses de ses opérations , à cet égard , n'ont pas
excédé 40,000,000 fr. dont la moitié a été employée à
donner des secours individuels en subsistances à la classe
la moins aisée du peuple .
Après les blés , la principale production de notre sol est
le vin.
La France produit , année moyenne , 40 millions d'hectolitres
de vin .
L'on reconnaît tous les progrès qu'a faits ce genre de
culture , lorsque l'on compare l'année moyenne des exportations
avant la révolution et depuis dix ans , et la consom-.
mation intérieure à ces deux époques .
Huit millions d'hectares en bois et forêts , outre les arbres
épars , assurent à la France ses besoins en combustible et
en bois de construction . Des recensemens faits avec soin
:
1
470 MERCURE DE FRANCE ; )
1
dans toutes nos forêts , ont prouvé que nous avions sur pied
- en hautes futaies , bordures ou baliveaux , de quoi cons-.
truire plusieurs milliers de vaisseaux de guerre . Un million
huit cent mille hectares de ces bois appartiennent à des)
particuliers; le reste appartient à l'Etat et aux communes.
Le revenu annuel des bois est de 100,000,000 . L'ordre est
rétabli dans cette branche de notre agriculture .
Après avoir parlé de nos plus importantes productions
végétales , les soies fixent l'attention du Ministre . Tout .
est à nous on au royaume d'Italie dans cette matière précieuse
, production première et fabrication : la France seule
et l'Italie possèdent en Europe des soies en quantité de
quelqu'importance ; et pour la qualité ces soies sont préférables
à toutes celles connues .
, La matière première , les cocons sont pour les deux
Etats un produit annuel de 70,000,000 , dans lequel la
France est comprise pour 30 millions .
Notre récolte moyenne est de 22 millions de livres pesant
de cocons .
Celle d'Italie est de 30 millions de livres .
Trente-cinq millions de moutons nous donnent 120 millions
de livres pesant de laine , dont 9 millions sont en
laine fine ou perfectionnée . C'est un produit brut de 129mil.
L'exécution du système qui , par-tout où l'industrie particulière
ne saurait agir assez efficacement , met à la portée
des cultivateurs des moyens faciles de perfectionnement ,
se poursuit avec soin.
Dès cette année 28 dépôts de béliers mérinos , établis
par les soins de l'administration , ont amélioré la race de
54,000 brebis .
Le type des belles espèces est conservé dans de nombreux
établissemens formés par de grands propriétaires , et
dans dix bergeries appartenant à l'Etat .
:
1
La France a 3,500,000 chevaux. La reproduction annuelle
est de 280,000 : 250,000 arrivent à quatre ans eti
donnent un produit annuel de 75 millions .
L'éducation des chevaux avait été singulièrement négligée
à l'époque de nos troubles ; l'administration s'est
occupée avec succès du rétablissement des races les plus
utiles .
Les bêtes à cornes n'ont pas seulement une valeur comme
instrument d'agriculture , elles fournissent à nos subsistances
, à nos tanneries , à diverses branches de notre industrie
, des matières très-importantes . او こ
MARS 1813.... 471
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Leur nombre est de 12,000,000 .
Les substances minérales tiennent leur rang parmi les
riches productions de notre sol .
Nos mines de fer qui fournissaient , en 1789 , 1,960,000
quintauxde fonte en gueuse , et 160,000 quintaux de fonte
moulée , donnent aujourd'hui 2,860,000 quintaux de cette
première matière , et 400,000 quintaux dela seconde ; c'est
une augmentation d'une moitié en sus. Nous recevons
néanmoins encore quelques fers de l'étranger .
Les différentes parties de l'agriculture ainsi analysées
conduisent à ce résultat que c'est une valeur de 5,031 millions
que reproduit annuellement notre beau sol en matières
brutes et premières seulement .
Le chapitre II est consacré aux manufactures.
Les productions du sol , dit le Ministre , n'ont acquis
leur utilité et leur valeur réelle que lorsque l'industrie les
a préparées pour nos consommations et c'est sur-tout
quand elle s'exerce sur des matières premières qui nous
appartiennent , qu'elle accroît notre richesse .
,
L'année moyenne de nos exportations en soieries était ,
ilya vingt-cinq ans , de 26 millions ; elle est aujourd'hui de
64millions. 1
Le nombre de nos manufactures de draps s'est sensiblement
augmenté ; l'aisance plus généralement répandue , a
beatucoup influé sur la consommation intérieure , particulièrement
en lainages moins grossiers . La comparaison des
métiers et des fabrications à diverses époques donne une
idée de cet accroissement ; il a rendu plus grands nos besoins
en matière première , sur-tout en laines de qualité .
Les étoffes de laine fabriquées en France ont une valeur
de 370,000,000 . La matière première que nous fournissent
nos troupeaux est de 129,000,000 ; celle que nous impor
tons est de 31 millions .
L'année moyenne de nos anciennes exportations en draperies
, n'était que de 19 millions .
Nous avons naturalisé chez Dous la fabrique des casi
mirs ; nous avons perfectionné pardes machines ingénieuses
les divers procédés de la manufacture .
La tannerie , les mégisseries , les ganteries , fabriquent
pour95 millions .
La chapellerie emploie 19,000 ouvriers et crée pour 23
millions de produits .
Les toiles de coton se sont multipliées , sans que nous
ayons cessé d'employer les chanvres et les lins de notre sol.
472 MERCURE DE FRANCE ,
T
Tous les ans nous importons pour II millions de ces
matières premières .
Nos toiles , fils et cordages de chanvre sont un objet de
108 millions .
Nos toiles , nos fils de lin et nos dentelles , de 124 millions .
Ce genre de manufacture alimente notre commerce extérieur
pour une somme annuelle de 37 millions .
Les cotonnades ont dans les marchés un avantage qu'elles
doivent à la souplesse , au moelleux de leurs tissus , aux
prix , à la finesse et à la durée relatives de ces étoffes , comparées
avec leurs analogues .
Des machines ingénieuses ont porté la filature du coton
au plus haut degré de fin . Le Gouvernement a proposé un
prix d'un million à l'inventeur d'une mécanique qui perfectionnerait
la filature du lin autant que celle du coton, et
qui diminuerait ainsi le prix de la main-d'oeuvre nécessaire
à l'emploi de nos matières premières .
Déjà de grandes améliorations sont obtenues , et l'on est
sur la voie de faire cette importante découverte .
Nos lois ont repoussé d'abord tous les tissus de l'étranger :
on s'était alarmé de l'effet que devait produire cette prohibition;
mais bientôt de nombreux métiers ont fabriqué
chez nous les toiles de coton avec une perfection à laquelle
nos concurrens étrangers n'ont pas même pu atteindre .
De 1807 à 1811 , l'introduction annuelle des cotons en
laine s'est élevée jusqu'à 72 millions , mais l'année moyenne
n'a été que de 55 millions . Cette somme , d'après les évaluations
faites à la douane, représente 20 millions de livres
pesant.
Les importations de toiles ou fils ont été d'abord réduites
à un million , et depuis deux ans elles ont entièrement
cessé : nous avons , au contraire , exporté , et l'année
moyenne des exportations a été de 17 millions .
La main- d'oeuvre des cotons occupe aujourd'hui 233,000
ouvriers .
Les cotonnades fabriquées en France ont une valeur de
290millions .
Le produit de nos mines de fer , qui est de 50 millions ,
se trouve plus que doublé par la première main-d'oeuvre
dans nos forges , dans nos hauts-fourneaux , dans nos
taillanderies , dans nos aciéries , dans nos laminoirs , dans
nos clouteries : ces fabriques augmentent cette valeur de
70millions.
4
MARS 1813 . 473
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Les autres mines , celles de cuivre , d'alun , de gypse , les
carrières de marbre , etc. , produisent douze millions .
Les manufactures qui ont pour matières premières les
métaux , les clincailleries , la coutellerie , l'armurerie , les
manufactures de bronze , de dorure , sont un objet de 67
millions .
L'orfévrerie et la bijouterie occupent près de 8,000 ouvriers
, et produisent 96 millions , dont un tiers seulement
pour la main-d'oeuvre .
L'horlogerie , en occupant le même nombre de bras ,
produit 30millions ; la matière première y est pour un tiers .
Les glaces , les verreries , les porcelaines , les diverses,
manufactures de substances minérales occupent 43,000
ouvriers . Ces fabrications arrivent à 82,000,000. Jamais
elles n'avaient eu autant d'activité .
L'exposé continue ici les détails des produits de ce qu'on
peut appeler l'industrie nouvelle , celle destinée à nous
affranchir des tributs payés à l'Angleterre .
Voici la récapitulation des deux premiers chapitres ,
agriculture et manufacture .
Nous avons trouvé que les produits bruts de notre agriculture
et de notre sol étaient de 5,031,000,000 .
Que la main-d'oeuvre et la première fabrication accroissent
d'abord ces produits bruts de 1,300,000,000 .
Que les produits de notre nouvelle industrie sont de
65,000,000 .
En tout , 6,396,000,000 .
Mais ces matières premières n'ont pas été toutes manufacturées
encore . Celles qui l'ont été ne sont pas elles -mêmes
au point où elles doivent arriver pour être livrées à nos
usages , à nos consommations journalières : le blé n'est pas
devenu du pain , les étoffes ne sont pas devenues des vêtemens
, et la dernière main- d'oeuvre qui doit compléter la
valeur définitive de toutes les valeurs déjà créées est au
moins du dixième de ces valeurs ou de 639,600,000 .
Ainsi la valeur totale des matières que chaque année
leur reproduction réelle donne à nos consommations , est
au moins de 7,035,600,000 .
Le chapitre III traite du commerce .
En 1789 , l'une des années où le commerce extérieur de
la France a été le plus considérable , il ne s'est élevé qu'à
357 millions en exportations , et à 400 millions en importations
; car ilne faut pas compter , comme importations
:
474 MERCURE DE FRANCE ,
1
les 236 millions que nous recevions de nos colonies , qui
faisaient alors partie intégrante de la France .
Aujourd'hui nous introduisons beaucoup moins de matières
premières , nous exportons beaucoup plus d'objets
manufacturés .
,
En cherchant à reconnaître les causes de l'accroissement
de nos manufactures et de notre commerce continental
on võit une administration surveillante et éclairée s'occuper
sans cesse de la situation de nos divers genres d'industrie,
varier les tarifs des droits d'entrée et de sortie , écarter par
des prohibitions , par un système de douanes qui garde en
effet nos frontières , la concurrence qui pourrait arrêter
l'essorde nos manufactures ; elles conservent ainsi la prime
importante que leur donne la consommation d'un Empire
peuplé de 42 millions d'habitans; elles fournissent avec
avantage nos marchés et ceux de l'étranger .
Des lois simples et uniformes préviennent toutes les discussions
, rendent les transactions sûres et faciles ; le commerce
trouvé par-tout la même liberté , la même protection
; des routes commodes , de nombreux canaux assureut
et abrègent les transports ; de l'Espagne en Hollande
et à Hambourg , de Rome à Brest , les plus grosses voitures
cifculent librement ; Amsterdam et Marseille communiquent
ensemble par les canaux de Saint-Quentinet
du centre ; la navigation des fleuves et des rivières est perfectionnée
; elle est entretenue par des travaux journaliers .
L'Angleterrea , par ses arrêts du conseil , dénationalisé
tous les pavillons . Plus de neutres , dès -lors plus de communications
maritimes régulières ; cette époque devait être
critique ; l'Angleterre y avait compté ; mais la vigilance ,
T'habileté , l'énergie de notre Gouvernement ont su en faire
une époque d'amélioration , et c'est depuis 1806 que notre
industrie a fait les plus grands progrès .
Si l'Amérique , ou toute autre puissance , faisait reconnaître
l'indépendance de son pavillon et le principe consacré
par le traité d'Utrecht , que le pavillon couvre la marchandise
, nos ports seraient ouverts à de tels neutres , et
notre commerce prendrait de nouveaux accroissemens .
Mais il atteindra au plus haut degré prospérité
lorsque sous un Gouvernement tel que le nôtre ,
toutes les richesses de notre sol , toute l'activité de nos
manufactures nous jouirons , nous mêmes, de cette paix
qu'appellent les voux du Monde , de cette paix honorable
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et sûre qui rendra à l'industrie humaine tout son développement.
C'est à la situation territoriale dont je viens de fairel'exposé
, que nous devons l'état de nos finances , lajouissance
du meilleur système monétaire de l'Europe , l'absence
de tout papier-monnaie , une dette réduite à ce
qu'elle doit être pour le besoin des capitalistes : c'est une
telle situation , Messieurs , qui nous permet de faire face
à-la- fois à une guerre maritime et à deux guerres continentales
, d'avoir constamment 900,000 hommes sous les
armes , d'entretenir 100,000 hommes de matelots ou d'équipages
maritimes , d'avoir cent vaisseaux de ligne , au-,
tant de frégates à l'entretien ou en construction , et de dépenser
tous les ans 120 à 150 millions en travaux publics .
Le chapitre IV, des travaux publics , donne les résultats
suivans :
Depuis l'avénement de S. M. au trône impérial , on a
dépensé ,
Pour les palais impériaux et bâtimens
de la couronne . •
Pour les fortifications
62,000,000
• 144,000,000
Pour les ports maritimes .
Pour les routes .
117,008,800
277,000,000
COMM Pour les ponts .
• 31,000,000
Pour les canaux , la navigation et les
per desséchemens . 123,000,000
hers Pour les travaux de Paris ' . • 102,000,000
alisé Pour les édifices publics des départe-
COLN mens et des principales villes • 149,000,000
Total 1,005,000,000 200
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Les Palais impériaux ont été rétablis ; ils ont reça de nouveaux
accroissemens .
Le Louvre s'achève ; il coûtera 50,000,000 fr . , y compris la valeur
des maisons à abattre ; 21.400.000 fr . sont dépensés .
Les Tuileries ont été dégagées de tous les bâtimens qui en obstruaient
les abords ; le plan régulier de ce palais et de ses jardins est
entièrement exécuté ; 6,700,000 fr. y ont été employés.
Le palais du Roi de Rome est fondé en face du pont d'Iena. L'époque
de sa construction en fera un monument historique. Les projets
sont de 30 millions : la préparation du sol a employé une somme de
2,500,000 fr .
On répare Versailles , 5,200,000 fr. y ont été dépensés .
La machine de Marly , qui lui donne des eaux , se remplace par™
une pompe à feu : la dépense sera de trois millions. On a fait pour
2,450,000 fr. de travaux. را
476 MERCURE DE FRANCE;
Fontainebleau et Compiègne sont restaurés ; leurs intérieurs ont été
entièrement renouvelés ; leurs jardins replantés ; 10,600,000 fr . y
ont été dépensés. :
Les palais de Saint- Cloud , de Trianon , de Rambouillet , de Stupinis
, de Laken , de Strasbourg , de Rome , ont employé 10,800,000 fr .
Les diamans de la couronne engagés à l'époque de nos troubles ont
été retirés ; des acquisitions pour les compléter ont été faites .
Le mobilier de la couronne , qui doit , conformément aux statuts ,
être de 30 millions , a été également complété .
Trente millions ont été employés en tableaux , en statues , en objets
d'art et d'antiquités , qui ont été ajoutés à l'immense collection du
Musée Napoléon.
Toutes ces dépenses ont été acquittées sur les fonds de la couronne
et du domaine extraordinaire
Le soin d'assurer nos frontières n'a pas été un instant perdu de vue.
De grands travaux ont consolidé le système de défense du Helder ,
qui est la clef de la Hollande. Ils ont employé 4,800.000 fr.
Pendant qu'on achevait de creuser le bassin d'Anvers , cette place
recevait une augmentation de forces proportionnée à l'importance du
dépôt qui devaitlui être confié ; les travaux faits s'élèvent à 8,400,000 fr.
Le port de Cherbourg est maintenant renfermé dans une vaste enceinte
, qu'une dépense de 3,700,000 fr. a mise en état de soutenir un
siége. Quatre forts sur les hauteurs ont été terminés au commencement
de cette année. Dans son état actuel , cette place peut soutenir
30 jours de tranchée , et dans un an elle en pourra soutenir 90 .
Brest , Belle - Isle , Quiberon , la Rochelle ont été améliorés ; de
nouveaux forts s'élèvent à l'Isle- d'Aix , à l'Isle -d'Oleron , à l'embouchure
de la Gironde , à Toulon , aux îles d'Hières , à la Spezzia ,
àPortoferrajo .
( Sur toutes nos côtes , les batteries les plus importantes ont été fermées
à la gorge par des tours voûtées à l'épreuve de la bombe , et
armées de canons .
Chaque année voit augmenter la force de Corfou ; des camps retranchés
couvrent la place.
Du côté de terre notre ligne de défense du Rhin a reçu par-tout un
nouvel accroissement. Kehl est achevé. On a fait pour 5,700.000 fr .
d'ouvrages à Cassel et à Mayence , pour 3,800,000 fr. à Juliers , à
Wesel pour 4.700,000 fr .
Enfin , les travaux d'Alexandrie , où l'on a dépensé 25,000,000 ,
ont continué à recevoir les mêmes améliorations .
Les places d'une moindre importance ont reçu les fonds que réclamaient
leurs besoins ; leur dépense a été de 71,000,000 .
Les titres suivans font connaître les travaux de la marine
et des ports , l'état des routes , celui des canaux des dessé
chement , les travaux de Paris et des départemens .
Le chapitre V est consacré à l'administration intérieure.
Les divers cultes ont reçu des marques d'intérêt et de protection.
Des supplémens sur le trésor impérial ont été accordés aux curés au
delà des Alpes , qui n'avaient pas un revenu suffisant .
Des palais épiscopaux , des séminaires ont été achetés.
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Le concordat de Fontainebleau a mis un terme aux dissentions de
l'Eglise . Le Gouvernement a été constamment satisfait de l'attachement
que lui ont montré les évêques et le clergé .
Les anciens principes de l'Eglise de France connus sous le nom
de libertés de l'Eglise gallicane , concilient parfaitement les droits du
trône et ceux des pontifes . Ils doivent être constamment la base de
l'enseignement dans toutes les Ecoles de l'Empire .
La conduite des ministres des autres religions a été exemplaire.
Tont est prêt pour l'organisation définitive des cultes réformés et
luthériens dans le nord ; leurs pasteurs ont reçu des traitemens provisoires
.
Le nombre des procès civils a diminué sensiblement ; leur jugement
est plus prompt ; les discussions sont moins embarrassées ; c'est
un des bienfaits de notre nouveau Code civil Chacun désormais
connaît ses droits , et sait mieux quand et comment il peutles exercer .
Les procès criminels sont plus sensiblement réduits encore que les
procès civils . En 1801 , la population était de 34 millions d'individus.
Cette année présentait 8500 affaires criminelles , dans lesquelles
12.400 prévenus étaient impliqués . En 1811 une populations de
42millions n'a plus présenté que 6000 affaires , dans lesquelles 8600
prévenus étaient intéresssés .
१
Les caisses municipales sont tenues avec le même soin que celles
de tous les autres comptables .
Huit cent cinquante villes ont plus de 10,000 francs de revenus; la
majeure parrttiiee de leurs budjets de1813 est arrêtée.
En 1809 , le nombre des élèves des Lycées n'était que de 9,500 ,
dont 2.700 externes , et 6.800 pensionnaires ;
Aujourd'hui , le nombre des élèves est de 18,000 , dont 10,000
externes , et 8,000 pensionnaires .
Cinq cent dix colléges donnent l'instruction à 50,000 élèves , dont
12,000 pensionnaires . L
Dix-huit cent soixante-dix -sept pensions ou institutions particulières
sont fréquentées par 47,000 élèves .
Trente-un mille écoles primaires donnent l'instruction du premier
degré à 920 000 jeunes garçons . Ainsi 1,000,000 de jeunes français
reçoit le bienfait de l'instruction publique .
L'école normale de l'Université forme des sujets distingués dans
les sciences , dans les lettres , dans la manière de les enseigner. Ils
portent chaque année dans les lycées les bonnes traditions , les méthodes
perfectionnées .
Les trente-cinq académies de l'Université ont 9,000 auditeurs ; les
deux tiers de ces élèves suivent les cours de droit et de médecine .
L'école polytechnique donne tous les ans aux écoles spéciales du
génie , de l'artillerie , des ponts et chaussées et des mines , 150 sujets
déjà recommandables par leurs.connaissances .
Les écoles de Saint- Cyr , de Saint- Germain , de la Flèche , fournissent
tous les ans 1,500 jeunes gens pour la carrière militaire. :
-
478 MERCURE DE FRANCE ,
4
Le nombre des élèves des écoles vétérinaires est doublé . Les intérêts
de l'agriculture ontdicté une meilleure organisation de ces écoles .
L'académie de la Crusca de Florence dépositaire du plus pur
idiôme de la langue italienne ,
L'institut d'Amsterdam ,
L'académie de Saint-Luc de Rome ,
Ont reçu de nouveaux réglemens et des dotations suffisantes.
Les travaux de l'Institut de France se continuent ; le tiers de son
dictionnaire est fait , il peut être achevé dans deux ans ; les recherohes
sur notre langue , sur notre histoire occupent un grand nombre
de ses membres .
-Quant à la marine , les chantiers de Lorient , de Rochefortet de
Toulon , continuent à avoir l'activité dont ils sont susceptibles , et
d'employer tous les matériaux que leur offrent les bassins des rivières
destinées à les alimenter.
GO
En peu d'années , nous serons arrivés à avoir 150 vaisseaux , dont
12 à trois ponts , et un plus grand nombre de frégates .
Enfin, sur nos 100 vaisseaux , nous en avons aujourd'hui 65 armés,
équipés , approvisionnés pour six mois , constamment en partance ,
appareillant tous les jours et dans une situation telle , qu'aucun ne
sait, au moment où on lève l'ancre , si c'est pour un exercice ou pour
une expédition lointaine.
La conscription maritime produit tous les ans vingt mille jeunes
gens . L'inscription des pécheurs produit aussi des ressources importantes.
Enfin, au moment où la paix continentale aurait rendu disponible
la conscription de tout l'Empire , nous pourrions à volonté accroître
la conscription maritime.
L'Angleterre peut avoir le nombre de vaisseaux et de troupes de
terre qu'elle voudra; elle peut donner à son commerce la direction
qui lui convient ; mais nous prétendons rester dans les mêmes droits .
Si elle prétend nous imposer la condition secrette de détruire nos escadres,
de les réduire à 30 vaisseaux ou de souscrire à des traités de
commerce non conformes à nos intérêts , une telle paix ne sera jamais
signée par l'Empereur , ni désirée par aucun Français.
Nous désirons la paix ; mais si nous ne pouvions l'avoir qu'à ces
conditions , il faudrait bien continuer la guerre , et chaque année de
guerre nous accroîtrions nos forces navales , sans que la supériorité
de l'ennemi pût nous en empêcher .
L'armée de terre se compose de la garde impériale , qui comprend
zo régimens d'infanterie et 44 escadrons ; de 152 régimens de ligne
et de 37 d'infanterie légère , faisant 189 régimens d'infanterie ou 945
bataillons français ; de 15 régimens d'artillerie , de 30 bataillons du
train , de 90 régimens de cavalerie , à huit compagnies chacun ; indé-
2 pendamment de quatre régimens suisses , de six régimens étrangers
et de plusieurs bataillons coloniaux .
Je ne vous parlerai point , Messieurs , d'événemens militaires ni
politiques ; je ne pourrais rien ajouter à ce qui est à votre connais۱
MARS 1813. 479
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sance et à ce que l'Empereur vous a dit en peu de mots , mais avec
tant de profondeur.
: Il m'a paru que le simple exposé de notre situation intérieure , appuyé
sur des états et sur des chiffres , l'exposé de notre situation maritime
et militaire étaient suffisans pour faire comprendre l'immensité
de nos ressources , la solidité de notre systême et les grâces que nous
avons à rendre à un gouvernement vigilant dont les travaux sont
constamment consacrés à tout ce qui est grand et utile à la gloire de
Empire.. )、
Le compte de l'administration des finances , qui vous sera incessamment
communiqué , vous fera connaître leur situation prospère ;
ce que je pourrais en dire serait insuffisant et incomplet.
La ferme résolution du souverain de protéger également toutes les
parties de son Empire, et de marcher constamment dans le même
systêmed'économie et de grande administration , ne peut que redoubler
, s'il est possible , la confiance et l'amour que lui portent tous
ses sujets. 1
Il est inutile de dire avec quel intérêt un tel rapport a
été entendu au sein du Corps-Législatif, qui en a ordonné
l'impression au nombre de trois mille exemplaires . M. le
comte de Montesquiou , dans sa réponse , s'est noblement
rendu l'interprète de la reconnaissance du Corps-Législatif
pour cette importante communication , et des espérances
auxquelles un tel état de situation permet de se livrer pour
-l'avenir.
९
Dimanche 28 février il y a eu audience de présentation .
M. le comte de Narbonne a été présenté au serment , qu'il
aeu l'honneur de prêter entre les mains de S. M. , en qualité
d'ambassadeur à Vienne . M. le comte Otto , qui occupait
ce poste , est nommé ministre d'état; il rentre au
Conseil d'état en service ordinaire , office des relations
extérieures .
S. M. a tenu mercredi un conseil des ministres : lejeudi
elle a présidé son conseil-d'état.
Aujourd'hui vendredi , à 11 heures , elle a passé en revne
sur la place du Palais des Tuileries , des corps nombreux
de cavalerie et d'infanterie de la garde impériale , et un
immense convoi d'artillerie , de munitions et d'équipages
de guerre. L'Empereur a passé cette revue dans le plus
grand détail : la cavalerie a défilé homme par homme : les
troupes de toutes armes en passant devant l'Empereur l'ont
salué par les plus vives acclamations . Une foule considérable
de spectateurs assistait à cette revue,
Un bal masqué très-brillant avait eu lieu le mardi
au palais des Tuileries , dans la grande salle de spectacle
, disposée à cet effet. Les loges étaient occupées par
480 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
un grand nombre d'habitans de Paris et de personnes in
vitées : les femmes étaient d'un luxe égal à leur élégance ;
- les hommes en dominos de toutes couleurs , le noir excepté ;
presque toutes les femmes en habits de caractère . La fête
s'est prolongée très - avant dans la nuit ; LL. MM. ne se sont
retirées qu'à trois heures .
Dans le sein de la capitale , un tems magnifique a contribué
à rendre les mascarades brillantes , et en a fait un
spectacle très -agréable. Les boulevards étaient occupés par
tout ce que Paris compte de femmes élégantes et de riches
équipages , dont les files pressées se succédaient avec
beaucoup d'ordre , depuis la porte Saint-Honoré jusqu'à la
rue Saint-Denis , et de-là , en retour , par cette rue et celle
Saint-Honoré jusqu'au boulevard de la Madeleine . Les
masques étaient nombreux, quelques déguisemens ont paru
piquans , etplusieurs troupes de masques ontoffert des scènes
bien disposées . Le soir, les innombrables lieux publics consacrés
à la danse dans les divers quartiers n'ont offert qu'une
⚫enceinte trop étroite aux masques qui venaient s'y porter.
Aucun accident n'a troublé l'ordre public. Le mercredi , la
corporation des bouchers a fait en grande pompe sa promenade
accoutumée .
L
८
4
هو 2
N. B. Au moment où nous écrivons , un de nos journaux
annonce le prochain départ de l'Empereur pour
Magdebourg , en passant par la Hollande et les villes
Anséatiques : il n'a été rien publié d'officiel à cet égard.
३
S....
3
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre.
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles . Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de 11 francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger. )
2
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Etranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
i de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
àParis.
:
:
!
ap
1
MERCURE
DE FRANCE.
S
N° DCVIII . Samedi 13 Mars 1813 . -
POÉSIE.
A MISS CLARKE ,
EN LUI ENVOYANT L'ES ÉLÉGIES DE TIBULLE:
Vers imités de l'anglais .
CHAQUE mot , dans ces vers inspirés par les Grâces ,
Du chantre des Amours nous révèle les traces ;
Chaque mot , de son coeur échappé mollement ,
Fait rêver la maîtresse et soupirer l'amant .
Des Dieux enfant gâté , Tibulle eut en partage
Les dons de la fortune et les dons du bel âge ,
Et l'art plus précieux , l'art d'en savoir jouir .
D'un faste , ami des cours , bien loin de s'éblouir ,
Libre d'ambition , exempt de défiance ,
Gaîment il promenait sa douce insouciance ;
Et d'un bras caressant embrassait tour-à-tour ,
L'autel de l'Amitié , le trône de l'Amour .
Sans y songer à peine , il quitta la lumière :
Tel cédant au sommeil l'enfant clos sa paupière ,
८
Hh
482 MERCURE DE FRANCE ,
Zéphire perd son souffle , et Flore ses attraits !
La guirlande de rose est cliangée en cyprès.
La naïade gémit , et sombre et taciturne ,
Sur les gazons flétris n'épanche plus son urne.
Vénus même fuyant l'essaim des voluptés
Détèle de son char ses cygnes attristés .
Des plus beaux yeux les pleurs obscurcissent les charmes ;
Qui ne pleura jamais , versa pour lui des larmes.
On crut voir s'éclipser les Amours et les Ris,
Mais ils vivent encore au sein de ses écrits .
Tibulle suit encore , exilé de la terre ,
De ses premiers penchans l'attrait involontaire ;
Jeune et toujours sensible , aux Champs-Elysiens ,
Il cherche des amans les naïfs entretiens ;
Etson ombre amoureuse et de myrtes parée ,
Dicte encor ses leçons à leur foule enivrée .
Souvent , sa lyre en main , il attendrit les bois ,
Etleurs fronts embaumés s'inclinent à sa voix .
Vous répétez ses chants : à sa palme immortelle ,
Emma , vous ajoutez une palme nouvelle .
Il vous plait , serait-il un sort plus glorieux ?
Il charme la beauté , qui charme tous les yeux.
DU PUY DES ISLETS .
PORTRAIT D'UNE PETITE CHIENNE .
1
Issa est passere nequior Catulli , etc.
2
MART. , Lib . I , EP. CX.
FLORE surpasse en malice , en gaîté ,
Le passereau par Catulle chanté.
On ne voit point de chienne si gentille :
Flore est d'un prix au-dessus des bijoux .
Quelle colombe , ou quelle jeune fille ,
Donna jamais des baisers aussi doux ?
Par son instinct , par ses charmans caprices ,
De mon ani Flore fait les délices .
Un léger souffle , ou le moindre soupir ,
Quand elle dort , ne se fait pas entendre :
Comme elle sent la peine et le plaisir !
MARS 1813 .
483
Que son langage est expressif et tendre !
Qui plus que Flore aime la propreté ?
Sa douce patte , avec légéreté ,
Sait avertir , dès qu'elle veut descendre :
Flore jamais ne salit un tapis ,
Tant la décence à Flore est naturelle !
Il s'est offert grand nombre de partis ;
Aucun époux n'a paru digne d'elle .
Aussi craignant que le fatal ciseau
Tranchant le fil d'une si belle vie ,
A son amour Flore ne fût ravie
Et toute entière emportée au tombeau
Son maître a su , dans un tableau fidèle ,
Nous conserver les grâces du modèle
Avec tant d'art , et si bien trait pour trait ,
Qu'en voyantFlore auprès de sa copie ,
On jurerait qu'il en est deux en vie ,
Ou qu'elles sont l'une et l'autre en portrait .
१
,
L
DE KERIVALANT.
LES AVANTAGES DU TALENT.
Sum , fateor , etc. ( MART ., Lib. Vep . XIII . )
J'Ar toujours été pauvre ; oui , Chrysès , je l'avoue ;
Mais non pas inconnu , ni dans l'obscurité.
« Le voilà , dit chacun ! On me lit , on me love :
J'obtins , dès mon vivant , une célébrité
Que peu d'auteurs ont due à la postérité.
Pour toi , de tes palais , où brille la dorure ,
Cent colonnes de marbre ornent l'architecture ;
Tes immenses guérets se couvrent de moissons ,
Et tes nombreux troupeaux , des plus belles toisons.
Tes coffres sont pleins d'or ... Mais apprends à connaître
En quoi , sur tes grands biens , l'emporte le talent !
Je puis , ainsi que toi , devenir opulent :
Ce que je suis , Chrysès , tu ne peux jamais l'être.
Par le même .
Hh 2
484 MERCURE DE FRANCE ,
1.
LES MASQUES .
POLICHINELLE est un sage estimé ;
Gille et Pierrot brillent par leur mérite ;
Pour sa bravoure Arlequin renommé
Des anciens preux eût défié l'élite .
Dame Gigognea , pour la chasteté ,
Vaincu Lucrèce : en ingénuité
Comme en pudeur tout cède à Zirzabelle ....
Ormaintenant retournons mon propos :
Ce sage austère est un Polichinelle ;
Ces grands esprits , des Gilles , des Pierrots ;
UnArlequin , ce soi- disant héros ;
Cette beauté naïve et pudibonde
Et sa maman , vertus de carnaval ! ...
Et j'aurai peint , sur maint original ,
Comine l'on est déguisé dans un bal ,
Comme l'on est déguisé dans le monde.
EUSÈBE SALVERTE.
ÉNIGME .
Je ne suis point , lecteur , une chose ordinaire,
Souvent du genre masculin
Et quelquefois du féminin.
Jesuis en terre , au ciel , chez ton apothicaire ,
Et très-utile aux parfumeurs.
7
De diverses couleurs
Ma robe se compose ;
Emule de la rose ,
Au printems j'étale mes fleurs .
Je suis tendre , je suis cruelle ;
Toujours les mortels amoureux
M'adressèrent leurs voeux ,
Car il est convenu que je dois être belle .
On dit que je sus plaire à la reine des cieux ,
Dans bien des cas je lui fus nécessaire .
Pour me trouver que dois- tu faire ?
Prendre un miroir et regarder tes yeux.
V. B. (d'Agen.)
MARS 1813 . 485
1
LOGOGRIPHE
SUR mes six pieds , lecteur , crois-le de bonne foi ,
Je suis un objet très-utile .
A la campagne , encor plus à la ville ,
Tu ne peux , bien souvent , rien terminer sans moi.
Tel est pourtant l'ordre de la nature ,
Qu'avant de passer dans tes mains ,
Je dois séjourner dans l'ordure ;
Après cela , moyennant quelques bains
Qui m'ont mis en capilotade ,
Sans en avoir été malade
१
On me jette au moule , et j'en sors
Exempt de crainte et de remords .
Mais , chose bien singulière !"
Tantôt ambassadeur , et tantôt secrétaire ,
On me voit dans la paix ,
Onme voit dans la guerre ,
A la cour , au palais ,
Chez l'avocat , chez le notaire ,
Chez le droguiste , l'épicier ,
Le procureur et chez l'huissier ;
J'assiste à la toilette
Du vieillard et de la coquette ;
Je suis souvent d'une grande valeur ,
Et mille fois par jour on me méprise.
. Je ne finirai pas , lecteur ,
S'il faut que je te dise
Tout ce qu'on fait de mon individu ,
Et ce serait , vraiment , un tems perdu ,
Car tu m'as reconnu sans doute .
Or , si tu ne me tiens , écoute !
Enme décomposant d'abord tu trouveras
Une divinité païenne
En honneur en Egypte avant l'ère chrétienne ;
Un prince pacifique , aujourd'hui sans Etats ,
Mais autrefois redoutable ;
Un oiseau familier , bavard impitoyable ;
Un des quatre élémens , une mesure agraire ,
Ungénéral français , un titre en Angleterre
1
486 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
Un objet , aux soldats , parfois d'un grand secours
Dans un voyage de long cours ,.
Voire même sur le coche .
Si tune m'as trouvé , cherche-moi dans ta poche.
Par M. C****** , employé à l'administration
del'Ecole Polytechnique.
CHARADE .
Mon premier est un très-vil animal ,
Mon second est sublime végétal ;
Mon entier est créature pensante
Dont la propreté nous enchante.
S ........
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme est U( la lettre ).
Celui du Logogriphe est Madame ,dans lequel on trouve : Adam.
Celui de la Charade est Archimède .
Aim
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS .
SOUVENIRS ET PORTRAITS , 1780-1789 ; par M. DE LÉVIS ,
avec cette épigraphe :
Il serait à souhaiter que ceux qui ont été à portée de connaître
les hommes fissent part de leurs observations .
DUCLOS , Consid. sur les Moeurs .
Un vol. in-8°. - Prix , 5 fr . , broché , et 6 fr . franc
de port. En papier vélin , le prix est double.-Paris ,
chez Fr. Buisson , libraire , rue Gilles- Coeur , nº 10 .
Nous ne sommes que trop riches en Mémoires , en
Journaux , en Souvenirs . Depuis l'époque où la révolution
mit toutes les passions à leur aise et vint anéantir
pour tant de gens toutes les lois des bienséances sociales ,
on a vu se multiplier les ouvrages de ce genre , écrits par
des témoins oculaires ou soi-disant tels . De toutes ces
révélations quelquefois criminelles et le plus souvent
indiscrètes , il est résulté quelque profit sans doute pour
les auteurs , éditeurs et imprimeurs. La curiosité et la
malignité du public y ont également trouvé leur compte ,
mais on peut douter que l'histoire y gagne beaucoup.
Dans ces ouvrages , dit fort bien M. de Lévis , le vrai
est entassé avec le faux , sans choix , sans pudeur et sans
critique , et souvent le vrai même est déguisé sous des
circonstances qui le rendent méconnaissable. De pareils
matériaux seront dans la suite très-embarrassans pour
l'historien , et s'il est des époques dont il est très -difficile
d'écrire l'histoire faute de monumens contemporains , il
ne sera guère plus aisé de traiter celle de notre âge , précisément
parce que les monumens contemporains seront
trop nombreux .
Je n'ai sûrement pas besoin de prévenir mes lecteurs
que ces réflexións que j'emprunte en partie à M. de Lévis
ne peuvent aucunement s'appliquer à son ouvrage. Ses
Portraits et ses Souvenirs seront très-propres , au con
488 MERCURE DE FRANCE ;
traire , à servir d'antidote aux publications scandaleuses
dont nous venons de parler . « Le but que je me propose ,
dit-il , est de donner des notions précises sur quelques
personnes qui ont joué un rôle important , afin que désormais
l'ignorance ou la mauvaise foi ne puisse plus les
représenter sous des couleurs mensongères . >> Voilà un
but véritablement louable ; il annonce un esprit de justice
bien rare aujourd'hui parmi nos écrivains , et M. de
Lévis y joint une délicatesse moins commune encore . Il
veut donner des notions précises , mais non des notions
complètes . Il ne dira pas tout ce qu'il sait. Il est loin de
penser que dans le portrait des personnages comme dans
le récit des événemens , le tems ne fasse rien à l'affaire..
Il sait fort bien que l'histoire ne commence pas pour
chaque individu au moment de sa mort , ni pour chaque
événement au moment qui le dénoue. A la vérité , nous
ne sommes pas tout- à-fait de son avis sur la règle qu'il
établit pour déterminer ce commencement de l'époque
historique. Il pense que l'histoire de chaque individu
appartient d'autant plus tôt au public , que cet individu a
joué un rôle plus important sur la scène du monde. Je
crains , au contraire , que si l'on voulait prouver la règle
par des exemples , on n'arrivât souvent à un résultat
opposé ; mais il ne s'agit que d'un léger changement
pour rendre son principe juste ; il ne faut qu'en ôter l'idée
du tems ; l'histoire d'un individu n'appartient , en effet ,
au public qu'autant qu'il a joué un rôle dans le monde ,
et lui appartient d'autant plus que ce rôle a été plus important
. Quant à l'époque où le public acquiert le droit
d'en jouir , sa détermination tient à tant de causes qu'il
faudrait , en quelque sorte , un code entier de bienséance
et de politique pour la fixer dans le droit , et qu'il vaut
mieux s'en rapporter , dans la pratique , au tact des auteurs
et à la sagesse des gouvernemens .
L'ouvrage de M. de Lévis peut , à cet égard , servir de
modèle, Il s'y est conformé avec scrupule au principe
que nous venons de poser. Moins les personnages dont
il s'occupe ont eu d'influence sur les affaires publiques ,
etplus iluse avec eux d'indulgence et de discrétion. En
parlant même des hommes d'état et des ministres , it
MARS 1813 . 489
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de.
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3
ف
n'entre point dans l'intérieur des familles , dans les détails
domestiques ; il se contente d'apprécier les talens politiques
, de juger les hommes dans leurs opérations . Au
reste , M. de Lévis ne s'était point dissimulé tout ce que
son ouvrage avait à perdre auprès d'une classe de lecteurs
bien nombreuse , par cette sage retenue de l'auteur .
« J'essaie , dit- il , la solution d'un problême que bien
des gens croient impossible à résoudre : composer un
ouvrage sur les personnes , qui soit sans malignité , et
qui cependant ne paraisse pas insipide .>> Et il ajoute :
« Si je réussis , je partagerai l'honneur du succès avec la
nature humaine qu'on aura calomniée . » Il est vrai qu'on
la calomnie souvent , mais sera-t-elle justifiée par M. de
Lévis , par cela seul que des lecteurs sensés auront goûté
le dédommagement qu'il leur présente de l'omission des
anecdotes scandaleuses , dans ses observations sur les
moeurs et dans ses réflexions sur les événemens mémorables
qui se sont passés sous ses yeux ? Je crois qu'il est
permis d'en douter , car il ne sera pas démontré par-là
que les lecteurs , même sensés , n'auraient pas accueilli
avec plus d'empressement encore des traits piquans et
des anecdotes malignes .
Mais au lieu de chicaner M. de Lévis sur un sentiment
qui lui fait honneur , occupons-nous de son ouvrage .
Le premier personnage qu'il met en scène est le comte
de Maurepas . Ce ministre est peint avec une grande
fidélité . On nous le montre , non comme un génie supérieur
, mais comme un homme d'esprit et de sens , habile
dans les affaires , ayant du discernement et de l'expérience
, mais trop léger , trop enclin à la plaisanterie ,
facile à séduire et à gouverner. « Si on le compare , dit
M. de Lévis , aux fameux personnages qui ont occupé
avant lui ce poste si important pour la France et pour
l'Europe , on trouvera qu'il n'avait ni la profondeur énergique
de Richelieu , ni la grande habileté de Mazarin ,
ni la sagesse de Fleury , mais aussi qu'il ne fut ni immoral
comme Dubois , ni follement présomptueux comme
le cardinal de Loménie. » Ce jugement nous paraît fort
équitable , et même plus favorable à M. de Maurepas
qu'on ne devait l'attendre , après le blâme jeté par l'aus
490 MERCURE DE FRANCE ,
!
teur sur deux opérations, les plus importantes peut-être
de son ministère , la guerre d'Amérique et le rappel des
parlemens . Je ne sais mnêêmmee si M. de Levis ne se déclare
pas trop fortement contre ces deux mesures. La guerre
d'Amérique , il est vrai , amena les emprunts , et les emprunts
la révolution. La résistance des parlemens rétablis
est encore une des causes auxquelles la révolution
est attribuée ; mais la guerre d'Amérique n'était-elle pas
commandée par l'honneur national ? Et M. de Lévis ne,
convient- il pas lui-même qu'en ne rappelant pas les parlemens
il aurait fallu des assemblées provinciales ? Or ,
je doute qu'alors le gouvernement y eût gagné . La résistance
des parlemens ne devint si puissante que par l'opinion
publique , et par la résistance pareille des Etats de
Bretagne et de Béarn.
Trois autres ministres de Louis XVI paraissent dans
cet ouvrage après M. de Maurepas ; ce sont MM. de
Calonne , Necker et le cardinal de Loménie. Je doute
que leurs amis soient fort satisfaits de la manière dont
M. de Lévis les apprécie ; leurs ennemis ne le seront pas
non plus ; mais les portraits qu'en trace notre auteur
pourront bien être adoptés par l'histoire : elle consacrera
sans doute la probité et l'orgueil de M. Necker , la bonté
de ses intentions et son imprudence dans le choix des
moyens , ses talens comme financier , son incapacité
comme premier ministre. Je crois qu'elle confirmera de
même le jugement que M. de Lévis porte de son rival ;
elle ne contestera point à M. de Calonne un esprit vif ,
étendu , et une extrême facilité pour le travail; elle lui
accordera d'avoir été moins systématique , et d'avoir
mieux connu les Français que M. Necker ; mais elle lui
reprochera sa légèreté , sa prodigalité , son aversion pour
les calculs , et l'énorme perte de tems qui en était la suite.
Quant au cardinal de Loménie , léger météore qui brilla
un instant sur cette scène orageuse , M. de Lévis le fait
connaître encore plus complétement. Son chapitre est
un des plus curieux de l'ouvrage. L'auteur y a inséré
un tableau très-piquant et très-fidèle de la fermentation
qui régnait alors dans toutes les têtes , et il le termine
1
: MARS 1813. 491
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06
par le récit d'une conversation qu'il eut lui-même avec
le principal ministre , et qui suffit pour le juger .
Un seul souverain figure parmi les personnages dont
M. de Lévis nous donne le portrait : c'est Gustave III ,
roi de Suède . Ce prince , justement célèbre , est apprécié
d'après ses actions publiques ; la plupart sont glorieuses ,
et les contrariétés qu'il éprouva pendant tout son règne ,
ainsi que sa fin tragique , répandent sur sa vie un touchant
intérêt. Nous ne blâmerons donc pointcertaine réticence
que M. de Lévis s'est imposée sur son compte ; mais nous
craignons que l'histoire ne soit plus sévère que lui ; ello
transmettra sans doute à la postérité les singulières contradictions
qui existaient dans le caractère de ce prince ;
elle dira que des réformes minutieuses compromirent la
stabilité de sa grande révolution , et qu'il fit quelquefois
le héros de théâtre , quoiqu'il fût un véritable héros .
Dans l'impossibilité où nous sommes de faire connaître
à nos lecteurs tous les portraits renfermés dans ce volume
, nous nous arrêterons de préférence à ceux qui
sont les plus intéressans , soit par le caractère du personnage
, soit par le talent du peintre . Nous citerons à
ce double titre celui du maréchal de Richelieu , où l'auteur
a fait entrer des détails curieux sur les dernières
années de Louis XIV. On y distinguera la seule plaisanterie
que l'on connaisse de ce prince , plaisanterie qui
peut-être n'est pas très-piquante , mais qu'on n'avait
point encore imprimée. L'article de M. de Malesherbes
mérite aussi d'être distingué par la manière dont l'auteur
a su caractériser l'héroïsme de ce personnage vraiment
vertueux. La curiosité ne sera pas complétement satisfaite
dans l'article du cardinal de Rohan ; la fameuse
affaire du collier y est traitée avec une réserve remarquable.
Cependant une anecdote que M. de Lévis raconte
, comme témoin oculaire , sera du moins suffisante
pour donner une idée de l'étonnante crédulité du cardinal.
Le chapitre de Mirabeau pourra bien essuyer des
contradictions ; les uns y trouveront trop peu d'admiration
, et les autres trop d'indulgence . Le portrait de Barnave
sera aussi jugé différemment par les différens partis ,
۱
492 MERCURE DE FRANCE ,
mais tous se réuniront pour applaudir au parallèle que
l'auteur établit entre le célèbre Fox et M. de Cazalès .
Cequi plairaautant , en étonnant peut-être les personnes
qui ont trouvé trop peu de galanterie dans les maximes
de M. de Lévis , c'est la manière dont il peint dans ce
volume quelques femmes célèbres . Il s'attache à faire
valoir leurs vertus , leur esprit , leur amabilité , leurs
grâces ; il passe légèrement sur leurs défauts , ou les couvre
d'une réticence . Ce sont des portraits charmans que ceux
qu'il nous donne de la maréchale de Mirepoix et de la
maréchale de Beauveau . En parlant de Mme de Montesson
il lui sauve ses ridicules , autant que cela est possible
, et c'est par ses qualités aimables qu'il fait connaître
la comtesse de Boufflers . M. de Lévis n'est pas cependant
infidèle à ses maximes ; dans plusieurs endroits de
ce volume , il s'élève contre l'influence que les femmes
ont si long-tems exercée dans la société , contre le danger
de se laisser conduire par elles dans le choix des ministres
et des généraux ; mais ses portraits prouvent du
moins que lorsqu'il s'agit de juger une femme en particulier
, il sait se départir de la rigueur de ses maximes
générales .
Je terminerais ici cette revue , si je ne croyais devoir
une mention particulière à l'article que l'auteur a consacré
à la mémoire du maréchal de Lévis son père . Il y
remplit dignement les devoirs de fils et d'historien . Le
maréchal de Lévis appartient à- la- fois aux souvenirs de
la cour et à ceux de l'histoire. Sa conduite au Canada ,
où il prit le commandement de l'armée française après
lamort du marquis de Montcalm , prouve qu'il réunissait
l'audace , la prudence et les ressources ingénieuses
qui constituent les grands généraux. Sans doute les
futurs historiens de la France au dix-huitième siècle
sauront mettre en évidence cette partie peu importante ,
mais glorieuse , d'une guerre où nous n'essuyâmes que
trop et de trop honteux revers .
Nous avons dit que M. de Lévis avait semé son quvrage
d'observations sur les moeurs , de réflexions sur
les événemens . Toutes sont ingénieuses ou piquantes ;
elles annoncent un esprit observateur. Peut-être cepen
1
MARS 1813 : 493
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1
dant l'auteur s'est-il livré quelquefois avec trop de confiance
à des opinions qui , pour être répandues dans le
grand monde , ne sont pas toujours d'une parfaite vérité.
Tel est son jugement sur les dangers auxquels la cour
s'exposa par l'abolition de l'étiquette ; telle est l'importance
qu'il attache et les regrets qu'il accorde à la suppression
des Jésuites . L'étiquette seule n'eût pas sauvé
le pouvoir royal. Les Jésuites n'eussent pas seuls arrêté
les progrès de l'incrédulité , car elle devait être déjà bien
répandue lorsqu'on osa les détruire. On peut faire une
remarque singulière sur les raisonnemens encore plus
singuliers que l'on entend faire tous les jours sur les
causes de la révolution . Tout le monde en admet plusieurs
, et semble cependant persuadé qu'elle aurait pu
être opérée par une seule , que chacun choisit à son
gré , selon ses préjugés et ses opinions particulières ; et
cependant chacun retrouve aussi dans l'histoire de cette
mémorable catastrophe un ou même plusieurs momens
favorables où il eût été facile de la prévenir ou de l'arrêter.
Soyons de bonne foi : puisqu'il s'est réuni pour
opérer la révolution tant de causes si puissantes , puisqu'aucun
des moyens si faciles de la prévenir n'ont été
employés , il faut bien se résoudre à penser qu'elle était
inévitable , c'est-à-dire qu'elle était amenée par la marche
nécessaire des moeurs et des opinions . :
Mais ne nous engageons pas plus avant dans une discussion
si épineuse. Revenons à M. de Lévis . Nous
n'avons encore rien dit de son style , partie si importante
du talent d'un auteur. M. de Lévis a soigné le sien ,
quoiqu'il s'élève avec raison contre la maxime deBuffor,
que le style fait tout l'homme. Il montre fort bien au
contraire que le style n'est qu'un instrument ; il blâme le
goût de certains auteurs de nos jours qui croient avoir
tout fait lorsqu'ils ont construit des phrases harmonieuses
. M. de Lévis croit que le naturel et la simplicité
sont bien préférables à ce luxe de mots et de périodes;
il n'a voulu qu'être simple et naturel. Il s'attend que l'on
trouvera de l'inégalité dans son style , mais il annonce
que cette accusation le touchera peu , qu'il sera même
tenté de la prendre pour un éloge. Aun petit nombre
494 MERCURE DE FRANCE ,
1
1
d'exceptions près , il pense que le style « de toutes les
compositions littéraires doit s'élever et s'abaisser avec le
sujet , tel que ces chemins tracés parun ingénieur habile ,
quisuivent , en les adoucissant , les inégalités du terrain ;
ou, si l'on veut encore , il le comparera à une eau limpide
qui laisse voir la couleur du fond sur lequel elle
coule; plus elle est transparente et pure , moins elle se
fait remarquer.>> Nous souscrirons volontiers à ces principes
ainsi qu'à cette apostrophe où l'auteur donne à- lafois
le précepte et l'exemple , car autant son style est
simple et se rapproche du ton de la conversation lorsque
le sujet le demande , autant il s'élève dans cet
endroit:
« Vous ( dit-il ) qui courez la carrière des lettres ,
croyez-moi , montrez-vous tels que vous êtes ; c'est le
seul moyen d'avoir de la grâce. Je sais bien que cela ne
donne pas de la force ; mais si vous en manquez , tous
ces déguisemens , au lieu de cacher votre faiblesse , ne
feront que plus ressortir votre impuissance. Il vaudrait
mieux vous retirer , car on n'entre point par ruse dans
le temple de Mémoire ; ses portes , toujours fermées ,
roulent péniblement sur leurs gonds , et ne cèdent qu'aux
efforts d'une main vigoureuse . »
J'en ai assez dit , je crois , pour montrer que l'auteur
a très-bien résolu le problême qu'il s'était proposé . Ce
volume , sans malignité et sans scandale , non-seulement
ne paraîtra point insipide , mais se fera lire avec empressement.
C'est un moyen sûr de parvenir à ce but que
d'entretenir ses lecteurs avec autant d'esprit que d'impartialité
et de décence , des personnages sur qui la
France et l'Europe ont eu les yeux fixés pendant si longtems
.
M. de Lévis nous promet une seconde partie de cet
ouvrage ; elle doit contenir ses observations sur les principaux
personnages qu'il a eu occasion de connaître en
Angleterre , en Allemagne et en Russie, Le public attendra
sans doute l'accomplissement de cette promesse avec
impatience , mais non avec inquiétude , puisque l'auteur
n'y met pour condition que le succès du volume qu'il
publie; il n'était permis qu'à lui d'en douter.
A MARS 1813. 495
ea
tra
Ilnous reste, pour l'acquit de notre conscience de critique
, à relever deux inexactitudes qui sont échappées à
M. de Lévis . En racontant le trait généreux et chevaleresque
du maréchal de Biron , qui paya en 1778 les
dettes de l'amiral Rodney , pour que ce marin célèbre
pût retourner en Angleterre , et servir sa patrie contre
nous , M. de Lévis ajoute que , deux ans après , cet
amiral détruisit notre flotte : ce ne fut pas deux ans ,
mais quatre ans après , car la défaite et la prise du comte
de Grasse sont du 12 avril 1782. Le seconde erreur ne
roule que sur unnom propre . M. de Lévis écrit Pemesja ,
Je nom de l'ami du médecin Dubreuil : c'est Pechméja
qu'il devait écrire . C. V.
3
2.
即
T
ef
ARNOLDIANA , Ou Sophie Arnould et ses Contemporaines ;
Recueil choisi d'Anecdotes piquantes , de Réparties
et de bons Mots de Mlle ARNOULD , actrice de l'Opéra ;
précédé d'une Notice sur sa vie et sur l'Académie
Impériale de Musique ; par l'auteur du Biévriana ,
avec cette épigraphe :
1
Son coeur n'eut jamais part aux jeux de son esprit .
Un volume in- 12 de 380 pages , orné du portrait de
Mlle Arnould , gravé au pointillé par M. Bourgeois de
la Richardière , d'après le tableau de Latour , peintre
du roi. - Prix , 3 fr. 5o c. , et 4 fr. 50 c . franc de
port . A Paris , chez Gerard , libraire , rue Saint-
André-des-Arcs , nº 59 .
Dans le Mercure de France du 16 mars et du 11 mai
1811 , à l'occasion du Répertoire de Bibliographies spéciales
, curieuses et instructives , de M. Peignot , il a été
donné quelques détails sur les Ana. Il a paru depuis
quelques livres de ce genre , et les recherches que j'ai
faites m'ont procuré la connaissance de quelques autres .
En voici la liste :
I. ANONYMIANA . Nous possédions déjà un ouvrage
1
496 MERCURE DE FRANCE ,
sous ce titre , il paraît qu'il en a paru un second a
Londres ( 1 ) .
II. ARCERIANA. Quatre vol. in-folio , manuscrit. Il en
est fait mention dans la Biographie Universelle (2) .
III . BEAUMARCHAISIANA , ou Recueil d'Anecdotes ,
bons Mots , Sarcasmes , Réparties , Satires , Epigrammes
et autres pièces peu connues de Caron de Beaumarchais
, avec des notes et éclaircissemens , précédés de la
vie de l'auteur , par Cousin d'Avalon . Paris , 1812. In-18 .
IV. BRUMMERIANA . Leipzick , 1712. In-8°.
Georges Beyer a recueilli sous ce titre plusieurs opuscules
de Fréderic Brummer. Je ne connais , au reste ,
ce recueil que par ce qu'en dit M. Guizot dans la Biographie
Universelle .
V. CECILIANA , ou Procès-verbal de la fête donnée par
M. Casimir Dechevestre à Mademoiselle Cécile Leduc .
Paris , frimaire an XI , 1802 ( v. s. ) . In-8º de 16 pages .
C'est le récit de ce qui s'est passé à la fête de Mll
Cécile Leduc, et le recueil des couplets qui lui ont été
adressés .
VI. CICERONIANA , ou Recueil des bons Mots etApophthegmes
de Cicéron , suivi d'Anecdotes et de Pensées
tirées de ses ouvrages , et précédé d'un abrégé de son histoire
avec des notes . Lyon , imprimerie de Ballanche
*1812 . In-8° .
,
Ce volume n'a été tiré qu'à cent exemplaires ; on le
doit à deux jeunes avocats de Lyon qui ont voulu garder
l'anonyme ; je respecterai leur secret. Je me contenterai
de dire que c'est un bon livre qui ne peut que
leur faire honneur .
VII. DALEMBERTIANA .
On nous a assuré que ce recueil existait en manuscrit
dans le portefeuille de M. C... ď'A ....
VIII . DAVIERANA , composé par M. Davier de Joigny.
Il est question de cet auteur dans la Bibl. hist. de la
France.
(1 ) Journal de littérature étrangère , 1811 , page 287.
(2) II , 370.
Y
草
MARS 1813 .
IX. FANTASMAGORIANA(3). Le traducteur et
1491SEINE
Eyries .
X. FRANCKLINIANA. Imprimé dans l'Almanach fitteraire
, ou Etrennes d'Apollon pour 1791 , page 78-85.
XI. FRERONIANA . Ouvrage de l'abbé Tue , 5 resté
manuscrit , et qui se trouve dans la bibliothèque de
M. Tarbé , de Sens , qui m'a fait passer plusieurs notes
curieuses .
XII . JANOCIANA , sive clarorum atque illustrium Poloniæ
auctorum mæcenatumque memorice miscelle . Varsovie
et Leipzick , 1776. In-8º de 308 pages . Je ne connais
cet ouvrage que d'après l'éditeur d'Heumann (4) ,
qui le met au rang des écrits sur l'Histoire littéraire de
Pologne.
XIII. JURISPRUDENTIANA , ou Recueil de faits singuliers
et d'anecdotes concernant la jurisprudence et les
jurisconsultes . Lille , 1811. In-32 . Réimprimé en 1812 .
XIV. KOTZEBUANA , etc. ( Curiosités de la vie , des
aventures et des ouvrages du poëte dramatique Kotzebue.
) en allemand. Hambourg , Wolmer , 1809. In-8°
de 120 p . , avec le portrait de Kotzebue. C'est encore
au Journal de littérature étrangère (5) que je dois l'indication
de cet Ana .
XV. LAGOUALANA , ou Collection incomplète des oeu
vres prototypes d'un habitant de la ville de Cena ( Caen ) ,
département du Salvodac ( Calvados ) , par une société
d'oisifs ; première et dernière édition . De l'imprimerie de
Carnaval aîné . In- 12 de 22 pages , sans date , mais imprimé
vers 1805 .
XVI . LECAMUSIANA. J'ai ai vu le manuscrit chez
M. Barrois l'aîné , qui a bien voulu me le communiquer;
c'est un recueil de pièces en prose et en vers , français
et latins . Ces pièces sont de différens auteurs . La plus
longue est un poëme en vers latins hexamètres, intitulé :
Bibliotheca .
(3) On en a parlé dans le Mercure du 4 juillet 1812 , page 32 .
(4) Conspectus reipublicæ litterariæ . Huitième édition revue .
par T. N. Eyring. Hanovre , 1791 , page 164.
(5) 1810 , page 214 .
१
Ii
498 MERCURE DE FRANCE ,
XVII . MERCERIANA , manuscrit.
M. Parison devait publier sous ce titre les notes particulières
trouvées dans les papiers de l'abbé de Saint-
Leger , ou communiquées par des amis avec qui cet
abbé était en correspondance. Je ne crains pas d'assurer,
dit M. Chardon de la Rochette (6) , qu'après le Menagiana
ce sera l'un des plus curieux Ana .
XVIII . MEISTERIANA ( de Léonard Meister ) .
Il est fait mention de ce recueil dans le Journal de
Paris du 9 décembre 1811 , article Confédération Suisse .
XIX. EDIPIANA , recueil choisi de près de trois cents
énigmes., charades et logogriphes . Landau , Ve Friedel
et fils , 1812. In-18 de 144 pages .
Ce recueil imprimé à Metz chez C. M. B. Antoine ,
contient 295 énigmes , 296 charades , 290 logogriphes .
L
XX. POISSARDIANA , ou Recueil d'entretiens poissards
et bouffons , d'après les propos facétieux qui se tiennent
aux halles et sur les ports , entremêlés de chansons grivoises
, de vaudevilles et de rondes de table ; sur des airs
choisis , par un marinier. Au Gros-Caillou , de l'imprimerie
de Pierre Leblanc , charbonnier ; avec permission
des bateliers de la Grenouillère . Un volume in- 12 de
324 pages , sans date. Ce recueil est de Cailleau .
XXI. RIVAROLIANA , ou Recueil d'Anecdotes , bons
Mots , Sarcasmes , Réparties , Satires , Epigrammes et
autres pièces peu connues , de Rivarol , avec des notes et
éclaircissemens , précédés de la vie de l'auteur , par Cousin
d'Avalon . 1
XXII . SCHILLERIANA , etc. ( Traits de la vie , du caractère
et des ouvrages de Fr. Schiller. ) en allemand.
Hambourg , Volmer , 1809. In-8° de 118 pages , avec
le portrait de Schiller .
Je ne connais cet ouvrage que par l'annonce quơn
en lit dans le Journal général de la littérature étrangère
(7) .
(6) Mélanges de critique et de philologie , II ,264.
(7) 1810 , page 214 .
:
t
499
OMARS 1813 .
f
را
bon
5.
هل
XXII . TAISANIANA. Mentionné dans la vie de Taisand
à la tête de ses vies des plus célèbres jurisconsultes .
Il est tems d'en venir à l'Arnoldiana . C'est sous ce
titre qu'on vient de recueillir les bons mots qui ont circulé
dans le monde sous le nom de Sophie Arnould. Ce
n'est point, comme le Ménagiana et quelques autres , un
ouvrage pour les savans ; mais c'est un recueil qui doit
être agréable aux gens du monde. Il n'apprend rien
d'important , mais il peut amuser ; et que de lecteurs
ne veulent pas autre chose ! Depuis une douzaine d'années
nous avons été inondés d'Ana ; il est étonnant
qu'on nous ait donné si tard l'Arnoldiana , mais nous
n'avons rien perdu pour attendre . Au lieu d'un modeste
in-18 on nous donne un gros volume in- 12 , auquel
rien ne manque , portrait de l'héroïne , avant-propos ,
notice sur l'opéra , notice sur Sophie Arnould ; puis
enfin le livre lui-même .
Je ne parlerai ni de l'avant-propos , où l'éditeur rend
compte des motifs qui lui ont fait entreprendre l'Arnoldiana
, ni de la Notice sur l'Opéra , qui me paraît
inutile , à moins qu'on ne prétende qu'on ne peut parler
d'un acteur ou d'une actrice , et donner leur histoire ,
sans faire en même tems l'histoire du théâtre sur lequel
ils ont brillé.
Mais je ne dirai pas la même chose de la notice
sur Mue Arnould. Quoi qu'on en dise , la vie de cette
actrice n'est pas connue ; on sait qu'elle était de son
tems la seule déesse au théâtre des Arts ; mais les détails
que l'auteur de l'Arnoldiana donne sur la famille de
Mlle Arnould , sur la manière dont M. de L. parvint à
l'enlever de chez ses parens , etc. , seront sans doute
nouveaux pour la plupart des lecteurs comme ils l'ont été
pour moi .
- Me Arnould naquit à Paris le 14 février 1740 ( et
non 1744) . Son père tenait , rue des Fossés-Saint-Germain
une maison garnie , connue sous le nom d'hôtel
de Lisieux (8) . Sa fortune lui permettait de faire donner
de l'éducation à ses enfans , et on ne négligea pas les
(8) C'est dans cette maison que fut assassiné l'amiral Coligni .
Ii a
500 MERCURE DE FRANCE ,
dispositions de Sophie Arnould pour la musique. Sophie
Arnould chantait d'abord dans quelques communautés
les leçons de ténèbres ; elle fut ensuite mise sur l'état
de la musique du roi ; de-là à l'opéra il n'y avait qu'un
pas ; elle le fit . Rebel et Francoeur la sollicitèrent secrètement
d'entrer à l'Opéra ; elle y consentit et reçut un
ordre de début. La famille de Mile Arnould voulut alors
la faire mettre dans un couvent ; l'autorité s'y opposa ,
mais du moins Mme Arnould surveilla sa fille ; elle l'accompagnait
elle-même à l'Opéra et ne la perdait pas de
vue un instant. Ce fut le 15 décembre 1757 que Mlle
Arnould débuta sur le théâtre de l'Académie royale de
Musique. Les connaisseurs et les amateurs l'admirèrent;
mais la surveillance de Mme Arnould ne leur laissait pas
le moindre espoir d'approcher de sa fille . Dans ces cir
constances , un jeune seigneur s'avisa d'un stratagême
assez dramatique . Il se présente à l'hôtel de Lisieux
sous le nom de Dorval , et comme un poëte arrivant de
province pour courir la carrière dramatique. Il avait
en effet , dans son portefeuille , une tragédie de sa composition
. Bientôt M. et Mme Arnould l'admirent chez
eux ; il leur faisait confidence de ses essais poétiques ;
et , un soir d'hiver , à la suite d'une lecture larmoyante
qui avait obscurci les yeux de toute la famille , Dorval
et Sophie disparurent .
Mile Arnould devint une actrice célèbre et fut citée
pour ses bons mots ; il est vrai qu'elle ne ménageait personne.
Son gendre lui-même ne se trouva pas à l'abri
de ses traits . Ce gendre , qui dans l'Arnoldiana est désigné
tantôt par les initiales M. A. M. , tantôt par les lettres
A. M.. disait un jour à sa belle-mère : Sije ne suis
pas de l'Académie à trente ans , je me brûle la cervelle.
-Taisez- vous , cerveau brûlé , répliqua Mlle Arnould.
Un mot aussi heureux n'a pas été oublié dans l'Arnoldiana
; mais je reprocherai à l'éditeur de n'avoir pas
nommé ce gendre de Mlle Arnould. Les initiales des
contemporains de Mlle Arnould sont aujourd'hui des
énigmes , sur- tout lorsqu'il s'agit de personnages obscurs
; et j'avoue que je n'ai pu deviner qui désignent les
lettres M. A. M. et A. M. J'en ai été d'autant plus fâché ,
2.
९ MARS 1813. 501
LA
alcs
DOS,
que le désirde connaître le nom du gendre de MeArnould
a redoublé après avoir lu dans l'Arnoldiana ( pag . 88 et
89) ces deux couplets sur le même personnage .
Air : Vive Henri quatre .
Hormis à table
Il est toujous au lit ;
Qu'il est aimable
as
Quand il sait ce qu'il dit !
Mais c'est pis qu'un diable
Pour cacher son esprit .
DS
Of
Coll
T
de
190
om
per
He
es
Al'art de plaire
Qu'il esquive souvent ,
Par caractère
Il joint heureusement
L'esprit de se taire ,
Et chacun est content .
On aime à savoir sur qui portent des traits piquans .
Je désire que mes lecteurs aient plus de pénétration
que moi.
L'Arnoldiana contient plus de quatre cents articles ;
il y en a pour tous les goûts , et sur tous les contemporains
de Mile Arnould. On pense bien que Mme du
Barri y est quelquefois en scène . L'éditeur de l'Arnoldiana
a répété dans une note que cette fameuse comtesse
devait le jour à un moine picpus ; c'est l'opinion reçue
par beaucoup de personnes . J'oserai en avoir une autre :
voici l'autorité sur laquelle je m'appuie. Dans la Vie de
M. Grosley écrite en partie par lui-même ( page 112 ) ,
on lit ce qui suit :
«Dans mes campagnes d'Italie , je ne négligeais au-
>> cune des occasions qui pouvaient prêter à la gaîté.
>> Telle fut celle que m'offrit le baptême d'un enfant qui
>> fut depuis la fameuse comtesse D .. B ....
>> A notre passage en Italie , elle venait de naître dans
>> le mariage d'une ancienne cuisinière de M. Dumon-
>> ceau et d'un homme pâle et gravé de petite-vérole ,
>> auquel , en considération de ce mariage , il avait con-
>> féré le magasin d'Albenga .
>> Le garde-magasin d'Albenga proposa à M. Dumon
502 MERCURE DE FRANCE ,
>> ceau (Billard Dumonceau , munitionnaire - général de
>>l'armée d'Italie en 1745 ) d'être le parrain de la nou-
>> velle née ; mais pressé de continuer sa route , il pro
>>mit de faire la chose au retour et tint parole. Je fus
>> chargé , comme caissier , de l'arrangement et de la
>>dépense de la cérémonie. En faisant cet arrangement
>> avec le curé , je lui dis qu'il était d'usage en France
>> de demander le catéchisme aux parrains , et que je
>>>l'engageais d'autant plus à en user ainsi avec M. Du-
>>monceau , qu'il était très-délicat sur ces pieux usages ,
>> et qu'il se trouverait choqué si on y manquait à son
>>égard . L'enfant fut porté à l'église par sa mère , qui
>> suivait M. Dumonceau , donnant la main à la mar-
>> raine , et escorté des chefs des vivres . Il trouva à
>> l'église le curé cantonné d'une part par moi qui tenais
>> un grand cierge , et de l'autre par Billard portant une
>> chandelle . Le cortége arrivé aux fonts , le curé se
>> tourna vers M. Dumonceau et lui demanda , en mau-
>> vais français : Combien y a-t-il de sacremens ? Le
>> baptême en est un , répondit M. Dumonceau , je ne me
>>rappelle pas des autres. Le curé se retournant lui
>> demanda : Combien y a-t-il de péchés capitaux ?
» Bon , bon , monsieur , répliqua M. Dumonceau , si
nous nous mettions à les compter, nous en aurions pour
>> la journée. Le bon curé désarçonné ne poussa pas plus
>> loin ses questions et finit la cérémonie , au retour de
>>laquelle M. Dumonceau , furieux , chanta pouille au
>>père , à la mère , qui augmentèrent son chagrin en
>>>l'assurant que ces questions n'étaient point d'usage.
>> C'est donc un tour qu'on m'a joué , s'écria-t- il , etme
>> fixant , il ajouta : Je parie que c'est à ce grand nigaud
>> avec son grand cierge que j'en ai l'obligation. Je ne
>>m'en défendis point , et cet événement nous apprêta à
>>rire pour le reste de la route. Ainsi fit son entrée dans
>>> le monde la comtesse D... B .... »
1
Je n'ai pas le mérite d'avoir deviné ce que signifiaient
ces initiales ; le nom de Mme du Barri est écrit à la main
dans mon exemplaire de la Vie de Grosley , et j'écrirai
dans l'Arnoldiana la signification des initiales A. M.
quand je l'aurai apprise. A. J. Q. Βε
MARS 1813 . 503
POL
に
S
6
3
1
F
:
LES CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE , poëme en vingt
chants , tirés des vieux romanciers ; par M. CREUZE
DE LESSER. Seconde édition . Un vol . in- 12 . - Prix ,
3 fr. , et 3 fr . 50 c. franc de port . -- A Paris , chez
Delaunay , libraire , Palais- Royal , galeries de bois ,
n° 243 .
Tout ce qu'on a jamais pu dire de plus encourageant
pour les écrivains et de plus glorieux pour la littérature ,
c'est qu'un livre est un ami ; puisque cet éloge , en supposant
qu'il fût mérité , serait en même tems le plus grand
qu'on pût faire d'un d'entre nous ; mais aussi combien
peu de gens , et à plus forte raison combien peu de
livres dignes de ce nom ! Parmi ces prétendus amis de
la seconde classe , aussi bien que dans la première , on
en rencontre par-ci , par-là, de tristes , de secs , et même
de fatigans , qui ne parlent ni à votre esprit , ni à votre
coeur , et avec qui l'on s'en tient à une simple connaissance
, averti par un secret pressentiment qu'on ne les
aimera jamais . Tantôt ce seront des bavards qui vous
diront et rediront impitoyablement mille choses que
vous savez , et mille qu'ils ne savent pas : un bavard ne
peut pas être un ami. D'autres vous feront des raisonnemens
à perte de vue sur la métaphysique , la morale ,
la politique , l'histoire , etc .; ils se perdent dans les
nues ; ils s'enfoncent dans les abîmes ; vous ne les suivez
ni là , ni là , et vous cherchez ailleurs vos amis . On en
rencontre qui ne cessent de déplorer le sort de cé bas
monde et qui vous en dépeignent les misères de manière
à les augmenter. Ces très-dignes gens-là peuvent avoir
tout l'esprit , toute l'éloquence imaginables ... mais Jérémie
est sans doute un grand poëte , qui plus est , ungrand
prophète , et cependant , je lui en demande pardon... il ne
serajamais mon ami. N'en avez-vous pas vu qui ne cessent
de soigner leurs périodes , de cadencer leurs phrates ,
d'assortir toutes leurs paroles avec un soin qui ne se dément
jamais , espérant sans doute que les belles pensées
viendront d'elles-mêmes s'y loger ? mais ce sont de ma
504 MERCURE DE FRANCE ,
gnifiques écrins , où il ne manquerien , que des diamans ,
et l'amitié ne se paie pas de cette monnaie-là . Il s'en
rencontre , en petit nombre , à la vérité , dont chaque parole
est une flèche , qui de près ou de loin portera toujours
sur quelqu'un ; vous en rirez tant que ce ne sera pas
sur vous ; mais ce qui ne plaît qu'à votre malice , ne suffit
pas à votre coeur ; ainsi point d'ami . Vous avez encore
dans vos bibliothèques certains amis prédicateurs qui
vous parlent soi-disant pour le plus grand bien de tous ;
mais on reconnaît bientôt que c'est pour le plus grand
ennui de chacun ; or , l'ennui est en amitié un empêchement
dirimant . L'esprit humain a besoin de la vérité
pour sa nourriture , c'est pour lui le meilleur et sur-tout
le plus sain de tous les mets ; il est même du goût de
tout le monde , mais il faut savoir l'apprêter. Que dironsnous
maintenant de quelques-uns de ces amis-là qui ne
songent qu'à montrer plus d'esprit qu'on ne leur en montrera
jamais , et qui en montrent toujours , et sur tout , et
sur rien , de manière qu'on en serait , à la longue , ébloui ,
étourdi , comme d'un feu d'artifice éternel ? Quant à
moi , je n'aimerais pas trop un ami si merveilleux , je trouverais
trop de distance de lui à moi pour que tous ses
beaux discours pussent se marier avec mes très-humbles
pensées , et sans cela point d'amitié .
Parlerons-nous ici de ces conteurs de profession ,
moitié revendeurs , moitié fabricans , qui tiennent soit
dans leur mémoire , soit dans leur imagination , un magasin
de tant de choses ( et quelles choses encore ! ) qu'ils
se plaisent à nous débiter ? Eh oui ! nous en parlerons ;
car c'était précisément où nous en voulions venir. Quoi !
me dira- t- on , vous qui vous êtes montré si difficile jusqu'ici
, vous iriez vous relâcher en faveur d'un genre qui
convient mieux pour de petits enfans que pour des
hommes , et pour lequel tant d'esprits de la première
volée affectent si peu d'estime ! Grace au ciel ! nous ne
sommes point de ces esprits-là , et heureusement pour
nous , ni le bon La Fontaine non plus .
Si Peau - d'Ane m'était conté ,
J'y prendrais un plaisir extrême.
MARS 1813 . 505
M
*
院
005.
10
12
et
Nous ne ferions pas plus les dégoûtés que lui , surtout
s'il était conté par celui qui en parle , ou même par
quelqu'un que nous savons , et qui sûrement aurait fait
grand plaisir au bonhomme ; mais tout dépend de la
manière de s'y prendre , et c'est dans ce genre-là particulièrement
qu'il y a fagots et fagots .
Si , dans le nombre de nos conteurs modernes , il
s'en présentait un par hasard qui ne songeât point à
montrer plus d'esprit qu'on ne lui en demanderait , et
qui aurait toujours celui qu'on n'attendrait pas ; qui
semblerait souvent oublier qu'il est en présence de lecteurs
, pour rire , comme s'il était seul , de tout ce qui
lui passerait par la tête; qui tantôt nous endormirait par
ses bonnes simplicités , tantôt nous réveillerait par ses
saillies ; qui saurait également donner aux vieilleries le
vernis de la nouveauté , et la couleur antique à des
pensées toutes battant - neuves ; que nous trouverions
toujours divers , toujours le même , qu'on croirait partout
à sa portée sans pouvoir l'atteindre ; qui cacherait
anla plus de raison dans sa folie , plus de talent dans son
abandon , que d'autres n'en montrent dans leurs compositions
les plus pédantesques et les plus travaillées ;
enfin qui suivrait d'un bout à l'autre son caractère , son
humeur , son caprice ( le premier conseiller des poëtes) ,
racontant , divaguant , chantant , quand la fantaisie lui
en prendrait , changeant de manière , comme un virtuose
qui jouerait de plusieurs instrumens , et qui laisserait
chaque fois en doute , si ce n'est pas le dernier dont il
joue le mieux : enfin , songeant moins à se faire admirer
qu'à nous plaire , moins à nous plaire qu'à nous amuser ,
moins à nous amuser qu'à s'amuser lui-même , comme
un aimable échanson qui s'enivrerait le premier de la
liqueur qu'il nous verserait.... Et voilà précisément ce
qui arrive à l'ami si bien choisi , qui vient de nouveau
nous inviter à la Table Ronde .
島
254
LN
SOE
ma-
무
es
re
1
1
Le voici donc encore une fois ce joli poëme qui a
fait tant de plaisir à sa première apparition , et qui en
fera toutes les fois qu'il reparaîtra , à moins ( ce qui est
impossible ) que l'honneur , l'audace , la gaîté , la courtoisie
, que nous aimons à regarder comme des produc
1
506 MERCURE DE FRANCE ,
C
tions indigènes de notre sol , ne perdent un jour tout leur
prix à des yeux français . Tout ce qu'on peut dire de cette
seconde édition , en attendant qu'on la lise , c'est qu'elle
vaut mieux que la première , si elle y ajoute quelque
chose; et que pour peu qu'elle en retranche , elle ne la
vaudra pas .
Néanmoins beaucoup de gens très- importans diront :
Au fait , des contes ne sont que des contes ; quand
ón les a entendus ou lus une fois , deux fois si vous
voulez , chacun en a tout ce qu'il lui en faut; et comme
disait je ne sais plus qui , à propos de je ne sais plus
quoi , on recommencerait cent fois que ce serait toujours
la même chose : adage qui pourrait avoir plus d'une
application , mais qui annonce d'ordinaire quelqu'un
plus près d'être las que d'être content. Il serait sur-tout
bien placé dans la bouche d'une certaine classe de lecfeurs
, dédaigneux par air , indifférens par ignorance ,
qui , d'après je ne sais quels exemples à la glace , prennent
le dégoût pour le vrai goût , et qui pensent triste
ment que presque rien en littérature n'est digne d'un
second regard . Mais non , mes chers messieurs , ce ne
séra point la même chose. Je vais tâcher de m'expliquer.
La perfection , dans quelque genre que ce puisse
être , paraît toute simple au premier aperçu ; c'est même
un de ses attributs les plus précieux : mais pour qui
essayerait de la méditer , rien n'est plus composé , puisqu'elle
consiste dans la juste harmonie de tout ce qui
tient de près ou de loin au sujet . Imaginez un tissu merveilleux
de fils si déliés qu'ils échappent souvent à notre
attention , et en même tems si multipliés que d'un même
coup-d'oeil on ne saurait les embrasser tous à la fois ;
c'est tantôt une de ces choses , tantôt une autre que vous
aurez pu remarquer ; vous aurez été frappé un jour de
tels ou tel détails , un autre jour de l'ensemble ; vous
aurez admiré une fois la finesse des pensées , une autre
fois le bonheur de l'expression , une autre fois l'artifice
du travail , etc. , etc. On sait La Fontaine par coeur ,
on sait l'Arioste par coeur , on les a lus cent fois , on les
relit pourtant , et on neles relirait pas si c'était toujours
la même chose . C'est à vous que j'en appelle, Messieurs ,
MARS 1813 . 507
H
2
FO
)
vous savez peut-être aussi votre Virgile , votre Horace ,
votre Racine , votre Voltaire , votre abbé Delille , sans
qu'il s'en manque un vers ; mais si par pur hasard vous
les ouvrez sur les endroits même qui vous sont les plus
présens , vous découvrirez une foule de choses que vous
serez étonnés de n'y avoir point encore aperçues. C'est
ainsi qu'une admiration réfléchie devient , pour un esprit
clairvoyant , une source de délices toujours nouvelles ,
parce que la perfection ne révèle pas tous ses secrets
à-la-fois , et qu'il y a différens charmes cachés dans la
beauté , comme différentes couleurs dans la lumière .
: Ce qui est vrai de tout ce qui est parfait dans son
genre , est encore plus sensible , comme ici , dans ce qui
est parfaitement gai ; or , entre tous les genres de mérite
qui distinguent l'entrepreneur de la Table Ronde ,.
c'est-là celui que les plus redoutables Aristarques lui
disputeraient le moins , et avec lui la presque-perfection
suffit. En effet , la vraie gaîté , vive , adroite , et même
un peu leste de sa nature , a cent manières toutes nouvelles
de montrer les choses , et cent manières toutes
inattendues de se montrer dans les choses qui paraissent
le moins de son ressort. En vain la croirait-on épuisée ,
elle trouvera sans cesse en elle-même de nouvelles ressources
. Représentez-vous un excellent vin de Champagne
( la gaîté semblerait l'avoir choisi pour son emblème
) qui ne cesse de lancer du fond à la surface
des gerbes de bulles pétillantes comme autant d'étincelles
, toujours remplacées par une égale foule d'autres
aussi vives , aussi promptes à s'échapper , et qui vous
invitent à boire jusqu'à ce qu'il ne reste plus ni vin
dans votre verre , ni raison dans votre tête. C'est avec
ce vin inspirateur , peut-être un peu capiteux , mais en
même tems si léger , si agréable , même aux dames les
plus réservées , que M. Creuzé semble avoir écrit son
joli poëme ; c'est là qu'il puise à tout moment et ces
idées soudaines , et cette brillante déraison , et ces lubies
héroïques qu'il prête à ses paladins , et les tendres faiblesses
qu'il aime à nous raconter de ses héroïnes . Eh !
qui ne l'aimerait pas cette gaîté , mère de la variété , que
le poëte a choisie pour sa muse ? il la chargée , en
508 MERCURE DE FRANCE , !
,
quelque façon , de faire les honneurs de la TableRonde,
et , sauf le respect qu'on doit aux muses , elle n'y a pas
toujours gardé son sang froid ; aussi voyez comme elle
anime , comme elle excite , comme elle engage , comme
elle met tout le monde en train ! Il faut , avec elle , que
tout marche que tout danse , que tout se mêle et se
démêle comme on pourra. On jase , on rit , on chante ,
on se défie , on se mesure , on se bat , on se blesse , on'
se tue .... Enfin on s'amuse de son mieux : c'est une
agitation , une confusion un tourbillonnement , où
l'attention est déroutée en sorte qu'il ne vous reste
qu'un souvenir vague de tout le plaisir que cela vous a
fait , sans que vous sachiez précisément à quoi l'attribuer.
Voilà le vrai charme du poëme , voilà ce qui
compensera toujours de reste le peu qui pourrait manquer
à la perfection de l'ouvrage , et c'est pour cela
qu'on y reviendra souvent avec le même attrait , qu'on
poursuivra chaque fois avec le même plaisir , et qu'on
le quittera toujours avec le même regret .
,
,
Nous avons , je crois , déjà parlé une fois sur le plan'
de laTable Ronde , et si alors nous nous sommes trompés ,'
nous nous tromperions encore aujourd'hui , ainsi nous
n'en parlerons plus. Au fait , ce genre de poëme n'exige,
ne comporte même guères plus de plan qu'on n'en voit ,
et celui de la Table Ronde ne peut guères être attaqué ,
je crois , que par certains censeurs de profession , voués
dès l'enfance à la sévérité , hommes très-respectables ,
sans doute , mais que la grâce libre et l'aimable négligence
n'ont jamais initiés à leurs mystères , et qui voudraient
mettre la légèreté même à leur pas . Jamais la moindre petite
licence , jamais le moindre petit écart ne trouveront
d'excuse auprès d'eux , et s'ils avaient à conduire la marche
triomphale de Bacchus revenant des Indes , avec la
troupe indisciplinée des satyres , des faunes , des silènes ,
✔des ménades , deségipans , il faudrait , en dépit du dieu ,
que le cortége marchat droit , et qu'on y fit le maniement
du thyrse avec la même précision que nos régimens
les mieux exercés font le maniement des armes .
Ces pauvres gens n'ont-ils donc pas lu quelque part ?
Dulce est desipere in loco.
;. 509 MARS 1813 . :
et
an
rs
bile
Cependant , ni le plan , ni la conduite d'un poëme ,
ne servent que de bien peu de chose à la gloire du
poëte , non plus qu'au plaisir du lecteur , sans une condition
plus difficile à observer , et sur laquelle nous ne
pouvons que donner et promettre les plus justes éloges
à notre ingénieux trouverre. C'est l'art de tracer et de
soutenir les caractères de ses personnages , de les esquisser
juste du premier coup de crayon , de les montrer
mieux à chaque nouveau trait , de les tenir toujours
dans leur rôle , de ne leur imprimer que des mouvemens
qui doivent , pour ainsi parler , dériver de leur constitution
organique , et de ne leur prêter que les actions ,
les sentimens , les discours qui conviennent le mieux
à chacun , convenientia personce; enfin de mesurer , de
doser , de différentier , de nuancer les mérites , de façon
que tout s'accorde et que tout se distingue . Voilà comme
sont les héros de la Table Ronde , et voilă comme nous
voyons aussi leurs belles amies ; toutes belles , sans avoir
les mêmes traits ; toutes aimables sans montrer le
même caractère ; toutes complaisantes , sans s'y prendre
de la même manière ; enfin toutes charmantes et toutes
différentes . Il en faut , et heureusement il y en a pour
les différens goûts ; car , même en supposant que tout
fût parfait , si tout se ressemblait dans le monde , il est
douteux qu'on s'y amusat seulement autant qu'aujourd'hui
.
L'ennuinaquit un jour de l'uniformité.
Reste encore un point à examiner , un point sur lequel
on n'accorde point de dispense , pas même à la gaîté :
c'est la morale . Celle de ce poëme-ci est éminemment
chevaleresque ; elle n'en vaut que mieux ; et à beaucoup
d'égards nous doutons que les plus austères cénobites
enaient jamais professé une plus pure et plus chrétienne .
J'en citerai pour preuve une très- antique ballade , que
l'auteur a bien voulu rajeunir de quelques siècles pour
la mettre à notre usage , et qu'on peut regarder comme
le catéchisme de la chevalerie .
Vous qui voulez l'ordre de chevalerie ,
Il vous convient mener nouvelle vie ,
1
010 MERCURE DE FRANCE ,
Dévotement en oraison veiller ,
Fuir tous péchés et sur-tout félonie ,
Garder l'église , être grand-justicier ,
Au pauvre peuple être courtois et tendre ,
Sauver la veuve , et l'orphelin défendre.
Ainsi se doit gouverner chevalier.
Je ne dis pas que tout l'ouvrage ne soit que le développement
de ces pieuses maximes . Non , M. Creuze
prêche quelquefois une doctrine plus mondaine , plus
accommodée aux caractères , aux moeurs et aux imperfections
de nos bons Français.
Il doit par- tout poursuivre avec ardeur ,
Dangers brillans , faits de chevalerie ;
Guerrier loyal , être grand voyageur ,
Suivre tournois et joûter pour sa mie ;
Bien et souvent des présens octroyer ,
Etdonner tout si le cas le réclame ,
Hors le secret et l'amour de sa dame .
Ainsi se doit gouverner chevalier.
:
Je ne dis pas que la morale de ce livre , quoique-partout
aussi française , soit par-tout aussi édifiante , et que
le poëte qui nous amuse tant ne doive s'attendre à quelques
observations assez motivées de la part de certaines
gens qu'on n'amuse point , ou qui vous en veulent pour
les avoir amusés . Ils pourront bien le quereller sur l'excessive
complaisance qu'il lui plaît , diront-ils , de prêter
aux belles dames qui figurent dans ses tableaux ; mais
enessayant de nous offrir une peinture fidèle des engagemens
, des travaux et des prouesses des chevaliers ,
M. Creuzé pouvait-il oublier les profits de la chevalerie?
Car , au fait , c'était pour cela qu'on se battait ; et la chevalerie
, toute catholique , toute religieuse qu'elle paraissait
au-dehors , n'en était pas moins dans le fond une
sorte d'islamisme , dont les dames du plus haut parage
voulaient bien être les houris . Eût-il été juste , en effet ,
que le sang de tant de braves et beaux chevaliers n'eût
coulé que pour des statues ? Et après tant de travaux
entrepris , tant de périls affrontés , tant de tours escaladées
, tant de géans pourfendus , enfin, tantde faits inMARS
1813 . Bi
هلا
e
royables , toujours en l'honneur de ces dames , auraientelles
en bonne grace à refuser ce que la courtoisie était
loin d'exiger , je le sais , mais qu'elle pouvait attendre
de leurs nobles et belles ames ? Les uns pouvaient offrir
de servir gratis , les autres pouvaient-elles consentir à
être servies pour rien ? Non , la vertu même plaidait la
cause des chevaliers ; plus la générosité se montre modeste
, plus la reconnaissance devient impérieuse. Nos
bonnes arrière-grand'mères l'ont senti ; et si , dans le
cours des siècles , les mêmes occasions renaissaient,
nous osons croire que leurs arrière-petites -filles ne dérogeraient
point. BOUFFLERS. ,
P. S. Nous nous réservons à parler, dans un numéro
prochain , des différences que nous avons remarquées
entre cette seconde édition et la première.
VARIÉTÉS .
SPECTACLES . - Théâtre Français . - L'Intrigante.-
Rien de plus orageux. que la première représentation de
cette pièce. Les sifflets et les applaudissemens se sont
disputé le champ de bataille avec un acharnement incon
čevable , et la victoire est restée indécise . Cette lutte était
plutôt un triomphe pour l'amour-propre de M. Etienne
qu'un outrage. Qui ne connaît l'envie ?
Triste amante des morts , elle hait les vivans. 1
Il semblait que ce fût plus au noin et au talent de M.
Etienne qu'on déclarait la guerre qu'à sa pièce. De la fortune
, un grand succès , un fauteuil à l'Académie sont des
péchés sans rémission. Ils ont valu de tout tems à l'auteur
que l'on a pu en accuser , plus d'épigrammes que de madrigaux
, plus d'épines que de lauriers. Il paraît que la
Frame ourdie contre M. Etienne ne datait pas d'un senl
jour. On s'était habilement distribué les postes . On
prétend même que ceux qui s'étaient déclarés les amis
les plus ardens de l'auteur avant la représentation de la
pièce , et lors de l'émission des billets , ont déserté,an
milieu du combat pour passer dans le camp ennemi ,
manoeuvre astucieuse , et malheureusement trop à la
512 MERCURE DE FRANCE ,
mode depuis que les auteurs ont tant d'amis . Les malveil
lans ne pouvant attaquer , même en détail , les vers de
l'ouvrage qui se défendent trop bien , se sont retranchés
sur le plan. Accoutumés à n'applaudir que des mélodrames
, à ne démêler que des imbroglios , à ne deviner au
théâtre que des énigmes , ils auraient voulu que l'auteur
D'un divertissement leur fit une fatigue .
:
Rien de plus simple que la fable de la pièce . Une baronne
, versée dans l'art de l'intrigue , après avoir mis en
usage ses talens à la cour de certain électeur , dont on la
soupçonnait même d'être un peu l'amie , ambitionne pour
sagloire un plus vaste théâtre. Elle arrive à Paris chez une
de ses soeurs , encore jeune et jolie ; cette soeura pour mari
un négociant distingué , père d'une fille unique , issue
d'un premier mariage . Le négociant est en voyage , son
beau--ffrrèèrree absent , quelle joie pour la baronne ! d'une
maison simple et modeste elle fait un palais ; renvoie les
anciens serviteurs , pour prendre des laquais plus brillans ;
joint le luxe des équipages à la somptuosité de la table.
Son hôtel est le rendez-vous des étrangers les plus opulens,
des grands seigneurs les plus en crédit :
Elle cherche l'éclat et la célébrité ,
Le repos est pour elle une calamité .
Tout ce luxe effrené n'est pas fort du goût d'un caissier,
nommé Dubreuil , ami de la maison et attaché depuis
long-tems à M. Dorvillé , c'est le nom du négociant ; mais
la bienséance le force à se contenir , jusqu'au moment où
son humeur un peu brusque , mais loyale , pourra éclater
utilement . La baronne , ivre d'ambition , voudrait déjà
voir sa nièce élevée au plus haut rang , et cherche à l'éblouir
par les descriptions les plus pompeuses du faste et
des plaisirs de la cour ; mais Julie , c'est la jeune personne
, aussi modeste que belle , aussi naïve que sage , ne
la comprend pas : son coeur n'est occupé que du jeune
Sainville , fils d'un ancien ami de son père , qui , après
avoir travaillé en qualité de commis dans la maison , a
pris le parti des armes , et a déjà fait retentir de ses exploits
les gazettes , que Julie ne manque pas de lire. Ce
fatal amour contrarie les idées de la baronne , mais il n'est
point de ressorts qu'elle ne fasse jouer pour réussir. C'est
au comte de Saint-Far qu'elle destine Julie . Ce comte ,
homme de cour , est d'une nature fort originale , etqui
MARS 1813 . 513
1
Iter
12
25
paules
cour .
D
figure d'une manière neuve dans la dese courti- Il n'ose aimer , ni même penser sans l'ordre de la
Il craint de paraître indépendant. Les choses en
sont à ce point quand M. Dorvillé arrivesQuelle surprise !
il ne trouve plus ses anciens serviteurs.Quel bouleversement
s'est fait dans sa maison ! Une belle-soeur , qu'il ne
connaît point , y règne despotiquement . apprend, par le
fidèle Dubreuil , tout le scandale qui s'estopére. Il apprend
même que la baronne veut disposer de la main de sa fille.
Il ordonne la réforme la plus prompte. Plus de valets
dorés , plus de festin magnifique , plus de prince. Adieu ,
L'envoyé de Maroc et l'évêque de Senlis .
Il jouit du trouble de la baronne qui attend à dîner
quarante- deux convives , sans compter certain baron , espèce
de prince supprimé , fort plaisant par son emphase
germanique et ses complimens mythologiques . Vous quittâtes
Munich , madame ,
Les plaisirs avaient fui quand Vénus est partie .
Et la baronne répond :
Ah ! que ce compliment sent bien la Germanie !
Cependant le comte de Saint-Far veut bien faire à
M. Dorvillé l'honneur d'épouser sa fille et une dot d'un
million d'écus . Le négociant s'excuse adroitement et sort .
Bientôt la baronne le menace de l'autorité de la cour , s'il
ne consent à un hymen aussi honorable pour sa famille .
Que peut faire la cour à l'hymen de ma fille ?
Je suis sujet du prince et roi dans ma famille .
Mais Sainville , instruit que le comte doit épouser Julie,
vient lui demander raison des moyens peu délicats dont il
se sert pour obtenir celle qu'il aime. Le comte , aussi indigné
que surpris d'un pareil reproche , répond avec
dignité : ignorez-vous qui je suis ?
Je sers , dit-il , le prince ....
- Et moi , je le défends ,
réplique Sainville. Mais le comte, informé enfin des expédiens
tentés par la baronne pour éloigner Sainville de Paris ,
court lui-même solliciterle ministre en faveur de son rival ;
il va sortir quand se présente M. Dorvillé qui vient de tout
apprendre . Il s'indigne de la légèreté avec laquelle on fait
parler la cour. Tout son ressentiment tombe sur sa cou-
Kk
1
514 MERCURE DE FRANCE ,
pable belle- soeur. Le calme se rétablit , et Sainville , plein
de joie et de surprise , obtient la main de Julie. J'ai omis
de parler d'un médecin qui manoeuvrait avec l'intrigante ,
parce que l'auteur a supprimé ce personnage à la seconde
représentation . Cependant ce rôle neuf et piquant , semé
de fort jolis vers , pouvait avoir un grand succès. Il est à
souhaiter que l'auteur le rétablisse .
Cet ouvrage se soutiendra par l'énergie des deux caractères
principaux habilement contrastés , celui de M. Dorvillé
et celui de la baronne . La ruse et l'hypocrisie sont
constamment en opposition avec la franchise et la vertu .
Des effets semblables ont été employés par Molière dans
le Misanthrope et dans le Tartuffe. Que serait Alceste sans
le doucereux Philinte , et l'odieux Tartuffe sans le crédule
Orgon? Il me semble que Molière , ce père du théâtre ,
est l'auteur que M. Etienne s'est plu à étudier avec le plus
de soin. Comme lui il trace des portraits d'après des modèles
vivans . Les comédies de Molière sont des tableaux
fidèles et historiques , de vastes miroirs qui réfléchissent
aux yeux de la postérité les moeurs et les ridicules de son
siècle . M. Etienne essaie de marcher sur ses traces .
On lui reproche de n'avoir pas assez mis en action son
intrigante . Voulait- on qu'elle menât de front plusieurs intrigues
? c'était le moyen de n'en faire réussir aucune . En
entravant à chaque instant la marche du personnage , il se
condamnait à l'imbroglio , ressource des esprits médiocres .
Quand on n'a pas le talent d'intéresser par le style , il faut
bien s'amuser à nouer et à dénouer les fils d'une intrigue .
Cette ressource mécanique ne fut jamais celle des grands
écrivains du siècle de Louis XIV. Un simple adieu suffit
à Racine pour tracer Bérénice , et cet adieu fit éclore
un chef-d'oeuvre . Proposez le même plan à certains fabri
cateurs de carcasses dramatiques , et vous verrez le parti
qu'ils en tireront . Des gens d'un goût sévère ont prétendu
que l'intrigante de M. Etienne était une femme
atroce. Pas un seul de ses discours , pas une seule de ses
actions ne tend à l'atrocité . Quel crime commet-elle , pour
vouloir marier sa parente à un homme de cour , qui par
ses places , ses titreess,, son crédit , peut accroître la fortune
de son épouse et donner du lustre à son nom ? Il perce
même dans la conduite de l'intrigante un air de grandeur,
une certaine noblesse d'ame : elle s'oublie pour ne songer
qu'à sa famille.
On soutient encore que l'intrigante manque de gaîté;
MARS 1813 . 515
j'en conviens , si l'on entend par gaîté ce rire qui agacé
les nerfs et agite les fibres du cerveau. Les grâces ne rient
point et ne font point rire : le sourire est leur gaîté . La joie
intérieure de l'ame est bien préférable à cette ivresse bruyante
qui ne peut convenir qu'à la populace des spectateurs .
Je ne prétends pas que l'ouvrage de M. Etienne soit sans
défauts , on les a saisis dans plusieurs journaux avec une
grande sagacité . Peut-être exigerait-on dans la pièce une
conception plus vaste et plus d'effets dramatiques ? Mais
quel est l'auteur qui pourra se flatter de rivaliser celui de
l'Intrigante sous le rapport de la finesse , de la grâce , et
sur-tout du coloris ? Chaque coterie a envisagé l'ouvrage
d'après ses petites passions et l'intérêt de ses protégés ; les
femmes ont prononcé en dernier ressort . Je rencontrai sous
le vestibule en sortant une dame d'une santé robuste qui
三連me dit : la pièce de M. Etienne ressemble à une femme
élégante et bien mise , mais qui manque d'embonpoint.
Peut-être y a-t-il quelque vérité dans cette critique : mais
cette dame jugeait un peu trop d'après elle .
滿
OCH
тар
Fabr
DUS
10
هللا
La seconde représentation a vengé amplement M.
Etienne .
J'étais sûr du succès , si l'on voulait m'entendre ,
est un vers dont on a saisi l'allusion avec avidité .
La pièce a été parfaitement jouée. Mn Mars a tout fait
ressortir avec son naturel inimitable . M Levert , un peu
trop tragique à la première représentation , s'est renfermé
à la seconde dans de justes limites . Elle a abandonné les
gestes pour ne faire parler que son sourire et ses yeux. Le
rôle de l'intrigante commencerait sa réputation , si elle
n'était pas déjà si bien établie . Baptiste est tout entier le
baron , prince supprimé. La brusquerie de Michelot dans
Dubreuil est très -comique . Damas ne laisse rien à désirer
dans le rôle du comte . Cet acteur n'imite personne : comme
Molé , il a créé sa manière . Fleury a retrouvé toute la
vigueur de ses jeunes années :
Pour un semblable acteur l'hiver n'a point de glace .
D. D.
4
Théâtre impérial de l'Opéra- Comique . - Première représentation
du Séjour Militaire , opéra-comique en un
acte , paroles de M. Bouilly , musique de M. Aubert .
Il est d'usage que chacun des théâtres de la capitale
représente , à l'époque du carnaval , quelque pièce bouf-
1
Kk2
516 MERCURE DE FRANCE ;
fone; et les auteurs profitent souvent de l'indulgence du
public pour faire passer des ouvrages dont on ne supporterait
pas la représentation à d'autres époques. Cette réflexion
ne s'applique pas entièrement au Séjour Militaire :
dans tous les tems de l'année cette pièce aurait pu réussir ,
parce qu'il n'est pas de tems où l'on n'aime à rire . Je ne
conçois rien à l'excessive sévérité de ceux qui ont gravement
disséqué cette bluette . On eût dit qu'il s'agissait du
Misanthrope . La sévérité doit toujours être proportionnée
aux prétentions de l'auteur ou au rang que l'ouvrage occupe
dans la littérature . On n'avait à juger ici qu'un petit opéracomique
, et l'on a affecté d'oublier que l'auteur l'avait
même annoncé sous le titre modeste de Folie .
Les officiers d'un régiment de dragons font séjour à Saverne
; ils regrettent de ne pas être à Strasbourg , où le
carnaval leur offrirait les moyens de faire mainte folie ;
tous ne sont pourtant pas à plaindre , car l'un d'eux, le capitaine
Doricourt , possède sa jeune épouse qui , sous les
habits d'un jockey , est venue passer quelques jours auprès
de lui . L'hôtesse informe ces Messieurs qu'une entrevue
importante doit avoir lieu dans son auberge . M. Desécarts ,
secrétaire-perpétuel de l'Athénée de Landau , doit y rencontrer
Mlle Benoît de Strasbourg , qui viendra escortée de
toute sa famille au-devant du bel- esprit qu'elle doit épouser.
Les officiers , apprenant que Desécarts ne connaît pas sa
future , projettent de représenter la famille toute entière ;
l'un d'eux jouera le rôle du père sensible , l'autre celui de
la mère tendre et nerveuse ; le capitaine Doricourt passera
pour l'oncle , professeur au Lycée de Strasbourg ; il a de
plus qué ses camarades une vengeance à exercer contre
Desécarts , qui s'est permis de chansonner Mme Doricourt
qui habite une terre aux environs de Landau . Nos fous
partent pour se déguiser : mais le complot a été entendu
par le nouveau colonel du régiment qui , voulant connaître
les officiers qu'il doit commander , forme le projet non
moins extravagant de prendre un rôle dans cette mascarade
. A peine nos acteurs sont-ils revêtus de leurs habits
de caractère , qu'on annonce M. Desécarts . La jeune personne
, pour se moquer de lui , et l'effrayer sur l'hymen
projetté,montre de grandes dispositions à la coquetterie,
et finit par déclarer qu'elle ne peut se passer de la société
de son petit cousin Charles ; mais rien n'émeut M. Desécarts
, un secrétaire d'Athénée doit avoir de la philosophie.
Alors le professeur demande un entretien particulier avec
MARS 1813 . 517
W
한
限
SE
مال
le futur ; à peine sont- ils seuls que celui -ci , au moyen d'une
fausse confidence , intrigue Doricourt lui-même au sujet
de sa femme , et le mystificateur devient mystifić . Paraît
ensuite le petit cousin Charles , enfant de cinq pieds six
pouces , qui vient déclarer à M. Desécarts qu'il adore sa
cousine , et qu'avant de l'épouser , il faut se couper la
gorge avec lui ; cette clause devrait tempérer l'ardeur du
provincial , mais par malheur il est né taquin ; il faut donc
se battre ; les rivaux se mettent en garde , mais tout en
faisant semblant d'avoir peur , le prétendu secrétaire de
l'Athénée désarme l'officier de dragons . Au bruit du combat
, les camarades , l'hôtesse sont accourus . Dans ce momentun
domestique annonce que la voiture de M. le baron
de Saint-Eugène est prête , et nos étourdis reconnaissent
leur nouveau colonel.
Ce petit acte est gai ; le dialogue est semé de mots heureux
, et dont plusieurs seraient bien placés dans une comédie;
la scène du capitaine Doricourt a particulièrement
amusé ; on aime à voir le trompeur trompé. Celle où le
cousin Charles est désarmé est aussi très-comique , et d'autant
mieux en situation que le colonel est vainqueur , et
que l'officier de dragons n'est vainen que par son supérieur.
La pièce est de M. Bonilly , l'un de nos auteurs les plus
féconds; il est connu pour entendre parfaitement la scène ,
et l'on retrouve ce talent jusque dans cette folie de carnaval .
La musique est le coup d'essai de M. Aubert , et ce coup
d'essai est d'un heureux augure ; on y trouve souvent du
chant , jamais de bruit .
-
Le Cimetière du Parnasse , et Cadet Roussel Esturgeon .
Le premier de ces deux ouvrages est , à ce qu'on m'a
assuré , la parodie de Tippoo - Saëb , dans laquelle les auteurs
ont distribué de petites méchancetés à vingt ou trente
confrères , dont les ouvrages ont été représentés sur différens
théâtres depuis plus d'un an. Pour s'armer ainsi contre
tant de gens qui tous ont fait preuve de talent , pour se
constituer les régens du Parnasse , il faut avoir un nom , il
faut avoir consacré sa mission par des succès ; mais il n'en
est pas de même ici . Tous nos lecteurs connaîtraient les
auteurs que l'on a voulu maltraiter dans la parodie , si nous
voulions les nommer ; mais si je dis que cette prétendue
parodie ou plutôt cette satire en action , est de MM. Theaulon
et Dartois , on me demandera quels sont ces deux
Messieurs . En vain j'ajouterai qu'ils ont , à eux deux , pros518
MERCURE DE FRANCE ,
1
duit deux ou trois vaudevilles ; on me répondra qu'il faut
des titres plus sérieux pour s'ériger en grands pénitenciers
de la littérature . C'était bon autrefois , mais nous avons
changé tout cela.
Cadet Roussel Esturgeon , représenté sur le théâtre des
Variétés , est une véritable parade de carnaval , mais une
parade pleine de gaîté , de folie . Il est plus difficile qu'on
ne pense de faire rire . Il faut voir Brunet en esturgeon , et
Pottier en bailli ; ces deux acteurs rivalisent de talent et de
zèle ; c'est à qui des deux sera le plus comique , et le public
profite de cette heureuse rivalité qui double ses plaisirs .
SOCIÉTÉS SAVANTES .
B.
Société d'Agriculture , Commerce , Sciences et Arts du
département de la Marne , à Châlons .
Voici les sujets de prix et d'encouragement que la Société propose
pour les années 1813 et 1814.
La Société avait proposé , deux ans de suite , pour sujet de prix
cette question :
<<Quels seraient les meilleurs systèmes d'irrigation à introduire
dans le département de la Marne , suivant la nature et la situation
des différens sols ? >>>
Deux Mémoires lui ont été adressés , l'un l'année dernière , l'autre
cette année. Ils portent l'un et l'autre pour épigraphe : De l'eau et des
engrais peuvent améliorer le sol des plaines du département de la
Marne . Mais comme ils n'éclaircissent pas suffisamment la question ,
la Société n'a pas cru devoir décerner le prix : seulement elle accorde
une mention honorable à l'auteur de ces deux Mémoires , dont quelques
observations pourraient amener des résultats avantageux. Elle
retire ce sujet du concours .
La Société avait aussi proposé pour sujet de prix , la question
suivante :
« Quels seraient les moyens d'accroître , dans le département de
la Marne, la fabrication de ses chanvres , dont la majeure partie
s'exporte brute ? Quels genres de fabrication seraient les plus avantageux
?>>
Aucun des Mémoires envoyés n'a rempli le voeu de la Société : il
en est un néanmoins qui lui a paru mériter une attention particulière.
*Ce Mémoire a pour épigraphe : Fils , tissure , cordages . L'auteur
MARS 1813 . 519 7
a
15
-15
201
一進
호
que
Fa
2
C
offre sur chacune de ces parties des observations intéressantes : seulement
on aurait désiré plus de développement et de méthode.
Convaincue qu'il serait très -avantageux au département de la
Marne , renommé pour la quantité et la qualité de ses chanvres , d'y
voir multiplier les fabriques en ce genre , et ne désespérant pas d'obtenir
une solution complète , la Société juge à propos de renouveler la
même question : elle double le prix qui sera une médaille d'or de
quatre cents francs .
Elle invite les auteurs à développer leurs idées sur les divers moyens
qui peuvent tendre au perfectionnement , soit des fils , soit de la
tissure , soit de la corderie ; sur ceux qui seraient propres à multiplier
le nombre des fileuses et des fabricans isolés ; à provoquer et à faciliter
l'établissement de grandes fabriques , et à favoriser l'écoulement
de leurs produits . Ils auront par conséquent à suivre , d'une manière
distincte , le développement de chacune des branches d'industrie dont
le chanvre est la matière première .
La Société décernera également , en 1813 , deux prix d'encouragement
, l'un au médecin ou chirurgien qui justifiera avoir vacciné le
plus grand nombre d'individus dans le département , depuis le rez
janvier 1812 , jusqu'au 1er juillet 1813 ;
L'autre , à la personne qui sera parvenue , par les procédés les
plus économiques , à épurer l'huile de navette du département de la
Marne , et à la rendre propre au même éclairage que celle de Flandres
, connue sous le nom d'huile de Colza , épurée à Quinquets .
Les concurrens feront connaître à la Société leurs procédés , et le
prix comparatifde l'huile ordinaire et de leur huile épurée , dont ils
lui feront passer , avant le 1er juillet prochain , un échantillon d'un
litre ou environ.
Le prix sera adjugé , toutes choses égales , à celui qui aura opéré
sur une plus grande quantité d'huile de navette ; et cette quantité ne
pourra être moindre de 500 kilogr.
La Société décernera en 1814 une médaille d'or de deux cents
francs , à l'auteur qui aura le mieux traité cette question :
« Déterminer approximativement l'importance du débouché qu'offraient
à la vente des laines en France , il y a un demi-siècle , la
fabrication et l'usage des tentures et tapisseries d'étoffes dans toutes
les classes de la société . Exposer et déterminer pareillement la diminution
progressive qu'a éprouvée ce débouché par suite de la faveur
et de l'usage presque général des papiers peints employés comme
tentures des appartemens . Comparer analytiquement , et sous tous
les points de vue , ces deux branches d'industrie; et, si la première
(
1
520 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
est reconnue digne d'un très - grand intérêt sous les rapports essentiels
de l'agriculture , du commerce , de l'économie publique et privée , et
même des arts du dessin , présenter les moyens d'encouragement
propres à la relever et à la faire prospérer dans la mesure de l'intérêt
général le mieux entendu . >>>
La Société décernera , pour la même année 1814 , un prix d'encouragement
à la personne qui aura le mieux fait connaître l'insecte
qui , vivant sur le Pin (pinus silvestris ) , en corrode et en fait périr
les pousses de l'année et aura indiqué les moyens de préserver des
ravages de cet insecte un arbre qui se multiplie si utilement dans le
département de la Marne .
,
Les Mémoires et les renseignemens devront être parvenus , francs
de port , au secrétaire de la Société , à Châlons- sur- Marne , avant le
Ier juillet de l'année à laquelle ils appartiendront. Aux Mémoires sera
joint un billet cacheté contenant , avec le nom et l'adresse de l'auteur ,
une épigraphe ou sentence qui sera mise aussi à la tête des ouvrages
envoyés au Concours .
La Société des sciences , belles - lettres et arts de Mâcon , avait
mis au concours , pour l'année 1812 , cette question :
« Les anciens avaient-ils des établissemens publics en faveur des
>> indigens , des enfans orphelins ou abandonnés , des malades et des
>> militaires blessés ? Et , s'ils n'en avaient pas , qu'est- ce qui en..
>> tenait lieu ? »
Le Mémoire nº 2 fut couronné ; mais le billet cacheté annexé à ce
Mémoire , ne portant que des lettres initiales , la Société n'avait su à
qui l'attribuer. Seulement elle avait jugé qu'il était l'ouvrage de deux
coopérateurs , par cette épigraphe :
Melius est duos esse quàm unum ; habent enim emolumentum
societatis suæ ; si unus ceciderit , ab alterofulcietur .
Ecclesiast. , cap . IV, § 9.
Elle vient enfin de percer le voile de l'anonyme et de découvrir que
les auteurs sont M. le baron Percy , commandant de la Légion d'honneur
, chirurgien-inspecteur-général des armées françaises , etc. , et
M. Willaume , membre de la Légion d'honneur , chevalier du Mérite
civil de Wurtemberg , chirurgien en chef d'armée , etc.
L'un et l'autre , en acceptant la palme académique , ont prié la
Société de consacrer la valeur numéraire du prix à un acte de bienfaisance
dans la ville de Mâcon. On ne saurait faire un plus noble
usage du fruit de l'étude et du talent : il est à présumer que les auteurs
publieront leur Mémoire , qui ne peut être que très-curieux et
très - intéressant , si on en juge par le savoir et l'érudition dont ils ont
donné d'honorables preuves dans plus d'une occasion.
4
cte
sap
1
POLITIQUE..
LES nouvelles de Turquie font connaître que les affaires
des Serviens touchent à leur fin . Une amnistie générale
va être publiée avec solennité . Les troupes Bosniaques sont
rentrées dans l'intérieur des pays . Le nouveau pacha a été
reçu à Belgrade . Celui de Widdin négocie pour se soumettre.
Les hostilités entre ce pacha et les troupes ottomanes
⚫ont cessé : pendant ce tems les Turcs augmentent considérablement
leurs forces sur les bords du Danube : on prétend
que ces mouvemens recommencent à donner des inquiétudes
aux Russes .
Les derniers éprouvent un terrible fléau dans une de
leurs possessions les plus importantes . Odessa et son ter-
⚫ritoire ont été en proie à la peste ; malgré l'extrême rigueur
du froid qui s'est maintenu de 16 à 22 degrés , les pertes
ont été très -considérables . Cependant, aux dernières nouvelles
, les communications commençaient à se rétablir
sans résultats fâcheux. Les médecins de Vienne prétendent
qu'à Constantinople , où le même fléau a enlevé une quantité
immense d'individus , ceux qui avaient été vaccinés ont
été à l'abri de la maladie , qu'un médecin italien a fait sur
lui-même la courageuse expérience de ce préservatif en
s'inoculant la peste , sans qu'elle se soit développée .
Les nouvelles d'Allemagne n'offrent toujours aucune
nouvelle politique : elles continuent à annoncer le passage
successif des troupes françaises qui traversent ce territoire
* pour se rendre aux points qui leur sont indiqués , sur l'Elbe
et sur l'Oder. On n'a connaissance d'aucun mouvement
régulier de l'armée russe , et l'on écrit de Berlin que les
troupes légères qui s'étaient en petit nombre hasardées à
passer l'Oder , se sont hâtées de se replier. Les lettres de
Saxe , de Westphalie , de Bavière et de Wurtemberg , ne
parlent que de la prompte exécution des ordres donnés
par les souverains de ces pays pour porter leurs contingens
au grand complet de guerre .
Les journaux anglais n'ont pas en ce moment d'aliment
plus piquant pour la curiosité et la malignité publique que
les discussions auxquelles la lettre de la princesse deGalles
/
522 MERCURE DE FRANCE ,
1
a donné lieu . S. A. R. a adressé une nouvelle lettre à l'orateur
de la chambre des communes , et elle y a été lue publiquement.
La princesse réclame hautement un examen
légal de ses griefs , et récuse le conseil privé qui s'est occupé
de cette affaire .
Les réclamations des catholiques , tant de fois et si vainement
présentées , ont acquis tant de poids des circonstances
actuelles , et l'on sent si généralement en Angleterre
la nécessité de ne pas augmenter les embarras du
ministère par les soins et la surveillance qu'exigeraient des
dissentions. s intérieures , qu'enfin , au sein de la chambre
-des communes , et conformément à la motion de M. Grattan
, un comité sera formé pour s'occuper de ces récla-
-mations . Les affaires relatives à la compagnie des Indes
et à son privilège ne sont pas encore terminées .
-:: Le Moniteur a publié des lettres adressées par les généraux
Reille , commandant l'arinée de Portugal , et Derlon ,
commandant l'armée du centre en Espagne , à S. Exc . le
-ministre de la guerre. Ces lettres annoncent de grands
avantages remportés sur divers points par les troupes de
S.M.,sur les Guerillas et les troupes de l'armée deGal-
-lice. Les généraux Vichery , Fey , Boyer ont exécuté les
*ordres donnés avec la plus grande intelligence. Diverses
bandes ont été détruites , et on a fait des prises considérables
, utiles spécialement à la remonte de la cavalerie. Ces
affaires sont sur-tout un bienfait pour les provinces qu'elles
délivrent de la présence des insurgés , et où elles ramènent
avec l'obéissance aux lois le calme et la sécurité sous la
protection des troupes françaises. Voici la première de ces
lettres , et celle qui contient le fait le plus important.
Madrid , le 10 février 1813 .
Monseigneur , le général Vichery , commandant dans
la province de Guadalaxara , les 16º régiment d'infanterie
légère , 8º de ligne , royal étranger , et 19º de dragons ,
s'étant mis en marche de Guadalaxara , le 29 janvier , avec
environ 2300 hommes d'infanterie et 200 chevaux , pour
se porter sur Siguenza , où se trouvaient les établissemens
de l'Empecinado , son artillerie et le bataillon des volontaires
de Madrid , est arrivé à Siguenza le 30 au matin .
Les troupes ennemies ayant eu connaissance de sonmouvement
, avaient évacué cette ville , mais n'ayant pas eu le
tems d'enlever les effets qui s'y trouvaient , le général Vichery
y a pris environ 3000 fusils , détruit tous les ateliers ;
MARS 1813 . 523
لا
A
M
6
E
-
20
R
0
et s'étant mis , le 1 février , à la poursuite du corps ennemi
, il l'a joint près de Medina- Celi . Dans une affaire
très -vive qu'il a ene sous cette ville , il a pris le bataillon
des volontaires de Madrid , fort d'environ 1000 hommes ;
ungrand nombre fut tué , et près de 600 , dont 29 officiers ,
viennent d'être amenés à Madrid. Après cette affaire avantageuse
, le général Vichery voulant revenir à Guadalaxara
, pour y ramener ses prisonniers , a été , le 30 février
, attaqué près de Siguenza par tout le corps de l'Empecinado,
auquel s'étaientjoints ceux d'Avril et de Saornill,
et qui portait les forces ennemies à plus de 3000 hommes
d'infanterie , et 1000 de cavalerie. Le général Vichery ,
embarrassé par le nombre de ses prisonniers , ne voulait
pas engager une affaire générale ; mais comme l'ennemi
occupait en force une position qui commandait la route
qu'il devait suivre , il la fit enlever et occuper par le 16°
léger , qui l'attaqua de front , et par le régiment de royal
étranger , qui dirigea son attaque par la gauche de l'ennemi
et lui fit éprouver une très -grande perte. Dans cette affaire
nous prîmes à l'ennemi un drapeau appartenant au bataillon
de Guadalaxara , une cinquantaine de soldats , et on
lui tua un bon nombre d'hommes . Le général Vichery ,
s'étant emparé de la position qui pouvait protéger son
mouvement , l'opéra , faisant couvrir sa marche par le 8º
de ligne qui la soutint avec une grande valeur, forçant
l'ennemi à rétrograder toutes les fois qu'il s'approchait trop
près , et rentra à Guadalaxara , le 5 février , après une expédition
de quelques jours , pendant laquelle il a fait éprouver
à l'ennemi une perte de plus de 1200 hommes , pris
3000 fusils , et détruit tous les ateliers de Siguenza . Dans
ces affaires , le général Vichery , dont on ne saurait trop
faire l'éloge pour son courage, son dévouement et ses talens ,
a eu le bras traversé d'une balle. Il se loue des troupes
-employées sous ses ordres , et particulièrement du brave
19 de dragons , commandé par le major Bessode , qui , à
l'affaire du 1 , a rendu les plus grands services . Le dra-
-peau du bataillon des volontaires de Madrid a été pris par
le maréchal-des - logis Louis Forser.
Signé, le général comte D'ERLON .
MM. les conseillers-d'état Molé , Begouen et Louis ,
orateurs du Gouvernement , ont présenté , le jeudi , au
Corps Législatif , le budjet des finances pour l'an 1813 .
M. Molé a porté la parole ; il a établi comme cause de la
524 MERCURE DE FRANCE ,
-prospérité toujours croissante de l'état des finances de
l'Empire , le système actuellement suivi , l'ordre qui règne
dans toutes les parties de l'administration , la publicité
annuelle donnée sur l'emploi des deniers publics. Les circonstances
extraordinaires dans lesquelles nous nous trou
vons , exigeant un très-grand déploiement de forces , occasionnent
un surcroît de dépenses. Nous n'aurons pas recours
, comme l'Angleterre , à des emprunts , à du papiermonnaie
, à une élévation démesurée des contributions .
La vente de ce qui restait de disponible sur les biens communaux
remplira de beaucoup au-delà les sommes nécessaires
pour les exercices arriérés et celui de la présente
année. Aucun des grands travaux commencés ne sera
ralenti ; aucun établissement utile ne sera retardé ; aucune
réduction , aucune économie à cet égard ne sera nécessaire
. M. le comte Molé n'a rien voulu ajouter , sous ce
rapport , au tableau présenté par S. Exc. le ministre de
l'intérieur , et il a terminé par ce beau mouvement qui a
produit la sensation la plus vive : « Si un homme du tems
des Médicis ou de Louis XIV , a-t-il dit , revenait sur la
terre , et qu'il demandat combien de règnes heureux ,
combien d'années de paix il a fallu pour opérer tant de
prodiges , quel étonnement serait le sien lorsqu'on lui
ferait cette réponse : Il a suffi de douze ans de guerre et
d'un seul homme ! »
Voici le texte du projet de loi .
TITRE PREMIER . -De l'aliénation de quelques parties des
biens des communes .
Art. 1er. Les biens ruraux , maisons et usines possédés
par les communes sont cédés à la caisse d'amortissement ,
qui en percevra les revenus à partir du 1er janvier 1813 .
2. Sont exceptés les bois , les biens communaux proprement
dits , tels que pâtis , pâturages , tourbières et autres
dont les habitans jouissent en commun, ainsi que les halles ,
marchés , promenades et emplacemens utiles pour la salubrité
ou l'agrément .
Sont également exceptés les églises , les casernes , les
hôtels de ville , les salles de spectacles et autres édifices que
possèdent les communes et qui sont affectés à un service
public.
En cas de difficulté entre les municipalités et la régie
des domaines , il sera sursis par elle à la prise de posses
)
MARS 1813 . 525
300
S
N
1
siondes articles réclamés , et statué par le préfet , sauf le
pourvoi au conseil .
3. Les communes recevront en inscriptions , cinq pour
cent,une renteproportionnée au revenu net des biens cédés,
d'après la fixation qui en sera déterminée par un arrêt du
conseil.
4. La régie de l'enregistrement prendra possession , au
nom de la caisse d'amortissement , des biens cédés par
l'article 1er , et ils seront mis en vente devant les préfets , et
à la diligence des préposés de la régie , en la forme ordinaire
, sur une première mise à prix de vingt fois le revenu
pour les biens ruraux , et de quinze fois pour les maisons
et usines . Le prix des adjudications sera payable , un sixième
comptant , un second sixième dans les trois mois de l'adjudication
, et les deux autres tiers d'année en année , à
compter de l'échéance du premier terme , avec intérêt à
cinq pour cent par an , tant du second sixième que des deux
autres tiers , à partir du jour de l'adjudication .
5. La régie versera les revenus jusqu'à la vente et le prix
des adjudications , ainsi que les intérêts , à la caisse d'amortissement
, qui réservera cinq millions pour le fonds
d'amortissement créé par l'article 8 , et fournira au trésor
impérial jusqu'à concurrence de deux cent trente-deux
millions cinq cent mille francs , pour le service des exercices
1811 , 1812 et 1813 .
Sur le surpplluuss,, elle emploiera en achat de cinq pourcent,
la somme nécessaire pour être en mesure de remplir la disposition
de l'article 3.
6. La caisse d'amortissement paiera à chaque commune
l'équivalent du revenu net dont elle aurait joui en 1813 ,
d'après la fixation déterminée par un arrêt du conseil .
Les créanciers qui auront des hypothèques sur des biens
compris dans la cession , auront le droit de transférer leurs
hypothèques sur les autres biens qui restentà la commune;
eten prenant cette inscription avant le 1er janvier 1814, ils
conserveront leur rang d'hypothèque .
A défaut d'autres biens restans à la commune , la rente
assurée par l'article 3 , et les autres revenus de la commune
sont spécialement affectés à ces créanciers .
TITRE II . - De la liquidation des exercices 1809 et
antérieurs .
7. Tout ce qui reste dû pour les exercices 1809et antérieurs
, jusques et compris l'an 9 ( 1801 ) , sera inscrit au
526 MERCURE DE FRANCE ,
1
grand livrede la dette publique. A cet effet, un créditd'on
million de rente est mis à la disposition du ministre des
finances .
8. Il sera procédé à l'amortissement de la nouvelle rente
d'un million , conformément à l'article 14 de la loi des
finances du 15 juillet 1811. Les moyens d'amortissement
réglés par cette loi , sont augmentés , 1 d'un capital de
cinq millions à prélever sur le produit des biens désignés
au titre précédent; 2º des arrérages des rentes non réclamés ,
après cinq ans révolus , dont le paiement sera fait par le
trésor impérial à la caisse d'amortissement.
TITRE III . - De l'exercice de 1810.
9. Le budjet de l'exercice 1810 est définitivement réglé
en recette à la somme de sept cent quatre-vingt-cinq millions
soixante mille quatre cent quarante-trois francs , et en
dépense à pareilte somme , conformément aux états A et
B annexés à la présente loi .
TITRE IV. -De l'exercice de 1811 .
10. Le budjet de l'exercice 1811 est réglé en recette à la
somme d'un milliard , et en dépense à pareille somme ,
conformément aux états C et D annexés à la présente loi .
TITRE V. -De l'exercice 1812 .
11. Le budjet de l'exercice 1812 est réglé en recette à la
somme d'un milliard trente millions , et en dépense à la
même somme , conformément aux états E et F ci-annexés .
TITRE VI. - De l'exercice 1813 .
12. Le budjet de l'exercice 1813 est réglé en recette à la
somme d'un milliard cent cinquante millions , et en dépense
à la même somme , conformément aux états Get H
annexés à la présente loi .
TITRE VII . - Des perceptions dela régie des droits réunis .
13. Les droits dont la perception est confiée à la régie
des droits réunis , continueront à être perçus conformément
aux tarifs actuels .
TITRE VIII.-Disposition relative au cadastre. :
14. L'article 33 de la loi du 15 septembre 1807 , portant
que la masse des contingens actuels , pour la contribution
foncière des communes composant un canton définitivement
cadastré , sera répartie entr'elles au prorata de leur
allivrement cadastral , est applicable à tous les cantons
cadastrés d'un même département. En conséquence , la
MARS 1813. 52.7
20
balt
par
tre
3.0
ens
1
2
1
masse des contingens actuels de ces cantons sera répartie
entr'eux , à partir de 1814 , au prorata de leur allivrement
cadastral réuni .
La discussion de ce projet de loi a été indiquée au 20
mars .
LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice se sont rendus ,
le 6 de ce mois , à une heure un quart , à l'hôtel des Invalides
. La voiture de LL. MM. était précédée et suivie de
plusieurs voitures de la cour , dans lesquelles étaient des
dames d'honneur de S. M. l'Impératrice et autres personnes
de distinction . LL. MM. ont été reçues par S. Exc .
le ministre de la guerre , par M. le maréchal Serrurier ,
l'état-major , etc.
S. M. a fait la revue de l'état-major et de tous les officiers
et soldats .
LL. MM. se sont rendues dans l'église , où l'on a chanté
un Te Deum. Elles ont ensuite visité l'infirmerie , la boulangerie
, la lingerie , la bibliothèque , le dépôt des plans ;
elles ont assisté au dîner de MM. les officiers .
S. M. a accordé un grand nombre de croix de la Légiond'Honneur
à l'état- major , aux officiers et soldats . La joie
éclatait dans les regards de cés braves invalides , à qui il
ne reste qu'un regret , celui de ne pouvoir plus suivre leur
augusté souverain au champ d'honneur ; ils garderont éternellement
le souvenir des marques d'intérêt que LL. MM.
ont daigné leur accorder.
Les acclamations long-tems répétées de vive l'Empereur!
vive l'Impératrice ! vive le Roi de Rome ! se sont fait entendre
dans l'intérieur de l'hôtel ainsi qu'au-dehors , à l'arrivée
et au retour de LL . MM. palais des Tuilerie qui
a eu lieu à quatre heures .
au
Des salves d'artillerie ont annoncé l'arrivée et la sortie
de LL . MM.
LL. MM. sont parties depuis quelques jours pour
Trianon . Leur retour est regardé comme très-prochain .
S.....
ANNONCES .
Jurisprudence sur la capacité personnelle et sur l'effet des contrats
desfemmes mariées , ou ayant des biens situés tant dans les ci-devant
pays de droit civil , que dans quelques coutumes , principalement
dans la ci-devant Normandie , avant et depuis la loi du 17 nivose
1
528 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
an II ( 6 janvier 1794 ) ; par J. B. M. Robert , ancien avocat au cidevant
parlement de Rouen , avocat à la cour impériale de Paris .
Ouvrage dédié à M. le baron Séguier , commandant la Légiond'Honneur
, maître des requêtes au conseil-d'état , et premier président
de la cour impériale de Paris . Un vol . in-8º de 600 pages . Prix ,
7 fr . , et 8 fr . 50 c. franc de port. Chez Arthus-Bertrand , libraire ,
rue Hautefeuille , nº 23 ; et P. Gueffier , imprimeur-libraire , rue du
Foin- Saint- Jacques , nº 18 .
L'Hermite de la Chaussée-d'Antin , ou Observations sur les moeurs
et les usages parisiens au commencement du dix-neuvième siècle . Deux
vol . in-12. Prix , 7 fr . 25 c. , et 8 fr . 30 c. franc de port. Le même ,
in-80. Prix , 10 fr . , et 12 fr . franc de port. Chez Pillet , imprimeurlibraire
, rue Christine , nº 5 .
'Avis aux anciens abonnés de la Décade philosophique ,
politique et littéraire .
Un littérateur se dispose à publier , en deux volumes in-8° , une
Table de ce Journal , divisée en deux parties , l'une politique et
l'autre littéraire. Cette Table a le double avantage d'offrir l'ordre
méthodique et alphabétique pour les ouvrages , et l'ordre alphabétique
pour les noms des auteurs avec des numéros qui renvoyent aux
ouvrages .
Le prix des deux volumes sera de 12 francs .
On souscrit , en attendant , chez D. Colas , imprimeur du Mercure
, et libraire , rue du Vieux - Colombier , nº 26 .
Quand le nombre des souscripteurs sera suffisant , on commencera
l'impression des deux volumes.
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Le prix de la souscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles . Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr . pour l'année , et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger . )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux , et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés , francs de port , à M. le Directeur- Général du Mercure ,
Paris.
DE
LA
SEINE
(
2
MERCURE
35 2 <
DE FRANCE.
=
1
1
!
N° DCIX Samedi 20 Mars 1813 .
...
2007
POESI E.
;
Divers traits de l'histoire ancienne et de l'histoire moderne
, mis en vers par C. EUGÈNE GOSSUIN , auditeur
au Conseil-d'Etat...
Trait de courage de Cynégire , à la bataille de Marathon .
(Histoire grecque . )
DES bataillons persans la multitude immense ,
Sûre de la victoire , avec orgueil s'avance ;
Mais dans un défilé l'ennemi les attend ,
Et contre sa valeur leur nombre est impuissant.
En vain d'un rang qui tombe un autre prend la place ,
Aunombre renaissant le courage fait face.
Ils fuient.... Jusqu'à leur flotte en foule repoussés ,
Ils tombent en courant , l'un sur l'autre entassés .
Un navire partait : ô ciel ! comment décrire
L'héroïque action du vaillant Cynégire ?
Fatigué du combat dont il sortait vainqueur ,
L'espoir de vaincre encor ranime son ardeur.
Il s'élance au vaisseau , d'une main il l'arrête ;
De l'autre , il soutient seul l'effort de la tempête.
१८
LI
530 MERCURE DE FRANCE,
Bientôt tombe le bras qui retient le vaisseau ,
Il tombe et l'autre bras le retient de nouveau .
/ Il tombe encore : alors , tel qu'un lion terrible ,
Plus il semble vaincu , plus il est invincible.
Dépourvu des deux bras , il tient avec ses dents
Le vaisseau tout chargé de mille combattans.
Par sa mort seulement l'ennemi se dégage ,
Et déjà loin de lui fuit encor son courage.
Mort de Bertrand Duguesclin . ( Histoire de France. )
DUGUESCLIN ! à ce nom de mémoire chérie ,
S'éveillent aussitôt la Gloire et la Patrie.
Duguesclin ! que son nom est beau pour les Français !
Tous les jours de sa vie ont été des succès .
La mort , qui détruit tout , accrut encor sa gloire ;
Après lui , son nom seul enfanta la victoire.
Les Anglais assiégés , pressés et sans secours ,
Pour se rendre au vainqueur , imploraient quelques jours .
Duguesclin que jamais n'ébranla la Fortune ,
Dans ses faveurs , l'écueil de toute ame commune ,
Respectait l'ennemi qui tombe à ses genoux ,
Ecoute la prière et suspend son courroux.
- Mais au sein de la trève , un fièvre
0120
cruelles clinda
,
e Vient frapper ce héros d'une atteinte mortelle .
Il le sait et regarde approcher le trépas৩৯
Comme il a vu son sang couler dans les combats .
Tranquille ,, il dit auxsiens quuee sa mort semble abattre
«Amis ! sans Duguesclin il vous faudra combattre
>> Il vous reste Clisson ; cehéros , après moiiated aru
>> Saura bien soutenir l'honneur de notre piston siê
>> Ce que j'ai commencé ,que mon ami lachève
> Pour vaincre les Anglais ,je lui laisse le glaive.n
>> Dont le prince honora mon bras long-tems heureux
>> Le remettre à Clisson , c'est prévenir vos voeux
» Ildevient votre chef , il va prendre ma place
>> Mais avant de mourir je demande une grace:
>> Soldats ! yous allez vaincre en suivant ce héro
>>>La guerre offre la gloire , écartez en les maux
• Chateauneuf de Randon en vos mains doit se rendre ,
>> De votre général ne troublez point la cendre i
A
>> Que des Anglais vaincus les jours soient respectés;
>>QueT'habitant somnis , sur la foi des traités,
1.5
2
MARS18137 ЛЯЛЯНИ 53
.
• Croie en chaque soldat ne rencontrer qu'un frère ;
>> Loin d'agraver leurs maux , partagez leur misère.
>>Sans la vertu, soldats , que peut être l'honneur ?
> Et sans l'humanité qu'est-ce que la valeur ?
> Il n'est point de forfait que le devoir excuse ;
» Ecoutez la raison', si l'honneur vous abuse
> Vous allez triompher , et je mourrai content ,
>>>Si vous suivez la voix de Duguesclin mourant :
>> En soumettant la force , épargnez la faiblesse ;
>> Respectez les enfans , les femmes ,la vieillesse ;
>> Sans arme et sans défense , ils vous tendent les mains ,
Soyez-en les vainqueurs et non les assassins. «
, Aces mots que souvent la vertu lui fit dire
Auseinde lavertu le grand Guesclin expire .
Tout le camp est en pleurs : dans cet instant fatal
Le soldat perd l'espoir avec son général ;
Pour la première fois il ressentdes alarmes ;
La trève va cesser , il ne court point aux armes ;
Desonchef qui n'est plus , il cherche le tombeau ,
Et tout prêt d'y mouriryplante son drapeau.
Il attend le signal et l'ennemi le donne ,
,
Les traités sont rompas et la trompette sonne.
Aussitôt se déploie ,à la face du camp
Toute la garnison dans un ordre effrayant.
Tandis que des deux parts règne un morne silence ,
Le gouverneur anglais vers le tombeau s'avance :
<Bertrand n'est plus , dit-il , mais fidèle à l'honneur ,
>> Je viens me rendre à lui comme à mon seul vainqueur.
>> Français , cette victoire est un dernier hommage
>> Que nos bras invaincus rendent à son courage.
>>>Il avait notre foi : si ce héros n'est plus ,
» Il conserve sur nous l'empire des vertus . »
Il dit et sur la tombe il pose son épée ,
Des pleurs d'un ennemi si noblement trempée!
ÉNIGME.
tom od
TS PE
Je ne me cite pas au nombre des merveilles ; абрев
Mais je n'en ai pas moins trois pieds et trois oreilles ; 200
Je suis manchot , et dans mon ventre
Lecteur , il entre
Lla
532 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813.
Des morceaux enflammés , ardens ,
Que je digère en peu de tems .
Un frère mien avale aussi la brique ,
Mais de la digérer il n'a pas la rubrique ,
Ettelle qu'il la prend
Telle aussi mon frère la rend. si
24
:
>
19
D- LOGOGRIPHE of potagese
7
Pars ensens droit , je suis un Empire africain,
Etdans un sens contraire un adverbe latin. 29
T
V.B. (d'Agen.)
1
CHARADE? 1961
15 290 BY " ל
L'AUVERGNE , la Hollande
La Bretagne , l'Irlande som 154 1
Trouvent dans mon premiera
Leur or et leur celier :
Constante à son ouvrage silyon sa sút ,
Toute fillette sage
Avant de se coucher, baobangail
Doit remplir mon derniers ar
:
Janvier , quand tu ramènes
L'époque des étrennes ,
Mon entier tous les ans
Trouve des partisans .
4 V. B. (d'Agen. )
20
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernierNuméro .
Le mot de l'Enigme est Iris .
Celui du Logogriphe est Papier , dans lequel on trouve :Apis
pape, pie , air , are , Rap , pair's rape: nو داب
Celui de la Charade'est Poupin .
9%
SCIENCES ET ARTS.
DES MALADIES AIGUES DES FEMMES EN COUCHE ; par RÉNÉ-
GEORGES GASTELLIER , docteur-médecin licencié en
droit , membre d'un grand nombre de Sociétés savantes
. A Paris , chez Crapart , libraire , rue du
Jardinet , nº 10 ; et chez Lenormant , libraire , rue de
Seine , nº 8 .
L'on a souvent dit et chacun se plaît à répéter jusqu'à
la nausée , que la médecine n'a point suivi les progrès
des diverses sciences physiques ; que les médecins des
siècles modernes n'ont rien fait pour elle , rien ajouté
aux sublimes travaux du grand Hippocrate . On veut que
ceprince de la médecine ait tout dit , tout connu ; que
dans ses oeuvres se trouvent les germes de toutes les
connaissances médicales , de toutes les découvertes des
siècles modernes. Les fauteurs de cette opinion déjà surannée
, poussent même leur réprobation contre tout ce
qui sort de la plume de nos nouveaux Esculapes , jusqu'à
penser qu'on ferait un acte méritoire en livrant tous
leurs écrits à l'oubli ou même aux flammes . Cette sin-,
gulière partialité ne peut être que le résultat de l'ignorance
où se trouvent quelques personnes relativement
aux travaux de la médecine de nos jours , peut- être même
encore un effet de la prévention , de cette vieille habitude
attachée à l'espèce humaine , et qui ne voit rien de bien
que dans le passé. Laudator temporis acti.
Hippocrate était sans doute un génie du premier
ordre . Il pouvait dire de ses oeuvres ce qu' Horace disait
de ses écrits's
21
Exegimonumentum ære perennius.
i
Auçun médecin ne conteste ceci . Tous avouent même
qu'on ne saurait faire de bonnes études médicales , sans
534 MERCURE DE FRANCE ,
se pénétrer intimement des grands préceptes transmis
par lui. Rien n'égale peut-être dans cette science le
traité De aëre , locis et aquis ; celui intitulé Aphorismi ;
ses Liber primus et tertius epidemicorum . Ces écrits
sontdes mines inépuisables , où l'on peut acquérir des
connaissances profondes sur les objets qui y sont traités .
C'est, en un mot , le bréviaire des médecins . Mais gardons-
nous bien de vouer à ces ouvrages un respect trop
exclusif. Combien de grands hommes qui , s'ils marchent
après lui , n'en sont pas moins regardés comme les oracles
de l'art ! Ressemblent-ils aux médecins de Molière ,
ces Galien, ces Arétée , Boerhaave , Sydenham , Baglivi ,
Sthall , Hoffmann , Morgagni , etc.... , qui tour-à-tour
ont fait retentir le monde de leur savoir , et dont les
immortels écrits sont des flambeaux sans lesquels on ne
trouverait en médecine qu'erreurs et obscurité ? Il est
d'autres hommes formés à l'école de ces grands modèles
qui , s'ils n'ont pas leur célébrité , ont cependant
encore de grands droits à la reconnaissance publique.
Guidés par le désir d'être utiles à l'humanité , mus par
une noble émulation , ils notent en silence les observations
qui leur sont particulières ; ils observent , épient
la nature , et surprennent quelques-uns des secrets qu'elle
cherche à dérober à leur attention. Animés toujours du
même esprit , ils rassemblent les fruits de leur pénible
travail , les comparent avec ceux de leurs devanciers
ou de leurs contemporains , et en renversant de vieilles
erreurs , ils donnent à la science un degré de certitude
qu'elle n'avait point avant. De grands avantages résul
tent de ces travaux. Qui ne sait d ailleurs que
Go Du choc des sentimens et des opinions ,
La vérité jaillit et s'échappe en rayons ?
69
C'est à M. Gastellier , l'un de ces habiles observateurs ,
l'un des praticiens les plus distingués de la capitale, que la
médecine est redevable de l'excellent ouvrage que nous
annonçons. Le sujet qu'il a choisi est un de ceux sur
quel les anciens ont laissé les notions les plus vagues .
tait réservé aux médecins du siècle passé et du nôtre
JOCAMARS 1873 ॐॐ
1
1
de nous laisser sur cet important article les écrits les
plus remarquables . Parmi ceux- ci on distingue sur-font
ceux de Doucet , Doublet , White , Stoll, Johnson ,
Walter , Bichat , MM. Pinel , Chaussier , Gastellier ,
Laennec , etc .; plusieurs cependant y noient les faits
dans toutes les subtilités d'un raisonnement alambiqué ,
dans des hypothèses qui déparent leurs ouvrages . Quelques
autres prennent l'effet pour la cause , et vice versa;
d'où résultent aussi des opinions erronées , et une pratique
timide et quelquefois mal assurée. M. Gastellier a voulu ,
aumilieu de ces ténèbres , rechercher la vérité et la tirer
tout-à-fait du cahos , où la retenaient tous les écarts de
l'imagination déréglée de quelques-uns de ses confrères .
Un excellent esprit , une pratique de quarante années ,
soitparticulière , soit dans les hôpitaux , une instruction
très-étendue , voilà les moyens dont il s'est servi pour
arriver à ce but. Il discute avec une rare sagacité plusieurs
points de la doctrine médicale sur les maladies des
femmes en couche , et sur lesquels il règne encore beaucoup
de dissidence parmi les médecins. M. Gastellier
établit ces diverses questions : Existe-t- il unefièvre puerpérale
sui generis ? 1
N'a-t-on pas confondu sous cette expression plusieurs
maladies des femmes en couche , quelques fièvres déjà
très-connues , mais seulement modifiées par le nouvel étát
où se trouvent alors toutes les femmes , ou par quelques
autres circonstances ?
Les altérations , diverses déviations du lait ne sont-elles
pas les causes de toutes ces affections , loin d'en être le
résultat? :
M. Gastellier répond à la première question par la
négative. Sur ce point tous les bons esprits sont d'accord
avec lui.
La seule fièvre de lait paraît suivant lui réclamer ce
titre. Ecoutons-le : « La fièvre improprement dite puer-
>> pérale , est suivant nous la fièvre de lait ; cette fièvre
>> une fois prolongée , ou dégénérée par une infinité de
>> causes physiques et morales , perd sonnom ; elle prend
>>celui de son caractère particulier prononcé par la na
>> ture des symptômes ; en effet l'ascension du lait dans
536 MERCURE DE FRANCE ,
les mamelles , qui est une crise salutaire déterminée
» par la nature en faveur des mères qui nourrissent leurs
>> enfans , est souvent un dépôt ou un abcès laiteux
>> pour celles qui ne nourrissent pas . Ce n'est point ce-
>> pendant que les femmes qui nourrissent soient entiè-
>> rement exemptes de ces sortes de dépôts , parce que ,
>>>comme les autres , elles sont exposées aux mêmes in-
>> fluences physiques et morales ; mais elles y sont infi-
>> niment moins sujettes lorsqu'il ne leur survient pas
>> d'accidens qui y donnent lieu.
>> La fièvre de lait , renfermée dans ses justes bornes,
est un moyen d'élaboration , une véritable crise que
>> la nature emploie pour porter les sucs nutritifs aux
>> vaisseaux mammaires, qui se dilatent pour les recevoir;
>> mais cette fièvre, de lait prolongée et dégénérée sus-
>> pend toutes les excrétions , la laiteuse comme les
>>>autres , et cette suppression donne à son tour de l'in-
>> tensité à la fièvre delait, qui alors change de caractère
>> pour prendre celui de telle ou telle maladie ; d'où il
>> résulte qu'une substance , qu'une liqueur naguères
>> douce, bienfaisante et nutritive , devient tout-à-coup
>> une matière morbifique , un délétère qui , après avoir
>> porté le trouble dans toutes les fonctions , finit par
>>aller se déposer sur des organes plus ou moins essen-
>> tiels à la vie. »
Les médecins applaudiront encore à la seconde proposition
de M. Gastellier. Elle est d'ailleurs démontrée
par l'expérience et l'observation . Peut-être cependant lui
reprochera-t-on de ne point admettre que l'inflammation
du péritoine est une maladie fort fréquente à la suite des
couches, et souvent une cause qui enlève une femme
chérie à son époux , une bonne mère à ses enfans. Il ne
l'a pas vue , dit-il , mais combien d'autres médecins ont
eu le malheur de voir succomber des femmes nouvellement
accouchées , par suite de l'influence de cette
funeste maladie !
Les déviations du lait sont-elles l'effet ou la cause
des diverses maladies qui sévissent contre les femmes
accouchées depuis peudoinoy our 1
(
MARS 1813.535
pos
tere
Dera
C00
re
теро
25
Voilà une de ces questions épineuses et subtiles qui
diviseront long-tems les personnes qui s'occupent de
l'art de guérir. Les humoristes , et M. Gastellier paraît se
ranger sous leurs bannières , voient dans le lait une
liqueur susceptible d'éprouver beaucoup d'altérations et
de produire, par suite de son transport sur les organes ,
les affections les plus profondes comme les plus fâcheuses.
Les solidistes , au contraire , répugnent à admettre ces
altérations primitives des humeurs et ne voient dans ces
maladies que des actions vitales dérangées , des spasmes ,
des inflammations ou de l'atonie dont les liqueurs animales
se ressentent plus ou moins . Dans le premier systême
, le lait est quelquefois un ennemi perfide qu'on ne
saurait trop redouter , un être qu'on doitpoursuivre dans
toutes les routes de la circulation et dans les cellules les
plus profondes de l'organisation humaine . Dans le second
, on ne voit en lui qu'une liqueur douce , incapable
de nuire et qui suit constamment les irritations et les
mouvemens des solides. Quel que soit le parti que l'on
embrasse dans cette lutte médicale , les conséquences
n'en sont point fàcheuses pour les malades . Ces opinions
ne changent heureusement rien au traitement , et il est
vrai de dire pour l'honneur des médecins et le repos des
familles , que les solidistes comme les humoristes s'accordent
presqu'en tout sur les règles du traitement. Nous
ne saurions trop faire l'éloge de M. Gastellier pour les
observations savantes qu'il a consignées dans son livre.
Toutes annoncent un homme profondément versé dans
l'art médical ; lorsqu'il décrit une maladie , ce n'est
qu'après l'avoir bien vue et analysée. Craint-il de laisser
des doutes sur une question ? il a recours à l'autorité des
plus grands médecins , et ce n'est pas sans quelque étonnementquel'on
envisage son érudition et l'exactitude de
ses recherches . Il signale aussi avec beaucoup de sagacié
les erreurs funestes que commettent encore les personnes
chargées du soin des femmes en couche . Qui n'a pas vu,
nous dit-il, ces dernières enterrées presque toutes vivantes
dans un lit hermétiquement fermé par ses rideaux , dans
l'intention de provoquer une sueur abondante? Les portes,
1
538 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
les croisées , tout est exactement clos , et la malheureuse
victime de l'ignorance et des préjugés , ne reçoit de lumière
que le peu qui lui est fourni par une espèce de
lampe sépulcrale placée dans la cheminée. Qui ne sait
encore qu'on ne croit point devoir lui donner de linge
blanc, comme si celui- ci portait avec lui un principe de
dérangement fâcheux et même de mort? Des chemises
mille fois imprégnées par des flots de sueurs , voilà les
nobles vêtemens que la sottise lui accordait sans qu'il fût
possible à la raison d'interposer son autorité. Delà des
éruptions miliaires , des maladies inflammatoires , putrides
, malignes , résultats constans d'une méthode aussi
blamable .
Si nous passons au style de M. Gastellier , nous le
voyons partout clair, précis et quelquefois même élégant.
Son ouvrage n'offre point à la lecture cette sécheresse
que l'on reproche quelquefois avec raison aux livres des
savans . L'occasion le lui permet-elle , tour-à-tour il cite
Horace et Virgile , Juvénał et Sénèque , dont les meilleures
maximes viennent servir comme de point d'appui
àses idées propres .
700057
4
SALGUES , médecin .
:
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1.
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1 "
85,1
dez
LITTERATURE ET BEAUX-ARTS .
NARCISSE DANS L'ILE DE VENUS , poëme en quatre chants ;
par MALFILATRE .-Un vol . in-18 .-A Paris , chez
'Editeur , rue du Battoir , nº 13 ; Arthus-Bertrand,
libraire , rue Hautefeuille , nº 23 ; Delaunay , libr. ,
au Palais-Royal , galerie de bois , nº 243 ; Poley ,
libraire f , rue du Bac , nº 46.
1
La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré ;
S'il n'eût été qu'un sot , n'eût-il pas prospéré? 1
i
J
On peut regarder ces vers comme un hommage rendu
au malheur et au génie : mais cette fleur cueillie au
champ de la satire honorerait peu la tombe de Malfi-
1 lâtre , sans le nom de Gilbert qui lui donne quelque
lustre. Gilbert , dans sa colère poétique , plaidait sa
cause autantque celle de Malfilâtre . L'auteur du poëme
de Narcisseet celui de la Satire du dix-huitième siècle,
eurent un double rapport , l'infortune et le talent. Leur
genre de mort , sans être le même , fut aussi déplorable ;
leurs succès se fortifient et s'accroissent tous les jours .
Gilbert , peu versé dans les langues mortes , se modela
sur les illustres écrivains contemporains du siècle de
Louis XIV ; c'est dans les excellens ouvrages de l'auteur
du Lutrin et de PArt Poétique , et dans les belles Odes
de J.-B. Rousseau , qu'il puisa son talent. Malfilâtre ,
idolâtre des anciens , s'était tellement naturalisé dans la
terre classique , que sans la langue que parlait sa muse,
on l'eût pris pour un poëte grec ou romain. On pourrait
le comparer au statuaire enthousiaste qui détourne l'oeil
du modèle vivant , offert à ses yeux , pour interroger le
marbre antique à qui l'art imprima l'immortalité.
Mais, dira-t- on , quel intérêt présente un sujet tel que
celui d'Echo et Narcisse ? quel attrait pouvait-il offrir à
Malfilatre ?.
1
Venus forme une île peuplée d'adolescens des deux
540
,
MERCURE DE FRANCE ,
sexes. Elle veut qu'avant qu'ils parviennent au temple
de l'Amour , ils passent par celui de l'Amitié. La
déesse leur donne pour guide le dévin Tirésias , infortuné
que Junon frappa de cécité en punition de son imprudence.
Vénus ordonne au vieillard de lui raconter
T'histoire de ses malheurs , histoire passablement graveleuse
, et qui devrait alarmer la pudeur de Vénus même.
Il obéit : la curieuse Echo prête l'oreille au travers d'un
buisson , et ne perd pas un mot du récit de son père.
Junon , ainsi que sa chaste soeur Diane , connue pour
ne point aimer les curieux , métamorphose Echo en
rocher et Narcisse en cette fleur qui a hérité de son
nom. Il n'est certes rien là qui puisse vivement intéresser.
Malfilâtre s'est laissé séduire par le prestige des
descriptions qui se présentaient en foule à son imagination
amoureuse du merveilleux. Il aspirait sans doute
à la gloire de lutter avec Ovide , et de faire usage des
richesses qu'il avait conquises sur l'antiquité. D'ailleurs
ce sujet le transportait dans le beau site de la Grèce ;
il errait parmi les divinités mythologiques ; il s'élan
çait , enfin , d'un monde créé , pour voyager dans un
monde idéal. Eût-il été poëte , s'il eût résisté à des
illusions qui font le charme de la poésie ? Aussi planet-
il constamment sur son sujet. Il commande à sa pensée
qui lui sourit sans cesse. Il dispose , il ordonne ; il
semble que les muses s'empressent de lui cueillirles
fleurs les plus fraîches et les plus variées , écloses dans
leur domaine . Rien n'arrête son vol : comme il sait
s'élever et descendre ! Que de souplesse et de légéreté ,
de grâce et de force ! Il marche l'égal de Virgile dans
la description énergique et animée : témoin celle des
deux serpens qui viennent assiéger à Samos l'autel de
Junon , à l'instant où le fer du sacrificateur est prêt à
tomber sur le front du taureau immolé à la déesse , des
cription inimitable et que je citerais toute entière , sans
les citations multipliées qu'on en a faites. Il est aussi
passionné que Properce , aussi gracieux que Catulle ,
aussi tendre que Tibulle. Plus correct en général que
Lafontaine , il me rappelle quelquefois la malicieuse
naïveté du bonhomme. Necroirait-on pas , dans lesvers
HOW & MARS 181312 541
A
Ta
res
Dal
ia G
er
T
40
DEL
e
lepp
網
qu'on va lire , entendre le conteur ingénieux qui fit
parler Joconde ?
fat so Elle était fille ,elle était amoureuse
Elle tremblait pour l'objet de ses voeux ;
Clétait assez pour être curieuse ,
C'était assez filles le sont pour moins .
Mais je ne veux fronder ce sexe aimable ,
Et pour Echo , sa faute est excusable.
Si cette nymphe est coupable en ceci ,
Je lui pardonne : amour la fit coupable
Puisse le sort lui pardonner aussi! びい
Doucement et d'une main habile ,
En écartant le feuillage mobile ,
L'oeil et l'oreille avidement ouverts ,
Elle regarde , elle écoute à travers ,
Ne peut qu'à peine en ce petit asile
Trouver sa place', et craint de se montrer,
Ne se meut pas , et n'ose respirer,
Sait ramasser son corps souple etfacile,
Se promettant durant son entretien
D'épier tout , un mot , un geste ,un rien
Unmot', un geste , un rien , tout est utile .
1
}
:
Elle écoute à travers . De graves censeurs trouveront
peut-être cette ellipse un peu hasardée , mais peut-on ne
pas l'approuver dans le sujet , et au lieu où elle est employée?
Un corps souple etfacile , est aussi une expression
elliptique , car on ne dit pas un corps facile , mais
un corps facile , aisé dans ses mouvemens . La poésie a
ses priviléges , et c'est au goût à fixer la place où ces
aimables négligences peuvent plaire ou déplaire . Eh !
qui fut doué de plus de goût , d'un tact plus exquis et
plus fin que Malfilâtre ? C'est par l'effet de ce même instinet
qu'il a fait choix du rhythme le plus convenable à
son sujet. La marche du vers alexandrin eût été trop
imposante. Le vers de dix syllabes se prête mieux à la
flexibilité , à la variété des coupes . L'enjambement à la
quatrième syllabe sert le poëte ; il est non-seulement
permis , mais il a même de la grâce . Malfilâtre , si bien
servi par la nature , n'avait rien négligé de ce que l'art
MERCURE DE FRANCE ,
pouvait lui apprendre. Admirable par me poésie pleine
de charme et d'abandon , il ne l'est pas moins par le
mécanisme de sa versification , par ce poli , par ce fini
savant , dans les détails les plus minutieux. Avec quelle
exactitude et quelle grâce il dessine les contours de ce
vêtement grec , qui convenait , dit-il , aux deux sexes !
Narcisse , épris de cet objet nouveau
Rougit , se trouble , et voit dans le ruisseau ,
Sur lebeau front de sajeune merveille ,
Paraître un trouble , une rougeur pareille ,
Courir un feu subit et passager ,
Et tous les lis en roses se changer
Pour une nymphe il a pris son image
Dans cette erreur aisément tout l'engage ,
Et sonmenton qui d'un duvet léger
Apeine encor commence à s'ombrager ,
Et ses regards aussi doux que son ame ,
1 4
f
1
T
L
Et sa pudeur , et ces grâces de femme ,
Que l'homme n'a qu'à son premier printems.
Oui , tout l'abuse , et jusqu'aux vêtemens .
Les vêtemens , sans différence aucuде 100
Sont une robe,aux deux sexes commune
Simple en sa forme , élégante sans art ,
1
Autour du corps négligemment jetée I
Qui sous le sein d'une écharpe arrêtée. O
Retombe en plis ,ondoyant au hasard δίας 1 asq
Mais qui souvent , quand il court à la chasse
Franchir les monts , braver les feux dujour, :
Пом
Sur un genou , relevée avec grâce is cliont
Du brodequin laisse voir le contour,
1
:
L'expression de jeune merveille , que j'ai mise en
italique , serait peut-être ailleurs un peu précieuse ; ici
elle n'est que juste et élégante. Il s'agit d'une image
reflettée dans l'eau , d'une forme purement fantastique
Malgré le faible plan du poëme de Narcisse et son
peu d'intérêt , cet ouvrage qui devrait être le breviaire
du poëte , se fera toujours lire avec plaisir. La riche
exécution couvrira toujours la stérilité du fond. Sous le
rapport du style , ce poëme offre bien peu de taches. H
en est que l'auteur eût fait disparaître facilement, Par
AMARS 18 543
exemple , il a employé le mot de guitare; celui de cip
thare eût été , ce me semble , plus convenable dans un
sujet grec . Laloithara était une espèce de lyre , la gui
tare est un instrument moderne. Je ne puis aussi m'empêcher
de relever ce vers défectueux , ou , plutôt , cette
ligne de prose ,
Et la débauche hideuse en son ivresse .
Qui ne sait que l'h est aspiré dans hideuse ? Malfilâtre
eût sans doute aussi corrigé cet autre vers qui n'est pas ,
je crois , strictement français :
dishaon C'est trop long-tems différer tous les jours. A
-L'éditeur a placé à la tête du poëme la traduction de
la fable d'Echo et Narcisse par M. de Saint-Ange
apparemment pour nous montrer la différence entre
poëte formé par l'art seul, et un poëte enfant de la
nature et de l'art. Au reste , cette édition se recommande
d'elle-même. Le format en est portatif , les
estampes agréables . Les vers de Malfilâtre peuvent, il
estvrai , se passer d'un luxe typographique.
e
Voltaire a dit : Tableau d'après nature ,
col: 72.
S'il estbien fait , n'a besoin de bordure . :
?
1
Mais la richesse du cadre prouve le prix que l'on attache
au tableau . DU PUY DES ISLETS .
Lecture des Fables de M. ARNAULT à l'Ecole de Sorèze .
L'APPARITION d'un nouveau Recueil de fables est un
grand évènement pour la jeunesse studieuse. Dès notre
première enfance , on nous a récréés par des fables. Nous
savions à peine parler qu'on nous montrait , en images ,
celles d'Esope ; nous avons ensuite appris par coeur celles
de Phèdre ; notre diction s'est formée en déclamant en
famille celles de La Fontaine. Ces petits drames sont , en
effet, ce qu'ily adans la littérature de plus la portéeddees
enfans . Le style naïf et gai , qui est celui de tous les con-
, puisque on ne conte que pour amuser , doitplaire
à l'âge des jeux. Cet âge léger , effrayé d'ordinaire par les
longs ouvrages , saisittavec plaisir une action exposée en
telirs
à
3
544 MERCURE DE FRANCE
quelques lignes ; ce sont d'ailleurs dés poëmes où tout
parle à l'imagination , et l'on sait combien cette faculté
domine dans les enfans . Il faut l'être , ou le redevenir un
moment , pour lire avec intérêt des fables : eti si l'on y a
eu recours pour captiver de graves assemblées , c'est que
dans les réunions nombreuses l'imagination est bien plus
en activité que le jugement ; c'est qu'en général on y est
plus enfant qu'homme raisonnable . Ménénius etDémosthènes
l'avaient observé avant nous . Mee
Jugez donc la curiosité des jeunes littérateurs réunis à
Sorèze ,quand ils apprirent par les journaux que des fables
nouvelles avaient paru et qu'elles faisaient grand bruit
dans les salons de la capitale . Un professeur qui attendait
son exemplairé leur avait promis de leur en dire son sentiment.
Ce jour si vivement désiré arriva . Les plus avancés
d'entre eux étaient assemblés en séance académique , lorsqu'un
de leurs condisciples se présente . Il vient d'entendre
lire les fables , il eni a retenu beaucoup de vers qu'il va
leur réciter. Grand empressement autour de lui ! Il cite
les Bulles de sapon , qu'il a saisies en l'air ; le Coup de
fusil, l'Arbre exotique , les Cygnes et les Dindons , les
Eponges , le Riche etle Pauvre , etc. Il reproduit ces
images rapides qui l'ont frappé. J'aime , dit-il , les vérités
rendues sensibles par un seul trait , c'est un éclair qui illumine
un grand espace . Tenez , écoutez celle - ci , vous la
retiendrez comme moi mong cho obert
م
1
Tandis qu'en vain cet arbre utile
Attendl'eau dont il a besoin
Pourquoi prenez - vous tant de soin.
De cet arbre ingrat et stérile ?
Mon ami c'est qu'il vient de loin.
23 10%
Voilà qui est vif et précis , répond un des auditeurs ,
mais ces vers et les autres petits tableaux dont vous nous
avez exposé les traits , et qui sont , dites -vous , nombreux
dans ce recueil sont-ce vraiment des fables ? - Faire
cette question , continua le jeune commentateur , c'est
avoir oublié notre Phèdre , un des plus parfaits modèles
du genre. Cet auteur qu'on ne médite pas assez pour
savoir tout ce qu'il vaut ; etpour apprécier ce qu'en pensait
LaFontaine , a aussi intituléfable un seulmotpiquant ,
une comparaison , d'où résulte une vérité , un emblême
MARS 1813 .
545
DE
LA
SEINE
1
.
1
qui rend un précepte plus sensible. Voyez la dixieme da
quatrième livre : A
Jupin à l'homme a fait double besace ,
L'une devant , où se logent , en masse ,
Défauts d'autrui ; l'autre nous pend au dos ,
5.
cen
Immense poche , où pèsent tous les nôtres .
Par ce moyen , nul ne voit ses défauts ,
Mais en revanche , on voit bien ceux des autres (1) .
Tout le monde connaît celle-ci qui est devenue proverbe
:
Une montagne accouchait , et ses cris
Tenaient au loin l'univers dans l'attente .
Ce fut un rat qu'elle fit ... Tel se vante
Et resté nul , quand il a tout promis (2) .
Ces traits-là sont regardés comme d'excellentes fables
dans Phèdre , pourquoi , dans le livre de M. Arnault ,
quand ils ne sont ni moins ingénieux , ni moins énergiques
, perdraient-ils ce titre ? On a admiré dans cet auteur
le portrait du colimaçon .
Sans ami , comme sans famille ,
Ici bas vivre en étranger ,
Se retirer dans sa coquille ,
Au signal du moindre danger ;
S'aimer d'une amitié sans bornes ;
De soi seul emplir sa maison ,
En sortir , suivant la saison
,
Pour faire à son prochain les cornes ;
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures ;
Outrager les plus tendres fleurs ,
(1) Peras imposuit Jupiter nobis duas ;
Propriis replėtam vitiis post tergum dedit ,
Alienis ante pectus suspendit gravem .
Hac re, videre nostra mala non possumus ,
Alii simul delinquunt , censores sumus .
(2) Mons parturibat , gemitus immanes ciens ,
Eratque in terris maxima expectatio.
At illamurem peperit.... Hoc scriptum est tibi ,
Qui magna cum minaris , extricas nihil.
Mm
546 MERCURE DE FRANCE ,
Par ses baisers ou ses morsures ;
Enfin , chez soi comme en prison ,
Vieillir , de jour en jour plus triste ,
C'est l'histoire de l'égoïste ,
Et celle du colimaçon .
Mais ch louant l'élégance jointe à l'extrême précision de
ce style, on a dit : Encore un coup, ce n'est pas unefable !
Cependant vous en connaissez une dans Phèdre écrite du
même style , dans la même forme , et dont le dessin est
exactement pareil :
Courant tout nud sur un acier tranchant ,
Toupet au front , et le crâne fort chauve ,
Facile à prendre à qui vient par devant ,
Mais imprenable une fois qu'il se sauve ,,
Fût- ce Jupin qui lui courût après ,
Voilà le Tems , sa fuite et nos regrets (3).
Le poëte latin ne se borne pas toujours , il est vrai ,
cette concision pittoresque , à cette force qui frappe à
poing serré . S'il raconte une action plus importante , il en
exprime les détails avec tout l'agrément dont ils sont susceptibles
. Quoi qu'on en dise , ses longues fables sont ,
pour l'art du récit et la beauté du dialogue , aussi attachantes
que celles de Lafontaine . Celles du Loup et de
l'Agneau , du Chien et du Loup , de la Chatte , l'Aigle et
la Laye , du Testament , du Cerfet des Boeufs , du Lion
mourant , des Grenouilles demandant un roi , et tant d'autres
, n'ont pas moins de charme que dans le bonhomme ,
avec une versification toujours élégante , un style toujours
sévèrement soigné. M. Arnault sait aussi se donner plus
d'étendue , suivant l'importance des actions qu'il choisit.
Il a déployé même quelquefois les couleurs de la plus belle
poésie . Telle est la peinture allégorique du Pactole ; telle
celle-ci de la chasse :
Le silence a fui loin des bois ,
Leur écho redit à- la- fois
(3) Cursu veloci pendens in novacula ,
Calvus , comosâfronte , nudo corpore ,
Quem si occupâris teneas , elapsum semel ,
Non ipse possit Jupiter reprehendere ,
@ccasionem rerum significat brevem .
:
MARS 1813 547
Les juremens , les cris , les voix
Des chiens , des chevaux et des hommes .
Déjà le limier est lâché ,
105
L
10
,
Sur ses pas , de très -près, le chien courant détale ,
La queue en l'air , le nez à la terre attaché
Des bassets suit la neute intrépide et bançale .
Un commun espoir les soutient ;
On trotte , on court , on va , l'on vient ,
On se rejoint , on se sépare ,
On presse , on retient son essor ,
Au gré des sons bruyans du cor ,
Aux caprices de la fanfare ;
Point de repos...
La fatigue qui suit la chasse forme , avec cette peinture ,
un contraste qui rend les deux tableaux beaucoup plus vifs :
Tout l'équipage est sur les dents ;
Couvert d'écume et de fumée ,
Le coursier du maître est rendu ;
Plus d'un chien hâletant , sur l'herbe est étendu ,
Et , de sa gueule en feu , pend sa langue enflammée.
Dans l'oeuf de l'Aigle vous verrez aussi de ces développemens
qui attestent le grand poëte . Le Chêne et les Buissons
peint un ridicule , nouveau dans l'apologue , et saisi
avec esprit. La crue du chêne , méprisé dans son germe ,
est hardiment peinte .
D'arbuste il devient arbre , et les sues généreux ,
Qui fermentent sous son écorce ,
De son robuste tronc , à ses rameaux nombreux ,
Renouvellent sans cesse et la vie et la force..
Il grandit , il grossit , il s'alonge , il s'étend ,
Il se développe , il s'élance ,
Etl'arbre , comme on en voit tant ,
Finit par être un arbre immense .
L'abeille dans son sein va déposer son miel ,
Et l'aigle suspendre son aire
A l'un des mille bras dont il perce le ciel ,
Tandis que mille pieds l'attachent à la terre ....
Aquelques mots près , qui font pléonasme dans ce morceau
, Phèdre n'a pas souvent cette élévation . Il n'a pas
Mm 2
548 MERCURE DE FRANCE ,
non plus une grâce plus aimable , que dans l'image suivante
où l'on voit
Parmi les blés , dans la saison ,
Un berger semant à foison
Bluets , coquelicots , et mainte fleur pareille
Qu'on voit égayer nos guérets ,
Quand Flore , en passant chez Cérès ,
Alaissé pencher sa corbeille .
Le Secret de Polichinelle est , comme bienvous pensez ,
une des plus jolies fables du recueil. Vousy reconnaîtrez
Sondos , un peu trop arrondi ,
Son ventre , un peu trop rebondi ,
Sa figure , un peu trop vermeille ;
Imaginez -vous mon grivois
Psalmodiant Racine et grasseyant Corneille.
Le parti qu'il prend pour s'illustrer est l'histoire de plus
d'un grand personnage.
Mes défauts sont connus , pourquoi m'en affliger?
Mieux vaudrait les mettre à la mode.
Je ne saurais les corriger ,
Affichons-les , c'est plus commode.
Il est plusieurs célébrités :
Hommes de goût , gens à scrupules ,
La vôtre est dans vos qualités ,
La nôtre est dans nos ridicules .
Ces jolis vers rendent , avec autant de netteté que d'agrément,
une observation morale qui n'avait pas été exprimée.
Ils amènent et font mieux saisir une foule de détails fort
gais.
Ici le rapporteur fut interrompu : je vois , à ce ton admiratif
, que vous allez classer ces fables immédiatement
après La Fontaine. Il n'y a pas de fabuliste qui n'ait eu cet
honneur. Dans son tems , on éleva M. l'abbé Aubert le
plus près du bonhomme. Le duc de Nivernois lut les
siennes et il fut le plus digne rival du fablier français
Imbert prit ensuite la place , que Florian après lui emporta
sans difficulté . A présent , elle appartenait , sans contredit,
à M. Bailli , qui va être à son tour éloigné par M. Arnault.
J'en ai immanquablement oublié plusieurs dans cette
série; mais nul n'a paru qui n'ait été proclamé, pendant
,
1 MARS 1813. 549
quelques jours , comme prenant le premier rang après
L'INIMITABLE. Ne le direz-vous pas de celui-ci ? Ou bien le
mettrez-vous à côté de Phèdre que vous avez cité à son
occasion ? -Notre poëte , mes amis, a déclaré qu'il n'avait
voulu imiter personne . Il fait plus , il le prouve ; mais s'il
faut lui trouver quelque ressemblance , il me paraît que sa
composition aurait plus d'analogie avec celle de l'affranchi
d'Auguste. Il est au moins certain qu'il n'a pas la prétention
d'être taxé de bonhommie. Phèdre est un peu misanthrope
, il frappe fort et juste; notre auteur ne ménage
pas non plus les vérités ; elles jaillissent toujours un peu
brusquement et saisissent avec force le lecteur. Il dit au
factieux :
Ne te crois pas indépendant ,
Mon ami , tu n'es qu'indocile.
Au riche avili :
J'aime mieux maigrir dans l'honneur ,
Qued'engraisser dans l'infamie .
Aplus d'un insecte :
Si l'on te nomme , on te maudit ;
Si l'on te rencontre , on t'écrase .
Au réformateur imprudent :
Il ne faut pas casser les vitres ,
Mais il faut bien les nétoyer .
Aux instituteurs encyclopédiques :
Ne cultivons que le froment ,
Le bluet viendra de lui-même.
L'homme de génie dit à l'homme médiocre et jaloux :
Je ne dois pas , en bonne foi ,
Me rapetisser pour vous plaire ,
Mes frères , tâchez donc de grandir comme moi.
Le lâche au courageux :
Tu cours sur l'ennemi debout ,
Et moi j'attends qu'il soit par terre .
Le philosophe à l'ami des préjugés :
La nuit te fait briller , je la fais disparaître.
Il est peu d'écrivains dont la pensée soit rendue en style
plus franc et plus concis. Cette fermeté annonce un poëte
550 MERCURE DE FRANCE ,
qui a fait plus que des fables . Les trois vers suivans , adressés
au soleil , valent tout l'hymne de l'abbé de Reyrac :
Ton domaine est l'immensité ,
Ta durée est l'éternité ,
Et ta présence est la lumière.
Oui , mais , dit un autre élève , ne lui a-t-on pas reproché
de ne pas dialoguer ?- Ce serait un défaut , et presque
toutes ses fables prouvent que ce n'est pas le sien. Voici
notre professeur . Il vous dira mieux que moi ce qu'il faut
penser de l'ensemble et des détails .- Vous nous avez dit ,
en effet , beaucoup de vers , mais des vers ne sont pas des
fables . M. le professeur , voudrez-vous nous en lire?
Il en lut aussitôt quelques-unes qu'il avait déjà goûtées .
Mais , le dirai-je , les élèves , quoiqu'attentifs , avaient l'air de
n'y point prendre un grand intérêt. Ils applaudissaient vivement
beaucoup de traits , le fonds des choses ne semblait
pas les attacher . Messieurs , leur dit le professeur , j'avais
prévu cet effet . Avotre âge on ne cherche dans les fables
que le plaisant des situations . L'objet principal pour vous ,
c'est le récit. Notre fabuliste n'y voit que la figure qui doit
rendre la moralité plus saillante. Tout ce qui ne sert pas à
la faire ressortir , il le retranche . Il cherche sur-tout le
piquant de la pensée , et ce n'est pas ce qui peut vous
frapper.
Il en est d'ailleurs de l'apologue comme de tout ce qui
tient aux beaux-arts. Les premiers qui s'y livrent s'emparent
des idées mères qui deviennent leur propriété quand
ils savent les mettre dans un beau jour. A mesure qu'on
vient plus tard, les difficultés augmentent , non-seulement
parce qu'il y a déjà des chefs-d'oeuvre qu'il faut au moins
égaler , mais parce que les sujets de première ligne ont été
mis en oeuvre . Les surfaces sont occupées , on est obligé
de creuser pour exploiter la mine ; c'est-à-dire , qu'il faut
découvrir des rapports inaperçus , qui moins sensibles
que les premiers , exigent , dans les auteurs , plus de
sagacité , des observasions plus fines et plus déliées. C'est
ce qui rend les ouvrages des auteurs de la seconde époque
plus abstraits , plus difficiles à comprendre que ceux de
leurs devanciers . Il est moins aisé alors d'être l'écrivain de
toutes les conditions et de tous les âges . Le Méchant et
la Métromanie ne sont pas à la portée d'autant de lecteurs
que le Tartuffe et le Misanthrope. Les vers de M. Delille
circulent dans un cercle plus étroit que ceux de Voltairs .
: MARS 1813 . 551 1.
T
at
a5
ai
te
نا
C'est ainsi que les fables que je viens de vous lire supposent,
pour être comprises , plus de culture plusde
réflexions que celles de La Fontaine . Actéon ,
,
,le Secret de
Polichinelle, les Vitres cassées , le Chêne et les Buissons ,
sont moins faites pour vous autres écoliers que le Loup et
l'Agneau, le Geai superbe , les Grenouilles demandant un
roi , etc. Les enfans liront moins M. Arnault , mais les
hommes faits , les hommes cultivés , admireront dans son
livre une foule de rapprochemens heureux , une abondance
de pensées et d'analogies qui , pour échapper à vos jeunes
regards, n'en sont pas moins intéressantes .
-
-Plusieurs journaux ont remarqué que ce sont plutôt
des épigrammes . C'est ne rien dire de nouveau. Les
fables n'ont jamais été que des épigrammes en action ,
comme les comédies ne sont que des satires en scène .
L'auteur a manifesté un peu plus son intention que les
autres fabulistes , et cet aveu n'a point diminué son succès ,
d'autant qu'avec ce caractère il a fallu qu'il donnât à son
style plus de force que l'apologue n'en avait paru susceptible.
-Dites- nous , monsieur , si vous nous donnerez ces
fables à déclamer, comme celles de La Fontaine ?-On les
déclamera peu , on les citera souvent , répondit le professeur
, et il leva la séance dont l'un des élèves écrivit la
rédaction telle qu'il l'envoie aux rédacteurs du Mercure .
MAUVAISE TÊTE ET BON COEUR .
NOUVELLE .
Lejeune Dorville était seul dans sa chambre , occupé à
écrire au bon M. de Lormeuil son oncle et son tuteur.
Dorville , après avoir écrit sa lettre , la relit avec toute l'attention
dont il est susceptible , ce qui n'est pas beaucoup
dire . Elle était conçue en ces termes :
«Vous m'avez défié , mon cher oncle , de passer huit
jours de suite sans faire des folies . Vous voyez bien qu'il ne
faut jamais défier un fou , car voilà sept jours et demi que
je suis d'une sagesse exemplaire . J'ai gagné mon pari , et
votre chère fille , votre charmante Sophie est à moi , puisque
, suivant nos conventions , elle devait être le prix de
ces huit jours de raison . Vous me demanderez comment
j'ai fait pour être raisonnable huit jours de suite? Je vais
552 MERCURE DE FRANCE ,
vous le dire tout franchement. Je n'ai point quitté mon
appartement , et j'ai fermé ma porte à tous mes amis. Voilà
ce qui s'appelle un homme de précaution ; et vous ne direz
plus , j'espère , que je suis une mauvaise téte. L'amour
m'arendu saaggee pour la vie, et les réflexions quej'ai faites ,
pendant ces huit jours de retraite , ne sortiront jamais de
mon esprit. Venez donc me voir. Je brûle d'impatience de
vous montrer le fruit de ma solitude ; c'est le portrait dé
Sophie . Ce portrait est mon ouvrage , ou plutôt celui de
l'amour. Il est d'une ressemblance ! ...... Ah ! l'original ,
quoiqu'absent , était toujours devant més yeux . Venez
donc , je vous prie. Dans une heure au plus tard mes créanciers
seront payés , graces aux mille louis que vous m'avez
prêtés pour consommer cette bonne oeuvre . »
Cette lettre est fort bien , dit le jeune Dorville ; elle pent
partir sur-le-champ . Mon cher oncle va être bien étonné !
Il appelle son valet-de- chambre et lui remettant sa lettre :
tu ne seras pas fâché de sortir , mon pauvre Lafleur , lui .
dit-il avec bonté. Depuis que tu partages ma solitude , tu
as eu le tems de t'ennuyer.-Oh ! monsieur , dit Lafleur ,
jene m'ennuie jamais en bonne compagnie . -Eh ! eh ! la
mauvaise ne te déplaît pas toujours.-Un homme de bon
sens s'arrange de tout , monsieur. La bonne compagnie a
sonmérite, et la mauvaise a sa gaîté.-Tu seras bien aise
de revoir ta chère Finette , l'aimable suivante de Mlle de
Lormeuil. - Oh ! monsieur , je l'ai vue presque tous les
jours . On m'a bien défendu de vous en parler , mais on
venait savoir de tems en tems commentvous vous portiez ,
et si vous ne faisiez point d'extravagances . Lorsque je répondais
que vous vous portiez à merveille , el que vous
étiez sage comme Caton : Ma maîtresse sera donc bien
contente ! disait Finette . Ah ! mon cher Lafleur ! s'écrie
Dorville , tu me rends le plus heureux des hommes ! Dès
que jjee serai marié, jee m'occuperai de ton bonheur.-Vous
mariez-vous bientôt , monsieur? Ce soir , mon cher , ce
soir. Ne sais-tu pas que mon oncle avait exigé de moi ,
comme une chose impossible , huit jours de sagesse et de
raison ? Voilà sept jours et demi , et ce soir.....
monsieur ! que je voudrais être à demain !
heures .
-
ةم
-
-
- Ah !
Dans six
Dans six heures on peut faire encore bien
des folies , quand on a une mauvaise tête et un bon coeur.
-Ne crains rien , ne crains rien ; je puis répondre de
moi ..... pour six heures. En quittant mon oncle , tu passeras
chez M. Galoni mon tailleur , chez M. Pincemaille et
:
MARS 1813 . 553
6
1
+
1
E
1
1
M. Serré , ces deux honnêtes usuriers qui m'ont si généreusement
prêté leur argent à trente pour cent. Tu leur
diras de m'apporter leur mémoire , et que je vais les payer
sur-le-champ.- Diable ! quelle réforme ! -De là tu passeras
chez Sainclair , et tu le prieras de venir me tenir compagnie
, car je puis à présent ouvrir sans inconvénient ma
porte à tous mes amis.- Quoi , monsieur ! ce jeune fou
de Sainclair , avec qui vous vous êtes battu il y a quelque
tems , et qui vous a si grièvement blessé !.....- Bon! il
n'y paraît plus . Cette blessure si grave n'a pas passé l'épiderme
et je suis guéri . Va donc.-Oh ! le bon enfant !
dit Lafleur en sortant; c'est bien la plus mauvaise tête ,
mais aussi le meilleur coeur du monde. On le tuerait , qu'il
n'en conserverait pas de rancune .
Ily avait à peine une heure que Lafleur était parti pour
s'acquitter de ses commissions , lorsque Sainclairlui-même
entre dans l'appartement de Dorville , avec l'agitation d'un
homme tourmenté par de violentes inquiétudes.-Ah !
te voilà ! s'écrie Dorville en lui pressant affectueusementla
main. Je suis enchanté de te voir , mon cher ami.... mais
qu'as-tu donc? D'où vient cette émotion, cette pâleur ? .....
As-tu besoin de secours ? Ciel ! que t'est-il donc arrivé ?
-Sauve-moi la vie , lui dit Sainclair.-Aux risques de la
mienne , lui répond Dorville avec beaucoup de vivacité ;
mais parle donc , morbleu ! je suis sur les épines .-Dorville,
je suis amoureux comme un fou. C'est ainsi qu'il
faut l'être , ou ne pas s'en mêler . - Celle que j'aime est
charmante .-Tant mieux ! -Elle partage mon amour.
-Tant mieux ! tant mieux ! - Mais elle a pour tuteur
l'homme le plus injuste , le plus dur que je connaisse. Il a
perdu autrefois un procès contre mon père , et veut m'en
punir, en me refusant ma chère Angélique.-Il faut enlever
ta maîtresse.-C'est ce que j'ai fait.-Bravo !-Tu
m'approuves ?-J'aurais agi comme toi . Quel bonheur
que celui d'enlever une jeune personne qu'on aime et dont
on est aimé ! Je lui cherche un refuge où je puisse la
dérober aux premières poursuites . Si je pouvais mettre
Angélique en sûreté pendant quelques heures , je ferais
agir tous mes parens et les siens auprès de son tuteur , qui
ne pourrait , après un tel éclat , me la refuser sans se déshonorer
lui-même ; car enfin il n'a point d'objections à faire
contre ma fortune , ma naissance ou mon caractère . Mais
où cacher Angélique ? A qui la confier ?- A moi , mon
cher, à moi , parbleu ! conduis-la chezmoi ; je t'en réponds
-
554 MERCURE DE FRANCE ,
-
-
- Je
sur ma tête .- Oh ! généreux Dorville ! quelle reconnais
sance ! ..... Tu ferais la même chose pour moi , n'est-il
pas vrai ?- Oui , sans doute . Eh bien ! nous sommes
quittes . Va donc me chercher ta jolie maîtresse .
n'attendais que ta réponse . - Tu deyais la deviner. »
Sainclair s'éloigne pour un moment avec la joie,dans le
coeur . Deux amans malheureux ! dit le jeune Dorville en
se promenant dans sa chambre ! une jeune fille victimedu
despotisme_d'un tuteur ! l'amour persécuté ! un enlèvement
! .... Je suis bien aise que Sainclair ait pensé à moi
dans cette circonstance épineuse , et je lui sais gré de cette
gre
attention délicate . J'aime les aventtuurreess extraordinaires ;
cela donne du mouvement. Ah ! mon cher oncle ! si votre
Sophie avait voulu être enlevée , au lieu de rester huit
grands jours cloué dans ma chambre , je vous aurais fait
faire bien du chemin . »
Il achevait à peine ce discours que Sainclair arrive
donnant le bras à une jeune personne dont la figure est
couverte d'un voile. Angélique tremble ; son émotion est
si vive qu'à peine peut-elle se soutenir. Il est aisé de voir
qu'elle a fait une grande faute et que son coeur se la
reproche. Dorville la salue avec beaucoup de respect.
Vous êtes ici chez vous , mademoiselle , lui dit-il , dis
posez de tout ce qui m'appartient. Voici un cabinet vaste
et commode; vous y trouverez une jolie bibliothèque pour
vous distraire , et personne ne viendra vous y troubler.
Moi-même , tant que vous me ferez l'honneur de rester
chez moi , je m'en interdirai l'entrée . Angélique veut le
remercier , mais elle ne peut lui répondre que par des
larmes . Sainclair prenant la parole , dit à Dorville : Oh
mon ami ! c'est mon bonheur , c'est mon existence toute
entière quejeteconfie. >'Sainclair , répond Dorville avec
enthousiasme, ce dépôt est sous la sauvegarde de l'amour.
Le portrait de ma chère Sophie est dans ce cabinet ; voilà
le plus sûr gardien de ton Angélique . Qu'elle jette de tems
en tems les yeux sur ce portrait chéri , elle comptera sur
ma délicatesse . Oh ! l'excellent homme ! s'écrie Sainclair.
Je n'ai pas besoin , Dorville , de te recommander le
plus profond secret. Adieu , mon ami , adieu ; je te quitte
pour un instant, et vous , chère Angélique , reprenez un
peu de tranquillité , je vais me jeter aux pieds de votre tuteur
, et pendant que j'emploierai tous les moyens de le
fléchir , vous resterez sous la protection de l'ami le plus
généreux , le plus loyal , le plus sensible et le plus délicat.
-
MARS 1813 . 555
1
1
1
1
A ces mots , le jeune Sainclair s'éloigne , et Dorville
s'approchant de la jeune infortunée qui pleure , emploie
toute son éloquence pour la consoler . Ce pauvre Sainclair !
dit- il , comme il vous aime , mademoiselle , morbleu ! que
vous avez bien fait de vous laisser enlever par lui ! C'est
un garçon plein d'honneur , d'esprit , d'agrémens et de
goût. Il aime le jeu , la table , le plaisir , les femmes , enfin
tout ce qu'il y a d'aimable au monde. Vous serez bien
heureuse quand vous l'aurez épousé ; j'en répondrais sur
ma tête . Oh ! que vous avez bien fait de vous laisser enlever
! .... -Cependant , monsieur , je vais être la fable du
public .- Je vous défendrai , mademoiselle , et tous les
honnêtes gens avec moi. Qu'est- ce que le public d'ailleurs?
Doit-on sacrifier son bonheur à l'opinion d'un être qui
n'en a point , ou qui en change tous les jours. Il est
composé d'égoïstes qui donnent toujours tort aux malheureux,
tandis que les malheureux ont toujours raison......
Mais , chut ! j'entends quelqu'un . Entrez vîte dans ce cabinet.
Si on osait troubler votre retraite , pensez que Dorville
est là pour vous protéger et vous défendre .
Cet importun qui vient interrompre Dorville dans la
consolation qu'il donne à la belle Angélique , n'est autre
que le bon Lafleur, très -empressé de rendre un compte
exact à son maître des commissions dont il s'est fidèlement
acquitté.- Votre oncle , lui dit Lafleur , est enchanté de
votre conduite , monsieur, et va sans doute venir vous voir
dans un instant; du moins il me l'a promis . J'ai vu vos
créanciers . Ils m'ont fait l'accueil le plus gracieux et m'ont
bien assuré qu'ils ne vous laisseraient pas languir dans
l'impatience où vous êtes de leur donner de l'argent. Dor-
'ville remercie Lafleur de son zèle et de sa promptitude ,
lorsque tout-à-coup il entend sonner à la porte de son appartement.
S'il me vient quelque visite importune , dit - il à
Lafleur, tu répondras queje suis très-sérieusement occupé .
Je ne puis recevoir que mon oncle et mes créanciers .
Lafleur rentre quelques momens après .- Parbleu , monsieur
, dit- il , c'est encore un jeune fou de vos amis ,
M. Charles de Versac . - Il faut le renvoyer. - Il veut
*absolument vous parler .-Et moi , je ne veux pas absolument
qu'il me parle , dit Dorville avec impatience. Mais
Versac est déjà dans l'appartement; une tristesse profonde
se peint sur sa figure , sur-tout lorsque Dorville s'appro-
*chant de lui , lui dit d'un ton un peu brusque : Ma foi ,
*mon cher, vous venez fort mal-à-propos , je vous en de
556 MERCURE DE FRANCE ,
mande pardon . -Eh bien ! je me retire , répond Versac
d'une voix altérée . -Demain , tant que vous voudrez , reprend
Dorville avec plus de douceur; mais aujourd'hui je
p'ai pas une minute à donner à mes amis .- Demain
Dorville , il ne sera plus tems .- Que signifie celangage?
Qu'est- ce ? Qu'avez-vous donc , Versac? s'écrie Dorville
avec la plus vive inquiétude. Pourquoi ce trouble ?......
Vous étiez monunique ressource et vous m'abandonnez !
-
-
Moi t'abandonner, grand Dieu ! tu ne me connais pas.
Mais au nom du ciel , parle, explique-toi .-Mon parti est
pris , je n'ai plus besoin de personne; adieu . -Non , non ,
tu ne t'éloigneras pas ainsi ; je connaîtrai les raisons qui
t'ont conduit chez moi ; je saurai la cause de cette tristesse
répandue sur une figure que j'ai toujours vue rayonnante
de gaieté .-Je suis le plus malheureux des hommes , et
vous m'avez si mal reçu !-Ah ! mon ami, pardon . Quand
je t'ai si mal reçu , je ne te croyais pas malheureux. Mets
en moi ta confiance .-Tu me promets un secret inviolable?
Je te le jure. -Eh bien ! j'ai joué hier pour la
première fois de ma vie .-Et tu as perdu?-Surparole.
-Cela m'est arrivé cent fois . Maudit jeu ! on perd toujours
.- Je n'ai point d'argent et ne puis recourir qu'à
mon père qui , sur cet article , est inexorable. S'il apprend
que j'ai joué , je suis perdu , et s'il l'ignore , je suis déshonoré
, car je n'ai pu payer ma dette. Est-elle bien considérable
?-Hélas ! oui , elle est de mille louis .-Mille
louis ! oh ciel ! embrasse-moi , mon cher; j'ai précisément
là tes mille louis , tiens , les voilà, Parbleu ! nous sommes
bien heureux que tu n'ayes pas perdu davantage !-Tu
me rends l'honneur et la vie, dit le jeune Versac avec réconnaissance.
Sans toi , Dorville , je n'avais d'autre parti à
prendre que celui de me brûler la cervelle .- Nou , non ,
tu aurais trouvé d'autres amis . Je te sais bon gré de m'avoir
donné la préférence . Mais adieu ; tu me remercieras une
autre fois. Va payer ta dette et laisse-moi seul , car , je te
le répète , je suis l'homme de France le plus sérieusement
occupé.
Le bon Dorville, tout entier à la situation malheureuse du
jeune Versac , avait entièrement perdu de vue ses créanciers;
mais ses créanciers ne l'avaient point oublié , car
d'ordinaire ces braves gens -là ont bonne mémoire . Apeine
Versac était-il parti que M. Galoni , M. Pincemaille et
M. Serré se présentent cchhez Dorville en lui faisantde profondes
révérences . Dorville est d'abord aussi surpris de les
MARS 1813. 557
....
GDE
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at
5.
20
C
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0
S
voir que s'il ne les attendait pas .-Messieurs , leur dit-il
avec un peu d'embarras , je vous ai fait venir pour vous
donner de l'argent. - Oui , Monsieur , de l'argent , dit
M. Pincemaille . -De l'argent , répète M. Serré qui trouve
ce mot bien doux à l'oreille , et qui pense qu'on ne peut
trop souvent le répéter.-Eh bien ! Messieurs , leur dit
Dorville, il faudra bien pour aujourd'hui vous contenter de
P'intention . - L'intention! l'intention ! nous ne connaissons
point cette monnaie-là . - Je n'en ai point d'autre pour le
moment. - Elle n'a point cours sur la place.-Les intentions
peuvent être bonnes, mais elles ne valent pas l'argent.-
Nous ne connaissons que l'argent. -Vous en
aurez demain. -Il nous en faut aujourd'hui . On ne fait
pas venir ainsi d'honnêtes gens pour s'en moquer. -Je
vous en promets .-Promettre et tenir sont deux.- Ma
parole d'honneur . -Mauvaise monnaie.-Comment?...
-Elle n'a pas plus de cours que les intentions . Vous
osez m'insulter , coquins ! vous doutez de ma parole!-
C'est un effet douteux. Sortez d'ici , fripons , sortez .-
Nous ne sortirons pas les mains vides .-Nous n'y sommes
pas accoutumés .- Sortez , vous dis-je , s'écrie Dorville
avec fureur ; sortez par la porte , ou je vous fais sortir par
la fenêtre ; choisissez .-Messieurs , leur dit Lafleur d'un
air flegmatique; je vous conseille en ami de choisir la porte,
c'est le chemin le plus sûr. Vous ne connaissez pas encore
monmaître ; sa parole est de poids. Les usuriers suivent
prudemment ce conseil amical de Lafleur , et s'éloignent
enmenaçant Dorville d'employer contre luitoutes les armes
que la justice remet entre leurs mains.
-
Quand ils sont partis , la colère de Dorville s'apaise par
degrés . Il s'aperçoit que son tailleur , M. Galoni , qui jusqu'à
ce moment n'avait pas dit un seul mot, n'a point suivi
les deux usuriers . Ah ! vous voilà mon cher Galoni? lui
dit-il avec beaucoup de douceur; je suis vraiment au désespoir
, mais vous voyez que je ne puis rien vous donner
aujourd'hui .-Hélas ! signor , répond M. Galoni dans son
jargon moitié italien et moitié français ; je ne viens point
per tormentar la vostra signoria. Cependant la mia povera
femme, elle est ben malade , signore . J'ai quatrò petits
enfans qui vont morire difame. Je ne puis pagar lt loyer
dellamia maison , et nous serons tutti obligés di coucher
questa notte dans la rue . Comment ? que dites vous ?
votre femme ? ..... - E ben malade.-Vos enfans ?....-
N'ont pas solamente une bouchée di pane. Pauvre
1
-
558 MERCURE DE FRANCE ;
M. Galomi ! dit le jeune Dorville avec un profond soupir ;
que je suis malheureux ! ...... Votre mémoire monte ? ........
-Acinquantà louis , signore.-Tenez , voilà ma montre;
elle vaut bien le double de cette somme; allez la vendre .
Vous êtes un honnête homme , vous !
-
-
-
Que vous êtes bon ! monsieur , dit Lafleur lorsque
M. Galoni est hors de l'appartement : on vous fait croire
tout ce que l'on veut . - Comment? - Oui , avec son accent
plaintif et sa souplesse italienne , ce pauvre M. Galoni
est plus riche que vous , peut-être . -Tu ne sais ce que tu
dis; il est dans la dernière détresse . Rien de plus
faux. - Sa femme..... Elle se porte comme vous et
moi . Parbleu ! j'en suis bien aise , ce que tu dis là me
fait grand plaisir . C'est un brave homme que ce M. Galoni;
son sort me faisait pitié , et je suis enchanté de le savoir
heureux. Mais n'entends-je pas la voix de mon oncle ?
Précisément , monsieur , c'est lui - même avec Mlle Sophie.
Dorville ne se possède pas de joie; il vole dans les bras
de M. de Lormeuil qui les presse avec tendresse contre son
coeur.iAh! mon cher oncle, s'écrie Dorville , que je suis
heureux de vous revoir ! et Sophie avec vous ! quel excès de
bonté !- Non , non , mon cher ami, ce n'est point bonté,
c'est justice de ma part. J'ai blâmé vos extravagances , je
dois récompenser votre sagesse . - Quelle douce récompense
! vous êtes le meilleur des oncles , et vous , Sophie ,
la plus charmante de toutes les femmes !-Vous avez donc
été bien raisonnable pendant ces huit jours? lu: ditSophie
dont la jolie figure est toute rayonnante de joie .-Avezvous
craint , Sophie , que je ne perdisse mon pari ?-Un
peu ; je l'avoue, puisque vous l'avez gagné . -Oh! bien
gagné , je vous assure . J'ai été d'une sagesse ! .... Tous
vos créanciers sont payés , mon ami? demande M. de Lormeuil
. Mes créanciers ? - Qui . Mais ..... non ; ils ne
sont pas encore payés . - Pourquoi donc ce retard ?-
C'est que .... lorsqu'ils sont venus ..... je n'avais plus d'argent.
Et les mille louis que je vous ai prêtés ? Je les
avais employés à autre chose , à une chose indispensable.
Monsieur , dit M. de Lormeuil en fronçant le sourcil,
un jeune homme qui reste huit jours de suite dans sa
chambre nepeut trouver le moyen de dépenser mille louis,
sans faire quelques grandes folies . Eh bien ! mon cher
oncle , j'ai dépensé cette somme et je n'ai pas une folie à
me reprocher. - Mais enfin qu'en avez-vous fait ? C'est
un mystère.- Pourquoi nous le eacher ? dit Sophie avec
-
-
-
-
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-
:
MARS 1813 . 559
-
-
1
tristesse. Je le dois . Vous nous le direz . - Plutôt
mourir. Eh bien ! monsieur , je dois juger par votre
silence que vous êtes très-coupable et que vous avez perdú
votre pari .-Oh ! cela n'est pas encore bien sûr , mon
père , dit Sophie alarmée. --- Non , Sophie , ne me jugez
pas sans m'entendre .- Eh ! comment voulez-vous qu'on
vous entende si vous ne voulez pas parler ? Qu'avez-vous
fait de cet argent ? -- Un bon usage .-Quel est-il? J'ai
K
الا
11
۱۰
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-
-
payé .... - Quoi ? - Une dette sacrée . Comment ! une
dette qui m'était inconnue ? Oui .... une dette .... de jeu .
Une dette de jeu ! vous avez joué , monsieur ,et vous
appelez cela avoir été raisonnable ? Voilà comme vous
m'aimez ? dit Sophie avec douleur . - Non , Sophie , je
n'ai point joué; je vous aime plus que ma vie. - Vous
voulez nous persuader , reprend M. de Lormeuil , que
vous n'avez pas joué , et vous avez payé une dette de jeu !
Rien de plus vrai . Je le jure par mon honneur, par ma
chère Sophie . - Payer une dette de jeu et cependant soutenir
qu'on n'a pas joué ! Est-ce que cela serait absolument
impossible? demande Sophie avec beaucoup d'ingénuité.
Absolument impossible , ma fille . -Cependant
il ajuré par son honneur, il a juré par moi ; il faut bien que
cela soit possible . - Chère Sophie , s'écrie Dorville , prenez
ma défense. Vous saurez tout unjour. Ah ! loin d'avoir
joué , ajoute-t-il avec la plus grande vivacité , je n'étais occupé
que de vous seule. J'ai fait votre portrait . C'est un
chef-d'oeuvre. Venez , venez voir combien il vous ressemble.
A ces mots , ne pensant qu'à se justifier , qu'à prouver à
Sophie tout son amour , il ouvre la porte du cabinet , il
entraîne son oncle et Sophie , et leur montrant le portrait :
Le voilà , dit-il , avouez qu'il est parlant . - Que vois-je ?
dit M. de Lormeuil en sortant avec précipitation du cabinet
, une jeune personne renfermée ici ? - Qu'ai-je fait ,
malheureux ! s'écrie le pauvre Dorville , qui vient de s'appercevoir
de son imprudence lorsqu'il n'est plus tems de la
réparer ; je suis perdu ! M. de Lormeuil se promène avec
agitation en répétant : quelle horreur! quelle perfidie !
quelle trahison! Dorville le suit avec une anxiété difficile à
peindre .- Ah ! mon oncle . Ne m'appelez plus votre
oncle , monsieur , je ne suis plus rien pour vous .
pitié.... - Je ne vous connais plus. Sortons , ma fille
sortons , abandonnons ce jeune homme à son malheurenx
sort . Dorville est hors de lui-même ; il perd tout à ne pas
se défendre, et cependant il ne peut parler pour sejustifier.
-
- Par
,
560 MERCURE DE FRANCE ,
-
Il se jette aux genoux de Sophie : toutes les apparences
sont contre moi , dit-il , mais je suis innocent , je suis innocent.-
Quoi ! monsieur , lui dit M. de Lormeuil , vous
me faites venir chez vous pour être le témoin ..... Ecou
tez-moi , écoutez-moi . -Je vous croyais un fou , mais je
vous faisais encore trop d'honneur. Adieu , monsieur ,
adieu . Ah ! mon oncle , mon second père ! ne m'abandonnez
pas àmondésespoir. J'implore votre pitié, en attendant
que votre justice .... Mais que vois-je? voilà Sainclair ! je
suis sauvé !
Oui , mon cherami , lui dit Sainclair en riant , te voilà
sauvé d'un péril imaginaire. Calme-toi ; la colère deM. de
Lormeuil n'est qu'une plaisanterie. A ces mots , Sainclair
entre dans le cabinet et ramène l'intéressante Angélique
qui lève son voile en riant aux éclats , et montre aux yeux
étonnés de Dorville les traits de Finette dont les charmes ,
fort séduisans pour le bon Lafleur , n'avaient rien de ce
qu'il faut pour tenter la fidélité d'un jeune homme un peu
délicat,
Versac arrive dans le même instant pour prendre part à
cette scène , et remet entre les mains de Dorville les mille
louis qu'il en a reçus , en lui témoignant toute sa reconnaissance
pour un service dont heureusement il n'avait pas
besoin.
Dorville ne conçoit rien à tout ce qu'il voit , à tout ce
qu'il entend . Il croit rêver , et regarde tour-à-tour les spectateurs
avec une surprise comique . « Je conçois ton éton
nement , mon pauvre Dorville, lui dit enfin Sainclair.
Cette énigme ne te paraît pas facile à débrouiller ; je vais
t'en donner le mot. Versac et moi , nous nous trouvions
chez ton oncle au moment où ta lettre est arrivée. M. de
Lormeuil forme sur-le-champ le projet de te jouer un tour
et de mettre à l'épreuve ton étourderie et ta générosité . Il
lui fallait deux acteurs , et il était nécessaire qu'ils fussent
au nombre de tes amis. Nous avons été enchantés Versac
etmoi de prendre chacun un rôle dans une petite comédie
où ton caractère devait se montrer dans tout son jour ; nous
savions tout ce qu'il devait y gagner. Quoi ! s'écrie
Dorville; quoi ! tout cela n'était qu'un jeu ? l'enlèvement
d'Angélique était un enlèvement imaginaire ? Versac n'a
point perdu mille louis sur parole? Parbleu ! vous possédez
l'un et l'autre un grand talent pour peindre des sentimens
que vous n'avez pas !-Dis plutôt que de tous les hommes,
tues le plus facile à tromper. Versac etmoi, nous avons
MARS 1813 . 561
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fort mal joué notre rôle , et lorsque nous cherchions à
peindre le trouble , la douleur et tous les sentimens que
fait naître une situation pénible et délicate , nous étions
tout prêts à éclater de rire . Et Sophie était du
- Oui , sans doute , répond gaîment Sophie . —
avez trop bien joué votre rôle. C'est quej'en connaissais
-
-
-
E LA complot E
Ah vous
d'avance le dénouement . - Vous auriez bien dû ne dé
tromper.-Je l'ai essayé vingt fois ; mais vous diez si
vivément ému que vous n'avez compris ni mes gestes , r
mes regards . Est-il possible ! Cher Dorville, ditMen
Lormeuil en le pressant contre son coeur , excellent jeune
homme ! viens dans mes bras ; sois mon fils; je te donne
ma fille ; tu es digne d'elle . - Quoi , mon oncle ! vous ne
craignez donc plus ma mauvaise tête? - Je l'ai redoutée
unmoment; mais je suis bien rassuré par la bonté de ton
coeur .
Quelques jours après , Dorville épousa sa jolie cousine
et la rendit parfaitement heureuse. Son coeur ne changea
point et les années mûrirent fort peu sa tête ; mais sa tendresse
pour Sophie, la crainte d'affliger une femme adorée ,
lui tinrent lieu de raison. Aux hommes de ce caractère , il
ne faut point donner de conseils . Intéressez leur coeur à la
sagesse et vous les rendrez sages . Quand ils sont sur le
point de se livrer anx mouvemens irréfléchis de leurs passions
, une larme suffit pour les retenir. Ils ne craignent
pointde secompromettre par une étourderie , mais ils craignent
de faire une victime , et leur générosité leur donne
de la prudence. ADRIEN DE SARRAZIN .
?
i
VARIÉTÉS .
SPECTACLES. - Théâtre Français . - L'Intrigante. -
Sans s'apercevoir des obstacles qu'elle rencontre sur sa
route , l'Intrigante poursuit glorieusement sa carrière . Elle
vient de s'offrir , pour la sixième fois , aux yeux d'une
assemblée brillante , empressée de l'applaudir; chacun ré
pète avec Dubreuil :
Depuis son arrivée on s'empresse autour d'elle ,
Toutapris en ces lieux une face nouvelle.
Les étrangers d'abord ont afflué chez nous ,
De l'Europe on dirait que c'est le rendez-vous .
Vous n'imaginez pas ce bizarre assemblage ,
Car chacun d'eux ayant son accent , son langage ,
٠١٠
Nn
562 MERCURE DE FRANCE ,
De jargons différens c'est un mélange tel , 21
Qu'on prendrait la maison pour la tour de Babel.
La baronne à- la- fois sollicite et protège :
De nombreux supplians lui forment un cortège.
Intrigante , en un mot, si jamais il en fut ,
Elle fait même avoir des voix pour l'Institut.
2
1
Ces vers légers , faciles , élégans , ont la vraie couleur de
la comédie. Le dernier trait de la tirade est non-seulement
finementdécoché, mais part d'un esprit libre et indépendant.
Insinuer que l'intrigue a souvent ouvert les portes de l'Académiee,
que le mérite sans appui fut souvent victime de
la sottise en faveur , n'est certes pas dire une chose nou
velle ; Boileau ne se plaignait-il pas avec raison de se
trouver assis au Louvre auprès de Cotin ? Mais quel est
l'Académicien qui ait fait aussi généreusement que M.
Etienne le procès à son fauteuil ? Toute considération doit
se taire quand il s'agit de la vérité. Les ennemis mêmes de
P'auteur ne lui contestent point l'art de présenter au théâ
tre ses tableaux sous un vêtement neuf. Comme les ridi
cules rajeunissent de siècle en siècle , d'époque en époque ,
dejour en jour , le peintre qui les suit à la trace , doit , pour
être original comme eux, rajeunir ses pinceaux et sa pa
lette. Le peintre de moeurs est le seul que Thalie puisse
adopter , car peindre un autre siècle que le sien , c'est tracer
le roman ou l'histoire. C'est cet art observateur , c'est cette
juste appréciation des moeurs et des usages qui vivent sous
nos yeux , enfin ce talent de saisir les nuances les plus fines,
qui ont fait sortir si justement de la foule l'auteur des Deux
Gendres. On a prétendu que M. Etienne était plutôt né
pour la satire que pour la comédie. On n'a pas observé la
grande affinité qui existe entre l'art de la satire et l'art de la
comédie. Le satirique doit voir à-peu-près des mêmes yeux
que le poëte comique. Les mêmes tableaux appellent leur
⚫génie. Lisez la satire des Femmes; cette lecture ne vous
transporte-t-elle pas au milieu du siècle de Louis XIV ?
vous croyez-y vivre , de même que , lorsque vous assistez
aux chefs -d'oeuvre de Molière , vous croyez être en face de
la cour. Les caractères habilement crayonnés par Boileau ,
ont cette vérité historique qu'on retrouve dans ceux que
Molière a tracés dans le Misanthrope. Le poëte comique a
l'avantage de mettre en action ce que le satirique ne peut
quedesssiinneerr avec exactitude; mais dans l'exécution ils emploient
le même talent et les mêmes couleurs . Pourquoi
danc M. Etienne qui possède si éminemment l'art de saisir
MARS 1813. 563
Je
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les ridicules etde les peindre , n'aurait-il pas le talent de
faire une bonne comédie de caractère ? Serait-ce l'invention
qui lui manque ? Pour décider cette question , il faudrait
attendre qu'il s'essayât sur de nouveaux sujets. Corneille ,
en débutant , avait-il inventé le plan du Cid, et Voltaire
celui d'Edipe ? Molière n'a-t- il pas mis à contribution les
anciens ? et Térence ne doit-il pas une partie de sa gloire à
Ménandre ? Le poëte romain , si je l'ose dire , bâtit un nouveau
temple à Thalie avec des tronçons de colonnes grecques
. Tous les grands caractères appartiennent à tous les
tems; on ne peut leur donner du relief qu'en les ajustant
aux moeurs et aux habitudes de son siècle . M. Etienne , en
imitant la comédie allemande intitulée : Six Plats , a fait
plutôt une conquête qu'une imitation. S'il se fût asservi
scrupuleusement à la marche de l'auteur allemand , c'est
pour le coup que les accusations de plagiat seraient venues
fondre sur lui. Le caractère de M. Dorvillers , dans la pièce
française , n'a qu'un rapport très superficiel avec celui du
conseiller intime dans la pièce de Six Plats. Ce caractère
fait beaucoup d'honneur au talent de M. Etienne , et peut
être regardé comme une création. Ce caractère honore la
dignité de l'homme , et fait respecter la profession de commerçant.
Ce n'est point un personnage chimérique que
celui de M. Dorvillers ; s'il est des banqueroutiers frauduleux
, s'il est des hommes enrichis des dépouilles du malheur
, il en est quelques-uns dont le caractère , semblable
à l'or pur , qui ne subit point d'altérationdans le creuset ,
est resté intact et fidèle à l'honneur et à la probité...
Tels sont les modèles sur lesquels l'auteur de l'Intrigante
a calqué M. Dorvillers . Les vers suivans donneront
une idée de la noblesse d'ame et des sentimens de ce personnage
qui n'a aucun rapport avec le Philosophe sans le
savoir. Voici comme il répond à la baronne , qui lui dit
d'un air ironique , en se plaignant de son humeur :
D'une pareille humeur dites-moi la raison ?
Quoi ! pour avoir , Monsieur , meublé votre maison
Avec un peu de goût , suis-je donc si coupable?
Je n'ai fait , cependant , que la rendre habitable.
M. DORVILLERS .
D'un grand seigneur , ici , ce n'est point le séjour ,
Et je n'ai pas besoin du luxe de la cour.
Cen'est pas sans dessein , qu'en ce modeste asile ,
J'avais sacrifié l'agréable à l'utile.
f
1
Nn 2
564 MERCURE DE FRANCE ,
1
Cette simplicité que vous avez pu voir ,
Je l'observais par goût autant que par devoir.
Un vrai négociant est toujours économe ;
S'il est dissipateur , il n'est point honnête homme.
Il ne prodigue rien , quelqu'opulent qu'il soit ;
Je vais plus loin , Madame , il n'en apas ledroit.
Quandà sa probité le publie s'abandonne ,
Il ne peut , il ne doit inquiéter personne ;
Et tant que dans ses mains il a les fonds d'autrui ,
Lebien qu'il a gagné n'est point encore àlui.
LA BARONNE .
Une tellemorale est tout-à-fait gothique ,
Etdu commerce entier vous faites la critique.
Autour de vous , Monsieur , daignez jeter les yeux ,
Voyez quel est le train de nos banquiers fameux ,
De tout l'éclat des arts leurs maisons resplendissent.
M. DORVILLERS .
Aussi l'on sait comment ces maisons- là finissent .
LA BARONNE.
Ahl du moins ils se font honneur de leurs profits ,
Et même je soutiens qu'ils servent leur pays.
Ce que je vous dis là n'est pas si ridicule ;
• Il est essentiel , monsieur , que l'or circule ;
Pour le garder toujours à quoi bon l'amasser ?
De même qu'on le gagne il faut le dépenser.
M. DORVILLERS .
Je ne puis qu'admirer de si belles maximes ;
Voilà , sans contredit , des préceptes sublimes ,
Et c'est , n'en doutez pas , pour les avoir suivis ,
Que tout depuis vingt ans va si bien à Paris .
Par eux ont disparu des maisons opulentes ;
Par eux ont éclaté des faillites brillantes ,
Et l'on a vu signer ces bilans imposteurs ,
Ruinant tout le monde excepté leurs auteurs .
Des exemples si beaux ne sauraient me séduire ,
Cette richesse-là n'est pas celle où j'aspire .
La fortune àmes yeux cesse d'avoir du prix ,
Quand il faut avec l'or recueillir le mépris .
Né pauvre , je fus seul l'artisan de la mienne ;
C'est déjà dans Paris une fortune ancienne :
Le travail et le tems me l'ont fait achever ,
Etpar l'ordre aujourd'hui je la veux conserver.
८,
MARS 1813 . 565
Ce n'est point là , comme on voit , une vaine déclamation
; ce ne sont point des lieux-communs ampoulés
des lambeaux de traités de morale mis en vers ; tout ce
discours est inspiré au personnage par la situation même ,
et sort des entrailles du sujet . La pièce est écrite à peu
,près de ce ton , et on y peut à peine remarquer quelques
légères négligences qui disparaîtront aisément à l'impression
. Le rôle de l'intrigante est brillant d'un bout à l'autre ,
et semé de traits ingénieux , vifs et piquans . Dieu veuille
qu'il arrive souvent de semblables bonnes fortunes à Mlle
Leverd ! le public y gagnera comme l'actrice . "
Le caractère de Julie est tracé aussi avec une grande
finesse , c'est une esquisse de l'Albane ou du Corrége.
Julie n'est point une ingénne ; on voit en elle une fille
douce , aimable , sensible , mais qui sait renfermer sa
tendresse dans des bornes légitimes . Elle voudrait posséder
son amant , mais elle voudrait aussi que ce fût de
l'aveu de son père. Ce mélange de grâces , de sentiment ,
de soumission , enfaituunn objet céleste. Qui ne voudrait
avoir Julie pour amante ou pour épouse ? Mile Mars saisit
toutes les nuances délicates de ce personnage avec un art
dont elle seule a le secret. Il faut , pour bien rendre un
pareil caractère , cet accord enchanteur de l'expression et
du langage des yeux et de la voix , dugeste et du sourire .
Mars dès long-tems ne craint plus de rivales .
Théâtre de l'Impératrice.-Première représentation du
Temporiseur.- Je voudrais traiter aussi bien le Temporiseur
que l'Intrigante ; mais malheureusement ma bonne
volonté se trouve en défaut. Les Temporiseurs ne font
pas , en général , aussi bien leurs affaires à la cour et au
théâtre que les Intrigantes ; celui de l'Odéon en a fourni
la triste preuve .
C'est une idée bien peu dramatique que celle de mettre
sur la scène un personnage dont l'attitude glacée et passive
avoisine constainment la léthargie. Le théâtre ne vit que
d'action. On doit tenir sans cesse en haleine le spectateur,
le laisser respirer à peine. Que peut faire un Temporiseur?
débiter de beaux discours :les beaux discours endorment
l'acteur et le public. Le Temporiseur , peu économe du
tems , a paru l'être un peu trop de l'esprit. On n'a pas
trouvé un seul petit mot pour rire , la pièce était décidément
vouée à l'Ennui . Ni l'enrhumé Vigneaux qui est
venu réclamer de l'indulgence pour son rhume , ni les
grâces variées et piquantes de Mlle Delia , ni le jeu noble
566 MERCURE DE FRANCE ,
et brillant , les bonnes intentions , la ferme contenance et
le riche habit brodé de Closel, n'ont pu désarmer le courroux
des sifflets et réparer de lapièce la chute irréparable ;
cependant l'auteur de cet ouvrage n'est pas sans talent, on
y remarque des vers d'une excellente facture. En voici un
qui ferait fortune dans un meilleur cadre :
Quand on hait on est deux , quand on aime on n'est qu'un..
Le vers est dur , d'accord; maisfort de choses .....
En temporisant un peu , l'auteur peut prendre une revanche
utile .
Le nocher dans son art s'instruit pendant l'orage ;
Onn'y devient fameux qu'après plus d'un naufrage.
Notre sort est pareil dans le métier des vers ,
Etpoury réussir il faut plus d'un revers.
-
Théâtre de l'Impératrice ( Opéra Séria ) . -Axur, roi
d'Ormus. Cette composition vaste et pleine de suavité
et d'énergie , annonce la prodigieuse fécondité de l'auteur
des Danaïdes et de Tarare. On prétend que Joseph II ,
ébloui de son rare mérite , se l'étant attaché , voulut qu'il
composât une nouvelle musique sur les paroles de Tarare,
traduites en italien. Ce projet n'ayant pu s'exécuter stric
tement , un poëte tira des débris de ce poëme l'opéra du
Roi d'Ormus ; Salieri s'exerça sur ce nouvel ouvrage. Il
lutta contre sa première musique , et aux yeux de plus
d'un connaisseur remporta la victoire sur son propre talent.
Rien de plus enchanteur que le duo de l'introduction : (
Qui dove scherza l'aura
Con grato mormorio , etc.
Ce duo est parfaitement chanté par M Sessi et par
Tachinardi ; la voix du chanteur fait oublier la stature du
héros .
La musique du choeur , à la seconde scène , dans l'instant
où l'incendie éclate , est male et expressive , et les
effets de l'orchestre sont terribles et pittoresques ; mais
l'enlèvement d'Aspasie s'exécute mal. Un Italien a des
accens plus tendres que nous quand il faut chanter une
maîtresse; mais un Français est plus expéditif quand il
s'agit de l'enlever. Du reste , cet opéra est magnifique ,
ment monté , et fait le plus grand honneur au zèle des
administrateurs du Théâtre de l'Impératrice. Ils n'ont rien
épargné pour rendre la pompe du spectacle digne de la
MARS 1813. 567
نا
ل
1
musique. Danse, habits , décors , rien n'y manque . Au
bruit près , l'on se croit au grand opéra . Mme Sessi , prima
donna, à l'âge de quatorze ans, joua d'original ce beau
rôle d'Aspasie , ne l'ayant jamais vu jouer par la virtuose
célèbre , dont elle occupait la place . Ce rôle lui acquit une
réputation brillante , qui s'est accrue depuis , et qui s'accroît
encore par le nouveau succès qu'elle vient d'obtenir . La
voix vigoureuse et noble de Porto répond bien au caractère
qu'il représente. Bassi est très-utile dans l'emploi qu'il
remplit , parce qu'il est à-la-fois chanteur et acteur. Mademoiselle
Neri a une voix sonore et brillante , mais l'ambition
l'égare quelquefois ; elle se perd dans ses roulades ;
elle ferait plus , je crois , si elle voulait moins faire . Angrisanni
a maîtrisé sa voix avec un art qu'il n'avait pasdéployé
jusqu'ici . Il a partagé avec le jeune Cholet les honneurs
du bis , dans un duo religieux , mais qui n'a point la teinte
sombre et mélancolique dela musique d'église. Les amateurs
de la bonne musique doivent de la reconnaissance à
M. Paër, qui a débuté , dans sa direction de l'Opéra Buffa,
par un aussi bel ouvrage que le Roid'Ormus, et des remercîmens
à l'administration du Théâtre de l'Impératrice qui
l'a si bien secondé dans ses projets . D.D
NÉCROLOGIE.- Les arts , l'amitié et la société viennent
de faire une perte bien sensible dans la personne de Mme de
Parny , née Contat , morte à Paris , le 9 mars , à l'âge de
cinquante-deux ans .
La carrière dramatique de cette femme célèbre a brillé
d'un éclat trop vif; le souvenir en est si présent aux ama
teurs de la bonne comédie , qu'il serait inutile de faire ici
l'éloge de son talent.
Mais ce n'est pas sous ce rapport seul qu'il faut la regretter.
Il y avait plusieurs femmes remarquables dans
Mile Contat, la grande comédienne , l'excellente mère de
famille , et la femme de société aussi bonne que spirituelle.
Comme actrice Mlle Contat sera difficilement remplacée ;
que celles qui lui succèdent , se contentent de marcher de
loin sur ses traces ; leur plus beau triomphe sera de la rappeler
quelquefois à notre souvenir. Dans la société , quelle
femme réunissait à un esprit plus distingué , tantde grâce,
une bonté si constante ?
Lamémoire de Mme de Parny sera éternellement chère
àses amis nombreux qui admiraient en elle cette réunion
si rare du talent , de l'esprit et d'un bon coeur. B.
1
POLITIQUE.
LES nouvelles de Vienne portent que le prince de
Schwarzenberg est toujours dans cette capitale. Ce prince
va souvent à la cour , et a de fréquentes conférences avec
les chefs du département de la guerre . Le départ de ce
prince pour Paris est très-prochain . Le général Frimont
commande en son absence. Le général Siegenthal commande
l'avant-garde du corps autrichien . M. de Metternich
, ministre des affaires étrangères , a été nommé par
l'Empereur , chancelier de l'ordre de Marie-Thérèse . La
lettre de S. M. qui annoncé cette nomination est conçue
dans les termes les plus flatteurs .
La réclamation de la princesse de Galles a de nouveau
occupé les chambres du parlement britannique . Voici le
texte du rapport présenté au prince régent par le conseil
privé.
<<En vertu des ordres de V. A. R. , nous avons examiné
avec l'attention la plus scrupuleuse la lettre de S. A. R. la
princesse de Galles à V. A. R. , qui a paru dans les papiers
publics , et dont V. A. R. nous a fait part , et dans
laquelle la princesse de Galles , entre autres choses , se plaint
de ce que les communications entre S. A. R. et S. A. R.
la princesse Charlotte ont éétléé assujéties à de certaines res
trictions .
> Nous avons aussi examiné le plus attentivement possible
les autres papiers qui nous ont été communiqués par
V. A. R. , ainsi que tous les documens relatifs à l'enquête
établie en 1806 , par ordre de S. M. , pour vérifier certaines
imputations touchant la conduite de S. A. R. la princesse
deGalles , qui paraissent avoir mérité l'attention de V. A. R. ,
en conséquence de l'avis de lord Thurlow , qui , en sa qualité
d'homme public , a cru devoir en faire part à S. M.; et
V. A. R. ayant daigné nous commander de lui déclarer
si , d'après toutes les circonstances de cette affaire , nous
jugeons convenable que les communications entre la princesse
de Galles et sa fille la princesse Charlotte continuent
à être assujéties à certains réglemens et à quelques res
trictions
:
MERCURE DE FRANCE , MARS 1813. 569
" Nous prenons humblement la liberté de déclarer à
V. A. R. qu'après avoir examiné scrupuleusement tous les
documens que nous avons sous les yeux , nous sommes
d'avis que, d'après toutes les circonstances qui ont eu lieu,
il est absolument convenable pour le bonneur de S. A. R.
la princesse Charlotte , dans lequel se trouve également
compris celui de V. A. R. , sous le double rapport de la
parenté etde la royauté, ainsi que pour les intérêts les plus
importans de l'Etat, que les communications entre S. A. R.
la princesse de Galles et S. A. R. la princesse Charlotte ,
continuent à être assujéties à des réglemens età des restrictions
.
» Nous demandons humblement qu'il nous soit permis,
sans que l'on puisse penser que nous excédons les bornes
du devoir qui nous a été imposé, d'exprimer respectueusement
combien nous approuvons les motifs qui ont porté
V. A. R. à différer de faire confirmer S. A. R. la princesse
Charlotte , attendu qu'il paraît, par un écrit signé de la main
de S. M. la reine , que V. A. R. s'est conformée à cet égard
à la volonté positive de S. M. qui avait bien voulu ordonner
que cette cérémonie n'aurait lieu que lorsque S. A. R.
aurait dix-huit ans accomplis .
>>Nous espérons aussi humblement qu'il nous sera permis
de remarquer quelques expressions qui se trouvent dans
la lettre de S. A. R. la princesse de Galles , que l'on pourrait
interprêter d'une manière trop sérieuse pour qu'on les
laisse passer sans observation. Nous voulons parler de ces
mots , calomniateurs , subornés . Comme cette expression ,
d'après la manière dont elle est présentée , pourrait peutêtre
être mal interprétée ( quelqu'impossible qu'il puisse
être de supposer que l'on ait eu cette intention ) , et qu'elle
pourrait paraître avoir rapport à quelque partie de la conduite
de V. A. R. , nous croyons de notre devoir de déclarerque
les documens que nous avons sous les yeux donnent
les preuves les plus fortes qu'il n'y a pas le plus léger
fondement à une telle diffamation . »
M. Cochrane Jonston a vainement insisté dans la
chambre des communes pour que le parlement s'immiscât
dans cette affaire , et fit déposer sur son bureau toutes les
pièces y relatives ; la question mise aux voix a été rejetée
sans division ."
Les feuilles allemandes que nous avons fréquemment
analysées , ne nous entretiennent depuis le commencement
de ce mois que de la direction des troupes françaises et
570 MERCURE DE FRANCE,
alliées vers les points de rassemblement qui leur sont indiqués.
Le Moniteur du 18 vient de publier une note qui
donne une idée exacte des positions des divers corps de
l'armée , des mouvemens des ennemis , et du moment où
Yestroupes impériales seront appelées à reprendre l'offensive.
Aucun document historique ne pouvait en ce moment
inspirer d'intérêt à un plus haut degré : nous nous
empressons de transcrire le texte de cette note importante.
Voici la situation exacte de nos armées dans le nord de
Europe au 10 mars .
Pillau.-Le général Castella occupait avec 1200 Français
le port de Pillau. Il a capitulé le 26 janvier. Cette
capitulation est une convention par laquelle les troupes
françaises sortent avec armes et bagages pour revenir en
France. La conduite du général Castella , qui a rendu ,
sans avoir soutenu un siége , la place qu'il commandait ,
sera examiuée ppaarun conseil d'enquête..
Dantzick.-Le général Rapp , ayant sous ses ordres les
généraux de division Heudelet et Grandjean , le général
de cavalerie Cavaignac , le général Campredon commandant
le génie , etle général Lepin , commandant l'artillerie ,
adans laplace de Dantzick une garnison de plusde 30,000
hommes etun approvisionnement en pain pour 820 jours ,
et en viande et autres objets pour plus d'un an .- Dans
les derniers jours de janvier , l'armée russe s'approchant
de Dantzick , il se porta à sa rencontre , culbuta l'avantgarde
et lui fit 800 prisonniers . Vers le milieu de février ,
il sortit lui-même à la tête de 15,000 hommes et de 1500
chevaux, enleva trois redoutes que l'ennemi faisait construire
, lui prit 8 pièces de canon et 1800 hommes . Il
repoussa l'ennemi jusqu'à trois lieues de la place .- Les
Russes avaient espéré , dans le courant de février , de profiter
des glaces pour attaquer le Holm ; mais les glaces
avaient été rompues par les soins du gouverneur. On laissa
avancer l'ennemi , et quand il fut à portée , on l'écrasa
de mitraille . Il a laissé au pied des ouvrages beaucoup
d'hommes blessés et tués.
1 Dans les premiers jours de mars , le dégel ayant commence,
oon a tendu l'inondation.
Thorn . Le général du génie Poitevin commande à
Thorn. La garnison consiste en 4,000 Bavarois et en 1.500
Trançais . L'armée russe , dans le courant de février , fit
des tentatives pour enlever les lunettes qui sont en avant
de la place , mais elle fut repoussée , et sa perte ne futpas
MARS 1813 . 571
16
JE
.
demoins de8 ou 900 hommes tués ou blessés . Thorn a
des vivres en pain pour plus de 2 ans , en viande et en légumes
pour plus de 9 mois.
Modlin . -
-
Le général de division Daendels commande
à Modlin : sa garnison est composée de 1000 Saxons , de
1000 Français et de 6000 Polonais. La place était approvisionnée
en pain pour plusieurs années , en viande et
autres denrées pour 9mois.
Ces grands approvisionnemens
en pain , dans les places de laVistule , proviennent
des grands magasins de l'armée qui s'y trouvaient.
Zamosc a une garnison de 4000 Polonais.
Czenstochau a une garnison de 900Polonais .
Le prince de Schwartzenberg a pris le 12 février la position
de la Piliça . Un nouveau corps d'observation autrichien
se réunit sur les frontières de la Bohême .
Le général Reynier avec le 7º corps s'est dirigé par Petrikau
etRawa sur Kalitch. Sa cavalerie y a été attaquée le
13 février par un corps de troupes russes qui avait passé
la Vistule sur la glace , entre Thorn et Modlin , du côté de
Plock. Le général Reynier a repoussé cette attaque dans la
villemême de Kalitch . Un général de brigade saxon avec
sa brigade , a été coupé par l'ennemi , mais il s'est reployé
sur le corps du prince Poniatowski , lequel a fait sa jonctionavec
le corps autrichien , et se trouve entre la Piliça
etCracovie.
Le général Reynier a repassé l'Oder et a pris position
en avant de Dresde .
Voilà pour la Pologne .
2
Le vice-roi avait fait avancer , dans les premiers jours
de février , le 11º corps de Berlin sur l'Oder. Ce corps
arrivait à Francfort , lorsque le vice-roi , instruit de l'évacuation
de Varsovie , comprit que sa position sur Posen
n'avait désormais plus aucun but. Il se reporta tranquillementderrière
l'Oder.
Le 18 février , un corps de 1500 hommes de cavalerie
légère russe, passa le Bas-Oder sur la glace . Le maréchal duc
deCastiglione chargea le général Poinsot de marcher à sa
rencontre avec deux bataillons d'infanterie et 100 chevaux.
Dans une reconnaissance à quelques lieues de Berlin , ce
général leur tua une soixantaine d'hommes , entr'autres un
seigneur prussien nommé le comte de Schwerin. La nuit ,
les cavaliers ennemis tournèrent Berlin ; ils surprirent
Je poste qui gardait la porte d'Oranienbourg , et 3 à 400
pénétrèrent dans la ville; c'était dans la matinée du 20
1 573 MERCURE DE FRANCE,
ト
février. Le duc de Castiglione fit tirer sur eux quelques
coup de canon et les fit chasser par de l'infanterie . Le baspeuple
de Berlin voulut profiter de la circonstance pour
faire quelques mouvemens ; mais la garde civique qui se
composait de tous les bourgeois , fit la police , et l'ordre se
rétablit aussitôt .
Après cette affaire , les troupes légères ennemies disparurent.
Le 22 février , le vice-roi arriva à Berlin avec 500 chevaux
de la garde. Il prit ensuite , avec tout son monde ,
position à Kopnik.
Le lieutenant-colonel Ciceron occupait avec son bataillon
le pontde Furstenwald sur la Sprée . Il s'en laissa imposer
par 600 cavaliers russes qui lui firent accroire qu'ils
avaient avec eux de l'artillerie et de l'infanterie . Il eut la
simplicité de consentir à quitter le poste qu'il devait défendre
, et il se replia avec son bataillon sur l'armée . Des
ordres ont été donnés pour arrêter cet officier , qui sera
puni selon la rigueur des lois militaires .
Le général Gérard était resté avec une brigade à Francfort
pour brûler le pont. 2000 hommes de cavalerie russe le
coupèrent de Berlin. Il marcha à eux , en tua 60 à 80 , fit
plusieurs officiers prisonniers , brûla le pont de Francfort
et rejoignit le vice-roi .
Le vice-roi avait un de ces deux partis à prendre : ou de
faire venir la cavalerie des premier et second corps , qui
s'était réorganisée sur la rive gauche de l'Elbe et de l'employer
à nétoyer le pays entre l'Elbe et l'Oder , ou de marcher
au-devant des autres armées en s'approchant de
l'Elbe.. 17
Mais cette cavalerie n'était pas encore entièrement réorganisée
, et tant de vieux soldats , ressource si précieuse ,
pouvaient être compromis dans une lutte prématurée;
d'ailleurs le général Bulow , commandant un corps prussien
sur la droite du Bas -Oder , avait laissé passer cefleuve
à la cavalerie légère de l'ennemi . :
Le vice-roi prit le parti de se retirer en bon ordre sur
l'Elbe; il laissa l'Oder garni de la manière suivante :
Le général Grandeau avec une garnison de gooohommes,
ayant des vivres pour 8 mois , commande à Stettin. Le général
de brigade Dufresse commande en second . Le général
Chamberlhac commande le génie...
Le général Fornier d'Albe garde la place de Custrin avee
3000 hommes
1
MARS 1813 : 573
De
1
Le général Laplane et le général du génie Dode sont
dans Glogau avec 6000 hommes,
Spandau est gardé avec 3000 hommes par le général
Bruny.
Toutes ces places sont approvisionnées depuis 9 mois
jusqu'à un an.
Le 4, entre Berlin et Vittenberg , 1200 hommes de
cavaleerriiee légère russe voulurent charger sur l'arrière-garde
du vice-roi. Un bataillon du 6º de ligne les reçut à bout
portant et leur tua une centaine d'hommes . Depuis , cette
cavalerie a disparu , et on ne l'a plus vue.
On vient de faire connaître notre position
et sur l'Oder ; voici celle sur l'Elbe :
enPologne
Le général Lauriston , avec cinq nouvelles divisions formées
de vieilles troupes tirées de France et munies d'un
nombreux équipage d'artillerie , ayant un double appro
visionnement attelé , avec le corps westphalien et le 1
corps de cavalerie , occupe Magdebourg , et réunit sur ce
point une grande force militaire.
Le prince d'Eckmuhl , avec le 1er corps de la Grande-
Armée , et le duc de Bellune , avec le 2º , bordent l'Elbe .
Le général Grenier , avec le 11º corps , était devant Vittenberg.
Cette place était armée et mise en état de défense.
Le lieutenant-général saxon Thilman était avec 6000
saxons en garnison à Torgau , place que le roi a fail construire
sur l'Elbe depuis 1809 , et dont les travaux ont été
poussés avec une telle activité qu'elle se trouve aujourd'hui
dans le meilleur état de défense. Elle est armée de
200 pièces de canon .
Le général Reynier était en avant de Dresde avec le corps
saxon et la division Durutte , et ayant une division bavaroise
sur la gauche. Ce corps d'armée se renforce de 10,000
hommes qui arrivent des dépôts de Saxe .
Afin de pouvoir surveiller tous les pointsde cette ligne ,
Je quartier-général s'est porté à Leipsick .
Dans cet état de choses le roi de Saxe, pour se tenir plus
éloigné du théâtre de la guerre , a jugé à propos de se
retirer sur Plauen .
Le roi de Westphalie voulant avoir à sa libre disposition
sa garde et ses troupespour se porter en personne partout
où les circonstances l'exigeraient , a désiré que la reine
vînt en France . Cette princesse est arrivée à Trianon .
Cependant le général Lauriston avait , avec raison , retiré
toutes les troupes de la 32º division militaire ,pour les cou
574 MERCURE DE FRANCE ,
centrer à Magdebourg. Le corps du général Vandamme ,
composé de 50 bataillons , qui a déjà commencé à déboucher
de Vezel pour aller occuper la 32 division militaire ,
n'y arrivera que vers la fin de Mars . Hambourg se trouvait
donc gardé par des forces bien faibles . Le petit peuple
vouluten profiter ; le 24 février , il insulta les douanes , on
fit feu sur les plus mutins , et l'attroupement se dissipa .
La bourgeoisie de Hambourg eut le bon esprit de sentir la
nécessité de contenir la populace , elle forma la garde
nationale , et rétablit l'ordre. Plusieurs piguets de cavalerie
danoise ont contribué à maintenir l'ordre à Hambourg.
Un espion russe a été arrêté et fusillé. Six hommes ,
auteurs de l'émeute , ont été fusillés également ........
Le 12 de ce mois , le général Cara Saint-Cyr jugea àpropos
de passer sur la rive gauche de l'Elbe et de fixer le
quartier-général de la 32º division militaire à Artlenbourg.
Le 1 corps d'observation du Rhin, composé des 8 ,
9°, 10%, 11°, 29 , 38" et 39 divisions de la Grande-Armée,
se réunit sur le Mein . Le prince de la Moskowa qui le commande
, a dans ce moment son quartier-général à Hanau .
Legénéral de Wrede a pris son quartier-général à Bam
berg , avec une division bavaroise. Les divisions wurtembourgeoise
, hessoise et badoise , se réunissent à Wurtzbourg.
e
Le 2 corps d'observation du Rhin , composé des 16º,
17 ; 18° et 19ª divisions de la Grande-Armée , se réunit à
Francfort sous les ordres du duc de Raguse.
Le général Bertrand a débouché du Tyrol avec les 5-divisions
qui composent le corps d'observation d'Italie.
Les divisions de la garde impériale , sous les ordres du
duc de Trévise , sont arrivées à Francfort.
Plus de 20,000 vieux cavaliers ayant tous fait la guerre
sont remontés , équipés et réunis sur l'Elbe . Ils pourront
tous rentrer en ligne dans les premiers jours d'avril.
60,000 hommes de cavalerie s'équipent dans nos dépôts
enFrance. Lamoitié estdéjà en route pour Metzet Mayence.
Malgré les pertes que nous avons essayées cet hiver, une
armée beaucoup plus nombreuse , ayant un tiers de plus
d'équipages d'artillerie , entrera bientôt en campagne. Un
corps de 80 bataillons gardera la 32 division militaire , et
150 bataillons se formeront dans des camps à des manoeuvres
, et en réserve dans l'intérieur.
Indépendamment des corps que le royaume d'Italie a à
lagrande armée , 40,000Italiens formeront des camps pour!
MARS 1813.ПИТАН 575
館
1
défendre les côtes de Venise , des provinces Illyriennes et
de l'Adriatique.
L'armée d'Espagne a renvoyé en France à-peu-près 150
cadres de bataillon, et une cinquantaine de cadres d'escadron;
mais elle a reçu des recrues qui compensent et bien
au-delà cette perte. Le 7º régiment de chevau-légers polonais
, la belle légion de gendarmerie qui a culbuté d'une
manière si distinguée la cavalerie anglaise , et 4 régimens
de la garde , sont les seuls corps entiers qu'on ait retirés
d'Espagne où ils ont été remplacés .
La gendarmerie de France a fourni 3,000 officiers ou
sous-officiers pour compléter tous les cadres de la cavalerie.
Voilà au vrai la situation militaire de la France ; c'est le
résultat de l'énergie et du patriotisme des Français.
Les Russes avaient été accueillis à Koenigsberg et dans
la vieille Prusse avec l'empressement qu'on porte à ce qui
estnouveau ; mais déjà leur administration de plomb s'est
fait sentir. Les Cosaques pillent par-tout ; le pays est obligé
de fournir à tous leurs besoins ; et toutes les dépenses ,
même celles des généraux et des officiers , celles des postes ,
celles des auberges , ne sont acquittées qu'en bons ou en
roubles de papier. On ne voit plus de pièces d'or ou d'argent.
Ainsise consomme la ruine de ce pays , où les Russes
disaient se présenter comme des libérateurs .
La Prusse est en proie aux mêmes factions qui ont précédé
la guerre de 1806 .
Par divers décrets impériaux , les conseils d'arrondissemens
sont convoqués pour le 26 avril pour leurs opérations
en 1813. Les conseils généraux des départemens se réuniront
le ro mai . M. Estève est nommé l'un des administrateurs
des postes à la place de M. Sicyes décédé. M. deBreteuil
, préfet de la Nièvre, passe à la préfecture des Bouchesde-
l'Elbe , chef- lieu Hambourg . Par d'autres décrets , un
grand nombre de militaires retirés sont nommés à des inspections
de première ou seconde classe dans l'administrationforestière.
1
"L'Empereur est venu , le 15 , de Trianon au Champ-de-
Mars , où il a passé en revue une nombreuse division d'infanterie,
de cavalerie et d'artillerie . S. M. a parcouru tous
les rangs au milieu des cris de vive l'Empereur ! On a
admiré la belle tenue des nombreux régimens qui se trouvaient
à cette revue. Les troupes qui l'avaient passée se sont
de suite mises en mouvement. Quand elle a été terminée ,
Γ
576 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
S.M. a bien voulu accepter un déjeûner à l'Ecole-Militaire,
chez M. le maréchal duc d'Istrie. Elle est ensuite repartie
pour Trianon . Jamais S. M. ne s'est mieux portée. Le
séjour de Trianon paraît très-favorable à sa santé ainsi qu'à
celle du Roi de Rome. $....
ANNONCES .
Manuel des amateurs de la languefrançaise , contenant des solutions
sur l'étymologie , l'orthographe , la prononciation , la synonymie et la
syntaxe; par A. Boniface , professeur à l'institution de M. Dubois
membre de l'académie celtiiqquuee., et de la société grammaticale;; et
par plusieurs gens de lettres.-NUMÉRO Ier. Cet ouvrage paraît
dans les premiers jours de chaque mois , par cahier de deux feuilles
d'impression in-8°, petit-romain et petit-texte . Prix de la souscription
annuelle , portfranc , pour Paris , 10 fr . pour les départemens , II fr .
On s'abonne chez l'Auteur , rue de la Planche , nº 13 .
La Dame du Lac. Deux vol. in-12 , tiré du célèbre poëme de
Walter Scott. Prix , 4 fr. , et 4 fr. 80 c. franc de port. Ala librairie
française et étrangère de Galignani , rue Vivienne , nº 17 .
Modèledes Femmes. Deux vol . in-12 , traduit de l'anglais de miss
Edgeworth. Prix , 4 fr. 50 c. , et 5 fr. 40 c. frane de port. Chez le
même.
Les Deux Grisellidis ; traduit de l'anglais. Une de Chaucer et
l'autre de miss Edgeworth . Deux vol. in-12. Prix , 4 fr . , et 4 fr.
80 c. franc de port. Chez le même .
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Leprix de lasouscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pourun
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription estde 20francs
pour l'année , et de II franes pour six mois. ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger. )
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Etranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23 ; et chez
les principaux libraires de Paris , des départemens et de l'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure ;
àParis.
!
LA
SEINE
10
MERCURE
DE FRANCE .
N° DCX . - Samedi 27 Mars 1813 .
POÉSIE .
LA MORT DU TASSE.
POÈME ÉLÉGIAQUE .
CLÉMENT Huit veut enfin , pour venger ungrand homme ,
Du laurier d'Apollon le décorer dans Rome .
Cédant aux nobles voeux d'un pape ami des arts ,
Le Tasse revoyait la ville des Césars .
Après tant de tourmens , un destin si contraire ,
A ses persécuteurs onvientde le soustraire ;
Et toute l'Italie avec empressement
Prépare sontriomphe et son couronnement.
La veille de ce jour , à travers des ruines ,
Il parcourait pensif l'une des sept collines :
Ici , dans le Forum , les citoyens romains ,
Libres , forgeaient les fers du reste des humains ;
Là .Numa vers le soir consultait Egérie ;
Là , Brutus immola ses fils à la patrie ;
Là , Cicéron sauva Rome des factieux ;
Et , plus loin , Scipion vint rendre grâce aux Dieux.
=
:
00
578 MERCURE DE FRANCE ,
Le Tasse rêve alors : son heureuse pensée
Par um songe flatteur est mollement bercée.
Au pied du monument de l'Homère latin
Il a vu s'élever sa grande ombre ; et soudain
Se détache un rameau de ce laurier fertile
Qui renaît de lui-même au tombeau de Virgile .
Son ombre harmonieuse exhale des accens ,
Et le Tasse s'éveille à ses sons ravissans .
Cependant le soleil achevait sa carrière ,
Et lançait sur le monde une oblique lumière.
Le poëte , de l'astre observant le déclin
S'attendrit , et déjà croit toucher à sa fin .
Le feu des passions et le feu du génie ,
Et sa captivité , source de sa folie ,
,
۱
Ont hâté de ses sens l'importune langueur ;
Son esprit seul conserve encore sa vigueur.
En contemplant , non loin d'un monument superbe ,
Les débris que le Tems ensevelit sous l'herbe ,
Il pense à ces mortels , nobles infortunés ,
Comme lui , par le sort à souffrir condamnés ,
Et de ses longs malheurs son ame se console .
La roche Tarpéienne est près du Capitole ....
Ce triste souvenir accable ses esprits .
Mais pourtant de la gloire il recevra le prix ;
De Pétrarque son front doit ceindre la couronne
Et demain au Génie un peuple entier la donne.
Le Tasse languissant regagne ses foyers ,
Et voit de noirs cyprès mêlés à ses lauriers .
Ses amis , sur le seuil , avec impatience ,
Pour le féliciter , attendaient sa présence.
Il se sent défaillir .... Près de son lit rangés ,
Tous d'un malheur prochain paraissent affligés .
Bientôt sa fièvre augmente , et d'un air triste et sombre :
« O mes amis , dit-il , vous couronnez mon ombre .
> Le laurier qui m'attend sans doute m'est bien doux ,
>> Puisque j'ai le bonheur de l'obtenir de vous .
>> Quelle longue infortune a pesé sur ma vie !
>>>Sans cesse harcelé par la Haine et l'Envie ,
> Je n'ai fait qu'effleurer la coupe de l'Amour.
>>Je fusprivé sept ans de la clarté dujour.
HOW MARS 1813M 579
> Alphonse! quel barbare ! et par quelle vengeance:
» Au fond des noirs cachots il accrut ma souffrance !
>> J'étais seul , et mon coeur qui long- tems a gémi ,
>> Ne pouvait s'épancher dans le coeur d'un ami ..
>>Pour calmer les tourmens de mon ame ulcérée ,
> Je croyais voir en songe une amante adorée .
>Dans ces lieux où les jours sont de secondes nuits ,
>> Que de fois son image a charmé mes ennuis !
>> Pour elle je pensais et j'écrivais encore ;
>>>J'écrivais , en pleurant , le nom de Léonore.
>D'un amour combattu le funeste poison
>>>Venait par intervalle obscurcir ma raison ;
>>Mais la raisen rentrait dans mon ame offensée ,
1
4
•Et cet amour lui-même éveillait ma pensée.
» Souvent j'aurais voulu revoir mon Godefroi ;
>>>Mais tout , sur ce poëme , augmentait mon effroi .
>> Alphonse à mes désirs refuse de le rendre .
» Je sollicite en vain ... Mais que viens-je d'apprendre ?
>> Mon poëme imprimé paraît dans l'univers .
►Mon nom remplit le monde , et je suis dans les fers !
» Ces fers , vous le savez , je les romps avec peine ,
» Et je semble en tout lieu traîner encor ma chaîne.
> Toujours errant , proscrit , je suis persécuté
» Jusqu'au dernier moment par la fatalité .
» Quand sous des traits vengeurs l'Envie enfin succombe ,
› Je viens chercher la gloire , et je trouve la tombe.
> Une langueur mortelle affaiblit tout mon corps ;
>> Les maux , plus que les ans , ont usé ses ressorts ,
>> Et j'expire .... Ah ! du moins , que mon ame exhalée
» Au sein du Dieu vivant repose consolée !»
En achevant ces mots , il tombe dans les bras
Des amis généreux qui pleurent son trépas .
Mais c'est le lendemain qu'on célèbre la fête ,
Et pour un grand triomphe un grand peuple s'apprête.
Du Tasse enveloppé d'un vêtement de deuil
رق
Le corps est étendu dans un pompeux cercueil.
La foule à flots pressés accourant dans le temple ,
De ses yeux attendris l'admire et le contemple .
Bientôt au Capitole un cortége nombreux
S'avance , et pousse au ciel ses regrets douloureux.
002
580
MERCURE DE FRANCE ;
Desvierges , des enfans , selon l'antique usage,
Répandent à l'envi des fleurs sur son passage.
Lepape enfin paraît , des grands environné ,
Etdu mort glorieux le front est couronné.
Quand la nuit eut mis fin à ces honneurs funestes ,
Du Tasse à Saint-Onuphre on rapporta les restes ,
Et sur la pierre étroite on inscrivit ces mots :
« Le Tasse ici jouit de l'éternel repos. >>>
Mais depuis , au milieu de cet asile auguste ,
S'élève son tombeau que couronne son buste ;
Et l'étranger sensible éprouve à cet aspect
Unmélangepieux d'amour et de respect.
FAYOLLE.
LE PRINTEMS MALHEUREUX.
STANCES .
Ja les oiseaux recommencent leurs chants ,
La fleur nouvelle est presque épanouie ,
Jà tout sourit au retour du printems ;
Suis triste, seul ,ayantperdu ma mie. 20
Quand lui vantais son sourire enchanteur ,
Me répondait : suis constante et jolie ;
Je la croyais ; mais tout est donc menteur,
Puisqu'a menti la bouche de ma mie ?
Au rendez-vous la trouvai l'autre jour
Embarrassée en froide rêverie ;
Point ne rendit le doux baiser d'amour.
Alors fuyant , je dis : Adieu , ma mio.
Depuis ce tems je vais dans le bosquet
Où nous allions ; j'y cueille fleur jolie;
Puis réfléchis , et jette mon bouquet :
Quel seinparer quand j'ai perdu ma mie ?
1
Parfois , guidé par le bruit des plaisirs ,
Je suis la foule où règne la folie ;
M'y trouve seul , sans but et sans désirs ;:
Elleyserait qu'elle n'est plus ma mie !
MARS 1813 . 581
Si prends ma lyre , un douloureux accent
Vient ajouter à ma mélancolie ;
Pour commencer et pour finir mon chant
Netrouve rien que le nom de mamie.
Au point du jour , le coeur triste et confus ,
Je pars demain pour les bois d'Idalie ,
Etvais , en pleurs , demander à Vénus :
Que faire au monde ayant perdu sa mie ? »
PLANARD .
IMITATION DE MARTIAL. ( Livre VI , Ep . 53. )
APRÈS avoir diné d'un fort bon appétit ,
Hier il se coucha , sain de corps et d'esprit :
Il n'est plus .- Qui ? le jeune Orose !
-Lui-même ; il est mort ce matin.
-D'un trépas si soudain connaissez-vous la cause?
En songe il avait vu , dit-on , son médecin.
L. DAMIN.
/
LE CONVOI MAGNIFIQUE.
: ÉPIGRAMME .
LE riche Orgon vécut avec simplicité :
Il meurt ; avec pompe on l'enterre .
Ainsi ses fils ont hérité
Des trésors et non pas des vertus de leur père.
Par le même.
A MADEMOISELLE PAULIN .
DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MUSIQUE.
PAR Martin ta voix est formée ,
Comme ton jeu par Dugazon :
L'un est le moderne Amphion ;
L'autre est cette Nina , du public tant aimée ,
Sublime par sa verve et par son abandon.
Dans le temple de Polymnie ,
Tu reproduis pour nous la noble Iphigénie,
La généreuse Alceste et la tendre Didon.
1
(
582 MERCURE DE FRANCE ,
Tunous fais encor plus chérir cette Antigone ,
Qui , seule , de son père a suivi le malheur :
Elle augmente par sa douleur
Le charme que ta voix lui donne .
Tous ces débuts sont autant de succès ;
Avec éclat ton talent se décide .
Poursuis ,et couronnant tes glorieux essais ,
Prends , pour nous enchanter , la baguette d'Armide.
ÉNIGME .
Du printems j'annonce l'aurore :
Par ma fraîcheur , par ma beauté ,
F.
Je tiens le premier rang dans l'empire de Flore ,
Et je suis à l'abri de la rivalité :.
On connaît ma délicatesse ;
Il ne faut pas m'approcher de trop près ;
Celui qui , brusquement me touche et me caresse ,
A l'instant même est blessé de mes traits .
De la belle qui me possède
Je fais ressortir les appas ;
-Mais le néant bientôt à mon pouvoir succède :
Et c'est ainsi que tout passe ici bas .
Le souvenir du moins de ma splendeur passée
Reste gravé dans tous les coeurs :
Et tout jeune minois par ses fraîches couleurs
Sur moi rappelle la pensée .
LOGOGRIPHE
VEUT- ON de ma substance une image précise ?
De mes membres épars qu'on fasse l'analyse .
Chacun m'en donne cinq : d'abord l'on trouve en moi
La plante dont la fleur forme l'écu d'un roi ;
Le nom d'un sectateur du plus grand fanatique ;
Un ancien minéral , deux notes de musique ;
Un article un pronom , une conjonction ;
Un meuble très -commun dans la construction ;
Un mets fort estimé du peuple de Provence ;
Unmoine que , jadis , on connaissait en France ;
१
MARS 1813 . 583
Le nom d'un ordre saint qui , rempli de ferveur ,
De Rome défendait et les biens et l'honneur ;
Un coteau dont le vin par sa sève écumante
Dans notre ame à grands flots verse un feu qui l'enchante ;
Un point qui , dans le jeu , causa plus d'un ımalheur ;
Un soupir qu'enfanta trop souvent la douleur.
Encore un mot , lecteur , tu vas me reconnaitre ,
Déjà je te vois rire en devinant mon être :
Sur le sein de Philis , jaloux de mon bonheur ,
Cent fois tu désiras respirer mon odeur .
Messager des beaux jours , la fleur de mon aigrette
Charme l'ami des champs , et flatte la coquette .
CHARADE .
SANS connaître , lecteur , la langue de Sophocle ,
Tu peux voir mon premier écrit dans Themistocle.
Héloïse en son coeur concentra mon second.
Mon dernier , tous les jours , de messire Purgon
Exerce le savoir ; et dans Thessalonique
Mon entier fit commettre une action inique .
V. B. ( d'Agen. )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
- insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme est Réchaud.
Celui du Logogriphe est Maroc , dans lequel on trouve : coram.
Celui de la Charade est Pistache.
LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS.
DE L'ETUDE DES HIEROGLYPHES . Fragmens . Cinq volumes
in- 12 .-A Paris , chez Colnet , quai Voltaire , nº 27 ;
Delaunay , Palais -Royal , nº 243 ; Treuttel et Würtz ,
rue de Lille , nº 17 .
QU'EST devenu le tems où les princes de l'Orient s'envoyaient
des énigmes à deviner ? Le Mercure eût été dans
ce pays- là le premier des journaux , et l'auteur de l'Etude
des hiéroglyphes par fragmens aurait pu prétendre au
moins à une place de premier ministre. Aujourd'hui les
cours occupées de tout autre mystère se soucieront .
probableinent fort peu de la révélation de ceux que nous
atransmis la docte antiquité , et les amateurs bourgeois
ayant assez à faire que de débrouiller la Charade du
jour et le Logogriphe de la semaine , s'épouvanteront
sans doute aussi de cinq volumes d'énigmes en prose
passablement mystérieuse , et le disputant par fois pour
les formes apocalyptiques aux vers des Sybilles et de
tous les Cryptographes .
Que restera- t- il donc de lecteurs au profond scrutateur
des hiéroglyphes ? J'ai quelque honte de le dire ;
mais je crains bien que leur nombre ne se réduise , soit
à quel ques- uns de ces esprits curieux qui veulent tout
savoir , tout approfondir , gens de peu de foi , ne croyant
pas sur parole que les sages de l'antique Egypte fussent
des imbéciles , soit aux journalistes condamnés à parler
un peu de tout , en supposant encore que l'ouvrage ne
tombera pas entre les mains de ceux de nos confrères
qui ont le talent d'analyser un livre sans l'avoir lu .
De quoi aussi s'avise cet auteur qui veut nous donner
une clef satisfaisante et raisonnable de la science sacrée ,
recouverte jadis des voiles mystiques du sanctuaire ?
De graves docteurs ne nous ont-ils pas appris là-dessus
tout ce qu'il faut savoir pour prétendre à la béatitude
MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 . 585
S
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promise aux pauvres d'esprit , quand ils nous ont dit que
ces dieux astres , animaux , légumes , etc. , étaient l'ouvrage
de l'ange des ténèbres , et la preuve de la corruption
, de la dégradation du coeur humain ? N'avons-nous
pas pour les gens un peu plus difficiles à contenter les
savantes explications de l'abbé Bannier , qui , ayant retrouvé
probablement les Mémoires secrets des cours de
l'Orient d'avant et d'après le déluge , ne laisse pas lieu
de douter qu'lo ne fût une princesse , fille du roi Inachus
, et qu'enleva un autre roi , sur la frégate la Vache ,
d'où ces agréables menteurs nommés poëtes , peu respectueux
envers les princesses qu'on enlève , ont fait
courir le monde à cette pauvre Io en la déguisant en
vache . C'est ainsi encore que le roi Jupiter III enleva
aussi la princesse Europe , sur le vaisseau de ligne le
Taureau; que le corsaire le Pégase , monté par le capitaine
Persée , ayant rencontré et attaqué le chebeck algérien
la Baleine, le prit à l'abordage , ety trouva et délivra
la princesse éthiopienne Andromède , que des écumeurs
de mer avaient enlevée , pour la vendre à quelque pourvoyeur
du harem du sultan Phinée ; tant les princesses
de ce tems-là étaient faciles à enlever!
Quand on a trouvé une solution aussi lumineuse , et
sur-tout aussi commode, de toutes les difficultés des fables
anciennes , qu'est- il besoin d'aller encore y chercher un
sens allégorique et caché , et de vouloir découvrir sous
leurs formes emblématiques les plus hautes leçons de la
sagesse , les secrets de la législation morale et religieuse ?
C'est pourtant ce qu'a osé tenter l'auteur de l'Etude des
hiéroglyphes , sans craindre l'anathême lancé par Paschal
contre toute raison qui voudrait trop raisonner ; et
j'ose à mon tour assurer qu'il l'a fait avec un succès trèsremarquable
. Il est malheureux seulement que l'exécu
tion de son ouvrage ne réponde pas à sa solidité. Il y a
peu d'ordre et de liaison . C'est une carrière où les pierres
sont entassées en attendant l'architecte ; mais malgré ces
défauts , que je commence par signaler , je pense que
ceux qui auront le courage de franchir ces premières
difficultés , en seront dédommagés , à mesure qu'ils se
familiariseront avec l'auteur et son système , par des ré
)
586 MERCURE DE FRANCE ,
sultats aussi curieux que neufs , par une multitude
d'aperçus piquans , ingénieux , et d'un véritable intérêt
pour ceux qui s'occupent de l'étude de l'esprit humain
et de l'état des connaissances primitives dans des tems
dont on ne peut plus calculer l'antiquité.
L'auteur commence par exposer les élémens et les
premiers caractères de l'écriture symbolique et allégorique
chez les différens peuples , et dans toutes les parties
du monde . Les débris des monumens de l'ancienne
Egypte sur-tout , sont pour lui comme une immense
bibliothèque , dont les rocs de granit encore couverts de
caractères sacrés ont été lesfeuillets primitifs . Par-tout ,
au reste , il retrouve la même pensée , les mêmes combinaisons
, tirant des objets sensibles les premières représentations
des idées et des opérations intellectuelles .
Ainsi le serpent et la pierre droite furent généralement
les images symboliques de Dieu ; de même , et dès les
tems les plus reculés , les flèches et la corne , emblême
de la puissance et des combats , furent employées à désigner
l'homme ; le vase , premier meuble de la famille ,
fut sous d'autres rapports l'emblême de lafemme .
Les animaux , leurs habitudes et les actions qui les
caractérisent devinrent aussi autant de types propres à
rappeler le souvenir des lois et des opérations de la nature
, à célébrer la puissance de son auteur ; en un mot,
toutes les parties visibles de l'univers servirent successivement
à en représenter les merveilles considérées dans
leurs causes et leurs rapports invisibles , et composèrent
le vaste système de l'écriture hiéroglyphique , qui traduisait
, pour ainsi dire , et rendait sensibles , à l'aide
d'images matérielles , toutes les idées de l'ordre métaphysique
et moral.
Ce qu'il y a même de très-remarquable à cet égard ,
c'est que plus on avance dans l'explication des hiéroglyphes
, plus on est frappé d'y reconnaître toutes les
images d'un dieu créateur et conservateur , toutes les
descriptions de sa force , de sa justice , enfin de tous ses
attributs , et jusques aux formules des prières ou des
louanges orientales qui lui sont consacrées dans la poésie
hébraïque; et cependant il est bien difficile de supposer
MARS 1813 . 587
!
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que l'écriture sacrée de l'Egypte ait été postérieure aux
livres des Hébreux .
Comme cette écriture prenait tous ses signes dans les
objets naturels , et que les plus clairs , et par conséquent
les plus expressifs , devaient nécessairement être préférés
à tous les autres , sur-tout dans cette enfance de la
société naissante , où les imaginations vierges encore ne
songeaient point à détourner , au profit des sens corrompus
, les élémens sacrés de la pensée , il dut arriver
que des emblêmes dont on décorerait à peine aujourd'hui
les moins chastes boudoirs , furent alors multipliés et
combinés de mille manières , tantôt pour représenter la
puissance créatrice et conservatrice , tantôt même pour
donner les leçons de la plus pure morale .
On est souvent tout étonné du sens ingénieux , clair et
satisfaisant qui , au moyen des clefs naturelles offertes
par notre auteur , sort tout-à-coup de l'explication d'une
peinture où au premier aspect un oeil profane ne verrait
que le jeu d'une imagination passablement déréglée.
C'est ainsi que , pour n'en offrir ici qu'un exemple qui
n'effarouche aucun lecteur , l'emblême de Ganimède enlevé
par l'aigle de Jupiter , image devenue passablement
érotique , fut primitivement l'expression de l'innocence
's'élevant avec confiance vers le ciel , et se reposant sur
Dieu .
.
Si l'espace me le permettait , je pourrais multiplier les
exemples , mais forcé d'abréger , je les réduis à deux qui
me paraissent très-remarquables . Le scarabée , par son
habitude caractéristiqué de rouler ses ordures en forme
de boules , devint à ce titre le signe du génie créateur des
globes . Le tau d'Osiris , ou clefdu Nil, qui rend la vie à
l'Egypte , fait enforme de croix , et trouvé fréquemment
sur les dépouilles des morts , était l'emblême de la vie
future et de l'espérance d'une régénération après la mort .
En général , les expressions figuratives de ce dogme
d'une vie future paraissent avoir été très-multipliées , et
supposent que la connaissance en était plus développée
chez les peuples primitifs que chez quelques-uns de ceux
qui n'ont souvent fait que copier, altérer, puis calomnier
leurs connaissances . C'est ainsi , par exemple , que ta
588 MERCURE DE FRANCE ,
figure du scarabée citée tout-à-l'heure et d'autres encore
ont été présentées comme des monstruosités ridicules et
indécentes , quand , pour assurer la propagation de nouvelles
doctrines , il a été plus utile de méconnaître le
sens de l'ancienne écriture que de conserver les preuves
de la haute sagesse et des vérités religieuses et morales
cachées sous ses ingénieux emblêmes .
,
L'auteur , en terminant son ouvrage , exprime le voeu
tout paternel de voir l'étude des hiéroglyphes nous ramener
à l'origine même et à la véritable découverte des
sciences et de la philosophie ancienne ; il voit déjà les
murailles de nos demeures et de nos temples réciter à la
postérité , dans un langage universel et encore intelligible
, quand nos idiomes auront péri , lesfaits de notre
histoire nos sentimens et nos dogmes . C'est une pasigraphie
naturelle dont notre auteur nous propose ici le
secret. Je ne sais , toutefois , si la théologie que nous
avons vue naguère faire un si bel effet dans les poëmes
en prose et les romans moraux , et qui a bien aussi ses
hiéroglyphes , s'accommoderait de ceux de l'antique
orient , si nos sens ne sont pas un peu trop matérialisés
pour espérer qu'ils s'élèvent jusqu'à la pureté des idées
religieuses par la contemplation des images , beaucoup
trop naïves pour une civilisation aussi perfectionnée que
la nôtre , de la nature mère et vierge , de la puissance
créatrice et conservatrice , etc. , efc . Toutefois je ne
doute pas que l'idée de notre inconnu ne puisse avoir
souvent d'heureuses applications dans la sculpture d'ornement
, et lui servir à étendre le champ un peu borné
de la composition allégorique.
Mais cet inconnu qui se cache lui-même en écartant
les voiles de la science sacrée , quel est-il ? quel est son
nom , sa patrie ? est-ce aussi là un mystère à deviner ?
Voilà , j'imagine , les questions que fera le lecteur qui
aura pris quelque intérêt à cet ouvrage. Je lui réponds
qu'en effet , sans doute pour essayer si l'on aura profité
à sa lecture , ce singulier auteur ne s'est montré qu'en
énigme ; mais voici des données pour les oedipes qui
voudront le deviner. D'abord l'étendue , le caractère ,
les formes même un peu irrégulières et bizarres de
MARS 1813: 589
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1
l'érudition répandue dans son livre , permettent de l'attribuer
à quelque docte étranger . Ensuite l'auteur , dans
ses adieux à son lecteur , lui annonce qu'il laisse à d'autres
le soin de poursuivre la carrière qu'il a commencée :
il déclare qu'il n'y serait pas même rappelé par la promesse
que fait Enée à son pilote , de donner son nom
au port où il l'a conduit , et qu'on lui répéterait en vain :
PALINuri nomen habebit .
Il portera le nom de PALINure.
N'en est-ce pas assez pour faire reconnaître le savant
comte suédois que la philosophie , la vénérable antiquité
comptent parmi leurs défenseurs les plus distingués ,
leurs plus heureux interprêtes? GIRAUD .
OEUVRES CHOISIES DE SAURIN. Edition stéréotype d'après
** le procédé de Firmin Didot : un volume in- 18 .
:
QUELQUES ouvrages d'un mérite réel ont fait à Saurin
une réputation sinon brillante , du moins estimable. Cet
auteur , fils d'un géomètre célèbre , était déjà dans l'âge
mûr lorsqu'il abandonna le barreau pour le théâtre ; et
une comédie en cinq actes et en vers , qui n'eut aucun
succès , et qui n'en méritait pas , fut son début. Une
tragédie , inférieure même à la comédie , lui succéda et
n'eut que trois représentations. Pour un auteur qui débute
à trente-sept ans , deux chutes sont un mauvais
présage ; mais Saurin obtint ensuite plus de succès. Des
divers ouvrages dramatiques qu'ils donna , quatre sont
demeurés au répertoire , et leur auteur fut jugé digne
de siéger à l'Académie française .
M. Fayolle a donc rendu un véritable service à la littérature
en publiant une édition des OOEuvres choisies de
Saurin. Un goût pur et sévère a présidé au choix qu'il
a fait dans les deux énormes volumes qui composent les
oeuvres complètes de cet auteur; quatre pièces seulement
ont été conservées dans la nouvelle édition ; savoir ,
deux tragédies : Spartacus et Blanche et Guiscard; la
jolie comédie des Moeurs du tems , et Beverley , drame.
590 MERCURE DE FRANCE ,
Spartacus eut un grand succès et le méritait , car si
cette tragédie a plusieurs défauts , elle a aussi des beautés
du premier ordre. Voltaire y trouvait des vers frappés
sur l'enclume de Corneille. En effet , on rencontre
dans Spartacus un grand nombre de morceaux pleins de
force , d'énergie et d'élévation , non-seulement dans
l'expression , mais encore dans la pensée : telle est la
première scène du troisième acte , entre Spartacus ,
Noricus et les soldats ; eelle entre Spartacus et Messala ,
et tel est sur-tout le beau récit qu'Emilie fait à sa confidente
, où se trouve cette belle expression : indigné de
sa gloire , pour peindre la honte que Spartacus , vainqueur
d'un Cimbre dans un combat de gladiateur ,
éprouve en recevant les applaudissemens des Romains .
Un de nos meilleurs littérateurs a prétendu que Racine
avait condamné d'avance le sujet de Spartacus par les
vers qu'il met dans la bouche de Mithridate , lorsque ce
monarque expose ses projets à ses fils et leur dit en parlant
des ennemis des Romains :
:
Ah ! s'ils ont pu choisir pour leur libérateur
Spartacus , un esclave , un vil gladiateur ,
S'ils suivent au combat les brigands qui les vengent ,
De quelle noble ardeur pensez -vous qu'ils se rangent
Sous les drapeaux d'un roi long-tems victorieux ,
Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux ?
:
Ge littérateur prétend que ces épithètes de vil gladiateur
, d'esclave , de brigand , données à Spartacus , l'avilissent
tellement qu'il n'a plus été permis de le mettre
sur la scène . Une semblable critique serait juste si
Saurin avait fait de son principal personnage un de ces
gladiateurs d'une origine méconnue , et dont la mort
servait de divertissement aux déprédateurs du monde ;
mais il a évité ce reproche en faisant de Spartacus un
fils d'Arioviste , un héros dont les victoires ont ébranlé
la puissance de Rome .
Saurin , dans cette tragédie , excita l'admiration par
quelques traits dignes de Corneille. Il faut cependant
avouer qu'en lisant les belles scènes du créateur des
Horaces et de Cinna , on sent que l'élévation et les
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grandes pensées lui sont naturelles , au lieu qu'en admirant
les beaux traits de Saurin on s'aperçoit qu'il lui a
fallu des efforts pour les trouver.
Blanche et Guiscard succède à Spartacus . Le Mariage
par vengeance , épisode du Gilblas , a fourni à
Saurin le sujet de cette tragédie , qui est pleine d'intérêt ;
mais les évènemens s'y succèdent avec beaucoup trop
de rapidité , ce qui multiplie les invraisemblances et
rend la pièce plus romanesque qu'il ne convient à une
tragédie.
M. Fayolle prétend que Blanche blesse toutes les
convenances en recevant , le jour même de son mariage,
un billet de son amant . Je ferai observer que c'est ici
une faute de Blanche et non unefaute de Saurin , car les
auteurs dramatiques doivent faire commettre des fautes
aux personnages qu'ils mettent en scène , parce que
rien n'est plus froid qu'un héros ou qu'une héroïne parfaite.
Comme la faute de Blanche amène des situations
pleines d'intérêt , cette faute blamable aux yeux de la
morale devient une beauté en poésie . D'ailleurs on excuse
Blanche quand on sait combien elle aime et comment
elle a été trompée , et l'on pleure sa mort sans songer à
blâmer sa conduite .
Les Moeurs du tems , comédie en un acte , se fait distinguer
par un dialogue franc et naturel , par beaucoup
de vérité dans les caractères , et par une foule de mots
heureux . On a cité souvent celui de la comtesse qui
causant à sa toilette avec une suivante qui lui dit que sa
rivale est charmante , répond : Charmante ! Donnez-moi
d'autre rouge : celui-là est pâle comme la mort.
Cette petite comédie est écrite avec beaucoup de
vivacité , on n'y trouve aucune trace de cette sensiblerie
et de ce marivaudage qui caractérisent les trois quarts
des comédies qui parurent à la même époque .
Beverley fut joué huit ans après les Moeurs du tems .
LeJoueurAnglais , d'Edouard Moore , a beaucoup servi
à Saurin pour composer son drame . Regnard , qui n'eut
jamais d'intentions morales , n'a peint que ce que la passion
du jeu a de ridicule. Il ne voulait que faire rire et
il a très-bien réussi. Saurin a tenté de peindre les fu
592 MERCURE DE FRANCE ,
nestes effets de cette passion dangereuse; je ne sais s'il
a corrigé beaucoup de joueurs , mais il s'était proposé
un but utile et il l'a atteint. L'action de son drame est
bien développée , les scènes en sont filées avec beaucoup
d'art , et le style se fait remarquer par une grande
vérité et une grande force. On ne trouve point de recherche
, point de phrases à effet , de fausse chaleur et
de déclamation dans le dialogue qui est constamment
pathétique et affecte l'ame . On plaint le malheureux
Beverley dont de faux amis ont perverti les bonnes qualités
. On pleuré sur son sort , sur celui de sa famille ,
dont il fait le malheur , et l'on frémit , en le plaignant
encore , lorsqu'on le voit prêt à poignarder son enfant.
Sa tendresse pour sa femme , ses remords ses fureurs
et son désespoir , font une impression si profonde sur
les spectateurs et les lecteurs , qu'ils ne s'aperçoivent
pas des défauts de convenances dont fourmille le drame
de Sautin.
: Un des premiers , et le plus grave peut-être , est la
résignation de Mme Beverley , qui ne fait pas un seul
reproche à son mari que ses déréglemens ont réduit à
la misère.
On a remarqué aussi que lorsqu'elle n'avait plus de
meubles , elle possédait encore des diamans , comme si
l'on n'était pas dans l'usage de se défaire du superfiu
avant que de toucher au nécessaire.
Peut-être même doit-on reprocher au poëte d'avoir
donné trop d'étendue aux scènes d'amour entre Henriette
etLeuson ? Cet amour, si intéressant parce qu'il
est vrai , forme presque une double action , tandis qu'il
suffisait de l'indiquer .
Les poésies diverses de Saurin , à l'exception d'une
demi-douzaine de pièces , ne s'élèvent pas au-dessus du
médiocre . L'Epître surla Vérité, l'Epître sur les Malheurs
attachés à la vieillesse , et quelques autres , pouvaient
seulés entrer dans une édition choisie ; aussi l'éditeur
s'est-il empressé de les recueillir .
Lanotice sur Saurin est digne de l'ingénieuxbiographe
de Gentil-Bernard , de Gresset , de Démoustier , etc.
c'est l'ouvrage d'un littérateur habile qui sait apprécier
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MARS 1813 : 503
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les ouvrages qu'il examine. Le seul reproche qu'on puisse
faire à cette notice , c'est qu'elle est trop courte, On
aimerait à y trouver plus de détails surla vieprivée de
Saurin . LAM
L'ABBAYE DE SAINT- OSWITHE , par l'auteur d'Ethelwina ,
traduit de l'anglais ; par Madame..... Deux vol . in- 12 .
On doit aux Anglais cette espèce de roman qui a
pour objet d'effrayer l'imagination en lui présentant des
tableaux terribles , tels que le spectacle des plus grands
crimes employés par des scélérats pour persécuter l'innocence.
On dirait que ce peuple , qui a besoin des plus
fortes émotions pour échapper à la funeste influence du
spleen , ne peut les trouver qu'au milieu des récits d'assassinats
, accompagnés de circonstances qui en augmentent
l'atrocité. Le théâtre de Shakespear est rempli
de situations capables de donner des spasmes à nos
petits -maîtres , mais qui peuvent à peine émouvoir des
spectateurs anglais. La plupart des romanciers de cette
nation ont encore enchéri sur les dramaturges , et ont
même usé de moyens surnaturels , tels que des apparitions
de diables , de revenans et de fantômes pour amuser
les lecteurs en les effrayant. Le chef-d'oeuvre de ce genre
est sans contredit le Moine , par M. Lewis ; roman où
le diable , le juif- errant , la none sanglante et les spectres
les plus épouvantables remplissent les principaux
rôles , et emploient toute espèce de ressorts pour faire
d'un moine vertueux , le plus affreux des scélérats . Mme
Radcliff , en marchant sur les traces de M. Lewis , a plus
imité ses conceptions tragiques que ses moyens surnaturels
. Les souterrains , les vieux châteaux et les couvens
sont les lieux où elle établit ses scènes ; mais l'on
ne peut se dissimuler que ses romans, auxquels il faut
cependant reprocher trop de bavardage , se font lire avec
intérêt. Le plus célèbre de tous , celui qui est intitulé
Les Mystères d'Udolphe , a été traduit en français par
une dame à qui nous sommes redevables de plusieurs
bons ouvrages ; et l'un des membres les plus distingués
de l'Académie française a également traduit d'une ma-
PP
594 MERCURE DE FRANCE ,
nière supérieure l'Italien , autre roman de Mme Radcliff.
C'est un bonheur pour cette dame d'avoir eu un traducteur
capable de faire la réputation de l'ouvrage qu'il
a traduit.
Mme Radcliffa , dans sa patrie , une foule d'imitateurs
et d'imitatrices . Tel est l'auteur du roman que j'annonce
aujourd'hui ; mais avant d'en donner une idée , je crois
qu'il est bon d'avertir que , si Mme Radcliff , douée d'un
talent très -rare , a fait école , ses disciples ne sont que
de bien tristes écoliers. On en jugera par une analyse
incomplète de l'Abbaye de Saint- Oswithe. Je dis incomplète
, car ce roman est si embrouillé , qu'il faudrait plus
d'une lecture pour saisir tous les détails de l'action . :
Le baron d'Edmonville eut deux fils , issus de deux
mariages différens . L'aîné , nommé Alfred , avait d'excellentes
qualités ; mais le cadet , qui s'appelait Rudolph,
était un franc scélérat . Sans m'arrêter à faire connaître
l'histoire des deux frères depuis leur enfance , je dirai -
seulement que Rudolph parvint , par ses intrigues et ses
crimes , à dépouiller Alfred de tous ses biens , et qu'il
lui enleva même la belle Mathilde son épouse , qui l'avait
rendu père de Rosaline , l'héroïne du roman . Alfred
aurait pu réclamer ses biens et même sa femme devant
les tribunaux ; mais outre qu'un procès n'est pas un épisode
digne de figurer dans un roman , c'eût été le moyen
de débrouiller bien vîte l'intrigue ; car la justice en envoyant
le ravisseur aux galères aurait délivré son honnête
frère de ses persécutions , et le roman eût été bien
vîte fini , ce qui n'était pas le compte du romancier.
Aussi a-t- il feint que Rudolph avait exigé d'Alfred , en lui
mettant le poignard sur la gorge , le serment de ne jamais
faire valoir ses droits . Alfred , épouvanté par ces gestes
peu fraternels , prêta ce serment et le tint fidèlement. Les
mauvais plaisans diront peut-être que la crainte de ravoir
sa femme l'empêcha de revendiquer sa fortune , et que
perdre ainsi c'était gagner; mais Alfred avait des idées
plus nobles. Ne voulant pas trahir son serment , il se
contenta de rédiger un Mémoire , à l'aide duquel sa fille
pût un jour réclamer les biens de son père ; mais Rosaine,
avant de les obtenir, avait bien d'autres traverses à
esstiver. Mathilde sa mère, enlevée , comme on sait , par
.
MARS 1813. 595
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Rudolph , mit au jour une fille , dont le ravisseur est le
père. Alfred meurt, et Mathilde est empoisonnée par une
rivale jalouse que le père de Rosaline avait dédaignée .
Rosaline , après avoir éprouvé malheurs sur malheurs ,
après avoir vu son amant percé d'un coup d'épée au
coeur , et entendu son long et dernier gémissement, tombe
entre les mains d'Agnès qui avait ôté la vie à Mathilde
par jalousie , et de la comtesse d'Olhin , fille de cette
même Mathilde et de Rudolph. Ces deux furies l'enferment
pendant quelque tems dans un souterrain , et forment
ensuite le dessein de l'assassiner ; mais un fantôme
paraît tout-à-coup au moment où elle allait être égorgée .
Cette apparition lui sauve la vie. Agnès meurt et Rosaline
sort de son cachot. A peine est-elle dehors qu'elle
est prise par des brigands que des soldats prennent à
leur tour; elle est conduite devant Marguerite , reine
d'Angleterre , qui se trouvait par hasard dans ces lieux.
Rosaline plaide elle-même sa cause devant la reine qui
lui rend justice; alors son amant qui avait été percé
d'un coup dans le coeur , et dont elle avait entendu le
long et dernier gémissement , paraît comme par miracle,
et ils sont unis .
i
Telle est l'esquisse de ce roman , où il y a je ne sais
combien de scélérats , d'assassinats , et même de fratricides
, mais peu ou point d'intérêt. On le doit à l'auteur
d'Ethelwina , roman à-peu-près inconnu , et qui n'a pas
même obtenu cette espèce de succès qu'obtiennent toujours
les nouveautés . Je crains bien que l'Abbayede Saint-
Oswithe n'ait le même sort , en France du moins , où
l'on lit encore les romans médiocres , mais où l'on ne lit
pas les mauvais .
,
Le traducteur de ce misérable ouvrage est une femme ;
je la plains bien sincèrement de n'avoir pas fait un meilleur
choix , d'autant que son style facile et élégant ne
manque pas de correction quoiqu'on y rencontre
quelques-unes de ces taches dont nos meilleurs écrivains
ne sont pas exempts . Je l'invite donc au nom des
talens qu'elle annonce à composer elle-même , ou à mieux
choisir les ouvrages qu'elle veut traduire .
J. B. B. ROQUEFORT .
Pp2
596 MERCURE DE FRANCE;
VARIÉTÉS .
RÉVUE LITTÉRAIRE ET CRITIQUE ,
OU OBSERVATIONS SUR LES LETTRES , LES ARTS ; LES MOEURS
ET LES USAGES .
Sixième lettre de l'Observateur provincial à Messieurs
les Rédacteurs du Mercure .
MESSIEURS , je me promenais un de ces jours à l'heure
où le soleil dans toute sa force tempère les rigueurs de la
saison . Je suivais un chemin solitaire , et tout en cheminant
je lisais quelques fragmens du célèbre auteur d'Atala.
Entraîné par les périodes ronflantes de cette prose poétique
, je me mis à la déclamer avec toute la pompe qui
lui convient . J'en étais à cette phrase : « Le désintéressement
est une qualité que les Français possèdent éminemment
au-dessus des autres nations de l'Europe. L'argent
n'est rien pour eux , etc .... " J'en étais à cette phrase
Lorsqu'une voix s'écrie : Dites , au contraire ,que le peuple
français est aujourd'hui le plus intéressé de l'Europe .
Dites que l'argent est le mobile secret de toutes ses actions ,
et l'unique objet de son culte.
Etonné , je lève les yeux pour savoir d'où vient cette vive
apostrophe , et je vois , marchant à ma gauche , un homme
d'assez bonne mine , mais dont le costume annonçait une
extrême misère . Au bout d'un bâton , qu'il portait sur
son épaule , était attaché un petit paquet contenant , je
crois , toute sa garde-robe. Une gourde pendait à son
côté . Sa chaussure était délabrée , et un mauvais mouchoir
noué autour de sa tête lui tenait lieu de chapeau. A l'aspect
de son dénûment j'éprouvai le besoin de lui offrir
quelque secours . Cette première impulsion était bien celle
de l'humanité ; mais comme il entre toujours un peu
d'alliage dans nos sentimens les plus purs , j'étais bien
aise aussi de lui prouver qu'il ne devait pas me regarder
comme atteint du vice qu'il venait de reprocher à ses compatriotes
. D'un autre côté , je craignais de blesser son
amour-propre . Si tout en lui annonçait la dernière détresse,
son langage semblait le mettre au-dessus de cette classe
MARS 1813 . 597
da
De
ale
da
T
11
i
d'hommes qui n'a d'autre ressource que les bienfaits de la
pitié publique..
Je hasardai cependant ma petite offrande ; il la refusa
sans se parer d'un faux orgueil. Monsieur , me dit-il , je
suis sensible à votre généreuse intention , mais ce n'est
pas pour la provoquer que j'ai interrompu votre lecture.
Sije me suis permis de contredire l'auteur qui vous occupe,
c'est que mon expérience dément son assertion , et que
dans toutes les circonstances de ma vie l'avarice m'a été
fatale .
Ces paroles , qui contrastaient fortement avec la mise de
celui qui les prononçait, me le firent considérer avec plus
d'attention . Sa physionomie vive et originale , certain caractère
aventureux répandu sur toute sa personne , ayant
de plus en plus piqué ma curiosité , je le priai de vouloir
bien la satisfaire en me donnant quelques détails sur sa vie ;
ce qu'il fit en ces termes :
<<Mon père et ma mère , ou, pour parler plus noblement,
les auteurs de mes jours étaient pauvres , ce qui est assez
commun ; mais honnêtes , ce qui est un peu plus rare . Les
ayant perdus de bonne heure , un mien parent , oncle maternel
,me recueillit , et se chargea de mon éducation . Cet
oncle jouissait d'une jolie fortune , ou plutôt il n'en jouissait
pas ; car le bonhomme était un vrai pince-maille , voué
sans pudeur à la plus honteuse lésine , et passant sa vie à
compter , recompter et fêter son or. Il prit tant de goût à
cette solitaire occupation qu'il retira ses capitaux , vendit
tout ce qu'il possédait en fonds de terre , afin de pouvoir
embrasser d'un coup-d'oeil et palper à son aise l'objet métallique
de toutes ses affections. Pendant ce tems-là je
n'apprenais pas grand chose . La morale de mon oncle se
bornait à des sermons sur l'économie , et ma littérature à
quelques romans que je lisais avec avidité. Les avares
vivent comme s'ils ne devaient jamais mourir ; mais ils
meurent enfin. Un beau matin mon oncle trépassa . J'étais
son unique et légitime héritier. Hélas ! je n'en devins pas
plus riche pour cela ; car vous saurez qu'il avait si bien
caché son trésor qquuee ,, malgré toutes les recherches possibles
, on ne put jamais le découvrir. Voilà , monsieur , le
premier coup que m'a porté l'avarice .
Ne sachant trop que devenir , je me mis comme Gil-
Blas à courir le monde , et comme lui bientôt je me vis
contraint , faute de mieux , à endosser la livrée . J'entrai
chez un homme nouvellement comblé des dons de la for
598 MERCURE DE FRANCE ;
1
tune. Au train de sa maison , au luxe effréné qui régnait
autour de lui , je crus que j'allais vivre dans l'abondance.,
et que , grace à la générosité que je lui supposais , je pourrais
voir un jour mes services récompensés. Combien je
me trompais ! Tout cet éclat n'était qu'une vaine apparence.
Je m'aperçus bientôt que , malgré ses cuisiniers ,
ses maisons , ses meubles , ses équipages , ses chiens , ses
chevaux , ses complaisans , ses flatteurs , l'avarice le rongeait
sourdement ; elle surnageait , pour ainsi dire , an
milieu de toutes ses profusions; elle luttait dans son coeur
contre l'orgueil , et ce combat me donnait souvent la comédie.
Lorsque l'orgueil l'emportait , et que , pour le satisfaire,
il tranchait du magnifique , l'avarice reprenait aussitôt
le dessus ; elle lui reprochait ses folles dépenses , et lui
suggérait mille moyens ingénieux de les réparer . Le plus
ordinaire était de nous imposer de longs jeûnes . Un festin
était pour nous comme le carnaval l'annonce du Carême ,
et nous étions sans cesse exposés à mourir de faim ou
d'indigestion.
» Tout était contraste dans les manières de cet homme.
Il achetait sans murmurer une pendule deux mille écus ,
et se débattait pendant une heure avec son cordonnier
pour le prix d'une paire de bottes. Il donnait des gratifications
aux artistes et ne payait pas nos gages . La même
inégalité régnait dans son humeur : sa figure était radieuse
lorsqu'il faisait les honneurs d'une fête ; mais , lorsque le
lendemain les ouvriers venaient réclamer leur salaire , il
devenait chagrin , querelleur , et gourmandait à tort et à
travers tous ceux qui se trouvaient sur son passage.
» Un jour qu'il devait recevoir quelques grands personnages
, et qu'une douce joie semblait circuler dans ses
veines , je crus pouvoir lui présenter un malheureux qui
depuis long-tems réclamait ses secours . Je payai cher mon
imprudence . Il repoussa mon protégé d'une manière fort
peu civile , et me donna mon congé pour l'avoir introduit ,
contre ma consigne , qui ne me permettait de laisser entrer
aucun solliciteur. Dans le même moment on vint lui apporter
une souscription , relative à je ne sais quelle expérience
publique , et il s'inscrivit pour une somme assez
forte . :
En sortant de chez ce fastueux avare, un particulier remarquable
par l'immense fortune qu'il tenait de ses aïeux
me prit à son service . Je me félicitai d'entrer chez un riche
devieille date; le supposant, par son éducation , accortMARS
1813 . 599
:
1
1
tumé à jouir noblement d'un légitime patrimoine . Vous
allez voir si mes espérances étaient fondées .
Lorsque j'entrai chez lui , sa maison était montée à raison
de la moitié du revenu , ce qui suffisait pour vivre honorablement.
Il employait l'autre moitié à s'arrondir. Toute
possession touchant les siennes était convoitée par lui et
bientôt achetée. Il avait horreur des voisins . Il craignait ,
disait-il , les discussions d'intérêt , et par amour pour la
paix il aurait bien voulu envahir toute la terre . Ses fréquentes
acquisitions ne se trouvant plus proportionnées à
ses économies , il fallut faire des réformes et ne manger
que le tiers du revenu . Deux bons chevaux de pareille encolure
le promenaient avec toute sa famille ; il en vendit
un et se contenta de ce qu'on appelle une demi-fortune .
Il renvoya son cuisinier pour n'avoir qu'une modeste cuisinière.
Enfin il supprima tout ce qui avait une apparence
de superfluité . Il appelait cela mettre de l'ordre dans ses
affaires . Il avait d'ailleurs une manie , c'était de se lamenter
du matin au soir , et de se dire ruiné par la révolution .
C'est ainsi que , tout en pleurant sur le délabrement de sa
fortune , le pauvre homme achetait chaque jour des prés ,
des champs et des bois ; mais , tandis que ses propriétés
croissaient à vue d'oeil , tout décroissait dans le ménage .
La dépense fut restreinte au quart durevenu. Plus de cheval.
De tous les domestiques mâles je fus seul conservé ,
mais pour bien peu de tems . Une taxe de guerre fut pour
moi le coup de grace . Mon maître , plus riche que jamais,
se retira à la campagne , et me renvoya en me disant , la
larme à l'oeil , que sa fortune ne lui permettait pas de me,
garder.
„Un peu dégoûté du service , je parvins , avec des protections
, à entrer en qualité de clerc chez un procureur.
Me voilà donc dans un greffe poudreux , assis sur une
escabelle , et griffonnant des exploits , des significations ,
des expropriations forcées , et des contraintes par corps .
Le maître était là qui me répétait sans cesse , grossoyez ,
monsieur , grossoyez , après m'avoir préalablement appris
que grossoyer était l'art d'allonger son écriture , afin de
vendre au pauvre plaideur une plus grande quantité de
ces paperasses ainsi barbouillées. J'étais un jour occupé à
transcrire je ne sais quel fatras juridique , et je grossoyais
de mon mieux lorsqu'il arrive derrière moi , met ses lunettes
, et s'écrie tout en colère : Y pensez-vous , monsieur,
avec vos pieds de mouche et ces lignes qui se confondent !
600 MERCURE DE FRANCE ,
(
ce que vous avez fait entrer dans quatre pages pourrait ea
occuper douze. Vous me ruinez , monsieur , vous me
ruinez . Je vous conseille de suivre une autre carrière ; je
vois bien que dans la nôtre on ne fera jamais rien de vous
Ce conseil était un ordre . Il fallut sortir de chez lui et
chercher fortune ailleurs .
» De clerc je devins commis chez un marchand de drap
des mieux accrédités ; lequel , ainsi que le procureur , me
donna d'amples instructions sur les finesses du métier. Il
m'apprit à surfaire en conscience; à gagner quelques lignes
sur l'aunage , toujours en conscience ; à. connaître à la
physionomie les bonnes pratiques , c'est-à-dire , celles que
l'on dupe aisément. Lorsqu'il me crut suffisamment édu
qué , il me fit entrer en exercice . Je m'acquittai de mon
emploi en conscience : je veux dire avec la conscience du
marchand et non avec la mienne. Tout allait bien , lorsqu'un
étranger étant un jour à examiner une pièce de drap,
seplaignit de l'obscurité qui régnait dans le magasin. Moi ,
naïvement , je m'empresse de lever un abat-jour placé audessus
de la fenêtre, oubliant qu'il n'était là que pour couvrir
d'une ombre propice les innocentes trichoteries du négoce.
Olumière fatale ! l'étranger , par son secours , ayant découvert
les défants du drap , s'éloigna sans rien acheter.
-A peine fut-il sorti que la colère du marchand éclata dans
toute sa force. Voyez , me dit-il , le tort irréparable que
vous me causez . Allez , monsieur , allez . On ne vaut rien
dans notre état avec une intelligence aussi épaisse . J'eus
beau lui représenter que c'était son drap qui était trop
mince, il me donna un congé formel.
>>Me voilà de nouveau sur le pavé , et toujours victime de
l'avarice ; mais au moment où elle semblait s'acharner à
ma perte , da fortune , par un coup d'éclat , me tira subitement
de la misère où j'étais plongé. Je fus compris dans
l'aveugle répartition de ses bienfaits pour un terne de cent
mille francs que je gaghai à la loterie. Muni de cette
somme , je voulus me marier. Je m'adressai à une jeune
et jolie personne qui agréa l'offre de ma main , ou plutôt
de mes cent mille francs . Tout allait se conclure lorsqu'un
rival plus riche se présenta etent la préférence ..
"Je fus bientôt consolé de ce petit revers . La possession
de mes cent mille francs était pour moi un doux lénitif.
Vous le dirai-je ? tout en m'occupant de ma nouvelle fortune,
je sentis naître en moi certains mouvemens cupides;
je cherchai s'il n'y aurait pas quelques moyens de doubler
41
い
MARS 1813 . 601
F
1
moncapital. Indigné contre moi-même d'éprouver cette
soifde l'or que j'avais si souvent condamnée dans les autres ,
je voulus en purger mon coeur ; et pour empêcher cet or
que je possédais de me posséder à son tour , je me mis à
m'en défaire le plus noblement possible .Enfin je luttai si
bien contre l'amour des richesses , qu'en peu de tems je
mé trouvai le plus désintéressé comme le plus pauvre des
hommes. :
Je serais encore voué à la misère la plus complète, si la
fortune ne m'avait pas secouru une seconde fois . Un de
mes parens m'écrit qu'on a retrouvé le trésor que mon oncle
avait si bien dérobé à tous les yeux. Je vais en prendre
possession , bien résolu de mettre à profit les leçons de
l'expérience , d'éviter les extrêmes et de jouir de mon bien
sans parcimonie comme sans prodigalité . »
*
En achevant ces mots , le pédestre voyageur me salua ,
doubla sa marche et disparut bientôt à mes regards . Ses
aventures n'ont rien d'héroïque ni de sentimental , mais je
les crois instructives ; voilà pourquoi je les ai recueillies .
Permettez-moi d'y joindre quelques réflexions .
Il est vrai qu'autrefois la nation française se distinguait
par son caractère désintéressé , par une générosité franche
et pleine de grâce. Il régnait dans les affaires d'intérêt une
délicatesse qui allait jusqu'au scrupule. Si chez quelquesuns
la conscience faiblissait , l'honneur était là , comme
une sentinelle , pour les maintenir dans le droit chemin.
Qu'est-ildevenu cet honneur ? Où sont ces manières droites
et généreuses qui ennoblissaient le commerce de la vie ? II
faut dire la vérité et la dire toute entière . L'avarice , cette
honteuse maladie de l'ame , empoisonneaujourd'hui , comme
autrefois la lèpre des Hébreux , toutes les classes de la société.
C'est sur-tout chez les riches qu'elle semble avoir jeté
de profondes racines. L'or entre leurs mains est comme
rentré dans la mine. Il en est peu qui sachent jouir de leur
fortune. La plupart vivent comme s'ils n'en avaient point
et ne songent qu'à amasser pour amasser encore .
Je sais bien que ceux qui ont dans le coeur ce malheureux
penchant ne manquent jamais de prétextes pour en déguiser
la honte. Je suis économe , dit l'un , mais l'économie
n'estpoint un vice . Je n'aime pas le faste , dit l'autre , j'ai
les goûts simples ; voilà pourquoi je dépense peu . Je travaille
pour mes enfans , dit untroisième; sij'éppiiee les occaf
1
602 MERCURE DE FRANCE ;
sions d'accroître mon petit pécule, c'est que toute mon ambition
est de leur laisser une fortune honnête.
Eh bien ! défendrez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?
LA FON .
2
Tout cela est très -spécieux sans doute. Je conviendrai
avec le premier que l'économie est une qualité estimable ,
nécessaire même , puisqu'elle est conservatrice de toute
propriété ; mais j'ajouterai qu'elle consiste moins à éviter
qu'à régler la dépense. Je dirai au second : vous n'aimez
pas le luxe , vous avez peu de besoins , que vous êtes heureux!
vous pouvez remplir dans toute son étendue le devoir
sacré de la bienfaisance , en donnant tout votre superflu aux
pauvres . Je ferai au troisième ce petit argument : vous travaillez
pour vos enfans ; rien de mieux : mais vos enfans
auront aussi des enfans ; et si en héritant de votre fortune
ils héritent de votre insatiable cupidité , ainsi que vous ,
sous le prétexte d'enrichir leurs descendans , ils tourmenteront
leur vie pour amasser de vains trésors ; ainsi que
vous , ils seront pauvres dans l'abondance , et l'avarice , devenue
héréditaire, sera pour jamais consacrée : croyez-moi,
laissez à vos enfans un peu moins de fortune et de plus
nobles sentimens .
Il est encore un petit raisonnement avec lequel on cherche
quelquefois à justifier l'avariçe. Chacun , dit-on , prend
son plaisir où il le trouve , et a le droit d'être heureux à
sa manière. Cette maxime sous le rapport du principe ne
mérite point de réponse ; mais , fût-elle mieux fondée , je
contesterais encore la justesse de son application. Une
passion qui rétrécit l'ame , qui l'isole dans ce monde en
la détachant de tout ce qui est en droit de l'intéresser ; une
passion qui détruit l'amitié , qui triomphe de l'amour , et
souvent même de la tendresse paternelle , peut-elle rendre
heureux ? Non , je ne crois point au bonheur des avares .
Ne sont-ils pas , d'ailleurs , tourmentés jusqu'au tombeau
par deux puissans ennemis de l'homme , le désir d'avoir et
la crainte de perdre ?
Au moment de terminer cette lettre , je lis dans un feuilleton
, où l'on rend compte d'une représentationde l'Avare,
que ce caractère n'existe plus. Cette observation peut être
vraie pour la capitale ; c'est ce que j'ignore ; mais je puis
affirmer qu'aujourd'hui , malgré un luxe apparent , l'avarice
est dans les grandes comme dans les petites villes un trait
MARS 1813 . боз
ن و
1
distinctif des moeurs de la nation. Les Harpagons du jour
ne sont plus , comme au tems de Molière , revêtus d'un
mauvais pourpoint et logés dans un taudis ; ils se mettent
avec décence et habitent de beaux appartemens : ils font ,
sous ce double rapport , quelques sacrifices à l'opinion ;
mais dans tout le reste leur sordide intérêt n'a plus de borne
et se montre à nu .
Voilà pourquoi j'ai cru devoir consacrer quelques pages
au signalement de ce vice hideux. Tous les moralistes anciens
et modernes , me dira-t-on , lui ont déjà déclaré la
guerre ; s'ils n'ont pu le déraciner , à quoi sert votre diatribe
? A rien peut-être : mais s'il ne m'appartient pas
d'écraser l'infâme, je veux du moins le montrer au doigt
et l'exposer à la risée publique.
J'ai l'honneur de vous saluer .
1
L'Observateur Provincial.
SPECTACLES .- Théâtre Feydeau .- Le Théâtre Feydeau
fixe en ce moment l'attention des amateurs : cet établissement
qui , depuis soixante ans , fait les plaisirs d'une nombreuse
partie des habitans de la capitale , perdra-t-il son
éclat parce qu'un de ses acteurs l'abandonne ? telle est
pourtant la question que des prôneurs indiscrets d'Elleviou
ont osé soumettre au public. Certainement la retraite de
ce grand acteur , inimitable dans plusieurs rôles , est une
vraie calamité pour les amateurs de l'Opéra-Comique ;
mais elle ne doit pas entraîner la perte d'un théâtre qui
conserve autant de sujets distingués : Martin , Gavaudan ,
Huet , Chenard , Juliet , Paul , Batiste , Lesage , mesdames
Duret , Gavaudan , Boulanger et Regnault , forment une
troupe très-complète d'excellens acteurs . Le Théâtre Favart
n'en offrait pas une semblable dans ses plus beaux
jours.
On reprochait à Elleviou de ne pas assez varier son
répertoire. Que l'administration de Feydeau se pénètre
bien de cette vérité , que c'est avec des ouvrages nouveaux
qu'elle attirera le public. La musique fait éprouver des
sensations moins durables , plus fugitives que la poésie.
L'Opéra Comique ne peut prétendre à un répertoire
aussi intéressant que celui du Théâtre Français ; il n'appartient
qu'à Molière et à Racine de paraître neufs après
cent cinquante ans : au lieu d'offrir quarante ou cinquante
fois le même acteur dans le même rôle , que les sociétaires
804 MERCURE DE FRANCE ,
3
de Feydeau mettent à la scène sept ou huit opéras nouveaux
, le public etl'arttyygagneront.
L'administration a déjà usé de cette recette. Depuis le
départ d'Elleviou on a représenté deux ouvrages ; le Séjour
militaire et le Prince de Catane. Nous avons rendu compte
dupremier ouvrage. Le second , annoncé avec fracas , ne
me paraît pas destiné à une longue existence , malgré ses
trois actes , les ballets , les décorations et le nom du compositeur.
M. Nicolo travaille beaucoup trop ; sa musique
du Prince de Catane , offre encore des défauts qu'on a déjà
eu occasion de lui reprocher ; avec quelques chants gracieux,
on y trouve des accompagnemens trop bruyans et
de fréquentes réminiscences.
Il me resterait à faire connaître l'intrigue du Prince de
Catane , mais Voltaire s'est chargé de ce soin : l'opéra
nouveau n'est autre que le conte charmant de l'Education
d'un Prince , dialogué et étendu en trois actes ; je crois
donc pouvoir me dispenser de parler du poëme , qui est de
M. Castel . B.
LeMari de Circonstance , opéra comique en un acte et
en prose, paroles de M. Planard , musique de M. Plantade,
a été représenté sur ce théâtre avec le plus grand succès;
l'abondance des matières nous force à renvoyer à notre
prochain numéro l'analyse de cet ouvrage .
ODEON . -Opéra Buffa. - Les Noces de Dorine. -
Voilà plus de vingt-cinq ans qu'on joue cet opéra , et on
l'entend toujours avec un nouveau plaisir. Les bons opéras
ressemblent aux bonnes tragédies . Quoique l'on fasse
tout ce qu'il faut pour les user , on n'y parvient pas aisément..
La musique de Sarti brille en général par la vivacité ,
P'esprit et l'enjouement. Nul compositeur n'a porté plus loin
que lui peut-être cet art de placer les instrumens dans le
jour qui leur est le plus favorable . Nul n'a mieux condu ,
si je l'ose dire , leur essence , et mieux deviné leur langage .
Ils font librement ce qu'ils peuvent faire , et rien de plus ;
de leur savant accord , il résulte pour l'oreille un dialogue
toujours simple et naturel , une causerie délicieuse . On
croit entendre gazouiller un essaim d'oiseaux .
De toutes les cantatrices qui ont précédé Me Barilli ,
sans même en excepter MlleBBaalotti, aucune ne l'a surpassée
, je dirai presque égalée , dans le rôle de Dorine. Sa
voix souple et légère se prête aux inflexions les plus diffi
MARS 1813 . 605
师
1
ciles , et n'est jamais au-dessous ni au-dessus du ton.
Mille virtuoses très -prônées ont eu quelquefois de la peine
à chanter juste , on pourrait défier Mm Barilli de chanter
faux. Les Noces de Dorine sont en général fortbien jouées.
CarBarilli , chargé d'un des rôles principaux, montre tourà-
tour le chanteur d'expression et le mime excellent , qui
sait faire rire sans se jeter dans une charge triviale ; et
Tachinardi , par son organe , est sûr d'obtenir le suffrage
des amateurs . Quant à Mile Berchter , personne , excepté
elle , ne l'a , je crois , entendue dans la salle ... mais ces
éspèces de personnages ne sont jetés dans l'ombre d'un
tableau que pour faire ressortir les figures principales .
D.D.
Aux Rédacteurs du Mercure de France .
MESSIEURS , l'auteur d'un article sur l'Arnoldiana , inséré
dans le dernier numéro du Mercure , dit qu'on a cru que
Mme la comtesse duBarry devait le jour à un moine Picpus ,
et qu'il est d'une autre opinion , d'après une anecdote de
la vie de Grosley. Je vais montrer que ces deux faits ne se
contredisent point .
Mme du Barry naquit en 1744 , à Vaucouleurs , de M.
Gomart de Vaubernier , commis aux aides dans cette ville.
Par un hasard singulier , c'est la patrie de Jeanne-d'Arc
qui a sauvé la France , et d'une autre Jeanne qui l'a perdue.
M. Billard Dumonceau , munitionnaire des vivres , passait
à Vaucouleurs , au moment de la naissance de cette dernière
; il fut prié de la tenir sur les fonts baptismaux , et
il accepta. Grosley nous apprend la manière dont il s'y
prit , anecdote plaisante et digne de Rabelais .
Si l'on en croit l'auteur des Mémoires secrets , Mme du
Barry , quoique née en légitime mariage , était fille de l'abbé
Gomart, ci-devant moine Picpus. Cette opinion (1) semble
avoir été accréditée par un bon mot du duc de Choiseul .
Ce ministre conversait un jour avec la fameuse comtesse
sur la destruction des moines . Il prenait contr'elle leur
défense , mais de manière à se laisser battre sur tous les
points . Enfin, convenez , lui dit- il , qu'ils saventfaire de
beaux enfans .
(1) Voyez Anecdotes de Mme la comtesse du Barry , 1776 , un vol .
in-12. Le mot du duc de Choiseul n'y est pas rapporté de la même
façon.
606 MERCURE DE FRANCE ,
Voici une autre anecdote peu connue , et qui doit trouver *
sa place dans des Mémoires historiques .
• Long-tems après sa disgrace , le duc de Choiseul alla
voir la comtesse à Lucienne , et lui demanda par quelle
intrigue elle l'avait fait renvoyer.- Cela , répondit-elle ,
ne m'a pas été plus difficile que defaire chasser un laquais .
Le duc reprit : Le jour de ma disgrace , vous étiez à la
fenêtre quandj'ai passé, et vous ne m'avez pas rendu le
salut.- C'était ma soeur ; j'étais au lit , etje lui dis : s'il
monte chez moi , il ne sortira pas du ministère.
1. Tous les biographes de Mme du Barry ont omis un trait
qui l'honore, et qui est rapporté par M. Dutens (2) .
«Un peu avant que la comtesse du Barry fût guillotinée
(le 8 décembre 1793 ) , un prêtre irlandais trouva le moyen
d'aller la voir dans la prison de la conciergerie , et lui offrit
de la sauver , si elle pouvait lui fournir une certaine somme
d'argent pour gagner les geoliers et faire le voyage . Elle
Iui demanda s'il ne pouvait pas sauver deux personnes ;
il lui répondit que son plan ne lui permettait pas d'en sauver
plus d'une. En ce cas , ditM du Barry , je vous donnerai
bien un ordre sur mon banquier pour toucher la
somme nécessaire ; mais j'aime mieux que ce soit la duchesse
de Mortemart qui échappe à la mort , que moi . Elle
est cachée dans un grenier de telle maison à Calais : voici
un mandat sur mon banquier ; volez à son secours . Le
prêtre , après l'avoir pressée de lui permettre de la tirer ellemême
de la prison , la voyant résolue à préférer la duchesse,
prit le mandat , toucha l'argent , se rendit à Calais , tira la
duchesse de Mortemart de sa retraite , la déguisa en femme
du commun ; et la prenant sous le bras , la fit voyager à
pied avec lui , disant qu'il était un bon prêtre constitutionnel
, et marié avec cette femme. On criait bravo , et on
le laissait passer. Il traversa ainsi les armées françaises , et
vint à Ostende , d'où il passa en Angleterre avec Mm la
duchesse de Mortemart , que j'ai vue depuis à Londres . "
FAYOLLE .
On commence à reparler beaucoup dans les salons d'un
ouvrage qui avait excité puissamment la curiosite , et était
devenu l'objet de toutes les conversations ily a dix ou onze
mois. C'est le discours qui produisit une si grande sen-
(2) Voyez le Datensiana , page 115 .
i
MARS 1813.607
購
lon
15
sationdans le dernier concours d'éloquence de l'Académie
française , où il parut sous le n° 10 , qu'on attendait avec
impatience , et qui n'était pas encore devenu public. Les
curieux ont cru le reconnaître dans un Eloge deMontaigne,
mis en vente ily a quelques jours (1) , et dont l'auteur est
M. Victorin Fabre. Rien dans l'ouvrage ni dans les notes
n'annonce que cet Eloge ait concouru : mais ceux qui l'ont
comparé avec lejugement exprimé dans le rapport lu à la
dernière séance de l'Académie sur lediscours dont nous
venons de parler , ne permettent aucun doute à cet égard .
Rien de plus évident , selon eux , que l'identité du nouvel
Eloge de Montaigne et du fameux nº 10 , lorsqu'on lit dans
ce rapport les deux pages 6 et 7 dont voici les traits les
plus saillans . L'à-propos qui nous engage à les citer , les
fera relire sans doute avec intérêt. « C'est le n° 10 , ayant
pour épigraphe ces paroles de Montaigne : Tout le monde
» me reconnaît en mon livre , et mon livre en moi. Ce
>discours a particulièrement fixé l'attention des juges par
» les beautés du premier ordre qui y sont répandues .....
Le plan en est hardi , le cadre vaste , la marche animée ;
> le style a de la couleur , du mouvement et de la variété ;
on y trouve beaucoup d'idées fortes et de mouvemens
» d'éloquence ; tout y annonce un esprit très-exercé et un
> talent supérieur .... L'auteur a fondé son plan sur le mot
». de Montaigne qu'il a pris pour épigraphe ; il en a conclu
quepourbien juger le livre , il fallait connaître l'homme;
juste et heureuse .... Le séjour de Montaigne à la
» cour de Charles IX , donne occasion à l'orateur de tracer
des tableaux où la corruption de cette cour , les fureurs
» de la guerre civile , et les crimes de la Saint-Barthélemi
sont peints avec énergie ..... Il fait l'analyse du talent et
» de la philosophie de Montaigne , dans la seconde moitié
-de son discours , où l'on reconnaît toujours un écrivain
» qui sait manier habilement la langue , et qui en connaît
> toutes les ressources , qui pense fortement , et qui ne
> parait étranger à aucun des sujets qui peuvent intéresser
> la raison humaine (2) . »
ท idée
( 1 ) Chez Maradan , libraire , rue des Grands-Augustins ,
Brochure , in-8° . Prix , I fr . 80 c .
n° 9 .
(2) Rapport sur le Concours de 1812 ; par M. le secrétaire perpétuel
de la classe de la langus et de la littérature française de l'Institut impérial
, pages 6 et 7.
&
1 608 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813 .
Un jugement si frappant , énoncé dans une séance so
lennelle, au nom du premier corps littéraire de la nation ,
par un écrivain dont l'esprit sage et éclairé , le goût fin et
sévère ,ydonnaient un nouveau poids , était bien propre à
exciter vivement la curiosité lorsqu'on croirait voir paraître
l'ouvrage qui en avait été l'objet. Mais ce qui l'a plus excitée
encore, c'est cette conclusion du rappori et la prédiction
qu'elle contient : " On doit désirer que cet écrivain s'occupe
" à revoir son discours avec le soin dont il paraît capable ;
» qu'il cherche à se renfermer dans de justes bornes , et à
> ne donner à chaque partie de son plan que l'étendue qui
» convient au sujet. Il résultera de ce travail un ouvrage
» d'un mérite remarquable , digne de fixer l'attention , et
» d'emporter les suffrages de tous les bons esprits , qui , en
le lisant sous cette nouvelle forme, s'étonneront peut-
> être qu'une production d'un tel mérite n'ait pas obtenu
> un rang plus distingué dans ce concours (3) . "
Quoi qu'il en soit de tous ces jugemens sur l'heureux
discours si bien dédommagé , ou plutôt si bien mis au-dessus
de la perte d'une couronne que l'orateur présumé avait
remportée tant de fois , quoi qu'il en soit de son identité
avec l'Eloge de Montaigne , par M. Victorin-Fabre , qui
porte en effet la même épigraphe , présente le même plan ,
nous examinerons bientôt cet Eloge et les Notes ou Dissertations
qui le suivent , avec l'attention qu'ils méritent . En
attendant cet examena , nous pouvons assurer nos lecteurs
qui seraient empressés d'en juger par eux-mêmes, que leur
curiosité n'a point à craindre de mécompte , et qu'en effet
peu d'ouvrages même célèbres ont un mérite aussi réel , et
réunirent à leur apparition autant d'élémens de succès .
(3) Rapport sur le Concours de 1812 , etc. , page 7.
SEINE
A
R
ed
F
POLITIQUE.
5.
LAPorte a reconquis les villes saintes , fer clefiamont
étéportées au
de fêtes solennelles à Constantinople , et l'occasion d'actes
de clémence de la part du Grand-Seigneur. Dans cette
circonstance mémorable l'ambassadeur de France , M. le
comte Andréossi , a été reçu avec la solennité accoutumée .
Des arrestations pour délits politiques ont eu lieu à
Vienne; on cite parmi les détenus , dont le procès va s'instruire
, le conseiller aulique Hormayer , connu par divers
écrits ; le capitaine du cercle Rosehmann , et le docteur
Schneider , connu par les troubles qu'il a excités dans le
Tyrol pendant la dernière guerre . Le maréchal prince de
Scharzenberg était , aux dernières nouvelles , sur le point
de son départ pour Paris. En Bavière , une partie de la
garde nationale organisée a été mise en mouvement.
Erfurt , Magdebourg continuent à être le centre sur lequel
sedirigent les immenses renforts que reçoit l'armée française.
Le quartier-général est à Leipsick .
sérail. Cet important événement
Les journaux anglais ont saisi comme une occasion
favorable de piquer la curiosité de leurs lecteurs , le moment
où le parlement s'occupait de la réclamation de la
princesse de Galles , ou plutôt déclarait ne pas devoir s'en
occuper , pour reproduire les pièces relatives à cet étrange
différend , dont la publicité paraît être une arme nouvelle
dirigée par l'opposition contre le ministère. Les pièces
publiées remontent à lannée 1796. La première est une
lettre du prince deGalles à laprincesse; cette lettre contient
la signification de la rupture qui a éclaté : « Nos incli-
>>nations ne dépendent pas de nous , dit le prince; mais ce
» qui dépend de nous , c'est d'établir entre nous une société
» tranquille qui ne blesse ni l'un ni l'autre . Voici la réponse
de la princesse à cette proposition de séparation
volontaire.
« L'aveu que vous faites de votre conversation avec lord
Cholmondeley , ne m'étonne ni ne m'offense. Il confirme
seulement ce que vous avez laissé tacitement entrevoir
depuis un an. Mais , d'après cela , ce serait de ma part un
manque de délicatesse , ou plutôt une bassesse indigne ,
610 MERCURE DE FRANCE ,,,
que de me plaindre des conditions que vous vous imposez
vous-même .
Je n'aurais pas répondu à votre lettre , si elle n'avait
été conçue dans des termes qui font douter si l'arrangement
a été proposé par vous ou par moi , quoique vous sachiez
bien que le mérite vous en appartient tout entier .
» Comme vous m'annoncez que cette lettre est la dernière
que vous m'écrirez , je me vois obligée de communiquer
au roi , comme à mon souverain et à mon père , et
votre déclaration et ma réponse . Vous trouverez ci-joint la
copie de ma lettre au roi . Je vous en donne connaissance ,
afin d'éviter de paraître à vos yeux mériter le plus léger
reproche de duplicité . Comme je n'ai , dans ce moment ,
d'autre protecteur que S. M. , je m'en rapporte à elle seule
à cet égard ; et si ma conduite obtient son approbation , je
serai , au moins à quelques égards , consolée. Je vous conserve
un juste sentiment de reconnaissance pour la situas
tion où je me trouve placée , comme princesse de Galles ;
et où je vous dois les moyens de me livrer au libre exercice
d'une vertu qui m'est chère , je veux parler de la charité .
It me reste un autre devoir à remplir , celui de donner
l'exemple de la patience et de la résignation dans toutes les
épreuves de ma vie .
Rendez-moi lajustice de croire que je ne cesseraijamais
de prier pour votre bonheur , et d'être
> Votre très - dévouée CAROLINE. "
Ala suite de cette correspondance , on lit la lettre de la
princesse de Galles au roi , écrite à la fin de 1806 : la princesse
y mentionne le rapport des lords commissaires qui ,
agissant d'après l'ordre de S. M. , l'ont entièrement justifiée
de l'accusation d'adultère ; mais elle relève quelques expressions
du rapport, où il est dit que certains griefs, doivent
être crus jusqu'à ce qu'ils aient été démentis ; et elle demande
un examen solennel de sa conduite .
Suit l'extrait des registres du conseil du 22 avril 1807.
Il est ainsi conçu :
«Après l'examen le plus réfléchi des preuves qui ont été
fournies pardevant les commissaires , et des témoignages
antérieurs , ainsi que de la réponse et des observations y
relatives , qui ont été soumises à V. M. , les ministres
croient nécessaires de déclarer qu'ils adoptent entièrement
P'opinio,n claire et unanime des commissaires , confirmée
par celle de tous les ministres confidentiels précédens de
V. M. , savoir , que les deux accusations principales
tées contre S. A. R. la princesse de Galles , relatives à
,por
une
MARS11813JOM
A
高
12.4
201
ama
de
8
1
grossesse et à un accouchement , sont complétement réfutées
; etils soumettent en outre à V. M. leur opinion
unanime , que toutes les autres particularités de conduite
dont on a accusé S. A. R. ( la princesse de Galles ) , et
auxquelles on pourrait attribuer le caractère d'actes criminels
( criminality ) , sont, ou démenties d'une manière
satisfaisante , ou appuyées sur des témoignages d'une telle
nature , et données dans de telles circonstances , qu'aujuge
ment des ministres confidentiels de V. M. , elles ne meritent
point de confiance . T
En conséquence , les ministres de V. M. partagent
dans cette partie l'opinion de vos précédens ministres , telle
qu'elle est consignée dans leur minute du 25 janvier , savoir ,
qu'il n'y a plus aucune nécessité de conseiller à V. M. de
refuser d'admettre la princesse en votre présence royale ,
représentant humblement à V. M. qu'il est essentiellement
nécessaire , pour rendre justice à S. A. R. , et pour l'honneur
et les intérêts de l'illustre famille de V. que
S. A. R. la princesse de Galles soit admise dans le plus
court délai possible en la présence royale de V.M. , et
qu'elle soit reçue d'une manière digne de son rang et de sa
place, à la cour et dans lafamille de V.M. 2000
Un message du roi au prince de Galles a suivi ce rapport..
« Le roi , y est-il dit , voit avec beaucoup de satisfaction
la conformité,d'opinion de ses conseillers avec celle exprimée
par les quatre lords sur la fausseté des accusations,
degrossesse et d'accouchement intentées contre laprincesse,
par lady Douglas . Quant aux autres pièces produites pendant
le cours de l'enquête ,le roi pense qu'aucuns des faits
ou allégations produits dans les examens préliminaires ,
lesquels ont eu lieu en l'absence des parties intéressées ,
ne peuvent être considérés comme portant un caractère
légal etcomme étant définitivement prouvés. Mais dans ces
examens , et même dans la réponse faite au nom de la
princesse par ses conseillers légaux , il se trouve des cir
constances relatives à la conduite de la princesse , auxquelles
S. M. ne peut penser qu'avec beaucoup de peine.
Le rang illustre que la princesse occupe en ce pays , l'intime
alliance qu'elle a contractée avec S. M. et la famille
royale , doivent nécessairement lier , de la manière la plus
forte, les intérêts de l'Etat et les sentimens particuliers de
S. M. à l'exactitude de la conduite de la princesse. En
conséquence , S. M. ne peut se dispenser , en terminant
cette affaire , de manifester le désir et l'espoir qu'elle a que
1
1
612 MERCURE DE FRANCE ,
la princesse suivra désormais un plan de conduite qui
puisse entièrement justifier les marques d'amour et d'estime
paternelle que S. M. désire donner toujours à chacun
des membres de la famille royale.
" S. M. ordonne que ce message sera communiqué à la
princesse deGalles par son lord-chancelier , et que la copie
detoutes les pièces sera également transmise à son bienaimé
fils le prince de Galles.n
2
Le lecteur est impatient , sans doute , de connaître sur
quel fondement repose l'accusation principale ; elle est
contenue dans la déposition suivante de lady Douglas sur
la conduite de la princesse dans le tems de sa liaison avec
elle. Nous ne devons retrancher aucune des expressions
qui s'y trouvent , puisque la grave circonspection du journal
officiel ne lui a pas défendu de les admettre .
Je crois avoir fait la connaissance de la princesse de
Galles en 1801. Sir John Douglas avait une maison à
Blackheath. Un jour , en novembre 1801 , la terre était
couverte de neige , et la princesse qui était , je crois , avec
Mlle Heyman , passa plusieurs fois à pied devant notre
porte. Lady Stewart était avec moi , et elle me dit qu'elle
croyait que la princesse avait besoin de quelque chose, et
que je devrais aller au-devant d'elle . J'y allai. Elle me dit ,
qu'elle n'avait besoin de rien , mais qu'elle désirait entrer ;
que j'avais une très-jolie petite fille. Elle entra et resta
quelque tems. Environ quinze jours après cette visite , sir
John Douglas et moi reçûmes l'invitation d'aller à Montague-
House. Dès-lors j'allais à Montague-House trèsfréquemment
, et j'y dînais. La princesse dînait souvent
chez nous.
Vers le mois de mai ou de juin 1802 , la princesse me
parla pour la première fois de sa propre conduite. Sir Sidney
Smith, qui était l'ami de sir John depuis plus de vingt
ans, arriva en Angleterre vers le mois de novembre 1801 ,
et vint loger dans notre maison. J'appris que la princesse
connaissait sirSidney Smith avant d'être princesse deGalles.
La princesse voyait sir Sidney Smith aussi souvent que
nous-mêmes . Elle nous retenait ordinairement à Montague-
House plus tard que le reste de la société , quelquefois
même jusqu'à trois ou quatre heures du matin. Jen'ai
jamais rien remarqué d'inconvenant dans la conduite de
sir Sidney Smith et de la princesse. En mars 1802 , j'allai
passer une quinzaine à Montague-House avec la princesse.
Elle m'avait prié d'y venir, parce que Mlle Garth était
malade. 1
۱
MARS 1813. 613
T
Dat
首
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11
» Dans le mois de mai ou de juin säivant , la princesse
vint chez moi toute seule , et me dit qu'elle désirait que je
devinasse ce qui lui était arrivé. Je nommai différens objets
, et finis par dire que je ne pouvais deviner. Elle me
dit alors qu'elle était enceinte , et qu'elle sentait remuer
l'enfant. Je ne sais si c'est ce jour-là même ou quelques
jours auparavant , qu'elle dit , étant à déjeûner dans sa
chambre avec lady Willoughby , que le lait lui remontait
au sein , et perçait à travers sa robe ; elle se couvrit d'une
serviette , et alla dans sa chambre avec lady Willoughby
pour s'arranger de manière à ce que cela ne fût pas remarqué
. Elle ne m'a jamais dit quel était le père de l'enfant .
Elle me dit qu'elle espérait que ce serait un garçon. Elle
me dit aussi que , si cela était découvert , elle ferait passer
le prince de Galles pour son père , vu qu'elle avait passé
deux nuits à Carlton-House cette année. Je lui dis que
j'irais , si j'étais à sa place , en Allemagne , chez ma mère.
La princesse me répondit qu'elle arrangerait cette affaire ,
et qu'en supposant même le cas le plus fâcheux , elle ferait
croire que le prince était le père de l'enfant .
» J'étais à Montague-House , en mars , pendant que
j'étais enceinte ; et un jour avant dit que j'étais très-malade
, la princesse dit à Mme Sanders de me donner une
potion saline . J'observai qu'elle ne devait pas en avoir besoin
elle-même , et je la regardai .
» La princesse me dit : j'en ai besoin; pourquoi me regardez-
vous d'un air malin? vous me devinez toujours.
Mm Sanders parut très-embarrassée ; elle nous donna à
chacune une potion saline. Ce fut la première fois que je
soupçonnai qu'elle était enceinte . La princesse n'a jamais
dit quel était le père de l'enfant . Lorsqu'elle m'a dit qu'elle
était enceinte pensé d'abord que sir S. Smith était le
père de l'enfant , mais seulement parce que la princesse
avait beaucoup d'égards pour lui . Il n'ajamais , à ma connaissance
, été seul avec elle. Nous avons vu constamment
la princesse depuis ma première visite à Montague-House ,
jusqu'à la fin d'octobre..
,j'ai
» Depuis cemoment où elle m'a dit qu'elle était enceinte,
elle m'a fréquemment entretenue sur ce sujet. Elle a été
saignée deux fois pendant sa grossesse. Elle m'a conseillé
aussi de me faire saigner , disant que mes couches en seraient
d'autant plus heureuses . Ce fut M. Edmeads qui la
saigna. Elle m'a dit qu'une des deux fois elle avait le sang
très-échauffé. Je dis unjour à la princesse que j'étais fort
inquiète relativement à ses couches, et que je ne savaispas
614 MERCURE DE FRANCE ,
comment elle ferait pour que cela ne fût pas su ; que j'espérais
qu'elle aurait une personne de confiance . Elle me
répondit que oui ; qu'elle aurait une étrangère , ne pouvant
consentir à avoir des hommes auprès d'elle dans cette occasion
. Je suis sûre , me dit-elle , de réussir , et je désirerais
que vous ne parlassiez plus de cet objet .
» Je dirai tout , ajouta-t-elle , à Mme Sanders ( je crois
que c'est le même jour qu'elle me raconta ce qui était
arrivé chez lady Willoughby ) ; que Mme Sanders était
une bonne femme , qu'on pouvait avoir confiance en elle ,
et qu'elle assisterait à ses couches; qu'elle enverrait Mlle
Garth à Brunswick , et qu'il fallait éloigner Mlle de Milfield,
parce qu'elle était trop jeune. Je fis mes couches le
23 juillet 1802. La princesse désira être présente . J'aurais
voulu qu'elle n'y assistât pas , mais je ne voulais pas lui
faire un refus qui l'offensât. Le jour où j'accouchai , elle
vint chez moi et insista pour entrer. Le docteur Mackie ,
qui me soignait, ferma la porte du côté opposé de .... ; mais
ily avait une autre porte de l'autre côté de la chambre,
qui n'était pas fermée; elle entra par cette porte , et fut
présente à mes couches ; elle prit l'enfant aussitôt qu'il fut
au monde , et me dit qu'elle était bien aise d'avoir vu le
tout.
" La grossesse de la princesse me paraissait être bien visible
; elle portait un coussin derrière elle , et elle en fit faire
un pour moi par Mme Sanders . Pendant mes couches , la
princessevint un jour avec Mlle Fitzgerald. Elle la renvoya ,
prit une chaise et s'assit près de mon lit. Elle me dit :
Vous entendrez dire que je reçois des enfans dans leurs
berceaux , mais vous ne ferez pas attention à ce bruit .
C'est une pauvre femme qui me les apportera dans un panier.
J'emploierai cet artifice , afin que l'on m'apporte le
mien de la même manière , ou , c'est ainsi que je désire
qu'on m'apporte mon enfant , quand il sera au monde.
Peu de tems après , une pauvre femme apporta dans un
panier deux enfans jumeaux. La princesse les reçut , les
fit porter dans sa chambre , et les lava elle-même . C'est
elle-même qui me l'a raconté.
Quelques jours après , le père revint , voulut avoir ses
enfans, et on les lui rendit. La princesse me dit ensuite :
Vous voyez , j'ai pris les enfans , et cela a bien réussi . »
Le père était venu les reprendre ; et elle ne pouvait pas le
blâmer: il avaitdit qu'elle pouvait prendre d'autres enfans ,
et se faire mère nourrice . Je vis, le 30 ou le 31 octobre 1802 ,
la princesse se promener devant sa porte . Elle était habillée
:
MARS 1813 . 615
|
1
P
Π
20
de manière à cacher sa grossesse : elle avait une longue
robe et un très gros manchon . Elle revenait de l'église de
Greenwich . Elle paraissait très-pesante , et je crus qu'elle
devait être proche de son terme . Environ huit ou dix jours
après , je reçus de la princesse un billet dans lequel elle
me disait de ne point venir à Montague-House , qu'elle
craignait que les enfans qu'elle avait reçus chez elle , n'eussent
apporté la rougeqle dans leurs vêtemens , et qu'elle
craignait que mon enfant ne la gagnât. Quand la princesse
vint me voir lorsque j'étais en couche , elle me dit de ne
pas la venir voir quand elle serait elle-même en couche ,
parce que cela la rendrait confuse.
> Vers la fin de décembre , j'allai dans le comté de Glocester
, où je restai environ un mois . En janvier , je revins ,
j'allai à Montague-House , et je fus admise. La princesse
était occupée à renfermer quelque chose dans une boîte
noire. Il y avait sur le sopha un enfant couché et couvert
d'un morceau de drap rouge. La princesse se leva et
me prit par la main ; puis me conduisant au sopha : « Le
» voilà l'enfant , me dit-elle , je l'ai eu deux jours après
> vous avoir quittée . Ses propres expressions furent je
l'ai eu , on je l'ai mis au monde; mais elles signifiaient
clairement que c'était son propre enfant. Elle me dit
qu'elle s'était bien tirée d'affaire; elle me montra sur la
main de l'enfant une marque violette .
" La princesse me dit : Il a une marque comme votre
petite fille . J'ai souvent vu l'enfant après cela avec la princesse
jusqu'à Noël en 1803 , époque où je quittai Blackheath .
J'ai revu la marque sur la main de l'enfant , et je suis sûre
que c'était le même . Je n'ai jamais vu d'autre enfant chez
la princesse .
>>La princesse Charlotte avait coutume de voir l'enfant
et de jouer avec lui . L'enfant appelait la princesse de Galles
maman. Environ un mois avant que la princesse ne fût
dans le Devonshire , je vis l'enfant à la fenêtre de son palais ,
et je suis sûre que c'était le même enfant. Peu de tems
après avoir vu l'enfant pour la première fois , la princesse
me dit que pendant quelques nuits elle l'avait fait coucher
avec elle , mais que cela lui donnait des attaques de nerfs ,
et qu'alors elle lui avait donné une nourrice. Elle m'a dit
qu'elle lui donnait d'abord un peu de son lait , mais que
c'était au-dessus de ses forces , et qu'alors on le nourrissait
à la main , ce qui réussissait fort bien. Je puis faire serment
que l'enfant que j'ai vu à la fenêtre du palais , est le
même enfant que llaaprincesse m'a dit avoir en deuxjours
616 MERCURE DE FRANCE ;
après nous être quittées . Cet enfant fut nommé William :
je ne lui ai jamais entendu donner d'autre nom.
» Un jour que nous étions à déjeûner avec la princesse ,
l'enfant étant en maillot , elle dit à sir John Douglas :
<<Voici l'enfant de Depfort. Indépendamment des confidences
que la princesse m'a faites , je puis faire serment
qu'elle était enceinte en 1802. En octobre 1804 , à mon
retour de Devonshire , je laissai ma carte de visite à Montague-
House , et le 4 octobre , je reçus une lettre de Mme
Vernon , qui m'invitait à ne plus me présenter à Montague-
House . Je n'avais jamais dit jusqu'alors à personne , et pas
même à sir John Douglas , que laprincesse eût été enceinte
et qu'elle fût accouchée d'un enfant. Après avoir reçu la
lettre de Mme Vernon , j'écrivis à la princesse à ce sujet.
La lettre me fut renvoyée sans être décachetée. J'écrivis
alors à Mme Fitzgerald , en lui disant que je me croyais
très-maltraitée . Deux ou trois jours après je reçus la lettre
anonyme que je produis ici , que j'ai marquée de la lettreA,
et que j'ai signée tant dans le corps de la lettre que sur
l'enveloppe .
>>>La princesse de Galles m'a dit qu'elle avait un camarade
de lit toutes les fois qu'elle le pouvait , qu'il n'y avait
rien de meilleur pour la santé. Elle m'a dit qu'il n'y avait
pas de chambre plus commode que la sienne ; qu'elle était
au haut de l'escalier qui conduit dans le parc , ajoutant
« J'ai des verroux en-dedans , de sorte que j'ai un camarade
> de lit quand je veux. » Elle m'a dit plus d'une fois : je
suis surprise que vous vous contentiez de sir John . C'est
ce qu'elle m'a répété plus d'une fois. Elle m'a dit que sir
Sidney Smith avait couché avec elle; qu'elle croyait bien
que tous les hommes aimaient à avoir une camarade de
lit , mais que sir Sidney aimait cela plus que tout autre ;
que le prince était l'homme le plus complaisant du monde ,
qu'elle faisait ce qu'elle voulait , qu'elle couchait avec qui
bon lui semblait, et que le prince payait pour tout .
Le 1er juin 1806. Signé, Charlotte DOUGLAS.
M. Douglas a fait aussi la déclaration suivante :
« J'avais , en 1801 , une maison à Blackheath : sir Sidney
yvenait ordinairement. J'y avais une chambre pour lui.
La princesse de Galles fit laconnaissance de ladyDouglas ,
et elle venait fréquemment dans notre maison . Je pense
qu'elle y venait plus pour sir Sidney Smith que pour nous.
Quelque tems après qu'elle eut fait notre connaissance ,je
l'ai crue enceinte. Un jour étant penchée sur le sopha , elle
mit lamain sur sa poitrine , et dit : Sir John , je ne serai
1
1
}
1
MARS 1813 . 617
1
1
jamais reine d'Angleterre. Je lui répondis : Non , si
vous ne le méritez pas . » Elle parut d'abord fâchée .
» Le 27 octobre 1804 , je reçus deux lettres par la petite
posie; l'une à mon adresse , et que je produis maintenant ,
que j'ai marquée de la lettre B, tant dans l'intérieur que
sur l'enveloppe ; et l'autre adressée à lady Douglas , que je
produis ici également , et que j'ai marquée de lalettre C,
tantdansl'intérieurque sur son enveloppe. »
D'autres déclarations de divers domestiques de la princesse
ont été publiées ; la plupart tendant à la justifier de
tout soupçon.
Nous avons dit que sur la nouvelle réclamation de la
princesse et sur la demande de communiquer librement
avec sa fille la princesse Charlotte , le parlement s'était
refusé à connaître de nouveau de cette affaire trop scandaleuse.
Le Courrier , journal très - ministériel , partage l'opinion
de toute l'Angleterre , qui voit , dit-il , par ladécision
ou plutôt la non-décision du parlement , une justification
complette de la princesse sur le faitprincipal de l'accusation :
mais , ajoute-t- il , sur la demande récente de la princesse ,
peut-on dire qu'elle ait obtenu avantage et satisfaction ?
De quoi se plaignait-elle dans sa lettre ? de ce que les
communications avec sa fille avaient été restreintes , etde
ce qu'on se proposait d'augmenter encore les restrictions.
A-t-on fait cesser ces restrictions ? est- il vraisemblable
qu'on les fasse cesser ? Au contraire : la chambre des
communes, en évitant de s'expliquer sur ce point, n'a-t-elle
pas témoigné qu'elle était satisfaite des derniers arrangemens
qui ont eu lieu à cet égard , et laissé S. A. R. encore
sujette aux restrictions dont elle s'est plainte ? la chambre
n'a-t-elle pas reconnu de fait le droit qu'a le régent , en
qualité de père et de souverain , de faire tel réglement qu'il
trouvera bon ( relativement aux communications dont il
s'agit ) , et n'a -t-elle pas montré la plus grande répugnance
à se mêler de cette affaire-là ? Est-ce là un triomphe ou une
victoire?
>>Mais revenons au triomphe de la princesse de Galles.
Undes objets de la lettre de S. A. R. avait été de faire accroire
au public que l'éducation religieuse de sa fille avait
été négligée . Le délai mis à la confirmation de la jeune
princesse n'avait été mis en avant que pour colorer le reproche
de cette négligence. Eh bien ! ce reproche a-t-il
produit le moindre effet ? N'a-t-il pas été traité, que dis-je,
réprouvé comme un repreche affecté , hypocrite etdégoû
1
رد 618 MERCURE DE FRANCE,
tant, par tous ceux qui ont , dit- on , acquitté S. A. R. ? Of
est donc le triomphe sur ce point ?
>>Sur le tout , nous nous permettrons de demander s'ily
a en Angleterre une seule personne , dont l'opinion puisse
être de quelque poids à ce sujet , qui ait approuvé la lettre
de la princesse de Galles , et qui n'ait pas pensé qu'elle
méritait parfaitement le mauvais succès qu'elle a eu , par
l'indiscrétion , l'exagération et la fausseté des plaintes
qu'elle renferme ?
" Quant à la conduite du prince-régent , il serait inutile
d'en rien dire , parce que tous les partis s'accordent à louer
la dignité et la modération qu'a montrées S. A. R. en
renvoyant cette affaire à ses conseillers responsables , aidés
d'autres personnages distingués , dans lesquels le public
a la plus grande confiance . Et , bien que M. Whitbread
ait trouvé bon de rappeler les expressions dont se servit
Anne deBoulen quand elle était dans latour et condamnée
à mort , nous ne croyons pas que personne puisse trouver
la moindre ressemblance entre la conduite de Henri VIII
et celle du prince-régent . "
Par le rapprochement et l'analyse de ces pièces , nous
croyons avoir mis le lecteur en état de juger quels sont
en ce moment les rapports de la princesse avec le prince
son époux et avec sa famille , quelle opinion le parlement
a manifestée en ne s'immisçant pas dans cette affaire ,
quelle opinion manifestent les ministres par l'organe du
Courrier, quel effet a pu produire sur la nation la publicité
de semblables documens , et quels résultats de telles discussions
au sein de la famille royale peuvent avoir dans
l'avenir.
Le mardi 23 mars , S. M. l'Empereur et Roi étant sur
son trône , entouré des princes grands-dignitaires , des
ministres , des grands officiers de l'empire , des grandsaigles
, des officiers de sa maison , des membres du sénat
et de ceux du conseil d'état , a reçu une députation du
corps législatif.
Cette députation a été conduite à l'audience par un
maître et un aide des cérémonies , introduite par S. Exc. le
grand-maître , et présentée à S. M. par S. A. S. le prince de
Bénévent , vice-grand-électeur.
S. Exc. M. le comte de Montesquiou , président du corps
législatif , a présenté à S. M. l'adresse suivante :
<< Sire , vos fidèles sujets , les députés des départemens au corps
législatif , nous ont chargés de déposer au pied du trône le nouvel
hommage de leur reconnaissance et de leur fidélité.
MARS1813. 619
- Tandis que de grands intérêts politiques retenaient V. M. si loin
de ses états , elle était toujours présente à leur pensée ; ils s'associaient
par leurs voeux à ces nobles travaux dont leurs enfans partageaient
T'honneur et les périls . Aujourd'hui , comme alors , tous nos coeurs
répondent au vôtre , et l'ont dirait que nos trioniphes n'ont été suspendus
que pour mieux faire connaître l'énergie de votre caractère ,
l'étendue de nos ressources et notre confiance dans V. M.
Oui , Sire , les divers peuples de ce vaste empire . naguères
divisés de moeurs et d'intérêts , réunis par l'honneur et la fidélité , ne
rivalisent plus que de zèle et de dévouement pour V. M. Repoussant
jusqu'à l'idée d'une paix qui pourrait flétrir l'honneur national , aucuns
sacrifices ne leur coûteront pour maintenir l'intégrité de leur
territoire , celui de vos alliés , la prépondérance que vous leur avez
acquise , et pour conquérir une paix glorieuse , la seule digne des
Français et de V. M.
Le corps législatif est heureux et fier d'être l'interprète d'une nation
généreuse qui vous prêtera toujours une assistance sans bornes ,
parce qu'il n'en est point à la reconnaissance que lui inspire tout ce
que V.M. conçoit et exécute pour sa prospérité.
> En effet , ces grands progrès de l'agriculture et des arts , cesimmenses
travaux qui ouvrent de nouvelles routes au commerce et
embellissent nos villes de magnifiques monumens , la création d'une
marine instruite et nombreuse , le maintien de ce système des finances,
sans exemple jusqu'à nos jours , et digne de servir de modèle
aux siècles à venir , sont autant de bienfaits de V. M. envers ses
peuples. Nous retracerons à nos provinces toutes ces merveilles opérées
au milieu des plus grandes occupations de la guerre ; nous leur
dirons que les besoins du trésor et de l'armée sont assurés sans qu'aucune
charge nouvelle leur soit imposée.
>>Tranquilles sur le présent , nous ne redoutons plus pour l'avenir
ces minorités turbulentes , où le partage de l'autorité et l'incertitude
de ses droits ramenaient , comme à des époques déterminées , la
craintedes troubles civils . L'ordre de la régence est fixé comme celui
de la succession , et le coeur d'une mère sera la garde fidèle de son
enfant et de cette grande famille dont la monarchie est toujours l'emblême
.
>> Ainsi se rétablit et s'améliore ce gouvernement tutélaire si cherà
nos aïenx , et avec lui les sentimens généreux qui en ont fait la splendeur.
Ainsi se préparent les jours de la paix dans les travaux qui
peuvent le mieux en assurer les jouissances , et dans les efforts qui
doivent la commander. Puisse cet heureux accord du prince et des
sujets se perpétuer à jamais , devenir la force la plus imposante de
cet empire , le lien le plus heureux de l'autorité et de l'obéissance ,
et le corps législatif obtenir la gloire d'en donner le plus mémorable
exemple !>>>
Sa Majesté a répondu :
«Monsieur le président et messieurs les députés ,
>> Le corps législatif m'a donné , pendant cette courte mais importante
session , des preuves de sa fidélité et de son amour. J'y suis
sensible. Les Français'ont justifié entièrement l'opinion que j'ai
toujours eue d'eux.
›Appelé par la Providence et la volonté de la nation à constituer
620 MERCURE DE FRANCE , MARS 1813.
cet empire, mamarche a été graduelle , uniforme , analogue à l'es
prit des événemens et à l'intérêt de mes peuples. Dans peu d'années
ce grand oeuvre sera terminé , et tout ce qui existe , complètement
consolidé. Tous mes desseins , toutes mes entreprises n'ont qu'un
but: la prospérité de l'Empire ; que je veux soustraire à jamais aux
lois de l'Angleterre.
>> L'histoire , qui juge les nations comme ellejuge les hommes ,
remarquera avec quel calme , quelle simplicité et quelle promptitude,
de grandes pertes ont été réparées ; on peut juger de quels efforts les
Français seraient capables , s'il était question de défendre leur territoire
ou l'indépendance de ma couronne.
>>Nos ennemis ont offert au roi de Danemarck , en compensation
de la Norwége , nos départemens de l'Elbe et du Wéser. Par suite
de ce projet, ils ont ourdi des trames dans ces contrées. Le Danemarck
a rejeté ces propositions insidieuses , dont le résultat était de
le priver de ses provinces , pour lui léguer en échange une guerre
éternelle avec nous .
» J'irai bientôt me mettre à la tête de mes troupes et confondre les
promesses fallacieuses de nos ennemis. Dans aucune négociation ,
l'intégrité de l'Empire n'est ni ne sera mise en question..
ή
4
»Aussitôt que les soins de la guerre nous laisserontun moment de
loisir , nous vous rappellerons dans cette capitale , ainsi que les notables
de notre Empire , pour assister au couronnement de l'Impératrice
, notre bien-aimée épouse , et du prince héréditaire , Roi de
Rome , notre très -cher fils .
>>La pensée de cette grande solennité , à-la-fois religieuse et politique
, émeut mon coeur. J'en presserai l'époque ,pour satisfaire aux
désirs de la France .>>>
Après cette réception , ily a eu audience dans les grands
appartemens .-Le corps législatif a tenu le 25 la séance
qui termine la présente session.
LL. MM. sont restées à Paris, Lundi on a donné Cinna
sur le théâtre de la cour. S....
Le MERCURE DE FRANCE paraît le Samedi de chaque semaine ,
par cahier de trois feuilles . Leprix de lasouscription est de 48francs
pour l'année , de 25francs pour six mois , et de 13francs pour un
trimestre .
Le MERCURE ÉTRANGER paraît à la fin de chaque mois , par
cahier de quatre feuilles. Le prix de la souscription est de 20francs
pour l'année , et de II francs pour six mois . ( Les abonnés au
Mercure de France , ne paient que 18 fr. pour l'année, et 10 fr. pour
six mois de souscription au Mercure Etranger.)
On souscrit tant pour le Mercure de France que pour le Mercure
Étranger, au Bureau du Mercure , rue Hautefeuille , nº 23; et ches
les principaux libraires de Paris , des départemens et del'étranger ,
ainsi que chez tous les directeurs des postes .
Les Ouvrages que l'on voudra faire annoncer dans l'un ou l'autre
de ces Journaux, et les Articles dont on désirera l'insertion , devront
être adressés ,francs de port , à M. le Directeur-Général du Mercure,
àParis.
1 TABLE
-
+
4
ا
=
DU TOME CINQUANTE - QUATRIÈME .
i
POÉSIE .
LIES Médailles .- Epitre ; parM. Chaudruc .
*La Maison des Champs ; par M. deKérivalant.
Ode à M. Lemaire ; par M. Lalannes.
1
Page3
49
52
Le voeu du Loup. Fable ; par M. Lefilleul...
Discours imité de Tite-Live; par M. Fréd. Batré.
53
97
Le Paon et le Choucas . Fable ; par M. Boinvilliers. 99
1
Ode à M. Lemaire ; par M. Barjaud. : 145
Un défaut de l'amour; par M. Réné Tredos.
Invocation , traduite du rer liv. de Lucrèce ; par M. Pascal.
148
193
1
Les Sermens trompeurs. Chanson ; par feu de Verneuil. 197
Milon. Idylle imitée de Gessner; par M. Mouffle. 241
Traduction d'une épigramme de Martial ; par M. de Cazenove. 243
La Lanterne sourde. Fable ; par M. Lefilleul. 244
Epitre à M. Creuzé de Lesser; par M. Charles Mullot. 289
Madame de la Vallière. Romance ; par M. Vieillard.
337
AMme Victorine M***.
338
Réponse à M. Charles Mullot ; par M. Creuzé de Lesser.
La valeur française aux 18e et 19e siècles. Fragment d'un
339
• poëme ; par M. Chambelland.
385
Aune vieille Coquette ; par M. Dupuydes Islets.
389
AMile Bigotini ; par le même.
390
Fragmens inédits ; par M. Chaussard.. 433
1
Traductionde Martial; par M. Cazenove.
439
Amiss Clarke ; par M. Dupuy des Islets.
482
Portrait d'une petite chiennes par M. de Kéripalant.
482
Les avantages du talent ; par le même. 483
622 TABLE DES MATIÈRES .
Les Masques ; par M. Eusèbe Salverte . 484
Traits de l'histoire ancienne et moderne ; par M. Eugène Gossuin . 529
La Mort du Tasse. Poëme élégiaque ; par M. Fayolle.
Le Printems malheureux. Stances ; par M. Planard.
Imitation de Martial ; par M. L. Damin .
Le Convoi magnifique. Epigramme ; par le même .
A Mademoiselle Paulin , de l'Académie impériale de Musique ;
par M. F.
577
580
581
Ib.
16 .
Enigmes , 10 , 53 , 100 , 148 , 198,244,297,340 , 391,439,484 ,
531,582 .
Logogriphes , 10,54,100,149,198,245,297,341 , 391,440 ,
485 , 532 , 582 .
532,583 .
Charades , 11 , 54 , 100 , 151 , 199 , 245, 298 , 341 , 392 , 440 , 486,
:
SCIENCES ET ARTS .
Doctrine générale des maladies chroniques ; par M. Charles-
Louis Dumas . ( Extrait. )
1
152
Composition mathématique de Claude Ptolemée ; traduite par
M. Halma . ( Extrait . ) 200
Description des maladies de la peau ; par J. L. Alibert . ( Extr . ) 204
Des vers à soie et de leur éducation ; par M. Reynaud. ( Extr. ) 393
Tableau méthodique des espèces minérales ; par M. J. A. H.
Lucas . (Extrait. )
.(' :
441
Des maladies aiguës des femmes en couche'; par M. Gastelier.
1
(Extrait . )
1
583
1
LITTÉRATURE ET BEAUX - ARTS .
OEuvres de Le Brun. ( Quatrième et dernier extrait . )
Poésies de P. Dorange . ( Extrait . )
Salon de 1812 .
Les Bergères de Madian ; par Mme de Genlis. (Extrait. )
La mort de Pythagore ; par Mme Antoinette Legroing.
La Gaule poétique ; par M. Marchangy. (Fragment. )
Le Glaneur; par M. Jay. ( Extrait.)
OEuvres de Bertin . ( Extrait . )
Cours de poétique sacrée ; par le docteur Lowth . ( Extrait. )
12,63
22
25
55
78
ΙΟΙ
106
116
158
TABLE DES MATIÈRES. 623
Fables ; pariA.K. Arnault. ( Extrait . ) 164
OEuvres de Mmes de La Fayette , de Tencin et de Fontaines.
(Extrait. ) 170 , 258 , 448
Esprit de Sophie Arnould. ( Extrait . ) 179
Histoire dittéraire de l'Italie ; par M. Ginguené. ( 3me Extrait. ) 207
Alınanach des Muses de 1812. ( Extrait.') 219,251
Commentaire sur la 4me Eglogue de Virgile ; par M. Chaudru de
3
Crazannes . 246
Théâtre de L. B. Picard . membre de l'Institut. (Extr. ) 263, 358, 456
Les Princes rivaux , ou Mémoires de mistress Mary-Anne Clarke.
(Extrait. ) 299
Vies des poëtes français du siècle de Louis XIV; par M. F.
Guizot. ( Extrait. ) 300
Théâtre de La Fontaine . ( Extrait . ) 307
Les Parens de circonstance. Conte ; par M. Adrien de Sarrazin. 312
La Gaule poétique ; par M. Marchangy. ( Extrait. ) 342
La Feuille des gens du monde ; par Mme de Genlis . ( Extrait . ) 362
✓ Voyages en Russie , etc .; par Clarke. ( Extrait. ) 397
Des moyens de prévenir la décadence de l'art du Comédien ; par
.M. Dumaniant. ( Extrait. )
i
404
Nouvel Almanach des Muses . ( Extrait. ) 413
Souvenirs et Portraits ; par M. de Lévis . ( Extrait . ) 487
Arnoldiana. ( Extrait . ) 495
Les Chevaliers de la Table Ronde. ame édit. (Extrait . )
Narcisse dans l'ile de Vénus ; par Malfilâtre . ( Extrait. )
503
539
Lecture des Fables de M. Arnault à l'école de Sorèze. 543
Mauvaise tête et bon coeur. Nouvelle ; par M. Adrien de Sarrazin
. 551
1
De l'Etude des hiéroglyphes ; par M. Giraud. (Extrait . ) 584
i
OEuvres choisies de Saurin. ( Extrait. ) 589
L'Abbaye de Saint-Oswithe . ( Extrait. ) 593
VARIÉTÉS.
Revue littéraire et critique . 30,270,369,417,596
Nécrologie.
Lettres aux Rédacteurs .
Institut impérial de France .
34,184,567
36 , 120, 605
122
Sociétés savantes et littéraires . 124 , 185 , 420 , 518
BIBL. UMTV,
GENT
624 TABLE DES MATIÈRES.
Spectacles.-Académie impériale de Musique.-Le Laboureur
Chinois.
Théâtre Français . - L'Avis aux Mères .
Typoo-Saëb , tragédie.
L'Intrigante.
Odéon.- Washington ou les Représailles .
Le Voyageur Malencontreux.
Le Temporiseur .
Opéra-Comique.- Le Séjour Militaire .
Opera Seria et Buffa,-Romeo e Giuletta.
Axur re d'Ormus .
Le NozzediDorina.
Vaudeville.
9
Robert le Diable , etc.
La Tour de Witikind .
Le Cimetière du Parnasse .
Cadet-Roussel Esturgeon..
POLITIQUE. :
371
229
276
517, 561
87
319
565
515
419
506
604
182
38r
517
518
Evénemens historiques. 39 , 89 , 127 , 186 , 232, 282, 322, 376,424,
467,521 , 568 , 609.
ANNONCES.
Livres nouveaux. 46, 140 , 189 , 239 , 288 , 335 , 382 , 430 , 527,
576.
Finde la Table du tome cinquante-quatrième .
Qualité de la reconnaissance optique de caractères