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1807, 07-09, t. 29, n. 311-323 (4, 11, 18, 25 juillet, 1, 8, 15, 22, 29 août, 5, 12, 19, 26 septembre)
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MERCURE
LA
DE
DE FRANCE
5 .
cen
JOURNAL
HISTORIQUE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
TOME VINGT - NEUVIÈME.
VIRESACQUIRIT
EUNDO
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DE LE NORMANT,
1807.
(RECAP
)
.6345
1807
(No. CCCXI . )
(SAMEDI 4 JUILLET 1807.)
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
LA ROSE COQUETTE ,
ODE ANACKÉONTIQUE.
DEJAdansleseind'Amphitrite
L'astredu jour se précipite,
Entouré de nuages d'or :
Les derniers pas de sa carrière
Jettent des restes de lumière
Dont l'Olympe jouit encor.
Cependant l'humide rosée
Rafraîchit la terre embrasée;
Zéphyr voltige au bord des eaux;
Et s'élevant du sein des plaines ,
Déjà les vapeurs incertaines
Blanchissent le front des coteaux.
Vesper s'avance : il va répandre
Cetteclarté paisible et tendre
Qui semble caresser les yeux.
Zirphé , c'est l'heure du mystère,
Viens goûter le frais solitaire
De nos bosquets délicieux.
529730
A2
4
MERCURE
DE FRANCE
;
Viens voir cette Rose adorée
Que Flore même avoit parée
Des rayons les plus éclatans .
L'Aurore aimoit à lui sourire ,
Et sembloit lui donner l'empire
Des autres filles du Printemps .
'Alors de sa robe brillante
Tu vis la pourpre étincelante
S'embellir des feux du soleil ;
Et les Zéphyrs les plus volages
Fixer leurs folâtres hommages
Au pied de son trône vermeil .
Fière , et dédaignant leur conquête ,
Sans cesse elle miroit sa tête
Dans la glace errante des eaux ;
Et le cristal de nos fontaines
Promettoit encore à ses chaînes
Une foule d'amans nouveaux .
Dieux , que cette Rose est changée !
Amour , que ta flamme est vengée !
Quels traits ! Quelle obscure pâleur !
Aux miroirs de l'Onde ingénue
Elle -même s'est méconnue ;
Et l'Onde rit de sa douleur .
Plus d'amans ! L'ingrate en soupire ;
Sa pourpre et son orgueil expire :
Une Parque en a triomphé.
L'ombre éteint cette beauté vaine ,
Dont l'éclat ne cédoit qu'à peine
A l'éclat même de Zirphé.
O Zirphé , Rose que j'adore ,
Jouis des plaisirs de l'Aurore;
N'attends pas les ombres du soir !
Rien n'enchaîne le Temps volage :
Préviens la fuite du bel âge
Et les insultes du miroir.
Par M. LE BRUN, de l'Académie Française.
JUILLET 1807 . 5
LE PROJET ILLUSOIRE.
AIR : J'étois bon chasseur autrefois .
Je n'avois pas encore quinze ans
Que je rendois hommage aux belles ;
A force de soins complaisans ,
J'en rencontrai peu de rebelles .....
J'aimois Chloé , Rose et Philis ,
Etje disois : « Je me réserve,
>> Quand j'aurai vingt ans accomplis ,
>> De quitter Vénus pour Minerve .>>
O mes amis ! je ne sais trop
Comment les trois Parques filèrent;
Mais un beau matin au galop
Ces maudits vingt ans m'arrivèrent ,
Et je me dis : « Viennent trente ans ,
>> Je serai chaste , sobre , austère ....
>> Mais jusque-là passons le temps
>> Au fond des bosquets de Cythère . >>>
Trente ans à leur tour ont sonné;
Hélas ! j'ai fait la sourde oreille ,
Et près du beau sexe , étonné ,
J'ai brûlé d'une ardeur pareille....
Mais je disois confidemment
Atous les faiseurs d'épigrammes :
« A quarante ans , probablement ,
>> Je saurai renoncer aux dames . >>
Les quarante ans me sont venus,,
Et je me suis dit : « Peu m'importe;
>> Auprès de moi gardons Vénus ;
>> Que Minerve attende à la porte.
>> Mon corps n'est point encor perclus ,
>> Et mon coeur a tout son courage :
>> Quand j'aurai deux lustres de plus,
>> Je fais serment d'être bien sage . »
J'ai mes cinquante ans révolus,
Et Minerve , dans sa colère ,
3
6
MERCURE DE FRANCE,
Me dit tous les jours : « Sois confus ,
>> Et renonce à l'espoir de plaire. >>
Mais je réponds d'un ton craintif,
Que, n'en pouvant bannir l'envie ,
J'ai pris le parti décisif
D'aimer le reste de ma vie.
• ENIGME.
M. DE PIIS.
Je suis blanche; j'aime la nuit :
Je dois vous l'avouer , un trop grand jour me nuit.
Quoique je sois sans sentiment, sans ame,
Souvent pour vous un feu m'enflamme,
Me con ume jusqu'à 'a mort:
Et ma soeur, après moi , subit le même sort .
LOGOGRIPHE.
ro
Je sers au parfumeur comme au pharmacopole;
Chez l'épicier je jone aussi semblable rôle.
Qui passe par chet moi certes est bien petit,
Etbien fin: néanmoins, sans faire un certainbruit
Onn'y peut parvenir. Pour me faire connoître,
Disons qu'en cing on désunit mon être.
Mais pour ines chers lecteurs . si ce n'est point asser,
On doit trouver en moi , supprimant mes côtés ,
Unde ceux qui , s'ils n'ont que l'intérêt pour guide,
Sous un air de andeur cachent un cooeur perfide.
Un's et tenversés , mes ôtés sont vraiment
Unterme indéclinable et silence imposant.
Dan mon tout co biné , saus etre sur le Pinde,
On découvre aisément un royaume de l'Inde,
Avec une c té portant le même nom
Deux tons de la musique , une conjonction ;
Un terme au jeu d'échecs, ainsi que de marine;
Unmois des plus rians . Adieu , lecteur , devine.
CHARADE.
On met le crime à mon entier ,
1
Etmon dernier
Dans mon premier.
دو
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° . est OEuf.
Celui du Logogriphe est Politique , où l'on trouvepol,poil, optique ,
pique , top que, lit, poli.
Celui de la Charade est Sou-brette.
JUILLET 1807. 7
Voyage pittoresque et historique de l'Espagne; par
M. de Laborde. (1 )
(Ite et II Livraisons. )
ILya des genres de littérature qui semblent appartenir à
certaines époques de la société : ainsi la poésie convient
plus particulièrement à l'enfance des peuples , et l'histoire
à leur vieillesse . La simplicité des moeurs pastorales ou la
grandeur des moeurs héroïques veulent être chantées sur
la lyre d'Homère; la raison et la corruption des nations
civilisées demandent le pinceau de Thucydide. Cependant
la Muse a souvent retracé les crimes des hommes ; mais il
y a quelque chose de si beau dans le langage du poète ,
que les crimes mêmes en paroissent embellis : l'historien
seul peut les peindre sans en affoiblir l'horreur. Lorsque ,
dans le silence de l'abjection , l'on n'entend plus retentir
que la chaîne de l'esclave et la voix du délateur ; lorsque
tout tremble devant le tyran , et qu'il est aussi dangereux
d'encourir sa faveur que de mériter sa disgrace , l'historien
paroît , chargéde la vengeance des peuples. C'est envainque
Néron prospère, Tacite est déjà né dans l'Empire; il croît
inconnu auprès des cendres de Germanicus , et déjà l'intègre
Providence a livré à un enfant obscur la gloire du
maître du Monde. Bientôt toutes les fausses vertus seront
démasquées par l'auteur des Annales ; bientôt il ne fera
voir dans le tyran déifié que l'histrion , l'incendiaire et le
parricide : semblable à ces premiers Chrétiens d'Egypte ,
qui , au péril de leurs jours , pénétroient dans les temples
de l'idolâtrie , saisissoient au fond d'un sanctuaire ténébreux
la Divinité que le Crime offroit à l'encens de la Peur , et
traînoient à la lumière du soleil , au lieu d'un Dieu , quelque
monstre horrible .
(1) L'ouvrage entier aura soixante ou soixante-dix livraisons qui formeront
quatre volumes grand in-folio. Chaque livraison sera composée de
trois feuilles de texte , et de six feuilles de gravures, dont quelques-unes
contienfront plusieurs sujets . On fera paroître une livraison toutes les six
semaines. Le prix de chaque livraison est , pour les sonscripteurs , enpapier
fin, de 21 fr.; pap. vélin, 36 fr.; figures avant la lettre, 60 fr. On souscrit
à Paris, au bureau du Voyage pittoresque de l'Espagne, chez l'éditeur ,
M. Ant. Boudeville, peintre de S. M. C., rue Saint-Pierre-Montmartre ,
no. 9, où lon pourra voir la plupart des dessins et des estampes; chez
P. Dudut l'aîné ; Nicolle et comp .; Bossange, Massonet Besson ; et chez
le Normant. A Lyon , chez Ballanche père et fils; et à Madrid, chez
PCastillo. 4
8 MERCURE DE FRANCE ,
Mais si le rôle de l'historien est beau , il est souvent dangereux
! Il ne suffit pas toujours , pour peindre les actions des
hommes , de se sentir une ame élevée , une imagination
forte , un esprit fin et juste , un coeur compatissant et sincère
: il faut encore trouver en soi un caractère intrépide ;
il faut être préparé à tous les malheurs , et avoir fait d'avance
le sacrifice de son repos et de sa vie .
Toutefois , il est des parties dans l'histoire qui ne demandent
pas le même courage dans l'historien. Les Voyages
par exemple , qui tiennent à la fois de la poésie et de l'histoire
, comme celui que nous annonçons , peuvent être écrits
sans péril . Et néanmoins les ruines et les tombeaux révèlent
souvent des vérités qu'on n'apprendroit point ailleurs ; car
la face des lieux ne change pas comme le visage des hommes
: Non ut hominum vultus , ita locorumfacies mutantur.
L'antiquité ne nous a laissé qu'un modèle de ce genre
d'histoire , c'est le Voyage de Pausanias ; car le Journal
de Néarque , et le Périple d'Hannon , sont des ouvrages
d'un ordre différent. Si la gravure eût été connue du temps
de Pausanias , nous posséderions aujourd'hui un trésor
inestimable ; nous verrions en entier , et comme debout ,
ces temples dont nous allons encore admirer les débris . Les
voyageurs modernes n'ont songé qu'assez tard à fixer , par
l'art du dessin , l'état des lieux et des monumens qu'ils avoient
visités . Chardin , Pococke et Tournefort sont peut- être les
premiers qui aient eu cette heureuse idée. Avant eux , on
trouve , il est vrai , plusieurs relations ornées de planches ;
mais le travail de ces planches est aussi grossier qu'il est
incomplet. Le plus ancien ouvrage de cette espèce que
nous nous rappellions , est celui de Monconys ; et cependant
, depuis Benjamin de Tulède jusqu'à nos jours , on
peut compter à peu près cent trente-trois voyages exécutés
dans la seule Palestine .
C'est à M. l'abbé de Saint-Nom et à M. de Choiseul-Gouffier
qu'il faut donc rapporter l'origine des Voyages pittoresques
proprement dits. Il est bien à desirer pour les arts que
M. de Choiseul achève son bel ouvrage , et qu'il reprenne
des travaux trop long-temps suspendus par des malheurs :
les amis de Cicéron cherchoient à le consoler des peines
de la vie en lui remettant sous les yeux le tableau des ruines
de la Grèce .
L'Italie , la Sicile , l'Egypte , la Syrie , l'Asie- Mineure ,
la Dalmatie , ont eu des historiens de leurs chefs-d'oeuvre ;
on compte une foule de tours ou de Voyages pittoresques
d'Angleterre ; les monumens de la France sont gravés : il
:
JUILLET 1807 . 9
ne restoit plus que l'Espagne à peindre , comme le remarque
M. de Laborde.
Dans une Introduction écrite avec autant d'élégance que
de clarté , l'auteur trace ainsi le plan de son Voyage :
»
« L'Espagne est une des contrées les moins connues de
l'Europe , et celle qui renferme cependant le plus de
» variété dans ses monumens , et le plus d'intérêt dans son
>> histoire .
» Riche de toutes les productions de la nature , elle est
» encore embellie par l'industrie de plusieurs âges , et le
» génie de plusieurs peuples . La majesté des temples ro-
» mains y forme un contraste singulier avec la délicatesse
» des monumens arabes , et l'architecture gothique avec la
» beauté simple des édifices modernes .
» Cette réunion de tant de souvenirs , cet héritage de tant
» de siècles , nous force à entrer dans quelques détails sur
» l'histoire de l'Epagne , pour indiquer la marche que l'on
» a adoptée dans la description du pays. »
L'auteur , après avoir décrit les différentes époques ,
ajoute :
»
« Telle est l'esquisse des principaux événemens qui firent
passer l'Espagne sous différentes dominations . Les révolu-
» tions , les guerres et le temps n'ont pu détruire entière-
» ment les monumens qui ornent cette belle contrée , et les
arts de quatre peuples différens qui l'ont tour-à-tour em-
» bellie .
» C'est aussi ce qui nous a engagé à diviser la description
» de l'Espagne en quatre parties , contenant chacune les pro-
» vinces dont les monumens ont le plus d'analogie entre
eux , et se rapportent aux quatre époques principales de
» son histoire ..
» Ainsi le premier volume comprendra la Catalogne ,
» royaume de Valence , l'Estramadoure , où se trouvoient
Tarragone , Sagonte , Merida , et la plupart des autres
» colonies romaines et carthaginoises ; il sera précédé d'une
» notice historique sur les temps anciens de l'Espagne.
»
» Le second volume renfermera les antiquités de Gre-
»> nade et de Cordoue , et la description du reste de l'An-
» dalousie , séjour principal des Maures ; il sera précédé
» d'un abrégé de l'histoire de ces peuples , tirée en partie des
» manuscrits arabes de l'Escurial .
>>
» Le troisième , consacré principalement aux édifices
gothiques , tels que les cathédrales de Burgos , de Vallado-
» lid , de Léon , de S. Jacques de Compostelle , offrira aussi
» les contrées sauvages des Asturies , l'Aragon , la Navarre ,
10 MERCURE DE FRANCE ,
> la Biscaye; et sera précédé de recherches sur les arts en
>>>Espagne , avant le siècle de Ferdinand et d'Isabelle,
» Le quatrième volume , en retraçant les beautés de
>>Madrid et des environs , renfermera de plus tout ce qui
>> peut servir à faire connoître la nation espagnole , telle
» qu'elle est aujourd'hui: les fêtes , les danses , les usages
> nationaux. Ce volume comprendra également l'histoire
>>des arts , depuis leur renaissance , sous Ferdinand et Isa-
>>belle , Charles Ier et Philippe II , jusqu'à nos jours ; il
> donnera une connoissance suffisante dela peinture espa-
>> gnole , et des chefs-d'oeuvre qu'elle a produits : onyajou-
>>tera quelques détails sur le progrès des sciences et de la
>>littérature en Espagne.>>>
:
On voit , par cet exposé , que l'auteur a conçu son plan
de la manière la plus heureuse , et qu'il pourra présenter
sans confusion une immense galerie de tableaux. M. de
Laborde a été favorisé dans ses études ; il a examiné les
monumens des arts chez un peuple noble et civilisé ; il
les a vus dans cette belle Espagne , où du moins la foi et
Phonneur sont restés lorsque la prospérité et la gloire
ont disparu ; il n'a point été obligé de s'enfoncer dans
ces pays jadis célèbres , où le coeur du voyageur est flétri
à chaque pas , où les ruines vivantes détournent votre
attention des ruines de marbre et de pierre. C'est un
enfant tout nu , le corps exténué par la faim , le visage
défiguré par la misère , qui nous a montré , dans un
désert , les portes tombées de Mycènes et le tombeau
d'Agamemnon (1 ). EEnn vain , dans le Péloponèse , on
veut se livrer aux illusions des Muses : la triste vérité
vous poursuit. Des loges de boue desséchée , plus propres
à servir de retraite à des animaux qu'à des hommes ; des
femmes et des enfans en haillons , fuyant à l'approche de
l'étranger et du janissaire ; les chèvres meines effrayées se
dispersant dans la montagne , et les chiens restant seuls
pour vous recevoir avec des hurlemens : voilà le spectacle
qui vous arrache au charme des souvenirs. La
Morée est déserte : depuis la guerre des Russes , le joug
des Turcs s'est appesanti sur les Moraïtes ; les Albanais
ont massacré une partie de la population ; on ne voit de
toutes parts que des villages détruits par le fer et par le
(1) Nous avons découvert un autre tombeanà Mycènes , peut-être celui
de Thyestes ou de Clytemnestre. ( Voyez Pausanias.) Nous l'avons
indiqué à M. Fauvel.
JUILLET 1807.
fen; dans les villes , comme à Mistra (1) , des faubourgs
entiers sont abandonnés ; nous avons souvent fait quinze
lieues dans les campagnes , sans rencontrer une seule habitation.
De criantes avanies , des outrages de toutes les
espèces , achevent de détruire dans la patrie de Léonidas
l'agriculture et la vie. Chasser un paysan grec de sa cabane ,
s'emparer de sa femme et de ses enfans , le tuer sur le plus
léger prétexte, est un jeu pour le moindre aga du plus petit
village. LeMoraïte , parvenu au dernier degré du malheur,
s'arrache de son pays , et va chercher en Asie un sort
moins rigoureux ; mais il ne peut fuir sa destinée : il
retrouve des cadis et des pachas jusque dans les sables du
Jourdain et les déserts de Palmyre.
Nous ne sommes point un de ces intrépides admirateurs
de l'antiquité , qu'un vers d'Homère consolede tout. Nous
n'avons jamais pu comprendre le sentiment exprimé par
Lucrèce:
Suave mari magno , turbantibus æquora ventis
Eterra magnum alterius spectare laborem.
Loin d'aimer à contempler du rivage le naufrage des
autres , nous souffrons quand nous voyons souffrir des
hommes. Les Muses n'ont alors sur nous aucun pouvoir ,
hors celle qui attire la pitié sur le malheur, A Dieu ne
plaise que nous tombions aujourd'hui dans ces déclamations
sur la liberté et l'esclavage , qui ont fait tant de
mal à la patrie ! Mais si nous avions jamais pensé avec des
hommes, dont nous respectons d'ailleurs le caractère et les
talens , que le gouvernement absolų est le meilleur des gouvernemens
possibles , quelque mois de séjour en Turquie
nous auroient bien guéri de cette opinion.
Les monumens n'ont pas moins à souffrir que les hommes
de la barbarie ottomane. Un épais Tartare habite aujourd'hui
la citadelle remplie des chefs-d'oeuvre d'Ictinus et de
Phidias , sans daigner demander quel peuple a laissé ces
débris , sans daigner sortir de la masure qu'il s'est bâtie
sous les ruines des monumens de Périclès. Quelquefois seulement
le tyran-automate se traine à la porte de sa tanière :
assis les jambes croisées sur un sale tapis , tandis que la
fumée de sa pipe monte à travers les colonnes du temple de
(1) Mistra n'est point Sparte. Cette dernière ville se retrouve au village
deMagoula, à une lieue et demie de Mistra. Nous avons compté àSparte
dix-sept ruines hors de terre , la plupart au midi de la citadelle , sur le
chemin d'Amyclée.
12 MERCURE DE FRANCE ,
Minerve , il promène stupidement ses regards sur les rives
de Salamine et la mer d'Epidaure. Nous ne pourrions peindre
les divers sentimens dont nous fûmes agités , lorsqu'au
milieu de la première nuit que nous passâmes à Athènes ,
nous fûmes réveillés en sursaut par le tambourin et la musette
turque , dont les sons discordans partoient des combles des
Propylées : en même temps un prêtre musulman chantoit
en arabe l'heure passée à des Grecs chrétiens de la ville de
Minerve. Ce derviche n'avoit pas besoin de nous marquer
ainsi la fuite des ans , sa voix seule dans ces lieux annonçoit
assez que les siècles s'étoient écoulés .
Cette mobilité des choses humaines est d'autant plus frappante
pour le voyageur , qu'elle est en contraste avec l'immobilité
du reste de la nature : comme pour insulter à l'instabilité
des peuples , les animaux même n'éprouvent ni
révolution dans leurs empires , ni changemens dans leurs
moeurs . Le lendemain de notre arrivée à Athènes , on nous
fit remarquer des cigognes qui montoient dans les airs , se
formoient en bataillon , et prenoient leur vol vers l'Afrique .
Depuis le règne de Cécrops jusqu'à nos jours , ces oiseaux
ont fait chaque année le même pélerinage , et sont revenus
au même lieu . Mais combien de fois ont-ils retrouvé dans
les larmes , l'hôte qu'ils avoient quitté dans la joie ! Combien
de fois ont-ils cherché vainement cet hôte , et le toit même
où ils avoient accoutumé de bâtir leurs nids !
Depuis Athènes jusqu'à Jérusalem , le tableau le plus
affligeant s'offre aux regards du voyageur : tableau dont
l'horreur toujours croissante est à son comble en Egypte .
C'est là que nous avons vu cinq partis armés se disputer des
déserts et des ruines (1 ) . C'est là que nous avons vu l'Albanais
coucher en joue de malheureux enfans qui couroient
se cacher derrière les débris de leurs cabanes , comme
accoutumés à ce terrible jeu. Sur cent cinquante villages
que l'on comptoit au bord du Nil , en remontant de
(1) Ibraïm-Bey dans la Haute-Egypte , deux petits beys indépendans ,
le pacha de la Porte au Caire , un parti d'Albanais insurgés , et El-fy-Bey
dans la Basse-Egypte. Il y a un esprit de révolte dans l'Orient, qui rend
les voyages difficiles et dangereux : les Arabes tuent aujourd'hui les voyageurs
qu'ils se contentcient de dépouiller autrefois. Entre la Mer Morte
et Jérusalem , dans un espace de 14 lieues . nous avons été attaqués deux
fois, et nous essuyâmes sur le Nil la fusillade de la ligne d'El-fy-bey.
Nous étions dans cette dernière affaire avec M. Caffe , négociant de
Rosette , qui , déjà sur l'âge , et père de famille ,'n'en risqua pas moins,
sa vie pour nous avec la générosité d'un Français . Nous le nommons avec
d'autant plus de plaisir , qu'il a rendu beaucoup de services à tous nos
compatriotes qui ont eu besoin de ses secours .
۱
JUILLET 1807 . 13
Rosette au Caire , il n'y en a pas un seul qui soit entier.
Une partie du Delta est en friche : chose qui ne s'étoit
peut-être jamais rencontrée depuis le siècle où Pharaon
donna cette terre fertile à la postérité de Jacob ! La plupart
des Fellahs ont été égorgés ; le reste a passé dans la Haute-
Egypte . Les paysans qui n'ont pu se résoudre à quitter
leurs champs , ont renoncé à élever une famille. L'homine
qui naît dans la décadence des empires , et qui n'aperçoit
dans les temps futurs que des révolutions probables , pourroit-
il en effet trouver quelque joie à voir croître les héritiers
d'un aussi triste avenir ? Il y a des époques où il
faut dire avec le prophète : Bien heureux sont les
>>> morts ! >>>
«
M. de Laborde ne sera point obligé , dans le cours de
son bel ouvrage , de tracer des tableaux aussi affligeans.
Dès les premiers pas il s'arrête à d'aimables , à de nobles
souvenirs. Ce sont les pommes d'or des Hespérides , c'est
cette Bétique chantée par Homère, et embellie par Fénélon .
« Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile , et sous un
>> ciel doux , qui est toujours serein .... Ce pays semble
>>> avoir conservé les délices de l'âge d'or (1 ) , etc..... »
Paroît ensuite cet Annibal dont la puissante haine franchit
les Pyrénées et les Alpes , et ne fut point assouvie dans le
sang des milliers de Romains massacrés à Cannes et à Trasymène.
Scipion commença en Espagne cette noble carrière
dont le terme et la récompense devoient être l'exil et
la mort dans l'exil . Sertorius lutta dans les champs ibériens
contre l'oppresseur du monde et de sa patrie. Il vouloit marcher
à Scylla , et
... Aubord du Tibre , une pique à la main ,
Lui demander raison pour le peuple romain.
Il succomba dans son entreprise ; mais il est probable qu'il
n'avoit point compté sur le succès. Il ne consulta que son
devoir et la sainteté de la cause qu'il restoit seul à défendre .
Il y a des autels , comme celui de l'honneur , qui bien
qu'abandonnés réclament encore des sacrifices : le Dieu
n'est pas anéanti , parce que le temple est désert. Partout où il
reste une chance à la fortune , il n'y a point d'héroïsme à la
tenter . Les actions magnanimes sont celles dont le résultat
prévu est le malheur et la mort. Après tout , qu'importent
les revers , si notre nom prononcé dans la postérité va faire
battre un coeur généreux deux mille ans après notre vie ?
Nous ne doutons point que du temps de Sertorius , les ames
( 1) Télémaque.
14 MERCURE DE FRANCE ,
pusillanimes qui prennent leur bassesse pour de la raison ,
ne trouvassent ridicule qu'un citoyen obscur osât lutter seul
contre toute la puissance de Scylla. Heureusement la postérité
juge autrement des actions des hommes : ce n'est pas
ła lâcheté et le vice qui prononcent en dernier ressort sur le
courage et la vertu.
Cette terre d'Espagne produit si naturellement les grands
coeurs , que l'on vit le Cantabre belliqueux , bellicosus Can
taber, défendre à son tour sa montagne , contre les légions
d'Auguste ; et le pays qui devoit enfanter un jour le Cid
et les chevaliers sans peur , donna à l'univers romain
Trajan , Adrien et Théodose.
Après la description des monumens de cette époque ,
M. de Laborde passera aux dessinsdes monumens moresques:
c'est la partie la plus riche et la plus neuve de son sujet. Les
palais de Grenade nous ont intéressés et surpris , même
après avoir vu les mosquées du Caire , et les temples d'Athènes.
L'Alhambra semble être l'habitation des génies :
c'est un de ces édifices des Mille et Une Nuits , que l'on
croit voir moins en réalité qu'en songe. On ne peut se faire
une juste idée de ces plâtres moulés et découpés à jour , de
cette architecture de dentelles , de ces bains , de ces fontaines
, de ces jardins intérieurs , où des orangers et des
grenadiers sauvages se mélent à des ruines légères . Rien
n'égale la finesse et la variété des arabesques de l'Alhambra.
Les murs chargés de ces ornemens ressemblent à ces
étoffes de l'Orient , que brodent, dans l'ennui du harem , des
femmes esclaves. Quelque chose de voluptueux , de religieux
et de guerrier fait le caractère de ce singulier édifice ,
espèce de cloîtres de l'amour , où sont encore retracées
les aventures des Abencerrages ; retraites où le plaisir et
la cruauté habitoient ensemble , et où le roi maure faisoit
souvent tomber dans le bassin de marbre , la tête char
mante qu'il venoit de caresser. On doit bien desirer qu'un
talent délicat et heureux nous peigne quelque jour ces lieux
magiques. Nous en avons l'espérance.
La troisième époque du Voyage Pittoresque d'Espagne
renfermera les monumens gothiques. Ils n'ont pas la pu
reté de style et les proportions admirables de l'architecture
grecque et toscane , mais leurs rapports avec nos moeurs
leur donnent un intérêt plus touchant. Nous nous rappellerons
toujours avec quel plaisir , en descendant dans l'île
de Rhodes , nous trouvames une petite France au milieu
de la Grèce :
Procedo , et parvam Trojam , simulataque magnis
Pergama , etc.
JUILLET 1807 . 15
Nous parcourions avec un respect mêlé d'attendrissement,
une longue rue , appelée encore la rue des Chevaliers : elle
est bordée de palais gothiques; et les murs de ces palais
sont parsemés des armoiries des grandes familles de France
et de devises en gaulois. Plus loin , est une petite chapelle
desservie pardeux pauvres religieux : elle est dédiée à Saint-
Louis , dont on retrouve l'image dans tout l'Orient , et dont
nous avons vu le lit de mort à Carthage. Les Turcs , qui
ontmutilé partout les monumens de la Grèce , ont épargné
ceux de la chevalerie : l'honneur chrétien a étonné la bravoure
infidèle , et les Saladins ont respecté les Couci.
Eh quand on a été assez heureux pour recevoir le jour
dans le pays de Bayard et de Turenne , pourroit-on être
indifférent à la moindre des circonstances qui en rappelle le
souvenir ? Nous nous trouvions à Béthléem , prêts à
partir pour la Mer Morte , lorsqu'on nous dit qu'il y avoit
un Père français dans le couvent. Nous desirâmes le voir.
Onnous présenta un homme d'environ quarante-cinq ans
d'une figure tranquille et sérieuse. Ses premiers accens nous
firent tressaillir ; car nous n'avons jamais entendu chez
l'étranger, le son d'une voix française , sans une vive émotion;
nous sommes toujours prêts à nous écrier comme
Philotète :
* Ω φίλτατον φωνημα φεῦ το κὶ λαβων
προσφδεγμα τοιγδ' ανδρος εν χρονω μακρω.
..... Après un si long-temps.......
Oque cette parole à monoreille est chère!
,
Nous fimes quelques questions à ce religieux. Il nous,
dit qu'il s'appeloit le Père Clément , qu'il étoit des environs
de Mayenne; que se trouvant dans un monastère en Bretagne
, il avoit été déporté en Espagne avec une centaine
de prêtres comme lui ; qu'ayant reçu d'abord l'hospitalité
dans un couvent de son Ordre , ses supérieurs l'avoient
ensuite envoyé missionnaire en Terre - Sainte. Nous lui
demandâmes s'il n'avoit point d'envie de revoir sa patrie ,
et s'il vouloit écrire à sa famille; il nous répondit avec un
sourire amer : « Qui est-ce qui se souvient en France d'un
>> capucin ? Sais-je si j'ai encore des frères et des soeurs ?
> Monsieur , voici ma patrie. J'espère obtenir par le mé-
> ritede laCrêche de mon Sauveur, la force de mourir ici ,
> sans importuner personne , et sans songer à un pays où
> je suis depuis long-temps oublié. »
L'attendrissement du Père Clément devint si visible à
16 MERCURE DE FRANCE ,
ces mots , qu'il fut obligé de se retirer . Il courut s'enfermer
dans sa cellule , et ne voulut jamais reparoître : notre présence
avoit réveillé dans son coeur des sentimens qu'il cherchoit
à étouffer . En quel lieu du monde nos tempêtes n'ontelles
point jeté les enfans de Saint- Louis ? Quel désert
ne les a point vus pleurant leur terre natale ? Telles sont les
destinées humaines : un Français gémit aujourd'hui sur la
perte de son pays , aux mêmes bords dont les souvenirs
inspirerent autrefois le plus beau des cantiques sur l'amour
de la patrie :
Super flumina Babylonis !
Hélas ! ces fils d'Aaron qui suspendirent leur Cinnor aux
saules de Babylone , ne rentrèrent pas tous dans la cité de
David ; ces filles de Judée qui s'écrioient sur les bords de
l'Euphrate :
O rives du Jourdain , ô champs aimés des cieux !
Sacré mont, fertiles vallées ,
Du doux pays de nos aïeux ,
Serons-nous toujours exilées ?
ces compagnes d'Esther ne revirent pas toutes Emmaüs et
Bethel. Plusieurs laissèrent leurs dépouilles aux champs de
la captivité ; et c'est ainsi que nous rencontrâmes loin de la
France le tombeau de deux nouvelles israélites :
Lyrnessi domus alta , solo Laurente sepulchrum !
Il nous étoit réservé de retrouver au fond de la mer Adriatique
le tombeau de deux filles de rois , dont nous avions
entendu prononcer l'oraison funèbre dans un grenier à
Londres . Ah ! du moins la tombe qui renferme ces nobles
dames , aura vu une fois interrompre son silence ; le bruit
des pas d'un Français aura fait tressaillir deux Françaises
dans leur cercueil . Les respects d'un pauvre gentilhomme ,
à Versailles , n'eussent été rien pour des princesses ; la
prière d'un chrétien , en terre étrangère , aura peut- être été
agréable à des Saintes.
M. de Laborde nous pardonnera ces digressions. Il est
voyageur , nous le somines comme lui; et que n'a-t-on pas
à conter , lorsqu'on vient du pays des Arabes ! A en juger
par l'introduction du Voyage Pittoresque , l'auteur nous
paroît , sur-tout , éminemment fait pour peindre les siècles
des Pélage et des Alphonse , et pour mettre dans ses dessins
l'expression des temps et des moeurs . Les sentimens nobles
lui sont familiers ; tout annonce en lui un écrivain qui a du
sang dans le coeur. On peut compter sur sa constance dans
:
ses
JUILLET 1807 . 17
ses travaux , puisqu'il
ne paroît point détourné des sentiers E LA
SEL
de l'étude par les soucis de l'ambition. Il s'est souvenu des
vers du poète : dh
Lieto nido , esca dolce , auro cortese , ban
Bramano i cign , et non si va in Parnasso
Con le cure mordaci.
5.
uncen
Il nous retracera donc dignement ces hauts faits d'armes
qui inspirèrent à nos troubadours la chanson de Roland
à nos sires de Joinville leurs vieilles chroniques , à nos
comtes de Champagne , leurs ballades gauloises , et au Tasse
ce poëme plein d'honneur et de chevalerie qui semble écrit
sur un bouclier ; il nous dira ces jours où le courage , la foi et
la loyauté étoient tout ; où le déloyal et le lache étoient
obligés de s'ensevelir au fond d'un cloître , et ne comptoient
plus parmi les vivans. « Il y a deux manières de sortir
>>de la vie , dit Shakespeare : la honte et la mort, Shame
> and Death . >>> 1
Enfin , dans la quatrième époque du Voyage , l'auteur
donnera les vues des monumens modernes de l'Espagne.
Un des plus remarquables , sans doute , est l'Escurial , bâti
par Philippe II , sûr les montagnės désertes de la vieille
Castille. La cour vient chaque année s'établir dans ce monastère
, comme pour donner à des solitaires morts au monde
le spectacle de toutes les passions , et recevoir d'eux ces
leçons dont les grands ne profitent jamais . C'est là que l'on
voit encore la chapelle funèbre où les rois d'Espagne sont
ensevelis dans des tombeaux pareils , disposés en échelons
les uns au-dessus des autres ; de sorte que toute cette poussière
est étiquetée et rangée en ordre comme les richesses
d'un Muséum. Il y a des sépulcres vides pour les souverains
qui ne sont point encore descendus dans ces lieux; et
la reine actuelle a écrit son nom sur celui qu'elle doit
occuper.
Non-seulement l'auteur nous donnera les dessins de tant
d'édifices ; mais , comme il paroît avoir des connoissances trèsvariées
, il ne négligera point la numismatique et les inscriptions
. L'Espagne est très - riche dans ce genre ; et quoique
Pons ait fait beaucoup de recherches sur ce sujet , il est loin
de l'avoir épuisé . On sait d'ailleurs qu'on peut faire chaque
jour sur le monument le plus connu des découvertes toutes
nouvelles. Ainsi, par exemple , l'Institut d'Egypte n'a pu lire
sur la colonne de Pompée , à Alexandrie , l'inscription effacée
que des sous-lieutenans anglais ont relevée depuis avec du
plâtre.
B
18 MERCURE DE FRANCE ,
Pococke en avoit rapporté quelques lettres , sans prétendre
les expliquer ; plusieurs autres voyageurs l'avoient
aperçue , et nous ne connoissons que M. Sonnini qui n'ait
pu rien découvrir sur la base où elle est gravée . Pour nous ,
nous avons déchiffré distinctement à l'oeil nu plusieurs traits ,
et entr'autres le commencement de ce mot Διοκ ... qui est
décisif. Comme cette inscription d'une colonne fameuse est
peu ou point connue en France , nous la rapporterons ici.
On lit :
ΤΟ .... ΩΤΑΤΟΝ , ΑΥΤΟΚΡΑΤΟΡΑ
ΤΟΝ ΠΟΛΙΟΥΧΟΝ , ΑΛΕΞΑΝΔΡΕΙΑΣ
ΔΙΟΚ . Η . ΙΑΝΟΝΤΟΝ ..... ΤΟΝ
ΠΟ .... ΕΠΑΡΧΟΣ ΑΙΓΥΠΤΟΥ
Il faut d'abord suppléer à la tête de l'inscription le mot
ΠΡΟΣ. Après le premier point, Ν . ΣΟΦ. Après le second , A.
Après le troisième , T. Au quatrième , ΑΥΓΟΥΣ. Au cinquième
, enfin , il faut ajouter ΛΙΩΝ. On voit qu'il n'y a icí
d'arbitraire quele mot ΑΥΓΟΥΡΟN , qui est d'ailleurs peu
important. Ainsi on peut lire :
C'est-à-dire :
ΤΟΝΣΟΦΩΤΑΤΟΝΑΥΤΟΚΡΑΤΟΡΑ
ΤΟΝΠΟΛΙΟΥΧΟΝΑΛΕΞΑΝΔΡΕΙΑΣ
ΔΙΟΚΛΗΤΙΑΝΟΝΤΟΝΑΥΓΟΥΣΤΟΝ
ΠΟΛΙΩΝΕΠΑΡΧΟΣΑΙΓΥΠΤΟΥ
<<<Au très - sage empereur , protecteur d'Alexandrie ,
» Dioclétien Auguste , Polion , préfet d'Egypte.>>>
Ainsi , tous les doutes sur la colonne de Pompée sont
éclaircis . Mais l'Histoire garde-t-elle le silence sur ce sujet ?
Il nous semble que , dans la Vie d'un des Pères du désert ,
écrite en grec par un contemporain , on lit que , pendant
un tremblement de terre qui eut lieu à Alexandrie , toutes
les colonnes tombèrent , excepté celle de Dioclétien.
Nous nous sommes fait un vrai plaisir , malgré le besoin
que nous avons de repos , d'annoncer le magnifique ouvrage
dont M. de Laborde publie aujourd'hui les deux premières
livraisons. On peut y avoir toute confiance. Ce n'est point
iciunespéculaattiioonnddeelibrairie. C'estl'entreprised'un amateur
éclairé, qui apporte à son travail les lumières suffisantes et les
restes d'une grande fortune. Employer ainsi les débris de ses
richesses , c'est faire un reproche bien noble à cette révolution
qui en a tari les principales sources. Quand on se rapJUILLET
1807 . 19
1
pelle que les deux frères de M. de Laborde ont péri dans le
voyage de M. de la Peyrouse , victimes de l'ardeur de s'instruire
, pourroit- on n'être pas touché de voir le dernier
rejeton d'une famille amie des arts se consacrer à un genre
de fatigues et d'études déjà fatal à ses frères ?
Sicfratres Helenoe....
Ventorumque regat pater
Navis!
Finibus Atticis
Reddas incolumem , precor !
On se fait aujourd'hui une obligation de trouver des
taches dans les ouvrages les plus parfaits . Pour remplir ce
triste devoir de la critique , nous dirons que les planches
de cette première livraison ont peut-être un peu de sécheresse;
mais on doit observer que ce défaut tient à la nature
mêmedes objets représentés. Il eût été facile à l'auteur de
commencer sa publication par les dessins de l'Alhambra ou
de la cathédrale de Cordoue. Au-dessus decette petite charlatanerie,
il a suivi lordre des monumens ; et cet ordre l'a
forcéàdonner d'abord des perspectives de ville : or , ces perspectives
sont naturellement froides de style , et vagues d'expression.
Barcelonne , privé du mouvement et du bruit , ne
peut offrir qu'un amas immobile d'édifices .
D'ailleurs , on peut faire le même reproche de sécheresse
auxdessinsde toutes les villes. Nous avons , dans cemoment
même , sous lesyeux une vue de Jérusalem , tirée du Voyage
Pittoresque de Syrie : quel que soit le mérite des artistes ,
nous ne reconnoissons point là le site terrible et le caractère
particulier de la ville Sainte.
Vue de la montagne des Oliviers , de l'autre côté de la
valléede Josaphat , Jérusalem présente un plan incliné sur
un sol qui descend du couchant au levant. Une muraille
crénelée,fortifiée par des tours et par unchâteau gothique ,
enferme la ville dans son entier , laissant toutefois au-dehors
unepartiedela montagne de Sion , qu'elle embrassoit autrefois.
Dans la région du couchant et au centre de la ville , vers
le Calvaire , les maisons se serrent d'assez près ; mais au
levant, le long de la vallée de Cédron , on aperçoit des
espaces vides , entr'autre l'enceinte qui règne autour de la
mosquée bâtie sur les débris du Temple, et le terrain pres
qu'abandonné où s'élevoit le château Antonia et le second
palais d'Hérode.
Les maisonsde Jérusalem sont de lourdes masses quar
B2
20 MERCURE DE FRANCE ,
rées fort basses , sans cheminées et sans fenêtres ; elles se
terminent en terrasses applaties ou en dômes , et elles ressemblent
à des prisons ou à desi sépulcres. Tout seroit à
l'oeil d'un niveau égal , si les clochers des églises , les minarets
des mosquées, les cimes de quelques cyprès et les
buissons des aloès etdes nopals ne rompoient l'uniformité du
plan. A la vue de ces maisons de pierres renfermées dans
un paysage de pierres , on se demande si ce ne sont pas là les
monumens confus d'un cimetière au milieu d'un désert ?
Entrez dans la ville , rien ne vous consolera de la tristesse
extérieure : vous vous égarez dans de petites rues non pavées
qui montent et descendent sur un sol inégal , et vous marchez
dans des flots de poussière ou parmi des cailloux
roulans ; des toiles jetées d'une maison àl'autre augmentent
l'obscurité de ce labyrinthe ; des bazards voûtés et infects
achèvent d'ôter la lumière à la ville désolée ; quelques chétives
boutiques n'étalent aux yeux que la misère; et souvent
ces boutiques même sont fermées , dans la crainte du passage
d'un Cadi ; personne dans les rues , personne aux
portes de la ville; quelquefois seulement un paysan se
glisse dans l'ombre , cachant sous ses habits les fruits de son
labeur, dans la crainte d'être dépouillé par le soldat; dans un
coinà l'écart , leboucher arabe égorge quelque bête suspendue
parles pieds àun mur en ruines: à l'air hagard et férocedecet
homme, à ses bras englantés , vous croiriez qu'il vient plutôt
de tuer son semblable , que d'immoler un agneau . Pour tout
bruit dans la cité déicide , on entend par intervalle le galop
de la cavale du désert: c'est le janissaire qui apporte la tête
du bédouin , ou qui va piller le Fellah.
Au milieu de cette désolation extraordinaire , il faut s'arrêter
un moment pour contempler des choses plus extraordinaires
encore. Parmi les ruines de Jérusalem , deux espèces
de peuples indépendans trouvent dans leur foi de quoi surmontertantd'horreurs
et de misères . Là vivent des religieux
chrétiens que rien ne peut forcer à abandonner le tombeau de
Jésus-Christ , ni spoliations , ni mauvais traitemens , ni
menaces de la mort. Leurs cantiques retentissent nuit et jour
* autour du saint sépulcre. Dépouillés le matin par un gouverneur
turc , le soir les retrouve au pied du Calvaire , priant
au lieu où Jésus-Christ souffrit pour le salut des hommes .
Leur front est serein , leur bouche riante. Ils reçoivent
l'étranger avec joie. Sans forces et sans soldats , ils protègent
des villages entiers contre l'iniquité. Pressés par le
bâton et par le sabre , les femmes , les enfans , les troupeaux
des campagnes se réfugient dans les cloîtres des solitaires.
Quiempêche le méchant armé de poursuivre sa proie ,
JUILLET 1807 .
21
et de renverser d'aussi foibles remparts ? La charité des
moines : ils se privent des dernières ressources de la vie pour
racheter leurs supplians . Turcs , Arabes , Grecs , Chrétiens
schismatiques , tous se jettent sous la protection de quelques
pauvres religieux francs , qui ne peuvent se défendre euxmêmes
: c'est ici qu'il faut reconnoître avec Bossuet , « que
>> des mains levées vers le ciel , enfoncent plus de bataillons
» que des mains armées de javelots .
»
Tandis que la nouvelle Jérusalem sort ainsi du désert , brillante
de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le
temple ; voyez cet autre petit peuple qui vit séparé du reste
des habitans de la cité. Objet particulier de tous les mépris ,
il baisse la tête sans se plaindre ; il souffre toutes les avanies
sans demander justice ; il se laisse accabler de coups sans
soupirer ; on lui demande sa tête : il la présente au cimetère.
Si quelque membre de cette société proscrite vient
à mourir , son compagnon ira , pendant la nuit , l'enterrer
furtivement dans la vallée de Josaphat , à l'ombre du
temple de Salomon . Pénétrez dans la demeure de ce peuple ,
vous le trouverez dans une affreuse misère , faisant lire un
livre mystérieux à des enfans qui le feront lire à leur tour
à leurs enfans. Ce qu'il faisoit il y a cinq mille ans , ce peuple
le fait encore. Il a assisté six fois à la ruíne de Jérusalem , et
rien ne peut le décourager ; rien ne peut l'empêcher de
tourner ses regards vers Sion . Quand on voit les Juifs dispersés
sur la terre , selon la parole de Dieu , on est surpris
sans doute ; mais , pour être frappé d'un étonnement sur→
naturel , il faut les retrouver à Jérusalem ; il faut voir ces
légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur
propre pays ; il faut les voir attendant , sous toutes les oppressions
, un roi qui doit les délivrer. Ecrasés par la croix
qui les condamne , et qui est plantée sur leurs têtes , près du
temple , dont il ne reste pas pierre sur pierre , ils demeurent
dans leur déplorable aveuglement. Les Perses , les Grecs ,
les Romains ont disparu de la terre ; et un petit peuple ,
dont l'origine précéda celle de ces grands peuples , existe
encore sans mélange dans les décombres de sa patrie. Si
quelque chose , parmi les nations , porte le caractère du
miracle , nous pensons qu'on doit le trouver ici . Et qu'y
a-t-il de plus merveilleux , même aux yeux du philosophe ,
que cette rencontre de l'antique et de la nouvelle Jérusalem
au pied du Calvaire : la première s'affligeant à l'aspect du
sépulcre de Jésus-Christ ressuscité ; la seconde se consolant
auprès du seul tombeau qui n'aura rien à rendre à la fin des
siècles ? DE CHATEAUBRIAND.
3
22 MERCURE DE FRANCE ,
Poésies. Un vol. in-8° . Prix : 4 fr. , et 5 fr. par la poste.
AParis , chez H. Nicolle , à la Librairie Stéréotype , rue
des Petits-Augustins ; et chez le Normant.
TEL est le titre d'un volume qui a paru il y a quelques
mois , et dont j'aurois déjà rendu compte , si , lorsque j'ai
choisi entre les ouvrages que je suis chargé d'annoncer , je
me déterminois toujours en faveur de celui qui m'a fait
éprouver le plus de plaisir. Celui-ci est bon , je me hâte de
le dire ; car si on en jugeoit d'après son titre qui est singulier
, on se sentiroit porté à craindre que son auteur n'exprimât
pas toujours bien nettement ses idées. Que veut dire
en effet ce titre de Poésies , et comment ce nom ( le titre est
le nom d'un livre ) pourroit-il faire distinguer ce Recueil de
tous les autres Recueils ? L'auteur auroit dû ajouter par
M. de F.; ou si la singularité lui plaît, il devoit ajouter
par un poète , cela eût été presque aussi court , tout aussi
clair , et assurément non moins singulier .
Mais ce Recueil est bon , et voilà d'abord ce qui le distingue
de beaucoup d'autres Recueils. Ce qui l'en distingue
encore , c'est qu'il ne contient en effet que des poésies , qu'il
n'y a point de préface, point d'avertissement , point de
notes ; tout est vers dans ce volume , excepté pourtant le
mot poésies , et les noms des libraires chez lesquels on le
vend. Enfin , ce qui pourroit servir à caractériser les poesies
de M. de F. , et les distinguer encore mieux de toutes
celles qui ont paru depuis un assez grand nombre d'années ,
c'est que non-seulement elles sont bonnes , mais qu'elles le
sont d'un genre de bonté qui commençoit à être oublié.
Elles ne contiennent point de peintures chargées , point de
vers pompeusement et énigmatiquement descriptifs : touty
est simple et sans apprêt ; ces qualités y sont même portées
à un tel point , qu'on pourroit quelquefois desirer que
M. de F. y eût mis unpeu moins de simplicité , et un peu
plus de poésie.
Quel est donc ce poète qui n'a jamais été applaudi dans
aucun Athénée , qu'aucune Académie n'a couronné , dont
les Journaux n'avoient point encore parlé , et qui se présente
tout-à-coup au public avec un volume entier de bons
vers ? Quel est cet auteur qui entre à peine dans la carrière
poétique , et qu'on pourroit déjà citer pour modèle à bien
d'autres quis'y croient plus avancés que lui ? Ce qu'il est , je
JUILLET 1807 . 23
1
l'ignore ; mais après avoir lu ce qu'il a fait, je puis assurer
que s'il porte un nom qui est nouveau dans la littérature ,
son style a le mérite de ne pas l'être. Ce n'est pas celui
de Boileau , mais du moins c'est celui de son école. Il n'y a
peut-être entre les épîtres ou les satires de M. de F. et
celles du législateur du Parnasse , d'autre différence que
celle qu'on remarquoit entre les tableaux de Raphaël et
ceux de ses élèves. Ces poésies ne sont pas du maître : on
ne s'en aperçoit que trop aisément. Mais il est possible
que le maître en y retouchant beaucoup , en y ajoutant
quelque chose , en y effaçant encore plus , n'eût pas refusé
d'en adopter quelques-unes .
Il me reste à justifier Péloge que j'ai fait de ce Recueil ,
et la restriction que je viens d'y mettre. Pour cela , je n'ai
qu'à en citer beaucoup de passages : ils suffiront , sans autre
réflexion de ma part, pour donner une idée des talens et
des défauts de ce nouveau poète.
CeRecueil se compose d'épîtres , de satires et d'élégies .
Nous allons examiner successivement ces trois sortes d'ouvrages.
M. de F. adresse sa première épître à son livre ; et , selon
l'usage immémorial de tous les auteurs , il commence par
l'accuser d'être trop pressé de paroître , ou , pour mieuxdire ,
il lui écrit comme s'il n'avoit pas encore paru , et il lui conseille
de ne pas s'exposer aux dangers de l'impression.
Veux-tu , lui dit-il ,
Veux- tu donc d'un succès où tant d'autres prétendent ?
Calcule bien plutôt les dangers qui t'attendent.
Sous le toit paternel , aimé , choyé , flatté ,
Tun'as point vu d'obstacle à ta prospérité;
Mais bientôt il faudra , manuscrit mercenaire ,
Souffrir six mois durant les affronts d'un libraire.
Il s'en va mesurer ,armé de son compas ,
Tes syllabes , tes mots et tes alinéas;
T'encadrer trop étroit dans un papier trop large,
Etde tes vers concis se venger sur lamarge.
Il te faudra gémir , gros de citations ,
Sous l'appendice épais des observations.
Tu n'éviteras pas la Table des Matières ,
Les Avis au lecteur , les Discours liminaires.
Tu grandiras enfin , ou Phalaris nouveau ,
Il te fera tirer jusqu'à l'in-octavo .
T'y voilà , l'on t'imprime, et battu sur l'enclume,
Tu peux, grace au brocheur, t'intituler volume.
Tout va bien : trois journaux sont amis de l'auteur ,
Deux coustes du libraire , un fils de l'imprimeur;
Ettefrayantta route à l'abri de leur gloire ,
Tu vas , sous leur escorte , au temple de Mémoire.
Quedirois-tu pourtant, si , trompant ton espoir,
}
4
24 MERCURE DE FRANCE ,
Tes écrits paresseux s'endormoient au comptoir ,
Et si , dans leur ballot , défiant la critique,
Tout gonflés de louange ils gardoient la boutique ?
J'exagère ! Hé mon fils , combien en as-tu vus ,
Réduits à vendre au poids leurs feuillets inconnus ,
De deux éditions se vanter par le monde ,
Et , morts dès la première , afficher la seconde ?
Ily a des imperfections dans ce passage ; mais en général
les vers en sont bien tournés ; et , au premier coup d'oeil , les
pensées y paroissent aussi naturelles que les expressions .
Le sont-elles en effet ? C'est ce que je n'oserois assurer .
J'espère que M. de F. me permettra de lui adresser à ce
sujet quelques observations.
Les conseils qu'il donne à son livre sont très-bons : assurément
quand on n'est ni un Boileau , ni un Racine , ni enfin
un poète du premier , ou pour le moins du second rang , il
vaut toujours mieux ne pas se produire au grand jour de
l'impression. Mais à quoi servent de pareils avis quand ils
sont eux-mêmes imprimés ? Parmi les Tristes d'Ovide , on
en trouve une aussi qui est adressée à son livre ; mais du
temps d'Ovide , il n'y avoit point de presses à Rome ; et
d'ailleurs le poète latin en écrivant à ses vers , n'eut d'autre
objet que de leur apprendre comment ils devoient se produire
, et par quels moyens ils pourroient plus sûrement
réussir. Cette idée est peut-être plus ingénieuse que celle
de M. de F. , et certainement elle est bien plus naturelle.
Il paroîtra toujours fort singulier qu'un auteur fasse impri
mer des vers dans lesquels il conseille à ses vers de ne pas
se faire imprimer. Quel a donc été l'objet de M. de F. ?
Est-ce d'imiter Ovide ? On voit qu'il auroit assez mal réussi .
Il est bon sans doute de chercher à imiter les anciens ; mais
avant tout , il faut chercher en quoi et comment on peut
les imiter. Tout ce qu'ils ont dit n'est plus également convenable
à dire , et il pourroit arriver qu'en disant les mêmes
choses qu'eux , on ne dit que des choses très-déplacées. Le
danger seroit bien plus grand encore si en leur empruntant
un cadre ou un titre , on ne disoit que des choses entièrement
opposées à celles qu'ils ont dites .
J'ai voulu commencer par citer de bons vers . Si j'avois
voulu en citer de foibles , je me serois arrêté au début ;
Jeune présomptueux , où vas-tu t'engager ?
Quoi! tu sors de l'enfance , et tu veux voyager !
Apeine , après trois ans , as -tu sous ma férule ,
Appris à distinguer un point d'une virgule.;
Ton style est décousu , tes vers sont inégaux,
Dix cahiers raturés attestent tes défauts , etc. 3
JUILLET 1807 .
25
Il y a dans ces premiers vers des disparates tlont il seroit
difficile de n'être pas frappé. Comment peut-on exiger d'un
livre qu'il apprenne , avant de se produire , à distinguer un
point d'une virgule ? C'est tout au plus , ce qu'on devroit
recommander aux auteurs. En général , M. de F. n'est
pas heureux dans ses débuts . Je le fais remarquer ici pour
n'y plus revenir. On diroit que sa verve a besoin d'être
excitée par le travail , et qu'elle n'est dans toute sa force , que
lorsqu'il est arrivé à- peu-près vers le milieu de sa tâche .
Car je ne crois pas qu'il ait travaillé comme presque tous
les auteurs de ce siècle , c'est-à -dire qu'il ait commencé par
faire de beaux morceaux , et par aligner deux à deux ou
quatre à quatre quelques bons vers , et qu'il ait fini par
chercher un exorde qui pût amener tout cela . Mais alors
pourquoi n'a-t-il pas supprimé ces débuts ? Par exemple , que
coûtoit-il de commencer cette épître aux premiers vers que
j'en ai cités ? Il y a un art que les auteurs ne connoissent
guère , et qui est , après celui de penser et d'écrire , le plus
grand de tous : ce n'est pas celui de corriger , de polir , de
limer , de raturer enfin , pour écrire au -dessus de la rature ;
c'est celui d'effacer pleinement , et de retrancher des morceaux
entiers , sans les remplacer. On ne sait pas assez tout
ce que peut gagner un ouvrage , lorsqu'on en retranche la
moitié ou même les trois quarts.
J'avoue cependant , que dans ce début même , tout foible
qu'il est , on trouve des passages remarquables , et qui font
honneur à la verve du poète. Tel est celui , où après avoir
parlé des mauvais auteurs , qui commencent toujours par
se faire imprimer , quoiqu'ils soient à peu près sûrs de
n'être pas lus , il dit :
-
Personne ne les lit ; et pourtant ils écrivent ;
Et leur livre à son poste affrontant le trépas ,
Aime encor mieux mourir que de ne naître pas.
Mais de pareils traits suffisent -ils pour justifier de longs passages
, où d'ailleurs on ne rencontre rien de nouveau ? Il
n'y a pas d'ennuyeux poëme , pas de longs discours , dont on
ne puisse extraire quelque pensée assez bonne. Le malheur
est que cette pensée est le plus souvent ce qui détermine un
auteur à publier tout son discours ou tout son poëme , et
qu'ainsi , au lieu de lui mériter la réputation d'un homme
d'esprit , comme elle auroit pu le faire , s'il avoit su attendre
l'occasion de la bien placer , elle ne lui attire pour avoir été
noyée dans un livre , que la réputation d'un mauvais écrivain
. Ce cas n'est pas celui de M. de F.; mais s'il étoit vrai
26 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il eût alongé ses épîtres ou ses satyres seulement pour
avoir une occasion raisonnable d'encadrer quelque bonne
idée ou quelque bonne plaisanterie (on en trouve de telles
dans ses morceaux les plusdéplacés ) je ne pourrois m'empêcher
de desirer qu'il n'eût jamais eu ces idées , ou qu'il
n'eût pas fait ces vers si plaisans.
Pour donner une idée complète de cette épître , et montrer
que M. de F. a su y varier son ton , et passer, selon le
précepte de son maître , du plaisant au sévère , je dois citer.
encore le passage suivant :
Mais pourquoi , vas-tu dire,
Médiroit-onde moi qui ne sais point médire ?
Je n'eus jamais de fiel, et mes vers innocens ,
Ne vont point sur la place insulter les passans.
Hé , c'est làjustement ce qu'il te falloit faire.
Que nous veut, dira-t-on , ce rimeur débonnaire ,
Qui, du nom de satire , ornant ses madrigaux ,
Croit flétrir la sottise en épargnant les sots ?
Ade pareils discours que pourras- tu répondre ?
Manquois-tu , dans Paris , de vices à confondre ?
A-t-on, par un arrêt , supprimé les Cotin ?
Les Rollets sont- ils morts, ou les Pradons éteints ?
Ne voit-on plus chez nous un essaim sacrilége
Violer les neufs soeurs au sortir du collége?
Les vers sont- ils plus forts , les poètes moins plats ,
Les écrivains moins hauts , et leurs écrits moins bas?
Boileau , me diras-tu , parloit bien à son aise,
Il trouvoit à gloser sans sortir de sa chaise .
Les sots étoient alors moins nombreux , plus connus ,
De la faveur publique , ils marchoient revêtus :
Le peuple étoit exempt de cette épidémie;
Il disputoit au moins contre une Académie ;
Et quand d'un chapelain il flétrissoit l'honneur ,
Le renom du vaincu profitoit au vainqueur.
Maismoi , qui combattrai-je, et qu'en pourraije attendre ?
Quoi donc, de mille écrits j'irois troubler la cendre ?
Il faudroit , signalant leurs ignobles revers ,
Trier dans cent recueils les débris de leurs vers ,
Ramasser leurs lambeaux épars dans la carrière ,
Et du Parnasse enfin ressasser la poussière ,
Pour pouvoir , attestant leur authenticité,
Affirmer par serment que tous ont existé?etc.
Ces vers ne sont pas tout-à-fait aussi innocens qu'il leur plaît
de seledire ; mais ils ont d'autres défauts dont ils ne s'accusent
pas , et que je dois faire remarquer. Il me semble que cet
hémistiche violer les neuf soeurs , n'est pas de l'école de
Boileau ; c'est de l'énergie à la manière de ce siècle . Je
retrancherois encore dans ce passage ce vers tout entier. Il
r
JUILLET 1807 . 27
trouvoit à gloser sans sortir de sa chaise; il est vrai qu'alors
le vers précédent se trouveroit seul , et qu'il manqueroit
une rime; mais il y auroit peut-être un peuplusde raison .
Ily a de l'embarras dans la dernière phrase : on ne voit
pas comment on pourroit être dans le cas d'attester l'authenticitéd'une
chose qui n'existe plus.
La seconde épître qui est sur la charité , a bien moins
de défauts que la première. Je me contenterai d'en citer le
passage suivant , dans lequel l'auteur a peint les philantropes
de ce siècle. L'un , dit-il ,
L'un offre au Dieu de paix cette vertu bruyante,
Qui se nourrit d'orgueil et que la moue enfante.
Dans les bienfaits publics , il est toujours nommé,
Etpour cinquante francs philantrope imprimé,
Ase canoniser , li-même il se résigne ,
Et pense au Paradis monter en droite ligne.
L'autre , d'un hôpital architecte pompeux ,
Revêt de marbre et d'or le toit des malheureux ,
Veutqu'on soit indigent avec magnificence ,
Et croit gagner le ciel à force de dépense.
Celui-ci , concentré dans sa froide équité,
Discute le besoin , juge la nudité:
Son bienfait , ralenti par un calcul rigide ,
Descend d'un coeur glacé , sort d'une main aride.
Des lois du Décalogue esclave rigoureux,
Il ne goûte aueun charme à faire des heureux;
L'or est le seul tribut qu'il paie à l'indigence ,
Et le pauvre est tremblant devant sa bienfaisance.
Cet autre , charitable avee stérilité ,
Contentdu sou qu'il donne à la mendicité ,
Suit, sans se fatiguer, les préceptes du prône ,
Et se croit bienfaisant quand il a fait l'aumône.
Tous enfin, exaltant un calcul froid et bas ,
Comptent pour bien qu'ils font , le mal qu'ils ne font pas, etc.
T
Je voudrois pouvoir citer le passage tout entier , mais il
faut s'arrêter ; et ce qui m'afflige , c'est que j'ai toujours
quelque censure à joindre aux éloges que mérite l'auteur.
En général , cette épître a sur la première cet avantage
qu'on la lit d'un boutà l'autre avec le même plaisir ; mais elle
renferme beaucoup de morceaux , qui ne sont en effet
quede la bonne prose rimée. Supprimez la rime , rompez
la mesure , vous aurez une lettre charmante qui ne peut
êtreque d'un homme de beaucoup d'esprit ; avec les rimes
et lammeessuurree,elle est encore d'un homme de beaucoup de
goût ; mais je ne sais si dans son ensemble elle est d'un
poète.
La troisième épître est adressée au Temps. On se
souvient que Thomas lui avoit adressé une ode, qui fut
28 MERCURE DE FRANCE ,
couronnée par l'Académie française , et que sans doute
on ne manqua pas d'appeler le meilleur ouvrage qui eût
été couronné depuis plus d'une siècle. On ne lit plus
maintenant cette ode ; mais je crois qu'on lira plus longtemps
l'épître de M. de F. , parce que le style en est naturel,
et ne rappelle en rien ce que Voltaire appeloit du
gallithomas. Je ne dis rien des pensées : depuis la belle
strophe de Rousseau , qui n'est elle-même qu'une magnifique
traduction d'une belle pensée de Platon , tout est dit
sur ce sujet, et il est devenu bien difficile aux poètes d'adresser
autre chose au Temps que des amplifications ou de
vieux reproches . Voici néanmoins un passage de l'épître
de M. de F. , qu'on me lira pas sans plaisir. Je le citemoimême
avec d'autant plus de satisfaction , que celui- ci me
paroît , non-seulement d'un homme de talent et de goût ,
mais d'un véritable poète :
Mais quoi ! quel changement, quel éclat se déploie !
Le deuil fuit , l'espoir naft , je vois briller la joie.
Tu n'es plus ce tyran , vieil auteur de nos maux :
Où sont tes cheveux blancs? Qu'as-tu fait de ta faulx ?
Tumarches radieux comme on nous peint l'Aurore ,
Jeune, le front paré de fleurs qui vont éclore ,
Père des jours , charmant dans ta fécondité,
Etpeuplant sans fatigue un monde illimité.
Autour de toi , les mois , les saisons , les années
Mènent d'un pied léger leurs danses fortunées :
Prèsd'eux je vois voler le bonheur, les plaisirs,
La fortune , la gloire, enfin les doux loisirs ;
Et tu poursuis sans fin ta brillante carrière ,
Promettant ou donnant tous les biens de la terre.
Par toi le sol ingrat voit mûrir ses moissons ;
Le doux printemps fleurit dans le mois des glaçons ;
L'avare accroft son or, le guerrier son empire ;
L'amant se fait ainer , le rimeur se fait lire ;
Le plaideur morfondu va gagner son procès ,
Et le goutteux se croit à son dernier accès .
Avance , avance , ô Temps , trop lent au gré des hommes!
Avance! et cependant , insensés que nous sommes !
Pendant que nous parlons , l'avenir est passé ,
Etpar les vains regrets l'espoir est remplacé.
Ces idées ne sont peut-être pas entièrement nouvelles quant
au fond ; mais il me semble qu'elles n'ont jamais été exprimées
avec autant de précision et d'éclat , et que M. de F. a
eu l'art de les rajeunir par l'expression. Qu'est-ce en effet
que des pensées nouvelles ? Il y a long-temps qu'on n'en
trouve plus qui méritent ce nom dans un sens vraiment
rigoureux ; et je ne vois pas qu'il y ait maintenant d'autre
moyen de dire des choses brillantes et neuves , que celui
de dire autrement et mieux ce qui a déjà été dit.
JUILLET 1807 . 29
Ce qu'il y a de plus difficile en ce genre , c'est de rajeunir
la louange , sur-tout celle des héros et des conquérans. C'est
le secret des grands orateurs et des grands poètes ; ce fut
celui de Boileau dans la poésie , et de Massillon dans l'éloquence;
ni l'un ni l'autre ne paroissent l'avoir transmis à
leurs successeurs. Voici pourtant un passage dans lequel
on pourroit dire que M. de F. a loué le héros de notre
siècle , comme Boileau a loué le héros du sien , c'est-à-dire ,
par un de ces traits rapides qui semblent s'échapper d'euxmêmes
, et que le poète n'a pu contenir. M. de F. continue
de parler au Temps. Tu dispenses , dit- il ,
Tu dispenses les biens et les maux de la terre ,
Jettes de siècle en siècle un grand homme ici-bas ,
Pour laisser aux humains la trace de tes pas ,
Et, soumettant le monde au joug de son génie ,
Empreins tout l'avenir de l'éclat de sa vie ;
Tantôt créant Numa roi pacificateur ,
Tantôt guidant César guerrier triomphateur ,
Donnant des jours de paix et des siècles de guerre
Que dis-je ? Déjà las du repos de la terre ,
N'as- tu pas réveillé ces jeunes bataillons b
Qui vont des champs de Lintz ( 1 ) envahir les sillons !?
N'as- tu point entouré les armes germaniques いっませ
Devertiges, d'erreurs et de terreurs paniques !
N'as-tu donc point assez versé de sang humain !:
Déjà l'aigle français fond sur l'aigle lorrain ,
Triomphe,et, déployant son aile ensanglantée ,
Plane d'un vol hardi surVienne épouvantée;
200
Tu le suis avec peine , et vois avec effroi
Qu'il existe un mortel plus rapide que toi.
1.
:
Je ne compare point ce dernier vers à celui par lequel
Boileau a voulu peindre aussi la rapidité des conquêtes de
Louis XIV: 11
すいす
Grand roi , cesse de vaincre, onje cesse d'écrire notat
Mais si quelqu'un s'avisoit de vouloir les comparer , j'avoue
que , malgré mon admiration bien sincère pour Boileau , je
ne serois point étonné qu'il conclût en faveur du poète moderne.
Jusqu'ici nous avons vu M. de F. cherchantà imiter successivement
Ovide , Boileau , etje n'ose dire rivaliser avec
Thomas ; ( cet auteur n'est pas un modèle qu'un poète aussi
sage ait pu se proposer d'imiter') ; mais traitant le même sujet
que lui. Il faut le voir lorsqu'il rivalise avec le poète du siècle,
et qu'il chante à son tour les champs et les jardins. Je ne crois
(1) Cette pièce fut faite en l'automne 1805. (Note de l'auteur. )
30 MERCURE DE FRANCE ,
point qu'il ait en effet voulu se placer à côté de M. Delille :
son entreprise seroit téméraire. On peut imiter Ovide : il
n'est pas impossible d'avoir autant d'esprit que lui , et autant
d'abondance , autant de facilité à faire des vers ; on peut
aussi , jusqu'à un certain point , imiter Boileau , c'est-àdire
, qu'on peut se rapprocher de sa simplicité noble , et
lui ressembler du moins en ce qu'il a d'austère ; mais il me
semble qu'on ne pourra jamais imiter M. Delille; et en
supposant qu'on le puisse , je ne sais s'il sera prudent de
l'essayer: ses défauts sont si brillans , qu'on pourroit bien
s'y laisser séduire ,et les copier en croyant copier ses véri
tables beautés. Ainsi , je n'accuse point les intentions de
M. de F.; mais , lorsqu'on lit les vers suivans , il est difficile
de ne pas s'en rappeler d'autres auxquels ils ressemblent
, sinon par l'éclat des couleurs , au moins par le fond
des pensées . Le poète veut peindre les jardins de la Falaise,
aux environs de Mantes :
Ici l'art est français , et la nature anglaise ,
Et le goût appuyé sur un apre côteau ,
Ad'un crayon plus large esquissé son tableau.
Soit qu'entre un double roc creusant son précipice ,
Un nonchalant ruisseau soudain tombe et bondisse,
Soit que de peupliers , de gazons encadré,
En limpides canaux il coure séparé ,
Orné de ponts brisés ,de tombeaux, de verdure,
Et paré de cet art qu'on prend pour la nature.
Epone (1) n'est pas loin. Epone encore en deuil,
Pleurant son maître mort sans gloire et sans cercueil.
1
)
Lieux jadis confidens de sa jeune espérance,
Pleurez, vous n'avez vu que ses jours d'innocence. T
Que ne puis-je citer tout entière la description qu'il fait
de la Roche-Guyon ; mais je suis obligé de me borner aux
vers suivans qui me semblent les plus beaux et les mieux
faits de tout son Recueil. Ce morceau se trouve encore dans
son épître sur les environs de Mantes :
1. Ces lieux furent jadis un mont inhabité.
L'art , d'unmanteau de fleurs voilà sa nudité :
Le compas nivela ses roches tortueuses :
Onvitpendre en berceaux ses routes sinueuses ,
Etparmi leur dédale , un voyageur distrait ,
Crut marcher dans la plaine en montant au sommet.
Plus simple et solitaire , au fond de la vallée,
Secreuse en voûte immense une profonde allée.
Nul bruit de ce séjour n'ose troubler la paix .
(1) Château qui appartenoit à M. Héraut de Séchelles.
(Note de l'auteur. )
JUILLET 1807 31
Tousles vents sont zéphyrs , tous les zéphyrs muets.
Seulement , quand des bois la cime se colore ,
On entend gazouiller les chantres de l'aurore.
Tout le reste se tait dans un vaste répos :
Nul souffle n'émeut l'air , ne réveille les flots ;
Et le jour plus douteux, qui dans ces lieux circule,
Unit l'aube au couchant par un lòng crépuscule.
Là, le coeur se repaît d'un sentiment plus cher :
L'avenir est plus doux , le passé moins amer :
Tout plaft , et toi , sur- tout , pâle mélancolie ,
Qui souris tristement aux peines de la vie !
Pensive, et l'oeil fixé sur leur éternité ,
Tu goûtes la douleur avec sérénité.
Passons à la première épître sur la campagne. Je suis
fâché qu'elle commence par un tablean de quelques travers
et de quelques inconvéniens de Paris. Ce tableau est bien
peint : il est fait sur -tout avec beaucoup d'esprit , et on ne
le lira pas sans estimer le talent de celui qui a pu le tracer.
Mais il est déplacé , et c'est pour moi un motif suffisant de
ne pas le transcrire ici. J'aime bien mieux citer la description
que M. de F. nous fait du bonheur dont il jouit. J'ai
pu y être trompé quel poète , même sans y penser , ne
trompe pas un peu ses lecteurs ? Son art est de séduire ; si
l'auteurde ces poésies en avoit la volonté , je crois qu'il y
réussiroit plus facilement que bien d'autres cependant je
ne puis m'empêcher de penser que M. de F. passe réellement
sa vie à la campagne. Ce bonheur qu'il peint est le
sien : ce repos , cette sage indolence , cette activité sans
fatigue , sont des biens qu'il goûte, et dont il sent tout le
prix ; enfin , ces vastes projets , ces longs espoirs sont dans
son ame. Ecoutons-le :
1
Vous parlerai-je enfin de mon jardin anglais?
Faut il vous faire encore arpenter mes bosquets ,
Et, fatigant vos pas dans leur route tortue ,
Ne pas vous faire grace au moins d'une laitué?
Venezdonc, et voyez mes gazons desséchés ,
Mes fertiles chemins d'herbe et d'épis jonchés ,
Mes taillis qu'on ne voit qu'avec un microscope ,
Monmanége oùjamais nul cheval ne galope ,
Mes réservoirs sans eaux , mes fabriques sans toits ,
Ma forêt qui verdit pour la première fois.......
Rien n'est fait; tout commence , et tout veut l'oeil du maître .
Ici croît un verger : làma vigne va naître.
Toutenfin, champset prés , et patis et forêts ,
S'embellit par des soins , s'enrichit par des frais,
La na ture promet; c'est le travail qui donne.
Il est doux de semer le champ que l'on moissonne!
Etquel être énervé supporteroit l'ennui
Devoir toujours tout fait , et jamais rien par lui?
32 MERCURE DE FRANCE ,
Heureux plutôt , heureux qui peut , dans sa vieillesse ,
Goûtant après la peine un repos sans paresse ,
Dire àsonjeune fils : « J'ai semé , j'ai planté;
•
>>Et tout ce que tu vois, c'est moi qui l'ai créé . »
Je conviens que cette sorte de bonheur , qui consiste à se
créer pour l'avenir mille sortes de biens dont on ne jouira
peut-être jamais , est à la disposition des habitans de la ville
comme de ceux de la campagne ; mais voici des plaisirs qui
ne sont à la portée que des hommes vertueux , des plaisirs .
réels , et que M. de F. n'a pu si bien peindre , que parce
qu'il est fait pour les éprouver. Depuis , dit- il ,
Depuis que sous l'hymen un jong heureux me plie,
Ma fille, premier fruit du lien conjugal ,
Adéjà vu trois fois fêter son jour natal ,
Et mon fils commençant ses jeunes destinées,
Assemble autant de mois que sa soeur a d'années.
Pourrois-je , par le ciel si bien environné,
Demander quelque chose à qui m'a tout donné !
Ces biens sont assez doux, et l'on peut, sans étude,
Trouvant chez soi le monde , aimer la solitude.
Mais je vous entends rire.
Voilà donc , direz-vons , votre nouvel empire !
Un château , deux enfans , une femme , un curé
Point de voisins sur-tout ! Ah , fussiez-vous muré,
Votre donjonfút- il mieux fermé que Bicêtre ,
Au défaut d'ennuyeux , l'ennui s'en rendra maître!....
L'ennui ! Cen'est pas lui , cher Damon, que je crains :
Il respecta toujours ma joie ou mes chagrins .
Du premier point du jour au dernier crépuscule,
Je crains plutôt le Temps qui hâte ma pendule .
Hélas! les jours , les mois ,les saisons et les ans
→ Sont si vîte aux heureux dérobés par le Temps !
Ce vieillard , dont chaque heure accumule la perte ,
Trop lent pour tant de gens , est pour moi trop alerte ,
Plus heureux , si le ciel, bornant mes facultés ,
M'eût mieux caché le prix des jours qu'il m'a comptés ;
Ou si , du coeur humain calculant l'énergie ,
Sur l'emploi qu'on en fait il eût réglé la vie !
:
:
On est vraiment affligé de rencontrer dans de pareils
morceaux de poésie des taches qui les déparent. Par exemple,
qui pourroit écouter sans quelque impatience un poète
aussi estimable que M. de F. , lorsqu'il témoigne du regret
de ce que le ciel n'a pas mieux calculé l'énergie du coeur
humain ? Qui pourroit n'être pas fâché de l'entendre parler
de Bicêtre , à propos d'une maison qui doit être l'asile de
la paix, du bonheur , et de toutes les vertus ? La première
faute est du nombre de celles que les Anglais appellent
non sense , et que je n'oserois appeler ici de leur nom
français ;
DEPT
1
33 JUILLET 1807 .
Français ; la seconde peut n'être comptée que parmi les.
fautesde goût ; et , malheureusement, elle n'est pas , commen
lapremière , la seule de son genre que M. de F. ait ite
en parlant de lå campagne. Quelquefois aussi il emploiedes
termes qui ne ppaaroissentpas l'usage des poètes : par
exemple, on a déjà vu qu'il se préparoit des pâtis ; ce qui
signifie apparemment des pâturages : ailleurs , on trouve
que dans les jardins il ouvre lui-même , c'est-à-dire , qu'il
y travaille; ensuite, qu'il fait
..
à
En légers ondins rouler ses foins humides.
J'ignore ce que c'est qu'un ondin ; mais je présume que
c'est , comme pâtis , un mot qui seroit mieux placé dans un
Traité d'agriculture que dans une Epître en vers .
17
Ces dernières expressions se rencontrent dans une seconde
Epître sur la campagne , qui me sembloit , à en juger par
son début , devoir être meilleure que la première. J'ai été
bientôt détrompé : les sentimens ensont également louables ,
les pensées en sont aussi belles , quelques détails en sont
même plus agréables ; mais en général le style en est peu
soigné. Je me bornerai à en citer un petit nombre de vers ,
qui suffiront peut-être pour justifier tout à la fois le bien et
le malque j'en dis :
Que nepouvez-vous voir de quel oeil amoureux
Comptant chaque bourgeon, épiant chaque feuille ,
Dans l'avenir lointain je jouis , je recueille;
Tremblant, si par le nord l'hiver m'est rapporté;
Tremblant , si les chaleurs ont devancé l'été ;
Joyeux, si Mars , exempt de neige et de gelées ,
Verse entre deux soleils ses chaudes giboulées .
Le premier de ces vers est bien dur, et la dernière de cés
expressions est bien extraordinaire. J'ai ouvert , pour bien
m'assurerqueje n'avois aucun tort de la trouver telle ,
plusieurs Dictionnaires et de langue , et d'agriculture , et
d'histoire naturelle ; tous m'ont appris que la giboulée est
une pluie froide de sorte que l'expression de M. de F.
revient à celle-ci : ses chaudes pluies froides. Plus bas , je
trouve que son jardinier
De longs paillassons
R'habille chaque soir ses tendres nourrissons .
Et, malheureusement , r'habiller n'est pas français dans lé
sens que M. de F. veut lui donner; pas plus que ne le
seroit r'annoncer, pour dire annoncer une seconde fois . Ce
qu'il y a de plus affligeant , c'est que ces sortes de taches se
trouvent toujours dans des morceaux qui seroient charmans ,
C
34 MERCURE DE FRANCE ,
si l'auteur se fût donné la peine de les revoir et de les corriger.
Citons-en un nouvel exemple ; il s'agit de la bergerie :
Le jour naît : dans mes prés d'arbres environnés
Voyez descendre , errer ses hôtes encornés .
La génisse légère ouvre en sautant la marche ;
La vache vient après , plus lente en sa démarche ;
Puis , Mentor ruminant de mon fécond troupeau
Suit à pas de recteur mon grave et lourd taureau .
C'est peut-être la première fois qu'on a comparé un taureau
à Mentor. Passe de le comparer à Achille ; mais un
taureau qui ne seroit qu'un Mentor , rempliroit assez
mal ses fonctions . Il me semble donc que cette comparaison
n'a pas plus de justesse que les hôtes encornés n'ont
de grace. Je voudrois que M. de F. se bornât à peindre les
sentimens qu'il éprouve , les plaisirs dont il jouit , et quil
ne fît pas de vains efforts pour s'élever (je n'oserois dire
pour s'abaisser ) à l'art de peindre poétiquement de petites
choses. Il est de l'école de Boileau ; qu'il s'y tienne : il sera
heureusement toujours étranger dans toute autre école , et
il en parlera mal la langue. Je remarque avec satisfaction
qu'il réussit dans tous les détails qui sont poétiques par leur
nature ; je veux dire , dans ceux que Boileau n'auroit pas
dédaigné d'exprimer , s'il eût traité des sujets dans lesquels
ils pussent entrer ; mais qu'il paroît foible dans tous ceux
que nos poètes modernes ont traité avec une perfection
qui est vraiment étonnante ! En un mot, il est bon dans
tout ce qui est simple , naturel , vraiment gracieux ; il ne
vaut rien pour les tours de force.
Sa dernière Epître est celle qu'il adresse à son gardechasse
. Dans celle - ci , il fait encore le tableau de la vie
champêtre ; mais c'est la vie d'un homme de peine , et qui
voit dans les champs autre chose que des fleurs à cueillir .
C'est aussi le portrait d'un sage et d'un homme vertueux ,
mais d'un sage dont toute la science se borne à l'histoire de
ses voisins , et dont la vertu consiste à pratiquer passablement
ce que lui enseigna son curé. Il est facile de voir que
les idées dont cette Epître se compose doivent être douces
et agréables ; mais on voit aussi que , si elles n'étoient
animées par un peu de persiflage , ces tableaux , ces portraits
pourroient bien finir par ne mériter d'autre nom que
celui d'Idylle . Si M. de F. a cru imiter dans cette Epître
celle de Boileau à son jardinier, il s'est encore bien trompé.
Dans ce dernier ouvrage , ce n'est pas le portrait d'Antoine
que Boileau voulu nous tracer ; c'est celui du poète , de
T'homme que la passion de briller tourmente ; et il l'oppose
a
JUILLET 18075 35
à l'insouciance paisible non pas seulement d'un campagnard ,
mais d'un campagnard qui ne songe qu'à bien cultiver ses
laitues. Dans celui de M. de F. , au contraire , il ne s'agit
que du garde-chasse et de son histoire . Après l'avoir lue ,
on saura combien d'années a vécu Lefort , combien il a fait
de campagnes , et de combien d'événemens , c'est- à-dire
de combien de disputes pour une haie ou pour une borne
il a été le témoin. Mais cela est exprimé en fort jolis vers ,
et finit par d'autres que je ne crains pas d'appeler très-beaux .
Citons du moins ces derniers :
Poursuis , mon vieux Lefort , et puissent tes vieux ans
Du droit de bavarderjouir encor long-temps !
Jamais , en racontant ton histoire infinie ,
Tu n'as rien pu trouver à cacher dans ta vie.
L'univers est en paix avec tes cheveux blancs ;
Et tu n'as point rougi depu's quatre- vingts ans .
Voilà le vrai bonheur .
Cette dernière idée est assurément fort belle ; mais heureusement
le garde-chasse de M. de F. n'est pas le seul à qui
on pût en adresser autant ; d'ailleurs , je ne crois pas qu'il
soit permis de dire à personne , en lui souhaitant une
longue vie : Puissent vos années jouir long-temps du droit
de bavarder ! Ecoutons maintenant Boileau.
Approche donc et viens ; qu'un paresseux t'apprenne ,
Antoine , ce que c'est que fatigue et que peine.
L'homme ici-bas , toujours inquiet et gêné ,
Estdans le repos même au travail condamné.
La fatique l'y suit . " . ..
Je ne trouve point de fatigue si rude
Que l'ennuyeux loisir d un mortel sans étude ,
Qui jamais ne sortant de sa stupidité ,
Soutient dans les langueurs de son oisiveté ,
D'une lûche indolenc e esclave volontaire ,
Le pénible fardeau de n'avoir rien à faire .
:
Voilà des vers et des idées , des vers qu'on peut compter
parmi les milleurs d'un denos plus grands poètes, etdes idées
qui ne paroissent pas avoir été à la portée d'un jardinier.
Mais qui ne voit que Boileau en faisant cette épître s'occupoit
fort peu d'Antoine , et beaucoup de ses lecteurs ? Ce
n'est pas à lui , c'est à nous qu'il parle ; il a choisi au
hasard le premier cadre qui s'est présenté , pour y faire
entrer quelques-unes de ces grandes vérités qui étoient son
nnique étude. Que nous importoit l'histoire d'Antoine , et
pourquoi auroit-il voulu nous l'apprendre ? Ce n'est pas lui
qui auroit daigné s'occuper de tous ces petits détails , et ce
n'est pas dans son siècle qu'on les auroit admirés.
3
C2
36 MERCURE DE FRANCE ,
Les passages que j'ai cités de toutes ces épîtres sont assez
longs et assez nombreux , pour qu'il soit maintenant facile
aux lecteurs de juger du talent de M. de F. Je citerai moins
de ses satires , parce qu'en général , quoiqu'elles soient
pleines de beaux vers et de morceaux assez poétiques , elles
donnent une idée encore moins haute de sa verve et de sa
chaleur. Le dirai-je ? Il me semble que ce poète s'est jugé
lui-même , lorsque dans un des passages que j'ai cités de sa
première épître , il s'est accusé d'être rimeur trop debonnaire.
Ce n'est pas dans un poète satirique que l'indulgence pour
les vices est une vertu ; et ce n'est pas seulement avec esprit
ou avec de la grace qu'un tel poète doit peindre nos travers .
Si M. de F. nommoit les sots dont il parle , s'il désignoit
clairement les hommes vicieux qu'il tâche de flétrir , jel'excuserois
, je le louerois même d'avoir usé envers eux de modération;
mais la censure générale des vices veut être faite
avec plus de chaleur : comme elle n'a que foiblement l'intérêt
de la malignité , c'est une raison de plus pour chercher
à lui donner celui de l'énergie et de l'éloquence. Un second
défaut qui domine dans toutes ces satires , et qui tient peutêtre
au premier , c'est que le poète ne s'y abandonne pas
assez à l'inspiration; on voit qu'il a eu , en les faisant , d'excellentes
idées ; le malheur est qu'il ne les a pas suivies , ou
qu'il ne les a que très-foiblement développées. Ceci s'éclaircira
par un exemple. Dans la seconde satire , qui est sur la
vie d'un poète , l'auteur tâche de persuader à un jeune homme
qu'il vaut mieux exercer un état utile que d'être un poète
médiocre . Après lui avoir parlé des vers qu'on a vus de lui
dans le Mercure ,je ne veux point , dit- il ,
Je ne veux point blamer , censeur oficieux ,
Un choix qu'on vit ouvent favorisé des Dieux;
Mais avez - vous du învins réfléchi pour le faire ?
- J'ai consulté mon coeur. - Consultez votre père.
Cette dernière idée étoit bonne; mais ilfalloit la suivre,
il me semble que cela eût été assez neuf. L'auteur a mieux
aimé parler des inconvéniens de la gloire et de la difficulté
de faire de bons vers , et de tout ce qu'on dit partout.
Ces satires sont d'ailleurs des ouvrages très-estimables ; et
lorsque j'ai dit qu'elles étoient pleines de morceaux assez
poétiques , je n'en ai fait qu'un éloge très-mérité. Tel est par
exemple dans la première le morceau sur les inconvéniens
de la vieillesse. Je me borneraà en citer ici les derniers vers :
fudra , successeur de ses derniers parens ,
Rester seul quand la mort moissonnera leurs rangs ;
Voir les maisons des siens vides et désolées,
JUILLET 1807 .. 37
Nepluscompterd'amis que dans les mausolées ,
Et, toujours immobile , en voyaanntt tout changer
Végéter en exil dans un siècle étranger .
Assurément ces vers sont très-beaux. Mais pourquoi se
trouvent-ils dans une satire ? Ils me paroîtroient bien meilleurs
, si je les avois rencontrés dans une des épîtres .
J'ai beaucoup parlé des épîtres , parce qu'elles donnent ,
ceme semble, une très-favorable opiniondes talens de leur
auteur . J'ai moins parlé des satires , et je crois en avoir fait
entendrela raison. Je nedirai rien des élégies , parce qu'avant
été jusqu'ici assez heureux , pour avoir plus d'éloges à donner
à M. de F. , que de reproches à lui faire , il me seroit
désagréable d'être obligé de changer de ton .
VARIÉTÉS.
GUAIRARD .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Lacommission de l'Institut (Classe des beaux-arts ) chargée
de l'examen du concours ouvert pour le monument à
ériger aux armées , sur l'emplacement de l'église de la Madelaine,
a fait au ministre de l'intérieur , un rapport dont voici
Pextrait :
:
Quatre-vingt-deux projets sont parvenus aux bureaux : une
première opération les a réduits à vingt-un, une seconde à
treize , une troisième à huit. C'est dans cette dernière série
que la commission a choisi celui qui méritoit la préférence .
Deux conditions rigoureuses étoient imposées aux architectes
: 1 °. de profiter des constructions existantes ; 2°. de se
renfermer dans une somme de trois millions. La difficulté
étoit de faire un beau monument , en prenant pour base un
plan reconnu mauvais même pour une église , et qui n'a
obtenu de considération que par son péristyle .
,
Le plan de M. Beaumont , architecte du tribunat , est
celui qui a paru remplir le mieux les conditions imposées
et offrir en même temps le caractère de sagesse et de maguificence
convenable. Il termine d'une manière simple et noble
par un fronton triangulaire , la façade de l'entrée principale
C'est donc à ce plan que la commission décerne le premie
prix . Le plan de M. Vignon , qui lui a paru offrir des idée
undeur, mais aux dépens de la solidité , mérite le pre
essit . Le second a été adjugé au plan de M. Gisor
d
3
38 MERCURE DE FRANCE ,
jeune , le troisième à celui de M. Peyre neveu . Conformément
à l'instruction , la commission propose, pour les trois
degrés d'indemnités , de donner 6000 fr. au premier accessit
, 5000 fr. au deuxième , et 4000 fr . au troisième. De plus ,
elle propose d'accorder 2000 fr . à MM. Baltard , Bregniard ,
Vandoyer , Courte - Epée , Cramail , Malary et Rohault
(pour le même projet ) , et Guenoux , dont les projets ont
mérité d'être distingués .
Les indemnités proposées par la commission , ainsi que
les sommes qu'elle avoit déterminées pour les accessit , ont
été accordées par S. M. M. Beaumont a reçu une récompense
particulière , et le plan qui a obtenu le premier accessit
au jugement de la commission , est celui qui a obtenu le
prix aux yeux de S. M. , et par conséquent , celui qui sera
exécutél, ainsi qu'il est expliqué dans la lettre suivante , de
S. Exc. le ministre de l'intérieur .
Le ministre de l'intérieur à M. le secrétaire perpétuel de la
classe des beaux- arts.
Paris , 8 juin 1807 .
et les
هللا
2
M. le secrétaire perpétuel , S. M. l'Empereur, à qui j'ai
transmis , d'après ses ordres , les dessins plans des
quatre projets qui avoient été distingués par la commission
dans le concours relatif au monument à ériger aux armées ,
sur l'emplacement de la Madeleine , vient de me faire connoître
la résolution qu'elle a prise , d'après l'examen de ces
plans , et le rapport de la commission qu'elle avoit sous les
yeux , de faire exécuter le plan de M. Vignon. L'Empereur
a été satisfait du caractère de grandeur et de simplicité qui
avoit frappé la commission dans ce projet, et qui lui avoit fait
déférer le premier accessit . S. M. desiroit que le monument
à élever fût un temple et non une église , un monument
dans un genre tel qu'il n'en existe point encore à Paris , et
sous ce rapport , le projet de M. Vignon lui a paru remplir
entièrement son intention. En adoptant ainsi le jugement de
la commission , sur le caractère de noblesse et de beauté qui
assure à ce projet en lui-même la prééminence sur les autres ,
l'Empereur n'a pas cru devoir être arrêté par des considérations
d'économie , qui , d'après le rapportde la commission ,
avoient empêché ce projet d'être mis au premier rang , considérations
que lui-même avoit prescrites , mais qu'il subordonnoit
au desir d'embellir la capitale d'un monument re--
marquable sous le rapport de l'art , qui , unique par sa destination
, le fût aussi par la nature de sa construction , qui
fût en harmonie avec la façade du Corps législatif, à laquelle
JUILLET 1807 :: 39
ildoit correspondre, qui n'écrasât pas par son élévation , le
palais des Tuileries dont il est si voisin , et auquel on ne
peut reprocher d'être inférieur à Saint-Pierre à Rome et à
Sainte-Geneviève de Paris , avec lesquels on l'auroit sans
cesse comparé , s'il avoit eu une forme semblable.
En vons chargeant , monsieur , d'annoncer à la classe des
beaux-arts la décision de S. M. , j'éprouve de la satisfaction
à vous communiquer cette remarque de l'Empereur luimême
, que s'il n'a pas donné au rapport de la comunission
la suite qu'elle paroissoit en attendre , il n'a pas moins approuvé
l'examenqu'elle avoit fait du concours et le jugement
porté par elle , sur les plans qui lui étoient fournis ; et j'ajoute
qu'il en a adopté , pour ainsi dire , la pensée et l'esprit ,
lorsqu'en donnant la préférence au projet que la commission
avoit jugé être en soi le plus beau , il s'estdéterminé au sacrifice
qui seul pouvoit empêcher d'en résoudre la question .
Recevez , M. le secrétaire perpétuel , l'assurance de ma
sincère estime. Signe , CHAMPAGNY.
-La Classe d'histoire et de littérature ancienne de l'Institutadécerné
aujourd'hui , 3 juillet, en séance publique , à M. le
Prevost-d'Iray , censeur des études du Lycée impérial , le
prix d'histoire , dont le sujet étoit : « Examiner quelle fut
>> l'administration de l'Egypte depuis la conquête de ce pays
>> par Auguste , jusqu'à la prise d'Alexandrie par les Arabes ;
>> rendre compte des changemens qu'éprouva , pendant cet
>> intervalle de temps , la condition des Egyptiens; faire voir
>> quelle fut celle des étrangers domiciliés en Egypte , et parti-
>> culièrement celle des Juifs . >>>
La classe avoit proposé pour sujet d'un autre prix qu'elle
devoit adjuger dans la même séance , d'examiner « qu'elle a été
>>pendant les trois premiers siècles de l'hégire , l'influence du
» mahométisme sur l'esprit , les moeurs et les gouvernemens
>> des peuples chez lesquels il s'est établi. >>> Aucun des Mémoires
envoyés au concours n'ayant paru mériter le prix , la classe
propose le même sujet pour l'année 1809. Elle propose en
outre pour sujet d'un nouveau prix qu'elle adjugera pareillement
dans la séance publique du premier vendredi
de juillet 1809 , « l'examen critique des historiens d'Alexis
>> Commène , et des trois princes de sa famille qui lui ont
>> succédé : on comparera ces écrivains avec les historiens des
>>croisades , sans négliger ce que les auteurs arabes peuvent
> fournir de lumières sur le règne de ces empereurs , et prin-
>> cipalement sur leur politique envers les croisés. » Ces deux
prix seront chacun une médaille d'or de 1500 fr. Lés ouvrages
envoyés au concours ne seront reçus que jusqu'au 1 juillet
1809.
4
er
40 MERCURE DE FRANCE ,
-On a donné cette semaine, sur le Théâtre Français
La première représentation d'un drame héroïque , en trois
actes et en vers , intitulé la Mort de Duguesclin. Malgré
la longanimité des acteurs , les sifflets et les huées n'ont pas
laisséaacchneevveerr le troisième acte. L'auteur est M. Dorvo.
- La construction de la seconde galerie qui doit joindre
le Louvre aux Tuileries , du côté du Nord , n'est plus un
projet. On fait dans ce moment les fouilles pour poser les
fondemens de cette galerie dans l'espace qui existe entre le
pavillon Marsan et l'hôtel occupé par M. le secrétaire d'Etat.
Une immense quantité de pierres estdéjà rassemblée pour cet
objet et sur la place du Carrousel. On a aussi commencé les travaux
pouurr la construction du monumentdédié parl'EMPEREUR
à la gloire des armées françaises.
- Le préfet du département du Nord , M. le général
Pommereuil , vient de faire consacrer à la méinoire de
Fénelon un monument qui sera formé de la flèche de la
cathédrale de Cambrai , seule partie qui subsistát encore de
cet édifice. Dans le bas on ménagera une petite chapelle
qui contiendra son tombeau ; et il paroît que la statue de
cet illustre archevêque sera élevée sur l'étage supérieur ,
d'où elle dominera sur la belle promenade formée à la
place qu'occupoit la cathédrale et l'archevêché.
Les curieux vont visiter , près du Pont-Royal , la
carcasse des nouveaux bains que M. Vigier se propose
d'établir au-dessous du Pont-Neuf. Ce bâtiment , de la plus
grande dimension , a 192 pieds de long , et est composé
de deux étages qui renfermeront 142 chambres. Deux vastes
bassins placés sur le tillac , distribueront l'eau dans toutes
ces chambres. Ils sont pratiqués avec tant d'habileté , que
lorsque les bains seront couverts , on n'en soupçonnera pas
l'existence. Les tuyaux se perdront également dans des
colonnes qui serviront d'ornement aux salles du bâtiment.
Le tout sera couvert en cuivre. L'intérieur sera , dit-on ,
décoré avec autant de goût que de richesse ; et l'on ajoute
que le prix de ces bains ne s'élevera pas au-dessus de celui
des autres bains appartenans au même propriétaire. Cinq
cents ouvriers sont employés à cette belle construction ,
qui coûtera plus d'un million.
-
Mademoiselle Colbran , première cantatrice et pensionnaire
de S. M. la reine d'Espagne , est de retour à
Paris, d'un voyage qu'elle vient de faire en Italie. Lesjournaux
italiens nous ont souvent entretenus des succès qu'elle a obtenus
dans ce pays. Elle a'été reçuemembre de l'académie
philarmonique de Bologne.
T
JUILLET 1807 . 41
PARIS , vendredi 3 juillet.
LXXIX BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Weylan, le 17 juin 1807 .
Les combats de Spanden , de Lomitten; les journées de
Guttstadt et de Heilsberg n'étoient que le prélude de plus
grands événemens.
Le 12, à quatre heures du matin , l'armée française entra
à Heilsberg. Le général Latour-Maubourg avec sa division
de dragons , et les brigades de cavalerie légère des généraux
Durosnelet Wattier , poursuivirent l'ennemi sur la rive
droite de l'Alle , dans la direction de Bartenstein, pendant que
les corps d'armée se mettoient en marche dans différentes
directions pour déborder l'ennemi et lui couper sa retraite
sur Kænigsberg , en arrivant avant lui sur ses magasins. La
fortune asouri à ce projet.
Le 12 , à cinq heures après midi , l'EMPEREUR porta son
quartier-général à Eylau. Ce n'étoient plus ces champs couverts
deglaces et de neiges ; c'étoit le plus beau pays de la
nature , coupé de beaux bois , de beaux lacs , et peuplé de
jolis villages.
Le grand-duc de Berg se porta , le 13 , sur Kænigsberg
avec sa cavalerie; le maréchal Davoust marcha derrière pour
le soutenir ; le maréchal Soult se porta sur Creutzbourg ;
le maréchal Lannes sur Domnau ; les maréchaux Ney et
Mortier sur Lampasch.
Cependant le général Latour-Maubourg écrivoit qu'il avoit
poursuivi l'arrière-garde ennemie ; que les Russes abandonnoient
beaucoup de blessés ; qu'ils avoient évacué Bartenstein,
et continuoient leur retraite sur Schippenbeil , par la rive
droite de l'Alle. L'EMPEREUR Se mit sur-le-champ en marclie,
sur Friedland. Il donna ordre au grand-duc deBerg, auxmaréchaux
Soult et Davoust de manoeuvrer sur Kænigsberg , et
avec les corps des maréchaux Ney , Lannes , Mortier , avec
la garde impériale et le premier corps commandé par le général
Victor , il marcha en personne sur Friedland.
Le 13, le 9º de hussards entra à Friedland ; mais il en fut
chassé par 3000 hommes de cavalerie.
Le 14, l'ennemi déboucha sur le pont de Friedland. Atrois
heures du matin , des coups de canon se firent entendre.
« C'est un jour de bonheur , dit l'EMPEREUR; c'est l'anniver-
>> saire de Marengo. >>>
Lesmaréchaux Lannes et Mortier furent les premiers engagés;
ils étoient soutenus par la division de dragons du général
Grouchy , et par les cuirassiers du général Nansouty. Différens
mouvemens , différentes actions eurent lieu. L'ennemi
fut contenu , et ne put pas dépasser le village de Posthenem.
>
1
42 MERCURE DE FRANCE ,
Croyant qu'il n'avoit devant lui qu'un corps de 15,000hommes,
l'ennemi continua son mouvement pour filer sur Kænigsberg .
Dans cette occasion , les dragons et les cuirassiers français et
saxons firent les plus belles charges, et prirent quatre pièces
de canon à l'ennemi.
A cinq heures du soir, les différens corps d'armée étoient à
leur place. A la droite , le maréchal Ney ; au centre , le maréchal
Lannes ; à la gauche ,de maréchal Mortier ; à la réserve ,
le corps du général Victor et la garde.
La cavalerie sous les ordres du général Grouchy , soutenoit
la gauche. La division de dragons du général, Latour-Mau- .
bourg étoit en réserve derrière la droite ; la division de dragons
du général Lahoussaye et les cuirassiers saxons étoient en
réserve derrière le centre.
Cependant l'ennemí avoit déployé toute son armée. Il
appuyoit sa gauche à la ville de Friedland , et sa droite se
prolongeoit à une lieue et demie.
1.
L'EMPEREUR , après avoir reconnu la position , décida d'enlever
sur-le-champ la ville de Friedland , en faisant brusquement
un changement de front , la droite en avant , et fit commencer
l'attaque par l'extrémité de sa droite .
:
R
1
८
Acing heures et demie , lemaréchal Ney se mit en mouve-..
ment; quelques salves d'une batterie de vingt pièces de canon
furent le signal. Au même moment, la division du général
Marchand avança , l'arme au bras , sur l'ennemi , prenant sa..
direction sur le clocher de la ville. La division du général
Bisson le soutenoit sur la gauche. Du moment où l'ennemi
s'aperçut que le maréchal Ney avoit quitté le bois où sa
droite étoit d'abord en position , il le fit déborder par des
régimens de cavalerie , précédés d'une nuée de. Cosaques. La
division de dragons du général Latour-Maubourg , se forma
sur-le-champ au galop sur la droite , et repoussa la charge
ennemie. Cependant le général Victor fit placer une batterie
de trente pièces de canon en avant de son centre; le général
Sennarmont qui la commandoit , se porta à plus de quatre
cents pas en avant , et fit éprouver une horrible perte à l'ennemi.
Les différentes démonstrations que les Russes voulurent >
faire pour opérer une diversion , furent inutiles . Le maréchal
Ney, avec un sang-froid et avec cette intrépidité qui lui est
particulière , étoit en avant de ses échelons , dirigeoit luimême
les plus petits détails , et donnoit l'exemple à un corps
d'armée, qui toujours s'est fait distinguer , même parmi les
corps de la Grande-Armée. Plusieurs colonnes d'infanterie
ennemie , qui attaquoient la droite du maréchal Ney , furent
chargées à la baïonnette et précipitées dans l'Alle. Plusieurs
milliers d'hommesy trouvèrent la mort; quelques-uns échap.
1
JUILLET 1807. 43
pèrent à la nage. La gauche du maréchal Ney arriva sur ces
entrefaites au ravin qui entoure la ville de Friedland. L'ennemi
qui y avoit embusqué la garde impériale russe à pied et
à cheval , déboucha avec intrépidité , et fit une charge sur la
gauche du maréchal Ney , qui fut un moment ébranlée ; mais
la division Dapont, qui formoit la droite de la réserve , marsur
la garde impériale , laculbuta , et en fit un horrible
carnage.
cha
L'ennemi tira de ses réserves et de son centre d'autres corps
pour défendre Friedland. Vains efforts ! Friedland fut forcé ,
et ses rues furent jonchées de morts.
Le centre que commandoit le maréchal Lannes se trouva
dans ce moinent engagé. L'effort que l'ennemi avoit fait sur
l'extrémité de la droite de l'armée française ayant échoué ,
it voulut essayer un semblable effort sur le centre. Il y fut
réçu comme on devoit l'attendre des braves divisions Oudinot
et Verdier , et du maréchal qui les commandoit.
Des charges d'infanterie et de cavalerie ne purent pas
retarder la marche de nos colonnes. Tous les efforts de la
bravoure des Russes furent inutiles. Ils ne purent rien entamer ,
et vinrent trouver la mort sous nos baïonnettes.
Le maréchal Mortier qui , pendant toute la journée , fit
grande preuve de sang- froid et d'intrépidité , en inaintenant
là gauche , marcha alors en avant , et fut soutenu par les fusiliers
de la garde que commandoit le général Savary. Cavalerie
, infanterie , artillerie , tout le monde s'est distingué.
La garde impériale à pied et à cheval , et deux divisions
de la réserve du 1 corps n'ont pas été engagées. La victoire
n'a pas hésité un seul instant. Le champ de bataille est
un des plus horribles qu'on puisse voir. Ce n'est pas exagérer
que de porter le nombre des morts , du côté des Russes , de
15 à 18 mille hommes. Du côté des Français , la perte ne se
monte pas à500 morts , nià plus de 3000 blessés. Nous avons
pris 80 pièces de canon et une grande quantité de caissons.
Plusieurs drapeaux sont restés en notre pouvoir. Les Russes
ont eu 25 généraux tués , pris ou blessés. Leur cavalerie a fait
des pertes immenses. i
Les carabiniers et les cuirassiers , commandés par le général
Nansouty, et les différentes divisions de dragons se sont fait
remarquer. Le général Grouchy, qui commandoit la cavalerie
de l'aîle gauche , a rendu des services importans.
Le général Drouet , chef de l'état- major du corps d'armée
du maréchal Lannes ; le général Cohorn ; le colonel Regnaud,
du 15º de ligne; le colonel Lajonquière , du 60º de ligne ; le
colonel Lamotte , du 4º de dragons , et le général de brigade
44 MERCURE DE FRANCE ,
Brun, ont étéblessés. Le général de division Latour-Maubourg
l'a été à la main. Le colonel d'artillerie Desfourneaux , et le
chef d'escadron Hutin , premier aide-de-camp du général
Oudinot , ont été tués. Les aides-de-camp de l'EMPEREUR ,
Mouton et Lacoste , ont été légèrement blessés.
La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi : on
l'a suivi jusqu'à onze heures du soir. Le reste de la nuit , les
colonnes qui avoient été coupées ont essayé de passer l'Alle ,
àplusieurs gués. Partout , le lendemain et à plusieurs lieues ,
nous avons trouvé des caissons , des canons , etdes voitures
perdues dans la rivière.
Labataille de Friedland est digne d'être mise à côté de celles
deMarengo , d'Austerlitz et d'Jena. L'ennemi étoit nombreux ,
avoit une belle et forte cavalerie, et s'est battu avec courage.
Le lendemain 15 , pendant que l'ennemi essayoit de se rallier
, et faisoit sa retraite sur la rive droite de l'Alle , l'armée
française continuoit sur la rive gauche ses manoeuvres pour
le couper de Kænigsberg.
Les têtes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau ,
ville située au confluent de l'Alle et de la Pregel.
L'EMPEREUR avoit son quartier-général au village de Paterswalde.
Le 16, à la pointe du jour, l'ennemi ayant coupé tous les
ponts , mit à profit cet obstacle pour continuer son mouvement
rétrograde sur la Russie.
Ahuit heures du matin l'EMPEREUR fit jeter un pont sur la
Pregel , et l'armée s'y mit en position.
Presque tous les magasins que l'ennemi avoit sur l'Alle , ont
été par lui jetés à l'eau ou brûlés : par ce qui nous reste , on
peut connoître les pertes immenses qu'il a faites. Partout dans
les villages les Russes avoient des magasins , et partout en passant
, ils les ont incendiés. Nous avons cependant trouvé à
Wehlau plus de six mille quintaux de blé.
Alanouvelle de la victoire de Friedlang , Koenigsberg a été
abandonné. Le maréchal Soult est entré dans cette place , où
nous avons trouvé des richesses immenses , plusieurs centaines
de milliers de quintaux de blé , plus de 20,000 blessés russes,
et prussiens, tout ce que l'Angleterre a envoyé de munitions de
guerre à la Russie , entr'autres 160,000 fusils encore embarqués.
Ainsi la Providence a puni ceux qui , au lieu de négocier
de bonne foi pour arriver à l'oeuvre salutaire de la
paix , s'en sont fait un jeu , prenant pour foiblesse et pour
impuissance la tranquillité du vainqueur.
L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords de
la Pregel sont riches. Dans peu, les magasins et les caves de
JUILLET 1807 . 45
Dantzick et de Kænigsberg vont nous apporter de nouveaux
moyens d'abondance et de santé.
Les noms des braves qui se sont distingués , les détails de ce
que chaque corps a fait , passent les bornes d'un simple bulletin,
et l'état-major s'occupe de réunir tous les faits.
Le prince de Neuchâtel a, dans la bataille de Friedland ,
donné des preuves particulières de son zèle et de ses talens.
Plusieurs fois il s'est trouvé au fort de la mêlée , et y a fait
desdispositions utiles .
L'ennemi avoit recommencé les hostilités le 5. On peut
évaluer la perte qu'il a éprouvée en dix jours , et par suite de
ces opérations , à60,000 hommes pris , blessés , tués ou hors
de combat. Il a perdu une partie de son artillerie , presque
toutes ses munitions, et tous ses magasins sur une ligne de
plus dequarante lieues. Les armées françaises ont rarement
obtenu de si grands succès avec moins de pérte.
LXXX BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Tilsit , le 19 juin 1807.
Pendant le temps que les armées françaises se signaloient sur
le champ de bataille de Friedland , le grand-duc de Berg ,
arrivé devant Koenigsberg , prenoit en flanc le corps d'armée
du général Lestocq.
Le 13 , le maréchal Soult trouva à Creutzbourg l'arrièregarde
prussienne. Ladivision de dragons Milhaud exécuta une
belle charge, culbuta la cavalerie prussienne , et enleva plusieurs
pièces de canon.
Le14 , l'ennemi fut obligé de s'enfermer dans ka placede
Kænigsberg. Vers le milieu de la journée , deux colonnes
ennemies coupées se présentèrent pour entrer dans la place.
six pièces de canon et 3 à 4000 hommes qui composoient
cette troupe , furent pris. Tous les faubourgs de Kænigsberg
furent enlevés. Ony fit un bonnombre de prisonniers.
En résumé , les résultats de toutes ces affaires sont 4 à 5000
prisonniers et 15 pièces de canon.
Le 15 et le 16, le corps d'armée du maréchal Soult fut
contenu devant les retranchemens de Kænigsberg; mais la
marche du gros de l'armée sur Wehlau obligea l'ennemi à
évacuer Kænigsberg , et cette place tomba en notre pouvoir.
Ce qu'on a trouvé à Koenigsberg en subsistances est immense.
Deux cents gros bâtimens , venant de Russie , sont encore tous
chargésdans le port. Ily abeaucoup plus de vins et d'eau-devie
qu'on n'étoit dans le cas de l'espérer.
Unebrigadede la division Saint-Hilaire s'est portée devant
lau pour en former le siége , et le général Rapp a fait partir
44. MERCURE DE FRANCE ,
Brun, ont été blessés . Le général de division Latour-Maubourg
l'a été à la main. Le colonel d'artillerie Desfourneaux , et le
chef d'escadron Hutin , premier, aide-de-camp du général
Oudinot , ont été tués. Les aides-de - camp de l'EMPEREUR ,
Mouton et Lacoste , ont été légèrement blessés.
La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi : on
l'a suivi jusqu'à onze heures du soir. Le reste de la nuit ,
les
colonnes qui avoient été coupées ont essayé de passer l'Alle ,
à plusieurs gués. Partout , le lendemain et à plusieurs lieues ,
nous avons trouvé des caissons ,
des canons , et des voitures
perdues dans la rivière.
La bataille de Friedland est digne d'être mise à côté de celles
de Marengo , d'Austerlitz et d'Jena. L'ennemi étoit nombreux ,
avoit une belle et forte cavalerie , et s'est battu avec courage.
Le lendemain 15 , pendant que l'ennemi essayoit de se rallier
, et faisoit sa retraite sur la rive droite de l'Alle , l'armée
française continuoit sur la rive gauche ses manoeuvres pour
le couper de Koenigsberg.
+
Les têtes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau 9:
ville située au confluent de l'Alle et de la Pregel.
L'EMPEREUR avoit son quartier-général au village de Paterswalde.
Le 16 , à la pointe du jour , l'ennemi ayant coupé tous les
ponts , mit à profit cet obstacle pour continuer son mouvement
rétrograde sur la Russie.
A huit heures du matin l'EMPEREUR fit jeter un pont sur la
Pregel , et l'armée s'y mit en position.
été
Presque tous les magasins que l'ennemi avoit sur l'Alle , ont
par lui jetés à l'eau ou brûlés : par ce qui nous reste , on
peut connoître les pertes immenses qu'il a faites . Partout dans
les villages les Russes avoient des magasins , et partout en passant
, ils les ont incendiés. Nous avons cependant trouvé à
Wehlau plus de six mille quintaux de blé.
A la nouvelle de la victoire de Friedlang , Koenigsberg a été
abandonné. Le maréchal Soult est entré dans cette place , où
nous avons trouvé des richesses immenses , plusieurs centaines
de milliers de quintaux de blé , plus de 20,000 blessés russes
et prussiens , tout ce que l'Angleterre a envoyé de munitions de
guerre à la Russie , entr'autres 160,000 fusils encore embarqués.
Ainsi la Providence a puni ceux qui , au lieu de négocier
de bonne foi pour arriver à l'oeuvre salutaire de la
paix , s'en sont fait un jeu , prenant pour foiblesse et pour
impuissance la tranquillité du vainqueur.
L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords de .
la Pregel sont riches. Dans peu , les magasins et les caves de
JUILLET 1807 . 45
Dantzick et de Koenigsberg vont nous apporter de nouveaux
moyens d'abondance et de santé.
Les noms des braves qui se sont distingués , les détails de ce
que chaque corps a fait , passent les bornes d'un simple bulleet
l'état- major s'occupe de réunir tous les faits.
Le prince de Neuchâtel a , dans la bataille de Friedland ,
donné des preuves particulières de son zèle et de ses talens .
Plusieurs fois il s'est trouvé au fort de la mêlée , et y a fait
des dispositions utiles .
L'ennemi avoit recommencé les hostilités le 5. On peut
évaluer la perte qu'il a éprouvée en dix jours , et par suite de
ces opérations , à 60,000 hommes pris , blessés , tués ou hors
de combat. Il a perdu une partie de son artillerie , presque
toutes ses munitions , et tous ses magasins sur une ligne de
plus de quarante lieues. Les armées françaises ont rarement
obtenu de si grands succès avec moins de pérte.
LXXX BULLETIN DE LA GRANDE -ARMÉE.
Tilsit , le 19 juin 1807.
Pendant le temps que les armées françaises se signaloient sur
le champ de bataille de Friedland , le grand-duc de Berg ,
arrivé devant Koenigsberg , prenoit en flanc le corps d'armée
du général Lestocq.
Le 13 , le maréchal Soult trouva à Creutzbourg l'arrièregarde
prussienne. La division de dragons Milhaud exécuta une
belle charge , culbuta la cavalerie prussienne , et enleva plusieurs
pièces de canon.
Le 14 , l'ennemi fut obligé de s'enfermer dans la place de
Koenigsberg. Vers le milieu de la journée , deux colonnes
ennemies coupées se présentèrent pour entrer dans la place.
six pièces de canon et 3 à 4000 hommes qui composoient
cette troupe , furent pris. Tous les faubourgs de Koenigsberg
furent enlevés. On y fit un bon nombre de prisonniers.
En résumé , les résultats de toutes ces affaires sont 4 à 5000
prisonniers et 15 pièces de canon.
1
Le 15 et le 16 , le corps d'armée du maréchal Soult fut
contenu devant les retranchemens de Koenigsberg ; mais la
marche du gros de l'armée sur Wehlau obligea l'ennemi à
évacuer Koenigsberg , et cette place tomba en notre pouvoir .
Ce qu'on a trouvé à Koenigsberg en subsistances est immense.
Deux cents gros bâtimeus , venant de Russie , sont encore tous
chargés dans le port. Il y a beaucoup plus de vins et d'eau- devie
qu'on n'étoit dans le cas de l'espérer.
Une brigade de la division Saint- Hilaire s'est portée devant
lau pour en former le siége , et le général Rapp a fait partir
46 MERCURE DE FRANCE ,
(
deDantzick une colonne chargée d'aller , par le Neirung ,
établir devant Pillau une batterie qui ferme le Haff. Des bâtimens
montés par des marins de la garde nous rendent maîtres
de cette petite mer.
Le 17, l'EMPEREUR porta son quartier-général à la métairie
deDruckein près Klein-Schirau; le 18 , il le porta à Sgaisgirren;
le 19, a deux heures après midi , il entra à Tilsit.
Le grand-duc de Berg , à la tête de la plus grande partie
de la cavalerie légère , des divisions de dragons et de cuirassiers
, a mené battant l'ennemi ces troisjours dernierrss ,, et lui
a fait beaucoup de mal. Le 5º régiment de hussards s'est distingué
; les Cosaques ont été culbutés plusieurs fois , et ont
beaucoup souffert dans ces différentes charges. Nous avons eu
peu de tués et de blessés. Au nombre de ces derniers , se trouve
lechefd'escadron Piéton , aide-de-camp du grand-duc deBerg.
Après le passage de la Pregel , vis-à-vis Wehlau , un tambour
fut chargé par un Cosaque, et se jeta ventre a terre. Le
Cosaque prend sa lance pour en percer le tambour ; mais
celui-ci conserve toute sa présence d'esprit , tire à lui la
lance , désarme le Cosaque et le poursuit.
Un fait particulier qui a excité le rire des soldats , a eu licu
pour la première fois vers Tilsit ; on a vu une nuée de Kalmoucks
se battant à coups de flèches. Nous en sommes fachés
pour ceux qui donnent l'avantage aux armes anciennes sur les
modernes ; mais rien n'est plus risible que le jeu de ces armes
contre nos fusils.
Le maréchal Davoust , à la tête du 5º corps , a débouché par
Labiau , est tombé sur l'arrière-garde ennemie , et lui a fait
2500 prisonniers .
De son côté , le maréchal Ney est arrivé le 17 à Insterbourg ,
y a pris un millier de blessés , et a enlevé à l'ennemi des magasins
assez considérables .
Les bois , les villages sont pleins de Russes isolés , ou blessés ,
ou malades . Les pertes de l'armée russe sont énormes : elle n'a
ramené avec elle qu'une soixantaine de pièces de canon. La
rapidité des marches empêche de connoître encore toutes les
pièces qu'on a prises à la bataille de Friedland : on croit que
le nombre passera 120 .
OS
Ala hauteur de Tilsit , les billets ci-joints nºs I et II , ont
été remis au grand-duc de Berg , et par suite le prince russe
lieutenant-général Labanoff a passé le Niemen , et a conféré
une heure avec le prince de Neufchâtel .
L'ennemi a brûlé en grande hâte le pont de Tilsit sur le
Niemen , et paroît continuer sa retraite sur la Russie . Nous
sommes sur les confins de cet empire. Le Niemen vis- à-vis
;
JUILLET 1807 . 47
Tilsit est un peu plus large que la Seine. L'on voit de la rive
gauche une nuée de Cosaques qui forme l'arrière-garde ennemie
sur la rive droite.
Déjà l'on ne commet plus aucunes hostilités.
Ce qui restoit au roi de Prusse est conquis. Cet infortune
prince n'a plus en son pouvoir que le pays situé entre le Niemen
et Memel . La plus grande partie de son armée , ou plutôt
de la division de ses troupes , déserte , ne voulant pas aller en
Russie.
L'empereur de Russie est resté trois semaines à Tilsit avec
le roi de Prusse. A la nouvelle de la bataille de Friedland , l'un
et l'autre sont partis en toute hâte .
N°. I.
Le général en chef Benningson , à S. Exc. le prince
Bagration.
Mon Prince ,
Après les flots de sang qui ont coulé ces jours derniers dans
des combats aussi meurtriers que souvent répétés , je desirerois
soulager les maux de cette guerre destructive , en proposant
un armistice , avant que d'entrer dans une lutte , dans une
guerre nouvelle , peut-être plus terrible encore que la première.
Je vous prie , mon prince , de faire connoître aux chefs
de l'armée française cette intention de ma part , dont les suites
pourroient peut- être avoir des effets d'autant plus salutaires ,
qu'il est déjà question d'un congrès général , et pourroient
prévenir une effusion inutile de sang humain. Vous voudrez
bien ensuite me faire parvenir les résultats de votre démarche ,
et me croire avec la considération la plus distinguée , mon
prince, de votre excellence,
Le très-humble et très-obéissant serviteur ,
N°. I I.
Monsieur le Général ,
Signé B. BENNINGSON.
M. le général commandant en chef vient de m'adresser une
lettre relativement aux ordres que S. Exc. a reçus de S. М.
l'empereur , en me chargeant de vous faire part de son contenu .
Je ne crois pas pouvoir mieux répondre à ses intentions , qu'en
vous la faisant tenir en original . Je vous prie en même temps
de me faire parvenir votre réponse , et d'agréer l'assurance de
la considération distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être ,
M. le général ,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur ,
Le 6 ( 18 ) juin.
Signé BAGRATION.
48 MERCURE DE FRANCE ,
Lettre de S. M. l'EMPEREUR, et Rot à MM. les Archevêques
etEvêques.
Monsieur l'évêque de..... La victoire éclatante qui vient
d'être remportée par nos armes sur le champ de bataille de
Friedland , qui a confondu les ennemis de notre peuple , et
qui a mis en notre pouvoir la ville importante de Kænigsberg
et les magasins considérables qu'elle contenoit, doit être pour
nos sujets unnouveau motifd'actions de graces envers le Dieu
des armées. Cette victoire mémorable a signalé l'anniversaire
de la bataille de Marengo , de ce jour où tout couvert encore
de lapoussière du champ de bataille , notre première pensée,
notre premier soin fut pour le rétablissement de l'ordre et de
la paix dans l'Eglise de France. Notre intention est qu'au recu
dela présentevous vous concertiez avec qui de droit, et vous
réunissiez nos sujets de votre diocèse dans vos églises cathédrales
et paroissiales , pour y chanter un Te Deum, et adresser
au ciel les autres prières que vous jugerez convenable d'ordonner
dans de pareilles circonstances. Cette lettre n'étant à
d'autre fin , Monsieur l'évêque de....... , je prie Dieu qu'il vous
aït en sa sainte garde. Ecrit en notre campimpérial de Friedland
,le 15 juin 1807. Signé NAPOLEON.
:
FONDS PUBLICS DU MOIS DE JUIN.
DU SAM . 27.-C p. olo c. J. du 22 mars 1807 , 778 500 600 700,750
650750 700 800 ooc oofooc oufooc ooc. ooc . oococ oofooc ooc
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 74f. goc 7 fooc oof
Act. de la Banque de Fr. 1282f 50c. quouf, oooof ooc onc 3
DU LUNDI 29.- Cpour 0/0c. J. du 22 mars 1807 , 770 700800 700450
50c 450 000 000 000 00. 000 000 οοί οι f. 000 000 000 000.
Idem. Jouiss. du22 sept . 1807 , 7f74c. goc . Foc ose
Act. de la Banque de Fr. 12° 5fooc oooof doc. do of
DU MARDI 30. - С p. oo c. J. du 22 mars 1807 , 77f 30c 25€ 30040€
500 000 000.000 000 000 000. oof ooo ooc coc ooc oof oof o00
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 74f. goc oof ooo ooc ooc, 000 000
Act. de la Banque de Fr. 1282f500 128 fooc 0000f. oooof
DU MERCREDI JUILLET Cp.ooc. J. du 22 mars 1807 , 778400506
650 600 700 6 с. 800 75c.oofa cooc ofooc. o f.
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807, 75fo coof. oof ooc ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. 129of 130af50c ocoof oof
DU JEUDI 2. Cp. ooc. J. du 22 mars 1807 : 771700 750 700 500 656
60c 50со соос оос оос оос бос оос осоос 0° C 000 000 000 сос оос
Idem. Jouiss. du 22sept. 1807 , 7 f oof ooc oof ooc oor oofooc
Act. de la Banque de Fr. 131 f. 131af 500.000 f. 00ooof
DU VENDREDI 3. -C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 77f 50c 40c. 50€
400 450 000 000 ooc boc oof oof ooc ooc oof ooc ooc ooc ooc oof one o
Idem Jouiss. du 22 sept. 1807 , 75f 740 900. oof ooc coe
Act. de laBanque de Fr. 1312f 50€ 13151000of
4
5.
(No CCCXII. ).
( SAMEDI 11 JUILLET 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
LE CAPUCIN DEVANT UNE PLANETE ,
cr
PIÈCE INÉDITE DU PÈRE DU CERCEAU .
S'IL est des gens heureux au monde , c'est vous autres ,
» Disoit au Père Luc , très-digne capucin ,
8.
>> Certain notable et pieux citadin :
>> Plus pauvres que jadis n'ont été les Apôtres ,
» Vous ignorez les croix de la nécessité ;
» Et , riches dans votre indigence ,
>> Du sein de la mendicité
>> Vous savez tirer l'abondance.
» J'admire votre austérité ;
» Mais , malgré les rigueurs d'une étroite observance ,
» Jusque dans votre barbe on voit , en liberté ,
» A l'ombre de la pénitence ,
>> S'épanouir une sainte gaieté .
» D'ailleurs , pour le salut , car c'est la grande affaire ,
» Nul risque , entière sûreté :
>> Sevré de toute volupté ,
» Un capucin peut - il mal faire ?
» Il ne peut même être tenté,
» Eh , qui seroit assez hardi pour l'entreprendre ?
» Le Démon ? Bagatelle , il ne s'y jouera pas ;
» Et quand il le voudroit , le pauvre diable , hélas !
» Il ne sauroit par où s'y prendre.
>>
D
cen
50 MERCURE DE FRANCE,
« Il le sait pourtant bien , dit en nazillonant,
» Le Père Luc ; nul homme de ses piéges ,
» Pas même un capucin, tant qu'il vit n'est exempt :
>> Notre Ordre a bien des priviléges ,
> Mais pour celui-là , non; il ne nous est point dû.
>> Songez que c'est un don d'une faveur suprême ,
» Que du troisième ciel l'Apôtre descendu
>> Ne put obtenir pour lui-même ; 1
» Il avoit , nous dit- il , un Ange de Satan ,
>> L'aiguillon de la chair , ce grand , ce saint Apôtre ;
>> C'étoit son fléau , son tyran ,
› Comme à nous , capucins , la gloire c'est le nôtre .
La gloire..... Vous voyez où je veux en venir ;
>> Représentez- vous donc cette estime profonde
>> Que pour notre saint Ordre on a dans tout le monde;
Tous ces talens qu'on voit en nous se réunir ,
>> Celui d'une haute science ,
>> Celui d'une sublime et pompeuse éloquence ,
Que par de grands succès Dieu se plaît à bénir .
>> Enfin , ce zèle ardent , souffrez que je le dise ,
>> Qui de chacun de nous , pour le bien définir ,
>> Fait autant de piliers et d'appuis de l'Eglise ;
>> Et tout ensemble forme , il faut en convenir,
>> Un poids de gloire immense , encor que bien acquise;
>> Mais un poids , après tout , terrible à soutenir .
>> En vain l'humilité gronde et se fait entendre ,
» Elle a beau nous crier : « Homme , tu n'es que cendre !
>> L'orgueil , dans notre coeur , lui réplique soudain :
« Je suis homme , il est vrai , mais je suis capucin ! >>>
>> Voilà pourtant , selon l'oracle évangélique ,
>> Voilà le grand chemin qui conduit en Enfer.
>> L'orgueil , qui perdit Lucifer ,
>> Peut perdre un capucin le plus scientifique.
>> J'ai donc long-temps cherché , dans ma perplexité,
>>>Quelque bonne et sainte pratique
» Pour attérer l'esprit de vanité ,
» Un principe qui fût solide et sans réplique :
» Après avoir bien médité,
>> Je l'ai trouvé dans la physique.
>> J'ai songé qu'il étoit telle planète aux cieux ,
>> Plus grande au moins vingt fois que n'est tout ce bas monde ,
>> Y comprenant la terre et l'onde ,
>> Tout immense , tout grand qu'il paroisse à nos yeux.
> Quoi ce monde , ai-je dit , et ce qui le compose ,
JUILLET 1807 . 51
➡ Devant ces corps brillans devient si peu de chose !
>> Hé , que suis-je donc moi dans tout ce composé ?
>> Ce principe une fois posé ,
» Voici contre l'orgueil , sitôt qu'il m'inquiète,
>> Mon spécifique et ma recette :
>> Vers le plus haut du firmament
>> Je braque en esprit ma lunette ,
>> J'y vois ces vastes corps ; et dans l'étonnement .
>> Où leur grandeur énorme , accablante , me jette ,
>> Je m'abyme dans mon néant ,
>> Et jedis , en m'humiliant ,.
> Qu'est-ce qu'un capuçin devant une planète ?>>
:
"
D'UN
HYMNE
UN CONVALESCENT AU SOLEIL
Je te salue , ô toi dont la chaleur
Vient rappeler mon ame évanouie ,
Etdans mon corps , usé par la douleur , ...
Fait circuler la sève de la vie .
Un jour suffit pour ranimer la fleur
Que sur sa tige Eole avoit fanée ;
J'ai plus souffert....Astre réparateur ,
Brille pour moi plus d'une matinée !
Ca
20
1 i,
Je ne puis plus gravir le mont voisin ,
Où si souvent j'ai devancé l'aurore ,
Ni sur les flots suivre le mât lointain, "
Qui de tes feux le premier se colore.
A
Mais quand tout fuit l'éclat de tes rayons ,
Lorsque le chien, hâletant sous l'ombrage ,
Entr'ouvre à peine un oeil sur ses moutons ,
Seul , dans les champs , je t'offre mon hommage...
Dois je , ô Soleil , tant cherir tes bienfaits !
Il me faudra recommencer la vie....
Moi , je suis seul pour en porter le faix ,
Et j'ai perdu mon père et mon amie .
1
D2
52 MERCURE DE FRANCE,
Quel souvenir est venu m'attrister ! ....
Mais ces regrets pour mon coeur ont des charmes ,
Et je sens trop qu'il est doux d'exister
Pour le plaisir de répandre des larmes .
Hyacinthe GASTON.
ENIGME.
J'HABITE dans les cieux , dans les eaux , sur la terre ,
Dans le centre du feu , mais jamais dans les airs;
L'on me voit en tout temps précéder les éclairs ,
Concourir à former l'orage et le tonnerre.
Sans avoir d'ennemis , je suis toujours en guerre .
Quoiqu'en Chine, en Afrique, et dans toutes les mers ,
Je ne quitte jamais Versailles , ni Tonnerre.
Sans être dans Paris , l'on me voit en tout lieu.
Lecteur , m'as-tu trouvé ? ... Quoi ! pas encore ? Ecoute:
Sans être médecin , je termine la goutte ;
Enfin, prends une fleur, je suis dans son milieu.
LOGOGRIPHE.
Sans ma tête et ma queue , enfant de la douleur,
Je suis souvent encor enfant de l'allégresse;
Avec trois pieds coupés , le poète sans cesse
Et m'invoque et me trouve, et dans sa belle humeur ,
A l'instant même il me marie ;:
Mais souvent il me mésallie;
Et riche et pauvre tour-à-tour ,
Je fais suivre ose à rose , et Sophie à jolie,
も
4
Les plaisirs aux soupirs , un beau jour à l'amour.
1 Avec sept pieds , innocent exercice,
J'ai pu pourtant te mettre un poignard à la main :
D'un ami , d'un rival tu visas droit au sein;
Tu frappas son coeur même ; et sortant de la lice in
Tu fus vainqueur heureux , et non pas assassin.
CHARADE.
21.
MON premier est un gouffre où l'on peut en tout tems
Construire ou consumer cent objets différens.
Du pauvre , mon second est l'unique parure.
Lecteur, crains que mon tout n'arrive à ta monture.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Chandelle.
Celui du Logogriphe est Tamis.
Celui de la Charade est Pot-cau
JUILLET 1807.
53
EXAMEN de l'Opinion de plusieurs Géologues et
Naturalistes : Que les torrens ont creusé les coupures
des rochers où ils ont leur cours. Suivi de
quelques autres Remarques de physique terrestre.
DANS mon Examen de l'hypothèse du chevalier Hall ( 1 ) ,
qui attribue l'origne des couches minérales à l'action d'une
chaleur comprimée sous le poids de couches supérieures , ou
sous celui d'une grande profondeur de la mer , hypothèse
dont j'ai montré toutes les erreurs , j'ai examiné aussi
l'opinion qui attribue à l'érosion d'un courant d'eau les
excavations de quelques couches du mont Salève , qui sont
l'effet d'une dégradation de ces couches , et non point l'ouvrage
de l'érosion d'un courant d'eau .
Je me propose d'examiner à présent , si même des courans
d'eau quelconques peuvent creuser les rochers durs , et
s'y frayer une route , comme l'a pensé M. de Saussure , et
comme le croient encore plusieurs géologues . Ils voient des
torrens couler dans des coupures de rochers : d'où ils tirent
cette conclusion , que les torrens ont creusé ces coupures ; et
cette opinion est presque généralement reçue .
M. de la Condamine , dans la relation de son voyage du
Pérou à la côte du Brésil , en suivant le cours du Maragnon
ou fleuve des Amazones , adoptant cette opinion , dit que
« ce fleuve , après s'être ouvert un passage au milieu de la
» Cordelière , rompt la dernière digue qu'elle lui oppose , en
» se creusant un lit entre deux murailles parallèles de rochers
coupés presque à plomb. » C'est ce fameux et dangereux
passage de deux lieues de longueur , appelé Pongo de
Manseriche.
»
?
Dans son Voyage aux Alpes , M. de Saussure , en parlant
de la perte du Rhone , s'exprime ainsi : « On croiroit , dit-il ,
» que ces rochers , qui paroissent durs sous le_marteau
>> auroient dû mettre un obstacle aux érosions du Rhône , et
» l'empêcher de s'enfoncer davantage ; mais , au contraire ,
» il a pénétré dans ces rochers beaucoup plus avant que
» dans les terres ; il les a même creusés au point de se cacher
» et de disparcître . C'est ce qu'on appelle la perte du Rhône , »
Si les torrens avoient creusé réellement dans les rochers
(1 ) Voyez le Mercure de France du 23 mai.
3
54 MERCURE DE FRANCE ,
les coupures où ils ont leur cours , cet effet devroit continuer
, et c'est ce qui n'arrive point. Ces coupures sont fréquemment
terminées par une coupe abrupte du rocher : le
torrent tombe alors en cascade. S'il eût creusé la coupure
supérieure , cette action ne cesseroit pas : le torrent continueroit
à s'enfoncer , la cascade s'abaisseroit , et il ne resteroit
enfin qu'un canal ou continuité de la fente supérieure
où couleroit le torrent. Cependant le point d'où il se précipite
et forme la cascade ne change pas.Et quand on y réfléchit
, il ne devroit pas même exister une seule cascade : car
si le torrent avoit creusé la coupure qui la domine , cette
action se seroit prolongée sur toute la face du rocher , qui
ne présenteroit alors qu'un canal .
On observe le peu d'action érosive des torrens sur les
rochers durs , lorsqu'ils coulent sur des faces unies : ils n'y
font alors aucune impression. Je le remarquai d'une manière
frappante sur la face d'une montagne très-élevée de la Tarantaise
, qui termine la vallée dite du Glacier, située derrière
le Mont-Blanc , entre le passage des Fours et le col de la
Seigne. Le sommet de cette montagne est couvert d'un glacier
, d'où descendent plusieurs torrens qui se réunissent au
fond de la vallée , et vont , sous le nom d'eau du Glacier , se
jeter dans un autre torrent , et celui-ci dans l'Isère . Ces torrens
, qui sortent du Glacier, coulent avec une très -grande
rapidité ; mais ici , le rocher n'ayant pas de coupure , ils
glissent à la surface sans s'y être creusé de lit. Cependant ces
courans coulent depuis un temps aussi ancien qu'aucun autre
torrent des Alpes. Tout l'effet d'un courant d'eau sur un
rocher dur se réduit , avec le temps , à en polir les surfaces
et en émousser les angles .
On peut en juger soi-même , quand on se baigne dans une
eau courante , et qu'on y reste tranquille. On sent l'eau glis
ser sur la peau , dont le frottement n'est sensible que par le
choc que produit un courant rapide sur un corps qu'il ne
peut entraîner. Tel est de même le choc d'un courant d'air .
Comment , en effet , un fluide aussi mobile que l'eau , dont
les particules roulent les unes sur les autres , qui se prête sur
l'instant à toutes les formes , à toutes Jes inflexion
inflexions , qu'un
souffle agite , pourroit-il frotter avec assez de pression sur
un corps dur , pour l'user d'une manière sensible ?
Lors donc qu'un torrent coule dans la coupured'un rocher,
cette coupure n'est là qu'un accident ; elle existoit avant le
torrent , qui s'y est dirigé , comme à l'endroit le plus bas ,
lorsqu'elle s'est trouvée sur sa route .
On voitdans les montagnes beaucoup de ces coupures sans
JUILLET 1807 . 55
torrent, et l'on en voit aussi dans des rochers moins élevés .
Telle est cette énorme coupure près de Buxton en Derbyshire
, appelée Elden-Hole , qui a plus de 200 pieds de profondeur.
Si elle étoit dominée par une haute montagne d'où
descendit un torrent qui coulât dans son fond , on ne manqueroit
pas de dire : C'est le torrent qui l'a creusée.
Sans doute les fentes où coulent les torrens se dégradent
plus que celles où il n'en coule point. L'eau qui pénètre dans
les fissures du rocher , et qui se gêle en hiver , en détache
de grands morceaux , qui vont encombrer le lit du torrent ;
mais cette cause ne tend pas à le creuser , et ce n'est pas celle
dont il s'agit dans l'hypothèse , non plus que la très-légère
impression que fait sur un rocher la chute d'une goutted'eau .
Les torrens ne se creusent un lit dans les montagnes que
sur les talus de débris des rochers supérieurs : ces matériaux ,
sans liaison , cèdent à l'action d'une eau courante ; et entraînés
par elle , ils vont remplir le fond des vallées . C'est dans ce
premier transport des débris des rochers par les torrens , que
ces débris commencent à prendre une forme arrondie , par
le frottement qu'ils éprouvent les uns contre les autres et sur
le fond où ils sont entraînés , et non pas par le frottement
de l'eau .
La coupure du rocher où le Rhône se perd n'est donc pas
l'effet d'une érosion du fleuve . Il abien pu creuser les couches
de terre , d'argile et de gravier qui couvroient ce rocher ,
dont les bancs horizontaux s'étendent par dessous ces couches;
mais arrivé là , le rocher arrêtoit son action ; et puisqu'il s'y
enfonce, et par un canal aussi étroit , c'est là , comme ailleurs ,
une fente accidentelle .
Pourquoi le Rhône n'auroit-il pas creusé toute la surface
du rocher mise à découvert , plutôt que de concentrer son
action sur une ligne large seulement d'une toise ? Et cette
ligne creusée n'est pas une couche plus tendre du rocher ,
puisqu'elle coupe toutes les couches dans le sens de leur
épaisseur , ces couches étant les mêmes de part et d'autre de
la coupure. Ce n'est donc là qu'une fente accidentelle , qui
doit avoir plusieurs ramifications souterraines . Sans elle , le
Rhône eût coûlé en entier par-dessus la surface découverte
du rocher , et auroit formé une cataracte sur l'endroit où il
ressort .
C'est bien ici où l'on peut remarquer à quoi se réduit l'action
d'une eau courante sur un rocher dur . Quelle que soit la
violence du courant du fleuve , resserré dans un canal aussi
étroit , ce canal est toujours le même; les chocs et les boui!-
lonnemens de cette masse d'eau qui s'y engouffre depuis tant
4
56 MERCURE DE FRANCE ,
de siècles , n'ont fait que polir les surfaces et arrondir les
inégalités .
Les rochers qui bordent ce canal sont à sec dans les basses
eaux, et ces rochers étant abondans en pétrifications marines ,
nous en avons détaché plusieurs mon frère et moi , entr'autres
un nautile d'un pied et demi de diamètre , de l'espèce dont
les cloisons sont découpées en feuilles de persil . La partie de
ces pétrifications qui étoit à découvert à la surface du rocher,
et sur laquelle les eaux du fleuve ont coulé depuis tant de
siècles pendant neuf mois de l'année , est seulement polie ;
les tubérosités et les stries de ces noyaux de coquilles y sont
conservées . Quelques-unes de ces pétrifications présentent
ainsi un singulier contraste : une partie est polie , et la surface
de la partie qui étoit enchâssée dans le rocher a conservé
sa rudesse .
Le pouvoir érosifd'un courantd'eau , qui n'use un rocher
qu'en polissant sa surface , est réduit à bien peu de chose ,
s'il n'est presque nul; et cet effet , tout foible qu'il est , est dû
au menu sable que charie le Rhône depuis la jonction de
l'Arve. On conçoit très-bien que ces petits corps , quoique
durs , ne peuvent pas agir avec plus de puissance , parce que
flottans dans l'eau , où ils n'ont aucun point d'appui , ils
glissent avec elle ; mais ils conservent ce foible degré d'action
que n'auroit pas l'eau toute seule.
Si le Rhône étoit aussi clair dans cette partie de son cours
qu'il l'est au sortir du lac , loin que ses eaux produisissent
la moindre érosion , les rochers se couvriroient de mousses
et de plantes aquatiques , comme on le voit dans sa partie
claire , quoiqu'elle coule avec rapidité .
Non - seulement les excavations des couches du mont
Salève ne sont pas l'effet de l'érosion d'un courant d'eau ,
mais cette érosion imaginée n'est pas possible.
Ainsi le Maragnon , au sortir des Cordelières , n'a pas
creusé le fameux Pongo; mais ayant trouvé sur sa route cette
Jongue et profonde coupure , ily a pris son cours comme à
l'endroit le plus bas .
Les rochers qui causent la chute du Rhin ; celui qui partage
la fameuse cataracte de Niagara , ainsi que tant d'autres
rochers qui brisent le courant des fleuves , seroient déjà
effacés , si l'eau avoit sur les rochers durs l'action érosive
qu'on lui attribue.
Quelques géologues persuadés de la réalité de ces érosions,
mais remarquant cependant que leur action devoit être d'une
lenteur extrême , ont cru voir dans ces coupures de rochers
où coulent les torrens , une preuve de la grande antiquité de
JUILLET 1807.
57
nos continens ; mais il en est de ce fait supposé , comme de
tous ceux cités par les partisans de cette grande antiquité :
lorsqu'ils sont examinés avec attention , cette apparence
s'évanouit pour faire place à une cause toute différente .
Je dois ajouter à la vérité que j'ai établie dans mes précédentes
observations , qu'il n'existe point de courans au fond de la mer ; que les sédimens des fleuves avec lesquels on
fait construire , par ces courans supposés , de nouveaux continens
et de nouvelles montagnes qui paroîtront à leur tour
au -dessus des eaux , que ces sédimens n'arrivent point dans
les profondeurs de la mer ; les flots les repoussent au rivage,
d'où résultent ces attérissemens qui se forment à l'embou-
'chure des fleuves .
Je rappellerai à cette occasion des remarques que j'ai déjà
faites , qu'il peut être utile de présenter de nouveau ; car ,
quoiqu'elles soient attestées par des faits exposés aux yeux de
tous les hommes , on n'y fait que bien rarement attention .
Les plaines riantes de la Hollande aux embouchures de la
Meuse et du Rhin , les lagunes sur lesquelles Venise est
bâtie , et les îles qui l'environnent aux embouchures de
l'Adige et du Pô , les campagnes fertiles de la basse Egypte
aux embouchures du Nil , celles de Bassora aux embouchures
du Tygre et de l'Euphrate , celles du Bengale aux
embouchures du Gange , et tous les autres attérissemens
productifs ou stériles encore , qui étendent la demeure des
hommes , charient les
attestent le sable et le limon
que que
fleuves ne vont pas s'enfoncer sous les flots de la mer pour y former des continens nouveaux, lesquels n'ont d'existence que
dans l'imagination des écrivains qui en font la base de leurs
systèmes.
Ces mêmes attérissemens , dépôts des fleuves , ont été
pris par d'autres écrivains géologues pour l'effet d'une retraite
de la mer, qui , en abandonnant ces côtes , alloit couvrir
d'autres rivages , et faisoit ainsi , de même dans leur imagination
, le tour de la terre , à la suite d'une longue succession
de siècles : car les millions d'années ne coûtent rien ,
faut les accumuler pour établir leur système.
s'il
Les uns ont élevé ainsi , dans le fond de la mer , des continens
futurs avec le sédiment des fleuves qui reste sur le
rivage ; les autres ont regardé l'accumulation de ce sédiment
sur le bord de la mer comme un sol qu'elle abandonne , quoiqu'elle
ne change pas de niveau . C'est ainsi que naissent les
illusions , lorsqu'on n'observe les faits que pour les faire
cadrer à une hypothèse favorite.
On méprend aussi les éboulemens qui arrivent quelquet
54 MERCURE DE FRANCE ,
les coupures où ils ont leur cours , cet effet devroit continuer
, et c'est ce qui n'arrive point. Ces coupures sont fréquemment
terminées par une coupe abrupte du rocher : le
torrent tombe alors en cascade. S'il eût creusé la coupure
supérieure , cette action ne cesseroit pas : le torrent continueroit
à s'enfoncer , la cascade s'abaisseroit , et il ne resteroit
enfin qu'un canal ou continuité de la fente supérieure
où couleroit le torrent . Cependant le point d'où il se précipite
et forme la cascade ne change pas . Et quand on y réflé
chit , il ne devroit pas même exister une seule cascade : car
si le torrent avoit creusé la coupure qui la domine , cette
action se seroit prolongée sur toute la face du rocher , qui
ne présenteroit alors qu'un canal.
On observe le peu d'action érosive des torrens sur les
rochers durs , lorsqu'ils coulent sur des faces unies : ils n'y
font alors aucune impression . Je le remarquai d'une manière
frappante sur la face d'une montagne très -élevée de la Tarantaise
, qui termine la vallée dite du Glacier , située derrière
le Mont-Blanc , entre le passage des Fours et le col de la
Seigne. Le sommet de cette montagne est couvert d'un glacier
, d'où descendent plusieurs torrens qui se réunissent au
fond de la vallée , et vont , sous le nom d'eau du Glacier , se
jeter dans un autre torrent , et celui-ci dans l'Isère . Ces torrens
, qui sortent du Glacier , coulent avec une très- grande
rapidité ; mais ici , le rocher n'ayant pas de coupure , ils
glissent à la surface sans s'y être creusé de lit. Cependant ces
courans coulent depuis un temps aussi ancien qu'aucun autre
torrent des Alpes. Tout l'effet d'un courant d'eau sur un
rocher dur se réduit , avec le temps , à en polir les surfaces
et en émousser les angles.
le
On peut en juger soi -mêine , quand on se baigne dans une
eau courante , et qu'on y reste tranquille . On sent l'eau glisser
sur la dont le frottement n'est sensible peau, que par
choc que produit un courant rapide sur un corps qu'il ne
peut entraîner. Tel est de même le choc d'un courant d'air .
Comment , en effet , un fluide aussi mobile que l'eau , dont
les particules roulent les unes sur les autres , qui se prête sur
l'instant à toutes les formes , à toutes les inflexions , qu'un
souffle agite , pourroit- il frotter avec assez de pression sur
un corps
dur ,. pour l'user d'une manière sensible ?
Lors donc qu'un torrent coule dans la coupure d'un rocher,
cette coupure n'est là qu'un accident ; elle existoit avant le
torrent , qui s'y est dirigé , comme à l'endroit le plus bas ,
lorsqu'elle s'est trouvée sur sa route .
On voit dans les montagnes beaucoup de ces coupures sans
JUILLET 1807 .
55
torrent , et l'on en voit aussi dans des rochers moins élevés .
Telle est cette énorme coupure près de Buxton en Derbyshire
, appelée Elden-Hole , qui a plus de 200 pieds de profondeur.
Si elle étoit dominée par une haute montagne d'où
descendît un torrent qui coulât dans son fond , on ne manqueroit
pas de dire : C'est le torrent qui l'a creusée .
Sans doute les fentes où coulent les torrens se dégradent
plus que celles où il n'en coule point . L'eau qui pénètre dans
les fissures du rocher , et qui se gêle en hiver , en détache
de grands morceaux , qui vont encombrer le lit du torrent ;
mais cette cause ne tend pas à le creuser , et ce n'est pas celle
dont il s'agit dans l'hypothèse , non plus que la très-légère
impression que fait sur un rocher la chute d'une goutte d'eau .
Les torrens ne se creusent un lit dans les montagnes que
sur les talus de débris des rochers supérieurs : ces matériaux ,
sans liaison , cèdent à l'action d'une eau courante ; et entraînés
par elle , ils vont remplir le fond des vallées. C'est dans ce
premier transport des débris des rochers par les torrens , que
ces débris commencent à prendre une forme arrondie , par
le frottement qu'ils éprouvent les uns contre les autres et sur
le fond où ils sont entraînés , et non pas par le frottement
de l'eau.
La coupure du rocher où le Rhône se perd n'est donc pas
l'effet d'une érosion du fleuve . Il a bien pu creuser les couches
de terre , d'argile et de gravier qui couvroient ce rocher ,
dont les bancs horizontaux s'étendent par dessous ces couches;
mais arrivé là , le rocher arrêtoit son action ; et puisqu'il s'y
enfonce, et par un canal aussi étroit , c'est là , comme ailleurs ,
une fente accidentelle .
Pourquoi le Rhône n'auroit- il pas creusé toute la surface
du rocher mise à découvert , plutôt que de concentrer son
action sur une ligne large seulement d'une toise ? Et cette
ligne creusée n'est pas une couche plus tendre du rocher ,
puisqu'elle coupe toutes les couches dans le sens de leur
épaisseur , ces couches étant les mêmes de part et d'autre de
la coupure. Ce n'est donc là qu'une fente accidentelle , qui
doit avoir plusieurs ramifications souterraines . Sans elle , le
Rhône eût coûlé en entier par-dessus la surface découverte
du rocher , et auroit formé une cataracte sur l'endroit où il
ressort.
C'est bien ici où l'on peut remarquer à quoi se réduit l'action
d'une eau courante sur un rocher dur. Quelle que soit la
violence du courant du fleuve , resserré dans un canal aussi
étroit , ce canal est toujours le même ; les chocs et les bouillonnemens
de cette masse d'eau qui s'y engouffre depuis tant
4
56 MERCURE DE FRANCE ,
de siècles , n'ont fait que polir les surfaces et arrondir les
inégalités .
Les rochers qui bordent ce canal sont à sec dans les basses
eaux , et ces rochers étant abondans en pétrifications marines ,
nous en avons détaché plusieurs mon frère et moi , entr'autres
un nautile d'un pied et demi de diamètre , de l'espèce dont
les cloisons sont découpées en feuilles de persil . La partie de
ces pétrifications qui étoit à découvert à la surface du rocher,
et sur laquelle les eaux du fleuve ont coulé depuis tant de
siècles pendant neuf mois de l'année , est seulement polie ;
les tubérosités et les stries de ces noyaux de coquilles y sont
conservées . Quelques-unes de ces pétrifications présentent
ainsi un singulier contraste : une partie est polie , et la surface
de la partie qui étoit enchâssée dans le rocher a conservé
sa rudesse .
Le pouvoir érosif d'un courant d'eau , qui n'use un rocher
qu'en polissant sa surface , est réduit à bien peu de chose
s'il n'est presque nul ; et cet effet , tout foible qu'il est , est dû
au menu sable que charie le Rhône depuis la jonction de
l'Arve . On conçoit très -bien que ces petits corps , quoique
durs , ne peuvent pas agir avec plus de puissance , parce que
flottans dans l'eau , où ils n'ont aucun point d'appui , ils
glissent avec elle ; mais ils conservent ce foible degré d'action
que n'auroit l'eau toute seule .
pas
1
Si le Rhône étoit aussi clair dans cette partie de son cours
qu'il l'est au sortir du lac , loin que ses eaux produisissent
la moindre érosion , les rochers se couvriroient de mousses
et de plantes aquatiques , comme on le voit dans sa partię
claire , quoiqu'elle coule avec rapidité .
Non - seulement les excavations des couches du mont
Salève ne sont pas l'effet de l'érosion d'un courant d'eau ,
mais cette érosion imaginée n'est pas possible .
Ainsi le Maragnon , au sortir des Cordelières , n'a pas
creusé le fameux Pongo ; mais ayant trouvé sur sa route cette
Jongue et profonde coupure , il y a pris son cours comme à
l'endroit le plus bas.
Les rochers qui causent la chute du Rhin ; celui qui partage
la fameuse cataracte de Niagara , ainsi que tant d'autres
rochers qui brisent le courant des fleuves , seroient déjà
effacés , si l'eau avoit sur les rochers durs l'action érosive
qu'on lui attribue.
Quelques géologues persuadés de la réalité de ces érosions ,
mais remarquant cependant que leur action devoit être d'une
lenteur extrême , ont cru voir dans ces coupures de rochers
où coulent les torrens , une preuve de la grande antiquité de
JUILLET 1807 . 57
nos continens ; mais il en est de ce fait supposé , comme de
tous ceux cités par les partisans de cette grande antiquité :
lorsqu'ils sont examinés avec attention , cette apparence
s'évanouit pour faire place à une cause toute différente .
Je dois ajouter à la vérité que j'ai établie dans mes précédentes
observations , qu'il n'existe point de courans au
fond de la mer; que les sédimens des fleuves avec lesquels on
fait construire , par ces courans supposés , de nouveaux continens
et de nouvelles montagnes qui paroîtront à leur tour
au -dessus des eaux , que ces sédimens n'arrivent point dans
les profondeurs de la mer ; les flots les repoussent au rivage ,
d'où résultent ces attérissemens qui se forment à l'embouchure
des fleuves .
Je rappellerai à cette occasion des remarques que j'ai déjà
faites , qu'il peut être utile de présenter de nouveau ; car ,
quoiqu'elles soient attestées par des faits exposés aux yeux de
tous les hommes , on n'y fait que bien rarement attention .
Les plaines riantes de la Hollande aux embouchures de la
Meuse et du Rhin , les lagunes sur lesquelles Venise est
bâtie , et les îles qui l'environnent aux embouchures de
l'Adige et du Pô , les campagnes fertiles de la basse Egypte
aux embouchures du Nil , celles de Bassora aux embouchures
du Tygre et de l'Euphrate , celles du Bengale aux
embouchures du Gange , et tous les autres attérissemens
productifs ou stériles encore , qui étendent la demeure des
hoinmes , attestent le sable et le limon charient les
que
fleuves ne vont pas s'enfoncer sous les flots de la mer pour y
former des continens nouveaux , lesquels n'ont d'existence que
dans l'imagination des écrivains qui en font la base de leurs
systèmes .
que
Ces mêmes attérissemens , dépôts des fleuves , ont été
pris par d'autres écrivains géologues pour l'effet d'une retraite
de la mer, qui , en abandonnant ces côtes , alloit couvrir
d'autres rivages , et faisoit ainsi , de même dans leur imagination
, le tour de la terre , à la suite d'une longue succession
de siècles : car les millions d'années ne coûtent rien , s'il
faut les accumuler pour établir leur système.
Les uns ont élevé ainsi , dans le fond de la mer ,
des continens
futurs avec le sédiment des fleuves qui reste sur le
rivage ; les autres ont regardé l'accumulation de ce sédiment
sur le bord de la mer comme un sol qu'elle abandonne , quoiqu'elle
ne change pas de niveau . C'est ainsi que naissent les
illusions , lorsqu'on n'observe les faits que pour les faire
cadrer à une hypothèse favorite.
On méprend aussi les éboulemens qui arrivent quelque58
MERCURE DE FRANCE ,
fois dans les hautes cimes escarpées pour des destructions
qui ne se réparent plus , tandis que ces chutes , en comblant
les enfoncemens , agrandissant la base des montagnes et
arrondissant leurs formes , tendent au contraire à leur donner
plus de stabilité et à favoriser la végétation conservatrice , en
faisant descendre ces rochers nus pour les placer dans son
domaine. Ainsi , loin que les continens actuels se détruisent ,
ils tendent à se perfectionner .
Les comètes , dont la trajectoire très - excentrique les
approche et les éloigne beaucoup du soleil , ont été un autre
moyen employé par quelques géologues pour exécuter par
elles les plans de leur imagination . A leur approche , disentils
, leur masse déplace le centre de gravité de la terre , et la
mer change de lit. Cette hypothèse , qui n'est fondée sur rien
dans la nature , s'écroule de toutes parts pour peu qu'on y
réfléchisse . Les comètes qui , dans la mémoire des hommes ,
se sont le plus approchées de la terre , n'ont produit aucune
altération ni dans son mouvement , ni à sa surface ; elles ont
suivi leur route sans laisser aucune trace de leur passage .
Sur quoi donc repose l'hypothèse ? La main puissante qui
imprima le mouvement aux astres , l'a réglé bien sûrement
de manière qu'ils ne peuvent se nuire dans aucun moment
de leurs révolutions.
Tout annonce que la surface de la térre , telle qu'elle s'est
assise après la grande catastrophe du déluge , qui a mis à
découvert les continens actuels , sera permanente.
Reposons-nous sur la Providence Divine pour la conservation
de son ouvrage. Ses moyens sont plus assurés et plus
efficaces que les pensées des hommes ; et tandis que leurs
passions funestes répandent parini eux le malheur , sa main
toute-puissante ne cesse pas de renouveler ses bienfaits , en
nous faisant jouir chaque année des beautés ravissantes de
la nature , et en nous nourrissant de ses productions .
Genève , le 30 juin 1807 .
G. A. DELUC .
JUILLET 1807 . 59
Pensées de Balzac , de l'Académie Française , précédées
d'Observations sur cet écrivain , et sur le siècle où il a vécu ;
par M. Mersan . Un vol. in-12 . Prix : 2 fr. 50 c. , et 3 fr.
50 c. par la poste. A Paris , chez Potey , libraire , rue du
Bac , nº. 46 ; d'Hautel , libraire , même rue , nº. 122 , près
les Missions ; et chez le Normant.
,
Nous avons eu déjà plus d'une fois l'occasion de parler
de Balzac : nous nous étions plaint de ce qu'on négligeoit
trop cet auteur ; et une édition de ses Lettres choisies
jointes à celles de Voiture , n'avoit pas rempli notre voeu ,
Enfin , M. Mersan vient de prouver que cet auteur , lu avec
précaution , peut être d'unee grande uuttiilité pour ceux qui
veulent se former le goût et acquérir une connoissance approfondie
du génie de notre langue .
Quiconque entreprendroit de réduire Balzac , a dit avec
beaucoup de justesse un critique (1) , pourroit le faire passer
pour un bon écrivain. Descartes , qui se délassoit quelquefois
de ses pénibles spéculations par la culture des lettres ,
enporte le même jugement dans son livre intitulé : Censura
quarumdam epistolarum Balzacii. M. Mersan a exécuté cette
idée. Aussi est-il parvenu à former un corps d'ouvrage
agréable à lire , et très-instructif.
Il ne s'est pas borné aux Lettres de Balzac , le seul de ses
livres qui soit connu aujourd'hui. Il a pris le plus grand
nombre de ses matériaux dans trois ouvrages qui sont peutêtre
plus estimables que les Lettres , mais que différentes
circonstances ont empêché d'avoir la même réputation .
Dans le livre intitulé le Prince , Balzac avoit établi des
maximes absolument contraires à celles de Machiavel : à
une époque où l'on s'occupoit beaucoup de politique , il se
flattoit d'un grand succès ; mais son attente fut trompée.
Peut-être aux yeux de ses contemporains , fort enclins à l'esprit
de faction , ainsi que le prouvèrent les troubles qui suivirent
la mort de Richelieu et celle de Louis XIII , le livre
de Balzac parut-il trop conforme aux anciennes maximes ,
qui sont celles de la raison perfectionnées par la religion ;
et l'auteur ne passa-t-il que pour avoir donné les formes du
style à une doctrine usée et rebattue ? Ce n'est qu'après les
révolutions qu'on sent le prix de ces principes conservateurs
des sociétés , auxquels on revient après les avoir long- temps
(1) L'abbé Desfontaines ,
60 MERCURE DE FRANCE ,
abandonnés , et qui prennent alors l'attrait de la nouveauté.
M. Mersan a donc très-bien jugé que le moment étoit venu
de faire revivre les passages les plus frappans de cet ouvrage ,
absolument oublié. Le Socrate Chrétien a pour but de concilier
la religion avec la philosophie : on voitdans cet ouvrage ,
l'un des meilleurs de Balzac , combien la doctrine chrétienne
est supérieure à celle des anciens philosophes. L'Aristippe
est un livre de politique et de morale : if présente souvent
des observations très-justes sur les moeurs du temps. En les
généralisant , l'auteur a su plus d'une fois , ainsi que La
Bruyère , les rendre utiles pour toutes les époques : elles
sont puisées dans le coeur de l'homme plus que dans les travers
, qui varient suivant les circonstances , les préjugés et
les modes .
M. Mersan observe très-bien que ces trois ouvrages sont
plus estimables pour la justesse de quelques pensées détachées
que pour l'ensemble. Les traditions du temps s'accordent
à dire que Balzac , en étudiant les anciens , formoit
des recueils de leurs pensées les plus saillantes , y ajoutoit
celles que cette lecture lui suggéroit , et finissoit , quand il en
avoit un assez grand nombre , par en composer un ouvrage.
Cette manière n'est pas celle par laquelle on obtient beaucoup
de lecteurs , parce que les idées ne sont pas assez liées
ensemble; mais elle est très-favorable pour les citations .
Elle fournit des passages détachés qui ne perdent rien de
leur agrément et de leur force , quoique séparés du livre
dont ils faisoient partie. M. Mersan a senti cet avantage : il
en a profité.
Nous allons parcourir quelques pensées de Balzac ; et ,
pour qu'on puisse les mieux apprécier , nous aurons soin de
choisir des sujets différens .
Il a expliqué avec beaucoup d'éloquence le miracle de
l'établissement de la religion chrétienne ; on croiroit même
qu'il a fourni à Bossuet l'idée d'une des plus fortes preuves
que ce grand homme opposoit aux incrédules :
« Il ne paroît , dit Balzac , rien ici qui soit de l'homme ,
> rien qui porte sa marque , et soit de sa façon. Je ne vois
» rien qui ne me semble plus que naturel dans la naissance
>> et dans les progrès de cette doctrine. Les ignorans l'ont
>>persuadée aux philosophes : de pauvres pêcheurs ont été
» érigés ea docteurs des rois et des nations , en professeurs
>> de la science du ciel ; ils ont pris dans leurs filets les ora-
>> teurs et les poètes , les jurisconsultes et les mathématiciens.
» Cette république naissante s'est multipliée par la chasteté
> et par la mort ; ce peuple chéri s'est accru par les pertes et
JUILLET 1807 .
61
> par les défaites : il a combattu , il a vaincu étant désarmé.
» Le monde , en apparence , avoit ruiné l'Eglise ; mais elle
» a accablé le monde sous ses ruines . >>
Bossuet a résumé en peu de mots ces belles réflexions de
Balzac. Nous avons déjà cité ce passage dans un de nos derniers
Numéros ; mais nous ne craignons pas de le citer
encore , pour donner une idée de la manière dont un homme
de génie sait s'emparer des idées déjà développées par
d'autres , et leur donner une nouvelle force :
:
« Voilà , dit Bossuet , ce qui fait voir la vocation des
» Apôtres elle montre que l'Eglise est un édifice tiré du
» néant , une création , l'oeuvre d'une main toute-puissante.
» Voyez la structure , rien de plus grand ; le fondement ,
» c'est le néant même. »
Balzac écrivoit à l'époque qui suivit les fureurs de la
Ligue , et qui précéda les troubles de la Fronde . La tranquillité
n'étoit rétablie en France que par la fermeté du
cardinal de Richelieu ; mais tous les élémens de désordre
subsistoient encore. Dans cette situation critique , que tous
les bons politiques ne se dissimuloient pas , il s'étoit formé
une classe d'hommes qui sacrifioient tout à leur intérêt
personnel. Cet égoïsme s'étoit sur-tout répandu parmi les
grands de l'Etat , Balzac en parle avec une justesse qui ne
pouvoit appartenir qu'à un observateur plein de pénétration
et d'expérience ce qu'il dit peut donner la clef d'une
multitude d'inconséquences qui signalèrent la guerre de la
Fronde . Après avoir observé que ces hommes se consoleroient
aisément du naufrage de l'Etat , pourvu qu'ils
eussent un esquif dans lequel ils pussent gagner le port,
et se mettre en sûreté , il ajoute :
<< Toutefois , il ne se peut pas dire qu'ils aient de mau-
» vais desseins contre l'Etat , et qu'ils en desirent la ruine :
» ils se réservent seulement leurs premières et plus tendres
» affections . Hors de leur intérêt , je pense que celui de leur
» maître leur seroit fort cher ; mais le malheur est qu'ils
» ne sont jamais absens de leur intérêt , non plus que d'eux-
» mêmes : ils se trouvent toujours , en quelque lieu qu'ils
» jettent la vue ; leur utilité se présente partout à eux ,
» comme à cet ancien malade , sa propre figure qu'il voyoit
perpétuellement devant lui . Ils ne se peuvent séparer des
» affaires pour les regarder avec quelque liberté de juge-
» ment ; ils ne peuvent tirer de leur ame leur raison toute
» simple et toute pure , sans la mêler dans leurs passions ;
» de sorte qu'encore qu'ils découvrent une conjuration qui
» se forme, ils ne s'y opposent pas néanmoins , de peur
»
62 MERCURE DE FRANCE ,
>> d'offenser les conjurés , et de laisser de puissans ennemis
>> à leurs enfans ; ils n'ont pas enfin le courage de proférer
» une vérité hardie , si elle est tant soit peu dangereuse à
» l'établissement de leur fortune , quoiqu'elle soit très-im-
>>portante au service de leur maître. »
Il y a bien un peu d'embarras et d'affectation dans quelques
parties de cette tirade ; mais si l'on veut examiner la
guerre de la Fronde sous ce point de vue , on conviendra
que Balzac a parfaitement observé le principal vice qui existoitde
son temps dans les premières familles de l'Etat .
Balzac aimoit à établir des paradoxes littéraires ; il montre
dans ces discussions beaucoup d'esprit et de finesse ; et ,
quoiqu'il n'ait pas toujours raison , ses erreurs même sont
utiles , parce qu'elles portent le lecteur à réfléchir . Nous
citerons un exemple de ce goût qu'avoit l'auteur pour s'élever
contre les idées reçues en littérature; on verra qu'il défend
son opinion avec beaucoup d'art .
Jusqu'alors on avoit admiré la hardiesse avec laquelleVirgile
fait l'éloge de Caton , dans sa description du bouclier
d'Enée. Un lieu retiré est consacré aux juges et aux justes ;
ils y sont réunis , et Caton leur donne des lois :
Secretosque pios , his dantem jura Catonem. )
X
Il falloit être bien fin pour trouver dans ce trait jeté presque.
au hasard , un éloge d'Auguste ; cependant Balzac soutient
cette opinion . Voici comment il raisonne :
<<Aprendre la chose à la lettre , dit- il, la maison des
>>Césars pouvoit être offensée de ces paroles , et leur ennemi
>>ne pouvoit être déifié que leur cause ne fût condamnée.
» Mais , à mon avis , Virgile s'entendoit en ceci avec les
>> Césars : sans doute il avoit découvert à Auguste sa fic-
» tion , qui loue en apparence et se moque en effet , qui
> fait voir que la vertu de Caton étoit de l'autre monde et
>>non pas de celui-ci . Virgile vouloit dire finement , et
» d'une manière figurée , qu'il falloit chercher à Caton des
>> citoyens vertueux ; qu'il falloit lui faire un peuple tout
> exprès pour être digne de lui ; que Caton , en un mot
> ne pouvoit trouver sa place que dans une société qui ne se
> trouve point sur la terre>. >
Ces raisonnemens sont peut - être spécieux au premier
coup-d'oeil ; mais il n'est pas difficile de prouver qu'ils
portent presque tous à faux. Auguste ne se trouvoit point
offensé d'une louange donnée à Caton; il étoit trop grand
pour ne pas permettre qu'on estimât , même àsa our , la
fermeté d'un homme qui s'étoit sacrifié à une cause qu'il
JUILLET 1807 . 63
avoit crue juste , et qui n'avoit employé que des moyens
avoués par la vertu la plus sévère. Il n'y a aucune apparence
que Virgile , dans ce passage , ait voulu se moquer de
Caton; ce qui précède et ce qui suit prouve qu'au contraire
il parle très-sérieusement. En effet , le poète , avant
d'en venir à Caton , a loué plusieurs grands hommes , tels
qu'Horatius-Coclès , Manlius , etc.; et la description de la
bataille d'Actium , gagnée par Auguste , suit immédiatement
l'éloge de Caton. Il est donc impossible que cet éloge
soit une ironie.
D'ailleurs , dans un livre précédent , Virgile n'avoit pas
craint de louer encore , d'une manière plus claire , Caton ,
et même les Gracques :
Quiste,magne Cato , tacitum , aut te , cosse , relinquat ?
Quis Gracchi genus ?
Balzac , avec toute sa finesse , auroit eu bien de la peine
à trouver une raillerie dans ce dernier passage ; aussi n'en
fait- il pas mention : ce qui prouve du reste que ces éloges
ne blessoient point le prince , c'est que le sixième livre ,
d'où ce passage est tiré, fut lu devant Auguste et devant
Octavie , sa soeur. On connoît l'effet qu'il produisit sur cette
dernière, et l'on sait quelle récompense le poète obtint pour
avoir fait entrer si délicatement l'éloge de Marcellus au
milieu des louanges prodiguées à presque tous les héros de
Rome.
Nous avons vu que les paradoxes même de Balzac peuvent
être utiles , parce qu'ils forcent le lecteur à réfléchir . Nous
ajouterons qu'ils sont souvent accompagnés de réflexions
très-justes , dont on peut faire son profit en les séparant
des raisonnemens qu'elles servent à appuyer. A la suite de
cette opinion singulière se trouvent des observations excellentes
sur la prétendue perfection à laquelle les philosophes
se flattent d'arriver. Le grand défaut de Caton , comme
l'observe très-bien Balzac , étoit de supposer les hommes
meilleurs qu'ils ne sont , d'afficher une sévérité outrée qui
ne pouvoit que les éloigner de la pratique de ses préceptes ,
et de vouloir des institutions où les víces irrémédiables de
Thumanité n'étoient pas prévus :
<<Tout est foible , dit-il , tout est malade dans les assem
>>blées des hommes. Si vous voulez donc gouverner heu-
>>reusement , si vous voulez travailler au bien de l'Etat avec
» succès , accommodez-vous au défaut , à l'imperfection de
>> votre matière ; défaites-vous de cette vertu incommode
>>dont votre siècle n'est pas capable ; supportez ce que vous
64
MERCURE DE FRANCE ,
N
» ne sauriez réformer ; dissimulez les fautes qui ne peuvent
» être corrigées ; ne touchez point à des maux qui décou
» vriróient l'impuissance des remèdes . »
Ces maximes annoncent une grande connoissance du
monde et des hommes : elles conduisent naturellement
l'auteur à parler des principes sur lesquels la politique doit
être fondée. Presque tous les écrivains qui ont traité ce
sujet se sont accordés à dire que la politique et la morale
devoient agir d'après les mêmes règles , quoique l'application
de ces règles différât quelquefois ; mais il nous paroît
qu'aucun n'a défini mieux que Balzac la différence qui
existe entre la morale privée et la morale publique :
« Souvenez-vous , dit- il , que la raison est beaucoup moins
pressée dans la politique que dans la morale ; qu'elle a
» son étendue plus large et plus libre , sans comparaison
» quand il s'agit de rendre les peuples heureux , que quand
» il s'agit de rendre gens de bien les particuliers .
»
>>
Jusqu'à présent les morceaux que nous avons examinés
sont tirés des trois Traités de Balzac , dont nous avons
donné les titres . M. Mersan n'a pas été moins heureux
dans les extraits qu'il a faits des Lettres de cet écrivain
célèbre : il s'est très- sagement borné aux discussions morales
qui sont de tous les temps ; et l'on doit lui savoir grẻ d'avoir
écarté les tirades de circonstance , dont le style peut être
brillant , mais qui presque toujours ont de l'affectation et
de l'emphase. Voici un morceau sur la vertu des femmes ,
qui mérite d'être cité , par les rapprochemens auxquels
peut donner lieu :
»
« Il est des femmes vertueuses et chastes dont les abords
» sont rudes et difficiles ; il n'y a pas moyen de vivre en
paix avec cette farouche pudicité : je n'en fais pas plus de
» cas que de celle des Furies que les anciens poètes ont
» appelées Vierges , ni ne m'étonne que les femmes de leur
» humeur n'aiment personne , puisqu'elles haïssent tout le
» monde. Cette triste passion remplissant leur ame , il n'y
» reste plus de place pour les passions douces et humaines .
» Elles fuient plutôt les plaisirs par aversion et par dégoût ,
» que par jugement et raison. Pourvu qu'elles soient chastes
» elles pensent avoir le droit d'être malfaisantes . Elles croient
» que de n'avoir pas un vice , ce soit avoir toutes les verius ;
» et qu'avec un peu de renommée qu'elles portent à leurs
» maris , il leur soit permis de les mettre sous le joug , et
» de braver tout le' genre humain . >>
Ces observations , exprimées sur le ton d'un badinage
décent , étoient très-propres à entrer dans une comédie ;
aussi
DE
JUILLET 1807 .
5
.
aussi Molière s'en est-il emparé , mais comme un grand
maître , en les liant à ses sujets : il les a reproduites dans
deux de ses meilleures pièces. Orgon s'étonne qu'Elmire ,
sa femme , n'ait pas montré plus d'indignation quand Tartuffe
lui a fait sa première déclaration. Elimire répond :
Est-ce qu'au simple aveu d'un amoureux transport ,
Il faut que notre honneur se gendarme si fort ?
Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche
Que le feu dans les yeux et l'injure à la bouche?
Pour moi , de tels propos je me ris simplement ;
Et l'éclat là dessus ne me plaît nullement.
Je veux qu'avec douceur nous nous montrions sages ;
Et ne suis point du tout pour ces prudes sauvages
Dont l'honneur est armé de griffes et de dents ,
Et veut au moindre mot dévisager les gens .
Me préserve le ciel d'une telle sagesse !
Je veux une vertu qui ne soit point diablesse ,
Et crois que d'un refus la discrette froideur
N'en est pas moins puissante à rebuter un coeur .
:
Molière s'est encore servi de ces observations dans le premier
acte d'Amphytrion. Cléanthis tourmente Mercure ,
qui a pris la figure de son époux , et lui rappelle qu'elle n'a
cesséddee lui être fidelle. Le faux Sosie lui répond
Ne sois pas si femme de bien ,
Et ine romps un peu moins la tête.
CLÉANTHIS .
Comment ! de trop bien vivre on te voit me blâmer.
MERCURE .
La douceur d'une femme est tout ce qui me charme ;
Et ta vertu fait un vacarme
Qui ne cesse de m'assommer .
:
Tout cela est d'un execllent comique; et l'auteur dramatique
n'avoit pas besoin d'aller plus loin : mais le moraliste ne
devoit pas se borner à se moquer des prudes ; il devoit
passer du badinage au ton sérieux , et montrer toute la
dégradation dans laquelle tombe une femme qui a manqué
à ses devoirs . Balzac remplit très-bien cette obligation .
« J'avoue , dit-il , que la perte de l'honneur est le dernier
>> malheur qui puisse arriver à une femme , et que , l'ayant
>>perdu , elle n'a plus rien à conserver dans le monde; mais
>>il ne s'ensuit pas que de l'avoir conservé , ce soit avoir fait
>>une action héroïque. Je n'ai point oui dire qu'on doive
>> louer une personne de ce qu'elle n'est pas tombée dans
>>le feu , ou qu'elle a évité un précipice. On condamne la
>>mémoire de ceux qui se tuent; mais on ne décerne pas de
> récompense à ceux qui ne se tuent pas et ainsi une
>>femme qui se glorifie d'être chaste , se glorifie de n'être
E
66 MERCURE DE FRANCE ,
» pas morte , et d'avoir une qualité sans laquelle elle n'a
» plus de rang dans le monde , et n'y demeure que pour
» assister au supplice de son nom , et voir l'infamie de sa
» mémoire . »
Après avoir montré les travers dans lesquels une femme
peut tomber , soit par la pruderie , soit par l'excès contraire ,
il étoit naturel que Balzac fît le portrait de l'honnête femme
qui inspire également l'amour et le respect , et dont la sévérité
est tempérée et embellie par la douceur , la modestie
et l'indulgence.
« Une honnête femme , ajoute-t-il , réforme le monde
» par l'exemple de sa vie , et non par la violence de son
» esprit. Elle ne doit déclarer la guerre à personne , pas
» même aux insolens et aux indiscrets ; et , s'il sort de leur
» bouche , en sa présence , quelque parole licencieuse , ou
» en n'y apportant point d'attention , ou en changeant de
» discours , ou en jetant sur eux un rayon de modestie qui
les couvre de confusion , et les pénètre jusqu'à l'ame , elle
les châtie sans les offenser. Il y a je ne sais quoi de sévère
, aussi bien que de doux , dans la modestie , qui est
» même respecté par l'insolence. »>
M. Mersan auroit dû ne pas pousser plus loin cette citation
; le sujet étoit traité complètement ; et Balzac , en
s'étendant davantage , est tombé nécessairement dans les
hyperboles , qui lui sont si familières. L'éditeur ne montre
pas le même goût que dans les autres articles ; il laisse
subsister un paragraphe où Balzac dit que les autres vertus
sont cachées , et n'ont rien de visible qui tombe sous les
sens au contraire , ajoute-t- il , la modestie rend un corps
de lumière , et se lève sur le visage , dans ces belles taches
qu'elle y envoie , avec la pudeur qui est sa messagère ,
comme l'aurore l'est du soleil. Voilà l'abus le plus étrange
des figures. Peut-être M. Mersan a-t-il voulu placer à la
suite d'un des meilleurs morceaux de Balzac , un exemple
des défauts dans lesquels il tombe souvent. Si telle a été son
intention , il auroit dû en avertir par une note.
L'éditeur a bien distribué ses matières ; elles sont divisées
en quatre parties : la religion , la morale , la politique et la
littérature. Souvent les trois premières rentrent les unes
dans les autres ; mais M. Mersan a distingué avec beaucoup
de discernement ce qui appartenoit le plus spécialement à
chacune de ces classes . Il y a dans la partie morale un
morceau d'une assez grande étendue , où Balzac se soutient
fort bien : on n'y trouve presqu'aucune trace d'emphase et
d'affectation . Ce morceau très-curieux traite de la vie privée
des Romains : il présente des rapprochemens heureux , des
JUILLET 1807 . 69
recherches utiles , et des aperçus très-fins sur l'état de la
civilisation pendant le règne d'Auguste. La partie consacrée
à la littérature n'est pas moins intéressante : on y voit les
opinions qui étoient alors en faveur , et l'on remarque cetté
espèce de fermentation dans les esprits , qui annonce les
époques célèbres .
Sous le titre modeste de Considérations préliminaires
M. Mersan a fait un excellent discours , où , ne se bornant
point à parler de Balzac , il donne des vues générales sur les
causes qui ont élevé les lettres à un si haut degré de splendeur
sous le règne de Louis XIV, et sur celles qui ont précipité
leur décadence vers la fin du dix - huitième siècle .
Après s'être étendu sur les principales erreurs de la philosophie
moderne , et après avoir montré que les systèmes de
métaphysique qu'elle a mis en vogue ne peuvent que dessécher
l'imagination et étouffer les talens , il ajoute :
>>
*
<< Tel est cependant le génie des sages du dix-huitième
» siècle , et de ceux-là même qui , après la douloureuse
expérience que nous avons faite de leurs principes en
» révolution , crient encore en ce moment contre l'intolé-
» rance . Plus fière que jamais , la philosophie , autrefois
>> vaincue par la foi , semble vouloir se venger aujourd'hui ,
>> et triompher d'elle à son tour . Hélas , ses tristes victoires
» n'ont été que trop rapides , et ses déplorables succès ne
» sont que trop récens ! Néanmoins , loin de céder à l'évi-
» dence , elle s'érige en juge souverain ; et , citant à son
» tribunal Dieu même , et toutes ces vérités qui furent
>> apportées du ciel , elle entreprend encore , comme le dit
» l'Apôtre , avec les principes et les élémens du siècle pré-
» sent , de juger les objets invisibles et surnaturels du siècle
» à venir. Il faudroit que Dieu , pour se conformer à ses
» caprices , eût soumis tous ses mystères au calcul ; qu'il eût
» réduit en règles de géométrie une religion aussi touchante
» dans ses preuves que dans sa morale , et qu'il vouloit ,
» pour ainsi dire , faire entrer dans l'ame par tous les sens . »
On doit déjà à l'éditeur les Pensées de Nicole , dont l'ordre
et le choix ont été justement loués : celles de Balzac ne
méritent pas moins d'estime sous ces deux rapports. Il est à
desirer que M. Mersan continue à s'occuper de travaux
aussi utiles : nous avons encore un grand nombre d'anciens
livres qu'on ne lit plus , et dans lesquels un connoisseur
exercé pourroit faire une moisson abondante. Un homme
de lettres tel que M. Mersan peut- il employer plus agréablement
et plus utilement ses loisirs , qu'en faisant ainsi part au
public du fruit de ses lectures et de ses recherches ? P.
E 2
68 MERCURE DE FRANCE ,
Correspondance littéraire adressée à S. A. I. Mgr. le grandduc
... de Russie , etc .; par Jean- François La Harpe,
Six vol . in-8°. Prix : 24 fr. , et 32 fr. par la poste. A Paris ,
chez Migneret , imprimeur - libraire , rue du Sépulcre ;
et chez le Normant.
QUEL siècle que celui qui vient de s'écouler ! Tous les
principes du goût méconnus ; tous les auteurs qui avoient
fait la gloire d'un meilleur temps , livrés à la dérision des
écrivains médiocres ; l'éloquence de Diderot mise à la place
de celle de Bossuet ; Boileau jugé et condamné par Marmontel
; toutes les limites des sciences franchies ; toutes les
convenances oubliées ; toutes les vérités de la morale mises
en problème ; toutes celles de la religion bafouées ; tout
bouleversé , tout confondu , et enfin tout détruit : voilà les
traits qui serviront un jour à le caractériser.
Honneur donc , honneur aux écrivains qui , à cette funeste
époque , n'ont point partagé les erreurs communes ,
et qui n'ont soutenu dans tous leurs ouvrages que les grands
principes de la morale et du goût ! Honneur encore , honneur
à ceux qui sont revenus franchement à la vérité , après
l'avoir long-temps méconnue ! De tels écrivains n'auront
pas besoin , pour être célèbres dans la postérité , d'avoir eu
du génie , et d'avoir composé des chefs-d'oeuvre s'ils ne
sont pas comptés entre les grands hommes , si leurs ouvrages
ne sont point placés parmi les modèles de la littérature
, leur gloire sera d'avoir su se préserver de la corruption
générale. A ce titre seul , leur nom ne cessera de commander
le respect ; et jusque dans la postérité la plus
reculée , leurs livres , pourvu que d'ailleurs ils soient bons ,
serviront, non-seulement à charmer les loisirs des gens de
goût , mais à consoler les ames honnêtes de tant de mauvais
livres que cette même époque a vu naître .
Tel fut M. de La Harpe , tel il se présentera à la postérité.
Je ne discute point s'il a été ou non un homme de génie ;
je ne place point ses ouvrages à côté de ceux des Corneille ,
ni des Racine , ni même des Voltaire. Mais il me semble
qu'on pourroit diviser sa vie en deux époques : l'une , où
il a constamment soutenu tous les principes du goût ; et
l'autre , où , en adhérant toujours à ces principes , il a soutenu
tout ce qui est beau , tout ce qui est bon , tout ce qui
est nécessaire ; et il me semble encore que cela doit suffire
JUILLET 1807 . 69
à sa gloire. Cet homme , qui avoit été élevé à l'école des
philosophes , et dont la jeunesse s'étoit , pour ainsi dire ,
nourrie de toutes leurs erreurs , conserva toujours , dans
ces erreurs mêmes , un goût pur , une raison saine , et
l'amour de la vérité . Qu'on lise ses premiers ouvrages ,
les discours même qu'il faisoit dans l'unique objet de
remporter un prix académique , et où il eût été peut-être
excusable de flatter les travers des juges qui devoient le lui
décerner , on verra que s'il y paroît quelquefois philosophe,
ils n'ont pas les défauts qu'entraîne la philosophie . Ses principes
de goût sont ceux qui autrefois avoient fait fleurir la
littérature ; sa morale est celle qui assure la paix des Etats ;
et si sa politique n'est pas toujours irréprochable , du moins
il ne brave pas avec affectation l'autorité tutélaire à l'ombre
de laquelle les lettres avoient fleuri . Je conviens qu'en
louant les grands hommes d'un meilleur siècle , il ne se
montre pas assez étranger aux prétentions fastueuses du
sien ; mais enfin son style est toujours simple et correct : il
ne donne point dans le néologisme , le faux enthousiasme ,
la fausse sensibilité ; et l'on reconnoît que , s'il a été trop
docile aux séductions de Voltaire , du moins il l'a été en
tout ; c'est-à- dire , qu'en adoptant ses fausses maximes , il
en a reçu tout entière cette tradition du vrai goût que Voltaire
avoit reçue lui-même des auteurs du grand siècle , et
qu'il défendit si long - temps et si inutilement contre les
auteurs du sien .
Mais ce qui distinguera toujours M. de La Harpe des
auteurs de son temps , même de ceux qui , après s'être
égarés comme lui , sont , comme lui , franchement revenus
à la vérité , c'est qu'il n'a nulle part montré plus de talent
que dans ses derniers ouvrages , dans ces ouvrages qui sont
tout pleins de l'expression de son regret d'avoir si tard connu
les plus vrais , les plus nécessaires de tous les principes , et
de son desir ardent de les faire connoître aux autres . Que
fut , en effet , M. de La Harpe jusqu'à cette époque si
remarquable pour lui , où il ouvrit tout- à-coup ses yeux à
la vérité ? C'étoit l'auteur de quelques discours couronnés ,
de quelques tragédies dont le succès n'avoit pas été , il s'en
faut, toujours heureux , et de plusieurs articles du Mercure ,
dans lesquels il avoit montré beaucoup de goût et un rare
talent pour les discussions littéraires. Voilà tout ce qu'il fut
tant qu'il ne fut qu'un philosophe ; et ces titres , dont le
dernier étoit , aux yeux des philosophes eux-mêmes , celui
qui l'honoroit le plus , ne paroissoient pas suffisans pour
assurer son immortalité. Mais aussitôt qu'il eut renon é à
3
70
MERCURE DE FRANCE .
Ia philosophie , dès qu'il eut rejeté cette nourriture perfide
dont sa jeunesse avoit été comme empoisonnée , son talent
grandit et se développa comme de lui-même : ce futtout- àcoup
un des premiers écrivains de son siècle , un homme
dont l'autorité égala celle de Boileau , un juge souverain
de la littérature , et dont les jugemens furent sans appel .
Ainsi , par un concours singulier de circonstances , M. de
La Harpe réalisa à plus de cinquante ans les espérances
qu'il avoit fait concevoir à vingt; il ne les réalisa qu'en se
faisant un nouveau caractère et une nouvelle ame : il les
réalisa si bien , qu'il fit presque oublier ses premiers ouvrages
. Maintenant , lorsqu'on voudra l'appeler d'un nom
qui fasse connoître toute l'étendue de son talent, on ne dira
plus l'auteur de Warwick et de Mélanie , encore moins celui
de l'Eloge de Catinat ; on dira l'auteur du Cours de Littérature
, ou le poète qui a chanté le triomphe de la religion .
J'ai rendu justice aux premiers efforts que fit M. de La
Harpe pour maintenir les lois du bon goût ; je voudrois
pouvoir encore mieux louer ceux qu'il fit dans les dernières
années de sa vie, pour nous rappeler à des lois bien autrement
importantes. Combien il me paroît grand lorsque
resté seul de son siècle , seul debout au milieu des ruines ,
qui étoient tout ce que ce siècle nous avoit transmis , il
déplore , comme le prophète , les malheurs dont il a été le
triste témoin ; qu'il en développe les causes , et qu'il en
montre d'avance la fin dans le discrédit général où sont
tombés les déclamateurs au milieu desquels il avoit été
élevé ! Combien les efforts qu'il fait pour hater ce moment
me paroissent louables ! Cependant, ce n'est point son Cours
de Littérature tout entier que j'admire le plus , ce Cours sì
long , et d'ailleurs si rempli de jugemens hasardés et de
souvenirs qu'il auroit dû oublier ; ce sont sur-tout les discours
que cet ouvrage renferme , et , plus qu'aucun autre ,
celui qui fut prononcé dans une des séances solennelles du
Lycée. O temps ! On fut alors étonné du courage de M. de
La Harpe ; on applaudit avec transports à son éloquence
et aux nobles regrets qu'il témoignoit sur les ruines accumulées
, et des autels , et des tombeaux , et des sociétés littéraires.
Et maintenant on prononce encore des discours dans
ce même Lycée , et on les applaudit peut- être encore ; mais
ce n'est plus le même esprit qui les anime , et ils ne sont
plus remplis des mêmes regrets . Qu'est-ce qui a donc changé
autour de nous ? Est-ce la vérité ? Est-ce l'esprit public?
Non , c'est l'orateur seul qui a changé ; et la vérité est devenue
une seconde fois l'objet de la dérision des déclamateurs .
JUILLET 1807 . 71
Je crois avoir suffisamment témoigné combien je respecte
la mémoire de M. de La Harpe , et combien j'admire surtout
ses derniers ouvrages . Maintenant , il doit m'être permis
de le dire avec franchise : ce Recueil de lettres n'auroit
jamais dû voir le jour. Pourquoi M. de La Harpe les écrivitil?
Quel fut son objet en les faisant connoître au public?
Par quel motif n'en publia-t-il d'abord que les premiers
volumes ? Enfin , pourquoi les éditeurs dépositaires de sa
confiance ont- ils attendu si tard pour faire imprimer les derniers
? Ce sont des questions que je ne me flatte pas de
résoudre : si je les fais , c'est qu'elles me fourniront
naturellement l'occasion de donner quelque idée de ce
Recueil .
Ces sortes de correspondances ont toujours un but plus
ou moins digne d'excuse , et rarement digne d'éloges . Il
est triste de penser que M. de La Harpe , tout comme un
autre , n'a pu être déterminé que par un vil intérêt à faire
chaque semaine , pour le grand-duc de Russie , la gazette
scandaleuse de notre littérature . Que cet auteur ait été d'abord
très-flatté d'avoir un commerce suivi de lettres avec un grand
prince, cela se conçoit ; ce qui me paroît difficile à concevoir
, c'est qu'il ait écrit peu à peu cinq gros volumes de
Lettres sans autre but que la petite satisfaction de dire qu'il
les écrivoit. Je conçois encore moins le mépris qu'il témoigne
dans sa préface , pour Thiriot et tant d'autres qui
entretenoient des correspondances pareilles avec des princes
d'Allemagne. En effet , quelle raíson avoit-il pour ne pas
craindre qu'une partie au moins de ce mépris retombât sur
lui ? Avoit-il un motifplus noble qu'eux tous , en écrivant
ces lettres ? Et si la vérité seule leslui dictoit , la vérité estelle
ici une excuse suffisante de tout le mal qu'il pouvoit
faire à ceux qu'il y jugeoit tous les jours? Lorsqu'on parle
à un prince , et qu'on l'entretient sans cesse des ouvrages et
des actions des gens de lettres , on ne s'expose pas seulement
à flétrir leur réputation , qui est ( il faut le croire au moins )
le premier des biens pour eux ; on s'expose encore à renverser
leur fortune , leurs espérances de toute espèce ; et ce
dernier danger me semble le plus terrible qu'un honnête
homme puisse courir : il est beau dans un sens , mais dans
un autre il est terrible de dire toujours la vérité.
Je m'exprimerois peut-être différemment , si M. de La
Harpe avoit été , comme Thiriot , un particulier obscur et
sans importance. Mais un académicien déjà connu par de
bons ouvrages , un homme dont chaque censure pouvoit
paroître un arrêt , un des chefs , enfin ,de notre littérature ,
4
7.2 MERCURE DE FRANCE ,
ne pouvoit se charger d'en donner les nouvelles à un grand
prince , qu'autant que cet emploi lui auroit fourni l'occasion
de protéger les lettres , et de rendre quelque service à ceux
qui les cultivoient. Si tel fut le but de M. de La Harpe ,
qu'on me dise donc pourquoi ses lettres contiennent tant
de critiques et si peu d'éloges , des critiques si sanglantes ,
et des éloges si modérés ? ::
Quand on a lu ces critiques si peu mesurées , si tranchantes
, jamais motivées , dont M. de La Harpe a rempli
ses lettres , on est étonné qu'il ait osé y parler des journaux ,
et en parler avec mépris . Cependant , quand nous faisons la
censure d'un ouvrage , nous la faisons en présence du public
qui nous juge , et de l'auteur qui peut nous répondre. Nous
ne nous cachons pas dans l'ombre , pour faire sans péril une
critique qui seroit inutile , par cela seul qu'elle seroit ignorée .
Nous avons , du moins nous pouvons avoir , en la faisant ,
un motif louable , qui est de rappeler les auteurs aux vrais
principes du goût , et quelquefois à des principes bien autrement
importans que ceux du goût. Comment se feroit-il
que des pareilles censures fussent dignes de mépris , et que
celles de M. de La Harpene le fussent pas ? S'ily a quelque
différence entre lui et nous à cet égard, elle est toute à notre
honneur : nous sommes obligés de motiver nos jugemens ,
et il se dispensoit de motiver les siens ; il écrivoit secrètement
à un prince , et nous parlons publiquement aux auteurs
eux-mêmes. D'ailleurs , ceux que nous censurons ne
sont pas nos amis , nos collègues ; nous ne siégeons pas avec
eux dans les sociétés littéraires ; et si dans nos critiques nous
remplissons quelquefois de tristes devoirs , nous n'en violons
aucun tant que nous sommes justes , et que nous ne disons
que la vérité. Mais comment M. de La Harpe pouvoit-il
s'excuser à ses propres yeux , lorsqu'il censuroit ces mêmes
auteurs avec lesquels il vivoit familièrement , et qu'il les
censuroit sans qu'ils pussent en rien savoir ? Pour moi , qui
suis très-loin de me comparer en aucune manière à M. de
La Harpe , il me semble que je ne ferois pas la censure
d'un mauvais ouvrage dont l'auteur seroit lié ave moi par
de simples rapports de société. Et M. de La Harpe , académicien,
ne croyoit manquer à aucune sorte de convenance ,
lorsqu'au sortir de l'Académie , il alloit sévèrement censurer
dans une lettre cette même séance dans laquelle il
avoit été acteur .
Je demande en second lieu , par quel motif il a pu se
déterminer à faire imprimer ces lettres? Chacune d'elles est
en général correctement écrite ; les critiques qu'elles ren
JUILLET 1807. 73
ferment sont justes ; mais suffit-il d'écrire correctement et
d'être juste , pour faire un livre qui vaille la peine d'être lu ?
Elles ne renferment d'ailleurs aucune pensée qu'on puisse
retenir avec quelque satisfaction ; et ces critiques n'ont ordinairement
pour objet que des livres ou des auteurs depuis
long-temps ignorés , ou tombés au-dessous de toute censure.
Ce qu'il y a même de plus singulier , ce n'est pas que sur
vingt censures on y rencontre à peine un éloge , c'est que
l'éloge y est presque toujours donné à un ouvrage dont
personne ne se souvient plus. Quelle gloire l'auteur du
Cours de Littérature pouvoit-il donc espérerde la publication
de ces lettres ? Après avoir érigé à la critique un si vaste
etun si beau monument, pourquoi a-t-il voulu nous faire
connoître encore ses petits tas de terre et de bone , dont il
marquoit le passage de tant d'auteurs et detant de livres qui
n'étoient faits que pour être oubliés ?
Et M. de La Harpe méprise les journaux! Il en est şans
doute qu'on pourroit lui abandonner : assurément je ne
pense pas àdéfenaddrree ,, ni leJournal ( il ne dit pas le Courier)
Français , dont il censure jusqu'au titre , attendu , dit- il , que
les autres ne sont pas iroquois ; ni le nouveau Courier des
Spectacles écrit , dit-il , d'un style de porteur de chaises , dont
l'auteur fort obscur etfort ignore paroît vouloir se signaler
pardes scandales. Nous ajouterons même avec lui, que toutes
ces insipides futilité's ne sont pas dignes d'occuper les regards .
Mais avant de lui passer son mépris pour les journaux vraiment
littéraires , il faudroit que nous pussions oublier que
lui-même , pendant une grande partie de sa vie , n'eut pas
de meilleur titre à la considération publique , que les articles
qu'il faisoit pour le Mercure , et que presque tous les écrivains
distingués de son siècle et du nôtre ont commencé par
écrire dans les journaux ; enfin nous voudrions qu'il eût exprimé
ce mépris ailleurs que dans un livre qui estlui-même ,
non pas un journal , mais une gazette.
Il paroîtra peut-être étonnant que M. de La Harpe , tant
de fois accusé lui-même en sa qualitéde journaliste , se soit
mis à son tour , en sa qualité d'écrivain , parmi les accusateurs
. Ce qu'il y a de bien plus étonnant , c'est que de
tous les reproches qu'on fait aux journaux , il n'en est pas un
qu'on ne puisse faire , et plus justement , à ces lettres .
Etd'abord ses critiques sont dures , tranchantes , toujours
écrites du style le plus méprisant. S'il parle d'un médiocre
poète, c'est un M. Lemercier, un M. de Caux , un
M. d'Eglantine; d'un mauvais auteur , c'est un M. Morel ,
un M. Duverney; toujours un; et quoique toutes ces unités
74 MERCURE DE FRANCE ,
se soient maintenant à-peu-près réduites à zéro , on pourroit
desirer qu'un critique honnête n'eût pas commencé par
verser sur le nom même de tant d'auteurs le mépris qu'il
devoit réserver pour leurs ouvrages. Ecoutons-le : « Le monu-
> ment de délire et d'audace le plus curieux , est sans con-
>> tredit une lettre d'un chevalier de Cubières contre Boileau . »
Et ailleurs : « Un M. Chénier ( c'est le même qui professe
>>actuellement la littérature à l'Athénée ) , jeune aspirant
» qui fait profession d'un grand mépris pour nos meilleurs
>> écrivains , afaitjouer à Fontainebleau une tragédie d'Azé-
» mire, qui a été outrageusement sifflée depuis le commen-
> cementjusqu'à lafin. » Et ce n'est pas seulement contre des
auteurs tels que M. de Cubières ou M. de Chénier que M. de
LaHarpe s'élève avec cette dureté : s'il parle de d'Alembert ,
c'est pour apprendre au grand-duc qu'il ennuie , qu'il vieillit ,
et qu'en vieillissant il contracte de l'humeur. La manière
dont il lui parle de M. Morellet n'est pas plus flatteuse : s'il
Jui rend compte de son discours de réception , c'est pour dire
que ce discours est long, que la marche est pesante , que
le style est monotone ; qu'en général l'auteur pense sagement,
et écrit avec correction , mais que sa composition est
froide et inanimée , et qu'il ne faut pas qu'un philosophe
expose la raison au malheur d'ennuyer. Maintenant , je
demande en quoi ces jugemens diffèrent de ceux qui ont été
souvent portés sur les mêmes hommes dans les journaux ;
et s'il se trouve que ceux-ci sont mieux motivés , et souvent
moins durs , quelle raison M. de La Harpe pouvoit - il
avoir de déprécier ceux des journaux , et de se glorifier des
siens?
D'ailleurs , si le style de ces lettres est soigné , il ne l'est
pas tellement qu'on ne puisse y trouver plusieurs incorrections.
Me permettra-t-on de faire observer que le titre
même que M. de La Harpe a donné à son Recueil est une
expression très-impropre? Une Correspondance se compose
des lettres qu'on a écrites , des réponses qu'on a reçues. II
suit de là qu'en faisant imprimer ses ettres seules, il ne
devoit point les intituler Correspondance , encore moins
Correspondance adressée , etc .; car on adresse des lettres ,
et on n'adresse pas une correspondance. Il y a des mots
dout l'application paroît encore plus extraordinaire : par
exemple , je crois qu'il n'est point permis d'appeler M. Delille
un excellent écrivain , et un bon paysagiste ; c'est un
grand poète , qui a peint et très-bien peint autre chose que
des paysages . Mais M. de La Harpe vouloit amener une
opposition entre le paysagiste et le peintre d'histoire ; et on
JUILLET 1807 . 75
-sent bien que le peintre d'histoire c'est lui . Ce qu'il y a
dedéplorable dans unjuge aussi excellent des ouvrages des
autres , c'est qu'il se croyoit un bon peintre d'histoire , parce
qu'il avoit fait une tragédie des Barmécides , qui avoit été
fort applaudie dans les sociétés de Paris , et qui ( comme
cela arrive souvent ) ne le fut point ailleurs. La raison
qu'il avoit pour croire cette tragédie bonne , n'est pas moins
singulière que tout le reste : c'est qu'elle avoit fait pleurer
tous les Russes qui étoient à Paris .
En général , quoique les jugemens que M. de La Harpe
porte dans ce Recueil soient ordinairement justes , ils ne
méritent pas autant de confiance que ceux qu'il a portés
dans son Cours de Littérature. Dans ce dernier ouvrage ,
s'il a trop loué Voltaire , il n'a eu en cela que le tort de
trop s'abandonner aux illusions de la reconnoissance . Dans
celui-ci , il ne s'oublie pas assez lui-même , et la vanité
d'auteur lui fait adopter quelquefois des principes faux , ou
qui n'ont jamais été soutenus par aucun bon critique ,
excepté par lui. Il faut en citer un exemple. Dans une de
ses lettres , il annonce que n'ayant aucune nouvelle intéressante
à donner , il parlera , dans la suivante , du drame et de
ses règles , Ainsi , ce n'est point sansy avoir réfléchi qu'il traite
de cette espèce de pièces, qui ne sont nidu genre tragique ni
du genre comique , et qui sont nées , comme le pensent tous
les gens de goût , de l'impuissance de réussir dans l'un ou
dans l'autre. Ce n'est donc pas non plus sans y avoir pensé
qu'il affirme , dans la lettre suivante , qu'il est faux que le
rire soit le ressort unique et essentiel de la comédie. Dans son
Cours de Littérature , il avoit sagement avoué que le genre
du drame étoit inférieur aux deux autres . Dans ses lettres ,
il semble vouloir prouver qu'un bon drame vaut une bonne
comédie . On reconnoît ici l'auteur de Mélanie et on gémit
qu'un homme aussi sage ait été pour ainsi dire égaré
par ses propres exemples. Maintenant on ne sera pas surpris
qu'en parlant de Nanine , il ait dit : « Ce n'est qu'avec le
>>temps qu'on sentit le charme de cet ouvrage. »
?
Je pourrois pousser plus loin le parallèle entre les jugemens
qui sont portés dans son Cours de Littérature , et
ceux qu'il porte dans ses lettres ; j'aurois plus d'une différence
à y faire observer. Qu'il me suffise d'en releverune
qui est assez remarquable. Excepté les éloges exagérés
qu'il donne dans son Cours à quelques ouvrages de Voltaire
, qui sont d'ailleurs ses plus beaux et de très-beaux
ouvrages ; excepté , dis-je , ces éloges , qu'on réduit facilement
à leur juste valeur , tous les jugemens qu'il y porte
76 MERCURE DE FRANCE .
ont été sans appel . Dans ses lettres , au contraire , on en
trouve plusieurs qui ont été cassés dès son temps même :
par exemple , il croit que la tragédie-opéra cessera bientôt
de plaire; et ce qu'il y a de bien singulier , c'est qu'il dit
cela à propos d'Edipe à Colonne. Selon lui , les malheurs ,
les plaintes, les ressentimens d'Edipe , sont d'une monotonie
fatigante , que l'on sentira nécessairement quand la
mode de vouloir des tragédies à l'Opéra sera passée comme
tant d'autres . On auroit pu répondre à M. de La Harpe ,
que cette mode nous vient des Grecs , dont les tragédies
n'étoient en effet que de très-beaux opéras , et que , toute
vieille qu'elle est , elle ne semble pas prête à passer. D'ailleurs
, Edipe à Colonne est encore aujourd'hui le chefd'oeuvre
des opéras , et , grace à la beauté de sa musique ,
on n'a pas encore l'air d'en être fatigué.
১)
Une des lettres qui m'ont le plus étonné dans tout ce
Recueil , c'est celle par laquelle il apprend au Grand-Duc ,
que « les comédiens ne sachant de quoi s'aviser pour rame-
>>ner le public , se sont avisés d'annoncer Athalie avec des
» choeurs chantés . Cette nouveauté , ajoute - t - il , déjà
>>essayée ..... il y a vingt ans , n'avoit eu aucun succès.....
On ne vit qu'une froide bigarrure , un amalgame de
> mauvais goût qui gâtoit deux arts en voulant les unir , la
» musique et la déclamation.>> Comme il n'est pas possible
de supposer que M. de La Harpe ignorât que cette froide
bigarrure étoit une des conceptions du grand Racine , et
que cet amalgame de mauvais goût avoit été imaginé par
celuide tous les poètes français dont le goût a été le plus
délicat , on ne peut s'empêcher d'être étonné des expressions
qu'il emploie en cette occasion. Il seroit cependant
difficile de croire que l'auteur d'Athalie eût voulu composer
pour cette tragédie des choeurs qu'il n'auroit pas voulu faire
chanter.
Il suit de tout ce que je viens de dire , que ces
lettres , quoiqu'elles soient d'un homme profondément
instruit dans la littérature , ne sont pas exemptes d'erreurs
ou de jugemens hasardés . D'ailleurs , les formes
en sont peu variées. Quand M. de La Harpe a dit : Il
paroît un ouvrage , on vient d'imprimer ou de publier un
ouvrage , il a tout dit ; il ne sortira pas de ces tournures . Ce
qui s'ensuit encore , c'est qu'elles n'ont pas , comme critiques,
le mérite des bons articles de journaux , et qu'elles ont
encore moins , comme lettres , celui qu'on s'attend à trouver
dans cette sorte d'écrits . M. de La Harpe n'y cause pas : et
en cela il a tort , puisqu'une bonne lettre n'est qu'une
JUILLET 1807 . 77
conversation écrite. Il n'y disserte pas non plus : et il a tort
encore; car M. de La Harpe ne plait parfaitement , du
moins en prose , que lorsqu'il disserte. Ses lettres sont sans
grace , sans mouvement , sans variété , et ses critiques sont
sans motifs; telles peut-être qu'il les falloit à un prince
quine lui demandoit que des résultats , mais bien éloignées
par cela même de ce qu'elles auroient dû être pour plaire
au public français. Quelle raison , je le répète encore , a
donc pu engager M. de La Harpe à les faire imprimer ?
La même peut-être qui le détermina à ne publier d'abord
que les plus anciennes. Ici je ne formerai encore qu'une
conjecture; et je ne m'abandonne pas à la première qui se
présente à mon imagination ; je cherche , au contraire ,
celle qui peut faire le plus d'honneur aux intentions de
M. de La Harpe , ou qui peut fournir quelques motifs de
l'excuser . Cet auteur étoit , vers la fin de sa vie , environné
d'ennemis qui se plaisoient à lui rappeler les erreurs de sa
jeunesse ; il voulut peut-être prouver , par ses lettres , qu'il
n'avoit jamais été assez philosophe pour ne pas sentir les
torts de la philosophie : ce qu'il y a de sûr , c'est que ,
dans ses jugemens , il ne ménage pas plus d'Alembert et
M. Morellet , que Gilbert ; et on voit bien que s'il s'élève
de toutes ses forces contre M. Chénier , ce n'est point
parce qu'il a été loué dans l'Année Littéraire ; c'est parce
qu'il a fait Azémire , Charles IX , Henri VIII. Mais
enfin ces lettres , telles qu'elles étoient , contenoient des
critiques violentes contre tous les auteurs vivans ; et M. de
La Harpe ne devoit pas s'attendre qu'elles feroient cesser
les cris qui s'élevoient déjà de toutes parts contre lui. Il
étoit probable qu'après lui avoir reproché ses erreurs en
philosophie , on ne manqueroit pas de relever avec plus de
violence les torts qu'il s'étoit donnés au commencement de
la révolution. Il fit donc imprimer ses premières lettres ; il
donna à ses ennemis la petite satisfaction d'exhaler toute
leur fureur . Peut-être se réservoit-il à lui-même celle de
montrer , quand ils auroient tout dit contre lui , que tout
ce qu'ils avoient dit étoit faux; et que , dans le fond , il
n'avoit jamais beaucoup admiré ni la révolution, ni la
philosophie :
»
« Il est certain , dit-il , dans une de ses dernières lettres ,
que la révolution a précipité la décadence du goût, jusqu'à
>> son dernier terme, en ouvrant la carrière à une foule de
» misérables déclamateurs qui s'imaginent que la licence et
>> l'exagération tiennent lieu de talent. Sur cent faiseurs de
> brochures , il n'y en a pas dix qui sachent même cons
78 MERCURE DE FRANCE ,
> truire une phrase ; et comme ces brochures se vendent
>> plus ou moins , grace à l'esprit de parti , pour qui tout
>> est bon , les plus ineptes et les plus grossiers barbouilleurs
>> sont encouragés par le succès. » Je voudrois pouvoir citer
ici tout ce qu'il dit des tragédies de Charles IX , de Calas ,
de Henri VIII; enfin de cette foule de rapsodies dramatiques
qui jouirent , à l'époque de nos troubles , d'une gloire
éphémère , et qui n'en pouvoient jouir que dans de pareils
temps. Mais on ne peut tout citer. Il me suffira de dire
que si , dans lapartie littéraire du Mercure , où il auroit dû
ne s'occuper que de la littérature , M. de La Harpe admiroit
un peu trop la révolution qui s'étoit faite dans l'Etat ,
en écrivant au Grand-Duc qui lui permettoit , comme il le
dit lui-même , de s'occuper de questions politiques , il ne
songe qu'à s'élever contre celle qui s'étoit faite dans les
lettres . Et cela même me paroît une singularité que je ne
devois pas manquer de faire observer .
Je voudrois maintenant trouver la raison qui a déterminé
les éditeurs à publier si tard les derniers volumes de ce
Recueil. Etoient-ils effrayés de cette quantité d'ouvrages
dont les auteurs sont encore vivans , et qui sont ici censurés
, poursuivis avec tout l'acharnement dont M. de La
Harpe seul étoit capable ? Y avoit-il , parmi ces auteurs ,
des hommes qu'ils pussent craindre d'offenser ? Mais il y
un moyen facile de les calmer ; et comme il paroît
que ce moyen a été pris , je ne vois pas pourquoi on n'y
auroit pas eu recours quelques années plutôt.
avoit
Le sixième et dernier volume deces lettres est presque
entièrement rempli par une table alphabétique de noms
d'auteurs et de titres d'ouvrages . J'ai cru d'abord que cette
table étoit uniquement destinée à former un tome de plus ,
qui auroit pour Jes libraires le grand avantage d'être vendu
comme un tome de M. de La Harpe. Je me suis convaincu
ensuite qu'elle étoit véritablement utile. On pourra lire ces
lettres ; on ne les relira pas . Le moment de leur nouveauté
une fois passé , on les gardera pour les consulter au besoin ,
et savoir ce que leur auteur a pensé de tel auteur ou de tel
ouvrage qui n'aura duré qu'un moment. Cette table alors
sera nécessaire. Par son moyen , ce Recueil deviendra
comme un dictionnaire de censures ; et c'est à-peu-près
tout ce qu'il sera dans quelques années .
GUAIRARD .
JUILLET 1807 . 79
De la Vertu; par Sylvain Maréchal , auteur du Dictionnaire
des Athées. Précédé d'une Notice sur cet écrivain , et suivi
du Livre de tous les Ages , par le même auteur. Avec cette
épigraphe :
Disce omnes .
. Ab uno
Un vol. in-8°. Prix : 5 fr. , et 6 fr. 50 cent. par la poste.
A Paris , chez L. Collin , lib . , rue Git- le-Coeur.
Ily a des fous de plus d'une espèce : les plus dangereux
ne sont pas ceux qui frappent et qui brisent tout ce qu'ils
rencontrent ; on les a bientôt mis hors d'état de nuire , et les
effets de leur démence ne s'étendent jamais au-delà du petit
cercle dans lequel ils peuvent agir. La folie des philosophes
athées , qui se mêlent d'écrire et de répandre leur doctrine ,
est bien plus funeste. Elle attaque le principe de toute
morale ; elle déchaîne toutes les passions ; elle arme tous les
bras ; elle excite tous les hommes à s'entredétruire , parce
que , n'ayant plus de frein et plus de garans de leurs intentions
, il devient de l'intérêt de chacun de chercher son bienêtre
et son salut dans l'oppression , dans la ruine ou dans la
mort de son voisin. Elle tend visiblement et bien certainement
à la barbarie et à l'extermination de la race humaine.
Ala place de Dieu , ces philosophes nous présentent la
nature , la raison ou les lois; mais la nature elle-même ,
donnant aux hommes les mêmes besoins , les met constamment
en opposition d'intérêts ; la raison , également accordée
à tous , leur conseilla toujours de les discuter et de les
défendre; et les lois , sans morale , qui en ordonneroient le
sacrifice , ne seroient qu'une tyrannie insupportable. Sylvain
Maréchal ne veut rien de tout cela pour gouverner le
monde : il ne lui faut ni Dieu, ni nature , ni raison , ni
lois. La vertu toute seule lui suffit. Avec elle , dit - il ,
l'homme peut remuer le monde du seul mouvement de ses
sourcils. Il ne paroît pas se douter que la vertu , sans le
principe qui la commande , est un effet sans cause , un joug
ridicule qui n'a plus de motif, et que l'homme matière,
comme il le veut, s'il n'est un insensé , ne doit s'attacher
qu'à ce qui lui paroît convenable pour sa propre satisfaction
, comme feroit un animal doué de raison et armé de
toute la puissance humaine. Ce Maréchal n'étoit pas seulement
un fou ridicule; c'étoit un homme que l'orgueil étouf-
1
80 MERCURE DE FRANCE ,
foit , un esprit désordonné qui se croyoit fait pour régir
tout l'univers , un fiévreux heureusement enchaîné par les
lois , un persécuteur sans autorité , un tyran sans Etats ,
sans troupes et sans argent; un pauvre diable qui feignoit
d'être athée dans le bon temps de la terreur, afin d'obtenir
du crédit , des places et de la réputation ; un littérateur
obscur , un écrivain avide de louanges , qui , ne pouvant se
faire un nom par son talent , cherchoit au moins à se faire
remarquer par son extravagance ; mais qui n'est parvenu
qu'à se faire inourir à l'âge de cinquante-trois ans , épuisé
par ses passions , et sans avoir jamais pu obtenir de ses contemporains
qu'un regard de pitié . L'ami qui s'est chargé de
publier ses OEuvres et d'écrire sa Vie , s'extasie , comme de
raison , devant ses moindres écrits et devant toutes ses opinions
. Celles - ci lui paroissent sublimes , et les autres lui
semblent toujours des traits de génie. Mais cet officieux
panégyriste lui-même ne paroît pas plus se connoître en
littérature qu'en morale; et la longue Notice qu'il a pris
la peine d'écrire au commencement du volume qu'il offre au
public, en est une preuve plus que suffisante. Maréchal
vouloit que la vie d'un homme de vertu tel que lui , par
exemple , fût un poëme épique bien plus sublime et bien
plus parfait que ceux d'Homère. Son ami n'a su faire de la
sienne qu'un Recueil insipide de faits décousus , sans goût ,
sans choix et sans intérêt. Le philosophe y est représenté
comme un homme atrabilaire retiré dans sa maison du
faubourg Saint- Marceau , s'estimant lui-même au-dessus de
tous les hommes , dévoré de l'envie de se voir admiré , mais
ne communiquant avec personne. Cette haute opinion qu'il
avoit de lui-même , et le mépris qu'il affectoit pour tout ce
qui l'entouroit , lui suscita une affaire assez fâcheuse qu'il
faut laisser raconter à l'auteur de la Notice , afin d'avoir
tout à-la-fois une idée du caractère de Maréchal , et la
mesure du talent de son historien. C'est le plus bel endroit
de la vie du philosophe , et c'est tout ce qu'il y a de vraiment
intéressant dans la Notice :
« La réputation de Maréchal , dit son ami, mit un de ses
>> voisins dans le cas de tout entreprendre contre lui : il le
>>provoqua un jour dans un petit endroit qui appartenoit
>>à Maréchal , et que cet homme vouloit s'approprier ; sa
>> patience enflamma tellement de colère ce méchant voisin ,
>> qu'il ne se contînt plus : il envoya chercher la garde , qui ,
>> trompée par le bruit épouvantable de l'agresseur , emmena
>>l'injurié chez le juge de paix ; sa belle-soeur , attirée par le
>>bruit , éprouva le même sort.
» Il
JUILLET 1807 . Cen
Il étoit matin , continue le même narrateur
» réellement une chose originale de voir Maréchal tête nue,
>> en pantouffles , et sa belle-soeur en déshabillé et en bonnet
-" de nuit , conduits tous deux au milieu de la garde , et
>> suivis des enfans du quartier, toujours curieux des choses
> extraordinaires . L'étonnement de ceux qui les voyoient
-> dans cette position , les cris et le bruit des sabots des petits
>> enfans qui les accompagnoient , l'indignation de sa belle-
-> scoeur , tout cela lui causa un fol tire comme il n'en eut
› jamais de sa vie. L'on pense bien que le juge de paix lui
> rendit justice ; mais le méchant voisin ne s'en tint pas là :
> il intenta un procès criminel au paisible Maréchal .
:
>>C'étoit la première contestation qu'il eût eue de sa vie ;
>> il la confia sous le secret à un ami ; il rougissoit d'avoir un
>>procès : L'homme vertueux , disoit-il , doit respecter la jus-
» tice , mais ne doit jamais avoir affaire à elle . »
C'est apparemment par respect pour la mémoire de Maréchal
, et pour être fidèle à sa parole , que cet ami ne nous
donne pas la suite de cette aventure , et qu'il n'en explique
pas même le motif. Il est fâcheux que la réputation de
Maréchal mit ainsi ses voisins dans le cas de tout entreprendre
contre lui , parce qu'elle peut faire soupçonner que
le tort n'étoit pas tout entier du côté du méchant homme qui
se plaignoit , et que le paisible philosophe l'avoit au moins
scandalisé.
J. J. Rousseau , dont Maréchal emprunte souvent les
pensées et les expressions , dit formellement qu'un athée est
un scélérat; mais il faut ajouter , s'il n'est un fou , parce
qu'enfin il y a des gens dont la conduite est en opposition
avec les principes , et dont toute la vie est une perpétuelle
inconséquence. Montaigne avoit ainsi modifié cette pensée ,
lorsqu'il dit que « l'athéisme estant une proposition comme
>>desnaturée et monstrueuse , difficile aussi , et mal aisée
>>d'establir en l'esprit humain , pour insolent et desreiglé
>>qu'il puisse estre : il s'en est veu assez par vanité et par
>> fierté de concevoir des opinions non vulgaires et réforma-
>> trices du monde , en affecter la profession par contenance ;
>>qui , s'ils sont assez fols , ne sont pas assez forts pour l'avoir
> plantée en leur conscience. Que pourtant ils ne lairront de
>>joindre leurs mains vers le ciel , si vous leur attachez un
>>bon coup d'espée en la poitrine ; et que , quand la crainte
» ou la maladie aura abattu et appesanty cette licencieuse
>> ferveur d'humeur volage , ils ne lairront pas de se revenir,
>> et se laisser tout discrètement mourir aux créances et
>>exemples publiques. >>> <<<Autre chose est , ajoute-t-il , un
F
82 MERCURE DE FRANCE ,
>>
» dogme sérieusement digéré , autre chose ces impressions
superficielles ; lesquelles , nées dé la desbauche d'un esprit
» desmanché , vont nageant témérairement et incertaine-
» ment en la fantaisie Hommes bien misérables et escer-
» vellez , qui taschent d'estres pires qu'ils ne peuvent ! »> Si ,
de son vivant , il avoit fallu juger Maréchal sur l'autorité de
ces deux écrivains , qu'il ne cesse d'invoquer , il auroit peutêtre
été difficile de décider s'il méritoit plus de haine que de
pitié , parce que , n'ayant à exercer que ses fonctions insignifiantes
de bibliothécaire au Collége des Quatre-Nations ,
et ne pouvant ni voler , ni tuer sans s'exposer à la répression
des lois , il pouvoit encore paroître un assez bon humain
dans l'intimité de la vie commune , au milieu de ses pareils ;
dans sa famille peut- être ; avec ses maîtresses ou avec ses
amis . Les loups ne se mangent pas , dit-on ; et lorsqu'ils
sont sous la puissance de l'homme , retenus par la crainte
qu'elle leur inspire , ils laisssent en paix les agneaux avec
lesquels ils se rencontrent. Quoiqu'athée , Maréchal pouvoit
vivre tranquillement avec des athées , et , retenu par la
crainte des lois , il pouvoit filer doux avec ceux qui ne pensoient
pas comme lui . La question n'est pas de savoir ce
qu'il a fait de mal dans un état où il lui étoit impossible
d'en faire sans se nuire à lui-même. Ce qu'il faudroit examiner
aujourd'hui , c'est ce qu'il auroit fait dans une position différente
, avec une grande puissance et dans un pays où le
mépris public l'avoit constamment accompagné : or , il a
pris soin lui-même de nous en informer dans son livre
de la Vertu , espèce de rapsodie philosophique , qui renferme
la même pensée mille fois retournée , souvent exprimée
dans les mêmes termes , et qui tend à établir que tout est
néant dans l'univers , excepté la vertu : comme si la vertu ,
sans une puissance supérieure qui l'observe , qui l'admire et
qui peut la récompenser , n'étoit pas elle -même un véritable
néant , puisqu'où le pouvoir n'existe pas , il n'y a point de
sujets , ni d'obligations ! Comme si la vertu , qui impose des
privations sans récompense , n'étoit pas le comble de la folie
dans un être qui peut se satisfaire par un crime qui n'aura
point de châtiment ! Il faut donc déjà que l'esprit soit complétement
aliéné , pour parler de vertu lorsqu'on nie l'existence
de Dieu et l'immortalité de l'ame ; mais que penseronsnous
du même esprit qui , content d'avoir trouvé ce masque
pour cacher toute sa difformité , se présente sans aucune
pudeur comme le modèle et le type de la perfection , et qui
répète , après Diderot , qu'il n'appartient qu'à l'homme vertueux
d'être athée ; qui prétend que ce même homme , verJUILLET
1807 . 83
1
tueux à sa manière , c'est- à-dire , athée comme lui , est une
perle , et que nous sommes le fumier dans lequel on la
trouve ?
« Le peuple , dit - il , est une brute . »
« Les brutes ne sont pas plus capables de vertu que de
>> raison et de liberté . »
« Il faut encore dire cela , et le répéter :
» Une nation vieille , riche , populeuse , par conséquent
» corrompue , est nécessairement populaire ; c'est- à - dire ,
>> composée d'autant de sortes de populaces qu'il y a d'ordres
» dans l'Etat. Or , toute populace de salon ou de carrefour ,
>> brodée ou fangeuse , n'est susceptible d'aucun élan de
» vertu . »
« La plèbe est le fumier d'une république ; mais quand
» tout est plèbe dans une république , la vertu ne s'y trouve
» que par hasard : c'est un diamant perdu dans un grand
» amas de fumier ( comme Maréchal au milieu de la nation
>> française . ) »
« L'homme de vertu ( comme Maréchal ) vit comme s'il
» n'y avoit point de lois ; il pourroit dire aux magistrats et
>> aux juges : Qu'y a-t-il entre vous et moi ? »
« Lui seul à le droit de se croire capable de choses
>> sublimes . »
« Le pouvoir absolu ne sied qu'à l'homme de vertu , »
(qu'à Maréchal . )
« Un homme de vertu ( comme Maréchal ) est ce qu'il
» y a de plus parfait , de plus accompli dans la nature. »
« La vraie place de la vertu ( c'est- à-dire de Maréchal )
» seroit un trône ou la chaise curule . »
<< Magistrats , élevez à l'homme de vertu ( à Maréchal )
» un tombeau sur la place publique , pour qu'on sache du
» moins qu'il a existé un homme de bien ! »
Il est bon d'observer ici , qu'avant d'élever ce tombeau , il
faudra examiner si Diderot ne le mérite pas pour lui-même;
car il prétend que le crime est plus beau peut-être que la
vertu. Tome XIV de ses uvres in- 8° , pag. 262 .
Après avoir vu ce qu'il auroit fallu que Maréchal fût
dans son pays , il sera curieux de reconnoître comment il
auroit composé son empire :
>>
« Il existe , dit- il , éparse sur la terre une véritable république
, composée de tout ce qu'il y a d'hommes de vertu
» (c'est-à-dire , d'athées comme Maréchal ) . Les bons livres ,
» en petit nombre , faits par eux ( comme le Dictionnaire
» des Athées , fait par Maréchal ) , sont leurs truchemens ,
» leurs hérauts d'armes , les conducteurs du feu électrique
F 2
84 MERCURE DE FRANCE ,
>>
» qu'ils entretiennent , pour se ménager de temps en temps
quelques fortes explosions ( comme celle de 1793 ) . Les
» puissances du jour s'en doutent , et se mettent sur leur
» garde en sorte que , long -temps encore , les hommes
» vertueux ( les athées ) formeront sur la terre une répu
blique méconnue et peu redoutable . »
»
Maréchal auroit certainement réuni tous ces braves gens
qui vivent ignorés , pour en composer une nation de fidèles
sujets , aussi vertueux que tous les héros qui prêchoient
Pathéisme au milieu de la Convention , et qui alloient
ensuite exercer leur humanité dans toute la France , ensanglantée
par
leurs mains vertueuses .
« Ne seroit - il pas bien temps , poursuit le vertueux
» Maréchal , que les hommes de vertu ( tels que lui ) sor-
» tissent de leur isolement , se montrassent pour confondre ,
» par leur présence seulement , tant de grands coupables ,
» forts de leur impunité et fiers de leurs succès scandaleux ? »
( Tous ceux qui croient en Dieu , par exemple , et qui
jouissent de quelque considération ou de quelque fortune. )
»
« Gens de bien , s'écrie - t - il , c'est - à - dire , athées de tous
les pays , qui vivez au milieu des nations comme les tigres
» dans une ménagerie , ou comme les fous qui sont enfer
» més , vous ne connoissez pas votre force ; vous êtes en
plus grand nombre que vous ne pensez ! Levez-vous à là
» même heure , arınez-vous de fouets , et parcourez la terre
» pour la purger enfin des méchans que l'impunité enhardit ,
et qui traitent les hommes de vertu de bonnes gens . »
Ainsi Maréchal , devenu roi , auroit d'abord fait mássacrer
tous ceux qui pensent que les hommes de vertu sont
de bonnes gens. Nous laissons à penser ce qu'il auroit fait
de ceux qui croient que ces prétendus hommes de vertu
ne sout que des tigres enchaînés , des fous et des pestes
publiques.
Si nous voulons voir maintenant contre qui le paisible
Maréchal auroit d'abord dirigé ses coups de fouets , cela ne
sera pas difficile :
«< Chaque espèce d'êtres , dit-il , a son ennemi dans une
» autre espèce. Ainsi l'agneau trouve un ennemi dans le
» loup , la poule dans le renard : le sage en trouve un aussi
» dans la personne des prêtres , etc. »
Donc le sage Maréchal , revêtu de la dictature , auroit
commencé par purger la terre de tous les prêtres , etc. : et
par cet et cætera , on sait qu'il faut entendre les rois , dont
le mariage avec la vertu a , dit-il , toujours été stérile ; et
eu général tous les hommes religieux , qui , selon lui , ne
sont pas des hommes de vertu .
JUILLET 1807 . 85
1
Tel auroit été le bon , le sensible , le vertueux Maréchal ,
si nous avions voulu le mettre à la tête du gouvernement
lorsqu'il a paru parmi nous ; mais son nom a toujours été ,
dit-il encore , trop peu connu , et ses ouvrages toujours trop
oubliés. Nous ne devons pas nous étonner , au surplus , de
le voir si bien disposé à user de violence envers tous ceux
qu'il auroit pu soupçonner de ne pas aimer sa doctrine ; il
nous en donne la raison , lorsqu'il nous dit d'un ton de
maître :
<< Jeune homme , si tu découvres en toi quelque vertu ,
>> n'en sois pas vain! Elle t'a été donnée sous la condition
>> de recevoir quant et quant , pour contre-poids , le vice
>>opposé. »
D'où nous devons conclure que Maréchal , qui se trouvoit
doué des plus éminentes vertus , réunissoit aussi les plus
grands vices , et qu'il étoit en même temps très-bon et trèsméchant
, très-doux et très-cruel , fort juste et rempli de
partialité , etc. etc. Ce n'étoit guère la peine de tant prôner
la vertu , s'il faut toujours que les hommes qui la possèdent
au plus haut degré soient aussi les plus vicieux.
Quoique Maréchal prétendît être assuré qu'il n'y a point
de Dieu , tous les matins il saluoit le soleil ; et il dit positivement
qu'il croit au démon de Socrate , et que toute ame
honnête a le sien. Il paroît en effet que ce pauvre Maréchal
étoit au moins possédé du démon de l'orgueil .
Il ne veut aucune religion , aucun culte , pas même pour
la vertu : « Garde-toi , dit- il , de profaner la vertu par un
>>>culte. Mais , nous assure sou historien, il composoit des
prières et des pseaumes ; et, pour preuve, il nous offre une
belle prière à l'amour profane , dans laquelle on voit que
Maréchal étoit son ministre le plus zélé.
C'est ainsi que , sans le vouloir , ce mauvais philosophe
nous enseigne ce qu'il faut attendre d'un homme qui se dit
athée. Ses moindres travers , dans son état privé , sont de se
mettre lui-même hors de la loi religieuse et civile qui gouverne
son pays , d'extravaguer pour se faire remarquer ; et
lorsque le peuple est assez malheureux et assez fou pour
l'écouter et pour lui accorder quelque distinction , quelqu'emploi
public , ou quelqu'autorité , ce charlatan de morale
insensée se montre le plus intolérant et le plus féroce
des hommes : il proscrit sans examen , sans aucune pitié et
sans remords , tout ce qui n'abonde pas dans son sens . Les
titres les plus respectables et les plus sacrés ne sont pour lui
que des sentences . de mort ; et comme tout ce qui est
véritablement vertueux blesse son orgueil et l'humilie , it
3
86 MERCURE DE FRANCE ,
faut que tout ce qui porte quelque signe de vertu périsse.
Il est fort heureux pour l'humanité que de pareils hommes
meurent sans avoir obtenu la puissance qu'ils souhaitoient ;
et il est bon que leurs successeurs apprennent au moins
que, lorsqu'un ami maladroit voudra tirer leurs noms du
néant auquel ils se vouent , ce sera toujours pour l'exposer à
la dérision et au mépris public. G.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Les grands théâtres n'ont point donné de nouveautés cette
semaine. Mlle Saint-Albe continue ses débuts sans bruit. Elle
a été peu applaudie , mais jamais sifflée , dans les rôles
d'Andromaque , d'Aménaïde , d'Eriphile et de Monime. Elle
jouera la semaine prochaine Adélaïde Duguesclin. M. Joanni ,
acteur de Lyon , débutera samedi II juillet , sur le même
théâtre , dans le rôle de Cinna. On annonce aussi le début prochain
de Mlle Henri , ancienne actrice de l'Opéra , dans les
rôles de Mlle Contat.
- Le Théâtre de l'Impératrice doit donner incessamment
les Deux Figaro , de Martelli , et l'Héritier de Village , de
Marivaux.
-
-Mlle Rolandeau , actrice du théâtre de l'Opéra-Comique,
vient de passer quinze jours à Dijon : elle y a obtenu les plus
grands succès . Malgré une chaleur excessive , l'affluence n'a
diminué à aucune des représentations; et ces représentations
ont eu lieu tous les jours : chose extraordinaire dans une ville
du troisième ordre ! On a vu partir avec regret une actrice
qui joint à une très - belle voix une excellente méthode de
chant, et qui réunit encore à ces talens si rares le ton de la
bonne comédie , que , depuis long - temps , on ne retrouve
plus sur les théâtres de province.
-
On mande de Milan , que Mad. Lena Perpenti , de
Como , à laquelle la société d'encouragement du royaume
d'Italie , avoit décerné , en 1806 , une médaille d'honneur ,
pour avoir perfectionné la filature de l'amiante , vient de faire
avec succès un essai pour fabriquer avec ce fossile , un papier
très-propre à l'écriture et à l'impression , et capable de résister
à l'action des élémens. Le conseiller-d'état Moscati , direc-
,
JUILLET 1807 . 87
teur-général de l'instruction publique , a fait imprimer , sur
cette nouvelle espèce de papier, les complimens du nouvel an ,
adressés au vice-roi et à la vice-reine d'Italie.
- La construction de la seconde galerie qui doit joindre le
Louvre aux Tuileries , du côté du nord , n'est plus seulement
un projet. On fait dans ce moment les fouilles pour poser les
fondemens de cette galerie , dans l'espace qui existe entre
le pavillon Mersan et l'hôtel occupé par M. le secrétaire
d'Etat. Une immense quantité de pierres est déjà rassemblée
pour cet objet sur la place du Carrousel. On a aussi commencé
les travaux pour la construction du monument dédié , par
l'Empereur , à la gloire des armées françaises .
La Société des Sciences de Harlem propose les prix suivans
pour le 1er. novembre 1807 : 1 °. Quelles sont les différences
essentielles des propriétés et des parties constituantes
du sucre de cannes , et de celui qu'on obtient de plusieurs
arbres et autres végétaux ? 2°. Quelle est la cause de la phosphorescence
de l'eau de la mer ? Et si elle provient de la prés,
sence des petits animalcules vivans , quels sont ces animalculequelles
propriétés nuisibles peuvent- ils communiquer à l'amosphère
? 3º. Quelle est l'origine probable du Sperma Ceti ?
Peut-on obtenir cette substance de l'huile de baleine , on
pourroit-on l'y produire avec avantage ? Les prix sont des
médailles de 400 , 300 et 200 florins. Le terme de l'envoi
des Mémoires est fixé au 1. octobre 1807 .
NOUVELLES POLITIQUES .
Zara , 20 juin.
Une lettre de Travarnich , du 5 juin , annonce qu'il y étoit
arrivé la veille un Tartare apportant la nouvelle que lesRusses
ont été battus sous les murs d'Ismaïl ; qu'on leur a pris 51 pièces
de canon , 5 drapeaux , onze barques canonnières ; et qu'ils
ont eu un grand nombre de tués et de blessés. Un corps de
1800 Russes , qui étoit retranché à peu de distance, a capitulé .
L'ennemi a aussi abandonné la forteresse d'Akerman. Une tentative
faite par les Russes contre l'île de Candie , a échoué ; elle
leur a coûté 2000 hommes tués , blessés ou prisonniers , et cinq
bâtimens chargés de munitions qui sont restés au pouvoir des
Candiotes .
Milan , 2juillet.
On vient de recevoir des détails exacts sur la révolution
qui a éclaté dernièrement à Constantinople : ils ont été
apportés par un officier parti le 3 juin de cette capitale , et
arrivé hier au soir ici .
4
70
MERCURE DE FRANCE ,
Ja philosophie , dès qu'il eut rejeté cette nourriture perfide
dont sa jeunesse avoit été comme empoisonnée , son talent
grandit et se développa comme de lui -même : ce fut tout - àcoup
un des premiers écrivains de son siècle , un homme
dont l'autorité égala celle de Boileau , un juge souverain
de la littérature , et dont les jugemens furent sans appel .
Ainsi , par un concours singulier de circonstances , M. de
La Harpe réalisa à plus de cinquante ans les espérances
qu'il avoit fait concevoir à vingt ; il ne les réalisa qu'en se
faisant un nouveau caractère et une nouvelle ame : il les
réalisa si bien , qu'il fit presque oublier ses premiers ouvrages
. Maintenant , lorsqu'on voudra l'appeler d'un nom
qui fasse connoître toute l'étendue de son talent , on ne dira
plus l'auteur de Warwick et de Mélanie , encore moins celui
de l'Eloge de Catinat ; on dira l'auteur du Cours de Littérature
, ou le poète qui a chanté le triomphe de la religion ,
il
J'ai rendu justice aux premiers efforts que fit M. de La
Harpe pour maintenir les lois du bon goût ; je voudrois
pouvoir encore mieux louer ceux qu'il fit dans les dernières
années de sa vie , pour nous rappeler à des lois bien autrement
importantes. Combien il me paroît grand lorsque
resté seul de son siècle , seul debout au milieu des ruines ,
qui étoient tout ce que ce siècle nous avoit transmis ,
déplore , comme le prophète , les malheurs dont il a été le
triste témoin ; qu'il en développe les causes , et qu'il en
montre d'avance la fin dans le discrédit général où sont
tombés les déclamateurs au milieu desquels il avoit été
élevé ! Combien les efforts qu'il fait pour hâter ce moment
me paroissent louables ! Cependant , ce n'est point son Cours
de Littérature tout entier que j'admire le plus , ce Cours si
long , et d'ailleurs si rempli de jugemens hasardés et de
souvenirs qu'il auroit dû oublier ; ce sont sur-tout les discours
que cet ouvrage renferme , et , plus qu'aucun autre ,
celui qui fut prononcé dans une des séances solennelles du
Lycée. O temps ! On fut alors étonné du courage de M. de
La Harpe ; on applaudit avec transports à son éloquence
et aux nobles regrets qu'il témoignoit sur les ruines accumulées
, et des autels , et des tombeaux , et des sociétés littéraires
. Et maintenant on prononce encore des discours dans
ce même Lycée , et on les applaudit peut-être encore ; mais
ce n'est plus le même esprit qui les anime , et ils ne sont
plus remplis des mêmes regrets . Qu'est-ce qui a donc changé
autour de nous ? Est-ce la vérité ? Est-ce l'esprit public ?
Non , c'est l'orateur seul qui a changé ; et la vérité est deve◄
nue une seconde fois l'objet de la dérision des déclamateurs.
JUILLET 1807 . 71
Je crois avoir suffisamment témoigné combien je respecte
la mémoire de M. de La Harpe , et combien j'admire surtout
ses derniers ouvrages. Maintenant , il doit m'être permis
de le dire avec franchise : ce Recueil de lettres n'auroit
jamais dû voir le jour . Pourquoi M. de La Harpe les écrivit
il ? Quel fut son objet en les faisant connoître au public ?
Par quel motif n'en publia-t-il d'abord que les premiers
volumes ? Enfin , pourquoi les éditeurs dépositaires de sa
confiance ont- ils attendu si tard pour faire imprimer les derniers
? Ce sont des questions que je ne me flatte pas de
résoudre si je les fais , c'est qu'elles me fourniront
naturellement l'occasion de donner quelque idée de ce
Recueil.
Ces sortes de correspondances ont toujours un but plus
ou moins digne d'excuse , et rarement digne d'éloges. Il
est triste de penser que M. de La Harpe , tout comme un
autre , n'a pu être déterminé que par un vil intérêt à faire
chaque semaine , pour le grand-duc de Russie , la gazette
scandaleuse de notre littérature . Que cet auteur ait été d'abord
très-flatté d'avoir un commerce suivi de lettres avec un grand
prince , cela se conçoit ; ce qui me paroît difficile à concevoir
, c'est qu'il ait écrit peu à peu cinq gros volumes de
Lettres sans autre but que la petite satisfaction de dire qu'il
les écrivoit . Je conçois encore moins le mépris qu'il témoigne
dans sa préface , pour Thiriot et tant d'autres qui
entretenoient des correspondances pareilles avec des princes
d'Allemagne. En effet , quelle raison avoit- il pour ne pas
craindre qu'une partie au moins de ce mépris retombât sur
lui ? Avoit-il un motif plus noble qu'eux tous , en écrivant
ces lettres ? Et si la vérité seule les lui dictoit , la vérité estelle
ici une excuse suffisante de tout le mal qu'il pouvoit
faire à ceux qu'il y jugeoit tous les jours? Lorsqu'on parle
à un prince , et qu'on l'entretient sans cesse des ouvrages et
des actions des gens de lettres , on ne s'expose pas seulement
à flétrir leur réputation , qui est ( il faut le croire au moins )
le premier des biens pour eux ; on s'expose encore à renverser
leur fortune , leurs espérances de toute espèce ; et ce
dernier danger me semble le plus terrible qu'un honnête
homme puisse courir : il est beau dans un sens mais dans
un autre il est terrible de dire toujours la vérité.
,
Je m'exprimerois peut-être différemment , si M. de La
Harpe avoit été , comme Thiriot , un particulier obscur et
sans importance. Mais un académicien déjà connu par de
bons ouvrages , un homme dont chaque censure pouvoit
paroître un arrêt , un des chefs , enfin , de notre littérature ,
4
72 MERCURE
DE FRANCE
,
ne pouvoit se charger d'en donner les nouvelles à un grand
prince , qu'autant que cet emploi lui auroit fourni l'occasion
de protéger les lettres , et de rendre quelque service à ceux
qui les cultivoient . Si tel fut le but de M. de La Harpe ,
qu'on me dise donc pourquoi ses lettres contiennent tant
de critiques et si peu d'éloges , des critiques si sanglantes ,
et des éloges si modérés ?
Quand on a lu ces critiques si peu mesurées , si tranchantes
, jamais motivées , dont M. de La Harpe a rempli
ses lettres , on est étonné qu'il ait osé y parler des journaux ,
et en parler avec mépris. Cependant , quand nous faisons la
censure d'un ouvrage , nous la faisons en présence du public
qui nous juge , et de l'auteur qui peut nous répondre. Nous
ne nous cachons pas dans l'ombre , pour faire sans péril une
critique qui seroit inutile , par cela seul qu'elle seroit ignorée .
Nous avons , du moins nous pouvons avoir , en la faisant ,
un motif louable , qui est de rappeler les auteurs aux vrais
principes du goût , et quelquefois à des principes bien autrement
importans que ceux du goût. Comment se feroit-il
que des pareilles censures fussent dignes de mépris , et que
celles de M. de La Harpe ne le fussent pas ? S'il y a quelque
différence entre lui et nous à cet égard , elle est toute à notre
honneur : nous sommes obligés de motiver nos jugemens ,
et il se dispensoit de motiver les siens ; il écrivoit secrètement
à un prince , et nous parlons publiquement aux auteurs
eux-mêmes. D'ailleurs , ceux que nous censurons ne
sont pas nos amis , nos collègues ; nous ne siégeons pas avec
eux dans les sociétés littéraires ; et si dans nos critiques nous
remplissons quelquefois de tristes devoirs , nous n'en violons
aucun tant que nous sommes justes , et que nous ne disons
que la vérité . Mais comment M. de La Harpe pouvoit- il
s'excuser à ses propres yeux , lorsqu'il censuroit ces mêmes
auteurs avec lesquels il vivoit familièrement , et qu'il les
censuroit sans qu'ils pussent en rien savoir ? Pour moi , qui
suis très-loin de me comparer en aucune manière à M. de
La Harpe , il me semble que je ne ferois pas la censure
d'un mauvais ouvrage dont l'auteur seroit lié
de simples rapports de société . Et M. de La Harpe , académicien
, ne croyoit manquer à aucune sorte de convenance ,
lorsqu'au sortir de l'Académie , il alloit sévèrement censurer
dans une lettre cette même séance dans laquelle il
avoit été acteur .
avec moi
par
Je demande en second lieu , par quel motif il a pu se
déterminer à faire imprimer ces lettres ? Chacune d'elles est
en général correctement écrite ; les critiques qu'elles renJUILLET
1807 . 73
ferment sont justes ; mais suffit-il d'écrire correctement et
d'être juste , pour faire un livre qui vaille la peine d'être lu ?
Elles ne renferment d'ailleurs aucune pensée qu'on puisse
retenir avec quelque satisfaction ; et ces critiques n'ont ordinairement
pour objet que des livres ou des auteurs depuis
long-temps ignorés , ou tombés au-dessous de toute censure .
Ce qu'il y a même de plus singulier , ce n'est pas que sur
vingt censures on y rencontre à peine un éloge , c'est que
l'éloge y est presque toujours donné à un ouvrage dont
personne ne se souvient plus. Quelle gloire l'auteur du
Cours de Littérature pouvoit- il donc espérer de la publication
de ces lettres ? Après avoir érigé à la critique un si vaste
et un si beau monument, pourquoi a -t-il voulu nous faire
connoître encore ses petits tas de terre et de bone , dont il
marquoit le passage de tant d'auteurs et de tant de livres qui
n'étoient faits que pour être oubliés ?
:
Et M. de La Harpe méprise les journaux ! Il en est șans
doute qu'on pourroit lui abandonner assurément je ne
pense pas à défendre , ni le Journal ( il ne dit pas le Courier )
Français , dont il censure jusqu'au titre , attendu , dit- il , que
les autres ne sont pas iroquois ; ni le nouveau Courier des
Spectacles écrit , dit-il , d'un style de porteur de chaises , dont
l'auteur fort obscur et fort ignore paroit vouloir se signaler
pardes scandales . Nous ajouterons même avec lui , que toutes
ces insipidesfutilités ne sont pas dignes d'occuper les regards.
Mais avant de lui passer son mépris pour les journaux vraiment
littéraires , il faudroit que nous pussions oublier que
lui-même , pendant une grande partie de sa vie , n'eut pas
de meilleur titre à la considération publique , que les articles
qu'il faisoit pour le Mercure , et que presque tous les écrivains
distingués de son siècle et du nôtre. ont commencé par
écrire dans les journaux ; enfin nous voudrions qu'il eût exprimé
ce mépris ailleurs que dans un livre qui estlui-même ,
non pas un journal , mais une gazette.
Il paroîtra peut-être étonnant que M. de La Harpe , tant
de fois accusé lui-même en sa qualité de journaliste , se soit
mis à son tour , en sa qualité d'écrivain , parmi les accusateurs.
Ce qu'il y a de bien plus étonnant , c'est que de
tous les reproches qu'on fait aux journaux , il n'en est pas un
qu'on ne puisse faire , et plus justement , à ces lettres .
Et d'abord ses critiques sont dures , tranchantes , toujours
écrites du style le plus méprisant . S'il parle d'un médiocre
poète , c'est un M. Lemercier, un M. de Caux , un
M. d'Eglantine ; d'un mauvais auteur , c'est un M. Morel ,
un M. Duverney ; toujours un : et quoique toutes ces unités
74 MERCURE
DE FRANCE
,
»
se soient maintenant à-peu près réduites à zéro , on pourroit
desirer qu'un critique honnête n'eût pas commencé par
verser sur le nom même de tant d'auteurs le mépris qu'il
devoit réserver pour leurs ouvrages . Ecoutons-le : « Le monu-
» ment de délire et d'audace le plus curieux , est sans con-
» tredit une lettre d'un chevalier de Cubières contre Boileau . »
Et ailleurs : « Un M. Chénier ( c'est le même qui professe
» actuellement la littérature à l'Athénée ) , jeune aspirant
qui fait profession d'un grand mépris pour nos meilleurs
» écrivains , a fait jouer à Fontainebleau une tragédie d'Azé-
» mire , qui a été outrageusement sifflée depuis le commen-
» cementjusqu'à lafin. » Et ce n'est pas seulement contre des
auteurs tels que M. de Cubières ou M. de Chénier que M. de
La Harpe s'élève avec cette dureté : s'il parle de d'Alembert ,
c'est pour apprendre au grand-duc qu'il ennuie , qu'il vieillit,
et qu'en vieillissant il contracte de l'humeur. La manière
dont il lui parle de M. Morellet n'est pas plus flatteuse : s'il
Jui rend compte de son discours de réception , c'est pour dire
que ce discours est long, que la marche est pesante , que
le style est monotone ; qu'en général l'auteur pense sagement
, et écrit avec correction , mais que sa composition est
froide et inanimée , et qu'il ne faut pas qu'un philosophe
expose la raison au malheur d'ennuyer. Maintenant , je
demande en quoi ces jugemens diffèrent de ceux qui ont été
souvent portés sur les mêmes hommes dans les journaux ;
et s'il se trouve que ceux-ci sont mieux motivés , et souvent
moins durs , quelle raison M. de La Harpe pouvoit – il
avoir de déprécier ceux des journaux , et de se glorifier des
siens?
-
D'ailleurs , si le style de ces lettres est soigné , il ne l'est
pas tellement qu'on ne puisse y trouver plusieurs incorrections.
Me permettra-t-on de faire observer que le titre
même que M. de La Harpe a donné à son Recueil est une
expression très -impropre ? Une Correspondance se compose
des lettres qu'on a écrites , des réponses qu'on a reçues. Il
suit de là qu'en faisant imprimer ses lettres seules , il ne
devoit point les intituler Correspondance , encore moins
Correspondance adressée , etc.; car on adresse des lettres ,
et on n'adresse pas une correspondance . Il y a des mots
dont l'application paroît encore plus extraordinaire : par
exemple , je crois qu'il n'est point permis d'appeler M. Delille
un excellent écrivain , et un bon paysagiste ; c'est un
grand poète , qui a peint et très-bien peint autre chose que
des paysages. Mais M. de La Harpe vouloit amener une
opposition entre le paysagiste et le peintre d'histoire ; et ou
JUILLET 1807 . 75
sent bien que le peintre d'histoire c'est lui . Ce qu'il y a
de déplorable dans un juge aussi excellent des ouvrages des
autres , c'est qu'il se croyoit un bon peintre d'histoire , parce
qu'il avoit fait une tragédie des Barmécides , qui avoit été
fort applaudie dans les sociétés de Paris , et qui ( comme
cela arrive souvent ) ne le fut point ailleurs. La raison
qu'il avoit pour croire cette tragédie bonne , n'est pas moins
singulière que tout le reste c'est qu'elle avoit fait pleurer
tous les Russes qui étoient à Paris.
En général , quoique les jugemens que M. de La Harpe
porte dans ce Recueil soient ordinairement justes , ils ne
méritent pas autant de confiance que ceux qu'il a portés
dans son Cours de Littérature. Dans ce dernier ouvrage ,
s'il a trop loué Voltaire , il n'a eu en cela que le tort de
trop s'abandonner aux illusions de la reconnoissance . Dans
celui - ci , il ne s'oublie pas assez lui-même , et la vanité
d'auteur lui fait adopter quelquefois des principes faux , ou
qui n'ont jamais été soutenus par aucun bon critique ,
excepté par lui . Il faut en citer un exemple. Dans une de
ses lettres , il annonce que n'ayant aucune nouvelle intéressante
à donner , il parlera , dans la suivante , du drame et de
ses règles, Ainsi, ce n'est point sans y avoir réfléchi qu'il traite
de cette espèce de pièces , qui ne sont ni du genre tragique ni
du genre comique , et qui sont nées , comme le pensent tous
les gens de goût , de l'impuissance de réussir dans l'un ou
dans l'autre . Ce n'est donc pas non plus sans y avoir pensé
qu'il affirme , dans la lettre suivante , qu'il est faux que
rire soit le ressort unique et essentiel de la comédie . Dans son
Cours de Littérature , il avoit sagement avoué que le genre
du drame étoit inférieur aux deux autres . Dans ses lettres ,
il semble vouloir prouver qu'un bon drame vaut une bonne
comédie. On reconnoît ici l'auteur de Mélanie , et on gémit
qu'un homme aussi sage ait été pour ainsi dire égaré
par ses propres exemples. Maintenant on ne sera pas surpris
qu'en parlant de Nanine , il ait dit : « Ce n'est qu'avec le
» temps qu'on sentit le charme de cet ouvrage. »
le
Je pourrois pousser plus loin le parallèle entre les jugemens
qui sont portés dans son Cours de Littérature , et
ceux qu'il porte dans ses lettres ; j'aurois plus d'une différence
à y faire observer. Qu'il me suffise d'en relever une
qui est assez remarquable. Excepté les éloges exagérés
qu'il donne dans son Cours à quelques ouvrages de Voltaire
, qui sont d'ailleurs ses plus beaux et de très - beaux
ouvrages ; excepté , dis-je , ces éloges , qu'on réduit facilement
à leur juste valeur , tous les jugemens qu'il y porte
76 MERCURE DE FRANCE .
ont été sans appel . Dans ses lettres , au contraire , on en
trouve plusieurs qui ont été cassés dès son temps même :
par exemple , il croit que la tragédie-opéra cessera bientôt
de plaire ; et ce qu'il y a de bien singulier , c'est qu'il dit
cela à propos d'Edipe à Colonne. Selon lui , les malheurs ,
les plaintes , les ressentimens d'Edipe , sont d'une monotonie
fatigante , que l'on sentira nécessairement quand la
mode de vouloir des tragédies à l'Opéra sera passée comme
tant d'autres . On auroit pu répondre à M. de La Harpe
que cette mode nous vient des Grecs , dont les tragédies
n'étoient en effet que de très -beaux opéras , et que , toute
vieille qu'elle est , elle ne semble pas prête à passer . D'ail
leurs , dipe à Colonne est encore aujourd'hui le chefd'oeuvre
des opéras , et , grace à la beauté de sa musique ,
on n'a pas encore l'air d'en être fatigué.
>>
Une des lettres qui m'ont le plus étonné dans tout ce
Recueil , c'est celle par laquelle il apprend au Grand - Duc ,
que « les comédiens ne sachant de quoi s'aviser pour ramener
le public , se sont avisés d'annoncer Athalie avec des
» choeurs chantés. Cette nouveauté , ajoute - t - il , déjà.
essayée ..... il y a vingt ans , n'avoit eu aucun succès....
>> On ne vit qu'une froide bigarrure , un amalgame de
» mauvais goût qui gâtoit deux arts en voulant les unir , la
» musique et la déclamation. » Comme il n'est pas possible
de supposer que M. de La Harpe ignorât que cette froide
bigarrure étoit une des conceptions du grand Racine , et
que cet amalgame de mauvais goût avoit été imaginé par
celui de tous les poètes français dont le goût a été le plus
délicat , on ne peut s'empêcher d'être étonné des expressions
qu'il emploie en cette occasion . Il seroit cependant
difficile de croire que l'auteur d'Athalie eût voulu composer
pour cette tragédie des choeurs qu'il n'auroit pas voulu faire
chanter.
que ces
Il suit de tout ce que je viens de dire ,
lettres , quoiqu'elles soient d'un homme profondément
instruit dans la littérature , ne sont pas exemptes d'erreurs
ou de jugemens hasardés . D'ailleurs , les formes
en sont peu variées . Quand M. de La Harpe a dit : Il
paroît un ouvrage , on vient d'imprimer ou de publier un
ouvrage , il a tout dit ; il ne sortira pas de ces tournures . Ce
qui s'ensuit encore , c'est qu'elles n'ont pas , comme critiques ,
le mérite des bons articles de journaux , et qu'elles ont
encore moins , comme lettres , celui qu'on s'attend à trouver
dans cette sorte d'écrits . M. de La Harpe n'y cause pas : et
en cela il a tort , puisqu'une bonne lettre n'est qu'une
JUILLET 1807. 77
Conversation écrite. Il n'y disserte pas non plus : et il a tort
encore ; car M. de La Harpe ne plaît parfaitement , du
moins en prose , que lorsqu'il disserte . Ses lettres sont sans
grace , sans mouvement , sans variété , et ses critiques sont
sans motifs ; telles peut- être qu'il les falloit à un prince
qui ne lui demandoit que des résultats , mais bien éloignées
par cela même de ce qu'elles auroient dû être pour plaire
au public français. Quelle raison , je le répète encore , a
donc pu engager M. de La Harpe à les faire imprimer ?
La même peut-être qui le détermina à ne publier d'abord
que les plus anciennes . Ici je ne formerai encore qu'une
conjecture ; et je ne m'abandonne pas à la première qui se
présente à mon imagination ; je cherche , au contraire ,
celle qui peut faire le plus d'honneur aux intentions de
M. de La Harpe , ou qui peut fournir quelques motifs de
l'excuser. Cet auteur étoit , vers la fin de sa vie , environné
d'ennemis qui se plaisoient à lui rappeler les erreurs de sa
jeunesse ; il voulut peut-être prouver , par ses lettres , qu'il
n'avoit jamais été assez philosophe pour ne pas sentir les
torts de la philosophie : ce qu'il y a de sûr , c'est que ,
dans ses jugemens , il ne ménage pas plus d'Alembert et
M. Morellet , que Gilbert ; et on voit bien que s'il s'élève
de toutes ses forces contre M. Chénier , ce n'est point
parce qu'il a été loué dans l'Année Littéraire ; c'est parce
qu'il a fait Azémire , Charles IX , Henri VIII . Mais
enfin ces lettres , telles qu'elles étoient , contenoient des
critiques violentes contre tous les auteurs vivans ; et M. de
La Harpe ne devoit pas s'attendre qu'elles feroient cesser
les cris qui s'élevoient déjà de toutes parts contre lui . Il
étoit probable qu'après lui avoir reproché ses erreurs en
philosophie , on ne manqueroit pas de relever avec plus de
violence les torts qu'il s'étoit donnés au commencement de
la révolution . Il fit donc imprimer ses premières lettres ; il
donna à ses ennemis la petite satisfaction d'exhaler toute
leur fureur . Peut-être se réservoit-il à lui-même celle de
montrer , quand ils auroient tout dit contre lui , que tout
ce qu'ils avoient dit étoit faux ; et que , dans le fond , il
n'avoit jamais beaucoup admiré ni la révolution , ni la
philosophie :
« Il est certain , dit-il , dans une de ses dernières lettres ,
» que la révolution a précipité la décadence du goût , jusqu'à
» son dernier terme , en ouvrant la carrière à une foule de
» misérables déclamateurs qui s'imaginent que la licence et
l'exagération tiennent lieu de talent. Sur cent faiseurs de
brochures , il n'y en a pas dix qui sachent même cons-
»
»
98 MERCURE
DE
FRANCE
,
»
truire une phrase ; et comme ces brochures se vendent »
plus ou moins , grace à l'esprit de parti , pour qui tout
» est bon , les plus ineptes et les plus grossiers barbouilleurs
» sont encouragés par le succès . » Je voudrois pouvoir citer
ici tout ce qu'il dit des tragédies de Charles IX , de Calas
de Henri VIII; enfin de cette foule de rapsodies dramatiques
qui jouirent , à l'époque de nos troubles , d'une gloire
éphémère , et qui n'en pouvoient jouir que dans de pareils
temps. Mais on ne peut tout citer . Il me suffira de dire
que si , dans la partie littéraire du Mercure , où il auroit dû
ne s'occuper que de la littérature , M. de La Harpe admiroit
un peu trop la révolution qui s'étoit faite dans l'Etat ,
en écrivant au Grand -Duc qui lui permettoit , comme il le
dit lui-même , de s'occuper de questions politiques , il ne
songe qu'à s'élever contre celle qui s'étoit faite dans les
lettres . Et cela même me paroît une singularité que je ne
devois pas manquer de faire observer.
Je voudrois maintenant trouver la raison qui a déterminé
les éditeurs à publier si tard les derniers volumes de ce
Recueil. Etoient-ils effrayés de cette quantité d'ouvrages
dont les auteurs sont encore vivans , et qui sont ici censurés
, poursuivis avec tout l'acharnement dont M. de La
Harpe seul étoit capable ? Y avoit-il , parmi ces auteurs ,
des hommes qu'ils pussent craindre d'offenser ? Mais il y
avoit un moyen facile de les caliner ; et comme il paroît
que ce moyen a été pris , je ne vois pas pourquoi on n'y
auroit pas eu recours quelques années plutôt .
Le sixième et dernier volume de ces lettres est presque
entièrement rempli par une table alphabétique de noms
d'auteurs et de titres d'ouvrages . J'ai cru d'abord que cette
table étoit uniquement destinée à former un tome de plus ,
qui auroit pour les libraires le grand avantage d'être vendu
comme un tome de M. de La Harpe . Je me suis convaincu
ensuite qu'elle étoit véritablement utile . On pourra lire ces
lettres ; on ne les relira pas . Le moment de leur nouveauté
une fois passé , on les gardera pour les consulter au besoin ,
et savoir ce que leur auteur a pensé de tel auteur ou de tel
ouvrage qui n'aura duré qu'un moment. Cette table alors
sera nécessaire . Par son moyen , ce Recueil deviendra
comme un dictionnaire de censures ; et c'est à- peu - près
tout ce qu'il sera dans quelques années .
GUAIRARD .
JUILLET 1807 . 79
De la Vertu; par Sylvain Maréchal , auteur du Dictionnaire
des Athées . Précédé d'une Notice sur cet écrivain , et suivi
du Livre de tous les Ages , par le même auteur . Avec cette
épigraphe :
Disce omnes.
• · Ab uno
Un vol. in-8°. Prix : 5 fr . , et 6 fr . 50 cent . par la poste .
A Paris , chez L. Collin , lib. , rue Gît - le- Coeur.
IL y a des fous de plus d'une espèce : les plus dangereux
ne sont pas ceux qui frappent et qui brisent tout ce qu'ils
rencontrent ; on les a bientôt mis hors d'état de nuire , et les
effets de leur démence ne s'étendent jamais au-delà du petit
cercle dans lequel ils peuvent agir. La folie des philosophes
athées , qui se mêlent d'écrire et de répandre leur doctrine ,
est bien plus funeste . Elle attaque le principe de toute
morale ; elle déchaîne toutes les passions ; elle arme tous les
bras ; elle excite tous les hommes à s'entredétruire , parce
que , n'ayant plus de frein et plus de garans de leurs intentions
, il devient de l'intérêt de chacun de chercher son bienêtre
et son salut dans l'oppression , dans la ruine ou dans la
mort de son voisin . Elle tend visiblement et bien certainement
à la barbarie et à l'extermination de la race humaine .
A la place de Dieu , ces philosophes nous présentent la
nature , la raison ou les lois ; mais la nature elle- même ,
donnant aux hommes les mêmes besoins , les met constamment
en opposition d'intérêts ; la raison , également accordée
à tous , leur conseilla toujours de les discuter et de les
défendre ; et les lois , sans morale , qui en ordonneroient le
sacrifice , ne seroient qu'une tyrannie insupportable. Sylvain
Maréchal ne veut rien de tout cela pour gouverner le
monde : il ne lui faut ni Dieu , ni nature , ni raison , ni
lois. La vertu toute seule lui suffit . Avec elle , dit - il ,
l'homme peut remuer le monde du seul mouvement de ses
sourcils. Il ne paroît pas se douter que la vertu ,
sans le
principe qui la commande , est un effet sans cause , un joug
ridicule qui n'a plus de motif , et que l'homme matière ,
comme il le veut , s'il n'est un insensé , ne doit s'attacher
qu'à ce qui lui paroît convenable pour sa propre satisfaction
, comme feroit un animal doué de raison et armé de
toute la puissance humaine. Ce Maréchal n'étoit pas seulement
un fou ridicule ; c'étoit un homme que l'orgueil étouf-
NO
80 MERCURE DE FRANCE ,
foit , un esprit désordonné qui se croyoit fait pour régir
tout l'univers , un fiévreux heureusement enchaîné par les
lois , un persécuteur sans autorité , un tyran sans Etats ,
sans troupes et sans argent ; un pauvre diable qui feignoit
d'être athée dans le bon temps de la terreur, afin d'obtenir
du crédit , des places et de la réputation ; un littérateur
obscur , un écrivain avide de louanges , qui , ne pouvant se
faire un nom par son talent , cherchoit au moins à se faire
remarquer par son extravagance ; mais qui n'est parvenu
qu'à se faire mourir à l'âge de cinquante - trois ans , épuisé
par ses passions , et sans avoir jamais pu obtenir de ses contemporains
qu'un regard de pitié . L'ami qui s'est chargé de
publier ses OEuvres et d'écrire sa Vie , s'extasie , comme de
raison , devant ses moindres écrits et devant toutes ses opinions
. Celles - ci lui paroissent sublimes , et les autres lui
semblent toujours des traits de génie. Mais cet officieux
panégyriste lui-même ne paroît pas plus se connoître en
littérature qu'en morale ; et la longue Notice qu'il a pris
la peine d'écrire au commencement du volume qu'il offre au
public , en est une preuve plus que suffisante . Maréchal
vouloit que la vie d'un homme de vertu tel que lui , par
exemple , fût un poëme épique bien plus sublime et bien
plus parfait que ceux d'Homère. Son ami n'a su faire de la
sienne qu'un Recueil insipide de faits décousus , sans goût ,
sans choix et sans intérêt. Le philosophe y est représenté
comme un homme atrabilaire retiré dans sa maison du
faubourg Saint- Marceau , s'estimant lui-même au-dessus de
tous les hommes , dévoré de l'envie de se voir admiré , mais
ne communiquant avec personne . Cette haute opinion qu'il
avoit de lui-même , et le mépris qu'il affectoit pour tout ce
qui l'entouroit , lui suscita une affaire assez fâcheuse qu'il
faut laisser raconter à l'auteur de la Notice , afin d'avoir
tout à-la-fois une idée du caractère de Maréchal , et la
mesure du talent de son historien . C'est le plus bel endroit
de la vie du philosophe , et c'est tout ce qu'il y a de vraiment
intéressant dans la Notice :
»
« La réputation de Maréchal , dit son ami , mit un de ses
» voisins dans le cas de tout entreprendre contre lui : il le
provoqua un jour dans un petit endroit qui appartenoit
» à Maréchal , et que cet homme vouloit s'approprier ; sa
» patience enflamma tellement de colère ce méchant voisin ,
qu'il ne se contînt plus : il envoya chercher la garde , qui ,
» trompée par le bruit épouvantable de l'agresseur , emmena
l'injurié chez le juge de paix ; sa belle-sceur , attirée par le
» bruit , éprouva le même sort .
>>
>>
» Il
JUILLET 1807 : Cent
tot
Il étoit matin , continue le même narrateur
» réellement une chose originale de voir Maréchal tête me,
» en pantouffles , et sa belle - soeur en déshabillé et en bonnet
» de nuit , conduits tous deux au milieu de la garde , et
» suivis des enfans du quartier , toujours curieux des choses
> extraordinaires . L'étonnement de ceux qui les voyoient
-» dans cette position , les cris et le bruit des sabots des petits
» enfans qui les accompagnoient , l'indignation de sa belle-
» soeur , tout cela lui causa un fol tire comme il n'en eut
» jamais de sa vie. L'on pense bien que le juge de paix lui
» rendit justice ; mais le méchant voisin ne s'en tint pas là :
» il intenta un procès criminel au paisible Maréchal.
» C'étoit la première contestation qu'il eût eue de sa vie ;
» il la confia sous le secret à un ami ; il rougissoit d'avoir un
» procès : L'homme vertueux , disoit- il , doit respecter la jus-
» tice , mais ne doit jamais avoir affaire à elle. »
C'est apparemment par respect pour la mémoire de Maréchal
, et pour être fidèle à sa parole , que cet ami ne nous
donne pas la suite de cette aventure , et qu'il n'en explique
pas même le motif. Il est fâcheux que la réputation de
Maréchal mit ainsi ses voisins dans le cas de tout entreprendre
contre lui , parce qu'elle peut faire soupçonner que
le tort n'étoit pas tout entier du côté du méchant homme qui
se plaignoit , et que le paisible philosophe l'avoit au moins
scandalisé .
>>
J. J. Rousseau , dont Maréchal emprunte souvent les
pensées et les expressions , dit formellement qu'un athée est
un scélérat ; mais il faut ajouter , s'il n'est un fou , parce
qu'enfin il y a des gens dont la conduite est en opposition
avec les principes , et dont toute la vie est une perpétuelle
inconséquence . Montaigne avoit ainsi modifié cette pensée ,
lorsqu'il dit que « l'athéisme estant une proposition comme
>> desnaturée et monstrueuse , difficile aussi , et mal aisée
» d'establir en l'esprit humain , pour insolent et desreiglé
qu'il puisse estre : il s'en est veu assez par vanité et par
>> fierté de concevoir des opinions non vulgaires et réforma-
» trices du monde , en affecter la profession par contenance ;
qui , s'ils sont assez fols , ne sont pas assez forts pour l'avoir
plantée en leur conscience . Que pourtant ils ne lairront de
joindre leurs mains vers le ciel , si vous leur att chez un
» bon coup d'espée en la poitrine ; et que , quand la crainte
» ou la maladie aura abattu et appesanty cette licencieuse
» ferveur d'humeur volage , ils ne lairront pas de se revenir ,
- » et se laisser tout discrètement mourir aux créances et
» exemples publiques . » « Autre chose est , ajoute - t-il , un
>>
"}}
F
82 MERCURE DE FRANCE ,
->
dogme sérieusement digéré , autre chose ces impressions
» superficielles ; lesquelles , nées de la desbauche d'un esprit
» desmanché , vont nageant témérairement et incertaine-
» ment en la fantaisie Hommes bien misérables et escer-
» vellez , qui taschent d'estres pires qu'ils ne peuvent ! » Si ,
de son vivant , il avoit fallu juger Maréchal sur l'autorité de.
ces deux écrivains , qu'il ne cesse d'invoquer , il auroit peutêtre
été difficile de décider s'il méritoit plus de haine que de
pitié , parce que , n'ayant à exercer que ses fonctions insignifiantes
de bibliothécaire au Collége des Quatre-Nations ,
et ne pouvant ni voler , ni tuer sans s'exposer à la répression
des lois , il pouvoit encore paroître un assez bon humain
dans l'intimité de la vie commune , au milieu de ses pareils ;
dans sa famille peut -être ; avec ses maîtresses ou avec ses
amis . Les loups ne se mangent pas , dit- on ; et lorsqu'ils
sont sous la puissance de l'homme , retenus par la crainte
qu'elle leur inspire , ils laisssent en paix les agneaux avec
lesquels ils se rencontrent . Quoiqu'athée , Maréchal pouvoit
vivre tranquillement avec des athées , et , retenu par la
crainte des lois , il pouvoit filer doux avec ceux qui ne pensoient
pas comme lui . La question n'est pas de savoir ce
qu'il a fait de mal dans un état où il lui étoit impossible
d'en faire sans se nuire à lui- même . Ce qu'il faudroit examiner
aujourd'hui , c'est ce qu'il auroit fait dans une position différente
, avec une grande puissance et dans un pays où le
mépris public l'avoit constamment accompagné : or , il a
pris soin lui- même de nous en informer dans son livre
de la Vertu , espèce de rapsodie philosophique , qui renferme
la même pensée mille fois retournée , souvent exprimée
dans les mêmes termes , et qui tend à établir que tout est
néant dans l'univers , excepté la vertu : comme si la vertu ,
sans une puissance supérieure qui l'observe , qui l'admire et
qui peut la récompenser , n'étoit pas elle-même un véritable
néant , puisqu'où le pouvoir n'existe pas , il n'y a point de
sujets , ni d'obligations ! Comme si la vertu , qui impose des
privations sans récompense , n'étoit pas le comble de la folie
dans un être qui peut se satisfaire par un crime qui n'aura
point de châtiment ! Il faut donc déjà que l'esprit soit complétement
aliéné , pour parler de vertu lorsqu'on nie l'existence
de Dieu et l'immortalité de l'ame ; mais que penseronsnous
du même esprit qui , content d'avoir trouvé ce masque
pour cacher toute sa difformité , se présente sans aucune
pudeur comme le modèle et le type de la perfection , et qui
répète , après Diderot , qu'il n'appartient qu'à l'homme vertueux
d'être athée ; qui prétend que ce même homme , verJUILLET
1807 .
83
tueux à sa manière , c'est- à-dire , athée comme lui , est une
perle , et que nous sommes le fumier dans lequel on la
trouve ?
« Le peuple , dit - il , est une brute . »
« Les brutes ne sont pas plus capables de vertu que de
>> raison et de liberté . »
{
« Il faut encore dire cela , et le répéter :
» Une nation vieille , riche , populeuse , par conséquent
>> corrompue , est nécessairement populaire ; c'est-à - dire ,
>> composée d'autant de sortes de populaces qu'il y a d'ordres
» dans l'Etat. Or , toute populace de salon ou de carrefour ,
>> brodée ou fangeuse , n'est susceptible d'aucun élan de
>> vertu . »
« La plèbe est le fumier d'une république ; mais quand
» tout est plèbe dans une république , la vertu ne s'y trouve
» que par hasard : c'est un diamant perdu dans un grand
» amas de fumier ( comme Maréchal au milieu de la nation
>> française . ) »
« L'homme de vertu ( comme Maréchal ) vit comme s'il
» n'y avoit point de lois ; il pourroit dire aux magistrats et
>> aux juges : Qu'y a-t-il entre vous et moi ? »
« Lui seul à le droit de se croire capable de choses
>> sublimes. »
« Le pouvoir absolu ne sied qu'à l'homme de vertu , »
( qu'à Maréchal . )
« Un homme de vertu ( comme Maréchal ) est ce qu'il
» y a de plus parfait , de plus accompli dans la nature. »
« La vraie place de la vertu ( c'est- à -dire de Maréchal )
» seroit un trône où la chaise curule . »
« Magistrats , élevez à l'homme de vertu ( à Maréchal )
» un tombeau sur la place publique , pour qu'on sache du
» moins qu'il a existé un homme de bien ! »
la
Il est bon d'observer ici , qu'avant d'élever ce tombeau , il
faudra examiner si Diderot ne le mérite pas pour lui-même;
car il prétend que le crime est plus beau peut-être que
vertu. Tome XIV de ses uvres in- 8° , › pag. 262.
Après avoir vu ce qu'il auroit fallu que Maréchal fût
dans son pays , il sera curieux de reconnoître comment il
auroit composé son empire :
>>
« Il existe , dit-il , éparse sur la terre une véritable république
, composée de tout ce qu'il y a d'hommes de vertu
» (c'est-à-dire , d'athées comme Maréchal ) . Les bons livres ,
» en petit nombre , faits par eux ( comme le Dictionnaire
>> des Athées , fait par Maréchal ) , sont leurs truchemens ,
» leurs hérauts d'armes , les conducteurs du feu électrique
F 2
84 MERCURE DE FRANCE ,
>>
» qu'ils entretiennent , pour se ménager de temps en temps
quelques fortes explosions ( comme celle de 1793 ) . Les
puissances du jour s'en doutent , et se mettent sur leur
» garde en sorte que , long - temps encore , les hommes
» vertueux ( les athées ) formeront sur la terre une répu →
blique méconnue et peu redoutable. »
» •
Maréchal auroit certainement réuni tous ces braves gens
qui vivent ignorés , pour en composer une nation de fidèles
sujets , aussi vertueux que tous les héros qui prêchoient
Pathéisme au milieu de la Convention , et qui alloient
ensuite exercer leur humanité dans toute la France , ensanglantée
par leurs mains vertueuses.
« Ne seroit - il pas bien temps , poursuit le vertueux
Maréchal , que les hommes de vertu ( tels que lui ) sor-
» tissent de leur isolement , se montrassent pour confondre ,
» par leur présence seulement , tant de grands coupables
>> forts de leur impunité et fiers de leurs succès scandaleux ? »
( Tous ceux qui croient en Dieu , par exemple , et qui
jouissent de quelque considération ou de quelque fortune. )
"
« Gens de bien , s'écrie -t -il , c'est-à - dire , athées de tous
les pays , qui vivez au milieu des nations comme les tigres
» dans une ménagerie , ou comme les fous qui sont enfer
» més , vous ne connoissez pas votre force ; vous êtes en
» plus grand nombre que vous ne pensez ! Levez-vous à là
» même heure , armez-vous de fouets , et parcourez la terre
» pour la purger enfin des méchans que l'impunité enhardit ,
et qui traitent les hommes de vertu de bonnes gens . »
Ainsi Maréchal , devenu roi , auroit d'abord fait mássacrer
tous ceux qui pensent que les hommes de vertu sont
de bonnes gens. Nous laissons à penser ce qu'il auroit fait
de ceux qui croient que ces prétendus hommes de vertu
ne sout que des tigres enchaînés , des fous et des pestes
publiques.
Si nous voulons voir maintenant contre qui le paisible
Maréchal auroit d'abord dirigé ses coups de fouets , cela ne
sera pas difficile :
«
.. 11
Chaque espèce d'êtres , dit-il , a son ennemi dans une
» autre espèce. Ainsi l'agneau trouve un ennemi dans le
» loup , la poule dans le renard : le sage en trouve un aussi
» dans la personne des prêtres , etc. »
Donc le sage Maréchal , revêtu de la dictature , auroit
commencé par purger la terre de tous les prêtres , etc. : et
par cet et cætera , on sait qu'il faut entendre les rois , dont
le mariage avec la vertu a , dit-il , toujours été stérile ; et
eu général tous les hommes religieux , qui , selon lui , ne
sont pas des hommes de vertu .
JUILLET 1807 .
85
Tel auroit été le bon , le sensible , le vertueux Maréchal ,
si nous avions voulu le mettre à la tête du gouvernement
lorsqu'il a paru parmi nous ; mais son nom a toujours été ,
dit-il encore , trop peu connu , et ses ouvrages toujours trop
oubliés . Nous ne devons pas nous étonner , au surplus , de
le voir si bien disposé à user de violence envers tous ceux
qu'il auroit pu soupçonner de ne pas aimer sa doctrine ; il
nous en donne la raison , lorsqu'il nous dit d'un ton de
maître :
<«< Jeune homme , si tu découvres en toi quelque vertu ,
» n'en sois pas vain ! Elle t'a été donnée sous la condition
» de recevoir quant et quant , pour contre - poids , le vice
» opposé . »
D'où nous devons conclure que Maréchal , qui se trouvoit
doué des plus éminentes vertus , réunissoit aussi les plus
grands vices , et qu'il étoit en même temps très-bon et trèsméchant
, très-doux et très -cruel , fort juste et rempli de
partialité , etc. etc. Ce n'étoit guère la peine de tant prôner
la vertu , s'il faut toujours que les hommes qui la possèdent
au plus haut degré soient aussi les plus vicieux .
Quoique Maréchal prétendît être assuré qu'il n'y a point
de Dieu , tous les matins il saluoit le soleil ; et il dit positivement
qu'il croit au démon de Socrate , et que toute ame
honnête a le sien. Il paroît en effet que ce pauvre Maréchal
étoit au moins possédé du démon de l'orgueil .
Il ne veut aucune religion , aucun culte , pas même pour
la vertu : « Garde-toi , dit-il , de profaner la vertu par un
» culte. » Mais , nous assure sou historien , il composoit des
prières et des pseaumes ; et, pour preuve, il nous offre une
belle prière à l'amour profane , dans laquelle on voit que
Maréchal étoit son ministre le plus zélé .
C'est ainsi que , sans le vouloir , ce mauvais philosophe
nous enseigne ce qu'il faut attendre d'un homme qui se dit
athée . Ses moindres travers , dans son état privé , sont de se
mettre lui-même hors de la loi religieuse et civile qui gouverne
son pays , d'extravaguer pour se faire remarquer ; et
lorsque le peuple est assez malheureux et assez fou pour
l'écouter et pour lui accorder quelque distinction , quelqu'emploi
public , ou quelqu'autorité , ce charlatan de morale
insensée se montre le plus intolérant et le plus féroce
des hommes : il proscrit sans examen , sans aucune pitié et
sans remords , tout ce qui n'abonde pas dans son sens . Les
titres les plus respectables et les plus sacrés ne sont pour lui
que des sentences. de mort ; et comme tout ce qui est
véritablement vertueux blesse son orgueil et l'humilie , il
3.
86 MERCURE DE FRANCE ,
faut que tout ce qui porte quelque signe de vertu périsse .
Il est fort heureux pour l'humanité que de pareils hommes
meurent sans avoir obtenu la puissance qu'ils souhaitoient ;
et il est bon que leurs successeurs apprennent au moins
que , lorsqu'un ami maladroit voudra tirer leurs noms du
néant auquel ils se vouent , ce sera toujours pour l'exposer à
la dérision et au mépris public. G.
VARIÉTÉS .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES grands théâtres n'ont point donné de nouveautés cette
semaine. Mlle Saint-Albe continue ses débu's sans bruit. Elle
a été peu applaudie , mais jamais sifflée , dans les rôles
d'Andromaque , d'Aménaïde , d'Eriphile et de Monime. Elle
jouera la semaine prochaine Adélaïde Duguesclin. M. Joanni ,
acteur de Lyon , débutera samedi 11 juillet , sur le même
théâtre , dans le rôle de Cinna . On annonce aussi le début prochain
de Mlle Henri , ancienne actrice de l'Opéra , dans les
rôles de Mlle Contat.
- Le Théâtre de l'Impératrice doit donner incessamment
les Deux Figaro , de Martelli , et l'Héritier de Village , de
Marivaux.
- Mlle Rolandeau , actrice du théâtre de l'Opéra- Comique ,
vient de passer quinze jours à Dijon : elle y a obtenu les plus
grands succès . Malgré une chaleur excessive , l'affluence n'a
diminué à aucune des représentations ; et ces représentations
ont eu lieu tous les jours : chose extraordinaire dans une ville
du troisième ordre ! On a vu partir avec regret une actrice
qui joint à une très belle voix une excellente méthode de
chant , et qui réunit encore à ces talens si rares le ton de la
bonne comédie , que , depuis long - temps , on ne retrouve
plus sur les théâtres de province.
-
2.
-On mande de Milan , que Mad . Lena Perpenti , de
Como , à laquelle la société d'encouragement du royaume
d'Italie , avoit décerné , en 1806 , une médaille d'honneur
pour avoir perfectionné la filature de l'amiante , vient de faire
avec succès un essai pour fabriquer , avec ce fossile , un papier
très-propre à l'écriture et à l'impression , et capable de résis-
´ter à l'action des élémens. Le conseiller- d'état Moscati , direcJUILLET
1807 . 87
teur-général de l'instruction publique , a fait imprimer , sur
cette nouvelle espèce de papier , les complimens du nouvel an ,
adressés au vice-roi et à la vice- reine d'Italie .
- La construction de la seconde galerie qui doit joindre le
Louvre aux Tuileries , du côté du nord , n'est plus seulement
un projet. On fait dans ce moment les fouilles pour poser les
fondemens de cette galerie , dans l'espace qui existe entre
le pavillon Mersan et l'hôtel occupé par M. le secrétaire
d'Etat. Une immense quantité de pierres est déjà rassemblée
pour cet objet sur la place du Carrousel. On a aussi commencé
les travaux pour la construction du monument dédié , par
l'Empereur , à la gloire des armées françaises.
-
La Société des Sciences de Harlem propose les prix suivans
pour le 1er. novembre 1807 : 1 ° . Quelles sont les différences
essentielles des propriétés et des parties constituantes
du sucre de cannes , et de celui qu'on obtient de plusieurs
arbres et autres végétaux ? 2°. Quelle est la cause de la phosphorescence
de l'eau de la mer ? Et si elle provient de la prés,
sence des petits animalcules vivans , quels sont ces animalculequelles
propriétés nuisibles peuvent- ils communiquer à l'amosphère
? 3°. Quelle est l'origine probable du Sperma Ceti?
Peut- on obtenir cette substance de l'huile de baleine ,
pourroit-on l'y produire avec avantage ? Les prix sont des
médailles de 400 , 300 et 200 florins. Le terme de l'envoi
des Mémoires est fixé au 1. octobre 1807 .
NOUVELLES POLITIQUES .
Zara , 20 juin.
on
Une lettre de Travarnich , du 5 juin , annonce qu'il y étoit
arrivé la veille un Tartare apportant la nouvelle que les Russes
ont été battus sous les murs d'Ismaïl ; qu'on leur a pris 51 pièces
de canon , 5 drapeaux , onze barques canonnières ; et qu'ils
ont eu un grand nombre de tués et de blessés. Un corps de
1800 Russes , qui étoit retranché à peu de distance , a capitulé .
L'ennemi a aussi abandonné la forteresse d'Akerman . Une tentative
faite par les Russes contre l'île de Candie , a échoué ; elle
leur a coûté 2000 hommes tués , blessés ou prisonniers , et cinq
bâtimens chargés de munitions qui sont restés au pouvoir des
Candiotes.
Milan , 2 juillet.
On vient de recevoir des détails exacts sur la révolution
qui a éclaté dernièrement à Constantinople : ils ont élé
apportés par un officier parti le 3 juin de cette capitale , et
arrivé hier au soir ici .
4
88 MERCURE DE FRANCE ,
Les janissaires manifestoient de plus en plus leur mécontentement
des innovations introduites dans la discipline et
l'exercice militaire. Le 27 mai , un corps de cette milice qui
avoit reçu ordre de prendre un nouvel uniforme , de se raser
la barbe , etc , refusa d'obéir , se révolta ouvertement , marcha
sur Constantinople , et vint camper devant le sérail. Les
rebelles n'étoient alors qu'au nombre de 1300 hommes ; mais
ils l'accrurent prodigieusement le lendemain , et le muphti se
déclara pour eux. Il paroît que le sultan Selim a trop longtemps
différé à prendre des mesures de vigueur. Le 29 , le
corps des ulhémas , présidé par le muphti , prononça la déposition
du sultan , et la motiva , 1°. sur un article du Koran ,
qui porte qu'un calife qui , après sept années , n'aura pas
donné de successeur à son trône , sera déclaré indigne de
régner ( Selim III régnoit depuis 19 ans , et n'avoit point
encore eude fils ) ; 2°. sur ce que Selim a violé la loi du prophète
, en ne protégeant pas la caravane de la Mecque; 3°. sur
ce qu'il a été ordonné des innovations , tandis que toute innova,
tion est défendue par la loi. La même sentence appeloit au
trône Mustapha IV , fils du prédécesseur de Selim .
En exécution de cette décision , les janissaires qui déjà
étoient maîtres du sérail , en arrachèrent Selim , et le conduisirent
au vieux sérail , d'où il tirèrent Mustapha IV, qu'ils
proclamèrent empereur. Le même jour , 29 , plusieurs ministres
de Selim , dénoncés par les janissaires aux ulilémas ,
comme les principaux auteurs des innovations dont ils se
| plaignoient , furent condamnés et mis à mort. On dit que
Selim III, avant d'entrer en prison , a parlé à son successeur ,
et lui a recommandé de ne pas se laisser aller aux mauvais
conseils qui l'ont perdu , et de gouverner avec justice. Mustapha
a promis de respecter la vie de son prédécesseur.
Le lendemain, tout étoit déjà tranquille à Constantinople ;
Jes magasins étoient ouverts , et le peuple se livroit à la joie,
Le retjuin on publia un fırınan du nouveau sultan , qui renouvelle
la déclaration de guerre contre la Russie , qui proclame
cette guerre , guerre de religion , et qui ordonne à tous les
peuples fidélité et attachement à l'illustre allié Napoléon ,
Empereur des Français et Roi d'Italie. Ce firman fut reçu par
lepeuple et par les troupes avec beaucoup de respect et d'allégresse.
Leur joie fut encore augmentée par la nouvelle qui se
répandit immédiatement , que le capitan-pacha venoit de
battre la flotte russe devant Tenedos. L'ambassadeur de France
qui étoit absent de Constantinople au moment où éclata la
révolte , y est rentré depuis , et n'a plus quitté son palais .
(Giornale italiano . )
JUILLET 1807 . 89
PARIS, vendredi to juillet.
LXXXI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 21 juin 1807 .
A la journée d'Heilsberg , le grand-duc de Berg passa sur
la ligne de la 3ª division de cuirassiers , au moment où le 6º
régimentde cuirassiers venoit de faire une charge. Lecolonel
d'Avenay , commandant ce régiment, son sabre dégouttant de
sang , lui dit : « Prince, faites la revue de mon régiment , vous
verrez qu'il n'est aucun soldat dont le sabre ne soit comme le
mien. »
Les colonels Colbert , du 7º de hussards; Lery, du 5°, se
sont fait également remarquer par la plus brillante intrépidité.
Le colonel Borde-Soult , du 22º de chasseurs , a été blessé.
M. Guehenenc , aide-de-camp du maréchal Lannes , a été
blessé d'une balle au bras.
Les généraux aides-de-camp de l'EMPEREUR, Reille et Bertrand,
ont rendu des services importans. Les officiers d'ordonnance
de l'EMPEREUR , Bongars , Montesquiou , Labiffe , ont
mérité des éloges pour leur conduite.
Les aides-de-camp du prince de Neuchâtel , Louis de
Périgord, capitaine , et Pivé , chef-d'escadron , se sont fait
remarquer.
Le colonel Curial, commandant les fusiliers de la garde ,
a été nommé général de brigade .
Le général de division Dupas , commandant une division
sous les ordres du maréchal Mortier , a rendu d'importans
services à la bataille de Friedland .
Les fils des sénateurs Pérignon , Clément de Ris et Garran
de Coulon, sont morts avec honneur sur le champ de ba
taille.
Le maréchal Ney s'étant porté à Gumbinnen , a arrêté
quelques parcs d'artillerie ennemie, beaucoup de convois de
blessés , et fait un grand nombre de prisonniers .
LXXXII BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Tilsit , le 22 juin 1807 .
En conséquence de la proposition qui a été faite par le
commandant de l'armée russe , un armistice a été conclu dans
les termes suivans :
ARMISTICE .
S. M. l'Empereur des Français , etc. etc. , et S. M. l'empereur
de Russie , voulant mettre un terme à la guerre qui divise
les deux nations, et conclure , en attendant, un armistice ,
ontnommé et muni de leurs pleins-pouvoirs ; savoir : d'une
go MERCURE DE FRANCE ,
part, le prince de Neuchâtel , major-général de la Grande-
Armée; et de l'autre , le lieutenant-général prince Labanoff
de Rostow, chevalier des ordres de Sainte-Anne , grandcroix
, etc. , lesquels sont convenus des dispositions suivantes :
Art. Iºr . Il y aura armistice entre l'armée française et l'armée
russe , afin de pouvoir, dans cet intervalle , négocier ,
conclure et signer une paix qui mette fin à une effusion de
sang si contraire à l'humanité.
II . Celle des deux parties contractantes qui voudra rompre
l'armistice , ce que Dieu ne veuille , sera tenue de prévenir au
quartier-général de l'autre armée, et ce ne sera qu'après un
mois de la date des notifications , que les hostilités pourront
recommencer .
III . L'armée française et l'armée prussienne concluront un
armistice séparé , et à cet effet des officiers seront nommés
de part et d'autre. Pendant les quatre ou cinq jours nécessaires
à la conclusion dudit armistice , l'armée française ne
commettra aucune hostilité contre l'armée prussienne.
IV. Les limites de l'armée française et de l'armée russe ,
pendant le temps de l'armistice , seront depuisle Curisch-
Haff , le Thalweg du Niemen; et en remontant la rive
gauche de ce fleuve jusqu'à l'embouchure de Lorasna à
Schaim , et montant cette rivière jusqu'à l'embouchure du
Bobra , suivant ce ruisseau par Bogari , Lipsk , Stabin ,
Dolistowo , Goniondz et Wizna jusqu'à l'embouchure du
Bobra dans la Narevw, et de là remontant larive gauche de la
Narew par Tykoczyn , Suras-Narew , jusqu'à la frontière de
la Prusse et de la Russie; la limite dans le Frisch-Nérung sera
à Nidden .
V. S. M. l'Empereur des Français , et S. M. l'empereur de
Russie nommerent, dans le plus court délai , des plénipotentiaires,
munis des pouvoirs nécessaires pour négocier , conclure
et signer la paix définitive entre ces deuxgrandes et puissantes
nations.
VI. Des commissaires seront nommés de part et d'autre , à
l'effet de procéder sur-le-champ à l'échange, grade par grade,
et homme par homme , des prisonniers de guerre .
VII. L'échange des ratifications du présent armistice sera
fait au quartier-général de l'armée russe dans quarante-huit
heures , et plus tôt si faire se peut.
Fait à Tilsit , le 21 juin 1807.
Signé le prince de Neuchatel, maréchal ,
Alexandre BERTHIER ;
Le prince LABANOFF DE ROSTOW.
L'armée française occupe tout le Thalweg du Niemen , de
JUILLET 1807 . 91
sorte qu'il ne reste plus au roi de Prusse que la petite ville et
le territoire de Memel.
Proclamation de S. M. L'EMPEREUR ET ROI à la Grande-
Soldats ,
Armée.
Le5juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens
parl'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre
inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos étoit celui
du lion : il se repent de l'avoir troublé.
Dans les journées de Guttstadt , de Heilsberg , dans celle
àjamais mémorable de Friedland , dans dix jours de campagne
enfin , nous avons pris 120 pièces de canon , 7 drapeaux ;
tué , blessé ou fait prisonniers 60,000 Russes ; enlevé à l'armée
ennemie tous ses magasins , ses hôpitaux , ses ambulances ; la
place de Kænigsberg , les 30o bâtimens qui étoient dans ce
port , chargés de toute espèce de munitions; 160,000 fusils
que l'Angleterre envoyoit pour armer nos ennemis .
Desbords de la Vistule , nous sommes arrivés sur ceux du
Niémen avec la rapidité de l'aigle. Vous célébrâtes à Austerlitz
l'anniversaire du couronnement ; vous avez cette année dignement
célébré celui de la bataille de Marengo , qui mit fin à la
guerre de la seconde coalition.
Français , vous avez été dignes de vous et de moi. Vous
rentrerez en France couverts de tous vos lauriers , et après
avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie
de sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos , à
l'abri de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits
vous prouveront ma reconnoissance et toute l'étendue de
l'amour que je vous porte.
Au camp impérial de Tilsit , le 22 juin 1807.
LXXXIII BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE .
Tilsit, le 23 juin 1807 .
La place de Neiss a capitulé.
La garnison , førte de 6000 hommes d'infanterie et de 300
hommes de cavalerie, a défilé le 15 juin devant le prince
Jérôme. On a trouvé dans la place 300 milliers de poudre et
500 bouches à feu .
LXXXIV BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 24 juin 1807 .
Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au
quartier-général des Russes , au-delà du Niemen , pour échanger
les ratifications de l'armistice , qui a été ratifié par l'empereur
Alexandre.
Le24, le prince Labanoff ayant fait demander une audience
go MERCURE DE FRANCE ,
part , le prince de Neuchâtel , major - général de la Grande-
Armée; et de l'autre , le lieutenant- général prince Labanoff
de Rostow , chevalier des ordres de Sainte- Anne , grandcroix
, etc. , lesquels sont convenus des dispositions suivantes :
Art. 1º . Il y aura armistice entre l'armée française et l'armée
russe , afin de pouvoir , dans cet intervalle , négocier ,
conclure et signer une paix qui mette fin à une effusion de
sang si contraire à l'humanité.
II . Celle des deux parties contractantes qui voudra rompre
l'armistice , ce que Dieu ne veuille , sera tenue de prévenir au
quartier- général de l'autre armée , et ce ne sera qu'après un
mois de la date des notifications , que les hostilités pourront
recommencer.
III. L'armée française et l'armée prussienne concluront un
armistice séparé , et à cet effet des officiers seront nommés
de part et d'autre. Pendant les quatre ou cinq jours nécessaires
à la conclusion dudit armistice , l'armée française ne
commettra aucune hostilité contre l'armée prussienne.
IV. Les limites de l'armée française et de l'armée, russe ,
pendant le temps de l'armistice , seront depuis le Curisch-
Haff , le Thalweg du Niemen ; et en remontant la rive
gauche de ce fleuve jusqu'à l'embouchure de Lorasna à
Schaim , et montant cette rivière jusqu'à l'embouchure du
Bobra , suivant ce ruisseau par Bogari , Lipsk , Stabin ,
Dolistowo , Goniondz et Wizna jusqu'à l'embouchure du
Bobra dans la Narew, et de là remontant la rive gauche de la
Narew par Tykoczyn , Suras-Narew , jusqu'à la frontière de
la Prusse et de la Russie ; la limite dans le Frisch- Nérung sera
à Nidden .
V. S. M. l'Empereur des Français , et S. M. l'empereur de
Russie nommerent , dans le plus court délai , des plénipotentiaires
, munis des pouvoirs nécessaires pour négocier , conclure
et signer la paix définitive entre ces deux grandes et puissantes
nations.
VI. Des commissaires seront nommés de part et d'autre , à
l'effet de procédor sur-le-champ à l'échange, grade par grade,
et homme par homme , des prisonniers de guerre.
VII. L'échange des ratifications du présent armistice sera
fait au quartier-général de l'armée russe dans quarante-huit
heures , et plus tôt si faire se peut.
Fait à Tilsit , le 21 juin 1807 .
Signé le prince de Neuchatel , maréchal ,
Alexandre BERTHIER ;
Le prince LABANOFF DE ROSTOW.
L'armée française occupe tout le Thalweg du Niemen , de
JUILLET 1807 . 91
sorte qu'il ne reste plus au roi de Prusse que la petite ville et
le territoire de Memel.
Proclamation de S. M. L'EMPEREUR ET Roi à la Grande-
Armée.
Soldats ,
Le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens
par l'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre
inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos étoit celui
du lion il se repent de l'avoir troublé.
Dans les journées de Guttstadt , de Heilsberg , dans celle
à jamais mémorable de Friedland , dans dix jours de campagne
enfin , nous avons pris 120 pièces de canon , 7 drapeaux ;
tué , blessé ou fait prisonniers 60,000 Russes ; enlevé à l'armée
ennemie tous ses magasins , ses hôpitaux , ses ambulances ; la
place de Koenigsberg , les 300 bâtimens qui étoient dans ce
port , chargés de toute espèce de munitions ; 160,000 fusils
que l'Angleterre envoyoit pour armer nos ennemis.
Des bords de la Vistule , nous sommes arrivés sur ceux du
Niemen avec la rapidité de l'aigle . Vous célébrâtes à Austerlitz
l'anniversaire du couronnement ; vous avez cette année dignement
célébré celui de la bataille de Marengo , qui mit fin à la
guerre de la seconde coalition .
Français , vous avez été dignes de vous et de moi. Vous
rentrerez en France couverts de tous vos lauriers , et après
avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie
de sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos , à
l'abri de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits
vous prouveront ma reconnoissance et toute l'étendue de
l'amour que je vous porte.
Au camp impérial de Tilsit , le 22 juin 1807.
LXXXIII BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Tilsit , le 23 juin 1897.
La place de Neiss a capitulé.
La garnison , førte de 6000 hommes d'infanterie et de 300
hommes de cavalerie , a défilé le 15 juin devant le prince
Jérôme. On a trouvé dans la place 300 milliers de poudre et
500 bouches à feu .
LXXXIV BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Tilsit , le 24 juin 1807 .
Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au
quartier-général des Russes , au-delà du Niemen , pour échanger
les ratifications de l'armistice , qui a été ratifié par l'empereur
Alexandre.
Le 24 , le prince Labanoff ayant fait demander une audience
92 MERCURE DE FRANCE ,
à l'EMPEREUR , Il est resté long-temps dans le cabinet de S. M.
Le général Kalkreuth est attendu au quatier-général , pour
signer l'armistice du roi de Prusse.
Le 11 juin , à quatre heures du matin , les Russes attaquèrent
en force Druczewo . Le maréchal Massena se porta
sur la ligne , repoussa l'ennemi et déconcerta ses projets. Le
17. régiment d'infanterie légère a soutenu sa réputation. Le
général Montbrun s'est fait remarquer. Un détachement du
28° d'infanterie légère et un piquet de 25º de dragons on mis
en fuite les.cosaques. Tout ce que l'ennemi a entrepris contre
nOS postes dans les journées du 11 et du 12 , a tourné à sa
confusion.
On a vu par l'armistice que la gauche de l'armée française
est appuyée surle Gurrisch- Haff, àl'embouchure du Nicmen;
de là notre ligne se prolonge sur Grodno. La droite ,
commandée par le maréchal Massena , s'étend sur les confins
de la Russie , entre les sources de la Narrew et du Bug.
Le quartier-général va se concentrer à Koenigsberg , où
l'on fait toujours de nouvelles découvertes en vivres , munitions
et autres effets appartenant à l'ennemi.
Une position aussi formidable est le résultat des succès les
plus brillans ; et tandis que toute l'armée ennemie est en
fuite et presque anéantie , plus de la moitié de l'armée française
n'a pas tiré un coup de fusil.
LXXXV BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE .
Tilsit , le 24 juin 1807 .
Demain , les deux Empereurs , de France et de Russie ,
doivent avoir une entrevue. Ona , à cet effet , élevé au milieu
du Niemen un pavillon où les deux monarques se rendront de
chaque rive.
Peú de spectacles seront aussi intéressans. Les deux côtés
du fleuve seront bordés par les deux armées , pendant que les
chefs confereront sur les moyens de rétablir l'ordre , et de
donner le repos à la génération présente.
Le grand-maréchal du palais Duroc est allé hier , à trois
heures après midi , complimenter l'empereur Alexandre.
Lemaréchal comte de Kalkreuth a été présenté aujourd'hui
à l'EMPEREUR; il est resté une heure dans le cabinet de S. M.
L'EMPEREUR a passé ce matin la revue du corps du maréchal
Lannes. Il a fait différentes promotions , a récompensé les
braves , et a témoigné sa satisfaction aux cuirassiers saxons .
JUILLET 1807 . 93
i
LXXXVI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 25 juin 1807 .
Le 25 juin, à une heure après midi , l'EMPEREUR , accompagné
du grand-duc de Berg , du prince de Neuchâtel , du
inaréchal Bessières , du grand-maréchal du palais Duroc et
du grand-écuyer Caulaincourt , s'est embarqué sur les bords
du Niemen dans un bateau préparé à cet effet; il s'est rendu
au milieu de la rivière où le général Lariboissière , commandant
l'artillerie de la garde , avoit fait placer un large radeau ,
et élever un pavillon. A côté étoit un autre radeau et un
pavillon pour la suite de Leurs Majestés. Au même moment,
l'empereur Alexandre est parti de la rive droite , sur un bateau,
avec le grand-duc Constantin , le général Benigsen , le général
Ouwaroff, le prince Labanoff et son premier aide-de-camp
le comte de Lieven.
Les deux bateaux sont arrivés en même temps; les deux
Empereurs se sont embrassés en mettant le pied sur le radeau ;
ils sont entrés ensemble dans la salle qui avoit été préparée , et
ysont restés deux heures. La conférence finie , les personnes
de la suite des deux Empereurs ont été introduites. L'empereur
Alexandre a dit des choses agréables aux militaires qui accompagnoient
l'EMPEREUR , qui , de son côté , s'est entretenu longtemps
avec le grand-duc Constantin et le général Benigsen.
Laconférence finie, les deux Empereurs sont montés chacun
dans leur barque. On conjecture que la conférence a eu le
résultat le plus satisfaisant. Immédiatement après , le prince
Labanoff s'est rendu au quartier-général français. On est
convenu que la moitié de la ville de Tilsit seroit neutralisée .
Onya marqué le logement de l'empereur de Russie et de są
cour. La garde impériale russe passera le fleuve , et sera cantonnée
dans la partie de la ville qui lui est destinée.
Le grand nombre de personnes de l'une et l'autre armés ,
accourues sur l'une et l'autre rive pour être témoins de cette
scène , rendoient ce spectacle d'autant plus intéressant , que
les spectateurs étoient des braves des extrémités du monde.
Tilsit , le 26 juin 1807.
Anjourd'hui, à midi et demi , S. M. s'est rendue su pavillon
du Niemen. L'empereur Alexandre et le roi de Prusse sont
arrivés au même moment. Ces trois souverains sont restés
ensemble dans le salon du pavillon pendant une demi-heure
Acinq heures et demie , l'empereur Alexandre est passé
sur la rive gauche. L'Empereur Napoléon l'a reçu à la des
cente du bateau. Ils sont montés à cheval l'un et l'autre ; ils ont
parcouru la grande rue de la ville, où se trouvoit rangéeda
94 MERCURE DE FRANCE ,
garde impériale françaiseà pied et à cheval, et sont descendus
au palais de l'Empereur Napoléon. L'empereur Alexandre y
a dîné avec l'EMPEREUR , le grand-duc Constantin et le grandduc
de Berg.
-M. de Montesquiou , officier d'ordonnance de S. M.
l'EMPEREUR et Ror , est venu , de la part de S. M. , donner à
S. M. l'Impératrice-Reine , des détails sur l'entrevue des deux
Empereurs. (Moniteur.)
-
M. Joseph de Monaco , officier d'ordonnance de S. M.
est arrivé à Paris le 8 , pour donner à S. M. l'Impératrice-
Reine , des nouveaux détails sur les seconde et trosième conférences
des deux Empereurs. (Moniteur. )
Tilsit, le 27 juin 1807.
Le général de division Teulié , commandant la division
italienne au siége de Colbert , qui avoit été blessé à la cuisse
d'un boulet, le 12 , à l'attaque du fort Wolwsberg , vient de
mourir de ses blessures. C'étoit un officier également distingué
par sa bravoure et ses talens militaires.
Voici le journal :
* La ville de Kosel a capitulé.
Le 24 juin , à deux heures du matin , S. A. I. le prince
Jérôme a fait attaquer , etenlever le camp retranché que les
prussiens occupoient sous Glatz , à portée de mitraille de
cetteplace.
Le général Vandamme , à la tête de la division wurtembergeoise
, ayant avec lui un régiment provisoire de chasseurs
français à cheval , a commencé l'attaque sur la rive gauche
de la Neiss , tandis que le général Lefebvre avec les Bavarois
attaquoit sur la rive droite. En une demi-heure , toutes les
redoutes ont été eulevées à la baïonnette; l'ennemi a fait sa
retraite en désordre , abandonnant dans le camp 1200 hommes
tués et blessés , 500 prisonniers et douze pièces de canon. Les
Bavarois et les Wurtembergeois se sont très-bien conduits.
Les généraux Vandamme et Lefebvre ont dirigé les attaques
avec une grande habileté.
Tilsit , le 28 juin 1807 .
Hier, à trois heures après midi, l'EMPEREUR s'est rendu chez
l'empereur Alexandre. Ces deux princes sont restés ensemble
jusqu'à six heures. Ils sont alors montés à cheval, et sont allés
voir manoeuvrer la garde impériale. L'empereur Alexandre a
amontré qu'il connoît très-bientoutes nos manoeuvres , et qu'il
entend parfaitement tous les détails de la tactique militaire.
•
JUILLET 1807 . 95
Ahuit heures , les deux souverains sont revenus au palais
de l'Empereur Napoléon , où ils ont dîné comme la veille
avec le grand-duc Constantin et le grand-duc de Berg.
Après le dîner , l'Empereur Napoléon a présenté LL. Exc.
le ministre des relations extérieures et le ministre secrétaire
d'Etat à l'empereur Alexandre , qui lui a aussi présenté , S. Exc.
M. de Budberg , ministre des affaires étrangères , et le prince
Kurakin .
Les deux souverains sont ensuite rentrés dans le cabinet de
l'Empereur Napoléon , où ils sont restés seuls jusqu'à onze
heures du soir.
Aujourd'hui 28 , à midi , le roi de Prusse a passé le Niemen,
et est venu occuper à Tilsit le palais qui lui avoit été
préparé. Il a été reçu , à la descente de son bateau , par le
maréchal Bessières . Immédiatement après , le grand-duc de
Berg , est allé lui rendre visite.
A une heure , l'empereur Alexandre est venu faire une
visite à l'Empereur Napoléon , qui est allé au-devant de lui
jusqu'à la porte de son palais .
1.
Adeux heures , S. M. le roi de Prusse est venu chez l'Empereur
Napoléon , qui est allé le recevoir jusqu'au pied de
l'escalier de son appartement.
Aquatre heures , l'Empereur Napoléon est allé voir l'EmpereurAlexandre.
Ils sont montés à cheval à cinq heures , et
se sont rendus sur le terrain ou devoit manoeuvrer le corps du
maréchal Davoust.
-S. M.I'EMPEREUR et Ror, par sa lettre du 22 juin au prince
archichancelier , avoit ordonné que le corps de S. A. I. Napoléon-
Charles , prince Royal de Hollande , décédé à la Haye
le 5 mai dernier , seroit déposé dans une chapelle de
l'église de Notre-Dame , pour y être gardé jusqu'au moment
où l'église impériale de Saint-Denis , entièrement réparée , et
pour ainsi dire reconstruite , permettroit de l'y transporter. En
conséquence de ces ordres , que sur l'invitation de S. A. S.
Mgr. le prince archichancelier de l'Empire , le ministre de
l'intérieur avoit transmis à M. de Caulaincourt, grand-écuyer
de la couronne de Hollande , chargé de la conduite de ce précieux
dépôt , le corps du prince défunt a été conduit à Saint-
Leu. Le 7 juillet , il est parti de Saint- Leu dans une des
voitures de S. M. , où se trouvoit un aumônier de S. M. le
roi de Hollande , toujours sous la garde de M. de Caulaincourt,
qui suivoit dans une autre voiture. Le convoi étoit
escorté par un piquet de la garde impériale à cheval ; il est
arrivé à deux heures et demie à la grande porte de l'église
96 MERCURE DE FRANCE ,
métropolitaine , qu'occupoit un détachement de la garde im
périale à pied. Là s'étoient rendus S. A. S. Mgr. le prince
archichancelier de l'Empire , assisté des deux ministres de
l'intérieur et des cultes , ainsi que S. Em. le cardinal- archevề
que , accompagné de son clergé.
S. Exc. le grand-écuyer de Hollande , en faisant la remise
du corps , s'est adressé au prince archichancelier , et lui a dit :
« Monseigneur, par les ordres de S. M. le roi de Hollande ,
>>je remets entre les mains de V.A.Ş. le corps de S. A. I.
>> Napoléon-Charles , prince Royal de Hollande, lequel est
» contenu dans cette bière; dans ces deux boîtes de plomb
>> que je remets également à V. A. , sont renfermés le coeur et
» les entrailles de ce prince.>>
((
S. A. S. a répondu : « Monsieur , je reçois de vos mains le
> dépôt précieux dont vous avez été chargé » ; et se retournant
vers S. Em. le cardinal-archevêque, il luiadit: Mon-
>> sieur le cardinal , par les ordres de S. M. l'EMPEREUR et
>> Roi , je remets entre les mains de V. Em. le corps de S. A. I.
>>Napoléon- Charles , prince Royal de Hollande, qui doit
>> être gardé dans votre église , jusqu'à sa translation dans
> celle de Saint-Denis. » S. Em. a répondu « qu'elle et son
* chapitre veilleroient avec soin à la conservation du précieux
» dépôt dont S. M. vouloit bien les honorer. »
Après quoi , tout le cortége s'est rendu dans la chapelle de
Saint-Gérand, située à droite derrière le choeur , qui avoit
été préparée pour recevoir le corps du prince.
Il a été déposé sur une estrade en face de l'autel ; la chapelle
a été fermée , et S., A. S. le prince archichancelier ,
S. Em. le cardinal - archevêque , LL. EE. les ministres de
l'intérieur et des cultes , et le grand-écuyer de S. M. le roi
de Hollande se sont retirés dans le palais archiepiscopal pour
y signer le procès - verbal de la translation et du dépôt
provisoire du corps da prince royal de Hollande.
:
Quoique cette cérémonie n'ait eu aucune solennité , l'objet
n'a pu en être ignoré ; elle a occasionné autour de l'église
dontleess portes ont été fermées au public, ungratid concours
de peuple , et il a été facile de lire sur le visage des speetateurs
l'impression douloureuse qu'ils éprouvoient en voyant
le convoi de ce jeune prince; objet de tant d'affections et
déjà sujet de tantd'espérances , enlevéà sa famille, à la France,
à la Hollande à qui il étoit également cher. La douleur publique
s'accroissoit de la douleur connue de ses augastes parens
, et cette première perte d'une illustre famille a qui la
France doit sa gloire et sa prospérité , à qui l'Europe devra
repos, étoitjustement considérée comme une calamité pu- le
blique. (Moniteur.)
( No. CCCXIII. )
3
(SAMEDI 18 JUILLET 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
L'OPÉRA CHAMPÊTRE.
QU'U'IILLSS me sontdoux ces champêtres concert's ,
Où rossignols , pinsons , merles , fauvettes ,
Sur leur théâtre , entre des rameaux verts ,
Viennent, gratis , m'offrir leurs chansonnettes !
Que's opéras me seroient aussi chers?
Là, n'est point d'art, d'ennui scientifique: -
Gluck , Piccini , n'ont point noté les airs;
Nature seule en a fait la musique ,
EtMarmontel n'en a pas fait les vers.
M. LE BRUN, de l'Académie Française.
DIFFICULTÉ
22
DE TROUVER ET DE RASSEMBLER LES MATÉRIAUX DE
L'HISTOIRE DES PREMIERS SIÈCLES .
St d'un palais antique on trouvoit les ruines
Couvertes par le temps et de mousse et d'épines,
Et ses marbres rompus , vieux monumens des arts ,
Dans un vaste terrain confusément éars;
Si nous étions certains que , dans ce grand décombre,
Nul débris ne manquât de ces débris sans nombre ,
Quel immense travail , quelle peine pour nous
De chercher,de fouiller, de les rassembler tous !
G
98
MERCURE
DE
FRANCE
;
Ou bien , sans rebâtir cet amas de matière ,
DeDe se peindre du moins sa structure première !
Mais si de ce palais des débris sont perdus ,
Si ce qui reste est peu près de ce qui n'est plus ,
Comment de l'édifice imaginer l'ensemble ,
Comment en dessiner un plan qui lui ressemble ?
1
Tels sont pour nous les faits des siècles reculés.
Si notre esprit remonte à ces temps écoulés ,
Combien dans les auteurs , écrivains de l'histoire,
Ont vu périr leur livre , et même leur mémoire !
Ceux qui restent encor sont rarement entiers :
Des fragmens sont épars en différens sentiers ,
Dans des lieux écartés des routes ordinaires ,
Où sont marqués da Temps les pas itinéraires ;
Qui dans ces lieux secrets ira les déterrer ?
Mais ce qui fait sur - tout que l'on doit s'égarer ,
Ce qui n'arrive pas à des débris de pierre ,
On voit ces monumens , vieux fastes de la terre ,
Se contredire entre eux et se contrarier :
Où trouver le secret de les concilier ?
De la balance entr'eux où prendre l'équilibre ?
Comment se décider , lorsque le choix est libre ?
M. DESAINTANGE
ILS SE SONT EMBRASSÉS !
VAUDEVILLE POPULAIRE ,
Sur l'air Ne m'entendez -vous pas ?
Ils se sont embrassés !
Telles sont les nouvellesi
Dites-m'en de plus belles ,
Si vous en connoissez.
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés !
Que la plus grande joie
Sur nos fronts se déploie
Vous , Anglais , pâlissez !
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Quel profond politique,
Quel penseur prophétique
L'eût dit les mois passés ?
Ils se sont embrassés.
JUILLET 1807 :
99
Ils se sont embrassés !
Du mal , affreux génie , ....
Ta puissance est finie; ...
Nos voeux sont exaucés .
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
De tous les coeurs sensibles
Les souvenirs pénibles
Vont donc être effacés.
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Nonobstant la colère
De ce peuple insulaire ,
Dont les fonds sont baissés.....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Dans tous les ports de France ;
Marchands , en espérance ,
Déjà vous jouissez ....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !.
Combien nos frères d'armes ,
Après un an d'alarmes ,
Vont être caressés ! ....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Leurs regards débonnaires ,
Aux feux de leurs tonnerres
Sembloient dire : Cessez !...!
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Qu'ont fait alors nos braves
Et les Russes , plus graves ,
Par l'exemple pressés ? ..
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Je veux voir à la fête
(Que sans doute on apprête ! )
Partout ces mots tracés :
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Ce refrein pacifique
Vant un poëme épique ,
Et nous en dit assez.....
Ils se sont embrassés.
M. DE PITs , membre de la Légion d'Honneuf
secrétaire-général de la Préfecture de Police.
100 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGME.
Je ne puis exister sans l'esprit et le corps ;
Sans être aucun des deux ils sont mes deux ressorts.
Pour ma production , ô merveille étonnante !
Un seul sexe suffit , sans douleur il m'enfante.
Par mon rapide vol je me perds dans les airs :
Je me plais à la ville et me plais aux déserts.
Je suis agent d'amour , une source de haine ,
Un gage précieux de la foi souveraine.
Sur tous les animaux món empire s'étend ,
A mon ordre par fois homme et brute se rend .
J'accorde les humains , c'est moi qui les divise,
A tous ces traits , lecteur , connois- tu ma devise ?
LOGOGRIPHE.
Ce moi qui parle , ami , quatre autres moi rassemble :
Chacun de ces moi n'est pas moi ,
Mais ils sont moi tous quatre ensemble.
Quatre ne font donc qu'un………. Tu t'étonnes , je croi !
Oh ! ce n'est rien ; j'ai bien d'autres merveilles :
Je t'averti , prends garde à toi ,
Si tu m'ôtes mon dernier mois 19
Je vais t'étourdir les oreilles ;
J'ai pour cela , mon cher , un don particulier.
Au lieu de celui - ci prends plutôt le premier,
Mets les autres à la renverse,
Et vois quel empire j'exerce :
J'ai chez les miens l'auto ité d'un roi,
Et ne suis cependant que les trois quarts de moi.
CHARADE.
UNE conjonction te donne mon premier,
Et tu détestes mon entier, LA
S'il est traîné par monn dernier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARAMB
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est la lettre E.
Celui du Logogriphe est Escrime , où l'on trouve cri, rime,
Celui de la Charade est Four-bure.
JUILLET 1807. 101
DE LA MANIÈRE D'ÉCRIRE L'HISTOIRE . ( 1 )
LA Commission des livres classiques a admis , il n'y a pas
long- temps , au nombre des ouvrages qui doivent faire partie
de la bibliothèque des lycées , quelques abrégés d'histoire
par un homme de lettres capable de faire d'excellens abrégés
, s'il est possible d'en faire de bons.
L'accueil favorable fait par la Commission aux abrégés dont
je veux parler , et le grand nombre d'ouvrages de ce genre
qui ont paru récemment , peuvent donner lieu à quelques
considérations générales sur la manière d'écrire l'histoire .
que
Il y a deux manières principales d'écrire l'histoire. On
peut l'écrire avec tous les détails , avec ceux du moins
comporte la dignité de l'histoire , et qui méritent d'intéresser
le lecteur : c'est de ce genre que sont les ouvrages de Rollin ,
de Crevier, de Le Beau , de Daniel , de Velly , de Hume , etc.
On peut écrire l'histoire en supprimant les détails des faits
particuliers , pour ne présenter que les faits généraux ,
c'est-à-dire , les causes des événemens , leur ensemble et
leurs résultats : cette méthode est celle de Bossuet , de
Fleury , de Montesquieu , dans les Discours sur l'Histoire
Universelle , et l'Histoire Ecclésiastique , et les Causes de la
Grandeur et de la Décadence des Romains .
Les abrégés tiennent le milieu entre ces deux méthodes ;
et , comme tous les milieux , ils participent des inconvéniens
des deux extrêmes plutôt que de leurs avantages. Ils ont
trop de détails ou n'en ont pas assez , et ils n'offrent ni assez
de prise à la mémoire , ni assez d'exercice à la pensée.
L'histoire proprement dite , l'histoire avec tous ses détails ,
convient aux jeunes gens : à cet âge , on a le loisir de lire ; et
la faculté de retenir est dans toute sa force. Le temps n'est
pas absorbé par les soins de la vie , et la mémoire est vide
encore de souvenirs personnels . Aussi les jeunes gens ne
retiennent que les longues histoires : je veux dire , que s'ils ne
(1 ) Luteur de cet article aperçoit souvent dans ceux qu'il a insérés à ce
Journal, des fautes qui ne sont pas des fautes d'impression , mais des fantes
de composition. Il en est qui peuvent être des erreurs de jugement , mais
il en est aussi qui viennent de l'impossibilité où est l'auteur de revoir les
épreuves , sur lesquelles il étoit accoutumé de corriger son travail , et qui
offrent pour cette correction bien plus de facilité que le manuscrit .
3
78 MERCURE
DE FRANCE
;
»
» truire une phrase ; et comme ces brochures se vendent »
plus ou moins , grace à l'esprit de parti , pour qui tout
» est bon , les plus ineptes et les plus grossiers barbouilleurs
» sont encouragés par le succès. » Je voudrois pouvoir citer
ici tout ce qu'il dit des tragédies de Charles IX , de Calas
de Henri VIII; enfin de cette foule de rapsodies dramatiques
qui jouirent , à l'époque de nos troubles , d'une gloire
éphémère , et qui n'en pouvoient jouir que dans de pareils
temps. Mais on ne peut tout citer . Il me suffira de dire
que si , dans la partie littéraire du Mercure , où il auroit dû
ne s'occuper que de la littérature , M. de La Harpe admiroit
un peu trop la révolution qui s'étoit faite dans l'Etat ,
en écrivant au Grand-Duc qui lui permettoit , comme il le
dit lui-même , de s'occuper de questions politiques , il ne
songe qu'à s'élever contre celle qui s'étoit faite dans les
lettres . Et cela même me paroît une singularité que je ne
devois pas manquer de faire observer.
Je voudrois maintenant trouver la raison qui a déterminé
les éditeurs à publier si tard les derniers volumes de ce
Recueil. Etoient-ils effrayés de cette quantité d'ouvrages
dont les auteurs sont encore vivans , et qui sont ici censurés
, poursuivis avec tout l'acharnement dont M. de La
Harpe seul étoit capable ? Y avoit-il , parmi ces auteurs ,
des hommes qu'ils pussent craindre d'offenser ? Mais il y
avoit un moyen facile de les calmer ; et comme il paroît
que ce moyen a été pris , je ne vois pas pourquoi on n'y
auroit pas eu recours quelques années plutôt..
Le sixième et dernier volume de ces lettres est presque
entièrement rempli par une table alphabétique de noms
d'auteurs et de titres d'ouvrages . J'ai cru d'abord que cette
table étoit uniquement destinée à former un tome de plus ,
qui auroit pour les libraires le grand avantage d'être vendu
comme un tome de M. de La Harpe. Je me suis convaincu
ensuite qu'elle étoit véritablement utile. On pourra lire ces
lettress ; on ne les relira pas. Le moment de leur nouveauté
une fois passé , on les gardera pour les consulter au besoin ,
et savoir ce que leur auteur a pensé de tel auteur ou de tel
ouvrage qui n'aura duré qu'un moment . Cette table alors
sera nécessaire . Par son moyen , ce Recueil deviendra
comme un dictionnaire de censures ; et c'est à - peu - près
tout ce qu'il sera dans quelques années .
GUAIRARD . ?
JUILLET 1807 . 79
De la Vertu; par Sylvain Maréchal , auteur du Dictionnaire
des Athées. Précédé d'une Notice sur cet écrivain , et suivi
du Livre de tous les Ages , par le même auteur. Avec cette
épigraphe :
Disce omnes .
• Ab uno
Un vol. in- 8°. Prix : 5 fr. , et 6 fr. 50 cent . par la poste .
A Paris , chez L. Collin , lib. , rue Gît - le- Coeur .
Il y a des fous de plus d'une espèce : les plus dangereux
ne sont pas ceux qui frappent et qui brisent tout ce qu'ils
rencontrent ; on les a bientôt mis hors d'état de nuire , et les
effets de leur démence ne s'étendent jamais au-delà du petit
cercle dans lequel ils peuvent agir. La folie des philosophes
athées , qui se mêlent d'écrire et de répandre leur doctrine ,
est bien plus funeste . Elle attaque le principe de toute
morale ; elle déchaîne toutes les passions ; elle arme tous les
bras ; elle excite tous les hommes à s'entredétruire , parce
que , n'ayant plus de frein et plus de garans de leurs intentions
, il devient de l'intérêt de chacun de chercher son bienêtre
et son salut dans l'oppression , dans la ruine ou dans la
mort de son voisin . Elle tend visiblement et bien certainement
à la barbarie et à l'extermination de la race humaine.
A la place de Dieu , ces philosophes nous présentent la
nature , la raison , ou les lois ; mais la nature elle- même ,
donnant aux hommes les mêmes besoins , les met constamment
en opposition d'intérêts ; la raison , également accordée
à tous , leur conseilla toujours de les discuter et de les
défendre ; et les lois , sans morale , qui en ordonneroient le
sacrifice , ne seroient qu'une tyrannie insupportable . Sylvain
Maréchal ne veut rien de tout cela pour gouverner le
monde : il ne lui faut ni Dieu , ni nature , ni raison , ni
lois. La vertu toute seule lui suffit . Avec elle , dit - il ,
l'homme peut remuer le monde du seul mouvement de ses
sourcils. Il ne paroît pas se douter que la vertu , sans le
principe qui la commande , est un effet sans cause , un joug
ridicule qui n'a plus de motif , et que l'homme matière ,
comme il le veut , s'il n'est un insensé , ne doit s'attacher
qu'à ce qui lui paroît convenable pour sa propre satisfaction
, comme feroit un animal doué de raison et armé de
toute la puissance humaine. Ce Maréchal n'étoit pas seulement
un fou ridicule ; c'étoit un homme que l'orgueil étouf-
4
MERCURE DE FRANCE ,
par
foit , un esprit désordonné qui se croyoit fait pour régir
tout l'univers , un fiévreux heureusement enchaîné Tes
lois , un persécuteur sans autorité , un tyran sans Etats ,
sans troupes et sans argent; un pauvre diable qui feignoit
d'être athée dans le bon temps de la terreur, afin d'obtenir
du crédit , des places et de la réputation ; un littérateur
obscur , un écrivain avide de louanges , qui , ne pouvant se
faire un nom par son talent , cherchoit au moins à se faire
remarquer par son extravagance ; mais qui n'est parvenu
qu'à se faire mourir à l'âge de cinquante - trois ans , épuisé
par ses passions , et sans avoir jamais pu obtenir de ses contemporains
qu'un regard de pitié . L'ami qui s'est chargé de
publier ses Euvres et d'écrire sa Vie , s'extasie , comme de
raison , devant ses moindres écrits et devant toutes ses opinions
. Celles - ci lui paroissent sublimes , et les autres lui
semblent toujours des traits de génie. Mais cet officieux
panégyriste lui-même ne paroît pas plus se connoître en
littérature qu'en morale ; et la longue Notice qu'il a pris
la peine d'écrire au commencement du volume qu'il offre au
public , en est une preuve plus que suffisante. Maréchal
vouloit que la vie d'un homme de vertu tel que lui , par
exemple , fût un poëme épique bien plus sublime et bien
plus parfait que ceux d'Homère . Son ami n'a su faire de la
sienne qu'un Recueil insipide de faits décousus , sans goût ,
sans choix et sans intérêt. Le philosophe y est représenté
comme un homme atrabilaire retiré dans sa maison du
faubourg Saint- Marceau , s'estimant lui-même au- dessus de
tous les hommes , dévoré de l'envie de se voir admiré , mais
ne communiquant avec personne . Cette haute opinion qu'il
avoit de lui-même , et le mépris qu'il affectoit pour tout ce
qui l'entouroit , lui suscita une affaire assez fâcheuse qu'il
faut laisser raconter à l'auteur de la Notice , afin d'avoir
tout à-la-fois une idée du caractère de Maréchal , et la
mesure du talent de son historien . C'est le plus bel endroit
de la vie du philosophe , et c'est tout ce qu'il y a de vraiment
intéressant dans la Notice :
« La réputation de Maréchal , dit son ami , mit un de ses
» voisins dans le cas de tout entreprendre contre lui : il le
» provoquá un jour dans un petit endroit qui appartenoit
» à Maréchal , et que cet homme vouloit s'approprier ; sa
» patience enflamma tellement de colère ce méchant voisin ,
qu'il ne se contint plus : il envoya chercher la garde , qui ,'
» trompée par le bruit épouvantable de l'agresseur , emmena
» l'injurié chez le juge de paix ; sa belle- soeur , attirée par le
> bruit , éprouva le même sort.
>>
» Il
JUILLET 1807 .
e
Il étoit matin , continue le même narrateur
» réellement une chose originale de voir Maréchal tête
» en pantouffles , et sa belle - soeur en déshabillé et en bonnet
» de nuit , conduits tous deux au milieu de la garde , et
» suivis des enfans du quartier , toujours curieux des choses
» extraordinaires . L'étonnement de ceux qui les voyoient
» dans cette position , les cris et le bruit des sabots des petits
» enfans qui les accompagnoient , l'indignation de sa belle-
» soeur , tout cela lui causa un fol tire comme il n'en eut
» jamais de sa vie. L'on pense bien que le juge de paix lui
» rendit justice ; mais le méchant voisin ne s'en tint pas là :
» il intenta un procès criminel au paisible Maréchal .
:
» C'étoit la première contestation qu'il eût eue de sa vie ;
» il la confia sous le secret à un ami ; il rougissoit d'avoir un
procès : L'homme vertueur , disoit-il , doit respecter lajus-
» tice , mais ne doit jamais avoir affaire à elle. »
»
C'est apparemment par respect pour la mémoire de Maréchal
, et pour être fidèle à sa parole , que cet ami ne nous
donne pas la suite de cette aventure , et qu'il n'en explique
pas même le motif. Il est fâcheux que la réputation de
Maréchal mit ainsi ses voisins dans le cas de tout entreprendre
contre lui , parce qu'elle peut faire soupçonner que
le tort n'étoit pas tout entier du côté du méchant homme qui
se plaignoit , et que le paisible philosophe l'avoit au moins
scandalisé .
>>
J. J. Rousseau , dont Maréchal emprunte souvent les
pensées et les expressions , dit formellement qu'un athée est
un scélérat ; mais il faut ajouter , s'il n'est un fou , parce
qu'enfin il y a des gens dont la conduite est en opposition
avec les principes , et dont toute la vie est une perpétuelle
inconséquence . Montaigne avoit ainsi modifié cette pensée ,
lorsqu'il dit que «<< l'athéisme estant une proposition comme
» desnaturée et monstrueuse , difficile aussi , et mal aisée
» d'establir en l'esprit humain , pour insolent et desreiglé
qu'il puisse estre : il s'en est veu assez par vanité et par
» fierté de concevoir des opinions non vulgaires et réforma-
» trices du monde , en affecter la profession par contenance ;
qui , s'ils sont assez fols , ne sont pas assez forts pour l'avoir
plantée en leur conscience. Que pourtant ils ne lairront de
joindre leurs mains vers le ciel , si vous leur att chez un
» bon coup d'espée en la poitrine ; et que , quand la crainte
» ou la maladie aura abattu et appesanty cette licencieuse
» ferveur d'humeur volage , ils ne lairront pas de se revenir ,
» et se laisser tout discrètement mourir aux créances et
exemples publiques. « Autre chose est , ajoute-t-il , un
>>
»
»
» »
F
82 MERCURE DE FRANCE ,
»
dogme sérieusement digéré , autre chose ces impressions
superficielles ; lesquelles , nées dé la desbauche d'un esprit
» desmanché , vont nageant témérairement et incertaine-
» ment en la fantaisie Hommes bien misérables et escer-
>> vellez , qui taschent d'estres pires qu'ils ne peuvent ! » Si ,
de son vivant , il avoit fallu juger Maréchal sur l'autorité de
ces deux écrivains , qu'il ne cesse d'invoquer , il auroit peutêtre
été difficile de décider s'il méritoit plus de haine que de
pitié , parce que , n'ayant à exercer que ses fonctions insignifiantes
de bibliothécaire au Collége des Quatre-Nations ,
et ne pouvant ni voler , ni tuer sans s'exposer à la répression
des lois , il pouvoit encore paroître un assez bon humain
dans l'intimité de la vie commune , au milieu de ses pareils ;
dans sa famille peut- être ; avec ses maîtresses ou avec ses
amis. Les loups ne se mangent pas , dit-on ; et lorsqu'ils
sont sous la puissance de l'homme , retenus par la crainte
qu'elle leur inspire , ils laisssent en paix les agneaux avec
lesquels ils se rencontrent. Quoiqu'athée , Maréchal pouvoit
vivre tranquillement avec des athées , et , retenu par la
crainte des lois , il pouvoit filer doux avec ceux qui ne pensoient
pas comme lui . La question n'est pas de savoir ce
qu'il a fait de mal dans un état où il lui étoit impossible
d'en faire sans se nuire à lui-même. Ce qu'il faudroit examiner
aujourd'hui , c'est ce qu'il auroit fait dans une position différente
, avec une grande puissance et dans un pays où le
mépris public l'avoit constamment accompagné : or , il a
pris soin lui-même de nous en informer dans son livre
de la Vertu , espèce de rapsodie philosophique , qui renferme
la même pensée mille fois retournée , souvent exprimée
dans les mêmes termes , et qui tend à établir que tout est
néant dans l'univers , excepté la vertu : comme si la vertu ,
sans une puissance supérieure qui l'observe , qui l'admire et
qui peut la récompenser , n'étoit pas elle-même un véritable
néant , puisqu'où le pouvoir n'existe pas , il n'y a point de
sujets , ni d'obligations ! Comme si la vertu , qui impose des
privations sans récompense , n'étoit pas le comble de la folie
dans un être qui peut se satisfaire par un crime qui n'aura
point de châtiment ! Il faut donc déjà que l'esprit soit complétement
aliéné , pour parler de vertu lorsqu'on nie l'existence
de Dieu et l'immortalité de l'ame ; mais que penseronsnous
du même esprit qui , content d'avoir trouvé ce masque
pour cacher toute sa difformité , se présente sans aucune
pudeur comme le modèle et le type de la perfection , et qui
répète , après Diderot , qu'il n'appartient qu'à l'homme vertueux
d'être athée ; qui prétend que ce même homme , verJUILLET
1807 .
83
7
tueux à sa manière , c'est- à-dire , athée comme lui , est une
perle , et que nous sommes le fumier dans lequel on la
trouve ?
;
« Le peuple , dit- il , est une brute. »
<< Les brutes ne sont pas plus capables de vertu que de
>> raison et de liberté. »
« Il faut encore dire cela , et le répéter :
» Une nation vieille , riche , populeuse , par conséquent
>> corrompue , est nécessairement populaire ; c'est- à -dire ,
>> composée d'autant de sortes de populaces qu'il y a d'ordres
» dans l'Etat. Or , toute populace de salon ou de carrefour ,
» brodée ou fangeuse , n'est susceptible d'aucun élan de
>> vertu . »
<< La plèbe est le fumier d'une république ; mais quand
>> tout est plèbe dans une république , la vertu ne s'y trouve
» que par hasard : c'est un diamant perdu dans un grand
» amas de fumier ( comme Maréchal au milieu de la nation
>> francaise . ) »
« L'homme de vertu ( comme Maréchal ) vit comme s'il
» n'y avoit point de lois ; il pourroit dire aux magistrats et
>> aux juges : Qu'y a-t- il entre vous et moi ? »
« Lui seul à le droit de se croire capable de choses
» sublimes . >>
« Le pouvoir absolu ne sied qu'à l'homme de vertu , »
( qu'à Maréchal . )
« Un homme de vertu ( comme Maréchal ) est ce qu'il
» y a de plus parfait , de plus accompli dans la nature. »
« La vraie place de la vertu ( c'est- à -dire de Maréchal )
» seroit un trône ou la chaise curule . >>
« Magistrats , élevez à l'homme de vertu ( à Maréchal )
» un tombeau sur la place publique , pour qu'on sache du
» moins qu'il a existé un homme de bien !
Il est bon d'observer ici , qu'avant d'élever ce tombeau , il
faudra examiner si Diderot ne le mérite pas pour lui-même;
car il prétend que le crime est plus beau peut-être que la
vertu. Tome XIV de ses uvres in- 8° , pag. 262.
Après avoir vu ce qu'il auroit fallu que Maréchal fût
dans son pays , il sera curieux de reconnoître comment il
auroit composé son empire :
>>
« Il existe , dit-il , éparse sur la terre une véritable république
, composée de tout ce qu'il y a d'hommes de vertu
» (c'est-à-dire , d'athées comme Maréchal ) . Les bons livres ,
» en petit nombre , faits par eux ( comme le Dictionnaire
>> des Athées , fait par Maréchal ) , sont leurs truchemens ,
» leurs hérauts d'armes , les conducteurs du feu électrique
F 2
84
MERCURE
DE
FRANCE
,
>>
» qu'ils entretiennent , pour se ménager de temps en temps
» quelques fortes explosions ( comme celle de 1793 ) . Les
» puissances du jour s'en doutent , et se mettent sur leur
» garde en sorte que , long-temps encore , les hommes
» vertueux ( les athées ) formeront sur la terre une répu
» blique méconnue et peu redoutable . »
Maréchal auroit certainement réuni tous ces braves gens
qui vivent ignorés , pour én composer une nation de fidèles
sujets , aussi vertueux que tous les héros qui prêchoient
l'athéisme au milieu de la Convention , et qui alloient
ensuite exercer leur humanité dans toute la France , ensanglantée
par
leurs mains vertueuses .
« Ne seroit - il pas bien temps , poursuit le vertueux
» Maréchal , que les hommes de vertu ( tels que lui ) sor-
» tissent de leur isolement , se montrassent pour confondre
» par leur présence seulement , tant de grands coupables ,
» forts de leur impunité et fiers de leurs succès scandaleux ?
( Tous ceux qui croient en Dieu , par exemple , et qui
jouissent de quelque considération ou de quelque fortune . )
»
»
« Gens de bien , s'écrie-t-il , c'est- à - dire , athées de tous
les pays, qui vivez au milieu des nations comme les tigres
» dans une ménagerie , ou comme les fous qui sont enfer
» més , vous ne connoissez pas votre force ; vous êtes en
plus grand nombre que vous ne pensez ! Levez-vous à là
» même heure , armez-vous de fouets , et parcourez la terre
» pour la purger enfin des méchans que l'impunité enhardit ,
et qui traitent les hommes de vertu de bonnes gens .
»
Ainsi Maréchal , devenu roi , auroit d'abord fait mássacrer
tous ceux qui pensent que les hommes de vertu sont
de bonnes gens. Nous laissons à penser ce qu'il auroit fait
de ceux qui croient que ces prétendus homines de vertu
ne sout que des tigres enchaînés , des fous et des pestes
publiques.
Si nous voulons voir maintenant contre qui le paisible
Maréchal auroit d'abord dirigé ses coups de fouets , cela ne
sera pas difficile :
1 .
« Chaque espèce d'êtres, dit- il , a son ennemi dans une
» autre espèce . Ainsi l'agneau trouve un ennemi dans le
» loup , la poule dans le renard : le sage en trouve un aussi
» dans la personne des prêtres , etc. »
Donc le sage Maréchal , revêtu de la dictature , auroit
commencé par purger la terre de tous les prêtres , etc. : et
par cet et cætera , on sait qu'il faut entendre les rois , dont
le mariage avec la vertu a , dit -il , toujours été stérile ; et
eu général tous les hommes religieux , qui , selon lui , ne
sont pas des hommes de vertu .
JUILLET 1807 .
85
Tel auroit été le bon , le sensible , le vertueux Maréchal ,
si nous avions woulu le mettre à la tête du gouvernement
lorsqu'il a paru parmi nous ; mais son nom a toujours été ,
dit-il encore , trop peu connu , et ses ouvrages toujours trop
oubliés . Nous ne devons pas nous étonner , au surplus , de
le voir si bien disposé à user de violence envers tous ceux
qu'il auroit pu soupçonner de ne pas aimer sa doctrine ; il
nous en donne la raison , lorsqu'il nous dit d'un ton de
maître :
<< Jeune homme , si tu découvres en toi quelque vertu ,
» n'en sois pas vain ! Elle ťa été donnée sous la condition
» de recevoir quant et quant , pour contre- poids , le vice
opposé. »
>>
D'où nous devons conclure que Maréchal , qui se trouvoit
doué des plus éminentes vertus , réunissoit aussi les plus
grands vices , et qu'il étoit en même temps très-bon et trèsméchant
, très -doux et très -cruel , fort juste et rempli de
partialité , etc. etc. Ce n'étoit guère la peine de tant prôner
la vertu , s'il faut toujours que les hommes qui la possèdent
au plus haut degré soient aussi les plus vicieux.
Quoique Maréchal prétendît être assuré qu'il n'y a point
de Dieu , tous les matins il saluoit le soleil ; et il dit positivement
qu'il croit au démon de Socrate , et que toute ame
honnête a le sien . Il paroît en effet que ce pauvre Maréchal
étoit au moins possédé du démon de l'orgueil .
Il ne veut aucune religion , aucun culte , pas même pour
la vertu : « Garde-toi , dit-il , de profaner la vertu par un
» culte . » Mais , nous assure sou historien , il composoit des
prières et des pseaumes ; et, pour preuve, il nous offre une
belle prière à l'amour profane , dans laquelle on voit que
Maréchal étoit son ministre le plus zélé .
C'est ainsi que , sans le vouloir , ce mauvais philosophe
nous enseigne ce qu'il faut attendre d'un homme qui se dit
athée . Ses moindres travers , dans son état privé , sont de se
mettre lui-même hors de la loi religieuse et civile qui gouverne
son pays , d'extravaguer pour se faire remarquer ; et
lorsque le peuple est assez malheureux et assez fou pour
l'écouter et pour lui accorder quelque distinction , quelqu'emploi
public , ou quelqu'autorité , ce charlatan de morale
insensée se montre le plus intolérant et le plus féroce
des hommes : il proscrit sans examen , sans aucune pitié et
sans remords , tout ce qui n'abonde pas dans son sens . Les
titres les plus respectables et les plus sacrés ne sont pour lui
que des sentences . de mort ; et comme tout ce qui est
véritablement vertueux blesse son orgueil et l'humilie , il
3
86 MERCURE DE FRANCE ,
faut que tout ce qui porte quelque signe de vertu périsse.
Il est fort heureux pour l'humanité que de pareils hommes
meurent sans avoir obtenu la puissance qu'ils souhaitoient ;
et il est bon que leurs successeurs apprennent au moins
que , lorsqu'un ami maladroit voudra tirer leurs noms du
néant auquel ils se vouent , ce sera toujours pour l'exposer à
la dérision et au mépris public.
VARIÉTÉS.
G.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES grands théâtres n'ont point donné de nouveautés cette
semaine. Mlle Saint- Albe continue ses débu's sans bruit. Elle
a été peu applaudie , mais jamais sifflée , dans les rôles
d'Andromaque , d'Aménaïde , d'Eriphile et de Monime. Elle
jouera la semaine prochaine Adélaïde Duguesclin . M. Joanni ,
acteur de Lyon , débutera samedi 11 juillet , sur le même
théâtre , dans le rôle de Cinna . On annonce aussi le début prochain
de Mlle Henri , ancienne actrice de l'Opéra , dans les
rôles de Mlle Contat.
- Le Théâtre de l'Impératrice doit donner incessamment
les Deux Figaro , de Martelli , et l'Héritier de Village , de
Marivaux.
- Mlle Rolandeau , actrice du théâtre de l'Opéra-Comique ,
vient de passer quinze jours à Dijon : elle y a obtenu les plus
grands succès. Malgré une chaleur excessive , l'affluence n'a
diminué à aucune des représentations ; et ces représentations
ont eu lieu tous les jours : chose extraordinaire dans une ville
du troisième ordre ! On a vu partir avec regret une actrice
qui joint à une très belle voix une excellente méthode de
chant, et qui réunit encore à ces talens si rares le ton de la
bonne comédie , que , depuis long - temps , on ne retrouve
plus sur les théâtres de province.
-
-On mande de Milan , que Mad. Lena Perpenti , de
Como , à laquelle la société d'encouragement du royaume
d'Italie , avoit décerné , en 1806 , une médaille d'honneur ,
pour avoir perfectionné la filature de l'amiante , vient de faire
avec succès un essai pour fabriquer , avec ce fossile , un papier
très-propre à l'écriture et à l'impression , et capable de résister
à l'action des élémens. Le conseiller - d'état Moscati , direcJUILLET
1807 . 87
teur-général de l'instruction publique , a fait imprimer , sur
cette nouvelle espèce de papier , les complimens du nouvel an ,
adressés au vice-roi et à la vice - reine d'Italie .
-
La construction de la seconde galerie qui doit joindre le
Louvre aux Tuileries , du côté du nord , n'est plus seulement
un projet. On fait dans ce moment les fouilles pour poser les
fondemens de cette galerie , dans l'espace qui existe entre
le pavillon Mersan et l'hôtel occupé par M. le secrétaire
d'Etat. Une immense quantité de pierres est déjà rassemblée
pour cet objet sur la place du Carrousel. On a aussi commencé
les travaux pour la construction du monument dédié , par
l'Empereur , à la gloire des armées françaises .
-
La Société des Sciences de Harlem propose les prix suivans
pour le 1er. novembre 1807 : 1 ° . Quelles sont les différences
essentielles des propriétés et des parties constituantes
du sucre de cannes , et de celui qu'on obtient de plusieurs
arbres et autres végétaux ? 2° . Quelle est la cause de la phosphorescence
de l'eau de la mer ? Et si elle provient de la prés,
sence des petits animalcules vivans , quels sont ces animalculequelles
propriétés nuisibles peuvent-ils communiquer à l'amosphère
? 3 °. Quelle est l'origine probable du Sperma Ceti ?
Peut- on obtenir cette substance de l'huile de baleine , on
pourroit-on l'y produire avec avantage ? Les prix sont des
médailles de 400 , 300 et 200 florins. Le terme de l'envoi
des Mémoires est fixé au 1 ° . octobre 1807 .
NOUVELLES POLITIQUES.
Zara , 20 juin.
Une lettre de Travarnich , du 5 juin , annonce qu'il y étoit
arrivé la veille un Tartare apportant la nouvelle que les Russes
ont été battus sous les murs d'Ismaïl ; qu'on leur a pris 51 pièces
de canon , 5 drapeaux , onze barques canonnières ; et qu'ils
ont eu un grand nombre de tués et de blessés. Un corps de
1800 Russes , qui étoit retranché à peu de distance, a capitulé .
L'ennemi a aussi abandonné la forteresse d'Akerman . Une tentative
faite par les Russes contre l'île de Candie , a échoué ; elle
leur a coûté 2000 hommes tués , blessés ou prisonniers , et cinq
bâtimens chargés de munitions qui sont restés au pouvoir des
Candiotes.
Milan , 2 juillet.
On vient de recevoir des détails exacts sur la révolution
qui a éclaté dernièrement à Constantinople : ils ont été
apportés par un officier parti le 3 juin de cette capitale , et
arrivé hier au soir ici .
4
88 MERCURE DE FRANCE ,
Les janissaires manifestoient de plus en plus leur mécontentement
des innovations introduites dans la discipline et
l'exercice militaire. Le 27 mai , un corps de cette milice qui
avoit reçu ordre de prendre un nouvel uniforme , de se raser
la barbe , etc , refusa d'obéir , se révolta ouvertement , marcha
sur Constantinople , et vint camper devant le sérail . Les
rebelles n'étoient alors qu'au nombre de 1300 hommes ; mais
ils l'accrurent prodigieusement le lendemain , et le muphti se
déclara pour eux . Il paroît que le sultan Selim a trop longtemps
différé à prendre des mesures de vigueur. Le 29 , le
corps des ulhémas , présidé par le muphti , prononça la déposition
du sultan , et la motiva , 1º . sur un article du Koran ,
qui porte qu'un calife qui , après sept années , n'aura pas
donné de successeur à son trône , sera déclaré indigne de
régner Selim III régnoit depuis 19 ans , et n'avoit point.
encore en de fils ) ; 2°, sur ce que Selim a violé la loi du prophète
, en ne protégeant pas la caravane de la Mecque ; 3° . sur
ce qu'il a été ordonné des innovations , tandis que toute innova,
tion est défendue par la loi . La même sentence appeloit au
trône Mustapha IV , fils du prédécesseur de Selim.
En exécution de cette décision , les janissaires qui déjà
étoient maîtres du sérail en arrachèrent Selim , et le conduisirent
au vieux sérail , d'où il tirèreat Mustapha IV, qu'ils
proclamèrent empereur. Le même jour , 29 , plusieurs ministres
de Selim , dénoncés par les janissaires aux ulilémas
comme les principaux auteurs des innovations dont ils se
| plaignoient , furent condamnés et mis à mort. On dit que
Selim III , avant d'entrer en prison , a parlé à son successeur ,
et lui a recommandé de ne pas se laisser aller aux mauvais
conseils qui l'ont perdu , et de gouverner avec justice . Mustapha
a promis de respecter la vie de son prédécesseur.
"
Le lendemain , tout étoit déjà tranquille à Constantinople ;
les magasins étoient ouverts , et le peuple se livroit à la joie,
Le 1er juin on publia un firman du nouveau sultan , qui renouvelle
la déclaration de guerre contre la Russie , qui proclame
cette guerre , guerre de religion , et qui ordonne à tous les
peuples fidélité et attachement à l'illustre allié Napoléon ,
Empereur des Français et Roi d'Italie. Ce firman fut reçu par
le peuple et par les troupes avec beaucoup de respect et d'allégresse.
Leur joie fut encore augmentée par la nouvelle qui se
répandit immédiatement , que le capitan-pacha venoit de
battre la flotte russe devant Tenedos. L'ambassadeur de France
qui étoit absent de Constantinople au moment où éclata lą
révolte , y est rentré depuis , et n'a plus quitté son palais .
( Giornale italiano , )
JUILLET 1807 . 89
PARIS, vendredi 10 juillet.
LXXXI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 21 juin 1807.
A la journée d'Heilsberg , le grand- duc de Berg passa sur
la ligne de la 3° division de cuirassiers , au moment où le 6°
régiment de cuirassiers venoit de faire une charge. Le colonel
d'Avenay , commandant ce régiment , son sabre dégouttant de
sang , lui dit : « Prince , faites la revue de mon régiment , vous
verrez qu'il n'est aucun soldat dont le sabre ne soit comme le
mien. >>
Les colonels Colbert , du 7º de hussards ; Lery, du 5º, se
sont fait également remarquer par la plus brillante intrépidité.
Le colonel Borde-Soult , du 22 de chasseurs , a été blessé.
M. Guehenenc , aide-de-camp du maréchal Lannes , a été
blessé d'une balle au bras.
Les généraux aides-de-camp de l'EMPEREUR , Reille et Bertrand
, ont rendu des services importans. Les officiers d'ordonnance
de l'EMPEREUR , Bongars , Montesquiou , Labiffe , ont
mérité des éloges pour leur conduite.
Les aides-de-camp du prince de Neuchâtel , Louis de
Périgord, capitaine , et Pivé , chef- d'escadron , se sont fait
remarquer .
Le colonel Curial , commandant les fusiliers de la garde ,
a été nommé général de brigade .
Le général de division Dupas , commandant une division
sous les ordres du maréchal Mortier , a rendu d'importanś
services à la bataille de Friedland .
Les fils des sénateurs Pérignon , Clément de Ris et Garran
de Coulon , sont morts avec honneur sur le champ de ba
taille.
Le maréchal Ney s'étant porté à Gumbinnen , a arrêté
quelques parcs d'artillerie ennemie , beaucoup de convois de
blessés , et fait un grand nombre de prisonniers .
LXXXII BUlletin de la GRANDE -ARMÉE.
Tilsit , le 22 juin 1807 .
En conséquence de la proposition qui a été faite par le
commandant de l'armée russe , un armistice a été conclu dans
les termes suivans :
ARMISTICE.
S. M. l'Empereur des Français , etc. etc. , et S. M. l'empereur
de Russie , voulant mettre un terme à la guerre qui divise
les deux nations , et conclure , en attendant , un armistice ,
ont nommé et muni de leurs pleins -pouvoirs ; savoir d'une
:
go
MERCURE DE FRANCE ,
part , le prince de Neuchâtel , major- général de la Grande-
Armée ; et de l'autre , le lieutenant-général prince Labanoff
de Rostow , chevalier des ordres de Sainte-Anne , grandcroix
, etc. , lesquels sont convenus des dispositions suivantes :
Art. I. Il y aura armistice entre l'armée française et l'armée
russe , afin de pouvoir , dans cet intervalle , négocier ,
conclure et signer une paix qui mette fin à une effusion de
sang si contraire à l'humanité.
II. Celle des deux parties contractantes qui voudra rompre
l'armistice , ce que Dieu ne veuille , sera tenue de prévenir au
quartier-général de l'autre armée , et ce ne sera qu'après un
mois de la date des notifications , que les hostilités pourront
recommencer.
III. L'armée française et l'armée prussienne concluront un
armistice séparé , et à cet effet des officiers seront nommés
de part et d'autre. Pendant les quatre ou cinq jours nécessaires
à la conclusion dudit armistice , l'armée française ne
commettra aucune hostilité contre l'armée prussienne.
IV. Les limites de l'armée française et de l'armée, russe ,
pendant le temps de l'armistice , seront depuis le Curisch-
Haff , le Thalweg du Niemen ; et en remontant la rive
gauche de ce fleuve jusqu'à l'embouchure de Lorasna à
Schaim , et montant cette rivière jusqu'à l'embouchure du
Bobra , suivant ce ruisseau par Bogari , Lipsk , Stabin ,
Dolistowo , Goniondz et Wizna jusqu'à l'embouchure du
Bobra dans la Narew , et de là remontant la rive gauche de la
Narew par Tykoczyn , Suras-Narew , jusqu'à la frontière de
la Prusse et de la Russie ; la limite dans le Frisch- Nérung sera
à Nidden .
V. S. M. l'Empereur des Français , et S. M. l'empereur de
Russie nommerent , dans le plus court délai , des plénipotentiaires,
munis des pouvoirs nécessaires pour négocier , conclure
et signer la paix définitive entre ces deux grandes et puissantes
nations.
VI. Des commissaires seront nommés de part et d'autre , à
l'effet de procéder sur-le-champ à l'échange , grade par grade,
et homme par homme , des prisonniers de guerre.
VII. L'échange des ratifications du présent armistice sera
fait au quartier-général de l'armée russe dans quarante-huit
heures et plus tôt si faire se peut.
Fait à Tilsit , le 21 juin 1807.
Signé le prince de Neuchatel , maréchal ,
Alexandre BERTHIER ;
Le prince LABANOFF DE ROSTOW.
L'armée française occupe tout le Thalweg du Niemen , de
JUILLET 1807 . 91
sorte qu'il ne reste plus au roi de Prusse que la petite ville et
le territoire de Memel.
Proclamation de S. M. L'EMPEREUR ET Roi à la Grande-
Armée.
Soldats ,
Le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens
par l'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre
inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos étoit celui
du lion il se repent de l'avoir troublé.
Dans les journées de Guttstadt , de Heilsberg , dans celle
à jamais mémorable de Friedland , dans dix jours de campagne
enfin , nous avons pris 120 pièces de canon , 7 drapeaux ;
tué, blessé ou fait prisonniers 60,000 Russes ; enlevé à l'armée
ennemie tous ses magasins , ses hôpitaux , ses ambulances ; la
place de Koenigsberg , les 300 bâtimens qui étoient dans ce
port , chargés de toute espèce de munitions ; 160,000 fusils
que l'Angleterre envoyoit pour armer nos ennemis .
Des bords de la Vistule , nous sommes arrivés sur ceux du
Niémen avec la rapidité de l'aigle . Vous célébrâtes à Austerlitz
l'anniversaire du couronnement ; vous avez cette année dignement
célébré celui de la bataille de Marengo , qui mit fin à la
guerre de la seconde coalition .
Français , vous avez été dignes de vous et de moi. Voùs
rentrerez en France couverts de tous vos lauriers , et après
avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie
de sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos, à
l'abri de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits
vous prouveront ma reconnoissance et toute l'étendue de
l'amour que je vous porte.
Au camp impérial de Tilsit , le 22 juin 1807.
LXXXIII BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 23 juin 1807 .
La place de Neiss a capitulé.
La garnison , førte de 6000 hommes d'infanterie et de 300
hommes de cavalerie , a défilé le 15 juin devant le prince.
Jérôme. On a trouvé dans la place 300 milliers de poudre et
300 bouches à feu .
LXXXIV BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 24 juin 1807.
Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au
quartier-général des Russes , au-delà du Niemen , pour échanger
les ratifications de l'armistice , qui a été ratifié par l'empereur
Alexandre.
Le 24 , le prince Labanoff ayant fait demander une audience
92 MERCURE DE FRANCE ,
à l'EMPEREUR , Il est resté long-temps dans le cabinet de S. M.
Le général Kalkreuth est attendu au quatier- général , pour
signer l'armistice du roi de Prusse.
Le 11 juin , à quatre heures du matin , les Russes attaquèrent
en force Druczewo . Le maréchal Massena se porta
sur la ligne , repoussa l'ennemi et déconcerta ses projets. Le
17. régiment d'infanterie légère a soutenu sa réputation. Le
général Montbrun s'est fait remarquer. Un détachement du
28 d'infanterie légère et un piquet de 25° de dragons on mis
en fuite les cosaques. Tout ce que l'ennemi a entrepris contre
nos postes dans les journées du 11 et du 12 , a tourné à sa
confusion.
On a vu par l'armistice que la gauche de l'armée française
est appuyée sur le Gurrisch- Haff, à l'embouchure du Nicmen
; de là notre ligne se prolonge sur Grodno. La droite ,
commandée par le maréchal Massena , s'étend sur les , confins
de la Russie , entre les sources de la Narrew et du Bug.
Le quartier-général va se concentrer à Koenigsberg , où
l'on fait toujours de nouvelles découvertes en vivres , munitions
et autres effets appartenant à l'ennemi.
Une position aussi formidable est le résultat des succès les
plus brillans ; et tandis que toute l'armée ennemie est en
fuite et presque anéantie , plus de la moitié de l'armée française
n'a pas tiré un coup de fusil .
LXXXV BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 24 juin 1807.
Demain , les deux Empereurs , de France et de Russie
doivent avoir une entrevue . Ona , à cet effet , élevé au milieu
du Niemen un pavillon où les deux monarques se rendront de
chaque rive.
Peu de spectacles seront aussi intéressans. Les deux côtés
du fleuve seront bordés par les deux armées , pendant, que les
chefs confèreront sur les moyens de rétablir l'ordre , et de
donner le repos à la génération présente .
Le grand-maréchal du palais Duroc est allé hier , à trois
heures après midi , complimenter l'empereur Alexandre.
Le maréchal comte de Kalkreuth a été présenté aujourd'hui
à l'EMPEREUR; il est resté une heure dans le cabinet de S. M.
L'EMPEREUR a passé ce matin la revue du corps du maréchal
Lannes. Il a fait différentes promotions , a récompensé les
braves , et a témoigné sa satisfaction aux cuirassiers saxons.
JUILLET 1807 . 93
LXXXVI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 25 juin 1807 .
Le 25 juin , à une heure après midi , l'EMPEREUR , accompagné
du grand- duc de Berg , du prince de Neuchâtel , du
naréchal Bessières , du grand-maréchal du palais Duroc et
du grand-écuyer Caulaincourt , s'est embarqué sur les bords
du Niemen dans un bateau préparé à cet effet ; il s'est rendu
au milieu de la rivière où le général Lariboissière , comman-'
dant l'artillerie de la garde , avoit fait placer un large radeau ,
et élever un pavillon . A côté étoit un autre radeau et un
pavillon pour la suite de Leurs Majestés. Au même moment
l'empereur Alexandre est parti de la rive droite , sur un bateau,
avec le grand-duc Constantin , le général Benigsen , le général
Ouwaroff, le prince Labanoff et son premier aide - de-camp
le comte de Lieven.
Les deux bateaux sont arrivés en même temps ; les deux
Empereurs se sont embrassés en mettant le pied sur le radeau;
ils sont entrés ensemble dans la salle qui avoit été préparée , et
y sont restés deux heures. La conférence finie , les personnes
de la suite des deux Empereurs ont été introduites . L'empereur
Alexandre a dit des choses agréables aux militaires qui accompagnoient
l'EMPEREUR , qui , de son côté , s'est entretenu longtemps
avec le grand- duc Constantin et le général Benigsen.
La conférence finie , les deux Empereurs sont montés chacun
dans leur barque. On conjecture que la conférence a eu le
résultat le plus satisfaisant. Immédiatement après , le prince
Labanoff s'est rendu au quartier - général français . On est
convenu que la moitié de la ville de Tilsit seroit neutralisée.
On y a marqué le logement de l'empereur de Russie et de sa
cour. La garde impériale russe passera le fleuve , et sera cantonnée
dans la partie de la ville qui lui est destinée .
Le grand nombre de personnes de l'une et l'autre armée ,
accourues sur l'une et l'autre rive pour être témoins de cette
scène , rendoient ce spectacle d'autant plus intéressant , que
les spectateurs étoient des braves des extrémités du monde.
Tilsit , le 26 juin 1807.
Anjourd'hui, à midi et demi , S. M. s'est rendue su pavillon
du Niemeu. L'empereur Alexandre et le roi de Prusse sont
arrivés au même moment. Ces trois souverains sont restés
ensemble dans le salon du pavillon pendant une demi-heure..
A cinq heure et demie , l'empereur Alesandre est passé
sur la rive gauche. L'Empereur Napoléon l'a reçu à la des
cente du bateau . Ils sont montés à cheval l'un et l'autre ; ils ont
parcouru la grande rue de la ville , où se trouvoit rangée da
94 MERCURE
DE FRANCE
,
garde impériale française à pied et à cheval , et sont descendus
au palais de l'Empereur Napoléon. L'empereur Alexandre y
a dîné avec l'EMPEREUR , le grand- duc Constantin et le grandduc
de Berg.
M. de Montesquiou , officier d'ordonnance de S. M.
l'EMPEREUR et Roi , est venu , de la part de S. M. , donner à'
S. M. l'Impératrice- Reine , des détails sur l'entrevue des deux
Empereurs. ( Moniteur. )
-M. Joseph de Monaco , officier d'ordonnance de S. M.
est arrivé à Paris le 8 , pour donner à S. M. l'Impératrice-
Reine , des nouveaux détails sur les seconde et trosième conférences
des deux Empereurs. ( Moniteur. )
Tilsit , le 27 juin 1807.
´ Le général de division Teulié , commandant la division
italienne au siége de Colbert , qui avoit été blessé à la cuisse
d'un boulet , le 12 , à l'attaque du fort Wolwsberg , vient de
mourir de ses blessures . C'étoit un officier également distingué
sa bravoure et ses talens militaires.
par
Voici le journal : ·
La ville de Kosel a capitulé.
Le 24 juin , à deux heures du matin , S. A. I. le prince
Jérôme a fait attaquer , et enlever le camp retranché que les
prussiens occupoient sous Glatz , à portée de mitraille de
cette place.
Le général Vandamme , à la tête de la division wurtembergeoise
, ayant avec lui un régiment provisoire de chasseurs
français à cheval , a commencé l'attaque sur la rive gauche
de la Neiss , tandis que le général Lefebvre avec les Bavarois
attaquoit sur la rive droite. En une demi- heure , toutes les
redoutes ont été eulevées à la baïonnette ; l'ennemi a fait sa
retraite en désordre , abandonnant dans le camp 1200 hommes
tués et blessés , 500 prisonniers et douze pièces de canon . Les
Bavarois et les Wurtembergeois se sont très -bien conduits.
Les généraux Vandamme et Lefebvre ont dirigé les attaques
avec une grande habileté .
Tilsit , le 28 juin 1807 .
Hier, à trois heures après midi , l'EMPEREUR s'est rendu chez
l'empereur Alexandre. Ces deux princes sont restes ensemble
jusqu'à six heures. Ils sont alors montés à cheval , et sont allés
voir manoeuvrer la garde impériale. L'empereur Alexandre a
montré qu'il connoît très-bien toutes nos manoeuvres , et qu'il
entend parfaitement tous les détails de la tactique militaire.
JUILLET 1807 . 95
A huit heures , les deux souverains sont revenus au palais
de l'Empereur Napoléon , où ils ont dîné comme la veille
avec le grand-duc Constantin et le grand- duc de Berg.
Après le dîner , l'Empereur Napoléon a présenté LL. Exc.
le ministre des relations extérieures et le ministre secrétaire
d'Etat à l'empereur Alexandre , qui lui a aussi présenté , S. Exc.
M. de Budberg , ministre des affaires étrangères , et le prince
Kurakin.
Les deux souverains sont ensuite rentrés dans le cabinet de
l'Empereur Napoléon , où ils sont restés seuls jusqu'à onze
heures du soir.
Aujourd'hui 28 , à midi , le roi de Prusse a passé le Niemen
, et est venu occuper à Tilsit le palais qui lui avoit été
préparé. Il a été reçu , à la descente de son bateau , par le
maréchal Bessières. Immédiatement après , le grand - duc de
Berg, est allé lui rendre visite.
A une heure , l'empereur Alexandre est venu faire une
visite à l'Empereur Napoléon , qui est allé au - devant de lui
jusqu'à la porte de son palais.
A deux heures , S. M. le roi de Prusse est venu chez l'Empereur
Napoléon , qui est allé le recevoir jusqu'au pied de
l'escalier de son appartement.
A quatre heures , l'Empereur Napoléon est allé voir l'Empereur
Alexandre. Ils sont montés à cheval à cinq heures , et
se sont rendus sur le terrain où devoit nanoeuvrer le corps du
maréchal Davoust.
".
-S . M.I'EMPEREURet Roi, par sa lettre du 22 juin au prince
archichancelier , avoit ordonné que le corps de S. A. I. Napoléon-
Charles , prince Royal de Hollande , décédé à la Haye
le 5 mai dernier seroit déposé dans une chapelle de
l'église de Notre-Dame , pour y être gardé jusqu'au moment
où l'église impériale de Saint- Denis , entièrement réparée , et
pour ainsi dire reconstruite , permettroit de l'y transporter . En
conséquence de ces ordres , que sur l'invitation de S. A. S.
Mgr. le prince archichancelier de l'Empire , le ministre de
l'intérieur avoit transmis à M. de Caulaincourt , grand - écuyer
de la couronne de Hollande , chargé de la conduite de ce précieux
dépôt , le corps du prince défunt a été conduit à Saint-
Leu. Le 7 juillet , il est parti de Saint - Leu dans une des
voitures de S. M. , où se trouvoit un aumônier de S. M. le
roi de Hollande , toujours sous la garde de M. de Caulaincourt
, qui suivoit dans une autre voiture. Le convoi étoit
escorté par un piquet de la garde impériale à cheval ; il est
arrivé à deux heures et demie à la grande porte de l'église
96
MERCURE
DE
FRANCE
,
métropolitaine , qu'occupoit un détachement de la garde im
périale à pied. La s'étoient rendus S. A. S. Mgr. le prince
archichancelier de l'Empire , assisté des deux ministres de
l'intérieur et des cultes , ainsi que S. Em. le cardinal - archevêque
, accompagné de son clergé,
1
་ ་
S. Exc. le grand- écuyer de Hollande , en faisant la remise
du corps , s'est adressé an prince archichancelier , et lui a dit :
« Monseigneur , par les ordres de S. M. le roi de Hollande ,
» je remets entre les mains de V.A. S. le corps de S. A. I.
» Napoléon-Charles , prince Royal de Hollande , lequel est
» contenu dans cette bière ; dans ces deux boîtes de plomb
» que je remets également à V. A. , sont renfermés le coeur et
» les entrailles de ce prince. »
་ ་
S. A. S. a répondu « Monsieur , je reçois de vos mains le
» dépôt précieux dont vous avez été chargé » ; e
'et se'retournant
vers S. Em. le cardinal - archevêque, il lui a dit : « Mon-
» sieur le cardinal , par les ordres de S. M. l'EMPEREUR et
» Roi , je remets entre les mains de V. Em. le corps de S. A. I.
» Napoléon- Charles , prince Royal de Hollande , qui doit
» être gardé dans votre église , jusqu'à sa translation dans
» celle de Saint- Denis. » S. Em. a répondu « qu'elle et son
» chapitre veilleroient avec soin à la conservation du précieux
» dépôt dont S. M. vouloit bien les honorer. »
Après quoi , tout le cortege s'est rendu dans la chapelle de
Saint- Gérand , située à droite derrière le choeur , qui avoit
été préparée pour recevoir le corps du prince.
2.
Il a été déposé sur une estrade en face de l'autel ; la chapelle
a été fermée , et S. , A. S. le prince archichancelier ,
S. Em. le cardinal - archevêque , LL. EE. les ministres de
l'intérieur et des cultes , et le grand - écuyer de S. M. le roi
'de Hollande se sont relires dans le palais archiepiscopal pour
y signer le procès - verbal de la translation et du dépôt
provisoire du corps du prince royal de Hollande. "
Quoique cette cérémonie n'ait eu aucune solennité , l'objet
n'a pu en être ignoré ; elle a occasionné autour de l'église
dont les portes ont été fermées au public , un grand concours
de peuple , et il a été facile de lire sur le visage des spectateurs
l'impression douloureuse qu'ils éprouvoient en voyant
le convoi de ce jeune prince ; objet de tant d'affections et
déjà sujet de tant d'espérances , enlevé à sa famille, à la France ,
à la Hollande à qui il étoit également cher. La douleur publique
s'accroissoit de la douleur connue de ses augestes parens
, et cette première perte d'une illustre famille a qui fa
France doit sa gloire et sa prospérité , à qui l'Europe devra
le repos, étoit justement considérée comme une calamité publique.
(Moniteur. )
१
( No. CCCXIII. )
( SAMEDI 18 JUILLET 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
L'OPÉRA CHAMPÊTRE.
Qu'il me sont doux ces champêtres concerts',
Où rossignols , pinsons , merles , fauvettes ,
Sur leur théâtre , entre des rameaux verts ,
Viennent , gratis , m'offrir leurs chansonnettes !
Quels opéras me seroient aussi chers?
Là , n'est point d'art , d'ennui scientifique :
Gluck , Piccini , n'ont point noté les airs ;
Nature seule en a fait la musique ,
Et Marmontel n'en a pas fait les vers.
M. LE BRUN, de l'Académie Française .
DIFFICULTÉ
DE TROUVER ET DE RASSEMBLER LES MATÉRIAUX DE
L'HISTOIRE DES PREMIERS SIÈCLES .
Si d'un palais antique on trouvoit les runes
Couvertes par le temps et de mousse et d'épines ,
Et ses marbres rompus , vieux monumeus des arts ,
Dans un vaste terrain confusément é ars ;
Si nous étions certains que, dans ce grand décombre ,
Nul débris ne manquât dé ces débris sans nombre ,
Quel immense travail , quelle peine pour nous
De chercher , de fouiller , de les rassembler tous !
G
98 MERCURE DE FRANCE ;
Ou bien , sans rebâtir cet amas de matière ,...
De se peindre du moins sa structure première !
Mais si de ce palais des débris sont perdus ,
Si ce qui reste est peu près de ce qui n'est plus ,
Comment de l'édifice imaginer l'ensemble ,
Comment en dessiner un plan qui lui ressemble ?
Tels sont pour nous les faits des siècles reculés.
Si notre esprit remonte à ces temps écoulés ,
Combiendans les auteurs , écrivains de l'histoire,
Ont vu périr leur livre , et même leur mémoire !
Ceux qui restent encor sont rarement entiers :
Des fragmens sont épars en différens sentiers ,
Dans des lieux écartés des routes ordinaires ,
Où sont marqués du Temps les pas itinéraires ;
Qui dans ces lieux secrets ira les déterrer ?
Mais ce qui fait sur-tout que l'on doit s'égarer ,
Ce qui n'arrive pas à des débris de pierre ,
On voit ces monumens , vieux fastes de la terre ,
Secontredire entre eux et se contrarier :
Où trouver le secret de les concilier ?
Delabalance entr'eux où prendre l'équilibre ?
Comment se décider , lorsque le choix est libre ?
M. DESAINTANGE
ILS SE SONT EMBRASSÉS !
VAUDEVILLE POPULAIRE ,
Sur l'air : Ne m'entendez-vous pas ?
Ils se sont embrassés !
Telles sont les nouvelles ;
Dites-m'en de plus belles,
Si vous en connoissez .
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Que la plus grande joie
Surnos fronts se déploie
Vous , Anglais , pâlissez !
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés!
Quel profond politique ,
Quel penseur prophétique
L'eût dit les mois passés ?
Ils se sont embrassés .
JUILLET 1807 : 99
Ils se sont embrassés!
Du mal, affreux génie, ....
Tapuissance est finie; ....
Nos voeux sont exaucés .
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
De tous les coeurs sensibles
Les souvenirs pénibles
Vont donc être effacés .....
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés !
Nonobstant la colère
De ce peuple insulaire ,
Dont les fonds sont baissés .....
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés ! .. ....
Dans tous les ports de France,
Marchands, en espérance ,
Déjà vous jouissez .....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés ! ....
Combiennos frères d'armes ,
Après un an d'alarmes ,
Vont être caressés ! ....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés!
Leurs regards débonnaires ,
Aux feux de leurs tonnerres
Sembloient dire : Cessez ! ....
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés !
Qu'ont fait alors nos braves
Et les Russes , plus graves ,
Par l'exemple pressés ? ....
Ils se sont embrassés.
'Ils se sont embrassés !
Je veux voir à la fête
(Que sans doute on apprête ! )
Partout ces mots tracés :
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés ! ....
Ce refrein pacifique
Vant un poëme épique ,
Et nous en dit assez .....
Ils se sont embrassés.
M. DE PIIS, membre de la Légion -d'Honneur
secrétaire général de la Préfecture de Police.
2
100 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGME.
Ja ne puis exister sans l'esprit et le corps ;
Sans être aucun des deux ils sont mes deux ressorts.
Pour ma production , ô merveille étonnante !
Un seul sexe suffit , sans douleur il m'enfante.
Par mon rapide vol je me perds dans les airs :
Je me plais à la ville et me plais aux déserts.
Je suis agent d'amour , une source de haine ,
Un gage précieux de la foi souveraine.
Sur tous les animaux món empire s'étend ,
A mon ordre par fois homme et brute se rend .
J'accorde les humains , c'est moi qui les divise,
A tous ces traits , lecteur , connois- tu ma devise ?
LOGOGRIPHE.
Ce moi qui parle , ami , quatre autres moi rassemble :
Chacun de ces moi n'est pas moi,
Mais ils sont moi tous quatre ensemble.
Quatre ne font donc qu'un……… . Tu t'étonnes , je croi !
Oh ! ce n'est rien ; j'ai bien d'autres merveilles :
Je t'averti , prends garde à toi ,
Si tu m'ôtes mon dernier moi
Je vais t'étourdir les oreilles ;
! ཝཱ, ༣
J'ai pour cela , mon cher , un don particulier .
Au lieu de celui - ci prends plutôt le premier ,
Mets les autres à la renverse,
Et vois quel empire j'exerce :
J'ai chez les miens l'anto ité d'un roi ,
Et ne suis cependant que les trois quarts de moi .
CHARADE.
UNE conjonction te donne mon premier ,
Et tu détestes mon entier , 1.
S'il est traîné par mon dernier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est la lettre E.
Celui du Logogriphe est Escrime , où l'on trouve cri, rime,
Celui de la Charade est Four-bure.
JUILLET 1807 . 101
DE LA MANIÈRE D'ÉCRIRE L'HISTOIRE. ( 1 )
LA Commission des livres classiques a admis , it n'y a pas
long- temps , au nombre des ouvrages qui doivent faire partie
de la bibliothèque des lycées , quelques abrégés d'histoire
par un homme de lettres capable de faire d'excellens abrégés
, s'il est possible d'en faire de bons .
L'accueil favorable fait par la Commission aux abrégés dont
je veux parler , et le grand nombre d'ouvrages de ce genre
qui ont paru récemment , peuvent donner lieu à quelques
considérations générales sur la manière d'écrire l'histoire.
Il y a deux manières principales d'écrire l'histoire. On
peut l'écrire avec tous les détails , avec ceux du moins que
comporte la dignité de l'histoire , et qui méritent d'intéresser
le lecteur : c'est de ce genre que sont les ouvrages de Rollin ,
de Crevier, de Le Beau , de Daniel , de Velly , de Hume , etc.
On peut écrire l'histoire en supprimant les détails des faits
particuliers , pour ne présenter que les faits généraux ,
c'est-à-dire , les causes des événemens , leur ensemble et
leurs résultats : cette méthode est celle de Bossuet , de
Fleury, de Montesquieu , dans les Discours sur l'Histoire
Universelle , et l'Histoire Ecclésiastique , et les Causes de la
Grandeur et de la Décadence des Romains .
Les abrégés tiennent le milieu entre ces deux méthodes ;
et , comme tous les milieux , ils participent des inconvéniens
des deux extrêmes plutôt que de leurs avantages . Ils ont
trop de détails ou n'en ont pas assez , et ils n'offrent ni assez
de prise à la mémoire , ni assez d'exercice à la pensée.
L'histoire proprement dite , l'histoire avec tous ses détails ,
convient aux jeunes gens : à cet âge , on a le loisir de lire ; et
la faculté de retenir est dans toute sa force. Le temps n'est
pas absorbé par les soins de la vie , et la mémoire est vide
encore de souvenirs personnels . Aussi les jeunes gens ne
retiennent que les longues histoires : je veux dire, que s'ils ne
(1 ) Luteur de cet article aperçoit souvent dans ceux qu'il a insérés à ce
Journal , des fautes qui ne sont pas des fautes d'impression , mais des fa….tes
de composition. Il en est qui peuvent être des erreurs de jugement , mais
i ! en est aussi qui viennent de l'impossibilité où est l'auteur de revoir les
épreuves , sur lesquelles il étoit accoutumé de corriger sou travail , et qui
offrent pour cette correction bien plus de facilité que le uranuscrit.
3
100 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGME.
Je ne puis exister sans l'esprit et le corps;
Sans être aucun des deux ils sont mes deux ressorts .
Pour ma production , ô merveille étonnante !
Un seul sexe suffit , sans douleur il m'enfante.
Par mon rapide vol je me perds dans les airs:
Je me plais à la ville et me plais auxdéserts.
Je suis agent d'amour , une source de haine,
Un gage précieux de la foi souveraine.
Sur tous les animaux món empire s'étend ,
A mon ordre par fois homme et brute se rend.
J'accorde les humains , c'est moi qui les divise.
A tous ces traits , lecteur , connois- tu ma devise ?
LOGOGRIPHE.
Ce moi qui parle , ami , quatre autres moi rassemble :
Chacun de ces moi n'est pas moi ,
Mais ils sont moi tous quatre ensemble.
Quatre ne font done qu'un.... Tu t'étonnes , je croi !
Oh! ce n'est rien; j'ai bien d'antres merveilles :
Je t'averti , prends garde à toi ,
Si tu m'ôtes mon dernier moi
Je vais t'étourdir les oreilles;
J'ai pour cela , mon cher , un don particulier .
Au lieu de celui-ci prends plutôt le premier ,
Mets les autres à la renversey
Et vois quelempire j'exerce :
J'ai chez les miens l'anto ité d'un roi,
Et ne suis cependant que les trois quarts de moi.
CHARADE.
Ungconjonction te donne mon premier ,
Et tu détestes mon entier ,
S'il est traîné par mon dernier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier N°. est la lettre E.
Celui du Logogriphe est Escrime, où l'on trouve cri, rime.
Celui de la Charade est Four-bure .
JUILLET 1807 . 101
DE LA MANIÈRE D'ÉCRIRE L'HISTOIRE. (1 )
LA Commission des livres classiques a admis , il n'y a pas
long-temps , au nombre des ouvrages qui doivent faire partiede
la bibliothèque des lycées , quelques abrégé's d'histoire
parunhommede lettres capable de faire d'excellens abrégés
, s'il est possible d'en faire de bons.
L'accueilfavorable fait par la Commission aux abrégés dont
je veux parler , et le grand nombre d'ouvrages de ce genre
qui ont paru récemment, peuvent donner lieu à quelques
considérations générales sur la manière d'écrire l'histoire.
Il y a deux manières principales d'écrire l'histoire . On
peut l'écrire avec tous les détails , avec ceux du moins que
comporte la dignité de P'histoire , et qui méritent d'intéresser
le lecteur : c'est de ce genre que sont les ouvrages de Rollin ,
de Crevier, de LeBeau ,deDaniel , de Velly , de Hume, etc.
On peut écrire l'histoire en supprimant les détails des faits
particuliers , pour ne présenter que les faits généraux ,
c'est-à-dire , les causes des événemens , leur ensemble et
leurs résultats : cette méthode est celle de Bossuet , de
Fleury, de Montesquieu , dans les Discours sur l'Histoire
Universelle , et l'Histoire Ecclésiastique , et les Causes de la
Grandeuret de la Décadence des Romains.
Les abrégés tiennent le milieu entre ces deux méthodes ;
et, commetous les milieux , ils participent des inconvéniens
des deux extrêmes plutôt que de leurs avantages. Ils ont
trop de détails ou n'en ont pas assez , et ils n'offrent ni assez
de prise à la mémoire , ni assez d'exercice à la pensée.
L'histoire proprement dite , l'histoire avec tous ses détails ,
convient auxjeunes gens : à cet âge , on a le loisir de lire ; et
la faculté de retenir est dans toute sa force. Le temps n'est
pas absorbé par les soins de la vie , et la mémoire est vide
encore desouvenirs personnels. Aussi les jeunes gens ne
retiennent que les longues histoires : je veux dire, que s'ils ne
(1) L'auteur decet article aperçoit souvent dans ceux qu'il ainsérés à ce
Journal, des fautes qui ne sont pas des fautes d'impression , mais des fa..tes
de composition. Il en est qui peuvent être des erreurs de jugement, mais
il en est aussi qui viennent de l'impossibilité où est l'auteur de revoir les
épreuves, sur lesquelles il étoit accoutumé de corriger son travail , et qui
offrent pour cette correction bien plus de facilité que le manuscrit .
3
102 MERCURE DE FRANCE ,
retiennent pas tout d'une histoire détaillée , ils ne retiennent
presque rien d'une histoire abrégée , parce que les retranchemens
qu'exige l'abrégé portent principalement sur les
faits , qui sont la partie que les jeunes mémoires reçoivent
avec le plus de facilité , et conservent le plus fidèlement. Ce
sont les détails , et presqu'uniquement les détails même
minutieux qui gravent dans l'esprit des enfans , d'une
manière ineffaçable , le souvenir des événemens auxquels
ils sont liés . Les méthodes de mnemonique , ou de mémoire
artificielle , sont fondées sur cette observation , puisque ces
méthodes consistent à fixer les souvenirs les plus importans
par les plus petits moyens , une frivole consonnance entre
les mots, ou un léger rapport entre les idées. Nous-mêmes ,
lorsque nous cherchons à nous rappeler un homme que
nous avons vu il y a long-temps , et seulement en passant ,
nous nous aidons de très-petites choses , de choses qui ne
sont pas lui : et c'est presque toujours l'habit qu'il portoit ,
les gens qui le servoient , les personnes avec qui il étoit , le
lieu où nous l'avons rencontré , un mot, un geste qui lui
étoit familier , le plus souvent un défaut physique , qui le
représentent à notre pensée, et remettent , pour ainsi dire ,
notre mémoire sur la voie.
Et , pour appliquer cette observation au sujet que nous
traitons , les traits de l'histoire romaine , par exemple , qui
se fixent le mieux dans le souvenir des enfans , ne sont-ils pas
les détails vrais ou faux de la fondation de Rome, de l'en-
Jèvement des Sabines , de la mort de Romulus , du combat
des Horaces , de l'expulsion des Tarquins , de l'entrée des
Gaulois dans Rome , des stratagèmes d'Annibal , etc. etc. ?
Aussi les enfans aiment les histoires , et ils voient finir ,
même les plus longues , avec le regret qu'on éprouve à se
séparer de la compagnie de quelqu'un dont l'entretien nous
a amusés . Si l'on veut que les hommes ne sachent jamais
T'histoire , il faut la faire lire aux jeunes gens dans des abrégés;
et si la plupart savent mieux les histoires anciennes que
celle de leur propre pays , c'est que l'histoire des premiers
peuples et de l'enfance des sociétés , est chargée de détails
imême familiers , le plus souvent extraordinaires , et quelquefois
fabuleux .
La méthode d'histoire qui consiste à supprimer les faits ,
qu'on peut regarder comme le corps de l'histoire , pour n'en
saisir que l'esprit , c'est- à-dire , les causes générales et leurs
effets , convient aux hommes faits ; je dis aux hommes faits ,
parce qu'ilya beaucoup d'hommes qui restent toujours enfans.
Elle convient sur-tout aux hommes publics , qui doivent être
JUILLET 1807 . 103
éminemmentdeshommes faits , puisqu'ils doivent faire et formerles
autres . Acet âge , et sur-tout dans les conditions publiques
, le temps est absorbé par les devoirs ou les attachemens ,
et lamémoire remplie des soins et des pennsseerrss de la vie , des
soucis de la fortune ou de l'ambition . L'homme , en vieillissant
, devenu plus personnel , s'occupe moins du passé que
du présent , et sur-tout de l'avenir; et , de toutes les histoires ,
la sienne propre est celle qui l'intéresse davantage. D'ailleurs ,
la faculté de se ressouvenir s'affoiblit avec l'âge , tandis que
la faculté de réfléchir , de comparer, de juger , acquiert plus
de force par une longue expérience des choses humaines .
La méthode d'histoire qui occupe le moins la mémoire et
exerce le plus le jugement , qui donne à penser beaucoup
plus qu'à retenir , est donc celle qui convient davantage aux
hommes avancés dans la carrière de la vie , ou qui remplissent
les plus importantes fonctions de la vie politique ;
et sans doute aussi qu'il y a une secrète analogie entre notre
position et nos goûts mêmes littéraires : le jeune homme
commence son histoire , le vieillard finit la sienne : l'un en
est aux détails de la vie , et l'autre aux résultats .
D'ailleurs , tout est histoire pour les enfans , et même la
fable; au lieu que , pour les hommes , trop souvent tout est
fable , et même l'histoire. Le jeune homme lit avec la candeur
et la simplicitéde son âge ; l'homme fait litavec son expérience
, et trop souvent avec ses vices. Il a connu les erreurs
inévitables de l'histoire, et il ressent les passions qui altèrent la
fidélité de l'historien , ou égarent son jugement. L'enfant
pèche par excès de crédulité , l'homme par excès dedéfiance ;
et il est vrai aussi que l'histoire , suspecte dans les détails
n'est certaine que dans l'ensemble , parce que le temps , qui
altère les faits , ou même les condamne àl'oubli , découvre , au
contraire , et confirme les résultats . Les jeunes gens s'intéressentà
tout , retiennent tout , parce que la plupart n'ont pas encore
d'affections prédominantes et décidées ; au contraire
T'homme ne retient en général de l'histoire que ce qui flatte
ses passions , ou s'accorde avec ses intérêts . L'homme foible
détournera les yeux de la fermeté stoïque de Caton , l'homme
vain admirera sur-tout les succès oratoires de Cicéron , le
factieux s'arrêtera de préférence sur l'audace de Catilina ' , et
l'ambitieux ne se rappellera que les succès de César.
१
L'abrégé est moins un moyen d'apprendre l'histoire ,
qu'un secours pour en considérer l'esprit et l'ensemble ; et
celui qui voudroit traiter de l'histoire d'un peuple de la
même manière que M. Bossuet a traité de l'histoire de tous
les peuples , seroit obligé de composer pour son propre usage
4
104 MERCURE DE FRANCE ,
un abrégé historique , s'il n'y en avoit pas de fait , et même
un abrégé chronologique qui mit continuellement sous ses
yeux un tableau succinct de tous les faits dont il voudroit
saisir l'ensemble , et de l'ordre dans lequel ils se sont passés.
Les abrégés ne conviennent donc pas aux jeunes gens , qui
doivent lire l'histoire pour la retenir, et non encore pour la
comprendre , et plutôt pour meubler leur mémoire que
pour former leur jugement.
D'ailleurs, l'histoire présente dans ses longues narrations
des modèles de style et de disposition de faits et d'idées
qu'il importe d'offrir aux jeunes gens , qui apprennent ainsi
à exprimer leurs pensées , et à mettre de l'ordre dans leurs
idées , en en mettant dans le discours . Au lieu que l'abrégé,
avec ses réflexions concises , ses pensées plutôt indiquées que
développées , ses faits plutôt notés que racontés , ne leur présente
que des formes raccourcies de style qu'il seroit , à leur
âge , et dans le premier essor de leur imagination , dangereux
d'imiter ; et qui seroient comme des lisières avec lesquelles
on voudroit retenir les pas d'un enfant qu'il faut laisser courir
et sauter. Si je voulois parler à l'imagination , je comparerois
l'histoire détaillée à une personne vivante , revêtue
des plus riches habits ; la méthode opposée , à la même personne
dépouillée de tous ses vêtemens ; et l'abrégé , à un
squelette qui n'offre ni la pompe des ornemens accessoires ,
ni les formes de la vie et de la beauté naturelle .
Mais quelle que fut la méthode que l'on suivit en écrivant
l'histoire , il falloit , dans le dernier siècle , qu'elle fût philosophique
; et une histoire qui n'étoit pas philosophique ,
fût-elle exacte dans le récit des faits , méthodique dans leur
disposition , sage dans les réflexions , et écrite du style le
mieux assorti au sujet , n'étoit , aux yeux de quelques écrivains
, qu'une gazette sans intérêt et sans utilité . Comme la
philosophie bien entendue est la recherche des causes et la
connoissance de leurs rapports avec les effets , on pourroit
croire que la méthode d'histoire regardée alors comme la
plus philosophique , devoit être celle qui présente l'ensemble
et le résumé des faits , dévoile leurs causes , indique leurs
rapports , et puise dans cette connoissance des réflexions
générales sur l'ordre religieux et politique de la société ;
mais on se tromperoit étrangement. Une histoire philosophique
, telle qu'on en faisoit alors , consistoit en exceptions
qu'on donnoit pour des règles , en faits particuliers , et
presque toujours isolés , même en anecdotes ; et plus d'un
écrivain célèbre a été accusé d'en trouver dans son imagination
, quand sa mémoire ne lui en fournissoit pas . Tout
JUILLET 1807 .
105
y étoit particulier , et même personnel ; et il n'y avoit de
général qu'un esprit de haine et de détraction de la politique'
et de la religion modernes . Ainsi il étoit indispensable
pour écrire l'histoire philosophiquement , de donner toujours
aux gouvernemens anciens la préférence sur les gouvernemens
modernes ; et généralement , aux temps du paganisme
sur les temps chrétiens . La liberté se trouvoit nécessairement
dans les constitutions des anciens , toutes plus ou
moins démocratiques , la perfection dans leurs moeurs ; la
vertu étoit le ressort unique de leurs gouvernemens ; et si
leur religion n'étoit pas très-raisonnable , elle étoit tout-àfait
politique. En un mot , il n'y avoit de raison , de génie ,
de courage , d'amour de la patrie, de respect pour les lois ,
d'élévation dans les ames , de dignité dans les caractères
de grandeur dans les événemens , que chez les Grecs et les
Romains . Les Chrétiens ont été le peuple le plus ignorant ,
le plus corrompu , le plus superstitieux , le plus foible
opprimé par ses gouvernemens monarchiques , dégradé
par sa religion absurde ; et plus d'un philosophe leur a
préféré les Mahometans , et même les Iroquois . La religion
chrétienne a été coupable de tous les malheurs du monde ;
ses ministres , de tous les crimes ou de toutes les fautes des
gouvernemens et il étoit tout - à - fait philosophique de
accuser de toute l'ignorance des peuples , quoiqu'elle seule
les ait éclairés ; et de toute leur férocité , quoiqu'elle seule
les ait adoucis.
2
Mais il étoit sur-tout nécessaire , si l'on aspiroit au titre
d'historien philosophe , de s'élever avec amertume , et à
tout propos , contre les prétentions surannées de quelques
papes sur l'autorité temporelle ; et lorsque Pierre , dans ses
derniers temps , suivant la prédiction qui lui a été faite ,
lie par d'autres pouvoirs , étoit souvent mêne là où il ne
vouloit pas aller ( 1 ) , il falloit le représenter comme un
conquérant toujours armé , comme le Jupiter de la Fable
la foudre à la main , ébranlant l'univers d'un mouvement
de ses sourcils. Il eût été peut-être plus philosophique , et
même , je crois , vraiment philosophique , d'observer que
dans des temps où le caractère personnel des rois se ressentoit
des moeurs féroces et grossières des peuples ,
l'administration n'étoit pas plus éclairée que les constitutions
n'étoient définies , l'Europe , encore mal affermie dans les
voies du Christianisme , seroit retombée dans un chaos pire
Qu
(1 ) Cum autem senueris .... alius le cinget et ducet quò tụ non vis,
dit J. C. au Prince des Apôtres , dans Saint-Jean , 21 , 18.
106 MERCURE DE FRANCE ,
que celui dont elle étoit sortie avec tant d'efforts , s'il n'y
avoit eu d'autre recours contre les fautes , ou plutôt contre
les erreurs de rois emportés , que l'insurrection des peuples
barbares ; et qu'il étoit , je ne dis pas utile , mais nécessaire
que les peuples vissent quelque pouvoir au-dessus de celui
de leurs maîtres , de peur qu'ils ne fussent tentés d'y placer
leleur. Ce sont ces rigueurs , quelquefois excessives et peu
mesurées , qui ont accoutumé au joug des lois ces enfans
indociles qu'il falloit châtier avec la verge , en attendant de
pouvoir un jour les guider par une raison plus éclairée ; et
l'Europe aujourd'hui n'avoit pas plus à craindre le retour
de ces mesures sévères , que l'homme fait ne peut redouter
les corrections de l'enfance. La religion puníssoit des rois
enfans par l'excommunication ; quand ils sont devenus
grands , et qu'ils ont eu secoué le joug de leur mère , la
philosophie les a punis par l'échafaud. Les rigueursde la
religion ne pouvoient produire aucune révolution populaire ,
parce que le même pouvoir qui réprimoit les rois eût réprimé
les peuples , et même eût été plus fort contre les
peuples que contre les rois . Mais la philosophie a été aussi
impuissante contre les peuples qu'elle a été forte contre les
rois : elle a reconnu , mais trop tard ( pour me servir des
parolesdeM.1.ddee Condorcet) , que la force du peuple peut
devenir dangereuse pour lui-même ; et après lui avoir appris
à en faire usage , lorsqu'elle a voulu lui enseigner à la
soumettre à la loi, elle a éprouvé que ce second ouvrage ,
qu'elle ne croyoit pas , à beaucoup près , si long et si pénible
que le premier, étoit non-seulement moins aisé , mais toutà-
fait impossible : et le monde a appris , par une mémorable
expérience , llaa véerité de cette parole , que les roisne règnent
que par Dieu , et qu'il ne faut pas moins que le pouvoir
divin pour contenir le pouvoir populaire..
Il étoit donc extrêmement philosophique de méconnoître
tout ce que les papes ont fait pour la civilisation du monde ;
et si quelques-uns d'entr'eux ont trouvé grace aux yeux des
philosophes du dix-huitième siècle , c'est pour avoir favorisé
la culture et récompensé les progrès des arts agréables ,
quoiqu'à vrai dire , et pour employer plus à propos le mot
connu d'un bon évêque , ce ne soit pas là ce qu'ils aient fait
de mieux : car les historiens philosophes faisoient consister
toute la civilisation de l'Europe dans les arts , et sur-tout
dans le commerce. Une nation étoit à leurs yeux plus honorée
par les talens de ses artistes , les découvertes de ses
savans , l'industrie de ses cominerçans , que par la science
de son clergé, le dévouement de ses guerriers , l'intégrité
JUILLET 1807 . 107
de ses magistrats ; et en même temps que la philosophie
déclamoit contre le fanatisme de ces hommes qui alloient ,
au péril de leur vie , porter à des peuples barbares notre
religion et nos lois , elle admiroit l'industrie qui leur portoit
des couteaux , des grains de verre et de l'eau-de-vie,
Au reste, dans ces histoires philosophiques , la politique
'n'étoit pas mieux traitée que la religion , ni les rois plus
ménagés que les papes ; et lorsque la sévérité des jugemens
philosophiques n'étoit pas désarmée par des pensions ou
des louanges , ou contenue par la crainte , les rois n'étoient .
que des mangeurs d'hommes ; leurs négociations n'étoient
que fausseté , leurs guerres que barbarie , leurs adminis
trations qu'avidité , leurs acquisitions qu'ambition ; et leurs
fautes passoient pour des crimes. Cependant ces mêmes
actions , si odieuses dans un prince chrétien , pouvoient
être excusées sur l'intention dans un prince philosophe , ou
même jugées dignes des plus grands éloges. Un roi qui
auroit négocié auprès du grand-seigneur la reconstruction
du temple de Jérusalem , ou mis le feu à l'Europe pour
renverser la religion chrétienne et s'emparer des principautés
ecclésiastiques , eût été déclaré grand homme , et
bienfaiteur de l'humanité ; et pourvu que la philosophie
fût accueillie , et ses adeptes honorés , l'administration la
plus despotique , les forfaits même les plus odieux , trouvoient
grace aux yeux des philosophes : et nous en avons vu
d'illustres exemples .
Ondoit remarquer encore que , dans ces histoires philosophiques
, on parle beaucoup de destin et de fatalité : ces
mots reviennent fréquemment , même dans l'Histoire récemment
publiée de l'Anarchie de la Pologne , histoire où il y a
un grand éclat de style , quoiqu'avec un peu trop de complaisance
à rechercher des motifs et à tracer des portraits .
Le destin est en politique ce que le hasard est en physique ;
et comme le hasard n'est , suivant Leibnitz , que l'ignorance
des causes naturelles , le destin et la fatalité ne sont que
l'ignorance des causes politiques et , certes , il y a eu
beaucoup de ce destin dans la conduite de tous les cabinets
de l'Europe.
Une histoire véritablement philosophique doit être composée
dans des principes différens , et présenter d'autres
résultats. Dans ce genre , nous avons des modèles : et les
Discours de M. Bossuet sur l'Histoire universelle sont les
plus remarquables . C'est assurément une pensée éminemiment
philosophique que celle qui ramène tous les événemens
de l'univers ,toute l'histoire des peuples , à un événement
108 MERCURE DE FRANCE ,
véritablement universel , cause secrète de toutes les révolutions
du monde , parce qu'il est la fin de toutes les choses
humaines; et qui montre l'ordre général sortant du sein
des désordres particuliers , et les conseils immuables de la
Divinité accomplis même par les passions des hommes.
Sans doute une si haute philosophie ne pouvoit trouver
sa place que dans le sujet qu'a choisi M. Bossuet ; et
l'Histoire de l'Etablisseinent et des Progrès du Christianisme
, société universelle quant aux vérités , aux temps et
aux hommes , ne pouvoit être qu'une Histoire universelle.
Mais cette même manière de considérer les événeinens
d'en saisir l'esprit et l'ensemble , et de les ramener tous à
des points de vue généraux , peut être appliquée avec succès
àl'histoire politique d'une société particulière ; et c'est alors
que l'étude de l'histoire est digne des esprits les plus élevés,
et peut offrir d'utiles leçons aux homines publics .
Ou raconte que M. d'Aguesseau , fort jeune encore , fut
rendre visite au Père Malebranche , qui ne manqua pas de
l'interroger sur ses études. D'Aguesseau lui dit qu'il s'occupoit
beaucoup d'histoire le P. Malebranche sourit ,
comme il auroit fait à l'aveu d'une foiblesse qui demanderoit
de l'indulgence ; et il conseilla au jeune homine de
s'appliquer un peu moins à retenir des faits toujours les
memes , et souvent incertains , et un peu plus à connoître
les principes où se trouve la raison de tout, et même des
faits historiques. Sans doute le sévère métaphysicien alloit
un peu loin ; mais son opinion prouve qu'un esprit solide
et étendu doit chercher dans l'étude de l'histoire autre chose
que des faits et des dates , et que si l'histoire de l'homme se
trouve dans des faits particuliers , ce n'est que dans l'ensemble
ou la généralité même des faits qu'on peut étudier
P'histoire de la société .
Je crois même qu'à l'âge où elle est parvenue , lorsque
lavie la plus longue peut à peine suffire à apprendre l'histoire
de son pays , ou même de son temps , et que des
abrégés de toutes les histoires composeroient à eux seuls
une immense bibliothèque , on doit peut - être considérer
P'histoire d'une manière encore plus philosophique , ou , si
l'on veut, plus métaphysique ,pour en tirer des règles générales
applicables à toutes les circonstances de l'histoire et à
laconduite des gouvernemens , à-peu -près comme les géomètres
considèrent la quantité , et cherchent dans leur
analyse des formules applicables à tous les calculs de la
quantité en nombre et en étendue.
Et pour mieux faire entendre toute ma pensée , je ne
JUILLET 1807 . 109
peux m'empêcher d'observer que le mot analyse, en passant
de la langue des lettres dans celle des sciences , a reçu une
acception un peu différente . Analyser un discours , signifie ,
selon le Dictionnaire de l'Académie , le réduire à ses parties
principales , pouren mieux connoitre l'ordre et la suite : cette
signification se rapproche assez de celle que la chimie donne
aumot analyse, qu'elle emploie pour exprimer la réduction ,
la résolution d'un corps dans ses principes ; mais l'analyse
géométrique est le procédé par lequel on opère sur la généralité
même des quantités , et où l'on simplifie en généralisant
; au lieu que la littérature , et même la chimie , simplifient
en diminuant et en abrégeant. Il semble que les
géomètres , qui avoient déjà le mot algèbre , auroient dû s'en
contenter ; ne pas multiplier assez inutilement les homonymes
, qui dans toute langue sont une imperfection , et
s'informer , avant de détourner ce mot à leur usage particulier
, si le public ne l'avoit pas déjà employé à un autre
usage.
Quoiqu'il en soit de cette observation , lorsque les progrès
des sciences physiques ou de nos besoins , ont rendu insuffi
sans, ou d'une pratique trop difficultueuse , les procédés de
Parithmétique ordinaire ou les démonstrations de la géométrie
linéaire , on a inventé l'algebre ou l'analyse , qui
au moyen de quelques signes abstraits , représentatifs de
toutes tes les valeurs particulières , réelles ou possibles , opère
sur la généralité des quantités numériques ou étendues ,
et réduit à desformules ou expressions générales la solution
des problèmes que présente la combinaison infinie de leurs
rapports. Ne peut -on pas transporter cette idée dans la
science politique , et généraliser aussi dans trois personnes
publiques ou sociales , exprimées par des dénominations
générales , absolument tous les individus qui composent la
société la plus nombreuse , et leurs diverses fonctions dans
la société , la personne qui commande , la personne qui
obéit , et la personne qui transmet à l'une les lois émanées
de l'autre , et sert à leur exécution ? Mais il y a cette différence
entre les signes qu'emploie l'analyse géométrique , et
ceux dont l'analyse politique peut se servir, que les premiers,
a , b , x , y, ne signifient rien par eux-mêines parcequ'ils
représentent que des quantités abstraites ,, toutesdemême
espèce , et qui n'ont d'autre rapport entre elles que des rapports
en plus ou en moins ; au lieu que les signes ou expressions
de l'analyse politique , pouvoir , ministre , sujet ,
s'appliquant à la société et à un ordre de rapports qui classent
les êtres intelligens dans des fonctions de nature différente ,
ne
,
*
110 MERCURE DE FRANCE ,
doivent signifier et signifient par eux-mêmes l'espèce et la
diversité de ces rapports .
L'auteur de cet article a présenté ces idées avec plus
d'étendue dans un autre ouvrage ( 1 ) ; il en a même fait voir
le rapport avec des notions encore plus générales , et même
les plus générales qu'il soit possible à la raison de concevoir ;
et il ne se permet d'insister encore sur cette manière de
considérer la société , que dans l'intime conviction que c'est
uniquement sur cette base qu'on peut élever l'édifice de
la science historique et politique , science que Leibnitz ,
au commencement du dernier siècle , trouvoit fort peu
avancée , et qui depuis a plus perdu qu'elle n'a gagné.
Et pour continuer la comparaison que j'ai établie entre
l'analyse géométrique et l'analyse politique : la vérité de
cette formule politique qui classe tous les individus de la
société sous les dénominations générales de pouvoir , ministre
, sujet , une fois reconnue , le grand problème de la
souveraineté du peuple eût été résolu ; et la raison auroit
jugé contre les passions que les deux personnes extrêmes
de la société , distinctes l'une de l'autre , ne pouvoient pas
être confondues en une seule , ni le sujet devenir pouvoir,
sans absurdité dans les termes , et par conséquent dans l'idée .
Les rapports qui existent entre ces trois personnes publiques
, forment les lois politiques ; et leur manière d'être
fixe ou mobile , c'est-à-dire héréditaire ou temporaire ,
forme les différentes constitutions des Etats. Ainsi , dans le
gouvernement monarchique , où le pouvoir et le ministre ,
qu'on appelle le roi et la noblesse, sont fixes ou héréditaires ,
l'étatdu sujet , au bonheur de qui se rapporte toute la société ,
est fixe aussi et héréditaire : ce qui veut dire que l'acquisi
tion , la jouissance et la transmission paisible de sa propriété
morale et physique sont pleinement assurées , et
mieux garanties contre les révolutions que dans toute autre
combinaison de société . Là où le pouvoir et ses fonctions
confondus dans des corps délibérans sont mobiles ou temporaires
, ce qui constitue la démocratie, l'état du sujet est
aussi mobile ou incertain , et la famille plus exposée à
souffrir des troubles et des révolutions de l'Etat. Lorsque le
pouvoir est héréditaire et le ministre électif ou temporaire ,
comme en Turquie , ou que le pouvoir est électif, et le
ministère héréditaire comme autrefois en Pologne , ces deux
états de société opposés en apparence , ne remplissent pas
mieux l'un que l'autre la fin de toute société , qui est la
(1) De la Législation Primitive.
JUILLET 1807. fif
sûreté et la stabilité du sujet ; et quoique un peu plus stables
que ladémocratie pure , parce qu'il y a quelque cliose d'héréditaire
, ils n'ont pas la force et la stabilite d'une monarchie
régulière où tout est héréditaire , ministère comme le
pouvoir.
C'est dans ces principes que se trouve la raison de l'état
différent des deux sociétés grecque et romaine : l'une plus
mobile , plus agitée , parce qu'il n'y avoit aucune fixité dans
les personnes publiques; l'autre plus stable et plus forte ,
parce qu'ily avoit de l'hérédité dans le patriciat , qui est le
corps des ministres exerçant le pouvoir comme la noblesse ,
ou le corps des ministres exerçant les fonctions publiques
sous les ordres du pouvoir.
Cette confusion des deux premières personnes qui doivent
êtredistinctes , et la mobilité de l'une et de l'autre , rendent
raison des troubles qui déjà s'élèvent au sein des Etats-Unis
d'Amérique , et qui tôt ou tard ameneront la ruine de cette
république , fille chérie de la philosophie du dix-huitième
siècle , et aussi foible de constitution que sa mère. Avec
ces principes , M. de Montesquieu se fût bien gardé de
hasarder sur l'éternité de la république suisse, une prophétie
qui devoit être quarante ans après démentie par l'événement;
et il auroit jugé que si la force et la stabilité des
monarchies voisines contenoient à leur place ces pièces
politiques mal assemblées , le moindre ébranlement dans
laconstitution générale de l'Europe devoit entraîner leur
dissolution .
On peut voir dans ces divers exemples l'application de
l'histoire à la politique , et la preuve de la politique par
l'histoire ; et ils servent à montrer que cette manière métaphysique
ou générale de considérer la société politique ,
n'est pas une manière abstraite ; mais qu'elle se prête au
contraire aux développemens historiques les plus positifs ,
et s'applique avec la même justesse àla société domestique
et à la société religieuse .
Il échappa un Jour à l'auteur de cet article , s'entretenant
avec un homme de beaucoup d'esprit , de lui dire qu'il
croyoit possible de faire l'histoire d'une société sans nommer
aucun des rois qui l'ont gouvernée. Ce propos hasardé
comme une plaisanterie, et pour répondre par un excès du
même genre , au reproche , peut-être fondé , de trop généraliser
les objets , n'est cependant pas dépourvu de fondement
: et d'après ce que nous venons dedire , on aperçoit
que le pouvoir dans une monarchie régulière étant héréditaire
et indivisible, passant tout entier et toujours le même ,
112 MERCURE DE FRANCE ,
sans interruption comme sans partage , d'un monarque à
l'autre , et précédant tous ceux qui naissent , survivant à
tous ceux qui meurent , la plus longue suite de rois ne
forme jamais qu'un même pouvoir ou une même royauté.
Or , l'histoire politique d'une société n'est que l'histoire de
son pouvoir. J'irai même plus loin : et je ferai remarquer
que même autrefois en France et dans nos maximes de
droit public , nous considérions le pouvoir d'une manière
tout-à-fait métaphysique , et abstraction faite de tout individu
, puisque nous disions que le roi ne meurt pas en
France; et que nous exprimions par cette locution très-générale,
etqu'on ne peut assurément pas prendre dans un sens
particulier , la perpétuité et en quelque sorte l'immortalité
du_pouvoir.
Et pour ne parler ici que du pouvoir , et faire l'application
à notre propre histoire ,de cette manière générale de
considérer cette première des personnes publiques , cause
politique de tous les effets , c'est-à-dire de tous les faits de la
société , on peut remarquer dans l'histoire , ou plutôt dans la
vie politique de la France, trois âges du pouvoir, qui sont, à
la vérité, plusdistincts en France quedans toute autre société,
parce qu'ils correspondent en général et assez exactement à
ce que nous appelons les trois races de nos rois ; mais qui
représentent tous les âges du pouvoir dans toutes les sociétés,
c'est-à-dire toutes ses manières possibles d'être. Au premier
âge , le pouvoir étoit personnel , et en quelque sorte domestique,
comme il l'est dans toute société qui commence. De là
vient qu'il se partageoit entre les enfans comme une succession
de famille , parce que l'homme qui avoit commencé la
société en en conquérant le pouvoir , en disposoit comme
d'un bien propre. Au second âge , le pouvoir est devenu
public par la transmission indivisible , héréditaire , par la
loi constante de la primogéniture , ajoutée à celle de la masculinité
, par la distinction et l'hérédité du ministère public
ou de la noblesse , qui est l'action constitutionnelle du pouvoir.
Au troisième âge , le pouvoir est insensiblement devenu
populaire par l'influence de certaines doctrines et la
contagion de quelques exemples. La fonction judiciaire , la
force armée , ont passé peu à peu aux mains de la troisième
personne, que nous appellions en France tiers-étai ; et même
de nos jours , le pouvoir lui-même est tombé tout entier
aux mains de la multitude.
Ainsi , au premier âge , le pouvoir a péri par l'usurpation
qu'en ont faite les rois eux-mêmes , qui l'ont partagé comme
un patrimoine ; et au dernier , il a péri par l'usurpation du
peuple
JUILLET 1807 .
peuple qui l'a partagé comme une proie . Car , au second
âge , si le matériel du pouvoir , le territoire et la force qui
en dépend avoient été usurpés par les grands feudataires , le
moral du pouvoir , ou le pouvoir moral s'étoit conservé tout
entier dans la suzeraineté lien puissant , qui a empêché
dans les temps périlleux , la dissolution totale de la France ,
et à servi à retenir ce qu'on ne pouvoit encore reprendre .
:
Mais comme le présent conserve toujours quelque chose
du passé , toutes les causes de destruction qui avoient agi
dans les deux premiers âges , se sont combinées dans le
dernier pour opérer l'anéantissement du pouvoir . Ainsi
l'on retrouvoit encore de nos jours quelques restes des partages
de famille usités au premier age , et même du pouvoir
exorbitant des grands feudataires pendant le second ,
dans la loi des apanages , par laquelle les princes du sang
royal , membres à la fois de la famille régnante et grands
de l'Etat , étoient dotés en terres , en titres de provinces en
prérogatives , au lieu d'être pensionnés comme les princes
des autres maisons royales de l'Europe : loi dangereuse qui
donnoit aux princes une existence incompatible avec le
repos de l'Etat et sa véritable force , et qui a été cause que
dans tous ses âges , et particulièrement dans l'âge de la révolution
, la France a été plus troublée par les intrigues et les
prétentions des princes factieux qu'aucun autre Etat de l'Eu- '
rõpe , et même moins servie par les talens des princes
vertueux , parce que les rois ont craint souvent de confier
de grandes fonctions , et peut - être d'inspirer de grandes
vertus à des hommes à qui la loi donnoit quelque participation
aux honneurs , et même à la réalité du pouvoir. ( 1 )
Ces trois âges du pouvoir, personnel , public et populaire ;
rendent raison de tous les accidens de la société ; ils comprennent
tous les périodes du pouvoir , sa naissance , sa vie
et sa mort , et expliquent à la fois et les différens rapports
sous lesquels le pouvoir a été considéré , et les divers sentimens
qu'il a excités .
Au premier âge , le roi étoit plutôt le chef de la première
famille et le plus grand propriétaire . Au second , il étoit le'
premier seigneur haut - justicier , suzerain de tout le territoire
, et de qui relevoient tous ceux qui l'habitoient ; et pour
le dire en passant , l'expression de relever alors usitée , pré-
(1 ) Les inconvéniens de cette loi étoient sentis par de bons esprits ; et
je crois que sous Louis XV , M. de Machaut proposa au conseil la conversion
des apanages en ensions.
H
110 MERCURE DE FRANCE ,
doivent signifier et signifient par eux-mêmes l'espèce et la
diversité de ces rapports.
L'auteur de cet article a présenté ces idées avec plus
d'étendue dans un autre ouvrage ( 1 ) ; il en a même fait voir
le rapport avec des notions encore plus générales , et même
les plus générales qu'il soit possible à la raison de concevoir ;
et il ne se permet d'insister encore sur cette manière de
considérer la société , que dans l'intime conviction que c'est
uniquement sur cette base qu'on peut élever l'édifice de
la science historique et politique , science que Leibnitz ,
au commencement du dernier siècle , trouvoit fort peu
avancée , et qui depuis a plus perdu qu'elle n'a gagné .
Et pour continuer la comparaison que j'ai établie entre
l'analyse géométrique et l'analyse politique la vérité de
cette formule politique qui classe tous les individus de la
société sous les dénominations générales de pouvoir , ministre
, sujet , une fois reconnue , le grand problème de la
souveraineté du peuple eût été résolu ; et la raison auroit
jugé contre les passions que les deux personnes extrêmes
de la société , distinctes l'une de l'autre , ne pouvoient pas
être confondues en une seule , ni le sujet devenir pouvoir,
sans absurdité dans les termes , et par conséquent dans l'idée .
Les rapports qui existent entre ces trois personnes publiques
, forment les lois politiques ; et leur manière d'être
fixe ou mobile , c'est- à-dire héréditaire ou temporaire ,
forme les différentes constitutions des Etats. Ainsi , dans le
gouvernement monarchique , où le pouvoir et le ministre
qu'on appelle le roi et la noblesse, sont fixes ou héréditaires ,
l'état du sujet , au bonheur de qui se rapporte toute la société ,
est fixe aussi et héréditaire : ce qui veut dire que l'acquisition
, la jouissance et la transmission paisible de sa propriété
morale et physique sont pleinement assurées , et
mieux garanties contre les révolutions que dans toute autre
combinaison de société . Là où le pouvoir et ses fonctions
confondus dans des corps délibérans sont mobiles ou temporaires
, ce qui constitue la démocratie , l'état du sujet est
aussi mobile ou incertain , et la famille plus exposée à
souffrir des troubles et des révolutions de l'Etat. Lorsque le
pouvoir est héréditaire et le ministre électif ou temporaire ,
comme en Turquie , ou que le pouvoir est électif , et le
ministère héréditaire comme autrefois en Pologne, ces deux
états de société opposés en apparence , ne remplissent pas
mieux l'un que l'autre la fin de toute société , qui est la
(1 ) De la Législation Primitive.
JUILLET 1807 :
sûreté et la stabilité du sujet ; et quoique un peu plus stables
que la démocratie pure , parce qu'il y a quelque chose d'héréditaire
, ils n'ont pas la force et la stabilité d'une monarchie
régulière où tout est héréditaire , ministère comme le
pouvoir.
C'est dans ces principes que se trouve la raison de l'état
différent des deux sociétés grecque et romaine : l'une plus
mobile , plus agitée , parce qu'il ny avoit aucine fixité dans
les personnes publiques ; l'autre plus stable et plus forte
parce qu'il y avoit de l'hérédité dans le patriciat , qui est le
corps des ministres exerçant le pouvoir comme la noblesse ,
ou le corps des ministres exerçant les fonctions publiques
sous les ordres du pouvoir.
Cette confusion des deux premières personnes qui doivent
être distinctes , et la mobilité de l'une et de l'autre , rendent
raison des troubles qui déjà s'élèvent au sein des Etats - Unis
d'Amérique , et qui tôt ou tard ameneront la ruine de cette
république , fille chérie de la philosophie du dix-huitième
siècle , et aussi foible de constitution que sa mère. Avec
ces principes , M. de Montesquieu se fût bien gardé de
hasarder sur l'éternité de la république suisse , une prophétie
qui devoit être quarante ans après démentie par l'événement
; et il auroit jugé que si la force et la stabilité des
monarchies voisines contenoient à leur place ces pièces
politiques mal assemblées , le moindre ébranlement dans
la constitution générale de l'Europe devoit entraîner leur
dissolution.
On peut voir dans ces divers exemples l'application de
l'histoire à la politique , et la preuve de la politique par
l'histoire et ils servent à montrer que cette manière metaphysique
ou générale de considérer la société politique
n'est pas une manière abstraite ; mais qu'elle se prête au
contraire aux développemens historiques les plus positifs ,
et s'applique avec la même justesse à la société domestique
et à la société religieuse.
Il échappa un jour à l'auteur de cet article , s'entretenant
avec un homme de beaucoup d'esprit , de lui dire qu'il
croyoit possible de faire l'histoire d'une société sans nommer
aucun des rois qui l'ont gouvernée. Ce propos hasardé
comme une plaisanterie , et pour répondre par un excès du
même genre , au reproche , peut- être fondé , de trop géné–
raliser les objets , n'est cependant pas dépourvu de fondement
: et d'après ce que nous venons de dire , on aperçoit
que le pouvoir dans une monarchie régulière étant hérédi
taire et indivisible , passant tout entier et toujours le même ,
I12 MERCURE DE FRANCE ,
que
sans interruption comme sans partage , d'un monarque à
l'autre , et précédant tous ceux qui naissent , survivant à
tous ceux qui meurent , la plus longue suite de rois ne
forme jamais qu'un même pouvoir ou une même royauté.
Or , l'histoire politique d'une société n'est que l'histoire de
son pouvoir. J'irai même plus loin et je ferai remarquer
même autrefois en France et dans nos maximes de
droit public , nous considérions le pouvoir d'une manière
tout-à-fait métaphysique , et abstraction faite de tout individu
, puisque nous disions que le roi ne meurt pas en
France; et que nous exprimions par cette locution très-géné-
`rale , et qu'on ne peut assurément pas prendre dans un sens
particulier , la perpétuité et en quelque sorte l'immortalité
du pouvoir.
Et pour ne parler ici que du pouvoir , et faire l'application
à notre propre histoire , de cette manière générale de
considérer cette première des personnes publiques , cause
politique de tous les effets , c'est-à-dire de tous les faits de la
société , on peut remarquer dans l'histoire , ou plutôt dans la
vie politique de la France , trois âges du pouvoir, qui sont , à
la vérité , plus distincts en France que dans toute autre société,
parce qu'ils correspondent en général et assez exactement à
ce que nous appelons les trois races de nos rois ; mais qui
représentent tous les âges du pouvoir dans toutes les sociétés,
c'est-à -dire toutes ses manières possibles d'être. Au premier
âge , le pouvoir étoit personnel , et en quelque sorte domestique
, comme il l'est dans toute société qui commence . De là
vient qu'il se partageoit entre les enfans comme une succession
de famille , parce que l'homme qui avoit cominencé la
société en en conquérant le pouvoir , en disposoit comme
d'un bien propre. Au second âge , le pouvoir est devenu
public par la transmission indivisible , héréditaire , par la
loi constante de la primogéniture , ajoutée à celle de la masculinité
, par la distinction et l'hérédité du ministère public
ou de la noblesse , qui est l'action constitutionnelle du pouvoir.
Au troisième âge , le pouvoir est insensiblement devenu
populaire par l'influence de certaines doctrines et la
contagion de quelques exemples. La fonction judiciaire , la
force armée , ont passé peu à peu aux mains de la troisième
personne, que nous appellions en France tiers-étal; et même
de nos jours , le pouvoir lui-même est tombé tout entier
aux mains de la multitude.
Ainsi , au premier âge , le pouvoir a péri par l'usurpation
qu'en ont faite les rois eux-mêmes , qui l'ont partagé comme
un patrimoine ; et au dernier , il a péri par l'usurpation du
peuple
JUILLET 1807 .
1
5.
peuple qui l'a partagé comme une proie. Car , au second
âge, si le matériel du pouvoir , le territoire et la force qui
en dépend avoient été usurpés par les grands feudataires , le
moraldu pouvoir , ou le pouvoir moral s'étoit conservé tout
entier dans la suzeraineté : lien puissant , qui a empêché
dans les temps périlleux , la dissolution totale de la France ,
et à servi à retenir ce qu'on ne pouvoit encore reprendre.
Mais comme le présent conserve toujours quelque chose
du passé , toutes les causes de destruction qui avoient agi
dans les deux premiers âges , se sont combinées dans le
dernier pour opérer l'anéantissement du pouvoir. Ainsi
l'on retrouvoit encore de nos jours quelques restes des partages
de famille usités au premier âge , et même du pouvoir
exorbitant des grands feudataires pendant le second ,
dans la loi des apanages , par laquelle les princes du sang
royal , membres à la fois de la famille régnante et grands
de l'Etat , étoient dotés en terres , en titres de provinces en
prérogatives , au lieu d'être pensionnés comme les princes
des autres maisons royales de l'Europe : loi dangereuse qui
donnoit aux princes une existence incompatible avec le
repos de l'Etat et sa véritable force , et qui a été cause que
dans tous ses âges , et particulièrement dans l'âge de la révolūtion
, la France a été plus troublée par les intrigues et les
prétentions des princes factieux qu'aucun autre Etat de l'Eu-
горе , et même moins servie par les talens des princes
vertueux , parce que les rois ont craint souvent de confier
de grandes fonctions , et peut - être d'inspirer de grandes
vertus à des hommes à qui la loi donnoit quelque participation
aux honneurs , et même à la réalité du pouvoir. (1)
Ces trois âges du pouvoir, personnel , public et populaire ,
rendent raison de tous les accidens de la société ; ils -comprennent
tous les périodes du pouvoir , sa naissance , sa vie
et sa mort , et expliquent à la fois et les différens rapports
sous lesquels le pouvoir a été considéré , et les divers sentimens
qu'il a excités .
Au premier âge, le roi étoit plutôt le chef de la première
famille et le plus grand propriétaire . Au second , il étoit le
premier seigneur haut -justicier , suzerain de tout le territoire
, et de qui relevoient tous ceux qui l'habitoient ; et pour
le dire en passant , l'expression de relever alors usitée , préi
(1) Les inconvéniens de cette loi étoient sentis par de bons esprits ; et
je crois que sous Louis XV , M. de Machaut proposa au conseil la conversion
des apanages en ensions .
H
114 MERCURE DE FRANCE ,
sente des idées plus fières et plus nobles que celle de dépendre:
Au troisième âge , et comme je l'ai dit plus haut , depuis la
propagation de certaines doctrines politiques , et par l'influence
de quelques exemples , le roi étoit plutôt considéré
comme un premierfonctionnaire du peuple souverain , un
magistrat suprême , un président d'assemblée délibérante.
Il est aisé de voir que de ces trois manières de considérer le
pouvoir , celle qui présente les rapports les plus justes sur
la nature et la prééminence de la royauté , qui ne doit être
ni concentrée dans des idées personnelles et domestiques , ni
compromise dans des délibérations populaires , et celle de
seigneur , expression qui rappelle originairement la supériorité
de l'âge senior , et par conséquent des idées de raison
et de justice. Cette justice exercée sur un territoire déterminé
s'appelle lajurisdiction , premier attribut du pouvoir
qui comprend tous les autres , et qui lui donne action contre
les méchans qui troublent la sûreté du territoire soumis
à sa jurisdiction ; action sur les bons pour les employer
à la défense du territoire et à l'appui de la jurisdiction . Cette
expression de seigneur convenoit d'autant mieux au pouvoir ,
image du ministre de la Divinité , que Dieu lui -même
s'appelle ainsi dans ses relations avec la société humaine.
Ces divers rapports sous lesquels on a considéré le pouvoir
en France à ses divers âges , ont dû produire des sentimens
différens . Au premier âge , le pouvoir plus personnel
étoit plus redouté , parce qu'il étoit plus arbitraire .
L'homme vouloit, et quelquefois exécutoit tout à-la-fois ,
comme on le voit fréquemment dans l'histoire de Clovis et
des autres rois demi-barbares de la première race . Alors ,
la loi étoit souvent un caprice , son exécution une violence ;
le roi , un despote ; et ses ministres , des satellites . Au
troisième âge , le pouvoir le plus familier si j'ose le dire , le
plus populaire , a reçu peut-être plus de témoignages extérieurs
d'affection. Mais au second âge, le pouvoir plus
affermi par les institutions publiques , élevé hors de la
portée des sujets , plus absolu par conséquent , (car le foible
Louis XIII avoit un pouvoir plus absolu que le fort Clovis)
a été plus respecté; et par-là , mieux défendu contre lesprécautions
de la crainte , et même contre les inconstances
de l'amour : car, il faut bien l'avouer, ce n'est que depuis
que les rois ont été tant aimés , qu'il a fallu les entourer de
gardes . C'est que la crainte ou l'affection , sentimens tout
humains , participent de la mobilité et de la légèreté de
T'homme; au lieu que le respect qui se compose à la fois
d'amour et de crainte , est un sentiment profond et religieux
JUILLET 1807 . 115
etde la même nature que celui que nous devons à la divinité;
et tandis que les revers auxquels les rois sont exposés , autant
etplus que les autres hommes, changent la crainte en mépris,
etque les caprices du peuple changent ses affections en haine,
le respect fondé sur des motifs supérieurset un sentimentprofond
de la nécessité du pouvoir, reçoit du malheur des rois
un plus auguste caractère et ne s'affoiblit même pas par leurs
injustices ou par leurs fautes. Et certes , on trouve dans notre
histoire , et je crois seulement chez nous , une preuve bien
forte et tout-à- fait extraordinaire du respect religieux qui
s'attachoit autrefois à la royauté, dans la persuasion où l'on
étoit en France , que les rois àleur sacre faisoient des miracles
et guérissoient les écrouelles par leur attouchement : idée
sublime, et qui n'est que le voile de cette grande vérité , qu'il
n'y a pas d'infirmité sociale que la religion et laroyauté agissant
de concert ne puissent guérir. Ilfautavoir lecourage
de le dire , et de braver l'odieux dont ceux qui ont voulu
retenir les chefs des nations dans cette popularité ( 1 ) qui a
perdu les peuples et les rois , ont chargé cette expression :
au second âge le pouvoir étoit feodal , c'est-à-dire , qu'il
exigeoit non pas seulement l'obeissance , mais la fidélité des
sujets comme le prix de la justice et de la protection qu'il
accordoit à la religion , à la morale , à la propriété , à la
jouissance paisible et assurée de tous les avantages de la
société. Et n'est-ce pas au même titre que Dieu lui-même
exige la fidélité de la part des hommes , qu'il a placés sur la
terre , et qu'il a entourés de tout ce qui peut suffire à leurs
besoins et contribuer à leur bonheur.
Et à ce propos , je ne peux m'empêcher d'admirer l'étrange
idée qui saisit tout-à-coup l'Assemblée Constituante , lorsqu'elle
se persuada qu'il étoit beaucoup plus conforme aux
notions d'une véritable liberté politique de dire : roi des
Français , que roi de France; chef des hommes , plutôt que
seigneur justicier du territoire , et qu'elle substitua ainsi une
dénomination populaire à un titre public ou féodal. Il y a
précisément entre les relations dont ces deux expressions
présentent l'idée , la même différence qu'entre les relations
de domestique attaché au service personnel du maître , et
de locataire qui habite la maison d'un propriétaire. Cette
comparaison estd'autant plus juste que partout et sous toutes
(1) Je prends le mot dans un sens politique , et non dans le sens usuel
qui signifie affabilité. J'en avertis pour ceux qui feignent de ne pas
entendre le sens dans lequel un écrivain emploie certaines expressions ,
pour pouvoir lui en faire des crimes.
H2
116 MERCURE DE FRANCE ,
les formes possibles de gouvernement , le pouvoir public
représentant l'Etat tout entier , est nécessairement propriétaire
universel du territoire , non (qu'on y prenne bien
garde ) , non pour usurper ce qui est occupé , mais pour
disposer de ce qui est vacant. Ainsi , quand une famillefeu- dataire ou propriétaire , a fini son bail héréditaire par la
mort naturelle ou civile , et qu'elle s'éteint sans laisser de
successeurs ni d'héritier légitime , l'Etat rentre en possession
de ses propriétés : et il le faut ainsi , pour empêcher
les querelles que feroient naître un héritage sans posses- seurs . L'Etat alors dispose d'un bien abandonné , comme il doit disposer d'un homme délaissé , et il donne un maître
à l'héritage vacant , comme il donne du travail et la subsistance
à l'homme vagabond. Ce sont ces idées prises à l'envers , qui ont motivé ces lois terribles contre les émigrés dont on a regardé les biens comme vacans par leur désertion
, ou tombés en commise par leur délit : en sorte que
par une bizarrerie digne de tout le reste , ce fut au moment qu'on s'élevoit avec le plus de violence contre toute espèce
de féodalité que l'on exerça sur les grands propriétaires les
actes les plus solennels et les plus rigoureux de la jurisdiction féodale : le droit de déshérence et celui de commise . Assurément
il falloit beaucoup d'une certaine philosophie subtile
et pointilleuse , beaucoup de ce petit esprit qui a régné en France dans le dernier siècle sur tous les objets , pour trouver odieuse une dénomination qui faisoit plutôt sentir
les relations du propriétaire au pouvoir de jurisdiction que
la dépendance de l'homme du pouvoir de disposition et de commandement. On dit le cacique des Natches ou des
Iroquois; le kan des Tartares ; le hetman des Cosaques, parce que ces peuplades sauvages ou nomades forment plutôt un camp qu'une societé ; que les hommes qui les composent
assemblés fortuitement pour la chasse ou pour le combat , obéissent et ne relèvent pas ; ne connoissent que la dépendance
du guerrier , et non les rapports du citoyen ; et que les familles errantes , comme la nation , et sans territoire fixe
et transmissible , ne font pas un corps politique uni par le lien puissant de la communauté du sol , et la jouissance
paisible d'une propriété héréditaire . Mais les idées impar- faites des sociétés naissantes avoient reparu en Europe et
égaré tous les esprits . On se transportoit aux premiers temps , et avant la formation de la société publique , lorsque chaque
peuplade ou chaque famille , après avoir défriché un coin de forêt en disputoit la possession aux bêtes féroces , ou aux
hommes plus féroces que les animaux; et y vivoit sans déJUILLET
1807 . 117
1
pendance , par ce qu'elle y vivoit sans protection , toujours
à la veille d'être troublée dans cette possession précaire : car
au premier âge d'une société , il n'y a que des possesseurs .
Ce n'est que dans la société civilisée qu'il y a des propriétaires
; et ces idées de propriété plus puissantes que les
hommes , plus puissantes même que les révolutions , ont
été en Europe la raison de toutes les lois , et peuvent devenir
encore le principe de tout ordre , et la cause de toute stabilité.
Je reviens à la distinction des trois âges du pouvoir en
France , personnel , public et populaire ; distinction fondamentale
qui peut résoudre de grandes difficultés historiques ,
rendre raison de toutes les lois politiques , et expliquer les
changemens successifs d'une société. Le petit esprit demanderoit
peut-être l'époque fixe de ces variations du pouvoir.
Il voudroit déterminer le jour et l'heure où le pouvoir de
personnel est devenu public , ou de public est devenu popufaire.
Mais il n'en est pas ainsi des révolutions insensibles
de la société ; et l'on peut appliquer au sujet qui nous occupe
une excellente réflexion du président Hénault dans une matière
semblable. « On veut , dit ce premier des annalistes ,
>> que l'on nous dise que telle année , à tel jour , il y eut un
>> édit pour rendre vénales les charges qui étoient électives .
»
»
Mais il n'en va pas ainsi de tous les changemens qui sont
> arrivés dans les Etats par rapport aux moeurs , aux usages,
à la discipline. Des circonstances ont précédé ; des faits
>> particuliers se sont multipliés ; et ils ont donné , par
succession de temps , naissance à la loi générale sous
>> laquelle on a vécu . »
"
,
Je ne crains pas de dire que les considérations générales
que je n'ai fait qu'indiquer , sérieusement approfondies
mettroient plus de véritable philosophie dans notre histoire ,
et donneroient plus d'idées positives , de ces idées avec lesquelles
ceux qui gouvernent savent d'où ils viennent et où
ils vont, ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter , que la
connoissance détaillée de tous les faits et de toutes les dates
de notre histoire , s'il étoit possible de les retenir, ou même
de les lire : car , quelqu'importance que l'on attache à la
connoissance des faits historiques , les faits même les plus
nombreux , et classés dans l'ordre le plus méthodique , ne
sont que des recueils d'anecdotes sans liaison entr'elles , si
l'on ne les rapporte tous à un petit nombre de principes
généraux qui en indiquent la cause , et en font prévoir les
résultats. J'ose même dire qu'on peut , au moyen de ces
principes généraux , se passer de la connoissanced'un grand
nombre de faits , ou même conjecturer d'une manière cer
118 MERCURE DE FRANCE .
taine ce qui a dû arriver et ce qui doit suivre. En effet ,
pour revenir à l'exemple que j'ai déjà cité , il suffit de savoir
que, dans une société , les princes du sang royal sont apanagés
en provinces , et que sans y jouir précisément des
droits régaliens , ilsy possèdent , ou par le droit de leurs
apanages , ou par l'influence de leur haute naissance , des
prérogatives bien supérieures à celles de la propriété ordi
naire , et même quelque participation au pouvoir public
dans la nomination aux emplois , ou dans d'autres parties
de l'administration ; et l'on peut conjecturer avec certitude ,
même sans avoir lu l'histoire de cette société , que des
princes ont été à la tête de toutes les intrigues et de tous les
troubles qui l'ont agitée , et que si jamais elle est renversée ,
elle périra par l'appui que des factieux trouveront dans le
nom , le crédit , les richesses ou les passions de quelque
prince . On n'a pas besoin de connoître l'histoire d'Angleterre
, pour juger tous les désordres que la succession féminine
peut produire dans un Etat ; ni de lire l'histoire de
Pologne , pour affirmer que la succession élective ôte à une
grande nation tout principe de force et de stabilité , et
qu'elle doit tôt ou tard la conduire au dernier degré de
malheur et d'avilissement . Ici les faits viennent à l'appui
des principes ; et la connoissance en est nécessaire à la
plupart des hommes , qui ne voient les principes que dans
les faits subséquens : semblables à des enfans , qu'on ne
peut instruire qu'avec des exemples et des images . Mais
ceux qui voient les faits dans les principes qui les précèdent
, n'ont pas besoin , autant qu'on pourroit le croire ,
de consumer leur temps et leur esprit à retenir des détails
souvent incertains , presque toujours contestés , et quelquefois
contradictoires . Cette manière générale et expéditive
d'étudier l'histoire convient sur-tout à ceux qui sont appelés
à gouverner la société ; et l'on peut dire que si un prince
doit avoir lu l'histoire de tous les rois , il lui suffit peut-être
de retenir l'histoire de deux rois ..... , un roi fort et un roi
foible.
Cette méthode , qui simplifie l'étude de l'histoire , plutôt
qu'elle ne l'abrège , devient absolument nécessaire pour
Thistoire des sociétés modernes . Les peuples anciens sont
finis ; et avec quelque détail que l'on écrive leur histoire , le
terme en est fixé et connu . L'histoire de la République
romaine ne va pas au-delà de la bataille d'Actium, ni celle
de l'Empire romain plus loin que le règne d'Augustule .
L'histoire de l'Empire d'Orient commence à la fondation
de Constantinople , et finit à la prise de cette ville par les
JUILLET 1807. ng
Turcs : mais les sociétés chrétiennes , qui tiennent de leur
religion et de leurs constitutions politiques un principe de
force et de durée qui manquoit aux sociétés païennes , ne
font peut-être que commencer ; et lorsqu'on pense que
'Histoire de France , par Velly et ses continuateurs , aura ,
si jamais on l'achève , plus de cent volumes , et n'ira cependant
que jusqu'au commencement du dernier siècle , on est
convaincu de la difficulté toujours croissante , et bientôt de
l'impossibilité de lire et de retenir l'histoire d'un seul peuple ;
et l'on sent la nécessité de les réduire toutes à des analyses ,
qui ne satisfont peut-être pas la curiosité , mais qui nourrissent
la pensée , forment le jugement , et règlent la
conduite.
A mesure que la société vieillira , semblable à l'homme
qui avance en âge , elle gagnera en force de raison ce qu'elle
perdra en souvenir des faits passés ; et l'histoire , devenue
plus philosophique , sera moins chargée de détails , et plus
féconde en observations et en résultats . Mais l'histoire ne
sera philosophique qu'autant qu'elle sera positive : car là
où il est indispensable de savoir , parce qu'il est nécessaire
de pratiquer , il n'y a rien de moins philosophique que le
doute; et l'homme n'est pas plus savant tant qu'il doute ,
qu'il n'est riche tant qu'il cherche. Je fais cette observation
pour répondre à l'étrange idéede M. Gaillard , qui veut
qu'un historien soit impassible , et qu'on ne puisse deviner
quels sont ses principes religieux ni ses principes politiques .
Cette apathie sublime , comme l'appelle le bon M. Gaillard ,
bien différente de l'impartialité , qui est le premier devoir
de l'historien , ne prouve qu'une extrême indifférence pour
toutes les opinions vraies ou fausses , ou plutôt une ignorance
profonde de la vérité , et ne peut que prolonger les
erreurs de la société.
Un écrivain doit avoir en morale et en politique des opinions
décidées ; parce qu'il doit se regarder comme un instituteur
des hommes ; et certes , pour apprendre à douter ,
les hommes n'ont pas besoin de maître. Douter avant de
décider , se décider après avoir douté , doit être la devise
de tout homine qui s'ingère dans la noble fonction d'éclairer
ses semblables. Je sais que l'on peut soutenir avec opiniâtreté
des opinions fausses , et même leur donner de la vogue ;
mais la vérité appelle le combat , comme la force appelle
l'action , et sûre de triompher tôt ou tard , ouvre la lice à ses
ennemis. Elle ne craint que la neutralité quiconque n'est
pas avec moi est contre moi , a dit la vérité elle-même ; et
j'ose dire que cette neutralité entre les opinions fortes ou
120 MERCURE DE FRANCE ,
|
foibles , n'est pas plus dans le génie français , que le genre
neutre n'est dans la langue française .
J'observerai en finissant que la distinction du pouvoir en
personnel , public et populaire , se retrouve même dans
la société religieuse . La religion chrétienne , à son premier
âge , étoit renfermée dans l'intérieur de la famille .
Elle étoit privée plutôt que publique ; et c'est ce qui
explique son influence puissante sur les moeurs privées
de ses premiers sectateurs . A son second âge , elle est
devenue publique et par la fréquence et la solennité de
ses assemblées générales , et par la profession qu'en ont
faite les gouvernemens , et par les institutions publiques
qu'elle a fondées pour le soulagement de toutes les misères
de l'humanité : et de là son influence non moins puissante
sur les lois des sociétés . Au troisième âge , la religion chrétienne
dans une grande partie de l'Europe , est devenue
populaire ou presbytérienne , et l'on a pu apercevoir dans
tous les gouvernemens , une disposition générale à abolir
les institutions publiques et les lois sévères du christianisme ,
à le dépouiller lui - même des propriétés qui assuroient la
perpétuité de son culte , et à ramener le culte lui-même à
la pauvreté des premiers temps . Alors la religion devenue
populaire a perdu toute influence sur les moeurs et sur les
lois ; mais la société , soit religieuse , soit politique tombée
dans l'état populaire , ne sauroit s'y fixer ; et si elle n'est pas
condamnée à périr, elle doit renaître à l'état public et recommencer
le cercle qu'il lui est donné de parcourir : ce retour
à l'état public sera une grande révolution . Déjà l'on peut
remarquer que la religion en France , renfermée pendant
nos troubles dans l'intérieur des oratoires domestiques , recommence
à se produire au dehors , et voit peu-à-peu ses
institutions renaître . Le pouvoir politique est aussi redevenu
personnel comme dans toute société qui commence ou qui
recommence ; parce que fondé ou rétabli par un homme
extraordinaire , il reçoit dans le premier temps plus de force
des qualités personnelles d'esprit et de caractère de celui qui
l'exerce , que des institutions qui se ressentent des événemens
qui ont précédé , et sont pendant long- temps , plutôt
populaires que publiques ; je veux dire , plus républicaines
que monarchiques .
DE BONALD.
JUILLET 1807 . 121
,
Suite des Souvenirs de Félicic L***; par Mad. de Genlis .
Un vol. in- 12 . Prix : 2 fr . 50c. , et 3 fr. 25 c. par la poste .
A Paris , chez Maradan , libraire rue des Grands-
Augustins , n°. 9 ; à la Librairie Stéréotype , chez
H. Nicolle , rue des Petits - Augustins , n° . 15 ; et chez
le Normant.
Tour le monde connoît les Souvenirs de Mad . de Caylus .
Ce qui fait le mérite de cet ouvrage , n'est pas seulement un
style élégant et facile , une manière de conter pleine de
naturel et de grace , c'est sur-tout l'intérêt attaché à l'époque
célèbre qu'on y voit décrite : c'est encore que Mad . de Caylus
n'avoit aucune prétention d'auteur; et qu'on sent qu'en écrivant
sans ordre et sans liaison ce qui venoit se retracer à sa
mémoire , elle ne vouloit , comme elle dit elle-même , qu'amuser
ses amis , et leur donner une preuve de sa complaisance
.
Mad. de Genlis ayant vécu long- temps dans des sociétés
brillantes , où elle se trouvoit continuellement en rapport avec
ce qu'il y avoit de plus distingué par le rang et par les talens ,
a voulu aussi écrire des Souvenirs ; mais , malgré l'avantage
de cette situation , et les rares talens de l'auteur , la peinture
du Palais-Royal ne pouvoit devenir aussi intéressante que
celle de la cour de Louis XIV. De plus , Mad . de Genlis ,
malgré une apparence de négligence et d'abandon qu'elle
a eu soin de donner à son style , a peut-être trop songé au
public en écrivant. Elle ne se borne pas à raconter , à
l'exemple de Mad.de Caylus ; en sa qualité d'auteur , elle
interrompt trop souvent son récit pour se livrer à des dissertations
religieuses , politiques , morales et littéraires. D'ailleurs
, malgré les brillans succès qu'elle a obtenus , ou peutêtre
à cause de ses succès même , elle a eu ses adversaires
et ses critiques . On devine bien que ses démêlés trouvent
souvent place dans ses Souvenirs ; et l'on sait que les ressentimens
de tout écrivain ressemblent assez à la colère de
Junon , que Virgile appelle iram memorem. En un mot ,
Félicie L *** ne s'oublie point assez elle-même. Le moi ,
que Pascal trouvoit si odieux , se retrouve continuellement
sous sa plume, Elle figure dans presque toutes les conversations
ou les anecdotes qu'elle raconte; et l'on pense bien
que ce n'est pas poury jouer le plus mauvais rôle .
Quoi qu'il en soit, la première partie des Souvenirs de
122 MERCURE DE FRANCE ,
Félicie a trouvé de nombreux lecteurs ; et il est probable
que celle-ci n'en aura pas moins. C'est qu'indépendamment
du nom de l'auteur , qui fait rechercher toutes ses productions
, lors même qu'elles ne sont pas dignes de celles qui
lui ont acquis une si juste célébrité , ces Souvenirs ont un
mérite qui tiendroit lieu de beaucoup d'autres : c'est une
extrême variété. Il est rare que le même sujet y soit traité
deux pages de suite : tantôt c'est un bon mot, une anecdote
plaisante; tantôt un article polémique sur quelque point de
littérature ou de morale. Des réflexions pieuses font place
aux petites vengeances que l'auteur exerce contre ceux qui
furent ses ennemis . Tout ce mélange pourra paroître bizarre
, mais il n'y a personne qui ne puisse y trouver
quelque chose à son goût ; et c'est toujours un avantage.
Le goût de la plupart des lecteurs , s'il m'est permis d'en
juger par le mien , sera sans doute pour la partie la plns
frivole des Souvenirs de Félicie . Je laisserai donc de côté ,
et sa philosophie , et sa politique , et sa métaphysique , pour
ne m'occuper que des portraits , des anecdotes , des questions
purement littéraires. C'est là sur-tout qu'on reconnoît
de temps en temps l'auteur de Mad. de la Vallière , de mademoiselle
de Clermont , et de tant d'autres ouvrages agréables
: il faut sur-tout distinguer les réflexions sur le théâtre
anglais . En y voyant quelles basses plaisanteries , quelles
fautes grossières contre la raison , le goût et les moeurs ,
quelles turpitudes de toute espèce les poètes comiques et
tragiques se plaisent à accumuler dans leurs ouvrages , on
ne sait de quoi il faut plus s'étonner , de l'éternelle enfance
de l'art dramatique chez un peuple qui possède plusieurs
ouvrages excellens dans d'autres genres de littérature , ou de
la barbarie de quelques écrivains qui voudroient proposer
son théâtre pour modèle à une nation qui applaudit tous les
jours Racine et Molière .
Mais si les Souvenirs de Félicie offrent encore quelques
autres pages de critique , qu'on ne lira pas sans agrément ,
ni même sans profit , il faut avouer aussi qu'il y en a plusieurs
auxquelles on ne sauroit donner les mêmes éloges ,
et qui doivent étonner dans un écrivain dont les opinions
littéraires sont si saines , et le goût si pur. Il ne faut pas
aller bien loin pour en trouver une preuve. Dès la seconde
page , je remarque un paradoxe qui ressemble beaucoup
à un vrai sophisme , quoique l'auteur s'en applaudisse ,
comme d'une découverte importante : « J'ai , dit Mad. de
Genlis , une manière de juger du mérite et du génie des
> auteurs , qui m'est tout-à-fait particulière ; je cherche à
D
JUILLET 1807 .
123
> connoître , en lisant leurs ouvrages , si par l'élévation
>> de leur ame , la justesse et l'étendue de leur esprit , la
>> pureté de leurs principes , ils auroient pu être avec éclat
> autre chose que poètes et auteurs .... Tel est l'homme ,
» tels sont ses ouvrages ; c'est une règle infaillible . » Mad .
de Genlis applique ce principe à nos trois grands tragiques ;
et non -seulement elle avance que Corneille eût été un magistrat
intègre , ce que personne ne contestera , la droiture
et la noblesse de son caractère étant assez connues , mais
elle en fait encore un grand ministre , un bon prince souverain
; et voilà ce qu'il est permis de révoquer en doute .
En effet, ce qui caractérise l'homme créé pour ces postes
éminens , ce n'est point cette profondeur de génie qui ne
peut se produire que dans des ouvrages fruits d'un travail
opiniâtre et d'une longue méditation ; c'est un discernement
aussi prompt que sûr, une sagacité de tous les momens , qui
saisit d'un coup-d'oeil le vrai point de vue dans les objets
les plus compliqués . On peut croire que cette qualité si
rare , quoiqu'elle le soit peut- être moins que le génie poétique,
auroit complétement manqué à l'auteur de Cinna.
On sait qu'il n'étoit qu'un homme ordinaire dans les rapports
sociaux , et qu'on ne reconnoissoit plus le grand
Corneille , lorsqu'il sortoit de son cabinet.
Racine avoit reçu de la nature des talens plus variés .
L'étendue et la flexibilité de son génie le rendoient propre
à tous les genres de littérature , et à tous les travaux du
cabinet. Mais étoit-il doué de la fermeté d'ame si nécessaire
dans le maniement des affaires publiques ? Cette
sensibilité profonde qui donne tant de charmes à ses
ouvrages , et que nous aimons à retrouver dans sa vie
privée , s'allie bien rarement à la force de caractère qui
fait le véritable homme d'Etat ; et sans doute celui qui étoit
si péniblement affecté de la plus mauvaise critique , auroit
bientôt succombé dans une carrière où il faut braver chaque
jour des haines , sinon plus acharnées , du moins un peu
plus dangereuses que celles qui poursuivent les grands
écrivains. J'avouerai , avec Mad. de Genlis , qu'on ne peut
guère se représenter Voltaire ambassadeur, magistrat
encore moins évêque . Mais si ses tragédies sont inférieures
à celles des deux maîtres de la scène , est-ce bien précisément
parce qu'il avoit moins de dispositions qu'eux à
la diplomatie ou à l'épiscopat ? Etrange règle de jugement
que celle qui prononce sur un écrivain, non d'après ce qu'il
a fait , mais d'après ce qu'il auroit pu faire dans une carrière
toute différente; qui mesure le talent de bien dire à celui
124 MERCURE DE FRANCE ,
de bien faire , et qui forceroit à conclure qu'il n'y a point
de véritable énergie dans les harangues de Démosthène ,
parce qu'il eut la foiblesse de jeter ses armes dans une
bataille ! Autant vaudroit-il juger un général sur ses dispositions
plus ou moins heureuses à faire des vers , apprécier
les talens militaires du grand Frédéric sur ses talens poétiques
, et le génie politique du cardinal de Richelieu sur
sa manie de composer de mauvaises pièces de théâtre .
Corneille et Racine étoient nés pour la gloire des lettres
françaises , pour produire des chefs-d'oeuvre qui charmeront
nos derniers neveux , comme ils nous charment nousmêmes
. Ce partage est assez beau , pour qu'il ne soit pas
nécessaire de leur accorder si libéralement des talens qu'ils
n'ont point eus . Ajoutez que l'homme vraiment né pour la
gloire , est presque toujours invinciblement poussé par la
nature dans une carrière déterminée , hors de laquelle il
ne seroit plus qu'un homme ordinaire. Et l'on peut presque
assurer que celui qui paroît également propre aux lettres
aux affaires publiques ou aux armes , ne sera jamais , ni
un grand écrivain , ni un grand général , ni un grand
ministre .
Cette attaque n'est point la seule que Mad. de Genlis
porte à Voltaire. Quand elle a pour but de venger la
religion et les moeurs des outrages qu'il a eu le malheur de
leur faire , on doit lui applaudir sans doute. Son zèle ne
sauroit être déplacé , puisque ce poète célèbre conserve
encore de fanatiques partisans , qui admirant beaucoup
moins en lui l'auteur de Mérope et d'Alzire que celui de
tant d'ouvrages licencieux , traitent chaque jour d'ennemis
du génie et des talens ceux qui gémissent de les voir déshonorés
par une honteuse alliance avec le cynisme et l'impiété.
Quant aux observations purement littéraires , les
ouvrages de Voltaire y prétent aussi beaucoup , puisqu'ils
ont été tant de fois ou loués ou critiqués hors de toute
mesure. Mais plus cette matière pourroit être riche en
remarques curieuses et instructives , plus il seroit fâcheux
de n'en faire que de hasardées ou de fausses : c'est à quoi
l'auteur des Souvenirs n'a pas assez fait attention ; témoin
encore l'exemple que je vais rapporter .
Mad. de Genlis étoit allée à la Comédie Française voir
jouer Zaïre. Soit qu'elle ne se fût pas trouvée , ce soir-là ,
dans ces heureuses dispositions qui , suivant Beaumarchais ,
rendent un spectateur amusable , soit que la pièce eût été
mal jouée , il paroît qu'elle ne s'y étoit pas fort divertie : de
retour chez elle , au lieu de s'en prendre à elle-même ou
2
JUILLET 1807 . 125
aux acteurs , elle se met à son pupitre , et prétend se
venger sur Zaïre même. Voici comme elle y procède :
« Les jugemens littéraires d'une femme très-ignorante sont
>> sans conséquence ; ainsi je dirai sans détour que cette
pièce me paroît extravagante d'un bout à l'autre>. >>Voilà
une précaution oratoire assez extraordinaire. Je suis trèsignorante;
ainsi je puis me mesurer hardiment contre
l'opinion générale ; mes jugemens sont sans conséquence ;
ainsi je les ferai imprimer. Si ces raisonnenens ne sont
pas très -justes , la plupart des critiques ne paroîtront guère
plus convaincantes. Il suffira d'en rapporter quelques-unes .
L'auteur trouve les vers suivans bien indignes de la majesté
de la tragédie , et par l'idée et par l'expression :
Je sais que notre loi , favorable aus plaisirs ,
Ouvre un champ sans limite à nos vaste desirs ;
Que je puis à mon gré , prodiguant mes tendresses ,
Recevoir à mes pieds l'encens de mes maîtresses ;
Et tranquille au sérail , dictant mes volontés,
Gouverner mon pays du sein des voluptés .
Il n'est point indigne de la tragédie de saisir ce qui caractérise
essentiellement les moeurs des peuples qu'elle met en
scène ; et il me semble que les vers critiqués sont trèsbeaux
, précisément parce qu'ils expriment avec noblesse
des idées très -délicates à rappeler sur la scène , mais indispensablement
liées au sujet.
Dans ces deux vers :
Et du noeud de l'hymen l'étreinte dangereuse
Me rend infortuné , s'il ne vous rend heureuse ,
non- seulement Mad . de Genlis blâme avec raison l'étreinte
dangereuse , mais , suivant elle , le second renferme la plus
lourdefaute de langage: ilfaudroit , me rend infortuné , si
elle ne vous rend heureuse. Voltaire se permet assez fréquemment
des négligences ; mais peut-être devroit-on y
regarder à deux fois , avant de l'accuser d'une lourde faute .
Ici , il est évident qu'il a fait rapporter le pronom il au
noeud de l'hymen , et non à l'étreinte dangereuse ; ce qui
est très-permis , du moins en poésie .
Voltaire s'applaudissoit beaucoup de ce vers :
Je veux , avec excès , vous aimer et vous plaire ;
mais il ne trouve pas grace auxyeuxdu censeur , «qui pré-
) tend qu'ilest assez ridicule de déclarer que l'on veut plaire
>> avec excès . » C'est pourtant là le langage de lapassion ; ets'il
est ridicule , suivant Mad. de Genlis , elle conviendra bien
du moins que Zaïre devoit en juger différemment.
126 MERCURE DE FRANCE ,
Je puis assurer que je n'ai pas choisi les critiques les
moins spécieuses. Voyons les conclusions de l'auteur : « Si
l'on fait jamais des commentaires sur Voltaire , le grand
» Corneille sera bien vengé . » Il n'a pas besoin de l'être ,
puisque les critiques de Voltaire n'ont porté aucune atteinte
à sa gloire . « Cependant , le second acte de Zaïre est bien
» beau ; et malgré beaucoup d'invraisemblance , il y a un
» grand intérêt dans le reste de la pièce . » Un beau second
acte et un grand intérêt dans une pièce extravagante
d'un bout à l'autre ! Au reste , Mad . de Genlis n'en veut
qu'à Zaïre ; et craignant sans doute d'avoir fait trop de mal
au poète critiqué , voici ce qu'elle ajoute : « En dépit des
>> critiques les mieux fondées , Mérope , Alzire , Sémiramis ,
» Mahomet , paroîtront toujours des pièces très-théâtrales et
» très -brillantes ; et Brutus , à mon gré la meilleure de
» toutes , est un admirable ouvrage . » Cela est généreux :
mais Voltaire l'a échappé belle :
C'est ainsi que Mad. de Genlis , beaucoup plus disposée
à la sévérité qu'à l'indulgence , aime à faire part de ses
décisions : il est fâcheux qu'elle oublie trop souvent de les
motiver. Heureusement , elle fait quelquefois trève à son
goût pour les dissertations , afin de récréer ses lecteurs par
quelque récit . On trouve dans ses Souvenirs un assez grand
nombre d'anecdotes ; les unes pleines d'intérêt , les autres
gaies et plaisantes . Parmi celles-ci , il y en a qu'elle paroît
raconter avec une sorte de prédilection . Ce sont celles qui
mettent dans un beau jour la vertu du sexe , et qui rappellent
la déconvenue de malheureux amans , trop confans
ou trop indiscrets dans l'aveu de leur passion . La plus
singulière dans ce genre , est l'histoire d'un M. de P*** ,
lequel étant amoureux d'une dame qui , depuis plusieurs
années , l'honoroit de son amitié , s'avisa un beau jour de
se jeter brusquement à ses genoux , en lui disant les choses
du monde les plus passionnées. « Mad . de *** , dit Mad. de
» Genlis , aima mieux en rire que de se fâcher contre un
> ami qu'elle estimoit ; elle tenoit un écran , et en plaisan-
>> tant elle en donna un petit coup sur le visage de M. de P*** ;
» mais le petit clou d'épingle qui attachoit le manche de
» l'écran , s'enfonça et s'accrocha au nez de M. de P *** ,
» de manière que cet écran resta collé sur son visage ,
comme un masque ; car Mad . de *** l'avoit lâché en riant
aux éclats . Dans cet instant , quelqu'un entra : les rires
» de Mad . de *** redoublèrent ; et M. de P*** , profitant de
» son malheur , sans être vu , se releva précipitamment
» avec l'écran sur son visage , et prit la fuite en l'emportant :
"
»
JUILLET 1807 . 127
* il ne le décrocha que dans l'antichambre. Le tiers qui
>> avoit interrompu le tête-à-tête , n'ayant pas vu le visage
>> de M. de P*** , ne sut pas son nom ce jour-là : Mad.
de*** ne voulut pas le dire ; mais M. de P*** fut trahi
par la profonde égratignure qu'il avoit au nez , qu'il
> conserva plusieurs jours , et qui le fit reconnoître . » On
voit que si , dans cette occasion , Mad. de*** ressemble un
peu aux femmes ,
Dont l'honneur est armé de griffes et de dents ,
elle montre du moins une gaieté qui ne leur est pas ordinaire
, et que Mad. de Genlis paroît partager de bien bon
coeur. Cela n'est peut- être pas très-charitable : il faut croire
que la blessure de M. de P*** n'étoit pas profonde.
Ce qui distingue particulièrement l'auteur de Madame de
la Vallière , c'est un tact délicat et fin qui lui fait saisir les
mouvemens les plus secrets du coeur et des passions. Peu de
femmes ont porté aussi loin qu'elle ce talent précieux , qui
semble ne pouvoir appartenir qu'à leur sexe. On en retrouve
encore quelques traces dans les Souvenirs de Félicie. Néanmoins
, il faut avouer que les portraits qu'elle y a placés
perdent une grande partie de leur mérite aux yeux de ceux
qui , ne connoissant point les originaux, ne peuvent juger
de la ressemblance. La Bruyère avoit les yeux sur les personnages
de son siècle , en traçant ses immortels Caractères ;
mais il s'arrêtoit peu aux travers particuliers à quelques individus;
et c'étoit sur-tout les traits qui peignent l'homme en
général que son pinceau vigoureux s'attachoit à faire ressortir.
Il faudroit avoir tout le génie de ce vrai philosophe pour
se promettre des succès en publiant , à son exemple , des
observations séparées , qui , ne se rattachant à aucun plan ,
ne peuvent tirer leur effet que de leur propre force. On sent
decombien de volumes nous serions accablés si , pour faire
un livre , il suffisoit d'écrire chaque fois sous le titre de
Souvenirs , ce qu'on auroit dit , ou pensé , ou entendu dire
depuis le matin. Si Mad. de Genlis avoit fait cette réflexion ,
il est probable qu'elle auroit ou supprimé , ou beaucoup
abrégé les Souvenirs de Félicie. Ce n'est pas que
puisse nuire à sa réputation , mais il n'y ajoutera sûrement
rien; et c'étoit bien assez pour qu'elle s'évitât la peine de
l'écrire , oudu moins de le publier. On y trouve la preuve
certaine qu'elle est beaucoup plus appelée à émouvoir , à
intéresser par des récits touchans , et par la peinture des
moeurs et des caractères , qu'à débattre des questions de
métaphysique ou de politique. Qu'il soit done permis de
ce livre
128 MERCURE DE FRANCE ,
l'exhorter à laisser le raisonner et le ton tranchant de l'ergotisme
, pour occuper sa belle imagination à des ouvrages
pareils à ceux qui ont valu une si juste célébrité à l'auteur ,
et à ses nombreux lecteurs tant d'heures agréables .
C.
Viede Frédéric II , roi de Prusse , ou Tableau des Evénemens
historiques , militaires , politiques , litteraires , des sciences
et des arts , sous le règne de ce prince ; par M. Denina ,
bibliothécaire de S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie . Un vol . in-8° . Prix : 3 fr. 50 c. , et 4 fr . 50 c . par
la poste . A Paris , chez Villet , libraire , rue Hautefeuille ;
et chez le Normant.
LORSQUE la Prusse étoit encore assise au rang des puissances
continentales , l'histoire de son agrandissement pouvoit
intéresser les curieux d'événemens extraordinaires , et
son roi philosophe devoit trouver des admirateurs enthousiastes
chez tous les hommes d'un esprit superficiel et léger ,
qui prennent toujours le succès du moment pour une preuve
de sagesse et de génie. Le dernier essai que cette puissance
vient de faire de ses forces a détruit une grande illusion , et
le moment n'est pas loin où le système militaire de Frédéric
, sa politique et sa morale seront considérés comme
les causes premières des malheurs attirés sur ses Etats et sur
sa famille.
On remarquera sans doute dans le jugement qu'on portera
sur ce héros du siècle des grandes erreurs , qu'il n'a
jusqu'ici trouvé de panégyristes que parmi les partisans ou
les dupes de la fausse philosophie , et que tout ce qu'ils ont
loué dans ce monarque , peut devenir aujourd'hui le sujet
des plus graves reproches . M. Denina , lui-même , auteur
de la Nouvelle Vie de Frédéric , ne sera pas excepté du
nombre des historiens que cette philosophie , ou quelques
sentimens particuliers d'attachement et de reconnoissance ont
empêché de se renfermer dans les bornes de la simple vérité ,
et qui se sontconsidérés comme obligés non- seulement d'exalter
ce qu'il suffisoit de raconter , mais encore de louer tout ce
qui ne pouvoit pas même être excusé . Il annonce , dans son
Avant-Propos , qu'il auroit abandonné la tâche dont il s'étoit
chargé , si l'Eloge du roi de Prusse , par M. le comte de
Guibert , avoit renfermé quelques noms de plus , quelques
dates et quelques détails plus circonstanciés ; ce qui marque
assez
1
DEI
JUILLET 1807 .
assez le dessein qu'il avoit formé de ne montrer Frederic
que sous l'aspect le plus favorable , sans s'inquiéter du titre de son livre , qui promettoit la Vie et non l'Eloge de ce philosophe
couronné.
Ce n'est donc pas une nouvelle vie du roi de Prusse que
M. Denina nous présente , mais un nouvel éloge qu'il offre
à notre admiration ; et malheureusement la troisième édi
tion de son volume arrive un an trop tard pour qu'il puisse
trouver des applaudissemens , même chez les plus aveugles
apôtres de cette doctrine qui ne reconnoît rien de juste que
ce que la force peut obtenir. Le premier royaume que cette
doctrine avoit fondé au milieu des nations civilisées par une
autre morale , a terminé sa carrière militaire après soixante
ans d'une existence problématique. On doit au moins reconnoître
et convenir aujourd'hui que la solidité manquoit à
cette existence , et qu'il faut autre chose que des baïonnettes
pour créer des Empires qui puissent porter la gloire de leurs
fondateurs jusque dans les siècles les plus reculés. M. Denina
, séduit par le faux brillant de son sujet , peut- être aussi
par le desir de rendre un hommage public à un prince dont
il avoit reçu quelques marques de distinction , n'a pas voulu
lejuger avec la morale dont il a long-temps été le ministre ,
parce qu'elle condamnoit trop ouvertement ce prince ; il a
trouvé qu'il étoit plus prudent de n'en pas dire un mot ,
et d'écrire tout son éloge , comme si elle n'existoit pas :
moyen commode à la vérité , pour admirer , sans opposition
, tout ce que le caprice et la passion veulent admirer ;
mais , en même temps , cause certaine des plus graves écarts
auxquels un galant homme puisse s'exposer , et que la critique
doit toujours relever.
On ne cherchera donc pas dans le volume de M. Denina
l'histoire exacte de Frédéric , puisqu'il n'a pas voulu l'écrire ,
puisqu'il a soigneusement écarté de sa vie tous les faits particuliers
qui pouvoient , aux yeux même des philosophes ,
ternir sa réputation , ou seulement la montrer sous un jour
défavorable , et qu'il n'a fait entrer dans son éloge que les
actions publiques sur lesquelles l'ignorance ou la mauvaise
foi trouvent toujours à discuter. Ce n'est pas cependant que
nous prétendions blâmer cette discrétion et cette prudence
qui retiennent la main d'un écrivain lorsqu'il rencontre quelqu'action
ténébreuse et déshonorante , inutile sur-tout à la
représentation des caractères. La plume de nos historiens
modernes ne s'est montrée que trop libérale de ces misérables
aventures ; mais on doit remarquer que s'il peut être
permis d'en indiquer quelquefois , avec ménagement , c'est
I
130 MERCURE DE FRANCE ,
lorsqu'elles sont indispensables pour peindre les passions
dominantes , et pour couvrir de mépris les mauvais principes
qui les ont fait naître et qui les entretiennent. On ne
sait que trop tout ce qu'à cet égard on pourroit reprocher à
Frédéric: lahaine des philosophes avec lesquels il a vécu a
pris soin de le publier , et son immoralité profonde n'en a
que trop confirmé la possibilité.
Il n'y a pas de doute que c'est à cette même immoralité
qu'il auroit fallu rapporter non pas seulement les désordres
de sa conduite privée , mais les actes les plus éclatans de sa
politique , ses prétentions sur les provinces voisines de ses
petits Etats , ses envahissemens , et la nécessité dans laquelle
il s'est trouvé de conserver par la force ce qu'il n'avoit pu
conquérir légitimement. Qu'au milieu de ces guerres , suscitées
par la seule ambition de se rendre indépendant , il ait
fait preuve de talens militaires , et de quelque résolution généreuse
dans des circonstances difficiles , c'est ce qui n'est contesté
par personne ; mais ces mêmes qualités , précieuses
Lorsqu'elles sont employées à la défense d'une cause avouée
par la justice , cessent de mériter l'admiration des hommes ,
forsqu'elles ne sont qu'un moyen de ravager inutilement des
provinces , ou qu'elles sont l'effet soudain et forcé d'un danger
dans lequel on s'est impunément précipité.
En mêlant aux événemens de la vie de Frédéric quelques
observations d'une critique éclairée , M. Denina pouvoit faire
une histoire sinon intéressante , aujourd'hui que la politique
prussienne vient d'être jugée , du moins utile encore
et curieuse , par le pressentiment du résultat que cette politique
devoit produire ; mais au lieu de cette raison vigoureuse
qui ne se laisse point entraîner par l'exemple , et qui
voit dans l'avenir tout ce que la corruption amène à sa suite ,
cet écrivain ne nous offre dans son ouvrage que des faits
détachés assez mal représentés , et une admiration stérile ;
son récit est pénible , et la charge qu'il s'est imposée semble
trop forte pour son esprit : il l'abandonne même quelquefois
, comme dans le chapitre XX de la première partie ,
dont le titre annonce la découverte d'un émissaire secret
arrêté par Fermor, général russe; quoiqu'il ne rende compte
de ce fait que dans le chapitre suivant, et qu'alors le titre
n'en fasse aucune mention : ensorte qu'il est impossible de
dire à quel temps il faut rapporter ce petit événement. Et
dans le chapitre V de la seconde partie , où il annonce qu'il
va dire un mot de la guerre d'Amérique , pour faire connoître
, dit-il , les raisons qui ont déterminé l'Espagne à
accréditer un premier envoyé à Berlin , et où non-seulement
JUILLET 1807 . 131
il ne dit rien de cette guerre , mais où même il neparle plusde
l'envoyé , qu'il oublie ensuite totalement dans les chapitres
suivans.
Mais ce qui seul suffiroit pour faire soupçonner plus
d'inexactitude et plus de négligences que cet ouvrage n'en
renferme peut-être , c'est la manière étrange dont le commencement
du XVII chapitre de la première partie est
rédigée ; il faut le transcrire pour en avoir une idée exacte :
« La Suède , dit- il .... , toujours affligée par des guerres
>> intestines , ne se fit remarquer ni par des exploits glo-
>> rieux au dehors , ni par de bons établissemens au dedans :
>> la seule particularité qui auroit pu mériter de l'attention ,
১ ) étoit que non-seulement les bourgeois , mais les paysans ,
>> dont l'état est nul partout ailleurs , avoient , comme ils
>> l'ont encore , droit de suffrage dans les diètes nationales.
» Mais cet avantage étoit payé trop cher par les maux que
>> causoient la confusion et l'anarchie qui succédoient tour- à-
>> tour à la tyrannie . Gustave Vasa s'empara du trône ,
>> après avoir travaillé comme un manoeuvre dans les
» mines où il s'étoit caché , pour se soustraire aux pour-
>> suites des usurpateurs qui vouloient décapiter son père ,
» délivra sa patrie d'un esclavage ignominieux , et lai
> acquit de la considération vers l'an 1530. »
Nous ne nous arrêterons pas à chercher quel est cet
avantage qui produit la confusion et l'anarchie succédant
tour-à-tour à la tyrannie. Il est assez facile de voir que
P'auteur ne s'entend pas lui-même , et qu'il écrit sans aucune
réflexion : il se sert ici du verbe s'emparer, pour exprimer
l'action de Gustave , comme si le trône qu'il reconquit ne
lui appartenoit pas ; il le compare à un manoeuvre , sans se
douter que ce mot a quelque chose de bas qui ne convient
nullement en parlant de ce vaillant roi : il écarte le verbe
délivrer du nominatif de la phrase , de telle sorte qu'on ne
sait plus à quoi il faut le rapporter. Toutes ces inadvertances
sont cependant peu de chose en comparaison de celle
qui suit immédiatement , et qui consiste à ne plus se souvenir
de ce qu'il vient d'écrire , et à le répéter avec de trèslégers
changemens dans l'expression. « Livrée entièrement
» à des guerres intertines , continue-t-il , elle (la Suède)
n'offroit aux autres nations qu'une particularité remar
>> quable; c'étoit les paysans qui jouissoient non-seule-
>> ment d'une liberté civile , mais qui participoient directe-
>> ment à la souveraineté , puisqu'ils avoientdroit de suffrage
dans les assemblées des Etats. Cet avantage a été bien
»
ת
> contrebalancé par les suites affreuses de la confusion et
12
132 MERCURE DE FRANCE ,
» de l'anarchie auxquelles la nation aétélong-temps exposée.
» Gustave Vasa la tira de son état obscur et de la barbarie ,
>> vers l'an 1525 , et la mit dans la balance générale>. >>
On voit qu'entre ces deux parties du même passage , it
n'y a de différence que dans l'époque à laquelle M. Denina
rapporte la révolution qu'opéra Gustave , lorsqu'il sortit
tout à coup des mines de la Dalécarlie , et qu'il étoit bien
inutile de se répéter pour se contredire. (1) De pareilles
négligences , remarquables au premier aspect , discréditent
tellement une histoire , qu'on regarderoit comme un temps
absolument perdu , celui que l'on emploieroit à vérifier
l'exactitude des faits qui la composent : avant de subir l'examen
de la critique , il faudroit d'abord que cette histoire
eût acquis un certain degré de confiance.
Mais si le fond même de l'ouvrage de M. Denina ne
nous paroît pas susceptible de passer pour une semblable
épreuve , nous trouverons peut- être à faire quelques remarques
utiles à l'occasion du jugement porté sur Frédéric ,
dont tous les traits physiques et moraux sont réunis à la fin
du volume ; et nous commencerons par faire observer que
le style du corps de l'ouvrage , quoique fort incorrect , est
encore bien supérieur à celui de cette sorte de résumé ; que
ladifférence est même si considérable , qu'elle autoriseroit
à penser que M. Denina pourroit bien avoir permis à quelque
main étrangère d'écrire ce dernier morceau dans le
même esprit , à la vérité , que tout le corps de l'ouvrage ,
mais avec un accroissement bien sensible d'admiration , et
une volonté bien décidée de s'extasier devant les moindres
qualités du monarque. Le chapitre dans lequel toutes ces
qualités se trouvent déduites , est divisé par paragraphes ,
précédés d'un sommaire rapide , dans lequel il est tout-àla-
fois comparé à Alexandre , à César , à Adrien , à Marc-
Aurèle , et à Julien , surnommé l'Apostat. Dans le premier
paragraphe , qui traite des qualités du corps et de l'esprit ,
l'auteur nous apprend que Frédéric avoit la goutte , mais
qu'il suivoit , pour cette maladie , un régime qui n'étoit pas
mal entendu , si ce n'est , dit- il , qu'au lieu d'y opposer une
nourriture simple et moins abondante , ilfaisoit tout le con
traire ; mais qu'il ne s'en trouva pas plus mal que les
autres goutteux . Il nous assure ensuite qu'il se seroit fait un
nom dans la République des Lettres , quand il n'auroit été
(1 ) Le commencement de cette révolution remonte à 1520 , et les
historiens allemands , assez exacts dans leurs recherches , placent le ova
ronnement de Gustave au 6 juin 1525.
JUILLET 1807 . 133
que fils d'un bailli ou d'un prédicateur brandebourgeois ou
saxon; mais dans un autre endroit, il avoue qu'il ne savoit
pas l'orthographe : il est vrai qu'il ajoute ensuite qu'il a fait
des oraisons funèbres à l'imitationdecceelllleess de Bossuet etde
Fléchier; ce qui ne l'empêcha pas de regretter de n'avoir
pas appris le latin , et de ne savoir pas même l'allemand.
Dans le paragraphe suivant l'auteur prétend qu'on a eu tort
de dire que Frédéric n'aimoit personne , et , pour le prouver,
il ajoute qu'il haïssoit les méchans comme il haïssoit
les singes, et qu'il aimoit les gens qui lui étoient attachés
par le même instinct qui lui faisoit aimer les chiens :: cequi
est très-flatteur pour les philosophes qui composoient sa
cour. Dans l'article de la politique , il nous apprend que les
méditations de Frédéric l'avoient convaincu que pour avoir
des troupes , il faut avoir des hommes et de l'argent ; qu'il
n'eut jamais des Louvois qui lui fissent faire la guerre ou
la paix , mais qu'un nommé Golster fut enfermé à Spandau
, pour abus de confiance ; qu'un autre , qui n'étoit que
le copiste de son père , fut son premier ministre pendant
plus de vingt ans , et que la femme d'un certain Stotter,
son commis , vendoit publiquement sa protection par les
égards que les chefs des départemens avoient pour son mari.
Il se loue ensuite d'avoir fait effacer des actes publics la formule
, d'après l'avis de notre conseil ; d'avoir fait rayer de
ses titres l'hommage des princes chrétiens , par la grace de
Dieu; et de s'être débarrassé de tout culte religieux. Dans
le IVe paragraphe , il demande bonnement si la France ,
qui par son commerce est devenue plus riche que la Prusse ,
est réellement plus forte que cette puissance. Ensuite , il
nous dit gravement qu'il importe à une nation de ne pas
trop faciliter aux roturiers les moyens d'acquérir des titres
de noblesse , par une raison qu'on ne devineroit jamais. On
croiroit d'abord que ce seroit dans la vue de conserver plus
de considération au corps entier de cet ordre , mais c'est
précisément par une raison toute contraire : ce seroit pour
ne pas avilir un trop grand nombre d'hommes , parce que ,
dit-il , plus ils s'élèvent, plus ils perdent , soit au physique ,
soit au moral. Dans la section intitulée : EconomieRurale
et Politique , il nous dit que la sterilité du sol des environs
de Berlin dispense aussi bien le souverain que le pro
priétaire de se gêner et de se restreindre dans la bâtisse. Ce
qui probablement signifie que moins on trouve de moyens
de subsistance autour d'une grande ville , plus on peut
accroître le nombre de ses habitans , et plus on doit avoir
de sécurité sur la possibilité de les nourrir. On a lieu de
douter , ajoute-t-il , si , au lieu de bâtir tant de maisons
134 MERCURE DE FRANCE ,
aux particuliers , Frédéric n'eût pas fait mieux d'employer
les mêmes sommes dans des édifices publics. Premièrement ,
(c'est le style de l'auteur ) après avoir bâti des églises , (1 ) des
théâtres , (2) des casernes , etc. etc. Il a cru qu'il ne pouvoit
rien faire de mieux que de bâtir des maisons aux particuliers.
On pense peut-être que l'historien va déduire ici
toutes ses raisons par ordre numérique , mais il s'arrête au
mot premièrement , et ne juge pas convenable de se conformer
à l'usage qui veut que ce mot soit toujours suivi de
quelqu'autre adverbe de la même espèce. Dans le même
paragraphe sur la conduite de Frédéric , à l'égard de la nóblesse
, il nous apprend que ce roi étoit persuadé que la
consideration que donne la naissance à un magistrat , à
un ministre ne compense pas le manque de savoir et d'activité.
Ce qui , tout commun que cela pourra paroître , n'est
pas trop mal exprimé ; c'est dommage que l'auteur ajoute
ces mots : Dans l'homme qui s'appuie sur son arbre généalogique
, et qu'il gâte ainsi une pensée banalé par une image
ridicule. Il avance , dans Particle qui suit sur la religion et
la tolérance , qu'on a de tout temps soupçonné les princes
de professer la religion par politique , mais que le système
du roi de Prusse , ouvertement incrédule , étoit tout différent
, et qu'il auroit cru se rendre hypocrite s'il eût montré
de la croyance . L'auteur suppose ici qu'on est excusable de
ne pas soumettre sa raison à l'autorité de la religion ; et
qu'il est permis d'insulter à la croyance de tous les hommes ,
lorsque par un orgueil stupide , on a refusé de l'embrasser.
C'est avec un pareil abus de mots qu'il loue la prétendue
tolérance de Frédéric , comme si la vérité pouvoit être soumise
à la tolérance de l'erreur , et qu'elle dût lui céder le
pas , lorsque par malheur celle-ci se trouve armée de la
puissance souveraine. Le dernier paragraphe que l'auteur
intitule Tactique et Constitution militaire , n'est pas moins
rempli d'expressions hasardées ,'d'erreurs de jugement et de
fautes de style que les précédens ; mais nous en avons relevé
suffisamment pour faire connoître l'esprit général dans lequel
cet éloge de Frédéric a été composé , et les sentimens
particuliers qui paroissent avoir animé M. Denina. Cet écri-
-vain étoit encore en Prusse , sous la puissance de l'opinion
et sous le joug de la reconnoissance , lorsqu'il a entrepris
son ouvrage. Nous ne l'accuserons pas néanmoins d'avoir
(1) La seule église catholique bâtie à Berlin , sous Frédéric , l'a été
aux frais des étrangers .
(3) L'Opéra , sur le fronton duquel il fit mettre Apollini et musis.
JUILLET 1807..... 135
trop écouté ce dernier sentiment ; mais nous dirons qu'il
auroit pu trouver en lui-même , plus facilement que bien
d'autres historiens une règle certaine pour en modérer
l'expression , et que cette règle , maîtresse de l'opinion , no
doitjamais se plier au gré de son caprice. G.
,
Errata de l'article sur Sylvain Maréchal , inséré au Mercure du samedi
11 de ce mois :
L'épigraphe Ab uno disce omnes n'appartient pas au volume du philosohe,
c'est celle de l'article.
Page 81 , avant-dernière ligne , au lieu de mourir, lisez manier.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
;
Strabon , qui vivoit sous Auguste et Tibère , est le plus
estimé des géographes anciens . Voyageur aussi actif qu'intelligent
, il a visité par mer et par terre tous les pays qui
se trouvent du levant au couchant , entre l'Arménie et la
Sardaigne ; et du nord au midi , depuis le Pont-Euxin
jusqu'à l'extrémité de l'Arabie. Né en Capadoce , dans la
ville d'Amasie , il a écrit en grec ; ainsi son ouvrage de nt
nous n'avions point de version française , n'étoit pas à la
portée de tous . Le gouvernement l'a fait traduire par des
hommes de lettres également instruits en géographie et en
langue grecque; leur nom seul garantit la bonté de leur
travail: ce sont MM. Delaporte-Dutheil , de l'Institut de
France , et Coray ; M. Gosselin , aussi de l'Institut , connu
avantageusement par ses Recherches sur la Geographie des
Anciens,, a rédigé les observations générales qui servent
d'introduction , et beaucoup de notes signées G.; d'autres
notes grammaticales et critiques appartiennent à ses deux
collaborateurs . De plus , l'ouvrage est enrichi de cartes avec
autant de soin que d'exactitude , et qui lui donnent un nouveau
prix. Il n'en paroît à présent que le premier volume ,
mais les autres le suivront de près . (1 )
- Dans les projets qui ont concouru pour le monument
de la Madeleine , il s'en est trouvé deux désignés par des
devises semblables , et qui ont été enregistrés , l'un au ministère
de l'intérieur , l'autre au secrétariat de l'Institut. La
(1) Géographie de Strabon , traduite du grec en français . Tom . Ier . ,
in-4°.; de l'Imprimerie Impériale.
A Paris , chez Barrois l'aîné et fils , libraires , rue de Savoie , uº. 13 ,
132 MERCURE DE FRANCE ,
»
il
» de l'anarchie auxquelles la nation a été long-temps exposée .
» Gustave Vasa la tira de son état obscur et de la barbarie ,
vers l'an 1525 , et la mit dans la balance générale . »
On voit qu'entre ces deux parties du même passage ,
n'y a de différence que dans l'époque à laquelle M. Denina
rapporte la révolution qu'opéra Gustave , lorsqu'il sortit
tout à coup des mines de la Dalécarlie , et qu'il étoit bien
inutile de se répéter pour se contredire. (1 ) De pareilles
négligences , remarquables au premier aspect , discréditent
tellement une histoire , qu'on regarderoit comme un temps
absolument perdu , celui que l'on emploieroit à vérifier
l'exactitude des faits qui la composent : avant de subir l'examen
de la critique , il faudroit d'abord que cette histoire
eût acquis un certain degré de confiance .
Mais si le fond même de l'ouvrage de M. Denina ne
nous paroît pas susceptible de passer pour une semblable
épreuve , nous trouverons peut- être à faire quelques remarques
utiles à l'occasion du jugement porté sur Frédéric ,
dont tous les traits physiques et moraux sont réunis à la fin
du volume ; et nous commencerons par faire observer que
le style du corps de l'ouvrage , quoique fort incorrect , est
encore bien supérieur à celui de cette sorte de résumé ; que
la différence est même si considérable , qu'elle autoriseroit
à penser que M. Denina pourroit bien avoir permis à quelque
main étrangère d'écrire ce dernier morceau dans le
même esprit , à la vérité , que tout le corps de l'ouvrage ,
mais avec un accroissement bien sensible d'admiration , et
une volonté bien décidée de s'extasier devant les moindres
qualités du monarque. Le chapitre dans lequel toutes ces
qualités se trouvent déduites , est divisé par paragraphes ,
précédés d'un sommaire rapide , dans lequel il est tout-àla-
fois comparé à Alexandre , à César , à Adrien , à Marc-
Aurèle , et à Julien , surnommé l'Apostat. Dans le premier
paragraphe , qui traite des qualités du corps et de l'esprit
l'auteur nous apprend que Frédéric avoit la goutte , mais
qu'il suivoit , pour cette maladie , un régime qui n'étoit pas
mal entendu, si ce n'est, dit-il , 'qu'au lieu d'y opposer une
nourriture simple et moins abondante , il faisoit tout le con
traire ; mais qu'il ne s'en trouva pas plus mal que les
autres goutteux. Il nous assure ensuite qu'il se seroit fait un
nom dans la République des Lettres , quand il n'auroit été
>
( 1 ) Le commencement de cette révolution remonte à 1520 , et les
historiens allemands , assez exacts dans leurs recherches , placent le
ronnement de Gustave au 6 juin 1525.
JUILLET 1807. 133
que
que fils d'un bailli ou d'un prédicateur brandebourgeois ou
saxon ; mais dans un autre endroit , il avoue qu'il ne savoit
pas l'orthographe : il est vrai qu'il ajoute ensuite qu'il a fait
des oraisons funèbres à l'imitation de celles de Bossuet et de
Fléchier ; ce qui ne l'empêcha pas de regretter de n'avoir
pas appris le latin , et de ne savoir pas même l'allemand .
Dans le paragraphe suivant l'auteur prétend qu'on a eu tort
de dire que Frédéric n'aimoit personne , et , pour le prouver
, il aj oute qu'il haïssoit les méchans comme il haïssoit
les singes , et qu'il aimoit les gens qui lui étoient attachés
par le même instinct qui lui faisoit aimer les chiens : ce qui
est très-flatteur pour les philosophes qui composoient sa
cour. Dans l'article de la politique , il nous apprend que les
méditations de Frédéric l'avoient convaincu que pour avoir
des troupes , il faut avoir des hommes et de l'argent ; qu'il
n'eut jamais des Louvois qui lui fissent faire la guerre ou
la paix , mais qu'un nommé Golster fut enfermé à Spandau
, pour abus de confiance ; qu'un autre , qui n'étoit
le copiste de son père , fut son premier ministre pendant
plus de vingt ans , et que la femme d'un certain Stotter,
son commis , vendoit publiquement sa protection par
Les
égards que les chefs des départemens avoient pour son mari.
Il se loue ensuite d'avoir fait effacer des actes publics la formule
, d'après l'avis de notre conseil ; d'avoir fait rayer de
ses titres l'hommage des princes chrétiens , par la grace de
Dieu ; et de s'être débarrassé de tout culte religieux. Dans
le IVe paragraphe , il demande bonnement si la France ,
qui par son commerce est devenue plus riche que la Prusse ,
est réellement plus forte que cette puissance . Ensuite ,
nous dit gravement qu'il importe à une nation de ne pas
trop faciliter aux roturiers les moyens d'acquérir des titres
de noblesse , par une raison qu'on ne devineroit jamais. On
croiroit d'abord que ce seroit dans la vue de conserver plus
de considération au corps entier de cet ordre , mais c'est
précisément par une raison toute contraire : ce seroit pour
ne pas avilir un trop grand nombre d'hommes , parce que ,
dit-il , plus ils s'élèvent , plus ils perdent , soit au physique ,
soit au moral. Dans la section intitulée : Economie Rurale
il
et Politique , il nous dit que la sterilité du sol des environs
de Berlin dispense aussi bien le souverain que le pro
priétaire de se gêner et de se restreindre dans la bâtisse . Ce
qui probablement signifie que moins on trouve de moyens
de subsistance autour d'une grande ville , plus on peut
accroître le nombre de ses habitans , et plus on doit avoir
de sécurité sur la possibilité de les nourrir. On a lieu de
douter , ajoute- t - il , si , au lieu de bâtir tant de maisons
134 MERCURE DE FRANCE ,
aux particuliers , Frédéric n'eût pas fait mieux d'employer
les mêmes sommes dans des édifices publics . Premièrement ,
( c'est le style de l'auteur ) après avoir bâti des églises , ( 1 ) des
théâtres , (2 ) des casernes , etc. etc. Il a cru qu'il ne pouvoit
rien faire de mieux que de bâtir des maisons aux particuliers
. On pense peut-être que l'historien va déduire ici
toutes ses raisons par ordre numérique , mais il s'arrête au
mot premièrement , et ne juge pas convenable de se conformer
à l'usage qui veut que ce mot soit toujours suivi de
quelqu'autre adverbe de la même espèce. Dans le même .
paragraphe sur la conduite de Frédéric , à l'égard de la noblesse
, il nous apprend que ce roi étoit persuadé que la
consideration que donne la naissance à un magistrat , à
un ministre ne compense pas le manque de savoir et d'activité.
Ce qui , tout commun que cela pourra paroître , n'est
pas trop mal exprimé ; c'est dommage que l'auteur ajoute
ces mots : Dans l'homme qui s'appuie sur son arbre généalogique
, et qu'il gâte ainsi une pensée banale par une image
ridicule. Il avance , dans l'article qui suit sur la religion et
la tolérance , qu'on a de tout temps soupçonné les princes
de professer la religion par politique , mais que le système
du roi de Prusse , ouvertement incrédule , étoit tout différent
, et qu'il auroit cru se rendre hypocrite s'il eût montré
de la croyance . L'auteur suppose ici qu'on est excusable de
ne pas soumettre sa raison à l'autorité de la religion ; et
qu'il est permis d'insulter à la croyance de tous les hommes ,
lorsque par un orgueil stupide , on a refusé de l'embrasser.
C'est avec un pareil abus de mots qu'il loue la prétendue
tolérance de Frédéric , comme si la vérité pouvoit être soumise
à la tolérance de l'erreur , et qu'elle dût lui céder fe
pas , lorsque par malheur celle -ci se trouve armée de la
puissance souveraine . Le dernier paragraphe que l'auteur
intitule Tactique et Constitution militaire , n'est pas moins
rempli d'expressions hasardées , d'erreurs de jugement et de
fautes de style que les précédens ; mais nous en avons relevé
suffisamment pour faire connoître l'esprit général dans lequel
cet éloge de Frédéric a été composé , et les sentimens
particuliers qui paroissent avoir animé M. Denina . Cet écrivain
étoit encore en Prusse , sous la puissance de l'opinion
et sous le joug de la reconnoissance , lorsqu'il a entrepris
son ouvrage. Nous ne l'accuserons pas néanmoins d'avoir
(1 ) La seule église catholique bâtie à Berlin , sous Frédéric , l'a été
aux frais des étrangers .
(2) L'Opéra , sur le fronton duquel il fit mettre Apollini et musis.
JUILLET 1807 .. 135
trop écouté ce dernier sentiment ; mais nous dirons qu'il
auroit pu trouver en lui-même , plus facilement que bien
d'autres historiens , une règle certaine pour en modérer
l'expression , et que cette règle , maîtresse de l'opinion , no
doit jamais se plier au gré de son caprice .
G.
Errata de l'article sur Sylvain Maréchal , inséré au Mercure du samedi
11 de ce mois :
L'épigraphe Ab uno disce omnes n'appartient pas au volume du philoso
he , c'est celle de l'article .
Page 81 , avant-dernière ligne , au lieu de mourir , lisez manier.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Strabon , qui vivoit sous Auguste et Tibère , est le plus
estimé des géographes anciens. Voyageur aussi actif qu'intelligent
, il a visité par mer et par terre tous les pays qui
se trouvent du levant au couchant , entre l'Arménie et la
Sardaigne ; et du nord au midi , depuis le Pont-Euxin
jusqu'à l'extrémité de l'Arabie. Né en Capadoce , dans la
ville d'Amasie , il a écrit en grec ; ainsi son ouvrage do nț
nous n'avions point de version française , n'étoit pas à la
portée de tous . Le gouvernement l'a fait traduire
par des
hommes de lettres également instruits en géographie et en
langue grecque ; leur nom seul garantit la bonté de leur
travail : ce sont MM. Delaporte- Dutheil , de l'Institut de
France , et Coray ; M. Gosselin , aussi de l'Institut , connu
avantageusement par ses Recherches sur la Geographie des
Anciens , a rédigé les observations générales qui servent
d'introduction , et beaucoup de notes signées G.; d'autres
notes grammaticales et critiques appartiennent à ses deux
collaborateurs. De plus , l'ouvrage est enrichi de cartes avec
autant de soin que d'exactitude , et qui lui donnent un nouveau
prix. Il n'en paroît à présent que le premier volume ,
mais les autres le suivront de près. ( 1 )
Dans les projets qui ont concouru pour le monument
de la Madeleine , il s'en est trouvé deux désignés par des
devises semblables , et qui ont été enregistrés , l'un au ministère
de l'intérieur , l'autre au secrétariat de l'Institut. La
( 1 ) Géographie de Strabon , traduite du grec en français . Tom . I.,
in-4° de l'Imprimerie Impériale.
A Paris , chez Barrois l'aîné et fils , libraires , rue de Savoie , uº . 13 ,
136 MERCURE DE FRANCE ,
commission chargée de juger le concours , crut devoir faire
couvrir toutes les devises , pour empêcher qu'elles ne servissent
à faire connoître les concurrens avant le jugement. En
conséquence, les juges n'ont eu besoin de découvrir que celles
des projets auxquels ils avoient déféré un degré quelconque
de récompense. Lorsque l'autorisation en a été donnée par
S, Exc. le ministre de l'intérieur , les auteurs des projets distingués
par la commission et signalés par leurs devises , furent
invités , par la voie des journaux , à se faire connoître au
secrétariat de l'Institut ; un artiste se présenta avec la devise
qui avoit obtenu la 10 mention , et le chef du bureau reconnut
que c'étoit en effet celle de son enregistrement ; mais l'auteur
du projet enregistré sous la même devise au ministère
de l'intérieur, négligea de se présenter. Il réclame aujourd'hui ;
et vérification faite , non-seulement de l'enregistrement , mais
aussi de son projet, l'honneur de cette 1o mention lui
appartient. C'est M. Baltard , auquel il a été accordé, dans le
même concours , une indemnité de 2000 fr. pour un autre
projet. L'artiste cité à sa place par conformitéde devise , étoit
M. A. -Aug. Frary.
:
Le secrétaire perpétuel de la classe des Beaux-Arts de
l'Institutnational. JOACHIM LEBRETON.
- M. de Châteaubriand a acheté à Tunis , et donné à
la Bibliothèque impériale , un manuscrit arabe , intitulé
la Cosmographie d'Ebn- al- Ouardi .
M. Bosc , membre de l'Institut et président de la
Société d'Agriculture du département de Seine-et -Oise , a
fait un Mémoire sur l'utilité des clôtures des propriétés
rurales , Cet ouvrage , rempli de vérités utiles à l'agriculture ,
mérite d'être étudié par tous les propriétaires ruraux.
L'auteur , 1 ° , prouve , et par des exemples nombreux et
par des raisonnemens , que les clotures , loin d'être nuisibles
aux productions céréales , comme on le pense trop
généralement , en favorisent au contraire le développement
et la fécondité ; 2°. il expose les procédés les plus propres
à leur plantation , à leur entretien et à leur solidité; 3°. il
donne la nomenclature de tous les arbres et arbustes qui
doivent être préférés pour leur formation .
-Le poëme de M. Delille , intitulé les Trois Règnes de
la Nature, est en ce moment sous presse....
-M. Lethiers , directeur de l'académie de France à Rome,
et M. Thibault , architecte de S. M. le Roi de Hollande ,
viennent d'être nommés correspondans de la classe des beauxarts
de l'institut de France,
L'école de médecine de Paris est chargée , dit-on , de :
JUILLET 1807 . 137
proposer pour sujet d'un prix de 12,000 fr. , de déterminer
les causes , les symptômes et le traitement du croup.
- M. Chevallier , ingénieur-opticien , a présenté à la
Société académique des Sciences de Paris , dont il est membre
, un thermomètre dont la division est différente de celle
du thermomètre de Réaumur , et des autres thermomètres
en usage jusqu'à ce jour. Le but que s'est proposé cet
artiste , est de simplifier les observations ou plutôt le compte
qu'on en tient. Dans les observations faites avec les thermomètres
en usage , quoique le point de départ ne soit
pas le même pour tous , on est , en général , obligé d'indiquer
si l'élévation du mercure ou de l'esprit de vin est
au-dessus ou au-dessous de ce point. M. Chevallier obvie à
cet inconvénient, en prenant un point de départ au-dessous
duquel le mercure ne descende jamais. Il place donc le point
deO, à 39 2/10 degrés au-dessous du point de la congélation
ou du zéro du thermomètre de Réaumur , et marque 50 degrés
entre ce point et celui de la congélation. Le point de
l'ébullition de l'eau est au 150° degré de ce thermomètre :
l'avantage de la nouvelle graduation consiste dans la netteté
des colonnes d'observation , qui seront constamment de deux
chiffres seulement , et sans besoin d'aucun signe accessoire.
M. Chevallier nommece thermomètre , Thermomètre direct .
-M. Chaudet, statuaire de S. M. l'Impératrice , membre
de l'Inst. etde la Lég . -d'Hon . , auteur de la statue de S. M.
l'Empereur et Roi , qui est placée dans le lieu des séances
du corps législatif , achève en cemoment lemodèlela statue
de S. M. , qui doit être placée sur la colonne triomphale
d'Austerlitz . Les personnes qui desireroient des épreuves en
plâtre du buste de cette statue , qui a été modelée d'après
nature , ainsi que du buste de S. M. l'Impératrice , que
M. Chaudet a également exécuté , en trouveront chez lui ,
rue de l'Université , nº 31 , près la rue du Bacq. Prix de
chaque buste de grande proportion , too fr.; demi-proportion
, 30 fr.; médaillon de demi-proportion , 24 fr . On trouvera
aussi des bustes en bronze de S. M. l'Empereur , de
grande proportion. Pour garantir de tout surmoule , une
épreuve en plâtre de ces bustes a été déposée à l'administration
du Musée Napoléon : chaque épreuve portera le
cachet et la signature de l'auteur.
-M. Hennin, de l'académie des inscriptions et belleslettres,
ancien Ir. commis des affaires étrangères , est mort le
5 juillet à onze heures du soir. Sa perte est sensible , soit
comme diplomate , soit comme littérateur , soit comme
homme de société. Il avoit été secrétaire d'embassade en
138 MERCURE DE FRANCE ,
Pologne, sous le comte de Broglie et le marquis de Paulmy,
Il fut admis au secret de la correspondance du cabinet particulier
de Louis XV , et reçut plusieurs fois des instructions
écrites en entier par ce monarque. Désigné en 1761 pour
être secrétaire du congrès qui devoit se tenir à Augsbourg ;
il fut nommé , en 1763 , ministre résident en Pologne, et
en 1765 , il passa à Genève en la même qualité. Depuis , il
remplaça M. Gérard dans le poste important de premier
commis des affaires étrangères .
A l'entrée de M. Dumouriez dans ce département ,
M. Hennin en sortit.
Comme littérateur , M. Hennin possédoit douze langues.
Ses connoissances en histoire , en géographie , en antiquités ,
étoient immenses. Sa tête étoit une vraie encyclopédie. Il
laisse en manuscrits plus de cent cinquante volumes in-folio
sur toutes sortes de matières ; et en particulier , une bibliographie
des voyages , en onze volumes in-4°. , qu'il destinoit
àl'impression .
-Mad. Scio , artiste sociétaire du théâtre de l'Opéra-
Comique , est morte , mercredi dernier , à dix heures du
matin, des suites d'une longue maladie de poitrine. Il y a
six mois que sa santé la tenoit éloignée du théâtre.
-Le corps impérial des ponts et chaussées vient de perdre
unde ses chefs les plus distingués par de longs et utiles services .
Armand-Bernardin Lefebvre , inspecteur-général des ponts et
chaussées , est mort , le 12 de ce mois ,dans la 73º année de
son âge. Une péripneumonie l'a conduit au tombeau. Ila
fait pour la province de Champagne des projets à l'exécution
desquels elle doit le degré de prospérité auquel elle est parvenue
depuis. Et la ville de Reims lui doit particulièrement
ces grands édifices et ces superbes promenades qui l'embellissent.
Ingénieur en chef de la généralité de Caen, les projets
en tout genre qu'il a rédigés ponr la rivière d'Orne , pour les
passages du Petitet du Grand-Vey , pour les ports de Cher
bourg et de Granville , et pour l'embellissement de toutes les
villes de cette généralité , attestent ce que peuvent le génie
et les talens éclairés par une longue expérience.
-On mande de Stockholm , que le jour de la fête sécu
laire , qui a été célébrée à Upsal , le 24 mai dernier , en
honneur de Linnée , il a été créé , par le docteur Afzelius ,
un institut dinnéen , institutum linceanum , et frappé une
médaille qui porte d'un côté l'effigie de Linnée , et de l'autre
cette inscription : Natalium memoriæ seculari D. XXIV maii
M. DCCC. VII . institutum Linnæanum Upsaliense .
-Il est question dans ce moment en Ecosse d'une entreJUILLET
1807 . 139
prise singulière , et qui fixe l'attention publique. Il ne s'agit
de rien moins que de percer sous la mer une communication
souterraine qui réunisse des lieux séparés par le détroit
de Forth. Il avoit été précédemment proposé un
pareil projet qui devoit être réalisé dans le voisinage de
Gravesende. Les Anglais donnent à ces constructions le
nom de tonnelles (1) . On sait que parmi nous l'une des
significations de ce mot est de désigner une sorte de
berceau de treillage ou voûte recouverte de verdure ;
et c'est vraisemblablement par analogie que ces voûtes
souterraines s'appellent en Angleterre tonnelles. Celle
dont on met ajourd'hui le projet en avant , partiroit
de Queen's Ferry , près d'Edimbourg, passeroit sous le
détroit ou golfe , et iroit aboutîr au rivage opposé , dans
le comté de Fife , à la distance d'environ deux milles anglais .
Un docteur Millar , et M. Wasie viennent depublier un ou
vrage , dans lequel ils démontrent la possibilité de cette
entreprise , et les avantages qui en résulteroient. Comme
Queen's Ferry est le grand point de communication entre
PEcosse méridionale et septentrionale , l'utilité de ce passage
souterrain est assez manifeste . La grande question concerne
la possibilité de le pratiquer : or , à cet égard , les auteurs
que nous venons de citer, observent qu'on a déjà établi
en Angleterre de semblables tonnelles d'une égale et même
d'une plus grande étendue. Ils citent en preuve le grand
canal de jonction qui , dans un endroit , passe à travers une
montagne , l'espace de deux milles et demi ; mais de toutes
ces excavations , les plus considérables sont les tonnelles du
duc de Bridgewater à Walkden- Moor , entre Worsley et
et Balton en Lancashire , où il est tel de ces passages sou
terrains qui s'étendent dans un espace d'environ dix-huit
milles . On peut ajouter à ces exemples celui des galeries des
mines de charbon de Withe Haven , prolongé à la distance
d'un mille sous la mer d'Irlande. D'autres galeries de mines
de charbon , situées non loin de Queen's Ferry , s'étendent
aussi l'espace d'un mille sous le détroit de Forth . Dans tous
ces ouvrages , on n'a point vu que l'eau ait jamais pénétré les
couchesiinntteerrmédiaires , et se soit introduitedans les mines.
Il n'y a donc pas de raison de craindre que ces passages
souterrains soient sujets à l'infiltration , et deviennent impraticables
, d'autant plus qu'il y a motifde croire qu'une
couche de pierre dure passe d'une rive à l'autre , sous le
détroit de Queen's Ferry , et que , de toutes les substances ,
(1) A tunnel : ce mot signifie proprement un entonnoir,
140 MERCURE DE FRANCE ,
c'est celle qui seroit la plus desirable et la plus commode
à percer. On estime que les frais d'une telle entreprise ,
monteroient à 160,000 liv. sterling; et on a calculé que le
revenu que ce passage produiroit , la première année , n'iroit
pas à moins de 16,000 liv. sterling ; ce qui , de primeabord
, donneroit l'ample intérêtde 10 pour 100. Ily a lieu
d'espérer que ce revenu s'accroîtroit rapidement. Il est donc
bien à desirer qu'un projet si magnifique , si utile , et d'un
genre si nouveau , reçoive une prompte exécution.
-Tous les généraux prussiens qui ont survécu à l'anéantissement
de la monarchie , ont fait paroître des mémoires , dont
la plupart semblent avoir pour but beaucoup moins de justifier
lenrs auteurs , que d'inculper leurs chefs ou leurs compagnons
d'infortune. Le duc Eugène de Wurtemberg , qui
commandoit l'armée de réserve , est peut être , de tous les
commandans prussiens , celui qui a été censuré le plus amèrement
dans ces mémoires: ce prince s'est donc vu forcé de
rendre public un écrit qu'il avoit composé dans sa retraite , et
qu'il n'avoit point destiné à voir le jour. Parmi les détails
purement militaires qui ne peuvent être saisis que par les
gens de l'art, le duc de Wurtemberg a placé des traits et des
réflexions qui jettent quelque lumière sur les causes presqu'incompréhensibles
des désastres sous lesquels a succombé , en
peu de jours , un des plus puissans Etats européens. Ce
prince , par son rang et par le crédit dont il jouissoit à la
cour , a du voir et entendre des choses qui ont échappé à la
connoissance publique. Nous ne pouvons donc mieux faire
quede le laisser parler lui-même :
« La conduite politique de la Prusse a plus contribué
>> encore à sa ruine que ses fautes militaires. Le cabinet, sans
>> aucun plan fixe , flottoit au gré des événemens. Placé entre
>> la France , la Russie et l'Autriche , il falloit prendre un
>> parti décisif, et ne plus s'abuser des chimères d'une neutra-
>> lité devenue impossible. Je ne prétends point indiquer quel
» étoit ce parti , mais je soutiens qu'il étoit indispensable
> d'opter entre les deux. Pour s'éviter l'embarras du choix ,
>> on a voulu avoir l'air d'agir spontanément : on s'est lancé
>> dans la carrière , avant que les Russes fussent à portée
>> d'appuyer les opérations. J'eus , à ce sujet, un long entre-
>> tien avec un homme qui jouissoit d'une grande influence :
» je lui demandai ce que pouvoit espérer la Prusse seule,
» contre un ennemi aussi formidable , aussi accoutumé à
>> vaincre : ce personnage ine répondit que l'intention du cabi-
>> net étoit , avant tout , de persuader à la France qu'il
n'existoitpoint de coalition. La France ne s'est rien laissé
JUILLET 1807. 141
> persuader , et n'a répondu à toutes les assertions du mani-
>> feste , à cet égard , que par la dérision , comme on devoit
» s'y attendre. Mais enfin , puisque l'on vouloit la guerre , il
>> falloit qu'elle fût purement défensive dans son début ; il
>> falloit occuper la Saale avec le gros de l'armée , et l'Elbe
» avec les réserves. Tout individu qui a connu le duc de
» Brunswick , dans ces derniers temps , n'a point dû douter
» que tel seroit le plan qu'il adopteroit; mais hélas ! il ne
>> croyoit pas qu'il fût possible aux Français de l'attaquer
» avant qu'il eût terminé toutes ses dispositions. Plusieurs
>> personnes de ma connoissance chercherent , mais vaine-
» ment , à le faire revenir de son aveuglement sur ce
» point. Cette obstination de la part du duc de Brunswick
>> est d'autant plus inexplicable pour moi , que , dans toutes
>> les occasions , il me disoit : Il faut être bien en mesure
>> pour entreprendre quelque chose contre un pareil ennemi ;
>> il ne faut pas de demi-moyens, mais un grand ensemble
» pour espérer de réussir. >>
Cependant, la guerre est déclarée précipitamment : le duc
Eugène de Wurtemberg est chargé de former une arméede
réserve de 18 bataillons et de 28 escadrons. On lui mande de
se porter sur Halle , puis sur Mersebourg , puis enfin de venir
joindre l'armée du roi , qui , pour éviter d'être tourné par les
Français , avoit pris la résolution de leur livrer une bataille
décisive. Ondevoit savoir que le duc ne pouvoit faire sa jonction
avant le 18 , et , dès le 14 , on donne ( ou l'on est forcé de
recevoir ) , la bataille d'Jéna. Le prince , qui étoit en marche,
entend le canon toute la journée : ses officiers d'artillerie , se
disant très- expérimentés , assurent que le bruit s'éloigne , et
que conséquemment les Prussiens sont victorieux. Le 15 et
le 16 se passent sans que le duc de Wurtemberg reçoive aucune
nouvelle du roi ni de ses généraux ; les fuyards n'apportoient
que des détails contradictoires. Le prince , voulant
cependant , à tout prix , se procurer des renseignemens certains,
envoie sur divers points de gros partis de cavalerie. On
lui amène quelques Français qui faisoient partie des éclaireurs
de l'armée ; et ici , nous laissons encore parler le prince :
<< Ces prisonniers , selon la coutume de tous les Français ,
>> ne vouloient rien dire , quelques instances qu'on leur fit.
» Je ne puis même passer sous silence la noble réponse de
>> l'un d'eux. Je le pressois de questions sur la marche de
>> l'armée , sur sa force , etc.: - Prince , me répondit-il , si
» je vous disois un mensonge , j'en aurois honte , et cela ne
>> vous serviroit à rien ; si je vous disois la vérité , j'agirois
>> contre l'honneur et mon devoir : vous ne l'exigerez pas. >>
On regrette de ne pas savoir le nom de ce digne Français.
142 MERCURE DE FRANCE ,
Livré à cette cruelle incertitude , le duc de Wurtemberg
marchoit , pour ainsi dire , à l'aventure , lorsque le 17 octobre
, au point du jour , un officier saxon vint lui donner
l'assurance de la déroute complète du prince de Hohenhole
et du général Ruchel. On n'avoit compté que sur des
victoires , on n'avoit rien arrêté pour une retraite. Le duc ,
abandonné à lui-même , crut donc ne pouvoir prendre un
parti plus sage que de se porter de Halle , où il se trouvoit
alors , sur Magdebourg , où il espéroit rencontrer le roi et les
débris de l'armée. Mais à peine étoit-il en marche , qu'il fut
attaqué avec impétuosité par la division du général Dupont ,
et bientôt après par tout le corps du prince de Poute-Corvo.
La victoire se déclara , comme à Jéna , entièrement pour
Ies Français. Le duc , avec ce qu'il put rallier de son armée ,
passa l'Elbe à Resflaw , près Dessau , et parvint à gagner
Magdebourg , le 19 octobre. Il termine sonmémoire à-peuprès
en ces termes :
<< Après 32 ans de service fidèle sous trois monarques ; après
>> avoir été honoré de la bienveillance particulière du Grand-
>> Frédéric , traité en ami par le roi aujourd'hui régnant , c'est
>>moi qui suis accusé d'avoir causé, plus qu'aucun autre ,
>> la ruine de la monarchie prussienne. Dois-je donc porter
>> le blâme des fautes que je n'ai point commises , mais que
» l'on m'a ordonné de commettre ? N'est-il pas doublement
>> affreux pour moi , d'être réduit à supporter de telles impu-
>> tations , lorsque je ne puis les repousser qu'en manquant
» aux égards que je dois à de grands personnages ?
» Mon dévouement pour eux est trop sincère , pour que je
>> puisse me résoudre , même pour ma propre justification , à
>> dénoncer à l'opinion publique , leurs ordres et leurs fautes .
» Au reste , à quoi bon ces récriminations , ou ces conseils
>> pour l'avenir? Jamais la Prusse ne redeviendra ce que le
>> grand roi l'avoit faite : son génie s'est évanoui. »
- La société d'émulation des Hautes-Alpes décernera une
inédaille d'or de 200 fr. , ou une somme équivalente à l'auteur
du meilleur Mémoire sur cette question : « L'émigration
>> annuelle d'une partie des habitans des Hautes-Alpes est-elle
>>avantageuse ounuisible à ce département ? >>>
Pour faciliter , autant qu'il peut dépendre de la Société , la
rédaction des Mémoires , elle publie la série des questions
auxquelles on aura principalement à répondre :
Ire Question . L'histoire , ou à son défaut la tradition , faitelle
connoître le commencement de l'émigration annuelle
d'une portion de la population des Hautes-Alpes ?
2. Quels sont les cantons qui fournissent le plus ou le
moins à l'émigration ?
JUILLET 1807 . 143
3. Quel genre d'industrie emploient plus particulièrement,
dans leurs courses , les émigrans de chaque canton?
4°. Quel est leur nombre approximatif?
5. Les émigrations ont-elles augmenté ou diminué ?
6. Quels en sont les motifs ?
7. Offrent-elles plus d'avantages que d'inconvéniens ?
8. Si elles sont nuisibles , de quels moyens doit-on se
servir pour les faire cesser?
9. Ces moyens se trouvent-ils sur les lieux mêmes ?
10. Faut-il chercher ces moyens loin du pays natal des
émigrans?
Les mémoires peuvent être adressés , francs de port, jusqu'au
1 avril 1808, au président de la société. Ils porteront
en tête une épigraphe qui sera répétée dans un billet particulier
, cacheté et joint au mémoire.
NOUVELLES POLITIQUES .
PARIS , vendredi 17 juillet.
Tilsit , le 1 juillet 1807 .
Le ag et le 30 juin les choses se sont passées entre les trois
souverains comme les jours précédens. Le 29 , à six heures
du soir, ils sont allés voir manoeuvrer l'artillerie de la garde.
Le lendemain , à la même heure, ils ont vu manoeuvrer les
grenadiers à cheval. La plus grande amitié paroît régner entre
ces princes.
Al'un de ces dîners, qui ont toujours lieu chez l'Empereur
Napoléon , S. M. a porté la santé de l'Impératrice de Russie
etde l'Impératrice-mère. Le lendemain l'EmpereurAlexandre
aporté la santé de l'Impératrice des Français.
Lapremière foisque le roi de Prusse a dîné chez l'Empereur
Napoléon , S. M. a porté la santé de la reinede Prusse.
Le 29, le prince Alexandre Kourakin , ambassadeur et ministre
plénipotentiaire de l'Empereur Alexandre , a été présenté
à l'Empereur Napoléon.
Le 30, la garde impériale a donné un dîner de corps à la
garde impériale russe. Leschoses se sont passées avec beaucoup
d'ordre. Cette cérémonie a produit beaucoup de gaieté dans
laville.
Laplacede Glatz a capitulé.
Le ført de Silberberg est la seule place de la Silésie qui
tienne encore . ( Moniteur. )
Tilsit , le 5 juillet 1807.
f
Depuis le 1º de ce mois , les choses se sont passées entre les
trois souverains de la même manière que les jours précédens.
144 MERCURE DE FRANCE ,
Ils ont vu manoeuvrer , le 1er juillet, lacavalerie de la garde
impériale ; le 2 , l'artillerie , et le 3 , les dragons du même
corps. Le 4, ils sont allés visiter le camp du 3ª corps que
commande M. le maréchal Davoust. Lemême jour , le roi de
Prusse a présenté le prince Henri , son frère , à l'Empereur
Napoléon. S. M. la reine de Prusse est arrivée à Baublen, à
deux lieues de Tilsit. (Moniteur. )
- S. M. a rendu , à Tilsit , le 1. juillet , le décret
suivant :
« Napoléon , par la grace de Dieu et les constitutions de
la république , Empereur des Français , à tous présens et à
venir, salut :
>> Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
>> Le corps législatif ouvrira ses séances, pour la session de
l'année 1807 , le 16 août.
>>Mandons et ordonnons que les présentes soient insérées
au Bulletin des Lois.
>>Donné en notre camp impérial de Tilsit , le premier
juillet 1807. » Signé NAPOLÉON .
Vu en l'absence de S. M. le roi de Naples et de Sicile , grandélecteur
de France , par ordre de S. M. l'empereur et roi ,
l'archichancelier de l'empire.
Signé , CAMBACÉRÉS.
-On assure que le grand-duc Constantin sera un des
illustres voyageurs que la paixde l'Europe doit amener incessamment
à Paris. Onajoute que S. M. l'Empereur de Russie
viendra lui-même visiter cette capitale dans le cours de l'hiver
prochain.
Paris.
-
M. Duroc , grand-maréchal du palais , est arrivé à
M. de Turenne , officier d'ordonnance de S. M l'EMPEREUR
et Roi , est arrivé avant-hier au palais de Saint-Cloud ,
chargé par S. M. de communiquer à S. M. l'Impératrice-Reine
des détails sur la suite des conférences de Tilsit.
-
(Moniteur.)
Un ambassadeur de Maroc est arrivé le 7 de ce mois
dans la rade de Marseille , à bord d'un bâtiment américain.
Il se rendra à Paris aussitôt qu'il aura fait la quarantaine
d'usage. Il amène avec lui quatorze chevaux du plus grand
prix, qu'il est chargé , de la part de son maître , d'offrir en présent
à S. M. l'Empereur des Français. 4
FONDS PUBLICS .
DU VENDREDI 17. -C p . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 79f 30€ 50с. Зов
250 200 15C 200 ooc ooc oof oof ooc ooc oof ooc ooc ooc coc oof ooc Oos
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 76f 700 500. oof ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. 1370f 1375f 000 0000f
و ا ا
( NO. CCCXIV. )
( SAMEDI 25 JUILLET 1807. )
MERCURE
DE FRANCE .
LEOF
запос
POÉSIE.
L'AMOUR ET LES OISELEURS,
:
IDYLLE.
AMOUR, Amour, jamais tu ne reposes ,
Et rien n'échappe à tes piéges flatteurs !
7
Un jour (c'étoit dans la saisondes roses
Climène et moi, novices oiseleurs ,
Nous préparions des piéges sur les fleurs.
Ledoux printemps ,un Dieu plus doux encore ,
Nous rassembloient au réveil de l'Aurore.
Tous deux assis sur la mousse et le thym,
Nous respirions l'espoir et le butin;
Et, près de nous, les réseaux et la cage
Du peuple ailéméditoient l'esclavage.
Lemiroir brille : alors un jeune oiseau
Sedétacha des sommets du bocage;
Il balançoit son vol sur le réseau ;
Pais, en jouant, l'effleuroit d'un coup d'aile ;
Puis caressoit le miroir infidèle ,
Aussi léger que l'éclat voltigeant
Que réfléchit la glace au front d'argent.
L'azur des cieux coloroit son plumage ;
Nos coeurs sembloient répéter son ramage ;
Le voir, le prendre est un même desir ;
:
4 DE LA SEL
1-
K
146 MERCURE DE FRANCE ,
Nous nous taisons, nous palpitons de joie;
Le piége court envelopper sa proie ;
Le filet tombe. En vain l'oiseau veut fuir ;
Il se débat : je souris , et Climène ,
Sous le filet que je soulève à peine ,
Etend déjà sa main pour le saisir ;
Elle y touchoit : soudain l'oiseau rapide
( C'étoit l'Amour ) s'envole avec nos cris ,
Etdu filet dispersant les débris,
Il tient encor , dans le réseau perfide ,
Les oiseleurs , qui pensoient l'avoir pris.
M. LE BRUN , de l'Académie Française.
ÉPILOGUE
эпири
D'un poëme intitulé : LE GÉNIE VOYAGEUR.
ORGANESdes cités , et conseils des monarques ,
Vénérables vieillards , pontifes , magistrats ,
D'un ministère auguste aux yeux des potentats
Déployez donc les nobles marques :
La paix vous a choisi pour ses médiateurs
Entre les nations et les dieux de la terre.
Il est temps d'essuyer ses pleurs ,
De rendre au monde un repos salutaire ;
Que la raison publique , empruntant votre voix ,
Au tumulte guerrier succède , et fasse taire
Ladernière raison des rois. (1 ) 2
Mais depuis quinze hivers que la Discorde encore
De deux Etats voisins aigrit les passions,
Quel outrage à la paix en a flétri l'aurore ?
Parlez , sages Amphictyons....
Pour la dernière fois une ligue impuissante
Des peuples confondit les intérêts divers :
Lequel, soulevant l'Univers ,
Mais échappant partout aux malheurs qu'il enfante,
Laisse tomber les rois pour sa cause abattus ;
Et lequel raffermit de sa main triomphante
Les sceptres agresseurs qu'elle-même a vaincus ?
Prononcez : il est temps qu'un tribunal suprême
De l'austère avenir devance les arrêts ,
(1) Ratio ultima regum , ancienne inscriptiondes canons
JUILLET 1807 . 147
Et du tyran des mers prévienne les regrets ,
En prévenant sa chute même .
Montrez-lui ses vaisseaux par le temps consumés
Voyageurs fatigués d'une mer sans rivage ,
Ou pâture des vers dans ses ports affamés.
Condamnez sa fierté sauvage ,
A subir de la paix le charme délaissé ;
Et qu'une main prudente en accepte le gage,
Hélas ! trois fois offert et trois fois repoussé !
Au coeur de ses Etats , qu'Amphitrite protège ,
Ne peut-on pas s'ouvrir d'infaillibles chemins ?
Lui , qui trafique au loin des larmes des humains ,
Croit-il éterniser son sanglant privilége ?
Colosse fastueux , dont l'aspect éblouit ,
Ses fermens de discorde en avancent le siège !
Nous , que le seul honneur conduit ,
Nous suivrons vers la paix l'étoile qui nous luit.
D'Amphitrite du moins que Cybèle nous venge ;
Nous irons , s'il le faut , jusqu'aux plaines du Gange .
Poursuivre et conquérir le rameau qui nous fuit .
:
"
Anos hardis succès le monde entier conspire
Qui peut nous arrêter ? Le ciel même est pour nous ,
Et la force et l'honneur n'ont plus qu'un même empire;
Un peuple aura vaincu pour le salut de tous .
Mais quel rayon m'éclaire , et quel transport m'inspire?
Quels cris soudains dont les airs sont remplis ! ....
(1
Nos voeux, nos justes voeux seroient-ils accomplis ?
France , réjouis-toi ! ... Plus de sang , plus de larmes
L'olive a couronné tes moissons de lauriers ;
Et le trident superbe , en cédant à ses charmes , "
Incline son orgueil , et prévient tes guerriers,
Plus prompte que la foudre et que ta renommée,
Toi qui , d'un élan triomphal ,
"
Courus delà l'Oder vaincre plus d'un rival ,
Famille de héros , infatigable armée ,
Reviens : ton EMPEREUR a d'un soin paternel ,
De ta fête ordonné l'appareil solennel ,
Dans la grande cité de ses travaux charmée. ob
Vois s'animer pour toi la lyre et le pinceau ;
Vois de tous les beaux-arts la pompeuse harmonie,
Toutes les palmes du génie ,
De son nouvel Empire ombrager le berceau !
t
Kz
1
Y
"
148 MERCURE DE FRANCE,
Par un sublime effort au trône remontée,
Au trône européen, d'où nos longues erreurs
Dans l'opprobre et le deuil l'avoient précipitéc ,
Notre France ,de Mars enchaînant les fureurs ,
Modératrice universelle,
Saura pour le triomphe et des lois et des moeurs ,
Et des arts citoyens , et des arts voyageurs ,
Pacifier le monde à ses conseils fidèle;
Et saura même un jour , à ses rivaux vaincus ,
De nos succès guerriers , moins que de nos vertus ,
Faire absoudre l'éclat d'une gloire immortelle.
Hic dies verè mihifestus , etc. ( HOR. )
Par M. LEFEBVRE , ancien professeur de l'Académie de Juilly.
BEAUTÉ , BONTÉ ET GRACE,
ALLÉGORIE ADRESSÉE A MADAME ADÈLE DE TREVILLE .
« Au siècle heureux de Saturne et de Rhée ,
>> Lorsque le monde encor touchoit à son berceau ,
>> Tout étoit bon , ma soeur ; aussi tout étoit beau.
>> Seule avec moi , par moi tout simplement parée,
>> Vous aviez votre soeur pour compagne adorée;
» Ou plutôt , aux yeux de chacun ,
>> Vous et moi ne faisions qu'un .
>> Hélas , quel changement extrême ,
>> Sitôt que Pandore elle-même
>> De sa bofte eut laissé tant de fléaux divers
>> Se répandre sur l'Univers !
>> Egaré par son nouveau guide,
>> L'Amour tout le premier d'un flambeau moins timide..!.
>> Vint à son tour égarer la Raison ,
>> Et le feu prit à la maison.
>> Moi, dans cet incendie , à ma soeur attachée,
>> Je fis tous mes efforts pour ne la point quitter;
>> J'eus beau faire , beau résister ,
>> Je vous vis de mes bras par l'Orgueil arrachée.
» Ah , que ce triste événement
>> Acausé dans mon coeur un douloureux supplice ! ....
>> Mais vous , ma soeur , parlez-moi franchement;
>> Dites , n'étiez-vous pas quelque peu le complice
>> Du ravisseur et de l'enlèvement ?
» Car , entre nous , dans votre erreur funeste ,
>> L'éclat vous séduisit ; ne cherchant que l'éclat ,
JUILLET 1807 . 149
>>Goût pur, savoir solide , et mérite modeste,
>> Vous avez laissé tout le reste;
>> Tout , jusqu'à votre soeur.... Coeur foible , coeur ingrat !
>> Et moi , depuis cette journée
>> Que nous faisons ménage à part ,
>> Dans un exil obscur je vis abandonnée.
>> Plus d'amitié pour moi , pas le moindre regard
>> Tandis que, triomphante idole..
>> D'un monde brillant et frivole ,
>> Tous les yeux s'arrêtent sur vous.
>> Nonque mon coeur en soit jaloux ,
>> Et qu'il aspire à ce culte suprême ,
» A ce public encens de la fatuité.....
>> On vous flatte , ma soeur , bien plus qu'on ne vous aime ,
نم
>>On vous traite en enfant gâté.
» On cède avec dépit ; on cède , mais le pire
>> C'est que plus d'un sujetmédit de votre empire ,
>> Et de la cour se venge en petit comité.
>> Le divorce entre nous doit-il durer encore?
>> Faites l'une pour l'autre, un doux rapprochement
>> Ne peut- il s'amener tout naturellement ?
>> C'est votre bonheur que j'implore. >>>
Acet élan , qu'avoit dicté
D'un fraternel amour le sentiment si tendre ,
L'orgueilleuse et froideBeauté
Se roidit davantage, et ne veut pas entendre.
Que va- t-il arriver ? C'est qu'en indemnité,
Et pour consoler sadisgrace,
Les Dieux, épris de laBonté,
Les Dieux lui donnèrent la Grace :
Fille du Naturel et de la Vérité ,
Toute simple comme eux , pourtant un peu moins nue ,
Vierge pudique , et piquante ingénue
Qu'embellit la douleur , non moins que la gaieté;
Qui , tour-a-tour sérieuse ou légère,
Tantôt reine , tantôt bergère,
Aux champs , à la ville , à la cour ,
Sous le dais ou sur la fougère,
Discrète en amitié , délicate en amour,
Sait garder la décence à l'ombre du mystère ,
Comme elle sait la garder au grand jour ;
Qui double le bienfait, prête au refus des charmes,
Et du trône parfois tempérant la splendeur ,
1
3
150 MERCURE DE FRANCE;
Du malheur adoucit les larmes ;
D'un souris, d'un regard, d'un mot qui part du coeur,
Enflamme le génie et féconde l'honneur .
Que vous dirai- je encor ? Chez l'enfant si touchante ,
De notre vie elle orne le printemps ,
En fait chérir l'été par ses attraits constans ,
Et jusqu'en notre hiver non moins intéressante,
Semblejouer avec la faux du Temps ,
Contre elle seule émoussée , impuissante ....
Plus belle encor que la Beauté ,
C'est depuis ce jour que la Grace ,
Şans le savoir peut-être, à nos yeux la remplace;
Et que partout , dans la société,
Souveraine des coeurs par sa simplicité,
20
S'ajustant même au rang , au sexe comnie à l'âge ,
Elleprépare, assure , embellit et partage
くLe triomphe de la Beauté.
J'allois lui comparer la vôtre,
Aimable auteur de mes chants les plus doux ,
... Si les deux compagnes , chez vous ,
N'avoient aussi retrouvé l'autre.
Par A. H. LEFEBVRE.
ENIGME.
PAR moi tout finit , tout commence ,
Par moi la terre a pris naissance ;
Si je n'existois pas enfin,
Un moment n'auroit pointde fin.
Je ne suis pas dans une lieue ,
Et je fais moi tout seul la moitié de l'Etat;
Je ne suis pourtant que la queue
:
D'un rat.
LOGOGRIPHE.
:
Je suis , lecteur , une innocente bête
Qui te fournit un salubre aliment ;
Mais , je t'en avertis , si tu manges ma tête ,,... )
Je ne suis plus qu'un élément.
CHARADE.
Unménageest parfois brouillé par mon premier ;
Mais l'accord y renaît au nom de mon dernier;
Unmalheureuxsouventploye spus mon entier .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Parole.
Celui du Logogriphe est Pied, où l'on trouve pie,,Dei.
Celui de la Charade est Car-rosse.
JUILLET 1807 . 151
NOUVELLES CONSIDÉRATIONS
SUR LES SAUVAGES DE L'AMÉRIQUE ,
Et particulièrement sur les Peuplades qui habitent
les deux Florides.
IL est assez difficile de se faire des idées saines sur les
peuples indigènes de l'Amérique , même lorsqu'on a vécu
parmi eux. On peut même assurer qu'il existe dans le sauvage
une partie intérieure qui nous sera toujours inconnue .
C'est le secret de son organisation , qui le placedans un ordre
d'idées et d'impressions qui nous sont totalement étrangères
.
EnEurope , on s'en forme généralementdes idées fausses ,
et presque toujours trop avantageuses. Cette disposition à
les voir enbeau est particulière à notre siècle. Il seroit peutêtre
faciled'en trouver la cause dans un certain enthousiasme
pour la nature et ses enfans , qui est toujours le produit
d'une imagination mécontente de l'ordre social. Tout ce
qu'on a écrit depuis cinquante ans sur les sauvages de
l'Amérique , se ressent de cette disposition généraallee des
esprits . Le lecteur pourra en juger par le tableau suivant ,
qui est tracé d'après des souvenirs encore très-récens :
Qu'on se représente un être de près de six pieds , dont
toute la partie supérieure , fortement prononcée , a quelque
chosedecolossal, tandis que l'extrémité inférieure , grêle et
décharnée , se termine en pointe. Les jambes , privées de
mollets , semblent collées l'une contre l'autre ; le corps ,
appuyé sur des hanches rentrantes , n'a pointd'aplomb : dans
sa marche , et même dans son repos , il éprouve un mouvement
d'oscillation qui fatigue l'oeil ; le dos et les épaules
sont forts , carrés et plats ; les seins sont placés si bas , et
à une si grande distance , qu'ils semblent naître sous les
aisselles . Qu'on revête tout cela d'une peau dont la couleur
approche beaucoup de celle du cuivre rouge , et on aura à
peu près l'idée de la charpente et de l'aspect d'un naturel de
l'Amérique.
Quant à la forme de la tête , on connoît l'angle facial des
4
1
152 MERCURE DE FRANCE ,
nègres , qui offre à l'esprit l'idée d'un museau raccourci ; la
tête du sauvage est à-peu-près l'inverse. La prédominence
du front est sensible , et le dessin de la figure en face donneroit
presqu'un carré. On ne trouve ni sur le menton , ni sur
l'emplacement de la moustache , aucune trace de barbe. Mais
pourrai-je jamais rendre l'expression de cette physionomie ,
qui offre quelque chose de si différent de tout ce que nous
voyons enEurope ? L'harmonie des traits du visage , l'impression
qu'ils produisent , échappent à toute description.
Cependant , si le lecteur a observé la différence qui existe
entre le regard , l'habitude des traits , la pose de la tête , la
physionomie enfin d'un animal privé et d'un animal des
bois , qu'il se rende bien compte de cette différence , et qu'il
cherche ensuite à appliquer sur la figure de l'homme cet air
caractéristique de la vie sauvage : s'ily parvient, il concevra
un peu l'impression antipathique que produit la physionomie
du naturel de l'Amérique. Tout Européen , à son
approche , a l'ame attristée , repousssée ; il hésite à reconnoître
son semblable , bien loin d'éprouver , en le voyant ,
ce sourirede l'ame que fait naître la vue de l'homme dans
la solitude des déserts.
Pour terminer la description physique du sauvage , il me
reste à le considérer dans son rapport harmonique avec le
sol qu'il habite. Il seroit aussi difficile d'expliquer que de
méconnoître ces harmonies merveilleuses que notre oeil
aperçoit entre tous les objets qui sont soumis à sa vue : ce
sont autant d'aperçus curieux , mais déliés et fugitifs , que
saisit notre pensée toujours avide de lier l'existence des
êtres physiques. J'ai vu des sauvages qui étoient placés sur
les éminences ; j'en ai vu qui erroient sur le sable de la mer :
alors ils m'ont paru comme transplantés. Mais si , à travers
des lianes qui s'attachent aux troncs des arbres et les lient
entr'eux , vous apercevez un sauvage cotoyant le bord fangeux
d'une eau verdâtre , alors sa présence se marie merveilleusement
avec tout ce qui l'entoure. Cette chevelure
noire et tombante , cette démarche vacillante , ce cri guttural
et aquatique qui s'échappe à chaque instant de son gosier ,
enfin le rouge de sa peau, qui éclaire la couleur terne du
paysage ; toutes ces harmonies en font , à vos yeux , l'être
nécessaire de ces lieux. Il vous semble encore le voir sortir
de ce limon qu'il foule de ses pieds mal assurés. Si , dans ce
moment , son visage vient à se tourner de votre côté , il vous
cause une sorte d'effroi. La réalité de sa nature vous échappe :
vous contemplez ses yeux ronds et fixes , sa bouche aux côtés
tombans , la flegmatique immobilité de tous ses traits , et il
JUILLET 1807 . 135
vous apparoît comme l'être sympathique , comme le dieu
des marais. Aussi son instinct l'y retient ou l'y ramène sans
cesse. Aujourd'hui que les nations sont affoiblies , que , dans
ce vaste espace qui s'étenddepuis les Florides jusqu'à l'Ohio ,
on trouveroit à peine quelques milliers de ces êtres errans ;
c'est autour des marécages qu'on les rencontre. Toutes ces
peuplades , foibles débris de nations jadis nombreuses et
guerrières , sont connues de nos jours sous le nom de la Confédération
des Creeks , c'est-à-dire , des lacs : dénomination
qu'elles tirentde leur séjour habituel près des lieux humides
et couverts d'eau , qui , comme tout le monde sait , sont plus
communs en Amérique qu'en aucune autre partie de la
terre.
Il seroit sans doute curieux de pouvoir pénétrer dans
l'intérieur de ces hommes , qui ne nous frappent que par
les dissonances qu'ils ont avec nous; mais, pour cette étude
intérieure , j'avoue que nous n'avons que peu de moyens et
même peu d'espérance d'y faire beaucoup de progrès . Pour
connoître parfaitement le caractère moral et intellectuel du
sauvage , il ne suffiroit pas de vivre long-temps avec lui ;
comme lui, d'être familier avec les mots qui lui servent à
exprimer ses pensées et ses impressions : il faudroit encore
avoir en nous les analogues de ces sensations et de ces idées .
Je crois que ce point de comparaison nous manque.
Certes , il a une manière particulière d'envisager tous les
objets de la création , celui que Pon voit quelquefois assis
sur une butte de terre , les genoux élevés , les coudes en
arrière , le corps penché en avant , et les yeux levés sur
une feuille ou un nuage : dans cette position , il passe des
heures entières . Quelquefois il se lève avec précipitation
, et , poussant des cris , il se bat les flancs avec tous
les signes de la stupidité ; mais bientôt cet être abâtardi
reprend son habitude de gravité , sa figure se peint de
l'expression d'une pensée triste : si alors ilparle sur le Grand
Etre , sur l'homme , sur la vie , sur la mort , il vous étonne
par la profondeur mystérieuse de ses idées , et par les images
dont il les revêt. Le même homme , incapable de lier deux
idées positives , aura toutes les peines du monde à compter
jusqu'à douze : incapable d'aucun empire sur lui-même , si
vous lui parlez de son fils , il vous dira , en montrant son
coeur , que c'est un fruit qui est tombé de là sur la terre ;
mais pour avoir un verre d'eau-de-vie , il vous livreroit
son fils et sa femme ; pour en avoir un second , il les égorgeroit
à vos yeux.
Uneaversion pour tout ce qui est positif semble être le
154 MERCURE DE FRANCE ,
caractère distinctif des peuples sauvages ; et sous ce point
de vue , leur manière d'être est l'inverse de celle des paysans
civilisés .
Le sauvage , encontact avec touutt,, a le commencement de
toutes les idées , de tous les sentimens. Ce qui lui manque ,
c'est cette faculté , ce besoin que donne la société , de concentrer
son esprit et ses affections sur un même point. Le
sauvage a tous les traits du faisceau , tandis que notre paysan
n'en a que le lien . Rien n'étonne ce dernier dans la vie : ses
besoins et ses idées acquises sont pour lui une mesure universelle;
et , jusque sur le bord du tombeau , il marche en
plein jour. Au contraire , une mélancolie inquiète poursuit
habituellementle sauvage. Vide de projets , d'arts , de sciences
, d'idées acquises , de sentimens positifs , de tout ce qui
remplit nos têtes et nos coeurs , sa vie est un choc continuel
contre tous les grands effets de la nature. Les vents , les
nuages , les forêts , la vie , la mort , les esprits qui animent
tout, etqui nese montrent jamais , voilà le cercle dans lequel
le ramènent sans cesse ses yeux et ses pensées . C'est ainsi que ,
placé sur les abymes des méditations humaines , ses regards
y font jaillir des éclairs qui en redoublent l'obscurité. S'il
avoit la faculté d'en réunir les éclats , et d'en composer un
flambeau pour s'éclairer pendant son séjour sur la terre , il
ressembleroit à l'Européen .
L'insouciance , l'imprévoyance , le mépris de la vie , cette
témérité à braver tout ce qui est à craindre , cette pusillanimité
des mouvemens intérieurs ; toutes ces contradictions ,
qui sont peut-être le plus beau titre de la grandeur originelle
de l'homme , parce qu'elles sont le signe le plus distinctif de
sa nature ; tous ces mouvemens primitifs , dis-je , se retrouvent
chez le sauvage ; mais ils s'y montrent sans cette faculté
de comparer et de vouloir , qui rend l'homme perfectible , en
le rendant capable d'agir sur lui-même : action la plus étonnante
qu'un être puisse exercer, puisqu'elle suppose division
dans son unité .
Ici se trouve le principe de toute perfectibilité . Le sauvage
de l'Amérique en est-il susceptible ? Des observations
faites sans aucun esprit de système nous en ont fait douter.
Elles seront le sujet d'un second article. Mais remarquons
ici ce fait bien extraordinaire : l'Amérique , dans les deux
hémisphères , n'est cultivée que par des bras européens ou
africains . Depuis deux siècles , la religion et la politique se
sont disputé l'honneur de civiliser les indigènes : elles ont
également échoué. Le sauvage meurt dans l'esclavage ; il
languit , il s'éteint dans les villages espagnols ; mais presque
JUILLET 1807. 155
partout on le rencontre encore fidèle à la vie de ses aïeux ,
errant au milieu des forêts , en proie au pressentiment de
l'extinction de sa race. Il semble dans la destinée de ces
nations de pâlir et de disparoître devant le flambeau de la
civilisation.
Cette mortalité qui entoure de déserts tous les établissemens
européens , s'étend sur tous les indigènes de l'Amérique
. En réduisant à la moitié l'estimation des premiers
Espagnols qui ont abordé sur ce continent , on peut affirmer
qu'il n'existe pas aujourd'hui un homme sur cent de ceux
qui existoient alors. En bornant ces observations à l'Amérique
septentrionale , au commencement du siècle dernier ,
on
a remarque que plus de la moitié des nations ont disparu
totalement depuis vingt ans. Cette progression décroissante
estdevenue plus effrayante encore. On peut prophétiser que
dans cent ans il n'existera pas un seul indigène dans toute
l'Amérique septentrionale. Nos neveux s'étonneront , et
demanderont pourquoi ces hommes ne sont plus . L'histoire
se taira. Témoins contemporains de cette grande chute
d'hommes de tout un continent , nous raisonnons sur ceux
qui sont encore debout ; mais bientôt ils manqueront à nos
recherches . Un souffle invisible les poursuit et les abat.
Ce phénomène s'exécute lentement , sans effort , d'une
manière imperceptible , comme toutes les opérations de la
nature. C'est le mystère de la mort , qui ressemble à celuide
la végétation : on ne le mesure que par ses progrès .
Cette fatalité , comme je l'ai déjà dit , n'échappe point
à ceux qu'elle frappe : les chansons de guerre ont fait place
aux chants du trépas ; et c'est ici un autre phénomène bien
étonnant que cette prescience de leur destruction que l'on
retrouve chez tous les peuples des deux Amériques. Les
Floridiens parlent sans cesse de cet événement , prédit par
les temps anciens ; et l'on m'a assuré que des peuplades à
l'ouest de l'Ohio étoient tellement frappées de cette nécessité
de s'éteindre, que les deux sexes avoient pris la résolution
de ne plus se reproduire .
D. L.
156 MERCURE DE FRANCE ,
-
Traduction en vers de quelques Poésies de Lope de Vega,
précédée d'un Coup d'Eil sur la Langue et sur la
Littérature espagnoles , et sur Lope de Vega. Par
L. M. d'Aguilar, de la Société des Sciences et Belles-
Lettres de Montpellier . Un vol. in-8 °. Prix : 2 fr. , et
2 fr. 50 c. par la poste . A Paris , chez Dentu , libraire ,
quai des Augustins , n° 22 ; et chez le Normant.
PEU de traductions doivent exciter une plus vive curiosité
que celle dont nous avons à nous occuper . Lope de Vega
n'est guère connu en France que de nom : on sait que les
Espagnols le regardent comme un de leurs plus grands
poètes ; mais aucun littérateur français ne s'est encore attaché
à faire l'examen de ses beautés et de ses défauts . Depuis
quelques années , nous cultivons beaucoup la littérature
anglaise et la littérature allemande ; la philosophie de ces
peuples nous est familière ; nous prodiguons des éloges
exagérés à leurs historiens ; nous exaltons leurs poètes
dramatiques , et nous nous empressons de traduire leurs
plus médiocres romans. Exclusivement livrés à ce genre
d'étude , qui nous fait négliger celle des anciens , nous ne
nous occupons nullement de la littérature espagnole ; nous
oublions qu'elle a eu une époque très-brillante , qui précéda
presqu'immédiatement le siècle de Louis XIV ; nous
oublions que l'esprit des bons auteurs de cette nation ,
composé de l'imagination brillante des Arabes , de la sensibilité
délicate des Chrétiens méridionaux , de l'enthousiasme
de l'honneur , et d'un enjouement plein de finesse ,
offre presque toujours une physionomie originale et piquante.
:
C'est ainsi que l'avoient jugé les grands poètes qui ont
donné tant d'éclat aux lettres françaises . Corneille avoit fait
une étude approfondie de la littérature espagnole si son
goût , trop peu épuré , ne le préserva pas des défauts de
ses modèles , il leur dut une foule de beautés . Le Cid ,
Héraclius , et les deux comédies du Menteur , sont tirés du
théâtre espagnol : Corneille sut les embellir en les élevant
à la hauteur de son génie ; il en fit des ouvrages originaux ;
et la première de ces pièces fut traduite en espagnol
quoique puisée dans deux poètes de cette nation. Racine
et Boileau ne négligèrent pas non plus cette étude , quoiqu'avec
raison ils la trouvassent beaucoup moins utile que
>
JUILLET 1807 . 157
celle des anciens : on voit par leurs Lettres , et par les
Mémoires de Louis Racine , qu'ils connoissoient cette
langue , et qu'ils en admiroient les chefs-d'oeuvre. Molière
puisa beaucoup plus qu'on ne le croit à cette source abondante
: si jamais on entreprenoit un nouveau Commentaire
de ses OEuvres , il faudroit consulter avec soin les collections
volumineuses de l'ancien théâtre espagnol : ony trouveroit
un grand nombre de traits piquans que le poète français a
su adapter à nos moeurs.
Toutes ces considérations doivent inspirer de l'indulgence
pour un travail tel que celui qu'a entrepris M. d'Aguilar ;
mais cette indulgence ne doit rien dérober à la franchise
de la critique. On auroit desiré que le traducteur n'eût
point choisi les Poésies fugitives de Lope de Vega , pour
donner une idée de son talent. Ces sortes de productions ,
à moins qu'elles ne soient des chefs-d'oeuvre , passent avec
les circonstances qui les ont fait naître elles n'ont ordinairement
aucun intérêt après deux siècles. Ce ne sont
point des pièces de ce genre qui ont fait la réputation de
Lopede Vega. Un choix de ses ouvrages dramatiques auroit
été plus instructif et plus curieux.
M. d'Aguilar a senti que des poésies fugitives perdroient
tout leur agrément , si elles étoient traduites en prose : il a
donc fait ses efforts pour les rendre en vers ; mais , peu
familier avec le mécanisme de notre versification , il n'a
pas su faire passer dans la langue française les graces de
l'original. Ses expressions manquent souvent de noblesse et
de justesse ; ses tours sont farcés ; on remarque de l'embarras
dans la construction de ses phrases; et trop fréquemment
il emploie certaines inversions qui ne peuvent être
souffertes qu'en espagnol .
a
Lapièce qui nous a paru la mieux traduite est une espèce
d'Eglogue , où le poète passe très-heureusement du grave
audoux, et qui , de plus , le mérite du coloris local. Les
ruines de Sagonte existent , comme on le sait , à Morviedro ,
dans le royaume de Valence . C'est là que se passe la scène
de l'Eglogue :
Sur les ruines de Sagonte
Un berger , assis tristement ,
Contemploit l'exemple effrayant
Du temps , qui détruit et qui dompte
Tout ce que l'homme eut de plus grand.
Al'aspect de ces tours hautaines,
Dont les sommets touchoient les cieux ,
Etdont les débris malheureux
Roulent maintenant dans les plaines,
158 MERCURE DE FRANCE ,
Des pleurs venoient mouiller ses yeux ;
Il chantoit d'un ton douloureux :
« Le temps nous avertit sans cesse ,
>> Sa voix doit se faire écouter ;
>> Il est de l'humaine sagesse
>> De le craindre et d'en profiter. >>>
Quoique ces vers soient foibles , on y aperçoit de grandes
idées et de belles images . Les deux strophes qui suivent ne
sont pas aussi bien rendues . Le poète fait allusion à la belle
défense de Sagonte : ce souvenir pouvoit fournir des peintures
touchantes ; mais le traducteur se trouve bien audessous
de son modèle. Il continue ainsi , en s'adressant
toujours aux ruines de Sagonte :
De vos habitans généreux ,
Dont la mort prouva la constance ,
Un renom toujours glorieux
Est l'immortelle récompense.
Sur leur nom , illustre etfameux ,
: Le temps a perdu sa puissance;
Mais ce nom seul nous reste d'eux.
3.
Cette dernière idée est élevée , et convient bien au sujet.
Le poète suppose ensuite que son berger tire du spectacle
des ravages du temps , qu'il a sous les yeux , des raisons
pour fléchir sa maîtresse. La transition n'est point trop
brusque, et Lope de Vega reprend sans peine le véritable
ton de l'Eglogue :
1.
1
Ah ! que l'ingrate que j'adore
Nevoit-elle aussi vos débris ?
Elle sentiroit mieux le prix
Des instans que le temps dévore;
Al'aspect de votre destin ,
Peut-être que, moins inflexible ,
Par l'effroi devenu sensible ,
Son coeur banniroit le dédain;
Elle apprendroit à faire usage
Des roses qu'un jour peut flétrir ;
Vous diriez dans votre langage ,
En lui conseillant de jouir :
« Le temps nous avertit sans cesse ,
>> Sa voix doit se faire écouter ;
» Il est de l'humaine sagesse
>> De le craindre et d'en profiter. »
"
4
Ces vers , comme on le voit , manquent d'harmonie et
d'élégance ; mais ils donnent une idée de l'original. La
sentence portée par Boileau , d'après Horace , contre les
poètes mediocres , ne nous paroît pas devoir s'appliquer à
un traducteur , dont le travail , quoiqu'imparfait , peut toujours
avoir un certain degré d'utilité. C'est pourquoi nous
JUILLET 1807 . 159
ne releverons pas trop sévèrement les défauts que l'on
pourroit reprocher à M. d'Aguilar , s'il donnoit ici ses
propres compositions . On reconnoît dans sa traduction disjecti
membra poetæ ; et cela doit suffire pour qu'on le juge
avec indulgence.
Il écrit beaucoup mieux en prose qu'en vers : son Discours
préliminaire offre un coup - d'oeil sur la littérature
espagnole et sur Lope de Vega . Quoique ce morceau ne soit
ni assez développé , ni assez approfondi , on y trouve des
détails très-intéressans sur les auteurs qui ont fixé la langue
espagnole , et sur le caractère de leurs talens . M. d'Aguilar
indique aussi très-bien les causes de l'éclat dont se couvrit la
littérature de cette nation , vers la fin du seizième siècle.
Nous citerons ce dernier morceau , qui peut facilement être
détaché :
»
»
»
D
« Telle fut , dit M. d'Aguilar , l'ère fameuse de la littéra-
» ture espagnole . De nouvelles scènes s'étoient ouvertes ,
>> et avoient agrandi les idées ; de nouveaux mondes , des
Empires immenses venoient d'être découverts et conquis
» par les Espagnols ; la chute de l'Empire grec avoit fait
» refluer en Europe les talens et les arts ; l'imprimerie
» faisoit circuler les richesses littéraires avec une activité
jusqu'alors inconnue ; et enfin Charles-Quint , réunissant
» un nombre infini de couronnes , et digne de leur noble
poids , avoit porté le génie espagnol vers tous les genres
» de gloire. La langue et la littérature espagnoles marchoient
» à l'envi avec lui à la domination universelle ; cette langue
» étoit celle des vainqueurs , de la monarchie la plus éten-
» due qu'on eût vue depuis Charlemagne , d'un nouvel
Empire romain ; ces imaginations ardentes de l'Ibérie
>> alloient chercher la gloire des armes en Italie , et en rap-
» portoient avec elle celle des talens et des lettres : Garcilasso,
>> Cervantes , Ercilla , Lope de Vega , furent soldats et écri-
>> vains ; la soif de la célébrité dévoroit tous les coeurs
>> espagnols ; et aux trésors littéraires recueillis dans la patrie
» de Virgile , d'Horace , du Dante , de Pétrarque , ils s'em-
>> pressoient de réunir ceux que les Arabes leur avoient
» conservés. La langue espagnole avoit dès-lors atteint son
plus brillant apogée. Garcilasso , mort en 1536 , avoit
» écrit avec pureté , harmonie et correction , et Malherbe
» n'étoit pas encore venu ; le style même de Malherbe a
» vieilli , et celui de Garcilasso conserve toute sa grace et sa
» fraîcheur ; les Lettres Provinciales n'épurèrent la prose
» française qu'en 1656 ; et Cervantes et Solis avoient paru
long- temps auparavant. Enfin , Lope de Vega restaura le
»
»
29
160 MERCURE DE FRANCE ,
> théâtre en Espagne , tandis que la France n'avoit encore
» que Jodelle et Garnier . >>>
Ces observations sont bien écrites et bien pensées ; seulement
on voit avec regret que M. d'Aguilar considère Lope
de Vega comme le restaurateur du théâtre espagnol. Il y
avoit beaucoup d'observations à faire sur l'influence que ce
poète eut sur la littérature de son pays : M. d'Aguilar n'en
fait aucune ; et nous chercherons à suppléer à son silence.
Lope de Vega étoit né avec beaucoup de génie; mais il
céda trop au goût de son temps. Avide de succès , il sacrifia
tout au desir d'en obtenir. Loin de chercher , ainsi que
Corneille et Molière l'ont fait avec tant de gloire , à réformer
le théâtre espagnol , il suivit sans aucun scrupule les modes
extravagantes de son siècle. L'homme qui auroit pu créer
l'art dramatique , aima mieux céder au mauvais goût , que
de lutter contre un système reçu. Ses pièces offrent un grand
nombre de beaux traits ; mais aucune n'est régulière , et ne
peut être représentée avec succès devant un peuple dont le
goût est formé. Les Espagnols même les ont depuis longtemps
abandonnées .
Plusieurs contemporains , et principalement Michel Cervantes,
s'élevèrent contre les pièces de LopedeVega; ils reprochèrent
au poète de ne pas suivre les règles tracées par les
anciens . Celui-ci chercha à se justifier le mieux qu'il put:
il attribua ses irrégularités à la nécessité de plaire à son
siècle. Se voyant serré de près par un adversaire aussi
redoutable que l'auteur de Dom Quichotte , il prétendit que
de nouvelles moeurs exigeoient un nouveau genre de comédie.
La dispute s'échauffa au point que l'académie de
Madrid pria Lope deVega dedévelopppeerr les raisons
lesquelles il fondoit son système. Alors il composa une
pièce de vers intitulé : Art nouveau de faire des comédies .
Cet ouvrage curieux n'est connu que par une imitation trèsabrégée
qu'en a faite M. de Voltaire. ( 1 ) Nous en citesur
(1 ) Voici les vers de M. de Voltaire; ils se trouvent dans le troisième
volume du Dictionnaire Philosophique , article Art Dramatique
Les Vandales ,les Goths , dans leurs écrits bizarres ,
Dédaignèrent le goût des Grecs et des Romains ;
Nos aïeux ont marché dans de nouveaux chemins ;
Nos aïeux étoient des Barbares .
L'abus règne , l'art tombe , et la raison s'enfuit;
Qui veut écrire avec décence ,
Avec art , avec goût , n'en recueille aucun fruit.
Il vit dans le mépris et meurt dans l'indigence.
Je me vois obligé de servir l'ignorance ,
rons
SOMJUILLET 1807 .
DE
LA
S
と
rons deux morceaux qui expliqueront pourquoi le tapage.
espagnol ne s'est point perfectionné , quoiqu'un homme de
génie eût ouvert cette carrière .
5.
« Les beaux- esprits de l'Espagne , dit Lope de We
me prescrivent d'écrire un traité de la comédie où cet art
soit accommodé aux moeurs actuelles. Ce sujet paroît facile
au premier coup d'oeil : il le seroit pour quelques-uns de
vous qui avez travaillé moins que moi dans ce genre , et
qui êtes plus à portée d'en parler savamment. Ma fécondité
adû nécessairement me faire négliger les règles de l'art . Ce
n'est pas que j'ignore les préceptes des grands maîtres , Grace
à Dieu , dès mon enfance , j'ai étudié leurs ouvrages.... Mais
ayant trouve que l'art de la comédie n'étoit pas en Espagne
tel que l'ont créé ces premiers inventeurs ; ayant vu au contraire
qu'il avoit été rétabli par des Barbares qui ont accoutumé
le public à leurs bizarres conceptions , et que ces nouvelles
idées ont pris tant d'empire , que quiconque voudroit suivre
les anciens principes mourroit sans gloire et sans récompense
, je me suis décidé à suivre les usages de mon pays ,
contre lesquels la raison ne peut rien. Quelquefois , il est
vrai , j'ai écrit suivant les règles d'un art qu'on connoit si
peu; mais quand je vois sur le théâtre des pièces monstrueuses
qui ne doivent leur succès qu'aux décorations ,
quand je vois que le publiey court , et que les femmes préconisent
ce talent misérable , je souscris à ce goût dépravé.
Ainsi , lorsque je veux composer une comédie , je mets
sous la clef les préceptes des maîtres , je chasse de ma mémoire
Térence et Plaute, afin de ne rien imaginer qui puisse
leur ressembler. Le bon goût parle hautement dans les
livres des anciens ; je ne les lís pas. Je me borne à cultiver
l'art qu'ont inventé ceux qui n'ont eu d'autre prétention
que de plaire au vulgaire : c'est le peuple qui paie ces sortes
de divertissemens ; il est juste de le servir comme il le veut ,
et de lui parler en insensé , puisqu'il a abjuré le bon sens et
legoût>.>>
C'est ainsi que s'exprime le prince des poètes dramatiques
espagnols. On voit avec regret qu'il auroit pu faire des chefs-
D'enfermer sous quatre verroux
Sophocle , Euripide et Térence;
J'écris en insensé , mais j'écris pour des fous.
९
Le public est mon maître , il faut bien le servir;
Il faut , pour son argent , lui donner ce qu'il aime .
J'écris pour lui, non pour moi-même ,
Et cherche des succès dont je n'ai qu'à rougir .
7
L
162 MERCURE DE FRANCE ,
d'oeuvre , s'il eût essayé de lutter contre le mauvais goût de
ses contemporains. Il termine son traité d'une manière aussi
singulière:
<<Mais à qui puis-je donner plus qu'à moi le nom de
Barbare , puisqueje m'avise de prescrire des préceptes contre
l'art , et que je me laisse entraîner par le torrent populaire ,
ce qui en France et en Italie m'a fait traiter d'ignorant ? Au
moment où je parle , et en comptant une comédie que j'ai
achevé cette semaine , j'ai déjà écrit quatre cent quatre-vingttrois
comédies (1 ) .A l'exceptionde six , toutes sont contre les
règles de l'art. Je prends le parti de défendre mes travaux ,
et j'observe que si mes pièces étoient meilleures , sous un
autre rapport , elles n'auroient pas obtenu le succès dont
elles ontjoui. Souvent ce qui est contre les règles du goût ,
par cette raison-là même plaît davantage à la multitude. >>>
Si l'on cherchoit une poétique pour les mélodrames des
boulevards , on la trouveroit dans ces dernières phrases du
poëme de Lope deVega: plusieurs poètes tragiques modernes
y verroient aussi leur système. Quand on veut réussir en
frappant fort plutôt que juste , il faut suivre cette marche ;
mais elle ne mène pas à une gloire durable.
Lope de Vega prétend qu'il a fait six pièces régulières :
cela peut inspirer la curiosité de les connoître. Elles sont
contenues dans un volume qui a été imprimé séparément.
Nous les avons lues ; et tout en y trouvant des beautés , nous
n'avons pu nous empêcher de les mettre bien au -dessous de
nos chefs-d'oeuvre , et même de nos pièces du second ordre .
La plus intéressante et la plus régulière est intitulée el Perseguido.
Nousen ferons d'autant plus volontiers une analyse
rapide , qu'elle a quelques rapports avec la Phèdre de
Racine.
Cassandre , femme d'un duc de Bourgogne , appelé Arnault
, est amoureuse de Carlos l'un de ses écuyers : dans
une première scène , elle cherche à connoître ses sentimens
.
CASSANDRE .
<<Comment se peut-il qu'à la fleur de l'âge , au milieu des
espérances brillantes que vous donnez , et vous trouvant le
plus aimable chevalier de cette cour , vous soyez assez ennemi
de vous - même pour vous refuser tous les plaisirs ?
Parmi les femmes charmantes qui seroient jalouses de mériter
votre amour , qui ne se lassent point de fixer sur vous
(1) Lope de Vega a fait 180a comédies. Voyez Montalvau , En los clogios
a Lope de Vega carpio.
JUILLET 1807 . 163
leurs yeux troublés , vous n'en préférez aucune ! Est-il dan's
cettecour un jeune homme , de quelque pays qu'il soit , qui
imite votre indifférence ? Tous sont attachés à quelque
dame , tous cherchent à inventer pour elles des jeux et des
fêtes : vous seul , solitaire , caché à tout le monde , quoique
vous l'emportiez sur tous les autres , vous ne connoissez
encore ni l'amour , ni l'amitié. Vous n'avez pas même
un ami dont l'attachement vous occupe. Pourquoi êtesvous
si sauvage ? Dites-le moi. »
T
Il y a loin de ces sentimens , qui cependant rappellent
fort bien les moeurs du temps , aux premiers vers du rôle
de Phèdre . La passion de la duchesse n'est excusée ni par
un ascendant invincible , ni par des remords . Carlos , trèsréservé
, empêche Cassandre de s'expliquer : ce n'est que
dans une autre scène qu'elle lui déclare son amour. Cette
scène , où la duchesse ne garde aucune mesure , est comparable
aux conceptions les plus grossières de Shakespeare.
Cependant Cassandre irritée des dédains de Carlos , tient
la înême conduite que Phèdre : elle feint le plus grand désespoir;
le duc lui en demande la cause , et elle accuse Carlos
d'avoir voulu abuser d'elle. Le duc irrité ordonne que Carlos
se rende auprès de lui.
Cette scène est d'un meilleur ton que les précédentes ;
elle donnera une idée du talent dramatique qu'auroit pu
développer Lope de Vega.
LE DUC , CARLOS .
CARLOS.
:
<< Seigneur , si je vous ai offensé , je suis en votre pouvoir
: vous pouvez à l'instant ordonner que ma tête tombe ;
vous pouvez détruire l'ouvrage de vos mains. La mort me
sera moins cruelle que d'être banni de votre présence. >>>
LE DUC.
ma
« Carlos , tu as mérité ce supplice. Dès ta plus tendre enfance,
je t'ai élevé. Ne t'ai-je accablé de tant de bienfaits ,
que pour te voir pousser l'ingratitude jusqu'à porter tes
regards sur
femme , jusqu'à vouloir attenter à monhonneur
et à celui de ma famille? Si je t'avois fait justice pour
un crime si énorme , tu n'existerois déjà plus . Cependant
ce crime ne sera pas impuni : le châtiment l'égalera , s'il en
est qui puissent lui être comparés. Le doute seul retient
encore ma colère .>>>
: CARLOS.
« Seigneur , je vous rends grace de labonté qui vous aporté
1
L2
164 MERCURE DE FRANCE ;
àne point vous laisser entraîner par le premier mouvement
de votre indignation : vous avez voulu savoir la vérité . De
mon côté, je m'offre à l'instant de soutenir en champ clos
mon innocence. Les arines à la main, je convaincrai mon
accusateur de calomnie. »
LE DUC.
« La personne qui ťa accusé n'a d'autres armes que sa
vertu : c'est cette arme contre laquelle tu as à te défendre.
La duchesse m'a demandé vengeance de ton audace : tu as
osé lui adresser tes voeux : ses larmes confirment trop bien
son témoignage . »
CARLOS .
F
« Seigneur , la duchesse peut l'avoir dit ; et mon inno
cence m'assure qu'aucune autre personne n'a pu in'accuser.
Jamais on ne m'a vu m'entretenir avec elle, je n'ai jamais
fréquenté son appartement , et je n'ai eu aucun rapport avec
ses femines . Si j'avois été dévoré par une si grande passion ,
mes emportemens m'auroient trahi. Jamais l'amour ne par
vient à se cacher ; il n'y a point de crainte , ni d'égard qui
soient capables de le retenir (1 ) . Seigneur, je vous prie seu
lement de croire deux choses que l'homme qui vous doit
tout va vous attester . Je suis tellement dévoué à votre gloire ,
quequand laduchesse seroit la plus belle femme du monde ,
jamais je ne manquerois à ce que je vous dois , au point de
concevoir pour elle un aveugle amour. Quand elle ne seroit
qu'une personne obscure , quand elle ne vous appartiendroit
pas , quand elle n'auroit pas autant de vertu que la duchesse ,
dans toute ma vie je n'aurois jamais l'idée de l'aimer , et je
croirois trouver un plus grand bonheur avec une toute autre
femme. >>
Le duc paroît satisfait de la justification de Carlos ; mais
un second entretien avec sa femme lui rend tous ses soupçons.
Il représente en vain à la duchesse que Carlos a toujours
été insensible ; elle lui répond ainsi : « Seigneur ,
comme il a concentré tous ses desirs sur votre épouse , il a
voulu que sa manière de vivre pût favoriser ses vaines espérances
; il a cru me flatter en n'aimant aucune des beautés
qui ornent ma cour : si cela n'étoit pas ainsi , il auroit
quelque liaison que je connoîtrois . »
Le duc fait de nouveau venir Carlos ; et , comme Thésée
(1) Racine , dans Bajazet , exprime la même idée :
Ils ont beau se cacher , l'amour le plu discret
Laisse, par quelque marque, échapper son secret.
و
JUILLET 1807 . 165
dans Phèdre , il s'étonne qu'avec une figure si noble , le
jeune écuyer ait pu commettre un si grand crime. <« Qui
pourroit , dit- il , le soupçonner d'un pareil forfait , avec des
traits qui annoncent tant de noblesse et de vertu : con tantas
maestras de hidalgo ! » Il compare sa figure à celle d'Abel et
de Joseph . Ensuite il lui adresse la parole : employant tourà-
tour la tendresse et la menace , il le presse pour savoir de
lui s'il a une autre inclination .
Ici la situation de Carlos devient très-dramatique. Il est
aimé de la soeur du prince , il l'a épousée en secret ; et leur
liaison n'est connue de personne : « Malheureux Carlos ,
dit-il à part , tu péris si le duc découvre l'amour que tu
caches ; tu péris de même si l'on s'en rapporte aux soupçons
qui pèsent sur toi ! » Enfin, pressé par de nouvelles instances
, il répond ainsi : « J'aime et j'aimerai jusqu'à mon
dernier moment. Tant que mon ame animera mon corps ,
tant qu'elle lui donnera une chaleur vivifiante , je nourrirai
cet amour , et je crois même que je le conserverai après mon
trépas. Je vous jure , par vos jours qui me sont si chers , et
pour la durée desquels je fais tant de voeux; je vous jure
par cette épée que vous-même avez ceinte à mon côté ; je
vous jure que j'aime une femine aussi belle que vertueuse :
en parlant ainsi d'elle, je ne lui rends pas encore justice . Mais ,
excusez-moi , je ne puis vous dire comment elle se nomme.
En graces et en charmes , aucune créature ne peut l'égaler ;
le ciel même envieroit sa beauté : elle seule a mon amour....
Je vous supplie de ne pas me, forcer à m'expliquer davantage
: cela doit suffire pour me justifier. Mon amante et moi
nous nous sommes fait serment au pied des autels de ne
jamais déclarer notre amour. >>>
Le duc n'insiste plus ; il croit Carlos innocent : mais
la duchesse parvient encore à rallumer ses soupçons ; elle
lui dit que le refus fait par Carlos de nommer celle qu'il
aime est une preuve de son crime : « Quand il a voulu vous
déshonorer , ajoute-t-elle , il m'a juré qu'il ne me nommeroit
pas , même au milieu des tourmens. » Le duc ,
toujours foible , convient que Carlos peut être justement
soupçonné. Il le fait encore venir , et le menace d'un supplice
infâme , s'il ne lui fait pas sur-le-champ un aveu
sincère. Carlos répond :
« Seigneur , ma reconnoissance pour les bienfaits dont
vous m'avez comblé , mon dévouement pour vous , que vous
connoissez , me forcent plus que mille morts à vous découvrir
mon secret. Je vois que vous êtes attaqué du mal
cruel que l'on nomme jalousie. Croyez que les tourmens
3
166 MERCURE DE FRANCE ,
les plus affreux me feroient moins souffrir que l'aveu que
je vais faire. Mais je vous supplie , Seigneur , comme prince
et comme chrétien , de me jurer que vous garderez mon
secret.>>>
LEDUC.
<<Carlos , je te jure par l'honneur , par mon père mort ,
par cette épée , de ne le confier à aucune créature vivante.
Aucune parole, aucun écrit , aucun signe de ma part , ne
te trahiront. >>>
CARLOS.
« Il ne me manque , Seigneur , que d'avoir la certitude
que vous nous pardonnerez". >»
LE DUC.
1
« Pourvu que la duchesse ne soit pas l'objetde ton amour ,
tu peux parler sans crainte.>>>
Alors Carlos avoue qu'il est marié avec la soeur du prince ,
et qu'il en a deux enfans ; et la scène se termine par des
questions fort déplacées que lui fait le duc. Dès ce moment
Lope de Vega retombe dans les extravagances dont il s'étoit
préservé; il n'y a plus de développemens de passions , et
Pintérêt
l'intérêt s'évanouit. Le duc qui apardonné à Carlos ,, a
encore la foiblesse , malgré son serment, de dire à son épouse
que Carlos est marié ; la duchesse forme des projets de
vengeance , et veut surpasser Médée :
Pues llorareis vuestro desden agora
Que en crueldades vincere a Medea.
Ses projets ne réussissent pas ; ses calomnies sont découvertes
; et le duc la condamne à l'exil .
On voit par l'extrait de cette pièce , qui est un des chefsd'oeuvre
de Lope de Vega , combien ce poète est inférieur
à nos grands maîtres. Les caractères de Carlos et de Cassandre
, à quelques irrégularités près , sont assez bien
tracés : l'un offre le tableau intéressant de l'amour vertueux
et de l'innocence opprimée, l'autre peint les fureurs d'une
femme jalouse qui a abandonné ses devoirs . Mais le caractère
du duc de Bourgogne est tout-à-fait manqué; on
pourroit dire même qu'il est ridicule. Ses incertitudes continuelles
, sa foiblesse aveugle pour une femme coupable , ne
peuvent que le faire mépriser. Ce n'est pas ainsi que Racine
a tracé le rôle de Thésée qui est dans la même situation :
malgré la position désavantageuse dans laquelle il se trouve,
le poète français a su lui conserver une attitude toujours
JUILLET 1807: 167
noble et héroïque; c'est peut-être undes plus grands efforts
del'art.
M. d'Aguilar auroit rendu son discours préliminaire plus
intéressant et plus instructif , s'il eût voulu , ainsi que nous
venons de l'indiquer , se livrer à un examen plus approfondi
de la littérature espagnole. Nous avons été étonnés qu'il
n'ait rien dit d'une comédie très-célèbre , intitulée Célestine,
dont un critique espagnol parle ainsi : « Il n'y a aucun ouvrage
écrit en castillan où le style soit plus naturel , plus pur
etplus élégant. » (1 ) Cette pièce, qui paroît avoir précédé les
écrits de Lope de Vega , est aujourd'hui très-rare. Nous
la possédons ; et si nous avons occasion de parler encore
de la littérature espagnole , nous chercherons à en donner
une idée à nos lecteurs .
M. d'Aguilar promet un ouvrage plus étendu sur la littérature
espagnole; nous l'exhortons ày consacrer ses loisirs ,
à faireun meilleur choix des productions qu'il traduira , et
sur-tout à écrire en prose , plutôt qu'en vers .
P.
Nouveaux Opuscules de l'Abbé Fleury, sous-précepteur des
Enfans de France , etc. Un vol. in-12 . Prix : 2 fr. 25 c. ,
et3 fr. 25 c. par la poste.AParis , chez mad. v . Nyon,
libraire , rue du Jardinet; et chez le Normant.
TROISchoses recommandent ces Opuscules : leur objet,
lenomdeleur auteur, et celuide leur éditeur. Je dis d'abord
leur objet , parce qu'ils me paroissent propres à jeter de
nouvelles lumières sur des questions qui concernent l'autoritéecclésiastique
, et par conséquent celle des papes : questions
difficiles , questions dangereuses qu'il eût mieux valu
ne pas agiter, mais qu'il importe d'éclaircir dès qu'une fois
elles ont été imprudemment élevées , et qui n'ont peut-être
jamais été traitées avec assez de sagesse et d'impartialité ,
que par des auteurs français , entre lesquels il faut surtout
distinguer l'abbé Fleury. Je puis done ajouter que le
nom seul de cet auteur suffiroit pour recommander ce Recueil
. Qui ne seroit en effet curieux de connoître quelle a été ,
sur des questions aussi importantes , l'opinion d'un écrivain
(1) L'éditeur de Dom Qu chotte. Voici comment il s'exprime : Ningun
libro ai escrito en castillano adonde la lengua este mas natural, mas
propia, ni mas elegante.
4
I168. MERCURE DE FRANCE ,
aussi sage , sa véritable opinion , telle qu'il la développoit
pour son utilité particulière , ou pour celle de ses amis , dans,
des écrits qui ne devoient jamais voir le jour ? Enfin l'éditeur
de ces écrits est le savant respectable , et plus modeste
encore qu'il n'est savant , à qui nous devons l'Esprit de Leibnitz
et le Christianisme de François Bacon ; ou , ce qui le ,
caractérise mieux encore , c'est cet ecclésiastique vénérable
que Pon pourroit donner pour modèle aux plus vertueux ,
pour guide aux plus éclairés , qui a été en tout et de tout
temps, par ses vertus comme par ses lumières , dans les
jours mauvais comme dans les jours de bonheur, la lumière
et la consolation de nos églises , et qui , encore aujourd'hui ,
s'élève au milieu de ce qui nous reste de l'ancien clergé français
, comine ces colonnes qui subsistent seules quand l'édifice
dont elles étoient l'ornement et l'appui a été ruiné. Je
ne le nommerai pas , puisqu'il n'a pas voulu se nommer luimême;
mais je crois en avoir dit assez pour inspirer à tous
ceux qui aiment les bons livres le desir de lire ces Opuscules.
Je vais les parcourir le plus rapidement que je
pourrai,
« Nous croyons , dit l'éditeur dans une excellente préface ,
>>>nous croyons rendre un véritable service au public , en lui
>> donnant quelques ouvrages de M. Fleury qui ne lui sont
point connus , ou qui même n'ont jamais été imprimés .
» Après ce début , on sera surpris sans doute de voir à la
>> tête de notre collection le Discours si connu de M. l'abbé
>> Fleury , sur les libertés de l'Eglise Gallicane ; mais nous
>> avons pour l'y placer de justes raisons , et nous espérons
>> qu'on les trouvera telles , quand on les aura entendues . Il
>> est vrai que ce Discours a été imprimé plusieurs fois , et
> que rien n'est plus répandu , ni plus fréquemment cité ;
>> mais il est vrai aussi que les diverses éditions qu'on en a
>>données ne sont point d'accord entr'elles , et qu'on ne sait
>>même à laquelle on doit accorder la préférence. Il y a
> même lieu de douter s'il en existe une seule qui présente
>> le texte de M. Fleury dans son intégrité..... Or, nous
> sommes en état de faire cesser tous ces doutes , et toutes
>> ces perplexités . Le discours autographe de M. l'abbé
> Fleury est tombé entre nos mains , et nous le donnons ici
>> sans y changer une seule syllabe...
Il résulte de la comparaison que le nouvel éditeur a faite
de toutes ces éditions, soit entr'elles , soit avec le manuscrit
dont il est possesseur , qu'elles sont plus ou moins altérées .
Par exemple , depuis 1723 , époque où ce Discours parut
pour la première fois , jusqu'en 1755 , elles sont assez
JUILLET 1807. 169
exactes quant au texte ; seulement elles sont chargées de
notes scandaleuses , dans lesquelles , sous le prétexte d'éclaircir
certains passages , on les combat réellement , c'està-
dire qu'on y attaque l'autorité elle-même , pour laquelle
M. Fleury montroit le plus de respect. Il faut le dire : les
principes de M. Fleury sur les libertés de l'Eglise Gallicane ,
n'étoient pas du tout conformes à ceux des magistrats qui se
disoient les gardiens de ces libertés , et ce fut sans doute ce qui
engagea l'imprimeur de 1723 à ne pas se nommer. Ce qu'il
est permis de penser encore , c'est que le scandale de ces
notes fut peut- être ce qui préserva la France d'un scandale
encore plus grand , celui de voir condamner un Discours
aussi sage par des magistrats bien respectables d'ailleurs ,
mais qui eux- mêmes n'ont pas toujours assez respecté les
deux plus grandes autorités qui existent ; l'une dont ils
n'étoient que les organes , et l'autre dont ils n'auroient dû
être que les appuis. Cette édition de 1723 , contre laquelle
on a prétendu que le parlement avoit sévi , ne fut supprimée
( à cause des notes ) que par un arrêt du conseil ; et
selon l'usage , elle n'en fut pas moins renouvelée et réimprimée
pendant les années suivantes , et sans aucun changement,
jusqu'en 1755 .
Lorsqu'on lit ces notes , on y reconnoît facilement l'espritde
cette secte ridicule , qui toujours petite dans ses vues ,
petite dans ses moyens , et heureusement petite dans son
étendue , a été si justement nommée la petite Eglise , et ne
s'en croyoit pas moins la seule Eglise. C'étoient les Jansénistes
(puisqu'on ne peut se dispenser de nommer ici ces
obscurs fanatiques , que leur obscurité seule empêche d'être
dangereux) , c'étoient eux qui s'étoient chargés de commenter
et même de corriger Fleury , et qui , avec leur obstination
accoutumée , réimprimoient et reproduisoient sans cesse leur
commentaire. Il est probable qu'en 1755 , ils se réconcilièrent
avec quelques communautés respectables qu'ils y
avoient imprudemment attaquées ; peut-être aussi leurs
ennemis personnels étoient, morts à cette époque. Ce qu'il
y a de sûr , c'est que dans l'édition de 1755 , on supprima
quelques notes qui ne renfermoient que des personnalités .
D'ailleurs , toutes celles qui respiroient le mépris pour l'autorité
, tout ce qui caractérisoit la secte , fut religieusement
conservé. Ce qu'il faut ajouter encore , c'est que le texte y fut
assez respecté , comme il l'avoit été dans les précédentes ;
c'est-à-dire qu'il n'y fut que légèrement altéré , et dans les
seuls passages où il condamnoit formellement les sectaires
éditeurs . :
170 MERCURE DE FRANCE ,
Ce fut en 1763 , que la faction des Jansenistes s'unit àcelle
de quelques avocats , et qu'elles produisirent ensemble une
édition nouvelle. Celle-ci , qui porte en tête le nom de
M. Boucher d'Argis , et qui est la première qu'on ait imprimée
avec approbation, contenoit encore quelques notes de
moins que les précédentes . Mais ce qui la rendoit vraiment
nouvelle , c'étoit l'audace avec laquelle on s'y permettoit de
fairedirepresque dans chaque page à Fleury,toutle contraire
dece qu'il avoitdit. Dix ans après , ce mêmetexte ainsi altéré ,
tronqué , alongé , fut réimprimé , et avecdes notes encore plus
inconsidérées que toutes celles dont il avoit été précédeminent
surchargé. Heureusement l'auteur de ces notes s'y
montroit si platement et si follement fanatique , qu'il ne
pouvoit pas être dangereux. Il dit quelque part , à propos
de la bulle Unigenitus , qu'il est surpris « que la terre ne se
>>soit pas entr'ouverte pour engloutir les pays où Dieu ,
> dans sa colère , avoit envoyé une société aussi monstrueuse
>> que celle des Jésuites , etc. » Or, comme la société des
Jésuites étoit à -peu-près établie dans tous les pays , il suit
de là que la terre auroit dù s'entr'ouvrir partout , et s'engloutir
elle- même , uniquement parce qu'un pape avoitjugé
à propos de publier une bulle qui déplaisoit à ce commentateur.
Cela fait souvenir du souhait d'un philosophe de ce
siècle : « Je hais , je fuis la race humaine , composée d'es-
> claves et de tyrans ; et si elle ne peut devenir meilleure ,
> puisse-t- elle s'anéantir ! (1 ) » Quoique ce souhait soit en
effet un peu moins déplacé dans le livre où on le trouve ,
que celui du Janséniste à propos du Discours de Fleury, il
n'en est pas moins absurde. Tel est l'esprit de secte , sous
quelque couleur qu'il se présente : toujours intolérant , souvent
atroce , mais se sauvant quelquefois par l'excès du
ridicule , de l'excès de l'horreur .
Je vais montrer par quelques exemples , jusqu'à quel
point on s'étoit permis d'altérer le texte de Fleury , dans
cctte édition de 1765 , qui porte le nom de M. Boucher
d'Argis . Fleury avoit dit : « Dans l'exécution , l'appel
>>comme d'abus a passé en style ... C'est le moyen ordinaire
>> dont se servent les mauvais prêtres , pour se maintenir
>> dans leurs bénéfices malgré les évêques , ou du moins pour
> les fatigner par des procès sans fin. Car les parlemens
>>reçoivent toujours les appellations. Sous ce prétexte , ils
(1) C'est une phrase de Raynal. Onla trouve dans sa déclamation sur
la Traite des Nègres .
:
JUILLET 1807% 171
ils
» examinent les affaires dans le fond , et ôtent à la jurisdic-
» tion ecclésiastique ce qu'ils ne peuvent lui ôter directe-
» ment. Il y a quelques parlemens dont on se plaint qu
» font rarement justice aux évêques d'ailleurs le remède
» n'est pas réciproque . Si les juges laïques entreprennent
» sur l'Eglise , il n'y a point d'autre recours qu'au conseil
» du roi , composé encore de juges laïques , nourris dans les
» mêmes maximes que le parlement. Ainsi quelque mau-
» vais Français réfugié hors du royaume , pourroit faire un
» traité des servitudes de l'Eglise Gallicane , comme on en
» a fait des libertés ; et il ne manqueroit point de preuves. »
Voici maintenant ce qu'on lit dans l'édition plus correcte
de 1755 : « Dans l'exécution , l'appel comme d'abus est
» devenu très-fréquent .... Si quelques ecclésiastiques se
» servent de cette voie pour se maintenir dans leurs béné-
» fices malgré les évêques , les parlemens , aussi attentifs à
maintenir la pureté de la discipline , qu'à soutenir les
» droits du roi et de la jurisdiction séculière , ne manquent
» pas , lorsque l'appel est mal fondé , de déclarer qu'il y a
» abus. » Il est clair que ces deux passages sont entièrement
opposés l'un à l'autre ; que là où M. Fleury gémit sur des
abus déplorables , dans lesquels l'esprit de parti entraînoit
trop souvent les magistrats , M. Boucher d'Argis justifie
pleinement ces magistrats ; et , ce qu'il y a de bien singulier,
c'est que le premier ayant dit de quelques parlemens qu'ils
faisoient rarement justice aux évêques , le second lui ait
fait dire que les parlemens ne manquent jamais de la faire.
Il faut observer que ces appels comme d'abus , qui étoient
pour les évêques une véritable servitude , étoient mis par
les gens de Droit au nombre de leurs libertés .
3
Continuons. M. Fleury avoit dit : « Donc , si le pape ,
>> consulté par des évêques , a décidé une question de foi ,
» et que l'Eglise reçoive sa décision , l'affaire est terminée ,
» comme autrefois celle des Pélagiens , et , de notre temps,
» celle des Jansenistes . » Mais on sent bien que dans l'édition
plus correcte on a dû supprimer ces mots : et, de notre
temps , celle des Jansenistes. Cela étoit dans les règles . Une
pareille phrase étoit terrible pour ces sectaires , sur-tout
dans un auteur tel que Fleury. Il n'y avoit point de notes ,
point de commentaires qui pussent en affoiblir l'effet le
seul parti qu'il y avoit à prendre , c'étoit de la supprimer ;
et c'est ce qu'on fit . Telle est en général la marche qui fut
constamment suivie depuis le moment où le Discours de
M. Fleury parut pour la première fois . Les principes et
les jugemens qu'on y trouve acquéroient une grande force ,
172 MERCURE DE FRANCE ,
non-seulement par la manière dont ils y étoient établis , et
par le nom de son auteur , mais par les aveux meines qu'il
y fait, par le ton de franchise qui y règne , et par l'esprit
de vérité qui l'inspire . Pour peu qu'on eût de bonne foi , il
étoit bien difficile de ne pas croire un savant , un historien
respectable qui prêchoit la soumission à l'Eglise et à son
chef, en n'oubliant aucune des fautes qui ont été cominises
dans l'Eglise , et par ses chefs : il falloit donc tâcher d'affoiblir
l'effet que pouvoient produire ces jugemens et ces
principes , développés par un tel auteur ; et , pour cela , il
n'y avoit d'autre ressource que le mensonge ; il falloit de
toute nécessité faire parler Fleury tout autrement qu'il
p'avoit parlé. Il est arrivé de là que Fleury , si sage , si
réservé , si impartial , a paru quelquefois un furieux adversaire
de quelques préjugés ultramontains ; et la raison en
est évidente : c'est qu'en laissant subsister tout ce qu'il a
dit contre ces préjugés , on n'a jamais manqué de supprimer
tout ce qu'il dit pour les excuser. Ce qui est encore
résulté de là , c'est que Fleury, loué par les Jansénistes ,
qui en avoient voulu faire un homme de leur parti ; loué
par les philosophes , qui ne voyoient en lui qu'un historien
fort peu prévenu en faveur de lEglise romaine ; loué par
les hommes sages , qui le voyoient tel qu'il étoit , n'a été
véritablement censuré que par les ultramontains , qui n'entendoient
de loin que ceux qui crioient le plus fort , les
Jansénistes et les philosophes.
Il paroîtra singulier que je confonde ici dans une même
condamnation deux sectes qui se sont fait connoître par des
excès d'un genre si différent. Mais d'abord ce sont deux
sectes , et toutes les sectes sont égaleınent ridicules , lors même
qu'elles ne sont pas également dangereuses ; peut-être même
n'a-t- il manqué aux Jansénistes pour s'élever jusqu'à
la hauteur des philosophes , que d'avoir pendant quelques
années toute une nation à leurs ordres. D'ailleurs , les uns
et les autres ne se sont-ils pas montrés également ennemis
de toute autorité nécessaire ? N'ont-ils pas également employé
la ruse et le mensonge , quelquefois même l'audace ,
pour parvenir à leurs fins ? Si les premiers ont mutilé et
commenté Fleury , les seconds n'ont-ils pas mutilé et commenté
Pascal ? Si les Jansénistes ont fait de l'auteur de
'Histoire Ecclésiastique un ennemi des papes , les philosophes
n'out- ils pas fait de celui des Pensées un ennemi de
Dien ? Des deux côtés , c'est la même petitesse dans les
moyens , dans les vues , dans la vanité; seulement les uns
youloient réformer le monde , et les autres ne voulaient
JUILLET 1807 . 173
réformer que l'Eglise. En cela , les Jansénistes étoient plus
modestes. Mais qui a jamais douté de la modestie des Jansênistes?
Je n'ai jamais connu les Jésuites : il est possible que de
leur temps , ils aient aussi formé , sinon une secte , au moins
un parti ; et je crois que je n'aurois guère songé à les défenddrree..
Cependant, s'ils existoient encore, et qu'ilme fallût
choisir entr'eux et les deux partis qui se sont le plus acharnés
à leur poursuite , je serois peu embarrassé sur le choix ;
et d'abord je préférérois aux Jansénistes les philosophes.
Du moins on trouve parmi ces derniers des hommes aimables
, qui ont de l'esprit , du talent , quelquefois même
un peu de tolérance. Mais j'avoue en même temps que
j'aurois préféré les Jésuites aux philosophes , parce qu'à
juger des premiers par ce que j'en entends dire , et ce qui
nous reste d'eux , on devoit trouver parmi eux encore plus
d'esprit , de talent , de véritable tolérance ; et que d'ailleurs ,
même en admettant tous les reproches qu'on leur a faits ,
on ne peut s'empêcher de reconnoître qu'ils ont rendu de
grands services aux sciences , aux lettres et à la société. (1 )
J'ai cru que je devois au moins donner une idée des
changemens notables qui avoient été faits au texte de Fleury.
Il semble que la fonction la plus noble que puisse remplir
un critique , c'est de défendre la mémoire des grands écrivains
, lorsqu'elle est aussi indigneinent attaquée. Quel tort
plus grave en effet peut- on faire à un homme sage , et à un
historien impartial, que de lui prêter les erreurs et les
passions d'une faction absurde ? Et pour nous quel dévoir
tout à-la- fois plus sacré et plus consolant à remplir , que de
venger l'homme sage , et de rendre ainsi à la vérité tout
l'éclat que peuvent lui donner les noms illustres de ceux
qui l'ont de tout temps défendue ? Nous savons bien que
nous ne dégoûterons pas les faussaires d'inventer des calomnies
, et de tronquer , d'interpoler des passages partout
où cela leur convient. Nous savons même qu'on a trouvé ,
il n'y a pas long- temps , dans le Mercure , des phrases et des
maximes qui n'y sont pas , et que ces phrases ont été rap-
(1) Je ne confonds pas avec la secte ridicule des Jansénistes la société
de Port-Royal. Celle-ci a rendu bien autant de services aux sciences et
aux lettres que la société des Jésuites'; et parmi les ouvrages qu'elle a
produits , parini ceux même qui n'ont pas été pleinement approuvés
par l'autorité ecclésiastique , il n'en est point qui n'annoncent de grands
valens , de profondes études , l'amour de la vérité , tout ce qui inspire
l'estime.
1
174
MERCURE DE FRANCE ,
portées dans tous les journaux philosophiques , avec une bonne
foi qui ne nous étonne plus , parce que nous y sommes accoutumés
, mais dont les philosophes seuls ont donné l'exemple .
Qu'y faire ? Suivre notre marche ordinaire , comme ils suivent
celle qui leur est propre , et continuer de défendre les
grands écrivains et la vérité , pendant qu'ils continuent d'inventer
des mensonges , et de soutenir les petits écrivains .
»
»
Ce qui me reste à dire au sujet du Discours de M. Fleury
sur les libertés de l'Eg'ise Gallicane , c'est que ce discours
est imprimé dans ces Opuscules , tel que Fleury vouloit le
faire paroître , et , si j'ose m'exprimer ainsi , d'après la dernière
édition qu'il en avoit faite lui-même . « Les opinions ,
» dit le nouvel éditeur , que M. Boucher d'Argis juge contraires
à nos maximes et à nos libertés , et qu'on ne peut
» attribuer , selon lui , à un homme aussi judicieux que
M. Fleury , sont mot à mot dans le manuscrit orígi-
» nal ; et ce manuscrit portant la date de 1690 , il est donc
» constant qu'en 1690 , M. Fleury pensoit et écrivoit ainsi .
» Or , M. Fleury avoit en 1690 plus de cinquante ans : il
étoit sous - précepteur des Enfans de France ; il avoit déjà
donné au public le Catéchisme Historique , le Traité des
» Etudes , l'Institution au Droit Ecclésiastique , les Mours
des Israélites , etc .; il faisoit imprimer alors les quatre
» premiersvolumes de son Histoire Ecclésiastique. M. Fleury
» étoit donc très - capable à cette époque de former des opi-
» nions sur les matières ecclésiastiques ; et très -certaine-
» ment il avoit alors les opinions que M. Boucher d'Argis
» croit qu'on ne peut attribuer à un homme aussi judicieux
» que M. Fleury. »
»
>>
que
A la suite du Discours sur les libertés de l'Eglise Gallicane ,
l'éditeur a placé quelques écrits assez courts , qui se rapportent
au mêine sujet , et qui n'avoient point encore été imprimés.
Le premier poite en titre : Libertés de l'Eglise
Gallicane , et on y trouve ces paroles remarquables : « Si les
» parlemens sont les protecteurs des canons et de l'ancienne.
discipline , contre les nouveaux établissemens , ils doivent
» les combattre tous également , et par conséquent empêcher
» de tout leur pouvoir les commandes , les résignations en
» faveur , la régale , les décimes , etc. Loin de combattre
» ces nouveaux droits , ils les autorisent par leurs arrêts et
» leur conduite particulière . Ils ne s'opposent à la nouveauté
» que quand elle est favorable aux papes ou aux ecclésias-
» tiques , et font peu de cas de l'antiquité quand elle choque
» les intérêts du roi ou des particuliers laiques. »
>>
« En général , dit- il ailleurs , il seroit à souhaiter que
JUILLET 1807. 175
>> l'on gardât plus de mesures avec le pape , et que
> l'on pesát mûrement les conséquences de tout ce qu'on
>> publie contre ce qui vient de sa part ; qu'on exa-
>> minât quel est le fruit que nous pouvons attendre de
» nos plaintes , de nos protestations , de nos condam-
> nations , et qu'on le comparát avec les inconvéniens .
>> Il semble qu'il y ait une espèce de guerre entre la cour
>> et les parlemens. On est toujours sur ses gardes ; on
» s'alarme du moindre mot: on prend tout au criminel. »
Est-ce donc là cet auteur que les philosophes ont tant loué,
comme l'un des plus exacts et des plus judicieux de nos
historiens ! Ils le trouvoient exact , parce que dans son histoire
il rapporte toutes les fautes des papes et des évêques ;
et nous le trouvons tel , parce qu'il ne manque pas de
rapporter aussi tout le bien qu'ils ont fait; et que s'il parle
souvent de leurs torts , il parle encore plus souvent de leurs
vertus. Mais je doute que ces mêmes philosophes l'eussent
trouvé bien judicieux , s'ils avoient connu tous ses ouvrages
et les conséquences qu'il tire des faits qu'il avoit rapportés
dans sonhistoire , et de ceux qui sepassoient sous ses yeux .
Le passage précédent setrouvedansun écrit de M. Fleury,
au sujet d'un arrêt du parlement qui défendoit d'imprimer et
dedistribuer un bref du pape , que le roi avoit approuvé ,
et qui avoit été donné contre un mandement d'évêque que
le roi avoit fortement improuvé; et ce roi étoit Louis XIV.
Mais ce que j'y remarque sur-tout , ce sont ces paroles :
Je voudrois ..... qu'on examinat quel est le fruit que nous
pouvons attendre de nos plaintes , de nos pro estations , etc.
Assurément , je suis loin de croire que cette guerre continuelle
du sacerdoce et de l'Empire ait été la seule cause
de nos malheurs. Ce n'est pas elle seule qui a produit parmi
nous l'oubli de toute morale et de tout principe religieux ,
la destruction des parlemens et de la monarchie , l'oubli
et la destruction de tout ; mais qui oseroit nier qu'elle n'y
ait puissamment contribué ? Et n'est-il pas vrai que , si dans
cette guerre les philosophes ont vaillamment combattu dans
les premiers rangs , il falloit avant tout que cette guerre
existât, pour qu'ils eussent une occasion de combattre et de
se distinguer , comme ils l'ont fait ?
Ondiroit que les grands hommes ont une sorte d'instinct
qui leur fait lire dans l'avenir , et prévoir les événemens ,
avant même qu'ils soient probables. Certainement , rien
n'annonçoit , au commencement du dix-huitième siècle , la
catastrophe qui en a si horriblement signalé la fin : on ne
prévoyoit alors , ni que les Etats-généraux seroient assem
176 MERCURE DE FRANCE,
blés , ni qu'ils s'arrogeroient une autorité supérieure à celle
des rois . On trouve cependant une phrase assez remarquable
à ce sujet dans le Discours de Fleury sur les libertés de
P'Eglise Gallicane : « Quelques politiques , dit- il , ont pré-
» tendu décrier cette doctrine de la supériorité du concilè
» (sur le pape ) , par la comparaison des Etats-généraux :
> on les mettra , disent - ils , au - dessus du roi , comme le
> concile au- dessus du pape , en suivant les mêmes prin-
» cipes .... Mais doit- on décider des matières si importantes
>>par une comparaison ? Où trouve-t- on que l'Eglise et
> l'Etat doivent être réglés par les mêmes maximes , etc. ? »
Il y a , ce me semble , deux observations importantes à
faire sur ce passage. La première , que Fleury ne repousse
pas cette idée , qu'on mettra un jour les Etats-généraux audessus
du roi , comme on a mis le concile coecuménique audessus
du pape : il trouve seulement que cette idée sera
imauvaise , et fondée sur un faux raisonnement. La séconde ,
que cet auteur croit véritablement à la supériorité du concile
sur le pape : d'où il suit que , lorsque d'un autre côté
'il défend l'autorité du pontife contre les usurpations des
magistrats , il le fait avec la conviction que cette autorité lui
appartient , inais avec la conviction d'un Chrétien et d'un
Ecclésiastique éclairé , qui n'abandonne pour cela aucune
de nos anciennes maximes , lorsqu'il les trouve fondées en
raison .
Ce qu'il y a de bien singulier encore , c'est que cette
phrase , toute juste , toute prophétique qu'elle est , déplut
dans le Discours de Fleury ; et , cette fois , ce ne fut
point parce qu'elle étoit trop favorable aux papes , mais parce
qu'elle ne renfermoit pas une improbation assez marquée
des prétentions que les Etats-généraux pourroient élever un
jour. Voici donc comment on la corrigea : « Quelques
>>politiques ont prétendu décrier cette doctrine de la supé-
>> riorité du concile , en le comparant aux Etats-généraux ,
>>dont on sait que les prétentions tendoient à leur arroger
>>dans le gouvernement une autorité qui ne leur appartenoit
» pas. » Tout cela est juste; mais il est probable que si les
mêmes hommes qui , en 1765 , publièrent cette édition de
Fleury, en avoient publié une nouvelle en 1790 , ils auroient
aussi changé cette phrase , et dans un sens différent. Alors
ils auroient fait dire à Fleury, que les prétentions des Etatsgénéraux
étoient aussi fondées que celles du concile.
De tous les Opuscules qui sont renfermés dans ce volume,
*le plus intéressant est celui qui, par son étendue ,y оссире
*le moins de place. Il consiste seulement en quelques réflexions
JUILLET 1807. 197
5.
flexions sur la fameuse assemblée de 1682 , et sur la dé
claration qu'ony rédigea au sujet de l'autorité du pape. Il
est probable que Fleury se proposoit d'étendre ces notes ,
et d'en composer un Mémoire où il auroit montré dans
quel sens il faut entendre ce qu'on appelle les quatre Articles.
du clergé de France , et sur-tout dans quel sens les entendoit
Bossuet , qui en fut le principal rédacteur. On sera
peut - être surpris d'apprendre que ce fut malgré lui , et
après avoir épuisé tous les moyens de délai , que Bossuet
consentit enfin qu'on s'occupât de ces questions dangereuses .
Il ne proposoit rien moins que d'examiner préalablement
toute la tradition , pour pouvoir, dit Fleury, allonger tant
que l'on voudroit.
Tout le monde sait de quelles longues contestations ces
quatre Articles furent le principe. Tous les députés du
second ordre qui avoient assisté à cette assemblée de 1682 ,
et qui avoient été nommés à des évêchés , ne purent obtenir
des bulles qu'en 1693. Le pape exigeoit d'eux une lettre de
satisfaction, qui fut enfin envoyée. Mais ce qu'on ne savoit
pas , c'est que Louis XIV en écrivit une autre lui-même ,
dans laquelle il disoit au pape : Je suis bien aise de faire
savoir à Votre Sainteté que j'ai donné les ordres nécessaires
pourque les choses contenues dans mon édit du 2 mars 1682 ,
touchant la déclaration faite par le clergé de France , à
quoi les conjonctures passées m'avoient oblige, ne soient
point observées. Cette lettre , qui étoit restée inconnue à
tous les historiens , ou dont aucun d'eux n'a parlé , fut
publiée , pour la première fois , en 1789, dans le treizième
volume des OEuvres de d'Aguesseau . En conséquence de
cette lettre , le roi ne fit plus observer l'édit qui obligeoit
tous ceux qui vouloient parvenir aux grades , de soutenir la
déclaration du clergé. Mais on auroit tort d'en conclure
qu'il improuvât cette déclaration : car , lorsqu'en 1713 le
pape Clément XI refusa à M. l'abbé de Saint-Agnan des
bulles pour l'évêché de Beauvais , par la raison que cet abbé
avoit soutenu les quatre Articles du clergé , et lorsqu'il
sembla vouloir faire entendre que le roi lui-même avoit
contrevenu à un engagement qu'il avoit pris , Louis XIV
réclama fortement contre cette sorte d'inculpation : « Le
>>pape , écrivoit- il au cardinal de la Tremouille , dans une
lettre qui devoit être communiquée au souverain Pontife
alors régnant ; » le pape Innocent XII ne me demanda
» pas d'abandonner les maximes que suit le clergé de
>>France. Le pape ( Clément XI ) , qui étoit alors un de ses
>>principaux ministres , sait mieux que personne que l'en-
M
178 MERCURE DE FRANCE ,
> gagement que j'ai pris se réduisoit à ne pas faire exécuter
>>l'édit que j'avois fait en 1682 .... Il n'est pas juste que
j'empêche mes sujets de dire et de soutenir leurs sentimens
» sur une matière qu'il est libre de soutenir de part et
» d'autre , comme plusieurs autres questions de théologie ,
> sans donner la moindre atteinte à aucun des articles de
>> foi . »
Les autres pièces contenues dans ce Recueil , consistent
en quelques dissertations de peu d'importance ou dont
l'objet s'éloigne trop de la nature de ce Journal , pour que
nous en donnions ici l'analyse. Ce que j'y ai distingué , c'est
une description de la bibliothèque du collège de Clermont ,
faite en vers latins assez bons , et une lettre contenant une
Vie ou pour mieux dire un Recueil des principes et des
maximes de M.de Gaumont, conseiller-clerc à la grand'-
chambre. Ce magistrat est aujourd'hui oublié , et cependant
on lit cette lettre avec intérêt. C'est qu'elle contient un
tableau de moeurs qu'on ne trouve plus maintenant que
dans les livres . Le caractère de M. de Gaumont , la retraite
dans laquelle il vit , la simplicité , et pourtant une sorte de
majesté qui l'environnent , semblent appartenir à des temps
beaucoup plus éloignés de nous qu'ils ne le sont en effet.
Mais ce qui jette le plus d'intérêt sur les détails , d'ailleurs
un peu minutieux , dont cette lettre est remplie , et sur la
vie deM. de Gaumont , c'est que le jeune Fleury dut à ce
magistrat l'idée de composer une Histoire Ecclésiastique .
D'où il suit que nous lui devons nous - mêmes l'un des
meilleurs et des plus grands ouvrages qui aient été composés
dans le siècle passé.
Qu'il me soit permis de finir par une réflexion que les
lecteurs auront déjà faite avant moi. Où sont maintenant
les auteurs tels que Fleury ? Comment s'en formeroit- il
de pareils ? Je veux croire que les ministres ne manqueront
jamais à nos temples ; le temps manquera long-temps
encore à nos ministres pour se livrer à ces études profondes
, qui ont nourri , qui ont développé les talens de
nos Bossuet , de nos Massillon , et, dans un genre moins
brillant , mais non moins utile , de nos Fleury , de nos
Calmet, de tant d'autres qui avoient rendu le nom du
clergé français si respectable dans tout le monde chrétien.
Et quand le temps ne leur manqueroit pas , où sont ces vastes
bibhothèques , qui , répanques autrefois sur tous les points de
la France , offroient à tous les jeunes gens avides de onnossances
toutes les facilités qu'ils pouvoient desirer pour les
acquérir. Autrefois le clocher d'une antique abbaye , en
JUILLET 1807. 179
s'élevant au milieu d'une campagne déserte , non-seulement
promettoit au malheureux un asile et des secours , il annonçoit
encore à l'homme qui voyageoit pour s'instruire , des
trésors dans lesquels il pouvoit aller puiser de nouvelles richesse
. Ces trésors ont été dissipés; et dans la dispersion
générale de tant de livres , on sait assez que les livres
ecclésiastiques n'ont pas été les plus respectés. Que de vieux
monumens ont été détruits par l'ignorance , combien d'autres
par le fanatisme de l'impiété , et combien plus par l'indifférence
, qui les laissoit et qui les laisse encore tomber de
tous côtés ! J'ai vu de mes yeux de grands ouvrages dont la
composition avoit peut-être occupé la vie entière de leurs
laborieux auteurs , se traîner dans la poussière de nos quais ,
et s'y dissiper feuille à feuille . Ces volumes si effrayans pour
la paresse , ces livres que peu d'hommes ont la volonté ou la
patience de lire, sont pourtant ceux qui forment les savans ;
et comme il n'est pas probable que de long-temps on les
réimprime , c'est donc une perte déplorable que celle que
nous en faisons tous les jours. Et par quels livres les avonsnous
remplacés ! 11 a paru dans ces dernières années un assez
grand nombre d'ouvrages ascétiques , propres à nourrir et
augmenter la piété de ceux qui les lisent , et je n'ai rien à
dire contre de pareils ouvrages ; je loue même , je respecte
ceux qui les font. Mais ce n'est point seulement par ces sortes
d'ouvrages que le clergé français se distinguoit autrefois ; et
je ne renoncerois qu'avec regret à l'espérance de lui en voir
désormais produire , sinon de meilleurs , au moins de plus
grands.
VARIÉTÉS,
GUAIRARD .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ;
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
"T
Le Journal de l'Empire a inséré , dans son numéro
du 22 de ce mois , la lettre suivante. L'absence de M. de
Bonald nous impose le devoir de la faire connoître aux lec
teurs du Mercure de France :
AU RÉDACTEUR DU JOURNAL DE L'EMPIRE .
Monsieur ,
(
En attendant que M. de Bonald réponde lui-même aux
inlignes interprétations que l'on se permet de donner à ce
qu'il écrit , si toutefois il ne juge pas au-dessous de lui do
Ma
180 MERCURE DE FRANCE,
confondre des hommes qui ne peuvent l'attaquer qu'en dé
naturant sés pensées et ses expressions , permettez à un de
ses amis de rétablir dans votre Journal les phrases qu'on ne
se contente pas d'isoler , mais que ces messieurs refont à
leur inanière. Je dois observer que l'article sur la Tolerance
des Opinions , que l'on attaque aujourd'hui , a été imprimé
le 21 juin 1806 , c'est-à-dire il y a plus de treize mois; et
sans doute ces messieurs ont cru qu'il falloit ce temps pour
qu'il soit oublié. C'est dans cet article que je prendrai toutes
mes citations ; et le public jugera si jamais écrivain s'est
expliqué sur la tolérance avec plus de raison, avec plus de
cette bonté de coeur qui gagne les esprits plus encore que
l'éloquence. Je vais commencer par citer la phrase que ces
messieurs ont faite , et qu'ils mettent sur le compte de M. de
Bonald ; puis le commentaire qu'ilsy ont joint :
Un être souverainement juste et bon , doit être , par cela
même , souverainement intolérant .
« Ne sont-ils pas coupables au plus haut degré , disent
>>les commentateurs , ces écrivains qui proclament de nou-
>>veau des principes cent fois plus atroces que ceux qui ont
>>mis le poignard à la main des assassins de la Saint-Bar-
>>thélemy etdes bourreaux de septembre ? »
(Publiciste , dimanche 19 juillet. )
Le commentaire du Publiciste va plus loin ; mais je crois
devoir m'arrêter , parce que ce journal s'appuie d'un nom
trop au-dessus de toutes les discussions pour que je me permette
de le répéter. Voici maintenant ce qu'a écrit M. de
Bonald; un pareil rapprochement dispense de toute explication
:
« Il est temps , je crois , après un siècle d'usage ou d'abus ,
>> de chercher si cette expression de tolérance a le sens qu'on
» lui donne , ou même si jamais on lui a donné le sens vrai
» et raisonnable qu'elle peut recevoir.
>> On s'expose peut-être , en traitant un pareil sujet , au
» reproche d'intolérance ; mais , après une révolution , il
>> estdes hommes pour lesquels une injustice de plus ne
peut pas compter ; et certes , c'est un bien léger sacrifice
» à faire à la vérité que celui de quelques considérations
> personnelles.
»
?
» La tolérance est absolue ou conditionnelle , et en quelque
sorte provisoire . Absolue , elle est synonyme d'indif-
> férence; et c'est celle que les philosophes du dix-huitième
>> siècle ont voulu établir , et la seule (je prie le lecteur d'y
>> faire attention), la seule que l'on combatte dans cet article.
» La tolérance provisoire ou conditionnelle signifie support;
JUILLET 1807.
181
c'est celle que la sagesse conseille , et que la religion pres-
» crit, comme nous le ferons voir ; car c'est quelquefois
» faute de s'entendre , que les théologiens et les philosophes
» se sont disputés. La tolérance conditionnelle , ou le sup-
» port , doit être employée à l'égard de l'erreur , et même
» à l'égard de la vérité. Cette tolérance consiste à attendre le
>> moment favorable au triomphe pacifique de la vérité , et
à supporter l'erreur , tant qu'on ne pourroit la détruire
» sans s'exposer à des maux plus grands que ceux que l'on
» veut empêcher .
» La tolérance absolue , ou l'indifférence , ne convient ni à
» la vérité ni à l'erreur , qui ne peuvent jamais être indiffé-
>> rentes à l'être intelligent , nécessité , par sa nature ,
» rechercher en tout la vérité et à la distinguer de l'erreur ,
» pour embrasser l'une et rejeter l'autre. Ici je parle en gé-
» néral , et sans aucune application particulière .
ත
» La tolérance absolue , comme l'ont entendue nos sophistes
, ne conviendroit donc qu'à ce qui ne seroit ni vrai
» ni faux , à ce qui seroit indifférent en soi . Or , je ne crains
» pas d'avancer qu'il n'y a rien de ce genre , rien d'indiffé-
» rent dans les principes moraux , c'est-à-dire religieux et
politiques de la science de l'homme et de la société d'où
» l'on voit que la tolérance philosophique n'est pas d'un
» usage fort étendu , et qu'il eût été raisonnable de définir
» la tolérance avant de déclamer avec tant d'aigreur contré
» l'intolérance .
»
» Il suit de là une conséquence assez inattendue , et cependant
rigoureuse. C'est qu'à mesure que les hommes s'é-
» clairent , les questions s'éclaircissent et les opinions se
» décident. Les questions qui ont agité les esprits peuvent
» être jugées inutiles ou importantes ; mais enfin elles sont
» jugées : et dès- lors l'opinion qu'on doit en avoir cesse d'être
» indifférente ; car elle ne nous paroissoit telle qu'à cause de
» notre ignorance .
» Donc , à mesure qu'il y a plus de lumières dans la
» société , il doit y avoir moins de tolérance absolue ou d'in-
» différence sur les opinions. L'homme le plus éclairé seroit
» donc l'homme , sur les opinions , le moins indifférent ou
» le moins tolérant ; et l'être souverainement intelligent
» doit être , par une nécessité de sa nature , souverainement
intolérant ( dans le sens absolu ) , parce qu'à ses yeux,
» aucune opinion ne peut être indifférente , et qu'il connoît
» en tout le vrai et le faux des pensées des hommes . Cette
» conséquence s'aperçoit même dans le détail de la vie
humaine ; car , combien de choses et d'actions qui parois-
3
182 MERCURE DE FRANCE ,
» sent à l'homme borné , indifférentes et sans conséquence ,
» et qu'un homme éclairé juge dignes d'éloges ou de cen-
> sure !
x
» Demander à des êtres intelligens qui ne vivent pas seu
» lement de pain , mais pour la recherche de la connois-
» sance de la vérité , l'indifférence absolue sur des opinions ,
» quelles qu'elles soient , c'est donc demander l'impossible ;
» c'est prescrire le repos absolu à la matière qui n'existe que
>> par le mouvement . Mais si la tolérance absolue , où l'in-
» différence , est absurde et même coupable entre des opi-
» nions vraies ou fausses , et par- là nécessairement exclusives
» les unes des autres , la tolérance conditionnelle ou le sup-
» port mutuel doit exister entre des hommes qui professent
de bonne foi des opinions différentes . La nécessité de ce
support seroit , s'il en étoit besoin , appuyée par les raisons
» les plus décisives , et mieux encore par l'exemple du
» maître de tous les hommes en morale et même en politique.
Et ici il faut remarquer la différence de la tolérance
philosophique à la tolérance chrétienne .
>>
» Dans le chapitre VIII , qui termine le Contrat social ,
» et qui est sans contredit ce que J. J. Rousseau a écrit de
» plus foible , de plus sophistique et de plus inconséquent ,
» ce philosophe , qui croit sans doute qu'on établit une reli-
» gion comme on établit une fabrique , veut que le souverain
» décrète une religion civile , qui , avec quelques dogmes
positifs aura pour tout dogme négatif, l'intolérance ; ce
» qui veut dire, sans doute , que toute tolérance en sera sévè-
> rement exclue . Or , voici les effets de cette tolérance : sans
>>
pouvoir obliger personne à croire tous ces dogmes , le sou-
» verain pourra bannir de l'Etat quiconque ne les croirapas,
comme si les hommes , et Dieu même , pouvoient obliger
» quelqu'un à croire malgré lui , ou que des lois pénales
» ne fussent pas un moyen de contrainte ; il le bannira ,
non comme impie , mais comme insociable ; ce qui ,
crois , est assez indifférent à un banni , et ne rend pas
→ peine plus légère ; que si quelqu'un , après avoir reconnu
» publiquement ses dogmes , se conduit comme ne les croyant
» pas , qu'il soit puni de mort. ( 1 ) Heureusement pour
je
la
les
( 1 ) « J. J. Rousseau , au même chapitre , parle de l'intolérance de la
religion chrétienne , à laquelle il oppose la tolérance des Païens : et
» il ajoute « l est impossible de vivre en paix avec des gens qu'o t
» croit damnés. » C'est comme s'il eût dit : « Il est impossible d :
» vivre en paix avec des gens qu'on croit pendus . » Cette phrase est
fausse grammaticalement , et elle renferme un sens faux ; car si
JUILLET 1807. 183
> foibles humains , qui trop souvent ne croient pas ce qu'ils
>> doivent croire , et plus souvent encore , après avoir connu
>> et reconnu publiquement la vérité , se conduisent comme
>> ne la croyant pas , Jésus-Christ ne veut pas qu'on les
> bannisse de leur patrie, encore moins qu'on les tue; il
>> réprime le zèle indiscret de ses disciples , qui vouloient
>> faire descendre le feu du ciel sur les villes criminelles ; et
>> enveloppant , à son ordinaire , les plus hautes vérités sous
>> des expressions familières , comme il étoit lui-même la
>> divine sagesse cachée sous les dehors de la foible huma-
> nité , il leur recommande de laisser croître ensemble le
» bon grain et l'ivraie jusqu'au temps de la moisson . Ad-
>>mirable leçon de morale et de politique , qui apprend
>>auxgouvernemens qu'ils s'exposent à retarder le triomphe
» de la vérité , en voulant , avant le temps , détruire les
>> erreurs qui ont germé dans le champ de la société ; mais
» que lorsque la vérité a reçu , par le temps et les événe-
>.> mens , tous ses développemens , elle entre ouelle rentre
>> sans effort dans les esprits , comme le froment parvenu à
>> sa maturité qui est serré dans les greniers du père de
>> famille , tandis que l'erreur , graine inutile et desséchée
>>par les ardeurs de l'été , et que le moindre vent emporte
de l'aire , disparoît sans violence et sans bruit de lamé-
» moire des hommes . »
(Mercure de France , du 21 juin 1806. )
Je me flatte , Monsieur , que vous excuserez cette longue
citation en faveur d'un homme dont vous estimez les vertus
et le talent. Je n'ajoute qu'un mot : ce n'est point l'article
du- 21 juin 1806 , sur la Tolérance des Opinions , qui a
soulevé contre M. de Bonald l'arrière-ban de la philosophie
, mais bien celui du 27 juin 1807 , sur l'Equilibre
politique en Europe. : B. L.
M. le Conseiller - d'Etat à vie , directeur - général de
l'instruction publique , avoit renvoyé à l'examen du Conservatoire
impérial de musique deux pianos , construit par
MM. Pfeiffer et compagnie. Le Conservatoire a nommé en
Rousseau eût voulu lever l'équivoque , il n'auroit pas pu fire un
>> sophi me , et on lui auroit répondu : Que la religion chrétienne qui
>> condanne les erreurs , ne damne pas les individus quiles professent ;
» qu'e le nous défend sévèrement de juger que tel ou tel homme , mort
» ou vivant , quoiqu'il ait été ou qu'il soit encore , sotou sera damné;
>> et qu'elle laisse à la suprème justice , qui seule sait quand et dans
>> quelles disposit ons notre ante se sépare du corps qu'elle anime , l'im
>> pénétrable secret de notre destinée .>>
(Note de M. DE BONALD. )
4
184 MERCURE DE FRANCE ,
conséquence une commission composée de MM. Adam ,
Berion , Catel , Gossec , Kreutzer , Jadin et Méhul. Elle
s'est réunie dans la salle où étoient déposés deux instrumens
à clavier , de la nature de ceux connus sous lenomde
piano , mais de forme différente ; le mécanisme de l'un de
ces pianos est établi verticalement ; il a déjà été remarqué
dans la dernière exposition de l'industrie nationale. Le second
piano n'avoit point encore paru; son mécanisme est établi
horizontalement , et renfermé dans une caisse triangulaire.
L'avis de la commission a été, que les formes de ces deux instrumens
semblent avoir été imaginées pour occuper le moins
d'espace possible , en remplissant cependant les conditions
des pianos jusqu'à présent en usage. En effet , le piano vertical
, dont l'invention est due aux Autrichiens , et que
M. Pfeiffer a fait connoître à Paris , n'occupe de place que
celle nécessaire pour l'épaisseur de la caisse d'un piano ordinaire
, dressée verticalement , en y ajoutant la saillie d'un
clavier. Le mécanisme en a paru parfaitement exécuté; il
annonce des hommes instruits dans toutes les parties de l'art
du facteur , de cet art porté actuellement à un si haut degré de
perfection. Les jeux de cet instrument sont faciles et agréables.
Celui à forme triangulaire peut se placer contre les parois de
l'appartement, sans que l'exécutant soit obligé de tourner le
dos aux auditeurs , ce qui arrive avec les pianos en usage ; si
on ne les isole pas; le clavier de celui-ci se trouve placé sur
l'un des côtés du triangle ; le mécanisme de cet instrument ne
présente de différences avec les autres pianos que dans l'applicationdu
renversement du clavier, et dans une nouvelle composition
de marteaux que les auters annoncent devoir être
meilleure, ce qui sera constaté par l'usage.
L'exécution de cet instrument est comme celle du précédent
, extrêmement soignée , et doit mériter à MM. Pfeiffer
et compagnie la bienveillance des amateurs et les encouragemens
du gouvernement.
S. M. le roi de Naples a écrit à M. Baour - Lormian
auteur de la tragédie d'Omasis , la lettre suivante :
Naples , 21 mars 1807.
2
« Je reçois , Monsieur , votre lettre du 10 février et votre
>> tragédie de Joseph ; je vous remercie de l'une et de l'autre.
» Il y a déjà quelques semaines que nous avons lu votre tra-
>> gédie avec des personnes qui partagent mon goût pour ce
>> genre de poésie;nous lisons nous-mêmes, en attendant que
>>nous ayons une réunion d'acteurs dont vous ne rougissiez
> pas. Vous seriez plus indulgent que l'Arioste , Monsieur, en
JUILLET 1807 . 185
>> nous entendant lire vos vers. Au reste , sa colère n'étoit pas
>>bien sérieuse , et les auteurs sont toujours charmés de trouver
>> des gens qui ont le goût et l'amour de leurs ouvrages.
>> Comptez-moi dans ce nombre , Monsieur, et croyez-moi
>> votre affectionné , JOSEPH. >>
- Le dimanche 12 juillet , M. Villoteau , membre de la
commission des Sciences et Arts d'Egypte , accompagné de
M. Marcel , directeur-général de l'Imprimerie impériale , et
membre de la Légion d'Honneur , a eu l'honneur d'offrir à
S. M. l'Impératrice et Reine , un exemplaire des Recherches
sur l'analogie de la musique avec les arts qui ont pour objet
l'imitation du langage. S. M. I. et R. a daigné accueillir avec
bonté l'hommage de cet ouvrage plein d'érudition , dont le
précis , lu à la 3ª classe de l'Institut , avoit mérité les suffrages
de cette société savante, et dont S. M. le roi de Hollande a
bien voulu accepter la dédicace.
-M. Lunier , auteur du Dictionnaire des Sciences et des
Arts , est mort subitement , la semaine dernière , à l'âge de
58 ans .
- On rétablit , dans ce moment , les deux statues qu'on
voyoit autrefois sur les pilastres placés aux deux côtés de la
barrière des Bons-Hommes. Ces deux statues représentoient
la Bretagne et la Normandie, deux de nos provinces où cette
route conduit.
VACCINE.
<<On doit être étonné qu'après huit ans d'une expérience
toujours couronnée de succès , qu'après tant d'épreuves
variées , répétées dans tous les pays où les lumières ont pu
pénétrer, des faux bruits circulent encore contre une des plus
heureuses découvertes du siècle dernier. Le comité central de
la société de vaccine doit à la confiance dont l'a revêtu S. Exc .
le ministre de l'intérieur , de chercher à détruire les fâcheuses
impressions que ces bruits peuvent faire dans le public.
« Le comité est instruit qu'on reproduit avec adresse et
sur-tout avec des précautions insidieuses, les objections qu'on
opposoit, dans les premiers temps, à l'introduction de la vaccine;
il sait que des petites véroles volantes , des éruptions
fugaces avec ou sans fièvre , survenues pendant les chaleurs , à
des enfans vaccinés , ont été prises pour des petites véroles
contagieuses . Il n'ignore pas non plus que des hommes connus
pour faire un trafic de l'inoculation de la petite vérole ,
recueillent avec mystère tous ces faits épars , les colportent
dans le public , et cherchent , par des citations mensongères ,
àéloigner les parens d'adopter pour leurs enfans un préservatif
-dont la vertu est sanctionnée en France par huit ans d'obser
186 MERCURE DE FRANCE ,
vations et de succès. A toutes ces allégations ,le comité peut
répondre avec la bonne foi et l'impartialité dont il a déjà
donnétantde preuves, que les chaleurs ramènent constainment
àla peau des affections éruptives qui tantôt se bornent à des
plaques rouges , qu'autrefois se caractérisent par des boutons
détachés qui paroissent, suppurent et se dessechent successivement
sur les différentes parties du corps ; que ces éruptions,
rarement accompagnées de fièvre , n'offrent rien de
contagieux , et ne peuvent jamais être confondues avec la
petite-vérole pardes personnes de l'art, tant soit peu exercées
a voir cette maladie ; que , pendant les dernières chaleurs , on
les a également observées sur les sujets vaccinés et sur ceux
qui ne l'ont pas été; qu'enfin , cette année- ci , comme les
précédentes , la matière en a été inoculée à divers sujets qui
n'avoient encore eu ni la variole , ni la vaccine , et qu'elle ne
s'est développée sur aucun.
>> A. des faits aussi positifs , dont la vérité pratique doit
frapper les esprits les moins éclairés , le comité central en
ajoute d'autres qui sont d'une observation constante et journalière.
Depuis sept ans que la vaccine a été inoculée à tous
les enfans du Lycée impérial , et à ceux des hospices des
orphelins et des orphelines , il n'y a eu , dans ces trois établis
semens , aucun exemple de petite vérole. Dans ces trois maisons
, a donc été résolu, comme nous l'avons déjà dit , le
problème de la possibilité de l'extinction de la petite vérole.
Il suffit à quelques personnes de connoître cet important résultat,
pour chercher dans la vaccine un abri contre les épidémies
varioleuses; aussi le comité ne craint-il pas de le publier
de nouveau comme la réponse la plus forte qu'il puisse
faire aux détracteurs cachés de la nouvelle inoculation . La
vaccine n'est plus et ne doit plus être un point de controverse
ni un sujet de discussion : le temps , les nombreux essais qui
en ont été faits , ont complètement résolu la question. Cette
découverte doit triompher de tous les obstacles; mais pour
parvenir à ce but, le comité ne se dissimule pas qu'il faut
une activité constante , une sage réunion d'efforts , et quelquefois
une fréquente répétition des mêmes faits.
>> Le gouvernement considère la vaccine comme le plus
puissant moyen de conserver , d'embellir , d'accroître la population
de l'Empire. Dans cette intention , les ordres les plus
formels ont été donnés par M. le conseiller d'Etat , chargé de
l'instruction publique , pour n'admettre dans les lycées et
écoles secondaires que des enfans vaccinés ou ayant eu précédemment
la petite vérole. Son excellence a adopté la même
mesure pour les élèves des écoles vétérinaires ; plusieurs co
JUILLET 1807 . 187
mités de bienfaisance à Paris ont pris le sage parti de ne distribuer
des secours aux familles indigentes , que lorsque la
vaccine auroit mis leurs enfans hors des dangers de la petite
vérole. Ils ont trouvé , dans l'exécution de cette mesure , une
économie bien entendue , et la certitude que la contagion ne
dévasteroit pas des ménages entiers. Enfin, sur presque tous
les points de la France , MM. les évêques ont , dans des lettres
pastorales , recommandé à leurs coopérateurs d'éclairer leurs
paroissiens sur les bienfaits d'une méthode que le gouvernement
, même au milieu des travaux de la guerre, n'a cessé
d'encourager.
>> En entrant de nouveau dans ces détails , le comité central
a voulu réveiller l'attention du public sur le but constant
de ses travaux , et le prémunir contre les fausses suggestions
de la mauvaise foi et de l'ignorance. Il lui suffit d'avoir fait
connoître que les éruptions qui surviennent à présent à quelques
enfans vaccinés et à ceux qui ne l'ont pas été , sont des
petites véroles volantes ou des exanthèmes passagers ; que ,
jusqu'à présent , aucun fait bien exactement constaté n'est
venu atténuer la confiance que doit nécessaire- ment inspirer
la vaccine ; que le gouvernement encourage et récompense
les personnes qui , en la propageant , remplissent ses intentions
, et que les gens de l'art trouveront auprès du comité
toutes les facilités nécessaires pour la répandre. A cet égard ,
le comité rappelle que les vaccinations gratuites continuent à
se pratiquer dans son hospice , rue du Battoir Saint André ,
n°. 1, les mardis et samedis , à midi précis , et que toutes les
personnes y sont admises sans aucune distinction.
Fait en séance , le 17 juillet 1807 .
Signé Huzard, président ; Corvisart , Hallé , Thouret ,
Pinel , Leroux , Guillotin , Jadelot , Mougenot , Parfait ,
Salmade, Marin , Doussin- Dubreuil , Delasteyrie , Husson
, secrétaire .
NOUVELLES POLITIQUES.
Stetin , 12 juillet.
Voici la traduction littérale d'un ordre du jour imprimé
en langue allemande dans les gazettes de Stetin , de Hambourg,
etc.
Ordre du joer.
1
Le corps d'observation de la Grande-Armée devant se tenir en mesure
contre une attaque dont il est menacé , va rentrer dans la Pomeranie
suédoise .
Un armistice avoit été conclu avec la Suède , le 18 avril , à Schlatkow
Les hostilités ne devoient recommencer qu'ap és s'être prévenu dix jours
188 MERCURE DE FRANCE ;
d'avance. Les généraux étendi ent ensuite ce terme à trente jours , par un
article additionnel , signé à Stra sund , le 29 du même mois.
Ce dernier arrangement n'avoit éprouvé aucune difficulté : cependant
S. M. le roinde Suède parut en Pomeranie , prit le commandement
de son umée , et manifesta aussitôt le dessein de n'observer que la
prem è e stipulation de dix jou s.
En même temps sa ma ine , stationnée devant Colberg , exerça , au
mépris de l'armistice , des hostilités contre les corps français et al iés
assiégeant ett place. Il résulta de cet état de choses une correspondanceentre
les généraux ; et le roi de Suède, pour terminer les discussions
, me fit proposer une entrevue à Schlakow , sur le territoire
suédois On prétendoit alors que l'apparit on du roi , qui d'abord avoit
étéd'un mauvais augure , ne venoit que de son desir de diriger lui -même
les choses. On fut même porté à croire que , malgré les apparen es , on
pou roit en venir à des ouvertures tendantes à un arrangement solide et
une paix durable.
Le 4 juin , je me rendis à Schlatkow accompagné de cinq à six
offici rs et d'autant de gendarmes d'ordonnance. L'aide- de- camp de
S. M. suédoi e m'avoit prévenu que le roi se trouvoit à Schatkow ,
presque sans e corte et avec une suite peu nombreuse. Amon arrivée , je
vis la maisondu roi sans garde ; un escadron de cavalerie étoit dans la
cour, en ordr de batasile. Dès que je me trouvai seul avec le roi , je lui
exposai les motifs de len revue ; mais il m'interrompit aussi ot en me
déclarant que sa volo te étoit muuablement fixée pour le terme de dix
jours , et il él igna ainsi d'autorité toutes les questions qui devient fire
l'objet de la conférence. Mais ce que l'Europe ap rendra avec indignation
parce quele droit des gens et les lois de l'honneur furent a -là violés ,
c'estque ce prince osa poposer au général français , à l'un des premiers
sujets de l'Empereur Napoléon , de trahir son souverain et sa patrie. Il
l'invita à embrasser le parti des Anglais , et à se ranger sous les drapeaux
d'une bande de tran fuges devenus insensibles au bonheur de leur patrie
et étrangers à sa gloire Cette conference prouva que le roi de Suède ,
partageant le délire de ces étrangers , leur sacrifie les intérêts les plus
chers de son peuple.
Depuis cette conférence, le ro a fait continuer les hostilités devant
Colberg , et à l'embouchure de la Trave. Il a tiré de l'Angleterre de l'argent
et des soldats ; il a ramassé tout ce qu'il a pu de fuyard et déserteurs ;
et enfin, se confiant en sa puissance , il a déboncé l'armistice de dix
jours , le 3 juillet , au moment même où il devoit avoir connoissance des
nouvelles dispositios de la Russie et de la Prusse .
Les hostilités avec la Suède recommencent donc le 13 de ce mois.
Nous ponvions les recommencer plutôt , puisque la conduire du roi n'a
offert qu'une suite de violations manifestes ; mais il est dans le caractère
de notre souver in d'être gand par sa modération et sa générosité ,
comme il est grand par son génie et ses exploits . L'Europe saura apprécier
cette enduite ; elle connoîtra ceux qui veulent prolonger les fléaux
de la guerre.
Les troupes françaises et alliées se disputeront le prix du courage et de
la discipline; elles n'oublieront pas que le regard del'Empereur Napoléon
plane sur elles . Je ne doute pas que nous ne méritions tous son approbation
par notre dévouement. Signé BRUNE.
JUILLET 1807. 189
PARIS, vendredi 24 juillet.
-Aujourd'hui , à quatre heures , S. A. S. l'archichancelier
de l'Empire s'est rendu au sénat conservateur , et lui adonné,
au nom de l'EMPEREUR, communication des deux traités de
paix conclus avec la Russie et avec la Prusse.
-La publication de la paix a été faite ce soir : le cortège
étoit brillant, et sur toutes les places on se portoit en foule
pour prendre part à la joie qu'inspire un aussi heureux événement.
Les cris de vive l'Empereeuurr!! interrompoient souvent
les héraults d'armes , et redoubloient à la fin de chaque
proclamation. Le soir , l'illumination a été générale. Nous
donnerons dans le prochain numéro le texte des deux traités.
-
Par undécret daté de Tilsit , 10 juillet 1807 , S. M. a
nommé M. Lacépède , président du sénat, pour la durée d'une
année.
-Hier la cour de cassation a rejeté le pourvoide madame
de Thémines.
-
Tilsit , 9juillet 1807 .
L'échange des ratificationsdu traité de paix entre la France
et laRussie , a eu lieu aujourd'hui , à 9 heures du matin. A
onzeheures , l'Empereur Napoléon, portant legrand cordon
de l'Ordre de Saint André , s'est rendu chez l'Empereur
Alexandre , qui l'a reçu à la tête de sa garde, et ayant la grande
décoration de la Légion-d'Honneur. L'EMPEREUR a demandé
à voir le soldat de la garde russe qui s'étoit le plus distingué
: il lui a été présenté. S. M. , en témoignage de son estime
pour la garde impériale russe , a donné à ce brave l'aigle d'or
de la Légion-d'Honneur.
Les Empereurs sont restés ensemble pendant trois heures
et sont ensuite montés à cheval. Ils se sont rendus au bord du
Niemen , où l'Empereur Alexandre s'est embarqué. L'Empereur
Napoléon est demeuré sur le rivage jusqu'a ceque l'Empereur
Alexandre fût arrivé à l'autre bord. Les marques
d'affection que ces princes se sont données en se séparant , ont
excité la plus vive émotion parmi les nombreux spectateurs
qui s'étoient rassemblés pour voir les plus grands souverains
dumonde offrir , dans les témoignages de leur union et de
leur amitié , un solide garant du repos de la terre.
L'Empereur Napoléon a fait remettre le grand cordon de
la Légion-d'Honneur au grand - duc Constantin , au prince
Kourakin , au prince Labanoffet à M. de Budberg.
L'Empereur Alexandre a donné le grand Ordre de Saint
190 MERCURE DE FRANCE ,
André au prince Jérôme Napoléon , roi de Westphalie , au
grand-duc de Berg et de Clèves , au prince de Neuchâtel et
au prince de Bénévent.
Atrois heures d'après midi , le roi de Prusse est venu voir
l'Empereur Napoléon. Ces deux souverains se sont entretenus
pendant une demi-heure. Immédiatement après , l'Empereur
Napoléon a rendu au roi de Prusse sa visite. Il est ensuite
parti pour Koenigsberg.
Ainsi, les trois souverains ont séjourné pendant vingt jours
à Tilsit. Cette petite ville étoit le point de réunion des deux
armées. Ces soldats qui naguère étoient ennemis , se donnoient
des témoignages réciproques d'amitié , qui n'ont pas été
troublés par le plus léger désordre.
Hier, l'Empereur Alexandre avoit fait passer le Niemen à
une dixaine de baschirs qui ont donné à l'Einpereur Napoléon
un concert à la manière de leur pays.
L'EMPEREUR , en témoignage de son estime pour le général
Platow , hetman des Cosaques , lui a fait présent de son portrait.
Les Russes ont remarqué que le 27 juin ( style russe ,
9 juillet du calendrier grégorien ),jour de la ratification du
traité de paix , est l'anniversaire de la bataille de Pultava qui
fut si glorieuse , et qui assura tant d'avantages à l'Empire de
Russie. Ils en tirent un augure favorable pour la durée de la
paix et de l'amitié qui viennent de s'établir entre ces deux
grands Empires. (Moniteur.)
LXXXVII BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Kænigsberg , le 12juillet 1807 .
LesEmpereurs de France et de Russie, après avoir séjourné
pendant vingt jours à Tilsit , où les deux maisons impériales ,
situées dans la même rue , étoient à peu de distance l'une de
l'autre , se sont séparés le 9, à trois heures après-midi , en se
donnant les plus grandes marques d'amitié. Le journal de ce
qui s'est passé pendant la durée de leur séjour , sera d'un
véritable intérêt pour les deux peuples.
Après avoir reçu, à trois heures et demie, la visite d'adieu
du roi de Prusse , qui est retourné à Memel , l'Empereur
Napoléon est parti pour Kænigsberg , où il est arrivé , le 10,
à quatre heures du matin.
Il a fait hier la visite du port dans un canot qui étoit servi
par les marins de la garde. S. M. passe aujourd'hui la revue
du corps du maréchal Soult, et part demain à deux heures du
matin pour Dresde .
JUILLET 1807 . 19
Le nombre des Russes tués à la bataille de Friedland s'élève
à 17,500; celui des prisonniers est de 40,000 ; 18,000 sont
passés à Koenigsberg , 7000 sont restés malades dans les hôpi
taux; le reste a été dirigé sur Thorn et Varsovie. Les ordres
ont été donnés pour qu'ils fussent renvoyés en Russie sans
délai ; 7000 sont déjà revenus à Koenigsberg , et vont être
rendus. Ceux qui sont en France , seront formés en régimens
provisoires. L'Empereur a ordonné de les habiller et de les
armer .
Les ratifications du traité de paix entre la France et la
Russie avoient été échangées à Tilsit le 9; celles du traité de
paix entre la France et la Prusse , l'ont été ici aujourd'hui.
Les plénipotentiaires chargés de ces négociations étoient ,
pour la France , M. le prince de Bénévent ; pour la Russie ,
le prince Kourakin et le prince Labanoff; pour la Prusse , le
feld-maréchal comte Kalkreuth et le comte de Goltz.
la
Après de tels événemens , on ne peut s'empêcher de sourire
quand on entend parler de la grande expédition anglaise et
de la nouvelle frénésie qui s'est emparée du roi de Suède. On
doit remarquer d'ailleurs que l'armée d'observation de l'Elbe
et de l'Oder , étoit de 70,000 homines , indépendamment de
Grande-Armée , et non compris les divisions espagnoles qui
sont en ce moment sur l'Oder. Ainsi il auroit fallu que l'Angleterre
mît en expédition toute son armée, ses milices , ses
volontaires , ses fencibles pour opérer une diversion sérieuse.
Quand on considère que , dans de telles circonstances , elle a
envoyé 6000 hommes se faire massacrer par les Arabes , et
7000 hommes dans les Indes espagnoles , on ne peut qu'avoir
pitié de l'excessive avidité qui tourmente ce cabinet.
La paix de Tilsit met fin aux opérations de la Grande-
Armée; mais toutes les côtes , tous les ports de la Prusse
n'en resteront pas moins fermés aux Anglais. Il est probable
que le blocus continental ne sera pas un vain mot.
La Porte a été comprise dans le traité. La révolution qui
vient de s'opérer à Constantinople , est une révolution antichrétienne
qui n'a rien de commun avec la politique de l'Europe.
L'adjudant-commandant Guilleminot est parti pour la
Bessarabie , où il va infermer le grand-visir, de la paix , de
la liberté qu'à la Porte d'y prendre part, et des conditions
qui la concernent.
Koenigsberg , le 13juillet.
L'Empereur a passé hier la revue du 4º corps d'armée .
Arrivé au 26º régiment d'infanterie légère , on lui présenta
le capitaine de grenadiers Roussel. Ce brave soldat, fait prisonnier
a l'affaire de Hoff, avoit été remis aux Prussiens.
192
MERCURE DE FRANCE ,
3434
Il se trouva dans un appartement où un insolent officier
se livroit à toute espèce d'invectives contre l'Empereur.
Roussel supporta d'abord patiemment ces injures , mais enfin
il se lève fièrement en lisant : « Il n'y a que des lâches qui
>> puissent tenir de pareils propos contre l'Empereur Napo-
» léon devant un de ses soldats. Si je suis contraint d'en-
» tendre de pareilles infamies , je suis à votre discrétion ,
>> donnez-moi la mort. » Plusieurs autres officiers prussiens
qui étoient présens , ayant autant de jactance que peu de
mérite et d'honneur , voulurent se porter contre ce brave
militaire à des voies de fait. Roussel, seul contre sept où
huit personnes , auroit passé un mauvais quart- d'heure , si
un officier russe survenant à l'instant , ne se fût jeté devant
lui le sabre à la main : « C'est notre prisonnier , dit-il ,
» et non le vôtre. Il a raison , et vous outragez lâchement
» le premier capitaine de l'Europe. Avant de frapper ce
» brave homme , il vous faudra passer sur mon corps. »
Fn général , autant les prisonniers français se louent des
Russes , autant ils se plaignent des Prussiens , sur-tout du
général Ruchel , officier aussi méchant et fanfaron , qu'il est
inepte et ignorant sur le champ de bataille. Des corps
prussiens qui se trouvoient à la journée d'Jéna , le sien est
celui qui s'est le moins bravement comporté.
A
En entrant à Koenigsberg , on a trouvé aux galères un caperal
français , qui y avoit été jeté , parce qu'entendant les sectateurs
de Ruchel parler mal de l'Empereur , il s'étoit emporté
et avoit déclaré ne pas vouloir le souffrir en sa présence
.
Le général Victor , qui fut fait prisonnier dans une chaise
de poste par un guet-à-pens , a eu aussi à se plaindre du traitement
qu'il a reçu du général Ruchel , qui étoit gouverneur
de Koenigsberg. C'est cependant le même Ruchel qui , blessé
griévement à la bataille d'Jéna , fut accablé de bons traitemens
les Français ; c'est lui qu'on laissa libre , et à qui , au lieu
d'envoyer des gardes comme on devoit le faire , on envoya des
chirurgiens. Heureusement que le nombre des hommes auxquels
il faut se repentir d'avoir fait du bien , n'est pas grand.
Quoi qu'en disent les misantropes , les ingrats et les pervers
forment une exception dans l'espèce humaine.
par
DU VENDREDI 17. -
FONDS PUBLICS.
b
( Moniteur. )
·C p. 0/0 c. J. du 222 mars 1807 , 8of 20c 25c. 3oc
35c 3oc oc 40c obc ooc oof oof ooc doe oof ooc odc ooc ooc oof ooc oos
Idem Jouiss. du 22 sept . 1807 , 77f 50c 50c . oof ooc coc
Act. de la Banque de Fr. 1375f 000of oec 0000f
TO(
Nº. CCCXV. )
24
DE LA
( SAMEDI 1er AOUT 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
EPT
ce
LA PAIX DE TILSIT
ODE
It vient donc consoler la terre
Ce jour si cher à nos souhaits ,
Où l'astre brûlant de la guerre
Cède aux doux rayons de la paix.
En exhalant un vain blasphème ,
La Discorde cède elle-même
A la valeur de nos guerriers :
Je vois le calme reparoître ,
Et les oliviers vont renaître
A l'ombre illustre des lauriers.
Salut , défenseurs magnanimes
De notre gloire et de nos droits ;
Jamais des élans plus sublimes
N'ont produit de plus beaux exploits .
Ah ! quand, dans une autre carrière ,
On n'a pas, aux champs de la guerre,
Comme vous , pu se dévouer,
L'ame confuse , mais ravie ,
On sentiroit un peu d'envie
Sans le plaisir de vous louer.
Et vous , dont les jeunes courages
Dorment à l'ombre des cyprès
Recevez un tribut d'hommages
Avec un tribut de regrets .
Ah ! du moins , chers à la patrie ,
dans la France attendrie,
Vos noms ,
Prolongent vos destins trop courts ;
Et marqués du sceau de la gloire ,
Vous revivez dans la mémoire
Du héros qui vivra toujours.
N
196
MERCURE DE FRANCE ,
A brisé l'espoir romanesque
Que F'Anglais vouloit ressaisir ;
Et le fleuve ému sent ses ondes ,
Jusques dans ses grottes profondes ,
Frémir d'orgueil et de plaisir.
Va, Niémen , nouvel Alphée ,
Au travers des flots satisfaits ,
Va porter au loin le trophée
De ton triomphe et de la paix .
Fleuves de l'Europe calmée ,
Allez , d'une course animée ,
Dire aux rivages d'Albion ,
Qu'après tant de maux et d'orages ,
L'Europe n'a plus de rivages
Ennemis de NAPOLÉON.
Par un Membre du Corps-Législatif.
ENIGME.
EN tout pays je suis utile
Au berger comme au plus grand roi ;
Partout on me porte avec soi ,
A la cour, aux champs , à la ville.
Je suis mauvaise , je suis bonne ,
Je fais du mal , je fais du bien ,
Suivant que mon maître l'ordonne :
Je vaux beaucoup , ou ne vaux rien .
LOGOGRIPHE .
Au Louvre, au Capitole, à Vienne , à Palmyre ,
Dans les temples des Dieux , dans le palais des rois ,
Dans ce siècle , comme autrefois ,
Sous plusieurs formes on m'admire.
Huit élémens forment mon tout :
Aux trois premiers tournés ajoutez-en un autre ,
Vous trouverez un Saint que l'on chồme au mois d'août.
Les cinq derniers tantôt reçoivent un Apôtre,
Tantôt un vase à fleurs , tantôt un Apollon ;
L'on me trouve à l'église , au jardin , au salon ,
Retranchez-en par où commence Homère ,
Vous entendrez un poète harmonieux
Chanter mon nom , le porter jusqu'aux cieux,
Désarmer mes rigueurs et ma feinte colère.
Un jour, dans un accès jaloux ,
Me jurer par dépit une éternelle haine ;
Le lendemain , reprendre à mes genoux ,
Et baiser de nouveau sa chaîne .
CHARADE.
A TON amie , hélas ! lorsqu'elle est mon dernier,
Avec douleur encor tu serres mon premier ;
Jadis en France existoit mon entier.
Le mot de l'Enigme du dernier N° . est la lettre T.
Celui du Logogriphe est Veau , où l'on trouve eau.
Celui de la Charade est Bal-lot.
AOUT 1807. 197
QUELQUES
DÉTAILS
SUR LES MOEURS DES GRECS , DES ARABES
ET DES TURCS.
DANS UN
un dernier Numéro du Mercure , en rendant compte
du bel ouvrage de M. de Laborde , j'ai eu occasion de rappeler
les lieux que je venois de parcourir . On aime à parfer
de ces pays dont les seuls noms sont un charme. J'ajouterai
aujourd'hui de nouveaux détails à ceux que j'ai déjà publiés ;
mais , avant de les donner ici , j'entrerai dans une courte
explication.
Je n'ai jamais eu , en visitant la Grèce , la Palestine
l'Egypte et la Barbarie , le dessein d'écrire un Voyage. J'ai
voulu seulement , pour me servir du langage des anciens ,
me guérir de mon ignorance. Depuis quelques années ,
Occupé d'un ouvrage qui doit servir comme de preuve au
Génie du Christianisme , j'ai cru devoir reconnoître les lieux
où je place mes personnages . Je n'ai un peu de confiance
en ce que j'écris , que quand je puis dire comme Ulysse :
« J'ai vu les moeurs et les pays , j'ai tâché de vous les
peindre tels qu'ils se sont offerts à mes yeux. »
ע
Avant de partir pour le Levant , j'avois fait un travail
assez considérable sur les auteurs anciens et modernes qui
traitent de la Grèce et de la Judée. Ces notes , et celles que
j'ai recueillies sur les lieux mêmes , sont les matériaux que
l'assemble pour mon ouvrage ; mais , parmi les choses que
j'ai vues , il en est qui me sont tout-à-fait inutiles . Tout ce
qui regarde les usages des peuples modernes , par exemple
ne peut entrer dans mon sujet, puisque ma scène est placée
dans l'antiquité. Au contraire , je dois réserver tout ce qui
est description pour mon livre . J'ai donc détaché de mes
études les objets qui se trouvent hors de mon plan , et que
je puis offrir dès aujourd'hui au lecteur . Je le prie toujours
de se rappeler que ce n'est point ici un Voyage , mais des
notions imparfaites et quelques souvenirs .
Je m'embarquai à Trieste le 1er août 1806. Nous sortîmes
rapidement de la mer Adriatique. Le 8 , nous découvrîmes
3
198 MERCURE DE FRANCE ,
Skérie ( Corfou ) et Buthrotum , qui rappellent deux des
plus belles scènes de l'Odyssée et de l'Enéide. Nous reconnûmes
le rocher d'Ithaque . J'aurois bien voulu y descendre
pour visiter le jardin de Laërte , la cabane d'Eumée , et
même le lieu où le chien d'Ulysse mourut de joie en
revoyant son maître .
>
Nous dépassâmes les îles de Zanthes et de Céphalonie ; et
le ro au matin , les montagnes de l'Elide se formèrent dans
Phorizon du Nord . Le 11 , nous jetâmes l'ancre devant
Modon , l'ancienne Mothone , près de Pylos . Je saluai les
rivages de la Grèce ; et la chaloupe du bâtiment me porta
aux pieds des murs de Modon . J'entrai dans cette ville délâ–
brée. Lorsque j'aperçus les Turcs armés et assis sous des
espèces de tentes au milieu des rues , je me rappelai la belle
expression de mon noble ami M. de Bonald , les Turcs sont
campés en Europe. Cette expression est vraie sous tous les
rapports , et dans toutes les acceptions .
Je continuai mon voyage par terre .
+
Je ne vis dans le Péloponèse qu'un pays en proie à ces
Tartares débauchés qui se plaisent à détruire à la fois les
monumens de la civilisation et des arts , les moissons même ,
les arbres et les générations entières . Pourroit - on croire
qu'il y ait au monde des tyrans assez absurdes et assez sauvages
pour s'opposer à toute amélioration dans les choses de
première nécessité ? Un pont s'écroule , on ne le relève pas
un homme répare sa maison , on lui fait une avanie . J'ai vu
des capitaines grecs s'exposer au naufrage avec des voiles
déchirées , plutôt que de raccommoder ces voiles : tant ils
craignoient de faire soupçonner leur aisance et leur industrie
!
De Módon , je me rendis à Coron , sur le golfe de Messénie.
Je traversai ce golfe ; je remontaì le long du Pamissus
. J'entrai dans l'Arcadie par un des Hermæum du mont
Lycée , je passai à Mégalopolis , ouvrage d'Epaminondas ,
et patrie de Philopémen ; j'arrivai à Tripolizza , cité nouvelle
dans le vallon de Tégée , au pied du Ménale . Je revins
sur mes pas pour visiter Sparte , le Taigète , et la vallée de
la Laconie. De là , je pris le chemin d'Argos par les montagnes
je contemplai tout ce qui reste de la ville du roi des
rois je m'arrêtal à Mycènes et à Corinthe . En passant
l'isthme par les monts Géraniens , je vis un aga blesser un
grec d'un coup de carabine , et lui faire donner cinquante
coups de bâton pour le guérir.
Je descendis à Mégare et à Eleusis ; je séjournai quelque
temps à Athènes ; et disant enfin un éternel adieu au pays
AOUT 1807 . 199
des Muses et des grands hommes , je m'embarquai au cap
Sunium pour l'île de Zéa .
Zéa est l'ancienne Ceos , célèbre chez les Grecs par des
vieillards qui se donnoient la mort ; par Aristée , dont Virgile
a chanté les abeilles ; par la naissance de Simonide et de
Bacchylide. La gaze de Ceos devint célèbre chez les poètes
romains, qui la comparoient à du vent tissu. Je passai de
Zéa à Tinos , de Tinos à Chios , et de Chios à Smyrne . Je
résolus d'aller par terre à la plaine de Troie. Je m'avançai
jusqu'à Pergame : je parcourus les ruines des palais des Eumènes
et des Attales , et je cherchai vainement le tombeau de
Galien. Quand je voulus continuer ma route, mon guide refusa
d'aller plus loin , sous prétexte que les gorges de l'Ida étoient
infestées de voleurs , Je fus obligé de prendre le chemin de
Constantinople . Comme le principal but de mon voyage
étoit la visite des lieux saints , je m'informai , en arrivant à
Perra , s'il n'y avoit point dans le port quelque bâtiment de
la côte de Syrie. J'eus le bonheur d'en trouver un prêt à
partir, et chargé de pélerins grecs pour Yaffa . Je m'arrangeai
avec le capitaine : et bientôt nous voguâmes vers Jérusalem ,
sous l'étendard de la Croix qui flottoit aux mâts de notre
vaisseau. ( 1) F
Nous étions sur ce vaisseau à-peu-près deux cents passagers
, hommes , femmes , enfans et vieillards. On voyoit
autant de nattes rangées en ordre des deux côtés de l'entrepont
. Une bande de papier , collée contre le bord du
vaisseau , indiquoit le nom du propriétaire de la natte.
Chaque pélerin avoit suspendu à son chevet son bourdon
son chapelet et une petite croix . La chambre du capitaine
étoit occupée par les papas conducteurs de la troupe . A l'entrée
de cette chambre , on avoit ménagé deux espèces d'antichambres
: j'avois l'honneur de loger dans un de ces trous noirs
d'environ six pieds carrés , avec mes deux domestiques ; une
famille occupoit vis - à -vis de moi l'autre appartement . Dans
cette espèce de république , chacun faisoit son ménage à
volonté les femmes soignoient leurs enfans , les hommes
fumoient ou préparoient leur dîner , les papas causoient
ensemble . On entendoit de tous côtés le son des mandolines
, des violons et des lyres . On chantoit , on dansoit , on
(1 ) Je serois trop ingrat d'oublier les soins que M. le général Sébastian
m'a prodigués à Constantinople. Quel plaisir j'aurois encore à remercier
ici celle qui ajoutoit tant de prix , par sa grace , aux politesses de
M. l'ambassadeur ! Je n'aurois jamaia cru que l'expression de ma reconnoissance
pût arriver trop tard.
4
200 MERCURE DE FRANCE ,
rioit, on prioît. Tout le monde étoit dans la joie . On me
disoit : Jérusalem ! en me montrant le Midi ; et je répondois :
Jérusalem ! Enfin , sans la peur , nous eussions été les plus
heureuses gens du monde ; mais , au moindre vent , les
matelots plioient les voiles , les pélerins crioient : Christos !
Kirie eleison ! L'orage passé , nous reprenions notre audace .
Au reste , je n'ai point remarqué le désordre dont parlent
quelques voyageurs . Nous étions au contraire fort décens
et fort réguliers. Dès le premier soir de notre départ deux
papas firent la prière , à laquelle tout le monde assista avec
beaucoup de recueillement . On bénit le vaisseau : cérémonie
qui se renouveloit à chaque orage. Les chants de l'Eglise
grecque ont assez de douceur , mais peu de gravité . J'observai
une chose singulière : un enfant commençoit le verset d'un
pseaume dans un ton aigu , et le soutenoit ainsi sur une seule
note ; tandis qu'un papas chantoit le même verset sur un
air différent et en canon , c'est-à-dire , commençant la
phrase lorsque l'enfant en avoit déjà passé le milieu . Ils
ont aussi un admirable kirte eleison : ce n'est qu'une note
tenue par différentes voix , les unes graves , les autres aigües ,
exécutant andante et mezza voce , l'octave , la quinte et la
tierce. L'effet de ce kirie est surprenant pour la tristesse et
la majesté. C'est sans doute un reste de l'ancien chant de la
primitive Eglise. Je soupçonne l'autre psalmodie d'être ce
chant moderne introduit dans le rit grec vers le quatrième
siècle , et dont saint Augustin avoit bien raison de se plaindre.
Dès le lendemain de notre départ la fièvre me réprit avec
assez de violence ; je fus obligé de rester couché sur ma natte.
Nous traversâmes rapidement la mer de Marmara et le détroit
des Dardanelles , ( la Propontide et l'Hellespont ) . Nous
passâmes devant la presqu'île de Cyzique , et à l'embouchure
d'Egos-Potamos . Nous rasâmes les promontoires de Sestos
et d'Abydos : Alexandre et son armée , Xerxès et sa flotte ,
les Athéniens et les Spartiates , Héro et Léandre , ne purent
me faire vaincre le mal de tête qui m'accabloit ; mais lorsque
le 21 septembre , à six heures du matin , on vint me dire
que nous allions doubler le château des Dardanelles , la
fièvre ne put tenir contre les souvenirs de Troie. Je me
traînai sur le pont ; mes premiers regards tombèrent sur un
haut promontoire couronné par neuf moulins : c'étoit le
cap Sigée. Au pied du cap je distinguois deux tumulus , les
tombeaux d'Achille et de Patrocle. L'embouchure du Simois
étoit à la gauche du château neuf d'Asie ; plus loin , derrière
nous , en remontant vers l'Hellespont , paroissoit le cap
Rhétée et le tombeau d'Ajax. Dans l'enfoncement s'élevoit
}
AOUT 1807.
201
la chaîne du mont Ida , dont les pentes , vues du point où
j'étois , paroissoient douces et harmonieuses . Tenedos étoit
devant la proue du vaisseau : Est in conspectu Tenedos . Il
faut que la gloire soit quelque chose de réel , puisqu'elle
fait ainsi battre le coeur de celui qui n'en est que le juge.
Le 22 , nous nous engageâmes dans l'Archipel. Nous,
vîmes Lesbos , Chio , Samos , célèbre par sa fertilité et ses
tyrans , et sur - tout par la naissance de Pythagore. Mais
tout ce que les poètes nous ont appris de cette île est surpassé
par le bel épisode du Télémaque . Nous côtoyâmes les rivages
de l'Asie , où s'étendoient la Doride , et cette molle Ionie ,
qui donna des plaisirs et des grands hommes à la Grèce. La
serpentoit le Méandre , là s'élevoient Ephèse , Milet , Halicarnasse
, Gnide . Je saluois la patrie d'Homère , d'Apelle ,
d'Hérodote , de Thalès , d'Anaxagore , d'Aspasie. Mais je
n'apercevois ni le temple d'Ephèse , ni le tombeau de Mausole
, ni la Vénus de Gnide . Tout étoit désert ; et sans les
travaux de Pockoke , de Wood , de Spon , de Choiseul , je
n'aurois pu , sous un nom moderne et sans gloire , reconnoître
le promontoire de Mycale. Après avoir relâché à
Rhodes , et relevé l'île de Chypre , nous découvrîmes enfin
les côtes de la Palestine. Je ne sentis point cette espèce de
trouble que j'éprouvai en apercevant les premières montagnes
de la Grèce . Mais la vue du berceau des Israélites
et de la patrie des Chrétiens , me remplit de crainte et de
respect. J'allois descendre sur la terre des prodiges , aux
sources de la plus étonnante poésie , aux lieux , même humainement
parlant , où s'est passé le plus grand événement
qui ait jamais changé la face du monde , je veux dire la
venue du Messie . J'allois aborder à ces rives que visitèrent
comme moi les Godefroi , les Richard , les Joinville , les
Couci . Obscur pélerin , oserois-je fouler un sol consacré par
tant de pélerins illustres ? Du moins il m'étoit resté la fof
et l'honneur : et à ces titres j'aurois pu encore me faire reconnoître
des antiques croisés .
Nous jetâmes l'ancre devant Yaffa , à une demi -lieue du
rivage , la ville nous restant au sud - est , et le minaret de
la mosquée à l'est 1/4 sud-est. Je marque ici les rhumbs du
compas pour une raison assez importante. Les vaisseaux
latins mouillent ordinairement plus au large , et alors ils
sont sur un banc de rochers qui coupent les câbles , tandis
que les bâtimens grecs , en se rapprochant de la terre , se
trouvent sur un fonds moins dangereux , entre la darce de
Yaffa et le banc de rochers.
Des caïques vinrent de toutes parts pour porter à terre les
202 MERCURE DE FRANCE ,
pélerins . Je reconnus sur-le-champ , dans les patrons de
ces barques , un autre vêtement , un autre air de visage ,
un langage différent , enfin la race arabe et les habitans de
la frontière du désert.
J'envoyai mon domestique grec prévenir les pères de
Terre- Sainte de l'arrivée d'un pélerin latin . Je vis bientôt
venir un bateau où je distinguai de loin trois religieux qui ,
m'ayant reconnu à mon habit franc , me faisoient des signes
de la main. Ces Pères arrivèrent à bord : quoiqu'ils fussent
Espagnols , et qu'ils parlassent un italien difficile à entendre ,
nous nous serrâmes la main comme de véritables compa- >
triotes . Je descendis avec eux dans la chaloupe ; nous entrâmes
dans le port par une ouverture pratiquée entre des
rochers , et dangereuse même pour un caïque. Les Arabes
du rivage s'avancèrent dans l'eau jusqu'à la ceinture pour
nous charger sur leurs épaules. Il se passa là une scène assez
plaisante : mon domestique étoit vêtu d'une redingote blanchâtre
; le blanc étant la couleur de distinction chez les
Arabes , ils jugèrent que mon domestique étoit le scheik. Ils
se saisirent de lui , et l'emportèrent en triomphe malgré ses
protestations , tandis que , grace à mon habit bleu , je me
sauvois obscurément sur le dos d'un mendiant déguenillé.
Nous nous rendîmes à l'hospice des Pères , simple maison
de bois bâtie sur le port, et jouissant d'une belle vue de
la mer. Mes hôtes me conduisirent d'abord à la chapelle ,
que je trouvai illuminée , et où ils remercièrent Dieu de
leur avoir envoyé un Frère touchantes institutions chré--
tienes , par qui le voyageur trouve des amis et des secours
dans les pays les plus barbares ; institutions que j'ai vantées
ailleurs , mais qui ne seront jamais assez admirées !
Les religieux m'installèrent ensuite dans une cellule , où
je trouvai une table , un bon lit , de l'encre et du papier ,
de l'eau fraîche et du linge blanc. Il faut descendre d'un
bâtiment grec chargé de deux cents pélerins , pour sentir
le prix de tout cela . A huit heures du soir , nous passâmes
au réfectoire. On dit en commun le Benedicite , précédé
du De Profundis : souvenir de la mort que le Christianismet
mêle à tous les actes de la vie pour les rendre plus graves ,
comme les anciens le mêloient à leurs banquets pour
rendre leurs plaisirs plus piquans. On me servit sur une
petite table propre et isolée , de la volaille , du poisson
d'excellens fruits , tels que des grenades , des pastèques
des raisins , et des dattes dans leur primeur ; j'avois à discrétion
le vin de Chypre , le café du Levant. Tandis que
j'étois comblé de biens , les Pères mangeoient gaiement un
AOUT 1807 .
203
>>
pen de poisson sans sel et sans huile : ils étoient gais avec
modestie , familiers avec politesse . Point de questions inutiles
, point de vaines curiosités . Tous les propos rouloient
sur mon voyage , sur les mesures à prendre pour me le
faire achever en sûreté : « Car , me disoient-ils , nous répondons
maintenant de vous à votre patrie . » Ils avoient
déjà dépêché un exprès au scheik des Arabes de la montagne
de Judée , et un autre au Père procureur de Rama :
Nous vous recevons , me disoit le P. François Munoz
» avec un coeur limpide e bianco . » Il étoit inutile que ce
religieux espagnol m'assurât de la sincérité de ses sentimens
je les aurois facilement devinés à la pieuse franchise
de son front et de ses regards.
x
Cette réception si chrétienne et si charitable dans une
terre où le Christianisme et la charité ont pris naissance ;
cette hospitalité apostolique dans un lieu où le premier des
Apôtres prêcha l'Evangile , me touchoient jusqu'au coeur :
je me rappelois que d'autres missionnaires m'avoient reçu
avec la même cordialité dans les déserts de l'Amérique.
Les religieux de Terre - Sainte ont d'autant plus de mérite
, qu'en prodiguant aux pélerins de Jérusalem la
charité de Jésus - Christ , ils ont gardé pour eux la croix
qui fut plantée sur ces mêmes bords . Ce Père au coeur
limpide e bianco m'assuroit encore qu'il trouvoit la vie qu'il
menoit depuis cinquante ans , un vero Paradiso. Veut-on
savoir ce que c'est que ce Paradis ? Tous les jours une
avanie , la menace des coups de bâton , des fers et de la
mort. Il y a quelque temps que ces religieux avoient lavé
les linges de l'autel . L'eau , imprégnée d'amidon , en coulant
au-dehors de l'hospice , blanchit une pierre. Un Turc passe,
voit cette pierre , et va déclarer au cadi que les Pères ont
réparé leur maison . Le cadi se transporte sur les lieux ,
décide que la pierre , qui étoit noire , est devenue blanche ;
et sans écouter les religieux , il les oblige à payer dix
bourses . La veille même de mon arrivée à Yaffa , le Père
procureur de l'hospice avoit été menacé de la corde par un
domestique de l'aga , en présence de l'aga même . Celui- ci
se contenta de rouler paisiblement sa moustache sans
daigner dire un mot favorable au chien. Voilà le véritable
Paradis de ces moines , qui , selon quelques voyageurs ,
sont des petits souverains en Terre-Sainte , et jouissent des
plus grands honneurs .
Le lendemain de mon arrivée à Yaffa , je voulus parcourir
la ville , et rendre visite à l'aga , qui m'avoit envoyé
184 MERCURE DE FRANCE ,
conséquence une commission composée de MM. Adam ,
Berton , Catel , Gossec , Kreutzer , Jadin et Méhul. Elle
s'est réunie dans la salle où étoient déposés deux instrumens
à clavier , de la nature de ceux connus sous le nom de
piano , mais de forme différente ; le mécanisme de l'un de
ces pianos est établi verticalement ; il a déjà été remarqué
dans la dernière exposition de l'industrie nationale. Le second
piano n'avoit point encore paru ; son mécanisme est établi
horizontalement , et renfermé dans une caisse triangulaire.
L'avis de la commission a été , que les formes de ces deux instrumens
semblent avoir été imaginées pour occuper le moins
d'espace possible , en remplissant cependant les conditions
des pianos jusqu'à présent en usage. En effet , le piano vertical
dont l'invention est due aux Autrichiens , et que
M. Pfeiffer a fait connoître à Paris , n'occupe de place que
celle nécessaire pour l'épaisseur de la caisse d'un piano ordinaire
, dressée verticalement , en y ajoutant la saillie d'un
clavier. Le mécanisme en a paru parfaitement exécuté ; il
annonce des hommes instruits dans toutes les parties de l'art
du facteur , de cet art porté actuellement à un si haut degré de
perfection. Les jeux de cet instrument sont faciles et agréables.
Celui à forme triangulaire peut se placer contre les parois de
l'appartement, sans que l'exécutant soit obligé de tourner lé
dos aux auditeurs , ce qui arrive avec les pianos en usage ; si
on ne les isole pas ; le clavier de celui- ci se trouve placé sur
l'un des côtés du triangle ; le mécanisme de cet instrument ne
présente de différences avec les autres pianos que dans l'application
du renversement du clavier , et dans une nouvelle composition
de marteaux que les auters annoncent devoir être
meilleure , ce qui sera constaté par l'usage.
L'exécution de cet instrument est comme celle du précédent
, extrêmement soignée , et doit mériter à MM. Pfeiffer
et compagnie la bienveillance des amateurs et les encoura→
gemens du gouvernement.
-
S. M. le roi de Naples a écrit à M. Baour - Lormian
auteur de la tragédie d'Omasis , la lettre suivante
Naples , 21 mars 1807.
« Je reçois , Monsieur , votre lettre du 10 février et votre
>> tragédie de Joseph ; je vous remercie de l'une et de l'autre.
» Il y a déjà quelques semaines que nous avons lu votre tra-
» gédie avec des personnes qui partagent mon goût pour ce
» genre de poésie ; nous lisons nous-mêmes , en attendant
>> nous ayons une réunion d'acteurs dont vous ne rougissiez
» pas. Vous seriez plus indulgent que l'Arioste , Monsieur, en
que
"
JUILLET 1807 .
185
» nous entendant lire vos vers. Au reste , sa colère n'étoit pas
» bien sérieuse , et les auteurs sont toujours charmés de trouver
>> des gens qui ont le goût et l'amour de leurs ouvrages.
>> Comptez-moi dans ce nombre , Monsieur, et croyez-moi
>> votre affectionné ,
JOSEPH. >>
Le dimanche 12 juillet , M. Villoteau , membre de la
commission des Sciences et Arts d'Egypte , accompagné de
M. Marcel , directeur-général de l'Imprimerie impériale , et
membre de la Légion d'Honneur , a eu l'honneur d'offrir à
S. M. l'Impératrice et Reine , un exemplaire des Recherches
sur l'analogie de la musique avec les arts qui ont pour objet
l'imitation du langage. S. M. I. et R. a daigné accueillir avec
bonté l'hommage de cet ouvrage plein d'érudition , dont le
précis , lu à la 3 classe de l'Institut , avoit mérité les suffrages
de cette société savante , et dont S. M. le roi de Hollande a
bien voulu accepter la dédicace.
M. Lunier , auteur du Dictionnaire des Sciences et des
Arts , est mort subitement , la semaine dernière , à l'âge de
58 ans.
-
On rétablit , dans ce moment , les deux statues qu'on
voyoit autrefois sur les pilastres placés aux deux côtés de la
barrière des Bons -Hommes. Ces deux statues représentoient
la Bretagne et la Normandie , deux de nos provinces où cette
route conduit .
VACCINE.
« On doit être étonné qu'après huit ans d'une expérience
toujours couronnée de succès , qu'après tant d'épreuves
variées , répétées dans tous les pays où les lumières ont pu
pénétrer, des faux bruits circulent encore contre une des plus
heureuses découvertes du siècle dernier. Le comité central de
la société de vaccine doit à la confiance dont l'a revêtu S. Exc .
le ministre de l'intérieur , de chercher à détruire les fâcheuses
impressions que ces bruits peuvent faire dans le public.
« Le comité est instruit qu'on reproduit avec adresse et
sur-tout avec des précautions insidieuses , les objections qu'on
opposoit, dans les premiers temps , à l'introduction de la vaccine
; il sait que des petites véroles volantes , des éruptions
fugaces avec ou sans fièvre , survenues pendant les chaleurs , à
des enfans vaccinés , ont été prises pour des petites véroles
contagieuses . Il n'ignore pas non plus que des hommes connus
pour faire un trafic de l'inoculation de la petite vérole ,
recueillent avec mystère tous ces faits épars , les colportent
dans le public , et cherchent , par des citations mensongères ,
à éloigner les parens d'adopter pour leurs enfans un préservatif
dont la vertu est sanctionnée en France par huit ans d'obser→
贯
186
MERCURE
DE FRANCE
,
vations et de succès. A toutes ces allégations , le comité pent
répondre avec la bonne foi et l'impartialité dont il a déjà
donné tantde preuves , que les chaleurs ramènent constainment
à la peau des affections éruptives qui tantôt se bornent à des
plaques rouges , qu'autrefois se caractérisent par des boutons
détachés qui paroissent , suppurent et se dessèchent successivement
sur les différentes parties du corps ; que ces éruptions
, rarement accompagnées de fièvre , n'offrent rien de
contagieux , et ne peuvent jamais être confondues avec la
petite -vérole par des personnes de l'art , tant soit peu exercées
à voir cette maladie ; que , pendant les dernières chaleurs , on
les a également observées sur les sujets vaccinés et sur ceux
qui ne l'ont pas été ; qu'enfin , cette année- ci , comme les
précédentes , la matière en a été inoculée à divers sujets qui
n'avoient encore eu ni la variole , ni la vaccine , et qu'elle ne
s'est développée sur aucun .
» A. des faits aussi positifs , dont la vérité pratique doit
frapper les esprits les moins éclairés , le comité central en
ajoute d'autres qui sont d'une observation constante et journalière.
Depuis sept ans que la vaccine a été inoculée à tous
les enfans du Lycée impérial , et à ceux des hospices des
orphelins et des orphelines , il n'y a eu , dans ces trois établis
semens , aucun exemple de petite vérole. Dans ces trois maisons
, a donc été résolu , comme nous l'avons déjà dit , le
problême de la possibilité de l'extinction de la petite vérole .
Il suffit à quelques personnes de connoître cet important résultat
, pour chercher dans la vaccine un abri contre les épidémies
varioleuses ; aussi le comité ne craint- il pas de le publier
de nouveau comme la réponse la plus forte qu'il puisse
faire aux détracteurs cachés de la nouvelle inoculation. La
vaccine n'est plus et ne doit plus être un point de controverse
ni un sujet de discussion : le temps , les nombreux essais qui
en ont été faits , ont complètement résolu la question . Cette
découverte doit triompher de tous les obstacles ; mais pour
parvenir à ce but , le comité ne se dissimule pas qu'il faut
une activité constante , une sage réunion d'efforts , et quelquefois
une fréquente répétition des mêmes faits .
» Le gouvernement considère la vaccine comme le plus
puissant moyen de conserver , d'embellir , d'accroître la population
de l'Empire. Dans cette intention , les ordres les plus
formels ont été donnés par M. le conseiller d'Etat , chargé de
l'instruction publique , pour n'admettre dans les lycées et
écoles secondaires que des enfans vaccinés ou ayant eu précé
demment la petite vérole. Son excellence a adopté la même
mesure pour les élèves des écoles vétérinaires ; plusieurs coJUILLET
1807 . 187
mités de bienfaisance à Paris ont pris le sage parti de ne distribuer
des secours aux familles indigentes , que lorsque la
vaccine auroit mis leurs enfans hors des dangers de la petite
vérole. I ont trouvé , dans l'exécution de cette mesure , une
économie bien entendue , et la certitude que la contagion ne
dévasteroit pas des ménages entiers. Enfin, sur presque tous
les points de la France , MM . les évêques ont , dans des lettres
pastorales , recommandé à leurs coopérateurs d'éclairer leurs
paroissiens sur les bienfaits d'une méthode que le gouvernement
, même au milieu des travaux de la guerre, n'a cessé
d'encourager.
» En entrant de nouveau dans ces détails , le comité central
a voulu réveiller l'attention du public sur le but constant
de ses travaux , et le prémunir contre les fausses suggestions
de la mauvaise foi et de l'ignorance. Il lui suffit d'avoir fait
connoître que les éruptions qui surviennent à présent à quel
ques enfans vaccinés et à ceux qui ne l'ont pas été , sont des
petites véroles volantes ou des exanthèmes passagers ; que ,
jusqu'à présent , aucun fait bien exactement constaté n'est
venu atténuer la confiance que doit nécessaire- ment inspirer
la vaccine ; que le gouvernement encourage et récompense
les personnes qui , en la propageant , remplissent ses intentions
, et que les gens de l'art trouveront auprès du comité
toutes les facilités nécessaires pour la répandre. A cet égard ,
le comité rappelle que les vaccinations gratuites continuent à
se pratiquer dans son hospice , rue du Battoir Saint André ,
n°. 1 , les mardis et samedis , à midi précis , et que toutes les
personnes y sont admises sans aucune distinction,
+
Fait en séance , le 17 juillet 1807 .
Signé Huzard, président ; Corvisart , Hallé , Thouret ,
Pinel, Leroux , Guillotin , Jadelot , Mougenot , Parfait ,
Salmade , Marin , Doussin- Dubreuil , Delasteyrie , Husson
, secrétaire.
NOUVELLES POLITIQUES.
Stetin , 12 juillet.
Voici la traduction littérale d'un ordre du jour imprimé
en langue allemande dans les gazettes de Stetin , de Hambourg
, etc.
Ordre du joer.
Le corps d'observation de la Grande-Armée devant se tenir en mesure
Contre une attaque dont il est menacé , va rentrer dans la Pomeranie
suédoise .
Un armistice avoit été conclu avec la Suède , le 18 avril , à Schlatkow
Les hostilités ne devoient recommencer qu'ap ès s'être prévenu dix jour
188 MERCURE DE FRANCE ;
d'avance. Les généraux étendi ent ensuite ce terme à trente jours , par un
article additionnel , signé à Stea sund , le 29 du même mois.
Ce dernier arrangement n'avoit éprouvé aucune difficulté ; cependant
S. M. le roi de Suède parat en Pomeranie , prit le commande
ment de son umée , et manifesta aussitôt le dessein de n'observer que la
prem è e stipulation de dix jou s.
е
En même temps sa ma ine , stationnée devant Colberg , exerça au
mépris te l'armistice , des hostilités contre les corps français et al iés
assiégeant c tt pl.ce. I résulta de cet état de choses une correspondance
entre les gén raux ; et le roi de Suède , pour terminer les discussions
, me fit proposer une entrevue à Schlakow , sur le territoi e
suédois On prétendoit alors que l'apparit on du roi , qui d'abord avoit
été d'un mauvais augure , ne venoit que de son desir de diriger lui - mêmẹ
les choses. On fut même porté à croire que , malgré les apparen es , on
pou roit en venir à des ouvertures tendan es à un arrangement solide et
une paix durable.
Le 4 juin , je me rendis à Schlatkow accompagné de cinq à six
offici rs et d'autant de gendarmes d'ordonnance. L'aide - de - camp de
S. M. suédoi e m'avoit prévenu que le roi se trouvoit à Sch'atkow,
presque sans e corte et avec une suite peu nombreuse . A mon arrivée , je
vis la maison du roi sans gare ; un escadron de cavalerie étoit dans la
cour , en ordr de bataile . Dès que je me trouvai seul avec le roi , je lui
exposai les motifs de len revue ; mais il m'interrompit au-si ôt en me
déclarant que sa volo té étoit imuiuablement fixée pour le terme de dix
jours , et il é igna ainsi d'autorité toutes les questions qui devient fire
l'objet de la conférence. Mais ce que l'Europe aprendra avec indignation
parce que le droit des gens et les is de l'honneur fu ent ax -là violés ,
e'est que ce prince osa poposer au général français , à l'un des premiers
sujets de l'Empereur Napo éon , de trahir son souverain et sa patric . II
Finvita à embrasser le parti des Anglais , et à se ranger sous les drapeaux
d'une bande de tran fuges devenus insensibles au bonheur de leur patrie
et étrangers à sa gloire Cette conference prouva que le roi de Suède ,
partageant le délire de ces étrangers , leur sacrifie les intérêts les lus
chers de son peuple.
Depuis cette conférence , le ro a fait continuer les hostilités devant
Colberg, et à l'embouchure de la Trave. Il a tiré de l'Angleterre de l'argent
et des soldats ; il a ramassé tout ce qu'il a pu de fuyard et déserteurs ;
et enfin , se confiant en sa puissance , il a dé ›oncé l'armistice de dix
jours , le 3 juillet , au moment même où il devoit avoir connoissance des
nouvelles dispositios de la Russie et de la Prusse.
Les hostilités avec la Suède recommencent donc le 13 de ce mois.
Nous pouvions les recommencer plutôt , puisque la conduite du roi n'a
offert qu'une suite de violations manifestes ; mais il est dans le caractère
de notre souver in d'être g and par sa modération et sa générosité ,
comme il est grand par son génie et ses exploits . L'Europe saura apprécier
cette conduite ; elle connoftra ceux qui veulent prolonger les fléaux
de la guerre. J
Les troupes françaises et alliées se disputeront le prix du courage et de
la discipline ; elles n'oublieront pas que le regard de l'Empereur N poléon
plane sur elles . Je ne doute pas que nous ne méritions tous son appro
bation par notre dévouement. Signé BRUNE.
JUILLET 1807: 189
PARIS, vendredi 24 juillet.
Aujourd'hui , à quatre heures , S. A. S. l'archichancelier
de l'Empire s'est rendu au sénat conservateur , et lui a donné,
au nom de l'EMPEREUR , Communication des deux traités de
paix conclus avec la Russie et avec la Prusse.
―
La publication de la paix a été faite ce soir : le cortège
étoit brillant, et sur toutes les places on se portoit en foule
pour prendre part à la joie qu'inspire un aussi heureux évé
mement. Les cris de vive l'Empereur ! interrompoient sou
vent les héraults d'armes , et redoubloient à la fin de chaque
proclamation. Le soir , l'illumination a été générale. Nous
donnerons dans le prochain numéro le texte des deux traités.
Par un décret daté de Tilsit , 10 juillet 1807 , S. M. a
nommé M. Lacépède , président du sénat, pour la durée d'une
-
année.
-
- Hier la cour de cassation à rejeté le pourvoi de madame
de Thémines.
Tilsit , 9 juillet 1807.
L'échange des ratifications du traité de paix entre la France
et la Russie , a eu lieu aujourd'hui , à 9 heures du matin . A
onze heures , l'Empereur Napoléon , portant le grand cordon
de l'Ordre de Saint - André , s'est rendu chez l'Empereur
Alexandre , qui l'a reçu à la tête de sa garde, et ayant la grande
décoration de la Légion- d'Honneur. L'EMPEREUR a demandé
à voir le soldat de la garde russe qui s'étoit le plus distingué
: il lui a été présenté. S. M. , en témoignage de son estime
pour la garde impériale russe , a donné à ce brave l'aigle d'or
de la Légion d'Honneur.
Les Empereurs sont restés ensemble pendant trois heures
et sont ensuite montés à cheval . Ils se sont rendus au bord du
Niemen , où l'Empereur Alexandre s'est embarqué. L'Empereur
Napoléon est demeuré sur le rivage jusqu'à ce que l'Empereur
Alexandre fût arrivé à l'autre bord. Les marques
d'affection que ces princes se sont données en se séparant , ont
excité la plus vive émotion parmi les nombreux spectateurs
qui s'étoient rassemblés pour voir les plus grands souverains
du monde offrir , dans les témoignages de leur union et de
leur amitié , un solide garant du repos de la terre.
L'Empereur Napoléon a fait remettre le grand cordon de
la Légion-d'Honneur au grand - duc Constantin , au prince
Kourakin , au prince Labanoff et à M. de Budberg.
L'Empereur Alexandre a donné le grand Ordre de Saint190
MERCURE DE FRANCE ,
n
André au prince Jérôme Napoléon , roi de Westphalie , au
grand-duc de Berg et de Clèves , au prince de Neuchâtel et
au prince de Bénévent.
A trois heures d'après midi , le roi de Prusse est venu voir
l'Empereur Napoléon. Ces deux souverains se sont entretenus
pendant une demi-heure. Immédiatement après , l'Empereur
Napoléon a rendu au roi de Prusse sa visite. Il est ensuite
parti pour Koenigsberg.
Ainsi , les trois souverains ont séjourné pendant vingt jours
à Tilsit. Cette petite ville étoit le point de réunion des deux
armées. Ces soldats qui naguère étoient ennemis , se donnoient
des témoignages réciproques d'amitié , qui n'ont pas été
troublés par le plus léger désordre.
Hier, l'Empereur Alexandre avoit fait passer le Niemen à
une dixaine de baschirs qui ont donné à l'Empereur Napoléon
un concert à la manière de leur pays,
L'EMPEREUR , en témoignage de son estime pour le général
Platow , hetman des Cosaques , lui a fait présent de son por
trait.
Les Russes ont remarqué que le 27 juin ( style russe ,
9 juillet du calendrier grégorien ) , jour de la ratification du
traité de paix , est l'anniversaire de la bataille de Paltaya qui
fut si glorieuse , et qui assura tant d'avantages à l'Empire de
Russie, Ils en tirent un augure favorable pour la durée de la
paix et de l'amitié qui viennent de s'établir entre ces deux
grands Empires. (Moniteur. )
LXXXVII BULLETIN DE LA GRANDE - ARMÉE.
Koenigsberg, le 12 juillet 1807. ,
Les Empereurs de France et de Russie, après avoir séjourné
pendant vingt jours à Tilsit , où les deux maisons impériales ,
situées dans la même rue , étoient à peu de distance l'une de
l'autre , se sont séparés le 9 , à trois heures après- midi , en se
donnant les plus grandes marques d'amitié. Le journal de ce
qui s'est passé pendant la durée de leur séjour , sera d'un
véritable intérêt pour les deux peuples.
Après avoir reçu , à trois heures et demie , la visite d'adieu
du roi de Prusse , qui est retourné à Memel , l'Empereur
Napoléon est parti pour Koenigsberg , où il est arrivé, le 10,
à quatre heures du matin.
par
Il a fait hier la visite du port dans un canot qui étoit servi
les marins de la garde. S. M. passe aujourd'hui la revue
du corps du maréchal Soult , et part demain à deux heures du
matin pour Dresde .
JUILLET 1807 . igt
Le nombre des Russes tués à la bataille de Friedland s'élève
à 17,500 ; celui des prisonniers est de 40,000 ; 18,000 sont
passés à Koenigsberg , 7000 sont restés malades dans les hôpitaux
; le reste a été dirigé sur Thorn et Varsovie . Les ordres
ont été donnés pour qu'ils fussent renvoyés en Russie sans
délai ; 7000 sont déjà revenus à Koenigsberg , et vont être
rendus. Ceux qui sont en France , seront formés en régimens
provisoires. L'Empereur a ordonné de les habiller et de les
armer .
Les ratifications du traité de paix entre la France et la
Russie avoient été échangées à Tilsit le 9 ; celles du traité de
paix entre la France et la Prusse , l'ont été ici aujourd'hui .
Les plénipotentiaires chargés de ces négociations étoient ,
pour la France , M. le prince de Bénévent ; pour la Russie ,
le prince Kourakin et le prince Labanoff; pour la Prusse , le
feld-maréchal comte Kalkreuth et le comte de Goltz.
Après de tels événemens , on ne peut s'empêcher de sourire
quand on entend parler de la grande expédition anglaise et
de la nouvelle frénésie qui s'est emparée du roi de Suède . On
doit remarquer d'ailleurs que l'armée d'observation de l'Elbe
et de l'Oder , étoit de 70,000 hommes , indépendamment de
la Grande-Armée , et non compris les divisions espagnoles qui
sont en ce moment sur l'Oder. Ainsi il auroit fallu que l'An
gleterre mit en expédition toute son armée , ses milices , ses
volontaires , ses fencibles pour opérer une diversion sérieuse.
Quand on considère que , dans de telles circonstances , elle a
envoyé 6000 hommes se faire massacrer par les Arabes , et
7000 hommes dans les Indes espagnoles , on ne peut qu'avoir
pitié de l'excessive avidité qui tourmente ce cabinet.
La paix de Tilsit met fin aux opérations de la Grande-
Armée ; mais toutes les côtes , tous les ports de la Prusse
n'en resteront pas moins fermés aux Anglais . Il est probable
que le blocus continental ne sera pas un vain mot.
La Porte a été comprise dans le traité . La révolution qui
vient de s'opérer à Constantinople , est une révolution antichrétienne
qui n'a rien de commun avec la politique de l'Europe.
L'adjudant-commandant Guilleminot est parti pour la
Bessarabie , où va infermer le grand -visir , de la paix , de
la liberté qu'à la Porte d'y prendre part , et des conditions
qui la concernent.
Koenigsberg, le 13 juillet.
L'Empereur a passé hier la revue du 4 corps d'armée .
Arrivé au 26 régiment d'infanterie légère , on lui présenta
le capitaine de grenadiers Roussel. Ce brave soldat , fait prisonnier
à l'affaire de Hoff, avoit été remis aux Prussiens.
192 MERCURE DE FRANCE ,
3
»
Il se trouva dans un appartement où un insolent officier
se livroit à toute espèce d'invectives contre l'Empereur.
Roussel supporta d'abord patiemment ces injures , mais enfin
il se lève fièrement en disant : « Il n'y a que des lâches qui
>> puissent tenir de pareils propos contre l'Empereur Napoléon
devant un de ses soldats. Si je suis contraint d'en-
>> tendre de pareilles infamies , je suis à votre discrétion ,
>> donnez-moi la mort. >> Plusieurs autres officiers prussiens
qui étoient présens , ayant autant de jactance que peu de
mérite et d'honneur , voulurent se porter contre ce brave
militaire à des voies de fait. Roussel , seul contre sept ou
huit personnes , auroit passé un mauvais quart-d'heure , si
un officier russe , survenant à l'instant , ne se fût jeté devant
lui le sabre à la main : « C'est notre prisonnier , dit-il ,
» et non le vôtre. Il a raison ,et vous outragez lâchement
>> le premier capitaine de l'Europe. Avant de frapper ce
>> brave homme , il vous faudra passer sur mon corps. »
En général , autant les prisonniers français se louent des
Russes , autant ils se plaignent des Prussiens , sur-tout du
général Ruchel , officier aussi méchant et fanfaron , qu'il est
inepte et ignorant sur le champ de bataille. Des corps
prussiens qui se trouvoient à la journée d'Jéna , le sien est
celui qui s'est le moins bravement comporté.
En entrant à Koenigsberg , on a trouvé aux galères un caporal
français , qui y avoit été jeté , parce qu'entendant les sectateurs
de Ruchel parler mal de l'Empereur , il s'étoit emporté
et avoit déclaré ne pas vouloir le souffrir en sa présence.
Le général Victor , qui fut fait prisonnier dans une chaise
de poste par un guet-à-pens , a eu aussi à se plaindre du traitement
qu'il a reçu du général Ruchel , qui étoit gouverneur
de Kænigsberg. C'est cependant le même Ruchel qui , blessé
griéveinent à la bataille d'Jéna , fut accablé de bons traitemens
par les Français ; c'est lui qu'on laissa libre , et à qui , au lieu
d'envoyerdes gardes comme ondevoit le faire , on envoya des
chirurgiens. Heureusement que le nombre des hommes auxquels
il faut se repentir d'avoir fait du bien, n'est pas grand.
Quoi qu'en disent les misantropes , les ingrats et les pervers
forment une exception dans l'espèce humaine.
(Moniteur. )
FONDS PUBLICS.
b
DUVENDREDI 17. -Cp. o/o c. J. du 22 mars 1807 , 8of 20c 25c. 30€
350 Зосос 40c ooc ooc oof oof ooc ooe oof ooc one ooc ooc oofooc oos
Idem.Jouiss. du 22 sept. 1807 , 77f 50c 50c. oof ooc coc
Act. de la Banque de Fr. 1575f oooof coc oooof
( No. CCCXV. )
tok
(SAMEDI 1er AOUT 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
LA PAIX DE TILSIT,
In vien
ODB.
L vient done consoler laterre
Ce jour si cher à nos souhaits ,
Où l'astre brûlant de la guerre
Cède aux doux rayons de la paix.
Enexhalant un vain blasphème ,
La Discorde cède elle-même
Ala valeur de nos guerriers :
Je vois le calme reparoître ,
Et les oliviers vont renaître
Al'ombre illustre des lauriers .
Salut , défenseurs magnanimes
De notre gloire et de nos droits ;
Jamais des élans plus sublimes
N'ont produit de plus beaux exploits.
Ah! quand, dans une autre carrière,
Onn'apas , aux champs de la guerre ,
Comme vous , pu se dévouer ,
L'ame confuse , mais ravie ,
On sentiroit un peu d'envie
Sans le plaisir de vous louer.
Et vous , dont les jeunes courages
Dorment à l'ombre des cyprès ,
Recevez un tribut d'hommages
Avec un tribut de regrets.
Ah ! du moins , chers à la patrie ,
Vos noms , dans la France attendrie ,
Prolongent vos destins trop courts ;
Et marqués du sceau de la gloire ,
Vous revivez dans la mémoire
Duhéros qui vivra toujours.
८९
رد
:
EPT
DE
LA
N
194 MERCURE DE FRANCE ,
1
Mais déjà , sur les vastes rives
Du tumultueux Océan ,
Vous planez , ombres fugitives ,
Entre les amis d'Ossian.
Souvent de vos ailes légères
Vous séchez les pleurs de vos mères ,
Vous rendez leurs fronts pplluus sereins;
Et , vous élevant sans obstacle ,
Vous avez vu le grand spectacle
Que je vais montrer aux humains .
Loin par-delà tous les nuages
Brille un temple majestueux :
Les grands hommes de tous les âges
S'y rassemblent de tous les lieux ;
La Gloire elle-même y préside.
Là, naguère , leur fouleavide
Sentant la même ambition ,
Sur cette guerre encor nouvelle ,
Demanda le récit fidèle
Des exploits de NAPOLÉON.
On t'appela , soeur de l'Histoire ,
Incorruptible Vérité :
LaGloire , quand c'est bien laGloire ,
Te veut toujours à son côté.
Pour ses auditeurs héroïques
Dissipant les rumeurs publiques ,
La Vérité les étonna ,
Et d'une marche impétueuse ,
Etd'une attaque audacieuse ,
Etdu prodige d'JENA. 1
Du Guesclin , le Cid , Bélisaire ,
Applaudirent tous au vainqueur ;
Frédéric frémit de colère ,
Etcourut cacher sa douleur.
Annibal taisoit sa surprise ;
Mais quand dans GOLYMIN soumise
Les Français sont victorieux ,
« Il faut bien , dit-il , que je loue
>> Celui qui n'a point de Capoue ,
>> Et voit Trasymène en tous lieux. >>
Fabius froidement écoute ,
Et dit , plus lent à le yanter :
• Il sait bien attaquer , sans doute ;
>>> Mais sauroit-il bien résister ?>>>
Dans la saison la plus contraire ,
Bientôt , sous EYLAU sanguinaire ,
Du Russe il voit l'espoir décu;
Il voit devant DANTZICK guerrière
Une impénétrable barrière ,
Etdit:« Je suis aussi vaincu.>>>>
Seuls encor, César , Alexandre ,
De l'univers antiques rois ,
DeBONAPARTE Osoient prétendro
1
AOUT 1807 . 195
Surpasser les nobles exploits;
Mais quand ses derniers adversaires ,
AFRIEDLAND plus téméraires ,
Cèdent réduits à l'implorer,
De tant d'exploits sentant l'empire,
Ces héros , que l'Histoire admire,
Se taisent , surpris d'admirer.
Cependant, tandis qu'on dévore
Tantde récits prodigieux ,
Un ami de la Gloire encore
Reste calme et silencieux :
C'étoit ce sage Marc-Aurèle
Qui , sous une forme mortelle ,
Fut un dieu parmi les humains ,
Etdont le règne tutélaire
Sut réaliser pour la terre
L'antique âge d'or des Romains.
Admirant la valeur suprême
Qui partont imposoit des lois ,
Ainsi que le vainqueur lui-même ,
Il s'attristoit de tant d'exploits.
Soudain , d'une paix modérée,
Aux bords du Niemen jurée ,
L'heureux tableau vint le frapper :
La joie anima son visage :
«
!"
Eh quoi , dit-il , aucunsuffrage
» Ne lui pouvoit donc échapper!
O Niemen , tes bords vulgaires
Languissoient dans l'obscurité !
Parmi le peuple de tes frères ,
Ton nom à peine étoit cité !
Mais depuis le jour où ton onde
Aporté les destins du monde,
Les tiens sont brillans et sacrés;
Et ton onde à jamais illustre ,
Egale désormais le lustre
Des fleuves les plus célébrés.
?
Comme les nations charmées
Durent déposer leurs fureurs ,
Lorsque devant les deux armées¹
Voguèrent les deux Empereurs !
Comme alors , en groupesdebraves,
Les fils des Gaulois et des Slaves
Présentoient des tableaux divers!
Le Scyte , appuyé sur sa lance ,
Considéroit dans le silence
Les héros d'un autre univers .
Quel aspect a charmé la terre :
Devant leurs peuples valeureux ,
Les deux arbitres de la guerre
Ont uni leurs bras généreux ;
Leur étreinte chevaleresque
N2
196 MERCURE DE FRANCE ,
Abrisé l'espoir romanesque
Que l'Anglais vouloit ressaisir ;
Et le fleuve ému sent ses ondes ,
Jusques dans ses grottes profondes,
Frémir d'orgueil et de plaisir.
Va, Niémen , nouvel Alphée ,
Au travers des flots satisfaits ,
Vaporter au loin le trophée
Detontriompheetdelapaix.
Fleuves de l'Europe calmée ,
Allez , d'une course animée ,
Dire aux rivages d'Albion ,
Qu'après tant de maux et d'orages ,
L'Europe n'aplus de rivages
Ennemis de NAPOLÉON.
Par un Membre du Corps-Législatif.
ENIGME.
En tout pays je suis utile
Auberger comme au plus grand roi ;
Partout on me porte avec soi ,
Alacour, aux champs , à la ville.
Je suis mauvaise, je suis bonne ,
Jefaisdumal,,jjeefais du bien,
Suivant que mon maître l'ordonne :
Je vaux beaucoup , ou ne vaux rien .
LOGOGRIPHE.
Au Louvre , au Capitole , à Vienne , à Palmyre ,
Dans les temples des Dieux , dans le palais des rois,
Dans ce siècle , comme autrefois,
Sous plusieurs formes onm'admire.
Huit élémens forment mon tout :
Aux trois premiers tournés ajoutez-en un autre ,
Vous trouverez un Saint que l'on chome au mois d'août.
Les cinqderniers tantôt reçoivent unApôtre,
Tantôt un vase à fleurs , tantot un Apollon ;
L'on me trouve à l'église , au jardin , au salon ,
Retranchez-en par où commence Homère ,
Vous entendrez un poète harmonieux
Chanter mon nom , le porter jusqu'aux cieux,
Désarmer mes rigueurs et ma feinte colère.
Unjour, dans un accès jaloux
Me jurer par dépit une éternelle haine ;
Le lendemain, reprendre à mes genoux ,
Etbaiser de nouveau sa chaîne .
CHARADE.
A TON amie , hélas ! lorsqu'elle est mondernier ,
Avec douleur encor tu serres mon premier ;
Jadis en France existoit mon entier.
Le mot de l'Enigme du dernier No. est la lettre T.
CeluiduLogogriphe est Veau , où l'on trouve eau.
Celui de laCharade est Bal-lot.
LA
AOUT 1807 . 197
QUELQUES DÉTAILS
SUR LES MOEURS DES GRECS , DES ARABES
ET DES TURCS.
DAANNSS un dernierNuméroduMercure,enrendantcompte
du bel ouvrage de M. de Laborde , j'ai eu occasion de rappeler
les lieux que je venois de parcourir. On aime à parler
de ces pays dont les seuls noms sont un charme. J'ajouterai
aujourd'hui de nouveaux détails à ceux que j'ai déjà publiés ;
mais, avant de les donner ici , j'entrerai dans une courte
explication.
? Je n'ai jamais eu , en visitant la Grèce , la Palestine
l'Egypte et la Barbarie, le dessein d'écrire un Voyage. J'ai
voulu seulement, pour me servir du langage des anciens ,
me guérir de mon ignorance. Depuis quelques années ,
occupé d'un ouvrage qui doit servir comme de preuve au
Génie du Christianisme , j'ai cru devoir reconnoître les lieux
où je place mes personnages. Je n'ai un peu de confiance
en ce que j'écris , que quand je puis dire comme Ulysse :
«J'ai vu les moeurs et les pays, j'ai tâché de vous les
> peindre tels qu'ils se sont offerts à mes yeux. »
Avant de partir pour le Levant, j'avois fait un travail
assez considérable sur les auteurs anciens et modernes qui
traitent de la Grèce et de la Judée. Ces notes , et celles que
j'ai recueillies sur les lieux mêmes , sont les matériaux que
j'assemble pour mon ouvrage ; mais , parmi les choses que
j'ai vues , il en est qui me sont tout-à- fait inutiles. Tout ce
qui regarde les usages des peuples modernes , par exemple ,
nepeut entrer dans mon sujet, puisque ma scène est placée
dans l'antiquité. Au contraire , jedois réserver tout ce qui
est description pour mon livre. J'ai donc détaché de mes
études les objets qui se trouvent hors de mon plan , et que
je puis offrir dès aujourd'hui au lecteur. Je le prie toujours
de se rappeler que ce n'est point ici un Voyage , mais des
notions imparfaites et quelques souvenirs .
Jem'embarquai à Trieste le 1 août 1806. Nous sortimes
rapidement de la mer Adriatique. Le 8 , nous découvrimes
3
198 MERCURE DE FRANCE ,
Skérie ( Corfou ) et Buthrotum , qui rappellent deux des
plus belles scènes de l'Odyssée et de l'Enéide. Nous reconnûmes
le rocher d'Ithaque . J'aurois bien vouluy descendre ,
pour visiter le jardin de Laërte , la cabane d'Eumée , et
même le lieu où le chien d'Ulysse mourut de joie en
revoyant son maître .
Nous dépassâmes les îles de Zanthes et de Céphalonie; et
le 10 au matin , les montagnes de l'Elide se formèrent dans
Phorizon du Nord. Le 11 , nous jetâmes l'ancre devant
Modon , l'ancienne Mothone , près de Pylos. Je saluai les
rivages de la Grèce ; et la chaloupe du bâtiment me porta
aux pieds des murs de Modon. J'entrai dans cette ville délabrée
. Lorsque j'aperçus les Turcs armés et assis sous des
espèces de tentes au milieu des rues , je me rappelai la belle
expression de mon noble ami M. de Bonald , les Turcs sont
campés en Europe. Cette expression est vraie sous tous les
rapports , et dans toutes les acceptions .
Je continuai mon voyage par terre .
Je ne vis dans le Péloponèse qu'un pays en proie à ces
Tartares débauchés qui se plaisent à détruire à la fois les
monumens de la civilisation et des arts , les moissons même ,
les arbres et les générations entières . Pourroit-on croire
qu'il y ait au monde des tyrans assez absurdes et assez sauvages
pour s'opposer à toute amélioration dans les choses de
première nécessité? Un pont s'écroule , on ne le relève pas ;
un homme répare sa maison , on lui fait une avanie. J'ai vu
des capitaines grecs s'exposer au naufrage avec des voiles
déchirées , plutôt que de raccommoder ces voiles : tant ils
craignoient de faire soupçonner leur aisance et leur industrie!
De Modon , je me rendis à Coron, sur le golfe de Messénie
. Je traversai ce golfe ; je remontai le long du Pamissus
. J'entrai dans l'Arcadie par un des Hermæum du mont
Lycée ; je passai à Mégalopolis , ouvrage d'Epaminondas ,
et patrie de Philopémen ; j'arrivai à Tripolizza , cité nou
velle dans le vallon de Tégée , au pied du Ménale. Je revins
sur mes pas pour visiter Sparte , le Taigète, et la vallée de
la Laconie. De là , je pris le chemin d'Argos par les montagnes
: je contemplai tout ce qui reste de la ville du roi des
rois ; je m'arrêtai à Mycènes et à Corinthe. En passant
l'isthme par les monts Géraniens , je vis un aga blesser un
grec d'un coup de carabine, et lui faire donner cinquante
coups de bâton pour le guérir.
Je descendis à Mégare et à Eleusis ; je séjournai quelque
temps à Athènes ; et disant enfin un éternel adieu au pays
:
AOUT 1807 . 199
-
des Muses et des grands hommes , je m'embarquai au cap
Sunium pour l'île de Zéa.
Zéa est l'ancienne Ceos , célèbre chez les Grecs par des
vieillards qui se donnoient la mort ; par Aristée , dont Virgile
a chanté les abeilles ; par la naissance de Simonide et de
Bacchylide. La gaze de Ceos devint célèbre chez les poètes
romains, qui la comparoient àdu vent tissu. Je passai de
Zéa à Tinos , de Tinos à Chios , et de Chios à Smyrne. Je
résolus d'aller par terre à la plaine de Troie. Je m'avançai
jusqu'à Pergame : je parcourus les ruines des palais des Eumènes
etdes Attales , et je cherchai vainement le tombeau de
Galien.Quandje voulus continuer ma route, monguiderefusa
d'aller plus loin, sous prétexte que les gorges de l'Ida étoient
infestées de voleurs. Je fus obligé de prendre le chemin de
Constantinople. Comme le principal but de mon voyage
étoit la visite des lieux saints , je m'informai , en arrivant à
Perra , s'il n'y avoit point dans le port quelque bâtiment de
la côte de Syrie. J'eus le bonheur d'en trouver un prêt à
partir, et chargéde pélerins grecs pour Yaffa. Je m'arrangeai
avec le capitaine : et bientôt nous voguâmes vers Jérusalem ,
sous l'étendard de la Croix qui flottoit aux mâts de notre
vaisseau. (1)..
Nous étions sur ce vaisseau à-peu-près deux cents passagers
, hommes , femmes , enfans et vieillards. On voyoit
autant de nattes rangées en ordre des deux côtés de l'entrepont.
Une bande de papier , collée contre le bord du
vaisseau , indiquoit le nom du propriétaire de la natte.
Chaque pélerin avoit suspendu à son chevet son bourdon ,
son chapelet et une petite croix. La chambre du capitaine
étoit occupée par les papas conducteurs de la troupe.A l'entréedecette
chambre, on avoit ménagé deux espèces d'antichambres
: j'avois l'honneurde logerdans unde ces trous noirs
d'environsix pieds carrés , avec mes deux domestiques ; une
famille occupoit vis-à-vis de moi l'autre appartement. Dans
cette espèce de république , chacun faisoit son ménage à
volonté: les femmes soignoient leurs enfans , les hommes
fumoient ou préparoient leur dîner , les papas causoient
ensemble . On entendoit de tous côtés le son des mandolines
, des violons et des lyres. On chantoit , on dansoit , on
(1) Je serois trop ingrat d'oublier les soins que M. le général Sébastian
m'a prodigués à Constantinople.Quel plaisir j'aurois encore à remercier
ici celle qui ajoutoit tant de prix, par sa grace, aux politessesde
M. l'ambassadeur ! Je n'aurois jamais cru que l'expressionde ma reconnoissance
pût arriver trop tard.
4
200 MERCURE DE FRANCE ,
rioît , on prioît. Tout le monde étoit dans la joie. On me
disoit : Jérusalem ! en me montrant le Midi ; et je répondois :
Jérusalem ! Enfin , sans la peur , nous eussions été les plus
heureuses gens du monde; mais , au moindre vent , les
matelots plioient les voiles , les pélerins crioient : Christos !
Kirie eleison ! L'orage passé, nous reprenions notre audace .
Au reste , je n'ai point remarqué le désordre dont parlent
quelques voyageurs. Nous étions au contraire fort décens
et fort réguliers. Dès le premier soir de notre départ deux
papas firent la prière , à laquelle tout le monde assista avec
beaucoup de recueillement. On bénit le vaisseau : cérémonie
qui se renouveloit à chaque orage. Les chants de l'Eglise
grecque ont assez de douceur, mais peu de gravité. J'observai
une chose singulière : un enfant commençoit le verset d'un
pseaume dans un ton aigu , et le soutenoit ainsi sur une seule
note ; tandis qu'un papas chantoit le même verset sur un
air différent et en canon , c'est-à-dire , commençant la
phrase lorsque l'enfant en avoit déjà passé le milieu . Ils
ont aussi un admirable kirie eleison : ce n'est qu'une note
tenue par différentes voix , les unes graves , les autres aigües ,
exécutant andante et mezza voce , l'octave , la quinte et la
tierce. L'effet de ce kirie est surprenant pour la tristesse et
lamajesté. C'est sans doute un reste de l'ancien chant de la
primitive Eglise. Je soupçonne l'autre psalmodie d'être ce
chant moderne introduit dans le rit grec vers le quatrième
siècle , et dont saint Augustin avoit bien raison de se plaindre.
: Dès le lendemain de notre départ la fièvre me reprit avec
assez de violence; je fus obligé de rester couché sur ma natte.
Nous traversâmes rapidement la mer de Marmara et le détroit
des Dardanelles,( la Propontide et l'Hellespont). Nous
passâmes devant la presqu'île de Cyzique , etàl'embouchure
d'Egos-Potamos. Nous rasâmes les promontoires de Sestos
et d'Abydos : Alexandre et son armée , Xerxès et sa flotte ,
les Athéniens et les Spartiates , Héro et Léandre , ne purent
me faire vaincre le mal de tête qui m'accabloit ; mais lorsque
le 21 septembre , à six heures du matin , on vint me dire
que nous allions doubler le château des Dardanelles , la
fièvre ne put tenir contre les souvenirs de Troie. Je me
traînai sur lepont; mes premiers regards tombèrent sur un
haut promontoire couronné par neuf moulins : c'étoit le
cap Sigée. Au pied du cap je distinguois deux tumulus , les
tombeaux d'Achille et de Patrocle. L'embouchuredu Simoïs
étoit à lagauche du château neufd'Asie ; plus loin , derrière
nous , en remontant vers l'Hellespont , paroissoit le cap
Rhétée et le tombeau d'Ajax. Dans l'enfoncement s'élevoit
AOUT 1807. 201
lachaînedu mont Ida, dont les pentes , vues du point où
j'étois , paroissoient douces et harmonieuses . Tenedos étoit
devant la proue du vaisseau : Est in conspectu Tenedos . Il
faut que la gloire soit quelque chose de réel , puisqu'elle
fait ainsi battre le coeur de celui qui n'en est que le juge.
Le 22 , nous nous engageâmes dans l'Archipel. Nous
vîmes Lesbos , Chio , Samos , célèbre par sa fertilité et ses
tyrans , et sur-tout par la naissance de Pythagore. Mais
tout ce que les poètes nous ont appris de cette île est surpassé
par lebel épisode du Télémaque. Nous côtoyâmes les rivages
de l'Asie , où s'étendoient la Doride, et cette molle Ionie ,
qui donna des plaisirs et des grands hommes à la Grèce. Là
serpentoit le Méandre , là s'élevoient Ephèse , Milet , Halicarnasse
, Gnide. Je saluois la patrie d'Homère , d'Apelle ,
d'Hérodote , de Thalès , d'Anaxagore , d'Aspasie. Mais je
n'apercevois ni le temple d'Ephèse , ni le tombeau de Mausole
, ni la Vénus de Gnide. Tout étoit désert ; et sans les
travaux de Pockoke , de Wood , de Spon , de Choiseul , je
n'aurois pu , sous un nom moderne et sans gloire , reconnoître
le promontoire de Mycale. Après avoir relâché à
Rhodes , et relevé l'île de Chypre , nous découvrîmes enfin
les côtes de la Palestine. Je ne sentis point cette espèce de
trouble que j'éprouvai en apercevant les premières montagnes
de la Grèce. Mais la vue du berceau des Israélites
etde la patrie des Chrétiens , me remplit de crainte et de
respect. J'allois descendre sur la terre des prodiges , aux
sources de la plus étonnante poésie , aux lieux , même humainement
parlant , où s'est passé le plus grand événement
qui ait jamais changé la face du monde , je veux dire la
venuedu Messie. J'allois aborder à ces rives que visitèrent
commemoi les Godefroi , les Richard , les Joinville , les
Couci . Obscur pélerin , oserois-je fouler un sol consacré par
tant de pélerins illustres? Du moins il m'étoit resté la foi
et l'honneur: età ces titres j'aurois pu encore me faire reconnoîtredes
antiques croisés .
Nous jetâmes l'ancre devant Yaffa , à une demi-lieue du
rivage , la ville nous restant au sud- est , et le minaret de
la mosquée à l'est 1/4 sud-est. Je marque ici les rhumbs du
compas pour une raison assez importante. Les vaisseaux
latins mouillent ordinairement plus au large , et alors ils
sont sur un bancde rochers qui coupent les câbles , tandis
que les bâtimens grecs , en se rapprochant de la terre , se
trouvent sur un fonds moins dangereux , entre la darce de
Yaffa et le banc de rochers .
Des caïques vinrent de toutes parts pour porter à terre les
202 MERCURE DE FRANCE ,
pélerins . Je reconnus sur-le-champ , dans les patrons de
ces barques , un autre vêtement , un autre air de visage ,
un langage différent , enfin la race arabe et les habitans de
la frontière du désert .
J'envoyai mon domestique grec prévenir les pères de
Terre-Sainte de l'arrivée d'un pélerin latin. Je vis bientôt
venir un bateau où je distinguai de loin trois religieux qui ,
m'ayant reconnu à mon habit franc , me faisoient des signes
de la main. Ces Pères arrivèrent à bord : quoiqu'ils fussent
Espagnols , et qu'ils parlassent un italien difficile à entendre ,
nous nous serrâmes la main comme de véritables compatriotes.
Je descendis avec eux dans la chaloupe; nous entrâmes
dans le port par une ouverture pratiquée entre des
rochers , et dangereuse même pour un caïque. Les Arabes
du rivage s'avancèrent dans l'eau jusqu'à la ceinture pour
nous charger sur leurs épaules. Il se passa là une scène assez
plaisante : mondomestique étoit vêtu d'une redingote blanchâtre
; le blanc étant la couleur de distinction chez les .
Arabes , ils jugèrent que mon domestique étoit le scheik. Ils
se saisirent de lui , et l'emportèrent en triomphe malgré ses
protestations , tandis que , grace à mon habit bleu , je me
sauvois obscurément sur le dos d'un mendiant déguenillé.
Nous nous rendîmes à l'hospice des Pères , simple maison
de bois bâtie sur le port, et jouissant d'une belle vue de
la mer. Mes hôtes me conduisirent d'abord à la chapelle ,
que je trouvai illuminée , et où ils remercièrent Dieu de
leur avoir envoyé un Frère : touchantes institutions chrétiemes
, par qui le voyageur trouve des amis et des secours
dans les pays les plus barbares ; institutions que j'ai vantées
ailleurs , mais qui ne seront jamais assez admirées !
Les religieux m'installèrent ensuite dans une cellule , où
je trouvai une table, un bon lit , de l'encre et du papier ,
de l'eau fraîche et du linge blanc. Il faut descendre d'un
bâtiment grec chargé de deux cents pélerins , pour sentir
le prix de tout cela. A huit heures du soir , nous passâmes
au réfectoire. On dit en commun le Benedicite , précédé
du De Profundis : souvenir de la mort que le Christianisme
mêle à tous les actes de la vie pour les rendre plus graves ,
comme les anciens le mêloient à leurs banquets pour
rendre leurs plaisirs plus piquans. On me servit sur une
petite table propre et isolée , de la volaille , du poisson ,
d'excellens fruits , tels que des grenades , des pastèques ,
des raisins , et des dattes dans leur primeur ; j'avois à discrétion
le vin de Chypre , le café du Levant. Tandis que
j'étois comblé de biens , les Pères mangeoient gaiement un
:
AOUT 1807 . 203
peude poisson sans sel et sans huile : ils étoient gais avec
modestie , familiers avec politesse. Point de questions inutiles
, point de vaines curiosités . Tous les propos rouloient
sur mon voyage , sur les mesures à prendre pour me le
faire achever en sûreté : « Car , me disoient-ils , nous ré-
>> pondons maintenant de vous à votre patrie. » Ils avoient
déjà dépêché un exprès au scheik des Arabes de la montagne
de Judée , et un autre au Père procureur de Rama :
Nous vous recevons , me disoit le P. François Munoz ,
>>avec un coeur limpide e bianco. » Il étoit inutile que ce
religieux espagnol m'assurât de la sincérité de ses sentimens
: je les aurois facilement devinés à la pieuse franchise
de son front et de ses regards.
Cette réception si chrétienne et si charitable dans une
terre où le Christianisme et la charité ont pris naissance ;
cette hospitalité apostolique dans un lieu où le premier des
Apôtres prêcha l'Evangile , me touchoient jusqu'au coeur :
je me rappelois que d'autres missionnaires m'avoient reçu
avec la même cordialité dans les déserts de l'Amérique.
Les religieux de Terre - Sainte ont d'autant plus de mérite
, qu'en prodiguant aux pélerins de Jérusalem la
charité de Jésus - Christ , ils ont gardé pour eux la croix
qui fut plantée sur ces mêmes bords . Ce Père au coeur
limpide e bianco m'assuroit encore qu'il trouvoit la vie qu'il
menoit depuis cinquante ans , un vero Paradiso. Veut-on
savoir ce que c'est que ce Paradis ? Tous les jours une
avanie , la menace des coups de bâton , des fers et de la
mort. Il y a quelque temps que ces religieux avoient lavé
les lingesde l'autel. L'eau , imprégnée d'amidon , en coulant
au -dehors de l'hospice , blanchit une pierre. Un Turc passe,
voit cette pierre, et va déclarer au cadi que les Pères ont
réparé leur maison. Le cadi se transporte sur les lieux ,
décide que la pierre , qui étoit noire , est devenue blanche ;
et sans écouter les religieux , il les oblige à payer dix
bourses . La veille même de mon arrivée à Yaffa , le Père
procureur de l'hospice avoit été menacé de la corde par un
domestique de l'aga , en présence de l'aga même. Celui-ci
se contenta de rouler paisiblement sa moustache , sans
daigner dire un mot favorable au chien . Voilà le véritable
Paradis de ces moines , qui , selon quelques voyageurs ,
sont des petits souverains en Terre-Sainte , et jouissent des
plus grands honneurs .
Le lendemain de mon arrivée à Yaffa , je voulus parcourir
la ville , et rendre visite à l'aga , qui m'avoit envoyé
:
204
MERCURE
DE FRANCE
,
Vous
complimenter. Le vice-procureur me détourna de ce dessein :
« Vous ne connoissez pas ces gens-ci , me dit- il : ce que
» prenez pour une politesse est un espionnage. On n'est venu
vous saluer que pour savoir qui vous êtes , si vous êtes
riche , si on peut vous dépouiller . Voulez-vous voir l'aga ?
» Il faudra d'abord lui porter des présens : il ne manquera
pas de vous donner malgré vous une escorte pour Jérusalem.
L'aga de Ramlé augmentera cette escorte. Les
Arabes , persuadés qu'un riche Franc va en pélerinage au
Saint- Sépulcre , augmenteront les droits du passage , ou
» vous attaqueront sur la route . A la porte de Jérusalem
vous trouverez le camp du pacha de Damas , qui est venu
selon l'usage , lever les contributions , avant de conduire
» la caravane à la Mecque. Votre appareil donnera de
l'ombrage à ce pacha , et vous exposera à des avanies.
» Arrivé à Jérusalem , on vous demandera trois ou quatre
mille piastres pour l'escorte . Le peuple , instruit de votre
arrivée , vous assiégera de telle manière qu'eussiez-vous
» des millions , vous ne pourriez satisfaire son avidité . Les
» rues seront obstruées sur votre passage , et vous ne pourrez
entrer aux Saints - Lieux qu'en courant les risques
d'être déchiré. Croyez-moi , demain nous nous déguiserons
en pélerins ; nous irons ensemble à Ramlé : là , je
recevrai la réponse de mes exprès . Si elle est favorable
vous partirez dans la nuit , et vous arriverez sain et sauf
et à peu de frais , à Jérusalem. >>
?
Le Père appuya son raisonnement de mille exemples
et , en particulier , de celui d'un évêque polonais , à qui un
trop grand air de richesse pensa coûter la vie il y a deux ans.
Je ne rapporte ceci que pour montrer à quel degré la corruption
, l'amour de l'or , l'anarchie et la barbarie , sont
poussés dans ce malheureux pays. D'après ce que j'ai vu
de mes yeux , je ne crains point de dire que , sans la vigilance
et les soins paternels des religieux chrétiens , la moitié
des pélerins périroit dans le voyage de Jérusalem .
Le 3 octobre , à quatre heures de l'après-midi , nous
revêtimes des robes de poil de chèvre , fabriquées dans la
Haute-Egypte , et telles que les portent les Bedouins . Nous
montâmes sur de méchantes mules . Le vice - procureur
marchoit à notre tête , prenant le titre d'un pauvre Frère ;
un Arabe presque nu nous montroit le chemin , et un autre
nous suivoit , chassant devant lui un âne chargé de nos
bagages . Nous sortîmes par les derrières de l'hospice , et
nous gagnâmes la porte de la ville à travers les dé
AOUT 1807. 205
combres des maisons détruites pendant le dernier siége.
De bonnes nouvelles m'attendoient à Ramlé : j'y trouvai
un drogman du couvent de Jérusalem, que le supérieur
avoit envoyé au-devant de moi. Le chef Arabe qui devoit
me conduire , rôdoit à quelque distance dans la campagne,
car l'aga de Ramlé ne permettoit pas aux Bédouins d'entrer
dans la ville.
La tribu la plus puissante de la montagne de Judée fait
sa résidence au village de Jérémie : elle peut à volonté
ouvrir et fermer aux voyageurs les chemins de Jérusalem .
Le scheik de cette tribu étoit mort depuis quelque temps ;
il avoit laissé son jeune fils Utman sous la tutelle de son
oncle Abou-Gosh : celui-ci avoit deux frères , Dgiaber et
Ebraïm-Habd-el-Rouman , qui m'accompagnèrent à mon
retour.
Nous quittâmes Ramlé le 4 , à minuit. Nous achevâmes
de traverser la plaine de Saron , et nous entrâmes dans les
montagnes de Judée. Quand le jour fut venu , je me
trouvai dans un labyrinthe de montagnes de formes coniques
, toutes semblables entr'elles , et enchaînées l'une à
l'autre par la base. J'arrivai à la vallée de Jérémie ; je
descendis dans celle de Térébinthe , laissant le château des
Macchabées sur ma droite. Les rochers , qui jusque - là
avoient conservé quelque verdure , se dépouillèrent. Peu à
peu toute végétation cessa , et l'amphithéâtre tumultueux
des monts prit une teinte rouge et ardente. Parvenu à un
col élevé , je découvris tout - à- coup une ligne de murs
gothiques. Au pied de ces murs paroissoit un camp de
cavalerie turque, dans toute la pompe orientale. Le chef
Arabe s'écria : El-Qods ! la Sainte ! (Jérusalem) et s'enfuit
au grand galop. (1)
Les cris du drogman qui me disoit de resserrer notre
troupe , parce que nous allions traverser le camp , metirèrentde
l'espèce de stupeur où la vue des lieux saints m'avoit
plongé. Nous entrâmes dans Jérusalem par la porte appelée
desPélerins , et dont le véritable nom est la portedeDamas.
Nous allâmes descendre au couvent de Saint - Sauveur. Il
faut être dans la position des Pères de Terre - Sainte pour
comprendre tout le plaisir que leur causa mon arrivée ;
ils se crurent sauvés par la seule présence d'un Français.
Le gardien (le père Bonaventure de Nola) me dit : « C'est
>> laProvidence qui vous envoie! Vous nous empêcherez
(1 ) Abou-Gosh , quoique sujet du grand-seigneur , avoit peur d'être
bâtonné et avanisé (selon le langage du pays) par le pacha.
1
206 MERCURE DE FRANCE ,
» d'être dépouillés , et peut-être assassinés par le pacha.
» Vous avez sans doute des firmans de route ? Permettez-
» nous de les envoyer au pacha , il saura qu'un Français
>> est descendu au couvent il nous croira protégés par la
» France . L'année dernière il nous contraignit de payer
» soixante mille piastres ; d'après l'usage nous ne lui en
>> devons que quatre mille , encore à titre de simple présent.
» Il veut cette année nous arracher la même somme , et
nous menace de se porter aux dernières extrêmités , si
'" nous la refusons. Nous serons obligés de vendre les vases
» sacrés car depuis quatre ans nous ne recevons plus
aucune aumône de l'Europe ; si cela continue , nous nous
» verrons dans peu forcés d'abandonner la Terre - Sainte ,
» et de livrer aux Mahométans le tombeau de J. C. »
JJ
>>
Je me trouvai trop heureux de pouvoir faire ce que le
Père gardien desiroit de moi . Je lui observai toutefois qu'il
falloit me laisser aller au Jourdain , avant d'envoyer les
firmans , pour ne pas augmenter les difficultés d'un voyage
toujours dangereux.
On envoya sur-le-champ chercher un Turc , appelé Ali-
Aga , pour me conduire à Bethléem . Cet Ali-Aga étoit fils
d'un aga de Ramlé , qui avoit eu la tête tranchée par ordre
du fameux Djezzar. Ali-Aga étoit né à Jéricho , aujourd'hui
Rihha , dans la vallée du Jourdain , et il étoit gouverneur
de ce village. C'étoit un homme de tête et de courage ,
dont j'eus beaucoup à me louer. Il commença d'abord par
nous faire quitter à moi et à mes deux domestiques le vêtement
arabe pour reprendre l'habit français : cet habit , jadis
si méprisé des Orientaux , inspire aujourd'hui le respect et
la crainte . Au reste , la valeur française n'a fait que rentrer
en possession de la renommée qu'elle a depuis long-temps
dans ce pays . Ce furent des chevaliers de France qui rétablirent
le royaume de Jérusalem , et qui cueillirent les
palmes de l'Idumée les Turcs vous montrent encore la
fontaine des Chevaliers , la montagne des Chevaliers , la tour
des Chevaliers ; et l'on voit au Calvaire l'épée de Godefroi
de Bouillon , qui , dans son vieux fourreau , semble encore
garder le Saint- Sépulcre .
:
On nous amena à cinq heures du soir trois bons chevaux' ;
le drogman du couvent se joignit à nous ; Ali se mit à notre
tête , et nous partîmes pour Bethleem , où nous devions
coucher au couvent , et prendre une escorte de six Arabes
bethléémites . Nous sortîmes de Jérusalem par la porte des
Pélerins ; puis , tournant à gauche et traversant les ravins
aux pieds du mont Sion , nous gravîmes une montagne sur
AOUT 1807. 207
le plateau de laquelle nous cheminâmes pendant une heure,
Nous laissions Jérusalem, au nord derrière nous ; nous
avions au couchant les montagnes de Judée , et au levant , à
une grande distance , les montagnes d'Arabie. Après avoir
dépassé le couvent d'Elie , nous joignîmes le champ de
Rama, où l'on montre le tombeau de Rachel. Il étoit nuit
lorsque nous arrivâmes à Bethléem. Avec quel plaisir je
visitai la crèche du Sauveur , le lieu de l'adoration des
Mages , l'oratoire de Saint-Jérôme ! Lorsque j'eus relevé les
différentes inscriptions , et examiné tout ce qu'il y avoit
de remarquable , je me remis en route pour la Mer Morte .
Apeine sortis de Bethleem , nous eûmes une légère escarmouche
avec une tribu de Bédouins. Bientôt , en nous enfonçant
dans le désert , nous découvrîmes de hautes tours
qui s'élevoient du fond d'une vallée : c'étoit le couvent de
Saint-Saba.
Une autre troupe de Bédouins nous assaillit au pied même
du monastère. Ali-Aga me sauva la vie en recevant dans la
mainun coup de poignard qu'un Arabe me portoit par derrière.
On se rappelle que je ne veux rien décrire aujourd'hui
des lieuxque j'ai parcourus. Ainsi je ne parlerai point de cette
fameuse retraite de Saint-Saba , bâtie dans le ravin du torrent
de Cédron ; par la même raison je garderai le silence
sur la Mer Morte et sur le Jourdain; mais telle est l'impression
que ces lieux font sur l'ame , qu'au moment où
j'écris ceci , je crois encore sentir l'étonnement et l'épouvante
qu'inspire cette terre frappée de la main de Dieu. J'ai vu
les grands fleuves de l'Amérique , avec ce plaisir que donnent
la solitude et la nature ; j'ai visité le Tibre avec empressement
, et recherché avec le même intérêt le Céphise ,
l'Eurotas et le Nil ; mais je ne puis dire ce que j'éprouvai
à la vue du Jourdain. Non-seulement ce fleuve me rappeloit
une antiquité fameuse , ses rives me présentoient encore
le théâtre des miracles de la religion. La Judée est le seul
pays du monde qui offre au voyageur chrétien le souvenir
des affaires humaines et des choses du Ciel .
:
Nous couchâmes sur la grève au bord de la Mer Morte.
J'y fis diverses expériences , et je l'examinai curieusement
le lendemain au lever du jour (1). De là je me rendis au
Jourdain. Notre habit français nous sauva d'une nouvelle
attaque des Arabes ; ils n'osèrent nous approcher . J'ai dit
qu'Ali-Aga étoit né dans le village de Rihha , l'ancienne
(1) J'ai apporté une bouteille d'cau de cette mer , avec laquelle on
pourra renouveler l'expérience de Pockoko.
2
208 MERCURE DE FRANCE ,
•
Jéricho, et qu'il en étoit gouverneur. Il me conduisit dans
ses Etats , où je ne pouvois manquer d'être bien reçu
de ses
sujets ; en effet , ils vinrent complimenter leur souverain .
Il voulut me faire entrer dans une vieille masure qu'il appeloit
son château ; je refusai cet honneur , préférant dîner
au bord de la source d'Elisée , nommée aujourd'hui source
du Roi. En traversant le village , nous vîmes un jeune Arabe
assis à l'écart , la tête ornée de plumes , et paré comme dans
un jour de fête . Tous ceux qui passoient devant lui s'arrêtoient
pour le baiser au front et aux joues. On me dit
que c'étoit un nouveau marié. Nous nous arrêtâmes à
la source d'Elisée. On égorgea un agneau , qu'on mit rôtir
tout entier à un grand bûcher au bord de l'eau ; un Arabe fit
griller des gerbes de doura . Quand le festin fut préparé
nous nous assîmes en rond autour d'un plateau de bois , et
chacun déchira avec ses mains une partie de la victime.
On aime à distinguer dans ces usages quelques traces des
moeurs des anciens jours , et à retrouver chez les descendans
d'Ismaël des souvenirs d'Abraham et de Jacob.
"
Les Arabes , partout où je les ai vus , en Judée , en
Egypte , et même en Barbarie , m'ont paru d'une taille
plutôt grande que petite. Leur démarche est fière . Ils sont
bien faits et légers . Ils ont la tête ovale , le front haut et
arqué , le nez aquilain , les yeux grands et coupés en
amandes , le regard humide et singulièrement doux. Rien
n'annonceroit chez eux le sauvage , s'ils avoient toujours la
bouche fermée ; mais aussitôt qu'ils viennent à parler , on
entend une langue bruyante et fortement aspirée ; on aperçoit
de longues dents éblouissantes de blancheur , comme
celles des chacals et des onces : différens en cela du sauvage
américain , dont la férocité est dans le regard , et l'expression
humaine dans la bouche.
Les femmes arabes ont la taille plus haute en proportion
que celle des hommes. Leur port est noble ; et par
la régularité de leurs traits , la beauté de leurs formes et
la disposition de leurs voiles , elles rappellent un peu les
statues des prêtresses et des Muses. Nous en rencontrâmes
trois dans la montagne de Judée , qui portoient des vases
pleins d'eau sur leur tête , et qui donnèrent à boire à nos
chevaux. N'est-ce pas là les filles de Laban ou des Madianites?
Ceci doit s'entendre avec restriction : ces belles statues sont
souvent drapées avec des lambeaux ; l'air de misère , de
saleté et de souffrance , dégrade ces formes si pures ; un
teint cuivré cache la régularité des traits ; en un mot , pour
voir ces femmes telles que je viens de les peindre , il faut
les
AOUT 1807.
15 .
***les contempler d'un peu loin, se contenter de l'ensemble
et ne pas entrer dans les détails .
***La plupart des Arabes portent une tunique nouée autour
des reins pár une ceinture. Tantôt ils ôtent un bras de la
imanche de cette tunique , et ils sont alors drapés à la manière
antique ; tantôt ils s'enveloppent dans une couverture
de laine blanche , qui leur sert de toge , de manteau ou
de voile , selon qu'ils la roulent autour d'eux , la suspen
dent à leurs épaules , ou la jettent sur leurs têtes . Ils marchent
pieds nus. Ils sont armés d'un poignard ; d'unë
lance ou d'un long fusil. Les tribus voyagent en caravane ;
leurs chameaux cheminent à la file. Le chameau de tête
est attaché par une longue corde de bourre de palmier au
cou d'un âne , qui est le guide de la troupe , et qui , comme
chef, est exempt de tout fardeau , et jouit de divers honneurs
: chez les tribus riches , les chameaux sont ornés de
franges , de banderoles et de plumés .
Les jumens , selon la noblesse de leurs races , sont traitées
avec plus ou moins d'honneurs , mais toujours avec
une rigueur extrême. On ne met point les chevaux à
l'ombre : on les laisse exposés à toute l'ardeur du soleil ,
attachés en terre à des piquets , par les quatre pieds , de
manière à les rendre immobiles ; on ne leur ôte jamais la
selle ; souvent ils ne boivent qu'une seule fois , et ne
mangent qu'un peu d'orge en vingt-quatre heures. Un traitement
si rude , loin de les faire dépérir , leur donne la
sobriété , la patience et la vitesse . J'ai souvent admiré un
cheval arabe , ainsi enchaîné dans le sable brûlant , les
crins descendant épars , la tête baissée entre ses jambes
pour trouver un peu d'ombre , et laissant tomber de son
-oeil sauvage un regard oblique sur ses maîtres . Avez-vous
dégagé ses pieds des entraves ? Vous êtes-vous élancé sur son
dos ? Il écume , il frémit , il dévore la terre ; la trompettè
sonne , il dit : Allons ! (1 ) Et vous reconnoissez le cheval
de Job.
Tout ce qu'on dit de la passion des Arabes pour les
contes est véritable , et j'en vais citer un exemple. Pendant
la nuit que nous passâmes sur la grève de la Mer Morte ;
nos Bethléémites étoient assis autour de leur bûcher , leurs
fusils couchés à terre à leurs côtés ; les chevaux , attachés à
des piquets , forinoient un second cercle en dehors . Après
avoir bu le café et parlé beaucoup ensemble , ces Arabes
(1) Fervens et fremens sorbet terram ; ubi audierit buccinam
dicit vah!
0
210 MERCURE DE FRANCE ,
tombèrent dans le silence , à l'exception du scheik. Je voyois
à la lueur du feu , ses gestes expressifs , sa barbe noire,
ses dents blanches , les diverses formes qu'il donnoit à son
vêtement en continuant son récit. Ses compagnons l'écoutoient
dans une attention profonde , tous penchés en avant ,
le visage sur la flamme , tantôt poussant un cri d'admiration
, tantôt répétant avec emphase les gestes du conteur
: quelques têtes de chevaux et de mulets qui s'avançoient
au-dessus de la troupe , et qui se dessinoient dans
l'ombre , achevoient de donner à ce tableau le caractère
le plus pittoresque , sur-tout lorsqu'on y joignoit un coin
du paysage de la mer Morte et des montagnes de Judée.
Si j'avois étudié avec tant d'intérêt au bord de leurs lacs
les hordes américaines , quelle autre espèce de sauvages ne
contemplois-je pas ici ! J'avois sous les yeux les descendans
de la race primitive des hommes ; je les voyois avec les
mêmes moeurs qu'ils ont conservées depuis les jours d'Agar
et d'Ismaël ; je les voyois dans le même désert qui leur
fut assigné par Dieu enhéritage : Moratus est in solitudine ,
habitavitque in deserto Pharan. Je les rencontrois dans la
vallée du Jourdain , aux pieds des montagnes de Samarie ,
sur les chemins d'Habron, dans les lieux où retentit la voix
de Josué , dans les champs de Gomorrhe encore fumant
de la colère de Jéhovah , et que consacrèrent ensuite les
merveilles miséricordieuses de Jésus-Christ.
Ce qui distingue sur- tout les Arabes des peuples du
Nouveau-Monde , c'est qu'à travers la rudesse des premiers
on sent pourtant quelque chose de délicat dans leurs
moeurs; on sent qu'ils sont nés dans cet Orient d'où sont
sortis tous les arts , toutes les sciences , toutes les religions .
Caché aux extrémités de l'Occident , dans un canton détourné
de l'univers , le Canadien habite des vallées ombragées
par des forêts éternelles , et arrosées par des fleuves
immenses ; l'Arabe , pour ainsi dire , jeté sur le grand
chemin du monde, entre l'Afrique et l'Asie , erre dans
les brillantes régions de l'Aurore , sur un sol sans arbres
et sans eau. Il faut parmi les tribus des descendans d'Ismaël ,
des maîtres, des serviteurs , des animaux domestiques, une liberté
soumiseà des lois . Chez les hordes américaines, l'homme
est encore tout seul avec sa fière et cruelle indépendance. Au
lieude la couverture de laine , il a la peau d'ours ; au lieu de
la lance , la flèche ; au lieu du poignard , la massue. Il
ne connoît point et il dédaigneroit la datte , la pastèque ,
lelait du chameau : il fautà ses festins de la chair et du sang.
Il n'a point tissu le poil de chèvre pour se mettre à l'abri
AOUT 1807. 211
sous des tentes ; l'orme , tombé de vétusté , fournit l'écorce
à sahutte ; il n'a point dompté le cheval pour poursuivre la
gazelle; il prend lui-même l'orignal à la course. Il ne tient
point par son origine à de grandes nations civilisées ; on
ne rencontre point le nom de ses ancêtres dans les fastes des
empires ; les contemporains de ses aïeux sont de vieux
chênes encore debout. Monumens de la nature et non de
l'histoire , les tombeaux de ses pères s'élèvent inconnus
dans des forêts ignorées. En un mot, tout annonce chez
P'Américain le sauvage qui n'est point encore parvenu à
l'état de civilisation ; tout indique chez l'Arabe l'homme
civilisé retombé dans l'état sauvage.
De retour à Jérusalem , je trouvai le couvent dans l'alarme ;
le pacha s'étoit porté aux dernières extrémités. Il avoit mandé
les Pères dans sa tente , et leur avoit déclaré qu'il les mèneroit
enchaînés à Damas et leur feroit couper la tête , s'ils refusoient
de le satisfaire. En vain le gardien , comme Napolitainet
comme autorisé par le consul français de Saint-Jean
d'Acre , s'étoit réclaméde la protection de la France ; le pacha
avoit répondu qu'il lui falloit de l'argent. J'arrivai dans cette
circonstance. Mes firmans , conçus dans les termes les plus
forts , étoient motivés sur l'étroite alliance qui végnoit entre
la France et la Turquie : on les envoya au pacha. Il craignit
alors qu'on ne rendît compte de ses oppressions à l'ambassadeur
de France, qui pourroit s'en plaindre à la Porte. Il
parla d'accommodement , et finit par accepter un présent de
15,000 piastres , mais en menaçant les Pères de savengeance,
lorsqu'ils n'auroient plus personne pour les protéger .
J'avoue que je ne connois point de martyre égal à celui
des religieux de Terre-Sainte. On ne peut mieux comparer
leur position qu'à celle où l'on étoit en France pendant la
terreur. Jamais un moment de sûreté , toujours la crainte
du pillage et de la mort. Ceci se fera mieux comprendre
quand j'aurai parlé du gouvernement de Jérusalem.
Jérusalem est attachée, on ne sait pourquoi , au pachalick
deDamas , si ce n'est à cause de ce système destructeur
que les Turcs suivent naturellement , et comme par instinct.
Séparée de Damas par des montagnes , plus encore par les
*Arabes qui infestent les déserts , Jérusalem ne peut pas toujours
porter ses plaintes au pacha lorsque ses gouverneurs
l'oppriment. Il seroit plus simple qu'elle dépendît du pachalick
d'Acre , qui se trouve dans le voisinage. Les Francs et
les Pères latins se mettroient sous la protection des consuls
qui résident dans les ports de Syrie ; les Grecs et les Turcs
pourroient faire entendre leur voix.. Mais c'est précisément
0.2
212 MERCURE DE FRANCE ,
ce qu'on veut éviter : on veut un esclavage muet , et non
d'insolens opprimés qui oseroient dire quelquefois qu'on
les écrase .
la
Jérusalem est donc livrée à un gouverneur presqu'indépendant.
Il peut faire impunément le mal qui lui plaît ,
sauf à en compter ensuite avec le pacha . On sait que tout
supérieur en Turquie a le droit de déléguer ses pouvoirs à
un inférieur ; et ses pouvoirs s'étendent toujours sur la
propriété et la vie. Pour quelques bourses , un janissaire
devient un petit aga ; et cet aga, selon son bon plaisir, peut
vous tuer ou vous permettre de racheter votre tête. Les
bourreaux se multiplient ainsi dans tous les villages de
Judée. La seule chose qu'on entende dans le pays , la seule
justice dont il soit question , c'est : Il paiera dix , vingt,
trente bourses ; on lui donnera cinq cents coups de bâton ;
on lui coupera la tête. Un acte d'injustice force à une injus
tice plus grande : si l'on dépouille un paysan , on se met
dans lanécessité de dépouiller levoisin;; car, pour échapper
à l'hypocrite intégrité du pacha , il faut avoir, par un second
crime , de quoi payer l'impunité du premier.
On croit peut - être que le pacha , en parcourant son
gouvernement , porte un remède à ces maux , et venge les
peuples : le pacha est lui-même le plus grand fléau des
habitans de Jérusalem . On redoute son arrivée comme celle
d'un chef ennemi ; on ferme les boutiques , on se cache dans
des souterrains; on feint d'être mourant sur sa natte , ou l'on
fuit dans la montagne.
Je puis attester la vérité de ces faits , puisque je me suis
trouvé à Jérusalem au moment de l'arrivée du pacha. A....
est d'une avarice sordide , comme presque tous les musulmans;
en sa qualité de chef de la caravane de la Mecque ,
et sous le prétexte d'avoir de l'argent pour mieux protéger
les pélerins , il se croit en droit de multiplier les exactions ;
il n'y a point de moyens qu'il n'invente . Un des plus ordinaires
, c'est de fixer tout-à-coup un maximum fort bas pour
les comestibles . Le peuple crie à la merveille , mais les
marchands ferment leurs boutiques . La disette commence;
le pacha fait traiter secrètement avec les marchands ; il leur
donne, pour un certain nombre de bourses , la permission
de vendre au taux qu'ils voudront. Les marchands cherchent
àretrouver l'argent qu'ils ont donné au pacha , ils portent
les denrées à un prix extraordinaire ; et le peuple , mourant
de faim une seconde fois , est obligé , pour vivre , de se
dépouiller de son dernier vêtement.
J'ai vu ce mêmeA. commettre , à Jérusalem ,
AOUT 1807. 213
une vexation plus ingénieuse encore : il envoya sa cavalerie
piller des Arabes cultivateurs , de l'autre côté du Jourdain.
Ces bonnes gens , qui avoient payé le miri , et qui ne se
croyoient point en guerre , furent surpris au milieu de leurs
tentes et de leurs troupeaux. On leur vola 2200 chèvres et
moutons , 94 veaux , 1000 ânes et 6 jumens de première
race : les chameaux seuls échappèrent. Un scheik les appela
de loin , et ils le suivirent. Ces fidèles enfans du désert allèrent
porter leur lait à leurs infortunés maîtres dans la
montagne , comme s'ils avoient deviné que ces maîtres
n'avoient plus d'autre nourriture.
UnEuropéen ne pourroit guère imaginer ce que le pacha
fit de ce buun. Il mit à chaque animal un prix excédant
trois fois la valeur de l'animal . On envoya les bêtes ainsi
tixées aux bouchers , aux différens particuliers de Jérusalem
, aux chefs des villages voisins : il falloit les prendre ,
et les payer sous peine de mort. J'avoue que si je n'avois
pas vu de mes yeux cette double iniquité , elle me paroîtroit
tout-à-fait incroyable .
Après avoir épuisé Jérusalem , le pacha se retire . Mais
afin de ne pas payer les gardes de la ville , et sous le prétexte
de la caravane de la Mecque , il emmène avec lui les
soldats. Le gouverneeuurr reste seul avec une douzaine de
sbires qui ne peuvent suffire à la police intérieure , encore
moins à celle du pays . L'année dernière il fut obligé de se
cacher lui-même dans sa maison , pour échapper à des
bandes de voleurs qui passoient par-dessus les murs de
Jérusalem , et qui furent au moment de piller la ville.
Apeine le pacha a-t- il disparu , qu'un autre mal , suite
de son oppression , commence : les villages dévastés se soulèvent
, ils s'attaquent les uns les autres pour exercer des
vengeances héréditaires . Toutes communications sont interrompues
. L'agriculture périt ; le paysan va pendant la nuit
ravager la vigne , et couper l'olivier de son ennemi. Le
pacha revient l'année suivante ; il exige le même tribut dans
un pays où la population est diminuée Il faut qu'il redouble
d'oppression , et qu'il extermine des peuplades entières . Peu
à peu le désert s'étend ; on ne voit plus que de loin à loin
des masures en ruines , et à la porte de ces masures des
cimetières toujours croissant : chaque année voit périr une
cabane et une famille , etbientôt il ne reste que lecimetière ,
pour indiquer le lieu où le village s'élevoit.
DE CHATEAUBRIAND .
1
214 MERCURE DE FRANCE ,
좋
Mémoires du Marquis d'Argens , chambellan de Frédéricle-
Grand , roi de Prusse , et directeur de l'Académie
Royale de Berlin , etc. Un vol. in-8°. Prix : 5 fr . , et 6 fr .
50 cent. par la poste. A Paris , chez Buisson , libraire ,
rue Git-le- Coeur .
Le marquis d'Argens fait au commencement de ses
Mémoires une déclaration fort plaisante ; il prétend qu'il
auroit hésité à les écrire s'il les avoit destinés àl'impression.
C'est un raisonnement fait au rebours du bon sens , puisqu'on
ne peut se dispenser d'écrire ce qu'on veut faire
imprimer , et que , dans ce cas , l'hésitation seroit aussi
ridicule qu'absurde. Il ajoute qu'il est assuré qu'il ne verront
jamais lejjour , et cependant il n'a pas fait ce qu'il falloit
pour les empêcher de paroître, puisqu'ils ont été imprimés
de son vivant. Il les couche , dit- il , sur le papier pour sa
propre satisfaction : c'est-à-dire que c'est à lui-même qu'il
apprend , quelques lignes plus bas , qu'il est né à Aix en
Provence , d'une famille noble et distinguée dans sa province
; qu'il avoit quatre frères , dont trois étoient chevaliers
de Malte et l'autre abbé ; qu'il fut d'abord destiné à la robe ,
mais que son goût pour la vie dissipée lui fit préférer l'état
militaire , etc. , etc.; comme si toutes ces choses pouvoient
jamais sortir de sa mémoire , et comme s'il pouvoit étre
de quelque intérêt de se les répéter. La vanité philosophique
est bien maladroite ; elle s'admire dans sa bassesse ,
elle mendie les applaudissemensde la multitude; mais , dans
la crainte qu'elle éprouve de rencontrer quelqu'un qui la
reconnoisse , elle se revet du voile de la modestie , elle affecte
de craindre le grand jour ; elle dicte elle-même une histoire
scandaleuse , mais elle conseille à l'écrivain de déclarer que
c'est pour lui seul qu'il la couche sur le papier , comme s'il
pouvoit être de quelqu'utilité de faire cette déclaration à la
tête d'un livre qui ne doit jamais paroître , comme s'il pouvoit
être nécessaire de s'avertir soi-même par écrit d'une
chose dont le coeur et l'esprit vous rendent un continuel
témoignage ! Une pareille précaution prise par le marquis
d'Argens , décèle bien plutôt la coupable envie de révéler
toutes les folies de sa jeunesse , et la complaisante attention
qu'il leur donnoit , que le desir réel de les tenir ensevelis
dans le secret de sa conscience , et tout le mépris qu'il leur
AOUT 1807 .
215
devoit. Cependant , si l'on veut accorder quelque confiance
àsa déclaration, il faudra penser en même temps que ceux
qui les ont fait imprimer avoient moins de délicatesse que
lui-même , et qu'ils étoient totalement privés de la dernière
honte qui le rendoit encore incertain sur la convenance de
cettepublicité.
Quoi qu'il en soit, on ne peut se refuser de convenir
qu'il auroit été plus sûr et plus sage de ne point écriré ces
pitoyables aventures , et que , par égard pour la réputation
du marquis , ou du moins par respect pour le public et
pour les moeurs , ses éditeurs auroient dû s'en tenir à la
lettrede sa déclaration , et jeter au feu des Mémoires condamnés
par l'auteur lui-même à ne jamais paroître. Mais ,
disent les nouveaux éditeurs de ces Mémoires , le style en est
quelquefois libre , etjamais impie ou scandaleux ; cela se
peut pour des gens qui ne se scandalisent de rien : nous
nous garderons bien de leur répondre par des citations où
les mots les plus grossiers ne sont voilés que par des points ,
et oùd'autres mots non moins abjects se montrent à découvert
: il doit nous suffire de rapporter que le marquis d'Argens
a dit lui-même , avec plus de franchise , qu'il a naturellement
expliqué ce qu'il pensoit sur des matières assez
délicates ; ce qui , suivant les éditeurs eux-mêmes , annonce
une satire plus ou moins directe de la croyance ou des cérémonies
religieuses. Si le style du philosophe n'est pas toujours
aussi licencieux que celui des notes ajoutées par les
éditeurs , ses aventures et ses opinions sur la morale sont
dignes de leur servir de texte. Nous n'entrerons là-dessus
dans aucun autre détail ; mais nous ferons observer combien
ces premiers écarts d'une jeunesse mal dirigée ont eu d'influence
sur tout le reste de la vie du marquis d'Argens , et
nous tâcherons de tirer de son exemple une leçon salutaire .
A peine avoit-il atteint sa trentième année que , discréditédans
l'esprit des belles et des usuriers , abandonné par
sa famille et par ses amis , il se vit dans la nécessité d'aller
chercher fortune hors de son pays , et d'employer pour vivre
la ressource des esprits médiocres qu'une jeunesse malheu
reuse a pervertis. Les Mémoires qu'il a laissés ne vont pas
au-delà du moment où le mauvaîs état de ses affaires le contraignirent
de s'expatrier ; mais les éditeurs officieux qui
nous les ont présentés , n'ont pas voulu nous laisser dans
l'ignorance sur la suite de ses aventures ;et , dans une longue
Notice qui précède les Mémoires , ils ont amplement achevé
ce qu'il avoit commencé. Cette seconde partie de la vie du
marquis d'Argens étoit plus que suffisante pour faire deviner
916 MERCURE DE FRANCE ,
Y
la première , et si les écrivains qui nous l'ontdonnée avoient
pu concevoir un autre dessein que celui de faire aisément
un gros livre , ils n'auroient pas fait imprimer des Mémoires
qui n'apprennent rien , qui n'inspirent aucun intérêt géné
reux , et qui peuvent troubler inutilement l'imagination des
jeunes gens. Quelques mots leur auroient suffi pour en
donner une juste idée , et dans la suite de sa vie, ils auroient
fait voir le danger de mal commencer une carrière dans
Inquelle on peut toujours s'honorer ; mais quoique ces mêmesécrivains
ne se montrent pas les admiratteeuurrss des faux principes
qui ont égaré le marquis d'Argens , et qu'ils ne soient
pas les apologistes de sa mauvaise conduite , ils sont cependant
fort éloignés de le blâmer , et ils ne paroissent pas se
douter qu'il lui auroit été possible de se rendre plus recommandable
, en ne se mettant pas dans la cruelle nécessité de
souffrir les atteintes de la misère , ou de se déshonorér pour
avoir du pain.
Les éditeurs conviennent eux-mêmes que les Lettresjuives
qu'il composa en Hollande , furent commencées plus encore
par l'espérance d'y trouver une ressource contre la gêne où
il étoit, que peut-être par le desirde travailler à sa gloire ; et
ils ajoutent fort sagement que leur succès fut dû à la singu
larité du cadre , à la variété des matières quiy sont traitées ,
et au système d'incredulité et de dénigrement qui en fait le
fonds; que c'étoit alors un grand mérite , mais que ce seroit
aujourd'hui d'un très -mauvais goût , et un juste titre de
mépris . On ne sait pas trop dans quelle vue ils ajoutent à
ce jugement assez juste , quoique mal exprimé , que si l'au
teur ne s'étoit point laissé aller au torrent des déclamations
anti- religieuses , au pyrrhonisme et aux sarcasmes dans des
matières qui demandent de la sagesse et un style simple et
naturel , il auroit fait un ouvrage dont le succès n'auroit point
été aussi éphémère. Quelle sagesse prétendent-ils donc qu'on
pouvoit employer dans un système d'incrédulité et de dénigre
mentde la religion catholique ? Nous ne connoissons guère que
la sagesse philosophique qui puisse servir à cet usage ; mais
ils semblent la condamner eux- mêmes au mépris qu'elle mérite
; et quoique l'un d'eux ait voulu distinguer dans l'Avertissement
la vraie philosophie de la fausse , c'est- à-dire
dans leurs idées , celle qui n'est qu'orgueilleuse de celle qui
est en outre, fort scandaleuse , nous ne pensons pas qu'ils
aient voulu faire croire à l'existence d'une sagesse philosophique,
et toute humaine , supérieure à la sagesse religieuse ,
et toute divine. Or , que la sagesse religieuse puissę servir
à tourner la religion en ridicule , c'est ce qui n'est pas pro
3
1
AOUT 1807 . 217
posable ; c'est le digne office de la sagesse philosophique ;"
c'est à l'orgueil de l'homme qu'il appartient de se mettre
au-dessus des lois divines , et d'adopter un système qui flatte
la corruption du coeur et des moeurs , comme les éditeurs le
disent encore d'où nous tirerons une conséquence qui ne
leur plaira pas , c'est qu'ils ont fait au moins une pétition de
principes bien étrange , en admettant que la sagesse puisse
étre employée à détruire l'oeuvre de la sagesse .
Au surplus , quel qu'ait été là-dessus le fond de leurs
intentions , nous ne prétendons pas nous y arrêter davantage.
La destinée du marquis d'Argens , fixée par les premiers
événemens de sa vie et par la première composition
sortie de sa plume , nous présente un sujet de méditation
bien plus digne d'arrêter un moment notre attention .
Lorsque les Lettres juives furent imprimées , Frédéric II ,
qui n'étoit alors que prince Royal , les lut , et souhaita de
connoître leur auteur : il trouvoit dans ces Lettres une
doctrine commode pour ses penchans ; et il en admiroit la
logique et le style , quoique l'une et l'autre fussent trèsimparfaits
. Il écrivit au marquis d'Argens pour lui faire
des offres , qui lui parurent utiles et même honorables dans
la triste situation où ses dérèglemens venoient de le jeter :
il ne put néanmoins les accepter , parce qu'il craignit que
le père du jeune prince ne le fît enlever pour le faire servir
dans ses gardes. Il fallut attendre que Frédéric-Guillaume
fût mort , avant de songer sérieusement à se rendre auprès
de son fils ; et cependant , comme il falloit vivre avant
d'exécuter ce projet, il continua d'écrire dans le genre qu'il
avoit d'abord choisi , mais avec un bien moindre succès :
les amateurs de la philosophie vouloient du neuf , et le
marquis n'en mettoit que dans les titres de ses ouvrages .
Aujourd'hui , ces titres mêmes sont oubliés ; et personne
ne se soucie de savoir qu'il a existé des Lettres chinoises et
des Lettres cabalistiques . C'est à-peu-près là le destin de
tous les ouvrages dictés par le génie du mal : ils commencent
par remuer toutes les passions , ils les épuisent bientôt ; ils
ne laissent que la froideur , à laquelle succèdent aussitôt le
mépris et l'oubli , d'où jamais ils ne peuvent se tirer .
Ce n'est pas seulement aux écrits du nouveau philosophe
qu'un sort pareil étoit réservé ; sa personne même fut
bientôt exposée aux caprices et à l'inconstance de l'amitié
qui n'est pas fondée sur l'estime. Frédéric Paccueillit avec
les démonstrations du plus vif et du plus durable attachement;
il le nomma son chambellan , avec une pension de
6,000 francs , et il lui donna la place de directeur de la
218 MERCURE DE FRANCE,
classe des belles-lettres à l'Académie de Berlin. C'étoit àpeu-
près tout ce qu'il pouvoit attendre d'un prince qui protégeoit
plutôt de certains hommes de lettres , ses admirateurs
, que les belles-lettres , qu'il cultivoit par pure vanité .
Le marquis d'Argens a dit quelque part que part les liaisons
d'amitié avec les princes ressemblent beaucoup au commerce
des hommes avec le péché : les commencemens en
sont doux et les suites fort amères. Ce petit mot renferme
toute son histoire avec Frédéric ; et c'est le sentiment pénible
de sa situation avec ce prince qui le lui a suggéré. Reçu
d'abord avec distinction , et admis au nombre de ses familiers
dans les petits soupers de Sans-Ssouci , le marquis dut
croire qu'une existence heureuse lui étoit assurée pour le
reste de ses jours ; mais bientôt l'habitude de se voir , de
s'entendre et de s'observer diminua le plaisir de la conversation
. Frédéric avoit l'esprit caustique , et quoiqu'il affectât
, dans ses réunions philosophiques , de traiter d'égal à
égal , ceux-ci ne pouvoient oublier qu'il étoit souverain , et
lui-même s'en souvenoit encore bien souvent pour les désoler
par des traits cruels de persifflage , qu'il prenoit pour
des traits d'esprit , et qu'il étoit bien assuré qu'on ne pourroit
lui renvoyer. C'est probablement à cause de cette espèce de
familiarité qu'un des historiens de Frédéric a dit qu'il aimoit
les gens qui lui étoient attachés par le même instinct qui lui
faisoit aimer les chiens ce qui donne en même temps à
entendre pour quelle raison il les traitoit si rudement. Le
marquis d'Argens eut bientôt son tour , et il devint le seul
point de mire contre lequel Frédéric dirigeoit toutes ses
prétendues épigrammes , tous les lazzis et toutes les ruses
d'un petit esprit qui croit avoir trouvé son inférieur, et qui
veut jouir de sa supériorité. La notice des éditeurs est remplie
de traits de cette nature , qui ne font pas plus d'honneur
àlamémoirede Frédéric qu'au caractère de celuiqui pouvoit
les supporter. Nous citerons les deux derniers , comme les
plus convenables au but que nous nous proposons.
,
Au retour d'un voyageque le marquis venoit de faire en
Provence , où , pour le dire en passant , son frère l'avoit
réintégré dans le bien dont il avoit été déshérité , le roi de
Prusse , voulant le mystifier, feignit de ne pas le reconnoître
tant il le trouvoit bien vêtu , et s'adressant à M. Catt ( 1 ) ,
(1) M. Catt étoit Suisse d'origine , et attaché à Frédéric en qualité de
lecteur. Les éditeurs ne disent pas s'il étoit parent du jeune Cattqquu eut
la tête tranchée sous les yeux du prince Royal , par ordre de Frédéric-
Guillaume , pour être entré dans le projet de fuite conçu par ce même
prince.
AOUT 1807 . 219
-
après que le marquis l'eut salué : « Catt , lui dit-il, ne pour-
>> riez - vous pas m'apprendre quel est ce monsieur là ?
Sire , c'est le marquis d'Argens. - Cela n'est pas possible
, répliqua le roi, le marquis d'Argens a toujours des
bas mal propres , une chemise sale , un habit tout ras ;
Voyez comme ce monsieur est propre ! Considérez ces
beaux bas , cette belle chemise blanche , ce bel habit propre.
Non, non, cen'est pas là le marquis d'Argens; ce ne sauroit
être lui . Sire , c'est lui- même. - Mon Dieu ! ajoute
encore le roi , cela n'est pas possible , vous dis-je ; le marquis
n'a jamais été si propre que cela. Vous vous trompez
assurément. Dites-moi donc qui c'est. C'est le marquis
d'Argens , continua M. Catt , qui depuis trente ans sert
fidélement votre majesté. » Le marquis déconcerté alloit se
fâcher , lorsque le roi finit enfin cette mauvaise plaisanterie
en lui donnant des témoignages d'amitié dont il venoit
d'empoisonner la douceur par la plus cruelle mortification.
Un autre jour le marquis ayant refusé d'aller se promener
avec le roi et M. Cati, parce qu'il souffroit beaucoup de
ses rhumatismes , S. M. lui envoya un de ses palefreniers
avec une étrille , pour lui offrir son petit ministère ; et le
lendemain à dîner le roi lui dit : « Eh bien , marquis , comment
vous trouvez-vous ? Je vous ai envoyé hier mes gens
pour vous guérir. » Le marquis se contentade lui répondre
qu'il n'étoit ni un cheval ni un mulet , mais que depuis
quelque temps il s'apercevoit qu'il étoit un âne ; voulant lui
faire sentir qu'il se repentoit d'être venu le revoir. Le roi le
comprit , et depuis ce moment il lui fit toujours mauvais
visage.
On a prétendu que Frédéric ne traitoit le marquis d'Argens
avec si peu de ménagement , que pour le guérir de
ses superstitions ridicules , etpour le punir de s'êêttrree marié
sans son consentement avec une comédienne qui jouoit à
Berlin. Mais ily a bien plus d'apparence qu'il cherchoit à le
dégoûter de son service , pour lui faire prendre son parti de
lui-même , et s'exempter de lui payer la pensionde retraite
qu'il étot convenu de lui donner , avec son congé , pour
retourner dans son pays , lorsqu'il auroit atteint soixante
années. Pendart tout le temps que le marquis avoit vécu à
Berlin , frappé de l'exhérédation paternelle, et sans aucune
autre ressource que les tristes bienfaits du bel esprit philosophe
, il avoit souffert , avec patience et résignation , toutes
les boutades , toutes les picoteries et toutes les humiliations
qu'il avoit plu au roi d'imaginer pour se divertir; mais
depuis que, replacé dans unecertaine indépendance par la
220 MERCURE DE FRANCE ,
générosité de son frère (1) , il sentoit moins le poids de la
nécessité , son esprit plus libre avoit repris quelque noble
fierté , sa position lui étoit devenue extrêmement à charge ,
et il attendoit , avec une sorte d'impatience , le moment où
il pourroit aller enfin respirer en liberté son air natal sous le
beau ciel de la Provence. Il ignoroit que les promesses faites
par les hommes qui n'écoutent que leurs passions , cessent de
leur paroître obligatoires , lorsqu'ils n'ontplus d'intérêt présent
àles tenir; mais il en fit la triste expérience , lorsque l'instant
fut arrivéd'exécuter la convention. Au lieu du congé définitif
que le roidevoit lui donner , il n'obtint qu'avec peine une permission
de s'absenter pour six mois , et , ce terme expiré , le
marquis ne reparoissant pas , parce que le chagrin l'avoit
arrêté dans son retour , le roi donna l'ordre d'effacer son
nom sur les états des pensions , et défendit de lui rien payer
à l'avenir . La nouvelle de cette indignité lui fit ouvrir les
yeux; il résolut de quitter lui-même celui qui l'abandonnoit
si cruellement , et de retourner dans sa chère retraite ; mais
il étoit déjà trop tard ; la maladie qu'il venoit de faire l'avoit
tellement abattu , qu'il ne jouit pas long-temps de la tranquillité
que devoit lui procurer la sage résolution qu'il avoit
prise. Elle lui fut cependant d'une grande utilité , puisqu'il
pût reconnoître et détester tous les égaremens qui l'avoient
jeté loin de la carrière qu'il devoit naturellement suivre , et
qu'il mourut dans des sentimens de pénitence , que la philosophie
des éditeurs ne manque pas de lui reprocher , en
affectant de les confondre avec les actes de superstition puérile
que la religion elle-même a toujours condamnés .
Une réflexion bien simple naît maintenant du fond d'un
sujet qui sans elle n'a d'autre objet que de satisfaire une vaine
curiosité. Le lecteur l'a déjà faite , sans doute , et il a su
apprécier à sa juste valeur ce rang accordé par Frédéric au
marquis d'Argens , expatrié et forcé , pour vivre , de publierdes
écrits que sa conscience a désavoués. Il a vu comment
les principes qu'il avoit adoptés corrompirent sa jeunesse
, et quelle funeste influence ils répandirent sur tout le
reste d'une vie qui fut toujours remplie d'amertume , quoique
passée dans un état qui le mettoit au-dessus du besoin. Les
causes de ses malheurs une fois bien connues , le moyen est
facile d'empêcher qu'elles ne se reproduisent , et tout le
monde peut aisément en faire l'application. Un état paisible
au fond de sa province pouvoit rendre le marquis d'Argens
utile à son pays , en même temps qu'il auroit fait son
(1) M. d'Eguilles , président au parlement d'Aix.
AOUT 1807 . 221
bonheur et celui de sa famille. Qu'a-t-il gagné à réchercher
la faveur , les bienfaits et l'amitié d'un prince qui n'a jamais
su choisir ses favoris , qui ne connoissoit pas le prix d'un
bienfait placé à propos , et qui n'a jamais aimé que luimême
? G.
Livres classiques qui se trouvent chez LE NORMANT.
Dictionnaire abrégé de la Bible , de Chompré , nouvelle édition , et
considérablement augmentée; par M. Petitot. Un vol. in- 12 , petit- texte
àdeux colonnes. Prix : 3 fr . , et 3 fr. 75 cent. par la poste. Idem , in-8°.
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Dictionnaire de la Fable, deuxième édition ; par F. Noël . Deux vol.
in 8°. 800 pag.chacun , imprimés en petit- texte , sur deux colonnes , et
ornés d'une figure allégorique gravée d'après le dessin de Girodet. L'exécution
typographique de cet ouvrage est magnifique. Prix : at fr. , et
26fr. par la poste.
Abrégé de la Mythologie universelle , ou Dictionnaire de la Fable,
adopté par la commission des ouvrages classiques, pour les Lycées et les
Ecoles secondaires ; par Fr. Noël. Un vol. in-12 de 650 pag. , petit- texte
à deux colonnes. Prix : 5 fr. , et6 fr. 50 cent. par la poste.
Dictionnaire des Sciences et des Arts, contenant l'étymologie ,
la définition et les diverses acceptions des termes techniques usités dans
toutes les sciences et dans tous les arts . On y a joint le Tableau historique
de l'origine et des progrès de chaque branche des connoissances humaines ,
et une description abrégée des machines, des instrumens et des procédés
anciens et modernes employés dans les Arts ; par M. Lunier. Trois vol .
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des plus beaux morceaux de notre langue , dans la littérature des deux
derniers siècles ; ouvrage classique adopté par le gouvernement , pour
les lycées et les écoles secondaires , par François Noël , inspecteur-général
de l'instruction publique ; et François Delaplace , professeur à l'école
centrale da Panthéon. Nouvelle édition , revue et corrigée. Deux
vol. in-8° . Prix : 10 fr . 50 c. , et 13 fr. 50 par la poste.
OEuvres d'Homère , avec des remarques ; par J. P. Bitaubé, membre
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l'Odyssée. Six vol . in-8° . , imprimés avec le plus grand soin et sur trèsbeau
papier. Prix: 30 fr. , et 30 fr. par la poste.
L'iliade est précédée de Réflexions sur Homère et sur la Traduction
des Poètes, ornée d'un beau portrait d'Homère , et du bouclier d'Achille ,
gravés par Saint-Aubin. L'Odyssée est précédée d'Observations sur ce
Puëme, et de Réflex ons sur la Traduction des Poètes .
OEuvres de Virgile , traduction nouvelle ; par M. René Binet , proviseur
du Lycée Bonaparte , ancien recteur de l'Université de Paris,
ancien professeur de littérature et de rhétorique à l'Ecole militaire ,
au Collège du Plessis-Sorbonne , à l'Ecole centrale du Panthéon ; de la
Société libre des sciences , lettres et arts de Paris ; auteur de plusieurs
autres traductions . Quatre vol. in-12. Prix : 10 fr , pap. ordin.; et pap.
fin , 14 fr. 50 c . Il en coûte 3 fr de plus par la poste.
Voyagedu Jeune Anacharsis en Grèce ; par J. J. Barthélemy, en sept
vol. in-18, et orné du portrait de l'auteur. Prix : 16 fr.et at fr. par la p.
Depuis long-temps l'on desiroit que ce bel ouvrage fût imprimé dans
222 MERCURE DE FRANCE ,
ce format. Rien n'aété négligé pour donner à cetteédition tout le mérite
dout elle étoit susceptibbllee:elle a étéimprimée par M. Didot jeune , avec
la plus scrupuleuse exactitude , sur la quatrième et dernière édition
in-4°. , revue et augmentée par Barthélemy, dans les dernières années de
savie.
Ephémérides politiques , littéraires et religieuses , présentantpour
chacundes jours de l'année , un tableau des événemens remarquables qui
datent de ce même jour dans l'histoire de tous les siècleset de tous les
pays ,jusqu'au premier janvier 1805. Deuxième édition revue , corrigée
et augmentée ; par Fr. Noël , et M. Planche , instituteur à Paris. Douze
vol. in-8°. Prix: 36 fr. , et 48 fr . par la poste.
Conciones poeticæ, ou Discours choisis des poètes latins anciens ,
Virgile, Horace , Ovide , etc. , avec argumens analytiques et notes en
français , à l'usage des lycées et des écoles secondaires. Par MM. François
Noëlet Delaplace. Un vol. in-12 . Prix : 3 fr. , et 4 fr. par la poste..
Petit Cours de Littérature , à l'usage de l'un et de l'autre sexe , contenant
une dissertation sur l'art de bien lire , sur chaque genre destyle .
etun recueil de morceaux choisis des poètes et des orateurs français ; par
M. le Texier . Un vol . in 8°. Prix : 3 fr . 60 c. , et 4 fr . 50 c. par la poste.
Manière d'apprendre et d'enseigner ; ouvrage traduit du latin du
P. Joseph de Jouvency , jésuite; par J. F. Lefortier, professeur de belleslettres
à l'école centrale de Fontainebleau . Un vol.in- 12. Prix : a fr . ,
et3 fr. par la poste.
Le
Vocabulaire pour l'intelligence de l'Histoire moderne. Un vol.
in-8° . Prix : 5 fr . , et6 frr..50cent. par la poste.
Cet ouvrage contient l'explication historique et étymologique des
motset noms qui , dans l'histoire des différens peuples modernes , désignentdes
titres d'honneur , des dignité , des charges , des offices , des
lois , des cérémonies , des coutumes . L'auteur ne s'est pas borné à une
simple définition, il donne l'origine de l'établissement des dignités , des
charges, etc.; il entre dans les détails qu'il croit avec raison nécessaires
sur leurs fonctions et leurs attributions ; il expose , en peude mots , les
causses de leur suppressions et des changemens dans les lois , dans les
cérémonies et les coutumes .
Histoire du Bas-Empire , commençant à Constantin le Grand. Par
leBeau,et continué par Ameilhon. Vingt-cinq vol. in-12. Prix : 63 fr.
Précis de l'Histoire ancienne , d'après Rollin; contenant Phistoire
desEgyptiens , des Carthaginois , des Assyriens , des Mèdes, des Perses
etGrecs, etc. etc. jusqu'à la bataille d'Actium; par Jacques-Corentin
Royou. Quatre vol . in- 8°. Prix : 21 fr. , et 27 fr. par la poste.
Histoire élémentaire , philosophique et politique de l'ancienne
Grèce, depuis l'établissement des colonies jusqu'à la réduction de la
Grèce en provinces romaine ; ouvrage composé sur le plan des deux
Catéchismes historiques de Fleury, formant un corps d'histoire ,de
morale et de politique. Par N. Foulon , deuxième édition. Denx yol,
in-8°. Prix: 7 fr. 50 c.
AOUT 1807 . 223
NOUVELLES POLITIQUES.
Berlin , 21 juillet.
La bataille de Friedland a eu lieu le 14 juin. L'armistice a
étésigné le 21.
Le 3 juillet , c'est-à-dire dix-neuf jours après la bataille
de Friedland , et treize jours après l'armistice , le roi de
Suède a dénoncé la rupture de l'armistice arrêté entre le maréchal
Mortier et le général Essen , et a déclaré que les hostilités
recommenceroient le 13 ; déclaration peu loyale , puisqu'il
avoit été convenu que les hostilités ne pourroient recommencer
qu'unmois après que l'armistice auroit été rompu. Le
roi de Suèdeadit qu'il ne reconnoissoit pas cet article de l'armistice;
mais il n'y a pas d'homme sensé qui ne sache que les
conventions militaires faites par les généraux en chef, ne sont
pas sujettes à la ratification des gouvernemens. La nature
même de la chose le veut ainsi . Tous les usages résultant
de la civilisation de l'Europe , sont anéantis , et la
guerre prend un caractère qu'elle n'a plus que chez les
Barbares , du moment où la parole des généraux , où les écrits
même revêtus de leurs signatures , ne sont pas des engagemens
sacrés.Comment pourroit-on consentiraàaccorder
capitulation à une place assiégée , à convenir des conditions
d'unarmistice avec un ennemi , si , le moment de crise passé,
le souverain pouvoit dire qu'il n'en reconnoît pas les conditions
? Ces considérations sont étrangères à un prince qui se
conduit sans conseils , et qui n'a aucune expérience des usages
des nations.
une
La paix ayant été conclue avec laRussie et la Prusse le 8
juillet , qui s'attendoit que le 13 , des hostilités recommenceroient
sur un point si rapproché du théâtre de la guerre? Le
roi de Suède l'a voulu , et la Pomeranie suédoise a été
envahie; les Suédois ont été rejetés à coups de canon dans la
ville de Stralsund , et cette place est investie. L'expédition
anglaise avoit débarqué dans l'île de Rugen pour être témoin
desdésastres de son foible allié. Moniteur.
PAR , vendredi 31 juillet.
Le 27, S. M. l'EMPEREUR est arrivé à Saint-Cloud à cinq
heures du matin , en fort bonne santé. A neuf heures,
soixante coups de canon ont annoncé son arrivée. S. M. a dîné
avec toute sa famille et l'archichancelier. A huit heures du
224 MERCURE DE FRANCE ;
:
soir , S. M. a reçu les ministres . S. M. a convoqué le conseil
d'Etat pour le 28 , à sept heures du matin.
(Moniteur.)
-S. A. S. le prince ministre de la guerre vient d'adresser .
le rapport suivant à S. M. l'EMPEREUR et Rer.
Du quartier-général de Kænigsberg , le 15 juillet 1807 .
J'ai l'honneur de soumettre à V. M. le tableau des prisonniers
prussiens qui ont été faits dans la campagne; V. M.
verra avec satisfaction qu'il se moute à 5,179 officiers , et à
123,418 sous-officiers et soldats .
Signé le prince de Neuchâtel , maréchal d'Empire ,
ALEX. BERTHIER.
-Le tableau général annexé à ce rapport est certifié véritable
et conforme par l'adjudant - commandant Dentzel ,
chargé du détail et de l'échange des prisonniers de guerre. Il
comprend le nombre des prisonniers faits sur l'armée prussienne
, depuis le commencement de la campagne jusqu'au
1er juillet 1807. Chaque régiment et corps prussien y est
désigné par son nom, avec la perte qu'il a faite , soit en officiers,
soit en soldats qui ont rendu les armes, Voici les résultats
généraux :
-
Etat-major général. 142 prisonniers , dont 2 feldmaréchaux
, 12 lieutenans - généraux, 44 généraux-majors ,
i adjudant-général , 5 colonels , a lieutenans-colonels , 8 majors
, 24 capitaines , 30 aides-de-camp , 1 ajudant du roi ,
12 adjudans-majors , I gouverneur de dessin.
Gardes du roi. - 243 officiers , 8,066 sous-officiers et
soldats.
Régimens d'infanterie.- 2,552 officiers , 59,135 soldats .
Bataillons de grenadiers.-325 officiers , 14,246 soldats:
Bataillons de fusilliers. - 579 officiers , 11,500 soldats.
Cavalerie.-815 officiers , 20,503 soldats.
Artillerie.- 217 officiers , 9,538 soldats.
Pontonniers. -35 officiers , 570 soldats.
2
Officiers sans désignation de corps.-471.
Total général : 5,179 officiers , 123,418 sous-officiers et
soldats.
-
1
Il seroit curieux de comparer avec ces résultats ceux
qu'offre l'Etat militairede la Prusse, publié à Berlin en 1805.
On y indique la force effective de toute arme , ainsi qu'il suit :
Gardes,3,174.- Infanterie , 175,307.- Cavalerie , 40,476.
Artillerie , 13,240. - Divers corps , 7,470. Total , 239,667.
En supposant cet état effectif , en ôtant les 128,000 prisonniers
de guerre , et environ 50,000 tués, il resteroit de toute
l'armée prussienne, 60 à 65,000 hommes.
AOUT 1807 .
Les 15 et 16 août, il y aura fête dans tout l'Empire.Ler4
au soir , représentation gratis dans tous les spectacles. Le 15
à sixheures du matin , unesalve d'artillerie annoncera la fête.
A onze heures, S. M. partira des Tuileries en grand cortége
pour se rendre à Notre-Dame , par la rue Saint-Honoréet
le Pont-Neuf; les troupes borderont la haie. Le sénat , le
conseil-d'Etat , le tribunat , la cour de cassation etles autorités
de la ville de Paris , auront des places assignées dans l'église.
Il y aura messeet TeDeun. Des salves d'artillerie annonceront
le départ et le retour de l'EMPEREUR. Après le retour de S. M. ,
ily aura, dans les Champs-Elysées et dans les différentes places ,
des jeux , des courses et des orchestres. Le soir , concert , et
illuminations aux Tuileries. A dix heures , cercle à la cour.
Le 16 , salve d'artillerie à six heures du matin. A midi , on
célébrera la messe aux Tuileries. Une salve annoncera , à cinq
heures , le départ de S. M. , qui sortira des Tuileries pour se
rendre au corps législatif en grand cortége. Une autre salve
annoncera l'arrivée de S. M. Le 5 d'août, différens programmes
instruiront des détails des cérémonies et fêtes qui
auront lieu dans lesjournées des 15 et 16 août, (Moniteur.)
-Le tribunal de première instance séant à Carpentras , par
unjugement en date du 14juin , a condamné à un an d'einprisonnement
, à 300 fr. d'amende et aux dépens , le sieur
Claude Paschal de Sarrians, convaincu d'avoir remis, moyennant
une somme de 1200 fr. , son acte de naissance , et les
certificats constatant qu'il avoit satisfait à la conscription , à
un conscrit de 1807 , déserteur , qui s'est trouvé nanti de
ces pièces.
Par unjugement que le tribunal civil de l'arrondissement
d'Avignon a rendu le 19du înême mois , le nommé Bérard
de Carpentras , a été condamné à trois mois de prison , à une
amende de 300 fr. , et une restitution de 120 fr.
,
Le nommé Bled , natif de Château-Renard ( Bouches-du-
Rhône ) , domicilié à Avignon , où il exerçoit la profession de
traiteur , étoit impliqué dans lamême affaire. Il a été jugé par .
contumace : il est condamné à deux ans de prison , à 5000 fr .
d'amende , et à la restitution d'une somme de 310 fr . , par lui
escroquée à diverses familles de conscrits.
Le tribunal correctionnel d'Arras a condamné Jean-Nicolas
Lefebvre de cette ville à 5000 fr. d'amendeetà deux ans d'emprisonnement
, pour escroquerie en matière de conscription ,
etpour avoir employé des moyens de soustraire un déserteur
aux poursuites légales . (Moniteur.)
- Mardi 28 juillet, à huit heures du matin , le conscil
d'Etat a été présenté à S. M. L'EMPEREUR et Ror entouré des
P
226, MERCURE DE FRANCE ,
princes,des cardinaux , des ministres , des grands-officiers
de l'Empire et des officiers de sa maison.
Après cette audience , S. M. a tenu le conseil où étoient
lesministres.
A onze heures , le conseil étant fini , le sénat a été conduit
à l'audience de S. M. dans les formes accoutumées , par les
maîtres et aides des cérémonies , introduit par S. Exc. le
grand-maître , et présenté parS. A. S. le prince archichancelier
de l'Empire.
S. Exc. M. Lacépède , président du sénat , a dit :
SIRE ,
<< Nous nous empressons d'offrir à V. M. I. et R. le tribut
de notre respectueuse reconnoissance pour les communications
qu'elle a bien voulu nous faire des deux traités qui viennent
de rendre la paix à tant de nations. Mais comment exprimer ,
Sire , tout ce que rappelle et fait éprouver au sénat et au
peuple français , la présence de V. M. I. et R. ?
>> Former un plan immense d'attaque et de défense , au
moment où la haute sagesse de V. M. donna malgré elle à la
France le signal de nouvelles victoires ; comprendre l'Europe
entière dans cette vaste et sublime combinaison ; recréer tout
d'un coup de grandes armées par les résultats des ordres les
mieux concertés ; vous montrer avec la rapidité de l'éclair , à
la tête de vos légions invincibles , au-delà des prétenducs
barrières que , dans leur fol espoir, vos ennemis avoient crues
capables d'arrêter l'essor de vos aigles ; les surprendre , les
tourner , les frapper comme la foudre , les disperser comme
la poussière qu'enlèvent les tempètes; traverser en vainqueur
les fleuves les plus fameux par les longues et sanglantes
résistances dont leurs bords avoient été si souvent les témoins ,
faire tomber à votre voix les remparts de tant de places
fortes que l'on regardoit comme imprenables ; couvrir de vos
trophées la terre des Germains et celle des Sarmates , depuis
les rives de la Sala jusqu'aux bords du Niémen ; braver les
élémens conjurés , pendant la saison la plus rigoureuse ;
supporter pendant les longues et affreuses nuits des contrées
boréales , toute l'inclémence d'un hiver extraordinaire ;
exécuter les marches les plus savantes , et remporter des victoires
dans ces champs couverts de neiges et de frimas , où
des voyageurs intrépides auroient craint de se hasarder ; terminer
une suite de combats glorieux par une bataille plus
glorieuse encore ; se hâter , par le mouvement le plus généreux
, de suspendre l'impulsion terrible d'une force que la
volonté de V. M. pouvoit seule arrêter ; saisir l'olivier de la
paix , qui lui est présenté; conquérir l'affection des souverains
AOUT 1807 . 227
et des guerriers qui s'étoient ligués contre elle; conclure deux
traités que votre génie et admirable modération ont marqué du
sceau de la durée ; ménager tous les intérêts; écarter les principes
de discorde; réunir par les liens de l'estime , les deux
plus puissantes nations du monde; fermer , plus que jamais,
l'entrée du continent aux manoeuvres et au commerce de ce
gouvernement insulaire , qu'une paix prochaine peut seule
préserver de la catastrophe qui le menace; consolider de plus
enplus cette Confédération du Rhin , conçue par V. M. pour
le repos et le bonheur de l'Europe civilisée ; élever un trône
pourunprince auguste , dont les rives de Poder rappelleront
àjamais les lauriers .
>>Tels sont les prodiges pour lesquels la vraisemblance
auroit exigé des siècles , et pour lesquels peu de mois ont suffi
àV. M.
>> Et pour ajouter à tant de merveilles , V. M. I. et R. ,
éloignée de 400 lieues de sa capitale , a seule gouverné son vaste
Empire; elle a seule imprimé le mouvement à tous les ressorts
de l'administration la plus étendue; aucun détail n'a
échappé aux regards de V. M.
>>Au milieu de ces fatigues sans cesse renaissantes, que vous
avez voulu partager avec vos enfans , les braves des braves ;
aumilieu de ces travaux militaires sans cesse renouvelés , quelquefois
même le jour où vous aviez conduit vos armées à la
victoire , V. M. s'est délassée en dictant des instructions lumineuses
, qui auroient fait lagloire des hommes d'Etat les plus
expérimentés ; en traçant des plans d'établissemens utiles sur
lesquels elle imprimoit tous les caractères de la prévoyance la
plus attentive etde la bonté la plus touchante ; en consacrant
à la valeur héroïque d'immortels monumens , ou en donnant
aux sciences , aux lettres et aux arts les encouragemens les plus
précieux et les récompenses lesplus nobles comme les plus
solennelles .
>> Et cependant , Sire , tout l'Empire étoit calme; jamais
les lois n'ont été mieux observées; jamais la tranquillité publique
n'a été moins troublée; il ne manquoità votre grande
famille que la présence auguste de son père chéri.
>> Sire , tous nos voeux sont remplis.
>> On ne peut plus louer dignement V. M. Votre gloire est
trop haute: il faudroit être placéà la distance de la postérité
pour découvrir son immense élévation.
>> Mais nous ne pouvons résister au besoin d'offrir à V. M.
I. et R. l'hommage de notre gratitude et de notre amour.
>> Goûtez , Sire , la récompense la plus digne du plus grand
des monarques , le bonheur d'être adoré de la plus grande
Pa
228 MERCURE DE FRANCE ,
des nations , et que nos arrière-petits-neveux soient long-temps
heureux sous le règne de V. М. »
Le tribunat a ensuite été présenté de la même manière à
l'audience de S. M. M. Fabre , président, a porté la parole
en ces termes :
SIRE,
« Un seul voeu , le retour de l'EMPEREUR , suffisoit pour exprimer tous
les sentimens de la France. Vos fidèles sujets étoient convaincus que
le jour qui ramèneroit V. M. au sein de son Empire , ne laisseroit rien
à desirer ni pour la gloire du nom français , ni pour la paix du continent.
>> L'impatience publique comptoit tous les momens; mais peut-être
cette longue séparation que nous avons si douloureusement sentie , étoit
nécessaire pour bien faire connoître à l'Europe tous les rapports , tous
les sentimens qui unissent V. M. avec ses peuples ; le monarque étoit
400 tienes de sa capitale , et jamais sa volonté ne régna plus puissante;
elie étoit pressentie plutôt qu'écoutée ; le zèle devançoit les époques fixées
par l'autorité ; la nation s'efforç it de multiplier les preuves de son respect
et de son amour ; tous portoient envie aux braves qui avoient l'honneur
de combattre sous vos yeux , et de marcher à la victoire par la route ,
toujours sûre , que vous leur aviez tracée.
>> Sice, ce peuple à qui l'absence du souverain inspire un dévouement si
délicat, est lemême dont le gouvernement britannique espéra long-temps
que l'énergie se consumeroit en dissensions intestines; la haine de nos
ennemis n'avoit pas prévu l'irrésistible influence de votre génie sur le
noble caractère des Français.
» Sire , vous avez toujours reçu avec bonté les témoignages de l'admiration
respectueuse que le tribunat a constamment professés pour votre
auguste prsonne; que V. M. daigne encore aujourd'hui accueillir nes
hommages , trop foible expression de notre enthousiasme et du sentiment
unanime qui retentit dans les acclamations de vos peuples. >>>
Ensuite, les magistrats de la cour de cassation , la cour
d'appel , le clergé de Paris, la cour de justice criminelle ,
le conseil des prises , le corps municipal de Paris, ont été
présentés de la même manière à S. M. , qui a répondu
avec bienveillance aux hommages et félicitations des corps
de l'Etat , et les a long-temps entretenus.
SENAT CONSERVATEUR.
Le 24 juillet , à 4 h. après-midi , en exécution des ordres
de S. M. l'EMPEREUR et Ror , S. A. S. Mgr. le prince archichancelier
de l'Empire , s'est rendu au sénat , à l'effet de lui
communiquer les deux traités de paix signés avec la Russie et
avec la Prusse. S. A. S. a été reçue avec le cérémonial ordinaire,
et ayant pris séance , a dit :
Messieurs ,
« Le cours rapide des victoires de S. M. l'EMPEREUR et Ror
offroit le présage infaillibled'une paix glorieuse.Ces espérances
sont accomplies par les deux traités de paix que j'apporte au
AOUT 1807: 209
sénat. S. M. n'a point permis qu'ils fussent rendus publics ,
avant que vous en ayez reçu la communication .
» Le sénat appréciera avec reconnoissance cette réserve
délicate , et y verra une nouvelle preuve de l'attention de
notre auguste souverain , à maintenir les formes consacrées
par nos usages et par nos lois.
» Au milieu des grands résultats que présentent ces transactions
politiques , il en est un qui intéressera vos plus vives
affections. Dévoués comme vous l'êtes , Messieurs , à la gloire
dela dynastie impériale , avec quelle satisfaction ne verrezvous
pas sa splendeur toujours croissante , porter au trône de
Westphalie un jeune prince dont la sagesse et le courage
viennent de se signaler par de si nobles travaux !
>> Dans cette disposition , comme dans toutes celles qui
composent ces traités , vous retrouverez , Messieurs , les soins
constans du fondateur de l'Empire , pour consolider le grand
système dont il a posé les bases.
>> Votre coeur applaudira aux conceptions d'un génie , ami
de l'humanité , dont toutes les vues , dont toutes les précautions
ont pour objet d'éloigner l'effusion du sang humain.
» Le continent peut enfin se promettre une paix durable.
Les entrevues mémorables qui viennent d'avoir lieu sur les
bords du Niemen, sont les gages d'une longue tranquillité.
Les rapportsd'estime et de confiancequi se sont établis entre
les souverains des deux plus puissantes nations de l'Europe ,
offrent une garantie contre laquelle désormais tous les efforts
delahaine et de l'ambition viendront inutilement échouer .>>>
S. A. S. a ensuite remis les deux traités qui ont été lus à la
tribune par le sénateur Depere , l'un des secrétaires.
S.M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur de
la Confédération du Rhin, et S. M. l'Empereur de toutes les
Russies , étant animés d'un égal desir de mettre fin aux calamités
de la guerre , ont , à cet effet , nommé pour leurs plénipotentiaires
, savoir : S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie , protecteur de la Confédération du Rhin , M. Charles-
Maurice Talleyrand , prince de Bénévent, son grand-chambellan
et ministre des relations extérieures , grand-cordonde
la Légion-d'Honneur , chevalier grand-croix des Ordres de
l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge de Prusse et de Saint-
Hubert:
Et S. M. l'Empereur de toutes les Russies , M. le prince
Alexandre Kourakin , son conseiller privé actuel , membre
du conseil d'Etat , sénateur , chancelier de tous les ordres de
l'Empire , chambellan actuel , ambassadeur extraordinaire et
ministre plénipotentiaire de S. M. l'Empereur de toutes les
3
230 MERCURE DE FRANCE ,
Russies près S. M. l'Empereur d'Autriche , et chevalier des
Ordres de Russie de Saint-André , de Saint-Alexandre , de
Sainte- Anne de première classe et de Saint- Wolodimir de la
première classe , de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge de
Prusse , de Saint-Hubert , de Bavière , de Dambrog et de
l'Union parfaite de Danemarek , et bailli grand-croix de
l'Ordre souverain de Saint- Jean de Jérusalem ;
Et M. le prince Dinitry Labanoff de Rostoff, licutenantgénéral
des armées de S. M. l'Empereur de toutes les Russies ,
chevalier des Ordres de Sainte-Anne de la première classe ,
de l'Ordre militaire de Saint- Georges , et de l'Ordre de
Wolodimir de la troisième classe ;
Lesquels , après avoir échangé leurs pleins-pouvoirs respectifs,
sont convenus des articles suivans :
Art. Ier. Il y aura , à compter du jour de l'échange des
ratifications du présent traité , paix et amitié parfaites entre
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , et S. M. l'Empereur
de toutes les Russies.
II. Toutes les hostilités cesseront immédiatement , de part
et d'autre , sur terre et sur mer , dans tous les points où la
nouvelle de la signature du présent traité sera officiellement
parvenue. Les hautes parties contractantes la feront porter ,
sans délai , par des courriers extraordinaires ,à leurs généraux
et commandans respectifs.
III. Tous les bâtimens de guerre ou autres appartenant à
l'une des parties contractantes ou à leurs sujets respectifs , qui
auroient été pris postérieurement à la signature du présent
traité , seront restitués , ou , en cas de vente , leprix en sera
restitué .
IV. S. M. l'Empereur Napoléon , par égard pour S. M.
l'Empereur de toutes les Russies , et voulant donner une
preuve du desir sincère qu'il a d'unir les deux nations par les
liens d'une confiance et d'une amitié inaltérables , consent à
restituer à S. M. le roi de Prusse , allié de S. M. l'Empereur
de toutes les Russies , tous les pays , villes et territoires conquis
et dénommés ci-après , savoir : La partie du duché de
Magdebourg , située à la droite de l'Elbe ; la Marche de
Priegnitz , l'Uker- Marck , la moyenne et la nouvelle Marche
de Brandebourg , à l'exception du Kotbuser-Kreys , ou cercle
de Cotbus , dans la Basse- Lusace , lequel devra appartenir
àS. M. le roi de Saxe , le duché de Poinéranie; la Haute ,
laBasse et la Nouvelle-Silésie , avec le comté de Glatz ; la
partie du district de la Netze , située au nord de la chaussée
allant de Driesen à Schneidemühl , et d'une ligne allant de
Schneidemühl , à la Vistule par Waldau , en suivant les
>
AOUT 1807 . 23г
er
limites du cercle Bromberg , la navigation par la rivière de
Netze , et le canal de Bromberg , depuis Driesen jusqu'à la
Vistule , et réciproquement , devant être libre et franche de
tout péage ; la Pomérelie , l'île de Nogat, les pays à la droite
du Nogat et de la Vistule , à l'ouest de l'ancienne Prusse et
au nord du cercle de Culm ; l'Ermeland , et enfin le royaume
de Prusse , tel qu'il étoit au 1 janvier 1772 , avec les places
de Spandau , Stetin , Custrin , Glogau , Breslau , Schweidnitz
, Neiss , Brieg , Kosel et Glatz , et généralement toutes
les places , citadelles , châteaux et forts des pays ci-dessus
dénommés , dans l'état où lesdites places , citadelles , châteaux
et forts se trouvent maintenant , et en outre , la ville et
citadelle de Graudentz .
V. Les provinces qui , au 1er janvier 1792 faisoient partie
de l'ancien royaume de Pologne , et qui ont passé depuis , à
diverses époques , sous la domination prussienne , seront , à
l'exception des pays qui sont nommés ou désignés au précédent
article , et de ceux qui sont spécifiés en l'article IX ciaprès
, possédés en toute propriété et souveraineté par S. м.
le roi de Saxe , sous le titre de duché de Varsovie , et régis
par des constitutions qui , en assurant les libertés et les priviléges
des peuples de ce duché , se concilient avec la tranquillité
des Etats voisins .
VI. La ville de Dantzick , avec un territoire de deux lieues
de rayon autour de son enceinte , sera rétablie dans son indépendance
, sous la protection de S. M. le roi de Prusse et de
S. M. le roi de Saxe , et gouvernée par les lois qui la régissoient
à l'époque où elle cessa de se gouverner elle-même.
VII. Pour les communications entre le royaume de Saxe et
le duché de Varsovie , S. M. le roi de Saxe aura le libre usage
d'une route militaire à travers les possessions de S. M. le roi
de Prusse. Ladite route , le nombre des troupes qui pourront
y passer à la fois , et les lieux d'étape seront déterminés par
une convention spéciale , faite entre leursdites Majestés , sous
la médiation de la France.
VIII . S. M. le roi de Prusse , S. M. le roi de Saxe , ni laville
de Dantzick ne pourront empêcher par aucune prohibition ,
ni entraver par l'établisement d'aucun péage , droit ou impôt,
de quelque nature qu'il puisse être , la navigation de la Vistule.
IX. Afin d'établir , autant qu'il est possible , des limites
naturelles entre la Russsie et le duché de Varsovie , le territoire
circonscrit par la partie des frontières russes actuelles ,
qui s'étend depuis le Bug jusqu'à l'embouchure de la Łossosna
, et par une ligne partant de ladite embouchure et sui
4
232 MERCURE DE FRANCE ,
vant le thalweg de cette rivière , le thalweg de la Bobra jus
qu'à son embouchure , le thalweg de la Narew , depuis
le point susdit jusqu'à Suratz, de la Lisa jusqu'à sa source,
près le village de Mien , de l'affluent de la Nurzeck prenant
sa source près le même village , de la Nurzeck jusqu'à
son embouchure au-dessus de Nurr , et enfin le thalweg du
Bug , en le remontant jusqu'aux frontières russes actuelles ,
sera réuni , à perpétuité , à l'Empire de Russie.
X. Aucun individu , de quelque classe et condition qu'il
soit , ayant son domicile ou des propriétés dans le territoire
spécifié en l'article précédent , ne pourra , non plus qu'aucun
individu domicilié soit dans les provinces de l'ancien royaume
de Pologne , qui doivent être restituées à S. M. le roi de
Prusse, soit dans le duché de Varsovie , mais ayant en Russie
des biens-fonds , rentes , pensions ou revenus , de quelque
nature qu'ils soient , être frappé dans sa personne , dans ses
biens , rentes , pensions et revenus de tout genre , dans son
rang et ses dignités , ni poursuivi ni recherché en aucune
façon quelconque , pour aucune part , ou politique ou mili.
taire , qu'il ait pu prendre aux événemens de la guerre présente.
XI. Tous les engagemens et toutes les obligations de S. M.
le roi de Prusse , tant envers les anciens possesseurs , soit de
charges publiques , soit de bénéfices ecclésiastiques , militaires
ou civils , qu'à l'égard des créanciers ou des pensionnaires de
l'ancien gouvernement de Pologne , restent à la charge de
S. M. l'Empereur de toutes les Russies et de S. M. le roi de
Saxe , dans la proportion de ce que chacune de leursdites
Majestés acquiert par les articles V et IX , et seront acquittés
pleinement , sans restriction , exception , ni réserve aucune.
XII. Leurs altesses sérénissimes les ducs de Saxe-Cobourg ,
d'Oldenbourg et de Mecklenbourg - Schwerin , seront remis
chacundans la pleine et paisible possession de ses Etats ; mais
les ports des duchés d'Oldenbourg et de Mecklenbourg continueront
d'être occupés par des garnisons françaises , jusqu'à
l'échange des ratifications du futur traité de paix définitive
entre la France et l'Angleterre.
XIII. S. M. l'Empereur Napoléon accepte la médiation
de S. M. l'Empereur de toutes les Russies , a l'effet de négocier
el conclure un traité de paix définitive entre la France et
l'Angleterre , dans la supposition que cette médiation sera
aussi acceptée par l'Angleterre , un mois après l'échange des
ratifications du présent traité.
XIV. De son côté , S. M. l'Empereur de toutes les Russies ,
youlant prouver combien il desire d'établir entre les deux
AOUT 1807. 237
Empires les rapports les plus intimes et les plus durables ,
reconnoît S. M. le roi de Naples , Joseph Napoléon , et S. M.
le roi de Hollande, Louis Napoléon.
XV. S. M. l'Empereur de toutes les Russies reconnoît
pareillement la Confédération du Rhin , l'état actuel de possession
de chacun des souverains qui la composent , et les
titres donnés à plusieurs d'entr'eux,soit par l'acte de la Confédération
, soit par les traités d'accession subsequens. Sadite
Majesté promet de reconnoître, sur les notifications qui lui
seront faites de la part de S. M. l'Empereur Napoléon , les
souverains qui deviendront ultérieurement membres de la
Confédération, en la qualité qui leur sera donnée par les
actes qui les y feront entrer.
XVI . S. M. l'Einpereur de toutes lesRussies cède , en toute
propriété et souveraineté, à S. M. le roi de Hollande, la
seigneurie de Jever dans l'Ost-Frise.
XVII. Le présent traité de paix et d'amitié est déclaré
commun à LL. MM. les rois de Naples et de Hollande , et
aux souverains confédérés du Rhin, alliés de S. M. l'Empereur
Napoléon.
XVIII . S. M. l'Empereur de toutes les Russies reconnoît
aussi S. A. I. le prince Jérôme-Napoléon comme roi de
Westphalie.
XIX. Le royaume de Westphalie sera composé des provinces
cédées par S. M. le roi de Prusse à la gauche de l'Elbe,
et d'autres Etats actuellement possédés par S. M. l'Empereur
Napoléon.
:
XX. S. M. l'Empereur de toutes les Russies promet de reconnoître
la disposition qui, en conséquence de l'article XIX
ei-dessus et des cessions de S. M. le roi de Prusse , sera faite
par S. M. l'Empereur Napoléon ( laquelle devra être notifiée
à S. M. l'Empereur de toutes les Russies) , et l'état de possession
en résultant pour les souverains au profit desquels elle
aura été faite .
XXI. Toutes les hostilités cesseront immédiatement sur
terre et sur mer entre les forces de S. M. l'Empereur de
toutes les Russies et cellesde S. H. , dans tous les points où
la nouvelle de la signature du présent traité sera officiellement
parvenue. Les hautes parties contractantes la feront porter
sans délai, par des courriers extraordinaires , pour qu'elle
parvienne , le plus promptement possible , aux généraux et
commandans respectifs.
XXII. Les troupes russes se retireront des provinces de
Valachie et de Moldavie; mais lesdites provinces ne pourront
être occupées par les troupes de S. H. jusqu'à l'échange des
!
234 MERCURE DE FRANCE ,
ratifications du futur traité de paix définitive entre la Russie
et la Porte-Ottomane.
XXIII . S. M. l'Empereur de toutes les Russies accepte la
médiation de S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie ,
à l'effet de négocier et conclure une paix avantageuse et
honorable aux deux Empires. Les plénipotentiaires respectifs
se rendront dans le lieu dont les deux parties intéressées conviendront
, pour y ouvrir et suivre les négociations.
XXIV. Les délais dans lesquels les hautes parties contractantes
devront retirer leurs troupes des lieux qu'elles doivent
quitter, en conséquence des stipulations ci-dessus , ainsi que
le mode d'exécution des diverses clauses que contient le présent
traité , seront fixés par une convention spéciale.
XXV. S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , et S.M.
l'Empereur de toutes les Russies , se garantissent mutuellement
l'intégrité de leurs possessions et celles des puissances
comprises au présent traité de paix , telles qu'elles sont maintenant
ou seront en conséquence des stipulations ci-dessus .
XXVI. Les prisonniers de guerre faits par les parties contractantes
, ou comprises au présent traité de paix , seront
rendus réciproquement sans échange et en masse.
XXVII. Les relations de commerce entre l'Empire français,
le royaume d'Italie , les royaumes de Naples et de Hol--
lande , et les Etats confédérés du Rhin , d'une part , et d'autre
part l'Empire de Russie , seront rétablies sur le même pied
qu'avant laguerre.
XXVIII . Le cérémonial des deux cours des Tuileries et de
Saint-Pétersbourg entr'elles , et à l'égard des ambassadeurs ,
ministres et envoyés qu'elles accréditeront l'une près de l'autre
sera établi sur le principe d'une réciprocité et d'une égalité
parfaites.
XXIX. Le présent traité sera ratifié par S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , et par S. M. l'Empereur de toutes
les Russies .
L'échange des ratifications aura lieu dans cette ville , dans
le délai de quatre jours.
Fait à Tilsit , le 7 juillet ( 25 juin ) 1807 .
Signé Ch. Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent.
Le prince Alexandre KOURAKIN .
Le prince DINITRY LABANOFF DE ROSTOFF.
Pour ampliation ,
Le ministre des relations extérieures.
Signé Ch . Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent.
Les ratifications du présent traité ont été échangées à Tilsit ,
le 9 juillet 1807 .
AOUT . 1807 . 235
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur
de la Confédération du Rhin , et S. M. le roi de Prusse ,
étant animés d'un égal desir de mettre fin aux calamités de la
guerre, ont , à cet effet , nominé pour leurs plénipotentiaires ,
savoir :
:
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur de
la Confédération du Rhin , M. Charles- Maurice-Talleyrand ,
prince de Bénévent , grand- chambellan et ministre des relations
extérieures , grand-cordon de la Légion-d'Honneur ,
chevalier des ordres de l'Aigle noir et de l'Aigle rouge de
Prusse , et de l'Ordre de Saint-Hubert ;
Et S. M. le roi de Prusse , M. le feld-maréchal comte de
Kalkreuth , chevalier des Ordres de l'Aigle noir et de l'Aigle
rouge de Prusse; et M. le comte de Goltz , son conseillerprivé
et envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
près S. M. l'Empereur de toutes les Russies , chevalier de
l'Ordre de l'Aigle rouge de Prusse ; lesquels , après avoir
échangé leurs pleins-pouvoirs respectifs , sont convenus des
articles suivans :
Art . Ier . Il y aura , à compter du jour de l'échange des ratifications du
présent traité , pax et amitié parfaites entre S. M. l'Empereur des Français
, Roi d'Italie , et S. M. le roi de Prusse .
I. La partie du duché de Magdebourg située à la droite de l'Elbe ;
la Marchede Priegnitz , l'Uker-Marck, la moyenne et la nouvelle Marche
de Brandebourg , à l'exception du Cotbuser-Kreys ou cercle de Cotbus ,
dans la Basse- Lusace ; le duché de Pomeranie ; la Haute , la Basse et la
Nouvelle-Silésie avec le comté de Glatz ; la partie du district de la Netze,
située au nord de la chaussée allant de Driesen à Schneidemühl , et
d'une ligne allant de Schneidemühl à la Vistule par Woldau , en suivant
les limites du cercle de Bromberg , la Pomérelie , l'île de Nogat ,
les pays à la droite du Nogat et de la Vistule , à l'ouest de la vieille
Prusse et au nord du cercle de Culm , PErmeland , et enfin le royaume
de Prusse tel qu'il étoit au 1er janvier 1772 , seront restitués à S. M. le
roi de Prusse , avec les places de Spandau , Stetin , Custrin , Glogau ,
Breslau , Schweidnitz , Neiss , Brieg , Koselet Glatz , et généralement
toutes les places , citadelles , châteaux et forts des pays ci-dessus dénominés
, dans l'état où lesdites places , citadeles , châteaux et forts se
trouvent maintenant.
La ville et citadelle de Graudentz , avec les villages de Neudorff ,
Gardchkenet Swetkoray, seront aussi restitués à S. M. le roi de Prusse.
III . S. M. le roi de Prusse reconnoît S. M. le roi de Naples , Joseph-
Napoléon , et S. M. le roi de Hollande , Louis- Napoléon.
IV . S, M. le roi de Prusse reconnoît pareillement la Confédération da
Rhin , l'état actuel de possession de chacun des souverains qui la composent
, et les titres donnés à plusieurs d'entr'eux , soit par l'acte de Confédération
, soit par les traités d'accession subsequens. Promet sadite Majesté
de reconnoître les souverans qui deviendront ultéri urement
membres de ladite Confédération , en la qualité qui leur sera donnée par
Ics actes qui les y feront entrer,
236 MERCURE DE FRANCE ,
V. Le présent traité de paix et d'amitié est déclaré commun à S. M. le
roi de Naples, Joseph- Napoléon . à S. M. le roi de Hollande , et aux
souverains confédérés du Rhin , alliés de S. M. l'Empereur Napoléon.
VI. S. M. le roi de Prusse reconnoît pareil ement S. A. 1. le prince
Jérôme-Napoléon comme roi de Westphalie.
VII. S. M. le roi de Prusse cède en toute propriété et souveraineté aux
rois , grands-ducs , dues ou princes qui seront désignés por S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , tous les duchés , marquisats , principautés
, comtés , seigneuries , et généralement tous les territoires ou
parties de territoires quelconques , ainsi que tous les domaineset biensfonds
de toute nature que sadite Majesté le roide Prusse possédoit, àquel
titre que ce fût , entre le Rhin et l'Elbe , au commencement de la guerre
présente.
VIII. Le royanme de Westphalie sera composé de provinces cédéespar
S M. le roi de Prusse , et d'autres Etats actuellement possédés par S. M.
l'Empereur Napoléon.
IX. La disposition qui sera faite par S. M. l'Empereur Napoléon des
pays désignés gnés dans les deux articles précéden , ct l'état de possession
en résultant pour les souverains au profit desquels elle aura été faite ,
sera reconnue par S. M. le roi de Prusse , de la même manière que si
eile étoitdéjà effectuée et contenue au présent traité.
X. S. M. le roi de Prusse, pour lui, ses héritiers et suecesseurs , reponce
à tout droit actuel ou éventuel qu'il pourroit avoir ou prétendre ,
. sur tous les territoires sans exception situés entre le Rhin et l'Elbe ,
et autres que ceux désignés en l'article VII; 2º sur celles des possessions de
S. M. le roi de Saxe et de la maison d'Anhalt, qui se trouvent à la droite
de l'Elbe . Réciproquement toutdroit actuel ou éventuel , et toute prétention
des Etats compris entre l'Elbe et le Rhin sur les possessions de
S. M. le roi de Prusse, telles qu'elles seront en conséquence du présent
traité , sont et demeureront éteints à perpétuité.
XI . Tous pastes , conventions ou traités d'alliance patens ou secrets qui
auroient pu être conclus entre la Prusse et auoun des Etats situés à la
gauche de l'Elbe , et que la guerre présente n'auroit point rompus ,demeureront
sans effet et seront réputés nuls et non avenus.
XII. S. M. le roi de Prusse cède en toute propriété et souveraineté à
S. M. le roi de Saxe, le Cotbuser- Kreys ou cercle de Cotbus, dans la
Basse- Lusace.
XIII . S. M. le roi de Prusse renonce à perpétuité à la possession de
toutes les provinces qui , ayant appartenu au royaume de Pologne , ont ,
postéricurement au 1er janvier 1772, passé à diverses époques sous la
domination de la Prusse , à l'exception de l'Ermeland et des pays situés
à l'ouest de la Vieille- Prusse , à l'est de la Pomeranie et de la Nouvelle-
Marehe , au nord du cercle de Culm , d'une ligne allant de la Vistule à
Schneidemühl par Waldau , en suivant les limites du cercle de Biomberg
, et de la chaussée allant de Schneidemühl à Driesen , lesquels , avec
laville et citadelle de Graudentz et les villages de Neudorff, Garschken
et Swierkorzy, continueront d'être possédés en toute propriété et souve
raineté par S. M. le roi de Prusse.
XIV. S. M. le roi de Prusse renonce pareillement à perpétuité à la
possession de la ville de Dantzick .
XV. Les provinces auxquelles S. M. le roi de Prusse renonce par
l'article XIII ci-dessus seront ( à l'exception du territoire spécifié en
P'article XVIII ci-après ) possédées en toute propriété et souveraineté
par S. M. le roi de Saxe , sous le titre de duché de Varsovie , et régies
par des constitutions qui , en assurant les libertés etles priviléges des
AOUT 1807 . 237
peuplesde ceduché , se concilient avec la tranquillité des Etats voisins .
XVI. Pour les communications entre le royaume de Saxe et le duché
de Varsovie , S. M. le roi de Saxe aura le libre usage d'une route militaire
à travers les Etats de S. M. le roi de Prusse. Ladite route , le
nombre,des troupes qui pourront y passer à la fois et les lieux d'étapes ,
seront déterminés par une convention spéciale faite entre leursdites
Majestés, sous la médiation de la France.
XVII. La navigation par la rivière de Neze et le canal de Bromberg,
depuis Driesen jusqu'à la Vistule , et réciproquement , sera libre et
franchede tout péage.
XVIII. Afin d'établir autant qu'il est possible des limites naturelles
entre la Russie et leduché de Varsovie , le territoire circonscrit par l
partie des frontières russes actuelles , qui s'étend depuis 1 Bug jusqu'à
l'embouchure de la Lossosna , et par une ligne partant de ladite embouchure
et suivant le thalweg de cette rivière ; le thalweg de la Broba
jusqu'à son embouchure ; le thalweg de la Narew depuis le point susdit
jusqu'à Suratz; de la Lisa jusqu'à sa source près le village deMien; de
Paffluent de la Nurzech , prenant sa source près le même village ; de la
Nuzech jusqu'à son embouchure au dessus du Nurr; et enfin le thalw g
duBug, en le remoutant jusqu'aux frontières russes actuelles , sera
réuni à perpétuité à l'empire de Russie.
XIX. La villedeDautzick , avec un territoire de deux licues de rayon
autour de son enceinte sera rétablie dans son indépendance , sous la protection
de S. M. le roi de Prusse et de S M. le roi de Saxe, et gouverné
par les lois qui la régissoient à l'époque où elle cessa de se gouverner ellemême.
XX. S. M. le roi de Prusse , S. M. le roi de Saxe , ni la ville de
Dantzick, ne pourront empêcher par aucune prohibition , ni entraver par
L'établissement d'ancun péage, droit ou impôt , de quelque nature qu'il
puisse être , la navigation de la Vistole.
XXI. Les ville , port et territoire de Dantzick seront ferm's pendant
la durée de la présente guerre maritime au commerce et àla navigation
desAnglais.
XXII. Aucun individu de quelque classe et condition qu'il soit , ayant
sondomicile ou des propriétés dans les provinces ayant appartenu au
royaume de Pologne, at que S. M. le roi de Prusse doit continuer de posséder,
ne pourra, non plus qu'aucun individu domicilié , soit dans le
duché de Varsovie, soit dans le territoire qui doit être réuni à l'empire
deRussie, mais ayant en Prusse des biens- fonds , rentes , pensions ou
revenus de quelque nature qu'ils soient , être frappé dans sa personne ,
dans ses biens , rentes , pensions et revenus de tout genre , dans son rang
et ses dignités, ni poursuivi , ni recherché en aucune façon quelconque,
pour aucune part qu'il ait pu politiquement on militairement prendre
aux événemens de la guerre présente.
XXIII . Pareillement aucun individu né , demeurant cu propriétaire
dans les pays ayant appartenu à la Prusse antérieurement aur janvier
1772 , et qui doivent être restitués à S. M. le roi de Prasse , aux termes
de l'article II ci-dessus , et notamment aucun individu , soit de la grande
bourgeoisie de Berlin, soit de la gendarmerie , lesquelles ont pris les
armes pour le maintien de la tranquillité publique , ne pourra être frappé
dars sa personne , dans ses biens , rentes , pensions et revenus de tout
genre,dans son rang et son grade, ni poursuivi , ni recherché en aucune
façon quelconque , pour aucune part qu'il ait prise ou pu prendre , de
quelque manière que ce soit , aux événemens de la guerre présente.
XXIV. Les engagemens , dettes et obligations de toute nature que
238 MERCURE DE FRANCE ;
S. M. le roi de Prusse a pu avoir , prendre et contracter , antérieurement à
là présente guerre , comme possesseur des pays , territoires , domaines ,
biens et revenus que sadite Majesté cède ou auxquels elle renouce par le
présent traité , seront à la charge des nouveaux poss sseurs et par eux
acquittés, sans exception , restriction , ni réserve aucune.
XXV. Les fonds et capitaux appartenans , soit à des particuliers,
soit à des établissemens publics , religieux, civils ou militaires des pays
que S. M. le roi de Prusse cède ou auxquels elle renonce par le présent
traité , et qui auroient été placés , soit à la banque de Berlin, soit à la
caisse de la Société maritime , soit de toute autre manière quelconque ,
dans les Etats de S. M. le roi de Prusse , ne pourront être confisqués ni
saisis; mais les propriétaires desdits fondset capitaux seront libres d'en
disposer , et continueront d'en jouir, ainsi que des intérêts échus ou à
écheoir , aux termes des contrats ou obligations passés à cet effet. Réciproquement
, il en sera usé de la même manière pour tous les fonds et
capitaux que des sujets ou des établissemens publics quelconques de la
monarchie prussienne auroient placés dans les pays que S. M. le roi de
Prusse cède ou auxquels elle renonce par le présent traité.
XXVI . Les archives contenant les titres de propriété , documens et
papiers généralement quelconques relatifs aux pays , territoires , domaines
et biens que S. M. le roi de Prusse cède ou auxquels elle renonce par le
présent traité , ainsi que les cartes et plans des vi les fortifiées , citadelles ,
châteaux et forteresses situés dans lesdits pays , seront remises par des
commissaires de sadite Majesté , dans le délai detrois mois, à compter de
l'échange des ratifications , savoir : A des commissaires de S. M. l'Empereur
Napoléon , pour ce qui concerne les pays cédés à la gauche de
Î'Elbe; et àdes commissaires de S. M. l'Empereur de toutes les Russies
de S. M. le roi de Saxe et de la ville de Dantzick , pour ce qui concerne
les pays que leursdites Majestés et la ville de Dantzick doivent posséder
enconséquence du présent traité .
१
XXVII . Jusqu'au jour de l'échange des ratifications du futur traité de
paix définitive entre la France et l'Angleterre , tous les pays de la domination
de S. M. le roi de Prusse , seront , sans exception , fermés à ta
navigation et au commerce des Anglais. Aucune expédition ne ponrra
être faite des ports prussiens pour les îles Britanniques , ni aucun bâti
mentvenant de l'Angleterre ou de sescolonies, être reçudans lesdits ports.
XXVIII. Il sera fait immédiatement une convention ayant pour objet
de régler tout cequi est relatif au mode et à l'époque de la remise des
pla es qui doivent être restituées à S. M. le roi de Prusse , ainsi que les
détails qui regardent l'administration civile et militaire des pays qui
doivent être aussi restitués.
XXIX. Les prisonniers de guerre seront rendus de part et d'autre sans
échange et en masse , le plus tôt que faire se pourra .
XXX. Le présent traité sera ratifié par S. M. l'Empereur des Français
, Roi d'Italie , et par S. M. le roi de Prusse, et les ratifications en
seront échangées à Koenigsberg , dans le délai de six jours , à compter de
la signature, ou plus tôt si faire se peut.
Fait et signé à Tilsit , je 9 juillet 1807.
( L. S. ) SignéCh. Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent.
( L. S. ) Signé le maréchal comte DE KALKREUTH .
( L. S. ) Signé AUGUSTE , comte de Goltz.
Pour ampliation , le ministra des relations extérieures , Ch . Maur.
TALLEYRAND , prince de Bénévent.
Les ratifications du présent traité ont été échangées à Koenigsberg, ler
12 juillet 1807.
AOUT 1807 . 239
Après que la lecture a été terminée , le sénateur Lacepède , président
ordinaire du Sénat , ayant pris la parole , a dit :
Monseigneur , la lecture des deux traités de paix que S. M. ГЕМ-
PEREUR et Ror a bien voulu nous faire communiquer par V. A. S. , fait
éprouver au Sénat de nouveaux sentimens d'une admiration et d'une
reconnoissance bien vives .
» Après tant de moissons de gloire , tant de prodiges et tant de bienfaits
, le Sénat ressent plus que jamais le besoin de présenter à S. M.
I. et R. ses hommages et ses voeux. Il sait qu'il va avoir l'avantage si précieux
pour tous les Français , de jouir de l'auguste présence du plus grand
des monarques. Mais les jours , les heures , les momens même sont des
siècles pour sa juste impatience. Je demande donc , sénateurs , premièrement
, que le Sénat ordonne la transcription sur ses registres , du traité
avec la Russie et du traité avec la Prusse ; deuxièmement , qu'une commission
spéciale soit chargée de présenter un projet d'adresseeqquuii exprime
les sentimens d'amour et de respect dont le Sénat est si profondément
pénétré pour S. M. I. et R. »
,
Les deux propositions du sénateur Lacepède ont été accueillies à l'unanimité.
La commission chargée de rédiger l'adresse est composée de
S. A. Em . le cardinal Fesch , de MM. Lacepède , Monge , Laplace et
Sémonville. La commission fera son rapport lundi 27 du courant.
CONVENTION.
K
Entre les soussignés : d'une part , le prince de Neuchâtel ,
major-général , etde l'autre , le maréchal comte de Kalkreuth ,
munis de pleins-pouvoirs de leurs souverains respectifs , à
l'effet de régler la convention stipulée en l'art. XXVIII du
traité de paix signé à Tilsit , entre S. M. l'Empereur et Roi
Napoléon , et S. M. le roi de Prusse.
Art. Ier. Des commissaires respectifs seront nommés , sans
délai , pour placer des poteaux sur les limites du duché de
Varsovie , de la Vieille-Prusse , du territoire de Dantzick ,
ainsi que sur les limites du royaume de Westphalie avec celui
de Prusse. :
II. La ville de Tilsit sera remise le 20 juillet ; celle-de
Koenigsberg , le 25 du même mois ; et avant le 1er du mois
d'août , les pays jusqu'à la Passarge , formant les anciennes
positions de l'armée , seront remis. Au 20 août , on évacuera
la Vieille- Prusse jusqu'à la Vistule. Au 5 septembre , on
évacuera le reste de la Vieille- Prusse jusqu'à l'Oder. Les
limites du territoire de Dantzick seront tracées à deux lieues
autour de la ville , et déterminées par des poteaux aux armes
de France , de Dantzick , de Saxe et de Prusse. Au 1er octobre ,
on évacuera toute la Prusse jusqu'à l'Elbe. La Silésie sera
également remise au 1er octobre ; ce qui fera deux mois et
demi pour l'évacuation entière du royaume de Prusse. La province
de Magdebourg, pour la partie qui se trouve sur la rive
droite de l'Elbe , ainsi que les provinces de Prentzlow et de
Passerwalk , ne seront évacuées qu'au 1 novembre ; mais il
240 MERCURE DE FRANCE ,
sera tracé une ligne de manière que les troupes ne puissent
pas approcher de Berlin. Quant à Stetin , l'époque à laquelle
cette ville sera évacuée , sera déterminée par les plénipotentiaires.
Six mille Français resteront en garnison dans cette
ville jusqu'au moment où on l'évacuera. Les placesde Spandau,
de Gustrin , et en général toutes celles de la Silésie , seront
remises le 1 octobre entre les mains des troupes de S. M. le
roi de Prusse.
III. Il est bien entendu que l'artillerie , toutesles munitions,
et en général tout ce qui se trouve dans les places de Pillau ,
Colberg , Graudentz , resteront dans l'état où les choses se
trouvent. Il en sera de même pour Glatz et Kosel , si les
troupes françaises u'en ont pas pris possession.
IV. Les dispositions ci-dessus auront lieu aux époques déterminées
, dans le cas où les contributions frappées sur le pays
seroient acquittées. Bien entendu que les contributions serout
censées acquittées quand des sûretés suffisantes seront reconnues
valables par l'intendant général de l'armée. Il est également
entendu que toute contribution qui n'étoit pas connue
publiquement avant l'échange des ratifications , estnulle.
V. Tous les revenus du royaume de Prusse , depuis le jour
de l'échange des ratifications , seront versés dans les caissesdu
roi et pour le compte de S. M. , si les contributions dues et
échues depuis le 1 novembre 1806 jusqu'au jour de l'échange
des ratifications, sont acquittees.
VI. Des commissaires seront nommésde part et d'autre pour
traiter et décider de tous les différends à l'amiable. Ils se réndront
en conséquence à Berlin le 25 juillet , afin que cela
n'apporte aucun retard à l'évacuation.
VII. Les troupes , ainsi que les prisonniers de guerre français,
vivront dans le pays , et des magasins qui peuvent y
exister jusqu'au jour de l'évacuation .
VII. Si les hôpitaux ne sont pas évacués à l'époque où les
troupes doivent se retirer , les malades français seront soignés
dans les hôpitaux , et tous les secours leur seront donnés par
les soins des administrations du roi , sans cesser d'avoir auprès
d'eux les officiers de santé nécessaires.
IX. La présente convention aura sa pleine et entière exécution
. En foi de quoi nous l'avons signée , ety avons apposé le
sceau de nos armes. A Koenigsberg , le 12 juillet 1807.
if
(Suivent les signatures .)
FONDS PUBLICS.
DU VENDREDI 31. -C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807, 79 25c 306 200
250 500 one,000 oo ooc oof of ooc cou oof oue ooc ooc cocoofone 000
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , oof oocooc, oof oợc cộc
Act. de la Banque de Fr. 1300f oooof cos cooof
( No. CCCXVI . )
(SAMEDI 8 AOUT 1807.) .
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DERE
DE
LA
SE
5.
cen
يمل
TRADUCTION LIBRE
DE LA PREMIÈRE ÉLÉGIE DE TIBULLE .
Divitias alius , etc.
DE la richesse épris, qu'un autre entasse l'or ;
Qu'il joigne à mille arpens d'autres arpens encor :
Un ennemi voisin jour et nuit l'inquiète;
Il se réveille et tremble au son de la trompette.
Ma médiocrité , voilà mon vrai trésor !
Je lui dois mon repos , ma douce insouciance.
Pourvu que le feu brille en mon humble foyer,
Que toujours la prodigue et flatteuse espérance
Du froment le plus pur emplisse mon grenier ,
Qu'elle verse à grands flots le vin dans mon cellier ,
Heureux, j'en crois jouir , et rêve l'abondance.
Je ne dédaigne point les rustiques travaux :
Tantôt , sans les blesser , ma main sûre et légère ,
Enrichit mes pommiers d'une branche étrangère;
Tantôt j'unis la vigne aux stériles ormeaux.
Quelquefois , en mon sein , du vallon solitaire
Je rapporte un chevreau délaissé par sa mère :
Maniant tour- à- tour la bêche et l'aiguillon ,
Je romps la glèbe , ou j'aide à tracer un sillon.
Je révère les Dieux soit que , sur mon passage,
Q
242 MERCURE DE FRANCE ,
Un monument orné de fleurs et de gazon ,
Soit qu'en un champ désert un tronc miné par l'age ,
Amon culte pieux présente leur image .
Chaque année on me voit , au retour du printemps ,
Offrir un sacrifice aux déités des champs ,
Consacrer à Palès un tribut de laitage ,
Purifier le toit , les brebis , le berger ;
Et, quel que soit l'espoir que donne mon verger ,
De Pomone , d'avance , assurer le partage.
Blonde Cérès ! je veux de tes plus beaux épis
Suspendre une couronne aux murs de ton parvis.
Armé , dans mes jardins , de sa faulx menaçante ,
Que Priape aux oiseaux inspire l'épouvante ?
Et vous aussi , gardiens de mon petit enclos ,
Qui le fûtes jadis de mon vaste héritage ,
Je vous aurois alors immolé des taureaux ,
Dieux Lares ! Maintenant , un seul de mes agneaux
Sera , dans ma détresse , un magnifique hommage.
Qu'il tombe ! Et qu'aux accens des enfans du village,
Demandant de bons vins et de riches moissons ,
Le ciel veuille toujours nous combler de ses dons !
Qu'il exauce nos voeux ! que sa bonté facile
Accepte notre offrande , et ne dédaigne pas
Ces vases indigens , ces mêts peu délicats !
Des premiers laboureurs l'art encore mal habile
En coupes façonna la molle et simple argile.
Fuyez , loups et voleurs , épargnez mon troupeau !
Pour vous servir de proie il n'est pas assez beau.
Pourrois-je regretter des trésors inutiles ,
Les biens de mes aïeux , leurs domaines fertiles ?
Une moisson légère à mes besoins suffit :
Il me suffit , le soir , de retrouver ce lit
Où des travaux du jour réparant la fatigue ,
De ses pavots pour moi, Morphée est si prodigue.
Qu'il est doux , quand au loin mugissent les autans,
La nuit , entre ses bras , de serrer sa compagne ;
Ou quand l'humide hiver inonde la campagne ,
De s'endormir au bruit de la pluie et des vents !
Que ne puis- je , à mon gré , savourer ces délices !
Qu'il coure à la fortune arracher ses présens ,
Celui qui peut de l'onde affronter les caprices .
Pour moi , content du peu , libre d'ambition ,
Il ne me convient point de quitter le rivage.
L'été , pour me soustraire aux ardeurs du lion ,
a
3
A
AOUT 1807 . 243
Je cherche les ruisseaux et l'ombre d'un bocage.
Périssent à jamais l'or et les diamans ,
Plutôt qu'à la beauté je cause des alarmes ,
Plutôt que mon départ fasse couler ses larmes.....
C'est à vous , Messala , par des faits éclatans,
Sur la terre et les mers , de signaler nos armes ,
Et d'orner vos palais d'immortels monumens.
Mais moi , qui dans les ſers d'une jeune maîtresse ,
A sa porte attaché , veille et gémis sans cesse ,
Je n'aspirai jamais à la célébrité.
Pourvu qu'on me permette , ô ma chère Délie ,
De passer près de toi le reste de ma vie ,
Qu'importe qu'on me juge avec sévérité ,
Qu'on blame et ma paresse et mon oisiveté !
Avec toi , je crains peu le travail le plus rude :
Je puis moi-même au joug atteler les taureaux ,
Sur les monts escarpés conduire les troupeaux ,
Du plus affreux désert braver la solitude;
Et si le soir enfin je t'enlace en mes bras ,
D'un lit dur et grossier je ne me plaindrai pas.
Sans l'amour, sous undais brillant d'or et de soie ,
Des chagrins dévorans sommes-nous moins la proie !
Le duvet , les tapis , le murmure des eaux,
A l'amant malheureux rendent -ils le repos ?
Quel est le coeur d'airain qui pourroit à tes charmes
Préférer les hasards , la guerre et ses alarmes ?
Dût-il des ennemis forçant les bataillons ,
Au milieu de leur camp planter ses pavillons;
Dût- il , rayonnant d'or , sur son char de victoire ,
Eblouir tous les yeux de l'éclat de sa gloire !
Je veux encor , Délie, en mourant attacher
Sur tes yeux attendris ma paupière tremblante ;
Je veux presser ta main de ma main défaillante.
Tu pleureras alors en voyant mon bûcher ;
Tu pleureras : ton coeur ne pourra s'en défendre.
Tes larmes , tes baisers , réchaufferont ma cendre.
On verra , l'oeil en pleurs , l'amant s'en approcher ;
L'amante en reviendra plus sensible et plus tendre.
De mes mânes , sur- tout , ne trouble point la paix !
Prends garde que tes mains n'offensent tes attraits....
Epargne l'or flottant de cette chevelure ! .....
Délie , en attendant , profitons des beaux jours !
Des Parques , hâtons-nous de prévenir l'injure !
Livrons-nous aux plaisirs , livrons-nous aux amours.
t
Q2
244
MERCURE DE FRANCE ;
Trop tôt , hélas ! viendra l'âge de la sagesse :
Trop tôt les cheveux blancs et la froide vieillesse
Viendront nous interdire et les rís et les jeux .
En amour , chef habile et soldat courageux ,
Tandis qu'il m'est permis de suivre ses bannières ,
Je me plais à forcer les portés , les barrières .
Loin d'ici les drapeaux , les clairons belliqueux !
Bellone vend toujours ses faveurs meurtrières.
Content de mon destin , je vis exempt de soins ,
Au-dessus des trésors , au - dessus des besoins .
KERIVALANT.
L'ATTENTE ,
STANCES.
NYMPHE des bois , déjà les voiles sombres
Ont de l'Olympe embrassé le contour ,
Et l'astre ami du silence et des ombres ,
Te cherche en vain sur la couche d'amour.
Quand du soleil la flamme dévorante
S'évanouit dans un affreux séjour ,
Quand la pâleur de la rose mourante
N'espère plus un seul rayon d'amour ,
Nymphe des bois , quel destin nous sépare ?
Quel Dieu fatal s'oppose à ton retour ?
Oublierois - tu qu'un amant te prépare
Et les baisers et les myrtes d'amour ?
Rappelle-toi cette nuit fortunée
Où , de Diane abandonnant la cour,
Le front paré des fleurs de l'hyménée ,
Tu t'enivrois des voluptés d'amour.
Tu me disois : « Idole de ma vie ,
» Mes yeux éteints se dérobent au jour ;
» Mourons, mourons , et mon ame ravie
» N'exhalera que des soupirs d'amour. »
Nymphe des bois , déjà les voiles sombres
Ont de l'Olympe embrassé le contour ,
Et l'astre ami du silence et des ombres
Te cherche en vain sur la couche d'amour .
Henri TERRASSON ( de Marseille-)
AOUT 1807: 245
VERS
SUR LA MORT D'ÉLÉONORE (1)
Dans le tombeau repose Eléonore :
La mort de son printemps a moissonné les fleurs ;
Graces , prenez le deuil ! Gémis , lyre sonore!
Et vous , Amours , laissez couler vos pleurs !
Elle n'est plus ! Comme une ombre légère ,
Ses traits charmans s'effacent à nos yeux :
Telle s'enfuit la lueur passagère
De cet éclair qui brille dans les cieux.
Quand sur son front les roses d'hyménée
Devoient du tendre Amour remplacer le bandeau ,
Elle s'éclipse , et de sa destinée
Le souvenir se perd dans la nuit du tombeau .
Elle a vécu , la jeune Eléonore;
De l'Amour qui gémit elle a trompé l'espoir :
Telle une fleur que le Midi dévore
S'incline en pâlissant , et meurt avant le soir.
Tel , à nos yeux terminant sa carrière ,
Ce flambeau dont l'éclat se dissipe et s'enfuit ,
Versant à peine un reste de lumière ,
S'éteint languissamment dans l'ombre de la nuit.
Par M. C. MICHELET.
ENIGME.
L'ARABIE est le lieu dans lequel je suis nê;
Nous sommes dix enfans : on me fit , par idée,
Le plus jeunede tous et le moins fortune ;
Mais j'éloigne de moi cette triste pensée .
Je suis beaucoup , je ne suis rien;
( 1) Cette pièce a été imprimée avec plusieurs erreurs très-graves dans le
dernier Almanach des Muses de 1807. On lui avoit donné pour titre : La
Mort d'Eléonore , conte , et on avoit joint les stances les unes aux autres ;
ce qui faisoit un morceau sans alinéa . Voyez l'Almanach des Muses de
M. Brasseur , page 119. J'ignore si ces fautes viennent des imprimeurs
ou des éditeurs ,
3
246 MERCURE DE FRANCE ,
Accompagné , je fais du bien ;
Mais je plains qui m'a seul , il est un pauvre sire ;
Et , s'il m'est permis de le dire ,
Il a toujours un sot maintien.
J'ai pourtant du pouvoir; dans plus d'une contrée
Je suis connu , chacun chez soi me donne entréé.
Le plus riche marchand
M'accueille à bras ouvert , et mon secours implore ,
En cela bien pensant ,
Devenant avec moi dix fois plus riche encore .
Je pourrois ajouter
Que , malgré ma vieillesse ,
L'abbé , le financier , le marquis , la duchesse ,
Me font aussi leur cour ; mais pourquoi m'en vanter ?
Rien ne peut m'émouvoir ; je suis toujours le même,
Petit individu
Amine ronde et blême ,
Denoir , en général , presque toujours vêtu.
LOGOGRIPHE.
En de certains pays bienheureux qui me porte ,
En France on me respecte , on me craint à la Porte.
J'ai six pieds bien comptés , dont toute la valeur ,
Je puis vous l'assurer , consiste en la couleur :
Si vous les partagez , prenez garde à ma tête ;
Souvent elle épouvante et fait fuir mainte bête.
Si vous la renversez , on la craint dans les eaux ;
En la décapitant , elle est un des métaux .
Quant à ma queue , on la trouve estimable ,
Selon que plus ou moins elle est considérable.
Amon tout est pendu ce signe précieux ,
Qui , tout ainsi que moi, fait bien des envieux.
CHARADE.
D'UNE conjonction l'on forme mon premier ;
L'on se vêtit de mon dernier;
L'on craint la dent de mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Langue.
Celui du Logogriphe est Corniche , où l'on trouve Roch ( Saint ) ,
niche , Nice.
Celui de la Charade est Main-morte.
AOUT 1807 . 247
Mon Séjour auprès de Voltaire , et Lettres inédites que
m'écrivit cet homme célèbre jusqu'à la dernière année de
sa vie; par Come-Alexandre Collini , historiographe et
secrétaire intime de S. A. S. l'Electeur Bavaro-Palatin ,
et membre des Académies de Berlin , de Manheim , de
l'Institut de Bologne , etc. Un vol . in-8° . Prix : 5 fr . ,
et 6 fr. 50 c. par la poste. A Paris , chez Léopold Collin ,
libraire , rue Gît-le-Coeur , n°. 4; et chez le Normant.
N
ous avons déjà un grand nombre de Mémoires sur la
vie de M. de Voltaire : tous ont été lus avec avidité . Quels
que fussent l'opinion et les principes des lecteurs , ils ont
voulu connoître les détails de la vied'un homme qui eut un
si grand ascendant sur ses contemporains. On a observé avec
raison qu'une Vie bien faite de M. de Voltaire seroit la
meilleure histoire des erreurs du dix-huitième siècle : cet
ouvrage est encore à faire. Quand on l'entreprendra , les
matériaux ne manqueront pas. Une multitude innombrable
de lettres , des Mémoires écrits sur tous les tons , les relations
qui paroîtront encore (car peu de personnes ont fait le
voyage de Ferney sans écrire leur journal ) ; enfin, des renseignemens
de toute espèce aideront l'écrivain qui se chargera
de ce travail .
L'ouvrage
nous annonçons n'ajoutera presque rien
aux conoissances que nous avons déjà sur cet obbjjeett.. M. Collini
a été le secrétaire de M. de Voltaire ; il lui a dû sa fortune
: la reconnoissance l'a nécessairement empêché de
dire la vérité tout entière , et la probité s'est opposée à ce
qu'il révélât des secrets qu'il devoit à une confiance intime .
Il est vrai qu'à la fin du dix-huitième siècle , on vit paroître
des Mémoires où l'on abusoit des confidences de l'amitié ,
où l'on déshonoroit les femmes , où l'on flétrissoit les maisons
dans lesquelles on avoit été admis , où enfin l'on couvroit
de ridicule , et l'on déchiroit ses bienfaiteurs ; mais
M. Collini , loin de pratiquer ces affreux principes , auxquels
tant de Mémoires particuliers ont dû leur succès , n'a
cherché qu'à faire valoir son héros : il l'a toujours présenté
sous l'aspect le plus favorable ; et s'il n'est point parvenu à
le justifier sur plusieurs points , c'est que la chose étoit
impossible. Nous aurons lieu de remarquer la foiblesse de
ses efforts dans cette partie de son ouvrage .
Quoique la relation de M. Collini ne fournisse que des
4
248 MERCURE DE FRANCE ,
détails peu importans sur la vie de M. de Voltaire , elle ne
manque cependant pas d'intérêt. L'auteur raconte l'histoire
de sa jeunesse. Avant d'être placé chez M. de Voltaire , il fit
un assez long séjour à Berlin : la manière dont il se produisit
est curieuse à remarquer ; elle peut fournir quelques
traits caractéristiques des moeurs du siècle , et donner une
idée assez juste du traitement qu'éprouvoient à la cour de
Prusse les gens de lettres et les artistes .
M. Collini , appartenant à une famille honnête de Florence
, avoit été destiné au barreau par ses parens . Ses goûts
ne s'accordoient pas avec cette destination : il étoit passionné
pour la littérature. Après avoir achevé ses études à l'Université
de Pise , il étoit sur le point de prendre le degré de
docteur , lorsque son père mourut. Cette perte , en lui causant
beaucoup de chagrin , ne fit qu'augmenter son dégoût
pour un état qu'on avoit voulu lui faire embrasser malgré
lui. Il saisit la première occasion d'y renoncer. Un de ses
amis fort riche alloit faire un voyage en Suisse : il proposa à
M. Collini de l'accompagner. Ce dernier , sans prévenir ses
parens , accepta cette offre , et partit avec le dessein de ne plus
paroître dans son pays , où il auroit fallu exercer l'état
d'avocat.
Le jeune fugitif s'arrêta à Coire , pour réfléchir au parti
qu'il prendroit . Forcé de vivre avec économie , il quitta une
bonne auberge dans laquelle il s'étoit d'abord logé, pour se
réfugier dans un galetas , où il fut consolé par la société
d'une femme qui venoit plaider en séparation. Quoiqu'elle
parlât une autre langue que M. Collini , ils s'entendirent
bientôt. On verra par la suite que l'auteur avoit beaucoup
de penchant pour les jeunes femmes séparées de leurs maris.
Cependant , la société de cette dame, quoique très-agréable ,
ne calmoit pas l'inquiétude de M. Collini , qui , comme
presque tous ses compatriotes , avoit un esprit d'ordre et de
prévoyance qui ne l'abandonnoit jamais .
La cour de Prusse étoit regardée alors comme l'asile des
Jettres : ceux qui les cultivoient y faisoient leur fortune ; et
l'exemple d'Algarotti devoit séduire un jeune Italien qui
n'avoit d'autre titre qu'un goût passionné pour la littérature.
M. Collini enthousiasme de cette idée , mais ne sachant
quels moyens employer pour la mettre à exécution , se
rappela très-heureusement qu'il avoit vu à Florence une
signora dont la soeur , connue sous le nom de la Barberina ,
étoit danseuse de l'Opéra de Berlin, et passoit pour jouir
d'un grand crédit. Il écrivit à cette signora , ainsi qu'à ses
parens . L'une lui envoya une lettre de recommandation
AOUT 1807. 249
pour la danseuse; les autres , approuvant son projet , lui
firent passer une lettre-de-change pour les frais de son
voyage. M. Collini alla donc chercher fortune à Berlin .
La Barberina le reçut fort bien , et promit de s'occuper
de lui : il apprit d'elle les moyens qu'on avoit employés
pour l'attirer en Prusse. Rien de plus singulier que ces
détails : M. de Voltaire n'a fait que les indiquer dans ses
Mémoires .
Mlle Barberina dansoit sur l'un des théâtres de Venise.
Le roi , instruit de ses talens , chargea son ministre de l'engager
pour Berlin . Elle fit une réponse verbale que le
ministre regarda comme un consentement. Cependant la
danseuse vivoit avec un Anglais qui s'opposa tant qu'il le
put à ce projet , et qui vouloit la ramener à Londres. Elle
penchoit pour ce parti , et refusoit de signer son engagement.
Le ministre de Prusse la fit enlever de force , et elle
fut conduite à Berlin par des soldats . Le roi , malgré cette
manière un peu violente d'attirer les talens à sa cour , la
reçut fort agréablement ; et l'un des ministres lui présenta
un engagement où ses appointemens étoient en blanc , et
devoient être fixés par elle. La Barberina eut la modestie
de ne demander d'abord que dix-huit mille livres , et , s'il
faut en croire M. de Voltaire , elle obtint par la suite une
augmentation de quatorze mille livres . Ainsi cette danseuse ,
suivant ce dernier , touchoit à elle seule plus que trois ministres
d'Etat ensemble .
M. de Voltaire arriva alors à Berlin , pour y jouir d'une
faveur aussi grande qu'elle fut courte. Le jeune Florentin
forma aussitôt le projet de s'attacher à un homme si célèbre.
Mais comment parvenir jusqu'à lui ? M. Collini devoit à
une danseuse l'agrément dont il jouissoit à Berlin ; il espéra
qu'une cantatrice pourroit lui procurer ce qu'il desiroit avec
tant d'ardeur. Mlle Astraa , à laquelle il fut présenté , promit
de parler de lui à M. de Voltaire: elle s'acquitta de cette
commission , et parvint , au bout d'un an , à faire recevoir
son protégé en qualité de secrétaire. M. Collini , au comble
de ses voeux , se livra au travail qui lui fut imposé. Ses
principales fonctions étoient de copier des ouvrages commencés
, des pièces fugitives , et d'écrire des lettres sous
la dictée ; dans d'autres momens , il lisoit des auteurs italiens
. M. de Voltaire s'occupoit alors du poëme de la Loi
Naturelle, de l'Orphelin de la Chine, du Siècle de Louis XIV ,
et du quatorzième chant d'un poëme qu'il n'osoit encore
montrer . M. Collini ne donne aucun détail sur ces différens
ouvrages. Il dit seulement qu'on les lui fit copier plusieurs
232 MERCURE DE FRANCE ;
vant le thalweg de cette rivière , le thalweg de la Bobra jus
qu'à son embouchure , le thalweg de la Narew , depuis
le point susdit jusqu'à Suratz , de la Lisa jusqu'à sa source
près le village de Mien , de l'affluent de la Narzeck pre-
Dant sa source près le même village , de la Nurzeck jusqu'à
son embouchure au- dessus de Nurr , et enfin le thalweg du
Bug , en le remontant jusqu'aux frontières russes actuelles ,
sera réuni , à perpétuité , à l'Empire de Russie.
"
X. Aucun individu , de quelque classe et condition qu'il
soit , ayant son domicile ou des propriétés dans le territoire
spécifié en l'article précédent , ne pourra , non plus qu'aucun
individu domicilié soit dans les provinces de l'ancien royaume
de Pologne , qui doivent être restituées à S. M. le roi de
Prusse , soit dans le duché de Varsovie , mais ayant en Russie
des biens-fonds , rentes , pensions ou revenus , de quelque
nature qu'ils soient , être frappé dans sa personne , dans ses
biens , rentes , pensions et revenus de tout genre , dans son
rang et ses dignités , ni poursuivi ni recherché en aucune
façon quelconque , pour aucune part , ou politique ou mili
taire , qu'il ait pu prendre aux événemens de la guerre présente.
XI. Tous les engagemens et toutes les obligations de S. M.
le roi de Prusse , tant envers les anciens possesseurs , soit de
charges publiques , soit de bénéfices ecclésiastiques , militaires
ou civils , qu'à l'égard des créanciers ou des pensionnaires de
l'ancien gouvernement de Pologne , restent à la charge de
S. M. l'Empereur de toutes les Russies et de S. M. le roi de
Saxe , dans la proportion de ce que chacune de leursdites
Majestés acquiert par les articles V et IX , et seront acquittés
pleinement , sans restriction , exception , ni réserve aucune.
XII. Leurs altesses sérénissimes les ducs de Saxe-Cobourg ,
d'Oldenbourg et de Mecklenbourg - Schwerin , seront remis
chacun dans la pleine et paisible possession de ses Etats ; mais
les ports des duchés d'Oldenbourg et de Mecklenbourg continueront
d'être occupés par des garnisons françaises , jusqu'à
l'échange des ratifications du futur traité de paix définitive
entre la France et l'Angleterre.
XIII. S. M. l'Empereur Napoléon accepte la médiation
de S. M. l'Empereur de toutes les Russies , à l'effet de négocier
e conclure un traité de paix définitive entre la France et
l'Angleterre , dans la supposition que cette médiation sera
aussi acceptée par l'Angleterre , un mois après l'échange des
ratifications du présent traité.
XIV. De son côté , S. M. l'Empereur de toutes les Russies
youlant prouver combien il desire d'établir entre les deux
•
AOUT 18073 237
Empires les rapports les plus intimes et les plus durables ,
reconnoît S. M. le roi de Naples , Joseph Napoléon , et S. M.
le roi de Hollande , Louis Napoléon.
XV. S. M. l'Empereur de toutes les Russies reconnoît
pareillement la Confédération du Rhin , l'état actuel de possession
de chacun des souverains qui la composent , et les
titres donnés à plusieurs d'entr'eux , soit par l'acte de la Confédération
, soit par les traités d'accession subséquens. Sadite
Majesté promet de reconnoître , sur les notifications qui lui
seront faites de la part de S. M. l'Empereur Napoléon , les
souverains qui deviendront ultérieurement membres de la
Confédération , en la qualité qui leur sera donnée par les
actes qui les y feront entrer.
XVI. S. M. l'Empereur de toutes les Russies cède , en toute
propriété et souveraineté , à S. M. le roi de Hollande , la
seigneurie de Jever dans l'Ost -Frise.
XVII. Le présent traité de paix et d'amitié est déclaré
commun à LL. MM. les rois de Naples et de Hollande , et
aux souverains confédérés du Rhin , alliés de S. M. l'Empereur
Napoléon.
XVIII . S. M. l'Empereur de toutes les Russies reconnoît
aussi S. A. I. le prince Jérôme- Napoléon comme roi de
Westphalie.
XIX. Le royaume de Westphalie sera composé des provinces
cédées par S. M. le roi de Prusse à la gauche de l'Elbe,
et d'autres Etats actuellement possédés par S. M. l'Empereur
Napoléon.
XX. S. M. l'Empereur de toutes les Russies promet de reconnoître
la disposition qui , en conséquence de l'article XIX
ci- dessus et des cessions de S. M. le roi de Prusse , sera faite
par S. M. l'Empereur Napoléon ( laquelle devra être notifiée
à S. M. l'Empereur de toutes les Russies ) , et l'état de possession
en résultant pour les souverains au profit desquels elle
aura été faite.
XXI. Toutes les hostilités cesseront immédiatement sur
terre et sur mer entre les forces de S. M. l'Empereur de
toutes les Russies et celles de S. H. , dans tous les points où
la nouvelle de la signature du présent traité sera officiellement
parvenue. Les hautes parties contractantes la feront porter
sans délai , par des courriers extraordinaires , pour qu'elle
parvienne , le plus promptement possible , aux généraux et
commandans respectifs.
XXII. Les troupes russes se retireront des provinces de
Valachie et de Moldavie ; mais lesdites provinces ne pourront
être occupées par les troupes de S. H. jusqu'à l'échange des
?
234 MERCURE DE FRANCE ,
ratifications du futur traité de paix définitive entre la Russie
et la Porte-Ottomane.
XXIII. S. M. l'Empereur de toutes les Russies accepte la
médiation de S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italfe ,
à l'effet de négocier et conclure une paix avantageuse et
honorable aux deux Empires . Les plénipotentiaires respectifs
se rendront dans le lieu dont les deux parties intéressées conviendront
, pour y. ouvrir et suivre les négociations.
XXIV. Les délais dans lesquels les hautes parties contractantes
devront retirer leurs troupes des lieux qu'elles doivent
quitter , en conséquence des stipulations ci-dessus , ainsi que
le mode d'exécution des diverses clauses que contient le présent
traité , seront fixés par une convention spéciale.
XXV. S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , et S. M.
l'Empereur de toutes les Russies , se garantissent mutuellement
l'intégrité de leurs possessions et celles des puissances
comprises au présent traité de paix , telles qu'elles sont maintenant
ou seront en conséquence des stipulations ci -dessus .
XXVI. Les prisonniers de guerre faits par les parties contractantes
, ou comprises au présent traité de paix , seront
rendus réciproquement sans échange et en masse.
XXVII. Les relations de commerce entre l'Empire français
, le royaume d'Italie , les royaumes de Naples et de Hollande
, et les Etats confédérés du Rhin , d'une part , et d'autre
part l'Empire de Russie , seront rétablies sur le même pied
qu'avant la guerre.
XXVIII . Le cérémonial des deux cours des Tuileries et de
Saint-Pétersbourg entr'elles , et à l'égard des ambassadeurs ,
ministres et envoyés qu'elles accréditeront l'une près de l'autre
sera établi sur le principe d'une réciprocité et d'une égalité
parfaites.
XXIX. Le présent traité sera ratifié par S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , et par S. M. l'Empereur de toutes
les Russies.
L'échange des ratifications aura lieu dans cette ville , dans
le délai de quatre jours.
Fait à Tilsit , le 7 juillet ( 25 juin ) 1807 .
Signé Ch. Maur . TALLEY RAND , prince de Bénévent .
Le prince Alexandre KOURAKIN .
Le prince DINITRY LABANOFF DE ROSTOFF.
Pour ampliation ,
Le ministre des relations extérieures.
Signé Ch . Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent .
Les ratifications du présent traité ont été échangées à Tilsit ,
le 9 juillet 1807.
AOUT . 1807 .
235
•
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur
de la Confédération du Rhin , et S. M. le roi de Prusse ,
étant animés d'un égal desir de mettre fin aux calamités de la
guerre , ont , à cet effet , nominé pour leurs plénipotentiaires ,
savoir :
Â
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur de
la Confédération du Rhin , M. Charles-Maurice -Talleyrand
prince de Bénévent , grand- chambellan et ministre des relations
extérieures , grand- cordon de la Légion- d'Honneur
chevalier des ordres de l'Aigle noir et de l'Aigle rouge de
Prusse , et de l'Ordre de Saint - Hubert ;
Et S. M. le roi de Prusse , M. le feld-maréchal comte de
Kalkreuth , chevalier des Ordres de l'Aigle noir et de l'Aigle
rouge de Prusse ; et M. le comte de Goltz , son conseillerprivé
et envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
près S. M. l'Empereur de toutes les Russies , chevalier de
l'Ordre de l'Aigle rouge de Prusse ; lesquels , après avoir
échangé leurs pleins-pouvoirs respectifs , sont convenus des
articles suivans :
Art. I. Il y aura , à compter du jour de l'échange des ratifications du
présent traité , pa : x et amitié parfaites entre S. M. l'Empereur des Français
, Roi d'Italie , et S. M. le roi de Prusse.
1. La partie du duché de Magdebourg située à la droite de l'Elbe ;
la Marche de Priegnitz , l'Uker- Marck , la moyenne et la nouvelle Marche
de Brandebourg , à l'exception du Cotbuser-Kreys ou cercle de Cotbus ,
dans la Basse- Lusace ; le duché de Pomeranie ; la Haute , la Basse et la
Nouvelle-Silésie avec le comté de Glatz ; la partie du district de la Netze,
située au nord de la chaussée allant de Driesen à Schneidemühl , et
d'une ligne allant de Schneidemühl à la Vistule par Woldau , en suivant
les limites du cercle de Bromberg , la Pomérelie , l'île de Nogat ,
les pays à la droite du Nogat et de la Vistule , à l'ouest de la vieille
Prusse et au nord du cercle de Culm , l'Ermeland , et enfin le royaume
de Prusse tel qu'il étoit au 1er janvier 1772 , seront restitués à S. M. le
roi de Prusse , avec les places de Spandau , Stetin , Custrin , Glogau ,
Breslau , Schweidnitz , Neiss , Bieg , Kosel et Glatz , et généralement
toutes les places , citadelles , châteaux et forts des pays ci- dessus dénominés
, dans l'état où lesdites places , citadelles , châteaux et forts se
trouvent maintenant.
La ville et citadelle de Graudentz , avec les villages de Neudorff ,
Gardchken et Sw.erkorzy, seront aussi restitués à S. M. le roi de Prusse .
III. S. M. le roi de Prusse reconnoît S. M. le roi de Naples , Joseph-
Napoléon , et S. M. le roi de Hollande , Louis - Napoléon .
IV. S. M. le roi de Prusse reconnoît pareillement la Confédération du
Rhin , l'état actuel de possession de chacun des souverains qui la composent
, et les titres donnés à plusieurs d'entr'eux , soit par l'acte de Cónfédération
, soit par les traités d'accession subséquens . Promet sadite Majesté
de reconnoître les souverains qui deviendront ultéri urement
membres de ladite Confédération , en la qualité qui leur sera donnée par
Is actes qui les y feront entrer ,
236 MERCURE DE FRANCE ,
V. Le présent traité de paix et d'amitié est déclaré commun S. M. le
roi de Naples , Joseph- Napoléon à S. M. le roi de Hollande , et aux
souverains confédérés du Rhin , alliés de S. M. l'Empereur Napoléon .
VI. S. M. le roi de Prusse reconnoît pareil: ement S. A. 1. le prince
Jérôme-Napoléon comme roi de Westphalie.
VII. S. M. le roi de Prusse cède en toute propriété et souveraineté aux
rois , grands-ducs , dues ou princes qui seront désignés pr S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , tous les duchés , marquisats , principautés
, comtés , seigneuries , et généralement tous les territoires ou
parties de territoires quelconques , ainsi que tous les domaines et biensfonds
de toute nature que sadite Majesté le roi de Prusse possédoit , àquel
titre que ce fût , entre le Rhin et l'Elbe , au commencement de la guerre
présente.
VIII. Le royanme de Westphalie sera composé de provinces cédées par
S M. le roi de Prusse , et d'autres Etats actuellement possédés par S. M.
l'Empereur Napoléon.
IX. La disposition qui sera faite par S. M. l'Empereur Napoléon des
pays désignés dans les deux articles précéden , ct l'état de possession
en résultant pour les ouverains au profit desquels elle aura été faite
sera reconnue par S. M. le roi de Prusse , de la même manière que si
eile étoit déjà effectuée et contenue au présent traité.
X. S. M. le roi de Prusse , pour lui , ses héritiers et successeurs , reponce
à tout droit actuel ou éventuel qu'il pourroit avoir ou prétendre ,
› º. sur tous les territoires sans exception_s : tués entre le Rhin et l'Elbe ,
et autres que ceux désignés en l'article VII ; 2º sur celles des possessions de
S. M. le roi de Saxe et de la maison d'Anhalt, qui se trouvent à la droite
de l'Elbe . Réripoqueinent tout droit actuel ou éventuel , et toute prétention
des Etats compris entre l'Elbe et le Rhin sur les possessions de
S. M. le roi de Prusse , telles qu'elles seront en conséquence du présent
traité , sont et demeureront éteints à perpétuité .
XI . Tous pactes , conventions ou traités d'alliance patens ou secrets qui
auroient pu être conclus entre la Prusse et auoun des Etats situés à la
gauche de l'Elbe , et que la guerre présente n'auroit point rompus , demeureront
sans effet et seront réputés núls et non avenus .
XII. S. M. le roi de Prusse ède en toute propriété et souveraineté à
S. M. le roi de Saxe , le Cotbuser- Kreys ou cercle de Cotbus , dans la
Basse-Lusace.
XIII. S. M. le roi de Prusse renonce à perpétuité à la possession de
toutes les provinces qui , ayant appartenu au royaume de Pologne , ont ,
postéricurement au 1er janvier 1772 , passé à diverses époques sous la
domination de la Prusse , à l'exception de l'Ermeland et des pays situés
à l'ouest de la Vieille - Prusse , à l'est de la Pomeranie et de la Nouvelle-
Marche , au nord du cercle de Culm , d'une ligne allant de la Vistule à
Schneidemühl par Waldau , en suivant les limites du oercle de Brombeg
, et de la chaussée allant de Schneidemühl à Driesen , lesquels , avec
la ville et citadelle de Graudentz et les villages de Neudorff, Garschken
et Swierkerzy , continueront d'être possédés en toute propriété et souve
raineté par S. M. le roi de Prusse .
XIV. S. M. le roi de Prasse renonce pareillement à perpétuité à la
Possess on de la ville de Dantzick.
XV. Les provinces auxquelles S. M. le roi de Prusse renonce par
Particle XIII ci - dessus seront ( à l'exception du territoire spécifié en
l'article XVIII ci -après ) possédées en toute propriété et s uveraineté
par S. M. le roi de Saxe , sous le titre de duché de Varsovie , et régies
par des constitutions qui , en assurant les libertés et les priviléges des
AOUT 1807 . 237
peuples de ce duché , se concilient avec la tranquillité des Etats voisins .
XVI. Pour les communications entre le royaume de Saxe et le duché
de Varsovie , S. M. le roi de Saxe aura le libre usage d'une route militaire
à travers les Etats de S. M. le roi de Prusse . Ladite route , le
nombre, des troupes qui pourront y passer à la fois et les lieux d'étapes ,
seront déterminés par une convention spéciale faite entre leursdites
Majestés , sous la médiation de la France.
XVII. La navigation par la rivière de Ne ze et le canal de Bromberg,
depuis Driesen jusqu'à la Vistule , et réciproquement , sera libre et
franche de tout péage .
XVIII. Afin d'établir autant qu'il est possible des limites naturelles
entre la Russie et le duché de Varsovie , le territoire circonscrit par la
partie des frontières russes actuelles , qui s'étend depuis Bug jusqu'à
l'embouchure de la Lossosna , et par une ligne partant de ladite embou
chure et suivant le thalweg de cette rivière ; te thalweg de la Broba
jusqu'à son embouchure ; le thalweg de la Narew depuis le point susdit
jusqu'à Suratz ; de la Lisa jusqu'à sa source , près le village de Mien ; de
l'affluent de la Nurzech , prenant sa source près le même village ; de la
Nurzech jusqu'à son embouchure au dessus du Nurr ; et enfin le thalw g
da Bug , en le remoutant jusqu'aux frontières russes actuelles , sera
réuni à perpétuité à l'empire de Russie.
། ་
XIX . La ville de Dantzick , avec un territoire de deux licues de rayon
autour de son enceinte sera rétablie dans son indépendance , sous la protection
de S. M. le roi de Prusse et de S M. le roi de Saxe , et gouverné *
par les lois qui la régissoient à l'époque où elle ces : a de se gouverner ellemême.
XX. S. M. le roi de Prusse , S. M. le roi de Saxe , ni la ville de
Dantzick, ne pourront empêcher par aucune prohibition , ni entraver par
Tétablissement d'ancun péage , droit ou impôt , de quelque nature qu'il
puisse être , la navigation de la Vistole.
XXI. Les ville , port et territoire de Dantzick seront fermés pendant
la durée de la présente guerre maritime au commerce et à la navigation
des Anglais.
.
?
XXII. Aucun individu de quelque classe et condition qu'il soit , ayant
son domicile ou des propriétés dans les provinces ayant appartenu au
royaume de Pologne , at que S. M. le roi de Prusse doit continuer de posséder,
ne pourra, non plus qu'aucun individu domicilié , soit dans le
duché de Varsovie , soit dans le territoire qui doit être réuni à l'empire
de Russie , mais ayant en Prusse des biens- fonds , rentes , pensions on
revenus de quelque nature qu'ils soient , être frappé dans sa personne
dans ses biens , rentes , pensions et revenus de tout genre , dans son rang
et ses dignités , ni poursuivi , ni recherché en aucune façon quelconque ,
pour aucune part qu'il ait pu politiquement ou militairement prendre
aux événemens de la guerre présente.
XXIII. Pareillement aucun individu né , demeurant cu propriétaire
dans les pays ayant appartenu à la Prusse antérieurement au 1er janvier
1772 , et qui doivent être restitués à S. M. le roi de Frasse , aux termes
de l'article II ci- dessus , et notamment aucun individu , soit de la grande
bourgeoisie de Berlin , soit de la gendarmerie , lesquelles ont pris les
armes pour le maintien de la tranquillité publique , ne pourra être frappé
darss
sa personne , dans ses biens , rentes , pensions et revenus de tout
genre , dans son rang et son grade , ni poursuivi , ni recherché en aucune
façon quelconque , pour aucune part qu'il ait prise ou pu prendre ,
quelque manière que ce soit , aux événemens de la guerre présente.
de
XXIV. Les engagemens , deltes et obligations de toute nature que
238 MERCURE DE FRANCE ;
S. M. le roi de Prusse a pu avoir , prendre et contracter , antérieurement à
la présente guerre , comme possesseur des pays , territoires , domaines ,
biens et revenus que sadite Majesté cède ou auxquels elle renouce par le
présent traité , seront à la charge des nouveaux poss sseurs et par eux
acquittés , sans exception , restriction , ni réserve aucune.
XXV. Les fonds et capitaux appartenans , soit à des particuliers ,
soit des établissemens publics , religieux , civils on militaires des payst
que S. M. le roi de Prusse cède ou auxquels elle renonce par le présent
traité , et qui auroient été placés , soit à la banque de Berlin , soit à la
caisse de la Société maritime , soit de toute autre manière quelconque
dans les Etats de S. M. le roi de Prusse , ne pourront être confisqués ni
Laisis ; mais les propriétaires desdits fonds et capitaux seront libres d'en'
disposer , et continueront d'en jouir , ainsi que des intérêts échus ou à
écheoir , aux termes des contrats ou obligations passés à cet effet . Réciproquement
, il en sera usé de la même manière pour tous les fonds et
capitaux que des sujets ou des établissemens publics quelconques de la
monarchie prussienne auroient placés dans les pays que S. M. le roi de
Prusse cède ou auxquels elle renonce par le présent traité .
XXVI. Les archives contenant les titres de propriété , documens et
papiers généralement quelconques relatifs aux pays , territoires , domaines
et biens que S. M. le roi de Prusse cède ou auxquels elle renonce par le
présent traité , ainsi que les cartes et plans des vi les fortifiées , citadelles ,
châteaux et forteresses situés dans lesdits pays , seront remises par des
commissaires de sadite Majesté , dans le délai de trois mois , à compter de
l'échange des ratifications , savoir : A des commissaires de S. M. l'Empereur
Napoléon , pour ce qui concerne les pays cédés à la gauche de
I'Elbe ; et à des commissaires de S. M. l'Empereur de toutes les Russies ,
de S. M. le roi de Saxe et de la ville de Dantzick , pour ce qui concerne
les pays que leursdites Majestés et la ville de Dantzick doivent posséder
en conséquence du présent traité .
.
XXVII. Jusqu'au jour de l'échange des ratifications du futur traité de
paix définitive entre la France et l'Angleterre , tous les pays de la domination
de S. M. le roi de Prusse , seront , sans exception , fermés à la
navigation et au commerce des Anglais . Aucune expédition ne pourra
être faite des ports prussiens pour les îles Britanniques , ni aucun bâtiment
venant de l'Angleterre ou de ses colonies , être reçu dans lesdits ports .
XXVIII . Il sera fait immédiatement une convention ayant pour objet
de régler tout ce qui est relatif au mode et à l'époque de la remise des
pla es qui doivent être restituées à S. M. le roi de Prusse , ainsi que les
détails qui regardent l'administration civile et militaire des pays qui '
doivent être aussi restitués . .
XXIX. Les prisonniers de guerre seront rendus de part et d'autre sans
échange et en masse , le plus tôt que faire se pourra .
XXX. Le présent traité sera ratifié par S. M. l'Empereur des Français
, Roi d'Italie , et par S. M. le roi de Prusse , et les ratifications en
seront échangées à Koenigsberg , dans le délai de six jours , à compter dé
la signature , ou plus tôt si faire se peut .
Fait et signé à Tilsit , ie 9 juillet 1807.
( L. S. ) Signé Ch. Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent.
( L. S. ) , Signé le maréchal comte DE KALKREUTH .
( L. S. ) Signé AUGUSTE , comte de Goltz.
Pour ampliation , le ministre des relations extérieures , Ch . Maur .
TALLEYRAND , prince de Bénévent.
Les ratifications du présent traité ont été échangées à Koenigsberg ,
12 juillet 1807.
AOUT 1807 . 239
Après que la lecture a été terminée , le sénateur Lacepède , président
ordinaire du Sénat , ayant pris la parole , a dit :
Monseigneur , la lecture des deux traités de paix que S. M. l'Eм-
PEREUR et Roa bien voulu nous faire communiquer par V. A. S. , fait
éprouver au Sénat de nouveaux sentimens d'une admiration et d'une
reconnoissance bien vives .
>> Après tant de moissons de gloire , tant de prodiges et tant de bienfaits
, le Sénat ressent plus que jamais le besoin de présenter à S. M.
I. et R. ses hommages et ses voeux . Il sait qu'il va avoir l'avantage si précieux
pour tous les Français , de jouir de l'auguste présence du plus grand
des monarques. Mais les jours , les heures , les momens même sont des
siècles pour sa juste impatience. Je demande donc , sénateurs , premiè
rement , que le Sénat ordonne la transcription sur ses registres , du traité
avec la Russie et du traité avec la Prusse ; deuxièmement , qu'une commission
spéciale soit chargée de présenter un projet d'adresse qui exprime
les sentimens d'amour et de respect dont le Sénat est si profondément
pénétré pour S. M. I. et R. »
Les deux propositions du sénateur Lacepède ont été accueillies à l'unanimité
. La commission chargée de rédiger l'adresse , est composée de
S. A. Em. le cardinal Fesch , de MM . Lacepède , Monge , Laplace et
Sémonville. La commission fera son rapport lundi 27 du courant .
CONVENTION .
Entre les soussignés d'une part , le prince de Neuchâtel ,
major-général , et de l'autre , le maréchal comte de Kalkreuth ,
munis de pleins- pouvoirs de leurs souverains respectifs , á
l'effet de régler la convention stipulée en l'art . XXVIII du
traité de paix signé à Tilsit , entre S. M. l'Empereur et Roi
Napoléon , et S. M. le roi de Prusse.
Art. Ier. Des commissaires respectifs seront nommés , sans
délai , pour placer des poteaux sur les limites du duché de
Varsovie , de la Vieille - Prusse , du territoire de Dantzick ,
ainsi que sur les limites du royaume de Westphalie avec celui
de Prusse.
on
II. La ville de Tilsit sera remise le 20 juillet ; celle - de
Koenigsberg , le 25 du même mois ; et avant le er du mois
d'août , les pays jusqu'à la Passarge , formant les anciennes.
positions de l'armée , seront remis. Au 20 août , on évacuerà
La Vieille- Prusse jusqu'à la Vistule. Au 5 septembre ,
évacuera le reste de la Vieille- Prusse jusqu'à l'Oder. Les
limites du territoire de Dantzick seront tracées à deux lieues
autour de la ville , et déterminées par des poteaux aux ar : nes
de France , de Dantzick , de Saxe et de Prusse. Au 1 octobre ,
on évacuera toute la Prusse jusqu'à l'Elbe. La Silésie sera
également remise au 1er octobre ; ce qui fera deux mois et
demi pour l'évacuation entière du royaume de Prusse . La province
de Magdebourg, pour la partie qui se trouve sur la rive
droite de l'Elbe , ainsi que les provinces de Prentzlow et de
Passewalk , ne seront évacuées qu'au 1 novembre ; mais il
er
240 MERCURE DE FRANCE ,
sera tracé une ligne de manière que les troupes ne puissent
pas approcher de Berlin. Quant à Stetin , l'époque à laquelle
cette ville sera évacuée , s ra déterminée par les plénipotentiaires
. Six mille Français resteront en garnison dans cette
ville jusqu'au moment où on l'évacuera. Les places de Spandau ,
de Gustrin , et en général toutes celles de la Silésie , seront
remises le 1
er octobre entre les mains des troupes de S. M. le
roi de Prusse.
III. Il est bien entendu que l'artillerie , toutes les munitions ,
et en général tout ce qui se trouve dans les places de Pillau ,
Colberg , Graudentz , Tresteront dans l'état où les choses se
trouvent. Il en sera de même pour Glatz et Kosel , si les
troupes françaises m'en ont pas pris possession .
IV. Les dispositions ci- dessus auront lieu aux époques déterminées
, dans le cas où les contributions frappées sur le pays
seroient acquittées . Bien entendu que les contributions serout
censées acquittées quand des sûretés suffisantes seront recon◄
pues valables par l'intendant- général de l'armée. Il est également
entendu que toute contribution qui n'étoit pas connue
publiquement avant l'échange des ratifications , est nulle .
V. Tous les revenus du royaume de Prusse , depuis le jour
de l'échange des ratifications , seront versés dans les caisses du
roi et pour le compte
de S. M. , si les contributions
dues et
échues depuis le 1 novembre
1806 jusqu'au
jour de l'échange
des ratifications
, sont acquittées
.
VI. Des commissaires seront nommés de part et d'autre pour
traiter et décider de tous les différends à l'amiable. Ils se rên➡
dront en conséquence à Berlin le 25 juillet , afin que cela
n'apporte aucun retard à l'évacuation.
VII. Les troupes , ainsi que les prisonniers de guerre frangais
, vivront dans le pays , et des magasins qui peuvent y
exister jusqu'au jour de l'évacuation .
VHI. Si les hôpitaux ne sont pas évacués à l'époque où les
troupes doivent se retirer , les malades français serent soignés
dans les hôpitaux , et tous les secours leur seront doones par
les soins des administrations du roi , sans cesser d'avoir auprès
d'eux les officiers de santé nécessaires.
IX. La présente convention aura sa pleine et entière exécu–
tion . En foi de quoi nous l'avons signée , et y avons apposé le
aceau de nos armes. A Keuigsberg , le 12 juillet 1807.
DU VENDREDI 31 .
-
(Suivent les signatures . )
FONDS PUBLICS .
-C p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807, 79f 25c 30e . 200
25c 50c one ooc oor oọc oof oof oor voe rof ouc ooc ooc coc oofooe oog
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , oof ooc ooc , oof ooc cöc
Act. de la Banque de Fr. 130of 0000f cos coʊuf
(No. CCCXVI. )
( SAMEDI 8 AOUT 1807. ) .
DE
ΤΑ
SE
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
5.
cen
TRADUCTION LIBRE
DE LA PREMIÈRE ÉLÉGIE DE TIBULLE .
Divitias alius, etc.
De la richesse épris , qu'un autre entasse l'or ;
Qu'il joigne à mille arpens d'autres arpens encor :
Un ennemi voisin jour et nuit l'inquiète ;
Il se réveille et tremble au son de la trompette.
Ma médiocrité , voilà mon vrai trésor !
Je lui dois mon repos , ma douce insouciance.
Pourvu que le feu brille en mon humble foyer,
Que toujours la prodigue et flatteuse espérance
Du froment le plus pur emplisse mon grenier ,
Qu'elle verse à grands flots le vin dans mon cellier ,
Heureux , j'en crois jouir , et rêve l'abondance.
Je ne dédaigne point les rustiques travaux :
Tantôt , sans les blesser , ma main sûre et légère ,
Enrichit mes pommiers d'une branche étrangère ;
Tantôt j'unis la vigne aux stériles ormeaux .
Quelquefois , en mon sein , du vallon solitaire
Je rapporte un chevreau délaissé par sa mère :
Maniant tour-à - tour la bêche et l'aiguillon ,
Je romps la glèbé , ou j'aide à tracer un sillon .
Je révère les Dieux soit que , sur mon passage ,
242
MERCURE DE FRANCE ,
Un monument orné de fleurs et de gazon ,
Soit qu'en un champ désert un tronc miné par l'âge ,
A mon culte pieux présente leur image.
Chaque année on me voit , au retour du printemps ,
Offrir un sacrifice aux déités des champs ,
Consacrer à Palès un tribut de laitage ,
Purifier le toit , les brebis, le berger ;
Et , quel que soit l'espoir que donne mon verger ,
De Pomone , d'avance , assurer le partage.
Blonde Cérès ! je veux de tes plus beaux épis
Suspendre une couronne aux murs de ton parvis.
Armé , dans mes jardins , de sa faulx menaçante ,
Que Priape aux oiseaux inspire l'épouvante ?
Et vous aussi , gardiens de mon petit enclos ,
Qui le fûtes jadis de mon vaste héritage ,
Je vous aurois alors immolé des taureaux ,
Dieux Lares ! Maintenant , un seul de mes agneaux
Sera , dans ma détresse , un magnifique hommage.
Qu'il tombe ! Et qu'aux accens des enfans du village ,
Demandant de bons vins et de riches moissons ,
Le ciel veuille toujours nous combler de ses dons !
Qu'il exauce nos voeux ! que sa bonté facile
Accepte notre offrande , et ne dédaigne pas
Ces vases indigens , ces mêts peu délicats !
Des premiers laboureurs l'art encore mal habile
En coupes façonna la molle et simple argile.
Fuyez , loups et voleurs , épargnez mon troupeau !
Pour vous servir de proie il n'est pas assez beau .
Pourrois-je regretter des trésors inutiles ,
Les biens de mes aïeux , leurs domaines fertiles ?
Une moisson légère à mes besoins suffit :
Il me suffit , le soir , de retrouver ce lit
Où des travaux du jour réparant la fatigue ,
De ses pavots pour moi , Morphée est si prodigue .
Qu'il est doux , quand au loin mugissent les autans ,
La nuit , entre ses bras , de serrer sa compagne ;
Ou quand l'humide hiver inonde la campagne ,
De s'endormir au bruit de la pluie et des vents !
Que ne puis - je , à mon gré , savourer ces délices !
Qu'il coure à la fortune arracher ses présens ,
Celui qui peut de l'onde affronter les caprices .
Pour moi , content du peu ,
libre d'ambition ,
Il ne me convient point de quitter le rivage.
L'été , pour me soustraire aux ardeurs du lion ,
AOUT 1807 . 243
Je cherche les ruisseaux et l'ombre d'un bocage.
Périssent à jamais l'or et les diamans ,
Plutôt qu'à la beauté je cause des alarmes ,
Plutôt que mon départ fasse couler ses larmes.....
C'est à vous , Messala , par des faits éclatans ,
Sur la terre et les mers , de signaler nos armes ,
Et d'orner vos palais d'immortels monumens.
Mais moi , qui dans les fers d'une jeune maîtresse ,
A sa porte attaché , veille et gémis sans cesse ,
Je n'aspirai jamais à la célébrité.
Pourvu qu'on me permette , ô ma chère Délie ,
De passer près de toi le reste de ma vie ,
Qu'importe qu'on me juge avec sévérité ,
Qu'on blâme et ma paresse et mon oisiveté !
Avec toi , je crains peu le travail le plus rude :
Je puis moi- même au joug atteler les taureaux ,
Sur les monts escarpés conduire les troupeaux ,
Du plus affreux désert braver la solitude ;
Et si le soir enfin je t'enlace en mes bras ,
D'un lit dur et grossier je ne me plaindrai pas .
Sans l'amour, sous un dais brillant d'or et de soie ,
Des chagrins dévorans sommes- nous moins la proie !
Le duvet , les tapis , le murmure des eaux ,
A l'amant malheureux rendent- ils le repos ?
Quel est le coeur d'airain qui pourroit à tes cliarmes
Préférer les hasards , la guerre et ses alarmes ?
Dût- il des ennemis forçant les bataillons ,
Au milieu de leur camp planter ses pavillons;
Dût- il , rayonnant d'or , sur son char de victoire ,
Eblouir tous les yeux de l'éclat de sa gloire !
Je veux encor , Délie , en mourant attacher
Sur tes yeux attendris ma paupière tremblante ;
Je veux presser ta main de ma main défaillante.
Tu pleureras alors en voyant mon bûcher ;
Tu pleureras : ton coeur ne pourra s'en défendre.
Tes larmes , tes baisers , réchaufferont ma cendre.
On verra , l'oeil en pleurs , l'amant s'en approcher ;
L'amante en reviendra plus sensible et plus tendre .
De mes mânes , sur- tout , ne trouble point la paix !
Prends garde que tes mains n'offensent tes attraits....
Epargne l'or flottant de cette chevelure ! .....
Délie , en attendant , profitons des beaux jours !
Des Parques , hâtons -nous de prévenir l'injure !
Livrons-nous aux plaisirs , livrons- nous aux amours.
1
Q 2
244 MERCURE DE FRANCE ;
Trop tôt , hélas ! viendra l'âge de la sagesse :
Trop tôt les cheveux blancs et la froide vieillesse
Viendront nous interdire et les ris et les jeux .
En amour , chef habile et soldat courageux ,
Tandis qu'il m'est permis de suivre ses bannières ,
Je me plais à forcer les portés , les barrières.
Loin d'ici les drapeaux , les clairons belliqueux !
Bellone vend toujours ses faveurs meurtrières.
Content de mon destin , je vis exempt de soins ,
Au-dessus des trésors , au-dessus des besoins .
KÉRIVALANT.
L'ATTENTE ,
STANCES.
NYMPHE des bois , déjà les voiles sombres
Ont de l'Olympe embrassé le contour ,
Et l'astre ami du silence et des ombres ,
Te cherche en vain sur la couche d'amour.
Quand du soleil la flamme dévorante
S'évanouit dans un affreux séjour ,
Quand la pâleur de la rose mourante
N'espère plus un seul rayon d'amour ,
Nymphe des bois , quel destin nous sépare ?
Quel Dieu fatal s'oppose à ton retour ?
Oublierois - tu qu'un amant te prépare
Et les baisers et les myrtes d'amour ?
Rappelle - toi cette nuit fortunée
Où , de Diane abandonnant la cour,
Le front paré des fleurs de l'hyménée ,
Tu t'enivrois des voluptés d'amour .
Tu me disois : « Idole de ma vie ,
» Mes yeux éteints se dérobent au jour ;
» Mourons , mourons , et mon ame ravie
» N'exhalera que des soupirs d'amour. »>
Nymphe des bois , déjà les voiles sombres
Ont de l'Olympe embrassé le contour ,
Et l'astre ami du silence et des ombres
1
Te cherche en vain sur la couche d'amour.
Henri TERRASSON ( de Marseille . )
AOUT 1807: 245
VERS
SUR LA MORT D'ÉLÉONORE. ( 1 )
DANS le tombeau repose Eléonore :
La mort de son printemps a moissonné les fleurs ;
Graces , prenez le deuil ! Gémis , lyre sonore !
Et vous , Amours , laissez couler vos pleurs !
Elle n'est plus ! Comme une ombre légère ,
Ses traits charmans s'effacent à nos yeux :
Telle s'enfuit la lueur passagère
De cet éclair qui brille dans les cieux .
Quand sur son front les roses d'hyménée
Devoient du tendre Amour remplacer le bandeau,
Elle s'éclipse , et de sa destinée
Le souvenir se perd dans la nuit du tombeau.
Elle a vécu , la jeune Eléonore ;
De l'Amour qui gémit elle a trompé l'espoir :
Telle une fleur que le Midi dévore
S'incline en pâlissant , et meurt avant le soir.
Tel , à nos yeux terminant sa carrière ,
Ce flambeau dont l'éclat se dissipe et s'enfuit ,
Versant à peine un reste de lumière ,
S'éteint languissamment dans l'ombre de la nuit.
Par M. C. MICHELET.
ENIGME.
L'ARABIE est le lieu dans lequel je suis né;
Nous sommes dix enfans : on me fit , par idée ,
Le plus jeune de tous et le moins fortuné ;
Mais j'éloigne de moi cette triste pensée.
Je suis beaucoup , je ne suis rien ;
3
( 1 ) Cette pièce a été imprimée avec plusieurs erreurs très- graves dans le
dernier Almanach des Muses de 1807. On lui avoit donné pour titre : La
Mort d'Eléonore , conte , et on avoit joint les stances les unes aux autres ;
ce qui faisoit un morceau sans alinéa . Voyez l'Almanach des Muses de
M. Brasseur , page 119. J'ignore si ces fautes viennent des imprimeurs.
ou des éditeurs
3
246 MERCURE DE FRANCE ,
Accompagné , je fais du bien ;
Mais je plains qui m'a seul , il est un pauvre sire ;
Et , s'il m'est permis de le dire ,
Il a toujours un sot maintien .
J'ai pourtant du pouvoir ; dans plus d'une contrée
chacun chez soi me donne entréé.
Je suis connu ,
Le plus riche marchand
M'accueille à bras ouvert , et mon secours implore ,
En cela bien pensant ,
Devenant avec moi dix fois plus riche encore.
Je pourrois ajouter
Que , malgré ma vieillesse ,
L'abbé , le financier , le marquis , la duchesse ,
Me font aussi leur cour ; mais pourquoi m'en vanter?
Rien ne peut m'émouvoir ; je suis toujours le même,
Petit individu
A mine ronde et blême ,
De noir , en général , presque toujours vêtu .
LOGOGRIPHE
EN de certains pays bienheureux qui me porte ,
En France on me respecte , on me craint à la Porte.
J'ai six pieds bien comptés , dont toute la valeur ,
Je puis vous l'assurer , consiste en la couleur :
Si vous les partagez , prenez garde à ma tête ;
Souvent elle épouvante et fait fuir mainte bête.
Si vous la renversez , on la craint dans les eaux ;
En la décapitant, elle est un des métaux.
Quant à ma queue , on la trouve cstimable ,
Selon que plus ou moins elle est considérable.
A mon tout est pendu ce signe précieux ,
Qui , tout ainsi que moi , fait bien des envieux .
CHARADE .
D'UNE Conjonction l'on forme mon premier ;
L'on se vêtit de mon dernier ;
L'on craint la dent de mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Langue.
Celui du Logogriphe est Corniche , où l'on trouve Roch ( Saint ) ,
niche , Nice.
Celui de la Charade est Main-morte.
AOUT 1807 . 247
Mon Séjour auprès de Voltaire , et Lettres inédites que
m'écrivit cet homme célèbre jusqu'à la dernière année de
sa vie ; par Côme- Alexandre Collini , historiographe et
secrétaire intime de S. A. S. l'Electeur Bavaro - Palatin ,
et membre des Académies de Berlin , de Manheim , de
l'Institut de Bologne , etc. Un vol . in- 8 ° . Prix : 5 fr. ,
et 6 fr. 50 c. par la poste. A Paris , chez Leopold Collin ,
libraire , rue Gît- le - Coeur , n° . 4; et chez le Normant .
Nous avons déjà un grand nombre de Mémoires sur la
vie de M. de Voltaire : tous ont été lus avec avidité . Quels
que fussent l'opinion et les principes des lecteurs , ils ont
voulu connoître les détails de la vie d'un homme qui eut un
si grand ascendant sur ses contemporains. On a observé avec
raison qu'une Vie bien faite de M. de Voltaire seroit la
meilleure histoire des erreurs du dix- huitième siècle : cet
ouvrage est encore à faire . Quand on l'entreprendra , les
matériaux ne manqueront pas . Une multitude innombrable
de lettres , des Mémoires écrits sur tous les tons , les relations
qui paroîtront encore ( car peu de personnes ont fait le
voyage de Ferney sans écrire leur journal ) ; enfin , des renseignemens
de toute espèce aideront l'écrivain qui se chargera
de ce travail .
:
L'ouvrage que nous annonçons n'ajoutera presque rien
aux conoissances que nous avons déjà sur cet objet . M. Collini
a été le secrétaire de M. de Voltaire ; il lui a dû sa fortune
la reconnoissance l'a nécessairement empêché de
dire la vérité tout entière , et la probité s'est opposée à ce
qu'il révélât des secrets qu'il devoit à une confiance intime.
Il est vrai qu'à la fin du dix-huitième siècle , on vit paroître
des Mémoires où l'on abusoit des confidences de l'amitié ,
où l'on déshonoroit les femmes , où l'on flétrissoit les maisons
dans lesquelles on avoit été admis , où enfin l'on couvroit
de ridicule , et l'on déchiroit ses bienfaiteurs ; mais
M. Collini , loin de pratiquer ces affreux principes , auxquels
tant de Mémoires particuliers ont dû leur succès , n'a
cherché qu'à faire valoir son héros : il l'a toujours présenté
sous l'aspect le plus favorable ; et s'il n'est point parvenu à
le justifier sur plusieurs points , c'est que la chose étoit
impossible. Nous aurons lieu de remarquer la foiblesse de
ses efforts dans cette partie de son ouvrage .
Quoique la relation de M. Collini ne fournisse que des
4
248 MERCURE DE FRANCE ,
détails peu importans sur la vie de . M. de Voltaire , elle ne
manque cependant pas d'intérêt. L'auteur raconte l'histoire
de sa jeunesse. Avant d'être placé chez M. de Voltaire , il fit
un assez long séjour à Berlin : la manière dont il se produisit
est curieuse à remarquer ; elle peut fournir quelques
traits caractéristiques des moeurs du siècle , et donner une
idée assez juste du traitement qu'éprouvoient à la cour de
Prusse les gens de lettres et les artistes .
M. Collini , appartenant à une famille honnête de Florence
, avoit été destiné au barreau par ses parens . Ses goûts
ne s'accordoient pas avec cette destination : il étoit passionné
pour la littérature . Après avoir achevé ses études à l'Université
de Pise , il étoit sur le point de prendre le degré de
docteur , lorsque son père mourut. Cette perte , en lui causant
beaucoup de chagrin , ne fit qu'augmenter son dégoût
pour un état qu'on avoit voulu lui faire embrasser malgré
fui . Il saisit la première occasion d'y renoncer . Un de ses
amis fort riche alloit faire un voyage en Suisse : il proposa
M. Collini de l'accompagner . Ce dernier , sans prévenir ses
parens , accepta cette offre , et partit avec le dessein de ne plus
paroître dans son pays , où il auroit fallu exercer l'état
d'avocat.
à
Le jeune fugitif s'arrêta à Coire , pour réfléchir au parti
qu'il prendroit. Forcé de vivre avec économie , il quitta une
bonne auberge dans laquelle il s'étoit d'abord logé , pour se
réfugier dans un galetas , où il fut consolé par la société
d'une femme qui venoit plaider en séparation . Quoiqu'elle
parlât une autre langue que M. Collini , ils s'entendirent
bientôt. On verra par la suite que l'auteur avoit beaucoup
de penchant pour les jeunes femmes séparées de leurs maris.
Cependant , la société de cette dame , quoique très-agréable ,
ne calmoit pas l'inquiétude de M. Collini , qui , comme
presque tous ses compatriotes , avoit un esprit d'ordre et de
prévoyance qui ne l'abandonnoit jamais.
La cour de Prusse étoit regardée alors comme l'asile des
lettres ceux qui les cultivoient y faisoient leur fortune ; et
l'exemple d'Algarotti devoit séduire un jeune Italien qui
n'avoit d'autre titre qu'un goût passionné pour la littérature .
M. Collini enthousiasmé de cette idée , mais ne sachant
quels moyens employer pour la mettre à exécution , se
rappela très-heureusement qu'il avoit vu à Florence une
signora dont la soeur , connue sous le nom de la Barberina ,
étoit danseuse de l'Opéra de Berlin , et passoit pour jouir
d'un grand crédit . Il écrivit à cette signora , ainsi qu'à ses
parens. L'une lui envoya une lettre de recommandation
AOUT 1807 .
249
pour la danseuse ; les autres , approuvant son projet , lui
firent passer une lettre-de- change pour les frais de son
voyage. M. Collini alla donc chercher fortune à Berlin .
:
La Barberina le reçut fort bien , et promit de s'occuper
de lui il apprit d'elle les moyens qu'on avoit employés
pour l'attirer en Prusse . Rien de plus singulier que ces
détails : M. de Voltaire n'a fait que les indiquer dans ses
Mémoires .
Mlle Barberina dansoit sur l'un des théâtres de Venise .
Le roi , instruit de ses talens , chargea son ministre de l'engager
pour Berlin . Elle fit une réponse verbale que le
ministre regarda comme un consentement. Cependant la
danseuse vivoit avec un Anglais qui s'opposa tant qu'il le
put à ce projet , et qui vouloit la ramener à Londres . Elle
penchoit pour ce parti , et refusoit de signer son engagement.
Le ministre de Prusse la fit enlever de force , et elle
fut conduite à Berlin par des soldats . Le roi , malgré cette
manière un peu violente d'attirer les talens à sa cour , la
reçut fort agréablement ; et l'un des ministres lui présenta
un engagement où ses appointemens étoient en blanc , et
devoient être fixés par elle. La Barberina eut la modestie
de ne demander d'abord que dix -huit mille livres , et , s'il
faut en croire M. de Voltaire , elle obtint par la suite une
augmentation de quatorze mille livres . Ainsi cette danseuse ,
suivant ce dernier , touchoit à elle seule plus que trois ministres
d'Etat ensemble .
M. de Voltaire arriva alors à Berlin , pour y jouir d'une
faveur aussi grande qu'elle fut courte. Le jeune Florentin
forma aussitôt le projet de s'attacher à un homme si célèbre .
Mais comment parvenir jusqu'à lui ? M. Collini devoit à
une danseuse l'agrément dont il jouissoit à Berlin ; il espéra
qu'une cantatrice pourroit lui procurer ce qu'il desiroit avec
tant d'ardeur. Mlle Astraa , à laquelle il fut présenté , promit
de parler de lui à M. de Voltaire : elle s'acquitta de cette
commission , et parvint , au bout d'un an , à faire recevoir
son protégé en qualité de secrétaire . M. Collini , au comble
de ses voeux , se livra au travail qui lui fut imposé, Ses
principales fonctions étoient de copier des ouvrages commencés
, des pièces fugitives , et d'écrire des lettres sous
la dictée ; dans d'autres momen3 , il lisoit des auteurs italiens
. M. de Voltaire s'occupoit alors du poëme de la Loi
Naturelle, de l'Orphelin de la Chine , du Siècle de Louis XIV,
et du quatorzième chant d'un poëme qu'il n'osoit encore
montrer. M. Collini ne donne aucun détail sur ces différens
ouvrages . Il dit seulement qu'on les lui fit copier plusieurs
250 MERCURE DE FRANCE ,
"
fois. Il parle en même temps du Dictionnaire Philosophique
.
"
« Il faut placer à cette année , dit- il , le projet du Diction-
» naire Philosophique , qui ne parut que long-temps après.
» Le plan de cet ouvrage fut conçu à Postdam ; j'étois
chaque soir dans l'usage de lire à Voltaire , lorsqu'il étoit
» dans son lit , quelques morceaux de l'Arioste ou du
» Bocace . Je remplissois avec plaisir mes fonctions de lec-
» teur , parce qu'elles me mettoient à même de recueillir
» d'excellentes observations , et me fournissoit une occasion
>> favorable de m'entretenir avec lui sur divers sujets . Le
» 28 septembre , il se mit au lit fort préoccupé ; il m'apprit
qu'au soupé du roi , on s'étoit amusé de l'idée du Diction-
>> naire Philosophique ; que cette idée s'étoit convertie en
» un projet sérieusement adopté , que les gens de lettres du
» roi et le roi lui-même devoient y travailler de concert ,
» et que l'on en distribueroit les articles , tels qu'Adam ,
» Abraham , etc. Je crus d'abord que ce projet n'étoit qu'un
badinage ; mais Voltaire , vif et ardent au travail , com-
» mença dès le lendemain . »
»
»
Il est évident que l'idée du Dictionnaire Philosophique
n'avoit été qu'une plaisanterie , car le roi de Prusse n'ordonna
pas de s'en occuper. Mais M. de Voltaire , qui crut
voir dans ce sujet les moyens de tourner en ridicule toutes
les idées religieuses , s'empressa d'y travailler. Cela peut
faire juger avec quelle maturité de réflexion il entreprenoit
ses ouvrages . M. Collini ajoute gravement : « Ce fut
» toujours à cette activité et au libre emploi de son temps
» que nous devons ce nombre prodigieux d'excellens ou-
» vrages , dont une foible partie suffiroit pour établir la
» réputation d'un seul homme. » Il résulte de cette réflexion
que M. Collini regardoit le Dictionnaire Philosophique
comme un excellent ouvrage : l'auteur se contredira bientôt
, quand il dira que M. de Voltaire eut toujours beaucoup
de respect pour les religions établies .
M. Collini ne jouit pas long-temps de la tranquillité qu'il
avoit trouvée à Postdam. Cette cour de philosophes se
divisa ; et la haine la plus violente anima les deux partis l'un
contre l'autre . M. Collini ne rapporte que ce que tout le
monde sait sur les querelles de Maupertuis et de Voltaire.
Le résultat fut la disgrace du dernier ; il commença par
quitter la cour , et obtint ensuite avec beaucoup de peine la
liberté d'aller prendre les eaux de Plombières .
Son fidèle secrétaire le suivit ; ils s'arrêtèrent à la cour de
Gotha , où ils travaillèrent aux annales de l'Empire . M. ColAOUT
1807 . 251
lini paroît avoir eu beaucoup de part à cet ouvrage. De
Gotha, ils passèrent à Francfort , où ils furent arrêtés . Cette
aventure est connue , et M. Collini n'y ajoute que des détails
peu intéressans . Cependant il cite deux traits de violence
, échappés à M. de Voltaire , qui méritent d'être rapportés.
Après avoir obtenu sa liberté , M. de Voltaire aperçut
dans un corridor voisin de sa chambre un homme qui avoit
prêté main-forte pour l'arrêter : il soupçonna qu'on venoit
l'espionner : transporté de fureur , il saisit un pistolet , et se
précipita vers cet homme. M. Collini , heureusement , se
jeta sur M. de Voltaire , et lui retint le bras . Cet emportement
manqua de faire arrêter de nouveau les voyageurs ;
le secrétaire de la ville se chargea de l'affaire , qui n'eut pas
de suite.
L'autre histoire est beaucoup moins tragique ; nous laisserons
parler M. Collini : « Le libraire Vanduren vint un
>>matin présenter un mémoire pour des livres qu'il avoit
> remis à Voltaire treize ans auparavant. Vanduren ne put
» lui parler , et me laissa le compte. Voltaire le lut, et
>>trouva que la somme demandée étoit pour des exem-
> plaires de ses propres oeuvres ; il en fut outré. Le libraire
>>revint dans l'après-dînée ; mon illustre compagnon de
> voyage et moi nous nous promenions dans le jardin de
» l'auberge. A peine aperçoit-il Vanduren , qu'il va à lui
> plus rapidement que l'éclair , lui applique un soufflet et se
>> retire. C'est la seule fois que j'aie vu Voltaire frapper
> quelqu'un, Que l'on juge de mon embarras. Je me trou-
>>vai tout-à-coup seul , vis-à-vis le libraire souffleté. Que
>> lui dire ? Je tâchai de le consoler de mon mieux; mais
> j'étois tellement surpris , que je ne sus rien trouver de
>>plus efficace que de lui dire qu'au bout du compte , ce
>>soufflet venoitd'un grand homme. »
Il est douteux que cette consolation ait eu beaucoup d'effet
sur Vanduren. Il étoit dans la même situation que Sosie ,
lorsque Mercure , après l'avoir battu , lui dit :
Et les coups de bâton d'un Dieu
Font honneur à qui les endure ,
et probablement il répondit à M. de Collini , dans le même
sens que le domestique d'Amphitryon :
Ma foi , monsieur le Dieu , je suis votre valet :
Je me serois passé de votre courtoisie .
M. Collini partagea encore quelque temps la vie errante
de son patron :jouissant de toute sa confiance , il étoit son
252 MERCURE DE FRANCE ,
factotum. Après s'être arrêté alternativement dans plusieurs
endroits de l'Alsace , M. de Voltaire ne pouvant obtenir la
permission de reparoître à Paris , passa dans le pays de
Vaux , où il se fixa . La maison de sur Saint- Jean , qu'il appela
les Délices , devint célèbre sous ce nouveau nom , et les
pélerinages des enthousiastes du philosophe commencèrent .
Mais M. de Voltaire ne jouit pas long-temps du repos qu'il
s'étoit promis ; et ce nouvel orage fut causé par sa faute ,
ainsi que tous ceux dont il avoit souffert jusqu'alors. Le
poëme auquel il avoit travaillé à Berlin alloit paroître ; et
tout annonçoit une persécution d'autant plus redoutable
qu'elle étoit juste .
Le Conseil des Délices décida qu'on enverroit à Paris
M. Collini , pour tâcher de conjurer l'orage dont on étoit
menacé. Il reçut de pleins -pouvoirs , et se mit en route
avec une jeune dame de Florence , très-jolie , et séparée de
son mari. L'auteur passa quelques jours fort agréables ;
mais la dame quitta bientôt son compagnon de voyage pour
se jeter dans le grand monde ; et M. Collini s'occupa librement
de la négociation dont il étoit chargé . Il n'eut pas
beaucoup de peine à réussir plusieurs hommes puissans
protégeoient M. de Voltaire; et cet orage ne fut que pas-
:
sager.
Peu de temps après son retour aux Délices , M. de Col
lini tomba dans la disgrace de M. de Voltaire . Trois causes
décidèrent son éloignement. Madame Denis faisoit une tragédie
à l'insu de son oracle ; M. Collini étoit son confident ;
et les confidences secrètes que ce travail exigeoit donnèrent de
l'humeur à M. de Voltaire . Cette circonstance , dit l'auteur
, ne l'auroit pas obligé de quitter les Délices , si son
étourderie n'y en eût ajouté d'autres plus graves. Comme on
l'a vu , M. Collini avoit un goût particulier pour les femmes
séparées de leurs maris . Une dame qui avoit ce malheur ,
s'étoit retirée à Genève ; M. de Voltaire , protecteur des
belles opprimées , la recueillit chez lui. Le jeune Florentin
en devint amoureux , elle répondit à cette passion ; et leur
liaison ayant été découverte , elle fut obligée de retourner à
Genève. Tout cela n'auroit point encore enlevé à M. Collini
la confiance de M. de Voltaire ; mais un dernier tort
décida sa disgrace. Madame Denis surprit une lettre que le
secrétaire écrivoit à une demoiselle d'une ville voisine ; elle
y étoit nommée , et l'on se permettoit des plaisanteries sur
elle . Irritée de cet outrage , elle demanda à son oncle le
`sacrifice de son indiscret secrétaire : vainement celui-ci chercha-
t-il à obtenir sa grace ; madame Denis demeura inflexiAOUT
1807 . 253
ble , et M. Collini fut obligé de quitter les Délices , sans
perdre cependant l'amitié de M. de Voltaire , qui le récompensa
avec générosité.
La disgrace de M. Collini lui fut avantageuse.Après avoir
étéquelque temps chargé de l'éducation d'un jeune seigneur
autrichien, il eut le bonheur, sur la recommandation de son
ancien patron , d'être placé à une cour d'Allemagne , comme
secrétaire et historiographe ; ce qui lui procura enfin un état
fixe , et lui facilita les moyens de se livrer à son goût pour
les lettres . Les ouvrages qu'il composa alors sont peu connus
; nous n'en avons appris les titres que parla notice qui
précède les Mémoires de M. Collini.
On voit que l'auteur ne donne qu'un petit nombre de
détails intéressans. Il parle trop de lui , et pas assez de
P'homme célèbre qu'il paroît avoir voulu peindre. Il est
plus heureux dans quelques descriptions qui caractérisent
très-bien l'économie fastueuse de M. de Voltaire. Un des
tableaux les plus curieux est celui qu'il fait du théâtre où
le poète essayoit ses pièces. On sait que M. de Voltaire
ne cessoit de s'extasier sur ce théâtre , qu'il en parloit dans
presque toutes ses lettres , et qu'il s'élevoit continuellement
contre la mesquinerie des décorations du Théâtre Français.
Ladescription de M. Collini donnera une idée de lamagnificence
de ce spectacle :
<<Voltaire étoit loin , dit-il , d'apporter aux représen-
>>tations qu'il donnoit lui-même de ses pièces , la pompe
>> qu'il exigeoit des comédiens. Il déclamoit sans cesse contre
>> la mesquinerie de nos théâtres , et les siens étoient même
» au-dessous de la simplicité. Voici la description som-
>> maire de ce qu'il fit arranger à Tourney. Les châssis des
>> coulisses étoient couverts d'oripeau en clinquant et de
>> fleurs de papier ; le fond représentoit des arcades percées
>>dans le mur. Au lieu de frises , on voyoit un drap sur
>>lequel étoit peint en couleur cannelle un immense soleil. >>
Joignez à cela les talens des acteurs , dont quelques-uns
suisses , et vous aurez une idée de ces spectacles si vantés
dans les lettres de M. de Voltaire .
Le volume de M. Collini est grossi d'un grand nombre
de lettres inédites . Presque toutes manquent d'intérêt : on
ne pourroit excepter qu'une correspondance très-courte ,
relative à un point de l'Histoire de Louis XIV , sur lequel
M. Collini ne s'accordoit point avec M. de Voltaire. Les
autres lettres ne roulent que sur des affaires de ménage ,
et ne devoient être considérées que comme des billets
auxquels on n'attache aucune importance. Il est possible
۱
254 MERCURE DE FRANCE ,
d'en juger par cette instruction que M. de Voltairedonnoit
à son secrétaire :
« Il faut que Loup fasse venir du gros gravier , qu'on
» en répande , et qu'on l'affermisse depuis le pavé de la
» cour jusqu'à la grille qui mène aux allées des vignes.
>> Ce gravier ne doit être répandu que dans un espacede la
>> largeur de la grille. Les jardiniers devroient avoir déjà
>> fait deux boulingrins carrés à droite et à gauche de
>> cette allée de sable , en laissant trois pieds à sabler aux
>> deux extrémités de ce gazon , comme je l'avois ordonné....
» Je prie M. Collini de renvoyer les maçons au reçu de ma
» lettre, ils n'ont plus rien à faire ; mais je voudrois que
> les charpentiers pussent se mettre tout de suite après le
» berceau du côté de la brundée. Il faut que les domes
>>tiques aient grand soin de remuer les marronniers , d'en
>>faire tomber les hannetons , et de les donner à manger
>>aux poules. »
Voilà certainement des détails bien peu dignes de la
postérité. Si M. de Voltaire se fût douté que plusieurs
années après sa mort on auroit imprimé de pareilles lettres ,
il est probable qu'il auroit moins pardonné cette indiscrétion
, que quelques torts envers madame Denis.
Nous avons ditque M. Collini faisoit toujours l'apologie
de M. de Voltaire , et qu'il cherchoit à le justifier sur tous
les points. Il est curieux d'examiner comment il s'y prend ,
lorsqu'il parle de l'impiété du philosophe :
« Il parloit avec liberté , dit M. Collini , de la religion
>>dont les ministres l'avoient persécuté ; mais il pensoit que
> l'on doit du respect à toutes celles qui sont autorisées par
» les lois. Il n'aimoit point l'intolérance religieuse , poli-
» tique et littéraire. Sa correspondance avec le cardinalde
>>Bernis , l'abbé Moussinot, l'abbé Prevost , le P. Menou ,
>>prouve qu'il respectoit les ministres des autels lorsqu'ils
» n'étoient pas des instrumens de persécution . S'il passa
» quelquefois les bornes de la prudence , c'est qu'ily fut forcé
> par de misérables querelles , dont il n'étoit jamais le provo-
>>cateur ; si on l'avoit laissé vivre tranquille , il n'auroit
>>jamais écrit cet amas de pièces peu édifiantes. »
Sans nous arrêter à la contradiction qui exista si constamment
entre les écrits de M. de Voltaire , et les principes
que lui suppose ici M. Collini , faisons quelques observations
sur ces ministres des autels pour lesquels il avoit
tant de respect : il n'eut avec le cardinal de Bernis que des
liaisons de société , et dans sa vieillesse il rejeta les salutaires
conseils de ce prélat. On peut voir par leurs lettres impriAOUT
1807 . 255
mées , que le philosophe respectoit l'homme en place , et
non le prêtre. L'abbé Moussinot étoit chargé d'affaires de
M. de Voltaire à Paris ; et ce dernier , loin de le respecter ,
lui donnoit ses ordres très -lestement . L'abbé Prevost n'avoit
d'un prêtre que le nom : il voulut pour de l'argent faire
l'apologie de M. de Voltaire ; mais le philosophe , sans
l'estimer beaucoup , refusa ses services intéressés. Le
P. Menou n'eut de relations avec lui que pour éprouver
ses sarcasmes et ses calomnies . Voilà donc ces ministres des
autels pour lesquels on nous disoit que M. de Voltaire
avoit tant de respect ! Il faut , après cet examen , laisser
M. Collini assurer qu'on suscita à son patron de misérables
querelles , parce qu'on voulut réprimer sa licence
et son impiété ; il faut lui laisser dire que les ouvrages
anti-religieux de l'auteur du Dictionnaire Philosophique
ne sont que peu édifians : on sait à quoi s'en tenir sur
tout cela.
Ces Mémoires sont écrits avec une certaine naïveté d'expression
et de sentiment qui les fait lire sans fatigue. Le style
n'en est pas très-correct ; mais on doit excuser un Italien
qui a passé une grande partie de sa vie en Allemagne , s'il
ne parle point la langue française avec pureté . Le titre de
ce livre le fera rechercher ; et il sera mis au rang de ces
brochures qui amusent un moment , mais qu'on ne lit pas
deux fois. P.
SUR LA PEINTURE.
LES Grecs , à qui nous devons tout , perfectionnèrent la
peinture comme les autres arts , et la portèrent au même
degré d'excellence que la sculpture ; mais le temps , qui a
conservé un grand nombre de statues antiques , ne nous a
laissé aucun monument célèbre des peintres anciens . Nous
n'avons que les productions de quelques décorateurs du dernier
âge ; et cependant ces productions , qui sans doute passoient
alors pour très-médiocres , et qui ne peuvent être
que des copies ou des imitations imparfaites des ouvrages
des grands maîtres , offrent pour la plupart un dessin noble
et correct , de grandes pensées , et des passions bien expri--
mées. Ces qualités sont plus ou moins remarquables dans
les peintures trouvées à différentes époques , telles que celles
des grottes, lesmosaïques de Palestrina , la noce aldobrandine,
les fresques de la pyramide de Cestius , et notamment
256 MERCURE DE FRANCE ,
1
celles d'Herculanum , beaucoup plus nombreuses et plus
variées . Plusieurs de ces dernières font admirer en outre
une vivacité , une fraîcheur de coloris que vingt siècles n'ont
pu altérer , et qui rendent croyable tout ce que les anciens
racontent de l'illusion merveilleuse que produisoient les
tableaux de quelques- uns de leurs grands peintres .
Ilparoît que ce bel art , parvenu à son plus haut degré de
perfection au milieu du siècle d'Alexandre , necessade déclinerdans
les âges suivans; car depuisce temps , jusqu'à l'entier
asservissement de la Grèce par les Romains, et depuis cette
dernière époque jusqu'aux irruptions des Barbares , on ne
trouve aucun nom célèbre dans la peinture. La sculpture ,
plus heureuse , plus encouragée peut-être , produisit , à de
longs intervalles , quelques monumens qui rappelèrent
les beaux temps de l'art. Le groupe du Laocoon est , suivant
Pline , du second siècle de l'ère chrétienne ; et le témoignage
de cet homme célèbre , se trouve confirmé par les observations
des habiles sculpteurs modernes , qui remarquent
dans ces figures , et dans quelques autres également parfaites
d'exécution ( 1 ) , un style moins sévère , un caractère de
formes moins naïf , moins sublime que dans les statues vraiment
grecques , et qui sont en très-petit nombre .
Tout porte à croire qu'à cette dernière époque de la
sculpture , les peintres ne jouissoient depuis long-temps que
de peu de considération , et n'étoient guère employés qu'à
décorer les maisons de campagne et les palais des grands
de Rome. Réduits par de semblables travaux à la partie
mécanique de l'art , éloignés de l'étude de la nature , asservis
aux caprices et au mauvais goût des riches qui les payoient ,
sans espérance et sans amour de la gloire , leur dégénération
dût être rapide ; et les troubles qui ne cessèrent d'agiter
l'Occident , achevèrent de la rendre sans ressource .
Exilés de Rome par les Barbares , les beaux arts se réfugièrent
dans le Bas-Empire , où ils languirent long-temps
au milieu des discordes civiles et des troubles de toute espèce
qui le déchiroient. Cependant , on ne cessa point d'y cultiver
la peinture , puisqu'en 1240 , des peintres grecs , mandés
par le sénat de Florence , la rapportèrent en Italie . Cimabué
(1 ) Par exemple , la Vénus de Médicis , les deux Antinoüs, les deux
Gladiateurs , sont , suivant les habiles connoisseurs , des statues de ce derpier
âge : l'Apollon du Belvédère ne seroit lui-même qu'une copie exécutée
dans ce même temps , et dont le type grec original devont être en bronze.
On ne peut nier que toutes ces conjectures ne soient appuyées de raisonnemens
assez forts , et qui pourroient fournir matière à une dissertation
intéressante.
instruit
AOUT 1807 . 25 LA
SEIN
instruit par leurs leçons , fut le premier qui s'y distingua;
le Giotto fut son disciple , et en forma d'autres . Tous ces
peintres peignirent à fresque et à la détrempe. Ce ne fut
qu'au commencement du quinzième siècle que la découverte
de la peinture à l'huile sembla leur ouvrir une plus
vaste carrière , en leur procurant des moyens nouveaux.
Dans la détrempe et la fresque , les clairs avoient trop
crudité , les bruns n'étoient pas assez vigoureux . L'huile , au
contraire , tempère les clairs , les rend tendres et semblables
à la chair , donne de la force aux bruns et du relief aux figures .
La découverte de cet admirable procédé est due , dit - on ,
à un Flamand , nommé Van-eik ; plusieurs cependant lui
en contestent la gloire . Quoi qu'il en soit , Antoine de Messine
, en 1430 , fut le premier italien qui peignit à l'huile ,
et André Verrochio , en 1460 , se rendit célèbre par un
dessin plus correct et par la grace de ses têtes . Ce dernier
fut maître de Léonard de Vinci et de Perrugin , qui le
devint à son tour de Raphaël , le premier des peintres
romains , et de tous les peintres du monde .
A cette époque la plus brillante pour l'école d'Italie ,
P'école française n'existoit point encore. Les Allemands , plus
heureux , cultivoient déjà la peinture avec succès . Du temps
de Raphaël florissoit Albert Durer , qui mérita son estime
preuve la plus éclatante de ses talens ; Holbein le suivit
de près ; mais ces deux grands hommes ne furent point
remplacés , et ce ne fut que vers la fin du seizième siècle ,
époque de la naissance de l'école française , que l'école flamande
jusque-là obscure et languissante , commença à jeter
de l'éclat .
Ainsi , depuis le siècle de Léon X , jusqu'à celui de
Louis XIII , l'école d'Italie fut sans rivale , et marchant de
succès en succès , ne se vit disputer qu'à cette époque , une
palme qu'on ne put cependant lui arracher. Elle conserva
celte prééminence jusqu'au milieu du siècle dernier , époque
de son entière décadence . Dans le coup d'oeil rapide que
nous avons le projet de jeter sur cette école , ( 1 ) la plus an-
( 1 ) Ce nom générique d'école d'Italie comprend six parties ou pays , qui
tous ont leur nom et un caractère particulier . On distingue l'école
romaine , les écoles florentine , vénitienne , lombarde , napolitaine , gêboise
; mais il est vrai de dire que le même goût se fait sentir dans tous les
buvrages des Italiens , et qu'ils ne se sont distingués que par leur wanière
de peindre. Dans ces six divisions , les quatre premières sont seules rema! -
quables , bien que les deux autres aient produit quelques peintres recommandables
; mais c'est moins l'histoire des peintres que celle de la peinture
dont nous voulons offrir un rapide t bleau .
R
246 MERCURE
DE FRANCE ,
Accompagné , je fais du bien.;
Mais je plains qui m'a seul , il est un pauvre sire ;
Et , s'il m'est permis de le dire ,
Il a toujours un sot maintien .
J'ai pourtant du pouvoir ; dans plus d'une contrée
Je suis connu , chacun chez soi me donne entréé .
Le plus riche marchand
M'accueille à bras ouvert , et mon secours implore ,
En cela bien pensant ,
Devenant avec moi dix fois plus riche encore.
Je pourrois ajonter
Que , malgré ma vieillesse ,
L'abbé , le financier , le marquis , la duchesse ,
Me font aussi leur cour ; mais pourquoi m'en vanter ?
Rien ne peut m'émouvoir ; je suis toujours le même ,
Petit individu
A mine ronde et blême ,
De noir , en général , presque toujours vêtu .
LOGOGRIPHE.
EN de certains pays bienheureux qui me porte ,
En France on me respecte , on me craint à la Porte.
J'ai six pieds bien comptés , dont toute la valeur ,
Je puis vous l'assurer , consiste en la couleur :
Si vous les partagez , prenez garde à ma tête ;
Souvent elle épouvante et fait fuir mainte bête .
Si vous la renversez , on la craint dans les eaux ;
En la décapitant , elle est un des métaux .
Quant à ma queue , on la trouve cstimable ,
Selon que plus ou moins elle est considérable .
A montout est pendu ce signe précieux ,
Qui , tout ainsi que moi , fait bien des envieux .
CHARADE.
D'UNE Conjonction l'on forme mon premier ;
L'on se vêtit de mon dernier ;
L'on craint la dent de mon entier .
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Langue.
Celui du Logogriphe est Corniche , où l'on trouve Roch ( Saint ) ,
niche , Nice.
Celui de la Charade est Main-morte.
AOUT 1807 . 247
Mon Séjour auprès de Voltaire , et Lettres inédites que
m'écrivit cet homme célèbre jusqu'à la dernière année de
sa vie ; par Côme-Alexandre Collini , historiographe et
secrétaire intime de S. A. S. l'Electeur Bavaro- Palatin ,
et membre des Académies de Berlin , de Manheim , de
l'Institut de Bologne , etc. Un vol . in- 8° . Prix : 5 fr. ,
et 6 fr. 50 c . par la poste . A Paris , chez Léopold Collin ,
libraire , rue Gît-le- Coeur , n° . 4 ; et chez le Normant.
Nous avons déjà un grand nombre de Mémoires sur la
vie de M. de Voltaire : tous ont été lus avec avidité . Quels
que fussent l'opinion et les principes des lecteurs , ils ont
voulu connoître les détails de la vie d'un homme qui eut un
si grand ascendant sur ses contemporains. On a observé avec
raison qu'une Vie bien faite de M. de Voltaire seroit la
meilleure histoire des erreurs du dix-huitième siècle : cet
ouvrage est encore à faire . Quand on l'entreprendra , les
matériaux ne manqueront pas . Une multitude innombrable
de lettres , des Mémoires écrits sur tous les tons , les relations
qui paroîtront encore ( car peu de personnes ont fait le
voyage de Ferney sans écrire leur journal ) ; enfin , des renseignemens
de toute espèce aideront l'écrivain qui se chargera
de ce travail.
:
L'ouvrage que nous annonçons n'ajoutera presque rien
aux conoissances que nous avons déjà sur cet objet. M. Collini
a été le secrétaire de M. de Voltaire ; il lui a dû sa fortune
la reconnoissance l'a nécessairement empêché de
dire la vérité tout entière , et la probité s'est opposée à ce
qu'il révélât des secrets qu'il devoit à une confiance intime .
Il est vrai qu'à la fin du dix-huitième siècle , on vit paroître
des Mémoires où l'on abusoit des confidences de l'amitié ,
où l'on déshonoroit les femmes , où l'on flétrissoit les maisons
dans lesquelles on avoit été admis , où enfin l'on couvroit
de ridicule , et l'on déchiroit ses bienfaiteurs ; mais
M. Collini , loin de pratiquer ces affreux principes , auxquels
tant de Mémoires particuliers ont dû leur succès , n'a
cherché qu'à faire valoir son héros : il l'a toujours présenté
sous l'aspect le plus favorable ; et s'il n'est point parvenu à
le justifier sur plusieurs points , c'est que la chose étoit
impossible. Nous aurons lieu de remarquer la foiblesse de
ses efforts dans cette partie de son ouvrage .
Quoique la relation de M. Collini ne fournisse que des
4
248 MERCURE DE FRANCE ,
détails peu importans sur la vie de . M. de Voltaire , elle ne
manque cependant pas d'intérêt . L'auteur raconte l'histoire
de sa jeunesse. Avant d'être placé chez M. de Voltaire , il fit
un assez long séjour à Berlin : la manière dont il se produisit
est curieuse à remarquer ; elle peut fournir quelques
traits caractéristiques des moeurs du siècle , et donner une
idée assez juste du traitement qu'éprouvoient à la cour de
Prusse les gens de lettres et les artistes .
M. Collini , appartenant à une famille honnête de Florence
, avoit été destiné au barreau par ses parens . Ses goûts
ne s'accordoient pas avec cette destination : il étoit passionné
pour la littérature. Après avoir achevé ses études à l'Université
de Pise , il étoit sur le point de prendre le degré de
docteur , lorsque son père mourut. Cette perte , en lui causant
beaucoup de chagrin , ne fit qu'augmenter son dégoût
pour un état qu'on avoit voulu lui faire embrasser malgré
fui. Il saisit la première occasion d'y renoncer. Un de ses
amis fort riche alloit faire un voyage en Suisse : il proposa à
M. Collini de l'accompagner . Ce dernier , sans prévenir ses
parens , accepta cette offre , et partit avec le dessein de ne plus
paroître dans son pays , où il auroit fallu exercer l'état
d'avocat.
Le jeune fugitif s'arrêta à Coire , pour réfléchir au parti
qu'il prendroit. Forcé de vivre avec économie , il quitta une
bonne auberge dans laquelle il s'étoit d'abord logé , pour se
réfugier dans un galetas , où il fut consolé par la société
d'une femme qui venoit plaider en séparation . Quoiqu'elle
parlât une autre langue que M. Collini , ils s'entendirent
bientôt. On verra par la suite que l'auteur avoit beaucoup
de penchant pour les jeunes femmes séparées de leurs maris.
Cependant , la société de cette dame , quoique très-agréable ,
ne calmoit pas l'inquiétude de M. Collini , qui , comme
presque tous ses compatriotes , avoit un esprit d'ordre et de
prévoyance qui ne l'abandonnoit jamais .
:
La cour de Prusse étoit regardée alors comme l'asile des
lettres ceux qui les cultivoient y faisoient leur fortune ; et
l'exemple d'Algarotti devoit séduire un jeune Italien qui
n'avoit d'autre titre qu'un goût passionné pour la littérature .
M. Collini enthousiasmé de cette idée , mais ne sachant
quels moyens employer pour la mettre à exécution , se
rappela très-heureusement qu'il avoit vu à Florence une
signora dont la soeur , connue sous le nom de la Barberina ,
étoit danseuse de l'Opéra de Berlin , et passoit pour jouir
d'un grand crédit. Il écrivit à cette signora , ainsi qu'à ses
parens. L'une lui envoya une lettre de recommandation
AOUT 1807 . 249
pour la danseuse ; les autres , approuvant son projet , lui
firent passer une lettre-de- change pour les frais de son
voyage. M. Collini alla donc chercher fortune à Berlin .
:
La Barberina le reçut fort bien , et promit de s'occuper
de lui il apprit d'elle les moyens qu'on avoit employés
pour l'attirer en Prusse . Rien de plus singulier que ces
détails : M. de Voltaire n'a fait que les indiquer dans ses
Mémoires .
Mlle Barberina dansoit sur l'un des théâtres de Venise.
Le roi , instruit de ses talens , chargea son ministre de l'engager
pour Berlin . Elle fit une réponse verbale que le
ministre regarda comme un consentement. Cependant la
danseuse vivoit avec un Anglais qui s'opposa tant qu'il le
put à ce projet , et qui vouloit la ramener à Londres . Elle
penchoit pour ce parti , et refusoit de signer son engagement.
Le ministre de Prusse la fit enlever de force , et elle
fut conduite à Berlin par des soldats . Le roi , malgré cette
manière un peu violente d'attirer les talens à sa cour, la
reçut fort agréablement ; et l'un des ministres lui présenta
un engagement où ses appointemens étoient en blanc , et
devoient être fixés par elle. La Barberina eut la modestie
de ne demander d'abord que dix-huit mille livres , et , s'il
faut en croire M. de Voltaire , elle obtint par la suite une
augmentation de quatorze mille livres . Ainsi cette danseuse ,
suivant ce dernier , touchoit à elle seule plus que trois ministres
d'Etat ensemble .
M. de Voltaire arriva alors à Berlin , pour y jouir d'une
faveur aussi grande qu'elle fut courte. Le jeune Florentin
forma aussitôt le projet de s'attacher à un homme si célèbre.
Mais comment parvenir jusqu'à lui ? M. Collini devoit à
une danseuse l'agrément dont il jouissoit à Berlin ; il espéra
qu'une cantatrice pourroit lui procurer ce qu'il desiroit avec
tant d'ardeur. Mlle Astraa , à laquelle il fut présenté , promit
de parler de lui à M. de Voltaire : elle s'acquitta de cette
commission , et parvint , au bout d'un an , à faire recevoir
son protégé en qualité de secrétaire . M. Collini , au comble
de ses voeux , se livra au travail qui lui fut imposé. Ses
principales fonctions étoient de copier des ouvrages commencés
, des pièces fugitives , et d'écrire des lettres sous
la dictée ; dans d'autres momens , il lisoit des auteurs italiens
. M. de Voltaire s'occupoit alors du poëme de la Loi
Naturelle, de l'Orphelin de la Chine , du Siècle de Louis XIV,
et du quatorzième chant d'un poëme qu'il n'osoit encore
montrer . M. Collini ne donne aucun détail sur ces différens
ouvrages . Il dit seulement qu'où les lui fit copier plusieurs
256 MERCURE DE FRANCE ,
celles d'Herculanum , beaucoup plus nombreuses et plus
variées . Plusieurs de ces dernières font admirer en outre
une vivacité , une fraîcheur de coloris que vingt siècles n'ont
pu altérer , et qui rendent croyable tout ce que les anciens
racontent de l'illusion merveilleuse que produisoient les
tableaux de quelques-uns de leurs grands peintres .
Il paroît que ce bel art , parvenu à son plus haut degré de
perfection au milieu du siècle d'Alexandre , ne cessa de décliner
dans les âges suivans ; car depuis ce temps , jusqu'à l'entier
asservissement de la Grèce par les Romains , et depuis cette
dernière époque jusqu'aux irruptions des Barbares , on ne
trouve aucun nom célèbre dans la peinture. La sculpture ,
plus heureuse , plus encouragée peut -être , produisit , à de
longs intervalles , quelques monumens qui rappelèrent
les beaux temps de l'art. Le groupe du Laocoon est , suivant
Pline , du second siècle de l'ère chrétienne ; et le témoignage
de cet homme célèbre , se trouve confirmé par les observations
des habiles sculpteurs modernes , qui remarquent
dans ces figures , et dans quelques autres également parfaites
d'exécution ( 1 ) , un style moins sévère , un caractère de
formes moins naïf , moins sublime que dans les statues vraiment
grecques , et qui sont en très-petit nombre .
Tout porte à croire qu'à cette dernière époque de la
sculpture , les peintres ne jouissoient depuis long-temps que
de peu de considération , et n'étoient guère employés qu'à
décorer les maisons de campagne et les palais des grands
de Rome. Réduits par de semblables travaux à la partie
mécanique de l'art , éloignés de l'étude de la nature , asservis
aux caprices et au mauvais goût des riches qui les payoient ,
sans espérance et sans amour de la gloire , leur dégénération
dût être rapide ; et les troubles qui ne cessèrent d'agiter
l'Occident , achevèrent de la rendre sans ressource .
Exilés de Rome par les Barbares , les beaux arts se réfugièrent
dans le Bas-Empire , où ils languirent long-temps
au milieu des discordes civiles et des troubles de toute espèce
qui le déchiroient. Cependant , on ne cessa point d'y cultiver
la peinture , puisqu'en 1240 , des peintres grecs , mandés
par le sénat de Florence , la rapportèrent en Italie . Cimabué
(1 ) Par exemple , la Vénus de Médicis , les deux Antinou , les deux
Gladiateurs , sont , suivant les habiles connoisseurs , des statues de ce dernier
âge : ' Apollon du Belvédère ne seroit lui -même qu'une copie exécutée
dans ce même temps , et dont le type grec original devoit être en bronze.
On ne peut nier que toutes ces conjectures ne soient appuyées de raisonnemens
assez forts , et qui pourroient fournir matière à une dissertation
intéressante.
instruit
AOUT 1807. 25 LA
:
SEINI
T
instruit par leurs leçons , fut le premier qui s'y distingua,
leGiotto fut son disciple , et en forma d'autres . Tous ces
peintres peignirent à fresque et à la détrempe. Ce ne fut
qu'au commencement du quinzième siècle que la découverte
de la peinture à l'huile sembla leur ouvrir une plus
vaste carrière , en leur procurant des moyens nouveaux
Dans la détrempe et la fresque , les clairs avoient trop de
crudité , les bruns n'étoient pas assez vigoureux. L'huile , au
contraire , tempère les clairs , les rend tendres et semblables
à la chair, donne de la force aux bruns et du relief aux figures .
La découverte de cet admirable procédé est due , dit-on ,
à un Flamand , nommé Van-eik ; plusieurs cependant lui
en contestent la gloire. Quoi qu'il en soit , Antoine de Messine
, en 1430 , fut le premier italien qui peignit à l'huile ,
et André Verrochio , en 1460 , së rendit célèbre par un
dessin plus correct et par la grace de ses têtes . Ce dernier
fut maître de Léonard de Vinci et de Perrugin , qui le
devint à son tour de Raphaël , le premier des peintres
romains , et de tous les peintres du monde.
A cette époque la plus brillante pour l'école d'Italie ,
Pécole française n'existoit point encore. Les Allemands , plus
heureux , cultivoient déjà la peinture avec succès . Du temps
de Raphaël florissoit Albert Durer , qui mérita son estime ,
preuve la plus éclatante de ses talens ; Holbein le suivit
de près ; mais ces deux grands hommes ne furent point
remplacés , et ce ne fut que vers la fin du seizième siècle ,
époque de la naissance de l'école française , que l'école flamande
jusque-là obscure et languissante , commença à jeter
de l'éclat .
Ainsi , depuis le siècle de Léon X , jusqu'à celui de
Louis XIII , l'école d'Italie fut sans rivale , et marchant de
succès en succès , ne se vit disputer qu'à cette époque , uné
palme qu'on ne put cependant lui arracher. Elle conserva
cette prééminence jusqu'au milieu du siècle dernier, époque
de son entière décadence. Dans le coup d'oeil rapide que
hous avons le projet de jeter sur cette école , (1) la plus an
(1) Ce nom générique d'école d'Italie comprend six parties ou pays , qui
tous ont leur nom et un caractère particulier. On distingue l'école
romaine, les écoles florentine , vénitienne , lombarde , napolitaine , gêboise
; mais il est vrai de dire que le même goût se fait sentir dans tous les
buvrages des Italiens , et qu'ils ne se sont distingués que par leur wanière
de peindre . Dans ces six divisions , les quatre premières sont seules remarquables
, bienque les deux autres aient produit quelques peintres recommandables
; mais c'est moins l'histoire des peintres que cellede la peinture
dont nous voulons offrir un rapide tableau .
R
258 MERCURE DE FRANCE ,
cienne , la plus féconde , et qui s'est le plus approchée de
Ja perfection . Nous rous bornerons à caractériser , par
quelques traits , les principaux peintres de chacune de ses
divisions , à établir en peu de mots leurs rapports les uns
avec les autres , et les qualités différentes qui les distinguent.
Nous croyons que ce ssoonntt sur-tout ces caractères généraux
qu'il importe de bien saisir pour étudier avec fruit l'histoire
de l'art.
Raphaël fut le chef de l'école romaine : elle reçut de ce
grand homme la sévérité du style , la correction et la pureté
du dessiinn ,, et par ces deux qualités , obtint le premier rang.
E'ève du Perrugin , qu'il avoit bientôt surpassé , il abandonna
tout-à- fait la manière de son maître à la vue des cartons
que Michel-Ange et Léonard de Vinci avoient faits
pour le palais des ducs à Florence. Présenté au pape
Jules II , par le fameux architecte Bramante son parent , il
eut , dès ses premiers pas dans la carrière , une occasion
brillante de développer les dons précieux qu'il tenoit de
l'étude , et plus encore de la nature. Il fut employé à peindre
dans les loges du Vatican , et débuta par l'Ecole d'Athènes ,
composition noble , riche , élégante , où il rassembla les
plus grands personnages de l'antiquité , et semble avoir été
inspiré par cette admirable antiquité , pour la pureté des
contours et la noble simplicité des attitudes . Il donna successivement
la Dispute du Saint-Sacrement , le Mont-Parnasse ,
et se vit bientôt sans maîtres et presque sans rivaux.
en
Jusque-là gracieux , naif , dessinateur correct , élégant ,
il n'avoit point encore la grandeur et la majesté. La vue de
la chapelle que peignoit alors Michel-Ange , développa
lui le germe de ces deux qualités. Il marcha depuis de chefd'oeuvre
en chef-d'oeuvre jusqu'au moment fatal où une mort
prématurée l'enleva aux arts, dont il étoit la merveille, et lors
qu'il s'occupoit de joindre à toutes les parties sublimes qu'il
possédoit déjà la couleur qu'il avoit jusqu'alors négligée. Son
tableau de la Transfiguration , la Sainte-Famille qu'il fit pour
Francois Lor, prouvent qu'il seroit parvenu à exceller également
dans cette partie .
Grace, correction , élégance ( qu'on nous pardonne de le
répéter ) , naïvetédans les expressions , noblesse et naturel
dans les attitudes , choix exquis dans les formes , élévation
dans les pensées , telles sont les qualités que possédoit
Raphaël ; et jamais peintre ne les a offertes réunies à un
degréaussi éminent. Jamais peintre ne connut comme lui
cet heureux mélange des plus belles formes qu'offre la
nature , et des conceptions idéales dont l'antiquité a laissé
AOUT 1807 . 259
les modèles . De ce mélange résulte le beau- composé dont
il a laissé des images qui n'ont point encore été égalées , et
qu'on ne surpassera sans doute jamais. Simple et sublime
dans ses caractères de tête , il est sur-tout admirable dans
celles dës vierges et des vieillards. Ses contours , malgré
leur pureté merveilleuse , semblent tracés avec une facilité ,
nous dirions presqu'une négligence qui répand sur ses compositions
un charme inexprimable. C'est le molle atque
facetumde Virgile , et les tableaux de l'un seront sans doute
aussi difficilement égalés que les vers de l'autre .
L'état de la peinture à cette époque dans toute l'Italie ,
amène naturellement une réflexion devenue triviale peutétre
à force d'être répétée , mais dont la justesse se trouve
confirmée par l'expérience de tous les siècles ; c'est que l'enfance
des arts , généralement longue et débile est toujours suivied'unejeunesse
rapide et brillante.Ade profondes ténèbres
succède tout-à-coup la plus vive lumière : les grands génies
naissent , pour ainsi dire , tous à la fois ; l'art s'élève dans
un moment à la perfection , et son déclin , qui dès-lors commence
insensiblement , n'est séparé de son enfance que
par un court intervalle. Si dans les temps qui suivent ces
époques fameuses , quelques génies heureux en soutiennent
encore la gloire , ils marchent cependant toujours à quelque
distance des premiers modèles,qui ne sont jamais surpassés
: cette vérité est sur-tout sensible dans la renaissance
de lapeinture chez les modernes. Avant même que Raphaël
eût élevél'école romaine au premier rang , Léonardde Vinci ,
Michel-Ange ,jetoient un grand éclat sur celle de Florence,
Léonard de Vinci , qui parut le premier , assujettit la peinture
à des règles certaines , et joignit l'exemple au précepte.
Michel-Ange , qui le suivit de près , fut grand dans
lapeinture , et excella sur-tout dans l'architecture et la sculpture.
Sa peinture est fière et terrible ; mais comme il a
cherché le difficile et le surprenant , plutôt que le noble et
le vrai , elle étonne plus qu'elle ne plaît. Grand anatomiste ,
il affectoit de charger trop les muscles et d'en outrer les
attitudes . S'il n'a pas été le peintre le plus parfait , il fit du
moins paroître le premier ce qu'il y avoit de plus grand
dans cet art : il ouvrit la route à Raphaël .
En même temps que ce grand homme , florissoient déjà
le Giorgion et le Tilien , ces princes de l'école vénitienne
qui surpassa toutes les autres par le coloris . L'école lombarde
, qui fut depuis la plus fameuse et la plus féconde en
peintres excellens , produisit bientôt après le Corrége , le
Primatice , le Polidore : ce Corrége , de qui l'on a dit qu'un
R2
260 MERCURE DE FRANCE ,
Ange sembloit conduire son pinceau ; ce Primatice , dont
le nom doit être cher à la France , à qui il apporta , avec le
Florentin Maître-Roux , le goût romain et les belles traditions
de la peinture !
Ces diverses écoles produisirent des peintres qui succédèrent
à leurs maîtres , et héritèrent d'une partie de leur
gloire et de leurs talens. A Venise , le Véronèse , si magnifique
et si grand ; le Tintoret, si fécond et si énergique ; à
Rome, Jules Romain , fier et correct; le Baroche , gracieux
et doux; Andrea Sacchi , le Feti , qui les suivirent ; a
Florence , André del Sarte , Daniel de Volterre , Maître-
Roux , Pietre de Cortone , etc. Mais ce fut sur-tout dans
l'école lombarde que la peinture brilla d'un éclat plus long
et plus durable. Le goût de cette école , maniéré dans son
origine, fut totalement changé , dans le siècle suivant , par
ce fameux Annibal Carrache , dont le dessin est si correct ,
la couleur si forte , les expressions si passionnées ; et tandis
que les autres écoles quittoient peu à peu la belle carrière
que leur avoient ouverte leurs premiers maîtres , la sienne ,
régénératrice des vrais principes , produisit une foule d'élèves
illustres , qui , pendant une longue suite d'années , furent la
gloire de l'Italie : l'Albane , le peintre des graces ;le Guide ,
qui joignit à cette grace l'élévation et la force , et qui seroit
parfait , si son dessin n'offroit pas un peu de manière ; le
Caravage, moins correct , mais plus énergique encore que
son maître ; le Guerchin , brillant et fécond ; enfin , le Dominiquin
, ce peintre sublime qui ne le cède qu'à Raphaël
pour l'élégance et la correction , et auquel on peut le comparer
pour les caractères et l'expression .
Ce n'est que vers l'époque de cette révolution dans l'école
lombarde , que l'on peut placer la naissance de l'école française
et les beaux temps de celle des Flamands . Albert
Durer et Holbein n'avoient laissé que de foibles héritiers
de leurs grands talens. Une imitation froide et mesquine de
la nature , undessin trivial et souvent incorrect , un pinceau
sec et léché , étoient les caractères de cette école. Cependant
elle avoit produit une suite non interrompue de peintres ,
dont plusieurs s'étoient exercés dans l'histoire : Blomaert
Martin de Vos , Porbus , Rothenamer , Otto-Venius , qui
fut le maître de Rubens , ne furent point des peintres
méprisables . La France , plus tardive , n'avoit eu depuis
François Ir que des peintres de portraits obscurs et médiocres;
et ce ne fut que vers le commencement du dixseptième
siècle , que Vouet et Jean Cousin jetèrent les
fondemens de l'école française , lorsque Rubens étonnoit
AOUT 1807 . 261,
l'Europe par ses chefs-d'oeuvre , et élevoit en France un
monument célèbre à la peinture , dans la fameuse galerie
du Luxembourg .
De l'école de Vouet sortirent bientôt le Brun et le Sueur :
le Brun , génie fécond , brûlant , élevé , et qui , par l'éciat
de ses compositions , obtint la première place dans l'estime
d'un monarque qu'entraînoient également le faste et la
grandeur ; le Sueur , plus correct , plus élégant , plus sage
dans ses pensées , plus sévère dans son style , que l'on
nomme à juste titre le Raphaël de la France , et qui mérita
une place très -près de ce grand homme : génie rare et
sublime , à qui il n'a manqué que de voir l'Italie pour
égaler peut- êire Raphaël , et qui , sans l'avoir vue , a surpassé
, pour le grand goût du dessin et la pureté des draperies
, presque tous ses peintres les plus renommés . Bientôt
la France compta une foule d'habiles artistes ; et Stella , la
Hire , Bourdon , Mignard , Jouvenet , tous contemporains.
et rivaux , contribuèrent à l'ornement et à la gloire du siècle
de Louis XIV.
Cependant , dès le temps de Vouet , la France avoit produit
un homme supérieur à tous ces hommes célèbres , qui
suivit une route nouvelle , et qui , dans la carrière qu'il
s'ouvrit , n'eut ni modèle ni rivaux : on devine que nous
voulons parler du célèbre Poussin . La France se glorifie de
lui avoir donné naissance ; mais l'Italie , qu'il adopta en
quelque sorte pour patrie , et au sein de laquelle il puisa ,
dans une profonde méditation de l'antique, les grandes
qualités qui le distinguent ; l'Italie , à juste titre peut-être ,
le regarde comme un de ses peintres , et l'arrache à notre
école. Il n'en est pas moins l'honneur éternel de son pays ,
le plus profond penseur , le génie le plus dramatique que la
peinture ait produit ; et bien que son exécution ne réponde
pas toujours à la beautéde lapensée, cette pensée , toujours.
si féconde , si poétique , subjugue , entraîne , et fait oublier
ceque son coloris (1 ) a souvent de triste et de faux . Il est à
la peinture ce que Tacite est à l'histoire .
Cette envieuse Italie compte encore parmi ses élèves deux
Français célèbres , et qui florissoient à cette même époque :
le Valentin , qui , séduit par la manière sombre et énergique
(1)Cettecouleur sombre et mélancolique que l'on retrouve dans presque
tous ses tableanx d'histoire , semble être plutôt le résultat d'un système.
qued'une manière fausse de voirla nature ; car ses paysages , où il a excelle
sont aussi adım rables pour la force et la vérité du coloris , que pour la
beauté de l'ordonnance.
:
3
262 MERCURE DE FRANCE ,
du Caravage , l'égala dans les effets , et le surpassa dans le
choix des formes ; le Lorrain , le premier des paysagistes ,
qui réunit dans ses tableaux la magnificence des scènes à
tous les prestiges des effets lumineux , et fut , dans son genre ,
ce que Raphaël avoit été dans le sien.
Tandis que l'école française s'élevoit sous Louis XIV,
les écoles d'Italie déclinoient; et celle des Lombards conservoit
seule de l'éclat sous le Guide et le Dominiquin , qui
vivoient encore. L'ecole flamande , à cette même époque ,
marchoit dans une autre carrière avec un grand succès ; et
sa gloire n'étoit point éclipsée par celle de ses rivales .
Rubens avoit déjà montré dans ses nombreux tableaux
d'histoire tout ce que la fougue du pinceau a de plus extraordinaire
, toutes les richesses du plus éclatant coloris. Fécond
et poétique dans ses pensées , grand dans l'ordonnance ,
brillant d'effetss,, plein dechaleur etde sentiment, il étonne,
il transporte , il entraîne ; on oublie malgré soi l'inconvenance
des costumes , le peu de noblesse des formes , les
incorrections même de son dessin. La toile respire , et commande
l'admiration .
Son école féconde en grands peintres n'en produisit aucun
qui , dans ce genre historique , pût lui être comparé. Gaspard
de Crayer et Jordaens , qui l'approchèrent de plus
près , marchèrent sur ses traces , sans oser s'écarter beaucoup
de sa manière. D'autres furent ses serviles imitateurs.
Vandick, son élève le plus célèbre , peignit cependant l'histoire
avec un grand succès , mais la négligea bientôt pour le
portrait, où ilfut excellent.Dans cegenre, il surpassa tous ceux
qui l'avoient précédé ; et parmi ses contemporains , Rembrandt
seul obtint une renommée égale à la sienne. Tous
deuxatteignirent le vrai par des routes entièrement opposées:
Vandick , par les moyens les plus simples , peignit la nature
dans sa sublime naiveté ; Rembrandt , sombre , énergique ,
là chercha , la saisit dans des situations piquantes , fortes ,
extraordinaires . Il fit un grand pas dans la science du clairobscur
; il offrit des moyens nouveaux aux coloristes , et ,
sous ce rapport , partagea la gloire de Rubens..
:Le goût et la manière de ces grands peintres dut avoir
naturellement une grande influence sur les élèves qui sortirent
de leurs écoles : bien qu'ils eussent vu l'Italie , ils
avoient été peu frappés de ses trésors d'antiquités ; et de
retour dans leur patrie , l'imitation exacte de la nature , souvent
même avec ses défauts , le charme du coloris , la science
des effets, avoient été l'unique objet de leurs études , et le
succès les avoit justifiés. Leurs élèves , la plupart attachés à
AOUT 1807 . 263
leur pays , d'où ils ne sortirent jamais , loin des grands
modèles du style et de la correction du dessin , entraînés
d'ailleurs par l'exemple de leurs maîtres , et par ce charme
inexprimable de la couleur et des effets, se livrèrent sans
réserve à cette imitation naïve et piquante de la nature.
Rien de ce qu'elle produit ne leur parut indigne de leurs
pinceaux; et l'on vit naître , si l'on peut s'exprimer ainsi , la
comédie et la pastorale de la peinture. Les scènes bourgeoises
et rustiques , les foires , les marchés , les danses , les places
publiques , les charlatans , les camps , les flottes , les animaux
, les fleurs , les fruits , enfin ttoout ce qui frappe les
yux fut étalé sur la toile. On avoit jusqu'alors admiré le
coloris éclatant des tableaux d'histoire sortis de cette école ;
dans ces nouvelles compositions , une combinaison plus
savante encore de la couleur et de la lumière , offritdes
effets encoreplus merveilleux. Alors se perfectionna cette
magiedu clair-obscur , cet art industrieux de répandre les
lumières elles ombres, tant sur les objets particuliers quedans
la masse d'un tableau , de manière que sur une superficie
plane , la vue s'enfonce , s'éloigne considerablement , quelquefois
se repose. Tout fut employé pour séduire l'oeil; les
groupes de lumières , le contraste de l'obscurité , les glacis ,
les reflets , lesdemi-teintes , les repoussoires : par un calcul
ingénieux , les clairs et les ombres se prêtèrent un mütuel
secours , et l'on rivalisa avec la nature , de vérité , d'éclatet
de fraîcheur. Une quantité de productions charmantes, fruins
du pinceau le plus précieux et du sentiment le plus exquis ,
sortirent de cette école, et firent les délices des amateurs .
LesBeschëm , les P. Potter, les Teniers , les Gerard-Don
Van-Velde , Wouwermans , et tant d'autres remplirent
l'Europe de leurs compositions aimables et variées .
on ,
Si nous comparons maintenant ces trois écoles entrelles ,
non-seulement nous pourrons saisir les caractères qui les
distinguent les unes des autres , mais encore les causes de
leurs différences. En Italie , une nature plus grande et plus
richê , un ciết plus pur , le développement parfait des
formes humaines , què favorise le climat , et, plus que tout
cela , les trésors de l'antique , durent nécessairement élever
Pame des peintres , leur inspirer un plus grand goût de
dessin , une plus belle ordonnance , des attitudes et des
expressions plus nobles . Telles sont en effet les qualités
dominantes dans cette école, qui cependant a produit de
grands coloristes. Mais il est important de remarquer que
les peintres les plus célèbres par lacorrection du dessin
ceux qui ont le plus négligé la couleur , tandis que ceux qui
sont
4
264 MERCURE DE FRANCE ,
s'y sont livrés , tels , par exemple , que les Vénitiens , des,
sinent moins bien , et n'ont point de style. Il semble , en
effet , que ces deux parties de l'art ne puissent s'allier parfaitement
ensemble , et que l'une doive perdre ce que l'autre
a gagné . Raphaël lui-même dessine moins purement dans
les tableaux où il a cherché la couleur .
Le goût flamand est la nature même , presque sans choix ,
et sans s'embarrasser de l'antique. Une couleur brillante ,
des effets de lumière vraiment magiques , une touche spirituelle
, délicate , précieuse ; voilà ses qualités principales .
Son dessin est généralement lourd , souvent incorrect , surtout
dans les tableaux d'histoire , et manque entièrement
de noblesse. Entraînés par l'imitation, les peintres fłamands
peignent de la nature jusqu'à ses défauts .
On peut dire que le goût français , plus noble que celui
des Flamands , moins élégant que le goût italien , tient le
milieu entre ces deux écoles . Les peintres français sentirent
qu'il ne falloit pas peindre la nature avec ses imperfections ;
mais , trop éloignés des restes de l'antiquité pour pouvoir
Ja rectifier sur ces modèles naïfs et sublimes de la plus belle
nature , ils substituèrent à l'imitation exacte un dessin maniéré
et systématique , qui n'avoit qu'un faux éclat , et qui
perdit bientôt l'école. Le Brun , qui passoit de son temps
pour le plus grand peintre , contribua beaucoup à faire
adopter cette manière fausse et brillante. Le Sueur , beaucoup
moins célèbre , et plus digne de l'être , n'ent point
d'imitateurs , et resta seul attaché aux véritables principes
de l'art.
L'école d'Italie , qui n'avoit cessé de décliner depuis le
coinmencement du dix-septième siècle , s'éteignit entièrement
dans le dix-huitième : Carlo Maratti et Ricci furent
ses derniers peintres que l'on puisse citer. On ne doit pas
oublier cependant Raphaël Mengs , qui vint après eux , et
qui , quoiqu'Allemand de naissance , a étudié en Italie. Ce
peintre , copiste servile et froid , et souvent peu judicieux ,
de l'antique , eut une destinée contraire à celle de beaucoup
de génies , persécutés de leur vivant , et déifiés après leur
mort: il jouit , tant qu'il vécut, de la plus éclatante célébrité ,
fut comparé à ce que la peinture avoit de plus grand , et
vient d'être justement placé par la postérité au rang des
peintres médiocres.
L'école flamande , si florissante , au contraire , tandis que
celle d'Italie languissoit , s'éteignit comme elle , tout-à-coup ,
au commencement du dix - huitième siècle : ses grands
maitres ne laissèrent pas un seul de leurs élèves digne de
AOUT 1807 . 265
leur succéder. L'imitation servile de la touche , de la couleur
et des autres procédés de l'art , devint l'unique objet de leurs
études ; et ces froids élèves se bornèrent à copier les tableaux
de tant de peintres charmans qui n'avoient copié que la
nature.
L'état de misère et de foiblesse dans lequel tomba successivement
l'Italie , explique naturellement la décadence de
son école ; mais il est une autre cause de cette décadence ,
moins apparente , qu'on n'a peut-être pas encore remarquée ,
et qui fut commune aux deux écoles de Flandre et d'Italie :
ce fut l'abondance des chefs -d'oeuvre produits par les grands
maîtres , qui joignoient presque tous une grande fécondité à
L'excellence de leur travail. Ces richesses rendirent dédaigneux
, difficile sur les productions modernes : les peintres
vivans furent négligés , critiqués ; et le génie , sans encouragement
et sans récompense , s'éteignit avant d'avoir pu
se développer .
,
La chute de l'école française , si heureusement régénérée
à la fin du siècle dernier , tient à des causes différentes de
celles que nous venons de présenter. Les chefs de cette école
avoient adopté , comme nous l'avons dit , un goût de dessin
systématique qui n'étoit ni l'imitation naïve des Flamands ,
ni la nature rectifiée par l'antique , telle que l'avoient imitée
les Italiens. Ce système faux et arbitraire avoit l'inconvénient
funeste de ne laisser aux élèves aucun type certain
aucune marche régulière. L'antique ne servant plus de
guide , et la nature telle qu'elle s'offroit paroissant trop
pauvre aux peintres qui les suivirent , chacun d'eux ne
consulta que son caprice dans le caractère des formes qu'il
adopta; et bien que la France , plus opulente , continuâtd'accorder
une protection constante aux arts , la peinture déclina
bientôt d'une manière effrayante : le dessin , plus maniéré
encore sous le pinceau des.Lemoyne , des Coypel , des Subleyras
, devint ignoble et trivial dans l'école des Vanloo et
des Boucher ; et vers les derniers temps de ces hommes malheureusementtrop
célèbres , l'incorrection et la bizarrerie furent
portées àuntelexcèsde ridicule,que les bons esprits commencèrent
à s'en réjouir , jugeant bien que le dégoût etle
mépris que devoient inspirer de semblables travers , ne pouvoient
manquer d'amener une révolution. En effet , sur la
fin du règne de Louis XV , l'afféterie dans les formes , dans
les attitudes , la bizarrerie des costumes et des compositions ,
P'absurde lazzis de la touche avoient amené l'art à un point
de dégradation pire que la barbarie ; et il s'éleva de tous
côtés des cris contre les folies du genre moderne , Alors
266 MERCURE DE FRANCE ,
!
t
parut un homme qui , doué d'un espritjuste etd'un grand
amour pour l'art , osa secouer les entraves du système académique
, étudia l'antique , enfin la règle de ses travaux ; et
bravantlesclameurs et les préjugés de son école , marcha dans
la route abandonnée depuis si long-temps : c'étoit le célèbre
Vien. Il eutde grands succès ; tous les yeux s'ouvrirent , et
la révolution fut rapide. Son école fut la plus suivie; et dèslors
on espéra qu'ily naîtroit quelque heureux talent qui
marcheroit d'un pas plus ferme encore dans la carrière
qu'il venoit d'ouvrir .
Cet espoir a été réalisé ( 1 ) : l'école française , maintenant
la seule florissante , rappelle presque les beaux jours de
celle d'Italie , et offre déjà des noms (2) et des chefs-d'oeuvre
que l'on peut placer auprès de ses plus grands noms et de
ses productions les plus parfaites. Elle parviendra sans doute
au même degré d'excellence et de gloire , si ces maîtres
habiles peuvent persuader à cette jeunesse ardente qui travaille
sous leurs yeux , et que doivent animer leurs exemples
, de mêler à l'étude assidue qu'elle fait de l'antique , un
peu plus d'observation de la nature. L'abus de ce qu'il y a
de plus excellent peut devenir nuisible. Il est un point dans
les choses, en-deçà et au-delà duquel on est également hors
du beau. L'imitation de l'antique poussée trop loin , devient
une copie froide et inanimée; et la nature seule peut répandre
sur les productions des beaux arts la chaleur et la
vie.
Viedu Comte de Munnich , général-feld- maréchal au service
de Russie ; ouvrage traduit librement de l'allemand de
Gérard - Antoine de Halem. AParis , chez H. Nicolle -
et Comp , libraires , rue des Petits - Augustins; et chez
leNormant.
LES Vies des personnages célèbres inspirent ordinairement
un intérêt plus vifque les histoires générales. Celles-ci
ouvrent , à la vérité , une carrière plus vaste au talent de
l'écrivain : c'est là qu'il montrera dans tout son jour cet
esprit d'ordre et de sagacité , ce coup-d'oeil sûr et perçant
qui répand la lumière sur les faits, en montrant les liens
secrets qui les unissent et les rendent dépendans les uns des
-
(1) M. David est élève de M. Vien .
(2) MM. Girodet , Gros , Gérard et Guérin.
AOUT 1807. 267
autres , et qui découvre dans leurs principes les plus cachés
les causes éloignées des révolutions des empires ; c'est là
qu'il développera toutes les richesses d'un style simple avec
noblesse , et brillant sans affectation , qui s'élève sans effort
avec le sujet , et prend successivement le ton et la couleur des
époques qu'il décrit. Mais , quelle que soit l'étendue de
ses talens et la beauté du sujet qu'il aura entrepris de
traiter , il sera presque impossible que la multitude des
événemens ne finisse point par fatiguer quelquefois l'attention
du lecteur : tant de personnages qui se pressent et qui se
succèdent sans cesse , finiront par se nuire mutuellement et
par s'effacer les uns les autres. Obligé de restreindre la place
que chacun doit occuper dans cette longue galerie , àpeine
fui en restera-t-il assez pour les marquer de ces traits distinctifs
, qui seuls peuvent leur donner l'ame et la vie.
La peinture fidelle et énergique des moeurs , des passions
des caractères , voilà sur-tout ce qu'on cherche dans les récits
historiques , et ce qui les rend àla fois attachans et instructifs ;
voilà ce qu'on trouve dans les Vies particulières , bien plus
souvent que dans les grandes histoires. L'écrivain n'ayant à
y mettre en scène qu'un nombre assez borné de personnages,
peut les étudier chacun à loisir, et mettre tous ses soins
à les représenter avec fidélité : de plus , la nature de son
onvrage lui permet de recueillir scrupuleusement une foule
d'anecdotes et de petites maximes, qui sont particulièrement
propres à peindre les moeurs , mais qui paroîtroient minutieuses
et déplacées dans l'histoire générale d'une nation.
Ce sont des détails de ce genre , employés , il est vrai, avec un
goût et un discernement inimitables , qui font tout le mérite
des Vies de Plutarque. Cet écrivain ne peut être comparé aux
grands modèles de l'antiquité , ni pour la force et l'élévation
du style , ni pour la richesse des tableaux , ni pour ces
harangues éloquentes qui forment la partie la plus brillante
de leurs ouvrages. Néanmoins , parce qu'il a excellé à
peindre les caractères et les moeurs , il marche leur égal à
tous , et il est relu plus souvent qu'aucun d'eux. Il y a certaines
histoires générales qu'on ne lit guère d'un bout à
l'autre que parce qu'il faut s'instruire : on revient par goût
aux vies particulières , lors même qu'elles sont foiblement
écrites; et c'est sur-tout de ce genre d'histoire qu'on peut
dire : Historia quoquo modo scripta delectat.
de
Pour que la vie des personnages célèbres soit susceptible
ce degré d'intérêt qui élève nnaaturellement le talent de
l'écrivain , et qui peut même y suppléer quelquefois , il ne
suffit pas qu'ils aient fait de grandes choses ; il faut encore
268 MERCURE DE FRANCE ,
qu'ils se fassent remarquer par quelques-uns de ces traits
singuliers qui rendent un caractère digne d'une étude partculière.
Tels sont sur-tout les homines qui , sortis d'une
condition privée , n'ont dû qu'à eux-mêmes leur élévation
et leur fortune ; ceux dont les succès ont été mêlés de revers ,
et qui d'une grande élévation tombés tout - à - coup dats
l'adversité , ont mesuré toute l'inconstance de la fortune.
Tout cela se trouve dans la vie du comte de Munnich . On
a déjà vu ce grand personnage figurer dans plus d'un ouvrage
connu , particulièrement dans ceux de M. de Rulhière sur
la cour de Russie et sur les révolutions de Pologne ; mais
jusqu'à présent personne n'avoit entrepris d'écrire l'histoire
entièredesa vie : c'est un compatriote de Munnich, M. Gérard-
Antoine de Halem , qui s'est chargé d'élever ce monument à la
gloire d'un homme dont son pays s'honore. Les renseignemens
qu'il a recueillis à ce dessein , soit dans ce pays même ,
soit à Pétersbourg; ceux qu'il a obtenus du comte de Salm ,
gendre du feld-maréchal , sont des garans satisfaisans de la
vérité de sa narration. Je pense donc que le lecteur ne sera pas
faché de trouver ici , d'après cet ouvrage , une esquisse rapide
de la vie d'un homme non moins remarquable par la singu
larité des moeurs et du caractère , que par la carrière brillante
qu'il a remplie.
Burchard-Christophe de Munnich naquit le 9 mai 1685 ,
à Neuenhautorf , village situé environ à trois lieues de la
ville d'Oldenbourg. Son père , après avoir quitté le service
du Danemarck , avec le grade de lieutenant- colonel ,
remplissoit depuis plusieurs années les fonctions d'inspecteurgénéral
des digues des comtés d'Oldenbourg et de Delmenhort.
Il associa de bonne heure son fils à ses travaux : ce
fut à cette école que Munnich puisa ce goût et ce talent pour
les constructions hydrauliques , qui devoit être dans la suite
le principe de sa hautefortune. A l'étude des inathématiques,
auxquelles l'appeloient à la fois ses dispositions et la nature de
ses travaux, le jeune Munnich joignit celle du latin, et surtout
celle de la langue française, qui étoit déjà la langue de
l'Europe. Un voyage qu'il fit en France , à l'âge de 16 ans, lui
donna les moyens de se familiariser avec l'usage de cet
idiome , qu'il cultiva toute sa vie avec une prédilection particulière.
Ce fut en 1702, époque de la guerre de la succession , que
Munnich entra dans la carrière militaire. Il venoit d'être
nommé capitaine-cominandant d'une compagnie au service
du landgrave de Hesse. En cette qualité , il servit successivement
pendant l'espace de dix ans enAllemagne , en Italie , ot
۱
AOUT 1807 . 269
surtout en Flandre , où il assista à la prise de Lille , de
Gand, de Bruges et de Tournay. Il se distingua au sanglant
combat de Malplaquet , et y obtint le grade de lieutenantcolonel.
Il fut aussi blessé dangereusement , et fait prisonnier
à la bataille de Desain. Transporté en France , il y fut
traité avec distinction , et y reçut de tous côtés des préve
nances. Il eut sur-tout occasion de rendre de fréquentes
visites à Fénélon qui l'accueillit avec bonté. Munnich ,
dans sa vieillesse, se plaisoit à rappeler ses relations avec cet
illustre prélat , et conservoit la plus tendre vénération pour
sa mémoire.
2
Rendu bientôt après à la liberté , il retourna à son corps ,
fut fait colonel d'un régiment d'infanterie , et passa en 1716
au service d'Auguste II , roi de Pologne , qu'il quitta en 1721 ,
avec le grade de général-major , pour s'attacher définitivement
à la Russie.
C'étoit à l'époque où Pierre-le-Grand , voulant donner la
vie au colosse qu'il avoit créé , cherchoit partout hors de
ses Etats des hommes dignes d'être associés à ses travaux. Ceux
qui excelloient à la fois dans l'art de la guerre et dans celui
des constructions civiles et militaires , pouvoient voir s'ouvrir
auprès de lui une double source de fortune et de gloire. C'est
àces titres que Munnich , qui avoit imaginé un nouveau système
de fortification ,lui fut présenté , et obtint sur-le-champ
lapromesse de la place d'ingénieur-général , et de lieutenant
général d'infanterie : promesse qui eut son exécution peu de
temps après. Admis à accompagner l'empereurdans les courses
nombreuses auxquelles donnoient lieu son activité habituelle
et le soin qu'il apportoit à l'exécution de ses grands desseins ,
Munnich trouvoit journellement l'occasion de le convaincre
de sa vaste capacité ; mais c'est sur-tout du jour où l'exécution
du canal du lac Ladoga lui fut confiée , que sa faveur
commença à éclipser celle de ses rivaux.
Pour vivifier par l'industrie la ville qu'il avoit fondée , et
en faire le principal entrepôt du commerce de la Russie ,
Pierre ne devoit pas se contenter de faciliter la navigation
de la Nevva ; il falloit encore y faire arriver avec sûreté
les diverses marchandises qui , envoyées de la Perse , d'Astracan
et de Casan , étoient apportées par la rivière de Wolchowa.
Cette rivière se réunissant au lac Ladoga , environ
cent werstes plus haut que la Newa , pour établir entr'elles
une communication sûre et facile , on résolut de faire traverser
le lac par un canal. Cette grande entreprise , que
l'empereur avoit fort à coeur de voir terminée , avoit été
commencée dès 1719 ; mais comme elle ne se poursuivoit
270 MERCURE DE FRANCE ,
pas avec cette célérité qui commande la confiance , et qui est
le garant du succès, il résolut d'en ôter la direction au général
Grégoire Pizarew , à qui elle avoit été confiée d'abord ,
et de la donner à Munnich. Si cette préference combla les
voeux du jeune étranger, elle ne manqua pas non plus de lui
faire d'ardens ennemis , qui s'efforcerent de faire échouer ses
travaux , et de lui ôter une confiance qui leur sembloit une
usurpation. Heureusement , Munnich avoit dans Pierre un
juge éclairé , qui , doué de cette activité qui caractérise
L'homme vraiment fait pour régner , vouloit tout voir par ses
yeux. Les travaux de Munnich eurent son approbation ; et
jusqu'à sa mort , qui arriva en 1725 , il l'honora d'une estime
etd'une amitié qui déconcerta toutes les haines , et qui fit
perdre à l'envie jusqu'à l'espoir de lui nuire.
;
Cette haute faveur se soutint auprès de l'impératrice Catherine
, qui sembloit s'être fait une loi sacrée d'adopter tous les
sentimens de son époux. Elle s'accrutcore sous Pierre II : en
1727, ce prince éleva Munnich au grade de général d'infanterie ;
P'année suivante, il lui décerna le titre de comte de Russie,
et lui confia le gouvernement de Saint-Pétersbourg , de l'Ingrie,
de la Carélie et de la Finlande. Animé par tous ces encouragemens
, Munnich porta tant d'activité dans l'exécution
du canal confié à ses soins , que la navigation en fut ouverte
dès le 12 juin 1728. Dans l'intention de rendre un hommage
éclatant à sa probité autant qu'à ses talens , l'empereur rendit
une déclaration qui le mit à l'abri de toute responsabilité
et de toute reddition de compte : récompense plus rare et
non moins flatteuse que toutes celles qui lui avoient été prodiguées.
L'éclat dont brilleit Munnich s'étoit renfermé jusqu'alors
dans la cour de Pétersbourg. C'est sous le règne de l'impératrice
Anne qu'il attira sur lui les regards de l'Europe.
Cette princesse , en le nominant feld-maréchal-général , avoit
annoncé , dès son avènement au trône, l'estime qu'elle lui
portoit. Cen'est pas qu'il n'eût auprès d'elle deux concurrens
redoutables : l'un étoit Ostermann , qu'il avoit porté par
son crédit à la tête des affaires , et à qui ce crédit étoit devenu
odieux en cessant de lui être nécessaire ; l'autre étoit le fameux
Biren, plus connu encore sous le nom de Biron. Cet obscur
Courlandais, dont la faveur de l'impératrice fit un duc de
Courlande , se montroit d'autant plus jaloux de la faveur dont
il jouissoit , qu'il la sentoit fondée sur des titres moins estimables.
Tous deux fatiguèrent Munnich ; de petites intrigues, qui
peut-être auroient abouti à une rupture ouverte, s'ilsn'avoient
pas cru plus prudent de se borner à l'éloigner de la cour, en le
AOUT 1807 . 271
plaçant à la tête des armées : des amis dévoués ne l'auroient
pas mieux servi .
La première expédition où Munnich fit connoître ses talen's
de général en chef, fut le siége de Dantzick , où s'étoit retiré
Stanislas Leczinski , élu roi de Pologne après la mort d'Auguste
II. On connoît assez les circonstances de ce siége. Les
habitans , après s'être défendus long-temps avec le courage
le plus obstiné , furent enfin obligés d'en venir à une capitulation
; et Stanislas courut les plus grands périls , ens'échappant,
déguisé en paysan. Munuich obscurcit la gloire que lui
acquit cette expédition , par l'acharnement avec lequel il
poursuivit ce malheureux prince,qui vit , dit Voltaire, sa téte
mise à prix dans la ville de Dantzick , dans un pays libre ,
dans sa propre patrie , au milieu de la nation qui l'avoit élu
suivant toutes les lois.
Ce succès n'étoit que le prélude de ceux qui devoient
bientôt signaler les armes de la Russie. Depuis long-temps
cet empire vouloit effacer l'affront qu'il avoit essuyé sur les
bords du Pruth , dans sa dernière guerre contre les Turcs.
Dans cedessein, l'impératrice jeta les yeux sur le vainqueur
de la Pologne. Se frayer à travers la Crimée une route vers
la mer Noire , former un établissement sur cette mer , et de
la menacer les murs de Constantinople; tel fut le vaste plan
qu'onlui donnoit à remplir. Les lignes de Perecop,quidéfendoient
l'entréede la Crimée, emportées de viveforce; l'invasion
et le ravagede cette presqu'île , la prise deBaktschi-Seraï et de
plusieurs autres places , signalèrent la première campagne
qui s'ouvrit en 1736. Celle de l'année suivante ne fut pas
rendue moins gloriense par la prise d'Oczakow, où lesRussos
entrèrent après un assaut des plus meurtriers dont l'histoire
moderne fasse mention. La campagne de 1738 fut moins
heureuse ; mais si , jusque - là , on avoit pu quelquefois
reprocher à Munnich de trop se confier à sa fortune et à la
valeur deses troupes , la dernière campagne , conduite avec
autant de prudence que de hardiesse, amena des succès plus
décisifs , qui mirent le comble àsa gloire. Une marche rapide
et imprévue à travers la Pologne, le porta tout- à - coup
dans la Moldavie : le passage de plusieurs rivières dangereuses
à la vue des ennemis ; leur déroute complète dans
la journée de Stawutschane , la prise de la forteresse de
Choczim , et la fuite de presque tous les Turcs au-delà du
Danube, le laissèrent maître de cette province.Déjà il se flattoit
dela réunir bientôt à laRussie, lorsqu'il apprit quelAutriche,
dont les armes étoient constamment malheureuses , et qu'il
avoit trop indisposé,e en, refusantde concerter sesplans avec
872 MERCURE DE FRANCE ,
elle , venoit de conclure une paix séparée avec la Turquies
Dès - lors , il prévit avec douleur que le fruit de ses exploits
alloit lui échapper , et que sa souveraine ne consentiroit pas
à porter seule tout le poids de la guerre. En effet , dès ce
moment elle ne songea plus elle-même qu'à la paix , qu'elle
signa un mois après l'Autriche. Ce traité ne valut à la Russie
que quelques acquisitions fort peu importantes. Elle ne rentra
dans la place d'Azof qu'en s'engageant à en raser les fortifications
, et n'acquit pas même le droit d'avoir des bâtimens
de commerce soit sur la mer d'Azof, soit sur la mer Noire.
Mais si une campagne si brillante ne produisit pas tous les
avantages qu'on devoit en attendre , la gloire de Munnich
n'en fut pas moins complète. En effet , il avoit montré tous
les talens qui font le grand capitaine : hardi dans ses plans ,
plein de vigueur dans l'exécution , fécond en ressources au
milieududanger; ce qui le distinguoit, c'étoit surtout cette force
de caractère , sans laquelle il n'y a point de grand homme
de guerre . Malheureusement , il n'étoit pas exempt des dé
fauts qui avoisinent cette éminente qualité. Le commandement
, dont les formes auroient souvent besoin d'être adoucies
, étoit chez lui dur et impérieux; et sa sévérité dans le
maintien de la discipline dégénéra quelquefois en cruauté.
Quoiqu'il ne fût pas né sous le triste ciel de la Russie, quoiqu'il
se fût livré de bonne heure à l'étude des sciences et des
arts , qui adoucissent les moeurs , il sembloit avoir dans le
caractère quelque chose de l'apreté sauvage que conservoit
encore le peuple à demi barbare qu'il conduisoit aux combats.:
Le traité signé , Munnich se hâta d'aller jouir de sa gloire
à la cour de sa souveraine. On attendit sa présence pour
publier la paix et pour la célébrer. Il reçut des mains de
l'impératrice une riche épée ; son traitement fut considérablement
augmenté ; et ce qui étoit bien plus important
et bien plus honorable, il fut nommé lieutenant-colonel dư
régiment des gardes Préobraskenski, dont la place de colonel
étoit toujours réservée au souverain.
Munnich retrouva dans Ostermann et dans Biron les mêmes
sentimens d'envie , encore aigris par ses succès; mais il avoit
des droits trop bien acquis à l'estime de l'impératrice pour
qu'ils pussent se flatter de le renverser : ainsi , une apparence
d'union régna entre ces trois hommes , qui s'observoient d'un
oeil jaloux , et qui tiroient leur sûreté de la crainte qu'ils
s'inspiroient mutuellement. Munnich se décida , même dans
une circonstance importante , à servir l'ambition de Biron .
L'impératrice Anne fut atteinte de la maladie dont elle
mourut:
AOUT 1807 .
JEIN
DEPT
DE
mourut. Voulant maintenir la succession dans sa branche ell
avoit marié lanièce de sa soeur, laduchesse de Mecklemtours, 5.
auprince Antoine-Ulric de Brunswick; de ce mariage étoit meen
le prince Iwan , qui étoit encore dans la première enfance.
fut cet enfant, son petit-neveu , qu'elle nomma son successeur
à la couronne , au préjudice de la princesse Elisabeth , fille
dePierre-le-Grand. Par une conséquence naturelle de ce choix,
la régence devoit appartenir à la duchesse de Brunswick
conjointeinent avec son époux. Mais le duc étoit généralementdétesté,
et l'impératrice conservoit toujours son ancienne
foiblesse pour Biron. Munnich flatta cette disposition ; et de
concert avec Ostermann , il fit passer la régence entre les
mains du duc de Courlande. Il sentoit sa supériorité sur ce
favori , et il se flattoit de lui être nécessaire et de régner sous
son nom. Mais quand l'impératrice eut fermé les yeux , il
eut bientôt l'occasion d'être convaincu que Biron ne se souvenoit
plus d'un si grand service. Il reconnut d'ailleurs que
ce favori sans talens ne se soutiendroit pas dans le poste
dangereux où il étoit placé , et que peut-être , pour prévenir
une ruine inévitable il se rapprocheroit de la princesse Elisabeth
: réunion qui seroit infailliblement le signal de la
perte du feld-maréchal. Il résolut donc de prévenir la main
qui alloit le frapper, en faisant rendre la régence à la duchesse
de Brunswick. Cette entreprise n'étoit pas sans danger. Biron
se méfioit d'autant plus du feld-maréchal , qu'il avoit luimême
la conscience de ses mauvais desseins à son égard. La
nuit même fixée par Muhuich pour l'exécution de son projet ,
il fut retenu à souper par le régent, qui,méditant aussi sa perte,
l'accabloit de témoignages d'amitié. On raconte que le duc,
qui étoit rêveur et agité, lui demanda tout-à- coup , au milieu
de la conversation , si dans ses campagnes il avoit jamais
entrepris quelque chose d'important pendant la nuit : à quoi
Munnich, surpris de cette question , répondit sans se déconcerter,
et même en conservant l'espèce de franchise qui faisoit
son caractère , qu'il ne se rappeloit pas d'avoirfait rien d'extraordinaire
pendant la nuit : mais qu'au reste il avoit pour
principe de ne jamais laisser échapper aucune bonne occasion.
Il mit ce principe en usage dès la nuit même. Biron,
surpris dans son sommeil , fut envoyé à Pélim en Sibérie , et
la princesse Anne fut proclamée régente.
Après un tel service , il n'y avoit point de récompenses que
le feld-maréchal n'eût droit d'attendre ; aussi reçut- il beaucoup
de présens , soit en argent, soit en terre , parmi lesquelles
on remarquoit la seigneurie de Wurtemberg en Silésie , que
Biron avoit possédée , et il eut la place de premier ministre en
S
274 MERCURE DE FRANCE ,
chef du conseil intime : mais il nejouit pas long-temps de
cette nouvelle dignité. Ostermann, qui , sous le règne précédent,
avoit exercé cette place sans en avoir le titre, s'obstinoit
à lui disputer une autorité qu'il regardoit comme son bien
propre, et lui suscita mille obstacles : d'un autre côté, la
foiblesse du caractère de la régente lui fit adopter une politique
foible et incertaine quine pouvoit s'accorder avec celle
de Munnich. Tandis que celui-ci signoit une alliance avec le
roi de Prusse, elle promettoit ses secours à l'impératrice
Marie-Thérèse. Plusieurs dégoûts de ce genre forcèrent le
maréchal à offrir sa démission , qui fut acceptée. Mais sa
retraite ne laissa point tranquille la régente , qui , naturellement
timide , redoutoit l'explosion d'un ressentiment qu'elle
sentoit s'être attiré : « La foiblesse, dit très-bien l'historien,
traîne toujours à sa suite la méfiance et quelquefois la dureté...
>>Pour se tranquilliser , elle eût peut- être relégué Munnich en
>> Sibérie, si sa favorite ne l'eût détournée de cette mesure
>>>violente. » Aussi Munnich reconnut-il qu'il n'y avoit plus
pour lui de succès à espérer en Russie, et il sedisposa à retourner
dans sa patrie; mais la princesse Elisabeth ne lui en laissa pas
le temps : elle mit à profit l'insouciance de la régente , qui
fermoit les yeux sur ses projets. Dans la nuit du 25 au 26
novembre 1741 , elle se mità la têted'environ cent grenadiers
de la garde Préobrasenski , et se fit proclamer impératrice.
L'élévation de cette princesse étoit la perte de Munnich ,
qu'elle détestoit : elle nomma un tribunal , composé de ses
ennemis, pour le juger : « On ne fit déposer contre lui ,
>> dit M. de Halem, que quelques simples soldats , vils mer-
» cenaires , qui , pour la plus petite récompense, étoient dis-
»posés à dire tout ce qu'on leur prescriroit. Munnich repré-
>> senta au procureur-général du tribunal l'irrégularité de la
>> procédure ; et, conservant au milieu de cette redoutable
>> séance la mâle fermeté qui fait braver le malheur : « Vous
>> ferez mieux, lui dit-il , d'écrire à ma place les réponses
» qui vous conviendront; je les signerai sans les voir. >> Le
procureur- général eut l'insolence de le prendre au mot ,
Munnich signa ce qu'on lui présenta.
Condamné sur ces prétendus aveux , le vainqueur des
Tarcs parut au pied de l'échafaud avec lamême contenance
qu'il avoit montrée au milieu des batailles. Il écouta sans
changer de visage l'arrêt qui le condamnoit à être écartelé, et
le manifeste impérial qui commuoit cette peine en celle de
l'exil ; et l'impératrice laissant àchacun des condamnés une
graceà demander ,il se borna à solliciter la permissiond'emmener
son chapelain. Il fut envoyé à Pelim , en Sibérie , dans
AOUT 1807 . 275
P'habitation même où il avoit fait envoyerBiron un an auparavant,
et dont , par un raffinement de haine , il avoit donné
Ne plan de sa propre main. Au reste, sans vouloiraffoiblir l'admirationque
doit inspirer son héroïque fermeté, on peut remarquer
enpassantque l'exemple n'en étoitpas nouveau à la courde
Russie. Sous le règne de Pierre II, le prince Menzicoff, descendu
de plus haut encore , avoit supporté son malheur avec la même
résignation. Ces révolutions si fréquentes dans les cours despotiques
, y tombent en général sur des victimes préparées à
leurdisgrace : c'est que ceux qui veulent y suivre la carrière
dangereuse de l'ambition , nignorent pas à quels dangers ils
s'exposent, et regardent l exil ou le supplice comme les chances
malheureuses deleur condition, à-peu-près commeleguerrier
s'attend à être frappé par la mort au milieumême de ses victoires.
Munnich fut rappelé de Pelim par Pierre III , qui succéda à
Elisabeth. Il avoit alors près de quatre-vingts ans. A six lieues
dePétersbourg, il rencontra son fils unique , et sa petite-fil'e
Anne, qu'il n'avoit point encore vue. Cet illustre vieillard ,
dont l'aspect du supplice et un exil de vingt années n'avoient
pu ébranler la constance , s'étonna de verser de douces
larmes en se retrouvant au sein de sa famille. Pierre III , passionné
pour la gloire militaire , reçut avec la considération
qui lui étoit due , le vieux guerrier qui avoit tanthonoré les
armes de la Russie : heureux s'il avoit su mettre à profit ses
sages conseils! Munnich reconnut bientôt que cet imprudent
souverainmarcheit à sa perte; mais il voyoit en luisonbienfaiteur,
et ilaima mieuxs'exposer à tomberavec lui , que de ne pas
ledéfendre jusqu'à la dernière extrémité. Jamais ilne semontra
plusgrand que dans la fatale révolution qui décida du sort dece
malheureux prince. Toujours calme en présence du danger,
et trouvant encore des ressources au moment où tout paroissoit
désespéré , il proposa à Pierre plusieurs partis qui l'eussent
sauvé sans doute, s'il eût eu le courage de les suivre. Enfin, le
voyant prêt à mettre bas les armes sans avoir combattu , il
s'approcha de lui d'un air affligé , et lui demanda s'il ne
savoit pas mourir en empereur : Prenez , lui dit-il , un crucifix
à la main; ils n'oseront vous toucher, et moi je me
charge des dangers du combat. Pierre persista dans sa résolution
, et il alla se jeter dans les mains de ses bourreaux.Dèslors
Munnich n'eut plus qu'à fléchir avec tout le monde
devant la nouvelle souveraine ,et il parut le jour suivant parmi
ceux qui alloient la féliciter : Vous avez voulu combattre
contre moi, lui dit Catherine. - Oui , Madame, répondit-
il; mais c'est à présent mon devoir de combattre pour
Sa
276 MERCURE DE FRANCE ,
votre majesté , et je le remplirai avec le méme dévouement.
Munnich n'étoit plus à redouter : Catherine , voyant tout soumis
à son empire , pouvoit sans risque faire célébrer sa générosité.
Aussi , loin de lui faire un crime de sa reconnoissance
envers celui qui l'avoit rappelé de l'exil , elle le traita avec
une considération particulière , et voulut même employer ses
talens et ses dernières forces au service de l'Empire .
Legoût de cette princesse pour les grandes entreprises la porta
à reprendre les vastes desseins de Pierre-le-Grand : l'un de ceux
que ce prince affectionnoit le plus , étoit la construction d'un
port à Rogerwick , sur la Baltique. La conduite de cet inportant
ouvrage fut confiée à Munnich , qui s'attacha à cette
idée avec enthousiasme. Je ne m'apesantirai point avec son
historien sur les difficultés d'un travail qui doit peu intéresser
aujourd'hui , puisqu'il n'a eu aucun résultat , et n'a jamais été
terminé. Qu'il suffise de dire que si Munnich porta dans cette
entreprise toute l'ardeur d'un jeune homme , il y montra
aussi ce triste égoïsme dont la vieillesse a tant de peine à se défendre
, et qui lui fait attacher une importance exclusive à ses
idées et à ses occupations . Dès ce moment , il importuna
chaque jour l'impératrice de ses lettres et de ses sol icitations ,
il la fatigua de conseils et de remontrances , comme si les
travaux du port Baltique eussent été la seule chose importante
dans le gouvernement de toutes les Russies. Si quelque
chose peut prouver dans Catherine un fonds de bonté naturelle,
c'est que , malgré tant d'importunités , elle ne cessa de témoi
gner à ce vieux maréchal toute la considération à laquelle
ses anciens services et son zèle lui donnoient droit ; et que ,
jusqu'à sa mort, elle saisit toutes les occasions de lui accorder
des distinctions flatteuses. Il rendit le dernier soupir le
16 octobre 1767 , à l'âge de quatre-vingt-quatre ans cinq mois
etsix jours.
Je terminerai cet article par quelques réflexions sur l'ouvrage
que je viens d'analyser. J'ai déjà dit que le récit de M. de
Halem paroissoit devoir inspirer une entière confiance. Je
remarquerai cependant que , dans certains détails, il se trouve
en opposition avec le témoignage de M. de Rulhière. On pense
bien que , dans tous ces cas , le traducteur n'hésite point à se
prononcer en faveur de son auteur ; mais les raisons qu'il en
donne ne paroissent pas toujours très-convaincantes. Rulhière
ayant écrit à Pétersbourg même , a dû y trouver des
informations plus exactes que partout ailleurs. Il est vrai qu'il
est aisé de voir à son style qu'il cherche à briller , et qu'on
peut quelquefois soupçonner son imagination de chercher à
embellir la vérité. Mais d'un autre côté , la partialité de
AOUT 1807 . 277
M. de Halem en faveur de son héros n'est pas moins visible ,
ela pu quelquefois lui faire illusion . Quoi qu'il en soit , ces
différences tombent sur des circonstances assez peu importantes
, pour qu'il soit inutile de chercher à reconnoître de
quel côté peut être l'erreur.
L'exactitude et la bonne foi , qui sont sans doute les premières
qualités d'un historien , ne sont pas les seules qui recommandent
l'ouvrage de M. de Halem. Il raconte avec clarté
et avec élégance; il entre bien dans les divers intérêts de ses
personnages ; il fait souvent sortir du fonds du sujet des réflexions
judicieuses et solides. On doit donc des remercîmens
au traducteur qui nous a fait connoître un ouvrage si intéressant
, d'autant plus qu'en exceptant quelques traces de néologisme
et quelques inadvertances , sa version est en général
élégante et facile. Il dit , dans son Avant-Propos , qu'il a
supprimé quelques longueurs ; cela se croit sans peine : car
⚫ce seroit un vrai phénomène , qu'un ouvrage allemand qui
n'auroit pas besoin d'être abrégé. Il ajoute qu'il a fondu.
dans le texte plusieurs morceaux que l'auteur a rejetés dans
Les notes; et c'est un soin dont on doit encore lui savoir
gré. Les notes favorisent singulièrement la inanie des dissertations
, si générale chez les Allemands. Mais en France le goût
est plus sévère : l'on ne veut point que le fil de la narration soit
àtout moment interrompu, et l'on condamne avec raison.
une méthode trop facile , qui, en épargnant à l'écrivain les
transitions , et en facilitant son travail , augmente beaucoup
celui du lecteur. C.
:
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Au Rédacteur du Mercure de France .
Monsieur ,
Vous avez raison de dire que l'ouvrage annoncé dans le
Journal du 18 juillet , numéro CCCXIII , sous le titre de
Vie de Frédéric II, roi de Prusse , ou Tableau des Evénemens
historiques , militaires , politiques , littéraires , des
Sciences et des Arts , sous le règne de ce prince , par
M. Denina , etc. , n'est pas une nouvelle Vie de Frédéric II ;
mais ce n'est pas non plus un Eloge que j'offre à l'admiration
du public , et une troisième édition que je présente ,
dites-vous , malheureusement un an trop tard. Permettez-
3
278 MERCURE DE FRANCE ,
moi de vous dire , Monsieur, que c'est un ouvrage que j'ai
fait il y a justement vingt ans ; que , depuis la première
publication , je n'y ai plus touché du tout , et que je ne
puis nullement reconnoître cette troisième édition ou contrefaçon
, que débite le libraire Villet , annoncée et critiquée
dans ledit numéro CCCXIII du Mercure de France .
En 1786 , quelques semaines après la mort de Frédéric
II , je lus à l'Académie des Sciences et de Belles-
Lettres de Berlin , un Essai d'Eloge du roi , qui l'avoit
fondée , et qui m'y avoit attaché en qualité d'historien. Cet
Essai ayant trouvé de l'approbation , je me vis engagé à lui
donner plus d'étendue , et à le rédiger de manière qu'il pût
servir de préliminaire aux OEuvres posthumes du roi
auteur , qu'on venoit alors de livrer à l'impression. Je le
fis de mon mieux , profitant non-seulement de ce qui avoit
paru sur ce sujet , mais des notices particulières que je reçus
de personnes respectables qui avoient connu Frédéric II à
différentes époques. Je le livrai aux éditeurs desdites OEuvres
posthumes , qui le publièrent en 1788 , sous le titre d'Essai
sur la Vie et le Regne de Frédéric II. L'ouvrage eut un
prompt succès ; de sorte que les éditeurs le remirent sous
presse dans le cours de la même année 1788 , à mon insu ,
craignant que , si j'en étois prévenu , je n'y fisse des corrections
et des changemens qui en retardassent l'impression
et le débit. On se contenta d'y ajouter , à la tête des pages ,
f'indication des chapitres , dont on ne s'étoit pas avisé auparavant
, et d'exécuter les corrections indiquées dans l'Errata.
On le réimprima , au reste , si conforme à l'édition
précédente , qu'on ne voulut pas même l'annoncer comme
une seconde édition. L'année suivante , l'ouvrage fut traduit
en italien , et imprimé à Venise avec le même titre d'Essai,
etc. Il fut en même temps contrefait à Liége , où l'on
jugea à propos de l'intituler : Nouvelle Vie de Frédéric II.
Loin de donner mon consentement à ce changement de
titre , je n'en fus pas seulement prévenu , et je n'en ai eu
connoissance qu'après le fait. J'en ai été vraiment fâché ,
parce que le titre d'Essai demandoit moins de détails , moins
de profondeur , et me dispensoit sur-tout de relever des
particularités qui pouvoient représenter le monarque philosophe
et auteur sous un aspect moins favorable.
Mon intention étoit sans doute d'en dire plutôt du bien
que du mal; mais je n'ai pourtant pas dissimulé ce qui
n'étoit pas louable dans ses actions , ses écrits et ses principes.
Je me suis sur cela plus clairement expliqué dans le
sixième volume de mon Histoire des Révolutions de l'AlleAOUT
1807 . 279
magne, imprimée à Florence en 1804, et qui se trouve à
Paris chez le libraire Fantin. Dans la Prusse Littéraire , qui
devoit servir , et servit en effet de continuation à l'Essai sur
sa Vie et son Règne , dont il est ici question , dans l'article
Frédéric II , tom. 2 , pag. 61-85 , en considérant ce
roi comme philosophe et auteur , j'en parle avec lamême
liberté avec laquelle j'ai parlé de Maupertuis , de Wolf, de
Kant , de Klopstack , et des autres écrivains de son temps.
C'est aussi dans ce dernier ouvrage (1) , plutôt que dans
l'Essai précédent , qu'on trouve un tableau des événemens
politiques, littéraires , des sciences et des arts , qu'annonce
lefrontispice appliqué à une contrefaçon sortie des presses
d'un libraire-imprimeur de Liége en 1789 , et qu'on débite
à présent comme une édition de l'année courante 1807.
Au reste , je vois , Monsieur , avec une sorte de satisfaction
que le dernier chapitre de cette Vie de Frédéric II ,
divisé en hult paragraphes , pag. 346-408 , contenant des
réflexions sur son caractère et son administration , vous a
parumieux écrit que les chapitres précédens : comme c'étoit
làlepremierouvrage que j'écrivois en français , àl'exception
de trois ou quatre Mémoires académiques , et de quelques
Lettres sur le progrès des arts , il étoit naturel que , dans la
continuation du travail , le style eût acquis plus de facilité
ou de précision , car je puis vous assurer qu'aucune main
étrangère n'a écrit ce morceau , etque, quel qu'il soit , il est
totalement de moi.
J'ai l'honneur d'être , etc.
NOUVELLES POLITIQUES.
PAR , vendredi 7 août
DENINA.
Le 2 de ce mois , à onze heures , le corps diplomatique
s'est rendu au palais de Saint-Cloud, a été conduit à
l'audience de l'EMPEREUR et Ror, par les maîtres et aides des
cérémonies , dans les formes ordinaires, et introduit auprès
de S. M., par S. Exc. le grand-maître. Acette audience ont
été présentés à S. M. ,
Par S. Ex . M. l'ambassadeur d'Autriche : M. le comte de
Mier , chambellan attaché à l'ambassade.
(1 ) La Prusse Littéraire , on Histoire abrégée de la plupart des
Auteurs , des Académiciens et des Artistes qui sont nés, ou qui ont
vécu dans les Etats prussiens , depuis 174 jusqu'à 1786 , par ordre
alphabétique.
4
280. MERCURE DE FRANCE ,
A
Par S. Exc. M. l'ambassadeur de Portugal : M. de Souza
Rothelho , M. Carvalhal , M. Ferrao .
- Par S. Ex. M. l'ambassadeur d'Espagne : M. le chevalier ..
de Los-Rios , gentilhomme de la chambre , et colonel au service
de S. M. T. C.; M. Camille Los-Rios , secrétaire d'ambassade
en Portugal.
Par S. Ex . M. le ministre de Wurtemberg : M. de Vrolle ,
secrétaire de légation. 1
Par S. Exc. M. le grand-maître des cérémonies : M. de
Vandeden , chambellan de S. M. le roi de Hollande, ministre
près du roi de Naples ; M. de Renesse , brigadier-écuyer de
S. M. la reine de Hollande.
Après cette audience , l'Institut en corps a été introduit
auprès de S. M.: M. Bervic , président de ce corps , a porté
la parole. L'EMPEREUR a accueilli avec bienveillance les
hommages des meinbres de l'Institut , et s'est entretenu longtemps
avec eux. (Moniteur. )
Le 15 août , à onze heures du matin , S. M. PEMPEREUR
se rendra à l'église de Notre- Dame. Le soir, le
palais et le jardin des Tuileries seront illuminés. A neuf
heures , il y aura concert sur la terrasse , et cercle dans les
appartemens. Le 16 , à cinq heures après midi , S. M. se
rendra au Corps législatif. Le soir , le palais des Tuileries
et le jardin seront illuminés comme le jour précédent , et it
y aura cercle , concert et ballet dans les appartemens
-M. Barente, auditeur du conseil d'Etat, est nommé souspréfet
de Bressuire ( Deux-Sèvres ).
-M. Joseph Gauthier , ex-membre du corps législatif, est
nommé sous-préfet de Brives ( Corrèze ).
-La commission militaire extraordinaire , séant'à Turin ,
département du Pô , réunie d'après un arrêté de M. le général
Menou , commandant - général , etc. etc. des départemens
au-delà des Alpes , a prononcé , dans le courant de juillet , sur
un délit d'une espèce nouvelle en matière de conscription. La
commission a reconnu que les nommés Prever et Castellar ,
habitans de la ville de Turin , avoient accaparé une grande
quantité de remplaçans pour le département du Pô , et les,
avoient nourris à leurs propres frais dans des maisons particulières
, pour les vendre ensuite à haut prix , aux couscrits qui
voudroient se faire remplacer dans le service militaire . La
commission a déclaré que ce commerced'hommes étoithonteux,
immoral et contraire à toutes les lois , et elle a condamné ceux
qui faisoient ce trafic , à un an d'emprisonnement et à2,500fr.
d'amende , ainsi qu'aux frais de la procédure. Il résulte de ce
AOUT 1807 . 284
commerce , que tel remplaçant ne reçoitqu'une somme trèspeu..
considérable , tandis que l'intermédiaire entre lui et le
remplacé , en reçoit une très-forte ; ce qui est toujours au
détriment des peuples. (Moniteur. )
-Une députation du sénat , à la tête de laquelle étoient
S. Ex. le président , M. Lacépède , et les deux préteurs ,
M. le maréchal duc de Dantzick , et M. Clément de Ris , s'est
rendue le 5 à Saint-Cloud pour complimenter S. M. le
roi de Westphalie. Une députation du tribunat a été ensuite
admise à l'audience de S. M.
1
;
Statut constitutionnel du Duché de Varsovie.
Titre Ier.
Art. I. La religion catholique , apostolique et romaine est
la religion de l'Etat.
II Tous les cultes sont libres et publics.
III. Le duché de Varsovie sera divisé en six diocèses ; il y
aura un archevêché et cinq évêchés .
IV. L'esclavage est aboli ; tous les citoyens sont égaux
devant la loi ; l'état des personnes est sous la protection des
tribunaux .
Tit. II. Du Gouvernement.
V. La couronne ducale de Varsovie est héréditaire dans la
personne du roi de Saxe , ses descendans , héritiers et surcesseurs
, suivant l'ordre de succession établi dans la maison de
Saxe.
,
VI. Le gouvernement réside dans la personne du roi. Il
exercedans toute sa plénitude les fonctions du pouvoir excutif.
Il a l'initiative des lois .
VII. Le roi peut déléguer à un vice-roi la portion de son
autorité qu'il ne jugera pas à propos d'exercer immédiatement.
VIII. Si le roi ne juge pas à propos de nommer un viceroi
, il nomme un président du conseil des ministres. Dans ce.
cas, les affaires des différens ministères sont discutées dans le
çonseil , pour être présentées à l'approbation du roi .
IX. Le roi convoque , proroge et ajourne l'assemblée de la
diète générale. Il convoque également,les diétines ou assemblées
de district , et les assemblées communales. Il préside le
sénat lorsqu'il le juge convenable.
X. Les biens de la couronne ducale consistent : 1º dans un
revenu annuel de sept millions de florins de Pologne, moitig
282 MERCURE DE FRANCE ,
en terres ou domaines royaux , moitié en une affectation sur
le trésor public; 2°. dans le palais royal de Varsovie et le palais
deSaxe.
Tit. III. Des Ministres - et du Conseild'Etat.
XI. Le ministère est composé comme il suit : un ministre
delajustice, un ministre de l'intérieur etdes cultes , un ministre
de la guerre , un ministre des finances et du trésor , un
ministre de la police. Il y a un ministre secrétaire d'Etat. Les
ministres sont responsables.
XII. Lorsque le roi a jugé à propos de transmettre à un
vice-roi la portion de son autorité qu'il ne s'est pas immédiatement
réservée , les ministres travaillent chacun séparément
avec le vice-roi.
XIII. Lorsque le roi n'a pas nommé de vice-roi , les ministres
seréunissent en conseil des ministres, conformément à
ce qui a été dit ci-dessus , art. VIII .
XIV.Le conseil d'Etat se compose des ministres. Ilse réunit
sous la présidence du roi , ou du vice-roi, ou du président
nommé par le roi.
XV. Le conseil d'Etat discute , rédige et arrête des projets
de loi ou les règlemens d'administration publique , qui sont
proposés par chaque ministre pour les objets relatifs à leurs
départemens respectifs.
XVI. Quatre maîtres des requêtes sont attachés au conseil
d'Etat , soit pour l'instruction des affaires administratives et
de celles dans lesquelles le conseil prononce comme cour
de cassation , soit pour les communications du conseil avec
les commissions de la chambre des nonces.
XVII. Le conseil d'Etat connoît des conflits de juridiction
entre les corps administratifs et les corps judiciaires , du
contentieux de l'administration , et de la mise en jugemeat
des agens de l'administration publique. 71
XVIII. Les décisions , projets de loi , décrets et règlemens
discutés au conseil d'Etat , sont soumis à l'approbation du roi.
Tit. IV. De la Diète générale,
XIX. La diète générale est composée de deux chambres ,
savoir : la te chambre ou chambre du sénat ; la 2º chambre ,
ou chambre des nomces.
XX. La diete générale se réunit , tous les deux ans , à
Varsovie , à l'époque fixée par l'acte de convocation émané du
roi. La session ne dure pas plus de quinze jours.
XXI . Ses attributions consistent dans la délibération de la
loi des impositions , ou loi des finances, et des lois relatives
AOUT 1807 . 283
:
aux changemens à faire, soit à la législation civile , soit à la
législation criminelle , soit au système monétaire.
XXII. Les projets de lois rédigés au conseil d'Etat sont
transmis à la diète générale par ordre du roi , délibérés à la
chambre des nonces au scrutin secret et à la pluralité des
suffrages , et présentés à la sanction du sénat.
Tit. V. -Du Sénat.
XXIII. Le sénat est composé de dix-huit membres , savoire
six évêques , six palatins , six castellans.
XXIV. Les palatins et les castellans sont nommés par le
roi. Les évêques sont nommés par le roi et institués par le
Saint-Siége.
XXV. Le sénat est présidé par un de ses membres,nommé
à cet effet par le roi.
XXVI . Les fonctions des sénateurs sont à vie.
XXVII. Les projets de lois délibérés à la chambre des
nonces, conformément à ce qui est dit ci-après , sont transmis
à la sanction du sénat.
XXVIII. Le sénat donne son approbation à la loi , si ce
n'est dans les cas ci-après : 1°. Lorsque la loi n'a pas été délibéréedans
les formes prescrites par la constitution , ou que
la délibération aura été troublée par des actes de violence ;
2°. lorsqu'il est àsa connoissance que la loi n'a pas été adoptée
par la majorité des voix ; 5°. lorsque le sénat juge que la
loi est contraire , ou à lasûreté de l'Etat, ou aux dispositions
du présent statut constitutionnel.
XXIX. Dans le cas où , par l'un des motifs ci-dessus , le
sénat a refusé sa sanction à une loi, il investit le roi , par une
délibération motivée , de l'autorité nécessaire pour annuller
ladélibération des nonces.
XXX. Lorsque le refus du sénat est motivé par l'un des
deux premiers cas prévus par l'art. XXVIII , le roi , après
avoir entendu le conseil d'Etat , peut ordonner le renvoi du
projet de loi à la chambre des nonces , avec injonction de
procéder avec régularité. Si les mêmes désordres se renouvellent,
soitdans la tenue de l'assemblée, soit dans les formes
de la délibération , la chambre des nonces est par cela même
dissoute , et le roi ordonnede nouvelles élections.
XXXI. Le cas de la dissolution de la chambre des nonces
arrivant , la loi des finances est prorogée pour une année, et
les lois civiles ou criminelles continuent à être exécutées sans
modification ni changement.
XXXII. Lorsque le sénat a refusé sa sanction à une loi ,
le roi peut également , et dans tous les cas , nommer de nouveaux
sénateurs, etrenvoyer ensuite la loi au sénat. Néanmoins
284 MERCURE DE FRANCE ,
:
le sénat ne peut se trouver composé de plus de six évêques,
douze palatins et douze castellans.
XXXIII. Lorsque le roi a usé du droit établi par l'article
ci-dessus, les places qui viennent à vaquer dans le sénat parmi
les palatins etles castellans , ne sont pas remplies jusqu'à ce
que le sénat soit réduit au nombre fixé par l'article XXIII .
XXXIV. Lorsque le sénat a donné son approbation à une
loi, ou que le roi, nonobstant les motifs de la délibération du
sénat, en a ordonné la promulgation, ce projet est déclaré loi
et immédiatement obligatoire
Tit. VI . De la chambre des Nonces .
XXXV. La chambre des nonces est composée : 1º, De soixante
noncesnommés par les diétines ou assemblées des nobles
de chaque district , à raison d'un nonce par district. Les nonces
doivent avoir au moins 24 ans accomplis, jouir de leurs droits,
ou être émancipés. 2°. De quarante députés des communes.
XXXVI. Tout le territoire du duché de Varsovie est partagé
en quarante assemblées communales , savoir : huit pour
la ville de Varsovie , et trente-deux pour le reste du territoire.
XXXVII. Chaque assemblée communale doit comprendre
au moins six cents citoyens ayant droit de voter.
XXXVIII. Les membres de la chambre des nonces restent
en fonctions pendantneufans. Ils sont renouvelés par tiers tous
* les trois ans. En conséquence , et pour la première fois seulement
, un tiers des membres de la chambre des nonces ne restera
en fonctions que pendant trois ans , et un antre tiers pendant
six ans. La liste des membres sortant à ces deux époques ,
sera formée par le sort.
XXXIX. La chambre des nonces est présidée par un maréchal
choisi dans son sein et nommé par le roi.
XL. La chambre des nonces délibère sur les projets de lois,
qui sont ensuite transmis à la sanction du sénat.
XLI. Elle nomme à chaque session , au scrutin secret et à
lamajorité des suffrages, trois commissions composées chacune
de cing membres, savoir : commission des finances ; commissiondelégislation
civile ; commission de législation criminelle.
Le maréchal-président de la chambre des nonces , donne
communication au conseil d'Etat , par un message , de la
nomination desdites commissions..
XLII. Lorsqu'un projet de loi a été rédigé au conseil
d'Etat , il en est donné communication à la commission que
P'objet de la loi concerne , par le ministre du département
auquel cet objet est relatif, et par l'intermédiaire des maîtres
des requêtes attachés au conseild'Etat. Si la commission a des
AOUT 1807 . :
285
observations à faire sur le projet de loi , elle se réunit chez
ledit ministre. Les maîtres des requêtes chargés de la communicationdu
projet de loi , sont admis à ces conférences .
XLIII. Si la commission persiste dans ses observations , et
demande des modifications au projet de loi , il en est fait
rapport par le ministre au conseil d'Etat. Le conseil d'Etat
peut admettre les membres de la commission à discuter dans
son sein les dispositions du projet de loi qui ont paru susceptibles
de modifications.
XLIV. Le conseil d'Etat ayant pris connoissance des observations
de la commission , soit par le rapport du ministre ,
soit par la discussion qui aura eu lieu dans son sein , arrête
définitivement la rédaction du projet de loi , qui est transmis
chambre des nonces àla poury être délibéré.
XLV. Les membres du conseil d'Etat sont membres nés de
la chambre des nonces. Ils y ont séance et voix délibérative.
XLVI. Les membres du conseil d'Etat et les membres de
la commission des nonces ont seuls le droit de porter la parole
dans la chambre , soit dans le cas où le conseil et la commission
sont d'accord sur le projet de loi , pour en faire ressortir
les avantages , soit en cas de dissentiment , pour en relever
ou combattre les inconvéniens. Aucun autre membre ne peut
prendre la parole sur le projet de loi .
XLVII. Les membres de la commission peuvent manifes
ter leur opinion individuelle sur le projet de loi , soit qu'ils
aient été de l'avis de la majorité de la commission, soit que
leur opinion ait été celle de la minorité. Les membres du
conseil d'Etat, au contraire , ne peuvent parler qu'en faveur
du projet de loi arrêté au conseil.
XLVIII. Lorsque le maréchal-président de la chambre
des nonces juge que la matière est assez éclaircie , il peut fermer
ladiscussion et mettre le projet de loi en délibération. La
chambre délibère en scrutin secret et à la majorité absolue
des suffrages.
XLIX. La loi ayant été délibérée , la chambre des nonces
la transmet aussitôt au sénat.
Tit. VII. - Des Diétineset Assemblées communales .
L. Les diétines ou assemblées de district , sont composées des nobles ,
du district .
LI. Les assemblées communales sont composées de citoyens propriétaires
non nobles , et des autres citoyens qui auront droit d'en faire
partie , comme il sera dit ci-après .
LII. Les diétines etles assemblées communales sont convoquées par
le roi. Le lieu , le jour de leur réunion , les opérations auxquelics elles
doivent p océder et la durée de leur session , sont exprimés dans les
lettres de convocation .
286 MERCURE DE FRANCE ,
LIII. Nol ne peut être admis à voter s'il n'est âgé de 21 ans accomplis,
s'il ne jouit de ses droits , ou n'est émancipé. L'émancipation pourra
désormais avoir lieu à at ans , nonobstant toutes lois et usages contraires .
LIV. Chaque diétine , ou assemblée de district , nomme un nonce, ct
présente des candidats pour les conseils de département et de district ,
et pour les justices de paix.
LV. Lesdiétines sont présidées par un maréchd nommé par le roi.
LVI. Elles sont divisées en dix séries , chaque série est composée de
districts séparés les uns des autres par le territoire d'un ou plusieurs
districts. Deux séries ne peuvent être convoquées en même temps.
LVII. Les députés des communes sont nommés par les assemb'ées
communales. Elles présentent une liste double de candidats pour les
conseils municipaux,
LVII. Ont droit de voter dans les assemblées communales : 1 °. Tout
eitoyen propriétaire non noble ; 2º. tout fabriquantet chef d'atelier ,
tout marchand ayant un fonds de boutique , ou magasin équivalent à un
capital de 10,000 florins de Pologne ; 3°, tous les curés et vicaites ;
4.tout artiste , et citoyen distingué par ses talons , ses connoissances ,
oupar des services rendus , soit au commerce , soit aux arts ; 5°. tout
sous-officier et soldat qui , ayant reçu des blessures ou fait plusieurs
campagnes , auroit obtenu sa retraite; 6º tout sous officier ou soldat en
activitéde service ayant obtenu des distinctions pour sa bonne conduite ;
7°. les officiers de tout grade. Lesdits officiers , sous-officiers et soldats ,
actuellement en activité de service , qui se trouvero ent en garnison dans
la ville où l'assemblée communale seroit réunie, ne pourroient jouir, dans
ce cas seulement , du droit accordé par le présent article. 1
LIX. La liste des votans propriétaires est dressée par la municipalité ,
et certifiée par les receveurs des contributions . Celle des curés et vicaires
estdresséepar le préfet , et visée par le ministre de l'intérieur. Celle des
officiers , sous-officiers , soldats , désignés dans l'article ci-dessus , est
dresséeparle préfet , et visée par le ministre de a guerre. Celle des fabricans
et chefs d'ateliers et des marchands ayant un fonds de boutique ,
magasinou établissemens de fabrique d'un capital de 10,000 flor. de Pologne,
et celledes citoyens distingués par leurs talens, leurs connoissance's et des
services rendus , soit aux sciences , aux arts , soit au commerce , sont dressées
par le préfet, et arrêtées chaque année par le sénat. Les citoyens quise
touvent dans le dernier des cas énoncés ci-dessus , peuvent adresser directement
leur pétition au sénat , avec les pièces justificatives de leurs
demandes.
LX. Le sénat , dans tous les cas où il y a lieu de soupçonner des abus
dans la fomation des listes , peut ordonner qu'il en soit formé de nouvelles.
LXI. Les assemblées communales ne peuvent être convoquées en même
temps, dans toutel'étendue d'un district . Il y aura toujours un intervalle
de huitjours entre la réunion de chacune d'elles , à l'exception néanmoins
de celles de la ville de Varsovie , qui peuvent être convoquées enmême
temps , au nombrede deux seulement.
LXII . Les assemblées communales sont présidées parun citoyennommé
parleroi.
LXIII. II ne peut y avoir lieu , dans les diétines et dans Ics assemblées
communales , à aucune discussion de quelque nature qu'elle puisse
être, à aucune délibération , de pétition, ou de remontrance. Elles ne
doivent s'occuper que de l'élection , soit des députés , soit des candidats,
dont le nombre est désigné d'avance, comme il est dit ci-dessus, par les
lettres de convocation.
AOUT 1807 . 287
Tit. VIII. - Division du Territoire et Administration.
LXIV. Le territoire demeure divisé en six départemens.
LXV. Chaque département est administré par un préfet. Il y a dans
ch que département un conseil des affaires contentieuses , composé de
trois membres au moins , et de cinq au plus, et un conseil-généralde
département, composé de seize membres au moins , et de vingt-quatre au
plus.
LXVI. Les districts sont administrés par un sous-préfet. Ily a dans
chaque district , un conseil de district composé de neuf membres , au
moins , et de douze au plus .
LXVII. Chaque municipalité est administrée par un maire ou président.
Ily a dans chaque municipalité un conseil municipal , composé
dedix membres pour 2,500 habitans et au-dessous ; de vingt pour 5000
habitans et au-dessous; et de trente pour les villes dont la population
excède 5000 habitans .
LXVIII. Les préfets , conseillers de préfecture , sous-préfets et maires,
sont nommés par le roi , sans présentation préalable. Les membresdes
conseilsde départemens et des conseils de districts sont nommés par
le roi , sur une liste double de candidats présentés par les diétines de
districts. Il sont renouvelés par moitié, tous les deux ans. Les membres
des consei's municipauxsont nommés par le roi , sur une liste double
de candidats présentés par les assemblées conimunales. Ils sont reneuvelés
par moitié tous les deux ans. Les consei's de département etdedistrict,
et les conseils municipaux , nomment un président choisi dans
Leur sein.
Tit. IX. - Ordre judiciaire.
LXIX . Le Code Napoléon formera la loi civile du duché de Varsovie.
LXX. La procédure est publique en matière civile et criminelle.
LXXI . Il y a une justice de paix par district ; un tribunal civil de
première instance par département; une cour de justice criminelle par
deuxdépartemens; une seule cour d'appel pour tout leduché deVarsovie.
LXXII. Le conseil d'Etat , auquel sont réunis quatre maîtres de
requêtes nommés par le roi , fait les fonctions de cour de cassation .
LXXHI, Les juges de paix sont nominés par le roi sur une liste
triple de candidats présentés par les diétines dedistricts. Ils sont renouvelés
par tiers tous les deux ans .
LXXIV. L'ordre judiciaire est indépendant.
LXXV. Les juges des tribunaux de première instance , des courscriminelles
etdes cours d'appel , sont nommés per le roi et à vie.
LXXVI. La cour d'appel peut , soit sur ladénonciationdu procureur
royal, soit sur celle d'un de ses présidens demander au roi la destitution
d'un juge d'un tribunal de première mstance oud'une courcriminelle,
qu'elle croit coupable de prévarication dans l'exercicede ses fonctions.
Ladestitution d'un juge de la cour d'appel peut être demandée par
le conseil d'Etat , faisantles fonctionsde cour de cassation. Dans ces cas
seuls, ladestitution d'un juge peut être prononcée par la loi.
LXXVII. Les jugemens des cours et des tribunaux sont rendus au
nomdu roi.
LXXVIII. Le droit de faire grace appartient au roi : seul il peut
remettre ou commuer la peine.
TIT. X. De la force armée.
LXXIX. La force armée sera composée de 30,000 hommes de toute
arme , présens sous les armes , les gordes nationales non comprises.
288 MERCURE DE FRANCE ,
LXXX. Le ri pourra appeler en Saxe une partie des trouper di
duché de Varsovie, en les faisant remplacer par un pareil nombre de
troupes saxорпез .
119
LXXXI. Dans le cas où les circonstances exigeroient qu'indépendam
ment des troupes du duché de Varsovie , le roi envoyât sur le territoire
de ce duché d'autres corps de troupes saxonnes , il ne pourroit être
établi à cette occasion aucune autre imposition ou charge publique , que
celles qui auroient été autorisées par la loi des finances .
Tit. XI .-Dispositions générales.
LXXXII . Les titulaires de toutes les charges et fonctions qui ne sont
point à vie , y compris la vice-roy uté , sont révocables à la volonté du
ro ,les nonces exceptés .
LXXXIII . Aucun individu , s'il n'est citoyen du du hé de Varsovie ,
ne peut être appelé à y remplir des fonctions, soit ecclésiastiques , soit
eiviles , soit judiciaires.
LXXXIV. Tous les actes du gouvernement, de la législation , de l'ad -
ministration et des tribunaux sont écrits en langue nationale.
LXXXV. Les Ordres civils et militaires précédemment existans en
Pologne, sont maintenus . Le roi est le chef de ces Ordres .
LXXXVI. Le présent statut constitutionnel sera complété par des
règlemens éman's du roi et discutés dans son conseil d'Etat.
LXXXVII. Les lois et règlemens d'administration publique seront
publiés au Bulletin des lois , et n'ont pas besoin d'autre forme de publication
pour devenir obligatoires .,
Tit. XII.- Dispositions transitoires .
LXXXVIII . Les impositions actuellement existantes continueront à
étre perçues jusqu'au 1. janvier 1809 .
LXXXIX. Il ne sera rien changé au nombre et à l'organisation acnels
des troupes , jusqu'à ce qu'il ait été s atué à cet égard par la première diète
générale qui sera convoquée.
Les membres de la commission de gouvernement ,
Signé, MALACKOWSKI , président ; GUTACKOWSKI , Stanislat
POTOCKI , DZIALINTSKI , WIBICKI , BILINSKI , SOBOLEWSKI
LUSZCREWSKI , Secrétaire-general.
NAPOLEON , PARLA GRACEDE DIEU ET LES CONSTITUTIONS,
EMPEREUR DES FRANÇAIS , ROI D'ITALIE , PROTECTEUR DE LA
CONFÉDÉRATION DU RHIN , nous avons approuvé et approuvons
le statut constitutionnel ci-dessus , qui nous a été présenté en
exécution de l'article Vc traité de Tilsit , et que nous consi
dérons comme propre *remplir nos engagemens envers les
peuples de Varsovie et laGrande-Pologne en conciliant
leurs libertés et priviles avec la tranquillité des Etats voisins.
Donré-au palais roya de Dresde , le 22 juillet 1807 .
٢٠
de
Signé NAPOLEON.
१ ९ ३० वाजे ONDS PUBLICS .
DU VENDREDI 7 août . - Cp. 0/0 c. J. du 22 mars 1867, 85f 5sc 600.
70c Sof 86f 25c 86f 86f 25c oof ooc oor oof ooc oocooc oo oof ooc out
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 82f boc ooc . oof coc coc
Act. de la Banque de Fr. 1270f oooof oo oooof
1070
15
(No. CCCXVII. )
(SAMEDI 15 AOUT 1807.)
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
}
FRAGMENT
:رو
DU 11º LIVRE DE L'ART D'AIMER D'OVIDE. (1 )
IL se trompe celui qui, pour servir ša flamme ,
Vadu front d'un poulain détacher l'hippomane .
Si des filtres étoient un amoureux poison ,
Par ses filtres Médée eût retenu Jason;
Circéde son palais n'eût pas vu fuir Ulysse.
Non, des enchantemens le magique artificeķ
Ne peut rien sur l'amour : loin de séduire un coeur ,
Il y jette le trouble , y porte la fureur .
Loinde nous Canidie , et son art trop coupable!
Le secret d'être aimé, c'est de se rendre aimable.
Mais tu n'obtiendras pas ces innocens secrets .
De ta seule figure et de tes seuls attraits :
Sois beau comme de Grec vanté dans l'Iliade ,.
Comme Hylas qu'enleva l'amour d'une Naïade ;
Si tu ne veux pas craindre un second abandon ,
Joins lesdons de l'esprit à ce fragile don.
C'est un bien peu durable ; il décroît avec l'age :
Le temps n'épargne pas les graces du visage .
Dès que l'été paroît , la fille du printemps ,
Lo-violette meurt, et les lis n'ont qu'un temps;
*(1) La traduction en vers de ce poëme est sous presse
1
if
et
4
/
T
290 MERCURE DE FRANCE ,
La rose sèche et tombe, et son épine reste.
De la frèle beauté c'est l'image funeste.
Beaujeune homme , bientôt tes cheveux blanchiront ,
Et les rides bientôt vont sillonner ton front .
Répare par l'esprit ce que l'âge t'envie :
La beauté de l'esprit dure autant que lavie.
M. DESAINTANGE.
SUR L'ASCENSION NOCTURNE DE M. GARNERIN,
DANS LA NUIT DU 4 AOUT 1807 .
De l'ombre et du repos antique souveraine,
La Nuit , d'un voile sombre avoit couvert la plaine
Où Paris , des beaux-arts le fortuné séjour ,
Anos regards surpris s'embellit chaque jour .
Sur son char ténébreux poursuivant sa carrière ,
Les astres l'éc'airoient de leur douce lumière.
Soudain un météore inconnu dans les cieux
D'une vive clarté vient éblouir ses yeux .
Du haut du firmament , que son ombre environne ,
Elle voit dans les airs briller une couronne ;
Un char aérien , par cet astre emporté,"
Dans le vague des cieux flotte avec majesté ;
Sur ce char un mortel , soutenu par l'audace ,
S'élève , et dans les cieux semble chercher sa place.
La déesse en gémit , et suspendant son cours ,
Au mortel téméraire elle tient ce discours :
« De quel droit oses-tu , fils mortel de la terre,
» De mon empire obscur pénétrer le mystère ?
>> Ce n'étoit pas assez que des audacieux
>> Eussent troublé la paix qui règne aux sombres lieux
» Où le Styx est couvert de mes voiles funèbres ;
>> Ce n'étoit pas assez qu'au mil eu des ténèbres ,
» L'homme , suivant au loin des astres étrangers,
>> Du perfide Océan eût bravé les dangers ;
>> Aujourd'hui de l'audace il comble la mesure ,
>> Et toujours plus rebelle aux lois de la nature ,
>> Le genre humain du ciel envahit le séjour,
>> Me brave sur mon trône , au milieu de ma cour.
>> Morel , qui que tu sois , respecte mon empire ,
» Ou crains d'ètre puni d'un orgueilleux délire . »
L'audacieux mortel lui répond en ces mots :
« O Nuit , fille du Ciel , déesse du repos ,
AOUT 1807 . 291
>> Ces feux qui dans les airs forment un diadême,
>> De celui d'un héros vous présentent l'emblême.
>> O Nuit , en sa faveur , recevez dans les cieux
>> D'un règne plein d'éclat ce signe radieux.
» La paix , que ce héros trouve dans la victoire,
>> Mérite bien qu'au ciel on élève sa gloire.
>>> Sous ses heureuses lois nous verrons désormais
>> Et les jours et les nuits embellis par la paix.
>>> Le Dieu qui chaque jour dispense la lumière
>> A vu les faits brillans de sa valeur guerr ère ;
» Vous-même , à son retour , fites briller sur nous
>> De l'astre de Fréjus le rayon le plus doux ;
>> Et cet astre toujoursa , sous son influence ,
» De l'Aigle des Français vu fleurir la puissance.
>> Sous ce règne, fécond en prodiges fameux ,
» Les arts prennent partout un élan généreux.
>> Animé des regards de ce chef intrépide,
» Il n'est point de Français qui se montre timide.
» O Nuit ! à notre essor pourquoi vous opposer ?
>> Pour lui plaire , il n'est rien que l'on ne puisse oser .
» Son nom saura du temps percer la nuit profonde :
>> Sans honte on peut céder au conquérant du monde. >>
La Nuit cède à ces mots , et du trône des airs
Laisse au rapide char les passages ouverts ;
Mais, tandis que du ciel il parcourt l'étendue ,
La déesse bientôt le cache à notre vue.
EDGAR ET LAURENCE.
J
ROMANCE.
Au temps jadis, par sa vaillance ,
Le noble Edgar fut renommé ;
Windsor garde la souvenance
De maint preux par lui désarmé.
D'amour il dédaigna les flammes
Pour chercher la gloire et l'honneur ,
Et jamais les plus belles dames
N'eurent de pouvoir sur son coeur.
Pourtant un jour que son courage
L'avoit conduit dans un tournoi ,
Son coeur , de l'amoureux servage
Fut bien près de subir la loi:
Ta
292
MERCURE DE FRANCE ,
"r
Les yeux de gente damoiselle
Troublèrent le fier chevalier ;
Il pâlit , et soudain loin d'elle
Précipita son dextrier .
C'est ainsi qu'il connut Laurence :
Sur son front brilloit la candeur ;
A son teint , roses d'innocence
Mêloient leur touchante langueur.
Cortes , barons , de cette belle
Se disputoient un seul regard ;
Mais de l'amour vive étincelle
Embrasa son coeur pour Edgar.
Réduite à l'aimer en silence ,
On vit bientôt ses traits flétris ;
Sur son visage , la souffrance ,
Hélas ! ne laissa que des lis.
Pauvre Laurence , à ton aurore
L'amour te conduit au tombeau !
souffle brûlant dévore
Tel un
Le narcisse , amant du ruisseau.
Un jour qué son ame abattue
Cédoit au
besoin du repos ,
En songe , d'une voie émue ,
Elle laissa tomber ces mots :
« O de l'amour cruel martyre !
» Faut- il m'éteindre dans les pleurs ,
» Et lorsque je meurs , n'oser dire :
» Edgar , c'est pour toi que je meurs ! »>
Alix qui veilloit auprès d'elle ,
Entendit ce cri douloureux ;
Pleine de tristesse et de zèle ,
Elle s'en alla vers le preux .
Dans les tours du château gothique
Gémissoient les brises du nord,
Et la chouette prophétique
De Laurence annonçoit la mort.
« Ah ! soutenez mon espérance ,
>> Beau chevalier , lui dit Alix ;
>> Des sombres douleurs de Laurence
>> Le secret enfin m'est appris :
AOUT 1807 293
Le coeur de la vierge modeste ,
» En songe , a parlé sans détour ;
» Venez , à cette heure funeste ,
>> Pour vous elle expire d'amour. >>>
Cette voix , ce touchant langage ,
D'Edgar attendrirent le coeur ;
Soudain de son noble visage
S'enflamme la chaste pâleur.
« Sèche tes pleurs , ange timide ,
» Edgar finira tes tourmens ! »
Ila dit ; et dans l'ombre humide
D'Alix il suit les pas errans.
« Réveille - toi , pauvre Laurence ,
» Lui dit cet amant adoré :
» Si j'avois connu ta souffrance ,
» Tu n'aurois pas long- temps pleuré. »>
Mais Laurence est pâle et muette ,
Les pleurs d'Edgar mouillent sa main :
Ainsi sur l'humble violette
Brillent les larmes du matin.
« Ah ! lui dit la vierge éperdue ,
»
Que n'ai- je eu le sort de la fleur ,
q ་
dloze
ten
t
.1 .
»› Qui naît et qui meurè inconnue , mislota.
» L'amour n'eût pas brisé mon coeur !
» Promets à Laurence expirante a 12
>> De tes pleurs le deuil, consolant.....op , to braga 1
A ces mots , cette ame innocentem sapidia sume 2
Aux cieux s'envola doucement.
D'Edgar , l'amé désespérée
Ne retrouva plus le repos ;
Partout sa raison égarée
Voyoit des spectres , des tombeaux .
Le jour , dans les bois les plus sombres
Il alloit cacher ses tourmens ;
Et la nuit , au milieu des ombres ,
H **)
Sa voix la demandoit aux vents .
Mais enfin , dans un monastère ,
bord des mers
Qui s'élevoit an h
Il prit le cilice et la haire
Pour dompter ses chagrins amers .
}
294
MERCURE
DE FRANCE,
Là , dans la nuit , quand sur la rive
Se brisent les flots écumans ;
Il croit de Laurence plaintive
Entendre les gémissemens.
P. M. LORRANDÓ.
ENIGME.
JB parle bien en vain si l'on ne m'envisage :
Mon silence est ma voix , ma forme est mon langage.
Ce qu'on m'a dit , lecteur , c'est moi qui te le dis ;
Tu dis ce que je dis , dis-moi donc qui je suis.
"
Par un Abonné.
LOGOGRIPHE
DE neuf pieds seulement, qui composent mon tout,
Six donneront un fruit très- agréable au goût ;
Deux offriront un arbre ; et quatre, une rivière;
Tu trouveras dans cinq un bítume odorant ,
Un grand marché public , une arme meurtrière ;
Dans trois , ce que jamais on n'excite en pleurant ;
Et dans huit , pour tout dire , un Père de l'Eglise ,
Ou , si tu l'aime mieux , certaine chose exquise
Qu'on servoit , nous dit- on………. Je n'achèverai pas ;
Il faut te laisser seul franchir ce mauvais pas.
Cependant , je veux bien te dire bonté
par
Que le mot que tu cherche est un fruit de l'été.
CHARADE.
J'AI vu mon entier ,
Avec mon premier
Manger mon dernier .
C
1
16767
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° . est Zéro.
Celui du Logogriphe est Cordon , où l'on trouve cor, roc , or, don.
Celui de la Charade est Car-lin.
A OUT 1807. 295
De Louis XIV et de ses Successeurs.
QUELQUES admirateurs de Louis XIV n'ont pas été
contens de ses OEuvres , publiées , l'an dernier , en six vol.
in-8° . ; et les invectives contre les éditeurs de ce Recueil
ont été sans mesure. Que pouvoit-on cependant imaginer
de plus utile à la gloire de ce roi célèbre que de rassem→
bler ainsi toutes ses lettres , toutes ses idées , toutes ses
esquisses ? Ce soin même n'étoit - il pas un hommage , et
n'en devoit-il pas résulter un moyen de plus d'apprécier
un si grand homme? Suffisoit - il de l'avoir jugé par les actes
de ses ministres et par les Mémoires de ses contemporains ?
Ne convenoit- il pas de le considérer de plus près dans les
écrits dictés ou ordonnés par lui , de suivre attentivement
toutes ses traces des pensées qui ont été le plus véritablement
les siennes ? Et si les éditeurs ont porté la fidélité jusqu'au
scrupule , si toutes les pièces qui composent leur Recueil
sont d'une authenticité parfaite , que peut-on avoir à leur
reprocher , sinon peut- être quelques - unes des observations
qui leur sont propres , et qui occupent assez peu d'espace
dans les six volumes ?
à qui Disons plus ; il y a des
lecteursa
vérité , la foiblesse ,
plus Louis A
la nullité de ses talens militaires y est démontrée jusqu'à
l'évidence on ne sera plus tenté de l'élever au rang des
héros , de le comparer à ceux dont le génie anime de grandes
armées , dirige des mouvemens innombrables , prévoit les
obstacles , combine les moyens , et décide la victoire . Mais
enfin il ne ressemble pas non plus à ces monarques fainéans
, qu'on a vu languir , avant lui , après lui , sur le
même trône , indifférens à tous les besoins de l'Etat , incapables
de les sentir et de les comprendre. Louis XIV ,
malgré les vices de son éducation , sut conserver et accroître
l'activité naturelle de ses facultés ; il acquit , par ses propres
efforts , la plupart des connoissances et des habitudes de
P'homme d'Etat ; et depuis la mort de Mazarin , en 1661 , il
a réellement présidé à l'administration intérieure de son
royaume. Ses lettres , ses écrits , les notes qu'il fournissoit
au rédacteur de ses Mémoires , annoncent des observations
délicates , des vues profondes , des résolutions fermes , de
la stabilité dans les plans , des intentions généreuses , et de
la droiture dans de grands desseins .
292
MERCURE DE FRANCE ,
Les yeux de gente damoiselle
Troublèrent le fier chevalier ;
Il pâlit , et soudain loin d'elle
Précipita son dextrier.
C'est ainsi qu'il connut Laurence :
Sur son front brilloit la candeur ;
Ason teint , roses d'innocence
Mêloient leur touchante langueur.
Comtes , barons , de cette belle
Se disputoient un seul regard ;
Mais de l'amour vive étincelle
Embrasa son coeur pour Edgar.
Réduite à l'aimer en silence ,
On vit bientôt ses traits flétris ;
Sur son visage , la souffrance ,
Hélas ! ne laissa que des lis .
Pauvre Laurence , à ton aurore
L'amour te conduit au tombeau !
Tel un souffle brûlant dévore
Le narcisse , amant du ruisseau.
Un jour que son ame abattue
Cédoit au besoin du repos ,
En songe , d'une voie émue ,
✔Elle laissa tomber ees mots :
« O de l'amour cruel martyre !
» Faut- il m'éteindre dans les pleurs ,
>> Et lorsque je meurs , n'oser dire :
>> Edgar , c'est pour toi que je meurs ! >>
Alix qui veilloit auprès d'elle ,
Entendit ce cri douloureux ;
Pleine de tristesse et de zèle ,
Elle s'en alla vers le preux.
Dans les tours du château gothique
Gémissoient les brises du nord,
Et la chouette prophétique
De Laurence annonçoit la mort.
« Ah ! soutenez mon espérance ,
>> Beau chevalier , lui dit Alix ;
>>> Des sombres douleurs de Laurence
>>>Le secret enfin m'est appris :
AOUT 1807: 293
Le coeur de la vierge modeste ,
» En songe , a parlé sans détour ;
» Venez , à cette heure funeste ,
» Pour vous elle expire d'amour. »
Cette voix , ce touchant langage ,
D'Edgar attendrirent le coeur ;
Soudain de son noble visage
'S'enflamme la chaste pâleur.
« Sèche tes pleurs , ange timide ,
» Edgar finira tes tourmens ! »
Il a dit ; et dans l'ombre humide
D'Alix il suit les pas errans.
« Réveille -toi , pauvre Laurence ,
» Lui dit cet amant adoré :
» Si j'avois connu ta souffrance ,
» Tu n'aurois pas long- temps pleuré . »
Mais Laurence est påle et muette ,
Les pleurs d'Edgar mouillent sa main :
Ainsi sur l'humble violette
Brillent les larmes du matin .
" Ah ! lui dit la vierge éperdue ,
" it
» Que n'ai- je eu le sort de la fleur ,
» Qui naît et qui meurè inconnue , uis
>> L'amour n'eût pas brisé mon coeur !
» Promets à Laurence expiranté
༧ : ༢ ་
10 3
>> De tes pleurs le deuil consolant..map, du bang
A ces mots , cette ame innocenter
Aux cieux s'envola doucement.
D'Edgar , l'amé désespérée
Ne retrouva plus le repos ;
Partout sa raison égarée
Voyoit des spectres , des tombeaux.
Le jour , dans les bois les plus sombres
Il alloit cacher ses tourmens ;
Etlannuit , au milieu des ombres ,
Sa voix la demandoit aux aux vents .
•
Mais enfin , dans un monastère ,
Qui s'élevoit au bord des mers
Il prit le cilice et la haire
Pour dompter ses chagrins amers.
pica
3
294 MERCURE DE FRANCE,
47
4
Là , dans la nuit , quand sur la rive
Se brisent les flots écumans ,
Il croit de Laurence plaintive
Entendre les gémissemens.
P. M. LORRANDO.
ENIGME.
Je parle bien en vain si l'on ne m'envisage :
Mon silence est ma voix , ma forme est mon langage.
Ce qu'on m'a dit , lecteur , c'est moi qui te ledis;
Tu dis ce que je dis , dis-moi donc qui je suis .
Parun Abonné.
LOGOGRIPHE.
De neuf pieds seulement, qui composent mon tout ,
Six donneront un fruit très-agréable au goût ;
Deux offriront un arbre ; et quatre , une rivière;
Tu trouveras dans cinq un bitume odorant,
Un grand marché public , une arme meurtrière ;
Dans trois, ceque jamais onn'excite enpleurant ;
Etdans huit , pour tout dire , un Père de l'Eglise ,
Ou, si tu l'aime mieux , certaine chose exquise
Qu'on servoit , nous dit-on.... Je n'achèverai pas ;
Il faut te laisser seul franchir ce mauvaispas.
Cependant , je veux bien te dire parbonté
Que le mot que tu cherche est un fruit de l'été.
CHARADE. 1
,
J'AI vu mon entier
Avec mon premier
Manger mon dernier .
٤٦ 10767
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Zéro .
Celui du Logogriphe est Cordon , où l'on trouve cor, roc, or, don.
Celui de la Charade est Car-lin.
AOUT 1807. 295
De Louis XIV et de ses Successeurs.
QUELQUES admirateurs de Louis XIV n'ont pas été
contens de ses OEuvres , publiées , l'an dernier , en six vol.
in-8°.; et les invectives contre les éditeurs de ce Recueil
ont été sans mesure. Que pouvoit-on cependant imaginer
de plus utile à la gloire de ce roi célèbre , que de rassembler
ainsi toutes ses lettres , toutes ses idées , toutes ses
esquisses ? Ce soin même n'étoit - il pas un hommage , et
n'en devoit-il pas résulter un moyen de plus d'apprécier
un si grand homme? Suffisoit-il de l'avoir jugé par les actes
de ses ministres et par les Mémoires de ses contemporains ?
Ne convenoit-il pas de le considérer de plus près dans les
écrits dictés ou ordonnés par lui , de suivre attentivement
toutes ses traces des pensées qui ont été le plus véritablement
les siennes ? Et si les éditeurs ont porté la fidélité jusqu'au
scrupule , si toutes les pièces qui composent leur Recueil
sont d'une authenticité parfaite , que peut-on avoir à leur
reprocher , sinon peut-être quelques-unes des observations
qui leur sont propres , et qui occupent assez peu d'espace
dans les six volumes ?
Disons plus ; il y a des lecteurs à qui ce Recueil a inspiré
plus d'estime pour Louis XIV. A la vérité , la foiblesse ,
la nullité de ses talens militaires y est démontrée jusqu'à
l'évidence : on ne sera plus tenté de l'élever au rang des
héros , de le comparer à ceux dont le génie anime de grandes
armées , dirige des mouvemens innombrables , prévoit les
obstacles , combine les moyens , et décide la victoire. Mais
enfin il ne ressemble pas non plus à ces monarques fainéans
, qu'on a vu languir , avant lui , après lui , sur le
même trône, indifférens à tous les besoins de l'Etat , incapables
de les sentir et de les comprendre. Louis XIV ,
malgré les vices de son éducation , sut conserver et accroître
l'activité naturelle de ses facultés ; il acquit , par ses propres
efforts , la plupart des connoissances et des habitudes de
P'homme d'Etat ; et depuis la mort de Mazarin , en 1661 , il
a réellement présidé à l'administration intérieure de son
royaume. Ses lettres , ses écrits , les notes qu'il fournissoit
au rédacteur de ses Mémoires , annoncent des observations
délicates , des vues profondes , des résolutions fermes , de
la stabilité dans les plans , des intentions généreuses , et de
ladroiture dans de grands desseins .
@96 MERCURE DE FRANCE ,
Depuis 1661 jusqu'en 1715 , ce règne peut se diviser en
deux époques. La première , qui se termine en 1685 , est
l'une des plus brillantes de notre histoire. Des triomphes ,
des bienfaits , des chefs- d'oeuvre la remplissent; et le monarque
, au milieu des hommes célèbres qui l'environnent,
paroît digne en effet de toutes les gloires qu'ils font
Tejaillir sur lui.Ces talens politiques , guerriers, littéraires,que
safortune a rassemblés autour de son trône , il les distingue,
il les honore , il les protège contre l'envie , l'intrigue et l'intolérance.
C'est à lui qu'ils doivent ce libre essor qui jette
sur de nom français un éclat immortel .
à
Pourquoi faut-il que des conseillers perfides l'entraînent ,
en 1685 , proscrire six cent mille citoyens fidèles , paisibles
, industrieux , à révoquer cet édit de Nantes , monument
sacré de lasagesse et de la loyauté de son aïeul ? On sait
trop quelles violences précédèrent et consommèrent ce désastre
; mais on n'en remarque point assez l'horrible influence.
Tout décroît dès- lors , tout s'éclipse ou s'altère par
degrés ; l'hypocrisie , la misère , le faste et les revers occupent
le reste d'un trop long règne . Les talens qui brillent
encore ne s'élèvent plus sans péril, Racine disgracié meurt
de sa disgrace même. Il n'est pas permis à Fénélon de
publier en France son plus bel ouvrage; et Bossuet lui-même
s'abstient de mettre au jour la défense des quatre articles
de 1682. Le monarque implore, en 1710 , Phumiliante paix
d'Utrecht; il obtient de Rome , en 1713 , un nouveau signal
de persécutions religieuses ; il n'expire qu'en léguant aux
règnes suivans les germes de toutes les discordes et de toutes
les adversités : des provinces désertes , un trésor vide , un
crédit épuisé , des armées vaincues , des alliés infidèles , et
des ennemis formidables .
- Quelques panégyristes du dix-septième siècle se plaisent
àopposer sa littérature à la philosophie du dix-huitième.
Osons rendre plus de justice aux écrivains qui ont illustré
le règne de Louis XIV , et ne les accusons point d'avoir
manqué de philosophie. C'est de la profondeur et de l'indépendance
de leurs pensées que leur style emprunte ses
graces , son énergie , sa noblesse. Quel est , pour ne citer
qu'un exemple , quel est l'écrivain du dix-huitième siècle
plus philosophe que Molière ? Qu'a-t-on fait , depuis 1700,
de plus philosophique que Tartufe ? Mais il est vrai que
l'édit de 1685 , ceux qui l'ont suivi , et les malheurs publics
qu'ils ont amenés , ont imprimé peu-à-peu une direction
nouvelle aux idées et aux travaux des hommes de lettres ;
et plus on croit avoir à se plaindre de cette direction , plus
AOUT 1807 . 297
ón doit en détester la cause . Ce fut , n'en doutons point , le
triste spectacle de tant de lois funestes qui exaspéra Bayle ,
Montesquieu , Voltaire , Rousseau , d'Alembert , et leurs
disciples . Environnés d'objets moins affligeans , ils auroient
eu d'autres pensées ; plus libres , ils auroient été moins
hardis ; et leurs talens , appliqués à des sujets moins épineux
, obtiendroient aujourd'hui des hommages plus unanimes.
Quelle que soit la littérature du dix-huitième siècle ,
moins élégante ou plus instructive que celle du dix-septième,
elleest ce que les lois de Louis XIV l'ont forcée d'être ; et
ce caractère philosophique par lequel on veut absolument
la distinguer , n'est au fond que la vive empreinté des
entraves politiques et religieuses qu'elle avoit à secouer.
Rienn'est plus affreux sans doute que la licence , la sédition
, la révolte ; et s'il étoit convenu que le mot de philosophie
ne signifie que tout cela , il seroit assurément le plus
odieux de la langue. Mais alors aussi il en faudroit inventer
In autre pour exprimer l'amour de la sagesse , la recherche
de la vérité, l'activité de l'esprit , l'étendue des pensées , le
progrès de la raison, la dignité des moeurs , la franchise et
J'énergie des vertus . Il nous paroît plus simple de ne pas
dénaturer ainsi les vocabulaires anciens et modernes , et de
conserver au mot de philosophie le sens honorable qu'ils
s'accordent à lui donner. Tous les siècles ont révéré sous
ce nom les lumières et les vertus de Socrate dans la vie
privée , et de Marc-Aurèle sur le trône. Un philosophe est
un sage, un esprit éclairé, un homme de bien , un citoyen
paisible , un sujet fidèle. Il oppose à toutes les turbulences ,
à tous les fanatismes , le calme de ses pensées et de son
caractère ; à tous les excès , une modération inflexible. Une
des plus vénérables maximes de l'antiquité , est celle qui
fixe le bonheur des cités à l'époque où la philosophie les
gouvernera , soit que l'héritier d'un trône devienne philosophe
, soit que l'héroïsme , le génie et les bienfaits d'un
philosophe le placent à la tête d'un vaste empire :
demum civitates beatas fore , cum reges philosopharentur ,
aut philosophi regnarent.
Tum
Depuis Socrate jusqu'à Malesherbes , des philosophes ont
été proscrits dans tous les siècles. Depuis Anytus jusqu'à
nos jours , la vérité et la vertu n'ont jamais manqué de persécuteurs
. Il n'est aucun temps , et presqu'aucun liều , où
l'on n'aperçoive les efforts de la raison et ceux de l'intolérance
, les triomphes alternatifs de l'une et de l'autre . Si le
dix-huitième nous paroît si éminemment philosophique ,
c'est parce que nous en sortons à peine, et qu'il vit encore
298 MERCURE DE FRANCE ,
dans nos souvenirs et nos habitudes ; c'est parce qu'à
toute époque on est disposé à regarder les progrès les plus
récens de l'esprit humain comme les plus grands qu'il ait
encore faits ; c'est , enfin , parce que les persécutions ont
ranimé , depuis 1685 , les querelles religieuses , et provoqué
un examen sévère de plusieurs questions délicates .
On reproche chaque jour à la philosophie les troubles
qui ont terminé le dix-huitième siècle . Il seroit plus aisé de
prouver qu'elle avoit indiqué les seuls moyens de les prévenir;
qu'ils sont nés précisément du mépris de ses conseils
, de la résistance à ses lumières . Mais ces troubles ,
enfin, si cruels et si déplorables , y apportera-t-on quel que
remède par ce soin qu'on prendra sans cesse d'en retracer
et d'en exagérer l'image ?
La guerre n'est , de sa nature , qu'un fléau ; et c'est ainsi
sur-tout que la considèrent les héros qu'elle immortalise.
Cependant , lorsque des triomphes et des traités viennent
de raffermir les droits d'un grand peuple , de rouvrir et
d'agrandir les sources de sa prospérité , la reconnoissance
efface jusqu'au souvenir des imalheurs que les combats ont
entraînés .
Les révolutions ressemblent à la guerre; elles sont des
calamités presqu'aussi vastes , et non moins inévitables ,
quand les gouvernemens ont vieilli dans l'inertie ou dans
l'erreur , les nations dans la détresse ou dans l'opprobre.
L'un des plus constans et des plus tristes résultats de l'histoire
, c'est qu'il n'appartient souvent qu'aux révolutions de
rajeunir les peuples , d'épurer les institutions , de ranimer
l'énergie publique. En gémissant de la violence de ces
crises , il faut déplorer encore plus les égaremens qui les
avoient provoquées. Heureux l'Empire au sein duquel un
gouvernement fort et sage en prévient invinciblement le
retour !
Ily auroit de la témérité à vouloir déterminer le degré
précciiss de dépérissement où laFrance auroit pu descendre ,
si les abus et le calme de l'ancien régime s'étoient prolongés
vingt ans de plus. On peut affirmer seulement qu'elle n'eût
acquis ni les nouvelles provinces , ni la toute- puissance
militaire , ni l'ascendant politique , qui lui assurent aujourd'hui
une place si éminente parmi les plus grands Empires .
Rien assurément ne lui promettoit en 1786 les destinées
florissantes qui viennent de commencer pour elle ; et l'on
étoit loin d'espérer, de cette troisième dynastie, de jour en
jour plus caduque , des prodiges et des bienfaits pareils à
ceux du héros qui s'est élancé du sein des orages pour
fonder la quatrième .
· AOUT 1807 . 2.99
Des rois qui se proclamoient les chefs de la noblesse ,
qui ne professoient le culte de leurs aïeux qu'en proscrivant
les autres cultes , qui ne savoient récompenser que les
hasards de la naissance ou de la catholicité , de tels rois
étoient bien moins ceux de la nation que ceux d'une caste
ou d'une secte. Le caractère de la quatrième dynastie est
d'être purement nationale. La gloire de l'Empereur des
Français est d'être en effet tout ce qu'exprime ce titre
auguste. C'est le mérite seul qu'il cherche , qu'il emploie ,
qu'il récompense dans tous les rangs de la société ; ce sont
les talens que son génie appelle , en quelque circonstance ,
tranquille ou terrible , qu'ils aient éclaté. Il a extirpé jusqu'aux
derniers germes des abus et des désordres auxquels
toutes les administrations de la troisième dynastie étoient
livrées ; et de sa main victorieuse il a établi d'une manière
positive le principe de la tolérance religieuse , qui a été si
méconnu dans tous les temps. Il ne croiroit pas avoir assez
réparé les malheurs de la révolution , s'il ne guérissoit
radicalement les maux plus profonds qui l'ont précédée.
Que le culte dela majorité des Français ait une existence
plus solennelle , le Concordat lui garantit un tel avantage ;
mais que cet hommage aux croyances de la multitude tende
à proscrire ou à flétrir les opinions du petit nombre , cette
hypothèse est par trop absurde : les actes par lesquels
PEmpereur n'a cessé de rassurer les consciences ont trop
d'éclat pour la permettre ; et ce n'est point dans la quatrième
dynastie qu'on espère , quand on se promet le retour des
violences , des exclusions , des anathèmes : on ne peut
attendre , sous le règne de Napoléon , que des lois justes et
bienfaisantes . L'intolérance , qui , après avoir égaré les
gouvernemens , a toujours fini par ne pas les tolérer euxmêmes
, l'intolérance va perdre de plus en plus son crédit
sur la terre ; et il faudroit la reléguer dans le ciel , si notre
religion sainte et pure nous permettoit de supposer, comme
autrefois , des dieux pervers , des divinités malfaisantes.
H. P. O.
300 MERCURE DE FRANCE,
1
Théorie du Beau dans la Nature et les Arts , ouvrage
posthume de P. J. Barthez , médecin de l'Empereur et
du Gouvernement , ancien chancelier de l'Université de
Médecine de Montpellier , conseiller d'Etat , membre de
Ma Légion-d'Honneur et de presque toutes les célèbres
Académies de l'Europe ; mis en ordre et publié par son
frère , avec la Vie de l'auteur . - A Paris , chez Léopold
Cotin , libraire , rue Gît-le-Coeur, n°. 14 ; et chez le
Normant , imprimeur - libraire , rue Saint - Germain-
P'Auxerrois, n . 17. De l'imprimerie de Crapelet ( 1807 )
вр
Le nom de Barthez , qui honore les sciences , et particulièrement
celle de la médecine , ne leur appartiendra plus
exclusivement ; et l'ouvrage de la Théorie du Beau permet
aux lettres de le réclamer. Son auteur sera placé plus d'une
fois , par ceux qui les cultivent , au rang de ces génies dont
les idées originales font des chefs de doctrine, et leur sagesse
des autorités . L'ouvrage de la Théorie du Beau peut
trouver en plusieurs points , des contradicteurs ; mais , en
beaucoup d'autres , il surprendra par la profondeur de ses
aperçus . On s'étonnera qu'un homme, livré toute sa vie
aux méditations médicales , aux exercices continus du pra
ticien ,manquant , on peut le dire, de loisirs pour détourner
son esprit vers l'étude des autres arts , ait pourtant surpris
ou deviné leurs secrets ; on s'étonnera de l'entendre parler
en orateur , de l'éloquence ; en poête , de la poésie ; en
compositeur , de la musique ; en véritable artiste , de tous
les arts . Mais ne faisons pas d'avance , et comme pour surprendre
la confiance du lecteur , l'éloge de cet ouvrage que
sonanalyse doit établir par preuve , et mettre par conséquent
au-dessus du doute.
La Théorie du Beau a été trouvée dans les manuscrits
de M. Barthez ; et c'est l'un de ses dignes frères , écrivain
lui-même , auteur du roman moral d'Elnathan , qui vient
de publier cette savante production. Il l'a fait précéder de la
Vie de son frère. Dans ce précis , il paie un juste tribut
d'hommages à cette ombre illustre : ici , c'est le coeur, autant
que l'esprit , qui s'acquitte. Voulant m'occuper beaucoup de
l'ouvrage deM. Barthez , je renvoie le lecteur aux détails
intéressans qui concernent sa personne .
A la suite de sa Vie est placée l'Introduction de l'ouvrage ;
et les premières lignes de cette Introduction consacrent cette
vérité , que ce n'est point dans l'état primitif, que l'on a
AOUT 1807 . 301
suppose souvent avoir été pour l'homme l'état de nature ,
mais dans la société, que peut seformer et se développer en
lui le sentiment de la beauté.
:
Le sentiment de la beauté est en effet un fruit de la
réflexion, que développe l'esprit d'observation et de rapprochement
, qui lui-même est un fruit de la civilisation. Ce
sentiment nn''eexxiiste donc point, ou n'existe que vaguement
dans les sociétés errantes , où ne vit pas le sentiment des
arts ; car en même temps qu'eux naît l'idée du beau , qui
s'étend avec eux , et toujours participe de leurs progrès .
Telle fut sa marche dans la Grèce; telte elle ne fut point
dans l'Egypte , où le sentiment du beau resta , comme on a
dit qu'y restèrent les arts eux-mêmes , stationnaire.
Envisageons toujours deux hommes dans l'homme ,
l'homme physique et l'homme intellectuel. Dans les sociétés
sauvages , l'on ne connoît , j'oserai même dire , l'on ne
cultive que l'homme physique : là sont ignorées , et par
conséquent négligées , les facultés de l'esprit et celles du,
chef- d'oeuvre des dieux , celles de l'ame. L'homme , dans
ces sociétés , ne jouit donc pas dans toute leur plénitude,
des bienfaits de la divinité : l'homme y est incomplet ,
puisqu'il n'est qu'une partie de lui -même , et qu'on n'y
remarque de lui que la plus imparfaite.
Les jouissances qu'on puise dans la culture des facultés
de l'esprit ajoutent aux jouissances des sens , en augmentant
leur activité , les enrichissant eux- mêmes de facultés nouvelles
, et leur donnant une délicatesse de perceptions qu'ils
n'eussent pu , sans l'influence de l'ame, ni connoître ni
soupçonner : j'ajouterai qu'elles remplissent les vides de la
vie, les interstices trop nombreux de ses plaisirs ; et que
là, semant d'intéressans épisodes , elles préviennentl'ennui,
ce poison lent qui la consume. L'ame , pénétrée et nourrie
des sucs de la science et des arts , ouverte au sentiment du
beau , en éprouve la passion. Dans cet heureux état , toute
autre affection équivoque ou malfaisante , tout penchant
vicieux a fui loin d'elle. Que de coeurs sauvés par la culture
d'un seul art ! Car ici la raison , cette raison si superbe
seroit impuissante , et son secours inefficace. Une illusion
ne se détruit que par une illusion : or , qui niera l'heureuse
diversion que font aux souffrances de l'ame les brillantes
illusions des arts ?
A cet avantage joignez cet autre : l'ame prend les habitudes
et comme l'allure de l'esprit. Or, l'esprit , incessamment
livré à la contemplation des beautés de la nature et
des arts , fait à l'ame un besoin de la contemplation du
1
302 MERCURE
DE FRANCE
,
grand , du beau moral. Les affections de même nature
deviennent son aliment habituel. Des grandes pensées
naissent les grandes actions : « L'esprit de l'homme ainsi
» éclairé , dit M. Barthez , et perfectionné par l'étude des
>> lettres et de la philosophie , conçoit les vertus auxquelles
» Phomme peut s'élever d'une manière beaucoup plus pár ,
» faite et plus grande que ne peut le concevoir un pâtre , un
» laboureur , ou tout autre homme d'une condition obscure,
» dont l'éducation n'a point étendu les lumières naturelles .
» Celui-ci ne peut que parcourir sans cesse un cercle de
» vertus communes , dans lequel il est entraîné , comme
automatiquement , par la nécessité , l'habitude et l'exemple
» de ses pareils. »
»
Et quand le sentiment du beau , qu'on a puisé dans la
méditation et la culture des arts , n'auroit d'autre utilité que
de rendre la vertu aimable , qui oseroit calomaier ces arts ,
qui sont la source de ce sentiment ? Le coeur qui s'en est
rempli se figure alors la vertu , telle qu'il a vu figurer les
chefs-d'oeuvre de la sculpture et de la peinture , revêtue
des plus dignes et des plus séduisantes formes ; et , pleine
d'attraits pour lui , il la suit et il l'adore.
Inspiré par la lecture de l'Introduction à la Théorie du
Beau, j'ai jeté ces idées , qui se rapportent à celles de l'auteur.
Je passe à l'ouvrage lui-même , bien plus fécond en
heureuses pensées de tout genre , et contre la séduction
desquelles il faut se tenir en garde , de peur d'être entraîné
à produire plusieurs volumes , alors qu'on a pour tâche de
ne rendre compte que d'un seul.
Cet ouvrage est divisé en discours ( au nombre de sept ) ,
qui sont eux-mêmes divisés en sections . Le premier discours
, comme cela devoit être , a pour titre : Du Sentiment
de la Beaute. Il falloit d'abord faire connoître quel il est ,
avant de rechercher par quels procédés ou artifices il se
forme.
**
Je suis fâché de commencer par n'être pas de l'avis de
l'auteur , du moins du principe qu'il pose , dès ses premières
lignes , que la beauté n'existe point par elle-même , et dans
les objets que nous trouvons beaux ; qu'elle n'est qu'une .
relation qu'ils ont avec nous , etc.
s'ac- Sans doute il y a un beau relatif, sur-tout en matière
d'arts ; mais il y a aussi un beau subsistant en soi , que
cordent à reconnoître presque tous les yeux et tous les goûts.
Entre le beau relatif et le beau positif, il est un beau douteux
ou de convention qu'on peut nier ou admettre ; mais ,
quant à un beau réel ( ici , les éclaircissemens me sont inter-
+
AOUT 1807.
303
dits, sous peine d'être accusé de faire un Traité ) ; quant à un
beau réel, dis-je , son existence ne peut être révoquée en
doute , à moins de douter aussi du sentiment qui en émane.
Il est , par exemple , telle action héroïque , tel écrit sublime
tel héros , tel grand poète , que tous les esprits bien organisés
ont admiré ou admirent. Dira-t-on que cette sorte de
beau n'a qu'une existence relative ? Ne sera-t-il qu'effet
lorsqu'il est prouvé qu'il est cause dans ces mouvemens
d'admiration qui agitent notre ame ? Est-ce que cet homme
illustre , ou ce fait remarquable, ne seroient l'un et l'autre que
par rapport à notre manière de l'envisager, et non par euxmêmes?
Je pense que Platon , raisonnant en sens inverse ,
et se formant du beau une idée à part de son objet , a
peut-être trop cédé aux prestiges de son imagination brillante
; mais M. Barthez tombe , je le pense , dans un autre
extrême , lorsqu'il ne fait de la beauté qu'un objet de relation
et purement dépendant ; que dis - je ? qu'un objet
négatif, comme le froid, comme s'il n'y avoit pas déjà beaucoup
à dire pour ou contre ce système de Brown , touchant
le calorique.
M. Barthez ne reconnoît- il pas cependant un peu plus
loin l'existence indépendante du beau , lorsqu'il parle « des
» conditions particulières qui doivent exister dans les divers
» genres d'objets , pour qu'ils puissent exciter le sentiment
» de leur beaute? Si l'accomplissement de ces conditions
est de rigueur , pour exciter ce sentiment , il faut reconnoître
que le beau existe , alors que les objets offrent en eux ces
conditions remplies. Raisonner autrement , c'est raisonner
subtilement , et non franchement; car nul effet sans cause .
Un grand génie , un grand talent , le génie de Napoléon , le
talent de M. Barthez excitent mon admiration , mon estime.
N'est-ce ici encore qu'un beau relatif? Ce beau que j'admire
existe bien clairement hors de moi ; et , par réflexion , il
provoque en moi ce mouvement que je nomme admiration .
Ce sera donc le sentiment , c'est -à -dire l'effet , et non le
beau , c'est- à -dire l'objet ou la cause , qui sera relatif. Et
alors ne pourroit- on pas dire au contraire que c'est bien le
sentiment du beau qui n'existe pas de lui-même , puisqu'il
ne commence qu'alors qu'il est excité par l'objet qui le frappe,
que postérieurement , et par une conséquence de la vue de
cet objet ? Je pense pourtant que , une fois né , il est trèsprononcé
, très -réel ; mais je pense aussi , à fortiori , que
P'objet a , comme lui , son existence très-distincte et très -indé
pendante des affections , qui ne sont que ses effets.
M. Barthez , à l'exemple de Winckelmann , a su distin304
MERCURE DE FRANCE ,
guer la perfection d'avec la beauté. La perfection ! C'est elle
qui est relative . Tous les yeux et tous les goûts peuvent être
plus ou moins juges de ce qui est beau . Il n'y a que des yeux
et des goûts éclairés qui le soient de ce qui est ou seroit parfait;
car il faut être , avant tout , instruit des procédés qui
mènent à la perfection.
un
Je répète que tous les yeux et tous les goûts peuvent être
plus ou moins juges de ce qui est beau et il est en effet
beau que nous sentons naturellement , et même dès l'enfance
, comme en vertu d'une disposition innée. En celui-là ,
il n'y a rien , ou presque rien de relatif. Il en est un autre
( celui qu'on sent dans les arts ) qui n'existe , je l'accorde ,
que fugitivement et superficiellement pour le vulgaire , et
qui se fait sentir , aux esprits éclairés seulement , dans toute
sa plénitude. Ici , il y a sans doute plus de relatif que llààhaut
; mais il y a encore un positif qu'on ne peut nier. Je'
dois faire remarquer que M. Barthez , parlant du beau , le
considère et dans la nature et dans les arts ; et c'est par cette
raison que j'ai cru devoir combattre sa doctrine.
Le second discours roule sur les agrémens qui , étant
attachés à certaines combinaisons des sons , peuvent être les
élémens du sentiment de la beauté.
Or , M. Barthez prononce d'abord que , « entre les objets
» des divers sens , il n'y a que ceux des sens de la vue et de
» l'ouïe qui puissent produire des sensations agréables , dont
» résultent les sentimens de la beauté . »
Cette décision n'est- elle pas un peu tranchante? Le toucher
, dans les ténèbres , ne distingue - t- il pas la beauté des
formes ( bien sentir, c'est voir ) ; l'odorat , la beauté des fleurs
qui parfument l'atmosphère ; et le goût , celle d'un fruit ,
éclairé par sa saveur ?
Ce discours ou chapitre est plein de recherches savantes
que l'auteur appuie sur des autorités reçues et estimées , telles
que Sulzer , Métastase , le père Martini , l'abbé Arnaud ,
Chabanon , Grétry , et autres grecques et latines , desquelles '
ces modernes ont eux-mêmes étayé l'édifice systématique
par eux élevé , soit à tous les arts en général , soit à celui de
la musique en particulier.
A propos des effets de la musique chez les anciens' , effets
supérieurs à ceux de la musique moderne , effets d'autant
plus surprenans , qu'il paroît (et c'est une remarque du
père Martini et de quelques autres ) , qu'il paroît que ces
anciens ne connoissoient pas l'harmonie proprement dite ,
M. Barthez rapporte sa supériorité sur la nôtre , à ce défaut
mêine d'harmonie , c'est-à-dire , à sa simplicité . Cette obserration
AOUT 1807 .
vation me semble lumineuse . Qu'on y réfléchisse : dégagé
de la partie scientifique , cet art devoit être un langage plus
naturel, et, comme étant moins composé, plus perceptible par
les sens et par l'ame. Aujourd'hui , les accens étudiés de
l'art , mêlés aux accens inspirés du coeur , partagent celui-ci
entre les sensations qui lui sont propres , et les combinaisons
qui appartiennent à l'esprit ,
« J'observe , dit M. Barthez , que les effets d'expression
» que produit la mélodie , sont d'autant plus puissans , que
» son exécution est plus dégagée d'ornemens qui lui sont
» étrangers . »
Depuis plusieurs années , les grands effets de la musique
s'affoiblissent , et bientôt seront perdus ; car , depuis plusieurs
années , l'on s'éloigne de la musique dramatique.
L'on a transporté dans l'art musical , comme l'ont fait dans
l'art poétique , quelques versificateurs modernes ( et je me
garderai bien de les honorer du titre de poètes ) : l'ony a transporté
je ne sais quelle manie enquêteuse , diroit Montaigne ,
de difficultés . Il semble que ce qu'ils craindroient le plus , ou
que leur plus grand effort seroit d'être simples . Au chant
d'expression , ont succédé les roulades , les roucoulemens ,
et l'on pourroit dire les gloussemens . De cette manièrè ,
l'exécution tombe dans une monotonie fatigante , et le chant
sort du gosier , non de l'ame . Aussi ne s'adresse -t - il plás
qu'à l'oreille , bientôt fatiguée elle -même , quand le coeur .
n'est pas de moitié dans l'intérêt.
M. Barthez considère et signale diverses causes générales
de la supériorité des effets de la musique des anciens ; mais
ses recherches deviennent ici trop scientifiques et trop techniques
pour entrer dans le cadre d'une simple analyse. Il
traite , dans cet intéressant chapitre , des combinaisons des
sons , du rhythme , de ses retours périodiques , de son pouvoir
, de ses caractères , etc. Ce chapitre entier s'offre à la
méditation du lecteur . Je passe au troisième , dont voici le
titre : Du beau dans les arts imitatifs , ou dans la peinture
et la sculpture.
M. Barthez attaque le principe de Batteux , qui a dit que
tous les beaux arts ont pour objet l'imitation de la nature.
Eh ! quel est donc , peut-on demander , l'objet des arts ,
autre que cette imitation ? Ou , si tel n'est pas leur but ,
pourquoi est-il reçu que l'artiste le plus habile est celui qui
s'est le moins éloigné de la nature , en rendant les produc
tions ou les effets de la nature ?
« A parler exactement , continue M. Barthez , les seuls
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
» arts qui sont essentiellement imitatifs , sont la peinture ét
» la sculpture. »
Ces deux arts le sont en effet plus que les autres ; mais la
poésie , qui est une autre peinture , est aussi une science
imitalive , ou pour mieux dire imitatrice. Pour détruire,
cette assertion , ce ne seroit pas aller droit à la preuve que
d'argumenter de cette sorte d'idéal qui entre dans la poésie ,
et qui entre de même , et toujours , dans les deux arts qu'on
vient de nommer . Qu'est-ce que cet idéal ? Il est formé par
un ingénieux travail de l'esprit , qui , calculant les distances
et les perspectives , a créé ce qu'on nomme le grandiose
, cet artifice nécessaire pour que les objets soient en
rapport avec les sens , et regagnent , dans une exagération
bien entendue de leurs formes , ce qu'ils doivent inévitablement
perdre dans l'éloignement. Cet idéal n'est pas toujours
, il est vrai , renfermé dans ces limites . Il les franchit ,
par exemple , dans les héros d'Homère et de l Arioste ; mais
pourtant ces héros tiennent encore à la nature par leurs
passions ; et c'est par ces passions sur -tout , c'est- à-dire par
ce qui les rapproche le plus du modèle , qu'ils nous plaisent
et nous font illusion . Que leurs passions , après cela , soient
colossales comme leur stature , peu importe dès-lors qu'elles
sont en perspective , et qu'entre ces êtres imaginés , mais
imités d'êtres réels , tout est en proportion . L'ensemble de
ces hommes extraordinaires est formé de traits empruntés
de l'homme ordinaire , et sont seulement agrandis . C'est en
celte dernière opération que réside l'idéal. Des beautés réunies
de cinq filles choisies de Cos , le pinceau de Zeuxis
forma une Hélène ; mais alors même son art n'eut pas
d'autre objet qu'une parfaite imitation de la nature , puisqu'elle
lui fournissoit les traits dont il composoit son ensemble
et l'idéal , à proprement parler , existoit encore
ici , dans l'ensemble seulement.
J'irai plus loin , et je dirai que ce qui est produit par l'artiste
, même idéalement , étoit ou est dans la nature. Réunir
des beautés éparses ; rapprocher d'agréables accidens qui
ne frappoient dans le grand tableau de la vie , ou de la
terre , ou du ciel , que par intervalles ; lier entr'elles d'intéressantes
circonstances que la nature n'offroit que séparées :
voilà Popération ou du peintre ou du poète ; mais , s'il ne
l'imite pas cette fois dans son ensemble , il forme un ensemble
de ses divers traits ; et plus il les a rendus au naturel
, plus il excelle. Tant pis ensuite pour les poètes ou
les peintres , qui se faisant plus savans que la nature , l'ont
je te dirai , faussée , et non surpassée , comme disent quel-
9
AOUT 1807.
307
ques personnes. Des peintres , pleins de génie , tels que
le Tintoret et Rambrandt , ont pu , en opérant une sorte
d'hymen , plutôt inattendu que forcé , entre des couleurs
tranchantes , aller jusqu'à produire des contrastes qu'on n'a
pas remarqués dans la nature , et en obtenir de surprenans
et merveilleux effets ; mais ces couleurs encore étoient prises
sur la grande palette , et fournies par l'observation et l'imitation
des objets naturels. Toute l'industrie du peintre a
consisté , cette fois encore , à les élire et les rapprocher.
Quoiqu'on ne partage pas , et même alors qu'on ne les
partage pas , quelques opinions de M. Barthez , opposées
à des opinions admises comme fruits de l'expérience , on
ne peut que s'étonner , presque à chaque page de son livre ,
du fonds de vaste érudition , et de la fécondité d'aperçus
qui en forme la substance.
Rien de plus juste , comme rien de plus profondément
senti et analysé que ce qu'il dit dans ce troisième discours
des beautés idéales de l'expression ; des caractères que doi
vent avoir les qualités agréables des objets visibles , pour
faire naître le sentiment de la beauté; de ceux que doi
vent avoir les couleurs d'un objet , ses formes , så grandeur,
etc.; de l'effet de ses rapports et proportions , de leur
influence , etc. , dans la même fin.
Partout dans ces considérations , la critique de M. Bar
thez est solide et conséquente , est celle d'un homme quí
cherche à dégager la vérité des ombres de l'erreur .
Le quatrième discours traite des beautés de l'homme et de
la femme. L'auteur y remarque les agrémens principaux qui
peuvent concourir à produire le sentiment de la beauté du
corps humain. « Il est très- certain , comme il dit , que l'on
a une telle habitude de lier , avec l'idée de la beauté d'u corps
humain , l'idée de ses dimensions un peu supérieures à
celles qui sont les plus ordinaires , que , par une suite de
l'association de ces idées ; on est porté à croire plus grande
qu'elle n'est , la taille peu avantageuse d'un homme chez
qui les parties du corps ont de la beauté , par l'effet de leur
correspondance parfaite. Suétone rapporte que l'empereur
Auguste étoit de petite taille ; mais que ce défaut étoit couveri
per la convenance d'agencement et les justes proportions
de ses membres ; de sorte qu'on ne ' en apercevoit que lors
qu'il étoit assis auprès d'un homme de grande taille . »
Il parcourt quelques goûts des peuples relativement à la
beauté. L'on a donné à ce mot une acception sans doute
trop restreinte ; car enfin je pense , et M. Barthez le prouve
que le convenable , qui suppose l'armonie dans les rap-
Y a
302 MERCURE DE FRANCE ,
grand , du beau moral. Les affections de même nature
deviennent son aliment habituel. Des grandes pensées
naissent les grandes actions : « L'esprit de l'homme ainsi
>>éclairé , dit M. Barthez , et perfectionné par l'étude des
>>lettres et de la philosophie , conçoit les vertus auxquelles
>> l'homme peut s'élever d'une manière beaucoup plus pár
>>faite et plus grande que ne peut le concevoir un pâtre, un
>>laboureur , ou tout autre hommed'une condition obscure,
>>dont l'éducation n'a point étendu les lumières naturelles.
>>Celui-ci ne peut que parcourir sans cesse un cercle de
> vertus communes , dans lequel il est entraîné , comme
>> automatiquement , par la nécessité , l'habitude et l'exemple
>> de ses pareils .>>>
Et quand le sentiment du beau , qu'on a puisé dans la
méditation et la culture des arts , n'auroit d'autre utilité que
de rendre la vertu aimable , qui oseroit calomaier ces arts ,
qui sont la source de ce sentiment ? Le coeur qui s'en est
rempli se figure alors la vertu , telle qu'il a vu figurer les
chefs-d'oeuvre de la sculpture et de la peinture , revêtue
des plus dignes et des plus séduisantes formes ; et , pleine
d'attraits pour lui, il la suit et il l'adore.
Inspiré par la lecture de l'Introduction à la Théorie du
Beau, j'ai jeté ces idées , qui se rapportent à celles de l'auteur.
Je passe à l'ouvrage lui-même , bien plus fécond en
heureuses pensées de tout genre , et contre la séduction.
desquelles il faut se tenir en garde , de peur d'être entraîné
à produire plusieurs volumes , alors qu'on a pour tâche de
ne rendre compte que d'un seul.
Cet ouvrage est divisé en discours (au nombre de sept ) ,
qui sont eux-mêmes divisés en sections. Le premier discours
, comme cela devoit être , a pour titre : Du Sentiment
de la Beauté. Il falloit d'abord faire connoître quel il est ,
avant de rechercher par quels procédés ou artifices il se
forme.
Je suis fâché de commencer par n'être pas de l'avis de
l'auteur , du moins du principe qu'il pose , dès ses premières
lignes , que la beauté n'existe point par elle-même , et dans
les objets que nous trouvons beaux; qu'elle n'est qu'une
relation qu'ils ont avec nous , etc.
Sans doute il y a un beau relatif, sur-tout en matière
d'arts ; mais il y a aussi un beau subsistant en soi, que s'accordent
à reconnoître presque tous les yeuxettouslesggooûts.
Entre le beau relatifet le beau positif, il est un beau douteux
ou de convention qu'on peut nier ou admettre ; mais ,
quant à un beau réel (ici ,les éclaircissemens me sont inter-
1
t
AOUT 1807 .
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que
dits, sous peine d'être accusé de faire un Traité) ; quant à un
beau réel , dis-je , son existence ne peut être révoquée en
doute , à moins de douter aussi du sentiment qui en émane.
Il est , par exemple , telle action héroïque , tel écrit sublime ,
tel héros , tel grand poète , que tous les esprits bien organisés
ont admiré ou admirent. Dira-t-on que cette sorte de
beau n'a qu'une existence relative ? Ne sera-t-il qu'effet ,
lorsqu'il est prouvé qu'il est cause dans ces mouvemens
d'admiration qui agitent notre ame ? Est-ce que cet homme
illustre , ou ce fait remarquable, ne seroient l'un et l'autre
par rapport à notre manière de l'envisager, et non par euxmêmes
? Je pense que Platon , raisonnant en sens inverse ,
et se formant du beau une idée à part de son objet , a
peut-être trop cédé aux prestiges de son imagination brillante
; mais M. Barthez tombe , je le pense , dans un autre
extrême , lorsqu'il ne fait de la beauté qu'un objet de relation
et purement dépendant ; que dis - je ? qu'un objet
négatif , comme le froid, comme s'il n'y avoit pas déjà beaucoup
à dire pour ou contre ce système de Brown , touchant
le calorique.
M. Barthez ne reconnoît-il pas cependant un peu plus
loin l'existence indépendante du beau , lorsqu'il parle « des
» conditions particulières qui doivent exister dans les divers
» genres d'objets , pour qu'ils puissent exciter le sentiment
» de leur beauté? Si l'accomplissement de ces conditions
est de rigueur , pour exciter ce sentiment , il faut reconnoître
que le beau existe , alors que les objets offrent en eux ces
conditions remplies . Raisonner autrement , c'est raisonner
subtilement , et non franchement ; car nul effet sans cause .
Un grand génie , un grand talent , le génie de Napoléon , le
talent de M. Barthez excitent mon admiration , mon estime.
N'est-ce ici encore qu'un beau relatif? Ce beau que j'admire
existe bien clairement hors de moi ; et , par réflexion , il
provoque en moi ce mouvement que je nomme admiration .
Ce sera donc le sentiment , c'est-à-dire l'effet , et non le
beau , c'est-à -dire l'objet ou la cause , qui sera relatif. Et
alors ne pourroit-on pas dire au contraire que c'est bien le
sentiment du beau qui n'existe pas de lui-même , puisqu'il
ne commence qu'alors qu'il est excité par l'objet qui le frappe,
que postérieurement , et par une conséquence de la vue de
cet objet ? Je pense pourtant que , une fois né , il est trèsprononcé
, très -réel ; mais je pense aussi , à fortiori , que
l'objet a , comme lui , son existence très-distincte et très- indé
pendante des affections , qui ne sont que ses effets .
M. Barthez , à l'exemple de Winckelmann , a su distin304
MERCURE DE FRANCE ,
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guer la perfection d'avec la beauté. La perfection! C'est elle
qui est relative. Tous les yeux et tous les goûts peuvent être
plus ou moins juges de ce qui est beau. Il n'y a que des yeux
et des goûts éclairés qui le soientde cé qui
fait; car il faut être , avant tout , instruit des procédés qui
mènent à la perfection.
est ou seroitpar-
3.
Je répète que tous les yeux et tous les goûts peuvent être
plus ou moins juges de ce qui est beau et il est en effet un
beau que nous sentons naturellement, et même dès l'enfance
, comme en vertu d'une disposition innée. En celui-là ,
il n'y a rien , ou presque rien de relatif. Il en est un autre
(celui qu'on sent dans les arts ) qui n'existe , je l'accorde ,
que fugitivement et superficiellement pour le vulgaire , et
qui se fait sentir , aux esprits éclairés seulement , dans toute
sa plénitude. Ici, ily a sans doute plus de relatif que làhaut;
mais il y a encore un positif qu'on ne peut nier. Je
dois faire remarquer que M. Barthez , parlant du beau , le
considère et dans la nature et dans les arts ; et c'est par cette
raison que j'ai cru devoir combattre sa doctrine.
Le second discours roule sur les agrémens qui , étant
attachés à certaines combinaisons des sons , peuvent être les
élémens du sentiment de la beauté.
Or , M. Barthez prononce d'abord que , « entre les objets
>> des divers sens , iln'y a que ceux des sens de la vue et de
>> l'ouïe qui puissent produire des sensations agréables , dont
>> résultent les sentimens de la beauté . >>>
Cette décision n'est- elle pas un peu tranchante? Le toucher,
dans les ténèbres , ne distingue-t-il pas la beauté des
formes ( bien sentir, c'est voir ) ; l'odorat , la beauté des fleurs
qui parfument l'atmosphère ; et le goût , celle d'un fruit,
éclairé par sa saveur ?
Ce discours ou chapitre est plein de recherches savantes
quel'auteur appuie surdes autorités reçues et estimées, telles
que Sulzer , Métastase , le père Martini , l'abbé Arnaud ,
Chabanon , Grétry , et autres grecques et latines , desquelles
ces modernes ont eux-mêmes étayé l'édifice systématique
par eux élevé , soit à tous les arts en général , soit à celuide
la musique en particulier.
Apropos des effets de la musique chez les anciens , effets
supérieurs à ceux de la musique moderne , effets d'autant
plus surprenans , qu'il paroît (et c'est une remarque du
père Martini et de quelques autres ) , qu'il paroît que ces
anciens ne connoissoient pas l'harmonie proprement dite ,
M. Barthez rapporte sa supériorité sur la nôtre , à ce défaut
même d'harmonie , c'est-à-dire , à sa simplicité. Cette obser-
:
vation
AOUT 1807 .
vation me semble lumineuse. Qu'on y réfléchisse : dégagé
de la partie scientifique , cet art devoit être un langage plus
naturel, et, commeétant moins composé, plus perceptible par
les sens et par l'ame. Aujourd'hui , les accens étudiés de
l'art , mêlés aux accens inspirés du coeur , partagent celui-ci
entre les sensations qui lui sont propres , et les combinaisons
qui appartiennent à l'esprit.
« J'observe , dit M. Barthez , que les effets d'expression
>> que produit la mélodie , sont d'autant plus puissans , que
>> son exécution est plus dégagée d'ornemens qui lui sont
>> étrangers .>>>
Depuis plusieurs années , les grands effets de la musique.
s'affoiblissent , et bientôt seront perdus ; car , depuis plusieurs
années , l'on s'éloigne de la musique dramatique .
L'on a transporté dans l'art musical , comme l'ont fait dans
l'art poétique , quelques versificateurs modernes (etje me
garderai bien de les honorerdu titre de poètes ) : l'ony a transporté
je ne sais quelle manie enquêteuse , diroit Montaigne ,
dedifficultés . Il semble que ce qu'ils craindroient le plus , ou
que leur plus grand effort seroit d'être simples . Au chant
d'expression , ont succédé les roulades , les roucoulemens ,
et l'on pourroit dire les gloussemens. De cette manière,
l'exécution tombe dans une monotonie fatigante , et lechant
sort du gosier , non de l'ame. Aussi ne s'adresse- t- il plus
qu'à l'oreille , bientôt fatiguée elle-même , quand le coeur
n'est pas de moitié dans l'intérêt .
M. Barthez considère et signale diverses causes générales
de la supériorité des effets de la musique des anciens ; mais
ses recherches deviennent ici trop scientifiques et trop techniques
pour entrer dans le cadre d'une simple analyse. Il
traite , dans cet intéressant chapitre , des combinaisons des
sons , du rhythme , de ses retours périodiqués , de son pouvoir
, de ses caractères , etc. Ce chapitre entier s'offre à la
méditation du lecteur. Je passe au troisième , dont voicile
titre : Du beau dans les arts imitatifs , ou dans la peinture
et la sculpture.
M. Barthez attaque le principe de Batteux , qui a dit que
tous les beaux arts ont pour objet l'imitation de la nature .
Eh ! quel est donc , peut-on demander , l'objet des arts ,
autre que cette imitation ? Ou , si tel n'est pas leur but ,
pourquoi est-il reçu que l'artiste le plus habile est celui qui
s'est le moins éloigné de la nature, en rendant les produc.
tions ou les effets de la nature ?
<<A parler exactement , continue M. Barthez , les seuls
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
>>arts qui sont essentiellement imitatifs , sont la peinture et
>>>la sculpture.>>
Ces deux arts le sont en effet plus que les autres ; mais la
poésie, qui est une autre peinture , est aussi une science
imitative , ou pour mieux dire imitatrice. Pour détruire
cette assertion, ce ne seroit pas aller droit à la preuve que
d'argumenter de cette sorte d'idéal qui entre dans la poésie ,
et qui entre de même, et toujours , dans les deux arts qu'on
vientde nommer. Qu'est-ce que cet idéal ? Il est formé par
un ingénieux travail de l'esprit , qui , calculant les distances
et les perspectives , a créé ce qu'on nomme le grandiose
, cet artifice nécessaire pour que les objets soient en
rapport avec les sens , et regagnent , dans une exagération
bien entendue de leurs formes , ce qu'ils doivent inévitablement
perdre dans l'éloignement. Cet idéal n'est pas toujours,
il est vrai , renfermé dans ces limites. Il les franchit ,
par exemple , dans les héros d'Homère et de l Arioste ; mais
pourtant ces héros tiennent encore à la nature par leurs
passions ; et c'est par ces passions sur-tout , c'est-à-dire par
ce qui les rapproche le plus du modèle , qu'ils nous plaisent
et nous font illusion. Que leurs passions , après cela , soient
colossales comme leur stature , peu importe dès-lors qu'elles
sont en perspective , et qu'entre ces êtres imaginés , mais
imités d'êtres réels , tout est en proportion. L'ensemble de
ces hommes extraordinaires est formé de traits empruntés
de l'homme ordinaire , et sont seulement agrandis. C'est en
cette dernière opération que réside l'idéal1.. DDeess beautés réunies
de cinq filles choisies de Cos , le pinceau de Zeuxis
forma une Hélène ; mais alors même son art n'eut pas
d'autre objet qu'une parfaite imitation de la nature , puisqu'elle
lui fournissoit les traits dont il composoit son ensemble
: et l'idéal , à proprement parler , existoit encore
ici , dans l'ensemble seulement.
J'irai plus loin , et je dirai que ce qui est produit par l'artiste
, même idéalement, étoit ou est dans la nature. Réunir
des beautés éparses ; rapprocher d'agréables accidens qui
ne frappoient dans le grand tableau de la vie , ou de la
terre , ou du ciel , que par intervalles ; lier entr'elles d'intéressantes
circonstances que la nature n'offroit que séparées :
voilà l'opération ou du peintre ou du poète ; mais , s'il ne
l'imite pas cette fois dans son ensemble , il forme un ensemble
de ses divers traits ; et plus il les a rendus au uaturel
, plus il excelle. Tant pis ensuite pour les poètes ou
les peintres , qui se faisant plus savans que la nature , l'ont ,
je te dirai , faussée , et non surpassée , comme disent quel
AOUT 1807. 307
ques personnes . Des peintres , pleins de génie , tels que
le Tintoret et Rambrandt , ont pu , en opérant une sorte
d'hymen , plutôt inattendu que forcé , entre des couleurs
tranchantes , aller jusqu'à produire des contrastes qu'on n'a
pas remarqués dans la nature , et en obtenir de surprenans
et merveilleux effets ; mais ces couleurs encore étoient prises
sur la grande palette , et fournies par l'observation et l'imitation
des objets naturels . Toute l'industrie du peintre a
consisté , cette fois encore , à les élire et les rapprocher .
Quoiqu'on ne partage pas , et même alors qu'on ne les
partage pas , quelques opinions de M. Barthez , opposées
àdes opinions admises comme fruits de l'expérience , on
ne peut que s'étonner , presque chaque page de son livre ,
du fonds de vaste érudition ; et de la fécondité d'aperçus
qui en forme la substance.
à
Rien de plus juste , comme rien de plus profondément
senti et analysé que ce qu'il dit dans ce troisième discours
des beautés idéales de l'expression ; des caractères que doi
vent avoir les qualités agréables des objets visibles , pour
faire naître le sentiment de la beauté; de ceux que doivent
avoir les couleurs d'un objet , ses formes , så grandeur,
etc.; de l'effet de ses rapports et proportions , de leur
influence, etc. , dans la même fin.
Partout dans ces considérations , la critique de M. Barthez
est solide et conséquente , est celle d'un homme quí
cherche à dégager la vérité des ombres de l'erreur .
Le quatrième discours traite des beautés de l'homme et de
lafemme. L'auteur y remarque les agrémens principaux qui
peuvent concourir à produire le sentiment de la beauté du
corps humain. « Il est très-certain , comme il dit , que l'on
aune telle habitude de lier , avec l'idée de la beauté du corps
humain , l'idée de ses dimensions un peu supérieures à
celles qui sont les plus ordinaires , que , par une suite de
l'association de ces idées , on est porté à croire plus grande
qu'elle n'est, la taille peu avantageuse d'un homme chez
qui les parties du corps ont de la beauté , par l'effet de leur
correspondance parfaite. Suétone rapporte que l'empereur
Auguste étoit de petite taille ; mais que ce défaut étoit couveri
par la convenance d'agencement et les justes proportions
de ses membres; de sorte qu'on ne 'en apercevoit que lors
qu'il étoit assis auprès d'un homme de grande taille. »
Il parcourt quelques goûts des peuples relativement à la
beaute. L'on adonné à ce mot une acception sans doute
trop restreinte ; car enfin je pense , et M. Barthez le prouve ,
que le convenable, qui suppose Puanmonie dans les rap
Va
308 MERCURE DE FRANCE ,
ports, est presque toujours le beau. La laideur même a
quelquefois sa beauté. Voyez ce Roscius , avec ses yeux
de travers (perversissimis oculis ! ) : Catulle nous le repré
sente plus beau qu'Apollon. Qu'IL EST BEAU ! s'écrioient
les femmes , oubliant l'air commun de le Kain , lorsque
l'ame d'Orosmane ou de Vendôme , passant dans la sienne ,
animoit ses yeux de tous les feux de l'amour. En ces momens
d'inspiration , la figure de l'homme de génie , quelque
peu conforme même qu'elle soit à ces proportions qui constituent
la beauté , brille en effet d'un éclat céleste ; et c'est
dans cette idée que le Métromane a dû dire :
Les personnes d'esprit sont-elles jamais laides ?
L'enfant qui n'a aucuns traits marqués , aucuns non plus
où se montre son ame , que lui-même ignore, peut plaire ,
mais sans exciter le sentiment du beau , que peut faire
naître au contraire l'aspect d'un vieillard , dont l'ame ;
encore jeune , vient vivifier et rajeunir le regard :
« On voit , dit M. Barthez , de belles têtes de vieillards du
genre le plus imposant , dont les traits pleins de vie et
d'intelligence , semblent n'avoir été fixés par le long cours
des années que pour annoncer une ame qui survit à tout;
de ces têtes qui pourroient servir de modèles aux grands
artistes pour former des images divines de Saturne ou du
Temps, qui conserve sa nature immortelle à travers les
ruines de tous les âges . >>>>
2
La beauté du corps humain est remarquable donc :
d'abord , dans lajuste proportion qui existe entre ses parties
, dont le résultat organique impose quelquefois tellement
auxyeux , qu'il semble , comme on l'a vu par l'exemple
d'Auguste , élever la stature ; et, comme le reconncît aussi
Héliodore , dans son roman de Théagène (formæ præstantia
et excellentia adedit ad speciem proceritatis ). Elle l'est
ensuite dans la souplesse et la justesse d'exécution de ses
mouvemens , dans la pose du corps , doù résulte la grace ,
plus belle que la beauté même . Oeci est pour la grace naturelle.
Il en est une autre , factice , mais non moins puissante
quelquefois chez la femme , lorsque , par une sorte
d'aveu de sa propre foiblesse , elle semble solliciter le secour's
-de l'homme , de ce fier protecteur , qu'elle rend plus foible
qu'elle . C'est Armide triomphant d'un camp tout entier de
héros , dont elle feint de se faire la sujette,pour les mieux
faire ses esclaves .
Dans le cinquième discours , l'auteur développe les
beautés de l'eloquence.
AOUT 1807 : 309
Nous ferons remarquer , en entrant dans sa pensée , qu'il
est dans l'éloquence , comme dans les autres arts , des proportions
et des mesures que sent l'ame , non pas en s'en
rendant compte comme l'esprit , mais sans se tromper plus ,
et même en se trompant moins que lui. Voilà pourquoi
le vulgaire , qui n'a pas même une idée des règles de la
rhétorique , ni des procédés de l'orateur , goûte presque
toujours les vraies beautés oratoires , ou sent les vices d'un
discours , soit que l'objet traité le fût sans inspiration ou
non convenablement; qu'il soit étendu et délayé dans des
formes diffuses , ou à peine indiqué dans des divisions
étroites et mesquines .
L'orateur doit conserver religieusement le caractère de
l'éloquence , et ne pas le confondre , par exemple , avec
celui de la poésie. La poésie étant une sorte de langue toute
particulière , ses tours et ses nombres ne sauroient être
transportés dans la prose , meme oratoire , sans blesser
Poreille,, en cequ'ilsyforment une mesure cadencée qu'elle
n'yattend pas , qu'elle ne doit pas y attendre.
La prose a son rhythme général , résultant spécialement
des tours périodiques ; et son harmonie qui lui est propre ,
résultant aussi de l'ingénieux mélange des longues et des
petites phrases. Pour compléter ce résultat harmonique ,
il ne faut pas d'abus dans l'emploi des unes et des autres ;
c'est-à-dire, qu'il faut n'être ni trop souvent périodique ,
à l'exemple de Cicéron , ni procéder trop souvent par trait
et par épigramme , à l'exemple de Sénèque , et même de
Tacite ; n'être , enfin , ni trop arrondi , ni trop sec .
Il est, de plus , un autre excès que n'ont point évité
quelques-uns de nos écrivains , celui des phrases qu'on
pourroit nommer interminables , et qu'il ne faut pas confondre
avec celles qui ne sont que périodiques . M. Barthez -
fait , à ce sujet , cette remarque critique , qui est souvent
juste:
« Buffon , qui a beaucoup travaillé sur le style , sur
lequel il a donné d'ailleurs des conseils particuliers qui
sont fort bons , a généralement négligé les effets du rhythme
périodique , en faisant très -souvent des phrases qui ne
finissent pas , et dans lesquelles les parties principales ne
sont pas séparées , de manière à former, pour chaque
idée majeure , unson complet auquel réponde un accord
simple et harmonieux. »
Aristote trace , en deux mots , la ligne de démarcation
entre la prose et les vers : Le discours oratoire doit avoir
des nombres , mais il ne doit point avoir de mètres. Cette
1
3
310 MERCURE DE FRANCE ,
distinction est excellente. Elle n'a point été sentie , ou a
été ignorée de nos faiseurs de prose poétique. Nombreuse ,
et non régulièrement mesurée ; voilà quelle doit être la
prose. In Toreille est le seul juge de cette cadence irrégu
lière qui lui convient : irrégulière , sans doute , puisqu'elle
n'a ni règles de temps établies , ni retours de sous forcés ,
comme la cadence poétique.
ici ג
M. Barthez reçoit les trois divisions de style oratoire ,
admises par les rhéteurs : lesimple , le sublime , le tempéré.
C'est encore l'heureux mélange de ces trois styles qui constitue
la perfection d'un discours . Il produit , selon Hermogène
, Cicéron , Quintilien , etc. la variété , et par conséquent
l'intérêt, L'orateur ne peut être ou toujours simple,
ou toujours tempéré, ou toujours élevé , sous peine , là ,
d'ennuyer ; de fatiguer son auditeur, Que l'orateur
consulte donc , encore cette fois , son ame , son meilleur
guide ; qu'elle l'inspire , et il aura le ton convenable : car
Pame l'élevera , s'il faut qu'il s'élève ; et s'il faut qu'il soit
simple , le fera descendre avec dignité. En l'écoutant , il ne
se trompera ni sur le choix des pensées , ni sur celui des
expressions , ni sur ce qu'il faudra dire qu taire. L'ame
le ramènera à la peinture des sentimens naturels , et réglera
les tentatives quelquefois hasardées de l'art. En puisant
ainsi son talent dans son coeur , l'orateur est bien sûr
de se garantir de l'affectation , qui est la mort du talent. C'est
ce qui fait la grande force de celui de Démosthènes , ainsi
caractérisé par M. Barthez :
«La forme essentielle du style de Démosthènes , est d'être
1. serré et nerveux , les pensées n'y étant point liées d'une
Įmanière lâche ou avec des mots superflus ; 2°. grave , les
tours donnés aux pensées n'ayant point d'affectation , de
légèreté ou de finesse ; 3° , noble ou élevé , les expressions y
étant éloignées du langage familier , sans paroître recherchées
, etc,
Quant aux moyens oratoires , dont M. Barthez fait la
recherche dans la section troisième , c'est encore l'ame qui
les fournit à l'orateur (pectus est quodfacit disertos ) .
De là il passe aux causes qui acertaines époques, empêchent
Jes orateurs de s'élever au sublime. Les grands traits s'épuisent
, le beau s'use ; on en veut créer un nouveau , on ne
produit à saplace que du bizarre. Il faut qu'un autre ordre ,
que d'autres circonstances renouvellent les moeurs et les
habitudes , ouvrent au génię une nouvelle sphère d'idées :
alors le sublime peut reparoître. Cette époque de l'esprit
pumain luit pour nous ; car c'est celle ou un grand peuple
AOUT 1807 . 3tr
A
2
se retrempe , si l'on peut le dire , dans les destinées d'un
grand homme, et se ranime et se relève sous sa purissante
influence ; mais , alors , il ne faut pas que la médiocrité
envieuse attaque en tous sens les talens nés et à naître
pour les rabaisser à son niveau. L'un des moyens d'élever le
* génie , c'est de lui faire envisager toujours le point d'élévation,
en lui montrant la difficulté , mais non l'impossibilité
d'y atteindre. Malheureusement celui qui ne peut que
ramper veut que tout rampe autourde lui, et comme lui.
L'auteur assigne avec vérité et précision les causes prochaines
et éloignées de la décadence du goût.
Il montre les heureux effets de la culture des belleslettres
, qui sont un adoucissement des ennuis de la vie ;
une garantie pour les sciences elles-mêmes , qui survivent
à peine à leur chute ; un bienfait général pour l'esprit et
les moeurs , qu'elles polissent ; pour les coeurs , où elles
portent le sentiment de la vertu. Tout se tient dans l'ordre
inoral : la dégradation des esprits amène celle des coeurs
et celle des coeurs celle des esprits . Le secret , c'est de les
renouveler les uns par les autres .
2
La matière du sixième discours est intéressante pour
tous les poètes : il roule sur les beautés de la poésie.
L'art du poète n'est pas représentatif immédiatement ,
mais indirectement , des objets naturels , en ce qu'il produit
sur l'esprit , par une savante imitation , l'effet que produisent
la peinture et la sculpture sur les sens. Par elle ,
Pimagination se représente l'objet comme s'il étoit sous les
yeux ; et l'illusion ou l'optique de la scène le rend toutpuissant
sur l'ame , plus puissant même quelquefois que la
réalité. Il est très-sûr que le sentiment du beau est en proportion
des lumières de l'esprit ; il se fortifie par le raisonnement
et l'analyse : c'est un germe , en quelque sorte , que
la lecture ou la vue a fait entrer dans l'aime , que la réflexion
y développe, etde qui peuvent naître des productions , si
ce n'est pareilles , du moins analogues. C'est ce que j'éprouve
en ce moinent, à la lecture de la Théorie du Beau , qui
m'invite à suivre le cours des idées de son auteur, et m'entraîneroit
peut-être à faire moi-même un nouvel ouvrage
de même nature , sur cette matière inépuisable .
M. Barthez pénètre jusque dans les secrets du mécanisme
poétique , qu'il explique de manière à faire croire que le
célèbre physiologiste s'est, toute sa vie , occupé de poésie ;
qu'il empêche du moins qu'on n'oublie que le dieu d'Epidaure
est fils du dieu des vers. Je pourrois le suivre ici
dans ses recherches , si je ne craignois de tomber dans des
:
4
312 MERCURE DE FRANCE ,
explications trop métaphysiques , trop sèches par conséquent,
pour plus d'un lecteur. Je développerois , par exemple ,
sa théorie des temps ou de l'intervalle des mots , qui ralentit
ou précipite plus ou moins le mouvement du vers , par
conséquent sa mesure et son harmonie .
J'avouerai pourtant que , s'ily a les trois quarts de réel ,
il y a un quart d'arbitraire dans ses jugemens sur les effets
imitatifs des objets que le poète cherche à reproduire , ou
du moins à répéter. Exemple , lorsqu'il dit :
« L'on exprime avec force un mouvement précipité de
>> descente d'un objet , lorsque la suite de mots qui peint
>>ce mouvement finit par un mot monosyllabe qui fait une
>> chute singulièrement raccourcie. C'est ce qu'on sent dans
>> ces traits si connus :
Procumbit hymi bos
Et ..... ter revoluta toro est. »
L'on peut convenir qu'en ces deux endroits l'imitation
est heureuse ; mais il n'en faudroit pas faire une règle
générale. En voici la preuve :
<<Dans ce vers de Virgile sur la colombe , dit M. Barthez ,
>> que l'épervier saisit et déchire dans les airs avec ses serres ,
Tum cruor et vulsæ labuntur ab æthere pennæ ,
>>je vois , dit - il , la chute des plumes , dont la légéreté
>>ralentit cette chute et les relève en partie , bien exprimée
>>par le rhythme des mots ; et la beauté de cette expression
>>pittoresque se réfléchit sur l'image même. »
La prévention qui entre dans ce jugement est frappante.
Supposons que le même poète voulût peindre des roches
détachées et tombant du haut d'une montagne , et que l'expression
rupes remplace celle de pennæ :
Tum cruor et vulsæ labuntur ab æthere rupes ;
levers ne sera pas moins harmonieux ; mais il sera pittoresque
en un sens tout contraire , en ce qu'il peindra la
pesanteur, au lieu de la légéreté.
J'invite les poètes à méditer ses remarques ingénieuses et
pleines de goût sur l'usage des figures dans la poésie , sur
les figures sur-tout de comparaisons, pour lesquelles nous
somines devenus beaucoup plus exigeans que les anciens ;
car ils se contentoient de rapports incertains et éloignés entre
les objets de similitude : nous en voulons , nous , de prochains
et de frappans ; nous voulons même qu'ils s'accordent
et se correspondent en tous leurs points. Voilà ce qui rend
AOUT 1807 . 313
dans nos poëmes les figures plus rares , par l'embarras
qu'éprouve le poète de trouver ces ressemblances de rapport
: et voilà ce qui est autant de richesse perdue pour la
poésie , privée, en leur absence , du relief d'expression , qui
en est le coloris .
Ici je m'arrêterai : les considérations qui suivent , à
quelques points près qu'on peut contester , ou tout au moins
discuter , méritent beaucoup d'éloges . L'on remarque dans
toutes ces dissertations des connoissances variées , et sur-tout
un goût , qui n'appartiennent d'ordinaire qu'à l'homme qui
a fait son étude particulière de l'objet qu'il traite. Ce livre
est , en général , l'ouvrage , et d'un bon esprit , et d'un esprit
du premier ordre, éminemmentobservateur, et qui, à laforce
d'une conception vive et puissante, jointcelle d'une exécution
précise , presque toujours très-claire , quoique savante et
profonde. Je ne fais point de remarques sur le style , qui
laisse beaucoup àdesirer : la constante solidité du fond fera
oublier l'inégalité des formes.
3
R.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
:
٢٠٢٠
AU RÉDACTEUR DU MERCURE DE FRANCE.
Observations sur l'Histoire critique de la République
Romaine , etc.
1.
Deux extraits d'une Histoire critique , insérés dans le
Journal de l'Empire des 3 et 20 mai , donnent lieu à quelques
observations sur les règnes des sept rois de Rome , et sur
l'ouvrage , dans lequel l'auteur s'est proposé de détruire des
préjugés invétérés sur l'histoire des premiers siècles de cette
république.
Selonles meilleurs chronologistes , Romulus a régné 37 ans,
mais à quiconque suit avec attention le fif des événemens , ce
règne paroîtra n'avoir été que 17. Plutarque prouve évidemment
que le triomphe de Romulus coïncide à-peu-près avec
la dix-septième année de son règne. Ce même historien ,
Denys d'Halicarnasse et Tite- Live font la prise de Fidènes
le prétexte de la guerre contre les Veïens : ils parlent de
cette guerre comme entreprise bientôt après la réduction de
314 MERCURE DE FRANCE,
ville; aucundes trois ne laisse croire qu'elle ait été de longue.
durée. Ainsi , puisque la prise de Fidènes arriva dans la
seizième année du règne de Romulus , on ne peut rejeter la
conjecture d'Etienne Pighius , qui place le triomphe de
Romulus sur les Veiens dans la dix-septième année ; et , de
l'avis des mêmes historiens , cette guerre fut la dernière. Il
s'ensuit que , si ce prince a régné 37 ans , il a passé les dernières
années de sa vie dans une paix parfaite. En ajoutant
au moins 20 années de paix aux 43 années pacifiques sous
Numa, il faut convenir que les Romains avoient joui de la
paix durant 63 ans , lorsque Tullus Hostilius monta sur le
trône. Cependant , Plutarque rapporte que , quand Numa
fut élu roi , les Romains s'étoient endurcis à la guerre , et
Tite-Liveles appelle animos militia efferatos ( 1 ) . Comment ,
après une paix aussi longue , Tullus Hostilius auroit- il, pu
les tendre si subitement guerriers ? L'erreur à cet égard
semble venir de l'attachement des historiens à une chronologie
artificielle , puisque les événemens ne s'accordent pas
avec leurs époques.
Tarquin l'Ancien ne paroît pas avoir régné 38 , ni avoir
vécu 80 ans ; et le règne de Servius Tullius, son successeur, ne
peut se prolonger jusqu'à 44 ans. Servius , au commencement
de son règne , établit le cens , qui devoit être renouvelé
tous les cinq ans. Néanmoins , selon les marbres capitolins
, on ne compte que quatre lustres dans l'espace de ces
44 années. Il n'est pas probable que Servius aura négligé
P'observance d'une institution qui étoit le chef-d'oeuvre de
sa politique . Si donc ce règne ne renferme que quatre lustres
ou 20 ans , la mort de ce prince étant supposée immédiatement
avant le cinquième lustre, et le premier fixé vers la
cinquième année du règne , comme Denys d'Halicarnasse
semble l'insinuer, on peut retrancher 20 années des 44 assignées
à son administration. En supposant que Tarquin le
Superbe , petit-fils de l'ancien , n'ait eu que sept ans lorsque
son aïeul mourut , le règne de Tullius , à qui il succéda ,
ayant été de 44 , il en avoit 51 lorsqu'il s'empara du trône.
S'il es vrai qu'il ait régné 25 ans , il étoit âgé de 76 ans
lorsqu'il fut banni : s'il est vrai encore qu'il ait fait la guerre
aux Romains pendant 14 ans , où il parut toujours à la tête
de son armée , il adû continuer ses exploits militaires jusqu'à
l'âge de go ans; ce qui répugne à Denys d'Halicarnasse、
Il résulteroit que , suivant les supputations du chevalier
(1) Liv. , lib. 1 , стр. 15.
AOUT 1807: 315
Newton , ces sept règnes peuvent monter , par un calcul
fondé sur le cours de la nature et sur l'expérience , àgans ,
chaque règne étant borné à 15 , 16 et même 17 ans , lesquels ,
par rétrogradation , depuis l'exil des Tarquins , atteindront la
trente-huitième Olympiade , qui déterminera l'époque de la
fondation de Rome àl'an 628 avant Jésus-Christ , c'est-àdire
, 24 ans plus tard que celle fixée par les chronologistes
<<Mais , dit l'auteur de l'Histoire critique , qui n'agite
point la question , si l'on abrège la durée des règues de
>> Rome, l'histoire en devient encore moins vraisemblable
>>sous tous les rapports. On ne voit pourtant pas que des
difficultés chronologiques doivent affaiblir la croyance que
l'on donne à l'histoire . « Les faits rapportés par Denys
>> d'Halicarnasse et par Tite- Live , ne sont que des fables ,
>>des contes les plus ridicules. Il n'étoit pas besoin d'un
>>grand effort de raison pour se convaincre de leur absur
>>dité , etc. Il falloit croire sans examen qu'un certain Hora-
> tius Coclès avoit défendu , à lui tout seul, un pont contre
>> une armée entière; qu'un autre Romain avoit laissé brûler
» sa main , pour la punir de n'avoir pas tué Porsenna; qu'une
>>jeune fille, nominée Clélie, avoit traversé le Tibre à la
> nage , etc.; qu'un Menenius Agrippa avoit apaisé une
» sédition , en contant des fables aux révoltés. Tous ces contes
> n'étoient pas même crus du temps de Vespasien , etc.
D'ailleurs , Tite - Live lui- même n'ajoutoit que peu de
> croyance à ces faits miraculeux; il avoue qu'on ne savoit
> pas de son temps auxquels des champions d'Albe ou de
> Rome appartenoient les noms d'Horace et de Curiace. »
Cet aveu de Tite- Live annonce son étonnement sur l'inexactitude
d'un fait de l'antiquité le plus mémorable , mais il
reconnoit les Horaces pour Romains (1) . « Il faudra croire
> encore qu'après environ cinquante ans , une domination
> fondée par trois mille banditset pasteurs , et accrue d'un
>> ramas de débiteurs insolvables , de criminels échappés à
» l'animadversion des lois , d'esclaves fugitifs , sera devenue
> assez florissante pour que son quatrième roi ait été obligé
>> de lui donner un port et une ville maritime , et que son
>>cinquième roi ait appelé les arts , et signalé son règne par
>>>des travaux dignes des nations les plus florissantes. Comme
> cette conclusion est absurde , les faits avérés obligent de
reculer l'époque de la fondation de Roine. »
Ladernièrede toutes ces assertions sembleroit nous rame-
(1) Live,lib . 1, сар, 24.
316 MERCURE DE FRANCE ,
ner au pyrrhonisme de l'histoire. D'unepart , on nepeutabré
ger la durée des règnes sans inconvénient; d'autre part , il
faut en reculer l'époque. Quel parti prendre ?Avec tous les
égards dus à la personne même et à la réputation de l'auteur,
le lecteur impartial , sans se laisser éblouir par le
flambeau de la critique , est en droit d'examiner l'authenticité
des faits et des preuves ; car un suffrage isolé ne balancera
jamais celui de tous les anciens qui ont parlé du peuple
romain, le seul distingué de tous les autres peuples , etque
Pauteur présente sous l'aspect le plus odieux , avec la teinte
du ridicule. En suivant l'ordre établi dans la critique , voici
les faits : Horatius Coclès ne parut point seul à la tête du
pont; il fut soutenu par deux autres Romains aussi distingués
par leur naissance que par leur courage. On lui érigea
une statue dans le Comice (1). Mucius Scævola , jeune
Romain , dans l'enthousiasme de la liberté , exposa sa main
sur un brasier ardent, pour affronter un Toscan qui vouloit
asservirRome. On lui accorda, au-delà du Tibre , un champ
qui , dans la suite , fut appelé de son nom (2). Les Romains ,
pour rendre à la jeune Clélie un honneur extraordinaire ,
Tui firent élever une statue équestre dans la voie Sacrée (3).
Menenius Agrippa , habile magistrat , connoissoit le pouvoir
des fables , et son apologue , plein de sens et de raison ,
produisit l'effet qu'il devoit en attendre (4) . Suétone rapporte
que l'empereur Vespasien entreprit de rétablir les trois mille
tables d'airain qui avoient souffert de l'incendie des Gaulois ,
et qu'après une recherche exacte des textes , il forma la collection
la plus belle et la plus ancienne des titres de l'Empire
, lesquels remontoient presqu'à la naissance de Rome(5).
Il n'est pas dit que Rome, loin d'avoir fait trembler Porsenna
, avoit été obligée de se rendre à ce prince . L'histoire
dit, au contraire , qu'il leva le siége , que la paix fut conclue ,
etqu'il sortitdu territoire romain (6) . Le quatrième roi est
Ancus Marcius , qui établit des cérémonies militaires dont
(1) Liv., lib . 1, cap. 1o. Nicétas , dans son Histoire de l'Empereur
AlexisDucas, rapporte qu'au siége de Constantinople un seul Frane mit
en fuite une armée de Grecs. Quelqu'invraisemblable que soit ce fait en
lui-même, il est encore moins probable qu'un Grec l'ait inventé.
(2)-Cap . 13.
(3)-Ibid. Pourquoi d'ailleurs l'action de Clélie seroit-elle regardće
comme fabuleuse , tandis que, pendant notre révolution , nous avons vu
une femme se dévoner volontairement à la mort, pour débarrasser la patrie
d'un monstre qui la dévoroit ?
-Cap. 32.
(5) Suet. , Vit. Vespas. , cap . 8.
(6) Liv. 1 , lib . a , cap. 15.
AOUT 1807 . 317
Tite-Live nous a conservé la formule. Comme les rois ses
prédécesseurs , il transporta àRome les ennemis vaincus , et
les rendit citoyens : il joignit à la ville le Janicule , et pratiqua
une communication par un pont de bois , le premier
qui ait été construit sur le Tibre. Sa domination s'étendit
jusqu'à la mer , et sous son règne fut bâtie la ville d'Ostie ,
à l'embouchuredu Tibre (1) . Le cinquième roi est Tarquin
l'Ancien. Ce prince , après s'être signalé par différens établissemens
politiques , fit reconstruire en pierres les murs de
la ville , environna la place publique de galeries , l'orna de
temples , et de salles destinées aux tribunaux et aux écoles
publiques . Pline , qui vivoit 800 ans après , ne parle qu'avec
admiration des aqueducs qu'il fit construire , pour conduire
jusqu'au Tibre les eaux stagnantes faute d'écoulement (2).
En accordant à Ancus 24 ans de règne , et à Tarquin l'An
cien 38 , peut-on conclure raisonnablement que les faits
avérés obligentde reculer l'époque de la fondation deRome?
Il n'a pas fallu tant d'années à NAPOLEON, premierEmpereur
des Français , pour opérer plus de merveilles .
Quelques écrivains modernes , il est vrai , donnent le fondateur
de Rome pour un prince d'une naissance incertaine ,
devenu lui-même chef de brigands , et dont la ville , dans
son origine , n'étoit qu'une retraite de voleurs. Il falloit sans
doute que Romulus fût doué d'une grande sagesse pour
'former d'un ramas de bandits le peuple le plus grand , le
plus religieux , le plus riche en exemples de vertu , le plus
long-temps inaccessible à l'avarice et à la prodigalité ; chez
lequel, enfin , la vie pauvre et frugale ait été aussi constamment
en honneur (3) . En effet , Denys d'Halicarnasse met
ce chef au-dessus des plus habiles législateurs ; et Tite-Live ,
en parlant de son règne et de ses exploits , dit que tout
répond à l'idée d'un héros regardé comme descendant d'un
dieu , et digne lui - même d'être regardé comme tel (4) .
L'auteur de l'Histoire des Révolutions de cette république
'remarque que l'on sera peut- être étonné que , dans un Etat
gouverné par un roi , et assisté du sénat, tout se fit au nom
du peuple , sans faire mention du prince régnant; mais il
ajoute que les premiers habitans de Rome se pressèrent de
donner une forme au gouvernement , qui ne fut ni pure
mentmonarchique , ni entièrement républicain : de manière
(1) Lib . 1 , cap. 32 , 33.
(2) Ibid. , cap. 38.
(3) Liv. Præf.
(4) Liv. , lib . 11 , cap. 13 .
318 MERCURE DE FRANCE ,
que le roi , le sénat et le peuple étoient dans une dépen
dance réciproque ; le peuple , néanmoins , s'étoit réservé la
meilleure part dans l'administration des affaires .
Quoi qu'il en soit , l'auteur de l'Histoire critique prétend
qu'aucune autre histoire ne présente plus souvent , comme
dignes des plus grands éloges , les actions que doit condainner
l'équitable postérité. Il n'y voit que crimes , que
fausses vertus , qu'une politique vraiment infernale. Il craint
que les jeunes gens , destinés à vivre sous les lois de la
monarchie , ne prennent en dégoût et même en haine les
institutions de leur pays , et que , par la folle prétention
de devenir citoyens Romains , ils ne deviennent mauvais
citoyen . Si cette crainte étoit fondée , il faudroit proscrire
toutes les anciennes histoires , et un très-grand nombre des
modernes . L'historien critique seroit peut-être fort étonné
lui-même , si un de ces vieux illustres de Corneille , qu'il
rapetisse prodigieusement , l'interpelloit : L. Junius Brutus ,
par exemple. Ce Romain avoit à venger la mort d'un père
et d'un frère , victimes de la cruauté de Tarquin le superbe ,
à laquelle il n'auroit point échappé , s'il n'avoit caché le
projet de sa vengeance sous le masque de la stupidité. Personne
n'ignore le crime de Sextus Tarquin , et la fin tra
gique de Lucrèce (1) . Tout-à-coup Brutus laisse tomber le
masque , et paroit un grand homme. Il jure d'employer le
fer et le feu , de soulever le ciel et la terre contre le superbe
Tarquin , l'exécrable Tullie , leurs enfans et cette race scélérate:
il proteste que Rome ne sera plus , à l'avenir , gouvernée
par des rois (2). L'état républicain succède au monarchique.
Brutus est premier consul. Une conspiration en
faveur de Tarquin se découvre , ses enfans sont complices
. Père et juge , pouvoit-il , aussi foible que Collatin son
collègue, manquer à son serment sans autoriser de nouvelles
conjurations ? Sourd à la voix de la nature , il n'écoute que
son devoir , et , en sa présence , il fait trancher latête à ses
deux fils , comme à des traîtres . Voilà Brutus ! Ab uno
disce omnes . C'est ainsi qu'un philosophisme trop à la
mode, sous prétexte de s'affranchir des préjugés , brave
les traditions les plus accréditées , et prête aux plus belles
actions les couleurs de la bassesse et du crime. Tite- Live
soutient que le but principal dans l'étude de cette histoire ,
estd'étudier à fond le régime etles moeurs du peuple romain;
(+) Cap . 58.
(2) Cap. 59.
AOUT 1807 .
qu'elle est un monument d'autant plus utile, qu'elle expose
au grand jour des modèles d'instruction de toute espèce , des -
règles de conduite pour soi-même et pour la chose publique.
Ony apprend ce qui est également honteux dans l'entreprise
et dans l'exécution , afin de l'éviter : Inde fædum
inceptu , fædum exitu , quod vites . (1 )
Comme l'espace dans lequel je dois me renfermer ne mo
permet point de donner tous les développemens que pourroit
exiger unediscussion sur une matière aussi intéressante , je
termine en disant , avec un célèbre académicien , que , dans
l'étude de l'ancienne histoire de Rome , le lecteur s'en rap
porte au jugement , à la critique , à la pénétration et à la
fidélité de Cicéron , de Varron , d'Atticus , de Denys d'Halicarnasse
et de Tite-Live , auxquels se joint Polybe. Ce
n'est pas faire injure à un savantd'aujourd'hui que d'assurer
qu'il n'a pas les qualités d'historien dans un degré supérieur
à ces grands hommes , qui , plus près des événemens ,
avoient une connoissance plus exacte et plus approfondie de
l'antiquité.
DELAMARCHE , auteur des Recherches historiques
sur l'Origine de Rome , etc. etc.
-S. M. a rendu, le 8 de ce mois, le décret suivant :
NAPOLÉON, Empereur des Français etRoi d'Italie, protecteur
de la Confédération du Rhin.
Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur , notre conseil
d'Etat entendu, nous avons décrété et décrétons ce qui
suit:
Titre I" .- Dispositions générales.
Art. Icr. Aucune représentation à bénéfice ne pourra avoir
lieu que sur le théâtre même dont l'administration où les
entrepreneurs auront accordé le bénéfice de ladite représentation.
Les acteurs de nos théâtres impériaux ne pourront
jamais paroître dans ces représentations que sur le théâtre
auquel ils appartiennent.
II. Les préfets , sous-préfets et maires sont tenus de ne pas
souffrir que, sous aucun prétexte, les acteurs des quatre grands
théâtres de la capitale qui auront obtenu un congé pour aller
dans les départemens , y prolongent leur séjour au-delà du
(1) Præfat.
320 MERCURE DE FRANCE ,
:
temps fixé par le congé ; en cas de contravention, les direc
teurs des spectacles seront condamnés à verser à la caisse des
pauvres le montant de la recette des représentations qui auront
eu lieu après l'expiration du congé.
III.Aucune nouvelle salle de spectacle ne pourra être construite
; aucun déplacement d'une troupe d'une salle dans une
autre ne pourra avoir lieu dans notre bonne ville de Paris ,
sans une autorisation donnée par nous , sur le rapport de notre
ministre de l'intérieur.
Tit. II. -- Du nombre des Théâtres , et des règles auxх-
quelles ils sont assujétis.
IV. Le maximum du nombre des théâtres de notre bonne
villedeParis est fixéà huit. En conséquence , sont seuls autorises
à ouvrir , afficher et représenter , indépendamment des
quatre grands théâtres mentionnés en l'article Ist du règlement
de notre ministre de l'intérieur , en date du 25 avril dernier ,
les entrepreneurs ou administrateurs des quatre théâtres suivans
: 1º. Le théâtre de la Gaîté , établi en 1760 ; celui de
l'Ambigu Comique , établi en 1772 , boulevard du Temple ,
lesquels joueront concurremment des pièces du même genre
désignées aux paragraphes 3 et 4 de l'article III du règlement
de notre ministre de l'intérieur. 2°. Le théâtre des
Variétés , boulevard Montmartre , établi en 1777 , et le
théâtres du Vaudeville, établi en 1792, lesquels joueront concurremmentdes
pièces du même genre désignées aux paragraphes
3 et 4 de l'art. III du règlement de notre ministre
de l'intérieur.
V. Tous les théâtres non autorisés par l'article précédent ,
seront fermés avant le 15 août. En conséquence , on ne pourra
représenter aucune pièce sur d'autres théâtres dans notre
bonne ville de Paris , que ceux ci-dessus désignés , sous aucun
prétexte , ni y admettre le public , même gratuitement ,
faire aucune affiche , distribuer aucun billet , imprimé ou
à la main , sous les peines portées par les lois et règlemens de
police.
VI. Le règlement susdaté, fait par notre ministre de l'intérieur
, est approuvé , pour être exécuté dans toutes les dispositions
auxquelles il n'est pas dérogé par le présent décret.
VII. Nos ministres de l'intérieur et de la police générale
sont chargés de l'exécution du présent décret.
-
t
Signé NAPOLÉON.
Une ordonnance de M. le conseiller d'Etat préfet de
police , en date du 10 août , contient les dispositions,suivantes
:
Les
AOUT 1807 . 321
Ledécret impérial du 8 août présent mois , concernant les
théatres de Paris , sera imprimé , publié et affiché avec la
présente ordonnance.
Les quatre grands théâtres mentionnés en l'article Ier du
règlement de S. Ex. le ministre de l'intérieur , en date du 25
avril dernier , savoir : le théâtre de l'Opéra ( Académie Impériale
de Musique ); le Théâtre-Français ( Théâtre de S. M.
I'Empereur ) ; le théâtre de l'Impératrice; le théâtre de
l'Opéra - Comique ( théâtre de S. M. l'Empereur) ; et les
théâtre du Vaudeville , des Variétés , boulevard Montmartre;
de la Gaieté et de l'Ambigu- Comique , étant seuls autorisés
par l'article IV du décret impérial précité, à ouvrir , afficher
et représenter , tous autres théâtres non autorisés par ledit
article, doivent être fermés avant le 15 août, présent mois ,
conformément aux dispositions de l'article V du même décret
impérial.
Čes dispositions seront notifiées dans les vingt-quatre heures
aux propriétaires et entrepreneurs des théâtres non autorisés ,
pourqu'ils aient à s'y conformer dans le délai prescrit.
Les commissaires de police dans les divisions desquels il
se trouve des théâtres , autres que les huit autorisés par le
décret impérial , sont chargés spécialement, par la présenté
ordonnance, de faire cette notification, d'en dresser procèsverbal
, et de letransmettre de suite à la préfecture de police.
Pour l'entière exécution de l'article V du décret impérial ,
pareille notification sera faite aux propriétaires on locataires
des théâtres dits de Société , où le public étoit admis gratuitement
par des billets imprimés ou à la main.
-On a donné , lundi dernier , au Théâtre de l'Impéra
trice, la première représentation du Mariage des Grenadiers
, ou l'Auberge de Munich , coinédie en un acte:
Cette pièce de circonstance a obtenu le plus grand succès.
L'auteur a été demandé à grands cris. M. Picard, forcé de
paroître , est venu recevoir la preuve du plaisir que le public
avoit à le revoir, et de l'estime qu'il a toujours fait de son
talent.
-
4
Le même jour, on a donné à l'Opéra-Comique une
première réprésentation de l'Amante sans le savoir. Cette
pièce n'a eu aucun succes.
Mile Duval- Desroziers , actrice du Théâtre-Français ,
vientde mourir à l'âge de trente et un ans , des suites d'une
maladie de langueur. Elle ne jouoit que des rôles secondaires
, et même assez médiocrement ; mais elle n'est pas
moins regrettée par ceux qui la connoissoient. C'étoit une
fort belle femme, etdouéeéedu caractère le plus estimable
X
B22 MERCURE DE FRANCE ,
Elle a demandé , par son testament , à être transférée dans
le lieu de la sépulture de son père , dont la perte récente a
hâté sa mort. Elle a, de plus, desiré qu'on fit l'ouverture
de son corps , afin que la médecine découvrît la cause des
souffrances qu'elle avoit éprouvées , et d'une manière d'être
extraordinaire , et qu'elle ne pouvoit décrire ; voulant ainsi
être , après sa mort, utile à l'humanité. Cette intention a
été remplie : on atrouvé chez elle le péricarde extrêmement
rapetissé , et accompagné d'une poche qui renfermoit des
cailloux fort brillans , dont l'un, heurte par le scalpel , a
réellement fait feu . Mlle Desroziers laisse une mère et des
soeurs inconsolables , avec lesquelles elle aimoit à partager
tout ce qu'elle retiroit de son emploi.
-On voit depuis quelque temps au jardin des Plantes un
aigle que S. M. l'Impératricey a envoyé , et qu'on distingue
autant par sa beauté que par un anneau d'argent qu'il porte
àunede ses pattes. C'estle même dont on a parlé ily a quelque
temps; il s'étoit d'abord familiarisé avec un coq anglais , qui
a fini par lui servir de pâture. On ne sait pas si la mort du coq
a été provoquée par sa fierté , par quelque mouvement de
colère, ou bien par la faim de l'aigle. Le public ne sera pas
faché de connoître l'histoire de ce superbe animal , depuis le
moment où il a perdu sa liberté.
a
Il s'est laissé prendre dans la forêt de Fontainebleau , à un
piége tendu à des renards, et dont la détente lui a fracturé la
patte. Confié au docteur Paulet, sa cure a été longue et l'opération
douloureuse. L'aigle l'a supportée avec un courage et
une patience qu'on obtient difficilement de l'homme. Pendant
l'opération on ne lui a laissé que la tête de libre , et il n'a point
faitusage de cette liberté pour s'opposer au pansement de la
plaiedont on a retiré des esquilles , ni à l'appareil que la fracture
a exigé. Emmailloté dans une serviette , et couché sur le
côté, il a passé la nuit sur la paille sans faire le moindre mouvement.
lendemain, débarrassé de tout cet appareil , il
été sehucher sur un paravent , où il a passé douze jours entiers
sans s'appuyer sur la patte malade. Pendant ce temps , il n'a
point cherché à s'échapper , quoique les fenêtres restassent
ouvertes , et il a refusé toute nourriture. Ce n'est que le treizième
jour qu'il a essayé son appétit sur un lapin qu'on lui a
livré vivant; il l'a saisi avec la griffe non malade , et l'a mis à
mort d'un coup de bec entre la première vertèbre du cou et la
tête. Après l'avoir dévoré , il a repris sa place sur le paravent ,
d'où il n'a plus bougé jusqu'au vingt-unième jour de son accident.
Alors il a commencé à essayer la patte blessée , et sans
jamais riendéranger à la ligature qui l'assujétissoit , il en a
2 323 AOUT 1807.
rétabli l'usage par un exercice modéré avec intelligence. Cet
animal intéressant a passé trois mois dans la chambre d'un
domestique , qui le soignoit. Du moment où le feu étoit
allumé, il s'en approchoit , et se laissoit caresser. Au moment
da coucher , il se mettoit sur le paravent, en s'approchant
le plus près possible du lit , et s'éloignoit à l'extrémité
opposée , aussitôt que la lampe étoit éteinte. La confiance
desa force paroissoit éloigner de lui toute espèce d'inquiétude.
Il est impossible de montrer plus de résignation , plus de courage
, plus de raison dans la longue durée de sa maladie. Il
est de la plus belle espèce , et il ne conserve aucun reste d'iufirmité
, depuis l'accident qui lui a fait perdre sa liberté.
-On assure que l'école spéciale de géographie et d'histoire
, que S. M. se propose d'ajouter au Collège de France ,
pour l'encouragementdes lettres, sera composée ainsi qu'il suit :
Les chairesde géographie sont au nombre de quatre : 1°. une
chairedegéographie maritime; 2°. deux chaires de géographie
continentale , l'une de l'Europe et l'autre des autres parties du
monde ; 3°. d'une chaire de géographie commerciale et statistique.
Les chaires d'histoire seront au nombre de dix ; savoir : une
chaire d'histoire ancienne , y compris celle de grec; une
chaire d'histoire romaine ; une chaire d'histoire du moyen âge;
une chaire d'histoire moderne ; une chaire d'histoire de France;
une chaire d'histoire militaire ; une chaire d'histoire de législation
; une chaire d'histoire littéraire; une chaire d'histoire
ecclésiastique ; enfin une chaire de biographie.
-Le quai Napoléon , que l'on construit pour former une
communication directe entre le pont Notre - Dame et le
nouveau pont de la Cité , est totalement achevé dans la partie
qui décrit une courbe , et les travaux s'avancent rapidement
dans l'autre partie.
On propose à l'émulation des artistes pour sujet d'un
concours d'architecture , le projet d'un édifice monumental ,
destiné principalement à servir d'orangerie impériale et de
promenade d'hiver pour les habitans de Paris. Ondesireroit
que cet édifice ne s'éloignât pas beaucoup du palais des
Tuileries .
X On demande que cet édifice , indépendamment de sa
principale destination , puisse encore servir éventuellement
à l'exposition des produits de l'industrie nationale et à celle
de tous les objets propres à piquer la curiosité du public.
On laisse aux artistes le choix de l'emplacement , de sa
forme et de ses dimensions. On observe seulement que le
choix plus ou moins heureux de cet emplacement fera partie
(
X2
334 MERCURE DE FRANCE ,
essentielle du mérite du projet : on laisse aussi au génie d
artistes la plus grande latitude , pourvu toutefois que dans
cet édifice , qui doit être noble , d'un style d'architecture
analogue et pur , la décoration puisse s'accorder avec une
sage économie .
Les artistes étant maîtres de varier leurs compositions ,
on leur prescrit seulement de faire en sorte que leurs distributions
soient disposées de manière à ce qu'on ne soit pas.
obligé de suivre les mêmes traces en allant et en revenant.
On demanderoit que le centre pût servir d'arène , autour
*de laquelle s'éleveroit un amphithéâtre , dont la plate-forme
de l'édifice feroit les derniers degrés .
Il faut descendre à couvert .
-Les tableaux de la dernière exposition qui ont été plus
particulièrement distingués par les suffrages et l'estime du
public , sont encore , en ce moment , exposés dans la salle
Muséum , pour satisfaire la curiosité de plusieurs illustres
personnages que l'ouverture de la dernière campagne empêche
de s'occuper du salon.
de
On commence à abattre les vilaines maisons qui écrasoient
le pont Saint- Michel , et donnoient à ce quartier populeux
de la ville une physionomie basse et misérable. Le
pont Saint-Michel est très-ancien , mais n'a pas toujours
porté le même nom. On le nommoit autrefois le petit Pont,
puis le petit Pont-Neuf, puis le Pont-Neuf, puis enfin le
pont Saint-Michel , soit parce qu'il conduisoit à la place de ce
nom , au haut de la rue de la Harpe , soit plutôt à cause
la petite église de Saint- Michel , qui étoit dans l'enclos du
Palais. Il n'a pas toujours été bâti en pierre . L'an 1378 , il se
tint au Palais une assemblée composée de deux présidens et
soixante-sept conseillers du parlement , des doyen , chantre ,
pénitencier , et quatre chanoines de Notre-Dame , et de
cinq bourgeois . Là il fut résolu de construire ce pont , et on
fit aussitôt commandement au Prévot des Marchands de
faire commencer les travaux. Celui-ci n'y employa d'abord
que des vagabonds , des joueurs et des fainéans . L'ouvrage ,
qu'on faisoit en bois , avançoit peu et se faisoit mal; le pont
fut emporté par les glaces en 1407. On le reconstruisit deux
fois de la même manière et deux fois il essuya le même sort ,
savoir , en 1547 et en 1616. Enfin on se détermina , en 1618 ,
à le rebâtir en pierres , et ce fut alors qu'on le chargea des
trente-deux maisons qu'on y voit aujourd'hui , toutes bâties
sur le même plan, et toutes d'un aspect désagréable . Les
écroulemens et les incendies qu'elles ont éprouvées à plusieurs
reprises n'ont décourage personne . On les rebâtissoit
AOUT 1807 . 325
scrupuleusement sur l'ancien plan. Telle étoit la force de
Thabitude , et tel aussi l'empire des considérations particulières
sur l'intérêt public , toutes les fois qu'un gouvernement
ne joindra pas , comme le nôtre , les lumières à la
puissance , et la résolution de faire le bien à tous les moyens
de l'opérer.
La construction du canal destiné à joindre l'Escaut au
Rhin n'est plus une vaine hypothèse , et ce nouveau monument
de la gloire et de l'activité éclairée de S. M. l'Empereur
va enfin recevoir son exécution. Rien ne sera négligé
pour que ce canal réponde a la grandeur et à la puissance
du gouvernement qui le fait exécuter. Quatre rangs d'arbres
borderont les digues; de jolies maisons seront construites pour
Le service de chaque écluse ; un vaste port à son embouchure
dans le Rhin recevra et protégera les bateaux pendant l'hiver
et les débâcles.
On écrit de Vienne que l'architecte de la cour , M. de
Hohenberg , a présenté à l'Empereur un plan pour la constructiond'un
nouveau palaisimpérial , d'un style majestueux
et plus digne d'un souverain que l'ancien. L'encente de ce
palais seroit assez étendue pour que 20,000 hommes pussent
y être passés en revue. S. M. I. a fait un accueil particulier
à ce plan . S'il est entièrement agréé , les travaux dureront
plusieurs années , et l'on ne construira que successivement,
afin de diminuer les frais .
-Outre les tableaux qui décorent maintenant le choeur
de la basilique métropolitaine , on vient d'ériger deux statues
majestueuses , dont chacune couronne un rang des stales
canoniales . Le même temple se pare de tout ce qu'ily a
de plus riche pour la fête de Saint-Napoléon et le Te Deum
de la paix. Les belles tapisseries de la couronne sont tendues
dans toute la longueur de la nef et des bas-côtés .
Deux fontaines s'élèvent à -la- fois sur le parvis Notre-
Dame; elles borderont chaque côté de la porte du bureau
central des hospices de Paris : l'eau jaillira ddeess deux vases
de forme antique et d'une élégante simplicité.
-On a mis en vente depuis quelques jours, chez le Normant,
un ouvrage posthume de l'abbé Millot , de l'Académie française
intitule : Elémens de l'Histoire d'Allemagne ( 1 ) . Ces nou-
T
(1 ) Trois vol . in-12 . Prix : 8 fr . , et 11 fr. par la poste. Troi vol . in-8
Prix: 12 fr . , et 16 fr. par la poste.
Nota. Il a été tiréquelques exemplaires des deux formats sur pap. vélin
On trouve chez le même libraire , les Elémens de l'Histoire de France-
4vol. in- 12. Prix : to fr . 50 c. , et 14 fr . par la poste ; les Elémens de
Histoired'Angleterre ,3v. in- 12. Prix: 7fr. 50 c., et 10 fr. par laposte.
3
326 MERCURE DE FRANCE ,
1
veaux Elémens sont en trois volumes , comme les Elémens de
[Histoire de France , et ceux de l'Histoire d'Angleterre , par
le même auteur. Quand l'éditeur n'auroit pas pris le soin
d'apprendre au publie comment il est devenu propriétaire de
ce manuscrit , il suffiroit de parcourir l'introduction pour
être convaincu de l'authenticité de cet ouvrage. L'abbé Millot ,
sas être un très-grand écrivain , a cependant une manière
qui n'est qu'à lui, et par conséquent facile à reconnoître ; son
style , quelquefois dur et incorrect , a presque toujours le
mérite d'ure rare précision , et souvent celui d'une grande
* énergie. Cette introduction offre un tableau rapide et trèsanimé
de l'Histoire de l'Allemagne , depuis l'époque où les
Romains commencèrent à avoir quelque rapport avec les
Germains, jusqu'à l'avénement de Charlemagne à l'empire.
Nous rendrons compte incessamment de cet ouvrage d'autant
plus intéressant , que l'histoire de cette partie de l'Europe est
généralement moins étudiée en France , et a jusqu'ici trouvé
peud'historiens dont on puisse supporter la lecture.
- Voici quelques détails sur la dernière ascension de
M. Garnerin : son ballon , après avoir été ballotté dans l'air
pár les rapides variations du vent , a fait une ascension directe
de trois mille toises , et a rencontré un nuage fort
humide , qu'il s'est hâté de quitter , parce qu'il ressentoit un
froid insupportable , et que ses lumières menacoient de s'éteindre.
Ayant vogué quelque temps sans savoir où il étoit ,
parce qu'il n'avoit pas de point de comparaison pour sa
boussole , il est descendu à l'instant même de l'aurore ,
jusques à trois cents toises de la terre : ayant aperçu des
moissonneurs que son approche n'épouvantoit pas , il les
questionna , et apprit d'eux qu'il étoit près de Laon , cheflieu
du département de l'Aisne. Le desir de faire quelques
observations , le décida à continuer son voyage aërien . II
remonta à une plus grande hauteur que la première fois ; y
trouva une température à huit degrés au-dessous de zéro;
qu'il abandonna bientôt, dans la crainte d'y être asphixié
par la transition trop rapide du chaud au froid. Il rapporte
avoir vu , dans cette région élevée , plusieurs météores ,
dont il se tint à une distance respectueuse. Courmelois-sur-
Vesle , où il descendit vers les six heures du matin , est un
village du département de la Marne , situé à cinq lieues audelà
de Rheims , et à quarante-cinq lieues de Paris .
Errata. Mercure du 8 août 1807 , page 263 , ligne 25 : L'on rivalisa
avec la nature; lisez : l'art rivalisa , etc. Page 266 , ligne 3 : Etudia l'ar
-tique , enfin la règle de ses travaux ; lisez : enfit la règle , etc.
AOUT 1807 . 327
MODES du 10 août.
On prépare en abondance les habits et les manteaux de cour , qui
doivent servir aux présentations qui vont avoir lieu. Comme la saison le
prescrit, les manteaux sont de moire légère et de couleurs claires , rose
bleu ou li'as , brodés en argent ou garnis de plusieurs rangs de dentelle
d'argent. D'autres manteaux , sans broderie , sont ornés de fleurs , formant
une guirlande épaisse par le bas et mince vers le haut . Le corps de la robe
estde tulle brodé , soit semé général, ou bordure , avec un large remontant
et une garniture pareille , en dentelle légèrement froncée.
NOUVELLES POLITIQUES.
Constantinople , 20 juin.
Le courrier qui avoit été expédié de Constantinople à
Londres , il y a quatre mois , est de retour avec des dépêches.
Le cabinet de Londres désavoue la conduite de son
ambassadeur Arbuthnot et celle de l'amiral Duckworth , et
annonce l'envoi d'un nouvel ambassadeur , M. Paget. Ces.
dépêches ont donné lieu à un conseil qui s'est tenu chez le
muphti , dans lequel il a été décidé qu'on ne recevroit pas
l'ambassadeur anglais ; qu'on enverroit au-devant de lui pour
l'empêcher d'arriver à Constantinople , et qu'on n'écouteroit
aucune proposition avant que l'Egypte ne fût évacuée , et les
croisières anglaises rappelées au-delà de Malte. Tchelebi ,
pacha des Dardanelles , a été nommé grand-visir. C'est un
homme très-favorisé par les janissaires. Il s'est rendu sur-lechamp
à l'armée. (Moniteur. )
Londres, 4 août.
Les dernières dépêches de l'amiral Gambier annonçoient
qu'il se disposoit à passer le Sund avec toute son escadre. Nous
pouvons maintenant assurer que l'objet de cette expédition
est de prendre des mesures efficaces pour empêcher la flotte
danoise de tomber entre les mains de l'ennemi. Le but de la
seconde expédition n'est pas moins important ; et nous nous
flattons que sous peu de jours nous serons en état d'annoncer
ànos lecteurs que l'une et l'autre ont eu un succès complet.
(Sun.)
328 MERCURE DE FRANCE;
龙
Les troubles recommencent en Irlande. Une lettre de
Dublin , du 27 juillet, contient les détails qui suivent :
<< Samedi dernier ( 25 ) la garnison de Dublin a passé toute
⚫ la nuit sous les armes. Des patrouilles nombreuses parcouroient
les rues , et toutes les précautions de police avoient été prises
pour prévenir une insurrection , que des avis reçus par le
gouvernement, lui faisoient craindre. Un grand nombre d'habitans
de la campagne et beaucoup de personnes suspectes
s'étoient rendus à Dublin , et tout annonçoit que leur réunion
dans cetteville étoit le résultat d'un vaste complot. La vigilance
de l'administration en a sans doute imposé aux mal-intentionnés
, et la nuit s'est passée sans désordre. Cependant , les
inquiétudes ne sont pas dissipées , et le gouvernement continue
sasurveillance. »
2
Un convoi de 150 voiles, venant des îles , sous l'escorte du.
Canada, de 74 , vient d'arriver dans nos ports. Il étoit parti
de Tortola il y a environ six semaines. Un seul bâtiment
péri dans la traversée. Il a été consumé par un incendie.
L'équipage a été sauvé ; mais on n'a pu retirer la cargaison .
Le Courrier fait les réflexions suivantes sur le départ de
l'Empereur Alexandre pour Pétersbourg :
« Le retour précipité de l'Empereur de Russie à Pétersbourg
peut faire croire qu'il a voulu y donner des ordres pour
faire exécuter immédiatement quelques conditions du traité
avec la France. Plusieurs lettres reçues hier , font regarder
comme très-probable le départ pour, la Grande-Bretagne d'un
grand nombre de négocians anglais résidans à Pétersbourg , et
quelques-unes des premières maisons anglaises qui font le
commerce de Russie, ont donné des ordres pour faire assuren
les propriétés qu'ils ont dans les ports russes de la Baltique ,
taut en cas de prise qu'en cas de saisie.
>> On sait que la conduite de la dernière administration
déplaisoit autant à l'Empereur de Russie qu'à toutes les autres
puissances continentales ; elle prétendoit faire cause commune,
pour le salut de l'Europe , avec nos autres alliés , et elle ne
leur a pas envoyé un seul soldat ; elle a même chicané pour.:
donner 80,000 liv. st. ( 80,000 liv. st. mises en balance avec
le salut de l'Europe ! ) Le portrait tracé par un de nos confrères
n'est peut-être que trop vrai. « Nos ministres dans les
cours étrangères , nos envoyés extraordinaires ont été sans
cesse poursuivis par ces malheureuses questions : Où sont
donc les troupes anglaises ? Quand arrivent-elles ? Pourquoi
ne viennent-elles pas ? >> A force d'être trompé , on devient
indifférent ; et c'est vraisemblablement ce sentiment , ou plutot
cette absence de sentiment, qui prévaut , à notre égard ,
: AOUT 1807 . 329
dans le coeur de notre ancien allié. Il y a plus : quand il faut
ajouter aux fausses espérances données par les anciens ministres,
les malheurs éprouvés par les alliés , il n'est pas étonnant que
l'indifférence se change en mépris , et même en haine. >>>
Hambourg , 3 août..
On lit dans les gazettes de Copenhague du 28 juillet , l'article
suivant , qui paroît y avoir été inséré officiellement :
« La nouvelle qu'on vient de recevoir qu'une flotte consi
dérable de guerre est prête à mettre à la voile des ports d'Angleterre
pour la mer du Nord et la Baltique , paroît n'avoir
causé aucune crainte au public de cette ville. Il a d'ailleurs
trop de confiance en la sagesse de son gouvernement , et se
croit , par les mesures de défense de la ville et du port , assez en
sûreté contre une attaque quelconque... »
Toutes les communications avec la forteresse de Stralsund
étant coupées , il est très difficile de savoir ce qui se passe dans
cette place et dans les environs.
D'après un calcul qui paroît exact , les forces militaires de
la Prusse ne s'élèvent pas en ce moment à plus de 50,000 h . ,
y compris les garnisons de Glatz et Silberberg en Silésie.
Après la restitution des prisonniers de guerre prussiens qui
sont en France, il n'est pas apparent que la monarchie prussienne
puisse entretenir à l'avenir une armée de plus de
120,000 hommes , et encore faudra-t-il pour cela une économie
rigoureuse dans les finances. On sait que la Prusse avoit
autrefois des dépôts de recrutement dans un grand nombre de
villes de l'Empire, qui lui fournissoient beaucoup d'hommes ;
que l'on joigne à cela la perte de plus du tiers de sa population,
et l'on verra combien cette puissance va se trouver bornée
pour le recrutement d'une armée où l'on comptoit un si
grand nombre d'étrangers de tous les pays.
Du 4 août.- S. A. R. le prince Christian de Danemarck
et son auguste épouse, qui sont à Altona depuis le 16du mois
dernier , en sont partis avant-hier pour se rendre à Schwerin
et à Dobberau .
१
Le gouvernement saxon fait acheter mille chevaux pour
remonter la cavalerie saxonne ; on évalue cette dépense a
80,000 écus.
Précisément au moment où les trois souverains se trouvoient
ensemble à Tilsit , l'épouse de M. Staneowitz , fonctionnaire
public à Gamberinen , accoucha de trois enfans mâles , qui
furent baptisés le 10 juillet, et nommés Alexandre , Napoléon
ęt Frédéric-Guillaume.
On assure que le roi de Westphalie établira sa résidence
330 MERCURE DE FRANCE ,
dans la ville de Cassel , et que le mariage de ce souverain avec
la princesse de Wurtemberg , sera célébré à Paris le 25 août.
Il paroît hors de doute que le cabinet britannique a accepté
la médiation de la Russie.
PARIS , vendredi 14 août.
-Hier, à cinq heures du soir , trois voitures de la cour ont
conduit à Saint-Cloud S. A. Em. Mgr. le prince-primat, suivi
de ses officiers et des officiers de S. M. l'EMPEREUR , attachés
à sa personne. S. A. a été reçue au bas de l'escalier par S. Exc.
le grand -maître des cérémonies , qui l'a introduite dans le
cabinet de S. M. l'EMPEREUR et Ror .
S. Exc. M. le marquis Venturi , ambassadeur extraordinaire
de S. M. la reine d'Etrurie , a ensuite été conduit à l'audience
de S. M. par un maître et un aide des cérémonies qui avoient
été le chercher , à son hôtel , avec trois voitures de la cour.
S. Exc. le grand-maître des cérémonies a introduit avec les
formes accoutumées M. l'ambassadeur , qui a été présenté par
S. A. S. le prince de Bénévent , grand-chambellan , et a remis
ses lettres de créance à S. M.
S. Exc. M. le baron de Reigersberg, ministre plénipotentiaire
de S. A. I. et R. le grand-ducde Wurtzbourg, a ensuite
été conduit , introduit et présenté de la même manière , et a
remis également ses lettres de créance.
Le mêmejour , S. E. M. le sénateur Cezami , grand-écuyer
de S. A. I. Madame la princesse de Lucques , et son envoyé
extraordinaire , a été présenté à S. M. ( Moniteur. )
- Dimanche, 9 août , avant la messe , une députation
du royaume d'Italie , composée de S. Exc. M. Cafarelli ,
ministre de la guerre ; M. Contarini , membre de la consulte
d'Etat , et M. le patriarche de Venise , a été introduite dans
le cabinet de S. M. l'EMPEREUR et Rox par S. Exc. le grandmaître
des cérémonies , et présentée à S. M. par S. Exc. le
ministre des relations extérieures du royaume d'Italie . M. le
patriarche de Venise a porté la parole au nom de la députation.
Après la messe , S. M. a reçu le consistoire de l'Eglise
réformée du département de la Seine , présenté par S. Exc. le
ministre des cultes. M. Marron , président , a porté la parole.
Le conseil-général du département de la Seine a été admis
ensuite à l'audience de S. M. M. Rouillé de l'Estang , président
, a porté la parole.
Le même jour , Mad. la comtesse de Metternich, épouse de
'f
AOUT 1807. 331
M. l'ambassadeur de S. M. l'Empereur d'Autriche , a été présentée
à S. M. Elle a été conduite par un maître et un aide
des cérémonies, qui sontallés la chercher à son hôtel avec trois
voitures de la cour. Elle a été reçue à l'entrée des appartemens
par Mad. Maret, dame du palais , introduite par S. Ex .
le grand -maître des cérémonies , et présentée par Mad. Maret.
L'audience finie , Mad. la comtesse de Metternich a été reconduite
à son hôtel avec le cortége qui l'avoit accompagnée
à son arrivée.
Aneufheures du soir , S. A. S. le prince archichancelier de
l'Empire a présenté au serment, qu'ils ont prêté entre les mains
de S. M. , MM. le prince de Bénévent, ministre des relations
extérieures , nommé à la dignité de vice-grand-électeur ;
Champagny , ministre de l'intérieur , nommé ministre des
relations extérieures; Cretet, conseiller d'Etat, nommé ministre
de l'intérieur. (Moniteur.)
-Le 10 , à9 heures du soir , ont été présentés par S. A. S.
le prince archichancelier de l'Empire , au serment qu'ils ont
prêté entre les mains de S., M. , M. le conseiller d'Etat
Regnaut , nommé secrétaire de l'état de la famille impériale ;
et M. le conseiller d'Etat Jaubert , nommé gouverneur de la
Banque. (Moniteur. )
-S. A. R. le prince héréditaire de Bade et S. A. I. la
princesse Stéphanie-Napoléon son épouse viennent d'arriver
à Paris. LL. AA. occupent, rue de Lille, l'hôtel de S. A. I.
le prince Eugène , vice-roi d'Italie.
- Dans la nuit du 7 au 8 de ce mois , au milieu du
plus violent orage , le tonnerre est tombé avec un fracas
épouvantable sur le magasin à poudre de la ville de Namur.
Heureusement il n'a endommagé que la toiture de l'édifice.
-Un accident déplorable vient de confirmer la nécessité
des mesures récemment prises par la préfecture de police
à l'égard des cabriolets destinés pour les environs de Paris.
Lundi matin, vers midi , un de ces cabriolets , chargé de
cinq voyageurs , au nombre desquels se trouvoient une jeune
personne et sa mère , a été précipité dans la Seine , entre
Marly et Malmaison. Tous les secours prodigués aux victimes
de cette catastrophe furent inutiles , et ce fut un spectaclebien
douloureux de voir la même voiture ramener à Paris tous ces
infortunés compagnons de voyage que la mortvenoit de frapper
a la fois. On attribue cet épouvantable malheur au vice du
cheval , attaqué de la maladie qu'on nomme vertigo .
332 MERCURE DE FRANCE ,
- La princesse de Wirtemberg , reine de Westphalic , n'a
dû arriver à Strasbourg que le 14 août, d'où elle partira
le 17 pour Paris, en passant par Nancy. M. le maréchal Bestières,
nommé commissaire-plénipotentiaire pour aller rece- /
voir. S. A. R. sur les frontières de l'Empire , et l'accompagner
jusqu'aParis, est passé à Nancy , le 9 de ce mois, se rendant à
àStrasbourg.
- LL. MM. le roi et la reine de Hollande ont quitté
Tarascon le 4 de ce mois pour se rendre à Paris. Un journal
annonce qu'on attend aussi dans cette capitale LL. AA. II. le
prince vice-roi d'Italie et la princesse vice-reine .
-Onmande de Luxembourg que des événemens malheureux
se succèdent dans le département des Forêts avec une
rapidité bien affligeante , depuis l'explosion du Ferlorenkort et
la destruction de six habitations à Hollenfeliz par le feu du
ciel. Quarante-huit maisons viennent d'être la proie des
flammes dans la ville de Bastogne (surnommée Paris en
Ardennes ) ; l'incendie s'y est manifestée le 5 août, à trois
heures de l'après midi. Le lendemain au départ du courrier ,
il n'étoit point éteint : la cause de ce nouveau désastre est
encore ignorée.
-
On écrit de Nantes , 3r juillet :: « Une femme étant
tombée de cheval , il y a 7 ou 8 mois , on fut obligé de lui
couper le bras. La femme-de- chambre d'une dame de cette
ville, présente à l'opération , vint enrendre compte à sa maîtresse
, qui fut singulièrement affectée de ce récit. Cette dame
étoit dans les premiers mois de sa grossesse. Elle est accouchée
ces jours derniers d'un garçon qui ale bras coupé au même
endroit que celle qui a subi l'opération. L'accoucheur dit
n'avoir jamais rien vu de semblable. Le bras de l'enfant semble
véritablement avoir été coupé. »
On a long-temps disputé sur le pouvoir de l'imagination
des femmes enceintes. Ce nouveau fait peut fournir matière
à de nouvelles dissertations qui ne donneront pas plus de
lumières sur cette bizarre opération de la nature.
-- Le 31 juillet a été une époque de désastres pour le département
de l'Oise , ainsi que pour plusieurs autres départemens.
Dans le seul arrondissement de Clermont, la grèle a
ravagé trente-cinq communes; dans l'arrondissement de Beaus
vais , des maisons ont été découvertes , des moulins renversés ,
des chênes déracinés et des moissons entières ont tout-à-fait
disparu. Le même jour, le tonnerre est tombé sur le village.
de Sacy-le-Grand , où il a brûlé neuf maisons; sur le hameau
de Chamlier , où il a brûlé quatre maisons ; et près de Beauvais
sur la maison d'un ouvrier, qu'il a également réduite en
AOUT 1807 . 333
cendres. Le 10 de ce mois , la ville même de Beauvais a été
inondée en moins d'une heure ; la petite rivière de Thérain ,
est sortie tout-à-coup de son lit , et a couvert les faubourgs
de cette ville .
- D'après une décision de M. le conseiller d'Etat directeur-
général des ponts et chaussées , les voitures des cultivateurs
, non garnies de jantes larges , pourront continuer
jusqu'au 1er octobre prochain , à transporter les approvisionnemens
dans les villes , à condition qu'elles ne s'éloigneront pas
de plus de 3 myriamètres du domicile du propriétaire , et
qu'elles porteront un chargement inférieur à 2,900 kilogrammes
pour les voitures à deux roues , et à 4,200 kilogrammes
pour celles à quatre roues. Ce dernier délai, accordé
en faveur des cultivateurs qui n'auroient pas encore eu les
moyens de se pourvoir de roues larges , he recevra plus
aucune prolongation.
PREFECTURE DU DEPARTEMENT DE LA SEINE .
Programme arrété par M. le conseiller d'Etat Frochot,
préfet du département de la Seine , pour la célébration
desfétes du 15 août 1807 , dans la ville de Paris.
La fête de l'anniversaire de la naissance de S. M. l'EMPEREUR
et Ror sera célébrée dans la ville de Paris , par des jeux , des
exercices et des réjouissances publiques. Cette fête durera deux
jours, les 15 et 16 août.
Le 15 août, il sera établi , tant sur la rivière qu'aux Champs-
Elysées , des joûtes , jeux et autres exercices qui auront lieu
aux heures et sur les lieux indiqués ci-après , savoir :
Jeux qux Champs-Elysées.
Amidi , la fête s'ouvrira par des jeux aux Champs-Elysées.
Ces jeux seront : le jeu de quilles , celui de rampeau , de
siam , de bagues et les mâts de cocagne. Les trois premiers
seront placés dans les fossés qui bordent le Cours-la-Reine;
les jeux de bagues occuperont le grand carré, dit des Jeux , et
Jes mâts de cocagne , le carré de Marigny. Chacun de ces jeux
sera composé de plusieurs parties , à chacune desquelles il
sera accordé des prix. Le nombre des parties qui composeront
chaque jeu et des prix qui y seront attachés , est déterminé
ainsi qu'il suit :
1. Jeux de Quilles. -
Il y aura deux jeux , composés
)
334 MERCURE DE FRANCE ,
chacun de quinze joueurs. Il sera joué trois parties à chaque
jeu , et accordé trois prix pour chaque partie. Le premier ,
de 100 fr.; le second , de 75 fr.; le troisième , de 50 fr.
-
2°. Jeux de Rampeau. Il y aura également deux jeux
de rampeau , composés chacun de quarante joueurs. Il sera
de même joué trois parties à chaque jeu , et accordé trois
prix pour chaque partie. Lepremier, 100 fr.; lesecond, 75 fr.;
le troisième , 50 fr.
5°. Jeux de Siam. -Ils seront au nombre de quatre , à
chacun desquels on admettra dix joueurs ; chaque jeu sera de
trois parties, et il y aura trois prix à chaque partie. Le premier
, de 100 fr.; le second , de 75 ; le troisième de 50.
4°. Jeux de Bagues.- Ils seront au nombre de huit , composés
chacun de quatre joueurs. Il y aura vingt-cinq parties à
chaque jeu, et un prix de 12 fr. à chaque partie.
5°. Mats de Cocagne. - Ils seront au nombre de deux ;
tous ceux qui se présenteront seront admis. Il sera donné cinq
prix pour chaque mât. Celui qui arrivera le premier au but
recevra une montre d'or; le second, une montre d'argent ;
le troisième , une paire de boucles d'argent ; le quatrième ,
un gobelet d'argent; le cinquième , un mouchoir des Indes.
Des groupes de musiciens placés près de chaque jeu , exécuteront
des fanfares pendant la durée des jeux. L'ouverture et
l'organisation de ces jeux , ainsi que la distribution des prix ,
seront faits par le M. le maire du ir arrondissement.
Jeux sur la rivière. - A deux heures s'ouvriront les jeux
sur la rivière , entre le Pont-Royal et celui de la Concorde.
Ces jeux commenceront par une joûte sur l'eau. Il sera
accordé un prix de 300 fr. pour chaque joûte à celui des
combattans qui aura forcé le plus grand nombre d'adversairesdans
l'espace de deux heures. Lejeu des joûtes sera terminé
par le départ d'oiseaux aquatiques qui seront placés dans
deux cages suspendues au milieu du bassin , et que les joûteurs
poursuivront.
Immédiatement après commenceront les exercices sur la
corde, la voltige , les tours de force et d'adresse , exécutés
par M. Forioso et sa troupe , sur deux grands bateaux
qui seront disposés à cet effet. M. Forioso fera ensuite
le trajet du Pont-Royal à celui de la Concorde , sur une
corde tendue au-dessus de la rivière , et attachée des deux
bouts à l'un et l'autre pont. Pendant toute la durée de
ces exercices , la musique exécutera des fanfares. Les prix
de la joûte seront distribués par M. le maire du 10º arrondissement
, qui ouvrira et dirigera les différens jeux et exercices.
AOUT 1807 . 335
Ahuit heures du soir , l'Hôtel-de-Ville , et tous les édifices
communaux seront illuminés. La fête sera terminée
par un feu d'artifice qui sera tiré àneuf heures sur le pont
de la Concorde.
Le dimanche 16 août , à neuf heures du soir, il y aura
bal et illumination à l'Hôtel-de-Ville.
BANQUE DE FRANCE.
Extrait des registres des délibérations du conseil-général;
séance du 5 août 1807.
Le conseil-général de la Banque de France , considérant que la paix
donnée au continent fait espérer une paix générale , et promet une grande
étendue au commerce français ; que le but de l'institution de la Banque
est de favoriser la circulation des capitaux et la baisse du taux de l'intérêt
dans tout l'Empire de France ; que , pour donner à ses opérations tous les
développemens dont elles sont susceptibles , l'accroissement du capital
ordonné par la loi du 22 avril 1806 , lui devient nécessaire ; arrête ce
qui suit:
ART. Ier. L'émission des quarante-cinq mille actions de la Banque de
France , ordonnée par la loi du 22 avril 1806 , est arrêtée .
II. Le prix des nouvelles actions est fixé à 1200 fr .; savoir : 1000 fr . ,
capital primitif, et 200 fr. , somme égale à la réserve acquise aux anciennes
actions .
III . Les actionnaires actuels seront admis de préférence pour la souscription
de tout ou de partie de leurs actions.
IV. Les soumissions pour les nouvelles actions seront reçues à compter
du 20 du présent mois d'août 1807, jusqu'au 31 décembre même année
inclusivement. Il sera ouvert trois registres de souscription : un pour les
actionnaires actuels qui voudront doubler leurs actions ; un pour les
actionnaires qui voudront souscrire pour un nombre d'actions excédant
le doublement de leurs actions actuelles ; un pour tous ceux , autres que
les act onnaires , qui desireront acquérir de nouvelles actions . Cea registres
seront clos et arrêtés le 1er janvier 1808.
V. Les actions non soumissionnées par les actionnaires pour le doubl -
ment de leurs actions actuelles , seront réparties proportionnellement
entre les actionnaires souscripteurs , pour un nombre d'actions excédant
ledoublement. Le surplus , s'il y en a, sera réparti par égales parts entre
Jes souscripteurs non actionnaires .
VI. Le prixdes nouvelles actions sera versé dans lescaissesde la Banque ,
dans le délai de deux ans , à partir du 1er janvier 1808 , en cinq paiemens
égaux, desix ensix mois , dont le premier sera fait dans les dix premiers
jours dejanvier 1808.
VII. Il sera bonifié un intérêt annuel de quatre pour cent sur les sommes
reçues par la Banque, à compter du paiement des nouvelles actions jusqu'à
leur entier acquittement. Le paiement de cet intérêt sera fait tous les
sixmois; cet intérêt sera imputable , à titre d'à-compte , sur le paiement
subsequent.
VIII. Le paiement de nouvelles actions pourra être fait par anticipation.
Dans cecas , l'intérêt des sommes payées cessera à la fin du semestre
courant. Les actions payées par anticipation jouiront du divi ende du
336 MERCURE DE FRANCE ,
semestre qui suivra le paiement anticipé. Les soumissionnaires qui auront
payé dans les dix premiers jours du semestre , jouiront du dividende dễ
ce semestre , comme s'ils avoient payé dans le courant du semestre précédent..
IX. Les souscripteurs qui n'auront pas satisfait aux paiemens des actions
par eux soumissionnées , dans les termes fixés par l'article VI ci-dessus
n'auront droit qu'à un nombre d'actions égales aux paiemens qu'ils auront
effectués. Ils ne pourront prétendre à la délivrance de leurs actions , nià
la répartition du dividende , qu'à l'expiration des deux ans fixés pour le
paiement des soumissions . En attendant, il leur sera bonifié l'intérêt du
capital des actions auxquelles ils auront droit sur le pied de quatre pour
cent par an , conformément à 'article VII ci-dessus .
X. Les actions nouvelles ne seront inscrites sur le registre des actions ,
et ne pourront être transférées par les souscripteurs qu'après leur parfait
et entier paiement. Les transferts ne pourront avoir lieu qu'à partir
du 1er . janvier 1806 .
Pour extrait , Le secrétaire général , AUDIBERT .
Arrêté duditjour 5 août 1807 .
Sur la proposition de M. le gouverneur , le conseil général
delabanque de France arrête qu'à partir de lundi 10 août 1807
l'escompte de la banque sur l'effet de commerce est réduite à
quatre pour cent l'an.
Pour extrait , Le secrétaire-général , AUDIBERT.
Paris , le 8 août 1807 .
Le directeur-général , GARRAT
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
2
DU SAM. S. -Cp. olo c . J. du 22 mars 1807 , 87f 87f 25c 40с бос
600 500 700 600 5oc oofooc oof ooc ooc. ooc . oocooc oof ooc 000
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 84f. 5oc oof ooc oof
Act. de la Banque de Fr. 1300f docof ooc. 00oof. oooof ooe пос
DU LUNDI 10.-C pour o/o c. J. du 22 mars 1807 , 87f 25c 50c 45c 87
86f- 750 oof coc oof, oof ooc 000 001. oof. 000 000 оос оос.
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 84f 50c. 50с.оос оос
Act. de la Banque de Fr. 1295f 129af oc 129of 1285f ooc.
DU MARDI IL . - Ср. 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 85f 55f 75c 86f Sof
тос 85fgо . ооc eoc doc ouc. oof ooc boc coc coc oof cof ope
Udem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 83f. 75c 50€ 129of coc.оос осе
Act. de la Banque de Fr. 1285f 1292f50c 1290f. ooc oooof
DU MERCREDI 12.- Ср. 0/0 с . J. du 22 mars 807 , 86f86f 100 250 бос
500 60€ 5cc 40c. 5oc ooc oof or c . ooc cof ooc. of.
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 83f joc. oof. oof one coc оос
Act. de la Banque de Fr. 129of 000of ooc 0000f oooof oboof ooc
DU JEUDI 13.- Cp . oo c . J. du 22 mars 1807 871 86f700 500 700 500
86f 700 500 400 осоос 000 000 000 000 оос оосоос оос оос оос сос
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 83f 50c S4f ooc boc opc oof ooc
Act. de la Banque de Fr. 1290f. oooof oo oooof. oooof
DU VENDREDI 14. - C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807, 86f 50с 300.400
3oc 35e oof ooc oof oof ooc oof ooo oo oof ooc ooc oo ooo oof our o
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 83 750 000. oof coc-coc
Act. de la Banque de Fr. 1280f oooof ooc oooof
(No. CCCXVIII.)
( SAMEDI 22 AOUT 1807.)
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
LA COLÈRE D'APOLLON,
!!
:
ODE i
Au lumineux Olympe , assis en cercle immense
Les Immortels charmés écoutoient en silence
Les chants sublimes d'Apollon;
Ces chants qu'il inventa , quand jadis sur la terre ,
Caché sous l'apparence et sous le nom d'Homère ,
Erroit le Dieu de l'Hélicon .
7
ن
1.
Debout , et sur sa lyre , en héros si fertile , ..
Il redisoit les Grecs et le divin Achille, ...
Vainqueurs d'Ilion et d'Hector ;
Mais, des bords du Memel , Pactive Renommée
Vient les entretenir d'une plus grande armée,
Et d'un homme plus grand encor .
0
ce
Soudain , abandonnant les concerts du Permesse ,
L'Olympe tout entier entoure la Déesse,
Et de cent prodiges nouveaux
Ecoute avidement l'histoire merveilleuse ;
Cependant qu'Apollon , d'une plaiute envieuse
Exhale l'orgueil en ces mots :
Quel est donc de mortel pour qui les destinées
>> Ont écrit dans les cieux de si belles années,
1
2.1
06294
Y
100
338 MERCURE DE FRANCE ,
>> Cet artisan de grands exploits ;
>> Ce géant qui , semblable au maître du tonnerre ,
>> Fait trois pas , et soudain est au bout de la terre ;
>>> Parle , et fait ou défait les rois ?
>> O honte ! j'aurois pu, dans mon divindélire,
>> Enfanter un héros aux accords de ma lyre;
>> L'entourer de faits glorieux ;
>> Faire tomber les tours devant sa renommée ;
» Du seul son de sa voix repousser une armée,
>> Et le rendre l'égal des Dieux !
" Des hommes révérés dont les âges antiques
Contoient avec orgueil les gestes héroïques ,
>> J'ai réuni tous les lauriers ;
» J'en ai ceint mon Achille ; et, du haut de leur temple ,
» Les filles d'Helicon le montroient pour exemple
>> Ala famille des guerriers .
» C'est en vain: un mortel a détruit mon ouvrage ;
» Un mortel a vaincu ce sublime courage
>> Qu un Dieu s ul avoit inventé !
>> Achille voit un autre effacer ses prodiges ;
>> Et ses exploits , enfans de mes brillaus prestiges ,
>›› Cèdent à la réalité !
» Que dis- je ? Et n'est-ce pas mon hardi privilége
>> De punir du néant la gloire sacrilége
>> Dont la mienne se voit ternir ?
» Les Destins m'ont donné les siècles pour empire ,
» Et nul , sans mes accords , sans l'aveu de ma lyre ,
>> Ne peut entrer dans l'avenir.
» L'ouvrage des mortels est comme eux périssable ;
>> Leurs plus hardis travaux comme des grains de sable,
>> S'effacent sous les pa- du Temps ;
>> Mi seul , je puis donner une longue mémoire ;
> Saus mor, tout est stérile , et la plus belle gloire
>> Mourra , veuve de monumens. »
だっ
Il a dit : prolongés par la voûte sonore ,
Les accens d'Apollon retentissoient encore ,
Quand, dans le céleste palais ,
L'olivier à la main , d'un voile b'anc parée,
DesPlaisirs, des Amours , et des Arts entourée,
En souriant entra la Paix.
1
AOUT 1807 . 339
Le ciel s'est couronné d'une splendeur nouvelle ,
Et, belle de pudeur, la Déesse autour d'e'le
Promenánt ses regards sereins ,
Sur le Dieu courroucé doucement les arrête,
Et semble l'inviter , d'un signe de sa tête ,
Ala suivre chez les humains .
Comme un torrent , grossi des nocturnes orages
(Si l'on peut se servir de terrestres images
En parlant d'un être immortel ) ,
Aux rayons de l'aurore apaise son murmure,
Et plus doux , réfléchit dans son onde pus pure
La sérénité d'un beau ciel ; 1
Tel s'apaise Apollon: la Déesse riante
Jamais ne se montra p'us belle et plus brillante
Aux yeux charmés du Dieu des vers ,
Même quand , d'Hynénée usurpant la puissance,
Le Destin cimenta leur divine alliance
Aux jours du naissant univers .
Ainsi , ce que n'ont pu ni l'antique Cybèle,
Ni Minerve , autrefois son amante fidelle ,
Ni Mars au casque étincelant ,
Ni tous les Dieux enfin que l'Olympe rassemble ;
Un sourire plus fort que tous les Dieux ensemble
A vaincu son ressentiment.
C'enest fait: il se livre au charme qui l'entraîne ,
Il va suivre la Paix aux rives de la Seine :
Ainsi l'ordonnent les Destins .
Il monte sur ton char , Déesse radieuse ;
Et , parant d'olivier sa lyre harmonieuse,
Prélude à ses accords divins .
t
""
T
3
M. LE BRUN , de l'Académie Française.
FRAGMENT
3..1
:
DU LIVRE II DE L'ART D'AIMER D'OVIDE (1 )
A TA maîtresse aussi tu feras des présens;
S'ils sont de peu de prix, qu'au moins ils soient galans .
Sousle poids de ses dons , quand l'Automne vermeille
Courbera ies rameaux , pour elle une corbeille
* (1) La traduction en vers de ce poëme est sous presse.
Ya
340 MERCURE DE FRANCE ,
-
S'emplira des plus beaux par ton ordre apportés .
Dans le marché public ils seront achetés .
Tu diras toutefois que ce cadeau champêtre
Se compose des fruits que ton jardin vit naftre.
Qu'on lui porte en ton nom des figues, des raisins ,
Et ce que , dans les champs de Crémone voisins ,
Aimoit Amaryllis , la noix et la châtaigne ,
Mais que dans nos cités Amaryllis dédaigne.
Que des grives encor , qu'enfile un noeud de fleurs ,
Soient de ton souvenir les messagers flatteurs.1
Un fourbe achète ainsi l'espoir d'un héritage :
Ah! périsse des dons ce criminel usage.
Dois -je des vers galans te conseiller Penvoi?
Hélas , de tels présens sont de bien mince aloi !
Qu'importe le mérite ? On cherche les richesses.
Un sot a de l'espritquand il fait des largesses .
Le siècle où nous vivons est le vrai siècle d'or :
L'or donne les honneurs et l'art de plaire encor.
Homère , accompagné des Muses pour escorte ,
S'il vient la bourse vide , Homère est à la porte .
Les trésors d'Apollon sont des dons superflus .
Des modernes Daphnés n'attends que des refus.
Quelques femmes d'esprit se rencontrent peut -être;
D'autres ne le sont pas , mais veulent le paroître .
Aces belles du moins tu peux offrir tes vers :
Mais d'un lecteur fàcheux évite le travers :
Les vers que ton amour composera pour elles ,
Peut- être auront le prix de quelques bagatelles.
1
M. DESAINTANGE.
LA NUIT, :
OU LES REGRETS DE L'ABSENCE .
A Délie.
Le grand astre du monde , achevant sa carrière,
Cache son front vermeil dans l'humide séjour ;
Déjà de Vespérus la naissante lumière
Mêle un éclat douteux aux feux mourans du jour.
Le char de la Nuit azurée .
Vers le sombre Orient recommence son tour ;
D'innombrables flambeaux sa marche est éclairée.
Phébé, sous la voûte éthérée ,Ou to Dow
Enpompe a ramené les astres de sacepura
Majestueuse, au sein de l'ombre et du silence ,
De son voile argenté couvrant la plaine immense
RY
:
AOUT 1807 . 341
Elle paroft; et sa présence
Annonce l'heure de l'amour.
Levent expire au loin dans les bois qui frémisssent;
Les Cyclopes lassés , et quittant les marteaux,
Dontles coups répétés fatiguoient les échos ,
Ne tourmentent plus les métaux
Sur les enclumes qui gémissent;
Des derniers sons du cor les vallons retentissentsi
Déjà le doux sommeil verse l'oubli des maux ,
Et sur le peuple des hameaux
Ses noirs pavotss'appesantissent .
son Tout cède à pouvoir : oui , tous les animaux ,
Ceux que l'on voit errer dans nos,plaines fécondes ,
Ceux dont le nid léger flotte sur des rameaux ,
Ceux qui nagent au sein des ondes ,
Les poissons émaillés et l'essaim des oiseaux,
Les lions rugissans , les timides troupeaux ,
نا
Tous, suspendant leurs courses vagabondes,
Savourent à l'envi les douceurs du repos.
Quel silence profond dans ma retraite obscure !
Tout dort , moi seul je veille,hélas ! et mes soupirsi
Troublent la paix de la nature.
Mon coeur s'épuise en vaius desirs :
Le calme de la nuit semble aigrir ma blessure.
Ni ce ciel radieux d'azur et de saphirs ,
Ces tranquilles forêts , ni cet air sans Zéphyrs ,
Rien ne peut de mes sens apaiser le murmure.
Infortuné! je veille aux rayons du matin,
Je veille quand l'Olympe au Madi se colore;
La fraîcheur d'un beau soir augmente mon chagrin :
La nuit règne , et je veille encore.
Voici l'heure où , des cours ignorant les loisirs ,
L'humble berger, lassé des soins de la campagne ,
Entre les brasde sa compagne ,
S'endort, enivré de plaisirs;
Etmoi , sans repos sur la terre ,
Morne, pensif et solitaire ,..
J'ai placé nion bonheur en de vains souvenirs ,
Dont je vois fuir déjà la trace passagère.
Reviens, o ma Délie, adoucir mes malheurs;
Du redoutable Amour , qui t'a donné ses armes,
16
:
Jene sens plus que les douleurs.
Viens; dans mes yeux éteints ne cherche plus les larmes :
Mon coeur est mort au sentiment;
La nature, avec tous ses charmes ,
N'est qu'un désert pour ton amant.
Vois-tu resplendir sur nos têtes :
T
i
Cesglobes,dont les feux d'or et de diamant
Sèment l'azur du firmament ?
1..1
Ils semblent dans leur cours m'annoncer les tempêtes ;
Leur éclat m'importune , il accroît mon tourment.
Ces fleurs , autrefois mes délices ,
Où l'abeille recueille un nectar précieux,
3
343 MERCURE DE FRANCE ,
Paroissent , en ouvrant leurs timides calices,
Sur le sol maternel se faner à mes veux .
Zéphyr semble emprunter le souffle de Borée ,
Le rayon du matin est un feu dévorant;
Et le ruisseau, dans la campagne errant,
Qui s'échappoit sans bruit de sa source ignorée,
Se transforme en fougueux torrept .
Ah, reviens dissiper les peines que tu causes !
Naguère auprès de toi quel étoit mon destin !
Tu commandois , et sous ma main
D'elles mêmes les fleurs se présentoient écloses ;
Tu t'éloignes , tu fuis; c'en est fait , le chagrin,
De mavie expirante a desséché les roses ,
Et le froid de la mort s'est glissé dans mon sein .
34
Viens, parois à mes yeux , et ma peive est fin'es
Déjà mon coeur s'élance au -devant de tes pas ,
Déjà mes vous charmés dévorent les appas
Dont tu vas paroître embellie;
L'écho redit cent fois e bau nom de Délie ;
Et le plaisir te tend les bras .
Viens déjà loin de moi s'enfuit la nuit profonde;
Ses lambeaux pâlissans s'éteignent dans les airs ;
L'astre éclatant du jour . sorti du sein des 'mers,
Va redonner la vie et la lumière au monde;
Délie à son amant va rendre l'univers.
1
Par P. DORANGE,
ENIGME.
Je suis pour avoir cessé d'être :
Par le présent , je suis dans le passé,
Par le futur, qui me fera renaître ,
Dans le présent on me verra placé.
LOGOGRIPHER
Je suis fidèle au pauvre comme au riche.
Si vous cherchez , lecteur , par la combinaison,
Vous trouverez d'abord ma niche
Dans les cinq lettres de mon nom :
Il en peut naître encore un fort puissant empire,
Mais n'est-ce point trop vous en dire ? :
CHARADE.
QUAND j'ai mis à net mon premier ,
J'aime à voir arriver , bien garni , mon entier.;
Puis je vais respirer au bord de mon dernier.
Le mot de l'Enigmę du dernier No. cst Echo .
:
Celui da Logogriphe est Framboise , où l'on trouve fraise , if, Oise,
ambre , foue , sabre , ris , Ambroise, ambrosie.
Colui de la Charade est Bec-figue.
AOUT 1807: 343
DE LA LANGUE DE LA POLITIQUE.
UNE Science , a dit Condillac , n'est qu'une langue bien
faite : expression très - philosophique , qui renferine une
vérité importante.
Ainsi nos pensées , nos connoissances , nos sciences , en
un mot , ne sont que nos paroles , non-seulement pour celui
qui en parle , mais pour celui-là même qui ne fait qu'y
penser.
Ainsi , comme nous ne pouvons , en connoissances
morales , rien recevoir des autres dans nos pensées , que par
l'expression de la parole extérieure qu'ils nous font entendre,
nous ne pouvons non plus rien apercevoir dans nos propres
pensées que par l'impression de la parole intérieure que
nous concevons ou entendons en nous-mêmes ; proposition
extrêmement féconde dans ses conséquences , et que l'auteur
de cet article a présenté ailleurs sous une forine abrégée
, lorsqu'il a dit : « Qu'il étoit nécessaire de penser sa
>>parole , pour pouvoir parler sa pensée.>>
Ainsi chaque science , même chaque art , a sa langue
technique et particulière, qu'il faut apprendre et savoir pour
pouvoir parler d'un art ou d'une science : de là viennent /
les erreurs où sont tombés tant d'écrivains du dernier siècle ,
qui ne savoient que la langue de la littérature, du roman, de la
géométrie , de la musique , de la médecine ; et même tant
d'hommes qui n'avoient jamais parlé que la langue des arts
mécaniques, et qui ont voulu parler la langue de lathéologie,
de lamorale, de la politique : et, sije voulois généraliser cette
pensée , j'oserois dire que , dans le dernier siècle , où l'on a
parlé si correctement l'idiome français , on n'a cependant
pas toujours parlé la langue de la France ; et que l'expression
a été souvent plus française que les opinions. Ainsi une
science dont la langue n'est pas bien faite , n'est pas une
science suffisamment développée et parfaitement connue.
De toutes les langues des sciences , la moins bien faite ,
pour me servir de l'expression de Condillac , est la langue
de la politique ; et , par une conséquence infaillible , la politique
est de toutes les sciences la moins avancée. Mais la politique
se perfectionnera à mesure qu'on en fera la langue ,
comme la chime s'est perfectionnée parce qu'on en a bien
fait la langue.
4
344 MERCURE DE FRANCE ,
Il y a plusieurs causes du peu de progrès des connoissances
politiques , déjà remarqué par Leibnitz au commencement
du dernier siècle , et attesté par les événemens
déplorables qui en ont signalé la fin, et que ce grand
homme avoit prédits .
On n'a pas assez observé les rapports qui existent entre
la société politique et la société religieuse ; et au lieu de
commencer la politique par Dieu , pouvoir suprême de
l'une et de l'autre , et par les lois absolues et générales qu'il a
données à toutes les deux , on l'a commencée par l'homme ,
sujet dans la société , et par les lois arbitraires et locales
qu'il a données à ses semblables : et l'on a fait une politique
turbulente comme les passions , et variable comme
les climats .
Les anciens , dépossédés de l'empire de la morale par le
Christianisme , et de l'empire de la physique par l'expérience
, ont continué à régner dans le monde politique ; et
lamauvaise politique d'Aristote a survécu à l'oubli où sont
tombées sa physique et sa métaphysique.
La plupart des publicistes ont écrit sous l'influence de
gouvernemens aristocratiques ou démocratiques ; et leur
politique s'est ressentie des idées fausses et étroites qu'inspire
un état de société où tout est l'ouvrage de l'homme et
de ses passions : « J'ai remarqué , dit Leibnitz , en parlant
>> du plus célèbre de ces publicistes étrangers , de grands
>> défauts dans les principes de Samuel Puffendorff. Cet
>> auteur pénètre rarement au fond de la matière..... Il
>> importe à la jeunesse et même à l'Etat d'établir de meil-
>>leurs principes de la science du droit que ceux que donne
>>>cet auteur. >>>>
Les gouvernemens monarchiques , seuls dépositaires,de
la véritable doctrine politique , alarmés de la tendance de
beaucoup de gens de lettres vers les systèmes populaires ,
ontcraintd'encourager la culture d'une science qui , depuis
trois siècles , avoit pris , même dans de bons esprits , une
fausse direction .
Dans un autre siècle , M. de Montesquieu eût pu être le
créateur de la science politique , dont le caractère de son
esprit etde son style le rendoit singulièrement propre à faire
la langue. Malheureusement , ce beau génie n'a pas arrêté
sa pensée sur l'idée vaste et féconde de la constitution naturelle
des sociétés , et sur les lois générales de l'ordre social
données aux nations comme aux familles , par l'auteur et le
conservateur du genre humain : constitutions et lois de la
nature , dont toutes les lois de l'homme , toutes les insti
AOUT 1807 . 345
tutions politiques , ouvrage de son esprit et de ses passions ,
ne sont que des dérogations . Mably , publiciste grec en français
, avec bien moins de génie que Montesquieu , porta au
dernier excès l'admiration que la philosophie de son temps
professoit pour les constitutions populaires de l'antiquité .
J. J. Rousseau , plus profond peut-être que ces deux écrivains
, mais égaré par ses préjugés et ses habitudes , se
perdit dans les abstractions de la démocratie : il creusa dans
le vide pour y chercher le néant , et trop tard désabusé ,
reconnut lui-même que son Contrat Social étoit un ouvrage
à refaire ; « mais , disoit- il , je n'en ai ni la force ni le
>> temps. (1 ) » Triste condition que celle d'un écrivain à qui
le temps n'a manqué que pour réparer les maux qu'il avoit
faits !
Et, pour citer un exemple de l'imperfection de la langue
politique , même dans ses expressions élémentaires , le titre
des ouvrages qui renferment les principes de la science est :
Du Droit de la Nature et des Gens;et ce titre , qui devroit
offrir aux commençans , sous l'expression précise d'une idée
juste , l'abrégé et comme l'analyse du corps entier de la
doctrine politique , est une véritable énigme qui présente un
sens louche et inexact ; c'est-à-dire , une idée fausse ou du
moins obscure , sous une expression incorrecte.
la
Du droit de la nature et des gens signifie : des lois privées
et publiques , des lois des familles et des nations , ou ne
signifie rien du tout. Mais le mot droit , qui a plus d'une
acception dans notre langue , ne représente qu'imparfaitement
l'idée nette et précise qu'exprime le mot lois , qui n'a
qu'une acception ; et ce droitde nature n'est guère plus
clair que les droits de l'homme (2). Le mot nature , après
l'abus qu'on en a fait, et même sans cet abus a lui-même
trop besoin de commentaire , pour pouvoin servir d'introduction
aux élémens d'une science ; et l'expression gens ,
avec laquelle on a traduit gentes, gentium , a dans notre
langue une autre signification que le mot nations ; et elle
est du latin francisé , plutôt que du français. Enfin, et c'est
ici le défaut capital de cette locution , que veut dire l'opposition
qu'elle établit entre la nature et les gens ? Est-ce que
la nature ne comprend pas les peuples , ou que les rapports
des nations entr'elles , objet des lois publiques , sont moins
(1) De mes Relations avec Jean-Jacques ; par Dussaulx, traducteur
de Juvénal , membre de l'Académie des Inscriptions.
(2) Voyez, sur le mot Droit , Burlamaqui , p. 1 , chap. V. Droit est le
traduction dejus, qui vient de jubere,jussum; etjura, selon Festus, se
disoit autrefois jusa onjussa .
346 MERCURE DE FRANCE ,
naturels que les rapports des hommes ou des familles entr'elles
, objet des lois privées ? Et n'est-ce pas toujours la
même nature , considérée dans la société domestique et
dans la société publique ? Sans doute , dans le commerce
familier , où l'on entend à-peu-près ce que l'on veut dire ,
et où l'extrême précision seroit une pédanterie insupportable
, l'expression de droit de la nature et des gens , consacrée
par l'usage , suffit aux besoins de la conversation
comme ces monnaies qui , quoiqu'altérées , n'en sont pas
moins reç ves dans les échanges journaliers pour une valeur
qu'elles n'ont pas ; mais , lorsqu'il s'agit d'enseignement ,
cette expression, peu correcte , rend les idées confuses dès
Je premier pas que l'on fait dans la science , semblable à ces
expositions embarrassées qui jettent de l'obscurité sur toute
la suite d'une intrigue dramatique .
Aussi , lorsqu'on a voulu expliquer ce droit de nature,
ces mots employés dans une science toute morale , on les
a interprétés dans un sens tout-à fait physique : « Ledroit
>>>naturel , dit Justinien, est celui que la nature enseigne à
>> tous les animaux. » Jus naturale est quod natura omnia
animalia docuit. Et pour faire entendre ce que ce droit
naturel doit être entre les hommes , on a cominencé par
chercher ce qu'il peut être entre les loups. On croiroit peutêtre
que, dans le cours de plus de douze siècles qui se sont
écoulés depuis Justinien , les idées sur le droit naturel ont
dû s'éclaircir , et que nous n'en sommes plus à en regarder
la connoissance comme commune à l'homme et aux bêtes ;
et cependant , dans le dernier ouvrage sur cette matière
qui aparu en 1803 , sous le titre d'Institutions au Droit de
la Nature et des Gens, et sous le nomd'un homine qui a
rempli avec distinction des missions importantes en politique
, on litau premier paragraphe : « Toutes les recherches ,
>>toutes les méditations sur la nature humaine , ont pour
>> dernier résultat , qu'il existe dans l'homme un principe
>>primordial, essentiel , une impulsion inhérente à sa na-
>>ture, et qui est la base de son existence ; que le premier
objet de ce principe , qu'on nomme instinct , est sa propre
>> conservation ; que sa propre conservation le conduit à
>>satisfaire ses besoins physiques; qu'elle est par conséquent
> la source de l'amour de soi et de l'intérêt personnel. >>>
Ily auroit bien des choses à dire sur cet amour de soi et
cet intérêt personnel, dont l'auteur fait le fondement et le
motif de la société , qui est proprement l'amour des autres
et l'intérêt de tous ; mais je n'ai cité ce passage que pour
prouver qu'encore aujourd'hui , comme aux temps demi
AOUT 1807 . 347
païens de Justinien , on cherche à expliquer le droit de la
nature par des instincts de propre conservation physique,
par des impulsions vers des besoins physiques , c'est-à-dire ,
par l'homme animal , et que cette première thèse de l'ouvrage
moderne ne diffère de la proposition un peu crûment
avancée par l'ancien législateur , que par une expression
adoucie et plus étudiée , puisqu'au fond on retrouve dans
ļa brute , et même plus impérieux et plus marqués , ces
mêmes instincts de conservation , ces mêmes impulsions ,
ces mêmes besoins physiques , que l'auteur des Institutions
, etc. , semble ne considérer que dans l'homine.
Si, de cette première expression de la langue politique ,
nous passons à d'autres mots de son vocabulaire , nous ne
trouverons guère plus de précision dans les idées , ni de
propriété dans les termes ; et pour nous borner à quelques
exemples en petit nombre , mais qui nous fourniront l'occasion
dedévelopper des vérités importantes , les expressions
pouvoir absolu , pouvoir arbitraire , despotisme , tyrannie ,
n'ont pas encore une acception propre et parfaitement déterminée;
elles sont employées assez souvent l'une pour l'autre ,
même dans les écrits ; et cependant , l'on n'aura jamais en
politique une langue bien faite , et par conséquent une
bonne doctrine , qu'autant qu'on attachera à chaque mot
l'idée précise qui y correspond , et que l'on évitera une
confusion dans les termes , qui suppose de l'incertitude dans
les pensées . La philosophie voit toujours deux idées là où
elle voit deux expressions , et elle laisse les synonymes à la
poésie. Avant de me livrer à cette discussion , je dois prévenir
le lecteur que je traite toujours de la politique dans
cette pensée , ou , si l'on veut , dans ce système , que j'ai
développé ailleurs , qu'il est une nature morale ou sociale
comme il existe une nature physique ou corporelle ; qu'il y
a des lois générales qui régissent le monde social , comme
il y a des lois générales qui régissent le monde matériel ; et
que celui qui a donné la meilleure constitution à la société
des fourmis ou des abeilles , n'a pas laissé sans constitution ,
et au caprice des passions , la société des hommes : aveg
cette différence toutefois , que la brute obéit en brute aux
Jois de son existence , c'est-à-dire , par un instinct ou impulsion
aveugle , invariable , irrésistible ,dans chaque individu
; au lieu quel'homme obéit à ses lois en être intelligent ,
c'est-à-dire , libre ; libre cependant dans un ordre de choses
nécessaire et déterminé. Car, si l'homme est libre , la société
ne l'est pas ; elle marche vers son but , quoique l'homme
s'en écarte sans cesse ; et cette distinction réelle et fonda
344 MERCURE
. DE FRANCE
,
Il y a plusieurs causes du peu de progrès des connoissances
politiques , déjà remarqué par Leibnitz au commencement
du dernier siècle , et attesté par les événemens
déplorables qui en ont signalé la fin , et que ce grand
homme avoit prédits .
On n'a pas assez observé les rapports qui existent entre
la société politique et la société religieuse ; et au lieu de
commencer la politique par Dieu , pouvoir suprême de
l'une et de l'autre , et par les lois absolues et générales qu'il a
données à toutes les deux , on l'a commencée par l'homme
sujet dans la société , et par les lois arbitraires et locales
qu'il a données à ses semblables et l'on a fait une politique
turbulente comme les passions , et variable comme
les climats .
Les anciens , dépossédés de l'empire de la morale par le
Christianisme , et de l'empire de la physique par l'expérience
, ont continué à régner dans le monde politique ; et
la mauvaise politique d'Aristote a survécu à l'oubli où sont
tombées sa physique et sa métaphysique.
.
La plupart des publicistes ont écrit sous l'influence de
gouvernemens aristocratiques ou démocratiques ; et leur
politique s'est ressentie des idées fausses et étroites qu'inspire
un état de société où tout est l'ouvrage de l'homme et
de ses passions : « J'ai remarqué , dit Leibnitz , en parlant
» du plus célèbre de ces publicistes étrangers , de grands
» défauts dans les principes de Samuel Puffendorff. Cet
» auteur pénètre rarement au fond de la matière…………. Il
» importe àla jeunesse et même à l'Etat d'établir de meil-
» leurs principes de la science du droit que donne
» cet auteur . »
ceux que
Les gouvernemens monarchiques , seuls dépositaires de
la véritable doctrine politique , alarmés de la tendance de
beaucoup de gens de lettres vers les systèmes populaires ,
ont craint d'encourager la culture d'une science qui , depuis
trois siècles , avoit pris , même dans de bons esprits , une
fausse direction .
Dans un autre siècle , M. de Montesquieu eût pu être le
créateur de la science politique , dont le caractère de son
esprit et de son style le rendoit singulièrement propre à faire
la langue. Malheureusement , ce beau génie n'a pas arrêté
sa pensée sur l'idée vaste et féconde de la constitution naturelle
des sociétés , et sur les lois générales de l'ordre social
données aux nations comme aux familles , par l'auteur et le
conservateur du genre humain : constitutions et lois de la
nature , dont toutes les lois de l'homme , toutes les instiAOUT
1807. 345
tutions politiques , ouvrage de son esprit et de ses passions ,
ne sont que des dérogations. Mably , publiciste grec en frauçais
, avec bien moins de génie que Montesquieu , porta au
dernier excès l'admiration que la philosophie de son temps
professoit pour les constitutions populaires de l'antiquité.
J. J. Rousseau , plus profond peut-être que ces deux écrivains
, mais égaré par ses préjugés et ses habitudes , se
perdit dans les abstractions de la démocratie : il creusa dans
le vide pour y chercher le néant , et trop tard désabusé ,
reconnut lui-même que son Contrat Social étoit un ouvrage
à refaire ; « mais , disoit- il , je n'en ai ni la force ni le
» temps. (1 ) » Triste condition que celle d'un écrivain à qui
le temps n'a manqué que pour réparer les maux qu'il avoit
faits !
Et , pour citer un exemple de l'imperfection de la langue
politique , même dans ses expressions élémentaires , le titre
des ouvrages qui renferment les principes de la science est :
Du Droit de la Nature et des Gens ; et ce titre , qui devroit
offrir aux commençans , sous l'expression précise d'une idée
juste , l'abrégé et comme l'analyse du corps entier de la
doctrine politique , est une véritable énigme qui présente un
sens louche et inexact ; c'est - à -dire , une idée fausse ou du
moins obscure , sous une expression incorrecte.
Du droit de la nature et des gens signifie des lois privées
et publiques , des lois des familles et des nations , ou ne
signifie rien du tout. Mais le mot droit , qui a plus d'une
acception dans notre langue , ne représente qu'imparfaitement
l'idée nette et précise qu'exprime le mot lois , qui n'a
qu'une acception ; et ce droit de la nature n'est guère plus
clair que les droits de l'homme (2). Le mot nature , après
l'abus qu'on en a fait , et même sans cet abus , a lui- même
trop besoin de commentaire , pour pouvoir servir d'introduction
aux élémens d'une science ; et l'expression gens ,
avec laquelle on a traduit gentes , gentium , a dans notre
langue une autre signification que le mot nations ; et elle
est du latin francisé , plutôt que du français . Enfin , et c'est
ici le défaut capital de cette locution , que veut dire l'opposition
qu'elle établit entre la nature et les gens ? Est-ce que
la nature ne comprend pas les peuples , ou que les rapports
des nations entr'elles , objet des lois publiques , sont moins
(1) De mes Relations avec Jean Jacques ; par Dussaulx, traducteur
de Ju énal , membre de l'Académie des Inscriptions .
(2) Voyez , sur le mot Droit , Burlamaqui , p . 1 ° , chap . V. Droit est le
traduction dejus , qui vient de jubere , jussum ; et jura , selon Festus , to
disoit autrefois jusa on jussa.
346
MERCURE
DE FRANCE
,
naturels que les rapports des hommes ou des familles entr'elles
, objet des lois privées ? Et n'est-ce pas toujours la
même nature , considérée dans la société domestique et
dans la société publique ? Sans doute , dans le commerce
familier , où l'on entend à- peu- près ce que l'on veut dire
et où l'extrême précision seroit une pédanterie insupportable
, l'expression de droit de la nature et des gens , consacrée
par l'usage , suffit aux besoins de la conversation
comme ces monnaies qui , quoiqu'altérées , n'en sont pas
moins reçues dans les échanges journaliers pour une valeur
qu'elles n'ont pas ; mais , lorsqu'il s'agit d'enseignement ,
cette expression , peu correcte , rend les idées confuses dès
le premier pas que l'on fait dans la science , semblable à ces
expositions embarrassées qui jettent de l'obscurité sur toute
la suite d'une intrigue dramatique .
>
Aussi , lorsqu'on a voulu expliquer ce droit de nature ,
ces mots employés dans une science toute morale ,
on les
a interprétés dans un sens tout-à fait physique : « Le droit'
» naturel , dit Justinien , est celui que la nature enseigne à
» tous les animaux . » Jus naturale est quod natura ómnia
animalia docuit. Et pour faire entendre ce que ce droit
naturel doit être entre les hommes , on a commencé par
chercher ce qu'il peut être entre les loups. On croiroit peutêtre
que , dans le cours de plus de douze siècles qui se sont
écoulés depuis Justinien , les idées sur le droit naturel ont
dû s'éclaircir , et que nous n'en sommes plus à en regarder
la connoissance comine commune à l'homme et aux bêtes ;
et cependant , dans le dernier ouvrage sur cette matière
qui a paru en 1853 , sous le titre d'Institutions au Droit de
la Nature et des Gens , et sous le nom d'un homine qui a
rempli avec distinction des missions importantes en politique
, on lit au premier paragraphe : « Toutes les recherches ,
> toutes les méditations sur la nature humaine , ont pour
» dernier résultat , qu'il existe dans l'homme un principe
» primordial , essentiel , une impulsion inhérente à sa na-
» ture , et qui est la base de son existence ; que le premier
objet de ce principe , qu'on nomme instinct , est sa propre
» conservation ; que sa propre conservation le conduit à
satisfaire ses besoins physiques ; qu'elle est par conséquent
» la source de l'amour de soi et de l'intérêt personnel ,
€
>>
Il y auroit bien des choses à dire sur cet amour de soi et
cet intérêt personnel , dont l'auteur fait le fondement et le
motifde la société , qui est proprement l'amour des autres ,
et l'intérêt de tous ; mais je n'ai cité ce passage que pour
prouver qu'encore aujourd'hui , comme aux temps demiAOUT
1807 . 347
2
païens de Justinien , on cherche à expliquer le droit de ta
"nature par des instincts de propre conservation physique
par des impulsions vers des besoins physiques , c'est-à -dire
par l'homme animal , et que cette première thèse de l'ouvrage
moderne ne diffère de la proposition un peu crûnent
avancée par l'ancien législateur , que par une expression
adoucie et plus étudiée , puisqu'au fond on retrouve dans
la brute , et même plus impérieux et plus marqués , ces
mêmes instincts de conservation , ces mêmes impulsions ,
ces mêmes besoins physiques , que l'auteur des Institutions
, etc. , semble ne considérer que dans l'homme.
Si , de cette première expression de la langue politique ,
nous passons à d'autres mots de son vocabulaire , nous ne
trouverons guère plus de précision dans les idées , ni de
propriété dans les termes ; et pour nous borner à quelques
exemples en petit nombre , mais qui nous fourniront l'occasion
de développer des vérités importantes , les expressions
pouvoir absolu , pouvoir arbitraire , despotisme , tyrannie ,
n'ont pas encore une acception propre et parfaitement déterminée
; elles sont employées assez souvent l'une pour l'autre ,
même dans les écrits ; et cependant , l'on n'aura jamais en
politique une langue bien faite , et par conséquent une
bonne doctrine , qu'autant qu'on attachera à chaque mot
l'idée précise qui y correspond , et que l'on évitera une
confusion dans les termes , qui suppose de l'incertitude dans
les pensées. La philosophie voit toujours deux idées là où
elle voit deux expressions , et elle laisse les synonymes à la
poésie . Avant de me livrer à cette discussion , je dois prévenir
le lecteur que je traite toujours de la politique dans
cette pensée , ou , si l'on veut , dans ce système , que j'ai
développé ailleurs , qu'il est une nature morale ou sociale
comme il existe une nature physique ou corporelle ; qu'il y
a des lois générales qui régissent le monde social , comme
il y a des lois générales qui régissent le monde matériel ; et
que celui qui a donné la meilleure constitution à la société
des fourmis ou des abeilles , n'a pas laissé sans constitution ,
et au caprice des passions , la société des hommes
cette différence toutefois , que la brute obéit en brute aux
lois de son existence , c'est-à - dire , par un instinct ou impulsion
aveugle , invariable , irrésistible , dans chaque indi→
vidu ; au lieu que l'homme obéit à ses lois en être intelligent ,
c'est-à-dire , libre ; libre cependant dans un ordre de choses
nécessaire et déterminé. Car, si l'homme est libre , la société
avec
ne l'est pas ; elle marche
vers
son but , quoique
l'homme
' en écarte
sans
cesse
; et cette
distinction
réelle
et fonda
348 MERCURE DE FRANCE ,
mentale pent lever de grandes difficultés . On n'exige pas
d'un écrivain qu'il soit infaillible; mais on peut luidemander
d'être conséquent dans ses opinions .
Toute société done , ou tout pouvoir bien constitué , je
veux dire , fondé sur ses lois naturelles , lois raisonnables ,
legitimes (car toutes ces expressions , et même celles de
divines que j'aurois pu ajouter , ne font que présenter la
même idée sous des rapports différens), doit être et est par
le fait indépendant des hommes , et par conséquent absolu .
Car si le bon sens , selon M. Bossuet , est le maître des
affaires , la raison doit être la reine du monde ; non cette
lueur incertaine qui égare si souvent l'homme aveuglé par
ses passions , mais cette lumière vive et forte émanée de la
source même de toutes les clartés , et qui n'est que la connoissance
des vrais rapports de toutes choses.
Ainsi l'on peut dire que la raison du pouvoir est le pouvoir
de la raison , et ce pouvoir ne doit éprouver aucune
opposition : car où seroit , à parler même philosophiquement
, la raison de s'opposer à la raison ? La nécessité d'un
pouvoir absolu ou définitif a été si bien sentie , que l'on en a
attribué le privilége même à une autorité qu'on supposoit
pouvoir ne pas être conforme àla raison ; puisque l'apôtre
de la souveraineté pópulaire , Jurieu , a osé dire : « Le
>>peuple est la seule autorité qui n'ait pas besoin d'avoir
raison pour valider ses actes . » Au fond , un pouvoir qui
n'est pas définitif n'est pas un pouvoir. Il y a contradiction
contradiction
dans les termes , et par conséquent , ſausseté dans l'idée et
désordre dans les effets .
Il faut bien l'avouer. Cette politique n'est pas celle de la
fausse philosophie , et l'on doit la chercher dans une meilteure
philosophie : « J'observe le roi , disent les Livres
>>saints ; sa parole est puissante , et personne ne lui peut
> dire : Pourquoi faites-vous ainsi? Façon de parler , dit
* M. Bossuet , si propre à signifier l'indépendance , qu'on
> n'en a point de meilleure pour exprimer celle de Dieu.
>>Personne , dit Daniel , ne résiste à son pouvoir, et ne lui
>>dit : Pourquoi faites- vous ainsi ? Dieu est donc indépen-
> dant par lui-même ou par sa nature , et le roi est indé-
> pendant àl'égard des hommes, et sous les ordres de Dieu . >>>
Ce qui ne veut pas dire qu'il soit nécessaire , pour que le
pouvoir soit absolu et indépendant , que l'homme qui
l'exerce obéisse à toutes les lois de la religion et de la morale
révélées par Dieu , ce qui est une erreur condamnée dans
Wiclef; mais que le pouvoir ne sauroit être absolu et indépendant
s'il n'est constitué sur les lois naturelles de l'ordre
AOUT 1807 . 349
social , dont Dieu est l'auteur , et que notre raison peut découvrir
; et s'il ne s'exerce en vertu de ces mêmes lois.
Lapremière condition du pouvoir , et la loi la plus fondamendale
de la société , est que le pouvoir soit définitivement
un dans sa volonté législative , et multiple dans son
action publique , ou dans l'interprétation et l'exécution
de la loi ; c'est-à-dire , que le pouvoir doit vouloir par luimême
, et agir par des ministres constitués comme le pou
voir ; car s'il y a dans le même Etat deux volontés législatives
, ou elles se combattent , et alors il y a deux sociétés
opposées ; ou elles se détruisent, et il n'y a plus de société,
puisqu'il n'y a plus de volonté. Et si le pouvoir n'agit pas
pardes ministres qui soient indépendans dans l'exercicede
leurs fonctions , ilpeut agir avec les passionts et les erreurs .
Nous opposerons l'une à l'autre la France et la Turquie ,
les deux extrêmes , l'une du pouvoir absolu , l'autre du pouvoir
arbitraire.
Ainsi, en France , le pouvoir avoit endéfinitif laplénitude
de la volonté législative , qui n'est au fond que le droitde
développer les lois fondamentales , et de les appliquer à l'état
successif de la société ; et la fonction de distinguer dans la
loi la volonté du pouvoir de la volonté de l'homme , de la
faire connoître aux peuples , de l'interpréter dans des
décisions générales , et d'en faire l'application à des cas particuliers
, étoit confiée à des corps .
En Turquie, au contraire , il ne se fait jamais de lois; et
même cette société et celles qui lui ressemblent , se distinguent
par un attachement aveugle et opiniâtre pour leurs
loisanciennes , écrites ou traditionnelles , et par une horreur
insurmontable de tout changement. Ces sortes d'Etats ne
subsistent que d'habitudes ; et la conversion d'une seule loi ,
même mauvaise , en une meilleure , pourroit entraîner la
ruine totale de l'édifice , dont les diverses parties ne seroient
plus en harmonie. Il ne se fait donc jamais de lois ; et s'il
s'en faisoit , le corps des uhlémas ou des ministres de la religion
et des docteurs de la loi , auroit une grande part au
pouvoir législatif , ou plutôt seroit le vrai législateur, et ses
décisions l'emporteroient même sur la volonté des princes .
Mais l'application et l'exécution de la loi , dans ce qu'elle
ade plus redoutable et de plus auguste , je veux dire , dans
le droit de disposer de la vie et de la propriété , appartient au
prince qui , à la vérité , renvoie à des cadis la connoissance
des délits particuliers , à laquelle il ne pourroit pas suffire ;
mais qui juge lui-même et punit de mort sans forme de procès
, et par un seul acte de son pouvoir , les crimes contre
350 MERCURE DE FRANCE ,
PEtat ou contre sa personne , et confisqué à son profit les
biens des condamnés. Cette faculté personnelle au prince ,
et qu'il exerce sans réclamation , de faire lui-même l'appli
cation de la loi , constitue proprement le pouvoir arbitraire.
Etde là vient que lorsque les rois en France nommoient des
commissions extraordinaires pour soustraire un homme
prévenu de crimes à la jurisdiction de ses juges naturels ,
ministres constitués et permanens du pouvoir , on se plaignoit
qu'ils exerçoient un pouvoir arbitraire ; parce que, dans
ce cas , le prince s'immisçoit dans la fonction d'interpréter ,
d'appliquer etd'exécuter la loi , sinon par lui-même,dumoins
par des agens de circonstance , des agens aux ordres de
P'homme , etqui n'étoient pas les ministres constitutionnels
du pouvoir.
Mais lorsque le chef de l'Etat est investi personnellement
par la loi ou la coutume de l'Etat , de l'action publique ,
c'est-à-dire , du droit de disposer de la vie et de la fortune
des sujets , ses agens, et même dans les emplois subalternes ,
participent en quelque degré à ce pouvoir arbitraire ; parce
que le pouvoir exercé ou transmis , est toujours de la même
nature; et ils disposent arbitrairement aussi dans la sphère
de leur autorité , et selon la mesure de leur pouvoir , de la
propriété et quelquefois de la personne de ceux qui leur sont
subordonnés . C'est là le comble de l'oppression et le plus
grand désordre des Etats mahométans .
Je ne prétends pas que dans les Etats chrétiens , il n'y eût
quelquefois des actes de pouvoir arbitraire ; mais la loi veilloit
pour les condamner , et les tribunaux pour s'en plaindre ;
au heu que dans les Etats de l'Orient , l'abus lui -même est la
loi ; et comme, même sous un prince modéré, l'ignorance
l'exécute , la servitude s'y soumet.
Ainsi il faut observer que le mot absolu , en parlant du
pouvoir , tombe plutôt sur la volonté ou sur le pouvoir
législatif; et de mot arbitraire , plutôt sur l'action ou la
fonction d'exécuter la loi : fonction dont les publicistes
modernes ont fait deux pouvoirs, sous le nom de pouvoir
exécutif et de pouvoir judiciaire , afin de les opposer au
pouvoir législatif, et d'établir ainsi entre les différens pouvoirs
qu'ils supposent indépendans les uns des autres , leur
chimère favorite de la balance des pouvoirs .
Le pouvoir en France étoit arbitraire , lorsque Clovis
fendoit lui-même la tête à un soldat , qu'il n'auroit pu peutêtre
faire juger par les tribunaux; le pouvoir étoitbsolu ,
lorsque le foible Louis XIII faisoit juger par le parlement
le plus grand seigneur de son royaume , qu'il n'auroit pu
AOUT 1807 . 351
certainement tuer lui-même , sans exciter un soulèvement
universel.
Ainsi le pouvoir absolu consiste à ne vouloir que des
lois naturelles , bonnes , raisonnables , lois fondamentales
de la société , contre lesquelles tout ce que l'on fait est nul
de soi , comme dit M. Bossuet , et à n'agir qu'en vertu
de ces mêmes lois ; et le pouvoir arbitraire consiste à
faire tout ce que veulent ou permettent des lois impar
faites et contre la nature de la société : lois qui ne sont
jamais fondamentales ou primitives , même lorsqu'elles
sont le plus anciennes .
Ainsi qu'on y prenne garde. Le pouvoir n'est pas bon ,
parce qu'il est absolu ; mais il est absolu, parce qu'il est
ou lorsqu'il est bon : bonté de pouvoir qui est tout-à- fait
indépendante de la bonté morale de l'homme qui l'exerce.
Ainsi , dans le commerce ordinaire de la vie , un homme
n'est pas meilleur que les autres , parce qu'il a de l'empire
sur leur esprit; mais il a de l'empire sur les esprits ,
parce qu'il est meilleur que les autres ou plus fort d'esprit
et de raison.
Et de même , le pouvoir n'est pas mauvais , parce
qu'il est arbitraire; mais il est arbitraire , parce qu'il est
mauvais , c'est-à-dire , imparfait , et qu'il ne connoît pas
les moyens légitimes de son action , parce qu'il ignore la
règle fixe et sûre de ses volontés .
Aussi le pouvoir absolu est le pouvoir le plus indépendant
ou le plus fort , parce qu'il n'y a rien de plus fort
que ce qui est selon la nature et la raison ; et le pouvoir
arbitraire est le pouvoir le plus dépendant et le plus foible ,
parce qu'il n'y a rien de plus foible que ce qui est contre la
nature. Le grand-seigneur peut faire étrangler ses frères
et ses visirs , et il ne pourroit casser une milice factieuse ,
ni faire punir un uhléma séditieux , pas même sauver sa
tête et sa couronne des violences populaires . Le pouvoir
en France ne pouvoit même signer un' arrêt de mort; et
les tribunaux , à qui il avoit confié son action ou l'exécution
de la loi , étendoient leur jurisdiction sur toutes les
personnes et sur tous les corps . La justice en France pesoit
plusque la force; et le parlement , au besoin , auroit jugé
l'armée.
Le pouvoir arbitraire est le pouvoir d'un enfant qui veut
tout avec violence , et qu'un rien arrête ; le pouvoir absolu
est le pouvoir d'un homme qui ne veut qu'avec raison , et
qui est obéi.
Le pouvoir absolu ou constitué sur ses lois naturelles est
/
352 MERCURE DE FRANCE ,
bon , et par conséquent un état légitime de société ; mais
le pouvoir arbitraire peut être un état légal, lorsqu'il est
fondé sur la loi de l'Etat, ou sur une coutume qui a acquis
force de loi ( 1 ) . Ainsi , l'on n'est pas plus étonné en
Turquie d'apprendre que le grand-seigneur a fait couper
la tête à son visir et s'est emparé de ses trésors , qu'on ne
l'étoit à Paris d'entendre crier dans les rues un arrêt des
cours souveraines qui condamnoit à mort un malfaiteur-,
et adjugeoit ses biens au fisc : et c'est même là un des
grands maux du despotisme invétéré de l'Orient , qu'en
opprimant les corps il étouffe la raison.
Il faut cependant observer que le grand-seigneur, lorsqu'il
condamne ainsi sans forme de procès , n'est pas coupable ,
même aux yeux de la suprême justice , pourvu toutefois
qu'il agisse sans passion et avec une conviction fondée du
crime , parce qu'il ne fait que suivre la loi de l'Etat , une
loi plus ancienne que le prince , et qui attribue à un seul
homme autant de pénétration , de lumières et d'impartialité
qu'à tout un tribunal; et que même , chez ces peuples
abrutis , il ne pourroit changer cette loi , toute absurde qu'elle
est , ni se refuser au terrible ministère dont elle l'a revêtu
sans faire une révolution dans l'Etat et compromettre l'existence
du pouvoir lui-même. Dans ce cas , c'est la loi qui
est coupable , et non le prince , qui est dans une ignorance
invincible ou dans une position forcée ; ou plutôt c'est la
société qui est imparfaite , pour avoir retenu dans l'état
public les lois de l'état domestique des premières sociétés ,
où le chef de la famille avoit lui seul le pouvoir suprême
de vie et de mort sur ses enfans et ses serviteurs .
Cette constitution ou état legal du pouvoir arbitraire
forme le gouvernement despotique , où l'usage légal de ce
pouvoir s'appelle , dans la langue politique , despotisme.
M. de Montesquieu est allé trop loin lorsqu'il a défini le
despotisme : « Un gouvernement où un seul , sans loi et sans
>> règle , enchaîne tout par sa volonté et par ses caprices . >>>
On a observé avec raison , qu'un pareil gouvernement ou
plutôt un pareil désordre , ne subsisteroit pas deux jours .
Le despotisme ne manque pas plus de lois et de règles que
(1 ) Un exemple fera sentir la différence que j'établis entre l'état
légitime et l'état légal , qui tous deux viennent du mot lex. L'indisso-
Jubilité est l'état légitime du mariage , parce qu'il est fondé sur la loi de
Ta nature ou de son auteur; la dissolubilité ou le divorce , là où il est
permis par la loi , est l'etat légal, parce qu'il est fondé sur une loi de
Thomme ب
tout
,
AOUT 1807 .
353 5.
DEP
tout autre état de société ; et même , comme je l'ai déjà
remarqué , les lois et les coutumes y sont l'objet d'un respect
servile et superstitieux. Mais les règlesy sont fausses et les
lois imparfaites ; sans que le despote sache comment sortir
de ce despotisme , qui souvent , comme le dit très - bien
Montesquieu , <« lui est plus pesant qu'aux peuples mêmes » ;
et bien loin qu'il entraîne tout par sa volonté et par ses
caprices , il est souvent entraîné lui-même par la volonté
du peuple et les caprices des soldats .
La définition que cet écrivain donne du despotisme d'un
seul , ne pourroit convenir qu'au despotisme de tous , qu'on
appelle démocratie , état de société sans loi et sans règle ,
puisque le peuple a toujours le droit de faire de nouvelles
lois , et même de changer les meilleures , suivant le principe
de J. J. Rousseau , et que n'ayant pas besoin d'avoir
raison pour valider ses actes , il peut tout entraîner par
sa volonté et par ses caprices . Sous le despotisme d'un
seul , il y a trop d'immobilité dans les lois ; sous le despotisme
de tous , il y a trop d'instabilité : l'un est une monarchie
imparfaite , l'autre n'est que chaos et confusion ;
et si , sous le premier , l'homme est esclave , il peut , sous
le second , tomber au-dessous de l'esclavage , et , comme
dit Tacite , dégénérer même de la servitude .
La constitution du pouvoir absolu forme l'état légitime
ou naturel de la société : c'est ce qu'on appelle la monarchie
parfaite , ou simplement la monarchie .
La constitution , ou l'état légal du pouvoir arbitraire
sous un seul chef, forme la monarchie imparfaite , ou le
despotisme.
L'usage arbitraire du pouvoir absolu , ou l'usage illégal
du pouvoir arbitraire , s'appelle tyrannie.
Ainsi la monarchie est l'état légitime de la société , parce
qu'il en est l'état naturel.
Le despotisme peut être un état légalde société , quoiqu'il
n'en soit pas l'état naturel ;
Et latyrannie n'est ni un état légitime , ni un état légal ,
parce qu'elle est l'abus du pouvoir absolu , et même du
pouvoir arbitraire .
Cependant on ne pourroit s'empêcher de regarder la
démocratie ( dans une nation indépendante ) comme la
constitution de l'état légal de la tyrannie , si l'on prenoit à
la rigueur le principe de Jurieu : « Que le peuple est la
>>seule autorité qui n'ait pas besoin d'avoir raison pour
>> valider ses actes >> ; principe répété à l'assemblée constituante
, et confirmé par de grands et mémorables exemples
cen
354 .: MERCURE DE FRANCE ,
:
d'actes populaires valides sans raison , et même contre toute
raison , toute justice et toute humanité.
Le despotisme est l'imperfection du pouvoir , soit qu'une
société trop jeune encore n'ait pu parvenir à la parfaite
constitution du pouvoir ; soit que , dans ses derniers temps ,
dechue de cette constitution parfaite , elle n'ait pu encore
y revenit..
Ainsi le despotisme est l'enfance de la société ; et il peut
en être la convalescence.
La tyrannie est donc le crime de l'homme , et le despotisme
la faute des événemens .
Ainsi , il n'eût pas été prudent , en Angleterre , de parler
de tyrannie sous Henri VIII ; et il eût été permis à Rome
de parler de despotisme sous Trajan .
Louis XI , en France , fut un tyran. Tite , Antonin ,
Mare-Aurèle , furent des despotes. Néron et Henri VIII
ont été à la fois des despotes et des tyrans , car le pouvoir est
imparfait en Angleterre , et souventy est devenu arbitraire .
Dans nos monarchies chrétiennes , comme la loi prend
sous sa sauve-garde l'homme et sa propriété , il faudroit ,
pour encourir le reproche de tyrannie , porter atteinte à
l'un ou à l'autre ; mais sous le despotisme de l'Orient , où
'la loi'permet beaucoup au prince sur l'homme et sur la
propriété , le prince ne pourroit sans démence en usurper
davantage ; et comme ces peuples abrutis tiennent plus à
leurs usages qu'à leur vie même, il suffit d'avoir voulu
faire quelque innovation dans des usages même indifférens ,
pour être accusé de tyrannie. Vraisemblablementl'infortuné
Sélim a été regardé comme un tyran , pour avoir voulu
faire raser la barbe aux Janissaires ; et si son successeur lui
avoit fait couper la tête , cette exécution atroce n'auroit passé
que pour un usage, permis et même prudent de l'autorité.
Nous avons dit que le despotisme est l'imperfection du
pouvoir ; et le pouvoir peut être imparfait dans sa constitution
, dans sa volonté, dans són action .
১
Le pouvoir , pour être parfaitement constitué , doit être
indivisible , héréditaire de mâle en mâle , et par ordre de
primogéniture , et même propriétaire de domaines , et non
pensionnaire de l'Etat. Il seroit aisé de prouver que , faute
de l'une ou de l'autre de ces conditions ou de ces lois , le
pouvoir n'est pas entièrement indépendant ; et s'il n'est pas
indépendant , il peut devenir arbitraire , et il n'en est préservé
que par la modération ou le génie du prince.
Il y a imperfection du pouvoir partout ou sa volonté
législative est subordonnée à des volontés populaires , et
AOUT 1807. 355
són action trop dépendante de la force populaire , ou des
passions individuelles .
Le pouvoir en Turquie est indivisible , héréditaire , et
même de mâle en måle ; mais l'ordre de primogéniture
paroît n'être régulièrement observé que dans toute la famille,
etnondans lamême branche . La volonté législative y seroit ,
s'il y avoit lieu , subordonnée aux décisions des uhlémas ; et
l'action est exercée par le prince lui-même , et l'a été trop
souvent par le peuple ou par les soldats .
On voit à la fois dans cette constitution du pouvoir , bonne
sous quelques rapports , imparfaite sous d'autres , la raison
de la longue durée de cette société et de sa foiblesse habituelle
, du profond respect du peuple pour la famille qui
est en possession du trône, et de ses fréquentes révoltes contre
T'homme qui l'occupe. Car ce peuple grossier considère le
pouvoir d'une manière tout-à-fait arbitraire il adore le
pouvoir , au moment où il précipite l'homme du trône ; et
c'est en se mettant à genoux devant un sultan déposé , que
les muets lui présentent le fatal cordon. Une religion absurde
étaie sans l'affermir cette constitution icieuse , et en prolonge
l'existence , sans pouvoir en perfectionner la nature.
Mais tout ce qui ne peut parvenir à sa véritable nature est
condamné à périr. La langueur a gagné l'Empire ottoman .
En vain on a voulu y ranimer dans cce grand corps un esprit
de vie. C'est un malade à l'agonie , dont le moindre déplac
ment précipite la fin .
Je finirai cet article par quelques réflexions importantes .
Quand on traite de la politique , il faut toujours en revenir
à la religion ; et c'est ce que les publicistes du dernier
siècle out beaucoup trop négligé. Chez les peuples mahométans
, le despotisme est dans la famille par la polygamie ;
et , par une conséquence nécessaire , le pouvoir arbitraire
est dans l'Etat , dont la famille est l'élément.
Chez les Chrétiens , la monarchie est dans la famille par
la monogamie , et la monarchie est dans l'Etat : car , là où
la faculté du divorce rapproche la famille de la polygamie ,
comme dans les Etats protestans , le pouvoir public y vise
un peu plus à l'arbitraire , autant du moins que l'ont permis
les moeurs et les idées chrétiennes .
Les Turcs , qui font de leur prince l'image de Dieu , ne
voient dans l'un et dans l'autre qu'un maître suprême qui
agit par des volontés arbitraires et particulières , et non en
vertu de lois générales , dont ils n'ont pas même l'idée .
Les Chrétiens , qui font aussi de leurs princes les mi-
Za
356 MERCURE DE FRANCE,
nistres de la Divinité , les considèrent agissant , comme
elle , par des lois immuables et générales .
Le pouvoir est arbitraire en Turquie , parce qu'il n'y a
pas assez de raison et de lumières pour qu'il soit absolu;
le pouvoir est absolu chez les Chrétiens , où il y a trop de
raison et de lumières pour qu'il soit arbitraire. Aussi le
pouvoir chez les Chrétiens périroit , s'il vouloit rester ou
devenir arbitraire ; et en Turquie , s'il vouloit cesser de.
l'être , parce que rien dans les lois et dans les moeurs n'y
estdisposé pour qu'il devienne absolu : « Un gouvernement
>>modéré , dit Montesquieu (et il n'y a qu'un gouvernement
>>fort qui puisse être modéré ) , un gouvernement modéré
>>peut ,tant qu'il veut , et sans péril , relâcher ses ressorts.
دل Il se maintient par ses lois , et par sa force même. Mais
>>lorsque , dans legouvernement despotique , le prince cesse
» un momentde lever le bras , ... tout est perdu>. >>
Le pouvoir arbitraire est redouté en Turquie; et le pouvoir
qui ne voudroity être qu'absolu , comme il l'est chez
les Chrétiens , n'y seroit pas respecté.
Le pouvoir absolu est respecté chez les Chrétiens ; et le
pouvoir qui voudroit y être arbitraire , y seroit objet de
mépris , plutôt que de crainte , parce que là où il y a plus
de raisondans les esprits , ily a aussi plus d'élévation dans
les ames , et même d'énergie dans les caractères .
Il est même nécessaire , dans les Etats chrétiens , que le
pouvoir soit absolu , et son action confiée à des corps qui ,
pour assurer le repos de la société , se conduisent beaucoup
plus par des considérations d'ordre public , que par des
motifs de bonté ou d'indulgence personnelle. Si le pouvoir
y étoit arbitraire, et que son action dépendiť de la volonté
du prince , la douceur de moeurs qu'inspire le Christianisme
, et la haute idée qu'il donne de l'homme, risqueroient
d'affoiblir l'action du pouvoir ; et trop souvent les
crimes resteroient impunis , et les bons sans protection et
sans défense. Chose remarquable ! la constitution , dans
les Etats mahométans , donne au prince le pouvoir arbitraire
de punir sans le ministère des tribunaux ; et , chez
les Chrétiens , elle lui attribue le pouvoir arbitraire de faire
grace malgré les tribunaux. Mais , comme les uns peuvent
périr par l'abus des exécutions arbitraires , les autres peuvent
périr par l'abus de l'impunité ; et le droit de faire
grace arbitrairement , si doux à exercer dans tous les temps ,
et même si nécessaire et si sacré dans les temps de crises
politiques , peut , dans les temps ordinaires , devenir pour
la société plus dangereux que le pouvoir même de punir
AOUT 1807 . 357
arbitrairement : et nous en avons fait quelquefois en France
une triste expérience. Aussi la constitution française avoitelle
limité l'exercice de ce droit , et les tribunaux pouvoient
punir , même malgré le prince. C'étoit alors le pouvoir
absolu qui , pour l'intérêt de la société , l'emportoit sur le
pouvoir arbitraire. Mais combien ne faut- il pas de perfection
dans les lois , de bonté dans les moeurs publiques , de fixité
dans les idées , de respect pour la propriété , d'unité dans la
morale , de raison enfin et d'ordre dans toutes les parties
du corps social , pour que le pouvoir ou ses ministres
puissent toujours être sévères sans dureté , ou indulgens
sans partialité et sans scandale !
Dans un second article , nous ferons l'application des
principes que nous avons exposés à quelques parties principales
des deux constitutions de la France et de l'Angleterre.
DE BONALD .
i
Sur la traduction de DON QUICHOTTE ( 1 ) , par Florian ;
article faisant suite à l'extrait de la traduction en vers
des Poésies de Lope de Vega, par M. d'Aguilar.
En rendant compte de la traduction de quelques poésies
de Lope de Vega , par M. d'Aguilar , les bornes d'un extrait
ne nous permirent pas de relever une erreur échappée à ce
littérateur estimable. Nous croyons devoir la réfuter dans
un article particulier; et nous nous y décidons d'autant plus
volontiers, que cette discussion a pour but de préserver
ceux qui voudront traduire les anciens auteurs espagnols
d'un défaut auquel pourroit les entraîner le sentiment de
M. d'Aguilar.
On sait que Florian aimoit beaucoup la littérature espagnole:
il fit en vers et en prose des traductions fort agréables ;
et c'est à lui qu'on eut l'obligation de connoître les véritables
beautés de Cervantes . M. d'Aguilar le traite avec beaucoup
trop de sévérité : « Florian , dit-il , n'avoit jamais voyagé en
>>Espagne; il ne connoissoit ni la langue , ni le génie de la
> nation. Sa traduction posthume de Don Quichotte est
>> extrêmement inexacte , et souvent infidelle . >>>
(1) Six vol. in-18. Prix : 6 fr . , et 9 fr. par la poste. Trois vol. in 8°.,
figures. Prix: 18 fr. , et 22 fr. 50 c. par la poste.
AParis , chez le Normant.
3
358 MERCURE DE FRANCE ,
il
D'après ce jugement , il paroît que M. d'Aguilar auroit
desiré que Florian eût traduit plus littéralement , qu'il ne
se fût permis aucune suppression , et qu'il n'eût ajouté aucun
örnement à son original. Avec ce système , il est douteux
qu'un traducteur ait pu plaire à des lecteurs français . Cervantes
entre souvent dans des détails trop minutieux ,
prodigue les épithètes , et ses phrases sont en général trop
longues . Florian crut devoir donner plus de rapidité à la
narration , écarter les détails inutiles , et, ménager les épithètes
. Il falloit beaucoup de goût pour ne pas dénaturer
un ouvrage excellent , en voulant le corriger : heureusement
Florian n'en manquoit pas . Nous avons comparé sa traduction
à l'original , et nous sommes restés convaincus qu'à
très-peu d'exceptions près , il avoit rempli le but. Son travail
afait oublier l'ancienne traduction , qui , pour être longue
et traînante , n'en est pas plus exacte,
L'opinion de M. d'Aguilar est partagée par plusieurs
personnes , même par celles qui ignorent la langue espagnole.
Des raisonnemens ne les feroient pas revenir de cette
idée ; il vaut mieux employer des exemples . Nous examinerons
donc la traduction de Florian sous deux rapports :
d'abord , en choisissant un morceau d'une certaine étendue ,
nous le comparerons à l'original , dont nous donnerons une
traduction presque littérale ; ensuite , nous parlerons en
général des changemens et des suppressions que l'auteur de
Galatée a cru devoir se permettre .
*** L'épisode de Marcelle est un des plus intéressans que présente
le roman de Don Quichotte. Une jeune personne douée
de tous les charmes , jouissant d'une fortune honnête , a
pris le parti de vivre libre , et s'est rétirée dans une campagne
solitaire , où elle n'est occupée que du soin de ses troupeaux.
Plusieurs amans se sont présentés , mais aucun
n'a pu toucher son coeur. Parmi eux , Chrysostôme , jeune
homme qui a reçu une éducation brillante ,s'est fait remarquer:
vainement a-t-il employé tous les moyens pour attendrir
Marcelle ; désespéré de son indifférence , il est mort de
chagrin. Ses funérailles se font avec beaucoup de pompe , et
tout le monde maudit la dureté de la jeune personne. A
ce moment elle paroît , et prononce un discours où elle
explique très -bien les raisons de sa conduite. Voici la traduction
de Florian :
198
<<Vous prétendez que je suis belle , qu'on ne peut me
voir sans m'aimer , et vous me regardez comme obligée de
répondre à ce sentiment. Mais l'amour dépend- il de nous ?
Ah ! si l'on peut excuser cette passion dangereuse , c'est
(
AOUT 1807. 359
parce qu'elle n'est pas volontaire , parce qu'elle est l'élan
rapide d'un coeur qui s'échappe malgré lui-même. L'amour
s'attire alors de nos ames cette compassion pénible que nous
inspirent des insensés ; et , je te le demande, Ambroise , qui
pourroitjamais exiger que l'on choisit pour ses modèles les
objets de notre pitié ? >>>
« Vous vous plaignez tous , cependant , de ce qu'étant
belle, je n'aime point. J'aurois le même droit de me plaindre
si , n'étant point belle , vous ne m'aimiez pas . Pourquoi
voulez-vous me punir de cette prétendue beauté que je ne
me suis point donnée ? Elle flatte peu mon orgueil ; et je
l'aurois bientot oubliée , si j'étois assez heureuse pour qu'on
daignât l'oublier. Je n'estime , je ne chéris , je ne connois
de biens sur la terre que l'innocence et la paix. C'est pour
trouver l'un et conserver l'autre que j'ai choisi l'état de bergère
; que , loin d'un monde que je méprise , je veux passer
ma vie au milieu des forêts , dans les prés , au bord des
fontaines , avec les compagnes de mon enfance et de mes
plaisirs , aussi purs que doux. Les soins de mon troupeau
m'occupent , l'oiseau dans les airs me distrait. Le spectacle
de la nature suffit à mes yeux , à mon coeur. Une félicité
qui ne nuit à personne ne peut-elle être tolérée ? Quelqu'un
a-t- il à me reprocher de l'avoir un moment déçu par une
fausse espérance? N'ai- je pas dit à Chrysostôme lui-même ,
lorsqu'il me déclara ses feux , dans cette place où je vois son
corps ; ne l'ai-je pas averti que ses peines étoient perdues ,
que je ne voulois , que je ne pouvois point aimer ? Je n'en
rendois pas moins justice à ses qualités estimables ; je lui
offris la douce amitié qui suffit aux coeurs innocens . Il
repoussa ce sentiment pur , il regarda comme de la haine
tout ce qui n'étoit point de l'amour ; son désespoir l'a mis
au tombeau . Est-ce moi qu'il faut accuser ? En étant sincère ,
ai-je été coupable ? »
<<Bergers , je viens vous déclarer, à la face du ciel, et devant
ce cercueil , que ma liberté in'est chère , que j'en veux jouir à
jamais. J'en acquis le droit en naissant , je l'emporterai
dans la tombe. Čessez donc de vaines poursuites , cessez des
plaintes injustes ; et si ma beauté trop vantée est fatale à
votre repos , fuyez , et laissez-moi le mien . »
Cette traduction est très-abrégée , comme on le verra
bientôt : nous avons eu soin de sculigner tout ce qui n'est
pas dans l'original. Le discours que Cervantes prête à
Marcelle est beaucoup plus raisonné . Florian a eu raison de
le rendre plus rapide ; mais on peut regretter quelques
4
354 MERCURE DE FRANCE ,
d'actes populaires valides sans raison , et même contre toute
raison , toute justice et toute humanité.
Le despotisme est l'imperfection du pouvoir , soit qu'une
société trop jeune encore n'ait pu parvenir à la parfaite
constitution du pouvoir ; soit que , dans ses derniers temps ,
déchue de cette constitution parfaite , elle n'ait pu encore
y revenir.
Ainsi le despotisme est l'enfance de la société ; et il peut
en être la convalescence .
La tyrannie est donc le crime de l'homme , et le despotisme
la faute des événemens .
Ainsi , il n'eût pas été prudent , en Angleterre , de parler
de tyrannie sous Henri VIII ; et il eût été permis à Rome
de parler de despotisme sous Trajan .
Louis XI , en France , fut un tyran. Tite , Antonin ,
Marc-Aurèle , furent des despotes . Néron et Henri VIII
ont été à la fois des despotes et des tyrans , car le pouvoir est
imparfait en Angleterre , et souvent y est devenu arbitraire .
Dans nos monarchies chrétiennes , comme la loi prend
sous sa sauve- garde l'homme et sa propriété , il faudroit
pour encourir le reproche de tyrannie , porter atteinte à
l'un ou à l'autre ; mais sous le despotisme de l'Orient , où
la loi permet beaucoup au prince sur l'homme et sur la
propriété , le prince ne pourroit sans démence en usurper
davantage ; et comme ces peuples abrutis tiennent plus à
leurs usages qu'à leur vie même , il suffit d'avoir voulu
faire quelque innovation dans des usages même indifférens
pour être accusé de tyrannie . Vraisemblablement l'infortuné
Sélim a été regardé comme un tyran , pour avoir voulu
faire raser la barbe aux Janissaires ; et si son successeur lui
' avoit fait couper la tête , cette exécution atroce n'auroit passé
que pour un usage , permis et même prudent de l'autorité.
Nous avons dit que le despotisme est l'imperfection du
pouvoir ; et le pouvoir peut être imparfait dans sa constitution
, dans sa volonté, dans son action .
Le pouvoir , pour être parfaitement constitué , doit être
indivisible , héréditaire de mâle en mâle , et par ordre de
primogéniture , et même propriétaire de domaines , et non
pensionnaire de l'Etat . Il seroit aisé de prouver que , faute
de l'une ou de l'autre de ces conditions ou de ces lois , le
pouvoir n'est pas entièrement indépendant ; et s'il n'est pas
indépendant , il peut devenir arbitraire , et il n'en est préservé
que par la modération ou le génie du prince .
" Il y a imperfection du pouvoir partout ou sa volonté
législative est subordonnée à des volontés populaires , et
>
AOUT
1807 .
355
son action trop dépendante de la force populaire , ou des
passions individuelles .
Le pouvoir en Turquie est indivisible' , ' héréditaire , et
même de mâle en mâle ; mais l'ordre de primogéniture
paroît n'être régulièrement observé que dans toute la famille,
et non dans la même branche. La volonté législative y seroit ,
s'il y avoit lieu , subordonnée aux décisions des uhlemas ; et
l'action est exercée par le prince lui -même , et l'a été trop
souvent par le peuple ou par les soldats .
On voit à la fois dans cette constitution du pouvoir , bonne
sous quelques rapports , imparfaite sous d'autres , la raison
de la longue durée de cette société et de sa foiblesse habituelle
, du profond respect du peuple pour la famille qui
est en possession du trône , et de ses fréquentes révoltes contre
T'homme qui l'occupe. Car ce peuple grossier considère le
pouvoir d'une manière tout-à - fait arbitraire : il adore le
pouvoir , au moment où il précipite l'homme du trône ; et
c'est en se mettant à genoux devant un sultan déposé , que
les muets lui présentent le fatal cordon . Une religion absurde
étaie sans l'affermir cette constitution vicieuse , et en prolonge
l'existence , sans pouvoir en perfectionuer la nature .
Mais tout ce qui ne peut parvenir à sa véritable nature est
condamné à périr . La langueur a gagné l'Empire ottoman .
En vain on a voulu y ranimer dans ce grand corps un esprit
de vie . C'est un malade à l'agonie , dont le moindre déplace
ment précipite la fin .
Je finirai cet article par quelques réflexions importantes .
Quand on traite de la politique , il faut toujours en revenir
à la religion ; et c'est ce que les publicistes du dernier
siècle ont beaucoup trop négligé. Chez les peuples mahométans
, le despotisme est dans la famille par la polygamie ;
et , par une conséquence nécessaire , le pouvoir arbitraire
est dans l'Etat , dont la famille est l'élément .
Chez les Chrétiens , la monarchie est dans la famille par
la monogamie , et la monarchie est dans l'Etat : car , là où
la faculté du divorce rapproche la famille de la polygamie ,
comme dans les Etats protestans , le pouvoir public y vise
un peu plus à l'arbitraire , autant du moins que l'ont permis
les moeurs et les idées chrétiennes .
Les Turcs , qui font de leur prince l'image de Dieu , ne
voient dans l'un et dans l'autre qu'un maître suprême qui
agit par des volontés arbitraires et particulières , et non en
vertu de lois générales , dont ils n'ont pas même l'idée.
Les Chrétiens , qui font aussi de leurs princes les mi-
Z 2
356 MERCURE DE FRANCE,
nistres de la Divinité , les considèrent agissant , comme
elle , par des lois immuables et générales .
Le pouvoir est arbitraire en Turquie , parce qu'il n'y a
pas assez de raison et de lumières pour qu'il soit absolu ;
le pouvoir est absolu chez les Chrétiens , où il y a trop de
raison et de lumières pour qu'il soit arbitraire . Aussi le
pouvoir chez les Chrétiens périroit , s'il vouloit rester ou
devenir arbitraire ; et en Turquie , et en Turquie , s'il vouloit cesser de
l'être , parce que rien dans les lois et dans les moeurs n'y
est disposé pour qu'il devienne absolu : « Un gouvernement
» modéré , dit Montesquieu ( et il n'y a qu'un gouvernement
fort qui puisse être modéré ) , un gouvernement modéré
» peut , tant qu'il veut , et sans péril , relâcher ses ressorts .
» Il se maintient par ses lois , et par sa force même. Mais
lorsque , dans le gouvernement despotique , le prince cesse
» un moment de lever le bras ,... tout est perdu . »
>>
Le pouvoir arbitraire est redouté en Turquie ; et le pouvoir
qui ne voudroit y être qu'absolu , comme il l'est chez
les Chrétiens , n'y seroit pas respecté.
Le pouvoir absolu est respecté chez les Chrétiens ; et le
pouvoir qui voudroit y être arbitraire , y seroit objet de
mépris , plutôt que de crainte , parce que là où il y a plus
de raison dans les esprits , il y a aussi plus d'élévation dans
les ames , et même d'énergie dans les caractères .
Il est même nécessaire , dans les Etats chrétiens , que le
pouvoir soit absolu , et son action confiée à des corps qui ,
pour assurer le repos de la société , se conduisent beaucoup
plus par des considérations d'ordre public , que par des
motifs de bonté ou d'indulgence personnelle . Si le pouvoir
y étoit arbitraire , et que son action dépendît de la volonté
du prince , la douceur de moeurs qu'inspire le Christianisme
, et la haute idée qu'il donne de l'homme , risqueroient
d'affoiblir l'action du pouvoir ; et trop souvent les
crimes resteroient impunis , et les bons sans protection et
sans défense. Chose remarquable ! la constitution , dans
les Etats mahométans , donne au prince le pouvoir arbitraire
de punir sans le ministère des tribunaux ; et , chez
les Chrétiens , elle lui attribue le pouvoir arbitraire de faire
grace malgré les tribunaux. Mais , comme les uns peuvent
périr par l'abus des exécutions arbitraires , les autres peuvent
périr par l'abus de l'impunité ; et le droit de faire
grace arbitrairement , si doux à exercer dans tous les temps ,
et même si nécessaire et si sacré dans les temps de crises
politiques , peut , dans les temps ordinaires , devenir pour
la société plus dangereux que le pouvoir même de punir
AOUT 1807 . 357
arbitrairement : et nous en avons fait quelquefois en France
une triste expérience . Aussi la constitution française avoitelle
limité l'exercice de ce droit , et les tribunaux pouvoient
punir , même malgré le prince . C'étoit alors le pouvoir
absolu qui , pour l'intérêt de la société , l'emportoit sur le
pouvoir arbitraire . Mais combien ne faut- il pas de perfection
dans les lois , de bonté dans les moeurs publiques , de fixité
dans les idées , de respect pour la propriété , d'unité dans la
morale , de raison enfin et d'ordre dans toutes les parties
du corps social , pour que le pouvoir ou ses ministres
puissent toujours être sévères sans dureté , ou indulgens
sans partialité et sans scandale !
Dans un second article , nous ferons l'application des
principes que nous avons exposés à quelques parties principales
des deux constitutions de la France et de l'Angleterre.
DE BONALD.
Sur la traduction de DON QUICHOTTE ( 1 ) , pår Florian ;
article faisant suite à l'extrait de la traduction en vers
des Poésies de Lope de Vega , par M. d'Aguilar .
EN rendant compte de la traduction de quelques poésies
de Lope de Vega , par M. d'Aguilar , les bornes d'un extrait
ne nous permirent pas de relever une erreur échappée à ce
littérateur estimable. Nous croyons devoir la réfuter dans
un article particulier ; et nous nous y décidons d'autant plus
volontiers , que cette discussion a pour but de préserver
ceux qui voudront traduire les anciens auteurs espagnols
d'un défaut auquel pourroit les entraîner le sentiment de
M. d'Aguilar.
On sait que Florian aimoit beaucoup la littérature espagnole
: il fit en vers et en prose des traductions fort agréables ;
et c'est à lui qu'on eut l'obligation de connoître les véritables
beautés de Cervantes . M. d'Aguilar le traite avec beaucoup
trop de sévérité : « Florian , dit- il , n'avoit jamais voyagé en
» Espague ; il ne connoissoit ni la langue , ni le génie de la
» nation. Sa traduction posthume de Don Quichotte est
>> extrêmement inexacte , et souvent infidelle ..»
( 1 ) Six vol . in- 18. Prix : 6 fr. , et 9 fr. par la poste . Trois vol. in §º.
figures. Prix : 18 fr. , et 22 fr. 50 c . par la poste .
A Paris , chez le Normant .
3
358 MERCURE
DE FRANCE
,
D'après ce jugement , il paroît que M. d'Aguilar auroit
desiré que Florian eût traduit plus littéralement , qu'il ne
se fût permis aucune suppression , et qu'il n'eût ajouté aucun
ornement à son original . Avec ce système , il est douteux
qu'un traducteur ait pu plaire à des lecteurs français . Cervantes
entre souvent dans des détails trop minutieux ,
il
prodigue les épithètes , et ses phrases sont en général trop
longues. Florian crut devoir donner plus de rapidité à la
narration , écarter les détails inutiles , et , ménager les épithètes
. Il falloit beaucoup de goût pour ne pas dénaturer
un ouvrage excellent , en voulant le corriger : heureusement
Florian n'en manquoit pas . Nous avons comparé sa traduction
à l'original , et nous sommes restés convaincus qu'à
très- peu d'exceptions près , il avoit rempli le but. Son travail
a fait oublier l'ancienne traduction , qui , pour être longue
et traînante , n'en est pas plus exacte ,
L'opinion de M. d'Aguilar est partagée par plusieurs
personnes , même par celles qui ignorent la langue espagnole
. Des raisonnemens ne les feroient pas revenir de cette
idée ; il vaut mieux employer des exemples . Nous examinerons
donc la traduction de Florian sous deux rapports :
d'abord , en choisissant un morceau d'une certaine étendue ,
nous le comparerons à l'original , dont nous donnerons une
traduction presque littérale ; ensuite , nous parlerons en
général des changemens et des suppressions que l'auteur de
Galatée a cru devoir se permettre .
L'épisode de Marcelle est un des plus intéressans que présente
le roman de Don Quichotte . Une jeune personne douée
de tous les charmes , jouissant d'une fortune honnêté , a
pris le parti de vivre libre , et s'est rétirée dans une campagne
solitaire , où elle n'est occupée que du soin de ses troupeaux.
Plusieurs amans se sont présentés , mais aucun
n'a pu toucher son coeur . Parmi eux , Chrysostôme , jeune
homme qui a reçu une éducation brillante , s'est fait remarquer:
vaineinent a - t-il employé tous les moyens pour attendrir
Marcelle '; désespéré de son indifférence , il est mort de
chagrin . Ses funérailles se font avec beaucoup de pompe , et
tout le monde maudit la dureté de la jeune personne. A
ce moment elle paroit , et prononce un discours où elle
explique très - bien les raisons de sa conduite . Voici la traduction
de Florian :
ཧཱུྃ ༔ t ་ ཛཱ་ དམ
« Vous prétendez que je suis belle , qu'on ne peut me
voir sans m'aimer , et vous me regardez comme obligée de
répondre à ce sentiment. Mais l'amour dépend'- il de nous ?
Ah ! si l'on peut excuser cette passion dangereuse ", c'est
AOUT 1807. 559
parce qu'elle n'est pas volontaire , parce qu'elle est l'élan
rapide d'un coeur qui s'échappe malgré lui-même. L'amour,
s'attire alors de nos ames cette compassion pénible que nous
inspirent des insensés ; et , je te le demande , Ambroise , qui
pourroitjamais exiger que l'on choisit pour ses modèles les
objets de notre pitié ? »
Vous vous plaignez tous , cependant , de ce qu'étant
belle, je n'aime point. J'aurois le même droit de me plaindre
si , n'étant point belle , vous ne m'aimiez pas. Pourquoi
voulez -vous me punir de cette prétendue beauté que je ne
me suis point donnée ? Elle flatte peu mon orgueil ; et je
l'aurois bientôt oubliée , si j'étois assez heureuse pour qu'on
daignât l'oublier . Je n'estime , je ne chéris , je ne connois
de biens sur la terre que l'innocence et la
paix. C'est pour
trouver l'un et conserver l'autre que j'ai choisi l'état de bergère
; que , loin d'un monde que je méprise , je veux passer
ma vie au milieu des forêts , dans les prés , au bord des
fontaines , avec les compagnes de mon enfance et de mes
plaisirs , aussi purs que doux . Les soins de mon troupeau
m'occupent , l'oiseau dans les airs me distrait . Le spectacle
de la nature suffit à mes yeux , à mon coeur. Une félicité
qui ne nuit à personne ne peut- elle être tolérée ? Quelqu'un
a-t-il à me reprocher de l'avoir un moment déçu par une
fausse espérance ? N'ai- je pas dit à Chrysostôme lui- même ,
lorsqu'il me déclara ses feux , dans cette place où je vois son
corps ; ne l'ai-je pas averti que ses peines étoient perdues ,
que je ne voulois , que je ne pouvois point aimer ? Je n'en
rendois pas moins justice à ses qualités estimables ; je lui
offris la douce amitié qui suffit aux coeurs innocens . Il
repoussa ce sentiment pur , il regarda comme de la haine
tout ce qui n'étoit point de l'amour ; son désespoir l'a mis
au tombeau. Est-ce moi qu'il faut accuser ? En étant sincère ,
ai- je été coupable ? »
« Bergers , je viens vous déclarer, à la face du ciel, et devant
ce cercueil , que ma liberté m'est chère , que j'en veux jouir à
jamais . J'en acquis le droit en naissant , je l'emporterai
dans la tombe . Čessez donc de vaines poursuites , cessez des
plaintes injustes ; et si ma beauté trop vantée est fatale à
votre repos , fuyez , et laissez -moi le mien. »
Cette traduction est très-abrégée , comme on le verra
bientôt nous avons eu soin de souligner tout ce qui n'est
pas dans l'original. Le discours que Cervantes prête à
Marcelle est beaucoup plus raisonné . Florian a eu raison de
le rendre plus rapide ; mais on peut regretter quelques
4
360 MERCURE DE FRANCE ,
détails qu'il a supprimés . On va en juger par une traduction
presque littérale de l'auteur espagnol :
« Le ciel m'a fait belle , dites-vous , et aucun ne peut
résister à mes charmes. Vous pensez que cet amour que je
vous inspire m'oblige à partager votre passion : cependant ,
l'instinct naturel que Dieu m'a donné , en m'apprenant que
tout ce qui est beau est aimable , m'apprend aussi que toute
personne qu'on aime parce qu'elle est belle , n'est pas
forcée à répondre à cet amour . Il pourroit arriver que
l'amant d'une belle femme fût laid ; peu digne d'être aimé
il auroit mauvaise grace à dire : Vos charmes ont allumé
ma passion ; il faut que vous m'aimiez , quoique la nature.
m'ait disgracié . Je suppose que tout le monde fût également
beau , ce ne seroit pas une raison pour aimer indifféremment
tous ceux qui se présenteroient. Toutes les belles
personnes n'inspirent pas de l'amour ; quelques - unes
charment la vue , sans toucher le coeur si toutes faisoient
naître le même sentiment , il y auroit une confusion qui
empêcheroit qui que ce fût de se fixer ; l'inconstance seroit
continuelle , et j'ai entendu dire que le véritable amour ne
s'attachoit qu'à un seul objet : il veut être libre , et sans
entrave .
» Cela étant ainsi , comme je le crois , pourquoi voulezvous
contraindre ma volonté , et me forcer à répondre à
une passion que je ne partage pas ? Si le ciel , au lieu de
m'avoir fait belle , m'eût fait laide , dites-moi , seroit - il
juste que je me plaignisse de ce que vous ne m'adresseriez
pas vos hommages ? Remarquez que je n'ai pas demandé
la beauté ; le ciel me l'a donnée sans consulter mes desirs ,
ni mon choix . La vipère ne mérite aucun reproche pour
la piqûre qu'elle fait , quoique cette piqûre donne la mort :
la nature l'a créée pour cela . Je ne mérite pas plus d'être
blâmée , parce que ma beauté a séduit quelques -uns de
vous . Une femme honnête est comme un feu ou comme
un glaive placé dans un lieu solitaire ; ils ne brûlent et ne
percent que les imprudens, qui s'en approchent de trop près.
» L'honneur et la vertu sont les vrais ornemens de l'ame :
sans eux , le corps , quelque séduisant qu'il soit , ne peut ni
ne doit paroître beau . S'ils sont les véritables attraits d'une
femme , doit-elle les perdre pour satisfaire la passion d'un
homme qui emploie l'artifice et tous les moyens qui sont en
son pouvoir , afin de la séduire ?
» Je suis née libre ; et pour vivre libre , j'ai choisi cette
solitude. Les arbres de cette montagne sont ma société ;
les eaux limpides des ruisseaux me tiennent lieu de miroir :
AOUT 1807.
361
c'est aux arbres et aux ruisseaux que je confie mes pensées
et mes charmes. Je suis un feu brûlant dans un lieu solitaire
, une épée tirée loin des hommes. Ceux que ma vue
a enflammés , mes paroles les ont désabusés. S'il est vrai
que l'amour se soutienne par l'espérance , comme je n'en
ai donné ni à Chrysostôme ni à aucun autre , ce n'est point
ma cruauté , mais son opiniâtreté qui l'a fait périr.
M
» Peut-être dira- t-on que ses vues étoient honnêtes , et
me fera-t-on un crime de ne les avoir pas accueillies . Je
répondrai que , lorsque dans ce même lieu où l'on creuse
son tombeau , il me découvrit sa passion , je lui dis que
mon projet étoit de vivre dans le célibat , et de ne confier
qu'à la terre cette fragile beauté dont il étoit épris. Si ,
nalgré ce refus , il a voulu s'obstiner dans son espoir , et
lutter contre les vents contraires , doit - on s'étonner qu'il
ait fait naufrage ? Si je l'avois flatté , j'aurois été fausse
si je l'avois contenté , j'aurois manqué au vou que j'ai
formé. Malgré ma rigueur , il a persisté dans sa passion ;
il a cru que je l'abhorrois , parce que je n'avois point
d'amour pour lui . Voyez à présent s'il . seroit juste qu'on
m'imputât son malheur . Si j'ai trompé quelqu'un , qu'il se
plaigne ; si j'ai donné de fausses espérances , qu'on me le
reproche. Je consens qu'on dévoile les avances que j'ai pu
faire , qu'on s'enorgueillisse des faveurs que j'ai pu accorder :
mais quelqu'un à qui je n'ai rien promis , que je n'ai pas
trompé , dont je n'ai jamais flatté la passion , ne doit m'appeler
ni cruelle ni homicide .
» Jusqu'à présent , le ciel n'a pas permis que j'aimasse
quelqu'un ; et je ne me sens aucun penchant à l'amour.
Que cette déclaration serve à tous ceux qui veulent m'adresser
leurs voeux , et qu'on sache à l'avenír que , si quelqu'un
meurt pour moi , ce ne sera ni par les tourmens de la
jalousie ni par mes dédains . On n'est point jaloux d'une
personne insensible , et l'on ne doit point regarder des refus
comme des mépris.
»
Que celui qui m'appelle barbare me fuie comme un
objet dangereux ; que celui qui m'appelle ingrate ne me
fasse point la cour. Pourquoi me suivre sans cesse , si l'on
me croit ces mauvaises qualités ? Cette ingrate , cette barbare
ne cherche , ne suit , n'appelle personne. La passion
impatiente de Chrysostôme l'a fait périr doit - on s'en
prendre à moi , parce que je lui ai opposé la vertu et la
pudeur ? Si je conserve ma vertu dans ce lieu solitaire
a-t-on le droit d'exiger que je m'expose à la perdre dans la
compagnie des hommes ?
>
362 MERCURE DE FRANCE ,
۱۰
>>Je possède , comme vous le savez , des biens qui suffisent
à mes desirs ; je n'ambitionne pas ceux des autres.
Jouissant de ma liberté , je ne veux pas la perdre . Je n'aime
ni ne hais personne, on ne me voit point tromper celui-ci ,
attirer celui - là ; me moquer de l'un , m'entretenir avec
P'autre. La société des jeunes filles des villages voisins , le
soin de mon troupeau , suffisent pour m'occuper. Mes desirs
ne s'élancent pas au-delà de ces montagnes ; s'ils vont plus
loin quelquefois , c'est lorsque mes yeux contemplént les
beautés d'un ciel pur ; spectacle qui dispose l'ame à se
rejoindre à son Créateur.>>>
On voit que ce discours de Marcelle est trop long et trop
raisonné : il offre des répétitions , des subtilités , et des comparaisons
recherchées. On ne doit donc pas savoir mauvais
gré à Florian de n'en avoir pris que la substance. Cependant
il eût été à desirer que l'élégant traducteur, au lieu d'ajouter
des ornemens qui sentent un peu le goût moderne, eût conservé
de véritables beautés qui se trouvent dans Cervantes .
Pourquoi ne voit-on pas dans sa traduction le développement
des raisons qui décident Marcelle à mépriser l'amour ?
Pourquoi n'y voit-on pas cette belle pensée qui termine le
discours de la jeune personne ? Au lieu de la rendre telle
qu'elle est , Florian l'a rejetée au milieu du discours , et n'a
fait que l'indiquer .
Les réflexions générales que l'on peut faire sur la traduction
de Florian lui sont aussi favorables que les réflexions
particulières . Elles roulent sur trois objets dans lesquels il
s'est permis des abréviations ou des suppressions : les vers
qui sont en assez grand nombre , lesproverbes de Sancho , et
quelques détails de narration. Pour les vers , il n'est guère
possible d'adresser à Florian des reproches fondés . Cervantes
, excellent prosateur , n'étoit que poète médiocre :
suivant le goût de son temps , il prodiguoit les figures exagérées
, et ne savoit pas mettre un frein à son imagination.
Pour en donner un exemple , il suffira de citer la romance
par laquelle Chrysostôme se plaint des rigueurs de Marcelle.
Dans l'auteur espagnol , elle a plus de cent trente vers . Le
berger commence par prier l'Enfer de lui prêter sa voix terrible
; il veut employer les rugissemens du lion , les hurlemens
du loup , les sons plaintifs du hibou , etc. Il appelle
Tantale et Sisiphe pour joindre leurs douleurs à la sienne ;
il invoque Cerbère et tous les monstres du Tartare , afin -
qu'ils emportent ses chants plaintifs , et finit par dire qu'un
amant malheureux ne mérite pas d'autre pompe funèbre .
AOUT 1807 .
363
A cette déclamation , Florian a eu grande raison de substituer
la jolie romance qui commence par ces vers :
Σ Heureux qui voit chaque matin ,
Dans son humble et champêtre asile , etc.
On ne voit pas que Florian mérite des reproches pour
avoir élagué les proverbes de Sancho . Peut-être auroit-il
pu en conserver quelques-uns que son goût trop délicat
lui a fait rejeter ; mais en général , il a donné , par ces
suppressions , plus de rapidité et d'agrément au roman de
Don Quichotte.
Les particularités qu'il a retranchées ne sont guère plus à
regretter. Sans doute , il eût été à desirer qu'il en gardât quelques-
unes d'une gaieté un peu grossière , il est vrai , mais qui
étinceloientd'esprit et de comique. En les revêtant des graces
décentes de son style , il les auroit rendus dignes de plaire
aux esprits les plus sévères et les plus sérieux. Mais on ne
peut s'empêcher de convenir qu'il en a supprimé plusieurs
qui ne pouvoient inspirer que le dégoût : en voici un exemple
tiré du chapitre 18 du premier livre. Don Quichotte , après
avoir livré bataille à deux troupeaux de moutons , est
assommé par les bergers : une pierre lui a enfoncé quatre
ou cinq dents. Etendu par terre, il prie Sancho Pança de
venir visiter sa bouche , et oublie que quelques momens
auparavant , il a pris un élixir qui est un vomitif très-violent.
Le fidèle écuyer obéit à son maître , et approche la
tête pour regarder dans sa bouche. A ce moment l'élixir
fait son effet , et le visage de Sancho Pansa est inondé . Il
croit d'abord que le pauvre Don Quichotte rend le sang par
la bouche , et déplore sa perte ; mais averti par l'odeur de
l'élixir , il est saisi d'un tel dégoût qu'il vomit à son tour
sur le visage de son maître dans cette situation , ajoute
l'auteur espagnol , ils restèrent tous les deux fort agréablement
: Quedaron entrambos como de perlas. Personne ne
peut regretter que Florian ait supprimé cette particularité .
Il résulte de nos observations et des exemples qui servent
à les appuyer , que M. d'Aguilar a été beaucoup trop sévère
envers Florian. Un goût trop vif pour une langue , aveugle
souvent sur les défauts des ouvrages qui l'ont rendue célèbre.
Pour être dans une juste mesure , il nous paroît
qu'il faut se borner à dire que Florian , habitué à imiter
plutôt qu'à traduire , a peut-être trop cherché à donner sa
manière et son coloris à Cervantes .
Si l'on pardonne à ce défaut , ( et tous ceux qui ignorent
l'espagnol ne peuvent le sentir) , loin,d'accuser le traduc364
MERCURE DE FRANCE ,
teur d'inexactitude et d'infidélité , on s'applaudira au contraire
de ce qu'il a consacré ses dernières années à rendre
avec élégance l'un des chefs- d'oeuvre de la littérature espagnole.
P
Fables et Poésies diverses , par Fumars , Professeur de
Belles-Lettres à l'Université de Copenhague. Un vol.
in- 12 . Prix , pap. vélin : 3 fr . , et 4 fr. par la poste ;
pap. superfin vélin , 6 fr. , et 7 fr. par la poste ; in -8° .
gr. -raisin , 5 fr. , et 6 fr . par la poste ; gr . -raisin vélin
superfin , 10 fr. , et 11 fr. par la poste. A Paris , chez
H. Nicolle et Comp. , libraires , rue des Petits-Augustins ,
n°. 15 ; et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain - l'Auxerrois , n° . 17.
-
On peut être un très-honnête homme , a dit Molière , et
faire mal les vers . Nous ajouterons quelque chose de plus
flatteur ou de plus consolant pour l'amour-propre ; c'est
qu'on peut être homme d'esprit , et même professeur de
belles -lettres , et n'être encore qu'un médiocre écrivain . Il
faut dans cet état , plus que dans tout autre , savoir distinguer
la théorie de la pratique , et ne pas se croire obligé de créer
l'exemple en même temps qu'on donne le précepte. Nous
avons des modèles parfaits dans tous les genres de poésies :
le professeur , qui doit les citer pour appuyer ses leçons ,
et qui en dédaigne l'autorité , parce qu'il pense trouver dans
son propre fonds de nouvelles ressources , si ce n'est même
des ouvrages supérieurs à ceux qu'il a sous la main , s'expose
, malgré toute son habileté , à passer pour un homme
rempli d'une vanité folle , et bien souvent pour un poète
sans jugement et sans goût. Si quelque chose peut excuser
un pareil travers d'esprit , ce doit être la position où se
trouvoit l'auteur des Poésies que nous annonçons , lorsqu'il
les a composées , et le doute modeste qu'il a conservé sur
leur mérite. Il semble qu'un Français qui professe les
belles- lettres dans une cour étrangère doive s'évertuer , en
leur honneur , à prouver qu'il n'a point reçu une science
stérile , et que la littérature a quelque chose de plus solide
que ces fleurs qui ornent l'entretien des beaux-esprits . Ces
compositions légères reçoivent toujours de l'à-propos et des
circonstances qui les font naître , un charme utile à la culture
des beaux- arts et à leurs progrès : c'est une fécondité
riante , ou , si l'on veut , une exubérance sans danger pour
AOUT 1807 .
365
,
la nation qui possède les grands modèles , lorsqu'on a le
bonespritde ne lui présenter ces foibles imitations qu'après
les avoir soumises à l'examen des hommes les plus capables
de les apprécier. Telle étoit l'intention de M. Fumars
lorsque la mort est venue le surprendre , et qu'elle l'a subitement
enlevé , ily a un an , à sa famille , à ses amis , et ,
on peut le dire , aux Muses françaises , dont il étoit le
ministre auprès de la nation danoise. Il n'est pas certain que
ses Fables et ses Poésies eussent été imprimées , s'il avoit
pu , comme il le vouloit , consulter à la source du goût , et
recevoir un bon conseil ; mais on peut assurer qu'il ne les
auroit pas données au public dans l'état où elles se sont
trouvées après sa mort , puisqu'on y remarque des imperfections
notables qu'il auroit certainement corrigées. Et
toutefois , nous devons cet aveu à la vérité , quelque soin
qu'il eût pris pour les faire paroître avec plus d'éclat , on
peut douter qu'il en eût fait un livre digne de figurer à côté
des productions qu'il s'étoit proposé d'imiter. Les fables de
La Fontaine et les poésies légères de Voltaire l'avoient
séduit : à l'exemple de tous les hommes sensibles qui n'ont
pas assez étudié leur propre talent, il prit son enthousiasme
pourune inspiration , et sa facilité pour du génie. Il savoit
bienque le naturel et les graces ne s'imitent pas , puisqu'il
a fait une fable pour le prouver ; mais il étoit fort éloigné
de s'en faire l'application. Nous la citerons ici , sans prétendrey
trouver nous-mêmes aucune allusion , mais uniquement
parce que l'auteur y vise à une certaine originalité
quelquefois piquante , sans être toujours heureuse , et
qu'ayant la prétention de rajeunir un sujet déjà traité par
La Fontaine , on sentira mieux de combien l'inimitable
naïveté du génie est au-dessus de la finesse et de la subtilité
de l'esprit :
LE SINGE ET L'OURS .
UnSinge rare , unique et nouveau tous les jours,
De tous ses devanciers effaçoit la mémoire ,
Tant il étoit fécond , admirable en ses tours:
Il falloit les voir pour les croire.
Aussi dans Paris , à lafoire ,
Lui seul avoit la foule; et tous nos courtisans
Avouoient , avec modestie ,
Qu'auprès de Viessir Gille, enfaitde singerie,
Ils étoient tous des ignorans.
Un soir, pour amuser nombreuse compagnie ,
Il voulut dans son art instruire certain Ours,
Qui, peu propre au métier , faisoit tout à rebours .
«Commençons par danser : gare la croquignole!!
Quitte cet air dandin: allons done, du jarret;
366 MERCURE DE FRANCE ,
>> Du moelleux dans ces bras ; donne-toi l'air frivole .
>> Toujours la tête basse ! » Il saute à son collet ,
Fait effort, la relève , et l'ours cheoit en arrière :
Le rire d'éclater dans l'assemblée entière ;
EtGille aussi fait l'aimable railleur .
Notre Ours se ramassoit : «Eh bien ! mon philosophe ,
>> Que ferai-je de toi ? Va , tu n'es pas d'étoffe
>> A plaire à ces messieurs. Quitte cet air penseur?!
>> Je ne pensaijamais , je suis un enchanteur.
>>A contrefaire tout admire ma souplesse :
>> Est- il abbé, marquis , traitant , robin , duchesse ,
>> Dont je ne prende l'air gave , insolent , badin
» Ou libertin ?
>> Imite-moi; je veux qu'à la porte on s'écrie :
>>>Un prodige , Messieurs, c'est ici l'Ours charmant. »
« Le ciel ne ne tailla pour pareille folie ,
› Répondit l'Ours très -sensément ;
>>Enchante tous ces fous , sois leur digne copie :
>> Auprès des bons esprits je vaudrai mieux que toi ;
3
>> Je suis un Ours, mais je suis moi.>>
16
-1
:
;
1.
Il est trop aisé de remarquer les longueurs qui ralentissent
inutilement la rapidité du récit , pour que nous nous arrêtions
à les faire observer : on pourroit aisément les faire
disparoître , et il seroit facile de corriger le vers qui a treize
syllabes . Tout cela pourroit n'être que trop abondant ; mais
il s'y rencontre deux autres défauts plus graves que nous
devons relever , parce qu'ils semblent déceler un défaut de
jugement. Lorsque le singe s'est assuré par la leçon qu'il
donne à l'ours qu'il n'en pourra rien faire, et qu'il l'a abandonné
en lui disant : Va, tu n'es pas d'étoffe à plaire à ces
messieurs , son rôle doit finir ; et il est hors de toute vraisemblance
qu'il continue à pérorer , comme s'il lui restoit
encore quelqu'espérance de pouvoir changer les manières
de l'ours . Mais au surplus , toute la scène représentée
dans la fable pèche essentiellement contre les règles du bon
goût et de la droite raison. Le singe , étant imitateur par
instinet , ne sort pas de sa nature lorsqu'il ne fait que des
grimaces ridicules, au lieu des gestes qu'il voudroit copier.
Ses manières ne sont pas celles d'un lourdaud qui se donne
les airs d'un bel-esprit. Il imite mal , mais avec gentillesse;
et ses bévues réjouissent autant que son habileté. L'ours ne
peut lui dire sensément :
,
Auprès des bons esprits je vaudrai mieux que toi;
Je suis un Ours , maisje suis moi,
1.
:
puisque ce n'est pas par un effort grotesque et hors de son
caractère ou de ses facultés que le singe se montre tel que
nous le voyons, et qu'il est autant lui-même avec toute sa
AOUT 1807 . 367
légèreté et son adresse , que l'ours avec sa pesanteur et sa
stupidité . Véritablement , cet ours philosophe joue ici le
rôle d'un sot qui se vanteroit de son ineptie auprès d'un
homme d'esprit , et qui lui soutiendroit qu'elle est plus
estimable que toute sa pénétration , parce qu'elle lui est
naturelle. Trouver mauvais qu'un singe fasse des singeries ,
ce n'est pas de la gravité ; c'est de la bêtise .
La Fontaine a bien mieux conçu et exécuté ce sujet dans
sa fable de l'Ane et du Petit Chien , que tout le monde sait
par coeur :
Ne forçons point notre talent ,
Nous ne ferions rien avec grace ;
Jamais un lourdand , quoi qu'il fasse ,
Ne sauroit passer pour glant.
1
Le poète intelligent se garde bien de faire dire à l'âne qu'il
vaudra mieux que le petit chien , qu'il ne peut imiter . Toute
la faute de son entreprise tourne à sa honte , comme cela
doit être ; et il n'y a pas dans cette petite fable un seul mot
dejactance inutile. Vouloir faire mieux n'est pas trop sage ;
le tenter , ne point réussir , et conserver un travail imparfait
, n'est certainement pas d'un homme de goût : il falloit
le supprimer. Il y a cependant quelque chose de mieux
que cette fable du Singe et de l'Ours , dans le livre de
M. Fumars ; mais on n'y sauroit trouver cette grace naïve
qui fait le charme de ce genre de poésie. Il court après le
naturel , et il tombe trop souvent dans le faux et le trivial.
Unhéron, insulté par un pigeon porteur d'un billet , prend
le papier , le jette dans un étang , et lui dit :
Monseigneur , du courage ;
14Ote donc ta culotte, ôte du moins tes bas .
Puis , l'auteur ajoute :
८
:
1
Le Pigeon , humble et bas ,
314
Aces genoux tout nus, qu'il insultoit naguère ,
L'oeil rouge et gros de pleurs, se morfond en prière.
Il becquette , il becquette , etc.
T
Tout cela ne ressemble pas beaucoup à La Fontaine , il
faut en convenir ; mais aussi pourquoi La Fontaine a- t-il un
genre que personne ne peut attraper ?
M. Fumars auroit été plus heureux dans ses Poésies
légères , s'il avoit consacré ses loisirs à ce seul genre de
-littérature ; mais il faut se connoître soi-même , et consulter
long- temps son esprit et ses forces. Celui qui réussit dans
l'épigramme , veut faire un conte , et celui qui tourneroit
agréablement une épître , se croit appelé à faire un poëme :
1
368 MERCURE DE FRANCE ,
nul ne veut rester dans le rang où son esprit le place naturellement
, ni faire de bonne grace le travail auquel il est
propre. M. Fumars pouvoit faire d'agréables madrigaux ;
mais il lui falloit absolument des fables ; et sur plus de cent
qu'il a composées , il n'y en a peut - être pas quatre qui
soient décidément bonnes .
Le Recueil de ses OEuvres , qui n'est cependant pas sans
mérite , fait plus d'honneur aux presses de M. Herhan qu'au
talent poétique de l'auteur ; mais il rend un témoignage
honorable àses vertus domestiques , à son humeur sociable ,
au bon esprit qui l'a toujours animé dans sa nouvelle patrie,
où il a dignement soutenu par ses leçons , quelquefois
même par ses écrits , l'honneur de la littérature de sa nation
, et , par sa bonne conduite, la réputation du caractère
français. G.
Mélanges historiques , anecdotiques et critiques sur la fin
du Règne de Louis XIV et le commencement de celui de
Louis XV; par madame la princesse Elisabeth-Charlotte
de Bavière , seconde femme de Monsieur , frère de
Louis-le-Grand : précédés d'une Notice sur la vie de cette
illustre princesse. Un vol. iu-8° . Prix : 5 fr. , et 6 fr. 50 c.
par la poste. A Paris , chez Léopold Collin , libraire , rue
Git-le-Coeur , n°. 4; et chez le Normant.
Cs volume est la réimpression d'un livre qui a paru en
1788 , sous le titre de Fragmens de lettres originales de
madame Charlotte-Elisabeth de Bavière , veuve de Monsieur,
frère unique de Louis XIV. Quel motif a pu déterminer
l'éditeur à changer ce titre connu , et dont la fortune étoit
faite ? Celui sans doute d'induire en erreur les personnes
peu en garde contre les ruses des Bibliopoles , en leur
faisant accroire qu'il s'agissoit d'un ouvrage tout nouveau .
Si l'idée n'est pas délicate , elle n'est pas adroitenon plus .
Paroissant sous ce titre équivoque de Mélanges , les Fragmens
de lettres originales de Madame , dont personne
jusqu'ici n'a contestéle mérite ni l'authenticité, pourroient,
au premier aperçu , passer pour une de ces compilations
mal faites , ou de ces suppositions impudentes dont le
nombre s'accroît indécemment au grand scandale , plutôt
qu'au déshonneur des lettres qui sont en vérité bien innocentes.
C'est donc servir les intérêts de l'éditeur , mieux
qu'il n'a fait lui-même, que de dévoiler sa supercherie.
Dans
AOUT 1807 . 369
lesquelles les DE LA S
Dans son dessein de convertir des lettres en mélanges, il a
imaginé d'effacer toute trace de commerce épistolaire ; et en
conséquence il a supprimé les dates sous
divers fragmens étoient placés ; ce qui ne l'a pas empêché
de conserver ces mots du texte : & Aujourd'hui je com
>> mencerai ma lettre , etc. >>; et telles autres phrases par
lesquelles on apprendroit que ces prétendus Melange 5.
sont que des Fragmens de lettres , si on ne savoit d'aven
à quoi s'en tenir. Au reste , cette suppression des dat
n'est pas une infidélité aussi préjudiciable qu'on le croiroit
d'abord , puisque les anecdotes contenues dans les Fragmens,
sont presque toutes fort antérieures à l'époque où les lettres
ont été écrites , et qu'ainsi la date de ces mêmes lettres ne
peut servir en rien à l'éclaircissement des faits . Ce qu'on
nous donne de la correspondance de la seconde Madame ,
vade 1715 à 1720 , et il n'y est presque jamais question que
du règne et de la cour de Louis XIV, mort en 1715.
Il est un autre genre de retranchement que l'éditeur s'est
permis ; c'est celui de quelques détails minutieux , qui ,
n'étant pas trop déplacés dans une correspondance intime ,
Jui ont sans doute paru l'être dans des mélanges historiques .
Ainsi il n'a point conservé cette phrase : « Notre Roi et
>> feu Monsieur aimoient extrêmement les oeufs durs » ;
ni cette autre : « Le roi avoit très souvent la bouche
>> ouverte » ; ni vingt autres encore du même intérêt . J'a
voue que ce sont-là des particularités fort peu importantes
pour l'histoire , et je ne me sens pas la force de reprocher
àl'éditeur de les avoir supprimées. Il est vrai qu'il a con-
-servé , et surtout ajouté quelques autres choses qui lui
ôtoient le droit de retrancher celles- là .
Madame , née Bavaroise , correspondoit dans sa langue
maternelle avec un prince et une princesse de sa famille , et
les archives de la maison ont conservé ses lettres autographes
. Des passages en avoient été extraits , et s'étoient
trouvés dans les papiers d'une dame de la plus haute naissance
, qu'on ne nomme point. Ce sont ces extraits ou fragmens
qu'a traduits et publiés , en 1788 , M. de Maimieux ,
auteur de la Pasigraphie. Voilà l'histoire du livre , telle que
M. de Maimieux l'a donnée en tête de la première édition .
Ces fragmens sont- ils réellement tirés de Lettres originales
de Madame ? C'est ce dont il est impossible de douter après
les avoir lus : jamais livre de ce genre n'a porté un caractère
de vérité plus irrécusable . Ces extraits sont-ils fidelement
traduits ? Rien n'autorise le soupçon à cet égard , et tout , au
contraire , commande la confiance. La seule chose qu'on pût
Aa
370
MERCURE DE FRANCE ,
desirer , ce seroit un peu plus de correction et d'élégance
dans la traduction . On y voit : Je lui observai que , etc.; on y
voit encore qu'on évitoit de parler au roi de la famine
de 1709 , pour qu'il n'en eût pas la mort de chagrin . Cette
tournure n'est nullement française , et l'on croiroit presque
que c'est une phrase allemande de Madame , que le traducteur
a oublié de mettre en français .
Tout cela n'empêche pas que les Fragmens de Lettres
originales de Madame ne soient un des livres les plus
piquans et les plus singuliers qui aient paru sur le règne de
Louis XIV. Ils ont un rapport infini avec les Mémoires de
Saint- Simon . C'est la même connoissance des personnes et
des choses , la même manière de les envisager , produite par
les mêmes intérêts et les mêmes passions ; c'est ce même
mélange de partialité et de franchise , de rudesse et de grâce ,
d'invectives quelquefois grossières , et de traits les plus délicatement
louangeurs. Madame étoit la mère du Régent ,
comme St. -Simon en étoit le conseil et le censeur . Les amis , les
ennemis de l'un étoient aussi ceux de l'autre . Ils avoient une
horreur égale pour les mésalliances , étoient également intraitables
sur l'article des prérogatives de la naissance et du rang:
l'élévation de Mad . de Maintenon et des princes légitimés ,
étoit pour tous deux le sujet d'une égale indignation . Enfin
c'est le même esprit qui a dicté les Mémoires et les Lettres ; on
croiroit souvent que c'est la même plume qui les a tracés. Il
peut être curieux de voir comment Saint-Simon a peint cette
princesse qui lui ressembloit à tant d'égards . Le portrait qu'il
en a fait ne fera pas seulement connoître sa personne , il
donnera aussi une juste idée de son livre . « Madame , se-
» conde femme de Monsieur , étoit une princesse toute de
» l'ancien temps , attachée à l'honneur et à la verité , au
» rang , à la grandeur , inexorable sur les bienséances. Elle
» ne manquoit pas d'esprit , et ce qu'elle voyoit , elle le
voyoit très-bien . Bonne et fidelle amie , sûre, vraie , droite ,
» aisée à prévenir et à choquer , fort difficile à ramener ;
grossière , dangereuse à faire des sottises publiques , fort
» allemande dans toutes ses moeurs , et franche ; ignorant
» toute commodité et toute délicatesse pour soi et pour les
>> autres ; sobre , sauvage , et ayant ses fantaisies .... Elle
» avoit une haine parfaite de M. du Maine , des bâtards et
» de leurs grandeurs ; et elle étoit blessée de ce que
M. son
>> fils n'avoit point de vivacité là-dessus . Avec ces qualités ,
» elle avoit des foiblesses , des petitesses ; et elle étoit toujours
en garde qu'on ne lui manquât. »
»
>>
Saint-Simon nous apprend encore qu'elle passoit sa vie
AOUT 1807 . 371
à écrire à ses parens d'Allemagne , pour qui elle avoit
conservé une affection singulière : et voilà , pour le dire en
passant , une raison de plus de croire à l'existence des originaux
de ses lettres , et , par suite , à l'authenticité des
fragmens. Mais cette preuve est tout-à-fait surérogatoire : il
n'en faut pas d'autre , il n'y en a pas de meilleure que la
teneur et le ton de ces fragmens eux-mêmes . Si quelque
chose pouvoit exciter le doute , que d'ailleurs tout tend à
écarter , ce seroit de voir Madame écrire , sous la date du
5 novembre 1715 : « Mad. de la Vallière a été maîtresse du
>>roi : c'étoit une excellente personne. Mad. de Maintenon
>> a été gouvernante des enfans naturels du roi elle a
>> remplacé la Montespan ; mais elle a monté à un degré
>>bien plus haut. » A quel prince d'Allemagne , si peu
instruit des événemens d'une cour sur laquelle l'Europe
entière avoit les yeux , falloit-il que Madame apprit des
choses alors aussi généralement et aussi anciennement
connues ?
Lesfragmens sont distribués sous des titres particuliers ;
etces titres ne sont autre chose que les noms de Louis XIV,
des membres de sa famille , de ses maîtresses , et de quelques
autres personnages qui ont joué un rôle important , soit
sous son règne , soit pendant la minorité de son successeur ,
tels que Louvois , Law et l'abbé Dubois. Au moyen de
cette distribution à la fois simple et bonne , les divers objets
extraits des lettres de Madame se sont placés facilement dans
l'ouvrage ; et on les y retrouve de même. Un chapitre intitulé
Mélange comprend tout ce qui n'avoit pas directement
trait aux personnes qui font le sujet des autres chapitres .
De toutes celles qu'elle a peintes dans ses lettres , Madame
elle-même est la plus originale , la plus curieuse à observer .
J'ai déjà dit à quel point elle étoit entichée du préjugé de la
naissance : elle donnoit de temps en temps des preuves
visibles de sa manie. Elle apprend que deux filles de Strasbourg
, placées auprès de la nièce de Mad. de Maintenon ,
se donnoient pour des princesses palatines. Elle voit à la
promenade une de ces filles avec sa maîtresse , va droit à
elle , l'apostrophe plus que vivement ; et , après lui avoir
expliqué d'une façon énergique et fort humiliante comment
sa mère avoit fait des filles princesses , elle lui dit : Si , à
l'avenir, tu as l'effronterie de te nommer princesse palatine ,
je teferai couper lesjupes. Je n'ose pas dire jusqu'où . Ce
qu'il y eut d'affreux , c'est que la pauvre fille en mourut,
peu de jours après , de saisissement et de douleur. Le roi ,
qui l'apprit, dit à Madame :: « Il ne fait pas bon se jouer à
Aa2
372 MERCURE DE FRANCE ,
vous sur le chapitre de votre maison : la vie en dépend. Elle
appliqua un rude soufflet à son fils , à la première nouvelle
de son mariage avec une fille naturelle du roi ; et elle ne
put jamais lui pardonner cette alliance , qu'elle appéloit une
honteuse mésalliance. Elle détesta toute sa vie , dans l'abbé
Dubois , moins le corrupteur de son fils , que l'un des auteurs
de son mariage .
Sur tout le reste , elle étoit pleine de bonté et de sens .
Lorsque son fils fut devenu régent , elle ne voulut en rien
se mêler des affaires : « Ce royaume , dit-elle , n'a malheu-
>>reusement été que trop dirigé par des femmes jeunes et
>>vieilles de toute espèce; il est temps enfin qu'on laisse
>>agir les hommes .... En Angleterre , les femmes peuvent
>> régner ; mais il faut que la France soit gouvernée par des
>> hommes , si l'on veut que tout aille bien. >> Son aversion
pour Mad. de Maintenon faisoit peut- être en ceci une partie
de sa raison . Au reste , elle pouvoit fonder son opinion sur
d'autres preuves ; car elle-même rapporte ailleurs que la
reine , mère de Louis XIV, fit un jour présent des cinq
grosses fermes à sa femme-de-chambre , et qu'elle fut tout
étonnée quand on lui eut appris que ces cinq grosses fermes ,
qu'elle prenoit apparemment pour des métairies , étoient
tout le revenu de l'Etat.
La meilleure , ou plutôt la seule manière de rendre
compte d'un livre entièrement composé d'anecdotes et de
traits détachés , est d'en citer quelques-uns des moins connus
et des plus piquans : c'est ce que je vais faire. En voici qui
concernent Louis-Armand , prince de Conti : « Il est presque
>>toujours distrait , dit Madame ; et lorsqu'on y pensele
>>moins , il tombe sur sa propre canne . On y étoit si accou-
>> tumé du temps du feu roi , que , lorsqu'on entendoit
>>tomber quelque chose , on disoit : Ce n'est rien ; c'est le
>> prince qui tombe . » Ce prince , contrefait , mais spirituel ,
entendoit la plaisanterie à merveille. A un bal de l'Opéra ,
un masque , portant une bosse postiche , vint se mettre à
côté de lui : Masque, qui êtes-vous , dit le prince ?
suis le prince de Conti. -Voilà comme on se trompe ; ily
a plus de vingt ans queje croyois l'être. Il avoit une femme
très-aimable , qui , suivant Madame , faisoit à la beauté le
tort de prouver que les agrémens et les graces la surpassent.
- Je
A l'article de Law , on trouve un trait assez singulier de
préoccupation du fameux médecin Chirac. Il avoit beaucoup
d'actions dans la banque du Mississipi. Il apprend dans
l'antichambre d'une malade que cette sorte d'effets baissoit
beaucoup. De là il va tâter le pouls de celle qui l'avot fait
AOUT 1807 . 373
appeler , et il dit : Ah , bon Dieu ! cela diminue , diminue
diminue , baisse , baisse , baisse . La malade effrayée se met
à sonner de toutes ses forces , et à appeler ses gens , en
criant : Je me meurs ! M. Chirac dit que mon pouls diminue.
Eh ! vous rêvez , Madame , dit Chirac ; votre pouls est excellent
, et vous vous portez à merveille. Je parlois des
actions qui baissent : ce qui me fait perdre considérablement
d'argent.
L'établissement du Système est généralement regardé
comme le principe de cette corruption totale de moeurs et
de cette horrible dégradation des caractères , dont les effets ,
toujours croissans , ont fini par amener la dissolution de
P'Etat.
Le chapitre de Law offre une foule de traits qui montrent
à quel degré d'avilissement étoient tombés la nation entière,
et principalement ceux qui prétendoient en être l'élite. Ce
n'étoit plus devant la grandeur qu'on se prosternoit , comme
du temps de Louis XIV ; c'étoit devant l'or , la plus honteuse
des idoles . Le Régent cherchoit une duchesse pour
conduire une de ses filles à Gènes . Quelqu'un lui dit :
Monseigneur , si vous voulez avoir le choix , envoyez chez
madame Law , vous les y trouverez toutes assembées . Une
femme de qualité se fit verser exprès pour, parler à Law.
Elle disoit à son cocher : Verse donc , coquin , verse donc !
Le cocher versa , et Law qui étoit à portée , accourut pour
secourir la dame. Une autre , dont il fuyoit les poursuites
obstinées , alla se camper devant la porte d'une îmaison où
il dinoit , et fit crier au feu par ses gens . Law , épou
vanté sortit , aperçut la dame et s'enfuit. Un jour qu'il
donnoit audience à plusieurs femmes , il voulut se retirer
un moment pour un besoin léger mais fort pressant. Comme
elles le retenoient , il fut obligé de leur en faire la confidence.
Ah ! si ce n'est que cela , dirent-elles , ce n'est rien ;
faites toujours et écoutez-nous .
Le volume des Mélanges historiques est précédé d'une
notice sur Madame , qui est un modèle achevé d'ineptie
et de mauvais style , un véritable chef- d'oeuvre en son
genre. On n'en peut heureusement accuser aucun écrivain
de nos jours : elle est tirée de l'une des nombreuses et
insipides compilations qui ont été faites depuis cinquante
ans en l'honneur desfemmes célèbres ou illustres , et l'auteur
se uomme Maubuy ; mais c'est s'associer bien gratuitement
et bien ridiculement au déshonneur de l'avoir composée
, que de la réimprimer. L'éditeur , qui n'a pas craint
de l'employer , étoit presque digue de l'avoir faite.
M.
374 MERCURE DE FRANCE ,
A VOYAGE ROUND THE WORLD , etc. Voyage
autour du Monde , entrepris dans le but de
répandre la pratique de la vaccination
ordre du gouvernement espagnol.
par
DIMANCHE dernier 7 septembre 1806 , le Dr. François-
Xaxier Balmis , chirurgien extraordinaire du roi , eut
P'honneur de baiser la main de S. M. à l'occasion de son
retour d'un voyage autour du monde , exécuté dans le but
uniqne de procurer à toutes les possessions de la couronne
d'Espagne , situées au -delà des mers , ainsi qu'à beaucoup
d'autres contrées , le bienfait inestimable de la vaccination.
S. M. a mis le plus vif intérêt à s'enquérir de toutes les
particularités de l'expédition , et elle a eu l'extrême satisfaction
d'apprendre que le résultat de ce voyage a dépassé
toutes les espérances conçues à l'époque où il fut entrepris .
On avoit confié la direction de l'expédition aux soins de
plusieurs membres de la Faculté , qui ont emmené avec eux
vingt-deux enfans qui n'avoient jamais eu la petite- vérole :
ces enfans étoient destinés à se transmettre l'un à l'autre le
vaccin , par inoculation successive , pendant la durée du
voyage. On fit voile de la Corogne , sous la direction du
Dr. Balmis , le 30 novembre 1803. Sa première station fut
aux Canaries , la seconde à Porto-Ricco , et la troisième aux
Caraques. En partant du port de la Guayra , l'expédition
fut divisée en deux parties : l'une se dirigea vers le continent
de l'Amérique méridionale , sous le commandement du
sous-directeur don François Salvani ; l'autre , commandée
par le Dr. Balmis , fit voile pour la Havane , et de là pour
PYucatan . Là , on se subdivisa encore le Prof. François
Pastor partit du port de Siral pour aller à celui de Villa
Hermosa , dans la province de Tobasca ; afin de propager
la vaccination dans le district de Ciudad Real de Chiapa , et
ensuite à Guatimala , en faisant un circuit de quatre cents.
lieues par des chemins difficiles , et en y comprenant Oxaca .
Le reste de l'expédition , qui arriva sans accident à la Vera-
Cruz , traversa non-seulement la vice-royauté de la Nouvelle-
Espagne , mais aussi les provinces de l'intérieur , d'où elle
devoit retourner à Mexico , où le rendez-vous général avoit
été indiqué.
Ce précieux préservatif contre les ravages de la petitevérole
a déjà été répandu dans toute l'Amérique septentrio
AOUT 1807 . 375
nale,jusques aux côtes de Sonara et Sinaloa , et même aux
Gentilset Néophytes de la Haute Pimerie. On a établi dans
chaque lieu principal un conseil , formé des autorités , et
des membres de la faculté les plus zélés , et on leur a confié
cet inestimable spécifique , comme un dépôt sacré , dont
ils étoient responsables à leur souverain , et à la postérité.
Ce premier travail étant terminé , le directeur a conduit
cette partie de l'expédition , d'Amérique en Asie , avec le
plus heureux succès. Après avoir eu à vaincre quelques difficultés
, il s'est embarqué à Acapulco pour les Philippines ,
la dernière des contrées qu'on s'étoit proposé, dans l'origine
, de visiter.
Ce grand et pieux dessein du roi ayant été favorisé par la
Providence , le Dr. Balmis fit ce second voyage en deux
mois et quelques jours , en emmenant avec lui , de la Nouvelle
Espagne , vingt-six enfans , destinés à être successive-
⚫ment vaccinés , comme les précédens ; ces enfans furent
confiés aux soins de la directrice de l'hospice des Enfans-
Trouvés de la Corogne , dame qui , dans ce voyage , ainsi
que dans les précédens , s'est conduite de manière à mériter
toute l'approbation des supérieurs . L'expédition étant
arrivée aux Philippines , et ayant propagé le spécifique dans
les isles soumises à S. M. Catholique,Balmis concerta avec
Je capitaine-général les moyens d'étendre la bénéficence du
roi et la gloire de son nomjusques aux derniers confins de
P'Asie .
La vaccine a été introduite dans tout le vaste archipel des
isles Visayes , dont les chefs , accoutumés à une guerre perpétuelle
avec nous , ont posé les armes en admirant la générosité
d'un einemi qui leur apportoit les bienfaitsde la santé
et de la vie , dans le temps même où une épidémie de
petite-vérole exerçoit au milieu d'eux ses ravages. Lorsque
le Dr. Balmis atteignit Macao et Canton , les principaux
individus des colonies portugaises et de l'empirede la Chine
ne semontrèrent pas mmooiinns reconnoissansen recevantdu
virus vaccin frais et en pleine activité ; résultat que lesAnglais
, après plusieurs efforts répétés , n'avoient pu obtenir ,
enessayant d'envoyer ce virus par les vaisseaux de la compagniedes
Indes. Il perdoit toujoursson efficacitédans le long
trajet qu'exigeoit son transport par cette voie.
sur les
Après avoir propagé la vaccine à Canton, autant que les
circonstances lelui permirent , Balmis s'en reposant sur
soins que mettroient les employés de la factorerie anglaise
àcontinuer ces bons offices , retourna à Macao et s'em
4
376 MERCURE DE FRANCE ,
barqua dans un vaisseau Portugais pour Lisbonne , où il
arriva le 15 août. Il s'arrêta en passant à Sainte- Hélène ,
assez pour déterminer par ses exhortations et sa persévérance
, les habitans anglais de l'île , à recevoir un préservatif
qu'ils avoient repoussé pendant plus de huit ans , quoique
ce fût une découverte due à un individu de leur nation ,
et que le virus vaccin leur eût été précédemment envoyé
par le Dr. Jenner lui-même.
La partie de l'expédition qui étoit destinée pour le Pérou ,
fit naufrage dans l'une des embouchures de la rivière de la
Magdeleine ; mais ayant été secourue par les indigènes , par
les magistrats locaux et par legouverneur de Carthagène , le
sous-directeur , les trois membres de la faculté qui l'accompagnoient
, et les enfans , furent sauvés , et la vaccination
s étendit dans ce port et dans la province , avec succès . De
là on la porta à l'isthme de Panama; et des personnes
pourvues de tout ce qui étoit nécessaire , entreprirent la
longue et pénible navigation de la rivière dela Magdeleine ,
en se séparant , lorsqu'on atteignit l'intérieur , pour exécuter
leur commission dans les villes de Ténériffe , Mompox ,
Ocana , Socorro , San Gil y Medellin , dans la vallée de
Cucuta , et dans les villes de Pamplona , Giron , Tunja ,
Velez , et autres places voisines , jusqu'à ce qu'on se rencontra
à Santa-Fé . On laissa dans toutes les villes un peu
considérables , des instructions aux membres de la facuké ,
sur la manière de conserver ce virus , que le vice-roi affirme
avoir été communiqué à cinquante mille individus ,
sans qu'il y ait eu sur ce nombre , aucun accident défavorable
à cette pratique. Vers la fin de mars 1805 , ils se
préparèrent à continuer leur voyage , en se divisant , afin
de pouvoir s'étendre avec plus de facilité etde promptitudę
dans tous les districts de la vice-royauté situés le long de
la route de Popayan , Cuença et Quito , jusques à Lima ,
Ils arrivèrent à Guyaquil au mois d'août suivant.
Le résultat de cette expédition n'a pas été seulement de
communiquer la vaccine à tous les peuples , amis ou ennemis
, qu'on a visités , chez les Maures , les Visayens , les
Chinois , mais d'assurer à la postérité dans les domaines
de S. M. la perpétuité de ce grand bienfait , tant au moyen
des comités centraux qu'on a établis partout , que par la
découverte que le docteur Balmis a faite d'un virus vaccin
indigène , dans les vaches de la vallée d'Atlixco près la
viile de Puebla de los Angeles ; dans le voisinage de celle
de Valladolid de Mechoacan , où l'adjudant Antonio Gut
AOUT 1807 . 377
ţierez a trouvé ce même virus; et dans le district de Calabozo,
dans la province de Caraques , où don Carlos de Pozo , médecin
de la résidence , en a fait également la découverte.
Une multitude d'observations , qui seront publiées sans
délai , sur le développement de la vaccine selon les climats ,
et sur son efficacité , non-seulement comme préservatif
contre la petite-vérole , mais comme ayant la propriété de
guérir simultanément d'autres affections morbides , prouveront
quelles ont été les heureuses conséquences d'une
expédition unique dans l'histoire .
Quoique l'entreprise n'eût pour objet direct que la communication
immédiate de la vaccine , l'instruction des gens
de l'art , et les mesures d'administration qui pouvoient
tendre à perpétuer ce bienfait , cependant le directeur n'a
perdu aucune occasion de rendre son voyage utile à l'agriculture
et aux sciences . Il a rapporté une collection considérable
de plantes exotiques , et les dessins de beaucoup
d'objets d'Histoire naturelle. Il a rassemblé beaucoup de
documens importans , et ce n'est pas un de ses moindres
droits à la reconnoissance de ses compatriotes , que d'avoir
rapporté une collection précieuse d'arbres et de plantes en
pleine vigueur , et en état de se reproduire, et qui , disséminées
sur les divers points de la péninsule , qui seront le
plus analogues à leur sol natal , rendront cette expédition
aussi mémorable dans les annales de l'agriculture , que
dans celles de la médecine et de l'humanité . On espère
que le sous-directeur et les aides , chargés de faire passer
au Pérou ces objets précieux , reviendront bientôt par la
voie de Buenos - Ayres , et qu'ils rapporteront aussi un
pombre considérable d'observations et d'objets utiles , recueillis
d'après les instructions du directeur, sans perdre de
vue la mission philantropique qu'ils ont reçue de S. M.
(Biblioth. Brit. )
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
- La distribution des prix du concours général des lycées
de Paris a eu lieu le 14 a midi , dans la salle olympique. M. le
conseiller d'état préfet du départeinent de la Seine , et MM. les
inspecteurs-généraux des étude ,présidoientà cette distribution.
378 MERCURE DE FRANCE ,
L'un des professeurs de belles-lettres du lycée Bonaparte ,
M. de Guerle , a prononcé le discours d'ouverture. Le sujet
de ce discours étoit l'Etude. L'orateury a dépeint avec beaucoup
de talent, ses avantages, les plaisirs qu'elle procure , les
récompensesqui lui sont attachées. L'élève qui a remporté le
prix d'honneur est J. V. Leclere , de l'école secondaire de
M. Dabot , place de l'Estrapade, suivant les cours du lycée
Napoléon. Sur 202 nominations,le lycée Napoléon en a obtenu
96, dont 30 prix; le lycée Impérial 65 , dont 20 prix; le
lycée Charlemagne 36, dont 5 prix ; et le lycée Bonaparte
6, dont un prix.
-L'EMPEREUR avisité le 17 les travaux publics qui s'exécutent
dans presque tous les quartiers de Paris , notamment
ceux du Louvre, du Carrousel , du pont d'Austerlitz , de
la place Vendôme et du jardin des Capucines. Il s'est aussi
rendu sur le quai Desaix et sur l'emplacement de la Bastille,
où estouvert un boulevard magnifique , et où doit venir
aboutir le canal de l'Ourcq. On dit aussi que c'est dans les
environs de cette place que doivent être construits les greniers
publics décrétés par S. M. En revenant du château des
Tuileries , l'EMPEREUR visita la grande place destinée à servir
de marché sur l'emplacement des anciens Jacobins. Il étoit
accompagné du roi de Westphalie et de deux chambellans.
Partout où il passa, il fut accueilli par des acclamations et
des applaudissemens unanimes. le 19, sur les cinq heures du
matin, S. M. s'est également rendue au Palais-Royal , où
l'on croit qu'il est question d'ordonner quelques travaux.
-M. et Mad. Blanchard ont fait à Rotterdam , le 3 de
ce mois, une ascension tres-malheureuse. Apeine leur balloń
avoit-il pris l'essor , que , poussé par un vent violent ,il
alla se heurter et se briser contre les toits des bâtimens voisins.
M. Blanchard tomba sur le pavé et se blessa grievement ; on
espère cependant qu'il en reviendra. Sa femme resta quelque
temps suspendue à un arbre , auquel elle eut la présence
d'esprit de s'accrocher; mais saisie ensuite d'un évanouissement
, elle tomba , sans que sa chute qu'on prévoyoit et
qu'on trouva moyen d'adoucir , ait eu pour elle rien de dangereux.
-M. Gail , professeur de littérature grecque au Collége
de France , commence à mettre au jour la belle édition de
Thucydide (1 ) , qu'il préparoit depuis long-temps , et que
( 1 ) Histoire Grecque de Thucydide , accompagnée de la version
latine, des variantes de treize manuscrits de la Bibliothèque Impériale, de
:
AOUT 1807 .
$
379
l'on attendoit avec impatience. Le premier volume , qui
vient de paroître , contient un Mémoire sur Thucydide ,
dans lequel on voit que le savant traducteur d'Anacréon ,
de Théocrite , Bion , Moschus , etc. , sait , quand il le veut ,
tirer de son propre fonds , et même alors intéresser , et
qu'au lieu de le traduire les historiens , il seroit digne de se
montrer historien lui-même. Nous reviendrons sur cet
important ouvrage , qui manquoit à l'instruction publique,
et que M. Gail publiera complet sous deux ou trois mois.
Nous rendrons également compte de trois autres ouvrages
de M. Gail , fort utiles pour les jeunes hellénistes , la
nouvelle Grammaire Grecque , les Dialogues des Morts de
Lucien , et la Clef d'Homère. On trouvera , dans la Clef
d'Homère , des dissertations et des notes qui prouvent le
grammairien exact et l'homme de goût ; dans les Dialogues
des Morts , des notes d'une saine critique, qui rendent cette
dernière édition bien supérieure à celles qui l'ont précédée ;
et dans la Grammaire Grecque , une netteté qui justifie le
succès qu'elle a obtenu dans toutes les écoles. (2)
-( Nous donnerons dans notre prochain numéro le rapport
sur les travaux de la classe d'histoire et de littérature ancienne ,
fait par M. Ginguené , à l'assemblée générale de l'Institut ,
le lundi 7 juillet 1807. )
spécimens de ces manuscrits , de cartes géographiques et d'estampes ; et
précédé d'un Mémoire historique , littéraire et critique , par J. B. Gail ,
professeur de littérature grecque au Collège de France, de l'Académie
Royale des Sciences de Gottingue Iet volume : Mémoire sur Thucydide;
XIX volume de la Collection in-8°. Prix : 4 fr.; 6 fr. pap. vélin. Idem,
in 4°. Prix : 6 fr. , et 9 fr . pap . vélin .
AParis , chez Gail neven, au Collège de France, place Cambray; et
chez le Normant. En prenant le papier vélin, on s'engage pour le
Thucydide complet.
(2) Nouvelle Grammaire Grecque, àl'usage des lycées et autres écoles.
VIII vol. de la Collection in-8° . Troisième édition , revue , corrigée et
augmentée. Prix des deux premières parties , I fr. 50 e., reliées en parchemin.
Les trois parties réunies,2 fr , reliées én parchemin.
Dialogues des Morts de Lucien, accompagnnééss de notes élémentaires
etgrammaticales, des variantes des trois manuscrits de Lucien , et d'une
version latine. Nouvelle édition , divisée en deux parties . XVIII volume
de la Collection in 12. Les deux parties , avec la traduction , afr. 25 c. ,
reliées en parchemin. Les deux parties , sans la traduction , I fr. 80 c. ,
reliées en parchemin .
Clefd'Homère , précédéa de dissertations grammaticales, d'un tab'eau
des verbes primitifs , d'une lettre à M. Bat , et d'observations sur plusieurs
morceaux d'Homère . XVII volume de la Collection in- 12. Prix , in- 12 , 2 fr .
50 c. , reliéenparchemin. In-8°, 3 fr. 50 c. Idem, pap. vélin , in-8°, 5 fr.
Cestrois ouvrages se vendent à Paris , chez Gail neveu , au College de
France , place Cambray; et chez le Norinant.
380 MERCURE DE FRANCE ,
MODES du 20 août.
Aucune coiffure ne se fait à l'invisible maintenant : on ne veut que
de très -petits chapeaux , de petites capotes , de petites paysannes , de
petites toques. La mode des rubans écossais n'est point encore passée ;
il vient d'en paroître à très-petites raies rose et blanc. Les pluines se
portent toujours rondes et follettes ; blanches , dans la grande parure;
et vertes , dans la moyenne .
On revient aux pélerines plissées . Les remplis rapprochés et réguliers,
imitant des raies d'étoffe , se font remarquer depuis quelques
jours au bas des robes blanches .
Les schalls à jour , nommés zéphirs , soie et laine , sont presque
tons de deux couleurs , vert tendre et blanc , lilas et blanc. Tout unis ,
on les porte blanc .
:
:
NOUVELLES POLITIQUES.
Copenhague , 9 août.
Tout est en armes chez nous. Le prince Royal est arrivé
dans notre ville ; l'île de Sélande et la ville de Copenhague
sont menacées .
Voici ce qui a été publié ici :
« Il n'est que trop vrai, les menaces injustes et multipliées du
gouvernement anglais compromettent notre existence ; ils nous
offrent des secours contre des dangers imaginaires. Danois ,
vous êtes menacés de perdre votre indépendance ! Les Anglais
veulent occuper vos ports , vos chantiers , sous le prétexte
que les Français , dont nous n'avons point à nous plaindre ,
veulent s'en emparer. Non,vous ne recevrez point la loi qu'une
nation injuste veut vous imposer avec tant d'arrogance. Le
prince Royal arrivera demain. Si les Anglais poussent l'atrocité
jusqu'à attaquer nos rivages , ils trouveront dans chacun
de nos citoyens le même courage et le même dévouement
qu'en 1801. La France , la Russie, toute l'Europe marcheront
à votre secours, »
Ce n'est point à ces écrits qui circulent dans le public que
le gouvernement s'est remis du soin de sa défense : les batteries
s'arment avec activité. ( Moniteur. )
PARIS, vendredi 21 août.
-Par décret impérial du 14 août , MM. Faureet Albisson ,
membres du tribunat , sont nommés conseillers d'Etat , section
de législation.
-
نم
Par décret du même jour , M. Arnould, membre du
tribunat , est nommé membre de la commission de comptaAOUT
1807. 381
-
bilité impériale , en remplacement de M. de Saucourt, décédé.
Par décret du même jour, S. M. a nommé M. Labrouste,
tribun , à la place d'administrateur de la caisse d'amortissement,
en remplacement de M. Duffaut , décédé.
Avant-hier soir , vers neuf heures , S. M. accompagnée
de l'Impératrice et du prince Jérôme ,est descendue des appartemens
du château pour se promener , en calèche , dans le
jardin des Tuileries. Toutes les personnes qui jouissoient , en
ce moment , du plaisir de la promenade , se sont à l'instant
précipitées autour de la voiture de LL. MMм. , et les ont
accompagnées depuis la terrasse du bord de l'eau jusque
dans l'allée des orangers , aux cris mille fois répétés de Vive
I'Empereur ! Vive l' Impératrice !
: - Par jugement du tribunal de police correctionnelle de
l'arrondissement de Lille , du 29 juin, le sieur Bianchi , médecin
, chargé de la visite des conscrits , a été condamné par
défaut à 1000 fr. d'amende , et à deux années d'emprisonnement,
pour avoir reçu des présens et gratifications , à
raisondes fonctions qu'il a remplies près le conseil de recrutement.
Les nommés Bernard Dagos , Etienne Lartigue, et Bernard
Bruttis , de l'arrondissement de Mont-de-Marsan ( Landes ) ,
convaincus d'escroqueries en matière de conscription , ont été
condamnés , savoir, le premier à six mois d'emprisonnement
et à 200 fr. d'amende; le second , à huit mois d'emprisonnement
et à 300 fr. d'amende, et le dernier à deux mois d'emprisonnement
et à 75 fr. d'amende .
Jean Vidal père, de la cominune d'Orbon , département
du Tarn, pour soustraire son fils à la conscription , avoit fait
usage d'une pièce fausse sachant qu'elle étoit fausse. Cette pièce
étoit l'acte de naissance du père , dans lequel il étoit dit qu'il
étoit né en 1734, tandis qu'il étoit réellement né en 1741; son
but étoit d'être considéré comme âgé de plus de 71 ans , et de
jouir ainsi du bénéfice de l'article XVIII du décret du 8 fructidor
an 13. La cour de justice criminelle spéciale a , par arrêt
du 21 juillet , condamné cet individu à huit ans de fers , à la
Hétrissure avec fer rouge sur l'épaule gauche , à l'exposition
pendant six heures , à l'impression , a l'affiche de l'arrêt,
au nombre de 400 exemplaires , et aux dépens.
Les nommés Bailly etGorret, convaincus d'escroquerie en
matière de conscription , ont été condamnés par la cour de
justice criminelle du département de la Somme , à deux ans
d'emprisonnement , et 5000 fr. d'amende chacun , solidairement.
Le nommé Fréville, impliqué dans la même affaire , a
été condamné à deux mois seulement de prison , et à 200 fr.
d'amende. (Moniteur. )
382 MERCURE DE FRANCE ,
SENAT CONSERVATEUR.
Messagede Sa Majesté Impériale et Royale au Sénat.
Sé nateurs ,
Conformément à l'article LVII de l'acte des constitutions
de l'Empire , en date du 28 floréal an 12 , nous avons nommé
membres du sénat :
MM. Klein , général de division; Beaumont , général de
division ; et Béguinot , général de division.
Nous desirons que l'armée voie dans ces choix l'intention
où nous sommes de distinguer constamment ses services .
MM. Fabre ( de l'Aude ) président du tribunat , et Curée ,
membre du tribunat.
Nous desirons que les membres du tribunat trouven tdans
ces nominations un témoignage de notre satisfaction pour la
manière dont ils ont concouru , avec notre conseil d'Etat , à
établir les grandes bases de la législation civile.
M. l'archevêque de Turin.
Nous saisissons avec plaisir cette occasion de témoigner
notre satisfaction au clergé de notre Empire , et particulièrement
à celui de nos départemens au-delà des Alpes.
M. Dupont , maire de Paris.
Notre bonne ville de Paris verra dans le choix d'un de ses
maires , le desir que nous avons de lui donner constainment
des preuves de notre affection.
CORPS LÉGISLATIF.
Session de l'an 1807.
L'ouverture du corps législatif s'est faite dimanche 16 avec
le plus grand éclat. A cinq heures l'EMPEREUR est sorti du
château des Tuilleries , et c'est rendu au palais du corps
législatif dans l'ordre indiqué par le cérémonial. Après s'être
reposé pendant environ vingt minutes dans les appartemens
du président , S. M. , précédée de la députationdes membres
du corps législatif qui étoit allée la recevoir aux portes
extérieures du palais , est entrée dans la salle des séances , aux
acclamations des spectateurs qui remplissoient les tribunes.
,
S. M. a prononcé le discours suivant :
<<Messieurs les députés des départemens du corps législatif;
messieurs les tribuns et les membres de mon conseil d'Etat
>>Depuis votre dernière session , de nouvelles guerres , de
nouveaux triomphes , de nouveaux traités de paix ont changé
la face de l'Europe politique .
>>Si la maison de Brandebourg qui , la première , se conjura
contre notre indépendance , règne encore , elle le doit à
la sincère amitié que m'a inspirée le puissant Empereur du
Nord.
AOUT 1807 . 383
» Un prince français régnera sur l'Elbe : il saura concilier
les intérêts de ses nouveaux sujets avec ses premiers et ses plus
sacrés devoirs.
>>La maison de Saxe a recouvré , après 50 ans , l'indépendance
qu'elle avoit perdue.
>> Les peuples du duché de Varsovie , de la ville de
Dantzick, ont recouvré leur patrie et leurs droits.
:
(
>> Toutes les nations se réjouissent d'un commun accord ,
de voir l'influence malfaisante que l'Angleterre exerçoit sur le
continent , détruite sans retour.
>> La France est unie aux peuples d'Allemagne par les
lois de la Confédération du Rhin , à ceux des Espagnes , de la
Hollande , de la Suisse et des Italies par les lois de notre système
fédératif. Nos nouveaux rapports avec la Russie sont
cimentés par l'estime réciproque de ces deux grandes nations.
<<Dans tout ce que j'ai fait , jai eu uniquement en vue le
bonheurde mes peuples , plus cher àmes yeux quema propre
gloire.
>>Je desire la paix maritime. Aucun ressentiment n'influera
jamais sur mes déterminations : je n'en saurois avoir contre
une nation , jouet et victime des partis qui la déchirent , et
trompée sur la situation de ses affaires , comme sur celle de ses
voisins. ;
>>Mais quelle que soit l'issue que les décrets de la Providence
aient assignée à la guerre maritime , mes peuples me
trouveront toujours le même , et je trouverai toujours mes
peuples dignes de moi.
>> Français , votre conduite dans ces derniers temps où
votre EMPEREUR étoit éloigné de plus de 500 lieues , a augmenté
mon estime et l'opinion que j'avois conçue de votre
caractère. Je me suis senti fier d'être le premier parmi vous.
-Si , pendant ces dix mois d'absence et de périls , j'ai été
présent à votre pensée, les marques d'amour que vous m'avez
données , ont excité constamment mes plus vives émotions.
Toutes mes sollicitudes , tout ce qui pouvoit avoir rapport
même à la conservation de ma personne , ne me touchoient
que par l'intérêt que vous y portiez et par l'importance dont
elles pouvoient être pour vos futures destinées. Vous êtes un
bon et grandpeuple.
>> J'ai médité différentes dispositions pour simplifier et
perfectionner nos institutions.
>> La nation a éprouvé les plus heureux effets de l'établissement
de la Légion-d'Honneur. J'ai créé différens titres impériaux
pour donner un nouvel éclat aux principaux de mes
sujets, pour honorerd'éclatans servicespar d'éclatantes récom384
MERCURE
DE FRANCE
,
penses , et aussi pour empêcher le retour de tout titre féodal
incompatible avec nos constitutions .
» Les comptes de mes ministres des finances et du trésor
public vous feront connoître l'état prospère de nos finances.
Mes peuples éprouveront une considérable décharge sur la
contribution foncière.
>> Mon ministre de l'intérieur vous fera connoître les tra
vaux qui ont été commencés ou finis ; mais ce qui reste à faire
est bien plus important encore ; car je veux que dans toutes
les parties de mon Empire , même dans le plus petit hameau
l'aisance des citoyens et la valeur des terres se trouvent augmentées
par l'effet du système général d'amélioration que j'ai
conçu.
» Messieurs les députés des départemens au corps légis →
latif , votre assistance me sera nécessaire pour arriver à ce
grand résultat , et j'ai le droit d'y compter constamment. »
Ce discours a excité le plus vif enthousiasme , et.S. M. a
levé la séance aux cris réitérés de vive l'Empereur ! Les mêmes
acclamations se sont fait entendre dans les rues que le cortége
de S. M. a suivies.
Dans la séance d'aujourd'hui , le corps législatif a nommé
M. Fontanes candidat à la présidence ; les candidats des quatre
autres séries avoient été nommés à la fin de la dernière session.
On a fait un second scrutin secret pour la nomination de
quatre vice - présidens : ce scrutin n'ayant donné la majorité
à aucun membre , il en sera fait un autre demain .
FONDS PUBLICS DU MOIS D'A OUT.
DU LUNDI 17. C pour ojo c . J. du 22 mars 1807 , 86f 75c 90c 70c 60¢
50c 75c 650 60c 50º 6oc occ ooc ooi of. ooc ooc obe ooc.
Idem . Jouiss . du 22 sept . 1807 , 83f 75c . 5oc . ooc OOC A.
Act. de la Banque de Fr. 1285f 1282foc 000 f 000 f ooc.
DU MARDI 18. C p . ojo c . J. duu 22 mars 1807 , 8f 30c 20c 10c 206
25c 30c 40c . 3oc 40c 50c ouc . oof ooc ooc coc ooc oof oof ooc
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , 83f. 75c 84f 53f Soc. noc occ
--
Act. de la Banque de Fr, 128of oooof ooc 0000f. ooc ooʊof
DU MERCREDI 19.- C p . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 86f 6ọc 75c Súc goc
87f87f rec 20c . ooc ooc oofo.c. ooc of ooc . oof.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , S4f ooc . oof. oof ooc ooc ooc
Act, de la Banque de Fr. 128f50c 1290f 0000f 0000f00001 ooc
DU JEUDI 20.- Cp . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 871 Soc SSF 8Sf 4oc 30c
88f 20c 30c 3c orc ooc ooc ooc -ooc cu o cooc occ ooc ooc coe coc
Idem . Jouiss . dư 22 se to 18o7 , 8f Jac 84f ooc boc one off one
Act. de la Banque de Fr. 129 f. oooof ooc oooof: 0000f *
DU VENDREDI 21. C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 88f 35c, 25c. 400
3oc 40c 50c 40c 6oc 50c ooc oof ooc ooc oof ooc ooc ooc ooc oof oos
Idem Jouiss. du 22 sept. 1807 , 85f- 50c ooc. oof ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. oocof oooof ooc gooof
(No. CCCXIX . )
( SAMEDI 29 AOUT 1807. )
..
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
•
FRAGMENT
D'UN ESSAI POÉTIQUE SUR L'ÉCOLE FRANÇAISE.
SUBSTITUANT l'esprit au bon sens , au génie ,
Le clinquant des couleurs à leur sage harmonic ,
Coypel ( 1 ), en s'éloignant de la simplicité,
Crut que la bouffissure étoit la majesté.
Bientôt , à l'Opéra choisissant ses modèles ,
Il retraça partout et ses dieux et ses belles ;
Sur le jeu des acteurs composa ses tableaux ,
En héros de coulisse habilla ses héros .
Sous ses pinceaux menteurs , aussi bien qu'au théâtre,
Leur front s'enlumina de carmin et de plâtre.
On vit Didon , Esther , Achille , Agamemnon ,
Costumés comme en scène et Couvreur et Baron,
Gesticuler , agir , marcher avec méthode.
Ce genre dépravé fut prôné par la mode :
Car trop souvent les arts , chez nous autres Français ,
A ce bizarre dieu doivent plus d'un succès ,
Et l'artiste du jour seul est l'artiste habile .
( 1 ) Il s'agit ici d'Antoine Coypel. Son père , son frère et son fils ,
se sont tous fait un nom dans la peinture ; et tous sont tombés dans les
vices que l'on reproche ici à Antoine.
Bh
DEST
DE
5
LA
SEINE
366 MERCURE DE FRANCE ,
>>>
>> Du moelleux dans ces bras ; donne- toi l'air frivole ."
Toujours la tête basse ! » Il saute à son collet ,
Fait effort , la relève , et l'ours cheoit en arrière
Le rire d'éclater dans l'assemblée entière ;
Et Gille aussi fait l'aimable railleur .
Notre Ours se ramassoit : « Eh bien ! mon philosophe ,
» Que ferai-je de toi ? Va , tu n'es pas d'étoffe
» A plaire à ces messieurs. Quitte cet air penseur; }
» Je ne pensaijamais , je suis un enchanteur.
» A contrefaire tout admire ma souplesse :
» Est- il abbé, marquis , traitant , robin , duchesse ,
» Dont je ne prene l'air gave , insolent , badin
» Ou libertin ?
» Imite-moi; je veux qu'à la porte on s'écrie :
» Unprodige , Messieurs , c'est ici l'Ours charmant. »
« Le ciel ne ne tailla pour pareille folie ,
» Répondit l'Ours très - sensement ;
» Enchante tous ces fous , sois leur digne copie :
Auprès des bons esprits je vaudrai mieux que toi ;
>> Je suis un Ours , mais je suis moi . »
>>
nous
Il est trop aisé de remarquer les longueurs qui ralentissent
inutilement la rapidité du récit , pour que nous nous arrêtions
à les faire observer on pourroit aisément les faire
disparoître , et il seroit facile de corriger le vers qui a treize
syllabes . Tout cela pourroit n'être que trop abondant ; mais
il s'y rencontre deux autres défauts plus graves que
devons relever , parce qu'ils semblent déceler un défaut de
jugement. Lorsque le singe s'est assuré par la leçon qu'il
donne à l'ours qu'il n'en pourra rien faire , et qu'il l'a abandonné
en lui disant : Va , tu n'es pas d'étoffe à plaire à ces
messieurs , son rôle doit finir ; et il est hors de toute vraisemblance
qu'il continue à pérorer , comme s'il lui restoit
encore quelqu'espérance de pouvoir changer les manières
de l'ours . Mais , au surplus , toute la scène représentée
dans la fable pèche essentiellement contre les règles du bon
goût et de la droite raison . Le singe , étant imitateur par
instinct , ne sort ' pas de sa nature lorsqu'il ne fait que des
grimaces ridicules , au lieu des gestes qu'il voudroit copier .
Ses manières ne sont pas celles d'un lourdaud qui se donne
les airs d'un bel- esprit. Il imite mal , mais avec gentillesse;
et ses bévues réjouissent autant que son habileté . L'ours ne
peut lui dire sensément :
Auprès des bons esprits je vaudrai mieux que toi;
Je suis un Ours , mais je suis moi,
1
puisque ce n'est pas par un effort grotesque et hors de son
caractère ou de ses facultés que le singe se montre tel que
nous le voyons , et qu'il est autant lui-même avec toute sa
AOUT 1807 .
367
légèreté et son adresse , que l'ours avec sa pesanteur et sa
stupidité . Véritablement , cet ours philosophe joue ici le
rôle d'un sot qui se vanteroit de son ineptie auprès d'un
homme d'esprit , et qui lui soutiendroit qu'elle est plus
estimable que toute sa pénétration , parce qu'elle lui est
naturelle . Trouver mauvais qu'un singe fasse des singeries ,
ce n'est pas de la gravité ; c'est de la bêtise . " .
La Fontaine a bien mieux conçu et exécuté ce sujet dans
sa fable de l'Ane et du Petit Chien , que tout le monde sait
par coeur :
嚣
Ne forçons point notre talent ,
Nous ne ferions rien avec grace ;`
Jamais un lourdand , quoi qu'il fasse ,
Ne sauroit passer pour glant.
Le poète intelligent se garde bien de faire dire à l'âne qu'il
vaudra mieux que le petit chien , qu'il ne peut imiter . Toute
la faute de son entreprise tourne à sa honte , comme cela
doit être ; et il n'y a pas dans cette petite fable un seul möt
de jactance inutile . Vouloir faire mieux n'est pas trop sage ;
le tenter , ne point réussir , et conserver un travail imparfait
, n'est certainement pas d'un homme de goût : il falloit
le supprimer. Il y a cependant quelque chose de mieux
que cette fable du Singe et de l'Ours , dans le livre de
M. Fumars ; mais on n'y sauroit trouver cette grace naïve
qui fait le charme de ce genre de poésie, Il court après le
naturel , et il tombe trop souvent dans le faux et le trivial.
Un héron , insulté par un pigeon porteur d'un billet , prend
le papier , le jette dans un étang , et lui dit
Monseigneur , du courage ;
Ote donc ta culotte , ôte du moins tes bas.
Puis , l'auteur ajoute : 1
Le Pigeon , humble et bas ,
314
A ces genoux tout nus, qu'il insultoit naguère ,
L'oeil rouge et gros de pleurs , se morfond en prière.
Il becquette , il becquette , etc.
Tout cela ne ressemble pas beaucoup à La Fontaine , il
faut en convenir ; mais aussi pourquoi La Fontaine a- t-il un
genre que personne ne peut attraper ?
M. Fumars auroit été plus heureux dans ses Poésies
légères , s'il avoit consacré ses loisirs à ce seul genre de
-littérature ; mais il faut se connoître soi-même , et consulter
long- temps son esprit et ses forces. Celui qui réussit dans
l'épigramme , veut faire un conte et celui qui tourneroit
agréablement une épître , se croit appelé à faire un poëme :
368 MERCURE DE FRANCE ,
nul ne veut rester dans le rang où son esprit le place naturellement
, ni faire de bonne grace le travail auquel il est
propre. M. Fumars pouvoit faire d'agréables madrigaux ;
mais il lui falloit absolument des fables ; et sur plus de cent
qu'il a composées , il n'y en a peut - être pas quatre qui
soient décidément bonnes.
Le Recueil de ses OEOEuvres , qui n'est cependant pas sans
mérite , fait plus d'honneur aux presses de M. Herhan qu'au
talent poétique de l'auteur ; mais il rend un témoignage
honorable à ses vertus domestiques , à son humeur sociable ,
au bon esprit qui l'a toujours animé dans sa nouvelle patrie ,
où il a dignement soutenu par ses leçons , quelquefois
même par ses écrits , l'honneur de la littérature de sa nation
, et , par sa bonne conduite , la réputation du caractère
français . G.
Mélanges historiques , anecdotiques et critiques sur la fin
du Règne de Louis XIV et le commencement de celui de
Louis XV; par madame la princesse Elisabeth-Charlotte
de Bavière , seconde femme de Monsieur , frère de
Louis-le-Grand : précédés d'une Notice sur la vie de cette
illustre princesse. Un vol. iu-8° . Prix : 5 fr . , et 6 fr. 50 c.
par la poste. A Paris , chez Léopold Collin , libraire , rue
Git- le-Coeur , nº . 4 ; et chez le Normant.
CB volume est la réimpression d'un livre qui a paru en
1788 , sous le titre de Fragmens de lettres originales de
madame Charlotte- Elisabeth de Bavière , veuve de Monsieur,
frère unique de Louis XIV. Quel motif a pu déterminer
l'éditeur à changer ce titre connu , et dont la fortune étoit
faite ? Celui sans doute d'induire en erreur les personnes
peu en garde contre les ruses des Bibliopoles , en leur
faisant accroire qu'il s'agissoit d'un ouvrage tout nouveau .
Si l'idée n'est pas délicate , elle n'est pas adroite non plus.
Paroissant sous ce titre équivoqué de Mélanges , les Fragmens
de lettres originales de Madame , dont personne
jusqu'ici n'a contesté le mérite ni l'authenticité , pourroient ,
au premier aperçu , passer pour une de ces compilations
mal faites , ou de ces suppositions impudentes dont le
nombre s'accroît indécemment au grand scandale , plutôt
qu'au déshonneur des lettres qui sont en vérité bien innocentes.
C'est donc servir les intérêts de l'éditeur , mieux
qu'il n'a fait lui-même , que de dévoiler sa supercherie .
Dans
AOUT 1807. 36g
DE LA
Dans son dessein de convertir des lettres en mélanges , il a
imaginé d'effacer toute trace de commerce épistolaire ; eten
conséquence il a supprimé les dates sous lesquelles les
divers fragmens étoient placés ; ce qui ne l'a pas empêche
de conserver ces mots du texte : Aujourd'hui je om-
» mencerai ma lettre , etc. » ; et telles autres phrase P
lesquelles on apprendroit que ces prétendus Mélange .
sont que des Fragmens de lettres , si on ne savoit d'aven
à quoi s'en tenir . Au reste , cette suppression des da
n'est pas une infidélité aussi préjudiciable qu'on le croiroit
d'abord , puisque les anecdotes contenues dans les Fragmens,
sont presque toutes fort antérieures à l'époque où les lettres
ont été écrites , et qu'ainsi la date de ces mêmes lettres ne
peut servir en rien à l'éclaircissement des faits . Ce qu'on
nous donne de la correspondance de la seconde Madame ,
va de 1715 à 1720 , et il n'y est presque jamais question que
du règne et de la cour de Louis XIV, mort en 1715 .
+
» ;
Il est un autre genre de retranchement que l'éditeur s'est
permis ; c'est celui de quelques détails minutieux , qui ,
n'étant pas trop déplacés dans une correspondance intime ,
Jui ont sans doute paru l'être dans des mélanges historiques .
Ainsi il n'a point conservé cette phrase « Notre Roi et
» feu Monsieur aimoient extrêmement les oeufs durs »
ni cette autre .: « Le roi avoit très souvent la bouche
ouverte » ; ni vingt autres encore du même intérêt . J'avoue
que ce sont- là des particularités fort peu importantes
pour l'histoire , et je ne me sens pas la force de reprocher
à l'éditeur de les avoir supprimées . Il est vrai qu'il a con-
-servé , et surtout ajouté quelques autres choses qui lui
ôtoient le droit de retrancher celles -là .
Madame , née Bavaroise , correspondoit dans sa langue
maternelle avec un prince et une princesse de sa famille , et
les archives de la maison ont conservé ses lettres autographes.
Des passages en avoient été extraits , et s'étoient
trouvés dans les papiers d'une dame de la plus haute naissance
, qu'on ne nomme point. Ce sont ces extraits ou fragmens
qu'a traduits et publiés , en 1788 , M. de Maimieux ,
auteur de la Pasigraphie. Voilà l'histoire du livre , telle que
M. de Maimieux l'a donnée en tête de la première édition .
Ces fragmens sont- ils réellement tirés de Lettres originales
de Madame? C'est ce dont il est impossible de douter après
les avoir lus jamais livre de ce genre n'a porté un caractère
de vérité plus irrécusable. Ces extraits sont-ils fide ement
traduits ? Rien n'autorise le soupçon à cet égard , et tout , au
contraire , commande la confiance . La seule chose qu'on pût
:
A a
370 MERCURE DE FRANCE ,
desirer , ce seroit un peu plus de correction et d'élégance
dans la traduction . On y voit : Je lui observai que , etc.; on y
yoit encore qu'on évitoit de parler au roi de la famine
de 1709 , pour qu'il n'en eût pas la mort de chagrin . Cette
tournure n'est nullement française , et l'on croiroit presque
que c'est une phrase allemande de Madame , que le traduc
teur a oublié de mettre en français .
Tout cela n'empêche pas que les Fragmens de Lettres
originales de Madame ne soient un des livres les plus
piquans et les plus singuliers qui aient paru sur le règne de
Louis XIV. Ils ont un rapport infini avec les Mémoires de
Saint- Simon . C'est la même connoissance des personnes et
des choses , la même manière de les envisager , produite par
les mêmes intérêts et les mêmes passions ; c'est ce même
mélange de partialité et de franchise , de rudesse et de grâce ,
d'invectives quelquefois grossières , et de traits les plus délicatement
louangeurs. Madame étoit la mère du Régent ,
comme St. -Simon en étoit le conseil et le censeur . Les amis , les
ennemis de l'un étoient aussi ceux de l'autre . Ils avoient une
horreur égale pour les mésalliances , étoient également intraitables
sur l'article des prérogatives de la naissance et du rang:
l'élévation de Mad . de Maintenon et des princes légitimés ,
étoit pour tous deux le sujet d'une égale indignation . Enfin
c'est le même esprit qui a dicté les Mémoires et les Lettres ; on
croiroit souvent que c'est la même plume qui les a tracés. Il
peut être curieux de voir comment Saint-Simon a peint cette
princesse qui lui ressembloit à tant d'égards . Le portrait qu'il
en a fait ne fera pas seulement connoître sa personne , il
donnera aussi une juste idée de son livre . « Madame , se-
» conde femme de Monsieur , étoit une princesse toute de
» l'ancien temps , attachée à l'honneur et à la verité , au
» rang , à la grandeur , inexorable sur les bienséances . Elle
>> ne manquoit pas d'esprit , et ce qu'elle voyoit , elle le
» voyoit très-bien . Bonne et fidelle amie, sûre , vraie , droite ,
» aisée à prévenir et à choquer , fort difficile à ramener ;
» grossière , dangereuse à faire des sottises publiques , fort
» allemande dans toutes ses moeurs , et franche ; ignorant
toute commodité et toute délicatesse pour soi et pour les
» autres ; sobre , sauvage , et ayant ses fantaisies .... Elle
» avoit une haine parfaite de M. du Maine , des bâtards et
» de leurs grandeurs ; et elle étoit blessée de ce que M. son
>> fils n'avoit point de vivacité là -dessus . Avec ces qualités ,
» elle avoit des foiblesses , des petitesses ; et elle étoit toujours
en garde qu'on ne lui manquât. »
»
Saint-Simon nous apprend encore qu'elle passoit sa vie
AOUT 1807. 371
à écrire à ses parens d'Allemagne , pour qui elle avoit
conservé une affection singulière et voilà , pour le dire en
passant , une raison de plus de croire à l'existence des originaux
de ses lettres , et , par suite , à l'authenticité des
fragmens. Mais cette preuve est tout-à- fait surérogatoire : il
n'en faut pas d'autre , il n'y en a pas de meilleure que la
teneur et le ton de ces fragmens eux-mêmes. Si quelque
chose pouvoit exciter le doute , que d'ailleurs tout tend à
écarter , ce seroit de voir Madame écrire , sous la date du
5 novembre 1715 : « Mad. de la Vallière a été maîtresse du
>> roi : c'étoit une excellente personne . Mad . de Maintenon
» a été gouvernante des enfans naturels du roi elle a
remplacé la Montespan ; mais elle a monté à un degré
» bien plus haut. » A quel prince d'Allemagne , si peu
instruit des événemens d'une cour sur laquelle l'Europe
entière avoit les yeux , falloit-il que Madame apprit des
choses alors aussi généralement et aussi anciennement
connues ?
>>
soit
Les fragmens sont distribués sous des titres particuliers ;
et ces titres ne sont autre chose que les noms de Louis XIV,
des membres de sa famille , de ses maîtresses , et de quelques
autres personnages qui ont joué un rôle important ,
sous son règne , soit pendant la minorité de son successeur ,
tels que Louvois , Law et l'abbé Dubois . Au moyen de
cette distribution à la fois simple et bonne , les divers objets
extraits des lettres de Madame se sont placés facilement dans
l'ouvrage ; et on les y retrouve de même. Un chapitre intitulé
Mélange comprend tout ce qui n'avoit pas directement
trait aux personnes qui font le sujet des autres chapitres .
De toutes celles qu'elle a peintes dans ses lettres , Madame
elle-même est la plus originale , la plus curieuse à observer .
J'ai déjà dit à quel point elle étoit entichée du préjugé de la
naissance elle donnoit de temps en temps des preuves
visibles de sa manie. Elle apprend que deux fulles de Strasbourg
, placées auprès de la nièce de Mad . de Maintenon ,
se donnoient pour des princesses palatines. Elle voit à la
promenade une de ces filles avec sa maîtresse , va droit à
elle , l'apostrophe plus que vivement ; et , après lui avoir
expliqué d'une façon énergique et fort humiliante comment
sa mère avoit fait des filles princesses , elle lui dit : Sí , à
l'avenir, tu as l'effronterie de te nommer princesse palatine ,
je te ferai couper les jupes. Je n'ose pas dire jusqu'où . Cé
qu'il y eut d'affreux , c'est que la pauvre fille en mourut,
peu de jours après , de saisissement et de douleur. Le roi ,
qui l'apprit , dit à Madame : « Il ne fait pas bon se jouer à
A a 2
372
MERCURE DE FRANCE ,
vous sur le chapitre de votre maison : la vie en dépend. Elle
appliqua un rude soufflet à son fils , à la première nouvelle
de son mariage avec une fille naturelle du roi ; et elle ne
put jamais lui pardonner cette alliance , qu'elle appéloit une
honteuse mésalliance . Elle détesta toute sa vie , dans l'abbé
Dubois , moins le corrupteur de son fils , que l'un des auteurs
de son mariage .
Sur tout le reste , elle étoit pleine de bonté et de sens .
Lorsque son fils fut devenu régent , elle ne voulut en rien
se mêler des affaires : « Ce royaume , dit-elle , n'a malheu-
» reusement été que trop dirigé par des femmes jeunes et
» vieilles de toute espèce ; il est temps enfin qu'on laisse
» agir les hommes .... En Angleterre , les femmes peuvent
» régner ; mais il faut que la France soit gouvernée par des
» hommes , si l'on veut que tout aille bien . » Son aversion
pour Mad . de Maintenon faisoit peut-être en ceci une partie
de sa raison . Au reste , elle pouvoit fonder son opinion sur
d'autres preuves ; car elle-même rapporte ailleurs que la
reine , mère de Louis XIV, fit un jour présent des cinq
grosses fermes à sa femme-de-chambre , et qu'elle fut tout
étonnée quand on lui eut appris que ces cinq grosses fermes ,
qu'elle prenoit apparemment pour des métairies , étoient
tout le revenu de l'Etat.
La meilleure , ou plutôt la seule manière de rendre
compte d'un livre entièrement composé d'anecdotes et de
traits détachés , est d'en citer quelques-uns des moins connus
et des plus piquans : c'est ce que je vais faire. En voici qui
concernent Louis- Armand , prince de Conti : « Il est presque
» toujours distrait , dit Madame ; et lorsqu'on y pense le
» moins , il tombe sur sa propre canne . On y étoit si accou-
» tumé du temps du feu roi , que , lorsqu'on entendoit
» tomber quelque chose , on disoit Ce n'est rien ; c'est le
prince qui tombe . » Ce prince , contrefait , mais spirituel ,
entendoit la plaisanterie à merveille . A un bal de l'Opéra ,
un masque , portant une bosse postiche , vint se mettre à
côté de lui : Masque , qui êtes - vous , dit le prince ?
suis le prince de Conti. Voilà comme on se trompe ; il y
a plus de vingt ans que je croyois l'être . Il avoit une femme
très- aimable , qui , suivant Madame , faisoit à la beauté le
tort de prouver que les agrémens et les graces li surpassent.
>>
- Je
A l'article de Law, ou trouve un trait assez singulier de
préoccupation du fameux médecin Chirac. Il avoit beaucoup
d'actions dans la banque du Mississipi . Il apprend dans
l'antichambre d'une malade que cette sorte d'effets baissoit
beaucoup. De là il va tâter le pouls de celle qui l'avo t fait
AOUT 1807 . 373
appeler , et il dit : Ah , bon Dieu ! cela diminue , diminue
diminue , baisse , baisse , baisse . La malade effrayée se met
à sonner de toutes ses forces , et à appeler ses gens , en
criant : Je me meurs ! M. Chirac dit que mon pouls diminue.
Eh ! vous rêvez , Madame , dit Chirac ; votre pouls est excellent
, et vous vous portez à merveille. Je parlois des
actions qui baissent : ce qui me fait perdre considérablement
d'argent.
L'établissement du Système est généralement regardé
comme le principe de cette corruption totale de moeurs et
de cette horrible dégradation des caractères , dont les effets ,
toujours croissans , ont fini par amener la dissolution de
P'Etat.
Le chapitre de Law offre une foule de traits qui montrent
à quel degré d'avilissement étoient tombés la nation entière ,
et principalement ceux qui prétendoient en être l'élite . Ce
n'étoit plus devant la grandeur qu'on se prosternoit , comme
du temps de Louis XIV ; c'étoit dev. nt l'or , la plus honteuse
des idoles . Le Régent cherchoit une duchesse pour
conduire une de ses filles à Gènes. Quelqu'un lui dit :
Monseigneur , si vous voulez avoir le choix , envoyez chez
madame Law , vous les y trouverez toutes assemblées . Une
femme de qualité se fit verser exprès pour parler à Law.
Elie disoit à son cocher : Verse donc , coquin , verse donc !
Le cocher versa , et Law qui étoit à portée , accourut pour
secourir la dame. Une autre , dont il fuyoit les poursuites
obstinées , alla se camper devant la porte d'une inaison où
il dinoit , et fit crier au feu par ses gens . Law , épouvanté
sortit , aperçut la dame et s'enfuit. Un jour qu'il
donnoit audience à plusieurs femmes , il voulut se retirer
un moment pour un besoin léger mais fort pressant. Comme
elles le retenoient , il fut obligé de leur en faire la confidence.
Ah ! si ce n'est que cela , dirent- elles , ce n'est rien ;
faites toujours et écoutez-nous.
Le volume des Mélanges historiques est précédé d'une
notice sur Madame , qui est un modèle achevé d'ineptie
et de mauvais style un véritable chef- d'oeuvre en son
genre. On n'en peut heureusement accuser aucun écrivain
de nos jours elle est tirée de l'une des nombreuses et
insipides compilations qui ont été faites depuis cinquante
ans en l'honneur des femmes célèbres ou illustres , et l'auteur
se uomine Maubuy ; mais c'est s'associer bien gratuitement
et bien ridiculement au déshonneur de l'avoir composée
, que de la réimprimer . L'éditeur , qui n'a pas craint
de l'employer , étoit presque digue de l'avoir faite .
M.
374 MERCURE DE FRANCE,
A VOYAGE ROUND THE WORLD , etc. Voyage
autour du Monde , entrepris dans le but de
répandre la pratique de la vaccination , par
ordre du gouvernement espagnol.
DIMANCHE dernier 7 septembre 1806 , le Dr. François-
Xaxier Balmis , chirurgien extraordinaire du roi , eut
P'honneur de baiser la main de S. M. à l'occasion de son
retour d'un voyage autour du monde , exécuté dans le but
uniqne de procurer à toutes les possessions de la couronne
d'Espagne , situées au -delà des mers , ainsi qu'à beaucoup
d'autres contrées , le bienfait inestimable de la vaccination .
S. M. a mis le plus vif intérêt à s'enquérir de toutes les
particularités de l'expédition , et elle a eu l'extrême satisfaction
d'apprendre que le résultat de ce voyage a dépassé
toutes les espérances conçues à l'époque où il fut entrepris .
On avoit confié la direction de l'expédition aux soins de
plusieurs membres de la Faculté , qui ont emmené avec eux
vingt-deux enfans qui n'avoient jamais eu la petite-vérole :
ces enfans étoient destinés à se transmettre l'un à l'autre le
vaccin , par inoculation successive , pendant la durée du
voyage. On fit voile de la Corogne , sous la direction du
Dr. Balmis , le 30 novembre 1803. Sa première station fut
aux Canaries , la seconde à Porto - Ricco , et la troisième aux
Caraques. En partant du port de la Guayra , l'expédition
fut divisée en deux parties : l'une se dirigea vers le continent
de l'Amérique méridionale , sous le commandement du
sous-directeur don François Salvani ; l'autre , commandée
par le Dr. Balmis , fit voile pour la Havane , et de là pour
PYucatan . Là , on se subdivisa encore le Prof. François
Pastor partit du port de Siral pour aller à celui de Villa
Hermosa , dans la province de Tobasca ; afin de propager
la vaccination dans le district de Ciudad Real de Chiapa , et
ensuite à Guatimala , en faisant un circuit de quatre cents
lieues par des chemins difficiles , et en y comprenant Oxaca .
Le reste de l'expédition , qui arriva sans accident à la Vera-
Cruz , traversa non- seulement la vice-royauté de la Nouvelle-
Espagne , mais aussi les provinces de l'intérieur , d'où elle
devoit retourner à Mexico , où le rendez-vous général avoit
été indiqué.
Ce précieux préservatif contre les ravages de la petitevérole
a déjà été répandu dans toute l'Amérique septentrioAOUT
1807 . 375
nale , jusques aux côtes de Sonara et Sinaloa , et même aux
Gentils et Néophytes de la Haute Pimerie. On a établi dans
chaque lieu principal un conseil , formé des autorités , et
des membres de la faculté les plus zélés , et on leur a confié
cet inestimable spécifique , comme un dépôt sacré , dont
ils étoient responsables à leur souverain , et à la postérité.
Ce premier travail étant terminé , le directeur a conduit
cette partie de l'expédition , d'Amérique en Asie , avec le
plus heureux succès . Après avoir eu à vaincre quelques difficultés
, il s'est embarqué à Acapulco pour les Philippines ,
la dernière des contrées qu'on s'étoit proposé , dans l'origine
, de visiter.
Ce grand et pieux dessein du roi ayant été favorisé par la
Providence , le Dr. Balmis fit ce second voyage en deux
mois et quelques jours , en emmenant avec lui , de la Nouvelle
Espagne , vingt-six enfans , destinés à être successivement
vaccinés , comme les précédens ; ces enfans furent
confiés aux soins de la directrice de l'hospice des Enfans-
Trouvés de la Corogne , dame qui , dans ce voyage , ainsi
que dans les précédens , s'est conduite de manière à mériter
toute l'approbation des supérieurs . L'expédition étant
arrivée aux Philippines , et ayant propagé le spécifique dans
les isles soumises à S. M. Catholique , Balmis concerta avec
le capitaine-général les moyens d'étendre la bénéficence du
roi et la gloire de son nom jusques aux derniers confins de
l'Asie.
La vaccine a été introduite dans tout le vaste archipel des
isles Visayes , dont les chefs , accoutumés à une guerre perpétuelle
avec nous , ont posé les armes en admirant la générosité
d'un ennemi qui leur apportoit les bienfaits de la santé
et de la vie , dans le temps même où une épidémie de
petite-vérole exerçoit au milieu d'eux ses ravages . Lorsque
le Dr. Balmis atteignit Macao et Canton , les principaux
individus des colonies portugaises et de l'empire de la Chine
ne se montrèrent pas moins reconnoissans en recevant du
virus vaccin frais et en pleine activité ; résultat que les Anglais
, après plusieurs efforts répétés , n'avoient pu obtenir ,
en essayant d'envoyer ce virus par les vaisseaux de la compagnie
des Indes . Il perdoit toujours son efficacité dans le long
trajet qu'exigeoit son transport par cette voie.
Après avoir propagé la vaccine à Canton , autant que les
circonstances le lui permirent , Balmis s'en reposant sur les
soins que mettroient les employés de la factorerie anglaise
à continuer ces bons offices , retourna à Macao et s'em376
MERCURE DE FRANCE ,
barqua dans un vaisseau Portugais pour Lisbonne , où il
arriva le 15 août. Il s'arrêta en passant à Sainte - Hélène ,
assez pour déterminer par ses exhortations et sa persévérance
, les habitans anglais de l'île , à recevoir un préservatif
qu'ils avoient repoussé pendant plus de huit ans , quoique
ce fût une découverte due à un individu de leur nation ,
et que le virus vaccin leur eût été précédemment envoyé
par le Dr. Jenner lui- même.
La partie de l'expédition qui étoit destinée pour le Pérou ,
fit naufrage dans l'une des embouchures de la rivière de la
Magdeleine ; mais ayant été secourue par les indigènes , par
les magistrats locaux et par le gouverneur de Carthagène , le
sous-directeur , les trois membres de la faculté qui l'accompagnoient
, et les enfans , furent sauvés , et la vaccination
S étendit dans ce port et dans la province , avec succès . De
là on la porta à l'isthme de Panama ; et des personnes
pourvues de tout ce qui étoit nécessaire , entreprirent la
longue et pénible navigation de la rivière de la Magdeleine ,
en se séparant , lorsqu'on atteignit l'intérieur , pour exécuter
leur commission dans les villes de Ténériffe , Mompox ,
Ocana , Socorro , San Gil y Medellin , dans la vallée de
Cucuta , et dans les villes de Pamplona , Giron , Tunja ,
Velez , et autres places voisines , jusqu'à ce qu'on se rencontra
à Santa-Fé . On laissa dans toutes les villes un peu
considérables , des instructions aux membres de la faculté
sur la manière de conserver ce virus , que le vice-roi affirme
avoir été communiqué à cinquante mille individus ,
sans qu'il y ait eu sur ce nombre , aucun accident défavorable
à cette pratique . Vers la fin de mars 1805 , ils se
préparèrent à continuer leur voyage , en se divisant , afin
de pouvoir s'étendre avec plus de facilité et de promptitude
dans tous les districts de la vice-royauté situés le long de
la route de Popayan , Cuença et Quito , jusques à Limą ,
Ils arrivèrent à Guyaquil au mois d'août suivant .
"
Le résultat de cette expédition n'a pas été seulement de
communiquer la vaccine à tous les peuples , amis ou ennemis
, qu'on a visités , chez les Maures , les Visayens , les
Chinois , mais d'assurer à la postérité dans les domaines
de S. M. la perpétuité de ce grand bienfait , tant au moyen
des comités centraux qu'on a établis partout , que par la
découverte que le docteur Balmis a faite d'un virus vaccin
udigène , dans les vaches de la vallée d'Atlixco près la
ville de Puebla de los Angeles ; dans le voisinage de celle
de Valladolid de Mechoacan , où l'adjudant Antonio GutAOUT
1807 . 377
țierez a trouvé ce même virus ; et dans le district de Calabozo ,
dans la province de Caraques , où don Carlos de Pozo , médecin
de la résidence , en a fait également la découverte.
Une multitude d'observations , qui seront publiées sans
délai , sur le développement de la vaccine selon les climats
et sur son efficacité , non -seulement comme préservatif
contre la petite -vérole , mais comme ayant la propriété de
guérir simultanément d'autres affections morbides , prouveront
quelles ont été les heureuses conséquences d'une
expédition unique dans l'histoire ,
Quoique l'entreprise n'eût pour objet direct que la communication
immédiate de la vaccine , l'instruction des gens
de l'art , et les mesures d'administration qui pouvoient
tendre à perpétuer ce bienfait , cependant le directeur n'a
perdu aucune occasion de rendre son voyage utile à l'agriculture
et aux sciences. Il a rapporté une collection considérable
de plantes exotiques , et les dessins de beaucoup
d'objets d'Histoire naturelle . Il a rassemblé beaucoup de
documens importans , et ce n'est pas un de ses moindres
droits à la reconnoissance de ses compatriotes , que d'avoir
rapporté une collection précieuse d'arbres et de plantes en
pleine vigueur , et en état de se reproduire , et qui , disséminées
sur les divers points de la péninsule , qui seront le
plus analogues à leur sol natal , rendront cette expédition
aussi mémorable dans les annales de l'agriculture , que
dans celles de la médecine et de l'humanité . On espère
que le sous-directeur et les aides , chargés de faire passer
au Pérou ces objets précieux , reviendront bientôt par la
voie de Buenos - Ayres , et qu'ils rapporteront aussi un
nombre considérable d'observations et d'objets utiles , recueillis
d'après les instructions du directeur, sans perdre de
yue la mission philantropique qu'ils ont reçue de S. M.
( Biblioth. Brit . )
VARIÉTÉS .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
-
La distribution des prix du concours général des lycées.
de Paris a eu lieu le 14 à midi , dans la salle olympique . M. le
conseiller d'état préfet du département de la Seine , et MM . lea
fuspecteurs-généraux des étude , présidoient à cette distribution .
378
MERCURE DE FRANCE ,
L'un des professeurs de belles -lettres du lycée Bonaparte
M. de Guerle , a prononcé le discours d'ouverture. Le sujet
de ce discours étoit l'Etude. L'orateur y a dépeint avec beaucoup
de talent , ses avantages , les plaisirs qu'elle procure , les
récompenses qui lui sont attachées. L'élève qui a remporté le
prix d'honneur est J. V. Leclere , de l'école secondaire de
M. Dabot , place de l'Estrapade , suivant les cours du lycée
Napoléon . Sur 202 nominations ,le lycée Napoléon en a obtenu
96 , dont 30 prix ; le lycée Impérial 65 , dont 20 prix ; le
lycée Charlemagne 36, dont 5 prix ; et le lycée Bonaparte
6, dont un prix.
-L'EMPEREUR a visité le 17 les travaux publics qui s'exécutent
dans presque tous les quartiers de Paris , notamment
ceux du Louvre, du Carrousel , du pont d'Austerlitz , de
la place Vendôme et du jardin des Capucines. Il s'est aussi
rendu sur le quai Desaix et sur l'emplacement de la Bastille
, où est ouvert un boulevard magnifique , et où doit venir
aboutir le canal de l'Ourcq. On dit aussi que c'est dans les
environs de cette place que doivent être construits les greniers
publics décrétés par S. M. En revenant du château des
Tuileries , l'EMPEREUR visita la grande place destinée à servir
de marché sur l'emplacement des anciens Jacobins. Il étoit
accompagné du roi de Westphalie et de deux chambellans.
Partout où il passa , il fut accueilli par des acclamations et
des applaudissemens unanimes. le 19 , sur les cinq heures du
matin , S. M. s'est également rendue au Palais - Royal , où
l'on croit qu'il est question d'ordonner quelques travaux.
--
- M. et Mad. Blanchard ont fait à Rotterdam , le 3 de
ce mois , une ascension tres-malheureuse. A peine leur ballon
avoit-il pris l'essor , que , poussé par un vent violent , il
alla se heurter et se briser contre les toits des bâtimens voisins.
M. Blanchard tomba sur le pavé et se blessa grièvement ; on
espère cependant qu'il en reviendra . Sa femme resta quelque
temps suspendue à un arbre , auquel elle eut la présence
d'esprit de s'accrocher ; mais saisie ensuite d'un évanouissement
, elle tomba , sans que sa chute qu'on prévoyoit et
qu'on trouva moyen d'adoucir , ait eu pour elle rien de dangereux.
-M. Gail , professeur de littérature grecque au Collége
de France , commence à mettre au jour la belle édition de
Thucydide ( 1 ) , qu'il préparoit depuis long-temps , et que
{
(1 ) Histoire Grecque de Thucydide , accompagnée de la version
latine , des variantes de treize manuscrits de la Bibliothèque Impériale , de
AOUT 1807. 379
l'on attendoit avec impatience. Le premier volume , qui
vient de paroître , contient un Mémoire sur Thucydide ,
dans lequel on voit que le savant traducteur d'Anacréon
de Théocrite , Bion , Moschus , etc. , sait , quand il le veut ,
tirer de son propre fonds , et même alors intéresser , et
qu'au lieu de traduire les historiens , il seroit digne de se
montrer historien lui -même. Nous reviendrons sur cet
important ouvrage , qui manquoit à l'instruction publique ,
et que M. Gail publiera complet sous deux ou trois mois .
Nous rendrons également compte de trois autres ouvrages
de M. Gail , fort utiles pour les jeunes hellénistes , la
nouvelle Grammaire Grecque , les Dialogues des Morts de
Lucien , et la Clef d'Homère . On trouvera , dans la Clef
d'Homère , des dissertations et des notes qui prouvent le
grammairien exact et l'homme de goût ; dans les Dialogues
des Morts , des notes d'une saine critique , qui rendent cette
dernière édition bien supérieure à celles qui l'ont précédée ;
et dans la Grammaire Grecque , une netteté qui justifie le
succès qu'elle a obtenu dans toutes les écoles . (2)
- (Nous donnerons dans notre prochain numéro le rapport
sur les travaux de la classe d'histoire et de littérature ancienne ,
fait par M. Ginguené , à l'assemblée générale de l'Institut ,
le lundi 7 juillet 1807. )
spécimens de ces manuscrits , de cartes géographiques et d'estampes ; et
précédé d'un Mémoire historique , littéraire et critique , par J. B. Gail ,
professeur de littérature grecque au College de France , de l'Académie
Royale des Sciences de Gottingue fer volume : Mémoire sur Thucydide ;
XIX volume de la Collection in- 8° . Prix : 4 fr.; 6 fr . pap. vélin . Idem ,
in 4° . Prix : 6 fr. , et 9 fr. pap. vélin .
A Paris , chez Gail neven, au Collège de France , place Cambray ; et
chez le Normant. En prenant le papier vélin , on s'engage pour le
Thucydide complet .
(2) Nouvelle Grammaire Grecque , à l'usage des lycées et autres écoles.
VIIIe vol. de la Collection in- 8° . Troisième édition , revue , corrigée et
augmentée. Prix des deux premières parties , 1 fr. 50 c . , reliées en parchemin.
Les trois parties réunies , 2 fr , reliées én parchemin.
Dialogues des Morts de Lucien , accompagnés de notes élémentaires
et grammaticales , des variantes des trois manuscrits de Lucien , et d'une
version latine . Nonvelle édition , divisée en deux parties . XVIII® volume
de la Collection in 12. Les deux parties , avec la traduction , a fr. 25 c. ,
reliées en parchemin . Les deux parties , sans la traduction , 1 fr. 80 c. ,
reliées en parchemin.
Clef d'Homère , précédéa de dissertations grammaticales , d'un tab'eau
des verbes primitifs , d'une lettre à M. Bat , et d'observations sur plusieurs
morceaux d'Homère. XVII volume de la Collection in- 12. Prix , in- 12 , 2 fr.
50 c. , relié en parchemin. In - 8° , 3 fr. 50 c. 1dem , pap . vélin , in-8° , 5 fr.
Ces trois ouvrages se vendent à Paris , chez Gail neveu , au Collège de
France , place Cambray ; et chez le Norinant.
376
MERCURE DE FRANCE ,
barqua dans un vaisseau Portugais pour Lisbonne , où il
arriva le 15 août. Il s'arrêta en passant à Sainte - Hélène ,
assez pour déterminer par ses exhortations et sa persévérance
, les habitans anglais de l'île , à recevoir un préservatif
qu'ils avoient repoussé pendant plus de huit ans , quoique
ce fût une découverte due à un individu de leur nation ,
et que le virus vaccin leur eût été précédemment envoyé
par le Dr. Jenner lui-même.
La partie de l'expédition qui étoit destinée pour le Pérou ,
fit naufrage dans l'une des embouchures de la rivière de la
Magdeleine ; mais ayant été secourue par les indigènes , par
les magistrats locaux et par le gouverneur de Carthagène , le
sous-directeur , les trois membres de la faculté qni l'accompagnoient
, et les enfans , furent sauvés , et la vaccination
s étendit dans ce port et dans la province , avec succès . De
là on la porta à l'isthme de Panama ; et des personnes
pourvues de tout ce qui étoit nécessaire , entreprirent la
Ingue et pénible navigation de la rivière de la Magdeleine ,
en se séparant , lorsqu'on atteignit l'intérieur , pour exécuter
leur commnission dans les villes de Ténériffe , Mompox ,
Ocana , Socorro , San Gil y Medellin , dans la vallée de
Cucuta , et dans les villes de Pamplona , Giron , Tunja ,
Velez , et autres places voisines , jusqu'à ce qu'on se rencontra
à Santa- Fé. On laissa dans toutes les villes un peu
considérables , des instructions aux membres de la faculté
sur la manière de conserver ce virus , que le vice- roi affirme
avoir été communiqué à cinquante mille individus ,
sans qu'il y ait eu sur ce nombre , aucun accident défavorable
à cette pratique. Vers la fin de mars 1805 , ils se
préparèrent à continuer leur voyage , en se divisant , afin
de pouvoir s'étendre avec plus de facilité et de promptitude
dans tous les districts de la vice-royauté situés le long de
la route de Popayan , Cuença et Quito , jusques à Lima ,
lls arrivèrent à Guyaquil au mois d'août suivant.
Le résultat de cette expédition n'a pas été seulement de
communiquer la vaccine à tous les peuples , amis ou ennemis
, qu'on a visités , chez les Maures , les Visayens , les
Chinois , mais d'assurer à la postérité dans les domaines
de S. M. la perpétuité de ce grand bienfait , tant au moyen
des comités centraux qu'on a établis partout , que par la
découverte que le docteur Balmis a faite d'un virus vaccin
udigène , dans les vaches de la vallée d'Atlixco près la
vide de Puebla de los Angeles ; dans le voisinage de celle
de Valladolid de Mechoacan , où l'adjudant Antonio Gut-
2
AOUT 1807 .
377
tierez a trouvé ce même virus ; et dans le district de Calabozo,
dans la province de Caraques , où don Carlos de Pozo , médecin
de la résidence , en a fait également la découverte.
Une multitude d'observations , qui seront publiées sans
délai , sur le développement de la vaccine selon les climats
et sur son efficacité , non - seulement comme préservatif
contre la petite-vérole , mais comme ayant la propriété de
guérir simultanément d'autres affections morbides , prouveront
quelles ont été les heureuses conséquences d'une
expédition unique dans l'histoire ,
Quoique l'entreprise n'eût pour objet direct que la communication
immédiate de la vaccine , l'instruction des gens
de l'art , et les mesures d'administration qui pouvoient
tendre à perpétuer ce bienfait , cependant le directeur n'a
perdu aucune occasion de rendre son voyage utile à l'agriculture
et aux sciences . Il a rapporté une collection consi →
dérable de plantes exotiques , et les dessins de beaucoup
d'objets d'Histoire naturelle . Il a rassemblé beaucoup de
documens importans , et ce n'est pas un de ses moindres
droits à la reconnoissance de ses compatriotes , que d'avoir
rapporté une collection précieuse d'arbres et de plantes en
pleine vigueur , et en état de se reproduire , et qui , disséminées
sur les divers points de la péninsule , qui seront le
plus analogues à leur sol natal , rendront cette expédition
aussi mémorable dans les annales de l'agriculture , que
dans celles de la médecine et de l'humanité . On espère
que le sous-directeur et les aides , chargés de faire passer
au Pérou ces objets précieux , reviendront bientôt par la
voie de Buenos - Ayres , et qu'ils rapporteront aussi un
nombre considérable d'observations et d'objets utiles , recueillis
d'après les instructions du directeur, sans perdre de
yue la mission philantropique qu'ils ont reçue de S. M、
(Biblioth. Brit . )
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
La distribution des prix du concours général des lycées
de Paris a eu lieu le 14 à midi , dans la salle olympique . M. le
conseiller d'état préfet du département de la Seine , et MM . les
uspecteurs-généraux des étude , présidoient à cette distribution,
378 MERCURE DE FRANCE ,
L'un des professeurs de belles - lettres du lycée Bonaparte ,
M. de Guerle , a prononcé le discours d'ouverture . Le sujet
de ce discours étoit l'Etude. L'orateur y a dépeint avec beaucoup
de talent , ses avantages , les plaisirs qu'elle procure , les
récompenses qui lui sont attachées. L'élève qui a remporté le
prix d'honneur est J. V. Leclere , de l'école secondaire de
M. Dabot , place de l'Estrapade , suivant les cours du lycée
Napoléon. Sur 202 nominations,le lycée Napoléon en a obtenu
96 , dont 30 prix ; le lycée Impérial 65 , dont 20 prix ; le
lycée Charlemagne 36 , dont 5 prix ; et le lycée Bonaparte
6, dont un prix.
—L'EMPEREUR a visité le 17 les travaux publics qui s'exécutent
dans presque tous les quartiers de Paris , notamment
ceux du Louvre, du Carrousel , du pont d'Austerlitz , de
la place Vendôme et du jardin des Capucines. Il s'est aussi
rendu sur le quai Desaix et sur l'emplacement de la Bastille
, où est ouvert un boulevard magnifique , et où doit venir
aboutir le canal de l'Ourcq. On dit aussi que c'est dans les
environs de cette place que doivent être construits les greniers
publics décrétés par S. M. En revenant du château des
Tuileries , l'EMPEREUR visita la grande place destinée à servir
de marché sur l'emplacement des anciens Jacobins. Il étoit
accompagné du roi de Westphalie et de deux chambellans.
Partout où il passa , il fut accueilli par des acclamations et
des applaudissemens unanimes. le 19 , sur les cinq heures du
matin , S. M. s'est également rendue au Palais- Royal , où
l'on croit qu'il est question d'ordonner quelques travaux .
-
M. et Mad. Blanchard ont fait à Rotterdam , le 3 de
ce mois , une ascension tres-malheureuse. Apeine leur ballon
avoit-il pris l'essor , que , poussé par un vent violent , il
alla se heurter et se briser contre les toits des bâtimens voisins.
M. Blanchard tomba sur le pavé et se blessa grièvement ; on
espère cependant qu'il en reviendra. Sa femme resta quelque
temps suspendue à un arbre , auquel elle eut la présence
d'esprit de s'accrocher ; mais saisie ensuite d'un évanouissement
, elle tomba , sans que sa chute qu'on prévoyoit et
qu'on trouva moyen d'adoucir , ait eu pour elle rien de dangereux
.
M. Gail , professeur de littérature grecque au Collége
de France , commence à mettre au jour la belle édition de
Thucydide ( 1 ) , qu'il préparoit depuis long- temps , et que
(1 ) Histoire Grecque de Thucydide , accompagnée de la version
latine , des variantes de treize manuscrits de la Bibliothèque Impériale , de
AOUT 1807 . 379
l'on attendoit avec impatience. Le premier volume , quï
vient de paroître , contient un Mémoire sur Thucydide ,
dans lequel on voit que le savant traducteur d'Anacréon ,
de Théocrite , Bion , Moschus , etc. , sait , quand il le veut ,
tirer de son propre fonds , et même alors intéresser , et
qu'au lieu de traduire les historiens , il seroit digne de se
montrer historien lui-même. Nous reviendrons sur cet
important ouvrage , qui manquoit à l'instruction publique ,
et que M. Gail publiera complet sous deux ou trois mois .
Nous rendrons également compte de trois autres ouvrages
de M. Gail , fort utiles pour les jeunes hellénistes , la
nouvelle Grammaire Grecque , les Dialogues des Morts de
Lucien , et la Clef d'Homère . On trouvera , dans la Clef
d'Homère , des dissertations et des notes qui prouvent le
grammairien exact et l'homme de goût ; dans les Dialogues
des Morts , des notes d'une saine critique , qui rendent cette
dernière édition bien supérieure à celles qui l'ont précédée ;
et dans la Grammaire Grecque , une netteté qui justifie le
succès qu'elle a obtenu dans toutes les écoles . (2)
- (Nous donnerons dans notre prochain numéro le rapport
sur les travaux de la classe d'histoire et de littérature ancienne ,
fait par M. Ginguené , à l'assemblée générale de l'Institut ,
le lundi 7 juillet 1807. )
spécimens de ces manuscrits , de cartes géographiques et d'estampes ; et
précédé d'un Mémoire historique , littéraire et critique , par J. B. Gail ,
professeur de littérature grecque au Collège de France , de l'Académie
Royale des Sciences de Gottingue fer volume : Mémoire sur Thucydide ;
XIXe volume de la Collection in- 8° . Prix : 4 fr.; 6 fr . pap . vélin . Idem ,
in 4° . Prix : 6 fr. , et 9 fr . pap . vélin .
A Paris , chez Gail neven , au College de France , place Cambray ; et
chez le Normat . En prenant le papier vélin , on s'engage pour le
Thucydide complet.
(2) Nouvelle Grammaire Grecque , à l'usage des lycées et autres écoles.
VIII vol. de la Collection in- 8 ° . Troisième édition , revue , corrigée et
augmentée. Prix des deux premières parties , 1 fr. 50 c . , reliées en parchemin.
Les trois parties réunies , 2 fr , reliées én parchemin .
Dialogues des Morts de Lucien , accompagnés de notes élémentaires
et grammaticales , des variantes des trois manuscrits de Lucien , et d'une
version latine. Nonvelle édition , divisée en deux parties. XVIII® volume
de la Collection in 12. Les deux parties , avec la traduction , a fr. 25 c. ,
reliées en parchemin . Les deux parties , sans la traduction , 1 fr. 80 c. ,
reliées en parchemin.
Clef d'Homère , précédéa de dissertations grammaticales , d'un tab'eau
des verbes primitifs , d'une lettre à M. Bat , et d'observations sur plusieurs
morceaux d'Homère . XVIIª volume de la Collection in- 12. Prix , in- 12 , 2 fr.
50 c. , relié en parchemin. In- 8° , 3 fr. 50 c. Idem , pap. vélin , in-8° , 5 fr.
Ces trois ouvrages se vendent à Paris , chez Gail neveu , au Collège de
France , place Cambray; et chez le Norinant.
380 MERCURE DE FRANCE ,
MODES du 20 août.
Aucune coiffure ne se fait à l'invisible maintenant : on ne veut que
de très - petits chapeaux , de petites capotes , de petites paysannes , de
petites toques. La node des rubans écossais n'est point encore passée ;
il vient d'en paroître à très-petites raies rose et blanc . Les pluines se
portent toujours rondes et follettes ; blanches , dans la grande parure;
et vertes , dans la moyenne.
On revient aux pélerines plissées . Les remplis rapprochés et réguliers
, imitant des raies d'etoffe , se font remarquer depuis quelques
jours au bas des robes blanches .
Les schalls à jour , nommés zéphirs , soie et laine , sont presque
tons de deux couleurs , vert tendre et blanc , lilas et blanc. Tout unis
on les porte blanc.
NOUVELLES POLITIQUES.
Copenhague , 9 août.
?
Tout est en armes chez nous. Le prince Royal est arrivé
dans notre ville ; l'île de Sélande et la ville de Copenhague
sont menacées .
Voici ce qui a été publié ici :
<< Il n'est que trop vrai , les menaces injustes et multipliées du
gouvernement anglais compromettent notre existence ; ils nous
offrent des secours contre des dangers imaginaires. Danois ,
vous êtes menacés de perdre votre indépendance ! Les Anglais
veulent occuper vos ports , vos chantiers , sous le prétexte
que les Français , dont nous n'avons point à nous plaindre ,
veulent s'en emparer. Non, vous ne recevrez point la loi qu'une
nation injuste veut vous imposer avec tant d'arrogance. Le
prince Royal arrivera demain. Si les Anglais poussent l'atrocité
jusqu'à attaquer nos rivages , ils trouveront dans chacun
de nos citoyens le même courage et le même dévouement
qu'en 1801. La France , la Russie , toute l'Europe marcheront
à votre secours, »>
Ce n'est point à ces écrits qui circulent dans le public que
le gouvernement s'est remis du soin de sa défense : les batteries
s'arment avec activité. ( Moniteur. )
-
PARIS , vendredi 21 août.
Par décret impérial du 14 août , MM. Faure et Albisson ,
membres du tribunat , sont nommés conseillers d'Etat , section
de législation . 1
-Par décret du même jour , M. Arnould , membre du
tribunat , est nommé membre de la commission de comptaAOUT
1807 .
381
་
bilité impériale , en remplacement de M. de Saucourt , décédé .
Par décret du même jour, S. M. a nommé M. Labrouste,
tribun , à la place d'administrateur de la caisse d'amortisse
ment , en remplacement de M. Duffaut , décédé.
Avant-hier soir , vers neuf heures , S. M. accompagnée
de l'Impératrice et du prince Jérôme , est descendue des appartemens
du château pour se promener , en calèche , dans le
jardin des Tuileries. Toutes les personnes qui jouissoient , en
ce moment , du plaisir de la promenade , se sont à l'instant
précipitées autour de la voiture de LL. MM. , et les ont
accompagnées depuis la terrasse du bord de l'eau jusque
dans l'allée des orangers , aux cris mille fois répétés de Vive
l'Empereur ! Vive Impératrice !
Par jugement du tribunal de police correctionnelle de
l'arrondissement de Lille , du 29 juin , le sieur Bianchi , mé lecin
, chargé de la visite des conscrits , a été condamné par
défaut à 1000 fr. d'amende , et à deux années d'emprisonnement,
pour avoir reçu des présens et gratifications , à
raison des fonctions qu'il a remplies près le conseil de recrutement.
Les nommés Bernard Dagos , Etienne Lartigue , et Bernard
Bruttis , de l'arrondissement de Mont- de- Marsan ( Landes ) ,
convaincus d'escroqueries en matière de conscription , ont été
condamnés , savoir , le premier à six mois d'emprisonnement
et à 200 fr . d'amende ; le second , à huit mois d'emprisonnement
et à 300 fr . d'amende , et le dernier à deux mois d'emprisonnement
et à 75 fr. d'amende.
I
Jean Vidal père , de la cominune d'Orbon , département
du Tarn , pour soustraire son fils à la conscription , avoit fait
usage d'une pièce fausse sachant qu'elle étoit fausse . Cette pièce
étoit l'acte de naissance du père , dans lequel il étoit dit qu'il
étoit né en 1734 , tandis qu'il étoit réellement né en 1744 ; son
but étoit d'être considéré comme âgé de plus de 7 ans , et de
jouir ainsi du bénéfice de l'article XVIII du décret du 8 fructidor
an 13. La cour de justice criminelle spéciale a , par arrêt
du 21 juillet , condamné cet individu à huit ans de fers , à la
Hétrissure avec fer rouge sur l'épaule gauche , à l'exposition
pendant six heures , à l'impression , a l'affiche de l'arrêt ,
au nombre de 400 exemplaires , et aux dépens .
Les nommés Bailly et Gorret , convaincus d'escroquerie en
matière de conscription , ont été condamnés par la cour de
justice criminelle du département de la Somme , à deux ans
d'emprisonnement , et 5000 fr. d'amende chacun , solidairement.
Le nommé Fréville , impliqué dans la même affaire , a
été condamné à deux mois seulement de prison , et à 200 fr.
d'amende. (Moniteur. )
384- MERCURE DE FRANCE ,
penses , et aussi pour empêcher le retour de tout titre féodal
incompatible avec nos constitutions .
>> Les comptes de mes ministres des finances et du trésor
public vous feront connoître l'état prospère de nos finances .
Mes peuples éprouveront une considérable décharge sur la
contribution foncière.
>> Mon ministre de l'intérieur vous fera connoître les travaux
qui ont été commencés ou finis ; mais ce qui reste à faire
est bienplus important encore ; car je veux que dans toutes ,
les parties de mon Empire , mêmedans le plus petit hameau ,
l'aisance des citoyens et la valeur des terres se trouvent augmentées
par l'effet du système général d'amélioration que j'al
conçu.
>> Messieurs les députés des départemens au corps législatif
, votre assistance me sera nécessaire pour arriver à ce
grand résultat, et j'ai le droit d'y compter constamment. >>>
Ce discours a excité le plus vif enthousiasme , et S. M. a
levé la séance aux cris réitérés de vive l'Empereur ! Les mêmes
acclamations se sont fait entendre dans les rues que le cortége
de S. M. a suivies .
Dans la séance d'aujourd'hui , le corps législatif a nommé
M. Fontanes candidat à la présidence ; les candidats des quatre
autres séries avoient été nommés à la fin de la dernière session.
On a fait un second scrutin secret pour la nomination de
quatre vice - présidens : ce scrutin n'ayant donné la majorité
àaucun membre , il en sera fait un autre demain.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT .
7
DU LUNDI 17.-C pour 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 86f 750 900 700 600
500 750 650 600 5ос босоос ooo ooi o fooс пос обе 000.
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 83f75c. 50c . оос оос
Act. de la Banque de Fr. 1280f 1282foc 000 f coo of ooc.
DU MARDI 18. - С р . о/о с. J. du 22 mars 1807 , 8of 30c 200 LOC 200
25c 3dc 400. 300 400 500 000. oof oos ooc coc ooc oof of ooc
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 83f. 75c 84f 53f Soc . ooc ос
Act. de la Banque de Fr. 1280f oooof oo oooof. ooc oooof
DU MERCREDI 19.- Cp . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 86f 600 750 800 goe
3
87f87f roc 200. ooc ooc oofo c . ooc of ooc . oof.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , 84f ooc. oof. oof ooc ooc оос
Act, dela Banque de Fr. 12871 500 1290 0000 0000 00001 coc
DU JEUDI 20.- C p . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 87f Soc SSF 8Sf 40c 306
88f 20c 30c 3 core ooc 000 000-000 сос о соос осс оос оос оос сос
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 85f 300 84f ooc coc doc oof ooc
Act. de la Banque de Fr. 129 f. oooof oo oooof. oooof
* DU VENDREDI 21. - C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807, 88f 350, 25c. 400
Зос 400 500 400 600 50c ooc oof ooc ooc oof ooc ooc ooc ooc of cos
Idem Jouiss . du 22 sept . 1807 , 85f- 50c ooc . oof coc coc
Act. de la Banque de Fr. oocof oooof coc qooof
১
43
(N°. CCCXIX. ) DE
(SAMEDI 29 AOUT 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
FRAGMENT
:
D'UN ESSAI POÉTIQUE SUR L'ÉCOLE FRANÇAISE.
SUBSTITUANT l'esprit au bon sens , au génie ,
Le clinquant des couleurs à leur sage harmonie ,
Coypel ( 1) , en s'éloignant de la simplicité ,
Crut que la bouffissure étoit la majesté.
Bientôt , à l'Opéra choisissant ses modèles ,
Il retraca partout et ses dieux et ses belles ;
Sur le jeu des acteurs composa ses tableaux ,
En héros de coulisse habilla ses héros .
Sous ses pinceaux menteurs , aussi bien qu'au théâtre ,
Leur front s'enlumina de carmin et de plâtre .
On vit Didon , Esther , Achille , Agamemnon ,
Costumés comme en scène et Couvreur et Baron,
Gesticuler , agir , marcher avec méthode .
Ce genre dépravé fut prôné par la mode :
Car trop souvent les arts , chez nous autres Français ,
A ce bizarre dieu doivent plus d'un succès ,
Et l'artiste du jour seul est l'artiste habile .
(1) Il s'agit ici d'Antoine Coypel. Son père , son frère et son fils ,
se sont tous fait un nom dans la peinture ; et tous sont tombés dans tes
vices que l'on reproche ici à Antoine.
5
SEL
386 MERCURE DE FRANCE ,
Evoquons des Enfers , pour un instant , Virgile :
Ne le voyez-vous point qui , d'un rire éternel ,
Accueille ces tableaux maniérés , où Coypel ,
D'après ses vers si purs , nous retrace d'Enée ,
Dans un style empoulé , la haute destinée ?
De retour chez Pluton , près du chantre d'Hector ,
Avec les peintres grecs il en plaisante encor.
Ainsi , toujours plus loin des formes les plus pures ,
Les beaux-arts s'égaroient dans les caricatures ;
L'élève , enchérissant sur ses prédécesseurs ,
Tomboit de vice en vice , et d'erreurs en erreurs .
Pour flatter le pouvoir , pour plaire à la richesse ,
Alors on vit des arts la servile souplesse ,
Méconnoissant leur but , blessant leur dignité ,
Oublier la décence , abjurer la beauté ;
Et , de l'éclat menteur d'une lumière impure ,
Obscurcir le bon goût , et voiler la nature .
Insensible aux grands traits des plus nobles vertus,
Unpeintre sans génie , esclave des Plutus ,
Dont il sut aduler les bizarres caprices ,
Avilit ses crayons en caressant leurs vices .
Bientôt il put compter des flots d'imitateurs :
Ainsi , le mauvais goût suit les mauvaises moeurs ;
Mais souvent on le voit à sa cause survivre .
L'honnête homme en tout temps put faire un méchant livre ;
Sans imiter Boucher ( 1) , mille peintres obscurs ,
De leurs chastes tableaux ont pu salir les murs .
Tel fut Restout ( 2) , Restout , dans ses moeurs si sévère ,
Que , peignant la déesse adorée à Cythère ,
(1) Boucher étoit né avec d'heureuses dispositions pour son art ; mais
en sacrifiant au mauvais goût de son siècle , il le corrompit encore , etmit
en quelque sorte son immortalité en viager. Une chose remarquable , c'est
que ce même Boucher avoit été le premier maître de notre célèbre David.
(2) Restout auroit été peut-être aussi un habile homme s'il fût venu
plutôt ou plus tard . C'étoit d'ailleurs un homme plein d'honneur et de
religion , dont il poussoit même les pratiques si loin , qu'il ne se permettoit
jamais d'étudier le nu d'après les femmes . Un jour , un nommé Deschamps ,
modèle vigoureux et musclé , fut demandé par un artiste. Deschamps
répondit qu'il ne pouvoit aller chez lui , parce qu'à l'heure même il
devoit poser une Vénus chez M. Restout.
Cinq beautés parfaites avoient été nécessaires à Zeuxis pour peindre son
Hélène. Il suffisoit à M. Restout d'observer un homme taillé en Hercule
pour imaginer şes Vénus ,
AOUT 1807 . 387
Il en étudioit le contour délicat
Sur les membres musclés d'un vigoureux soldat :
Ainsi sa froide Muse , aux excès condamnée ,
N'osoit peindre Vénus , de peur d'être damnée .
Toujours l'erreur première entraîne une autre erreur .
A peine du faux goût la perfide lueur
Eut corrompu de l'art les règles éternelles ,
L'art en tout s'éloigna des routes naturelles :
L'antique et Raphaël blessèrent tous les yeux ,
Et Lemoine ( 1 ) et Boucher furent au rang des dieux.
Ces rois du mauvais goût , à leur triste manière
Asservirent long-temps l'école tout entière .
Il fallut , au caprice immolant la raison ,
Faire pyramider la composition ,
La resserrer en grappe , ou l'étendre en nuage;
Faire entr'eux contraster le corps et le visage ,
Lajambe avec le bras , la face avec le dos ;
Le jour ne put frapper qu'au centre des tableaux .
Dût-on dans l'ombre voir la figure première ;
N'importe , on l'éclaira d'une vive lumière .
Le dirai-je ? Des os , des muscles confondus
Les contours vagabonds ne se distinguoient plus ;
Traçant d'après nature un trait imaginaire ,
Chaque élève , d'un maître arborant la bannière ,
Soumis aveuglément à son aveugle appui ,
Ne voyoit , consultoit , et n'imitoit que lui.
Tels on vit de Boucher les disciples maussades
Inonder les boudoirs de leurs peintures fades ;
Tels on vit les Natoire , et cent autres encor ,
Comprimer du talent le primitif essor .
L'art n'offrit au public , de leurs erreurs complice ,
Que des traits toujours faux , qu'un ton toujours factice ;
On eut honte d'avoir admiré dans Poussin
Un ton mâle , un grand style , un sévère dessin .
La mode alors créa ces teintes satinées ,
Et de rose et de gris toujours enluminées ;
Pour établir les plans , les distinguer entr'eux ,
Un complaisant brouillard les recula des yeux.
Onméconnut les lois et du jour et de l'ombre ;
Nul objet ne parut ni lumineux ni sombre ;
Nul choix , nulle élégance , et nul discernement.
( 1 ) Lemoine, élève de Galloche , eut pour disciples Boucher et Natoire ,
qui tous deux ont propagé sa manière vicieuse.
Bba
1 .
388 MERCURE DE FRANCE ,
Le désordre dès-lors s'appela mouvement ;
La manière usurpa l'empire de la grace ;
Au jeu des passions succéda la grimace ;
Du pâtre et du héros l'on confondit les traits ,
Et l'on peignit Hector d'après un porte-faix .
Changée en déité , la lourde paysanne
Fut masquée en Vénus , travestie en Diane ;
Et d'un pied déformé par d'ignobles souliers ,
L'on fit marcher le dieu qui porte les lauriers !
Tel fut le précipice où tomba la peinture :
La même époque vit s'éclipser la sculpture ;
Sous François appelée à des destins brillans ,
Depuis elle suivit le mauvais goût des temps.
Dédaignant de marcher dans des bornes prescrites ,
Le sculpteur de son art transgressa les limites ,
Soudain prit un essor plus fou qu'ambitieux ;
Mais alors il tomba sans descendre des cieux .
Il prétendit du peintre imiter les images ;
Fit des brouillards en marbre , en bronze des nuages ;
Sculpta les pleurs , le vent , la flamme , le satin ;
Fit marcher un squelette un sable dans la main ,
Plus ferme sur ses pieds qu'une figure en vie ,
Et prit l'excès du faux pour l'effort du génie ; ( 1 )
Trouva l'antique froid , dur , compassé , mesquin ;
Ne vit dans l'Apollon qu'un triste mannequin ;
Et des abus de l'art épuisant la mesure ,
Sut encore enlaidir la plus laide nature.
Vous restiez oubliés , énergique Pilon !
Toi chaleureux Pujet , toi sublime Gougeon !
Cependant , en secret , de l'art en décadence ,
Julien et Pajon rêvoient la renaissance :
L'un sectateur du vrai , l'autre de l'idéal ,
Par des chemins divers eurent succès égal.
Mais Vien , le premier , d'une volonté ferme ,
S'opposant au désordre , en sut prévoir le terme.
Il sut , de ces erreurs débrouillant le chaos ,
Etayer ses succès par des succès nouveaux ,
Indiquer à l'étude une sûre pratique ;
Vers Poussin , Raphaël , la nature et l'antique ,
( 1 ) On peut voir au Musée des Monumens français , dans la salle oir
sont recucillis divers morceaux de sculpture du dix - huitième siècle ,
jusqu'où les statuaires de cette époque ont poussé l'oubli des principes de
leur art.
AOUT 1807 .
389
Ramener cet essaim d'élèves égarés ,
Leur montrer des chemins trop long-temps ignorés ;
Et du dieu des beaux-arts enfin rouvrant le temple ,
Y donner à la fois le précepte et l'exemple.
On vit dans ses tableaux le dessin conservé ,
Le coloris plus vrai , l'effet mieux observé ;
Il sut distribuer et l'ombre et la lumière ,
Distinguer chaque objet par son vrai caractère ,
Et , toujours s'exerçant sur de nobles objets ,
Faire un choix délicat des plus heureux sujets.
On n'a point oublié que son crayon habile
Jadis nous fit gémir sur ce rival d'Achille
Pleuré par son vieux père au pied de ses remparts.
J'aime à te voir tracer , patriarche des arts ,
D'une main ferme encore , et plus qu'octogénaire , ( 1 )
Les folâtres amours sur le sein de leur mère :
Nouvel Anacréon , malgré l'effort des ans ,
J'aime à te voir , le front paré de cheveux blancs ,
Dans le brillant déclin de ton illustre vie ,
Ranimer ta vieillesse à force de génie .
A. L. GIRODET , D. R. , Peintre d'Histoire.
Nota. C'est par erreur que l'on a attribué à M. Le Brun , de l'Académie
Française , l'ode intitulée la Colère d'Apollon , insérée dans le
dernier numéro du Mercure de France ; elle est de M. P. Le Brun .
ENIGME.
MoN sort est bien bizarre , il le faut avouer :
On ne veut me souffrir en place.
Celui qui ne m'a pas veut cependant m'avoir ;
Et dès qu'il m'aperçoit , aussitôt il m'efface .
Les héros paroîtroient moins bien ornés sans moi ,
Etant à l'air guerrier annexe ;
$
Mais quoiqu'aux ennemis j'aide à causer l'effroi ,
Je ne fais pas peur au beau sexe.
Par un Abonné.
( 1 ) Ces vers furent faits , il y a quelques années , lorsque M. Vien
s'occupoît , âgé de près de 90 ans , à tracer des compositions dignes du
génie et des crayons de l'Albane .
3
3go MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE
EN naissant , de la nature
J'ai reçu maint trait vengenr ,
Qui , par sanglante blessure ,
Repousse le ravisseur :
Sous ma défense une reine
Semble sans cesse avertir
Qu'il faut passer par la peine
Pour arriver au plaisir.
Si tu prends la patience ,
Lecteur , de me désunir ,
A tes yeux quelle abondance
Ne vais -je pas découvrir !
Trois de mes pieds à la France
Donnent de quoi la nourrir ;
En quatre l'on trouve ensemble
Tout ce qui sert à vêtir.
Crois- moi , bornant ton desir
A ces biens que je rassemble ,
Songe à me fuir ; sur- tout tremble
De connoître , de sentir
Ce
que mon corps va t'offrir ,
Et qui mérite ta haine :
Un mal physique et moral ,
Qui , par un destin fatal ,
Afflige la race humaine .
CHARADE.
DANS les bois fort souvent on entend mon premier ;
Près d'Emma rarement on reste mon dernier ,
A la vue des attraits que contient mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Jour.
Celui du Logogriphe est Chien , où l'on trouve niche , Chine .
Celui de la Charade est Plat-eau .
1
AOUT 1807 . 391
DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE.
Il étoit plus aisé de recueillir tous les livres , que de les
:
épurer et de les apprécier. Les grandes bibliothèques sont
devenues une partie du luxe des riches et de la magnificence
des rois. Le savant pauvre , dont elles sont l'habitation , n'y
jouit que des droits de l'hospitalité ; il n'y possède que ce
qu'il s'approprie par sa mémoire : heureux encore que l'orgueil
de le servir soit entré dans la vanité d'étaler des
richesses dont lui seul fait usage ! Cette fameuse bibliothèque
d'Alexandrie , brûlée par un conquérant barbare ,
causa les regrets de l'univers celle que nos rois ont formée
pour la nation , l'un des glorieux monumens de la monarchie
, réunit ce qu'il y a de plus rare à ce qu'il y a de plus
commun ; c'est le trésor de l'esprit humain dans toute son
abondance et dans toute sa surabondance . En entrant dans
ce temple de toutes les études , l'homme , qui sait se frapper
des grands objets , admire l'héritage des siècles , qui se sont
joints par leurs travaux la communication des peuples par
l'imprimerie ; il ne conçoit plus de bornes à l'avidité de son
instruction. Mais bientôt une terreur secrète , une sombre
langueur , un triste désespoir , s'emparent de son ame . Il
se mesure avec ces murailles de science , et il reste accablé
sous l'énorme disproportion de ses voeux et de ses facultés .
Il songe à tout ce qui s'écrit , s'imprime dans tant de nations
lettrées ; et il conçoit que , pour contenir dans un siècle
toutes les pensées des hommes , il ne faudra plus un palais
des rois , mais presqu'une ville entière. Ah! quel soulagement
, quel ravissement il éprouveroit , si on lui disoit :
Sortez enfin de cet immense dépôt , que vos regards ne
peuvent embrasser , et où vos pensées se confondent ! Ce
n'est plus que l'amas informe de toutes les productions
accumulées par les âges ; on peut encore y puiser des secours
et des lumières. Mais voici le sanctuaire des vraies connoissances
; voici le choix de ce qu'il faut lire ; c'est ici qu'on
s'instruit et qu'on jouit : vous avez été épouvanté du grand
nombre des livres ; vous allez être étonné du petit nombre
des bons .
Un grand danger nous menace , et je m'étonne qu'il n'ait
4
382 MERCURE DE FRANCE ,
་
SENAT CONSERVATEUR .
Message de Sa Majesté Impériale et Royale au Sénat.
Sé nateurs ,
Conformément à l'article LVII de l'acte des constitutions
de l'Empire , en date du 28 floréal an 12 , nous avons nommé
membres du sénat :
MM . Klein , général de division ; Beaumont , général de
division ; et Béguinot , général de division .
Nous desirons que l'armée voie dans ces choix l'intention
où nous sommes de distinguer constamment ses services .
MM. Fabre ( de l'Aude ) président du tribunat , et Curée ,
membre du tribunat.
Nous desirons que les membres du tribunat trouvent dans
ces nominations un témoignage de notre satisfaction pour la
manière dont ils ont concouru , avec notre conseil d'Etat , à
établir les grandes bases de la législation civile .
M. l'archevêque de Turin.
Nous saisissons avec plaisir cette occasion de témoigner
notre satisfaction au clergé de notre Empire , et particulièrement
à celui de nos départemens au-delà des Alpes.
M. Dupont , maire de Paris.
Notre bonne ville de Paris verra dans le choix d'un de ses
maires , le desir que nous avons de lui donner constamment
des preuves de notre affection .
CORPS LÉGISLATIF.
Session de l'an 1807.
L'ouverture du corps législatif s'est faite dimanche 16 avec
le plus grand éclat. A cinq heures l'EMPEREUR est sorti du
château des Tuilleries , et c'est rendu au palais du corps
législatif dans l'ordre indiqué par le cérémonial. Après s'être
reposé pendant environ vingt minutes dans les appartemens
du président , S. M. , précédée de la députation des membres
du corps législatif qui étoit allée la recevoir aux portes
extérieures du palais , est entrée dans la salle des séances , aux
acclamations des spectateurs qui remplissoient les tribunes .
S. M. a prononcé le discours suivant :
« Messieurs les députés des départemens du corps législatif;
messieurs les tribuns et les membres de mon conseil d'Etat ,
» Depuis votre dernière session , de nouvelles guerres , de
nouveaux triomphes , de nouveaux traités de paix ont changé
la face de l'Europe politique.
» Si la maison de Brandebourg qui , la première , se conjura
contre notre indépendance , règne encore , elle le doit à
la sincère amitié que m'a inspirée le puissant Empereur du
Nord.
AOUT 1807 .
383
» Un prince français régnera sur l'Elbe : il saura concilier
les intérêts de ses nouveaux sujets avec ses premiers et ses plus
sacrés devoirs.
» La maison de Saxe a recouvré , après 50 ans , l'indépendance
qu'elle avoit perdue.
» Les peuples du duché de Varsovie , de la ville de
Dantzick , ont recouvré leur patrie et leurs droits.
(
>> Toutes les nations se réjouissent d'un commun accord ,
de voir l'influence malfaisante que l'Angleterre exerçoit sur le
continent , détruite sans retour.
» La France est unie aux peuples d'Allemagne par les
lois de la Confédération du Rhin , à ceux des Espagnes , de la
Hollande , de la Suisse et des Italies par les lois de notre système
fédératif. Nos nouveaux rapports avec la Russie sont
cimentés par l'estime réciproque de ces deux grandes nations.
Dans tout ce que j'ai fait , j ai eu uniquement en vue lè
bonheur de mes peuples , plus cher à mes yeux que ma propre
gloire.
"
» Je desire la paix maritime. Aucun ressentiment n'influera
jamais sur mes déterminations : je n'en saurois avoir contre
une nation , jouet et victime des partis qui la déchirent , et
trompée sur la situation de ses affaires , comme sur celle de ses
voisins.
» Mais quelle que soit l'issue que les décrets de la Providence
aient assignée à la guerre maritime , mes peuples me
trouveront toujours le même , et je trouverai toujours mes
peuples dignes de moi.
» Français , votre conduite dans ces derniers temps où
Votre EMPEREUR étoit éloigné de plus de 500 lieues , a augmenté
mon estime et l'opinion que j'avois conçue de votre
caractère. Je me suis senti fier d'être le premier parmi vous.
-
Si , pendant ces dix mois d'absence et de périls , j'ai été
présent à votre pensée , les marques d'amour que vous m'avez
données , ont excité constamment mes plus vives émotions.
Toutes mes sollicitudes , tout ce qui pouvoit avoir rapport
même à la conservation de ma personne , ne me touchoient
que par l'intérêt que vous y portiez et par l'importance
elles pouvoient être pour vos futures destinées . Vous êtes un
bon et grand peuple.
dont
» J'ai médité différentes dispositions pour simplifier et
perfectionner nos institutions.
>> La nation a éprouvé les plus heureux effets de l'établissement
de la Légion -d'Honneur. J'ai créé différens titres impériaux
pour donner un nouvel éclat aux principaux de mes
sujets, pour honorer d'éclatans services par d'éclatantes récom384
: MERCURE
DE
FRANCE
,
penses , et aussi pour empêcher le retour de tout titre féodal
incompatible avec nos constitutions .
» Les comptes de mes ministres des finances et du trésor
public vous feront connoître l'état prospère de nos finances .
Mes peuples éprouveront une considerable décharge sur la
contribution foncière.
.
» Mon ministre de l'intérieur vous fera connoître les travaux
qui ont été commencés ou finis ; mais ce qui reste à faire
est bien plus important encore ; car je veux que dans toutes
les parties de mon Empire , même dans le plus petit hameau
l'aisance des citoyens et la valeur des terres se trouvent augmentées
par l'effet du système général d'amélioration que j'ai
conçu .
» Messieurs les députés des départemens au corps légis→
latif , votre assistance me sera nécessaire pour arriver à ce
grand résultat , et j'ai le droit d'y compter constamment. »
Ce discours a excité le plus vif enthousiasme , et S. M. a
levé la séance aux cris réitérés de vive l'Empereur ! Les mêmes
acclamations se sont fait entendre dans les rues que le cortége
de S. M. a suivies.
Dans la séance d'aujourd'hui , le corps législatif a nommé
M. Fontanes candidat à la présidence ; les candidats des quatre
autres séries avoient été nommés à la fin de la dernière session.
On a fait un second scrutin secret pour la nomination de
quatre vice - présidens : ce scrutin n'ayant donné la majorité
à aucun membre , il en sera fait un autre demain .
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
DU LUNDI 17. -C pour o/o c . J. du 22 mars 1807 , 86f 75c 90c 70€ 60 €
50c 75c 650 600 50c boc noc ooc ooi of . ooc noc odc ooc.
Idem . Jouiss . du 22 sept . 1807 , 83f 75c . 5oc . ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. 1285f 1282foc 000 f 000 f ooc.
DU MARDI 18 .. C p. oo c . J. du 22 . 200
25c 30c 40c. 3oc 40c 5oc ouc . oof oo ooc coc ooc oof oof ooc
22 mars,1807 , 8f 3oc
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 83f. 75c 84f 53f Soc. ooc occ
Act. de la Banque de Fr. 128of oooof ooc oooof. ooc odʊof
- IOC 200
DU MERCREDI 19.- C p . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 86f 6ọc 75c Soc gos
87f87f rec 20c . ooc ooc oofo.c. ooc of ooc . oof.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , S4f ovc . oof. oof ooc ooc ooc
Act, de la Banque de Fr. 128; f 50c 1290f 0000f 0000f0000 ! ooc
DU JEUDI 20.- Cp. 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 87f Soc SSf 8Sf 4oc 30c
88f 20c 30c 3c orc ooc ooc ooc ooc ouc o c ooc occ ooc voc ooc coe
Idem . Jouiss. du 22 sept . 1807 , 85f 3oc 84f ooc ooc doc oof ooc
Act. de la Banque de Fr. 129 f. oooof ooc oooof: 0000f
DU VENDREDI 21. C p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 88f 35c ,
25c .400
3oc 40c 50c 40c 6oc 5oc ooc oof ooc ooc oof ooc ooc ooc ooc of cos
Idem Jouiss. du 22 sept. 1807 , 85f- 50c ooc . oof ooC VOC
Act. de la Banque de Fr. oocof oooof ooc quoof
( No. CCCXIX . )
DEST
( SAMEDI 29 AOUT 1807. )
ས་ ་ ་ , !
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
л
FRAGMENT
D'UN ESSAI POÉTIQUE SUR L'ÉCOLE FRANÇAISE .
que
SUBSTITUANT l'esprit au bon sens , au génie ,
Le clinquant des couleurs à leur sage harmonie ,
Coypel ( 1 ) , en s'éloignant de la simplicité ,
Crut lá bouffissure étoit la majesté.
Bientôt , à l'Opéra choisissant ses modèles ,
Il retraça partout et ses dieux et ses belles ;
Sur le jeu des acteurs composa ses tableaux ,
En héros de coulisse habilla ses héros .
Sous ses pinceaux menteurs , aussi bien qu'au théâtre ,
Leur front s'enlumina de carmin et de plâtre .
On vit Didon , Esther , Achille , Agamemnon ,
Costumés comme en scène et Couvreur et Baron,
Gesticuler , agir , marcher avec méthode .
Ce genre dépravé fut prôné par la mode : -
Car trop souvent les arts , chez nous autres Français ,
A ce bizarre dieu doivent plus d'un succès ,
Et l'artiste du jour seul est l'artiste habile.
( 1 ) Il s'agit içi d'Antoine Coypel . Son père , son frère et son fils ,
se sont tous fait un nom dans la peinture ; et tous sont tombés dans les
vices que l'on reproche ici à Antoine.
Bb
SEI.
386 MERCURE DE FRANCE ,
Evoquons des Enfers , pour un instant , Virgile !
Ne le voyez-vous point qui , d'un rire éternel ,
Accueille ces tableaux maniérés , où Coypel ,
D'après ses vers si purs , nous retrace d'Enée ,
Dans un style empoulé , la haute destinée ?
De retour chez Pluton , près du chantre d'Hector ,
Avec les peintres grecs il en plaisante encor.
Ainsi , toujours plus loin des formes les plus pures ,
Les beaux- arts s'égaroient dans les caricatures ;
L'élève , enchérissant sur ses prédécesseurs ,
Tomboit de vice en vice , et d'erreurs en erreurs .
Pour flatter le pouvoir , pour plaire à la richesse ,
Alors on vit des arts la servile souplesse ,
Méconnoissant leur but , blessant leur dignité ,
Oublier la décence , abjurer la beauté ;
Et , de l'éclat menteur d'une lumière impure ,
Obscurcir le bon goût , et voiler la nature.
Insensible aux grands traits des plus nobles vertus,
Un peintre sans génie , esclave des Plutus ,
Dont il sut aduler les bizarres caprices ,
Avilit ses crayons en caressant leurs vices .
Bientôt il put compter des flots d'imitateurs :
Ainsi , le mauvais goût suit les mauvaises moeurs ;
Mais souvent on le voit à sa cause survivre .
L'honnête homme en tout temps put faire un méchant livre ;
Sans imiter Boucher ( 1 ) , mille peintres obscurs ,
De leurs chastes tableaux ont pu salir les murs .
Tel fut Restout (2) , Restout , dans ses moeurs si sévère ,
Que , peignant la déesse adorée à Cythère ,
( 1 ) Boucher étoit né avec d'heureuses dispositions pour son art ; mais
en sacrifiant au mauvais goût de son siècle , il le corrompit encore , et mit
en quelque sorte son immortalité en viager. Une chose remarquable , c'est
que ce même Boucher avoit été le premier maître de notre célèbre David .
(2) Restout auroit été peut-être aussi un habile homme s'il fût venu
plutôt ou plus tard . C'étoit d'ailleurs un homme plein d'honneur et de
religion , dont il poussoit même les pratiques si loin , qu'il ne se permettoit
jamais d'étudier le nu d'après les femmes. Un jour , un nommé Deschamps ,
modèle vigoureux et musclé , fut demandé par un artiste . Deschamps
répondit qu'il ne pouvoit aller chez lui , parce qu'à l'heure même il
devoit poser une Vénus chez M. Restout .
Cinq beautés parfaites avoient été nécessaires à Zeuxis pour peindre son
Hélène . Il suffisoit à M. Restout d'observer un homme taillé en Hercule
pour imaginer ses Vénus ,
AOUT 1807 . 387
Il en étudioit le contour délicat
Sur les membres musclés d'un vigoureux soldat :
Ainsi sa froide Muse , aux excès condamnée ,
N'osoit peindre Vénus , de peur d'être damnée.
Toujours l'erreur première entraîne une autre erreur.
A peine du faux goût la perfide lueur
Eut corrompu de l'art les règles éternelles ,
L'art en tout s'éloigna des routes naturelles :
L'antique et Raphaël blessèrent tous les yeux ;
Et Lemoine ( 1 ) et Boucher furent au rang des dieux.
Ces rois du mauvais goût , à leur triste manière
Asservirent long -temps l'école tout entière.
Il fallut , au caprice immolant la raison ,
Faire pyramider la composition ,
La resserrer en grappe , ou l'étendre en nuage ;
Faire entr'eux contraster le corps et le visage ,
La jambe avec le bras , la face avec le dos ;
Le jour ne put frapper qu'au centre des tableaux.
Dût-on dans l'ombre voir la figure première ;
N'importe , on l'éclaira d'une vive lumière .
Le dirai-je ? Des os , des muscles confondus
Les contours vagabonds ne se distinguoient plus ;
Traçant d'après nature un trait imaginaire ,
Chaque élève , d'un maître arborant la bannière,
Soumis aveuglément à son aveugle appui ,
Ne voyoit , consultoit , et n'imitoit que lui.
Tels on vit de Boucher les disciples maussades
Inonder les boudoirs de leurs peintures fades ;
Tels on vit les Natoire , et cent autres encor ,
Comprimer du talent le primitif essor .
L'art n'offrit au public , de leurs erreurs complice ,
Que des traits toujours faux , qu'un ton toujours factice ;
On eut honte d'avoir admiré dans Poussin
Un ton mâle , un grand style , un sévère dessin .
La mode alors créa ces teintes satinées ,
Et de rose et de gris toujours enluminées ;
Pour établir les plans , les distinguer entr'eux ,
Un complaisant brouillard les recula des yeux .
On méconnut les lois et du jour et de l'ombre ;
Nul objet ne parut ni lumineux ni sombre ;
Nul choix , nulle élégance , et nul discernement.
( 1 ) Lemoine, élève de Galloche , eut pour disciples Boucher et Natoire ,
qui tous deux ont propagé sa manière vicieuse .
Bb 2
388 MERCURE DE FRANCE ,
Le désordre dès-lors s'appela mouvement ;
La manière usurpa l'empire de la grace ;
Au jeu des passions succéda la grimace ;
Du pâtre et du héros l'on confondit les traits ,
Et l'on peignit Hector d'après un porte-faix.
Changée en déité , la lourde paysanne
Fut masquée en Vénus , travestie en Diane ;
Et d'un pied déformé par d'ignobles souliers ,
L'on fit marcher le dieu qui porte les lauriers !
Tel fut le précipice où tomba la peinture :
La même époque vit s'éclipser la sculpture ;
Sous François appelée à des destins brillans ,
Depuis elle suivit le mauvais goût des temps.
Dédaignant de marcher dans des bornes prescrites ,
Le sculpteur de son art transgressa les limites ,
Soudain prit un essor plus fou qu'ambitieux ;
Mais alors il tomba sans descendre des cieux .
Il prétendit du peintre imiter les images ;
Fit des brouillards en marbre , en bronze des nuages ;
Sculpta les pleurs , le vent , la flamme , le satin ;
Fit marcher un squelette un sable dans la main ,
Plus ferme sur ses pieds qu'une figure en vie ,
Et prit l'excès du faux pour l'effort du génie ; ( 1)
Trouva l'antique froid , dur , compassé , mesquin ;
Ne vit dans l'Apollon qu'un triste mannequin ;
Et des abus de l'art épuisant la mesure
Sut encore enlaidir la plus laide nature.
Vous restiez oubliés , énergique Pilon !
Toi chaleureux Pujet , toi sublime Gougeon !
Cependant , en secret, de l'art en décadence ,
Julien et Pajon rêvoient la renaissance :
L'un sectateur du vrai , l'autre de l'idéal ,
Par des chemins divers eurent succès égal.
7.
Mais Vien , le premier, d'une volonté ferme ,
S'opposant au désordre , en sut prévoir le terme .
Il sút , de ces erreurs débrouillant le chaos ,
Etayer ses succès par des succès nouveaux ,
Indiquer à l'étude une sûre pratique ;
Vers Poussin , Raphaël , la nature et l'antique ,
(1) On peut voir au Musée des Monumens français , dans la salle où
sont recueillis divers morceaux de sculpture du dix - huitième siècle ,
jusqu'où les statuaires de cette époque ont poussé l'oubli des principes de
leur art.
AOUT 1807 . 389
Ramener cet essaim d'élèves égarés ,
Leur montrer des chemins trop long-temps ignorés ;
Et du dieu des beaux- arts enfin rouvrant le temple ,
Ydonner à la fois le précepte et l'exemple .
On vit dans ses tableaux le dessin conservé ,
Le coloris plus vrai , l'effet mieux observé ;
Il sut distribuer et l'ombre et la lumière ,
Distinguer chaque objet par son vrai caractère ,
Et , toujours s'exerçant sur de nobles objets ,
Faire un choix délicat des plus heureux sujets.
On n'a point oublié que son crayon habile
Jadis nous fit gémir sur ce rival d'Achille
Pleuré par son vieux père au pied de ses remparts.
J'aime à te voir tracer , patriarche des arts ,
D'une main ferme encore , et plus qu'octogénaire , (1 )
Les folâtres amours sur le sein de leur mère :
Nouvel Anacréon , malgré l'effort des ans ,
J'aime à te voir , le front paré de cheveux blancs ,
Dans le brillant déclin de ton illustre vie ,
Ranimer ta vieillesse à force de génie.
A. L. GIRODET , D. R. , Peintre d'Histoire .
Nota. C'est par erreur que l'on a attribué à M. Le Brun , de l'Académie
Française , l'ode intitulée la Colère d'Apollon , insérée dans le
dernier numéro du Mercure de France; elle est de M. P. Le Brun .
ENIGME.
MON sort est bien bizarre , il le faut avouer:
On ne veut me souffrir en place.
Celui qui ne m'a pas veut cependant m'avoir ;
Et dès qu'il m'aperçoit , aussitôt il m'efface .
Les héros paroîftroient moins bien ornés sans moi,
Etant à l'air guerrier annexe ;
Mais quoiqu'aux ennemis j'aide à causer l'effroi ,
Je ne fais pas peur au beau sexe .
f
Par un Abonné.
(1 ) Ces vers furent faits , il y a quelques années , lorsque M. Vien
s'occupoit , âgé de près de go ans , à tracer des compositions dignes du
génie et des crayons de l'Albane .
3
3go
MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE
EN naissant , de la nature
J'ai maint trait vengenr ,
reçu
Qui , par sanglante blessure ,
Repousse le ravisseur :
Sous ma défense une reine
Semble sans cesse avertir
Qu'il faut passer par la peine
Pour arriver au plaisir.
Si tu prends la patience ,
Lecteur, de me désunir,
A tes yeux quelle abondance
Ne vais -je pas découvrir !
Trois de mes pieds à la France
Donnent de quoi la nourrir ;
En quatre l'on trouve ensemble
Tout ce qui sert à vêtir.
Crois- moi , bornant ton desir
A ces biens que je rassemble ,
Songe à me fuir ; sur- tout tremble
De connoître , de sentir
Ce que mon corps va t'offrir ,
Et qui mérite ta haine :
Un mal physique et moral ,
Qui , par un destin fatal ,
Afflige la race humaine.
CHARADE.
DANS les bois fort souvent on entend mon premier ;
Près d'Emma rarement on reste mon dernier ,
A la vue des attraits que contient mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Jour.
Celui du Logogriphe est Chien , où l'on trouve niche , Chine,
Celui de la Charade est Plat-eau.
AOUT 1807. 391
DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE.
Il étoit plus aisé de recueillir tous les livres , que de les
:
épurer et de les apprécier. Les grandes bibliothèques sont
devenues une partie du luxe des riches et de la magnificence
des rois. Le savant pauvre , dont elles sont l'habitation , n'y
jouit que des droits de l'hospitalité ; il n'y possède que ce
qu'il s'approprie par sa mémoire : heureux encore que l'orgueil
de le servir soit entré dans la vanité d'étaler des
richesses dont lui seul fait usage ! Cette fameuse bibliothèque
d'Alexandrie , brûlée par un conquérant barbare ,
causa les regrets de l'univers celle que nos rois ont formée
pour la nation , l'un des glorieux monumens de la monarchie
, réunit ce qu'il y a de plus rare à ce qu'il y a de plus
commun ; c'est le trésor de l'esprit humain dans toute son
abondance et dans toute sa surabondance . En entrant dans
ce temple de toutes les études , l'homme , qui sait se frapper
des grands objets , admire l'héritage des siècles , qui se sont
joints par leurs travaux la communication des peuples par
l'imprimerie ; il ne conçoit plus de bornes à l'avidité de son
instruction. Mais bientôt une terreur secrète , une sombre
langueur , un triste désespoir , s'emparent de son ame. Il
se mesure avec ces murailles de science , et il reste accablé
sous l'énorme disproportion de ses voeux et de ses facultés .
Il songe à tout ce qui s'écrit , s'imprime dans tant de nations
lettrées ; et il conçoit que , pour contenir dans un siècle
toutes les pensées des hommes , il ne faudra plus un palais
des rois , mais presqu'une ville entière . Ah! quel soulagement
, quel ravissement il éprouveroit , si on lui disoit :
Sortez enfin de cet immense dépôt , que vos regards ne
peuvent embrasser , et où vos pensées se confondent ! Ce
n'est plus que l'amas informe de toutes les productions
accumulées par les âges ; on peut encore y puiser des secours
et des lumières. Mais voici le sanctuaire des vraies connoissances
; voici le choix de ce qu'il faut lire ; c'est ici qu'on
s'instruit et qu'on jouit : vous avez été épouvanté du grand
nombre des livres ; vous allez être étonné du petit nombre
des bons.
Un grand danger nous menace , et je m'étonne qu'il n'ait
4
392
MERCURE DE FRANCE ,
encore été ni présenté ni senti : je crains pour l'avenir le
dégoût et le découragement où tomberont tous les esprits
à la vue de tant de volumes , dans lesquels se disperse incessamment
la science humaine .
Ce seroit jusque sous cet aspect d'une habile réduction
des livres , propres à chaque science , que je pourrois considérer
l'emploi de la critique . Je confie cette pensée à des
esprits plus capables de la féconder et de la faire prévaloir,
Je me borne à une application plus restreinte , et à rechercher
la meilleure direction de la critique , relativement aux
Quvrages littéraires ,
Deux choses cultivent l'esprit d'une nation , et , en concourant
ensemble , doublent leurs effets ; c'est le génie qui
produit , et la réflexion qui observe. Souvent une nation
possède déjà des chefs -d'oeuvre , qu'elle n'est pas encore
capable de les sentir , de les admirer ; mais c'est un don
qu'elle peut acquérir , que les hommes habiles peuvent lui
communiquer. Le génie lui-même est souvent prêt à s'égarer
: souvent il manque de vues et de règles pour atteindre
à la perfection , dont il a les moyens ; et c'est encore un
art que la méditation des excellens esprits peut lui donner ,
sur-tout si elle porte sur les ouvrages où le génie s'alimente ,
et qui lui servent de modèles .
Si on n'a pas encore senti tous les avantages de la critique
littéraire , c'est qu'elle n'a pas encore été exercée sur un
plan digne de son but , ni par des hommes faits pour développer
tous ses services .
C'est elle qui ramène sans cesse à la vérité dans les idées ,
à la fidélité dans les tableaux ; fait régner dans tout la proportion
et l'accord ; reproduit la nature , étend la raison ,
perfectionne le goût ; met dans tout leur éclat les beautés ;
pénètre jusques aux causes des défauts ; abat incessamment
les fausses règles ; établit des principes plus sûrs ; avertit le
talent de toutes ses forces , de toutes ses ressources , par les
tourmens utiles qu'elle lui donne ; répand dans toute la
masse d'une nation des idées saines , des affections délicates ,
et peut enfin composer son caractère de l'aversion de tout
ce qui est faux et vil , de l'enthousiasme de tout ce qui est
noble et grand .
Mais , pour produire des fruits si heureux , il ne faut pas
qu'elle puisse être exercée par l'envie et la médiocrité. Elle
n'est pas du génie , quoiqu'elle puisse souvent en montrer ;
mais elle ne peut se former et se développer que par ces
impressions et ces réflexions , qui caractérisent le talent ,
AOUT 1807 . 393
Elle a besoin aussi des plus nobles motifs , tels qu'un amour
irrésistible du vrai , la gloire de récompenser ou de venger
le mérite , l'ambition de rendre un témoignage qui devance
ou prépare le jugement de la postérité .
Il m'a toujours paru que l'institution des journaux avoit
été une aberration , plutôt que la juste direction dans la
critique littéraire . Trop de petits intérêts séduisent ou préviennent
pour ou contre les ouvrages récens ; toujours
quelque desir secret d'exalter ou de rabaisser au -delà des
beautés ou des défauts. C'est par-là que les travaux de la
littérature sont devenus la ressource d'hommes souvent sans
instruction , sans esprit , quelquefois sans honneur , qui ,
ne pouvant rien produire de tolérable , s'érigent en juges de
tout ; à qui la méchanceté sert de génie , et la détraction de
métier. Si vous voulez connoître tout le prix de la vraie
critique , lisez le petit nombre de morceaux de ce genre ,
qui sont échappés à nos bons écrivains ; considérons surtout
les nobles et importans services qui lui étoient réservés ,
si elle eût été portée dans la plus ancienne de nos institutions
littéraires .
Supposons qu'à cette époque de la renaissance du goût et
d'un nouveau développement de l'esprit humain , ce Richelieu
, qui paroît avoir conçu la grande idée de faire
régner un jour la langue de son pays dans toute l'Europe ,
en lui donnant une sorte de législation ; supposons que
Richelieu , dans les lois qu'il imposoit à la réunion des
hommes célèbres de son temps , leur eût dit : « Je ne vous
» établis
seulement pour
pas
honorer en vous ces dons de
» la nature qui vous distinguent , pour vous procurer ce
» repos , cette indépendance , ces hommages publics , né-
» cessaires à l'exercice des talens ; je vous destine à une
» haute utilité , à une belle gloire . Tandis que notre langue
» se perfectionnera , en revêtant vos pensées , fixez- en les
règles ; expliquez son génie dans son vocabulaire. Mais
» ce travail ne suffiroit encore ni à vos talens ni à mes
» vues ; je vous en réserve , je vous en impose un autre ,
» si vaste , si élevé , qu'il exige le concours de tous les esprits
» éminens . Veillez , réguez sur toutes les productions que
» votre langue a reçues ; je les confie à votre examen , et
>> les mets sous votre garde . Remontez jusque dans la bar-
» barie de notre littérature ; que rien ne vous échappe dans
» tout ce qui a été écrit ; séparez le bon du mauvais ; dans
» le mauvais même , recherchez le bon ; conservez tout ce
» qui est précieux et utile ; jugez les ouvrages , les talens ,
»
394
MERCURE DE FRANCE ,
» les siècles ; créez la critique , qui donne au génie toute sa
gloire , et détruit la funeste autorité de ses défauts . »
»
» Tant que les objets demeurent au milieu des passions
qu'ils excitent , ils ne peuvent être bien appréciés ; tant
que le choc des premières opinions subsiste , l'esprit
» humain ne sait pas se fixer dans un jugement sain et
» durable : vous ne vous jugerez pas les uns et les autres ;
» mais , dans un demi - siècle , vos successeurs feront sur
» vous ce que vous aurez fait sur vos devanciers . Ecrivez
» dans la vigilante inquiétude d'un tribunal équitable et
» sévère ; jugez vos pères comme vous desirez que vos
» descendans vous jugent.
» Ainsi se formera la glorieuse collection de nos richesses
>> littéraires ; elles gagneront par le choix ce qu'elles per-
» dront par le nombre. Les bons écrivains vous devront
» d'être mieux goûtés ; les autres , de ne pas mourir tout
» entiers ; la nation , de savoir ce qu'elle possède ; et dans
» tout ce qu'elle doit estimer , ce qui est fait pour un culte
>> assidu . Telles seront vos fonctions et vos titres à la recon-
>> noissance universelle des peuples éclairés . »
Figurons-nous ce projet rempli , ce plan exécuté : quelle
dignité il eût donné à notre littérature ; quels plus grands
progrès encore il lui eût préparés !
De la hauteur de cette vue, parcourons les deux champs
ouverts à la critique .
Cicéron , Quintilien et Longin avoient heureusement commencé
ce genre de littérature , qui , bien traité , guide
étend , féconde tous les autres : il s'est particulièrement
enrichi dans le dernier siècle .
Vauvenargues , un des beaux talens de la grande époque
où il fut placé , avoit porté dans la critique par quelques
morceaux , cet esprit juste et élevé , ce sentiment profond de
tout ce qui est beau et bon parmi les hommes , ce trait toujours
aussi pur qu'original de son style .
Voltaire n'a rien de plus précieux dans ses volumes de
prose , que ses discussions littéraires , dont son commentaire
sur Corneille est le plus célèbre .
Thomas , dans son Essai sur les Eloges , est peut-être celui
qui a porté le plus loin l'appréciation des talens , dont l'examen
est entré dans le cadre de son ouvrage .
Marmontel , dans ses Elémens de Littérature , en creusant
dans les principes de l'art d'écrire , a toujours reconnu qu'il
n'y avoit de théorie utile , que la théorie appliquée ; et il a
AOUT 1807 . 395
toujours appuyé la sienne de l'analyse de quelques-uns de
nos chefs-d'oeuvre.
La Harpe a mieux saisi encore l'enseignement littéraire ,
en le plaçant tout entier dans l'étude des beautés et des
défauts des grands écrivains . Il avoit bien médité et sur- tout
bien senti le mérite de quelques-uns ; et il l'a développé d'une
manière supérieure : c'est par lui sur-tout que les théâtres
de Racine et de Voltaire seront enfin bien connus , mêmede
ceux qui les savoient par coeur.
La critique se mêle à tout. L'histoire , quand elle s'arrête
au tableau des sciences et des arts , trouve, dans son exposition
, les ouvrages et les noms, qui ont illustré les différens
âges. La poésie et l'éloquence recherchent avec la
même affection , ces nobles objets et savent les marquer de
ces traits vifs et profonds , qui restent dans la mémoire .
Elle est le fond de plusieurs genres , où nous avons
maintenant des chefs - d'oeuvre. Qu'est-ce qu'un éloge de
Fénélon , de La Fontaine , de Fontenelle ? Un discours
critique animé du sentiment d'une sorte d'apothéose , et
orné de la pompe d'une cérémonie publique. Les éloges
historiques qui se prononcent dans les autres académies ,
nos discours de réception à nous-mêmes , ne sont devenus
des ouvrages que depuis qu'ils approfondissent davantage
les titres de gloire d'un savant , d'un grand écrivain. Que
sont ces belles - lettres , où des hommes pleins d'ame et
d'esprit épanchent ce qu'ils viennent d'éprouver à la lecture
d'un beau livre ? Tout cela entre dans le domaine de la
critique , autant que les jugemens de Cicéron sur les orateurs
de son temps , autant que les leçons de La Harpe au Lycée ,
autant que les articles que de véritables gens de lettres ont
quelquefois fournis à nos journaux.
Mais qui n'aperçoit qu'il manque encore à la critique littéraire
d'être embrassée dans toute l'étendue de ses objets
et de ses services , et d'être portée à sa place ? Elle devoit
être la destination spéciale des académies , à qui il appartient
si bien de prononcer des jugemens raisonnés sur toutes les
productions des lettres .
C'est par- là que nous recevrions les nouvelles éditions
des ouvrages immortalisés avec une instruction qui nous en
rendroit la lecture plus agréable et plus fructueuse.
C'est par-là que ces corps acquerroient , par leurs propres
travaux, un fonds de richesses qui suffiroit à la récompense
de ces travaux même ; car tous les anciens ouvrages devien
droient , à ce prix , leur propriété,
396 MERCURE DE FRANCE ;
C'est par-là que tous les gens de lettres , versés dans l'art
de penser et d'écrire , acquerroient utilement une occupation
facile et honorable , pour tous les momens où ils ne
produisent point , par leur propre génie.
C'est par-là qu'ils se formeroient entr'eux à un talent qui
leur a souvent manqué , faute d'exercice , celui de la discussion
improvisée; qu'ils concourroient àlle perfectionner
pour tous les genres de discussions , où il est si précieux.
Un jugement, formé d'impressions débattues , dans un
corps mélangé d'esprits divers , en étendant les vues qui
enrichissent l'art , atteindroit toutes les parties , tous les
caractères de l'ouvrage ; apprendroit non seulement à
saisir tout ce qu'il a debeauet d'utile , mais encore à voir
au-delà.
Un tel corps n'est pas fait pour s'occuper des productions
insipides ou ridicules ; il les laisseroit dans leur oubli , ne
s'attacheroit qu'à celles que l'estime publique lui indiqueroit
ou qu'il croiroit lui devoir indiquer. La critique , objet
aujourd'hui de tant de frayeurs , deviendroit celui de toutes
les émulations : ce qui fixeroit son rang parmi les travaux
de l'esprit , et commenceroit sa gloire .
Il n'y a pas de comparaison pour l'importance , ladignité
et l'utilité entre la critique littéraire sur les ouvrages anciens ,
et celle qui ne s'attache qu'aux ouvrages du temps.
Je suis loin pourtant de vouloir proscrire celle-ci : au
contraire , je voudrois lui assurer tout son mérite , en la
mettant aussi sous la direction des corps littéraires.
Il pourra bien y avoir , dans ces corps , des préjugés sur
le genre de l'ouvrage , sur la manière de l'auteur ; des préventions
contre ses idées , des inimitiés contre sa personne :
mais ils s'atténueront ici plus qu'ailleurs ; ils se modéreront
par un principe de décence , par un devoir de justice , par
le respect de sa propre dignité ,dont un corps , qui prononce
sous les regards du public , ne pourroit s'écarter que pour
yrevenir bientôt par sa disposition naturelle.
Ily a ici à pourvoir à quelques inconvéniens.
D'abord , admettons que ces jugemens sur des ouvrages
du temps ne peuvent avoir ni une complète impartialité ni
cettematurité qui ne peut naître que d'une longue épreuve ,
d'une lente observation. Disons donc qu'il y aura toujours
lieu de les modifier , de les révoquer même.
Et ceci doit encore s'appliquer aux discussions sur les ouvrages
des âges antérieurs .
Ensuite , gardons - nous d'habituer le public à ne plus
AOUT 1807 . 397
sentir, à ne plus juger par lui-même; ses impressions bien
observées , bien démêlées doivent entrer pour beaucoup dans
les jugemens des hommes de l'art. Laissons-lui donc le
temps de les éprouver , de les produire. Il conviendroit que
les discussions de l'Académie ne vinssent qu'à une certaine
distance du temps où les ouvrages auroient paru .
Enfin il faut déterminer , par le nom , le caractère de ces
divers emplois de la critique . On ne juge bien qu'avec l'expérience
des siècles : j'appellerois jugement l'examen d'un
ouvrage ancien; je n'appellerois qu'observations celui d'un
ouvrage récent.
Lapassion du cardinal de Richelieu contre le Cid lui inspira
d'en demander la critique à l'Académie française. Une
sorte de ressentiment contre ce vil motif décria cet emploi
des corps littéraires , dont l'essai même avoit été honorable :
c'est peut-être là ce qui fit tomber la proposition de l'auteur
du Télémaque , qui vouloit ramener l'Académie à ce genre
de travail , comme à sa vraie destination .
Il est vrai que la proposition même ne présentoit qu'un
voeu stérile , sans un plan d'exécution. Mais ce plan , on
l'auroit trouvé , on l'eût fait adopter au gouvernement , si
on eût assez voulu la chose même.
Soit que cette proposition , que je renouvelle , et sur laquelle
je suis prêt à offrir un système d'organisation , doive
être un jour adoptée , soit que le talent de la critique ne
doive jamais s'exercer que par des travaux séparés , il a des
principes qu'on peut fixer ; et ses travaux se rallient aussi à
une théorie.
Les morceaux de critique sontde petits ouvrages qui ont
une place dans les études et les plaisirs de l'homme de goût ,
quand ils ont rempli leur objet , et qu'ils sont bien faits en
eux-mêmes .
Quelquefois , ce sont de courtes notices , et propres à ces
journaux , qui ne peuvent accorder que quelques pages . Il
y faut quelque chose de plus piquant dans les idées et les
formes , et des tournures plus familières : c'est la manière
dont les gens du monde aiment qu'on leur parle de tout ; il
convient d'imiter leur légèreté même , pour les frapper de
ce qui a droit à leur attention .
D'autres fois , dans un cadre plus étendu , on a à parcourir
tout ensemble l'objet du livre , le fond du livre ,
le genre auquel il appartient ; les circonstances qui l'ont fait,
naître ou accompagné ; les effets qu'il a produits , ou qu'il
étoit propre à produire; la nature de ses beautés et de ses
défauts.
398 MERCURE DE FRANCE,
Si vous vous arrêtez sur l'objet de l'ouvrage , pour rem
plir une juste attente , vous devez offrir un corps de pensées
neuves et justes , écrites avec noblesse et élégance. Vous
luttez à la fois avec le sujet et avec l'ouvrage ; montrez-vous
à la hauteur de l'un et de l'autre .
Lorsque vous arrivez au fond du sujet, faites reconnoître
dans une analyse raisonnée la méditation de ses richesses ,
de ses difficultés , la connoissance des principes , des ressources
de l'art qui lui sont applicables. Tâchez d'être
l'homme qui peut rendre une justice entière , et répandre
lui-même de nouvelles lumières .
}
Le genrede l'ouvrage est susceptible aussi de beaucoup de
considérations . Les règles qu'on y a posées sont-elles celles
de la bonne marche de la vérité , de la belle nature , de la
raison éternelle ? Les modèles qu'on y a établis le sont-ils
en tout ? N'ont-ils pas déjà tout épuisé dans la manière
qu'ils ont instituée ? Le nouvel écrivain a-t-il bien ou mal
fait de s'en rapprocher ou de s'en éloigner ? Telles sont
quelques-unes des questions qui appartiennent à votre
écrit.
Il y a souvent une importance historique ou un intérêt
philosophique dans les circonstances environnantes d'un
ouvrage. Observez bien si elles ont ces caractères , et , alors ,
ne dédaignez pas de les présenter ; consignez -les dans un
écrit destiné à faire penser l'observateur des événemens et
des hommes , à conserver des faits précieux pour la tradition
des arts .
C'est encore sous les mêmes aspects que vous devez considérer
et retracer les effets du livre ; mais ici , d'autres vues
doivent aussi vous diriger. Le livre obtient-il un succès
disproportionné à son mérite ? S'il n'en résulte aucune
injustice pour personne , taisez -vous là-dessus . Où seroit
l'utilité de prévenir un retour tout naturel , quí va bientôt
s'opérer ? Mais si on n'affecte d'élever trop haut cet ouvrage ,
cet écrivain , que pour faire expier à d'autres la haute
estime qu'ils avoient obtenue , gardez-vous sans doute de
rendre détraction pour détraction ; accordez à l'écrivain nouveau
son légitime prix ; et , ensuite , réclamez pour la gloire
que l'on veut rabaisser. Si l'indifférence du public pour le
sujet , si une prévention contre le genre, contre l'auteur , ou
les efforts coupables de quelque cabale se manifestent ; ou
bien encore , si l'obscurité de l'auteur , ou l'absence de ces
causes qui aident une belle production à obtenir l'éclat qui
lui appartient , concourent à la faire méconnoître , alors
AOUT 1807 . 399
armez-vous de tout le zèle d'un noble ministère ; devenez
cet ami qui console d'une injustice publique , par la pureté
et la gravité de son témoignage , et ce défenseur intrépide
du mérite , qui prépare son triomphe. Il n'y a pas , dans la
profession des lettres , un plus bel emploi du talent et un
plus beau succès à rechercher.
Un homme ami des talens penchera toujours plus vers
l'indulgence que vers la sévérité , sur-tout à l'égard des
ouvrages contemporains ; il ne critiquera jamais avec toute
sa sagacité , qu'où il a pu louer avec admiration. Mais il se
doit à lui-même , et encore plus au public , de ne louer
que ce qui a réellement du mérite ; un éloge de mauvaise
foi , ou d'une fade complaisance , compromettroit son goût
sans servir à l'ouvrage.
Un article , pour être bien fait , n'a pas besoin de parcourir
toutes ces divisions ; souvent une partie doit prédominer
, et un certain tact l'indique à la fois à l'auteur et au
lecteur. Mais , lorsqu'il les embrasse , il doit les combiner
de manière qu'elles aient de la proportion et de l'accord ;
qu'elles fassent un tout harmonieux ; et ce n'est pas là ce
qu'il y ade moins difficile dans ces compositions .
Le vrai moyen de s'y élever au talent et à l'art qu'elles
exigent , c'est de ne pas les voir comme une tâche dont on
s'est chargé , mais comme des morceaux , où l'on veut attacher
une partie de sa réputation. Il est bon , en les écrivant
, de ne pas les destiner à la seule impression du
moment, de les porter par sa pensée , à l'époque où on ne
lit plus que ce qui est resté supérieur ; où l'on rougiroit
soi-même d'offrir au public des choses au-dessous de soi ;
et c'est pour cela qu'il est utile d'adopter , pendant quelque
temps , ce genre de travail . Alors , on s'en fait une étude ;
on veut s'en faire un mérite ; et on peut parvenir à y
trouver un honorable emploi de son temps .
Mais ce qui donnera sur-tout du prix à ces produc--
tions , ce sera le caractère qui s'y fera reconnoître . Etes-vous
un esprit d'école , qui n'admet rien que ce qui est dans la
manière qu'il a adoptée ? Vous n'inspirerez rien de grand
et d'heureux ; car on reconnoîtra aisément que vous voulez
renfermer les arts dans vos propres bornes . Etes-vous un
homme de parti , qui se prostitue à des louanges , à des critiques
de commande ? On repoussera votre jugement, lors
même que vous auriez échappé à cette affection. Etes-vous
un de ces hommes à paradoxe , pour qui la simple vérité a
perdu ses attraits naturels , ou unde ces esprits envieux et
400 MERCURE DE FRANCE ,
chagrins , qui ne consentent à encenser les morts que pour
leur sacrifier les vivans ? En vain vous vous porterez pour
un censeur original qui voit ce que les autres ne savent pas
saisir , ou pour le défenseur du goût : vos passions pourront
bien donner à quelques-unes de vos pages je ne sais quoi
d'âpre et de mordant , qui pourra les faire citer tant qu'elles
caresseront une malignité toujours trop commune ; mais
vous ne serez jamais de ces critiques qu'on estime , parce
qu'ils éclairent ; qu'on aime, parce qu'on se retrouve et
qu'on se plaît dans leur manière de voir et dé sentir .
L'empire de la critique , comme tout autre , doit être
fondé sur la confiance publique. Qu'elle ne se montre donc
jamais sans ses qualités propres : la sincérité des intentions ,
l'amour du vrai , le goût du beau , et ce besoin des belles
ames de répandre avec abandon tous les plaisirs qu'elles ont
goûtés elles -mêmes dans les productions de l'esprit.
LACRETELLE aine.
Génie du Christianisme , ou Beautés de la Religion Chrétienne
; par François-Auguste de Châteaubriand . Edition
abrégée , à l'usage de la jeunesse. Deux vol. in - 12 . Prix :
5 fr . , et 6 fr. 50 c. par la poste . - A Paris , chez
H. Nicolle et Comp . , libraires , rue des Petits -Augustins ,
nº . 15 ; et chez le Normant.
LORSQUE le Génie du Christianisme parut , quelques
personnes voulurent faire un crime à l'auteur des deux
épisodes qu'il a introduits dans son ouvrage , et dont le
ton passionné s'accordoit peu , suivant elles , avec la gravité
du sujet. Il n'étoit pas difficile de répondre victorieusement
à cette objection , qui ne pouvoit guère être faite de bonne
foi. L'une des principales choses que M. de Châteaubriand
se proposoit dans son ouvrage , c'étoit de prouver que la
religion épure les passions sans les éteindre , qu'elle enri-,
chit et féconde l'imagination , rend plus pathétique et plus
touchant le tableau des fautes et des malheurs des hommes ,
et présente au poète une source inépuisable de beaux sentimens
et de belles pensées . Qu'avoit -il de mieux à faire
pour établir cette vérité d'une manière incontestable , que
de réduire la théorie en pratique , et de donner l'exemple
avec
AOUT 1807 . cen
et
avec le précepte? D'ailleurs , pour se faire lire de ceux à
qui l'ouvrage étoit spécialement destiné , ne falloit-il pas
s'accommoder à leur goût , flatter leur imagination ,
composer en quelque sorte avec la frivolité du siècle ? Depuis
quand est-il défendu de prêter quelques ornemens à
la vérité pour la rendre plus aimable ,Met de chercher à
adoucir la lliiqquueur salutaire qui doit rappeler le malade à
la vie?
Mais si ces épisodes convenoient parfaitement aux gens
du monde, et leur présentoient même d'importantes leçons,
elles n'étoient point de nature à être mises entre les mains
des jeunes élèves , qu'on ne sauroit assez éloigner de tout
ce qui peut seulement leur faire soupçonner l'existence des
passions. Ainsi le Génie du Christianisme , sur lequel la
jeunesse semble particulièrement avoir des droits , et
comme ouvrage religieux et comme modèle de plus d'un
genre d'éloquence , n'existoit point encore pour elle. C'est
pour satisfaire à cet égard aux justes réclamations des
maîtres , que M. de Châteaubriand se détermina il y a
environ deux ans à publier l'Abrégé que nous annonçons
, et que les presses de M. Herhan reproduisent
aujourd'hui avec d'intéressantes corrections. Sans doute
l'auteur dut sentir plus d'une fois les mains paternelles
tomber , quand le desir d'être utile le portoit à mutiler
ainsi son propre ouvrage : il alloit peut-être le dépouiller
de ce qui avoit le plus contribué à son succès. Heureusement
, le Génie du Christianisme a résisté à cette épreuve ,
qui eût été mortelle pour un ouvrage moins solide. S'il a
perdu quelques fleurs , le fond est resté. On doit même
dire que l'ensemble des raisonnemens et des preuves , plus
rapproché dans l'Abrégé , y paroît encore plus frappant.
Ainsi celte édition, qui n'étoit destinée qu'à la jeunesse,
n'est point sans intérêt pour ceux- là mêmes qui ont lu
Touvrage complet.
On déclame beaucoup aujourd'hui contre la critique
ceux qui la défendent répondent que les plus violentes
satires n'ont jamais nui long-temps à un bon ouvrage , et
ont souvent haté son succès . Ce qui est arrivé au Génie
du Christianisme est encore une preuve de cette vérné.
Toutes les critiques qu'on en a faites sont déjà oubliées :
cependant peu de livres en ont essuyé de plus vives. Un
critique a même prétendu qu'il n'avoit pas réussi. Rien
n'est plus aisé , mais aussi, rien n'est plus maladroit que
de nier un succès , parce qu'il nous afllige. Il vaut bien
Ge
5.
402 MERCURE DE FRANCE ,
mieux en faire tout l'honneur à l'esprit de parti , à un
engouement passager , en un mot, à la faveur des circonstances.
Aussi cette petite ruse a-t-elle été plus d'une
fois employée à l'occasion du Génie du Christianisme , et
celad'autantplus àpropos , qu'elle étoit appuyée sur quelque
vraisemblance. Lorsque cet ouvrage parut , les temples
étoient encore déserts; les ministresde la religion , à peine
échappés àde longues persécutions , étoient erranset dispersés.
La cause que défendoit M. de Châteaubriand avoitdonc,
commeil ledit lui-même, le puissant intérêtdu malheur.
Aujourd'hui les temps sont bienchangés. Ungouvernement
réparateur a fermé toutes les plaies ,consolé toutes les infortunes
, et fait perdre aux victimes mêmes jusqu'au souvenir
des mauxqu'elles ont soufferts . Cependant le succès duGénie
du Christianisme ne fait que se confirmer chaque jour : ce
n'étoit donc point aux circonstances seules qu'on devoit
P'attribuer ; et il faut reconnoître , au contraire , qu'à quelqu'époque
qu'il eût été publié , il auroit toujours produit une
vive sensation , et étonné la littérature.
Cequi devoit d'abord entraîner tous les suffrages , forcer
même la prévention et l'envie àquelques éloges , c'est cette
imagination riche et féconde , cette profonde sensibilité ,
cettedouce et touchante mélancolie qui répandent un charme
particulier sur le style de M. de Châteaubriand. Nul n'a
mieux connu les rapports secrets par lesquels les objets
purement physiques se font entendre à nos coeurs , et les
remplissentde vives émotions. Nul ne sait mieux saisir dans
les descriptions les circonstances intéressantes qui frappent
l'imagination du lecteur , et qui mettent l'objet sous ses
yeux. Mais si l'auteur du Génie du Christianisme sait toucher
, émouvoir , passionner même son lecteur , il sait
aussi , quand il le faut, ne répandre qu'avec une sage économie
ces fleurs de l'imagination qui servent à parer la
raison et à la rendre plus persuasive ; et c'est peut-être alors
que son style , orné dans cette juste mesure qu'il n'est donne
qu'aux grands écrivains de connoître , paroît encore plus
pur , plus classique, plus propre à éclaireretà plaire tout
ensemble, à convaincre et à persuader. Il suffit de citer à
ce sujet le livre des Missions. La manière à la fois simple
et touchante dont l'auteur raconte les paisibles exploits des
héros du Christianisme, l'art secret avec lequel il nous associe
, pour ainsi dire , à leurs pieuses expéditions , et nous
fait partager leur zèle et leurs dangers , produit l'intérêt le
plus entraînant , et offre un modèle achevé du style histoAOUT
1807 . 403
'rique. Le pinceau de Tacite décrivant les moeurs vertueuses
des Germains , n'est ni plus éloquent ni plus pur
que celui auquel nous devons letouchant tableau de la république
chrétienne du Paraguay.
こ
J'ai dit que les critiques les plus prévenus avoient consenti
sans trop de peine à reconnoître dans le Génie da
Christianisme une belle imagination , un style plein de
charmeet depoésie : c'étoit peut- être afin d'avoir plus beau
jeu à refuser à l'auteur des qualités plus nécessaires encore
dans un ouvrage où il n'a voulu plaire que pour mieux instruire
et persuader . Cependant , quelle sagacité rare , quelle
raison étendue et profonde n'a-t-il pas fallu joindre à cette
fécondité d'imagination , pour saisir tant de relations admirables
entre les institutions du Christianisme et les besoins de
l'humanité , pour montrer cette religion divine prêtant un
égal appui à la politique et àla morale , donnant un maître
aux rois de la terre, et un appui au foible et à l'orphelin ,
souriant avec bonté aux beaux arts qu'elle ennoblit et qu'elle
inspire; en un mot, réunissant par un noeud sacré tout ce
qui assure la durée , le bonheur et la gloire des Empires .
Si l'on entend par philosophie ce que ce mot signifie en
effet , le véritable amour de la sagesse , l'étude et la connoissance
de l'homme , et de ce qui peut le conduire à la fois au
bonheur et à la vertu , qui a plus droit que M. de Châteaubriand
au titre de philosophe? Plusieurs écrivains en ont
étédécorés pour s'être élevés contre les excès du fanatisme
que la religion condamna toujours , et que personne ne songeoit
à défendre. Mais il est des dévotions populaires , ou , si
Pon veut même , d'innocentes superstitions qu'une raison
orgueilleuse peut regarder avec mépris, mais que la reigion,
plus indulgente , permet sans les consacrer. Aucun
d'eux n'avoit soupçonné qu'en attaquant imprudemment de
ridicules pratiques , ils ne feroient rien pour la raison , et
ôteroient une consolation au malheur , et peut- être à la
morale un appui. Ecoutons à ce sujet M. de Châteaubriand :
Quel homme sensé peut douter que ces usages religieux
> ne tendent à conduire le peuple à la vertu plus sûrement
> peut-être que les lois elles-mêmes ? Aforce de déclamer
>> contre la superstition , on finira par ouvrir la voie à tous
» les crimes. Ce qu'ily aura d'étonnant pour les sophistes ,
> c'est qu'au milieu des maux qu'ils auront causés , ils
>> n'auront pas même la satisfaction de voir le peuple plus
>> incrédule. S'il cesse de soumettre son esprit à la religion ,
> il se fera des opinions monstrueuses. Il sera saisi d'une
CC2
404 MERCURE DE FRANCE ,
> terreur d'autant plus étrange , qu'il n'en connoîtra pas
>> l'objet ; il tremblera dans un cimetière où il aura gravé
» que a mort est un sommeil éternel ; et en affectant de
>>mépriser la Puissance divine , il ira interroger la bohé-
>>mienne , ou chercher sa destinée dans les bigarrures
>> d'une carte. Qui a mieux conny les hommes, qquueellest
ici le véritable philosophe , du défenseur du Christianisme
ou de l'ennemi de la superstition ?
Ily a peu d'années encore qu'on regardoit généralement
la religion comme ennemie par sa nature de tout ce quí tend
à éclairer l'esprit ou à parler à l'imagination. Ceux même
qui révéroient sa sainteté et sa morale , pensoient que son
caractère grave et sévère , favorisoit peu l'essor du génie
poétique. Cette opinion sembloit d'autant plus enracinée ,
qu'elle avoit en sa faveur des autorités imposantes , et remontoit
même à l'époque la plus brillante de notre littérature.
On sait assez que Boileau ne voyoit dans l'Evangile
que pénitence àfaire et tourmens mérités , et qu'il ne concevoit
pas qu'un sujet chrétien pût se prêter à ces ingénieuses
fictions qui font vivre la poésie épique. On ne peut s'empêcher
de s'étonner qu'en défendant avec autant d'érudition
que de goût , la cause des anciens , ce grand critique n'ait
pas songé à remonter à la source des différences qui distinguent
lesdeuxlittératures.Depuis cette époquee,,lamême
dispute se réveilla plus d'une fois. L'esprit de discussion
succédant aux créations du génie , on agita toutes les questions
littéraires , on subtilisa sur toutes les théories ; mais
au milieu de tant de dissertations , personne ne parut soupçonner
que l'influence de la religion chrétienne sur le goût
et sur la littérature , méritât seulement d'être examinée :
enfin , l'ouvrage de M. de Châteaubriand paroît , et aussitôt
il se fait une révolution générale dans l'opinion . On voit le
Christianisme , en prescrivant à l'homme une morale plus
pure et plus austère , en l'éclairant sur la dignité de son
origine et sur ses hautes destinées , agir puissamment sur
les moeurs , donner naissance à des caractères nouveaux et
à des combats de passion plus pathétiques et plus touchans ,
ouvrir ainsi au génie une source féconde des plus hautes
beautés poétiques , et compenser avec avantage ce que l'antique
Mythologie pouvoit offrir de plus favorable aux fictions
et aux caprices de l'imagination. Cette manière neuve
et instructive de présenter la littérature , devoit conduire
l'auteur aux observations les plus intéressantes. N'est-ce pas ,
par exemple , une idée vraiment ingénieuse que celle de
chercher dans les imitations que nos grands poètes ont faites
AOUT 1807 . 405
des anciens , les traits chrétiens qu'ils y ont répandus sans
s'en apercevoir eux-mêmes , et de montrer Voltaire inspiré,.
comme malgré lui , par cette même religion qu'il avoit l'ingratitude
d'outrager , et lui devant ses plus belles créations ?
Mais c'est peu de faire voir comment la religion élève les
conceptions du génie , et lui inspire ses plus hautes pensées..
M. de Châteaubriand va plus loin : il prouve que c'est au
contraire l'incrédulité qui corrompt le goût , fait avorter
les talens , et devient une cause immédiate de dégénération
et de décadence . On trouve tout dans cette discussion;
dialectique vigoureuse et pressante , style rapide et
entraînant , images pleines de noblesse et d'élévation : ce
sont peut-être les plus belles pages que l'auteur ait écrites.
Avec quelle force il nous représente la flétrissante doctrine
de l'athée , rétrécissant le cercle de nos pensées , mettant
des appétits à la place des passions , des ressorts physiques
à la place des lois morales , se perdant dans de vaines subtilités
et de stériles abstractions ; en un mot , tarissant dans
l'ame de l'écrivain la source de l'inspiration et des sentimens.
nobles et tendres , qui sont toute l'éloquence ! Avec quelle
sagacité il découvre , dans les ouvrages de Rousseau et de
Buffon , et dans le caractère différent de leurs styles , l'em--
preinte en bien et en mal de ce qu'ils ont choisi et de ce qu'ils
ont rejeté de la religion ! Montesquieu , dans un ouvrage de
sajeunesse , avoit aussi payé tribut à la corruption de son
siècle : « Mais , dit l'auteur , dans le livre qui l'a placé au
> rang des hommes illustres , il a magnifiquement réparé
>> ses torts , en faisant l'éloge du culte qu'il avoit eu l'im-
>> prudence d'attaquer. La maturité de ses années , et l'inté-
> rêt même de sa gloire , lui firent comprendre que , pour
>> élever un monuinent durable , il falloit en creuser les
>>fondemens dans un sol moins mouvant que la poussière
» de ce monde ; son génie , qui embrassoit tous les temps ,
>> s'est appuyé sur la seule religion à qui tous les temps sont
>>promis. » On ne peut rien citer de plus beau que ces lignes ,
si ce n'est peut-être celles qui terminent le même chapitre :
« On aura beau chercher à ravaler le génie de Bossuet , it
>>aura le sort de cette grande figure d'Homère , qu'on aper-
>>çoit derrière les âges : quelquefois elle est obscurcie par la
>>poussière qu'tın siècle fait en s'écroulant ; mais aussitôt que
>>le nuage s'est dissipé , on voit reparoître la majestueuse
>>figure , qui s'est encore agrandie pour dominer les ruines
>>> nouvelles. » Ya-t-ildans Bossuet même beaucoup d'images
plus hardies , plus imposantes , plus sublimes ?
Le résultat de cette éloquente discussion , c'est que les
3
406 MERCURE DE FRANCE ,
bonnes moeurs sont dépendantes du bon goût , comine le
bon goût des bonnes moeurs , c'est que , quiconque est
insensible au vrai beau , pourroit bien méconnoître aussi
la vertu. Plus on réfléchira sur cette pensée , plus on se convaincra
combien elle est vraie et profonde. En effet , le goût
et la morale sont tous deux analogues à la nature du coeur
humain , et aux sentimens que Dieu lui-même y a gravés .
Les idées d'ordre , de proportion , de décence, qui constituent
l'un, ne sont point d'une autre espèce que celles d'humanité
et de justice sur laquelle l'autre est fondée. La morale a ,
pour nous parler , la voix de la conscience , qui , plus prompte
que la déflexion , nous fait en un moment discerner nos
devoirs; le goût a aussi une conscience qui se fait entendre
aux hommes privilégiés . Plus infaillible que tous les raisonnemens
, elle les éclaire comme par inspiration , et leur
communique rapidement le sentiment du beau , comme
la conscience morale donne à tous les hommes celui du
bien. Ainsi , la morale et le goût non-seulement dérivent
d'un même príncipe , ils se ressemblent encore par la
manière dont ils agissent sur nous , et ne sont , pour ainsi
dire , qu'une même chose , qui , dans la conduite de la vie ,
nous apprend à bien agir , et dans les spéculations de notre
esprit , nous apprend à bien penser .
Mais s'il y a en effet une véritable fraternité entre les
beaux sentimens et les belles pensées , entre la dignité de
Pame et celle du génie , dans quel ouvrage la trouverat-
on plus vivement empreinte que dans le Génie du Christianisme
? Tout y est animé de cette sensibilité vive et pénétrante
, qui semble descendre du coeur de l'écrivain pour entrerdans
celui du lecteur ; et l'on reconnoît presqu'à chaque
page une piété noble et chevaleresque , si l'on ose employer
cette expression , qui touche et élève l'ame. C'est
sur-tout à des beautés de ce genre , qu'il faut attribuer l'enthousiasme
universel que cet ouvrage a inspiré , et qui s'est
presque étendu jusque sur la personne de l'auteur. Les
livres auxquels nous aimons à revenir , sont particulièrement
ceux qui nous font aimer l'écrivain ; ce sont encore
ceux qui nous font sentir ces nobles émotions et cet attendrissement
délicieux que les ames perverties ne connoissent
plus : car , de même que dans la conversation nous ne
trouvons personne aussi spirituel que ceux qui savent nous
rendre aimables , il n'y a point d'écrivain que nous préférions
à celui qui nous donne bonne opinion de nousmêmes.
Cette double observation , fondée sur le coeur
humain , garantit au Génie du Christianisme un succès
AOUT 1807 . 407
durable ; et tout annonce que la postérité confirmera ce
qu'en a dit l'homme le plus capable d'apprécier les beaux
ouvrages , que c'est un monument à jamais mémorable
lamain qui l'éleva , etpourle commencement du dix- pnoeuuvrième siècle.
VARIÉTÉS.
C.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
La distribution générale des prix aux élèves des Ecoles
demédecine et de pharmacie , des Lycées et des Prytanées ,
de l'Ecole de peinture, sculpture et architecture , et du Conservatoire
de musique , a eu lieu le 21 août , dans la grande
salle des séances de l'Institut , à une heure après-midi.
a
La distribution a été faite par S. Ex. le ministre de l'intérieur,
assistédu conseiller-d'Etat vie , directeur-général
de l'instruction publique , et du président de l'Institut.
Avant la distribution , M. Arnault , membre de l'Institut
etde la Légion d'Honneur , chef de la division d'instruction
publique au ministère de l'intérieur , a prononcé le discours
suivant :
<< Messieurs ,
J'ai annoncé que des résultats feroient bientôt ressortir
les avantages du système d'instruction adopté par le gouvernement;
ma prédiction n'a pas été vaine.
Tous les établissemens dont il se compose ont atteint en
peu de temps le plus haut degré de la prospérité. Une
affluence toujours croissante d'élèves succède à celle qui en
sort annuellement pour subvenir aux besoins de toutes les
professions libérales .
Passons rapidement en revue la situation de ces établissemens
.
LeConservatoire de musique, dont les élèves remplissent
les plus brillans orchestres de l'Europe et font l'ornement
duplus magnifique théâtre de la capitale , vient encore de
perfectionner son régime intérieur . Une école complete de
déclamation est ajoutée aux diverses chaires qu'il possède.
Des fonds ont été assignés pour la construction d'une
bibliothèque qui manquoit à sa riche collectionde musique,
laplus complete qui existe.
i
4
400 MERCURE DE FRANCE ,
L'Ecole de peinture n'a éprouvé aucun changement. Chez
elle se sont formés les hommes qui ont relevé la gloire de
l'Ecole française , chez elle se forment ceux qui la soutiendront.
Les succès de cet établissement sont garans de la
bonté de son organisation .
On ne peut rien ajouter à l'organisation des Ecoles de
médecine. Là , sont réunis tous les moyens d'instruction
dans toutes les parties de l'art de guérir. C'est dans nos
hospices civils et militaires , auxbesoins multipliés desquels
ces Ecoles subviennent continuellement , qu'il faut en aller
reconnoître la féconde utilité . Partout la science , l'adresse ,
P'activité des officiers de santé y secondent les intentions bienfaisantes
du père de l'armée , du père du peuple.
Les noms des professeurs qui occupent les diverses chaires
du Collège de France , répondent de la prospérité de cet
établissement , la plus libérale comme la plus ancienne des
institutions académiques ,
L'Ecole polytechnique , assujétie à une discipline plus
sévère , n'en a été que plus féconde en sujets, également
utiles aux arts de la paix et aux travaux de la guerre.
Toutes les Ecoles de droit sont en activité. Plus de trois
mille étudians les fréquentent.
Il n'est pas de ville en France qui ne possède au moins
une Ecole secondaire .
Les Lycées ouverts dans les villes d'Amiens , d'Angers ,
de Toulouse , de Versailles , de Cahors et de Paris ( Lycée
Napoléon ) , portent à trente-cinq le nombre de ces établissemens
, où les hommes autrefois utiles dans les corporations
enseignantes , dans les Universités , dans les Ecoles
centrales , ont retrouvé de l'activité. La capacité , la moralité
, telles ont été les conditions exigées par les inspecteurs
qui stipuloient pour les pères de famille. En effet , ces deux
conditions ne sont pas moins exigibles dans l'instituteur
que dans le magistrat. Qu'il garde donc le silence l'homme
instruit qui auroit été écarté de ce concours ; il ne pourroit
réclamer sans s'accuser ,
Dans les Lycées croissent pour l'honneur des sciences et
des lettres , pour la défense et la gloire de l'Etat , huit mille
élèves , dont trois mille sept cents doivent , en tout ou en
partie ,le bienfait de leur éducation à la munificence impériale.
Par l'étude des langues anciennes et modernes , des
sciences physiques et mathématiques , de l'éloquence et de
Ja morale , là se sont formés tant de sujets , l'espoir de la tribune
, de la ssccèènnee et du barreau ; tant de sujets déjà estimés
dans nos administrations , déjà illustres dans nos armées,
AOUT 1807 . 409
et qui , grace au systèine qui a servi de base à leur éducation
, joignent aux connoissances nécessaires à leur succes ,
dans la profession qu'ils ont embrassée , celles par lesquelles
ils peuvent apprécier le mérite des hommes qui , par une
autre route , tendent à une gloire différente.
Cette disposition des esprits qui , sans détruire l'émulation
entre les hommes de génies divers ; les amèneroit à se
rendre réciproquement plus de justice , n'est pas un des
effets le moins heureux de l'instruction pour ainsi dire mul
țiple donnée dansles Lycées ; et c'est , n'en doutons pas ,
dans l'intention de le fo tifier qu'a été instituée la solennité
qui réunit pour la cinquièine fois toutes les Ecoles spéciales.
En fondant des prix égaux pour les sujets qui se sont le
plus distingués dans létude des sciences , des arts et des
lettres , le régénérateur de la France prouve qu'il honore
d'une estime égale des facultés où le succès ne peut être le
partage. des esprits médiocres ; et que , jaloux de signaler
son règne par tous les genres de gloire , il veut provoquer le
développement de tous les genres de génie .
Abandonnez-vous donc à l'impulsion qui vous domine ,
vous qui dédaignez les professions vulgaires , vous que
tourmentent le besoin de la célébrité et la conscience des
moyens que vous avez pour l'acquérir. La gloire ne vous
échappera pas , si vous en êtes dignes ; par quelque moyen
que vous veuillez être grands , vous le paroîtrez sivous l'êtes ;
le plus illustre de vos contemporains est juste envers vous
comme la postérité.
Cettejustice dont il donne un si éclatant exemple , pourquoi
des hommes que nous estimons tous également , se la
sont-ils refusée entr'eux ? Pourquoi des hommes illustres à
des titres différens se sont- ils long - temps obstinés à prétendre
que c'est à l'art qu'ils professent , à la science qu'ils
cultivent , que devroient appartenir exclusivement la faveur
du prince , l'estime de la génération présente , l'admiration
des siècles ?
Foiblesse ! dont quelques esprits supérieurs n'ont pas été
exempts , et qui a peut-être été l'une des causes de leur
grandeur. Erreur ! qui s'est fait absoudre quelquefois par
ses effets , et qu'alors il a fallu regarder comme une consé
quence et un principe de l'émulation.
Le goût ne suffit pas pour former les hommes supérieurs
dans les sciences et les arts de génie. La passion seule peut
donner la force d'entrer dans ces carrières ingrates et glorieuses
, et de les parcourir en dépit des difficultés dont elles
sont semées ; eh , quelle passion n'est pas exclusive , et ne
tend pas, par cela même , à l'injustice !
4ro MERCURE DE FRANCE ,
- Aux yeux de l'homme qu'une passion domine , tout co
qui n'est pas l'objet de son culte n'y peut être comparé que
pour en faire ressortir l'excellence. Tous les hominages
doivent se rapporter à cet objet de tous ses sacrifices . Mais
cette passion , source des plus injustes dédains , est aussi
celle des efforts les plus généreux. C'est en s'occupant d'un
seul objet avec toutes les forces de leur esprit , que des
hommes ont dépassé les limites qui sembloient assignées
aux forces humaines .
C'étoient des hommes exclusifs que Malebranche et Despréaux.
Sans ce défaut , qui sait s'ils n'eussent pas été détournés
par quelques distractions , des routes par lesquelles
Pun est arrivé au premier rang des poètes , et l'autre au
premier rang des philosophes ?
Quoi qu'il en soit , jeunes gens qui m'écoutez , en imitant
de toutes vos forces les grands homines dans leur constance ,
préservez-vous de toute injurieuse partialité .
Quand vous voudrez apprécier la solidité de la gloire
acquise à des titres qui vous sont étrangers , commencez
par examiner ces titres sous le rapport de l'utilité sur
laquelle ils se fondent , de la difficulté avec laquelle on les
obtient. Ce qui est utile a droit à l'estime ; ce qui est difficile
, à l'étonnement ; la gloire n'est due qu'à ce qui est
utile et difficile tout ensemble.
Au degré de civilisation où nous sommes parvenus ,
n'hésitez pas à ranger parmi les objets de ce genre tout ce
qui étend la supréinatie de notre nation ! Les travaux des
arts y contribueroient - ils moins que ceux des sciences ?
Refuser d'admettre parmi les choses utiles leurs produc-'
tions , sources de tant de plaisir pour un peuple ingénieux
et délicat , ce seroit démentir nos habitudes , qui les classent
journellement parini les choses nécessaires , démentir l'esprit
dans lequel a été organisé ce corps si célèbre en Europe
par la réunion des génies divers dont il se compose , l'Institut
, où des hommes illustrés par des moyens différens
sont appelés au partage du même honneur ; exemple donné
par l'antiquité , qui honoroit d'une égale admiration toutes
les oeuvres du génie ; exemple consacré par les symboles
ingénieux sous lesquels elle enveloppe souvent ses leçons.
Sur le Parnasse régnoit l'égalité la plus parfaite. Point de
droit d'aînesse parmi les Muses : elles formoient un cercle
autour d'Apollon , qui les favorisoit toutes , et n'en préféroit
aucune .
La gloire est acquise sans doute à ce savant qui , par de
longues études , par des veilles multipliées , est parvenu
2004
AOUT 1807. 411
non-seulement à savoir ce qui a été découvert avant lui ,
mais qui , homme de génie , a découvert ce quijusqu'à lui
avoit été ignoré . Exempt d'erreurs , il a corrigé les erreurs
des autres ; il a porté la lumière dans la science dont il a
étendu le domaine ; ce ne sont pas à des objets d'une vaine
curiosité qu'il a appliqué ses recherches ; les résultats de
ses travaux sont consacrés sur-tout par leur utilité; ils ont
créé dans vos manufactures une nouvelle branche d'industrie
, une nouvelle source de richesses pour votre commerce
, pour vos armées de nouveaux moyens de victoire ;
par eux , l'art d'Esculape , celui de Triptolème , promettent
àl'humanité de nouveaux bienfaits . Reconnoissons , dis-je ,
les droits d'un pareil homme à l'admiration universelle ;
mais s'il prétend que cette admiration ne peut être accordée
qu'aux travaux qui la lui obtiennent , vous qui la méritez
aussi par vos succès dans les arts ou dans les lettres , n'hé
sitez pas à lui répondre :
« Vos succès n'effacent pas l'éclat des nôtres. Si les études
qui vous les assurent embrassent plus d'objets que celles
par lesquelles nous nous formons , elles vous donnent pour
vous élever plus d'appuis. Obligé d'étudier tout ce que les
autres ont su , par ces études vous vous êtes approprié le
fruitde tout leur travail. Aussi savant , en entrant dans la
carrière , que Pétoit , quand il en est sorti , le plus savant
deceux qui vous y ont précédé , vous continuez ce que vous
n'avez pas commencé , ce que vous ne pourrez pas finir.
En fait de science , qui peut se flatter de ne rien laisser à
découvrir après lui ? Quoi de plus malheureux dans les
lettres , que de venir après un homme de génie ! Il pose
la limite , il ferme la route. Dans les sciences , c'est tout le
contraire ; il a reculé la borne ; tout le chemin qu'il a parcouru
, il vous l'a frayé ; vous êtes dans votre premier élan
quand il s'arrête ; vous avez votre vie entière pour le
dépasser. >>>>
Pour ê êtremoins multipliées dans leurs objets que celles
qui forment les savans , les études qui font les grands artistes
sont-elles en effet moins longues et moins difficiles ?
Combiende temps n'a-t-il pas usé le crayon , combien de
temps n'a-t- il pas étudié la nature dans le modèle des
ateliers , et mieux encore dans les chefs-d'oeuvre de son
maître, cet élève de Raphaël , dont la main est digne enfin
desaisir lepinceau ? Necontestez pas l'utilité à son art imploré
tous les jours par vos affections les plus douces ; à son
art à qui votre piété demande un père , une mère qui vous
ont été enlevés ; votre tendresse, l'épouse ou l'enfant qu'elle
412 MERCURE DE FRANCE ,
a perdus ; votre reconnoissance un bienfaiteur absent ; votre
admiration le héros , le modèle qu'elle a besoin de contempler
continuellement. Art par qui les rois survivent à leurs
palais , les dieux à leurs temples ; art par qui les grandes
leçons de l'histoire , écrites et lisibles pour l'ignorance même ,
sont transmises à la postérité la plus reculée.
Et ce compositeur qui, dès ses premiers accords , s'empare
de votre ame , y porte à son gré la gaîté ou la tristesse ,
la terreur ou l'attendrissement , et se joue en despote de
toutes vos passions , n'exerceroit-il qu'un art vague et frivole ?
Aussi terrible que Crébillon , aussi tendre que Racine , il a
transporté la tragédie sur la scène lyrique. En donnant
à son art la déclamation pour base , il s'est assuré des
succès indépendans du caprice de la mode , et s'est élevé
au premier rang des poètes dramatiques . Sont-ce donc là
de, succès faciles ? Est-ce sans avoir étudié long-temps la
nature qu'il auroit donné à chaque passion l'accent qui lui
est propre ? Est-ce sans avoir approfondi les lois de l'harmonie
qu'il auroit trouvé ces accords qui réveillent en vous
tout-à-la- fois cette foule d'idées , de sentimens et de sensations
? Est-ce en laissant errer au hasard ses doigts sur la lyre ,
qu'il en obtient ces chants ravissans de mélodie et de vérité ,
et qu'il arrache des cris d'admiration à ses plus obstinés détracteurs
? Nécessaire dans la paix comme dans la guerre ,
au combat , la musique règle et soutient le courage du
brave ; dans nos fêtes , elle entretient et accroît l'alégresse
publique . Celui qui conteste l'utilité d'un tel art , n'ajamais
assisté à une bataille ou à un triomphe.
S'il est une carrière où la gloire semble facile et s'obtienne
chaque jour plus difficilement , c'est sans contredit celle des
lettres , à qui l'on a même contesté leur utilité , que je crois
pourtant inutile de prouver. Jeune homme , qui fondant
votre espoir sur de bonnes études , sur les connoissances
qu'elles vous ont acquises en littérature , en politique , en
histoire , en philosophie ; qui , poussé par je ne sais quel
instinct aveugle , voulez poursuivre la renommée par cette
route trompeuse , qui pour être unie n'en est que plus glissante
, arrêtez un moment ; écoutez : Avec les forces du
talent vous croyez arriver au but ; le géniey parviendroit à
peine. Avec du talent vous espérez capter la faveur du public
; le génie fixeroit à peine son attention. A ces distractions
dans lesquelles les objets les plus graves et les plus
frivoles , les intérêts politiques et les soins de la mode retiennent
presque tous les esprits , s'anit contre vos succès
1
un obstacle toujours croissant.
AOUT 1807. 413
C'est le dégoût qui naît de la satiété.
Cet homme qui sans plaisirs au sein de l'abondance ,
parce qu'il est sans besoins , effleure à peine d'une dent
dédaigneuse les mets les plus recherchés , et croit , par le
mépris avec lequel il les repousse , prouver l'excessive
délicatesse de son goût; cet homme est l'image du public
qui vvaa vous juger.
Cepublic a continuellement sous les yeux les ouvrages
dont le 17º et le 18º siècles ont enrichi notre littérature.
Songez que c'est après Pascal , Rousseau , Montesquieu, que
vous vous annoncerez comme un penseur ; après Corneille,
Racine , Voltaire , que vous vous présenterez comme un
poète. Serez-vous plus sublime que Bossuet ? Serez-vous naif
comme La Fontaine ? Les bibliothèques sont remplies , les
théâtres regorgent de chefs-d'oeuvre. Graces à tant d'hommes
de génie dans tous les genres , l'homme de goût n'a plus
rien à desirer. Il desire pourtant ; et semblable encore à
cet homme dégoûté qui sans appétit n'en fait pas moins
recouvrir sa table , si les ouvrages nouveaux qu'il dédaigne
ne se succèdent pas rapidement , il accuse bientôt de stérilité
cet âge dont la fécondité l'importunoit.
Unouvrage paroît enfin. L'auteur a tenté une route nouvelle
, trouvé de nouvelles ressources dans un genre qui
sembloit épuisé , réveillé l'intérêt par des moyens inconnus :
croyez -vous qu'il obtienne justice de l'universalité de ses
contemporains dont il a varié les plaisirs ? Quelques-uns
àpeine lui feront grace. Ce qu'il regarde comme un mérite ,
lui sera reproché comme un tort par le plus grand nombre.
Comparé aux ouvrages dont il differe , son ouvrage qu'on
eût dédaigné comme une imitation s'il leur eût ressemblé ,
est condanné comme une innovation , parce qu'il ne leur
ressemble pas. Il s'éloigne , dira-t-on , des grands modèles .
Eh , les grands modèles , n'est-ce pas la nature qui les offre ?
La nature ! si féconde en sentimens divers , si variée dans
ses aspects . Eh , n'est-ce pas en l'imitant sous des rapports
qui ont échappé aux maîtres auxquels il succède , que
Phomme de génie peut s'élever et se placer à côté d'eux ?
Quelle différence entre le sort des poètes qui précèdent
un siècle illustre , et celui des poètes qui le suivent ! Il a été
bien plus facile de préparer la gloire de Louis XIV que de
la continuer. Avant ce siècle accablant , quelques beautés
ont obtenu grace pour des ouvrages surchargés de fautes .
Depuis lui , quelques fautes ont suffi pour faire condamner
des ouvrages riches en beautés. Bien qu'il soit reconnu que
Part devienne de jour en jour plus difficile , on devient de
:
L
414 MERCURE DE FRANCE ,
jour en jour plus exigeant ; et la sévérité des juges s'accroît
de la cause même qui semble commander plus d'indulgence.
Cette sévérité dégénéreroit facilement en injustice , si
l'esprit de parti venoit ajouter aux erreurs enfantées par les
préventions littéraires. Alors l'art du critique , toujours
plus facile que celui de l'auteur , car il est plus facile d'indiquer
les défauts d'un ouvrage que de faire un ouvrage même
défectueux , l'art du critique achevéroit d'égarer l'opinion .
Tantôt justifié dans sa rigueur sur laquelle on enchérit , si
elle frappe sur un homme étranger aux intérêts du détracteur
; tantôt accusé de son indifférence pour des productions
vantées , par cela seul qu'elles appartiennent à des
hommes enrôlés sous la bannière de l'apologie , le public
finit par passer de l'incertitude à l'indifférence. Condamnant
d'après les autres , les ouvrages blâmés ; d'après lui-même ,
les ouvrages loués , il finit par croire que le siècle est réellement
déchu : l'erreur s'accrédite. Soit indignation de tantde
partialité , soit doute de leur force , les Muses se taisent. Le
flambeaude la gloire est prêt à s'éteindre sans être consume ;
ladécadence des lettres va s'effectuer , parce qu'elle a été
annoncée, et les nations rivales qui croient déjà saisir le
sceptre que nous n'avons point perdu , nous calomnient en
répétant ce que nous disons de nous-mêmes. Le terme
d'un tel désordre est arrivé. Le génie tutélaire qui nous
a assuré la suprématie dans les parties où l'on croyoit
pouvoir nous la contester , n'a pas perinis qu'on nous la
refusát dans celle où l'on nous l'a toujours cédée. Il sait
qu'il en est de la gloire littéraire comme de la gloire
des armes ; que , différente de celle des sciences et des arts
pour les travaux desquels tous les peuples civilisés sont en
communauté , et qu'ils se partagent en raison de la proportion
dans laquelle ils y contribuent , la gloire des lettres
acquisépardes moyens particuliers à une nation , est essentiellement
nationale; que si les progrès des sciences constatent
la supériorité du siècle, ceux des lettres constatent dans ce
sièclela supériorité de cette nation ; qu'enfin les peuples étant
en rivalité de génie comme dé courage , nous ne devons pas
plus laisser déprimer nos chefs-d'oeuvre que rabaisser nos
victoires.
Déjà les richesses que nous possédons sont remises en
honneur, et des moyens ont été pris pour les accroître.
Les libéralités de la puissance sont prodiguées au génie ,
bien plus stimulé encore par l'estime du prince , bien plus
échauffé par ces prodiges que dix ans de victoires lui laissent
àchanter.
Prodiges de la guerre qui n'ont point interrompu ceux
AOUT 1807 . 415
de la paix ! Pendant que NAPOLÉON achetoit la paix par
tant de dangers , par tant de privations , l'abondance et la
sécurité régnoient dans la capitale qui se décoroit de tous
les côtés de monumens demandés par l'utilité , élevés par
la magnificence. Liés par leurs noms au souvenir des grands
hommes et des grandes actions , de nouvelles promenades
sesont ouvertes , de nouveaux quais ont été construits lelong
du fleuve qui coule sous les arches du pont d'Austerlitz et sur
les fondations de celui d'Jéna;des fontaines font jaillir dans
toutes les places la fraîcheur et la salubrité ; notre colonne
trajane se dresse ; un temple est élevé à l'Honneur ; deux
arcs-de-triomphe , à laGloire ; ce palais queles travaux de
trois siècles què lapuissancede dix rois n'avoient pu que
commencer , le Louvre s'achève ; et c'est d'une cabane qué
sont émanés les décrets qui encombrent Paris des plussuperbes
édifices .
,
Dans cette cabane , tout ce qui est grand , tout ce qui est
ntile a occupé la tête infatigable qui règle les destinées de
la terre, et qui ne peut se délasser du travail que par le
travail même. 1
Croyons que les intérêts de l'instruction publique n'y ont
point été oubliés par ce génie à qui tout est présent , et que
l'organisation définitive qui doit en consolider la prospérité
ya été méditée entre deux victoires. رود
Et quel plus grand bienfait pour la génération présente ,
pour les générations futures , que celui d'une éducation
libérale ! Tel est , j'ose l'affirmer , le dernier présent que
NAPOLEON nous réserve, quel que soit le nom sous lequel
il nous l'accorde. Entre ses mains , les noms , comme les
choses , changent de valeur. Je suis donc loin de partager
l'opinion de ceux qui , sur la foi d'une dénomination antérieurement
employée , concluent que l'instruction seroit
désormais restreinte à la mesure dans laquelle la distribuoit
l'institution que ce nom rappelle; que, réduite presqu'à
l'enseignement des langues mortes , elle ne permettroit
l'étudedes sciences physiques, mathématiques et morales,
quedans la proportion et la direction déterminées pour ce
genre d'étude dans les anciens collégés .
Il est des hommes qui ne peuvent se mouvoir que pour
reculer ; intéressés à donner à l'instruction les étroites limites
de leur science et de leur capacité , ils répètent que ce n'est
pas sans danger que l'on répand les lumières; que l'esprit
de révolte et l'esprit philosophique he sont qu'une même
chose; qu'en conséquence la portion éclairée de la nation
doit , pour l'intérêt du prince , étre aussi peu nombreuse
416 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il est possible ; que les erreurs doivent , pour l'utilité des
gouvernemens , entrer dans une certaine proportion , dans
l'enseignement, qui ne doit pas embrasser toutes les vérités ;
enfinque lanation la plus ignorante est aussi la plus docile.
Ils ne savent donc pas ceux qui parlent ainsi de ce qui
s'est passé , ce qui se passe chez les peuples condamnés à
l'ignorance par la superstition. Fait pour la servitude et non
pour l'obéissance, un peuple ignorant est toujours près de
la révolte. Voit-il autre chose dans le pouvoir sous lequel il
fléchit , qu'un abus de la force , dont il abusera si jamais
les circonstances lui délient les mains? Sait-il ce que c'est que
droits et devoirs ? Conçoit-il les avantages de ces sacrifices
d'une portion de la fortune et de la liberté en faveur de la
société qui nous garantit la conservation du reste ? Non :
la violence seule peut le forcer à concourir au bien common
, comme la terreur à respecter l'ordre social qu'il me
nace sans cesse , parce qu'il ne sait pas de quel intérêt il est
pour tous de conserver. Les lumières se répandent sur le
globe; les arts de la guerre et de la paix s'étendent et se
perfectionnent; les nations policées , en adoptant presque simultanément
les nouvelles découvertes , maintiennent entr'eles
un honorable équilibre : attaché à ses usages par ses
préjugés , le peuple ignorant , seul ne participe pas à tant
d'avantages. Recuté dans la civilisation , parce que seul de
tous les peuples il ne s'y est pas avancé , il s'est rangé luimême
parmi les bêtes féroces , à qui l'homme livre une
guerre interminable , tantôt en haine de leur cruauté , tantôt
endesir de leur dépouille. Que pourra le chef d'un tel
peuple contre les ennemis qui le menacent ? Qu'opposerat-
il à ces armées formidables par le courage , la discipline
et la science militaire ? Une multitude rassemblée au hasard
, dont le fanatisme déchaîne et enchaîne à son gré la
fureur stupide. En vain ce chef sent-il les avantages des
lumières que son peuple dédaigne ; en vain tente-t-ilde l'y
faire participer , ce bienfait lui est reproché comme un
crime. Réprouvé par l'ignorance qu'il a voulu détrôner , il
voit couler à grands flots le sang de ceux qui ont osé conspirer
avec lui la félicité publique ; et des acclamations d'une
joie brutale signalent le triomphe de ce peuple qui se croit
régénéré , parce qu'il est retombé dans labarbarie
Ah! si l'ignorance étoit le plus sûr garant de la docilité
des nations , pourquoi Pierre-le-Grand auroit-il employé
tant de soins et d'efforts pour éclairer la sienne ? II
faut à un grand prince un peuple digne de lui , un peuple
qui , loin de rester en arrière des peuples éclairés, les
devance.
BERT
DEA
AOUT 1807 . 419
devance . L'éducation sur-tout peut nous donner , ou plutôt
nous conserver cet avantage. Education libérale , cuine
nous est donc pas moins assurée par l'intérêt del'EMPEREUR,
que par sa magnanimité ! Voudroit - il compromettre
gloire immense de l'Empire ? Que deviendroit cette gloire,
s'il ne se formoit pour la conserver des hommes aussi forts
que ceux qui l'ont acquise à la France ? Des hommes qui
puissent continuer les héros qui commandent nos armées ,
les sages qui siégent dans nos conseils .
Loin d'avoir rien à redouter de lavigueur de son peuple ,
d'est par cette vigueur même que le prince exécute ces vastes
conceptions qui , faute d'une armée française , eussent passé
pour des rêves du génie .
Le fils de Philippe médite la conquête de l'Asie. Est-ce
parmi les coursiers assouplis par l'esclavage, affoiblis par là
mutilation , qu'il choisit le compagnon de ses fatigues et de
ses victoires ?
Celui dont la vigueur s'étoit fortifiée dans la liberté ,
celui dont la bouche n'avoit jamais été outragée par le frein ,
dont le dos n'avoit été déshonoré par aucun fardeau , futle
seul qu'Alexandre trouva digne de lui.
Indomptable pour des hommes , Bucéphale obéit à un
héros. Les forces avec lesquelles il avoit résisté jusqu'alors ,
tournent au profit du vainqueur qui se l'asservit ; et ces
forces seules pouvoient suffire à une course dont le terme
étoit les bornes du Monde !
Après ce discours , qui a été fréquemment in errompu
par les applaudissemens réitérés de l'assemblée , la distri
bution des prix a eu lieu aux élèves des diverses écoles
spéciales ; nous ferons connoître le procès -verbal de cette
distribution .
Le conservatoire de musique a ensuite, exécuté un
concert , dans lequel il a fait entendre des morceaux choisis ,
et ceux de ses éleves qui avoient été couronnés . Ces élèves
ont été entendus avec le plus vif intérêt , et ont justifié le
suffrage honorable qu'ils ont reçu , par le talent réel qu'ils
ont déployé.>>>
La classe de la langue et de la littérature française
de l'Institut de France , a tenu hier une séance publique et
extraordinaire .
M. François (de Neufchâteau ) y a prononcé l'éloge de
M. de Nivernois , l'un des quarante de l'Académie française ,
honoraire de ceile des inscriptions et belles-lettres , mort
doyen de ces deux compagnies .
M. Delille a récité divers fragunens de son poëme sur les
Dd
48 MERCURE DE FRANCE ,
trois règnes de la nature , et de celui sur la conversation.
Cette séance avoit attiré un concours nombreux et choisi
d'auditeurs. L'éloge de M. de Nivernois et les fragmens
de M. Delille ont été entendus avec beaucoup d'intérêt ,
interrompus et suivis par les plns vifs applaudissemens .
-Le 4 septembre prochain , la classe des beaux-arts de
l'Institut ouvrira le concours pour le grand prix de composition
musicale. Les concurrens doivent être inscrits avant
cette époque au secrétariat de l'Institut.
Le 4septembre , ils s'y rendront à huit heures du matin ,
pour être examinés d'abord sur l'harmonie. Ceux qui d'après
ce premier examen seront admis à conconrir, auront à composer
:
1 °. Un contrepoint double à l'octave et à quatre parties ;
2º. Uncontrepoint double à la douzième et à quatre parties
;
3°. Un contrepoint triple ou quadruple à trois ou quatre
parties;
4°. Une fugue selon les règles sévères à deux ou trois
sujets et à quatre voix ;
5°. Une scène dramatique composée d'un récitatif obligé ,
d'un cantabile , suivi d'un récitatif simple , et terminé par un
air de mouvement.
Les concurrens pourront déployer dans cette scène toutes
les richesses de l'harmonie et de la mélodie , et tout le luxe
d'un orchestre complet .
La section de musique de la classe des beaux-arts donnera
le cantofermo sur lequel seront composées les trois espèces
de contrepoint , en notes rondes .
Les contrepoints et le cantofermo devront être transportés
alternativement à chacuue des parties . La même section
donnera aussi le sujet de la fugue.
Les concurrens pourront accompagner les quatre parties
vocales de la fugue par quatre parties instrumentales.
Le concours devra être terminé le 25 septembre. Pour
concourir , il faut être Français ou naturalisé , et n'avoir pas
plus de trente ans.
Le grand prix donne droit à la pension dans l'école impériale
de France à Rome pendantcinq ans, et il est exécuté
dans la séance publique de la classe des beaux-arts de l'Institut.
-
Le secrétaire perpétuel de la classe des
beaux-arts , JOACHIM LE BRETON.
Outre les prix qu'elle a déjà annoncés , l'Académie
des Jeux floraux a délibéré de donner , le 3 mai 1808 , un
AOUT 1807 . 419
prix extraordinaire , qui sera une branche d'olivier d'argent ,
de même valeur que l'amaranthe , à l'ode ou au poëme qui
aura célébré plus dignement les avantages de la paix de
Tilsit , et la gloire du monarque qui l'a conquise par tant
de victoires. Les ouvrages de ce concours particulier , qui
n'auront pas obtenu le prix extraordinaire , concourront
aussi pour les prix ordinaires , savoir : les odes pour
l'amaranthe; et les poëmes , pour la violette . :
-Madame Cottin , auteur de plusieurs romans qui ont
eu un succès aussi brillant que de mérite , est morte le 25
août des suites d'une maladie longue et douloureuse. Elle
n'étoit âgée que de 34 ans . C'étoit une femme sans prétention
, quoique douée de talens supérieurs. Elle sera longtemps
regrettée par ceux qui l'ont connue particulièrement.
M. Valmont de Bomare , auteur d'un Dictionnaire
d'Histoire naturelle , justement estimé , et qui a été , pendant
une longue suite d'années , à la tête du beau cabinet de Chantilly
, vient de mourir , regretté de toutes les personnes qui
l'ont connu.
- Un monument à la paix s'élève au sein de la ville de
Marseille . Ce grand ouvrage , tout en marbre de Carrare ,
sort du ciseau de M. Chinard , de Lyon , statuaire de
S. M. l'Impératrice , et membre de plusieurs sociétés savantes
.
Voici la description qu'on lit de ce monument dans les
nouvelles publiques :
Une statue de dix pieds de proportion , représente laPaix
occupée à greffer l'olivier sur un vieux tronc de laurier dont
les racines sont immenses . Mercure , dieu du commerce ,
serre les liens des greffes , tandis que l'Agriculture remplit
la corne d'abondance de fruits que la Paix distribue. A ses
pieds sont déposées toutes les armes offensives , en signe de
repos . La déesse est placée sur un piédestal représentant le
temple de Janus , dont les portes sont fermées par la
Victoire. Le monument est couronné par des Génies qui
s'embrassent en enlaçant des faisceaux de palmes , en signe
d'union éternelle.
NOUVELLES POLITIQUES.
Kiel , 18 août.
M. Jackson , envoyé au prince Royal comme négociateur
de l'Angleterre , a porté à Kiel des demandes de cette puissance.
Sans énoncer aucune raison , l'Angleterre exigeoit une
Dd2
430
MERCURE DE FRANCE ,
alliance offensive et défensive. Elle vouloit pour garantie la
remise de la flotte danoise, de la forteresse de Cronenbourg
et de la ville de Copenhague. Le prince Royal a rejeté de
telles propositions avec Findignation qu'elles méritoient.
Il a dit à M. Jackson qu'on ne pouvoit trouver dans l'histoire
un seul exemple d'une attaque aussi odieuse que celle
dont le Danemarck étoit menacé , et quil y auroit plus
de loyauté a espérer des pirates de Barbarie , que du gouvernement
anglais. «Vous proposez votre alliance, a ajouté
ce prince; eh ! ne savons-nous pas ce que c'est que votre
alliance ! Vos alliés , en attendant vainement des secours pendant
une année entière , nous ont appris ce qu'elle vaut. >>
M. Jackson ayant observé que le prince lui parloit bien durement
, S. A. R. a répondu que quand on avoit le courage de
se charger d'une pareille mission , il falloit avoir celui
de tout entendre ; que d'ailleurs , ce qu'il répondoit au ministre
, il le diroit également au roi d'Angleterre s'il étoit
présent. Ce fut après cette audience que le prince Royal partit
pour Copenhague. Il y fut reçu avec un enthousiame général.
Après avoir mis tout en ordre , il jugea à propos de repasser
sur le continent , en confiant au général Peymann les pouvoirs
civils et militaires pour la défense de la capitale. Au
passage du Belt , le bâtiment qui portoit le princeRoyal fut
au moment d'être arrêté par les Anglais.
Le lendemain , le public de la capitale apprit par une
proclamation affichée dans toutes les rues , le départ du
prince Royal. Le même jour , la légation anglaise s'est retirée,
Le corps diplomatique est aussi parti.
Le 13 août , M. Jackson a déclaré que les hostilités alloient
commencer. Dès-lors tout fut en armes , et l'on se prépara à
une vigoureuse défense.
La garnison de Copenhague est de huit mille hommes
detroupes réglées. L'armée est malheureusement sur le continent,
ce qui vient de ce funeste penchant des puissances
du continent de n'avoir de jalousie que contre la France et
de n'en avoir pas contre les Anglais. Mais le gouvernement
trouvera des ressources dans l'immense population de la ville
et dans les sentimens énergiques dont tous les citoyens sont
animés . Il n'y a pas un habitant qui n'ait à la bouche
la réponse faite par S. A. R. à l'agent anglais , lorsque
celui-ci lui dit que l'Angleterre compenseroit avec de l'argent
toutes les pertes que le Danemarck pourroit éprouver. « Et
>> avec quoi, répondit le prince, compenserez-vous l'hon-
>>> neur ? >>
L'attaque a commencé le 16. Toute l'armée est en marche
sur la Fionie.
AOUT 1807 . 421
En réunissant les nobles discours tenus par le prince Royal
dans ces circonstances importantes , on n'a point oublié cette
phrase: « S'il faut que par suite de la trahison des Anglais la
capitale soit prise, je saurai faire cet hiver ce qu'a fait Gustave;
et les glaces du Belt m'offriront un assuré passage. »
Camarades,
N°. I.
PROCLAMATION.
Après avoir mis ordre à tout, autant que les circonstances
et le temps me l'ont permis, je vole à l'armée pour l'employer
le plus promptement possible au salut de mes chers compatriotes
, s'il ne survient bientôt des événemens qui , conformément
à mes voeux , puissent aplanir tout d'une façon honorable
et pacifique.
Copenhague , le 12 août 1807 .
FRÉDÉRIK , prince Royal.
N°. I I.
Glukstact , 16 août 1807 .
১৬
Nous Christian VII , par la grace de Dieu , etc..
Faisons savoir :
L'envoyé britannique Jackson , ayant déclaré le 13 de ce
mois, que les hostilités contre le Danemarck commenceroient,
et ayant demandé enmême temps des passeports pour lui et
sa suite , et par conséquent la guerre entre le Danemarck ot
l'Angleterre devant être regardée comme commencée , nous
exhortons nos fidèles sujets à prendre partout les armes , pour
s'opposer aux projets audacieux de l'ennemi , et détourner sa
violente agression.
En conséquence nous ordonnons par la présente , que tous.
les navires anglais , toutes les propriétés et marchandises
anglaises soient partout séquestrées par les magistrats et autres ,
et notamment par les douaniers, dans quelque lieu , et dans
quelques maios et dépôt qu'elles se trouvent.
Nous voulons en outre que tous les sujets anglais , jusqu'à
ce qu'ils puissent être transportés hors du pays , soient arrêtés
sans exception , comme ennemis de notre royaume et de
notre pays.
Tous les magistrats et autres officiers publics , ainsi que les
subordonnés qu'ils emploient à cette fin , doivent exécuter cet
ordre avec la plus grande sévérité. Il est en outre entendu que
tous les navires et chaloupes anglaises qui approcheroient des
côtes , doivent être considérés et traités comme ennemis.
Nous ordonnons de plus que tous les étrangers suspects
422 MERCURE DE FRANCE ,
soient surveillés avec la plus grande attention , et que les
magistrats , ainsi que leurs subordonnés , s'emploient avec
le plus grand zèle à découvrir le plus tôt possible tous les
espions.
Enfin nous trouvons nécessaire d'ordonner que sous des
peines sévères toute correspondance avec des sujets anglais
cesse entièrement , aussitôt la publication desces présentes ,
et qu'on ne fasse aucun paiement quelconque à eux , ou
pour eux , jusqu'à nouvel ordre.
Nous nous confions , au reste , dans notre juste cause, dans
le courage et dans la fidélité éprouvée de nos bien-aimés
sujets.
Fait à Gluckstadt , le 16 août 1807 .
Signé le baron DE BROKDORFF.
Du 20 août.
J. C. MORITZ .
D'après la dernière dislocation des troupes en Holstein ,
elles vont former une ligne non interrompue depuis Lubeck
jusqu'à l'extrême fronti re du Jutland. On a établi de distance
en distance des petits camps le long de la côte , pour pouvoir
se porter sur tous les points. Les positions les plus importantes
du canal sont également gardées. Frederichsort a été mis en
état de défense, et de l'autre côté de l'embouchure du port
de Kiel , on a établi une batterie de 10 pièces de gros calibre.
On arme des bâtimens qui seront stationnés à l'entrée des
ports du Holstein. La milice est organisée et armée dans tout
le pays ; on a également organisé des gardes-côtes.
La milice en Sélande est forte de 19 bataillons : on en a jeté
quelques-uns dans Copenhague et Cronburg. Il en reste 13
pour protéger l'île , qui seront réunis à la cavalerie et aux
autres corps qui s'y trouvent. Partout se forment des corps
devolontaires; sous peu on aura 50.000 hommes sous les
armes dans le Danemarck et les duchés . Tout est animé de
l'enthousiasme et du courage le plus exalté et de la haine la
plus profonde contre les Anglais.
S. M. le roi se rend à Rendsburg avec tous les ministres et
lesdépartemens.
Patente concernant la guerre survenue entre le Danemarck
et l'Angleterre.
Gottorff , 16 août.
Nous Christian VII , par la grace de Dieu , roi de Danemarck , de
Norwège , des Vandales et des Goths , duc de Sleswick , d'Holstein ,
de Storman et de Ditmarsch , comme aus i d'Oldenbourg , etc. etc.
Atous nos bien-aimés et fidèles sujets faisons savoir par la présen e:
AOUT 1807 . 423
l'am' assadeur anglais Jakoon declaré , le 13 de ce mois , que le hostilites
alloi nt commencer co tre le Da einarck , t en même temps il a
demandé un pas eport pour par ir avec sa site. Dès-lors la guerre en re
le Danemarcket Angleterre est censée avoi éclaté, et tout fidè e sujet
es! r quis par la présente de prendre les armes pour repousser l'audace
violent de l'enne ui. Tout navire ou bâtiment an lais qui approchera de
la côte , doit être traité en cnemi.
On impose à chacun le devoir d'observ r attentivemen , et de dénoncer
aux magis rats tout individu étranger quinspireroit quelque soupçon.
To te lettre de change avec des sujets anglais , et tou paiement à eux
adressé , sont généralement et strictement prohibés par la présente; du
reste, nous nous confions , sous la protection de Dieu , à la just ce de
notre cause , ainsi qu'à la fidélité éprouvée et au courage des s jets de
notre monarchie danoise.
Le résente sera notifiée et affichée entous les lieux publics, fin que
chacun at à s'y conformer. Et pour foi de ce que dessus , nous avons fait
apposer notre sceau royal .
Donné en notre conseil supérieur , à notre château de Gottorff, 'e 16
ποût 1807. Signé, F. C. KRÜCK ; G. PETENSEN.
En conséquence d'un ordre suprême de son altesse royale le prince
Frédéric, endated'aujourd'hui , doanslleeqguel vụ la guerre déclarée entre
le Danemarck et l'Angleterre , il est ordonné à un chacun de prendre les
armes , d'arrêter tout Anglais qui se trouveroit ici ; de mettre en séquestre
toute propriété anglaise qui seroit en ce pays , et tous navires
anglais avec marchandises ou cargaisons , sans avoir gard à qui elles
peuvent appartenir ; et enfin , d'interdire toute correspondance avec la
nation anglaise.
Sur ce , le magistrat fait savoir publiquement qu'il est commandé à tous
et àchacun des habitans de ce lieu , 1º. à dater d'aujourd'hui , de ne point
aliéner ni expédier des propriétés ou marchandises anglaises qu'iis ont
chez eux, soit pour eux-mêmes, soit pour d'autres; 2°. de ne faire aucun
paiement à des anglais ou pour compte anglais ; 3°. de remettre sous
trois jours un état certifié par serment , de toute propriété ou marchandise
anglaise , comme aussi de ce qu'ils redevroient aux Anglais ou pour
compte anglais; 4. de s'abstenir de oute correspondance directe ou indirecte
avec les Anglais. Le magistrat est dans l'attente que chacun en ce
qui le concerne se fera un devoir d'observer ce qui est prescrit , et que
sur-tout chacun dressera son bordereau de manière à ce qu'il soit trouvé
conforme à la vérité , lorsqu'on en fera l'examen per l'inspection des livres
de commerce, L'observationdes mesures qui précèdent , est commandée
sous les peines les plus sévères.
Donné à Kiel par le bourguemestre-conseiller , ce 16 août 1807 .
(Moniteur ).
DANEMARCK.
Copenhague 16 , août.
Les Anglais ont débarqué , le 16 , plusieurs mille hommes
à Webek , trois mille d'ici. Dans ce moment ils occupent le
château de Friderischsberg et les environs de la ville: les faubourgs
sont encore libres. Dans les escarmouches qui ont eu
lieu , nous avons fait quelques prisonniers, et eu un-homme
tué et six blessés.
1
424 MERCURE DE FRANCE ,
LesAnglais ont répandu une proclamation dans laquelle ils
disent qu'ils ne sont pas venus comme ennemis , mais pour
prendre la flotte en dépót. Jusqu'à présent ils paient tout ce
qu'ils prennent.
La flotte de Rugen est arrivée le 16 au soir. Nos chaloupes
canonnières ont déjà pris hier deux transports et brûlé un troi.
sième. Le calme empêche la grande flotte d'approcher : elle
est encore à deux milles.
Nous sommes pleins de confiance; l'esprit qui règne est
excellent.
Le 18 au soir à six heures
Les Anglois fortifient, Friderichsberg qui est à undemimille
d'ici . On estime à 12,000 hommes le nombre de troupes
débarquées ; il y a parmi elles des montagnards d'Ecosse.
Nous sommes bien pourvus de vivres,
Notre commandant Peymann vient de publier la proclamatiou
suivante :
Concitoyens , pour la seconde fois le gouvernement
anglais viole le droit des gens et trouble notre repos. Pour la
seconde fois , nous voyons la capitale surprise de la manière
la plus perfide par une force anglaise. Nos ennemis ont choisi
lemoment où nos frères sont appelés à assurer le repos du pays .
sur les bords de l'Elbe ; mais ils se sont trompés dans le calcul
de nos forces et de nos moyens de défense. Ils ont oublié que
l'esprit de Frédéric repose sur nous et nous anime!!
>> Concitoyens , je dois veiller avec vous et combattre avee
vous pour nos foyers et notre honneur. C'est avec une joie
ravissante queje suis témoin de votre vif amour de la patrie ,
etde votre courage. Vous n'avez pas besoin d'encouragement.
Je suis convaincu que notre cher Prince Royal nous reconnoîtra
, s'il revient au milieu de nous. >>
Donné à la citadelle de Frédéricks Lafen , le 17 août.
Altona , 22 août.
Les habitans de Copenhague sont résolus à se défendre; ils
ont déja brûlé les faubourgs. Les Anglais paroissent fort déconcertés
des préparatifs d'une si vigoureuse défense.
Hambourg , 17 août.
Il n'est venu aucune nouvelle depuis celles qui ont été
annoncées hier. Les ordres du prince Royal contre les Anglais
s'exécutent avec rigueur. On a arrêté à Altona et à Wandsbeck,
près Hambourg , dix-sept Anglais. On a mis les scellés sur
tous les magasins à Altona , et l'on va procéder à l'inventaire
des propristés anglaises.
AOUT 1807. 425
Une consternation générale a régné aujourd'hui à la bourse.
Il ne s'est fait aucune espèce d'affaires. Un seul sentiment
animoit tout le monde : l'indignation contre l'Angleterre.
On est véritablement exaspéré.
Défense expresse est faite de laisser remonter l'Elbe à la
plus petite barque. Sion ne se relâche point de ces mesures
sévères , si les ports danois restent fermés au commerce
anglais , si ces mêmes ports et Altona cessent d'être l'entrepôt
des marchandises anglaises ; si la correspondance arglaise est
forcée de passer par la Suède , il n'y a point de doute que
cette rupture du Danemarck ne se fasse bientôt sentir à
l'Angle erre d'une manière très-fâcheuse pour elle.
Du 22.-D'après les mesures que prennent les Danois , le
commerce anglais va éprouver des pertes considérables et être
totalement suspendu. Comme ils étoient les seuls qui favori
sassent la contrebande et l'introduction des marchandiseś anglaises
dans le nord de l'Allemagne , leur état de guerre avec
les Anglais coupe entièrement la communication entr'eux et
le nord de l'Allemagne,
PARIS, vendredi 28 août
A
L'aide-de-camp du prince de Neuchâtel , M. Delagrange,
est parti le 21 août de Stralsund. Le roi de Suède , après avoir
déclaré qu'il vouloit s'enterrer sous les ruines de Stralsund
a pris la fuite , et a laissé la ville sans capitulation. Les troupes
françaises y sont entrées, et s'en sont emparées; le maréchal
Brune a eu pitié des habitans ; et quoique cette ville eût été
prise sans capitulation , il a ordonné qu'elle fût traitée avec
les plus grands égards .
Le caractère du roi de Suède s'est sur-tout fait remarquer
pendant le siège. Tous les jours il envoyoit faire des prcpositions
plus ridicules les unes que les autres. On lui répondoit
par ce proverbe , que qui trompe une fois , tant pis pour
celui qu'il trompe , mais que qui trompe une seconde fois , tant
pis pour celui qui a trompé ; qu'ayant manqué à l'engagement
pris en son nom par le général Essen , on ne pouvoit
plus se fier à sa parole , et qu'on ne vouloit point entrer en
pourparlers avec lui. Ce prince a pris alors le parti de s'ensbarquer
avec ses troupes et de fuir, laissant la ville à la merci
du vainqueur. Il a prouvé par-là qu'il étoit aussi mauvais
général que mauvais prince. C'est peut-être la première fois
qu'un roi abandonne ainsi ses sujets. Toutefois le continent en
est débarrassé pour toujours. Le roi de Suède ne rentrera plus
enPomeranie.
Nous avons trouvé dans la place 400 pièces de canon.
(Moniteur.)
426 MERCURE DE FRANCE ,
- S. Ex . M. Portalis , ministre des cultes , est mort
mardi matin , dans la soixante- unième année de son âge ,
d'une maladie dont le principe et les progrès n'avo ent
d'abord offert rien d'alarmant. Mardi matin , se sentant
plus foible , il deınanda les derniers sacremens , et il mourut
dans les bras du curé de Saint-Thomas , qui les lui administroit.
M. Portalis fut un avocat distingué au parlemeut
d'Aix , un orateur très-éloquent dans nos assemblées législatives
, un homme d'E at au conseil , un ministre éclairé ,
laborieux , utile et cher au grand inonarque qui l'avoit choisi
dans le rétablissement des cultes et de la morale publique ,
et, ce qui n'est pas moins digne d'éloge , dans toutes les circonstances
de sa vie , il fut toujours bon , toujours simple ;
et toujours un parfaitement honnête homme. Il sera universellement
regretté.
-Les députés de Westphalie , envoyés à Paris auprès du
prince Jérôme , sont :
MM. le comte'de Blumenthal etde Schulembourg , députés
de Magdebourg ;
MM. le comte Dalvensleben , grand- doyen , et de Schulembourg
, députés de la Vieille-Marche ;
MM. le baron de Hagen, conseiller provincial ; Slabenrauch
, conseiller de la régence , députés de la principauté
d'Halberstadt ;
MM. l'abbé Henke , vice-président , député des prélats ;
le comte de Brabeck, député de la noblesse ; le baron de
Plessen , idem; Fein , conseiller de la cour , député du tiersétat,
députés du duché de Brunswick;
MM. le baron de Wendt , grand-prévôt , évêque suffragant;
le comte de Merweld, grand-chanoine; le comte de
Brabeck; le baron de Hammerstein ; Crome , conseiller ;
Silberschlag , président de la régence , députés de la principauté
de Hildesheim ;
MM. le baron de Wink , grand-doyen ; de Bulsche , grand
chanoine; de Horst , conseiller provincial ; de Lins , négociant;
de Hoevel , président de la chambre ; de Pessel , conseiller
, députés de la principauté de Minden;
MM. le baron de Hammerstein , député de la noblesse ;
de Wiederhole , conseiller de justice , députés du comté de
Schauenbourg ;
MM. le baron de Gilsa , grand-écuyer , député des Etats ;
le professeur Robert , idem ; le sénateur Fischer , idem ;
le baron de Heister , conseiller privé ; d'Appel , conseiller
intime , et directeur de la chambre des finances ; Heimbach ,
conseiller de guerre ; de Nademacher , idem ; de Corvey;
AOUT 1807 . 427
هن
de Pessel ( voyez la principauté de Minden ) , députés de
l'électorat de Hesse ;
MM. le grand-doyen , comte de Kerselstadt; le baron de
Staxchausen; Gerken, conseiller député du tiers-état; Holtgreven
, conseiller de la régence pour la ville de Paderborn ,
députés de la principauté de Paderborn.
1
-S. M. l'EMPEREUR ayant communiqué au sénat le mariage
du prince Jérôzne avec la princesse de Wurtemberg, le sénat
a adressé à S. M. le message suivant :
Sire ,
« V. M. I. et R. a bien voulu annoncer au sénat , par un
message , le mariage de son auguste frère , le prince Jérôme ,
avec la princesse Catherine de Wurtemberg.
>> Le sénat, Sire , s'empresse de présenter à V. M. I. et R.
un nouvel hommage de sa gratitude et de son profond respect.
>> La France , Sire , verra avec une satisfaction bien vive , le
jeune prince qui , sur l'Océan et dans les champs de la Silésie ,
amérité de vaincre au nom du plus grand des héros , uni avec
une princesse digne du trône sur lequel la modération des destinées
de l'Europe va élever son auguste frère.
>> Elle recevra avec reconnoissance de V. M. I. et R. , се
nouveau gagede la perpétuité de la plus illustre des dynasties ,
de la tranquillité ducontinent, de la stabilité des institutions
européennes , de la félicité des nations confédérées sous vos
aigles protectrices ; et votre bon et grand peuple , Sire , sera
toujours heureux de tout ce qui pourra ajouter au bonheur
personnel de V. M. »
-Une députation du corps législatif s'est rendue auprès de
S. M. le roi de Westphalie, afin de lui offrir le tribut de ses
voeux pour la prospérité de ses peuples , la félicité de sa
personne , ainsi que celle de son auguste épouse.
Les maires des divers arrondissemens de la capitale
viennent de prévenir leurs administrés , par de nombreuses
affiches , qu'ils doivent faire prendre leurs nouvelles cartes
civiques dans leurs mairies respectives , d'iciau 1 septembre,
afin d'être admisdans les assemblées cantonnales , dont l'ouverture
doit avoir lieu ce jour-là .
Voici l'analyse de l'exposé de la situation de l'Empire , présenté
par S. Ex. le ministre de l'intérieur :
L'exorde du discours de M. Crétet se compose du tableau
général de la France , il y a quinze mois , au moment où les
députés des départemens se séparoient pour retourner dans
leurs foyers. Acette époque l'EMPEREUR sembloit enfin toucher
aumoment de jouir du fruit de ses glorieux travaux ; les
princes de l'Allemagne étoient, pour la plupart, alliés de la
428 MERCURE DE FRANCE ,
:
France ; la Prusse étoit du nombre de ses amis; les différends
avec la Russie avoient été terminés par la signature d'un traité
de paix; la tranquillité au-dehors paroissoit affermie comme
au-dedans ; de nombreuses députations accouroient de toutes
les parties de l'Empire, pour offrir à l'EMPEREUR le tribut de
l'admiration et de la reconnoissance du peuple ; les braves de
l'armée venoient assister aux fêtes ordonnées dans la capitale
pour célébrer leurs victoires ; l'EMPEREUR reportoit toute son
attention sur l'administration intérieure , lorsque l'Angleterre,
habituée à chercher sa sûreté dans le malheur des autres nations
, fit renoncer la Russie aux sentimens pacifiques , scellés
parun traité récent , entraîna la Prusse dans une guerre sans
motif et sans but, contre l'opinion des ministres et peut-être
contre la volonté du roi. Une armée de 130,000 hommes , avide
decombats , commandée par le roi et ses vieux généraux formésà
l'école du grand Frédéric , a été presque détruite dans
une première bataille , et ses débris anéantis dans les rangs des
armées russes. La France, calme et tranquille, pendant que les
orages échatoient sur les contrées lointaines où ils s'étoient
formées , a vu se poursuivre le cours des améliorations intérieures
, commencées dans l'état de paix. L'exécution de la loi
relative au recrutementa enlieu avec plusd'activitéquejamais.
Les contributions ont été ponctuellernent acquittées; les gardes
nationales ont rivalisé de zèle : l'opinion publique a conservé
toute sa pureté;... le gouvernement a été particulièrement
satisfait de la conduite des maires , et S. M. a résolu d'entourer
d'une juste considération cette magistrature paternelle , par.-
laquelle l'action de la puissance arrive à la grande majorité de
ses sujets.
Les legs et donations faits aux hospices se sont élevés , en
1806 , uncapital de 2millions 300 mille francs , et leur dotation
s'est encore accrue par un nouveau bienfait de S. M. ,
d'un capital de 15 millions 600 mille francs. Les victimes de
la guerre maritime ont reçu des indemnités de S. M.
Le gouvernement commence par s'occuper des établissemens
destinés à la repression de la mendicité. L'abbaye de Fontevrault
, les Ursulines de Montpellier, sont préparées pour recevoir
des dépôts des départeinens; celui de Villers- Coterets est
presqu'achevé, et suffira aux besoins de la capitale et des
environs.
Treize mille quatre cents lieues de route ont été entretenues,
réparées ; six mille cent vingt-septroutes principales quipartent
dela capitale, se dirigeantà toutes les frontières de l'Empire ,
ont étéle principal objet des travaux.
Dix-huit fleuves ou rivières principales ont vu leur naviga
AOUT 1807 . 429
tion s'améliorer. Dans le nombre on remarque les travaux exécutés
sur la Loire et sur la Charente.
Quatre ponts ont été achevés pendant le cours de la dernière
campagne, ou sont sur le point de l'être. Dix autres sont
en pleine activité ; on remarque sur-tout ceux de Rouanne
et de Tours.
Dix canaux , presque tous commencés sous ce règne , sont
en activité , et se poursuivent. Celui de l'Ourcq est porté aux
trois quarts d'exécution. Les deux percemens de celui de
Saint- Quentin , qui joint la Seine à l'Escaut , Paris à la Belgique
et à la Hollande, sont effectués ; ils seront achevés dans
dix-huit mois.
Les ports maritimes ont vu aussi des créations nouvelles ;
Anvers recouvre son ancienne gloire et devient un centre de
marine militaire. Pour la première fois , cette partie de l'Escaut
voit flotter des vaisseaux de 74 et de So canons. Quatorze vaisseaux
sont sur le chantier .
Flessingue élargi se trouve en état de recevoir une escadre.
ADunkerque , la jetée de l'ouest est reconstruite. ACalais ,
celles de l'est et de l'ouest sont réparées. A Cherbourg , les deux
môles sont élevés : au milieu des mers la batterie Napoleon ,
couverte de canons , ferme la rade aux vents et à l'ennemi. A
Rochefort , il a été établi un appareil ingénieux pour faire
entrer les vaisseaux de premier rang et sortir à toutes les
marées.
-
L'agriculture a été aussi le constant objet de l'attention du
gouvernement. Les bergeries nationales conservent les
belles races dans toute leur pureté : des bergers seront instruits
dans l'art d'éduquer les troupeaux. - La restauration des
haras est très-avancée. Douze dépôts d'étalons ont été établis ,
et renferment goo animaux du plus beau choix. Le service de
la monte est assuré dans un grand nombre de départemens. Les
écoles vétérinaires prospèrent.
Un code se prépare pour le commerce ; il a pour objet de
remettre en vigueur les lumineuses dispositions des anciennes
ordonnances , en les appropriant au temps présent , en protégeant
la bonne foi et en réprimant le scandale des faillites.
Nos filatures de coton sortent de l'état d'inactivité où elles
étoientil y a vingt mois. Le décret du 22 février leur a rendu la
vie , etmaintenant nos ateliers fabriquent des étoffes que nos
goûts empruntoient à l'industrie étrangère.
L'EMPEREUR a voulu que la capitale , devenue la première
capitale de l'univers, répondît par son aspect à cette glorieuse
destination. A l'une des extrémités , le pont d'Austerlitz est
achevé ; à l'autre , le pont d'Jéna est commencé. La colonne
430 MERCURE DE FRANCE ,
9
de la Grande-Armée s'élève à la place Vendôme ; le monument
Desaixau milieu de celle de la Victoire ; la statue d'Haupoult
ornera la place des Vosges. Le palais du corps législatif s'orne
d'un péristyle dont la majesté annonce le sanctuaire des lois.
Vis-à-vis sera le temple de la Victoire. Au milieu s'élève le
palais du souverain : ainsi , le trône est entre la justice et la
gloire. Les travaux de Sainte-Geneviève avancent , ceux de
Saint-Denis sont presqu'achevés. Plusieurs églises et palais
épiscopaux ont été restaurés dans les départemens. Le tombeau
de Desaix est assis sur le sommet des Alpes Dominant d'un
côté sur la France , de l'autre sur l'Italie , ce tombeau attestera
aux deux pays les honneurs renduspar leur commun libérateur ,
àson compagnon , a son ami , mort au sein de la victoire qui
fixa leur double destinée .
L'école française est occupée à retracer sur le marbre et sur
la toile les époques les plus glorieuses de ce règne.
La guerre a retardé l'établissement d'une université générale;
'EMPEREUR veut encore le perfectionner.
Plusieurs lycées on été organisés cette année; leur nombre
estde trente-cinq; ils renferment huit mille élèves , dont trois
mille sept cents doivent , en tout ou en partie , leur éducation
à la munificence nationale . Les douze écoles de droit sont
ouvertes , et deux mille étudians viennent y puiser la connoissance
des lois .
-
Les opérations relatives à la mesure de l'arc du méridien de
Barcelonne aux îles Baleares ont été reprises et seront continuées
cet hiver. L'observatoire du Panthéon est rétabli; celui
de Turin est rendu à l'astronomie.
L'EMPEREUR desire que les belles-lettres partagent l'impulsiondonnée
à tout ce qui est grand; que la langue française ,
devenue la langue de l'Europe , continue à justifier ce beau
privilége par son élégance , sa pureté et le droit de ses productions
; que l'opinion publique encourage la naissance des talens ,
les protége contre les atteintes du dénigrement et de la malignité
; qu'il n'y ait désormais pas plus de secte parmi les gens
de lettres , qu'il n'y a de parti politique dans l'Etat ; que la
littérature trouve dans l'alliance du goût et de la morale , le
principe de ses succès; que la critique devienne décente pour
être utile;queleshommes appelés à la noble fonction d'éclairer
et d'instruire , dédaignent les suffrages mendiés......
Le gouvernement n'a que de la satisfaction à témoigner en
général aux membres du clergé dans tous les degrés de la hiérarchie.
Il offre pureté de moeurs , piété, tolérance , désintéressement
, application à ses devoirs. Les divers cultes autorisés
vivent dans une union honorable pour leurs ministres.
AOUT 1807 . 431
Les Juifs , conservant le nom français , sont , par le bienfait
de S. M. , rendus dignes de le porter.
Parmi tant d'objets intéressans que présente l'exposé de la
situation de l'Empire , il en est quelques-uns plus remarquables
par leur importance et par la rapidité de leurs succès;
tel est sans doute l'état prospère de nos finances. Les négociations
du trésor , jusque- la si onéreuses , sont maintenant
àun taux modéré , dont aucun temps et aucun gouvernement
n'ont offert d'exemple. La caisse de service facilite , d'une part,
les versemens , fournit , de l'autre , aux particuliers des placemens
sûrs , et déjoue toutes les combinaisons de l'agiotage;
les caisses sont pleines , les paiemens se font à point nommé ;
les effets publics jouissent d'une confiance beaucoup plus
grande que les effets des particuliers. Pour cela aucun impôt
n'a été établi ; l'or ' re et la prévoyance ont tout fait , et cette
incroyable amélioration , une seule année , une année de
guerre a suffi pour l'opérer.
L'orateur , en terminant son discours , se résume ainsi :
<<Plusieurs branches de l'administration perfectionnées , les
finances dans l'état le plus heureux , la France seule , entre
tous les Etats de l'Europe , n'ayant pas de papier- monnaie ,
son commerce , au milieu d'une stagnation inévitable , conservant
toutes ses espérances , et préparant les germes de sa
prospérité future; nos colonies maintenues dans un état qui
doit un jour enrichir la métropole ; les armes de la France
portées , par une suite de succès sans exemple , jusqu'aux
extrémités de l'Europe; son influence s'étendant au-delàdu
Bosphore , et jusqu'au milieu du continentde l'Asie ; le plus
grand ordre , la plus profonde tranquillité régnant dans son
intérieur , lorsque son souverain a été pendant dix mois
éloigné de 600 lieues ; l'Europe soumise ou étonnée , nos
ennemis confondus , l'Angleterre restant seule chargée du
fardeau de la guerre et de la haine des peuples. Telles sont ,
Messieurs , les opérations d'une année , et les espérances de
celle qui va suivre. Ce tableau s'embellira du bien que vous
allez faire , et sans doute vous vous trouverez heureux d'avoir
à concourir à l'accomplissement des voeux d'un souverain qui,
parvenu au plus haut degré de gloire auquel un mortel puisse
arriver , fonde son bonheur sur le bonheur de son peuple , et
n'ambitionne d'autre récompense de tant de pénibles travaux,
de soins infatigables , d'inquiétudes et de danger , que l'amour
de ses sujets et le suffrage de la postérité.>>
Après cette communication intéressante , les applaudissemens
de l'assemblée et des tribunes témoignent combien les
Français sont déjà pénétrés du sentiment de reconnoissance
432 MERCURE DE FRANCE ,
et d'admiration , si bien motivé par tous les faits déve
loppés par S. E. le ministre de l'intérieure
M. le président , dans sa réponse à MM. les orateurs du
gouvernement , exprime une de ces vérités frappantes qui
reçoivent encore plus de force par le talent et l'éloquence
concise de l'orateur . M. Fontanes sait toujours louer dignement
le grand-homme qui s'est placé pour ainsi dire audessus
de tout éloge. Organe du peuple français , comme
chef de ses représentans au corps législatif, il ose parler contre
la guerre à celui qui n'a fait la guerre, que pour conquérir
la paix. Il s'élève en même temps aux graudes considérations
de la philosophie politique. En nommant la guerre
un horrible fléau , il voit aussi qu'elle a quelquefois rapproché
sur le champ de bataille des ennemis faits pour s'entendre
, s'apprécier et se servir mutuellement ; qu'elle remue
fortement les ames par des spectacles extraordinaires , et
développe de grands moyens de prospérité sociale ; mais il
ne faut pas qu'elle pese.long- temps sur les peuples ; et l'orateur
appelle les bénédictions du peuple français sur le grand
prince qui a fini la guerre avant qu'elle soit devenue fatale
aux nations. L
La réponse de M. Fontanes est vivement applaudie , et
T'assemblée en ordonne l'impression à six exemplaires , ainsi
que de l'exposé de S. Ex. le ministre de l'intérieur.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
-
-
DU SAM. 22. -C p. olo c . J. du 22 mars 1807 , Egf bog 9of gof 256
40c gof 30 40c 30c 40c 25c 30c 20c ooc. ooc . occ ooc oofooc ooc
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 88f. ooc oof ooe oof
Act. de la Banque de Fr. 1380f 000of ooc . ouoof. 0000f Dec 0ỌC
DU LUNDI 24. C pour 0/0c. J. du 22 mars 1807 , 9of 9of 3oc 40c 5oc
60c 4pc 30c 60c 50c 75c 6oc ooc oof oof. ooc ooc ooc 000
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 87f 50c . 5oc . ooc osc
Act. de la Banque de Fr. 1365f 137of 1375f 138 f coc voc.
DU MARDI 25, C. p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 92f 93f gaf 750 93f
oσe oue ooe . ooc ooc ooc ooc . oof ooc ooc coc ooc oof of ooc
Idern. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 90f. cac eof off coc . 6oc de¿
-
Act. de la Banque de Fr. 1430f 1410f 1405f. 1400f 000of
DU MERCREDI 26 — Cp . 0,0 c. J. du 22 mars 807 , 92f 40c 93f30c 50d
oof of oe onc .. moc moc oofo.c. ooc cof noc . of.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , gof 25c . oof. oof ooc ooc ooc
`Act. de la Banque de Fr. 1410f 1405f 2395f 1400f oooof ouc coc
DU JEUDI 27.- € p. o c. J. du 22 mars 1807 , 93 951 25c 40c 20º 93f
oof ooc ooc oco oc ouc ooc ooc ooc doc ooc ooc o`c ooc onc ooc vec
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , 9of gof foc ooc ooc ooc oof ooe
Act . de la Banque de Fr. 1415f. 1417f 50 € 000uf. 000of
DU VENDREdi 28. -
7
C p . ojo c. J. du 22 mars 1807 , 92f 91f 900. gaf
3oc 40c 5oc 4oc 6oc 50c ooc oof ooc ooe oof ooc doc ooc coc oof ooe
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , 89f 50c ooc . oof doc voc
Act. de la Banque de Fr. 1410f 1415f 141af 500
CCCXX. )
(
SAMEDING
SEPTEMBRE
1807.2
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DEPT
DE
LA SEIND
FRAGMENT
D'unpoëme inédit, qui a pour titre : L'ANNÉE CHAMPÊTRE,
Chant du Printemps .
Он ! qu'il est doux , après qu'un long hiver
Nous a glacés , vieillis dans nos tristes demeures,
D'aller au sein des prés , sous un bocage vert ,
Rajeunir ses travaux , sa pensée et ses heures ;
D'épier les détours , les caprices charmans ,
D'entendre les gazouillemens
De ce ruisseau jaseur , qui bondit , qui serpente ,
S'indigne des cailloux qui retardent sa pente ,
Etcache , malgré lui , ses liquides trésors
Sous le cresson touffu qui tapisse ses bords !
Ah! qu'il est doux de voir son onde qui murmure ,
Suivre ces beaux vallons dans leur molle courbure ,
Joindre l'éclat de son cristal
Aux fleurs dont s'embellit sa rive hospitalière ,
Et s'engloutir enfin dans la vaste rivière ,
Qui , richedu tribut de ce jeune vassal ,
Jette un oeil complaisant sur son large canal;
N'occupe son loisir , dans ses courses tranquilles,
t
2
Ee
434 MERCURE DE FRANCE ,
Quede ses bords heureux, de ses riantes îles ;
Voudroit fuir ces cités qui , sous des ponts massifs ,
Ainsi que son orgueil tiennent ses flots captifs ;
Et de leurs fers pompeux s'échappe dans les plaines ,
Où son miroir , ridé par de douces haleines ,
En les réfléchissant , fait mouvoir les bouquets ,
Trembler les bois , les prés , les hameaux , les campagnes ,
Balancer les coteaux , ondoyer les bosquets ,
Et, le soir, se noireit de l'ombre des montagnes !
Comme à l'entour de ces palais ,
De ces châteaux de cire où les libres abeilles
Déposent de leur art les naissantes merveilles ,
On voit avec plaisir leurs escadrons épais
Alonger , essayer sur les cloches poudreuses
Leurs ailes , que l'hiver rendoit si paresseuses ,
Saisir , dans l'aspect du matin ,
Les présages de l'air et sa température ,
Et changeant de projet , d'après leur conjecture ,
Hater ou retarder la moisson douce et pure
De ces sucs printaniers , leur champêtre butin !
Grands Dieux ! à quels transports mon ame s'abandonne,
Lorsqu'au doux bruit des flots , à leurs frémissemens ,
A ce murmure sourd de l'essaim qui bourdonne ,
Se mêlent les mugissemens
De ce boeuf qui , sorti de l'étable profonde ,
Revoit ses chers sillons , qu'il trace et qu'il féconde ;
Lorsqu'à ces vagues bêlemens
Des agneaux dispersés dans leur course inégale ,
Vient s'unir la voix matinale
Du domestique oiseau , roi de la basse-cour ,
Qui célèbre chaque intervalle
Des heures de la nuit et de celles du jour;
Etquand la flute pastorale,
2
Des vallons aux coteaux , des coteaux dans les airs ,
Fait monter à la fois nos voeux et ses concerts !
L'amour, cet attrait invincible ,
Le tourment , le bonheur de tout être sensible ,
Et qui , de l'arbre même échauffant les rameaux ,
Vers ces ormes aimés fait pencher ces ormeaux ,
L'amour natt du printemps. Sa flamme irrésistible
1
1
SEPTEMBRE 1807. 435
Consume de desirs les plus forts animaux.
Dans le tigre, dans l'ours il ressemble à la rage;
Du lion et de l'aigle il double le courage ;
Il produit du cheval les fiers hennissemens :
Tandis que, sous l'abri de la feuille nouvelle ,
Le pigeon , le ramier , l'aimable tourterelle ,
Redoublent leurs soupirs et leurs roucoulemens ;
Jamais alors , jamais , par un accent plus tendre,
Ces murmures d'amour de moi se font entendre ,
Que par ces sons voluptueux
Echappés de ces nids , que la jeune fauvette ,
Pour cacher aux regards sa famille secrète ,
Suspend aux rameaux tortueux.
Son amant suit son vol : aux caresses pressantes
Elle oppose d'abord ses ailes frémissantes ,
Et les coups de son bec , par degrés affoiblis , ..
Sa coquette pudeur , ses refus amollis.
Bientôt elle est vaincue; et , par un doux hommage,
Les baisers se multipliant ,
Du duvet de son cou , sous le bec ondoyant ,
Descendent sur tout son plumage.
Ces oiseaux, que l'on croit de la légèreté
Le modèle ainsi que l'emblême ,
:
Donnent aux animaux , nous donnent à nous-même ,
Des leçons de fidélité.
Chacun d'eux repose enchanté
Auprès de ses petits , sur les frèles demeures
Où l'aquilon jaloux peut troubler ses plaisirs :
Il y trompe le temps , il y charme les heures;
Et, par des airs nouveaux , ranime ses desirs .
Le bois , jadis muet , en devient si sonore ,
Qu'aux siècles de Dodone on croit renaître encore.
Philomèle , chantant ses amoureux ennuis ,
Vient aux concerts des jours associer les nuits ;
Et l'homme , qu'elle enlève aux douceurs de Morphée,
Est surpris que les airs aient aussi leur Orphée.
Par M. DE MURVILLE.
Ee2
430 MERCURE DE FRANCE ,
1
alliance offensive et défensive. Elle vouloit pour garantie la
remise de la flotte danoise , de la forteresse de Cronenbourg
et de la ville de Copenhague. Le prince Royal a rejeté de
telles propositions avec indignation qu'elles méritoient .
Il a dit à . Jackson qu'on ne pouvoit trouver dans l'histoire
un seul exemple d'une attaque aussi odieuse que celle
dont le Danemarck étoit menacé , et quil y auroit plus
de loyauté à espérer des pirates de Barbarie , que du gouvernement
anglais. « Vous proposez votre alliance , a ajouté
ce prince ; eh ! ne savons-nous pas ce que c'est que votre
alliance ! Vos alliés , en attendant vainement des secours pendant
une année entière , nous ont appris ce qu'elle vaut. »
M. Jackson ayant observé que le prince lui parloit bien durement
, S. A. R. a répondu que quand on avoit le courage de
se charger d'une pareille mission , il falloit avoir celui
de tout entendre ; que d'ailleurs , ce qu'il répondoit au ministre
, il le diroit également au roi d'Angleterre s'il étoit
présent. Ce fut après cette audience que le prince Royal partit
pour Copenhague. Il y fut reçu avec un enthousiame général.
Après avoir mis tout en ordre , il jugea à propos de repasser
sur le continent , en confiant au général Peymann les pouvoirs
civils et militaires pour la défense de la capitale. Au
passage du Belt , le bâtiment qui portoit le prince Royal fut
au moment d'être arrêté par les Anglais.
Le lendemain , le public de la capitale apprit par une
proclamation affichée dans toutes les rues , le départ du
prince Royal. Le même jour , la légation anglaise s'est retirée .
Le corps diplomatique est aussi parti.
Le 13 août , M. Jackson a déclaré que les hostilités alloient
commencer. Dès- lors tout fut en armes , et l'on se prépara à
une vigoureuse défense .
La garnison de Copenhague est de huit mille hommes
de troupes réglées. L'armée est malheureusement sur le continent
, ce qui vient de ce funeste penchant des puissances
du continent de n'avoir de jalousie que contre la France et
de n'en avoir pas contre les Anglais . Mais le gouvernement
trouvera des ressources dans l'immense population de la ville
et dans les sentimens énergiques dont tous les citoyens sont
animés. Il n'y a pas un habitant qui n'ait à la bouche
la réponse faite par S. A. R. à l'agent anglais , lorsque
celui-ci lui dit que l'Angleterre compenseroit avec de l'argent
toutes les pertes que le Danemarck pourroit éprouver. « Et
» avec quoi , répondit le prince , compenserez- vous l'hon-
>> neur? >>
L'attaque a commencé le 16. Toute l'armée est en marche
sar la Fionie.
AOUT 1807:
I 421
En réunissant les nobles discours tenus par le prince Royal
dans ces circonstances importantes , on n'a point oublié cette
phrase : « S'il faut que par suite de la trahison des Anglais la
capitale soit prise , je saurai faire cet hiver ce qu'a fait Gustave ;
et les glaces du Belt m'offriront un assuré passage. »>
Camarades ,
N°. I.
PROCLAMATION.
Après avoir mis ordre à tout , autant que les circonstances
et le temps me l'ont permis , je vole à l'armée pour l'employer
le plus promptement possible au salut de mes chers compatriotes
, s'il ne survient bientôt des événemens qui , conformément
à mes voeux , puissent aplanir tout d'une façon honorable
et pacifique.
Copenhague , le 12 août 1807 .
FREDERIK , prince Royal.
No. II.
Glukstast , 16 août 187.
Nous Christian VII , par la grace de Dieu , etc ..
Faisons savoir :
L'envoyé britannique Jackson , ayant déclaré le 13 de ce
mois, que les hostilités contre le Danemarck commenceroient,
et ayant demandé en même temps des passeports pour lui et
sa suite, et par conséquent la guerre entre le Danemarck t
l'Angleterre devant être regardée comme commencée , nous
exhortons nos fidèles sujets à prendre partout les armes , pour
s'opposer aux projets audacieux de l'ennemi , et détourner sa
violente agression .
En conséquence nous ordonnons par la présente , que tous.
les navires anglais , toutes les propriétés et marchandises
anglaises soient partout séquestrées par les magistrats et autres ,
et notamment par les douaniers , dans quelque lieu , et dans
quelques mains et dépôt qu'elles se trouvent.
Nous voulons en outre que tous les sujets anglais , jusqu'à
ce qu'ils puissent être transportés hors du pays , soient arrêtés
sins exception , comme ennemis de notre royaume et de
notre pays.
Tous les magistrats et autres officiers publics , ainsi que les
subordonnés qu'ils emploient à cette fin , doivent exécuter cet
ordre avec la plus grande sévérité. Il est en outre entendu que
tous les navires et chaloupes anglaises qui approcheroient des
côtes , doivent être considérés et traités comme ennemis.
Nous ordonnons de plus que tous les étrangers suspects
422
MERCURE
DE
FRANCE
,
soient surveillés avec la plus grande attention , et que les
magistrats , ainsi que leurs subordonnés , s'emploient avec
le plus grand zèle à découvrir le plus tôt possible tous les
espions.
Enfin nous trouvons nécessaire d'ordonner que sous des
peines sévères toute correspondance avec des sujets anglais
cesse entièrement , aussitôt la publication de ces présentes ,
et qu'on ne fasse aucun paiement quelconque à eux , ou
pour eux , jusqu'à nouvel ordre .
Nous nous confions , au reste , dans notre juste causė , dans
le courage et dans la fidélité éprouvée de nos bien-aimés
sujets.
Fait à Gluckstadt , le 16 août 1807.
Signé le baron DE BROKDORFF.
J. C. MORITZ.
Du 20 août.
D'après la dernière dislocation des troupes en Holstein ,
elles vont former une ligne non interrompue depuis Lubeck
jusqu'à l'extrême fronti re du Jutland. On a établi de distance
en distance des petits camps le long de la côte , pour pouvoir
se porter sur tous les points. Les positions les plus importantes
du canal sont également gardées. Frederichsort a été mis en
état de défense , et de l'autre côté de l'embouchure du port
de Kiel , on a établi une batterie de 10 pièces de gros calibre.
On arme des bâtimens qui seront stationnés à l'entrée des
.peris du Holstein. La milice est organisée et armée dans tout
pays ; on a également organisé des gardes - côtes.
La milice en Sélande est forte de 19 bataillons : on en a jeté
quelques-uns dans Copenhague et Cronburg. Il en reste 13
' pour protéger l'île , qui seront réunis à la cavalerie et aux
autres corps qui s'y trouvent. Partout se forment des corps
de volontaires ; sous peu on aura 50.000 hommes sous les
armes dans le Danemarck et les duchés. Tout est animé de
l'enthousiasme et du courage le plus exalté et de la haine la
plus profonde contre les Anglais.
S. M. le roi se rend à Rendsburg avec tous les ministres et
les départemens.
Patente concernant la guerre survenue entre le Danemarck
et l'Angleterre.
Gottorff , 16 août.
Nus Christian VII , par la grace de Dieu , roi de Danemarck , de
Norwège , des Vandales et des Goths , duc de Sleswick , d'Holstein ,
de Storman et d. Ditmarsch , comme aus i d'Oldenbourg , etc. etc.
A tous nos bien-aimés et fidèles sujets faisons savoir par la présen es
AOUT 1807. 423
1
l'am'assadeur anglais Jack on declaré , le 13 de ce mois , que le hostilites
alloi nt commencer co tre le Da emarck , it en même temps it a
demandé un pas eport pour par ir avec sa site. Dès- lors la guerre en re
le Danemarck et Angleterre est censée avoitéclaté, et tout fidè e sujet
ester quis par la présente de prendre les armes pour repousser l'audace
violent de l'enne . Tout navire ou bâtiment an¸lais qui approchera de
la côte , doit être traité en ensemi.
On impose à chacun le de voir d'observar attentivemen , et de dénoncer
aux magis rats out individu étranger qui inspireroit quelque soupçon.
To te lettre de chan e avec des sujets anglais , et ou paiement à eux
adressé , sont généralement et strictement prohibés par la présente ; du
reste , nons nos confions , sous la protection de Dieu , à la just ce de
notre cause , ainsi qu'à la fidélité éprouvée et au courage des s jets de
notre monarchie danoise.
·
Le résente sera notifiée et affichée en tous les lieux publics , fin que
chacun at à s'y conformer. Et pour foi de ce que dessus , nous avons fait
apposer notre sceau royal.
Donné en notre conseil supérieur , à notre château de Gottorff , e i
août 1807. Signé , F. C. KRÜCK ; G. PETERSEN.
En conséquence d'un ordre suprême de son altesse royale le prince
Frédéric , en date d'aujourd'hui , dans lequel , vụ la guerre déclarée entre
le Danemarck et l'Angleterre , il est ordonné à un chacun de prendre les
armes , d'arrêter tout Anglais qui se trouveroit ici ; de mettre en séquestre
toute propriété anglaise qui seroit en ce pays , et tous navires
anglais avec marchandises ou cargaisons , sans avoir égard à qui elles
peuvent appartenir ; et enfin , d'interdire toute correspondance avec la
nation anglaise.
Sur ce , le magistrat fait savoir publiquement qu'il est commandé à tous
et à chacun des habitans de ce lieu , 1º . à dater d'aujourd'hui , de ne point
aliéner ni expédier des propriétés ou marchandises anglaises qu'fis ont
chez eux , soit pour eux-mêmes , soit pour d'autres ; 2° . de ne faire aucun
paiement à des anglais ou pour compte anglais ; 3° . de remettre sous
trois jours un état certifié par serment , de toute propriété ou marchandise
anglaise , comme aussi de ce qu'ils redevroient aux Anglais ou pour
compte anglais ; 4° . de s'abstenir de oute correspondance directe ou indirecte
avec les Anglais . Le magistrat est dans l'attente que chacun en ce
qui le concerne se fera un devoir d'observer ce qui est prescrit , et que
sur-tout chacun dressera son bordereau de manière à ce qu'il soit trouvé
conforme à la vérité , lorsqu'on en fera l'examen per l'inspection des livres
de commerce. L'observation des mesures qui précèdent , est commandée
aous les peines les plus sévères .
Donné à Kiel par le bourguemestre- conseiller , ce 16 août 1807 .
( Moniteur ).
DANEMARCK.
Copenhague 16 , août .
Les Anglais ont débarqué, le 16 , plusieurs mille hommes
à Webek , trois mille d'ici. Dans ce moment ils occupent le
château de Friderischsberg et les environs de la ville : les faubourgs
sont encore libres. Dans les escarmouches qui ont eu
lieu , nous avons fait quelques prisonniers , et eu un homme
tué et six blessés.
1
424 MERCURE DE FRANCE ,
•
Les Anglais ont répandu uue proclamation dans laquelle ilg
disent qu'ils ne sont pas venus comme ennemis , mais pour
prendre la flotte en dépôt. Jusqu'à présent ils paient tout ce
qu'ils prennent.
La flotte de Rugen est arrivée le 16 au soir. Nos chaloupes
canonnieres ont déjà pris hier deux transports et brûlé un troi,
sième. Le calme empêche la grande flotte d'approcher : elle
est encore à deux milles.
Nous sommes pleins de confiance ; l'esprit qui règne est
excellent.
Le 18 au soir à six heures
Les Anglois fortifient Friderichsberg qui est à un demimille
d'ici. On estime à 12,000 hommes le nombre de troupes,
débarquées ; il y a parmi elles des montagnards d'Ecosse.
Nous sommes bien pourvus de vivres,
Notre commandant Peymann vient de publier la proclama
tiou suivante :
Concitoyens , pour la seconde fois le gouvernement
anglais viole le droit des gens et trouble notre repos. Pour la
seconde fois , nous voyons la capitale surprise de la manière
la plus perfide par une force anglaise . Nos ennemis ont choisi
le moment où nos frères sont appelés à assurer le repos du pays
sur les bords de l'Elbe ; mais ils se sont trompés dans le calcul
de nos forces et de nos moyens de défense . Ils ont oublié que
l'esprit de Frédéric repose sur nous et nous anime !!
» Concitoyens , je dois veiller avec vous et combattre avce
vous pour nos foyers el notre honneur. C'est avec une joie.
ravissante que je suis témoin de votre vif amour de la patrie ,
et de votre courage. Vous n'avez pas besoin d'encouragement.
Je suis convaincu que notre cher Prince Royal nous reconnoîtra
, s'il revient au milieu de nous. »
Donné à la citadelle de Frédéricks Lafen , le 17 août.
Altona , 22 août.
Les habitans de Copenhague sont résolus à se défendre ; ils
ont déja brûlé les faubourgs . Les Anglais paroissent fort déconcertés
des préparatifs d'une si vigoureuse défense.
Hambourg , 17 août.
Il n'est venu aucune nouvelle depuis celles qui ont été
annoncées hier. Les ordres du prince Royal contre les Anglais
s'exécutent avec rigueur. On a arrêté à Altona et à Wandsbeck,
pres Hambourg , dix-sept Anglais. On a mis les scellés sur
tous les magasins à Altona , et l'on va procéder à l'inventaire
des proprietés anglaises
A OUT 1807.
425
Une consternation générale a régné aujourd'hui à la bourse ,
Il ne s'est fait aucune espèce d'affaires. Un seul sentiment
animoit tout le monde : l'indignation contre l'Angleterre.
On est véritablement exaspéré .
Défense expresse est faite de laisser remonter l'Elbe à la
plus petite barque . Si on ne se relâche point de ces mesures
sévères , si les ports danois restent fermés au commerce
anglais , si ces mêmes ports et Altona cessent d'être l'entrepôt
des marchandises anglaises ; si la correspondance ar glaise est
forcée de passer par la Suède , il n'y a point de doute que
cette rupture du Danemarck ne se fasse bientôt sentir à
l'Angle erre d'une manière très - fâcheuse pour elle.
Du 22. D'après les mesures que prennent les Danois , le
commerce anglais va éprouver des pertes considérables et être
totalement suspendu. Comme ils étoient les seuls qui favori
sassent la contrebande et l'introduction des marchandises anglaises
dans le nord de l'Allemagne , leur état de guerre avec
les Anglais coupe entièrement la communication entr'eux et
le nord de l'Allemagne,
PARIS , vendredi 28 août
1
L'aide-de camp du prince de Neuchâtel , M. Delagrange,
est parti le 21 août de Stralsund. Le roi de Suède , après avoir
déclaré qu'il vouloit s'enterrer sous les ruines de Stralsund
a pris la fuite , et a laissé la ville sans capitulation . Les troupes
françaises y sont entrées , et s'en sont euparées ; le maréchal
Brune a eu pitié des habitans ; et quoique cette ville eût été
prise sans capitulation , il a ordonné qu'elle fût traitée avec
les plus grands égards.
Le caractère du roi de Suède s'est sur- tout fait remarquer
pendant le siége. Tous les jours il envoyoit faire des prcpositions
plus ridicules les unes que les autres. On lui répondoit
par ce proverbe , que qui trompe une fois , tant pis pour
celui qu'il trompe , mais que qui trompe une seconde fois , tant
pis pour celui qui a trompe ; qu'ayant manqué à l'engage
ment pris en son nom par le général Essen , on ne pouvoit
plus se fier à sa parole , et qu'on ne vouloit point entrer en
pourparlers avec lui. Ce prince a pris alors le parti de s'enbarquer
avec ses troupes et de fuir , laissant la ville à la merci
du vainqueur. Il a prouvé par-là qu'il étoit aussi mauvais
général que mauvais prince . C'est peut- être la première fois
qu'un roi abandonne ainsi ses sujets . Toutefois le continent en
est débarrassé pour toujours. Le roi de Suède ne rentrera plus,
Pomeranie. en
Nous avons trouvé dans la place 400 pièces de canon .
( Moniteur. )
426 MERCURE DE FRANCE ,
--
S. Ex. M. Portalis , ministre des cultes , est mort
mardi matin , dans la soixante- unième année de son âge ,
d'une maladie dont le principe et les progrès n'avo ent
d'abord offert rien d'alarmant . Mardi matin , se sentant
plus foible , il demanda les derniers sacremens , et il mourut
dans les bras du curé de Saint-Thomas , qui les lui administroit.
M. Portalis fut un avocat distingué au parlemeut
d'Aix , un orateur trè -éloquent dans nos assemblées législatives
, un homme d'Etat au conseil , un ministre éclairé
laborieux , utile et cher au grand monarque qui l'avoit choisi
dans le rétablissement des cultes et de la morale publique
et , ce qui n'est pas moins digne d'éloge , dans toutes les circonstances
de sa vie , il fut toujours bon , toujours simple ;
et toujours un parfaitement honnête homme. Il sera universellement
regretté .
-Les députés de Westphalie , envoyés à Paris auprès du
prince Jérôme , sont :
MM . le comte de Blumenthal et de Schulembourg , députés
de Magdebourg ;
MM. le comte Dalvensleben , grand- doyen , et de Schulembourg
, députés de la Vieille - Marche ;
MM. le baron de Hagen , conseiller provincial ; Slabenrauch
, conseiller de la régence , députés de la principauté
d'Halberstadt ;
MM. l'abbé Henke , vice- président , député des prélats ;
le comte de Brabeck , député de la noblesse ; le baron de
Plessen , idem ; Fein , conseiller de la cour , député du tiersétat
, députés du duché de Brunswick ;
MM. le baron de Wendt , grand-prévôt , évêque suffragant
; le comte de Merweld , grand- chanoine ; le comte de
Brabeck ; le baron de Hammerstein ; Crome , conseiller ;
Silberschlag , président de la régence , députés de la principauté
de Hildesheim ;
MM. le baron de Wink , grand- doyen ; de Bulsche , grand
chanoine ; de Horst , conseiller provincial ; de Lins , négociant
; de Hoevel , président de la chambre ; de Pessel , conseiller
, députés de la principauté de Minden ;
MM . le baron de Hammerstein , député de la noblesse ;
de Wiederhole , conseiller de justice , députés du comté de
Schauenbourg ;
MM. le baron de Gilsa , grand- écuyer , député des Etats ;
le professeur Robert , idem ; le sénateur Fischer , idem ;
le baron de Heister , conseiller privé ; d'Appel , conseiller
intime , et directeur de la chambre des finances ; Heimbach
conseiller de guerre ; de Nademacher , idem ; de Corvey ;
AOUT 1807. 427
de Pessel ( voyez la principauté de Minden ) , députés de
l'électorat de Hesse ;
MM . le grand -doyen , comte de Kerselstadt ; le baron de
Staxchausen ; Gerken , conseiller député du tiers- état ; Holtgreven
, conseiller de la régence pour la ville de Paderborn ,
députés de la principauté de Paderborn.
S. M. I'EMPEREUR ayant cominuniqué au sénat le mariage
du prince Jérône avec la princesse de Wurtemberg , le sénat
a adressé à S. M. le message suivant :
Sire
་ V. M. I. et R. a bien voulu annoncer au sénat , par un
message , le mariage de son auguste frère , le prince Jérôme ,
avec la princesse Catherine de Wurtemberg.
le
» Le sénat , Sire , s'empresse de présenter à V. M. I. et R.
un nouvel hommage de sa gratitude et de son profond respect.
» La France , Sire , verra avec une satisfaction bien vive ,
jeune prince qui , sur l'Océan et dans les champs de la Silésie ,
a mérité de vaincre au nom du plus grand des héros ,
uni avec
une princesse digne du trône sur lequel la modération des destinées
de l'Europe va élever son auguste frère.
» Elle recevra avec reconnoissance de V. M. I. et R. , ce
nouveau gage de la perpétuité de la plus illustre des dynasties ,
de la tranquillité du continent , de la stabilité des institutions
européennes , de la félicité des nations confédérées sous vos
aigles protectrices ; et votre bon et grand peuple , Sire , sera
toujours heureux de tout ce qui pourra ajouter au bonheur
personnel de V. M. »
- Une députation du corps législatif s'est rendue auprès de
S. M. le roi de Westphalie, afin de lui offrir le tribut de ses
voeux pour la prospérité de ses peuples , la félicité de sa
personne , ainsi que celle de son auguste épouse.
--
Les maires des divers arrondissemens de la capitale
viennent de prévenir leurs administrés , par de nombreuses
affiches , qu'ils doivent faire prendre leurs nouvelles cartes
civiques dans leurs mairies respectives , d'ici au 1 septembre,
afin d'être admis dans les assemblées cantonnales , dont l'ouverture
doit avoir lieu ce jour-là .
Voici l'analyse de l'exposé de la situation de l'Empire , présenté
par S. Ex. le ministre de l'intérieur :
L'exorde du discours de M. Crétet se compose du tableau
général de la France , il y a quinze mois , au moment où les
députés des départemens se séparoient pour retourner dans
leurs foyers. A cette époque l'EMPEREUR sembloit enfin toucher
au moment de jouir du fruit de ses glorieux travaux ; les
princes de l'Allemagne étoient , pour la plupart, alliés de la
428 MERCURE DE FRANCE ,
France; la Prusse étoit du nombre de ses amis ; les différends
avec la Russie avoient été terminés par la signature d'un traité
de paix ; la tranquillité au-dehors paroissoit affermie comme
au- dedans ; de nombreuses députations accouroient de toutes
les parties de l'Empire , pour offrir à l'EMPEREUR le tribut de
l'admiration et de la reconnoissance du peuple ; les braves de
l'armée venoient assister aux fêtes ordonnées dans la capitale
pour célébrer leurs victoires ; l'EMPEREUR reportoit toute son
attention sur l'administration intérieure , lorsque l'Angleterre,
habituée à chercher sa sûreté dans le malheur des autres nations
, fit renoncer la Russie aux sentimens pacifiques , scellés
par un traité récent , entraîna la Prusse dans une guerre sans
motif et sans but , contre l'opinion des ministres et peut - être
contre la volonté du roi. Une armée de 130,000 hommes , avide
de combats , commandée par le roi et ses vieux généraux formés
à l'école du grand Frédéric , a été presque détruite dans
une première bataille , et ses débris anéantis dans les rangs des
armées russes . La France, calme et tranquille , pendant que les
orages éclatoient sur les contrées lointaines où ils s'étoient
formées , a vu se poursuivre le cours des améliorations inté→
rieures , commencées dans l'état de paix . L'exécution de la loi
relative au recrutement a eu lieu avec plus d'activité que jamais.
Les contributions ont été ponctuellernent acquittées ; les gardes
nationales ont rivalisé de zèle : l'opinion publique a conservé
toute sa pureté ; ... le gouvernement a été particulièrement
satisfait de la conduite des maires , et S. M. a résolu d'entourer
d'une juste considéra ion cette magistrature paternelle , par
laquelle l'action de la puissance arrive à la grande majorité de
ses sujets.
J
Les legs et donations faits aux hospices se sont élevés , en
1806 , un capital de 2 millions 300 mille francs , et leur dotation
s'est encore accrue par un nouveau bienfait de S. M.
d'un capital de 15 millions 600 mille francs. Les victimes de
guerre maritime ont reçu des indemnités de S. M. la
"
Le gouvernement commence par s'occuper des établissemens
destinés à la repression de la mendicité. L'abbaye de Fontevrault
, les Ursulines de Montpellier, sont préparées pour rece→
voir des dépôts des départemens ; celui de Villers - Coterets est
presqu'achevé , et suffira aux besoins de la capitale et des
environs .
Treize mille quatre cents lieues de route ont été entretenues ,
réparées ; six mille cent vingt-sept routes principales qui partent
de la capitale , se dirigeant à toutes les frontières de l'Empire ,
ont été le principal objet des travaux.
Dix-huit fleuves ou rivières principales ont vu leur navigaAOUT
1807 . 429
tion s'améliorer . Dans le nombre on remarque les travaux exécutés
sur la Loire et sur la Charente.
Quatre ponts ont été achevés pendant le cours de la derniere
campagne , ou sont sur le point de l'être. Dix autres sont
en pleine activité; on remarque sur - tout ceux , de Rouanne
et de Tours.
Dix canaux , presque tous commencés sous ce règne , sont
en activité , et se poursuivent. Celui de l'Ourcq est porté aux
trois quarts d'exécution. Les deux percemens de celui de
Saint- Quentin , qui joint la Seine à l'Escaut , Paris à la Belgique
et à la Hollande , sont effectués ; ils seront achevés dans
dix-huit mois.
Les ports maritimes ont vu aussi des créations nouvelles ;
Anvers recouvre son ancienne gloire et devient un centre de
marine militaire. Pour la première fois , cette partie de l'Escaut
voit flotter des vaisseaux de 74 et de 80 canons. Quatorze vaisseaux
sont sur le chantier .
Flessingue élargi se trouve en état de recevoir une escadre.
A Dunkerque , la jetée de l'ouest est reconstruite. A Calais ,
celles de l'est et de l'ouest sont réparées. A Cherbourg , les deux
môles sont élevés au milieu des mers la batterie Napoleon ,
couverte de canons , ferme la rade aux vents et à l'ennemi . A
Rochefort , il a été établi un appareil ingénieux pour faire
entrer les vaisseaux de premier rang et sortir à toutes les
marées.
-
L'agriculture a été aussi le constant objet de l'attention du
gouvernement. Les bergeries nationales conservent les
belles races dans toute leur pureté : des bergers seront instrui's
dans l'art d'éduquer les troupeaux. La restauration des
haras est très-avancée. Douze dépôts d'étalons ont été établis ,
et renferment 900 animaux du plus beau choix. Le service de
la monte est assuré dans un grand nombre de départemens . Les
écoles vétérinaires prospèrent.
Un code se prépare pour le commerce ; il a pour objet de
remettre en vigueur les lumineuses dispositions des anciennes
ordonnances , en les appropriant au temps présent , en protégeant
la bonne foi et en réprimant le scandale des faillites.
Nos filatures de coton sortent de l'état d'inactivité où elles
étoient il y a vingt mois . Le décret du 22 février leer a rendu la
vie , et maintenant nos ateliers fabriquent des étoffes que nos
goûts empruntoient à l'industrie étrangère.
L'EMPEREUR a voulu que la capitale , devenue la première
capitale de l'univers , répondît par son aspect à cette glorieuse
destination . A l'une des extrémités , le pont d'Austerlitz est
achevé ; à l'autre , le pont d'Jéna est commencé. La colonne
430 MERCURE DE FRANCE ,
de la Grande-Armée s'élève à la place Vendôme ; le monument
Desaix au milieu de celle de la Victoire ; la statue d'Haupoult
ornera la place des Vosges. Le palais du corps législatif s'orne
d'un péristyle dont la majesté annonce le sanctuaire des lois.
Vis-à -vis sera le temple de la Victoire . Au milieu s'élève le
palais du souverain : ainsi , le trône est entre la justice et la
gloire. Les travaux de Sainte- Geneviève avancent , ceux de
Saint- Denis sont presqu'achevés. Plusieurs églises et palais
épiscopaux ont été restaurés dans les départemens. Le tombeau
de Desaix est assis sur le sommet des Alpes Dominant d'un
côté sur la France , de l'autre sur l'Italie , ce tombeau attestera
aux deux
pays les honneurs rendus par leur commun libérateur ,
à son compagnon , a son ami , mort au sein de la victoire qui
fixa leur double destinée.
L'école française est occupée à retracer sur le marbre et sur
· la toile les époques les plus glorieuses de ce règne .
La guerre a retardé l'établissement d'une université générale;
l'EMPEREUR veut encore le perfectionner.
Plusieurs lycées on été organisés cette année ; leur nombre
est de trente-cinq ; ils renferment huit mille élèves , dont trois
mille sept cents doivent , en tout ou en partie , leur éducation
à la munificence nationale. Les douze écoles de droit sont
ouvertes , et deux mille étudians viennent y puiser la connoissance
des lois.
-
Les opérations relatives à la mesure de l'arc du méridien de
Barcelonne aux îles Baléares ont été reprises et seront continuées
cet hiver. L'observatoire du Panthéon est rétabli ; celui
de Turin est rendu à l'astronomie.
L'EMPEREUR desire que les belles-lettres partagent l'impulsion
donnée à tout ce qui est graud ; que la langue française ,
devenue la langue de l'Europe , continue à justifier ce beau
privilége par son élégance , sa pureté et le droit de ses productions
; que l'opinion publique encourage la naissance des talens ,
les protége contre les atteintes du dénigrement et de la malignité
; qu'il n'y ait désormais pas plus de secte parmi les gens
de lettres , qu'il n'y a de parti politique dans l'Etat ; que la
littérature trouve dans l'alliance du goût et de la morale , le
principe de ses succès ; que la critique devienne décente pour
être utile ; que les hommes appelés à la noble fonction d'éclairer
et d'instruire , dédaignent les suffrages mendiés ......
Le gouvernement n'a que de la satisfaction à témoigner en
général aux membres du clergé dans tous les degrés de la hiérarchie.
Il offre pureté de moeurs , piété , tolerance , désin'éressement
, application à ses devoirs. Les divers cultes autorisés
vivent dans une union honorable pour leurs ministres .
AOUT 1807 . 431
Les Juifs , conservant le nom français , sont , par le bienfait
de S. M. , rendus dignes de le porter.
Parmi tant d'objets intéressans que présente l'exposé de la
situation de l'Empire , il en est quelques-uns plus remarquables
par leur importance et par la rapidité de leurs succès;
tel est sans doute l'état prospère de nos finances. Les négociations
du trésor , jusque- là si onéreuses , sont maintenant
à un taux modéré , dont aucun temps et aucun gouvernement
n'ont offert d'exemple. La caisse de service facilite , d'une part,
les versemens , fornit , de l'autre , aux particuliers des placemens
sûrs , et déjoue toutes les combinaisons de l'agiotage ;
les caisses sont pleines , les paiemens se font à point nommé ;
les effets publics jouissent d'une confiance beaucoup plus
grande que les effets des particuliers. Pour cela aucun impôt
n'a été établi ; l'or ' re et la prévoyance ont tout fait , et cette
incroyable amélioration , une seule année , une année de
guerre a suffi pour l'opérer.
L'orateur , en terminant son discours , se résume ainsi :
« Plusieurs branches de l'administration perfectionnées , les
finances dans l'état le plus heureux , la France seule , entre
tous les Etats de l'Europe , n'ayant pas de papier - monnaie ,
son commerce , au milieu d'une stagnation inévitable , conservant
toutes ses espérances , et préparant les germes de sa
prospérité future ; nos colonies maintenues dans un état qui
doit un jour enrichir la métropole ; les armes de la France
portées , par une suite de succes sans exemple , jusqu'aux
extrémités de l'Europe ; son influence s'étendant au - delà du
Bosphore, et jusqu'au inilieu du continent de l'Asie ; le plus
grand ordre , la plus profonde tranquillité régnant dans son
intérieur , lorsque son souverain a été pendant dix mois
éloigné de 600 lieues ; l'Europe soumise ou étonnée , nos
ennemis confondus , l'Angleterre restant seule chargée du
fardeau de la guerre et de la haine des peuples. Telles sont ,
Messieurs , les opérations d'une année , et les espérances de
celle qui va suivre. Ce tableau s'embellira du bien que vous
allez faire , et sans doute vous vous trouverez heureux d'avoir
à concourir à l'accomplissement des voeux d'un souverain qui ,
parvenu au plus haut degré de gloire auquel un mortel puisse
arriver , fonde son bonheur sur le bonheur de son peuple , et
n'ambitionne d'autre récompense de tant de pénibles travaux,
de soins infatigables , d'inquiétudes et de danger , que l'amour
de ses sujets et le suffrage de la postérité. »
Après cette communication intéressante , les applaudissemens
de l'assemblée et des tribunes témoignent combien les
Français sont déjà pénétrés du sentiment de reconnoissance
432 MERCURE DE FRANCE ,
et d'admiration , si bien motivé par tous les faits déve
loppés par S. E. le ministre de l'intérieur. " .
M. le président , dans sa réponse à MM . les orateurs du
gouvernement , exprime une de ces vérités frappantes qui
reçoivent encore plus de force par le talent et l'éloquence
concise de l'orateur. M. Fontanes sait toujours louer dignement
le grand-homme qui s'est placé pour ainsi dire audessus
de tout éloge. Organe du peuple français , comme
chef de ses représentans au corps législatif, il ose parler contre
la guerre à celui qui n'a fait la guerre, que pour conquérir
la paix. Il s'élève en même temps aux graudes considérations
de la philosophie politique. En nommant la guerre
un horrible fléau , il voit aussi qu'elle a quelquefois rapproché
sur le champ de bataille des ennemis faits pour s'entendre
, s'apprécier et se servir mutuellement ; qu'elle remue
fortement les ames par des spectacles extraordinaires , et
développe de grands moyens de prospérité sociale ; mais il
ne faut pas qu'elle pese.long- temps sur les peuples ; et l'orateur
appelle les bénédictions du peuple français sur le grand
prince qui a fini la guerre avant qu'elle soit devenue fatale
aux nations . L
La réponse de M. Fontanes est vivement applaudie , et
T'assemblée en ordonne l'impression à six exemplaires , ainsi
que de l'exposé de S. Ex. le ministre de l'intérieur.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
-
DO SAM. 22. -C p . olo c . J. du 22 mars 1807 , Eg 60g gof gof 25€
40c gof 300 400 30c 40c 25c 30c 20c ooc. ooc. occ oc oof ooc occ
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 88f. ooc oof ooc oof
-
Act. de la Banque de Fr. 1380f oooof ooc . oooof. 000of ooc ooc
DU LUNDI 24. C pour 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 9of 9of 30c 40c 5oc
60c 40c 30c 60c 50c 75c 6oc ooc oof oof. ooc ooc ooc ooc
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 87f 50c . 5oc . ooc osc
Act. de la Banque de Fr. 1365f 137of 137 of 138 £ coc voc.
DU MARDI 25, C. p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 92f 93f 92f 75c 93f
oбe oue ooc . ooc ooc ooc ooc . oof ooc ooc coc ooc oof of ooc
Idem . Jouiss. du 22 sept . 1807 , gof. cac cof off ooc . coc occ
Act. de la Banque de Fr. 1430f 1410f 1405f. 1400f 000of
-
DU MERCREDI 26 - Cp. oo c. J. du 22 mars 807 , 92f 40c 93f30c 500
oofo for conc . ooc cocoofo c . ooc cof noc . of.
Idem . Jouiss . du 22 sepi . 1807 , 9of 25c . oof. oof ooc ooc ooc
Act. de la Bauque de Fr. 141of 1405f 2395f 1400f 000of ouc coc
DU JEUDI 27.-· € p . o c. J. du 22 mars 1807 , 93 951 25¢ 4oc 20º 93f
pof one oóc OCÓ ĐẶC ĐỌC ĐỌC ĐỘC ĐỌC ĐỘC ĐỌC GÓC 0 C ỐỌC CỌC GỐC LỌC
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , gof gof soc ooc ooc ooc oof oo ..
Act. de la Banque de Fr. 1415f. 1417f 50c ooouf. oooof .
DU VENDRedi 28 . --
Cp. ojo c. J. du 22 mars 1807 , 92f gif 900. gaf
3oc 40c 5oc 40c 60c 50c ooc cof ooc oor oof ooc doc ooc coc oef one
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , 89f 50c ooc . oof dve voc
"
Act. de la Banque de Fr. 1410f 1415f 141af 300
(No. CCCXX . )
( SAMEDI 5 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
DEPT
LA
FRAGMENT
D'un poëme inédit, qui a pour titre : L'ANNÉE CHAMPÊTRE ,
Chant du Printemps.
OH! qu'il est doux , après qu'un long hiver'
Nous a glacés , vieillis dans nos tristes demeures,
D'aller au sein des prés , sous un bocage vert ,
Rajeunir ses travaux , sa pensée et ses heures ;
D'épier les détours , les caprices charmans ,
D'entendre les gazouillemens
De ce ruisseau jaseur , qui bondit , qui serpente ,
S'indigne des cailloux qui retardent sa pente ,
Et cache , malgré lui , ses liquides trésors
Sous le cresson touffu qui tapisse ses bords !
Ah ! qu'il est doux de voir son onde qui murmure ,
Suivre ces beaux vallons dans leur molle courbure ,
Joindre l'éclat de son cristal
Aux fleurs dont s'embellit sa rive hospitalière ,
Et s'engloutir enfin dans la vaste rivière,
Qui , riche du tribut de ce jeune vassal ,
Jette un oeil complaisant sur son large canal ;
N'occupe son loisir , dans ses courses tranquilles ,
Ee
SEINE
434 MERCURE DE FRANCE ,
Que de ses bords heureux , de ses riantes fles ;
Voudroit fuir ces cités qui , sous des ponts massifs ,
Ainsi que son orgueil tiennent ses flots captifs ;
Et de leurs fers pompeux s'échappe dans les plaines ,
Où son miroir , ridé par de douces haleines ,
En les réfléchissant , fait mouvoir les bouquets ,
Trembler les bois , les prés , les hameaux , les campagnes ,
Balancer les coteaux , ondoyer les bosquets ,
Et , le soir, se noireit de l'ombre des montagnes !
Comme à l'entour de ces palais ,
De ces châteaux de cire où les libres abeilles
Déposent de leur art les naissantes merveilles ,
On voit avec plaisir leurs escadrons épais
Alonger , essayer sur les cloches poudreuses
Leurs ailes , que l'hiver rendoit si paresseuses ,
Saisir , dans l'aspect du matin ,
Les présages de l'air et sa témpérature ,
Et changeant de projet , d'après leur conjecture ,
Håter ou retarder la moisson douce et pure
De ces sucs printaniers , leur champêtre butin !
Grands Dieux ! à quels transports mon ame s'abandonne,
Lorsqu'au doux bruit des flots, à leurs frémissemens ,
A ce murmure sourd de l'essaim qui bourdonne ,
Se mêlent les mugissemens
De ce boeuf qui , sorti de l'étable profonde ,
Revoit ses chers sillons , qu'il trace et qu'il féconde ;
Lorsqu'à ces vagues bêlemens
Des agneaux dispersés dans leur course inégale ,
Vient s'unir la voix matinale
Du domnestique oiseau , roi de la basse-cour ,
Qui célèbre chaque intervalle
Des heures de la nuit et de celles du jour;
C
Et quand la flute pastorale ,
Des vallons aux coteaux , des coteaux dans les airs ,
Fait monter à la fois nos voeux et ses concerts !
L'amour , cet attrait invincible , ··
Le tourment , le bonheur, de tout être sensible ,
Et qui , de l'arbre même échauffant les rameaux ,
Vers ces ormes aimés fait pencher ces ormeaux ,
L'amour naft du printemps. Sa flamme irrésistible
SEPTEMBRE 1807. 435
*
Consume de desirs les plus forts animaux .
Dans le tigre, dans l'ours il ressemble à la rage;
Du lion et de l'aigle il double le courage ;
Il produit du cheval les fiers hennissemens :
Tandis que , sous l'abri de la feuille nouvelle ,
Le pigeon , le ramier , l'aimable tourterelle ,
Redoublent leurs soupirs et leurs roucoulemens ;
Jamais alors , jamais , par un accent plus tendre ,
Ces murmures d'amour de moi se font entendre ,
Que par ces sons voluptueux
Echappés de ces nids , que la jeune fauvette ,
Pour cacher aux regards sa famille secrète ,
Suspend aux rameaux tortueux.
Son amant suit son vol : aux caresses pressantes
Elle oppose d'abord ses ailes frémissantes ,
Et les coups de son bec , par degrés affoiblis ,
Sa coquette pudeur , ses refus amollis.
Bientôt elle est vaincue ; et , par un doux hommage ,
Les baisers se multipliant ,
Du duvet de son cou, sous le bec ondoyant ,
Descendent sur tout son plumage.
Ces oiseaux , que l'on croit de la légèreté
Le modèle ainsi que l'emblême ,
Donnent aux animaux , nous donnent à nous-même ,
Des leçons de fidélité .
Chacun d'eux repose enchanté
Auprès de ses petits , sur les frêles demeures
Où l'aquilon jaloux peut troubler ses plaisirs :
11 y trompe le ´temps , il y charme les heures ;
Et , par des airs nouveaux, ranime ses desirs.
Le bois , jadis muet , en devient si sonore ,
17
Qu'aux siècles de Dodone on croit renaître encore.
Philomèle , chantant ses amoureux ennuis ,
Vient aux concerts des jours associer les nuits ;
Et l'homme , qu'elle enlève aux douceurs de Morphée ,
Est surpris que les airs aient aussi leur Orphée.
Par M. DE MURVILLE.
E e 2
436 MERCURE DE FRANCE,
LE VER LUISANT ET LE VER DE TERRE ,
FABLE.
Dans une de ces nuits d'été,
Dont l'obligeante obscurité
Sert d'asile au tendre mystère ,
Dans un jardin , un Ver luisant
Disoit à certain Ver de terre ,
Qui de son réduit solitaire
Venoit de sortir en rampant :
« Avouez que de la nature
>> Je suis le plus bel ornement;
>> On diroit que de ma parure
>> J'ai dérobé l'éclat au firmament.
Je crois, sans injustice aucune ,
>> Pouvoir disputer à la lune
>> Le sombre empire de la nuit.
>> Am'éclipser elle s'applique ;
>> Mais ces clartés dont elle luit ,
>> Le soleil les lui communique :
>> Je brille de mes propres feux.>>>
«Unpareil sort ne me tenteroit guère
>> Répond l'insecte tenebreux
>> Vous en rirez ; mais je préfère
>> A cet appareil fastueux ,
:
>> A tant de gloire et de lumière,
» Ma forme lugubre et grossière ,
>> Mon misérable accoutrement. >>>>
De l'amour propre étrange aveuglement,
>> Reprit le diamant mobile ;
>> Même l'espèce la plus vile
» Jusqu'à moi voudra s'élever !>>>
« A Dieu ne plaise , dit le Ver ,
>> Je me connois , je vous admire ,
>> Je rends justice à votre éclat ;
>> Mais , content de mon humble état,
J'ai le bon esprit de me dire
SEPTEMBRE 1807. 437
» Que , dans ma triste obscurité,
>> Je trouve au moins ma sûreté ,
>> Et c'est tout ce que je desire.
>> Jouissez long-temps des honneurs
>> Que la nature vous destine ,
» Et puissiez-vous , dans ses faveurs ,
>> Ne pas trouver votre ruine ! »
Comme ils parloient , sur un arbre voisin
Un Rossignol égayoit sa compagne ,
Attentive à son chant divin.
Notre chanteur , dans la campagne ,
Aperçoit le Ver lumineux
Qui se plaisoit à voir ses feux
Jaillir sur l'herbe étincelante ;
L'oiseau profite du signal ,
Fond sur le petit animal ,
Et, sans respect pour sa robe brillante,
Il croque le porte-fanal.
Du voile de la modestie
Couvrez des talens précieux;
Par trop d'éclat ne frappez pas les yeux ,
Cherchez plutôt à cacher votre vie .
Croyez -moi , mes amis , le secret d'être heureux ,
N'est guère que celui d'échapper à l'envie.
Par M. V. Jour.
ENIGME.
AUTREFOIS , de Bellone ornant la tête altière ,
J'aninmois deux rivaux luttant dans la carrière ;
Et le Dieu dont la lyre enchante les échos ,
S'arrogeant à son tour l'honneur de mes rameaux ,
En couronnoit le front de sa docte cohorte.
Maintenant , ô du sort retour injurieux !
Banni des immortels , ils m'ont conduit ces Dieux ,
Comus à la cuisine, et Bacchus à la porte.
Parun Abonné.
3
438 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
MES traits sont délicats , sans être faits au tour ;
J'embellis des objets qu'un art travaille à jour.
Mes pieds sont au nombre des Muses :
Am'éplucher si tu t'amuses ,
Tu trouveras , lecteur , un sédiment ;
Un fleuve ; du siècle un fragment;
Unlocal entouré de la liquide plaine ;
Le palefroi du vieux Silène ;
L'oiseau chéri de Jupiter ;
Un esprit habitant du ciel ou de l'enfer ;
Une figure obtuse , ou droite ou curviligne ;
De la fureur une cause maligne ;
Ce qui s'alonge sans largeur ,
Et qui s'étend sans profondeur ;
Un produit de la bergerie ;
L'essence de la poterie ;
Certain blanc qu'un oiseau domestique fournit ;
Un rude végétal , et qu'Horace a maudit;
Une substance élémentaire ;
Du cocher le cri salutaire ;
Le principe fécond du germe;.
Le trésor que l'épi renferme ;
L'harmonieux attribut d'Apollon ;
L'oiseau que La Fontaine a dépeint fanfaron;
Un grain moulu , d'usage à la cuisine ;
Dans tous les cas le fin mot qui termine.
Je suis de la métallurgie
Un des chefs-d'oeuvre superfins :
Après tout , dans deux mots latins
Tu trouveras mon étymologie.
Par M. R ... , Narbonnois octogénaire.
CHARADE.
On chante mon premier ,
On sème mon dernier ,
Et l'on craint mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Barbe.
Celui du Logogriphe est Epine , où l'on trouve épi, nipe , peine,
Celui de la Charade est Cor-sage.
SEPTEMBRE 1807 . 439
Histoire de Pierre du Terrail , dit le chevalier Bayard ,
sans Peur et sans Reproche; par M. Guyard de Berville.
Nouvelle édition. Un volume in-12 . Prix : 2 fr . 50 c. , et
3 fr. 25 c. par la poste .AParis , chez Amable Costes , lib . ,
quai des Augustins , n° . 29 ; et chez le Normant.
Ο
N ne pouvoit mieux choisir, pour réimprimer une Vie
de Bayard , que le moment où la gloire de la France est
parvenue à son plus haut degré. Quoique le théâtre de la
guerre de Troie fut resserré , les caractères célèbres tracés
par Homère ont fait l'admiration de tous les grands hommes
qui se sont distingués dans la carrière des arines . Bayard ne
doit-il pas inspirer le même sentiment ? S'il n'a pu donner
à son génie l'essor dont il étoit susceptible , s'il n'a presque
jamais commandé en chef , il n'en a pas moins été considéré
avec raison comme un des modèles de l'héroïsme
militaire.
La Vie de Bayard a été écrite par un contemporain.
Sous le nom du loyal serviteur , le secrétaire de ce chevalier
nous a transniis non-seulement ses belles actions , mais les
détails les plus circonstanciés de sa vie privée. Cette histoire
parut , pour la première fois , en 1527 , sous ce titre : La
très-joyeuse et plaisante Vie , composée par le loyal serviteur,
des faits , gestes et prouesses du bon chevalier sans
Peur et sans Reproche. Théodore Godefroy la réimprima
en 1616 , en y ajoutant des remarques ; et le président
de Boissieu , allié à Bayard par les femmes , en publia une
troisième édition en 1650 , qui passe pour la plus complète
et la plus exacte. Ce livre , peu connu aujourd'hui , a été
considéré avec raisoncomme un modèle de naïveté : le style
est plus clair et aussi nourri que celui de Philippe de Commines
; et si l'on pouvoit regretter notre ancien langage ,
l'ouvrage du loyal serviteur suffiroit pour donner quelque
fondement à cette opinion.
M. Gaillard a parlé de ce livre dans deux ouvrages différens
. Ses jugemens , très -favorables à l'auteur , doivent être
rappelés : <<Dans le livre du loyal serviteur, dit- il , l'ame du
>> héros paroît réunir toutes les vertus , sans aucun mélange
> de défauts . On pourroit croire, ou que l'auteur a étéaveuglé
>>par son zèle , ou qu'il n'a voulu que présenter auxhommes
> un modèle chimérique et inimitable , si son récit n'étoit
> confirmé par celui de tous les historiens comtemporains ,
4
440 MERCURE DE FRANCE ,
» soit français , soit étrangers ..... (1 ) » « Elle existe cette
>> ame , dit- il dans un autre ouvrage , elle respire tout
>>entière dans ce tableau qu'une main fidelle a tracé , dans
» ce livre où la vertu est si naïve et si aimable , dans ce livre
» qui est aussi un bienfait pour l'humanité : c'est le bréviaire
>> du guerrier , du citoyen , de l'homme . (2) »
M. Guyard de Berville , en écrivant la Vie de Bayard ,
qui parut pour la première fois en 1760 , s'est presque borné
à traduire l'ouvrage du loyal serviteur . C'étoit un véritable
service rendu aux lettres , parce qu'à cette époque on ne
lisoit plus guère les livres dont le style avoit vieilli. En
se renfermant dans les modestes fonctions de traducteur ,
M. Guyard de Berville a conservé autant qu'il lui a été possible
le coloris de l'original : il a su faire entrer dans le langage
moderne plusieurs tournures anciennes ; et son travail ,
sous ce rapport , est d'autant plus estimable , qu'on n'y aperçoit
aucune bigarrure. Il a en outre recueilli tous les renseignemens
donnés par les contemporains , et les a fondus
dans son ouvrage ; ce qui le rend plus complet que celui du
loyal serviteur.
Les principaux traits de la vie de Bayard sont trop connus
pour qu'on veuille les rappeler dans un extrait . Il faut les
Lire dans l'ouvrage de M. Guyard , où l'enchaînement et les
circonstances leur donnent plus d'intérêt et plus d'éclat. On
se bornera à faire quelques réflexions sur la manière dont
du Belloy a peint , dans une tragédie , l'une des époques
les plus brillantes de la vie du héros : cela fournira en
même temps l'occasion de donner une légère idée du caractère
de ce guerrier célèbre .
L'argument historique de la tragédie de Gaston etBayard
ne paroît pas très-fécond au premier coup d'oeil . Gaston de
Foix , duc de Nemours , nommé récemment vice-roi de
Milan , et général en chef de l'armée que Louis XII avoit
en Italie , venoit de chasser les Espagnols , qui avoient voulu
s'emparer de Bologne . Pendant son absence , les habitans de
Brescia , l'une des villes les plus importantes de l'Etat vénitien
, s'étoient soulevés contre les Français. A la tête des
révoltés étoit le comte Louis Avogare, irrité de ce que le
vice- roi ne l'avoit pas vengé d'un de ses ennemis . La gar
nison française fut massacrée , et les Vénitiens , à la tête
desquels étoit le provéditeur Gritti , s'emparèrent de la ville.
Le château refusa de capituler ; et le comte du Lude , quile
(1) Histoire de François Ir . Tome II.
(2) Eloge du chevalierBayard.
र
A
SEPTEMBRE 1807. 441
ortirent bient
1
commandoit, parvint à faire connoître à Gaston le danger où
il se trouvoit. Ce prince vola à son secours avecBayard. Leur
marche fut si rapide , qu'ils prévinrent les Vénitiens , qui ,
de leur côté , envoyoient des renforts au provéditeur. Gaston
et Bayard sortirent bientôt du château . Après un combat .
opiniatre , où les assaillans eurent à lutter non-seulement
contre les troupes vénitiennes , mais contre les habitans de
Brescia , qui les accabloient du haut des maisons , en jetant
sur eux des pierres , des meubles , de l'eau bouillante , ils
demeurèrent les maîtres , et la ville fut livrée au pillage.
Bayard , qui avoit dirigé l'attaque , fut blessé dangereusement
d'un coup de pique , et le fer resta dans sa plaie. Ses
amis désespérés , n'ayant point de brancard pour le transporter,
enlevèrent la porte d'une maison , le mirent dessus ,
et le conduisirent chez une dame dont la maison n'avoit
point encore été forcée , et qui fut très-heureuse d'avoir un
pareilhôte.
C'est sur cet événement , qui ne présente qu'un beau fait
d'armes, que du Belloy est parvenu à former un canevas de
tragédie. On doit convenir qu'il y a employé beaucoup d'art.
Il suppose d'abord que Bayard seul a pénétré dans le château
de Brescia. Ce guerrier est dans l'impuissance de résister
aux Vénitiens ; mais sa rréésolution inébranlable est de mourir
plutôt que de se rendre. Vainement le duc d'Urbin , neveu
du pape , veut le corrompre , et lui offre les plus grands
avantages : Bayard rejette avec horreur cette proposition.
Cette scène est une des plus belles du théâtre de du Belloy.
Cependant Gaston arrive avec son armée : il a surmonté
tous les obstacles , et son apparition imprévue produit beaucoup
d'effet. Désormais les Français n'ont plus à craindre
que les trahisons de leurs ennemis. C'est ici que commence
la fable inventée par du Belloy.
Avogare et Altémore , seigneurs bressans , ont formé le
projet de faire périr tous les Français. Le premier profite
de l'amour que sa fille a inspiré aux deux chefs pour les
diviser , et pour les perdre l'un pourl'autre. Le second , qui
aime aussi Euphémie sans en être aimé , seconde les desseins
du comte. Euphémie, comme cela est très -naturel , a préféré
le jeune Gaston au sage Bayard ; elle ignore les sinistres
desseins de son père. Cependant une dispute qui s'élève
entre les deux chefs , à l'occasion de leur amour, se calme
d'une manière inattendue par le sacrifice généreux que
Bayard fait de sa passion. Avogare et Altémore forment
d'autres trames ; Euphémie en est instruite ; elle se trouve
entre son amant et son père , et sa situation devient tragique ,
430 MERCURE DE FRANCE ,
de la Grande - Armée s'élève à la place Vendôme ; le monument
Desaix au milieu de celle de la Victoire ; la statue d'Haupoult
ornera la place des Vosges. Le palais du corps législatif s'orne
d'un péristyle dont la majesté annonce le sanctuaire des lois.
Vis-à-vis sera le temple de la Victoire. Au milieu s'élève le
palais du souverain : ainsi , le trône est entre la justice et la
gloire. Les travaux de Sainte-Geneviève avancent , ceux de
Saint- Denis sont presqu'achevés. Plusieurs églises et palais
épiscopaux ont été restaurés dans les départemens. Le tombeau
de Desaix est assis sur le sommet des Alpes . Dominant d'un
côté sur la France , de l'autre sur l'Italie , ce tombeau attestera
aux deux pays les honneurs rendus par leur commun libérateur ,
à son compagnon , a son ami , mort au sein de la victoire quí
fixa leur double destinée .
L'école française est occupée à retracer sur le marbre et sur
la toile les époques les plus glorieuses de ce règne.
La guerre a retardé l'établissement d'une université générale
; l'EMPEREUR veut encore le perfectionner.
Plusieurs lycées on été organisés cette année ; leur nombre
est de trente-cinq ; ils renferment huit mille élèves , dont trois
-mille sept cents doivent , en tout ou en partie , leur éducation
à la munificence nationale. Les douze écoles de droit sont
ouvertes , et deux mille étudians viennent y puiser la connoissance
des lois .
Les opérations relatives à la mesure de l'arc du méridien de
Barcelonne aux iles Baléares ont été reprises et seront continuées
cet hiver. L'observatoire du Panthéon est rétabli ; celui
de Turin est rendu à l'astronomie.
L'EMPEREUR desire que les belles-lettres partagent l'impulsion
donnée à tout ce qui est grand ; que la langue française ,
devenue la langue de l'Europe , continue à justifier ce beau
privilége par son élégance , sa pureté et le droit de ses productions
; que l'opinion publique encourage la naissance des talens ,
les protége contre les atteintes du dénigrement et de la malignité
; qu'il n'y ait désormais pas plus de secte parmi les gens
de lettres , qu'il n'y a de parti politique dans l'Etat ; que la
littérature trouve dans l'alliance du goût et de la morale , le
principe de ses succès ; que la critique devienne décente pour
être utile ; que les hommes appelés à la noble fonction d'éclairer
et d'instruire , dédaignent les suffrages mendiés......
Le gouvernement n'a que de la satisfaction à témoigner en
général aux membres du clergé dans tous les degrés de la hiérarchie.
Il offre pureté de moeurs , piété , tolerance , désin'éressement
, application à ses devoirs . Les divers cultes autorisés
vivent dans une union honorable pour leurs ministres.
AOUT 1807. 431
Les Juifs , conservant le nom français , sont , par le bienfait
de S. M. , rendus dignes de le porter.
Parmi tant d'objets intéressans que présente l'exposé de la
situation de l'Empire , il en est quelques-uns plus remarquables
par leur importance et par la rapidité de leurs succès;
tel est sans doute l'état prospère de nos finances . Les négociations
du trésor , jusque -là si onéreuses , sont maintenant
à un taux modéré , dont aucun temps et aucun gouvernement
n'ont offert d'exemple. La caisse de service facilite , d'une part,
les versemens , fornit , de l'autre , aux particuliers des placemens
sûrs , et déjoue toutes les combinaisons de l'agiotage ;
les caisses sont pleines , les paiemens se font à point nommé ;
les effets publics jouissent d'une confiance beaucoup plus
grande que les effets des particuliers. Pour cela aucun impôt
n'a été établi ; l'or ' re et la prévoyance ont tout fait , et cette
incroyable amélioration , une seule année , une année de
guerre a suffi pour l'opérer.
L'orateur , en terminant son discours , se résume ainsi :
« Plusieurs branches de l'administration perfectionnées , les
finances dans l'état le plus heureux , la France seule , entre
tous les Etats de l'Europe , n'ayant pas de papier - monnaie ,
son commerce , au milieu d'une stagnation inévitable , conservant
toutes ses espérances , et préparant les germes de sa
prospérité future ; nos colonies maintenues dans un état qui
doit un jour enrichir la métropole ; les armes de la France
portées , par une suite de succes sans exemple , jusqu'aux
extrémités de l'Europe ; son influence s'étendant au-delà du
Bosphore , et jusqu'au milieu du continent de l'Asie ; le plus
grand ordre , la plus profonde tranquillité régnant dans son
intérieur , lorsque son souverain a été pendant dix mois
éloigné de 600 lieues ; l'Europe soumise ou étonnée , nos
ennemis confondus , l'Angleterre restant seule chargée du
fardeau de la guerre et de la haine des peuples. Telles sont ,
Messieurs , les opérations d'une année , et les espérances de
celle qui va suivre. Ce tableau s'embellira du bien que vous
allez faire , et sans doute vous vous trouverez heureux d'avoir
à concourir à l'accomplissement des voeux d'un souverain qui ,
parvenu au plus haut degré de gloire auquel un mortel puisse
arriver , fonde son bonheur sur le bonheur de son peuple , et
n'ambitionne d'autre récompense de tant de pénibles travaux,
de soins infatigables , d'inquiétudes et de danger , que l'amour
de ses sujets et le suffrage de la postérité. »
Après cette communication intéressante , les applaudissemens
de l'assemblée et des tribunes témoignent combien les
Français sont déjà pénétrés du sentiment de reconnoissance
432 MERCURE DE FRANCE ,
et d'admiration , si bien motivé par tous les faits déve
loppés par S. E. le ministre de l'intérieur.
M. le président , dans sa réponse à MM . les orateurs du
gouvernement , exprime une de ces vérités frappantes qui
reçoivent encore plus de force par le talent et l'éloquence
concise de l'orateur . M. Fontanes sait toujours louer dignement
le grand-homme qui s'est placé pour ainsi dire audessus
de tout éloge. Organe du peuple français , comme
chef de ses représentans au corps législatif, il ose parler contre
la guerre à celui qui n'a fait la guerre, que pour coqquérir
la paix. Il s'élève en même temps aux graudes considérations
de la philosophie politique. En nommant la guerre
un horrible fléau , il voit aussi qu'elle a quelquefois rapproché
sur le champ de bataille des ennemis faits pour s'entendre
, s'apprécier et se servir mutuellement ; qu'elle remue
fortement les ames par des spectacles extraordinaires , et
développe de grands moyens de prospérité sociale ; mais il
ne faut pas qu'elle pese.long-temps sur les peuples ; et l'orateur
appelle les bénédictions du peuple français sur le grand
prince qui a fini la guerre avant qu'elle soit devenue fatale
aux nations. Zb
*
La réponse de M. Fontanes est vivement applaudie , et
T'assemblée en ordonne l'impression à six exemplaires , ainsi
que de l'exposé de S. Ex. le ministre de l'intérieur .
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
-
-
• DO SAM. 22. C p. olo c. J. du 22 mars 1807 , Egf ɓog gof gof 256
4oc gof 30 40c 3oc 40c 25c 30c 20c ooc. ooc . occ ooc oof ooc ooc
Idem . Jouiss. du 22 sept . 1807 , 88f. ooc oofooe oof
Act . de la Banque de Fr. 138of oooof ooc. oooof. 000of ooc ooc
DU LUNDI 24. C pour 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 9of gof 30€ 40c 50¢
60c 4pc 30c 60c 50c 75c 6oc ooc oof oof. ooc ooc ooc 000
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 87f 50c . 5oc . ooc osc
Act. de la Banque de Fr. 1365f 137of 137 of 138 f cọc vòc .
DU MARDI 25. C p . 0/0 c . J , du 22 mars 1807 , 92f 93f 92f 75c 93f
ooe ooc oo . ooc ooc ooc ooc . oof ooc ooc coc ooc oof of ooc
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , gof. ccc 6of off ooc . 6oc occ
Act. de la Banque de Fr. 1430f 1410f 1405f. 1400f 0000f
---
DU MERCREDI 26 — Cp . 00 c. J. du 22 mars 1807 , 92f 40c 93f3ọc 50d
oofof or conc. ooc oc oofo c . ooc cof noc . of.
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , gof zic . oof. oof ooc ooc onc
Act. de la Banque de Fr. 1410f 1405f 2395f 1400f 000of ouc ooc
DU JEUDI 27.- € p . o c . J. du 22 mars 1807 , 93 951 25c 4oc 20º 93f
oof ooc ooc oco o c ouc ooc ooc ooc doc oọc ooc orc ooc onc ode voe
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 9of gof foc ooc ooc ooc oof ooe
Act . de la Banque de Fr. 1415f. 1417f 50c 000uf. 0000fr
DU VENDRedi 28 . ---
C p. 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 92f gif 90ć . gaf
3oc 40c 50c 40c 60c 50c ooc cof ooc oor oof ooc doc ooc coc oof oos
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , 89f 50c ooc . oof Ov¢ voc
Act. de la Banque de Fr. 1410f 1415f 141af 500
"
(No. CCCXX . )
DEPT
( SAMEDI 5 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
LA
SEINE
FRAGMENT
D'un poëme inédit, qui a pour titre : L'ANNÉE CHAMPÊTRE ,
OH!
Chant du Printemps.
H ! qu'il est doux , après qu'un long hiver
Nous a glacés , vieillis dans nos tristes demeures,
D'aller au sein des prés , sous un bocage vert ,
Rajeunir ses travaux , sa pensée et ses heures ;
D'épier les détours , les caprices charmans ,
D'entendre les gazouillemens
De ce ruisseau jaseur , qui bondit , qui serpente ,
S'indigne des cailloux qui retardent sa pente ,
Et cache, malgré lui , ses liquides trésors
Sous le cresson touffu qui tapisse ses bords !
Ah ! qu'il est doux de voir son onde qui murmure ,
Suivre ces beaux vallons dans leur molle courbure
Joindre l'éclat de son cristal
Aux fleurs dont s'embellit sa rive hospitalière ,
Et s'engloutir enfin dans la vaste rivière ,
Qui , riche du tribut de ce jeune vassal ,
Jette un oeil complaisant sur son large canal ;
N'occupe son loisir , dans ses courses tranquilles ,
Ee
434 MERCURE DE FRANCE ,
Que de ses bords heureux , de ses riantes fles ;
Voudroit fuir ces cités qui , sous des ponts massifs ,
Ainsi que son orgueil tiennent ses flots captifs ;
Et de leurs fers pompeux s'échappe dans les plaines ,
Où son miroir , ridé par de douces haleines ,
En les réfléchissant , fait mouvoir les bouquets ,
Trembler les bois , les prés , les hameaux , les campagnes ,
Balancer les coteaux , ondoyer les bosquets ,
Et, le soir, se noircit de l'ombre des montagnes !
Comme à l'entour de ces palais ,
De ces châteaux de cire où les libres abeilles
Déposent de leur art les naissantes merveilles ,
On voit avec plaisir leurs escadrons épais
Alonger , essayer sur les cloches poudreuses
Leurs ailes , que l'hiver rendoit si paresseuses ,
Saisir , dans l'aspect du matin ,
Les présages de l'air et sa température,
Et changeant de projet , d'après leur conjecture ,
Håter ou retarder la moisson douce et pure
De ces sucs printaniers , leur champêtre butin !
Grands Dieux ! à quels transports mon ame s'abandonne,
Lorsqu'au doux bruit des flots , à leurs frémissemens ,
A ce murmure sourd de l'essaim qui bourdonne ,
Se mêlent les mugissemens
De ce boeuf qui , sorti de l'étable profonde ,
Revoit ses chers sillons , qu'il trace et qu'il féconde ;
Lorsqu'à ces vagues bêlemens
Des agneaux dispersés dans leur course inégale ,
Vient s'unir la voix matinale
Du domestique oiseau , roi de la basse-cour ,
Qui célèbre chaque intervalle
Des heures de la nuit et de celles du jour;
Et quand la flute pastorale ,
Des vallons aux coteaux , des coteaux dans les airs ,
Fait monter à la fois nos voeux et ses concerts !
L'amour , cet attrait invincible ', - * .
Le tourment , le bonheur, de tout être sensible ,
Et qui , de l'arbre même échauffant les rameaux ,
Vers ces ormes aimés fait pencher ces ormeaux ,
L'amɔur naft du printemps. Sa flamme irrésistible
SEPTEMBRE 1807. 435
Consume de desirs les plus forts animaux .
Dans le tigre , dans l'ours il ressemble à la rage ;
Du lion et de l'aigle il double le courage ;
Il produit du cheval les fiers hennissemens :
Tandis que , sous l'abri de la feuille nouvelle ,
Le pigeon , le ramier , l'aimable tourterelle ,
Redoublent leurs soupirs et leurs roucoulemens ;
Jamais alors , jamais , par un accent plus tendre ,
Ces murmures d'amour de moi se font entendre ,
Que par ces sons voluptueux
Echappés de ces nids , que la jeune fauvette ,
Pour cacher aux regards sa famille secrète ,
Suspend aux rameaux tortueux.
Son amant suit son vol : aux caresses pressantes
Elle oppose d'abord ses ailes frémissantes ,
Et les coups de son bec , par degrés affoiblis ,
Sa coquette pudeur , ses refus amollis.
"
Bientôt elle est vaincue ; et , par un doux hommage,
Les baisers se multipliant ,
Du duvet de son cou , sous le bec ondoyant ,
Descendent sur tout son plumage.
Ces oiseaux , que l'on croit de la légèreté
Le modèle ainsi que l'emblême ,
Donnent aux animaux , nous donnent à nous-même ,
Des leçons de fidélité .
Chacun d'eux repose enchanté
Auprès de ses petits , sur les frèles demeures
Où l'aquilon jaloux peut troubler ses plaisirs :
Il y trompe
Et, par
le temps , il y
des airs nouveaux ,
charme les heures ;
ranime ses desirs .
Le bois , jadis muet , en devient si sonore ,
Qu'aux siècles de Dodone on croit renaître encore.
Philomèle , chantant ses amoureux ennuis ,
Vient aux concerts des jours associer les nuits ;
Et l'homme, qu'elle enlève aux douceurs de Morphée,
Est surpris que les airs aient aussi leur Orphée.
Par M. DE MURVILLE.
E e 2
236 MERCURE DE FRANCE ,
LE VER LUISANT ET LE VER DE TERRE,
FABLE.
DANS une de ces nuits d'été,
Don't l'obligeante obscurité
Sert d'asile au tendre mystère ,
Dans un jardin , un Ver luisant
`Disoit à certain Ver de terre ,
Qui de son réduit solitaire
Venoit de sortir en rampant :
«<< Avouez que de la nature
» Je suis le plus bel ornement ;
>> On diroit que de ma parure
» J'ai dérobé l'éclat au firmament.
Je crois , sans injustice aucune ,
>> Pouvoir disputer à la lune
» Le sombre empire de la nuit .
» A m'éclipser elle s'applique ;"
» Mais ces clartés dont elle luit ,
» Le soleil les lui communique :
>> Je brille de mes propres feux . »
« Un pareil sort ne me tenteroit guère ,
» Répond l'insecte ténébreux':
» Vous en rirez ; mais je préfère
» A cet appareil fastueux ,
» A tant de gloire et de lumière ,
» Ma forme lugubre et grossière ,
>> Mon misérable accoutrement. »>
De l'amour propre étrange aveuglement ,
» Reprit le diamant mobile ;
» Même l'espèce la plus vile
» Jusqu'à moi voudra s'élever !»»
« A Dieu ne plaise , dit le Ver ,
» Je me connois , je vous admire ,
» Je rends justice à votre éclat ;
» Mais , content de mon humble état ,
» J'ai le bon esprit de me dire
SEPTEMBRE 1807. 437
» Que', dans ma triste obscurité ,
>> Je trouve au moins ma sûreté ,
>> Et c'est tout ce que je desire .
>> Jouissez long-temps des honneurs
» Que la nature vous destine ,
» Et puissiez- vous , dans ses faveurs ,
» Ne pas trouver votre ruine ! »
Comme ils parloient , sur un arbre voisin
Un Rossignol égayoit sa compagne ,
Attentive à son chant divin .
Notre chanteur , dans la campagne ,
Aperçoit le Ver lumineux
Qui se plaisoit à voir ses feux
Jaillir sur l'herbe étincelante ;
L'oiseau profite du signal ,
Fond sur le petit animal ,
Et, sans respect pour sa robe brillante,
Il croque le porte-fanal .
Du voile de la modestie
Couvrez des talens précieux ;
Par trop d'éclat ne frappez pas les yeux ,
Cherchez plutôt à cacher votre vie .
Croyez-moi , mes amis , le secret d'être heureux ,
N'est guère que celui d'échapper à l'envie .
Par M. V. Jour.
ENIGME.
AUTREFOIS , de Bellone ornant la tête altière ,
J'animois deux rivaux luttant dans la carrière ;
Et le Dieu dont la lyre enchante les échos ,
S'arrogeant à son tour l'honneur de mes rameaux ,
En couronnoit le front de sa docte cohorte.
Maintenant , ô du sort retour injurieux !
Banni des immortels , ils m'ont conduit ces Dieux ,
Comus à la cuisine , et Bacchus à la porte.
Par un Abonné.
3
438 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
MES traits sont délicats , sans être faits au tour ;
J'embellis des objets qu'un art travaille à jour.
Mes pieds sont au nombre des Muses :
A m'éplucher si tu t'amuses ,
Tu trouveras , lecteur , un sédiment ;
Un fleuve ; du siècle un fragment ;
Un local entouré de la liquide plaine ;
Le palefroi du vieux Silène ;
L'oiseau chéri de Jupiter ;
Un esprit habitant du ciel ou de l'enfer ;
Une figure obtuse , ou droite ou curviligne ;
De la fureur une cause maligne ;
Ce qui s'alonge sans largeur ,
Et qui s'étend sans profondeur ;
Un produit de la bergerie;
L'essence de la poterie ;
Certain blanc qu'un oiseau domestique fournit ;
Un rude végétal , et qu'Horace a maudit ;
Une substance élémentaire ;
Du cocher le cri salutaire ;
Le principe fécond du germe ;
Le trésor que l'épi renferme ;
L'harmonieux attribut d'Apollon ;
L'oiseau que La Fontaine a dépeint fanfaron ;
Un grain moulu , d'usage à la cuisine ;
Dans tous les cas le fin mot qui termine .
Je suis de la métallurgie
Un des chefs- d'oeuvre superfins :
Après tout , dans deux mots latins
Tu trouveras mon étymologie.
Par M. R ………, Narbonnois octogénaire.
CHARADE.
ON chante mon premier ,
On sème mon dernier ,
Et l'on craint mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Barbe.
Celui du Logogriphe est Epine , où l'on trouve épi , nipe , peine,
Celui de la Charade est Cor-sage .
SEPTEMBRE 1807 . 439
et
Histoire de Pierre du Terrail , dit le chevalier Bayard ,
sans Peur et sans Reproche ; par M. Guyard de Berville .
Nouvelle édition . Un volume in- 12 . Prix : 2 fr . 50 c . ,
3 fr. 25 c. par la poste . A Paris , chez Amable Costes , lib . ,
quai des Augustins , n° . 29 ; et chez le Normant.
On ne pouvoit mieux choisir , pour réimprimer une Vie
de Bayard , que le moment où la gloire de la France est
parvenue à son plus haut degré, Quoique le théâtre de la
guerre de Troie fut resserré , les caractères célèbres tracés
par Homère ont fait l'admiration de tous les grands hommes
qui se sont distingués dans la carrière des arines . Bayard ne
doit -il pas inspirer le même sentiment ? S'il n'a pu donner
à son génie l'essor dont il étoit susceptible , s'il n'a presque
jamais commandé en chef , il n'en a pas moins été considéré
avec raison comme un des modèles de l'héroïsme
militaire.
La Vie de Bayard a été écrite par un contemporain .
Sous le nom du loyal serviteur , le secrétaire de ce chevalier
nous a transmis non-seulement ses belles actions , mais les
détails les plus circonstanciés de sa vie privée. Cette histoire
parut, pour la première fois , en 1527 , sous ce titre : La
très-joyeuse et plaisante Vie , composée par le loyal serviteur,
des faits , gestes et prouesses du bon chevalier sans
Peur et sans Reproche. Théodore Godefroy la réimprima
en 1616 , en y ajoutant des remarques ; et le président
de Boissieu , allié à Bayard par les femmes , en publia une
troisième édition en 1650 , qui passe pour la plus complète
et la plus exacte. Ce livre , peu connu aujourd'hui , a été
considéré avec raison comme un modèle de naïveté : le style
est plus clair et aussi nourri que celui de Philippe de Commines
; et si l'on pouvoit regretter notre ancien langage
l'ouvrage du loyal serviteur suffiroit pour donner quelque
fondement à cette opinion.
M. Gaillard a parlé de ce livre dans deux ouvrages différens
. Ses jugemens , très-favorables à l'auteur , doivent être
rappelés : «Dans le livre du loyal serviteur , dit-il , l'ame du
» héros paroît réunir toutes les vertus , sans aucun mélange
de défauts . On pourroit croire, ou que l'auteur a été aveuglé
» par son zèle , ou qu'il n'a voulu que présenter aux hommes
>> un modèle chimérique et inimitable , si son récit n'étoit
> confirmé par celui de tous les historiens comtemporains ,
440 MERCURE DE FRANCE,
» ame ,
» soit français , soit étrangers ..... ( 1 ) » « Elle existe cette
dit - il dans un autre ouvrage , elle respire tout
>> entière dans ce tableau qu'une main fidelle a tracé , dans
» ce livre où la vertu est si naïve et si aimable , dans ce livre
» qui est aussi un bienfait pour l'humanité : c'est le bréviaire
» du guerrier , du citoyen , de l'homme. ( 2) »
M. Guyard de Berville , en écrivant la Vie de Bayard ,
qui parut pour la première fois en 1760 , s'est presque borné
à traduire l'ouvrage du loyal serviteur. C'étoit un véritable
service rendu aux lettres , parce qu'à cette époque on ne
lisoit plus guère les livres dont le style avoit vieilli . En
se renfermant dans les modestes fonctions de traducteur ,
M. Guyard de Berville a conservé autant qu'il lui a été possible
le coloris de l'original : il a su faire entrer dans le langage
moderne plusieurs tournures anciennes ; et son travail ,
sous ce rapport , est d'autant plus estimable , qu'on n'y aperçoit
aucune bigarrure. Il a en outre recueilli tous les renseignemens
donnés par les contemporains , et les a fondus.
dans son ouvrage ; ce qui le rend plus complet que celui du
loyal serviteur.
Les principaux traits de la vie de Bayard sont trop connus.
pour qu'on veuille les rappeler dans un extrait. Il faut les
lire dans l'ouvrage de M. Guyard , où l'enchaînement et les
circonstances leur donnent plus d'intérêt et plus d'éclat. On
se bornera à faire quelques réflexions sur la manière dont
du Belloy a peint , dans une tragédie , l'une des époques
les plus brillantes de la vie du héros cela fournira en
même temps l'occasion de donner une légère idée du caractère
de ce guerrier célèbre .
*
L'argument historique de la tragédie de Gaston et Bayard
ne paroît pas très-fécond au premier coup d'oeil . Gaston de
Foix , duc de Nemours , nommé récemment vice -roi de
Milan , et général en chef de l'armée que Louis XII avoit
en Italie , venoit de chasser les Espagnols , qui avoient voulu
s'emparer de Bologne . Pendant son absence , les habitans de
Brescia , l'une des villes les plus importantes de l'Etat vénitien
, s'étoient soulevés contre les Français. Ala tête des
révoltés étoit le comte Louis Avogare , irrité de ce que le
vice-roi ne l'avoit pas vengé d'un de ses ennemis . La gar
Bison française fut massacrée , et les Vénitiens , à la tête
desquels étoit le provéditeur Gritti , s'emparèrent de la ville.
Le château refusa de capituler ; et le comte du Lude , qui le
(1 ) Histoire de François Ier. Tome H
(2) Eloge du chevalier Bayard, i
SEPTEMBRE 1807: 441
Commandoit, parvint à faire connoître à Gaston le danger où
il se trouvoit. Ce prince vola à son secours avec Bayard . Leur
marche fut si rapide , qu'ils prévinrent les Vénitiens , qui ,
de leur côté , envoyoient des renforts au provéditeur . Gaston
et Bayard sortirent bientôt du château. Après un combat.
opiniâtre , où les assaillans eurent à lutter non - seulement
contre les troupes vénitiennes , mais contre les habitans de
Brescia , qui les accabloient du haut des maisons , en jetant
sur eux des pierres , des meubles , de l'eau bouillante , ils
demeurèrent les maîtres , et la ville fut livrée au pillage.
Bayard , qui avoit dirigé l'attaque , fut blessé dangereuse- ,
ment d'un coup de pique , et le fer resta dans sa plaie. Ses
amis désespérés , n'ayant point de brancard pour le transporter
, enlevèrent la porte d'une maison , le mirent dessus ,
et le conduisirent chez une dame dont la maison n'avoit
point encore été forcée , et qui fut très -heureuse d'avoir un
pareil hôte.
C'est sur cet événement , qui ne présente qu'un beau fait
d'armes, que
du Belloy est parvenu à former un canevas de
tragédie. On doit convenir qu'il y a employé beaucoup d'art.
Il suppose d'abord que Bayard seul a pénétré dans le château
de Brescia. Ce guerrier est dans l'impuissance de résister
aux Vénitiens ; mais sa résolution inébranlable est de mourir
plutôt que de se rendre . Vainement le duc d'Urbin , neveu
du pape , veut le corrompre , et lui offre les plus grands
avantages : Bayard rejette avec horreur cette proposition .
Cette scène est une des plus belles du théâtre de du Belloy.
Cependant Gaston arrive avec son armée : il a surmonté
tous les obstacles , et son apparition imprévue produit beaucoup
d'effet. Désormais les Français n'ont plus à craindre
les trahisons de leurs ennemis . C'est ici que commence
la fable inventée par du Belloy.
que
Avogare et Altémore , seigneurs bressans , ont formé le
projet de faire périr tous les Français . Le premier profite
de l'amour que sa fille a inspiré aux deux chefs pour les
diviser , et pour les perdre l'un pour l'autre . Le second , qui
aime aussi Euphémie sans en être aimé , seconde les desseins
du comte. Euphémie , comme cela est très - naturel , a préféré
le jeune Gaston au sage Bayard ; elle ignore les sinistres
desseins de son père. Cependant une dispute qui s'élève
entre les deux chefs , à l'occasion de leur amour , se calme
d'une manière inattendue par le sacrifice généreux que
Bayard fait de sa passion . Avogare et Altémore forment
d'autres trames ; Euphémie en est instruite ; elle se trouve
entre son amant et son père , et sa situation devient tragique ,
*
442 MERCURE DE FRANCE ,
-
Heureusement la dernière conspiration , qui est la plus terrible
et la plus dangereuse , puisqu'il s'agit de faire sauter
en l'air le palais où sont les généraux français , est découverte
par un déserteur dont le noble dévouement efface le crime .
Ce rôle, très-bien amené , offre une grande leçon aux soldats
français qui seroient tentés de préférer le service étranger
à celui de leur patrie. Avogare et Altémore sont punis :
comme dans le Cid, Gaston et Euphémie conçoivent l'espoir
de s'unir quand celle-ci aura pu calmer sa douleur.
Cette intrigue est, comme on le voit , assez commune ;
mais du Belloy a eu le mérite de faire entrer dans son cadre
de beaux développemens qui servent à peindre les moeurs
du temps , et les caractères de ses deux héros . Heureux s'il
se fût abstenu des coups de théâtre , et des petits moyens
dont il se servoit trop souvent ! Quoi qu'il en soit , sa pièce
est restée au répertoire : la facilité qu'elle offre aux comédiens
de briller sans beaucoup de peine dans les deux principaux
rôles , a contribué à l'y maintenir autant que les
noms célèbres qu'elle rappelle.
On a dit que du Belloy n'avoit négligé aucune occasion
de peindre ses héros : il a eu souvent l'art de placer dans la
bouche de Bayard les belles réponses qu'il avoit faites en
différentes occasions. Nous en citerons deux exemples.'
Il est très-vrai que le pape Jules II fit proposer à Bayard
de passer à son service : ce fut à la fin de 1503 , après l'affaire
deGarillan. Bayard répondit qu'il n'avoit qu'un maître au
ciel qui étoit Dieu , et un maître sur la terre qui étoit le roi ,
et qu'il n'en serviroitjamais d'autres. Du Belloy a très-bien
paraphrasé cette belle réponse : Bayard relève avec convenance
et d'une manière poétique l'emportement inconsidéré
d'un pape octogénaire qui prit les armes au siége de la
Mirandole , et qui entra dans cette ville par la brêche :
Un pontife m'exhorte à violer ma foi !
Des Chrétiens mieux que lui je connois donc la loi .
Dieu dit à tout sujet , quand il lui donne l'être :
« Sers , pour me bien servir , ta patrie et ton maître ;
>>Sur la terre à ton roi j'ai remis mon pouvoir ;
>> Vivre et mourir pour lui c'est ton premier devoir . >>
En rappelant nos coeurs à cette loi suprême ,
Unpontife devient l'organe de Dieu même;
Mais , Seigneur, quand sa voix trahit l'ordre du ciel ,
C'est l'hommealors qui parle, et l'homme criminel.
Envain d'unrang sacré Jule exalte l'empire ,
Lui qui, soufflant partout la fureur qui l'inspire,
Dupieddes saints autels embrase l'univers;
Luiqui , le front blanchi par quatre- vingts hivers ,
Etaledans un camp le mélange bizarre
SEPTEMBRE 1807 . 443
De l'airain des guerriers au lin de la tiare;
Qui dans Mirande , enfin , vint lui- même assiéger ,
Dépouiller l'orphelin qu'il devoit protéger.
Ne croyez pas pourtant que mon erreur sinistre
Rejette sur l'autel l'opprobre du ministre.
Dépend- il en effet des vices d'un mortel
Dedégrader le nom , les droits de l'Eternel ?
Sont- ils moins saints pour nous quand Jules les profane ?
Le crime avilit- il la loi qui le condamne ?
Je sépare deux noms qu'on veut associer ;
Je révère un pontifeet combats un guerrier .
On a transcrit cette tirade , quoiqu'un peu longue, parce
que c'est peut-être le morceau de duBelloy le mieux soutenu.
LorsqueBayard entreprit la fameuse défense de Mézières ,
qui le couvrit de gloire , on le somma de se rendre , en lui
faisant observer que la place n'étoit pas forte , et n'avoit pas
une garnison suffisante. Les généraux ennemis lui offrirent
en outre telle composition qu'il desireroit. Il répondit qu'il
les remercioit de leurs offres gracieuses ; mais que le roi
l'ayant choisi pour garder la place , il la conserveroit si bien
qu'ils s'ennuieroient du siège avant lui , et qu'avant que
d'entendre à en sortir, il espéroit faire dans les fossés un
pont de corps morts sur lesquels il pourroit passer. Du
Belloy a placé ce dernier trait dans sa tragédie : en montrant
au duc d'Urbin ses vieux soldats couverts de cicatrices ,
Bayard ajoute:
Ils ne veulent sortir de ces fossés sanglans
Que sur un pont formé d'ennemis expirans .
Après avoir parcouru la fable un peu romanesque sur
laquelle du Belloy a fondé sa tragédie , on ne sera peut-être
pas fâché de savoir ce que Bayard fit réellement à Bresse
lorsqu'il fut blessé.
On le soigna , comme on l'a dit , chez une dame des
premières familles de la ville. Le mari étoit absent , et deux
demoiselles fort aimables habitoient la maison avec leur
mère. La présence de Bayard empêcha cette_famille d'éprouver
les désastres qui suivent un assaut. Le chevalier
se rétablit après quelques semaines , et voulut aller partager
avec son général l'honneur de la bataille de Ravennes. La
dame chez laquelle il étoit logé crut qu'à son départ il
exigeroit une somme immense pour avoir préservé sa
maison du pillage. D'ailleurs , suivant les usages du temps ,
elle se regardoit elle et son époux comme les prisonniers de
Bayard. Atout hasard , elle mit deux mille cinq cents ducats
en or dans un coffre d'acier , et les porta au vainqueur.
* Monseigneur , lui dit-elle , je rendrai graces à Dieu
444 MERCURE DE FRANCE ,
>>toute ma vie de ce qu'il lui a plu , dans le saccagement
>> de notre ville , conduire en notre maison un chevalier si
» généreux ; je vous regarderai toujours comme notre ange
>>tutélaire , et reconnoîtrai vous devoir la vie et l'honneur ,
>>ainsi que mon mari et mes deux filles . Depuis que vous
>>y êtes entré , nous n'avons reçu de vous que bontés et
>>amitiés ; vos gens même ne nous ont manqué en rien ,
>> et n'ont pas disposé de la moindre chose sans payer .
>>Nous confessons être vos prisonniers : la maison et tout
>> ce qu'elle contient est à vous par droit de conquête ; mais
> vous nous avez laissé voir tant de générosité et de gran-
>>deur d'ame , que je viens vous prier d'avoir pitié de
>>nous , et de vous contenter du petit présent que j'ai l'hon-
>> neur de vous offrir . »
Bayard demanda froidement combien contenoit le coffre :
ladame , craignant qu'il ne trouvât la rançon trop modique ,
le lui dit en tremblant , et offrit d'ajouter ce qu'il desireroit :
« Ce n'est pas ce que je veux dire , répliqua Bayard :
>>quand vous m'offririez cent mille écus , je ne les estimerois.
>> pas tant que tout le bien que vous m'avez fait depuis que
>>je suis chez vous , et la bonne compagnie que vous m'avez
>>tenue , vous et votre famille. >> En effet , la mère et ses
deux filles avoient souvent porté leur ouvrage dans la
chambre du chevalier , et s'étoient efforcées de le distraire ,
soit en chantant , soit en jouant du luth : « Au lieu de
>>prendre votre argent , ajouta Bayard , je vous promets
>> que , tant que je vivrai , vous aurez en moi un gentil -
>>homme pour serviteur et pour ami , et que je conserverai
>> chèrement le souvenir de vos bienfaits .>>>
La dame , profondément touchée de la générosité de
Bayard , insista pour qu'il acceptât le coffre : « Puisque
>>vous le voulez absolument , Madame , répondit - il , je
>> l'accepte ; mais , je vous prie , faites venir vos demoiselles
» pour que je prenne congé d'elles . >>> La dame obéit :
pendant son absence , Bayard partagea la somme en trois
lots , deux de mille ducats , et un de cinq cents . Les demoiselles
parurent devant lui avec leur mère ; l'aînée se jeta à
ses pieds : « Vous voyez en nous , lui dit-elle , Monseigneur,
>>deux jeunes filles qui vous doivent la vie et l'honneur .
>>Nous sommes bien fâchées de n'avoir pas d'autre puis-
>>sance pour reconnoître vos graces , que de prier Dieu
>> toute notre vie pour votre seigneurie , et de lui demander
>>qu'il vous récompense en cette vie et dans l'autre. >>>
Bayard attendri lui répondit les larmes aux yeux : « Vous
> savez que les gens de guerre ne sont pas ordinairement
SEPTEMBRE 1807 . 445
.
chargés de bijoux ou autres choses à présenter aux de-
» moiselles ; mais madame votre mère vient de m'obliger
» de recevoir d'elle deux mille cinq cents ducats que vous
» voyez là ; je vous en donne à chacune mille pour con-
» tribuer à vous marier. Madame , poursuivit- il , en s'a-
» dressant à la mère , ces cinq cents ducats sont à mon
profit ; et l'usage que j'en veux faire , c'est de les distri-
» buer aux pauvres monastères de filles qui auront le plus
» souffert du pillage : comme je vais partir , et que vous
» êtes plus en état que moi de connoître où sera le plus
» grand besoin , je me repose sur vous de cette bonne
» oeuvre ; et tout de suite je prends congé de vous et de
» vos filles . »
·»
On imagine l'effet que tant de générosité dut produire
sur ces trois femmes . Le lendemain il les fit dîner avec lui ,
et ne voulut accepter d'elles que de petits ouvrages sortis
de leurs mains . Il partit ensuite comblé des bénédictions
de cette famille. Ce récit , beaucoup plus développé dans
l'ouvrage de M. Guyard , donne une idée du caractère de
Bayard.
Ce guerrier , célibataire jusqu'à sa mort , ne fut pas
insensible aux charmes d'un sexe que les lois de la chevalerie
lui prescrivoient de servir . S'il fit quelques fautes ,
elles furent effacées par plus d'un trait digne de celui que
nous venons de rapporter.
Très-jeune encore , et lorsqu'il ne faisoit qu'entrer dans
la carrière des armes , il fut épris d'une demoiselle de la
cour de Savoie. Cette demoiselle partagéoit son amour ;
mais le chevalier, appelé par l'honneur, suivit Charles VIII
en Italie. Pendant son absence , les parens de la demoiselle
la marièrent malgré elle au seigneur de Fluxas , l'un des
gentilshommes du pays. Cette dame revit Bayard quelques
années après son mariage . La conversation qu'ils eurent
ensemble donne une idée des moeurs du temps. Nous ne la
puiserons point dans l'ouvrage de M. Guyard de Berville ,
'mais dans les anciens Mémoires du loyal serviteur , écrits
d'une manière beaucoup plus naïve .
La dame de Fluxas , après avoir félicité Bayard de ses
exploits , lui parla ainsi : « Monseigneur de Bayard , mon
amy, voicy la première maison où vous avez esté nourry;
» ce vous seroit grand honte si vous ne vous y faisiez co-
» gnoître , aussi bien qu'avez faict ailleurs. »
Madame , répondit Bayard , vous savez bien que dès
» ma jeunesse vous ay aimée , prisée et honorée ; et si
» vous tiens à si saige et bien enseignée que ne voulez
446 MERCURE
DE FRANCE
,
»
» mal à personne , et encore à moy moins qu'à un autre.
Dites-moy , s'il vous plaict , que voulez-vous que je fasse
» pour donner plaisir à madame votre bonne maîtresse
» à vous sur toutes , et au reste de la bonne et belle com-
» pagnie qui est céans ? »
»
"
Cette bonne maîtresse étoit Blanche , duchesse douairière
de Savoie. Mad. de Fluxas demanda à Bayard qu'il lui
donnât le spectacle d'un tournois : « Vrayement , lui répondit-
il , puisque le voulez , il sera faict . Vous êtes la
» dame en ce monde qui a premièrement acquis mon
» coeur à son service , par le moyen de votre bonne grace.
» Je suis asseuré que je n'en auray jamais que la bouche
» et les mains ; car de vous requérir d'autre chose , je
perdrois ma peine aussi , sur mon ame , j'aimerois
» mieulx mourir que vous presser déshonneur etc. >>
Cette réponse de Bayard justifie la familiarité de Mad. de
Fluxas , qui , dans nos moeurs , seroit au moins impru-
»
dente.
:
2
L'ouvrage de M. Guyard de Berville se fait lire avec
intérêt. On pourroit reprocher à l'auteur d'entrer dans des
détails trop minutieux , de manquer de rapidité , et de
ne pas écrire assez noblement ; mais ces défauts même ont
leur agrément : ils tiennent à l'intention qu'a eue l'auteur
de peindre l'esprit et les moeurs naïves du siècle . M. Guyard
a fait un ouvrage plus important , dont une nouvelle édition
seroit probablement accueillie : c'est une Vie de Duguesclin.
Elle présente plus d'intérêt , parce que , dès le commencement
de sa carrière , Duguesclin commande en chef , et
parce qu'il fit , par sa valeur et sa constance , une grande
révolution en Espagne. P.
Elégies de Tibulle , traduction nouvelle , en vers français
par F. de Carondelet- Potelles . Un vol. in-8 . Prix : 4 fr ..
et 5 fr. par la poste. A Paris , chez Buisson , libraire , rue
Git- le-Coeur ; et chez le Normant .
« TIBULLE , dit M. de La Harpe , est le poète du sentiment
; il est sur-tout , comme écrivain , supérieur à tous
ses rivaux . Son style est d'une élégance exquise , son goût
est pur , sa composition irréprochable. Il a un charme
d'expression qu'aucune traduction ne peut rendre . Il ne
peut être bien senti que par le coeur. Une harmonie délicieuse
porte au fond de l'aime les impressions les plus douces :
SEPTEMBRE 1807 . 447
c'est le livre des amans. Il a, de plus , ce goût pour la campagne
qui s'accorde si bien avec l'amour ; car la nature est
toujours plus belle quand on n'y voit qu'un seul objet. C'est
à Tibulle qu'il en faut revenir , c'est lui qu'il faut relire
quand on aime . »
Ce poète si pur , si harmonieux , si délicat , et , à tous
égards , si difficile à traduire , ne devroit pas être exposé , ce
semble , aux entreprises des traducteurs médiocres. Il y a
dans sa perfection et ses graces singulières quelque chose
qui avertit impérieusement la médiocrité de ne point y
toucher ; mais cet avertissement n'est entendu que de la
médiocrité qui se connoît. Il est sans effet et comme non
avenu pour la médiocrité qui s'ignore ; c'est-à-dire , qui
s'en fait accroire à elle-même , qui s'exagère ridiculement
ses moyens , et ne sait se refuser à aucun projet difficile , à
aucune espérance invraisemblable. Un homme d'esprit , qui
s'est essayé quelquefois à rimer des chansonnettes , qui
aime Tibulle et veut se faire un nom dans les lettres ,
imagine tout naturellement de traduire Tibulle en vers . Il
se met donc à l'oeuvre , et , sans avoir de Nemesis ni de Délie
qui l'inspire , sans posséder aucun des heureux talens du
chantre de Némesis et de Délie , il redit en français mesuré
et rimé ce que Tibulle a si bien dit en latin seulement
mesuré. Que résulte-t-il de ses versions mécaniques et de son
froid travail ? Que le doux , le tendre , le gracieux Tibulle
est rendu méconnoissable à tous les yeux ; que ces élégies
latines , où le coeur , l'imagination et le goût ont savouré
cent choses charmantes , n'offrent plus , sous le titre d'élégies
françaises , qu'un mauvais recueil de pièces érotiques , où
l'esprit est sans naturel , la passion sans accent , et la poésie
sans coloris ; et qu'enfiu l'on est tenté de dire au traducteur
avec reproche , comme la Muse de l'épigramme le disoît
autrefois à un de ses pareils ,
Que traduire ainsi les anciens ,
C'est les traduite en ridicule .
Je suis fâché pour M. de Carondelet-Potelles qu'il ait
employé aussi malheureusement ses loisirs. Il auroit dû
mieux consulter ses forces , et s'attacher à quelque autre
genre de travail littéraire. Il ne parle pas assez bien sa
langue pour être endroit de la faire parler à sa manière
aux poètes distingués de l'ancienne Rome. Il n'a sur-tout,
comme écrivain , ni la justesse , ni le beau naturel , ni l'élégance
exquise et soutenue qui seroient nécessaires à un traducteurde
Tibulle. Son imagination ne paroît être nulle448
MERCURE DE FRANCE ,
ment poétique. Le sentiment et la tendresse ont chez lui
un air emprunté . De quelque manière , en un mot , et sous
quelque rapport qu'on envisage sa traduction , elle paroîtra
tout-à-fait indigne de l'original qu'elle représente. J'en vais
citer deux morceaux que je ferai précéder du texte latin , et
que le lecteur pourra ainsi apprécier par comparaison. Je
lesprends l'un et l'autre dans la première élégie.Voici d'abord
quelques vers de Tibulle :
« Te bellare decet terra , Messala , marique ,
Ut domus hostiles præferat exuvias .
Me retineni vinctumformosæ vincla puellæ ,
Et sedeo duras janitor antè fores .
Non ego laudari curo , mea Delia , tecum
Dummodò sim , quæso , segnis inersque vocer.
Ipse boves , modò sim tecum , mea Delia , possim
Jungere , et in solo pascere monte pecus;
Et te dùm liceat teneris retinere lacertis ,
Mollis in incultd sit mihi somnus huто . »
En voici la traduction :
1. C
:
« Messala , de vingt rois enchaînés sur tes pas,
Traînant la déponille ennemie ,
C'est à toi de chercher , d'obtenir aux combats
L'éclat d'une gloire enrichie :
Moi , gardien d'une amante , et captif dans ses lacs ,
Je veille à sa porte chérie.
Le laurier triomphal n'attire point mes voeux ;
Aux pieds de la beauté que j'aime
Je veux bien qu'on me nomme oisif et paresseux...
Le Destin me forçåt - il même
De paître mes troupeaux et d'atteler mes boeufs ,
J'y trouverois mon bien suprême;
Et je saurois goûter un sommeil enchanteur...
Sur la plus aride prairie ,
Si , toujours dans ses bras , je pouvois sur mon coeur
Presser tendrement ma Délie . >>>
:
On voit que le traducteur, dans les premiers vers de ce
morceau , a rendu ambitieusement , et gâté par l'emphase ,
le te bellare decet de Tibulle , dont la simplicité est si bien
assortie , soit au ton de l'élégie , soit à la situation de tendresse
et d'amour dans laquelle se trouve en ce moment
le poète : on voit aussi que l'ordre naturel des idées est
violé dans ces mêmes vers , en ce qu'ils représenteut d'abord
Messala comme traînant après soi la dépouille de vingt rois
qu'il a vaincus , et ensuite comme cherchant la gloire dans
les combats. On voit enfin qu'au lieu de rendre l'image
précise , vraie et locale , des dépouilles étalées devant la
-porte d'un vainqueur romain , ils présentent à l'esprit l'idée
-vague d'une gloire obtenue , ou , comme parle le traducteur,
d'une
SEPTEMBRE 1807. 4
5.
DE
d'une gloire enrichie : mauvaise et ridicule expression. Le
cinquième vers renferme une contradiction que n'offre
point le vers correspondant de Tibulle : ce poète n'a garde
de se représenter à la fois comme le gardien de son amante
et comme son captif. Il s'est bien gardé aussi de dire que
le laurier triomphal n'attiroit point ses voeux ; car ily avoit
trop loin , soit de ses prétentions d'état et de naissance ,
soit de son âge et de ses occupations littéraires ou galantes ,
aux grands honneurs de la guerre , aux honneurs du
triomphe. Il a dit simplement : Non ego laudari curo. Il n'a
point dit non plus qu'il vouloit bien qu'on le nommat oisif
et paresseux, seulement aux pieds de la beauté qu'i ai noit
(ce que le traducteur dit pourtant , ou semble dire ) , mais
partout où l'on auroit occasion de parler de lui. Quant au
soin de paître ou de faire paître ses troupeaux , et d'atteler
ses boeufs, il a déclaré , en meilleur style , il est vrai , qu'il
s'en chargeroit volontiers , mais sans ajouter qu'il y trouveroit
son bien supreme ; il a même mis pour condition
que Délie partageroit avec lui ce soin , ou le verroit s'y
livrer : de sorte que c'est Delie qui figure ici comme le
bien suprême , et non la conduite ou l'attelage des boeufs .
Il veut bien encore dormir sur a dure , à côté de sa maî
tresse ; mais il ne présente point , à cette occasion , l'image
fausse et anti-naturelle d'une aride prairie. J'observe , au
surplus , que ces vers n'ont rien de l'aisance , de l'agilité ,
ni de la tendresse mélodieuse des vers latins .
Tibulle dit ensuite , parlant toujours à Délie :
Te spectem , suprema mihi cum venerit hora ,
Te teneam moriens deficiente manu....
Flebis et arsuro positum me , Delia, lecto
Tristibus et acrymis oscula mista dabis ;
Flebis : non tua sunt duro præcordia ferro
Vincta , nec in tenero stat tubi corde siler.
Illo non juvenis poterit de funere quisquam
Lumina , non virgo , sicca referre domum .
Tu manes ne læde meos ; sed parce solutis
( rinibus , et teneris, Delia , parce genis .
M. de Carondelet-Potelles traduit ainsi :
Ah , que de ma main défaillante
Je presse encor la tienne à mơn dernier instant !
Et que ma paupière pesante
Puisse porter sur toi mon regard expirant !
D'un sein d'acier d'un coeur de pierre ,
Le ciel ne t'a point fait le présent odieux...
Tu pleureras , beauté trop chère ! ...
Sur le bûcher fatal où Tibulle à tes yeux
Offrira son lit funéraire,
Ff
450 MERCURE DE FRANCE ,
Tu joindras des sanglots à tes baisers d'adieux.
Les Romains , leur jeunes amantes ,
Viendront mêler aussi leurs pleurs à mes cyprès .
Sur-tout que tes mains imprudentes,
En déchirant ton sein , en mutilant tes traits ,
traits,
Des dieux n'insultent point l'ouvrage !
Mes mânes , gémissant du sort de tes attraits ,
S'offenseroient d'un tel outrage.
Le te teneam moriens est bien rendu ; mais il devroit
terminer le tableau , comme dans le latin , parce qu'il en
forme l'image la plus touchante , et qu'il vient naturellement
après le te spectem. Une paupière ne porte point un
regard. Un sein d'acier, un coeur de pierre , ne sauroient
être la matière d'un présent : le mot sein , d'ailleurs , signifiant
ici la même chose que le mot coeur, il falloit opter
entre l'acier et la pierre , pour caractériser métaphoriquement
cette chose unique. Le bûcher fatal où Tibulle offrira
son lit funéraire est quelque chose qui ressemble fort au
galimatias . On ne peut considérer les pleurs comme se
mêlant aux cyprès , lors même qu'ils les arrosent , parce
que ces choses sont trop dissemblables entr'elles . Le faux
pathétique , les images outrées et odieuses , les grands mots
sans idée qui se trouvent dans les six derniers vers , contrastent
on ne peut mieux avec la simplicité naturelle et
tendre des deux vers latins , dont ils sont ou veulent être
la traduction . Tu manes ne læde meos ; sed parce solutis
crinibus , et teneris , Delia, parce genis : il n'y a là ni sein
déchiré, ni traits mutilés , ni ouvrage des dieux insulté ; on
n'y voit rien non plus qui ressemble au sort des attraits de
Délie , ou à l'outrage essuyé par ces attraits . Le traducteur,
ne pouvant être tendre et précis comme son modèle , veut
être fort , expressif et riche ; il ne fait qu'outrer son expression.
Ce qui me reste à dire de sa traduction , c'est qu'elle est
partout à peu près aussi défectueuse que dans ces deux
morceaux. Qui a lu la première de ses Elégies françaises ,
les a toutes lues : de sorte que , dans ce nombre considérable
de pièces versifiées avec un long travail , il n'en est
pas une seule qu'on puisse recommander à l'attention des
gens de goût. Pourquoi M. de Carondelet-Potelles a-t-il
entrepris une traduction de Tibulle ? G.
SEPTEMBRE 1807. 451
PEUT- IL EXISTER UN BONHEUR PARFAIT ?
Le parfait bonheur seroit un état dont un être sensible
seroit parfaitement content. Si l'ame éprouve un regret , si
elle forme un desir , si elle s'aperçoit d'une gêne , si elle
conçoit une inquiétude , il n'y a poiut de parfait bonheur.
Si la mémoire peut retracer mieux , si l'imagination peut
se figurer mieux que ce qu'on éprouve , il n'y a point de
parfait bonheur. Si tous les momens de l'existence n'étoient
point également délicieux , il n'y auroit point de parfait
bonheur. Maintenant, sans nous perdre en de vaines suppositions
, considérons l'homme tel qu'il est , et appliquons-lui
cette première théorie du parfait bonheur. L'homme naît ,
il croît , il décline , il finit , tout change incessamment autour
de lui; et quand rien ne changeroit au dehors , il n'en changeroit
pas moins au dedans : c'est sa nature , et c'est à cette
nature qu'il faut accommoder son bonheur , comme il faut
ajuster son vêtement à sa taille. Il semble donc que ce qui
lui conviendroit le mieux , ce seroit de pouvoir toujours
satisfaire à son desir ; mais la seule idée du desir exclut celle
du parfait bonheur. Rien ne doit manquer au bonheur ; il
manque au contraire nécessairement quelque chose au desir ,
sans quoi ce ne seroit pas le desir. Cependant , s'il se pouvoit
que l'homme ne desirât point , en seroit-il plus heureux ?
J'en doute. Il n'aimeroit point , car aimer c'est desirer ; et
non-seulement il n'aimeroit point , comme il est si triste de
ne pas aimer , mais même il n'aimeroit rien : il mangeroit
sans faim , il boiroit sans soif , et , faute de privations , il ne
connoîtroit point de jouissances. Certes , ce n'est point là le
bonheur. Supposons -le pourtant au milieu de toutes les
sortes de plaisir , et dans une ivresse perpétuelle de tout ce
qui peutcharmer ses sens et son esprit , encore lui faudra-t-il
des intervalles de relâche ; et quand vous feriez couler pour
lui un torrent de délices , il ne sauroit le boire d'une haleine .
Nous savons tous , d'ailleurs , que plus le plaisir est vif ,
moins il est durable , et que nos sens ni notre ame ne pourroient
supporter une longue extase. Si donc c'est là ce qu'on
entend par le parfait bonheur , il faut devenir autre chose
qu'un homme pour le goûter , et c'est à quoi l'homme
ne consentira point. Ce n'est pas une autre nature qu'il
demande , c'est un autre état. Mais je veux bien encore
Ff2
452 MERCURE DE FRANCE ,
admettre qu'il soit doué de facultés à l'épreuve d'une extase
continue , n'est-il pas homme ? N'est-il pas mortel ? N'est-il
pas raisonnable ? Ne prévoit-il pas sa fin , et par conséquent
celle de son bonheur ? Or, plus le bonheur seroit grand ,
plus cette pensée seroit triste , et plus elle mêleroit d'absinthe
à l'ambroisie . Proposerez-vous à l'arbitre des destinées de
lui ôter cette funeste prévision ? Mais vous proposeriez d'en
faire un imbécille : et c'est encore à quoi l'homme sage ou
même insensé ne souscrira jamais ; car ni la raison ni la
folie ne sont tentées d'abdiquer. Il faut en conclure qu'un
bonheur parfait , dans toute l'étendue du terme , est absolument
incompatible avec notre nature , et même avec nos
desirs . Il deviendroit pour notre ame ce que seroit pour nos
poumons un air vital parfaitement épuré , qui , dès-lors ,
ne seroit plus respirable. Revenons cependant sur un sujet
qu'il est si difficile de perdre de vue ; cherchons de nouveau
àrassembler , par la pensée , tous les élémens de ce qu'on
nomme bonheur , et voyons ce qui en résultera .
Vous cherchez à réaliser l'idée d'un homme parfaitement
heureux; soit. Dites à présent où vous placez le parfait
bonheur : est -ce dans la sensibilité ou dans l'apathie ? Ce
n'est sûrement point dans l'apathie ; car la première condition
pour être heureux , c'est de le sentir : c'est donc dans
la sensibilité ; et , qui plus est , pour que le parfait bonheur
soit parfaitement senti , la sensibilité doit être portée sous
tous les rapports au plus haut degré d'exaltation dont elle
soit susceptible . Il convient donc que celui que vous vous
proposez d'élever en idée à ce dernier période de la félicité ,
soit organisé de manière à correspondre aux vues que vous
avez sur lui ; il faut qu'il surpasse tous les autres hommes
par la finesse , la justesse , la vivacité, j'oserois pprreessqquuee dire
la sagacité de ses perceptions ; il faut que , de tous les yeux
possibles , les siens soient les plus perçans , les plus clairvoyans
, les plus propres à se laisser charmer par les beautés
d'ensemble et de détail ; il faut qu'ils soient les plus attentifs
à la correction , à l'élégance , à la grace des formes , ainsi
qu'à la pureté , à l'éclat et à l'accord des couleurs ; il faut
que son oreille soit insatiable des douceurs de l'harmonie
musicale et poétique ; il faut que cette supériorité de goût
se fasse remarquer dans le système complet de ses sensations
, et s'étende à plus forte raison sur tout ce qui tient
aux nobles voluptés de l'intelligence ; en sorte qu'aucun
autre mortel n'égale votre prédestiné dans le sentiment
exquis de tout ce qui est beau et bon : car , s'il n'étoit pas
le premier des connoisseurs et le plus infaillible des juges
SEPTEMBRE 1807 : 453
en tout genre , il ne discerneroit point assez , et par conséquent
il ne savoureroit qu'imparfaitement toute la félicité
que vous lui préparez . Joignez maintenant à ces deux
premières données les circonstances , les hasards même qui
favoriseront le mieux votre projet ; n'épargnez rien ; mettez
pour lui la fortune et la nature à contribution ; supposezfe
riche de tous leurs dons réunis , et coulant des jours
tranquilles sous le ciel le plus ami de l'homme , dans une
contrée ordonnée , arrangée , embellie et peuplée à plaisir ,
où la campagne offre un printemps perpétuel , et les villes
une variété constante d'amusemens et de fêtes ; enchérissez
sur le vallon de Tempé , sur les bords du Taygète , sur
Athènes , sur Sybaris ; qu'il y vive à l'abri de toutes les
contradictions , de toutes les craintes , de tous les troubles
domestiques et politiques ; entouré de la société la plus
aimable , la plus choisie , où tout sera beauté pour ses
yeux , mélodie pour son oreille , parfum pour son odorat ,
délices pour son goût , agrémens pour son esprit ; que tout
de
que la nature offre de plus ravissant se joigne à ce que
l'art peut enfanter de plus merveilleux pour exciter en lui
les plus douces émotions ; enfin , que tous les objets divers
qui s'offrent à sa pensée ou à ses sens , rivalisent en quelque
sorte de charmes , et semblent se disputer ses préférences ...
Eh bien , vous le dirai- je ? pour fruit de tant de méditations ,
de complaisances , de soins , de recherches , vous avez
réussi peut-être à faire le plus malheureux des êtres
vous l'avez pétri à plaisir ; mais il falloit aussi pétrir le
monde entier à l'avenant. Tout ce qui exciteroit l'enthousiasme
du reste des hommes ne sera pas même soutenable
pour celui que vous venez de créer ; tout ce qui , en fait
de graces , de charmes , d'esprit , de force , de grandeur ,
d'élévation , passeroit le plus la mesure commune , auroit
peine à trouver grace devant lui , tandis que le plus imperceptible
défaut va lui paroître monstrueux . Où trouver un
ami pour un tel homme ? Où trouver une compagne ? Où
trouver un amusement ? Où trouver un plaisir ? Les conversations
les plus aimables , les plus sublimes compositions ,
les traits les plus ingénieux , tous les chefs-d'oeuvre dont
l'esprit et les talens peuvent le plus se glorifier , n'auront
plus rien qui l'intéresse il porte en tout une mesure à
laquelle rien ne s'arrange. A quoi daignera-t- il accorder
une attention , même passagère , à moins que ce ne soit
pour s'amuser des efforts impuissans de ce que nous appelons
talent , esprit , génie , comme l'on rit un moment des
gambades d'un singe , des phrases d'un perroquet , et da
3
434 MERCURE DE FRANCE ,
bégaiement d'un enfant? Non , toutes les fleurs que nous
avons semées sur sa route se fanent à ses yeux ; sa perfection
même trouve un supplice dans le besoin de la perfection ,
et le dégoût reste assis à ses côtés au banquet de la vie.
Direz-vous que c'est assez pour votre phénix des témoignages
à chaque instant renouvelés de l'admiration universelle
? Mais ce phénix est néanmoins un homme , et les
dieux seuls vivent d'encens . Direz - vous qu'il pourra du
moins se glorifier à juste titre d'une prodigieuse supériorité
sur ses soi-disant semblables , et que tant et tant d'avantages ,
toujours présens à sa pensée , compenseront de reste le léger
inconvénient de l'infériorité qu'il voit dans tout ce qui l'entoure
? On dit , en effet , que l'orgueil a ses jouissances ;
mais voyez pour qui ? Vous direz peut-être qu'il aura le
droit de se moquer de tout ; mais s'il en a vraiment le
droit , je doute qu'il y trouve du plaisir ; et puis le plaisir
de se moquer est sot ou méchant: il ne peut donc pas entrer
en ligne de compte pour le bonheur. Et quand même le
sentiment continu de sa supériorité pourroit exister dans le
coeur d'un homme sans mépris pour les inférieurs , il auroit
peut- être encore quelque chose de triste que j'entrevois ,
mais que de si loin je ne saurois définir : ce qu'il y a de
certain , c'est que plus on est élevé , soit au propre , soit au
figuré , plus on est isolé , et que tous les sommets sont
froids .
,
Tel est , convenons- en , l'arrêt sévère que le commun
des hommes , les philosophes même au fond de leurs
coeurs , se plaisent à prononcer contre la grandeur en
général , comme pour se consoler , et peut-être même pour
se venger de n'y pouvoir atteindre . Mais cet arrêt est - il
donc bien juste , est - il donc sans appel ? Si une longue
succession de siècles avoit enfin amené l'époque où l'humanité
se surpasseroit elle-même ; s'il apparoissoit un être
en qui la nature , comme par un commandement exprès
de la destinée , auroit épuisé tout ce qu'elle peut prodiguer
de dons sublimes à un enfant de la terre ; s'il existoit jamais
un homme fait pour enorgueillir la race humaine , en lui
faisant voir jusqu'où l'homme peut s'élever , et pour confondre
les esprits les plus superbes , en leur montrant le
génie à son apogée , cet homme auroit-il donc moins de
droits qu'un autre à être heureux ? Gardons-nous de le
penser ; mais cette félicité ne ressembleroit pas plus à l'objet
des vulgaires desirs , que celui à qui le ciella destineroit ne
ressembleroit au vulgaire. Que seroit- ce pour un génie de
cet ordre que des plaisirs passagers ? Que seroit-ce que de
SEPTEMBRE 1807 . 455
,
frivoles honneurs ? Que seroit-ce même qu'une tranquille
sécurité ? Non , plus de travaux que de délices plus
d'orages que de jours sereins l'attendroient sur toute l'étendue
de sa glorieuse carrière ; et celui que le ciel auroit jugé
digne d'être le dépositaire de sa puissance , ne pourroit
asseoir son bonheur qu'en posant de ses mains laborieuses
les fondemens du bonheur du monde. Il auroit reçu la
mission d'un astre , il faudroit qu'il la remplit. Les astres
ne s'arrêtent point , les astres ne se détournent point , les
astres ne luisent point pour eux.... Suivez donc vos hautes
destinées , oserois-je dire à cet homme plus qu'humain :
éclairez , fécondez , vivifiez , disposez , embellissez les
contrées sur lesquelles vous planerez. L'entreprise n'est
pas d'un mortel ; mais le ciel vous la confie ; vous l'accomplirez
; et dans votre marche triomphante , devenu l'objet
de tous les regards , de tous les étonnemens , de toutes les
espérances , de toutes les inquiétudes , vous jouirez dans vos
vastes pensées de l'avenir que vous préparez .
Mais pressons -nous de revenir , quoique de bien loin ,
au commun des hommes ; car c'est pour eux que nous
écrivons . Les prodiges ne sont pas de notre ressort. La
nature dans ses exceptions montre plutôt ce qu'elle peut ,
que ce qu'elle est. Considérons-la dans ses limites ordinaires
; et puisqu'il s'agit de bonheur , voyons la portion
moyenne qu'il lui a plu d'assigner à chacun de ses enfans .
Remercions- la d'abord cette nature de ne pas écouter,
quand elle en auroit le loisir, tant de voeux extravagans que
nous formons quelquefois dans l'essor de nos pensées ;
sans prévoir quels en seroient les résultats ; remercionsla
, puisqu'il devoit y avoir tant d'imperfections dans
l'Univers , de nous avoir produit nous- mêmes assez imparfaits
pour n'en être point trop offensés. Remercions-
la de nous avoir donné des organes assez ,peu délicats
pour trouver quelques plaisirs où des êtres d'un ordre
supérieur au nôtre ne trouveroient que des dégoûts .
Remercions -la d'avoir couvert notre vue intérieure d'un
voile assez transparent pour nous laisser démêler ce qu'il
'nous importe le plus de connoître ; assez épais pour nous
cacher les dangers de notre marche , les bornes de notre
horizon et le terme de notre route. Remercions -la de nous
avoir fait tous à-peu-près les uns comme les autres , afin
qu'il n'y eût jamais trop loin d'un homme à un homme ;
remercions-la de ce que nous pouvons nous communiquer
entre nous la pensée, la joie , la consolation , les secours
mutuels , et tout ce qui peut alléger le fardeau imposé à
1
4
450 MERCURE DE FRANCE ,
chacun ; remercions -la sur- tout d'avoir ouvert notre coeur
à toutes les émotions douces , à toutes les affections tendres ,
à la compassion , à l'indulgence , à la bienveillance , à
l'amour, à l'amitié : voilà le bonheur qui nous convient ; il
dépend en grande partie de nous , il nous suffit ; et nous
avons tous droit d'y prétendre , même en laissant les choses
comme elles sont , et l'homme comme il est .
En effet , si l'on ne s'éloigne pas du réel , de peur de
s'approcher trop de l'impossible , on verra que presque tout
le bonheur dont nous sommes susceptibles , se réduit à
celui dont nous sommes capables : il consiste , non dans
l'accord des choses avec l'homme , ce qui nous mettroit
au pouvoir du hasard , le pire des maîtres , mais dans
P'accord de l'homme avec les choses , et sur-tout avec luimême.
Le bonheur est dans la paix des passions , soit qu'elles
soient modérées , soit qu'elles soient subjuguées : on seroit
tenté d'ajouter , soit qu'elles soient satisfaites ; mais il n'est
que trop vrai qu'elles sont insatiables. Tout bien examiné ,
bien comparé , bien discuté , on trouvera que le bonheur
n'est autre chose qu'une harmonie ; car c'est la mère de
tout bien : il est l'harmonie de l'homme avec la nature ,
avec la société , avec la fortune , avec le destin ; harmonie
délicieuse , mais plus difficile à soutenir au degré de perfection
dont elle est susceptible , à mesure que nos rapports
sont plus multipliés : semblable à certains instrumens qui
tiennent d'autant moins l'accord , qu'ils ont plus de cordes .
A qui faut-il nous en prendre ? Est-ce à la nature ? Est-ce
à la société ? La nature , il est vrai , nous avoit donné dés
desirs ; mais si nous l'avions suivie , elle se seroit chargée
d'y satisfaire : ces desirs auroient été simples , innocens ,
fondés en raison , faciles à concilier entr'eux et à contenir
dans les étroites limites du nécessaire , du réel et du possible.
La société les a changés en passions ; elle a fait ce qu'il
falloit pour les exalter , les aiguiser , les irriter , les désordonner
; elle les a fortifiés de toutes les illusions de l'imagination
séduite , et de toutes les flatteries de la raison avilie :
notre sensibilité , dans le principe , étoit une chaleur vitale
qui devoit tenir nos facultés au degré d'activité nécessaire
pour jouir de l'existence ; elle s'est changée en une ardeur
fébrile qui consume l'homme au lieu de le soutenir , qui
maîtrise l'intelligence même , et qui met des fantôines à la
place des réalités . Encore une fois , ce parfait bonheur
nous est refusé à tous tant que nous sommes ; mais ce
şera toujours le plus sage d'entre nous qui sera le plus
heureux, B.
SEPTEMBRE 1807 . 457
Rapport sur les travaux de la classe d'histoire et de litterature
ancienne , fait par M. Ginguené , l'un de ses
membres , à l'assemblée générale de l'Institut , le lundi
7 juillet 1807.
MESSIEURS ,
La classe d'histoire et de littérature ancienne , fidèlement
attachée à l'exécution de nos règlemens , qui font des
quatre divisions de l'Institut une seule et grande famille,
m'a fait l'honneur de me choisir pour vous rendre , aux
termes de l'article XI de l'arrêté du Gouvernement (1 ) , le
compte annuel de ses travaux.
Ils ont pour objet , dans la plus grande partie de nos
attributions , cette vénérable antiquité , dans l'étude de laquelle
il y a toujours et des leçons à puiser , et des découvertes
à faire. C'est par les travaux de cette espèce , auxquels
on pourroit bien quelquefois donner le titre de découvertes ,
que je commencerai ce Rapport.
M. Mongez , persuadé que rien n'est indifférent dans
l'étude des anciens; que le sens précis des mots qui paroissent
les moins importans , est souvent lié à l'histoire
des usages ou à celle des arts , a remarqué que le mot creta
étoit emplové par les meilleurs auteurs latins , dans des
sens très - différens ; que les philologues étoient partagés
sur sa véritable signification ; que quelques-uns seulement
lui donnoient le même sens que le mot craie a dans notre
langue , tandis que le plus grand nombre le traduisoit par
le mot équivalent à notre mot argile. Il s'est proposé de fixer
Popinion sur cet objet.
Il commence son Mémoire par quelques notions préliminaires
de minéralogie sur les différentes espèces de terres
désignées en français par les noms d'argile , de craie et de
marne : il leur assigne à chacune les propriétés qui les caractérisent
, et qui les distinguent entr'elles . Ces distinctions
posées , il établit , 1 ° . que l'argilla des Romains est notre
argile ordinaire , et il le prouve par plusieurs passages de
Pline et de Columelle ; 2°. que le mot creta étoit le plus
souvent synonyme d'argilla; que la creta n'étoit point ce
que nous appelons de la craie , mais de l'argile. Différens
passages de ces deux mêmes auteurs et de Caton , de Re
(1 ) Du 3 pluviose an XI.
458 MERCURE DE FRANCE ,
1
rusticâ , ne sont pás ses seules preuves ; il en rapporte aussi
de Virgile dans ses Géorgiques , de Plaute dans une de ses
comédies , et sur-tout un beau passage du poète Lucrèce ,
dans lesquels le mot creta ne peut avoir de sens raisonnable
, si on ne lui donne la même significatiou qu'au mot
argilla. Il cite ensuite d'autres passages où le sens du mot
creta n'est pas aussi clairement déterminé , mais dans lesquels
il est visible qu'il désigne une matière friable et privée
des caractères distinctifs de l'argile enfin , il en rapporte
d'autres où ce mot , employé comme il l'est , et accompagné
des épithètes qui le modifient, indique la substance que
nous nommons la marne , et que les Latins nommoient
aussi marga.
L'auteur conclut de toutes ces explications , que les Romains
ont désigné par le mot argilla et par ses dérivés , la
même terre que nous appelons argile ou glaise; qu'il en
est de même de la marne , marga, dont ils connurent les
qualités et les propriétés diverses , depuis qu'ils eurent des
communications avec les Gaulois ; que quant au mot creta ,
il doit être traduit en français , ordinairement par le mot
argile , souvent par le mot marne , et quelquefois , mais
rarement , par le mot craie,
« Le choix entre ces trois mots , dit M. Mongez , dépend
du sens de la phrase latine dans laquelle le mot creta est
employé , et de l'usage qu'en fait habituellement l'auteur
que l'on traduit; enfin , lorsqu'on n'aura aucun moyen pour
fixer le véritable sens d'un des trois mots latins , il faut le
traduire par l'expression vague , terre blanche. »
Si aucun mot n'est à négliger dans les écrits des anciens ,
on peut dire qu'aucun fragment, aucun débris même de
meuble ou d'ustensile n'est à dédaigner dans les objets
d'antiquité que des fouilles nouvelles ou que le hasard
peuvent nous offrir. Un second Mémoire de M. Mongez
en fournit une preuve frappante. C'étoit , en apparence ,
une chose bien peu digne d'attention , que l'oreille d'une
vieille écuelle d'étain , retrouvée parmi des ruines. Nous
allons voir cependant qu'elle n'étoit pas sans importance ,
et qu'elle sert à la solution d'un doute que les sciences chimiques
n'avoient pas encore entièrement résolu.
D'après quelques essais faits dans le dernier siècle , d'une
mine d'étain de Saxe , qui contenoit de l'arsenic , il s'étoit
répandu en Europe , sur l'emploi de l'étain dans l'usage
domestique , des craintes que des expériences postérieures ,
faites par des chimistes français , doivent avoir dissipées .
Cependant il pouvoit être utile, il étoit au moins curieux
SEPTEMBRE 1807 . 45g
de savoir si l'étain des anciens contenoit de l'arsenic , du
cuivre , ou quelqu'autre substance métallique. M. Baraillon ,
correspondant de la classe , ayant découvert , dans l'ancienne
ville romaine de Néris , Aquæ Neriæ , célèbre par ses eaux
thermales , située dans le département de l'Allier , des vases
d'étain que l'on croit avoir servi à des soldats romains , a
fait passer à M. Mongez l'oreille d'une écuelle d'étain faisant
partie de ces découvertes. Le résultat de l'essai qui en
a été fait , avec laplus scrupuleuse exactitude , parM. Anfrye
, inspecteur- général des essais à la Monnaie , a été que
l'étain trouvé à Néris forme un alliage d'étain et de plomb ,
tenant entre le quart et le tiers. Ainsi les Romains n'ont
pas craint de faire un usage habituel d'ustensiles d'étain
dans lesquels le plomb entroit pour les quatre dixièmes .
De ces faits , notre confrère passe à l'explication d'un
passage de Pline , où il est dit (1 ) que l'on altéroit de son
temps l'étain de deux manières , soit avec un tiers de bronze
blanc, æs candidum , pour en faire le plumbum album , ou
plomb blanc , soit en mêlant à égales parties le plomb et
l'étain ; d'où résultoit ce que quelques ouvriers appeloient
plumbum argentarium. Il faitvoir que, mêmedans le premier
de ces deux alliages , le plomb entroit pour une quantité
assez forte , et montre le rapport qu'ils ont tous les deux
avec ceux que l'étain subit de nos jours dans les divers
• usages où on l'emploie. Cherchant ensuite à déterminer la
nature de ce que Pline appelle , dans ce passage , es album ,
æs candidum , il croit reconnoître cet alliage dans celui que
nous appelons potin gris , ou simplement potin. Enfin , il
rapproche Pétain trouvé à Néris du plumbum album des
Romains , alliage confondu souvent avec le stannum , l'étain
pur , et il voit de très-grands rapports entre l'un et l'autre .
Une question s'élève sur ce morceau d'étain trouvé à
Néris ; c'est de savoir à quelle époque il a été travaillé.
M. Mongez examine cette question , en rattachant , pour
ainsi dire , l'histoire de ce débris de métal à celle de la ville
même où on la trouvé. Il conclut de cet examen , qu'il faut
attribuer aux Romains l'étain trouvé à Néris , en le faisant
remonter , soit au-delà du quatrième siècle , époque de la
première destruction de Néris , ce qui paroîtroit vraisemblable
d'après la forme de la construction et la profondeur
des ruines d'où on l'a tiré , soit du moins avant la fin du
huitième siècle , époque où cette ville ancienne fut détruite
(1) Art. XXXIV , c. 48.
?
460 MERCURE DE FRANCE ,
pour la seconde fois ; ce qui rendroit encore l'analyse de ce
débris curieuse et instructive .
Une autre découverte , faite dans le cimetière de Saint-
Irénée à Lyon , a fourni à M. Mongez le sujet d'un troisième
Mémoire. Sur un tombeau déterré en 1778 par le curé
de cette paroisse , enfoui une seconde fois par les suites de la
révolution , et déterré de nouveau , étoit gravée une épitaphe
latine , très-bien conservée , commencent par ces mots : Memoricæ
æternæ Exomni Paterniani quondam centurionis
legionarii , etc. L'explication littérale de cette épitaphe offre
quelques difficultés que lève l'auteur du Mémoire. Il reconnoît
que le nom du Romain pour qui elle est faite , est
Exomnius Paternianus . Mais la qualité de ce Romain présente
une difficulté plus importante. Que signifie au juste ce
titre de centurio legionarius qui lui est donné ? Que signifie
ce même titre dans une autre inscription où il est joint de
même à celui de centurio ? C'est ce qu'on ne trouve dans
aucun des Mémoires de Le Beau sur la Légion romaine ,
pas même dans le 16º , consacré presqu'entier aux centurions
, et ce que M. Mongez a clairement expliqué par la
distinction qui existoit entre les centurions légionnaires et
ceux des troupes auxiliaires .
La constitution très-différente des légions et des troupes
auxiliaires fait comprendre l'intérêt que la famille d'un centurion
pouvoit avoir à rappeler sur son tombeau , que c'étoit
dans les légions qu'il avoit obtenu ce grade. La légion n'étoit
composée que de citoyens et d'hommes de naissance libre :
s'il y eut à cela des exceptions , elles furent peu communes
avant les 3º et 4° siècles de notre ère. Les troupes auxiliaires
étoient formées , au contraire , d'hommes sortis de peuples
différens par les moeurs , la discipline militaire , et dont le
nombre n'étoit pas déterminé comme celui des soldats de la
légion. Enfin , les auxiliaires ne prêtoient serment qu'entre
les mains du tribun qui les commandoit , tandis que le général
même recevoit celui des légions . La considération
dont jouissoient les officiers de ces deux sortes de troupes
étoit donc fort différente ; et la vanité , qui préside toujours
plus ou moins à la rédaction des épitaphes , ne pouvoit pas
oublier cette circonstance dans celle de Paternianus .
La pierre sépulcrale qui porte cette inscription , offre
encore une particularité remarquable. Sur cette pierre est
gravée une tessère ou table carrée-longue , qui contient
P'inscription latine, et qui est garnie , à ses deux extrémités
, de deux espèces d'oreilles ou de tenons . Sur chacun
de ces tenons , l'un à droite et l'autre à gauche , sont gra
SEPTEMBRE 1807. 461
vés , en caractères grecs , deux noms propres grecs , avec
le mot grec qui répond à notre mot adieu sur l'un , et celui
qui répond à notre mot salut ou je vous salue sur l'autre . La
même particularité se retrouve sur deux autres tombeaux
découverts dans la même ville de Lyon ; et ce contraste d'une
épitaphe latine , flanquée pour ainsi dire de deux inscriptions
grecques , n'a jamais été expliqué .
M. Mongez pense que les deux inscriptions grecques ont
été gravées postérieurement aux épitaphes , et qu'elles l'ont
été par quelques -uns des chrétiens grecs d'Asie qui établirent
les premiers le christianisme à Lyon. Ces chrétiens
auront enseveli leurs morts dans les tombeaux qui avoient
servi à des païens , en laissant subsister leurs épitaphes ,
lorsqu'elles ne contenoient rien qui fût opposé à la nouvelle
croyance; et sur ces tombeaux , à côté de ces anciennes
épitaphes , ils auront adressé des souhaits et des adieux
aux chrétiens dont ils venoient d'y renfermer les corps . Cet
usage , attesté par d'autres pierres sépulcrales suffit pour
rendre raison de ces formules et de ces noms grecs placés
à côté de l'épitaphe latine d'un centurion romain.
Les ruines isolées des monumens antiques procurent ,
à mesure qu'on les découvre , quelques nouvelles connoissances
que l'on ajoute à la masse de celles que nous possédons
déjà sur l'antiquité . Mais il est peu de ces découvertes
qui se lient l'une à l'autre , pour fournir un corps de preuves
à quelqu'une de ces idées neuves et hardies qui jettent un
jour inattendu sur l'histoire des anciens temps . Il ne suffit
pas , pour faire éclore une de ces idées , que les monumens
subsistent , ni même qu'ils soient connus , il faut encore
qu'ils soient examinés par un esprit éclairé , attentif , capable
de s'élever des considérations particulières à des conséquences
générales , et peu disposé à s'effrayer de cette accusation
d'esprit de système , qui semble inventée par les esprits
timides ou bornés , pour discréditer ceux qui ont de l'étendue
ou du courage.
C'est d'une idée de cette espèce que M. Petit-Radel est
occupé depuis long-temps . L'Institut et le public même
connoissent maintenant la théorie qu'il a tirée de ses observations
sur les restes de constructions cyclopéennes , répandus
en grand nombre , tant en Italie qu'en Grèce , et
dans plusieurs parties de l'Europe. Conduit par l'ordre de
son travail à examiner des questions sur l'origine d'Argos ,
il s'est trouvé , pour la seconde fois , sur plusieurs points
fondamentaux, en contradiction avec le docte Fréret , et
obligé de le combattre : il l'étoit d'autant plus , que l'opinion
463 MERCURE DE FRANCE ,
de ce savent a été adoptée dans tous les ouvrages d'érudition
composés depuis sur ces matières , notamment dans plusieurs
Mémoires de l'Académie des inscriptions , et dans
le célèbre Voyage d'Anacharsis . En effet , l'érudition seule
peut , comme la lance d'Achille , guérir les maux qu'elle
a faits , et redresser les erreurs que l'érudition a propagées .
Fréret a prétendu que la fondation d'Argos par Phoronée
, fils d'Inachus , est due à une colonie Egyptienne , et
que c'est des Egyptiens que les Grecs reçurent les premiers
élémens des arts qui constituent la vie civile. M. Petit-
Radel pense au contraire que cette ville fut fondée par des
Grecs; que la colonie de Danaüs , la troisième, selon Fréret ,
est la seule qu'on puisse avec fondement regarder comme
la première qui se soit portée de l'Egypte vers l'Europe ,
et que les Grecs avoient des arts qui leur étoient propres
avant leur communication avec les Egyptiens. Avec tous
les égards dus à celui qu'il nomme lui-même un colosse
d'érudition, il prouve d'abord que Fréret a trop légèrement
inculpé la véracité de Denys d'Halicarnasse , qui rapporte
que , dix-sept générations avant la guerre de Troie , ce
qui remonte à l'an 1837 avant notre ère , une colonie
grecque s'étoit dirigée par mer sur l'Italie, fait constaté par
tous les monumens géographiques et historiques , tandis
que lui-même avance , plus légèrement encore , que la
colonie égyptienne qui alla s'établir, sous la conduite d'Inachus
, au fond du golfe d'Argos , étoit composée de pasteurs
qui , chassés d'Egypte par Sésostris , se répandirent dans
l'Afrique , le long de la côte voisine de l'Egypte , passèrent
ensuite dans l'île de Crète , et de là dans le Peloponèse.
Fréret attribue donc, sur de simples suppositions , une
navigation de cent vingt lieues à des Egyptiens qui , dans
ce temps , n'avoient , de son propre aveu , que l'usage de
quelques bateaux pour traverser les bras du Nil, et refuse
d'admettre , sur les autorités les plus positives , un trajet
de dix lieues , postérieur de 133 ans à l'époque qu'il
envisage .
Autre contradiction non moins palpable. Fréret attribue
à la colonie égyptienne d'Inachus , l'introduction en Grèce
des arts les plus nécessaires à la vie , et , dans le même
Mémoire , il présente les Curètes , les Telchines ou les Cyclopes
, comine ayant répandu dans la Grèce les premiers
éléinens de ces arts . Ainsi , dans le même temps qu'il
fait voir comment les arts étoient indigènes parmi les Grecs ,
puisqu'il en attribue l'invention à ces races primitives que l'on
désigne par le nom de Cyclopéennes , il peint les anciens
SEPTEMBRE 1807 . 463
Grecs comme entièrement étrangers aux arts jusqu'au
moment où ils leur furent apportés par la colonie égyptienne.
M. Petit-Radel rassemble enfin sous un seul point de
vue les diverses contradictions où sont tombés et Fréret
et Barthelemy : <<Et ce tissu de contradictions palpables
>>constituoit , dit-il , l'état de nos connoissances historiques
>> sur les monumens des origines grecques , avant que j'eusse
>>fait connoître mes recherches , que j'eusse défendu la
>> véracité de Denys d'Halicarnasse , etc. >>> L'examen de
toutes les sources historiques dont l'auteur d'Anacharsis
appuie l'origine égyptienne d'Inachus et de sa colonie , le
conduit au même résultat , qui est qu'Inachus , fondateur
d'Argos , n'étoit point Egyptien , mais Grec.
De cette discussion négative ou contradictoire , l'auteur
du Mémoire passe aux raisons positives qui lui font considérer
le fondateur d'Argos comme un autochtone européen.
Enfin , il ne laisse sans examen et sans réſutation , aucune
des raisons alléguées par Fréret , et , sur son autorité ,
par l'auteur d'Anacharsis , pour établir que le fondateur
d'Argos , Inachus , étoit venu d'Egypte , et qu'avant
l'arrivée des Egyptiens , les Grecs étoient plongés dans
l'ignorance la plus profonde des arts essentiels à la vie :
réfutation , encore une fois , d'autant plus importante , que
ces erreurs , appuyées d'une autorité si grave , se sont
glissées dans toutes les histoires grecques écrites depuis
Fréret.
Après avoir écarté cet obstacle imposant qui s'élevoit , pour
ainsi dire , contre les résultats de ces recherches , M. Petit-
Radel en poursuit le cours , et arrive toujours aux mêmes
conséquences. Sa conséquence générale est de considérer
notre hémisphère historique comme partagé originairement
en deux zônes de monumens très -différens : la zóne des
monumens qu'il nomme Cyclopéens , formés selon te
système primitif des arts de l'Europe , c'est-à-dire , de
blocs énormes taillés en polygones réguliers , assemblés
sans ciment et par la seule finesse du joint des pierres ,
et la zóne des monumens formés dans le système des arts
nés en Asie , ou autochtones asiatiques , qui consiste en
pierres taillées en carrés parallélogrammes. Il ne connoît ,
dit-il , jusqu'à ce jour , aucun exemple qui ne le confirme
dans la hardiesse de cette pensée.
Les monumens de l'Italie et de la Grèce, où l'on a observé
le mélange des deux espèces de construction , ne changent
rien à ce résultat , ou plutôt ils le confirment , puisque
partout c'est la construction Cyclopéenne qui sert de base à
464 MERCURE DE FRANCE ;
laconstruction asiatique . Tous les monumens de l'Argolide,
de l'Aitique et de la Béotie , soumis au même examen,
se rangent comme naturellement dans la même théorie.
Partout les constructions autochtones ou primitives sont
Cyclopéennes , et les constructions de forine asiatique se trouvent
avoir été introduites en Grèce à la suite des colonies
égyptiennes et phéniciennes , comme elles paroissent l'avoir
été en Italie à la suite des colonies pélasgiques et tyrrhéniennes
.
Notre confrère , sans pouvoir entrer dans tous les détails
qu'il a développés dans son Mémoire sur l'accord de sa
théorie avec tous les faits des premiers siècles de l'histoire
grecque , en a cependant assez dit dans notre dernière séance
publique , pour me dispenser de m'étendre davantage sur
les résultats toujours uniformes de toutes les parties de cet
immense travail .
Les arts qui en sont l'objet sont ces arts de première
nécessité , sans lesquels la société humaine n'eût été composée
que de hordes errantes ; c'est l'architecture primitive ,
qui eut pour but la sécurité et la défense. Les monumens
des arts inventés pour l'ornement et pour les jouissances
de la société perfectionnée , attestent quelquefois , par leur
destination , que ce perfectionnement ne s'étendoit pas jusqu'aux
sentimens d'humanité , qui devroient être la base de
toutes les institutions publiques. Tels furent , chez les
Romains , ces magnifiques amphithéâtres , où tout un peuple
venoit s'endurcir par le spectacle de l'effusion du sang, et
de ces combats à mort que des gladiateurs se livroient
entr'eux , ou qu'ils livroient à des bêtes féroces , uniquement
pour son plaisir.
Ce n'est pas sous le rapport de l'art que M. Toulongeon
a considéré les amphithéâtres romains. Dans un Mémoire
sur leur régime et leur discipline , il a évité de redire tout
ce qui est connu de leur construction et de leurs formes .
Il s'est attaché à la partie morale de ces établissemens , qui
présentoient un mélange étonnant de servitude et de courage
, de bassesse et d'intrépidité. Il s'est principalement
étendu sur ce lieu appelé Spoliarium , où l'on achevoit de
sang - froid les gladiateurs blessés qui donnoient peu d'espoir
de guérison ; sur cette férocité nationale qui remettoit aux
vestales le droit de décider , par un simple signe , de la
vie ou de la mort des vaincus (1) ; enfin , sur cette dégra-
(1 )..... Pectusque jacentis
Virgo modesta jubet converso pollice rumpi.
dation
SEPTEMBRE 1807:
lation qui fit , à une époque postérieure , descendre
l'arène , des jeunes gens des premières familles deBome
pour l'amusement de leur empereur . (1 )
Le même M. Toulongeon a communiqué à laclasure
notice sur les Commentaires de César , destinée à l'im
sion , et qui doit précéder une traduction nouvelle de
Commentairreess ,, qu'il se propose de publier.
La classe avoit confié à M. Silvestre de Sacy une mission
importante , que ses profondes connoissances dans les
Langues orientales le rendoient singulièrement propre à
remplir. Lors de la réunion de Gênes à l'Empire français ,
on y avoit découvert des archives jusqu'alors secrètes , où
étoient renfermés , disoit- on , un grand nombre de manuscrits
orientaux. M. de Sacy s'étant rendu à Gênes , en
conséquence des arrêtés de la classe et des ordres du Gouvernement
, n'a pas obtenu de ses recherches les résultats
que l'on avoit cru pouvoir espérer. Il a fait connoître , dans
notre séance publique , ceux auxquels il est parvenu , et
dont le plus satisfaisant est le rapport même, dont il n'a lu
que l'extrait.
M. Barbiedu Bocage a lu , dans la même séance publique ,
l'extrait de la notice d'un atlas hydrographique de la bibliothèque
de S. A. S. le prince de Bénévent , dessiné dans le
16e siècle. Après avoir parlé des manuscrits géographiques
de la méme époque , il a fait voir que ces manuscrits
offrent les côtes de la Nouvelle-Hollande , que l'on croyoit
découvertes postérieurement par les Hollandais et les
Anglais ; que cette découverte appartient réellement aux
Portugais , et que la connoissance s'en est perdue pour le
Portugal par l'infidélité d'un favori du roi , qui enleva tous
les papiers où étoient consignées les découvertes des Portugais.
C'est sur les antiquités du Nord que M. Pougens a principalement
dirigé ses études. Une divinité peu connue
jusqu'à ce jour s'est présentée à lui dans ses recherches :
c'est la déesse Nehalennia , révérée particulièrement en
Zélande dans le deuxième siècle de notre ère . On n'en
connoissoit pas même le nom avant le milieu du dix-septième
siècle , les monumens où elle est représentée et les
diverses inscriptions en son honneur n'ayant été découve ti
près de Domburg que le 5 janvier 1647. Plusieurs savans
hollandais , flamands et anglais , écrivirent à ce sujet des
(t) Vidimus illos juvenes , quos ex nobilissimis familiis
Luxuria in arenam conjecit .
Gg
466 MERCURE DE FRANCE ,
Dissertations , où ils parlèrent diversement de cette déesse
moonnue . Elle est représentée , dans tous ces monumens ,
vêtue d'une longue robe , quelquefois debout , plus souvent
assise , avant près d'elle , et presque toujours sur ses genoux ,
une corbeille de fruits ; un chien est couché à ses pieds :
quelquefois un de ses pieds est appuyé sur la proue d'un
vaisseaus quelquefois elle est accompagnée de la figure
d'Hercule Maguzain , plus souvent de celle de Neptune.
Sur tous ses autels on remarque des fleurs , des fruits , souvent
des cornes d'abondance ; et , ce qu'il est bon d'observer ,
sa coiffure est partout seinblable à celle que portent encore
de nos jours les paysannes de la Nord-Hollande.
Ces savans ont cherché à découvrir l'étymologie du nom
de Nehalennia , ainsi que les diverses attributions de la
déesse . M. Pougens , après avoir rapporté toutes ces opinions
, et en avoir démontré la fausseté ou l'insuffisance ,
établit qu'on n'auroit pas dû chercher , soit dans la langue
grecque , soit dans les langues orientales , l'origine du nom
de cette divinité révérée par des peuples septentrionaux. Il
lui paroît plus naturel de le dériver , 1 °. d'un nom donné
par les peuples du Nord aux nymphes ou divinités tutélaires
des eaux , et que l'on retrouve dans l'Edda , le Voluspa , etc .;
2°. du monosyllabe hall , qui , dans les anciennes langues
du Nord , signifie temple , palais , salle , vestibule , et en
général lieu couvert. Il conclut , d'après un grand nombre
d'inscriptions et de monumens, et sur-tout d'après le costume
de cette déesse , qui est encore en grande partie celui
des habitans de la Nord-Hollande , que la déesse Nehalennia
est une divinité locale ou indigène chez les anciens peuples
du Nord ; que c'est une déesse Lare ; qu'enfin , c'est la
déesse qui présidoit , en Zélande , à la navigation commerciale
, et sur-tout aux marchés publics.
Lorsque de l'étude de P'histoire et de la littérature ancienne
on descend à celle de l'histoire du moyen âge , ony
trouve peu d'époques plus mémorables que celle des croisades
. Tout ce qui est relatif à ces expéditions pieuses si
l'on veut , mais toujours dévastatrices et sanglantes , ne peut
même dans les plus petites circonstances manquer d'inspirer
quelqu intérêt. Pour réconcilier les amis de l'humanité avec
ces émigrations armées qui lui firent de si horribles plaies ,
les historiens s'efforcent de faire valoir l'influence qu'elles
ont eue relativement aux arts , aux sciences , en un mot, aux
progres de la civilisation en Europe. Nous n'avons pourtant
point encore une bonne histoire des croisades. Les sources
où il faudroit puiser pour débrouiller la suite des événemens
SEPTEMBRE 1807. 467
sont dans un état encore informe , qui réclame les soins les
plus attentifs du critique , avant que l'historien en puisse
faire usage. On doit donc savoir gré aux hommes de lettres ,
qui , pour parvenir à ce but , s'appliquent à éclaircir quelque
fait contentieux , ou à détruire quelque erreur accréditée .
L'époque d'une assemblée enue à Chartres , relativement
à la croisade de Louis-le-Jeune , à paru à M. Brial être de
ċe nombre . Les savans de la première réputation s'accordent
à placer cette époque en l'année 1146. M. Brial s'est proposé
, dans un Mémoire , de démontrer que cette assemblée ,
qu'on décore du titre de parlement du royaume , n'a été
tenue qu'en 1150 ; que l'objet de sa convocation étoit tout
différent de celui pour lequel on avoit tenu des assemblées
en 1146 et 1147 , à Bourges , à Vezelai , à Etampes ; que ,
dans ces assemblées , on s'étoit occupé des préparatifs de la
croisade , au lieu que dans l'assemblée de Chartres , il étoit
question non- seulement de porter des secours aux chrétiens
de la Terre- Sainte , prétexte dont on se servit toujours pour
ces expéditions , mais encore de venger les désastres qu'avoit
éprouvés dans sa marche l'armée des Croisés , par la perfidè
politique des empereurs grecs ; que ce fut dans cette assemblée
, et non en 1146 , que Saint Bernard fut choisi pour
être le chef d'une nouvelle croisade , qui devoit être entreprise
aux frais du clergé de France , le roi et les seigneurs du
royaume , à peine de retour de leur expédition , étant trop
épuisés d'hommes et d'argent pour en entreprendre une
autre ; qu'enfin cette assemblée n'eut aucun résultat , que
cette nouvelle croisade ne fut qu'un projet presque aussitôt
abandonné qu'il fut conçu .
Le même M. Brial a cherché , dans un autre Mémoire ,
à éclaircir un passage de l'abbé Suger, relatif à l'histoire du
Berry. L'abbé Suger a parlé , dans la Vie de Louis - le - Gros ,
d'un Humbaud , seigneur de Sainte - Sévère , dans le Berry,
que Lonis avoit assiégé , pris dans son château et constitué
prisonnier à Etampes . Ce Humba d , inconnu à l'historien
la Thaumassière , qui connoissoit si bien les familles du
Berry, n'est-il point le même que Humbaud , seigneur de
Meun ou Mehun-sur-Yèvre , dont il donne la généalogie ?
M. Brial cherche à prouver cette identité par un pass ge
d'Ives de Chartres , où il est parlé d'un Hugues de Meun ,
Hugonem Maidunensem . Ce nom de Hugues aura été mis
par les copistes à la place de celui de Humbaud , qui n'étoit
désigné que par la lettre H, selon l'usage trop commun
dans les monumens du moyen âge , de ne désigner les noms
des personnes que par la lettre initiale ; usage qui a été la
▸ g 2
468 MERCURE DE FRANCE ,
sourced'un nombre infini d'erreurs de noms dans les copies
de ces monumens. Ce qui appuie cette conjecture , c'est que
dans la généalogie de la maison de Meun , il ne se trouve
aucun personnage appelé Hugues , ni comme chefde famille,
ni comme puîné .
En admettant cette correction dans la lettre d'Ives de
Chartres , on peut expliquer le passage de l'abbé Suger.
On voit pourquoi Iyes s'intéressoit si fort à ce seigneur , qui
étoit prisonnier à Etampes , et en faveur duquel il écrit à
Léger , archevêque de Bourges , qui , d'après le texte de la
lettre , paroît avoir été la cause de sa détention. L'auteur de
ce Mémoire ne se flatte pas d'avoir levé toutes les difficultés .
Il propose son opinion. Il lui suffit d'avoir indiqué la source
d'où peut venir la confusion qui couvre ce point de critique ,
et d'avoir mis sur la voie ceux qui travailleront à l'histoire
du Berry ; histoire qui , selon M. Brial, auroit grand besoin
d'une main habile .
La main la plus habile , en effet , auroit de la peine à
vaincre les difficultés qui naissent , dans la plupart de ces
histoires particulières , de la triple obscurité des événemens ,
des personnages et des sources , et à tirer de ce travail
quelque moyen d'intéresser ou d'instruire ; quelquefois , au
contraire , l'histoire particulière , non-seulement d'une province
mais d'une maison , se lie à celle de l'Europe entière ;
et il suffit , lorsqu'on s'occupe d'une famille qui a cette importance
historique , de nommer le sujet de ses recherches ,
pour éveiller l'attention . Telle est cette célèbre maison d'Autriche
, qui a dominé les deux mondes , et mise récemment
à de si terribles épreuves . M. Mentelle a tracé , dans un
Essai historique et statistique , le tableau des accroissemens
et des pertes que cette maison a successivement éprouvés
depuis l'avénement de Rodolphe de Hapsbourg à l'Empire ,
jusqu'aux traités de Presbourg et d'Austerlitz inclusivement.
Cet Essai ou Mémoire est divisé en deux parties. La première
renferme les événemens qui ont contribué à la grandeur
de la maison d'Autriche, depuis l'élévation de Rodolphe
, en 1273 , jusqu'à la mort de Charles VI , en 1740 ; la
seconde , depuis cette époque jusqu'aux derniers traités ,
en 1806.
Les faits historiques relatifs à l'agrandissement de cette
maison , sont assez généralement connus. Les détails statistiques
le sont moins ; et cette considération , jointe à l'intérêt
particulier que ces sortes d'objets ont acquis , a engagé
M. Mentelle à s'en occuper spécialement.
SEPTEMBRE 1807 . 469
Lorsque Rodolphe fut appelé à l'Empire , il ne possédoit
guères de domaines qu'une étendue de 179 mille carrés
d'Allemagne , répondant à 495 de nos lieues carrées ; ( on
laisse ici , comme dans le reste de ces évaluations , les fractons
de lieue. ) Rodolphe paroît avoir senti , dès-lors , toute
l'importance du principe aquel ses descendans ont donné
de si grands développemens ; c'est que le moyen le plus efficace
pour conserver l'Empire dans sa famille étoit de se procurer
une grande masse d'Etats héréditaires . Il donna tous
ses soins , pendant la durée de son règne , à l'accroissement
des siens . Albert I , son fils , dont on a dit qu'il ne voyoit
le bonheur que dans la puissance , et la puissance que dans
ledespotisme , se proposa le même but , et tous les moyens
lui parurent légitimes poury parvenir. A sa mort , l'étendue
de ses domaines montoit à 1234 mille carrés , ou 3418 lieues
arrées .
Après que la couronne impériale , que l'on avoit craint
de conserver dans la famille de cet Albert , devenu odieux
à tout l'Empire , eut passé successivement dans quelques
autres familles , elle revint , en 1438 , à la maison d'Autriche
, dans la personne d'Albert II . Sous les règnes précédens
, les biens de cette maison n'avoient point cessé de
s'accroître ; le règne de Frédéric III , son successeur , fut
sans utilité pour l'Empire , mais non pour l'agrandissement
de sa maison. L'événement qui y contribua le plus , fut le
mariage de l'archiduc Maximilien avec la princesse Marie ,
fille et unique héritière du dernier duc de Bourgogne
Charles-le-Téméraire . Ce mariage fit entrer dans la maison
d'Autriche les dix-sept provinces des Pays-Bas . Le total des
domaines héréditaires de cette maison s'éleva , sous l'empire
de Maximilien , à 3613 milles carrés , ou environ 10,109
lieues carrées ; ainsi , en moins de trois cents ans , cesbiens
avoient été portés à plus de vingt fois d'étendue qu'ils avoient
d'abord .
Le mariage de Philippe , fils de Maximilien , avecJeanne,
infante d'Espagne , fille et héritière de Ferdinand et d'Isabelle
, augmenta si prodigieusement cette masse , et elle
s'accrut encore tellement sous la domination presqu'universelle
de Charles-Quint , leur fils , qu'on l'a fait monter , à
cette époque , à 16,085 milles carrés , qui font plus de
46,217 lieues carrées , en y comprenant tous ses Etats de
l'ancien et du nouveau Monde. Quelques tables de statistique
portent même cette masse à un ou deux milliers de milles
plus haut , et le nombre des sujets de Charles-Quint à plus
de 31 millions .
3
470 MERCURE DE FRANCE,
J
La division de la maison d'Autriche en deux branches
diminua les possessions de la branche allemande , réduites ,
sous Ferdinand I , frère de Charles-Quint , à 6,402 milles
carrés , ou 17,733 lieues carrées . Cependant de nouvelles
acquisitions portèrent cette étendue , sous le règne de Charles
VI , à 14,5-3 milles carrés ; mais à sa mort il n'en
restoit plus que 10,935 . Sous le règne de Marie-Therese ,
le total fut porté un peu plus haut ; il augmenta encore sous
Léopold ; et même au commencement du règne de François
II , il étoit de 13,904 milles ; mais la puissance de sa
maison ayant diminué par les derniers événemens , voici à
quels résultats actuels s'arrête M. Mentelle , sans se dissimuler
que , malgré les soins qu'il a pris , et malgré les renseignemens
directs qu'il aarreeçus des savans les plus distingués
de l'Allemagne , la connoissance de matériaux plus exacts
peut faire parvenir encore à des résultats plus complets .
Etendue, 10,730 milles carrés , ou 29,842 lheues carrées.
Population , 22 millions 4 à 800 mille ames .
Revenus , de 103 à ro4 millions de florins .
Une autre puissance européenne a fixé l'attention de
M. Dupont de Nemours : il a lu dans nos séances quelques
chapitres d'une Histoire des finances de l'Angleterre , travail
relatif à l'une des attributions les plus précieuses de la
classe , celle de l'application des sciences morales et politiques
à l'histoire. Parvenu au système de finances établi en
Angleterre par le roi Alfred , quelques observations qui
ont été faites à notre confrère, lui ont fourni le sujet d'une
dissertation sur les constitutions domaniales de finance.
Aquelque point que ces constitutions puissent être imparfaites
, il leur trouve un avantage remarquable , celui de.
fonder le service public par une seule concession , au moment
où l'utilité de cette concession frappe tous les esprits ,
ęt de telle manière que les propriétés privées peuvent demeurer
, et si la concession a été suffisante , demeurent
effectiveinent exemptes d'impôts .
L'histoire présente des exemples de trois sortes de constitutions
domaniales de finance. La plus ancienne est celle.
àpartage de terres. Diodore de Sicile nous fait connoître.
qu'elle a existé en Egypte , où le tiers des terres avoit été
donné aux Pharaons , et un autre tiers aux prêtres. Les
rois de plusieurs autres nations ont eu aussi des domaines
de cette espèce.
La seconde constitution domaniale de finance est à partage
defruit. Ily en a deux grands exemple , l'un chez le Hébreux,
l'autre chez les Chinois. M. Dupont fait connaître.
SEPTEMBRE 1807 . 471
les différences qui existent entre ces deux genres de constitution
domaniale , toutes deux de la même espèce . Il démontre
les inconvéniens , tant de cette seconde espèce que
de la première , ou de celle qui fut en usage chez les Egyptiens.
Enfin , la troisième constitution domaniale de finance est
à partage de revenu . Elle n'a encore été tentée que par l'Assembée
constituante de France. Cette assemblée avoit décrété
que les terres paieroient le cinquième du revenu , après
défalcation préalable de tous les faits de culture , et que tout
propriétaire qui pourroit avoir été taxé à plus de ce cinquième
, obtiendroit un dégrévement ; mais cette disposition
n'a été observée que pendant une année seulement. M. Dupont
regarde ce plan de constitution domaniale de finances
comme très-supérieur à celui des Egyptiens , des Hébreux
et des Chinois .
Il s'est trouvé engagé dans une autre discussion , à l'occasion
d'une attribution qui a été rendue à la classe d'histoire
et de littérature ancienne , et qui étoit une des principales
de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. En vertu
d'une lettre de S. Exc. le ministre de l'intérieur , la classe a
dû s'occuper de présenter au gouvernement des projets de
médailles , pour consacrer les glorieux événemens dont nous
sommés témoins. Deux opinions contradictoires se sont
élevées sur la manière dont ces événemens doivent être
représentés . Quelques membres de la classe pensoient que
l'on pouvoit s'approcher de la vérité dans la manière de
rendre les actions , les personnes , les costumes et les objets
matériels , en sorte que l'on pût voir , sans le secours des
inscriptions , pour quelle nation et dans quel temps ces
médailles auroient été frappées ; d'autres se tenoient aux
principes généraux reçus parmi les artistes et les amateurs de
l'art , qui autorisent dans la représentation de tous les sujets
que traite l'imitation des arts du dessin , une manière emblé--
matique ou figurée de représenter les choses , sans égard
aux temps , aux lieux et aux personnes .
M. Dupont , qui s'étoit fortement déclaré pour la première
opinion , a expliqué ses motifs dans deux mémoires.
Les médailles , dit-il dans le premier , ont d'abord été des
monnaies sur lesquelles ceux qui les faisoient frapper ont
voulu rappeler des événemens dont ils trouvoient utile ou
honorable de conserver le souvenir. Ce n'est que dans les
temps modernes qu'elle sont devenues de simples monu
mens historiques. Il trouve qu'elles sont d'autant plus obli
gées d'être historiques ,c'est-à-dire , de donner, sans aucune
اني
472 MERCURE DE FRANCE
:
:
équivoque , une idée de l'événement qu'elles rappellent , du
temps et du lieu où il s'est passé , des grands hommes dont
on veut qu'elles perpétuent le souvenir.
Il juge en conséquence : 1 °. que les légendes et les exergues
de celles qui son proposées , doivent être en français ;
2°. Que ces médailles doivent , dans leurs accessoires et
dans les costumes , offrir une idée monumentaire de nos
sciences , de nos arts , de nos moeurs . Il désapprouve qu'on
yvoie des trirèmes , quand nous avons des frégates et des
vaisseaux de guerre qui sont beaucoup plus beaux , et que
nos héros ont réellement montés ; que des armes antiques
remplacent nos canons , nos fusils , nos drapeaux , dont
l'effet ne lui paroît pas moins pittoresque. Notre costume
militaire , sur-tout , qui moule le corps et les membres , lui
paroît aussi avantageux et plus fidèle que la cuirasse antique .
Les anciens portèrent dans leurs médailles et leurs basreliefs
une vérité locale , sans laquelle nous ignorerions
quels étoient leurs meubles , leurs vêtemens , leurs armes .
M. Dupont veut que , de même, nos médailles puissent être
comprises par nos contemporains et par nos descendans ,
sans effort , sans commentaire , et que ce ne soit pas pour
eux de véritables énigmes . Enfin , les médailles lui paroissent
faites pour l'histoire et pour la gloire des nations et des
princes , encore plus que pour celle des artistes .
Le second Mémoire n'étoit que l'application de cette
théorie à quelques-unes des médailles proposées.
La classe n'a point partagé ses opinions , et M. Quatremère
de Quincy a expliqué la théorie qui y est contraire ,
dans un Mémoire étendu , dont il a lu un extrait dans la
séance publique. Voici quelle est , en peu de mots , la
substance de cette théorie :
Chaque art , ou chaque genre d'imitation , n'est , en définitif
, que le résultat d'une manière de considérer la nature
dans un de ses aspects , on sous un de ses rapports particuliers
. Ces diverses manières sont très-nombreuses ; mais
elles se divisent facilement et évidemment en deux principales
, dont l'une consiste à voir les objets dans leur rapport
positif et matériel, et l'autre à les considérer dans leur
rapport intellectuel ou moral. En correspondance avec ces
deux manières opposées de considérer un sujet , les artistes
reconnoissent quatre modes ou styles dans les ouvrages de
P'art : savoir le style trivial , le style naturel , le style noble
et le style poétiqne. M. Quatremère donne des exemples de
-ces quatre styles et de la manière dont le même sujet peut
être traité dans l'un ou dans l'autre. Il établit ensuite qu'il
SEPTEMBRE 1807 . 473
1
n'y a aucune raison ni aucun moyen d'excepter de cette
théorie , et de soustraire à la rigueur de ses conséquences
aucun sujet moderne ou national. Toute cette discussion est
l'objet de la première partie.
Il s'attache , dans la seconde , à développer la théorie
abstraites des procédés poétiques par lesquels l'imitation des
arts du dessin parvient à faire passer les sujets que traite
P'artiste de l'ordre de choses positif à l'ordre de choses idéal ;
ordre qui autorise on plutôt nécessite le style poétique ou
figuré. Ce style ne peut exister que par un changement
apparent dans l'extérieur et les formes des actions, des choses
etdes personnes. Les deux procédés poétiques par lesquels
ce changement s'opère dans les arts du dessin , consistent
dans l'action de généraliser , et dans l'action de transposer ,
ou la métophore. L'auteur explique fort en détail la nature
et l'emploi de des deux procédés , sans lesquels il ne peut
exister dans les arts de style poétique , ni par conséquent de
'moyens d'élever les objets de l'ordre positif à l'ordre idéal.
Il emploie spécialemeut sa troisième partie à développer
les moyens pratiques par lesquels l'artiste opère l'imitation
métaphorique , et les changemens qu'il fait subir aux sujets
qu'il traite; et il applique ces notions en particulier à la composition
des médailles et des monumens honorifiques . Il
traite , dans la quatrième , de la liberté que les Grecs et les
Romains employèrent dans la représentation de leurs costumes
et de leurs sujets historiques . Enfin il analyse les
différences de l'habillement antique et de l'habillement
moderne , et fait voir que l'un fut aussi favorable à l'imitation
que l'autre y est contraire.
Je finirai ce rapport en observant que je n'ai dû y faire
entrer ni les travaux de plusieurs de nos confrères qui n'ont
pas jugé à propos de leur donner cette sorte de publicité , ni
un Mémoire historique et géographique de M. la Porte-du-
Theil sur l'île de Salamine , parce que son auteur ne le
regarde que comme destiné à faire partie d'un plus grand
travail; ni un autre Mémoire de M. de Sainte-Croix , sur le
tombeau de Mausole , parce que ladescription de ce tombeau
n'est plus aussi qu'une partie accessoire d'une dissertation
qui embrasse la chronologie des dynastes ou princes de
Carie , que notre confrère a terminé depuis , dont iln'a
encore que commencé la lecture. Je n'y ai pas non plus
compris les Observations de M. Dupuis , sur le Zodiaque
de Tentiris Dendera , ou qui ont été imprimées à part , ainsi
que ses nouvelles Explications du Zodiaque chronologique
et mythologique. Pour la même raison , j'ai passé sous siet
474 MERCURE DE FRANCE ,
lence les Recherches de M. Langlès , sur l'origine , l'histoire
et les travaux littéraires des Tatars - Mantchoux , qui sont
destinées à une publication indépendante de cellede nos Mémoires
; et enfin , l'introduction générale à la première partie
de l'Histoire littéraire moderne , queje me dispose à publier,
et qui contient le tableau de ia destruction des Lettres par
l'invasion des Barbares en Italie , et des vicissitudes qu'elles
yéprouvèrent jusqu'au 11° siècle , premiere époque de leur
renaissance .
e
VARIÉTÉS .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
-Le secrétaire perpétuel de la classe de la langue et de la
littérature françaises de l'Institut , répond par la voie des
feuilles publiques aux nombreuses demandes en éclaircissementqui
lui parviennent sur les concours ouverts par l'Académie
, et rappelle que les deux prix d'éloquence proposés
cette année par l'Académie , seront décernés dans la séance
publique qu'elle tiendra l'un des premiers jours d'avril 1803,
et que les pièces destinées au concours doivent être remises
au sécrétariat de l'Institut le 15 janvier 1808 , terme de
rigueur .
-
On annonce trois grands opéras : la Mort d'Adam ,
paroles de M. Guillard , musique de M. le Sueur ; la Vestale
, paroles de M. Jouy , musique de M. Spontini ; et la
Mort d'Abel , dont on ignore les auteurs .
-On fait espérer à Feydeau une pièce intitulée Cimarosa.
Le sujet est tiré de la vie de ce grand compositeur , et la
musique est d'un de ses élèves .
- On parle de réformes dans l'administration de plusieurs
théâtres; on croit que le régime de l'Académie Impériale
subira quelques changemens .
-Il paroît décidé que les Comédiens français retourneront
au faubourg Saint-Germain , et que c'est pour eux que l'on
répare l'Odéon .
Mad. Catalani est arrivée à Dublin , où elle doit faire
briller son talent à des conditions fort avantageuses pour elle.
A son retour , elle passera à Edimbourg , où elle est fort
désirée .
M. Le Brun , membre de l'Institut et de la Légion
d'Honneur , poète , que ses succès dans le genre lyriqua
SEPTEMBRE 1807 . 475
avoient fait surnommer le Pindare français , vient de
mourir dans un âge très-avancé. La mort de M. Portalis
et la sienne laissent deux places vacantes à l'Académie
Française . Les obsèques de M. Le Brun se sont faites avec
les cérémonies ordinaires . Une députation de l'Institut a
accompagné le corps à l'église de Saint-Roch , d'où , après
le service divin , il a été conduit au cimetière Montmartre,
M. Chénier a prononcé sur la tombe un éloge funèbre. Un
détachement militaire , qui accompagnoit le convoi , a
rendu au mort les honneurs prescrits pour les membres de
la Légion d'honneur .
M. le docteur Caldwell, de Philadelphie , vient de
publier la traduction de l'ouvrage de M. Alibert sur les
fièvres pernicieuses intermittentes. Ily a ajouté , en forme
d'Appendix , un excellent Essai sur l'épidémie de la fièvre
jaune qui a régué aux Etats-Unis d'Amérique en 1805 .
-- M. Moradjea d'Ohsson , suédois d'origine , et depuis
long-temps établi en France , auteur d'un ouvrage extrêmement
curieux et fort cher, intitulé Histoire de l'Empire
Ottoman , vient de mourir à Bièvres près Paris.
-Le monument qu'on a construit à M. Fox , à Weste
minster , est un simple tombeau qui n'a pour inscription
que les lettres initiales de son nom; mais on croit qu'on se
propose d'élever à la mémoire de cet homme célèbre un
monument plus digne de sa renommée.
NOUVELLES POLITIQUES,
Kiel , 21 août.
Le lieutenant-général Peyman ,gouverneurde Copenhague ,
afait brûler dans les faubourgs les maisons qui pouvoient favoriser
les assiégeans , et nuire aux opérations de la défense de
laplace. On estime le dommage àplusieurs millions de risdales.
Ces faubourgs étoient grands et parfaitement bâtis; mais les
habitans de Copenhague sont tellement animés , qu'on raconte
que les pauvres habitans des faubourgs étoient les plus acharnés
à la destruction de leurs maisons.
Les Anglais ont effectué leur débarquement. La ville est
investie par terre et par mer. Le général anglais Cathcart a
établi son quartier-général au château de Frederiksberg , et
déjà les hostilités ont commencé. Le parlementaire que les
Anglais ont envoyé n'a pas été reçu , et a été chassé avec indi
gnation. « Vous n'êtes pas des ennemis , leur a dit le général
Peyman , vous êtes des brigands. Sans déclaration de guerre ,
sans motifs , vous venez nous attaquer , vous pouvez nous tues
476 MERCURE DE FRANCE ,
1
si vous êtes les plus forts : la vie nous seroit odieuse , s'il nou
falloit la tenir de vous. »
Le 18, les Danois ont fait une sortie; les Auglais ont été
repoussés et ont eu 15 hommes tués. Deux bâtimens anglais
dedébarquement ont été pris par les chaloupes canonnières
danoises. Un léger engagement a eu lieu sur mer entre les
bâtimens danois et anglais. Quelques bombes qu'ont jeté les
Anglais n'ont fait aucun dommage. On est parvenu à organiser
dans l'intérieur de l'île un corps de 10 mille hommes ,
dont 4 mille de troupes de ligne , et le reste de landwern ou
cultivateurs anciens soldats , exercés ou qui sont exercés
annuellement. Ce corps est sous les ordres du général Gartenschiold.
Jamais l'esprit dans une ville assiégée n'a été meilleur. La
haine contre l'ennemi et le zèle pour la cause commune
passent toute expression. Les baillis de l'île de Sélande rassemblent
et envoient à l'armée des chevaux tout harnachés.
En dépit des croisières anglaises , des volontaires arrivent tous
les jours à Copenhague. Les étudians , au nombre de six cents,
se sont présentés chez le grand -maréchal de la cour ; et, réunis
sur la place du château , ils ont fait le serment de vaincre ou
demourir.
Quel spectacle que celui de toutes les scènes d'oppression
et de tyrannie que les Anglais s'occupent aujourd'hui de
donner au monde ! Aucune n'ade caractère plus odieux que
leur agression contre le Danemarck. Ils attaquent la capitale
d'un roi , leur ami , leur allié , qui n'a aucune discussion
avec eux ,sans lui avoir déclaré la guerre ; bien plus , d'un
roi partial pour eux , puisque pendant toute l'année ils n'ont
eu de communication avec le continent que par ses Etats.
Bénie soit la Providence , de ce que cet horrible gouvernement
est sans troupes et sans généraux de terre !
Du 20. L'ambassadeur de France à Copenhague , est ici. Le
prince Royal travaille jour et nuit. Les habitans de cette
ville et les étudians forment un corps de volontaires pour
garder et défendre le rivage de Friedrichsort. Tout est aussi
en mouvement à Gluckstadt : on y organise , avec la plus
grande activité , les moyens de défense de la rive droite de
l'Elbe. Il y aura un armement général dans tout le Holstein ,
particulièrement dans les endroits situés sur les côtes et les
bords des rivières ; on s'empresse partout à prendre volontairement
les armes. En attendant , beaucoup de troupes
réglées se portent vers le Fahnen. On compte maintenant
500 voiles anglaises qui sont près de Copenhague ou à la vue
decette ville. D'après un avis publié à Sleswick , on y délivre
des lettres de marque contre les bâtimens anglais.
SEPTEMBRE 1807 . 477
Unnavire marchand suédois , qui descendoit le canal pour
-
entrer en mer , avoit été détenu par le cutter posté ici. Le
commandant du yacht de guerre suédois adressa sur-le-champ
ses réclamations au prince Royal , qui a fait relâcher le vaisseau
suédois ; il a passé , ainsi que plusieurs autres vaisseaux de la ›
même nation. Le yacht de guerre suédois a aussi mis à la voile
cetaprès-midi.
Du 25. Un courrier porteur de nouvelles de Copenhague
jusqu'au 20 , et de la Sélande jusqu'au 22, annonce
que deux autres sorties ont été faites le 19 et le 20, et qu'elles
ont eu le même succès que la première ; c'est-à- dire , quelques
tués et blessés et quelques prisonniers. On a appris également
que les Danois étoient restés maîtres de la presque totalité des
avenues qui environnent Copenhague , et notamment d'un
grand lac qui se trouve en avantdes portes de l'est et du nord ,
en touchant d'un côté à la citadelle et s'étendant presque jusqu'à
la porte d'ouest. Tous ces points ont eté mis en état de
défense. Ils offrent de grands avantages , parce que se trouvant
protégés par le canon de la place , ils en augmentent
considérablement le circuit , et forcent l'ennemi à affoiblir sa
ligne d'investissement , qui par-là devient presque nul. Aussi
la crainte d'une prise d'assaut a-t-elle entièrement cessé ,
même dans le coeur des citoyens les plus timides ; et si l'on
a aujourd'hui de l'impatience , c'est de voir les Anglais le
tenter.
Il paroît d'un autre côté qu'ils ne s'attendoient point à
autant de résistance , et qu'ils espéroient que ce ne seroit que
l'affaire d'un coup de main; car ils ont à peine quelques
pièces de siège.
Le quartier- général du général Cathcart est toujours à Fredericsberg
, où il sembleroit craindre d'être assiégé lui-même ,
à en juger par les travaux dont on l'a environné. Ce château
est situé sur une éminence que traverse la grande route de
Hambourg , et à une demi-lieue de Copenhague .
Du reste les Anglais après avoir pour ainsi dire chassé
un souverain de sa résidence , avoir investi et bombardé
sa capitale qu'ils assiégent encore , ont l'impudence de proclamer
qu'ils ne viennent que pour protéger le Danemarck
contre les armées françaises. Peut-on pousser plus loin la
perfidie et même la sottise ? On dit que pour donner quelque
appui à leur assertion , ils paient la plupart des objets
qu'ils consomment dans l'île. Il paroît au surplus qu'on prend
leur argent , mais sans les en croire davantage.
Les nouvelles de la Sélande aunoncent que le quartiergénéral
du général danois Cartenskiold est àRingstedt. Le
478 MERCURE DE FRANCE ,
corps sous ses ordres s'étend jusqu'à Roschild. Il n'a fait encore
aucun mouvement , parce que son organisation n'est pas
complète. Il manquoit particulièrement d'officiers ; mais ,
grace au dévouement et à l'intrépidité qui animent en général
le militaire danois , il en parvient journellement en Sélande,
en depit des croisières anglaises . On ne doute pas que ce corps
ne soit bientôt en état d'agir.
La frégate de garde au Sund a été prise en voulant se réfugier
dans un des pors de la Norwège. Un vaisseau de ligne et une
frégate l'ont attaquée; et après un léger combat qu'il lui
étoit impossible de soutenir , parce que c'étoit un vieux
bâtiment armé de pièces de 12 seulement, elle a été forcée
de se rendre. (Moniteur. )
PARIS, vendredi 4 septembre.
Rapport du maréchal Brune au ministre de la guerre.-Au
quartier-général de Stralsund , le 20 août 1807 .
Nous sommes entrés ce soir dans Stralsund après cinq jours
de tranchée ouverte: dans ce court espace de temps, les travaux
ont été poussés avec une vigueur telle que je me promettois
d'emporter la place en peu de jours. Il ya eu un accord
parfait dans toutes les armes. Le roi de Suède , voyant les progrès
de nos travaux , l'inutilité de ses feux contre nos travailleurs
, et nos nombreuses batteries prêtes à foudroyer la
place, a jugé convenable de s'embarquer avec ses troupes; il
est allé à Rugen, laissant à Stralsund pour commandant, un de
ses aide-de-camp , M. Peyron , qui est venu aujourd'hui avec
deux des principaux magistrats proposer une capitulationa
J'ai dû me refuser à une telle demande; et en même temps
que je rassurois les magistrats effrayés de l'abandon auquel les
livroit leur ridicule souverain , je faisois placer trois compagnies
de grenadiers à chaque porte : je suis entré dans la
place; j'ai nommé le général Thouvenot pour y commander.
L'effroi des habitans étoit extrême ; mais j'ai prononcé le nom
de S. M. , et , sûr de la sagesse des soldats , j'ai fait subitement
succéder le calme à l'épouvante .
On nous a appris que le roi avoit été épouvanté des dangers
qu'il avoit courus à l'affaire du 6, quand nous repoussions ses
postes dans la place; et à celle du 15 , pour l'ouverture de la
tranchée : il a emmené quelques canons et en a enclosé un
grand nombre ; nous avons trouvé un grand désordre de transports.
Je rendrai à V. Exc. un compte particulier de cet événea
ment , aussi déshonorant pour le roi de Suède comme général
SEPTEMBRE 1807. 479
que comme souverain ; mais je ne dois pas différer à exprimer
la vive satisfaction que je ressens de la conduite parfaite des
troupes françaises et alliées dont S. M. m'a confié le commandement.
Signé BRUNE.
Je crois avoir oublié de dire à V. Exc . dans ma précédente
dépêche que le roi de Suède avoit envoyé, il y a quatre jours ,
un aide-de-camp pour réi'érer la proposition la plus ridicule.
On est à plaindre d'avoir à traiter avec un pareil souverain ;
mais les peuples de Suède sont bien plus à plaindre encore ,
officiers , soldats , citoyens , tous gémissent des travers de leur
prince; tous aiment les Français et admirent S. M.
Le roi de Suède est seul de son parti dans son royaume; il
faut cependanty joindre douze à quinze misérables , comme
Fersen et Armfeld. (Moniteur. )
Extrait d'une lettre de S. Exc . le maréchal Brune , à S. A. S.
le prince de Neuchatel , vice-connétable.
Au quartier- général de Stralsund , le 23 août.
Nous avons emporté cette nuit , moitié par surprise , moitié
devive force , l'île et le fort de Danholm. Six cents suédois
sont prisonniers. Nous avons trouvé dans l'île 14 pièces de
canon ou mortiers.
Le roi de Suède nous a laissé à Stralsund 500 bouches à feu ,
300,000 boulets , 100,000 bombes , 200 milliers de poudre,
et beaucoup de fer en barre.
--Conformément aux ordres de Sa Majesté l'Empereur et
Roi , et par les soins de LL. EExc. les ministres de l'inté
rieur et de la guerre , le 29 août 1807 , à 7 heures du soir, ont
eu lieu les funérailles de S. Exc. M. Jean - Etienne - Marie
Portalis , ministre des cultes, grand-aigle de la Légion d'honneur
membre de l'Institut et de plusieurs autres sociétés
savantes, décédé en son hôtel , rue de l'Université , le mardi 25
du courant.
,
Les députations des corps de l'Etat , les fonctionnaires
publics civils et militaires , les administrations , les parens et
les amis du défunt , s'étoient rendus à son hôtel.
Le cortège en est parti à pied, pour aller à l'église de
Saint-Thomas-d'Aquin, au milieu de deux haies de troupes ,
à la lueur des flambeaux , et au milieu d'un concours de
spectateurs , sensiblement émus.
CORPS LÉGISLATIF.
Lundi , 31 août , MM. les conseillers d'Etat Treilhard ,
Pelet et d'Hauterive , ont présenté un projet de loi relatif à la
contrainte par corps pour dettes contractées par des étrangers.
Mardi , MM. Regnault , Jaubert et Réal ont présenté un
projet de loi relatif au code du commerce. Les sept premier
480 MERCURE DE FRANCE ,
er Litres du 1 livre traitent : 1º (tteess commercans, 2°. de la
tenue des livres ; 3°. des sociétés en général et en commandite;
4°- des séparations de biens; 5º. des dispositions particulières.
àchacun decestitres ; 6°. des commissionaires ; 7°. des formes
suivant lesquelles la vente et l'achat pourront être commercialement
établis. Mercredi , MM. les conseillers d'Etat Begouen
, Fourcroy et Bérenger ont présenté le 8º titre du livre
1er du projet de Code de commerce. Ce titre comprend les
divisions suivantes : De la lettre de change ; de la forme ; de
la provision; de l'acceptation ; de l'acceptation par interven
tion; de l'échéance ( à cet égard, tous les délais de grace , de
faveur , d'usages ou d'habitudes locales sout abrogés ) ; de
l'endossement ( il est défendu d'antidater les ordres , à peine
de faux ) ; de la solidarité ; de l'aval ; du paiement ; du paiement
par intervention ; des droits et devoirs du porteur.
( Ce paragraphe fixe les délais pour le paiement des lettres
de change tirées des Echelles du Levant , des côtes septentrionales
et occidentales de l'Afrique , des Indes orientales et
occidentales , et pour le temps de la guerre maritime. ) Les
dernières divisions traitent des protêts, du rechange , du
billet à ordre , enfin de la proscription. Jeudi , MM. Ségur ,
Rhédon et Treilhard , ont présenté le 3º livre du projet de
Code de commerce , intitulé : Des Faillites et Banqueroutes.
Vendredi , MM. Mare tet Corvetto ont présenté le livre IV
du code de commerce , contenant la jurisdiction commerciale.
Nota. Dans sa séance du 5 , le Corps-législatif a adopté .
le projet relatif au prêt à intérêt , qui lui avoit été présenté
le 25 août.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
DU LUNDI 31 , - C pour o/oc. J. du 22 mars 1807 , 9if gof goc 600 500
9of 700 800 750 gif gof75c 80c 850 750.000 000 000 000.
Idem. Jouiss , du 22 sept. 1807 , 87f 25c. 500. ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 13 of 139of oooof cooof coc
DU MARDI 1er septembre . - C p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , gafgaf
200 250 500. 25c 50c 30c 50c. oofoo ooc cocooc oof cof ooc
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807, 89f. Soc eof oof coe. coc ooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1405f 1410f 143of. 000of0000f
DU MERCREDI 2 - Ср . оо c. J. du 22 mars 807 , 9of 5oc gofgol 200
8gf75c 8gf75c. gof boc 50c off. ooc ofcoc. oof.
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , oof ooc. oof. oof ooc ooc one
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1405f400f 1405f0000f oooof
DU JEUDI 3. - Cp. o/o c . J. du 22 mars 1807. gof 500 toe gof gof 100
gof 100 8gf 750 500 000 000 000 оос оос о е 000 000 000 000 оос бос
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 87f 100 oof ooc oo ooo oofooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement oooof, oooof one oooof. oooof
DU VENDREDI 4. - Ср . 0/0 c. J. du 22 mar ,1807, 9of, 89f 250. 8gf
8Sf700,000,000 000 coc ooc cof ooc ooc oof ooc ooc cuc cocoof onc
Idem. Jóuiss. du 22 sept. 1807 , 87f 500 000. oof các con
Act. de la Banque de Fr. avec donblement 1400f 1397f 50c 1400k
( No. CCCXXÍ. )
(SAMEDI 12 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DEPT
DE
LA SELA
5.
cen
ODE.
AH, qu'un vulgaire amant sur les roses s'oublie !
Tibulle s'éveilloit pour chanter sa Délie :
Qu'il est doux , qu'il est beau de passer tour-a-tour
Des bosquets de Vénus au temple de Mémoire !
Quel charme de trouver la gloire
En sortant des bras de l'Amour !
Non, tu ne mourras pas , ô ma chère Delphire !
Des baisers etdes vers unissons le délire ;
Des siècles envieux qu'il repousse l'effort ;
2
Qu'un vers tendre , après nous , exhale encor notre ame,
Et coupe d'un sillon de flamme
L'ombre éternelle de la mort !
1
Nota. Cette Ode nous a été donnée par M. LE BRUN, de l'Académie
Française , quelque jours avant sa mort.
TRADUCTION
Du début du poème contre RUFIN , de CLAUDIEN.
Je doutois si d'un Dieu la sagesse profonde
Gouvernoit les destins et de l'homme et du monde ,
Ou si l'homme et ces feux qui peuplent l'univers ,
Sans maître , sans soutien erroient au sein des airs.
Hh
482 MERCURE DE FRANCE , (
1
C'est un Dieu , me disois-je , au séjour du tonnerre ,
Qui de son bras puissant a suspendu la terre :
Il fait naître les fleurs , il fait mûrir le fruit ;
Il donne au jour ses feux , ses ombres à la nuit.
C'est lui qui du soleil mesura la carrière ;
Du soleil , à Phébé , qui prête la lumière.
Par lui marche l'année en égales saisons ;
Par lui l'Océan gronde en ses vastes prisons.
C'est un Dieu qui lui dit : « O mer , sur ton rivage
>> De tes flots écumans doit expirer la rage.>>
Mais quand je vois partout donner chez les mortels
Ala vertu des fers , au crime des autels ,
Mon esprit abattu , mon ame embarrassée ,
D'une Divinité rejettent la pensée ;
Je crois voir au hasard épandus dans les airs
Les atomes se joindre et former l'univers ;
Et je peuple de Dieux la région céleste ,
Immortels pour eux seuls , et dédaignant le reste.
Rufin a fait cesser ce doute injurieux ,
Et son supplice enfin vient d'absoudre les Dieux.
Le voile se déchire , et ma plainte importune
Cessera désormais d'accuser la fortune.
Plus haut , sa main puissante élève le pervers,
Etplus rapide il tombe. O Muses , en mes vers ,
Apprenez aux mortels quel gouffre épouvantable
Sur la terre a vomi ce monstre détestable .
Voyant partout régner la paix et le bonheur,
L'implacableAlecton, la rage dans le coeur ,
Secoue au loin les feux de sa torche fatale ;
Elle appelle ses soeurs et la troupe infernale.
Aussitôt à sa voix s'assemblent à grand bruit
Les monstres de l'Enfer , noirs enfans de la Nuit :
L'Envie au coeur de fiel ; la Faim impérieuse;
La pâle Maladie , et sa suite hideuse ;
La Vieillesse , qu'attend la Mort sur un tombeau;
La Discorde , agitant un sinistre flambeau ;
SEPTEMBRE 1807 . 483
L'Audace au front altier; la Terreur au teint blême ;
Le Remords dévorant , qui se ronge lui-même ;
Le Deuil , couvert d'un voile humide et déchiré ;
Le Luxe insatiable , et de biens altéré.
4 Couverte de lambeaux , sur ses pas , en silence ,
Se traîne lentement la honteuse Indigence ,
Qu'embrasse l'Avarice , attachée à son sein .
Après eux , des Soucis vient le nombreux essaim.
De ces monstres hideux la cohorte pressée ,
Sur les siées de fer à grand bruit s'est placée.
La superbe Alecton , une torche à la main ,
S'élève : tout se tait. La déesse soudain
Fait siffler ses serpens , les rejette en arrière ,
Et d'une voix terrible exhale sa colère :
<< D'un siècle fortuné nous souffrons donc le cours !
>> Nous laissons les mortels couler en paix leurs jours .
>> De la paix maintenant sommes-nous donc amies ?
>> Mais que dis-je , mes soeurs , sommes-nous les Furies ?
>> Eh , que font dans vos mains ces fouets jadis sanglans ?
>> Que font sur votre front ces paisibles serpens ?
>> Jupiter nous chassa du séjour du tonnerre ;
>> Théodose aujourd'hui nous chasse de la terre.
>> Quoi ! le souffrirez-vous ? ... Le prince est jeune encor ;
» Allumez vos flambeaux , ou craignez l'âge d'or.
» Déjà l'humble Vertu , la Piété modeste ,
>> Promènent en cent lieux leur puissance funeste ,
>> Bravent à haute voix les filles d'Acheron.
>> Astrée est sur la terre : elle insulte Alecton ;
>> Tire de leurs cachots les Lois emprisonnées ,
>> Des cachots où ce bras les avoient enchaînées .
>> Dans un honteux repos , quoi ! foible déité ,
>> Alecton trafneroit son immortalité !
>> Non , non , faisons cesser cet odieux outrage ;
4
>> Soyons dignes de nous.... Oui , je veux , dans ma rage ,
>> Je veux souiller le jour de tous mes noirs poisons ;
» M'élancer sur les mers , et briser leurs prisons;
Hh2
468 MERCURE DE FRANCE ,
source d'un nombre infini d'erreurs de noms dans les copies
de ces monumens . Ce qui appuie cette conjecture , c'est que
dans la généalogie de la maison de Meun , il ne se trouve
aucun personnage appelé Hugues , ni comme chefde famille,
ni comme puîné .
En admettant cette correction dans la lettre d'Ives de
Chartres , on peut expliquer le passage de l'abbé Suger.
On voit pourquoi Iyes s'intéressoit si fort à ce seigneur , qui
étoit prisonnier à Etampes , et en faveur duquel il écrit à
Léger , archevêque de Bourges , qui , d'après le texte de la
lettre , paroît avoir été la cause de sa détention . L'auteur de
ce Mémoire ne se flatte pas d'avoir levé toutes les difficultés .
Il propose son opinion . Il lui suffit d'avoir indiqué la source
d'où peut venir la confusion qui couvre ce point de critique ,
et d'avoir mis sur la voie ceux qui travailleront à l'histoire
du Berry ; histoire qui , selon M. Brial , auroit grand besoin
d'une main habile.
La main la plus habile , en effet , auroit de la peine à
vaincre les difficultés qui naissent , dans la plupart de ces
histoires particulières , de la triple obscurité des événemens
des personnages et des sources , et à tirer de ce travail
quelque moyen d'intéresser ou d'instruire ; quelquefois , au
contraire , l'histoire particulière , non-seulement d'une province
mais d'une maison , se lie à celle de l'Europe entière ;
et il suffit , lorsqu'on s'occupe d'une famille qui a cette importance
historique , de nommer le sujet de ses recherches ,
pour
éveiller l'attention . Telle est cette célèbre maison d'Autriche
, qui a dominé les deux mondes , et mise récemment
à de si terribles épreuves . M. Mentelle a tracé , dans un
Essai historique et statistique , le tableau des accroissemens
et des pertes que cette maison a successivement éprouvés
depuis l'avénement de Rodolphe de Hapsbourg à l'Empire ,
jusqu'aux traités de Presbourg et d'Austerlitz inclusivement.
Cet Essai ou Mémoire est divisé en deux parties . La première
renferme les événemens qui ont contribué à la grandeur
de la maison d'Autriche , depuis l'élévation de Rodolphe
, en 1273 , jusqu'à la mort de Charles VI , en 1740 ; la
seconde , depuis cette époque jusqu'aux derniers traités ,
en 1806.
Les faits historiques relatifs à l'agrandissement de cette
maison , sont assez généralement connus. Les détails statistiques
le sont moins ; et cette considération , jointe à l'intérêt
particulier que ces sortes d'objets ont acquis , a engagé
M. Mentelle à s'en occuper spécialement.
SEPTEMBRE 1807 . 469
Lorsque Rodolphe fut appelé à l'Empire , il ne possédoit
guères de domaines qu'une étendue de 179 mille carrés
d'Allemagne , répondant à 495 de nos lieues carrées ; ( on
laisse ici , comme dans le reste de ces évaluations , les fractons
de lieue. ) Rodolphe paroît avoir senti , dès-lors , toute
l'importance du principe auquel ses descendans ont donné
de si grands développemens ; c'est que le moyen le plus efficace
pour conserver l'Empire dans sa famille étoit de se procurer
une grande masse d'Etats héréditaires . Il donna tous
ses soins , pendant la durée de son règne , à l'accroissement
des siens . Albert I , son fils , dont on a dit qu'il ne voyoit
le bonheur que dans la puissance , et la puissance que dans
le despotisme , se proposa le même but , et tous les moyens
lui parurent légitimes pour y parvenir . A sa mort , l'étendue
de ses domaines montoit à 1234 mille carrés , ou 3418 lieues
Carrées.
Après que la couronne impériale , que l'on avoit craint
de conserver dans la famille de cet Albert , devenu odieux
à tout l'Empire , eut passé successivement dans quelques
autres familles , elle revint , en 1438 , à la maison d'Autriche
, dans la personne d'Albert II . Sous les règnes précédens
, les biens de cette maison n'avoient point cessé de
s'accroître ; le règne de Frédéric III , son successeur , fut
sans utilité pour l'Empire , mais non pour l'agrandissement
de sa maison. L'événement qui y contribua le plus , fut le
mariage de l'archiduc Maximilien avec la princesse Marie ,
fille et unique héritière du dernier duc de Bourgogne
Charles -le -Téméraire. Ce mariage fit entrer dans la maison
d'Autriche les dix-sept provinces des Pays- Bas. Le total des
domaines héréditaires de cette maison s'éleva , sous l'empire
de Maximilien , à 3613 milles carrés , ou environ 10,109
lieues carrées ; ainsi , en moins de trois cents ans , ces biens
avoient été portés à plus de vingt fois d'étendue qu'ils avoient
d'abord .
à
Le mariage de Philippe , fils de Maximilien , avec Jeanne ,
infante d'Espagne , fille et héritière de Ferdinand et d'Isabelle
, augmenta si prodigieusement cette masse , et elle
s'accrut encore tellement sous la domination presqu'universelle
de Charles -Quint , leur fils , qu'on l'a fait monter ,
cette époque , à 16,085 milles carrés , qui font plus de
46,217 lieues carrées , en y comprenant tous ses États de
l'ancien et du nouveau Monde. Quelques tables de statistique
portent même cette masse à un ou deux milliers de milles
plus haut , et le nombre des sujets de Charles-Quint à plus
de 31 millions.
3
470 MERCURE
DE FRANCE ,
La division de la maison d'Autriche en deux branches
diminua les possessions de la branche allemande , réduites ,
sous Ferdinand I , frère de Charles-Quint , à 6,402 milles
carrés , ou 17,733 lieues carrées . Cependant de nouvelles
acquisitions porterent cette étendue , sous le règne de Charles
VI , à 14,573 milles carrés ; mais à sa mort il n'en
restoit plus que 10,935 . Sous le règne de Marie-Therese ,
le total fut porté un peu plus haut ; il augmenta encore sous
Léopold ; et même au commencement du règne de Francois
II , il étoit de 13,994 milles ; mais la puissance de sa
maison ayant diminué par les derniers événemens , voici à
quels résultats actuels s'arrête M. Mentelle , sans se dissimuler
que , malgré les soins qu'il a pris , et malgré les renseignemens
directs qu'il a reçus des savans les plus distingués
de l'Allemagne , la connoissance de matériaux plus exacts
peut faire parvenir encore à des résultats plus complets .
Etendue , 10,730 milles carrés , ou 29,842 heues carrées .
Population , 22 millions 4 à 800 mille ames .
Revenus , de 103 à ro4 millions de florins.
Une autre puissance européenne a fixé l'attention de
M. Dupont de Nemours : il a lu dans nos séances quelques
chapitres d'une Histoire des finances de l'Angleterre , travail
relatif à l'une des attributions les plus précieuses de la
classe , celle de l'application des sciences morales et politiques
à l'histoire . Parvenu au système de finances établi en
Angleterre par le roi Alfred , quelques observations qui
ont été faites à notre confrère , lui ont fourni le sujet d'une
dissertation sur les constitutions domaniales de finance.
A quelque point que ces constitutions puissent être imparfaites
, il leur trouve un avantage remarquable , celui de.
fonder le service public par une seule. concession , au moment
où l'utilité de cette concession frappe tous les esprits ,
et de telle manière que les propriétés privées peuvent demeurer
, et si la concession a été suffisante , demeurent
effectivement exemptes d'impôts.
L'histoire présente des exemples de trois sortes de constitutions
domaniales de finance. La plus ancienne est celle.
à partage de terres . Diodore de Sicile nous fait connoître.
qu'elle a existé en Egypte , où le tiers des terres avoit été.
donné aux Pharaons , et un autre tiers aux prêtres. Les
rois de plusieurs autres nations ont eu aussi des domaines
de cette espèce.
La seconde constitution domaniale de finance est à partage
de fruit. Il y en a deux grands exemple , l'un chez le Hébreux
, l'autre chez les Chinois. M. Dupont fait connaître,
SEPTEMBRE 1807 . 471
les différences qui existent entre ces deux genres de constitution
domaniale , toutes deux de la même espèce . Il démontre
les inconvéniens , tant de cette seconde espèce que
de la première , ou de celle qui fut en usage chez les Egyptiens.
Enfin , la troisième constitution domaniale de finance est
à partage de revenu. Elle n'a encore été tentée que par l'Assembée
constituante de France . Cette assemblée avoit décrété
que les terres paieroient le cinquième du revenu , après
défalcation préalable de tous les faits de culture , el que tout
propriétaire qui pourroit avoir été taxé à plus de ce cinquième
, obtiendroit un dégrévement ; mais cette disposition
n'a été observée que pendant une année seulement. M. Du
pont regarde ce plan de constitution domaniale de finances
comme très-supérieur à celui des Egyptiens , des Hébreux
et des Chinois .
Il s'est trouvé engagé dans une autre discussion , à l'occasion
d'une attribution qui a été rendue à la classe d'histoire
et de littérature ancienne , et qui étoit une des principales
de l'Académie des inscriptions et belles- lettres . En vertu
d'une lettre de S. Exc . le ininistre de l'intérieur , la classe a
dû s'occuper de présenter au gouvernement des projets de
médailles , pour consacrer les glorieux événemens dont nous
sommés témoins. Deux opinions contradictoires se sont
élevées sur la manière dont ces événemens doivent être
représentés. Quelques membres de la classe pensoient que
l'on pouvoit s'approcher de la vérité dans la manière de
rendre les actions , les personnes , les costumes et les objets
matériels , en sorte que l'on pût voir , sans le secours des
inscriptions , pour quelle nation et dans quel temps ces
médailles auroient été frappées ; d'autres se tenoient aux
principes généraux reçus parmi les artistes et les amateurs de
l'art , qui autorisent dans la représentation de tous les sujets
que traite l'imitation des arts du dessin , une manière emblé--
matique ou figurée de représenter les choses , sans égard
aux temps , aux lieux et aux personnes .
M. Dupont, qui s'étoit fortement déclaré pour la première
opinion , a expliqué ses motifs dans deux mémoires ."
Les médailles , dit-il dans le premier , ont d'abord été des
monnaies sur lesquelles ceux qui les faisoient frapper ont
voulu rappeler des événemens dont ils trouvoient utile ou
honorable de conserver le souvenir . Ce n'est que dans les
temps modernes qu'elle sont devenues de simples monu
mens historiques . Il trouve qu'elles sont d'autant plus obligées
d'être historiques , c'est-à-dire , de donner, sans aucune
4
472 MERCURE DE FRANCE
équivoque , une idée de l'événement qu'elles rappellent , du
temps et du lieu où il s'est passé , des grands hommes dont
on veut qu'elles perpétuent le souvenir.
Il juge en conséquence : 1 ° . que les légendes et les exergues
de celles qui son próposées , doivent être en français ;
2°. Que ces médailles doivent , dans leurs accessoires et
dans les costumes , offrir une idée monumentaire de nos
sciences , de nos arts , de nos moeurs . Il désapprouve qu'on
y voie des trirèmes , quand nous avons des frégates et des
vaisseaux de guerre qui sont beaucoup plus beaux , et que
nos héros ont réellement montés ; que des armes antiques
remplacent nos canons , nos fusils , nos drapeaux , dont
l'effet ne lui paroît pas moins pittoresque . Notre costume
militaire , sur- tout , qui moulele corps et les membres , lui
paroît aussi avantageux et plus fidèle que la cuirasse antique.
Les anciens portèrent dans leurs médailles et leurs basreliefs
une vérité locale , sans laquelle nous ignorerions
quels étoient leurs meubles , leurs vêtemens , leurs armes .
M. Dupont veut que , de même , nos médailles puissent être
comprises par nos contemporains et par nos descendans ,
sans effort , sans commentaire , et que ce ne soit pas pour
eux de véritables énigmes . Enfin , les médailles lui paroissent
faites pour l'histoire et pour la gloire des nations et des
princes , encore plus que pour celle des artistes .
Le second Mémoire n'étoit que l'application de cette
théorie à quelques-unes des médailles proposées.
La classe n'a point partagé ses opinions , et M. Quatremère
de Quincy a expliqué la théorie qui y est contraire
dans un Mémoire étendu , dont il a lu un extrait dans la
séance publique. Voici quelle est , en peu de mots , la
substance de cette théorie :
Chaque art , ou chaque genre d'imitation , n'est , en définitif
, que le résultat d'une manière de considérer la nature
dans un de ses aspects , on sous un de ses rapports particuliers
. Ces diverses manières sont très -nombreuses ; mais
elles se divisent facilement et évidemment en deux principales
, dont l'une consiste à voir les objets dans leur rapport
positif et matériel , et l'autre à les considérer dans leur
rapport intellectuel ou moral. En correspondance avec ces
deux manières opposées de considérer un sujet , les artistes
reconnoissent quatre modes ou styles dans les ouvrages de
Part savoir le style trivial , le style naturel , le style noble
et le style poétiqne . M. Quatremère donne des exemples de
ces quatre styles et de la manière dont le même sujet peut
être traité dans l'un ou dans l'autre . Il établit ensuite qu'il
:
SEPTEMBRE 1807 . 473
n'y a aucune raison ni aucun moyen d'excepter de cette
théorie , et de soustraire à la rigueur de ses conséquences
aucun sujet moderne ou national . Toute cette discussion est
-l'objet de la première partie.
Il s'attache , dans la seconde , à développer la théorie
abstraites des procédés poétiques par lesquels l'imitation des
arts du dessin parvient à faire passer les sujets que traite
l'artiste de l'ordre de choses positif à l'ordre de choses idéal ;
ordre qui autorise on plutôt nécessite le style poétique ou
figuré . Ce style ne peut exister que par un changement
apparent dans l'extérieur et les formes des actions , des choses
et des personnes . Les deux procédés poétiques par lesquels
ce changement s'opère dans les arts du dessin , consistent
dans l'action de généraliser , et dans l'action de transposer ,
ou la métophore . L'auteur explique fort en détail la nature
et l'emploi de ces deux procédés , sans lesquels il ne peut
exister dans les arts de style poétique , ni par conséquent de
moyens d'élever les objets de l'ordre positif à l'ordre idéal.
Il emploie spécialemeut sa troisième partie à développer
les moyens pratiques par lesquels l'artiste opère l'imitation
métaphorique , et les changemiens qu'il fait subir aux sujets
qu'il traite ; et il applique ces notions en particulier à la composition
des médailles et des monumens honorifiques . Il
traite , dans la quatrième , de la liberté que les Grecs et les
Romains employèrent dans la représentation de leurs costumes
et de leurs sujets historiques . Enfin il analyse les
différences de l'habillement antique et de l'habillement
moderne , et fait voir que l'un fut aussi favorable à l'iinitation
l'autre y est contraire .
que
Je finirai ce rapport en observant que je n'ai dû y faire
entrer ni les travaux de plusieurs de nos confrères qui n'ont
pas jugé à propos de leur donner cette sorte de publicité , ni
un Mémoire historique et géographique de M. la Porte -du-
Theil sur l'île de Salamine , parce que son auteur ne le
regarde que comme destiné à faire partie d'un plus grand
travail ; ni un autre Mémoire de M. de Sainte- Croix , sur le
tombeau de Mausole , parce que la description de ce tombeau
n'est plus aussi qu'une partie accessoire d'une dissertation
qui embrasse la chronologie des dynastes ou princes de
Carie , que notre confrère a terminé depuis , et dont il n'a
encore que commencé la lecture. Je n'y ai pas non plus
compris les Observations de M. Dupuis , sur le Zodiaque
de Tentiris Dendera , ou qui ont été imprimées à part , ainsi
que ses nouvelles Explications du Zodiaque chronologique
et mythologique. Pour la même raison , j'ai passé sous si474
MERCURE
DE FRANCE ,
lence les Recherches de M. Langlès , sur l'origine , l'histoire
et les travaux littéraires des Tatars -Mantchoux , qui sont
destinées à une publication indépendante de celle de nos Mémoires
; et enfin , l'introduction générale à la première partie
de l'Histoire littéraire moderne , que je me dispose à publier,
et qui contient le tableau de ia destruction des Lettres par
l'invasion des Barbares en Italie , et des vicissitudes qu'elles
y éprouvèrent jusqu'au 11 ° siècle , prémiere époque de leur
e
renaissance .
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le secrétaire perpétuel de la classe de la langue et de la
littérature françaises de l'Institut , répond par la voie des
feuilles publiques aux nombreuses demandes en éclaircisse
ment qui lui parviennent sur les concours ouverts par l'Académie
, et rappelle que les deux prix d'éloquence proposés
cette année par l'Académie , seront décernés dans la séance
publique qu'elle tiendra l'un des premiers jours d'avril 1803 ,
et que les pièces destinées au concours doivent être remises
au sécrétariat de l'Institut le 15 janvier 1808 , terme de
rigueur .
On annonce trois grands opéras : la Mort d'Adam ,
paroles de M. Guillard , musique de M. le Sueur ; la Vestale
, paroles de M. Jouy , musique de M. Spontini ; et la
Mort d' Abel , dont on ignore les auteurs.
-On fait espérer à Feydeau une pièce intitulée Cimarosa.
Le sujet est tiré de la vie de ce grand compositeur , et la
musique est d'un de ses élèves .
On parle de réformes dans l'administration de plusieurs
théâtres ; on croit que le régime de l'Académie Impériale
subira quelques changemens.
-Il paroît décidé que les Comédiens français retourneront
au faubourg Saint-Germain , et que c'est pour eux que l'on
répare l'Odéon ,
-Mad. Catalani est arrivée à Dublin , où elle doit faire
briller son talent à des conditions fort avantageuses pour elle.
A son retour , elle passera à Elimbourg , où elle est fort
désirée.
M. Le Brun , membre de l'Institut et de la Légiond'Honneur
, poète , que ses succès dans le genre lyriqua
SEPTEMBRE 1807 . 475
avoient fait surnommer le Pindare français , vient de
mourir dans un âge très-avancé. La mort de M. Portalis
et la sienne laissent deux places vacantes à l'Académie
Française. Les obsèques de M. Le Brun, se sont faites avec
les cérémonies ordinaires . Une députation de l'Institut a
accompagné le corps à l'église de Saint-Roch , d'où , après
le service divin , il a été conduit au cimetière Montmartre,
M. Chénier a prononcé sur la tombe un éloge funèbre. Un
détachement militaire , qui accompagnoit le convoi , a
rendu au mort les honneurs prescrits pour les membres de
la Légion d'honneur.
M. le docteur Caldwell , de Philadelphie , vient de
publier la traduction de l'ouvrage de M. Alibert sur les
fièvres pernicieuses intermittentes . Il y a ajouté , en forme
d'Appendix , un excellent Essai sur l'épidémie de la fièvre
jaune qui a régné aux Etats - Unis d'Amérique en 1805 .
―
M. Moradjea d'Ohsson , suédois d'origine , et depuis
long-temps établi en France , auteur d'un ouvrage extrêmement
curieux et fort cher , intitulé Histoire de l'Empire
Ottoman , vient de mourir à Bièvres près Paris.
Le monument qu'on a construit à M. Fox , à Westminster
, est un simple tombeau qui n'a pour inscription
que les lettres initiales de son nom ; mais on croit qu'on se
propose d'élever à la mémoire de cet homme célèbre un
monument plus digne de sa renommée .
NOUVELLES POLITIQUES,
Kiel , 21 août.
Le lieutenant - général Peyman , gouverneur de Copenhague ,
a fait brûler dans les faubourgs les maisons qui pouvoient favoriser
les assiégeaus , et nuire aux opérations de la défense de
la place . On estime le dommage à plusieurs millions de risdales.
Ces faubourgs étoient grands et parfaitement bâtis ; mais les
habitans de Copenhague sont tellement animés , qu'on raconte
que les pauvres habitans des faubourgs étoient les plus acharnés
à la destruction de leurs maisons.
Les Anglais ont effectué leur débarquement. La ville est
investie par terre et par mer. Le général auglais Cathcart a
établi son quartier-général au château de Frederihsberg , et
déjà les hostilités ont commencé. Le parlementaire que les
Anglais ont envoyé n'a pas été reçu , et a été chassé avec indi
gnation . « Vous n'êtes pas des ennemis , leur a dit le général
Peyman , vous êtes des brigands. Sans déclaration de guerre ,
sans motifs , vous venez nous attaquer ; vous pouvez nous tuce
476
MERCURE DE FRANCE ,
si vous êtes les plus forts : la vie nous seroit odieuse , s'il nou
falloit la tenir de vous. >>
Le 18 , les Danois ont fait une sortie ; les Auglais ont été
repoussés et ont eu 15 hommes tués. Deux bâtimens anglais
de débarquement ont été pris par les chaloupes canonnières
danoises. Un léger engagement a eu lieu sur mer entre les
bâtimens danois et anglais. Quelques bombes qu'ont jeté les
Anglais n'ont fait aucun dommage. On est parvenu à organiser
dans l'intérieur de l'île un corps de 10 mille hommes
dont 4 mille de troupes de ligne , et le reste de landwern ou
cultivateurs anciens soldats , exercés ou qui sont exercés
annuellement. Ce corps est sous les ordres du général Cartenschiold.
Jamais l'esprit dans une ville assiégée n'a été meilleur. La
haine contre l'ennemi et le zèle pour la cause commune
passent toute expression . Les baillis de l'île de Sélande rassemblent
et envoient à l'armée des chevaux tout harnachés .
En dépit des croisières anglaises , des volontaires arrivent tous
les jours à Copenhague . Les étudians , au nombre de six cents ,
se sont présentés chez le grand - maréchal de la cour ; et , réunis
sur la place du château , ils ont fait le serment de vaincre ou
de mourir .
Quel spectacle que celui de toutes les scènes d'oppression
et de tyrannie que les Anglais s'occupent aujourd'hui de
donner au monde ! Aucune n'a de caractère plus odieux que
leur agression contre le Danemarck. Ils attaquent la capitale
d'un roi , leur ami , leur allié , qui n'a aucune discussion
lui avoir déclaré la guerre ; bien plus , d'un *
roi partial pour eux , puisque pendant toute l'année ils n'ont
eu de communication avec le continent que par ses Etats.
Bénie soit la Providence , de ce que cet horrible gouvernement
est sans troupes et sans généraux de terre !
avec eux sans
2
Du 20. L'ambassadeur de France à Copenhague , est ici . Le
prince Royal travaille jour et nuit. Les habitans de cette
ville et les étudians forment un corps de volontaires pour
garder et défendre le rivage de Friedrichsort. Tout est aussi
en mouvement à Gluckstadt : on y organise , avec la plus
grande activité , les moyens de défense de la rive droite de
l'Elbe. Il y aura un armement général dans tout le Holstein ,
particulièrement dans les endroits situés sur les côtes et les
bords des rivières ; on s'empresse partout à prendre volontairement
les armes. En attendant , beaucoup de troupes
réglées se portent vers le Fahnen . On compte maintenant
300 voiles anglaises qui sont près de Copenhague ou à la vue
de cette ville. D'après un avis publié à Sleswick , on y délivre
des lettres de marque contre les bâtimens anglais.
SEPTEMBRE 1807. 471
Un navire marchand suédois , qui descendoit le canal pour
entrer en mer , avoit été détenu par le cutter posté ici . Le
commandant du yacht de guerre suédois adressa sur- le- champ
ses réclamations au prince Royal , qui a fait relâcher le vaisseau
suédois ; il a passé, ainsi que plusieurs autres vaisseaux de la
même nation. Le yacht de guerre suédois a aussi mis à la voile
cet après-midi.
19 Du 25.- Un courrier porteur de nouvelles de Copenhague
jusqu'au 20 , et de la Sélande jusqu'au 22 , annonce
que deux autres sorties ont été faites le et le 20 , et qu'elles
ont eu le même succès que la première ; c'est -à - dire , quelques
tués et blessés et quelques prisonniers . On a appris également
que les Danois étoient restés maîtres de la presque totalité des
avenues qui environnent Copenhague , et notamment d'un
grand lac qui se trouve en avant des portes de l'est et du nord ,
en touchant d'un côté à la citadelle et s'étendant presque jusqu'à
la porte
d'ouest. Tous ces points ont eté mis en état de
défense. Ils offrent de grands avantages , parce que se trouvant
protégés par le canon de la place , ils en augmentent
considérablement le circuit , et forcent l'ennemi à affoiblir sa
ligne d'investissement , qui par-là devient presque nul. Aussi
la crainte d'une prise d'assaut a -t-elle entièrement cessé
même dans le coeur des citoyens les plus timides ; et si l'on
a aujourd'hui de l'impatience , c'est de voir les Anglais le
"
tenter.
11 paroît d'un autre côté qu'ils ne s'attendoient point à
autant de résistance , et qu'ils espéroient que ce ne seroit que
l'affaire d'un coup de main ; car ils ont à peine quelques
pièces de siége.
Le quartier - général du général Cathcart est toujours à Fredericsberg
, où il sembleroit craindre d'être assiégé lui-même ,
à en juger par les travaux dont on l'a environné. Ce château
est situé sur une éminence que traverse la grande route de
Hambourg , et à une demi -lieue de Copenhague.
Du reste les Anglais après avoir pour ainsi dire chassé
un souverain de sa résidence , avoir investi et bombardé
sa capitale qu'ils assiégent encore , ont l'impudence de proclamer
qu'ils ne viennent que pour protéger le Danemarck
contre les armées françaises. Peut-on pousser plus loin la
perfidie et même la sottise ? On dit que pour donner quelque
appui à leur assertion , ils paient la plupart des objets
qu'ils consomment dans l'île. Il paroît au surplus qu'on prend
leur argent , mais sans les en croire davantage.
Les nouvelles de la Sélande aunoncent que le quartiergénéral
du général danois Cartenskiold est à Ringstedt. Le.
478 MERCURE DE FRANCE ,
corps sous ses ordres s'étend jusqu'à Roschild. Il n'a fait encore
aucun mouvement , parce que son organisation n'est pas
complète. Il manquoit particulièrement d'officiers ; mais
grace au dévouement et à l'intrépidité qui animent en général
le militaire danois , il en parvient journellement en Sélande ,
en depit des croisières anglaises . On ne doute pas que ce corps
ne soit bientôt en état d'agir.
La frégate de garde au Sund a été prise en voulant se réfugier
dans un des poris de la Norwège. Un vaisseau de ligne et une
frégate l'ont attaquée ; et après un léger combat qu'il lui
étoit impossible de soutenir , parce que c'étoit un vieux
bâtiment armé de pièces de 12 seulement , elle a été forcée
de se rendre. (Moniteur. )
PARIS , vendredi 4 septembre.
guerre. *
Rapport du maréchal Brune au ministre de la
quartier-général de Stralsund , le 20 août 11807 .
Au
Nous sommes entrés ce soir dans Stralsund après cinq jours
de tranchée ouverte dans ce court espace de temps , les travaux
ont été poussés avec une vigueur telle que je me promettois
d'emporter la place en peu de jours. Il y a eu un accord
parfait dans toutes les armes. Le roi de Suède , voyant les progrès
de nos travaux , l'inutilité de ses feux contre nos travailleurs
, et nos nombreuses batteries prêtes à foudroyer la
place , a jugé convenable de s'embarquer avec ses troupes ; il
est allé à Rugen , laissant à Stralsund pour commandant , un de
ses aide-de-camp , M. Peyron , qui est venu aujourd'hui avec
deux des principaux magistrats proposer une capitulationa
J'ai dû me refuser à une telle demande ; et en même temps
que je rassurois les magistrats effrayés de l'abandon auquel les
livroit leur ridicule souverain , je faisois placer trois compagnies
de grenadiers à chaque porte je suis entré dans la
place ; j'ai nommé le général Thouvenot pour y commander .
L'effroi des habitans étoit extrême ; mais j'ai prononcé le nom
de S. M. , et , sûr de la sagesse des soldats , j'ai fait subitement
succéder le calme à l'épouvante.
On nous a appris que le roi avoit été épouvanté des dangers
qu'il avoit courus à l'affaire du 6 , quand nous repoussions seg
postes dans la place ; et à celle du 15 , pour l'ouverture de la
tranchée il a emmené quelques canous et en a enclosé un
grand nombre ; nous avons trouvé un grand désordre de transports.
Je rendrai à V. Exc. un compte particulier de cet événcent
, aussi déshonorant pour le roi de Suède comme général
L
SEPTEMBRE 1807 . 479
que comme souverain ; mais je ne dois pas différer à exprimer
la vive satisfaction que je ressens de la conduite parfaite des
troupes françaises et alliées dont S. M. m'a confié le comman→
dement. Signé BRUNE.
Je crois avoir oublié de dire à V. Exc . dans ma précédente
dépêche que le roi de Suède avoit envoyé , il y a quatre jours ,
un aide-de- camp pour réi'érer la proposition la plus ridicule .
On est à plaindre d'avoir à traiter avec un pareil souverain ;
mais les peuples de Suède sont bien plus à Flaindre encore ,
officiers , soldats , citoyens , tous gémissent des travers de leur
prince ; tous aiment les Français et admirent S. M.
Le roi de Suède est seul de son parti dans son royaume ; il
faut cependant y joindre douze à quinze misérables , comme
(Moniteur. ) Fersen et Armfeld.
Extrait d'une lettre de S. Exc . le maréchal Brune , à S. A. S.
le prince de Neuchatel , vice- connétable.
Au quartier- général de Stralsund , le 23 août.
Nous avons emporté cette nuit , moitié par surprise , moitié
d vive force , l'île et le fort de Danholm . Six cents suédois
sont prisonniers. Nous avons trouvé dans l'île 14 pièces de
canon ou mortiers .
Le roi de Suède nous a laissé à Stralsund 500 bouches à feu
300,000 boulets , 100,000 bombes , 200 milliers de poudre ,
et beaucoup de fer en barre.
--
"
Conformément aux ordres de Sa Majesté l'Empereur et
Roi , et par les soins de LL . EExc. les ministres de l'inté →
rieur et de la guerre , le 29 août 1807 , à 7 heures du soir , ont
eu lieu les funérailles de S. Exc. M. Jean - Etienne Marie
Portalis , ministre des cultes , grand -aigle de la Légion d'honneur
, membre de l'Institut et de plusieurs autres sociétés
savantes , décédé en son hôtel , rue de l'Université , le mardi 25
du courant.
les Les députations des corps de l'Etat , les fonctionnaires
publics civils et militaires , les administrations ,
les amis du défunt , s'étoient rendus à son hôtel .
parens et
Le cortège en est parti à pied , pour aller à l'église de
Saint-Thomas-d'Aquin , au milieu de deux haies de troupes ,
à la lueur des flambeaux , et au milieu d'un concours de
spectateurs , sensiblement émus . 1
CORPS LÉGISLATIF.
Lundi , 31 août , MM. les conseillers d'Etat, Treilhard ,
Pelet et d'Hauterive , ont présenté un projet de loi relatif à la
contrainte par corps pour dettes contractées par des étrangers.
Mardi , MM. Regnault , Jaubert et Réal ont présenté un
projet de loi relatif au code du commerce. Les sept premiere
480 MERCURE DE FRANCE ,
er
itres du 1 livre traitent : 1 ° es commercans , 2°. de la
tenue des livres ; 3 ° . des sociétés en général et en commandite;
4- des séparations de biens ; 5° . des dispositions particulières
à chacun de ces titres ; 6° . des commissionaires ; 7 ° . des formes
suivant lesquelles la vente et l'achat pourront être commercialement
établis . Mercredi , MM. les conseillers d'Etat Begouen
, Fourcroy et Bérenger ont présenté le 8° titre du livre
1er du projet de Code de commerce. Ce titre comprend les
divisions suivantes : De la lettre de change ; de la forme ; de
la provision ; de l'acceptation ; de l'acceptation par intervention
; de l'échéance ( à cet égard , tous les délais de grace , de
faveur , d'usages ou d'habitudes locales set abrogés ) ; de
l'endossement ( il est défendu d'antidater les ordres , à peine
de faux ) ; de la solidarité ; de l'aval ; du paiement ; du paiement
par intervention ; des droits et devoirs du porteur.
( Ce paragraphe fixe les délais pour le paiement des lettres
de change tirées des Echelles du Levant , des côtes septentrionales
et occidentales de l'Afrique , des Indes orientales et
occidentales , et pour le temps de la guerre maritime. ) Les
dernières divisions traitent des protêts , du rechange , du
billet à ordre , enfin de la proscription . Jeudi , MM. Ségur ,
Rhédon et Treilhard , ont présenté le 3 livre du projet de
Code de commerce , intitulé : Des Faillites et Banqueroutes.
Vendredi , MM. Mare tet Corvetto ont présenté le livre IV
du code de commerce , contenant la jurisdiction commerciale
.
Nota. Dans sa séance du 5 , le Corps- législatif a adopté .
le projet relatif au prêt à intérêt , qui lui avoit été présenté
le 25 août.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
DO LUNDI 31 , C pour o/oc. J. du 22 mars 1807 , 91f 9of goc 6oc 50c
9 f 70c 80c 75c gif gof 75c 80c 5c 75c . ooc noc ooc ooc .
Idem. Jouiss, du 22 sept. 1807 , 87f 25c. 50c . ooc onc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 13 of 139of 000of cooof ooc
DU MARDI 1er septembre . — C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 92f92f
20c 25c 50c . 25c 5oc 3oc 50c . oof oo ooc coc ooc oof oof ooc
7
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , 89f. Soc eof oof ooe . aoc ooc
Act . de la Banque de Fr. avec doublement 1405f 1410f 1430f. 0000f 000of
DU MERCREDI 2 Cp. oo c. J. du 22 mars 807 , 9of 50c gol gol 250
89f756 89f75c . gof boc 5oco f. ooc of ooc . ouf.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , oof- coc . oof. oof ooc ooc one'
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1405f1400f 1405f 000of oooof
DU JEUDI 3. - Cp. oo c. J. du 22 mars 1807 , 9of 50c 10c gof gof 100
9of roc 8of 75 % 5cc ooc one oỌC ĐỌC ĐỘC ĐẶC DỌC ĐỘC ĐỌC GÓC ĐỌC 600
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , 87f 10c oof ooc ooc one oof ooc
Act , de la Banque de Fr. avec doublement oooof. Gooof one neo f. 0000f
DU VENDREDI 4. Cp. 0/0 c. J. du 22 mar 1807 , 9of Syf 25c. 89f .
8Sf zoc ooc , one oỌC ĐỌC one Gof ooc 002 ouf oỌC ĐỌC DỌC CỌC
Idem . Jouiss . du 22 sept . 18o7 , 87f foc one , oof coc coc
Act. de la Banque de Fr. avec doablement 1400f 1397f 500 1400k.
oof
3
(No. CCCXXI. )
LA
SEINE
( SAMEDI 12 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DEP
DE
5 .
cen
7
ODE
Ax, qu'un vulgaire amant sur les roses s'oublie Í
Tibulle s'éveilloit pour chanter sa Délie :
Qu'il est doux , qu'il est beau de passer tour-à -tour
Des bosquets de Vénus au temple de Mémoire !
Quel charme de trouver la gloire
En sortant des bras de l'Amour !
Non, tu ne mourras pas , ô ma chère Delphire !
Des baisers et des vers unissons le délire ;
Des siècles envieux qu'il repousse l'effort ;
Qu'un vers tendre , après nous ,
exhale encor notre ame,
Et coupe d'un sillon de flamme
L'ombre éternelle de la mort !
Nota. Cette Ode nous a été donnée par M. LE BRUN, de l'Académie
Française , quelque jours avant sa mort.
TRADUCTION
Du début du poème contre RUFIN , de CLAUDIEN.
Je doutois si d'un Dieu la sagesse profonde
Gouvernoit les destins et de l'homme et du monde ,
Ou si l'homme et ces feux qui peuplent l'univers ,
Sans maître , sans soutien erroient au sein des airs.
# Hh
482 MERCURE
DE FRANCE ,
(
C'est un Dieu , me disois-je , au séjour du tonnerre,
Qui de son bras puissant a suspendu la terre :
Il fait naître les fleurs , il fait mûrir le fruit ;
Il donne au jour ses feux , ses ombres à la nuit.
C'est lui qui du soleil mesura la carrière;
Du soleil , à Phébé , qui prête la lumière.
Par lui marche l'année en égales saisons ;
Par lui l'Océan gronde en ses vastes prisons .
C'est un Dieu qui lui dit : « O mer, sur ton rivage
>> De tes flots écumans doit expirer la rage. ››
Mais quand je vois partout donner chez les mortels
A la vertu des fers , au crime des autels ,
Mon esprit abattu , mon ame embarrassée ,
D'une Divinité rejettent la pensée ;
Je crois voir au hasard épandus dans les airs
Les atomes' se joindre et former l'univers ;
Et je peuple de Dieux la région céleste ,
Immortels pour eux seuls , et dédaignant le reste.
Rufin a fait cesser ce doute injurieux ,
Et son supplice enfin vient d'absoudre les Dieux .
Le voile se déchire , et ma plainte importune
Cessera désormais d'accuser la fortune.
2
Plus haut , sa main puissante élève le pervers,
Et plus rapide il tombe . O Muses , en mes vers
Apprenez aux mortels quel gouffre épouvantable
Sur la terre a vomi ce monstre détestable .
Voyant partout régner la paix et le bonheur ,
L'implacable Alecton , la rage dans le coeur ,
Secoue au loin les feux de sa torche fatale ;
Elle appelle ses soeurs et la troupe infernale.
Aussitôt à sa voix s'assemblent à grand bruit
Les monstres de l'Enfer , noirs enfans de la Nuit :
L'Envie au coeur de fiel ; la Faim impérieuse ;
La pâle Maladie , et sa suite hideuse ;
La Vieillesse , qu'attend la Mort sur un tombeau ;
La Discorde , agitant un sinistre flambeau;
SEPTEMBRE 1807 . 483
L'Audace au front altier ; la Terreur au teint blême ;
Le Remords dévorant , qui se ronge lui- même ;
Le Deuil , couvert d'un voile humide et déchiré ;
Le Luxe insatiable , et de biens altéré.
Couverte de lambeaux , sur ses pas , en silence ,
Se traîne lentement la honteuse Indigence ,
Qu'embrasse l'Avarice , attachée à son sein.
Après eux , des Soucis vient le nombreux essaim.
De ces monstres hideux la cohorte , pressée ,
Sur les sie es de fer à grand bruit s'est placée.
La superbe Alecton , une torche à la main ,
S'élève : tout se tait. La déesse soudain
Fait siffler ses serpens , les rejette en arrière ,
Et d'une voix terrible exhale sa colère :
"
« D'un siècle fortuné nous souffrons donc le cours !
» Nous laissons les mortels couler en paix leurs jours.
>> De la paix maintenant sommes-nous donc amies ?
» Mais que dis-je , mes soeurs , sommes-nous les Furies ?
» Eh , que font dans vos mains ces fouets jadis sanglans ?
"
Que font sur votre front ces paisibles serpens ?
>> Jupiter nous chassa du séjour du tonnerre ;
» Théodose aujourd'hui nous chasse de la terre.
>> Quoi ! le souffrirez -vous ? ... Le prince est jeune encor ;
» Allumez vos flambeaux , ou craignez l'âge d'or.
» Déjà l'humble Vertu , la Piété modeste ,
» Promènent en cent lieux leur puissance funeste ,
» Bravent à haute voix les filles d'Achéron .
» Astrée est sur la terre : elle insulte Alecton ;
» Tire de leurs cachots les Lois emprisonnées ,
>> Des cachots où ce bras les avoient enchaînées .
» Dans un honteux repos , quoi ! foible déité ,
>> Alecton traineroit son immortalité !
>> Non , non , faisons cesser cet odieux outrage ;
» Soyons dignes de nous…….… Oui , je veux , dans ma rage,.
» Je veux souiller le jour de tous mes noirs poisons ;
» M'élancer sur les mers , et briser leurs prisons ;
Hh 2
484 MERCURE DE FRANCE,
>> Je veux couvrir les cieux d'une fumée impure ,
>> Et dans ses fondemens ébranler la nature. »
• Elle dit , pousse au loinun fier mugissement,
Agite dans les airs son flambeau menaçant ,
Etses serpens soudain en sifflant se hérissent.
D'un bruit sourd et confus les Enfers retentissent..
Les uns veulent voler sur les pas d'Alecton;
Ceux-ci craignent les lois du sévère Pluton.
Déjà leurs cris du Styx font trembler le rivage.
Tel , des mers en courroux , le flot , après l'orage ,
S'élève encore , gronde ; et, chassés par les vents,
On voit fuir dans les airs les nuages flottans.
Mais la soeur d'Alecton s'élève : c'est Mégère,
Du Crime et de la Rage épouvantable mère;
Mégère, qui ne boit que le sang criminel
Que le fils a cherché dans le flanc paternel.
Elle arma contre Alcide etles cieux et la terre;
Déshonora cet arc le rival du tonnerre;
Et, chez les rois d'Argos faisant pâlir le jour ,
Avec leurs corps sanglans se joua tour-d-tour.
C'est elle , à la lueur de sa torche funeste ,
Qui consacra l'hymen d'Edipe et de Thyeste.
«Oui , je le sais, mes soeurs , en vain contre les ciens
>>>Nous voudrions armer un bras audacieux,
» Dit- elle ; mais s'il faut bouleverser la terre ,
» J'ai qui saura servir cette noble colère ; (1 )
>> Rufin : il peut lui seul accomplir ce dessein.
>> A peine il vit le jour , recueilli sur mon sein ,
>> Et demandant en pleurs mes mamelles livides ,
>>. Il en pressa le sang sur ses lèvres avides.
>> Abuser avec art , donner en vain sa foi ,
>> Sont les moindres talens qu'il ait reçus de moi.
(1) Le traducteur s'est permis de passer en cet endroit quatre vers qui
se trouvent dans l'auteur latin , parce qu'il les a jugés d'un mauvais goût ,
et renfermant d'ailleurs des idées qui se trouvent plus bas.
1
SEPTEMBRE 1807 . 485
» Mattre de sa fureur , savant dans l'art de nuire ,
>> Il flatte d'une main , et de l'autre il déchire :
>> Cruel autant qu'adroit , et plus avide encor ,
» Du Tage et du Pactole il engloutiroit l'or.
» Toujours prêt à semer la discorde et la guerre ,
>> Si les temps reculés l'eussent vu sur la terre ,
» Oreste , de Pylade erroit abandonné ,
>> Et Castor , sous Pollux tomboit assassiné.
» Encore enfant , je vis tout ce qu'il devoit être ;
» Et docile , il apprit à surpasser son maître :
» Enfin , seul , de l'Enfer il a tous les forfaits.
» Parlez , et Théodose , au sein de son palais ,
» Bientôt verra ce monstre , à qui céderoit même
» D'Ulysse et de Minos la sagesse suprême. »
A
A ces mots , un cri part , et cent profanes mains
Applaudissent d'avance aux malheurs des humains.
Elle attache aussitôt sa livide ceinture ;
Fait sur son front sanglant dresser sa chevelure ;
Court au noir Phlégéthon ; à ses brûlantes eaux
Allume en frémissant deux énormes flambeaux ;
Et soudain , frappant l'air de ses ailes funèbres ,
S'élance , et fend du Styx les impures ténèbres.
Par M. A. DEVILLE .
ENIGME.
MA charrue est légère , et cinq boeufs que j'y mets
La font aller de reste , ainsi que l'on peut croire :
Le champ que je laboure est blanc comme l'ivoire ;
Ce que j'y sème est noir comme le jais .
Par un Abonné.
LOGOGRIPHE
Je ne vous dirai pas si je suis très-utile ,
Quoique je sois connu aux champs comme à la ville ;
Sur-tout dans certaine saison ,
Où de moi l'on fait grand usage ,
3
486 MERCURE DE FRANCE ,
Soit par plaisir , soit par raison .
Fillette , pour peu qu'elle fût sage ,
De moi ne feroit pas de cas ,
Dans la crainte d'un faux pas ;
Car je vais toujours en courant,
Et mon plancher est fort glissant .
Mais il me faut absolument un frère ;
Pour mon emploi je le crois nécessaire .
Si l'on me fait servir , ah ! quel dur esclavage !
On m'attache ; on me fait le plus cruel outrage ,
Puisqu'on me foule aux pieds. Mais après , dans un coin ,
Quand de moi , pour un temps , on n'a plus nul besoin ,
Avec mépris je suis jeté.
C'est alors , cependant , que j'ai ma liberté.
J'en ai trop dit , lecteur , pour me laisser chercher;
Et sans peine , à présent , tu peux me deviner.
Me faudra- t- il encor , pour me faire connoître ,
Te compter mes cinq pieds, décomposer mon être ?
Eh bien ! trouves en moi un utile aliment;
Une partie aussi de ton habillement ;
Une rivière en France ; un arbre toujours vert ,
Qui croît au haut des mouts , au milieu d'un désert ;
Unespacede temps qui jamais ne te dure;
Certainapprêt servant à former ta chaussure ;
Unpronom possessif;
Un terme négatif.
Mafoi , je suis au bout , je n'ai plus rien à dire ,
Amoins qu'à mes dépens j'apprête encore à rire.
Par M. Edme PATIN.
CHARADE.
2
Mon premier sert à table ,
Mon second sert à table ,
Etmon tout sert à table.
1
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Laurier.
Celui du Logogriphe est Filigrane ( ouvrage d'orfèvrerie ) , où l'on
trouve lie , Nil , an , île , ane , aigle , Ange, angle , rage, ligne ,
laine , argile , glaire , ail , air, gare , graine, grain , lyre , geai,
farine , fin . Les deux mots latins sont granum fili.
Celui de la Charade est Mi-graine ,
SEPTEMBRE 1807 . 487
RÉFLEXIONS sur la Géologie , et Citations
A
d'Exemples de ses erreurs etde son utilité.
La géologie , fondée sur des faits bien vus et bien jugés ,
estune des branches les plus intéressantes de l'histoire naturelle
. Se rendre raison de l'état actuel de la surface de la
terre , et le trouver conforme à l'histoire révélée de son
origine , de celle du genre humain et de tous les êtres qui
composent la création , est , pour l'homme raisonnable et
instruit , la plus grande satisfaction qu'il puisse éprouver.
Il ne se voit plus un être jeté au hasard sur le globe qu'il
habite , mais un être qui a réellement l'origine élevée qui
lui est annoncée , qu'il est sorti des mains de l'être éternel
qui forma l'Univers , et qui donna l'existence à tous les
êtres.
Mais autant les observations bien faites et bien jugées des
faits conduisent à une saine géologie , autant celles qui sont
faites superficiellement et sans réflexion donnent-elles naissance
àdes systèmes qui conduisent àl'erreur et à l'égarement .
Lorsque de Buffon , ayant imaginé que la terre et les planètes
étoient des fragmens du soleil , enlevés de cet astre par
le choc accidentel d'une comète , imagina ensuite que le
soleil étoit composé d'une matière en fusion et incandescente
, il crut voir la terre composée dans son origine de cette
même matière ; et partant du temps qu'il falloit à un boulet
de canon , d'un diamètre donné , pour se refroidir entièrement
depuis l'instant de son état de fusion , il calcula de
sang froid le temps où la terre , ayant perdu graduellement
cet excès de chaleur primitive supposée , arriveroit
enfin à un froid absolu ; c'est-à-dire , à la fin de l'existence
de tous les êtres qui l'habitent.
A
On voit, par cet exemple , à quel excès d'égarement on
peut être entraîné quand on abandonne cette première et
grande vérité : Que l'Univers est l'ouvrage d'un Etre puissant
et sage; que tout s'y meut ety existe d'après les lois qu'il a
établies , et pour des fins dignes de son infinie sagesse.
Lorsque les attérissemens des fleuves sur le rivage de la
mer ont été mépris pour un sol qu'elle abandonne , on a
conclu ce système absurde , que la mer circule autour du
globe , en abandonnant les côtes occidentales et envahissant
les orientales , quoiqu'il soit bien connu que les côtes occi
4-
488 MERCURE DE FRANCE ,
dentales ne sont point abandonnées par la mer, et qu'en
plusieurs endroits les côtes orientales , loin d'être envahies ,
étendent leurs rivages par les attérissemens des grands
fleuves qui s'y versent .
Quand, au contraire , ces attérissemens des fleuves qui
s'accumulent sur le rivage de la mer , quoiqu'existans aux
yeux de tous les hommes , n'ont pas même été remarqués ,
on a fait descendre sous ses flots ce sédiment charié par les
fleuves , pour y former des continens futurs ; et , pour produire
cet effet supposé , on a supposé encore des courans au
fond de la mer , qui sillonnent des vallées et élèvent des
montagnes , quoiqu'il soit attesté par les navigateurs que ces
courans n'existent point; etpar le raisonnement , que la mer
doity être tranquille .
Quand les partisans du soulèvement des montagnes ont
cité, à l'appui de leur opinion, l'exemple des volcans : voilà ,
ont-ils dit, des montagnes notoirement élevées par le feu ;
pourquoi les autres montagnes ne l'auroient-elles pas été
de même ? N'approfondissant rien , et s'en tenant à un
aperçu superficiel , ils n'ont pas vu que les volcans sont absolument
distincts des autres montagnes ; qu'ils n'ont rien de
commun avec elles , ni dans leur forme , ni dans les matières
qui les composent , ni dans la cause de leur élévation ,
et la manière dont ils ont été élevés .
Les volcans ont tous la forme d'un cône tronqué , provenant
de l'accumulation de matériaux rejetés par une
bouche à feu , qui retombent sur eux-mêmes à l'entour de
cette bouche ; et les couches qui en résultent sont dans le
sens de l'inclinaison des pentes du cône , qui ne sont dérangées
de cette position que lorsque des bouches nouvelles
s'ouvrent sur les flancs du volcan . Ensuite , toutes les matières
sont visiblement des produits du feu : on ne trouve que des
vitrifications plus ou moins complètes ; des laves compactes ,
spongieuses et cellulaires , c'est- à-dire , pleines de boursoufflures
; des scories de divers volumes , souvent pulvérisées
en particules aussi petites que le sable le plus fin ; et des
teintes de soufre abondent dans les environs du cratère.
Toutes les autres montagnes sont formées par couches ,
étendues dans l'origine horizontalement on peu inclinées ,
par les dépôts successifs accumulés sur le fond de l'ancienne
mer, qui ne sont devenus des élévations que par l'affaissement
brusque ou en bascule des côtés qui leur faisoient suite .
Rien , absolument rien , n'y montre l'ouvrage du feu ; tout
y est l'ouvrage des eaux.
Le système qui prétend tout opérer par cristallisation ,
L
SEPTEMBRE 1807 . 489
Cristallise aussi les montagnes , quoique rien ne soit plus
varié et plus irrégulier que leurs formes , qui toutes sout
accidentelles .
Mais il n'est aucun système ( celui de Buffon excepté ) qui
soit plus contraire à tout ce que nous montre la nature , que
celui du docteur Hutton d'Edimbourg , dont le chevalier
Hall a entrepris de prouver la réalité par ses petites expériences
tubulaires de compression de la chaleur . Il est
Curieux , par exemple , de lire comment il amène et conclut
la formation du granit par le feu : « Enfin , dit- il , dans le
» cas où la température ( la chaleur ) seroit encore plus
» élevée , le sable lui -même se fondroit en entier , et pour-
» roit être converti par le refroidissement plus ou moins en
» granit , siénite , etc. , en conservant , dans quelque cas , des
» traces de la stratification primitive , et en constituant le
» gneiss et le granit stratifié ; d'autres fois , en s'insinuant
» dans les crevasses , il formeroit des veines de granit parfait. »
Certainement , il suffit de rapporter de telles conclusions
pour montrer qu'elles ne sont que des résultats créés par
l'imagination la moins exercée dans la connoissance des
phénomènes terrestres . D'un sable vitrifié , c'est - à - dire ,
d'une substance que le feu réduit par la fusion en un verre
homogène , il prétend en former , par une plus grande
chaleur , une roche composée de deux , de trois et même
de quatre substances différentes ; car on voit des granits
qui réunissent le quarts , le feldspath , le mica et l'homblende
, matières qui n'ont aucun caractère de fusion , et
qui n'existoient pas mieux dans la substance du sable , dont
il prétend les tirer , que les fossiles marins , renfermés dans
des couches sableuses , n'existoient dans la substance du
sable où ils sont déposés. Après cela , il n'est pas étonnant
qu'on ait prétendu que les corps cristallisés renfermés dans
les laves , sont formés de sa substance par le refroidissement ,
quoiqu'il n'y ait entr'eux nul rapport.
Les conclusions du chevalier Hall et des partisans de
son hypothèse , n'empêcheront pas que le granit ne soit par
le fait , comme dans la persuasion des naturalistes et des
géologues éclairés et instruits , une roche formée par Pintermède
de l'eau ; et quant aux autres roches , les ressemblances
annoncées peuvent être encore bien douteuses. Les
faits que j'ai cités ci -devant prononcent le peu de fondement
de toutes ces conclusions.
Le chevalier Hall compare la pression qu'il prétend
résulter d'une grande profondeur de la mer, à celle qu'il a
obtenue dans ses petits tubes de compression de la chaleur ;
490 MERCURE DE FRANCE ,
et il part de là pour en conclure la formation de toutes les
roches . Cependant , il estcontre toute bonne physique d'assimiler
la pression d'un solide impénétrable aux fluides expansibles
, à celle d'un liquide que ces fluides pénètrent : ainsi
le fluide igné , comme fluide plus léger que l'eau , la pénétrera
, quelle que soit sa profondeur , et ne sera point comprimé.
Je l'ai dit ci-devant , et je le répète , que s'il se manifestoit
une grande chaleur au fond de la mer , cette chaleur
n'y seroit point comprimée , mais s'éleveroit , pénétreroit
l'eau et la feroit bouillir , si elle étoit portée à un assez haut
degré pour produire l'ébullition.
Quoique cet effet physique soit inévitable , s'il falloit un
exemple pour le confirmer , le voici : En approchant de l'île
de Vulcano , je remarquai , à la surface de la mer, quelques
places qui fumoient ; je fis ramer à ces places , et j'y portai
la main; je la retirai bien vîte , elles étoient brûlantes. La
mer , cependant, devoit y être très-profonde : car à l'entour
des îles volcaniques , qui s'élèvent brusquement du fond de
l'eau , la mer y est toujours d'une grande profondeur ; et
quand elle eût été beaucoup plus profonde , la chaleur n'auroit
pas cessé de la pénétrer, de s'élever jusqu'à la surface
de l'eau , et de se dissiper dans l'atmosphère .
Cette île et ses environs présentoient ainsi , dans ce moment-
là , les deux seuls effets qui résultent des feux souterrains
qui se manifestent au fond de la mer : celui d'élever
un volcan , lorsqu'ils sont assez considérables pour cela , et
celui seulement de pénétrer l'eau et de l'échauffer . Jamais
ils ne peuvent y être comprimés .
Je demanderai ensuite aux constructeurs des couches du
globe par l'intermède du feu qu'ils appellent plutonique
(qualification digne de figurer à côté de cette divinité de la
Fable ) , dans quel moment de l'existence du globe ils feront
paroître l'homme et les êtres organisés; dans quel moment
ils feront paroître les végétaux qui les nourrissent , l'eau
qui les abreuve , l'air qu'ils respirent ?
C'est là où viennent enfin échouer tous les auteurs de
systèmes sur la formation des globes , qui ne tirent leurs
moyens que de leurs seules conceptions , sans recourir à
l'intervention d'une Intelligence suprême , qui a donné
l'existence à chaque classe d'êtres aux époques marquées
par sa sagesse ; ou s'ils entreprennent de l'expliquer , ce
ne sont plus que des rêves dont les figures fantastiques
varient autant qu'il y a d'imaginations qui les créent.
On réclame fréquemment les faits pour fonder telle ou
SEPTEMBRE 1807 . 491
1
telle hypothèse géologique. Ce n'est que par eux , sans
doute , qu'on peut espérer de parvenir à la vérité ; mais
l'expérience nous apprend que la plupart de ceux qui les
réclament , les voient et les jugent mal. De là tant de mauvaises
géologies . Je viens d'en citer plusieurs exemples , et
je pourrois en augmenter beaucoup laliste.
Mais quand les recherches géologiques sont fondées sur
des faits bien jugés , sur une géographie physique bien
observée, cette science n'est pas nulle , et n'est pas un rêve;
elle conduit à des résultats certains (1) . On reconnoît alors
que nos continens n'ont pas plus d'ancienneté que celle que
leur assigne l'époque du Déluge , récité par l'historien sacré
de la Genèse.
Ceux qui rejettent l'authenticité de ce récit , qui,rejettent
encore toute révélation faite à l'homme de son origine et de
celle du globe qui lui a été donné pour demeure , ont les
yeux fermés à tous les faits qui l'attestent , et saisissent avec
empressement tout ce qui a l'apparence d'autoriser leur
scepticisme.
: C'est d'après cette disposition de l'esprit et du coeur, que
quelques physiciens et géomètres , arrivés de France en
Egypte en 1798 , publièrent à leur retour , avec le ton du
triomphe , la découverte qu'ils avoient faite , disoient- ils ,
dans la haute Egypte , de zodiaques qui prouvoient que les
Egyptiens étoient un peuple d'une ancienneté très-reculée ,
bien antérieure aux chronologies de la Genèse.
Ces zodiaques égyptiens n'étoient cependant pas une
découverte nouvelle. On voit dans la partie historique de
l'Académie des Sciences , de l'année 1708 , le dessin d'un
grand fragment de l'un de ces zodiaques , gravé sur un
marbre antique qui avoit été apporté d'Egypte , et trouvé à
Rome en 1705. D'après la réunion des figures de ce zodiaque
avec d'autres animaux etdes figures humaines symboliques
, dont quelques-unes à têtes d'animaux , et avec
(1 ) Nulle et réve : expressions de l'auteur de l'article VARIÉTÉS , dans le
Journal de l'Empire du 22 juin dernier. L'auteur de cet article (M. Malte-
-Brun) fait , dit- il , ses sincères complimens de condoléance aux géclogues
qui ne croient pas que le granit soit une cristallisation ignée , sur
la réussite des expériences de sir James Hall. Cependant sir James Hall ne
dit pas qu'il ait fait du granit , mais seulement que le sable , fondu en
entier par une chaleur très- élevée , pourroit étre converii en granitpar
Je refroidissement. C'est bien vite transformer en fait une simple conjecture
ou plutôt une vraiefiction , comme le sont toutes ses conclusions
surla formationdes roches calcaires. Un système géologique fondé sur
de telles données seroit en effet un reve..
492 MERCURE DE FRANCE ,
les planètes représentées par des têtes humaines , on voit
que ce zodiaque est plus astrologique qu'astronomique; et
c'est ainsi qu'en jugea l'Académie. Donc , jusqu'à ce que
l'on soit initié dans le sens des hiéroglyphes égyptiens , on
nepeut rien conclure de ces zodiaques, dont l'arrangement
et la combinaison des figures ne sont dus manifestement
qu'aux chimères de l'astrologie , auxquelles les Egyptiens
étoient fort adonnés .
Deux faits géologiques bien intéressans , appartenant à
l'Egypte même et à son voisinage , détruisent les conséquences
tirées de ces zodiaques. Les voyageurs dont les
observations m'ont déjà fourni ces faits , ne pensoient guère
qu'ils confirmeroient la chronologie de MOISE , et en attesteroient
la vérité.
On sait , d'après les relations de plusieurs voyageurs , que
la côte d'Arabie sur la Mer Rouge, est encombrée de récifs
de corail, qui en rendent l'abord difficile et dangereux.
Ces récifs sont l'ouvrage et l'habitation de polypes , qui ,
à mesure qu'ils travaillent , abandonnent leurs premières
demeures , sur lesquelles ils continuent à bâtir. On voit
très-distinctement cette succession de travail dans ces mêmes
productions marines qui font l'ornement des cabinets d'histoire
naturelle , sous les noms de coraux , de madrepores ,
millepores , orgues de mer , etc.
€ Dans les climats chauds , ces polypes sont toujours en
activité ; ils ne cessent pas de multiplier et de construire :
d'où résulte qu'en peu de temps ils augmentent d'une manière
sensible la masse de leurs demeures , qui s'étendent et
s'élèvent dans une progression toujours croissante ; et cette
masse ne se détruit point en vieillissant , étant de la même
matière que le test des coquilles , et en ayant la dureté.
Dans sa description de l'Arabie , M. Niebuhr cite un
-exemple frappant de l'accroissement rapide de ces bancs de
corail qu'on observe à quelques lieues au nord de Mocka :
<<Galefka , ville autrefois célèbre , dit-il , est à présent un
» mauvais village, dont les habitans, peu nombreux, vivent
>>de leurs dattiers et de leur pêche. La côte y est aujourd'hui
>> si remplie de bancs de corail , que le port en est impra-
>> ticable , même aux petits bâtimens.>>>
Le voyageur danois , frappé de ce phénomène , mais
imbu de l'erreur que la mer se retire , l'attribue à cette
cause : « On ne peut pas douter, dit - il , que la mer ne
>>> se retire encore continuellement , et que le Théama ne
prenne des accroissemens successifs. Les bancs de corail
> augmentent sans cesse , et , en s'approchant du rivage ,
SEPTEMBRE 1807 . 493
> rendent la navigation du golfe de plus en plus dangereuse
. »
Si donc les peuples de l'Egypte étoient aussi anciens qu'on
l'a annoncé , d'après l'interprétation donnée avec tant d'empressement
aux zodiaques égyptiens , le golfe Arabique ,
qui baigne leurs côtes , seroit depuis long-temps entièrement
encombréde ces bancs de corail.
Ce n'est pas seulement la Mer Rouge qui montre ce
phénomène bien remarquable; un grand nombre d'îles
situées entre les tropiques en sont aussi environnées , et
rendent leur abord également dangereux.
M. Labillardière , auteur de la relation du Voyage à la
recherche de La Peyrouse , fait à cette occasion la réflexion
suivante : « Ces polypiers , dit-il , dont l'accroissement con-
>>tinuel obstrue de plus en plus le bassin des mers , sont bien
>>capables d'effrayer les navigateurs ; et beaucoup de bas-
>>fonds , qui offrent encore aujourd'hui un passage , ne tar-
>>deront point à former des écueils extrêmement dange-
>> reux. » M. Labillardière fait cette réflexion à la suite du
récit des dangers qu'ils avoient courus en approchant de la
nouvelle Calédonie .
Si l'état actuel des continens et des mers existoit depuis
des milliers de siècles , comme le prétendent les écrivains
qui rejettent la chronologie de Moïse , n'est-il pas évident
que ces récifs , dont l'accroissement ne cesse point , environneroient
depuis long-temps ces îles d'un si grand nombre
d'enceintes de ces murs de corail , qu'elles auroient été
inaccessibles aux premiers navigateurs dès une très-grande
distance en mer ? La nature est donc ici d'accord avec la
chronologie de l'écrivain sacré . Le travail de ces petits
animaux , comme je l'ai déjà exprimé , s'élève du fond des
mers en témoignage de la vérité de son récit. (1 )
Le second fait géologique qui détruit les conséquences
qu'on a tirées des zodiaques égyptiens , appartient à l'Egypte
même. L'irruption des sables du désert de Libye qui borde
les rives occidentales du Nil , est ce nouveau chronomètre.
Je l'ai déjà cité (2) ; mais il est essentiel de répéter des
vérités qu'on s'efforce en tant d'occasions de détruire. C'est
pourquoi je les présente encore dans ce Journal, à l'attention
(1 ) Lettre sur les Zodiaques trouvés dans la Haute-Egypte , adreséeaux
rédacteurs de la Bibliothèque Britannique , le 10 mai 1802. Cahier
du même mois , page 101 .
(2) Voyez le Cahier de la Bibliothèque Britannique de mars 1805 ,
page288 à 296.
494 MERCURE DE FRANCE ,
et aux réflexions de ses lecteurs : car c'est à l'abandon des
vérités révélées , fondement des principes moraux et religieux
, fondement des principes de charité et de justice ,
seules sources du vrai bonheur des hommes , que sontdus
tous les maux qui troublent la société , et qui font tantde
malheureux.
Je viens au nouveau chronomètre. Les sables du désert
de Libye , poussés par les vents d'Occident , ne laissent plus
de rives cultivables sur les bords occidentaux du Nil , partout
où ils n'en sont pas garantis par des montagnes. On voit
l'empiétement de ces sables sur des terrains autrefois habités
et cultivés .
M. Denon nous apprend , dans la relation de son Voyage
dans la basse et haute Egypte , que des sommités de ruines
de villes anciennes ensevelies sous ces sables se montrent
encore à l'extérieur ; et sans une suite de montagnes appelée
chaîne libyque , qui borde la rive gauche du Nil, et forme
une barrière contre les débordemens de ces sables dans les
endroits où elle s'élève , le Nil n'auroit depuis long-temps ,
de ce côté-là , aucune rive habitable .
« Rien n'est triste , dit M. Denon, comme de marcher
>>sur ces villages dévorés par le sable du désert , de fouler
>>aux pieds leurs toits , de rencontrer les sommités de leurs
minarets , de penser que là étoient des champs cultivés ,
qu'ici croissoient des arbres , qu'ici encore habitoient des
>> hommes , et que tout a disparu.>>>
»
১)
Si donc nos continens étoient aussi anciens qu'on l'a prétendu
, tous les bords occidentaux de ce fleuve , exposés au
fléau des sables du désert , ne montreroient aucune trace
d'habitation des hommes , au lieu que ces traces existantes ,
attestent les progrès successifs de l'empiétement des sables ;
et les rives de ces endroits-là , autrefois habitées , resteront
pour toujours arides et désertes .
Ainsi la grande population del'ancienne Egypte , annoncée
par les nombreuses et vastes ruines de ses villes , étoit due
en grande partie à une cause qui n'existe plus, et sur laquelle
on ne porte pas son attention.
Les sables du désert étoient éloignés de l'Egypte ; les .
oasis , ou terrains habitables , existans encore comme des
îles au milieu des sables , lui étoient réunis ; mais ces sables ,
transportés par les vents d'Occident , ont enseveli et couvert
cette étendue , et frappé de stérilité un terrain autrefois
productif et fertile .
Ce n'est donc pas uniquement à ses révolutions et à ses
changemens de souverains , que l'Egypte doit la perte de
SEPTEMBRE 1807. 495
son ancienne splendeur , mais encore à la privation , sans
retour , d'un pays qui fournissoit à ses besoins avant que
les sables du désert l'eussent couvert et fait disparoître.
Maintenant , si l'on fixe son attention sur ce fait , et
qu'on réfléchisse aux conséquences qui seroient résultées ,
si des milliers ou seulement quelques centaines de siècles
s'étoient écoulés depuis l'existence de nos continens hors de
la mer , n'est- il pas évident que tout le pays à l'occident du
Nil auroit été enseveli sous les sables du désert avant l'établissement
des villes de l'ancienne Egypte , quelqu'antiquité
qu'on leur suppose , et que ce pays , dès long-temps stérile ,
auroit détournédu projet d'élever d'aussi vastes et nombreux
établissemens , auxquels même on n'eût pas pensé ?
Lorsqu'ils prirent naissance , une autre cause les favorisoit.
La navigation de la Mer Rouge étoit sans danger sur
ses côtes . Tous ses ports , aujourd'hui encombrés de bancs
de corail , étoient d'un accès facile et sûr. Les vaisseaux
chargés de marchandises et de denrées pouvoienty aborder
et en partir , sans craindre de se briser contre des écueils
qui se sont élevés depuis ,, et qui continuent à s'étendre .
Les vices du gouvernement actuel de l'Egypte , et la découverte
du passage des Indes en Europe par le Cap de
Bonne-Espérance , ne sont pas ainsi les seules causes de son
état présent de décadence. Si les sables du désert n'avoient
pas envahi le pays qui la confine à l'ouest , et si le travail
des polypes marins dans la Mer Rouge n'avoit pas rendu
périlleux l'abord de ses ports et de ses côtes , et comblé
quelques - uns de ses ports , la consommation de l'Egypte
seule , et des pays voisins ainsi que leurs productions ,
suffiroient pour la maintenir dans un état de prospérité et
d'abondance . Le passage aux Indes par le Cap de Bonne-
Espérance cesseroit ; l'existence politique dont jouissoit
l'Egypte dans l'époque brillante de Thèbes et de Memphis
se rétabliroit , qu'elle n'atteindroit plus à ce degré de splendeur.
Ainsi les récifs de corail élevés dans la Mer Rouge , à
l'orient de l'Egypte , et les sables du désert , venus de l'occident
, se réunissent pour attester cette vérité : Que nos
continens n'ont pas plus d'ancienneté que celle que leur
assigne la chronologie de l'écrivain sacré de la Genèse ,
depuis la grande époque du Déluge .
Genève, le 1 août 1807. G. A. DELUC.
J
496 MERCURE DE FRANCE ,
Tableau historique et politique de l'année 1806 , précédé
d'unCoup-d'OEil sur les cingpremièresannées du 19 siècle,
et accompagné de huit portraits gravés en taille-douce .
Un vol. in-8°. de plus de 460 pages d'impression . Prix :
5 fr. 50 €. , et 6 fr. 50 c. par la poste. A Paris , chez
Buisson , libraire , rue Git-le- Coeur , n°. to , ci-devant
rue Haute-Feuille , n°. 20 ; et chez le Normant .
IL est, pour l'écrivain , des sujets d'un choix heureux ,
mais d'une exécution pénible. Les avoir conçus , c'est donner
déjà une idée favorable de son esprit ; les avoir traités
avec succès , une idée avantageuse de son talent. Si c'est
un fonds mal choisi qu'un fonds stérile , c'en est un fort
embarrassant à manier qu'un trop abondant. Souvent
il est moins difficile d'inventer que de disposer , moins
difficile d'administrer un modique qu'un immense patrimoine.
Teldut être l'embarras de l'auteur du Tableau qui
est sous nos yeux. Il consista sur-tout à y faire entrer les
traits sans nombre qui le composent ; à réunir en consé
quence et coordonner ces traits , pour en former un ensemble
régulier et suivi , une composition attachante dont
l'image ne fût pas trop au-dessous du modèle. Poury prétendre
, cet auteur devoit chercher , non pas à maîtriser sa
matière , mais à lui obéir. Ici les faits commandent'; il dut
donc suivre l'ordre des faits : leur succession naturelle dut
former le fil naturel de leur narration . L'art consistoit à ne
laisser jamais échapper ce fil conducteur , soit en interrompant
leur série , d'où naît tout leur intérêt , soit en s'abandonnant
trop à l'attrait des réflexions ou conjectures qui
naissent de leur plus simple exposé. L'auteur semble avoir
conçu son travail dans cet esprit, qui ne l'a point abandonné
dans l'exécution ; etvoici en effet comment il procede :
Son ouvrage se compose de trois parties . La première
offre un coup-d'oeil de notre révolution , observée dans
son berceau et dans ses développemens , soit à l'intérieur ,
soit à l'extérieur ; un aperçu des premiers exploits , des
grandes vues naissantes , tant comme héros que comme
personnage politique , de l'homme extraordinaire qui devoit
enchaîner enfin l'hydre des factions. Cette première partie
contient donc toutes nos révolutions , y compris la dernière
, celle du 18 brumaire , etc.
Ces éclaircissemens étoient indispensables pour mener
avec
SEPTEMBRE 1807 . 497
1
avec plus d'intérêt le lecteur aux événemens que renferme
la seconde partie .
L'auteur y remonté au mois d'octobre 1805 ( à cause de
la guerre d'Autriche qui a cominencé à cette époque ) . Il
donne , par mois , un récit détaillé de tout ce qui s'est
passé d'important dans l'Europe et les autres contrées du
monde , jusqu'à la fin de 1806 , etc.
Sans prétendre suivre l'auteur dans ses récits , jetons
un coup-d'oeil sur ces deux premières parties de son ouvrage
, les plus importantes en ce qu'elles renferment ces
prodiges militaires qui ont décidé des destinées de la Francè ,
de son repos , et, par avance , de celui du monde.
Notre révolution , comme une flamme dévorante , avoit
embrâsé toutes les puissances du continent , qui pensèrent
qu'un peuple , amolli par l'exemple de ses chefs , succomberoit
sous ladouble guerre qu'elles lui préparoient , et qu'il
se livroit lui-même ; mais ce même peuple , énervé dans les
délices , avoit , dès les premières attaques , repris une vie
nouvelle , et se retrempoit dans ses orages. Ces puissances ,
incapables de juger le caractère français , ne voyoient pas
que sa prétendue légèreté n'est que l'heureuse flexibilité d'un
esprit supérieur qui sait se ployer à tout ; qu'elle cachoit un
foyer d'activité qu'une étincelle pouvoit allumer : semblable
à ces monts dont la surface n'offre à l'oeil que de rians
paysages , et dont le sein renferme un volcan. Le volcanirrité
éclata sur elles .
L'auteur caractérise en peu de mots l'effrayante puissance
delaconvention et l'autorité olygarchiquè , et bientôt impuissante
, du directoire .
<.<Ce fut au milieu de pareilles circonstances que parut
tout-à-coup à la tête de l'armée d'Italie , un jeune guerrier
>>destiné par le sort et par son génie à mettre fin à tant de
>>troubles , à tant d'anarchie , et dont les premiers pas furents
>>marqués par des faits qui durent frapper vivement tout
>>homme capable d'observer et de réfléchir . i
>>A vingt-sept ans , ce jeune chef a pacifié l'Italie , et
>>fondé le gouvernement cisalpin. Mais il part... Avec lui
>>>fuientlavictoire et l'espoir dubonheur public , qui revien-
>> dront avec lui. Un malaise général est le triste fruit de
>>l'administration incertaine et sans intensité du gouver-,
>> nement de cinq hommes , plus inexpérimentés que mal
>> intentionnés . Le besoin d'une révolution se faisoit sentir :
>>elle n'attendoit qu'un chef. Le ciel le ramère des déserts
>>de la Syrie. Le port de Fréjus le reçoit ; et déjà l'audace
>>des puissances, qui commencoient de nouvelles insultes,
Li
'498 MERCURE
DE FRANCE
,
» tombe à la vue de son épée. Aux plaines du Milanais , à
» Pavie , à Brescia , à Marengo , il rejette sur elles ce
» manteau d'humiliation dont elles vouloient nous cou-
» vrir. »
I Dans l'esquisse de l'auteur , dont je ne puis qu'indiquer
des traits , partout nous est représenté l'homme supérieur ,
dont la vue embrasse tout , dont le bras frappe nos ennemis
dont la main cicatrise nos plaies , dont la voix sèche nos
larmes , et rappelle à l'espérance les peuples qu'elle ne peut
pas encore rappeler au bonheur .
L'auteur a observé en vrai Français , et suivi dans tous
sés détours l'astucieux cabinet de Londres , toujours fidèle
à l'esprit de ses plans d'asservissement général , bien qu'il en
change les formes , selon l'exigeance des cas , des temps et
des circonstances ; toujours prêt à tout accorder , pourvu
qu'il ne livre rien de ce qu'il accorde ; signant une réconciliation
, pour mieux assurer le succès d'une perfidie ; protégeant
des infortunés , pour mieux les perdre ; machinant
F'esclavage des peuples , en se proclamant le vengeur de leurs
libertés ; stipulant pour l'intérêt de leur fisc , afin de se l'approprier
; pour l'intégralité de leur territoire , afin de le tout
envahir ; pour leur industrie , afin de l'exploiter ; épiant en
conséquence , dans les arts et les sciences , le premier signal
des découvertes , pour s'en donner l'honneur , et pour qui
Tous les moyens sont bons dès-lors qu'ils sont utiles .
En suivant l'auteur , l'on suivra la marche triomphale des
armées ; et ici il faut avoir des ailes . L'on remarquera que
le but prochain ou éloigné de leur chef , c'est la paix , tou->
jours la paix. Cette idée le poursuit jusqu'au sein des batteries
qui tonnent pour forcer à la recevoir ceux qui la
repoussent ; et , durant que toutes ses mesures sont prises ‹
dans les camps pour la préparer , de sages et fermes insti- <
tutions dans l'intérieur s'organisent pour la rendre à jamais ‹
solide et brillante.
Il faut renoncer à donner l'extrait de ce livre , qui lui- ‹
même est l'extrait , si l'on peut le dire , de quelques années ,
et dont presque chaque page contient assez de faits illustres ‹
et d'opérations extraordinaires pour composer la vie entière
d'un grand homme , où les événemens sont pressés si
étroitement , que telle de ces pages encore ressemble plutôt
à un sommaire qu'à un narré . Ne pouvant les saisir tous
sans copier le livre , nous nous bornerons à faire sortir de
cet immense Tableau quelques traits pris au hasard , tous
étant également remarquables, et comportant en soi, comme
en leur fin , le plus puissant intérêt.
SEPTEMBRE 1807 . 499
Le motif qui forma ces coalitions tant de fois rompues
et renouées est inexplicable quant aux puissances du continent
. Quant à l'Angleterre , la soif de l'or , soif insatiable ,
voilà l'éternel mobile de sa conspiration de tous les temps'
contre les nations. Sa conduite après le traité d'Amiens
prouva qu'elle n'avoit intentionnellement regardé cette paix
que comme une trève ; mais prouve aussi que , disposés
secrètement à le rompre , ses ministres n'avoient pas , en le
signant , marqué dans leur esprit l'époque de sa rupture , et
qu'il y eut alors autant d'inconséquence que de mauvaise
foi dans la politique de M. Pitt. La conduite des autres ?
puissances , inconséquente dès l'origine , continuoit de
l'être. Le motif qui les animoit étoit vague , où n'étoit
qu'un prétexte. Elles s'étoient armées d'abord en faveur
des principes monarchiques contre les principes démago- ·
giques ; mais , lorsque le gouvernement de la France fut
ramené à ceux de la raison et de la sagesse , on ne savoit
plus contre quels principes elles s'armoient . Il sembloit
ce fût alors contre le monarque que les Français s'étoient
choisi , et que ces puissances le voulussent forcer à conquérir
à plusieurs reprises le droit que toute la France lui avoit
donné de la gouverner . L'histoire expliquera difficilement
le but de l'Autriche , de la Russie , de la Prusse , formant
et rompant des traités , sans doute abusées toujours du
stérile espoir de dompter une nation indomptable , véritable
image , depuis quinze ans , de ce ressort vigoureux qui
s'échappe avec d'autant plus d'énergie , qu'on cherche da→
vantage à le comprimer.
que
Leurs provocations avoient d'abord été ouvertes , ainsi
que leur aggression ; mais de l'expérience des combats
elles retirèrent du moins un fruit , la prudence . Dès-lors
elles commencèrent à croire que le coup seroit d'autant plus
sûrement porté , qu'il auroit précédé la menace . De là , dans
la dernière guerre sur-tout , ces préparatifs hostiles au sein
des ténèbres , ces marches simultanées de troupes et de
négociateurs . C'est un tableau digne d'observation , et qui
nous semble avoir été bien saisi par l'auteur de ce Précis
historique , que le spectacle de ces puissances frappées
d'une même terreur devant le génie, d'un seul homine
tous ces peuples s'unissant dans le secret contre un seul
peuple ; et en même temps le chef de ce peuple , doué d'une
sorte de prescience , prévenant toutes les attaques , toutes
les machinations , et jusqu'à la pensée de ces cabinets que
ses salutaires avertissemens ne peuvent préserver de leur
perte. Mais ce qui ajoute à l'effet de ce Tableau , c'est qu'au
li a
500 MERCURE DE FRANCE ;
milieude ces chocs qui sembloient devoir briser l'Europe ,
l'Europe se raffermissoit sur d'inébranlables bases; que la
guerre , qui épuisoit tout , ainsi que vient de le remarquer
leprésident du corps législatif , renouveloit nos finances et
nos armées ; que toutes les parties de l'administration intérieure
des Etats français , déplacées par les anciennes révolutions
,venoient comme d'elles-mêmes reprendre le rang
qu'elles devoient occuper; et qu'au-delà de ces Etats s'élevoient
de nouveaux Empires alliés , de nouveaux remparts
pour la France. Ainsi sortoient de ces feux tumultueux ,
comme autrefois les boucliers des héros des fournaises de
Lemnos , les Empires d'Italie , de Naples , de Hollande ,
nouveaux boucliers aussi d'un nouvel Achille, c'est-à-dire ,
sans figure , que chaque effort des rois coalisés pour enlever
à l'Empereur des Français une portion de sa puissance , y
ajoutoit au contraire une puissance nouvelle ; et pourtant
il étoit encore remarquable qu'après chaque effort , l'Empereur
des Français étoit le premier à offrir, ou se montroit
toujours disposé à accepter la paix , qui seule devoit la
limiter.
Cette histoire , qui est celle des faits et des époques , en
offre presqu'à chaque page la preuve irrécusable. Sa patience
pour l'obtenir , qui va jusqu'à faire un sacrifice de ses lauriers
, est aussi admirable que son génie. Elle forme un trait
particulier et saillant de son caractère , trait qui n'a point
échappé à notre auteur , trait qui confirme la justessedecette
pensée d'un grand poète , applicable ici mieux que jamais :
Qui sait se posséder peut commander au monde.
Nous n'avons pu qu'indiquer les divisions et donner une
idée de l'esprit dans lequel est conçu cet ouvrage. Cet esprit
est celui d'un observateur et d'un écrivain plein du sujet
qu'il traite , et qu'il peut traiter, parce qu'il paroît versé daus
ladouble science du guerrier et du politique.
N'oublions pasque ceci n'estqu'un précis :sansce souvenir,
le lecteur pourroit souhaiter quelquefois que les grandes
époques et les grands traits fussent décrits avec des couleurs
plus énergiques , plus éclatantes , un intérêt plus développé,
àla manière des anciens historiens ; mais on ne peut exiger
de l'auteur plus qu'il n'a promis , et il a mieux fait que
beaucoup d'autres, en tenant tout ce qu'il a promis. Quelque
serré que soit son précis , il ne l'est pas jusqu'à la sécheresse.
Il peint quelquefois , et ses peintures sont attachantes.
Jeleprouverois par des citations , sije ne craignois d'étendre
trop cet extrait. Ses réflexions ont presque toujours le grand
SEPTEMBRE 1807. 5or
mérite d'être amenées sans effort , et tirées de l'essence des
faits. Si toutes n'ont pas pour base une vérité positive ,
toutes reposent sur des conjectures vraisemblables . Cet effet
n'a peut-être point eu ce motif, cette cause où l'auteur le
fait remonter ; mais il a pu l'avoir , et la raison ne le désapprouve
pas , encore que le fait puisse le démentir.
La troisième partie traite des affaires particulières des
différens Etats de l'Europe , c'est-à-dire , de son administration
tant civile que politique. Ici , un seul homme
donne et règle encore le mouvement : il est la Providence
qui domine ces grands corps , et dont ils attendent leur salut
et leur bonheur.
Pour bien connoître ce livre , il faut le lire ; et ceux qui
l'auront lu , partageant le desir des éditeurs , inviteront sans
doute l'auteur à continuer sur le même plan , d'année en
année, le récit des événemens de l'époque à jamais mémorable
dans laquelle nous vivons. R.
Lettres sur les Arts imitateurs en général , et sur la Danse
en particulier; dédiées à S. M. l'Impératrice des Français
et Reine d'Italie , par J. G. Noverre , ancien maître de
ballets en chef de l'Académie Impériale de Musique ,
ci - devant chevalier de l'Ordre du Christ. Ornées du
portrait de l'auteur. Deux vol. in-8° . A Paris , chez
Léopold Collin , libraire , rue Git-le-Coeur , n°. 4 ; et
chez le Normant.
:.
:
-
M. NOVERRE , célèbre compositeur de ballets , donna
en 1760 , sous le titre de Lettres sur la Danse , l'ouvrage
qu'il vient de faire réimprimer sous un nouveau titre et
avec des additions considérables. Cet ouvrage eut dans le
temps autant de succès que le sujet en comportoit. Voltaire
, à qui l'auteur en fit hommage , lui écrivit que c'étoit
un ouvrage de génie , qui , n'annonçant que la danse ,
donnoit de grandes lumières sur touslleess
arts . Voisenon ,
qu'il ne faudroit peut-être pas citer après Voltaire , fit à
M. Noverre le même compliment : « Je trouve le titre de
>> votre ouvrage bien modeste , lui disoit-il : c'est une vraie
>>poétique. » M. Noverre s'est corrigé de cette modestie ,
en intitulant Lettres sur les Arts imitateurs en général , et
sur la Danse en particulier , ce qui s'appeloit d'abord tout
simplement Lettres sur la Danse. Mon avis est qu'il eût
mieux fait de s'en tenir à son premier titre. La danse est
3
502 MERCURE DE FRANCE ,
le véritable objet de son ouvrage il n'y est parlé des arts
imitateurs (ou mieux des arts d'imitation) , c'est-à-dire ,
de la peinture , de la sculpture et de la musique , qu'acces
soirement et relativement à la danse , dont elles secondent
ou embellissent les travaux. En général , il vaut mieux
annoncer moins et donner davantage , que de rester audessous
de ses promesses . M. Noverre devoit peut - être
d'autant moins prendre Voltaire au mot sur cette disproportion
qu'il remarquoit obligeamment entre le titre et
l'ouvrage , qu'en lui envoyant son livre , il l'avoit consulté
sur le plan d'un ballet , dont le sujet devoit être le neuvième
chant de la Henriade. Voltaire , on le sait , remboursoit
toujours à gros intérêt les hommages qu'il recevoit. Au
reste le malin vieillard dut trouver plaisant que son
Henri IV abandonnât son armée et courût mille dangers,
pour venir danser un pas de deux avec la belle Gabrielle
comme on le voit dans le programme de M. Noverre.
Mais voilà l'inconvénient inévitable du genre. Il n'étoit
guère plus possible à M. Noverre d'exprimer nettement
le véritable objet de la visite de Henri IV, que de rendre
le qu'il mourût de Corneille dans son ballet des Horaces ,
L'embarras étoit d'un autre genre ; mais il n'étoit pas
moindre .
?
Il paroît que la division de l'ouvrage par lettres n'est
pas tout- à-fait une forme de convention que l'auteur a
adoptée ; mais qu'il a bien réellement adressé , les unes
après les autres , des lettres sur la danse à M. Dauberval
son élève , et que la réunion de ces lettres a formé tout
naturellement un livre . Il n'y a pas lieu de s'en plaindre :
l'ouvrage y a peut- être gagné plus de facilité et d'abandon ;
ce qu'on trouve rarement dans ces prétendues lettres de
tout genre , qui ne sont que de vrais chapitres , et qui n'en
different que parce qu'on met en tête Monsieur ou Madame,
et au bas Votre très -humble serviteur. Mais comme
tout bien est mêlé de mal , et qu'on ne peut obtenir l'un
qu'à la charge de supporter l'autre , les véritables lettres ont
quelquefois de la diffusion et du désordre : faute d'avoir à
l'avance distribué et classé les objets , on est plusieurs fois
ramené au même par le cours indéterminé des idées ; et
il en résulte des redites , dont la variété et le charme de
L'expression ne peuvent pas toujours sauver l'ennui. Ces
differens défauts se sont fait sentir à moi dans l'ouvrage de
M. Noverre. Riche d'un grand fond d'instruction et d'expérience
sur la matière qu'il traite , il veut transmettre à
son élève le dépôt tout entier de ses connoissances ; et ce
SEPTEMBRE 1807.
503
qui peut avoir pour l'artiste un certain degré d'utilité ou
seulement d'intérêt , paroît souvent superflu ou indifférent
à l'homme du monde. D'ailleurs , doué d'une grande facilité
de diction, et n'ayant point cet art de l'écrivain , qui consiste
à diminuer l'étendue de l'expression pour augmenter la
force de la pensée , il ne sacrifie aucune circonstance , ne
franchit aucune idée intermédiaire , ne sous-entend aucun
principe , aucune conséquence , et exprime tout avec le
plus grand nombre de termes possible : ce qui ôte à son
style , je ne dis pas le nerf et la précision principalement
réservés pour les matières graves , mais la légèreté et le
piquant dont les sujets un peu futiles ont particulièrement
besoin. Enfin , de toute manière , les Lettres sur la Danse
sont un peu trop l'ouvrage d'un compositeur de ballets ,
fait pour un homme qui se destine à la même profession .
Peut-être encore l'un pouvoit-il se dispenser , pour l'instruction
de l'autre , de remonter jusqu'au commencement
du monde, et de rechercher l'origine de la danse dans les
mêmes ténèbres conjecturales où J. J. Rousseau a voulu
découvrir le berceau de la société. De là , M. Noverre
parcourt tous les siècles , et retrace l'hi toire des beaux- arts
en Egypte , en Grèce , et dans l'Italie ancienne et moderne.
Les miracles de la pantomime chez les Romains , les prodigieux
succès des Pylade, des Batyle et des Hilas , occupent
, comme de raison , la plus grande place dans ce
tableau . Les recherches de l'auteur sur les moyens et les
effets de l'art scénique chez les anciens sont curieuses et
instructives : elles nous apprennent au moins que nous ne
savons presque rien sur les moyens , et que nous devons
ajouter peu de foi à ce qu'on nous raconte des effets . Sur
les autres objets , l'érudition et la critique de M. Noverre
ne me semblent ni aussi positives ni aussi sûres. Il n'est
pas vrai , par exemple , ou du moins nous ne sommes
point du tout certains que , bien avant Homère , et , comme
le dit l'auteur , dans des temps plus reculés , la république
d'Athènes se fût déclarée la protectrice des arts et des
sciences . Il est encore moins exact de dire que les arts
commencèrent à se montrer sous le règne de François I
et sous celui de Louis XIII; mais qu'alors leurs efforts
furent proportionnés à la foiblesse de leur enfance. Cette
enfance-là étoit bien l'âge de virilité, du moins pour la
peinture , la sculpture , la ciselure , et en général pour les
'arts du dessin. Interrogez les artistes de nos jours , et ils
vous diront si nous avons surpassé de beaucoup les Léonard
de Vinci , les Jean Goujon et leur école. Enfin , c'est sans
r
4
504 MERCURE DE FRANCE ,
fondement que l'auteur place le fanatisme au nombre des
causes qui ont agité le ministère de Mazarin, Sous ce ministère
, les Protestans furent laissés et demeurèrent tranquilles
, et les Jansénistes n'avoient encore qu'une guerre
de plume avec leurs adversaires. Sous ce même ministère
fut établie une académie royale de danse , à qui lon
accorda des lettres-patentes : « Cette académie , dit M. No-
>>verre , la plus sémillante des académies possibles , sauta
› légèrement sur ce titre glorieux , et se voua au plus pro-
>> fond silence. Point de discours , point de complimens de
>> réception , point d'éloges . » Qu'on ne se hâte point de
juger le style de M. Noverre sur cet échantillon. Son livre
est généralement écrit de bon goût,
C'est de l'établissement de cette académie , fondée par
Mazarin , que date véritablement la danse de théâtre en
France; c'est aussi à partir de cette époque que M. Noverre
entre véritablement dans son sujet. On n'exigera pas de
moi que je le suive à travers les progrès lents , et quelquefois
les pas rétrogrades que l'art de la danse a faits pour
arriver au point de perfection où nous le voyons aujourd'hui
. C'est dans son ouvrage même qu'il faut lire l'histoire
des opéras et des ballets , des machines et des danseurs
célèbres . Parmi ces derniers figure ridiculement Marcel ,
connu par quelques traits de fatuité et d'importance , que
rdes écrivains distingués lui ont fait l'honneur de citer . Ce
qu'on n'auroit pas cru d'après cela , c'est que ce Marcel
avoit de l'esprit . Mais M. Noverre , qui la connu , l'assure ;
et il ajoute que l'esprit étoit alors chose rare chez le peuple
dansant : alors est poli. Il est bien certain que , si l'on
connoissoit plusieurs danseurs qui eussent de l'esprit , non
pas comme Marcel , mais comme M. Noverre , qui en a
sûrement davantage , le préjugé qui en refuse à cette sorte
d'artistes seroit bien affoibli. M. Noverre dit encore quelque
chose de fort singulier au sujet de ce même Marcel : « II
>>>chantoit très-agréablement , dit- il , preuve non équivoque
» qu'il étoit mauvais danseur. » M. Noverre auroit peut-être
dû expliquer pourquoi ces deux talens s'excluent , sì l'un en
effet ne compatit point avec l'autre .
On pardonne sans peine à un artiste de parler de son art
en termes un peu trop magnifiques , parce que cette exageration
fait supposer un grand amour de cet art , et que sans
cet amour on ne sauroit y réussir. Mais cela ne va peutêtre
pas jusqu'à justifier l'emploi des expressions de génie ,
de sublime et de sublimité, à propos de danse et de danseurs ,
sur-tout lorsqu'on vient à penser que l'épithète de sublime
SEPTEMBRE 1807.
505
»
par exemple , est peut-être la plus forte qu'on puisse appliquer
à Corneille et à Bossuet , et qu'à peine conviendroit-il
de s'en servir en parlant de Racine et de Massillon : « Rien
» n'étant indifférent au génie , dit quelque part M. Noverre ,
» rien ne doit l'être au maître de ballets . » Prise à part ,
cette phrase est déjà un peu fière ; mais son faste frappe
bien davantage , quand on se rappelle que l'auteur l'a déjà
employée en parlant de Colbert : « Le grand Colbert , après
» avoir établi en France l'académie d'architecture , s'appliqua
encore à encourager les sciences . Rien n'est indiffe
» rent au génie. Il proposa au roi l'établissement d'une
» académie des sciences , et sa proposition fut agréée. » Cette
dernière phrase n'est pas seulement remarquable en ce que
le grand Colbert y est absolument traité de la même façon
que le maître de ballets dans la première ; on y voit encore
que Colbert, après avoir établi une académie d'architecture
ne crut pas indigne de ses soins d'en établir une pour les
sciences , c'est- à- dire , qu'après s'être occupé des grandes
choses , il ne dédaignoit pas les petites , et que , comme le
dit M. Noverre , rien ne lui étoit indifférent. S'il n'étoit pas
tout-à-fait dans l'intention de l'auteur de mettre les Cassini
et les Hugens au- dessous des Mansard et des Perrault , son
expression a bien désobéi à sa pensée.
J'arrive à ce qui fait la gloire de M. Noverre et le véri→
table objet de son livre , c'est-à -dire , aux ballets d'action ,
dont il est le créateur en France. On entend par ballets
d'action ces pièces sans paroles ni chant , où la pantomime
et la danse seules expriment une action : les charmans ballets
de Télémaque , de Psyché et du Jugement de Paris , appar¬
tiennent à ce genre , et en sont les chefs -d'oeuvre ; mais
M. Noverre en a fourni les premiers modèles, Avant lui ,
ces ballets pantomimes n'étoient que des farces grossières et
dégoûtantes . On en peut juger par leurs titres : c'étoient les
Savoyards , le Casseur de Vitres , les Sabotiers , les Charbonniers
, les Pierrots , le Suisse dupe , etc. M. Noverre ,
rempli d'imagination et de goût , fut révolté de ces basses
caricatures , et il résolut d'en purger la scène de l'Opéra :
« La fable , dit -il , m'offrit ses dieux , l'histoire ses héros ;
» et renonçant à ces hommes vulgaires qui ne savent que se
remuer joyeusement ou tristement , je m'efforçai de donner
» à mes productions la noblesse de l'épopée et la grace de la
poésie pastorale . Le succès couronna mes premiers essais
» mon genre se propagea , et j'ai la satisfaction de voir
» dans un âge très-avancé , qu'il a été adopté et sanctionné
par le public de toutes les nations de l'Europe, » M. Noverre
i
506 MERCURE DE FRANCE ,
:
sentit les bornes de son art , et n'entreprit point de les franchir.
Il laissa les pensées à la parole , qui peut seule les
exprimer ; il s'empara des sentimens et des passions , dont
*le geste est un fidèle interprète. Toute sa poétique est dans
cette phrase : « Resserrez l'action , retranchez tout dialogue
> tranquille , rapprochez les incidens , réunissez tous
> tableaux épars , et vous réussirez . >>
les
L'établissement des ballets d'action , héroïques ou gracieux
, ne fut pas la seule révolution que M. Noverre fit sur
le théâtre de l'Opéra ; il parvint encore ày corriger le costume
, qui étoit faux et sur-tout ridicule , et à faire supprimer
les masques , qui l'étoient plus que tout le reste.
C'étoit sans doute par cette raison-là qu'on y tenoit beaucoup.
Il eut toutes les peines du monde à persuader que
ces figures de carton ôtoient aux personnages un des plus
• sûrs moyens qu'ils eussent pour exprimer les mouvemens
de leur ame , et que l'inconvénient d'une figure peu avantageuse
, ou d'un jeu quelquefois forcé de physionomie ,
n'étoit rien en comparaison de cette hideuse immobilité d'un
masque qui , revêtu de couleurs et privé de mouvement ,
allioit ainsi , pour ainsi dire , la vie et la mort. Lorsque
M. Noverre écrivit son livre , l'usage des masques étoit
encore en vigueur : aussi il emploie tout un long chapitre
àlecombattre, et il revient à la charge dans plusieurs autres .
Cette partie de l'ouvrage manque maintenant d'à-propos ,
d'utilité , et par conséquent d'intérêt . Il étoit peut-être dans
letemps nécessaire d'échafauder beaucoup de raisonnemens
et de prenves , pour battre en ruine un sot et ridicule usage
quedéfendoit une longue habitude ; mais aujourd'hui qu'à
peine on conçoit qu'il ait existé , on ne lit pas sans quelqu'impatience
ce grand nombre de pages consacrées à la
réfutation d'une absurdité que personne ne défend plus.
Cette observation s'étend à la critique de plusieurs autres
coutumes bizarres et impertinentes qui subsistoient encore à
l'époque où M. Noverre publia şes Lettres, et qu'il a eu depuis
la satisfaction de voir réformer . Déterminé à refondre son
ouvrage , et à l'étendre en quelques points , il auroit peutêtre
dû supprimer ou du moins abréger beaucoup toutes ces
discussions désormais sans objet.
5
Un monument vraiment curieux de folie et de mauvais
goût , c'est la description des costumes dont on affubloit à
Opéra les personnages allégoriques . S'il en faut croire
M. Noverre , on dansoit les Vents avec des soufflets à la
main, des moulins à vent sur la tête, et des habits de plumes .
On dansoit le Monde avec une coiffure qui figuroit le mout
SEPTEMBRE 1807. 507
Olympe , et un habit qui représentoit une carte de géographie
: sur le sein , du côté du coeur , étoit écrit en gros caractères
, Gallia; sur le ventre, Germania; sur unejambe, Italia;
sur une partie moins noble , Terra australis incognita ; sur
unbras , Hispania , etc. La Musique portoit un habit rayé en
manière de papier réglé , et chargé de croches et de doubles
croches: les clefs de g-re-sol , de c-sol-ut et d'f- ut-fa , formoient
sa coiffure. Enfin , on faisoit danser le Mensonge
avec une jambe de bois , un habit garni de masque , et une
lanterne sourde à la main. L'extravagance monstrueuse de
ces costumes me représente celle des vers de Ronsard , de
Dubartas et de Chassiquet : c'est par là que , dans tous les
arts , depuis la poésie jusqu'à la danse , il en a fallu passer
pour arriver au vrai beau , qui est l'élégance réunie à la
simplicité.
J'ai peut- être un peu trop longuement parlé d'un ouvrage
sur la danse , qui lui-même est , ce me semble , un peu
trop étendu pour son objet. Du moins est-il vrai que si
tout ce qu'il renferme peut être utile aux danseurs , qui ne
Je liront pas , comme l'auteur lui-même en a le juste pressentiment
, les gens du monde qui entreprendront de le
lire y trouveront, relativement à eux , une certaine superfluité
de détails et d'instruction. Au reste , cet ouvrage
mérittee,, à beaucoup d'égards , le succès qu'il a obtenu : il
est écrit avec esprit , et le talentde la diction y est porté aussi
loin qu'on pouvoit l'attendre de la part d'un homme qui ne
s'est occupé des lettres qu'autant qu'elles avoient rapport
avec l'art qu'il a cultivé toute sa vie. Plusieurs choses plairont
à toutes les classes de lecteurs ; ce sont des Lettres à
Voltaire, où M. Noverre donne à ce grand homme , d'après
son invitation , tous les détails qu'il a pu réunir sur la personne
, le talent. et les habitudes de Garrick , dont il a été
l'ami , et qu'il a vu long-temps de fort près: ce sont encore
d'autres Lettres , où l'auteur porte sur les différens sujets
qui ornent aujourd'hui la scène de l'Opéra et celle des Français
, des jugemens remplis de justesse , d'impartialité et de
politesse . On pourra goûter aussi beaucoup des Observations
sur le caractère et l'exécution des fêtes publiques , et sur la
Constructiond'une salled'Opéra. Personne ne pouvoitdonner
sur ce dernier objet des idées plus justes et mieux raisonnées
que celui qui , pendant soixante ans , a monté des ballets
sur tous les théâtres de l'Europe , et a été témoin des
accidens sans nombre dont ces établissemens et ceux qui les
fréquentoient ont été les victimes . L'ouvrage est terminé par
les programmes de quelques -uns des ballets historiques,
508 MERCURE DE FRANCE ,
mythologiques ou d'invention , que M. Noverré a dessinés.
On remarque dans tous une imagination tantôt forte , tantôt
riante , et toujours fertile, et un grand art de tracer et d'enchaîner
les tableaux , qui , dans cette sorte de drame ,
doivent exprimer , à défaut de la parole, les divers incidens
dont se compose une action.
Ο.
Le Bachelier de Salamanque , ou Mémoireset Aventures de
don Chérubin de la Ronda; par Le Sage. Edition stéréotype
de Herhan. Deux vol. in-18, sans fig. Prix: 2 fr. 20 c.
Le même roman , 2 vol. in- 12 , papier fin , avec fig , 5 fr .
Le même , papier vélin satiné , to fr. A Paris , chez H.
Nicolleet comp. , rue des Petits-Augustins , n°. 15 ; et
chez le Normant.
LE SAGE étoit un homme qui connoissoit parfaitement
le monde , et qui l'a peint avec habileté dans ses romans. Le
Bachelier de Salamanque , entr'autres , offre une suite de
tableaux qu'on pourroit appeler de famille,dans lesquels on .
reconnoît d'abord les caractères qu'on a rencontrés dans la
société , quelque peu de temps qu'on ait pu l'observer. Les
événemens , quoique romanesques et souvent extraordinaires
ne sortent pas cependant de l'ordre du possible : et l'on s'intéresse
toujours aux personnages qui sont en scène , parce que
l'auteur a eu le bon esprit de ne leur donner que des passions
honnêtes , ou du moins fort adoucies par une certaine urbanité
qu'il avoit lui-même dans le coeur. Don Chérubin de la
Ronda est un aimable cavalier qui se laisse mener comme
un enfant par la fortune , et qui , de l'état chétifde précepteur
qu'il avoit embrassé , finit par devenir secrétaire d'un vice-roi
d'Espagne , au service duquel il amasse une fortune qui satisfait
sa petite ambition , et qui lui permet de passer le reste
de ses jours avec les bons amis qu'il s'étoit faits dans lesdivers
états de peine et de prospérité qu'il avoit successivement
parcourus. Il seroit assez difficile de dire si l'auteur avoit un
autre dessein , en écrivant cette histoire surchargée d'acteurs
et d'aventures , que celui d'amuser ses lecteurs par un récit
païf des scènes les plus communes de la vie humaine , et de
les réjouir par la révélation des travers et des foiblesses de
tous les hommes : nous ne le pensons pas. Le Sage n'est pas
un écrivain moraliste ; il croyoit Ihomme bon toutes les fois
qu'il n'est pas contrarié , un peu fripon par intérêt , mais
incapable de se corriger à ses dépens, Le meilleur , à son avis,
SEPTEMBRE 1807 . 50g
estcelui qui sait le mieux se plier aux circonstances , et qui
faittoujours céder sans effort sa propre volonté aux caprices
de ceux dont il peut raisonnablement attendre quelque chose
d'utile. Telle est la vertu de ses héros , et en particulier celle
du Bachelier de Salamanque , qu'il conduit à la prospérité
par le doux chemin de la complaisance sans servitude, etde la
flatterie sans bassesse. C'est une chose curieuse que l'admirable
facilité avec laquelle il prend le caractère et les goûts de toutes
les personnes avec lesquelles il se trouve dans un état d'infériorité
, et l'heureux succès que cette disposition bénigne lui
procure toujours pour son avancement. Il faut en citer un
exemple , que bien des lecteurs se rappelleront avec plaisir ,
et qu'un plus grand nombre ne seront pas fachés de rencontrer
ici pour la première fois.
Parmi toutes les bonnes qualités dont le ciel a bien voulu
le gratifier , don Chérubin ne compte point la bravoure;
sonnaturel pacifique lui fait éviter les querelles avec le plus
grand soin; il préfère toujours la sûreté obscure de sa personne
à l'honneur d'une vie éclatante et périlleuse ; il abandonne
volontiers ses plus chères espérances aussitôt qu'on les
lui dispute un peu vivement. Il se présente cependant une
circonstance dans laquelle il fait violence à son humeur débonnaire;
mais la défense de ses droits a peu de part dans sa
résolution , et la crainte de perdre l'estime d'un ami généreux
lui fait alors entreprendre plus qu'il n'auroit fait pour
l'amour de sa maîtresse. Voici le fait :
,
Don Chérubin avoit pour intime ami don Manuel de
Pédrilla , qui le protégeoit auprès de sa soeur dona Paula
quoiqu'il l'eût promise, quelque temps avant , à un autre
cavalier nommé don Ambroise de Lorca. Les petits soins et
les attentions des deux amis produisirent bientôt l'effet qu'ils
en attendoient. Dona Paula bannit de son coeur l'amant qui
n'avoit plus d'appui dans son frère , et elle considéra don
Chérubin comme un époux digne d'elle. Malheureusement
don Ambroise étoit un homme de coeur qui n'entendoit
point raillerie , et qui , s'apercevant du manége qu'on employoit
pour l'écarter , somma don Manuel de lui tenir la
parole qu'il lui avoit donnée ; mais celui-ci , profitant du
changement qu'il avoit lui-même opéré dans les sentimens de
sa soeur , lui répondit qu'il le feroit avec plaisir, mais qu'il
devoit se rappeler qu'ils étoient convenus de ne point contraindre
les volontés de dona Paula , et qu'il étoit bien fâché
d'avoir à lui apprendre que son coeur étoit échappé à ses
galanteries.
Don Ambroise , qui s'attendoit à cette déclaration , et qui
510 MERCURE DE FRANCE ,
d'avance avoit pris sa résolution , fit sentir à don Manuel que
s'il étoit pris pour dupe il sauroit bien se venger de l'affront
qu'on vouloit lui faire; et il lui donna rendez-vous , ainsi
qu'à don Chérubin , à l'entrée des montagnes de Bogarra ;
pour éclaircir cette affaire.
و
«Mon ami , continue le Bachelier , vint me rendre compte
de cette conversation , et ne me fit pas grand plaisir en m'annonçant
qu'il falloit.nous préparer à nous battre. Il avoit beau
semontrer courageux jusqu'à se faire un jeu de cet appel ,
jenem'en faisois qu'une image très-désagréable . Néanmoins
quoiqueje sentisse frémir la nature , je ne laissai pas d'affecter
parhonneur de paroître résolu; je pris même un air d'intrépidité
, dont je suis sûr que mon ami fut la dupe ; mais tout
cela ne me rendoit pas plus vaillant , et dans le fond de l'ame:
j'aurois voulu la partie rompue. »
3
« Je dirai plus , ajoute-t-il avec naïveté , pour accommoder
les choses ,je fis , la nuit , un plan de pacification , par
lequel je cédois de bonne grace ma maîtresse à mon rival.
Véritablement je rejetai ensuite une pensée si lâche; je me
représentai le mépris dans lequel je tomberois , si je ne mar->
quois pas de la fermeté dans cette occasion , et qu'enfin je
perdrois avec mon honneur l'estime de mon ami et l'objet
demon amour. Ces réflexions m'échaufferent peu à peu , et
m'inspirerent tant de courage , que je ne respirai plus que le
combat. >>
Le lendemain , don Ambroise ayant amené au rendez-vous
un cavalier pour répondre à don Chérubin , tandis que lui
tâcheroit de se venger de don Manuel , les quatre champions
descendirent de cheval , et sur-le-champ ils tirèrent leurs
épées. Don Chérubin , qui ne savoit seulement pas manier la
sienne , et qui se trouvoit en face d'un habile escrimeur , ne
foiblit point à sa vue : tout au contraire , il monta son courage
ou sa fureur à un tel point qu'il étonna son adversaire ,
et qu'il lui fit sentir la pointe de sa lame si rudement qu'il
l'étendit sur le carreau ; ce qui le surprit lui - même bien
étrangement , car il ne savoit comment cela s'étoit fait. En
même temps don Manuel expédioit aussi son ennemi , mais
avec plus de sang-froid , et dans toutes les règles de l'escrime ;
ensortequ'ils sortirent tous deux vainqueurs de ce combat,
qui d'abord avoit causé tant de frayeur à don Chérubin. On
pense bien que cet exploit lui valut la main de dona Paula ,
et qu'il établit sa réputation d'une manière bien honorable
dans le pays.
Le roman pouvoit aisément finir par cette aventure; mais
la fécondité de Le Sage ne pouvoit se contenter d'un petit
SEPTEMBRE 1807. 511
volume. Il trouble bientôt le bonheur des époux par une
séparation cruelle ; et , tandis que dona Paula meurt de chagrin
, le Bachelier vole à sa recherche, et se trouve engagé
dans une suite de voyages et d'événemens qui se terminent
encore par un mariage. On pourroit reprocher à l'auteur
d'être ici rentré dans le cercle qu'il avoit quitté , et de faire
trouver au Mexique à-peu-près les mêmes caractères que don
Chérubin avoit laissés en Espagne. Salzedo ressemble trop à
don Manuel ; celui-ci lui avoit donné sa soeur , l'autre lui
donne sa fille ; et pour toutes ses bonnes fortunes , le Bachelier
n'a besoin que de se montrer d'un esprit docile et complaisant:
tant il est vrai que les hommes estiment plus cette
douceur bénévole qui flatte leur vanité , que les qualités supérieures
auxquelles ils seroient obligés de rendre un hommage
secret! Le Bachelier se fait partout des amis serviables, en consentant
à n être d'abord que leur créature , et il devient leur
égal en se plaçant de lui-même fort au- dessous d'eux. Les
hommes éprouvent un singulier plaisir à former l'esprit d'un
autre homme, et à le tirer de l'obscurité ; c'est une sorte de
création dont ils s'evorgueillissent : on est toujours assuré de
leur plaire lorsqu'on veut bien leur procurer ce plaisir. Beaucoup
d'autres , avant et depuis le Bachelier de Salamanque ,
ont fait leur chemin dans ce monde avec ce seul moyen. Si les
jeunes gens , qui liront son histoire , veulent profiter de cette
seule leçon que l'auteur y a placée , il leur sera faciled'en
reconnoître la sagesse et d'en éprouver le bienfait; mais il faut
les prévenir en même temps que ce n'est pas de l'adresse qu'il
leur faut pour jouer ce personnage , et que, s'ils n'ont pas
commeluillaaplusparfaite modestie avecunespritdéjà cultivé,
tous leurs efforts n'aboutiroient qu'à devenir d'orgueilleux
valets, ou des chevaliers tels que l'illustre don Guzman d'Alfarache.
G.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
En attendant l'Homme aux Convenances, le Faux Bon
homme, les Deux Vieillards et la Femme Misanthrope ,
les Comédiens Français ont remis au théâtre Abdelazis et
Zuleima , de M. Murville .
-Talma et sa femme sont de retour à Paris.
512 MERCURE DE FRANCE ...
- Julien , du Vaudeville , vient de débuter à l'Opéra-
Comique, dans le rôle de l'Officier français de l'Amant
Jaloux. On assure que Grétry, présent à ce spectacle, a été
fort content du nouvel officier . Ce compositeur , vraiment
national , a dû être beaucoup plus content de lui-même et
du goût du public : toute sa musique a été applaudie avec
transport.
On attend au même théâtre les débuts de madame
Henri-Belmont.
-
Madame Catalani , qui se trouve en ce moment à
Dublin , s'y est fait entendre et admirer dans un grand
concert donné le 20 août , dans le bâtiment nommé la
Rotonde . Elle n'a pas moins excité d'enthousiasme à Dublin
qu'à Londres et à Paris.
-Madame Grassini , cantatrice célèbre , que nous avons
eu le plaisir d'entendre ici , il y a quelques années , est
arrivée nouvellement dans cette ville ; elle vient de Londres ,
etse rend enItalie: elle n'y fera qu'un séjour très -court , étant
obligée de retourner en Angleterre , où elle est engagée pour
l'hiver prochain. Il faut espérer qu'elle ne se sefusera pas au
plaisir qu'auroient sûrementde l'entendre ceux à qui saréputation
adonné le desir de jouir de ses talens .
-Ponce-Denis-Ecouchard Le Brun étoit né à Paris en1729.
Quoiqu'il se soit exercé avec un succès décidé dans plusieurs
genres , ses ouvrages lyriques nous paroissent sur-tout devoir
le faire vivre parmi les grands poètes , comme ils l'ont déjà
fait nommer le Pindare de la France . Il laisse en manuscrit
un recueil d'odes , d'épîtres , d'élégies et d'épigrammes ; il
laisse aussi des chants presqu'achevés et de nombreux fragmens
d'un poëme sur la Nature. Il a fait paroître en outre ,
à diverses époques et dans divers recueils , des traductions
du début de l'Iliade , et des épisodes d'Aristée et de Nisus
et Euryale. On pourra remarquer qu'il aura eu , comme
Rousseau , ce mérite particulier , que de la même main
qui accordoit la lyre , il savoit très-bien aiguiser le trait
malin d'une épigramme .
Voici le texte du discours prononcé par M. Chénier sur
la tombe de M. Le Brun , le jour de ses funérailles :
<<Messieurs , l'Institut vient de perdre un poète justement
célèbre. Le Brun n'est plus. Divers travaux ont signalé sa
longue carrière ; mais quoiqu'il ait obtenu de brillans succès
endes genres qui sembloient opposés , la poésie lyrique ,
principal objetde ses études , fondera sa réputation. Racine
le fils, dont il se félicitoit d'être l'élève , lui transmit la tradition
des beaux vers , et la langne dece siècle mémorable
où
DEL
SA
SEPTEMBRE 1807 . 513
Cer
par
où les Français eurent à la fois du génie et du gout. Ce fut
LeBrun qui , jeune encore , intéressa la gloire de Voltaire
en faveur de la nièce de Corneille . Le poète lyrique ne
pas indigne d'être l'intermédiaire entre deux grands hommes.
Il osa faire parler l'ombre classique du créateur de la scène
française , et l'auteur de Mérope entendit la voix de l'auteur
du Cid. Imitateur de Pindare , Le Brun chanta l'enthou
siasme en vers inspirés. Quand les envieux ennemis de
Buffon croyoient ternir sa renommée , Le Brun vengea l'éloquent
philosophe par une ode qui restera dans notre poésie ,
comme monument d'un talent supérieur et d'une amitié
courageuse. Ainsi le nom de ce poète habile s'allioit aux
noms de ses plus illustres contemporains. Souvent élevé ,
quelquefois ambitieuxdans son style , cherchantla hardiesse,
et ne fuyant point l'audace , il célébra tout ce qui donne les
hautes pensées : Dieu , la nature , la liberté , le génie et la
victoire. Tant d'exploits qui , depuis dix ans , commandent
l'admiration des peuples , ont ranimé sa vieillesse. Près
d'expirer , sa voix harmonieuse encore n'est pas restée inférieure
à des prodiges , les derniers et les plus grands qu'il
ait chantés . La postérité , juge impassible ,dira les qualités
qui le distinguent, et ne taira pas celles qui lui manquent.
Pour nous , à l'aspect de cette tombe où de yains débris s'en
gloutissent , mais où ne descend point la gloire , en rendant
les devoirs funèbres au digne successeur de Malherbe et de
Rousseau , nous n'avons à faire entendre aujourd'hui que
des regrets pour sa perte , et des élogės pour ses talens.>>>
-Parmi lescandidats qui se présentent pour les deux places
vacantes à l'Académie Française , on nomme MM. Delamalle
, Picard ; Laujon , Saint-Ange, Noël , Desfaucherets,
Grandmaison , etc.
-On écrit de Commercy qu'on a trouvé , il y a quelques
jours , dans une pièce d'orge , près de cette ville , une médaille
antique , représentant d'un côté le jeune Valérien ,
et de l'autre une Beilone appuyée sur un bouclier , ayant
auprès d'elle une pique fichée en terre , surmontée d'un
casque , avec cette légende : Gloriæ Augusti.
- Le public va bientôt jouir de deux monumens nouveaux
: la colonne de la place du Grand - Châtelet est
achevée ; on étoit occupé , jeudi dernier , à y installer la
statue qu'elle doit supporter , et qui est en plomb. C'est , à
ce qu'on peut présumer , une Victoire ou une Renommée.
D'une autre part, le palais du Corps législatif est parvenu
à sa hauteur ; on en pose , en ce moment , le couronnement
, et toutes les bases des colonnes qui doivent orner'
Kk
514 MERCURE DE FRANCE,
la façade septentrionale sont assises : cette façade semble
offrir l'exécution du portail de la Madeleine , qui n'a presque
existé qu'en projet.
-L'Ecole de Médecine de Paris vient d'approuver , sous
le rapport de la salubrité publique , l'établissement des
filtres de M. Cuchet et compagnie. Elle déclare que l'eau
filtrée dans l'atelier de M. Cuchet , est d'une extrême limpidité
; qu'elle est plus pure et plus saine que l'eau puisée dans
la rivière, parce qu'elle contient autant d'air atmosphérique ,
unpeumoins de carbonate de chaux , aucune de ces substances
putrescentes , vaseuses , qui troublent l'eau de la rivière , et lui
communiquent une saveur marécageuse si remarquable surtout
pendant les sécheresses de l'été. Enfin l'Ecole déclare que
l'établissement de M. Cuchet lui paroît mériter la protection
du gouvernement.
-L'Académie des Sciences de Pétersbourg avoit proposé,
vers la finde l'année 1805 , le sujet de prix suivant : « L'académie
impériale a jugé avantageux à l'avancementdes sciences
de proposer un prix de500 roubles, qui sera décerné au physicien
qui aura fait et qui aura communiqué la série la plus
instructive d'expériences nouvelles sur la lumière considérée
comme matière; sur les propriétés qu'on pourra lui attribuer;
sur les affinités qu'elle pourroit avoir avec d'autres corps ,
soit organiques,soit non organiques; et sur les modifications
et phénomènes qui se manifestent dans ses substances , en
vertudes combinaisons dans lesquelles la matière de la lumière
est engagée avec elles. n Ce prix a été partagé , en février 1807,
entre deux mémoires , l'undu P. Placide Heinrich, à Munich ,
et l'autre du professeur Link , à Rostock.
-Le public apprendra avec regret qu'on n'a point réussi
àdérouler les six manuscrits d'Herculanum,dont l'ancien
roi deNaples avoit fait présent àson altesse royale le prince
de Galles , il y a environ deux ans. On n'a pu déployer
qu'un coin de l'un de ces rouleaux.
On soutint ensuite le tout à l'action de la vapeur sous la
direction d'un habile chimiste; mais on n'obtint pas l'effet
desiré. Loin que par là on soit parvenu à amollir cette
masse roulée et à la rendre flexible, elle a au contrairepris
plus de fermeté ; et la vapeur en agissant sur l'écriture ,
l'a presqu'entièrement effacée. Le peu de succès de cette
expérience a fait renoncer à des épreuves ultérieures sur les
autres rouleaux. On se rappelle que presque dans le même
temps , un nombre égal de ces manuscrits fut envoyé à
l'Institut national de France. Comme on n'a point appris
qu'aucunde ces manuscrits ait été déroulé , il est àcraindro
SEPTEMBRE 1807 . 515
qu'on n'ait pas mieux réussi à Paris qu'à Londres. Les
amateurs de la littérature attendent avec une sorte d'anxiété
ce que décidera le nouveau gouvernement de Naples sur la
continuation de ces travaux , que l'évacuation de ce pays par
Pancienne cour aura peut-être interrompus.
( The Monthly Repertory. )
-Voici un aperçu de la situation des Etats-Unis , à l'épo
que de mai 1806 : Dans le cours des vingt dernières années ,
lapopulation des Etats-Unis s'est accrue au point , que de
2,650,000habitans dont elle étoit composée au conimencement
de cette période , elle monte aujourd'hui à 5,156000 ; le
nombre des niaisons , qui étoit alors de 650,000 , est à présent
de 1,225,000 ; les terres défrichées étoient portées à 21,500,000
acres , il y en a à présent 59,400,000 ; le prix moyen de l'acre
estmonté de 2à6 dollars.On comptoit dans les Etats 600,000
chevaux; il y en a aujourd'hui 1,200,000 ; le nombre des
bêtesà cornes est venu de 1,200,000 à 2,950,000 ; la valeur
des importations étoientde 11 millions, elle estde80 millions
de dollars; les exportations en productions du pays sontmontées
de 9 millions à 49 millions de dollars ; en marchandises
étrangères , de 1 million à36 millions de dollars. Dans l'espace
de douze ans , le revenu national s'est élevé de 8 à 15 millions
de dollars , tandis que les dépenses sont restées à-peu-près les
mêmes; les espèces en circulation sont montées de 10 à 17
millions.
- Il doit paroître sous peu une édition complète des
OEuvres de M. de la Luzerne , ancien évêque de Langres ;
l'édition que l'on propose se fera de deux formats , in- 12 et
in-40.; celle in-12 formera environ 38 vol. , à 1 fr. 75 c. ,
franc de port , pour les souscripteurs ; et 2 fr. 50 cent. pour
ceux qui n'auront pas souscrit. Celle in-4°. formera 10 vol. ,
à 8 fr. pour les souscripteurs , et 10 fr. pour les autres.
L'éditeuurr invite ceux qui desirent jouir de l'avantage proposé
, de souscrire le plutôt possible , et d'adresser les demandes
, franc de port ; autrement , elles ne seront pas
reçues . On peut souscrire pour chaque ouvrage séparément,
ou pour la totalité. On est également libre de choisir le
format qu'on jugera convenable , et on ne paiera rien qu'en
recevant chaque volume.
Ouvrages nouveaux . Dissertation sur l'Existence et les
Attributs de Dieu , I vol . Dissertation sur la Spiritualité de
l'Ame , I vol . Dissertation sur la Loi naturelle , I vol.
Dissertation sur la Révélation en général , 1 vol. Dissertation
sur la Liberté de l'Homme , I vol. Dissertation sur les
Prophéties , a vol. Considération sur la Dignité de l'Etat
Kk2
516 MERCURE DE FRANCE ,
Ecclésiastique , 2 vol. La Hiérarchie Ecclésiastique , ou
Dissertation sur les Droits respectifs des Evêques et des
Prêtres , 12 volumes .
Ouvrages déjà imprimés , et qu'on réimprime pour former
la collection complète dans le mêmeformat. Instruction
sur le Schisme , 2 vol. Excellence de la Religion ,
I vol . Instruction sur la Démonstration des Sacremens ,
4 vol. Instruction sur la Révélation , I vol. Considération
sur la Passion de Jésus-Christ , I vol . Dissertation sur les
Vérités de la Religion , 4 vol. Homélies ou Explication des
Evangiles des dimanches et fêtes de l'année , 5 vol. On
souscrit à Langres , chez Laurent Bournot , éditeur et seul
propriétaire des OEuvres de M. de la Luzerne ; à Paris ,
chez J. J. Blaise , libr. , quai des Augustins , n°. 61 , près le
Pont-Neuf ; chez Blancheville , vicaire-trésorier de Sainte-
Marguerite ; et chez le Normant.
-M. F. S. Stuart de Billarcay, dans le comté d'Essex ,
annonce qu'ayant été conduit au bord du tombeau par
une phthisie pulmonaire , il avoit rétabli parfaitement sa
santé en mangeant par jour trois ou quatre pintes) la pinte
d'Angleterre est à-peu-près une chopine de France ) de groseilles
bien mûres , rouges ou blanches. Il cite plusieurs
autres personnes , qui ont été guéries de la même maladie
par ce même moyen. (The Monthly Repertory. )
- M. Bennet de Pithome en Wiltshire , se propose de
publier incessamment un grand nombre de lettres originales
de Charles Ier et de ses amis , qu'il dit s'être conservées dans
sa famille. (Idem. )
MODES du 10 septembre.
Les capotes gros-bleu ont repriş faveur : les plumes rondes que l'on
met dessus , sont assorties ; mais assez souvent le petit ruban qui se
coud près du bord , est d'un jaune tranchant .
On continue de teindre en noir des chapeaux de paille jaune.
Cofferetteet fichu ne font qu'un; unais il y a des fichus à collerette
de bien des sortes: la garniture plissée et très-fournie , que l'on nomme
ruche, et qui fait le tour du col , est la portion commune de cet ajusteinent;
c'est le dos , corset ou fichu; ce sont les demi-pelerines , les
pointes , par leur terminaison ou leur largeur , qui établissent des
différences .
La garniture appelée ruche , se retrouve quelquefois sur les capotes
de taffetas , particulièrement sur les vertes , et sur des robes de blonde
et rubans , à larges raies perpendiculaires , robes peu communes encore ,
etde très-grande parure .
Nous avons dit qu'on portoit du taffetas gris ; on en voit aussi de
noisette et de lapis .
SEPTEMBRE 1807. 517
NOUVELLES POLITIQUES.
Canton , 6 mars .
On s'attend à tout moment à une rupture entre les Anglais et lesChinois,
d'après la rixe qui a eu lieu dernièrement , et dans laquelle un matelot est
mort d'un coup de massue qu'il a reçu d'un Anglais. Les Chinois ont
demandé un Anglais pour le faire mourir suivant les lois de leur pays , et
les Anglais ont refuse , ne pouvant trouver le coupable. Le vice- roi de la
province aordonné encon équence d'arrêter le commerce des Anglais ;et
probablement la première démarche des Chinois sera de s'emparer de
quelques-uns des membres de la factorerie; ce qui pourra avoir les coséquences
les plus graves. Ils ont donné aux Anglais trois jours pour se
décider: passé ce terme, il est à crai dre qu'ils ne veuillent obtenir par
la force ce qu'on refuse à leurs demandes . Dans ce dernier cas , on do.t
s'attendre à quelque scène sanglante.
( Extrait d'unjournal américain. )
Tunis , 24 juillet.
Voici quelques détails propres à faire connoître les causes
etles circonstances de la guerre que se font les deux régences
de Tunis et d'Alger :
Au mois de juin 1806, le bey de Tunis, las de la dépendance dans
laquelle il se trouvoit vis-à-vis du dey d'Alger , prit la résolution de s'affranchir
de ce joug , et de venger les Tunisiens des maux que les Algériens
leur avoient causés en 1756 , époque à laquelle ces derniers prirent
Tunis ,dont ils décapitèrent le bey. Un article du traité conclu à la suite
de cet événement avoit forcé les Tunisiens à démolir les forteresses de
leurs frontières. Le bey actuel s'occupa d'abord de les rétablir. Dans le
même temps il envoya deux camps sur les frontières des deux régences ;
et ayant découvert que quelques -uns de ses sujets entretenoient des relations
avecle bey de Constantine , il les fit arrêter au nombre de neuf. L'un
d'eux eut la tête tranchée, les autres reçurent mille coups de bâton , et
l'envoyé du bey de Constantine fut chassé des Etats de Tunis. Du reste ,
le beyde Tunis publia hautement qu'il n'avoit aucune vue hostile , et qu'il
vouloit seulement assurer son indépendance. A cette nouvelle , le dey
d'Alger rassembla une armée , sous le prétextede réduire quelques rebelles ;
mais bientôt il déclara ses véritables intentions , et dans les premiers jours
de juillet , ses troupes se mirent en marche pour aller attaquer les Etats
tunisiens .
L'armée tunisienne étoit commandée parMustapha, surnommé l'Anglais,
ancien bey de Constantine , chassé depuis peu d'Alger, et réfugié à Tuois.
Ledey d'Alger , avant d'en venir aux dernières extrémités, proposa pour
conditions de paix qu'on lui payât une forte somme, et qu'on lui reanît le
bey Mustapha et son fils. Il y eut d'abord quelques négociations ; mais à
la fin d'août la guerre fut définitivement déclarée. Deux corsaires algériens
attaquèrent à la vue d'Alger un bâtiment tunisien , qui ne dut son salut
qu'à la supériorité de sa marche. Les choses cependant restèrent dans le
même état, et les préparatifs se continuèrent de part et d'autre , jusqu'en
janvier 1807 : vers les premiers jours de ce mois, deux frégates algériennes
bloquèrent Tunis par mer , et génèrent extrêmement l'entrée et la sortie
des bâtimens étrangers. Cependant les Tunisiens , menacés depuis long-
3
518 MERCURE DE FRANCE ,
1
temps par une expédition formidable , dont plusieurs circonstances firent
retarder de jour enjour le départ , se mirent en devoir d'attaquer Constantine,
dont le nouveau bey venoit d'être étranglé avec toute sa famille: un
grand nombre d'Arabes se joignirent aux Tunisiens, dont l'armée se trouva
portée à 40,000 hounmes. Déjàles cheicks de Constantine entroient en négociation;
et le dey d'Alger, inquiet de ses progrès , et d'ailleurs harcelé
par les rebelles d'Oran, fit quelques tentatives d'aecorumodement vers la fin
de mars de cette année. Elles n'eurent pas de suite ; et le danger devenant
de jour en jour plus pressant , on fit partir d'Aiger , le a avril , un renfert
pour l'armée, et le même jour quatre bâtimens chargés d'artillerie firent
voile pour Bonne.
Les Tunisiens mirent le siége devant Constantine ; mais ils éprouvèrent
une résistance inattendue : les tribus qui devoient se réunir à eux les attaquèr
nt avec fureur , et peu s'en fallut que toute l'avant-garde de l'armée
tunisienne ne tombât entre leurs mains . La lâcheté des agas et une terreur
subite qui s'empara des Tunisiens , les forcèrent enfin à lever le siège ; leur
arı'n e se retira dans le plus grand désordre, poursuivie par les troupes
réunies d'Alger et de Constantine . C'est à la fin de mai que cet événement
s'estpassé. Le dey d'Alger fit célébrer cette victoire avec un grand éclat ;
il annonça le projet de faire de la régence de Tunis une quatrième province
algérienne , et l'on s'occupa de donner un nouveau bey àcette ville,
qu'on regardoit déjà comme conquise. Cependant le bey de Tunis rassembla
tout ce qui lui restoit de forces , en donna le commandement au garde
des s eaux, et lui enjoignit de livrer bataille aux Algériens : elle eut lieu
12juillet ; les Algériens furent complétement battus . Toute l'artillerie
les bagages , les munitions , 130 tentes , 4000 chameaux, environ autant
d'autres bêtes de transport, tombèrent au pouvoir des Tunisiens, qui ont
fait un butin immense. La plus grande partie des troupes algériennes ,
composées de Turcs, se rendit prisonnière; des pelotons entiers, excédés
de faim, de soif et de fatigue , venoient se jeter dans les mains des vainqueurs.
le
Algeriens ,
Les chaleurs excessives ont empêché les Tunisiens d'entreprendre sur
le-champ de nouveau le siége de Constantine; mais ils font leurs préparatifs
pour l'exécution de ce projet. On croit que cette ville ne peut manquer
de tomber dans leurs mains , et que la puissance d'Alger sera bien
long-temps à se relever de ces désastres . (.Moniteur.)
er
Cassel, 1 septembre.
On vient de publier ici le décret suivant :
Extrait des minutes de la secrétairerie d'Etat.
Aupalais impérial des Tuileries , le 18 août.
Napoléon , Empereur des Français , Roi d'Italie , et protecteur
de la Confédération du Rhin ;
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Art. Ir. Tous les Etats dénommés ci-après , composant le
royaume de Westphalie , seront , au 1er septembre , réunisdans
un seul gouvernement et dans une seule administration; savoir :
Les Etats de Brunswick-Wolfenbuttel ; la partie de l'Alt-Marck,
située sur la rive gauche de l'Elbe ; la partie du pays de Magdebourg
, située sur la rive gauche de l'Elbe ; le territoire de
Halle; le pays d'Hildesheim et la ville de Goslar ; le pays
SEPTEMBRE 1807 . 519
d'Halberstadt; le pays d'Hohenstein; le territoire de Quedlinbourg;
le comté de Mansfeld ; l'Eichsfeld avec Trefurth ;
Muhlhausen ; Nordhausen ; le comté de Stolberg ; l'Etat de
Hesse-Cassel , avec Rintelnet Schaumbourg , non compris le
territoire de Hanau , Schmalkalden et Catzellenbogen du
Rhin ; Gættingen et Grubenhagen , avec les enclavages de
Hohenstein et d'Elbingerode ; l'évêché d'Osnabruck ; l'évêché
de Paderborn ; Minden et Ravensberg; et le comté Rittberg-
Kaunitz .
II. Une régence composée de nos conseillers d'Etat ,
MM. Beugnot, Siméon et Jollivet , et du général de division
Lagrange, sera chargée de la police et de l'administration du
pays.
III. L'intendant-général et les autres administrateurs de
nos armées s'adresseront à ladite régence , pour tout ce qui
est relatif au passage et aux différens besoins de l'armée.
IV. A partir du 1 octobre , le roi de Westphalie prendra
possession de ses Etats , et administrera pour son propre /
compte.
V. La régence aura soin , 1º. de bien étudier le pays pour
yadapter l'organisation qui doity être établie , conformémentà
la constitution ; 2°. de faire rentrer dans la caisse de
l'armée la contribution ordinaire de l'année , ainsi que les
contributions extraordinaires.
VI. La régence correspondra pour tous ces objets avee le
prince de Neuchâtel, notre major-général.
VII. Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution
du présent décret.
Ariété de la régence du royaume de Westphalie.
Cassel , vendredi 28 août.
La régence des pays et Etats composant le royaume de
Westphalie ,
Vu le décret de S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie ,
et protecteur de la Confédération du Rhin , donné au palais
impérial des Tuileries le 18 du présent mois, portant détermination
des pays dont le royaume de Westphalie devra
être composé , et établissement d'une régence chargée de la
police et de l'administration de ce royaume jusqu'au moment
où S. M. le roi de Westphalie aura pris possession de ses
Etats , arrête :
« Le décret impérial susdaté sera imprimé dans les deux
langues , française et allemande , publié et affiché partout où
besoin sera , et notifié particulièrement aux gouverneurs et
intendans des pays , territoires , villes et Etats , qui y sont
4
530 MERCURE DE FRANCE ,
1
'dénommés , pour par eux être exécuté selon sa forme et
teneur. »
Les membres de la régence du royaume
de Westphalie ,
Signé SIMÉON , JOLLIVET , LAGRANGE , BEUGNOT.
Copenhague , 19 août.
Hier, pendant le débarquement , l'ennemi fit un feu continuel
avec des bombes et grenades dirigées contre notre
flottille . Le commandant Krieger avança avec ses barques
canonnières pour faire une diversion ; mais bientôt les Anglais
ouvrirent une batterie masquée près du moulin des Cygnes ,
et forcèrent le commandeur à s'éloigner de la côte. Le lieutenant
Boll a été grièvement blessé , ainsi que deux matelots.
Quelques barques canonnières ont été plus ou moins endommagées
; mais on les a tout de suite réparées.
Le capitaine Wieugel , directeur de la navigation , commande
une brigantine armée de volontaires , et stationnée de
manière à défendre la côte dite Kalleboe .
Du 20 août. - On a fait ce matin , à trois heures et demie ,
une sortie par la porte d'Est , afin de prendre une batterie
élevée par l'ennemi de l'autre côté du moulin des Cygnes.
La troupe étoit composée de cent hommes de la garde à
cheval , de cent hommes du régiment de cavalerie de Sélande ,
sous les ordres du major de Flindt, du corps des chasseurs du
roi , commandé par le major de Holstein , et de deux bataillons
d'infanterie avec deux batteries. Le lieutenant- colonel de
Voigt commandoit en chef. En même temps trois bataillons
de milices et quelques hussards sortirent de la porte du Nord ,
afin de couvrir notre aile gauche .
Le capitaine Baron de Holstein , commandant en second
de la flottille, sortit également avec neuf chaloupes canonnières
pour couvrir l'attaque. On réduisit d'abord la batterie
anglaise au silence ; mais bientôt l'ennemi ouvrit une autre
batterie masquée et fortifiée ; et à cinq heures et demie , les
chaloupes furent forcées de se retirer. Pendant cette affaire ,
le lieutenant A. Holstein reçut deux fortes contusions. Deux
hommes furent tués et huit blessés .
On voit par le rapport du lieutenant-colonel de Voigt
qu'il étoit impossible d'enlever la batterie ennemie avec le
peu de forces que nous avions. De plus , un brouillard épais
nous empêchoít de reconnoître la position de l'ennemi. Les
fossés, et le blé qui n'étoit pas encore coupé , empêchoient
d'ailleurs la cavalerie d'agir. La retraite se fit dans le meilleur
ordre. Notre perte est de seize hommes tués et de vingt blessés
; celle de l'ennemi est inconnue.
SEPTEMBRE 1807 . 521
Les Anglais jettent quelquefois des bombes, qui cependant
n'ont pas encore fait de mal. La ville n'a pas été
atteinte.
De la Sélande , le 21 août.
Les Anglais se couvrent avec de la cavalerie et de l'infanterie
légère, de manière qu'on n'apprend rien de ce qui se passe
chez eux. Ils renvoient tous ceux qui s'approchent. Le général
Castenschiold se tient sur la défensive. Les avant- postes anglais
vont d'une auberge à moitié chemin entre Copenhague et
Rothschild , jusqu'à la baie de Kioge.
Cet aprèsmidi , vers les deux heures , un corps anglais d'environ
400 hommes de cavalerie, de quatre pièces de campagne
et de quelque infanterie , parut dans le village de
Glostrup. Cette manoeuvre obligea le général en chef de
prendre une position plus sûre. Il se retira pendant la nuit
sur les collines de Korndrup. L'expérience nous a déjà montré
que l'esprit de nos troupes est excellent; les milices ellesmêmes
demandent d'attaquer à la baïonnette .
Liste des tués et blessésjusqu'au 20 août.
Blessés. - Quatre officiers , trois bas-officiers , cinquanteun
soldats et matelots.
Tués. -Un bas- officier , vingt soldats et matelots.
Les officiers sont les lieutenans Boll et A. Holstein , de la
marine ; le lieutenant Ræpstoff, de la garde à pied ; et le lieutenant
Fries, du régiment de Norwege.
Stralsund, 22 août.
Nos troupes ont tous les jours des pourparlers avec les
officiers et soldats suédois. Tous témoignent le plus vif mécontentement
du rôle que joue leur roi , de son asservissement
à l'Angleterre , et de la conduite inexplicable qu'il tient envers
la France.
:
Kiel, 27 août.
On a publié à Kiel , par ordre de S. A. le prince Royal ,
les pièces suivantes :
Lettre du général anglais au général-major Peymann.
Quartier-général devant Copenhague , le 18 août 1807 .
Monsieur ,
« Je ne puis m'empêcher de prier V. Exc. , tant enmon
nom qu'en celui de l'amiral qui coinmande la flotte de S. M. ,
de considérer sérieusement la position actuelle de la ville de
Copenhague , qui est au moment d'éprouver la plus terrible
catastrophe.
« Si cette ville , la capitale du Danemarck , la résidencedu
522 MERCURE DE FRANCE ,
roi , le séjour de la maison royale et du gouvernement, le
siége des sciences et du commerce , remplie d'habitans de tout
rang , de tout âge et de tout sexe; si cette ville veut essuyer
les horreurs d'un siége , elle sera attaquée par tous les moyens
qui peuvent amener sa destruction : dès que les ordres seront
donnés pour cette attaque , les officiers qui en seront chargés
seront obligés de les exécuter avec la plus grande rigueur ,
etd'employer tous les moyens qui sont en leur pouvoir pour
prendre la ville. Une attaque contre une ville aussi opulento
et aussi populeuse , ne peut amener d'autre résultat que la
destruction des habitans et la ruine de leurs propriétés.
>> Si le Danemarck se refuse à acquiescer de bonne grace à
nos desirs , notre gouvernement a donné l'ordre positifd'attaquer
la ville par terre et par mer. Les préparatifs à cet effet
sont peut- être plus avancés que vous ne le croyez.
» Âu nom du ciel , Monsieur , daignez calculer de sangfroid
si la résistance que vous vous proposez n'opérera et ne
précipitera pas la ruine de la ville que vous voulez défendre ,
et si le desir de donner , dans la lutte actuelle , des preuves de
votre valeur ( que personne ne vous conteste ) n'aura pas pour
résultat la destruction de la capitale , suite nécessaire d'un
siége de ce genre , ainsi que la perte de votre flotte et de votre
arsenal , malheurs que l'on pourroit éviter.
>>>Les propriétés de toute espèce, situées hors de la ville , ont
été respectées jusqu'ici. Il faut que vous sachiez en outre que
des objets de la plus grande valeur pour le Danemarck sont
tombés en ma puissance , et que je les ai respectés jusqu'à
présent. Cette situation des choses ne peut durerlong-temps.
» Je veux éviter toutes les mesures qui pourroient offenser
V. Exc.; mais je la supplie , ainsi que les personnes admises à
ses conseils , de réfléchir très-sérieusement aux malheurs irréparables
que peut entraîner une défense de quelques jours , et
que vous pouvez éviter.
CATHCART. DeV. Exc. le très-humble serviteur ,
Le général-major Peymann a donné à cette sommation la
réponse que l'on doit attendre d'un brave Danois et d'unsujet
fidèle. En envoyant à S. A. le prince Royal la lettre du général
anglais , S. Ex. ajoute ces mots :
« Les exhortations et les menaces renfermées dans la sommation
sont des formes usitées en pareilles circonstances ; mais
si l'on a cru par-là m'épouvanter , on a manqué son but. Vous
pouvez être persuadé , Monseigneur , que , conformément à
mon devoir , je me défendrai jusqu'à la dernière extrémité,
et que jamais Copenhague , tant que j'y commanderai , ne
tombera au pouvoir de l'ennemi que par assaut , ses forces
SEPTEMBRE 1807 . 523
fussent-elles même plus considérables qu'elles ne le sont . Je
ferai tous mes efforts pour défendre notre honneur , et pour.
finir mes jours comme un brave soldat et comme un fidèle
serviteur de votre altesse royale. »
Copenhague , le 21 août 1807.
On vient de publier les détails suivans :
er
PRYMANN.
Copenhague , 18 août.
Les 1º , 2º , 3º , 4° et 9 ° bataillons du régiment de milice du
général - major de Watterstorf, et les 3° et 6° du régiment du
général -major d'Oxholm , sont entièrement organisés , pourvus
du nombre nécessaire d'officiers , et sont prêts à marcher
au premier ordre. Les quatre premiers bataillons du premier
régiment ci-dessus nominé, et le troisième de l'autre , forment
la brigade du général-major de Watterstorf. Le 6º bataillon
du régiment d'Oxholm , composé d'artilleurs , et pourvu d'officiers
expérimentés , a passé au corps d'artillerie. Le meilleur
esprit anime la milice , et tous les bataillons crient à haute
voix au général : Conduisez -nous à l'ennemi ! Il y a tout lieu
de croire que ce corps se rendra digne de son nom , et qu'il
remplira la promesse qu'il a faite d'être le soutien et le défenseur
de la patrie.
Depuis six jours , il règne ici une activité et un zèle pour
la défense de la patrie , qui surpassent toutes nos espérances.
Le corps d'artillerie a pourvu la milice de tout ce qui lui
étoit nécessaire , et a élevé de nouvelles batteries. L'attaque
que l'artillerie a faite hier , sous les ordres du capitaine de
Hammel , a été exécutée avec courage , et même avec intrépidité.
+
Le commandeur Bille mérite la confiance de la nation par
son activité et son zèle. On a été témoin hier au soir d'un beau
et touchant spectacle , en voyant ce braye homme , accompagné
du commandeur Krieger , monter dans la chaloupe de
l'amirauté , attaquer avec les chaloupes canonnières les bombardes
ennemies , et les chasser de nos côtes.
Copenhague , 19 août.
Depuis hier après midi , il ne s'est rien passé d'important ;
environ 40 voiles ennemies sont arrivées de la baie de Kjoge ;
la plupart paroissent être des vaisseaux de transport.
Aujourd'hui , à 11 heures du matin , un parlementaire de
la flotte est arrivé à terre , pour demander que l'on reçût 20
• matelots blessés , appartenant à la frégate Frederikswaern ,
qui a été prise dans une action près de Skagen , par le vaisseau
de guerre anglais le Comus . Nous avons donné en échangǝ
Le capitaine et l'équipage d'un vai seau que nous avons pris et
brûlé.
1
524 MERCURE DE FRANCE ,
Dantzick , 21 août.
On vient de publier l'ordre suivant :
S. Exc. M. le gouverneur-général ordonne que vingt-quatre
heures après la publication du présent ordre , tous les officiers
prussiens , de quels grades qu'ils soient , aient à sortir de la
ville et du territoire de Dantzick .
S. Exc. M. le gouverneur se voit forcé de prendre cette
mesure rigoureuse , afin de réprimer les propos indécens que
la plupart de ces messieurs se permettent contre le gouvernement
français , ainsi que les faux bruits qu'ils affectent de
répandre pour troubler la confiance et la tranquillité des
habitans paisibles de la ville libre de Dantzick .
Tout officier prussien qui ne se sera pas conformé au présent
ordre, sera arrêté et détenu huit jours en prison, et conduit
ensuite hors le territoire de Danzick par la gendarmerie , sur
la route de Koenigsberg.
C'est ainsi que doivent être traités des individus qui n'ont
que de l'insolence et de la morgue .
Tout habitant qui gardera chez lui un officier prussien ,
sera mis en prison pendant huit jours.
M. legouverneur se réserve d'excepter decette mesure ceux
de messieurs les officiers prussiens dont la tranquillité et la
bonne conduite lui sont connues. Avant leur départ , MM. les
officiers prussiens prendront un ordre de route chez le général
commandant de la place, qui est chargé de l'exécution
du présent ordre.
Le général de division , aide-de-camp de S. М. ГЕм-
PEREUR etRor , gouverneur-général de Dantzick ,
PARIS, vendredi 1 septembre.
RAPP .
Dimanche 6 septembre , à 11 heures du matin, S. Exc.
Elhadji Idriss-Rami , ambassadeur de Maroc , a présenté ses
lettres de créance à S. M. l'EMPEREUR et RoI. S. Exc. a été
introduite au palais de Saint-Cloud par les maîtres et aides des
cérémonies , qui l'ont été chercher à son hôtel avec trois voitures
de la cour ; elle a été introduite dans le cabinet de S. M.
par S. Exc. le grand-maître des cérémonies. L'ambassadeur ,
après avoir fait trois profondes révérences , a prononcé en
arabe le discours dont voici la traduction :
La louange est à Dieu.
Au sultan des sultans , au plus glorieux des souverains , le
magnifique et auguste EMPEREUR NAPOLÉON.
Nous offrons à V. M. un nombre de salutations infinies et
۱
SEPTEMBRE 1807 . 525
proportionnées à l'étendue de notre amitié pour elle. Notre
seigneur et maître Suleyman , Empereur de Maroc ( que Dieu
fortifie et éternise la durée de son empire ! ) , nous a envoyé
auprès de V, M. pour la féliciter sur son heureux avénement
au trône de la puissance. Il est , à votre égard , ce que ses
prédécesseurs ont été constamment à l'égard des vôtres , fidèle
aux traités. Vous êtes à ses yeux le plus grand, le plus distingué
parmi tous les souverains de l'Europe , et l'amitié de V. M.
lui est extrêmement précieuse. Il m'a envoyé auprès d'elle
avec des présens. Qu'elle daigne les accepter. Nous prions le
Tout-Puissant qu'il continue à accorder à V. M. un bonheur
et une satisfaction inaltérable.
45
L'audience terminée , S. Ex. a été reconduite à son hôtel
de la même manière qu'elle avoit été amenée.
S. M. a reçu ensuite deux députations. La première , du
royaume d'Italie , composée de M. le général Gaffarelli ,
ministre de la guerre ; de M. le patriarche de Venise , et de
M. Costabili , consulteur d'Etat. Cette députation a eu son
audience de congé. La seconde , des villes anséatiques , composée
de MM. Doeving , Kahlem , Soermans et Laurentin
de Dantzick; Overbeck , de Lubeck; Groning , de Bremen ;
Doorman , de Hambourg.
Ces audiences terminées , S. M. a reçu le corps diplomatique,
qui a été conduit par les maîtres et aides des cérémonies
, et introduit par S. Ex. le grand-maître , avec les
formes accoutumées. M. le baron de Pappenheim , ministre
plénipotentiaire de S. A. R. le grand-duc de Hesse , aprésenté
ses lettres de créance à S. M. l'EMPEREUR comme Roi d'Italie .
Ont ensuite été présentés : Par M. le prince de Masserano ,
ambassadeur de S. M. le roi d'Espagne : M. le chevalier de
Betencourt , inspecteur-général des canaux et grandes routes
d'Espagne , et conseiller des finances de S. M. catholique.
ParM. le comte de Venturi , ambassadeur extraordinaire de
S. M. la reine régente d'Etrurie : M. Manucci , gentilhomme
toscan , attaché à l'ambassade.
Par M. de Cetto , envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
de S. M. le roi de Bavière : M. le comte de
Wittgenstein , chambellan du roi.
Par M. le baron de Senft Pilbach , ministre plénipotentiaire
de S. M. le roi de Saxe : M. le comte d'Einsiedel ,
chambellan du roi.
Par M. le comte de Beust , envoyé extraordinaire et ministre
plénipotentiaire de S. A. Em. le prince-primat : MM. de
Volborn , évêque et conseiller d'Etat; le baron de Ferrette ,
lieutenant-général et grand sénéchal de la cour ; le baron
526 MERCURE DE FRANCE ,
d'Eberstein , conseiller d'Etat ; le baron de Reden-Hausen ,
chambellan; le comte de Lowenstein-Wertheim ; le baron
d'Jaugheim, conseiller d'Etat ; de Goldner,ministre du prince
d'Isembourg.
ParM. lebaron de Pappenheim , ministre plénipotentiaire
de S. A. R. le grand-duc de Hesse : MM. le comte de Stolberg-
Wernigerode ; le comte de Solms- Laubach .
Par M. le baron de Dalberg , ministre plénipotentiaire de
S. A. R. le grand-duc de Bade : M. le baron de Wellwarth ,
grand-maître de la cour de Bade; M. le comte d'Isembourg ,
général au service de S. A. R.; M. le baron de Guttenhoffen,
gentilhomme au service de S. A.
Par M. de Champagny , ministre des relations extérieures :
MM. le baron de Braudenstein , chambellan de S. A. le duc
régnant d'Anhalt-Bermbourg; de Seelhorst , chambellan de
S. A.; le baron d'Erffa , grand- écuyer de la cour de Saxe-
Meningen; le baron de Griesheim , général au service de
S. A. le duc d'Anhalt-Coethen ; le baron de Sternegg , chambellande
S. A. le duc d'Anhalt-Coethen; le baron de Lichtenstein
, ministre d'Etat dirigeant de S. A. le duc de Saxe-
Hildt-Bourghausen; le baron de Gagern , ministre d'Etat de
LL. AA. les duc et prince de Nassau ; le baron de Nauendorf,
chambellan de LL. AA.; de Fabricius , conseiller de légation
de LL. AA.; le baron de Dankelman, conseiller de S. A. le
duc de Saxe-Cobourg. (Moniteur.)
Hier , à Saint-Cloud , après la messe , M. Dupont , sénateur,
a été présenté en cette qualité, par S. A. S. le prince archichancelier
de l'Empire , au serment qu'il a prêté entre les
mains de l'EMPEREUR.
J
-On voit depuis le 7, dans le grand salon du Musée :
Napoléon , les armures qui ont été rapportées , l'année dernière,
de l'arsenal de Vienne et du château d'Ambras .
- On a amené, le 28 du mois dernier , dans les prisons de
la ville de Domfront , département de l'Orne , un individu ,
prévenu d'avoir assassiné sa femme à coups de serpe. Ses mains
et ses vêtemens étoient encore teints du sang de sa victime
quand il a été arrêté.
- S. M. a approuvé le 18 août un avis du conseil d'Etat ,
qui déclare que le concours de l'autorité législative n'est point
nécessaire pour l'exécution de l'article 545 du Code civil,
portant<< que nul ne peut être contraint de céder sa propriété ,
>> si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une
>> juste et préalable indemnité. » Les motifs de cette décision
sont ensubstance, que la nature même des choses s'oppose à ce
que l'autorité législative puisse intervenir en ce cas; qu'on a
SEPTEMBRE 1807 . 527
toujours regardé comme une garantie politique que la même
autorité qui fait la loi ne soit pas chargée de l'exécution; que
le corps législatif n'est point organisé pour éclaircir et pour
juger des questions de fait; que la dignité de ce corps en seroit
blessée, parce qu'on transforme les législateurs en simples
juges , et le plus souvent encore l'objet du jugement est-ildu
plus médiocre intérêt;que si on remonte auxdiverses consti
tutions qui ont régi la France , aucune d'elles n'a exigé l'intervention
de la loi; si on s'en rapporte à l'usage , jamais on
n'a soumis au corps législatif les expropriations ayant pour
cause les alignemens et la voirie; qu'enfin le droit de propriété
doit être regardé comme pleinement garanti par les
formes que la loi a établies , soit pour constater l'utilité publique
et réelle , soit pour fixer la valeur de l'objet consacré à
cette utilité.
- On trouve dans les papiers anglais les détails suivans
sur la personne du cardinal d'Yorck, dont les journaux ont
annoncé dernièrement la mort :
Henry-Benedict-Marie-Clément Stuart , second fils de
Jacques Stuart , connu sous le nom du prétendant , et de
Marie - Clémentine Sobiesky, étoit né à Rome le 26
mars 1745 , où il a toujours résidé jusque vers la fin de
1725 ; époque où il vint en France pour se mettre à la tête
de 15,000 hommes , rassemblés près de Dunkerque , sous le
commandement du duc de Richelieu, par ordre de LouisXV.
Avec cette armée , Henry Stuart devoit descendre en Angleterre
, pour aller secourir son frère Charles. Cependant ,
quoique les préparatifs pour l'embarquement de ces troupes
fussent faits , quoiqu'une partie fût effectivement embarquée,
aucunbâtimentnequitta la rade de Dunkerque ; etHenryayant
appris la perte de la bataille deCulloden, retourna à Rome. Au
granddéplaisir de son frère et des amis de sa famille , il se détermina
à prendre les ordres; il fut fait cardinal par le pape
Benoît XIV en 1747 , et ensuite évêque de Frascati et chancelier
de l'église de Saint-Pierre.
Depuis ce temps , le cardinal d'Yorck , nom qu'il prit à sa
promotion, selivra aux fonctions de son ministère , et parut
avoir renoncé à toutes les vues mondaines , jusqu'à la mort
de son père , qui arriva en 1758 ; alors il fit frapper des médailles
, portant d'un côté son effigie , avec ces mots : Henricus
nonus Angliæ rex; et sur le revers une ville , et Gratia Dei,
sed non voluntate hominum. Si nous sommes bien instruits ,
le roi d'Angleterre possède une de ces médailles.
Lecardinald'Yorck avoit en France deux riches bénéfices ,
les abbayes d'Enchin et de Saint-Amand; il avoit aussi une
528 MERCURE DE FRANCE ,
pension considérable de la cour d'Espagne ; il perdit tout à
la révolution. Pour aider le papevic VI a compléter la somme
demandée par le gouvernemen français en 1796 , le cardinal
donna tous ses bijoux , et entr'autres un rubis , le plus gros
et le plus beau que l'on connut , évalué à 50,000 liv. st. Il se
priva ainsi des derniers moyens d'une subsistance indépendante
, et se trouva réduit à la plus grande misère lors de l'expulsion
de Pie Viet de sa courde Rome. Le cardinal Borgia
ayant eu occassion de counoître en Italie sir John Hippisley
Coxe, ministre d'Angleterre , lui exposa dans une lettre le
malheur du cardinal d'Yorck . Sir John envoya cette lettre à
M. Stuart , qui dressa un mémoire que M. Dundas (aujourd'hui
lord Melville ) présenta au roi ; S. M. assura sur-lechamp
au cardinal d'Yorck une pension annuelle de 4,000 1. ,
dont il a joui jusqu'à sa mort. Ainsi finit, à l'âge de 82 ans
et quelques mois , le dernier rejeton en ligne directe de la
maison royale des Stuarts.
-Le régiment de dragons de Lusitanie , venant d'Espagne ,
est arrivé , le 15 août , à Perpignan. Ce régiment a été retenu
dans cette place , par ordre de M. le général Chabran. Sa force
est de 58 officiers et de 627 hommes.
FONDS PUBLICS DU MOIS DE SEPTEMBRE.
DU SAM . 5. Cp. olo c. J. du 22 mars 1807 , 87f 87f 16 87f87f .
50c 25087f 200 500 250 000000 oocooc ooc . ooc. ooc oc oof one
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 84f. 5oc oof ooc onf
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1380f oooof ooc. oooof. oooof
DU LUNDI 7. -Cpour o/o c. J. du 22mars 1807 , 88 75c 60c 750 8ос
75c 8gf 25c 8gf 89f75c gof oof ooc ode ooc . ooc ooc ooc.
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 86f 75c.50с . оос оос
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1397f 50c 1400f 0000f.cooof
DU MARDI 8. - Ср. оо c . J. du 22 mars 1807 , 9of 89f 703 75c gof
8gf 756 59f 75c 50c. gof 89f 75c gof. 89f Soc ooc coc ooc oof
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , oof. ooc eof oof ooc. ooc orc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1400f 0000f woof. oooof oooof
DU MERCREDI 9. -Cp . ojo c . J. du 22 mars 1807 , 88f 50c 88f881 20
88f 100 250 88f. 88f 35c 50c of. ooc of ooc . oof.
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 85f 5oc . oof. oof ooc ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 139of 400 0000 00oof 0000
DU JEUDI 10.- Cp. oo c . J. du 22 mars 1807 , 89f 8gf 25c 8gf 89f 250
8gf 88f 75c 500 750 600 75с бое росоос оос оос 000 000 000.000 COC
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1897 , 86f ooc oof goc coc ooc oofooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1385f. 0000f oo oooof. oooof
DU VENDREDI 11. Cp . o/o c. J. du 22 mars 1807, 88f 75c 800. 756
700 000 000 0oocoocooc ooc oof ooc ooe oof oor ooc ooc obe oof ooc
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 86f ooc ooc . oof ooc doc
Act. de la Banque de Fr. avec donblement 1400f 1402 f 500 0000f
:
:
5. cen
( NO. CCCXXII . )
(SAMEDI 19 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE .
POÉSIE.
FRAGMENT
DU CHANT XVI DE LA JÉRUSALEM DÉLIVRÉE.
(Palais d'Armide. )
LE superbe édifice, en ses flancs circulaires,
Cache un pompeux jardin , que de puissans mystères
Ont paré de leurs dons , ornemens éternels,
D'où jamais n'approcha l'art des foibles mortels.
Autour on voit, formés d'une main infernale,
Mille réduits confus , vaste et sombre dédale;
Et les détours cachés de ses sentiers obscurs,
Loinde tous les regards en recèlent les murs.
Lesguerriers cependant en découvrent l'issue :
Cent portes d'argent pur ornent son avenue,
Frappent au loin les yeuxde leur éclat brillant,
Et roulent sur des gonds d'un or étincelant.
Les guerriers attentifs franchissent la première,
Où le taleret vainqueur surpasse la matière :
La sculpture y respire ; et le regard charmé
Croit voir, dans son erreur , le métal animé.
Là, perdu dans les flots d'une horde timide,
Le vainqueur des Enfers , le redoutable Alcide ,
Qui des cieux autrefois supporta le fardeau ,
Soutientune quenouille, et tourne unvil fuseau.
3
)
fa
1
17
LI
530 MERCURE DE FRANCE ,
L'Amour , d'un ris moqueur , s'applaudit à sa vue;
Omphale , en se jouant , soulève la massue ;
Et, couvrant par le fer ses membres délicats ,
Du monstre de Némée ose parer son bras .
Plus loin est une mer qu soulève l'orage ,
Dont les flots écumeux blanchissent le rivage:
Deux ennemis puissans , sur leurs nombreux vaisseaux ,
S'y disputent la pourpre et l'empire des eaux.
L'éclair jaillit du sein/des armes menaçantes ,
Il brille en lames d'or dans les eaux bouillonnantes ;
L'onde en est enflammée , et , d'un éclat affreux ,
Sur Leucathe embrasé semble jeter ses feux.
Auguste voit sous lui flotter l'aigle romaine ;
Antoine de l'Egypte arma la souveraine ,
Traîne sous ses drapeaux , à son sort attachés ,
L'Arabe et l'Indien , de leur sol arrachés .
Au choc impétueux de leurs nefs foudroyantes ,
On croiroit voir , cédant aux vagues mugissantes ,
Les Cyclades sur l'onde au gré des vents flotter ;
Les monts , avec fracas , contre les monts heurter.
Les énormes vaisseaux se choquent et se brisent :
La mort vole ; le fer et la flamme s'épuisent ;
Le sang rougit les mers; mille débris épars ,
Autour des combattans flottent de toutes parts ,
Le sort est balancé ; mais la reine , sans gloire ,
Fuit , et laisse aux rivaux s'arracher la victoire.
Antoine fuit ! ... Eh quoi ! ce prix de sa valeur ,
Lemonde entier soumis ne tente plus son coeur ?
Non, non , il ne craint point ; mais son ame est captive :
2 Atravers l'onde il suit la reine fugitive ;
Et , frémissant de honte , et de rage et d'amour ,
On le voit indécis regarder tour-à-tour
La bataille fatale , encore disputée ,
Et la nefqui s'enfuit , par les vents emportée.
Dans les détours du Nil , enfin , guidant ses pas ,
Au sein de son amante il attend le trépas ;
Et, goûtant les plaisirs d'une flamme fidelle ,
Oublie et les destins , et leur rage cruelle.
Les deux guerriers , laissant ce magique tableau ,
Pénètrent les détours d'un dédale nouveau.
Tel on voit le Méandre , en sa course incertainey..
Par cent replis divers se jouer dans la plaine :
Il paroît vers la mer apporter ses présens ,
Tourne, descend , remonte , et joint ses flors naissan s.
Ainsi lart a tracé , par d'infernales ruses ,
SEPTEMBRE 1807 . 531
r
Autour de ce palais mille lignes confuses ;
Mais du sage vieillard le livre précieux
En dévoile aussitôt les secrets à leurs yeux.
Apeine ont- ils franchi cette route inconnue ,
Qu'un jardin somptueux se présente à leur vue.
De spacieux bassins y captivent les eaux;
Elles roulent plus loin leurs liquides cristaux;
Les fleurs de cent climats y brillent rassemblées ;
Sous les coteaux dorés sont de fraîches vallées ,
Des grottes , des bosquets , des gazons toujours verts.
Tous les trésors des champs à leurs yeux sont offerts :
L'art seul y créa tout ; il voile la culture.
Ason heureux désordre on croit voir la nature ;
On croit que dans ses jeux, caprices du hasard ,
La nature , à son tour, voulut imiter l'art .
Le zéphyr , que seconde un magique mystère ,.
Répand dans ce jardin son souffle salutaire ;
Et les fleurs et les fruits , par lui renouvelés,
Naissent en même temps , croissent toujours mêlés .
Là se trouvent unis le printemps et l'automne;
Sur la rose qui meurt une rose bourgeonne.
Là le fruit qui mûrit sur un rameau doré ,
De mille fruits naissans est toujours entouré.
Sur un cep élevé , la vigne tortueuse
Etale les rubis d'une grappe orgueilleuse ;
Son jus de l'ambroisie efface la douceur ,
Et la grappe voisine est encore en sa fleur.
Les oiseaux, se jouant à l'abri du feuillage,
Font entendre à l'envi leur séduisant ramage.
Zéphyre agite l'air , glisse sous les berceaux,
Balance mollement les gazons et les eaux :
Il vole , et , frémissant à travers la verdure ,
Ala voix des oiseaux unit son doux murmure,
Répond à leurs concerts , écoute leurs accens ,
Ou , plus harmonieux , il embellit leurs chants...
Un d'eux plane dans l'air , sur ses ailes dorées;
Des plus riches couleurs ses plumes sont parées;
L'or s'y mêle à l'azur , au plus vif incarnat ;.
La pourpre , sur son bec, brille en tout son éclat;
Et sa voix étonnante , à la notre pareille,,
Fait entendre des sons connus à notre oreille.
Il parle; les oiseaux suspendent leurs concerts,
Et les vents attentifs se taisent dans les airs
<<Ah ! dit- il , au printemps voyez naître la rose ;
:
1
L12
532 MERCURE DE FRANCE,
:
>> Modeste en sa fraîcheur , à peine est-elle éclose ,
>> Plus elle cache aux yeux les trésors de son sein ,
>> Plus elle paroît belle , et provoque au larcin.
>> Tout- à-coup on la voit , superbe et fastueuse,
>> Etaler ses attraits; bientôt, plus malheureuse ,
» Dans ses restes mourans , négligés des zéphyrs ,
» L'oeil ne reconnoît plus l'objet de ses desirs .
>> Telle , au déclin d'un jour qui s'éclipse sans cesso,
>> Nous voyons de nos ans s'écouler la jeunesse :
» Un souffle la détruit , et le destin jaloux
>> N'en renouvelle plus les doux momens pour nous.
>> Cueillons , dans l'âge heureux du matin de la vie ,
>> La rose de l'amour, le soir la voit flétrie .
» Aimons quand le printemps nous ordonne d'aimer ;
>> Aimons sans cesse, aimous quand nous pouvons charmer ..
Il dit ; et les oiseaux , reprenant leur ramage ,
Paroissent , par leurs chants , approuver ce langage ;
Redoublent leurs transports , leurs baisers amoureux.
Tout célèbre l'amour : il brûle de ses feux
Les animaux errans dans ces forêts paisibles;
Et les bois , et la terre , et les eaux insensibles ,
Cédant , au même instant , au doux besoin d'aimer ,
Semblent former des voeux , sentir et s'animer.
Par M. F. NEGREL ( de Marseille. )
FRAGMENS
DU I. LIVRE DES FASTES D'OVIDE.
L
AUJOURD'HUI que mon temple est fermé par Auguste ,
Il le sera long - temps. Levant sa tête auguste ,
Janus promène alors ses yeux sur l'univers .
Omon héros ! la paix y règne; et dans les fers ,
Le Rhin , à qui tu dois ta palme triomphante ,
Aremis dans tes mains son urne obéissante .
Dure la paix , et ceux dont elle est le bienfait !
Qu'ils vivent pour veiller sur le bien qu'ils ont fait !
•
Descends , fille du ciel ( la Paix ) , et règne sur la terre !
Triomphes destructeurs , cessez avec la guerre ?
Qu'êtes-vous pour nos chefs ? Leur gloire est dans la paix.
Pourqu'on ne s'arme plus , armez- vous désormais ,
SEPTEMBRE 1807 . 533
Soldats ! et vous clairons , trompettes héroïques ,
Proclamez et la paix et ses fêtes publiques .
Que l'Univers entier , des Parthes aux Germains ,
Tremble dans le silence au seul nom des Romains ;
Que des rois alliés la libre obéissance ,
S'ils ne la craignent pas , adorent leur puissance.
Consacrons à la paix un encens solennel :
Qu'une blanche génisse expire à son autel .
Conservez , Dieux puissans , cette paix si profonde ,
Et l'auguste maison qui l'a donnée au monde.
Par M. DESAINTANGE . '
N. B. Dans le N° . du 15 août , Fragment de l'ART D'AIMER , vers 15°. ,
au lieu de un second abandon , lisez : un facheux abandon.
ENIGME.
Des mains de l'art je reçus l'existence.
Le fer , le feu , la terre et l'eau
Eurent tous part à ma naissance ,
Etpour combattre l'air je quittai le berceau.
Par mon état placée à la classe femelle ,
Je n'eus jamais d'époux , j'ai cependant un fils ;
Je le porte en mon sein , et sa nature est telle ,
Qu'il existoit peut-être avant que je naquis.
Lecteur , lorsque des jeux une troupe légère
T'entraîne, à tes devoirs je sais te ramener ;
Je te rends à l'amour, et plus d'une bergère
N'eût pas reçu sans moi l'hommage du berger .
Par mes soins , par ma vigilance ,
Je préviens les fureurs d'un fougueux élément ;
Et je m'oppose à la prudence
D'un ennemi qui te surprend.
Mets- tu le deuil ? sensible à tes alarmes ,
En accens douloureux je partage tes larmes.
L'hymen couronne-t-il ton amoureuse ardeur ?
Par mille cris joyeux je chante ton bonheur.
Et quand la nuit , sortant de ses demeures sombres,
Sème dans l'Univers le silence et les ombres ,
Tu dors , et respectant ce précieux sommeil ,
Je me tais , pour ne point trop hater ton réveil .
Pour prix de mes bienfaits , quelle est ma destinée ?
Tu me charges de fers , me mets la corde au cou;
Au plus haut d'un gibet je me vois attachée :
C'est l'acted'un ingrat , ou bien celui d'un fou .
$
3
534 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
Assis sur le berceau du monde,
Jefinivai sur son tombeau .
Mon empire s'étend sur la terre et sur l'onde.
Je rends le sort de l'homme ou plus triste ou plus beau.
Sept pieds , en tout , forment mon être :
Les quatre premiers font connoître
Pour un coeur bien épri un titre précieux;
Trois de plus , lecteur , j'offre à votre impatience
Cequi fuit , et jamais ne se rend à vos voeux ;
Vous trouverez en moi ce qu'avec la naissance
Vous donna le divin auteur ;
Le nom d'une chose très -rare ,
T Ala honte de notre coeur ;
Deux élémens , dont un fut le tombeau d'I care ;
L'épithète d'absynthe; un mal très-redoutable ;
Ce qu'aux dépens de la raison
Souvent cherche un poète ; une fougue indomptable ;
Ceque, dans la belle saison ,
On entend dans le champs. Ma foi , c'en est
Devinez-moi bien vite, ou sinon me laissez .
CHARADE.:
assez;
L
f
ENFANT du luxe et de l'orgueil ,
Mon premier va comme on le mène ;
Et mon second, en demi denil ,
2
Jase souvent à perdre haleine.
Mon tout se trouve à l'hôpital ,
Aux champs de Mars est nécessaire ;
Je guéris quelquefois le mal
Quele champ d'honneur a fait faire.
Par un Abonné.
1.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier N°. est Plume.. :
Celui du Logogriphe est Patin, où l'on trouve pain , pan (d'habit) ,
Ain , pin , an , tan , ta , ni . かこ
Celui de la Charade est Plat-eau.
SEPTEMBRE 1807 . 535
:
Vie de Julius Agricola , traduction nouvelle , avec le texte
en regard. Un vol . in- 12 . Prix : 1 fr . 80 c.; et 2 fr. 20 c.
par la poste. AParis , chez Xhrouet , imprimeur-libraire ,
desMMooiineaux , n°. 16 ; Barbou , rue des Mathurins-
Saint-Jacques ; et Deterville , rue Haute-Feuille ; et chez
le Normant.
rue
CE ne sont plus les faits et les événemens que l'on recherche
aujourd'hui dans les ouvrages de Tacite , ce sont les pensées
et le style ; ce n'est plus l'histoire que l'on étudie , c'est l'historien;
et sous ce rapport , une nouvelle traduction ne doit
être considérée que comme un sujet de comparaison , et par
conséquent d'instruction et de plaisir.
Il n'est rien de plus digne d'encouragement que cette
rivalité de plusieurs talens , pour rendre l'impression qu'ils
ont reçue des auteurs anciens. Rousseau dit quelque part ,
que lorsqu'il voulut parler au public , il sentit le besoin
d'apprendre à écrire , et qu'alors il se mit à traduire Tacite.
On n'examine point ici pourquoi il vouloit parler en public ,
ni ce qu'il avoit à lui dire ; il suffit de remarquer comment
il s'y prépara. Rousseau suivoit l'exemple des plus célèbres
écrivains anciens et modernes , qui tous , depuis Cicéron et
Virgile , jusqu'à Racine et Fénélon , ont regardé cet exercice
comme le plus utile apprentissage de l'art d'écrire .
D'ailleurs , ce qui développe le talent de l'écrivain n'est
jamais perdu pour la langue. Les richesses d'une langue ne
peuvent se conserver ou se renouveler que par les moyens
qui les ont acquises ; et puisque les traductions des auteurs
latins (1) ont été les premiers essais de notre prose française ,
elles doivent trouver une place honorable parini nos derniers
travaux. Peut-être même , le retour vers les sources latines ,
est-il aujourd'hui plus favorable à la perfection et à l'ornement
du style qu'il ne le ſut jadis aux commencemens et
aux progrès de notre langue. Désormais les imitations trop
serviles , les hardiesses malheureuses qui en retardèrent la
marche à différentes époques , ne sont plus à craindre , ou
ne peuvent plus séduire . Le traducteur , éclairé par tant de
modèles qui en ont invariablement fixé le génie , est sans
(1) Les traductions de Quinte- Curce et de Tite- Live, entreprises par
les ordres du roi Jean.
3
536 MERCURE DE FRANCE ,
cesse averti du respect qui lui est dû. Ainsi elle s'enrichit
sans se corrompre , et ne fait à l'antiquité que des emprunts
légitimes et consacrés par l'analogie.
Tacite a exercé dans tous les temps beaucoup de traducteurs.
Il est possible de justifier leur admiration , et même
leur préférence. C'est qu'en effet il est peu d'hommes dont
on se sentè plus honoré d'exprimer les pensées. C'est qu'on
ne connoît point d'écrivain à la fois plus riche et plus
concis , plus pittoresque et plus profond , et qui donne plus
de jouissances à l'esprit , à mesure qu'il péuètre davantage
dans les intentions de son style. Il n'est pas jusqu'au caractère
singulier de cette élocution brusque , heurtée dans sa rapidité
, qui dissimule son abondance par des coupes hardies et
inattendues , et dont la suite ne subsiste que par les idées ;
il n'est pas jusqu'à ces difficultés mêmes , qui ne piquent et
n'attirent le talent : du moins il pourra toujours leur opposer
avec utilité , si ce n'est toujours avec succès , les ressources
d'une langue plus circonspecte dans sa marche , et plus
exigeante dans le choix des transitions.
On n'ignore pas que cette opinion sera blamée par plusieurs
critiques . Quelques-uns , appuyés sur des traditions
de collége , qui ne sont pas toujours des traditions classiques ,
s'obstinent à reléguer Tacite parmi les historiens du second
ordre et d'une latinité suspecte; protestant ainsi contre
l'autorité de Bossuet , de Racine et de Montesquieu .
,
D'autres ont vu des intentions plus profondes dans une
préférence qui ne sembloit que littéraire. Le goût de certains
écrivains pour Tacite a été , suivant eux , une passion philosophique
; et l'on avoue qu'elle a été jusqu'au ridicule
s'il est vrai que les philosophes du XVIII siècle aient placé
son nom avant celui de Tite- Live , et de tous les auteurs
de l'antiquité grecque et latine. Que ce fût dans leurs conversations
, nous ne le nierons pas , car on n'en trouve
aucune preuve dans leurs écrits. Que plutôt ce fût moins
une opinion philosophique , que le travers de quelques
philosophes , nous aimerons encore mieux le croire , puisqu'à
l'enthousiasme de d'Alembert, on peut opposer les
éloges assez froids et presque dédaigneux de Voltaire . Quoi
'qu'il en soit, il seroit aussi imprudent de partager cette
admiration exclusive , que de fixer les rangs entre ces deux
grands historiens . Si l'on demandoit la place qu'ils doivent
occuper dans l'instruction publique, la question change ;
et déjà elle est décidée par Rollin et par toussles bboonnss maîtres .
Mais si l'on dispute de la supériorité réelle de l'un ou de
l'autre , qui trouvera une mesure commune à deux mérites
SEPTEMBRE 1807 . 537
si divers ? Et qui osera tenir la balance entre deux hommes
si excellens dans leur diversité ?
Grammatici ceriant , et adhuc sub judice lis est.
Quintilien nous oblige à cette réserve. Il est douteux que ,
sans l'autorité de ce grand critique , aucun moderne , jugeant
d'après ses propres lumières , se fût permis d'égaler Salluste
à Tite - Live , dont la diction suave et abondante , lactea
ubertas , n'est jamais au-dessous de la grandeur romaine ,
et dont le génie plus étendu en a d'ailleurs embrassé tous
les développemens. Cependant Quintilien ajoute , comme
le plus bel éloge de Tite- Live : « Que ce sont ces différentes
>>qualités qui lui ontmérité la gloire que Salluste s'est acquise
>>par son inimitable briéveté . » Ideoque illam immortalem
Sallustii velocitatem diversis virtutibus consecutus est. Que
les détracteurs de Tacite se taisent , en voyant la place de
Salluste marquée par un juge si infaillible ; et disons de
tous , pour terminer une controverse qui ressembleroit
à tant de disputes de préséance , qu'ils sont plus égaux que
semblables , magis pares quam similes. ( 1 )
L'auteur du Cours de Littérature appelle la Vie d' Agricola
le chef- d'oeuvre d'un historien qui n'a fait que des
chefs-d'oeuvre . Assurément , celui qui a sibien loué Tacite
étoit digne de l'apprécier. Cependant le magnifique éloge
de la Vie d'Agricola ne conviendroit-il pas mieux à l'immortel
Tableau de la sombre et ingénieuse tyrannie de
Tibère ? Il est permis de le croire , si l'on s'en rapporte
aux traditions , qui donnent ordinairement tant de poids
aux décisions de M. de La Harpe ; et ici on ne craint pas
de l'appeler en témoignage contre lui-même , et l'on demande
si ces belles pages du Cours de Littérature , où la
critique s'élève à un si haut degré d'éloquence , et semble
un moment rivale du génie dont elle a dérobé le secret ,
(1) On ne veut pas ici se prévaloir de ce passage de Quintilien ; que
les commentateurs appliquent à Tacite : Superest adhuc , el exornat
ælatis nostræ gloriam vir sæculorum memoria di nus , qui olim
nominabitur , nunc intelligitur. Habet amatores , nec imitatores , ut
libertas , quanquam circumsisis quæ dixisset , ei nocuerit ; sed elatum
abundė spiritum, et audaces sententias deprehendas , etiam in
iis quæ manent. ( QUINT. lib . 10, cap. 1.)
M. Rollin pense aussi que le passage suivant du chap. de Imitatione,
fait allusion à Tacite : Non est quod crediderim verum etiam contenderim
ætatis nostræ fuisse , quos totos imitandos fore . Mais ce sont
In des expressions bienveillantes pour un disciple et un contemporain
islustre,, qquu''iiilllnneefaut pas prendre àlalettre.
4
538 MERCURE DE FRANCE ,
n'ont pas plutôt été inspirées par le peintre de Tibère que
par le panégyriste d'Agricola. Un journaliste , que l'on
n'accusera pas de recevoir sans examen les jugemens de
M. de La Harpe , veut sur-tout que l'on admire dans la
Vied'Agricola P'ordre et la suite des idées. Nous avouerons
que , de tous les genres de mérite que nous y avons remarqués
, ce n'est pas celui qui nous a frappés davantage : du
moins , si l'ordonnance de l'ouvrage est absolument irréprochable
, on pourroit , ce semble , trouver quelques
défauts de convenances entre les parties qui le composent.
Lorsque Tacite entreprit d'élever à la mémoire de son
beau-père ce monument de ses regrets et de sa piété , il
venoit de quitter le barreau , il se préparoit à de grands
travaux d'histoire ; et cette circonstance devoit influer sur
les dispositions du biographe. De là un mélange sans
proportion de genres différens , qui , malgré le talent qui
nous entraîne , laisse quelques doutes à la critique. On
vante avec justice cette description de la Grande-Bretagne ,
qui suspend le rrééccit des premières années d'Agricola , pour
nous transporter sur le principal théâtre de sa gloire. Soit ,
en effet , que Tacite nous représente l'aspect de cette île ,
qui semble sous la domination immédiate de l'Océan , et
la tristesse imposante de ses rivages , et la sévérité d'un
ciel toujours nébuleux , et l'impuissante fécondité d'une
terre dont les fruits ne mûrissent pas ; soit qu'il retrace les
moeurs et les coutumes des habitans , discute sur leur origine
, remonte aux invasions qui précédèrent celle d'Agricola
, et rappelle les fautes et les malheurs de tant de
consuls romains , il nous attache et nous intéresse profondément.
Cependant le tableau n'est-il pas trop vaste pour
le cadre qui le renferme ? Que dire des deux discours qui
terminent l'exposition rapide et abrégée de la conquête de
la Grande -Bretagne ? Assurément il n'est personne qui
eût le courage de vouloir les retrancher. Mais si ces harangues
directes ne manquent pas toujours de vraisemblance
dans une histoire générale , le discours de Galgacus en a- t-il
beaucoup dans la Vie d'Agricola ? On n'ose insister davantage.
Il est peu sûr de critiquer Tacite. D'ailleurs , un
ouvrage qui avoit annoncé le plus grand des historiens et
le plus grand peintre de l'antiquité , et qui offre comme un
essai des diverses beautés qui brillent dans ses autres écrits ,
peut justifier tous les éloges . On n'admirera jamais assez
cette noble austérité dans le style et dans les images , qui
doit être le principal ornement de l'histoire ; cette sévérité
à demi réprimée et encore menaçante dans l'exorde , qui ,
SEPTEMBRE 1807 . 539
bientôt après , semble s'attendrir à l'image d'un homme de
bien ; cet amour de la vertu , qui explique honorablement
l'indignation contre les vices ; ce respect pour les devoirs
domestiques , dans l'exercice desquels Tacite affermissoit
son ame , en attendant le jour où il pourroit se manifester :
voilà ce qui place la Vie d'Agricola parmi les ouvrages les
plus précieux de l'antiquité. Elle doit avoir un attrait particulier
pour les jeunes gens , naturellement prompts à s'enflammer
pour un beau caractère. Rollin partageoit en ceci
le goût des jeunes gens ; et dans son Traité des Etudes , il
conseille aux rhétoriciens qui veulent employer utilement le
loisir des vacances , de s'attacher à ce modèle , de s'exercer
à le traduire , et à l'imiter , s'il étoit possible .
Les conseils de Rollin n'ont point été perdus pour celui
qui eût mérité d'être son disciple; et cet essai , entrepris
d'abord comme une étude , retouché dans la suite par
une main plus exercée , est devenu , au jugement des connoisseurs
, la meilleure traduction de la Vie d'Agricola..
Nous répétons ce jugement avec d'autant plus de franchise
, que la modestie du jeune traducteur n'en peut être
alarmée. En luttant avec Tacite dans un seul morceau , il
avoit moins de mérite à l'emporter sur ses concurrens ; et
le prix de la difficulté vaincue demeure toujours à celui qui
a fourni la carrière tout entière. On trouveroit même dans
la traduction d'Agricola , par M. Dureau de la Malle , plu
sieurs passages qui se soutiennent mieux à côté du texte.
Mais , en général , celle-ci se distingue par un plus grand
nombre de traits heureux , par une élégance plus soutenue ,
sur-tout par une expression plus littérale ; et cette dernière
qualité lui assure l'avantage. On voit qu'elle a été l'objet
particulier des efforts du nouveau traducteur . « C'est là
>>dit-il , dans une simple et élégante préface , c'est là , si
>>je ne me trompe , le premier et le plus grand moyen de
» succès lorsqu'on traduit un historien chez qui la prc-
>>fondeur de la pensée et la richesse de l'imagination se
>>manifestent tout à-la- fois , dans un style plein de noblesse ,
>>de franchise et de force. »
Mais il est plus aisé de faire une poétique que d'y être
fidèle. Un exemple justifiera mieux les principes du traducteur
et nos éloges .
Nous choisissons le discours prononcé par Galgacus avant
la bataille qui devoit décider le sort de toute la Grande
Bretagne :
<<<Toutes les fois que je songe aux causes de la guerre et
>> à la nécessité qui nous presse , je me tiens assuré qu'au
?
540 MERCURE DE FRANCE ,
»
» jourd'hui même ; et par notre union , commencera la
» liberté de toute la Bretagne ; car nous sommes tous ici
> exempts de servitude : et au - delà , il n'y a plus de terres ;
» la mer elle- même est sans abri , puisque la flotte romaine
» est là qui nous menace. Ainsi , le parti du combat et
des armes , qui est le plus honorable pour le courage , est
» le plus sûr pour la lâcheté même . Les précédentes batailles ,
>> au milieu des alternatives de la fortune , laissoient en nous
» une dernière espérance : nous , les plus distingués de
» toute la Bretagne , et placés comme dans son sanctuaire ;
» nous , qui loin des rivages des peuples esclaves , avions
» préservé nos yeux même des atteintes de la tyrannie .
» Retirés aux bornes du monde et de la liberté , cette pro-
» fonde retraite où la Renommée pénètre à peine , nous a
» défendus jusqu'à ce jour ; et ce qui est inconnu en est
plus grand et plus redoutable, Mais voilà que nos limites
» sont découvertes . Derrière nous , plus de peuples ; rien
» que des flots et des rochers ; et au bas de cette montagne
sont les Romains , dont vous fléchiriez inutilement
l'orgueil par votre soumission ou par votre indigence .
» Ravisseurs du monde , déjà la terre manque à leurs ra-
» vages , et ils sondent les mers . Avares , si feur ennemi est
» riche ; ambitieux , s'il est pauvre : l'Orient et l'Occident
» n'ont pu les rassasier . Seuls entre tous les peuples , ils pour-
» suivent avec une égale fureur et les richesses et la pau-
» vreté. Piller , égorger , enlever , voilà dans leur perfide
langage ce qu'ils nomment gouvernement ; la ruine et la
» solitude , voilà leur paix . »
»
»
Voilà un discours éloquent et une traduction exacte . Il
faudroit répéter cet éloge à chaque page . Nous ferons cependant
une observation sur la phrase suivante : « Les précé-
» dentes batailles , au milieu des alternatives de la fortune ,
>> laissoient en nous une dernière espérance : nous les plus
» distingués de toute la Bretagne , et placés comme dans son
» sanctuaire ; nous qui , loin des rivages , des peuples
» esclaves , etc. » Ce nous répété produit ici de l'embarras ,
sans ajouter à l'énergie . Il semble que la tournure eût été
plus naturelle et d'un meilleur effet , en suivant le mouve
ment du latin : Quia nobilissimi Britannice eòque in ipsis
penetralibus siti.
·
Nous avons noté dans cette traduction deux ou trois autres
passages qui nous paroissent susceptibles de légères corrections.
Ceux qui en ont rendu compte , avant nous , ont
aussi proposé leurs remarques ; et a- t-on jamais rendu
compte d'une traduction , sans trouver un meilleur sens ,
SEPTEMBRE 1807 . 541
une meilleure expression que le traducteur ? Les critiques
triomphent de ces petites découvertes ; mais on leur en sait
peude gré. Montagne parle , avec une admiration tout-à-fait
naïve, d'un savant qui avoit compté deux inille fautes dans
lePlutarque d'Amyot. Il est possible que ce censeur minutieux
eût souvent raison contre Amyot; mais il est encore
plus probable qu'il avoit moins de zèle pour le sens de Plutarque
, que d'empressement à montrer qu'il entendoit sa
langue.
On doit au traducteur de la Vie d'Agricole, l'Excerpta de
Tacite , ouvrage adopté pour l'instruction publique , dontle
choix judicieux a été reconnu dans le temps , et dont l'utilité
est éprouvée aujourd'hui. Nous aurions desiré que celui qui,
jusqu'à présent , a été si heureux avec Tacite , tentât de
nouveaux efforts , et s'essayât sur de plus grands tableaux.
Mais appelé par des devoirs qui exigent l'homme tout entier,
il adû renoncer à ses premiers plaisirs ; et déjà nous pourrions
le suivre dans l'examen d'une question du plus haut
intérêt social ( 1 ) , où il a prouvé combien les bonnes études
préparent avec avantage à la défense des vérités utiles .
Heureux celui qui s'est livré à des études solides et à des
goûts sérieux dès sa jeunesse. Il n'a point recherché des
succès prématurés , qui trop souvent ne font briller qu'un
rayon de gloire passager , et tuent jusqu'à l'espérance des
talens. Tous ses travaux restent ; chaque jour il en recueille
le fruit. Il attend la gloire en méritant la considération.
Ses ouvrages portent un caractère de perfection et de maturité
, qui fait l'éloge de sa vie ; et ses études sont encore des
leçons. P. M.
OEuvres choisies de M. Lefranc de Pompignan , de l'Académie
Française. Deux vol. petit in- 12. Prix : 3 fr . , et
4 fr . par la poste. A Liége , chez François Lemarié, près
l'Hôtel-de-Ville ; et à Paris , chez Villet , lib. , rue Hautefeuille
, n° . 1 ; et chez le Normant.
CETTE édition des OEuvres choisies de M. Lefranc de
Pompignan contient plusieurs ouvrages d'un genre différent,
qui tous font honneur à leur auteur. Avant de jeter
(1) Considérations sur le Prét à intérét. Un vol . in-8° . A Paris ,
chezMéquignon l'aîné , rue de l'Ecole-de- Médecine; et chez leNormant.
542 MERCURE DE FRANCE ,
un coup d'oeil sur ce qu'ily a de plus remarquable dans cette
collection , nous ferons quelques réflexions sur le talent d'un
homme qui éprouva d'une manière bien terrible l'injustice
de ses contemporains .
M. Lefranc , destiné à la robe , joignit aux études nécessaires
à son état celles de la littérature , pour laquelle il
avoit un goût qui ne lui fit cependant jamais négliger ses
devoirs. Il ne courut point après les succès de société ; il ne
crut pas , comme tant d'autres , que quelques petits vers ,
quelques essais dramatiques , suffisoient pour faire la réputationd'unhommede
lettres. Ce fut chez les anciens qu'il
chercha des modèles : l'étude approfondie de l'hébreu le mit
à portée de connoître les beautés sublimes des Livres Saints;
celle du grec le fit pénétrer dans les secrets du style des
Homère , des Sophocle et des Euripide; et il trouva dans
Virgile et dans Horace des trésors non moins précieux. A
ces études , M. Lefranc joignit celle des langues modernes :
l'italien , l'espagnol , l'anglais lui étoient familiers . Son goût
exquis , ne puisant dans les deux premières langues que ce
qu'elles produisirent d'estimable lorsqu'elles contribuèrent à
la renaissance des lettres , chercha dans la troisieme ces étincelles
de génie qui brillent dans les productions de Shakespeare
et de Milton , et ces règles de goût que présentent
Addisson et Pope , esprits sages qui , malgré leurs succès ,
ne purent cependant former une école dans leur pays .
Cette flexibilité dans l'imagination , cette facilité étonnante
dans le travail , dont M. Lefranc étoit doué , ne se
concilient que rarement avec le génie qui invente , et qui ,
luttant contre des difficultés en apparence insurmontables ,
ouvre une nouvelle carrière , et s'élève au-dessus de ses contemporains
. Les grands génies , pour l'ordinaire , ramènent
toutes leurs études à un seul objet : ils en font l'occupation
de leur vie ; et si , pour se délasser , ils se jouent en traitant
des sujets moins graves , ces amusemens ne les détournent
jamais de leur objet principal. Les hommes qui leur
sont inférieurs , mais qui , doués d'un esprit juste et d'une
diction saine , s'exercent sur divers sujets sans les porter au
même degré de perfection que leurs modèles , méritent aussi
notre estime. Ces écrivains du second ordre nous plaisent
par les efforts qu'ils font pour approcher des grands maîtres ;
ils nous les font mieux apprécier : souvent ils nous présentent
des morceaux dignes de notre admiration ; et leurs écrits
sages servent à empêcher leurs contemporains de se livrer
aux écarts du mauvais goût. C'est dans cette classe que
M. Lefranc nous paroît mériter d'être placé , quoique , dans
SEPTEMBRE 1807 . 543
le genre de l'ode , il se soit quelquefois élevé à la hauteur
de J. B. Rousseau .
La tragédie de Didon est très-connue. Ce sujet si beau
offroit les plus grandes difficultés : M. Lefranc les a surmontées
. Il a su répandre de l'éclat sur le rôle d'Enée , en
supposant qu'il sauve Didon avant de l'abandonner ; il a
relevé le caractère de Didon , en lui donnant toute la fierté
d'une reine : enfin , il a placé entre les deux amans un
ministre fidèle qui combat leur passion , et qui prédit les malheurs
dont ils sont menacés . Souvent M. Lefranc a imité
heureusement le quatrième livre de l'Enéide ; un de ses plus
beaux passages est celui où il traduit la fameuse imprécation :
Tum vos , ô Tyrii , etc. On regrette qu'il n'ait pas fait entrer
dans le rôle de Didon les dernières paroles que lui prête
Virgile ; rien n'est plus tendre et plus touchant:
Dulces exuviæ , dum fata deusque sinebant ,
Accipite hanc animam , neque his exsolvite curis , etc.
La dernière réflexion de Didon est sur-tout pleine de pathétique
:
Felix , heu ! nimium felix , si littora tantum
Nunquam Dardanicæ tetigissent nostra carine !
M. Lefranc n'a pas dédaigné de s'exercer dans le genre
léger. Sa Dissertation sur le Nectar et l'Ambroisie , adressée
à madame de Pontac , réunit les graces d'un style enjoué à
une éruditiou pleine de goût. L'auteur traduit en vers quelques
morceaux d'Homère , de Pindare et de Virgile ; et ses
traductions , sans être bien fidelles , ont du moins le mérite
de donner quelqu'idée à une dame de la manière de ces
grands poètes . Dans le Voyage de Languedoc et de Provence,
il a cherché à imiter Chapelle et Bachaumont : on y trouve
moins de négligence que dans l'ouvrage de ces deux aimables
épicuriens ; mais il n'offre pas autant de grace et d'abandon .
Dans ce Voyage , M. Lefranc s'élève quelquefois au ton de
la poésie épique : on a sur- tout remarqué un morceau où il
peînt avec beaucoup. d'énergie les combats des gladiateurs .
Ce morceau est heureusement amené, à l'occasion des Arènes
de Nîmes .
L'éditeur a fait entrer dans ce Recueil trois Epîtres qui ,
sans pouvoir être comparées à celles de Boileau , pour l'élégance
et la précision , méritent cependant d'être distinguées
par des peintures de moeurs pleines de vérité , et par un
style pur et correct. Nous n'en citerons qu'un passage sur
les détracteurs de Boileau :
Mais admire avec moiles travers où s'égare
De ces hommes altiers l'injustice bizarre !
1
544 MERCURE DE FRANCE ,
Un seul mot qui les blesse est un crime odieux :
Veulent-ils se venger ? tout est juste à leurs yeux.
Boileau , qui d'Apollon régloit si bien l'empire ,
Cet unique Boileau , qu'en vain l'on veut proscrire ,
Etdont les vers heureux , sans cesse répétés ,
Par ses propres conseurs sont toujours imités,
Qu'a-t-il dit, qu'a-t- il fait dans ses divins ouvrages
Qui dût à sa mémoire attirer tant d'outrages ?
Il se plut à fronder les Pradons , les Cotins ;
Il traduisit les Grecs , imita les Latins :
Ce sont de grands torfaits ; mais a-t- il , dans ses rimes ,
De l'exacte décence oublié les maximes ? etc.
Cette édition présente la traduction des Géorgiques , qui
n'avoitencore paru que dans les OEuvres complètes de l'auteur .
Nous nous arrêterons quelques momens sur cet ouvrage ,
que les amateurs pourront comparer à la célèbre traduction
de M. Delille.
L'éditeur , dans un Avertissement très-court , s'exprime
ainsi : « Sans prétendre nuire à la traduction de M. l'abbé
• Delille , nous ajouterons qu'il est certain que M. Lefranc
>>est plusfidele , qu'il donne une idée plus juste du poëme
> latin ; qu'enfin il remplit mieux les devoirs d'un traducteur
> qui ne lutte pas avec son modèle. »
Ce jugement , exprimé d'une manière tranchante , mérite
d'être examiné . La traduction de M. Delille passe pour un.
ouvrage classique ; elle est entre les mains de tout le monde :
celle de M. Lefranc , au contraire , est à peine connue. Si
la grande réputation de l'une , et si le peu de succès de l'autre
tiennent à un préjugé injuste , sans doute il est très à propos
de la combattre, et de montrer au public qu'il s'est trompé ;
mais si l'opinion qu'on a portée sur les deux ouvrages est
conforme aux règles immuables du goût , on ne voit pas
pourquoi l'éditeur cherche à détruire , par quelques lignes ,
la célébrité d'une des productions qui ont fait le plus d'honneur
au dix-huitième siècle.
Nous avons examiné la traduction de M. Lefranc ; et tout
en rendant justice aux efforts qu'il a faits pour rendre son
original , nous n'avons pu adhérer au jugement de l'éditeur
sur sa fidélité : la même raison nous empêche de convenir
avec lui que M. Lefranc donne une idée plus juste du poète
latin. Il nous a paru aussi que le devoir d'un traducteur
n'étoit pas de se traîner servilement sur les traces de son
modèle ; mais qu'au contraire il devoit lutier avec lui. C'est
de cette lutte si pénible que M. Delille a tiré ses plus grandes
beautés.
Après avoir examiné la traduction de M. Lefranc , nous
Pavons comparée à celle de M. Delille ; et voici l'idée qui
nous
r
SEPTEMBRE 1807 .
SBINE
nous est restée de ce parallèle : M. Lefranc , guide apÁ
goût trop timide , ne s'est pas approprié les expressions poé
tiques de Virgile ; il a souvent rendu les traits les plus bea
par des images qui sont loin de donner une idée du modèle
Son système étant de ne pas étendre les idées de Virgile
s'est renfermé dans une précision qui approche quelquefois
de la sécheresse. Ce défaut est très-important quand on tra
duit un poète tel que Virgile. Son aimable abandon son
élégance si naturelle , sa douce harmonie , son caractere
tendre et expressif, ne peuvent être exprimés par un traducteur
sans cesse asservi à des règles austères , et qui craint
toujours de prendre l'essor . M. Delille a mieux jugé ce que
l'on devoit attendre d'un poète assez hardi pour traduire en
vers le chef-d'oeuvre de Virgile . Il a cru devoir lutter avec
son modèle , quand il s'est trouvé dans l'impossibilité de
rendre fidèlement quelque beauté . Il s'est efforcé , suiv int le
système de nos grands maîtres , de faire passer dans notre
langue les expressions poétiques de l'auteur latin ; et ce travail
, qui exigeoit tant de délicatesse dans le goût , a rendu à
la langue française les trésors de la poésie didactique , dont
elle avoit été privée depuis Boileau .
Il résulte de ces observations , qui vont être appuyées par
des exemples , que la traduction de M. Delille est supérieure
à celle de M. Lefranc , quoique cette dernière mérite d'être
étudiée par les gens de lettres , auxquels elle offrira l'occasion
de faire des parallèles intéressans , et de remarquer les difficultés
presqu'insurmontables que Virgile présente à ses traducteurs.
Un des principaux charmes des Géorgiques , c'est une
alliance toujours bien amenée des idées morales aux principes
didactiques ; c'est cette douce rêverie qui porte le poète
à revenir fréquemment sur la paix dont jouissent les hommes
des champs , tandis que les villes sont livrées aux discordes et
aux abus d'un luxe effréné . On se rappelle toujours avec
attendrissement ce vers du second livre :
Ofortunatos nimium sua si bona norint ,
Agricolas !
La vie du vieillard des bords du Galèse n'inspire pas moins
d'intérêt . C'est sur-tout lorsque les détails didactiques sont
arides , que Virgile y joint des idées morales. Nous en citerons
un exemple qui nous fournira l'occasion de comparer
M. Lefranc à M. Delille. Il s'agit de choisir des semences ;
M m
546 MERCURE DE FRANCE ,
le poète , après avoir peint
les préparer , ajoute :
les procédés dont on se sert pour
Vidi lec'a diù , et multo spectata labore ,
Degenerare tamen , ni vis humana quotannis
Maxima quæque manu legeret ; sic omnia fatis
In pejus ruere, ac retro sublapsa referri.
Non aliter, quan qui adverso vix flumine lembum
Remigiis subigit , si brachia forte remisit,
Atque illum in præceps prono rapit alveus amni.
Voici la traduction de M. Lefranc .
Inutiles secrets , remèdes impuissans !
Si le grain le plus gros n'est choisi tous les ans ,
Dans le meilleur terrain l'espèce dégénère.
Tout change avec le temps , se corromptet s'altère.
L'homme est ce nautonnier foible et présomptueux ,
Dont la nacelle affronte un fleuve impétueux :
Il lutte avec les flots , il remonte avec peine ;
Mais il quitte la rame, et le torrent l'entraîne .
Cette imitation est foible ; elle manque de mouvement ; et
la transition qui montre au lecteur l'instabilité de la fortune ,
est amenée d'une manière pénible . Du reste , le dernier vers
est de la plus grande foiblesse. M. Delille a beaucoup mieux
rendu ce passage :
Remède infructueux , inutiles secrets !
Les grains les plus heureux , malgré tous ces apprêts,
Dégénèrent enfin , si l'homme avec prudence,
Tous les ans ne choisit laplus belle semence .
Tel est l'arrêt du sort : tout marche à son déclin .
Je crois voir un nocher qui , la rame à la main ,
Lutte contre les flots , et les fend avec peine :
Suspend- il ses efforts ? P'onde roule et l'entraîne.
Les poëmes épiques et les tragédies présentent souventdes
descriptions de tempêtes : celle que Virgile a placée dans le
premier livre des Géorgiques est d'un genre différent. Il ne s'agit pas d'un héros dont le naufrage peut arrêter les grandes
entreprises: c'est un ouragan qui détruit les espérances du laboureur. Cette simplicité dans la scène n'empêche pas le
poète de se servir des couleurs épiques ; elles fontle con- traste le plus heureux et le plus touchant avec l'état de
misère et de foiblesse de ceux que la tempête menace :
Sæpe etiam immensum cælo venit agmen aquarum Etfædam glomerant tempestatem imbribus atris Collectæ ex alto nubes : ruit arduus æther , .. Et pluvia uvia ingenti sata læta , boumque labores Diluit : implenturfossæ , et cavaflumina crescunt
Cum
sonitu, fervetque fretis spirantibus æquor. Ipsepater , media nimborum in nocte, corusca Fulmina molitur dextra ; quo maxima motu
Terra tremit, fugereferæ, et mortalia corda
SEPTEMBRE 1807 . 547
Pergentes humilis stravit pavor ; illeflagranti
AutAtho , aut Rhodopen , aut alta Ceraunia telo
Dejicit ; ingeminant austri , et densissimus imber :
Nunc nemora ingenti vento , nunc littora plangunt,
Cette belle description offroit aux traducteurs de grandes
difficultés ; mais aussi elle leur fournissoit l'occasion de
déployer toutes les richesses de leur imagination. Nous allons
encore comparér M. Lefranc à M. Delille ; et nous pourrons
mieux les juger dans cette lutte , où ils ont probablement
fait usage de toutes leurs forces. Nous commencerons
par les vers de M. Lefranc :
J'ai vu dans un beau jour se grossir sur nos têtes
D'effroyables vapeurs d'où sortoient les tempêtes ,
La nuit couvrir les airs , le ciel fondre en torrens,
Les eaux noyer les grains dans la campagne errans,
Les fleuves débordés augmenter le ravage ,
Et la mer en fureur dévorer le rivage.
De Jupiter , assis sur un trône brûlant ,
:
L'univers voit alors le bras étincelant :
Brutes , mortels , toût tremble au bruit de son tonnerre ;
Ses coups portent l'effroi jusqu'au sein de la terre ;
L'éclair fuit , le feu tombe , Athos est embrase ;
De Rhodope fumant le sommet est brisé.
Les plaines , les forêts , les montagnes frémissent
Sousla foudre qui gronde, et les vents qui mugissent.
On voit avec regret qu'il y a beaucoup de vague dans cette
description. Les traits de M. Delille sont plus frappans ; et
s'il a un peu étendu son modèle , on ne peut lui reprocher
d'avoir affoibli la vigueur du pinceau de Virgile :
Un vaste amas d'effroyables nuages ,
Dans ses flancs ténèbreux couvant de noirs orages ,
S'élève,' s'épaissit , se déchire ; et soudain
La pluie , à flots pressés , s'échappe de son sein :
Le ciel descend en eaux, et couche sur les plaines
Ces riantes moissons , vains fruits de tant de peines ;
Les fossés sont remplis ; les fleuves débordés
Roulent en mugissant dans les champs inondes ;
Des torrens bondissans précipitent leur onde ,
Et des mers en courroux le noir abyine gronde.
Dans cette nuit affreuse , environné d'éclairs ,
Le roi des cieux s'assied sur le trône des airs;
La terre tremble au loin sous son maître qui tonne :
Les animaux ont fui ; l'homme éperdu frissonne;
L'univers ébranlé s'épouvante..... Le Dieu
D'un bras étincelant dardant un trait de feu ,
De ces monts si souvent mutilés par la foudre ,
De Rhodope et d'Athos met les rochers enpoudre,
Et leur sommet brisé vole en éclats fumans .
Le vent croît , l'air frémit d'horribles sifflemens ;
En torrens redoublés les vastes cieux se fondent;
La rive au loin gémit, et les bois lui répondent .
1
1
Mm 2
548 MERCURE DE FRANCE ,
C'est sur-tout par les mouvemens de style que M. Lefranc
est inférieur à M. Delille. Il les dénature presque toujours.
A-t-il à rendre cette apostrophe pleine d'énergie:
Audeat?
il traduit ainsi :
Solem quis dicerefalsum ,
C'estenfinle soleil qui peut seul nous apprendre
Quels jourset quelles nuits , etc.
-M. Delille se rapproche bien plus de l'original , quand il
s'écrie:
Qui pourroit, o soleil , t'accuser d'imposture? etc.
M. Lefranc veut-il traduire ces vers si tendres :
Tedulcis conjux, te solo in littore secum ,
Tevenientedie, te decedente carebat,
il emploie une longue périphrase :
Ilchantoit vainement, pour charmer son supplice ,
Le nom, le nom chéri de sa tendre Eurydice ;
Les accords de sa lyre exprimoient ses douleurs,
Et le jour et la nuit renouveloient ses pleurs.
M. Delille a mieux imité cemouvement du poète latin :
Tendre épouse , c'est toi qu'appeloit son amour,
Toi qu'il pleuroit la nuit , toi qu'il pleuroit le jour .
Ces rapprochemens nous paroissent suffire pour montrer
que l'éditeur s'est trompé dans le jugement qu'il a porté
sur les deux traductions des Géorgiques . Le panégyriste de
M. Lefranc ( 1 ) est absolument de notre avis : « Je voudrois
» en vain dissimuler , dit- il , que , dans sa traduction des
> Géorgiques , il n'a ni l'imagination dans l'expression , ni la
>> verve et le mouvement toujours animé , toujours varié de
>>ce traducteur célèbre qui , parmi nous , a porté la magie
» du style à un si haut degré de perfection .>>^^
On regrette que l'éditeur n'ait pas fait entrer dans son
Recueil quelques poésies sacrées de M. Lefranc. Les sarcasmes
de M. de Voltaire n'ont pas empêché les connoisseurs
d'y remarquer de grandes beautés. La paraphrase du
Pseaume de la Création méritoit sur-tout de trouver place
dans les OEuvres choisies de l'auteur. P.
(a) M. l'abbé Maury, Discours de réception.
SEPTEMBRE 1807 . 549
Lettres de Marie Stuart , reine d'Ecosse, et de Christine ,
reine de Suède ; précédées de Notices sur Marie Stuart ,
Elisabeth et Christine , et suivies du récit de la mort de
Monaldeschi , grand-écuyer dela reinede Suède ; publiéés
par Léopold Collin. Trois vol. in- 12 . Prix : 8 fr. 50 c. ,
et 11 fr. par la poste. A Paris , chez Léopold Collin ,
libraire , rue Git-le-Coeur , n° . 4 ; et chez le Normant.
A La Haye , chez Immerzeel et Comp . , Venestraat ,
n°. 149.
ON pouvoit croire que le libraire Léopold Collin , déjà
éditeur de plus de quinze volumes de Lettres de femmes ,
avoit entièrement épuisé cette espèce de mine qu'il avoit
d'abord couverte fort heureusement , mais dont il ne tiroît
plus sur la fin que des matières peu dignes du creuset.
Il vient cependannttdedécouvrir un nouveau filon qu'il commence
à exploiter : ce sont les lettres des souveraines. Nous
l'engageons , pour son propre intérêt , à ne pas pousser trop
loincette seconde collection; car les souveraines aussi ont écrit
des lettres qui ne méritent pas d'être imprimées , et réimprimées
sur-tout. On disoit d'un homme qui , sans manquer
d'esprit , n'en avoit pourtant pas assez Quand il a trouvé
un bon mot , il ne le lâche pas qu'il n'en ait fait une sottise.
Ce mot peut s'appliquer à quelques-uns de ceux qui
font des spéculations de littérature, ou plutôt de librairie.
Marie Stuart et Christine sont des noms très-propres à
exciter la curiosité. Ces deux reines ont marqué dans l'histoire
: l'une par ses graces , ses foiblesses , ses crimes peutêtre
, et sur-tout ses malheurs ; l'autre par ses talens dignes
du trône , et la bizarrerie de caractère qui le lui a fait abandonner.
Marie n'étoit-elle que foible ? Etoit-elle aussi coupable ?
Jusqu'à quel point l'étoit-elle ? Voilà des questions qui
ont partagé les historiens , et enfanté des volumes . Un
mari qu'elle avoit choisi et fait roi , eut envers elle les torts
les plus graves , jusqu'à celui de se joindre aux mécontens
que le fanatisme puritain suscitoit contre une reine catholique.
Il fit assassiner , sous les yeux de Marie , le musicien
David Rizzio qu'elle aimoit, au moins comme confident
et homme dévoué. Ce mari ingrat fut assassiné à son tour.
L'auteur présumé du crime , Bothwell, enteva la reine et
se fit épouser par elle. Marie , poursuivie et emprisonnée
par ses sujets , s'échappa de leurs mains, et alla chercher un
3
550 MERCURE DE FRANCE ,
asile en Angleterre. Elisabeth la retint captive pendant dixhuitans;
etcomme des partisans de cette malheureuse reine
faisoient des tentatives pour lui enlever sa victimé , en s'assurant
d'elle-même , ou , si l'on veut , en la faisant périr ,
elle fit faire le procès de Marie , qui fut condamnée à mort
et eut la tête tranchée . Tels sont les faits en eux-mêmes , nus
et dégagés de leurs causes. Ce sont ces causes qui varient ,
et sur lesquelles on ne s'accorde pas. Marie avoit-elle de
l'amour pour ce David Rizzio ; et son mari , en faisant poignarder
cet homme , a-t- il vengé son honneur outragé?
*Marie s'est- elle vengée à son tour du meurtre de son amant,
en consentant au meurtre de son mari ? L'assassin de celui-ci ,
Bothwell , en enlevant la reine, a-t-il agi d'après un plan
concerté entr'eux ? Marie l'a-t-elle épousé de son plein gré,
et pour satisfaire sa passion ? Etoit-elle , dans sa prison ,
instruite et consentante des complots que ses partisans faisoient
contre l'autorité et la vie d'Elisabeth ? A toutes ces
questions , tous les historiens anglais et protestans , moins
un, ont répondu : OUI; et presque tous les historiens faisant
profession d'un zélé catholicisme , ont répondu : NON';
en sorte qu'à en croire les uns , Marie a été au moins aussi
coupable que malheureuse ; et qu'à entendre les autres ,
ellea été la victime innocente de son attachement pour sa
religion , de sa douceur , de sa bonté, et même de sa beauté ,
dont Elisabeth étoit jalouse jusqu'à la rage. Le Jésuite d'Orléans
n'hésite point à lui donner le nom de martyre. Quelques
écrivains , en qui les préjugés de nation et de secte
n'obscurcissoient pas les lumières naturelles , ont cherché la
véritéau milieudeces opinions extrêmes. Ils ont trouvé que
Marie n'étoit ni aussi coupable , ni aussi innocente qu'on
l'avoit faite ; qu'elle eut d'aimables qualités , mais aussi
de grandes foiblesses ; que par un effet trop ordinaire du
désordre , elle se trouva engagée malgré elle dans le crime ,
mais que déjà trop rigoureusement punie par sa longue et
injuste captivité , elle ne méritoit pointde porter sa tête sur
un échafaud , lors même que les juges qui l'y condamnèrent
eussent eu le droit de la juger. Tel est le sentiment de Voltaire
sur cette princesse infortunée, qu'il compare avec raison
à Jeanne de Naples , dont elle eut les charmes , les graces ,
les torts et la fin tragique. Je ne dois pas oublier de dire
qu'un écrivain passionné pour la vérité , et très en état de la
découvrir , M. Gaillard , a consacré à la justification de
Marie Stuart un volume entier de son Histoire de la Rivalite
de la France et de l'Angleterre. Il ne lui trouve pas un seul
tort , pas même de ceux que nous autres Francais pardonSEPTEMBRE
1807. 551
nons si facilement aux femmes . L'amour de Marie pour
David Rizzio , et ensuite pour Bothwell , étoit un de ces
points sur lesquels les historiens les plus favorables à cette reine
étoient à-peu-près tous d'accord. M. Gaillard le réfute , et
voici comme ils'y prend. David Rizzio étoit difforme ; Bothwellavoit
plus de soixante ans , et étoit , selon Brantôme , qui
l'avoit vu en Ecosse , le plus laid homme et d'une si mauvaise
grace qu'il se pût voir. Est-il vraisemblable qu'une
reine , dans la première fleur de son âge , et dans tout
l'éclat de sa beauté , dont les hommes les plus beaux de
son royaume auroient brigué pour cela seul les faveurs , ait
eut le goût assez bizarre pour les accorder à un misérable
musicien contrefait , et à un vieux soldat difforme ? C'est
aux femmes particulièrement qu'il appartient de juger de
la solidité de cette apologie , que trop d'hommes seroient
intéressés à ne pas trouver fondée .
La Notice qui précède les Lettres de Marie Stuart est
de Brantôme : autant vaut de Brantôme que d'un autre. Il
étoit contemporain de son héroïne , il l'avoit vue à la cour
de France , et il avoit pu apprendre d'original la plupart des
choses qu'il raconte. Il s'en faut bien cependant que son récit
ait tout le mérite , tout l'intérêt qu'il pouvoit avoir : ce n'est
guère qu'un long panégyrique , où l'exagération et le défaut
depreuves excitent continuellement la défiance du lecteur.
Brantôme étoit un historien sans critique , qui recueilloit
indistinctement tous les bruits , et écrivoit au gré de ses préventious
. D'ailleurs , son style , qu'on est convenu d'appeler
naïf, est singulièrement diffus , et quelquefois obscur. Deux
passages vraiment touchans se trouvent dans son article de
Marie Stuart : ce sont les adieux que cette pauvre reine fait
à ce doux pays de France qu'elle aimoit tant , et sur-tout
sa mort si résignée , si héroïque , si chrétienne , au milieu
de ses femmes éplorées et de ses juges même qu'elle avoit
attendris.
Les Lettres de Marie Stuart tirent de son infortune tout
l'intérêt qu'elles offrent une tendre pitié pour elle , une
profonde horreur pour sa persécutrice ; voilà ce qu'il est
impossible de ne pas ressentir en les lisant. Du reste , elles
contiennent fort peu de faits dignes de remarque , et il y
règne ce ton de monotonie qui résulte nécessairementd'une
plainte continuelle , et d'une situation qui ne change pas .
Le style en est disparate. On ne sait pas précisément en
quelle langue Marie écrivoit à Elisabeth et autres personnes
qu'elle vouloit intéresser à son sort. Ily a lieu de croire
que la plupart de ses lettres ont été écrites par elle en an
4
552 MERCURE DE FRANCE ,
glais ou en écossais; qu'ensuite elles ont été traduites en
Jatin par les historiens anglais, qui, de même que les nôtres ,
ont long-temps fait usage de cette langue ; et qu'enfin , du
latin elles ont été traduites en français, à différentes époques .
C'est là ce qui fait sans doute que les unes sont écrites en
français du seizième siècle , et les autres en français moderne.
On peut présumer que celles qu'elle a adressées au
roi , à la reine et à l'ambassadeur de France , étoient écrites
par elle en français , langue qu'elle avoit parfaitement sue ,
dit-on, et que c'est le texte même de ces Lettres qui nous
a été donné : ce français du temps de Marie Stuart , est ,
comme on sait , quelquefois difficile à entendre. Ce seroit ,
pour les éditeurs de pareils livres , une raison de plus d'en
soigner beaucoup la correction ; mais faute d'attention ou
de savoir , ilslanégligent considérablement.
L'éditeur des Lettres de Marie Stuart n'est pas à l'abri de
ce reproche. Il met la science que j'ai en Dieu , au lieu de
lafiance;je n'ai cette heure d'en étre témoin , au lieu deje
n'ai cet heur (ce bonheur) , etc. Les Lettres de Marie Stuart
font la matière d'un volume et démi à-peu-près . L'autre
moitié du second volume contient des pièces justificatives
pour l'histoire de Marie , lesquelles consistent en une
Apologie assez mal faite de cette princesse , et en un Recueil
de quelques Lettres sans suscription , que ses ennemis produisirent
comme une preuve de son commerce criminel
avec Bothwell , le meurtrier de son mari , mais qui étoient
supposées , à ce qu'on croit , qu'on n'a jamais voulu communiquer
à Marie , malgré ses instances , et dont on a
fini par détruire les prétendus originaux. Ces Lettres sont
suivies d'une mauvaise Notice sur Elisabeth , et de quelques
Lettres relatives au projet de mariage de cette reine avec le
duc d'Alençon , frère du roi de France. Cette Notice et ces
Lettres sont un pur remplissage.
En tête des Lettres de Christine , on a placé , sous le titre
de Notice, l'ouvrage de d'Alembert, intitulé Mémoires et
Reflexions sur Christine, reine de Suède. Il falloit que l'éditeur
ignorât de qui étoit cet écrit ; car il a mis simplement
à la fin : Extrait de la Galerie des Femmes illustres. Il ne
lui en auroit pas coûté davantage de mettre le vrai titre de
l'ouvrage et le nom de l'auteur , s'il les eût connus . Le nom
de d'Alembert eût donné quelque relief à ce morceau , qui
est sans contredit le plus piquant de tout le Recueil.
Ily ades lettres de Christine de deux espèces : les unes
sont véritables , les autres fictives ; celles-ci sont l'ouvrage
du libraire Lacombe , auparavant avocat Les Lettres qu'on
SEPTEMBRE 1807 . 553
publie de nouveau aujourd'hui sont les véritables. Elles
sont adressées à des souverains , à de grands seigneurs ,
àdes savans , à des poètes , à des femmes illustres du temps.
Comme celles de Marie Stuart , elles offrent de grandes
différences de style; ce qui tient peut-être à la même cause.
Toutes ces Lettres n'auront pas été écrites dans la même
langue : différentes personnes auront traduit en français
les Lettres latines , suédoises , italiennes , etc.: de-là autant
de styles que de traducteurs , sans compter le style de Christine
elle-même , dans les Lettres qu'elle a écrites originalement
en français. On pourroit de plus soupçonner qué
quelques-unes de celles-ci ont été retouchées , ou même
entièrement supposées. Il s'y trouve assez fréquemment des
idées , des tournures et des expressions qui autoriseroient
cette opinion. Mais chaque lecteur exercera lui-même sa
critique sur cet objet.
L'ordre chronologique n'est nullement observé dans lá
collection des Lettres de Christine. On trouve, par exemple,
une Lettre à Mazarin sur la mort de Monaldeschi , arrivée
eu 1657 , avant d'autres Lettres datées de 1654. Ce désordre
est d'autant plus singulier , que l'éditeur ( l'ancien sans
doute copié par le nouveau ) s'excuse quelque part de ne
pas placer à son rang une Lettre de Pascal qu'il a trouvée
trop tard.
Peu de souverains ont abdiqué , qui ne s'en soient pas
grandement repentis dans la suite. Christine , avec toute la
philosophie dont elle faisoit parade , n'a point échappé à
ce sort commun des princes descendus du trône , et son
amour-propre n'a point eu assez d'empire sur son dépit pour
l'empêcher de paroître et d'éclater. On ne connoît pas bien
le véritable motifde son abdication : peut-être n'y en a-t-il
pas eu d'autre que cette disposition d'esprit inquiète et dégoûtée
, qui nous fait préférer aux lieux où nous sommes tous
les lieux où nous ne sommes pas. Quoi qu'il en soit , Christiné
quitta la Suède , ou plutôt s'en évada pour aller vivre
à Rome. Il lui parut nécessaire d'adopter la religion dú
pays; en conséquence elle abjura la sienne , quoiqu'elle
eût, dans une autre circonstance , témoigné le plus grand
mépris pour ceux qui commettoient , disoit-elle alors , cet
acte de foiblesse. Au reste , elle ne voulut pas qu'on attri
buất saconversion àd'autres motifs qu'à des motifs humains :
<<Sa Sainteté , écrivoit-elle à la comtesse de Sparre , s'attri-
>>bue ma prétendue conversion, et voudroit que je le fisse
>> croire à tout le monde. » Plus loin : « Le pape fait la
> chatemite flepuis quelque temps à mon égard,parce qu'il
554 MERCURE DE FRANCE ,
>>voit bien que tous ses bonbons sont un peu trop sucrés
>>pour une grande fille qui n'aime point les directeurs . » Le
reste de la lettre est de ce ton , et même d'un ton un peu
plus fort. Ce n'est pas celui d'une néophyte bien fervente ,
ni bien sincère. Il vint en fantaisie à Christine de se faire
élire reine , ou plutôt roi de Pologne. Eile avoit pour compétiteur
le grand Condé , à qui elle avoit autrefois prodigué
les témoignages de son admiration , mais dont alors el'e
parloit avec assez peu de ménagement. Elle écrivoit au
nonce du pape, à Varsovie : « Le prince de Condé est le seul
» que je crains ; son mérite m'offusque et me déplaît fort :
>>il faut le rendre odieux . Cela me sera très-aisé : c'est un
>>prince bouillant, qui se vengera tôt ou tard , sur la Pologne ,
>>des chagrins et des tourmens que la France lui a fait
>>éprouver injustement..... Quoique le prince de Condé
>>soit grand capitaine et bon soldat, ilest emporté et avare.
>> Il seroit un mauvais roi , parce que l'avarice est , selon
>>moi , le plus bas et le plus méprisable de tous les défauts
>>dans un prince. Fût-il pauvre , il doit être libéral et ma-
>>gnifique. » Christine échoua dans son projet de régner en
Pologne. Elle ne fut pas plus heureuse dans celui de remonter
sur le trône de Suède , après la mort de Charles Gustave .
Elle mourut à Rome , âgée de 63 ans , en prononçant deux
vers latins qu'elle avoit faits .
Le volume de ses Lettres est terminé par une relation de
Ja mort de Monaldeschi , dont l'auteur est le P. Lebel , supérieur
des Mathurins de Fontainebleau , qui avoit assisté ce
malheureux pendant qu'on le perçoit à coups d'épée , et
qui avoit été seul témoin de cette cruelle exécution, avec les
lâches domestiques que Christine en avoit chargés . Cette relation
n'excite pas un vif intérêt , parce que Monaldeschi personnellement
n'en mérite aucun ; mais elle inspire du moins
l'effroi et l'horreur : elle est écrite avec un ton de douleur et
de pitié concentrées , qui ajoute beaucoup à l'impression du
récit. Je terminerai par quelques fragmens de la Lettre que
Christine écrivit , au sujet de cet assassinat , à Mazarin , qui
en avoit témoigné son indignation : « Monsieur Mazarin ,
>>ceux qui vous ont appris le détail de la mort de Monal-
>> deschi , mon écuyer, étoient très- mal informés . Je trouve
>>fort étrange que vous commettiez tant de gens pour vous
>>éclaircir de la vérité du fait. Votre procédé ne devroit
>>point m'étonner , tout fou qu'il est; mais je n'aurois jamais
>> cru que nivous , ni votre jeune maître orgueilleux , eussiez
>> osé m'en témoigner le moindre ressentiment .
>*Apprenez tous tant que vous êtes , valets et maîtres ,
SEPTEMBRE 1807 . 555
>>petits et grands , qu'il m'a plu d'agir ainsi ; que je ne dois ,
> ni ne veux rendre compte de mes actions à qui que ce soit,
>> sur-tout à des fanfarons de votre sorte..... Ma volonté est
>> une loi que vous devez respecter ; vous taire est votre
>>devoir , et bien des gens que je n'estime pas plus que vous ,
>> feroient très-bien d'apprendre ce qu'ils doivent à leurs
>> égaux , avant que de faire plus de bruit qu'il ne leur
>> convient. Sachez , mons Cardinal , que Christine est
>>reine partout où elle est..... Croyez- moi , Jules , com-
>> portez-vous de manière à mériter ma bienveillance ; c'est
» à quoi vous ne sauriez trop vous étudier. Dieu vous pré-
>>serve d'aventurer jamais le moindre propos indiscret sur
>> ma personne , etc. >>>
Jamais assurément le crime ne s'est exprimé avec plus
de hauteur et d'arrogance . 0.
Traité Elémentaire de Mécanique ; par L. B. Francoeur ,
professeur au Lycée Charlemagne , et Examinateur
pour l'Ecole Polytechnique. Nouvelle édition . Un vol.
in-8°. Prix: 7 fr. , et 8 fr. 50 c. par la poste. A Paris ,
chez Courcier, libraire , quai des Augustins ; et chez
le Normant.
Le suffrage de la Commission d'instruction publique ,
et trois éditions successivement épuisées , ont déjà constaté le
mérite de cet ouvrage. Nous profitons , pour le recommander
à l'attention de nos lecteurs , du renouvellement de
l'année classique , époque à laquelle les maîtres font choix
des livres élémentaires qu'ils veulent mettre entre les mains de
la jeunesse studieuse confiée à leurs soins. Quoique spécialement
consacré à la critique littéraire , le Mercure n'a jamais
craint de faire quelque excursion hors du domaine qui lui
est propre , en faveur des ouvrages purement scientifiques
quand la nature et le but de ces ouvrages les rendent d'uu
intérêt général , ou les mettent au nombre des livres destinés
à l'éducation .
,
On s'est souvent élevé dans ce Journal contre la prééminence
queles sciencesexactes avoient usurpée sur la littérature,
principalement dans l'instruction publique. Tout en rendant
justice à un ouvrage estimable sur l'une des parties les plus
importantes des mathématiques , je ne démentirai point les
principes sur lesquels ces réclamations étoient fondées. Les
belles-lettres tiendront toujours la première place dans une
bonne éducation : elles sont d'un usage journalier dans toutes
556 MERCURE DE FRANCE ,
les classes de la société , dans toutes les circonstances de la
vie; en ornantà la fois l'esprit et l'imagination de ceux qui
les cultivent , en leur apprenant à présenter leurs pensées
dans l'ordre le plus heureux , à les revêtir de couleurs
variées et brillantes , elles leur assurent l'empire le plus
doux et le plus légitime que l'homme puisse exercer sur ses
semblables , celui qui naît du talent de convaincre et de
persuader. Liées essentiellement à toutes les pensées morales,
sans lesquelies il n'y a ni poésie , ni éloquence , dépositaires
des grandes leçons de la philosophie et de l'histoire ,
elles donnent de la dignité aux moeurs , elles remplissent
l'ame de beaux sentimens ; et en l'élevant à des idées de
bonheur, bien différentes de celles qui abusent le commun
des hommes , elles la placent dans une noble indépendance
des caprices de la fortune. Un emploi si relevé et si utile
leur donne bien droit à une considération égale à celle
qu'ont valu aux sciences mathématiques , les services purement
physiques qu'elles ont rendus à la société .
Mais en défendant la littérature contre les usurpations
des sciences exactes , qui seroit assez aveugle pour leur
contester le mérite et les avantages qui leur sont propres ?
Tout atteste les bienfaits nombreux dont l'humanité leur
est redevable. Que l'imagination s'élance sur les mers ,
qu'elle pénètre dans les glaces du pôle , qu'elle s'élève au
milieu des cieux , partout elle réclame l'appui de ces hautes
sciences , et retrouve l'empreinte de leur génie. On peut
contester sans doute l'utilité de tant de profonds calculs
qui , trop souvent perdus pour la pratique , se renferment
dans de vaines abstractions. Mais quand les mathématiques
n'offriroient qu'un prodige de sagacité et d'invention ,
quand on ne verroit en elles qu'un des monumens les plus
étonnans de l'industrie humaine , ne seroient-elles pas par
cela seul bien dignes de l'attention de quiconque veutdonner
quelque culture à son esprit ?
Cette vérité avoit été sentie dans l'ancien système d'éducation
: les études se terminoient par un cours de mathématiques
, qui , bien que resserrédans des limites assez étroites ,
suffisoit néanmoins pour initier les jeunes gens aux principaux
élémens de cette science , et pour avertir le goût et
les dispositions secrètes de ceux que la nature appeloit à
en faire le principal objet de leurs travaux. Cependant il
faut convenir que cette partie de l'enseignement étoit restée
assez imparfaite. La plupart des traités élémentaires , en
usage dans les colléges , pouvoient avoir le mérite de la
clarté; mais ils ne rendoient point assez sensible la mu
SEPTEMBRE 1807 . 557
tuelle dépendance de tous les théorêmes qui , tour-à-tour
conséquences et principes , sont liés entr'eux par une chaîne
non interrompue; les démonstrations les plus importantes
ymanquoient souvent de cette précision et de cette rigueur
si nécessaires dans une science dont le plus bel attribut
est la certitude. D'ailleurs , pendant le peu de temps assignéàces
leçons , les élèves pouvoient bien prendre quelque
idée des principes généraux de la science; mais ce temps
ne leur suffisoit pas pour se familiariser avec les idées abstraites
qui en sont la base , et qui apprennent à en faire
de justes applications. Ils connoissoient les élémens de la
géométrie , et ne s'étoient point encore fait un esprit géométrique
: cependant sans cet esprit , on n'a véritablement
retiré aucun fruit de pareilles études. En effet , la plupart
des démonstrations partielles , et , si l'on peut parler ainsi ,
le matériel de la science s'oublie bien vite , quand on n'a
pas occasion d'en faire usage; mais si on en possède l'esprit,
il est toujours facile de ressaisir la chaîne des vérités
et des principes , et l'on pourroit , en quelque sorte, les
recréer au besoin.
C'est au milieu des orages de la révolution que l'étude
des mathématiques devint à la fois plus générale et mieux
dirigée , et c'est sur-tout à l'ouverture de l'école normale
qu'il faut attribuer le changement devenu général dans la
méthode d'instruction. Rien n'étoit , il est vrai , plus bizarre
que cet établissement , véritable école encyclopédique , où
l'on prétendoit enseigner à la fois toutes les sciences.
Toutefois , cette conception si extravagante et si gigantesque,
eut pourtant quelques bons effets. Tant de
frais d'instructions , si généreusement prodigués , furent ,
il est vrai , complétement perdus pour la plupart des
auditeurs appelés à en jouir ; mais ils ne furent pas
inutiles au petit nombre de ceux que des connoissances
déjà acquises mettoient en état d'en profiter. D'ailleurs ,
si le principal but qu'on s'étoit proposédans l'établissementde
cette école fut presqu'entièrement manqué ,certaines parties
de l'instruction publique en retirèrent du moins un avantage
auquel on n'avoit pas songé. Des savans célèbres furent
appelés à enseigner la science qui avoit fait l'objet de
toutes leurs méditations. Ce ne fut pas sans fruit qu'ils
travaillèrent à applanir l'entrée de la carrière , de cette main
ferme et exercée qui en avoit reculé les limites ; abrégeant
tout , parcequ'ils voyoient tout , comme on l'a dit d'un
écrivain célèbre , ils surent en même temps simplifier et
558 MERCURE DE FRANCE ,
féconder les principes , et créèrent des méthodes d'instruc
tion tout à-la-fois plus faciles et plus profondes . Ce fut
principalement l'enseignement des mathématiques qui ,
entre les mains de MM. La Grange et La Place , prit une
forme toute nouvelle. La beauté du plan d'études , tracé par..
T'auteur de la Mécanique Céleste , fut d'abord sentie par tous
les maîtres , et l'ancienne routine fut aussi-tôt abandonnée.
Cette utile révolution nécessitoit , la rédaction de nouveaux
livres élémentaires. Excités par l'exemple des deux premiers
géomètres de l'Europe , des savans distingués ne
craignirent plus de dérober quelques loisirs à des spéculations
plus relevées , pour se livrer au développement des
premiers principes de la science. Ainsi, cette fois du moins ,
la composition de ces ouvrages utiles ne fut pas abandonnée
aux spéculations de la médiocrité qui s'en est presque toujours
avidement emparée , et qui ne se lassera jamais de les
multiplier en les copiant les uns sur les autres. Parmi ces
nouveaux traités vraiment faits pour honorer leurs auteurs ,
on distingue particulièrement le grand ouvrage de M. La
Croix , qu'on peut regarder comme un répertoire complet
des connoissances actuelles sur le calcul différentiel et intégral.
Mais il faut étudier avant tout la géométrie de M. Le
Gendre , où l'on retrouve cette méthode exacte et rigoureuse
, dont Euclide avoit donné l'exemple dans ses élémens,
et dont faisoient tant de cas les géomètres de l'antiquité.
Ainsi , dans la science même , où , grace à une longue suite
de siècles , nous nous sommes avancés le plus loin des
limites où les anciens se renfermèrent , il y a à profiter en
les méditant. Si l'on peut encore porter à un plus haut degré
d'élévation ce vaste édifice , c'est en s'appropriant le génie
de ceux qui l'ont fondé .
Ce que M. Le Gendre avoit exécuté si heureusement pour
la géométrie , M. Francoeur a voulu le faire pour la mécanique
, et il a su prouver , par le succès , que cette entreprise
difficile n'étoit pointau-dessus deses forces. Un plan sagement
conçu et fidèlement exécuté , un choix heureux de démonstrations
, partout des exemples bien adaptés aux préceptes ,
telles sont les principales qualités qui caractérisent un bon
livre élémentaire : telles sont celles qui recommandent particulièrement
celui que nous annonçons. Distingué, dès qu'il
parut par la Commission d'instruction publique , et adopté
dans la plupart des écoles , il s'est encore amélioré dans
deux éditions consécutives , et il reparoît aujourd'hui pour la
SEPTEMBRE 1807 . 560
1
quatrième fois avec des changemens et des corrections qui
lui donnent un nouveau prix . C'est ainsi qu'un livre de ce
genre se perfectionne : quelle que soit la sagacité de l'auteur,
elle gagne toujours à être éclairée par l'expérience .
On convient généralement de la difficulté de composer de
bons livres élémentaires : mais je ne sais si la plupartdes écrivains
qui se sont exercés dans ce genre , s'étoient demandé
d'abord en quoi consiste précisémentcette difficulté. Tous affichent
la prétention d'être éminemment clairs et faciles , de
faire de l'étude un jeu, d'ôter auxsciences toutes leurs épines.
Si leurs promesses étoient exactement remplies , un enfant
deviendroit savant sans nul effort , et acquerroit tous les
talens , sans s'être seulement exercé au travail. Cet exercice
est cependant le but qu'on doit se proposer dans toute bonne
éducation , même avant celui d'orner la tête des élèves
de connoissances variées , et propres à faire admirer les
brillans résultats de leurs études . Les théories les plus
curieuses leur seront assez rarement utiles dans le cours de
leur vie : souvent même ils les oublieront avec la même facilité
qu'ils les auront acquises : mais , dans quelque situation
que la fortune les place ,' ils s'applaudiront de s'être livrés de
bonne heure à l'application et au travail. Le meilleur livre
élémentaire n'est donc pas toujours le plus clair et le plus
facile : c'est plutôt celui qui met le plus en jeu les facultés
des jeunes élèves , qui , par des difficultés placées à propos et
mesurées avecart sur leurs progrès, sait provoquer leurardeur,
réveiller leur curiosité , et les forcer fréquemment à tendre
tous les ressorts de leur intelligence. Il faudroit préférer à
tous celui qui , au lieu de leur enseigner une science , les
conduiroit à la découvrir successivement eux- mêmes . On
dira peut- être qu'un pareil livre rebuteroit bientôt la plupart
des commençans : mais ceux qui reculent devant quelques
obstacles , qui ne se sentent point payés des plus opiniâtres
efforts , par le plaisir inappréciable de triompher d'une
difficulté , de voir une foule de vérités intéressantes se dégager
, pour ainsi dire , d'elles-mêmes d'un principe fécond
qu'ils auront péniblement découvert ceux-là , dis-je , ne
sont pas faits pour les sciences. Il n'y a donc pas d'inconvénient
à ce qu'ils soient découragés dès l'entrée d'une carrière
ingrate , où ils ne feroient jamais que se traîner avec
effort, au lieu d'y marcher à grands pas .
Pour composer des élémens suivant le principe qu'on
vient d'établir , il ne suffit pas d'être savant : il faut encore
560 MERCURE DE FRANCE ,
avoir l'habitude de l'enseignement , et sur-tout se bien
rappeler les difficultés qu'on a trouvées soi-même à s'instruire.
M. Francoeur étoit à cet égard dans une situation
très- favorable . Elève de l'Ecole polytechnique, et plein des
excellentes leçons qu'il y avoit reçues , le souvenir de ses
premières études étoit encore nouveau dans sa mémoire ,
lorsqu'il donna la première édition de son ouvrage. Depuis
il s'est occupé constamment à former des élèves , dont la
plupart ont été admis à cette même école , et dont plusieurs
se rendent déjà utiles à l'Etat dans diverses parties du
service public. Deux choses étoient également à craindre
dans la composition de ce Traité : c'étoit de fatiguer les
forces des jélèves , en voulant trop les exercer , ou de rester
au-dessous de l'état actuel de la science . M. Francoeur
a su éviter ces deux écueils. C'est en usant sobrement et à
propos des diverses méthodes de calcul, dont la mécanique
exige, pour être bien traitée , une connoissance approfondie;
c'est en réglant l'emploi de ces méthodes sur la complication
et l'importance des démonstrations , qu'il a voulu
prouver qu'il y étoit parfaitement versé: bien plus sage en
cela que beaucoup d'autres professeurs , qui ne croientjamais
pouvoir déployer un trop grand appareil de calculs , et qui
paroissent écrire bien moins pour instruire , que pour étaler
dans toute son étendue une science souvent acquise de la
veille. C.
Opuscules en vers , par l'auteur de la Nouvelle Ruth. Vol.
in-8°. Prix : 1 fr. 80c. , et 2 fr. 20 c. par la poste.A Paris ,
chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , nº. 17.
C'EST avec un plaisir toujours nouveau que l'on relit ces
touchantes élégies où Tibulle , Properce , Ovide , et M. de
Parny, leur digne rival , ont si bien développé les sentimens
d'un coeur passionné. Ala chaleur de leur style , à la vérité
de leurs expressions , qui pourtant sont toujours pures et
élégantes , on sent qu'ils n'ont point chanté des maîtresses
imaginaires , des Iris et des Phylis , mais des femmes charmantes
qui étoient réellement les objets de leur culte , et que
Délie, Cynthie , Corine , Eléonore , ont existé.
Ces quatre chefs de la poésie érotique sont inimitables ,
précisément parce qu'ils sont modèles , et que ce dont ils
est
SEPTEMBRE 1807 .
est le plus difficile d'approcher , c'est la perfection. On nen
doit pas moins des encouragemens aux poètes d'un ordre
moins distingué qui courent la même carrière , sur-tout s'ils
ont un caractère propre qui les fasse remarquer. L'auteur
de ces Opuscules n'a point à se reprocher , comme quelques
poètes , d'avoir brûlé d'une flamme adultère , ou d'avoir
donné trop de célébrité à quelque fille chaste qui , sans ses
vers , n'auroit été qu'honnête et obscure . La noble sévérité
de l'amour conjugal jette un voile religieux sur ses peintures
les plus voluptueuses. Epris , dans un âge déjà avancé, de
sa Pauline , qui s'offre à lui comme Ruth s'offrit à Booz , il
l'épouse , il n'aime qu'elle , il n'occupe son lecteur que d'elle .
Il la chante lorsqu'il est heureux de la voir sans cesse ; il la
chante encore lorsqu'une mort imprévue la lui a ravie : il
desire ne pas lui survivre long-temps , parce que le bonheur
qu'il espère dans un autre monde , se compose et s'embellit
à ses yeux de l'idée consolante qu'ily reverra Pauline , et
qu'il n'en sera plus séparé. En attendant cette félicité future
et éternelle , il retrouve l'image de Pauline dans les traits du
fils qu'elle lui a donné : il adresse à cet enfant des vers du
plus tendre intérêt ; et l'on voitque chez lui l'amour paternel
s'enrichit des pertes de l'amour conjugal.
Eh ! quel censeur atrabilaire auroit la cruauté d'arrache r
un vieillard à la douce extase des sentimens les plus doux
que l'homme puisse éprouver, pour lui reprocher un peu
de monotonie et de prolixité , défauts qui tiennent peut-être
plús à l'âge de l'auteur qu'à son talent ? Réservons ces critiques
pour ceux à qui une longue perspective dans l'avenir
permet d'en profiter ; prodiguons-les même aux auteurs qui
écrivent sans l'aveu de Minerve , et que des chutes multipliées
ont avertis de, leur impuissance : il faut sans cesse les
corriger , précisément parce qu'ils affectent d'être incorrigibles
; mais laissons-nous aller au doux plaisir de citer des
morceaux estimables dans l'ouvrage d'un vieillard qui a
senti qu'il devoit mêler les arts à ses souvenirs , parce qu'ils
les adoucissent lorsqu'ils sont douloureux , et en augmentent
le charme lorsqu'ils sont agréables ; qui , après avoir usé les
beaux jours de sa vie dans des emplois utiles et laborieux ,
consacre le loisir de ses dernières années à regretter et à
célébrer l'épouse qui fit trop peu de temps félicité , et qui
se trouve avoir encore assez d'imagination pour se sauver
de la tristesse par la mélancolie.
sa
Pauline , ainsi que nous l'avons dit plus haut , s'offre
3
Nn
562 MERCURE DE FRANCE ,
elle-même aux regards de Télamon , commeRuth s'offrit à
ceux de Booz :
Télamon, contemplant cette jeune merveille ,
N'ose en croire ses yeux , son coeur ni son oreille.
I se croit transporté dans ces temps fabuleux
Où le toit d'un mortel servoit d'asile aux Dieux ,
Et doute si l'Amour , dans les bosquets de Flore ,
ATiton rajeuni n'amène pas l'Aurore .
<< Non ( lui dit-il enfin ) , je ne croirai jamais
>> Qu'une ame si sublime , unie à tant d'attraits ,
>>D'un mortel ici-bas puisse être le partage.
>> Toi donc qui viens m'offrir ce divin assemblage ,
>> Ah ! contre mon respect rassure mon amour.
>> Quels furent les parens dont tu reçus le jour ?
>> Nomme moi , si tu n'es qu'une simple mortelle ,
>> L'arbre heureux d'où sortit une tige si belle.
» Mais, quel que soit ton sort , jeune et charmant objet,
>> As- tu bien inédité le choix que ton coeur fait ?
>> Sous mon douzième lustre , hélas ! le temps m'accable ;
» Après tant de printemps l'hiver seul est durable.
» L'Amour , pour enchaîner les coeurs de deux amans ,
>>> Forme-t- il ses liens avec des cheveux blancs ? >> -
« Ah ! crois-moi , Télamon , la vertu n'a point d'âge :
>> En tous temps , en tous lieux elle embellit le sage;
>>Et sur le front blanchi de la caducité ,
>> Montre encor de ses traits l'immortelle beauté.>>>
Ces vers , en général , sont bien tournés , et ont de l'harmonie.
En voici d'autres qui nous paroissent encore meilleurs.
Ils sont tirés d'une Epître que l'auteur adresse à son
fils échappé comme par miracle à une maladie mortelle :
En vain le mois d'avril , au chant de mille oiseaux ,
Déployoit du printemps les verdoyans drapeaux....
Que me fait le printemps et sa joyeuse escorte ?
Mon fils étoit mourant.... la nature étoit morte.
Mais la tombe se ferme , et les citux sont ouverts :
Tout est beau, tout est bon dans ce vaste univers.
Du soleil ranimé la flamme la plus pure
Par sa douce chaleur féconde la nature.
Les arbres en berceaux mollement arrondis ,
Du feuilllage naissant qui les a reverdis ,
Aux oiseaux amoureux offrent le doux asile .
Que ce rivage est frais ! que ce bois est tranquille !
Comme ces verts gazons , aux rayons du matin ,
Semblent sourire aux fleurs qui naissent de leur sein!
Que ces prés , émaillés de couleurs éclatantes ,
Prodiguent àmes sens de vapeurs odorantes !
De la rose enchaînée heureux libérateur ,
Le zéphyr du bonton a dégagé la fleur ;
Et d'unbaiser, qu'emporte une aile fugitive,
Fait payer sa rançon à la belle captive.
Ruisseaux, qui murmurioz de si tristes accens,
Qiseaux, qui n'aviez plus que de lugubres chants,
SEPTEMBRE 1807 . 563
Vous charmez maintenant mon oreille attendrie
Par les sons enchanteurs de votre mélodie.
La nuit s'est dissipée , un nouveau jour a lui;
Et quand mon fils renaît , tout renaît avec lui .
Il y a quelques fautes dans ces vers , mais un sentiment
vrai les anime : les mouvemens du style empêchent le lecteur
de s'apercevoir du vague de quelques expressions ; et
l'auteur , qui , s'il est foible quelquefois , du moins n'est
jamais maniéré, paroît s'être nourri des bons modèles .
Μ.
Voyage Historique et Pittoresque d'Espagne , etc.; par
M. Alexandre de Laborde. Quatrième livraison. Le prix
dechaque livraison est , pour les souscripteurs , en papier
fin , de 21 fr .; papier vélin 36 fr.; figures avant la lettre ,
60fr. A Paris , chez P. Didot l'aîné , rue du Pont de
Lodi , n°. 6; Nicolle et comp. , libraires , rue des Petits-
Augustins , no . 15 ; et chez le Normant.
DEPUIS que l'on a annoncé ce bel ouvrage dans notre
Journal , les livraisons se sont suivies avec rapidité. Celle
que l'on publie aujourd'hui renferme les vues du Mont-
Serrat. Ces magnifiques paysages sont d'une exécution supérieure,
et formeroient , isolés dans des cadres , des tableaux
d'un grand prix. Que sera - ce donc lorsque l'auteur nous
montrera les riantes vallées du royaume de Grenade , couronnées
paarr l'Alhambra , le Généralif, et les ruines magiques
de l'architecture moresque ? Le texte du Voyage
augmente aussi d'intérêt , à mesure que les sites et les
monumens deviennent plus rares et plus beaux. Nous avons
sur-tout remarqué , dans l'exposé des planches , le commencement
d'une description des hermitages du Mont-
Serrat , qui nous fait desirer vivement le reste . Quand on
voit l'écrivain lutter d'élégance et de goût avec le peintre ,
et montrer à l'esprit ce que l'autre représente aux yeux ,
on ne peut s'empêcher d'applaudir à une pareille réunion
de talens . Tout annonce que le travail de M. de Laborde
obtiendra le succès qu'il mérite. Aucun ouvrage de cette
nature n'aura fait plus d'honneur à la France : nous y
reviendrons .
Nna
564
MERCURE
DE
FRANCE
,
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
M. Massias , chargé d'affaires de S. M. l'Empereur
des Français près le grand-duc de Bade , vient d'acquérir
une Vierge d'Albert Dürer. Ce tableau , regardé par plusieurs
artistes comme le chef-d'oeuvre de ce peintre , est
fait depuis trois siècles , et a encore tout son éclat . La
Madone a le costume allemand ; l'enfant Jésus tient d'une
main des cerises , et de l'autre un papillon . Si le goût n'a
pas présidé aux détails , on assure que les caractères de
tête et les chairs sont de la plus haute perfection . On compare
même cette Vierge à celle de Raphaël dite della Sedia.
Ce tableau provenoit de la succession de la dernière margrave
catholique de Baden -Baden .
Une notice publiée par M. Verninac , sur M. le chevalier
d'Ohsson , que les lettres françaises viennent de
perdre , contient des détails très - curieux ; en voici un
précis :
Mouradjea d'Ohsson , né à Constantinople , d'une famille
arménienne catholique , fut attaché jeune à l'ambassade de
Suède , et mérita d'être chargé personnellement des intérêts
de cette puissance près de la Porte , en 1782.
sur
Familiarisé avec les langues de l'Orient , jouissant en Turquie
d'une grande considération et d'une grande fortune,
il se livra à des recherches d'autant plus louables que le
génie turc offre plus d'obstacles à la curiosité des chrétiens ,
et parvint à rassembler d'immenses matériaux sur l'empire
ottoman , sur son histoire , sa législation et ses moeurs ,
les peuples anciens dont les débris avoient formé la monarchie
des successeurs de Mahomet . En 1787 et 88 , il publia
én France ses deux premiers volumes in-folio . Chassé par
les orages politiques , il retourna à Constantinople : enfin
ramené en France par la paix et la protection que trouvent
toujours les arts et les sciences auprès d'un gouvernement
fort et régulier , il fit paroître , en 1804 , deux volumes
contenant l'histoire des anciens Perses , d'après leurs propres
monumens et les annales de l'Orient. Ces annales , à peu près
inconnues jusqu'à cette époque , ont ouvert à M. d'Ohsson
une carrière historique que nul n'avoit parcourue avant
}
SEPTEMBRE 1807 : 565
lui. Elles ont servi à déterminer et à faire connoître la
durée , et les événemens qui la remplissent , d'un vaste
Empire dont nous ne connoissions pour ainsi dire que les
frontières , sans avoir pénétré dans son intérieur . Cet Empire
, dont notre grand Cyrus ne fut qu'un petit vassal , selon
M. d'Ohsson , remonteroit au berceau du monde , d'après
la chronologie des juifs et des chrétiens , puisqu'il auroit
commencé au temps où cette chronologie compte 1750 ans
depuis la création . Depuis cette époque jusqu'à la conquête
des Arabes , en l'an 661 de l'ère vulgaire , quatre dynasties
successives auroient régné sur cet empire l'espace d'environ
3000 ans.
-On vient d'exposer à la vue du public , dans l'église de
Saint-Sulpice , quatre tableaux appartenant au Musée de
Rouen , qui ont été envoyés à Paris pour être restaurés. L'un ,
représentant la mort de saint François de Sales , est de Jouvenet
; le second est une descente de Croix , par de Lahire ces
deux peintres de l'école française sont assez connus. Le troisième
tableau représente saint Charles-Boromée , secourant les
pestiférés de Milan ; et le quatrième a pour sujet la présentation
de la Vierge au temple. L'un et l'autre sont de M. Lemonier
. Ces quatre tableaux ont mérité , dit- on , le suffrage
des amateurs.
On va faire graver à Madrid , par les plus fameux
artistes espagnols , les tableaux que le roi d'Espagne possède
dans ses palais . S. M. , comme protecteur des beauxarts
, a approuvé le plan qui lui a été présenté , et a donné
ordre à D. Joseph Camaron , son peintre ordinaire , sousdirecteur
de l'Académie de Saint-Ferdinand , de se charger
des dessins . Ce professeur a commencé par le superbe tableau
de Raphaël d'Urbin , connu en Espague sous le nom
de Pasmo de Sicilia , et qui est un des chefs-d'oeuvre de
ce grand peintre. La planche sera gravée par D. Ferdinand
de Selma , graveur ordinaire du roi . Son Excellence Mgr.
le prince de la Paix , amateur et protecteur zélé des arts , a
offert aussi sa superbe galerie , et a déjà confié un des plus
plus beaux tableaux du Guercino , la Bénédiction de Jacob à
ses petits -fils , à D. Joseph Martinez , qui en a fait le dessin ;
la gravure sera de D. Raphaël Esteve , graveur ordinaire
du roi . On peut souscrire pour chaque estampe séparée. Le
prix de la souscription pour le Pasmo de Sicilia , papier
grand-aigle , est de 40 fr. avant la lettre , et de 25 fr. avec
la lettre pour la Bénédiction de Jacob , papier grand-aigle ,
32 fr. 50 c. avant la lettre , et 20 fr . avec la lettre . On sous-
3
566 MERCURE DE FRANCE ,
crit à Madrid , à l'imprimerie royale ; et à Paris , chez
Théophile Barrois fils , libraire , quai de Voltaire , n° . 5 .
-M. Nowel , savant médecin , qui a résidé long-temps
en France , où il a été un des premiers promoteurs de la
vaccine , vient de mourir dans są terré près de Danbury.
Le gouvernement français , qui l'estimoit , lui avoit permis
de retourner en Angleterre .
- Le général Grant vient d'annoncer la découverte des
longitudes , au moyen d'un instrument mathématique , qui
fait connoître , avec la plus grande exactitude , la route parcourue
par un vaisseau qui marche sans s'arrêter. Il paroît
que cet instrument a du rapport avec beaucoup d'autres
qu'on a imaginés pour déterminer les latitudes et les longitudes
en mer.
-Un exemple curieux de léthargie a eu lieu dernièrement
à Cuckfield , en Angleterre . Voici le fait : « Samedi,
15 d'août , une jeune femme , au service de madame Wood ,
se plaignit d'un violent mal de tête , disant en même temps
qu'elle éprouvoit une grande envie de dormir. Sa maîtresse
lui fit prendre une infusion de feuilles de menthe , et l'envoya
se mettre au lit. Elle n'y fut pas plutôt qu'elle tomba
dans un profond sommeil. Elle a continué à dormir jusqu'au
dimanche 23 du mois ( huitjours entiers) sans qu'il
ait été possible de la réveiller , quoiqu'on ait fait tout ce
qu'on a cru propre à y réussir. Le 23, au moment de son
réveil, on sonnoit l'officedu matin. Elle jugea que le bruit
des cloches l'avoit réveillée, et s'excusa, sur son indisposition
de la veille ( elle croyoit n'être qu'au dimanche 16 ) , d'être
restée si tard au lit. Elle se leva sans qu'il fût besoinde
beaucoup l'aider , ne se plaignant que d'une soif excessive.
Elle paroissoit aussi très-foible. Sa maîtresse a pris d'elle le
plus grand soin, et elle est aujourd'hui parfaitement réta
blie. Pendant tout le temps de cette singulière suspension
des facultés intellectuelles de cette femme , son visage n'a
pas cessé un moment d'être animé des couleurs de la santé,
Cependant , au bout de trois jours ses joues commencèrent
à perdre beaucoup de leur embonpoint , son pouls battit de
plus enpluslentement , et à la fin on s'apercevoit à peine
qu'elle respirât. Il avoit été impossible, pendant toute la
durée de sa léthargie , de lui faire prendre aucune espèce
d'aliment , et toute évacuation quelconque avoit été suspendue
chez elle,
SEPTEMBRE 1807 . 567
Restauration de l'arc de triomphe appelé Porte Saint-
Denis , à Paris.
Il est probable que les hommes qui ont vu s'élever ce
beau monument étoient bien loin de penser qu'après cent
dix-sept ans de durée seulement il seroit parvenu à un
tel état de dégradation , qu'on seroit obligé de le restaurer.
C'est pourtant ce qui est arrivé , soit à cause de
la précipitation qu'on a mise à le construire entre un
départ de Louis XIV pour les armées et son retour dans
la capitale (1) , soit par la mauvaise qualité des matières
employées daus la plus grande partie de la masse de ce
monument , soit par le peu de soin qu'on en a eu , soit
enfin par les outrages qu'il a reçus de mains ignorantes
et barbares qui ont effacé les délicieuses sculptures-basrelief
qui existoient sur les soubasseinens .
En 1788 , comme aujourd'hui , les socles qui supportent
les pyramides , et sur lesquelles reposent les figures
allégoriques , étoient exfoliés ,et présentoient des dégradations
capitales ; plusieurs éclats de pierre avoient eu lieu ,
tant dans les sculptures que dans l'architrave , la frise et la
corniche .
Dès 1788 , les bas-relief qui décorent les soubassemens ,
précieux par le style et par le fini , brillans par leur composition
et sur-tout par leur délicatesse , étoient horriblement
et honteusement effacés par les porte-faix accoutumés
à se tenir au pied de ce monument , et qui , fichant
continuellement dans les joints des pierres des clous auxquels
ils appendoient leurs crochets , leurs hottes , leurs
brancards , et jusqu'aux roues de leurs charrettes à bras ,
ont mutilé , effacé ces chefs-d'oeuvres de sculpture , qu'on
ne peut plus voir aujourd'hui.
Le prévôt des marchands et les échevins résolurent enfin
de restaurer ce magnifique monument : des mesures , pour
y parvenir , furent prises ; les échafauds nécessaires furent
posés, et Paris s'applaudit alors de ce que ses magistrats
mettoient un terme à la déshonorante mutilation de ce
chef-d'oeuvre unique. La révolution qui se préparoit
alors détourna de cet objet l'attention du corps-de-ville.
L'échafaudage resta debout jusqu'en juin 1790 , époque
à laquelle il fut démonté .
Depuis ce moment , on ne s'est plus occupé de la porte
Saint - Denis que pour arracher le LUDOVICO MAGNO qui
(1) La tradition assure que la porte Saint-Denis fut construite en dix
mois; si rien ne justifie cette assertation , rien aussi ne la détruit.
552 MERCURE DE FRANCE ,
glais ou en écossais ; qu'ensuite elles ont été traduites en
Jatin par les historiens anglais, qui , de même que les nôtres ,
ont long-temps fait usage de cette langue ; et qu'enfin , du
latin elles ont été traduites en français , à différentes époques..
C'est là ce qui fait sans doute que les unes sont écrites en
français du seizième siècle , et les autres en français moderne.
On peut présumer que celles qu'elle a adressées au
roi , à la reine et à l'ambassadeur de France , étoient écrites
par elle en français , langue qu'elle avoit parfaitement sue ,
dit - on , et que c'est le texte même de ces Lettres qui nous
a été donné ce français du temps de Marie Stuart , est ,
comme on sait , quelquefois difficile à entendre. Ce seroit ,
pour les éditeurs de pareils livres , une raison de plus d'en
soigner beaucoup la correction ; mais faute d'attention ou
de savoir , ils la négligent considérablement.
L'éditeur des Lettres de Marie Stuart n'est pas à l'abri de
ce reproche. Il met la science que j'ai en Dieu , au lieu de
la fiance; je n'ai cette heure d'en étre témoin , au lieu de je
n'ai cet heur ( ce bonheur ) , etc. Les Lettres de Marie Stuart
font la matière d'un volume et démi à- peu-près . L'autre
moitié du second volume contient des pièces justificatives
pour l'histoire de Marie , lesquelles consistent en une
Apologie assez mal faite de cette princesse , et en un Recueil
de quelques Lettres sans suscription , que ses ennemis produisirent
comme une preuve de son commerce criminel
avec Bothwell , le meurtrier de son mari , mais qui étoient
supposées , à ce qu'on croit , qu'on n'a jamais voulu communiquer
à Marie , malgré ses instances , et dont on a
fini par détruire les prétendus originaux. Ces Lettres sont
suivies d'une mauvaise Notice sur Elisabeth , et de quelques
Lettres relatives au projet de mariage de cette reine avec le
duc d'Alençon , frère du roi de France . Cette Notice et ces
Lettres sont un pur remplissage.
En tête des Lettres de Christine , on a placé , sous le titre
de Notice , l'ouvrage de d'Alembert , intitulé Mémoires et
Reflexions sur Christine , reine de Suède. Il falloit que l'éditeur
ignorât de qui étoit cet écrit ; car il a mis simplement
à la fin Extrait de la Galerie des Femmes illustres. Il ne
lui en auroit pas coûté davantage de mettre le vrai titre de
l'ouvrage et le nom de l'auteur , s'il les eût connus . Le nom
de d'Alembert eût donné quelque relief à ce morceau , qui
est sans contredit le plus piquant de tout le Recueil .
:
Il y a des lettres de Christine de deux espèces : les unes
sont véritables , les autres fictives ; celles - ci sont l'ouvrage
du libraire Lacombe , auparavant avocat Les Lettres qu'on
SEPTEMBRE 1807 . 553
publie de nouveau aujourd'hui sont les véritables . Elles
sont adressées à des souverains , à de grands seigneurs ,
à des savans , à des poètes , à des femmes illustres du temps .
Comme celles de Marie Stuart , elles offrent de grandes
différences de style ; ce qui tient peut-être à la même cause.
Toutes ces Lettres n'auront pas été écrites dans la même
langue, différentes personnes auront traduit en français
les Lettres latines , suédoises , italiennes , etc. : de-là autant
de styles que de traducteurs , sans compter le style de Christine
elle-même , dans les Lettres qu'elle a écrites originale
ment en français. On pourroit de plus soupçonner qué
quelques-unes de celles-ci ont été retouchées , ou même
entièrement supposées . Il s'y trouve assez fréquemment des
idées , des tournures et des expressions qui autoriseroient
cette opinion . Mais chaque lecteur exercera lui-même sa
critique sur cet objet.
L'ordre chronologique n'est nullement observé dans lá
collection des Lettres de Christine . On trouve, par exemple,
une Lettre à Mazarin sur la mort de Monaldeschi , arrivée
eu 1657 , avant d'autres Lettres datées de 1654. Ce désordre
est d'autant plus singulier , que l'éditeur ( l'ancien sans
doute copié par le nouveau ) s'excuse quelque part de ne
pas placer à son rang une Lettre de Pascal qu'il a trouvée
trop tard.
Peu de souverains ont abdiqué , qui ne s'en soient pas
grandement repentis dans la suite . Christine , avec toute la
philosophie dont elle faisoit parade , n'a point échappé à
ce sort commun des princes descendus du trône , et son
amour-propre n'a point eu assez d'empire sur son dépit pour
l'empêcher de paroître et d'éclater . On ne connoît pas bien
le véritable motif de son abdication : peut- être n'y en a-t-il
pas eu d'autre que cette disposition d'esprit inquiète et dégoûtée
, qui nous fait préférer aux lieux où nous sommes tous
les lieux où nous ne sommes pas . Quoi qu'il en soit , Christiné
quitta la Suède , ou plutôt s'en évada pour aller vivre
à Rome. Il lui parut nécessaire d'adopter la religion du
pays ; en conséquence elle abjura la sienne , quoiqu'elle
eût , dans une autre circonstance , témoigné le plus grand
mépris pour ceux qui commettoient , disoit- elle alors , cet
acte de foiblesse . Au reste , elle ne voulut pas qu'on attribuât
sa conversion à d'autres motifs qu'à des motifs humains:
« Sa Sainteté , écrivoit-elle à la comtesse de Sparre , s'attri-
» bue ma prétendue conversion , et voudroit que je le fisse
>> croire à tout le monde . » Plus loin : « Le pape fait lä
>> chatemite tlepuis quelque temps à mon égard , parce qu'il
554
MERCURE
DE
FRANCE
,
» voit bien que tous ses bonbons sont un peu trop sucrés
» pour une grande fille qui n'aime point les directeurs . » Le
reste de la lettre est de ce ton , et même d'un ton un peû
plus fort. Ce n'est pas celui d'une néophyte bien fervente ,
ni bien sincère . Il vint en fantaisie à Christine de se faire
élire reine , ou plutôt roi de Pologue . Eile avoit pour compétiteur
le grand Condé , à qui elle avoit autrefois prodigué
les témoignages de son admiration , mais dont alors ele
parloit avec assez peu de ménagement. Elle écrivoit au
nonce du pape , à Varsovie : « Le prince de Condé est le seul
» que je crains ; son mérite m'offusque et me déplaît fort :
» il faut le rendre odieux . Cela me sera très - aisé : c'est un
prince bouillant, qui se vengera tôt ou tard , sur la Pologne ,
» des chagrins et des tourmens que la France lui a fait
» éprouver injustement..... Quoique le prince de Condé
» soit grand capitaine et bon soldat , il est emporté et avare .
» Il seroit un mauvais roi , parce que l'avarice est , selon
» moi , le plus bas et le plus méprisable de tous les défauts
» dans un prince. Fût- il pauvre , il doit être libéral et magnifique.
» Christine échoua dans son projet de régner en
Pologne . Elle ne fut pas plus heureuse dans celui de remonter
sur le trône de Suède , après la mort de Charles Gustave.
Elle mourut à Rome , âgée de 63 ans , en prononçant deux
vers latins qu'elle avoit faits .
>>
>
Le volume de ses Lettres est terminé par une relation de
la mort de Monaldeschi , dont l'auteur est le P. Lebel , supérieur
des Mathurins de Fontainebleau , qui avoit assisté ce
malheureux pendant qu'on le perçoit à coups d'épée , et
qui avoit été seul témoin de cette cruelle exécution , avec les
lâches domestiques que Christine en avoit chargés . Cette relation
n'excite pas un vif intérêt , parce que Monaldeschi personnellement
n'en mérite aucun ; mais elle inspire du moins
l'effroi et l'horreur : elle est écrite avec un ton de douleur et
de pitié concentrées , qui ajoute beaucoup à l'impression du
récit. Je terminerai par quelques fragmens de la Lettre que
Christine écrivit , au sujet de cet assassinat , à Mazarin , qui
en avoit témoigné son indignation : « Monsieur Mazarin ,
>> ceux qui vous ont appris le détail de la mort de Monal-
» deschi , mon écuyer, étoient très-inal informés . Je trouve
» fort étrange que vous commettiez tant de gens pour vous
» éclaircir de la vérité du fait . Votre procédé ne devroit
point m'étouner , tout fou qu'il est ; mais je n'aurois jamais
» cru que nivous , ni votre jeune maitre orgueilleux , éussiez
» osé m'en témoigner le moindre ressentiment .
» Apprenez tous tant que vous êtes , valets et maîtres ,
SEPTEMBRE 1807 . 555
>>
»
petits et grands , qu'il m'a plu d'agir ainsi ; que je ne dois ,
> ni ne veux rendre compte de mes actions à qui que ce soit,
» sur-tout à des fanfarons de votre sorte ..... Ma volonté est
» une loi que vous devez respecter ; vous taire est votre
devoir , et bien des gens que je n'estime pas plus que vous ,
>> feroient très - bien d'apprendre ce qu'ils doivent à leurs
égaux , avant que de faire plus de bruit qu'il ne leur
» convient. Sachez , mons . Cardinal , que Christine est
» reine partout où elle est ..... Croyez- moi , Jules , com-
» portez-vous de manière à mériter ma bienveillance ; c'est
» à quoi vous ne sauriez trop vous étudier . Dieu vous pré-
» serve d'aventurer jamais le moindre propos indiscret sur
» ma personne , etc. »
>>
Jamais assurément le crime ne s'est exprimé avec plus
de hauteur et d'arrogance. 0.
Traité Elémentaire de Mécanique ; par L. B. Francoeur ,
professeur au Lycée Charlemagne , et Examinateur
pour l'Ecole Polytechnique . Nouvelle édition . Un vol.
in-8° . Prix : 7 fr . , et 8 fr . 50 c . par la poste. A Paris ,
chez Courcier , libraire , quai des Augustins ; et chez
le Normant.
LE suffrage de la Commission d'instruction publique ,
et trois éditions successivement épuisées , ont déjà constaté le
mérite de cet ouvrage. Nous profitons , pour le recommander
à l'attention de nos lecteurs , du renouvellement de
l'année classique , époque à laquelle les maîtres font choix
des livres élémentaires qu'ils veulent mettre entre les mains de
la jeunesse studieuse confiée à leurs soins . Quoique spécialement
consacré à la critique littéraire , le Mercure n'a jamais
craint de faire quelque excursion hors du domaine qui lui
est propre , en faveur des ouvrages purement scientifiques ,
quand la nature et le but de ces ouvrages les rendent d'uu
intérêt général , ou les mettent au nombre des livres destinés
à l'éducation .
On s'est souvent élevé dans ce Journal contre la prééminence
que les sciences exactes avoient usurpée sur la littérature ,
principalement dans l'instruction publique . Tout en rendant
justice à un ouvrage estimable sur l'une des parties les plus
importantes des mathématiques , je ne démentirai point les
principes sur lesquels ces réclamations étoient fondées . Les
belles - lettres tiendront toujours la première place dans une
bonne éducation : elles sont d'un usage journalier dans toutes
556 MERCURE DE FRANCE ;
les classes de la société , dans toutes les circonstances de la
vie ; en ornant à la fois l'esprit et l'imagination de ceux qui
les cultivent , en leur apprenant à présenter leurs pensées
dans l'ordre le plus heureux , à les revêtir de couleurs
variées et brillantes , elles leur assurent l'empire le plus
doux et le plus légitime que l'homme puisse exercer sur ses
semblables , celui qui naît du talent de convaincre et de
persuader . Liées essentiellement à toutes les pensées morales ,
sans lesquelles il n'y a ni poésie , ni éloquence , dépositaires
des grandes leçons de la philosophie et de l'histoire ,
elles donnent de la dignité aux moeurs , elles remplissent
l'ame de beaux sentimens ; et en l'élevant à des idées de
bonheur , bien différentes de celles qui abusent le commun
des hommes , elles la placent dans une noble indépendance
des caprices de la fortune. Un emploi si relevé et si utile
leur donne bien droit à une considération égale à celle
qu'ont valu aux sciences mathématiques , les services purement
physiques qu'elles ont rendus à la société .
Mais en défendant la littérature contre les usurpations
des sciences exactes , qui seroit assez aveugle pour leur
contester le mérite et les avantages qui leur sont propres ?
Tout atteste les bienfaits nombreux dont l'humanité leur
est redevable . Que l'imagination s'élance sur les mers ,
qu'elle pénètre dans les glaces du pôle , qu'elle s'élève au
milieu des cieux , partout elle réclame l'appui de ces hautes
sciences , et retrouve l'empreinte de leur génie. On peut
contester sans doute l'utilité de tant de profonds calculs
qui , trop souvent perdus pour la pratique , se renferment
dans de vaines abstractions. Mais quand les mathématiques
n'offriroient qu'un prodige de sagacité et d'invention ,
quand on ne verroit en elles qu'un des monumens les plus
étonnans de l'industrie humaine , ne seroient-elles pas par
cela seul bien dignes de l'attention de quiconque veut donner
quelque culture à son esprit ?
:
Cette vérité avoit été sentie dans l'ancien système d'éducation
les études se terminoient par un cours de mathématiques
, qui , bien que resserré dans des limites assez étroites ,
suffisoit néanmoins pour initier les jeunes gens aux principaux
élémens de cette science , et pour avertir le goût et
les dispositions secrètes de ceux que la nature appeloit à
en faire le principal objet de leurs travaux. Cependant it
faut convenir que cette partie de l'enseignement étoit restée
assez imparfaite. La plupart des traités élémentaires , en
usage dans les colléges , pouvoient avoir le mérite de la
clarté ; mais ils ne rendoient point assez sensible la muSEPTEMBRE
1807. 557
tuelle dépendance de tous les théorêmes qui , tour-à-tour
conséquences et principes , sont liés entr'eux par une chaîne
non interrompue ; les démonstrations les plus importantes
y manquoient souvent de cette précision et de cette rigueur
si nécessaires dans une science dont le plus bel attribut
est la certitude. D'ailleurs , pendant le peu de temps assigné
à ces leçons , les élèves pouvoient bien prendre quelque
idée des principes généraux de la science ; mais ce temps
ne leur suffisoit pas pour se familiariser avec les idées abstraites
qui en sont la base , et qui apprennent à en faire
de justes applications. Ils connoissoient les élémens de la
géométrie , et ne s'étoient point encore fait un esprit géométrique
: cependant sans cet esprit , on n'a véritablement
retiré aucun fruit de pareilles études. En effet , la plupart
des démonstrations partielles , et , si l'on peut parler ainsi
le matériel de la science s'oublie bien vîte , quand on n'a
pas occasion d'en faire usage ; mais si on en possède l'esprit
, il est toujours facile de ressaisir la chaîne des vérités
et des principes , et l'on pourroit , en quelque sorte , les
recréer au besoin.
2
C'est au milieu des orages de la révolution que l'étude
des mathématiques devint à la fois plus générale et mieux
dirigée , et c'est sur-tout à l'ouverture de l'école normale
qu'il faut attribuer le changement devenu général dans la
méthode d'instruction . Rien n'étoit , il est vrai , plus bizarre
que cet établissement , véritable école encyclopédique , où
l'on prétendoit enseigner à la fois toutes les sciences .
Toutefois , cette conception si extravagante et si gigantesque
, eut pourtant quelques bons effets. Tant de
frais d'instructions , si généreusement prodigués , furent,
il est vrai , complétement perdus pour la plupart des
auditeurs appelés à en jouir ; mais ils ne furent pas
inutiles au petit nombre de ceux que des connoissances
déjà acquises mettoient en état d'en profiter. D'ailleurs ,
si le principal but qu'on s'étoit proposé dans l'établissement de
cette école fut presqu'entièrement manqué , certaines parties
de l'instruction publique en retirèrent du moins un avantage
auquel on n'avoit pas songé. Des savans célèbres furent
appelés à enseigner la science qui avoit fait l'objet de
toutes leurs méditations. Ce ne fut pas sans fruit qu'ils
travaillèrent à applanir l'entrée de la carrière , de cette main
ferme et exercée qui en avoit reculé les limites ; abrégeant
tout , parce qu'ils voyoient tout , comme on l'a dit d'un
écrivain célèbre , ils surent en même temps simplifier et
1
MERCURE
DE FRANCE
,
558
féconder les principes , et créèrent des méthodes d'instruction
tout à-la-fois plus faciles et plus profondes . Ce fut
principalement l'enseignement des mathématiques qui
entre les mains de MM. La Grange et La Place , prit une
forme toute nouvelle. La beauté du plan d'études , tracé par
T'auteur de la Mécanique Céleste , fut d'abord sentie par tous
les maîtres , et l'ancienne routine fut aussi- tôt abandonnée .
Cette utile révolution nécessitoit , la rédaction de nouveaux
livres élémentaires . Excités par l'exemple des deux premiers
géomètres de l'Europe ,. des savans distingués ne
craignirent plus de dérober quelques loisirs à des spéculations
plus relevées , pour se livrer au développement des
premiers principes de la science . Ainsi , cette fois du moins ,
la composition de ces ouvrages utiles ne fut pas abandonnée
aux spéculations de la médiocrité qui s'en est presque toujours
avidement emparée , et qui ne se lassera jamais de les
multiplier en les copiant les uns sur les autres . Parmi ces
nouveaux traités vraiment faits pour honorer leurs auteurs ,
on distingue particulièrement le grand ouvrage de M. La
Croix , qu'on peut regarder comme un répertoire complet
des connoissances actuelles sur le calcul différentiel et intégral
. Mais il faut étudier avant tout la géométrie de M. Le
Gendre , où l'on retrouve cette méthode exacte et rigoureuse
, dont Euclide avoit donné l'exemple dans ses élémens ,
et dont faisoient tant de cas les géomètres de l'antiquité.
Ainsi , dans la science même , où , grace à une longue suite
de siècles , nous nous sommes avancés le plus loin des
limites où les anciens se renfermèrent , il y a à profiter en
les méditant. Si l'on peut encore porter à un plus haut degré
d'élévation ce vaste édifice , c'est en s'appropriant le génie
de ceux qui l'ont fondé .
Ce que M. Le Gendre avoit exécuté si heureusement pour
la géométrie , M. Francoeur a voulu le faire pour la mécanique
, et il a su prouver , par le succès , que cette entreprise
difficile n'étoit point au -dessusde ses forces . Un plan sagement
conçu et fidèlement exécuté , un choix heureux de démonstrations
, partout des exemples bien adaptés aux préceptes ,
telles sont les principales qualités qui caractérisent un bon
livre élémentaire : telles sont celles qui recommandent particulièrement
celui que nous annonçons . Distingué , dès qu'il
parut par la Commission d'instruction publique , et adopté
dans la plupart des écoles , il s'est encore amélioré dans
deux éditions consécutives , et il reparoît aujourd'hui pour la
SEPTEMBRE 1807 .. 560
quatrième fois avec des changemens et des corrections qui
lui donnent un nouveau prix . C'est ainsi qu'un livre de ce
genre se perfectionne : quelle que soit la sagacité de l'auteur,
elle gagne toujours à être éclairée par l'expérience . .
On convient généralement de la difficulté de composer de
bons livres élémentaires : mais je ne sais si la plupart des écrivains
qui se sont exercés dans ce genre , s'étoient demandé
d'abord en quoi consiste précisément cette difficulté . Tous affi
chent la prétention d'être éminemment clairs et faciles , de
faire de l'étude un jeu , d'ôter aux sciences toutes leurs épines.
Si leurs promesses étoient exactement remplies , un enfant
deviendroit savant sans nul effort , et acquerroit tous les
talens , sans s'être seulement exercé au travail . Cet exercice
est cependant le but qu'on doit se proposer dans toute bonne
éducation , même avant celui d'orner la tête des élèves
de connoissances variées , et propres à faire admirer les
brillans résultats de leurs études . Les théories les plus
curieuses leur seront assez rarement utiles dans le cours de
leur vie : souvent même ils les oublieront avec la même facilité
qu'ils les auront acquises : mais , dans quelque situation
que la fortune les place ; ' ils s'applaudiront de s'être livrés de
bonne heure à l'application et au travail . Le meilleur livre
élémentaire n'est donc pas toujours le plus clair et le plus
facile c'est plutôt celui qui met le plus en jeu les facultés
des jeunes élèves , qui , par des difficultés placées à propos et
mesurées avecart sur leurs progrès , sait provoquer leur ardeur,
réveiller leur curiosité , et les forcer fréquemment à tendre
tous les ressorts de leur intelligence. Il faudroit préférer à
tous celui qui , au lieu de leur enseigner une science , les
conduiroit à la découvrir successivement eux-mêmes . On
dira peut-être qu'un pareil livre rebuteroit bientôt la plupart
des commençans : mais ceux qui reculent devant quelques
obstacles , qui ne se sentent point payés des plus opiniâtres
efforts , par le plaisir inappréciable de triompher d'une
difficulté , de voir une foule de vérités intéressantes se dégager
, pour ainsi dire , d'elles-mêmes d'un principe fécond
qu'ils auront péniblement découvert ceux- là , dis-je , ne
sont pas faits pour les sciences . Il n'y a donc pas d'inconvénient
à ce qu'ils soient découragés dès l'entrée d'une carrière
ingrate , où ils ne feroient jamais que se traîner avec
effort , au lieu d'y marcher à grands pas.
:
:
Pour composer des élémens suivant le principe qu'on
vient d'établir , il ne suffit pas d'être savant : il faut encore
560 MERCURE DE FRANCE ,
avoir l'habitude de l'enseignement , et sur-tout se bien
rappeler les difficultés qu'on a trouvées soi -même à s'iustruire.
M. Francoeur étoit à cet égard dans une situation
très-favorable. Elève de l'Ecole polytechnique , et plein des
excellentes leçons qu'il y avoit reçues , le souvenir de ses
premières études étoit encore nouveau dans sa mémoire
lorsqu'il donna la première édition de son ouvrage. Depuis
il s'est occupé constamment à former des élèves , dont la
plupart ont été admis à cette même école , et dont plusieurs
se rendent déjà utiles à l'Etat dans diverses parties du
service public. Deux choses étoient également à craindre
dans la composition de ce Traité c'étoit de fatiguer les
forces des élèves , en voulant trop les exercer , ou de rester
au-dessous de l'état actuel de la science . M. Francoeur
a su éviter ces deux écueils . C'est en usant sobrement et à
propos des diverses méthodes de calcul , dont la mécanique
exige , pour être bien traitée , une connoissance approfondie ;
c'est en réglant l'emploi de ces méthodes sur la complication
et l'importance des démonstrations , qu'il a voulu
prouver qu'il y étoit parfaitement versé : bien plus sage en
cela que beaucoup d'autres professeurs , qui ne croient jamais
pouvoir déployer un trop grand appareil de calculs , et qui
paroissent écrire bien moins pour instruire , que pour étaler
dans toute son étendue une science souvent acquise de la
veille . C.
Opuscules en vers , par l'auteur de la Nouvelle Ruth. Vol.
in-8°, Prix : 1 fr. 80 c. , et 2 fr. 20 c. par la poste. A Paris ,
chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain- l'Auxerrois , n°. 17.
C'EST avec un plaisir toujours nouveau que l'on relit ces
touchantes élégies où Tibulle , Properce , Ovide , et M. de
Parny, leur digne rival , ont si bien développé les sentimens
d'un coeur passionné. A la chaleur de leur style , à la vérité
de leurs expressions , qui pourtant sont toujours pures et
élégantes , on sent qu'ils n'ont point chanté des maîtresses
imaginaires , des Iris et des Phylis , mais des femmes charmantes
qui étoient réellement les objets de leur culte , et que
Délie , Cynthie , Corine , Eléonore , ont existé.
Ces quatre chefs de la poésie érotique sont inimitables ,
précisément parce qu'ils sont modèles , et que ce dont ils
est
SEPTEMBRE 1807 .
564
est le plus difficile d'approcher, c'est la perfection . On nen
doit pas moins des encouragemens aux poètes d'un ordre
moins distingué qui courent la même carrière , sur- tout s'ils
ont un caractère propre qui les fasse remarquer. L'auteur
de ces Opuscules n'a point à se reprocher , comme quelques
poètes , d avoir brûlé d'une flamme adultère , ou d'avoir
donné trop de célébrité à quelque fille chaste qui , sans ses
vers , n'auroit été qu'honnête et obscure . La noble sévérité
de l'amour conjugal jette un voile religieux sur ses peintures
les plus voluptueuses. Epris , dans un âge déjà avancé , de
sa Pauline , qui s'offre à lui comme Ruth s'offrit à Booz , il
l'épouse , il n'aime qu'elle , il n'occupe son lecteur que d'elle.
Il la chante lorsqu'il est heureux de la voir sans cesse ; il la
chante encore lorsqu'une mort imprévue la lui a ravie : il
desire ne pas lui survivre long-temps , parce que le bonheur
qu'il espère dans un autre monde , se compose et s'embellit
à ses yeux de l'idée consolante qu'il y reverra Pauline , et
qu'il n'en sera plus séparé. En attendant cette félicité future
et éternelle , il retrouve l'image de Pauline dans les traits du
fils qu'elle lui a donné : il adresse à cet enfant des vers du
plus tendre intérêt ; et l'on voit que chez lui l'amour paternel
s'enrichit des pertes de l'amour conjugal .
Eh ! quel censeur atrabilaire auroit la cruauté d'arracher
un vieillard à la douce extase des sentimens les plus doux
que l'homme puisse éprouver , pour lui reprocher un peu
de monotonie et de prolixité , défauts qui tiennent peut-être
plus à l'âge de l'auteur qu'à son talent ? Réservons ces critiques
pour ceux à qui une longue perspective dans l'avenir
permet d'en profiter ; prodiguons-les même aux auteurs qui
écrivent sans l'aveu de Minerve , et que des chutes multipliées
ont avertis de leur impuissance : il faut sans cesse les
corriger , précisément parce qu'ils affectent d'être incorrigibles
; mais laissons -nous aller au doux plaisir de citer des
morceaux estimables dans l'ouvrage d'un vieillard qui a
senti qu'il devoit mêler les arts à ses souvenirs , parce qu'ils
les adoucissent lorsqu'ils sont douloureux , et en augmentent
le charme lorsqu'ils sont agréables ; qui , après avoir usé les
beaux jours de sa vie dans des emplois utiles et laborieux ,
consacre le loisir de ses dernières années à regretter et à
célébrer l'épouse qui fit trop peu de temps sa félicité , et qui
se trouve avoir encore assez d'imagination pour se sauver
de la tristesse par la mélancolie .
Pauline , ainsi que nous avons dit plus haut , s'offre
Nn
563 MERCURE DE FRANCE ,
elle-même aux regards de Télamon , comme Ruth s'offrit à
ceux de Booz :
Télamon, contemplant cette jeune merveille,
N'ose en croire ses yeux , son coeur ni son oreille.
Il se croit transporté dans ces temps fabuleux
Où le toit d'un mortel servoit d'asile aux Dieux,
Et doute si l'Amour , dans les bosquets de Flore ,
A Titon rajeuni n'amène pas l'Aurore.
« Non ( lui dit -il enfin ) , je ne croirai jamais
» Qu'une ame si sublime , unie à tant d'attraits ,
>> D'un mortel ici-bas puisse être le partage .
>> Toi donc qui viens m'offrir ce divin assemblage ,
>> Ah ! contre mon respect rassure mon amour.
» Quels furent les parens dent tu reçus le jour ?
» Nomme moi , si tu n'es qu'une simple mortélle ,
» L'arbre heureux d'où sortit une tige si belle .
» Mais , quel que soit ton sort , jeune et charmant objet ,
» As- tu bien inédité le choix que ton coeur fait ?
» Sous mon douzième lustre , hélas ! le temps m'accable ;
» Après tant de printemps l'hiver seul est durable.
» L'Amour , pour enchaîner les cours de deux mans ,
>> Forme-t- il ses liens avec des cheveux blancs ? »>
« Ah ! crois-moi , Télamen , la vertu n'a point d'âge :
» En tous temps , en tous lieux elle embellit le sage ;
" Et sur le front blanchi de la caducité ,
))
>> Montre encor de ses traits l'immortelle beauté . »
...
Ces vers , en général , sont bien tournés , et ont de l'harmonie.
En voici d'autres qui nous paroissent encore meilleurs.
Ils sont tirés d'une Epître que l'auteur adresse à son
fils échappé comme par miracle à une maladie mortelle :
En vain le mois d'avril , au chant de mille oiseaux ,
Déployoit du printemps les verdoyans drapeaux....
Que me fait le printemps et sa joyeuse escorte ?
Mon fils étoit mourant ... la nature étoit morte .
Mais la tombe se ferme , et les cieux sont ouverts :
Tout est beau , tout est bon dans ce vaste univers.
Du soleil ranimé la flamme la plus pure
Par sa douce chaleur féconde la nature.
Les arbres en berceaux mollement arrondis ,
Du feuilllage naissant qui les a reverdis ,
Aux oiseaux amoureux effrent le doux asile.
Que ce rivage est frais ! que ce bois est tranquille !
Comme ces verts gazons, aux rayons du matin,
Semblent sourire aux fleurs qui naissent de leur sein!
Que ces prés , émaillés de couleurs éclatantes ,
Prodiguent à mes sens de vapeurs odorantes !
De la rose enchaînée heureux libérateur ,
Le zéphyr du bonton a dégagé la fleur ;
Et d'un baiser , qu'emporte une aile fugitive,
Fait payer sa rançon à la belle captive.
Ruisseaux , qui murmuri z de si tristes accens ,
Oiseaux , qui n'aviez plus que de lugubres chants ,
SEPTEMBRE 1807 .
563
Vous charmez maintenant mon oreille attendrie
Par les sons enchanteurs de votre mélodie .
La nuit s'est dissipée , un nouveau jour a lui ;
Et quand mon fils renaît , tout renaît avec lui .
Il y a quelques fautes dans ces vers , mais un sentiment
vrai les anime : les mouvemens du style empêchent le lecteur
de s'apercevoir du vague de quelques expressions ; et
l'auteur , qui , s'il est foible quelquefois , du moins n'est
jamais maniéré , paroît s'être nourri des bons modèles .
M.
Voyage Historique et Pittoresque d'Espagne , etc.; par
M. Alexandre de Laborde . Quatrième livraison . Le prix
de chaque livraison est , pour les souscripteurs , en papier
fin , de 21 fr.; papier vélin 36 fr .; figures avant la lettre ,
60 fr. A Paris , chez P. Didot Paîné , rue du Pont de
Lodi , n°. 6; Nicolle et comp . , libraires , rue des Petits-
Augustins , no. 15 ; et chez le Normant.
DEPUIS que l'on a annoncé ce bel ouvrage dans notre
Journal , les livraisons se sont suivies avec rapidité . Celle
que l'on publie aujourd'hui renferme les vues du Mont-
Serrat. Ces magnifiques paysages sont d'une exécution supérieure
, et formeroient , isolés dans des cadres , des tableaux
d'un grand prix. Que sera - ce donc lorsque l'auteur nous
montrera les riantes vallées du royaume de Grenade , couronnées
par l'Alhambra , le Généralif , et les ruines magiques
de l'architecture moresque ? Le texte du Voyage
augmente aussi d'intérêt , à mesure que les sites et les
monumens deviennent plus rares et plus beaux. Nous avons
sur-tout remarqué , dans l'exposé des planches , le commencement
d'une description des hermitages du Mont-
Serrat , qui nous fait desirer vivement le reste . Quand on
voit l'écrivain lutter d'élégance et de goût avec le peintre ,
et montrer à l'esprit ce que l'autre représente aux yeux ,
on ne peut s'empêcher d'applaudir à une pareille réunion
de talens. Tout annonce que le travail de M. de Laborde
obtiendra le succès qu'il mérite . Aucun ouvrage de cette
nature n'aura fait plus d'honneur à la France : nous y
reviendrons .
Nn 2
564
MERCURE DE FRANCE ,
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
•
M. Massias , chargé d'affaires de S. M. l'Empereur
des Français près le grand-duc de Bade , vient d'acquérir
une Vierge d'Albert Dürer. Ce tableau , regardé par plusieurs
artistes comme le chef- d'oeuvre de ce peintre , est
fait depuis trois siècles , et a encore tout son éclat. La
Madone a le costume allemand ; l'enfant Jésus tient d'une
main des cerises , et de l'autre un papillon . Si le goût n'a
pas présidé aux détails , on assure que les caractères de
tête et les chairs sont de la plus haute perfection . On compare
même cette Vierge à celle de Raphaël dite della Sedia
Ce tableau provenoit de la succession de la dernière margrave
catholique de Baden -Baden .
Une notice publiée par M. Verninac , sur M. le chevalier
d'Ohsson , que les lettres françaises viennent de
perdre , contient des détails très - curieux ; en voici un
précis :
Mouradjea d'Ohsson , né à Constantinople , d'une famille
arménienne catholique , fut attaché jeune à l'ambassade de
Suède , et mérita d'être chargé personnellement des intérêts
de cette puissance près de la Porte , en 1782 .
Familiarisé avec les langues de l'Orient , jouissant en Turquie
d'une grande considération et d'une grande fortune, il se livra à des recherches d'autant plus louables que le
génie turc offre plus d'obstacles à la curiosité des chrétiens ,
et parvint à rassembler d'immenses matériaux sur l'empire
ottoman , sur son histoire , sa législation et ses moeurs , sur
les peuples anciens dont les débris avoient formé la monarchie
des successeurs de Mahomet . En 1787 et 88 , il publia
en France ses deux premiers volumes in-folio . Chassé par
les orages politiques , il retourna à Constantinople : enfin
ramené en France par la paix et la protection que trouvent
toujours les arts et les sciences auprès d'un gouvernement
fort et régulier , il fit paroître , en 1804 , deux volumes
contenant l'histoire des anciens Perses , d'après leurs propres
monumens et les annales de l'Orient. Ces annales , à peu près
inconnues jusqu'à cette époque , ont ouvert à M. d'Ohsson
une carrière historique que nul n'avoit parcourue avant
SEPTEMBRE 1807 : 565
lui. Elles ont servi à déterminer et à faire connoître la
durée , et les événemens qui la remplissent , d'un vaste
Empire dont nous ne connoissions pour ainsi dire que les
frontières , sans avoir pénétré dans son intérieur. Cet Empire
, dont notre grand Cyrus ne fut qu'un petit vassal , selon
M. d'Ohsson , remonteroit au berceau du monde , d'après
la chronologie des juifs et des chrétiens , puisqu'il auroit
commencé au temps où cette chronologie compte 1750 ans
depuis la création . Depuis cette époque jusqu'à la conquête
des Arabes , en l'an 661 de l'ère vulgaire , quatre dynasties
successives auroient régné sur cet empire l'espace d'environ
3000 ans .
net ;
-On vient d'exposer à la vue du public , dans l'église de
Saint-Sulpice , quatre tableaux appartenant au Musée de
Rouen , qui ont été envoyés à Paris pour être restaurés. L'un ,
représentant la mort de saint François de Sales , est de Jouvele
second est une descente de Croix , par de Lahire : ces
deux peintres de l'école française sont assez connus. Le troisième
tableau représente saint Charles- Boromée , secourant les
pestiférés de Milan ; et le quatrième a pour sujet la présentation
de la Vierge au temple. L'un et l'autre sont de M. Lemonier
. Ces quatre tableaux ont mérité , dit- on , le suffrage
des amateurs.
-
— On va faire graver à Madrid , par les plus fameux
artistes espagnols , les tableaux que le roi d'Espagne possède
dans ses palais . S. M. , comme protecteur des beauxarts
, a approuvé le plan qui lui a été présenté , et a donné
ordre à D. Joseph Camaron , son peintre ordinaire , sousdirecteur
de l'Académie de Saint- Ferdinand , de se charger
des dessins . Ce professeur a commencé par le superbe tableau
de Raphaël d'Urbin , connu en Espague sous le nom
de Pasmo de Sicilia , et qui est un des chefs -d'oeuvre de
ce grand peintre. La planche sera gravée par D. Ferdinand
de Selma , graveur ordinaire du roi . Son Excellence Mgr.
le prince de la Paix , amateur et protecteur zélé des arts , a
offert aussi sa superbe galerie , et a déjà confié un des plus
plus beaux tableaux du Guercino , la Bénédiction de Jacob à
ses petits -fils , à D. Joseph Martinez , qui en a fait le dessin ;
la gravure sera de D. Raphaël Esteve , graveur ordinaire
du roi . On peut souscrire pour chaque estampe séparée . Le
prix de la souscription pour le Pasmo de Sicilia , papier
grand-aigle , est de 40 fr. avant la lettre , et de 25 fr. avec
la lettre pour la Bénédiction de Jacob , papier grand-aigle ,
32 fr. 50 c. avant la lettre , et 20 fr. avec la lettre . On sous-
:
3
566 MERCURE DE FRANCE ,
crit à Madrid , à l'imprimerie royale ; et à Paris , chez
Théophile Barrois fils , libraire , quai de Voltaire , nº. 5 .
-M. Nowel , savant médecin , qui a résidé long-temps
en France , où il a été un des premiers promoteurs de la
vaccine , vient de mourir dans sa terre près de Danbury .
Le gouvernement français , qui l'estimoit , lui avoit permis
de retourner en Angleterre .
-Le général Grant vient d'annoncer la découverte des
longitudes , au moyen d'un instrument mathématique , qui
fait connoître , avec la plus grande exactitude , la route par
courue par un vaisseau qui marche sans s'arrêter . Il paroît
que cet instrument a du rapport avec beaucoup d'autres
qu'on a imaginés pour déterminer les latitudes et les longitudes
en mer .
-Un exemple curieux de léthargie a eu lieu derniè
rement à Cuckfield , en Angleterre . Voici le fait : « Samedi ,
15 d'août , une jeune femme , au service de madame Wood ,
se plaignit d'un violent mal de tête , disant en même temps
qu'elle éprouvoit une grande envie de dormir. Sa maîtresse
lui fit prendre une infusion de feuilles de menthe , et l'envoya
se mettre au lit. Elle n'y fut pas plutôt qu'elle tomba
dans un profond sommeil, Elle, a continué à dormir jusqu'au
dimanche 23 du mois ( huit jours entiers ). sans qu'il
ait été possible de la réveiller , quoiqu'on ait fait tout ce
qu'on a cru propre à y réussir . Le 23, au moment de son
réveil , on sonnoit l'office du matin . Elle jugea que le bruit
des cloches l'avoit réveillée , et s'excusa , sur son indisposition
de la veillé ( elle croyoit n'être qu'au dimanche 16 ) , d'être
restée si tard au lit. Elle se leva sans qu'il fût besoin de
beaucoup Paider , ne se plaignant que d'une soif excessive.
Elle paroissoit aussi très-foible. Sa maîtresse a pris d'elle le
plus grand soin , et elle est aujourd'hui parfaitement rétablie
. Pendant tout le temps de cette singulière suspension
des facultés intellectuelles de cette femme , son visage n'a
pas cessé un moment d'être animé des couleurs de la santé,
Cependant , au bout de trois jours ses joues commencèrent
à perdre beaucoup de leur embonpoint , son pouls battit de
plus lentement , et à la fin on s'apercevoit à peine
qu'elle respirât. Il avoit été impossible , pendant toute la
durée de sa léthargie , de lui faire prendre aucune espèce
d'aliment , et toute évacuation quelconque avoit été suspendue
chez elle.
:
SEPTEMBRE 1807 . 567
Restauration de l'arc de triomphe appelé Porte Saint-
Denis , à Paris.
Il est probable que les hommes qui ont vu s'élever ce
beau monument étoient bien loin de penser qu'après cent
dix-sept ans de durée seulement il seroit parvenu à un
tel état de dégradation , qu'on seroit obligé de le restaurer.
C'est pourtant ce qui est arrivé , soit à cause de
la précipitation qu'on a mise à le construire entre un
départ de Louis XIV pour les armées et son retour dans
la capitale ( 1 ) , soit par la mauvaise qualité des matières
employées daus la plus grande partie de la masse de ce
monument , soit par le peu de soin qu'on en a eu , soit
enfin par les outrages qu'il a reçus de mains ignorantes
et barbares qui ont effacé les délicieuses sculptures -basrelief
qui existoient sur les soubassemens .
En 1788 , comme aujourd'hui , les socles qui supportent
les pyramides , et sur lesquelles reposent les figures
allégoriques , étoient exfoliés , et présentoient des dégradations
capitales ; plusieurs éclats de pierre avoient eu lieu ,
tant dans les sculptures que dans l'architrave , la frise et la
corniche .
Dès 1788 , les bas- relief qui décorent les soubassemens
précieux par le style et par le fiai , brillans par leur composition
et sur-tout par leur délicatesse , étoient horriblement
et honteusement effacés par les porte-faix accoutu
més à se tenir au pied de ce monument , et qui , fichant
continuellement dans les joints des pierres des clous auxquels
ils appendoient leurs crochets , leurs hottes , leurs
brancards , et jusqu'aux roues de leurs charrettes à bras ,
ont mutilé , effacé ces chefs -d'oeuvres de sculpture , qu'on
ne peut plus voir aujourd'hui.
Le prévôt des marchands et les échevins résolurent enfin
de restaurer ce magnifique monument : des mesures , pour
y parvenir , furent prises ; les échafauds nécessaires furent
posés , et Paris s'applaudit alors de ce que ses magistrats
mettoient un terme à la déshonorante mutilation de ce
chef-d'oeuvre unique . La révolution qui se préparoit
alors détourna de cet objet l'attention du corps-de - ville .
L'échafaudage resta debout jusqu'en juin 1790 , époque
à laquelle il fut démonté.
Depuis ce moment , on ne s'est plus occupé de la porte
Saint -Denis que pour arracher le LUDOVICO MAGNO qui
(1) La tradition assure que la porte Saint-Denis fut construite en dix
mois ; si rien ne justifie cette assertation , rien aussi ne la détruit .
568 MERCURE DE FRANCE ,
étoit dans la frise , pour boucher l'une des petites portes ,
et convertir l'autre en une boutique , qui du côté du nord ,
présentoit l'aspect d'une porte de prison , et du côté du midi ,
celui d'une enseigne à bierre. Le placement d'un marchand
dans cette petite porte a fait plus de mal encore aux sculp--
tures de soubassement , que les porte-faix n'en ont fait aux
sculptures des trois autres. Et en effet , les porte-faix n'ont
altéré les sculptures que jusqu'à sept ou huit pieds du sol ;
mais la banne que ce marchand , exposé au midi , mettoit
pour se défendre des rayons du soleil, il la plaçoit à environ
onze pieds du sol : pour la soutenir , il avoit fiché des crampons
à cette hauteur , et les fluctuations que le vent imprimoit
à la banne et aux bois sur lesquels elle étoit montée ,
ont froissé et détruit des bas- reliefs qui , jusque-là , et par
leur élévation avoient échappé à la brutalité des portefaix.
,
En outre de ces causes de dégradation , qu'on pouvoit
évitér , le temps , les saisons , les intempéries ont continué
d'exercer leurs ravages , et les réparations ; qui n'étoient
que légères en 1788 , sont dévenues majeures.
Aujourd'hui , la presque totalité des sculptures des soubassemens
est ignominieusement mutilée , gatée , et même
effacée ; toutes les dégradations , depuis 1788 , ont empiré
et augmenté. Récemment , la jambe et une partie de la
cuisse du cheval du guerrier qui précède Louis XIV , dans
le grand bas-relief du côté du midi , sont tombées ; le pied
et l'avant-bras du cheval du guerrier qui suit Louis XIV,
sont aussi tombés . Ces denx chevaux ne présentent plus que
des tronçons de cuisse et d'épaule , perte qui est d'autant
plus sensible , que les parties manquantes étoient de ronde
bosse , et tout-à-fait détachées du fonds du bas - relief.
Depuis la chûte de ces parties , il s'en est opéré deux autres ,
celle de l'avant-bras et de la main d'un autre guerrier
pédestre (toujours dans le mème bas-relief) , et celle de la
mâcheoire inférieure du fion qui supporte la.figure allégorique
qui se trouve à la gauche de la grandeporte .
Sur la face du nord , les corps des lions qui supportent
les pyramides sont déformés par l'exfoliation de la matière
et la corrosion de l'eau . Enfin , les socles des quatres pyramides
n'existent plus , ou au moins ne sont plus sensibles
à l'oeil.
La base , dans tout son pourtour , est tellement dégradée
, qu'il est vrai de dire que ce monument est déchaussé.
Dans la construction proprement dite , on voit que les
SEPTEMBRE 1807 . 569
profils de l'imposte , ceux de l'architrave , sur- tout dans
les angles , sont éclatés et gâtés , et que plusieurs pierres
dans lesquelles ces profils étoient faits , sont exfoliées ;
que dans la frise , plusieurs toises de longueur sont à réparer;
que dans la corniche beaucoup de parties sont à
refaire.
Naguère ce monument précieux , plus envié encore
qu'admiré par l'Europe , n'inspiroit plus qu'un sentimens
pénible . Aujourd'hui tout est changé ; le protecteur des
arts vient d'ordonner la restauration de ce bel édifice , et
les arts sont consolés.
Mais il existe une espèce d'inquiétude dans l'esprit de
quelques personnes qui craignent que ce beau monument
n'éprouve , soit dans l'ensemble , soit dans les détails , des
changemens sensibles , que d'avance elles regardent comme
devant en altérer le caractère , en gâter la beauté et en
dénaturer le style. Cette crainte vient de ce que quelques
journaux ont annoncé qu'on devoit placer sur la porte
Saint-Denis un quadrige ou d'autres objets , fruits des conquêtes
de l'Empereur. Bien instruit de ce qui se passe à cet
égard , nous croyons pouvoir affirmer que ce bel arc de
triomphe n'éprouvera aucune altération dont les arts ayent
àgémir, La restauration en est confiée à un homme qui est
non-seulement habile , mais sage , à un homme trop plein
du respect qu'on doit aux belles choses , pour en violer
aucune ; trop admirateur de Blondel , pour prétendre à
réformer son bel oeuvre. D'ailleurs , en suppo ant qu'il fût
possible que l'architecte auquel l'honneur de faire cette réstauration
est dévolu , s'écartât du chemin tracé par la raison
et la voix publique , n'existe-t-il pas une volonté , une puissance
toujours prêtes à arrêter toute tentative audacieuse , et
àparalyser toute main qui se prépareroit à commettre un
sacrilége ! mais , nous le répétons , le respect queM. Legrand
professe pour les chefs-d'oeuvre de l'art , garantissent que
celui dont il s'agit sera vénéré comme il doit l'être.
On sentira sans doute la nécessité de rétablir dans la
frise le LUDOVICO MAGNO qu'on en a arraché , et dont la
suppression détruit le sens des inscriptions qui restent.
Et, en effet , à qui se rapportent les QUOD superavit , subegit ,
cepit , qui se trouvent dans ses inscriptions ? il est nécessaire
de leur rendre le sens que nos ancêtres leur avoient donné.
Ainsi le veut la gloire du dix-septième siècle.
Pour l'honneur du dix- neuvième , nous desirons que
l'inscription effacée dans le soubassement à gauche de la face
du midi , soit remplacée par une inscription française ,
570 MERCURE DE FRANCE ,
indicative de la volonté qui a ordonné cette restauration .
et du temps où elle a été faite. Nous desirons enfin que les
caractères des autres inscriptions perdent leur maigreur ,
et qu'on leur en substitue d'autres qui , plus prononcés ,
rendent ces inscriptions plus faciles à lire ..
Il est encore à desirer , pour la conservation de ce monument
, qu'il soit pris des précautions pour que les eaux
de l'entablement ne tombent à l'avenir sur aucune des parties
de ce chef-d'oeuvre. Il paroît aisé de recueillir ces eaux
derrière l'acrotère , et de les faire descendre jusque sur le
pavé par un tuyau placé dans l'intérieur , ou au moins encastré
dans la maçonnerie.
NOUVELLES POLITIQUES.
Kiel, 7 septembre.
Le numéro 6 du journal officiel , le Danemarck en 1807 ,
contient ce qui suit ;
rap-
Après avoir été pendant huit jours sans aucune nouvelle
de la Sélande , nous avons reçu par différentes voies , des
ports qui ne sont pas exactement conformes dans quelques
détails , et qui s'accordent parfaitement dans les faits principaux
:
Le général Castenskiold s'est retiré des environs de Kiege ,
et s'est rapproché de la partie méridionale de l'ile . Suivant
toutes les apparences , ce mouvement n'avoit d'autre but que
de faciliter la jonction des renforts qui se trouvent dans cette
partie , et d'affoiblir en même temps le corps des assiégeans ,
en les forçant d'envoyer des troupes à sa poursuite. O est
même fondé à croire que cette retraite s'est opérée de concert
avec la garnison de Copenhague ; car d'après différentes nouvelles
( verbales à la vérité , mais cependant dignes de foi ) que
l'on a reçues de cette capitale , sa garnison auroit fait une
vigoureuse sortie , du 29 au 30 août , avec tant de succès , que
l'ennemi auroit perdu plusieurs centaines de prisonniers , et
un nombre considérables de canons. L'attaque fut dirigée
contre le château de Friederiksberg , où l'ennemi s'étoit
retranché , et nos obus y ont mis le feu . On assure d'un autre
côté, que notre flottille a profité d'un calme pour attaquer
les vaisseaux ennemis , et qu'elle en a maltraité plusieurs , au
' point qu'ils ont coulé à fond.
-
Du 8. Quoique la nouvelle de l'heureuse sortie exécutée
la garnison de Copenhague ne soit pas encore officiellement
confirmée , elle est néanmoins attestée par tant de lettres
par
SEPTEMBRE 1807 . 571
différentes , arrivées au quartier - général de Kiel , qu'on n'es
peut douter. La perte a certainement été très-considérable de
part et d'autre , puisqu'on a fait aux Anglais 500 prisonniers.
On dit que de notre côté , le grand- maréchal de la cour
M. de Hauch , qui commandoit le corps des étudians , a été
légèrement blessé à cette affaire. Le château de Friederiksberg,
où les Anglais s'étoientforteinent retranchés , au point de garnir
toutes les fenêtres de pièces de canon , a été incendié par
nos obus , et forcé non-seulement d'en déloger , en abandonnant
16 pièces dé canon , mais encore d'évacuer les environs.
Suivant le rapport d'un capitaine de navire qui vient d'arri
ver à Swinemunde , il y auroit eu , le 31 août , une forte
canonnade dans la rade même de Copenhague. Un autre capitaine
de vaisseau , arrivée à Lubeck , a déclaré aussi qu'en
passant , le31 août , devant Copenhague , il avoit été témoin
d'une très -vive action entre les Danois et les Anglais . Il étoit
si près du lieu du combat , que plusieurs boulets sont tombés
à côté de son bâtiment. Il dit que le feu des Danois étoit aussi
vif que celui de l'ennemi.
Helgoland n'ayant pu être approvisionné , cette petite île
s'est rendue à l'ennemi le 4 septembre. La garnison d'environ
40 hommes , la plupart invalides , a été faite prisonnière de
guerre ; elle est déjà arrivée à Gluckst , à bord d'un parlementaire
anglais. Plusieurs petits vaisseaux , entr'autres douze
bateaux pour la pêche du hareng , sont aussi tombés au pou
voir de l'ennemi. Les Anglais ont devant l'île d'Helgoland le
yaisseau de ligne le Majestueux, de 74 , amiral Russel ; le
quebeck , Commodore- Falkland, de 40 canons, et huit frégates
ou bricks,
Le Grand-Belt est bloqué entre Kierteminde et Callandsberg
par quelques frégates ennemies , et entre Langeland et
Corsoer par
de gros vaisseaux de guerre , et autres petits bâtimens.
Un certain nombre de cutters entretiennent la communication
entre les deux lignes ennemies. Cependant, malgré leurs
nombreuses croisières , nous apprenons que deux bataillons
d'infanterie légère , sous les ordres du major Sund , ont heureusement
atteint les côtes de la Sélande , dans la nuit du 2 au
3 de ce mois.
-
*
Du 11. Après trois jours et trois nuits de bombardement
consécutif, l'incendie de 5 à 600 maisons , et une blessure
dangereuse qui a mis le général Peymann hors de combat, Copenhague
a capitule , et les Anglais sont maîtres de la flotte.
Le prince Royal est désespéré de l'inexécution de ses ordres ,
mais sans être abattu. Qu'on attende quelques jours avant de
572 MERCURE DE FRANCE ,
nous juger, disoit ce prince, et l'on verra si nous sommes
dignes de l'estime de l'Europe, et sur-tout de celle de l'Empereur
Napoléon. Le prince est résolu à n'accéder à aucune
proposition , et à pousser la guerre avec plus de vigueur que
jamais. (Moniteur.)
Stralsund, 9 septembre.
Le roi de Suède est parti hier de Rugen pour retourner
dans ses Etats. Le baron de Toll qui commande son armée ,
sachant que les marins de la garde impériale étoient arrivés ,
qu'un grand nombre de bateaux étoient réunis , et que tout
étoit prêt pour l'expédition de Rugen , a demandé à entrer
enarrangement. Le maréchal Brune lui a envoyé le général
Reille. Le baron de Toll a offert la neutralité de l'île. On n'a
pas répondu à cette proposition. Le baron de Toll alors sest
rendu lui-même à Stralsund pour proposer un arrangement.
Il en est résulté la capitulation ci-jointe......
Le roi de Suède et l'armée suédoise paroissent indignés de
la conduite des Anglais. Des ordres ont été donnés en Suède
pour armer tous les ports , et se mettre en état de défense.
Desnouvelles sûres constatent que l'expédition anglaise contro
leDanemarck ne s'est pas faite de concert avec le cabinetde
Stockholm , qui a été surpris , comme tous les autres, de cette
étrange violation de tous les droits.
Capitulation de l'ile de Rugen.
Aujourd'hui 7 septembre 1807 , il a été convenu ce qui
suit entre les soussignés :
i°. L'armée suédoise évacuera l'île de Rugen, qui sera
occupée par l'armée française.
2. Après demain 9, à midi , l'armée française occupera ,
dans l'île de Rugen , le pays à l'ouest d'une ligne tirée de
Gustow à Dramendorf.
5°. Dans huit jours , l'armée suédoise se retirera dans le
Wittow, le Jasmund et le pays à l'est de Dunzewitz à Putbus.
4°. Dans douze jours , Wittew et Jasmund seront évacués
par l'armée suédoise.
5°. Dans vingtjours l'armée suédoise se retirera dans le pays
àl'estd'une ligne tirée de Dolgen à Gobbin ; et dans un mois
elle aura évacué toute l'île de Rugen , et les îles de Ummentz ,
Hiddensée , Vihn , Ruden et Greifswald-Oie.
6°. La marine suédoise évacuera les mers de Pomeranie et
deRugen aux époques fixées pour l'évacuation de l'armée.
7°. Si à cette époque de l'évacuation totale , il reste encore
des malades , des effets ou objets militaires et des chevaux
appartenans à l'armée suédoise , il restera des préposés suédois
pour en avoir soin et accélérer leur départ.
,
SEPTEMBRE 1807 . 573
8°. L'armée suédoise pourra faire fréter de gré à gré des
bâtimens de transport dans les ports de la Poméranie.
9°. Les bâtimens appartenans aux ports de la Pomeranie et
deRugen, qui seront emmenés en Suède par le transport de
l'armée , seront renvoyés fidèlement et le plus tôt possible ;
et ils seront escortés par la marine suédoise , de manière à ce
que leur navigation ne puisse être troublée par qui que ce
soit.
10°. Si , pardes événemens dè mer, quelquebâtiment portant
des troupes ou des effets militaires partis de Rugen , étoit jeté
sur les côtes de cette île ou de laPomeranie , il lui sera donné
assistance , et il sera regardé comme neutre.
Fait double à Stralsund, les jour , mois et an que dessus.
Signés BRUNE , maréchal d'Empire , commandant
en chef l'armée de S. M. l'Empereur des
Français , Roi d'Italie ; :
J. P. baron DE TOLL , général de cavalerie,
commandant les troupes suédoises dans
l'îlede Rugen.
PARIS , vendredi II septembre.
Traité d'armistice entre la Russie et la Porte-Ottomane.
La Sublime-Porte et la cour impériale de Russie , desirant
mutuellement et sincèrement mettre fin à la guerre qui divise
actuellement les deux Empires , et rétablir la paix et la bonne
harmonie avec la médiation de S. M. l'Empereur des Français
et Roi d'Italie , que les deux hautes parties contractantes ont
également acceptée , sont convenues qu'il y auroit sur-lee
champ armistice : elles ontnommé pour cet effet leurs pléni
potentiaires respectifs , c'est-à-dire , la Sublime-Porte , S. Exc .
Saïd-Mehemed-Galip-Effendi , ci-devant reis-effendi , et
actuellement neihandzi; et la cour de Russie , S. Exc. M. le
général Sergio Lascaroff, conseiller privé de S. M. l'Empereur
de toutes lesRussies , et chevalier de plusieurs ordres : lesquels ,
en présence de M. le colonel adjudant commandant Guilleminot
, envoyé par S. M. l'Empereur des Français et Roi
d'Italie, pour assister aux arrangemens relatifs à l'armistice,
sont convenus des articles suivans :
Art. Ir. Aussitôt après la signature de l'armistice , les généraux
en chef des deux armées impériales , savoir : S. A. le grandvisir
et S. Exc. le général Michelson enverront des courriers ,
pour que les hostilités cessent tout-à-fait de part et d'autre ,
tant sur terre que sur mer, dans les rivières , et en unmot,
partout où il se trouve des troupes des deux puissances.
374 MERCURE DE FRANCE ,
II. Commela Sublime-Porte et la Russie desirent également
de la manière la plus sincère, le rétablissement de la paix et de
la bonne harmonie, les hautes parties contractantes nommeront,
aussitôt après la signature du présent armistice, des
plénipotentiaires pour traiter et conclure la paix , le plus tôt
possible , dans tel endroit qu'ils auront jugé convenable. Și ,
pendant les négociations pour la paix , il s'élève malheureusement
des difficultés , et que les affaires ne puissent s'arranger ,
l'armistice ne sera rompu que le printemps prochain , c'est-àdire,
le 1er de la lune de safer , l'an de l'égire 1223 , et le 3
avril V. S. ou le 21 mars N. S. 1808 de l'ère chrétienne.
III. Aussitôt après la signature du présent armistice , les
troupes russes commenceront à évacuer la Valachie et la
Moldavie , ainsi que toutes les provinces , forteresses et autres
pays qu'elles ont occupés pendant cette guerre , et à se retirer
à leurs anciennes frontières ; de manière que l'évacuation
soit entièrement terminée dans l'espace de trente-cinq jours ,
àcompter de la date du présent armistice. Les troupes russes
laisseront dans les pays et forteresses qui doivent être évacués
par elles, tous les effets, canons et munitions qui s'y trouvoient
avant l'occupation. La Sublime-Porte nommera des
commissaires qui recevront lesdites forteresses des officiers
russes désignés à cet effet. Les troupes ottomanes sortiront de
même de la Moldavie et de la Valachie en dedans les trentecinq
jours , pour repasser le Danube.Elles ne laisseront dans
les forteresses d'Ismail , Braïlow et Giurgion, que les garnisons
suffisantes pour les garder, Les troupes russes correspondront
avec les troupes ottomanes , afin que les deux armées
commencent à se retirer en même temps de la Moldavie et de
la Valachie. Les deux parties, contractantes ne se mêleront
-nullement de l'administration des deux principautés de la
Moldavie et de la Valachie jusqu'à l'arrivée des plénipotentiaires
chargés de traiter de la paix, Jusqu'à la conclusion de
la paix, les troupes ottomanes ne pourront occuper aucune
des forteresses qui seront , en conséquence du présent armistice
, évacuées par les troupes russes. Les habitans seuls pourront
y entrer.
IV. Conformément à l'article précédent , l'île de Tenedos ,
ainsi que tout autre endroit dans l'Archipel , qui , avant que
la nouvelle de l'armistice y soit parvenue , aura été occupé par
-les troupes russes , sera évacué. Les vaisseaux russes qui sont
mouillés devant Tenedos ou quelqu'autre endroit de l'Archipel
, retourneront à leurs ports , afin que le détroit des Dardanelles
soittout-à-fait ouvert et libre. Si les vaisseaux russes ,
ense rendant à leurs ports , sont obligés de s'arrêter à quelque
SEPTEMBRE 1807. 575
endroit de l'Archipel , à cause d'une tempête ou de quelque
autre besoin indispensable , les officiers turcs n'y mettront
aucun obstacle , et leur prêteront , tout au contraire , les
secours nécessaires. Tous les vaisseaux de guerre ou autres
vaisseaux ottomans qui , pendant la guerre , seroient tombés
entre les mains des Russes, seront rendus avec leurs équipages ,
ainsi que les vaisseaux russes qui seroient tombés au pouvoir
des forces ottomanes. Les vaisseaux russes , en se rendant à
leurs ports , ne prendront à bord aucun sujet de la Sublime-
Porte.
V. Tous les bâtimens de flottille russe qui se trouvent dans
l'embouchure de la Sunné ou de quelque autre embouchure ,
sortiront et se rendrontà leurs ports, afin que les vaisseaux
Ottomans puissent aller et venir en toute sûreté. La Sublime-
Porte donnera des ordres pour que les bâtimens russes , se
rendant à leurs ports , soient respectés , et qu'il leur soit
permis d'entrer même dans quelque port ottoman en cas
qu'ilsy soient obligés par une tempête ou par quelqu'autre
besoin indispensable.
VI. Tous les prisonniers de guerre et autres esclaves des
deux sexes , de quelque qualité ou grade qu'ils soient , seront
incessaminent mis en liberté et rendus de part et d'autre sans
aucune rançon , à l'exception cependant des Musulmans qui
auroient embrassé volontairement la religion chrétienne dans
l'Empire de la Russie; et les chrétiens sujets de la Russie qui
auroient pareillement embrassé volontairement la religion
mahométane dans i Empire ottoman. Aussitôt après la conclusion
du présent armistice , tous les commandans , officiers
et habitans des forteresses de la Turquie qui se trouvent actuellement
en Russie , seront rendus et envoyés en Turquie avec
tous leurs effets et bagages.
VII. Le présent traité d'armistice , écrit en turc et en
français , a été signé par les deux plénipotentiaires et par
M. l'adjudant-commandant Guilleminot , et il a été échangé,
afin qu'il soit ratifié par le grand-visir et par S. Ex. le général
en chef Michelson.
Les deux plénipotentiaires auront soin que ladite ratification
soit échangée dans une semaine , ou plus tôt si faire
se peut.
Fait et arrêté au château de Slobosia , près de Giurgion ,
le 20 de la lune du Dgemaziül-Ahir , l'an de l'égire 1222 ,
et le 12 août V. S. , ou le 24 août 1807 N. S. de l'ère
chrétienne.
SignéGALIB-EFFENDI , SERGIO-LASKAROFF, GUILLEMINOT.
576 MERCURE DE FRANCE ,
La cour est revenue jeudi dernier à Saint-Cloud. Ilya eu le
matin conseil des ministres , et le soir tragédie. La cour est
restée douze jours à Rambouillet. Le prince-primat, le grand- .
duc de Wurtzbourg et le prince de Dessau, ont chassé plusieurs
fois avec LL. MM.
CORPS LEGISLATIF .
Dans saséance du 14 , le corps législatif a adopté le liv. 4
duCode de Commerce , intitulé : De la Juridiction commerciale.
Le 15, cinq projets de lois ont été sanctionnés : le premier
est relatif aux contrats à la grosse aventure , etd'assurance
; le second concerne les transactions maritimes ; le troisième
traite desavaries , de la contribution du frêt , et c; lequatrième
fixe au 1er janv. prochain l'époque à laquelle le Code du
Commerce sera exécuté ; le cinquième est relatifau budjet de
l'Etat. Le 16 , cinq autres projets ont été approuvés : ils sont
relatifs à l'organisation de la cour des comptes , à des imposisitions
pour la confection des routes, au desséchement
des marais , à des aliénations , concessions à rentes , etc. etc.
Le 17, le corps législatif a adopté un projet qui proroge la
loi qui attribue à la cour de justice criminelle de ta Seine la
connoissance du crime de faux des effets publics , ou qui
intéressent la comptabilité. Le 18 , MM. les conseillers d'Etat
chargés de présenter au corps législatif le décret impérial qui
déclare la session terminée , ont été introduits. M. Bouley (de
la Meurthe ) a fait lecture , au nom de S. M. , d'un sénatusconsulte
, en date du 19 août , dont les principales dispositions
portent qu'à l'avenir , et à compter de la clôture de
la session actuelle , les discussions des projets de lois qui
avoient lieu préalablement devant les sections du tribunat ,
seront faites par trois commissions créées dans le sein du corps
législatif, qui porteront les noms de commission de législation
civile et criminelle , commission de l'administration de l'intérieur
, et commission des finances. M. Fontanes , président ,
a répondu à cette communication par un discours qui a été
accueilli par les applaudissemens unanimes de l'assemblée.
La séance a été terminée par la lecture du procès-verbal
et levée aux cris répétés de vive l'Empereur !
1
FONDS PUBLICS..
DU VENDREDI 18. - C p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807, fermée. 000.00€
ooc oo oo oo ooc coc ooc oof ooc ooc oof ooc one ooc ooc oof oac
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 84f50c 80с. 850 оос оос
Act. de la Banque de Fr. avec donblement oooof oooof oo oooof
(NO. CCCXXIII. )
(SAMEDI 26 SEPTEMBRE 1807 .
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DEPT
DE
LA 5.
cen
ODE
A L'IMAGINATION.
IMAGINATION , riche et brillante fée ,
Prends le pinceau d'Apelle et la lyre d'Orphée ;
Soutiens mes chants ; colore , embellis mes tableaux :
J'implore ton secours . Viens , tandis que Morphée
Sur le globe assoupi distille ses pavots.
Viens les cheveux flottans , la gorge demi-nue :
Sur l'aile des zéphyrs mollement soutenue ,
Qu'un voile transparent trahisse tes appas ;
: Et que tes doigts de rose , entr'ouvrant une nue,
Laissent tomber des fleurs , mais ne les sèment pas .
Tu m'exauces , tu sors de l'azur d'un nuage ;
Un sillon de lumière a marqué ton passage :
Des Jeux autour de toi je vois planer l'essaim ,
Et de Sylphes légers une troupe volage ,
Se mêlant aux Amours , folâtre sur ton sein.
Les Plaisirs séducteurs , la Gajeté , la Paresse ,
Les Ris , l'Illusion , aimable enchanteresse ,
Qui d'erreur en erreur promène les humains ,
En groupes variés entourent la déesse ,
Et se parent des fleurs qui tombent de ses mains .
Viens- tu , fille des Dieux , du palais de l'Aurore ?
Dis , es-tu soeur d'Iris ? Plus riante que Flore ,
578 MERCURE DE FRANCE ,
1
Oùprends-tu les couleurs dont tu peins l'Univers ?
Que vois-je ? Un autre monde à mes yeux vient d'éclore :
Ceciel est toujours pur, ces champs sont toujours verts.
Prêtant un nouvel être à la nature entière ,
Tu souris , et soudain respire la matière :
Tu fais parler la Mort , tu fais voler le Temps ;
Et l'Olympe , à ta voix levant sa tête altière ,
Tressaille sous les pieds du vainqueur des Titans .
Pour réchauffer les nuits de la zone glacée ,
Tu plaças près du pole Andromède et Persée :
Tout arbre a sa Dryade , et tout fleuve est un Dieu.
Donnant une ame au marbre , un corps à la pensée ,
De vie et de bonheur tu remplis chaque lieu.
C'est toi qui du Printemps viens tresser la couronne ,
Qui du sang d'Adonis teins la pâle anémone ,
Et parfumes la rose au souffle de Cypris .
Tu dores , tu mûris , sous la main de Pomone ,
Ces fruits , présens d'amour dont Vertumne est épris .
Veux- tu calmer les flots que la tempête agite ,
Hymen endort leur roi sur le sein d'Amphytrite....
Ah! fais plus , ferme encor le temple de Janus ;
Et de ces jours de deuil précipitant la fuite ,
Conduis Mars désarmé dans les bras de Vénus .
Pénétrant sans effort jusqu'aux royaumes sombres ,
Sur les rives du Styx tu fais errer les ombres;
Puis , ramenant les morts au séjour des vivans ,
De spectres courroucés tu peuples ces décombres ,
Où leur funèbre cri se joint au bruit des vents.
Tu fais couler sans cesse , au sein de l'Elysée ,
Ces limpides ruisseaux qui , dans leur pente aisée ,
Murmurent le sommeil ou roulent le bonheur ,
Et ce Léthé paisible où notre ame abusée
Boit des maux à longs traits l'oubli consolateur.
Tout suit tes lois : le temps , l'espace , la nature.
Du palais des Destins perçant la nuit obscure ,
Tu vois dans le passé, tu lis dans l'avenir;
Et ton miroir magique à la race future ,
Des jours qui ne sont plus transmet le souvenir.
Loin, bien loin les jardins et d'Armide et d'Alcine !
Tout peint danstes travaux ta céleste origine :
SEPTEMBRE 1807 . 579
Tu surpasses les Dieux même en les imitant;
Ils n'ont créé qu'un monde , et sous ta main divine
Mille mondes plus beaux naissent à chaque instant .
Heureux qui dès l'enfance a distingué tes traces;
Qui, bercé par tes chants , caressé par les Graces ,
Ates lois , à ton culte a consacré ses jours !
Libre au milieu des fers , calme dans les disgraces ,
Il pense , espère , sent , aime et jouit toujours .
S'élançant avec toi vers l'immense Empyrée ,
A l'éternité seule il borne sa durée.
Les siècles ont passé , l'Univers se dissout :
Planant sur ses débris , dans sa course assurée ,
Il triomphe du Temps , qui triomphe de tout.
Accourant sur tes pas, les Talens , le Génic ,
Tous les Arts dont la Grèce enrichit I Ausonie ,
Ou doublent nos plaisirs , ou trompent nos ennuis :
D'une teinte brillante ils colorent la vie ;
Ils remplissent nos jours , ils abrègent nos nuits .
C'est toi qui , dans ces vers si chéris d'Alexandre ,
De Pergame détruit éternises la cendre:
Au sein des immortels tu transportas Platon ;
Etdans ce gouffre horrible où Dante osa descendre ,
Tu trempas fièrement le pinceau de Milton .
O si par tes faveurs je comptois mes journées ,
Si , par d'heureux travaux forçant les destinées ,
Mon nom pouvoit s'unir à ces noms immortels,
Déesse , que j'aimai dès mes jeunes années ,
Que d'encens tu verrois fumer sur tes autels !
Quel penser téméraire en mon ame s'éveille !
Ces chantres qui du Pinde ont été la merveille,
Aigles audacieux , planent au haut des airs ;
Et moi , d'un vol timide, et semblable à l'abeille ,
J'erre de fleurs en fleurs sous des ombrages verts .
Eh bien ! champs paternels , prés fleuris , frais bocages ,
Bords sacrés du Léman, couverts d'épaís feuillages ,
Inspirez-moi des vers naturels et touchans ,
Et peut-être qu'un jour , parcourant vos rivages,
Nos neveux attendris répéteront mes chants.
Nota. Cette belle odevest de M. DE BRIDEL , déjà avantageusement
connu par unRecueil de Poésies , imprimé à Lausanne en 1786.
002
580 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGME.
QUOIQU'IL Soit aisé de me voir ,
Me palper est chose impossible ;
Le jour je puis être visille ,
Mais je ne règne que le soir.
Toujours le sol il me fait naître ,
Et, dans mon bizarre destin ,
•Géant à sa naissance , ainsi qu'à son déclin ,
Au milieu de son cours on me voit disparoître ,
Pour grandir encore à la fin.
Père et fauteur de la mélancolie ,
Parfois je charme tes loisirs :
J'intimide Chloé et j'enhardis Sylvie ;
J'inspire la terreur et flatte les desirs ;
Je suis l'emblème de 'a vie ,
Et l'image de tes plaisirs .
LOGOGRIPHE.
LECTEUR , si tu m'ôtes la tête ,
Je charmeles hôtes des bois ,
De l'Enfer je fais la conquête ,
Et tout rend hommage à ma voix .
Avec ma tête , dans la Fable ,
Ministre d'un des premiers Dieux ,
Je tiens de lui le pouvoir ineffable
De te plonger , quand je le veux ,
Dans son calme délicieux .
CHARADE .
LE cerf s'agite au bruit de mon premier ;
Le jardinier cultive mon dernier ;
L'on se pare avec mon entier .
Par un Abonné.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Cloche .
Celui du Logogriphe est Mariage , où l'on trouve mari, age, ame ,
ami , air, mer, amer, rege , rime , ire, ramage..
Celui de la Charade est Char-pie
SEPTEMBRE 1807 . 581
Eusèbe , Héroïde ; par J. D. Laya , professeur de belleslettres
au Lycée Charlemagne. Avec cette épigraphe ,
tirée de l'ouvrage :
« Mon ami, l'avenir est pour l'homme un abyme :
>> Au- delà du présent , trop sûr de s'égarer ,
>> Heureux , il doit jou'r ; malheureux , espérer. »
Prix : 75 c. , et 1 fr. par la poste. AParis , à l'imprimerie
de l'Institution des Sourds - Muets , sous la direction
d'Ange Clo , rue du faubourg Saint-Jacques , n° . 256 ;
et chez le Normant.
L'HÉROÏDE , inconnue chez les Grecs , prit naissance chez
les Latins ,et c'est Ovide qui en est l'inventeur . Les Héroïdes
qu'il nous a laissées sont estimées des connoisseurs ; mais on
a remarqué avec raison qu'elles se ressemblent toutes par le
sujet ; qu'elles offrent toujours des amantes malheureuses et
abandonnées ; qu'elles contiennent toujours des plaintes ,
toujours des regrets , toujours des reproches , et qu'elles
pèchent , conséquemment , par un défaut qu'un écrivain
ne sauroit trop éviter , la monotonie. Ovide , d'ailleurs , n'a
pas su se préserver d'un autre défaut qui se fait assez généralement
sentir dans ses autres ouvrages , celui de faire abus
d'esprit; et s'il est un genre de poésie où ce défaut doit
singulièrement choquer l'homme de goût , c'est sur-tout
'Héroïde , genre exclusivement consacré à la passion et au
sentiment , et dans lequel le coeur seul doit parler .
Ovide n'a pas eu d'imitateurs parmi les anciens ; et comme
on ne peut appeler Héroïdes les pièces que Fontenelle a
données sous ce titre , tant le ton en est commun , et le style
foible , pour ne pas dire plat , il ne paroît pas qu'il en ait eu
parmi les modernes , jusqu'au moment où le célèbre Pope
publia en Angleterre son Epître d'Héloïse à Abailard. Le
succès de cet ouvrage , inspiré sans doute par la lecture des
Lettres si touchantes et si passionnées d'Héloïse elle-même ,
ne devoit pas rester toujours ignoré des Français . Longtemps
nos études et nos connoissances en littérature s'étoient
à-peu-près bornées aux écrits des Grecs et des Latins ; et
quant à ce que nous appelons la littérature étrangère , elle
ne s'étendoit guère au-delà des productions en prose et en
vers de l'Italie moderne. Les écrits des auteurs anglais , et
c'est à Voltaire que nous en avons l'obligation , arrivèrent
3
582 MERCURE DE FRANCE ,
,
enfin jusqu'à nous . On les traduisit , on les imita; etparmi les
imitations se fit principalement remarquer celle de l'Epître
dePope , par Colardeau. C'étoit le début de ce poète aimable
etdistingué, et c'est son chef-d'oeuvre . En traduisant Pope
il devoit craindre de rester au-dessous de lui; et s'il lui est
inférieur dans quelques morceaux de force , il lui est au
moins égal en sensibilité , et supérieur en graces et en
abandon. Le bruit que fit l'Epître de Colardeau , lorsqu'elle
parut, ne tint donc pas seulement à la nouveauté du genre ,
au sujet , au nom de l'héroïne que le poète faisoit parler ,
elle devoit réussir par le talent qui y brille , talent qui s'annonçoit
avec un éclat extraordinaire , par l'art et la vérité
avec lesquels sont peints tous les tourmens d'un coeur sensible
et passionné , par le bon goût qui règne en général
dans le choix des pensées, des images et des expressions.
Après un pareil début , on devoit beaucoup attendre de
Colardeau. Il crut ne pouvoir mieux justifier les hautes
espérances qu'on avoit conçues de lui , qu'en publiant un
nouvel ouvrage dans le genre de celui qui l'avoit fait connoître
și avantageusement. Pope avoit été son guide dans
l'Epître d'Héloïse à Abailard ; il l'avoit suivi pas à pas ; il
voulut marcher à-peu -près seul , en composant l'Epître
d'Armide à Renaud , et rivaliser même avec Quinault et
le Tasse. Mais il s'égara . Autant son premier ouvrage est
animé , brûlant , autant le second est languissant et froid.
Le style de l'un est harmonieux , élégant , poétique ; celui
du second est souvent foible , prosaïque et lâche ; enfin , ce
ne sont plus les mêmes couleurs , les mêmes pinceaux ni le
même peintre.
Si l'Epitre d'Armide à Renaud eût précédé celle d'Héloïse
à Abailard , il est probable que le genre de l'Héroïde eût
trouvé fort peu de partisans ; mais on avoit lu , on relisoit
sans cesse l'imitation de Pope , et une vive émulation s'étoit
élevée entre la plupart des poètes alors vivans , pour obtenir
un succès pareil à celui de Colardeau. Dorat qui ne doutoit
de rien , et essayoit tout , fut le prémier à se présenter dans
la lice ouverte par son ami ; et , pour être plus sûr d'attirer
sur lui les regards , fit une réponse d'Abailard à Héloïse .
Cette réponse , très-inférieure à la lettre d'Héloïse , n'est
pourtant pas ce que Dorat a fait de plus mauvais : on y
trouve quelques vers bien tournés ; mais elle pèche
essentiellement par le fond. Ce n'est qu'une lamentation
éternelle d'Abailard sur l'état affreux où l'ont réduit
les bourreaux que l'oncle d'Héloïse avoit armés contre lui ,
les tourmens , le désespoir , la rage qu'il en éprouve , y re
SEPTEMBRE 1807 : 583
viennent presque à chaque instant ; et ily a au moins de
la maladresse à fixer si souvent l'imagination du lecteur sur
une pareille idée , sur une pareille image. La pièce d'ailleurs
n'est pas exempte des autres défauts que l'on trouve dans les
productions poétiques de Dorat ; il y a de l'incohérence , du
vague et de la déraison. Soyons justes pourtant : Dorat,
dans la lettre du comte de Comminges à sa mère , et dans
celle de Barnevelt à Trumant , a une manière différente
de sa manière habituelle ; il met de l'ordre dans ses idées , et ,
ce qui n'est pas moins étonnant , son style en général est
naturel.
Je pourrois après Dorat , ou concurremment avec lui ,
çiter La Harpe , qui débuta par quelques Héroïdes; Barthe
qui en fit une assez remarquable sous le titre de Lettre de
l'abbé de Rancé à un ami ; et d'autres poètes encore , qui
s'exercèrent plus ou moins heureusement dans un genre qui
étoit devenu à la mode ; mais il me suffit , je crois , de dire
que Colardeau ne fut effacé , ni même balancé par aucun de
ses rivaux , et que malgré les efforts que l'on fit pour conserver
à ce genre , mauvais en lui-même , la faveur extraordinaire
dont il avoit joui à son apparition , il ne tarda pas à
être abandonné.
En effet , de longues années s'écoulèrent sans qu'il parût
une seule Héroïde. Il étoit réservé à M. Laya de rappeler
P'attention sur cette sorte de composition. Sa Lettre de la
Présidente de Tourvel à Valmont , publiée il y a cinq ou
six ans , eut du succès , et elle le méritoit. Elle attache par
le fond et par les détails . Le styleen est ferme et nourri de
pensées , et l'intérêty est gradué avec art. Pourquoi M. Laya ,
après l'accueil qu'avoit reçu cette production , a-t-il gardé
un long silence ? On se l'est demandé ; et si l'on en cherchoit
la raison , peut- être la trouveroit-on dans la répugnance
que peut éprouver un homme de mérite à ne publier des
ouvrages que pour être l'objet du dénigrement injuste
dans lequel se complaisent certains critiques de nos jours.
Quoi qu'il en soit, la verve de M. Laya s'est réveillée ,
et il vient de nous donner une nouvelle Héroïde . Mais
sa pièce devoit- elle porter ce titre ? Dans l'Héroïde , ce
sont, comme le mot l'indique , des héros qui sont censés
écrire ; ce sont du moins des personnages dont le
nom seul excite déjà l'intérêt par les souvenirs touchans
qui s'y rattachent. Or , M. Laya pouvoit bien qualifier
d'Héroide la lettre de la Présidente de Tourvel à Valmont ,
parce que le roman où figure cette femme , malheureuse
victime d'un séducteur, est très-connu , et que dès-lors elle est
4
584 MERCURE DE FRANCE ,
devenue un personnage en quelque sorte célèbre. Mais quels
sont les héros ou les personnages célèbres qui paroissent dans
sa nouvelle Hérovie ? Eusèbe et Thérèse. Ils ne sont point
connus . On n'a jamais entendu parler de leurs malheurs :
leur nom même n'éveille aucune idée élevée. M. Laya
ne devoit donc pas intituler sa pièce Eusèbe , Héroïde ; mais
se contenter de lui donner ce titre plus simple et plus convenable
: Lettre d'Eusebe à son ami. Colardeau , sur ce
point, lui avoit donné la leçon et l'exemple.
J'abandonne au jugement de M. Laya cette observation ,
qui lui a déjà été faite , et je passe au fond de son ouvrage.
Il y a de l'intérêt ; et si ce n'est qu'une fiction , elle est touchante
et heureusement imaginée. Eusèbe , à vingt ans , est
resté sans famille , sans fortune , sans autre ressource que
des dons naturels , cultivés par une bonne éducation et de
grandes dispositions pour l'éloquence . Il veut tenter la
fortune dans les colonies , s'embarque , arrive , obtient des
succès , rencontre une jeune personne charmante et l'épouse .
Quelque temps après , le souvenir de sa patrie , qui est aussi
celle de sa femme , se réveille dans leurs ames . Ils partent ,
emportant avec eux tout се qu'ils possèdent ; mais une
horrible tempête les surprend dans la traversée : ils font
naufrage , et leur vaisseau brisé s'abyme à la vue des côtes .
Eusèbe est jeté seul sur le rivage; et dans son désespoir , il
est trop heureux de trouver un asile chez des religieux
hospitaliers . Comme il a tout perdu , il veut s'ensevelir dans
leur maison; il prend donc l'habit de novice , et prononce ses
voeux. Un jour , qu'exerçant son talent oratoire , il prêche
devant une nombreuse assemblée de fidèles , leur fait le
récit de ses malheurs, leur avoue que l'amour tourmente
encore son coeur , et s'en accuse , un cri lamentable se fait
entendre. Il reconnoît la voix de sa femme..... Un moment
Jes rapproche ; mais la religion qui les avoit unis élève désormais
entr'eux une insurmontable barrière ; et tout en déplorant
leur sort , ils se disent un éternel adieu .
Ce court exposé justifie , ce me semble , ce que j'ai dit
du fond de l'ouvrage de M. Laya. Quant au style , il est
ferme , et ne manque ni de chaleur, ni de mouvement. Ily
a bien quelques taches , parce qu'il est difficile de faire un
ouvrage parfait; mais elles sont en petit nombre , et rachetées
par des morceaux où se déploie un vrai talent. Je n'en
chercherai pas dans ces huit vers , où le poète parle des religieux
qui l'ont recueilli après son naufrage :
D'un tendre égarement victime intéressante ,
L'un offroit à son Dieu sa plaie encor récente ;
1
SEPTEMBRE 18072 / 585
L'autre, sur son vieux front , où revit le passé ,
Laissoit lire un regret qui s'est mal effacé.
D'un long tourment d'amour ce front portoit l'empreinte ;
La trace reste encor , si la flamme est éteinte.
Je voyois dans ces traits que l'amour a minés ,
L'image de ces rocs par les feux calcinés .
,
Ces vers n'ont rien de repréhensible. Cependant , un de
ces critiques bienveillans dont j'ai parlé, s'amusant à les
citer par distiques , s'écrie : Il est CLAIR que c'est un Chartreux
amoureux ; voyons le SECOND .... c'est encore un
Chartreux amoureux , si je ne me trompe; voyons le TROISIÈME
.... encore un Chartreux amoureux ; enfin , M. Laya
les peint tous in globo . Il est CLAIR que le critique a lu
sans attention ou qu'il n'est pas de très-bonne foi. Il n'est
question dans cette tirade que de deux Chartreux. Le poète
consacre deux vers à l'un , et six vers à l'autre : cela saute
aux yeux ; mais on veut être plaisant , et on l'est per fas et
nefas. Moi , qui ne crois pas que , même en littérature , on
puisse être plaisant aux dépens de la vérité , je ne prêterai
point à M. Laya , pour égayer le lecteur , des torts qu'il
n'a pas ; mais je me permettrai de lui dire , avec tous les
égards que l'on doit à un homme de talent , qu'il y a dans
sa pièce quelques inversions forcées , telles que celles-ci :
Solitude bruyante , aux doux loisirs contraire ;
Denos plus chers tourmens , où tout vient nous distraire....
Souvent est près de nous le bien qu'on croit perdu , etc.
Cette dernière inversion pèche même contre la règle géné
rale , qui veut qu'un vers renfermant une maxime , n'offre
qu'un tour simple et facile ; témoins les vers suivans :
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.
Chassez le naturel , il revient au galop .
Il n'est de pire Etat que l'Etat populaire , etc.
J'engage encore M. Laya , lorsqu'il réimprimera son
ouvrage , à faire disparoître quelques-uns de ces vers qui
pe présentent que la même image :
Mes pleurs avoient baigné la tombe de ma mère ....
Oh ! que puissent mes pleurs
Bientôt mouiller ton sol ....
Ces prêtres , exercés aux secrets des douleurs ,
Ont bientôt dans mes yeux lu celui de mes pleurs .
Et, pour tarir mes pleurs , près de mon lit pleurer.
L'impartialité_me faisoit un devoir d'adresser quelques
reproches à M. Laya ; elle m'en fait un plus doux mainte-
1
586 MERCURE DE FRANCE ,
nant , celui de citer l'un des morceaux qui prouvent en
faveur de son talent. Je prends celui où Eusèbe raconte son
naufrage :
Sous nos pieds la mer tonne , et le ciel sur nos têtes.
Mon vaisseau , frèle abri qu'assiégent les tempêtes ,
Par la vague tantôt vers la côte lancé ,
Enpleine mer, tantôt , par elle repoussé,
Jouet de son caprice , ici fuit dans l'abyme ;
Là, sur elle incliné , monte et pend à sa cîme.
De ténèbres , de feux, d'ondes environnés ,
Par la terre et la mer et le ciel condamnés ,
Pournous,plluuss de refugeen cet abyme immense ,
Où l'antique chaos sous nos pieds recommence.
C'en est fait ! ... Recevez , terre de nos neveux ,
Pour vos races et vous l'hommage de nos voeux .
Reçois , sol paternel , les ames tugitives
De tes fils sans tombeaux expirant sur tes rives.
En ce commun désastre , en ces momens affreux ,
Du nmoins je goûte encor le bonheur douloureux
De mourir embrassé de celle que j'adore ......
Qu'ai-je dit ? ... Ce bonheur.... Non , il m'échappe encore !
Le foudre souterrain , s'élançant de nouveau ,
Rugit, éclate , entraîne et brise mon vaisseau ,
Dont les mille débris , que chasse au loin sa rage ,
Avec un long fracas sont vomis sur la plage.
Sous la garde du Dieu qui protège mes jours ,
Poussé par ces débris j'en ai suivi le cours,
Mais seul ! Les flots jaloux m'ont ravi ce que j'aime.
Déplorable moitié de cet autre moi-même ,
Sur le sable jeté , tout meurtri , tout sanglant ,
Epargnépar la mort , ma's bientôt l'appelant ,
Quandle jour de mes sens me rend enfin l'usage ,
Etne me laisse plus douter de mon venvage !
Quel terrible moment! ... quels pensers ! ... quel effroi ! ...
Devant-moi l'Océan ! des débris , rès de moi,
Et des corps mutilés qui gissent sur l'arêne ! ...
Sur ce champ de la mort en rampant je me traîne ,
Observant , d'un regard sinistre et douloureux ,
Jusqu'en leurs moindres traits ces cadavres affreux ;
La cherchant , m'écriant , craignant de reconnoître
Ses restes adorés.... Le souhaitant peut- être ....
Je m'arrête à regret ; j'aurois pu transcrire encore , et le
lecteur , sans doute , m'en auroit su gré. Quel que soit cependant
le talent que M. Lava a montré dans cette seconde
Héroïde , j'oserai lui conseiller d'abandonner un genre qui ,
je le répète , est mauvais en lui-même , et de se livrer plutôt
à celui dans lequel son Epitre à un Jeune Cultivateur lui
promet des succès non moins certains et plus durables . Une
Héroide n'est qu'une sorte d'amplification de collége , un
long monologue où le poète semble réduit à n'employer
que trois figures , l'apostrophe , l'exclamation et la dubitaSEPTEMBRE
1807 . 587
?
tion. Unde nos poètes vivans , auteur de plusieurs Héroïdes
qui ont contribué à lui faire un nom dans la république des
lettres , avoit adressé à Voltaire celle de Gabrielle d'Estrées ;
il reçut cette réponse , dans laquelle deux vers contiennent
un reproche que l'on peut faire à toutes les Héroïdes :
Mon amour propre et vivement flatté
De votre écrit ; mon goût l'est davantage.
On n'a jainas par un plus doux langage ,
Avec plus d'art b'essé la vérité.
:
Pour Gabrielle , en son apoplexie ,
Aucuns diront qu'elle parle long-temps.
Mais ses discours sont si vrais , si touchans,
Elle aime tant , qu'on la croiroit guérie .
Tout lecteur sage avec plaisir verra
Qu'en expirant , l'aimable Gabrielle
Ne pense point que Dieu la damnera
Pour aimer trop un amant digne d'elle.
Avoir du goût pour le Roi Très-Chrétien
C'est oeuvre pie : on n'y peut rien reprendre .
Le Paradis est fait pour un coeur tendre ,
Et les damnés sont ceux qui n'aiment rien.
V....
Maximes et Réflexions sur différens sujets de morale et de
politique , suivies de quelques Essais ; par M. de L. Un
vol. in- 12. Prix: 3 fr. , et 4 fr. par la poste. A Paris ,
chez Xhrouet , lib . , rue des Moineaux ; et chez le Normant .
M. DE L. a pris pour épigraphe le passage suivant des
Considérations sur les Moeurs : « Il seroit à souhaiter que
>>ceux qui ont été à portée de connoître les hommes , fissent
>>part de leurs observations ; elles seroient aussi utiles à la
>> science des moeurs , que les journaux des navigateurs l'ont
>>été à la navigation. » Il a prouvé par son exemple la justesse
de l'observation de Duclos . En effet on reconnoît , en
lisant son livre , qu'il doit autant à l'expérience qu'à la méditation
; qu'il n'a écrit qu'après avoir beaucoup vu , et jugé
qu'après avoir comparé. L'impartialité et la modération ,
qui ont toujours fait la base du caractère de M. de L. , n'ont
été nullement altérées par les événemens de la révolution ,
dont il a été la victime comme tant d'autres ; mais nul n'a
mieux profité de cette maxime salutaire que l'on trouve dans
son ouvrage : « Le temps le plus mal employé est celui que
>>l'on donne aux regrets , à moins qu'on n'en tire des leçons
>>pour l'avenir . » Ce n'est qu'à la manière dont il peint les
cours , que l'on peut s'apercevoir qu'il occupoit un rang
très-distingué dans la société .
588 MERCURE DE FRANCE,
Après tant de livres de morale , il sembloit téméraire
d'écrire sur un sujet si rebattu ; mais M. de L. a démontré
qu'il y avoit encore des vérités neuves et utiles , et qu'une
expression piquante pouvoit donner aux pensées déjà connues
le charine de la nouveauté.
L'ouvrage commence par des maximes ; en voici quelquesunes
:
« Conduisez- vous avec la fortune comme avec les mau-
» vaises paies : ne dédaignez pas les plus foibles à - comptes . »
« La plupart des peines n'arrivent si vite que parce que
>> nous faisons la moitié du chemin . »>
Lorsque la résistance est inutile , la sagesse se soumet ,
» la folie s'agite , la foiblesse se plaint , la bassesse flatte , la
» fierté supporte et se tait . »
« Les événemens prévus par les bons esprits ne manquent
guère d'arriver ; mais la fortune se réserve deux secrets ,
» l'époque et les moyens. » Y
« La vérité n'est si difficile à connoître , que parce qu'il y
>> a encore plus de trompés que de trompeurs . »
« S'il est plus satisfaisant pour l'amour-propre de con-
» vaincre , il est plus sûr pour l'intérêt de persuader.
«<
>>
Puisque les hommes sont injustes , et que malheureu-
» sement ils sont partout divisés en deux classes , les puis-
» sans et les foibles , tâchons , par tous les moyens que per-
» met la vertu , de nous placer dans la première , non pour
» être oppresseurs , mais de peur d'être opprimés.
« Le temps est comme l'argent ; n'en perdez pas , vous
»
en aurez assez . »
>>
« L'ennui est une maladie dont le travail est le remède ; le
plaisir n'est qu'un palliatif. »
« On se lasse de tout , excepté du travail . »
« L'humeur porte sa peine. »
« Le génie crée , l'esprit arrange. »
« La bassesse trouve le moyen de dégrader ce que les
>> hommes ont de plus noble à donner et de plus doux à
» recevoir , les louanges les louanges méritées »
« L'envie décèle la médiocrité , les grands caractères ne
connoissent que les rivalités . >>
« Les foiblesses des hommes supérieurs satisfont l'envie
> et consolent la médiocrité . »
»
« Les succès couvrent les fautes ; les revers les rappellent.
« La vertu est le triomphe de la générosité sur l'intérêt .
« La grande difficulté dans l'éducation , consiste à tenir les
enfans dans la soumission , sans dégrader leur caractère . »
« Le moyen de passer doucement la vie , est de préférer
.
SEPTEMBRE 1807 . 589
» les plaisirs qui viennent de l'habitude à ceux que donne
» le changement. »>
« Il ne faut pas trop regarder à travers les bonnes
>> actions . >>
« Puisque l'âge diminue les agrémens en nous laissant
» nos défauts , et que la considération est la seule indemnité
» de la vieillesse , tâchons de devenir plus respectables à me-
» sure que nous devenons moins aimables . »
Dans un chapitre sur l'amour- propre , sujet qui paroissoit
épuisé par M. de la Rochefoucault , on trouve les réflexions
suivantes :
« Lorsqu'enfin les hommes sont forcés de convenir de
» leurs erreurs , ils ne se dispensent guère de faire un compliment
de condoléance à leur amour-propre . J'ai eu lort ,
» mais j'ai raison à présent. Remarquez que la raison est
toujours au présent , et le tort au passé. »
>>
»
« Si la flatterie a des succès à la cour , la dignité a sa po-
» litique ; mais il n'est pas donné à tout le monde d'user de
>> ce moyen. »
Quand par hasard la flatterie ne réussit pas , ce n'est
» pas sa faute ; c'est celle du flatteur. »
....
« Vous croyez que vous êtes modeste...
» savois pas si orgueilleux . »
»
«<
Je ne vous
L'orgueil de la naissance seroit le plus sot et le plus
insupportable de tous , sans l'orgueil des parvenus , qui
» semblent toujours pressés de regagner le temps perdu . »
« C'est par amour- propre que l'on aime tant les gens
>> modestes . >>
M. de L. a aussi écrit sur les femmes : ses opinions sur
elles nous paroissent en général trop sévères . Cependant il a
fait un beau portrait de la mère de famille ; mais on a droit
de s'étonner qu'il ne dise rien de l'épouse tendre et vertueuse
, de celle qui double les charmes de la paternité , et
sans laquelle l'homme ne connoitroit guerre les délices de
l'amour vertueux . Ce chapitre finit par une observation qui
ne nous paroît pas indigne de Montesquieu , dont elle rappelle
la manière :
« En Europe , les femmes valent mieux que les moeurs ;
» dans l'Orient , c'est le contraire. »
Le chapitre suivant traite de l'amour et de l'amitié ; nous
choisissons les articles les plus courts :
« L'amant jure d'aimer toujours , et change bien vîte .
>> L'ami ne jure point , et aime toujours ; mais l'amant et
» l'ami sont la même personne . Ainsi , la vie se passe à
promettre sans tenir, et à tenir sans promettre. »
590
MERCURE DE FRANCE ,
« Il est assez facile de trouver une maîtresse , et bien aisé
» de conserver un ami : ce qui est difficile , c'est de trouver
» un ami et de conserver une maitresse . »
« L'amant passionné peut pardonner une infidélité , mais
» il ne s'en console point , parce qu'il sait qu'elle diminue
» nécessairement l'amour de sa maîtresse . »
« L'infidélité irrite l'amour , mais n'en guérit point. . . .
» Dirai-je ce qui le tue ? Ce sont des poisons lents , l'ennui
» et la satiété.“ »
« Les amans regardent comme des ingrats ceux qui ne
» répondent pas à leur tendresse ; cependant l'amour n'est
» pas un bienfait , mais l'amour- propre offensé est souve-
» rainement injuste . »
« Si quelque chose peut adoucir la douleur que nous
» cause la perte d'un ami , c'est la certitude qu'il étoit mal-
» heureux et sans espoir d'un meilleur sort . »
« Tâchons de nous persuader qu'il y a de l'égoïsme dans
nos regrets . »
La première partie de l'ouvrage est terminée par un assez
grand nombre de pensées détachées. Nous en citerons
quelques-unes :
« Ne pas vouloir les moyens de ce qu'on veut , est une
» bien commune inconséquence . »
« Il y a un moyen sûr , mais un peu cher , de faire
» prendre à un fripon toutes les apparences d'un honnête
» homme; c'est de lui donner cent mille livres de rente . »
« Plaisir de faire plaisir , jouissance délicieuse inconnue à
» l'égoïste , que vous dédommagez bien l'homme sensible de
» la part qu'il prend aux souffrances d'autrui ! »
« Si la fortune pouvoit récriminer , on seroit moins
» prompt à l'accuser . »
>>
« La modestie , ce doute aimable de son mérite , est dans
>> la nature aussi bien que l'amour- propre ; mais l'humilité
» n'est qu'une pénitence que la religion impose à l'orgueil . »
« Ce qui dégoûte les bons esprits des discussions métaphysiques
, c'est que , pour l'ordinaire , on commence
>> par ne pas s'entendre , et que l'on finit par se quereller .
Depuis quelques années , je suis devenu bien plus
J'entends : vos forces ont diminué . »
« Il y auroit de quoi faire bien des heureux avec tout le
»bonheur qui se perd dans le monde. »
«
»
sage .
« Lorsque les passions meurent , les goûts en héritent . »
Puisque nous sommes en butte à des maux inévitables ,
» la sagesse est la science des compensations . »
«<
La seconde partie de l'ouvrage de M. de L. , traite de la
SEPTEMBRE 1807 . 531
politique ; et d'abord nous observerous que , quelque jugement
que l'on porte sur ses opinions , on doit lui savoir gré
de son extrême clarté , qualité toujours précieuse , mais
dont quelques écrivains modernes qui visent à la profondeur
et ne rencontrent que l'obscurité , nous font encore
mieux sentir le prix.
Lorsque l'on joint à des intentions pures , de la justice et
de la modération , il est permis de traiter les sujets les plus
délicats. Voici comment s'exprime M. de L. , dans un
chapitre sur la noblesse et l'égalité :
« Dans un état bien ordonné , le peuple doit retirer plus
» d'avantages de la noblesse que les nobles eux-mêmes. »>
« Lorsque la noblesse n'est pas accessible au mérite , les
» distinctions qu'elle procure outragent la justice , et exci-
» tent l'indignation de toute ame indépendante et fière . »
« Combien de services rendus à l'Etat , pour un bout de
» ruban ou un vain titre , et combien peu d'actions glorieuses
» pour obtenir une place dans l'histoire ! C'est que le desir
» des distinctions est aussi commun que l'amour de la gloire
» est rare . »
« Les décorations extérieures et les titres ont ce grand
>> avantage pour la société , qu'en obligeant à la bienséance
» ceux qui en sont revêtus , ils diminuent le nombre des
» mauvais exemples .
>>
L'ouvrage est terminé par deux essais , l'un sur l'influence
des armes à feu , sur l'art militaire et la civilisation ,
rempli d'idées neuves et ingénieuses ; l'autre sur l'état
des femmes en Europe , qui n'est pas fini , et qui mérite de
l'être. D.
Réponse de l'auteur de la traduction de Lope de Vega , à
M. P. , au sujet de la traduction de DON QUICHOTTE de
Florian .
MONSIEUR P., quia rendu compte, dans le Mercure du 25
juillet dernier , de ma traduction de quelques poésies de
Lope de Vega , m'accuse , dans celui du 22 août , de sévérité
et même d'erreur dans le jugement que j'ai porté de la traduction
de Don Quichotte de Florian . J'ai dit qu'elle étoit
extrêmement inexacte , et souvent infidelle . J'ai cru dans
mon Avant-propos , où je traitois du génie de la langue et
de la littérature espagnole , devoir cette assertion à la vérité :
vérité malheureusement trop facile à prouver , et dont on
592
MERCURE
DE FRANCE
,
sera parfaitement convaincu lorsqu'on aura achevé de me
lire . J'aurois voulu n'avoir à jeter que des fleurs sur la tombe
d'un écrivain célèbre et justement estimé , tant pour la
pureté et la douceur de son style , que pour son caractère
moral et littéraire . Mais je dois au public , je me dois à moimême,
de soutenir et de prouver ce que j'ai avancé. Je le
répète , les preuves n'en seront que trop faciles . Je n'attaque
point Florian écrivain , mais Florian traducteur : il lui
restera à jamais le mérite d'une foule d'ouvrages originaux
et d'imitations heureuses ( 1 ) ; mais , malheureusement ,
Don Quichotte n'est pas de ces ouvrages qu'on peut imiter ;
il faut le traduire s'il est possible ; et Florian ne l'a point
traduit.
Pourquoi traduit-on ? Pour faire connoître un ouvrage
à ceux qui n'entendent pas la langue dans laquelle il est
écrit . Le premier mérite d'une traduction est donc la fidélité ;
car, si elle n'est pas fidelle , on pourra lire un ouvrage bien
pensé et bien écrit , mais on ne lira point l'ouvrage original . Je
pense qu'il faut aussi conserver l'esprit et la couleur du modèle ,
et ne pas faire comme Tourreil , à qui on reprochoit d'avoir
donné de l'esprit à Démosthènes. On lit les traductions des
auteurs grecs , latins , étrangers , non-seulement pour connoître
leurs beautés , et s'instruire en profitant de ce qu'ils
ont d'utile , mais encore pour sortir quelquefois de son siècle
et de son pays , remonter vers l'antiquité , ou voyager chez
les nations étrangères . Si , au lieu de rencontrer des étrangers
, on ne trouve que des Français , ce n'est pas la peine
de sortir de France. Il faut donc qu'un traducteur parle
autant qu'il est possible à ses lecteurs la langue de l'auteur
original : il faut que dans une traduction , Homère soit
aussi grec que le permet la différence des idiomes ; Virgile ,
latin ; Cervantes , espagnol. Je suis bien loin d'interdire les.
sacrifices que le goût exige , et les adoucissemens du texte
nécessaires pour ménager la délicatesse des lecteurs peu
accoutumés à l'esprit étranger ; mais je pense qu'il ne faut
se permettre que ceux qui sont absolument indispensables ;
qu'il faut être religieux observateur du costume antique ou
national , ne pas donner une perruque à la Louis XIV à
un empereur romain , ni un habit français à un auteur
espagnol du seizième siècle. Je crois , non-seulement qu'il
(1 ) La Galatée de Florian a été traduite en espagnol , comme un ouvrage
original ; preuve ou mérite de la composition , mais non de sa ressemblance
à celle de Cervantes. L'on pouvoit imiter la Galatée; Don Quichotte
ne peut être imité.
faut
SEPTEMBRE 1807 . 593
,
faut étudier l'esprit particulier de l'auteur que l'on traduit ,
mais encore l'esprit général de sa nation , ses moeurs , ses
usages , ses habitudes . Sous ce point de vue Cervantes est
un des auteurs qu'il est le plus difficile , je dirai presqu'impossible
de traduire ( 1 ) , sur-tout pour un Français . Personne
n'est plus national que lui , plus fortement teint du
caractère de son pays , de son ciel , de son climat , plus
empreint des habitudes , des usages de sa nation , plus popu
lairement énergique dans une langue où tout ce qui n'est pas
élevé tombe souvent dans le populaire , dans un pays où il
faut avoir vécu long-temps pour sentir tout ce que celte
popularité a de piquant , d'original et de plaisant. Le genre
d'esprit qui distinguoit Florian , n'étoit point en rapport avec
celui de son original ; il faut avoir quelqu'analogie avec ses
modèles pour les bien rendre : l'Albane auroit sûrement mal
copié un tableau de Michel -Ange ; et je ne sais comment
Florian s'est si fort adonné à des imitations et à des traductions
des Espagnols , dont le caractère étoit l'opposé de celui de
son esprit , et la couleur habituelle si peu d'accord avec celle
de son style . Non-seulement il n'a pas rendu Cervantes ,
non-seuleinent il ne l'a pas imité , parce que cela est impossible
, mais il s'est mépris sur le sens des phrases , et même
sur celui des mots pour lesquels le Dictionnaire seul auroit
suffi pour l'éclairer . Ses omissions , ses additions , ses altérations
de l'original sont de l'inexactitude ; ses contre - sens
sont de l'infidélité . Voici un exemple de l'une et de l'autre
dans la conversation de Don Diego de Miranda avec Don
Quichotte , chapitre seizième de la seconde partie , et dans
Florian , chapitre quatorzième de la même partie . Don
Quixote Rogò , etc.
En voici d'abord la traduction exacte et presque mot- àmot.
Je donnerai ensuite celle de Florian .
« Don Quichotte le pria de lui dire qui il étoit , puisque
» lui- même l'avoit mis au fait de son caractère et de sa vie ;
» à quoi le cavalier au manteau vert répondit : Seigneur
» chevalier de la Triste-Figure , je suis un gentilhomme natif
» d'un village où nous irons dîner aujourd'hui , s'il plaît à
» Dieu . Je suis plus que médiocrement riche , et mon nom
» est Don Diego de Miranda . Je passe ma vie avec ma
» femme , mes enfans et mes amis ; mes divertissemens
(1 ) Don Juan Antonio Pellicer , bibliothécaire du roi et de l'Académie
d'histoire de Madrid , qui a donné il y a six ou sept ans une précieuse
édition de Don Quichotte , accompagnée de notes curieuses et savantes ,
dit en le comparant à Hudibras , qui est lui-même une mitation de Don
Quickoite , que l'un et l'autr : sont intraduisibles.
P p
594
MERCURE DE FRANCE ,
»
» sont la chasse et la pêche , je n'entretiens pourtant ni
>> faucons ni levriers , mais quelques perdrix apprivoisées
» pour servir d'appeaux , et quelques furets hardis . J'ai en-
>> viron six douzaines de livres ; les uns en langue vulgaire ,
» et les autres en latin ; quelques-uns d'histoire , et d'autres
» de dévotion . Ceux de chevalerie n'ont pas encore passé
» le seuil de ma porte ; je feuillette plus volontiers les livres
» profanes que les ouvrages dévots , lorsqu'ils sont d'une
» composition honnête et agréable , qu'ils plaisent par le
langage , étonnent et charment par l'invention ; et de tels
» livres , il y en a bien peu en Espagne . Je mange quelque-
>> fois chez mes voisins et amis , et plus souvent je les invite
» chez moi ; ma table est propre , bien servie et abondante ;
je n'aime point à médire, et ne permets pas qu'on médise
» devant moi ; je ne recherche point la vie des autres , je
» ne suis point un lynx pour les actions d'autrui ; j'entends
>> la messe chaque jour ; je fais part de mon bien aux pauvres ,
» sans faire parades de bonnes oeuvres , pour ne pas donner
» entrée dans mon coeur à l'hypocrisie et à la vanité , en-
> nemis qui s'emparent doucement du coeur le plus en
garde contr'eux ; je tâche de remettre en paix ceux qui
» sont brouillés , je suis dévot à la Vierge , et j'ai toujours
>> confiance en la miséricorde infinie de Dieu . »
»
»
Voici la traduction de Florian ; c'est Don Quichotte qu'il
fait d'abord parler à la première personne :
<< Laissons cette discussion , et permettez-moi de vous
» demander à mon tour quel genre de vie votre goût vous
>> a fait choisir ? »
«
«< Seigneur , répondit l'étranger , je dois ces détails à
» votre politesse ; je suis gentilhomme , j'habite un village
» où nous irons dîner aujourd'hui , si vous voulez bien me
faire cet honneur. Mon nom est Don Diegue de Miranda;
» ma mediocre fortune est plus que suffisante pour mes
» desirs . Je passe ma paisible vie avec ma femme , mes en-
» fans et quelques amis . La chasse et la pêche sont les
» amusemens qui remplissent mes loisirs. Je n'ai ni meute
» ni équipage , les grands apprêts ne conviennent point à
» mes simples amusemens . Un héron , une perdrix privée ,
» sont tout ce qu'il me faut et tout ce que je veux . J'ai quel-
» ques livres , les uns latins , les autres espagnols ; j'enfais
» comme de mes amis , j'ai soin qu'ils soient en petit
» nombre. L'histoire m'instruit et m'amuse , j'éleve mon
» ame avec les ouvrages de piété ; mais je lis davantage les
>> auteurs profanes , lorsqu'ils réunissent une morale pure
au charme de l'imagination et à l'harmonie du style . Je
DE IA
SL
»
SEPTEMBRE 1807.
amai
vais quelque fois dîner chez mes voisin , je les invit chez
moi plus souvent. Dans ces repas toujours abondans, naj
» recherchés , je tâche d'égayer mes convives , sa ne5
» permettre, et sans souffrir qu'on y médise de personne en
» ne m'informe point des actions d'autrui , je me borne a
» veiller sur les miennes ; mes yeux et má sévérité ne
» s'étendent point au- delà de mon étroit horizon. Attentif
» autant queje le peux à remplir les préceptes de ma religion
sainte , je n'oublie pas surtout de partager mon
>> bien avec les pauvres . Quand j'ai le bonheur de pouvoir .
» donner , je fais en sorte que ce soit un secret entre mon
» coeur et celui qui le reçoit je sais trop que la vanité
» éteint le mérite d'une bonne action , et je me dis que
puisque cette bonne action est un plaisir , ce n'est pas la
» peine de s'en vanter. Je tâche de remettre la paix entre
» mes voisins brouillés , de réunir les familles divisées , de
» leur prouver que le bonheur dans ce monde n'est autre
» chose que la volonté de s'aider mutuellement. C'est ainsi
» que je coule mes jours , en attendant avec tranquillité le
» moment où je rendrai compte au souverain Créateur ,
» dontj'espère que la miséricorde surpassera la justice. »
»
;
Don Diègue est ici un seigneur de château français
fort poli , qui raisonne et parle à merveille ; mais ce n'est
point le franc et simple Caballero de Aldea , le gentilhomme
de village de Castille ou de la Manche , dont Cer
vantes avoit le modèle sous les yeux lorsqu'il traça le portrait
de Diego de Miranda . On voit que si Florian a abrégé
plusieurs passages de don Quichotte , il a terriblement
alongé ce discours , dont la simplicité et le laconisme font
le mérite dans l'original. Don Diego de Cervantes n'a
point la politesse française ; il ne dit point , si vous voulez
me faire cet honneur ; il dit , je suis natif d'un village où
nous irons dîner , s'il plaît à Dieu , si Diosfuere servido.
Il dit , qu'il est plus que médiocrement riche , soy mas
que medianamente rico ; Florian lui fait dire tout le contraire
ma médiocre fortune est plus que suffisante pour
mes desirs. Je pense que cela peut s'appeler un contresens
, et que l'infidélité est déjà ici bien constatée . Don
Diego ne dit pas qu'il passe sa paisible vie ; il la raconte,
et laisse à juger au lecteur si elle est paisible ou non .
Il n'a point de héron ; car les hérons sont fort inutiles
tant pour la chasse que pour la pêche. Il a un furet ( huron,
en espagnol , signifie furet ) ; et je ne sais comment l'épithète
d'atrevido , hardi , que Cervantes donne à cet animal ,
n'a pas fait comprendre à Florian que ce n'étoit pas
"
Pp 2
596
MERCURE DE FRANCE,
un héron ; car jamais épithète ne convint moins à cet
oiseau aquatique ; mais il a copié l'erreur de l'ancienne
traduction , comme nous le verrons bientôt lorsque je la
rapporterai. Je pense que cette métamorphose d'un furet
en héron est un second contre- sens bien décidé ; et en voilà
déjà deux en peu de lignes . Tout le reste sont des phrases
morales très-bien écrites , sauf peut-être la réflexion qu'il
seroit possible de faire sur celle -ci : Sans me permettre et
sans souffrir qu'on y médise de personne. Sans me permettre
qu'on y médise me paroît peu digne du style constamment
pur de Florian ; mais ce n'est pas ce dont il s'agit :
il s'agit , après avoir relevé deux contre-sens marquans
de continuer à faire voir que , dans cette traduction , les
Français ne sortent jamais de leurs pays ; les traits du
caractère espagnol y sont entièrement effacés . Don Diego ,
dans Cervantes , ne dit point : Attentifautant queje le peux
à remplir les préceptes de ma religion sainte il dit :
J'entends la messe chaque jour : trait caractéristique de
l'Espagnol. Il ne dit pas non plus : J'élève mon ame avec
les ouvrages de piété ; il dit qu'il a des livres de dévotion ,
et avoue franchement qu'il leur préfère les ouvrages profanes
lorsqu'ils sont bien écrits . Il ne fait point de phrases
sur la bienfaisance ; il dit comment il la pratique : il
n'attend point avec tranquillité le moment, etc.; il dit ,
qu'il espère en la miséricorde de Dieu. Comme on ne le
verra que trop , Florian s'est mépris ici sur le caractère ,
sur le ton , sur la couleur du personnage , et enfin sur le
sens de l'original . Je crois que la seule lecture de ce morceau
le prouvera. Je pourrois en citer bien d'autres ; mais
cette discussion n'est déjà que trop longue , et j'espère qu'on
m'en fera grace . Il me reste à rapporter le passage dans
Pancienne traduction ; et le voici :
« Cependant don Quichotte changeant de discours , pria
» le cavalier de lui dire sa profession et sa vie. Pour moi,
seigneur chevalier de la Triste-figure , répondit - il , je
» m'appelle don Diego de Miranda , et suis gentilhomme,
» né dans un village ici près , où nous irons , Dieu aidant,
» souper ce soir. J'ai , Dieu merci , du bien raisonna-
» blement , et je passe doucement ma vie avec ma femme
» et mes enfans. Mes exercices ordinaires sont la chasse
» et la pêche , non pas que j'entretienne pour cela ni chiens
>> ni oiseaux, mais seulement quelque perdrix privée qui sert.
d'appeau pour la tonnelle , et un héron avec des filets.
» J'ai quantité de livres , les uns latins , les autres espagnols
; il y en a qui traitent de l'histoire , les autres
»
SEPTEMBRE 1807. 597
»
» sont de dévotion ; car pour des livres de chevalerie , je
» n'en souffre pas chez moi . Je prends beaucoup de plaisir
» à lire ou l'histoire , ou des nouvelles , pourvu qu'il y
» ait quelque chose d'agréable dans l'invention et le style ;
» mais , à mon sens , il se trouve peu de pareils livres
» en Espagne. Mes voisins et moi vivons en bonne intelligence
, et nous mangeons souvent les uns chez les
>> autres ; nos repas sont sans façon , assez délicats , mais sans
superfluité ; et nous en avons banni toute sorte d'excès ,
» haïssant naturellement la débauche . Je me suis fait une
> loi de vivre en homme de bien et d'assister les pauvres ,
.au lieu d'employer mon revenu en choses superflues ; et
je ne néglige rien pour entretenir la paix parmi mes
» voisins et dans ma maison, prévenant, autant que je puis ,
» tous les désordres qui peuvent arriver. »
»
»
Cette traduction mal écrite , moins fidelle que celle de
Florian, n'a pas entièrement dénaturé soy masque medianamente
rico ; elle exprime l'aversion de don Diégo , pour
les livres de chevalerie , que Florian aa ppaasssséé,, jjee ne sais pourquoi
, sous silence , quoique cette circonstance soit essentielle
pour don Quichotte : une infinité de passages y sont entièrement
méconnoissables . Cependant à travers ses nombreuses
omissions et ses infidélités , elle conserve quelque chose de la
bonhommie du gentilhomme Manchego . Il s'ensuit de l'une
et de l'autre que don Quichotte n'a pas élé encore traduit
en français . Monsieur P. doit le sentir mieux que personne,
lui qui a traduit avec infiniment de fidélité , d'élégance et de
grace le discours de Marcelle , si abrégé par Florian. La
traduction de monsieur P. m'a fait un extrême plaisir, j'aime
à le lui dire , pour lui prouver
combien
peu de rancune
je conserve de la sévérité avec laquelle il m'a traité en rendant
compte de ma traduction de Lope de Vega .
D'AGUILAR .
3
582 MERCURE DE FRANCE ,
enfin jusqu'à nous . On les traduisit , on les imita ; et parmi les
imitations se fit principalement remarquer celle de l'Epître
de Pope , par Colardeau . C'étoit le début de ce poète aimable
et distingué , et c'est son chef-d'oeuvre. En traduisant Pope ,
il devoit craindre de rester au -dessous de lui ; et s'il lui est
inférieur dans quelques morceaux de force , il lui est au
moins égal en sensibilité , et supérieur en graces et en
abandon. Le bruit que fit l'Epître de Colardeau , lorsqu'elle
-parut , ne tint donc pas seulement à la nouveauté du genre ,
au sujet , au nom de l'héroïne que le poète faisoit parler ,
elle devoit réussir par le talent qui y brille , talent qui s'annonçoit
avec un éclat extraordinaire , par l'art et la vérité
avec lesquels sont peints tous les tourmens d'un coeur sensible
et passionné , par le bon goût qui règne en général
dans le choix des pensées , des images et des expressions.
Après un pareil début , on devoit beaucoup attendre de
Colardeau . Il crut ne pouvoir mieux justifier les hautes
espérances qu'on avoit conçues de lui , qu'en publiant un
nouvel ouvrage dans le genre de celui qui l'avoit fait connoître
si avantageusement. Pope avoit été son guide dans
PEpître d'Héloïse à Abailard ; il l'avoit suivi pas à pas ; il
voulut marcher à- peu - près seul , en composant l'Epître
d'Armide à Renaud , et rivaliser même avec Quinault et
le Tasse. Mais il s'égara. Autant son premier ouvrage est
animé , brûlant , autant le second est languissant et froid.
Le style de l'un est harmonieux , élégant , poétique ; celui
du second est souvent foible , prosaique et lâche ; enfin , ce
ne sont plus les mêmes couleurs , les mêmes pinceaux ni le
même peintre.
Si l'Epitre d'Armide à Renaud eût précédé celle d'Héloïse
à Abailard , il est probable que le genre de l'Héroïde eût
trouvé fort peu de partisans ; mais on avoit lu , on relisoit
sans cesse l'imitation de Pope , et une vive émulation s'étoit
élevée entre la plupart des poètes alors vivans , pour obtenir
un succès pareil à celui de Colardeau . Dorat qui ne doutoit
de rien , et essayoit tout , fut le premier à se présenter dans
la lice ouverte par son ami ; et , pour être plus sûr d'attirer
sur lui les regards , fit une réponse d'Abailard à Héloïse .
Cette réponse , très -inférieure à la lettre d'Héloïse , n'est
pourtant pas ce que Dorat a fait de plus mauvais : on y
trouve quelques vers bien tournés ; mais elle pèche
essentiellement par le fond. Ce n'est qu'une lamentation
éternelle d'Abailard sur l'état affreux où l'ont réduit
les bourreaux que l'oncle d'Héloïse avoit armés contre lui ,
les tourmens , le désespoir , la rage qu'il en éprouve , y reSEPTEMBRE
1807: 583
viennent presque à chaque instant ; et il y a au moins de
la maladresse à fixer si souvent l'imagination du lecteur sur
une pareille idée , sur une pareille image. La pièce d'ailleurs
n'est pas exempte des autres défauts que l'on trouve dans les
productions poétiques de Dorat ; il y a de l'incohérence , du
vague et de la déraison . Soyons justes pourtant : Dɔrat,
dans la lettre du comte de Comminges à sa mère , et dans
celle de Barnevelt à Trumant , a une manière différente
de sa manière habituelle ; il met de l'ordre dans ses idées , et ,
ce qui n'est pas moins étonnant , son style en général est
naturel .
qui
Je pourrois après Dorat , ou concurremment avec lui ,
citer La Harpe , qui débuta par quelques Héroïdes ; Barthe
qui en fit une assez remarquable sous le titre de Lettre de
l'abbé de Rancé à un ami ; et d'autres poètes encore ,
s'exercèrent plus ou moins heureusement dans un genre qui
étoit devenu à la mode ; mais il me suffit , je crois , de dire
que Colardeau ne fut effacé , ni même balancé par aucun de
ses rivaux , et que malgré les efforts que l'on fit pour conserver
à ce genre , mauvais en lui -même , la faveur extraor
dinaire dont il avoit joui à son apparition , il ne tarda pas à
être abandonné.
En effet , de longues années s'écoulèrent sans qu'il parût
une seule Héroïde . Il étoit réservé à M. Laya de rappeler
l'attention sur cette sorte de composition . Sa Lettre de la
Présidente de Tourvel à Valmont , publiée il y a cinq ou
six ans , eut du succès , et elle le méritoit . Elle attache par
le fond et par les détails . Le style en est ferme et nourri de
pensées , et l'intérêty est gradué avec art . Pourquoi M. Laya ,
après l'accueil qu'avoit reçu cette production , a- t- il gardé
un long silence ? On se l'est demandé ; et si l'on en cherchoit
la raison , peut - être la trouveroit-on dans la répugnance
que peut éprouver un homme de mérite à ne publier des
ouvrages que pour être l'objet du dénigrement injuste
dans lequel se complaisent certains critiques de nos jours.
Quoi qu'il en soit , la verve de M. Laya s'est réveillée ,
et il vient de nous donner une nouvelle Héroïde . Mais
sa pièce devoit - elle porter ce titre ? Dans l'Héroïde , ce
sont , comme le mot l'indique , des héros qui sont censés
écrire ; ce sont du moins des personnages dont le
nom seul excite déjà l'intérêt par les souvenirs touchans
qui s'y rattachent. Or , M. Laya pouvoit bien qualifier
d'Héroide la lettre de la Présidente de Tourvel à Valmont ,
parce que le roman où figure cette femme , malheureuse
victime d'un séducteur, est très-connu , et que dès-lors elle est
4
584 MERCURE
DE FRANCE
,
devenue un personnage en quelque sorte célèbre . Mais quels
sont les héros ou les personnages célèbres qui paroissent dans
sa nouvelle Héroi ie ? Eusèbe et Thérèse . Ils ne sont point
cɔnnus. On n'a jamais entendu parler de leurs malheurs :
leur nom même n'éveille aucune idée élevée . M. Laya
ne devoit donc pas intituler sa pièce Eusebe , Héroïde ; mais
se contenter de lui donner ce titre plus simple et plus convenable
Lettre d'Eusebe à son ami. Cofardeau , sur ce
point , lui avoit donné la leçon et l'exemple.
J'abandonne au jugement de M. Laya cette observation ,
qui lui a déjà été faite , et je passe au fond de son ouvrage .
Il y a de l'intérêt ; et si ce n'est qu'une fiction , elle est touchante
et heureusement imaginée . Eusèbe , à vingt ans , est
resté sans famille , sans fortune , sans autre ressource que
des dons naturels , cultivés par une bonne éducation et de
grandes dispositions pour l'éloquence . Il veut tenter la
fortune dans les colonies , s'embarque , arrive , obtient des
succès , rencontre une jeune personne charmante et l'épouse .
Quelque temps après , le souvenir de sa patrie , qui est aussi
celle de sa femme , se réveille dans leurs ames . Ils partent ,
emportant avec eux tout ce qu'ils possèdent ; mais une
horrible tempête les surprend dans la traversée : ils font
naufrage , et leur vaisseau brisé s'abyme à la vue des côtes .
Eusèbe est jeté seul sur le rivage ; et dans son désespoir , it
est trop heureux de trouver un asile chez des religieux
hospitaliers . Comme il a tout perdu , il veut s'ensevelir dans
leur maison ; il prend donc l'habit de novice , et prononce ses
voeux. Un jour , qu'exerçant son talent oratoire , il prêche
devant une nombreuse assemblée de fidèles , leur fait le
récit de ses malheurs , leur avoue que l'amour tourmente
et s'en accuse , un cri lamentable se fait
entendre . Il reconnoît la voix de sa femme..... Un moment
les rapproche ; mais la religion qui les avoit unis élève désormais
entr'eux une insurmontable barrière ; et tout en déplorant
leur sort , ils se disent un éternel adieu .
encore son coeur ,
Ce court exposé justifie , ce me semble , ce que j'ai dit
du fond de l'ouvrage de M. Laya. Quant au style , il est
ferme , et ne manque ni de chaleur, ni de mouvement. Il y
a bien quelques taches , parce qu'il est difficile de faire un
ouvrage parfait ; mais elles sont en petit nombre , et rachetées
par des morceaux où se déploie un vrai talent . Je n'en
chercherai pas dans ces huit vers , où le poète parle des religieux
qui l'ont recueilli après son naufrage :
D'un tendre égarement victime intéressante ,
L'un ofiroit à son Dieu sa plaie encor récente ;
SEPTEMBRE 1807 / 585
L'autre , sur son vieux front , où revit le passé ,
Laissoit lire un regret qui s'est mal effacé .
D'un long tourment d'amour ce front portoit l'empreinte ;
La trace reste encor , si la flamme est éteinte.
Je voyois dans ces traits que l'amour a minés ,
L'image de ces rocs par les feux calcinés .
Ces vers n'ont rien de repréhensible . Cependant , un de
ces critiques bienveillans dont j'ai parlé , s'amusant à les
citer par distiques , s'écrie : Il est CLAIR que c'est un Chartreux
amoureux ; voyons le SECOND ...
c'est encore un
:
Chartreux amoureux , si je ne me trompe ; voyons le TROISIÈME
.... encore un Chartreux amoureux ; enfin , M. Laya
les peint tous in globo. Il est CLAIR que le critique a lu
sans attention , ou qu'il n'est pas de très - bonne foi . Il n'est
question dans cette tirade que de deux Chartreux. Le poète
consacre deux vers à l'un , et six vers à l'autre cela saute
aux yeux ; mais on veut être plaisant , et on l'est per fas et
ne fas. Moi , qui ne crois pas que , même en littérature , on
puisse être plaisant aux dépens de la vérité , je ne prêterai
point à M. Laya , pour égayer le lecteur , des torts qu'il
n'a pas ; mais je me permettrai de lui dire , avec tous les
égards que l'on doit à un homme de talent , qu'il y a dans
sa pièce quelques inversions forcées , telles que celles -ci :
Solitude bruyante , aux doux loisirs contraire ;
De nos plus chers tourmens , où tout vient nous distraire....
Souvent est près de nous le bien qu'on croit perdu , etc.
Cette dernière inversion pèche même contre la règle générale
, qui veut qu'un vers renfermant une maxime , n'offre
qu'un tour simple et facile ; témoins les vers suivans :
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire .
Chassez le naturel , il revient au galop .
Il n'est de pire Etat que l'Etat populaire , etc.
J'engage encore M. Laya , lorsqu'il réimprimera son
à faire disparoître quelques - uns de ces vers qui
ne présentent que la même image :
Mes pleurs avoient baigné la tombe de ma mère ……….
Oh ! que puissent mes pleurs
Bientôt mouiller ton sol ....
Ces prêtres , exercés aux secrets des douleurs ,
Ont bientôt dans mes yeux lu celui de mes pleurs .
Et, pour tarir mes pleurs , près de mon lit pleurer.
L'impartialité me faisoit un devoir d'adresser quelques
reproches à M. Laya ; elle m'en fait un plus doux mainte
586 MERCURE DE FRANCE ,
nant , celui de citer l'un des morceaux qui prouvent en
faveur de son talent . Je prends celui où Eusèbe raconte son
naufrage :
Sous nos pieds la mer tonne , et le ciel sur nos têtes .
Mon vaisseau , frèle abri qu'assiégent les tempêtes ,
Par la vague tantôt vers la côte lancé ,
En pleine mer , tantôt , par elle repoussé ,
Jouet de son caprice , ici fuit dans l'abyme ;
Là , sur elle incliné , monte et pend à sa cime.
De ténèbres , de feux , d'ondes environnés ,
Par la terre et la mer et le ciel condamnés ,
Pour nous , plus de refuge en cet abyme immense ,
Où l'antique chaos sous nos pieds recommence .
C'en est fait ! ... Recevez , terre de nos neveux ,
Pour vos races et vous l'hommage de nos voeux.
Reçois , sol paternel , les ames fugitives
De tes fils sans tombeaux expirant sur tes rives .
En ce commun désastre , en ces momens affreux ,
Du moins je goûte encor le bonheur douloureux
De mourir embrassé de celle que j'adore.....
Qu'ai-je dit ?... Ce bonheur.... Non , il m'échappe encore !
Le foudre souterrain , s'élançant de nouveau ,.
Rugit, éclate , entraîne et brise mon vaisseau ,
Dont les mille débris , que chasse au loin sa rage ,
Avec un long fracas sont vomis sur la plage.
Sous la garde du Dieu qui protège mes jours ,
Poussé par ces débris j'en ai suivi le cours ,
Mais seul ! Les flots jaloux m'ont ravi ce que j'aime .
Déplorable moitié de cet autre moi- même ,
Sur le sable jeté , tout meurtri , tout sanglant ,
Epargné par la mort , ma's bientôt l'appelant ,
Quand le jour de mes sens me rend enfin l'usage ,
Et ne me laisse plus douter de mon venvage !
Quel ter iole moment ! ... quels pensers !... quel effroi ! ...
Devant-moi l'Océan ! des débris rès de moi , 1
Et des corps mutilés qui gissent sur l'arêne ! ...
Sur ce champ de la mort en rampant je me traîne ,
Observant , d'un regard sinistre et douloureux ,
Jusqu'en leurs moindres traits ces cadavres affreux ;
La cherchant , m'écriant , caignant de reconnoître
Ses restes adorés .... Le souhaitant peut -être....
Je m'arrête à regret ; j'aurois pu transcrire encore , et le
lecteur , sans doute , m'en auroit su gré . Quel que soit cependant
le talent que M. Lava a montré dans cette seconde
Héroïde , j'oserai lui conseiller d'abandonner un genre qui ,
je le répète , est mauvais en lui -même , et de se livrer plutôt
à celui dans lequel son Epitre à un Jeune Cultivateur lui
promet des succès non moins certains et plus durables . Une
Héroïde n'est qu'une sorte d'amplification de collége , un
long monologue où le poète semble réduit à n'employer
que trois figures , l'apostrophe , l'exclamation et la dubitaSEPTEMBRE
1807 . 587
tion . Un de nos poètes vivans , auteur de plusieurs Héroïdes
qui ont contribué à lui faire un nom dans la république des
lettres , avoit adressé à Voltaire celle de Gabrielle d'Estrées ;
il reçut cette réponse , dans laquelle deux vers contiennent
un reproche que l'on peut faire à toutes les Héroïdes :
Mon amour propre et vivement flatté
De votre écrit ; mon goût l'est davantage.
On n'a jaina s par un plus doux langage ,
Avec plus d'art blessé la vérité.
Pour Gabrielle , en son apoplexie ,
Aucuns diront qu'elle parle long- temps.
Mais ses discours sont si vrais , si touchans ,
Elle aime tant , qu'on la croiroit guérie .
Tout lecteur sage avec plaisir verra
Qu'en expirant , l'aimable Gabrielle
Ne pense point que Dieu la damnera
Pour aimer trop un amant digne d'elle .
Avoir du goût pour le Roi Très- Chrétien
C'est oeuvre pie : on n'y peut rien reprendre .
Le Paradis est fait pour un coeur tendre ,
Et les damnés sont ceux qui n'aiment rien.
V....
Maximes et Réflexions sur différens sujets de morale et de
politique , suivies de quelques Essais ; par M. de L. Un
vol . in- 12. Prix : 3 fr . , et 4 fr . par la poste. A Paris ,
chez Xhrouet, lib. , rue des Moineaux ; et chez le Normant.
M. DE L. a pris pour épigraphe le passage suivant des
Considérations sur les Moeurs : « Il seroit à souhaiter que
» ceux qui ont été à portée de connoître les hommes , fissent
» part de leurs observations ; elles seroient aussi utiles à la
» science des moeurs , que les journaux des navigateurs l'ont
» été à la navigation . » Il a prouvé par son exemple la justesse
de l'observation de Duclos . En effet on reconnoît , en
lisant son livre , qu'il doit autant à l'expérience qu'à la méditation
; qu'il n'a écrit qu'après avoir beaucoup vu , et jugé
qu'après avoir comparé. L'impartialité et la modération ,
qui ont toujours fait la base du caractère de M. de L. , n'ont
été nullement altérées par les événemens de la révolution ,
dont il a été la victime comme tant d'autres ; mais nul n'a
mieux profité de cette maxime salutaire que l'on trouve dans
son ouvrage : « Le temps le plus mal employé est celui que
» l'on donne aux regrets , à moins qu'on n'en tire des leçons
» pour l'avenir . » Ce n'est qu'à la manière dont il peint les
cours , que l'on peut s'apercevoir qu'il occupoit un rang
très-distingué dans la société .
588 MERCURE DE FRANCE ,
Après tant de livres de morale , il sembloit téméraire
d'écrire sur un sujet si rebattu ; mais M. de L. a démontré
qu'il y avoit encore des vérités neuves et utiles , et qu'une
expression piquante pouvoit donner aux pensées déjà connues
le charine de la nouveauté.
L'ouvrage commence par des maximes ; en voici quelquesunes
:
<< Conduisez - vous avec la fortune comme avec les mau-
» vaises paies : ne dédaignez pas les plus foibles à-comptes. »
« La plupart des peines n'arrivent si vite que parce que
>> nous faisons la moitié du chemin . »>
'"
Lorsque la résistance est inutile , la sagesse se soumet ,
» la folie s'agite , la foiblesse se plaint , la bassesse flatte , la
» fierté supporte et se tait . »
« Les événemens prévus par les bons esprits ne manquent
guère d'arriver ; mais la fortune se réserve deux secrets ,
» l'époque et les moyens. »
D
« La vérité n'est si difficile à connoître , que parce qu'il y
» a encore plus de trompés que de trompeurs . »
« S'il est plus satisfaisant pour l'amour-propre de con-
» vaincre , il est plus sûr pour l'intérêt de persuader . »
<< Puisque les hommes sont injustes , et que malheureu-
» sement ils sont partout divisés en deux classes , les puis-
» sans et les foibles , tâchons , par tous les moyens que per-
» met la vertu , de nous placer dans la première , non pour
» être oppresseurs , mais de peur d'être opprimés. >>>
« Le temps est comme l'argent ; n'en perdez pas , vous
en aurez assez . >>
« L'ennui est une maladie dont le travail est le remède ; le
plaisir n'est qu'un palliatif. »
« On se lasse de tout , excepté du travail . »
« L'humeur porte sa peine. »
« Le génie crée , l'esprit arrange . »
« La bassesse_trouve le moyen de dégrader ce que les
>> hommes ont de plus noble à donner et de plus doux à
recevoir , les louanges méritées » >
« L'envie décèle la médiocrité , les grands caractères ne
» connoissent que les rivalités . »>
« Les foiblesses des hommes supérieurs satisfont l'envie
>> et consolent la médiocrité . »
22
« Les succès couvrent les fautes ; les revers les rappellent.
« La vertu est le triomphe de la générosité sur l'intérêt . »
« La grande difficulté dans l'éducation , consiste à tenir les
enfans dans la soumission , sans dégrader leur caractère . »
« Le moyen de passer doucement la vie , est de préférer
SEPTEMBRE 1807 . 589
» les plaisirs qui viennent de l'habitude à ceux que donne
» le changement. »>
« Il ne faut pas trop regarder à travers les bonnes
>> actions . >>
་«
Puisque l'âge diminue les agrémens en nous laissant
» nos défauts , et que la considération est la seule indemnité
» de la vieillesse , tâchons de devenir plus respectables à me-
» sure que nous devenons moins aimables . »
Dans un chapitre sur l'amour- propre , sujet qui paroissoit
épuisé par M. de la Rochefoucault , on trouve les réflexions
suivantes :
«< Lorsqu'enfin les hommes sont forcés de convenir de
» leurs erreurs , ils ne se dispensent guère de faire un compliment
de condoléance à leur amour-propre . J'ai eu lort ,
» mais j'ai raison à présent . Remarquez que la raison est
» toujours au présent , et le tort au passé. »
»
« Si la flatterie a des succès à la cour , la dignité a sa politique
; mais il n'est pas donné à tout le monde d'user de
» ce moyen . »
>>
«<
pas
Quand par hasard la flatterie ne réussit pas ,
sa faute ; c'est celle du flatteur . »>
« Vous croyez que vous êtes modeste .....
» savois pas si orgueilleux . »
»
«<
ce n'est
Je ne vous
L'orgueil de la naissance seroit le plus sot et le plus
insupportable de tous , sans l'orgueil des parvenus , qui
>> semblent toujours pressés de regagner le teinps perdu . »>
«< C'est par amour-propre que l'on aime tant les gens
» modestes . »
M. de L. a aussi écrit sur les femmes : ses opinions sur
elles nous paroissent en général trop sévères . Cependant il a
fait un beau portrait de la mère de famille ; mais on a droit
de s'étonner qu'il ne dise rien de l'épouse tendre et vertueuse
, de celle qui double les charmes de la paternité , et
sans laquelle l'homme ne connoîtroit guerre les délices de
l'amour vertueux . Ce chapitre finit par une observation qui
ne nous paroît pas indigne de Montesquieu , dont elle rappelle
la manière :
que les moeurs ; « En Europe , les femmes valent mieux
>> dans l'Orient , c'est le contraire. »
Le chapitre suivant traite de l'amour et de l'amitié ; nous
choisissons les articles les plus courts :
« L'amant jure d'aimer toujours , et change bien vîte .
» L'ami ne jure point , et aime toujours ; mais l'amant et
» l'ami sont la même personne . Ainsi , la vie se passe à
promettre sans tenir, et à tenir sans promettre. »
590
MERCURE DE FRANCE ,
<< Il est assez facile de trouver une maîtresse , et bien aisé
» de conserver un ami : ce qui est difficile , c'est de trouver
» un ami et de conserver une maîtresse . »
"
« L'amant passionné peut pardonner une infidélité , mais
> il ne s'en console point , parce qu'il sait qu'elle diminue
» nécessairement l'amour de sa maîtresse . »>
« L'infidélité irrite l'amour , mais n'en guérit point...
» Dirai-je ce qui le tue ? Ce sont des poisons lents , l'ennui
» et la satiété . »
« Les amans regardent comme des ingrats ceux qui ne
» répondent pas à leur tendresse ; cependant l'amour n'est
>> pas un bienfait , mais l'amour- propre offensé est souverainement
injuste . »>
«<
Si quelque chose peut adoucir la douleur que nous
» cause la perte d'un ami , c'est la certitude qu'il étoit mal-
» heureux et sans espoir d'un meilleur sort . »>
« Tâchons de nous persuader qu'il y a de l'égoïsme dans
»> nos regrets . »
La première partie de l'ouvrage est terminée par un assez
grand nombre de pensées détachées. Nous en citerons
quelques-unes :
« Ne pas
vouloir
les moyens
de ce qu'on
veut , est une
» bien commune
inconséquence
. »
« Il y a un moyen sûr , mais un peu cher , de faire
» prendre à un fripon toutes les apparences d'un honnête
» homme ; c'est de lui donner cent mille livres de rente . >>
« Plaisir de faire plaisir , jouissance délicieuse inconnue à
l'égoïste , que vous dédommagez bien l'homme sensible de
» la part qu'il prend aux souffrances d'autrui ! »
« Si la fortune pouvoit récriminer , on seroit moins
» prompt à l'accuser. »
>>
»
« La modestie , ce doute aimable de son mérite , est dans
» la nature aussi bien que l'amour- propre ; mais l'humilité
» n'est qu'une pénitence que la religion impose à l'orgueil .
« Ce qui dégoûte les bons esprits des discussions métaphysiques
, c'est que , pour l'ordinaire , on commence
» par ne pas s'entendre , et que l'on finit par se quereller . »
Depuis quelques années , je suis devenu bien plus
J'entends : vos forces ont diminué . »
« Il y auroit de quoi faire bien des heureux avec tout le
»bonheur qui se perd dans le monde . »
«<
» sage.
-
« Lorsque les passions meurent , les goûts en héritent. »
Puisque nous sommes en butte à des maux inévitables ,
>> la sagesse est la science des compensations . >>
«<<
La seconde partie de l'ouvrage de M. de L. , traite de la
SEPTEMBRE 1807 . 531
politique ; et d'abord nous observerons que , quelque jugement
que l'on porte sur ses opinions , on doit lui savoir gré
de son extrême clarté , qualité toujours précieuse , mais
dont quelques écrivains modernes qui visent à la profondeur
et ne rencontrent que l'obscurité , nous font encore
mieux sentir le prix.
Lorsque l'on joint à des intentions pures , de la justice et
de la modération , il est permis de traiter les sujets les plus
délicats. Voici comment s'exprime M. de L. , dans un
chapitre sur la noblesse et l'égalité :
« Dans un état bien ordonné , le peuple doit retirer plus
» d'avantages de la noblesse que les nobles eux-mêmes . »
« Lorsque la noblesse n'est pas accessible au mérite , les
» distinctions qu'elle procure outragent la justice , et exci-
» tent l'indignation de toute ame indépendante et fière . »
« Combien de services rendus à l'Etat , pour un bout de
» ruban ou un vain titre , et combien peu d'actions glorieuses
» pour obtenir une place dans l'histoire ! C'est que le desir
» des distinctions est aussi commun que l'amour de la gloire
» est rare . »
« Les décorations extérieures et les titres ont ce grand
>> avantage pour la société , qu'en obligeant à la bienséance
» ceux qui en sont revêtus , ils diminuent le nombre des
» mauvais exemples.
»
L'ouvrage est terminé par deux essais , l'un sur l'influence
des armes à feu , sur l'art militaire et la civilisation ,
rempli d'idées neuves et ingénieuses ; l'autre , sur l'état
des femmes en Europe , qui n'est pas fini , et qui mérite de
l'être . D.
1
Réponse de l'auteur de la traduction de Lope de Vega , à
M. P. , au sujet de la traduction de DON QUICHOTTE de
Florian .
MONSIEUR P. , qui a rendu compte, dans le Mercure du 25
juillet dernier , de ma traduction de quelques poésies de
Lope de Vega , m'accuse , dans celui du 22 août , de sévérité
et même d'erreur dans le jugement que j'ai porté de la traduction
de Don Quichotte de Florian. J'ai dit qu'elle étoit
extrêmement inexacte , et souvent infidelle . J'ai cru dans
mon Avant-propos , où je traitois du génie de la langue et
de la littérature espagnole , devoir cette assertion à la vérité :
vérité malheureusement trop facile à prouver , et dont on
592 MERCURE DE FRANCE ,
sera parfaitement convaincu lorsqu'on aura achevé de me
lire . J'aurois voulu n'avoir à jeter que des fleurs sur la tombe
d'un écrivain célèbre et justement estimé , tant pour la
pureté et la douceur de son style , que pour son caractère
moral et littéraire . Mais je dois au public, je me dois à moimême,
de soutenir et de prouver ce que j'ai avancé. Je le
répète , les preuves n'en seront que trop faciles . Je n'attaque
point Florian écrivain , mais Florian traducteur : il lui
restera à jamais le mérite d'ane foule d'ouvrages originaux
et d'imitations heureuses ( 1) ; mais , malheureusement ,
Don Quichotte n'est pas de ces ouvrages qu'on peut imiter
il faut le traduire s'il est possible ; et Florian ne l'a point
traduit.
Pourquoi traduit-on ? Pour faire connoître un ouvrage
à ceux qui n'entendent pas la langue dans laquelle il est
écrit. Le premier mérite d'une traduction est donc la fidélité;
car, si elle n'est pas fidelle , on pourra lire un ouvrage bien
pensé et bien écrit, mais on nelira point l'ouvrage original. Je
pensequ'il faut aussiconserver l'esprit et la couleurdu modèle,
etne pas faire comme Tourreil , à qui on reprochoit d'avoir
donné de l'esprit à Démosthènes . On lit les traductions des
auteurs grecs , latins , étrangers , non-seulement pour connoître
leurs beautés , et s'instruire en profitant de ce qu'ils
ont d'utile , mais encore pour sortir quelquefois de son siècle
et de son pays , remonter vers l'antiquité , ou voyager chez
les nations étrangères . Si , au lieu de rencontrer des étrangers
, on ne trouve que des Français , ce n'est pas la peine
de sortir de France. Il faut donc qu'un traducteur parle
autant qu'il est possible à ses lecteurs la langue de l'auteur
original : il faut que dans une traduction , Homère soit
aussi grec que le permet la différence des idiomes ; Virgile ,
latin; Cervantes , espagnol. Je suis bien loin d'interdire les .
sacrifices que le goût exige , et les adoucissemens du texte
nécessaires pour ménager la délicatesse des lecteurs peu
accoutumés à l'esprit étranger ; mais je pense qu'il ne faut
se permettre que ceux qui sont absolument indispensables ;
qu'il faut être religieux observateur du costume antique ou
national , ne pas donner une perruque à la Louis XIV à
un empereur romain , ni un habit français à un auteur
espagnol du seizième siècle . Je crois , non-seulement qu'il
(1) La Galatée de Florian a été traduite en espagnol, comme un ouvrage
original ; preuve ou mérite de la composition , mais non de sa ressemblance
à celle de Cervantes . L'on pouvoit imiter laGalatée; Don Quichotte
ne peut être imité.
faut
SEPTEMBRE 1807 . 593
faut étudier l'esprit particulier de l'auteur que l'on traduit ,
mais encore l'esprit général de sa nation , ses moeurs , ses
usages , ses habitudes. Sous ce point de vue , Cervantes est
un des auteurs qu'il est le plus difficile , je dirai presqu'impossible
de traduire (1) , sur-tout pour un Français . Personne
n'est plus national que lui , plus fortement teint du
caractère de son pays , de son ciel , de son climat , plus
empreint des habitudes , des usages de sa nation , plus populairement
énergique dans une langue où tout ce qui n'est pas
élevé tombe souvent dans le populaire , dans un pays où il
faut avoir vécu long-temps pour sentir tout ce que cette
popularité a de piquant , d'original etde plaisant. Le genre
d'esprit qui distinguoit Florian , n'étoit point en rapport avec
celui de son original ; il faut avoir quelqu'analogie avec ses
modèles pour les bien rendre : l'Albane auroit sûrement mal
copiéun tableau de Michel-Ange ; et je ne sais comment
Florian s'est si fort adonné à des imitations età des traductions
des Espagnols , dont le caractère étoit l'opposé de celui de
son esprit , et la couleur habituelle si peu d'accord avec celle
de son style. Non-seulement il n'a pas rendu Cervantes ,
non-seulement il ne l'a pas imité , parce que cela est impossible
, mais il s'est mépris sur le sens des phrases , et même
sur celui des mots pour lesquels le Dictionnaire seul auroit
suffi pour l'éclairer. Ses omissions , ses additions , ses altérations
de l'original sont de l'inexactitude ; ses contre-sens
sont de l'infidélité. Voici un exemple de l'une et de l'autre
dans la conversation de Don Diego de Miranda avec Don
Quichotte , chapitre seizième de la seconde partie , et dans
Florian , chapitre quatorzième de la même partie. Don
Quixote Rogò , etc.
Envoici d'abord la traduction exacte et presque mot-àmot.
Je donnerai ensuite celle de Florian .
»
<<D<on Quichotte le priade lui dire qui il étoit , puisque
lui-même l'avoit mis au fait de son caractère et de sa vie ;
>>à quoi le cavalier au manteau vert répondit : Seigneur
>>chevalier de la Triste-Figure, je suis un gentilhomme natif
>> d'un village où nous irons dîner aujourd'hui , s'il plaît à
>>Dieu . Je suis plus que médiocrement riche , et mon nom
>>est Don Diego de Miranda. Je passe ma vie avec ma
>> femme , mes enfans et mes amis ; mes divertissemens
(1) Don Juan Antonio Pellicer , bibliothécaire du roi et de l'Académie
d'histoire de Madrid , qui a donné il y a six ou sept ans une précieuse
édition de Don Quichotte , accompagnée de notes curieuseset savantes ,
dit en le comparant à Hudibras , qui est lui -même une imitation de Don
Quichotte, que l'un et l'autre sont intraduisiles .
Pp
594 MERCURE DE FRANCE ,
»
» sont la chasse et la pêche , je n'entretiens pourtant ni
» faucons ni levriers , mais quelques perdrix apprivoisées
» pour servir d'appeaux , et quelques furets hardis . J'ai en-
>> viron six douzaines de livres ; les uns en langue vulgaire
» et les autres en latin ; quelques- uns d'histoire , et d'autres
» de dévotion . Ceux de chevalerie n'ont pas encore passé
» le seuil de ma porte ; je feuillette plus volontiers les livres
profanes que les ouvrages dévots , lorsqu'ils sont d'une
» composition honnête et agréable , qu'ils plaisent par le
» langage , étonnent et charment par l'invention ; et de tels
» livres , il y en a bien peu en Espagne . Je mange quelque-
» fois chez mes voisins et amis , et plus souvent je les invite
» chez moi ; ma table est propre , bien servie et abondante ;
» je n'aime point à médire, et ne permets pas qu'on médise
» devant moi ; je ne recherche point la vie des autres , je
» ne suis point un lynx pour les actions d'autrui ; j'entends
» la messe chaque jour ; je fais part de mon bien aux pauvres ,
>> sans faire parades de bonnes oeuvres , pour ne pas donner
» entrée dans mon coeur à l'hypocrisie et à la vanité , en-
» nemis qui s'emparent doucement du coeur le plus en
>>> garde contr'eux ; je tâche de remettre en paix ceux qui
» sont brouillés , je suis dévot à la Vierge , et j'ai toujours
» confiance en la miséricorde infinie de Dieu . »
Voici la traduction de Florian ; c'est Don Quichotte qu'il
fait d'abord parler à la première personne :
<< Laissons cette discussion , et permettez-moi de vous
» demander à mon tour quel genre de vie votre goût vous
» a fait choisir ? »
»
«<
Seigneur , répondit l'étranger , je dois ces détails à
» votre politesse ; je suis gentilhomme , j'habite un village
» où nous irons dîner aujourd'hui , si vous voulez bien me
faire cet honneur. Mon nom est Don Diegue de Miranda;
» ma médiocre fortune est plus que suffisante pour mes
» desirs . Je passe ma paisible vie avec ma femme , mes en-
» fans et quelques amis. La chasse et la pêche sont les
» amusemens qui remplissent mes loisirs . Je n'ai ni meute
» ni équipage , les grands apprêts ne conviennent point à
» mes simples amusemens. Un héron , une perdrix privée ,
» sont tout ce qu'il me faut et tout ce que je veux . J'ai quel-
» ques livres , les uns latins , les autres espagnols ; j'enfais
» comme de mes amis , j'ai soin qu'ils soient en petis
» nombre . L'histoire m'instruit et m'amuse , j'éleve mon
» ame avec les ouvrages de piété ; mais je lis davantage les
>> auteurs profanes , lorsqu'ils réunissent une morale pure
» au charme de l'imagination et à l'harmonie du style. Je
DE LA
»
SEPTEMBRE 1807.
» vais quelque fois dîner chez mes voisin , je les invitche
» moi plus souvent. Dans ces repas toujours abondans , jamai
» recherchés , je tâche d'égayer mes convives , sae5.
» permettre, et sans souffrir qu'on y médise de personne en
» ne m'informe point des actions d'autrui , je me borne
» veiller sur les miennes ; mes yeux et má sévérité ne
» s'étendent point au-delà de mon étroit horizon . Attentif
» autant que je le peux à remplir les préceptes de ma religion
sainte , je n'oublie pas surtout de partager mon
» bien avec les pauvres . Quand j'ai le bonheur de pouvoir .
» donner , je fais en sorte que ce soit un secret entre mon
» coeur et celui qui le reçoit je sais trop que la vanite
» éteint le mérite d'une bonne action , et je me dis que
puisque cette bonne action est un plaisir , ce n'est pas la
» peine de s'en vanter. Je tâche de remettre la paix entre
» mes voisins brouillés , de réunir les familles divisées , de
» leur prouver que le bonheur dans ce monde n'est autre
» chose que la volonté de s'aider mutuellement. C'est ainsi
» queje coule mes jours , en attendant avec tranquillité le
» moment où je rendrai compte au souverain Créateur ,
» dontj'espère que la miséricorde surpassera la justice . »>
>>
:
Don Diegue est ici un seigneur de château français ,
fort poli , qui raisonne et parle à merveille ; mais ce n'est
point le franc et simple Caballero de Aldea , le gentilhomme
de village de Castille ou de la Manche , dont Cer
vantes avoit le modèle sous les yeux lorsqu'il traça le por
trait de Diego de Miranda . On voit que si Florian a abrégé
plusieurs passages de don Quichotte , il a terriblement
alongé ce discours , dont la simplicité et le laconisme font
le mérite dans l'original. Don Diego de Cervantes n'a
point la politesse française ; il ne dit point , si vous voulez
me faire cet honneur; il dit , je suis natif d'un village où
nous irons dîner , s'il plaît à Dieu , si Dios fuere servido.
Il dit , qu'il est plus que médiocrement riche , soy mas
que medianamente rico ; Florian lui fait dire tout le contraire
ma médiocre fortune est plus que suffisante pour
mes desirs. Je pense que cela peut s'appeler un contresens
, et que l'infidélité est déjà ici bien constatée. Don
Diégo ne dit pas qu'il passe sa paisible vie ; il la raconte ,
et laisse à juger au lecteur si elle est paisible ou non .
Il n'a point de héron ; car les hérons sont fort inutiles
tant pour la chasse que pour la pêche. Il a un furet ( huron,
en espagnol , signifie furet ) ; et je ne sais comment l'épithète
d'atrevido , hardi , que Cervantes donne à cet animal ,
n'a pas fait comprendre à Florian que ce n'étoit pas
9
PP 2
595 MERCURE DE FRANCE,
un héron ; car jamais épithète ne convint moins à cet
oiseau aquatique; mais il a copié l'erreur de l'ancienne
traduction , comme nous le verrons bientôt lorsque je la
rapporterai. Je pense que cette métamorphose d'un furet
en héron est un second contre-sens bien décidé ; et en voilà
déjà deux en peu de lignes. Tout le reste sont des phrases
morales très-bien écrites , sauf peut-être la réflexion qu'il
seroit possible de faire sur celle-ci : Sans me permettre et
sans souffrir qu'on y médise de personne. Sans me permettre
qu'on y médise me paroît peu digne du style constamment
pur de Florian ; mais ce n'est pas ce dont il s'agit :
il s'agit , après avoir relevé deux contre-sens marquans ,
de continuer à faire voir que , dans cette traduction , les
Français ne sortent jamais de leurs pays; les traits du
caractère espagnol y sont entièrement effacés. Don Diego ,
dans Cervantes, ne dit point : Attentifautant queje le peux
à remplir les préceptes de ma religion sainte ; il dit :
J'entends la messe chaque jour : trait caractéristique de
P'Espagnol . Il ne dit pas non plus : J'élève mon ame avec
les ouvrages de piété; il dit qu'il a des livres de dévotion ,
et avouefranchement qu'il leur préfère les ouvrages profanes
lorsqu'ils sont bien écrits . Il ne fait point de phrases
sur la bienfaisance ; il dit comment il la pratique : il
n'attend point avec tranquillité le moment , etc.; il dit ,
qu'il espère en la miséricorde de Dieu. Comme on ne le
verra que trop , Florian s'est mépris ici sur le caractère ,
sur le ton , sur la couleur du personnage , et enfin sur le
sens de l'original. Je crois que la seule lecture de ce morceau
le prouvera. Je pourrois en citer bien d'autres ; mais
cettediscussion n'est déjà que trop longue , et j'espère qu'on
m'en fera grace. Il me reste à rapporter le passage dans
Pancienne traduction ; et le voici :
« Cependant don Quichotte changeant de discours , pria
» le cavalier de lui dire sa profession et sa vie. Pour moi,
seigneur chevalier de la Triste-figure , répondit - il , je
>>m'appelle don Diego de Miranda , et suis gentilhomme,
» né dans un village ici près , où nous irons , Dieu aidant,
» souper ce soir. J'ai , Dieu merci , du bien raisonna-
» blement , et je passe doucement ma vie avec ma femme
>> et mes enfans. Mes exercices ordinaires sont la chasse
» et la pêche , non pas que j'entretienne pour cela ni chiens
> ni oiseaux, mais seulementquelqueperdrix privée qui sert
» d'appeau pour la tonnelle , et un héron avec des filets.
» J'ai quantité de livres , les uns latins , les autres espa-
>> gnols ; il y en a qui traitent de l'histoire , les autres
SEPTEMBRE 1807 . 597
*
>> sont de dévotion ; car pour des livres de chevalerie , je
» n'en souffre pas chez moi. Je prends beaucoup de plaisir
à lire ou l'histoire , ou des nouvelles , pourvu qu'il y
>> ait quelque chose d'agréable dans l'invention et lestyle;
>> mais , à mon sens , il se trouve peu de pareils livres
>> en Espagne. Mes voisins et moi vivons en bonne intel-
>> ligence , et nous mangeons souvent les uns chez les
>>autres ; nos repas sont sans façon , assez délicats , mais sans
>> superfluité; et nous en avons banni toute sorte d'excès ,
>> haïssant naturellement la débauche. Je me suis fait une
>>loi de vivre en homme de bien et d'assister les pauvres ,
». au lieu d'employer mon revenu en choses superflues ; et
> je ne néglige rien pour entretenir la paix parmi mes
>>voisins et dans ma maison, prévenant, autant que je puis ,
> tous les désordres qui peuvent arriver. >>>
Cette traduction mal écrite , moins fidelleque celle de
Florian, n'a pas entièrement dénaturé soy masque medianamente
rico; elle exprime l'aversion de don Diego , pour
les livres de chevalerie , que Florian a passé, je ne sais pourquoi,
sous silence , quoique cette circonstance soit essentielle
pour don Quichotte : une infinité de passages y sont entièrement
méconnoissables. Cependant à travers ses nombreuses
omissions etses infidélités , elle conserve quelque chose de la
bonhommie du gentilhomme Manchego . Il s'ensuit de l'une
etde l'autre que don Quichotte n'a pas été encore traduit
en français . Monsieur P. doit le sentir mieux que personne,
lui qui a traduit avec infiniment de fidélité , d'élégance et de
grace le discours de Marcelle , si abrégé par Florian. La
traduction de monsieur P. m'a fait un extrême plaisir, j'aime
à le lui dire , pour lui prouver combien peu de rancune
je conserve de la sévérité avec laquelle il m'a traité en rendant
compte de ma traduction de Lope de Vega.
D'AGUILAR .
3
598 MERCURE DE FRANCE ,
Eloge ( 1 ) du duc de Nivernois , l'un des quarante de l'Académie
Française , honoraire de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres , et qui est mort doyen de ces deux
compagnies ; lu dans l'assemblée publique et extraordinaire
de l'Institut de France , Classe de la Langue et de la
Littérature françaises , le 26 août 1807 , par N. François
(de Neufchâteau ) .
MESSIEURS ,
« L'usage antique et sacré d'honorer les morts par des
éloges publics , dont la perspective flatteuse semble étendre
>>la durée de la vie par-delà ses bornes réelles , est une
>>des plus salutaires et des plus consolantes institutions de
* >> l'humanité .>>>
C'est ce que disoit M. de Nivernois lui-même en parlant
comme directeur de l'Académie Française , le 9 avril 1761 ,
Il se plaignoit que cette coutume fût trop négligée par les
législateurs modernes , et il félicitoit les Sociétés littéraires
qui avoient rendu ces éloges un bien commun auquel
chaque membre avoit un droit égal,
Des circonstances trop connues ont privé long-temps la
* mémoire du duc de Nivernois de cette espèce d'apothéose
littéraire , à laquelle personne n'avoit certainement des
titres plus sacrés que lui. Il est à remarquer que depuis
environ deux siècles , il a été celui des membres de l'Académie
qui a rempli le plus souvent les fonctions de directeur
lors des réceptions , et qu'il a prononcé dans ces occa-
**sions brillantes , le plus grand nombre de discours. Ilme
faudroit , messieurs ,le talent dont ils sont remplis , pour lui
rendre plus dignement l'hommage que ses mânes attendent
de la classe de l'Institut , qui occupe aujourd'hui la place
de l'Académie. Ici , heureusement pour moi , l'intérết du
tableau est dans le sujet même , et le fond a une valeur
indépendante de la forme. Je dois développer les avantages
de l'étude dans toutes les positions où un homme
peut se trouver. Tel est l'abrégé de la vie du duc de Nivernois
, et le premier coup d'oeil suffit pour annoncer d'avance
que ce discours doit être moins l'éloge spécial d'un litté-
( 1) Ceci est l'extrait même qui a été lu à la séance; mais l'Eloge est plus
étendu , et sera imprimé avec beaucoup de pièces inédites , et d'autres morceaux
du duc de Nivernois , qui ne se trouvent point dans le recueil de
ses COEuvres en huit volumes in-8°.
SEPTEMBRE 1807 . 599
rateur distingué , que le panégyrique des belles-lettres ellesmêmes
.
M. de Nivernois étoit né dans la classe des grands seigneurs
de l'ancien régime ; c'étoit un avantage rare ; mais
ilééttooiitt plus rare encore qu'on n'en abusât pas. Sous le
règne de Louis XV, peu de grands noms sont restés purs ;
celui du duc de Nivernois est demeuré intact. La nature
l'avoit moins bien doué que la fortune ; une constitution
frêle , ménagée avec soin , lui a pourtant permis de pousser
sa carrière au-delà de 80 ans . La révolution l'a dépouillé
dans ses vieux jours de tout l'éclat de l'opulence. Dans ce
long espace de temps , M. de Nivernois a toujours travaillé
comme s'il n'eût pas eu d'autre vocation ; et pendant les deux
tiers du dix-huitième siècle , on l'a vu d'une part toujours
prêt à servir son prince et son pays , et d'un autre côté
occupé sans relâche par le goût des beaux-arts . On auroit
dit que sa devise étoit celle de l'oranger , toujours chargé en
même temps de feuilles , de fruits et de fleurs ; toute son
existence fut embellie jusqu'à la fin par la littérature . Il avoit
présenté les Muses dans le palais des rois , les Muses l'ont
suivi dans le fond des prisons : elles ont eu ses premiers
voeux et ses derniers soupirs ; puissent-elles sourire encore
aux guirlandes funèbres que nous sommes chargés de
déposer sur son tombeau !
Louis-Jules -Barbon , Mancini-Mazarini , connu sous le
nom de duc de Nivernois , pair de France , grand d'Espagne
de la première classe , brigadier des armées du roi , chevalier
de ses ordres , l'un des quarante de l'Académie Française ,
honoraire de celle des Inscriptions et Belles- Lettres , associé
étranger des Académies de Berlin et de Stockholm , docteur
en droit de l'Université d'Oxford en Angleterre , étoit né à
Paris le 16 décembre 1716. Il fut le dernier rejeton de la
maison Mancini , illustre en Italie depuis l'an 1300. En l'an
1630 , son quatrième aïeul , Paul Mancini , avoit institué à
Rome l'Académie des Humoristes , à-peu-près dans le même
temps où se formoit ici l'Académie Française . Paul Mancini
n'est pas le seul de ce sang distingué qui ait eu du goût pour
les lettres . Philippe Julien , son aïeul, mort en 1707 , est ce
duc de Nevers que Voltaire a compris parmi les écrivains
du siècle de Louis XIV, comme auteur de vers singuliers
qu'on entendoit très-aisément et avec grand plaisir. Voltaire
dit à ce sujet que son esprit et ses talens s'étoient perfectionnés
dans son petit-fils .
Philippe-Jules- François , duc de Nevers , son père , l'un
des plus beaux esprits du temps , avoit passé sa jeunesse à
4
600 MERCURE DE FRANCE ,
la cour de Louis XIV, dans la compagnie des hommes
choisis en tout genre qui en faisoientl'ornement. Il fit donner
å son fils une éducation soignée. Dès ses premières études ,
ón lui trouva d'heureuses dispositions , et particulièrement
un goût très-prononcé pour la littérature et pour la poésie.
On contraria d'autant moins ce penchant naturel , que c'étoit
in goût de famille. Tous les Mancini , élevés dans la politesse
romaine , étoient bien loin de partager les préjugés
gothiques de notre ancienne noblesse , attachée à sa barbarie
, et fière de son ignorance. D'ailleurs , le jeune Louis-
Jules étoit né foible et délicat sa constitution ne lui permettant
pas les exercices violens , on crut qu'il falloit d'autant
plus occuper son esprit. On seroit étonné de ce que dévora
d'avance l'activité de sa jeunesse : outre sa langue maternelle ,
il en apprit quatre autres , l'italien , le grec , le latin et Pan-
⚫glais; mais il étudia ces langues sur un plan qui ne pouvoit
être suivi que par un homme doué du plus heureux talent.
Pour s'établir un fonds d'idées et se former un style d'après
les premiers maîtres , il traduisoit en notre langue des morceaux
choisis des ouvrages les plus intéressans dans les langues
qu'il apprenoit. Ses OEuvres sont remplies de ceux de
ses premiers essais qu'il avoit conservés , et parmi lesquels
on distingue la Vie d'Agricola , traduite de Tacite , et un
Essai sur les Jardins anglais , traduit d'Horace Walpole.
En 1734 , il entra au service , ety porta toute l'ardeur de
son âge de 18 ans. Il fit une partie des campagnes d'Italie
sous les ordres du maréchal de Villars : nommé ensuite
colonel du régiment de Limosin , il passa en Allemagne ,
et se distingua par des actions de valeur et une conduite
réfléchie , qui lui promettoient des succès dans la carrière
militaire.
Mais les fatigues excessives et les rigueurs du climat , que
le jeune colonel eut à souffrir en Bohême , altérèrent sa
santé , au point qu'après une longue résistance , il fut contraint
de revenir chercher du soulagement , d'abord à nos
eaux de Plombières , et ensuite à Paris : il se proposoit de
n'y faire qu'un court séjour; mais ses maux augmentant ,
il se détermina par des considérations particulières , relatives
à sa famille , à remettre son régiment. Il ne renonça au
service qu'avec de vifs regrets ; il a consacré ses regrets dans
une de ses élégies dictée par le sentiment , et adressée au
corps dont il étoit obligé de se séparer .
Ses autres élégies, qui paroissent avoir été ses premiers
ouvrages en vers , sont toutes adressées à sa première
femune , Hélène Phelippeaux , soeur du comte de Maurepas ,
SEPTEMBRE 1807 601
qu'il a immortalisée sous le nom de Délie. L'amour a fait
Lien des poètes , celui-ci a été inspiré par l'hymen de la
manière la plus tendre ; et l'on doit observer , comme un
des traits de son éloge , que c'est à l'amour conjugal qu'il
a dû sa verve naissante et consacré ses premiers chants .
Il cachoit avec modestie les écrits qu'il avoit composés
jusqu'alors . Ses vers n'étoient presque connus que de sa
femme , pour laquelle ils avoient été faits. Il produisoit à
ses amis , pour les consulter seulement , son parallèle ingenieux
et plein d'un goût exquis , entre les poésies d'Horace
et celles de Despréaux et de J. B. Rousseau , celui de ses
écrits qui a été le plus souvent réimprimé à part. Son
mérite perçoit d'avance à son insu , et le secret en fut révélé
avec éclat , en 1743 , par le choix que fit de lui l'Académie
française pour remplacer le célèbre Massillon .
M. de Nivernois étoit encore à l'armée d'Allemagne ,
lorsque l'Académie , où il avoit montré le desir d'arriver
unjour, se détermina à l'élire même avant qu'il s'y attendit.
Il étoit difficile de remplacer un homme comme l'évêque de
Clermont. L'Académie avoit d'abord jeté les yeux sur la
Bletterie , homme de mérite , il est vrai , mais qui fut écarté
sous prétexte de jansénisme. Ce choix ne pouvant obtenir
l'approbation de Versailles , l'Académie française s'empressa
d'y substituer celui du duc de Nivernois , qui eut ainsi
T'honneur très- rare d'être nommé dans son absence. Son
discours de réception est plein de grâce et de noblesse. Il
entroit à l'Académie le même jour que Marivaux. L'archevêque
de Sens , Languet , répondit à tous deux d'une manière
grave , mais cependant flatteuse et juste.
Le duc de Nivernois n'avoit pas 27 ans. Il regarda dès-lors
l'adoption académique comme une faveur signalée , et qu'il
se proposa de mériter de plus en plus. Il ne passoit d'abord
que pour l'homme le plus aimable ; mais il acquit bientôt
la réputationque donne un mérite solide. Bernis lui adressoit
alors deux épitres charmantes; l'une sur le bon goût , et
l'autre sur l'ambition : c'étoit le résultat de leurs entretiens
familiers , roulant tantôt sur la morale , tantôt sur la littérature.
Les deux frères Sainte-Palaye , Duclos , le marquis
de Mirabeau père , le maréchal duc de Noailles , le président
de Montesquieu , devinrent ses amis .
L'Académie des inscriptions et belles-lettres le reçut aussi
dans son sein,
Cependant le temps et les soins que l'on prenoit de sa
santé , sansdétruire la cause des souffrances qu'il éprouvoit,
les rendirent plus supportables. II put se livrer à l'étude , et
602 MERCURE DE FRANCE ,
diversifier ses travaux littéraires , qui s'étendoient à tous les
genres de productions agréables , soit en vers , soit en prose ;
mais dans le temps dont nous parlons , il s'appliqua sur-tout
àune étude approfondie de l'histoire et du droit des gens ;
étude qui devoit le conduire à se rendre utile dans la plus
belledes carrières, pour un citoyen éclairé et pour un homme
vertueux : la carrière des ambassades .
On a communément une très-fausse idée de ce qu'on
nomme le métier des négociateurs . La politique est destinée
à rapprocher les nations , et à maintenir la paix entre les
princes . C'est une noble tâche que celle qui se charge de la
tranquillité du monde. Le monde entier a intérêt qu'elle
soit bien remplie ; mais elle a été diffamée par quelques
machiavélistes , et pour dernier outrage , elle a été abandonnée
, dans l'ancien régime , à des sarcasmes de théâtre ;
elle est jugée trop au hasard par le vulgaire , qui ne voit
que les résultats des traités , et qui ne peut savoir ce que
l'art de négocier exige de la part de ceux qui prétendent s'y
distinguer. Aucun autre état ne suppose un plus pénible
apprentissage. Le duc de Nivernois , qui en apprécioit à-lafois
l'importance et les difficultés , n'oublia rien pendant
long-temps pour se mettre en état de traiter dignement un
jour les affaires publiques. Nous pouvons juger aujourd'hui
du nombre des matériaux qu'il amassoit , dans cette vue ,
par plusieurs morceaux instructifs qu'il a conservés dans ses
oeuvres. Ses connoissances dans l'histoire s'y reproduisent
tour-à-tour sous plusieurs formes différentes. Tantôt ce
sont des dialogues entre des anciens et des modernes ,
Cicéron et Fontenelle , Alcibiade et le duc de Guise , Périclès
et le cardinal Mazarin ; tantôt ce sont des parallèles ou des
réflexions sur Alexandre et Charles XII , où le conquérant
grec et le batailleur ( 1 ) suédois sont justement appréciés .
Ses Mémoires sur Clovis et nos premiers rois , lus à
l'Académie des inscriptions , jettent un jour nouveau sur
les antiques monumens de l'histoire nationale. Il a ouvert à
cet égard une carrière où il seroit à desirer que d'autres
voulussent marcher sur ses traces et rendre , comme lui ,
claires et un peu plus lisibles les premières pages de nos
fastes si ennuyeux et si obscurs . Enfin le duc de Nivernois
tira des manuscrits du roi deux morceaux très -considérables
d'une politique usuelle ; l'un est le précis lumineux de la
négociation de Loménie en Angleterre , en 1595 ; l'autre
( 1 ) Ce mot de batailleur est de M. de Nivernois même , et il l'a motivé
dans sa comparaison d'Alexandre et de Charles XII.
SEPTEMBRE 1807 . 603
:
est le résumé de la négociation du président Jeannin en
Hollande pour la trève de 1609. Ce dernier travail est surtout
remarquable par son objet comme par sa rédaction . On
ne sauroit le lire sans estimer l'auteur et sans admirer avec
lui la probité , l'intelligence et la raison supérieure du présidence
Jeannin , homme d'état , ami des lettres , dont on
est étonné que l'éloge public n'ait pas été mis au concours ,
et dont la statue manque ici à côté des statues de Sully et
de l'Hôpital . Mais le secret qui doit envelopper long-temps
Jes utiles travaux des négociateurs , les dérobe d'abord à
l'estime contemporaine ; leurs dépêches ne sont publiques
que très-long-temps après leur mort , quand l'intérêt de ces
dépêches est entièrement refroidi , et la postérité semble
arriver plus tard pour eux que pour les autres.
La réputation du duc de Nivernois lui-même doit souffrir
encoreaujourd'hui de cette espèce de réserve et de ce mystère
forcé qu'on garde souvent plus d'un siècle sur les services
de ce genre. Néanmoins nous pouvons , sans indiscrétion
soulever d'avance pour lui un coin du voile qui recouvre
encore ses travaux , dont on n'a pas une juste idée.
,
Le duc de Nivernois a été chargé de trois missions politiques
sous le règne de Louis XV , qui le nomma successivement
:
1 ° . Ambassadeur extraordinaire à Rome en 1748 ,
2º . Ministre plénipotentiaire près du roi de Prusse ,
en 1755 ,
3º. Ministre plénipotentiaire et ambassadeur extraordinaire
en Angleterre , en 1762 .
Lorsque le duc de Nivernois fut envoyé à Rome , il
veilla particulièrement à ce qu'il ne fût donné aucune
'atteinte aux maximes et aux libertés de l'église gallicane . Il
remplit parfaitement les vues du gouvernement sur cette
matière , où il étoit ordinairement aussi aisé de prévenir
le mal , qu'il étoit difficile ensuite d'y remédier.
Quoiqu'on eût imposé silence aux disputans , les querelles
théologiques du commencement de ce siècle n'étoient pas
assoupies. Celles des parlemens et du clergé de France se
réveilloient sans cesse. Malgré la sagesse connue du pontife
Benoît XIV , les contre-coups de ces discordes se faisoient
ressentir à Rome , et d'autres circonstances pouvoient contrarier
encore les succès que l'ambassadeur avoit dû s'y
promettre.
La duchesse de Nivernois , qui étoit avec lui , étoit soeur
'd'un ministre qui fut disgracié et exilé avec éclat , le 26
avril 1749 , peu de temps après l'arrivée du duc de Niver-
1
604 MERCURE DE FRANCE ,
nois à Rome. Ce coup de foudre retentit de Versailles en
Italie; mais il ne porta aucune atteinte à l'influence et à
l'estimeque notre ambassadeur y avoit déjà méritées .
Il jouit constamment à Rome de la plus grande considération
.
Il est vrai qu'il avoit donné des preuves de magnificence
auxquelles les Romains ne furent jamais insensibles . Ce
peuple aime toujours la pompe et les spectacles imposans .
Lorsque le duc de Nivernois fit son entrée publique , on
lui fit unmérited'avoir eu à sa suite jusqu'à cent dix carosses .
Ses assemblées étoient de trois à quatrecents personnes ; ses
fêtes étoient ordonnées avec richesse et avec goût. Cette
représentation lui étoit onéreuse, et ne l'amusoit nullement;
il s'en dédommageoit en cultivant les arts : car dans ce
temps-là même il étoit devenu très-bon musicien ; il composoit
des opéra avec ce Labruère, son secrétaire d'ambassade
, qui étoit un homme de lettres fort connu et plein
detalent , et qui même après lui fut résident du roi àRome.
Leduc de Nivernois aimoit à s'entourer d'hommes de mérite
en tout genre , bien contraire à ces grands , impatiens d'un
voisinage dont ils craignent d'être éclipsés , et qui excluent
deleurs entours l'esprit et le talent , dont le reflet les humilie.
Undes objets qui occupèrent le ducde Nivernois à Rome ,
et dans lequel il s'applaudit d'avoir pu réussir , doit être
rappelé , sur-tout au milieu des hommes de lettres et au
sein de l'Académie. L'Esprit des Lois avoit paru ; avant de
lecomprendre on l'avoit déchiré ; et ce chef-d'oeuvre avoit
été sur-tout dénigré à Paris avec acharnement par un malheureux
journaliste , qu'on appeloit alors Nouvelliste ecclésiastique,
espèce de dogue acharné qui , du milieu de ses
ténèbres , avoit le privilége d'aboyer contre tout le monde.
Tous les siècles ont leur Zoïle.
Celui - ci avoit outragé le président Montesquieu , qui
daigna lui répondre. Le folliculaire écrasé , ne pouvant
s'agiter ici sous le mépris public dont il étoit couvert , avoit
imaginé de dénoncer l'Esprit des Lois au tribunal de Rome
qui compose l'index des livres défendus. On ne voyoit pas
trop comment un jurisconsulte français pouvoit , en écrivant
en France , subir la jurisdiction d'une cour étrangère ; mais
ceux qui veulent dénoncer , n'y regardent pas de si près ; les
calomniateurs ne manquoient pas de dire qu'ils étoient les
vengeurs de la cause du ciel , et ils tâchoient de soulever
contrel'Esprit des Lois la Sorbone et le Vatican. La Sorbonneayant
vu la défense de Montesquieu , garda prudemsnent
le silence. Le duc de Nivernois se conduisit de son
SEPTEMBRE 1807 . 605
côté avec tantde sagesse , que le tribunal de l'Index ne donna
point de suite aux procédures qu'on avoit inconsidérément
dirigées contre cet ouvrage , dont la France s'honore , et que
le genre humain a déposées dans ses archives. Lui avoir
épargné une proscription injuste , c'est avoir servi la raison
etla courde Rome elle-même.
Montesquieu fut sensible aux soins que se donna pour
lui , dans cette occasion, le duc de Nivernois , dont il reçut
depuis une autre marque d'amitié bien honorable pour les
lettres . En 1755 , pendant la maladie dont mourut , à Paris ,
le président de Montesquieu , Louis XV envoya chez lui
pour se faire informer des nouvelles de sa santé , et ce qui
consola cet illustre malade autant que l'objet même d'une
démarche si flatteuse de la part de son souverain , c'est que
le roi en eût chargé le duc de Nivernois.
Il étoit revenu de Rome au mois de février 1752 , avec
une santé très-foible. En 1753 , il maria sa fille ainée au
comte de Gisors , fils du maréchal de Belle-Isle. Ce trèsjeune
homme qui donnoit les plus brillantes espérances ,
engagea son beau-père à composer pour lui plusieurs morceaux
de prose qui sont , à notre avis , les plus parfaits de
ses ouvrages; ce sont des lettres sur l'usage de l'esprit , sur
l'état de courtisan , sur la manière de se conduire avec ses
ennemis. Ceux qui veulent apprécier la pensée et le style
du duc de Nivernois , doivent le chercher dans ces lettres ;
personne ne pourra les lire sans être pénétré de plus d'estime
pour l'auteur , et sans profiter pour soi- même des
leçons douces et aimables qu'il donnoit avec tant de grace à
un fils adoptif si digne de les recevoir.
L'Europe paroissoit tranquille. La paix d'Aix-la-Chapelle
sembloit avoir calmé les peuples et les rois; mais il étoit
un peuple qui ne pouvoit souffrir la prospérité de la France,
ni même le commerce libre des autres nations. Les Anglais
avoient tout-à-coup exercé leurs pirateries contre la France
et la Hollande. La guerre étoit inévitable , quoique l'on se
füt long-temps flatté de l'éloigner par des négociations sur
lesquelles la France s'étoit endormie.
Par l'indiscrétion et la corruption des anti-chambres de la
cour , toute l'Europe étoit instruite de ce qu'on pensoit à
Versailles; et par l'insouciance de notre ministère , on ne
savoit rien à Versailles de ce qu'on pensoit en Europe. Nous
voulions la guerre sur mer , l'Angleterre vouloit la guerre
sur le continent. Elle avoit envoyé mylord Holderness à
Berlin ; sa mission étoit remplie , lorsqu'enfin l'abbé de
Bernis avertit Louis XV qu'il étoit plus que temps dedépu
606 MERCURE DE FRANCE ,
ter à Frédéric un homme qui fût en état de négocier avec
lui.
M. de Nivernois étoit malade lorsqu'il fut nommé ministre
plénipotentiaire près du roi de Prusse; il ne balança
pas : malgré la saison avancée , il partit de Paris à la fin du
mois de décembre , et il arriva à Berlin le 12 janvier 1756 ;
mais il n'étoit plus temps .
Le but de sa mission étoit de renouveler avec le roi de
Prusse le traité d'alliance que ce prince avoit antérieurement
contracté avec la France , et qui expiroit au mois de
mai 1756. La signature de la convention du 16 janvier 1756 ,
entre la Prusse et l'Angleterre , terminoit naturellement la
négociation. Mais quoique le roi de Prusse ne fût plus à
portée de prendre d'engagemens avec la France , il traita
M. de Nivernois de la manière la plus honorable. Ill'admit ,
contre l'usage , à manger avec lui et avec les princes , ses
frères , honneur dont les ministres étrangers ont toujours
été exclus . Enfin , il alla jusqu'à le loger dans le château de
Postdam : ce qui étoit non-seulement inoui pour un ministre
étranger , mais pour quiconque n'étoit pas prince souverain.
Le duc de Nivernois n'avoit passé que peu de mois à la
cour de Berlin; mais dans ce peu de temps , il prit sur
le sol de la Prusse , sur ses productions et ses ressources
naturelles , civiles , militaires , sur la politique du prince
qui la gouvernoit, les renseignemens les plus sûrs et les
plus curieux que l'on eût encore eus en France Il les remit ,
àson tour , audépôt des affaires étrangères ; et sans doute ils
seront un jour rendus publics. Leducde NNiivvernois en a tiré
d'avance quelques pages bien curieuses ; c'est son portrait du
roidePrusse qui offre la peinture la plus impartiale etla plus
ressemblante qu'on ait jamais tracée de ce roi extraordinaire .
Il faut songer que cette image a été dessinée en 1756 , qu'elle
est faite d'après nature , dans une crise décisive du long
règne du roi de Prusse : c'est donc , à tous égards , un monument
qui doit nous être précieux ; et quand bien même le
voyage du duc de Nivernois sur les bords de la Sprée ne
nous auroit valu que ce tableau de Frédéric , le fruit n'en
seroit pas perdu pour la postérité , puisqu'il offre à nos
yeux les qualités d'un grand modèle , représentées par un
grand peintre.
En prenant cette mission , le duc de Nivernois avoit
prouvé son dévouement : ce n'étoit pas sa faute si l'on ne
s'étoit avisé de la lui donner qu'après coup ; il avoit procuré
à notre ministère des notions dont il manquoit. Son travail
SEPTEMBRE 1807 . 607
pendant quatre mois avoit été prodigieux ; on sera curieux
de savoir quel en fut le prix. A son retour en France , le
comte de Bernis vouloit qu'il fût du moins appelé au conseil
d'Etat ; il en fut écarté . Il vaqua une place de gentilhomme
de la chambre , la voix publique l'y nommoit :
elle fut donnée à un autre . M. de Nivernois content d'avoir
été utile , étoit loin de rien demander. Mais bientôt les
malheurs publics se joignirent pour l'affliger , avec des
malheurs domestiques d'une nature bien sensible. Ayant
perdu son fils très-jeune , il avoit reporté ses espérances sur
son gendre le comte de Gisors ; et ce jeune guerrier périt
à la fleur de son âge , des suites des blessures qu'il avoit
reçues à Crevelt , où il s'étoit couvert de gloire: sa mort fut ,
comme dit Duclos , une perte nationale. Le roi Louis XV ,
la reine , toute la famille royale , allèrent en visite , à cette
occasion , chez le maréchal de Belle-Isle. Madame de
Gisors , accablée de douleur , se réfugia dans le sein de la
haute dévotion. Le duc de Nivernois fut profondément
affecté ; et quelque temps après ayant eu lieu de rappeler
ce malheureux événement dans un discours académique ,
son discours fut interrompu par ses sanglots involontaires ,
et la douleur de l'assemblée se confondit en quelque sorte
avec les larmes paternelles . Eh ! Messieurs , quels Français
pourroient , sans être émus , entendre prononcer les noms
de ceux de leurs compatriotes qui , nouveaux Décius , ont
cherché une mort certaine dans les champs de l'honneur ,
et se sont dévoués pour le prince et pour la patrie !
Cependant cette guerre qui embrâsoit l'Europe , déconcertoit
toutes les vues d'après lesquelles le système de la
politique moderne avoit été changé. Au lieu de faire en
Angleterre la descente qu'on y craignoit , nous avions préféré
des campagnes en Allemagne qui convenoient mieux à
l'Autriche . Dans cette alliance nouvelle , la France ne it
que des fautes et n'éprouva que des revers . L'Autriche avoit
voulu se servir de nos armes pour reprendre la Silésie ; mais
bien loin d'arracher la Silésie au roi de Prusse , nous nous
laissions ravir , outre le Canada , presque toutes nos colonies .
L'impression de ces désastres avoit été sinistre : on desiroit
la paix à quelque prix que ce pût être; le ministère de
Versailles étoit bien décidé à en faire les frais , et cette réso
lution honteuse et affligeante étoit pourtant reçue comme
un bienfait public. Un congrès inutile fut tenté à Augsbourg
: effrayé justemeut des lenteurs de ces assemblées , le
duc de Choiseuil résolut de procurer d'abord une paix séparée
entre la France et l'Angleterre ; il fit imprimer un
608 MERCURE DE FRANCE ,
mémoire qui eut du succès , même à Londres. Ses premières
démarches , confiées à Bussy , ne réussirent point;
mais la mort du roi d'Angleterre changea un peu la scène :
les deux cours consentirent à s'envoyer enfin des ministres
munis de leurs pleins-pouvoirs respectifs , dans le mois de
septembre 1762. Le duc de Bedford se rendit en France ;
le duc de Nivernois fut choisi pour remplir la mission importante
deministre plénipotentiaire de France à Londres :
c'étoit la voix publique qui l'avoit fait nommer ; il justifia
bien l'attente que son nom avoit inspirée.
M. Pitt , ministre dirigeant et grand partisan de la
guerre , avoit été forcé de se retirer , et de laisser les rênes
de l'administration entre les mains de M. Bute , ami du roi ,
et qui desiroit vivement la paix , ainsi que ce prince luimême
en avoit besoin pour commencer son règne sous des
auspices favorables ; mais lui et son ministre étoient presque
les seuls Anglais qui eussent cette idée.
Tous les agioteurs de Londres étoient dévoués au parti
de la guerre , qui leur paroissoit le moyen d'organiser à
leur profit une rapine universelle ; et ce parti se signaloit
chaque jour par les déclamations les plus piquantes et les
plus injurieuses contre le ministère , ou , pour mieux dire ,
contre M. Bute, quien étoit le membre le plus puissant et
le plus courageux.
M. de Nivernois surmonta les dégoûts de toute espèce
qu'on lui suscita ; ses dépêches remplissent plus de60 portefeuilles
: il est à desirer qu'on les publie un jour. C'est alors
qu'on pourra juger cette négociation , et voir par quelle patience
, quelles démarches et quels soins il eut le bonheur de
contribuer efficacement à la paix qui fut assurée par le traité
définitif , signé à Paris le 10 février 1763 : elle avoit paru
un problême impossible à résoudre ; les malheurs les plus
grands avoient accablé coup sur coup et la France et ses
alliés. Les négociateurs sont vainement habiles quand les
généraux sont battus : cette balance dans laquelle lapolitique
doit peser les prétentions respectives , a besoin que son équilibre
soit maintenu par la victoire ; M. Nivernois n'avoit pas
été appuyé par ce secours si nécessaire à un ambassadeur ;
au contraire , il avoitcontre lui les succès répétés de l'Angleterre
et de la Prusse : ainsi l'on peut dès - lors adınirer sa
évérance et applaudir à son courage.
M. de Nivernois eut son audience de congé le 5 mai 1673.
Dans cette dernière fonction de son ministère , le roi lui
témoigna de la façon la plus touchante ses véritables regrets
de levoir partir , en lui faisant promettre de faire le plutôt
qu'il
SEPTEMBRE 1807.
qu'il pourroit un second voyage en Angleterre. On peut
direque les sentimens du roi étoient partagés par tous ceux
qui l'avoient connu en Angleterre , et on peut assurer
sans flatterie qu'il n'y avoit point d'exemple d'ambassadeur
dont les grandes vertus et les grands talens eussent fait plus
d'impression sur la nation anglaise. Des hommes tels que
lui sont faits pour rapprocher les peuples ; cette gloire doit
être attaché à son nom et le rendre immortel . L'humanité
entière doit honorer de préférence ces anges conciliateurs
qui se sont signalés par leur adresse à renouer entre les
nations les noeuds utiles du commerce et les doux liens de
la paix.
C'étoit peu de l'avoir conclue. Ce qui se passa dans la
suite fit plus d'honneur encore au caractère et aux vertus
du duc de Nivernois. Malgré les sacrifices que la France
et l'Espagne avoient faits pour la paix, et quoique l'Angleterre
fût la seule des nations qui eût gagné à cette guerre
des richesses énormes et des possessions immenses , cependant
la cupidité s'étoit accrue en raison même des pertes
auxquelles l'Espagne et la France avoient dû souscrire.
L'Angleterre assouvie de leurs dépouilles n'en étoit point
rassasiée , et ce fut la seule contrée où la paix , dont
s'applaudissoit le reste de l'Europe , fut un objet continuel
desarcasmes et de regrets ,,on pourrait dire de blasphemes
contre l'humanité. Cet esprit de fureur ne se calmoit point
par le temps ; car six ans même après la paix , en 1769 ,
laconvocation d'un nouveau parlement fournit un nouveau
texte aux calomniateurs forcenés de la pacifications de 1763.
Au moment des élections , un homme accrédité par ses
talens et sa famille , le docteur Murgrave , adressa de Plymouth
à toute l'Angleterre une remontrance énergique
contre le fléau de la paix ; il soutint que la cour de France
n'avoit pu extorquer cette paix criminelle qu'en achetant
la cour de Londres , et qu'en faisant distribuer de trèsgrosses
sommes d'argent à laprinceesssseede Galles , au lord
Bute , au duc de Bedford , aux lords Hallifax etEgremont ,
secrétaires d'Etat , et au feu comte de Virg. Ce pamphlet
violent produisit tout l'effet que l'auteur s'en étoit promis.
Ces accusations honteuses et si avidement reçues donnent
une bien triste idée de ceux qui les adoptent avec tant de
facilité . Il faut que la corruption soit une chose bien vulgaire
pour qu'on s'empresse de la croire sur le moindre
soupçon et sans aucune preuve. La haine qu'un pareil
libelle réveilla généralement contre le cabinet de Londres
३...
L
Q q
DE
610 MERCURE DE FRANCE ,
1 .
alla si loin, que l'on ne put en arrêter l'effet qu'en soumettant
la chose à la délibération du nouveau parlement.
En 1770, les scandaleux mensonges de ce docteur Murgrave
furent examinés et discutés dans les deux chambres . Mais
dans tous les discours qui furent prononcés à cette occasion ,
dans les enquêtes juridiques qui furent faites à la barre ;
enfin dans tout le cours de cette étrange procédure , on
rendit un hommage public et solemnel à la pureté des
principes et au caractère moral du duc de Nivernois. Ce
fut sur - tout par- là qu'on repoussa l'idée qu'un homme
comme lui eût pu être l'agent d'une séduction infame . La
chambre des communes chassa de son sein le docteur qui
avoit signé le phamphlet , après qu'il eût été réprimandé
par l'orateur comme un brouillon incendiaire et comme un
docteur en démence .
M. de Nivernois à son retour en France fut bien reçu
du roi , et couvert en tous lieux des applaudissemens et de
Pestime général. M. Duclos observe qu'il n'eut de récompense
que l'approbation publique ; mais il n'en rechercha
pas d'autre , et il refusa même avec une noble franchise
celles qu'on lui offrit.
:
Devenu libre et dans le sein de sa famille , il se livra
au soin de ses affaires qui se trouvoient fort arriérées Les
dépenses inséparables de trois ambassades remplies avec
magnificence pour l'honneur de la nation , avoient exigé
de sa part des engagemens onéreux. Il fit de grands retranchemens
dans sa maison , mais avec dignité , sans rien
changer au sort de ceux qui lui étoient attachés , prenant
toutes les privations sur lui-même; l'économie, l'ordre et la
justice se trouvoient dans toutes ses actions .
En 1769 , Philippe-Jules- François , son père , mourut ,
laissant des biens considérables : il n'avoit donné à son fils ,
en le mariant , que le titre du duché et de la pairie , et s'étoit
réservé tout l'utile
M. de Nivernois n'augmenta passes dépenses en raison
de ses nouveaux moyens ; il ne s'occupa que du soin d'acquitter
les dettes qu'il ne lui avoit pas été possible jusqu'alors
d'éteindre entièrement. 400 39166 1
Ce grand devoir fempli , il se livra ensuite à l'amélioration
de ses propriétés , mais bien moins cependant pour son
avantage personnel , que pour celui des habitans et des
cultivateurs. دا 3
Il avoit bien senti tout l'odieux des servitudes sous lesquelles
ils gémissoient , et avant que les lois vinssent les
affranchir, il fit dans cette vue tous les sacrifices possibles
des droits presque légaliens qui lui appartenoient.
SEPTEMBRE 1807 . 611
J'aimerois à tracer le tableau détaillé de ces améliorations;
mais je crains d'abuser des momens de cette séance , et je
coule rapidement sur les faits riches et nombreux qui
remplissent la vie du duc de Nivernois. Il faut que son
éloge résulte de ses actions , et non de mes paroles .
S'il étoitjuste et généreux envers le peuple de ses domaines,
il n'étoitpas moins empressé de montrer , à la même époque ,
son respect pour l'ordre public et pour les droits de la couronne
.
Les ducs deGonzague , de Mantoue , possesseurs primitifs
du duché de Nevers , jouissoient , ivant les titres originaires
de ce grand domaine ,'de plusieurs droits éminens et
utiles , qui furent vendus au cardinal Mazarin en 1660. Ses
successeurs en avoient joui et devoient en jouir suivant leur
titre ; M. de Nivernois se fit un devoir de les remettre au
roi ; et ne reçut pour indemnité que ce qu'il plut au Gouvernement
de lui offrir, une modique rente viagère , dont la
charge n'a pas été sensible aux finances . Il n'étoit pas de
ceux qui mettoient dans ce temps le trésor royal au pillage ,
et spéculoient sur les dépouilles de la fortune de l'Etat , pour
améliorer leur fortune particulière .
L'ordre ainsi établi dans ses affaires , ses devoirs envers
le souverain et sa patrie remplis , sa réputation de citoyen
vertueux et savant faite de manière à lui survivre , il passoit
så vie dans le calme , au milieu de sa famille , et dans la
société des hommes de lettres distingués par leurs moeurs ,
non moins que par leurs talens. Il étoit assidu aux séances
particulières de l'Académie française , et faisoit les délices .
des séances publiques , quand il prononçoit ses discours ou
qu'il lisoit ses fables avec cet agrément , cette noble simplicité
qui caractérisoient son style et qui animoient son débit. Il
alloit à la cour et y étoit considéré , souvent même appelé
dans les conseils secrets . A. Paris , sa maison étoit l'exemple
de beaucoup d'autres . L'hôtel de Rambouillet avoit été
moins célèbre que ne l'étoit alors l'hôtel de Nivernois. On
y trouvoit le même goût pour les choses d'esprit sans
même affectation ; on y trouvoit sur-tout les mêmes sentimens
d'honneur : toutes les vertus y étoient respectées ,
recherchées comme elles le furent autrefois dans ces demeures
révérées de Sully , de Brissac , de Lamoignon , de
Montausier , où la véritable grandeur et l'ancienne courtoisie
se sont conservées de manière qu'en passant devant
ces hôtels , on croyoit voir, en quelque sorte , les sanctuaires
de l'honneur et les temples de la sagesse.
la
Mais cet état , qui étoit le bonheur pour lui, fut troublé
Qq2
612 MERCURE DE FRANCE ;
le 10 mars 1782 , époque où il perdit madame de Nivernois,
son épouse , cette Délie qu'il a célébrée dans ses vers avec
tant de délicatesse , qui partageoit ses sentimens , ses goûts ,
etdont il ne pouvoit ètre séparé sans se trouver plongé dans
une douleur pour laquelle il n'y a point de consolation. Elle
ne laissoit qu'une fille , mariée au duc de Cossé , et fort
affligée elle-même de la perte d'un fils chéri , sur lequel
reposoient toutes les espérances de deux maisons illustres .
Dans cette solitude affreuse , une de ses parentes , Marie--
Thérèse de Brancas , veuve du comte de Rochefort , l'amie
et la société de madame de Nivernois pendant quarante
années , s'étoit vouée à être sa compagne et à lui adoucir
l'ennui du reste de sa vie. Il l'épousa en secondes noces;
mais hélas ! le bonheur s'étoit retiré de lui ; il la perdit
le 26 jour de leur union , et il a consacré ses regrets par
une préface touchante qu'il a mise à la tête de quelques
opuscules de la seconde duchesse de Nivernois , imprimés
pour ses amis seuls.
Dès- lors , ni son intérieur , ni la décadence imminente
des affaires publiques , ne lui promettoient plus que des
jours orageux ; il alloit en effet avoir un grand besoin des
provisions de sagesse qu'il s'étoit ménagées dans les premiers
momens de la jeunesse et du bonheur.
Le dirai-je ? il vint un moment où cette voix publique ,
qui prépare les choix des rois par les choix de la renommée ,
designoit uniquement le duc de Nivernois pour être gouverneur
de l'héritier du trône. Nul ne possédoit comme lui
toutes tes les qualités nécessaires pour bien remplir cette fonction
importante dont lui-même a si bien parlé dans sa réponse
académique à M. de Coëtlosquet , ancien évêque de
Limoges . Mais le mérite et la faveur se trouvoient rarement
alors sur une même route : M. de Nivernois fut éloigné
de cet emploi , parce qu'il étoit trop sévère : ainsi le prononcèrent
des courtisans plus occupés de leur intérêt , que
du soindu bonheur public, et dont les formes contrastoient
avec son extrême réserve . Mais quand on le proposoit à la
confiance du roi pour entrer dans le ministère , les mêmes
hommes qui venoient d'insister sur son austérité , affectoient
tout-à-coup de ne plus voir en lui , au lieu de ce Caton
rigide, qu'un poète léger et un courtisan agréable . C'est
ce qui arrive souvent. Un honnête homme , homme d'esprit
, peut être doublement perdu ; car l'honnête homme
court grand risque d'être noyé par les méchans , et l'homme
d'esprit par les sots.
Etranger à l'intrigue , M. de Nivernois étoit trop éclairé
SEPTEMBRE 1807. 613
1
pour être ambitieux. Mais cette biference sur ses intérêts
personnels , ne l'attiediss it pont sur l'intérêt public. Il le
voyoit en citoyen , avec zèleet avec douleur , comme on
devoit le voir alors .
En effet , le démon des discordes civiles commençoit à
miner l'autorité royale , et les appuis de la couronne contribuoient
à l'ébranler. Un gouvernement fort étouffe les
germes des troubles ; mais sous un gouvernement foible ,
ces germes négligés prennent avec le temps une consistance
effrayante ; et c'est alors qu'on est étonné de voir les plus
grands et les plus sinistres effets , amenés par les plus
petites et les plus méprisables causes. On s'étoit aperçu
du mal, lorsqu'il paroissoit sans remède. L'assemblée des
Notables n'avoit eu aucun résultat . Dans ces circonstances
critiques , sur les représentations de M. de Vergennes , le
duc de Nivernois fut enfin appelé au Conseil d'Etat. Il
sentoit qu'il étoit bien tard , et cependant il s'y rendit :
vieux et infirme , il immola sa liberté à son devoir , se
fixa à Versailles , rendit tous les services qu'on pouvoit
attendre de lui ; mais la mort imprévue du comte de Vergennes
vint déranger le plan que ce ministre habile avoit
formé pour éviter les malheurs , qu'il étoit alors facile
de prévoir , et peut-être de prévenír. Privé de cet appui
la politique de Versailles fut tous les jours plus vacillante ,
et tous les jours , en quelque sorte , le trone tomboit par
morceaux : M. de Nivernois sentit que sa présence étoit
inutile à la cour , et il rentra dans sa demeure; dissimulant
son désespoir sous un air de sérénité , mais jugeant bien
l'état des choses , et sentant qu'il devoit attendre , lorsqu'on
arriveroit à une époque trop prochaine, llaa prison ou la
mort. En effet , il fut arrêté ( le 13 septembre 1793)le même
jour que le vieux lieutenant-civil , ce vénérable Angrand'Alleray.
Chargé de près de seize lustres , et n'ayant qu'un soufle
de vie , le duc de Nivernois devoit exciter la pitié de ceux
qui le gardoient , s'ils eussent connu la pitié. Une autre
spéculation lui valut de leur part quelques ménagemens .
Sa santé étoit à tel point détruite , sa fin naturelle paroissoit
devoir être si prochaine , il faisoit avec tant de graces
tous les sacrifices qu'on exigeoit de lui , qu'on parut l'oublier,
et qu'on eut l'air de voir en lui une victime réservée pour
les dernières crises de l'esprit de destruction , qui étoit le
système des dominateurs du moment. Dans cette situation ,
cet illustre captif jugeant avec sagesse des suites de cette
tourmente révolutionnaire , persuadé qu'alors on ne pouvoit
3
614 MERCURE DE FRANCE ,
y opposer aucune résistance , à moins que de vouloir irriter
la fureur des tigres investis du pouvoir suprême , il eut la
force d'être calme , s'entoura de ses livres , s'occupa de faire
des vers , fut un consolateur aimable pour tous les compagnons
de sa détention , etun bienfaiteur délicat pour ceux
qui , au chagrin d'avoir perdu leur liberté , joignoient les
douloureuses privations de l'indigence. Enfin, pendant près
d'une année qu'il fut détenu à la caserne des Carmes àParis ,
sa conduite fut celle que Socrate tint autrefois dans les
prisons d'Athènes .
2
Sorti de cet état au mois d'août 1794 , et rétabli dans sa
maison qu'il trouva toute démeublée , il y a moins vécu
qu'il y a langui quatre années , presque toujours malade
mais conservant tout son esprit , tout son atticisme et ses
graces , dans la société d'un très-petit nombre d'amis , et
singulièrement dans cellede son médecin , M. Caille l'aîné ,
qui s'étoit dévoué à lui. M. Caille a reçu ses derniers soupirs
le 25 février 1798 .
On peut juger de sa tranquillité et de sa présence d'esprit
jusqu'au dernier moment, par le billet connu , qu'il écrivit
le matin même de sa mort à ce médecin qu'il aimoit. On
peut douter qu'Anacréon , même en bonne santé , ait rien
fait de plus agréable que ce billet en vers , à-la-fois poétique,
philosophique et amical , tracé par une main mourante.
Le duc de Nivernois méritoit d'avoir des amis , parce
qu'il savoit à- la-fois les choisir et les conserver. J'en citerai
un seul exemple , si touchant et si respectable , qu'on le
croiroit , quoique moderne , emprunté des beaux temps
antiques . M. Guynement de Keralio , qui a été gouverneur
du prince de Parme dans le temps où Condillac étoit son
instituteur , avoit été lié , avant d'aller à Parme , avec M. de
Nivernois , que l'on appeloit dans ce temps le prince de
Vergagne. Ils étoient jeunes l'un et l'autre ; mais M. de
Keralio avoit quatre ans de plus. Durant tout le temps que
celui-ci a été en Italie , M. de Nivernois ne l'a pas perdu
de vue un seul instant : à son retour il l'accueillit , Tengagea
à venir demeurer près de lui , et voulut qu'il ne passât pas
un seul jour sans le voir. Ils se sont enfermés ensemble
dans la prisondes Carmes : la mort seule a pu les désunir.
M. de Keralio étoit dans la chambre de son ami , le jour et
au moment où il a rendu le dernier soupir. O divine amitié !
voilà les traits qui te signalent ; voilà les sentimens vrais,
profonds , immuables , auxquels on peut te reconnoître !
Heureux les coeurs qui les éprouvent , et heureuse encore
1
SEPTEMBRE 1807 : 6.5
Pame qui s'occupe à les retracer , si elle pouvoit rendre
Pimpression délicieuse qu'ils doivent faire ressentir !
Quelque temps avant cette époque ( en 1706 ) , M. de
Nivernois a publié lui- même le Recueil de ses OEuvres , en
8 volumes in-8°, avec une épigraphe tirée des Tusculanes ,
dans laquelle l'autear , à l'exemple de Cicéron , dit avec
modestie , que si ses occupations ont pu n'être pas inutiles
à ses concitoyens , il voudroit bien pouvoir aussi leur être
bon à quelque chose , même dans ses derniers loisirs .
Ce Recueil a paru dans un temps trop peu favorable
pour qu'il soit généralement répandu et apprécié à sa juste
valeur. Mais si nous pouvons nous flatter de rappeler sur
les ouvrages de notre célèbre confrère l'attention publique ,
•nous répondons d'avance à ceux qui les liront , de l'agrément
et du profit qu'ils doivent y trouver. De tous les gens de
qualité qui , par air ou par goût , ont cultivé les lettres , le
duc de Nivernois est celui qui , sans le secours de sa naissance
et de son noin , seroit sorti plutôt du rang des simples
amateurs , et seroit devenu classique .
Si c'étoit un seigneur de la cour de Louis XIV qui nous
eût laissé les ouvrages du duc de Nivernois , vu de si loin ,
convenons - en , sa renommée seroit beaucoup plus imposante
; mais il est venu tard , il est trop près de nous : on
n'a pas encore eu le temps de le mettre à sa place. Il est
même si peu connu sous les rapports qui le distinguent ,
que les détails de cet éloge , révélant un homme nouveau ,.
étonneront sans doute ceux qui ne le connoissent que pour
avoir ouï citer de lui de jolis vers ou des saillies spirituelles
: mérite si vulgaire en France , qu'il ne vaut presque
plus la peine d'être remarqué.
Mais si les bons mots sont communs , il n'en est pas encore
de même des bons livres . Nous devons , à ce titre , analyser
rapidement les OEuvres du duc de Nivernois .
F Les deux premiers volumes de la collection sont uniquement
composés de ses fables . Il en avoit récité un certain,
nombre dans plusieurs séances publiques de l'Académie
française ; elles avoient obtenu un succes de lecture qu'on a
pu croire dans le temps un peu exagéré par la faveur des
circonstances et par les charmes du débit : mais ces fables
out un mérite qui doit les distinguer de tout autre écrit de
ce genre , dans lequel la France est si riche , qu'elle dédaigne
ses richesses .
On veut tout rapporter à la naïveté par laquelle , il est
vrai , La Fontaine est inimitable ; cependant nous avons des
contes qui ne ressemblent pas aux siens , et qui ont un autre
4
616 MERCURE DE FRANCE ,
mérite. Voltaire nous a démontré qu'ily a pour le moins
trois manières diverses de narrer agréablement . Nous osons
dire que les fables de Nivernois ont un cachet particulier ,
c'est le but dans lequel l'auteur les avoit composées . En
écrivant ces fables , il songeoit aux enfans des rois , à ceux
des classes élevées de la société ; en un mot , il voyoit un
monde au-dessus de celui qu'avoient envisagé nos autres
fabulistes ; il contoit dans un autre étage , et sa philosophie
planoit en quelque sorte sous les lambris dorés. Desirons
que les jeunes princes se pénètrent de ses leçons , et qu'après
avoir écouté dans le bon La Fontaine , Esope aux champs
et à la ville , ils entendent aussi dans notre Nivernois un
nouvel Esope à la cour .
Les quatre volumes qui suivent dans les OEuvres de notre
auteur , contiennent des mélanges d'une littérature aimable
et variée. Ony trouve de tout: des épîtres , des contes , des
épigrammes , des chansons dont il a fait tout-à-la-fois les
paroles et la musique. Il a imité avec soin des morceaux
excellens , choisis dans les meilleurs poètes ou anciens ou
étrangers , Anacreon , Virgile , Horace , Ovide , Milton ,
Pope , l'Arioste et Métastase . Jamais sa muse ne vous mène
qu'en bonne compagnie , et elle se montre toujours digne
de vous y introduire.
L'ouvrage le plus étendu que renferment les OEuvres du
duc de Nivernois, est aussi la production la plus considérable
qui existe dans notre langue , en vers de dix syllabes ;
ce sont les trente chants du poëme de Richardet , originairement
composés en italien vers l'an 1716 , par le prélat
Fortiguerra , ami du pape Clément XII. Ce singulier poëme,
improvisé en quelque sorte par suite d'un défi au sujet du
Berni et de l'Arioste , a été abrégé et mis en douze chants
par un autre rhneur français. M. de Nivernois s'est ataché
au texte , et l'a rendu avec un abandon et une aisance qui
peuvent sembler trop faciles , mais qui donnent pourtant
àcette version négligée et même diffuse , l'air d'un ouvrage
original.
Ce qui surprendra , Messieurs , c'est que cette traduction ,
comprenant trente mille vers , a été vraiment faite au courant
de la plume , et d'un seul jet , pour ainsi dire , dans
cette caserne des Carmes où fut enfermé si long-temps
le duc de Nivernois , en 1793. Accablé de souffrances
et de privations , dépouillé de ses biens , outragé par Chaumette
à la tribune de Paris , menacé de perdre la vie , il
savoit se distraire en traduisant Fortiguerra ; un chant de
Richardet occupoit agréablement dix ou douze journées de
sacaptivité,
SEPTEMBRE 1807 . 617
1
Victime des secousses de la plus formidable des révolutions
, le duc de Nivernois ne pouvoit sans doute approuver
de pareils changemens faits avec tant de violence par
de malheureux insensés qui sembloient rendre exprès la
liberté funeste , afin de la rendre odieuse. Mais , loin de
faire le procès à cette cause d'un grand peuple , et de saisir,
comme tant d'autres , le prétexte de ses excès , pour calomnier
ses principes , le duc de Nivernois donnoit un grand et
rare exemple ; il se résignoit devant elle, savoit perdre
tranquillement cent mille écus de rente , et descendoit , sans
murmurer, d'un des rangs les plus élevés qui fussent alors
dans l'Etat. Que tous ceux qui m'écoutent se mettent à sa
place , et que leur conscience réponde avec franchise ! Une
philosophie réduite à cette épreuve, et qui en sort aussi
paisible , annonce- t-elle une ame d'une trempe commune ?
Certes , il falloit que la sienne trouvật en elle-même de
prodigieuses ressources , pour ne pas succomber , à l'âge
de 80 ans , sous le poids des ruines qui l'écrasoient sans
Pébranler.
Lorsque le duc de Nivernois sortit de sa prison, et qu'il
rentra dans son hôtel où il manquoit de tout, il ne tira
d'autre vengeance de cette persécution que de faire quelques
couplets sans fiel , et même fort aimables : on l'appeloit
alors citoyen Mancini , et il y fait allusion , en empruntant
l'air de Tarare : Ahi ! povero Calpigi !
Je ne dois pas dissimuler que la prose de M. Nivernois est
plus correcte que ses vers, sur-tout que ses grands vers; mais
ses chansons et ses romances, toutes ses piècesfugitives , sont
généralement d'un goût pur , et d'un très-bon ton ; on en
jugera mieux par quelques divertissemens que j'ai pu recueillir
, et qui composeront, dans ses OEuvres posthumes (1 ) ,
son Théâtre de société . C'est là qu'on le verra dans son
intérieur jouant avec sa muse , et l'associant une fois à celle
d'un de ses confrères que nous avons le bonheur de posséder
encore. Il s'agissoit de célébrer la fête du prince Henri
de Prusse , qui étoit venu à Paris en 1788. Cette fête fut
remarquable , d'abord par le grand prince qui en étoit
l'objet , et ensuite par l'union des deux muses charmantes
qui firent ce jour les honneurs du Parnasse français . On
dut aimer à voir ensemble dans une telle occasion , le duc
de Nivernois et le chevalier de Boufflers .
(1) Les Envres posthumes du duc de Nivernois seront imprimées à la
suite de cet Eloge , dont elles seront les pièces justificatives , et formeront
quatre parties in8°. qu'on trouvera chez Maradan , rue des Grands
Augustins.
618 MERCURE DE FRANCE ,
On n'aime pas moins à relire les vers que M. de Boufflers
adressoit dans ce temps au duc de Nivernois , en lui
envoyant des moutons destinés à parquer dans une pièce de
gazon de son parc de Saint-Ouen.
Petits moutons ! votre fortune est faite;
Pour vous ce pré vaut le sacré vallon:
N'enviez pas l'heureux troupeau d'Admète ,
Carvous paissez sous les yeux d'Apollon.
Le duc de Nivernois a regretté de ne pouvoir mettre
dans sa collection ses discours à l'Académie , et nous devons
aussi réparer cette omission. On relira avec plaisir dans
ses OEuvres posthumes , ses nombreuses réponses aux récipiendaires
dans notre Académie française. İl varie à propos
son ton pour chacun d'eux ; il leur parle. à tous dans leur
langue , sans flatterie et sans apprêt; il montre tour-à-tour
et sous des couleurs ressemblantes , l'avocat général fameux ,
en recevant M. Séguier ; l'avocat et l'homme de bien, en
parlant à M. Target; l'orateurde lachaire et le panégyristede
S. Vincent de Paule, eu recevant ici, pour la première fois,
M l'abbé Maury ; les journalistes éclairés , honnêtes et
utiles , en parlant de l'abbé Arnaud et de M. Suard ; et
plusieurs autres genres de mérites académiques , en louant
successivement , ( après ces fameux personnages , ou du
cardinal de Fleury, ou du maréchal de Belle -Isle ) , les
Massillon , les Fontenelle , les Sallier , les Batteux , les
Giry, les Coëtlosquet , les Trublet , les Séguy , les Duresnel ,
les Pompignan , les Condorcet et les Voltaire. Ce fut dans
la même séance qu'il sut rendre justice à l'auteur de Didon ,
etqu'il rendit hommage à l'auteur de la Henriade. Enfin ,
en 1795, il a paru se ranimer pour célébrer encore l'esprit,
les moeurs et les ouvrages de son ami Barthélemy. Ainsi
donc sa mémoire est liée à l'histoire de la littérature et de
l'Académie dans tout le XVIII siècle : le peintre s'est
associé à la gloire de ses modèles , et son image aura sa
place dans cette galerie des hommes de lettres français , dont
il a légué les portraits à la postérité.
O ! si , dans l'Elysée qu'habitent les ombres célèbres ,
celle du duc de Nivernois pouvoit être sensible aux accens
de ma foible voix , j'oserois peut- être lui dire :
Consolez-vous , mânes chéris ! quand vous avez quitté
la vie , hélas ! vos yeux ne voyoient pas encore bien distinctement
cette France que vous aimiez , hors du chaos affreux
où elle avoit été plongée par ses dissentions civiles. Vos
yeux en s'éteignant , cherchoient votre famille , et ne la
voyoient plus. Vous regrettiez aussi l'Académie française , :
SEPTEMBRE 1807 . 619
qui nesubsistoit plus. Eh bien ! si vos regards s'arrêtent sur
la terre , jouissez du spectacle heureux que Paris présente
aujourd'hui . Les quatre Académies dont la réunion compose
l'Institut de France , sont assemblées en ce moment
pour honorer votre mémoire : le public applaudit au tribut
que l'on vous décerne. Votre digne fille , et sa fille et vos
petits - enfans sont présens à cette séance , hormis ce jeune
Mortemart que son devoir attache aux drapeaux de la
Grande-Armée!
Et cette fête littéraire , succède et se marie à des fêtes
nationales d'un caractère plus auguste , et par lesquelles
la France se réjouit d'avoir donné la paix au Monde , sous
l'influence d'un génie que le Ciel fit exprès pour elle , et qui
replace cet Empire plus haut que Charlemagne ne l'avoit
jadis élevé.
* O Nivernois ! de votre temps , la Sprée et la Tamise
avoient humilié la Seine , mais cette opprobre est effacé. La
pyramide de Rosbach vient décorer Paris , et l'épée de
Frédéric II est déposée aux Invalides . Si Londres continue
à repousser la paix , nous n'avons plus besoin de mendier
sonindulgence comme vous y étiez malheureusement obligé!
Désormais réunies , la Seine et la Newa sauront bien forcer
la Tamise à laisser la mer libre et le Continent en repos . De
votre temps enfin , l'oeil cherchoit Parisdans Paris : ce n'étoit
plus hélas ! la première des villes ; c'étoit l'antre de la discorde;
ses fêtes étoient des supplices , et ses monumens des
ruines. Aujourd'hui le Louvre s'achève; tout Paris est
digne du Louvre. De tous côtés l'oeil y rencontre les trophées
de la gloire , les créations du génie, les pompes de la
paix ; et cette grande capitale du plus grand des Empires ,
devient la reine des cités et la merveille de l'Europe .
Aimable et sage Nivernois ! tout ce que vous avez chéri ,
tout ce que vous crûtes perdu , tout se réunit à la fois pour
expier Poutrage fait à vos derniers jours , et pour venger
votre mémoire ; recevez les hommages de notre Académie ,
que votre famille du moins les recueille pour vous , et que
l'image des triomphes et des prospérités de l'Empire français
pénétrant jusqu'à vous dans l'asyle éternel des ombres
vertueuses, ajoute , s'il se peut , à la félicité dont a mérité de
jouir le citoyen recommandable qui , pendant soixante ans ,
travailla comme vous , sans ambition et sans faste , pour le
gloire des lettres et pour le bien de sa patrie !
620 MERCURE DE FRANCE ,
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
-M. de Parny vient de donner au public un nouveau
poëme en douze chants , intitulé les Rosecroix.
-On a donné , jeudi dernier , au théâtre de l'Opéra-
Comique, une première représentation de la Folie musicale,
ou le Chanteur prisonnier. Cette nouveauté n'a point eu de
succès . L'auteur du poëme est M. Francis , et l'auteur de
lamusique est M. Pradère fils .
Le même jour , le théâtre de l'Impératrice a été plus
heureux. Le Volage , ou le Mariage difficile , comédie en
trois actes et en prose , jouée pour la première fois , a
obtenu le plus grand succès. L'auteur , M. Caigniez , n'étoit
encore connu au théâtre que par des mélodrames .
- Mad. Catalani est décidément engagée à l'Opéra de
Londres , pour la saison prochaine; elle chantera dans les
pièces comiques , ainsi que dans les sérieuses , et n'aura pas
la liberté de se faire entendre dans les concerts .
-Dimanche prochain , à deux heures , commenceront au
Champ-de-Mars les Courses d'épreuves , dont l'objet est de
déterminer quels seront les chevaux admis aux courses qui se
ferontle 11 et le 12 octobre , et pour lesquelles il sera décerné
desprix; ces courses d'épreuve continueront d'avoir lieu tous
lesjours à lamême heure , jusqu'au 4 octobre . Tous chevaux
indistinctement, et sans examen préalable ,y seront admis.
-Les artistes qui auroient l'intention de s'occuper du
projet d'orangerie ou promenade publique d'hiver , dont le
programe a été publié par la voix des journaux , sont prévenus
que le concours ne sera fermé qu'au 1. mars prochain.
Ils sont invités à déposer , avant ce terme , leurs projets au
ministère de l'intérieur.
-M. Dureau de la Malle est mort le 20 , et laisse une
troisième place vacante à l'Académie française. Nous lui
devons la meilleure traduction que nous ayons des OEuvres
de Tacite; il a aussi traduit Salluste et Tite-Live , mais ces
deux ouvrages n'ont point encore paru.
AU RÉDACTEUR DU MERCURE DE FRANCE.
Monsieur ,
:
Je crois devoir répondre à l'article inséré dans le Numéro
du Journal de Paris , du II août 1807 , sur les ravages
SEPTEMBRE 1807 . 631
occasionnés par la petite-vérole dans la ville d'Anvers , où ,
dit-on, la vaccine est malheureusement discréditée , par suite
de l'impression qu'a faite dans les premières classes de la
société un ouvrage du docteur anglais Rowley, contre cette
découverte salutaire. On semble reprocher au Comité de
Vaccine de Paris de n'avoir pas cherché à savoir si l'ouvrage
du docteur Rowley a été réfuté en Angleterre. Le
reproche est mal fondé. Les savans médecins qui le composent
n'ont pas cru qu'après tant de preuves de l'efficacité
de la vaccine, tantd'expériences constatées , de faits notoires
et positifs rendus publics soit par le Comité , soit par de
grands praticiens tant de Londres que de Paris , il existât
encore des gens capables d'ajouter foi à des opinions aussi
absurdes que celles contenues dans l'ouvrage , ou plutôt
dans les trois ouvrages des docteurs Rowley , Moseley et
Squirrel , tous partisans outrés de l'ancienne inoculation ,
qu'ils voudroient substituer à la vaccination.
Permettez-moi cependant , Monsieur , de faire connoître
au public , par la voie de votre excellent Journal , que le
docteur Thornton , médecin distingué de Londres , personnellement
connu des docteturs Rowley, Moseley et Squirrel ,
a répliqué aux faits avancés par ces Messieurs , dans son
ouvrage intitulé: Preuves de l'Efficacitéde la Vaccine, etc. (1),
dont j'ai donné depuis peu une traduction française. Vous
pouvez consulter à ce sujet les pages 147 et suivantes de cet
ouvrage , qui a obtenu l'accueil le plus flatteur, tant de la
part du public , que de celle des médecins les plus expérimentés
de lacapitaallee et des départemens.
Voici la réponse du docteur Thornton aux objections ridicules
des adversaires de la vaccine :
« .... Mon respectacle ami, le docteur Moseley , a agi
>>avec prudence en combattant la précipitation avec laquelle
>>on selivroit à la découverte de la vaccine ; mais l'événe-
> ment a incontestablement justifié sa vertu préservative.
>>Lorsque nous voyons aujourd'hui des gens pousser la
>>sottise assez loin pour faire naître , probablement dans
>>l'imagination des gens bornés , que la transmission de la
> maladie d'une vache à un corps humain peut occasionner
>> à ce dernier les différentes humeurs qui appartiennent à la
>> nature des bêtes ; que l'enfant vaccine va prendre la bruta-
>>lité d'un veau , et qu'il lui poussera des cornes et une
(1) Un vol. in-8° . , orné de deux planches coloriées , représentant au
naturel la vraie et la fausse vaccine. Prix : 4 fr .
A Paris , chez Chomel , imprimeur- libraire , rue Jean-Robert , nº . 26
Capelle et Renand , libraires- commissionnaires , rue J. J. Rousseau, no. 6,
et chez le Normant.
622 MERCURE DE FRANCE ,
>> longue queue velue , on est justement surpris qu'ils trouvent
>> eucore des gens assez simples pour les croire. >>>
«Au lieu de toutes ces absurdités , poursuit le docteur
>>Thornton, page 133 de la traduction , la véritable consé-
>>quence de cette transmission a été une seule pustule locale ,
>>peu ou point d'indisposition , et l'impossibilité de jamais
>>contracter une maladie dégoûtante , cruelle et dévastatrice ,
>>qui , de nos jours , moissonnoit , à la connoissance de touť
>>le monde, un individu par minute.
>> Dieu soit béni ! la vaccine n'a engendré d'humeurs , de
>>cornes et de queues , que dans l'imagination des gens
>> exaltés et insensés ; les raisonnemens de ceux-ci reposent
>>sur la malignité et sur un préjugé vulgaire . Il n'en est pas
>>de même de l'opinion réfléchie du praticien , qui ne tire
>>ses conséquences que des faits passés sous ses yeux , etc.>>>
Le docteur Thornton réfute également les objections du
docteur Squirrel , qui a raisonné sur le compte de la vaccine
dans la supposition qu'elle provenoit originairement du
cheval. L'origine d'un remède , répond le docteur Thornton ,
ne prouve rien contre son efficacité , et il faut attribuer les
fausses conséquences qu'en tire le docteur Squirrel et les
autres adversaires de la vaccine , à un défaut d'expérience
personnelle de cette opération salutaire.
→
Je voudrois multiplier les citations : un simple fait prou -
vera mieux que tout ce que je pourrois ajouter , combien
les cinq cent-quatre cas de vaccination dont parle le docteur.
Rowley méritent peu de croyance , et de quel crédit son
ouvrage jouit en Angleterre. La Chambre des Communes
vient de voter , au commencement du mois d'août 1807, une
récompense de 20,000 liv . sterlings ( 480,000 fr . ) au docteur
Jenner , inventeur de la vaccine ; prix honorable , et digne
d'unedécouverte si utile à l'humanité .
DUFFOUR , médecin de l'Hospice Impérial
des Quinze- Vingts et du Comité central
de Bienfaisance du cinquième Arrondissement
de Paris , etc.
NOUVELLES POLITIQUES.
PARIS, vendredi 26 septembre.
-M. de Lindholun , aide-de-camp de S. A. R. le prince
Royal de Danemarck , est arrivé à Paris. Il a eu une audience
de l'EMPEREUR . ১
-S. Exc. le ministre secrétaire d'Etat et M. le maréchal
Moncey sont partis le 25 pour aller s'établir à Fontainebleau.
On attend incessamment dans cette ville M. le prince
de Bénévent.
1
TABLE
DU TROISIÈME TRIMESTRE DE L'ANNÉE 1807 .
TOME VINGT - NEUVIÈME.
POÉSIE ..
La Rose coquette ( ode anacreontique ) , page
3
Le Projet illusoire ,
6
Le Capucin devant une Planète , 49
Hymne d'un Convalescent au Soleil ,
5t
L'Opéra champêtre, 97
Difficulté de trouver et de rassembler les matériaux de l'Histoire des
premiers siècles, Id.
Ils se sont embrassés ! ( vaudeville populaire ), 98
L'Amour et les Oiseleurs ( idle) ,
:
145
Epilogue d'un poëme intitulé : Le Génie voyageur , 146
Beauté , Bonté et Grace ( allégorie ) , 148
La Paix de Tilsit ( ode ) , 193
Traduction libre de la première Elégie de Tibulle , 241
L'Attente ( stances ) , 1 244
Vers sur la Mort d'Eléonore , 245
Fragmens du II . liv. de l'Art d'Aimer d'Ovide, 289et 339
Edgar et Laurence ( romance) ,
Ode, par M. Le Brun ,
Fragment du premier liv. des Fastes d'Ovide ,
Ode à l'Imagination ,
Surl'Ascension nocturne de M. Garnerin , le 4 août 1807 ,
La Colère d'Apollon ( ode ) ,
La Nuit, ou les Regrets de l'Absence ,
Fragment d'un Essai poétique sur l'Ecole française ,
Fragment d'un poëme intitulé : L'Année Champêtre ,
Le Ver luisant et le Ver de terre ( fable ) ,
Traduction du début du poëme contre Rufin , de Claudien ,
Fragment du Chant XVI . de la Jérusalem délivrée ,
Extraitset comptes rendus d'Ouvrages.
290
291
337
340
385
433
436
481
Id.
529
532
577
VoyagePittoresque et Historique de l'Espagne , 7 et 563
Poésies ,
22
Examen de l'Opinion de plusieurs Géologues et Naturalistes , 53
Pensées de Balzac , 59
Correspondance littéraire de M. de La Harpe , 68
De la Vertu , 79
De la Manière d'écrire l'Histoire , JOF
Suite des Souvenirs de Félicie , 121
Vie de Frédéric II , roi de Prusse,
T T
128
Nouvelles Considérations sur les Sauvages de l'Amérique , 151
Traduction en vers de quelques Poésies de Lope de Vega, 156
624 TABLE DES MATIERES.
Nouveaux Opuscules de l'abbé Fleury , 167
Quelques Détails sur les moeurs des Grecs, desArabes et des Turcs, 197
Mémoires du marquis d'Argens , chambellan de Frédéric-le-Grand, 214
Mon Séjour auprès de Voltaire , 247
Sur la Peinture, 255
Viedu comte de Munnich , 266
De Louis XIV et de ses Successeurs , 295
Théorie du Beau dans la Nature et les Arts , 30
De la Langue et de la Politique , 343
Sur la traduction de Don Quichotte , par Florian , 357
Fables et Poésies diverses , 364
Mélanges , etc. , sur la fin du règne de Louis XIV et le commencement
de celui de Louis XV , 368
AVoyage round the world , etc. Voyage autour du Monde, 374
De la Critique littéraire , 39
Le Génie cu Christianisme , 400
Histoirede Pierre du Terrail , dit le chevalier Bayard ; sans Peur et
sans Reproche, 439
Elé ies de Tibulle , traduction nouvelle, 446
Pent-il exister un Bonheur parfait? 451
Rapport sur les Travaux de la Classe d'Histoire et de Littérature
ancienne , fait à l'Institut , 2 457
Réflexions sur laGéologie, 487
Tableau Historique et Politique , de l'année 1806 , etc. ,
Lettre sur les Arts imitateurs en général , et sur la Danse en parti-
496
culier , 50t
Le Bachelier de Sa'amanque , ou Mémoires et Aventures de Don
Chérubin de la Ronda , 508
OEuvres chisies de M. Lefranc de Pompignan , 541
Lettres de Marie Stuart , reine d'Ecosse , et de Christine , reine de
Suède , 54g
Traité élémentaire de Mécanique , 555
Opuscules en vers , 560
Eusèbe , Héroïde , par J. D. Laya ,
581
Maximeset Réflexions sur différens sujets de morale et de politique , 587
Réponse de l'auteur de la traduction de Lope de Vega , à M. P. , au
sujet de la traduction de Don Quichotte de Florian ,
Eloge du duc de Nivernois , l'un des quarante de l'Académie Française,
etc.; lu dans l'assemblée publique et extraordinaire de l'Ins
titut de France, Classe de la Langue et de la Littérature françaises
, le 26 août 1807 , par N. François (de Neufchâteau ) ,
59
1.
598
LITTÉRATURE, SCIENCES , ARTS ET SPECTACLES.
Pages 37,86, 155 , 179 , 277 , 313 , 377 , 407, 474 , 511 , 564, 620
NOUVELLES POLITIQUES.
4
Pages 87, 143 , 187 , 223, 279, 327 , 30, 419, 475 , 517, 579, 622
Pages
PARIS.
41 , 89, 189, 223 , 279, 330, 380, 425,478, 524, 573 , 628
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
LA
DE
DE FRANCE
5 .
cen
JOURNAL
HISTORIQUE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
TOME VINGT - NEUVIÈME.
VIRESACQUIRIT
EUNDO
A PARIS ,
DE L'IMPRIMERIE DE LE NORMANT,
1807.
(RECAP
)
.6345
1807
(No. CCCXI . )
(SAMEDI 4 JUILLET 1807.)
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
LA ROSE COQUETTE ,
ODE ANACKÉONTIQUE.
DEJAdansleseind'Amphitrite
L'astredu jour se précipite,
Entouré de nuages d'or :
Les derniers pas de sa carrière
Jettent des restes de lumière
Dont l'Olympe jouit encor.
Cependant l'humide rosée
Rafraîchit la terre embrasée;
Zéphyr voltige au bord des eaux;
Et s'élevant du sein des plaines ,
Déjà les vapeurs incertaines
Blanchissent le front des coteaux.
Vesper s'avance : il va répandre
Cetteclarté paisible et tendre
Qui semble caresser les yeux.
Zirphé , c'est l'heure du mystère,
Viens goûter le frais solitaire
De nos bosquets délicieux.
529730
A2
4
MERCURE
DE FRANCE
;
Viens voir cette Rose adorée
Que Flore même avoit parée
Des rayons les plus éclatans .
L'Aurore aimoit à lui sourire ,
Et sembloit lui donner l'empire
Des autres filles du Printemps .
'Alors de sa robe brillante
Tu vis la pourpre étincelante
S'embellir des feux du soleil ;
Et les Zéphyrs les plus volages
Fixer leurs folâtres hommages
Au pied de son trône vermeil .
Fière , et dédaignant leur conquête ,
Sans cesse elle miroit sa tête
Dans la glace errante des eaux ;
Et le cristal de nos fontaines
Promettoit encore à ses chaînes
Une foule d'amans nouveaux .
Dieux , que cette Rose est changée !
Amour , que ta flamme est vengée !
Quels traits ! Quelle obscure pâleur !
Aux miroirs de l'Onde ingénue
Elle -même s'est méconnue ;
Et l'Onde rit de sa douleur .
Plus d'amans ! L'ingrate en soupire ;
Sa pourpre et son orgueil expire :
Une Parque en a triomphé.
L'ombre éteint cette beauté vaine ,
Dont l'éclat ne cédoit qu'à peine
A l'éclat même de Zirphé.
O Zirphé , Rose que j'adore ,
Jouis des plaisirs de l'Aurore;
N'attends pas les ombres du soir !
Rien n'enchaîne le Temps volage :
Préviens la fuite du bel âge
Et les insultes du miroir.
Par M. LE BRUN, de l'Académie Française.
JUILLET 1807 . 5
LE PROJET ILLUSOIRE.
AIR : J'étois bon chasseur autrefois .
Je n'avois pas encore quinze ans
Que je rendois hommage aux belles ;
A force de soins complaisans ,
J'en rencontrai peu de rebelles .....
J'aimois Chloé , Rose et Philis ,
Etje disois : « Je me réserve,
>> Quand j'aurai vingt ans accomplis ,
>> De quitter Vénus pour Minerve .>>
O mes amis ! je ne sais trop
Comment les trois Parques filèrent;
Mais un beau matin au galop
Ces maudits vingt ans m'arrivèrent ,
Et je me dis : « Viennent trente ans ,
>> Je serai chaste , sobre , austère ....
>> Mais jusque-là passons le temps
>> Au fond des bosquets de Cythère . >>>
Trente ans à leur tour ont sonné;
Hélas ! j'ai fait la sourde oreille ,
Et près du beau sexe , étonné ,
J'ai brûlé d'une ardeur pareille....
Mais je disois confidemment
Atous les faiseurs d'épigrammes :
« A quarante ans , probablement ,
>> Je saurai renoncer aux dames . >>
Les quarante ans me sont venus,,
Et je me suis dit : « Peu m'importe;
>> Auprès de moi gardons Vénus ;
>> Que Minerve attende à la porte.
>> Mon corps n'est point encor perclus ,
>> Et mon coeur a tout son courage :
>> Quand j'aurai deux lustres de plus,
>> Je fais serment d'être bien sage . »
J'ai mes cinquante ans révolus,
Et Minerve , dans sa colère ,
3
6
MERCURE DE FRANCE,
Me dit tous les jours : « Sois confus ,
>> Et renonce à l'espoir de plaire. >>
Mais je réponds d'un ton craintif,
Que, n'en pouvant bannir l'envie ,
J'ai pris le parti décisif
D'aimer le reste de ma vie.
• ENIGME.
M. DE PIIS.
Je suis blanche; j'aime la nuit :
Je dois vous l'avouer , un trop grand jour me nuit.
Quoique je sois sans sentiment, sans ame,
Souvent pour vous un feu m'enflamme,
Me con ume jusqu'à 'a mort:
Et ma soeur, après moi , subit le même sort .
LOGOGRIPHE.
ro
Je sers au parfumeur comme au pharmacopole;
Chez l'épicier je jone aussi semblable rôle.
Qui passe par chet moi certes est bien petit,
Etbien fin: néanmoins, sans faire un certainbruit
Onn'y peut parvenir. Pour me faire connoître,
Disons qu'en cing on désunit mon être.
Mais pour ines chers lecteurs . si ce n'est point asser,
On doit trouver en moi , supprimant mes côtés ,
Unde ceux qui , s'ils n'ont que l'intérêt pour guide,
Sous un air de andeur cachent un cooeur perfide.
Un's et tenversés , mes ôtés sont vraiment
Unterme indéclinable et silence imposant.
Dan mon tout co biné , saus etre sur le Pinde,
On découvre aisément un royaume de l'Inde,
Avec une c té portant le même nom
Deux tons de la musique , une conjonction ;
Un terme au jeu d'échecs, ainsi que de marine;
Unmois des plus rians . Adieu , lecteur , devine.
CHARADE.
On met le crime à mon entier ,
1
Etmon dernier
Dans mon premier.
دو
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° . est OEuf.
Celui du Logogriphe est Politique , où l'on trouvepol,poil, optique ,
pique , top que, lit, poli.
Celui de la Charade est Sou-brette.
JUILLET 1807. 7
Voyage pittoresque et historique de l'Espagne; par
M. de Laborde. (1 )
(Ite et II Livraisons. )
ILya des genres de littérature qui semblent appartenir à
certaines époques de la société : ainsi la poésie convient
plus particulièrement à l'enfance des peuples , et l'histoire
à leur vieillesse . La simplicité des moeurs pastorales ou la
grandeur des moeurs héroïques veulent être chantées sur
la lyre d'Homère; la raison et la corruption des nations
civilisées demandent le pinceau de Thucydide. Cependant
la Muse a souvent retracé les crimes des hommes ; mais il
y a quelque chose de si beau dans le langage du poète ,
que les crimes mêmes en paroissent embellis : l'historien
seul peut les peindre sans en affoiblir l'horreur. Lorsque ,
dans le silence de l'abjection , l'on n'entend plus retentir
que la chaîne de l'esclave et la voix du délateur ; lorsque
tout tremble devant le tyran , et qu'il est aussi dangereux
d'encourir sa faveur que de mériter sa disgrace , l'historien
paroît , chargéde la vengeance des peuples. C'est envainque
Néron prospère, Tacite est déjà né dans l'Empire; il croît
inconnu auprès des cendres de Germanicus , et déjà l'intègre
Providence a livré à un enfant obscur la gloire du
maître du Monde. Bientôt toutes les fausses vertus seront
démasquées par l'auteur des Annales ; bientôt il ne fera
voir dans le tyran déifié que l'histrion , l'incendiaire et le
parricide : semblable à ces premiers Chrétiens d'Egypte ,
qui , au péril de leurs jours , pénétroient dans les temples
de l'idolâtrie , saisissoient au fond d'un sanctuaire ténébreux
la Divinité que le Crime offroit à l'encens de la Peur , et
traînoient à la lumière du soleil , au lieu d'un Dieu , quelque
monstre horrible .
(1) L'ouvrage entier aura soixante ou soixante-dix livraisons qui formeront
quatre volumes grand in-folio. Chaque livraison sera composée de
trois feuilles de texte , et de six feuilles de gravures, dont quelques-unes
contienfront plusieurs sujets . On fera paroître une livraison toutes les six
semaines. Le prix de chaque livraison est , pour les sonscripteurs , enpapier
fin, de 21 fr.; pap. vélin, 36 fr.; figures avant la lettre, 60 fr. On souscrit
à Paris, au bureau du Voyage pittoresque de l'Espagne, chez l'éditeur ,
M. Ant. Boudeville, peintre de S. M. C., rue Saint-Pierre-Montmartre ,
no. 9, où lon pourra voir la plupart des dessins et des estampes; chez
P. Dudut l'aîné ; Nicolle et comp .; Bossange, Massonet Besson ; et chez
le Normant. A Lyon , chez Ballanche père et fils; et à Madrid, chez
PCastillo. 4
8 MERCURE DE FRANCE ,
Mais si le rôle de l'historien est beau , il est souvent dangereux
! Il ne suffit pas toujours , pour peindre les actions des
hommes , de se sentir une ame élevée , une imagination
forte , un esprit fin et juste , un coeur compatissant et sincère
: il faut encore trouver en soi un caractère intrépide ;
il faut être préparé à tous les malheurs , et avoir fait d'avance
le sacrifice de son repos et de sa vie .
Toutefois , il est des parties dans l'histoire qui ne demandent
pas le même courage dans l'historien. Les Voyages
par exemple , qui tiennent à la fois de la poésie et de l'histoire
, comme celui que nous annonçons , peuvent être écrits
sans péril . Et néanmoins les ruines et les tombeaux révèlent
souvent des vérités qu'on n'apprendroit point ailleurs ; car
la face des lieux ne change pas comme le visage des hommes
: Non ut hominum vultus , ita locorumfacies mutantur.
L'antiquité ne nous a laissé qu'un modèle de ce genre
d'histoire , c'est le Voyage de Pausanias ; car le Journal
de Néarque , et le Périple d'Hannon , sont des ouvrages
d'un ordre différent. Si la gravure eût été connue du temps
de Pausanias , nous posséderions aujourd'hui un trésor
inestimable ; nous verrions en entier , et comme debout ,
ces temples dont nous allons encore admirer les débris . Les
voyageurs modernes n'ont songé qu'assez tard à fixer , par
l'art du dessin , l'état des lieux et des monumens qu'ils avoient
visités . Chardin , Pococke et Tournefort sont peut- être les
premiers qui aient eu cette heureuse idée. Avant eux , on
trouve , il est vrai , plusieurs relations ornées de planches ;
mais le travail de ces planches est aussi grossier qu'il est
incomplet. Le plus ancien ouvrage de cette espèce que
nous nous rappellions , est celui de Monconys ; et cependant
, depuis Benjamin de Tulède jusqu'à nos jours , on
peut compter à peu près cent trente-trois voyages exécutés
dans la seule Palestine .
C'est à M. l'abbé de Saint-Nom et à M. de Choiseul-Gouffier
qu'il faut donc rapporter l'origine des Voyages pittoresques
proprement dits. Il est bien à desirer pour les arts que
M. de Choiseul achève son bel ouvrage , et qu'il reprenne
des travaux trop long-temps suspendus par des malheurs :
les amis de Cicéron cherchoient à le consoler des peines
de la vie en lui remettant sous les yeux le tableau des ruines
de la Grèce .
L'Italie , la Sicile , l'Egypte , la Syrie , l'Asie- Mineure ,
la Dalmatie , ont eu des historiens de leurs chefs-d'oeuvre ;
on compte une foule de tours ou de Voyages pittoresques
d'Angleterre ; les monumens de la France sont gravés : il
:
JUILLET 1807 . 9
ne restoit plus que l'Espagne à peindre , comme le remarque
M. de Laborde.
Dans une Introduction écrite avec autant d'élégance que
de clarté , l'auteur trace ainsi le plan de son Voyage :
»
« L'Espagne est une des contrées les moins connues de
l'Europe , et celle qui renferme cependant le plus de
» variété dans ses monumens , et le plus d'intérêt dans son
>> histoire .
» Riche de toutes les productions de la nature , elle est
» encore embellie par l'industrie de plusieurs âges , et le
» génie de plusieurs peuples . La majesté des temples ro-
» mains y forme un contraste singulier avec la délicatesse
» des monumens arabes , et l'architecture gothique avec la
» beauté simple des édifices modernes .
» Cette réunion de tant de souvenirs , cet héritage de tant
» de siècles , nous force à entrer dans quelques détails sur
» l'histoire de l'Epagne , pour indiquer la marche que l'on
» a adoptée dans la description du pays. »
L'auteur , après avoir décrit les différentes époques ,
ajoute :
»
« Telle est l'esquisse des principaux événemens qui firent
passer l'Espagne sous différentes dominations . Les révolu-
» tions , les guerres et le temps n'ont pu détruire entière-
» ment les monumens qui ornent cette belle contrée , et les
arts de quatre peuples différens qui l'ont tour-à-tour em-
» bellie .
» C'est aussi ce qui nous a engagé à diviser la description
» de l'Espagne en quatre parties , contenant chacune les pro-
» vinces dont les monumens ont le plus d'analogie entre
eux , et se rapportent aux quatre époques principales de
» son histoire ..
» Ainsi le premier volume comprendra la Catalogne ,
» royaume de Valence , l'Estramadoure , où se trouvoient
Tarragone , Sagonte , Merida , et la plupart des autres
» colonies romaines et carthaginoises ; il sera précédé d'une
» notice historique sur les temps anciens de l'Espagne.
»
» Le second volume renfermera les antiquités de Gre-
»> nade et de Cordoue , et la description du reste de l'An-
» dalousie , séjour principal des Maures ; il sera précédé
» d'un abrégé de l'histoire de ces peuples , tirée en partie des
» manuscrits arabes de l'Escurial .
>>
» Le troisième , consacré principalement aux édifices
gothiques , tels que les cathédrales de Burgos , de Vallado-
» lid , de Léon , de S. Jacques de Compostelle , offrira aussi
» les contrées sauvages des Asturies , l'Aragon , la Navarre ,
10 MERCURE DE FRANCE ,
> la Biscaye; et sera précédé de recherches sur les arts en
>>>Espagne , avant le siècle de Ferdinand et d'Isabelle,
» Le quatrième volume , en retraçant les beautés de
>>Madrid et des environs , renfermera de plus tout ce qui
>> peut servir à faire connoître la nation espagnole , telle
» qu'elle est aujourd'hui: les fêtes , les danses , les usages
> nationaux. Ce volume comprendra également l'histoire
>>des arts , depuis leur renaissance , sous Ferdinand et Isa-
>>belle , Charles Ier et Philippe II , jusqu'à nos jours ; il
> donnera une connoissance suffisante dela peinture espa-
>> gnole , et des chefs-d'oeuvre qu'elle a produits : onyajou-
>>tera quelques détails sur le progrès des sciences et de la
>>littérature en Espagne.>>>
:
On voit , par cet exposé , que l'auteur a conçu son plan
de la manière la plus heureuse , et qu'il pourra présenter
sans confusion une immense galerie de tableaux. M. de
Laborde a été favorisé dans ses études ; il a examiné les
monumens des arts chez un peuple noble et civilisé ; il
les a vus dans cette belle Espagne , où du moins la foi et
Phonneur sont restés lorsque la prospérité et la gloire
ont disparu ; il n'a point été obligé de s'enfoncer dans
ces pays jadis célèbres , où le coeur du voyageur est flétri
à chaque pas , où les ruines vivantes détournent votre
attention des ruines de marbre et de pierre. C'est un
enfant tout nu , le corps exténué par la faim , le visage
défiguré par la misère , qui nous a montré , dans un
désert , les portes tombées de Mycènes et le tombeau
d'Agamemnon (1 ). EEnn vain , dans le Péloponèse , on
veut se livrer aux illusions des Muses : la triste vérité
vous poursuit. Des loges de boue desséchée , plus propres
à servir de retraite à des animaux qu'à des hommes ; des
femmes et des enfans en haillons , fuyant à l'approche de
l'étranger et du janissaire ; les chèvres meines effrayées se
dispersant dans la montagne , et les chiens restant seuls
pour vous recevoir avec des hurlemens : voilà le spectacle
qui vous arrache au charme des souvenirs. La
Morée est déserte : depuis la guerre des Russes , le joug
des Turcs s'est appesanti sur les Moraïtes ; les Albanais
ont massacré une partie de la population ; on ne voit de
toutes parts que des villages détruits par le fer et par le
(1) Nous avons découvert un autre tombeanà Mycènes , peut-être celui
de Thyestes ou de Clytemnestre. ( Voyez Pausanias.) Nous l'avons
indiqué à M. Fauvel.
JUILLET 1807.
fen; dans les villes , comme à Mistra (1) , des faubourgs
entiers sont abandonnés ; nous avons souvent fait quinze
lieues dans les campagnes , sans rencontrer une seule habitation.
De criantes avanies , des outrages de toutes les
espèces , achevent de détruire dans la patrie de Léonidas
l'agriculture et la vie. Chasser un paysan grec de sa cabane ,
s'emparer de sa femme et de ses enfans , le tuer sur le plus
léger prétexte, est un jeu pour le moindre aga du plus petit
village. LeMoraïte , parvenu au dernier degré du malheur,
s'arrache de son pays , et va chercher en Asie un sort
moins rigoureux ; mais il ne peut fuir sa destinée : il
retrouve des cadis et des pachas jusque dans les sables du
Jourdain et les déserts de Palmyre.
Nous ne sommes point un de ces intrépides admirateurs
de l'antiquité , qu'un vers d'Homère consolede tout. Nous
n'avons jamais pu comprendre le sentiment exprimé par
Lucrèce:
Suave mari magno , turbantibus æquora ventis
Eterra magnum alterius spectare laborem.
Loin d'aimer à contempler du rivage le naufrage des
autres , nous souffrons quand nous voyons souffrir des
hommes. Les Muses n'ont alors sur nous aucun pouvoir ,
hors celle qui attire la pitié sur le malheur, A Dieu ne
plaise que nous tombions aujourd'hui dans ces déclamations
sur la liberté et l'esclavage , qui ont fait tant de
mal à la patrie ! Mais si nous avions jamais pensé avec des
hommes, dont nous respectons d'ailleurs le caractère et les
talens , que le gouvernement absolų est le meilleur des gouvernemens
possibles , quelque mois de séjour en Turquie
nous auroient bien guéri de cette opinion.
Les monumens n'ont pas moins à souffrir que les hommes
de la barbarie ottomane. Un épais Tartare habite aujourd'hui
la citadelle remplie des chefs-d'oeuvre d'Ictinus et de
Phidias , sans daigner demander quel peuple a laissé ces
débris , sans daigner sortir de la masure qu'il s'est bâtie
sous les ruines des monumens de Périclès. Quelquefois seulement
le tyran-automate se traine à la porte de sa tanière :
assis les jambes croisées sur un sale tapis , tandis que la
fumée de sa pipe monte à travers les colonnes du temple de
(1) Mistra n'est point Sparte. Cette dernière ville se retrouve au village
deMagoula, à une lieue et demie de Mistra. Nous avons compté àSparte
dix-sept ruines hors de terre , la plupart au midi de la citadelle , sur le
chemin d'Amyclée.
12 MERCURE DE FRANCE ,
Minerve , il promène stupidement ses regards sur les rives
de Salamine et la mer d'Epidaure. Nous ne pourrions peindre
les divers sentimens dont nous fûmes agités , lorsqu'au
milieu de la première nuit que nous passâmes à Athènes ,
nous fûmes réveillés en sursaut par le tambourin et la musette
turque , dont les sons discordans partoient des combles des
Propylées : en même temps un prêtre musulman chantoit
en arabe l'heure passée à des Grecs chrétiens de la ville de
Minerve. Ce derviche n'avoit pas besoin de nous marquer
ainsi la fuite des ans , sa voix seule dans ces lieux annonçoit
assez que les siècles s'étoient écoulés .
Cette mobilité des choses humaines est d'autant plus frappante
pour le voyageur , qu'elle est en contraste avec l'immobilité
du reste de la nature : comme pour insulter à l'instabilité
des peuples , les animaux même n'éprouvent ni
révolution dans leurs empires , ni changemens dans leurs
moeurs . Le lendemain de notre arrivée à Athènes , on nous
fit remarquer des cigognes qui montoient dans les airs , se
formoient en bataillon , et prenoient leur vol vers l'Afrique .
Depuis le règne de Cécrops jusqu'à nos jours , ces oiseaux
ont fait chaque année le même pélerinage , et sont revenus
au même lieu . Mais combien de fois ont-ils retrouvé dans
les larmes , l'hôte qu'ils avoient quitté dans la joie ! Combien
de fois ont-ils cherché vainement cet hôte , et le toit même
où ils avoient accoutumé de bâtir leurs nids !
Depuis Athènes jusqu'à Jérusalem , le tableau le plus
affligeant s'offre aux regards du voyageur : tableau dont
l'horreur toujours croissante est à son comble en Egypte .
C'est là que nous avons vu cinq partis armés se disputer des
déserts et des ruines (1 ) . C'est là que nous avons vu l'Albanais
coucher en joue de malheureux enfans qui couroient
se cacher derrière les débris de leurs cabanes , comme
accoutumés à ce terrible jeu. Sur cent cinquante villages
que l'on comptoit au bord du Nil , en remontant de
(1) Ibraïm-Bey dans la Haute-Egypte , deux petits beys indépendans ,
le pacha de la Porte au Caire , un parti d'Albanais insurgés , et El-fy-Bey
dans la Basse-Egypte. Il y a un esprit de révolte dans l'Orient, qui rend
les voyages difficiles et dangereux : les Arabes tuent aujourd'hui les voyageurs
qu'ils se contentcient de dépouiller autrefois. Entre la Mer Morte
et Jérusalem , dans un espace de 14 lieues . nous avons été attaqués deux
fois, et nous essuyâmes sur le Nil la fusillade de la ligne d'El-fy-bey.
Nous étions dans cette dernière affaire avec M. Caffe , négociant de
Rosette , qui , déjà sur l'âge , et père de famille ,'n'en risqua pas moins,
sa vie pour nous avec la générosité d'un Français . Nous le nommons avec
d'autant plus de plaisir , qu'il a rendu beaucoup de services à tous nos
compatriotes qui ont eu besoin de ses secours .
۱
JUILLET 1807 . 13
Rosette au Caire , il n'y en a pas un seul qui soit entier.
Une partie du Delta est en friche : chose qui ne s'étoit
peut-être jamais rencontrée depuis le siècle où Pharaon
donna cette terre fertile à la postérité de Jacob ! La plupart
des Fellahs ont été égorgés ; le reste a passé dans la Haute-
Egypte . Les paysans qui n'ont pu se résoudre à quitter
leurs champs , ont renoncé à élever une famille. L'homine
qui naît dans la décadence des empires , et qui n'aperçoit
dans les temps futurs que des révolutions probables , pourroit-
il en effet trouver quelque joie à voir croître les héritiers
d'un aussi triste avenir ? Il y a des époques où il
faut dire avec le prophète : Bien heureux sont les
>>> morts ! >>>
«
M. de Laborde ne sera point obligé , dans le cours de
son bel ouvrage , de tracer des tableaux aussi affligeans.
Dès les premiers pas il s'arrête à d'aimables , à de nobles
souvenirs. Ce sont les pommes d'or des Hespérides , c'est
cette Bétique chantée par Homère, et embellie par Fénélon .
« Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile , et sous un
>> ciel doux , qui est toujours serein .... Ce pays semble
>>> avoir conservé les délices de l'âge d'or (1 ) , etc..... »
Paroît ensuite cet Annibal dont la puissante haine franchit
les Pyrénées et les Alpes , et ne fut point assouvie dans le
sang des milliers de Romains massacrés à Cannes et à Trasymène.
Scipion commença en Espagne cette noble carrière
dont le terme et la récompense devoient être l'exil et
la mort dans l'exil . Sertorius lutta dans les champs ibériens
contre l'oppresseur du monde et de sa patrie. Il vouloit marcher
à Scylla , et
... Aubord du Tibre , une pique à la main ,
Lui demander raison pour le peuple romain.
Il succomba dans son entreprise ; mais il est probable qu'il
n'avoit point compté sur le succès. Il ne consulta que son
devoir et la sainteté de la cause qu'il restoit seul à défendre .
Il y a des autels , comme celui de l'honneur , qui bien
qu'abandonnés réclament encore des sacrifices : le Dieu
n'est pas anéanti , parce que le temple est désert. Partout où il
reste une chance à la fortune , il n'y a point d'héroïsme à la
tenter . Les actions magnanimes sont celles dont le résultat
prévu est le malheur et la mort. Après tout , qu'importent
les revers , si notre nom prononcé dans la postérité va faire
battre un coeur généreux deux mille ans après notre vie ?
Nous ne doutons point que du temps de Sertorius , les ames
( 1) Télémaque.
14 MERCURE DE FRANCE ,
pusillanimes qui prennent leur bassesse pour de la raison ,
ne trouvassent ridicule qu'un citoyen obscur osât lutter seul
contre toute la puissance de Scylla. Heureusement la postérité
juge autrement des actions des hommes : ce n'est pas
ła lâcheté et le vice qui prononcent en dernier ressort sur le
courage et la vertu.
Cette terre d'Espagne produit si naturellement les grands
coeurs , que l'on vit le Cantabre belliqueux , bellicosus Can
taber, défendre à son tour sa montagne , contre les légions
d'Auguste ; et le pays qui devoit enfanter un jour le Cid
et les chevaliers sans peur , donna à l'univers romain
Trajan , Adrien et Théodose.
Après la description des monumens de cette époque ,
M. de Laborde passera aux dessinsdes monumens moresques:
c'est la partie la plus riche et la plus neuve de son sujet. Les
palais de Grenade nous ont intéressés et surpris , même
après avoir vu les mosquées du Caire , et les temples d'Athènes.
L'Alhambra semble être l'habitation des génies :
c'est un de ces édifices des Mille et Une Nuits , que l'on
croit voir moins en réalité qu'en songe. On ne peut se faire
une juste idée de ces plâtres moulés et découpés à jour , de
cette architecture de dentelles , de ces bains , de ces fontaines
, de ces jardins intérieurs , où des orangers et des
grenadiers sauvages se mélent à des ruines légères . Rien
n'égale la finesse et la variété des arabesques de l'Alhambra.
Les murs chargés de ces ornemens ressemblent à ces
étoffes de l'Orient , que brodent, dans l'ennui du harem , des
femmes esclaves. Quelque chose de voluptueux , de religieux
et de guerrier fait le caractère de ce singulier édifice ,
espèce de cloîtres de l'amour , où sont encore retracées
les aventures des Abencerrages ; retraites où le plaisir et
la cruauté habitoient ensemble , et où le roi maure faisoit
souvent tomber dans le bassin de marbre , la tête char
mante qu'il venoit de caresser. On doit bien desirer qu'un
talent délicat et heureux nous peigne quelque jour ces lieux
magiques. Nous en avons l'espérance.
La troisième époque du Voyage Pittoresque d'Espagne
renfermera les monumens gothiques. Ils n'ont pas la pu
reté de style et les proportions admirables de l'architecture
grecque et toscane , mais leurs rapports avec nos moeurs
leur donnent un intérêt plus touchant. Nous nous rappellerons
toujours avec quel plaisir , en descendant dans l'île
de Rhodes , nous trouvames une petite France au milieu
de la Grèce :
Procedo , et parvam Trojam , simulataque magnis
Pergama , etc.
JUILLET 1807 . 15
Nous parcourions avec un respect mêlé d'attendrissement,
une longue rue , appelée encore la rue des Chevaliers : elle
est bordée de palais gothiques; et les murs de ces palais
sont parsemés des armoiries des grandes familles de France
et de devises en gaulois. Plus loin , est une petite chapelle
desservie pardeux pauvres religieux : elle est dédiée à Saint-
Louis , dont on retrouve l'image dans tout l'Orient , et dont
nous avons vu le lit de mort à Carthage. Les Turcs , qui
ontmutilé partout les monumens de la Grèce , ont épargné
ceux de la chevalerie : l'honneur chrétien a étonné la bravoure
infidèle , et les Saladins ont respecté les Couci.
Eh quand on a été assez heureux pour recevoir le jour
dans le pays de Bayard et de Turenne , pourroit-on être
indifférent à la moindre des circonstances qui en rappelle le
souvenir ? Nous nous trouvions à Béthléem , prêts à
partir pour la Mer Morte , lorsqu'on nous dit qu'il y avoit
un Père français dans le couvent. Nous desirâmes le voir.
Onnous présenta un homme d'environ quarante-cinq ans
d'une figure tranquille et sérieuse. Ses premiers accens nous
firent tressaillir ; car nous n'avons jamais entendu chez
l'étranger, le son d'une voix française , sans une vive émotion;
nous sommes toujours prêts à nous écrier comme
Philotète :
* Ω φίλτατον φωνημα φεῦ το κὶ λαβων
προσφδεγμα τοιγδ' ανδρος εν χρονω μακρω.
..... Après un si long-temps.......
Oque cette parole à monoreille est chère!
,
Nous fimes quelques questions à ce religieux. Il nous,
dit qu'il s'appeloit le Père Clément , qu'il étoit des environs
de Mayenne; que se trouvant dans un monastère en Bretagne
, il avoit été déporté en Espagne avec une centaine
de prêtres comme lui ; qu'ayant reçu d'abord l'hospitalité
dans un couvent de son Ordre , ses supérieurs l'avoient
ensuite envoyé missionnaire en Terre - Sainte. Nous lui
demandâmes s'il n'avoit point d'envie de revoir sa patrie ,
et s'il vouloit écrire à sa famille; il nous répondit avec un
sourire amer : « Qui est-ce qui se souvient en France d'un
>> capucin ? Sais-je si j'ai encore des frères et des soeurs ?
> Monsieur , voici ma patrie. J'espère obtenir par le mé-
> ritede laCrêche de mon Sauveur, la force de mourir ici ,
> sans importuner personne , et sans songer à un pays où
> je suis depuis long-temps oublié. »
L'attendrissement du Père Clément devint si visible à
16 MERCURE DE FRANCE ,
ces mots , qu'il fut obligé de se retirer . Il courut s'enfermer
dans sa cellule , et ne voulut jamais reparoître : notre présence
avoit réveillé dans son coeur des sentimens qu'il cherchoit
à étouffer . En quel lieu du monde nos tempêtes n'ontelles
point jeté les enfans de Saint- Louis ? Quel désert
ne les a point vus pleurant leur terre natale ? Telles sont les
destinées humaines : un Français gémit aujourd'hui sur la
perte de son pays , aux mêmes bords dont les souvenirs
inspirerent autrefois le plus beau des cantiques sur l'amour
de la patrie :
Super flumina Babylonis !
Hélas ! ces fils d'Aaron qui suspendirent leur Cinnor aux
saules de Babylone , ne rentrèrent pas tous dans la cité de
David ; ces filles de Judée qui s'écrioient sur les bords de
l'Euphrate :
O rives du Jourdain , ô champs aimés des cieux !
Sacré mont, fertiles vallées ,
Du doux pays de nos aïeux ,
Serons-nous toujours exilées ?
ces compagnes d'Esther ne revirent pas toutes Emmaüs et
Bethel. Plusieurs laissèrent leurs dépouilles aux champs de
la captivité ; et c'est ainsi que nous rencontrâmes loin de la
France le tombeau de deux nouvelles israélites :
Lyrnessi domus alta , solo Laurente sepulchrum !
Il nous étoit réservé de retrouver au fond de la mer Adriatique
le tombeau de deux filles de rois , dont nous avions
entendu prononcer l'oraison funèbre dans un grenier à
Londres . Ah ! du moins la tombe qui renferme ces nobles
dames , aura vu une fois interrompre son silence ; le bruit
des pas d'un Français aura fait tressaillir deux Françaises
dans leur cercueil . Les respects d'un pauvre gentilhomme ,
à Versailles , n'eussent été rien pour des princesses ; la
prière d'un chrétien , en terre étrangère , aura peut- être été
agréable à des Saintes.
M. de Laborde nous pardonnera ces digressions. Il est
voyageur , nous le somines comme lui; et que n'a-t-on pas
à conter , lorsqu'on vient du pays des Arabes ! A en juger
par l'introduction du Voyage Pittoresque , l'auteur nous
paroît , sur-tout , éminemment fait pour peindre les siècles
des Pélage et des Alphonse , et pour mettre dans ses dessins
l'expression des temps et des moeurs . Les sentimens nobles
lui sont familiers ; tout annonce en lui un écrivain qui a du
sang dans le coeur. On peut compter sur sa constance dans
:
ses
JUILLET 1807 . 17
ses travaux , puisqu'il
ne paroît point détourné des sentiers E LA
SEL
de l'étude par les soucis de l'ambition. Il s'est souvenu des
vers du poète : dh
Lieto nido , esca dolce , auro cortese , ban
Bramano i cign , et non si va in Parnasso
Con le cure mordaci.
5.
uncen
Il nous retracera donc dignement ces hauts faits d'armes
qui inspirèrent à nos troubadours la chanson de Roland
à nos sires de Joinville leurs vieilles chroniques , à nos
comtes de Champagne , leurs ballades gauloises , et au Tasse
ce poëme plein d'honneur et de chevalerie qui semble écrit
sur un bouclier ; il nous dira ces jours où le courage , la foi et
la loyauté étoient tout ; où le déloyal et le lache étoient
obligés de s'ensevelir au fond d'un cloître , et ne comptoient
plus parmi les vivans. « Il y a deux manières de sortir
>>de la vie , dit Shakespeare : la honte et la mort, Shame
> and Death . >>> 1
Enfin , dans la quatrième époque du Voyage , l'auteur
donnera les vues des monumens modernes de l'Espagne.
Un des plus remarquables , sans doute , est l'Escurial , bâti
par Philippe II , sûr les montagnės désertes de la vieille
Castille. La cour vient chaque année s'établir dans ce monastère
, comme pour donner à des solitaires morts au monde
le spectacle de toutes les passions , et recevoir d'eux ces
leçons dont les grands ne profitent jamais . C'est là que l'on
voit encore la chapelle funèbre où les rois d'Espagne sont
ensevelis dans des tombeaux pareils , disposés en échelons
les uns au-dessus des autres ; de sorte que toute cette poussière
est étiquetée et rangée en ordre comme les richesses
d'un Muséum. Il y a des sépulcres vides pour les souverains
qui ne sont point encore descendus dans ces lieux; et
la reine actuelle a écrit son nom sur celui qu'elle doit
occuper.
Non-seulement l'auteur nous donnera les dessins de tant
d'édifices ; mais , comme il paroît avoir des connoissances trèsvariées
, il ne négligera point la numismatique et les inscriptions
. L'Espagne est très - riche dans ce genre ; et quoique
Pons ait fait beaucoup de recherches sur ce sujet , il est loin
de l'avoir épuisé . On sait d'ailleurs qu'on peut faire chaque
jour sur le monument le plus connu des découvertes toutes
nouvelles. Ainsi, par exemple , l'Institut d'Egypte n'a pu lire
sur la colonne de Pompée , à Alexandrie , l'inscription effacée
que des sous-lieutenans anglais ont relevée depuis avec du
plâtre.
B
18 MERCURE DE FRANCE ,
Pococke en avoit rapporté quelques lettres , sans prétendre
les expliquer ; plusieurs autres voyageurs l'avoient
aperçue , et nous ne connoissons que M. Sonnini qui n'ait
pu rien découvrir sur la base où elle est gravée . Pour nous ,
nous avons déchiffré distinctement à l'oeil nu plusieurs traits ,
et entr'autres le commencement de ce mot Διοκ ... qui est
décisif. Comme cette inscription d'une colonne fameuse est
peu ou point connue en France , nous la rapporterons ici.
On lit :
ΤΟ .... ΩΤΑΤΟΝ , ΑΥΤΟΚΡΑΤΟΡΑ
ΤΟΝ ΠΟΛΙΟΥΧΟΝ , ΑΛΕΞΑΝΔΡΕΙΑΣ
ΔΙΟΚ . Η . ΙΑΝΟΝΤΟΝ ..... ΤΟΝ
ΠΟ .... ΕΠΑΡΧΟΣ ΑΙΓΥΠΤΟΥ
Il faut d'abord suppléer à la tête de l'inscription le mot
ΠΡΟΣ. Après le premier point, Ν . ΣΟΦ. Après le second , A.
Après le troisième , T. Au quatrième , ΑΥΓΟΥΣ. Au cinquième
, enfin , il faut ajouter ΛΙΩΝ. On voit qu'il n'y a icí
d'arbitraire quele mot ΑΥΓΟΥΡΟN , qui est d'ailleurs peu
important. Ainsi on peut lire :
C'est-à-dire :
ΤΟΝΣΟΦΩΤΑΤΟΝΑΥΤΟΚΡΑΤΟΡΑ
ΤΟΝΠΟΛΙΟΥΧΟΝΑΛΕΞΑΝΔΡΕΙΑΣ
ΔΙΟΚΛΗΤΙΑΝΟΝΤΟΝΑΥΓΟΥΣΤΟΝ
ΠΟΛΙΩΝΕΠΑΡΧΟΣΑΙΓΥΠΤΟΥ
<<<Au très - sage empereur , protecteur d'Alexandrie ,
» Dioclétien Auguste , Polion , préfet d'Egypte.>>>
Ainsi , tous les doutes sur la colonne de Pompée sont
éclaircis . Mais l'Histoire garde-t-elle le silence sur ce sujet ?
Il nous semble que , dans la Vie d'un des Pères du désert ,
écrite en grec par un contemporain , on lit que , pendant
un tremblement de terre qui eut lieu à Alexandrie , toutes
les colonnes tombèrent , excepté celle de Dioclétien.
Nous nous sommes fait un vrai plaisir , malgré le besoin
que nous avons de repos , d'annoncer le magnifique ouvrage
dont M. de Laborde publie aujourd'hui les deux premières
livraisons. On peut y avoir toute confiance. Ce n'est point
iciunespéculaattiioonnddeelibrairie. C'estl'entreprised'un amateur
éclairé, qui apporte à son travail les lumières suffisantes et les
restes d'une grande fortune. Employer ainsi les débris de ses
richesses , c'est faire un reproche bien noble à cette révolution
qui en a tari les principales sources. Quand on se rapJUILLET
1807 . 19
1
pelle que les deux frères de M. de Laborde ont péri dans le
voyage de M. de la Peyrouse , victimes de l'ardeur de s'instruire
, pourroit- on n'être pas touché de voir le dernier
rejeton d'une famille amie des arts se consacrer à un genre
de fatigues et d'études déjà fatal à ses frères ?
Sicfratres Helenoe....
Ventorumque regat pater
Navis!
Finibus Atticis
Reddas incolumem , precor !
On se fait aujourd'hui une obligation de trouver des
taches dans les ouvrages les plus parfaits . Pour remplir ce
triste devoir de la critique , nous dirons que les planches
de cette première livraison ont peut-être un peu de sécheresse;
mais on doit observer que ce défaut tient à la nature
mêmedes objets représentés. Il eût été facile à l'auteur de
commencer sa publication par les dessins de l'Alhambra ou
de la cathédrale de Cordoue. Au-dessus decette petite charlatanerie,
il a suivi lordre des monumens ; et cet ordre l'a
forcéàdonner d'abord des perspectives de ville : or , ces perspectives
sont naturellement froides de style , et vagues d'expression.
Barcelonne , privé du mouvement et du bruit , ne
peut offrir qu'un amas immobile d'édifices .
D'ailleurs , on peut faire le même reproche de sécheresse
auxdessinsde toutes les villes. Nous avons , dans cemoment
même , sous lesyeux une vue de Jérusalem , tirée du Voyage
Pittoresque de Syrie : quel que soit le mérite des artistes ,
nous ne reconnoissons point là le site terrible et le caractère
particulier de la ville Sainte.
Vue de la montagne des Oliviers , de l'autre côté de la
valléede Josaphat , Jérusalem présente un plan incliné sur
un sol qui descend du couchant au levant. Une muraille
crénelée,fortifiée par des tours et par unchâteau gothique ,
enferme la ville dans son entier , laissant toutefois au-dehors
unepartiedela montagne de Sion , qu'elle embrassoit autrefois.
Dans la région du couchant et au centre de la ville , vers
le Calvaire , les maisons se serrent d'assez près ; mais au
levant, le long de la vallée de Cédron , on aperçoit des
espaces vides , entr'autre l'enceinte qui règne autour de la
mosquée bâtie sur les débris du Temple, et le terrain pres
qu'abandonné où s'élevoit le château Antonia et le second
palais d'Hérode.
Les maisonsde Jérusalem sont de lourdes masses quar
B2
20 MERCURE DE FRANCE ,
rées fort basses , sans cheminées et sans fenêtres ; elles se
terminent en terrasses applaties ou en dômes , et elles ressemblent
à des prisons ou à desi sépulcres. Tout seroit à
l'oeil d'un niveau égal , si les clochers des églises , les minarets
des mosquées, les cimes de quelques cyprès et les
buissons des aloès etdes nopals ne rompoient l'uniformité du
plan. A la vue de ces maisons de pierres renfermées dans
un paysage de pierres , on se demande si ce ne sont pas là les
monumens confus d'un cimetière au milieu d'un désert ?
Entrez dans la ville , rien ne vous consolera de la tristesse
extérieure : vous vous égarez dans de petites rues non pavées
qui montent et descendent sur un sol inégal , et vous marchez
dans des flots de poussière ou parmi des cailloux
roulans ; des toiles jetées d'une maison àl'autre augmentent
l'obscurité de ce labyrinthe ; des bazards voûtés et infects
achèvent d'ôter la lumière à la ville désolée ; quelques chétives
boutiques n'étalent aux yeux que la misère; et souvent
ces boutiques même sont fermées , dans la crainte du passage
d'un Cadi ; personne dans les rues , personne aux
portes de la ville; quelquefois seulement un paysan se
glisse dans l'ombre , cachant sous ses habits les fruits de son
labeur, dans la crainte d'être dépouillé par le soldat; dans un
coinà l'écart , leboucher arabe égorge quelque bête suspendue
parles pieds àun mur en ruines: à l'air hagard et férocedecet
homme, à ses bras englantés , vous croiriez qu'il vient plutôt
de tuer son semblable , que d'immoler un agneau . Pour tout
bruit dans la cité déicide , on entend par intervalle le galop
de la cavale du désert: c'est le janissaire qui apporte la tête
du bédouin , ou qui va piller le Fellah.
Au milieu de cette désolation extraordinaire , il faut s'arrêter
un moment pour contempler des choses plus extraordinaires
encore. Parmi les ruines de Jérusalem , deux espèces
de peuples indépendans trouvent dans leur foi de quoi surmontertantd'horreurs
et de misères . Là vivent des religieux
chrétiens que rien ne peut forcer à abandonner le tombeau de
Jésus-Christ , ni spoliations , ni mauvais traitemens , ni
menaces de la mort. Leurs cantiques retentissent nuit et jour
* autour du saint sépulcre. Dépouillés le matin par un gouverneur
turc , le soir les retrouve au pied du Calvaire , priant
au lieu où Jésus-Christ souffrit pour le salut des hommes .
Leur front est serein , leur bouche riante. Ils reçoivent
l'étranger avec joie. Sans forces et sans soldats , ils protègent
des villages entiers contre l'iniquité. Pressés par le
bâton et par le sabre , les femmes , les enfans , les troupeaux
des campagnes se réfugient dans les cloîtres des solitaires.
Quiempêche le méchant armé de poursuivre sa proie ,
JUILLET 1807 .
21
et de renverser d'aussi foibles remparts ? La charité des
moines : ils se privent des dernières ressources de la vie pour
racheter leurs supplians . Turcs , Arabes , Grecs , Chrétiens
schismatiques , tous se jettent sous la protection de quelques
pauvres religieux francs , qui ne peuvent se défendre euxmêmes
: c'est ici qu'il faut reconnoître avec Bossuet , « que
>> des mains levées vers le ciel , enfoncent plus de bataillons
» que des mains armées de javelots .
»
Tandis que la nouvelle Jérusalem sort ainsi du désert , brillante
de clarté, jetez les yeux entre la montagne de Sion et le
temple ; voyez cet autre petit peuple qui vit séparé du reste
des habitans de la cité. Objet particulier de tous les mépris ,
il baisse la tête sans se plaindre ; il souffre toutes les avanies
sans demander justice ; il se laisse accabler de coups sans
soupirer ; on lui demande sa tête : il la présente au cimetère.
Si quelque membre de cette société proscrite vient
à mourir , son compagnon ira , pendant la nuit , l'enterrer
furtivement dans la vallée de Josaphat , à l'ombre du
temple de Salomon . Pénétrez dans la demeure de ce peuple ,
vous le trouverez dans une affreuse misère , faisant lire un
livre mystérieux à des enfans qui le feront lire à leur tour
à leurs enfans. Ce qu'il faisoit il y a cinq mille ans , ce peuple
le fait encore. Il a assisté six fois à la ruíne de Jérusalem , et
rien ne peut le décourager ; rien ne peut l'empêcher de
tourner ses regards vers Sion . Quand on voit les Juifs dispersés
sur la terre , selon la parole de Dieu , on est surpris
sans doute ; mais , pour être frappé d'un étonnement sur→
naturel , il faut les retrouver à Jérusalem ; il faut voir ces
légitimes maîtres de la Judée esclaves et étrangers dans leur
propre pays ; il faut les voir attendant , sous toutes les oppressions
, un roi qui doit les délivrer. Ecrasés par la croix
qui les condamne , et qui est plantée sur leurs têtes , près du
temple , dont il ne reste pas pierre sur pierre , ils demeurent
dans leur déplorable aveuglement. Les Perses , les Grecs ,
les Romains ont disparu de la terre ; et un petit peuple ,
dont l'origine précéda celle de ces grands peuples , existe
encore sans mélange dans les décombres de sa patrie. Si
quelque chose , parmi les nations , porte le caractère du
miracle , nous pensons qu'on doit le trouver ici . Et qu'y
a-t-il de plus merveilleux , même aux yeux du philosophe ,
que cette rencontre de l'antique et de la nouvelle Jérusalem
au pied du Calvaire : la première s'affligeant à l'aspect du
sépulcre de Jésus-Christ ressuscité ; la seconde se consolant
auprès du seul tombeau qui n'aura rien à rendre à la fin des
siècles ? DE CHATEAUBRIAND.
3
22 MERCURE DE FRANCE ,
Poésies. Un vol. in-8° . Prix : 4 fr. , et 5 fr. par la poste.
AParis , chez H. Nicolle , à la Librairie Stéréotype , rue
des Petits-Augustins ; et chez le Normant.
TEL est le titre d'un volume qui a paru il y a quelques
mois , et dont j'aurois déjà rendu compte , si , lorsque j'ai
choisi entre les ouvrages que je suis chargé d'annoncer , je
me déterminois toujours en faveur de celui qui m'a fait
éprouver le plus de plaisir. Celui-ci est bon , je me hâte de
le dire ; car si on en jugeoit d'après son titre qui est singulier
, on se sentiroit porté à craindre que son auteur n'exprimât
pas toujours bien nettement ses idées. Que veut dire
en effet ce titre de Poésies , et comment ce nom ( le titre est
le nom d'un livre ) pourroit-il faire distinguer ce Recueil de
tous les autres Recueils ? L'auteur auroit dû ajouter par
M. de F.; ou si la singularité lui plaît, il devoit ajouter
par un poète , cela eût été presque aussi court , tout aussi
clair , et assurément non moins singulier .
Mais ce Recueil est bon , et voilà d'abord ce qui le distingue
de beaucoup d'autres Recueils. Ce qui l'en distingue
encore , c'est qu'il ne contient en effet que des poésies , qu'il
n'y a point de préface, point d'avertissement , point de
notes ; tout est vers dans ce volume , excepté pourtant le
mot poésies , et les noms des libraires chez lesquels on le
vend. Enfin , ce qui pourroit servir à caractériser les poesies
de M. de F. , et les distinguer encore mieux de toutes
celles qui ont paru depuis un assez grand nombre d'années ,
c'est que non-seulement elles sont bonnes , mais qu'elles le
sont d'un genre de bonté qui commençoit à être oublié.
Elles ne contiennent point de peintures chargées , point de
vers pompeusement et énigmatiquement descriptifs : touty
est simple et sans apprêt ; ces qualités y sont même portées
à un tel point , qu'on pourroit quelquefois desirer que
M. de F. y eût mis unpeu moins de simplicité , et un peu
plus de poésie.
Quel est donc ce poète qui n'a jamais été applaudi dans
aucun Athénée , qu'aucune Académie n'a couronné , dont
les Journaux n'avoient point encore parlé , et qui se présente
tout-à-coup au public avec un volume entier de bons
vers ? Quel est cet auteur qui entre à peine dans la carrière
poétique , et qu'on pourroit déjà citer pour modèle à bien
d'autres quis'y croient plus avancés que lui ? Ce qu'il est , je
JUILLET 1807 . 23
1
l'ignore ; mais après avoir lu ce qu'il a fait, je puis assurer
que s'il porte un nom qui est nouveau dans la littérature ,
son style a le mérite de ne pas l'être. Ce n'est pas celui
de Boileau , mais du moins c'est celui de son école. Il n'y a
peut-être entre les épîtres ou les satires de M. de F. et
celles du législateur du Parnasse , d'autre différence que
celle qu'on remarquoit entre les tableaux de Raphaël et
ceux de ses élèves. Ces poésies ne sont pas du maître : on
ne s'en aperçoit que trop aisément. Mais il est possible
que le maître en y retouchant beaucoup , en y ajoutant
quelque chose , en y effaçant encore plus , n'eût pas refusé
d'en adopter quelques-unes .
Il me reste à justifier Péloge que j'ai fait de ce Recueil ,
et la restriction que je viens d'y mettre. Pour cela , je n'ai
qu'à en citer beaucoup de passages : ils suffiront , sans autre
réflexion de ma part, pour donner une idée des talens et
des défauts de ce nouveau poète.
CeRecueil se compose d'épîtres , de satires et d'élégies .
Nous allons examiner successivement ces trois sortes d'ouvrages.
M. de F. adresse sa première épître à son livre ; et , selon
l'usage immémorial de tous les auteurs , il commence par
l'accuser d'être trop pressé de paroître , ou , pour mieuxdire ,
il lui écrit comme s'il n'avoit pas encore paru , et il lui conseille
de ne pas s'exposer aux dangers de l'impression.
Veux-tu , lui dit-il ,
Veux- tu donc d'un succès où tant d'autres prétendent ?
Calcule bien plutôt les dangers qui t'attendent.
Sous le toit paternel , aimé , choyé , flatté ,
Tun'as point vu d'obstacle à ta prospérité;
Mais bientôt il faudra , manuscrit mercenaire ,
Souffrir six mois durant les affronts d'un libraire.
Il s'en va mesurer ,armé de son compas ,
Tes syllabes , tes mots et tes alinéas;
T'encadrer trop étroit dans un papier trop large,
Etde tes vers concis se venger sur lamarge.
Il te faudra gémir , gros de citations ,
Sous l'appendice épais des observations.
Tu n'éviteras pas la Table des Matières ,
Les Avis au lecteur , les Discours liminaires.
Tu grandiras enfin , ou Phalaris nouveau ,
Il te fera tirer jusqu'à l'in-octavo .
T'y voilà , l'on t'imprime, et battu sur l'enclume,
Tu peux, grace au brocheur, t'intituler volume.
Tout va bien : trois journaux sont amis de l'auteur ,
Deux coustes du libraire , un fils de l'imprimeur;
Ettefrayantta route à l'abri de leur gloire ,
Tu vas , sous leur escorte , au temple de Mémoire.
Quedirois-tu pourtant, si , trompant ton espoir,
}
4
24 MERCURE DE FRANCE ,
Tes écrits paresseux s'endormoient au comptoir ,
Et si , dans leur ballot , défiant la critique,
Tout gonflés de louange ils gardoient la boutique ?
J'exagère ! Hé mon fils , combien en as-tu vus ,
Réduits à vendre au poids leurs feuillets inconnus ,
De deux éditions se vanter par le monde ,
Et , morts dès la première , afficher la seconde ?
Ily a des imperfections dans ce passage ; mais en général
les vers en sont bien tournés ; et , au premier coup d'oeil , les
pensées y paroissent aussi naturelles que les expressions .
Le sont-elles en effet ? C'est ce que je n'oserois assurer .
J'espère que M. de F. me permettra de lui adresser à ce
sujet quelques observations.
Les conseils qu'il donne à son livre sont très-bons : assurément
quand on n'est ni un Boileau , ni un Racine , ni enfin
un poète du premier , ou pour le moins du second rang , il
vaut toujours mieux ne pas se produire au grand jour de
l'impression. Mais à quoi servent de pareils avis quand ils
sont eux-mêmes imprimés ? Parmi les Tristes d'Ovide , on
en trouve une aussi qui est adressée à son livre ; mais du
temps d'Ovide , il n'y avoit point de presses à Rome ; et
d'ailleurs le poète latin en écrivant à ses vers , n'eut d'autre
objet que de leur apprendre comment ils devoient se produire
, et par quels moyens ils pourroient plus sûrement
réussir. Cette idée est peut-être plus ingénieuse que celle
de M. de F. , et certainement elle est bien plus naturelle.
Il paroîtra toujours fort singulier qu'un auteur fasse impri
mer des vers dans lesquels il conseille à ses vers de ne pas
se faire imprimer. Quel a donc été l'objet de M. de F. ?
Est-ce d'imiter Ovide ? On voit qu'il auroit assez mal réussi .
Il est bon sans doute de chercher à imiter les anciens ; mais
avant tout , il faut chercher en quoi et comment on peut
les imiter. Tout ce qu'ils ont dit n'est plus également convenable
à dire , et il pourroit arriver qu'en disant les mêmes
choses qu'eux , on ne dit que des choses très-déplacées. Le
danger seroit bien plus grand encore si en leur empruntant
un cadre ou un titre , on ne disoit que des choses entièrement
opposées à celles qu'ils ont dites .
J'ai voulu commencer par citer de bons vers . Si j'avois
voulu en citer de foibles , je me serois arrêté au début ;
Jeune présomptueux , où vas-tu t'engager ?
Quoi! tu sors de l'enfance , et tu veux voyager !
Apeine , après trois ans , as -tu sous ma férule ,
Appris à distinguer un point d'une virgule.;
Ton style est décousu , tes vers sont inégaux,
Dix cahiers raturés attestent tes défauts , etc. 3
JUILLET 1807 .
25
Il y a dans ces premiers vers des disparates tlont il seroit
difficile de n'être pas frappé. Comment peut-on exiger d'un
livre qu'il apprenne , avant de se produire , à distinguer un
point d'une virgule ? C'est tout au plus , ce qu'on devroit
recommander aux auteurs. En général , M. de F. n'est
pas heureux dans ses débuts . Je le fais remarquer ici pour
n'y plus revenir. On diroit que sa verve a besoin d'être
excitée par le travail , et qu'elle n'est dans toute sa force , que
lorsqu'il est arrivé à- peu-près vers le milieu de sa tâche .
Car je ne crois pas qu'il ait travaillé comme presque tous
les auteurs de ce siècle , c'est-à -dire qu'il ait commencé par
faire de beaux morceaux , et par aligner deux à deux ou
quatre à quatre quelques bons vers , et qu'il ait fini par
chercher un exorde qui pût amener tout cela . Mais alors
pourquoi n'a-t-il pas supprimé ces débuts ? Par exemple , que
coûtoit-il de commencer cette épître aux premiers vers que
j'en ai cités ? Il y a un art que les auteurs ne connoissent
guère , et qui est , après celui de penser et d'écrire , le plus
grand de tous : ce n'est pas celui de corriger , de polir , de
limer , de raturer enfin , pour écrire au -dessus de la rature ;
c'est celui d'effacer pleinement , et de retrancher des morceaux
entiers , sans les remplacer. On ne sait pas assez tout
ce que peut gagner un ouvrage , lorsqu'on en retranche la
moitié ou même les trois quarts.
J'avoue cependant , que dans ce début même , tout foible
qu'il est , on trouve des passages remarquables , et qui font
honneur à la verve du poète. Tel est celui , où après avoir
parlé des mauvais auteurs , qui commencent toujours par
se faire imprimer , quoiqu'ils soient à peu près sûrs de
n'être pas lus , il dit :
-
Personne ne les lit ; et pourtant ils écrivent ;
Et leur livre à son poste affrontant le trépas ,
Aime encor mieux mourir que de ne naître pas.
Mais de pareils traits suffisent -ils pour justifier de longs passages
, où d'ailleurs on ne rencontre rien de nouveau ? Il
n'y a pas d'ennuyeux poëme , pas de longs discours , dont on
ne puisse extraire quelque pensée assez bonne. Le malheur
est que cette pensée est le plus souvent ce qui détermine un
auteur à publier tout son discours ou tout son poëme , et
qu'ainsi , au lieu de lui mériter la réputation d'un homme
d'esprit , comme elle auroit pu le faire , s'il avoit su attendre
l'occasion de la bien placer , elle ne lui attire pour avoir été
noyée dans un livre , que la réputation d'un mauvais écrivain
. Ce cas n'est pas celui de M. de F.; mais s'il étoit vrai
26 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il eût alongé ses épîtres ou ses satyres seulement pour
avoir une occasion raisonnable d'encadrer quelque bonne
idée ou quelque bonne plaisanterie (on en trouve de telles
dans ses morceaux les plusdéplacés ) je ne pourrois m'empêcher
de desirer qu'il n'eût jamais eu ces idées , ou qu'il
n'eût pas fait ces vers si plaisans.
Pour donner une idée complète de cette épître , et montrer
que M. de F. a su y varier son ton , et passer, selon le
précepte de son maître , du plaisant au sévère , je dois citer.
encore le passage suivant :
Mais pourquoi , vas-tu dire,
Médiroit-onde moi qui ne sais point médire ?
Je n'eus jamais de fiel, et mes vers innocens ,
Ne vont point sur la place insulter les passans.
Hé , c'est làjustement ce qu'il te falloit faire.
Que nous veut, dira-t-on , ce rimeur débonnaire ,
Qui, du nom de satire , ornant ses madrigaux ,
Croit flétrir la sottise en épargnant les sots ?
Ade pareils discours que pourras- tu répondre ?
Manquois-tu , dans Paris , de vices à confondre ?
A-t-on, par un arrêt , supprimé les Cotin ?
Les Rollets sont- ils morts, ou les Pradons éteints ?
Ne voit-on plus chez nous un essaim sacrilége
Violer les neufs soeurs au sortir du collége?
Les vers sont- ils plus forts , les poètes moins plats ,
Les écrivains moins hauts , et leurs écrits moins bas?
Boileau , me diras-tu , parloit bien à son aise,
Il trouvoit à gloser sans sortir de sa chaise .
Les sots étoient alors moins nombreux , plus connus ,
De la faveur publique , ils marchoient revêtus :
Le peuple étoit exempt de cette épidémie;
Il disputoit au moins contre une Académie ;
Et quand d'un chapelain il flétrissoit l'honneur ,
Le renom du vaincu profitoit au vainqueur.
Maismoi , qui combattrai-je, et qu'en pourraije attendre ?
Quoi donc, de mille écrits j'irois troubler la cendre ?
Il faudroit , signalant leurs ignobles revers ,
Trier dans cent recueils les débris de leurs vers ,
Ramasser leurs lambeaux épars dans la carrière ,
Et du Parnasse enfin ressasser la poussière ,
Pour pouvoir , attestant leur authenticité,
Affirmer par serment que tous ont existé?etc.
Ces vers ne sont pas tout-à-fait aussi innocens qu'il leur plaît
de seledire ; mais ils ont d'autres défauts dont ils ne s'accusent
pas , et que je dois faire remarquer. Il me semble que cet
hémistiche violer les neuf soeurs , n'est pas de l'école de
Boileau ; c'est de l'énergie à la manière de ce siècle . Je
retrancherois encore dans ce passage ce vers tout entier. Il
r
JUILLET 1807 . 27
trouvoit à gloser sans sortir de sa chaise; il est vrai qu'alors
le vers précédent se trouveroit seul , et qu'il manqueroit
une rime; mais il y auroit peut-être un peuplusde raison .
Ily a de l'embarras dans la dernière phrase : on ne voit
pas comment on pourroit être dans le cas d'attester l'authenticitéd'une
chose qui n'existe plus.
La seconde épître qui est sur la charité , a bien moins
de défauts que la première. Je me contenterai d'en citer le
passage suivant , dans lequel l'auteur a peint les philantropes
de ce siècle. L'un , dit-il ,
L'un offre au Dieu de paix cette vertu bruyante,
Qui se nourrit d'orgueil et que la moue enfante.
Dans les bienfaits publics , il est toujours nommé,
Etpour cinquante francs philantrope imprimé,
Ase canoniser , li-même il se résigne ,
Et pense au Paradis monter en droite ligne.
L'autre , d'un hôpital architecte pompeux ,
Revêt de marbre et d'or le toit des malheureux ,
Veutqu'on soit indigent avec magnificence ,
Et croit gagner le ciel à force de dépense.
Celui-ci , concentré dans sa froide équité,
Discute le besoin , juge la nudité:
Son bienfait , ralenti par un calcul rigide ,
Descend d'un coeur glacé , sort d'une main aride.
Des lois du Décalogue esclave rigoureux,
Il ne goûte aueun charme à faire des heureux;
L'or est le seul tribut qu'il paie à l'indigence ,
Et le pauvre est tremblant devant sa bienfaisance.
Cet autre , charitable avee stérilité ,
Contentdu sou qu'il donne à la mendicité ,
Suit, sans se fatiguer, les préceptes du prône ,
Et se croit bienfaisant quand il a fait l'aumône.
Tous enfin, exaltant un calcul froid et bas ,
Comptent pour bien qu'ils font , le mal qu'ils ne font pas, etc.
T
Je voudrois pouvoir citer le passage tout entier , mais il
faut s'arrêter ; et ce qui m'afflige , c'est que j'ai toujours
quelque censure à joindre aux éloges que mérite l'auteur.
En général , cette épître a sur la première cet avantage
qu'on la lit d'un boutà l'autre avec le même plaisir ; mais elle
renferme beaucoup de morceaux , qui ne sont en effet
quede la bonne prose rimée. Supprimez la rime , rompez
la mesure , vous aurez une lettre charmante qui ne peut
êtreque d'un homme de beaucoup d'esprit ; avec les rimes
et lammeessuurree,elle est encore d'un homme de beaucoup de
goût ; mais je ne sais si dans son ensemble elle est d'un
poète.
La troisième épître est adressée au Temps. On se
souvient que Thomas lui avoit adressé une ode, qui fut
28 MERCURE DE FRANCE ,
couronnée par l'Académie française , et que sans doute
on ne manqua pas d'appeler le meilleur ouvrage qui eût
été couronné depuis plus d'une siècle. On ne lit plus
maintenant cette ode ; mais je crois qu'on lira plus longtemps
l'épître de M. de F. , parce que le style en est naturel,
et ne rappelle en rien ce que Voltaire appeloit du
gallithomas. Je ne dis rien des pensées : depuis la belle
strophe de Rousseau , qui n'est elle-même qu'une magnifique
traduction d'une belle pensée de Platon , tout est dit
sur ce sujet, et il est devenu bien difficile aux poètes d'adresser
autre chose au Temps que des amplifications ou de
vieux reproches . Voici néanmoins un passage de l'épître
de M. de F. , qu'on me lira pas sans plaisir. Je le citemoimême
avec d'autant plus de satisfaction , que celui- ci me
paroît , non-seulement d'un homme de talent et de goût ,
mais d'un véritable poète :
Mais quoi ! quel changement, quel éclat se déploie !
Le deuil fuit , l'espoir naft , je vois briller la joie.
Tu n'es plus ce tyran , vieil auteur de nos maux :
Où sont tes cheveux blancs? Qu'as-tu fait de ta faulx ?
Tumarches radieux comme on nous peint l'Aurore ,
Jeune, le front paré de fleurs qui vont éclore ,
Père des jours , charmant dans ta fécondité,
Etpeuplant sans fatigue un monde illimité.
Autour de toi , les mois , les saisons , les années
Mènent d'un pied léger leurs danses fortunées :
Prèsd'eux je vois voler le bonheur, les plaisirs,
La fortune , la gloire, enfin les doux loisirs ;
Et tu poursuis sans fin ta brillante carrière ,
Promettant ou donnant tous les biens de la terre.
Par toi le sol ingrat voit mûrir ses moissons ;
Le doux printemps fleurit dans le mois des glaçons ;
L'avare accroft son or, le guerrier son empire ;
L'amant se fait ainer , le rimeur se fait lire ;
Le plaideur morfondu va gagner son procès ,
Et le goutteux se croit à son dernier accès .
Avance , avance , ô Temps , trop lent au gré des hommes!
Avance! et cependant , insensés que nous sommes !
Pendant que nous parlons , l'avenir est passé ,
Etpar les vains regrets l'espoir est remplacé.
Ces idées ne sont peut-être pas entièrement nouvelles quant
au fond ; mais il me semble qu'elles n'ont jamais été exprimées
avec autant de précision et d'éclat , et que M. de F. a
eu l'art de les rajeunir par l'expression. Qu'est-ce en effet
que des pensées nouvelles ? Il y a long-temps qu'on n'en
trouve plus qui méritent ce nom dans un sens vraiment
rigoureux ; et je ne vois pas qu'il y ait maintenant d'autre
moyen de dire des choses brillantes et neuves , que celui
de dire autrement et mieux ce qui a déjà été dit.
JUILLET 1807 . 29
Ce qu'il y a de plus difficile en ce genre , c'est de rajeunir
la louange , sur-tout celle des héros et des conquérans. C'est
le secret des grands orateurs et des grands poètes ; ce fut
celui de Boileau dans la poésie , et de Massillon dans l'éloquence;
ni l'un ni l'autre ne paroissent l'avoir transmis à
leurs successeurs. Voici pourtant un passage dans lequel
on pourroit dire que M. de F. a loué le héros de notre
siècle , comme Boileau a loué le héros du sien , c'est-à-dire ,
par un de ces traits rapides qui semblent s'échapper d'euxmêmes
, et que le poète n'a pu contenir. M. de F. continue
de parler au Temps. Tu dispenses , dit- il ,
Tu dispenses les biens et les maux de la terre ,
Jettes de siècle en siècle un grand homme ici-bas ,
Pour laisser aux humains la trace de tes pas ,
Et, soumettant le monde au joug de son génie ,
Empreins tout l'avenir de l'éclat de sa vie ;
Tantôt créant Numa roi pacificateur ,
Tantôt guidant César guerrier triomphateur ,
Donnant des jours de paix et des siècles de guerre
Que dis-je ? Déjà las du repos de la terre ,
N'as- tu pas réveillé ces jeunes bataillons b
Qui vont des champs de Lintz ( 1 ) envahir les sillons !?
N'as- tu point entouré les armes germaniques いっませ
Devertiges, d'erreurs et de terreurs paniques !
N'as-tu donc point assez versé de sang humain !:
Déjà l'aigle français fond sur l'aigle lorrain ,
Triomphe,et, déployant son aile ensanglantée ,
Plane d'un vol hardi surVienne épouvantée;
200
Tu le suis avec peine , et vois avec effroi
Qu'il existe un mortel plus rapide que toi.
1.
:
Je ne compare point ce dernier vers à celui par lequel
Boileau a voulu peindre aussi la rapidité des conquêtes de
Louis XIV: 11
すいす
Grand roi , cesse de vaincre, onje cesse d'écrire notat
Mais si quelqu'un s'avisoit de vouloir les comparer , j'avoue
que , malgré mon admiration bien sincère pour Boileau , je
ne serois point étonné qu'il conclût en faveur du poète moderne.
Jusqu'ici nous avons vu M. de F. cherchantà imiter successivement
Ovide , Boileau , etje n'ose dire rivaliser avec
Thomas ; ( cet auteur n'est pas un modèle qu'un poète aussi
sage ait pu se proposer d'imiter') ; mais traitant le même sujet
que lui. Il faut le voir lorsqu'il rivalise avec le poète du siècle,
et qu'il chante à son tour les champs et les jardins. Je ne crois
(1) Cette pièce fut faite en l'automne 1805. (Note de l'auteur. )
30 MERCURE DE FRANCE ,
point qu'il ait en effet voulu se placer à côté de M. Delille :
son entreprise seroit téméraire. On peut imiter Ovide : il
n'est pas impossible d'avoir autant d'esprit que lui , et autant
d'abondance , autant de facilité à faire des vers ; on peut
aussi , jusqu'à un certain point , imiter Boileau , c'est-àdire
, qu'on peut se rapprocher de sa simplicité noble , et
lui ressembler du moins en ce qu'il a d'austère ; mais il me
semble qu'on ne pourra jamais imiter M. Delille; et en
supposant qu'on le puisse , je ne sais s'il sera prudent de
l'essayer: ses défauts sont si brillans , qu'on pourroit bien
s'y laisser séduire ,et les copier en croyant copier ses véri
tables beautés. Ainsi , je n'accuse point les intentions de
M. de F.; mais , lorsqu'on lit les vers suivans , il est difficile
de ne pas s'en rappeler d'autres auxquels ils ressemblent
, sinon par l'éclat des couleurs , au moins par le fond
des pensées . Le poète veut peindre les jardins de la Falaise,
aux environs de Mantes :
Ici l'art est français , et la nature anglaise ,
Et le goût appuyé sur un apre côteau ,
Ad'un crayon plus large esquissé son tableau.
Soit qu'entre un double roc creusant son précipice ,
Un nonchalant ruisseau soudain tombe et bondisse,
Soit que de peupliers , de gazons encadré,
En limpides canaux il coure séparé ,
Orné de ponts brisés ,de tombeaux, de verdure,
Et paré de cet art qu'on prend pour la nature.
Epone (1) n'est pas loin. Epone encore en deuil,
Pleurant son maître mort sans gloire et sans cercueil.
1
)
Lieux jadis confidens de sa jeune espérance,
Pleurez, vous n'avez vu que ses jours d'innocence. T
Que ne puis-je citer tout entière la description qu'il fait
de la Roche-Guyon ; mais je suis obligé de me borner aux
vers suivans qui me semblent les plus beaux et les mieux
faits de tout son Recueil. Ce morceau se trouve encore dans
son épître sur les environs de Mantes :
1. Ces lieux furent jadis un mont inhabité.
L'art , d'unmanteau de fleurs voilà sa nudité :
Le compas nivela ses roches tortueuses :
Onvitpendre en berceaux ses routes sinueuses ,
Etparmi leur dédale , un voyageur distrait ,
Crut marcher dans la plaine en montant au sommet.
Plus simple et solitaire , au fond de la vallée,
Secreuse en voûte immense une profonde allée.
Nul bruit de ce séjour n'ose troubler la paix .
(1) Château qui appartenoit à M. Héraut de Séchelles.
(Note de l'auteur. )
JUILLET 1807 31
Tousles vents sont zéphyrs , tous les zéphyrs muets.
Seulement , quand des bois la cime se colore ,
On entend gazouiller les chantres de l'aurore.
Tout le reste se tait dans un vaste répos :
Nul souffle n'émeut l'air , ne réveille les flots ;
Et le jour plus douteux, qui dans ces lieux circule,
Unit l'aube au couchant par un lòng crépuscule.
Là, le coeur se repaît d'un sentiment plus cher :
L'avenir est plus doux , le passé moins amer :
Tout plaft , et toi , sur- tout , pâle mélancolie ,
Qui souris tristement aux peines de la vie !
Pensive, et l'oeil fixé sur leur éternité ,
Tu goûtes la douleur avec sérénité.
Passons à la première épître sur la campagne. Je suis
fâché qu'elle commence par un tablean de quelques travers
et de quelques inconvéniens de Paris. Ce tableau est bien
peint : il est fait sur -tout avec beaucoup d'esprit , et on ne
le lira pas sans estimer le talent de celui qui a pu le tracer.
Mais il est déplacé , et c'est pour moi un motif suffisant de
ne pas le transcrire ici. J'aime bien mieux citer la description
que M. de F. nous fait du bonheur dont il jouit. J'ai
pu y être trompé quel poète , même sans y penser , ne
trompe pas un peu ses lecteurs ? Son art est de séduire ; si
l'auteurde ces poésies en avoit la volonté , je crois qu'il y
réussiroit plus facilement que bien d'autres cependant je
ne puis m'empêcher de penser que M. de F. passe réellement
sa vie à la campagne. Ce bonheur qu'il peint est le
sien : ce repos , cette sage indolence , cette activité sans
fatigue , sont des biens qu'il goûte, et dont il sent tout le
prix ; enfin , ces vastes projets , ces longs espoirs sont dans
son ame. Ecoutons-le :
1
Vous parlerai-je enfin de mon jardin anglais?
Faut il vous faire encore arpenter mes bosquets ,
Et, fatigant vos pas dans leur route tortue ,
Ne pas vous faire grace au moins d'une laitué?
Venezdonc, et voyez mes gazons desséchés ,
Mes fertiles chemins d'herbe et d'épis jonchés ,
Mes taillis qu'on ne voit qu'avec un microscope ,
Monmanége oùjamais nul cheval ne galope ,
Mes réservoirs sans eaux , mes fabriques sans toits ,
Ma forêt qui verdit pour la première fois.......
Rien n'est fait; tout commence , et tout veut l'oeil du maître .
Ici croît un verger : làma vigne va naître.
Toutenfin, champset prés , et patis et forêts ,
S'embellit par des soins , s'enrichit par des frais,
La na ture promet; c'est le travail qui donne.
Il est doux de semer le champ que l'on moissonne!
Etquel être énervé supporteroit l'ennui
Devoir toujours tout fait , et jamais rien par lui?
32 MERCURE DE FRANCE ,
Heureux plutôt , heureux qui peut , dans sa vieillesse ,
Goûtant après la peine un repos sans paresse ,
Dire àsonjeune fils : « J'ai semé , j'ai planté;
•
>>Et tout ce que tu vois, c'est moi qui l'ai créé . »
Je conviens que cette sorte de bonheur , qui consiste à se
créer pour l'avenir mille sortes de biens dont on ne jouira
peut-être jamais , est à la disposition des habitans de la ville
comme de ceux de la campagne ; mais voici des plaisirs qui
ne sont à la portée que des hommes vertueux , des plaisirs .
réels , et que M. de F. n'a pu si bien peindre , que parce
qu'il est fait pour les éprouver. Depuis , dit- il ,
Depuis que sous l'hymen un jong heureux me plie,
Ma fille, premier fruit du lien conjugal ,
Adéjà vu trois fois fêter son jour natal ,
Et mon fils commençant ses jeunes destinées,
Assemble autant de mois que sa soeur a d'années.
Pourrois-je , par le ciel si bien environné,
Demander quelque chose à qui m'a tout donné !
Ces biens sont assez doux, et l'on peut, sans étude,
Trouvant chez soi le monde , aimer la solitude.
Mais je vous entends rire.
Voilà donc , direz-vons , votre nouvel empire !
Un château , deux enfans , une femme , un curé
Point de voisins sur-tout ! Ah , fussiez-vous muré,
Votre donjonfút- il mieux fermé que Bicêtre ,
Au défaut d'ennuyeux , l'ennui s'en rendra maître!....
L'ennui ! Cen'est pas lui , cher Damon, que je crains :
Il respecta toujours ma joie ou mes chagrins .
Du premier point du jour au dernier crépuscule,
Je crains plutôt le Temps qui hâte ma pendule .
Hélas! les jours , les mois ,les saisons et les ans
→ Sont si vîte aux heureux dérobés par le Temps !
Ce vieillard , dont chaque heure accumule la perte ,
Trop lent pour tant de gens , est pour moi trop alerte ,
Plus heureux , si le ciel, bornant mes facultés ,
M'eût mieux caché le prix des jours qu'il m'a comptés ;
Ou si , du coeur humain calculant l'énergie ,
Sur l'emploi qu'on en fait il eût réglé la vie !
:
:
On est vraiment affligé de rencontrer dans de pareils
morceaux de poésie des taches qui les déparent. Par exemple,
qui pourroit écouter sans quelque impatience un poète
aussi estimable que M. de F. , lorsqu'il témoigne du regret
de ce que le ciel n'a pas mieux calculé l'énergie du coeur
humain ? Qui pourroit n'être pas fâché de l'entendre parler
de Bicêtre , à propos d'une maison qui doit être l'asile de
la paix, du bonheur , et de toutes les vertus ? La première
faute est du nombre de celles que les Anglais appellent
non sense , et que je n'oserois appeler ici de leur nom
français ;
DEPT
1
33 JUILLET 1807 .
Français ; la seconde peut n'être comptée que parmi les.
fautesde goût ; et , malheureusement, elle n'est pas , commen
lapremière , la seule de son genre que M. de F. ait ite
en parlant de lå campagne. Quelquefois aussi il emploiedes
termes qui ne ppaaroissentpas l'usage des poètes : par
exemple, on a déjà vu qu'il se préparoit des pâtis ; ce qui
signifie apparemment des pâturages : ailleurs , on trouve
que dans les jardins il ouvre lui-même , c'est-à-dire , qu'il
y travaille; ensuite, qu'il fait
..
à
En légers ondins rouler ses foins humides.
J'ignore ce que c'est qu'un ondin ; mais je présume que
c'est , comme pâtis , un mot qui seroit mieux placé dans un
Traité d'agriculture que dans une Epître en vers .
17
Ces dernières expressions se rencontrent dans une seconde
Epître sur la campagne , qui me sembloit , à en juger par
son début , devoir être meilleure que la première. J'ai été
bientôt détrompé : les sentimens ensont également louables ,
les pensées en sont aussi belles , quelques détails en sont
même plus agréables ; mais en général le style en est peu
soigné. Je me bornerai à en citer un petit nombre de vers ,
qui suffiront peut-être pour justifier tout à la fois le bien et
le malque j'en dis :
Que nepouvez-vous voir de quel oeil amoureux
Comptant chaque bourgeon, épiant chaque feuille ,
Dans l'avenir lointain je jouis , je recueille;
Tremblant, si par le nord l'hiver m'est rapporté;
Tremblant , si les chaleurs ont devancé l'été ;
Joyeux, si Mars , exempt de neige et de gelées ,
Verse entre deux soleils ses chaudes giboulées .
Le premier de ces vers est bien dur, et la dernière de cés
expressions est bien extraordinaire. J'ai ouvert , pour bien
m'assurerqueje n'avois aucun tort de la trouver telle ,
plusieurs Dictionnaires et de langue , et d'agriculture , et
d'histoire naturelle ; tous m'ont appris que la giboulée est
une pluie froide de sorte que l'expression de M. de F.
revient à celle-ci : ses chaudes pluies froides. Plus bas , je
trouve que son jardinier
De longs paillassons
R'habille chaque soir ses tendres nourrissons .
Et, malheureusement , r'habiller n'est pas français dans lé
sens que M. de F. veut lui donner; pas plus que ne le
seroit r'annoncer, pour dire annoncer une seconde fois . Ce
qu'il y a de plus affligeant , c'est que ces sortes de taches se
trouvent toujours dans des morceaux qui seroient charmans ,
C
34 MERCURE DE FRANCE ,
si l'auteur se fût donné la peine de les revoir et de les corriger.
Citons-en un nouvel exemple ; il s'agit de la bergerie :
Le jour naît : dans mes prés d'arbres environnés
Voyez descendre , errer ses hôtes encornés .
La génisse légère ouvre en sautant la marche ;
La vache vient après , plus lente en sa démarche ;
Puis , Mentor ruminant de mon fécond troupeau
Suit à pas de recteur mon grave et lourd taureau .
C'est peut-être la première fois qu'on a comparé un taureau
à Mentor. Passe de le comparer à Achille ; mais un
taureau qui ne seroit qu'un Mentor , rempliroit assez
mal ses fonctions . Il me semble donc que cette comparaison
n'a pas plus de justesse que les hôtes encornés n'ont
de grace. Je voudrois que M. de F. se bornât à peindre les
sentimens qu'il éprouve , les plaisirs dont il jouit , et quil
ne fît pas de vains efforts pour s'élever (je n'oserois dire
pour s'abaisser ) à l'art de peindre poétiquement de petites
choses. Il est de l'école de Boileau ; qu'il s'y tienne : il sera
heureusement toujours étranger dans toute autre école , et
il en parlera mal la langue. Je remarque avec satisfaction
qu'il réussit dans tous les détails qui sont poétiques par leur
nature ; je veux dire , dans ceux que Boileau n'auroit pas
dédaigné d'exprimer , s'il eût traité des sujets dans lesquels
ils pussent entrer ; mais qu'il paroît foible dans tous ceux
que nos poètes modernes ont traité avec une perfection
qui est vraiment étonnante ! En un mot, il est bon dans
tout ce qui est simple , naturel , vraiment gracieux ; il ne
vaut rien pour les tours de force.
Sa dernière Epître est celle qu'il adresse à son gardechasse
. Dans celle - ci , il fait encore le tableau de la vie
champêtre ; mais c'est la vie d'un homme de peine , et qui
voit dans les champs autre chose que des fleurs à cueillir .
C'est aussi le portrait d'un sage et d'un homme vertueux ,
mais d'un sage dont toute la science se borne à l'histoire de
ses voisins , et dont la vertu consiste à pratiquer passablement
ce que lui enseigna son curé. Il est facile de voir que
les idées dont cette Epître se compose doivent être douces
et agréables ; mais on voit aussi que , si elles n'étoient
animées par un peu de persiflage , ces tableaux , ces portraits
pourroient bien finir par ne mériter d'autre nom que
celui d'Idylle . Si M. de F. a cru imiter dans cette Epître
celle de Boileau à son jardinier, il s'est encore bien trompé.
Dans ce dernier ouvrage , ce n'est pas le portrait d'Antoine
que Boileau voulu nous tracer ; c'est celui du poète , de
T'homme que la passion de briller tourmente ; et il l'oppose
a
JUILLET 18075 35
à l'insouciance paisible non pas seulement d'un campagnard ,
mais d'un campagnard qui ne songe qu'à bien cultiver ses
laitues. Dans celui de M. de F. , au contraire , il ne s'agit
que du garde-chasse et de son histoire . Après l'avoir lue ,
on saura combien d'années a vécu Lefort , combien il a fait
de campagnes , et de combien d'événemens , c'est- à-dire
de combien de disputes pour une haie ou pour une borne
il a été le témoin. Mais cela est exprimé en fort jolis vers ,
et finit par d'autres que je ne crains pas d'appeler très-beaux .
Citons du moins ces derniers :
Poursuis , mon vieux Lefort , et puissent tes vieux ans
Du droit de bavarderjouir encor long-temps !
Jamais , en racontant ton histoire infinie ,
Tu n'as rien pu trouver à cacher dans ta vie.
L'univers est en paix avec tes cheveux blancs ;
Et tu n'as point rougi depu's quatre- vingts ans .
Voilà le vrai bonheur .
Cette dernière idée est assurément fort belle ; mais heureusement
le garde-chasse de M. de F. n'est pas le seul à qui
on pût en adresser autant ; d'ailleurs , je ne crois pas qu'il
soit permis de dire à personne , en lui souhaitant une
longue vie : Puissent vos années jouir long-temps du droit
de bavarder ! Ecoutons maintenant Boileau.
Approche donc et viens ; qu'un paresseux t'apprenne ,
Antoine , ce que c'est que fatigue et que peine.
L'homme ici-bas , toujours inquiet et gêné ,
Estdans le repos même au travail condamné.
La fatique l'y suit . " . ..
Je ne trouve point de fatigue si rude
Que l'ennuyeux loisir d un mortel sans étude ,
Qui jamais ne sortant de sa stupidité ,
Soutient dans les langueurs de son oisiveté ,
D'une lûche indolenc e esclave volontaire ,
Le pénible fardeau de n'avoir rien à faire .
:
Voilà des vers et des idées , des vers qu'on peut compter
parmi les milleurs d'un denos plus grands poètes, etdes idées
qui ne paroissent pas avoir été à la portée d'un jardinier.
Mais qui ne voit que Boileau en faisant cette épître s'occupoit
fort peu d'Antoine , et beaucoup de ses lecteurs ? Ce
n'est pas à lui , c'est à nous qu'il parle ; il a choisi au
hasard le premier cadre qui s'est présenté , pour y faire
entrer quelques-unes de ces grandes vérités qui étoient son
nnique étude. Que nous importoit l'histoire d'Antoine , et
pourquoi auroit-il voulu nous l'apprendre ? Ce n'est pas lui
qui auroit daigné s'occuper de tous ces petits détails , et ce
n'est pas dans son siècle qu'on les auroit admirés.
3
C2
36 MERCURE DE FRANCE ,
Les passages que j'ai cités de toutes ces épîtres sont assez
longs et assez nombreux , pour qu'il soit maintenant facile
aux lecteurs de juger du talent de M. de F. Je citerai moins
de ses satires , parce qu'en général , quoiqu'elles soient
pleines de beaux vers et de morceaux assez poétiques , elles
donnent une idée encore moins haute de sa verve et de sa
chaleur. Le dirai-je ? Il me semble que ce poète s'est jugé
lui-même , lorsque dans un des passages que j'ai cités de sa
première épître , il s'est accusé d'être rimeur trop debonnaire.
Ce n'est pas dans un poète satirique que l'indulgence pour
les vices est une vertu ; et ce n'est pas seulement avec esprit
ou avec de la grace qu'un tel poète doit peindre nos travers .
Si M. de F. nommoit les sots dont il parle , s'il désignoit
clairement les hommes vicieux qu'il tâche de flétrir , jel'excuserois
, je le louerois même d'avoir usé envers eux de modération;
mais la censure générale des vices veut être faite
avec plus de chaleur : comme elle n'a que foiblement l'intérêt
de la malignité , c'est une raison de plus pour chercher
à lui donner celui de l'énergie et de l'éloquence. Un second
défaut qui domine dans toutes ces satires , et qui tient peutêtre
au premier , c'est que le poète ne s'y abandonne pas
assez à l'inspiration; on voit qu'il a eu , en les faisant , d'excellentes
idées ; le malheur est qu'il ne les a pas suivies , ou
qu'il ne les a que très-foiblement développées. Ceci s'éclaircira
par un exemple. Dans la seconde satire , qui est sur la
vie d'un poète , l'auteur tâche de persuader à un jeune homme
qu'il vaut mieux exercer un état utile que d'être un poète
médiocre . Après lui avoir parlé des vers qu'on a vus de lui
dans le Mercure ,je ne veux point , dit- il ,
Je ne veux point blamer , censeur oficieux ,
Un choix qu'on vit ouvent favorisé des Dieux;
Mais avez - vous du învins réfléchi pour le faire ?
- J'ai consulté mon coeur. - Consultez votre père.
Cette dernière idée étoit bonne; mais ilfalloit la suivre,
il me semble que cela eût été assez neuf. L'auteur a mieux
aimé parler des inconvéniens de la gloire et de la difficulté
de faire de bons vers , et de tout ce qu'on dit partout.
Ces satires sont d'ailleurs des ouvrages très-estimables ; et
lorsque j'ai dit qu'elles étoient pleines de morceaux assez
poétiques , je n'en ai fait qu'un éloge très-mérité. Tel est par
exemple dans la première le morceau sur les inconvéniens
de la vieillesse. Je me borneraà en citer ici les derniers vers :
fudra , successeur de ses derniers parens ,
Rester seul quand la mort moissonnera leurs rangs ;
Voir les maisons des siens vides et désolées,
JUILLET 1807 .. 37
Nepluscompterd'amis que dans les mausolées ,
Et, toujours immobile , en voyaanntt tout changer
Végéter en exil dans un siècle étranger .
Assurément ces vers sont très-beaux. Mais pourquoi se
trouvent-ils dans une satire ? Ils me paroîtroient bien meilleurs
, si je les avois rencontrés dans une des épîtres .
J'ai beaucoup parlé des épîtres , parce qu'elles donnent ,
ceme semble, une très-favorable opiniondes talens de leur
auteur . J'ai moins parlé des satires , et je crois en avoir fait
entendrela raison. Je nedirai rien des élégies , parce qu'avant
été jusqu'ici assez heureux , pour avoir plus d'éloges à donner
à M. de F. , que de reproches à lui faire , il me seroit
désagréable d'être obligé de changer de ton .
VARIÉTÉS.
GUAIRARD .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Lacommission de l'Institut (Classe des beaux-arts ) chargée
de l'examen du concours ouvert pour le monument à
ériger aux armées , sur l'emplacement de l'église de la Madelaine,
a fait au ministre de l'intérieur , un rapport dont voici
Pextrait :
:
Quatre-vingt-deux projets sont parvenus aux bureaux : une
première opération les a réduits à vingt-un, une seconde à
treize , une troisième à huit. C'est dans cette dernière série
que la commission a choisi celui qui méritoit la préférence .
Deux conditions rigoureuses étoient imposées aux architectes
: 1 °. de profiter des constructions existantes ; 2°. de se
renfermer dans une somme de trois millions. La difficulté
étoit de faire un beau monument , en prenant pour base un
plan reconnu mauvais même pour une église , et qui n'a
obtenu de considération que par son péristyle .
,
Le plan de M. Beaumont , architecte du tribunat , est
celui qui a paru remplir le mieux les conditions imposées
et offrir en même temps le caractère de sagesse et de maguificence
convenable. Il termine d'une manière simple et noble
par un fronton triangulaire , la façade de l'entrée principale
C'est donc à ce plan que la commission décerne le premie
prix . Le plan de M. Vignon , qui lui a paru offrir des idée
undeur, mais aux dépens de la solidité , mérite le pre
essit . Le second a été adjugé au plan de M. Gisor
d
3
38 MERCURE DE FRANCE ,
jeune , le troisième à celui de M. Peyre neveu . Conformément
à l'instruction , la commission propose, pour les trois
degrés d'indemnités , de donner 6000 fr. au premier accessit
, 5000 fr. au deuxième , et 4000 fr . au troisième. De plus ,
elle propose d'accorder 2000 fr . à MM. Baltard , Bregniard ,
Vandoyer , Courte - Epée , Cramail , Malary et Rohault
(pour le même projet ) , et Guenoux , dont les projets ont
mérité d'être distingués .
Les indemnités proposées par la commission , ainsi que
les sommes qu'elle avoit déterminées pour les accessit , ont
été accordées par S. M. M. Beaumont a reçu une récompense
particulière , et le plan qui a obtenu le premier accessit
au jugement de la commission , est celui qui a obtenu le
prix aux yeux de S. M. , et par conséquent , celui qui sera
exécutél, ainsi qu'il est expliqué dans la lettre suivante , de
S. Exc. le ministre de l'intérieur .
Le ministre de l'intérieur à M. le secrétaire perpétuel de la
classe des beaux- arts.
Paris , 8 juin 1807 .
et les
هللا
2
M. le secrétaire perpétuel , S. M. l'Empereur, à qui j'ai
transmis , d'après ses ordres , les dessins plans des
quatre projets qui avoient été distingués par la commission
dans le concours relatif au monument à ériger aux armées ,
sur l'emplacement de la Madeleine , vient de me faire connoître
la résolution qu'elle a prise , d'après l'examen de ces
plans , et le rapport de la commission qu'elle avoit sous les
yeux , de faire exécuter le plan de M. Vignon. L'Empereur
a été satisfait du caractère de grandeur et de simplicité qui
avoit frappé la commission dans ce projet, et qui lui avoit fait
déférer le premier accessit . S. M. desiroit que le monument
à élever fût un temple et non une église , un monument
dans un genre tel qu'il n'en existe point encore à Paris , et
sous ce rapport , le projet de M. Vignon lui a paru remplir
entièrement son intention. En adoptant ainsi le jugement de
la commission , sur le caractère de noblesse et de beauté qui
assure à ce projet en lui-même la prééminence sur les autres ,
l'Empereur n'a pas cru devoir être arrêté par des considérations
d'économie , qui , d'après le rapportde la commission ,
avoient empêché ce projet d'être mis au premier rang , considérations
que lui-même avoit prescrites , mais qu'il subordonnoit
au desir d'embellir la capitale d'un monument re--
marquable sous le rapport de l'art , qui , unique par sa destination
, le fût aussi par la nature de sa construction , qui
fût en harmonie avec la façade du Corps législatif, à laquelle
JUILLET 1807 :: 39
ildoit correspondre, qui n'écrasât pas par son élévation , le
palais des Tuileries dont il est si voisin , et auquel on ne
peut reprocher d'être inférieur à Saint-Pierre à Rome et à
Sainte-Geneviève de Paris , avec lesquels on l'auroit sans
cesse comparé , s'il avoit eu une forme semblable.
En vons chargeant , monsieur , d'annoncer à la classe des
beaux-arts la décision de S. M. , j'éprouve de la satisfaction
à vous communiquer cette remarque de l'Empereur luimême
, que s'il n'a pas donné au rapport de la comunission
la suite qu'elle paroissoit en attendre , il n'a pas moins approuvé
l'examenqu'elle avoit fait du concours et le jugement
porté par elle , sur les plans qui lui étoient fournis ; et j'ajoute
qu'il en a adopté , pour ainsi dire , la pensée et l'esprit ,
lorsqu'en donnant la préférence au projet que la commission
avoit jugé être en soi le plus beau , il s'estdéterminé au sacrifice
qui seul pouvoit empêcher d'en résoudre la question .
Recevez , M. le secrétaire perpétuel , l'assurance de ma
sincère estime. Signe , CHAMPAGNY.
-La Classe d'histoire et de littérature ancienne de l'Institutadécerné
aujourd'hui , 3 juillet, en séance publique , à M. le
Prevost-d'Iray , censeur des études du Lycée impérial , le
prix d'histoire , dont le sujet étoit : « Examiner quelle fut
>> l'administration de l'Egypte depuis la conquête de ce pays
>> par Auguste , jusqu'à la prise d'Alexandrie par les Arabes ;
>> rendre compte des changemens qu'éprouva , pendant cet
>> intervalle de temps , la condition des Egyptiens; faire voir
>> quelle fut celle des étrangers domiciliés en Egypte , et parti-
>> culièrement celle des Juifs . >>>
La classe avoit proposé pour sujet d'un autre prix qu'elle
devoit adjuger dans la même séance , d'examiner « qu'elle a été
>>pendant les trois premiers siècles de l'hégire , l'influence du
» mahométisme sur l'esprit , les moeurs et les gouvernemens
>> des peuples chez lesquels il s'est établi. >>> Aucun des Mémoires
envoyés au concours n'ayant paru mériter le prix , la classe
propose le même sujet pour l'année 1809. Elle propose en
outre pour sujet d'un nouveau prix qu'elle adjugera pareillement
dans la séance publique du premier vendredi
de juillet 1809 , « l'examen critique des historiens d'Alexis
>> Commène , et des trois princes de sa famille qui lui ont
>> succédé : on comparera ces écrivains avec les historiens des
>>croisades , sans négliger ce que les auteurs arabes peuvent
> fournir de lumières sur le règne de ces empereurs , et prin-
>> cipalement sur leur politique envers les croisés. » Ces deux
prix seront chacun une médaille d'or de 1500 fr. Lés ouvrages
envoyés au concours ne seront reçus que jusqu'au 1 juillet
1809.
4
er
40 MERCURE DE FRANCE ,
-On a donné cette semaine, sur le Théâtre Français
La première représentation d'un drame héroïque , en trois
actes et en vers , intitulé la Mort de Duguesclin. Malgré
la longanimité des acteurs , les sifflets et les huées n'ont pas
laisséaacchneevveerr le troisième acte. L'auteur est M. Dorvo.
- La construction de la seconde galerie qui doit joindre
le Louvre aux Tuileries , du côté du Nord , n'est plus un
projet. On fait dans ce moment les fouilles pour poser les
fondemens de cette galerie dans l'espace qui existe entre le
pavillon Marsan et l'hôtel occupé par M. le secrétaire d'Etat.
Une immense quantité de pierres estdéjà rassemblée pour cet
objet et sur la place du Carrousel. On a aussi commencé les travaux
pouurr la construction du monumentdédié parl'EMPEREUR
à la gloire des armées françaises.
- Le préfet du département du Nord , M. le général
Pommereuil , vient de faire consacrer à la méinoire de
Fénelon un monument qui sera formé de la flèche de la
cathédrale de Cambrai , seule partie qui subsistát encore de
cet édifice. Dans le bas on ménagera une petite chapelle
qui contiendra son tombeau ; et il paroît que la statue de
cet illustre archevêque sera élevée sur l'étage supérieur ,
d'où elle dominera sur la belle promenade formée à la
place qu'occupoit la cathédrale et l'archevêché.
Les curieux vont visiter , près du Pont-Royal , la
carcasse des nouveaux bains que M. Vigier se propose
d'établir au-dessous du Pont-Neuf. Ce bâtiment , de la plus
grande dimension , a 192 pieds de long , et est composé
de deux étages qui renfermeront 142 chambres. Deux vastes
bassins placés sur le tillac , distribueront l'eau dans toutes
ces chambres. Ils sont pratiqués avec tant d'habileté , que
lorsque les bains seront couverts , on n'en soupçonnera pas
l'existence. Les tuyaux se perdront également dans des
colonnes qui serviront d'ornement aux salles du bâtiment.
Le tout sera couvert en cuivre. L'intérieur sera , dit-on ,
décoré avec autant de goût que de richesse ; et l'on ajoute
que le prix de ces bains ne s'élevera pas au-dessus de celui
des autres bains appartenans au même propriétaire. Cinq
cents ouvriers sont employés à cette belle construction ,
qui coûtera plus d'un million.
-
Mademoiselle Colbran , première cantatrice et pensionnaire
de S. M. la reine d'Espagne , est de retour à
Paris, d'un voyage qu'elle vient de faire en Italie. Lesjournaux
italiens nous ont souvent entretenus des succès qu'elle a obtenus
dans ce pays. Elle a'été reçuemembre de l'académie
philarmonique de Bologne.
T
JUILLET 1807 . 41
PARIS , vendredi 3 juillet.
LXXIX BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Weylan, le 17 juin 1807 .
Les combats de Spanden , de Lomitten; les journées de
Guttstadt et de Heilsberg n'étoient que le prélude de plus
grands événemens.
Le 12, à quatre heures du matin , l'armée française entra
à Heilsberg. Le général Latour-Maubourg avec sa division
de dragons , et les brigades de cavalerie légère des généraux
Durosnelet Wattier , poursuivirent l'ennemi sur la rive
droite de l'Alle , dans la direction de Bartenstein, pendant que
les corps d'armée se mettoient en marche dans différentes
directions pour déborder l'ennemi et lui couper sa retraite
sur Kænigsberg , en arrivant avant lui sur ses magasins. La
fortune asouri à ce projet.
Le 12 , à cinq heures après midi , l'EMPEREUR porta son
quartier-général à Eylau. Ce n'étoient plus ces champs couverts
deglaces et de neiges ; c'étoit le plus beau pays de la
nature , coupé de beaux bois , de beaux lacs , et peuplé de
jolis villages.
Le grand-duc de Berg se porta , le 13 , sur Kænigsberg
avec sa cavalerie; le maréchal Davoust marcha derrière pour
le soutenir ; le maréchal Soult se porta sur Creutzbourg ;
le maréchal Lannes sur Domnau ; les maréchaux Ney et
Mortier sur Lampasch.
Cependant le général Latour-Maubourg écrivoit qu'il avoit
poursuivi l'arrière-garde ennemie ; que les Russes abandonnoient
beaucoup de blessés ; qu'ils avoient évacué Bartenstein,
et continuoient leur retraite sur Schippenbeil , par la rive
droite de l'Alle. L'EMPEREUR Se mit sur-le-champ en marclie,
sur Friedland. Il donna ordre au grand-duc deBerg, auxmaréchaux
Soult et Davoust de manoeuvrer sur Kænigsberg , et
avec les corps des maréchaux Ney , Lannes , Mortier , avec
la garde impériale et le premier corps commandé par le général
Victor , il marcha en personne sur Friedland.
Le 13, le 9º de hussards entra à Friedland ; mais il en fut
chassé par 3000 hommes de cavalerie.
Le 14, l'ennemi déboucha sur le pont de Friedland. Atrois
heures du matin , des coups de canon se firent entendre.
« C'est un jour de bonheur , dit l'EMPEREUR; c'est l'anniver-
>> saire de Marengo. >>>
Lesmaréchaux Lannes et Mortier furent les premiers engagés;
ils étoient soutenus par la division de dragons du général
Grouchy , et par les cuirassiers du général Nansouty. Différens
mouvemens , différentes actions eurent lieu. L'ennemi
fut contenu , et ne put pas dépasser le village de Posthenem.
>
1
42 MERCURE DE FRANCE ,
Croyant qu'il n'avoit devant lui qu'un corps de 15,000hommes,
l'ennemi continua son mouvement pour filer sur Kænigsberg .
Dans cette occasion , les dragons et les cuirassiers français et
saxons firent les plus belles charges, et prirent quatre pièces
de canon à l'ennemi.
A cinq heures du soir, les différens corps d'armée étoient à
leur place. A la droite , le maréchal Ney ; au centre , le maréchal
Lannes ; à la gauche ,de maréchal Mortier ; à la réserve ,
le corps du général Victor et la garde.
La cavalerie sous les ordres du général Grouchy , soutenoit
la gauche. La division de dragons du général, Latour-Mau- .
bourg étoit en réserve derrière la droite ; la division de dragons
du général Lahoussaye et les cuirassiers saxons étoient en
réserve derrière le centre.
Cependant l'ennemí avoit déployé toute son armée. Il
appuyoit sa gauche à la ville de Friedland , et sa droite se
prolongeoit à une lieue et demie.
1.
L'EMPEREUR , après avoir reconnu la position , décida d'enlever
sur-le-champ la ville de Friedland , en faisant brusquement
un changement de front , la droite en avant , et fit commencer
l'attaque par l'extrémité de sa droite .
:
R
1
८
Acing heures et demie , lemaréchal Ney se mit en mouve-..
ment; quelques salves d'une batterie de vingt pièces de canon
furent le signal. Au même moment, la division du général
Marchand avança , l'arme au bras , sur l'ennemi , prenant sa..
direction sur le clocher de la ville. La division du général
Bisson le soutenoit sur la gauche. Du moment où l'ennemi
s'aperçut que le maréchal Ney avoit quitté le bois où sa
droite étoit d'abord en position , il le fit déborder par des
régimens de cavalerie , précédés d'une nuée de. Cosaques. La
division de dragons du général Latour-Maubourg , se forma
sur-le-champ au galop sur la droite , et repoussa la charge
ennemie. Cependant le général Victor fit placer une batterie
de trente pièces de canon en avant de son centre; le général
Sennarmont qui la commandoit , se porta à plus de quatre
cents pas en avant , et fit éprouver une horrible perte à l'ennemi.
Les différentes démonstrations que les Russes voulurent >
faire pour opérer une diversion , furent inutiles . Le maréchal
Ney, avec un sang-froid et avec cette intrépidité qui lui est
particulière , étoit en avant de ses échelons , dirigeoit luimême
les plus petits détails , et donnoit l'exemple à un corps
d'armée, qui toujours s'est fait distinguer , même parmi les
corps de la Grande-Armée. Plusieurs colonnes d'infanterie
ennemie , qui attaquoient la droite du maréchal Ney , furent
chargées à la baïonnette et précipitées dans l'Alle. Plusieurs
milliers d'hommesy trouvèrent la mort; quelques-uns échap.
1
JUILLET 1807. 43
pèrent à la nage. La gauche du maréchal Ney arriva sur ces
entrefaites au ravin qui entoure la ville de Friedland. L'ennemi
qui y avoit embusqué la garde impériale russe à pied et
à cheval , déboucha avec intrépidité , et fit une charge sur la
gauche du maréchal Ney , qui fut un moment ébranlée ; mais
la division Dapont, qui formoit la droite de la réserve , marsur
la garde impériale , laculbuta , et en fit un horrible
carnage.
cha
L'ennemi tira de ses réserves et de son centre d'autres corps
pour défendre Friedland. Vains efforts ! Friedland fut forcé ,
et ses rues furent jonchées de morts.
Le centre que commandoit le maréchal Lannes se trouva
dans ce moinent engagé. L'effort que l'ennemi avoit fait sur
l'extrémité de la droite de l'armée française ayant échoué ,
it voulut essayer un semblable effort sur le centre. Il y fut
réçu comme on devoit l'attendre des braves divisions Oudinot
et Verdier , et du maréchal qui les commandoit.
Des charges d'infanterie et de cavalerie ne purent pas
retarder la marche de nos colonnes. Tous les efforts de la
bravoure des Russes furent inutiles. Ils ne purent rien entamer ,
et vinrent trouver la mort sous nos baïonnettes.
Le maréchal Mortier qui , pendant toute la journée , fit
grande preuve de sang- froid et d'intrépidité , en inaintenant
là gauche , marcha alors en avant , et fut soutenu par les fusiliers
de la garde que commandoit le général Savary. Cavalerie
, infanterie , artillerie , tout le monde s'est distingué.
La garde impériale à pied et à cheval , et deux divisions
de la réserve du 1 corps n'ont pas été engagées. La victoire
n'a pas hésité un seul instant. Le champ de bataille est
un des plus horribles qu'on puisse voir. Ce n'est pas exagérer
que de porter le nombre des morts , du côté des Russes , de
15 à 18 mille hommes. Du côté des Français , la perte ne se
monte pas à500 morts , nià plus de 3000 blessés. Nous avons
pris 80 pièces de canon et une grande quantité de caissons.
Plusieurs drapeaux sont restés en notre pouvoir. Les Russes
ont eu 25 généraux tués , pris ou blessés. Leur cavalerie a fait
des pertes immenses. i
Les carabiniers et les cuirassiers , commandés par le général
Nansouty, et les différentes divisions de dragons se sont fait
remarquer. Le général Grouchy, qui commandoit la cavalerie
de l'aîle gauche , a rendu des services importans.
Le général Drouet , chef de l'état- major du corps d'armée
du maréchal Lannes ; le général Cohorn ; le colonel Regnaud,
du 15º de ligne; le colonel Lajonquière , du 60º de ligne ; le
colonel Lamotte , du 4º de dragons , et le général de brigade
44 MERCURE DE FRANCE ,
Brun, ont étéblessés. Le général de division Latour-Maubourg
l'a été à la main. Le colonel d'artillerie Desfourneaux , et le
chef d'escadron Hutin , premier aide-de-camp du général
Oudinot , ont été tués. Les aides-de-camp de l'EMPEREUR ,
Mouton et Lacoste , ont été légèrement blessés.
La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi : on
l'a suivi jusqu'à onze heures du soir. Le reste de la nuit , les
colonnes qui avoient été coupées ont essayé de passer l'Alle ,
àplusieurs gués. Partout , le lendemain et à plusieurs lieues ,
nous avons trouvé des caissons , des canons , etdes voitures
perdues dans la rivière.
Labataille de Friedland est digne d'être mise à côté de celles
deMarengo , d'Austerlitz et d'Jena. L'ennemi étoit nombreux ,
avoit une belle et forte cavalerie, et s'est battu avec courage.
Le lendemain 15 , pendant que l'ennemi essayoit de se rallier
, et faisoit sa retraite sur la rive droite de l'Alle , l'armée
française continuoit sur la rive gauche ses manoeuvres pour
le couper de Kænigsberg.
Les têtes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau ,
ville située au confluent de l'Alle et de la Pregel.
L'EMPEREUR avoit son quartier-général au village de Paterswalde.
Le 16, à la pointe du jour, l'ennemi ayant coupé tous les
ponts , mit à profit cet obstacle pour continuer son mouvement
rétrograde sur la Russie.
Ahuit heures du matin l'EMPEREUR fit jeter un pont sur la
Pregel , et l'armée s'y mit en position.
Presque tous les magasins que l'ennemi avoit sur l'Alle , ont
été par lui jetés à l'eau ou brûlés : par ce qui nous reste , on
peut connoître les pertes immenses qu'il a faites. Partout dans
les villages les Russes avoient des magasins , et partout en passant
, ils les ont incendiés. Nous avons cependant trouvé à
Wehlau plus de six mille quintaux de blé.
Alanouvelle de la victoire de Friedlang , Koenigsberg a été
abandonné. Le maréchal Soult est entré dans cette place , où
nous avons trouvé des richesses immenses , plusieurs centaines
de milliers de quintaux de blé , plus de 20,000 blessés russes,
et prussiens, tout ce que l'Angleterre a envoyé de munitions de
guerre à la Russie , entr'autres 160,000 fusils encore embarqués.
Ainsi la Providence a puni ceux qui , au lieu de négocier
de bonne foi pour arriver à l'oeuvre salutaire de la
paix , s'en sont fait un jeu , prenant pour foiblesse et pour
impuissance la tranquillité du vainqueur.
L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords de
la Pregel sont riches. Dans peu, les magasins et les caves de
JUILLET 1807 . 45
Dantzick et de Kænigsberg vont nous apporter de nouveaux
moyens d'abondance et de santé.
Les noms des braves qui se sont distingués , les détails de ce
que chaque corps a fait , passent les bornes d'un simple bulletin,
et l'état-major s'occupe de réunir tous les faits.
Le prince de Neuchâtel a, dans la bataille de Friedland ,
donné des preuves particulières de son zèle et de ses talens.
Plusieurs fois il s'est trouvé au fort de la mêlée , et y a fait
desdispositions utiles .
L'ennemi avoit recommencé les hostilités le 5. On peut
évaluer la perte qu'il a éprouvée en dix jours , et par suite de
ces opérations , à60,000 hommes pris , blessés , tués ou hors
de combat. Il a perdu une partie de son artillerie , presque
toutes ses munitions, et tous ses magasins sur une ligne de
plus dequarante lieues. Les armées françaises ont rarement
obtenu de si grands succès avec moins de pérte.
LXXX BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Tilsit , le 19 juin 1807.
Pendant le temps que les armées françaises se signaloient sur
le champ de bataille de Friedland , le grand-duc de Berg ,
arrivé devant Koenigsberg , prenoit en flanc le corps d'armée
du général Lestocq.
Le 13 , le maréchal Soult trouva à Creutzbourg l'arrièregarde
prussienne. Ladivision de dragons Milhaud exécuta une
belle charge, culbuta la cavalerie prussienne , et enleva plusieurs
pièces de canon.
Le14 , l'ennemi fut obligé de s'enfermer dans ka placede
Kænigsberg. Vers le milieu de la journée , deux colonnes
ennemies coupées se présentèrent pour entrer dans la place.
six pièces de canon et 3 à 4000 hommes qui composoient
cette troupe , furent pris. Tous les faubourgs de Kænigsberg
furent enlevés. Ony fit un bonnombre de prisonniers.
En résumé , les résultats de toutes ces affaires sont 4 à 5000
prisonniers et 15 pièces de canon.
Le 15 et le 16, le corps d'armée du maréchal Soult fut
contenu devant les retranchemens de Kænigsberg; mais la
marche du gros de l'armée sur Wehlau obligea l'ennemi à
évacuer Kænigsberg , et cette place tomba en notre pouvoir.
Ce qu'on a trouvé à Koenigsberg en subsistances est immense.
Deux cents gros bâtimens , venant de Russie , sont encore tous
chargésdans le port. Ily abeaucoup plus de vins et d'eau-devie
qu'on n'étoit dans le cas de l'espérer.
Unebrigadede la division Saint-Hilaire s'est portée devant
lau pour en former le siége , et le général Rapp a fait partir
44. MERCURE DE FRANCE ,
Brun, ont été blessés . Le général de division Latour-Maubourg
l'a été à la main. Le colonel d'artillerie Desfourneaux , et le
chef d'escadron Hutin , premier, aide-de-camp du général
Oudinot , ont été tués. Les aides-de - camp de l'EMPEREUR ,
Mouton et Lacoste , ont été légèrement blessés.
La nuit n'a point empêché de poursuivre l'ennemi : on
l'a suivi jusqu'à onze heures du soir. Le reste de la nuit ,
les
colonnes qui avoient été coupées ont essayé de passer l'Alle ,
à plusieurs gués. Partout , le lendemain et à plusieurs lieues ,
nous avons trouvé des caissons ,
des canons , et des voitures
perdues dans la rivière.
La bataille de Friedland est digne d'être mise à côté de celles
de Marengo , d'Austerlitz et d'Jena. L'ennemi étoit nombreux ,
avoit une belle et forte cavalerie , et s'est battu avec courage.
Le lendemain 15 , pendant que l'ennemi essayoit de se rallier
, et faisoit sa retraite sur la rive droite de l'Alle , l'armée
française continuoit sur la rive gauche ses manoeuvres pour
le couper de Koenigsberg.
+
Les têtes des colonnes sont arrivées ensemble à Wehlau 9:
ville située au confluent de l'Alle et de la Pregel.
L'EMPEREUR avoit son quartier-général au village de Paterswalde.
Le 16 , à la pointe du jour , l'ennemi ayant coupé tous les
ponts , mit à profit cet obstacle pour continuer son mouvement
rétrograde sur la Russie.
A huit heures du matin l'EMPEREUR fit jeter un pont sur la
Pregel , et l'armée s'y mit en position.
été
Presque tous les magasins que l'ennemi avoit sur l'Alle , ont
par lui jetés à l'eau ou brûlés : par ce qui nous reste , on
peut connoître les pertes immenses qu'il a faites . Partout dans
les villages les Russes avoient des magasins , et partout en passant
, ils les ont incendiés. Nous avons cependant trouvé à
Wehlau plus de six mille quintaux de blé.
A la nouvelle de la victoire de Friedlang , Koenigsberg a été
abandonné. Le maréchal Soult est entré dans cette place , où
nous avons trouvé des richesses immenses , plusieurs centaines
de milliers de quintaux de blé , plus de 20,000 blessés russes
et prussiens , tout ce que l'Angleterre a envoyé de munitions de
guerre à la Russie , entr'autres 160,000 fusils encore embarqués.
Ainsi la Providence a puni ceux qui , au lieu de négocier
de bonne foi pour arriver à l'oeuvre salutaire de la
paix , s'en sont fait un jeu , prenant pour foiblesse et pour
impuissance la tranquillité du vainqueur.
L'armée occupe ici le plus beau pays possible. Les bords de .
la Pregel sont riches. Dans peu , les magasins et les caves de
JUILLET 1807 . 45
Dantzick et de Koenigsberg vont nous apporter de nouveaux
moyens d'abondance et de santé.
Les noms des braves qui se sont distingués , les détails de ce
que chaque corps a fait , passent les bornes d'un simple bulleet
l'état- major s'occupe de réunir tous les faits.
Le prince de Neuchâtel a , dans la bataille de Friedland ,
donné des preuves particulières de son zèle et de ses talens .
Plusieurs fois il s'est trouvé au fort de la mêlée , et y a fait
des dispositions utiles .
L'ennemi avoit recommencé les hostilités le 5. On peut
évaluer la perte qu'il a éprouvée en dix jours , et par suite de
ces opérations , à 60,000 hommes pris , blessés , tués ou hors
de combat. Il a perdu une partie de son artillerie , presque
toutes ses munitions , et tous ses magasins sur une ligne de
plus de quarante lieues. Les armées françaises ont rarement
obtenu de si grands succès avec moins de pérte.
LXXX BULLETIN DE LA GRANDE -ARMÉE.
Tilsit , le 19 juin 1807.
Pendant le temps que les armées françaises se signaloient sur
le champ de bataille de Friedland , le grand-duc de Berg ,
arrivé devant Koenigsberg , prenoit en flanc le corps d'armée
du général Lestocq.
Le 13 , le maréchal Soult trouva à Creutzbourg l'arrièregarde
prussienne. La division de dragons Milhaud exécuta une
belle charge , culbuta la cavalerie prussienne , et enleva plusieurs
pièces de canon.
Le 14 , l'ennemi fut obligé de s'enfermer dans la place de
Koenigsberg. Vers le milieu de la journée , deux colonnes
ennemies coupées se présentèrent pour entrer dans la place.
six pièces de canon et 3 à 4000 hommes qui composoient
cette troupe , furent pris. Tous les faubourgs de Koenigsberg
furent enlevés. On y fit un bon nombre de prisonniers.
En résumé , les résultats de toutes ces affaires sont 4 à 5000
prisonniers et 15 pièces de canon.
1
Le 15 et le 16 , le corps d'armée du maréchal Soult fut
contenu devant les retranchemens de Koenigsberg ; mais la
marche du gros de l'armée sur Wehlau obligea l'ennemi à
évacuer Koenigsberg , et cette place tomba en notre pouvoir .
Ce qu'on a trouvé à Koenigsberg en subsistances est immense.
Deux cents gros bâtimeus , venant de Russie , sont encore tous
chargés dans le port. Il y a beaucoup plus de vins et d'eau- devie
qu'on n'étoit dans le cas de l'espérer.
Une brigade de la division Saint- Hilaire s'est portée devant
lau pour en former le siége , et le général Rapp a fait partir
46 MERCURE DE FRANCE ,
(
deDantzick une colonne chargée d'aller , par le Neirung ,
établir devant Pillau une batterie qui ferme le Haff. Des bâtimens
montés par des marins de la garde nous rendent maîtres
de cette petite mer.
Le 17, l'EMPEREUR porta son quartier-général à la métairie
deDruckein près Klein-Schirau; le 18 , il le porta à Sgaisgirren;
le 19, a deux heures après midi , il entra à Tilsit.
Le grand-duc de Berg , à la tête de la plus grande partie
de la cavalerie légère , des divisions de dragons et de cuirassiers
, a mené battant l'ennemi ces troisjours dernierrss ,, et lui
a fait beaucoup de mal. Le 5º régiment de hussards s'est distingué
; les Cosaques ont été culbutés plusieurs fois , et ont
beaucoup souffert dans ces différentes charges. Nous avons eu
peu de tués et de blessés. Au nombre de ces derniers , se trouve
lechefd'escadron Piéton , aide-de-camp du grand-duc deBerg.
Après le passage de la Pregel , vis-à-vis Wehlau , un tambour
fut chargé par un Cosaque, et se jeta ventre a terre. Le
Cosaque prend sa lance pour en percer le tambour ; mais
celui-ci conserve toute sa présence d'esprit , tire à lui la
lance , désarme le Cosaque et le poursuit.
Un fait particulier qui a excité le rire des soldats , a eu licu
pour la première fois vers Tilsit ; on a vu une nuée de Kalmoucks
se battant à coups de flèches. Nous en sommes fachés
pour ceux qui donnent l'avantage aux armes anciennes sur les
modernes ; mais rien n'est plus risible que le jeu de ces armes
contre nos fusils.
Le maréchal Davoust , à la tête du 5º corps , a débouché par
Labiau , est tombé sur l'arrière-garde ennemie , et lui a fait
2500 prisonniers .
De son côté , le maréchal Ney est arrivé le 17 à Insterbourg ,
y a pris un millier de blessés , et a enlevé à l'ennemi des magasins
assez considérables .
Les bois , les villages sont pleins de Russes isolés , ou blessés ,
ou malades . Les pertes de l'armée russe sont énormes : elle n'a
ramené avec elle qu'une soixantaine de pièces de canon. La
rapidité des marches empêche de connoître encore toutes les
pièces qu'on a prises à la bataille de Friedland : on croit que
le nombre passera 120 .
OS
Ala hauteur de Tilsit , les billets ci-joints nºs I et II , ont
été remis au grand-duc de Berg , et par suite le prince russe
lieutenant-général Labanoff a passé le Niemen , et a conféré
une heure avec le prince de Neufchâtel .
L'ennemi a brûlé en grande hâte le pont de Tilsit sur le
Niemen , et paroît continuer sa retraite sur la Russie . Nous
sommes sur les confins de cet empire. Le Niemen vis- à-vis
;
JUILLET 1807 . 47
Tilsit est un peu plus large que la Seine. L'on voit de la rive
gauche une nuée de Cosaques qui forme l'arrière-garde ennemie
sur la rive droite.
Déjà l'on ne commet plus aucunes hostilités.
Ce qui restoit au roi de Prusse est conquis. Cet infortune
prince n'a plus en son pouvoir que le pays situé entre le Niemen
et Memel . La plus grande partie de son armée , ou plutôt
de la division de ses troupes , déserte , ne voulant pas aller en
Russie.
L'empereur de Russie est resté trois semaines à Tilsit avec
le roi de Prusse. A la nouvelle de la bataille de Friedland , l'un
et l'autre sont partis en toute hâte .
N°. I.
Le général en chef Benningson , à S. Exc. le prince
Bagration.
Mon Prince ,
Après les flots de sang qui ont coulé ces jours derniers dans
des combats aussi meurtriers que souvent répétés , je desirerois
soulager les maux de cette guerre destructive , en proposant
un armistice , avant que d'entrer dans une lutte , dans une
guerre nouvelle , peut-être plus terrible encore que la première.
Je vous prie , mon prince , de faire connoître aux chefs
de l'armée française cette intention de ma part , dont les suites
pourroient peut- être avoir des effets d'autant plus salutaires ,
qu'il est déjà question d'un congrès général , et pourroient
prévenir une effusion inutile de sang humain. Vous voudrez
bien ensuite me faire parvenir les résultats de votre démarche ,
et me croire avec la considération la plus distinguée , mon
prince, de votre excellence,
Le très-humble et très-obéissant serviteur ,
N°. I I.
Monsieur le Général ,
Signé B. BENNINGSON.
M. le général commandant en chef vient de m'adresser une
lettre relativement aux ordres que S. Exc. a reçus de S. М.
l'empereur , en me chargeant de vous faire part de son contenu .
Je ne crois pas pouvoir mieux répondre à ses intentions , qu'en
vous la faisant tenir en original . Je vous prie en même temps
de me faire parvenir votre réponse , et d'agréer l'assurance de
la considération distinguée avec laquelle j'ai l'honneur d'être ,
M. le général ,
Votre très-humble et très-obéissant serviteur ,
Le 6 ( 18 ) juin.
Signé BAGRATION.
48 MERCURE DE FRANCE ,
Lettre de S. M. l'EMPEREUR, et Rot à MM. les Archevêques
etEvêques.
Monsieur l'évêque de..... La victoire éclatante qui vient
d'être remportée par nos armes sur le champ de bataille de
Friedland , qui a confondu les ennemis de notre peuple , et
qui a mis en notre pouvoir la ville importante de Kænigsberg
et les magasins considérables qu'elle contenoit, doit être pour
nos sujets unnouveau motifd'actions de graces envers le Dieu
des armées. Cette victoire mémorable a signalé l'anniversaire
de la bataille de Marengo , de ce jour où tout couvert encore
de lapoussière du champ de bataille , notre première pensée,
notre premier soin fut pour le rétablissement de l'ordre et de
la paix dans l'Eglise de France. Notre intention est qu'au recu
dela présentevous vous concertiez avec qui de droit, et vous
réunissiez nos sujets de votre diocèse dans vos églises cathédrales
et paroissiales , pour y chanter un Te Deum, et adresser
au ciel les autres prières que vous jugerez convenable d'ordonner
dans de pareilles circonstances. Cette lettre n'étant à
d'autre fin , Monsieur l'évêque de....... , je prie Dieu qu'il vous
aït en sa sainte garde. Ecrit en notre campimpérial de Friedland
,le 15 juin 1807. Signé NAPOLEON.
:
FONDS PUBLICS DU MOIS DE JUIN.
DU SAM . 27.-C p. olo c. J. du 22 mars 1807 , 778 500 600 700,750
650750 700 800 ooc oofooc oufooc ooc. ooc . oococ oofooc ooc
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 74f. goc 7 fooc oof
Act. de la Banque de Fr. 1282f 50c. quouf, oooof ooc onc 3
DU LUNDI 29.- Cpour 0/0c. J. du 22 mars 1807 , 770 700800 700450
50c 450 000 000 000 00. 000 000 οοί οι f. 000 000 000 000.
Idem. Jouiss. du22 sept . 1807 , 7f74c. goc . Foc ose
Act. de la Banque de Fr. 12° 5fooc oooof doc. do of
DU MARDI 30. - С p. oo c. J. du 22 mars 1807 , 77f 30c 25€ 30040€
500 000 000.000 000 000 000. oof ooo ooc coc ooc oof oof o00
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 74f. goc oof ooo ooc ooc, 000 000
Act. de la Banque de Fr. 1282f500 128 fooc 0000f. oooof
DU MERCREDI JUILLET Cp.ooc. J. du 22 mars 1807 , 778400506
650 600 700 6 с. 800 75c.oofa cooc ofooc. o f.
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807, 75fo coof. oof ooc ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. 129of 130af50c ocoof oof
DU JEUDI 2. Cp. ooc. J. du 22 mars 1807 : 771700 750 700 500 656
60c 50со соос оос оос оос бос оос осоос 0° C 000 000 000 сос оос
Idem. Jouiss. du 22sept. 1807 , 7 f oof ooc oof ooc oor oofooc
Act. de la Banque de Fr. 131 f. 131af 500.000 f. 00ooof
DU VENDREDI 3. -C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 77f 50c 40c. 50€
400 450 000 000 ooc boc oof oof ooc ooc oof ooc ooc ooc ooc oof one o
Idem Jouiss. du 22 sept. 1807 , 75f 740 900. oof ooc coe
Act. de laBanque de Fr. 1312f 50€ 13151000of
4
5.
(No CCCXII. ).
( SAMEDI 11 JUILLET 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
LE CAPUCIN DEVANT UNE PLANETE ,
cr
PIÈCE INÉDITE DU PÈRE DU CERCEAU .
S'IL est des gens heureux au monde , c'est vous autres ,
» Disoit au Père Luc , très-digne capucin ,
8.
>> Certain notable et pieux citadin :
>> Plus pauvres que jadis n'ont été les Apôtres ,
» Vous ignorez les croix de la nécessité ;
» Et , riches dans votre indigence ,
>> Du sein de la mendicité
>> Vous savez tirer l'abondance.
» J'admire votre austérité ;
» Mais , malgré les rigueurs d'une étroite observance ,
» Jusque dans votre barbe on voit , en liberté ,
» A l'ombre de la pénitence ,
>> S'épanouir une sainte gaieté .
» D'ailleurs , pour le salut , car c'est la grande affaire ,
» Nul risque , entière sûreté :
>> Sevré de toute volupté ,
» Un capucin peut - il mal faire ?
» Il ne peut même être tenté,
» Eh , qui seroit assez hardi pour l'entreprendre ?
» Le Démon ? Bagatelle , il ne s'y jouera pas ;
» Et quand il le voudroit , le pauvre diable , hélas !
» Il ne sauroit par où s'y prendre.
>>
D
cen
50 MERCURE DE FRANCE,
« Il le sait pourtant bien , dit en nazillonant,
» Le Père Luc ; nul homme de ses piéges ,
» Pas même un capucin, tant qu'il vit n'est exempt :
>> Notre Ordre a bien des priviléges ,
> Mais pour celui-là , non; il ne nous est point dû.
>> Songez que c'est un don d'une faveur suprême ,
» Que du troisième ciel l'Apôtre descendu
>> Ne put obtenir pour lui-même ; 1
» Il avoit , nous dit- il , un Ange de Satan ,
>> L'aiguillon de la chair , ce grand , ce saint Apôtre ;
>> C'étoit son fléau , son tyran ,
› Comme à nous , capucins , la gloire c'est le nôtre .
La gloire..... Vous voyez où je veux en venir ;
>> Représentez- vous donc cette estime profonde
>> Que pour notre saint Ordre on a dans tout le monde;
Tous ces talens qu'on voit en nous se réunir ,
>> Celui d'une haute science ,
>> Celui d'une sublime et pompeuse éloquence ,
Que par de grands succès Dieu se plaît à bénir .
>> Enfin , ce zèle ardent , souffrez que je le dise ,
>> Qui de chacun de nous , pour le bien définir ,
>> Fait autant de piliers et d'appuis de l'Eglise ;
>> Et tout ensemble forme , il faut en convenir,
>> Un poids de gloire immense , encor que bien acquise;
>> Mais un poids , après tout , terrible à soutenir .
>> En vain l'humilité gronde et se fait entendre ,
» Elle a beau nous crier : « Homme , tu n'es que cendre !
>> L'orgueil , dans notre coeur , lui réplique soudain :
« Je suis homme , il est vrai , mais je suis capucin ! >>>
>> Voilà pourtant , selon l'oracle évangélique ,
>> Voilà le grand chemin qui conduit en Enfer.
>> L'orgueil , qui perdit Lucifer ,
>> Peut perdre un capucin le plus scientifique.
>> J'ai donc long-temps cherché , dans ma perplexité,
>>>Quelque bonne et sainte pratique
» Pour attérer l'esprit de vanité ,
» Un principe qui fût solide et sans réplique :
» Après avoir bien médité,
>> Je l'ai trouvé dans la physique.
>> J'ai songé qu'il étoit telle planète aux cieux ,
>> Plus grande au moins vingt fois que n'est tout ce bas monde ,
>> Y comprenant la terre et l'onde ,
>> Tout immense , tout grand qu'il paroisse à nos yeux.
> Quoi ce monde , ai-je dit , et ce qui le compose ,
JUILLET 1807 . 51
➡ Devant ces corps brillans devient si peu de chose !
>> Hé , que suis-je donc moi dans tout ce composé ?
>> Ce principe une fois posé ,
» Voici contre l'orgueil , sitôt qu'il m'inquiète,
>> Mon spécifique et ma recette :
>> Vers le plus haut du firmament
>> Je braque en esprit ma lunette ,
>> J'y vois ces vastes corps ; et dans l'étonnement .
>> Où leur grandeur énorme , accablante , me jette ,
>> Je m'abyme dans mon néant ,
>> Et jedis , en m'humiliant ,.
> Qu'est-ce qu'un capuçin devant une planète ?>>
:
"
D'UN
HYMNE
UN CONVALESCENT AU SOLEIL
Je te salue , ô toi dont la chaleur
Vient rappeler mon ame évanouie ,
Etdans mon corps , usé par la douleur , ...
Fait circuler la sève de la vie .
Un jour suffit pour ranimer la fleur
Que sur sa tige Eole avoit fanée ;
J'ai plus souffert....Astre réparateur ,
Brille pour moi plus d'une matinée !
Ca
20
1 i,
Je ne puis plus gravir le mont voisin ,
Où si souvent j'ai devancé l'aurore ,
Ni sur les flots suivre le mât lointain, "
Qui de tes feux le premier se colore.
A
Mais quand tout fuit l'éclat de tes rayons ,
Lorsque le chien, hâletant sous l'ombrage ,
Entr'ouvre à peine un oeil sur ses moutons ,
Seul , dans les champs , je t'offre mon hommage...
Dois je , ô Soleil , tant cherir tes bienfaits !
Il me faudra recommencer la vie....
Moi , je suis seul pour en porter le faix ,
Et j'ai perdu mon père et mon amie .
1
D2
52 MERCURE DE FRANCE,
Quel souvenir est venu m'attrister ! ....
Mais ces regrets pour mon coeur ont des charmes ,
Et je sens trop qu'il est doux d'exister
Pour le plaisir de répandre des larmes .
Hyacinthe GASTON.
ENIGME.
J'HABITE dans les cieux , dans les eaux , sur la terre ,
Dans le centre du feu , mais jamais dans les airs;
L'on me voit en tout temps précéder les éclairs ,
Concourir à former l'orage et le tonnerre.
Sans avoir d'ennemis , je suis toujours en guerre .
Quoiqu'en Chine, en Afrique, et dans toutes les mers ,
Je ne quitte jamais Versailles , ni Tonnerre.
Sans être dans Paris , l'on me voit en tout lieu.
Lecteur , m'as-tu trouvé ? ... Quoi ! pas encore ? Ecoute:
Sans être médecin , je termine la goutte ;
Enfin, prends une fleur, je suis dans son milieu.
LOGOGRIPHE.
Sans ma tête et ma queue , enfant de la douleur,
Je suis souvent encor enfant de l'allégresse;
Avec trois pieds coupés , le poète sans cesse
Et m'invoque et me trouve, et dans sa belle humeur ,
A l'instant même il me marie ;:
Mais souvent il me mésallie;
Et riche et pauvre tour-à-tour ,
Je fais suivre ose à rose , et Sophie à jolie,
も
4
Les plaisirs aux soupirs , un beau jour à l'amour.
1 Avec sept pieds , innocent exercice,
J'ai pu pourtant te mettre un poignard à la main :
D'un ami , d'un rival tu visas droit au sein;
Tu frappas son coeur même ; et sortant de la lice in
Tu fus vainqueur heureux , et non pas assassin.
CHARADE.
21.
MON premier est un gouffre où l'on peut en tout tems
Construire ou consumer cent objets différens.
Du pauvre , mon second est l'unique parure.
Lecteur, crains que mon tout n'arrive à ta monture.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Chandelle.
Celui du Logogriphe est Tamis.
Celui de la Charade est Pot-cau
JUILLET 1807.
53
EXAMEN de l'Opinion de plusieurs Géologues et
Naturalistes : Que les torrens ont creusé les coupures
des rochers où ils ont leur cours. Suivi de
quelques autres Remarques de physique terrestre.
DANS mon Examen de l'hypothèse du chevalier Hall ( 1 ) ,
qui attribue l'origne des couches minérales à l'action d'une
chaleur comprimée sous le poids de couches supérieures , ou
sous celui d'une grande profondeur de la mer , hypothèse
dont j'ai montré toutes les erreurs , j'ai examiné aussi
l'opinion qui attribue à l'érosion d'un courant d'eau les
excavations de quelques couches du mont Salève , qui sont
l'effet d'une dégradation de ces couches , et non point l'ouvrage
de l'érosion d'un courant d'eau .
Je me propose d'examiner à présent , si même des courans
d'eau quelconques peuvent creuser les rochers durs , et
s'y frayer une route , comme l'a pensé M. de Saussure , et
comme le croient encore plusieurs géologues . Ils voient des
torrens couler dans des coupures de rochers : d'où ils tirent
cette conclusion , que les torrens ont creusé ces coupures ; et
cette opinion est presque généralement reçue .
M. de la Condamine , dans la relation de son voyage du
Pérou à la côte du Brésil , en suivant le cours du Maragnon
ou fleuve des Amazones , adoptant cette opinion , dit que
« ce fleuve , après s'être ouvert un passage au milieu de la
» Cordelière , rompt la dernière digue qu'elle lui oppose , en
» se creusant un lit entre deux murailles parallèles de rochers
coupés presque à plomb. » C'est ce fameux et dangereux
passage de deux lieues de longueur , appelé Pongo de
Manseriche.
»
?
Dans son Voyage aux Alpes , M. de Saussure , en parlant
de la perte du Rhone , s'exprime ainsi : « On croiroit , dit-il ,
» que ces rochers , qui paroissent durs sous le_marteau
>> auroient dû mettre un obstacle aux érosions du Rhône , et
» l'empêcher de s'enfoncer davantage ; mais , au contraire ,
» il a pénétré dans ces rochers beaucoup plus avant que
» dans les terres ; il les a même creusés au point de se cacher
» et de disparcître . C'est ce qu'on appelle la perte du Rhône , »
Si les torrens avoient creusé réellement dans les rochers
(1 ) Voyez le Mercure de France du 23 mai.
3
54 MERCURE DE FRANCE ,
les coupures où ils ont leur cours , cet effet devroit continuer
, et c'est ce qui n'arrive point. Ces coupures sont fréquemment
terminées par une coupe abrupte du rocher : le
torrent tombe alors en cascade. S'il eût creusé la coupure
supérieure , cette action ne cesseroit pas : le torrent continueroit
à s'enfoncer , la cascade s'abaisseroit , et il ne resteroit
enfin qu'un canal ou continuité de la fente supérieure
où couleroit le torrent. Cependant le point d'où il se précipite
et forme la cascade ne change pas.Et quand on y réfléchit
, il ne devroit pas même exister une seule cascade : car
si le torrent avoit creusé la coupure qui la domine , cette
action se seroit prolongée sur toute la face du rocher , qui
ne présenteroit alors qu'un canal .
On observe le peu d'action érosive des torrens sur les
rochers durs , lorsqu'ils coulent sur des faces unies : ils n'y
font alors aucune impression. Je le remarquai d'une manière
frappante sur la face d'une montagne très-élevée de la Tarantaise
, qui termine la vallée dite du Glacier, située derrière
le Mont-Blanc , entre le passage des Fours et le col de la
Seigne. Le sommet de cette montagne est couvert d'un glacier
, d'où descendent plusieurs torrens qui se réunissent au
fond de la vallée , et vont , sous le nom d'eau du Glacier , se
jeter dans un autre torrent , et celui-ci dans l'Isère . Ces torrens
, qui sortent du Glacier, coulent avec une très -grande
rapidité ; mais ici , le rocher n'ayant pas de coupure , ils
glissent à la surface sans s'y être creusé de lit. Cependant ces
courans coulent depuis un temps aussi ancien qu'aucun autre
torrent des Alpes. Tout l'effet d'un courant d'eau sur un
rocher dur se réduit , avec le temps , à en polir les surfaces
et en émousser les angles .
On peut en juger soi-même , quand on se baigne dans une
eau courante , et qu'on y reste tranquille. On sent l'eau glis
ser sur la peau , dont le frottement n'est sensible que par le
choc que produit un courant rapide sur un corps qu'il ne
peut entraîner. Tel est de même le choc d'un courant d'air .
Comment , en effet , un fluide aussi mobile que l'eau , dont
les particules roulent les unes sur les autres , qui se prête sur
l'instant à toutes les formes , à toutes Jes inflexion
inflexions , qu'un
souffle agite , pourroit-il frotter avec assez de pression sur
un corps dur , pour l'user d'une manière sensible ?
Lors donc qu'un torrent coule dans la coupured'un rocher,
cette coupure n'est là qu'un accident ; elle existoit avant le
torrent , qui s'y est dirigé , comme à l'endroit le plus bas ,
lorsqu'elle s'est trouvée sur sa route .
On voitdans les montagnes beaucoup de ces coupures sans
JUILLET 1807 . 55
torrent, et l'on en voit aussi dans des rochers moins élevés .
Telle est cette énorme coupure près de Buxton en Derbyshire
, appelée Elden-Hole , qui a plus de 200 pieds de profondeur.
Si elle étoit dominée par une haute montagne d'où
descendit un torrent qui coulât dans son fond , on ne manqueroit
pas de dire : C'est le torrent qui l'a creusée.
Sans doute les fentes où coulent les torrens se dégradent
plus que celles où il n'en coule point. L'eau qui pénètre dans
les fissures du rocher , et qui se gêle en hiver , en détache
de grands morceaux , qui vont encombrer le lit du torrent ;
mais cette cause ne tend pas à le creuser , et ce n'est pas celle
dont il s'agit dans l'hypothèse , non plus que la très-légère
impression que fait sur un rocher la chute d'une goutted'eau .
Les torrens ne se creusent un lit dans les montagnes que
sur les talus de débris des rochers supérieurs : ces matériaux ,
sans liaison , cèdent à l'action d'une eau courante ; et entraînés
par elle , ils vont remplir le fond des vallées . C'est dans ce
premier transport des débris des rochers par les torrens , que
ces débris commencent à prendre une forme arrondie , par
le frottement qu'ils éprouvent les uns contre les autres et sur
le fond où ils sont entraînés , et non pas par le frottement
de l'eau .
La coupure du rocher où le Rhône se perd n'est donc pas
l'effet d'une érosion du fleuve . Il abien pu creuser les couches
de terre , d'argile et de gravier qui couvroient ce rocher ,
dont les bancs horizontaux s'étendent par dessous ces couches;
mais arrivé là , le rocher arrêtoit son action ; et puisqu'il s'y
enfonce, et par un canal aussi étroit , c'est là , comme ailleurs ,
une fente accidentelle .
Pourquoi le Rhône n'auroit-il pas creusé toute la surface
du rocher mise à découvert , plutôt que de concentrer son
action sur une ligne large seulement d'une toise ? Et cette
ligne creusée n'est pas une couche plus tendre du rocher ,
puisqu'elle coupe toutes les couches dans le sens de leur
épaisseur , ces couches étant les mêmes de part et d'autre de
la coupure. Ce n'est donc là qu'une fente accidentelle , qui
doit avoir plusieurs ramifications souterraines . Sans elle , le
Rhône eût coûlé en entier par-dessus la surface découverte
du rocher , et auroit formé une cataracte sur l'endroit où il
ressort .
C'est bien ici où l'on peut remarquer à quoi se réduit l'action
d'une eau courante sur un rocher dur . Quelle que soit la
violence du courant du fleuve , resserré dans un canal aussi
étroit , ce canal est toujours le même; les chocs et les boui!-
lonnemens de cette masse d'eau qui s'y engouffre depuis tant
4
56 MERCURE DE FRANCE ,
de siècles , n'ont fait que polir les surfaces et arrondir les
inégalités .
Les rochers qui bordent ce canal sont à sec dans les basses
eaux, et ces rochers étant abondans en pétrifications marines ,
nous en avons détaché plusieurs mon frère et moi , entr'autres
un nautile d'un pied et demi de diamètre , de l'espèce dont
les cloisons sont découpées en feuilles de persil . La partie de
ces pétrifications qui étoit à découvert à la surface du rocher,
et sur laquelle les eaux du fleuve ont coulé depuis tant de
siècles pendant neuf mois de l'année , est seulement polie ;
les tubérosités et les stries de ces noyaux de coquilles y sont
conservées . Quelques-unes de ces pétrifications présentent
ainsi un singulier contraste : une partie est polie , et la surface
de la partie qui étoit enchâssée dans le rocher a conservé
sa rudesse .
Le pouvoir érosifd'un courantd'eau , qui n'use un rocher
qu'en polissant sa surface , est réduit à bien peu de chose ,
s'il n'est presque nul; et cet effet , tout foible qu'il est , est dû
au menu sable que charie le Rhône depuis la jonction de
l'Arve. On conçoit très-bien que ces petits corps , quoique
durs , ne peuvent pas agir avec plus de puissance , parce que
flottans dans l'eau , où ils n'ont aucun point d'appui , ils
glissent avec elle ; mais ils conservent ce foible degré d'action
que n'auroit pas l'eau toute seule.
Si le Rhône étoit aussi clair dans cette partie de son cours
qu'il l'est au sortir du lac , loin que ses eaux produisissent
la moindre érosion , les rochers se couvriroient de mousses
et de plantes aquatiques , comme on le voit dans sa partie
claire , quoiqu'elle coule avec rapidité .
Non - seulement les excavations des couches du mont
Salève ne sont pas l'effet de l'érosion d'un courant d'eau ,
mais cette érosion imaginée n'est pas possible.
Ainsi le Maragnon , au sortir des Cordelières , n'a pas
creusé le fameux Pongo; mais ayant trouvé sur sa route cette
Jongue et profonde coupure , ily a pris son cours comme à
l'endroit le plus bas .
Les rochers qui causent la chute du Rhin ; celui qui partage
la fameuse cataracte de Niagara , ainsi que tant d'autres
rochers qui brisent le courant des fleuves , seroient déjà
effacés , si l'eau avoit sur les rochers durs l'action érosive
qu'on lui attribue.
Quelques géologues persuadés de la réalité de ces érosions,
mais remarquant cependant que leur action devoit être d'une
lenteur extrême , ont cru voir dans ces coupures de rochers
où coulent les torrens , une preuve de la grande antiquité de
JUILLET 1807.
57
nos continens ; mais il en est de ce fait supposé , comme de
tous ceux cités par les partisans de cette grande antiquité :
lorsqu'ils sont examinés avec attention , cette apparence
s'évanouit pour faire place à une cause toute différente .
Je dois ajouter à la vérité que j'ai établie dans mes précédentes
observations , qu'il n'existe point de courans au fond de la mer ; que les sédimens des fleuves avec lesquels on
fait construire , par ces courans supposés , de nouveaux continens
et de nouvelles montagnes qui paroîtront à leur tour
au -dessus des eaux , que ces sédimens n'arrivent point dans
les profondeurs de la mer ; les flots les repoussent au rivage,
d'où résultent ces attérissemens qui se forment à l'embou-
'chure des fleuves .
Je rappellerai à cette occasion des remarques que j'ai déjà
faites , qu'il peut être utile de présenter de nouveau ; car ,
quoiqu'elles soient attestées par des faits exposés aux yeux de
tous les hommes , on n'y fait que bien rarement attention .
Les plaines riantes de la Hollande aux embouchures de la
Meuse et du Rhin , les lagunes sur lesquelles Venise est
bâtie , et les îles qui l'environnent aux embouchures de
l'Adige et du Pô , les campagnes fertiles de la basse Egypte
aux embouchures du Nil , celles de Bassora aux embouchures
du Tygre et de l'Euphrate , celles du Bengale aux
embouchures du Gange , et tous les autres attérissemens
productifs ou stériles encore , qui étendent la demeure des
hommes , charient les
attestent le sable et le limon
que que
fleuves ne vont pas s'enfoncer sous les flots de la mer pour y former des continens nouveaux, lesquels n'ont d'existence que
dans l'imagination des écrivains qui en font la base de leurs
systèmes.
Ces mêmes attérissemens , dépôts des fleuves , ont été
pris par d'autres écrivains géologues pour l'effet d'une retraite
de la mer, qui , en abandonnant ces côtes , alloit couvrir
d'autres rivages , et faisoit ainsi , de même dans leur imagination
, le tour de la terre , à la suite d'une longue succession
de siècles : car les millions d'années ne coûtent rien ,
faut les accumuler pour établir leur système.
s'il
Les uns ont élevé ainsi , dans le fond de la mer , des continens
futurs avec le sédiment des fleuves qui reste sur le
rivage ; les autres ont regardé l'accumulation de ce sédiment
sur le bord de la mer comme un sol qu'elle abandonne , quoiqu'elle
ne change pas de niveau . C'est ainsi que naissent les
illusions , lorsqu'on n'observe les faits que pour les faire
cadrer à une hypothèse favorite.
On méprend aussi les éboulemens qui arrivent quelquet
54 MERCURE DE FRANCE ,
les coupures où ils ont leur cours , cet effet devroit continuer
, et c'est ce qui n'arrive point. Ces coupures sont fréquemment
terminées par une coupe abrupte du rocher : le
torrent tombe alors en cascade. S'il eût creusé la coupure
supérieure , cette action ne cesseroit pas : le torrent continueroit
à s'enfoncer , la cascade s'abaisseroit , et il ne resteroit
enfin qu'un canal ou continuité de la fente supérieure
où couleroit le torrent . Cependant le point d'où il se précipite
et forme la cascade ne change pas . Et quand on y réflé
chit , il ne devroit pas même exister une seule cascade : car
si le torrent avoit creusé la coupure qui la domine , cette
action se seroit prolongée sur toute la face du rocher , qui
ne présenteroit alors qu'un canal.
On observe le peu d'action érosive des torrens sur les
rochers durs , lorsqu'ils coulent sur des faces unies : ils n'y
font alors aucune impression . Je le remarquai d'une manière
frappante sur la face d'une montagne très -élevée de la Tarantaise
, qui termine la vallée dite du Glacier , située derrière
le Mont-Blanc , entre le passage des Fours et le col de la
Seigne. Le sommet de cette montagne est couvert d'un glacier
, d'où descendent plusieurs torrens qui se réunissent au
fond de la vallée , et vont , sous le nom d'eau du Glacier , se
jeter dans un autre torrent , et celui-ci dans l'Isère . Ces torrens
, qui sortent du Glacier , coulent avec une très- grande
rapidité ; mais ici , le rocher n'ayant pas de coupure , ils
glissent à la surface sans s'y être creusé de lit. Cependant ces
courans coulent depuis un temps aussi ancien qu'aucun autre
torrent des Alpes. Tout l'effet d'un courant d'eau sur un
rocher dur se réduit , avec le temps , à en polir les surfaces
et en émousser les angles.
le
On peut en juger soi -mêine , quand on se baigne dans une
eau courante , et qu'on y reste tranquille . On sent l'eau glisser
sur la dont le frottement n'est sensible peau, que par
choc que produit un courant rapide sur un corps qu'il ne
peut entraîner. Tel est de même le choc d'un courant d'air .
Comment , en effet , un fluide aussi mobile que l'eau , dont
les particules roulent les unes sur les autres , qui se prête sur
l'instant à toutes les formes , à toutes les inflexions , qu'un
souffle agite , pourroit- il frotter avec assez de pression sur
un corps
dur ,. pour l'user d'une manière sensible ?
Lors donc qu'un torrent coule dans la coupure d'un rocher,
cette coupure n'est là qu'un accident ; elle existoit avant le
torrent , qui s'y est dirigé , comme à l'endroit le plus bas ,
lorsqu'elle s'est trouvée sur sa route .
On voit dans les montagnes beaucoup de ces coupures sans
JUILLET 1807 .
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torrent , et l'on en voit aussi dans des rochers moins élevés .
Telle est cette énorme coupure près de Buxton en Derbyshire
, appelée Elden-Hole , qui a plus de 200 pieds de profondeur.
Si elle étoit dominée par une haute montagne d'où
descendît un torrent qui coulât dans son fond , on ne manqueroit
pas de dire : C'est le torrent qui l'a creusée .
Sans doute les fentes où coulent les torrens se dégradent
plus que celles où il n'en coule point . L'eau qui pénètre dans
les fissures du rocher , et qui se gêle en hiver , en détache
de grands morceaux , qui vont encombrer le lit du torrent ;
mais cette cause ne tend pas à le creuser , et ce n'est pas celle
dont il s'agit dans l'hypothèse , non plus que la très-légère
impression que fait sur un rocher la chute d'une goutte d'eau .
Les torrens ne se creusent un lit dans les montagnes que
sur les talus de débris des rochers supérieurs : ces matériaux ,
sans liaison , cèdent à l'action d'une eau courante ; et entraînés
par elle , ils vont remplir le fond des vallées. C'est dans ce
premier transport des débris des rochers par les torrens , que
ces débris commencent à prendre une forme arrondie , par
le frottement qu'ils éprouvent les uns contre les autres et sur
le fond où ils sont entraînés , et non pas par le frottement
de l'eau.
La coupure du rocher où le Rhône se perd n'est donc pas
l'effet d'une érosion du fleuve . Il a bien pu creuser les couches
de terre , d'argile et de gravier qui couvroient ce rocher ,
dont les bancs horizontaux s'étendent par dessous ces couches;
mais arrivé là , le rocher arrêtoit son action ; et puisqu'il s'y
enfonce, et par un canal aussi étroit , c'est là , comme ailleurs ,
une fente accidentelle .
Pourquoi le Rhône n'auroit- il pas creusé toute la surface
du rocher mise à découvert , plutôt que de concentrer son
action sur une ligne large seulement d'une toise ? Et cette
ligne creusée n'est pas une couche plus tendre du rocher ,
puisqu'elle coupe toutes les couches dans le sens de leur
épaisseur , ces couches étant les mêmes de part et d'autre de
la coupure. Ce n'est donc là qu'une fente accidentelle , qui
doit avoir plusieurs ramifications souterraines . Sans elle , le
Rhône eût coûlé en entier par-dessus la surface découverte
du rocher , et auroit formé une cataracte sur l'endroit où il
ressort.
C'est bien ici où l'on peut remarquer à quoi se réduit l'action
d'une eau courante sur un rocher dur. Quelle que soit la
violence du courant du fleuve , resserré dans un canal aussi
étroit , ce canal est toujours le même ; les chocs et les bouillonnemens
de cette masse d'eau qui s'y engouffre depuis tant
4
56 MERCURE DE FRANCE ,
de siècles , n'ont fait que polir les surfaces et arrondir les
inégalités .
Les rochers qui bordent ce canal sont à sec dans les basses
eaux , et ces rochers étant abondans en pétrifications marines ,
nous en avons détaché plusieurs mon frère et moi , entr'autres
un nautile d'un pied et demi de diamètre , de l'espèce dont
les cloisons sont découpées en feuilles de persil . La partie de
ces pétrifications qui étoit à découvert à la surface du rocher,
et sur laquelle les eaux du fleuve ont coulé depuis tant de
siècles pendant neuf mois de l'année , est seulement polie ;
les tubérosités et les stries de ces noyaux de coquilles y sont
conservées . Quelques-unes de ces pétrifications présentent
ainsi un singulier contraste : une partie est polie , et la surface
de la partie qui étoit enchâssée dans le rocher a conservé
sa rudesse .
Le pouvoir érosif d'un courant d'eau , qui n'use un rocher
qu'en polissant sa surface , est réduit à bien peu de chose
s'il n'est presque nul ; et cet effet , tout foible qu'il est , est dû
au menu sable que charie le Rhône depuis la jonction de
l'Arve . On conçoit très -bien que ces petits corps , quoique
durs , ne peuvent pas agir avec plus de puissance , parce que
flottans dans l'eau , où ils n'ont aucun point d'appui , ils
glissent avec elle ; mais ils conservent ce foible degré d'action
que n'auroit l'eau toute seule .
pas
1
Si le Rhône étoit aussi clair dans cette partie de son cours
qu'il l'est au sortir du lac , loin que ses eaux produisissent
la moindre érosion , les rochers se couvriroient de mousses
et de plantes aquatiques , comme on le voit dans sa partię
claire , quoiqu'elle coule avec rapidité .
Non - seulement les excavations des couches du mont
Salève ne sont pas l'effet de l'érosion d'un courant d'eau ,
mais cette érosion imaginée n'est pas possible .
Ainsi le Maragnon , au sortir des Cordelières , n'a pas
creusé le fameux Pongo ; mais ayant trouvé sur sa route cette
Jongue et profonde coupure , il y a pris son cours comme à
l'endroit le plus bas.
Les rochers qui causent la chute du Rhin ; celui qui partage
la fameuse cataracte de Niagara , ainsi que tant d'autres
rochers qui brisent le courant des fleuves , seroient déjà
effacés , si l'eau avoit sur les rochers durs l'action érosive
qu'on lui attribue.
Quelques géologues persuadés de la réalité de ces érosions ,
mais remarquant cependant que leur action devoit être d'une
lenteur extrême , ont cru voir dans ces coupures de rochers
où coulent les torrens , une preuve de la grande antiquité de
JUILLET 1807 . 57
nos continens ; mais il en est de ce fait supposé , comme de
tous ceux cités par les partisans de cette grande antiquité :
lorsqu'ils sont examinés avec attention , cette apparence
s'évanouit pour faire place à une cause toute différente .
Je dois ajouter à la vérité que j'ai établie dans mes précédentes
observations , qu'il n'existe point de courans au
fond de la mer; que les sédimens des fleuves avec lesquels on
fait construire , par ces courans supposés , de nouveaux continens
et de nouvelles montagnes qui paroîtront à leur tour
au -dessus des eaux , que ces sédimens n'arrivent point dans
les profondeurs de la mer ; les flots les repoussent au rivage ,
d'où résultent ces attérissemens qui se forment à l'embouchure
des fleuves .
Je rappellerai à cette occasion des remarques que j'ai déjà
faites , qu'il peut être utile de présenter de nouveau ; car ,
quoiqu'elles soient attestées par des faits exposés aux yeux de
tous les hommes , on n'y fait que bien rarement attention .
Les plaines riantes de la Hollande aux embouchures de la
Meuse et du Rhin , les lagunes sur lesquelles Venise est
bâtie , et les îles qui l'environnent aux embouchures de
l'Adige et du Pô , les campagnes fertiles de la basse Egypte
aux embouchures du Nil , celles de Bassora aux embouchures
du Tygre et de l'Euphrate , celles du Bengale aux
embouchures du Gange , et tous les autres attérissemens
productifs ou stériles encore , qui étendent la demeure des
hoinmes , attestent le sable et le limon charient les
que
fleuves ne vont pas s'enfoncer sous les flots de la mer pour y
former des continens nouveaux , lesquels n'ont d'existence que
dans l'imagination des écrivains qui en font la base de leurs
systèmes .
que
Ces mêmes attérissemens , dépôts des fleuves , ont été
pris par d'autres écrivains géologues pour l'effet d'une retraite
de la mer, qui , en abandonnant ces côtes , alloit couvrir
d'autres rivages , et faisoit ainsi , de même dans leur imagination
, le tour de la terre , à la suite d'une longue succession
de siècles : car les millions d'années ne coûtent rien , s'il
faut les accumuler pour établir leur système.
Les uns ont élevé ainsi , dans le fond de la mer ,
des continens
futurs avec le sédiment des fleuves qui reste sur le
rivage ; les autres ont regardé l'accumulation de ce sédiment
sur le bord de la mer comme un sol qu'elle abandonne , quoiqu'elle
ne change pas de niveau . C'est ainsi que naissent les
illusions , lorsqu'on n'observe les faits que pour les faire
cadrer à une hypothèse favorite.
On méprend aussi les éboulemens qui arrivent quelque58
MERCURE DE FRANCE ,
fois dans les hautes cimes escarpées pour des destructions
qui ne se réparent plus , tandis que ces chutes , en comblant
les enfoncemens , agrandissant la base des montagnes et
arrondissant leurs formes , tendent au contraire à leur donner
plus de stabilité et à favoriser la végétation conservatrice , en
faisant descendre ces rochers nus pour les placer dans son
domaine. Ainsi , loin que les continens actuels se détruisent ,
ils tendent à se perfectionner .
Les comètes , dont la trajectoire très - excentrique les
approche et les éloigne beaucoup du soleil , ont été un autre
moyen employé par quelques géologues pour exécuter par
elles les plans de leur imagination . A leur approche , disentils
, leur masse déplace le centre de gravité de la terre , et la
mer change de lit. Cette hypothèse , qui n'est fondée sur rien
dans la nature , s'écroule de toutes parts pour peu qu'on y
réfléchisse . Les comètes qui , dans la mémoire des hommes ,
se sont le plus approchées de la terre , n'ont produit aucune
altération ni dans son mouvement , ni à sa surface ; elles ont
suivi leur route sans laisser aucune trace de leur passage .
Sur quoi donc repose l'hypothèse ? La main puissante qui
imprima le mouvement aux astres , l'a réglé bien sûrement
de manière qu'ils ne peuvent se nuire dans aucun moment
de leurs révolutions.
Tout annonce que la surface de la térre , telle qu'elle s'est
assise après la grande catastrophe du déluge , qui a mis à
découvert les continens actuels , sera permanente.
Reposons-nous sur la Providence Divine pour la conservation
de son ouvrage. Ses moyens sont plus assurés et plus
efficaces que les pensées des hommes ; et tandis que leurs
passions funestes répandent parini eux le malheur , sa main
toute-puissante ne cesse pas de renouveler ses bienfaits , en
nous faisant jouir chaque année des beautés ravissantes de
la nature , et en nous nourrissant de ses productions .
Genève , le 30 juin 1807 .
G. A. DELUC .
JUILLET 1807 . 59
Pensées de Balzac , de l'Académie Française , précédées
d'Observations sur cet écrivain , et sur le siècle où il a vécu ;
par M. Mersan . Un vol. in-12 . Prix : 2 fr. 50 c. , et 3 fr.
50 c. par la poste. A Paris , chez Potey , libraire , rue du
Bac , nº. 46 ; d'Hautel , libraire , même rue , nº. 122 , près
les Missions ; et chez le Normant.
,
Nous avons eu déjà plus d'une fois l'occasion de parler
de Balzac : nous nous étions plaint de ce qu'on négligeoit
trop cet auteur ; et une édition de ses Lettres choisies
jointes à celles de Voiture , n'avoit pas rempli notre voeu ,
Enfin , M. Mersan vient de prouver que cet auteur , lu avec
précaution , peut être d'unee grande uuttiilité pour ceux qui
veulent se former le goût et acquérir une connoissance approfondie
du génie de notre langue .
Quiconque entreprendroit de réduire Balzac , a dit avec
beaucoup de justesse un critique (1) , pourroit le faire passer
pour un bon écrivain. Descartes , qui se délassoit quelquefois
de ses pénibles spéculations par la culture des lettres ,
enporte le même jugement dans son livre intitulé : Censura
quarumdam epistolarum Balzacii. M. Mersan a exécuté cette
idée. Aussi est-il parvenu à former un corps d'ouvrage
agréable à lire , et très-instructif.
Il ne s'est pas borné aux Lettres de Balzac , le seul de ses
livres qui soit connu aujourd'hui. Il a pris le plus grand
nombre de ses matériaux dans trois ouvrages qui sont peutêtre
plus estimables que les Lettres , mais que différentes
circonstances ont empêché d'avoir la même réputation .
Dans le livre intitulé le Prince , Balzac avoit établi des
maximes absolument contraires à celles de Machiavel : à
une époque où l'on s'occupoit beaucoup de politique , il se
flattoit d'un grand succès ; mais son attente fut trompée.
Peut-être aux yeux de ses contemporains , fort enclins à l'esprit
de faction , ainsi que le prouvèrent les troubles qui suivirent
la mort de Richelieu et celle de Louis XIII , le livre
de Balzac parut-il trop conforme aux anciennes maximes ,
qui sont celles de la raison perfectionnées par la religion ;
et l'auteur ne passa-t-il que pour avoir donné les formes du
style à une doctrine usée et rebattue ? Ce n'est qu'après les
révolutions qu'on sent le prix de ces principes conservateurs
des sociétés , auxquels on revient après les avoir long- temps
(1) L'abbé Desfontaines ,
60 MERCURE DE FRANCE ,
abandonnés , et qui prennent alors l'attrait de la nouveauté.
M. Mersan a donc très-bien jugé que le moment étoit venu
de faire revivre les passages les plus frappans de cet ouvrage ,
absolument oublié. Le Socrate Chrétien a pour but de concilier
la religion avec la philosophie : on voitdans cet ouvrage ,
l'un des meilleurs de Balzac , combien la doctrine chrétienne
est supérieure à celle des anciens philosophes. L'Aristippe
est un livre de politique et de morale : if présente souvent
des observations très-justes sur les moeurs du temps. En les
généralisant , l'auteur a su plus d'une fois , ainsi que La
Bruyère , les rendre utiles pour toutes les époques : elles
sont puisées dans le coeur de l'homme plus que dans les travers
, qui varient suivant les circonstances , les préjugés et
les modes .
M. Mersan observe très-bien que ces trois ouvrages sont
plus estimables pour la justesse de quelques pensées détachées
que pour l'ensemble. Les traditions du temps s'accordent
à dire que Balzac , en étudiant les anciens , formoit
des recueils de leurs pensées les plus saillantes , y ajoutoit
celles que cette lecture lui suggéroit , et finissoit , quand il en
avoit un assez grand nombre , par en composer un ouvrage.
Cette manière n'est pas celle par laquelle on obtient beaucoup
de lecteurs , parce que les idées ne sont pas assez liées
ensemble; mais elle est très-favorable pour les citations .
Elle fournit des passages détachés qui ne perdent rien de
leur agrément et de leur force , quoique séparés du livre
dont ils faisoient partie. M. Mersan a senti cet avantage : il
en a profité.
Nous allons parcourir quelques pensées de Balzac ; et ,
pour qu'on puisse les mieux apprécier , nous aurons soin de
choisir des sujets différens .
Il a expliqué avec beaucoup d'éloquence le miracle de
l'établissement de la religion chrétienne ; on croiroit même
qu'il a fourni à Bossuet l'idée d'une des plus fortes preuves
que ce grand homme opposoit aux incrédules :
« Il ne paroît , dit Balzac , rien ici qui soit de l'homme ,
> rien qui porte sa marque , et soit de sa façon. Je ne vois
» rien qui ne me semble plus que naturel dans la naissance
>> et dans les progrès de cette doctrine. Les ignorans l'ont
>>persuadée aux philosophes : de pauvres pêcheurs ont été
» érigés ea docteurs des rois et des nations , en professeurs
>> de la science du ciel ; ils ont pris dans leurs filets les ora-
>> teurs et les poètes , les jurisconsultes et les mathématiciens.
» Cette république naissante s'est multipliée par la chasteté
> et par la mort ; ce peuple chéri s'est accru par les pertes et
JUILLET 1807 .
61
> par les défaites : il a combattu , il a vaincu étant désarmé.
» Le monde , en apparence , avoit ruiné l'Eglise ; mais elle
» a accablé le monde sous ses ruines . >>
Bossuet a résumé en peu de mots ces belles réflexions de
Balzac. Nous avons déjà cité ce passage dans un de nos derniers
Numéros ; mais nous ne craignons pas de le citer
encore , pour donner une idée de la manière dont un homme
de génie sait s'emparer des idées déjà développées par
d'autres , et leur donner une nouvelle force :
:
« Voilà , dit Bossuet , ce qui fait voir la vocation des
» Apôtres elle montre que l'Eglise est un édifice tiré du
» néant , une création , l'oeuvre d'une main toute-puissante.
» Voyez la structure , rien de plus grand ; le fondement ,
» c'est le néant même. »
Balzac écrivoit à l'époque qui suivit les fureurs de la
Ligue , et qui précéda les troubles de la Fronde . La tranquillité
n'étoit rétablie en France que par la fermeté du
cardinal de Richelieu ; mais tous les élémens de désordre
subsistoient encore. Dans cette situation critique , que tous
les bons politiques ne se dissimuloient pas , il s'étoit formé
une classe d'hommes qui sacrifioient tout à leur intérêt
personnel. Cet égoïsme s'étoit sur-tout répandu parmi les
grands de l'Etat , Balzac en parle avec une justesse qui ne
pouvoit appartenir qu'à un observateur plein de pénétration
et d'expérience ce qu'il dit peut donner la clef d'une
multitude d'inconséquences qui signalèrent la guerre de la
Fronde . Après avoir observé que ces hommes se consoleroient
aisément du naufrage de l'Etat , pourvu qu'ils
eussent un esquif dans lequel ils pussent gagner le port,
et se mettre en sûreté , il ajoute :
<< Toutefois , il ne se peut pas dire qu'ils aient de mau-
» vais desseins contre l'Etat , et qu'ils en desirent la ruine :
» ils se réservent seulement leurs premières et plus tendres
» affections . Hors de leur intérêt , je pense que celui de leur
» maître leur seroit fort cher ; mais le malheur est qu'ils
» ne sont jamais absens de leur intérêt , non plus que d'eux-
» mêmes : ils se trouvent toujours , en quelque lieu qu'ils
» jettent la vue ; leur utilité se présente partout à eux ,
» comme à cet ancien malade , sa propre figure qu'il voyoit
perpétuellement devant lui . Ils ne se peuvent séparer des
» affaires pour les regarder avec quelque liberté de juge-
» ment ; ils ne peuvent tirer de leur ame leur raison toute
» simple et toute pure , sans la mêler dans leurs passions ;
» de sorte qu'encore qu'ils découvrent une conjuration qui
» se forme, ils ne s'y opposent pas néanmoins , de peur
»
62 MERCURE DE FRANCE ,
>> d'offenser les conjurés , et de laisser de puissans ennemis
>> à leurs enfans ; ils n'ont pas enfin le courage de proférer
» une vérité hardie , si elle est tant soit peu dangereuse à
» l'établissement de leur fortune , quoiqu'elle soit très-im-
>>portante au service de leur maître. »
Il y a bien un peu d'embarras et d'affectation dans quelques
parties de cette tirade ; mais si l'on veut examiner la
guerre de la Fronde sous ce point de vue , on conviendra
que Balzac a parfaitement observé le principal vice qui existoitde
son temps dans les premières familles de l'Etat .
Balzac aimoit à établir des paradoxes littéraires ; il montre
dans ces discussions beaucoup d'esprit et de finesse ; et ,
quoiqu'il n'ait pas toujours raison , ses erreurs même sont
utiles , parce qu'elles portent le lecteur à réfléchir . Nous
citerons un exemple de ce goût qu'avoit l'auteur pour s'élever
contre les idées reçues en littérature; on verra qu'il défend
son opinion avec beaucoup d'art .
Jusqu'alors on avoit admiré la hardiesse avec laquelleVirgile
fait l'éloge de Caton , dans sa description du bouclier
d'Enée. Un lieu retiré est consacré aux juges et aux justes ;
ils y sont réunis , et Caton leur donne des lois :
Secretosque pios , his dantem jura Catonem. )
X
Il falloit être bien fin pour trouver dans ce trait jeté presque.
au hasard , un éloge d'Auguste ; cependant Balzac soutient
cette opinion . Voici comment il raisonne :
<<Aprendre la chose à la lettre , dit- il, la maison des
>>Césars pouvoit être offensée de ces paroles , et leur ennemi
>>ne pouvoit être déifié que leur cause ne fût condamnée.
» Mais , à mon avis , Virgile s'entendoit en ceci avec les
>> Césars : sans doute il avoit découvert à Auguste sa fic-
» tion , qui loue en apparence et se moque en effet , qui
> fait voir que la vertu de Caton étoit de l'autre monde et
>>non pas de celui-ci . Virgile vouloit dire finement , et
» d'une manière figurée , qu'il falloit chercher à Caton des
>> citoyens vertueux ; qu'il falloit lui faire un peuple tout
> exprès pour être digne de lui ; que Caton , en un mot
> ne pouvoit trouver sa place que dans une société qui ne se
> trouve point sur la terre>. >
Ces raisonnemens sont peut - être spécieux au premier
coup-d'oeil ; mais il n'est pas difficile de prouver qu'ils
portent presque tous à faux. Auguste ne se trouvoit point
offensé d'une louange donnée à Caton; il étoit trop grand
pour ne pas permettre qu'on estimât , même àsa our , la
fermeté d'un homme qui s'étoit sacrifié à une cause qu'il
JUILLET 1807 . 63
avoit crue juste , et qui n'avoit employé que des moyens
avoués par la vertu la plus sévère. Il n'y a aucune apparence
que Virgile , dans ce passage , ait voulu se moquer de
Caton; ce qui précède et ce qui suit prouve qu'au contraire
il parle très-sérieusement. En effet , le poète , avant
d'en venir à Caton , a loué plusieurs grands hommes , tels
qu'Horatius-Coclès , Manlius , etc.; et la description de la
bataille d'Actium , gagnée par Auguste , suit immédiatement
l'éloge de Caton. Il est donc impossible que cet éloge
soit une ironie.
D'ailleurs , dans un livre précédent , Virgile n'avoit pas
craint de louer encore , d'une manière plus claire , Caton ,
et même les Gracques :
Quiste,magne Cato , tacitum , aut te , cosse , relinquat ?
Quis Gracchi genus ?
Balzac , avec toute sa finesse , auroit eu bien de la peine
à trouver une raillerie dans ce dernier passage ; aussi n'en
fait- il pas mention : ce qui prouve du reste que ces éloges
ne blessoient point le prince , c'est que le sixième livre ,
d'où ce passage est tiré, fut lu devant Auguste et devant
Octavie , sa soeur. On connoît l'effet qu'il produisit sur cette
dernière, et l'on sait quelle récompense le poète obtint pour
avoir fait entrer si délicatement l'éloge de Marcellus au
milieu des louanges prodiguées à presque tous les héros de
Rome.
Nous avons vu que les paradoxes même de Balzac peuvent
être utiles , parce qu'ils forcent le lecteur à réfléchir . Nous
ajouterons qu'ils sont souvent accompagnés de réflexions
très-justes , dont on peut faire son profit en les séparant
des raisonnemens qu'elles servent à appuyer. A la suite de
cette opinion singulière se trouvent des observations excellentes
sur la prétendue perfection à laquelle les philosophes
se flattent d'arriver. Le grand défaut de Caton , comme
l'observe très-bien Balzac , étoit de supposer les hommes
meilleurs qu'ils ne sont , d'afficher une sévérité outrée qui
ne pouvoit que les éloigner de la pratique de ses préceptes ,
et de vouloir des institutions où les víces irrémédiables de
Thumanité n'étoient pas prévus :
<<Tout est foible , dit-il , tout est malade dans les assem
>>blées des hommes. Si vous voulez donc gouverner heu-
>>reusement , si vous voulez travailler au bien de l'Etat avec
» succès , accommodez-vous au défaut , à l'imperfection de
>> votre matière ; défaites-vous de cette vertu incommode
>>dont votre siècle n'est pas capable ; supportez ce que vous
64
MERCURE DE FRANCE ,
N
» ne sauriez réformer ; dissimulez les fautes qui ne peuvent
» être corrigées ; ne touchez point à des maux qui décou
» vriróient l'impuissance des remèdes . »
Ces maximes annoncent une grande connoissance du
monde et des hommes : elles conduisent naturellement
l'auteur à parler des principes sur lesquels la politique doit
être fondée. Presque tous les écrivains qui ont traité ce
sujet se sont accordés à dire que la politique et la morale
devoient agir d'après les mêmes règles , quoique l'application
de ces règles différât quelquefois ; mais il nous paroît
qu'aucun n'a défini mieux que Balzac la différence qui
existe entre la morale privée et la morale publique :
« Souvenez-vous , dit- il , que la raison est beaucoup moins
pressée dans la politique que dans la morale ; qu'elle a
» son étendue plus large et plus libre , sans comparaison
» quand il s'agit de rendre les peuples heureux , que quand
» il s'agit de rendre gens de bien les particuliers .
»
>>
Jusqu'à présent les morceaux que nous avons examinés
sont tirés des trois Traités de Balzac , dont nous avons
donné les titres . M. Mersan n'a pas été moins heureux
dans les extraits qu'il a faits des Lettres de cet écrivain
célèbre : il s'est très- sagement borné aux discussions morales
qui sont de tous les temps ; et l'on doit lui savoir grẻ d'avoir
écarté les tirades de circonstance , dont le style peut être
brillant , mais qui presque toujours ont de l'affectation et
de l'emphase. Voici un morceau sur la vertu des femmes ,
qui mérite d'être cité , par les rapprochemens auxquels
peut donner lieu :
»
« Il est des femmes vertueuses et chastes dont les abords
» sont rudes et difficiles ; il n'y a pas moyen de vivre en
paix avec cette farouche pudicité : je n'en fais pas plus de
» cas que de celle des Furies que les anciens poètes ont
» appelées Vierges , ni ne m'étonne que les femmes de leur
» humeur n'aiment personne , puisqu'elles haïssent tout le
» monde. Cette triste passion remplissant leur ame , il n'y
» reste plus de place pour les passions douces et humaines .
» Elles fuient plutôt les plaisirs par aversion et par dégoût ,
» que par jugement et raison. Pourvu qu'elles soient chastes
» elles pensent avoir le droit d'être malfaisantes . Elles croient
» que de n'avoir pas un vice , ce soit avoir toutes les verius ;
» et qu'avec un peu de renommée qu'elles portent à leurs
» maris , il leur soit permis de les mettre sous le joug , et
» de braver tout le' genre humain . >>
Ces observations , exprimées sur le ton d'un badinage
décent , étoient très-propres à entrer dans une comédie ;
aussi
DE
JUILLET 1807 .
5
.
aussi Molière s'en est-il emparé , mais comme un grand
maître , en les liant à ses sujets : il les a reproduites dans
deux de ses meilleures pièces. Orgon s'étonne qu'Elmire ,
sa femme , n'ait pas montré plus d'indignation quand Tartuffe
lui a fait sa première déclaration. Elimire répond :
Est-ce qu'au simple aveu d'un amoureux transport ,
Il faut que notre honneur se gendarme si fort ?
Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche
Que le feu dans les yeux et l'injure à la bouche?
Pour moi , de tels propos je me ris simplement ;
Et l'éclat là dessus ne me plaît nullement.
Je veux qu'avec douceur nous nous montrions sages ;
Et ne suis point du tout pour ces prudes sauvages
Dont l'honneur est armé de griffes et de dents ,
Et veut au moindre mot dévisager les gens .
Me préserve le ciel d'une telle sagesse !
Je veux une vertu qui ne soit point diablesse ,
Et crois que d'un refus la discrette froideur
N'en est pas moins puissante à rebuter un coeur .
:
Molière s'est encore servi de ces observations dans le premier
acte d'Amphytrion. Cléanthis tourmente Mercure ,
qui a pris la figure de son époux , et lui rappelle qu'elle n'a
cesséddee lui être fidelle. Le faux Sosie lui répond
Ne sois pas si femme de bien ,
Et ine romps un peu moins la tête.
CLÉANTHIS .
Comment ! de trop bien vivre on te voit me blâmer.
MERCURE .
La douceur d'une femme est tout ce qui me charme ;
Et ta vertu fait un vacarme
Qui ne cesse de m'assommer .
:
Tout cela est d'un execllent comique; et l'auteur dramatique
n'avoit pas besoin d'aller plus loin : mais le moraliste ne
devoit pas se borner à se moquer des prudes ; il devoit
passer du badinage au ton sérieux , et montrer toute la
dégradation dans laquelle tombe une femme qui a manqué
à ses devoirs . Balzac remplit très-bien cette obligation .
« J'avoue , dit-il , que la perte de l'honneur est le dernier
>> malheur qui puisse arriver à une femme , et que , l'ayant
>>perdu , elle n'a plus rien à conserver dans le monde; mais
>>il ne s'ensuit pas que de l'avoir conservé , ce soit avoir fait
>>une action héroïque. Je n'ai point oui dire qu'on doive
>> louer une personne de ce qu'elle n'est pas tombée dans
>>le feu , ou qu'elle a évité un précipice. On condamne la
>>mémoire de ceux qui se tuent; mais on ne décerne pas de
> récompense à ceux qui ne se tuent pas et ainsi une
>>femme qui se glorifie d'être chaste , se glorifie de n'être
E
66 MERCURE DE FRANCE ,
» pas morte , et d'avoir une qualité sans laquelle elle n'a
» plus de rang dans le monde , et n'y demeure que pour
» assister au supplice de son nom , et voir l'infamie de sa
» mémoire . »
Après avoir montré les travers dans lesquels une femme
peut tomber , soit par la pruderie , soit par l'excès contraire ,
il étoit naturel que Balzac fît le portrait de l'honnête femme
qui inspire également l'amour et le respect , et dont la sévérité
est tempérée et embellie par la douceur , la modestie
et l'indulgence.
« Une honnête femme , ajoute-t-il , réforme le monde
» par l'exemple de sa vie , et non par la violence de son
» esprit. Elle ne doit déclarer la guerre à personne , pas
» même aux insolens et aux indiscrets ; et , s'il sort de leur
» bouche , en sa présence , quelque parole licencieuse , ou
» en n'y apportant point d'attention , ou en changeant de
» discours , ou en jetant sur eux un rayon de modestie qui
les couvre de confusion , et les pénètre jusqu'à l'ame , elle
les châtie sans les offenser. Il y a je ne sais quoi de sévère
, aussi bien que de doux , dans la modestie , qui est
» même respecté par l'insolence. »>
M. Mersan auroit dû ne pas pousser plus loin cette citation
; le sujet étoit traité complètement ; et Balzac , en
s'étendant davantage , est tombé nécessairement dans les
hyperboles , qui lui sont si familières. L'éditeur ne montre
pas le même goût que dans les autres articles ; il laisse
subsister un paragraphe où Balzac dit que les autres vertus
sont cachées , et n'ont rien de visible qui tombe sous les
sens au contraire , ajoute-t- il , la modestie rend un corps
de lumière , et se lève sur le visage , dans ces belles taches
qu'elle y envoie , avec la pudeur qui est sa messagère ,
comme l'aurore l'est du soleil. Voilà l'abus le plus étrange
des figures. Peut-être M. Mersan a-t-il voulu placer à la
suite d'un des meilleurs morceaux de Balzac , un exemple
des défauts dans lesquels il tombe souvent. Si telle a été son
intention , il auroit dû en avertir par une note.
L'éditeur a bien distribué ses matières ; elles sont divisées
en quatre parties : la religion , la morale , la politique et la
littérature. Souvent les trois premières rentrent les unes
dans les autres ; mais M. Mersan a distingué avec beaucoup
de discernement ce qui appartenoit le plus spécialement à
chacune de ces classes . Il y a dans la partie morale un
morceau d'une assez grande étendue , où Balzac se soutient
fort bien : on n'y trouve presqu'aucune trace d'emphase et
d'affectation . Ce morceau très-curieux traite de la vie privée
des Romains : il présente des rapprochemens heureux , des
JUILLET 1807 . 69
recherches utiles , et des aperçus très-fins sur l'état de la
civilisation pendant le règne d'Auguste. La partie consacrée
à la littérature n'est pas moins intéressante : on y voit les
opinions qui étoient alors en faveur , et l'on remarque cetté
espèce de fermentation dans les esprits , qui annonce les
époques célèbres .
Sous le titre modeste de Considérations préliminaires
M. Mersan a fait un excellent discours , où , ne se bornant
point à parler de Balzac , il donne des vues générales sur les
causes qui ont élevé les lettres à un si haut degré de splendeur
sous le règne de Louis XIV, et sur celles qui ont précipité
leur décadence vers la fin du dix - huitième siècle .
Après s'être étendu sur les principales erreurs de la philosophie
moderne , et après avoir montré que les systèmes de
métaphysique qu'elle a mis en vogue ne peuvent que dessécher
l'imagination et étouffer les talens , il ajoute :
>>
*
<< Tel est cependant le génie des sages du dix-huitième
» siècle , et de ceux-là même qui , après la douloureuse
expérience que nous avons faite de leurs principes en
» révolution , crient encore en ce moment contre l'intolé-
» rance . Plus fière que jamais , la philosophie , autrefois
>> vaincue par la foi , semble vouloir se venger aujourd'hui ,
>> et triompher d'elle à son tour . Hélas , ses tristes victoires
» n'ont été que trop rapides , et ses déplorables succès ne
» sont que trop récens ! Néanmoins , loin de céder à l'évi-
» dence , elle s'érige en juge souverain ; et , citant à son
» tribunal Dieu même , et toutes ces vérités qui furent
>> apportées du ciel , elle entreprend encore , comme le dit
» l'Apôtre , avec les principes et les élémens du siècle pré-
» sent , de juger les objets invisibles et surnaturels du siècle
» à venir. Il faudroit que Dieu , pour se conformer à ses
» caprices , eût soumis tous ses mystères au calcul ; qu'il eût
» réduit en règles de géométrie une religion aussi touchante
» dans ses preuves que dans sa morale , et qu'il vouloit ,
» pour ainsi dire , faire entrer dans l'ame par tous les sens . »
On doit déjà à l'éditeur les Pensées de Nicole , dont l'ordre
et le choix ont été justement loués : celles de Balzac ne
méritent pas moins d'estime sous ces deux rapports. Il est à
desirer que M. Mersan continue à s'occuper de travaux
aussi utiles : nous avons encore un grand nombre d'anciens
livres qu'on ne lit plus , et dans lesquels un connoisseur
exercé pourroit faire une moisson abondante. Un homme
de lettres tel que M. Mersan peut- il employer plus agréablement
et plus utilement ses loisirs , qu'en faisant ainsi part au
public du fruit de ses lectures et de ses recherches ? P.
E 2
68 MERCURE DE FRANCE ,
Correspondance littéraire adressée à S. A. I. Mgr. le grandduc
... de Russie , etc .; par Jean- François La Harpe,
Six vol . in-8°. Prix : 24 fr. , et 32 fr. par la poste. A Paris ,
chez Migneret , imprimeur - libraire , rue du Sépulcre ;
et chez le Normant.
QUEL siècle que celui qui vient de s'écouler ! Tous les
principes du goût méconnus ; tous les auteurs qui avoient
fait la gloire d'un meilleur temps , livrés à la dérision des
écrivains médiocres ; l'éloquence de Diderot mise à la place
de celle de Bossuet ; Boileau jugé et condamné par Marmontel
; toutes les limites des sciences franchies ; toutes les
convenances oubliées ; toutes les vérités de la morale mises
en problème ; toutes celles de la religion bafouées ; tout
bouleversé , tout confondu , et enfin tout détruit : voilà les
traits qui serviront un jour à le caractériser.
Honneur donc , honneur aux écrivains qui , à cette funeste
époque , n'ont point partagé les erreurs communes ,
et qui n'ont soutenu dans tous leurs ouvrages que les grands
principes de la morale et du goût ! Honneur encore , honneur
à ceux qui sont revenus franchement à la vérité , après
l'avoir long-temps méconnue ! De tels écrivains n'auront
pas besoin , pour être célèbres dans la postérité , d'avoir eu
du génie , et d'avoir composé des chefs-d'oeuvre s'ils ne
sont pas comptés entre les grands hommes , si leurs ouvrages
ne sont point placés parmi les modèles de la littérature
, leur gloire sera d'avoir su se préserver de la corruption
générale. A ce titre seul , leur nom ne cessera de commander
le respect ; et jusque dans la postérité la plus
reculée , leurs livres , pourvu que d'ailleurs ils soient bons ,
serviront, non-seulement à charmer les loisirs des gens de
goût , mais à consoler les ames honnêtes de tant de mauvais
livres que cette même époque a vu naître .
Tel fut M. de La Harpe , tel il se présentera à la postérité.
Je ne discute point s'il a été ou non un homme de génie ;
je ne place point ses ouvrages à côté de ceux des Corneille ,
ni des Racine , ni même des Voltaire. Mais il me semble
qu'on pourroit diviser sa vie en deux époques : l'une , où
il a constamment soutenu tous les principes du goût ; et
l'autre , où , en adhérant toujours à ces principes , il a soutenu
tout ce qui est beau , tout ce qui est bon , tout ce qui
est nécessaire ; et il me semble encore que cela doit suffire
JUILLET 1807 . 69
à sa gloire. Cet homme , qui avoit été élevé à l'école des
philosophes , et dont la jeunesse s'étoit , pour ainsi dire ,
nourrie de toutes leurs erreurs , conserva toujours , dans
ces erreurs mêmes , un goût pur , une raison saine , et
l'amour de la vérité . Qu'on lise ses premiers ouvrages ,
les discours même qu'il faisoit dans l'unique objet de
remporter un prix académique , et où il eût été peut-être
excusable de flatter les travers des juges qui devoient le lui
décerner , on verra que s'il y paroît quelquefois philosophe,
ils n'ont pas les défauts qu'entraîne la philosophie . Ses principes
de goût sont ceux qui autrefois avoient fait fleurir la
littérature ; sa morale est celle qui assure la paix des Etats ;
et si sa politique n'est pas toujours irréprochable , du moins
il ne brave pas avec affectation l'autorité tutélaire à l'ombre
de laquelle les lettres avoient fleuri . Je conviens qu'en
louant les grands hommes d'un meilleur siècle , il ne se
montre pas assez étranger aux prétentions fastueuses du
sien ; mais enfin son style est toujours simple et correct : il
ne donne point dans le néologisme , le faux enthousiasme ,
la fausse sensibilité ; et l'on reconnoît que , s'il a été trop
docile aux séductions de Voltaire , du moins il l'a été en
tout ; c'est-à- dire , qu'en adoptant ses fausses maximes , il
en a reçu tout entière cette tradition du vrai goût que Voltaire
avoit reçue lui-même des auteurs du grand siècle , et
qu'il défendit si long - temps et si inutilement contre les
auteurs du sien .
Mais ce qui distinguera toujours M. de La Harpe des
auteurs de son temps , même de ceux qui , après s'être
égarés comme lui , sont , comme lui , franchement revenus
à la vérité , c'est qu'il n'a nulle part montré plus de talent
que dans ses derniers ouvrages , dans ces ouvrages qui sont
tout pleins de l'expression de son regret d'avoir si tard connu
les plus vrais , les plus nécessaires de tous les principes , et
de son desir ardent de les faire connoître aux autres . Que
fut , en effet , M. de La Harpe jusqu'à cette époque si
remarquable pour lui , où il ouvrit tout- à-coup ses yeux à
la vérité ? C'étoit l'auteur de quelques discours couronnés ,
de quelques tragédies dont le succès n'avoit pas été , il s'en
faut, toujours heureux , et de plusieurs articles du Mercure ,
dans lesquels il avoit montré beaucoup de goût et un rare
talent pour les discussions littéraires. Voilà tout ce qu'il fut
tant qu'il ne fut qu'un philosophe ; et ces titres , dont le
dernier étoit , aux yeux des philosophes eux-mêmes , celui
qui l'honoroit le plus , ne paroissoient pas suffisans pour
assurer son immortalité. Mais aussitôt qu'il eut renon é à
3
70
MERCURE DE FRANCE .
Ia philosophie , dès qu'il eut rejeté cette nourriture perfide
dont sa jeunesse avoit été comme empoisonnée , son talent
grandit et se développa comme de lui-même : ce futtout- àcoup
un des premiers écrivains de son siècle , un homme
dont l'autorité égala celle de Boileau , un juge souverain
de la littérature , et dont les jugemens furent sans appel .
Ainsi , par un concours singulier de circonstances , M. de
La Harpe réalisa à plus de cinquante ans les espérances
qu'il avoit fait concevoir à vingt; il ne les réalisa qu'en se
faisant un nouveau caractère et une nouvelle ame : il les
réalisa si bien , qu'il fit presque oublier ses premiers ouvrages
. Maintenant , lorsqu'on voudra l'appeler d'un nom
qui fasse connoître toute l'étendue de son talent, on ne dira
plus l'auteur de Warwick et de Mélanie , encore moins celui
de l'Eloge de Catinat ; on dira l'auteur du Cours de Littérature
, ou le poète qui a chanté le triomphe de la religion .
J'ai rendu justice aux premiers efforts que fit M. de La
Harpe pour maintenir les lois du bon goût ; je voudrois
pouvoir encore mieux louer ceux qu'il fit dans les dernières
années de sa vie, pour nous rappeler à des lois bien autrement
importantes. Combien il me paroît grand lorsque
resté seul de son siècle , seul debout au milieu des ruines ,
qui étoient tout ce que ce siècle nous avoit transmis , il
déplore , comme le prophète , les malheurs dont il a été le
triste témoin ; qu'il en développe les causes , et qu'il en
montre d'avance la fin dans le discrédit général où sont
tombés les déclamateurs au milieu desquels il avoit été
élevé ! Combien les efforts qu'il fait pour hater ce moment
me paroissent louables ! Cependant, ce n'est point son Cours
de Littérature tout entier que j'admire le plus , ce Cours sì
long , et d'ailleurs si rempli de jugemens hasardés et de
souvenirs qu'il auroit dû oublier ; ce sont sur-tout les discours
que cet ouvrage renferme , et , plus qu'aucun autre ,
celui qui fut prononcé dans une des séances solennelles du
Lycée. O temps ! On fut alors étonné du courage de M. de
La Harpe ; on applaudit avec transports à son éloquence
et aux nobles regrets qu'il témoignoit sur les ruines accumulées
, et des autels , et des tombeaux , et des sociétés littéraires.
Et maintenant on prononce encore des discours dans
ce même Lycée , et on les applaudit peut- être encore ; mais
ce n'est plus le même esprit qui les anime , et ils ne sont
plus remplis des mêmes regrets . Qu'est-ce qui a donc changé
autour de nous ? Est-ce la vérité ? Est-ce l'esprit public?
Non , c'est l'orateur seul qui a changé ; et la vérité est devenue
une seconde fois l'objet de la dérision des déclamateurs .
JUILLET 1807 . 71
Je crois avoir suffisamment témoigné combien je respecte
la mémoire de M. de La Harpe , et combien j'admire surtout
ses derniers ouvrages . Maintenant , il doit m'être permis
de le dire avec franchise : ce Recueil de lettres n'auroit
jamais dû voir le jour. Pourquoi M. de La Harpe les écrivitil?
Quel fut son objet en les faisant connoître au public?
Par quel motif n'en publia-t-il d'abord que les premiers
volumes ? Enfin , pourquoi les éditeurs dépositaires de sa
confiance ont- ils attendu si tard pour faire imprimer les derniers
? Ce sont des questions que je ne me flatte pas de
résoudre : si je les fais , c'est qu'elles me fourniront
naturellement l'occasion de donner quelque idée de ce
Recueil .
Ces sortes de correspondances ont toujours un but plus
ou moins digne d'excuse , et rarement digne d'éloges . Il
est triste de penser que M. de La Harpe , tout comme un
autre , n'a pu être déterminé que par un vil intérêt à faire
chaque semaine , pour le grand-duc de Russie , la gazette
scandaleuse de notre littérature . Que cet auteur ait été d'abord
très-flatté d'avoir un commerce suivi de lettres avec un grand
prince, cela se conçoit ; ce qui me paroît difficile à concevoir
, c'est qu'il ait écrit peu à peu cinq gros volumes de
Lettres sans autre but que la petite satisfaction de dire qu'il
les écrivoit. Je conçois encore moins le mépris qu'il témoigne
dans sa préface , pour Thiriot et tant d'autres qui
entretenoient des correspondances pareilles avec des princes
d'Allemagne. En effet , quelle raíson avoit-il pour ne pas
craindre qu'une partie au moins de ce mépris retombât sur
lui ? Avoit-il un motifplus noble qu'eux tous , en écrivant
ces lettres ? Et si la vérité seule leslui dictoit , la vérité estelle
ici une excuse suffisante de tout le mal qu'il pouvoit
faire à ceux qu'il y jugeoit tous les jours? Lorsqu'on parle
à un prince , et qu'on l'entretient sans cesse des ouvrages et
des actions des gens de lettres , on ne s'expose pas seulement
à flétrir leur réputation , qui est ( il faut le croire au moins )
le premier des biens pour eux ; on s'expose encore à renverser
leur fortune , leurs espérances de toute espèce ; et ce
dernier danger me semble le plus terrible qu'un honnête
homme puisse courir : il est beau dans un sens , mais dans
un autre il est terrible de dire toujours la vérité.
Je m'exprimerois peut-être différemment , si M. de La
Harpe avoit été , comme Thiriot , un particulier obscur et
sans importance. Mais un académicien déjà connu par de
bons ouvrages , un homme dont chaque censure pouvoit
paroître un arrêt , un des chefs , enfin ,de notre littérature ,
4
7.2 MERCURE DE FRANCE ,
ne pouvoit se charger d'en donner les nouvelles à un grand
prince , qu'autant que cet emploi lui auroit fourni l'occasion
de protéger les lettres , et de rendre quelque service à ceux
qui les cultivoient. Si tel fut le but de M. de La Harpe ,
qu'on me dise donc pourquoi ses lettres contiennent tant
de critiques et si peu d'éloges , des critiques si sanglantes ,
et des éloges si modérés ? ::
Quand on a lu ces critiques si peu mesurées , si tranchantes
, jamais motivées , dont M. de La Harpe a rempli
ses lettres , on est étonné qu'il ait osé y parler des journaux ,
et en parler avec mépris . Cependant , quand nous faisons la
censure d'un ouvrage , nous la faisons en présence du public
qui nous juge , et de l'auteur qui peut nous répondre. Nous
ne nous cachons pas dans l'ombre , pour faire sans péril une
critique qui seroit inutile , par cela seul qu'elle seroit ignorée .
Nous avons , du moins nous pouvons avoir , en la faisant ,
un motif louable , qui est de rappeler les auteurs aux vrais
principes du goût , et quelquefois à des principes bien autrement
importans que ceux du goût. Comment se feroit-il
que des pareilles censures fussent dignes de mépris , et que
celles de M. de La Harpene le fussent pas ? S'ily a quelque
différence entre lui et nous à cet égard, elle est toute à notre
honneur : nous sommes obligés de motiver nos jugemens ,
et il se dispensoit de motiver les siens ; il écrivoit secrètement
à un prince , et nous parlons publiquement aux auteurs
eux-mêmes. D'ailleurs , ceux que nous censurons ne
sont pas nos amis , nos collègues ; nous ne siégeons pas avec
eux dans les sociétés littéraires ; et si dans nos critiques nous
remplissons quelquefois de tristes devoirs , nous n'en violons
aucun tant que nous sommes justes , et que nous ne disons
que la vérité. Mais comment M. de La Harpe pouvoit-il
s'excuser à ses propres yeux , lorsqu'il censuroit ces mêmes
auteurs avec lesquels il vivoit familièrement , et qu'il les
censuroit sans qu'ils pussent en rien savoir ? Pour moi , qui
suis très-loin de me comparer en aucune manière à M. de
La Harpe , il me semble que je ne ferois pas la censure
d'un mauvais ouvrage dont l'auteur seroit lié ave moi par
de simples rapports de société. Et M. de La Harpe , académicien,
ne croyoit manquer à aucune sorte de convenance ,
lorsqu'au sortir de l'Académie , il alloit sévèrement censurer
dans une lettre cette même séance dans laquelle il
avoit été acteur .
Je demande en second lieu , par quel motif il a pu se
déterminer à faire imprimer ces lettres? Chacune d'elles est
en général correctement écrite ; les critiques qu'elles ren
JUILLET 1807. 73
ferment sont justes ; mais suffit-il d'écrire correctement et
d'être juste , pour faire un livre qui vaille la peine d'être lu ?
Elles ne renferment d'ailleurs aucune pensée qu'on puisse
retenir avec quelque satisfaction ; et ces critiques n'ont ordinairement
pour objet que des livres ou des auteurs depuis
long-temps ignorés , ou tombés au-dessous de toute censure.
Ce qu'il y a même de plus singulier , ce n'est pas que sur
vingt censures on y rencontre à peine un éloge , c'est que
l'éloge y est presque toujours donné à un ouvrage dont
personne ne se souvient plus. Quelle gloire l'auteur du
Cours de Littérature pouvoit-il donc espérerde la publication
de ces lettres ? Après avoir érigé à la critique un si vaste
etun si beau monument, pourquoi a-t-il voulu nous faire
connoître encore ses petits tas de terre et de bone , dont il
marquoit le passage de tant d'auteurs et detant de livres qui
n'étoient faits que pour être oubliés ?
Et M. de La Harpe méprise les journaux! Il en est şans
doute qu'on pourroit lui abandonner : assurément je ne
pense pas àdéfenaddrree ,, ni leJournal ( il ne dit pas le Courier)
Français , dont il censure jusqu'au titre , attendu , dit- il , que
les autres ne sont pas iroquois ; ni le nouveau Courier des
Spectacles écrit , dit-il , d'un style de porteur de chaises , dont
l'auteur fort obscur etfort ignore paroît vouloir se signaler
pardes scandales. Nous ajouterons même avec lui, que toutes
ces insipides futilité's ne sont pas dignes d'occuper les regards .
Mais avant de lui passer son mépris pour les journaux vraiment
littéraires , il faudroit que nous pussions oublier que
lui-même , pendant une grande partie de sa vie , n'eut pas
de meilleur titre à la considération publique , que les articles
qu'il faisoit pour le Mercure , et que presque tous les écrivains
distingués de son siècle et du nôtre ont commencé par
écrire dans les journaux ; enfin nous voudrions qu'il eût exprimé
ce mépris ailleurs que dans un livre qui estlui-même ,
non pas un journal , mais une gazette.
Il paroîtra peut-être étonnant que M. de La Harpe , tant
de fois accusé lui-même en sa qualitéde journaliste , se soit
mis à son tour , en sa qualité d'écrivain , parmi les accusateurs
. Ce qu'il y a de bien plus étonnant , c'est que de
tous les reproches qu'on fait aux journaux , il n'en est pas un
qu'on ne puisse faire , et plus justement , à ces lettres .
Etd'abord ses critiques sont dures , tranchantes , toujours
écrites du style le plus méprisant. S'il parle d'un médiocre
poète, c'est un M. Lemercier, un M. de Caux , un
M. d'Eglantine; d'un mauvais auteur , c'est un M. Morel ,
un M. Duverney; toujours un; et quoique toutes ces unités
74 MERCURE DE FRANCE ,
se soient maintenant à-peu-près réduites à zéro , on pourroit
desirer qu'un critique honnête n'eût pas commencé par
verser sur le nom même de tant d'auteurs le mépris qu'il
devoit réserver pour leurs ouvrages. Ecoutons-le : « Le monu-
> ment de délire et d'audace le plus curieux , est sans con-
>> tredit une lettre d'un chevalier de Cubières contre Boileau . »
Et ailleurs : « Un M. Chénier ( c'est le même qui professe
>>actuellement la littérature à l'Athénée ) , jeune aspirant
» qui fait profession d'un grand mépris pour nos meilleurs
>> écrivains , afaitjouer à Fontainebleau une tragédie d'Azé-
» mire, qui a été outrageusement sifflée depuis le commen-
> cementjusqu'à lafin. » Et ce n'est pas seulement contre des
auteurs tels que M. de Cubières ou M. de Chénier que M. de
LaHarpe s'élève avec cette dureté : s'il parle de d'Alembert ,
c'est pour apprendre au grand-duc qu'il ennuie , qu'il vieillit ,
et qu'en vieillissant il contracte de l'humeur. La manière
dont il lui parle de M. Morellet n'est pas plus flatteuse : s'il
Jui rend compte de son discours de réception , c'est pour dire
que ce discours est long, que la marche est pesante , que
le style est monotone ; qu'en général l'auteur pense sagement,
et écrit avec correction , mais que sa composition est
froide et inanimée , et qu'il ne faut pas qu'un philosophe
expose la raison au malheur d'ennuyer. Maintenant , je
demande en quoi ces jugemens diffèrent de ceux qui ont été
souvent portés sur les mêmes hommes dans les journaux ;
et s'il se trouve que ceux-ci sont mieux motivés , et souvent
moins durs , quelle raison M. de La Harpe pouvoit - il
avoir de déprécier ceux des journaux , et de se glorifier des
siens?
D'ailleurs , si le style de ces lettres est soigné , il ne l'est
pas tellement qu'on ne puisse y trouver plusieurs incorrections.
Me permettra-t-on de faire observer que le titre
même que M. de La Harpe a donné à son Recueil est une
expression très-impropre? Une Correspondance se compose
des lettres qu'on a écrites , des réponses qu'on a reçues. II
suit de là qu'en faisant imprimer ses ettres seules, il ne
devoit point les intituler Correspondance , encore moins
Correspondance adressée , etc .; car on adresse des lettres ,
et on n'adresse pas une correspondance. Il y a des mots
dout l'application paroît encore plus extraordinaire : par
exemple , je crois qu'il n'est point permis d'appeler M. Delille
un excellent écrivain , et un bon paysagiste ; c'est un
grand poète , qui a peint et très-bien peint autre chose que
des paysages . Mais M. de La Harpe vouloit amener une
opposition entre le paysagiste et le peintre d'histoire ; et on
JUILLET 1807 . 75
-sent bien que le peintre d'histoire c'est lui . Ce qu'il y a
dedéplorable dans unjuge aussi excellent des ouvrages des
autres , c'est qu'il se croyoit un bon peintre d'histoire , parce
qu'il avoit fait une tragédie des Barmécides , qui avoit été
fort applaudie dans les sociétés de Paris , et qui ( comme
cela arrive souvent ) ne le fut point ailleurs. La raison
qu'il avoit pour croire cette tragédie bonne , n'est pas moins
singulière que tout le reste : c'est qu'elle avoit fait pleurer
tous les Russes qui étoient à Paris .
En général , quoique les jugemens que M. de La Harpe
porte dans ce Recueil soient ordinairement justes , ils ne
méritent pas autant de confiance que ceux qu'il a portés
dans son Cours de Littérature. Dans ce dernier ouvrage ,
s'il a trop loué Voltaire , il n'a eu en cela que le tort de
trop s'abandonner aux illusions de la reconnoissance . Dans
celui-ci , il ne s'oublie pas assez lui-même , et la vanité
d'auteur lui fait adopter quelquefois des principes faux , ou
qui n'ont jamais été soutenus par aucun bon critique ,
excepté par lui. Il faut en citer un exemple. Dans une de
ses lettres , il annonce que n'ayant aucune nouvelle intéressante
à donner , il parlera , dans la suivante , du drame et de
ses règles , Ainsi , ce n'est point sansy avoir réfléchi qu'il traite
de cette espèce de pièces, qui ne sont nidu genre tragique ni
du genre comique , et qui sont nées , comme le pensent tous
les gens de goût , de l'impuissance de réussir dans l'un ou
dans l'autre. Ce n'est donc pas non plus sans y avoir pensé
qu'il affirme , dans la lettre suivante , qu'il est faux que le
rire soit le ressort unique et essentiel de la comédie. Dans son
Cours de Littérature , il avoit sagement avoué que le genre
du drame étoit inférieur aux deux autres . Dans ses lettres ,
il semble vouloir prouver qu'un bon drame vaut une bonne
comédie . On reconnoît ici l'auteur de Mélanie et on gémit
qu'un homme aussi sage ait été pour ainsi dire égaré
par ses propres exemples. Maintenant on ne sera pas surpris
qu'en parlant de Nanine , il ait dit : « Ce n'est qu'avec le
>>temps qu'on sentit le charme de cet ouvrage. »
?
Je pourrois pousser plus loin le parallèle entre les jugemens
qui sont portés dans son Cours de Littérature , et
ceux qu'il porte dans ses lettres ; j'aurois plus d'une différence
à y faire observer. Qu'il me suffise d'en releverune
qui est assez remarquable. Excepté les éloges exagérés
qu'il donne dans son Cours à quelques ouvrages de Voltaire
, qui sont d'ailleurs ses plus beaux et de très-beaux
ouvrages ; excepté , dis-je , ces éloges , qu'on réduit facilement
à leur juste valeur , tous les jugemens qu'il y porte
76 MERCURE DE FRANCE .
ont été sans appel . Dans ses lettres , au contraire , on en
trouve plusieurs qui ont été cassés dès son temps même :
par exemple , il croit que la tragédie-opéra cessera bientôt
de plaire; et ce qu'il y a de bien singulier , c'est qu'il dit
cela à propos d'Edipe à Colonne. Selon lui , les malheurs ,
les plaintes, les ressentimens d'Edipe , sont d'une monotonie
fatigante , que l'on sentira nécessairement quand la
mode de vouloir des tragédies à l'Opéra sera passée comme
tant d'autres . On auroit pu répondre à M. de La Harpe ,
que cette mode nous vient des Grecs , dont les tragédies
n'étoient en effet que de très-beaux opéras , et que , toute
vieille qu'elle est , elle ne semble pas prête à passer. D'ailleurs
, Edipe à Colonne est encore aujourd'hui le chefd'oeuvre
des opéras , et , grace à la beauté de sa musique ,
on n'a pas encore l'air d'en être fatigué.
১)
Une des lettres qui m'ont le plus étonné dans tout ce
Recueil , c'est celle par laquelle il apprend au Grand-Duc ,
que « les comédiens ne sachant de quoi s'aviser pour rame-
>>ner le public , se sont avisés d'annoncer Athalie avec des
» choeurs chantés . Cette nouveauté , ajoute - t - il , déjà
>>essayée ..... il y a vingt ans , n'avoit eu aucun succès.....
On ne vit qu'une froide bigarrure , un amalgame de
> mauvais goût qui gâtoit deux arts en voulant les unir , la
» musique et la déclamation.>> Comme il n'est pas possible
de supposer que M. de La Harpe ignorât que cette froide
bigarrure étoit une des conceptions du grand Racine , et
que cet amalgame de mauvais goût avoit été imaginé par
celuide tous les poètes français dont le goût a été le plus
délicat , on ne peut s'empêcher d'être étonné des expressions
qu'il emploie en cette occasion. Il seroit cependant
difficile de croire que l'auteur d'Athalie eût voulu composer
pour cette tragédie des choeurs qu'il n'auroit pas voulu faire
chanter.
Il suit de tout ce que je viens de dire , que ces
lettres , quoiqu'elles soient d'un homme profondément
instruit dans la littérature , ne sont pas exemptes d'erreurs
ou de jugemens hasardés . D'ailleurs , les formes
en sont peu variées. Quand M. de La Harpe a dit : Il
paroît un ouvrage , on vient d'imprimer ou de publier un
ouvrage , il a tout dit ; il ne sortira pas de ces tournures . Ce
qui s'ensuit encore , c'est qu'elles n'ont pas , comme critiques,
le mérite des bons articles de journaux , et qu'elles ont
encore moins , comme lettres , celui qu'on s'attend à trouver
dans cette sorte d'écrits . M. de La Harpe n'y cause pas : et
en cela il a tort , puisqu'une bonne lettre n'est qu'une
JUILLET 1807 . 77
conversation écrite. Il n'y disserte pas non plus : et il a tort
encore; car M. de La Harpe ne plait parfaitement , du
moins en prose , que lorsqu'il disserte. Ses lettres sont sans
grace , sans mouvement , sans variété , et ses critiques sont
sans motifs; telles peut-être qu'il les falloit à un prince
quine lui demandoit que des résultats , mais bien éloignées
par cela même de ce qu'elles auroient dû être pour plaire
au public français. Quelle raison , je le répète encore , a
donc pu engager M. de La Harpe à les faire imprimer ?
La même peut-être qui le détermina à ne publier d'abord
que les plus anciennes. Ici je ne formerai encore qu'une
conjecture; et je ne m'abandonne pas à la première qui se
présente à mon imagination ; je cherche , au contraire ,
celle qui peut faire le plus d'honneur aux intentions de
M. de La Harpe , ou qui peut fournir quelques motifs de
l'excuser . Cet auteur étoit , vers la fin de sa vie , environné
d'ennemis qui se plaisoient à lui rappeler les erreurs de sa
jeunesse ; il voulut peut-être prouver , par ses lettres , qu'il
n'avoit jamais été assez philosophe pour ne pas sentir les
torts de la philosophie : ce qu'il y a de sûr , c'est que ,
dans ses jugemens , il ne ménage pas plus d'Alembert et
M. Morellet , que Gilbert ; et on voit bien que s'il s'élève
de toutes ses forces contre M. Chénier , ce n'est point
parce qu'il a été loué dans l'Année Littéraire ; c'est parce
qu'il a fait Azémire , Charles IX , Henri VIII. Mais
enfin ces lettres , telles qu'elles étoient , contenoient des
critiques violentes contre tous les auteurs vivans ; et M. de
La Harpe ne devoit pas s'attendre qu'elles feroient cesser
les cris qui s'élevoient déjà de toutes parts contre lui. Il
étoit probable qu'après lui avoir reproché ses erreurs en
philosophie , on ne manqueroit pas de relever avec plus de
violence les torts qu'il s'étoit donnés au commencement de
la révolution. Il fit donc imprimer ses premières lettres ; il
donna à ses ennemis la petite satisfaction d'exhaler toute
leur fureur . Peut-être se réservoit-il à lui-même celle de
montrer , quand ils auroient tout dit contre lui , que tout
ce qu'ils avoient dit étoit faux; et que , dans le fond , il
n'avoit jamais beaucoup admiré ni la révolution, ni la
philosophie :
»
« Il est certain , dit-il , dans une de ses dernières lettres ,
que la révolution a précipité la décadence du goût, jusqu'à
>> son dernier terme, en ouvrant la carrière à une foule de
» misérables déclamateurs qui s'imaginent que la licence et
>> l'exagération tiennent lieu de talent. Sur cent faiseurs de
> brochures , il n'y en a pas dix qui sachent même cons
78 MERCURE DE FRANCE ,
> truire une phrase ; et comme ces brochures se vendent
>> plus ou moins , grace à l'esprit de parti , pour qui tout
>> est bon , les plus ineptes et les plus grossiers barbouilleurs
>> sont encouragés par le succès. » Je voudrois pouvoir citer
ici tout ce qu'il dit des tragédies de Charles IX , de Calas ,
de Henri VIII; enfin de cette foule de rapsodies dramatiques
qui jouirent , à l'époque de nos troubles , d'une gloire
éphémère , et qui n'en pouvoient jouir que dans de pareils
temps. Mais on ne peut tout citer. Il me suffira de dire
que si , dans lapartie littéraire du Mercure , où il auroit dû
ne s'occuper que de la littérature , M. de La Harpe admiroit
un peu trop la révolution qui s'étoit faite dans l'Etat ,
en écrivant au Grand-Duc qui lui permettoit , comme il le
dit lui-même , de s'occuper de questions politiques , il ne
songe qu'à s'élever contre celle qui s'étoit faite dans les
lettres . Et cela même me paroît une singularité que je ne
devois pas manquer de faire observer .
Je voudrois maintenant trouver la raison qui a déterminé
les éditeurs à publier si tard les derniers volumes de ce
Recueil. Etoient-ils effrayés de cette quantité d'ouvrages
dont les auteurs sont encore vivans , et qui sont ici censurés
, poursuivis avec tout l'acharnement dont M. de La
Harpe seul étoit capable ? Y avoit-il , parmi ces auteurs ,
des hommes qu'ils pussent craindre d'offenser ? Mais il y
un moyen facile de les calmer ; et comme il paroît
que ce moyen a été pris , je ne vois pas pourquoi on n'y
auroit pas eu recours quelques années plutôt.
avoit
Le sixième et dernier volume deces lettres est presque
entièrement rempli par une table alphabétique de noms
d'auteurs et de titres d'ouvrages . J'ai cru d'abord que cette
table étoit uniquement destinée à former un tome de plus ,
qui auroit pour Jes libraires le grand avantage d'être vendu
comme un tome de M. de La Harpe. Je me suis convaincu
ensuite qu'elle étoit véritablement utile. On pourra lire ces
lettres ; on ne les relira pas . Le moment de leur nouveauté
une fois passé , on les gardera pour les consulter au besoin ,
et savoir ce que leur auteur a pensé de tel auteur ou de tel
ouvrage qui n'aura duré qu'un moment. Cette table alors
sera nécessaire. Par son moyen , ce Recueil deviendra
comme un dictionnaire de censures ; et c'est à-peu-près
tout ce qu'il sera dans quelques années .
GUAIRARD .
JUILLET 1807 . 79
De la Vertu; par Sylvain Maréchal , auteur du Dictionnaire
des Athées. Précédé d'une Notice sur cet écrivain , et suivi
du Livre de tous les Ages , par le même auteur. Avec cette
épigraphe :
Disce omnes .
. Ab uno
Un vol. in-8°. Prix : 5 fr. , et 6 fr. 50 cent. par la poste.
A Paris , chez L. Collin , lib . , rue Git- le-Coeur.
Ily a des fous de plus d'une espèce : les plus dangereux
ne sont pas ceux qui frappent et qui brisent tout ce qu'ils
rencontrent ; on les a bientôt mis hors d'état de nuire , et les
effets de leur démence ne s'étendent jamais au-delà du petit
cercle dans lequel ils peuvent agir. La folie des philosophes
athées , qui se mêlent d'écrire et de répandre leur doctrine ,
est bien plus funeste. Elle attaque le principe de toute
morale ; elle déchaîne toutes les passions ; elle arme tous les
bras ; elle excite tous les hommes à s'entredétruire , parce
que , n'ayant plus de frein et plus de garans de leurs intentions
, il devient de l'intérêt de chacun de chercher son bienêtre
et son salut dans l'oppression , dans la ruine ou dans la
mort de son voisin. Elle tend visiblement et bien certainement
à la barbarie et à l'extermination de la race humaine.
Ala place de Dieu , ces philosophes nous présentent la
nature , la raison ou les lois; mais la nature elle-même ,
donnant aux hommes les mêmes besoins , les met constamment
en opposition d'intérêts ; la raison , également accordée
à tous , leur conseilla toujours de les discuter et de les
défendre; et les lois , sans morale , qui en ordonneroient le
sacrifice , ne seroient qu'une tyrannie insupportable. Sylvain
Maréchal ne veut rien de tout cela pour gouverner le
monde : il ne lui faut ni Dieu, ni nature , ni raison , ni
lois. La vertu toute seule lui suffit. Avec elle , dit - il ,
l'homme peut remuer le monde du seul mouvement de ses
sourcils. Il ne paroît pas se douter que la vertu , sans le
principe qui la commande , est un effet sans cause , un joug
ridicule qui n'a plus de motif, et que l'homme matière,
comme il le veut, s'il n'est un insensé , ne doit s'attacher
qu'à ce qui lui paroît convenable pour sa propre satisfaction
, comme feroit un animal doué de raison et armé de
toute la puissance humaine. Ce Maréchal n'étoit pas seulement
un fou ridicule; c'étoit un homme que l'orgueil étouf-
1
80 MERCURE DE FRANCE ,
foit , un esprit désordonné qui se croyoit fait pour régir
tout l'univers , un fiévreux heureusement enchaîné par les
lois , un persécuteur sans autorité , un tyran sans Etats ,
sans troupes et sans argent; un pauvre diable qui feignoit
d'être athée dans le bon temps de la terreur, afin d'obtenir
du crédit , des places et de la réputation ; un littérateur
obscur , un écrivain avide de louanges , qui , ne pouvant se
faire un nom par son talent , cherchoit au moins à se faire
remarquer par son extravagance ; mais qui n'est parvenu
qu'à se faire inourir à l'âge de cinquante-trois ans , épuisé
par ses passions , et sans avoir jamais pu obtenir de ses contemporains
qu'un regard de pitié . L'ami qui s'est chargé de
publier ses OEuvres et d'écrire sa Vie , s'extasie , comme de
raison , devant ses moindres écrits et devant toutes ses opinions
. Celles - ci lui paroissent sublimes , et les autres lui
semblent toujours des traits de génie. Mais cet officieux
panégyriste lui-même ne paroît pas plus se connoître en
littérature qu'en morale; et la longue Notice qu'il a pris
la peine d'écrire au commencement du volume qu'il offre au
public, en est une preuve plus que suffisante. Maréchal
vouloit que la vie d'un homme de vertu tel que lui , par
exemple , fût un poëme épique bien plus sublime et bien
plus parfait que ceux d'Homère. Son ami n'a su faire de la
sienne qu'un Recueil insipide de faits décousus , sans goût ,
sans choix et sans intérêt. Le philosophe y est représenté
comme un homme atrabilaire retiré dans sa maison du
faubourg Saint- Marceau , s'estimant lui-même au-dessus de
tous les hommes , dévoré de l'envie de se voir admiré , mais
ne communiquant avec personne. Cette haute opinion qu'il
avoit de lui-même , et le mépris qu'il affectoit pour tout ce
qui l'entouroit , lui suscita une affaire assez fâcheuse qu'il
faut laisser raconter à l'auteur de la Notice , afin d'avoir
tout à-la-fois une idée du caractère de Maréchal , et la
mesure du talent de son historien. C'est le plus bel endroit
de la vie du philosophe , et c'est tout ce qu'il y a de vraiment
intéressant dans la Notice :
« La réputation de Maréchal , dit son ami, mit un de ses
>> voisins dans le cas de tout entreprendre contre lui : il le
>>provoqua un jour dans un petit endroit qui appartenoit
>>à Maréchal , et que cet homme vouloit s'approprier ; sa
>> patience enflamma tellement de colère ce méchant voisin ,
>> qu'il ne se contînt plus : il envoya chercher la garde , qui ,
>> trompée par le bruit épouvantable de l'agresseur , emmena
>>l'injurié chez le juge de paix ; sa belle-soeur , attirée par le
>>bruit , éprouva le même sort.
» Il
JUILLET 1807 . Cen
Il étoit matin , continue le même narrateur
» réellement une chose originale de voir Maréchal tête nue,
>> en pantouffles , et sa belle-soeur en déshabillé et en bonnet
-" de nuit , conduits tous deux au milieu de la garde , et
>> suivis des enfans du quartier, toujours curieux des choses
> extraordinaires . L'étonnement de ceux qui les voyoient
-> dans cette position , les cris et le bruit des sabots des petits
>> enfans qui les accompagnoient , l'indignation de sa belle-
-> scoeur , tout cela lui causa un fol tire comme il n'en eut
› jamais de sa vie. L'on pense bien que le juge de paix lui
> rendit justice ; mais le méchant voisin ne s'en tint pas là :
> il intenta un procès criminel au paisible Maréchal .
:
>>C'étoit la première contestation qu'il eût eue de sa vie ;
>> il la confia sous le secret à un ami ; il rougissoit d'avoir un
>>procès : L'homme vertueux , disoit-il , doit respecter la jus-
» tice , mais ne doit jamais avoir affaire à elle . »
C'est apparemment par respect pour la mémoire de Maréchal
, et pour être fidèle à sa parole , que cet ami ne nous
donne pas la suite de cette aventure , et qu'il n'en explique
pas même le motif. Il est fâcheux que la réputation de
Maréchal mit ainsi ses voisins dans le cas de tout entreprendre
contre lui , parce qu'elle peut faire soupçonner que
le tort n'étoit pas tout entier du côté du méchant homme qui
se plaignoit , et que le paisible philosophe l'avoit au moins
scandalisé.
J. J. Rousseau , dont Maréchal emprunte souvent les
pensées et les expressions , dit formellement qu'un athée est
un scélérat; mais il faut ajouter , s'il n'est un fou , parce
qu'enfin il y a des gens dont la conduite est en opposition
avec les principes , et dont toute la vie est une perpétuelle
inconséquence. Montaigne avoit ainsi modifié cette pensée ,
lorsqu'il dit que « l'athéisme estant une proposition comme
>>desnaturée et monstrueuse , difficile aussi , et mal aisée
>>d'establir en l'esprit humain , pour insolent et desreiglé
>>qu'il puisse estre : il s'en est veu assez par vanité et par
>> fierté de concevoir des opinions non vulgaires et réforma-
>> trices du monde , en affecter la profession par contenance ;
>>qui , s'ils sont assez fols , ne sont pas assez forts pour l'avoir
> plantée en leur conscience. Que pourtant ils ne lairront de
>>joindre leurs mains vers le ciel , si vous leur attachez un
>>bon coup d'espée en la poitrine ; et que , quand la crainte
» ou la maladie aura abattu et appesanty cette licencieuse
>> ferveur d'humeur volage , ils ne lairront pas de se revenir,
>> et se laisser tout discrètement mourir aux créances et
>>exemples publiques. >>> <<<Autre chose est , ajoute-t-il , un
F
82 MERCURE DE FRANCE ,
>>
» dogme sérieusement digéré , autre chose ces impressions
superficielles ; lesquelles , nées dé la desbauche d'un esprit
» desmanché , vont nageant témérairement et incertaine-
» ment en la fantaisie Hommes bien misérables et escer-
» vellez , qui taschent d'estres pires qu'ils ne peuvent ! »> Si ,
de son vivant , il avoit fallu juger Maréchal sur l'autorité de
ces deux écrivains , qu'il ne cesse d'invoquer , il auroit peutêtre
été difficile de décider s'il méritoit plus de haine que de
pitié , parce que , n'ayant à exercer que ses fonctions insignifiantes
de bibliothécaire au Collége des Quatre-Nations ,
et ne pouvant ni voler , ni tuer sans s'exposer à la répression
des lois , il pouvoit encore paroître un assez bon humain
dans l'intimité de la vie commune , au milieu de ses pareils ;
dans sa famille peut- être ; avec ses maîtresses ou avec ses
amis . Les loups ne se mangent pas , dit-on ; et lorsqu'ils
sont sous la puissance de l'homme , retenus par la crainte
qu'elle leur inspire , ils laisssent en paix les agneaux avec
lesquels ils se rencontrent. Quoiqu'athée , Maréchal pouvoit
vivre tranquillement avec des athées , et , retenu par la
crainte des lois , il pouvoit filer doux avec ceux qui ne pensoient
pas comme lui . La question n'est pas de savoir ce
qu'il a fait de mal dans un état où il lui étoit impossible
d'en faire sans se nuire à lui-même. Ce qu'il faudroit examiner
aujourd'hui , c'est ce qu'il auroit fait dans une position différente
, avec une grande puissance et dans un pays où le
mépris public l'avoit constamment accompagné : or , il a
pris soin lui-même de nous en informer dans son livre
de la Vertu , espèce de rapsodie philosophique , qui renferme
la même pensée mille fois retournée , souvent exprimée
dans les mêmes termes , et qui tend à établir que tout est
néant dans l'univers , excepté la vertu : comme si la vertu ,
sans une puissance supérieure qui l'observe , qui l'admire et
qui peut la récompenser , n'étoit pas elle -même un véritable
néant , puisqu'où le pouvoir n'existe pas , il n'y a point de
sujets , ni d'obligations ! Comme si la vertu , qui impose des
privations sans récompense , n'étoit pas le comble de la folie
dans un être qui peut se satisfaire par un crime qui n'aura
point de châtiment ! Il faut donc déjà que l'esprit soit complétement
aliéné , pour parler de vertu lorsqu'on nie l'existence
de Dieu et l'immortalité de l'ame ; mais que penseronsnous
du même esprit qui , content d'avoir trouvé ce masque
pour cacher toute sa difformité , se présente sans aucune
pudeur comme le modèle et le type de la perfection , et qui
répète , après Diderot , qu'il n'appartient qu'à l'homme vertueux
d'être athée ; qui prétend que ce même homme , verJUILLET
1807 . 83
1
tueux à sa manière , c'est- à-dire , athée comme lui , est une
perle , et que nous sommes le fumier dans lequel on la
trouve ?
« Le peuple , dit - il , est une brute . »
« Les brutes ne sont pas plus capables de vertu que de
>> raison et de liberté . »
« Il faut encore dire cela , et le répéter :
» Une nation vieille , riche , populeuse , par conséquent
» corrompue , est nécessairement populaire ; c'est- à - dire ,
>> composée d'autant de sortes de populaces qu'il y a d'ordres
» dans l'Etat. Or , toute populace de salon ou de carrefour ,
>> brodée ou fangeuse , n'est susceptible d'aucun élan de
» vertu . »
« La plèbe est le fumier d'une république ; mais quand
» tout est plèbe dans une république , la vertu ne s'y trouve
» que par hasard : c'est un diamant perdu dans un grand
» amas de fumier ( comme Maréchal au milieu de la nation
>> française . ) »
« L'homme de vertu ( comme Maréchal ) vit comme s'il
» n'y avoit point de lois ; il pourroit dire aux magistrats et
>> aux juges : Qu'y a-t-il entre vous et moi ? »
« Lui seul à le droit de se croire capable de choses
>> sublimes . »
« Le pouvoir absolu ne sied qu'à l'homme de vertu , »
(qu'à Maréchal . )
« Un homme de vertu ( comme Maréchal ) est ce qu'il
» y a de plus parfait , de plus accompli dans la nature. »
« La vraie place de la vertu ( c'est- à-dire de Maréchal )
» seroit un trône ou la chaise curule . »
<< Magistrats , élevez à l'homme de vertu ( à Maréchal )
» un tombeau sur la place publique , pour qu'on sache du
» moins qu'il a existé un homme de bien ! »
Il est bon d'observer ici , qu'avant d'élever ce tombeau , il
faudra examiner si Diderot ne le mérite pas pour lui-même;
car il prétend que le crime est plus beau peut-être que la
vertu. Tome XIV de ses uvres in- 8° , pag. 262 .
Après avoir vu ce qu'il auroit fallu que Maréchal fût
dans son pays , il sera curieux de reconnoître comment il
auroit composé son empire :
>>
« Il existe , dit- il , éparse sur la terre une véritable république
, composée de tout ce qu'il y a d'hommes de vertu
» (c'est-à-dire , d'athées comme Maréchal ) . Les bons livres ,
» en petit nombre , faits par eux ( comme le Dictionnaire
» des Athées , fait par Maréchal ) , sont leurs truchemens ,
» leurs hérauts d'armes , les conducteurs du feu électrique
F 2
84 MERCURE DE FRANCE ,
>>
» qu'ils entretiennent , pour se ménager de temps en temps
quelques fortes explosions ( comme celle de 1793 ) . Les
» puissances du jour s'en doutent , et se mettent sur leur
» garde en sorte que , long -temps encore , les hommes
» vertueux ( les athées ) formeront sur la terre une répu
blique méconnue et peu redoutable . »
»
Maréchal auroit certainement réuni tous ces braves gens
qui vivent ignorés , pour en composer une nation de fidèles
sujets , aussi vertueux que tous les héros qui prêchoient
Pathéisme au milieu de la Convention , et qui alloient
ensuite exercer leur humanité dans toute la France , ensanglantée
par
leurs mains vertueuses .
« Ne seroit - il pas bien temps , poursuit le vertueux
» Maréchal , que les hommes de vertu ( tels que lui ) sor-
» tissent de leur isolement , se montrassent pour confondre ,
» par leur présence seulement , tant de grands coupables ,
» forts de leur impunité et fiers de leurs succès scandaleux ? »
( Tous ceux qui croient en Dieu , par exemple , et qui
jouissent de quelque considération ou de quelque fortune. )
»
« Gens de bien , s'écrie - t - il , c'est - à - dire , athées de tous
les pays , qui vivez au milieu des nations comme les tigres
» dans une ménagerie , ou comme les fous qui sont enfer
» més , vous ne connoissez pas votre force ; vous êtes en
plus grand nombre que vous ne pensez ! Levez-vous à là
» même heure , arınez-vous de fouets , et parcourez la terre
» pour la purger enfin des méchans que l'impunité enhardit ,
et qui traitent les hommes de vertu de bonnes gens . »
Ainsi Maréchal , devenu roi , auroit d'abord fait mássacrer
tous ceux qui pensent que les hommes de vertu sont
de bonnes gens. Nous laissons à penser ce qu'il auroit fait
de ceux qui croient que ces prétendus hommes de vertu
ne sout que des tigres enchaînés , des fous et des pestes
publiques.
Si nous voulons voir maintenant contre qui le paisible
Maréchal auroit d'abord dirigé ses coups de fouets , cela ne
sera pas difficile :
«< Chaque espèce d'êtres , dit-il , a son ennemi dans une
» autre espèce. Ainsi l'agneau trouve un ennemi dans le
» loup , la poule dans le renard : le sage en trouve un aussi
» dans la personne des prêtres , etc. »
Donc le sage Maréchal , revêtu de la dictature , auroit
commencé par purger la terre de tous les prêtres , etc. : et
par cet et cætera , on sait qu'il faut entendre les rois , dont
le mariage avec la vertu a , dit-il , toujours été stérile ; et
eu général tous les hommes religieux , qui , selon lui , ne
sont pas des hommes de vertu .
JUILLET 1807 . 85
1
Tel auroit été le bon , le sensible , le vertueux Maréchal ,
si nous avions voulu le mettre à la tête du gouvernement
lorsqu'il a paru parmi nous ; mais son nom a toujours été ,
dit-il encore , trop peu connu , et ses ouvrages toujours trop
oubliés. Nous ne devons pas nous étonner , au surplus , de
le voir si bien disposé à user de violence envers tous ceux
qu'il auroit pu soupçonner de ne pas aimer sa doctrine ; il
nous en donne la raison , lorsqu'il nous dit d'un ton de
maître :
<< Jeune homme , si tu découvres en toi quelque vertu ,
>> n'en sois pas vain! Elle t'a été donnée sous la condition
>> de recevoir quant et quant , pour contre-poids , le vice
>>opposé. »
D'où nous devons conclure que Maréchal , qui se trouvoit
doué des plus éminentes vertus , réunissoit aussi les plus
grands vices , et qu'il étoit en même temps très-bon et trèsméchant
, très-doux et très-cruel , fort juste et rempli de
partialité , etc. etc. Ce n'étoit guère la peine de tant prôner
la vertu , s'il faut toujours que les hommes qui la possèdent
au plus haut degré soient aussi les plus vicieux.
Quoique Maréchal prétendît être assuré qu'il n'y a point
de Dieu , tous les matins il saluoit le soleil ; et il dit positivement
qu'il croit au démon de Socrate , et que toute ame
honnête a le sien. Il paroît en effet que ce pauvre Maréchal
étoit au moins possédé du démon de l'orgueil .
Il ne veut aucune religion , aucun culte , pas même pour
la vertu : « Garde-toi , dit- il , de profaner la vertu par un
>>>culte. Mais , nous assure sou historien, il composoit des
prières et des pseaumes ; et, pour preuve, il nous offre une
belle prière à l'amour profane , dans laquelle on voit que
Maréchal étoit son ministre le plus zélé.
C'est ainsi que , sans le vouloir , ce mauvais philosophe
nous enseigne ce qu'il faut attendre d'un homme qui se dit
athée. Ses moindres travers , dans son état privé , sont de se
mettre lui-même hors de la loi religieuse et civile qui gouverne
son pays , d'extravaguer pour se faire remarquer ; et
lorsque le peuple est assez malheureux et assez fou pour
l'écouter et pour lui accorder quelque distinction , quelqu'emploi
public , ou quelqu'autorité , ce charlatan de morale
insensée se montre le plus intolérant et le plus féroce
des hommes : il proscrit sans examen , sans aucune pitié et
sans remords , tout ce qui n'abonde pas dans son sens . Les
titres les plus respectables et les plus sacrés ne sont pour lui
que des sentences . de mort ; et comme tout ce qui est
véritablement vertueux blesse son orgueil et l'humilie , it
3
86 MERCURE DE FRANCE ,
faut que tout ce qui porte quelque signe de vertu périsse.
Il est fort heureux pour l'humanité que de pareils hommes
meurent sans avoir obtenu la puissance qu'ils souhaitoient ;
et il est bon que leurs successeurs apprennent au moins
que, lorsqu'un ami maladroit voudra tirer leurs noms du
néant auquel ils se vouent , ce sera toujours pour l'exposer à
la dérision et au mépris public. G.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Les grands théâtres n'ont point donné de nouveautés cette
semaine. Mlle Saint-Albe continue ses débuts sans bruit. Elle
a été peu applaudie , mais jamais sifflée , dans les rôles
d'Andromaque , d'Aménaïde , d'Eriphile et de Monime. Elle
jouera la semaine prochaine Adélaïde Duguesclin. M. Joanni ,
acteur de Lyon , débutera samedi II juillet , sur le même
théâtre , dans le rôle de Cinna. On annonce aussi le début prochain
de Mlle Henri , ancienne actrice de l'Opéra , dans les
rôles de Mlle Contat.
- Le Théâtre de l'Impératrice doit donner incessamment
les Deux Figaro , de Martelli , et l'Héritier de Village , de
Marivaux.
-
-Mlle Rolandeau , actrice du théâtre de l'Opéra-Comique,
vient de passer quinze jours à Dijon : elle y a obtenu les plus
grands succès . Malgré une chaleur excessive , l'affluence n'a
diminué à aucune des représentations; et ces représentations
ont eu lieu tous les jours : chose extraordinaire dans une ville
du troisième ordre ! On a vu partir avec regret une actrice
qui joint à une très - belle voix une excellente méthode de
chant, et qui réunit encore à ces talens si rares le ton de la
bonne comédie , que , depuis long - temps , on ne retrouve
plus sur les théâtres de province.
-
On mande de Milan , que Mad. Lena Perpenti , de
Como , à laquelle la société d'encouragement du royaume
d'Italie , avoit décerné , en 1806 , une médaille d'honneur ,
pour avoir perfectionné la filature de l'amiante , vient de faire
avec succès un essai pour fabriquer avec ce fossile , un papier
très-propre à l'écriture et à l'impression , et capable de résister
à l'action des élémens. Le conseiller-d'état Moscati , direc-
,
JUILLET 1807 . 87
teur-général de l'instruction publique , a fait imprimer , sur
cette nouvelle espèce de papier, les complimens du nouvel an ,
adressés au vice-roi et à la vice-reine d'Italie.
- La construction de la seconde galerie qui doit joindre le
Louvre aux Tuileries , du côté du nord , n'est plus seulement
un projet. On fait dans ce moment les fouilles pour poser les
fondemens de cette galerie , dans l'espace qui existe entre
le pavillon Mersan et l'hôtel occupé par M. le secrétaire
d'Etat. Une immense quantité de pierres est déjà rassemblée
pour cet objet sur la place du Carrousel. On a aussi commencé
les travaux pour la construction du monument dédié , par
l'Empereur , à la gloire des armées françaises .
La Société des Sciences de Harlem propose les prix suivans
pour le 1er. novembre 1807 : 1 °. Quelles sont les différences
essentielles des propriétés et des parties constituantes
du sucre de cannes , et de celui qu'on obtient de plusieurs
arbres et autres végétaux ? 2°. Quelle est la cause de la phosphorescence
de l'eau de la mer ? Et si elle provient de la prés,
sence des petits animalcules vivans , quels sont ces animalculequelles
propriétés nuisibles peuvent- ils communiquer à l'amosphère
? 3º. Quelle est l'origine probable du Sperma Ceti ?
Peut-on obtenir cette substance de l'huile de baleine , on
pourroit-on l'y produire avec avantage ? Les prix sont des
médailles de 400 , 300 et 200 florins. Le terme de l'envoi
des Mémoires est fixé au 1. octobre 1807 .
NOUVELLES POLITIQUES .
Zara , 20 juin.
Une lettre de Travarnich , du 5 juin , annonce qu'il y étoit
arrivé la veille un Tartare apportant la nouvelle que lesRusses
ont été battus sous les murs d'Ismaïl ; qu'on leur a pris 51 pièces
de canon , 5 drapeaux , onze barques canonnières ; et qu'ils
ont eu un grand nombre de tués et de blessés. Un corps de
1800 Russes , qui étoit retranché à peu de distance, a capitulé .
L'ennemi a aussi abandonné la forteresse d'Akerman. Une tentative
faite par les Russes contre l'île de Candie , a échoué ; elle
leur a coûté 2000 hommes tués , blessés ou prisonniers , et cinq
bâtimens chargés de munitions qui sont restés au pouvoir des
Candiotes .
Milan , 2juillet.
On vient de recevoir des détails exacts sur la révolution
qui a éclaté dernièrement à Constantinople : ils ont été
apportés par un officier parti le 3 juin de cette capitale , et
arrivé hier au soir ici .
4
70
MERCURE DE FRANCE ,
Ja philosophie , dès qu'il eut rejeté cette nourriture perfide
dont sa jeunesse avoit été comme empoisonnée , son talent
grandit et se développa comme de lui -même : ce fut tout - àcoup
un des premiers écrivains de son siècle , un homme
dont l'autorité égala celle de Boileau , un juge souverain
de la littérature , et dont les jugemens furent sans appel .
Ainsi , par un concours singulier de circonstances , M. de
La Harpe réalisa à plus de cinquante ans les espérances
qu'il avoit fait concevoir à vingt ; il ne les réalisa qu'en se
faisant un nouveau caractère et une nouvelle ame : il les
réalisa si bien , qu'il fit presque oublier ses premiers ouvrages
. Maintenant , lorsqu'on voudra l'appeler d'un nom
qui fasse connoître toute l'étendue de son talent , on ne dira
plus l'auteur de Warwick et de Mélanie , encore moins celui
de l'Eloge de Catinat ; on dira l'auteur du Cours de Littérature
, ou le poète qui a chanté le triomphe de la religion ,
il
J'ai rendu justice aux premiers efforts que fit M. de La
Harpe pour maintenir les lois du bon goût ; je voudrois
pouvoir encore mieux louer ceux qu'il fit dans les dernières
années de sa vie , pour nous rappeler à des lois bien autrement
importantes. Combien il me paroît grand lorsque
resté seul de son siècle , seul debout au milieu des ruines ,
qui étoient tout ce que ce siècle nous avoit transmis ,
déplore , comme le prophète , les malheurs dont il a été le
triste témoin ; qu'il en développe les causes , et qu'il en
montre d'avance la fin dans le discrédit général où sont
tombés les déclamateurs au milieu desquels il avoit été
élevé ! Combien les efforts qu'il fait pour hâter ce moment
me paroissent louables ! Cependant , ce n'est point son Cours
de Littérature tout entier que j'admire le plus , ce Cours si
long , et d'ailleurs si rempli de jugemens hasardés et de
souvenirs qu'il auroit dû oublier ; ce sont sur-tout les discours
que cet ouvrage renferme , et , plus qu'aucun autre ,
celui qui fut prononcé dans une des séances solennelles du
Lycée. O temps ! On fut alors étonné du courage de M. de
La Harpe ; on applaudit avec transports à son éloquence
et aux nobles regrets qu'il témoignoit sur les ruines accumulées
, et des autels , et des tombeaux , et des sociétés littéraires
. Et maintenant on prononce encore des discours dans
ce même Lycée , et on les applaudit peut-être encore ; mais
ce n'est plus le même esprit qui les anime , et ils ne sont
plus remplis des mêmes regrets . Qu'est-ce qui a donc changé
autour de nous ? Est-ce la vérité ? Est-ce l'esprit public ?
Non , c'est l'orateur seul qui a changé ; et la vérité est deve◄
nue une seconde fois l'objet de la dérision des déclamateurs.
JUILLET 1807 . 71
Je crois avoir suffisamment témoigné combien je respecte
la mémoire de M. de La Harpe , et combien j'admire surtout
ses derniers ouvrages. Maintenant , il doit m'être permis
de le dire avec franchise : ce Recueil de lettres n'auroit
jamais dû voir le jour . Pourquoi M. de La Harpe les écrivit
il ? Quel fut son objet en les faisant connoître au public ?
Par quel motif n'en publia-t-il d'abord que les premiers
volumes ? Enfin , pourquoi les éditeurs dépositaires de sa
confiance ont- ils attendu si tard pour faire imprimer les derniers
? Ce sont des questions que je ne me flatte pas de
résoudre si je les fais , c'est qu'elles me fourniront
naturellement l'occasion de donner quelque idée de ce
Recueil.
Ces sortes de correspondances ont toujours un but plus
ou moins digne d'excuse , et rarement digne d'éloges. Il
est triste de penser que M. de La Harpe , tout comme un
autre , n'a pu être déterminé que par un vil intérêt à faire
chaque semaine , pour le grand-duc de Russie , la gazette
scandaleuse de notre littérature . Que cet auteur ait été d'abord
très-flatté d'avoir un commerce suivi de lettres avec un grand
prince , cela se conçoit ; ce qui me paroît difficile à concevoir
, c'est qu'il ait écrit peu à peu cinq gros volumes de
Lettres sans autre but que la petite satisfaction de dire qu'il
les écrivoit . Je conçois encore moins le mépris qu'il témoigne
dans sa préface , pour Thiriot et tant d'autres qui
entretenoient des correspondances pareilles avec des princes
d'Allemagne. En effet , quelle raison avoit- il pour ne pas
craindre qu'une partie au moins de ce mépris retombât sur
lui ? Avoit-il un motif plus noble qu'eux tous , en écrivant
ces lettres ? Et si la vérité seule les lui dictoit , la vérité estelle
ici une excuse suffisante de tout le mal qu'il pouvoit
faire à ceux qu'il y jugeoit tous les jours? Lorsqu'on parle
à un prince , et qu'on l'entretient sans cesse des ouvrages et
des actions des gens de lettres , on ne s'expose pas seulement
à flétrir leur réputation , qui est ( il faut le croire au moins )
le premier des biens pour eux ; on s'expose encore à renverser
leur fortune , leurs espérances de toute espèce ; et ce
dernier danger me semble le plus terrible qu'un honnête
homme puisse courir : il est beau dans un sens mais dans
un autre il est terrible de dire toujours la vérité.
,
Je m'exprimerois peut-être différemment , si M. de La
Harpe avoit été , comme Thiriot , un particulier obscur et
sans importance. Mais un académicien déjà connu par de
bons ouvrages , un homme dont chaque censure pouvoit
paroître un arrêt , un des chefs , enfin , de notre littérature ,
4
72 MERCURE
DE FRANCE
,
ne pouvoit se charger d'en donner les nouvelles à un grand
prince , qu'autant que cet emploi lui auroit fourni l'occasion
de protéger les lettres , et de rendre quelque service à ceux
qui les cultivoient . Si tel fut le but de M. de La Harpe ,
qu'on me dise donc pourquoi ses lettres contiennent tant
de critiques et si peu d'éloges , des critiques si sanglantes ,
et des éloges si modérés ?
Quand on a lu ces critiques si peu mesurées , si tranchantes
, jamais motivées , dont M. de La Harpe a rempli
ses lettres , on est étonné qu'il ait osé y parler des journaux ,
et en parler avec mépris. Cependant , quand nous faisons la
censure d'un ouvrage , nous la faisons en présence du public
qui nous juge , et de l'auteur qui peut nous répondre. Nous
ne nous cachons pas dans l'ombre , pour faire sans péril une
critique qui seroit inutile , par cela seul qu'elle seroit ignorée .
Nous avons , du moins nous pouvons avoir , en la faisant ,
un motif louable , qui est de rappeler les auteurs aux vrais
principes du goût , et quelquefois à des principes bien autrement
importans que ceux du goût. Comment se feroit-il
que des pareilles censures fussent dignes de mépris , et que
celles de M. de La Harpe ne le fussent pas ? S'il y a quelque
différence entre lui et nous à cet égard , elle est toute à notre
honneur : nous sommes obligés de motiver nos jugemens ,
et il se dispensoit de motiver les siens ; il écrivoit secrètement
à un prince , et nous parlons publiquement aux auteurs
eux-mêmes. D'ailleurs , ceux que nous censurons ne
sont pas nos amis , nos collègues ; nous ne siégeons pas avec
eux dans les sociétés littéraires ; et si dans nos critiques nous
remplissons quelquefois de tristes devoirs , nous n'en violons
aucun tant que nous sommes justes , et que nous ne disons
que la vérité . Mais comment M. de La Harpe pouvoit- il
s'excuser à ses propres yeux , lorsqu'il censuroit ces mêmes
auteurs avec lesquels il vivoit familièrement , et qu'il les
censuroit sans qu'ils pussent en rien savoir ? Pour moi , qui
suis très-loin de me comparer en aucune manière à M. de
La Harpe , il me semble que je ne ferois pas la censure
d'un mauvais ouvrage dont l'auteur seroit lié
de simples rapports de société . Et M. de La Harpe , académicien
, ne croyoit manquer à aucune sorte de convenance ,
lorsqu'au sortir de l'Académie , il alloit sévèrement censurer
dans une lettre cette même séance dans laquelle il
avoit été acteur .
avec moi
par
Je demande en second lieu , par quel motif il a pu se
déterminer à faire imprimer ces lettres ? Chacune d'elles est
en général correctement écrite ; les critiques qu'elles renJUILLET
1807 . 73
ferment sont justes ; mais suffit-il d'écrire correctement et
d'être juste , pour faire un livre qui vaille la peine d'être lu ?
Elles ne renferment d'ailleurs aucune pensée qu'on puisse
retenir avec quelque satisfaction ; et ces critiques n'ont ordinairement
pour objet que des livres ou des auteurs depuis
long-temps ignorés , ou tombés au-dessous de toute censure .
Ce qu'il y a même de plus singulier , ce n'est pas que sur
vingt censures on y rencontre à peine un éloge , c'est que
l'éloge y est presque toujours donné à un ouvrage dont
personne ne se souvient plus. Quelle gloire l'auteur du
Cours de Littérature pouvoit- il donc espérer de la publication
de ces lettres ? Après avoir érigé à la critique un si vaste
et un si beau monument, pourquoi a -t-il voulu nous faire
connoître encore ses petits tas de terre et de bone , dont il
marquoit le passage de tant d'auteurs et de tant de livres qui
n'étoient faits que pour être oubliés ?
:
Et M. de La Harpe méprise les journaux ! Il en est șans
doute qu'on pourroit lui abandonner assurément je ne
pense pas à défendre , ni le Journal ( il ne dit pas le Courier )
Français , dont il censure jusqu'au titre , attendu , dit- il , que
les autres ne sont pas iroquois ; ni le nouveau Courier des
Spectacles écrit , dit-il , d'un style de porteur de chaises , dont
l'auteur fort obscur et fort ignore paroit vouloir se signaler
pardes scandales . Nous ajouterons même avec lui , que toutes
ces insipidesfutilités ne sont pas dignes d'occuper les regards.
Mais avant de lui passer son mépris pour les journaux vraiment
littéraires , il faudroit que nous pussions oublier que
lui-même , pendant une grande partie de sa vie , n'eut pas
de meilleur titre à la considération publique , que les articles
qu'il faisoit pour le Mercure , et que presque tous les écrivains
distingués de son siècle et du nôtre. ont commencé par
écrire dans les journaux ; enfin nous voudrions qu'il eût exprimé
ce mépris ailleurs que dans un livre qui estlui-même ,
non pas un journal , mais une gazette.
Il paroîtra peut-être étonnant que M. de La Harpe , tant
de fois accusé lui-même en sa qualité de journaliste , se soit
mis à son tour , en sa qualité d'écrivain , parmi les accusateurs.
Ce qu'il y a de bien plus étonnant , c'est que de
tous les reproches qu'on fait aux journaux , il n'en est pas un
qu'on ne puisse faire , et plus justement , à ces lettres .
Et d'abord ses critiques sont dures , tranchantes , toujours
écrites du style le plus méprisant . S'il parle d'un médiocre
poète , c'est un M. Lemercier, un M. de Caux , un
M. d'Eglantine ; d'un mauvais auteur , c'est un M. Morel ,
un M. Duverney ; toujours un : et quoique toutes ces unités
74 MERCURE
DE FRANCE
,
»
se soient maintenant à-peu près réduites à zéro , on pourroit
desirer qu'un critique honnête n'eût pas commencé par
verser sur le nom même de tant d'auteurs le mépris qu'il
devoit réserver pour leurs ouvrages . Ecoutons-le : « Le monu-
» ment de délire et d'audace le plus curieux , est sans con-
» tredit une lettre d'un chevalier de Cubières contre Boileau . »
Et ailleurs : « Un M. Chénier ( c'est le même qui professe
» actuellement la littérature à l'Athénée ) , jeune aspirant
qui fait profession d'un grand mépris pour nos meilleurs
» écrivains , a fait jouer à Fontainebleau une tragédie d'Azé-
» mire , qui a été outrageusement sifflée depuis le commen-
» cementjusqu'à lafin. » Et ce n'est pas seulement contre des
auteurs tels que M. de Cubières ou M. de Chénier que M. de
La Harpe s'élève avec cette dureté : s'il parle de d'Alembert ,
c'est pour apprendre au grand-duc qu'il ennuie , qu'il vieillit,
et qu'en vieillissant il contracte de l'humeur. La manière
dont il lui parle de M. Morellet n'est pas plus flatteuse : s'il
Jui rend compte de son discours de réception , c'est pour dire
que ce discours est long, que la marche est pesante , que
le style est monotone ; qu'en général l'auteur pense sagement
, et écrit avec correction , mais que sa composition est
froide et inanimée , et qu'il ne faut pas qu'un philosophe
expose la raison au malheur d'ennuyer. Maintenant , je
demande en quoi ces jugemens diffèrent de ceux qui ont été
souvent portés sur les mêmes hommes dans les journaux ;
et s'il se trouve que ceux-ci sont mieux motivés , et souvent
moins durs , quelle raison M. de La Harpe pouvoit – il
avoir de déprécier ceux des journaux , et de se glorifier des
siens?
-
D'ailleurs , si le style de ces lettres est soigné , il ne l'est
pas tellement qu'on ne puisse y trouver plusieurs incorrections.
Me permettra-t-on de faire observer que le titre
même que M. de La Harpe a donné à son Recueil est une
expression très -impropre ? Une Correspondance se compose
des lettres qu'on a écrites , des réponses qu'on a reçues. Il
suit de là qu'en faisant imprimer ses lettres seules , il ne
devoit point les intituler Correspondance , encore moins
Correspondance adressée , etc.; car on adresse des lettres ,
et on n'adresse pas une correspondance . Il y a des mots
dont l'application paroît encore plus extraordinaire : par
exemple , je crois qu'il n'est point permis d'appeler M. Delille
un excellent écrivain , et un bon paysagiste ; c'est un
grand poète , qui a peint et très-bien peint autre chose que
des paysages. Mais M. de La Harpe vouloit amener une
opposition entre le paysagiste et le peintre d'histoire ; et ou
JUILLET 1807 . 75
sent bien que le peintre d'histoire c'est lui . Ce qu'il y a
de déplorable dans un juge aussi excellent des ouvrages des
autres , c'est qu'il se croyoit un bon peintre d'histoire , parce
qu'il avoit fait une tragédie des Barmécides , qui avoit été
fort applaudie dans les sociétés de Paris , et qui ( comme
cela arrive souvent ) ne le fut point ailleurs. La raison
qu'il avoit pour croire cette tragédie bonne , n'est pas moins
singulière que tout le reste c'est qu'elle avoit fait pleurer
tous les Russes qui étoient à Paris.
En général , quoique les jugemens que M. de La Harpe
porte dans ce Recueil soient ordinairement justes , ils ne
méritent pas autant de confiance que ceux qu'il a portés
dans son Cours de Littérature. Dans ce dernier ouvrage ,
s'il a trop loué Voltaire , il n'a eu en cela que le tort de
trop s'abandonner aux illusions de la reconnoissance . Dans
celui - ci , il ne s'oublie pas assez lui-même , et la vanité
d'auteur lui fait adopter quelquefois des principes faux , ou
qui n'ont jamais été soutenus par aucun bon critique ,
excepté par lui . Il faut en citer un exemple. Dans une de
ses lettres , il annonce que n'ayant aucune nouvelle intéressante
à donner , il parlera , dans la suivante , du drame et de
ses règles, Ainsi, ce n'est point sans y avoir réfléchi qu'il traite
de cette espèce de pièces , qui ne sont ni du genre tragique ni
du genre comique , et qui sont nées , comme le pensent tous
les gens de goût , de l'impuissance de réussir dans l'un ou
dans l'autre . Ce n'est donc pas non plus sans y avoir pensé
qu'il affirme , dans la lettre suivante , qu'il est faux que
rire soit le ressort unique et essentiel de la comédie . Dans son
Cours de Littérature , il avoit sagement avoué que le genre
du drame étoit inférieur aux deux autres . Dans ses lettres ,
il semble vouloir prouver qu'un bon drame vaut une bonne
comédie. On reconnoît ici l'auteur de Mélanie , et on gémit
qu'un homme aussi sage ait été pour ainsi dire égaré
par ses propres exemples. Maintenant on ne sera pas surpris
qu'en parlant de Nanine , il ait dit : « Ce n'est qu'avec le
» temps qu'on sentit le charme de cet ouvrage. »
le
Je pourrois pousser plus loin le parallèle entre les jugemens
qui sont portés dans son Cours de Littérature , et
ceux qu'il porte dans ses lettres ; j'aurois plus d'une différence
à y faire observer. Qu'il me suffise d'en relever une
qui est assez remarquable. Excepté les éloges exagérés
qu'il donne dans son Cours à quelques ouvrages de Voltaire
, qui sont d'ailleurs ses plus beaux et de très - beaux
ouvrages ; excepté , dis-je , ces éloges , qu'on réduit facilement
à leur juste valeur , tous les jugemens qu'il y porte
76 MERCURE DE FRANCE .
ont été sans appel . Dans ses lettres , au contraire , on en
trouve plusieurs qui ont été cassés dès son temps même :
par exemple , il croit que la tragédie-opéra cessera bientôt
de plaire ; et ce qu'il y a de bien singulier , c'est qu'il dit
cela à propos d'Edipe à Colonne. Selon lui , les malheurs ,
les plaintes , les ressentimens d'Edipe , sont d'une monotonie
fatigante , que l'on sentira nécessairement quand la
mode de vouloir des tragédies à l'Opéra sera passée comme
tant d'autres . On auroit pu répondre à M. de La Harpe
que cette mode nous vient des Grecs , dont les tragédies
n'étoient en effet que de très -beaux opéras , et que , toute
vieille qu'elle est , elle ne semble pas prête à passer . D'ail
leurs , dipe à Colonne est encore aujourd'hui le chefd'oeuvre
des opéras , et , grace à la beauté de sa musique ,
on n'a pas encore l'air d'en être fatigué.
>>
Une des lettres qui m'ont le plus étonné dans tout ce
Recueil , c'est celle par laquelle il apprend au Grand - Duc ,
que « les comédiens ne sachant de quoi s'aviser pour ramener
le public , se sont avisés d'annoncer Athalie avec des
» choeurs chantés. Cette nouveauté , ajoute - t - il , déjà.
essayée ..... il y a vingt ans , n'avoit eu aucun succès....
>> On ne vit qu'une froide bigarrure , un amalgame de
» mauvais goût qui gâtoit deux arts en voulant les unir , la
» musique et la déclamation. » Comme il n'est pas possible
de supposer que M. de La Harpe ignorât que cette froide
bigarrure étoit une des conceptions du grand Racine , et
que cet amalgame de mauvais goût avoit été imaginé par
celui de tous les poètes français dont le goût a été le plus
délicat , on ne peut s'empêcher d'être étonné des expressions
qu'il emploie en cette occasion . Il seroit cependant
difficile de croire que l'auteur d'Athalie eût voulu composer
pour cette tragédie des choeurs qu'il n'auroit pas voulu faire
chanter.
que ces
Il suit de tout ce que je viens de dire ,
lettres , quoiqu'elles soient d'un homme profondément
instruit dans la littérature , ne sont pas exemptes d'erreurs
ou de jugemens hasardés . D'ailleurs , les formes
en sont peu variées . Quand M. de La Harpe a dit : Il
paroît un ouvrage , on vient d'imprimer ou de publier un
ouvrage , il a tout dit ; il ne sortira pas de ces tournures . Ce
qui s'ensuit encore , c'est qu'elles n'ont pas , comme critiques ,
le mérite des bons articles de journaux , et qu'elles ont
encore moins , comme lettres , celui qu'on s'attend à trouver
dans cette sorte d'écrits . M. de La Harpe n'y cause pas : et
en cela il a tort , puisqu'une bonne lettre n'est qu'une
JUILLET 1807. 77
Conversation écrite. Il n'y disserte pas non plus : et il a tort
encore ; car M. de La Harpe ne plaît parfaitement , du
moins en prose , que lorsqu'il disserte . Ses lettres sont sans
grace , sans mouvement , sans variété , et ses critiques sont
sans motifs ; telles peut- être qu'il les falloit à un prince
qui ne lui demandoit que des résultats , mais bien éloignées
par cela même de ce qu'elles auroient dû être pour plaire
au public français. Quelle raison , je le répète encore , a
donc pu engager M. de La Harpe à les faire imprimer ?
La même peut-être qui le détermina à ne publier d'abord
que les plus anciennes . Ici je ne formerai encore qu'une
conjecture ; et je ne m'abandonne pas à la première qui se
présente à mon imagination ; je cherche , au contraire ,
celle qui peut faire le plus d'honneur aux intentions de
M. de La Harpe , ou qui peut fournir quelques motifs de
l'excuser. Cet auteur étoit , vers la fin de sa vie , environné
d'ennemis qui se plaisoient à lui rappeler les erreurs de sa
jeunesse ; il voulut peut-être prouver , par ses lettres , qu'il
n'avoit jamais été assez philosophe pour ne pas sentir les
torts de la philosophie : ce qu'il y a de sûr , c'est que ,
dans ses jugemens , il ne ménage pas plus d'Alembert et
M. Morellet , que Gilbert ; et on voit bien que s'il s'élève
de toutes ses forces contre M. Chénier , ce n'est point
parce qu'il a été loué dans l'Année Littéraire ; c'est parce
qu'il a fait Azémire , Charles IX , Henri VIII . Mais
enfin ces lettres , telles qu'elles étoient , contenoient des
critiques violentes contre tous les auteurs vivans ; et M. de
La Harpe ne devoit pas s'attendre qu'elles feroient cesser
les cris qui s'élevoient déjà de toutes parts contre lui . Il
étoit probable qu'après lui avoir reproché ses erreurs en
philosophie , on ne manqueroit pas de relever avec plus de
violence les torts qu'il s'étoit donnés au commencement de
la révolution . Il fit donc imprimer ses premières lettres ; il
donna à ses ennemis la petite satisfaction d'exhaler toute
leur fureur . Peut-être se réservoit-il à lui-même celle de
montrer , quand ils auroient tout dit contre lui , que tout
ce qu'ils avoient dit étoit faux ; et que , dans le fond , il
n'avoit jamais beaucoup admiré ni la révolution , ni la
philosophie :
« Il est certain , dit-il , dans une de ses dernières lettres ,
» que la révolution a précipité la décadence du goût , jusqu'à
» son dernier terme , en ouvrant la carrière à une foule de
» misérables déclamateurs qui s'imaginent que la licence et
l'exagération tiennent lieu de talent. Sur cent faiseurs de
brochures , il n'y en a pas dix qui sachent même cons-
»
»
98 MERCURE
DE
FRANCE
,
»
truire une phrase ; et comme ces brochures se vendent »
plus ou moins , grace à l'esprit de parti , pour qui tout
» est bon , les plus ineptes et les plus grossiers barbouilleurs
» sont encouragés par le succès . » Je voudrois pouvoir citer
ici tout ce qu'il dit des tragédies de Charles IX , de Calas
de Henri VIII; enfin de cette foule de rapsodies dramatiques
qui jouirent , à l'époque de nos troubles , d'une gloire
éphémère , et qui n'en pouvoient jouir que dans de pareils
temps. Mais on ne peut tout citer . Il me suffira de dire
que si , dans la partie littéraire du Mercure , où il auroit dû
ne s'occuper que de la littérature , M. de La Harpe admiroit
un peu trop la révolution qui s'étoit faite dans l'Etat ,
en écrivant au Grand -Duc qui lui permettoit , comme il le
dit lui-même , de s'occuper de questions politiques , il ne
songe qu'à s'élever contre celle qui s'étoit faite dans les
lettres . Et cela même me paroît une singularité que je ne
devois pas manquer de faire observer.
Je voudrois maintenant trouver la raison qui a déterminé
les éditeurs à publier si tard les derniers volumes de ce
Recueil. Etoient-ils effrayés de cette quantité d'ouvrages
dont les auteurs sont encore vivans , et qui sont ici censurés
, poursuivis avec tout l'acharnement dont M. de La
Harpe seul étoit capable ? Y avoit-il , parmi ces auteurs ,
des hommes qu'ils pussent craindre d'offenser ? Mais il y
avoit un moyen facile de les caliner ; et comme il paroît
que ce moyen a été pris , je ne vois pas pourquoi on n'y
auroit pas eu recours quelques années plutôt .
Le sixième et dernier volume de ces lettres est presque
entièrement rempli par une table alphabétique de noms
d'auteurs et de titres d'ouvrages . J'ai cru d'abord que cette
table étoit uniquement destinée à former un tome de plus ,
qui auroit pour les libraires le grand avantage d'être vendu
comme un tome de M. de La Harpe . Je me suis convaincu
ensuite qu'elle étoit véritablement utile . On pourra lire ces
lettres ; on ne les relira pas . Le moment de leur nouveauté
une fois passé , on les gardera pour les consulter au besoin ,
et savoir ce que leur auteur a pensé de tel auteur ou de tel
ouvrage qui n'aura duré qu'un moment. Cette table alors
sera nécessaire . Par son moyen , ce Recueil deviendra
comme un dictionnaire de censures ; et c'est à- peu - près
tout ce qu'il sera dans quelques années .
GUAIRARD .
JUILLET 1807 . 79
De la Vertu; par Sylvain Maréchal , auteur du Dictionnaire
des Athées . Précédé d'une Notice sur cet écrivain , et suivi
du Livre de tous les Ages , par le même auteur . Avec cette
épigraphe :
Disce omnes.
• · Ab uno
Un vol. in-8°. Prix : 5 fr . , et 6 fr . 50 cent . par la poste .
A Paris , chez L. Collin , lib. , rue Gît - le- Coeur.
IL y a des fous de plus d'une espèce : les plus dangereux
ne sont pas ceux qui frappent et qui brisent tout ce qu'ils
rencontrent ; on les a bientôt mis hors d'état de nuire , et les
effets de leur démence ne s'étendent jamais au-delà du petit
cercle dans lequel ils peuvent agir. La folie des philosophes
athées , qui se mêlent d'écrire et de répandre leur doctrine ,
est bien plus funeste . Elle attaque le principe de toute
morale ; elle déchaîne toutes les passions ; elle arme tous les
bras ; elle excite tous les hommes à s'entredétruire , parce
que , n'ayant plus de frein et plus de garans de leurs intentions
, il devient de l'intérêt de chacun de chercher son bienêtre
et son salut dans l'oppression , dans la ruine ou dans la
mort de son voisin . Elle tend visiblement et bien certainement
à la barbarie et à l'extermination de la race humaine .
A la place de Dieu , ces philosophes nous présentent la
nature , la raison ou les lois ; mais la nature elle- même ,
donnant aux hommes les mêmes besoins , les met constamment
en opposition d'intérêts ; la raison , également accordée
à tous , leur conseilla toujours de les discuter et de les
défendre ; et les lois , sans morale , qui en ordonneroient le
sacrifice , ne seroient qu'une tyrannie insupportable. Sylvain
Maréchal ne veut rien de tout cela pour gouverner le
monde : il ne lui faut ni Dieu , ni nature , ni raison , ni
lois. La vertu toute seule lui suffit . Avec elle , dit - il ,
l'homme peut remuer le monde du seul mouvement de ses
sourcils. Il ne paroît pas se douter que la vertu ,
sans le
principe qui la commande , est un effet sans cause , un joug
ridicule qui n'a plus de motif , et que l'homme matière ,
comme il le veut , s'il n'est un insensé , ne doit s'attacher
qu'à ce qui lui paroît convenable pour sa propre satisfaction
, comme feroit un animal doué de raison et armé de
toute la puissance humaine. Ce Maréchal n'étoit pas seulement
un fou ridicule ; c'étoit un homme que l'orgueil étouf-
NO
80 MERCURE DE FRANCE ,
foit , un esprit désordonné qui se croyoit fait pour régir
tout l'univers , un fiévreux heureusement enchaîné par les
lois , un persécuteur sans autorité , un tyran sans Etats ,
sans troupes et sans argent ; un pauvre diable qui feignoit
d'être athée dans le bon temps de la terreur, afin d'obtenir
du crédit , des places et de la réputation ; un littérateur
obscur , un écrivain avide de louanges , qui , ne pouvant se
faire un nom par son talent , cherchoit au moins à se faire
remarquer par son extravagance ; mais qui n'est parvenu
qu'à se faire mourir à l'âge de cinquante - trois ans , épuisé
par ses passions , et sans avoir jamais pu obtenir de ses contemporains
qu'un regard de pitié . L'ami qui s'est chargé de
publier ses OEuvres et d'écrire sa Vie , s'extasie , comme de
raison , devant ses moindres écrits et devant toutes ses opinions
. Celles - ci lui paroissent sublimes , et les autres lui
semblent toujours des traits de génie. Mais cet officieux
panégyriste lui-même ne paroît pas plus se connoître en
littérature qu'en morale ; et la longue Notice qu'il a pris
la peine d'écrire au commencement du volume qu'il offre au
public , en est une preuve plus que suffisante . Maréchal
vouloit que la vie d'un homme de vertu tel que lui , par
exemple , fût un poëme épique bien plus sublime et bien
plus parfait que ceux d'Homère. Son ami n'a su faire de la
sienne qu'un Recueil insipide de faits décousus , sans goût ,
sans choix et sans intérêt. Le philosophe y est représenté
comme un homme atrabilaire retiré dans sa maison du
faubourg Saint- Marceau , s'estimant lui-même au-dessus de
tous les hommes , dévoré de l'envie de se voir admiré , mais
ne communiquant avec personne . Cette haute opinion qu'il
avoit de lui-même , et le mépris qu'il affectoit pour tout ce
qui l'entouroit , lui suscita une affaire assez fâcheuse qu'il
faut laisser raconter à l'auteur de la Notice , afin d'avoir
tout à-la-fois une idée du caractère de Maréchal , et la
mesure du talent de son historien . C'est le plus bel endroit
de la vie du philosophe , et c'est tout ce qu'il y a de vraiment
intéressant dans la Notice :
»
« La réputation de Maréchal , dit son ami , mit un de ses
» voisins dans le cas de tout entreprendre contre lui : il le
provoqua un jour dans un petit endroit qui appartenoit
» à Maréchal , et que cet homme vouloit s'approprier ; sa
» patience enflamma tellement de colère ce méchant voisin ,
qu'il ne se contînt plus : il envoya chercher la garde , qui ,
» trompée par le bruit épouvantable de l'agresseur , emmena
l'injurié chez le juge de paix ; sa belle-sceur , attirée par le
» bruit , éprouva le même sort .
>>
>>
» Il
JUILLET 1807 : Cent
tot
Il étoit matin , continue le même narrateur
» réellement une chose originale de voir Maréchal tête me,
» en pantouffles , et sa belle - soeur en déshabillé et en bonnet
» de nuit , conduits tous deux au milieu de la garde , et
» suivis des enfans du quartier , toujours curieux des choses
> extraordinaires . L'étonnement de ceux qui les voyoient
-» dans cette position , les cris et le bruit des sabots des petits
» enfans qui les accompagnoient , l'indignation de sa belle-
» soeur , tout cela lui causa un fol tire comme il n'en eut
» jamais de sa vie. L'on pense bien que le juge de paix lui
» rendit justice ; mais le méchant voisin ne s'en tint pas là :
» il intenta un procès criminel au paisible Maréchal.
» C'étoit la première contestation qu'il eût eue de sa vie ;
» il la confia sous le secret à un ami ; il rougissoit d'avoir un
» procès : L'homme vertueux , disoit- il , doit respecter la jus-
» tice , mais ne doit jamais avoir affaire à elle. »
C'est apparemment par respect pour la mémoire de Maréchal
, et pour être fidèle à sa parole , que cet ami ne nous
donne pas la suite de cette aventure , et qu'il n'en explique
pas même le motif. Il est fâcheux que la réputation de
Maréchal mit ainsi ses voisins dans le cas de tout entreprendre
contre lui , parce qu'elle peut faire soupçonner que
le tort n'étoit pas tout entier du côté du méchant homme qui
se plaignoit , et que le paisible philosophe l'avoit au moins
scandalisé .
>>
J. J. Rousseau , dont Maréchal emprunte souvent les
pensées et les expressions , dit formellement qu'un athée est
un scélérat ; mais il faut ajouter , s'il n'est un fou , parce
qu'enfin il y a des gens dont la conduite est en opposition
avec les principes , et dont toute la vie est une perpétuelle
inconséquence . Montaigne avoit ainsi modifié cette pensée ,
lorsqu'il dit que « l'athéisme estant une proposition comme
>> desnaturée et monstrueuse , difficile aussi , et mal aisée
» d'establir en l'esprit humain , pour insolent et desreiglé
qu'il puisse estre : il s'en est veu assez par vanité et par
>> fierté de concevoir des opinions non vulgaires et réforma-
» trices du monde , en affecter la profession par contenance ;
qui , s'ils sont assez fols , ne sont pas assez forts pour l'avoir
plantée en leur conscience . Que pourtant ils ne lairront de
joindre leurs mains vers le ciel , si vous leur att chez un
» bon coup d'espée en la poitrine ; et que , quand la crainte
» ou la maladie aura abattu et appesanty cette licencieuse
» ferveur d'humeur volage , ils ne lairront pas de se revenir ,
- » et se laisser tout discrètement mourir aux créances et
» exemples publiques . » « Autre chose est , ajoute - t-il , un
>>
"}}
F
82 MERCURE DE FRANCE ,
->
dogme sérieusement digéré , autre chose ces impressions
» superficielles ; lesquelles , nées de la desbauche d'un esprit
» desmanché , vont nageant témérairement et incertaine-
» ment en la fantaisie Hommes bien misérables et escer-
» vellez , qui taschent d'estres pires qu'ils ne peuvent ! » Si ,
de son vivant , il avoit fallu juger Maréchal sur l'autorité de.
ces deux écrivains , qu'il ne cesse d'invoquer , il auroit peutêtre
été difficile de décider s'il méritoit plus de haine que de
pitié , parce que , n'ayant à exercer que ses fonctions insignifiantes
de bibliothécaire au Collége des Quatre-Nations ,
et ne pouvant ni voler , ni tuer sans s'exposer à la répression
des lois , il pouvoit encore paroître un assez bon humain
dans l'intimité de la vie commune , au milieu de ses pareils ;
dans sa famille peut -être ; avec ses maîtresses ou avec ses
amis . Les loups ne se mangent pas , dit- on ; et lorsqu'ils
sont sous la puissance de l'homme , retenus par la crainte
qu'elle leur inspire , ils laisssent en paix les agneaux avec
lesquels ils se rencontrent . Quoiqu'athée , Maréchal pouvoit
vivre tranquillement avec des athées , et , retenu par la
crainte des lois , il pouvoit filer doux avec ceux qui ne pensoient
pas comme lui . La question n'est pas de savoir ce
qu'il a fait de mal dans un état où il lui étoit impossible
d'en faire sans se nuire à lui- même . Ce qu'il faudroit examiner
aujourd'hui , c'est ce qu'il auroit fait dans une position différente
, avec une grande puissance et dans un pays où le
mépris public l'avoit constamment accompagné : or , il a
pris soin lui- même de nous en informer dans son livre
de la Vertu , espèce de rapsodie philosophique , qui renferme
la même pensée mille fois retournée , souvent exprimée
dans les mêmes termes , et qui tend à établir que tout est
néant dans l'univers , excepté la vertu : comme si la vertu ,
sans une puissance supérieure qui l'observe , qui l'admire et
qui peut la récompenser , n'étoit pas elle-même un véritable
néant , puisqu'où le pouvoir n'existe pas , il n'y a point de
sujets , ni d'obligations ! Comme si la vertu , qui impose des
privations sans récompense , n'étoit pas le comble de la folie
dans un être qui peut se satisfaire par un crime qui n'aura
point de châtiment ! Il faut donc déjà que l'esprit soit complétement
aliéné , pour parler de vertu lorsqu'on nie l'existence
de Dieu et l'immortalité de l'ame ; mais que penseronsnous
du même esprit qui , content d'avoir trouvé ce masque
pour cacher toute sa difformité , se présente sans aucune
pudeur comme le modèle et le type de la perfection , et qui
répète , après Diderot , qu'il n'appartient qu'à l'homme vertueux
d'être athée ; qui prétend que ce même homme , verJUILLET
1807 .
83
tueux à sa manière , c'est- à-dire , athée comme lui , est une
perle , et que nous sommes le fumier dans lequel on la
trouve ?
« Le peuple , dit - il , est une brute . »
« Les brutes ne sont pas plus capables de vertu que de
>> raison et de liberté . »
{
« Il faut encore dire cela , et le répéter :
» Une nation vieille , riche , populeuse , par conséquent
>> corrompue , est nécessairement populaire ; c'est-à - dire ,
>> composée d'autant de sortes de populaces qu'il y a d'ordres
» dans l'Etat. Or , toute populace de salon ou de carrefour ,
>> brodée ou fangeuse , n'est susceptible d'aucun élan de
>> vertu . »
« La plèbe est le fumier d'une république ; mais quand
» tout est plèbe dans une république , la vertu ne s'y trouve
» que par hasard : c'est un diamant perdu dans un grand
» amas de fumier ( comme Maréchal au milieu de la nation
>> française . ) »
« L'homme de vertu ( comme Maréchal ) vit comme s'il
» n'y avoit point de lois ; il pourroit dire aux magistrats et
>> aux juges : Qu'y a-t-il entre vous et moi ? »
« Lui seul à le droit de se croire capable de choses
>> sublimes. »
« Le pouvoir absolu ne sied qu'à l'homme de vertu , »
( qu'à Maréchal . )
« Un homme de vertu ( comme Maréchal ) est ce qu'il
» y a de plus parfait , de plus accompli dans la nature. »
« La vraie place de la vertu ( c'est- à -dire de Maréchal )
» seroit un trône où la chaise curule . »
« Magistrats , élevez à l'homme de vertu ( à Maréchal )
» un tombeau sur la place publique , pour qu'on sache du
» moins qu'il a existé un homme de bien ! »
la
Il est bon d'observer ici , qu'avant d'élever ce tombeau , il
faudra examiner si Diderot ne le mérite pas pour lui-même;
car il prétend que le crime est plus beau peut-être que
vertu. Tome XIV de ses uvres in- 8° , › pag. 262.
Après avoir vu ce qu'il auroit fallu que Maréchal fût
dans son pays , il sera curieux de reconnoître comment il
auroit composé son empire :
>>
« Il existe , dit-il , éparse sur la terre une véritable république
, composée de tout ce qu'il y a d'hommes de vertu
» (c'est-à-dire , d'athées comme Maréchal ) . Les bons livres ,
» en petit nombre , faits par eux ( comme le Dictionnaire
>> des Athées , fait par Maréchal ) , sont leurs truchemens ,
» leurs hérauts d'armes , les conducteurs du feu électrique
F 2
84 MERCURE DE FRANCE ,
>>
» qu'ils entretiennent , pour se ménager de temps en temps
quelques fortes explosions ( comme celle de 1793 ) . Les
puissances du jour s'en doutent , et se mettent sur leur
» garde en sorte que , long - temps encore , les hommes
» vertueux ( les athées ) formeront sur la terre une répu →
blique méconnue et peu redoutable. »
» •
Maréchal auroit certainement réuni tous ces braves gens
qui vivent ignorés , pour en composer une nation de fidèles
sujets , aussi vertueux que tous les héros qui prêchoient
Pathéisme au milieu de la Convention , et qui alloient
ensuite exercer leur humanité dans toute la France , ensanglantée
par leurs mains vertueuses.
« Ne seroit - il pas bien temps , poursuit le vertueux
Maréchal , que les hommes de vertu ( tels que lui ) sor-
» tissent de leur isolement , se montrassent pour confondre ,
» par leur présence seulement , tant de grands coupables
>> forts de leur impunité et fiers de leurs succès scandaleux ? »
( Tous ceux qui croient en Dieu , par exemple , et qui
jouissent de quelque considération ou de quelque fortune. )
"
« Gens de bien , s'écrie -t -il , c'est-à - dire , athées de tous
les pays , qui vivez au milieu des nations comme les tigres
» dans une ménagerie , ou comme les fous qui sont enfer
» més , vous ne connoissez pas votre force ; vous êtes en
» plus grand nombre que vous ne pensez ! Levez-vous à là
» même heure , armez-vous de fouets , et parcourez la terre
» pour la purger enfin des méchans que l'impunité enhardit ,
et qui traitent les hommes de vertu de bonnes gens . »
Ainsi Maréchal , devenu roi , auroit d'abord fait mássacrer
tous ceux qui pensent que les hommes de vertu sont
de bonnes gens. Nous laissons à penser ce qu'il auroit fait
de ceux qui croient que ces prétendus hommes de vertu
ne sout que des tigres enchaînés , des fous et des pestes
publiques.
Si nous voulons voir maintenant contre qui le paisible
Maréchal auroit d'abord dirigé ses coups de fouets , cela ne
sera pas difficile :
«
.. 11
Chaque espèce d'êtres , dit-il , a son ennemi dans une
» autre espèce. Ainsi l'agneau trouve un ennemi dans le
» loup , la poule dans le renard : le sage en trouve un aussi
» dans la personne des prêtres , etc. »
Donc le sage Maréchal , revêtu de la dictature , auroit
commencé par purger la terre de tous les prêtres , etc. : et
par cet et cætera , on sait qu'il faut entendre les rois , dont
le mariage avec la vertu a , dit-il , toujours été stérile ; et
eu général tous les hommes religieux , qui , selon lui , ne
sont pas des hommes de vertu .
JUILLET 1807 .
85
Tel auroit été le bon , le sensible , le vertueux Maréchal ,
si nous avions voulu le mettre à la tête du gouvernement
lorsqu'il a paru parmi nous ; mais son nom a toujours été ,
dit-il encore , trop peu connu , et ses ouvrages toujours trop
oubliés . Nous ne devons pas nous étonner , au surplus , de
le voir si bien disposé à user de violence envers tous ceux
qu'il auroit pu soupçonner de ne pas aimer sa doctrine ; il
nous en donne la raison , lorsqu'il nous dit d'un ton de
maître :
<«< Jeune homme , si tu découvres en toi quelque vertu ,
» n'en sois pas vain ! Elle t'a été donnée sous la condition
» de recevoir quant et quant , pour contre - poids , le vice
» opposé . »
D'où nous devons conclure que Maréchal , qui se trouvoit
doué des plus éminentes vertus , réunissoit aussi les plus
grands vices , et qu'il étoit en même temps très-bon et trèsméchant
, très-doux et très -cruel , fort juste et rempli de
partialité , etc. etc. Ce n'étoit guère la peine de tant prôner
la vertu , s'il faut toujours que les hommes qui la possèdent
au plus haut degré soient aussi les plus vicieux .
Quoique Maréchal prétendît être assuré qu'il n'y a point
de Dieu , tous les matins il saluoit le soleil ; et il dit positivement
qu'il croit au démon de Socrate , et que toute ame
honnête a le sien. Il paroît en effet que ce pauvre Maréchal
étoit au moins possédé du démon de l'orgueil .
Il ne veut aucune religion , aucun culte , pas même pour
la vertu : « Garde-toi , dit-il , de profaner la vertu par un
» culte. » Mais , nous assure sou historien , il composoit des
prières et des pseaumes ; et, pour preuve, il nous offre une
belle prière à l'amour profane , dans laquelle on voit que
Maréchal étoit son ministre le plus zélé .
C'est ainsi que , sans le vouloir , ce mauvais philosophe
nous enseigne ce qu'il faut attendre d'un homme qui se dit
athée . Ses moindres travers , dans son état privé , sont de se
mettre lui-même hors de la loi religieuse et civile qui gouverne
son pays , d'extravaguer pour se faire remarquer ; et
lorsque le peuple est assez malheureux et assez fou pour
l'écouter et pour lui accorder quelque distinction , quelqu'emploi
public , ou quelqu'autorité , ce charlatan de morale
insensée se montre le plus intolérant et le plus féroce
des hommes : il proscrit sans examen , sans aucune pitié et
sans remords , tout ce qui n'abonde pas dans son sens . Les
titres les plus respectables et les plus sacrés ne sont pour lui
que des sentences. de mort ; et comme tout ce qui est
véritablement vertueux blesse son orgueil et l'humilie , il
3.
86 MERCURE DE FRANCE ,
faut que tout ce qui porte quelque signe de vertu périsse .
Il est fort heureux pour l'humanité que de pareils hommes
meurent sans avoir obtenu la puissance qu'ils souhaitoient ;
et il est bon que leurs successeurs apprennent au moins
que , lorsqu'un ami maladroit voudra tirer leurs noms du
néant auquel ils se vouent , ce sera toujours pour l'exposer à
la dérision et au mépris public. G.
VARIÉTÉS .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES grands théâtres n'ont point donné de nouveautés cette
semaine. Mlle Saint-Albe continue ses débu's sans bruit. Elle
a été peu applaudie , mais jamais sifflée , dans les rôles
d'Andromaque , d'Aménaïde , d'Eriphile et de Monime. Elle
jouera la semaine prochaine Adélaïde Duguesclin. M. Joanni ,
acteur de Lyon , débutera samedi 11 juillet , sur le même
théâtre , dans le rôle de Cinna . On annonce aussi le début prochain
de Mlle Henri , ancienne actrice de l'Opéra , dans les
rôles de Mlle Contat.
- Le Théâtre de l'Impératrice doit donner incessamment
les Deux Figaro , de Martelli , et l'Héritier de Village , de
Marivaux.
- Mlle Rolandeau , actrice du théâtre de l'Opéra- Comique ,
vient de passer quinze jours à Dijon : elle y a obtenu les plus
grands succès . Malgré une chaleur excessive , l'affluence n'a
diminué à aucune des représentations ; et ces représentations
ont eu lieu tous les jours : chose extraordinaire dans une ville
du troisième ordre ! On a vu partir avec regret une actrice
qui joint à une très belle voix une excellente méthode de
chant , et qui réunit encore à ces talens si rares le ton de la
bonne comédie , que , depuis long - temps , on ne retrouve
plus sur les théâtres de province.
-
2.
-On mande de Milan , que Mad . Lena Perpenti , de
Como , à laquelle la société d'encouragement du royaume
d'Italie , avoit décerné , en 1806 , une médaille d'honneur
pour avoir perfectionné la filature de l'amiante , vient de faire
avec succès un essai pour fabriquer , avec ce fossile , un papier
très-propre à l'écriture et à l'impression , et capable de résis-
´ter à l'action des élémens. Le conseiller- d'état Moscati , direcJUILLET
1807 . 87
teur-général de l'instruction publique , a fait imprimer , sur
cette nouvelle espèce de papier , les complimens du nouvel an ,
adressés au vice-roi et à la vice- reine d'Italie .
- La construction de la seconde galerie qui doit joindre le
Louvre aux Tuileries , du côté du nord , n'est plus seulement
un projet. On fait dans ce moment les fouilles pour poser les
fondemens de cette galerie , dans l'espace qui existe entre
le pavillon Mersan et l'hôtel occupé par M. le secrétaire
d'Etat. Une immense quantité de pierres est déjà rassemblée
pour cet objet sur la place du Carrousel. On a aussi commencé
les travaux pour la construction du monument dédié , par
l'Empereur , à la gloire des armées françaises.
-
La Société des Sciences de Harlem propose les prix suivans
pour le 1er. novembre 1807 : 1 ° . Quelles sont les différences
essentielles des propriétés et des parties constituantes
du sucre de cannes , et de celui qu'on obtient de plusieurs
arbres et autres végétaux ? 2°. Quelle est la cause de la phosphorescence
de l'eau de la mer ? Et si elle provient de la prés,
sence des petits animalcules vivans , quels sont ces animalculequelles
propriétés nuisibles peuvent- ils communiquer à l'amosphère
? 3°. Quelle est l'origine probable du Sperma Ceti?
Peut- on obtenir cette substance de l'huile de baleine ,
pourroit-on l'y produire avec avantage ? Les prix sont des
médailles de 400 , 300 et 200 florins. Le terme de l'envoi
des Mémoires est fixé au 1. octobre 1807 .
NOUVELLES POLITIQUES .
Zara , 20 juin.
on
Une lettre de Travarnich , du 5 juin , annonce qu'il y étoit
arrivé la veille un Tartare apportant la nouvelle que les Russes
ont été battus sous les murs d'Ismaïl ; qu'on leur a pris 51 pièces
de canon , 5 drapeaux , onze barques canonnières ; et qu'ils
ont eu un grand nombre de tués et de blessés. Un corps de
1800 Russes , qui étoit retranché à peu de distance , a capitulé .
L'ennemi a aussi abandonné la forteresse d'Akerman . Une tentative
faite par les Russes contre l'île de Candie , a échoué ; elle
leur a coûté 2000 hommes tués , blessés ou prisonniers , et cinq
bâtimens chargés de munitions qui sont restés au pouvoir des
Candiotes.
Milan , 2 juillet.
On vient de recevoir des détails exacts sur la révolution
qui a éclaté dernièrement à Constantinople : ils ont élé
apportés par un officier parti le 3 juin de cette capitale , et
arrivé hier au soir ici .
4
88 MERCURE DE FRANCE ,
Les janissaires manifestoient de plus en plus leur mécontentement
des innovations introduites dans la discipline et
l'exercice militaire. Le 27 mai , un corps de cette milice qui
avoit reçu ordre de prendre un nouvel uniforme , de se raser
la barbe , etc , refusa d'obéir , se révolta ouvertement , marcha
sur Constantinople , et vint camper devant le sérail. Les
rebelles n'étoient alors qu'au nombre de 1300 hommes ; mais
ils l'accrurent prodigieusement le lendemain , et le muphti se
déclara pour eux. Il paroît que le sultan Selim a trop longtemps
différé à prendre des mesures de vigueur. Le 29 , le
corps des ulhémas , présidé par le muphti , prononça la déposition
du sultan , et la motiva , 1°. sur un article du Koran ,
qui porte qu'un calife qui , après sept années , n'aura pas
donné de successeur à son trône , sera déclaré indigne de
régner ( Selim III régnoit depuis 19 ans , et n'avoit point
encore eude fils ) ; 2°. sur ce que Selim a violé la loi du prophète
, en ne protégeant pas la caravane de la Mecque; 3°. sur
ce qu'il a été ordonné des innovations , tandis que toute innova,
tion est défendue par la loi. La même sentence appeloit au
trône Mustapha IV , fils du prédécesseur de Selim .
En exécution de cette décision , les janissaires qui déjà
étoient maîtres du sérail , en arrachèrent Selim , et le conduisirent
au vieux sérail , d'où il tirèrent Mustapha IV, qu'ils
proclamèrent empereur. Le même jour , 29 , plusieurs ministres
de Selim , dénoncés par les janissaires aux ulilémas ,
comme les principaux auteurs des innovations dont ils se
| plaignoient , furent condamnés et mis à mort. On dit que
Selim III, avant d'entrer en prison , a parlé à son successeur ,
et lui a recommandé de ne pas se laisser aller aux mauvais
conseils qui l'ont perdu , et de gouverner avec justice. Mustapha
a promis de respecter la vie de son prédécesseur.
Le lendemain, tout étoit déjà tranquille à Constantinople ;
Jes magasins étoient ouverts , et le peuple se livroit à la joie,
Le retjuin on publia un fırınan du nouveau sultan , qui renouvelle
la déclaration de guerre contre la Russie , qui proclame
cette guerre , guerre de religion , et qui ordonne à tous les
peuples fidélité et attachement à l'illustre allié Napoléon ,
Empereur des Français et Roi d'Italie. Ce firman fut reçu par
lepeuple et par les troupes avec beaucoup de respect et d'allégresse.
Leur joie fut encore augmentée par la nouvelle qui se
répandit immédiatement , que le capitan-pacha venoit de
battre la flotte russe devant Tenedos. L'ambassadeur de France
qui étoit absent de Constantinople au moment où éclata la
révolte , y est rentré depuis , et n'a plus quitté son palais .
(Giornale italiano . )
JUILLET 1807 . 89
PARIS, vendredi to juillet.
LXXXI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 21 juin 1807 .
A la journée d'Heilsberg , le grand-duc de Berg passa sur
la ligne de la 3ª division de cuirassiers , au moment où le 6º
régimentde cuirassiers venoit de faire une charge. Lecolonel
d'Avenay , commandant ce régiment, son sabre dégouttant de
sang , lui dit : « Prince, faites la revue de mon régiment , vous
verrez qu'il n'est aucun soldat dont le sabre ne soit comme le
mien. »
Les colonels Colbert , du 7º de hussards; Lery, du 5°, se
sont fait également remarquer par la plus brillante intrépidité.
Le colonel Borde-Soult , du 22º de chasseurs , a été blessé.
M. Guehenenc , aide-de-camp du maréchal Lannes , a été
blessé d'une balle au bras.
Les généraux aides-de-camp de l'EMPEREUR, Reille et Bertrand,
ont rendu des services importans. Les officiers d'ordonnance
de l'EMPEREUR , Bongars , Montesquiou , Labiffe , ont
mérité des éloges pour leur conduite.
Les aides-de-camp du prince de Neuchâtel , Louis de
Périgord, capitaine , et Pivé , chef-d'escadron , se sont fait
remarquer.
Le colonel Curial, commandant les fusiliers de la garde ,
a été nommé général de brigade .
Le général de division Dupas , commandant une division
sous les ordres du maréchal Mortier , a rendu d'importans
services à la bataille de Friedland .
Les fils des sénateurs Pérignon , Clément de Ris et Garran
de Coulon, sont morts avec honneur sur le champ de ba
taille.
Le maréchal Ney s'étant porté à Gumbinnen , a arrêté
quelques parcs d'artillerie ennemie, beaucoup de convois de
blessés , et fait un grand nombre de prisonniers .
LXXXII BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Tilsit , le 22 juin 1807 .
En conséquence de la proposition qui a été faite par le
commandant de l'armée russe , un armistice a été conclu dans
les termes suivans :
ARMISTICE .
S. M. l'Empereur des Français , etc. etc. , et S. M. l'empereur
de Russie , voulant mettre un terme à la guerre qui divise
les deux nations, et conclure , en attendant, un armistice ,
ontnommé et muni de leurs pleins-pouvoirs ; savoir : d'une
go MERCURE DE FRANCE ,
part, le prince de Neuchâtel , major-général de la Grande-
Armée; et de l'autre , le lieutenant-général prince Labanoff
de Rostow, chevalier des ordres de Sainte-Anne , grandcroix
, etc. , lesquels sont convenus des dispositions suivantes :
Art. Iºr . Il y aura armistice entre l'armée française et l'armée
russe , afin de pouvoir, dans cet intervalle , négocier ,
conclure et signer une paix qui mette fin à une effusion de
sang si contraire à l'humanité.
II . Celle des deux parties contractantes qui voudra rompre
l'armistice , ce que Dieu ne veuille , sera tenue de prévenir au
quartier-général de l'autre armée, et ce ne sera qu'après un
mois de la date des notifications , que les hostilités pourront
recommencer .
III . L'armée française et l'armée prussienne concluront un
armistice séparé , et à cet effet des officiers seront nommés
de part et d'autre. Pendant les quatre ou cinq jours nécessaires
à la conclusion dudit armistice , l'armée française ne
commettra aucune hostilité contre l'armée prussienne.
IV. Les limites de l'armée française et de l'armée russe ,
pendant le temps de l'armistice , seront depuisle Curisch-
Haff , le Thalweg du Niemen; et en remontant la rive
gauche de ce fleuve jusqu'à l'embouchure de Lorasna à
Schaim , et montant cette rivière jusqu'à l'embouchure du
Bobra , suivant ce ruisseau par Bogari , Lipsk , Stabin ,
Dolistowo , Goniondz et Wizna jusqu'à l'embouchure du
Bobra dans la Narevw, et de là remontant larive gauche de la
Narew par Tykoczyn , Suras-Narew , jusqu'à la frontière de
la Prusse et de la Russie; la limite dans le Frisch-Nérung sera
à Nidden .
V. S. M. l'Empereur des Français , et S. M. l'empereur de
Russie nommerent, dans le plus court délai , des plénipotentiaires,
munis des pouvoirs nécessaires pour négocier , conclure
et signer la paix définitive entre ces deuxgrandes et puissantes
nations.
VI. Des commissaires seront nommés de part et d'autre , à
l'effet de procéder sur-le-champ à l'échange, grade par grade,
et homme par homme , des prisonniers de guerre .
VII. L'échange des ratifications du présent armistice sera
fait au quartier-général de l'armée russe dans quarante-huit
heures , et plus tôt si faire se peut.
Fait à Tilsit , le 21 juin 1807.
Signé le prince de Neuchatel, maréchal ,
Alexandre BERTHIER ;
Le prince LABANOFF DE ROSTOW.
L'armée française occupe tout le Thalweg du Niemen , de
JUILLET 1807 . 91
sorte qu'il ne reste plus au roi de Prusse que la petite ville et
le territoire de Memel.
Proclamation de S. M. L'EMPEREUR ET ROI à la Grande-
Soldats ,
Armée.
Le5juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens
parl'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre
inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos étoit celui
du lion : il se repent de l'avoir troublé.
Dans les journées de Guttstadt , de Heilsberg , dans celle
àjamais mémorable de Friedland , dans dix jours de campagne
enfin , nous avons pris 120 pièces de canon , 7 drapeaux ;
tué , blessé ou fait prisonniers 60,000 Russes ; enlevé à l'armée
ennemie tous ses magasins , ses hôpitaux , ses ambulances ; la
place de Kænigsberg , les 30o bâtimens qui étoient dans ce
port , chargés de toute espèce de munitions; 160,000 fusils
que l'Angleterre envoyoit pour armer nos ennemis .
Desbords de la Vistule , nous sommes arrivés sur ceux du
Niémen avec la rapidité de l'aigle. Vous célébrâtes à Austerlitz
l'anniversaire du couronnement ; vous avez cette année dignement
célébré celui de la bataille de Marengo , qui mit fin à la
guerre de la seconde coalition.
Français , vous avez été dignes de vous et de moi. Vous
rentrerez en France couverts de tous vos lauriers , et après
avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie
de sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos , à
l'abri de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits
vous prouveront ma reconnoissance et toute l'étendue de
l'amour que je vous porte.
Au camp impérial de Tilsit , le 22 juin 1807.
LXXXIII BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE .
Tilsit, le 23 juin 1807 .
La place de Neiss a capitulé.
La garnison , førte de 6000 hommes d'infanterie et de 300
hommes de cavalerie, a défilé le 15 juin devant le prince
Jérôme. On a trouvé dans la place 300 milliers de poudre et
500 bouches à feu .
LXXXIV BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 24 juin 1807 .
Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au
quartier-général des Russes , au-delà du Niemen , pour échanger
les ratifications de l'armistice , qui a été ratifié par l'empereur
Alexandre.
Le24, le prince Labanoff ayant fait demander une audience
go MERCURE DE FRANCE ,
part , le prince de Neuchâtel , major - général de la Grande-
Armée; et de l'autre , le lieutenant- général prince Labanoff
de Rostow , chevalier des ordres de Sainte- Anne , grandcroix
, etc. , lesquels sont convenus des dispositions suivantes :
Art. 1º . Il y aura armistice entre l'armée française et l'armée
russe , afin de pouvoir , dans cet intervalle , négocier ,
conclure et signer une paix qui mette fin à une effusion de
sang si contraire à l'humanité.
II . Celle des deux parties contractantes qui voudra rompre
l'armistice , ce que Dieu ne veuille , sera tenue de prévenir au
quartier- général de l'autre armée , et ce ne sera qu'après un
mois de la date des notifications , que les hostilités pourront
recommencer.
III. L'armée française et l'armée prussienne concluront un
armistice séparé , et à cet effet des officiers seront nommés
de part et d'autre. Pendant les quatre ou cinq jours nécessaires
à la conclusion dudit armistice , l'armée française ne
commettra aucune hostilité contre l'armée prussienne.
IV. Les limites de l'armée française et de l'armée, russe ,
pendant le temps de l'armistice , seront depuis le Curisch-
Haff , le Thalweg du Niemen ; et en remontant la rive
gauche de ce fleuve jusqu'à l'embouchure de Lorasna à
Schaim , et montant cette rivière jusqu'à l'embouchure du
Bobra , suivant ce ruisseau par Bogari , Lipsk , Stabin ,
Dolistowo , Goniondz et Wizna jusqu'à l'embouchure du
Bobra dans la Narew, et de là remontant la rive gauche de la
Narew par Tykoczyn , Suras-Narew , jusqu'à la frontière de
la Prusse et de la Russie ; la limite dans le Frisch- Nérung sera
à Nidden .
V. S. M. l'Empereur des Français , et S. M. l'empereur de
Russie nommerent , dans le plus court délai , des plénipotentiaires
, munis des pouvoirs nécessaires pour négocier , conclure
et signer la paix définitive entre ces deux grandes et puissantes
nations.
VI. Des commissaires seront nommés de part et d'autre , à
l'effet de procédor sur-le-champ à l'échange, grade par grade,
et homme par homme , des prisonniers de guerre.
VII. L'échange des ratifications du présent armistice sera
fait au quartier-général de l'armée russe dans quarante-huit
heures , et plus tôt si faire se peut.
Fait à Tilsit , le 21 juin 1807 .
Signé le prince de Neuchatel , maréchal ,
Alexandre BERTHIER ;
Le prince LABANOFF DE ROSTOW.
L'armée française occupe tout le Thalweg du Niemen , de
JUILLET 1807 . 91
sorte qu'il ne reste plus au roi de Prusse que la petite ville et
le territoire de Memel.
Proclamation de S. M. L'EMPEREUR ET Roi à la Grande-
Armée.
Soldats ,
Le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens
par l'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre
inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos étoit celui
du lion il se repent de l'avoir troublé.
Dans les journées de Guttstadt , de Heilsberg , dans celle
à jamais mémorable de Friedland , dans dix jours de campagne
enfin , nous avons pris 120 pièces de canon , 7 drapeaux ;
tué , blessé ou fait prisonniers 60,000 Russes ; enlevé à l'armée
ennemie tous ses magasins , ses hôpitaux , ses ambulances ; la
place de Koenigsberg , les 300 bâtimens qui étoient dans ce
port , chargés de toute espèce de munitions ; 160,000 fusils
que l'Angleterre envoyoit pour armer nos ennemis.
Des bords de la Vistule , nous sommes arrivés sur ceux du
Niemen avec la rapidité de l'aigle . Vous célébrâtes à Austerlitz
l'anniversaire du couronnement ; vous avez cette année dignement
célébré celui de la bataille de Marengo , qui mit fin à la
guerre de la seconde coalition .
Français , vous avez été dignes de vous et de moi. Vous
rentrerez en France couverts de tous vos lauriers , et après
avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie
de sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos , à
l'abri de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits
vous prouveront ma reconnoissance et toute l'étendue de
l'amour que je vous porte.
Au camp impérial de Tilsit , le 22 juin 1807.
LXXXIII BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Tilsit , le 23 juin 1897.
La place de Neiss a capitulé.
La garnison , førte de 6000 hommes d'infanterie et de 300
hommes de cavalerie , a défilé le 15 juin devant le prince
Jérôme. On a trouvé dans la place 300 milliers de poudre et
500 bouches à feu .
LXXXIV BULLETIN DE LA GRANDE- ARMÉE.
Tilsit , le 24 juin 1807 .
Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au
quartier-général des Russes , au-delà du Niemen , pour échanger
les ratifications de l'armistice , qui a été ratifié par l'empereur
Alexandre.
Le 24 , le prince Labanoff ayant fait demander une audience
92 MERCURE DE FRANCE ,
à l'EMPEREUR , Il est resté long-temps dans le cabinet de S. M.
Le général Kalkreuth est attendu au quatier-général , pour
signer l'armistice du roi de Prusse.
Le 11 juin , à quatre heures du matin , les Russes attaquèrent
en force Druczewo . Le maréchal Massena se porta
sur la ligne , repoussa l'ennemi et déconcerta ses projets. Le
17. régiment d'infanterie légère a soutenu sa réputation. Le
général Montbrun s'est fait remarquer. Un détachement du
28° d'infanterie légère et un piquet de 25º de dragons on mis
en fuite les.cosaques. Tout ce que l'ennemi a entrepris contre
nOS postes dans les journées du 11 et du 12 , a tourné à sa
confusion.
On a vu par l'armistice que la gauche de l'armée française
est appuyée surle Gurrisch- Haff, àl'embouchure du Nicmen;
de là notre ligne se prolonge sur Grodno. La droite ,
commandée par le maréchal Massena , s'étend sur les confins
de la Russie , entre les sources de la Narrew et du Bug.
Le quartier-général va se concentrer à Koenigsberg , où
l'on fait toujours de nouvelles découvertes en vivres , munitions
et autres effets appartenant à l'ennemi.
Une position aussi formidable est le résultat des succès les
plus brillans ; et tandis que toute l'armée ennemie est en
fuite et presque anéantie , plus de la moitié de l'armée française
n'a pas tiré un coup de fusil.
LXXXV BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE .
Tilsit , le 24 juin 1807 .
Demain , les deux Empereurs , de France et de Russie ,
doivent avoir une entrevue. Ona , à cet effet , élevé au milieu
du Niemen un pavillon où les deux monarques se rendront de
chaque rive.
Peú de spectacles seront aussi intéressans. Les deux côtés
du fleuve seront bordés par les deux armées , pendant que les
chefs confereront sur les moyens de rétablir l'ordre , et de
donner le repos à la génération présente.
Le grand-maréchal du palais Duroc est allé hier , à trois
heures après midi , complimenter l'empereur Alexandre.
Lemaréchal comte de Kalkreuth a été présenté aujourd'hui
à l'EMPEREUR; il est resté une heure dans le cabinet de S. M.
L'EMPEREUR a passé ce matin la revue du corps du maréchal
Lannes. Il a fait différentes promotions , a récompensé les
braves , et a témoigné sa satisfaction aux cuirassiers saxons .
JUILLET 1807 . 93
i
LXXXVI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 25 juin 1807 .
Le 25 juin, à une heure après midi , l'EMPEREUR , accompagné
du grand-duc de Berg , du prince de Neuchâtel , du
inaréchal Bessières , du grand-maréchal du palais Duroc et
du grand-écuyer Caulaincourt , s'est embarqué sur les bords
du Niemen dans un bateau préparé à cet effet; il s'est rendu
au milieu de la rivière où le général Lariboissière , commandant
l'artillerie de la garde , avoit fait placer un large radeau ,
et élever un pavillon. A côté étoit un autre radeau et un
pavillon pour la suite de Leurs Majestés. Au même moment,
l'empereur Alexandre est parti de la rive droite , sur un bateau,
avec le grand-duc Constantin , le général Benigsen , le général
Ouwaroff, le prince Labanoff et son premier aide-de-camp
le comte de Lieven.
Les deux bateaux sont arrivés en même temps; les deux
Empereurs se sont embrassés en mettant le pied sur le radeau ;
ils sont entrés ensemble dans la salle qui avoit été préparée , et
ysont restés deux heures. La conférence finie , les personnes
de la suite des deux Empereurs ont été introduites. L'empereur
Alexandre a dit des choses agréables aux militaires qui accompagnoient
l'EMPEREUR , qui , de son côté , s'est entretenu longtemps
avec le grand-duc Constantin et le général Benigsen.
Laconférence finie, les deux Empereurs sont montés chacun
dans leur barque. On conjecture que la conférence a eu le
résultat le plus satisfaisant. Immédiatement après , le prince
Labanoff s'est rendu au quartier-général français. On est
convenu que la moitié de la ville de Tilsit seroit neutralisée .
Onya marqué le logement de l'empereur de Russie et de są
cour. La garde impériale russe passera le fleuve , et sera cantonnée
dans la partie de la ville qui lui est destinée.
Le grand nombre de personnes de l'une et l'autre armés ,
accourues sur l'une et l'autre rive pour être témoins de cette
scène , rendoient ce spectacle d'autant plus intéressant , que
les spectateurs étoient des braves des extrémités du monde.
Tilsit , le 26 juin 1807.
Anjourd'hui, à midi et demi , S. M. s'est rendue su pavillon
du Niemen. L'empereur Alexandre et le roi de Prusse sont
arrivés au même moment. Ces trois souverains sont restés
ensemble dans le salon du pavillon pendant une demi-heure
Acinq heures et demie , l'empereur Alexandre est passé
sur la rive gauche. L'Empereur Napoléon l'a reçu à la des
cente du bateau. Ils sont montés à cheval l'un et l'autre ; ils ont
parcouru la grande rue de la ville, où se trouvoit rangéeda
94 MERCURE DE FRANCE ,
garde impériale françaiseà pied et à cheval, et sont descendus
au palais de l'Empereur Napoléon. L'empereur Alexandre y
a dîné avec l'EMPEREUR , le grand-duc Constantin et le grandduc
de Berg.
-M. de Montesquiou , officier d'ordonnance de S. M.
l'EMPEREUR et Ror , est venu , de la part de S. M. , donner à
S. M. l'Impératrice-Reine , des détails sur l'entrevue des deux
Empereurs. (Moniteur.)
-
M. Joseph de Monaco , officier d'ordonnance de S. M.
est arrivé à Paris le 8 , pour donner à S. M. l'Impératrice-
Reine , des nouveaux détails sur les seconde et trosième conférences
des deux Empereurs. (Moniteur. )
Tilsit, le 27 juin 1807.
Le général de division Teulié , commandant la division
italienne au siége de Colbert , qui avoit été blessé à la cuisse
d'un boulet, le 12 , à l'attaque du fort Wolwsberg , vient de
mourir de ses blessures. C'étoit un officier également distingué
par sa bravoure et ses talens militaires.
Voici le journal :
* La ville de Kosel a capitulé.
Le 24 juin , à deux heures du matin , S. A. I. le prince
Jérôme a fait attaquer , etenlever le camp retranché que les
prussiens occupoient sous Glatz , à portée de mitraille de
cetteplace.
Le général Vandamme , à la tête de la division wurtembergeoise
, ayant avec lui un régiment provisoire de chasseurs
français à cheval , a commencé l'attaque sur la rive gauche
de la Neiss , tandis que le général Lefebvre avec les Bavarois
attaquoit sur la rive droite. En une demi-heure , toutes les
redoutes ont été eulevées à la baïonnette; l'ennemi a fait sa
retraite en désordre , abandonnant dans le camp 1200 hommes
tués et blessés , 500 prisonniers et douze pièces de canon. Les
Bavarois et les Wurtembergeois se sont très-bien conduits.
Les généraux Vandamme et Lefebvre ont dirigé les attaques
avec une grande habileté.
Tilsit , le 28 juin 1807 .
Hier, à trois heures après midi, l'EMPEREUR s'est rendu chez
l'empereur Alexandre. Ces deux princes sont restés ensemble
jusqu'à six heures. Ils sont alors montés à cheval, et sont allés
voir manoeuvrer la garde impériale. L'empereur Alexandre a
amontré qu'il connoît très-bientoutes nos manoeuvres , et qu'il
entend parfaitement tous les détails de la tactique militaire.
•
JUILLET 1807 . 95
Ahuit heures , les deux souverains sont revenus au palais
de l'Empereur Napoléon , où ils ont dîné comme la veille
avec le grand-duc Constantin et le grand-duc de Berg.
Après le dîner , l'Empereur Napoléon a présenté LL. Exc.
le ministre des relations extérieures et le ministre secrétaire
d'Etat à l'empereur Alexandre , qui lui a aussi présenté , S. Exc.
M. de Budberg , ministre des affaires étrangères , et le prince
Kurakin .
Les deux souverains sont ensuite rentrés dans le cabinet de
l'Empereur Napoléon , où ils sont restés seuls jusqu'à onze
heures du soir.
Aujourd'hui 28 , à midi , le roi de Prusse a passé le Niemen,
et est venu occuper à Tilsit le palais qui lui avoit été
préparé. Il a été reçu , à la descente de son bateau , par le
maréchal Bessières . Immédiatement après , le grand-duc de
Berg , est allé lui rendre visite.
A une heure , l'empereur Alexandre est venu faire une
visite à l'Empereur Napoléon , qui est allé au-devant de lui
jusqu'à la porte de son palais .
1.
Adeux heures , S. M. le roi de Prusse est venu chez l'Empereur
Napoléon , qui est allé le recevoir jusqu'au pied de
l'escalier de son appartement.
Aquatre heures , l'Empereur Napoléon est allé voir l'EmpereurAlexandre.
Ils sont montés à cheval à cinq heures , et
se sont rendus sur le terrain ou devoit manoeuvrer le corps du
maréchal Davoust.
-S. M.I'EMPEREUR et Ror, par sa lettre du 22 juin au prince
archichancelier , avoit ordonné que le corps de S. A. I. Napoléon-
Charles , prince Royal de Hollande , décédé à la Haye
le 5 mai dernier , seroit déposé dans une chapelle de
l'église de Notre-Dame , pour y être gardé jusqu'au moment
où l'église impériale de Saint-Denis , entièrement réparée , et
pour ainsi dire reconstruite , permettroit de l'y transporter. En
conséquence de ces ordres , que sur l'invitation de S. A. S.
Mgr. le prince archichancelier de l'Empire , le ministre de
l'intérieur avoit transmis à M. de Caulaincourt, grand-écuyer
de la couronne de Hollande , chargé de la conduite de ce précieux
dépôt , le corps du prince défunt a été conduit à Saint-
Leu. Le 7 juillet , il est parti de Saint- Leu dans une des
voitures de S. M. , où se trouvoit un aumônier de S. M. le
roi de Hollande , toujours sous la garde de M. de Caulaincourt,
qui suivoit dans une autre voiture. Le convoi étoit
escorté par un piquet de la garde impériale à cheval ; il est
arrivé à deux heures et demie à la grande porte de l'église
96 MERCURE DE FRANCE ,
métropolitaine , qu'occupoit un détachement de la garde im
périale à pied. Là s'étoient rendus S. A. S. Mgr. le prince
archichancelier de l'Empire , assisté des deux ministres de
l'intérieur et des cultes , ainsi que S. Em. le cardinal- archevề
que , accompagné de son clergé.
S. Exc. le grand-écuyer de Hollande , en faisant la remise
du corps , s'est adressé au prince archichancelier , et lui a dit :
« Monseigneur, par les ordres de S. M. le roi de Hollande ,
>>je remets entre les mains de V.A.Ş. le corps de S. A. I.
>> Napoléon-Charles , prince Royal de Hollande, lequel est
» contenu dans cette bière; dans ces deux boîtes de plomb
>> que je remets également à V. A. , sont renfermés le coeur et
» les entrailles de ce prince.>>
((
S. A. S. a répondu : « Monsieur , je reçois de vos mains le
> dépôt précieux dont vous avez été chargé » ; et se retournant
vers S. Em. le cardinal-archevêque, il luiadit: Mon-
>> sieur le cardinal , par les ordres de S. M. l'EMPEREUR et
>> Roi , je remets entre les mains de V. Em. le corps de S. A. I.
>>Napoléon- Charles , prince Royal de Hollande, qui doit
>> être gardé dans votre église , jusqu'à sa translation dans
> celle de Saint-Denis. » S. Em. a répondu « qu'elle et son
* chapitre veilleroient avec soin à la conservation du précieux
» dépôt dont S. M. vouloit bien les honorer. »
Après quoi , tout le cortége s'est rendu dans la chapelle de
Saint-Gérand, située à droite derrière le choeur , qui avoit
été préparée pour recevoir le corps du prince.
Il a été déposé sur une estrade en face de l'autel ; la chapelle
a été fermée , et S., A. S. le prince archichancelier ,
S. Em. le cardinal - archevêque , LL. EE. les ministres de
l'intérieur et des cultes , et le grand-écuyer de S. M. le roi
de Hollande se sont retirés dans le palais archiepiscopal pour
y signer le procès - verbal de la translation et du dépôt
provisoire du corps da prince royal de Hollande.
:
Quoique cette cérémonie n'ait eu aucune solennité , l'objet
n'a pu en être ignoré ; elle a occasionné autour de l'église
dontleess portes ont été fermées au public, ungratid concours
de peuple , et il a été facile de lire sur le visage des speetateurs
l'impression douloureuse qu'ils éprouvoient en voyant
le convoi de ce jeune prince; objet de tant d'affections et
déjà sujet de tantd'espérances , enlevéà sa famille, à la France,
à la Hollande à qui il étoit également cher. La douleur publique
s'accroissoit de la douleur connue de ses augastes parens
, et cette première perte d'une illustre famille a qui la
France doit sa gloire et sa prospérité , à qui l'Europe devra
repos, étoitjustement considérée comme une calamité pu- le
blique. (Moniteur.)
( No. CCCXIII. )
3
(SAMEDI 18 JUILLET 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
L'OPÉRA CHAMPÊTRE.
QU'U'IILLSS me sontdoux ces champêtres concert's ,
Où rossignols , pinsons , merles , fauvettes ,
Sur leur théâtre , entre des rameaux verts ,
Viennent, gratis , m'offrir leurs chansonnettes !
Que's opéras me seroient aussi chers?
Là, n'est point d'art, d'ennui scientifique: -
Gluck , Piccini , n'ont point noté les airs;
Nature seule en a fait la musique ,
EtMarmontel n'en a pas fait les vers.
M. LE BRUN, de l'Académie Française.
DIFFICULTÉ
22
DE TROUVER ET DE RASSEMBLER LES MATÉRIAUX DE
L'HISTOIRE DES PREMIERS SIÈCLES .
St d'un palais antique on trouvoit les ruines
Couvertes par le temps et de mousse et d'épines,
Et ses marbres rompus , vieux monumens des arts ,
Dans un vaste terrain confusément éars;
Si nous étions certains que , dans ce grand décombre,
Nul débris ne manquât de ces débris sans nombre ,
Quel immense travail , quelle peine pour nous
De chercher,de fouiller, de les rassembler tous !
G
98
MERCURE
DE
FRANCE
;
Ou bien , sans rebâtir cet amas de matière ,
DeDe se peindre du moins sa structure première !
Mais si de ce palais des débris sont perdus ,
Si ce qui reste est peu près de ce qui n'est plus ,
Comment de l'édifice imaginer l'ensemble ,
Comment en dessiner un plan qui lui ressemble ?
1
Tels sont pour nous les faits des siècles reculés.
Si notre esprit remonte à ces temps écoulés ,
Combien dans les auteurs , écrivains de l'histoire,
Ont vu périr leur livre , et même leur mémoire !
Ceux qui restent encor sont rarement entiers :
Des fragmens sont épars en différens sentiers ,
Dans des lieux écartés des routes ordinaires ,
Où sont marqués da Temps les pas itinéraires ;
Qui dans ces lieux secrets ira les déterrer ?
Mais ce qui fait sur - tout que l'on doit s'égarer ,
Ce qui n'arrive pas à des débris de pierre ,
On voit ces monumens , vieux fastes de la terre ,
Se contredire entre eux et se contrarier :
Où trouver le secret de les concilier ?
De la balance entr'eux où prendre l'équilibre ?
Comment se décider , lorsque le choix est libre ?
M. DESAINTANGE
ILS SE SONT EMBRASSÉS !
VAUDEVILLE POPULAIRE ,
Sur l'air Ne m'entendez -vous pas ?
Ils se sont embrassés !
Telles sont les nouvellesi
Dites-m'en de plus belles ,
Si vous en connoissez.
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés !
Que la plus grande joie
Sur nos fronts se déploie
Vous , Anglais , pâlissez !
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Quel profond politique,
Quel penseur prophétique
L'eût dit les mois passés ?
Ils se sont embrassés.
JUILLET 1807 :
99
Ils se sont embrassés !
Du mal , affreux génie , ....
Ta puissance est finie; ...
Nos voeux sont exaucés .
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
De tous les coeurs sensibles
Les souvenirs pénibles
Vont donc être effacés.
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Nonobstant la colère
De ce peuple insulaire ,
Dont les fonds sont baissés.....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Dans tous les ports de France ;
Marchands , en espérance ,
Déjà vous jouissez ....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !.
Combien nos frères d'armes ,
Après un an d'alarmes ,
Vont être caressés ! ....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Leurs regards débonnaires ,
Aux feux de leurs tonnerres
Sembloient dire : Cessez !...!
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Qu'ont fait alors nos braves
Et les Russes , plus graves ,
Par l'exemple pressés ? ..
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Je veux voir à la fête
(Que sans doute on apprête ! )
Partout ces mots tracés :
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Ce refrein pacifique
Vant un poëme épique ,
Et nous en dit assez.....
Ils se sont embrassés.
M. DE PITs , membre de la Légion d'Honneuf
secrétaire-général de la Préfecture de Police.
100 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGME.
Je ne puis exister sans l'esprit et le corps ;
Sans être aucun des deux ils sont mes deux ressorts.
Pour ma production , ô merveille étonnante !
Un seul sexe suffit , sans douleur il m'enfante.
Par mon rapide vol je me perds dans les airs :
Je me plais à la ville et me plais aux déserts.
Je suis agent d'amour , une source de haine ,
Un gage précieux de la foi souveraine.
Sur tous les animaux món empire s'étend ,
A mon ordre par fois homme et brute se rend .
J'accorde les humains , c'est moi qui les divise,
A tous ces traits , lecteur , connois- tu ma devise ?
LOGOGRIPHE.
Ce moi qui parle , ami , quatre autres moi rassemble :
Chacun de ces moi n'est pas moi ,
Mais ils sont moi tous quatre ensemble.
Quatre ne font donc qu'un………. Tu t'étonnes , je croi !
Oh ! ce n'est rien ; j'ai bien d'autres merveilles :
Je t'averti , prends garde à toi ,
Si tu m'ôtes mon dernier mois 19
Je vais t'étourdir les oreilles ;
J'ai pour cela , mon cher , un don particulier.
Au lieu de celui - ci prends plutôt le premier,
Mets les autres à la renverse,
Et vois quel empire j'exerce :
J'ai chez les miens l'auto ité d'un roi,
Et ne suis cependant que les trois quarts de moi.
CHARADE.
UNE conjonction te donne mon premier,
Et tu détestes mon entier, LA
S'il est traîné par monn dernier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARAMB
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est la lettre E.
Celui du Logogriphe est Escrime , où l'on trouve cri, rime,
Celui de la Charade est Four-bure.
JUILLET 1807. 101
DE LA MANIÈRE D'ÉCRIRE L'HISTOIRE . ( 1 )
LA Commission des livres classiques a admis , il n'y a pas
long- temps , au nombre des ouvrages qui doivent faire partie
de la bibliothèque des lycées , quelques abrégés d'histoire
par un homme de lettres capable de faire d'excellens abrégés
, s'il est possible d'en faire de bons.
L'accueil favorable fait par la Commission aux abrégés dont
je veux parler , et le grand nombre d'ouvrages de ce genre
qui ont paru récemment , peuvent donner lieu à quelques
considérations générales sur la manière d'écrire l'histoire .
que
Il y a deux manières principales d'écrire l'histoire. On
peut l'écrire avec tous les détails , avec ceux du moins
comporte la dignité de l'histoire , et qui méritent d'intéresser
le lecteur : c'est de ce genre que sont les ouvrages de Rollin ,
de Crevier, de Le Beau , de Daniel , de Velly , de Hume , etc.
On peut écrire l'histoire en supprimant les détails des faits
particuliers , pour ne présenter que les faits généraux ,
c'est-à-dire , les causes des événemens , leur ensemble et
leurs résultats : cette méthode est celle de Bossuet , de
Fleury , de Montesquieu , dans les Discours sur l'Histoire
Universelle , et l'Histoire Ecclésiastique , et les Causes de la
Grandeur et de la Décadence des Romains .
Les abrégés tiennent le milieu entre ces deux méthodes ;
et , comme tous les milieux , ils participent des inconvéniens
des deux extrêmes plutôt que de leurs avantages. Ils ont
trop de détails ou n'en ont pas assez , et ils n'offrent ni assez
de prise à la mémoire , ni assez d'exercice à la pensée.
L'histoire proprement dite , l'histoire avec tous ses détails ,
convient aux jeunes gens : à cet âge , on a le loisir de lire ; et
la faculté de retenir est dans toute sa force. Le temps n'est
pas absorbé par les soins de la vie , et la mémoire est vide
encore de souvenirs personnels . Aussi les jeunes gens ne
retiennent que les longues histoires : je veux dire , que s'ils ne
(1 ) Luteur de cet article aperçoit souvent dans ceux qu'il a insérés à ce
Journal, des fautes qui ne sont pas des fautes d'impression , mais des fantes
de composition. Il en est qui peuvent être des erreurs de jugement , mais
il en est aussi qui viennent de l'impossibilité où est l'auteur de revoir les
épreuves , sur lesquelles il étoit accoutumé de corriger son travail , et qui
offrent pour cette correction bien plus de facilité que le manuscrit .
3
78 MERCURE
DE FRANCE
;
»
» truire une phrase ; et comme ces brochures se vendent »
plus ou moins , grace à l'esprit de parti , pour qui tout
» est bon , les plus ineptes et les plus grossiers barbouilleurs
» sont encouragés par le succès. » Je voudrois pouvoir citer
ici tout ce qu'il dit des tragédies de Charles IX , de Calas
de Henri VIII; enfin de cette foule de rapsodies dramatiques
qui jouirent , à l'époque de nos troubles , d'une gloire
éphémère , et qui n'en pouvoient jouir que dans de pareils
temps. Mais on ne peut tout citer . Il me suffira de dire
que si , dans la partie littéraire du Mercure , où il auroit dû
ne s'occuper que de la littérature , M. de La Harpe admiroit
un peu trop la révolution qui s'étoit faite dans l'Etat ,
en écrivant au Grand-Duc qui lui permettoit , comme il le
dit lui-même , de s'occuper de questions politiques , il ne
songe qu'à s'élever contre celle qui s'étoit faite dans les
lettres . Et cela même me paroît une singularité que je ne
devois pas manquer de faire observer.
Je voudrois maintenant trouver la raison qui a déterminé
les éditeurs à publier si tard les derniers volumes de ce
Recueil. Etoient-ils effrayés de cette quantité d'ouvrages
dont les auteurs sont encore vivans , et qui sont ici censurés
, poursuivis avec tout l'acharnement dont M. de La
Harpe seul étoit capable ? Y avoit-il , parmi ces auteurs ,
des hommes qu'ils pussent craindre d'offenser ? Mais il y
avoit un moyen facile de les calmer ; et comme il paroît
que ce moyen a été pris , je ne vois pas pourquoi on n'y
auroit pas eu recours quelques années plutôt..
Le sixième et dernier volume de ces lettres est presque
entièrement rempli par une table alphabétique de noms
d'auteurs et de titres d'ouvrages . J'ai cru d'abord que cette
table étoit uniquement destinée à former un tome de plus ,
qui auroit pour les libraires le grand avantage d'être vendu
comme un tome de M. de La Harpe. Je me suis convaincu
ensuite qu'elle étoit véritablement utile. On pourra lire ces
lettress ; on ne les relira pas. Le moment de leur nouveauté
une fois passé , on les gardera pour les consulter au besoin ,
et savoir ce que leur auteur a pensé de tel auteur ou de tel
ouvrage qui n'aura duré qu'un moment . Cette table alors
sera nécessaire . Par son moyen , ce Recueil deviendra
comme un dictionnaire de censures ; et c'est à - peu - près
tout ce qu'il sera dans quelques années .
GUAIRARD . ?
JUILLET 1807 . 79
De la Vertu; par Sylvain Maréchal , auteur du Dictionnaire
des Athées. Précédé d'une Notice sur cet écrivain , et suivi
du Livre de tous les Ages , par le même auteur. Avec cette
épigraphe :
Disce omnes .
• Ab uno
Un vol. in- 8°. Prix : 5 fr. , et 6 fr. 50 cent . par la poste .
A Paris , chez L. Collin , lib. , rue Gît - le- Coeur .
Il y a des fous de plus d'une espèce : les plus dangereux
ne sont pas ceux qui frappent et qui brisent tout ce qu'ils
rencontrent ; on les a bientôt mis hors d'état de nuire , et les
effets de leur démence ne s'étendent jamais au-delà du petit
cercle dans lequel ils peuvent agir. La folie des philosophes
athées , qui se mêlent d'écrire et de répandre leur doctrine ,
est bien plus funeste . Elle attaque le principe de toute
morale ; elle déchaîne toutes les passions ; elle arme tous les
bras ; elle excite tous les hommes à s'entredétruire , parce
que , n'ayant plus de frein et plus de garans de leurs intentions
, il devient de l'intérêt de chacun de chercher son bienêtre
et son salut dans l'oppression , dans la ruine ou dans la
mort de son voisin . Elle tend visiblement et bien certainement
à la barbarie et à l'extermination de la race humaine.
A la place de Dieu , ces philosophes nous présentent la
nature , la raison , ou les lois ; mais la nature elle- même ,
donnant aux hommes les mêmes besoins , les met constamment
en opposition d'intérêts ; la raison , également accordée
à tous , leur conseilla toujours de les discuter et de les
défendre ; et les lois , sans morale , qui en ordonneroient le
sacrifice , ne seroient qu'une tyrannie insupportable . Sylvain
Maréchal ne veut rien de tout cela pour gouverner le
monde : il ne lui faut ni Dieu , ni nature , ni raison , ni
lois. La vertu toute seule lui suffit . Avec elle , dit - il ,
l'homme peut remuer le monde du seul mouvement de ses
sourcils. Il ne paroît pas se douter que la vertu , sans le
principe qui la commande , est un effet sans cause , un joug
ridicule qui n'a plus de motif , et que l'homme matière ,
comme il le veut , s'il n'est un insensé , ne doit s'attacher
qu'à ce qui lui paroît convenable pour sa propre satisfaction
, comme feroit un animal doué de raison et armé de
toute la puissance humaine. Ce Maréchal n'étoit pas seulement
un fou ridicule ; c'étoit un homme que l'orgueil étouf-
4
MERCURE DE FRANCE ,
par
foit , un esprit désordonné qui se croyoit fait pour régir
tout l'univers , un fiévreux heureusement enchaîné Tes
lois , un persécuteur sans autorité , un tyran sans Etats ,
sans troupes et sans argent; un pauvre diable qui feignoit
d'être athée dans le bon temps de la terreur, afin d'obtenir
du crédit , des places et de la réputation ; un littérateur
obscur , un écrivain avide de louanges , qui , ne pouvant se
faire un nom par son talent , cherchoit au moins à se faire
remarquer par son extravagance ; mais qui n'est parvenu
qu'à se faire mourir à l'âge de cinquante - trois ans , épuisé
par ses passions , et sans avoir jamais pu obtenir de ses contemporains
qu'un regard de pitié . L'ami qui s'est chargé de
publier ses Euvres et d'écrire sa Vie , s'extasie , comme de
raison , devant ses moindres écrits et devant toutes ses opinions
. Celles - ci lui paroissent sublimes , et les autres lui
semblent toujours des traits de génie. Mais cet officieux
panégyriste lui-même ne paroît pas plus se connoître en
littérature qu'en morale ; et la longue Notice qu'il a pris
la peine d'écrire au commencement du volume qu'il offre au
public , en est une preuve plus que suffisante. Maréchal
vouloit que la vie d'un homme de vertu tel que lui , par
exemple , fût un poëme épique bien plus sublime et bien
plus parfait que ceux d'Homère . Son ami n'a su faire de la
sienne qu'un Recueil insipide de faits décousus , sans goût ,
sans choix et sans intérêt. Le philosophe y est représenté
comme un homme atrabilaire retiré dans sa maison du
faubourg Saint- Marceau , s'estimant lui-même au- dessus de
tous les hommes , dévoré de l'envie de se voir admiré , mais
ne communiquant avec personne . Cette haute opinion qu'il
avoit de lui-même , et le mépris qu'il affectoit pour tout ce
qui l'entouroit , lui suscita une affaire assez fâcheuse qu'il
faut laisser raconter à l'auteur de la Notice , afin d'avoir
tout à-la-fois une idée du caractère de Maréchal , et la
mesure du talent de son historien . C'est le plus bel endroit
de la vie du philosophe , et c'est tout ce qu'il y a de vraiment
intéressant dans la Notice :
« La réputation de Maréchal , dit son ami , mit un de ses
» voisins dans le cas de tout entreprendre contre lui : il le
» provoquá un jour dans un petit endroit qui appartenoit
» à Maréchal , et que cet homme vouloit s'approprier ; sa
» patience enflamma tellement de colère ce méchant voisin ,
qu'il ne se contint plus : il envoya chercher la garde , qui ,'
» trompée par le bruit épouvantable de l'agresseur , emmena
» l'injurié chez le juge de paix ; sa belle- soeur , attirée par le
> bruit , éprouva le même sort.
>>
» Il
JUILLET 1807 .
e
Il étoit matin , continue le même narrateur
» réellement une chose originale de voir Maréchal tête
» en pantouffles , et sa belle - soeur en déshabillé et en bonnet
» de nuit , conduits tous deux au milieu de la garde , et
» suivis des enfans du quartier , toujours curieux des choses
» extraordinaires . L'étonnement de ceux qui les voyoient
» dans cette position , les cris et le bruit des sabots des petits
» enfans qui les accompagnoient , l'indignation de sa belle-
» soeur , tout cela lui causa un fol tire comme il n'en eut
» jamais de sa vie. L'on pense bien que le juge de paix lui
» rendit justice ; mais le méchant voisin ne s'en tint pas là :
» il intenta un procès criminel au paisible Maréchal .
:
» C'étoit la première contestation qu'il eût eue de sa vie ;
» il la confia sous le secret à un ami ; il rougissoit d'avoir un
procès : L'homme vertueur , disoit-il , doit respecter lajus-
» tice , mais ne doit jamais avoir affaire à elle. »
»
C'est apparemment par respect pour la mémoire de Maréchal
, et pour être fidèle à sa parole , que cet ami ne nous
donne pas la suite de cette aventure , et qu'il n'en explique
pas même le motif. Il est fâcheux que la réputation de
Maréchal mit ainsi ses voisins dans le cas de tout entreprendre
contre lui , parce qu'elle peut faire soupçonner que
le tort n'étoit pas tout entier du côté du méchant homme qui
se plaignoit , et que le paisible philosophe l'avoit au moins
scandalisé .
>>
J. J. Rousseau , dont Maréchal emprunte souvent les
pensées et les expressions , dit formellement qu'un athée est
un scélérat ; mais il faut ajouter , s'il n'est un fou , parce
qu'enfin il y a des gens dont la conduite est en opposition
avec les principes , et dont toute la vie est une perpétuelle
inconséquence . Montaigne avoit ainsi modifié cette pensée ,
lorsqu'il dit que «<< l'athéisme estant une proposition comme
» desnaturée et monstrueuse , difficile aussi , et mal aisée
» d'establir en l'esprit humain , pour insolent et desreiglé
qu'il puisse estre : il s'en est veu assez par vanité et par
» fierté de concevoir des opinions non vulgaires et réforma-
» trices du monde , en affecter la profession par contenance ;
qui , s'ils sont assez fols , ne sont pas assez forts pour l'avoir
plantée en leur conscience. Que pourtant ils ne lairront de
joindre leurs mains vers le ciel , si vous leur att chez un
» bon coup d'espée en la poitrine ; et que , quand la crainte
» ou la maladie aura abattu et appesanty cette licencieuse
» ferveur d'humeur volage , ils ne lairront pas de se revenir ,
» et se laisser tout discrètement mourir aux créances et
exemples publiques. « Autre chose est , ajoute-t-il , un
>>
»
»
» »
F
82 MERCURE DE FRANCE ,
»
dogme sérieusement digéré , autre chose ces impressions
superficielles ; lesquelles , nées dé la desbauche d'un esprit
» desmanché , vont nageant témérairement et incertaine-
» ment en la fantaisie Hommes bien misérables et escer-
>> vellez , qui taschent d'estres pires qu'ils ne peuvent ! » Si ,
de son vivant , il avoit fallu juger Maréchal sur l'autorité de
ces deux écrivains , qu'il ne cesse d'invoquer , il auroit peutêtre
été difficile de décider s'il méritoit plus de haine que de
pitié , parce que , n'ayant à exercer que ses fonctions insignifiantes
de bibliothécaire au Collége des Quatre-Nations ,
et ne pouvant ni voler , ni tuer sans s'exposer à la répression
des lois , il pouvoit encore paroître un assez bon humain
dans l'intimité de la vie commune , au milieu de ses pareils ;
dans sa famille peut- être ; avec ses maîtresses ou avec ses
amis. Les loups ne se mangent pas , dit-on ; et lorsqu'ils
sont sous la puissance de l'homme , retenus par la crainte
qu'elle leur inspire , ils laisssent en paix les agneaux avec
lesquels ils se rencontrent. Quoiqu'athée , Maréchal pouvoit
vivre tranquillement avec des athées , et , retenu par la
crainte des lois , il pouvoit filer doux avec ceux qui ne pensoient
pas comme lui . La question n'est pas de savoir ce
qu'il a fait de mal dans un état où il lui étoit impossible
d'en faire sans se nuire à lui-même. Ce qu'il faudroit examiner
aujourd'hui , c'est ce qu'il auroit fait dans une position différente
, avec une grande puissance et dans un pays où le
mépris public l'avoit constamment accompagné : or , il a
pris soin lui-même de nous en informer dans son livre
de la Vertu , espèce de rapsodie philosophique , qui renferme
la même pensée mille fois retournée , souvent exprimée
dans les mêmes termes , et qui tend à établir que tout est
néant dans l'univers , excepté la vertu : comme si la vertu ,
sans une puissance supérieure qui l'observe , qui l'admire et
qui peut la récompenser , n'étoit pas elle-même un véritable
néant , puisqu'où le pouvoir n'existe pas , il n'y a point de
sujets , ni d'obligations ! Comme si la vertu , qui impose des
privations sans récompense , n'étoit pas le comble de la folie
dans un être qui peut se satisfaire par un crime qui n'aura
point de châtiment ! Il faut donc déjà que l'esprit soit complétement
aliéné , pour parler de vertu lorsqu'on nie l'existence
de Dieu et l'immortalité de l'ame ; mais que penseronsnous
du même esprit qui , content d'avoir trouvé ce masque
pour cacher toute sa difformité , se présente sans aucune
pudeur comme le modèle et le type de la perfection , et qui
répète , après Diderot , qu'il n'appartient qu'à l'homme vertueux
d'être athée ; qui prétend que ce même homme , verJUILLET
1807 .
83
7
tueux à sa manière , c'est- à-dire , athée comme lui , est une
perle , et que nous sommes le fumier dans lequel on la
trouve ?
;
« Le peuple , dit- il , est une brute. »
<< Les brutes ne sont pas plus capables de vertu que de
>> raison et de liberté. »
« Il faut encore dire cela , et le répéter :
» Une nation vieille , riche , populeuse , par conséquent
>> corrompue , est nécessairement populaire ; c'est- à -dire ,
>> composée d'autant de sortes de populaces qu'il y a d'ordres
» dans l'Etat. Or , toute populace de salon ou de carrefour ,
» brodée ou fangeuse , n'est susceptible d'aucun élan de
>> vertu . »
<< La plèbe est le fumier d'une république ; mais quand
>> tout est plèbe dans une république , la vertu ne s'y trouve
» que par hasard : c'est un diamant perdu dans un grand
» amas de fumier ( comme Maréchal au milieu de la nation
>> francaise . ) »
« L'homme de vertu ( comme Maréchal ) vit comme s'il
» n'y avoit point de lois ; il pourroit dire aux magistrats et
>> aux juges : Qu'y a-t- il entre vous et moi ? »
« Lui seul à le droit de se croire capable de choses
» sublimes . >>
« Le pouvoir absolu ne sied qu'à l'homme de vertu , »
( qu'à Maréchal . )
« Un homme de vertu ( comme Maréchal ) est ce qu'il
» y a de plus parfait , de plus accompli dans la nature. »
« La vraie place de la vertu ( c'est- à -dire de Maréchal )
» seroit un trône ou la chaise curule . >>
« Magistrats , élevez à l'homme de vertu ( à Maréchal )
» un tombeau sur la place publique , pour qu'on sache du
» moins qu'il a existé un homme de bien !
Il est bon d'observer ici , qu'avant d'élever ce tombeau , il
faudra examiner si Diderot ne le mérite pas pour lui-même;
car il prétend que le crime est plus beau peut-être que la
vertu. Tome XIV de ses uvres in- 8° , pag. 262.
Après avoir vu ce qu'il auroit fallu que Maréchal fût
dans son pays , il sera curieux de reconnoître comment il
auroit composé son empire :
>>
« Il existe , dit-il , éparse sur la terre une véritable république
, composée de tout ce qu'il y a d'hommes de vertu
» (c'est-à-dire , d'athées comme Maréchal ) . Les bons livres ,
» en petit nombre , faits par eux ( comme le Dictionnaire
>> des Athées , fait par Maréchal ) , sont leurs truchemens ,
» leurs hérauts d'armes , les conducteurs du feu électrique
F 2
84
MERCURE
DE
FRANCE
,
>>
» qu'ils entretiennent , pour se ménager de temps en temps
» quelques fortes explosions ( comme celle de 1793 ) . Les
» puissances du jour s'en doutent , et se mettent sur leur
» garde en sorte que , long-temps encore , les hommes
» vertueux ( les athées ) formeront sur la terre une répu
» blique méconnue et peu redoutable . »
Maréchal auroit certainement réuni tous ces braves gens
qui vivent ignorés , pour én composer une nation de fidèles
sujets , aussi vertueux que tous les héros qui prêchoient
l'athéisme au milieu de la Convention , et qui alloient
ensuite exercer leur humanité dans toute la France , ensanglantée
par
leurs mains vertueuses .
« Ne seroit - il pas bien temps , poursuit le vertueux
» Maréchal , que les hommes de vertu ( tels que lui ) sor-
» tissent de leur isolement , se montrassent pour confondre
» par leur présence seulement , tant de grands coupables ,
» forts de leur impunité et fiers de leurs succès scandaleux ?
( Tous ceux qui croient en Dieu , par exemple , et qui
jouissent de quelque considération ou de quelque fortune . )
»
»
« Gens de bien , s'écrie-t-il , c'est- à - dire , athées de tous
les pays, qui vivez au milieu des nations comme les tigres
» dans une ménagerie , ou comme les fous qui sont enfer
» més , vous ne connoissez pas votre force ; vous êtes en
plus grand nombre que vous ne pensez ! Levez-vous à là
» même heure , armez-vous de fouets , et parcourez la terre
» pour la purger enfin des méchans que l'impunité enhardit ,
et qui traitent les hommes de vertu de bonnes gens .
»
Ainsi Maréchal , devenu roi , auroit d'abord fait mássacrer
tous ceux qui pensent que les hommes de vertu sont
de bonnes gens. Nous laissons à penser ce qu'il auroit fait
de ceux qui croient que ces prétendus homines de vertu
ne sout que des tigres enchaînés , des fous et des pestes
publiques.
Si nous voulons voir maintenant contre qui le paisible
Maréchal auroit d'abord dirigé ses coups de fouets , cela ne
sera pas difficile :
1 .
« Chaque espèce d'êtres, dit- il , a son ennemi dans une
» autre espèce . Ainsi l'agneau trouve un ennemi dans le
» loup , la poule dans le renard : le sage en trouve un aussi
» dans la personne des prêtres , etc. »
Donc le sage Maréchal , revêtu de la dictature , auroit
commencé par purger la terre de tous les prêtres , etc. : et
par cet et cætera , on sait qu'il faut entendre les rois , dont
le mariage avec la vertu a , dit -il , toujours été stérile ; et
eu général tous les hommes religieux , qui , selon lui , ne
sont pas des hommes de vertu .
JUILLET 1807 .
85
Tel auroit été le bon , le sensible , le vertueux Maréchal ,
si nous avions woulu le mettre à la tête du gouvernement
lorsqu'il a paru parmi nous ; mais son nom a toujours été ,
dit-il encore , trop peu connu , et ses ouvrages toujours trop
oubliés . Nous ne devons pas nous étonner , au surplus , de
le voir si bien disposé à user de violence envers tous ceux
qu'il auroit pu soupçonner de ne pas aimer sa doctrine ; il
nous en donne la raison , lorsqu'il nous dit d'un ton de
maître :
<< Jeune homme , si tu découvres en toi quelque vertu ,
» n'en sois pas vain ! Elle ťa été donnée sous la condition
» de recevoir quant et quant , pour contre- poids , le vice
opposé. »
>>
D'où nous devons conclure que Maréchal , qui se trouvoit
doué des plus éminentes vertus , réunissoit aussi les plus
grands vices , et qu'il étoit en même temps très-bon et trèsméchant
, très -doux et très -cruel , fort juste et rempli de
partialité , etc. etc. Ce n'étoit guère la peine de tant prôner
la vertu , s'il faut toujours que les hommes qui la possèdent
au plus haut degré soient aussi les plus vicieux.
Quoique Maréchal prétendît être assuré qu'il n'y a point
de Dieu , tous les matins il saluoit le soleil ; et il dit positivement
qu'il croit au démon de Socrate , et que toute ame
honnête a le sien . Il paroît en effet que ce pauvre Maréchal
étoit au moins possédé du démon de l'orgueil .
Il ne veut aucune religion , aucun culte , pas même pour
la vertu : « Garde-toi , dit-il , de profaner la vertu par un
» culte . » Mais , nous assure sou historien , il composoit des
prières et des pseaumes ; et, pour preuve, il nous offre une
belle prière à l'amour profane , dans laquelle on voit que
Maréchal étoit son ministre le plus zélé .
C'est ainsi que , sans le vouloir , ce mauvais philosophe
nous enseigne ce qu'il faut attendre d'un homme qui se dit
athée . Ses moindres travers , dans son état privé , sont de se
mettre lui-même hors de la loi religieuse et civile qui gouverne
son pays , d'extravaguer pour se faire remarquer ; et
lorsque le peuple est assez malheureux et assez fou pour
l'écouter et pour lui accorder quelque distinction , quelqu'emploi
public , ou quelqu'autorité , ce charlatan de morale
insensée se montre le plus intolérant et le plus féroce
des hommes : il proscrit sans examen , sans aucune pitié et
sans remords , tout ce qui n'abonde pas dans son sens . Les
titres les plus respectables et les plus sacrés ne sont pour lui
que des sentences . de mort ; et comme tout ce qui est
véritablement vertueux blesse son orgueil et l'humilie , il
3
86 MERCURE DE FRANCE ,
faut que tout ce qui porte quelque signe de vertu périsse.
Il est fort heureux pour l'humanité que de pareils hommes
meurent sans avoir obtenu la puissance qu'ils souhaitoient ;
et il est bon que leurs successeurs apprennent au moins
que , lorsqu'un ami maladroit voudra tirer leurs noms du
néant auquel ils se vouent , ce sera toujours pour l'exposer à
la dérision et au mépris public.
VARIÉTÉS.
G.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
LES grands théâtres n'ont point donné de nouveautés cette
semaine. Mlle Saint- Albe continue ses débu's sans bruit. Elle
a été peu applaudie , mais jamais sifflée , dans les rôles
d'Andromaque , d'Aménaïde , d'Eriphile et de Monime. Elle
jouera la semaine prochaine Adélaïde Duguesclin . M. Joanni ,
acteur de Lyon , débutera samedi 11 juillet , sur le même
théâtre , dans le rôle de Cinna . On annonce aussi le début prochain
de Mlle Henri , ancienne actrice de l'Opéra , dans les
rôles de Mlle Contat.
- Le Théâtre de l'Impératrice doit donner incessamment
les Deux Figaro , de Martelli , et l'Héritier de Village , de
Marivaux.
- Mlle Rolandeau , actrice du théâtre de l'Opéra-Comique ,
vient de passer quinze jours à Dijon : elle y a obtenu les plus
grands succès. Malgré une chaleur excessive , l'affluence n'a
diminué à aucune des représentations ; et ces représentations
ont eu lieu tous les jours : chose extraordinaire dans une ville
du troisième ordre ! On a vu partir avec regret une actrice
qui joint à une très belle voix une excellente méthode de
chant, et qui réunit encore à ces talens si rares le ton de la
bonne comédie , que , depuis long - temps , on ne retrouve
plus sur les théâtres de province.
-
-On mande de Milan , que Mad. Lena Perpenti , de
Como , à laquelle la société d'encouragement du royaume
d'Italie , avoit décerné , en 1806 , une médaille d'honneur ,
pour avoir perfectionné la filature de l'amiante , vient de faire
avec succès un essai pour fabriquer , avec ce fossile , un papier
très-propre à l'écriture et à l'impression , et capable de résister
à l'action des élémens. Le conseiller - d'état Moscati , direcJUILLET
1807 . 87
teur-général de l'instruction publique , a fait imprimer , sur
cette nouvelle espèce de papier , les complimens du nouvel an ,
adressés au vice-roi et à la vice - reine d'Italie .
-
La construction de la seconde galerie qui doit joindre le
Louvre aux Tuileries , du côté du nord , n'est plus seulement
un projet. On fait dans ce moment les fouilles pour poser les
fondemens de cette galerie , dans l'espace qui existe entre
le pavillon Mersan et l'hôtel occupé par M. le secrétaire
d'Etat. Une immense quantité de pierres est déjà rassemblée
pour cet objet sur la place du Carrousel. On a aussi commencé
les travaux pour la construction du monument dédié , par
l'Empereur , à la gloire des armées françaises .
-
La Société des Sciences de Harlem propose les prix suivans
pour le 1er. novembre 1807 : 1 ° . Quelles sont les différences
essentielles des propriétés et des parties constituantes
du sucre de cannes , et de celui qu'on obtient de plusieurs
arbres et autres végétaux ? 2° . Quelle est la cause de la phosphorescence
de l'eau de la mer ? Et si elle provient de la prés,
sence des petits animalcules vivans , quels sont ces animalculequelles
propriétés nuisibles peuvent-ils communiquer à l'amosphère
? 3 °. Quelle est l'origine probable du Sperma Ceti ?
Peut- on obtenir cette substance de l'huile de baleine , on
pourroit-on l'y produire avec avantage ? Les prix sont des
médailles de 400 , 300 et 200 florins. Le terme de l'envoi
des Mémoires est fixé au 1 ° . octobre 1807 .
NOUVELLES POLITIQUES.
Zara , 20 juin.
Une lettre de Travarnich , du 5 juin , annonce qu'il y étoit
arrivé la veille un Tartare apportant la nouvelle que les Russes
ont été battus sous les murs d'Ismaïl ; qu'on leur a pris 51 pièces
de canon , 5 drapeaux , onze barques canonnières ; et qu'ils
ont eu un grand nombre de tués et de blessés. Un corps de
1800 Russes , qui étoit retranché à peu de distance, a capitulé .
L'ennemi a aussi abandonné la forteresse d'Akerman . Une tentative
faite par les Russes contre l'île de Candie , a échoué ; elle
leur a coûté 2000 hommes tués , blessés ou prisonniers , et cinq
bâtimens chargés de munitions qui sont restés au pouvoir des
Candiotes.
Milan , 2 juillet.
On vient de recevoir des détails exacts sur la révolution
qui a éclaté dernièrement à Constantinople : ils ont été
apportés par un officier parti le 3 juin de cette capitale , et
arrivé hier au soir ici .
4
88 MERCURE DE FRANCE ,
Les janissaires manifestoient de plus en plus leur mécontentement
des innovations introduites dans la discipline et
l'exercice militaire. Le 27 mai , un corps de cette milice qui
avoit reçu ordre de prendre un nouvel uniforme , de se raser
la barbe , etc , refusa d'obéir , se révolta ouvertement , marcha
sur Constantinople , et vint camper devant le sérail . Les
rebelles n'étoient alors qu'au nombre de 1300 hommes ; mais
ils l'accrurent prodigieusement le lendemain , et le muphti se
déclara pour eux . Il paroît que le sultan Selim a trop longtemps
différé à prendre des mesures de vigueur. Le 29 , le
corps des ulhémas , présidé par le muphti , prononça la déposition
du sultan , et la motiva , 1º . sur un article du Koran ,
qui porte qu'un calife qui , après sept années , n'aura pas
donné de successeur à son trône , sera déclaré indigne de
régner Selim III régnoit depuis 19 ans , et n'avoit point.
encore en de fils ) ; 2°, sur ce que Selim a violé la loi du prophète
, en ne protégeant pas la caravane de la Mecque ; 3° . sur
ce qu'il a été ordonné des innovations , tandis que toute innova,
tion est défendue par la loi . La même sentence appeloit au
trône Mustapha IV , fils du prédécesseur de Selim.
En exécution de cette décision , les janissaires qui déjà
étoient maîtres du sérail en arrachèrent Selim , et le conduisirent
au vieux sérail , d'où il tirèreat Mustapha IV, qu'ils
proclamèrent empereur. Le même jour , 29 , plusieurs ministres
de Selim , dénoncés par les janissaires aux ulilémas
comme les principaux auteurs des innovations dont ils se
| plaignoient , furent condamnés et mis à mort. On dit que
Selim III , avant d'entrer en prison , a parlé à son successeur ,
et lui a recommandé de ne pas se laisser aller aux mauvais
conseils qui l'ont perdu , et de gouverner avec justice . Mustapha
a promis de respecter la vie de son prédécesseur.
"
Le lendemain , tout étoit déjà tranquille à Constantinople ;
les magasins étoient ouverts , et le peuple se livroit à la joie,
Le 1er juin on publia un firman du nouveau sultan , qui renouvelle
la déclaration de guerre contre la Russie , qui proclame
cette guerre , guerre de religion , et qui ordonne à tous les
peuples fidélité et attachement à l'illustre allié Napoléon ,
Empereur des Français et Roi d'Italie. Ce firman fut reçu par
le peuple et par les troupes avec beaucoup de respect et d'allégresse.
Leur joie fut encore augmentée par la nouvelle qui se
répandit immédiatement , que le capitan-pacha venoit de
battre la flotte russe devant Tenedos. L'ambassadeur de France
qui étoit absent de Constantinople au moment où éclata lą
révolte , y est rentré depuis , et n'a plus quitté son palais .
( Giornale italiano , )
JUILLET 1807 . 89
PARIS, vendredi 10 juillet.
LXXXI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 21 juin 1807.
A la journée d'Heilsberg , le grand- duc de Berg passa sur
la ligne de la 3° division de cuirassiers , au moment où le 6°
régiment de cuirassiers venoit de faire une charge. Le colonel
d'Avenay , commandant ce régiment , son sabre dégouttant de
sang , lui dit : « Prince , faites la revue de mon régiment , vous
verrez qu'il n'est aucun soldat dont le sabre ne soit comme le
mien. >>
Les colonels Colbert , du 7º de hussards ; Lery, du 5º, se
sont fait également remarquer par la plus brillante intrépidité.
Le colonel Borde-Soult , du 22 de chasseurs , a été blessé.
M. Guehenenc , aide-de-camp du maréchal Lannes , a été
blessé d'une balle au bras.
Les généraux aides-de-camp de l'EMPEREUR , Reille et Bertrand
, ont rendu des services importans. Les officiers d'ordonnance
de l'EMPEREUR , Bongars , Montesquiou , Labiffe , ont
mérité des éloges pour leur conduite.
Les aides-de-camp du prince de Neuchâtel , Louis de
Périgord, capitaine , et Pivé , chef- d'escadron , se sont fait
remarquer .
Le colonel Curial , commandant les fusiliers de la garde ,
a été nommé général de brigade .
Le général de division Dupas , commandant une division
sous les ordres du maréchal Mortier , a rendu d'importanś
services à la bataille de Friedland .
Les fils des sénateurs Pérignon , Clément de Ris et Garran
de Coulon , sont morts avec honneur sur le champ de ba
taille.
Le maréchal Ney s'étant porté à Gumbinnen , a arrêté
quelques parcs d'artillerie ennemie , beaucoup de convois de
blessés , et fait un grand nombre de prisonniers .
LXXXII BUlletin de la GRANDE -ARMÉE.
Tilsit , le 22 juin 1807 .
En conséquence de la proposition qui a été faite par le
commandant de l'armée russe , un armistice a été conclu dans
les termes suivans :
ARMISTICE.
S. M. l'Empereur des Français , etc. etc. , et S. M. l'empereur
de Russie , voulant mettre un terme à la guerre qui divise
les deux nations , et conclure , en attendant , un armistice ,
ont nommé et muni de leurs pleins -pouvoirs ; savoir d'une
:
go
MERCURE DE FRANCE ,
part , le prince de Neuchâtel , major- général de la Grande-
Armée ; et de l'autre , le lieutenant-général prince Labanoff
de Rostow , chevalier des ordres de Sainte-Anne , grandcroix
, etc. , lesquels sont convenus des dispositions suivantes :
Art. I. Il y aura armistice entre l'armée française et l'armée
russe , afin de pouvoir , dans cet intervalle , négocier ,
conclure et signer une paix qui mette fin à une effusion de
sang si contraire à l'humanité.
II. Celle des deux parties contractantes qui voudra rompre
l'armistice , ce que Dieu ne veuille , sera tenue de prévenir au
quartier-général de l'autre armée , et ce ne sera qu'après un
mois de la date des notifications , que les hostilités pourront
recommencer.
III. L'armée française et l'armée prussienne concluront un
armistice séparé , et à cet effet des officiers seront nommés
de part et d'autre. Pendant les quatre ou cinq jours nécessaires
à la conclusion dudit armistice , l'armée française ne
commettra aucune hostilité contre l'armée prussienne.
IV. Les limites de l'armée française et de l'armée, russe ,
pendant le temps de l'armistice , seront depuis le Curisch-
Haff , le Thalweg du Niemen ; et en remontant la rive
gauche de ce fleuve jusqu'à l'embouchure de Lorasna à
Schaim , et montant cette rivière jusqu'à l'embouchure du
Bobra , suivant ce ruisseau par Bogari , Lipsk , Stabin ,
Dolistowo , Goniondz et Wizna jusqu'à l'embouchure du
Bobra dans la Narew , et de là remontant la rive gauche de la
Narew par Tykoczyn , Suras-Narew , jusqu'à la frontière de
la Prusse et de la Russie ; la limite dans le Frisch- Nérung sera
à Nidden .
V. S. M. l'Empereur des Français , et S. M. l'empereur de
Russie nommerent , dans le plus court délai , des plénipotentiaires,
munis des pouvoirs nécessaires pour négocier , conclure
et signer la paix définitive entre ces deux grandes et puissantes
nations.
VI. Des commissaires seront nommés de part et d'autre , à
l'effet de procéder sur-le-champ à l'échange , grade par grade,
et homme par homme , des prisonniers de guerre.
VII. L'échange des ratifications du présent armistice sera
fait au quartier-général de l'armée russe dans quarante-huit
heures et plus tôt si faire se peut.
Fait à Tilsit , le 21 juin 1807.
Signé le prince de Neuchatel , maréchal ,
Alexandre BERTHIER ;
Le prince LABANOFF DE ROSTOW.
L'armée française occupe tout le Thalweg du Niemen , de
JUILLET 1807 . 91
sorte qu'il ne reste plus au roi de Prusse que la petite ville et
le territoire de Memel.
Proclamation de S. M. L'EMPEREUR ET Roi à la Grande-
Armée.
Soldats ,
Le 5 juin nous avons été attaqués dans nos cantonnemens
par l'armée russe. L'ennemi s'est mépris sur les causes de notre
inactivité. Il s'est aperçu trop tard que notre repos étoit celui
du lion il se repent de l'avoir troublé.
Dans les journées de Guttstadt , de Heilsberg , dans celle
à jamais mémorable de Friedland , dans dix jours de campagne
enfin , nous avons pris 120 pièces de canon , 7 drapeaux ;
tué, blessé ou fait prisonniers 60,000 Russes ; enlevé à l'armée
ennemie tous ses magasins , ses hôpitaux , ses ambulances ; la
place de Koenigsberg , les 300 bâtimens qui étoient dans ce
port , chargés de toute espèce de munitions ; 160,000 fusils
que l'Angleterre envoyoit pour armer nos ennemis .
Des bords de la Vistule , nous sommes arrivés sur ceux du
Niémen avec la rapidité de l'aigle . Vous célébrâtes à Austerlitz
l'anniversaire du couronnement ; vous avez cette année dignement
célébré celui de la bataille de Marengo , qui mit fin à la
guerre de la seconde coalition .
Français , vous avez été dignes de vous et de moi. Voùs
rentrerez en France couverts de tous vos lauriers , et après
avoir obtenu une paix glorieuse qui porte avec elle la garantie
de sa durée. Il est temps que notre patrie vive en repos, à
l'abri de la maligne influence de l'Angleterre. Mes bienfaits
vous prouveront ma reconnoissance et toute l'étendue de
l'amour que je vous porte.
Au camp impérial de Tilsit , le 22 juin 1807.
LXXXIII BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 23 juin 1807 .
La place de Neiss a capitulé.
La garnison , førte de 6000 hommes d'infanterie et de 300
hommes de cavalerie , a défilé le 15 juin devant le prince.
Jérôme. On a trouvé dans la place 300 milliers de poudre et
300 bouches à feu .
LXXXIV BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 24 juin 1807.
Le grand-maréchal du palais Duroc s'est rendu le 23 au
quartier-général des Russes , au-delà du Niemen , pour échanger
les ratifications de l'armistice , qui a été ratifié par l'empereur
Alexandre.
Le 24 , le prince Labanoff ayant fait demander une audience
92 MERCURE DE FRANCE ,
à l'EMPEREUR , Il est resté long-temps dans le cabinet de S. M.
Le général Kalkreuth est attendu au quatier- général , pour
signer l'armistice du roi de Prusse.
Le 11 juin , à quatre heures du matin , les Russes attaquèrent
en force Druczewo . Le maréchal Massena se porta
sur la ligne , repoussa l'ennemi et déconcerta ses projets. Le
17. régiment d'infanterie légère a soutenu sa réputation. Le
général Montbrun s'est fait remarquer. Un détachement du
28 d'infanterie légère et un piquet de 25° de dragons on mis
en fuite les cosaques. Tout ce que l'ennemi a entrepris contre
nos postes dans les journées du 11 et du 12 , a tourné à sa
confusion.
On a vu par l'armistice que la gauche de l'armée française
est appuyée sur le Gurrisch- Haff, à l'embouchure du Nicmen
; de là notre ligne se prolonge sur Grodno. La droite ,
commandée par le maréchal Massena , s'étend sur les , confins
de la Russie , entre les sources de la Narrew et du Bug.
Le quartier-général va se concentrer à Koenigsberg , où
l'on fait toujours de nouvelles découvertes en vivres , munitions
et autres effets appartenant à l'ennemi.
Une position aussi formidable est le résultat des succès les
plus brillans ; et tandis que toute l'armée ennemie est en
fuite et presque anéantie , plus de la moitié de l'armée française
n'a pas tiré un coup de fusil .
LXXXV BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 24 juin 1807.
Demain , les deux Empereurs , de France et de Russie
doivent avoir une entrevue . Ona , à cet effet , élevé au milieu
du Niemen un pavillon où les deux monarques se rendront de
chaque rive.
Peu de spectacles seront aussi intéressans. Les deux côtés
du fleuve seront bordés par les deux armées , pendant, que les
chefs confèreront sur les moyens de rétablir l'ordre , et de
donner le repos à la génération présente .
Le grand-maréchal du palais Duroc est allé hier , à trois
heures après midi , complimenter l'empereur Alexandre.
Le maréchal comte de Kalkreuth a été présenté aujourd'hui
à l'EMPEREUR; il est resté une heure dans le cabinet de S. M.
L'EMPEREUR a passé ce matin la revue du corps du maréchal
Lannes. Il a fait différentes promotions , a récompensé les
braves , et a témoigné sa satisfaction aux cuirassiers saxons.
JUILLET 1807 . 93
LXXXVI BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Tilsit , le 25 juin 1807 .
Le 25 juin , à une heure après midi , l'EMPEREUR , accompagné
du grand- duc de Berg , du prince de Neuchâtel , du
naréchal Bessières , du grand-maréchal du palais Duroc et
du grand-écuyer Caulaincourt , s'est embarqué sur les bords
du Niemen dans un bateau préparé à cet effet ; il s'est rendu
au milieu de la rivière où le général Lariboissière , comman-'
dant l'artillerie de la garde , avoit fait placer un large radeau ,
et élever un pavillon . A côté étoit un autre radeau et un
pavillon pour la suite de Leurs Majestés. Au même moment
l'empereur Alexandre est parti de la rive droite , sur un bateau,
avec le grand-duc Constantin , le général Benigsen , le général
Ouwaroff, le prince Labanoff et son premier aide - de-camp
le comte de Lieven.
Les deux bateaux sont arrivés en même temps ; les deux
Empereurs se sont embrassés en mettant le pied sur le radeau;
ils sont entrés ensemble dans la salle qui avoit été préparée , et
y sont restés deux heures. La conférence finie , les personnes
de la suite des deux Empereurs ont été introduites . L'empereur
Alexandre a dit des choses agréables aux militaires qui accompagnoient
l'EMPEREUR , qui , de son côté , s'est entretenu longtemps
avec le grand- duc Constantin et le général Benigsen.
La conférence finie , les deux Empereurs sont montés chacun
dans leur barque. On conjecture que la conférence a eu le
résultat le plus satisfaisant. Immédiatement après , le prince
Labanoff s'est rendu au quartier - général français . On est
convenu que la moitié de la ville de Tilsit seroit neutralisée.
On y a marqué le logement de l'empereur de Russie et de sa
cour. La garde impériale russe passera le fleuve , et sera cantonnée
dans la partie de la ville qui lui est destinée .
Le grand nombre de personnes de l'une et l'autre armée ,
accourues sur l'une et l'autre rive pour être témoins de cette
scène , rendoient ce spectacle d'autant plus intéressant , que
les spectateurs étoient des braves des extrémités du monde.
Tilsit , le 26 juin 1807.
Anjourd'hui, à midi et demi , S. M. s'est rendue su pavillon
du Niemeu. L'empereur Alexandre et le roi de Prusse sont
arrivés au même moment. Ces trois souverains sont restés
ensemble dans le salon du pavillon pendant une demi-heure..
A cinq heure et demie , l'empereur Alesandre est passé
sur la rive gauche. L'Empereur Napoléon l'a reçu à la des
cente du bateau . Ils sont montés à cheval l'un et l'autre ; ils ont
parcouru la grande rue de la ville , où se trouvoit rangée da
94 MERCURE
DE FRANCE
,
garde impériale française à pied et à cheval , et sont descendus
au palais de l'Empereur Napoléon. L'empereur Alexandre y
a dîné avec l'EMPEREUR , le grand- duc Constantin et le grandduc
de Berg.
M. de Montesquiou , officier d'ordonnance de S. M.
l'EMPEREUR et Roi , est venu , de la part de S. M. , donner à'
S. M. l'Impératrice- Reine , des détails sur l'entrevue des deux
Empereurs. ( Moniteur. )
-M. Joseph de Monaco , officier d'ordonnance de S. M.
est arrivé à Paris le 8 , pour donner à S. M. l'Impératrice-
Reine , des nouveaux détails sur les seconde et trosième conférences
des deux Empereurs. ( Moniteur. )
Tilsit , le 27 juin 1807.
´ Le général de division Teulié , commandant la division
italienne au siége de Colbert , qui avoit été blessé à la cuisse
d'un boulet , le 12 , à l'attaque du fort Wolwsberg , vient de
mourir de ses blessures . C'étoit un officier également distingué
sa bravoure et ses talens militaires.
par
Voici le journal : ·
La ville de Kosel a capitulé.
Le 24 juin , à deux heures du matin , S. A. I. le prince
Jérôme a fait attaquer , et enlever le camp retranché que les
prussiens occupoient sous Glatz , à portée de mitraille de
cette place.
Le général Vandamme , à la tête de la division wurtembergeoise
, ayant avec lui un régiment provisoire de chasseurs
français à cheval , a commencé l'attaque sur la rive gauche
de la Neiss , tandis que le général Lefebvre avec les Bavarois
attaquoit sur la rive droite. En une demi- heure , toutes les
redoutes ont été eulevées à la baïonnette ; l'ennemi a fait sa
retraite en désordre , abandonnant dans le camp 1200 hommes
tués et blessés , 500 prisonniers et douze pièces de canon . Les
Bavarois et les Wurtembergeois se sont très -bien conduits.
Les généraux Vandamme et Lefebvre ont dirigé les attaques
avec une grande habileté .
Tilsit , le 28 juin 1807 .
Hier, à trois heures après midi , l'EMPEREUR s'est rendu chez
l'empereur Alexandre. Ces deux princes sont restes ensemble
jusqu'à six heures. Ils sont alors montés à cheval , et sont allés
voir manoeuvrer la garde impériale. L'empereur Alexandre a
montré qu'il connoît très-bien toutes nos manoeuvres , et qu'il
entend parfaitement tous les détails de la tactique militaire.
JUILLET 1807 . 95
A huit heures , les deux souverains sont revenus au palais
de l'Empereur Napoléon , où ils ont dîné comme la veille
avec le grand-duc Constantin et le grand- duc de Berg.
Après le dîner , l'Empereur Napoléon a présenté LL. Exc.
le ministre des relations extérieures et le ministre secrétaire
d'Etat à l'empereur Alexandre , qui lui a aussi présenté , S. Exc.
M. de Budberg , ministre des affaires étrangères , et le prince
Kurakin.
Les deux souverains sont ensuite rentrés dans le cabinet de
l'Empereur Napoléon , où ils sont restés seuls jusqu'à onze
heures du soir.
Aujourd'hui 28 , à midi , le roi de Prusse a passé le Niemen
, et est venu occuper à Tilsit le palais qui lui avoit été
préparé. Il a été reçu , à la descente de son bateau , par le
maréchal Bessières. Immédiatement après , le grand - duc de
Berg, est allé lui rendre visite.
A une heure , l'empereur Alexandre est venu faire une
visite à l'Empereur Napoléon , qui est allé au - devant de lui
jusqu'à la porte de son palais.
A deux heures , S. M. le roi de Prusse est venu chez l'Empereur
Napoléon , qui est allé le recevoir jusqu'au pied de
l'escalier de son appartement.
A quatre heures , l'Empereur Napoléon est allé voir l'Empereur
Alexandre. Ils sont montés à cheval à cinq heures , et
se sont rendus sur le terrain où devoit nanoeuvrer le corps du
maréchal Davoust.
".
-S . M.I'EMPEREURet Roi, par sa lettre du 22 juin au prince
archichancelier , avoit ordonné que le corps de S. A. I. Napoléon-
Charles , prince Royal de Hollande , décédé à la Haye
le 5 mai dernier seroit déposé dans une chapelle de
l'église de Notre-Dame , pour y être gardé jusqu'au moment
où l'église impériale de Saint- Denis , entièrement réparée , et
pour ainsi dire reconstruite , permettroit de l'y transporter . En
conséquence de ces ordres , que sur l'invitation de S. A. S.
Mgr. le prince archichancelier de l'Empire , le ministre de
l'intérieur avoit transmis à M. de Caulaincourt , grand - écuyer
de la couronne de Hollande , chargé de la conduite de ce précieux
dépôt , le corps du prince défunt a été conduit à Saint-
Leu. Le 7 juillet , il est parti de Saint - Leu dans une des
voitures de S. M. , où se trouvoit un aumônier de S. M. le
roi de Hollande , toujours sous la garde de M. de Caulaincourt
, qui suivoit dans une autre voiture. Le convoi étoit
escorté par un piquet de la garde impériale à cheval ; il est
arrivé à deux heures et demie à la grande porte de l'église
96
MERCURE
DE
FRANCE
,
métropolitaine , qu'occupoit un détachement de la garde im
périale à pied. La s'étoient rendus S. A. S. Mgr. le prince
archichancelier de l'Empire , assisté des deux ministres de
l'intérieur et des cultes , ainsi que S. Em. le cardinal - archevêque
, accompagné de son clergé,
1
་ ་
S. Exc. le grand- écuyer de Hollande , en faisant la remise
du corps , s'est adressé an prince archichancelier , et lui a dit :
« Monseigneur , par les ordres de S. M. le roi de Hollande ,
» je remets entre les mains de V.A. S. le corps de S. A. I.
» Napoléon-Charles , prince Royal de Hollande , lequel est
» contenu dans cette bière ; dans ces deux boîtes de plomb
» que je remets également à V. A. , sont renfermés le coeur et
» les entrailles de ce prince. »
་ ་
S. A. S. a répondu « Monsieur , je reçois de vos mains le
» dépôt précieux dont vous avez été chargé » ; e
'et se'retournant
vers S. Em. le cardinal - archevêque, il lui a dit : « Mon-
» sieur le cardinal , par les ordres de S. M. l'EMPEREUR et
» Roi , je remets entre les mains de V. Em. le corps de S. A. I.
» Napoléon- Charles , prince Royal de Hollande , qui doit
» être gardé dans votre église , jusqu'à sa translation dans
» celle de Saint- Denis. » S. Em. a répondu « qu'elle et son
» chapitre veilleroient avec soin à la conservation du précieux
» dépôt dont S. M. vouloit bien les honorer. »
Après quoi , tout le cortege s'est rendu dans la chapelle de
Saint- Gérand , située à droite derrière le choeur , qui avoit
été préparée pour recevoir le corps du prince.
2.
Il a été déposé sur une estrade en face de l'autel ; la chapelle
a été fermée , et S. , A. S. le prince archichancelier ,
S. Em. le cardinal - archevêque , LL. EE. les ministres de
l'intérieur et des cultes , et le grand - écuyer de S. M. le roi
'de Hollande se sont relires dans le palais archiepiscopal pour
y signer le procès - verbal de la translation et du dépôt
provisoire du corps du prince royal de Hollande. "
Quoique cette cérémonie n'ait eu aucune solennité , l'objet
n'a pu en être ignoré ; elle a occasionné autour de l'église
dont les portes ont été fermées au public , un grand concours
de peuple , et il a été facile de lire sur le visage des spectateurs
l'impression douloureuse qu'ils éprouvoient en voyant
le convoi de ce jeune prince ; objet de tant d'affections et
déjà sujet de tant d'espérances , enlevé à sa famille, à la France ,
à la Hollande à qui il étoit également cher. La douleur publique
s'accroissoit de la douleur connue de ses augestes parens
, et cette première perte d'une illustre famille a qui fa
France doit sa gloire et sa prospérité , à qui l'Europe devra
le repos, étoit justement considérée comme une calamité publique.
(Moniteur. )
१
( No. CCCXIII. )
( SAMEDI 18 JUILLET 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
L'OPÉRA CHAMPÊTRE.
Qu'il me sont doux ces champêtres concerts',
Où rossignols , pinsons , merles , fauvettes ,
Sur leur théâtre , entre des rameaux verts ,
Viennent , gratis , m'offrir leurs chansonnettes !
Quels opéras me seroient aussi chers?
Là , n'est point d'art , d'ennui scientifique :
Gluck , Piccini , n'ont point noté les airs ;
Nature seule en a fait la musique ,
Et Marmontel n'en a pas fait les vers.
M. LE BRUN, de l'Académie Française .
DIFFICULTÉ
DE TROUVER ET DE RASSEMBLER LES MATÉRIAUX DE
L'HISTOIRE DES PREMIERS SIÈCLES .
Si d'un palais antique on trouvoit les runes
Couvertes par le temps et de mousse et d'épines ,
Et ses marbres rompus , vieux monumeus des arts ,
Dans un vaste terrain confusément é ars ;
Si nous étions certains que, dans ce grand décombre ,
Nul débris ne manquât dé ces débris sans nombre ,
Quel immense travail , quelle peine pour nous
De chercher , de fouiller , de les rassembler tous !
G
98 MERCURE DE FRANCE ;
Ou bien , sans rebâtir cet amas de matière ,...
De se peindre du moins sa structure première !
Mais si de ce palais des débris sont perdus ,
Si ce qui reste est peu près de ce qui n'est plus ,
Comment de l'édifice imaginer l'ensemble ,
Comment en dessiner un plan qui lui ressemble ?
Tels sont pour nous les faits des siècles reculés.
Si notre esprit remonte à ces temps écoulés ,
Combiendans les auteurs , écrivains de l'histoire,
Ont vu périr leur livre , et même leur mémoire !
Ceux qui restent encor sont rarement entiers :
Des fragmens sont épars en différens sentiers ,
Dans des lieux écartés des routes ordinaires ,
Où sont marqués du Temps les pas itinéraires ;
Qui dans ces lieux secrets ira les déterrer ?
Mais ce qui fait sur-tout que l'on doit s'égarer ,
Ce qui n'arrive pas à des débris de pierre ,
On voit ces monumens , vieux fastes de la terre ,
Secontredire entre eux et se contrarier :
Où trouver le secret de les concilier ?
Delabalance entr'eux où prendre l'équilibre ?
Comment se décider , lorsque le choix est libre ?
M. DESAINTANGE
ILS SE SONT EMBRASSÉS !
VAUDEVILLE POPULAIRE ,
Sur l'air : Ne m'entendez-vous pas ?
Ils se sont embrassés !
Telles sont les nouvelles ;
Dites-m'en de plus belles,
Si vous en connoissez .
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
Que la plus grande joie
Surnos fronts se déploie
Vous , Anglais , pâlissez !
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés!
Quel profond politique ,
Quel penseur prophétique
L'eût dit les mois passés ?
Ils se sont embrassés .
JUILLET 1807 : 99
Ils se sont embrassés!
Du mal, affreux génie, ....
Tapuissance est finie; ....
Nos voeux sont exaucés .
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés !
De tous les coeurs sensibles
Les souvenirs pénibles
Vont donc être effacés .....
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés !
Nonobstant la colère
De ce peuple insulaire ,
Dont les fonds sont baissés .....
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés ! .. ....
Dans tous les ports de France,
Marchands, en espérance ,
Déjà vous jouissez .....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés ! ....
Combiennos frères d'armes ,
Après un an d'alarmes ,
Vont être caressés ! ....
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés!
Leurs regards débonnaires ,
Aux feux de leurs tonnerres
Sembloient dire : Cessez ! ....
Ils se sont embrassés .
Ils se sont embrassés !
Qu'ont fait alors nos braves
Et les Russes , plus graves ,
Par l'exemple pressés ? ....
Ils se sont embrassés.
'Ils se sont embrassés !
Je veux voir à la fête
(Que sans doute on apprête ! )
Partout ces mots tracés :
Ils se sont embrassés.
Ils se sont embrassés ! ....
Ce refrein pacifique
Vant un poëme épique ,
Et nous en dit assez .....
Ils se sont embrassés.
M. DE PIIS, membre de la Légion -d'Honneur
secrétaire général de la Préfecture de Police.
2
100 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGME.
Ja ne puis exister sans l'esprit et le corps ;
Sans être aucun des deux ils sont mes deux ressorts.
Pour ma production , ô merveille étonnante !
Un seul sexe suffit , sans douleur il m'enfante.
Par mon rapide vol je me perds dans les airs :
Je me plais à la ville et me plais aux déserts.
Je suis agent d'amour , une source de haine ,
Un gage précieux de la foi souveraine.
Sur tous les animaux món empire s'étend ,
A mon ordre par fois homme et brute se rend .
J'accorde les humains , c'est moi qui les divise,
A tous ces traits , lecteur , connois- tu ma devise ?
LOGOGRIPHE.
Ce moi qui parle , ami , quatre autres moi rassemble :
Chacun de ces moi n'est pas moi,
Mais ils sont moi tous quatre ensemble.
Quatre ne font donc qu'un……… . Tu t'étonnes , je croi !
Oh ! ce n'est rien ; j'ai bien d'autres merveilles :
Je t'averti , prends garde à toi ,
Si tu m'ôtes mon dernier moi
Je vais t'étourdir les oreilles ;
! ཝཱ, ༣
J'ai pour cela , mon cher , un don particulier .
Au lieu de celui - ci prends plutôt le premier ,
Mets les autres à la renverse,
Et vois quel empire j'exerce :
J'ai chez les miens l'anto ité d'un roi ,
Et ne suis cependant que les trois quarts de moi .
CHARADE.
UNE conjonction te donne mon premier ,
Et tu détestes mon entier , 1.
S'il est traîné par mon dernier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est la lettre E.
Celui du Logogriphe est Escrime , où l'on trouve cri, rime,
Celui de la Charade est Four-bure.
JUILLET 1807 . 101
DE LA MANIÈRE D'ÉCRIRE L'HISTOIRE. ( 1 )
LA Commission des livres classiques a admis , it n'y a pas
long- temps , au nombre des ouvrages qui doivent faire partie
de la bibliothèque des lycées , quelques abrégés d'histoire
par un homme de lettres capable de faire d'excellens abrégés
, s'il est possible d'en faire de bons .
L'accueil favorable fait par la Commission aux abrégés dont
je veux parler , et le grand nombre d'ouvrages de ce genre
qui ont paru récemment , peuvent donner lieu à quelques
considérations générales sur la manière d'écrire l'histoire.
Il y a deux manières principales d'écrire l'histoire. On
peut l'écrire avec tous les détails , avec ceux du moins que
comporte la dignité de l'histoire , et qui méritent d'intéresser
le lecteur : c'est de ce genre que sont les ouvrages de Rollin ,
de Crevier, de Le Beau , de Daniel , de Velly , de Hume , etc.
On peut écrire l'histoire en supprimant les détails des faits
particuliers , pour ne présenter que les faits généraux ,
c'est-à-dire , les causes des événemens , leur ensemble et
leurs résultats : cette méthode est celle de Bossuet , de
Fleury, de Montesquieu , dans les Discours sur l'Histoire
Universelle , et l'Histoire Ecclésiastique , et les Causes de la
Grandeur et de la Décadence des Romains .
Les abrégés tiennent le milieu entre ces deux méthodes ;
et , comme tous les milieux , ils participent des inconvéniens
des deux extrêmes plutôt que de leurs avantages . Ils ont
trop de détails ou n'en ont pas assez , et ils n'offrent ni assez
de prise à la mémoire , ni assez d'exercice à la pensée.
L'histoire proprement dite , l'histoire avec tous ses détails ,
convient aux jeunes gens : à cet âge , on a le loisir de lire ; et
la faculté de retenir est dans toute sa force. Le temps n'est
pas absorbé par les soins de la vie , et la mémoire est vide
encore de souvenirs personnels . Aussi les jeunes gens ne
retiennent que les longues histoires : je veux dire, que s'ils ne
(1 ) Luteur de cet article aperçoit souvent dans ceux qu'il a insérés à ce
Journal , des fautes qui ne sont pas des fautes d'impression , mais des fa….tes
de composition. Il en est qui peuvent être des erreurs de jugement , mais
i ! en est aussi qui viennent de l'impossibilité où est l'auteur de revoir les
épreuves , sur lesquelles il étoit accoutumé de corriger sou travail , et qui
offrent pour cette correction bien plus de facilité que le uranuscrit.
3
100 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGME.
Je ne puis exister sans l'esprit et le corps;
Sans être aucun des deux ils sont mes deux ressorts .
Pour ma production , ô merveille étonnante !
Un seul sexe suffit , sans douleur il m'enfante.
Par mon rapide vol je me perds dans les airs:
Je me plais à la ville et me plais auxdéserts.
Je suis agent d'amour , une source de haine,
Un gage précieux de la foi souveraine.
Sur tous les animaux món empire s'étend ,
A mon ordre par fois homme et brute se rend.
J'accorde les humains , c'est moi qui les divise.
A tous ces traits , lecteur , connois- tu ma devise ?
LOGOGRIPHE.
Ce moi qui parle , ami , quatre autres moi rassemble :
Chacun de ces moi n'est pas moi ,
Mais ils sont moi tous quatre ensemble.
Quatre ne font done qu'un.... Tu t'étonnes , je croi !
Oh! ce n'est rien; j'ai bien d'antres merveilles :
Je t'averti , prends garde à toi ,
Si tu m'ôtes mon dernier moi
Je vais t'étourdir les oreilles;
J'ai pour cela , mon cher , un don particulier .
Au lieu de celui-ci prends plutôt le premier ,
Mets les autres à la renversey
Et vois quelempire j'exerce :
J'ai chez les miens l'anto ité d'un roi,
Et ne suis cependant que les trois quarts de moi.
CHARADE.
Ungconjonction te donne mon premier ,
Et tu détestes mon entier ,
S'il est traîné par mon dernier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier N°. est la lettre E.
Celui du Logogriphe est Escrime, où l'on trouve cri, rime.
Celui de la Charade est Four-bure .
JUILLET 1807 . 101
DE LA MANIÈRE D'ÉCRIRE L'HISTOIRE. (1 )
LA Commission des livres classiques a admis , il n'y a pas
long-temps , au nombre des ouvrages qui doivent faire partiede
la bibliothèque des lycées , quelques abrégé's d'histoire
parunhommede lettres capable de faire d'excellens abrégés
, s'il est possible d'en faire de bons.
L'accueilfavorable fait par la Commission aux abrégés dont
je veux parler , et le grand nombre d'ouvrages de ce genre
qui ont paru récemment, peuvent donner lieu à quelques
considérations générales sur la manière d'écrire l'histoire.
Il y a deux manières principales d'écrire l'histoire . On
peut l'écrire avec tous les détails , avec ceux du moins que
comporte la dignité de P'histoire , et qui méritent d'intéresser
le lecteur : c'est de ce genre que sont les ouvrages de Rollin ,
de Crevier, de LeBeau ,deDaniel , de Velly , de Hume, etc.
On peut écrire l'histoire en supprimant les détails des faits
particuliers , pour ne présenter que les faits généraux ,
c'est-à-dire , les causes des événemens , leur ensemble et
leurs résultats : cette méthode est celle de Bossuet , de
Fleury, de Montesquieu , dans les Discours sur l'Histoire
Universelle , et l'Histoire Ecclésiastique , et les Causes de la
Grandeuret de la Décadence des Romains.
Les abrégés tiennent le milieu entre ces deux méthodes ;
et, commetous les milieux , ils participent des inconvéniens
des deux extrêmes plutôt que de leurs avantages. Ils ont
trop de détails ou n'en ont pas assez , et ils n'offrent ni assez
de prise à la mémoire , ni assez d'exercice à la pensée.
L'histoire proprement dite , l'histoire avec tous ses détails ,
convient auxjeunes gens : à cet âge , on a le loisir de lire ; et
la faculté de retenir est dans toute sa force. Le temps n'est
pas absorbé par les soins de la vie , et la mémoire est vide
encore desouvenirs personnels. Aussi les jeunes gens ne
retiennent que les longues histoires : je veux dire, que s'ils ne
(1) L'auteur decet article aperçoit souvent dans ceux qu'il ainsérés à ce
Journal, des fautes qui ne sont pas des fautes d'impression , mais des fa..tes
de composition. Il en est qui peuvent être des erreurs de jugement, mais
il en est aussi qui viennent de l'impossibilité où est l'auteur de revoir les
épreuves, sur lesquelles il étoit accoutumé de corriger son travail , et qui
offrent pour cette correction bien plus de facilité que le manuscrit .
3
102 MERCURE DE FRANCE ,
retiennent pas tout d'une histoire détaillée , ils ne retiennent
presque rien d'une histoire abrégée , parce que les retranchemens
qu'exige l'abrégé portent principalement sur les
faits , qui sont la partie que les jeunes mémoires reçoivent
avec le plus de facilité , et conservent le plus fidèlement. Ce
sont les détails , et presqu'uniquement les détails même
minutieux qui gravent dans l'esprit des enfans , d'une
manière ineffaçable , le souvenir des événemens auxquels
ils sont liés . Les méthodes de mnemonique , ou de mémoire
artificielle , sont fondées sur cette observation , puisque ces
méthodes consistent à fixer les souvenirs les plus importans
par les plus petits moyens , une frivole consonnance entre
les mots, ou un léger rapport entre les idées. Nous-mêmes ,
lorsque nous cherchons à nous rappeler un homme que
nous avons vu il y a long-temps , et seulement en passant ,
nous nous aidons de très-petites choses , de choses qui ne
sont pas lui : et c'est presque toujours l'habit qu'il portoit ,
les gens qui le servoient , les personnes avec qui il étoit , le
lieu où nous l'avons rencontré , un mot, un geste qui lui
étoit familier , le plus souvent un défaut physique , qui le
représentent à notre pensée, et remettent , pour ainsi dire ,
notre mémoire sur la voie.
Et , pour appliquer cette observation au sujet que nous
traitons , les traits de l'histoire romaine , par exemple , qui
se fixent le mieux dans le souvenir des enfans , ne sont-ils pas
les détails vrais ou faux de la fondation de Rome, de l'en-
Jèvement des Sabines , de la mort de Romulus , du combat
des Horaces , de l'expulsion des Tarquins , de l'entrée des
Gaulois dans Rome , des stratagèmes d'Annibal , etc. etc. ?
Aussi les enfans aiment les histoires , et ils voient finir ,
même les plus longues , avec le regret qu'on éprouve à se
séparer de la compagnie de quelqu'un dont l'entretien nous
a amusés . Si l'on veut que les hommes ne sachent jamais
T'histoire , il faut la faire lire aux jeunes gens dans des abrégés;
et si la plupart savent mieux les histoires anciennes que
celle de leur propre pays , c'est que l'histoire des premiers
peuples et de l'enfance des sociétés , est chargée de détails
imême familiers , le plus souvent extraordinaires , et quelquefois
fabuleux .
La méthode d'histoire qui consiste à supprimer les faits ,
qu'on peut regarder comme le corps de l'histoire , pour n'en
saisir que l'esprit , c'est- à-dire , les causes générales et leurs
effets , convient aux hommes faits ; je dis aux hommes faits ,
parce qu'ilya beaucoup d'hommes qui restent toujours enfans.
Elle convient sur-tout aux hommes publics , qui doivent être
JUILLET 1807 . 103
éminemmentdeshommes faits , puisqu'ils doivent faire et formerles
autres . Acet âge , et sur-tout dans les conditions publiques
, le temps est absorbé par les devoirs ou les attachemens ,
et lamémoire remplie des soins et des pennsseerrss de la vie , des
soucis de la fortune ou de l'ambition . L'homme , en vieillissant
, devenu plus personnel , s'occupe moins du passé que
du présent , et sur-tout de l'avenir; et , de toutes les histoires ,
la sienne propre est celle qui l'intéresse davantage. D'ailleurs ,
la faculté de se ressouvenir s'affoiblit avec l'âge , tandis que
la faculté de réfléchir , de comparer, de juger , acquiert plus
de force par une longue expérience des choses humaines .
La méthode d'histoire qui occupe le moins la mémoire et
exerce le plus le jugement , qui donne à penser beaucoup
plus qu'à retenir , est donc celle qui convient davantage aux
hommes avancés dans la carrière de la vie , ou qui remplissent
les plus importantes fonctions de la vie politique ;
et sans doute aussi qu'il y a une secrète analogie entre notre
position et nos goûts mêmes littéraires : le jeune homme
commence son histoire , le vieillard finit la sienne : l'un en
est aux détails de la vie , et l'autre aux résultats .
D'ailleurs , tout est histoire pour les enfans , et même la
fable; au lieu que , pour les hommes , trop souvent tout est
fable , et même l'histoire. Le jeune homme lit avec la candeur
et la simplicitéde son âge ; l'homme fait litavec son expérience
, et trop souvent avec ses vices. Il a connu les erreurs
inévitables de l'histoire, et il ressent les passions qui altèrent la
fidélité de l'historien , ou égarent son jugement. L'enfant
pèche par excès de crédulité , l'homme par excès dedéfiance ;
et il est vrai aussi que l'histoire , suspecte dans les détails
n'est certaine que dans l'ensemble , parce que le temps , qui
altère les faits , ou même les condamne àl'oubli , découvre , au
contraire , et confirme les résultats . Les jeunes gens s'intéressentà
tout , retiennent tout , parce que la plupart n'ont pas encore
d'affections prédominantes et décidées ; au contraire
T'homme ne retient en général de l'histoire que ce qui flatte
ses passions , ou s'accorde avec ses intérêts . L'homme foible
détournera les yeux de la fermeté stoïque de Caton , l'homme
vain admirera sur-tout les succès oratoires de Cicéron , le
factieux s'arrêtera de préférence sur l'audace de Catilina ' , et
l'ambitieux ne se rappellera que les succès de César.
१
L'abrégé est moins un moyen d'apprendre l'histoire ,
qu'un secours pour en considérer l'esprit et l'ensemble ; et
celui qui voudroit traiter de l'histoire d'un peuple de la
même manière que M. Bossuet a traité de l'histoire de tous
les peuples , seroit obligé de composer pour son propre usage
4
104 MERCURE DE FRANCE ,
un abrégé historique , s'il n'y en avoit pas de fait , et même
un abrégé chronologique qui mit continuellement sous ses
yeux un tableau succinct de tous les faits dont il voudroit
saisir l'ensemble , et de l'ordre dans lequel ils se sont passés.
Les abrégés ne conviennent donc pas aux jeunes gens , qui
doivent lire l'histoire pour la retenir, et non encore pour la
comprendre , et plutôt pour meubler leur mémoire que
pour former leur jugement.
D'ailleurs, l'histoire présente dans ses longues narrations
des modèles de style et de disposition de faits et d'idées
qu'il importe d'offrir aux jeunes gens , qui apprennent ainsi
à exprimer leurs pensées , et à mettre de l'ordre dans leurs
idées , en en mettant dans le discours . Au lieu que l'abrégé,
avec ses réflexions concises , ses pensées plutôt indiquées que
développées , ses faits plutôt notés que racontés , ne leur présente
que des formes raccourcies de style qu'il seroit , à leur
âge , et dans le premier essor de leur imagination , dangereux
d'imiter ; et qui seroient comme des lisières avec lesquelles
on voudroit retenir les pas d'un enfant qu'il faut laisser courir
et sauter. Si je voulois parler à l'imagination , je comparerois
l'histoire détaillée à une personne vivante , revêtue
des plus riches habits ; la méthode opposée , à la même personne
dépouillée de tous ses vêtemens ; et l'abrégé , à un
squelette qui n'offre ni la pompe des ornemens accessoires ,
ni les formes de la vie et de la beauté naturelle .
Mais quelle que fut la méthode que l'on suivit en écrivant
l'histoire , il falloit , dans le dernier siècle , qu'elle fût philosophique
; et une histoire qui n'étoit pas philosophique ,
fût-elle exacte dans le récit des faits , méthodique dans leur
disposition , sage dans les réflexions , et écrite du style le
mieux assorti au sujet , n'étoit , aux yeux de quelques écrivains
, qu'une gazette sans intérêt et sans utilité . Comme la
philosophie bien entendue est la recherche des causes et la
connoissance de leurs rapports avec les effets , on pourroit
croire que la méthode d'histoire regardée alors comme la
plus philosophique , devoit être celle qui présente l'ensemble
et le résumé des faits , dévoile leurs causes , indique leurs
rapports , et puise dans cette connoissance des réflexions
générales sur l'ordre religieux et politique de la société ;
mais on se tromperoit étrangement. Une histoire philosophique
, telle qu'on en faisoit alors , consistoit en exceptions
qu'on donnoit pour des règles , en faits particuliers , et
presque toujours isolés , même en anecdotes ; et plus d'un
écrivain célèbre a été accusé d'en trouver dans son imagination
, quand sa mémoire ne lui en fournissoit pas . Tout
JUILLET 1807 .
105
y étoit particulier , et même personnel ; et il n'y avoit de
général qu'un esprit de haine et de détraction de la politique'
et de la religion modernes . Ainsi il étoit indispensable
pour écrire l'histoire philosophiquement , de donner toujours
aux gouvernemens anciens la préférence sur les gouvernemens
modernes ; et généralement , aux temps du paganisme
sur les temps chrétiens . La liberté se trouvoit nécessairement
dans les constitutions des anciens , toutes plus ou
moins démocratiques , la perfection dans leurs moeurs ; la
vertu étoit le ressort unique de leurs gouvernemens ; et si
leur religion n'étoit pas très-raisonnable , elle étoit tout-àfait
politique. En un mot , il n'y avoit de raison , de génie ,
de courage , d'amour de la patrie, de respect pour les lois ,
d'élévation dans les ames , de dignité dans les caractères
de grandeur dans les événemens , que chez les Grecs et les
Romains . Les Chrétiens ont été le peuple le plus ignorant ,
le plus corrompu , le plus superstitieux , le plus foible
opprimé par ses gouvernemens monarchiques , dégradé
par sa religion absurde ; et plus d'un philosophe leur a
préféré les Mahometans , et même les Iroquois . La religion
chrétienne a été coupable de tous les malheurs du monde ;
ses ministres , de tous les crimes ou de toutes les fautes des
gouvernemens et il étoit tout - à - fait philosophique de
accuser de toute l'ignorance des peuples , quoiqu'elle seule
les ait éclairés ; et de toute leur férocité , quoiqu'elle seule
les ait adoucis.
2
Mais il étoit sur-tout nécessaire , si l'on aspiroit au titre
d'historien philosophe , de s'élever avec amertume , et à
tout propos , contre les prétentions surannées de quelques
papes sur l'autorité temporelle ; et lorsque Pierre , dans ses
derniers temps , suivant la prédiction qui lui a été faite ,
lie par d'autres pouvoirs , étoit souvent mêne là où il ne
vouloit pas aller ( 1 ) , il falloit le représenter comme un
conquérant toujours armé , comme le Jupiter de la Fable
la foudre à la main , ébranlant l'univers d'un mouvement
de ses sourcils. Il eût été peut-être plus philosophique , et
même , je crois , vraiment philosophique , d'observer que
dans des temps où le caractère personnel des rois se ressentoit
des moeurs féroces et grossières des peuples ,
l'administration n'étoit pas plus éclairée que les constitutions
n'étoient définies , l'Europe , encore mal affermie dans les
voies du Christianisme , seroit retombée dans un chaos pire
Qu
(1 ) Cum autem senueris .... alius le cinget et ducet quò tụ non vis,
dit J. C. au Prince des Apôtres , dans Saint-Jean , 21 , 18.
106 MERCURE DE FRANCE ,
que celui dont elle étoit sortie avec tant d'efforts , s'il n'y
avoit eu d'autre recours contre les fautes , ou plutôt contre
les erreurs de rois emportés , que l'insurrection des peuples
barbares ; et qu'il étoit , je ne dis pas utile , mais nécessaire
que les peuples vissent quelque pouvoir au-dessus de celui
de leurs maîtres , de peur qu'ils ne fussent tentés d'y placer
leleur. Ce sont ces rigueurs , quelquefois excessives et peu
mesurées , qui ont accoutumé au joug des lois ces enfans
indociles qu'il falloit châtier avec la verge , en attendant de
pouvoir un jour les guider par une raison plus éclairée ; et
l'Europe aujourd'hui n'avoit pas plus à craindre le retour
de ces mesures sévères , que l'homme fait ne peut redouter
les corrections de l'enfance. La religion puníssoit des rois
enfans par l'excommunication ; quand ils sont devenus
grands , et qu'ils ont eu secoué le joug de leur mère , la
philosophie les a punis par l'échafaud. Les rigueursde la
religion ne pouvoient produire aucune révolution populaire ,
parce que le même pouvoir qui réprimoit les rois eût réprimé
les peuples , et même eût été plus fort contre les
peuples que contre les rois . Mais la philosophie a été aussi
impuissante contre les peuples qu'elle a été forte contre les
rois : elle a reconnu , mais trop tard ( pour me servir des
parolesdeM.1.ddee Condorcet) , que la force du peuple peut
devenir dangereuse pour lui-même ; et après lui avoir appris
à en faire usage , lorsqu'elle a voulu lui enseigner à la
soumettre à la loi, elle a éprouvé que ce second ouvrage ,
qu'elle ne croyoit pas , à beaucoup près , si long et si pénible
que le premier, étoit non-seulement moins aisé , mais toutà-
fait impossible : et le monde a appris , par une mémorable
expérience , llaa véerité de cette parole , que les roisne règnent
que par Dieu , et qu'il ne faut pas moins que le pouvoir
divin pour contenir le pouvoir populaire..
Il étoit donc extrêmement philosophique de méconnoître
tout ce que les papes ont fait pour la civilisation du monde ;
et si quelques-uns d'entr'eux ont trouvé grace aux yeux des
philosophes du dix-huitième siècle , c'est pour avoir favorisé
la culture et récompensé les progrès des arts agréables ,
quoiqu'à vrai dire , et pour employer plus à propos le mot
connu d'un bon évêque , ce ne soit pas là ce qu'ils aient fait
de mieux : car les historiens philosophes faisoient consister
toute la civilisation de l'Europe dans les arts , et sur-tout
dans le commerce. Une nation étoit à leurs yeux plus honorée
par les talens de ses artistes , les découvertes de ses
savans , l'industrie de ses cominerçans , que par la science
de son clergé, le dévouement de ses guerriers , l'intégrité
JUILLET 1807 . 107
de ses magistrats ; et en même temps que la philosophie
déclamoit contre le fanatisme de ces hommes qui alloient ,
au péril de leur vie , porter à des peuples barbares notre
religion et nos lois , elle admiroit l'industrie qui leur portoit
des couteaux , des grains de verre et de l'eau-de-vie,
Au reste, dans ces histoires philosophiques , la politique
'n'étoit pas mieux traitée que la religion , ni les rois plus
ménagés que les papes ; et lorsque la sévérité des jugemens
philosophiques n'étoit pas désarmée par des pensions ou
des louanges , ou contenue par la crainte , les rois n'étoient .
que des mangeurs d'hommes ; leurs négociations n'étoient
que fausseté , leurs guerres que barbarie , leurs adminis
trations qu'avidité , leurs acquisitions qu'ambition ; et leurs
fautes passoient pour des crimes. Cependant ces mêmes
actions , si odieuses dans un prince chrétien , pouvoient
être excusées sur l'intention dans un prince philosophe , ou
même jugées dignes des plus grands éloges. Un roi qui
auroit négocié auprès du grand-seigneur la reconstruction
du temple de Jérusalem , ou mis le feu à l'Europe pour
renverser la religion chrétienne et s'emparer des principautés
ecclésiastiques , eût été déclaré grand homme , et
bienfaiteur de l'humanité ; et pourvu que la philosophie
fût accueillie , et ses adeptes honorés , l'administration la
plus despotique , les forfaits même les plus odieux , trouvoient
grace aux yeux des philosophes : et nous en avons vu
d'illustres exemples .
Ondoit remarquer encore que , dans ces histoires philosophiques
, on parle beaucoup de destin et de fatalité : ces
mots reviennent fréquemment , même dans l'Histoire récemment
publiée de l'Anarchie de la Pologne , histoire où il y a
un grand éclat de style , quoiqu'avec un peu trop de complaisance
à rechercher des motifs et à tracer des portraits .
Le destin est en politique ce que le hasard est en physique ;
et comme le hasard n'est , suivant Leibnitz , que l'ignorance
des causes naturelles , le destin et la fatalité ne sont que
l'ignorance des causes politiques et , certes , il y a eu
beaucoup de ce destin dans la conduite de tous les cabinets
de l'Europe.
Une histoire véritablement philosophique doit être composée
dans des principes différens , et présenter d'autres
résultats. Dans ce genre , nous avons des modèles : et les
Discours de M. Bossuet sur l'Histoire universelle sont les
plus remarquables . C'est assurément une pensée éminemiment
philosophique que celle qui ramène tous les événemens
de l'univers ,toute l'histoire des peuples , à un événement
108 MERCURE DE FRANCE ,
véritablement universel , cause secrète de toutes les révolutions
du monde , parce qu'il est la fin de toutes les choses
humaines; et qui montre l'ordre général sortant du sein
des désordres particuliers , et les conseils immuables de la
Divinité accomplis même par les passions des hommes.
Sans doute une si haute philosophie ne pouvoit trouver
sa place que dans le sujet qu'a choisi M. Bossuet ; et
l'Histoire de l'Etablisseinent et des Progrès du Christianisme
, société universelle quant aux vérités , aux temps et
aux hommes , ne pouvoit être qu'une Histoire universelle.
Mais cette même manière de considérer les événeinens
d'en saisir l'esprit et l'ensemble , et de les ramener tous à
des points de vue généraux , peut être appliquée avec succès
àl'histoire politique d'une société particulière ; et c'est alors
que l'étude de l'histoire est digne des esprits les plus élevés,
et peut offrir d'utiles leçons aux homines publics .
Ou raconte que M. d'Aguesseau , fort jeune encore , fut
rendre visite au Père Malebranche , qui ne manqua pas de
l'interroger sur ses études. D'Aguesseau lui dit qu'il s'occupoit
beaucoup d'histoire le P. Malebranche sourit ,
comme il auroit fait à l'aveu d'une foiblesse qui demanderoit
de l'indulgence ; et il conseilla au jeune homine de
s'appliquer un peu moins à retenir des faits toujours les
memes , et souvent incertains , et un peu plus à connoître
les principes où se trouve la raison de tout, et même des
faits historiques. Sans doute le sévère métaphysicien alloit
un peu loin ; mais son opinion prouve qu'un esprit solide
et étendu doit chercher dans l'étude de l'histoire autre chose
que des faits et des dates , et que si l'histoire de l'homme se
trouve dans des faits particuliers , ce n'est que dans l'ensemble
ou la généralité même des faits qu'on peut étudier
P'histoire de la société .
Je crois même qu'à l'âge où elle est parvenue , lorsque
lavie la plus longue peut à peine suffire à apprendre l'histoire
de son pays , ou même de son temps , et que des
abrégés de toutes les histoires composeroient à eux seuls
une immense bibliothèque , on doit peut - être considérer
P'histoire d'une manière encore plus philosophique , ou , si
l'on veut, plus métaphysique ,pour en tirer des règles générales
applicables à toutes les circonstances de l'histoire et à
laconduite des gouvernemens , à-peu -près comme les géomètres
considèrent la quantité , et cherchent dans leur
analyse des formules applicables à tous les calculs de la
quantité en nombre et en étendue.
Et pour mieux faire entendre toute ma pensée , je ne
JUILLET 1807 . 109
peux m'empêcher d'observer que le mot analyse, en passant
de la langue des lettres dans celle des sciences , a reçu une
acception un peu différente . Analyser un discours , signifie ,
selon le Dictionnaire de l'Académie , le réduire à ses parties
principales , pouren mieux connoitre l'ordre et la suite : cette
signification se rapproche assez de celle que la chimie donne
aumot analyse, qu'elle emploie pour exprimer la réduction ,
la résolution d'un corps dans ses principes ; mais l'analyse
géométrique est le procédé par lequel on opère sur la généralité
même des quantités , et où l'on simplifie en généralisant
; au lieu que la littérature , et même la chimie , simplifient
en diminuant et en abrégeant. Il semble que les
géomètres , qui avoient déjà le mot algèbre , auroient dû s'en
contenter ; ne pas multiplier assez inutilement les homonymes
, qui dans toute langue sont une imperfection , et
s'informer , avant de détourner ce mot à leur usage particulier
, si le public ne l'avoit pas déjà employé à un autre
usage.
Quoiqu'il en soit de cette observation , lorsque les progrès
des sciences physiques ou de nos besoins , ont rendu insuffi
sans, ou d'une pratique trop difficultueuse , les procédés de
Parithmétique ordinaire ou les démonstrations de la géométrie
linéaire , on a inventé l'algebre ou l'analyse , qui
au moyen de quelques signes abstraits , représentatifs de
toutes tes les valeurs particulières , réelles ou possibles , opère
sur la généralité des quantités numériques ou étendues ,
et réduit à desformules ou expressions générales la solution
des problèmes que présente la combinaison infinie de leurs
rapports. Ne peut -on pas transporter cette idée dans la
science politique , et généraliser aussi dans trois personnes
publiques ou sociales , exprimées par des dénominations
générales , absolument tous les individus qui composent la
société la plus nombreuse , et leurs diverses fonctions dans
la société , la personne qui commande , la personne qui
obéit , et la personne qui transmet à l'une les lois émanées
de l'autre , et sert à leur exécution ? Mais il y a cette différence
entre les signes qu'emploie l'analyse géométrique , et
ceux dont l'analyse politique peut se servir, que les premiers,
a , b , x , y, ne signifient rien par eux-mêines parcequ'ils
représentent que des quantités abstraites ,, toutesdemême
espèce , et qui n'ont d'autre rapport entre elles que des rapports
en plus ou en moins ; au lieu que les signes ou expressions
de l'analyse politique , pouvoir , ministre , sujet ,
s'appliquant à la société et à un ordre de rapports qui classent
les êtres intelligens dans des fonctions de nature différente ,
ne
,
*
110 MERCURE DE FRANCE ,
doivent signifier et signifient par eux-mêmes l'espèce et la
diversité de ces rapports .
L'auteur de cet article a présenté ces idées avec plus
d'étendue dans un autre ouvrage ( 1 ) ; il en a même fait voir
le rapport avec des notions encore plus générales , et même
les plus générales qu'il soit possible à la raison de concevoir ;
et il ne se permet d'insister encore sur cette manière de
considérer la société , que dans l'intime conviction que c'est
uniquement sur cette base qu'on peut élever l'édifice de
la science historique et politique , science que Leibnitz ,
au commencement du dernier siècle , trouvoit fort peu
avancée , et qui depuis a plus perdu qu'elle n'a gagné.
Et pour continuer la comparaison que j'ai établie entre
l'analyse géométrique et l'analyse politique : la vérité de
cette formule politique qui classe tous les individus de la
société sous les dénominations générales de pouvoir , ministre
, sujet , une fois reconnue , le grand problème de la
souveraineté du peuple eût été résolu ; et la raison auroit
jugé contre les passions que les deux personnes extrêmes
de la société , distinctes l'une de l'autre , ne pouvoient pas
être confondues en une seule , ni le sujet devenir pouvoir,
sans absurdité dans les termes , et par conséquent dans l'idée .
Les rapports qui existent entre ces trois personnes publiques
, forment les lois politiques ; et leur manière d'être
fixe ou mobile , c'est-à-dire héréditaire ou temporaire ,
forme les différentes constitutions des Etats. Ainsi , dans le
gouvernement monarchique , où le pouvoir et le ministre ,
qu'on appelle le roi et la noblesse, sont fixes ou héréditaires ,
l'étatdu sujet , au bonheur de qui se rapporte toute la société ,
est fixe aussi et héréditaire : ce qui veut dire que l'acquisi
tion , la jouissance et la transmission paisible de sa propriété
morale et physique sont pleinement assurées , et
mieux garanties contre les révolutions que dans toute autre
combinaison de société . Là où le pouvoir et ses fonctions
confondus dans des corps délibérans sont mobiles ou temporaires
, ce qui constitue la démocratie, l'état du sujet est
aussi mobile ou incertain , et la famille plus exposée à
souffrir des troubles et des révolutions de l'Etat. Lorsque le
pouvoir est héréditaire et le ministre électif ou temporaire ,
comme en Turquie , ou que le pouvoir est électif, et le
ministère héréditaire comme autrefois en Pologne , ces deux
états de société opposés en apparence , ne remplissent pas
mieux l'un que l'autre la fin de toute société , qui est la
(1) De la Législation Primitive.
JUILLET 1807. fif
sûreté et la stabilité du sujet ; et quoique un peu plus stables
que ladémocratie pure , parce qu'il y a quelque cliose d'héréditaire
, ils n'ont pas la force et la stabilite d'une monarchie
régulière où tout est héréditaire , ministère comme le
pouvoir.
C'est dans ces principes que se trouve la raison de l'état
différent des deux sociétés grecque et romaine : l'une plus
mobile , plus agitée , parce qu'il n'y avoit aucune fixité dans
les personnes publiques; l'autre plus stable et plus forte ,
parce qu'ily avoit de l'hérédité dans le patriciat , qui est le
corps des ministres exerçant le pouvoir comme la noblesse ,
ou le corps des ministres exerçant les fonctions publiques
sous les ordres du pouvoir.
Cette confusion des deux premières personnes qui doivent
êtredistinctes , et la mobilité de l'une et de l'autre , rendent
raison des troubles qui déjà s'élèvent au sein des Etats-Unis
d'Amérique , et qui tôt ou tard ameneront la ruine de cette
république , fille chérie de la philosophie du dix-huitième
siècle , et aussi foible de constitution que sa mère. Avec
ces principes , M. de Montesquieu se fût bien gardé de
hasarder sur l'éternité de la république suisse, une prophétie
qui devoit être quarante ans après démentie par l'événement;
et il auroit jugé que si la force et la stabilité des
monarchies voisines contenoient à leur place ces pièces
politiques mal assemblées , le moindre ébranlement dans
laconstitution générale de l'Europe devoit entraîner leur
dissolution .
On peut voir dans ces divers exemples l'application de
l'histoire à la politique , et la preuve de la politique par
l'histoire ; et ils servent à montrer que cette manière métaphysique
ou générale de considérer la société politique ,
n'est pas une manière abstraite ; mais qu'elle se prête au
contraire aux développemens historiques les plus positifs ,
et s'applique avec la même justesse àla société domestique
et à la société religieuse .
Il échappa un Jour à l'auteur de cet article , s'entretenant
avec un homme de beaucoup d'esprit , de lui dire qu'il
croyoit possible de faire l'histoire d'une société sans nommer
aucun des rois qui l'ont gouvernée. Ce propos hasardé
comme une plaisanterie, et pour répondre par un excès du
même genre , au reproche , peut-être fondé , de trop généraliser
les objets , n'est cependant pas dépourvu de fondement
: et d'après ce que nous venons dedire , on aperçoit
que le pouvoir dans une monarchie régulière étant héréditaire
et indivisible, passant tout entier et toujours le même ,
112 MERCURE DE FRANCE ,
sans interruption comme sans partage , d'un monarque à
l'autre , et précédant tous ceux qui naissent , survivant à
tous ceux qui meurent , la plus longue suite de rois ne
forme jamais qu'un même pouvoir ou une même royauté.
Or , l'histoire politique d'une société n'est que l'histoire de
son pouvoir. J'irai même plus loin : et je ferai remarquer
que même autrefois en France et dans nos maximes de
droit public , nous considérions le pouvoir d'une manière
tout-à-fait métaphysique , et abstraction faite de tout individu
, puisque nous disions que le roi ne meurt pas en
France; et que nous exprimions par cette locution très-générale,
etqu'on ne peut assurément pas prendre dans un sens
particulier , la perpétuité et en quelque sorte l'immortalité
du_pouvoir.
Et pour ne parler ici que du pouvoir , et faire l'application
à notre propre histoire ,de cette manière générale de
considérer cette première des personnes publiques , cause
politique de tous les effets , c'est-à-dire de tous les faits de la
société , on peut remarquer dans l'histoire , ou plutôt dans la
vie politique de la France, trois âges du pouvoir, qui sont, à
la vérité, plusdistincts en France quedans toute autre société,
parce qu'ils correspondent en général et assez exactement à
ce que nous appelons les trois races de nos rois ; mais qui
représentent tous les âges du pouvoir dans toutes les sociétés,
c'est-à-dire toutes ses manières possibles d'être. Au premier
âge , le pouvoir étoit personnel , et en quelque sorte domestique,
comme il l'est dans toute société qui commence. De là
vient qu'il se partageoit entre les enfans comme une succession
de famille , parce que l'homme qui avoit commencé la
société en en conquérant le pouvoir , en disposoit comme
d'un bien propre. Au second âge , le pouvoir est devenu
public par la transmission indivisible , héréditaire , par la
loi constante de la primogéniture , ajoutée à celle de la masculinité
, par la distinction et l'hérédité du ministère public
ou de la noblesse , qui est l'action constitutionnelle du pouvoir.
Au troisième âge , le pouvoir est insensiblement devenu
populaire par l'influence de certaines doctrines et la
contagion de quelques exemples. La fonction judiciaire , la
force armée , ont passé peu à peu aux mains de la troisième
personne, que nous appellions en France tiers-étai ; et même
de nos jours , le pouvoir lui-même est tombé tout entier
aux mains de la multitude.
Ainsi , au premier âge , le pouvoir a péri par l'usurpation
qu'en ont faite les rois eux-mêmes , qui l'ont partagé comme
un patrimoine ; et au dernier , il a péri par l'usurpation du
peuple
JUILLET 1807 .
peuple qui l'a partagé comme une proie . Car , au second
âge , si le matériel du pouvoir , le territoire et la force qui
en dépend avoient été usurpés par les grands feudataires , le
moral du pouvoir , ou le pouvoir moral s'étoit conservé tout
entier dans la suzeraineté lien puissant , qui a empêché
dans les temps périlleux , la dissolution totale de la France ,
et à servi à retenir ce qu'on ne pouvoit encore reprendre .
:
Mais comme le présent conserve toujours quelque chose
du passé , toutes les causes de destruction qui avoient agi
dans les deux premiers âges , se sont combinées dans le
dernier pour opérer l'anéantissement du pouvoir . Ainsi
l'on retrouvoit encore de nos jours quelques restes des partages
de famille usités au premier age , et même du pouvoir
exorbitant des grands feudataires pendant le second ,
dans la loi des apanages , par laquelle les princes du sang
royal , membres à la fois de la famille régnante et grands
de l'Etat , étoient dotés en terres , en titres de provinces en
prérogatives , au lieu d'être pensionnés comme les princes
des autres maisons royales de l'Europe : loi dangereuse qui
donnoit aux princes une existence incompatible avec le
repos de l'Etat et sa véritable force , et qui a été cause que
dans tous ses âges , et particulièrement dans l'âge de la révolution
, la France a été plus troublée par les intrigues et les
prétentions des princes factieux qu'aucun autre Etat de l'Eu- '
rõpe , et même moins servie par les talens des princes
vertueux , parce que les rois ont craint souvent de confier
de grandes fonctions , et peut - être d'inspirer de grandes
vertus à des hommes à qui la loi donnoit quelque participation
aux honneurs , et même à la réalité du pouvoir. ( 1 )
Ces trois âges du pouvoir, personnel , public et populaire ;
rendent raison de tous les accidens de la société ; ils comprennent
tous les périodes du pouvoir , sa naissance , sa vie
et sa mort , et expliquent à la fois et les différens rapports
sous lesquels le pouvoir a été considéré , et les divers sentimens
qu'il a excités .
Au premier âge , le roi étoit plutôt le chef de la première
famille et le plus grand propriétaire . Au second , il étoit le'
premier seigneur haut - justicier , suzerain de tout le territoire
, et de qui relevoient tous ceux qui l'habitoient ; et pour
le dire en passant , l'expression de relever alors usitée , pré-
(1 ) Les inconvéniens de cette loi étoient sentis par de bons esprits ; et
je crois que sous Louis XV , M. de Machaut proposa au conseil la conversion
des apanages en ensions.
H
110 MERCURE DE FRANCE ,
doivent signifier et signifient par eux-mêmes l'espèce et la
diversité de ces rapports.
L'auteur de cet article a présenté ces idées avec plus
d'étendue dans un autre ouvrage ( 1 ) ; il en a même fait voir
le rapport avec des notions encore plus générales , et même
les plus générales qu'il soit possible à la raison de concevoir ;
et il ne se permet d'insister encore sur cette manière de
considérer la société , que dans l'intime conviction que c'est
uniquement sur cette base qu'on peut élever l'édifice de
la science historique et politique , science que Leibnitz ,
au commencement du dernier siècle , trouvoit fort peu
avancée , et qui depuis a plus perdu qu'elle n'a gagné .
Et pour continuer la comparaison que j'ai établie entre
l'analyse géométrique et l'analyse politique la vérité de
cette formule politique qui classe tous les individus de la
société sous les dénominations générales de pouvoir , ministre
, sujet , une fois reconnue , le grand problème de la
souveraineté du peuple eût été résolu ; et la raison auroit
jugé contre les passions que les deux personnes extrêmes
de la société , distinctes l'une de l'autre , ne pouvoient pas
être confondues en une seule , ni le sujet devenir pouvoir,
sans absurdité dans les termes , et par conséquent dans l'idée .
Les rapports qui existent entre ces trois personnes publiques
, forment les lois politiques ; et leur manière d'être
fixe ou mobile , c'est- à-dire héréditaire ou temporaire ,
forme les différentes constitutions des Etats. Ainsi , dans le
gouvernement monarchique , où le pouvoir et le ministre
qu'on appelle le roi et la noblesse, sont fixes ou héréditaires ,
l'état du sujet , au bonheur de qui se rapporte toute la société ,
est fixe aussi et héréditaire : ce qui veut dire que l'acquisition
, la jouissance et la transmission paisible de sa propriété
morale et physique sont pleinement assurées , et
mieux garanties contre les révolutions que dans toute autre
combinaison de société . Là où le pouvoir et ses fonctions
confondus dans des corps délibérans sont mobiles ou temporaires
, ce qui constitue la démocratie , l'état du sujet est
aussi mobile ou incertain , et la famille plus exposée à
souffrir des troubles et des révolutions de l'Etat. Lorsque le
pouvoir est héréditaire et le ministre électif ou temporaire ,
comme en Turquie , ou que le pouvoir est électif , et le
ministère héréditaire comme autrefois en Pologne, ces deux
états de société opposés en apparence , ne remplissent pas
mieux l'un que l'autre la fin de toute société , qui est la
(1 ) De la Législation Primitive.
JUILLET 1807 :
sûreté et la stabilité du sujet ; et quoique un peu plus stables
que la démocratie pure , parce qu'il y a quelque chose d'héréditaire
, ils n'ont pas la force et la stabilité d'une monarchie
régulière où tout est héréditaire , ministère comme le
pouvoir.
C'est dans ces principes que se trouve la raison de l'état
différent des deux sociétés grecque et romaine : l'une plus
mobile , plus agitée , parce qu'il ny avoit aucine fixité dans
les personnes publiques ; l'autre plus stable et plus forte
parce qu'il y avoit de l'hérédité dans le patriciat , qui est le
corps des ministres exerçant le pouvoir comme la noblesse ,
ou le corps des ministres exerçant les fonctions publiques
sous les ordres du pouvoir.
Cette confusion des deux premières personnes qui doivent
être distinctes , et la mobilité de l'une et de l'autre , rendent
raison des troubles qui déjà s'élèvent au sein des Etats - Unis
d'Amérique , et qui tôt ou tard ameneront la ruine de cette
république , fille chérie de la philosophie du dix-huitième
siècle , et aussi foible de constitution que sa mère. Avec
ces principes , M. de Montesquieu se fût bien gardé de
hasarder sur l'éternité de la république suisse , une prophétie
qui devoit être quarante ans après démentie par l'événement
; et il auroit jugé que si la force et la stabilité des
monarchies voisines contenoient à leur place ces pièces
politiques mal assemblées , le moindre ébranlement dans
la constitution générale de l'Europe devoit entraîner leur
dissolution.
On peut voir dans ces divers exemples l'application de
l'histoire à la politique , et la preuve de la politique par
l'histoire et ils servent à montrer que cette manière metaphysique
ou générale de considérer la société politique
n'est pas une manière abstraite ; mais qu'elle se prête au
contraire aux développemens historiques les plus positifs ,
et s'applique avec la même justesse à la société domestique
et à la société religieuse.
Il échappa un jour à l'auteur de cet article , s'entretenant
avec un homme de beaucoup d'esprit , de lui dire qu'il
croyoit possible de faire l'histoire d'une société sans nommer
aucun des rois qui l'ont gouvernée. Ce propos hasardé
comme une plaisanterie , et pour répondre par un excès du
même genre , au reproche , peut- être fondé , de trop géné–
raliser les objets , n'est cependant pas dépourvu de fondement
: et d'après ce que nous venons de dire , on aperçoit
que le pouvoir dans une monarchie régulière étant hérédi
taire et indivisible , passant tout entier et toujours le même ,
I12 MERCURE DE FRANCE ,
que
sans interruption comme sans partage , d'un monarque à
l'autre , et précédant tous ceux qui naissent , survivant à
tous ceux qui meurent , la plus longue suite de rois ne
forme jamais qu'un même pouvoir ou une même royauté.
Or , l'histoire politique d'une société n'est que l'histoire de
son pouvoir. J'irai même plus loin et je ferai remarquer
même autrefois en France et dans nos maximes de
droit public , nous considérions le pouvoir d'une manière
tout-à-fait métaphysique , et abstraction faite de tout individu
, puisque nous disions que le roi ne meurt pas en
France; et que nous exprimions par cette locution très-géné-
`rale , et qu'on ne peut assurément pas prendre dans un sens
particulier , la perpétuité et en quelque sorte l'immortalité
du pouvoir.
Et pour ne parler ici que du pouvoir , et faire l'application
à notre propre histoire , de cette manière générale de
considérer cette première des personnes publiques , cause
politique de tous les effets , c'est-à-dire de tous les faits de la
société , on peut remarquer dans l'histoire , ou plutôt dans la
vie politique de la France , trois âges du pouvoir, qui sont , à
la vérité , plus distincts en France que dans toute autre société,
parce qu'ils correspondent en général et assez exactement à
ce que nous appelons les trois races de nos rois ; mais qui
représentent tous les âges du pouvoir dans toutes les sociétés,
c'est-à -dire toutes ses manières possibles d'être. Au premier
âge , le pouvoir étoit personnel , et en quelque sorte domestique
, comme il l'est dans toute société qui commence . De là
vient qu'il se partageoit entre les enfans comme une succession
de famille , parce que l'homme qui avoit cominencé la
société en en conquérant le pouvoir , en disposoit comme
d'un bien propre. Au second âge , le pouvoir est devenu
public par la transmission indivisible , héréditaire , par la
loi constante de la primogéniture , ajoutée à celle de la masculinité
, par la distinction et l'hérédité du ministère public
ou de la noblesse , qui est l'action constitutionnelle du pouvoir.
Au troisième âge , le pouvoir est insensiblement devenu
populaire par l'influence de certaines doctrines et la
contagion de quelques exemples. La fonction judiciaire , la
force armée , ont passé peu à peu aux mains de la troisième
personne, que nous appellions en France tiers-étal; et même
de nos jours , le pouvoir lui-même est tombé tout entier
aux mains de la multitude.
Ainsi , au premier âge , le pouvoir a péri par l'usurpation
qu'en ont faite les rois eux-mêmes , qui l'ont partagé comme
un patrimoine ; et au dernier , il a péri par l'usurpation du
peuple
JUILLET 1807 .
1
5.
peuple qui l'a partagé comme une proie. Car , au second
âge, si le matériel du pouvoir , le territoire et la force qui
en dépend avoient été usurpés par les grands feudataires , le
moraldu pouvoir , ou le pouvoir moral s'étoit conservé tout
entier dans la suzeraineté : lien puissant , qui a empêché
dans les temps périlleux , la dissolution totale de la France ,
et à servi à retenir ce qu'on ne pouvoit encore reprendre.
Mais comme le présent conserve toujours quelque chose
du passé , toutes les causes de destruction qui avoient agi
dans les deux premiers âges , se sont combinées dans le
dernier pour opérer l'anéantissement du pouvoir. Ainsi
l'on retrouvoit encore de nos jours quelques restes des partages
de famille usités au premier âge , et même du pouvoir
exorbitant des grands feudataires pendant le second ,
dans la loi des apanages , par laquelle les princes du sang
royal , membres à la fois de la famille régnante et grands
de l'Etat , étoient dotés en terres , en titres de provinces en
prérogatives , au lieu d'être pensionnés comme les princes
des autres maisons royales de l'Europe : loi dangereuse qui
donnoit aux princes une existence incompatible avec le
repos de l'Etat et sa véritable force , et qui a été cause que
dans tous ses âges , et particulièrement dans l'âge de la révolūtion
, la France a été plus troublée par les intrigues et les
prétentions des princes factieux qu'aucun autre Etat de l'Eu-
горе , et même moins servie par les talens des princes
vertueux , parce que les rois ont craint souvent de confier
de grandes fonctions , et peut - être d'inspirer de grandes
vertus à des hommes à qui la loi donnoit quelque participation
aux honneurs , et même à la réalité du pouvoir. (1)
Ces trois âges du pouvoir, personnel , public et populaire ,
rendent raison de tous les accidens de la société ; ils -comprennent
tous les périodes du pouvoir , sa naissance , sa vie
et sa mort , et expliquent à la fois et les différens rapports
sous lesquels le pouvoir a été considéré , et les divers sentimens
qu'il a excités .
Au premier âge, le roi étoit plutôt le chef de la première
famille et le plus grand propriétaire . Au second , il étoit le
premier seigneur haut -justicier , suzerain de tout le territoire
, et de qui relevoient tous ceux qui l'habitoient ; et pour
le dire en passant , l'expression de relever alors usitée , préi
(1) Les inconvéniens de cette loi étoient sentis par de bons esprits ; et
je crois que sous Louis XV , M. de Machaut proposa au conseil la conversion
des apanages en ensions .
H
114 MERCURE DE FRANCE ,
sente des idées plus fières et plus nobles que celle de dépendre:
Au troisième âge , et comme je l'ai dit plus haut , depuis la
propagation de certaines doctrines politiques , et par l'influence
de quelques exemples , le roi étoit plutôt considéré
comme un premierfonctionnaire du peuple souverain , un
magistrat suprême , un président d'assemblée délibérante.
Il est aisé de voir que de ces trois manières de considérer le
pouvoir , celle qui présente les rapports les plus justes sur
la nature et la prééminence de la royauté , qui ne doit être
ni concentrée dans des idées personnelles et domestiques , ni
compromise dans des délibérations populaires , et celle de
seigneur , expression qui rappelle originairement la supériorité
de l'âge senior , et par conséquent des idées de raison
et de justice. Cette justice exercée sur un territoire déterminé
s'appelle lajurisdiction , premier attribut du pouvoir
qui comprend tous les autres , et qui lui donne action contre
les méchans qui troublent la sûreté du territoire soumis
à sa jurisdiction ; action sur les bons pour les employer
à la défense du territoire et à l'appui de la jurisdiction . Cette
expression de seigneur convenoit d'autant mieux au pouvoir ,
image du ministre de la Divinité , que Dieu lui -même
s'appelle ainsi dans ses relations avec la société humaine.
Ces divers rapports sous lesquels on a considéré le pouvoir
en France à ses divers âges , ont dû produire des sentimens
différens . Au premier âge , le pouvoir plus personnel
étoit plus redouté , parce qu'il étoit plus arbitraire .
L'homme vouloit, et quelquefois exécutoit tout à-la-fois ,
comme on le voit fréquemment dans l'histoire de Clovis et
des autres rois demi-barbares de la première race . Alors ,
la loi étoit souvent un caprice , son exécution une violence ;
le roi , un despote ; et ses ministres , des satellites . Au
troisième âge , le pouvoir le plus familier si j'ose le dire , le
plus populaire , a reçu peut-être plus de témoignages extérieurs
d'affection. Mais au second âge, le pouvoir plus
affermi par les institutions publiques , élevé hors de la
portée des sujets , plus absolu par conséquent , (car le foible
Louis XIII avoit un pouvoir plus absolu que le fort Clovis)
a été plus respecté; et par-là , mieux défendu contre lesprécautions
de la crainte , et même contre les inconstances
de l'amour : car, il faut bien l'avouer, ce n'est que depuis
que les rois ont été tant aimés , qu'il a fallu les entourer de
gardes . C'est que la crainte ou l'affection , sentimens tout
humains , participent de la mobilité et de la légèreté de
T'homme; au lieu que le respect qui se compose à la fois
d'amour et de crainte , est un sentiment profond et religieux
JUILLET 1807 . 115
etde la même nature que celui que nous devons à la divinité;
et tandis que les revers auxquels les rois sont exposés , autant
etplus que les autres hommes, changent la crainte en mépris,
etque les caprices du peuple changent ses affections en haine,
le respect fondé sur des motifs supérieurset un sentimentprofond
de la nécessité du pouvoir, reçoit du malheur des rois
un plus auguste caractère et ne s'affoiblit même pas par leurs
injustices ou par leurs fautes. Et certes , on trouve dans notre
histoire , et je crois seulement chez nous , une preuve bien
forte et tout-à- fait extraordinaire du respect religieux qui
s'attachoit autrefois à la royauté, dans la persuasion où l'on
étoit en France , que les rois àleur sacre faisoient des miracles
et guérissoient les écrouelles par leur attouchement : idée
sublime, et qui n'est que le voile de cette grande vérité , qu'il
n'y a pas d'infirmité sociale que la religion et laroyauté agissant
de concert ne puissent guérir. Ilfautavoir lecourage
de le dire , et de braver l'odieux dont ceux qui ont voulu
retenir les chefs des nations dans cette popularité ( 1 ) qui a
perdu les peuples et les rois , ont chargé cette expression :
au second âge le pouvoir étoit feodal , c'est-à-dire , qu'il
exigeoit non pas seulement l'obeissance , mais la fidélité des
sujets comme le prix de la justice et de la protection qu'il
accordoit à la religion , à la morale , à la propriété , à la
jouissance paisible et assurée de tous les avantages de la
société. Et n'est-ce pas au même titre que Dieu lui-même
exige la fidélité de la part des hommes , qu'il a placés sur la
terre , et qu'il a entourés de tout ce qui peut suffire à leurs
besoins et contribuer à leur bonheur.
Et à ce propos , je ne peux m'empêcher d'admirer l'étrange
idée qui saisit tout-à-coup l'Assemblée Constituante , lorsqu'elle
se persuada qu'il étoit beaucoup plus conforme aux
notions d'une véritable liberté politique de dire : roi des
Français , que roi de France; chef des hommes , plutôt que
seigneur justicier du territoire , et qu'elle substitua ainsi une
dénomination populaire à un titre public ou féodal. Il y a
précisément entre les relations dont ces deux expressions
présentent l'idée , la même différence qu'entre les relations
de domestique attaché au service personnel du maître , et
de locataire qui habite la maison d'un propriétaire. Cette
comparaison estd'autant plus juste que partout et sous toutes
(1) Je prends le mot dans un sens politique , et non dans le sens usuel
qui signifie affabilité. J'en avertis pour ceux qui feignent de ne pas
entendre le sens dans lequel un écrivain emploie certaines expressions ,
pour pouvoir lui en faire des crimes.
H2
116 MERCURE DE FRANCE ,
les formes possibles de gouvernement , le pouvoir public
représentant l'Etat tout entier , est nécessairement propriétaire
universel du territoire , non (qu'on y prenne bien
garde ) , non pour usurper ce qui est occupé , mais pour
disposer de ce qui est vacant. Ainsi , quand une famillefeu- dataire ou propriétaire , a fini son bail héréditaire par la
mort naturelle ou civile , et qu'elle s'éteint sans laisser de
successeurs ni d'héritier légitime , l'Etat rentre en possession
de ses propriétés : et il le faut ainsi , pour empêcher
les querelles que feroient naître un héritage sans posses- seurs . L'Etat alors dispose d'un bien abandonné , comme il doit disposer d'un homme délaissé , et il donne un maître
à l'héritage vacant , comme il donne du travail et la subsistance
à l'homme vagabond. Ce sont ces idées prises à l'envers , qui ont motivé ces lois terribles contre les émigrés dont on a regardé les biens comme vacans par leur désertion
, ou tombés en commise par leur délit : en sorte que
par une bizarrerie digne de tout le reste , ce fut au moment qu'on s'élevoit avec le plus de violence contre toute espèce
de féodalité que l'on exerça sur les grands propriétaires les
actes les plus solennels et les plus rigoureux de la jurisdiction féodale : le droit de déshérence et celui de commise . Assurément
il falloit beaucoup d'une certaine philosophie subtile
et pointilleuse , beaucoup de ce petit esprit qui a régné en France dans le dernier siècle sur tous les objets , pour trouver odieuse une dénomination qui faisoit plutôt sentir
les relations du propriétaire au pouvoir de jurisdiction que
la dépendance de l'homme du pouvoir de disposition et de commandement. On dit le cacique des Natches ou des
Iroquois; le kan des Tartares ; le hetman des Cosaques, parce que ces peuplades sauvages ou nomades forment plutôt un camp qu'une societé ; que les hommes qui les composent
assemblés fortuitement pour la chasse ou pour le combat , obéissent et ne relèvent pas ; ne connoissent que la dépendance
du guerrier , et non les rapports du citoyen ; et que les familles errantes , comme la nation , et sans territoire fixe
et transmissible , ne font pas un corps politique uni par le lien puissant de la communauté du sol , et la jouissance
paisible d'une propriété héréditaire . Mais les idées impar- faites des sociétés naissantes avoient reparu en Europe et
égaré tous les esprits . On se transportoit aux premiers temps , et avant la formation de la société publique , lorsque chaque
peuplade ou chaque famille , après avoir défriché un coin de forêt en disputoit la possession aux bêtes féroces , ou aux
hommes plus féroces que les animaux; et y vivoit sans déJUILLET
1807 . 117
1
pendance , par ce qu'elle y vivoit sans protection , toujours
à la veille d'être troublée dans cette possession précaire : car
au premier âge d'une société , il n'y a que des possesseurs .
Ce n'est que dans la société civilisée qu'il y a des propriétaires
; et ces idées de propriété plus puissantes que les
hommes , plus puissantes même que les révolutions , ont
été en Europe la raison de toutes les lois , et peuvent devenir
encore le principe de tout ordre , et la cause de toute stabilité.
Je reviens à la distinction des trois âges du pouvoir en
France , personnel , public et populaire ; distinction fondamentale
qui peut résoudre de grandes difficultés historiques ,
rendre raison de toutes les lois politiques , et expliquer les
changemens successifs d'une société. Le petit esprit demanderoit
peut-être l'époque fixe de ces variations du pouvoir.
Il voudroit déterminer le jour et l'heure où le pouvoir de
personnel est devenu public , ou de public est devenu popufaire.
Mais il n'en est pas ainsi des révolutions insensibles
de la société ; et l'on peut appliquer au sujet qui nous occupe
une excellente réflexion du président Hénault dans une matière
semblable. « On veut , dit ce premier des annalistes ,
>> que l'on nous dise que telle année , à tel jour , il y eut un
>> édit pour rendre vénales les charges qui étoient électives .
»
»
Mais il n'en va pas ainsi de tous les changemens qui sont
> arrivés dans les Etats par rapport aux moeurs , aux usages,
à la discipline. Des circonstances ont précédé ; des faits
>> particuliers se sont multipliés ; et ils ont donné , par
succession de temps , naissance à la loi générale sous
>> laquelle on a vécu . »
"
,
Je ne crains pas de dire que les considérations générales
que je n'ai fait qu'indiquer , sérieusement approfondies
mettroient plus de véritable philosophie dans notre histoire ,
et donneroient plus d'idées positives , de ces idées avec lesquelles
ceux qui gouvernent savent d'où ils viennent et où
ils vont, ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter , que la
connoissance détaillée de tous les faits et de toutes les dates
de notre histoire , s'il étoit possible de les retenir, ou même
de les lire : car , quelqu'importance que l'on attache à la
connoissance des faits historiques , les faits même les plus
nombreux , et classés dans l'ordre le plus méthodique , ne
sont que des recueils d'anecdotes sans liaison entr'elles , si
l'on ne les rapporte tous à un petit nombre de principes
généraux qui en indiquent la cause , et en font prévoir les
résultats. J'ose même dire qu'on peut , au moyen de ces
principes généraux , se passer de la connoissanced'un grand
nombre de faits , ou même conjecturer d'une manière cer
118 MERCURE DE FRANCE .
taine ce qui a dû arriver et ce qui doit suivre. En effet ,
pour revenir à l'exemple que j'ai déjà cité , il suffit de savoir
que, dans une société , les princes du sang royal sont apanagés
en provinces , et que sans y jouir précisément des
droits régaliens , ilsy possèdent , ou par le droit de leurs
apanages , ou par l'influence de leur haute naissance , des
prérogatives bien supérieures à celles de la propriété ordi
naire , et même quelque participation au pouvoir public
dans la nomination aux emplois , ou dans d'autres parties
de l'administration ; et l'on peut conjecturer avec certitude ,
même sans avoir lu l'histoire de cette société , que des
princes ont été à la tête de toutes les intrigues et de tous les
troubles qui l'ont agitée , et que si jamais elle est renversée ,
elle périra par l'appui que des factieux trouveront dans le
nom , le crédit , les richesses ou les passions de quelque
prince . On n'a pas besoin de connoître l'histoire d'Angleterre
, pour juger tous les désordres que la succession féminine
peut produire dans un Etat ; ni de lire l'histoire de
Pologne , pour affirmer que la succession élective ôte à une
grande nation tout principe de force et de stabilité , et
qu'elle doit tôt ou tard la conduire au dernier degré de
malheur et d'avilissement . Ici les faits viennent à l'appui
des principes ; et la connoissance en est nécessaire à la
plupart des hommes , qui ne voient les principes que dans
les faits subséquens : semblables à des enfans , qu'on ne
peut instruire qu'avec des exemples et des images . Mais
ceux qui voient les faits dans les principes qui les précèdent
, n'ont pas besoin , autant qu'on pourroit le croire ,
de consumer leur temps et leur esprit à retenir des détails
souvent incertains , presque toujours contestés , et quelquefois
contradictoires . Cette manière générale et expéditive
d'étudier l'histoire convient sur-tout à ceux qui sont appelés
à gouverner la société ; et l'on peut dire que si un prince
doit avoir lu l'histoire de tous les rois , il lui suffit peut-être
de retenir l'histoire de deux rois ..... , un roi fort et un roi
foible.
Cette méthode , qui simplifie l'étude de l'histoire , plutôt
qu'elle ne l'abrège , devient absolument nécessaire pour
Thistoire des sociétés modernes . Les peuples anciens sont
finis ; et avec quelque détail que l'on écrive leur histoire , le
terme en est fixé et connu . L'histoire de la République
romaine ne va pas au-delà de la bataille d'Actium, ni celle
de l'Empire romain plus loin que le règne d'Augustule .
L'histoire de l'Empire d'Orient commence à la fondation
de Constantinople , et finit à la prise de cette ville par les
JUILLET 1807. ng
Turcs : mais les sociétés chrétiennes , qui tiennent de leur
religion et de leurs constitutions politiques un principe de
force et de durée qui manquoit aux sociétés païennes , ne
font peut-être que commencer ; et lorsqu'on pense que
'Histoire de France , par Velly et ses continuateurs , aura ,
si jamais on l'achève , plus de cent volumes , et n'ira cependant
que jusqu'au commencement du dernier siècle , on est
convaincu de la difficulté toujours croissante , et bientôt de
l'impossibilité de lire et de retenir l'histoire d'un seul peuple ;
et l'on sent la nécessité de les réduire toutes à des analyses ,
qui ne satisfont peut-être pas la curiosité , mais qui nourrissent
la pensée , forment le jugement , et règlent la
conduite.
A mesure que la société vieillira , semblable à l'homme
qui avance en âge , elle gagnera en force de raison ce qu'elle
perdra en souvenir des faits passés ; et l'histoire , devenue
plus philosophique , sera moins chargée de détails , et plus
féconde en observations et en résultats . Mais l'histoire ne
sera philosophique qu'autant qu'elle sera positive : car là
où il est indispensable de savoir , parce qu'il est nécessaire
de pratiquer , il n'y a rien de moins philosophique que le
doute; et l'homme n'est pas plus savant tant qu'il doute ,
qu'il n'est riche tant qu'il cherche. Je fais cette observation
pour répondre à l'étrange idéede M. Gaillard , qui veut
qu'un historien soit impassible , et qu'on ne puisse deviner
quels sont ses principes religieux ni ses principes politiques .
Cette apathie sublime , comme l'appelle le bon M. Gaillard ,
bien différente de l'impartialité , qui est le premier devoir
de l'historien , ne prouve qu'une extrême indifférence pour
toutes les opinions vraies ou fausses , ou plutôt une ignorance
profonde de la vérité , et ne peut que prolonger les
erreurs de la société.
Un écrivain doit avoir en morale et en politique des opinions
décidées ; parce qu'il doit se regarder comme un instituteur
des hommes ; et certes , pour apprendre à douter ,
les hommes n'ont pas besoin de maître. Douter avant de
décider , se décider après avoir douté , doit être la devise
de tout homine qui s'ingère dans la noble fonction d'éclairer
ses semblables. Je sais que l'on peut soutenir avec opiniâtreté
des opinions fausses , et même leur donner de la vogue ;
mais la vérité appelle le combat , comme la force appelle
l'action , et sûre de triompher tôt ou tard , ouvre la lice à ses
ennemis. Elle ne craint que la neutralité quiconque n'est
pas avec moi est contre moi , a dit la vérité elle-même ; et
j'ose dire que cette neutralité entre les opinions fortes ou
120 MERCURE DE FRANCE ,
|
foibles , n'est pas plus dans le génie français , que le genre
neutre n'est dans la langue française .
J'observerai en finissant que la distinction du pouvoir en
personnel , public et populaire , se retrouve même dans
la société religieuse . La religion chrétienne , à son premier
âge , étoit renfermée dans l'intérieur de la famille .
Elle étoit privée plutôt que publique ; et c'est ce qui
explique son influence puissante sur les moeurs privées
de ses premiers sectateurs . A son second âge , elle est
devenue publique et par la fréquence et la solennité de
ses assemblées générales , et par la profession qu'en ont
faite les gouvernemens , et par les institutions publiques
qu'elle a fondées pour le soulagement de toutes les misères
de l'humanité : et de là son influence non moins puissante
sur les lois des sociétés . Au troisième âge , la religion chrétienne
dans une grande partie de l'Europe , est devenue
populaire ou presbytérienne , et l'on a pu apercevoir dans
tous les gouvernemens , une disposition générale à abolir
les institutions publiques et les lois sévères du christianisme ,
à le dépouiller lui - même des propriétés qui assuroient la
perpétuité de son culte , et à ramener le culte lui-même à
la pauvreté des premiers temps . Alors la religion devenue
populaire a perdu toute influence sur les moeurs et sur les
lois ; mais la société , soit religieuse , soit politique tombée
dans l'état populaire , ne sauroit s'y fixer ; et si elle n'est pas
condamnée à périr, elle doit renaître à l'état public et recommencer
le cercle qu'il lui est donné de parcourir : ce retour
à l'état public sera une grande révolution . Déjà l'on peut
remarquer que la religion en France , renfermée pendant
nos troubles dans l'intérieur des oratoires domestiques , recommence
à se produire au dehors , et voit peu-à-peu ses
institutions renaître . Le pouvoir politique est aussi redevenu
personnel comme dans toute société qui commence ou qui
recommence ; parce que fondé ou rétabli par un homme
extraordinaire , il reçoit dans le premier temps plus de force
des qualités personnelles d'esprit et de caractère de celui qui
l'exerce , que des institutions qui se ressentent des événemens
qui ont précédé , et sont pendant long- temps , plutôt
populaires que publiques ; je veux dire , plus républicaines
que monarchiques .
DE BONALD.
JUILLET 1807 . 121
,
Suite des Souvenirs de Félicic L***; par Mad. de Genlis .
Un vol. in- 12 . Prix : 2 fr . 50c. , et 3 fr. 25 c. par la poste .
A Paris , chez Maradan , libraire rue des Grands-
Augustins , n°. 9 ; à la Librairie Stéréotype , chez
H. Nicolle , rue des Petits - Augustins , n° . 15 ; et chez
le Normant.
Tour le monde connoît les Souvenirs de Mad . de Caylus .
Ce qui fait le mérite de cet ouvrage , n'est pas seulement un
style élégant et facile , une manière de conter pleine de
naturel et de grace , c'est sur-tout l'intérêt attaché à l'époque
célèbre qu'on y voit décrite : c'est encore que Mad . de Caylus
n'avoit aucune prétention d'auteur; et qu'on sent qu'en écrivant
sans ordre et sans liaison ce qui venoit se retracer à sa
mémoire , elle ne vouloit , comme elle dit elle-même , qu'amuser
ses amis , et leur donner une preuve de sa complaisance
.
Mad. de Genlis ayant vécu long- temps dans des sociétés
brillantes , où elle se trouvoit continuellement en rapport avec
ce qu'il y avoit de plus distingué par le rang et par les talens ,
a voulu aussi écrire des Souvenirs ; mais , malgré l'avantage
de cette situation , et les rares talens de l'auteur , la peinture
du Palais-Royal ne pouvoit devenir aussi intéressante que
celle de la cour de Louis XIV. De plus , Mad . de Genlis ,
malgré une apparence de négligence et d'abandon qu'elle
a eu soin de donner à son style , a peut-être trop songé au
public en écrivant. Elle ne se borne pas à raconter , à
l'exemple de Mad.de Caylus ; en sa qualité d'auteur , elle
interrompt trop souvent son récit pour se livrer à des dissertations
religieuses , politiques , morales et littéraires. D'ailleurs
, malgré les brillans succès qu'elle a obtenus , ou peutêtre
à cause de ses succès même , elle a eu ses adversaires
et ses critiques . On devine bien que ses démêlés trouvent
souvent place dans ses Souvenirs ; et l'on sait que les ressentimens
de tout écrivain ressemblent assez à la colère de
Junon , que Virgile appelle iram memorem. En un mot ,
Félicie L *** ne s'oublie point assez elle-même. Le moi ,
que Pascal trouvoit si odieux , se retrouve continuellement
sous sa plume, Elle figure dans presque toutes les conversations
ou les anecdotes qu'elle raconte; et l'on pense bien
que ce n'est pas poury jouer le plus mauvais rôle .
Quoi qu'il en soit, la première partie des Souvenirs de
122 MERCURE DE FRANCE ,
Félicie a trouvé de nombreux lecteurs ; et il est probable
que celle-ci n'en aura pas moins. C'est qu'indépendamment
du nom de l'auteur , qui fait rechercher toutes ses productions
, lors même qu'elles ne sont pas dignes de celles qui
lui ont acquis une si juste célébrité , ces Souvenirs ont un
mérite qui tiendroit lieu de beaucoup d'autres : c'est une
extrême variété. Il est rare que le même sujet y soit traité
deux pages de suite : tantôt c'est un bon mot, une anecdote
plaisante; tantôt un article polémique sur quelque point de
littérature ou de morale. Des réflexions pieuses font place
aux petites vengeances que l'auteur exerce contre ceux qui
furent ses ennemis . Tout ce mélange pourra paroître bizarre
, mais il n'y a personne qui ne puisse y trouver
quelque chose à son goût ; et c'est toujours un avantage.
Le goût de la plupart des lecteurs , s'il m'est permis d'en
juger par le mien , sera sans doute pour la partie la plns
frivole des Souvenirs de Félicie . Je laisserai donc de côté ,
et sa philosophie , et sa politique , et sa métaphysique , pour
ne m'occuper que des portraits , des anecdotes , des questions
purement littéraires. C'est là sur-tout qu'on reconnoît
de temps en temps l'auteur de Mad. de la Vallière , de mademoiselle
de Clermont , et de tant d'autres ouvrages agréables
: il faut sur-tout distinguer les réflexions sur le théâtre
anglais . En y voyant quelles basses plaisanteries , quelles
fautes grossières contre la raison , le goût et les moeurs ,
quelles turpitudes de toute espèce les poètes comiques et
tragiques se plaisent à accumuler dans leurs ouvrages , on
ne sait de quoi il faut plus s'étonner , de l'éternelle enfance
de l'art dramatique chez un peuple qui possède plusieurs
ouvrages excellens dans d'autres genres de littérature , ou de
la barbarie de quelques écrivains qui voudroient proposer
son théâtre pour modèle à une nation qui applaudit tous les
jours Racine et Molière .
Mais si les Souvenirs de Félicie offrent encore quelques
autres pages de critique , qu'on ne lira pas sans agrément ,
ni même sans profit , il faut avouer aussi qu'il y en a plusieurs
auxquelles on ne sauroit donner les mêmes éloges ,
et qui doivent étonner dans un écrivain dont les opinions
littéraires sont si saines , et le goût si pur. Il ne faut pas
aller bien loin pour en trouver une preuve. Dès la seconde
page , je remarque un paradoxe qui ressemble beaucoup
à un vrai sophisme , quoique l'auteur s'en applaudisse ,
comme d'une découverte importante : « J'ai , dit Mad. de
Genlis , une manière de juger du mérite et du génie des
> auteurs , qui m'est tout-à-fait particulière ; je cherche à
D
JUILLET 1807 .
123
> connoître , en lisant leurs ouvrages , si par l'élévation
>> de leur ame , la justesse et l'étendue de leur esprit , la
>> pureté de leurs principes , ils auroient pu être avec éclat
> autre chose que poètes et auteurs .... Tel est l'homme ,
» tels sont ses ouvrages ; c'est une règle infaillible . » Mad .
de Genlis applique ce principe à nos trois grands tragiques ;
et non -seulement elle avance que Corneille eût été un magistrat
intègre , ce que personne ne contestera , la droiture
et la noblesse de son caractère étant assez connues , mais
elle en fait encore un grand ministre , un bon prince souverain
; et voilà ce qu'il est permis de révoquer en doute .
En effet, ce qui caractérise l'homme créé pour ces postes
éminens , ce n'est point cette profondeur de génie qui ne
peut se produire que dans des ouvrages fruits d'un travail
opiniâtre et d'une longue méditation ; c'est un discernement
aussi prompt que sûr, une sagacité de tous les momens , qui
saisit d'un coup-d'oeil le vrai point de vue dans les objets
les plus compliqués . On peut croire que cette qualité si
rare , quoiqu'elle le soit peut- être moins que le génie poétique,
auroit complétement manqué à l'auteur de Cinna.
On sait qu'il n'étoit qu'un homme ordinaire dans les rapports
sociaux , et qu'on ne reconnoissoit plus le grand
Corneille , lorsqu'il sortoit de son cabinet.
Racine avoit reçu de la nature des talens plus variés .
L'étendue et la flexibilité de son génie le rendoient propre
à tous les genres de littérature , et à tous les travaux du
cabinet. Mais étoit-il doué de la fermeté d'ame si nécessaire
dans le maniement des affaires publiques ? Cette
sensibilité profonde qui donne tant de charmes à ses
ouvrages , et que nous aimons à retrouver dans sa vie
privée , s'allie bien rarement à la force de caractère qui
fait le véritable homme d'Etat ; et sans doute celui qui étoit
si péniblement affecté de la plus mauvaise critique , auroit
bientôt succombé dans une carrière où il faut braver chaque
jour des haines , sinon plus acharnées , du moins un peu
plus dangereuses que celles qui poursuivent les grands
écrivains. J'avouerai , avec Mad. de Genlis , qu'on ne peut
guère se représenter Voltaire ambassadeur, magistrat
encore moins évêque . Mais si ses tragédies sont inférieures
à celles des deux maîtres de la scène , est-ce bien précisément
parce qu'il avoit moins de dispositions qu'eux à
la diplomatie ou à l'épiscopat ? Etrange règle de jugement
que celle qui prononce sur un écrivain, non d'après ce qu'il
a fait , mais d'après ce qu'il auroit pu faire dans une carrière
toute différente; qui mesure le talent de bien dire à celui
124 MERCURE DE FRANCE ,
de bien faire , et qui forceroit à conclure qu'il n'y a point
de véritable énergie dans les harangues de Démosthène ,
parce qu'il eut la foiblesse de jeter ses armes dans une
bataille ! Autant vaudroit-il juger un général sur ses dispositions
plus ou moins heureuses à faire des vers , apprécier
les talens militaires du grand Frédéric sur ses talens poétiques
, et le génie politique du cardinal de Richelieu sur
sa manie de composer de mauvaises pièces de théâtre .
Corneille et Racine étoient nés pour la gloire des lettres
françaises , pour produire des chefs-d'oeuvre qui charmeront
nos derniers neveux , comme ils nous charment nousmêmes
. Ce partage est assez beau , pour qu'il ne soit pas
nécessaire de leur accorder si libéralement des talens qu'ils
n'ont point eus . Ajoutez que l'homme vraiment né pour la
gloire , est presque toujours invinciblement poussé par la
nature dans une carrière déterminée , hors de laquelle il
ne seroit plus qu'un homme ordinaire. Et l'on peut presque
assurer que celui qui paroît également propre aux lettres
aux affaires publiques ou aux armes , ne sera jamais , ni
un grand écrivain , ni un grand général , ni un grand
ministre .
Cette attaque n'est point la seule que Mad. de Genlis
porte à Voltaire. Quand elle a pour but de venger la
religion et les moeurs des outrages qu'il a eu le malheur de
leur faire , on doit lui applaudir sans doute. Son zèle ne
sauroit être déplacé , puisque ce poète célèbre conserve
encore de fanatiques partisans , qui admirant beaucoup
moins en lui l'auteur de Mérope et d'Alzire que celui de
tant d'ouvrages licencieux , traitent chaque jour d'ennemis
du génie et des talens ceux qui gémissent de les voir déshonorés
par une honteuse alliance avec le cynisme et l'impiété.
Quant aux observations purement littéraires , les
ouvrages de Voltaire y prétent aussi beaucoup , puisqu'ils
ont été tant de fois ou loués ou critiqués hors de toute
mesure. Mais plus cette matière pourroit être riche en
remarques curieuses et instructives , plus il seroit fâcheux
de n'en faire que de hasardées ou de fausses : c'est à quoi
l'auteur des Souvenirs n'a pas assez fait attention ; témoin
encore l'exemple que je vais rapporter .
Mad. de Genlis étoit allée à la Comédie Française voir
jouer Zaïre. Soit qu'elle ne se fût pas trouvée , ce soir-là ,
dans ces heureuses dispositions qui , suivant Beaumarchais ,
rendent un spectateur amusable , soit que la pièce eût été
mal jouée , il paroît qu'elle ne s'y étoit pas fort divertie : de
retour chez elle , au lieu de s'en prendre à elle-même ou
2
JUILLET 1807 . 125
aux acteurs , elle se met à son pupitre , et prétend se
venger sur Zaïre même. Voici comme elle y procède :
« Les jugemens littéraires d'une femme très-ignorante sont
>> sans conséquence ; ainsi je dirai sans détour que cette
pièce me paroît extravagante d'un bout à l'autre>. >>Voilà
une précaution oratoire assez extraordinaire. Je suis trèsignorante;
ainsi je puis me mesurer hardiment contre
l'opinion générale ; mes jugemens sont sans conséquence ;
ainsi je les ferai imprimer. Si ces raisonnenens ne sont
pas très -justes , la plupart des critiques ne paroîtront guère
plus convaincantes. Il suffira d'en rapporter quelques-unes .
L'auteur trouve les vers suivans bien indignes de la majesté
de la tragédie , et par l'idée et par l'expression :
Je sais que notre loi , favorable aus plaisirs ,
Ouvre un champ sans limite à nos vaste desirs ;
Que je puis à mon gré , prodiguant mes tendresses ,
Recevoir à mes pieds l'encens de mes maîtresses ;
Et tranquille au sérail , dictant mes volontés,
Gouverner mon pays du sein des voluptés .
Il n'est point indigne de la tragédie de saisir ce qui caractérise
essentiellement les moeurs des peuples qu'elle met en
scène ; et il me semble que les vers critiqués sont trèsbeaux
, précisément parce qu'ils expriment avec noblesse
des idées très -délicates à rappeler sur la scène , mais indispensablement
liées au sujet.
Dans ces deux vers :
Et du noeud de l'hymen l'étreinte dangereuse
Me rend infortuné , s'il ne vous rend heureuse ,
non- seulement Mad . de Genlis blâme avec raison l'étreinte
dangereuse , mais , suivant elle , le second renferme la plus
lourdefaute de langage: ilfaudroit , me rend infortuné , si
elle ne vous rend heureuse. Voltaire se permet assez fréquemment
des négligences ; mais peut-être devroit-on y
regarder à deux fois , avant de l'accuser d'une lourde faute .
Ici , il est évident qu'il a fait rapporter le pronom il au
noeud de l'hymen , et non à l'étreinte dangereuse ; ce qui
est très-permis , du moins en poésie .
Voltaire s'applaudissoit beaucoup de ce vers :
Je veux , avec excès , vous aimer et vous plaire ;
mais il ne trouve pas grace auxyeuxdu censeur , «qui pré-
) tend qu'ilest assez ridicule de déclarer que l'on veut plaire
>> avec excès . » C'est pourtant là le langage de lapassion ; ets'il
est ridicule , suivant Mad. de Genlis , elle conviendra bien
du moins que Zaïre devoit en juger différemment.
126 MERCURE DE FRANCE ,
Je puis assurer que je n'ai pas choisi les critiques les
moins spécieuses. Voyons les conclusions de l'auteur : « Si
l'on fait jamais des commentaires sur Voltaire , le grand
» Corneille sera bien vengé . » Il n'a pas besoin de l'être ,
puisque les critiques de Voltaire n'ont porté aucune atteinte
à sa gloire . « Cependant , le second acte de Zaïre est bien
» beau ; et malgré beaucoup d'invraisemblance , il y a un
» grand intérêt dans le reste de la pièce . » Un beau second
acte et un grand intérêt dans une pièce extravagante
d'un bout à l'autre ! Au reste , Mad . de Genlis n'en veut
qu'à Zaïre ; et craignant sans doute d'avoir fait trop de mal
au poète critiqué , voici ce qu'elle ajoute : « En dépit des
>> critiques les mieux fondées , Mérope , Alzire , Sémiramis ,
» Mahomet , paroîtront toujours des pièces très-théâtrales et
» très -brillantes ; et Brutus , à mon gré la meilleure de
» toutes , est un admirable ouvrage . » Cela est généreux :
mais Voltaire l'a échappé belle :
C'est ainsi que Mad. de Genlis , beaucoup plus disposée
à la sévérité qu'à l'indulgence , aime à faire part de ses
décisions : il est fâcheux qu'elle oublie trop souvent de les
motiver. Heureusement , elle fait quelquefois trève à son
goût pour les dissertations , afin de récréer ses lecteurs par
quelque récit . On trouve dans ses Souvenirs un assez grand
nombre d'anecdotes ; les unes pleines d'intérêt , les autres
gaies et plaisantes . Parmi celles-ci , il y en a qu'elle paroît
raconter avec une sorte de prédilection . Ce sont celles qui
mettent dans un beau jour la vertu du sexe , et qui rappellent
la déconvenue de malheureux amans , trop confans
ou trop indiscrets dans l'aveu de leur passion . La plus
singulière dans ce genre , est l'histoire d'un M. de P*** ,
lequel étant amoureux d'une dame qui , depuis plusieurs
années , l'honoroit de son amitié , s'avisa un beau jour de
se jeter brusquement à ses genoux , en lui disant les choses
du monde les plus passionnées. « Mad . de *** , dit Mad. de
» Genlis , aima mieux en rire que de se fâcher contre un
> ami qu'elle estimoit ; elle tenoit un écran , et en plaisan-
>> tant elle en donna un petit coup sur le visage de M. de P*** ;
» mais le petit clou d'épingle qui attachoit le manche de
» l'écran , s'enfonça et s'accrocha au nez de M. de P *** ,
» de manière que cet écran resta collé sur son visage ,
comme un masque ; car Mad . de *** l'avoit lâché en riant
aux éclats . Dans cet instant , quelqu'un entra : les rires
» de Mad . de *** redoublèrent ; et M. de P*** , profitant de
» son malheur , sans être vu , se releva précipitamment
» avec l'écran sur son visage , et prit la fuite en l'emportant :
"
»
JUILLET 1807 . 127
* il ne le décrocha que dans l'antichambre. Le tiers qui
>> avoit interrompu le tête-à-tête , n'ayant pas vu le visage
>> de M. de P*** , ne sut pas son nom ce jour-là : Mad.
de*** ne voulut pas le dire ; mais M. de P*** fut trahi
par la profonde égratignure qu'il avoit au nez , qu'il
> conserva plusieurs jours , et qui le fit reconnoître . » On
voit que si , dans cette occasion , Mad. de*** ressemble un
peu aux femmes ,
Dont l'honneur est armé de griffes et de dents ,
elle montre du moins une gaieté qui ne leur est pas ordinaire
, et que Mad. de Genlis paroît partager de bien bon
coeur. Cela n'est peut- être pas très-charitable : il faut croire
que la blessure de M. de P*** n'étoit pas profonde.
Ce qui distingue particulièrement l'auteur de Madame de
la Vallière , c'est un tact délicat et fin qui lui fait saisir les
mouvemens les plus secrets du coeur et des passions. Peu de
femmes ont porté aussi loin qu'elle ce talent précieux , qui
semble ne pouvoir appartenir qu'à leur sexe. On en retrouve
encore quelques traces dans les Souvenirs de Félicie. Néanmoins
, il faut avouer que les portraits qu'elle y a placés
perdent une grande partie de leur mérite aux yeux de ceux
qui , ne connoissant point les originaux, ne peuvent juger
de la ressemblance. La Bruyère avoit les yeux sur les personnages
de son siècle , en traçant ses immortels Caractères ;
mais il s'arrêtoit peu aux travers particuliers à quelques individus;
et c'étoit sur-tout les traits qui peignent l'homme en
général que son pinceau vigoureux s'attachoit à faire ressortir.
Il faudroit avoir tout le génie de ce vrai philosophe pour
se promettre des succès en publiant , à son exemple , des
observations séparées , qui , ne se rattachant à aucun plan ,
ne peuvent tirer leur effet que de leur propre force. On sent
decombien de volumes nous serions accablés si , pour faire
un livre , il suffisoit d'écrire chaque fois sous le titre de
Souvenirs , ce qu'on auroit dit , ou pensé , ou entendu dire
depuis le matin. Si Mad. de Genlis avoit fait cette réflexion ,
il est probable qu'elle auroit ou supprimé , ou beaucoup
abrégé les Souvenirs de Félicie. Ce n'est pas que
puisse nuire à sa réputation , mais il n'y ajoutera sûrement
rien; et c'étoit bien assez pour qu'elle s'évitât la peine de
l'écrire , oudu moins de le publier. On y trouve la preuve
certaine qu'elle est beaucoup plus appelée à émouvoir , à
intéresser par des récits touchans , et par la peinture des
moeurs et des caractères , qu'à débattre des questions de
métaphysique ou de politique. Qu'il soit done permis de
ce livre
128 MERCURE DE FRANCE ,
l'exhorter à laisser le raisonner et le ton tranchant de l'ergotisme
, pour occuper sa belle imagination à des ouvrages
pareils à ceux qui ont valu une si juste célébrité à l'auteur ,
et à ses nombreux lecteurs tant d'heures agréables .
C.
Viede Frédéric II , roi de Prusse , ou Tableau des Evénemens
historiques , militaires , politiques , litteraires , des sciences
et des arts , sous le règne de ce prince ; par M. Denina ,
bibliothécaire de S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie . Un vol . in-8° . Prix : 3 fr. 50 c. , et 4 fr . 50 c . par
la poste . A Paris , chez Villet , libraire , rue Hautefeuille ;
et chez le Normant.
LORSQUE la Prusse étoit encore assise au rang des puissances
continentales , l'histoire de son agrandissement pouvoit
intéresser les curieux d'événemens extraordinaires , et
son roi philosophe devoit trouver des admirateurs enthousiastes
chez tous les hommes d'un esprit superficiel et léger ,
qui prennent toujours le succès du moment pour une preuve
de sagesse et de génie. Le dernier essai que cette puissance
vient de faire de ses forces a détruit une grande illusion , et
le moment n'est pas loin où le système militaire de Frédéric
, sa politique et sa morale seront considérés comme
les causes premières des malheurs attirés sur ses Etats et sur
sa famille.
On remarquera sans doute dans le jugement qu'on portera
sur ce héros du siècle des grandes erreurs , qu'il n'a
jusqu'ici trouvé de panégyristes que parmi les partisans ou
les dupes de la fausse philosophie , et que tout ce qu'ils ont
loué dans ce monarque , peut devenir aujourd'hui le sujet
des plus graves reproches . M. Denina , lui-même , auteur
de la Nouvelle Vie de Frédéric , ne sera pas excepté du
nombre des historiens que cette philosophie , ou quelques
sentimens particuliers d'attachement et de reconnoissance ont
empêché de se renfermer dans les bornes de la simple vérité ,
et qui se sontconsidérés comme obligés non- seulement d'exalter
ce qu'il suffisoit de raconter , mais encore de louer tout ce
qui ne pouvoit pas même être excusé . Il annonce , dans son
Avant-Propos , qu'il auroit abandonné la tâche dont il s'étoit
chargé , si l'Eloge du roi de Prusse , par M. le comte de
Guibert , avoit renfermé quelques noms de plus , quelques
dates et quelques détails plus circonstanciés ; ce qui marque
assez
1
DEI
JUILLET 1807 .
assez le dessein qu'il avoit formé de ne montrer Frederic
que sous l'aspect le plus favorable , sans s'inquiéter du titre de son livre , qui promettoit la Vie et non l'Eloge de ce philosophe
couronné.
Ce n'est donc pas une nouvelle vie du roi de Prusse que
M. Denina nous présente , mais un nouvel éloge qu'il offre
à notre admiration ; et malheureusement la troisième édi
tion de son volume arrive un an trop tard pour qu'il puisse
trouver des applaudissemens , même chez les plus aveugles
apôtres de cette doctrine qui ne reconnoît rien de juste que
ce que la force peut obtenir. Le premier royaume que cette
doctrine avoit fondé au milieu des nations civilisées par une
autre morale , a terminé sa carrière militaire après soixante
ans d'une existence problématique. On doit au moins reconnoître
et convenir aujourd'hui que la solidité manquoit à
cette existence , et qu'il faut autre chose que des baïonnettes
pour créer des Empires qui puissent porter la gloire de leurs
fondateurs jusque dans les siècles les plus reculés. M. Denina
, séduit par le faux brillant de son sujet , peut- être aussi
par le desir de rendre un hommage public à un prince dont
il avoit reçu quelques marques de distinction , n'a pas voulu
lejuger avec la morale dont il a long-temps été le ministre ,
parce qu'elle condamnoit trop ouvertement ce prince ; il a
trouvé qu'il étoit plus prudent de n'en pas dire un mot ,
et d'écrire tout son éloge , comme si elle n'existoit pas :
moyen commode à la vérité , pour admirer , sans opposition
, tout ce que le caprice et la passion veulent admirer ;
mais , en même temps , cause certaine des plus graves écarts
auxquels un galant homme puisse s'exposer , et que la critique
doit toujours relever.
On ne cherchera donc pas dans le volume de M. Denina
l'histoire exacte de Frédéric , puisqu'il n'a pas voulu l'écrire ,
puisqu'il a soigneusement écarté de sa vie tous les faits particuliers
qui pouvoient , aux yeux même des philosophes ,
ternir sa réputation , ou seulement la montrer sous un jour
défavorable , et qu'il n'a fait entrer dans son éloge que les
actions publiques sur lesquelles l'ignorance ou la mauvaise
foi trouvent toujours à discuter. Ce n'est pas cependant que
nous prétendions blâmer cette discrétion et cette prudence
qui retiennent la main d'un écrivain lorsqu'il rencontre quelqu'action
ténébreuse et déshonorante , inutile sur-tout à la
représentation des caractères. La plume de nos historiens
modernes ne s'est montrée que trop libérale de ces misérables
aventures ; mais on doit remarquer que s'il peut être
permis d'en indiquer quelquefois , avec ménagement , c'est
I
130 MERCURE DE FRANCE ,
lorsqu'elles sont indispensables pour peindre les passions
dominantes , et pour couvrir de mépris les mauvais principes
qui les ont fait naître et qui les entretiennent. On ne
sait que trop tout ce qu'à cet égard on pourroit reprocher à
Frédéric: lahaine des philosophes avec lesquels il a vécu a
pris soin de le publier , et son immoralité profonde n'en a
que trop confirmé la possibilité.
Il n'y a pas de doute que c'est à cette même immoralité
qu'il auroit fallu rapporter non pas seulement les désordres
de sa conduite privée , mais les actes les plus éclatans de sa
politique , ses prétentions sur les provinces voisines de ses
petits Etats , ses envahissemens , et la nécessité dans laquelle
il s'est trouvé de conserver par la force ce qu'il n'avoit pu
conquérir légitimement. Qu'au milieu de ces guerres , suscitées
par la seule ambition de se rendre indépendant , il ait
fait preuve de talens militaires , et de quelque résolution généreuse
dans des circonstances difficiles , c'est ce qui n'est contesté
par personne ; mais ces mêmes qualités , précieuses
Lorsqu'elles sont employées à la défense d'une cause avouée
par la justice , cessent de mériter l'admiration des hommes ,
forsqu'elles ne sont qu'un moyen de ravager inutilement des
provinces , ou qu'elles sont l'effet soudain et forcé d'un danger
dans lequel on s'est impunément précipité.
En mêlant aux événemens de la vie de Frédéric quelques
observations d'une critique éclairée , M. Denina pouvoit faire
une histoire sinon intéressante , aujourd'hui que la politique
prussienne vient d'être jugée , du moins utile encore
et curieuse , par le pressentiment du résultat que cette politique
devoit produire ; mais au lieu de cette raison vigoureuse
qui ne se laisse point entraîner par l'exemple , et qui
voit dans l'avenir tout ce que la corruption amène à sa suite ,
cet écrivain ne nous offre dans son ouvrage que des faits
détachés assez mal représentés , et une admiration stérile ;
son récit est pénible , et la charge qu'il s'est imposée semble
trop forte pour son esprit : il l'abandonne même quelquefois
, comme dans le chapitre XX de la première partie ,
dont le titre annonce la découverte d'un émissaire secret
arrêté par Fermor, général russe; quoiqu'il ne rende compte
de ce fait que dans le chapitre suivant, et qu'alors le titre
n'en fasse aucune mention : ensorte qu'il est impossible de
dire à quel temps il faut rapporter ce petit événement. Et
dans le chapitre V de la seconde partie , où il annonce qu'il
va dire un mot de la guerre d'Amérique , pour faire connoître
, dit-il , les raisons qui ont déterminé l'Espagne à
accréditer un premier envoyé à Berlin , et où non-seulement
JUILLET 1807 . 131
il ne dit rien de cette guerre , mais où même il neparle plusde
l'envoyé , qu'il oublie ensuite totalement dans les chapitres
suivans.
Mais ce qui seul suffiroit pour faire soupçonner plus
d'inexactitude et plus de négligences que cet ouvrage n'en
renferme peut-être , c'est la manière étrange dont le commencement
du XVII chapitre de la première partie est
rédigée ; il faut le transcrire pour en avoir une idée exacte :
« La Suède , dit- il .... , toujours affligée par des guerres
>> intestines , ne se fit remarquer ni par des exploits glo-
>> rieux au dehors , ni par de bons établissemens au dedans :
>> la seule particularité qui auroit pu mériter de l'attention ,
১ ) étoit que non-seulement les bourgeois , mais les paysans ,
>> dont l'état est nul partout ailleurs , avoient , comme ils
>> l'ont encore , droit de suffrage dans les diètes nationales.
» Mais cet avantage étoit payé trop cher par les maux que
>> causoient la confusion et l'anarchie qui succédoient tour- à-
>> tour à la tyrannie . Gustave Vasa s'empara du trône ,
>> après avoir travaillé comme un manoeuvre dans les
» mines où il s'étoit caché , pour se soustraire aux pour-
>> suites des usurpateurs qui vouloient décapiter son père ,
» délivra sa patrie d'un esclavage ignominieux , et lai
> acquit de la considération vers l'an 1530. »
Nous ne nous arrêterons pas à chercher quel est cet
avantage qui produit la confusion et l'anarchie succédant
tour-à-tour à la tyrannie. Il est assez facile de voir que
P'auteur ne s'entend pas lui-même , et qu'il écrit sans aucune
réflexion : il se sert ici du verbe s'emparer, pour exprimer
l'action de Gustave , comme si le trône qu'il reconquit ne
lui appartenoit pas ; il le compare à un manoeuvre , sans se
douter que ce mot a quelque chose de bas qui ne convient
nullement en parlant de ce vaillant roi : il écarte le verbe
délivrer du nominatif de la phrase , de telle sorte qu'on ne
sait plus à quoi il faut le rapporter. Toutes ces inadvertances
sont cependant peu de chose en comparaison de celle
qui suit immédiatement , et qui consiste à ne plus se souvenir
de ce qu'il vient d'écrire , et à le répéter avec de trèslégers
changemens dans l'expression. « Livrée entièrement
» à des guerres intertines , continue-t-il , elle (la Suède)
n'offroit aux autres nations qu'une particularité remar
>> quable; c'étoit les paysans qui jouissoient non-seule-
>> ment d'une liberté civile , mais qui participoient directe-
>> ment à la souveraineté , puisqu'ils avoientdroit de suffrage
dans les assemblées des Etats. Cet avantage a été bien
»
ת
> contrebalancé par les suites affreuses de la confusion et
12
132 MERCURE DE FRANCE ,
» de l'anarchie auxquelles la nation aétélong-temps exposée.
» Gustave Vasa la tira de son état obscur et de la barbarie ,
>> vers l'an 1525 , et la mit dans la balance générale>. >>
On voit qu'entre ces deux parties du même passage , it
n'y a de différence que dans l'époque à laquelle M. Denina
rapporte la révolution qu'opéra Gustave , lorsqu'il sortit
tout à coup des mines de la Dalécarlie , et qu'il étoit bien
inutile de se répéter pour se contredire. (1) De pareilles
négligences , remarquables au premier aspect , discréditent
tellement une histoire , qu'on regarderoit comme un temps
absolument perdu , celui que l'on emploieroit à vérifier
l'exactitude des faits qui la composent : avant de subir l'examen
de la critique , il faudroit d'abord que cette histoire
eût acquis un certain degré de confiance.
Mais si le fond même de l'ouvrage de M. Denina ne
nous paroît pas susceptible de passer pour une semblable
épreuve , nous trouverons peut- être à faire quelques remarques
utiles à l'occasion du jugement porté sur Frédéric ,
dont tous les traits physiques et moraux sont réunis à la fin
du volume ; et nous commencerons par faire observer que
le style du corps de l'ouvrage , quoique fort incorrect , est
encore bien supérieur à celui de cette sorte de résumé ; que
ladifférence est même si considérable , qu'elle autoriseroit
à penser que M. Denina pourroit bien avoir permis à quelque
main étrangère d'écrire ce dernier morceau dans le
même esprit , à la vérité , que tout le corps de l'ouvrage ,
mais avec un accroissement bien sensible d'admiration , et
une volonté bien décidée de s'extasier devant les moindres
qualités du monarque. Le chapitre dans lequel toutes ces
qualités se trouvent déduites , est divisé par paragraphes ,
précédés d'un sommaire rapide , dans lequel il est tout-àla-
fois comparé à Alexandre , à César , à Adrien , à Marc-
Aurèle , et à Julien , surnommé l'Apostat. Dans le premier
paragraphe , qui traite des qualités du corps et de l'esprit ,
l'auteur nous apprend que Frédéric avoit la goutte , mais
qu'il suivoit , pour cette maladie , un régime qui n'étoit pas
mal entendu , si ce n'est , dit- il , qu'au lieu d'y opposer une
nourriture simple et moins abondante , ilfaisoit tout le con
traire ; mais qu'il ne s'en trouva pas plus mal que les
autres goutteux . Il nous assure ensuite qu'il se seroit fait un
nom dans la République des Lettres , quand il n'auroit été
(1 ) Le commencement de cette révolution remonte à 1520 , et les
historiens allemands , assez exacts dans leurs recherches , placent le ova
ronnement de Gustave au 6 juin 1525.
JUILLET 1807 . 133
que fils d'un bailli ou d'un prédicateur brandebourgeois ou
saxon; mais dans un autre endroit, il avoue qu'il ne savoit
pas l'orthographe : il est vrai qu'il ajoute ensuite qu'il a fait
des oraisons funèbres à l'imitationdecceelllleess de Bossuet etde
Fléchier; ce qui ne l'empêcha pas de regretter de n'avoir
pas appris le latin , et de ne savoir pas même l'allemand.
Dans le paragraphe suivant l'auteur prétend qu'on a eu tort
de dire que Frédéric n'aimoit personne , et , pour le prouver,
il ajoute qu'il haïssoit les méchans comme il haïssoit
les singes, et qu'il aimoit les gens qui lui étoient attachés
par le même instinct qui lui faisoit aimer les chiens :: cequi
est très-flatteur pour les philosophes qui composoient sa
cour. Dans l'article de la politique , il nous apprend que les
méditations de Frédéric l'avoient convaincu que pour avoir
des troupes , il faut avoir des hommes et de l'argent ; qu'il
n'eut jamais des Louvois qui lui fissent faire la guerre ou
la paix , mais qu'un nommé Golster fut enfermé à Spandau
, pour abus de confiance ; qu'un autre , qui n'étoit que
le copiste de son père , fut son premier ministre pendant
plus de vingt ans , et que la femme d'un certain Stotter,
son commis , vendoit publiquement sa protection par les
égards que les chefs des départemens avoient pour son mari.
Il se loue ensuite d'avoir fait effacer des actes publics la formule
, d'après l'avis de notre conseil ; d'avoir fait rayer de
ses titres l'hommage des princes chrétiens , par la grace de
Dieu; et de s'être débarrassé de tout culte religieux. Dans
le IVe paragraphe , il demande bonnement si la France ,
qui par son commerce est devenue plus riche que la Prusse ,
est réellement plus forte que cette puissance. Ensuite , il
nous dit gravement qu'il importe à une nation de ne pas
trop faciliter aux roturiers les moyens d'acquérir des titres
de noblesse , par une raison qu'on ne devineroit jamais. On
croiroit d'abord que ce seroit dans la vue de conserver plus
de considération au corps entier de cet ordre , mais c'est
précisément par une raison toute contraire : ce seroit pour
ne pas avilir un trop grand nombre d'hommes , parce que ,
dit-il , plus ils s'élèvent, plus ils perdent , soit au physique ,
soit au moral. Dans la section intitulée : EconomieRurale
et Politique , il nous dit que la sterilité du sol des environs
de Berlin dispense aussi bien le souverain que le pro
priétaire de se gêner et de se restreindre dans la bâtisse. Ce
qui probablement signifie que moins on trouve de moyens
de subsistance autour d'une grande ville , plus on peut
accroître le nombre de ses habitans , et plus on doit avoir
de sécurité sur la possibilité de les nourrir. On a lieu de
douter , ajoute-t-il , si , au lieu de bâtir tant de maisons
134 MERCURE DE FRANCE ,
aux particuliers , Frédéric n'eût pas fait mieux d'employer
les mêmes sommes dans des édifices publics. Premièrement ,
(c'est le style de l'auteur ) après avoir bâti des églises , (1 ) des
théâtres , (2) des casernes , etc. etc. Il a cru qu'il ne pouvoit
rien faire de mieux que de bâtir des maisons aux particuliers.
On pense peut-être que l'historien va déduire ici
toutes ses raisons par ordre numérique , mais il s'arrête au
mot premièrement , et ne juge pas convenable de se conformer
à l'usage qui veut que ce mot soit toujours suivi de
quelqu'autre adverbe de la même espèce. Dans le même
paragraphe sur la conduite de Frédéric , à l'égard de la nóblesse
, il nous apprend que ce roi étoit persuadé que la
consideration que donne la naissance à un magistrat , à
un ministre ne compense pas le manque de savoir et d'activité.
Ce qui , tout commun que cela pourra paroître , n'est
pas trop mal exprimé ; c'est dommage que l'auteur ajoute
ces mots : Dans l'homme qui s'appuie sur son arbre généalogique
, et qu'il gâte ainsi une pensée banalé par une image
ridicule. Il avance , dans Particle qui suit sur la religion et
la tolérance , qu'on a de tout temps soupçonné les princes
de professer la religion par politique , mais que le système
du roi de Prusse , ouvertement incrédule , étoit tout différent
, et qu'il auroit cru se rendre hypocrite s'il eût montré
de la croyance . L'auteur suppose ici qu'on est excusable de
ne pas soumettre sa raison à l'autorité de la religion ; et
qu'il est permis d'insulter à la croyance de tous les hommes ,
lorsque par un orgueil stupide , on a refusé de l'embrasser.
C'est avec un pareil abus de mots qu'il loue la prétendue
tolérance de Frédéric , comme si la vérité pouvoit être soumise
à la tolérance de l'erreur , et qu'elle dût lui céder le
pas , lorsque par malheur celle-ci se trouve armée de la
puissance souveraine. Le dernier paragraphe que l'auteur
intitule Tactique et Constitution militaire , n'est pas moins
rempli d'expressions hasardées ,'d'erreurs de jugement et de
fautes de style que les précédens ; mais nous en avons relevé
suffisamment pour faire connoître l'esprit général dans lequel
cet éloge de Frédéric a été composé , et les sentimens
particuliers qui paroissent avoir animé M. Denina. Cet écri-
-vain étoit encore en Prusse , sous la puissance de l'opinion
et sous le joug de la reconnoissance , lorsqu'il a entrepris
son ouvrage. Nous ne l'accuserons pas néanmoins d'avoir
(1) La seule église catholique bâtie à Berlin , sous Frédéric , l'a été
aux frais des étrangers .
(3) L'Opéra , sur le fronton duquel il fit mettre Apollini et musis.
JUILLET 1807..... 135
trop écouté ce dernier sentiment ; mais nous dirons qu'il
auroit pu trouver en lui-même , plus facilement que bien
d'autres historiens une règle certaine pour en modérer
l'expression , et que cette règle , maîtresse de l'opinion , no
doitjamais se plier au gré de son caprice. G.
,
Errata de l'article sur Sylvain Maréchal , inséré au Mercure du samedi
11 de ce mois :
L'épigraphe Ab uno disce omnes n'appartient pas au volume du philosohe,
c'est celle de l'article.
Page 81 , avant-dernière ligne , au lieu de mourir, lisez manier.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
;
Strabon , qui vivoit sous Auguste et Tibère , est le plus
estimé des géographes anciens . Voyageur aussi actif qu'intelligent
, il a visité par mer et par terre tous les pays qui
se trouvent du levant au couchant , entre l'Arménie et la
Sardaigne ; et du nord au midi , depuis le Pont-Euxin
jusqu'à l'extrémité de l'Arabie. Né en Capadoce , dans la
ville d'Amasie , il a écrit en grec ; ainsi son ouvrage de nt
nous n'avions point de version française , n'étoit pas à la
portée de tous . Le gouvernement l'a fait traduire par des
hommes de lettres également instruits en géographie et en
langue grecque; leur nom seul garantit la bonté de leur
travail: ce sont MM. Delaporte-Dutheil , de l'Institut de
France , et Coray ; M. Gosselin , aussi de l'Institut , connu
avantageusement par ses Recherches sur la Geographie des
Anciens,, a rédigé les observations générales qui servent
d'introduction , et beaucoup de notes signées G.; d'autres
notes grammaticales et critiques appartiennent à ses deux
collaborateurs . De plus , l'ouvrage est enrichi de cartes avec
autant de soin que d'exactitude , et qui lui donnent un nouveau
prix. Il n'en paroît à présent que le premier volume ,
mais les autres le suivront de près . (1 )
- Dans les projets qui ont concouru pour le monument
de la Madeleine , il s'en est trouvé deux désignés par des
devises semblables , et qui ont été enregistrés , l'un au ministère
de l'intérieur , l'autre au secrétariat de l'Institut. La
(1) Géographie de Strabon , traduite du grec en français . Tom . Ier . ,
in-4°.; de l'Imprimerie Impériale.
A Paris , chez Barrois l'aîné et fils , libraires , rue de Savoie , uº. 13 ,
132 MERCURE DE FRANCE ,
»
il
» de l'anarchie auxquelles la nation a été long-temps exposée .
» Gustave Vasa la tira de son état obscur et de la barbarie ,
vers l'an 1525 , et la mit dans la balance générale . »
On voit qu'entre ces deux parties du même passage ,
n'y a de différence que dans l'époque à laquelle M. Denina
rapporte la révolution qu'opéra Gustave , lorsqu'il sortit
tout à coup des mines de la Dalécarlie , et qu'il étoit bien
inutile de se répéter pour se contredire. (1 ) De pareilles
négligences , remarquables au premier aspect , discréditent
tellement une histoire , qu'on regarderoit comme un temps
absolument perdu , celui que l'on emploieroit à vérifier
l'exactitude des faits qui la composent : avant de subir l'examen
de la critique , il faudroit d'abord que cette histoire
eût acquis un certain degré de confiance .
Mais si le fond même de l'ouvrage de M. Denina ne
nous paroît pas susceptible de passer pour une semblable
épreuve , nous trouverons peut- être à faire quelques remarques
utiles à l'occasion du jugement porté sur Frédéric ,
dont tous les traits physiques et moraux sont réunis à la fin
du volume ; et nous commencerons par faire observer que
le style du corps de l'ouvrage , quoique fort incorrect , est
encore bien supérieur à celui de cette sorte de résumé ; que
la différence est même si considérable , qu'elle autoriseroit
à penser que M. Denina pourroit bien avoir permis à quelque
main étrangère d'écrire ce dernier morceau dans le
même esprit , à la vérité , que tout le corps de l'ouvrage ,
mais avec un accroissement bien sensible d'admiration , et
une volonté bien décidée de s'extasier devant les moindres
qualités du monarque. Le chapitre dans lequel toutes ces
qualités se trouvent déduites , est divisé par paragraphes ,
précédés d'un sommaire rapide , dans lequel il est tout-àla-
fois comparé à Alexandre , à César , à Adrien , à Marc-
Aurèle , et à Julien , surnommé l'Apostat. Dans le premier
paragraphe , qui traite des qualités du corps et de l'esprit
l'auteur nous apprend que Frédéric avoit la goutte , mais
qu'il suivoit , pour cette maladie , un régime qui n'étoit pas
mal entendu, si ce n'est, dit-il , 'qu'au lieu d'y opposer une
nourriture simple et moins abondante , il faisoit tout le con
traire ; mais qu'il ne s'en trouva pas plus mal que les
autres goutteux. Il nous assure ensuite qu'il se seroit fait un
nom dans la République des Lettres , quand il n'auroit été
>
( 1 ) Le commencement de cette révolution remonte à 1520 , et les
historiens allemands , assez exacts dans leurs recherches , placent le
ronnement de Gustave au 6 juin 1525.
JUILLET 1807. 133
que
que fils d'un bailli ou d'un prédicateur brandebourgeois ou
saxon ; mais dans un autre endroit , il avoue qu'il ne savoit
pas l'orthographe : il est vrai qu'il ajoute ensuite qu'il a fait
des oraisons funèbres à l'imitation de celles de Bossuet et de
Fléchier ; ce qui ne l'empêcha pas de regretter de n'avoir
pas appris le latin , et de ne savoir pas même l'allemand .
Dans le paragraphe suivant l'auteur prétend qu'on a eu tort
de dire que Frédéric n'aimoit personne , et , pour le prouver
, il aj oute qu'il haïssoit les méchans comme il haïssoit
les singes , et qu'il aimoit les gens qui lui étoient attachés
par le même instinct qui lui faisoit aimer les chiens : ce qui
est très-flatteur pour les philosophes qui composoient sa
cour. Dans l'article de la politique , il nous apprend que les
méditations de Frédéric l'avoient convaincu que pour avoir
des troupes , il faut avoir des hommes et de l'argent ; qu'il
n'eut jamais des Louvois qui lui fissent faire la guerre ou
la paix , mais qu'un nommé Golster fut enfermé à Spandau
, pour abus de confiance ; qu'un autre , qui n'étoit
le copiste de son père , fut son premier ministre pendant
plus de vingt ans , et que la femme d'un certain Stotter,
son commis , vendoit publiquement sa protection par
Les
égards que les chefs des départemens avoient pour son mari.
Il se loue ensuite d'avoir fait effacer des actes publics la formule
, d'après l'avis de notre conseil ; d'avoir fait rayer de
ses titres l'hommage des princes chrétiens , par la grace de
Dieu ; et de s'être débarrassé de tout culte religieux. Dans
le IVe paragraphe , il demande bonnement si la France ,
qui par son commerce est devenue plus riche que la Prusse ,
est réellement plus forte que cette puissance . Ensuite ,
nous dit gravement qu'il importe à une nation de ne pas
trop faciliter aux roturiers les moyens d'acquérir des titres
de noblesse , par une raison qu'on ne devineroit jamais. On
croiroit d'abord que ce seroit dans la vue de conserver plus
de considération au corps entier de cet ordre , mais c'est
précisément par une raison toute contraire : ce seroit pour
ne pas avilir un trop grand nombre d'hommes , parce que ,
dit-il , plus ils s'élèvent , plus ils perdent , soit au physique ,
soit au moral. Dans la section intitulée : Economie Rurale
il
et Politique , il nous dit que la sterilité du sol des environs
de Berlin dispense aussi bien le souverain que le pro
priétaire de se gêner et de se restreindre dans la bâtisse . Ce
qui probablement signifie que moins on trouve de moyens
de subsistance autour d'une grande ville , plus on peut
accroître le nombre de ses habitans , et plus on doit avoir
de sécurité sur la possibilité de les nourrir. On a lieu de
douter , ajoute- t - il , si , au lieu de bâtir tant de maisons
134 MERCURE DE FRANCE ,
aux particuliers , Frédéric n'eût pas fait mieux d'employer
les mêmes sommes dans des édifices publics . Premièrement ,
( c'est le style de l'auteur ) après avoir bâti des églises , ( 1 ) des
théâtres , (2 ) des casernes , etc. etc. Il a cru qu'il ne pouvoit
rien faire de mieux que de bâtir des maisons aux particuliers
. On pense peut-être que l'historien va déduire ici
toutes ses raisons par ordre numérique , mais il s'arrête au
mot premièrement , et ne juge pas convenable de se conformer
à l'usage qui veut que ce mot soit toujours suivi de
quelqu'autre adverbe de la même espèce. Dans le même .
paragraphe sur la conduite de Frédéric , à l'égard de la noblesse
, il nous apprend que ce roi étoit persuadé que la
consideration que donne la naissance à un magistrat , à
un ministre ne compense pas le manque de savoir et d'activité.
Ce qui , tout commun que cela pourra paroître , n'est
pas trop mal exprimé ; c'est dommage que l'auteur ajoute
ces mots : Dans l'homme qui s'appuie sur son arbre généalogique
, et qu'il gâte ainsi une pensée banale par une image
ridicule. Il avance , dans l'article qui suit sur la religion et
la tolérance , qu'on a de tout temps soupçonné les princes
de professer la religion par politique , mais que le système
du roi de Prusse , ouvertement incrédule , étoit tout différent
, et qu'il auroit cru se rendre hypocrite s'il eût montré
de la croyance . L'auteur suppose ici qu'on est excusable de
ne pas soumettre sa raison à l'autorité de la religion ; et
qu'il est permis d'insulter à la croyance de tous les hommes ,
lorsque par un orgueil stupide , on a refusé de l'embrasser.
C'est avec un pareil abus de mots qu'il loue la prétendue
tolérance de Frédéric , comme si la vérité pouvoit être soumise
à la tolérance de l'erreur , et qu'elle dût lui céder fe
pas , lorsque par malheur celle -ci se trouve armée de la
puissance souveraine . Le dernier paragraphe que l'auteur
intitule Tactique et Constitution militaire , n'est pas moins
rempli d'expressions hasardées , d'erreurs de jugement et de
fautes de style que les précédens ; mais nous en avons relevé
suffisamment pour faire connoître l'esprit général dans lequel
cet éloge de Frédéric a été composé , et les sentimens
particuliers qui paroissent avoir animé M. Denina . Cet écrivain
étoit encore en Prusse , sous la puissance de l'opinion
et sous le joug de la reconnoissance , lorsqu'il a entrepris
son ouvrage. Nous ne l'accuserons pas néanmoins d'avoir
(1 ) La seule église catholique bâtie à Berlin , sous Frédéric , l'a été
aux frais des étrangers .
(2) L'Opéra , sur le fronton duquel il fit mettre Apollini et musis.
JUILLET 1807 .. 135
trop écouté ce dernier sentiment ; mais nous dirons qu'il
auroit pu trouver en lui-même , plus facilement que bien
d'autres historiens , une règle certaine pour en modérer
l'expression , et que cette règle , maîtresse de l'opinion , no
doit jamais se plier au gré de son caprice .
G.
Errata de l'article sur Sylvain Maréchal , inséré au Mercure du samedi
11 de ce mois :
L'épigraphe Ab uno disce omnes n'appartient pas au volume du philoso
he , c'est celle de l'article .
Page 81 , avant-dernière ligne , au lieu de mourir , lisez manier.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Strabon , qui vivoit sous Auguste et Tibère , est le plus
estimé des géographes anciens. Voyageur aussi actif qu'intelligent
, il a visité par mer et par terre tous les pays qui
se trouvent du levant au couchant , entre l'Arménie et la
Sardaigne ; et du nord au midi , depuis le Pont-Euxin
jusqu'à l'extrémité de l'Arabie. Né en Capadoce , dans la
ville d'Amasie , il a écrit en grec ; ainsi son ouvrage do nț
nous n'avions point de version française , n'étoit pas à la
portée de tous . Le gouvernement l'a fait traduire
par des
hommes de lettres également instruits en géographie et en
langue grecque ; leur nom seul garantit la bonté de leur
travail : ce sont MM. Delaporte- Dutheil , de l'Institut de
France , et Coray ; M. Gosselin , aussi de l'Institut , connu
avantageusement par ses Recherches sur la Geographie des
Anciens , a rédigé les observations générales qui servent
d'introduction , et beaucoup de notes signées G.; d'autres
notes grammaticales et critiques appartiennent à ses deux
collaborateurs. De plus , l'ouvrage est enrichi de cartes avec
autant de soin que d'exactitude , et qui lui donnent un nouveau
prix. Il n'en paroît à présent que le premier volume ,
mais les autres le suivront de près. ( 1 )
Dans les projets qui ont concouru pour le monument
de la Madeleine , il s'en est trouvé deux désignés par des
devises semblables , et qui ont été enregistrés , l'un au ministère
de l'intérieur , l'autre au secrétariat de l'Institut. La
( 1 ) Géographie de Strabon , traduite du grec en français . Tom . I.,
in-4° de l'Imprimerie Impériale.
A Paris , chez Barrois l'aîné et fils , libraires , rue de Savoie , uº . 13 ,
136 MERCURE DE FRANCE ,
commission chargée de juger le concours , crut devoir faire
couvrir toutes les devises , pour empêcher qu'elles ne servissent
à faire connoître les concurrens avant le jugement. En
conséquence, les juges n'ont eu besoin de découvrir que celles
des projets auxquels ils avoient déféré un degré quelconque
de récompense. Lorsque l'autorisation en a été donnée par
S, Exc. le ministre de l'intérieur , les auteurs des projets distingués
par la commission et signalés par leurs devises , furent
invités , par la voie des journaux , à se faire connoître au
secrétariat de l'Institut ; un artiste se présenta avec la devise
qui avoit obtenu la 10 mention , et le chef du bureau reconnut
que c'étoit en effet celle de son enregistrement ; mais l'auteur
du projet enregistré sous la même devise au ministère
de l'intérieur, négligea de se présenter. Il réclame aujourd'hui ;
et vérification faite , non-seulement de l'enregistrement , mais
aussi de son projet, l'honneur de cette 1o mention lui
appartient. C'est M. Baltard , auquel il a été accordé, dans le
même concours , une indemnité de 2000 fr. pour un autre
projet. L'artiste cité à sa place par conformitéde devise , étoit
M. A. -Aug. Frary.
:
Le secrétaire perpétuel de la classe des Beaux-Arts de
l'Institutnational. JOACHIM LEBRETON.
- M. de Châteaubriand a acheté à Tunis , et donné à
la Bibliothèque impériale , un manuscrit arabe , intitulé
la Cosmographie d'Ebn- al- Ouardi .
M. Bosc , membre de l'Institut et président de la
Société d'Agriculture du département de Seine-et -Oise , a
fait un Mémoire sur l'utilité des clôtures des propriétés
rurales , Cet ouvrage , rempli de vérités utiles à l'agriculture ,
mérite d'être étudié par tous les propriétaires ruraux.
L'auteur , 1 ° , prouve , et par des exemples nombreux et
par des raisonnemens , que les clotures , loin d'être nuisibles
aux productions céréales , comme on le pense trop
généralement , en favorisent au contraire le développement
et la fécondité ; 2°. il expose les procédés les plus propres
à leur plantation , à leur entretien et à leur solidité; 3°. il
donne la nomenclature de tous les arbres et arbustes qui
doivent être préférés pour leur formation .
-Le poëme de M. Delille , intitulé les Trois Règnes de
la Nature, est en ce moment sous presse....
-M. Lethiers , directeur de l'académie de France à Rome,
et M. Thibault , architecte de S. M. le Roi de Hollande ,
viennent d'être nommés correspondans de la classe des beauxarts
de l'institut de France,
L'école de médecine de Paris est chargée , dit-on , de :
JUILLET 1807 . 137
proposer pour sujet d'un prix de 12,000 fr. , de déterminer
les causes , les symptômes et le traitement du croup.
- M. Chevallier , ingénieur-opticien , a présenté à la
Société académique des Sciences de Paris , dont il est membre
, un thermomètre dont la division est différente de celle
du thermomètre de Réaumur , et des autres thermomètres
en usage jusqu'à ce jour. Le but que s'est proposé cet
artiste , est de simplifier les observations ou plutôt le compte
qu'on en tient. Dans les observations faites avec les thermomètres
en usage , quoique le point de départ ne soit
pas le même pour tous , on est , en général , obligé d'indiquer
si l'élévation du mercure ou de l'esprit de vin est
au-dessus ou au-dessous de ce point. M. Chevallier obvie à
cet inconvénient, en prenant un point de départ au-dessous
duquel le mercure ne descende jamais. Il place donc le point
deO, à 39 2/10 degrés au-dessous du point de la congélation
ou du zéro du thermomètre de Réaumur , et marque 50 degrés
entre ce point et celui de la congélation. Le point de
l'ébullition de l'eau est au 150° degré de ce thermomètre :
l'avantage de la nouvelle graduation consiste dans la netteté
des colonnes d'observation , qui seront constamment de deux
chiffres seulement , et sans besoin d'aucun signe accessoire.
M. Chevallier nommece thermomètre , Thermomètre direct .
-M. Chaudet, statuaire de S. M. l'Impératrice , membre
de l'Inst. etde la Lég . -d'Hon . , auteur de la statue de S. M.
l'Empereur et Roi , qui est placée dans le lieu des séances
du corps législatif , achève en cemoment lemodèlela statue
de S. M. , qui doit être placée sur la colonne triomphale
d'Austerlitz . Les personnes qui desireroient des épreuves en
plâtre du buste de cette statue , qui a été modelée d'après
nature , ainsi que du buste de S. M. l'Impératrice , que
M. Chaudet a également exécuté , en trouveront chez lui ,
rue de l'Université , nº 31 , près la rue du Bacq. Prix de
chaque buste de grande proportion , too fr.; demi-proportion
, 30 fr.; médaillon de demi-proportion , 24 fr . On trouvera
aussi des bustes en bronze de S. M. l'Empereur , de
grande proportion. Pour garantir de tout surmoule , une
épreuve en plâtre de ces bustes a été déposée à l'administration
du Musée Napoléon : chaque épreuve portera le
cachet et la signature de l'auteur.
-M. Hennin, de l'académie des inscriptions et belleslettres,
ancien Ir. commis des affaires étrangères , est mort le
5 juillet à onze heures du soir. Sa perte est sensible , soit
comme diplomate , soit comme littérateur , soit comme
homme de société. Il avoit été secrétaire d'embassade en
138 MERCURE DE FRANCE ,
Pologne, sous le comte de Broglie et le marquis de Paulmy,
Il fut admis au secret de la correspondance du cabinet particulier
de Louis XV , et reçut plusieurs fois des instructions
écrites en entier par ce monarque. Désigné en 1761 pour
être secrétaire du congrès qui devoit se tenir à Augsbourg ;
il fut nommé , en 1763 , ministre résident en Pologne, et
en 1765 , il passa à Genève en la même qualité. Depuis , il
remplaça M. Gérard dans le poste important de premier
commis des affaires étrangères .
A l'entrée de M. Dumouriez dans ce département ,
M. Hennin en sortit.
Comme littérateur , M. Hennin possédoit douze langues.
Ses connoissances en histoire , en géographie , en antiquités ,
étoient immenses. Sa tête étoit une vraie encyclopédie. Il
laisse en manuscrits plus de cent cinquante volumes in-folio
sur toutes sortes de matières ; et en particulier , une bibliographie
des voyages , en onze volumes in-4°. , qu'il destinoit
àl'impression .
-Mad. Scio , artiste sociétaire du théâtre de l'Opéra-
Comique , est morte , mercredi dernier , à dix heures du
matin, des suites d'une longue maladie de poitrine. Il y a
six mois que sa santé la tenoit éloignée du théâtre.
-Le corps impérial des ponts et chaussées vient de perdre
unde ses chefs les plus distingués par de longs et utiles services .
Armand-Bernardin Lefebvre , inspecteur-général des ponts et
chaussées , est mort , le 12 de ce mois ,dans la 73º année de
son âge. Une péripneumonie l'a conduit au tombeau. Ila
fait pour la province de Champagne des projets à l'exécution
desquels elle doit le degré de prospérité auquel elle est parvenue
depuis. Et la ville de Reims lui doit particulièrement
ces grands édifices et ces superbes promenades qui l'embellissent.
Ingénieur en chef de la généralité de Caen, les projets
en tout genre qu'il a rédigés ponr la rivière d'Orne , pour les
passages du Petitet du Grand-Vey , pour les ports de Cher
bourg et de Granville , et pour l'embellissement de toutes les
villes de cette généralité , attestent ce que peuvent le génie
et les talens éclairés par une longue expérience.
-On mande de Stockholm , que le jour de la fête sécu
laire , qui a été célébrée à Upsal , le 24 mai dernier , en
honneur de Linnée , il a été créé , par le docteur Afzelius ,
un institut dinnéen , institutum linceanum , et frappé une
médaille qui porte d'un côté l'effigie de Linnée , et de l'autre
cette inscription : Natalium memoriæ seculari D. XXIV maii
M. DCCC. VII . institutum Linnæanum Upsaliense .
-Il est question dans ce moment en Ecosse d'une entreJUILLET
1807 . 139
prise singulière , et qui fixe l'attention publique. Il ne s'agit
de rien moins que de percer sous la mer une communication
souterraine qui réunisse des lieux séparés par le détroit
de Forth. Il avoit été précédemment proposé un
pareil projet qui devoit être réalisé dans le voisinage de
Gravesende. Les Anglais donnent à ces constructions le
nom de tonnelles (1) . On sait que parmi nous l'une des
significations de ce mot est de désigner une sorte de
berceau de treillage ou voûte recouverte de verdure ;
et c'est vraisemblablement par analogie que ces voûtes
souterraines s'appellent en Angleterre tonnelles. Celle
dont on met ajourd'hui le projet en avant , partiroit
de Queen's Ferry , près d'Edimbourg, passeroit sous le
détroit ou golfe , et iroit aboutîr au rivage opposé , dans
le comté de Fife , à la distance d'environ deux milles anglais .
Un docteur Millar , et M. Wasie viennent depublier un ou
vrage , dans lequel ils démontrent la possibilité de cette
entreprise , et les avantages qui en résulteroient. Comme
Queen's Ferry est le grand point de communication entre
PEcosse méridionale et septentrionale , l'utilité de ce passage
souterrain est assez manifeste . La grande question concerne
la possibilité de le pratiquer : or , à cet égard , les auteurs
que nous venons de citer, observent qu'on a déjà établi
en Angleterre de semblables tonnelles d'une égale et même
d'une plus grande étendue. Ils citent en preuve le grand
canal de jonction qui , dans un endroit , passe à travers une
montagne , l'espace de deux milles et demi ; mais de toutes
ces excavations , les plus considérables sont les tonnelles du
duc de Bridgewater à Walkden- Moor , entre Worsley et
et Balton en Lancashire , où il est tel de ces passages sou
terrains qui s'étendent dans un espace d'environ dix-huit
milles . On peut ajouter à ces exemples celui des galeries des
mines de charbon de Withe Haven , prolongé à la distance
d'un mille sous la mer d'Irlande. D'autres galeries de mines
de charbon , situées non loin de Queen's Ferry , s'étendent
aussi l'espace d'un mille sous le détroit de Forth . Dans tous
ces ouvrages , on n'a point vu que l'eau ait jamais pénétré les
couchesiinntteerrmédiaires , et se soit introduitedans les mines.
Il n'y a donc pas de raison de craindre que ces passages
souterrains soient sujets à l'infiltration , et deviennent impraticables
, d'autant plus qu'il y a motifde croire qu'une
couche de pierre dure passe d'une rive à l'autre , sous le
détroit de Queen's Ferry , et que , de toutes les substances ,
(1) A tunnel : ce mot signifie proprement un entonnoir,
140 MERCURE DE FRANCE ,
c'est celle qui seroit la plus desirable et la plus commode
à percer. On estime que les frais d'une telle entreprise ,
monteroient à 160,000 liv. sterling; et on a calculé que le
revenu que ce passage produiroit , la première année , n'iroit
pas à moins de 16,000 liv. sterling ; ce qui , de primeabord
, donneroit l'ample intérêtde 10 pour 100. Ily a lieu
d'espérer que ce revenu s'accroîtroit rapidement. Il est donc
bien à desirer qu'un projet si magnifique , si utile , et d'un
genre si nouveau , reçoive une prompte exécution.
-Tous les généraux prussiens qui ont survécu à l'anéantissement
de la monarchie , ont fait paroître des mémoires , dont
la plupart semblent avoir pour but beaucoup moins de justifier
lenrs auteurs , que d'inculper leurs chefs ou leurs compagnons
d'infortune. Le duc Eugène de Wurtemberg , qui
commandoit l'armée de réserve , est peut être , de tous les
commandans prussiens , celui qui a été censuré le plus amèrement
dans ces mémoires: ce prince s'est donc vu forcé de
rendre public un écrit qu'il avoit composé dans sa retraite , et
qu'il n'avoit point destiné à voir le jour. Parmi les détails
purement militaires qui ne peuvent être saisis que par les
gens de l'art, le duc de Wurtemberg a placé des traits et des
réflexions qui jettent quelque lumière sur les causes presqu'incompréhensibles
des désastres sous lesquels a succombé , en
peu de jours , un des plus puissans Etats européens. Ce
prince , par son rang et par le crédit dont il jouissoit à la
cour , a du voir et entendre des choses qui ont échappé à la
connoissance publique. Nous ne pouvons donc mieux faire
quede le laisser parler lui-même :
« La conduite politique de la Prusse a plus contribué
>> encore à sa ruine que ses fautes militaires. Le cabinet, sans
>> aucun plan fixe , flottoit au gré des événemens. Placé entre
>> la France , la Russie et l'Autriche , il falloit prendre un
>> parti décisif, et ne plus s'abuser des chimères d'une neutra-
>> lité devenue impossible. Je ne prétends point indiquer quel
» étoit ce parti , mais je soutiens qu'il étoit indispensable
> d'opter entre les deux. Pour s'éviter l'embarras du choix ,
>> on a voulu avoir l'air d'agir spontanément : on s'est lancé
>> dans la carrière , avant que les Russes fussent à portée
>> d'appuyer les opérations. J'eus , à ce sujet, un long entre-
>> tien avec un homme qui jouissoit d'une grande influence :
» je lui demandai ce que pouvoit espérer la Prusse seule,
» contre un ennemi aussi formidable , aussi accoutumé à
>> vaincre : ce personnage ine répondit que l'intention du cabi-
>> net étoit , avant tout , de persuader à la France qu'il
n'existoitpoint de coalition. La France ne s'est rien laissé
JUILLET 1807. 141
> persuader , et n'a répondu à toutes les assertions du mani-
>> feste , à cet égard , que par la dérision , comme on devoit
» s'y attendre. Mais enfin , puisque l'on vouloit la guerre , il
>> falloit qu'elle fût purement défensive dans son début ; il
>> falloit occuper la Saale avec le gros de l'armée , et l'Elbe
» avec les réserves. Tout individu qui a connu le duc de
» Brunswick , dans ces derniers temps , n'a point dû douter
» que tel seroit le plan qu'il adopteroit; mais hélas ! il ne
>> croyoit pas qu'il fût possible aux Français de l'attaquer
» avant qu'il eût terminé toutes ses dispositions. Plusieurs
>> personnes de ma connoissance chercherent , mais vaine-
» ment , à le faire revenir de son aveuglement sur ce
» point. Cette obstination de la part du duc de Brunswick
>> est d'autant plus inexplicable pour moi , que , dans toutes
>> les occasions , il me disoit : Il faut être bien en mesure
>> pour entreprendre quelque chose contre un pareil ennemi ;
>> il ne faut pas de demi-moyens, mais un grand ensemble
» pour espérer de réussir. >>
Cependant, la guerre est déclarée précipitamment : le duc
Eugène de Wurtemberg est chargé de former une arméede
réserve de 18 bataillons et de 28 escadrons. On lui mande de
se porter sur Halle , puis sur Mersebourg , puis enfin de venir
joindre l'armée du roi , qui , pour éviter d'être tourné par les
Français , avoit pris la résolution de leur livrer une bataille
décisive. Ondevoit savoir que le duc ne pouvoit faire sa jonction
avant le 18 , et , dès le 14 , on donne ( ou l'on est forcé de
recevoir ) , la bataille d'Jéna. Le prince , qui étoit en marche,
entend le canon toute la journée : ses officiers d'artillerie , se
disant très- expérimentés , assurent que le bruit s'éloigne , et
que conséquemment les Prussiens sont victorieux. Le 15 et
le 16 se passent sans que le duc de Wurtemberg reçoive aucune
nouvelle du roi ni de ses généraux ; les fuyards n'apportoient
que des détails contradictoires. Le prince , voulant
cependant , à tout prix , se procurer des renseignemens certains,
envoie sur divers points de gros partis de cavalerie. On
lui amène quelques Français qui faisoient partie des éclaireurs
de l'armée ; et ici , nous laissons encore parler le prince :
<< Ces prisonniers , selon la coutume de tous les Français ,
>> ne vouloient rien dire , quelques instances qu'on leur fit.
» Je ne puis même passer sous silence la noble réponse de
>> l'un d'eux. Je le pressois de questions sur la marche de
>> l'armée , sur sa force , etc.: - Prince , me répondit-il , si
» je vous disois un mensonge , j'en aurois honte , et cela ne
>> vous serviroit à rien ; si je vous disois la vérité , j'agirois
>> contre l'honneur et mon devoir : vous ne l'exigerez pas. >>
On regrette de ne pas savoir le nom de ce digne Français.
142 MERCURE DE FRANCE ,
Livré à cette cruelle incertitude , le duc de Wurtemberg
marchoit , pour ainsi dire , à l'aventure , lorsque le 17 octobre
, au point du jour , un officier saxon vint lui donner
l'assurance de la déroute complète du prince de Hohenhole
et du général Ruchel. On n'avoit compté que sur des
victoires , on n'avoit rien arrêté pour une retraite. Le duc ,
abandonné à lui-même , crut donc ne pouvoir prendre un
parti plus sage que de se porter de Halle , où il se trouvoit
alors , sur Magdebourg , où il espéroit rencontrer le roi et les
débris de l'armée. Mais à peine étoit-il en marche , qu'il fut
attaqué avec impétuosité par la division du général Dupont ,
et bientôt après par tout le corps du prince de Poute-Corvo.
La victoire se déclara , comme à Jéna , entièrement pour
Ies Français. Le duc , avec ce qu'il put rallier de son armée ,
passa l'Elbe à Resflaw , près Dessau , et parvint à gagner
Magdebourg , le 19 octobre. Il termine sonmémoire à-peuprès
en ces termes :
<< Après 32 ans de service fidèle sous trois monarques ; après
>> avoir été honoré de la bienveillance particulière du Grand-
>> Frédéric , traité en ami par le roi aujourd'hui régnant , c'est
>>moi qui suis accusé d'avoir causé, plus qu'aucun autre ,
>> la ruine de la monarchie prussienne. Dois-je donc porter
>> le blâme des fautes que je n'ai point commises , mais que
» l'on m'a ordonné de commettre ? N'est-il pas doublement
>> affreux pour moi , d'être réduit à supporter de telles impu-
>> tations , lorsque je ne puis les repousser qu'en manquant
» aux égards que je dois à de grands personnages ?
» Mon dévouement pour eux est trop sincère , pour que je
>> puisse me résoudre , même pour ma propre justification , à
>> dénoncer à l'opinion publique , leurs ordres et leurs fautes .
» Au reste , à quoi bon ces récriminations , ou ces conseils
>> pour l'avenir? Jamais la Prusse ne redeviendra ce que le
>> grand roi l'avoit faite : son génie s'est évanoui. »
- La société d'émulation des Hautes-Alpes décernera une
inédaille d'or de 200 fr. , ou une somme équivalente à l'auteur
du meilleur Mémoire sur cette question : « L'émigration
>> annuelle d'une partie des habitans des Hautes-Alpes est-elle
>>avantageuse ounuisible à ce département ? >>>
Pour faciliter , autant qu'il peut dépendre de la Société , la
rédaction des Mémoires , elle publie la série des questions
auxquelles on aura principalement à répondre :
Ire Question . L'histoire , ou à son défaut la tradition , faitelle
connoître le commencement de l'émigration annuelle
d'une portion de la population des Hautes-Alpes ?
2. Quels sont les cantons qui fournissent le plus ou le
moins à l'émigration ?
JUILLET 1807 . 143
3. Quel genre d'industrie emploient plus particulièrement,
dans leurs courses , les émigrans de chaque canton?
4°. Quel est leur nombre approximatif?
5. Les émigrations ont-elles augmenté ou diminué ?
6. Quels en sont les motifs ?
7. Offrent-elles plus d'avantages que d'inconvéniens ?
8. Si elles sont nuisibles , de quels moyens doit-on se
servir pour les faire cesser?
9. Ces moyens se trouvent-ils sur les lieux mêmes ?
10. Faut-il chercher ces moyens loin du pays natal des
émigrans?
Les mémoires peuvent être adressés , francs de port, jusqu'au
1 avril 1808, au président de la société. Ils porteront
en tête une épigraphe qui sera répétée dans un billet particulier
, cacheté et joint au mémoire.
NOUVELLES POLITIQUES .
PARIS , vendredi 17 juillet.
Tilsit , le 1 juillet 1807 .
Le ag et le 30 juin les choses se sont passées entre les trois
souverains comme les jours précédens. Le 29 , à six heures
du soir, ils sont allés voir manoeuvrer l'artillerie de la garde.
Le lendemain , à la même heure, ils ont vu manoeuvrer les
grenadiers à cheval. La plus grande amitié paroît régner entre
ces princes.
Al'un de ces dîners, qui ont toujours lieu chez l'Empereur
Napoléon , S. M. a porté la santé de l'Impératrice de Russie
etde l'Impératrice-mère. Le lendemain l'EmpereurAlexandre
aporté la santé de l'Impératrice des Français.
Lapremière foisque le roi de Prusse a dîné chez l'Empereur
Napoléon , S. M. a porté la santé de la reinede Prusse.
Le 29, le prince Alexandre Kourakin , ambassadeur et ministre
plénipotentiaire de l'Empereur Alexandre , a été présenté
à l'Empereur Napoléon.
Le 30, la garde impériale a donné un dîner de corps à la
garde impériale russe. Leschoses se sont passées avec beaucoup
d'ordre. Cette cérémonie a produit beaucoup de gaieté dans
laville.
Laplacede Glatz a capitulé.
Le ført de Silberberg est la seule place de la Silésie qui
tienne encore . ( Moniteur. )
Tilsit , le 5 juillet 1807.
f
Depuis le 1º de ce mois , les choses se sont passées entre les
trois souverains de la même manière que les jours précédens.
144 MERCURE DE FRANCE ,
Ils ont vu manoeuvrer , le 1er juillet, lacavalerie de la garde
impériale ; le 2 , l'artillerie , et le 3 , les dragons du même
corps. Le 4, ils sont allés visiter le camp du 3ª corps que
commande M. le maréchal Davoust. Lemême jour , le roi de
Prusse a présenté le prince Henri , son frère , à l'Empereur
Napoléon. S. M. la reine de Prusse est arrivée à Baublen, à
deux lieues de Tilsit. (Moniteur. )
- S. M. a rendu , à Tilsit , le 1. juillet , le décret
suivant :
« Napoléon , par la grace de Dieu et les constitutions de
la république , Empereur des Français , à tous présens et à
venir, salut :
>> Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
>> Le corps législatif ouvrira ses séances, pour la session de
l'année 1807 , le 16 août.
>>Mandons et ordonnons que les présentes soient insérées
au Bulletin des Lois.
>>Donné en notre camp impérial de Tilsit , le premier
juillet 1807. » Signé NAPOLÉON .
Vu en l'absence de S. M. le roi de Naples et de Sicile , grandélecteur
de France , par ordre de S. M. l'empereur et roi ,
l'archichancelier de l'empire.
Signé , CAMBACÉRÉS.
-On assure que le grand-duc Constantin sera un des
illustres voyageurs que la paixde l'Europe doit amener incessamment
à Paris. Onajoute que S. M. l'Empereur de Russie
viendra lui-même visiter cette capitale dans le cours de l'hiver
prochain.
Paris.
-
M. Duroc , grand-maréchal du palais , est arrivé à
M. de Turenne , officier d'ordonnance de S. M l'EMPEREUR
et Roi , est arrivé avant-hier au palais de Saint-Cloud ,
chargé par S. M. de communiquer à S. M. l'Impératrice-Reine
des détails sur la suite des conférences de Tilsit.
-
(Moniteur.)
Un ambassadeur de Maroc est arrivé le 7 de ce mois
dans la rade de Marseille , à bord d'un bâtiment américain.
Il se rendra à Paris aussitôt qu'il aura fait la quarantaine
d'usage. Il amène avec lui quatorze chevaux du plus grand
prix, qu'il est chargé , de la part de son maître , d'offrir en présent
à S. M. l'Empereur des Français. 4
FONDS PUBLICS .
DU VENDREDI 17. -C p . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 79f 30€ 50с. Зов
250 200 15C 200 ooc ooc oof oof ooc ooc oof ooc ooc ooc coc oof ooc Oos
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 76f 700 500. oof ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. 1370f 1375f 000 0000f
و ا ا
( NO. CCCXIV. )
( SAMEDI 25 JUILLET 1807. )
MERCURE
DE FRANCE .
LEOF
запос
POÉSIE.
L'AMOUR ET LES OISELEURS,
:
IDYLLE.
AMOUR, Amour, jamais tu ne reposes ,
Et rien n'échappe à tes piéges flatteurs !
7
Un jour (c'étoit dans la saisondes roses
Climène et moi, novices oiseleurs ,
Nous préparions des piéges sur les fleurs.
Ledoux printemps ,un Dieu plus doux encore ,
Nous rassembloient au réveil de l'Aurore.
Tous deux assis sur la mousse et le thym,
Nous respirions l'espoir et le butin;
Et, près de nous, les réseaux et la cage
Du peuple ailéméditoient l'esclavage.
Lemiroir brille : alors un jeune oiseau
Sedétacha des sommets du bocage;
Il balançoit son vol sur le réseau ;
Pais, en jouant, l'effleuroit d'un coup d'aile ;
Puis caressoit le miroir infidèle ,
Aussi léger que l'éclat voltigeant
Que réfléchit la glace au front d'argent.
L'azur des cieux coloroit son plumage ;
Nos coeurs sembloient répéter son ramage ;
Le voir, le prendre est un même desir ;
:
4 DE LA SEL
1-
K
146 MERCURE DE FRANCE ,
Nous nous taisons, nous palpitons de joie;
Le piége court envelopper sa proie ;
Le filet tombe. En vain l'oiseau veut fuir ;
Il se débat : je souris , et Climène ,
Sous le filet que je soulève à peine ,
Etend déjà sa main pour le saisir ;
Elle y touchoit : soudain l'oiseau rapide
( C'étoit l'Amour ) s'envole avec nos cris ,
Etdu filet dispersant les débris,
Il tient encor , dans le réseau perfide ,
Les oiseleurs , qui pensoient l'avoir pris.
M. LE BRUN , de l'Académie Française.
ÉPILOGUE
эпири
D'un poëme intitulé : LE GÉNIE VOYAGEUR.
ORGANESdes cités , et conseils des monarques ,
Vénérables vieillards , pontifes , magistrats ,
D'un ministère auguste aux yeux des potentats
Déployez donc les nobles marques :
La paix vous a choisi pour ses médiateurs
Entre les nations et les dieux de la terre.
Il est temps d'essuyer ses pleurs ,
De rendre au monde un repos salutaire ;
Que la raison publique , empruntant votre voix ,
Au tumulte guerrier succède , et fasse taire
Ladernière raison des rois. (1 ) 2
Mais depuis quinze hivers que la Discorde encore
De deux Etats voisins aigrit les passions,
Quel outrage à la paix en a flétri l'aurore ?
Parlez , sages Amphictyons....
Pour la dernière fois une ligue impuissante
Des peuples confondit les intérêts divers :
Lequel, soulevant l'Univers ,
Mais échappant partout aux malheurs qu'il enfante,
Laisse tomber les rois pour sa cause abattus ;
Et lequel raffermit de sa main triomphante
Les sceptres agresseurs qu'elle-même a vaincus ?
Prononcez : il est temps qu'un tribunal suprême
De l'austère avenir devance les arrêts ,
(1) Ratio ultima regum , ancienne inscriptiondes canons
JUILLET 1807 . 147
Et du tyran des mers prévienne les regrets ,
En prévenant sa chute même .
Montrez-lui ses vaisseaux par le temps consumés
Voyageurs fatigués d'une mer sans rivage ,
Ou pâture des vers dans ses ports affamés.
Condamnez sa fierté sauvage ,
A subir de la paix le charme délaissé ;
Et qu'une main prudente en accepte le gage,
Hélas ! trois fois offert et trois fois repoussé !
Au coeur de ses Etats , qu'Amphitrite protège ,
Ne peut-on pas s'ouvrir d'infaillibles chemins ?
Lui , qui trafique au loin des larmes des humains ,
Croit-il éterniser son sanglant privilége ?
Colosse fastueux , dont l'aspect éblouit ,
Ses fermens de discorde en avancent le siège !
Nous , que le seul honneur conduit ,
Nous suivrons vers la paix l'étoile qui nous luit.
D'Amphitrite du moins que Cybèle nous venge ;
Nous irons , s'il le faut , jusqu'aux plaines du Gange .
Poursuivre et conquérir le rameau qui nous fuit .
:
"
Anos hardis succès le monde entier conspire
Qui peut nous arrêter ? Le ciel même est pour nous ,
Et la force et l'honneur n'ont plus qu'un même empire;
Un peuple aura vaincu pour le salut de tous .
Mais quel rayon m'éclaire , et quel transport m'inspire?
Quels cris soudains dont les airs sont remplis ! ....
(1
Nos voeux, nos justes voeux seroient-ils accomplis ?
France , réjouis-toi ! ... Plus de sang , plus de larmes
L'olive a couronné tes moissons de lauriers ;
Et le trident superbe , en cédant à ses charmes , "
Incline son orgueil , et prévient tes guerriers,
Plus prompte que la foudre et que ta renommée,
Toi qui , d'un élan triomphal ,
"
Courus delà l'Oder vaincre plus d'un rival ,
Famille de héros , infatigable armée ,
Reviens : ton EMPEREUR a d'un soin paternel ,
De ta fête ordonné l'appareil solennel ,
Dans la grande cité de ses travaux charmée. ob
Vois s'animer pour toi la lyre et le pinceau ;
Vois de tous les beaux-arts la pompeuse harmonie,
Toutes les palmes du génie ,
De son nouvel Empire ombrager le berceau !
t
Kz
1
Y
"
148 MERCURE DE FRANCE,
Par un sublime effort au trône remontée,
Au trône européen, d'où nos longues erreurs
Dans l'opprobre et le deuil l'avoient précipitéc ,
Notre France ,de Mars enchaînant les fureurs ,
Modératrice universelle,
Saura pour le triomphe et des lois et des moeurs ,
Et des arts citoyens , et des arts voyageurs ,
Pacifier le monde à ses conseils fidèle;
Et saura même un jour , à ses rivaux vaincus ,
De nos succès guerriers , moins que de nos vertus ,
Faire absoudre l'éclat d'une gloire immortelle.
Hic dies verè mihifestus , etc. ( HOR. )
Par M. LEFEBVRE , ancien professeur de l'Académie de Juilly.
BEAUTÉ , BONTÉ ET GRACE,
ALLÉGORIE ADRESSÉE A MADAME ADÈLE DE TREVILLE .
« Au siècle heureux de Saturne et de Rhée ,
>> Lorsque le monde encor touchoit à son berceau ,
>> Tout étoit bon , ma soeur ; aussi tout étoit beau.
>> Seule avec moi , par moi tout simplement parée,
>> Vous aviez votre soeur pour compagne adorée;
» Ou plutôt , aux yeux de chacun ,
>> Vous et moi ne faisions qu'un .
>> Hélas , quel changement extrême ,
>> Sitôt que Pandore elle-même
>> De sa bofte eut laissé tant de fléaux divers
>> Se répandre sur l'Univers !
>> Egaré par son nouveau guide,
>> L'Amour tout le premier d'un flambeau moins timide..!.
>> Vint à son tour égarer la Raison ,
>> Et le feu prit à la maison.
>> Moi, dans cet incendie , à ma soeur attachée,
>> Je fis tous mes efforts pour ne la point quitter;
>> J'eus beau faire , beau résister ,
>> Je vous vis de mes bras par l'Orgueil arrachée.
» Ah , que ce triste événement
>> Acausé dans mon coeur un douloureux supplice ! ....
>> Mais vous , ma soeur , parlez-moi franchement;
>> Dites , n'étiez-vous pas quelque peu le complice
>> Du ravisseur et de l'enlèvement ?
» Car , entre nous , dans votre erreur funeste ,
>> L'éclat vous séduisit ; ne cherchant que l'éclat ,
JUILLET 1807 . 149
>>Goût pur, savoir solide , et mérite modeste,
>> Vous avez laissé tout le reste;
>> Tout , jusqu'à votre soeur.... Coeur foible , coeur ingrat !
>> Et moi , depuis cette journée
>> Que nous faisons ménage à part ,
>> Dans un exil obscur je vis abandonnée.
>> Plus d'amitié pour moi , pas le moindre regard
>> Tandis que, triomphante idole..
>> D'un monde brillant et frivole ,
>> Tous les yeux s'arrêtent sur vous.
>> Nonque mon coeur en soit jaloux ,
>> Et qu'il aspire à ce culte suprême ,
» A ce public encens de la fatuité.....
>> On vous flatte , ma soeur , bien plus qu'on ne vous aime ,
نم
>>On vous traite en enfant gâté.
» On cède avec dépit ; on cède , mais le pire
>> C'est que plus d'un sujetmédit de votre empire ,
>> Et de la cour se venge en petit comité.
>> Le divorce entre nous doit-il durer encore?
>> Faites l'une pour l'autre, un doux rapprochement
>> Ne peut- il s'amener tout naturellement ?
>> C'est votre bonheur que j'implore. >>>
Acet élan , qu'avoit dicté
D'un fraternel amour le sentiment si tendre ,
L'orgueilleuse et froideBeauté
Se roidit davantage, et ne veut pas entendre.
Que va- t-il arriver ? C'est qu'en indemnité,
Et pour consoler sadisgrace,
Les Dieux, épris de laBonté,
Les Dieux lui donnèrent la Grace :
Fille du Naturel et de la Vérité ,
Toute simple comme eux , pourtant un peu moins nue ,
Vierge pudique , et piquante ingénue
Qu'embellit la douleur , non moins que la gaieté;
Qui , tour-a-tour sérieuse ou légère,
Tantôt reine , tantôt bergère,
Aux champs , à la ville , à la cour ,
Sous le dais ou sur la fougère,
Discrète en amitié , délicate en amour,
Sait garder la décence à l'ombre du mystère ,
Comme elle sait la garder au grand jour ;
Qui double le bienfait, prête au refus des charmes,
Et du trône parfois tempérant la splendeur ,
1
3
150 MERCURE DE FRANCE;
Du malheur adoucit les larmes ;
D'un souris, d'un regard, d'un mot qui part du coeur,
Enflamme le génie et féconde l'honneur .
Que vous dirai- je encor ? Chez l'enfant si touchante ,
De notre vie elle orne le printemps ,
En fait chérir l'été par ses attraits constans ,
Et jusqu'en notre hiver non moins intéressante,
Semblejouer avec la faux du Temps ,
Contre elle seule émoussée , impuissante ....
Plus belle encor que la Beauté ,
C'est depuis ce jour que la Grace ,
Şans le savoir peut-être, à nos yeux la remplace;
Et que partout , dans la société,
Souveraine des coeurs par sa simplicité,
20
S'ajustant même au rang , au sexe comnie à l'âge ,
Elleprépare, assure , embellit et partage
くLe triomphe de la Beauté.
J'allois lui comparer la vôtre,
Aimable auteur de mes chants les plus doux ,
... Si les deux compagnes , chez vous ,
N'avoient aussi retrouvé l'autre.
Par A. H. LEFEBVRE.
ENIGME.
PAR moi tout finit , tout commence ,
Par moi la terre a pris naissance ;
Si je n'existois pas enfin,
Un moment n'auroit pointde fin.
Je ne suis pas dans une lieue ,
Et je fais moi tout seul la moitié de l'Etat;
Je ne suis pourtant que la queue
:
D'un rat.
LOGOGRIPHE.
:
Je suis , lecteur , une innocente bête
Qui te fournit un salubre aliment ;
Mais , je t'en avertis , si tu manges ma tête ,,... )
Je ne suis plus qu'un élément.
CHARADE.
Unménageest parfois brouillé par mon premier ;
Mais l'accord y renaît au nom de mon dernier;
Unmalheureuxsouventploye spus mon entier .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Parole.
Celui du Logogriphe est Pied, où l'on trouve pie,,Dei.
Celui de la Charade est Car-rosse.
JUILLET 1807 . 151
NOUVELLES CONSIDÉRATIONS
SUR LES SAUVAGES DE L'AMÉRIQUE ,
Et particulièrement sur les Peuplades qui habitent
les deux Florides.
IL est assez difficile de se faire des idées saines sur les
peuples indigènes de l'Amérique , même lorsqu'on a vécu
parmi eux. On peut même assurer qu'il existe dans le sauvage
une partie intérieure qui nous sera toujours inconnue .
C'est le secret de son organisation , qui le placedans un ordre
d'idées et d'impressions qui nous sont totalement étrangères
.
EnEurope , on s'en forme généralementdes idées fausses ,
et presque toujours trop avantageuses. Cette disposition à
les voir enbeau est particulière à notre siècle. Il seroit peutêtre
faciled'en trouver la cause dans un certain enthousiasme
pour la nature et ses enfans , qui est toujours le produit
d'une imagination mécontente de l'ordre social. Tout ce
qu'on a écrit depuis cinquante ans sur les sauvages de
l'Amérique , se ressent de cette disposition généraallee des
esprits . Le lecteur pourra en juger par le tableau suivant ,
qui est tracé d'après des souvenirs encore très-récens :
Qu'on se représente un être de près de six pieds , dont
toute la partie supérieure , fortement prononcée , a quelque
chosedecolossal, tandis que l'extrémité inférieure , grêle et
décharnée , se termine en pointe. Les jambes , privées de
mollets , semblent collées l'une contre l'autre ; le corps ,
appuyé sur des hanches rentrantes , n'a pointd'aplomb : dans
sa marche , et même dans son repos , il éprouve un mouvement
d'oscillation qui fatigue l'oeil ; le dos et les épaules
sont forts , carrés et plats ; les seins sont placés si bas , et
à une si grande distance , qu'ils semblent naître sous les
aisselles . Qu'on revête tout cela d'une peau dont la couleur
approche beaucoup de celle du cuivre rouge , et on aura à
peu près l'idée de la charpente et de l'aspect d'un naturel de
l'Amérique.
Quant à la forme de la tête , on connoît l'angle facial des
4
1
152 MERCURE DE FRANCE ,
nègres , qui offre à l'esprit l'idée d'un museau raccourci ; la
tête du sauvage est à-peu-près l'inverse. La prédominence
du front est sensible , et le dessin de la figure en face donneroit
presqu'un carré. On ne trouve ni sur le menton , ni sur
l'emplacement de la moustache , aucune trace de barbe. Mais
pourrai-je jamais rendre l'expression de cette physionomie ,
qui offre quelque chose de si différent de tout ce que nous
voyons enEurope ? L'harmonie des traits du visage , l'impression
qu'ils produisent , échappent à toute description.
Cependant , si le lecteur a observé la différence qui existe
entre le regard , l'habitude des traits , la pose de la tête , la
physionomie enfin d'un animal privé et d'un animal des
bois , qu'il se rende bien compte de cette différence , et qu'il
cherche ensuite à appliquer sur la figure de l'homme cet air
caractéristique de la vie sauvage : s'ily parvient, il concevra
un peu l'impression antipathique que produit la physionomie
du naturel de l'Amérique. Tout Européen , à son
approche , a l'ame attristée , repousssée ; il hésite à reconnoître
son semblable , bien loin d'éprouver , en le voyant ,
ce sourirede l'ame que fait naître la vue de l'homme dans
la solitude des déserts.
Pour terminer la description physique du sauvage , il me
reste à le considérer dans son rapport harmonique avec le
sol qu'il habite. Il seroit aussi difficile d'expliquer que de
méconnoître ces harmonies merveilleuses que notre oeil
aperçoit entre tous les objets qui sont soumis à sa vue : ce
sont autant d'aperçus curieux , mais déliés et fugitifs , que
saisit notre pensée toujours avide de lier l'existence des
êtres physiques. J'ai vu des sauvages qui étoient placés sur
les éminences ; j'en ai vu qui erroient sur le sable de la mer :
alors ils m'ont paru comme transplantés. Mais si , à travers
des lianes qui s'attachent aux troncs des arbres et les lient
entr'eux , vous apercevez un sauvage cotoyant le bord fangeux
d'une eau verdâtre , alors sa présence se marie merveilleusement
avec tout ce qui l'entoure. Cette chevelure
noire et tombante , cette démarche vacillante , ce cri guttural
et aquatique qui s'échappe à chaque instant de son gosier ,
enfin le rouge de sa peau, qui éclaire la couleur terne du
paysage ; toutes ces harmonies en font , à vos yeux , l'être
nécessaire de ces lieux. Il vous semble encore le voir sortir
de ce limon qu'il foule de ses pieds mal assurés. Si , dans ce
moment , son visage vient à se tourner de votre côté , il vous
cause une sorte d'effroi. La réalité de sa nature vous échappe :
vous contemplez ses yeux ronds et fixes , sa bouche aux côtés
tombans , la flegmatique immobilité de tous ses traits , et il
JUILLET 1807 . 135
vous apparoît comme l'être sympathique , comme le dieu
des marais. Aussi son instinct l'y retient ou l'y ramène sans
cesse. Aujourd'hui que les nations sont affoiblies , que , dans
ce vaste espace qui s'étenddepuis les Florides jusqu'à l'Ohio ,
on trouveroit à peine quelques milliers de ces êtres errans ;
c'est autour des marécages qu'on les rencontre. Toutes ces
peuplades , foibles débris de nations jadis nombreuses et
guerrières , sont connues de nos jours sous le nom de la Confédération
des Creeks , c'est-à-dire , des lacs : dénomination
qu'elles tirentde leur séjour habituel près des lieux humides
et couverts d'eau , qui , comme tout le monde sait , sont plus
communs en Amérique qu'en aucune autre partie de la
terre.
Il seroit sans doute curieux de pouvoir pénétrer dans
l'intérieur de ces hommes , qui ne nous frappent que par
les dissonances qu'ils ont avec nous; mais, pour cette étude
intérieure , j'avoue que nous n'avons que peu de moyens et
même peu d'espérance d'y faire beaucoup de progrès . Pour
connoître parfaitement le caractère moral et intellectuel du
sauvage , il ne suffiroit pas de vivre long-temps avec lui ;
comme lui, d'être familier avec les mots qui lui servent à
exprimer ses pensées et ses impressions : il faudroit encore
avoir en nous les analogues de ces sensations et de ces idées .
Je crois que ce point de comparaison nous manque.
Certes , il a une manière particulière d'envisager tous les
objets de la création , celui que Pon voit quelquefois assis
sur une butte de terre , les genoux élevés , les coudes en
arrière , le corps penché en avant , et les yeux levés sur
une feuille ou un nuage : dans cette position , il passe des
heures entières . Quelquefois il se lève avec précipitation
, et , poussant des cris , il se bat les flancs avec tous
les signes de la stupidité ; mais bientôt cet être abâtardi
reprend son habitude de gravité , sa figure se peint de
l'expression d'une pensée triste : si alors ilparle sur le Grand
Etre , sur l'homme , sur la vie , sur la mort , il vous étonne
par la profondeur mystérieuse de ses idées , et par les images
dont il les revêt. Le même homme , incapable de lier deux
idées positives , aura toutes les peines du monde à compter
jusqu'à douze : incapable d'aucun empire sur lui-même , si
vous lui parlez de son fils , il vous dira , en montrant son
coeur , que c'est un fruit qui est tombé de là sur la terre ;
mais pour avoir un verre d'eau-de-vie , il vous livreroit
son fils et sa femme ; pour en avoir un second , il les égorgeroit
à vos yeux.
Uneaversion pour tout ce qui est positif semble être le
154 MERCURE DE FRANCE ,
caractère distinctif des peuples sauvages ; et sous ce point
de vue , leur manière d'être est l'inverse de celle des paysans
civilisés .
Le sauvage , encontact avec touutt,, a le commencement de
toutes les idées , de tous les sentimens. Ce qui lui manque ,
c'est cette faculté , ce besoin que donne la société , de concentrer
son esprit et ses affections sur un même point. Le
sauvage a tous les traits du faisceau , tandis que notre paysan
n'en a que le lien . Rien n'étonne ce dernier dans la vie : ses
besoins et ses idées acquises sont pour lui une mesure universelle;
et , jusque sur le bord du tombeau , il marche en
plein jour. Au contraire , une mélancolie inquiète poursuit
habituellementle sauvage. Vide de projets , d'arts , de sciences
, d'idées acquises , de sentimens positifs , de tout ce qui
remplit nos têtes et nos coeurs , sa vie est un choc continuel
contre tous les grands effets de la nature. Les vents , les
nuages , les forêts , la vie , la mort , les esprits qui animent
tout, etqui nese montrent jamais , voilà le cercle dans lequel
le ramènent sans cesse ses yeux et ses pensées . C'est ainsi que ,
placé sur les abymes des méditations humaines , ses regards
y font jaillir des éclairs qui en redoublent l'obscurité. S'il
avoit la faculté d'en réunir les éclats , et d'en composer un
flambeau pour s'éclairer pendant son séjour sur la terre , il
ressembleroit à l'Européen .
L'insouciance , l'imprévoyance , le mépris de la vie , cette
témérité à braver tout ce qui est à craindre , cette pusillanimité
des mouvemens intérieurs ; toutes ces contradictions ,
qui sont peut-être le plus beau titre de la grandeur originelle
de l'homme , parce qu'elles sont le signe le plus distinctif de
sa nature ; tous ces mouvemens primitifs , dis-je , se retrouvent
chez le sauvage ; mais ils s'y montrent sans cette faculté
de comparer et de vouloir , qui rend l'homme perfectible , en
le rendant capable d'agir sur lui-même : action la plus étonnante
qu'un être puisse exercer, puisqu'elle suppose division
dans son unité .
Ici se trouve le principe de toute perfectibilité . Le sauvage
de l'Amérique en est-il susceptible ? Des observations
faites sans aucun esprit de système nous en ont fait douter.
Elles seront le sujet d'un second article. Mais remarquons
ici ce fait bien extraordinaire : l'Amérique , dans les deux
hémisphères , n'est cultivée que par des bras européens ou
africains . Depuis deux siècles , la religion et la politique se
sont disputé l'honneur de civiliser les indigènes : elles ont
également échoué. Le sauvage meurt dans l'esclavage ; il
languit , il s'éteint dans les villages espagnols ; mais presque
JUILLET 1807. 155
partout on le rencontre encore fidèle à la vie de ses aïeux ,
errant au milieu des forêts , en proie au pressentiment de
l'extinction de sa race. Il semble dans la destinée de ces
nations de pâlir et de disparoître devant le flambeau de la
civilisation.
Cette mortalité qui entoure de déserts tous les établissemens
européens , s'étend sur tous les indigènes de l'Amérique
. En réduisant à la moitié l'estimation des premiers
Espagnols qui ont abordé sur ce continent , on peut affirmer
qu'il n'existe pas aujourd'hui un homme sur cent de ceux
qui existoient alors. En bornant ces observations à l'Amérique
septentrionale , au commencement du siècle dernier ,
on
a remarque que plus de la moitié des nations ont disparu
totalement depuis vingt ans. Cette progression décroissante
estdevenue plus effrayante encore. On peut prophétiser que
dans cent ans il n'existera pas un seul indigène dans toute
l'Amérique septentrionale. Nos neveux s'étonneront , et
demanderont pourquoi ces hommes ne sont plus . L'histoire
se taira. Témoins contemporains de cette grande chute
d'hommes de tout un continent , nous raisonnons sur ceux
qui sont encore debout ; mais bientôt ils manqueront à nos
recherches . Un souffle invisible les poursuit et les abat.
Ce phénomène s'exécute lentement , sans effort , d'une
manière imperceptible , comme toutes les opérations de la
nature. C'est le mystère de la mort , qui ressemble à celuide
la végétation : on ne le mesure que par ses progrès .
Cette fatalité , comme je l'ai déjà dit , n'échappe point
à ceux qu'elle frappe : les chansons de guerre ont fait place
aux chants du trépas ; et c'est ici un autre phénomène bien
étonnant que cette prescience de leur destruction que l'on
retrouve chez tous les peuples des deux Amériques. Les
Floridiens parlent sans cesse de cet événement , prédit par
les temps anciens ; et l'on m'a assuré que des peuplades à
l'ouest de l'Ohio étoient tellement frappées de cette nécessité
de s'éteindre, que les deux sexes avoient pris la résolution
de ne plus se reproduire .
D. L.
156 MERCURE DE FRANCE ,
-
Traduction en vers de quelques Poésies de Lope de Vega,
précédée d'un Coup d'Eil sur la Langue et sur la
Littérature espagnoles , et sur Lope de Vega. Par
L. M. d'Aguilar, de la Société des Sciences et Belles-
Lettres de Montpellier . Un vol. in-8 °. Prix : 2 fr. , et
2 fr. 50 c. par la poste . A Paris , chez Dentu , libraire ,
quai des Augustins , n° 22 ; et chez le Normant.
PEU de traductions doivent exciter une plus vive curiosité
que celle dont nous avons à nous occuper . Lope de Vega
n'est guère connu en France que de nom : on sait que les
Espagnols le regardent comme un de leurs plus grands
poètes ; mais aucun littérateur français ne s'est encore attaché
à faire l'examen de ses beautés et de ses défauts . Depuis
quelques années , nous cultivons beaucoup la littérature
anglaise et la littérature allemande ; la philosophie de ces
peuples nous est familière ; nous prodiguons des éloges
exagérés à leurs historiens ; nous exaltons leurs poètes
dramatiques , et nous nous empressons de traduire leurs
plus médiocres romans. Exclusivement livrés à ce genre
d'étude , qui nous fait négliger celle des anciens , nous ne
nous occupons nullement de la littérature espagnole ; nous
oublions qu'elle a eu une époque très-brillante , qui précéda
presqu'immédiatement le siècle de Louis XIV ; nous
oublions que l'esprit des bons auteurs de cette nation ,
composé de l'imagination brillante des Arabes , de la sensibilité
délicate des Chrétiens méridionaux , de l'enthousiasme
de l'honneur , et d'un enjouement plein de finesse ,
offre presque toujours une physionomie originale et piquante.
:
C'est ainsi que l'avoient jugé les grands poètes qui ont
donné tant d'éclat aux lettres françaises . Corneille avoit fait
une étude approfondie de la littérature espagnole si son
goût , trop peu épuré , ne le préserva pas des défauts de
ses modèles , il leur dut une foule de beautés . Le Cid ,
Héraclius , et les deux comédies du Menteur , sont tirés du
théâtre espagnol : Corneille sut les embellir en les élevant
à la hauteur de son génie ; il en fit des ouvrages originaux ;
et la première de ces pièces fut traduite en espagnol
quoique puisée dans deux poètes de cette nation. Racine
et Boileau ne négligèrent pas non plus cette étude , quoiqu'avec
raison ils la trouvassent beaucoup moins utile que
>
JUILLET 1807 . 157
celle des anciens : on voit par leurs Lettres , et par les
Mémoires de Louis Racine , qu'ils connoissoient cette
langue , et qu'ils en admiroient les chefs-d'oeuvre. Molière
puisa beaucoup plus qu'on ne le croit à cette source abondante
: si jamais on entreprenoit un nouveau Commentaire
de ses OEuvres , il faudroit consulter avec soin les collections
volumineuses de l'ancien théâtre espagnol : ony trouveroit
un grand nombre de traits piquans que le poète français a
su adapter à nos moeurs.
Toutes ces considérations doivent inspirer de l'indulgence
pour un travail tel que celui qu'a entrepris M. d'Aguilar ;
mais cette indulgence ne doit rien dérober à la franchise
de la critique. On auroit desiré que le traducteur n'eût
point choisi les Poésies fugitives de Lope de Vega , pour
donner une idée de son talent. Ces sortes de productions ,
à moins qu'elles ne soient des chefs-d'oeuvre , passent avec
les circonstances qui les ont fait naître elles n'ont ordinairement
aucun intérêt après deux siècles. Ce ne sont
point des pièces de ce genre qui ont fait la réputation de
Lopede Vega. Un choix de ses ouvrages dramatiques auroit
été plus instructif et plus curieux.
M. d'Aguilar a senti que des poésies fugitives perdroient
tout leur agrément , si elles étoient traduites en prose : il a
donc fait ses efforts pour les rendre en vers ; mais , peu
familier avec le mécanisme de notre versification , il n'a
pas su faire passer dans la langue française les graces de
l'original. Ses expressions manquent souvent de noblesse et
de justesse ; ses tours sont farcés ; on remarque de l'embarras
dans la construction de ses phrases; et trop fréquemment
il emploie certaines inversions qui ne peuvent être
souffertes qu'en espagnol .
a
Lapièce qui nous a paru la mieux traduite est une espèce
d'Eglogue , où le poète passe très-heureusement du grave
audoux, et qui , de plus , le mérite du coloris local. Les
ruines de Sagonte existent , comme on le sait , à Morviedro ,
dans le royaume de Valence . C'est là que se passe la scène
de l'Eglogue :
Sur les ruines de Sagonte
Un berger , assis tristement ,
Contemploit l'exemple effrayant
Du temps , qui détruit et qui dompte
Tout ce que l'homme eut de plus grand.
Al'aspect de ces tours hautaines,
Dont les sommets touchoient les cieux ,
Etdont les débris malheureux
Roulent maintenant dans les plaines,
158 MERCURE DE FRANCE ,
Des pleurs venoient mouiller ses yeux ;
Il chantoit d'un ton douloureux :
« Le temps nous avertit sans cesse ,
>> Sa voix doit se faire écouter ;
>> Il est de l'humaine sagesse
>> De le craindre et d'en profiter. >>>
Quoique ces vers soient foibles , on y aperçoit de grandes
idées et de belles images . Les deux strophes qui suivent ne
sont pas aussi bien rendues . Le poète fait allusion à la belle
défense de Sagonte : ce souvenir pouvoit fournir des peintures
touchantes ; mais le traducteur se trouve bien audessous
de son modèle. Il continue ainsi , en s'adressant
toujours aux ruines de Sagonte :
De vos habitans généreux ,
Dont la mort prouva la constance ,
Un renom toujours glorieux
Est l'immortelle récompense.
Sur leur nom , illustre etfameux ,
: Le temps a perdu sa puissance;
Mais ce nom seul nous reste d'eux.
3.
Cette dernière idée est élevée , et convient bien au sujet.
Le poète suppose ensuite que son berger tire du spectacle
des ravages du temps , qu'il a sous les yeux , des raisons
pour fléchir sa maîtresse. La transition n'est point trop
brusque, et Lope de Vega reprend sans peine le véritable
ton de l'Eglogue :
1.
1
Ah ! que l'ingrate que j'adore
Nevoit-elle aussi vos débris ?
Elle sentiroit mieux le prix
Des instans que le temps dévore;
Al'aspect de votre destin ,
Peut-être que, moins inflexible ,
Par l'effroi devenu sensible ,
Son coeur banniroit le dédain;
Elle apprendroit à faire usage
Des roses qu'un jour peut flétrir ;
Vous diriez dans votre langage ,
En lui conseillant de jouir :
« Le temps nous avertit sans cesse ,
>> Sa voix doit se faire écouter ;
» Il est de l'humaine sagesse
>> De le craindre et d'en profiter. »
"
4
Ces vers , comme on le voit , manquent d'harmonie et
d'élégance ; mais ils donnent une idée de l'original. La
sentence portée par Boileau , d'après Horace , contre les
poètes mediocres , ne nous paroît pas devoir s'appliquer à
un traducteur , dont le travail , quoiqu'imparfait , peut toujours
avoir un certain degré d'utilité. C'est pourquoi nous
JUILLET 1807 . 159
ne releverons pas trop sévèrement les défauts que l'on
pourroit reprocher à M. d'Aguilar , s'il donnoit ici ses
propres compositions . On reconnoît dans sa traduction disjecti
membra poetæ ; et cela doit suffire pour qu'on le juge
avec indulgence.
Il écrit beaucoup mieux en prose qu'en vers : son Discours
préliminaire offre un coup - d'oeil sur la littérature
espagnole et sur Lope de Vega . Quoique ce morceau ne soit
ni assez développé , ni assez approfondi , on y trouve des
détails très-intéressans sur les auteurs qui ont fixé la langue
espagnole , et sur le caractère de leurs talens . M. d'Aguilar
indique aussi très-bien les causes de l'éclat dont se couvrit la
littérature de cette nation , vers la fin du seizième siècle.
Nous citerons ce dernier morceau , qui peut facilement être
détaché :
»
»
»
D
« Telle fut , dit M. d'Aguilar , l'ère fameuse de la littéra-
» ture espagnole . De nouvelles scènes s'étoient ouvertes ,
>> et avoient agrandi les idées ; de nouveaux mondes , des
Empires immenses venoient d'être découverts et conquis
» par les Espagnols ; la chute de l'Empire grec avoit fait
» refluer en Europe les talens et les arts ; l'imprimerie
» faisoit circuler les richesses littéraires avec une activité
jusqu'alors inconnue ; et enfin Charles-Quint , réunissant
» un nombre infini de couronnes , et digne de leur noble
poids , avoit porté le génie espagnol vers tous les genres
» de gloire. La langue et la littérature espagnoles marchoient
» à l'envi avec lui à la domination universelle ; cette langue
» étoit celle des vainqueurs , de la monarchie la plus éten-
» due qu'on eût vue depuis Charlemagne , d'un nouvel
Empire romain ; ces imaginations ardentes de l'Ibérie
>> alloient chercher la gloire des armes en Italie , et en rap-
» portoient avec elle celle des talens et des lettres : Garcilasso,
>> Cervantes , Ercilla , Lope de Vega , furent soldats et écri-
>> vains ; la soif de la célébrité dévoroit tous les coeurs
>> espagnols ; et aux trésors littéraires recueillis dans la patrie
» de Virgile , d'Horace , du Dante , de Pétrarque , ils s'em-
>> pressoient de réunir ceux que les Arabes leur avoient
» conservés. La langue espagnole avoit dès-lors atteint son
plus brillant apogée. Garcilasso , mort en 1536 , avoit
» écrit avec pureté , harmonie et correction , et Malherbe
» n'étoit pas encore venu ; le style même de Malherbe a
» vieilli , et celui de Garcilasso conserve toute sa grace et sa
» fraîcheur ; les Lettres Provinciales n'épurèrent la prose
» française qu'en 1656 ; et Cervantes et Solis avoient paru
long- temps auparavant. Enfin , Lope de Vega restaura le
»
»
29
160 MERCURE DE FRANCE ,
> théâtre en Espagne , tandis que la France n'avoit encore
» que Jodelle et Garnier . >>>
Ces observations sont bien écrites et bien pensées ; seulement
on voit avec regret que M. d'Aguilar considère Lope
de Vega comme le restaurateur du théâtre espagnol. Il y
avoit beaucoup d'observations à faire sur l'influence que ce
poète eut sur la littérature de son pays : M. d'Aguilar n'en
fait aucune ; et nous chercherons à suppléer à son silence.
Lope de Vega étoit né avec beaucoup de génie; mais il
céda trop au goût de son temps. Avide de succès , il sacrifia
tout au desir d'en obtenir. Loin de chercher , ainsi que
Corneille et Molière l'ont fait avec tant de gloire , à réformer
le théâtre espagnol , il suivit sans aucun scrupule les modes
extravagantes de son siècle. L'homme qui auroit pu créer
l'art dramatique , aima mieux céder au mauvais goût , que
de lutter contre un système reçu. Ses pièces offrent un grand
nombre de beaux traits ; mais aucune n'est régulière , et ne
peut être représentée avec succès devant un peuple dont le
goût est formé. Les Espagnols même les ont depuis longtemps
abandonnées .
Plusieurs contemporains , et principalement Michel Cervantes,
s'élevèrent contre les pièces de LopedeVega; ils reprochèrent
au poète de ne pas suivre les règles tracées par les
anciens . Celui-ci chercha à se justifier le mieux qu'il put:
il attribua ses irrégularités à la nécessité de plaire à son
siècle. Se voyant serré de près par un adversaire aussi
redoutable que l'auteur de Dom Quichotte , il prétendit que
de nouvelles moeurs exigeoient un nouveau genre de comédie.
La dispute s'échauffa au point que l'académie de
Madrid pria Lope deVega dedévelopppeerr les raisons
lesquelles il fondoit son système. Alors il composa une
pièce de vers intitulé : Art nouveau de faire des comédies .
Cet ouvrage curieux n'est connu que par une imitation trèsabrégée
qu'en a faite M. de Voltaire. ( 1 ) Nous en citesur
(1 ) Voici les vers de M. de Voltaire; ils se trouvent dans le troisième
volume du Dictionnaire Philosophique , article Art Dramatique
Les Vandales ,les Goths , dans leurs écrits bizarres ,
Dédaignèrent le goût des Grecs et des Romains ;
Nos aïeux ont marché dans de nouveaux chemins ;
Nos aïeux étoient des Barbares .
L'abus règne , l'art tombe , et la raison s'enfuit;
Qui veut écrire avec décence ,
Avec art , avec goût , n'en recueille aucun fruit.
Il vit dans le mépris et meurt dans l'indigence.
Je me vois obligé de servir l'ignorance ,
rons
SOMJUILLET 1807 .
DE
LA
S
と
rons deux morceaux qui expliqueront pourquoi le tapage.
espagnol ne s'est point perfectionné , quoiqu'un homme de
génie eût ouvert cette carrière .
5.
« Les beaux- esprits de l'Espagne , dit Lope de We
me prescrivent d'écrire un traité de la comédie où cet art
soit accommodé aux moeurs actuelles. Ce sujet paroît facile
au premier coup d'oeil : il le seroit pour quelques-uns de
vous qui avez travaillé moins que moi dans ce genre , et
qui êtes plus à portée d'en parler savamment. Ma fécondité
adû nécessairement me faire négliger les règles de l'art . Ce
n'est pas que j'ignore les préceptes des grands maîtres , Grace
à Dieu , dès mon enfance , j'ai étudié leurs ouvrages.... Mais
ayant trouve que l'art de la comédie n'étoit pas en Espagne
tel que l'ont créé ces premiers inventeurs ; ayant vu au contraire
qu'il avoit été rétabli par des Barbares qui ont accoutumé
le public à leurs bizarres conceptions , et que ces nouvelles
idées ont pris tant d'empire , que quiconque voudroit suivre
les anciens principes mourroit sans gloire et sans récompense
, je me suis décidé à suivre les usages de mon pays ,
contre lesquels la raison ne peut rien. Quelquefois , il est
vrai , j'ai écrit suivant les règles d'un art qu'on connoit si
peu; mais quand je vois sur le théâtre des pièces monstrueuses
qui ne doivent leur succès qu'aux décorations ,
quand je vois que le publiey court , et que les femmes préconisent
ce talent misérable , je souscris à ce goût dépravé.
Ainsi , lorsque je veux composer une comédie , je mets
sous la clef les préceptes des maîtres , je chasse de ma mémoire
Térence et Plaute, afin de ne rien imaginer qui puisse
leur ressembler. Le bon goût parle hautement dans les
livres des anciens ; je ne les lís pas. Je me borne à cultiver
l'art qu'ont inventé ceux qui n'ont eu d'autre prétention
que de plaire au vulgaire : c'est le peuple qui paie ces sortes
de divertissemens ; il est juste de le servir comme il le veut ,
et de lui parler en insensé , puisqu'il a abjuré le bon sens et
legoût>.>>
C'est ainsi que s'exprime le prince des poètes dramatiques
espagnols. On voit avec regret qu'il auroit pu faire des chefs-
D'enfermer sous quatre verroux
Sophocle , Euripide et Térence;
J'écris en insensé , mais j'écris pour des fous.
९
Le public est mon maître , il faut bien le servir;
Il faut , pour son argent , lui donner ce qu'il aime .
J'écris pour lui, non pour moi-même ,
Et cherche des succès dont je n'ai qu'à rougir .
7
L
162 MERCURE DE FRANCE ,
d'oeuvre , s'il eût essayé de lutter contre le mauvais goût de
ses contemporains. Il termine son traité d'une manière aussi
singulière:
<<Mais à qui puis-je donner plus qu'à moi le nom de
Barbare , puisqueje m'avise de prescrire des préceptes contre
l'art , et que je me laisse entraîner par le torrent populaire ,
ce qui en France et en Italie m'a fait traiter d'ignorant ? Au
moment où je parle , et en comptant une comédie que j'ai
achevé cette semaine , j'ai déjà écrit quatre cent quatre-vingttrois
comédies (1 ) .A l'exceptionde six , toutes sont contre les
règles de l'art. Je prends le parti de défendre mes travaux ,
et j'observe que si mes pièces étoient meilleures , sous un
autre rapport , elles n'auroient pas obtenu le succès dont
elles ontjoui. Souvent ce qui est contre les règles du goût ,
par cette raison-là même plaît davantage à la multitude. >>>
Si l'on cherchoit une poétique pour les mélodrames des
boulevards , on la trouveroit dans ces dernières phrases du
poëme de Lope deVega: plusieurs poètes tragiques modernes
y verroient aussi leur système. Quand on veut réussir en
frappant fort plutôt que juste , il faut suivre cette marche ;
mais elle ne mène pas à une gloire durable.
Lope de Vega prétend qu'il a fait six pièces régulières :
cela peut inspirer la curiosité de les connoître. Elles sont
contenues dans un volume qui a été imprimé séparément.
Nous les avons lues ; et tout en y trouvant des beautés , nous
n'avons pu nous empêcher de les mettre bien au -dessous de
nos chefs-d'oeuvre , et même de nos pièces du second ordre .
La plus intéressante et la plus régulière est intitulée el Perseguido.
Nousen ferons d'autant plus volontiers une analyse
rapide , qu'elle a quelques rapports avec la Phèdre de
Racine.
Cassandre , femme d'un duc de Bourgogne , appelé Arnault
, est amoureuse de Carlos l'un de ses écuyers : dans
une première scène , elle cherche à connoître ses sentimens
.
CASSANDRE .
<<Comment se peut-il qu'à la fleur de l'âge , au milieu des
espérances brillantes que vous donnez , et vous trouvant le
plus aimable chevalier de cette cour , vous soyez assez ennemi
de vous - même pour vous refuser tous les plaisirs ?
Parmi les femmes charmantes qui seroient jalouses de mériter
votre amour , qui ne se lassent point de fixer sur vous
(1) Lope de Vega a fait 180a comédies. Voyez Montalvau , En los clogios
a Lope de Vega carpio.
JUILLET 1807 . 163
leurs yeux troublés , vous n'en préférez aucune ! Est-il dan's
cettecour un jeune homme , de quelque pays qu'il soit , qui
imite votre indifférence ? Tous sont attachés à quelque
dame , tous cherchent à inventer pour elles des jeux et des
fêtes : vous seul , solitaire , caché à tout le monde , quoique
vous l'emportiez sur tous les autres , vous ne connoissez
encore ni l'amour , ni l'amitié. Vous n'avez pas même
un ami dont l'attachement vous occupe. Pourquoi êtesvous
si sauvage ? Dites-le moi. »
T
Il y a loin de ces sentimens , qui cependant rappellent
fort bien les moeurs du temps , aux premiers vers du rôle
de Phèdre . La passion de la duchesse n'est excusée ni par
un ascendant invincible , ni par des remords . Carlos , trèsréservé
, empêche Cassandre de s'expliquer : ce n'est que
dans une autre scène qu'elle lui déclare son amour. Cette
scène , où la duchesse ne garde aucune mesure , est comparable
aux conceptions les plus grossières de Shakespeare.
Cependant Cassandre irritée des dédains de Carlos , tient
la înême conduite que Phèdre : elle feint le plus grand désespoir;
le duc lui en demande la cause , et elle accuse Carlos
d'avoir voulu abuser d'elle. Le duc irrité ordonne que Carlos
se rende auprès de lui.
Cette scène est d'un meilleur ton que les précédentes ;
elle donnera une idée du talent dramatique qu'auroit pu
développer Lope de Vega.
LE DUC , CARLOS .
CARLOS.
:
<< Seigneur , si je vous ai offensé , je suis en votre pouvoir
: vous pouvez à l'instant ordonner que ma tête tombe ;
vous pouvez détruire l'ouvrage de vos mains. La mort me
sera moins cruelle que d'être banni de votre présence. >>>
LE DUC.
ma
« Carlos , tu as mérité ce supplice. Dès ta plus tendre enfance,
je t'ai élevé. Ne t'ai-je accablé de tant de bienfaits ,
que pour te voir pousser l'ingratitude jusqu'à porter tes
regards sur
femme , jusqu'à vouloir attenter à monhonneur
et à celui de ma famille? Si je t'avois fait justice pour
un crime si énorme , tu n'existerois déjà plus . Cependant
ce crime ne sera pas impuni : le châtiment l'égalera , s'il en
est qui puissent lui être comparés. Le doute seul retient
encore ma colère .>>>
: CARLOS.
« Seigneur , je vous rends grace de labonté qui vous aporté
1
L2
164 MERCURE DE FRANCE ;
àne point vous laisser entraîner par le premier mouvement
de votre indignation : vous avez voulu savoir la vérité . De
mon côté, je m'offre à l'instant de soutenir en champ clos
mon innocence. Les arines à la main, je convaincrai mon
accusateur de calomnie. »
LE DUC.
« La personne qui ťa accusé n'a d'autres armes que sa
vertu : c'est cette arme contre laquelle tu as à te défendre.
La duchesse m'a demandé vengeance de ton audace : tu as
osé lui adresser tes voeux : ses larmes confirment trop bien
son témoignage . »
CARLOS .
F
« Seigneur , la duchesse peut l'avoir dit ; et mon inno
cence m'assure qu'aucune autre personne n'a pu in'accuser.
Jamais on ne m'a vu m'entretenir avec elle, je n'ai jamais
fréquenté son appartement , et je n'ai eu aucun rapport avec
ses femines . Si j'avois été dévoré par une si grande passion ,
mes emportemens m'auroient trahi. Jamais l'amour ne par
vient à se cacher ; il n'y a point de crainte , ni d'égard qui
soient capables de le retenir (1 ) . Seigneur, je vous prie seu
lement de croire deux choses que l'homme qui vous doit
tout va vous attester . Je suis tellement dévoué à votre gloire ,
quequand laduchesse seroit la plus belle femme du monde ,
jamais je ne manquerois à ce que je vous dois , au point de
concevoir pour elle un aveugle amour. Quand elle ne seroit
qu'une personne obscure , quand elle ne vous appartiendroit
pas , quand elle n'auroit pas autant de vertu que la duchesse ,
dans toute ma vie je n'aurois jamais l'idée de l'aimer , et je
croirois trouver un plus grand bonheur avec une toute autre
femme. >>
Le duc paroît satisfait de la justification de Carlos ; mais
un second entretien avec sa femme lui rend tous ses soupçons.
Il représente en vain à la duchesse que Carlos a toujours
été insensible ; elle lui répond ainsi : « Seigneur ,
comme il a concentré tous ses desirs sur votre épouse , il a
voulu que sa manière de vivre pût favoriser ses vaines espérances
; il a cru me flatter en n'aimant aucune des beautés
qui ornent ma cour : si cela n'étoit pas ainsi , il auroit
quelque liaison que je connoîtrois . »
Le duc fait de nouveau venir Carlos ; et , comme Thésée
(1) Racine , dans Bajazet , exprime la même idée :
Ils ont beau se cacher , l'amour le plu discret
Laisse, par quelque marque, échapper son secret.
و
JUILLET 1807 . 165
dans Phèdre , il s'étonne qu'avec une figure si noble , le
jeune écuyer ait pu commettre un si grand crime. <« Qui
pourroit , dit- il , le soupçonner d'un pareil forfait , avec des
traits qui annoncent tant de noblesse et de vertu : con tantas
maestras de hidalgo ! » Il compare sa figure à celle d'Abel et
de Joseph . Ensuite il lui adresse la parole : employant tourà-
tour la tendresse et la menace , il le presse pour savoir de
lui s'il a une autre inclination .
Ici la situation de Carlos devient très-dramatique. Il est
aimé de la soeur du prince , il l'a épousée en secret ; et leur
liaison n'est connue de personne : « Malheureux Carlos ,
dit-il à part , tu péris si le duc découvre l'amour que tu
caches ; tu péris de même si l'on s'en rapporte aux soupçons
qui pèsent sur toi ! » Enfin, pressé par de nouvelles instances
, il répond ainsi : « J'aime et j'aimerai jusqu'à mon
dernier moment. Tant que mon ame animera mon corps ,
tant qu'elle lui donnera une chaleur vivifiante , je nourrirai
cet amour , et je crois même que je le conserverai après mon
trépas. Je vous jure , par vos jours qui me sont si chers , et
pour la durée desquels je fais tant de voeux; je vous jure
par cette épée que vous-même avez ceinte à mon côté ; je
vous jure que j'aime une femine aussi belle que vertueuse :
en parlant ainsi d'elle, je ne lui rends pas encore justice . Mais ,
excusez-moi , je ne puis vous dire comment elle se nomme.
En graces et en charmes , aucune créature ne peut l'égaler ;
le ciel même envieroit sa beauté : elle seule a mon amour....
Je vous supplie de ne pas me, forcer à m'expliquer davantage
: cela doit suffire pour me justifier. Mon amante et moi
nous nous sommes fait serment au pied des autels de ne
jamais déclarer notre amour. >>>
Le duc n'insiste plus ; il croit Carlos innocent : mais
la duchesse parvient encore à rallumer ses soupçons ; elle
lui dit que le refus fait par Carlos de nommer celle qu'il
aime est une preuve de son crime : « Quand il a voulu vous
déshonorer , ajoute-t-elle , il m'a juré qu'il ne me nommeroit
pas , même au milieu des tourmens. » Le duc ,
toujours foible , convient que Carlos peut être justement
soupçonné. Il le fait encore venir , et le menace d'un supplice
infâme , s'il ne lui fait pas sur-le-champ un aveu
sincère. Carlos répond :
« Seigneur , ma reconnoissance pour les bienfaits dont
vous m'avez comblé , mon dévouement pour vous , que vous
connoissez , me forcent plus que mille morts à vous découvrir
mon secret. Je vois que vous êtes attaqué du mal
cruel que l'on nomme jalousie. Croyez que les tourmens
3
166 MERCURE DE FRANCE ,
les plus affreux me feroient moins souffrir que l'aveu que
je vais faire. Mais je vous supplie , Seigneur , comme prince
et comme chrétien , de me jurer que vous garderez mon
secret.>>>
LEDUC.
<<Carlos , je te jure par l'honneur , par mon père mort ,
par cette épée , de ne le confier à aucune créature vivante.
Aucune parole, aucun écrit , aucun signe de ma part , ne
te trahiront. >>>
CARLOS.
« Il ne me manque , Seigneur , que d'avoir la certitude
que vous nous pardonnerez". >»
LE DUC.
1
« Pourvu que la duchesse ne soit pas l'objetde ton amour ,
tu peux parler sans crainte.>>>
Alors Carlos avoue qu'il est marié avec la soeur du prince ,
et qu'il en a deux enfans ; et la scène se termine par des
questions fort déplacées que lui fait le duc. Dès ce moment
Lope de Vega retombe dans les extravagances dont il s'étoit
préservé; il n'y a plus de développemens de passions , et
Pintérêt
l'intérêt s'évanouit. Le duc qui apardonné à Carlos ,, a
encore la foiblesse , malgré son serment, de dire à son épouse
que Carlos est marié ; la duchesse forme des projets de
vengeance , et veut surpasser Médée :
Pues llorareis vuestro desden agora
Que en crueldades vincere a Medea.
Ses projets ne réussissent pas ; ses calomnies sont découvertes
; et le duc la condamne à l'exil .
On voit par l'extrait de cette pièce , qui est un des chefsd'oeuvre
de Lope de Vega , combien ce poète est inférieur
à nos grands maîtres. Les caractères de Carlos et de Cassandre
, à quelques irrégularités près , sont assez bien
tracés : l'un offre le tableau intéressant de l'amour vertueux
et de l'innocence opprimée, l'autre peint les fureurs d'une
femme jalouse qui a abandonné ses devoirs . Mais le caractère
du duc de Bourgogne est tout-à-fait manqué; on
pourroit dire même qu'il est ridicule. Ses incertitudes continuelles
, sa foiblesse aveugle pour une femme coupable , ne
peuvent que le faire mépriser. Ce n'est pas ainsi que Racine
a tracé le rôle de Thésée qui est dans la même situation :
malgré la position désavantageuse dans laquelle il se trouve,
le poète français a su lui conserver une attitude toujours
JUILLET 1807: 167
noble et héroïque; c'est peut-être undes plus grands efforts
del'art.
M. d'Aguilar auroit rendu son discours préliminaire plus
intéressant et plus instructif , s'il eût voulu , ainsi que nous
venons de l'indiquer , se livrer à un examen plus approfondi
de la littérature espagnole. Nous avons été étonnés qu'il
n'ait rien dit d'une comédie très-célèbre , intitulée Célestine,
dont un critique espagnol parle ainsi : « Il n'y a aucun ouvrage
écrit en castillan où le style soit plus naturel , plus pur
etplus élégant. » (1 ) Cette pièce, qui paroît avoir précédé les
écrits de Lope de Vega , est aujourd'hui très-rare. Nous
la possédons ; et si nous avons occasion de parler encore
de la littérature espagnole , nous chercherons à en donner
une idée à nos lecteurs .
M. d'Aguilar promet un ouvrage plus étendu sur la littérature
espagnole; nous l'exhortons ày consacrer ses loisirs ,
à faireun meilleur choix des productions qu'il traduira , et
sur-tout à écrire en prose , plutôt qu'en vers .
P.
Nouveaux Opuscules de l'Abbé Fleury, sous-précepteur des
Enfans de France , etc. Un vol. in-12 . Prix : 2 fr. 25 c. ,
et3 fr. 25 c. par la poste.AParis , chez mad. v . Nyon,
libraire , rue du Jardinet; et chez le Normant.
TROISchoses recommandent ces Opuscules : leur objet,
lenomdeleur auteur, et celuide leur éditeur. Je dis d'abord
leur objet , parce qu'ils me paroissent propres à jeter de
nouvelles lumières sur des questions qui concernent l'autoritéecclésiastique
, et par conséquent celle des papes : questions
difficiles , questions dangereuses qu'il eût mieux valu
ne pas agiter, mais qu'il importe d'éclaircir dès qu'une fois
elles ont été imprudemment élevées , et qui n'ont peut-être
jamais été traitées avec assez de sagesse et d'impartialité ,
que par des auteurs français , entre lesquels il faut surtout
distinguer l'abbé Fleury. Je puis done ajouter que le
nom seul de cet auteur suffiroit pour recommander ce Recueil
. Qui ne seroit en effet curieux de connoître quelle a été ,
sur des questions aussi importantes , l'opinion d'un écrivain
(1) L'éditeur de Dom Qu chotte. Voici comment il s'exprime : Ningun
libro ai escrito en castillano adonde la lengua este mas natural, mas
propia, ni mas elegante.
4
I168. MERCURE DE FRANCE ,
aussi sage , sa véritable opinion , telle qu'il la développoit
pour son utilité particulière , ou pour celle de ses amis , dans,
des écrits qui ne devoient jamais voir le jour ? Enfin l'éditeur
de ces écrits est le savant respectable , et plus modeste
encore qu'il n'est savant , à qui nous devons l'Esprit de Leibnitz
et le Christianisme de François Bacon ; ou , ce qui le ,
caractérise mieux encore , c'est cet ecclésiastique vénérable
que Pon pourroit donner pour modèle aux plus vertueux ,
pour guide aux plus éclairés , qui a été en tout et de tout
temps, par ses vertus comme par ses lumières , dans les
jours mauvais comme dans les jours de bonheur, la lumière
et la consolation de nos églises , et qui , encore aujourd'hui ,
s'élève au milieu de ce qui nous reste de l'ancien clergé français
, comine ces colonnes qui subsistent seules quand l'édifice
dont elles étoient l'ornement et l'appui a été ruiné. Je
ne le nommerai pas , puisqu'il n'a pas voulu se nommer luimême;
mais je crois en avoir dit assez pour inspirer à tous
ceux qui aiment les bons livres le desir de lire ces Opuscules.
Je vais les parcourir le plus rapidement que je
pourrai,
« Nous croyons , dit l'éditeur dans une excellente préface ,
>>>nous croyons rendre un véritable service au public , en lui
>> donnant quelques ouvrages de M. Fleury qui ne lui sont
point connus , ou qui même n'ont jamais été imprimés .
» Après ce début , on sera surpris sans doute de voir à la
>> tête de notre collection le Discours si connu de M. l'abbé
>> Fleury , sur les libertés de l'Eglise Gallicane ; mais nous
>> avons pour l'y placer de justes raisons , et nous espérons
>> qu'on les trouvera telles , quand on les aura entendues . Il
>> est vrai que ce Discours a été imprimé plusieurs fois , et
> que rien n'est plus répandu , ni plus fréquemment cité ;
>> mais il est vrai aussi que les diverses éditions qu'on en a
>>données ne sont point d'accord entr'elles , et qu'on ne sait
>>même à laquelle on doit accorder la préférence. Il y a
> même lieu de douter s'il en existe une seule qui présente
>> le texte de M. Fleury dans son intégrité..... Or, nous
> sommes en état de faire cesser tous ces doutes , et toutes
>> ces perplexités . Le discours autographe de M. l'abbé
> Fleury est tombé entre nos mains , et nous le donnons ici
>> sans y changer une seule syllabe...
Il résulte de la comparaison que le nouvel éditeur a faite
de toutes ces éditions, soit entr'elles , soit avec le manuscrit
dont il est possesseur , qu'elles sont plus ou moins altérées .
Par exemple , depuis 1723 , époque où ce Discours parut
pour la première fois , jusqu'en 1755 , elles sont assez
JUILLET 1807. 169
exactes quant au texte ; seulement elles sont chargées de
notes scandaleuses , dans lesquelles , sous le prétexte d'éclaircir
certains passages , on les combat réellement , c'està-
dire qu'on y attaque l'autorité elle-même , pour laquelle
M. Fleury montroit le plus de respect. Il faut le dire : les
principes de M. Fleury sur les libertés de l'Eglise Gallicane ,
n'étoient pas du tout conformes à ceux des magistrats qui se
disoient les gardiens de ces libertés , et ce fut sans doute ce qui
engagea l'imprimeur de 1723 à ne pas se nommer. Ce qu'il
est permis de penser encore , c'est que le scandale de ces
notes fut peut- être ce qui préserva la France d'un scandale
encore plus grand , celui de voir condamner un Discours
aussi sage par des magistrats bien respectables d'ailleurs ,
mais qui eux- mêmes n'ont pas toujours assez respecté les
deux plus grandes autorités qui existent ; l'une dont ils
n'étoient que les organes , et l'autre dont ils n'auroient dû
être que les appuis. Cette édition de 1723 , contre laquelle
on a prétendu que le parlement avoit sévi , ne fut supprimée
( à cause des notes ) que par un arrêt du conseil ; et
selon l'usage , elle n'en fut pas moins renouvelée et réimprimée
pendant les années suivantes , et sans aucun changement,
jusqu'en 1755 .
Lorsqu'on lit ces notes , on y reconnoît facilement l'espritde
cette secte ridicule , qui toujours petite dans ses vues ,
petite dans ses moyens , et heureusement petite dans son
étendue , a été si justement nommée la petite Eglise , et ne
s'en croyoit pas moins la seule Eglise. C'étoient les Jansénistes
(puisqu'on ne peut se dispenser de nommer ici ces
obscurs fanatiques , que leur obscurité seule empêche d'être
dangereux) , c'étoient eux qui s'étoient chargés de commenter
et même de corriger Fleury , et qui , avec leur obstination
accoutumée , réimprimoient et reproduisoient sans cesse leur
commentaire. Il est probable qu'en 1755 , ils se réconcilièrent
avec quelques communautés respectables qu'ils y
avoient imprudemment attaquées ; peut-être aussi leurs
ennemis personnels étoient, morts à cette époque. Ce qu'il
y a de sûr , c'est que dans l'édition de 1755 , on supprima
quelques notes qui ne renfermoient que des personnalités .
D'ailleurs , toutes celles qui respiroient le mépris pour l'autorité
, tout ce qui caractérisoit la secte , fut religieusement
conservé. Ce qu'il faut ajouter encore , c'est que le texte y fut
assez respecté , comme il l'avoit été dans les précédentes ;
c'est-à-dire qu'il n'y fut que légèrement altéré , et dans les
seuls passages où il condamnoit formellement les sectaires
éditeurs . :
170 MERCURE DE FRANCE ,
Ce fut en 1763 , que la faction des Jansenistes s'unit àcelle
de quelques avocats , et qu'elles produisirent ensemble une
édition nouvelle. Celle-ci , qui porte en tête le nom de
M. Boucher d'Argis , et qui est la première qu'on ait imprimée
avec approbation, contenoit encore quelques notes de
moins que les précédentes . Mais ce qui la rendoit vraiment
nouvelle , c'étoit l'audace avec laquelle on s'y permettoit de
fairedirepresque dans chaque page à Fleury,toutle contraire
dece qu'il avoitdit. Dix ans après , ce mêmetexte ainsi altéré ,
tronqué , alongé , fut réimprimé , et avecdes notes encore plus
inconsidérées que toutes celles dont il avoit été précédeminent
surchargé. Heureusement l'auteur de ces notes s'y
montroit si platement et si follement fanatique , qu'il ne
pouvoit pas être dangereux. Il dit quelque part , à propos
de la bulle Unigenitus , qu'il est surpris « que la terre ne se
>>soit pas entr'ouverte pour engloutir les pays où Dieu ,
> dans sa colère , avoit envoyé une société aussi monstrueuse
>> que celle des Jésuites , etc. » Or, comme la société des
Jésuites étoit à -peu-près établie dans tous les pays , il suit
de là que la terre auroit dù s'entr'ouvrir partout , et s'engloutir
elle- même , uniquement parce qu'un pape avoitjugé
à propos de publier une bulle qui déplaisoit à ce commentateur.
Cela fait souvenir du souhait d'un philosophe de ce
siècle : « Je hais , je fuis la race humaine , composée d'es-
> claves et de tyrans ; et si elle ne peut devenir meilleure ,
> puisse-t- elle s'anéantir ! (1 ) » Quoique ce souhait soit en
effet un peu moins déplacé dans le livre où on le trouve ,
que celui du Janséniste à propos du Discours de Fleury, il
n'en est pas moins absurde. Tel est l'esprit de secte , sous
quelque couleur qu'il se présente : toujours intolérant , souvent
atroce , mais se sauvant quelquefois par l'excès du
ridicule , de l'excès de l'horreur .
Je vais montrer par quelques exemples , jusqu'à quel
point on s'étoit permis d'altérer le texte de Fleury , dans
cctte édition de 1765 , qui porte le nom de M. Boucher
d'Argis . Fleury avoit dit : « Dans l'exécution , l'appel
>>comme d'abus a passé en style ... C'est le moyen ordinaire
>> dont se servent les mauvais prêtres , pour se maintenir
>> dans leurs bénéfices malgré les évêques , ou du moins pour
> les fatigner par des procès sans fin. Car les parlemens
>>reçoivent toujours les appellations. Sous ce prétexte , ils
(1) C'est une phrase de Raynal. Onla trouve dans sa déclamation sur
la Traite des Nègres .
:
JUILLET 1807% 171
ils
» examinent les affaires dans le fond , et ôtent à la jurisdic-
» tion ecclésiastique ce qu'ils ne peuvent lui ôter directe-
» ment. Il y a quelques parlemens dont on se plaint qu
» font rarement justice aux évêques d'ailleurs le remède
» n'est pas réciproque . Si les juges laïques entreprennent
» sur l'Eglise , il n'y a point d'autre recours qu'au conseil
» du roi , composé encore de juges laïques , nourris dans les
» mêmes maximes que le parlement. Ainsi quelque mau-
» vais Français réfugié hors du royaume , pourroit faire un
» traité des servitudes de l'Eglise Gallicane , comme on en
» a fait des libertés ; et il ne manqueroit point de preuves. »
Voici maintenant ce qu'on lit dans l'édition plus correcte
de 1755 : « Dans l'exécution , l'appel comme d'abus est
» devenu très-fréquent .... Si quelques ecclésiastiques se
» servent de cette voie pour se maintenir dans leurs béné-
» fices malgré les évêques , les parlemens , aussi attentifs à
maintenir la pureté de la discipline , qu'à soutenir les
» droits du roi et de la jurisdiction séculière , ne manquent
» pas , lorsque l'appel est mal fondé , de déclarer qu'il y a
» abus. » Il est clair que ces deux passages sont entièrement
opposés l'un à l'autre ; que là où M. Fleury gémit sur des
abus déplorables , dans lesquels l'esprit de parti entraînoit
trop souvent les magistrats , M. Boucher d'Argis justifie
pleinement ces magistrats ; et , ce qu'il y a de bien singulier,
c'est que le premier ayant dit de quelques parlemens qu'ils
faisoient rarement justice aux évêques , le second lui ait
fait dire que les parlemens ne manquent jamais de la faire.
Il faut observer que ces appels comme d'abus , qui étoient
pour les évêques une véritable servitude , étoient mis par
les gens de Droit au nombre de leurs libertés .
3
Continuons. M. Fleury avoit dit : « Donc , si le pape ,
>> consulté par des évêques , a décidé une question de foi ,
» et que l'Eglise reçoive sa décision , l'affaire est terminée ,
» comme autrefois celle des Pélagiens , et , de notre temps,
» celle des Jansenistes . » Mais on sent bien que dans l'édition
plus correcte on a dû supprimer ces mots : et, de notre
temps , celle des Jansenistes. Cela étoit dans les règles . Une
pareille phrase étoit terrible pour ces sectaires , sur-tout
dans un auteur tel que Fleury. Il n'y avoit point de notes ,
point de commentaires qui pussent en affoiblir l'effet le
seul parti qu'il y avoit à prendre , c'étoit de la supprimer ;
et c'est ce qu'on fit . Telle est en général la marche qui fut
constamment suivie depuis le moment où le Discours de
M. Fleury parut pour la première fois . Les principes et
les jugemens qu'on y trouve acquéroient une grande force ,
172 MERCURE DE FRANCE ,
non-seulement par la manière dont ils y étoient établis , et
par le nom de son auteur , mais par les aveux meines qu'il
y fait, par le ton de franchise qui y règne , et par l'esprit
de vérité qui l'inspire . Pour peu qu'on eût de bonne foi , il
étoit bien difficile de ne pas croire un savant , un historien
respectable qui prêchoit la soumission à l'Eglise et à son
chef, en n'oubliant aucune des fautes qui ont été cominises
dans l'Eglise , et par ses chefs : il falloit donc tâcher d'affoiblir
l'effet que pouvoient produire ces jugemens et ces
principes , développés par un tel auteur ; et , pour cela , il
n'y avoit d'autre ressource que le mensonge ; il falloit de
toute nécessité faire parler Fleury tout autrement qu'il
p'avoit parlé. Il est arrivé de là que Fleury , si sage , si
réservé , si impartial , a paru quelquefois un furieux adversaire
de quelques préjugés ultramontains ; et la raison en
est évidente : c'est qu'en laissant subsister tout ce qu'il a
dit contre ces préjugés , on n'a jamais manqué de supprimer
tout ce qu'il dit pour les excuser. Ce qui est encore
résulté de là , c'est que Fleury, loué par les Jansénistes ,
qui en avoient voulu faire un homme de leur parti ; loué
par les philosophes , qui ne voyoient en lui qu'un historien
fort peu prévenu en faveur de lEglise romaine ; loué par
les hommes sages , qui le voyoient tel qu'il étoit , n'a été
véritablement censuré que par les ultramontains , qui n'entendoient
de loin que ceux qui crioient le plus fort , les
Jansénistes et les philosophes.
Il paroîtra singulier que je confonde ici dans une même
condamnation deux sectes qui se sont fait connoître par des
excès d'un genre si différent. Mais d'abord ce sont deux
sectes , et toutes les sectes sont égaleınent ridicules , lors même
qu'elles ne sont pas également dangereuses ; peut-être même
n'a-t- il manqué aux Jansénistes pour s'élever jusqu'à
la hauteur des philosophes , que d'avoir pendant quelques
années toute une nation à leurs ordres. D'ailleurs , les uns
et les autres ne se sont-ils pas montrés également ennemis
de toute autorité nécessaire ? N'ont-ils pas également employé
la ruse et le mensonge , quelquefois même l'audace ,
pour parvenir à leurs fins ? Si les premiers ont mutilé et
commenté Fleury , les seconds n'ont-ils pas mutilé et commenté
Pascal ? Si les Jansénistes ont fait de l'auteur de
'Histoire Ecclésiastique un ennemi des papes , les philosophes
n'out- ils pas fait de celui des Pensées un ennemi de
Dien ? Des deux côtés , c'est la même petitesse dans les
moyens , dans les vues , dans la vanité; seulement les uns
youloient réformer le monde , et les autres ne voulaient
JUILLET 1807 . 173
réformer que l'Eglise. En cela , les Jansénistes étoient plus
modestes. Mais qui a jamais douté de la modestie des Jansênistes?
Je n'ai jamais connu les Jésuites : il est possible que de
leur temps , ils aient aussi formé , sinon une secte , au moins
un parti ; et je crois que je n'aurois guère songé à les défenddrree..
Cependant, s'ils existoient encore, et qu'ilme fallût
choisir entr'eux et les deux partis qui se sont le plus acharnés
à leur poursuite , je serois peu embarrassé sur le choix ;
et d'abord je préférérois aux Jansénistes les philosophes.
Du moins on trouve parmi ces derniers des hommes aimables
, qui ont de l'esprit , du talent , quelquefois même
un peu de tolérance. Mais j'avoue en même temps que
j'aurois préféré les Jésuites aux philosophes , parce qu'à
juger des premiers par ce que j'en entends dire , et ce qui
nous reste d'eux , on devoit trouver parmi eux encore plus
d'esprit , de talent , de véritable tolérance ; et que d'ailleurs ,
même en admettant tous les reproches qu'on leur a faits ,
on ne peut s'empêcher de reconnoître qu'ils ont rendu de
grands services aux sciences , aux lettres et à la société. (1 )
J'ai cru que je devois au moins donner une idée des
changemens notables qui avoient été faits au texte de Fleury.
Il semble que la fonction la plus noble que puisse remplir
un critique , c'est de défendre la mémoire des grands écrivains
, lorsqu'elle est aussi indigneinent attaquée. Quel tort
plus grave en effet peut- on faire à un homme sage , et à un
historien impartial, que de lui prêter les erreurs et les
passions d'une faction absurde ? Et pour nous quel dévoir
tout à-la- fois plus sacré et plus consolant à remplir , que de
venger l'homme sage , et de rendre ainsi à la vérité tout
l'éclat que peuvent lui donner les noms illustres de ceux
qui l'ont de tout temps défendue ? Nous savons bien que
nous ne dégoûterons pas les faussaires d'inventer des calomnies
, et de tronquer , d'interpoler des passages partout
où cela leur convient. Nous savons même qu'on a trouvé ,
il n'y a pas long- temps , dans le Mercure , des phrases et des
maximes qui n'y sont pas , et que ces phrases ont été rap-
(1) Je ne confonds pas avec la secte ridicule des Jansénistes la société
de Port-Royal. Celle-ci a rendu bien autant de services aux sciences et
aux lettres que la société des Jésuites'; et parmi les ouvrages qu'elle a
produits , parini ceux même qui n'ont pas été pleinement approuvés
par l'autorité ecclésiastique , il n'en est point qui n'annoncent de grands
valens , de profondes études , l'amour de la vérité , tout ce qui inspire
l'estime.
1
174
MERCURE DE FRANCE ,
portées dans tous les journaux philosophiques , avec une bonne
foi qui ne nous étonne plus , parce que nous y sommes accoutumés
, mais dont les philosophes seuls ont donné l'exemple .
Qu'y faire ? Suivre notre marche ordinaire , comme ils suivent
celle qui leur est propre , et continuer de défendre les
grands écrivains et la vérité , pendant qu'ils continuent d'inventer
des mensonges , et de soutenir les petits écrivains .
»
»
Ce qui me reste à dire au sujet du Discours de M. Fleury
sur les libertés de l'Eg'ise Gallicane , c'est que ce discours
est imprimé dans ces Opuscules , tel que Fleury vouloit le
faire paroître , et , si j'ose m'exprimer ainsi , d'après la dernière
édition qu'il en avoit faite lui-même . « Les opinions ,
» dit le nouvel éditeur , que M. Boucher d'Argis juge contraires
à nos maximes et à nos libertés , et qu'on ne peut
» attribuer , selon lui , à un homme aussi judicieux que
M. Fleury , sont mot à mot dans le manuscrit orígi-
» nal ; et ce manuscrit portant la date de 1690 , il est donc
» constant qu'en 1690 , M. Fleury pensoit et écrivoit ainsi .
» Or , M. Fleury avoit en 1690 plus de cinquante ans : il
étoit sous - précepteur des Enfans de France ; il avoit déjà
donné au public le Catéchisme Historique , le Traité des
» Etudes , l'Institution au Droit Ecclésiastique , les Mours
des Israélites , etc .; il faisoit imprimer alors les quatre
» premiersvolumes de son Histoire Ecclésiastique. M. Fleury
» étoit donc très - capable à cette époque de former des opi-
» nions sur les matières ecclésiastiques ; et très -certaine-
» ment il avoit alors les opinions que M. Boucher d'Argis
» croit qu'on ne peut attribuer à un homme aussi judicieux
» que M. Fleury. »
»
>>
que
A la suite du Discours sur les libertés de l'Eglise Gallicane ,
l'éditeur a placé quelques écrits assez courts , qui se rapportent
au mêine sujet , et qui n'avoient point encore été imprimés.
Le premier poite en titre : Libertés de l'Eglise
Gallicane , et on y trouve ces paroles remarquables : « Si les
» parlemens sont les protecteurs des canons et de l'ancienne.
discipline , contre les nouveaux établissemens , ils doivent
» les combattre tous également , et par conséquent empêcher
» de tout leur pouvoir les commandes , les résignations en
» faveur , la régale , les décimes , etc. Loin de combattre
» ces nouveaux droits , ils les autorisent par leurs arrêts et
» leur conduite particulière . Ils ne s'opposent à la nouveauté
» que quand elle est favorable aux papes ou aux ecclésias-
» tiques , et font peu de cas de l'antiquité quand elle choque
» les intérêts du roi ou des particuliers laiques. »
>>
« En général , dit- il ailleurs , il seroit à souhaiter que
JUILLET 1807. 175
>> l'on gardât plus de mesures avec le pape , et que
> l'on pesát mûrement les conséquences de tout ce qu'on
>> publie contre ce qui vient de sa part ; qu'on exa-
>> minât quel est le fruit que nous pouvons attendre de
» nos plaintes , de nos protestations , de nos condam-
> nations , et qu'on le comparát avec les inconvéniens .
>> Il semble qu'il y ait une espèce de guerre entre la cour
>> et les parlemens. On est toujours sur ses gardes ; on
» s'alarme du moindre mot: on prend tout au criminel. »
Est-ce donc là cet auteur que les philosophes ont tant loué,
comme l'un des plus exacts et des plus judicieux de nos
historiens ! Ils le trouvoient exact , parce que dans son histoire
il rapporte toutes les fautes des papes et des évêques ;
et nous le trouvons tel , parce qu'il ne manque pas de
rapporter aussi tout le bien qu'ils ont fait; et que s'il parle
souvent de leurs torts , il parle encore plus souvent de leurs
vertus. Mais je doute que ces mêmes philosophes l'eussent
trouvé bien judicieux , s'ils avoient connu tous ses ouvrages
et les conséquences qu'il tire des faits qu'il avoit rapportés
dans sonhistoire , et de ceux qui sepassoient sous ses yeux .
Le passage précédent setrouvedansun écrit de M. Fleury,
au sujet d'un arrêt du parlement qui défendoit d'imprimer et
dedistribuer un bref du pape , que le roi avoit approuvé ,
et qui avoit été donné contre un mandement d'évêque que
le roi avoit fortement improuvé; et ce roi étoit Louis XIV.
Mais ce que j'y remarque sur-tout , ce sont ces paroles :
Je voudrois ..... qu'on examinat quel est le fruit que nous
pouvons attendre de nos plaintes , de nos pro estations , etc.
Assurément , je suis loin de croire que cette guerre continuelle
du sacerdoce et de l'Empire ait été la seule cause
de nos malheurs. Ce n'est pas elle seule qui a produit parmi
nous l'oubli de toute morale et de tout principe religieux ,
la destruction des parlemens et de la monarchie , l'oubli
et la destruction de tout ; mais qui oseroit nier qu'elle n'y
ait puissamment contribué ? Et n'est-il pas vrai que , si dans
cette guerre les philosophes ont vaillamment combattu dans
les premiers rangs , il falloit avant tout que cette guerre
existât, pour qu'ils eussent une occasion de combattre et de
se distinguer , comme ils l'ont fait ?
Ondiroit que les grands hommes ont une sorte d'instinct
qui leur fait lire dans l'avenir , et prévoir les événemens ,
avant même qu'ils soient probables. Certainement , rien
n'annonçoit , au commencement du dix-huitième siècle , la
catastrophe qui en a si horriblement signalé la fin : on ne
prévoyoit alors , ni que les Etats-généraux seroient assem
176 MERCURE DE FRANCE,
blés , ni qu'ils s'arrogeroient une autorité supérieure à celle
des rois . On trouve cependant une phrase assez remarquable
à ce sujet dans le Discours de Fleury sur les libertés de
P'Eglise Gallicane : « Quelques politiques , dit- il , ont pré-
» tendu décrier cette doctrine de la supériorité du concilè
» (sur le pape ) , par la comparaison des Etats-généraux :
> on les mettra , disent - ils , au - dessus du roi , comme le
> concile au- dessus du pape , en suivant les mêmes prin-
» cipes .... Mais doit- on décider des matières si importantes
>>par une comparaison ? Où trouve-t- on que l'Eglise et
> l'Etat doivent être réglés par les mêmes maximes , etc. ? »
Il y a , ce me semble , deux observations importantes à
faire sur ce passage. La première , que Fleury ne repousse
pas cette idée , qu'on mettra un jour les Etats-généraux audessus
du roi , comme on a mis le concile coecuménique audessus
du pape : il trouve seulement que cette idée sera
imauvaise , et fondée sur un faux raisonnement. La séconde ,
que cet auteur croit véritablement à la supériorité du concile
sur le pape : d'où il suit que , lorsque d'un autre côté
'il défend l'autorité du pontife contre les usurpations des
magistrats , il le fait avec la conviction que cette autorité lui
appartient , inais avec la conviction d'un Chrétien et d'un
Ecclésiastique éclairé , qui n'abandonne pour cela aucune
de nos anciennes maximes , lorsqu'il les trouve fondées en
raison .
Ce qu'il y a de bien singulier encore , c'est que cette
phrase , toute juste , toute prophétique qu'elle est , déplut
dans le Discours de Fleury ; et , cette fois , ce ne fut
point parce qu'elle étoit trop favorable aux papes , mais parce
qu'elle ne renfermoit pas une improbation assez marquée
des prétentions que les Etats-généraux pourroient élever un
jour. Voici donc comment on la corrigea : « Quelques
>>politiques ont prétendu décrier cette doctrine de la supé-
>> riorité du concile , en le comparant aux Etats-généraux ,
>>dont on sait que les prétentions tendoient à leur arroger
>>dans le gouvernement une autorité qui ne leur appartenoit
» pas. » Tout cela est juste; mais il est probable que si les
mêmes hommes qui , en 1765 , publièrent cette édition de
Fleury, en avoient publié une nouvelle en 1790 , ils auroient
aussi changé cette phrase , et dans un sens différent. Alors
ils auroient fait dire à Fleury, que les prétentions des Etatsgénéraux
étoient aussi fondées que celles du concile.
De tous les Opuscules qui sont renfermés dans ce volume,
*le plus intéressant est celui qui, par son étendue ,y оссире
*le moins de place. Il consiste seulement en quelques réflexions
JUILLET 1807. 197
5.
flexions sur la fameuse assemblée de 1682 , et sur la dé
claration qu'ony rédigea au sujet de l'autorité du pape. Il
est probable que Fleury se proposoit d'étendre ces notes ,
et d'en composer un Mémoire où il auroit montré dans
quel sens il faut entendre ce qu'on appelle les quatre Articles.
du clergé de France , et sur-tout dans quel sens les entendoit
Bossuet , qui en fut le principal rédacteur. On sera
peut - être surpris d'apprendre que ce fut malgré lui , et
après avoir épuisé tous les moyens de délai , que Bossuet
consentit enfin qu'on s'occupât de ces questions dangereuses .
Il ne proposoit rien moins que d'examiner préalablement
toute la tradition , pour pouvoir, dit Fleury, allonger tant
que l'on voudroit.
Tout le monde sait de quelles longues contestations ces
quatre Articles furent le principe. Tous les députés du
second ordre qui avoient assisté à cette assemblée de 1682 ,
et qui avoient été nommés à des évêchés , ne purent obtenir
des bulles qu'en 1693. Le pape exigeoit d'eux une lettre de
satisfaction, qui fut enfin envoyée. Mais ce qu'on ne savoit
pas , c'est que Louis XIV en écrivit une autre lui-même ,
dans laquelle il disoit au pape : Je suis bien aise de faire
savoir à Votre Sainteté que j'ai donné les ordres nécessaires
pourque les choses contenues dans mon édit du 2 mars 1682 ,
touchant la déclaration faite par le clergé de France , à
quoi les conjonctures passées m'avoient oblige, ne soient
point observées. Cette lettre , qui étoit restée inconnue à
tous les historiens , ou dont aucun d'eux n'a parlé , fut
publiée , pour la première fois , en 1789, dans le treizième
volume des OEuvres de d'Aguesseau . En conséquence de
cette lettre , le roi ne fit plus observer l'édit qui obligeoit
tous ceux qui vouloient parvenir aux grades , de soutenir la
déclaration du clergé. Mais on auroit tort d'en conclure
qu'il improuvât cette déclaration : car , lorsqu'en 1713 le
pape Clément XI refusa à M. l'abbé de Saint-Agnan des
bulles pour l'évêché de Beauvais , par la raison que cet abbé
avoit soutenu les quatre Articles du clergé , et lorsqu'il
sembla vouloir faire entendre que le roi lui-même avoit
contrevenu à un engagement qu'il avoit pris , Louis XIV
réclama fortement contre cette sorte d'inculpation : « Le
>>pape , écrivoit- il au cardinal de la Tremouille , dans une
lettre qui devoit être communiquée au souverain Pontife
alors régnant ; » le pape Innocent XII ne me demanda
» pas d'abandonner les maximes que suit le clergé de
>>France. Le pape ( Clément XI ) , qui étoit alors un de ses
>>principaux ministres , sait mieux que personne que l'en-
M
178 MERCURE DE FRANCE ,
> gagement que j'ai pris se réduisoit à ne pas faire exécuter
>>l'édit que j'avois fait en 1682 .... Il n'est pas juste que
j'empêche mes sujets de dire et de soutenir leurs sentimens
» sur une matière qu'il est libre de soutenir de part et
» d'autre , comme plusieurs autres questions de théologie ,
> sans donner la moindre atteinte à aucun des articles de
>> foi . »
Les autres pièces contenues dans ce Recueil , consistent
en quelques dissertations de peu d'importance ou dont
l'objet s'éloigne trop de la nature de ce Journal , pour que
nous en donnions ici l'analyse. Ce que j'y ai distingué , c'est
une description de la bibliothèque du collège de Clermont ,
faite en vers latins assez bons , et une lettre contenant une
Vie ou pour mieux dire un Recueil des principes et des
maximes de M.de Gaumont, conseiller-clerc à la grand'-
chambre. Ce magistrat est aujourd'hui oublié , et cependant
on lit cette lettre avec intérêt. C'est qu'elle contient un
tableau de moeurs qu'on ne trouve plus maintenant que
dans les livres . Le caractère de M. de Gaumont , la retraite
dans laquelle il vit , la simplicité , et pourtant une sorte de
majesté qui l'environnent , semblent appartenir à des temps
beaucoup plus éloignés de nous qu'ils ne le sont en effet.
Mais ce qui jette le plus d'intérêt sur les détails , d'ailleurs
un peu minutieux , dont cette lettre est remplie , et sur la
vie deM. de Gaumont , c'est que le jeune Fleury dut à ce
magistrat l'idée de composer une Histoire Ecclésiastique .
D'où il suit que nous lui devons nous - mêmes l'un des
meilleurs et des plus grands ouvrages qui aient été composés
dans le siècle passé.
Qu'il me soit permis de finir par une réflexion que les
lecteurs auront déjà faite avant moi. Où sont maintenant
les auteurs tels que Fleury ? Comment s'en formeroit- il
de pareils ? Je veux croire que les ministres ne manqueront
jamais à nos temples ; le temps manquera long-temps
encore à nos ministres pour se livrer à ces études profondes
, qui ont nourri , qui ont développé les talens de
nos Bossuet , de nos Massillon , et, dans un genre moins
brillant , mais non moins utile , de nos Fleury , de nos
Calmet, de tant d'autres qui avoient rendu le nom du
clergé français si respectable dans tout le monde chrétien.
Et quand le temps ne leur manqueroit pas , où sont ces vastes
bibhothèques , qui , répanques autrefois sur tous les points de
la France , offroient à tous les jeunes gens avides de onnossances
toutes les facilités qu'ils pouvoient desirer pour les
acquérir. Autrefois le clocher d'une antique abbaye , en
JUILLET 1807. 179
s'élevant au milieu d'une campagne déserte , non-seulement
promettoit au malheureux un asile et des secours , il annonçoit
encore à l'homme qui voyageoit pour s'instruire , des
trésors dans lesquels il pouvoit aller puiser de nouvelles richesse
. Ces trésors ont été dissipés; et dans la dispersion
générale de tant de livres , on sait assez que les livres
ecclésiastiques n'ont pas été les plus respectés. Que de vieux
monumens ont été détruits par l'ignorance , combien d'autres
par le fanatisme de l'impiété , et combien plus par l'indifférence
, qui les laissoit et qui les laisse encore tomber de
tous côtés ! J'ai vu de mes yeux de grands ouvrages dont la
composition avoit peut-être occupé la vie entière de leurs
laborieux auteurs , se traîner dans la poussière de nos quais ,
et s'y dissiper feuille à feuille . Ces volumes si effrayans pour
la paresse , ces livres que peu d'hommes ont la volonté ou la
patience de lire, sont pourtant ceux qui forment les savans ;
et comme il n'est pas probable que de long-temps on les
réimprime , c'est donc une perte déplorable que celle que
nous en faisons tous les jours. Et par quels livres les avonsnous
remplacés ! 11 a paru dans ces dernières années un assez
grand nombre d'ouvrages ascétiques , propres à nourrir et
augmenter la piété de ceux qui les lisent , et je n'ai rien à
dire contre de pareils ouvrages ; je loue même , je respecte
ceux qui les font. Mais ce n'est point seulement par ces sortes
d'ouvrages que le clergé français se distinguoit autrefois ; et
je ne renoncerois qu'avec regret à l'espérance de lui en voir
désormais produire , sinon de meilleurs , au moins de plus
grands.
VARIÉTÉS,
GUAIRARD .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ;
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
"T
Le Journal de l'Empire a inséré , dans son numéro
du 22 de ce mois , la lettre suivante. L'absence de M. de
Bonald nous impose le devoir de la faire connoître aux lec
teurs du Mercure de France :
AU RÉDACTEUR DU JOURNAL DE L'EMPIRE .
Monsieur ,
(
En attendant que M. de Bonald réponde lui-même aux
inlignes interprétations que l'on se permet de donner à ce
qu'il écrit , si toutefois il ne juge pas au-dessous de lui do
Ma
180 MERCURE DE FRANCE,
confondre des hommes qui ne peuvent l'attaquer qu'en dé
naturant sés pensées et ses expressions , permettez à un de
ses amis de rétablir dans votre Journal les phrases qu'on ne
se contente pas d'isoler , mais que ces messieurs refont à
leur inanière. Je dois observer que l'article sur la Tolerance
des Opinions , que l'on attaque aujourd'hui , a été imprimé
le 21 juin 1806 , c'est-à-dire il y a plus de treize mois; et
sans doute ces messieurs ont cru qu'il falloit ce temps pour
qu'il soit oublié. C'est dans cet article que je prendrai toutes
mes citations ; et le public jugera si jamais écrivain s'est
expliqué sur la tolérance avec plus de raison, avec plus de
cette bonté de coeur qui gagne les esprits plus encore que
l'éloquence. Je vais commencer par citer la phrase que ces
messieurs ont faite , et qu'ils mettent sur le compte de M. de
Bonald ; puis le commentaire qu'ilsy ont joint :
Un être souverainement juste et bon , doit être , par cela
même , souverainement intolérant .
« Ne sont-ils pas coupables au plus haut degré , disent
>>les commentateurs , ces écrivains qui proclament de nou-
>>veau des principes cent fois plus atroces que ceux qui ont
>>mis le poignard à la main des assassins de la Saint-Bar-
>>thélemy etdes bourreaux de septembre ? »
(Publiciste , dimanche 19 juillet. )
Le commentaire du Publiciste va plus loin ; mais je crois
devoir m'arrêter , parce que ce journal s'appuie d'un nom
trop au-dessus de toutes les discussions pour que je me permette
de le répéter. Voici maintenant ce qu'a écrit M. de
Bonald; un pareil rapprochement dispense de toute explication
:
« Il est temps , je crois , après un siècle d'usage ou d'abus ,
>> de chercher si cette expression de tolérance a le sens qu'on
» lui donne , ou même si jamais on lui a donné le sens vrai
» et raisonnable qu'elle peut recevoir.
>> On s'expose peut-être , en traitant un pareil sujet , au
» reproche d'intolérance ; mais , après une révolution , il
>> estdes hommes pour lesquels une injustice de plus ne
peut pas compter ; et certes , c'est un bien léger sacrifice
» à faire à la vérité que celui de quelques considérations
> personnelles.
»
?
» La tolérance est absolue ou conditionnelle , et en quelque
sorte provisoire . Absolue , elle est synonyme d'indif-
> férence; et c'est celle que les philosophes du dix-huitième
>> siècle ont voulu établir , et la seule (je prie le lecteur d'y
>> faire attention), la seule que l'on combatte dans cet article.
» La tolérance provisoire ou conditionnelle signifie support;
JUILLET 1807.
181
c'est celle que la sagesse conseille , et que la religion pres-
» crit, comme nous le ferons voir ; car c'est quelquefois
» faute de s'entendre , que les théologiens et les philosophes
» se sont disputés. La tolérance conditionnelle , ou le sup-
» port , doit être employée à l'égard de l'erreur , et même
» à l'égard de la vérité. Cette tolérance consiste à attendre le
>> moment favorable au triomphe pacifique de la vérité , et
à supporter l'erreur , tant qu'on ne pourroit la détruire
» sans s'exposer à des maux plus grands que ceux que l'on
» veut empêcher .
» La tolérance absolue , ou l'indifférence , ne convient ni à
» la vérité ni à l'erreur , qui ne peuvent jamais être indiffé-
>> rentes à l'être intelligent , nécessité , par sa nature ,
» rechercher en tout la vérité et à la distinguer de l'erreur ,
» pour embrasser l'une et rejeter l'autre. Ici je parle en gé-
» néral , et sans aucune application particulière .
ත
» La tolérance absolue , comme l'ont entendue nos sophistes
, ne conviendroit donc qu'à ce qui ne seroit ni vrai
» ni faux , à ce qui seroit indifférent en soi . Or , je ne crains
» pas d'avancer qu'il n'y a rien de ce genre , rien d'indiffé-
» rent dans les principes moraux , c'est-à-dire religieux et
politiques de la science de l'homme et de la société d'où
» l'on voit que la tolérance philosophique n'est pas d'un
» usage fort étendu , et qu'il eût été raisonnable de définir
» la tolérance avant de déclamer avec tant d'aigreur contré
» l'intolérance .
»
» Il suit de là une conséquence assez inattendue , et cependant
rigoureuse. C'est qu'à mesure que les hommes s'é-
» clairent , les questions s'éclaircissent et les opinions se
» décident. Les questions qui ont agité les esprits peuvent
» être jugées inutiles ou importantes ; mais enfin elles sont
» jugées : et dès- lors l'opinion qu'on doit en avoir cesse d'être
» indifférente ; car elle ne nous paroissoit telle qu'à cause de
» notre ignorance .
» Donc , à mesure qu'il y a plus de lumières dans la
» société , il doit y avoir moins de tolérance absolue ou d'in-
» différence sur les opinions. L'homme le plus éclairé seroit
» donc l'homme , sur les opinions , le moins indifférent ou
» le moins tolérant ; et l'être souverainement intelligent
» doit être , par une nécessité de sa nature , souverainement
intolérant ( dans le sens absolu ) , parce qu'à ses yeux,
» aucune opinion ne peut être indifférente , et qu'il connoît
» en tout le vrai et le faux des pensées des hommes . Cette
» conséquence s'aperçoit même dans le détail de la vie
humaine ; car , combien de choses et d'actions qui parois-
3
182 MERCURE DE FRANCE ,
» sent à l'homme borné , indifférentes et sans conséquence ,
» et qu'un homme éclairé juge dignes d'éloges ou de cen-
> sure !
x
» Demander à des êtres intelligens qui ne vivent pas seu
» lement de pain , mais pour la recherche de la connois-
» sance de la vérité , l'indifférence absolue sur des opinions ,
» quelles qu'elles soient , c'est donc demander l'impossible ;
» c'est prescrire le repos absolu à la matière qui n'existe que
>> par le mouvement . Mais si la tolérance absolue , où l'in-
» différence , est absurde et même coupable entre des opi-
» nions vraies ou fausses , et par- là nécessairement exclusives
» les unes des autres , la tolérance conditionnelle ou le sup-
» port mutuel doit exister entre des hommes qui professent
de bonne foi des opinions différentes . La nécessité de ce
support seroit , s'il en étoit besoin , appuyée par les raisons
» les plus décisives , et mieux encore par l'exemple du
» maître de tous les hommes en morale et même en politique.
Et ici il faut remarquer la différence de la tolérance
philosophique à la tolérance chrétienne .
>>
» Dans le chapitre VIII , qui termine le Contrat social ,
» et qui est sans contredit ce que J. J. Rousseau a écrit de
» plus foible , de plus sophistique et de plus inconséquent ,
» ce philosophe , qui croit sans doute qu'on établit une reli-
» gion comme on établit une fabrique , veut que le souverain
» décrète une religion civile , qui , avec quelques dogmes
positifs aura pour tout dogme négatif, l'intolérance ; ce
» qui veut dire, sans doute , que toute tolérance en sera sévè-
> rement exclue . Or , voici les effets de cette tolérance : sans
>>
pouvoir obliger personne à croire tous ces dogmes , le sou-
» verain pourra bannir de l'Etat quiconque ne les croirapas,
comme si les hommes , et Dieu même , pouvoient obliger
» quelqu'un à croire malgré lui , ou que des lois pénales
» ne fussent pas un moyen de contrainte ; il le bannira ,
non comme impie , mais comme insociable ; ce qui ,
crois , est assez indifférent à un banni , et ne rend pas
→ peine plus légère ; que si quelqu'un , après avoir reconnu
» publiquement ses dogmes , se conduit comme ne les croyant
» pas , qu'il soit puni de mort. ( 1 ) Heureusement pour
je
la
les
( 1 ) « J. J. Rousseau , au même chapitre , parle de l'intolérance de la
religion chrétienne , à laquelle il oppose la tolérance des Païens : et
» il ajoute « l est impossible de vivre en paix avec des gens qu'o t
» croit damnés. » C'est comme s'il eût dit : « Il est impossible d :
» vivre en paix avec des gens qu'on croit pendus . » Cette phrase est
fausse grammaticalement , et elle renferme un sens faux ; car si
JUILLET 1807. 183
> foibles humains , qui trop souvent ne croient pas ce qu'ils
>> doivent croire , et plus souvent encore , après avoir connu
>> et reconnu publiquement la vérité , se conduisent comme
>> ne la croyant pas , Jésus-Christ ne veut pas qu'on les
> bannisse de leur patrie, encore moins qu'on les tue; il
>> réprime le zèle indiscret de ses disciples , qui vouloient
>> faire descendre le feu du ciel sur les villes criminelles ; et
>> enveloppant , à son ordinaire , les plus hautes vérités sous
>> des expressions familières , comme il étoit lui-même la
>> divine sagesse cachée sous les dehors de la foible huma-
> nité , il leur recommande de laisser croître ensemble le
» bon grain et l'ivraie jusqu'au temps de la moisson . Ad-
>>mirable leçon de morale et de politique , qui apprend
>>auxgouvernemens qu'ils s'exposent à retarder le triomphe
» de la vérité , en voulant , avant le temps , détruire les
>> erreurs qui ont germé dans le champ de la société ; mais
» que lorsque la vérité a reçu , par le temps et les événe-
>.> mens , tous ses développemens , elle entre ouelle rentre
>> sans effort dans les esprits , comme le froment parvenu à
>> sa maturité qui est serré dans les greniers du père de
>> famille , tandis que l'erreur , graine inutile et desséchée
>>par les ardeurs de l'été , et que le moindre vent emporte
de l'aire , disparoît sans violence et sans bruit de lamé-
» moire des hommes . »
(Mercure de France , du 21 juin 1806. )
Je me flatte , Monsieur , que vous excuserez cette longue
citation en faveur d'un homme dont vous estimez les vertus
et le talent. Je n'ajoute qu'un mot : ce n'est point l'article
du- 21 juin 1806 , sur la Tolérance des Opinions , qui a
soulevé contre M. de Bonald l'arrière-ban de la philosophie
, mais bien celui du 27 juin 1807 , sur l'Equilibre
politique en Europe. : B. L.
M. le Conseiller - d'Etat à vie , directeur - général de
l'instruction publique , avoit renvoyé à l'examen du Conservatoire
impérial de musique deux pianos , construit par
MM. Pfeiffer et compagnie. Le Conservatoire a nommé en
Rousseau eût voulu lever l'équivoque , il n'auroit pas pu fire un
>> sophi me , et on lui auroit répondu : Que la religion chrétienne qui
>> condanne les erreurs , ne damne pas les individus quiles professent ;
» qu'e le nous défend sévèrement de juger que tel ou tel homme , mort
» ou vivant , quoiqu'il ait été ou qu'il soit encore , sotou sera damné;
>> et qu'elle laisse à la suprème justice , qui seule sait quand et dans
>> quelles disposit ons notre ante se sépare du corps qu'elle anime , l'im
>> pénétrable secret de notre destinée .>>
(Note de M. DE BONALD. )
4
184 MERCURE DE FRANCE ,
conséquence une commission composée de MM. Adam ,
Berion , Catel , Gossec , Kreutzer , Jadin et Méhul. Elle
s'est réunie dans la salle où étoient déposés deux instrumens
à clavier , de la nature de ceux connus sous lenomde
piano , mais de forme différente ; le mécanisme de l'un de
ces pianos est établi verticalement ; il a déjà été remarqué
dans la dernière exposition de l'industrie nationale. Le second
piano n'avoit point encore paru; son mécanisme est établi
horizontalement , et renfermé dans une caisse triangulaire.
L'avis de la commission a été, que les formes de ces deux instrumens
semblent avoir été imaginées pour occuper le moins
d'espace possible , en remplissant cependant les conditions
des pianos jusqu'à présent en usage. En effet , le piano vertical
, dont l'invention est due aux Autrichiens , et que
M. Pfeiffer a fait connoître à Paris , n'occupe de place que
celle nécessaire pour l'épaisseur de la caisse d'un piano ordinaire
, dressée verticalement , en y ajoutant la saillie d'un
clavier. Le mécanisme en a paru parfaitement exécuté; il
annonce des hommes instruits dans toutes les parties de l'art
du facteur , de cet art porté actuellement à un si haut degré de
perfection. Les jeux de cet instrument sont faciles et agréables.
Celui à forme triangulaire peut se placer contre les parois de
l'appartement, sans que l'exécutant soit obligé de tourner le
dos aux auditeurs , ce qui arrive avec les pianos en usage ; si
on ne les isole pas; le clavier de celui-ci se trouve placé sur
l'un des côtés du triangle ; le mécanisme de cet instrument ne
présente de différences avec les autres pianos que dans l'applicationdu
renversement du clavier, et dans une nouvelle composition
de marteaux que les auters annoncent devoir être
meilleure, ce qui sera constaté par l'usage.
L'exécution de cet instrument est comme celle du précédent
, extrêmement soignée , et doit mériter à MM. Pfeiffer
et compagnie la bienveillance des amateurs et les encouragemens
du gouvernement.
S. M. le roi de Naples a écrit à M. Baour - Lormian
auteur de la tragédie d'Omasis , la lettre suivante :
Naples , 21 mars 1807.
2
« Je reçois , Monsieur , votre lettre du 10 février et votre
>> tragédie de Joseph ; je vous remercie de l'une et de l'autre.
» Il y a déjà quelques semaines que nous avons lu votre tra-
>> gédie avec des personnes qui partagent mon goût pour ce
>> genre de poésie;nous lisons nous-mêmes, en attendant que
>>nous ayons une réunion d'acteurs dont vous ne rougissiez
> pas. Vous seriez plus indulgent que l'Arioste , Monsieur, en
JUILLET 1807 . 185
>> nous entendant lire vos vers. Au reste , sa colère n'étoit pas
>>bien sérieuse , et les auteurs sont toujours charmés de trouver
>> des gens qui ont le goût et l'amour de leurs ouvrages.
>> Comptez-moi dans ce nombre , Monsieur, et croyez-moi
>> votre affectionné , JOSEPH. >>
- Le dimanche 12 juillet , M. Villoteau , membre de la
commission des Sciences et Arts d'Egypte , accompagné de
M. Marcel , directeur-général de l'Imprimerie impériale , et
membre de la Légion d'Honneur , a eu l'honneur d'offrir à
S. M. l'Impératrice et Reine , un exemplaire des Recherches
sur l'analogie de la musique avec les arts qui ont pour objet
l'imitation du langage. S. M. I. et R. a daigné accueillir avec
bonté l'hommage de cet ouvrage plein d'érudition , dont le
précis , lu à la 3ª classe de l'Institut , avoit mérité les suffrages
de cette société savante, et dont S. M. le roi de Hollande a
bien voulu accepter la dédicace.
-M. Lunier , auteur du Dictionnaire des Sciences et des
Arts , est mort subitement , la semaine dernière , à l'âge de
58 ans .
- On rétablit , dans ce moment , les deux statues qu'on
voyoit autrefois sur les pilastres placés aux deux côtés de la
barrière des Bons-Hommes. Ces deux statues représentoient
la Bretagne et la Normandie, deux de nos provinces où cette
route conduit.
VACCINE.
<<On doit être étonné qu'après huit ans d'une expérience
toujours couronnée de succès , qu'après tant d'épreuves
variées , répétées dans tous les pays où les lumières ont pu
pénétrer, des faux bruits circulent encore contre une des plus
heureuses découvertes du siècle dernier. Le comité central de
la société de vaccine doit à la confiance dont l'a revêtu S. Exc .
le ministre de l'intérieur , de chercher à détruire les fâcheuses
impressions que ces bruits peuvent faire dans le public.
« Le comité est instruit qu'on reproduit avec adresse et
sur-tout avec des précautions insidieuses, les objections qu'on
opposoit, dans les premiers temps, à l'introduction de la vaccine;
il sait que des petites véroles volantes , des éruptions
fugaces avec ou sans fièvre , survenues pendant les chaleurs , à
des enfans vaccinés , ont été prises pour des petites véroles
contagieuses . Il n'ignore pas non plus que des hommes connus
pour faire un trafic de l'inoculation de la petite vérole ,
recueillent avec mystère tous ces faits épars , les colportent
dans le public , et cherchent , par des citations mensongères ,
àéloigner les parens d'adopter pour leurs enfans un préservatif
-dont la vertu est sanctionnée en France par huit ans d'obser
186 MERCURE DE FRANCE ,
vations et de succès. A toutes ces allégations ,le comité peut
répondre avec la bonne foi et l'impartialité dont il a déjà
donnétantde preuves, que les chaleurs ramènent constainment
àla peau des affections éruptives qui tantôt se bornent à des
plaques rouges , qu'autrefois se caractérisent par des boutons
détachés qui paroissent, suppurent et se dessechent successivement
sur les différentes parties du corps ; que ces éruptions,
rarement accompagnées de fièvre , n'offrent rien de
contagieux , et ne peuvent jamais être confondues avec la
petite-vérole pardes personnes de l'art, tant soit peu exercées
a voir cette maladie ; que , pendant les dernières chaleurs , on
les a également observées sur les sujets vaccinés et sur ceux
qui ne l'ont pas été; qu'enfin , cette année- ci , comme les
précédentes , la matière en a été inoculée à divers sujets qui
n'avoient encore eu ni la variole , ni la vaccine , et qu'elle ne
s'est développée sur aucun.
>> A. des faits aussi positifs , dont la vérité pratique doit
frapper les esprits les moins éclairés , le comité central en
ajoute d'autres qui sont d'une observation constante et journalière.
Depuis sept ans que la vaccine a été inoculée à tous
les enfans du Lycée impérial , et à ceux des hospices des
orphelins et des orphelines , il n'y a eu , dans ces trois établis
semens , aucun exemple de petite vérole. Dans ces trois maisons
, a donc été résolu, comme nous l'avons déjà dit , le
problème de la possibilité de l'extinction de la petite vérole.
Il suffit à quelques personnes de connoître cet important résultat,
pour chercher dans la vaccine un abri contre les épidémies
varioleuses; aussi le comité ne craint-il pas de le publier
de nouveau comme la réponse la plus forte qu'il puisse
faire aux détracteurs cachés de la nouvelle inoculation . La
vaccine n'est plus et ne doit plus être un point de controverse
ni un sujet de discussion : le temps , les nombreux essais qui
en ont été faits , ont complètement résolu la question. Cette
découverte doit triompher de tous les obstacles; mais pour
parvenir à ce but, le comité ne se dissimule pas qu'il faut
une activité constante , une sage réunion d'efforts , et quelquefois
une fréquente répétition des mêmes faits.
>> Le gouvernement considère la vaccine comme le plus
puissant moyen de conserver , d'embellir , d'accroître la population
de l'Empire. Dans cette intention , les ordres les plus
formels ont été donnés par M. le conseiller d'Etat , chargé de
l'instruction publique , pour n'admettre dans les lycées et
écoles secondaires que des enfans vaccinés ou ayant eu précédemment
la petite vérole. Son excellence a adopté la même
mesure pour les élèves des écoles vétérinaires ; plusieurs co
JUILLET 1807 . 187
mités de bienfaisance à Paris ont pris le sage parti de ne distribuer
des secours aux familles indigentes , que lorsque la
vaccine auroit mis leurs enfans hors des dangers de la petite
vérole. Ils ont trouvé , dans l'exécution de cette mesure , une
économie bien entendue , et la certitude que la contagion ne
dévasteroit pas des ménages entiers. Enfin, sur presque tous
les points de la France , MM. les évêques ont , dans des lettres
pastorales , recommandé à leurs coopérateurs d'éclairer leurs
paroissiens sur les bienfaits d'une méthode que le gouvernement
, même au milieu des travaux de la guerre, n'a cessé
d'encourager.
>> En entrant de nouveau dans ces détails , le comité central
a voulu réveiller l'attention du public sur le but constant
de ses travaux , et le prémunir contre les fausses suggestions
de la mauvaise foi et de l'ignorance. Il lui suffit d'avoir fait
connoître que les éruptions qui surviennent à présent à quelques
enfans vaccinés et à ceux qui ne l'ont pas été , sont des
petites véroles volantes ou des exanthèmes passagers ; que ,
jusqu'à présent , aucun fait bien exactement constaté n'est
venu atténuer la confiance que doit nécessaire- ment inspirer
la vaccine ; que le gouvernement encourage et récompense
les personnes qui , en la propageant , remplissent ses intentions
, et que les gens de l'art trouveront auprès du comité
toutes les facilités nécessaires pour la répandre. A cet égard ,
le comité rappelle que les vaccinations gratuites continuent à
se pratiquer dans son hospice , rue du Battoir Saint André ,
n°. 1, les mardis et samedis , à midi précis , et que toutes les
personnes y sont admises sans aucune distinction.
Fait en séance , le 17 juillet 1807 .
Signé Huzard, président ; Corvisart , Hallé , Thouret ,
Pinel , Leroux , Guillotin , Jadelot , Mougenot , Parfait ,
Salmade, Marin , Doussin- Dubreuil , Delasteyrie , Husson
, secrétaire .
NOUVELLES POLITIQUES.
Stetin , 12 juillet.
Voici la traduction littérale d'un ordre du jour imprimé
en langue allemande dans les gazettes de Stetin , de Hambourg,
etc.
Ordre du joer.
1
Le corps d'observation de la Grande-Armée devant se tenir en mesure
contre une attaque dont il est menacé , va rentrer dans la Pomeranie
suédoise .
Un armistice avoit été conclu avec la Suède , le 18 avril , à Schlatkow
Les hostilités ne devoient recommencer qu'ap és s'être prévenu dix jours
188 MERCURE DE FRANCE ;
d'avance. Les généraux étendi ent ensuite ce terme à trente jours , par un
article additionnel , signé à Stra sund , le 29 du même mois.
Ce dernier arrangement n'avoit éprouvé aucune difficulté : cependant
S. M. le roinde Suède parut en Pomeranie , prit le commandement
de son umée , et manifesta aussitôt le dessein de n'observer que la
prem è e stipulation de dix jou s.
En même temps sa ma ine , stationnée devant Colberg , exerça , au
mépris de l'armistice , des hostilités contre les corps français et al iés
assiégeant ett place. Il résulta de cet état de choses une correspondanceentre
les généraux ; et le roi de Suède, pour terminer les discussions
, me fit proposer une entrevue à Schlakow , sur le territoire
suédois On prétendoit alors que l'apparit on du roi , qui d'abord avoit
étéd'un mauvais augure , ne venoit que de son desir de diriger lui -même
les choses. On fut même porté à croire que , malgré les apparen es , on
pou roit en venir à des ouvertures tendantes à un arrangement solide et
une paix durable.
Le 4 juin , je me rendis à Schlatkow accompagné de cinq à six
offici rs et d'autant de gendarmes d'ordonnance. L'aide- de- camp de
S. M. suédoi e m'avoit prévenu que le roi se trouvoit à Schatkow ,
presque sans e corte et avec une suite peu nombreuse. Amon arrivée , je
vis la maisondu roi sans garde ; un escadron de cavalerie étoit dans la
cour, en ordr de batasile. Dès que je me trouvai seul avec le roi , je lui
exposai les motifs de len revue ; mais il m'interrompit aussi ot en me
déclarant que sa volo te étoit muuablement fixée pour le terme de dix
jours , et il él igna ainsi d'autorité toutes les questions qui devient fire
l'objet de la conférence. Mais ce que l'Europe ap rendra avec indignation
parce quele droit des gens et les lois de l'honneur furent a -là violés ,
c'estque ce prince osa poposer au général français , à l'un des premiers
sujets de l'Empereur Napoléon , de trahir son souverain et sa patrie. Il
l'invita à embrasser le parti des Anglais , et à se ranger sous les drapeaux
d'une bande de tran fuges devenus insensibles au bonheur de leur patrie
et étrangers à sa gloire Cette conference prouva que le roi de Suède ,
partageant le délire de ces étrangers , leur sacrifie les intérêts les plus
chers de son peuple.
Depuis cette conférence, le ro a fait continuer les hostilités devant
Colberg , et à l'embouchure de la Trave. Il a tiré de l'Angleterre de l'argent
et des soldats ; il a ramassé tout ce qu'il a pu de fuyard et déserteurs ;
et enfin, se confiant en sa puissance , il a déboncé l'armistice de dix
jours , le 3 juillet , au moment même où il devoit avoir connoissance des
nouvelles dispositios de la Russie et de la Prusse .
Les hostilités avec la Suède recommencent donc le 13 de ce mois.
Nous ponvions les recommencer plutôt , puisque la conduire du roi n'a
offert qu'une suite de violations manifestes ; mais il est dans le caractère
de notre souver in d'être gand par sa modération et sa générosité ,
comme il est grand par son génie et ses exploits . L'Europe saura apprécier
cette enduite ; elle connoîtra ceux qui veulent prolonger les fléaux
de la guerre.
Les troupes françaises et alliées se disputeront le prix du courage et de
la discipline; elles n'oublieront pas que le regard del'Empereur Napoléon
plane sur elles . Je ne doute pas que nous ne méritions tous son approbation
par notre dévouement. Signé BRUNE.
JUILLET 1807. 189
PARIS, vendredi 24 juillet.
-Aujourd'hui , à quatre heures , S. A. S. l'archichancelier
de l'Empire s'est rendu au sénat conservateur , et lui adonné,
au nom de l'EMPEREUR, communication des deux traités de
paix conclus avec la Russie et avec la Prusse.
-La publication de la paix a été faite ce soir : le cortège
étoit brillant, et sur toutes les places on se portoit en foule
pour prendre part à la joie qu'inspire un aussi heureux événement.
Les cris de vive l'Empereeuurr!! interrompoient souvent
les héraults d'armes , et redoubloient à la fin de chaque
proclamation. Le soir , l'illumination a été générale. Nous
donnerons dans le prochain numéro le texte des deux traités.
-
Par undécret daté de Tilsit , 10 juillet 1807 , S. M. a
nommé M. Lacépède , président du sénat, pour la durée d'une
année.
-Hier la cour de cassation a rejeté le pourvoide madame
de Thémines.
-
Tilsit , 9juillet 1807 .
L'échange des ratificationsdu traité de paix entre la France
et laRussie , a eu lieu aujourd'hui , à 9 heures du matin. A
onzeheures , l'Empereur Napoléon, portant legrand cordon
de l'Ordre de Saint André , s'est rendu chez l'Empereur
Alexandre , qui l'a reçu à la tête de sa garde, et ayant la grande
décoration de la Légion-d'Honneur. L'EMPEREUR a demandé
à voir le soldat de la garde russe qui s'étoit le plus distingué
: il lui a été présenté. S. M. , en témoignage de son estime
pour la garde impériale russe , a donné à ce brave l'aigle d'or
de la Légion-d'Honneur.
Les Empereurs sont restés ensemble pendant trois heures
et sont ensuite montés à cheval. Ils se sont rendus au bord du
Niemen , où l'Empereur Alexandre s'est embarqué. L'Empereur
Napoléon est demeuré sur le rivage jusqu'a ceque l'Empereur
Alexandre fût arrivé à l'autre bord. Les marques
d'affection que ces princes se sont données en se séparant , ont
excité la plus vive émotion parmi les nombreux spectateurs
qui s'étoient rassemblés pour voir les plus grands souverains
dumonde offrir , dans les témoignages de leur union et de
leur amitié , un solide garant du repos de la terre.
L'Empereur Napoléon a fait remettre le grand cordon de
la Légion-d'Honneur au grand - duc Constantin , au prince
Kourakin , au prince Labanoffet à M. de Budberg.
L'Empereur Alexandre a donné le grand Ordre de Saint
190 MERCURE DE FRANCE ,
André au prince Jérôme Napoléon , roi de Westphalie , au
grand-duc de Berg et de Clèves , au prince de Neuchâtel et
au prince de Bénévent.
Atrois heures d'après midi , le roi de Prusse est venu voir
l'Empereur Napoléon. Ces deux souverains se sont entretenus
pendant une demi-heure. Immédiatement après , l'Empereur
Napoléon a rendu au roi de Prusse sa visite. Il est ensuite
parti pour Koenigsberg.
Ainsi, les trois souverains ont séjourné pendant vingt jours
à Tilsit. Cette petite ville étoit le point de réunion des deux
armées. Ces soldats qui naguère étoient ennemis , se donnoient
des témoignages réciproques d'amitié , qui n'ont pas été
troublés par le plus léger désordre.
Hier, l'Empereur Alexandre avoit fait passer le Niemen à
une dixaine de baschirs qui ont donné à l'Einpereur Napoléon
un concert à la manière de leur pays.
L'EMPEREUR , en témoignage de son estime pour le général
Platow , hetman des Cosaques , lui a fait présent de son portrait.
Les Russes ont remarqué que le 27 juin ( style russe ,
9 juillet du calendrier grégorien ),jour de la ratification du
traité de paix , est l'anniversaire de la bataille de Pultava qui
fut si glorieuse , et qui assura tant d'avantages à l'Empire de
Russie. Ils en tirent un augure favorable pour la durée de la
paix et de l'amitié qui viennent de s'établir entre ces deux
grands Empires. (Moniteur.)
LXXXVII BULLETIN DE LA GRANDE-ARMÉE.
Kænigsberg , le 12juillet 1807 .
LesEmpereurs de France et de Russie, après avoir séjourné
pendant vingt jours à Tilsit , où les deux maisons impériales ,
situées dans la même rue , étoient à peu de distance l'une de
l'autre , se sont séparés le 9, à trois heures après-midi , en se
donnant les plus grandes marques d'amitié. Le journal de ce
qui s'est passé pendant la durée de leur séjour , sera d'un
véritable intérêt pour les deux peuples.
Après avoir reçu, à trois heures et demie, la visite d'adieu
du roi de Prusse , qui est retourné à Memel , l'Empereur
Napoléon est parti pour Kænigsberg , où il est arrivé , le 10,
à quatre heures du matin.
Il a fait hier la visite du port dans un canot qui étoit servi
par les marins de la garde. S. M. passe aujourd'hui la revue
du corps du maréchal Soult, et part demain à deux heures du
matin pour Dresde .
JUILLET 1807 . 19
Le nombre des Russes tués à la bataille de Friedland s'élève
à 17,500; celui des prisonniers est de 40,000 ; 18,000 sont
passés à Koenigsberg , 7000 sont restés malades dans les hôpi
taux; le reste a été dirigé sur Thorn et Varsovie. Les ordres
ont été donnés pour qu'ils fussent renvoyés en Russie sans
délai ; 7000 sont déjà revenus à Koenigsberg , et vont être
rendus. Ceux qui sont en France , seront formés en régimens
provisoires. L'Empereur a ordonné de les habiller et de les
armer .
Les ratifications du traité de paix entre la France et la
Russie avoient été échangées à Tilsit le 9; celles du traité de
paix entre la France et la Prusse , l'ont été ici aujourd'hui.
Les plénipotentiaires chargés de ces négociations étoient ,
pour la France , M. le prince de Bénévent ; pour la Russie ,
le prince Kourakin et le prince Labanoff; pour la Prusse , le
feld-maréchal comte Kalkreuth et le comte de Goltz.
la
Après de tels événemens , on ne peut s'empêcher de sourire
quand on entend parler de la grande expédition anglaise et
de la nouvelle frénésie qui s'est emparée du roi de Suède. On
doit remarquer d'ailleurs que l'armée d'observation de l'Elbe
et de l'Oder , étoit de 70,000 homines , indépendamment de
Grande-Armée , et non compris les divisions espagnoles qui
sont en ce moment sur l'Oder. Ainsi il auroit fallu que l'Angleterre
mît en expédition toute son armée, ses milices , ses
volontaires , ses fencibles pour opérer une diversion sérieuse.
Quand on considère que , dans de telles circonstances , elle a
envoyé 6000 hommes se faire massacrer par les Arabes , et
7000 hommes dans les Indes espagnoles , on ne peut qu'avoir
pitié de l'excessive avidité qui tourmente ce cabinet.
La paix de Tilsit met fin aux opérations de la Grande-
Armée; mais toutes les côtes , tous les ports de la Prusse
n'en resteront pas moins fermés aux Anglais. Il est probable
que le blocus continental ne sera pas un vain mot.
La Porte a été comprise dans le traité. La révolution qui
vient de s'opérer à Constantinople , est une révolution antichrétienne
qui n'a rien de commun avec la politique de l'Europe.
L'adjudant-commandant Guilleminot est parti pour la
Bessarabie , où il va infermer le grand-visir, de la paix , de
la liberté qu'à la Porte d'y prendre part, et des conditions
qui la concernent.
Koenigsberg , le 13juillet.
L'Empereur a passé hier la revue du 4º corps d'armée .
Arrivé au 26º régiment d'infanterie légère , on lui présenta
le capitaine de grenadiers Roussel. Ce brave soldat, fait prisonnier
a l'affaire de Hoff, avoit été remis aux Prussiens.
192
MERCURE DE FRANCE ,
3434
Il se trouva dans un appartement où un insolent officier
se livroit à toute espèce d'invectives contre l'Empereur.
Roussel supporta d'abord patiemment ces injures , mais enfin
il se lève fièrement en lisant : « Il n'y a que des lâches qui
>> puissent tenir de pareils propos contre l'Empereur Napo-
» léon devant un de ses soldats. Si je suis contraint d'en-
» tendre de pareilles infamies , je suis à votre discrétion ,
>> donnez-moi la mort. » Plusieurs autres officiers prussiens
qui étoient présens , ayant autant de jactance que peu de
mérite et d'honneur , voulurent se porter contre ce brave
militaire à des voies de fait. Roussel, seul contre sept où
huit personnes , auroit passé un mauvais quart- d'heure , si
un officier russe survenant à l'instant , ne se fût jeté devant
lui le sabre à la main : « C'est notre prisonnier , dit-il ,
» et non le vôtre. Il a raison , et vous outragez lâchement
» le premier capitaine de l'Europe. Avant de frapper ce
» brave homme , il vous faudra passer sur mon corps. »
Fn général , autant les prisonniers français se louent des
Russes , autant ils se plaignent des Prussiens , sur-tout du
général Ruchel , officier aussi méchant et fanfaron , qu'il est
inepte et ignorant sur le champ de bataille. Des corps
prussiens qui se trouvoient à la journée d'Jéna , le sien est
celui qui s'est le moins bravement comporté.
A
En entrant à Koenigsberg , on a trouvé aux galères un caperal
français , qui y avoit été jeté , parce qu'entendant les sectateurs
de Ruchel parler mal de l'Empereur , il s'étoit emporté
et avoit déclaré ne pas vouloir le souffrir en sa présence
.
Le général Victor , qui fut fait prisonnier dans une chaise
de poste par un guet-à-pens , a eu aussi à se plaindre du traitement
qu'il a reçu du général Ruchel , qui étoit gouverneur
de Koenigsberg. C'est cependant le même Ruchel qui , blessé
griévement à la bataille d'Jéna , fut accablé de bons traitemens
les Français ; c'est lui qu'on laissa libre , et à qui , au lieu
d'envoyer des gardes comme on devoit le faire , on envoya des
chirurgiens. Heureusement que le nombre des hommes auxquels
il faut se repentir d'avoir fait du bien , n'est pas grand.
Quoi qu'en disent les misantropes , les ingrats et les pervers
forment une exception dans l'espèce humaine.
par
DU VENDREDI 17. -
FONDS PUBLICS.
b
( Moniteur. )
·C p. 0/0 c. J. du 222 mars 1807 , 8of 20c 25c. 3oc
35c 3oc oc 40c obc ooc oof oof ooc doe oof ooc odc ooc ooc oof ooc oos
Idem Jouiss. du 22 sept . 1807 , 77f 50c 50c . oof ooc coc
Act. de la Banque de Fr. 1375f 000of oec 0000f
TO(
Nº. CCCXV. )
24
DE LA
( SAMEDI 1er AOUT 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
EPT
ce
LA PAIX DE TILSIT
ODE
It vient donc consoler la terre
Ce jour si cher à nos souhaits ,
Où l'astre brûlant de la guerre
Cède aux doux rayons de la paix.
En exhalant un vain blasphème ,
La Discorde cède elle-même
A la valeur de nos guerriers :
Je vois le calme reparoître ,
Et les oliviers vont renaître
A l'ombre illustre des lauriers.
Salut , défenseurs magnanimes
De notre gloire et de nos droits ;
Jamais des élans plus sublimes
N'ont produit de plus beaux exploits .
Ah ! quand, dans une autre carrière ,
On n'a pas, aux champs de la guerre,
Comme vous , pu se dévouer,
L'ame confuse , mais ravie ,
On sentiroit un peu d'envie
Sans le plaisir de vous louer.
Et vous , dont les jeunes courages
Dorment à l'ombre des cyprès
Recevez un tribut d'hommages
Avec un tribut de regrets .
Ah ! du moins , chers à la patrie ,
dans la France attendrie,
Vos noms ,
Prolongent vos destins trop courts ;
Et marqués du sceau de la gloire ,
Vous revivez dans la mémoire
Du héros qui vivra toujours.
N
196
MERCURE DE FRANCE ,
A brisé l'espoir romanesque
Que F'Anglais vouloit ressaisir ;
Et le fleuve ému sent ses ondes ,
Jusques dans ses grottes profondes ,
Frémir d'orgueil et de plaisir.
Va, Niémen , nouvel Alphée ,
Au travers des flots satisfaits ,
Va porter au loin le trophée
De ton triomphe et de la paix .
Fleuves de l'Europe calmée ,
Allez , d'une course animée ,
Dire aux rivages d'Albion ,
Qu'après tant de maux et d'orages ,
L'Europe n'a plus de rivages
Ennemis de NAPOLÉON.
Par un Membre du Corps-Législatif.
ENIGME.
EN tout pays je suis utile
Au berger comme au plus grand roi ;
Partout on me porte avec soi ,
A la cour, aux champs , à la ville.
Je suis mauvaise , je suis bonne ,
Je fais du mal , je fais du bien ,
Suivant que mon maître l'ordonne :
Je vaux beaucoup , ou ne vaux rien .
LOGOGRIPHE .
Au Louvre, au Capitole, à Vienne , à Palmyre ,
Dans les temples des Dieux , dans le palais des rois ,
Dans ce siècle , comme autrefois ,
Sous plusieurs formes on m'admire.
Huit élémens forment mon tout :
Aux trois premiers tournés ajoutez-en un autre ,
Vous trouverez un Saint que l'on chồme au mois d'août.
Les cinq derniers tantôt reçoivent un Apôtre,
Tantôt un vase à fleurs , tantôt un Apollon ;
L'on me trouve à l'église , au jardin , au salon ,
Retranchez-en par où commence Homère ,
Vous entendrez un poète harmonieux
Chanter mon nom , le porter jusqu'aux cieux,
Désarmer mes rigueurs et ma feinte colère.
Un jour, dans un accès jaloux ,
Me jurer par dépit une éternelle haine ;
Le lendemain , reprendre à mes genoux ,
Et baiser de nouveau sa chaîne .
CHARADE.
A TON amie , hélas ! lorsqu'elle est mon dernier,
Avec douleur encor tu serres mon premier ;
Jadis en France existoit mon entier.
Le mot de l'Enigme du dernier N° . est la lettre T.
Celui du Logogriphe est Veau , où l'on trouve eau.
Celui de la Charade est Bal-lot.
AOUT 1807. 197
QUELQUES
DÉTAILS
SUR LES MOEURS DES GRECS , DES ARABES
ET DES TURCS.
DANS UN
un dernier Numéro du Mercure , en rendant compte
du bel ouvrage de M. de Laborde , j'ai eu occasion de rappeler
les lieux que je venois de parcourir . On aime à parfer
de ces pays dont les seuls noms sont un charme. J'ajouterai
aujourd'hui de nouveaux détails à ceux que j'ai déjà publiés ;
mais , avant de les donner ici , j'entrerai dans une courte
explication.
Je n'ai jamais eu , en visitant la Grèce , la Palestine
l'Egypte et la Barbarie , le dessein d'écrire un Voyage. J'ai
voulu seulement , pour me servir du langage des anciens ,
me guérir de mon ignorance. Depuis quelques années ,
Occupé d'un ouvrage qui doit servir comme de preuve au
Génie du Christianisme , j'ai cru devoir reconnoître les lieux
où je place mes personnages . Je n'ai un peu de confiance
en ce que j'écris , que quand je puis dire comme Ulysse :
« J'ai vu les moeurs et les pays , j'ai tâché de vous les
peindre tels qu'ils se sont offerts à mes yeux. »
ע
Avant de partir pour le Levant , j'avois fait un travail
assez considérable sur les auteurs anciens et modernes qui
traitent de la Grèce et de la Judée. Ces notes , et celles que
j'ai recueillies sur les lieux mêmes , sont les matériaux que
l'assemble pour mon ouvrage ; mais , parmi les choses que
j'ai vues , il en est qui me sont tout-à-fait inutiles . Tout ce
qui regarde les usages des peuples modernes , par exemple
ne peut entrer dans mon sujet, puisque ma scène est placée
dans l'antiquité. Au contraire , je dois réserver tout ce qui
est description pour mon livre . J'ai donc détaché de mes
études les objets qui se trouvent hors de mon plan , et que
je puis offrir dès aujourd'hui au lecteur . Je le prie toujours
de se rappeler que ce n'est point ici un Voyage , mais des
notions imparfaites et quelques souvenirs .
Je m'embarquai à Trieste le 1er août 1806. Nous sortîmes
rapidement de la mer Adriatique. Le 8 , nous découvrîmes
3
198 MERCURE DE FRANCE ,
Skérie ( Corfou ) et Buthrotum , qui rappellent deux des
plus belles scènes de l'Odyssée et de l'Enéide. Nous reconnûmes
le rocher d'Ithaque . J'aurois bien voulu y descendre
pour visiter le jardin de Laërte , la cabane d'Eumée , et
même le lieu où le chien d'Ulysse mourut de joie en
revoyant son maître .
>
Nous dépassâmes les îles de Zanthes et de Céphalonie ; et
le ro au matin , les montagnes de l'Elide se formèrent dans
Phorizon du Nord . Le 11 , nous jetâmes l'ancre devant
Modon , l'ancienne Mothone , près de Pylos . Je saluai les
rivages de la Grèce ; et la chaloupe du bâtiment me porta
aux pieds des murs de Modon . J'entrai dans cette ville délâ–
brée. Lorsque j'aperçus les Turcs armés et assis sous des
espèces de tentes au milieu des rues , je me rappelai la belle
expression de mon noble ami M. de Bonald , les Turcs sont
campés en Europe. Cette expression est vraie sous tous les
rapports , et dans toutes les acceptions .
Je continuai mon voyage par terre .
+
Je ne vis dans le Péloponèse qu'un pays en proie à ces
Tartares débauchés qui se plaisent à détruire à la fois les
monumens de la civilisation et des arts , les moissons même ,
les arbres et les générations entières . Pourroit - on croire
qu'il y ait au monde des tyrans assez absurdes et assez sauvages
pour s'opposer à toute amélioration dans les choses de
première nécessité ? Un pont s'écroule , on ne le relève pas
un homme répare sa maison , on lui fait une avanie . J'ai vu
des capitaines grecs s'exposer au naufrage avec des voiles
déchirées , plutôt que de raccommoder ces voiles : tant ils
craignoient de faire soupçonner leur aisance et leur industrie
!
De Módon , je me rendis à Coron , sur le golfe de Messénie.
Je traversai ce golfe ; je remontaì le long du Pamissus
. J'entrai dans l'Arcadie par un des Hermæum du mont
Lycée , je passai à Mégalopolis , ouvrage d'Epaminondas ,
et patrie de Philopémen ; j'arrivai à Tripolizza , cité nouvelle
dans le vallon de Tégée , au pied du Ménale . Je revins
sur mes pas pour visiter Sparte , le Taigète , et la vallée de
la Laconie. De là , je pris le chemin d'Argos par les montagnes
je contemplai tout ce qui reste de la ville du roi des
rois je m'arrêtal à Mycènes et à Corinthe . En passant
l'isthme par les monts Géraniens , je vis un aga blesser un
grec d'un coup de carabine , et lui faire donner cinquante
coups de bâton pour le guérir.
Je descendis à Mégare et à Eleusis ; je séjournai quelque
temps à Athènes ; et disant enfin un éternel adieu au pays
AOUT 1807 . 199
des Muses et des grands hommes , je m'embarquai au cap
Sunium pour l'île de Zéa .
Zéa est l'ancienne Ceos , célèbre chez les Grecs par des
vieillards qui se donnoient la mort ; par Aristée , dont Virgile
a chanté les abeilles ; par la naissance de Simonide et de
Bacchylide. La gaze de Ceos devint célèbre chez les poètes
romains, qui la comparoient à du vent tissu. Je passai de
Zéa à Tinos , de Tinos à Chios , et de Chios à Smyrne . Je
résolus d'aller par terre à la plaine de Troie. Je m'avançai
jusqu'à Pergame : je parcourus les ruines des palais des Eumènes
et des Attales , et je cherchai vainement le tombeau de
Galien. Quand je voulus continuer ma route, mon guide refusa
d'aller plus loin , sous prétexte que les gorges de l'Ida étoient
infestées de voleurs , Je fus obligé de prendre le chemin de
Constantinople . Comme le principal but de mon voyage
étoit la visite des lieux saints , je m'informai , en arrivant à
Perra , s'il n'y avoit point dans le port quelque bâtiment de
la côte de Syrie. J'eus le bonheur d'en trouver un prêt à
partir, et chargé de pélerins grecs pour Yaffa . Je m'arrangeai
avec le capitaine : et bientôt nous voguâmes vers Jérusalem ,
sous l'étendard de la Croix qui flottoit aux mâts de notre
vaisseau. ( 1) F
Nous étions sur ce vaisseau à-peu-près deux cents passagers
, hommes , femmes , enfans et vieillards. On voyoit
autant de nattes rangées en ordre des deux côtés de l'entrepont
. Une bande de papier , collée contre le bord du
vaisseau , indiquoit le nom du propriétaire de la natte.
Chaque pélerin avoit suspendu à son chevet son bourdon
son chapelet et une petite croix . La chambre du capitaine
étoit occupée par les papas conducteurs de la troupe . A l'entrée
de cette chambre , on avoit ménagé deux espèces d'antichambres
: j'avois l'honneur de loger dans un de ces trous noirs
d'environ six pieds carrés , avec mes deux domestiques ; une
famille occupoit vis - à -vis de moi l'autre appartement . Dans
cette espèce de république , chacun faisoit son ménage à
volonté les femmes soignoient leurs enfans , les hommes
fumoient ou préparoient leur dîner , les papas causoient
ensemble . On entendoit de tous côtés le son des mandolines
, des violons et des lyres . On chantoit , on dansoit , on
(1 ) Je serois trop ingrat d'oublier les soins que M. le général Sébastian
m'a prodigués à Constantinople. Quel plaisir j'aurois encore à remercier
ici celle qui ajoutoit tant de prix , par sa grace , aux politesses de
M. l'ambassadeur ! Je n'aurois jamaia cru que l'expression de ma reconnoissance
pût arriver trop tard.
4
200 MERCURE DE FRANCE ,
rioit, on prioît. Tout le monde étoit dans la joie . On me
disoit : Jérusalem ! en me montrant le Midi ; et je répondois :
Jérusalem ! Enfin , sans la peur , nous eussions été les plus
heureuses gens du monde ; mais , au moindre vent , les
matelots plioient les voiles , les pélerins crioient : Christos !
Kirie eleison ! L'orage passé , nous reprenions notre audace .
Au reste , je n'ai point remarqué le désordre dont parlent
quelques voyageurs . Nous étions au contraire fort décens
et fort réguliers. Dès le premier soir de notre départ deux
papas firent la prière , à laquelle tout le monde assista avec
beaucoup de recueillement . On bénit le vaisseau : cérémonie
qui se renouveloit à chaque orage. Les chants de l'Eglise
grecque ont assez de douceur , mais peu de gravité . J'observai
une chose singulière : un enfant commençoit le verset d'un
pseaume dans un ton aigu , et le soutenoit ainsi sur une seule
note ; tandis qu'un papas chantoit le même verset sur un
air différent et en canon , c'est-à-dire , commençant la
phrase lorsque l'enfant en avoit déjà passé le milieu . Ils
ont aussi un admirable kirte eleison : ce n'est qu'une note
tenue par différentes voix , les unes graves , les autres aigües ,
exécutant andante et mezza voce , l'octave , la quinte et la
tierce. L'effet de ce kirie est surprenant pour la tristesse et
la majesté. C'est sans doute un reste de l'ancien chant de la
primitive Eglise. Je soupçonne l'autre psalmodie d'être ce
chant moderne introduit dans le rit grec vers le quatrième
siècle , et dont saint Augustin avoit bien raison de se plaindre.
Dès le lendemain de notre départ la fièvre me réprit avec
assez de violence ; je fus obligé de rester couché sur ma natte.
Nous traversâmes rapidement la mer de Marmara et le détroit
des Dardanelles , ( la Propontide et l'Hellespont ) . Nous
passâmes devant la presqu'île de Cyzique , et à l'embouchure
d'Egos-Potamos . Nous rasâmes les promontoires de Sestos
et d'Abydos : Alexandre et son armée , Xerxès et sa flotte ,
les Athéniens et les Spartiates , Héro et Léandre , ne purent
me faire vaincre le mal de tête qui m'accabloit ; mais lorsque
le 21 septembre , à six heures du matin , on vint me dire
que nous allions doubler le château des Dardanelles , la
fièvre ne put tenir contre les souvenirs de Troie. Je me
traînai sur le pont ; mes premiers regards tombèrent sur un
haut promontoire couronné par neuf moulins : c'étoit le
cap Sigée. Au pied du cap je distinguois deux tumulus , les
tombeaux d'Achille et de Patrocle. L'embouchure du Simois
étoit à la gauche du château neuf d'Asie ; plus loin , derrière
nous , en remontant vers l'Hellespont , paroissoit le cap
Rhétée et le tombeau d'Ajax. Dans l'enfoncement s'élevoit
}
AOUT 1807.
201
la chaîne du mont Ida , dont les pentes , vues du point où
j'étois , paroissoient douces et harmonieuses . Tenedos étoit
devant la proue du vaisseau : Est in conspectu Tenedos . Il
faut que la gloire soit quelque chose de réel , puisqu'elle
fait ainsi battre le coeur de celui qui n'en est que le juge.
Le 22 , nous nous engageâmes dans l'Archipel. Nous,
vîmes Lesbos , Chio , Samos , célèbre par sa fertilité et ses
tyrans , et sur - tout par la naissance de Pythagore. Mais
tout ce que les poètes nous ont appris de cette île est surpassé
par le bel épisode du Télémaque . Nous côtoyâmes les rivages
de l'Asie , où s'étendoient la Doride , et cette molle Ionie ,
qui donna des plaisirs et des grands hommes à la Grèce. La
serpentoit le Méandre , là s'élevoient Ephèse , Milet , Halicarnasse
, Gnide . Je saluois la patrie d'Homère , d'Apelle ,
d'Hérodote , de Thalès , d'Anaxagore , d'Aspasie. Mais je
n'apercevois ni le temple d'Ephèse , ni le tombeau de Mausole
, ni la Vénus de Gnide . Tout étoit désert ; et sans les
travaux de Pockoke , de Wood , de Spon , de Choiseul , je
n'aurois pu , sous un nom moderne et sans gloire , reconnoître
le promontoire de Mycale. Après avoir relâché à
Rhodes , et relevé l'île de Chypre , nous découvrîmes enfin
les côtes de la Palestine. Je ne sentis point cette espèce de
trouble que j'éprouvai en apercevant les premières montagnes
de la Grèce . Mais la vue du berceau des Israélites
et de la patrie des Chrétiens , me remplit de crainte et de
respect. J'allois descendre sur la terre des prodiges , aux
sources de la plus étonnante poésie , aux lieux , même humainement
parlant , où s'est passé le plus grand événement
qui ait jamais changé la face du monde , je veux dire la
venue du Messie . J'allois aborder à ces rives que visitèrent
comme moi les Godefroi , les Richard , les Joinville , les
Couci . Obscur pélerin , oserois-je fouler un sol consacré par
tant de pélerins illustres ? Du moins il m'étoit resté la fof
et l'honneur : et à ces titres j'aurois pu encore me faire reconnoître
des antiques croisés .
Nous jetâmes l'ancre devant Yaffa , à une demi -lieue du
rivage , la ville nous restant au sud - est , et le minaret de
la mosquée à l'est 1/4 sud-est. Je marque ici les rhumbs du
compas pour une raison assez importante. Les vaisseaux
latins mouillent ordinairement plus au large , et alors ils
sont sur un banc de rochers qui coupent les câbles , tandis
que les bâtimens grecs , en se rapprochant de la terre , se
trouvent sur un fonds moins dangereux , entre la darce de
Yaffa et le banc de rochers.
Des caïques vinrent de toutes parts pour porter à terre les
202 MERCURE DE FRANCE ,
pélerins . Je reconnus sur-le-champ , dans les patrons de
ces barques , un autre vêtement , un autre air de visage ,
un langage différent , enfin la race arabe et les habitans de
la frontière du désert.
J'envoyai mon domestique grec prévenir les pères de
Terre- Sainte de l'arrivée d'un pélerin latin . Je vis bientôt
venir un bateau où je distinguai de loin trois religieux qui ,
m'ayant reconnu à mon habit franc , me faisoient des signes
de la main. Ces Pères arrivèrent à bord : quoiqu'ils fussent
Espagnols , et qu'ils parlassent un italien difficile à entendre ,
nous nous serrâmes la main comme de véritables compa- >
triotes . Je descendis avec eux dans la chaloupe ; nous entrâmes
dans le port par une ouverture pratiquée entre des
rochers , et dangereuse même pour un caïque. Les Arabes
du rivage s'avancèrent dans l'eau jusqu'à la ceinture pour
nous charger sur leurs épaules. Il se passa là une scène assez
plaisante : mon domestique étoit vêtu d'une redingote blanchâtre
; le blanc étant la couleur de distinction chez les
Arabes , ils jugèrent que mon domestique étoit le scheik. Ils
se saisirent de lui , et l'emportèrent en triomphe malgré ses
protestations , tandis que , grace à mon habit bleu , je me
sauvois obscurément sur le dos d'un mendiant déguenillé.
Nous nous rendîmes à l'hospice des Pères , simple maison
de bois bâtie sur le port, et jouissant d'une belle vue de
la mer. Mes hôtes me conduisirent d'abord à la chapelle ,
que je trouvai illuminée , et où ils remercièrent Dieu de
leur avoir envoyé un Frère touchantes institutions chré--
tienes , par qui le voyageur trouve des amis et des secours
dans les pays les plus barbares ; institutions que j'ai vantées
ailleurs , mais qui ne seront jamais assez admirées !
Les religieux m'installèrent ensuite dans une cellule , où
je trouvai une table , un bon lit , de l'encre et du papier ,
de l'eau fraîche et du linge blanc. Il faut descendre d'un
bâtiment grec chargé de deux cents pélerins , pour sentir
le prix de tout cela . A huit heures du soir , nous passâmes
au réfectoire. On dit en commun le Benedicite , précédé
du De Profundis : souvenir de la mort que le Christianismet
mêle à tous les actes de la vie pour les rendre plus graves ,
comme les anciens le mêloient à leurs banquets pour
rendre leurs plaisirs plus piquans. On me servit sur une
petite table propre et isolée , de la volaille , du poisson
d'excellens fruits , tels que des grenades , des pastèques
des raisins , et des dattes dans leur primeur ; j'avois à discrétion
le vin de Chypre , le café du Levant. Tandis que
j'étois comblé de biens , les Pères mangeoient gaiement un
AOUT 1807 .
203
>>
pen de poisson sans sel et sans huile : ils étoient gais avec
modestie , familiers avec politesse . Point de questions inutiles
, point de vaines curiosités . Tous les propos rouloient
sur mon voyage , sur les mesures à prendre pour me le
faire achever en sûreté : « Car , me disoient-ils , nous répondons
maintenant de vous à votre patrie . » Ils avoient
déjà dépêché un exprès au scheik des Arabes de la montagne
de Judée , et un autre au Père procureur de Rama :
Nous vous recevons , me disoit le P. François Munoz
» avec un coeur limpide e bianco . » Il étoit inutile que ce
religieux espagnol m'assurât de la sincérité de ses sentimens
je les aurois facilement devinés à la pieuse franchise
de son front et de ses regards.
x
Cette réception si chrétienne et si charitable dans une
terre où le Christianisme et la charité ont pris naissance ;
cette hospitalité apostolique dans un lieu où le premier des
Apôtres prêcha l'Evangile , me touchoient jusqu'au coeur :
je me rappelois que d'autres missionnaires m'avoient reçu
avec la même cordialité dans les déserts de l'Amérique.
Les religieux de Terre - Sainte ont d'autant plus de mérite
, qu'en prodiguant aux pélerins de Jérusalem la
charité de Jésus - Christ , ils ont gardé pour eux la croix
qui fut plantée sur ces mêmes bords . Ce Père au coeur
limpide e bianco m'assuroit encore qu'il trouvoit la vie qu'il
menoit depuis cinquante ans , un vero Paradiso. Veut-on
savoir ce que c'est que ce Paradis ? Tous les jours une
avanie , la menace des coups de bâton , des fers et de la
mort. Il y a quelque temps que ces religieux avoient lavé
les linges de l'autel . L'eau , imprégnée d'amidon , en coulant
au-dehors de l'hospice , blanchit une pierre. Un Turc passe,
voit cette pierre , et va déclarer au cadi que les Pères ont
réparé leur maison . Le cadi se transporte sur les lieux ,
décide que la pierre , qui étoit noire , est devenue blanche ;
et sans écouter les religieux , il les oblige à payer dix
bourses . La veille même de mon arrivée à Yaffa , le Père
procureur de l'hospice avoit été menacé de la corde par un
domestique de l'aga , en présence de l'aga même . Celui- ci
se contenta de rouler paisiblement sa moustache sans
daigner dire un mot favorable au chien. Voilà le véritable
Paradis de ces moines , qui , selon quelques voyageurs ,
sont des petits souverains en Terre-Sainte , et jouissent des
plus grands honneurs .
Le lendemain de mon arrivée à Yaffa , je voulus parcourir
la ville , et rendre visite à l'aga , qui m'avoit envoyé
184 MERCURE DE FRANCE ,
conséquence une commission composée de MM. Adam ,
Berton , Catel , Gossec , Kreutzer , Jadin et Méhul. Elle
s'est réunie dans la salle où étoient déposés deux instrumens
à clavier , de la nature de ceux connus sous le nom de
piano , mais de forme différente ; le mécanisme de l'un de
ces pianos est établi verticalement ; il a déjà été remarqué
dans la dernière exposition de l'industrie nationale. Le second
piano n'avoit point encore paru ; son mécanisme est établi
horizontalement , et renfermé dans une caisse triangulaire.
L'avis de la commission a été , que les formes de ces deux instrumens
semblent avoir été imaginées pour occuper le moins
d'espace possible , en remplissant cependant les conditions
des pianos jusqu'à présent en usage. En effet , le piano vertical
dont l'invention est due aux Autrichiens , et que
M. Pfeiffer a fait connoître à Paris , n'occupe de place que
celle nécessaire pour l'épaisseur de la caisse d'un piano ordinaire
, dressée verticalement , en y ajoutant la saillie d'un
clavier. Le mécanisme en a paru parfaitement exécuté ; il
annonce des hommes instruits dans toutes les parties de l'art
du facteur , de cet art porté actuellement à un si haut degré de
perfection. Les jeux de cet instrument sont faciles et agréables.
Celui à forme triangulaire peut se placer contre les parois de
l'appartement, sans que l'exécutant soit obligé de tourner lé
dos aux auditeurs , ce qui arrive avec les pianos en usage ; si
on ne les isole pas ; le clavier de celui- ci se trouve placé sur
l'un des côtés du triangle ; le mécanisme de cet instrument ne
présente de différences avec les autres pianos que dans l'application
du renversement du clavier , et dans une nouvelle composition
de marteaux que les auters annoncent devoir être
meilleure , ce qui sera constaté par l'usage.
L'exécution de cet instrument est comme celle du précédent
, extrêmement soignée , et doit mériter à MM. Pfeiffer
et compagnie la bienveillance des amateurs et les encoura→
gemens du gouvernement.
-
S. M. le roi de Naples a écrit à M. Baour - Lormian
auteur de la tragédie d'Omasis , la lettre suivante
Naples , 21 mars 1807.
« Je reçois , Monsieur , votre lettre du 10 février et votre
>> tragédie de Joseph ; je vous remercie de l'une et de l'autre.
» Il y a déjà quelques semaines que nous avons lu votre tra-
» gédie avec des personnes qui partagent mon goût pour ce
» genre de poésie ; nous lisons nous-mêmes , en attendant
>> nous ayons une réunion d'acteurs dont vous ne rougissiez
» pas. Vous seriez plus indulgent que l'Arioste , Monsieur, en
que
"
JUILLET 1807 .
185
» nous entendant lire vos vers. Au reste , sa colère n'étoit pas
» bien sérieuse , et les auteurs sont toujours charmés de trouver
>> des gens qui ont le goût et l'amour de leurs ouvrages.
>> Comptez-moi dans ce nombre , Monsieur, et croyez-moi
>> votre affectionné ,
JOSEPH. >>
Le dimanche 12 juillet , M. Villoteau , membre de la
commission des Sciences et Arts d'Egypte , accompagné de
M. Marcel , directeur-général de l'Imprimerie impériale , et
membre de la Légion d'Honneur , a eu l'honneur d'offrir à
S. M. l'Impératrice et Reine , un exemplaire des Recherches
sur l'analogie de la musique avec les arts qui ont pour objet
l'imitation du langage. S. M. I. et R. a daigné accueillir avec
bonté l'hommage de cet ouvrage plein d'érudition , dont le
précis , lu à la 3 classe de l'Institut , avoit mérité les suffrages
de cette société savante , et dont S. M. le roi de Hollande a
bien voulu accepter la dédicace.
M. Lunier , auteur du Dictionnaire des Sciences et des
Arts , est mort subitement , la semaine dernière , à l'âge de
58 ans.
-
On rétablit , dans ce moment , les deux statues qu'on
voyoit autrefois sur les pilastres placés aux deux côtés de la
barrière des Bons -Hommes. Ces deux statues représentoient
la Bretagne et la Normandie , deux de nos provinces où cette
route conduit .
VACCINE.
« On doit être étonné qu'après huit ans d'une expérience
toujours couronnée de succès , qu'après tant d'épreuves
variées , répétées dans tous les pays où les lumières ont pu
pénétrer, des faux bruits circulent encore contre une des plus
heureuses découvertes du siècle dernier. Le comité central de
la société de vaccine doit à la confiance dont l'a revêtu S. Exc .
le ministre de l'intérieur , de chercher à détruire les fâcheuses
impressions que ces bruits peuvent faire dans le public.
« Le comité est instruit qu'on reproduit avec adresse et
sur-tout avec des précautions insidieuses , les objections qu'on
opposoit, dans les premiers temps , à l'introduction de la vaccine
; il sait que des petites véroles volantes , des éruptions
fugaces avec ou sans fièvre , survenues pendant les chaleurs , à
des enfans vaccinés , ont été prises pour des petites véroles
contagieuses . Il n'ignore pas non plus que des hommes connus
pour faire un trafic de l'inoculation de la petite vérole ,
recueillent avec mystère tous ces faits épars , les colportent
dans le public , et cherchent , par des citations mensongères ,
à éloigner les parens d'adopter pour leurs enfans un préservatif
dont la vertu est sanctionnée en France par huit ans d'obser→
贯
186
MERCURE
DE FRANCE
,
vations et de succès. A toutes ces allégations , le comité pent
répondre avec la bonne foi et l'impartialité dont il a déjà
donné tantde preuves , que les chaleurs ramènent constainment
à la peau des affections éruptives qui tantôt se bornent à des
plaques rouges , qu'autrefois se caractérisent par des boutons
détachés qui paroissent , suppurent et se dessèchent successivement
sur les différentes parties du corps ; que ces éruptions
, rarement accompagnées de fièvre , n'offrent rien de
contagieux , et ne peuvent jamais être confondues avec la
petite -vérole par des personnes de l'art , tant soit peu exercées
à voir cette maladie ; que , pendant les dernières chaleurs , on
les a également observées sur les sujets vaccinés et sur ceux
qui ne l'ont pas été ; qu'enfin , cette année- ci , comme les
précédentes , la matière en a été inoculée à divers sujets qui
n'avoient encore eu ni la variole , ni la vaccine , et qu'elle ne
s'est développée sur aucun .
» A. des faits aussi positifs , dont la vérité pratique doit
frapper les esprits les moins éclairés , le comité central en
ajoute d'autres qui sont d'une observation constante et journalière.
Depuis sept ans que la vaccine a été inoculée à tous
les enfans du Lycée impérial , et à ceux des hospices des
orphelins et des orphelines , il n'y a eu , dans ces trois établis
semens , aucun exemple de petite vérole. Dans ces trois maisons
, a donc été résolu , comme nous l'avons déjà dit , le
problême de la possibilité de l'extinction de la petite vérole .
Il suffit à quelques personnes de connoître cet important résultat
, pour chercher dans la vaccine un abri contre les épidémies
varioleuses ; aussi le comité ne craint- il pas de le publier
de nouveau comme la réponse la plus forte qu'il puisse
faire aux détracteurs cachés de la nouvelle inoculation. La
vaccine n'est plus et ne doit plus être un point de controverse
ni un sujet de discussion : le temps , les nombreux essais qui
en ont été faits , ont complètement résolu la question . Cette
découverte doit triompher de tous les obstacles ; mais pour
parvenir à ce but , le comité ne se dissimule pas qu'il faut
une activité constante , une sage réunion d'efforts , et quelquefois
une fréquente répétition des mêmes faits .
» Le gouvernement considère la vaccine comme le plus
puissant moyen de conserver , d'embellir , d'accroître la population
de l'Empire. Dans cette intention , les ordres les plus
formels ont été donnés par M. le conseiller d'Etat , chargé de
l'instruction publique , pour n'admettre dans les lycées et
écoles secondaires que des enfans vaccinés ou ayant eu précé
demment la petite vérole. Son excellence a adopté la même
mesure pour les élèves des écoles vétérinaires ; plusieurs coJUILLET
1807 . 187
mités de bienfaisance à Paris ont pris le sage parti de ne distribuer
des secours aux familles indigentes , que lorsque la
vaccine auroit mis leurs enfans hors des dangers de la petite
vérole. I ont trouvé , dans l'exécution de cette mesure , une
économie bien entendue , et la certitude que la contagion ne
dévasteroit pas des ménages entiers. Enfin, sur presque tous
les points de la France , MM . les évêques ont , dans des lettres
pastorales , recommandé à leurs coopérateurs d'éclairer leurs
paroissiens sur les bienfaits d'une méthode que le gouvernement
, même au milieu des travaux de la guerre, n'a cessé
d'encourager.
» En entrant de nouveau dans ces détails , le comité central
a voulu réveiller l'attention du public sur le but constant
de ses travaux , et le prémunir contre les fausses suggestions
de la mauvaise foi et de l'ignorance. Il lui suffit d'avoir fait
connoître que les éruptions qui surviennent à présent à quel
ques enfans vaccinés et à ceux qui ne l'ont pas été , sont des
petites véroles volantes ou des exanthèmes passagers ; que ,
jusqu'à présent , aucun fait bien exactement constaté n'est
venu atténuer la confiance que doit nécessaire- ment inspirer
la vaccine ; que le gouvernement encourage et récompense
les personnes qui , en la propageant , remplissent ses intentions
, et que les gens de l'art trouveront auprès du comité
toutes les facilités nécessaires pour la répandre. A cet égard ,
le comité rappelle que les vaccinations gratuites continuent à
se pratiquer dans son hospice , rue du Battoir Saint André ,
n°. 1 , les mardis et samedis , à midi précis , et que toutes les
personnes y sont admises sans aucune distinction,
+
Fait en séance , le 17 juillet 1807 .
Signé Huzard, président ; Corvisart , Hallé , Thouret ,
Pinel, Leroux , Guillotin , Jadelot , Mougenot , Parfait ,
Salmade , Marin , Doussin- Dubreuil , Delasteyrie , Husson
, secrétaire.
NOUVELLES POLITIQUES.
Stetin , 12 juillet.
Voici la traduction littérale d'un ordre du jour imprimé
en langue allemande dans les gazettes de Stetin , de Hambourg
, etc.
Ordre du joer.
Le corps d'observation de la Grande-Armée devant se tenir en mesure
Contre une attaque dont il est menacé , va rentrer dans la Pomeranie
suédoise .
Un armistice avoit été conclu avec la Suède , le 18 avril , à Schlatkow
Les hostilités ne devoient recommencer qu'ap ès s'être prévenu dix jour
188 MERCURE DE FRANCE ;
d'avance. Les généraux étendi ent ensuite ce terme à trente jours , par un
article additionnel , signé à Stea sund , le 29 du même mois.
Ce dernier arrangement n'avoit éprouvé aucune difficulté ; cependant
S. M. le roi de Suède parat en Pomeranie , prit le commande
ment de son umée , et manifesta aussitôt le dessein de n'observer que la
prem è e stipulation de dix jou s.
е
En même temps sa ma ine , stationnée devant Colberg , exerça au
mépris te l'armistice , des hostilités contre les corps français et al iés
assiégeant c tt pl.ce. I résulta de cet état de choses une correspondance
entre les gén raux ; et le roi de Suède , pour terminer les discussions
, me fit proposer une entrevue à Schlakow , sur le territoi e
suédois On prétendoit alors que l'apparit on du roi , qui d'abord avoit
été d'un mauvais augure , ne venoit que de son desir de diriger lui - mêmẹ
les choses. On fut même porté à croire que , malgré les apparen es , on
pou roit en venir à des ouvertures tendan es à un arrangement solide et
une paix durable.
Le 4 juin , je me rendis à Schlatkow accompagné de cinq à six
offici rs et d'autant de gendarmes d'ordonnance. L'aide - de - camp de
S. M. suédoi e m'avoit prévenu que le roi se trouvoit à Sch'atkow,
presque sans e corte et avec une suite peu nombreuse . A mon arrivée , je
vis la maison du roi sans gare ; un escadron de cavalerie étoit dans la
cour , en ordr de bataile . Dès que je me trouvai seul avec le roi , je lui
exposai les motifs de len revue ; mais il m'interrompit au-si ôt en me
déclarant que sa volo té étoit imuiuablement fixée pour le terme de dix
jours , et il é igna ainsi d'autorité toutes les questions qui devient fire
l'objet de la conférence. Mais ce que l'Europe aprendra avec indignation
parce que le droit des gens et les is de l'honneur fu ent ax -là violés ,
e'est que ce prince osa poposer au général français , à l'un des premiers
sujets de l'Empereur Napo éon , de trahir son souverain et sa patric . II
Finvita à embrasser le parti des Anglais , et à se ranger sous les drapeaux
d'une bande de tran fuges devenus insensibles au bonheur de leur patrie
et étrangers à sa gloire Cette conference prouva que le roi de Suède ,
partageant le délire de ces étrangers , leur sacrifie les intérêts les lus
chers de son peuple.
Depuis cette conférence , le ro a fait continuer les hostilités devant
Colberg, et à l'embouchure de la Trave. Il a tiré de l'Angleterre de l'argent
et des soldats ; il a ramassé tout ce qu'il a pu de fuyard et déserteurs ;
et enfin , se confiant en sa puissance , il a dé ›oncé l'armistice de dix
jours , le 3 juillet , au moment même où il devoit avoir connoissance des
nouvelles dispositios de la Russie et de la Prusse.
Les hostilités avec la Suède recommencent donc le 13 de ce mois.
Nous pouvions les recommencer plutôt , puisque la conduite du roi n'a
offert qu'une suite de violations manifestes ; mais il est dans le caractère
de notre souver in d'être g and par sa modération et sa générosité ,
comme il est grand par son génie et ses exploits . L'Europe saura apprécier
cette conduite ; elle connoftra ceux qui veulent prolonger les fléaux
de la guerre. J
Les troupes françaises et alliées se disputeront le prix du courage et de
la discipline ; elles n'oublieront pas que le regard de l'Empereur N poléon
plane sur elles . Je ne doute pas que nous ne méritions tous son appro
bation par notre dévouement. Signé BRUNE.
JUILLET 1807: 189
PARIS, vendredi 24 juillet.
Aujourd'hui , à quatre heures , S. A. S. l'archichancelier
de l'Empire s'est rendu au sénat conservateur , et lui a donné,
au nom de l'EMPEREUR , Communication des deux traités de
paix conclus avec la Russie et avec la Prusse.
―
La publication de la paix a été faite ce soir : le cortège
étoit brillant, et sur toutes les places on se portoit en foule
pour prendre part à la joie qu'inspire un aussi heureux évé
mement. Les cris de vive l'Empereur ! interrompoient sou
vent les héraults d'armes , et redoubloient à la fin de chaque
proclamation. Le soir , l'illumination a été générale. Nous
donnerons dans le prochain numéro le texte des deux traités.
Par un décret daté de Tilsit , 10 juillet 1807 , S. M. a
nommé M. Lacépède , président du sénat, pour la durée d'une
-
année.
-
- Hier la cour de cassation à rejeté le pourvoi de madame
de Thémines.
Tilsit , 9 juillet 1807.
L'échange des ratifications du traité de paix entre la France
et la Russie , a eu lieu aujourd'hui , à 9 heures du matin . A
onze heures , l'Empereur Napoléon , portant le grand cordon
de l'Ordre de Saint - André , s'est rendu chez l'Empereur
Alexandre , qui l'a reçu à la tête de sa garde, et ayant la grande
décoration de la Légion- d'Honneur. L'EMPEREUR a demandé
à voir le soldat de la garde russe qui s'étoit le plus distingué
: il lui a été présenté. S. M. , en témoignage de son estime
pour la garde impériale russe , a donné à ce brave l'aigle d'or
de la Légion d'Honneur.
Les Empereurs sont restés ensemble pendant trois heures
et sont ensuite montés à cheval . Ils se sont rendus au bord du
Niemen , où l'Empereur Alexandre s'est embarqué. L'Empereur
Napoléon est demeuré sur le rivage jusqu'à ce que l'Empereur
Alexandre fût arrivé à l'autre bord. Les marques
d'affection que ces princes se sont données en se séparant , ont
excité la plus vive émotion parmi les nombreux spectateurs
qui s'étoient rassemblés pour voir les plus grands souverains
du monde offrir , dans les témoignages de leur union et de
leur amitié , un solide garant du repos de la terre.
L'Empereur Napoléon a fait remettre le grand cordon de
la Légion-d'Honneur au grand - duc Constantin , au prince
Kourakin , au prince Labanoff et à M. de Budberg.
L'Empereur Alexandre a donné le grand Ordre de Saint190
MERCURE DE FRANCE ,
n
André au prince Jérôme Napoléon , roi de Westphalie , au
grand-duc de Berg et de Clèves , au prince de Neuchâtel et
au prince de Bénévent.
A trois heures d'après midi , le roi de Prusse est venu voir
l'Empereur Napoléon. Ces deux souverains se sont entretenus
pendant une demi-heure. Immédiatement après , l'Empereur
Napoléon a rendu au roi de Prusse sa visite. Il est ensuite
parti pour Koenigsberg.
Ainsi , les trois souverains ont séjourné pendant vingt jours
à Tilsit. Cette petite ville étoit le point de réunion des deux
armées. Ces soldats qui naguère étoient ennemis , se donnoient
des témoignages réciproques d'amitié , qui n'ont pas été
troublés par le plus léger désordre.
Hier, l'Empereur Alexandre avoit fait passer le Niemen à
une dixaine de baschirs qui ont donné à l'Empereur Napoléon
un concert à la manière de leur pays,
L'EMPEREUR , en témoignage de son estime pour le général
Platow , hetman des Cosaques , lui a fait présent de son por
trait.
Les Russes ont remarqué que le 27 juin ( style russe ,
9 juillet du calendrier grégorien ) , jour de la ratification du
traité de paix , est l'anniversaire de la bataille de Paltaya qui
fut si glorieuse , et qui assura tant d'avantages à l'Empire de
Russie, Ils en tirent un augure favorable pour la durée de la
paix et de l'amitié qui viennent de s'établir entre ces deux
grands Empires. (Moniteur. )
LXXXVII BULLETIN DE LA GRANDE - ARMÉE.
Koenigsberg, le 12 juillet 1807. ,
Les Empereurs de France et de Russie, après avoir séjourné
pendant vingt jours à Tilsit , où les deux maisons impériales ,
situées dans la même rue , étoient à peu de distance l'une de
l'autre , se sont séparés le 9 , à trois heures après- midi , en se
donnant les plus grandes marques d'amitié. Le journal de ce
qui s'est passé pendant la durée de leur séjour , sera d'un
véritable intérêt pour les deux peuples.
Après avoir reçu , à trois heures et demie , la visite d'adieu
du roi de Prusse , qui est retourné à Memel , l'Empereur
Napoléon est parti pour Koenigsberg , où il est arrivé, le 10,
à quatre heures du matin.
par
Il a fait hier la visite du port dans un canot qui étoit servi
les marins de la garde. S. M. passe aujourd'hui la revue
du corps du maréchal Soult , et part demain à deux heures du
matin pour Dresde .
JUILLET 1807 . igt
Le nombre des Russes tués à la bataille de Friedland s'élève
à 17,500 ; celui des prisonniers est de 40,000 ; 18,000 sont
passés à Koenigsberg , 7000 sont restés malades dans les hôpitaux
; le reste a été dirigé sur Thorn et Varsovie . Les ordres
ont été donnés pour qu'ils fussent renvoyés en Russie sans
délai ; 7000 sont déjà revenus à Koenigsberg , et vont être
rendus. Ceux qui sont en France , seront formés en régimens
provisoires. L'Empereur a ordonné de les habiller et de les
armer .
Les ratifications du traité de paix entre la France et la
Russie avoient été échangées à Tilsit le 9 ; celles du traité de
paix entre la France et la Prusse , l'ont été ici aujourd'hui .
Les plénipotentiaires chargés de ces négociations étoient ,
pour la France , M. le prince de Bénévent ; pour la Russie ,
le prince Kourakin et le prince Labanoff; pour la Prusse , le
feld-maréchal comte Kalkreuth et le comte de Goltz.
Après de tels événemens , on ne peut s'empêcher de sourire
quand on entend parler de la grande expédition anglaise et
de la nouvelle frénésie qui s'est emparée du roi de Suède . On
doit remarquer d'ailleurs que l'armée d'observation de l'Elbe
et de l'Oder , étoit de 70,000 hommes , indépendamment de
la Grande-Armée , et non compris les divisions espagnoles qui
sont en ce moment sur l'Oder. Ainsi il auroit fallu que l'An
gleterre mit en expédition toute son armée , ses milices , ses
volontaires , ses fencibles pour opérer une diversion sérieuse.
Quand on considère que , dans de telles circonstances , elle a
envoyé 6000 hommes se faire massacrer par les Arabes , et
7000 hommes dans les Indes espagnoles , on ne peut qu'avoir
pitié de l'excessive avidité qui tourmente ce cabinet.
La paix de Tilsit met fin aux opérations de la Grande-
Armée ; mais toutes les côtes , tous les ports de la Prusse
n'en resteront pas moins fermés aux Anglais . Il est probable
que le blocus continental ne sera pas un vain mot.
La Porte a été comprise dans le traité . La révolution qui
vient de s'opérer à Constantinople , est une révolution antichrétienne
qui n'a rien de commun avec la politique de l'Europe.
L'adjudant-commandant Guilleminot est parti pour la
Bessarabie , où va infermer le grand -visir , de la paix , de
la liberté qu'à la Porte d'y prendre part , et des conditions
qui la concernent.
Koenigsberg, le 13 juillet.
L'Empereur a passé hier la revue du 4 corps d'armée .
Arrivé au 26 régiment d'infanterie légère , on lui présenta
le capitaine de grenadiers Roussel. Ce brave soldat , fait prisonnier
à l'affaire de Hoff, avoit été remis aux Prussiens.
192 MERCURE DE FRANCE ,
3
»
Il se trouva dans un appartement où un insolent officier
se livroit à toute espèce d'invectives contre l'Empereur.
Roussel supporta d'abord patiemment ces injures , mais enfin
il se lève fièrement en disant : « Il n'y a que des lâches qui
>> puissent tenir de pareils propos contre l'Empereur Napoléon
devant un de ses soldats. Si je suis contraint d'en-
>> tendre de pareilles infamies , je suis à votre discrétion ,
>> donnez-moi la mort. >> Plusieurs autres officiers prussiens
qui étoient présens , ayant autant de jactance que peu de
mérite et d'honneur , voulurent se porter contre ce brave
militaire à des voies de fait. Roussel , seul contre sept ou
huit personnes , auroit passé un mauvais quart-d'heure , si
un officier russe , survenant à l'instant , ne se fût jeté devant
lui le sabre à la main : « C'est notre prisonnier , dit-il ,
» et non le vôtre. Il a raison ,et vous outragez lâchement
>> le premier capitaine de l'Europe. Avant de frapper ce
>> brave homme , il vous faudra passer sur mon corps. »
En général , autant les prisonniers français se louent des
Russes , autant ils se plaignent des Prussiens , sur-tout du
général Ruchel , officier aussi méchant et fanfaron , qu'il est
inepte et ignorant sur le champ de bataille. Des corps
prussiens qui se trouvoient à la journée d'Jéna , le sien est
celui qui s'est le moins bravement comporté.
En entrant à Koenigsberg , on a trouvé aux galères un caporal
français , qui y avoit été jeté , parce qu'entendant les sectateurs
de Ruchel parler mal de l'Empereur , il s'étoit emporté
et avoit déclaré ne pas vouloir le souffrir en sa présence.
Le général Victor , qui fut fait prisonnier dans une chaise
de poste par un guet-à-pens , a eu aussi à se plaindre du traitement
qu'il a reçu du général Ruchel , qui étoit gouverneur
de Kænigsberg. C'est cependant le même Ruchel qui , blessé
griéveinent à la bataille d'Jéna , fut accablé de bons traitemens
par les Français ; c'est lui qu'on laissa libre , et à qui , au lieu
d'envoyerdes gardes comme ondevoit le faire , on envoya des
chirurgiens. Heureusement que le nombre des hommes auxquels
il faut se repentir d'avoir fait du bien, n'est pas grand.
Quoi qu'en disent les misantropes , les ingrats et les pervers
forment une exception dans l'espèce humaine.
(Moniteur. )
FONDS PUBLICS.
b
DUVENDREDI 17. -Cp. o/o c. J. du 22 mars 1807 , 8of 20c 25c. 30€
350 Зосос 40c ooc ooc oof oof ooc ooe oof ooc one ooc ooc oofooc oos
Idem.Jouiss. du 22 sept. 1807 , 77f 50c 50c. oof ooc coc
Act. de la Banque de Fr. 1575f oooof coc oooof
( No. CCCXV. )
tok
(SAMEDI 1er AOUT 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
LA PAIX DE TILSIT,
In vien
ODB.
L vient done consoler laterre
Ce jour si cher à nos souhaits ,
Où l'astre brûlant de la guerre
Cède aux doux rayons de la paix.
Enexhalant un vain blasphème ,
La Discorde cède elle-même
Ala valeur de nos guerriers :
Je vois le calme reparoître ,
Et les oliviers vont renaître
Al'ombre illustre des lauriers .
Salut , défenseurs magnanimes
De notre gloire et de nos droits ;
Jamais des élans plus sublimes
N'ont produit de plus beaux exploits.
Ah! quand, dans une autre carrière,
Onn'apas , aux champs de la guerre ,
Comme vous , pu se dévouer ,
L'ame confuse , mais ravie ,
On sentiroit un peu d'envie
Sans le plaisir de vous louer.
Et vous , dont les jeunes courages
Dorment à l'ombre des cyprès ,
Recevez un tribut d'hommages
Avec un tribut de regrets.
Ah ! du moins , chers à la patrie ,
Vos noms , dans la France attendrie ,
Prolongent vos destins trop courts ;
Et marqués du sceau de la gloire ,
Vous revivez dans la mémoire
Duhéros qui vivra toujours.
८९
رد
:
EPT
DE
LA
N
194 MERCURE DE FRANCE ,
1
Mais déjà , sur les vastes rives
Du tumultueux Océan ,
Vous planez , ombres fugitives ,
Entre les amis d'Ossian.
Souvent de vos ailes légères
Vous séchez les pleurs de vos mères ,
Vous rendez leurs fronts pplluus sereins;
Et , vous élevant sans obstacle ,
Vous avez vu le grand spectacle
Que je vais montrer aux humains .
Loin par-delà tous les nuages
Brille un temple majestueux :
Les grands hommes de tous les âges
S'y rassemblent de tous les lieux ;
La Gloire elle-même y préside.
Là, naguère , leur fouleavide
Sentant la même ambition ,
Sur cette guerre encor nouvelle ,
Demanda le récit fidèle
Des exploits de NAPOLÉON.
On t'appela , soeur de l'Histoire ,
Incorruptible Vérité :
LaGloire , quand c'est bien laGloire ,
Te veut toujours à son côté.
Pour ses auditeurs héroïques
Dissipant les rumeurs publiques ,
La Vérité les étonna ,
Et d'une marche impétueuse ,
Etd'une attaque audacieuse ,
Etdu prodige d'JENA. 1
Du Guesclin , le Cid , Bélisaire ,
Applaudirent tous au vainqueur ;
Frédéric frémit de colère ,
Etcourut cacher sa douleur.
Annibal taisoit sa surprise ;
Mais quand dans GOLYMIN soumise
Les Français sont victorieux ,
« Il faut bien , dit-il , que je loue
>> Celui qui n'a point de Capoue ,
>> Et voit Trasymène en tous lieux. >>
Fabius froidement écoute ,
Et dit , plus lent à le yanter :
• Il sait bien attaquer , sans doute ;
>>> Mais sauroit-il bien résister ?>>>
Dans la saison la plus contraire ,
Bientôt , sous EYLAU sanguinaire ,
Du Russe il voit l'espoir décu;
Il voit devant DANTZICK guerrière
Une impénétrable barrière ,
Etdit:« Je suis aussi vaincu.>>>>
Seuls encor, César , Alexandre ,
De l'univers antiques rois ,
DeBONAPARTE Osoient prétendro
1
AOUT 1807 . 195
Surpasser les nobles exploits;
Mais quand ses derniers adversaires ,
AFRIEDLAND plus téméraires ,
Cèdent réduits à l'implorer,
De tant d'exploits sentant l'empire,
Ces héros , que l'Histoire admire,
Se taisent , surpris d'admirer.
Cependant, tandis qu'on dévore
Tantde récits prodigieux ,
Un ami de la Gloire encore
Reste calme et silencieux :
C'étoit ce sage Marc-Aurèle
Qui , sous une forme mortelle ,
Fut un dieu parmi les humains ,
Etdont le règne tutélaire
Sut réaliser pour la terre
L'antique âge d'or des Romains.
Admirant la valeur suprême
Qui partont imposoit des lois ,
Ainsi que le vainqueur lui-même ,
Il s'attristoit de tant d'exploits.
Soudain , d'une paix modérée,
Aux bords du Niemen jurée ,
L'heureux tableau vint le frapper :
La joie anima son visage :
«
!"
Eh quoi , dit-il , aucunsuffrage
» Ne lui pouvoit donc échapper!
O Niemen , tes bords vulgaires
Languissoient dans l'obscurité !
Parmi le peuple de tes frères ,
Ton nom à peine étoit cité !
Mais depuis le jour où ton onde
Aporté les destins du monde,
Les tiens sont brillans et sacrés;
Et ton onde à jamais illustre ,
Egale désormais le lustre
Des fleuves les plus célébrés.
?
Comme les nations charmées
Durent déposer leurs fureurs ,
Lorsque devant les deux armées¹
Voguèrent les deux Empereurs !
Comme alors , en groupesdebraves,
Les fils des Gaulois et des Slaves
Présentoient des tableaux divers!
Le Scyte , appuyé sur sa lance ,
Considéroit dans le silence
Les héros d'un autre univers .
Quel aspect a charmé la terre :
Devant leurs peuples valeureux ,
Les deux arbitres de la guerre
Ont uni leurs bras généreux ;
Leur étreinte chevaleresque
N2
196 MERCURE DE FRANCE ,
Abrisé l'espoir romanesque
Que l'Anglais vouloit ressaisir ;
Et le fleuve ému sent ses ondes ,
Jusques dans ses grottes profondes,
Frémir d'orgueil et de plaisir.
Va, Niémen , nouvel Alphée ,
Au travers des flots satisfaits ,
Vaporter au loin le trophée
Detontriompheetdelapaix.
Fleuves de l'Europe calmée ,
Allez , d'une course animée ,
Dire aux rivages d'Albion ,
Qu'après tant de maux et d'orages ,
L'Europe n'aplus de rivages
Ennemis de NAPOLÉON.
Par un Membre du Corps-Législatif.
ENIGME.
En tout pays je suis utile
Auberger comme au plus grand roi ;
Partout on me porte avec soi ,
Alacour, aux champs , à la ville.
Je suis mauvaise, je suis bonne ,
Jefaisdumal,,jjeefais du bien,
Suivant que mon maître l'ordonne :
Je vaux beaucoup , ou ne vaux rien .
LOGOGRIPHE.
Au Louvre , au Capitole , à Vienne , à Palmyre ,
Dans les temples des Dieux , dans le palais des rois,
Dans ce siècle , comme autrefois,
Sous plusieurs formes onm'admire.
Huit élémens forment mon tout :
Aux trois premiers tournés ajoutez-en un autre ,
Vous trouverez un Saint que l'on chome au mois d'août.
Les cinqderniers tantôt reçoivent unApôtre,
Tantôt un vase à fleurs , tantot un Apollon ;
L'on me trouve à l'église , au jardin , au salon ,
Retranchez-en par où commence Homère ,
Vous entendrez un poète harmonieux
Chanter mon nom , le porter jusqu'aux cieux,
Désarmer mes rigueurs et ma feinte colère.
Unjour, dans un accès jaloux
Me jurer par dépit une éternelle haine ;
Le lendemain, reprendre à mes genoux ,
Etbaiser de nouveau sa chaîne .
CHARADE.
A TON amie , hélas ! lorsqu'elle est mondernier ,
Avec douleur encor tu serres mon premier ;
Jadis en France existoit mon entier.
Le mot de l'Enigme du dernier No. est la lettre T.
CeluiduLogogriphe est Veau , où l'on trouve eau.
Celui de laCharade est Bal-lot.
LA
AOUT 1807 . 197
QUELQUES DÉTAILS
SUR LES MOEURS DES GRECS , DES ARABES
ET DES TURCS.
DAANNSS un dernierNuméroduMercure,enrendantcompte
du bel ouvrage de M. de Laborde , j'ai eu occasion de rappeler
les lieux que je venois de parcourir. On aime à parler
de ces pays dont les seuls noms sont un charme. J'ajouterai
aujourd'hui de nouveaux détails à ceux que j'ai déjà publiés ;
mais, avant de les donner ici , j'entrerai dans une courte
explication.
? Je n'ai jamais eu , en visitant la Grèce , la Palestine
l'Egypte et la Barbarie, le dessein d'écrire un Voyage. J'ai
voulu seulement, pour me servir du langage des anciens ,
me guérir de mon ignorance. Depuis quelques années ,
occupé d'un ouvrage qui doit servir comme de preuve au
Génie du Christianisme , j'ai cru devoir reconnoître les lieux
où je place mes personnages. Je n'ai un peu de confiance
en ce que j'écris , que quand je puis dire comme Ulysse :
«J'ai vu les moeurs et les pays, j'ai tâché de vous les
> peindre tels qu'ils se sont offerts à mes yeux. »
Avant de partir pour le Levant, j'avois fait un travail
assez considérable sur les auteurs anciens et modernes qui
traitent de la Grèce et de la Judée. Ces notes , et celles que
j'ai recueillies sur les lieux mêmes , sont les matériaux que
j'assemble pour mon ouvrage ; mais , parmi les choses que
j'ai vues , il en est qui me sont tout-à- fait inutiles. Tout ce
qui regarde les usages des peuples modernes , par exemple ,
nepeut entrer dans mon sujet, puisque ma scène est placée
dans l'antiquité. Au contraire , jedois réserver tout ce qui
est description pour mon livre. J'ai donc détaché de mes
études les objets qui se trouvent hors de mon plan , et que
je puis offrir dès aujourd'hui au lecteur. Je le prie toujours
de se rappeler que ce n'est point ici un Voyage , mais des
notions imparfaites et quelques souvenirs .
Jem'embarquai à Trieste le 1 août 1806. Nous sortimes
rapidement de la mer Adriatique. Le 8 , nous découvrimes
3
198 MERCURE DE FRANCE ,
Skérie ( Corfou ) et Buthrotum , qui rappellent deux des
plus belles scènes de l'Odyssée et de l'Enéide. Nous reconnûmes
le rocher d'Ithaque . J'aurois bien vouluy descendre ,
pour visiter le jardin de Laërte , la cabane d'Eumée , et
même le lieu où le chien d'Ulysse mourut de joie en
revoyant son maître .
Nous dépassâmes les îles de Zanthes et de Céphalonie; et
le 10 au matin , les montagnes de l'Elide se formèrent dans
Phorizon du Nord. Le 11 , nous jetâmes l'ancre devant
Modon , l'ancienne Mothone , près de Pylos. Je saluai les
rivages de la Grèce ; et la chaloupe du bâtiment me porta
aux pieds des murs de Modon. J'entrai dans cette ville délabrée
. Lorsque j'aperçus les Turcs armés et assis sous des
espèces de tentes au milieu des rues , je me rappelai la belle
expression de mon noble ami M. de Bonald , les Turcs sont
campés en Europe. Cette expression est vraie sous tous les
rapports , et dans toutes les acceptions .
Je continuai mon voyage par terre .
Je ne vis dans le Péloponèse qu'un pays en proie à ces
Tartares débauchés qui se plaisent à détruire à la fois les
monumens de la civilisation et des arts , les moissons même ,
les arbres et les générations entières . Pourroit-on croire
qu'il y ait au monde des tyrans assez absurdes et assez sauvages
pour s'opposer à toute amélioration dans les choses de
première nécessité? Un pont s'écroule , on ne le relève pas ;
un homme répare sa maison , on lui fait une avanie. J'ai vu
des capitaines grecs s'exposer au naufrage avec des voiles
déchirées , plutôt que de raccommoder ces voiles : tant ils
craignoient de faire soupçonner leur aisance et leur industrie!
De Modon , je me rendis à Coron, sur le golfe de Messénie
. Je traversai ce golfe ; je remontai le long du Pamissus
. J'entrai dans l'Arcadie par un des Hermæum du mont
Lycée ; je passai à Mégalopolis , ouvrage d'Epaminondas ,
et patrie de Philopémen ; j'arrivai à Tripolizza , cité nou
velle dans le vallon de Tégée , au pied du Ménale. Je revins
sur mes pas pour visiter Sparte , le Taigète, et la vallée de
la Laconie. De là , je pris le chemin d'Argos par les montagnes
: je contemplai tout ce qui reste de la ville du roi des
rois ; je m'arrêtai à Mycènes et à Corinthe. En passant
l'isthme par les monts Géraniens , je vis un aga blesser un
grec d'un coup de carabine, et lui faire donner cinquante
coups de bâton pour le guérir.
Je descendis à Mégare et à Eleusis ; je séjournai quelque
temps à Athènes ; et disant enfin un éternel adieu au pays
:
AOUT 1807 . 199
-
des Muses et des grands hommes , je m'embarquai au cap
Sunium pour l'île de Zéa.
Zéa est l'ancienne Ceos , célèbre chez les Grecs par des
vieillards qui se donnoient la mort ; par Aristée , dont Virgile
a chanté les abeilles ; par la naissance de Simonide et de
Bacchylide. La gaze de Ceos devint célèbre chez les poètes
romains, qui la comparoient àdu vent tissu. Je passai de
Zéa à Tinos , de Tinos à Chios , et de Chios à Smyrne. Je
résolus d'aller par terre à la plaine de Troie. Je m'avançai
jusqu'à Pergame : je parcourus les ruines des palais des Eumènes
etdes Attales , et je cherchai vainement le tombeau de
Galien.Quandje voulus continuer ma route, monguiderefusa
d'aller plus loin, sous prétexte que les gorges de l'Ida étoient
infestées de voleurs. Je fus obligé de prendre le chemin de
Constantinople. Comme le principal but de mon voyage
étoit la visite des lieux saints , je m'informai , en arrivant à
Perra , s'il n'y avoit point dans le port quelque bâtiment de
la côte de Syrie. J'eus le bonheur d'en trouver un prêt à
partir, et chargéde pélerins grecs pour Yaffa. Je m'arrangeai
avec le capitaine : et bientôt nous voguâmes vers Jérusalem ,
sous l'étendard de la Croix qui flottoit aux mâts de notre
vaisseau. (1)..
Nous étions sur ce vaisseau à-peu-près deux cents passagers
, hommes , femmes , enfans et vieillards. On voyoit
autant de nattes rangées en ordre des deux côtés de l'entrepont.
Une bande de papier , collée contre le bord du
vaisseau , indiquoit le nom du propriétaire de la natte.
Chaque pélerin avoit suspendu à son chevet son bourdon ,
son chapelet et une petite croix. La chambre du capitaine
étoit occupée par les papas conducteurs de la troupe.A l'entréedecette
chambre, on avoit ménagé deux espèces d'antichambres
: j'avois l'honneurde logerdans unde ces trous noirs
d'environsix pieds carrés , avec mes deux domestiques ; une
famille occupoit vis-à-vis de moi l'autre appartement. Dans
cette espèce de république , chacun faisoit son ménage à
volonté: les femmes soignoient leurs enfans , les hommes
fumoient ou préparoient leur dîner , les papas causoient
ensemble . On entendoit de tous côtés le son des mandolines
, des violons et des lyres. On chantoit , on dansoit , on
(1) Je serois trop ingrat d'oublier les soins que M. le général Sébastian
m'a prodigués à Constantinople.Quel plaisir j'aurois encore à remercier
ici celle qui ajoutoit tant de prix, par sa grace, aux politessesde
M. l'ambassadeur ! Je n'aurois jamais cru que l'expressionde ma reconnoissance
pût arriver trop tard.
4
200 MERCURE DE FRANCE ,
rioît , on prioît. Tout le monde étoit dans la joie. On me
disoit : Jérusalem ! en me montrant le Midi ; et je répondois :
Jérusalem ! Enfin , sans la peur , nous eussions été les plus
heureuses gens du monde; mais , au moindre vent , les
matelots plioient les voiles , les pélerins crioient : Christos !
Kirie eleison ! L'orage passé, nous reprenions notre audace .
Au reste , je n'ai point remarqué le désordre dont parlent
quelques voyageurs. Nous étions au contraire fort décens
et fort réguliers. Dès le premier soir de notre départ deux
papas firent la prière , à laquelle tout le monde assista avec
beaucoup de recueillement. On bénit le vaisseau : cérémonie
qui se renouveloit à chaque orage. Les chants de l'Eglise
grecque ont assez de douceur, mais peu de gravité. J'observai
une chose singulière : un enfant commençoit le verset d'un
pseaume dans un ton aigu , et le soutenoit ainsi sur une seule
note ; tandis qu'un papas chantoit le même verset sur un
air différent et en canon , c'est-à-dire , commençant la
phrase lorsque l'enfant en avoit déjà passé le milieu . Ils
ont aussi un admirable kirie eleison : ce n'est qu'une note
tenue par différentes voix , les unes graves , les autres aigües ,
exécutant andante et mezza voce , l'octave , la quinte et la
tierce. L'effet de ce kirie est surprenant pour la tristesse et
lamajesté. C'est sans doute un reste de l'ancien chant de la
primitive Eglise. Je soupçonne l'autre psalmodie d'être ce
chant moderne introduit dans le rit grec vers le quatrième
siècle , et dont saint Augustin avoit bien raison de se plaindre.
: Dès le lendemain de notre départ la fièvre me reprit avec
assez de violence; je fus obligé de rester couché sur ma natte.
Nous traversâmes rapidement la mer de Marmara et le détroit
des Dardanelles,( la Propontide et l'Hellespont). Nous
passâmes devant la presqu'île de Cyzique , etàl'embouchure
d'Egos-Potamos. Nous rasâmes les promontoires de Sestos
et d'Abydos : Alexandre et son armée , Xerxès et sa flotte ,
les Athéniens et les Spartiates , Héro et Léandre , ne purent
me faire vaincre le mal de tête qui m'accabloit ; mais lorsque
le 21 septembre , à six heures du matin , on vint me dire
que nous allions doubler le château des Dardanelles , la
fièvre ne put tenir contre les souvenirs de Troie. Je me
traînai sur lepont; mes premiers regards tombèrent sur un
haut promontoire couronné par neuf moulins : c'étoit le
cap Sigée. Au pied du cap je distinguois deux tumulus , les
tombeaux d'Achille et de Patrocle. L'embouchuredu Simoïs
étoit à lagauche du château neufd'Asie ; plus loin , derrière
nous , en remontant vers l'Hellespont , paroissoit le cap
Rhétée et le tombeau d'Ajax. Dans l'enfoncement s'élevoit
AOUT 1807. 201
lachaînedu mont Ida, dont les pentes , vues du point où
j'étois , paroissoient douces et harmonieuses . Tenedos étoit
devant la proue du vaisseau : Est in conspectu Tenedos . Il
faut que la gloire soit quelque chose de réel , puisqu'elle
fait ainsi battre le coeur de celui qui n'en est que le juge.
Le 22 , nous nous engageâmes dans l'Archipel. Nous
vîmes Lesbos , Chio , Samos , célèbre par sa fertilité et ses
tyrans , et sur-tout par la naissance de Pythagore. Mais
tout ce que les poètes nous ont appris de cette île est surpassé
par lebel épisode du Télémaque. Nous côtoyâmes les rivages
de l'Asie , où s'étendoient la Doride, et cette molle Ionie ,
qui donna des plaisirs et des grands hommes à la Grèce. Là
serpentoit le Méandre , là s'élevoient Ephèse , Milet , Halicarnasse
, Gnide. Je saluois la patrie d'Homère , d'Apelle ,
d'Hérodote , de Thalès , d'Anaxagore , d'Aspasie. Mais je
n'apercevois ni le temple d'Ephèse , ni le tombeau de Mausole
, ni la Vénus de Gnide. Tout étoit désert ; et sans les
travaux de Pockoke , de Wood , de Spon , de Choiseul , je
n'aurois pu , sous un nom moderne et sans gloire , reconnoître
le promontoire de Mycale. Après avoir relâché à
Rhodes , et relevé l'île de Chypre , nous découvrîmes enfin
les côtes de la Palestine. Je ne sentis point cette espèce de
trouble que j'éprouvai en apercevant les premières montagnes
de la Grèce. Mais la vue du berceau des Israélites
etde la patrie des Chrétiens , me remplit de crainte et de
respect. J'allois descendre sur la terre des prodiges , aux
sources de la plus étonnante poésie , aux lieux , même humainement
parlant , où s'est passé le plus grand événement
qui ait jamais changé la face du monde , je veux dire la
venuedu Messie. J'allois aborder à ces rives que visitèrent
commemoi les Godefroi , les Richard , les Joinville , les
Couci . Obscur pélerin , oserois-je fouler un sol consacré par
tant de pélerins illustres? Du moins il m'étoit resté la foi
et l'honneur: età ces titres j'aurois pu encore me faire reconnoîtredes
antiques croisés .
Nous jetâmes l'ancre devant Yaffa , à une demi-lieue du
rivage , la ville nous restant au sud- est , et le minaret de
la mosquée à l'est 1/4 sud-est. Je marque ici les rhumbs du
compas pour une raison assez importante. Les vaisseaux
latins mouillent ordinairement plus au large , et alors ils
sont sur un bancde rochers qui coupent les câbles , tandis
que les bâtimens grecs , en se rapprochant de la terre , se
trouvent sur un fonds moins dangereux , entre la darce de
Yaffa et le banc de rochers .
Des caïques vinrent de toutes parts pour porter à terre les
202 MERCURE DE FRANCE ,
pélerins . Je reconnus sur-le-champ , dans les patrons de
ces barques , un autre vêtement , un autre air de visage ,
un langage différent , enfin la race arabe et les habitans de
la frontière du désert .
J'envoyai mon domestique grec prévenir les pères de
Terre-Sainte de l'arrivée d'un pélerin latin. Je vis bientôt
venir un bateau où je distinguai de loin trois religieux qui ,
m'ayant reconnu à mon habit franc , me faisoient des signes
de la main. Ces Pères arrivèrent à bord : quoiqu'ils fussent
Espagnols , et qu'ils parlassent un italien difficile à entendre ,
nous nous serrâmes la main comme de véritables compatriotes.
Je descendis avec eux dans la chaloupe; nous entrâmes
dans le port par une ouverture pratiquée entre des
rochers , et dangereuse même pour un caïque. Les Arabes
du rivage s'avancèrent dans l'eau jusqu'à la ceinture pour
nous charger sur leurs épaules. Il se passa là une scène assez
plaisante : mondomestique étoit vêtu d'une redingote blanchâtre
; le blanc étant la couleur de distinction chez les .
Arabes , ils jugèrent que mon domestique étoit le scheik. Ils
se saisirent de lui , et l'emportèrent en triomphe malgré ses
protestations , tandis que , grace à mon habit bleu , je me
sauvois obscurément sur le dos d'un mendiant déguenillé.
Nous nous rendîmes à l'hospice des Pères , simple maison
de bois bâtie sur le port, et jouissant d'une belle vue de
la mer. Mes hôtes me conduisirent d'abord à la chapelle ,
que je trouvai illuminée , et où ils remercièrent Dieu de
leur avoir envoyé un Frère : touchantes institutions chrétiemes
, par qui le voyageur trouve des amis et des secours
dans les pays les plus barbares ; institutions que j'ai vantées
ailleurs , mais qui ne seront jamais assez admirées !
Les religieux m'installèrent ensuite dans une cellule , où
je trouvai une table, un bon lit , de l'encre et du papier ,
de l'eau fraîche et du linge blanc. Il faut descendre d'un
bâtiment grec chargé de deux cents pélerins , pour sentir
le prix de tout cela. A huit heures du soir , nous passâmes
au réfectoire. On dit en commun le Benedicite , précédé
du De Profundis : souvenir de la mort que le Christianisme
mêle à tous les actes de la vie pour les rendre plus graves ,
comme les anciens le mêloient à leurs banquets pour
rendre leurs plaisirs plus piquans. On me servit sur une
petite table propre et isolée , de la volaille , du poisson ,
d'excellens fruits , tels que des grenades , des pastèques ,
des raisins , et des dattes dans leur primeur ; j'avois à discrétion
le vin de Chypre , le café du Levant. Tandis que
j'étois comblé de biens , les Pères mangeoient gaiement un
:
AOUT 1807 . 203
peude poisson sans sel et sans huile : ils étoient gais avec
modestie , familiers avec politesse. Point de questions inutiles
, point de vaines curiosités . Tous les propos rouloient
sur mon voyage , sur les mesures à prendre pour me le
faire achever en sûreté : « Car , me disoient-ils , nous ré-
>> pondons maintenant de vous à votre patrie. » Ils avoient
déjà dépêché un exprès au scheik des Arabes de la montagne
de Judée , et un autre au Père procureur de Rama :
Nous vous recevons , me disoit le P. François Munoz ,
>>avec un coeur limpide e bianco. » Il étoit inutile que ce
religieux espagnol m'assurât de la sincérité de ses sentimens
: je les aurois facilement devinés à la pieuse franchise
de son front et de ses regards.
Cette réception si chrétienne et si charitable dans une
terre où le Christianisme et la charité ont pris naissance ;
cette hospitalité apostolique dans un lieu où le premier des
Apôtres prêcha l'Evangile , me touchoient jusqu'au coeur :
je me rappelois que d'autres missionnaires m'avoient reçu
avec la même cordialité dans les déserts de l'Amérique.
Les religieux de Terre - Sainte ont d'autant plus de mérite
, qu'en prodiguant aux pélerins de Jérusalem la
charité de Jésus - Christ , ils ont gardé pour eux la croix
qui fut plantée sur ces mêmes bords . Ce Père au coeur
limpide e bianco m'assuroit encore qu'il trouvoit la vie qu'il
menoit depuis cinquante ans , un vero Paradiso. Veut-on
savoir ce que c'est que ce Paradis ? Tous les jours une
avanie , la menace des coups de bâton , des fers et de la
mort. Il y a quelque temps que ces religieux avoient lavé
les lingesde l'autel. L'eau , imprégnée d'amidon , en coulant
au -dehors de l'hospice , blanchit une pierre. Un Turc passe,
voit cette pierre, et va déclarer au cadi que les Pères ont
réparé leur maison. Le cadi se transporte sur les lieux ,
décide que la pierre , qui étoit noire , est devenue blanche ;
et sans écouter les religieux , il les oblige à payer dix
bourses . La veille même de mon arrivée à Yaffa , le Père
procureur de l'hospice avoit été menacé de la corde par un
domestique de l'aga , en présence de l'aga même. Celui-ci
se contenta de rouler paisiblement sa moustache , sans
daigner dire un mot favorable au chien . Voilà le véritable
Paradis de ces moines , qui , selon quelques voyageurs ,
sont des petits souverains en Terre-Sainte , et jouissent des
plus grands honneurs .
Le lendemain de mon arrivée à Yaffa , je voulus parcourir
la ville , et rendre visite à l'aga , qui m'avoit envoyé
:
204
MERCURE
DE FRANCE
,
Vous
complimenter. Le vice-procureur me détourna de ce dessein :
« Vous ne connoissez pas ces gens-ci , me dit- il : ce que
» prenez pour une politesse est un espionnage. On n'est venu
vous saluer que pour savoir qui vous êtes , si vous êtes
riche , si on peut vous dépouiller . Voulez-vous voir l'aga ?
» Il faudra d'abord lui porter des présens : il ne manquera
pas de vous donner malgré vous une escorte pour Jérusalem.
L'aga de Ramlé augmentera cette escorte. Les
Arabes , persuadés qu'un riche Franc va en pélerinage au
Saint- Sépulcre , augmenteront les droits du passage , ou
» vous attaqueront sur la route . A la porte de Jérusalem
vous trouverez le camp du pacha de Damas , qui est venu
selon l'usage , lever les contributions , avant de conduire
» la caravane à la Mecque. Votre appareil donnera de
l'ombrage à ce pacha , et vous exposera à des avanies.
» Arrivé à Jérusalem , on vous demandera trois ou quatre
mille piastres pour l'escorte . Le peuple , instruit de votre
arrivée , vous assiégera de telle manière qu'eussiez-vous
» des millions , vous ne pourriez satisfaire son avidité . Les
» rues seront obstruées sur votre passage , et vous ne pourrez
entrer aux Saints - Lieux qu'en courant les risques
d'être déchiré. Croyez-moi , demain nous nous déguiserons
en pélerins ; nous irons ensemble à Ramlé : là , je
recevrai la réponse de mes exprès . Si elle est favorable
vous partirez dans la nuit , et vous arriverez sain et sauf
et à peu de frais , à Jérusalem. >>
?
Le Père appuya son raisonnement de mille exemples
et , en particulier , de celui d'un évêque polonais , à qui un
trop grand air de richesse pensa coûter la vie il y a deux ans.
Je ne rapporte ceci que pour montrer à quel degré la corruption
, l'amour de l'or , l'anarchie et la barbarie , sont
poussés dans ce malheureux pays. D'après ce que j'ai vu
de mes yeux , je ne crains point de dire que , sans la vigilance
et les soins paternels des religieux chrétiens , la moitié
des pélerins périroit dans le voyage de Jérusalem .
Le 3 octobre , à quatre heures de l'après-midi , nous
revêtimes des robes de poil de chèvre , fabriquées dans la
Haute-Egypte , et telles que les portent les Bedouins . Nous
montâmes sur de méchantes mules . Le vice - procureur
marchoit à notre tête , prenant le titre d'un pauvre Frère ;
un Arabe presque nu nous montroit le chemin , et un autre
nous suivoit , chassant devant lui un âne chargé de nos
bagages . Nous sortîmes par les derrières de l'hospice , et
nous gagnâmes la porte de la ville à travers les dé
AOUT 1807. 205
combres des maisons détruites pendant le dernier siége.
De bonnes nouvelles m'attendoient à Ramlé : j'y trouvai
un drogman du couvent de Jérusalem, que le supérieur
avoit envoyé au-devant de moi. Le chef Arabe qui devoit
me conduire , rôdoit à quelque distance dans la campagne,
car l'aga de Ramlé ne permettoit pas aux Bédouins d'entrer
dans la ville.
La tribu la plus puissante de la montagne de Judée fait
sa résidence au village de Jérémie : elle peut à volonté
ouvrir et fermer aux voyageurs les chemins de Jérusalem .
Le scheik de cette tribu étoit mort depuis quelque temps ;
il avoit laissé son jeune fils Utman sous la tutelle de son
oncle Abou-Gosh : celui-ci avoit deux frères , Dgiaber et
Ebraïm-Habd-el-Rouman , qui m'accompagnèrent à mon
retour.
Nous quittâmes Ramlé le 4 , à minuit. Nous achevâmes
de traverser la plaine de Saron , et nous entrâmes dans les
montagnes de Judée. Quand le jour fut venu , je me
trouvai dans un labyrinthe de montagnes de formes coniques
, toutes semblables entr'elles , et enchaînées l'une à
l'autre par la base. J'arrivai à la vallée de Jérémie ; je
descendis dans celle de Térébinthe , laissant le château des
Macchabées sur ma droite. Les rochers , qui jusque - là
avoient conservé quelque verdure , se dépouillèrent. Peu à
peu toute végétation cessa , et l'amphithéâtre tumultueux
des monts prit une teinte rouge et ardente. Parvenu à un
col élevé , je découvris tout - à- coup une ligne de murs
gothiques. Au pied de ces murs paroissoit un camp de
cavalerie turque, dans toute la pompe orientale. Le chef
Arabe s'écria : El-Qods ! la Sainte ! (Jérusalem) et s'enfuit
au grand galop. (1)
Les cris du drogman qui me disoit de resserrer notre
troupe , parce que nous allions traverser le camp , metirèrentde
l'espèce de stupeur où la vue des lieux saints m'avoit
plongé. Nous entrâmes dans Jérusalem par la porte appelée
desPélerins , et dont le véritable nom est la portedeDamas.
Nous allâmes descendre au couvent de Saint - Sauveur. Il
faut être dans la position des Pères de Terre - Sainte pour
comprendre tout le plaisir que leur causa mon arrivée ;
ils se crurent sauvés par la seule présence d'un Français.
Le gardien (le père Bonaventure de Nola) me dit : « C'est
>> laProvidence qui vous envoie! Vous nous empêcherez
(1 ) Abou-Gosh , quoique sujet du grand-seigneur , avoit peur d'être
bâtonné et avanisé (selon le langage du pays) par le pacha.
1
206 MERCURE DE FRANCE ,
» d'être dépouillés , et peut-être assassinés par le pacha.
» Vous avez sans doute des firmans de route ? Permettez-
» nous de les envoyer au pacha , il saura qu'un Français
>> est descendu au couvent il nous croira protégés par la
» France . L'année dernière il nous contraignit de payer
» soixante mille piastres ; d'après l'usage nous ne lui en
>> devons que quatre mille , encore à titre de simple présent.
» Il veut cette année nous arracher la même somme , et
nous menace de se porter aux dernières extrêmités , si
'" nous la refusons. Nous serons obligés de vendre les vases
» sacrés car depuis quatre ans nous ne recevons plus
aucune aumône de l'Europe ; si cela continue , nous nous
» verrons dans peu forcés d'abandonner la Terre - Sainte ,
» et de livrer aux Mahométans le tombeau de J. C. »
JJ
>>
Je me trouvai trop heureux de pouvoir faire ce que le
Père gardien desiroit de moi . Je lui observai toutefois qu'il
falloit me laisser aller au Jourdain , avant d'envoyer les
firmans , pour ne pas augmenter les difficultés d'un voyage
toujours dangereux.
On envoya sur-le-champ chercher un Turc , appelé Ali-
Aga , pour me conduire à Bethléem . Cet Ali-Aga étoit fils
d'un aga de Ramlé , qui avoit eu la tête tranchée par ordre
du fameux Djezzar. Ali-Aga étoit né à Jéricho , aujourd'hui
Rihha , dans la vallée du Jourdain , et il étoit gouverneur
de ce village. C'étoit un homme de tête et de courage ,
dont j'eus beaucoup à me louer. Il commença d'abord par
nous faire quitter à moi et à mes deux domestiques le vêtement
arabe pour reprendre l'habit français : cet habit , jadis
si méprisé des Orientaux , inspire aujourd'hui le respect et
la crainte . Au reste , la valeur française n'a fait que rentrer
en possession de la renommée qu'elle a depuis long-temps
dans ce pays . Ce furent des chevaliers de France qui rétablirent
le royaume de Jérusalem , et qui cueillirent les
palmes de l'Idumée les Turcs vous montrent encore la
fontaine des Chevaliers , la montagne des Chevaliers , la tour
des Chevaliers ; et l'on voit au Calvaire l'épée de Godefroi
de Bouillon , qui , dans son vieux fourreau , semble encore
garder le Saint- Sépulcre .
:
On nous amena à cinq heures du soir trois bons chevaux' ;
le drogman du couvent se joignit à nous ; Ali se mit à notre
tête , et nous partîmes pour Bethleem , où nous devions
coucher au couvent , et prendre une escorte de six Arabes
bethléémites . Nous sortîmes de Jérusalem par la porte des
Pélerins ; puis , tournant à gauche et traversant les ravins
aux pieds du mont Sion , nous gravîmes une montagne sur
AOUT 1807. 207
le plateau de laquelle nous cheminâmes pendant une heure,
Nous laissions Jérusalem, au nord derrière nous ; nous
avions au couchant les montagnes de Judée , et au levant , à
une grande distance , les montagnes d'Arabie. Après avoir
dépassé le couvent d'Elie , nous joignîmes le champ de
Rama, où l'on montre le tombeau de Rachel. Il étoit nuit
lorsque nous arrivâmes à Bethléem. Avec quel plaisir je
visitai la crèche du Sauveur , le lieu de l'adoration des
Mages , l'oratoire de Saint-Jérôme ! Lorsque j'eus relevé les
différentes inscriptions , et examiné tout ce qu'il y avoit
de remarquable , je me remis en route pour la Mer Morte .
Apeine sortis de Bethleem , nous eûmes une légère escarmouche
avec une tribu de Bédouins. Bientôt , en nous enfonçant
dans le désert , nous découvrîmes de hautes tours
qui s'élevoient du fond d'une vallée : c'étoit le couvent de
Saint-Saba.
Une autre troupe de Bédouins nous assaillit au pied même
du monastère. Ali-Aga me sauva la vie en recevant dans la
mainun coup de poignard qu'un Arabe me portoit par derrière.
On se rappelle que je ne veux rien décrire aujourd'hui
des lieuxque j'ai parcourus. Ainsi je ne parlerai point de cette
fameuse retraite de Saint-Saba , bâtie dans le ravin du torrent
de Cédron ; par la même raison je garderai le silence
sur la Mer Morte et sur le Jourdain; mais telle est l'impression
que ces lieux font sur l'ame , qu'au moment où
j'écris ceci , je crois encore sentir l'étonnement et l'épouvante
qu'inspire cette terre frappée de la main de Dieu. J'ai vu
les grands fleuves de l'Amérique , avec ce plaisir que donnent
la solitude et la nature ; j'ai visité le Tibre avec empressement
, et recherché avec le même intérêt le Céphise ,
l'Eurotas et le Nil ; mais je ne puis dire ce que j'éprouvai
à la vue du Jourdain. Non-seulement ce fleuve me rappeloit
une antiquité fameuse , ses rives me présentoient encore
le théâtre des miracles de la religion. La Judée est le seul
pays du monde qui offre au voyageur chrétien le souvenir
des affaires humaines et des choses du Ciel .
:
Nous couchâmes sur la grève au bord de la Mer Morte.
J'y fis diverses expériences , et je l'examinai curieusement
le lendemain au lever du jour (1). De là je me rendis au
Jourdain. Notre habit français nous sauva d'une nouvelle
attaque des Arabes ; ils n'osèrent nous approcher . J'ai dit
qu'Ali-Aga étoit né dans le village de Rihha , l'ancienne
(1) J'ai apporté une bouteille d'cau de cette mer , avec laquelle on
pourra renouveler l'expérience de Pockoko.
2
208 MERCURE DE FRANCE ,
•
Jéricho, et qu'il en étoit gouverneur. Il me conduisit dans
ses Etats , où je ne pouvois manquer d'être bien reçu
de ses
sujets ; en effet , ils vinrent complimenter leur souverain .
Il voulut me faire entrer dans une vieille masure qu'il appeloit
son château ; je refusai cet honneur , préférant dîner
au bord de la source d'Elisée , nommée aujourd'hui source
du Roi. En traversant le village , nous vîmes un jeune Arabe
assis à l'écart , la tête ornée de plumes , et paré comme dans
un jour de fête . Tous ceux qui passoient devant lui s'arrêtoient
pour le baiser au front et aux joues. On me dit
que c'étoit un nouveau marié. Nous nous arrêtâmes à
la source d'Elisée. On égorgea un agneau , qu'on mit rôtir
tout entier à un grand bûcher au bord de l'eau ; un Arabe fit
griller des gerbes de doura . Quand le festin fut préparé
nous nous assîmes en rond autour d'un plateau de bois , et
chacun déchira avec ses mains une partie de la victime.
On aime à distinguer dans ces usages quelques traces des
moeurs des anciens jours , et à retrouver chez les descendans
d'Ismaël des souvenirs d'Abraham et de Jacob.
"
Les Arabes , partout où je les ai vus , en Judée , en
Egypte , et même en Barbarie , m'ont paru d'une taille
plutôt grande que petite. Leur démarche est fière . Ils sont
bien faits et légers . Ils ont la tête ovale , le front haut et
arqué , le nez aquilain , les yeux grands et coupés en
amandes , le regard humide et singulièrement doux. Rien
n'annonceroit chez eux le sauvage , s'ils avoient toujours la
bouche fermée ; mais aussitôt qu'ils viennent à parler , on
entend une langue bruyante et fortement aspirée ; on aperçoit
de longues dents éblouissantes de blancheur , comme
celles des chacals et des onces : différens en cela du sauvage
américain , dont la férocité est dans le regard , et l'expression
humaine dans la bouche.
Les femmes arabes ont la taille plus haute en proportion
que celle des hommes. Leur port est noble ; et par
la régularité de leurs traits , la beauté de leurs formes et
la disposition de leurs voiles , elles rappellent un peu les
statues des prêtresses et des Muses. Nous en rencontrâmes
trois dans la montagne de Judée , qui portoient des vases
pleins d'eau sur leur tête , et qui donnèrent à boire à nos
chevaux. N'est-ce pas là les filles de Laban ou des Madianites?
Ceci doit s'entendre avec restriction : ces belles statues sont
souvent drapées avec des lambeaux ; l'air de misère , de
saleté et de souffrance , dégrade ces formes si pures ; un
teint cuivré cache la régularité des traits ; en un mot , pour
voir ces femmes telles que je viens de les peindre , il faut
les
AOUT 1807.
15 .
***les contempler d'un peu loin, se contenter de l'ensemble
et ne pas entrer dans les détails .
***La plupart des Arabes portent une tunique nouée autour
des reins pár une ceinture. Tantôt ils ôtent un bras de la
imanche de cette tunique , et ils sont alors drapés à la manière
antique ; tantôt ils s'enveloppent dans une couverture
de laine blanche , qui leur sert de toge , de manteau ou
de voile , selon qu'ils la roulent autour d'eux , la suspen
dent à leurs épaules , ou la jettent sur leurs têtes . Ils marchent
pieds nus. Ils sont armés d'un poignard ; d'unë
lance ou d'un long fusil. Les tribus voyagent en caravane ;
leurs chameaux cheminent à la file. Le chameau de tête
est attaché par une longue corde de bourre de palmier au
cou d'un âne , qui est le guide de la troupe , et qui , comme
chef, est exempt de tout fardeau , et jouit de divers honneurs
: chez les tribus riches , les chameaux sont ornés de
franges , de banderoles et de plumés .
Les jumens , selon la noblesse de leurs races , sont traitées
avec plus ou moins d'honneurs , mais toujours avec
une rigueur extrême. On ne met point les chevaux à
l'ombre : on les laisse exposés à toute l'ardeur du soleil ,
attachés en terre à des piquets , par les quatre pieds , de
manière à les rendre immobiles ; on ne leur ôte jamais la
selle ; souvent ils ne boivent qu'une seule fois , et ne
mangent qu'un peu d'orge en vingt-quatre heures. Un traitement
si rude , loin de les faire dépérir , leur donne la
sobriété , la patience et la vitesse . J'ai souvent admiré un
cheval arabe , ainsi enchaîné dans le sable brûlant , les
crins descendant épars , la tête baissée entre ses jambes
pour trouver un peu d'ombre , et laissant tomber de son
-oeil sauvage un regard oblique sur ses maîtres . Avez-vous
dégagé ses pieds des entraves ? Vous êtes-vous élancé sur son
dos ? Il écume , il frémit , il dévore la terre ; la trompettè
sonne , il dit : Allons ! (1 ) Et vous reconnoissez le cheval
de Job.
Tout ce qu'on dit de la passion des Arabes pour les
contes est véritable , et j'en vais citer un exemple. Pendant
la nuit que nous passâmes sur la grève de la Mer Morte ;
nos Bethléémites étoient assis autour de leur bûcher , leurs
fusils couchés à terre à leurs côtés ; les chevaux , attachés à
des piquets , forinoient un second cercle en dehors . Après
avoir bu le café et parlé beaucoup ensemble , ces Arabes
(1) Fervens et fremens sorbet terram ; ubi audierit buccinam
dicit vah!
0
210 MERCURE DE FRANCE ,
tombèrent dans le silence , à l'exception du scheik. Je voyois
à la lueur du feu , ses gestes expressifs , sa barbe noire,
ses dents blanches , les diverses formes qu'il donnoit à son
vêtement en continuant son récit. Ses compagnons l'écoutoient
dans une attention profonde , tous penchés en avant ,
le visage sur la flamme , tantôt poussant un cri d'admiration
, tantôt répétant avec emphase les gestes du conteur
: quelques têtes de chevaux et de mulets qui s'avançoient
au-dessus de la troupe , et qui se dessinoient dans
l'ombre , achevoient de donner à ce tableau le caractère
le plus pittoresque , sur-tout lorsqu'on y joignoit un coin
du paysage de la mer Morte et des montagnes de Judée.
Si j'avois étudié avec tant d'intérêt au bord de leurs lacs
les hordes américaines , quelle autre espèce de sauvages ne
contemplois-je pas ici ! J'avois sous les yeux les descendans
de la race primitive des hommes ; je les voyois avec les
mêmes moeurs qu'ils ont conservées depuis les jours d'Agar
et d'Ismaël ; je les voyois dans le même désert qui leur
fut assigné par Dieu enhéritage : Moratus est in solitudine ,
habitavitque in deserto Pharan. Je les rencontrois dans la
vallée du Jourdain , aux pieds des montagnes de Samarie ,
sur les chemins d'Habron, dans les lieux où retentit la voix
de Josué , dans les champs de Gomorrhe encore fumant
de la colère de Jéhovah , et que consacrèrent ensuite les
merveilles miséricordieuses de Jésus-Christ.
Ce qui distingue sur- tout les Arabes des peuples du
Nouveau-Monde , c'est qu'à travers la rudesse des premiers
on sent pourtant quelque chose de délicat dans leurs
moeurs; on sent qu'ils sont nés dans cet Orient d'où sont
sortis tous les arts , toutes les sciences , toutes les religions .
Caché aux extrémités de l'Occident , dans un canton détourné
de l'univers , le Canadien habite des vallées ombragées
par des forêts éternelles , et arrosées par des fleuves
immenses ; l'Arabe , pour ainsi dire , jeté sur le grand
chemin du monde, entre l'Afrique et l'Asie , erre dans
les brillantes régions de l'Aurore , sur un sol sans arbres
et sans eau. Il faut parmi les tribus des descendans d'Ismaël ,
des maîtres, des serviteurs , des animaux domestiques, une liberté
soumiseà des lois . Chez les hordes américaines, l'homme
est encore tout seul avec sa fière et cruelle indépendance. Au
lieude la couverture de laine , il a la peau d'ours ; au lieu de
la lance , la flèche ; au lieu du poignard , la massue. Il
ne connoît point et il dédaigneroit la datte , la pastèque ,
lelait du chameau : il fautà ses festins de la chair et du sang.
Il n'a point tissu le poil de chèvre pour se mettre à l'abri
AOUT 1807. 211
sous des tentes ; l'orme , tombé de vétusté , fournit l'écorce
à sahutte ; il n'a point dompté le cheval pour poursuivre la
gazelle; il prend lui-même l'orignal à la course. Il ne tient
point par son origine à de grandes nations civilisées ; on
ne rencontre point le nom de ses ancêtres dans les fastes des
empires ; les contemporains de ses aïeux sont de vieux
chênes encore debout. Monumens de la nature et non de
l'histoire , les tombeaux de ses pères s'élèvent inconnus
dans des forêts ignorées. En un mot, tout annonce chez
P'Américain le sauvage qui n'est point encore parvenu à
l'état de civilisation ; tout indique chez l'Arabe l'homme
civilisé retombé dans l'état sauvage.
De retour à Jérusalem , je trouvai le couvent dans l'alarme ;
le pacha s'étoit porté aux dernières extrémités. Il avoit mandé
les Pères dans sa tente , et leur avoit déclaré qu'il les mèneroit
enchaînés à Damas et leur feroit couper la tête , s'ils refusoient
de le satisfaire. En vain le gardien , comme Napolitainet
comme autorisé par le consul français de Saint-Jean
d'Acre , s'étoit réclaméde la protection de la France ; le pacha
avoit répondu qu'il lui falloit de l'argent. J'arrivai dans cette
circonstance. Mes firmans , conçus dans les termes les plus
forts , étoient motivés sur l'étroite alliance qui végnoit entre
la France et la Turquie : on les envoya au pacha. Il craignit
alors qu'on ne rendît compte de ses oppressions à l'ambassadeur
de France, qui pourroit s'en plaindre à la Porte. Il
parla d'accommodement , et finit par accepter un présent de
15,000 piastres , mais en menaçant les Pères de savengeance,
lorsqu'ils n'auroient plus personne pour les protéger .
J'avoue que je ne connois point de martyre égal à celui
des religieux de Terre-Sainte. On ne peut mieux comparer
leur position qu'à celle où l'on étoit en France pendant la
terreur. Jamais un moment de sûreté , toujours la crainte
du pillage et de la mort. Ceci se fera mieux comprendre
quand j'aurai parlé du gouvernement de Jérusalem.
Jérusalem est attachée, on ne sait pourquoi , au pachalick
deDamas , si ce n'est à cause de ce système destructeur
que les Turcs suivent naturellement , et comme par instinct.
Séparée de Damas par des montagnes , plus encore par les
*Arabes qui infestent les déserts , Jérusalem ne peut pas toujours
porter ses plaintes au pacha lorsque ses gouverneurs
l'oppriment. Il seroit plus simple qu'elle dépendît du pachalick
d'Acre , qui se trouve dans le voisinage. Les Francs et
les Pères latins se mettroient sous la protection des consuls
qui résident dans les ports de Syrie ; les Grecs et les Turcs
pourroient faire entendre leur voix.. Mais c'est précisément
0.2
212 MERCURE DE FRANCE ,
ce qu'on veut éviter : on veut un esclavage muet , et non
d'insolens opprimés qui oseroient dire quelquefois qu'on
les écrase .
la
Jérusalem est donc livrée à un gouverneur presqu'indépendant.
Il peut faire impunément le mal qui lui plaît ,
sauf à en compter ensuite avec le pacha . On sait que tout
supérieur en Turquie a le droit de déléguer ses pouvoirs à
un inférieur ; et ses pouvoirs s'étendent toujours sur la
propriété et la vie. Pour quelques bourses , un janissaire
devient un petit aga ; et cet aga, selon son bon plaisir, peut
vous tuer ou vous permettre de racheter votre tête. Les
bourreaux se multiplient ainsi dans tous les villages de
Judée. La seule chose qu'on entende dans le pays , la seule
justice dont il soit question , c'est : Il paiera dix , vingt,
trente bourses ; on lui donnera cinq cents coups de bâton ;
on lui coupera la tête. Un acte d'injustice force à une injus
tice plus grande : si l'on dépouille un paysan , on se met
dans lanécessité de dépouiller levoisin;; car, pour échapper
à l'hypocrite intégrité du pacha , il faut avoir, par un second
crime , de quoi payer l'impunité du premier.
On croit peut - être que le pacha , en parcourant son
gouvernement , porte un remède à ces maux , et venge les
peuples : le pacha est lui-même le plus grand fléau des
habitans de Jérusalem . On redoute son arrivée comme celle
d'un chef ennemi ; on ferme les boutiques , on se cache dans
des souterrains; on feint d'être mourant sur sa natte , ou l'on
fuit dans la montagne.
Je puis attester la vérité de ces faits , puisque je me suis
trouvé à Jérusalem au moment de l'arrivée du pacha. A....
est d'une avarice sordide , comme presque tous les musulmans;
en sa qualité de chef de la caravane de la Mecque ,
et sous le prétexte d'avoir de l'argent pour mieux protéger
les pélerins , il se croit en droit de multiplier les exactions ;
il n'y a point de moyens qu'il n'invente . Un des plus ordinaires
, c'est de fixer tout-à-coup un maximum fort bas pour
les comestibles . Le peuple crie à la merveille , mais les
marchands ferment leurs boutiques . La disette commence;
le pacha fait traiter secrètement avec les marchands ; il leur
donne, pour un certain nombre de bourses , la permission
de vendre au taux qu'ils voudront. Les marchands cherchent
àretrouver l'argent qu'ils ont donné au pacha , ils portent
les denrées à un prix extraordinaire ; et le peuple , mourant
de faim une seconde fois , est obligé , pour vivre , de se
dépouiller de son dernier vêtement.
J'ai vu ce mêmeA. commettre , à Jérusalem ,
AOUT 1807. 213
une vexation plus ingénieuse encore : il envoya sa cavalerie
piller des Arabes cultivateurs , de l'autre côté du Jourdain.
Ces bonnes gens , qui avoient payé le miri , et qui ne se
croyoient point en guerre , furent surpris au milieu de leurs
tentes et de leurs troupeaux. On leur vola 2200 chèvres et
moutons , 94 veaux , 1000 ânes et 6 jumens de première
race : les chameaux seuls échappèrent. Un scheik les appela
de loin , et ils le suivirent. Ces fidèles enfans du désert allèrent
porter leur lait à leurs infortunés maîtres dans la
montagne , comme s'ils avoient deviné que ces maîtres
n'avoient plus d'autre nourriture.
UnEuropéen ne pourroit guère imaginer ce que le pacha
fit de ce buun. Il mit à chaque animal un prix excédant
trois fois la valeur de l'animal . On envoya les bêtes ainsi
tixées aux bouchers , aux différens particuliers de Jérusalem
, aux chefs des villages voisins : il falloit les prendre ,
et les payer sous peine de mort. J'avoue que si je n'avois
pas vu de mes yeux cette double iniquité , elle me paroîtroit
tout-à-fait incroyable .
Après avoir épuisé Jérusalem , le pacha se retire . Mais
afin de ne pas payer les gardes de la ville , et sous le prétexte
de la caravane de la Mecque , il emmène avec lui les
soldats. Le gouverneeuurr reste seul avec une douzaine de
sbires qui ne peuvent suffire à la police intérieure , encore
moins à celle du pays . L'année dernière il fut obligé de se
cacher lui-même dans sa maison , pour échapper à des
bandes de voleurs qui passoient par-dessus les murs de
Jérusalem , et qui furent au moment de piller la ville.
Apeine le pacha a-t- il disparu , qu'un autre mal , suite
de son oppression , commence : les villages dévastés se soulèvent
, ils s'attaquent les uns les autres pour exercer des
vengeances héréditaires . Toutes communications sont interrompues
. L'agriculture périt ; le paysan va pendant la nuit
ravager la vigne , et couper l'olivier de son ennemi. Le
pacha revient l'année suivante ; il exige le même tribut dans
un pays où la population est diminuée Il faut qu'il redouble
d'oppression , et qu'il extermine des peuplades entières . Peu
à peu le désert s'étend ; on ne voit plus que de loin à loin
des masures en ruines , et à la porte de ces masures des
cimetières toujours croissant : chaque année voit périr une
cabane et une famille , etbientôt il ne reste que lecimetière ,
pour indiquer le lieu où le village s'élevoit.
DE CHATEAUBRIAND .
1
214 MERCURE DE FRANCE ,
좋
Mémoires du Marquis d'Argens , chambellan de Frédéricle-
Grand , roi de Prusse , et directeur de l'Académie
Royale de Berlin , etc. Un vol. in-8°. Prix : 5 fr . , et 6 fr .
50 cent. par la poste. A Paris , chez Buisson , libraire ,
rue Git-le- Coeur .
Le marquis d'Argens fait au commencement de ses
Mémoires une déclaration fort plaisante ; il prétend qu'il
auroit hésité à les écrire s'il les avoit destinés àl'impression.
C'est un raisonnement fait au rebours du bon sens , puisqu'on
ne peut se dispenser d'écrire ce qu'on veut faire
imprimer , et que , dans ce cas , l'hésitation seroit aussi
ridicule qu'absurde. Il ajoute qu'il est assuré qu'il ne verront
jamais lejjour , et cependant il n'a pas fait ce qu'il falloit
pour les empêcher de paroître, puisqu'ils ont été imprimés
de son vivant. Il les couche , dit- il , sur le papier pour sa
propre satisfaction : c'est-à-dire que c'est à lui-même qu'il
apprend , quelques lignes plus bas , qu'il est né à Aix en
Provence , d'une famille noble et distinguée dans sa province
; qu'il avoit quatre frères , dont trois étoient chevaliers
de Malte et l'autre abbé ; qu'il fut d'abord destiné à la robe ,
mais que son goût pour la vie dissipée lui fit préférer l'état
militaire , etc. , etc.; comme si toutes ces choses pouvoient
jamais sortir de sa mémoire , et comme s'il pouvoit étre
de quelque intérêt de se les répéter. La vanité philosophique
est bien maladroite ; elle s'admire dans sa bassesse ,
elle mendie les applaudissemensde la multitude; mais , dans
la crainte qu'elle éprouve de rencontrer quelqu'un qui la
reconnoisse , elle se revet du voile de la modestie , elle affecte
de craindre le grand jour ; elle dicte elle-même une histoire
scandaleuse , mais elle conseille à l'écrivain de déclarer que
c'est pour lui seul qu'il la couche sur le papier , comme s'il
pouvoit être de quelqu'utilité de faire cette déclaration à la
tête d'un livre qui ne doit jamais paroître , comme s'il pouvoit
être nécessaire de s'avertir soi-même par écrit d'une
chose dont le coeur et l'esprit vous rendent un continuel
témoignage ! Une pareille précaution prise par le marquis
d'Argens , décèle bien plutôt la coupable envie de révéler
toutes les folies de sa jeunesse , et la complaisante attention
qu'il leur donnoit , que le desir réel de les tenir ensevelis
dans le secret de sa conscience , et tout le mépris qu'il leur
AOUT 1807 .
215
devoit. Cependant , si l'on veut accorder quelque confiance
àsa déclaration, il faudra penser en même temps que ceux
qui les ont fait imprimer avoient moins de délicatesse que
lui-même , et qu'ils étoient totalement privés de la dernière
honte qui le rendoit encore incertain sur la convenance de
cettepublicité.
Quoi qu'il en soit, on ne peut se refuser de convenir
qu'il auroit été plus sûr et plus sage de ne point écriré ces
pitoyables aventures , et que , par égard pour la réputation
du marquis , ou du moins par respect pour le public et
pour les moeurs , ses éditeurs auroient dû s'en tenir à la
lettrede sa déclaration , et jeter au feu des Mémoires condamnés
par l'auteur lui-même à ne jamais paroître. Mais ,
disent les nouveaux éditeurs de ces Mémoires , le style en est
quelquefois libre , etjamais impie ou scandaleux ; cela se
peut pour des gens qui ne se scandalisent de rien : nous
nous garderons bien de leur répondre par des citations où
les mots les plus grossiers ne sont voilés que par des points ,
et oùd'autres mots non moins abjects se montrent à découvert
: il doit nous suffire de rapporter que le marquis d'Argens
a dit lui-même , avec plus de franchise , qu'il a naturellement
expliqué ce qu'il pensoit sur des matières assez
délicates ; ce qui , suivant les éditeurs eux-mêmes , annonce
une satire plus ou moins directe de la croyance ou des cérémonies
religieuses. Si le style du philosophe n'est pas toujours
aussi licencieux que celui des notes ajoutées par les
éditeurs , ses aventures et ses opinions sur la morale sont
dignes de leur servir de texte. Nous n'entrerons là-dessus
dans aucun autre détail ; mais nous ferons observer combien
ces premiers écarts d'une jeunesse mal dirigée ont eu d'influence
sur tout le reste de la vie du marquis d'Argens , et
nous tâcherons de tirer de son exemple une leçon salutaire .
A peine avoit-il atteint sa trentième année que , discréditédans
l'esprit des belles et des usuriers , abandonné par
sa famille et par ses amis , il se vit dans la nécessité d'aller
chercher fortune hors de son pays , et d'employer pour vivre
la ressource des esprits médiocres qu'une jeunesse malheu
reuse a pervertis. Les Mémoires qu'il a laissés ne vont pas
au-delà du moment où le mauvaîs état de ses affaires le contraignirent
de s'expatrier ; mais les éditeurs officieux qui
nous les ont présentés , n'ont pas voulu nous laisser dans
l'ignorance sur la suite de ses aventures ;et , dans une longue
Notice qui précède les Mémoires , ils ont amplement achevé
ce qu'il avoit commencé. Cette seconde partie de la vie du
marquis d'Argens étoit plus que suffisante pour faire deviner
916 MERCURE DE FRANCE ,
Y
la première , et si les écrivains qui nous l'ontdonnée avoient
pu concevoir un autre dessein que celui de faire aisément
un gros livre , ils n'auroient pas fait imprimer des Mémoires
qui n'apprennent rien , qui n'inspirent aucun intérêt géné
reux , et qui peuvent troubler inutilement l'imagination des
jeunes gens. Quelques mots leur auroient suffi pour en
donner une juste idée , et dans la suite de sa vie, ils auroient
fait voir le danger de mal commencer une carrière dans
Inquelle on peut toujours s'honorer ; mais quoique ces mêmesécrivains
ne se montrent pas les admiratteeuurrss des faux principes
qui ont égaré le marquis d'Argens , et qu'ils ne soient
pas les apologistes de sa mauvaise conduite , ils sont cependant
fort éloignés de le blâmer , et ils ne paroissent pas se
douter qu'il lui auroit été possible de se rendre plus recommandable
, en ne se mettant pas dans la cruelle nécessité de
souffrir les atteintes de la misère , ou de se déshonorér pour
avoir du pain.
Les éditeurs conviennent eux-mêmes que les Lettresjuives
qu'il composa en Hollande , furent commencées plus encore
par l'espérance d'y trouver une ressource contre la gêne où
il étoit, que peut-être par le desirde travailler à sa gloire ; et
ils ajoutent fort sagement que leur succès fut dû à la singu
larité du cadre , à la variété des matières quiy sont traitées ,
et au système d'incredulité et de dénigrement qui en fait le
fonds; que c'étoit alors un grand mérite , mais que ce seroit
aujourd'hui d'un très -mauvais goût , et un juste titre de
mépris . On ne sait pas trop dans quelle vue ils ajoutent à
ce jugement assez juste , quoique mal exprimé , que si l'au
teur ne s'étoit point laissé aller au torrent des déclamations
anti- religieuses , au pyrrhonisme et aux sarcasmes dans des
matières qui demandent de la sagesse et un style simple et
naturel , il auroit fait un ouvrage dont le succès n'auroit point
été aussi éphémère. Quelle sagesse prétendent-ils donc qu'on
pouvoit employer dans un système d'incrédulité et de dénigre
mentde la religion catholique ? Nous ne connoissons guère que
la sagesse philosophique qui puisse servir à cet usage ; mais
ils semblent la condamner eux- mêmes au mépris qu'elle mérite
; et quoique l'un d'eux ait voulu distinguer dans l'Avertissement
la vraie philosophie de la fausse , c'est- à-dire
dans leurs idées , celle qui n'est qu'orgueilleuse de celle qui
est en outre, fort scandaleuse , nous ne pensons pas qu'ils
aient voulu faire croire à l'existence d'une sagesse philosophique,
et toute humaine , supérieure à la sagesse religieuse ,
et toute divine. Or , que la sagesse religieuse puissę servir
à tourner la religion en ridicule , c'est ce qui n'est pas pro
3
1
AOUT 1807 . 217
posable ; c'est le digne office de la sagesse philosophique ;"
c'est à l'orgueil de l'homme qu'il appartient de se mettre
au-dessus des lois divines , et d'adopter un système qui flatte
la corruption du coeur et des moeurs , comme les éditeurs le
disent encore d'où nous tirerons une conséquence qui ne
leur plaira pas , c'est qu'ils ont fait au moins une pétition de
principes bien étrange , en admettant que la sagesse puisse
étre employée à détruire l'oeuvre de la sagesse .
Au surplus , quel qu'ait été là-dessus le fond de leurs
intentions , nous ne prétendons pas nous y arrêter davantage.
La destinée du marquis d'Argens , fixée par les premiers
événemens de sa vie et par la première composition
sortie de sa plume , nous présente un sujet de méditation
bien plus digne d'arrêter un moment notre attention .
Lorsque les Lettres juives furent imprimées , Frédéric II ,
qui n'étoit alors que prince Royal , les lut , et souhaita de
connoître leur auteur : il trouvoit dans ces Lettres une
doctrine commode pour ses penchans ; et il en admiroit la
logique et le style , quoique l'une et l'autre fussent trèsimparfaits
. Il écrivit au marquis d'Argens pour lui faire
des offres , qui lui parurent utiles et même honorables dans
la triste situation où ses dérèglemens venoient de le jeter :
il ne put néanmoins les accepter , parce qu'il craignit que
le père du jeune prince ne le fît enlever pour le faire servir
dans ses gardes. Il fallut attendre que Frédéric-Guillaume
fût mort , avant de songer sérieusement à se rendre auprès
de son fils ; et cependant , comme il falloit vivre avant
d'exécuter ce projet, il continua d'écrire dans le genre qu'il
avoit d'abord choisi , mais avec un bien moindre succès :
les amateurs de la philosophie vouloient du neuf , et le
marquis n'en mettoit que dans les titres de ses ouvrages .
Aujourd'hui , ces titres mêmes sont oubliés ; et personne
ne se soucie de savoir qu'il a existé des Lettres chinoises et
des Lettres cabalistiques . C'est à-peu-près là le destin de
tous les ouvrages dictés par le génie du mal : ils commencent
par remuer toutes les passions , ils les épuisent bientôt ; ils
ne laissent que la froideur , à laquelle succèdent aussitôt le
mépris et l'oubli , d'où jamais ils ne peuvent se tirer .
Ce n'est pas seulement aux écrits du nouveau philosophe
qu'un sort pareil étoit réservé ; sa personne même fut
bientôt exposée aux caprices et à l'inconstance de l'amitié
qui n'est pas fondée sur l'estime. Frédéric Paccueillit avec
les démonstrations du plus vif et du plus durable attachement;
il le nomma son chambellan , avec une pension de
6,000 francs , et il lui donna la place de directeur de la
218 MERCURE DE FRANCE,
classe des belles-lettres à l'Académie de Berlin. C'étoit àpeu-
près tout ce qu'il pouvoit attendre d'un prince qui protégeoit
plutôt de certains hommes de lettres , ses admirateurs
, que les belles-lettres , qu'il cultivoit par pure vanité .
Le marquis d'Argens a dit quelque part que part les liaisons
d'amitié avec les princes ressemblent beaucoup au commerce
des hommes avec le péché : les commencemens en
sont doux et les suites fort amères. Ce petit mot renferme
toute son histoire avec Frédéric ; et c'est le sentiment pénible
de sa situation avec ce prince qui le lui a suggéré. Reçu
d'abord avec distinction , et admis au nombre de ses familiers
dans les petits soupers de Sans-Ssouci , le marquis dut
croire qu'une existence heureuse lui étoit assurée pour le
reste de ses jours ; mais bientôt l'habitude de se voir , de
s'entendre et de s'observer diminua le plaisir de la conversation
. Frédéric avoit l'esprit caustique , et quoiqu'il affectât
, dans ses réunions philosophiques , de traiter d'égal à
égal , ceux-ci ne pouvoient oublier qu'il étoit souverain , et
lui-même s'en souvenoit encore bien souvent pour les désoler
par des traits cruels de persifflage , qu'il prenoit pour
des traits d'esprit , et qu'il étoit bien assuré qu'on ne pourroit
lui renvoyer. C'est probablement à cause de cette espèce de
familiarité qu'un des historiens de Frédéric a dit qu'il aimoit
les gens qui lui étoient attachés par le même instinct qui lui
faisoit aimer les chiens ce qui donne en même temps à
entendre pour quelle raison il les traitoit si rudement. Le
marquis d'Argens eut bientôt son tour , et il devint le seul
point de mire contre lequel Frédéric dirigeoit toutes ses
prétendues épigrammes , tous les lazzis et toutes les ruses
d'un petit esprit qui croit avoir trouvé son inférieur, et qui
veut jouir de sa supériorité. La notice des éditeurs est remplie
de traits de cette nature , qui ne font pas plus d'honneur
àlamémoirede Frédéric qu'au caractère de celuiqui pouvoit
les supporter. Nous citerons les deux derniers , comme les
plus convenables au but que nous nous proposons.
,
Au retour d'un voyageque le marquis venoit de faire en
Provence , où , pour le dire en passant , son frère l'avoit
réintégré dans le bien dont il avoit été déshérité , le roi de
Prusse , voulant le mystifier, feignit de ne pas le reconnoître
tant il le trouvoit bien vêtu , et s'adressant à M. Catt ( 1 ) ,
(1) M. Catt étoit Suisse d'origine , et attaché à Frédéric en qualité de
lecteur. Les éditeurs ne disent pas s'il étoit parent du jeune Cattqquu eut
la tête tranchée sous les yeux du prince Royal , par ordre de Frédéric-
Guillaume , pour être entré dans le projet de fuite conçu par ce même
prince.
AOUT 1807 . 219
-
après que le marquis l'eut salué : « Catt , lui dit-il, ne pour-
>> riez - vous pas m'apprendre quel est ce monsieur là ?
Sire , c'est le marquis d'Argens. - Cela n'est pas possible
, répliqua le roi, le marquis d'Argens a toujours des
bas mal propres , une chemise sale , un habit tout ras ;
Voyez comme ce monsieur est propre ! Considérez ces
beaux bas , cette belle chemise blanche , ce bel habit propre.
Non, non, cen'est pas là le marquis d'Argens; ce ne sauroit
être lui . Sire , c'est lui- même. - Mon Dieu ! ajoute
encore le roi , cela n'est pas possible , vous dis-je ; le marquis
n'a jamais été si propre que cela. Vous vous trompez
assurément. Dites-moi donc qui c'est. C'est le marquis
d'Argens , continua M. Catt , qui depuis trente ans sert
fidélement votre majesté. » Le marquis déconcerté alloit se
fâcher , lorsque le roi finit enfin cette mauvaise plaisanterie
en lui donnant des témoignages d'amitié dont il venoit
d'empoisonner la douceur par la plus cruelle mortification.
Un autre jour le marquis ayant refusé d'aller se promener
avec le roi et M. Cati, parce qu'il souffroit beaucoup de
ses rhumatismes , S. M. lui envoya un de ses palefreniers
avec une étrille , pour lui offrir son petit ministère ; et le
lendemain à dîner le roi lui dit : « Eh bien , marquis , comment
vous trouvez-vous ? Je vous ai envoyé hier mes gens
pour vous guérir. » Le marquis se contentade lui répondre
qu'il n'étoit ni un cheval ni un mulet , mais que depuis
quelque temps il s'apercevoit qu'il étoit un âne ; voulant lui
faire sentir qu'il se repentoit d'être venu le revoir. Le roi le
comprit , et depuis ce moment il lui fit toujours mauvais
visage.
On a prétendu que Frédéric ne traitoit le marquis d'Argens
avec si peu de ménagement , que pour le guérir de
ses superstitions ridicules , etpour le punir de s'êêttrree marié
sans son consentement avec une comédienne qui jouoit à
Berlin. Mais ily a bien plus d'apparence qu'il cherchoit à le
dégoûter de son service , pour lui faire prendre son parti de
lui-même , et s'exempter de lui payer la pensionde retraite
qu'il étot convenu de lui donner , avec son congé , pour
retourner dans son pays , lorsqu'il auroit atteint soixante
années. Pendart tout le temps que le marquis avoit vécu à
Berlin , frappé de l'exhérédation paternelle, et sans aucune
autre ressource que les tristes bienfaits du bel esprit philosophe
, il avoit souffert , avec patience et résignation , toutes
les boutades , toutes les picoteries et toutes les humiliations
qu'il avoit plu au roi d'imaginer pour se divertir; mais
depuis que, replacé dans unecertaine indépendance par la
220 MERCURE DE FRANCE ,
générosité de son frère (1) , il sentoit moins le poids de la
nécessité , son esprit plus libre avoit repris quelque noble
fierté , sa position lui étoit devenue extrêmement à charge ,
et il attendoit , avec une sorte d'impatience , le moment où
il pourroit aller enfin respirer en liberté son air natal sous le
beau ciel de la Provence. Il ignoroit que les promesses faites
par les hommes qui n'écoutent que leurs passions , cessent de
leur paroître obligatoires , lorsqu'ils n'ontplus d'intérêt présent
àles tenir; mais il en fit la triste expérience , lorsque l'instant
fut arrivéd'exécuter la convention. Au lieu du congé définitif
que le roidevoit lui donner , il n'obtint qu'avec peine une permission
de s'absenter pour six mois , et , ce terme expiré , le
marquis ne reparoissant pas , parce que le chagrin l'avoit
arrêté dans son retour , le roi donna l'ordre d'effacer son
nom sur les états des pensions , et défendit de lui rien payer
à l'avenir . La nouvelle de cette indignité lui fit ouvrir les
yeux; il résolut de quitter lui-même celui qui l'abandonnoit
si cruellement , et de retourner dans sa chère retraite ; mais
il étoit déjà trop tard ; la maladie qu'il venoit de faire l'avoit
tellement abattu , qu'il ne jouit pas long-temps de la tranquillité
que devoit lui procurer la sage résolution qu'il avoit
prise. Elle lui fut cependant d'une grande utilité , puisqu'il
pût reconnoître et détester tous les égaremens qui l'avoient
jeté loin de la carrière qu'il devoit naturellement suivre , et
qu'il mourut dans des sentimens de pénitence , que la philosophie
des éditeurs ne manque pas de lui reprocher , en
affectant de les confondre avec les actes de superstition puérile
que la religion elle-même a toujours condamnés .
Une réflexion bien simple naît maintenant du fond d'un
sujet qui sans elle n'a d'autre objet que de satisfaire une vaine
curiosité. Le lecteur l'a déjà faite , sans doute , et il a su
apprécier à sa juste valeur ce rang accordé par Frédéric au
marquis d'Argens , expatrié et forcé , pour vivre , de publierdes
écrits que sa conscience a désavoués. Il a vu comment
les principes qu'il avoit adoptés corrompirent sa jeunesse
, et quelle funeste influence ils répandirent sur tout le
reste d'une vie qui fut toujours remplie d'amertume , quoique
passée dans un état qui le mettoit au-dessus du besoin. Les
causes de ses malheurs une fois bien connues , le moyen est
facile d'empêcher qu'elles ne se reproduisent , et tout le
monde peut aisément en faire l'application. Un état paisible
au fond de sa province pouvoit rendre le marquis d'Argens
utile à son pays , en même temps qu'il auroit fait son
(1) M. d'Eguilles , président au parlement d'Aix.
AOUT 1807 . 221
bonheur et celui de sa famille. Qu'a-t-il gagné à réchercher
la faveur , les bienfaits et l'amitié d'un prince qui n'a jamais
su choisir ses favoris , qui ne connoissoit pas le prix d'un
bienfait placé à propos , et qui n'a jamais aimé que luimême
? G.
Livres classiques qui se trouvent chez LE NORMANT.
Dictionnaire abrégé de la Bible , de Chompré , nouvelle édition , et
considérablement augmentée; par M. Petitot. Un vol. in- 12 , petit- texte
àdeux colonnes. Prix : 3 fr . , et 3 fr. 75 cent. par la poste. Idem , in-8°.
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Dictionnaire de la Fable, deuxième édition ; par F. Noël . Deux vol.
in 8°. 800 pag.chacun , imprimés en petit- texte , sur deux colonnes , et
ornés d'une figure allégorique gravée d'après le dessin de Girodet. L'exécution
typographique de cet ouvrage est magnifique. Prix : at fr. , et
26fr. par la poste.
Abrégé de la Mythologie universelle , ou Dictionnaire de la Fable,
adopté par la commission des ouvrages classiques, pour les Lycées et les
Ecoles secondaires ; par Fr. Noël. Un vol. in-12 de 650 pag. , petit- texte
à deux colonnes. Prix : 5 fr. , et6 fr. 50 cent. par la poste.
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la définition et les diverses acceptions des termes techniques usités dans
toutes les sciences et dans tous les arts . On y a joint le Tableau historique
de l'origine et des progrès de chaque branche des connoissances humaines ,
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derniers siècles ; ouvrage classique adopté par le gouvernement , pour
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de l'instruction publique ; et François Delaplace , professeur à l'école
centrale da Panthéon. Nouvelle édition , revue et corrigée. Deux
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de l'Institut national. Quatrième édition de l'Iliade et troisième de
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des Poètes, ornée d'un beau portrait d'Homère , et du bouclier d'Achille ,
gravés par Saint-Aubin. L'Odyssée est précédée d'Observations sur ce
Puëme, et de Réflex ons sur la Traduction des Poètes .
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du Lycée Bonaparte , ancien recteur de l'Université de Paris,
ancien professeur de littérature et de rhétorique à l'Ecole militaire ,
au Collège du Plessis-Sorbonne , à l'Ecole centrale du Panthéon ; de la
Société libre des sciences , lettres et arts de Paris ; auteur de plusieurs
autres traductions . Quatre vol. in-12. Prix : 10 fr , pap. ordin.; et pap.
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222 MERCURE DE FRANCE ,
ce format. Rien n'aété négligé pour donner à cetteédition tout le mérite
dout elle étoit susceptibbllee:elle a étéimprimée par M. Didot jeune , avec
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in-4°. , revue et augmentée par Barthélemy, dans les dernières années de
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datent de ce même jour dans l'histoire de tous les siècleset de tous les
pays ,jusqu'au premier janvier 1805. Deuxième édition revue , corrigée
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Virgile, Horace , Ovide , etc. , avec argumens analytiques et notes en
français , à l'usage des lycées et des écoles secondaires. Par MM. François
Noëlet Delaplace. Un vol. in-12 . Prix : 3 fr. , et 4 fr. par la poste..
Petit Cours de Littérature , à l'usage de l'un et de l'autre sexe , contenant
une dissertation sur l'art de bien lire , sur chaque genre destyle .
etun recueil de morceaux choisis des poètes et des orateurs français ; par
M. le Texier . Un vol . in 8°. Prix : 3 fr . 60 c. , et 4 fr . 50 c. par la poste.
Manière d'apprendre et d'enseigner ; ouvrage traduit du latin du
P. Joseph de Jouvency , jésuite; par J. F. Lefortier, professeur de belleslettres
à l'école centrale de Fontainebleau . Un vol.in- 12. Prix : a fr . ,
et3 fr. par la poste.
Le
Vocabulaire pour l'intelligence de l'Histoire moderne. Un vol.
in-8° . Prix : 5 fr . , et6 frr..50cent. par la poste.
Cet ouvrage contient l'explication historique et étymologique des
motset noms qui , dans l'histoire des différens peuples modernes , désignentdes
titres d'honneur , des dignité , des charges , des offices , des
lois , des cérémonies , des coutumes . L'auteur ne s'est pas borné à une
simple définition, il donne l'origine de l'établissement des dignités , des
charges, etc.; il entre dans les détails qu'il croit avec raison nécessaires
sur leurs fonctions et leurs attributions ; il expose , en peude mots , les
causses de leur suppressions et des changemens dans les lois , dans les
cérémonies et les coutumes .
Histoire du Bas-Empire , commençant à Constantin le Grand. Par
leBeau,et continué par Ameilhon. Vingt-cinq vol. in-12. Prix : 63 fr.
Précis de l'Histoire ancienne , d'après Rollin; contenant Phistoire
desEgyptiens , des Carthaginois , des Assyriens , des Mèdes, des Perses
etGrecs, etc. etc. jusqu'à la bataille d'Actium; par Jacques-Corentin
Royou. Quatre vol . in- 8°. Prix : 21 fr. , et 27 fr. par la poste.
Histoire élémentaire , philosophique et politique de l'ancienne
Grèce, depuis l'établissement des colonies jusqu'à la réduction de la
Grèce en provinces romaine ; ouvrage composé sur le plan des deux
Catéchismes historiques de Fleury, formant un corps d'histoire ,de
morale et de politique. Par N. Foulon , deuxième édition. Denx yol,
in-8°. Prix: 7 fr. 50 c.
AOUT 1807 . 223
NOUVELLES POLITIQUES.
Berlin , 21 juillet.
La bataille de Friedland a eu lieu le 14 juin. L'armistice a
étésigné le 21.
Le 3 juillet , c'est-à-dire dix-neuf jours après la bataille
de Friedland , et treize jours après l'armistice , le roi de
Suède a dénoncé la rupture de l'armistice arrêté entre le maréchal
Mortier et le général Essen , et a déclaré que les hostilités
recommenceroient le 13 ; déclaration peu loyale , puisqu'il
avoit été convenu que les hostilités ne pourroient recommencer
qu'unmois après que l'armistice auroit été rompu. Le
roi de Suèdeadit qu'il ne reconnoissoit pas cet article de l'armistice;
mais il n'y a pas d'homme sensé qui ne sache que les
conventions militaires faites par les généraux en chef, ne sont
pas sujettes à la ratification des gouvernemens. La nature
même de la chose le veut ainsi . Tous les usages résultant
de la civilisation de l'Europe , sont anéantis , et la
guerre prend un caractère qu'elle n'a plus que chez les
Barbares , du moment où la parole des généraux , où les écrits
même revêtus de leurs signatures , ne sont pas des engagemens
sacrés.Comment pourroit-on consentiraàaccorder
capitulation à une place assiégée , à convenir des conditions
d'unarmistice avec un ennemi , si , le moment de crise passé,
le souverain pouvoit dire qu'il n'en reconnoît pas les conditions
? Ces considérations sont étrangères à un prince qui se
conduit sans conseils , et qui n'a aucune expérience des usages
des nations.
une
La paix ayant été conclue avec laRussie et la Prusse le 8
juillet , qui s'attendoit que le 13 , des hostilités recommenceroient
sur un point si rapproché du théâtre de la guerre? Le
roi de Suède l'a voulu , et la Pomeranie suédoise a été
envahie; les Suédois ont été rejetés à coups de canon dans la
ville de Stralsund , et cette place est investie. L'expédition
anglaise avoit débarqué dans l'île de Rugen pour être témoin
desdésastres de son foible allié. Moniteur.
PAR , vendredi 31 juillet.
Le 27, S. M. l'EMPEREUR est arrivé à Saint-Cloud à cinq
heures du matin , en fort bonne santé. A neuf heures,
soixante coups de canon ont annoncé son arrivée. S. M. a dîné
avec toute sa famille et l'archichancelier. A huit heures du
224 MERCURE DE FRANCE ;
:
soir , S. M. a reçu les ministres . S. M. a convoqué le conseil
d'Etat pour le 28 , à sept heures du matin.
(Moniteur.)
-S. A. S. le prince ministre de la guerre vient d'adresser .
le rapport suivant à S. M. l'EMPEREUR et Rer.
Du quartier-général de Kænigsberg , le 15 juillet 1807 .
J'ai l'honneur de soumettre à V. M. le tableau des prisonniers
prussiens qui ont été faits dans la campagne; V. M.
verra avec satisfaction qu'il se moute à 5,179 officiers , et à
123,418 sous-officiers et soldats .
Signé le prince de Neuchâtel , maréchal d'Empire ,
ALEX. BERTHIER.
-Le tableau général annexé à ce rapport est certifié véritable
et conforme par l'adjudant - commandant Dentzel ,
chargé du détail et de l'échange des prisonniers de guerre. Il
comprend le nombre des prisonniers faits sur l'armée prussienne
, depuis le commencement de la campagne jusqu'au
1er juillet 1807. Chaque régiment et corps prussien y est
désigné par son nom, avec la perte qu'il a faite , soit en officiers,
soit en soldats qui ont rendu les armes, Voici les résultats
généraux :
-
Etat-major général. 142 prisonniers , dont 2 feldmaréchaux
, 12 lieutenans - généraux, 44 généraux-majors ,
i adjudant-général , 5 colonels , a lieutenans-colonels , 8 majors
, 24 capitaines , 30 aides-de-camp , 1 ajudant du roi ,
12 adjudans-majors , I gouverneur de dessin.
Gardes du roi. - 243 officiers , 8,066 sous-officiers et
soldats.
Régimens d'infanterie.- 2,552 officiers , 59,135 soldats .
Bataillons de grenadiers.-325 officiers , 14,246 soldats:
Bataillons de fusilliers. - 579 officiers , 11,500 soldats.
Cavalerie.-815 officiers , 20,503 soldats.
Artillerie.- 217 officiers , 9,538 soldats.
Pontonniers. -35 officiers , 570 soldats.
2
Officiers sans désignation de corps.-471.
Total général : 5,179 officiers , 123,418 sous-officiers et
soldats.
-
1
Il seroit curieux de comparer avec ces résultats ceux
qu'offre l'Etat militairede la Prusse, publié à Berlin en 1805.
On y indique la force effective de toute arme , ainsi qu'il suit :
Gardes,3,174.- Infanterie , 175,307.- Cavalerie , 40,476.
Artillerie , 13,240. - Divers corps , 7,470. Total , 239,667.
En supposant cet état effectif , en ôtant les 128,000 prisonniers
de guerre , et environ 50,000 tués, il resteroit de toute
l'armée prussienne, 60 à 65,000 hommes.
AOUT 1807 .
Les 15 et 16 août, il y aura fête dans tout l'Empire.Ler4
au soir , représentation gratis dans tous les spectacles. Le 15
à sixheures du matin , unesalve d'artillerie annoncera la fête.
A onze heures, S. M. partira des Tuileries en grand cortége
pour se rendre à Notre-Dame , par la rue Saint-Honoréet
le Pont-Neuf; les troupes borderont la haie. Le sénat , le
conseil-d'Etat , le tribunat , la cour de cassation etles autorités
de la ville de Paris , auront des places assignées dans l'église.
Il y aura messeet TeDeun. Des salves d'artillerie annonceront
le départ et le retour de l'EMPEREUR. Après le retour de S. M. ,
ily aura, dans les Champs-Elysées et dans les différentes places ,
des jeux , des courses et des orchestres. Le soir , concert , et
illuminations aux Tuileries. A dix heures , cercle à la cour.
Le 16 , salve d'artillerie à six heures du matin. A midi , on
célébrera la messe aux Tuileries. Une salve annoncera , à cinq
heures , le départ de S. M. , qui sortira des Tuileries pour se
rendre au corps législatif en grand cortége. Une autre salve
annoncera l'arrivée de S. M. Le 5 d'août, différens programmes
instruiront des détails des cérémonies et fêtes qui
auront lieu dans lesjournées des 15 et 16 août, (Moniteur.)
-Le tribunal de première instance séant à Carpentras , par
unjugement en date du 14juin , a condamné à un an d'einprisonnement
, à 300 fr. d'amende et aux dépens , le sieur
Claude Paschal de Sarrians, convaincu d'avoir remis, moyennant
une somme de 1200 fr. , son acte de naissance , et les
certificats constatant qu'il avoit satisfait à la conscription , à
un conscrit de 1807 , déserteur , qui s'est trouvé nanti de
ces pièces.
Par unjugement que le tribunal civil de l'arrondissement
d'Avignon a rendu le 19du înême mois , le nommé Bérard
de Carpentras , a été condamné à trois mois de prison , à une
amende de 300 fr. , et une restitution de 120 fr.
,
Le nommé Bled , natif de Château-Renard ( Bouches-du-
Rhône ) , domicilié à Avignon , où il exerçoit la profession de
traiteur , étoit impliqué dans lamême affaire. Il a été jugé par .
contumace : il est condamné à deux ans de prison , à 5000 fr .
d'amende , et à la restitution d'une somme de 310 fr . , par lui
escroquée à diverses familles de conscrits.
Le tribunal correctionnel d'Arras a condamné Jean-Nicolas
Lefebvre de cette ville à 5000 fr. d'amendeetà deux ans d'emprisonnement
, pour escroquerie en matière de conscription ,
etpour avoir employé des moyens de soustraire un déserteur
aux poursuites légales . (Moniteur.)
- Mardi 28 juillet, à huit heures du matin , le conscil
d'Etat a été présenté à S. M. L'EMPEREUR et Ror entouré des
P
226, MERCURE DE FRANCE ,
princes,des cardinaux , des ministres , des grands-officiers
de l'Empire et des officiers de sa maison.
Après cette audience , S. M. a tenu le conseil où étoient
lesministres.
A onze heures , le conseil étant fini , le sénat a été conduit
à l'audience de S. M. dans les formes accoutumées , par les
maîtres et aides des cérémonies , introduit par S. Exc. le
grand-maître , et présenté parS. A. S. le prince archichancelier
de l'Empire.
S. Exc. M. Lacépède , président du sénat , a dit :
SIRE ,
<< Nous nous empressons d'offrir à V. M. I. et R. le tribut
de notre respectueuse reconnoissance pour les communications
qu'elle a bien voulu nous faire des deux traités qui viennent
de rendre la paix à tant de nations. Mais comment exprimer ,
Sire , tout ce que rappelle et fait éprouver au sénat et au
peuple français , la présence de V. M. I. et R. ?
>> Former un plan immense d'attaque et de défense , au
moment où la haute sagesse de V. M. donna malgré elle à la
France le signal de nouvelles victoires ; comprendre l'Europe
entière dans cette vaste et sublime combinaison ; recréer tout
d'un coup de grandes armées par les résultats des ordres les
mieux concertés ; vous montrer avec la rapidité de l'éclair , à
la tête de vos légions invincibles , au-delà des prétenducs
barrières que , dans leur fol espoir, vos ennemis avoient crues
capables d'arrêter l'essor de vos aigles ; les surprendre , les
tourner , les frapper comme la foudre , les disperser comme
la poussière qu'enlèvent les tempètes; traverser en vainqueur
les fleuves les plus fameux par les longues et sanglantes
résistances dont leurs bords avoient été si souvent les témoins ,
faire tomber à votre voix les remparts de tant de places
fortes que l'on regardoit comme imprenables ; couvrir de vos
trophées la terre des Germains et celle des Sarmates , depuis
les rives de la Sala jusqu'aux bords du Niémen ; braver les
élémens conjurés , pendant la saison la plus rigoureuse ;
supporter pendant les longues et affreuses nuits des contrées
boréales , toute l'inclémence d'un hiver extraordinaire ;
exécuter les marches les plus savantes , et remporter des victoires
dans ces champs couverts de neiges et de frimas , où
des voyageurs intrépides auroient craint de se hasarder ; terminer
une suite de combats glorieux par une bataille plus
glorieuse encore ; se hâter , par le mouvement le plus généreux
, de suspendre l'impulsion terrible d'une force que la
volonté de V. M. pouvoit seule arrêter ; saisir l'olivier de la
paix , qui lui est présenté; conquérir l'affection des souverains
AOUT 1807 . 227
et des guerriers qui s'étoient ligués contre elle; conclure deux
traités que votre génie et admirable modération ont marqué du
sceau de la durée ; ménager tous les intérêts; écarter les principes
de discorde; réunir par les liens de l'estime , les deux
plus puissantes nations du monde; fermer , plus que jamais,
l'entrée du continent aux manoeuvres et au commerce de ce
gouvernement insulaire , qu'une paix prochaine peut seule
préserver de la catastrophe qui le menace; consolider de plus
enplus cette Confédération du Rhin , conçue par V. M. pour
le repos et le bonheur de l'Europe civilisée ; élever un trône
pourunprince auguste , dont les rives de Poder rappelleront
àjamais les lauriers .
>>Tels sont les prodiges pour lesquels la vraisemblance
auroit exigé des siècles , et pour lesquels peu de mois ont suffi
àV. M.
>> Et pour ajouter à tant de merveilles , V. M. I. et R. ,
éloignée de 400 lieues de sa capitale , a seule gouverné son vaste
Empire; elle a seule imprimé le mouvement à tous les ressorts
de l'administration la plus étendue; aucun détail n'a
échappé aux regards de V. M.
>>Au milieu de ces fatigues sans cesse renaissantes, que vous
avez voulu partager avec vos enfans , les braves des braves ;
aumilieu de ces travaux militaires sans cesse renouvelés , quelquefois
même le jour où vous aviez conduit vos armées à la
victoire , V. M. s'est délassée en dictant des instructions lumineuses
, qui auroient fait lagloire des hommes d'Etat les plus
expérimentés ; en traçant des plans d'établissemens utiles sur
lesquels elle imprimoit tous les caractères de la prévoyance la
plus attentive etde la bonté la plus touchante ; en consacrant
à la valeur héroïque d'immortels monumens , ou en donnant
aux sciences , aux lettres et aux arts les encouragemens les plus
précieux et les récompenses lesplus nobles comme les plus
solennelles .
>> Et cependant , Sire , tout l'Empire étoit calme; jamais
les lois n'ont été mieux observées; jamais la tranquillité publique
n'a été moins troublée; il ne manquoità votre grande
famille que la présence auguste de son père chéri.
>> Sire , tous nos voeux sont remplis.
>> On ne peut plus louer dignement V. M. Votre gloire est
trop haute: il faudroit être placéà la distance de la postérité
pour découvrir son immense élévation.
>> Mais nous ne pouvons résister au besoin d'offrir à V. M.
I. et R. l'hommage de notre gratitude et de notre amour.
>> Goûtez , Sire , la récompense la plus digne du plus grand
des monarques , le bonheur d'être adoré de la plus grande
Pa
228 MERCURE DE FRANCE ,
des nations , et que nos arrière-petits-neveux soient long-temps
heureux sous le règne de V. М. »
Le tribunat a ensuite été présenté de la même manière à
l'audience de S. M. M. Fabre , président, a porté la parole
en ces termes :
SIRE,
« Un seul voeu , le retour de l'EMPEREUR , suffisoit pour exprimer tous
les sentimens de la France. Vos fidèles sujets étoient convaincus que
le jour qui ramèneroit V. M. au sein de son Empire , ne laisseroit rien
à desirer ni pour la gloire du nom français , ni pour la paix du continent.
>> L'impatience publique comptoit tous les momens; mais peut-être
cette longue séparation que nous avons si douloureusement sentie , étoit
nécessaire pour bien faire connoître à l'Europe tous les rapports , tous
les sentimens qui unissent V. M. avec ses peuples ; le monarque étoit
400 tienes de sa capitale , et jamais sa volonté ne régna plus puissante;
elie étoit pressentie plutôt qu'écoutée ; le zèle devançoit les époques fixées
par l'autorité ; la nation s'efforç it de multiplier les preuves de son respect
et de son amour ; tous portoient envie aux braves qui avoient l'honneur
de combattre sous vos yeux , et de marcher à la victoire par la route ,
toujours sûre , que vous leur aviez tracée.
>> Sice, ce peuple à qui l'absence du souverain inspire un dévouement si
délicat, est lemême dont le gouvernement britannique espéra long-temps
que l'énergie se consumeroit en dissensions intestines; la haine de nos
ennemis n'avoit pas prévu l'irrésistible influence de votre génie sur le
noble caractère des Français.
» Sire , vous avez toujours reçu avec bonté les témoignages de l'admiration
respectueuse que le tribunat a constamment professés pour votre
auguste prsonne; que V. M. daigne encore aujourd'hui accueillir nes
hommages , trop foible expression de notre enthousiasme et du sentiment
unanime qui retentit dans les acclamations de vos peuples. >>>
Ensuite, les magistrats de la cour de cassation , la cour
d'appel , le clergé de Paris, la cour de justice criminelle ,
le conseil des prises , le corps municipal de Paris, ont été
présentés de la même manière à S. M. , qui a répondu
avec bienveillance aux hommages et félicitations des corps
de l'Etat , et les a long-temps entretenus.
SENAT CONSERVATEUR.
Le 24 juillet , à 4 h. après-midi , en exécution des ordres
de S. M. l'EMPEREUR et Ror , S. A. S. Mgr. le prince archichancelier
de l'Empire , s'est rendu au sénat , à l'effet de lui
communiquer les deux traités de paix signés avec la Russie et
avec la Prusse. S. A. S. a été reçue avec le cérémonial ordinaire,
et ayant pris séance , a dit :
Messieurs ,
« Le cours rapide des victoires de S. M. l'EMPEREUR et Ror
offroit le présage infaillibled'une paix glorieuse.Ces espérances
sont accomplies par les deux traités de paix que j'apporte au
AOUT 1807: 209
sénat. S. M. n'a point permis qu'ils fussent rendus publics ,
avant que vous en ayez reçu la communication .
» Le sénat appréciera avec reconnoissance cette réserve
délicate , et y verra une nouvelle preuve de l'attention de
notre auguste souverain , à maintenir les formes consacrées
par nos usages et par nos lois.
» Au milieu des grands résultats que présentent ces transactions
politiques , il en est un qui intéressera vos plus vives
affections. Dévoués comme vous l'êtes , Messieurs , à la gloire
dela dynastie impériale , avec quelle satisfaction ne verrezvous
pas sa splendeur toujours croissante , porter au trône de
Westphalie un jeune prince dont la sagesse et le courage
viennent de se signaler par de si nobles travaux !
>> Dans cette disposition , comme dans toutes celles qui
composent ces traités , vous retrouverez , Messieurs , les soins
constans du fondateur de l'Empire , pour consolider le grand
système dont il a posé les bases.
>> Votre coeur applaudira aux conceptions d'un génie , ami
de l'humanité , dont toutes les vues , dont toutes les précautions
ont pour objet d'éloigner l'effusion du sang humain.
» Le continent peut enfin se promettre une paix durable.
Les entrevues mémorables qui viennent d'avoir lieu sur les
bords du Niemen, sont les gages d'une longue tranquillité.
Les rapportsd'estime et de confiancequi se sont établis entre
les souverains des deux plus puissantes nations de l'Europe ,
offrent une garantie contre laquelle désormais tous les efforts
delahaine et de l'ambition viendront inutilement échouer .>>>
S. A. S. a ensuite remis les deux traités qui ont été lus à la
tribune par le sénateur Depere , l'un des secrétaires.
S.M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur de
la Confédération du Rhin, et S. M. l'Empereur de toutes les
Russies , étant animés d'un égal desir de mettre fin aux calamités
de la guerre , ont , à cet effet , nommé pour leurs plénipotentiaires
, savoir : S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie , protecteur de la Confédération du Rhin , M. Charles-
Maurice Talleyrand , prince de Bénévent, son grand-chambellan
et ministre des relations extérieures , grand-cordonde
la Légion-d'Honneur , chevalier grand-croix des Ordres de
l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge de Prusse et de Saint-
Hubert:
Et S. M. l'Empereur de toutes les Russies , M. le prince
Alexandre Kourakin , son conseiller privé actuel , membre
du conseil d'Etat , sénateur , chancelier de tous les ordres de
l'Empire , chambellan actuel , ambassadeur extraordinaire et
ministre plénipotentiaire de S. M. l'Empereur de toutes les
3
230 MERCURE DE FRANCE ,
Russies près S. M. l'Empereur d'Autriche , et chevalier des
Ordres de Russie de Saint-André , de Saint-Alexandre , de
Sainte- Anne de première classe et de Saint- Wolodimir de la
première classe , de l'Aigle-Noir et de l'Aigle-Rouge de
Prusse , de Saint-Hubert , de Bavière , de Dambrog et de
l'Union parfaite de Danemarek , et bailli grand-croix de
l'Ordre souverain de Saint- Jean de Jérusalem ;
Et M. le prince Dinitry Labanoff de Rostoff, licutenantgénéral
des armées de S. M. l'Empereur de toutes les Russies ,
chevalier des Ordres de Sainte-Anne de la première classe ,
de l'Ordre militaire de Saint- Georges , et de l'Ordre de
Wolodimir de la troisième classe ;
Lesquels , après avoir échangé leurs pleins-pouvoirs respectifs,
sont convenus des articles suivans :
Art. Ier. Il y aura , à compter du jour de l'échange des
ratifications du présent traité , paix et amitié parfaites entre
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , et S. M. l'Empereur
de toutes les Russies.
II. Toutes les hostilités cesseront immédiatement , de part
et d'autre , sur terre et sur mer , dans tous les points où la
nouvelle de la signature du présent traité sera officiellement
parvenue. Les hautes parties contractantes la feront porter ,
sans délai , par des courriers extraordinaires ,à leurs généraux
et commandans respectifs.
III. Tous les bâtimens de guerre ou autres appartenant à
l'une des parties contractantes ou à leurs sujets respectifs , qui
auroient été pris postérieurement à la signature du présent
traité , seront restitués , ou , en cas de vente , leprix en sera
restitué .
IV. S. M. l'Empereur Napoléon , par égard pour S. M.
l'Empereur de toutes les Russies , et voulant donner une
preuve du desir sincère qu'il a d'unir les deux nations par les
liens d'une confiance et d'une amitié inaltérables , consent à
restituer à S. M. le roi de Prusse , allié de S. M. l'Empereur
de toutes les Russies , tous les pays , villes et territoires conquis
et dénommés ci-après , savoir : La partie du duché de
Magdebourg , située à la droite de l'Elbe ; la Marche de
Priegnitz , l'Uker- Marck , la moyenne et la nouvelle Marche
de Brandebourg , à l'exception du Kotbuser-Kreys , ou cercle
de Cotbus , dans la Basse- Lusace , lequel devra appartenir
àS. M. le roi de Saxe , le duché de Poinéranie; la Haute ,
laBasse et la Nouvelle-Silésie , avec le comté de Glatz ; la
partie du district de la Netze , située au nord de la chaussée
allant de Driesen à Schneidemühl , et d'une ligne allant de
Schneidemühl , à la Vistule par Waldau , en suivant les
>
AOUT 1807 . 23г
er
limites du cercle Bromberg , la navigation par la rivière de
Netze , et le canal de Bromberg , depuis Driesen jusqu'à la
Vistule , et réciproquement , devant être libre et franche de
tout péage ; la Pomérelie , l'île de Nogat, les pays à la droite
du Nogat et de la Vistule , à l'ouest de l'ancienne Prusse et
au nord du cercle de Culm ; l'Ermeland , et enfin le royaume
de Prusse , tel qu'il étoit au 1 janvier 1772 , avec les places
de Spandau , Stetin , Custrin , Glogau , Breslau , Schweidnitz
, Neiss , Brieg , Kosel et Glatz , et généralement toutes
les places , citadelles , châteaux et forts des pays ci-dessus
dénommés , dans l'état où lesdites places , citadelles , châteaux
et forts se trouvent maintenant , et en outre , la ville et
citadelle de Graudentz .
V. Les provinces qui , au 1er janvier 1792 faisoient partie
de l'ancien royaume de Pologne , et qui ont passé depuis , à
diverses époques , sous la domination prussienne , seront , à
l'exception des pays qui sont nommés ou désignés au précédent
article , et de ceux qui sont spécifiés en l'article IX ciaprès
, possédés en toute propriété et souveraineté par S. м.
le roi de Saxe , sous le titre de duché de Varsovie , et régis
par des constitutions qui , en assurant les libertés et les priviléges
des peuples de ce duché , se concilient avec la tranquillité
des Etats voisins .
VI. La ville de Dantzick , avec un territoire de deux lieues
de rayon autour de son enceinte , sera rétablie dans son indépendance
, sous la protection de S. M. le roi de Prusse et de
S. M. le roi de Saxe , et gouvernée par les lois qui la régissoient
à l'époque où elle cessa de se gouverner elle-même.
VII. Pour les communications entre le royaume de Saxe et
le duché de Varsovie , S. M. le roi de Saxe aura le libre usage
d'une route militaire à travers les possessions de S. M. le roi
de Prusse. Ladite route , le nombre des troupes qui pourront
y passer à la fois , et les lieux d'étape seront déterminés par
une convention spéciale , faite entre leursdites Majestés , sous
la médiation de la France.
VIII . S. M. le roi de Prusse , S. M. le roi de Saxe , ni laville
de Dantzick ne pourront empêcher par aucune prohibition ,
ni entraver par l'établisement d'aucun péage , droit ou impôt,
de quelque nature qu'il puisse être , la navigation de la Vistule.
IX. Afin d'établir , autant qu'il est possible , des limites
naturelles entre la Russsie et le duché de Varsovie , le territoire
circonscrit par la partie des frontières russes actuelles ,
qui s'étend depuis le Bug jusqu'à l'embouchure de la Łossosna
, et par une ligne partant de ladite embouchure et sui
4
232 MERCURE DE FRANCE ,
vant le thalweg de cette rivière , le thalweg de la Bobra jus
qu'à son embouchure , le thalweg de la Narew , depuis
le point susdit jusqu'à Suratz, de la Lisa jusqu'à sa source,
près le village de Mien , de l'affluent de la Nurzeck prenant
sa source près le même village , de la Nurzeck jusqu'à
son embouchure au-dessus de Nurr , et enfin le thalweg du
Bug , en le remontant jusqu'aux frontières russes actuelles ,
sera réuni , à perpétuité , à l'Empire de Russie.
X. Aucun individu , de quelque classe et condition qu'il
soit , ayant son domicile ou des propriétés dans le territoire
spécifié en l'article précédent , ne pourra , non plus qu'aucun
individu domicilié soit dans les provinces de l'ancien royaume
de Pologne , qui doivent être restituées à S. M. le roi de
Prusse, soit dans le duché de Varsovie , mais ayant en Russie
des biens-fonds , rentes , pensions ou revenus , de quelque
nature qu'ils soient , être frappé dans sa personne , dans ses
biens , rentes , pensions et revenus de tout genre , dans son
rang et ses dignités , ni poursuivi ni recherché en aucune
façon quelconque , pour aucune part , ou politique ou mili.
taire , qu'il ait pu prendre aux événemens de la guerre présente.
XI. Tous les engagemens et toutes les obligations de S. M.
le roi de Prusse , tant envers les anciens possesseurs , soit de
charges publiques , soit de bénéfices ecclésiastiques , militaires
ou civils , qu'à l'égard des créanciers ou des pensionnaires de
l'ancien gouvernement de Pologne , restent à la charge de
S. M. l'Empereur de toutes les Russies et de S. M. le roi de
Saxe , dans la proportion de ce que chacune de leursdites
Majestés acquiert par les articles V et IX , et seront acquittés
pleinement , sans restriction , exception , ni réserve aucune.
XII. Leurs altesses sérénissimes les ducs de Saxe-Cobourg ,
d'Oldenbourg et de Mecklenbourg - Schwerin , seront remis
chacundans la pleine et paisible possession de ses Etats ; mais
les ports des duchés d'Oldenbourg et de Mecklenbourg continueront
d'être occupés par des garnisons françaises , jusqu'à
l'échange des ratifications du futur traité de paix définitive
entre la France et l'Angleterre.
XIII. S. M. l'Empereur Napoléon accepte la médiation
de S. M. l'Empereur de toutes les Russies , a l'effet de négocier
el conclure un traité de paix définitive entre la France et
l'Angleterre , dans la supposition que cette médiation sera
aussi acceptée par l'Angleterre , un mois après l'échange des
ratifications du présent traité.
XIV. De son côté , S. M. l'Empereur de toutes les Russies ,
youlant prouver combien il desire d'établir entre les deux
AOUT 1807. 237
Empires les rapports les plus intimes et les plus durables ,
reconnoît S. M. le roi de Naples , Joseph Napoléon , et S. M.
le roi de Hollande, Louis Napoléon.
XV. S. M. l'Empereur de toutes les Russies reconnoît
pareillement la Confédération du Rhin , l'état actuel de possession
de chacun des souverains qui la composent , et les
titres donnés à plusieurs d'entr'eux,soit par l'acte de la Confédération
, soit par les traités d'accession subsequens. Sadite
Majesté promet de reconnoître, sur les notifications qui lui
seront faites de la part de S. M. l'Empereur Napoléon , les
souverains qui deviendront ultérieurement membres de la
Confédération, en la qualité qui leur sera donnée par les
actes qui les y feront entrer.
XVI . S. M. l'Einpereur de toutes lesRussies cède , en toute
propriété et souveraineté, à S. M. le roi de Hollande, la
seigneurie de Jever dans l'Ost-Frise.
XVII. Le présent traité de paix et d'amitié est déclaré
commun à LL. MM. les rois de Naples et de Hollande , et
aux souverains confédérés du Rhin, alliés de S. M. l'Empereur
Napoléon.
XVIII . S. M. l'Empereur de toutes les Russies reconnoît
aussi S. A. I. le prince Jérôme-Napoléon comme roi de
Westphalie.
XIX. Le royaume de Westphalie sera composé des provinces
cédées par S. M. le roi de Prusse à la gauche de l'Elbe,
et d'autres Etats actuellement possédés par S. M. l'Empereur
Napoléon.
:
XX. S. M. l'Empereur de toutes les Russies promet de reconnoître
la disposition qui, en conséquence de l'article XIX
ei-dessus et des cessions de S. M. le roi de Prusse , sera faite
par S. M. l'Empereur Napoléon ( laquelle devra être notifiée
à S. M. l'Empereur de toutes les Russies) , et l'état de possession
en résultant pour les souverains au profit desquels elle
aura été faite .
XXI. Toutes les hostilités cesseront immédiatement sur
terre et sur mer entre les forces de S. M. l'Empereur de
toutes les Russies et cellesde S. H. , dans tous les points où
la nouvelle de la signature du présent traité sera officiellement
parvenue. Les hautes parties contractantes la feront porter
sans délai, par des courriers extraordinaires , pour qu'elle
parvienne , le plus promptement possible , aux généraux et
commandans respectifs.
XXII. Les troupes russes se retireront des provinces de
Valachie et de Moldavie; mais lesdites provinces ne pourront
être occupées par les troupes de S. H. jusqu'à l'échange des
!
234 MERCURE DE FRANCE ,
ratifications du futur traité de paix définitive entre la Russie
et la Porte-Ottomane.
XXIII . S. M. l'Empereur de toutes les Russies accepte la
médiation de S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie ,
à l'effet de négocier et conclure une paix avantageuse et
honorable aux deux Empires. Les plénipotentiaires respectifs
se rendront dans le lieu dont les deux parties intéressées conviendront
, pour y ouvrir et suivre les négociations.
XXIV. Les délais dans lesquels les hautes parties contractantes
devront retirer leurs troupes des lieux qu'elles doivent
quitter, en conséquence des stipulations ci-dessus , ainsi que
le mode d'exécution des diverses clauses que contient le présent
traité , seront fixés par une convention spéciale.
XXV. S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , et S.M.
l'Empereur de toutes les Russies , se garantissent mutuellement
l'intégrité de leurs possessions et celles des puissances
comprises au présent traité de paix , telles qu'elles sont maintenant
ou seront en conséquence des stipulations ci-dessus .
XXVI. Les prisonniers de guerre faits par les parties contractantes
, ou comprises au présent traité de paix , seront
rendus réciproquement sans échange et en masse.
XXVII. Les relations de commerce entre l'Empire français,
le royaume d'Italie , les royaumes de Naples et de Hol--
lande , et les Etats confédérés du Rhin , d'une part , et d'autre
part l'Empire de Russie , seront rétablies sur le même pied
qu'avant laguerre.
XXVIII . Le cérémonial des deux cours des Tuileries et de
Saint-Pétersbourg entr'elles , et à l'égard des ambassadeurs ,
ministres et envoyés qu'elles accréditeront l'une près de l'autre
sera établi sur le principe d'une réciprocité et d'une égalité
parfaites.
XXIX. Le présent traité sera ratifié par S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , et par S. M. l'Empereur de toutes
les Russies .
L'échange des ratifications aura lieu dans cette ville , dans
le délai de quatre jours.
Fait à Tilsit , le 7 juillet ( 25 juin ) 1807 .
Signé Ch. Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent.
Le prince Alexandre KOURAKIN .
Le prince DINITRY LABANOFF DE ROSTOFF.
Pour ampliation ,
Le ministre des relations extérieures.
Signé Ch . Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent.
Les ratifications du présent traité ont été échangées à Tilsit ,
le 9 juillet 1807 .
AOUT . 1807 . 235
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur
de la Confédération du Rhin , et S. M. le roi de Prusse ,
étant animés d'un égal desir de mettre fin aux calamités de la
guerre, ont , à cet effet , nominé pour leurs plénipotentiaires ,
savoir :
:
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur de
la Confédération du Rhin , M. Charles- Maurice-Talleyrand ,
prince de Bénévent , grand- chambellan et ministre des relations
extérieures , grand-cordon de la Légion-d'Honneur ,
chevalier des ordres de l'Aigle noir et de l'Aigle rouge de
Prusse , et de l'Ordre de Saint-Hubert ;
Et S. M. le roi de Prusse , M. le feld-maréchal comte de
Kalkreuth , chevalier des Ordres de l'Aigle noir et de l'Aigle
rouge de Prusse; et M. le comte de Goltz , son conseillerprivé
et envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
près S. M. l'Empereur de toutes les Russies , chevalier de
l'Ordre de l'Aigle rouge de Prusse ; lesquels , après avoir
échangé leurs pleins-pouvoirs respectifs , sont convenus des
articles suivans :
Art . Ier . Il y aura , à compter du jour de l'échange des ratifications du
présent traité , pax et amitié parfaites entre S. M. l'Empereur des Français
, Roi d'Italie , et S. M. le roi de Prusse .
I. La partie du duché de Magdebourg située à la droite de l'Elbe ;
la Marchede Priegnitz , l'Uker-Marck, la moyenne et la nouvelle Marche
de Brandebourg , à l'exception du Cotbuser-Kreys ou cercle de Cotbus ,
dans la Basse- Lusace ; le duché de Pomeranie ; la Haute , la Basse et la
Nouvelle-Silésie avec le comté de Glatz ; la partie du district de la Netze,
située au nord de la chaussée allant de Driesen à Schneidemühl , et
d'une ligne allant de Schneidemühl à la Vistule par Woldau , en suivant
les limites du cercle de Bromberg , la Pomérelie , l'île de Nogat ,
les pays à la droite du Nogat et de la Vistule , à l'ouest de la vieille
Prusse et au nord du cercle de Culm , PErmeland , et enfin le royaume
de Prusse tel qu'il étoit au 1er janvier 1772 , seront restitués à S. M. le
roi de Prusse , avec les places de Spandau , Stetin , Custrin , Glogau ,
Breslau , Schweidnitz , Neiss , Brieg , Koselet Glatz , et généralement
toutes les places , citadelles , châteaux et forts des pays ci-dessus dénominés
, dans l'état où lesdites places , citadeles , châteaux et forts se
trouvent maintenant.
La ville et citadelle de Graudentz , avec les villages de Neudorff ,
Gardchkenet Swetkoray, seront aussi restitués à S. M. le roi de Prusse.
III . S. M. le roi de Prusse reconnoît S. M. le roi de Naples , Joseph-
Napoléon , et S. M. le roi de Hollande , Louis- Napoléon.
IV . S, M. le roi de Prusse reconnoît pareillement la Confédération da
Rhin , l'état actuel de possession de chacun des souverains qui la composent
, et les titres donnés à plusieurs d'entr'eux , soit par l'acte de Confédération
, soit par les traités d'accession subsequens. Promet sadite Majesté
de reconnoître les souverans qui deviendront ultéri urement
membres de ladite Confédération , en la qualité qui leur sera donnée par
Ics actes qui les y feront entrer,
236 MERCURE DE FRANCE ,
V. Le présent traité de paix et d'amitié est déclaré commun à S. M. le
roi de Naples, Joseph- Napoléon . à S. M. le roi de Hollande , et aux
souverains confédérés du Rhin , alliés de S. M. l'Empereur Napoléon.
VI. S. M. le roi de Prusse reconnoît pareil ement S. A. 1. le prince
Jérôme-Napoléon comme roi de Westphalie.
VII. S. M. le roi de Prusse cède en toute propriété et souveraineté aux
rois , grands-ducs , dues ou princes qui seront désignés por S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , tous les duchés , marquisats , principautés
, comtés , seigneuries , et généralement tous les territoires ou
parties de territoires quelconques , ainsi que tous les domaineset biensfonds
de toute nature que sadite Majesté le roide Prusse possédoit, àquel
titre que ce fût , entre le Rhin et l'Elbe , au commencement de la guerre
présente.
VIII. Le royanme de Westphalie sera composé de provinces cédéespar
S M. le roi de Prusse , et d'autres Etats actuellement possédés par S. M.
l'Empereur Napoléon.
IX. La disposition qui sera faite par S. M. l'Empereur Napoléon des
pays désignés gnés dans les deux articles précéden , ct l'état de possession
en résultant pour les souverains au profit desquels elle aura été faite ,
sera reconnue par S. M. le roi de Prusse , de la même manière que si
eile étoitdéjà effectuée et contenue au présent traité.
X. S. M. le roi de Prusse, pour lui, ses héritiers et suecesseurs , reponce
à tout droit actuel ou éventuel qu'il pourroit avoir ou prétendre ,
. sur tous les territoires sans exception situés entre le Rhin et l'Elbe ,
et autres que ceux désignés en l'article VII; 2º sur celles des possessions de
S. M. le roi de Saxe et de la maison d'Anhalt, qui se trouvent à la droite
de l'Elbe . Réciproquement toutdroit actuel ou éventuel , et toute prétention
des Etats compris entre l'Elbe et le Rhin sur les possessions de
S. M. le roi de Prusse, telles qu'elles seront en conséquence du présent
traité , sont et demeureront éteints à perpétuité.
XI . Tous pastes , conventions ou traités d'alliance patens ou secrets qui
auroient pu être conclus entre la Prusse et auoun des Etats situés à la
gauche de l'Elbe , et que la guerre présente n'auroit point rompus ,demeureront
sans effet et seront réputés nuls et non avenus.
XII. S. M. le roi de Prusse cède en toute propriété et souveraineté à
S. M. le roi de Saxe, le Cotbuser- Kreys ou cercle de Cotbus, dans la
Basse- Lusace.
XIII . S. M. le roi de Prusse renonce à perpétuité à la possession de
toutes les provinces qui , ayant appartenu au royaume de Pologne , ont ,
postéricurement au 1er janvier 1772, passé à diverses époques sous la
domination de la Prusse , à l'exception de l'Ermeland et des pays situés
à l'ouest de la Vieille- Prusse , à l'est de la Pomeranie et de la Nouvelle-
Marehe , au nord du cercle de Culm , d'une ligne allant de la Vistule à
Schneidemühl par Waldau , en suivant les limites du cercle de Biomberg
, et de la chaussée allant de Schneidemühl à Driesen , lesquels , avec
laville et citadelle de Graudentz et les villages de Neudorff, Garschken
et Swierkorzy, continueront d'être possédés en toute propriété et souve
raineté par S. M. le roi de Prusse.
XIV. S. M. le roi de Prusse renonce pareillement à perpétuité à la
possession de la ville de Dantzick .
XV. Les provinces auxquelles S. M. le roi de Prusse renonce par
l'article XIII ci-dessus seront ( à l'exception du territoire spécifié en
P'article XVIII ci-après ) possédées en toute propriété et souveraineté
par S. M. le roi de Saxe , sous le titre de duché de Varsovie , et régies
par des constitutions qui , en assurant les libertés etles priviléges des
AOUT 1807 . 237
peuplesde ceduché , se concilient avec la tranquillité des Etats voisins .
XVI. Pour les communications entre le royaume de Saxe et le duché
de Varsovie , S. M. le roi de Saxe aura le libre usage d'une route militaire
à travers les Etats de S. M. le roi de Prusse. Ladite route , le
nombre,des troupes qui pourront y passer à la fois et les lieux d'étapes ,
seront déterminés par une convention spéciale faite entre leursdites
Majestés, sous la médiation de la France.
XVII. La navigation par la rivière de Neze et le canal de Bromberg,
depuis Driesen jusqu'à la Vistule , et réciproquement , sera libre et
franchede tout péage.
XVIII. Afin d'établir autant qu'il est possible des limites naturelles
entre la Russie et leduché de Varsovie , le territoire circonscrit par l
partie des frontières russes actuelles , qui s'étend depuis 1 Bug jusqu'à
l'embouchure de la Lossosna , et par une ligne partant de ladite embouchure
et suivant le thalweg de cette rivière ; le thalweg de la Broba
jusqu'à son embouchure ; le thalweg de la Narew depuis le point susdit
jusqu'à Suratz; de la Lisa jusqu'à sa source près le village deMien; de
Paffluent de la Nurzech , prenant sa source près le même village ; de la
Nuzech jusqu'à son embouchure au dessus du Nurr; et enfin le thalw g
duBug, en le remoutant jusqu'aux frontières russes actuelles , sera
réuni à perpétuité à l'empire de Russie.
XIX. La villedeDautzick , avec un territoire de deux licues de rayon
autour de son enceinte sera rétablie dans son indépendance , sous la protection
de S. M. le roi de Prusse et de S M. le roi de Saxe, et gouverné
par les lois qui la régissoient à l'époque où elle cessa de se gouverner ellemême.
XX. S. M. le roi de Prusse , S. M. le roi de Saxe , ni la ville de
Dantzick, ne pourront empêcher par aucune prohibition , ni entraver par
L'établissement d'ancun péage, droit ou impôt , de quelque nature qu'il
puisse être , la navigation de la Vistole.
XXI. Les ville , port et territoire de Dantzick seront ferm's pendant
la durée de la présente guerre maritime au commerce et àla navigation
desAnglais.
XXII. Aucun individu de quelque classe et condition qu'il soit , ayant
sondomicile ou des propriétés dans les provinces ayant appartenu au
royaume de Pologne, at que S. M. le roi de Prusse doit continuer de posséder,
ne pourra, non plus qu'aucun individu domicilié , soit dans le
duché de Varsovie, soit dans le territoire qui doit être réuni à l'empire
deRussie, mais ayant en Prusse des biens- fonds , rentes , pensions ou
revenus de quelque nature qu'ils soient , être frappé dans sa personne ,
dans ses biens , rentes , pensions et revenus de tout genre , dans son rang
et ses dignités, ni poursuivi , ni recherché en aucune façon quelconque,
pour aucune part qu'il ait pu politiquement on militairement prendre
aux événemens de la guerre présente.
XXIII . Pareillement aucun individu né , demeurant cu propriétaire
dans les pays ayant appartenu à la Prusse antérieurement aur janvier
1772 , et qui doivent être restitués à S. M. le roi de Prasse , aux termes
de l'article II ci-dessus , et notamment aucun individu , soit de la grande
bourgeoisie de Berlin, soit de la gendarmerie , lesquelles ont pris les
armes pour le maintien de la tranquillité publique , ne pourra être frappé
dars sa personne , dans ses biens , rentes , pensions et revenus de tout
genre,dans son rang et son grade, ni poursuivi , ni recherché en aucune
façon quelconque , pour aucune part qu'il ait prise ou pu prendre , de
quelque manière que ce soit , aux événemens de la guerre présente.
XXIV. Les engagemens , dettes et obligations de toute nature que
238 MERCURE DE FRANCE ;
S. M. le roi de Prusse a pu avoir , prendre et contracter , antérieurement à
là présente guerre , comme possesseur des pays , territoires , domaines ,
biens et revenus que sadite Majesté cède ou auxquels elle renouce par le
présent traité , seront à la charge des nouveaux poss sseurs et par eux
acquittés, sans exception , restriction , ni réserve aucune.
XXV. Les fonds et capitaux appartenans , soit à des particuliers,
soit à des établissemens publics , religieux, civils ou militaires des pays
que S. M. le roi de Prusse cède ou auxquels elle renonce par le présent
traité , et qui auroient été placés , soit à la banque de Berlin, soit à la
caisse de la Société maritime , soit de toute autre manière quelconque ,
dans les Etats de S. M. le roi de Prusse , ne pourront être confisqués ni
saisis; mais les propriétaires desdits fondset capitaux seront libres d'en
disposer , et continueront d'en jouir, ainsi que des intérêts échus ou à
écheoir , aux termes des contrats ou obligations passés à cet effet. Réciproquement
, il en sera usé de la même manière pour tous les fonds et
capitaux que des sujets ou des établissemens publics quelconques de la
monarchie prussienne auroient placés dans les pays que S. M. le roi de
Prusse cède ou auxquels elle renonce par le présent traité.
XXVI . Les archives contenant les titres de propriété , documens et
papiers généralement quelconques relatifs aux pays , territoires , domaines
et biens que S. M. le roi de Prusse cède ou auxquels elle renonce par le
présent traité , ainsi que les cartes et plans des vi les fortifiées , citadelles ,
châteaux et forteresses situés dans lesdits pays , seront remises par des
commissaires de sadite Majesté , dans le délai detrois mois, à compter de
l'échange des ratifications , savoir : A des commissaires de S. M. l'Empereur
Napoléon , pour ce qui concerne les pays cédés à la gauche de
Î'Elbe; et àdes commissaires de S. M. l'Empereur de toutes les Russies
de S. M. le roi de Saxe et de la ville de Dantzick , pour ce qui concerne
les pays que leursdites Majestés et la ville de Dantzick doivent posséder
enconséquence du présent traité .
१
XXVII . Jusqu'au jour de l'échange des ratifications du futur traité de
paix définitive entre la France et l'Angleterre , tous les pays de la domination
de S. M. le roi de Prusse , seront , sans exception , fermés à ta
navigation et au commerce des Anglais. Aucune expédition ne ponrra
être faite des ports prussiens pour les îles Britanniques , ni aucun bâti
mentvenant de l'Angleterre ou de sescolonies, être reçudans lesdits ports.
XXVIII. Il sera fait immédiatement une convention ayant pour objet
de régler tout cequi est relatif au mode et à l'époque de la remise des
pla es qui doivent être restituées à S. M. le roi de Prusse , ainsi que les
détails qui regardent l'administration civile et militaire des pays qui
doivent être aussi restitués.
XXIX. Les prisonniers de guerre seront rendus de part et d'autre sans
échange et en masse , le plus tôt que faire se pourra .
XXX. Le présent traité sera ratifié par S. M. l'Empereur des Français
, Roi d'Italie , et par S. M. le roi de Prusse, et les ratifications en
seront échangées à Koenigsberg , dans le délai de six jours , à compter de
la signature, ou plus tôt si faire se peut.
Fait et signé à Tilsit , je 9 juillet 1807.
( L. S. ) SignéCh. Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent.
( L. S. ) Signé le maréchal comte DE KALKREUTH .
( L. S. ) Signé AUGUSTE , comte de Goltz.
Pour ampliation , le ministra des relations extérieures , Ch . Maur.
TALLEYRAND , prince de Bénévent.
Les ratifications du présent traité ont été échangées à Koenigsberg, ler
12 juillet 1807.
AOUT 1807 . 239
Après que la lecture a été terminée , le sénateur Lacepède , président
ordinaire du Sénat , ayant pris la parole , a dit :
Monseigneur , la lecture des deux traités de paix que S. M. ГЕМ-
PEREUR et Ror a bien voulu nous faire communiquer par V. A. S. , fait
éprouver au Sénat de nouveaux sentimens d'une admiration et d'une
reconnoissance bien vives .
» Après tant de moissons de gloire , tant de prodiges et tant de bienfaits
, le Sénat ressent plus que jamais le besoin de présenter à S. M.
I. et R. ses hommages et ses voeux. Il sait qu'il va avoir l'avantage si précieux
pour tous les Français , de jouir de l'auguste présence du plus grand
des monarques. Mais les jours , les heures , les momens même sont des
siècles pour sa juste impatience. Je demande donc , sénateurs , premièrement
, que le Sénat ordonne la transcription sur ses registres , du traité
avec la Russie et du traité avec la Prusse ; deuxièmement , qu'une commission
spéciale soit chargée de présenter un projet d'adresseeqquuii exprime
les sentimens d'amour et de respect dont le Sénat est si profondément
pénétré pour S. M. I. et R. »
,
Les deux propositions du sénateur Lacepède ont été accueillies à l'unanimité.
La commission chargée de rédiger l'adresse est composée de
S. A. Em . le cardinal Fesch , de MM. Lacepède , Monge , Laplace et
Sémonville. La commission fera son rapport lundi 27 du courant.
CONVENTION.
K
Entre les soussignés : d'une part , le prince de Neuchâtel ,
major-général , etde l'autre , le maréchal comte de Kalkreuth ,
munis de pleins-pouvoirs de leurs souverains respectifs , à
l'effet de régler la convention stipulée en l'art. XXVIII du
traité de paix signé à Tilsit , entre S. M. l'Empereur et Roi
Napoléon , et S. M. le roi de Prusse.
Art. Ier. Des commissaires respectifs seront nommés , sans
délai , pour placer des poteaux sur les limites du duché de
Varsovie , de la Vieille-Prusse , du territoire de Dantzick ,
ainsi que sur les limites du royaume de Westphalie avec celui
de Prusse. :
II. La ville de Tilsit sera remise le 20 juillet ; celle-de
Koenigsberg , le 25 du même mois ; et avant le 1er du mois
d'août , les pays jusqu'à la Passarge , formant les anciennes
positions de l'armée , seront remis. Au 20 août , on évacuera
la Vieille- Prusse jusqu'à la Vistule. Au 5 septembre , on
évacuera le reste de la Vieille- Prusse jusqu'à l'Oder. Les
limites du territoire de Dantzick seront tracées à deux lieues
autour de la ville , et déterminées par des poteaux aux armes
de France , de Dantzick , de Saxe et de Prusse. Au 1er octobre ,
on évacuera toute la Prusse jusqu'à l'Elbe. La Silésie sera
également remise au 1er octobre ; ce qui fera deux mois et
demi pour l'évacuation entière du royaume de Prusse. La province
de Magdebourg, pour la partie qui se trouve sur la rive
droite de l'Elbe , ainsi que les provinces de Prentzlow et de
Passerwalk , ne seront évacuées qu'au 1 novembre ; mais il
240 MERCURE DE FRANCE ,
sera tracé une ligne de manière que les troupes ne puissent
pas approcher de Berlin. Quant à Stetin , l'époque à laquelle
cette ville sera évacuée , sera déterminée par les plénipotentiaires.
Six mille Français resteront en garnison dans cette
ville jusqu'au moment où on l'évacuera. Les placesde Spandau,
de Gustrin , et en général toutes celles de la Silésie , seront
remises le 1 octobre entre les mains des troupes de S. M. le
roi de Prusse.
III. Il est bien entendu que l'artillerie , toutesles munitions,
et en général tout ce qui se trouve dans les places de Pillau ,
Colberg , Graudentz , resteront dans l'état où les choses se
trouvent. Il en sera de même pour Glatz et Kosel , si les
troupes françaises u'en ont pas pris possession.
IV. Les dispositions ci-dessus auront lieu aux époques déterminées
, dans le cas où les contributions frappées sur le pays
seroient acquittées. Bien entendu que les contributions serout
censées acquittées quand des sûretés suffisantes seront reconnues
valables par l'intendant général de l'armée. Il est également
entendu que toute contribution qui n'étoit pas connue
publiquement avant l'échange des ratifications , estnulle.
V. Tous les revenus du royaume de Prusse , depuis le jour
de l'échange des ratifications , seront versés dans les caissesdu
roi et pour le compte de S. M. , si les contributions dues et
échues depuis le 1 novembre 1806 jusqu'au jour de l'échange
des ratifications, sont acquittees.
VI. Des commissaires seront nommésde part et d'autre pour
traiter et décider de tous les différends à l'amiable. Ils se réndront
en conséquence à Berlin le 25 juillet , afin que cela
n'apporte aucun retard à l'évacuation.
VII. Les troupes , ainsi que les prisonniers de guerre français,
vivront dans le pays , et des magasins qui peuvent y
exister jusqu'au jour de l'évacuation .
VII. Si les hôpitaux ne sont pas évacués à l'époque où les
troupes doivent se retirer , les malades français seront soignés
dans les hôpitaux , et tous les secours leur seront donnés par
les soins des administrations du roi , sans cesser d'avoir auprès
d'eux les officiers de santé nécessaires.
IX. La présente convention aura sa pleine et entière exécution
. En foi de quoi nous l'avons signée , ety avons apposé le
sceau de nos armes. A Koenigsberg , le 12 juillet 1807.
if
(Suivent les signatures .)
FONDS PUBLICS.
DU VENDREDI 31. -C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807, 79 25c 306 200
250 500 one,000 oo ooc oof of ooc cou oof oue ooc ooc cocoofone 000
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , oof oocooc, oof oợc cộc
Act. de la Banque de Fr. 1300f oooof cos cooof
( No. CCCXVI . )
(SAMEDI 8 AOUT 1807.) .
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DERE
DE
LA
SE
5.
cen
يمل
TRADUCTION LIBRE
DE LA PREMIÈRE ÉLÉGIE DE TIBULLE .
Divitias alius , etc.
DE la richesse épris, qu'un autre entasse l'or ;
Qu'il joigne à mille arpens d'autres arpens encor :
Un ennemi voisin jour et nuit l'inquiète;
Il se réveille et tremble au son de la trompette.
Ma médiocrité , voilà mon vrai trésor !
Je lui dois mon repos , ma douce insouciance.
Pourvu que le feu brille en mon humble foyer,
Que toujours la prodigue et flatteuse espérance
Du froment le plus pur emplisse mon grenier ,
Qu'elle verse à grands flots le vin dans mon cellier ,
Heureux, j'en crois jouir , et rêve l'abondance.
Je ne dédaigne point les rustiques travaux :
Tantôt , sans les blesser , ma main sûre et légère ,
Enrichit mes pommiers d'une branche étrangère;
Tantôt j'unis la vigne aux stériles ormeaux.
Quelquefois , en mon sein , du vallon solitaire
Je rapporte un chevreau délaissé par sa mère :
Maniant tour- à- tour la bêche et l'aiguillon ,
Je romps la glèbe , ou j'aide à tracer un sillon.
Je révère les Dieux soit que , sur mon passage,
Q
242 MERCURE DE FRANCE ,
Un monument orné de fleurs et de gazon ,
Soit qu'en un champ désert un tronc miné par l'age ,
Amon culte pieux présente leur image .
Chaque année on me voit , au retour du printemps ,
Offrir un sacrifice aux déités des champs ,
Consacrer à Palès un tribut de laitage ,
Purifier le toit , les brebis , le berger ;
Et, quel que soit l'espoir que donne mon verger ,
De Pomone , d'avance , assurer le partage.
Blonde Cérès ! je veux de tes plus beaux épis
Suspendre une couronne aux murs de ton parvis.
Armé , dans mes jardins , de sa faulx menaçante ,
Que Priape aux oiseaux inspire l'épouvante ?
Et vous aussi , gardiens de mon petit enclos ,
Qui le fûtes jadis de mon vaste héritage ,
Je vous aurois alors immolé des taureaux ,
Dieux Lares ! Maintenant , un seul de mes agneaux
Sera , dans ma détresse , un magnifique hommage.
Qu'il tombe ! Et qu'aux accens des enfans du village,
Demandant de bons vins et de riches moissons ,
Le ciel veuille toujours nous combler de ses dons !
Qu'il exauce nos voeux ! que sa bonté facile
Accepte notre offrande , et ne dédaigne pas
Ces vases indigens , ces mêts peu délicats !
Des premiers laboureurs l'art encore mal habile
En coupes façonna la molle et simple argile.
Fuyez , loups et voleurs , épargnez mon troupeau !
Pour vous servir de proie il n'est pas assez beau.
Pourrois-je regretter des trésors inutiles ,
Les biens de mes aïeux , leurs domaines fertiles ?
Une moisson légère à mes besoins suffit :
Il me suffit , le soir , de retrouver ce lit
Où des travaux du jour réparant la fatigue ,
De ses pavots pour moi, Morphée est si prodigue.
Qu'il est doux , quand au loin mugissent les autans,
La nuit , entre ses bras , de serrer sa compagne ;
Ou quand l'humide hiver inonde la campagne ,
De s'endormir au bruit de la pluie et des vents !
Que ne puis- je , à mon gré , savourer ces délices !
Qu'il coure à la fortune arracher ses présens ,
Celui qui peut de l'onde affronter les caprices .
Pour moi , content du peu , libre d'ambition ,
Il ne me convient point de quitter le rivage.
L'été , pour me soustraire aux ardeurs du lion ,
a
3
A
AOUT 1807 . 243
Je cherche les ruisseaux et l'ombre d'un bocage.
Périssent à jamais l'or et les diamans ,
Plutôt qu'à la beauté je cause des alarmes ,
Plutôt que mon départ fasse couler ses larmes.....
C'est à vous , Messala , par des faits éclatans,
Sur la terre et les mers , de signaler nos armes ,
Et d'orner vos palais d'immortels monumens.
Mais moi , qui dans les ſers d'une jeune maîtresse ,
A sa porte attaché , veille et gémis sans cesse ,
Je n'aspirai jamais à la célébrité.
Pourvu qu'on me permette , ô ma chère Délie ,
De passer près de toi le reste de ma vie ,
Qu'importe qu'on me juge avec sévérité ,
Qu'on blame et ma paresse et mon oisiveté !
Avec toi , je crains peu le travail le plus rude :
Je puis moi-même au joug atteler les taureaux ,
Sur les monts escarpés conduire les troupeaux ,
Du plus affreux désert braver la solitude;
Et si le soir enfin je t'enlace en mes bras ,
D'un lit dur et grossier je ne me plaindrai pas.
Sans l'amour, sous undais brillant d'or et de soie ,
Des chagrins dévorans sommes-nous moins la proie !
Le duvet , les tapis , le murmure des eaux,
A l'amant malheureux rendent -ils le repos ?
Quel est le coeur d'airain qui pourroit à tes charmes
Préférer les hasards , la guerre et ses alarmes ?
Dût-il des ennemis forçant les bataillons ,
Au milieu de leur camp planter ses pavillons;
Dût- il , rayonnant d'or , sur son char de victoire ,
Eblouir tous les yeux de l'éclat de sa gloire !
Je veux encor , Délie, en mourant attacher
Sur tes yeux attendris ma paupière tremblante ;
Je veux presser ta main de ma main défaillante.
Tu pleureras alors en voyant mon bûcher ;
Tu pleureras : ton coeur ne pourra s'en défendre.
Tes larmes , tes baisers , réchaufferont ma cendre.
On verra , l'oeil en pleurs , l'amant s'en approcher ;
L'amante en reviendra plus sensible et plus tendre.
De mes mânes , sur- tout , ne trouble point la paix !
Prends garde que tes mains n'offensent tes attraits....
Epargne l'or flottant de cette chevelure ! .....
Délie , en attendant , profitons des beaux jours !
Des Parques , hâtons-nous de prévenir l'injure !
Livrons-nous aux plaisirs , livrons-nous aux amours.
t
Q2
244
MERCURE DE FRANCE ;
Trop tôt , hélas ! viendra l'âge de la sagesse :
Trop tôt les cheveux blancs et la froide vieillesse
Viendront nous interdire et les rís et les jeux .
En amour , chef habile et soldat courageux ,
Tandis qu'il m'est permis de suivre ses bannières ,
Je me plais à forcer les portés , les barrières .
Loin d'ici les drapeaux , les clairons belliqueux !
Bellone vend toujours ses faveurs meurtrières.
Content de mon destin , je vis exempt de soins ,
Au-dessus des trésors , au - dessus des besoins .
KERIVALANT.
L'ATTENTE ,
STANCES.
NYMPHE des bois , déjà les voiles sombres
Ont de l'Olympe embrassé le contour ,
Et l'astre ami du silence et des ombres ,
Te cherche en vain sur la couche d'amour.
Quand du soleil la flamme dévorante
S'évanouit dans un affreux séjour ,
Quand la pâleur de la rose mourante
N'espère plus un seul rayon d'amour ,
Nymphe des bois , quel destin nous sépare ?
Quel Dieu fatal s'oppose à ton retour ?
Oublierois - tu qu'un amant te prépare
Et les baisers et les myrtes d'amour ?
Rappelle-toi cette nuit fortunée
Où , de Diane abandonnant la cour,
Le front paré des fleurs de l'hyménée ,
Tu t'enivrois des voluptés d'amour.
Tu me disois : « Idole de ma vie ,
» Mes yeux éteints se dérobent au jour ;
» Mourons, mourons , et mon ame ravie
» N'exhalera que des soupirs d'amour. »
Nymphe des bois , déjà les voiles sombres
Ont de l'Olympe embrassé le contour ,
Et l'astre ami du silence et des ombres
Te cherche en vain sur la couche d'amour .
Henri TERRASSON ( de Marseille-)
AOUT 1807: 245
VERS
SUR LA MORT D'ÉLÉONORE (1)
Dans le tombeau repose Eléonore :
La mort de son printemps a moissonné les fleurs ;
Graces , prenez le deuil ! Gémis , lyre sonore!
Et vous , Amours , laissez couler vos pleurs !
Elle n'est plus ! Comme une ombre légère ,
Ses traits charmans s'effacent à nos yeux :
Telle s'enfuit la lueur passagère
De cet éclair qui brille dans les cieux.
Quand sur son front les roses d'hyménée
Devoient du tendre Amour remplacer le bandeau ,
Elle s'éclipse , et de sa destinée
Le souvenir se perd dans la nuit du tombeau .
Elle a vécu , la jeune Eléonore;
De l'Amour qui gémit elle a trompé l'espoir :
Telle une fleur que le Midi dévore
S'incline en pâlissant , et meurt avant le soir.
Tel , à nos yeux terminant sa carrière ,
Ce flambeau dont l'éclat se dissipe et s'enfuit ,
Versant à peine un reste de lumière ,
S'éteint languissamment dans l'ombre de la nuit.
Par M. C. MICHELET.
ENIGME.
L'ARABIE est le lieu dans lequel je suis nê;
Nous sommes dix enfans : on me fit , par idée,
Le plus jeunede tous et le moins fortune ;
Mais j'éloigne de moi cette triste pensée .
Je suis beaucoup , je ne suis rien;
( 1) Cette pièce a été imprimée avec plusieurs erreurs très-graves dans le
dernier Almanach des Muses de 1807. On lui avoit donné pour titre : La
Mort d'Eléonore , conte , et on avoit joint les stances les unes aux autres ;
ce qui faisoit un morceau sans alinéa . Voyez l'Almanach des Muses de
M. Brasseur , page 119. J'ignore si ces fautes viennent des imprimeurs
ou des éditeurs ,
3
246 MERCURE DE FRANCE ,
Accompagné , je fais du bien ;
Mais je plains qui m'a seul , il est un pauvre sire ;
Et , s'il m'est permis de le dire ,
Il a toujours un sot maintien.
J'ai pourtant du pouvoir; dans plus d'une contrée
Je suis connu , chacun chez soi me donne entréé.
Le plus riche marchand
M'accueille à bras ouvert , et mon secours implore ,
En cela bien pensant ,
Devenant avec moi dix fois plus riche encore .
Je pourrois ajouter
Que , malgré ma vieillesse ,
L'abbé , le financier , le marquis , la duchesse ,
Me font aussi leur cour ; mais pourquoi m'en vanter ?
Rien ne peut m'émouvoir ; je suis toujours le même,
Petit individu
Amine ronde et blême ,
Denoir , en général , presque toujours vêtu.
LOGOGRIPHE.
En de certains pays bienheureux qui me porte ,
En France on me respecte , on me craint à la Porte.
J'ai six pieds bien comptés , dont toute la valeur ,
Je puis vous l'assurer , consiste en la couleur :
Si vous les partagez , prenez garde à ma tête ;
Souvent elle épouvante et fait fuir mainte bête.
Si vous la renversez , on la craint dans les eaux ;
En la décapitant , elle est un des métaux .
Quant à ma queue , on la trouve estimable ,
Selon que plus ou moins elle est considérable.
Amon tout est pendu ce signe précieux ,
Qui , tout ainsi que moi, fait bien des envieux.
CHARADE.
D'UNE conjonction l'on forme mon premier ;
L'on se vêtit de mon dernier;
L'on craint la dent de mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Langue.
Celui du Logogriphe est Corniche , où l'on trouve Roch ( Saint ) ,
niche , Nice.
Celui de la Charade est Main-morte.
AOUT 1807 . 247
Mon Séjour auprès de Voltaire , et Lettres inédites que
m'écrivit cet homme célèbre jusqu'à la dernière année de
sa vie; par Come-Alexandre Collini , historiographe et
secrétaire intime de S. A. S. l'Electeur Bavaro-Palatin ,
et membre des Académies de Berlin , de Manheim , de
l'Institut de Bologne , etc. Un vol . in-8° . Prix : 5 fr . ,
et 6 fr. 50 c. par la poste. A Paris , chez Léopold Collin ,
libraire , rue Gît-le-Coeur , n°. 4; et chez le Normant.
N
ous avons déjà un grand nombre de Mémoires sur la
vie de M. de Voltaire : tous ont été lus avec avidité . Quels
que fussent l'opinion et les principes des lecteurs , ils ont
voulu connoître les détails de la vied'un homme qui eut un
si grand ascendant sur ses contemporains. On a observé avec
raison qu'une Vie bien faite de M. de Voltaire seroit la
meilleure histoire des erreurs du dix-huitième siècle : cet
ouvrage est encore à faire. Quand on l'entreprendra , les
matériaux ne manqueront pas. Une multitude innombrable
de lettres , des Mémoires écrits sur tous les tons , les relations
qui paroîtront encore (car peu de personnes ont fait le
voyage de Ferney sans écrire leur journal ) ; enfin, des renseignemens
de toute espèce aideront l'écrivain qui se chargera
de ce travail .
L'ouvrage
nous annonçons n'ajoutera presque rien
aux conoissances que nous avons déjà sur cet obbjjeett.. M. Collini
a été le secrétaire de M. de Voltaire ; il lui a dû sa fortune
: la reconnoissance l'a nécessairement empêché de
dire la vérité tout entière , et la probité s'est opposée à ce
qu'il révélât des secrets qu'il devoit à une confiance intime .
Il est vrai qu'à la fin du dix-huitième siècle , on vit paroître
des Mémoires où l'on abusoit des confidences de l'amitié ,
où l'on déshonoroit les femmes , où l'on flétrissoit les maisons
dans lesquelles on avoit été admis , où enfin l'on couvroit
de ridicule , et l'on déchiroit ses bienfaiteurs ; mais
M. Collini , loin de pratiquer ces affreux principes , auxquels
tant de Mémoires particuliers ont dû leur succès , n'a
cherché qu'à faire valoir son héros : il l'a toujours présenté
sous l'aspect le plus favorable ; et s'il n'est point parvenu à
le justifier sur plusieurs points , c'est que la chose étoit
impossible. Nous aurons lieu de remarquer la foiblesse de
ses efforts dans cette partie de son ouvrage .
Quoique la relation de M. Collini ne fournisse que des
4
248 MERCURE DE FRANCE ,
détails peu importans sur la vie de M. de Voltaire , elle ne
manque cependant pas d'intérêt. L'auteur raconte l'histoire
de sa jeunesse. Avant d'être placé chez M. de Voltaire , il fit
un assez long séjour à Berlin : la manière dont il se produisit
est curieuse à remarquer ; elle peut fournir quelques
traits caractéristiques des moeurs du siècle , et donner une
idée assez juste du traitement qu'éprouvoient à la cour de
Prusse les gens de lettres et les artistes .
M. Collini , appartenant à une famille honnête de Florence
, avoit été destiné au barreau par ses parens . Ses goûts
ne s'accordoient pas avec cette destination : il étoit passionné
pour la littérature. Après avoir achevé ses études à l'Université
de Pise , il étoit sur le point de prendre le degré de
docteur , lorsque son père mourut. Cette perte , en lui causant
beaucoup de chagrin , ne fit qu'augmenter son dégoût
pour un état qu'on avoit voulu lui faire embrasser malgré
lui. Il saisit la première occasion d'y renoncer. Un de ses
amis fort riche alloit faire un voyage en Suisse : il proposa à
M. Collini de l'accompagner. Ce dernier , sans prévenir ses
parens , accepta cette offre , et partit avec le dessein de ne plus
paroître dans son pays , où il auroit fallu exercer l'état
d'avocat.
Le jeune fugitif s'arrêta à Coire , pour réfléchir au parti
qu'il prendroit . Forcé de vivre avec économie , il quitta une
bonne auberge dans laquelle il s'étoit d'abord logé, pour se
réfugier dans un galetas , où il fut consolé par la société
d'une femme qui venoit plaider en séparation. Quoiqu'elle
parlât une autre langue que M. Collini , ils s'entendirent
bientôt. On verra par la suite que l'auteur avoit beaucoup
de penchant pour les jeunes femmes séparées de leurs maris.
Cependant , la société de cette dame, quoique très-agréable ,
ne calmoit pas l'inquiétude de M. Collini , qui , comme
presque tous ses compatriotes , avoit un esprit d'ordre et de
prévoyance qui ne l'abandonnoit jamais .
La cour de Prusse étoit regardée alors comme l'asile des
Jettres : ceux qui les cultivoient y faisoient leur fortune ; et
l'exemple d'Algarotti devoit séduire un jeune Italien qui
n'avoit d'autre titre qu'un goût passionné pour la littérature.
M. Collini enthousiasme de cette idée , mais ne sachant
quels moyens employer pour la mettre à exécution , se
rappela très-heureusement qu'il avoit vu à Florence une
signora dont la soeur , connue sous le nom de la Barberina ,
étoit danseuse de l'Opéra de Berlin, et passoit pour jouir
d'un grand crédit. Il écrivit à cette signora , ainsi qu'à ses
parens . L'une lui envoya une lettre de recommandation
AOUT 1807. 249
pour la danseuse; les autres , approuvant son projet , lui
firent passer une lettre-de-change pour les frais de son
voyage. M. Collini alla donc chercher fortune à Berlin .
La Barberina le reçut fort bien , et promit de s'occuper
de lui : il apprit d'elle les moyens qu'on avoit employés
pour l'attirer en Prusse. Rien de plus singulier que ces
détails : M. de Voltaire n'a fait que les indiquer dans ses
Mémoires .
Mlle Barberina dansoit sur l'un des théâtres de Venise.
Le roi , instruit de ses talens , chargea son ministre de l'engager
pour Berlin . Elle fit une réponse verbale que le
ministre regarda comme un consentement. Cependant la
danseuse vivoit avec un Anglais qui s'opposa tant qu'il le
put à ce projet , et qui vouloit la ramener à Londres. Elle
penchoit pour ce parti , et refusoit de signer son engagement.
Le ministre de Prusse la fit enlever de force , et elle
fut conduite à Berlin par des soldats . Le roi , malgré cette
manière un peu violente d'attirer les talens à sa cour , la
reçut fort agréablement ; et l'un des ministres lui présenta
un engagement où ses appointemens étoient en blanc , et
devoient être fixés par elle. La Barberina eut la modestie
de ne demander d'abord que dix-huit mille livres , et , s'il
faut en croire M. de Voltaire , elle obtint par la suite une
augmentation de quatorze mille livres . Ainsi cette danseuse ,
suivant ce dernier , touchoit à elle seule plus que trois ministres
d'Etat ensemble .
M. de Voltaire arriva alors à Berlin , pour y jouir d'une
faveur aussi grande qu'elle fut courte. Le jeune Florentin
forma aussitôt le projet de s'attacher à un homme si célèbre.
Mais comment parvenir jusqu'à lui ? M. Collini devoit à
une danseuse l'agrément dont il jouissoit à Berlin ; il espéra
qu'une cantatrice pourroit lui procurer ce qu'il desiroit avec
tant d'ardeur. Mlle Astraa , à laquelle il fut présenté , promit
de parler de lui à M. de Voltaire: elle s'acquitta de cette
commission , et parvint , au bout d'un an , à faire recevoir
son protégé en qualité de secrétaire. M. Collini , au comble
de ses voeux , se livra au travail qui lui fut imposé. Ses
principales fonctions étoient de copier des ouvrages commencés
, des pièces fugitives , et d'écrire des lettres sous
la dictée ; dans d'autres momens , il lisoit des auteurs italiens
. M. de Voltaire s'occupoit alors du poëme de la Loi
Naturelle, de l'Orphelin de la Chine, du Siècle de Louis XIV ,
et du quatorzième chant d'un poëme qu'il n'osoit encore
montrer . M. Collini ne donne aucun détail sur ces différens
ouvrages. Il dit seulement qu'on les lui fit copier plusieurs
232 MERCURE DE FRANCE ;
vant le thalweg de cette rivière , le thalweg de la Bobra jus
qu'à son embouchure , le thalweg de la Narew , depuis
le point susdit jusqu'à Suratz , de la Lisa jusqu'à sa source
près le village de Mien , de l'affluent de la Narzeck pre-
Dant sa source près le même village , de la Nurzeck jusqu'à
son embouchure au- dessus de Nurr , et enfin le thalweg du
Bug , en le remontant jusqu'aux frontières russes actuelles ,
sera réuni , à perpétuité , à l'Empire de Russie.
"
X. Aucun individu , de quelque classe et condition qu'il
soit , ayant son domicile ou des propriétés dans le territoire
spécifié en l'article précédent , ne pourra , non plus qu'aucun
individu domicilié soit dans les provinces de l'ancien royaume
de Pologne , qui doivent être restituées à S. M. le roi de
Prusse , soit dans le duché de Varsovie , mais ayant en Russie
des biens-fonds , rentes , pensions ou revenus , de quelque
nature qu'ils soient , être frappé dans sa personne , dans ses
biens , rentes , pensions et revenus de tout genre , dans son
rang et ses dignités , ni poursuivi ni recherché en aucune
façon quelconque , pour aucune part , ou politique ou mili
taire , qu'il ait pu prendre aux événemens de la guerre présente.
XI. Tous les engagemens et toutes les obligations de S. M.
le roi de Prusse , tant envers les anciens possesseurs , soit de
charges publiques , soit de bénéfices ecclésiastiques , militaires
ou civils , qu'à l'égard des créanciers ou des pensionnaires de
l'ancien gouvernement de Pologne , restent à la charge de
S. M. l'Empereur de toutes les Russies et de S. M. le roi de
Saxe , dans la proportion de ce que chacune de leursdites
Majestés acquiert par les articles V et IX , et seront acquittés
pleinement , sans restriction , exception , ni réserve aucune.
XII. Leurs altesses sérénissimes les ducs de Saxe-Cobourg ,
d'Oldenbourg et de Mecklenbourg - Schwerin , seront remis
chacun dans la pleine et paisible possession de ses Etats ; mais
les ports des duchés d'Oldenbourg et de Mecklenbourg continueront
d'être occupés par des garnisons françaises , jusqu'à
l'échange des ratifications du futur traité de paix définitive
entre la France et l'Angleterre.
XIII. S. M. l'Empereur Napoléon accepte la médiation
de S. M. l'Empereur de toutes les Russies , à l'effet de négocier
e conclure un traité de paix définitive entre la France et
l'Angleterre , dans la supposition que cette médiation sera
aussi acceptée par l'Angleterre , un mois après l'échange des
ratifications du présent traité.
XIV. De son côté , S. M. l'Empereur de toutes les Russies
youlant prouver combien il desire d'établir entre les deux
•
AOUT 18073 237
Empires les rapports les plus intimes et les plus durables ,
reconnoît S. M. le roi de Naples , Joseph Napoléon , et S. M.
le roi de Hollande , Louis Napoléon.
XV. S. M. l'Empereur de toutes les Russies reconnoît
pareillement la Confédération du Rhin , l'état actuel de possession
de chacun des souverains qui la composent , et les
titres donnés à plusieurs d'entr'eux , soit par l'acte de la Confédération
, soit par les traités d'accession subséquens. Sadite
Majesté promet de reconnoître , sur les notifications qui lui
seront faites de la part de S. M. l'Empereur Napoléon , les
souverains qui deviendront ultérieurement membres de la
Confédération , en la qualité qui leur sera donnée par les
actes qui les y feront entrer.
XVI. S. M. l'Empereur de toutes les Russies cède , en toute
propriété et souveraineté , à S. M. le roi de Hollande , la
seigneurie de Jever dans l'Ost -Frise.
XVII. Le présent traité de paix et d'amitié est déclaré
commun à LL. MM. les rois de Naples et de Hollande , et
aux souverains confédérés du Rhin , alliés de S. M. l'Empereur
Napoléon.
XVIII . S. M. l'Empereur de toutes les Russies reconnoît
aussi S. A. I. le prince Jérôme- Napoléon comme roi de
Westphalie.
XIX. Le royaume de Westphalie sera composé des provinces
cédées par S. M. le roi de Prusse à la gauche de l'Elbe,
et d'autres Etats actuellement possédés par S. M. l'Empereur
Napoléon.
XX. S. M. l'Empereur de toutes les Russies promet de reconnoître
la disposition qui , en conséquence de l'article XIX
ci- dessus et des cessions de S. M. le roi de Prusse , sera faite
par S. M. l'Empereur Napoléon ( laquelle devra être notifiée
à S. M. l'Empereur de toutes les Russies ) , et l'état de possession
en résultant pour les souverains au profit desquels elle
aura été faite.
XXI. Toutes les hostilités cesseront immédiatement sur
terre et sur mer entre les forces de S. M. l'Empereur de
toutes les Russies et celles de S. H. , dans tous les points où
la nouvelle de la signature du présent traité sera officiellement
parvenue. Les hautes parties contractantes la feront porter
sans délai , par des courriers extraordinaires , pour qu'elle
parvienne , le plus promptement possible , aux généraux et
commandans respectifs.
XXII. Les troupes russes se retireront des provinces de
Valachie et de Moldavie ; mais lesdites provinces ne pourront
être occupées par les troupes de S. H. jusqu'à l'échange des
?
234 MERCURE DE FRANCE ,
ratifications du futur traité de paix définitive entre la Russie
et la Porte-Ottomane.
XXIII. S. M. l'Empereur de toutes les Russies accepte la
médiation de S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italfe ,
à l'effet de négocier et conclure une paix avantageuse et
honorable aux deux Empires . Les plénipotentiaires respectifs
se rendront dans le lieu dont les deux parties intéressées conviendront
, pour y. ouvrir et suivre les négociations.
XXIV. Les délais dans lesquels les hautes parties contractantes
devront retirer leurs troupes des lieux qu'elles doivent
quitter , en conséquence des stipulations ci-dessus , ainsi que
le mode d'exécution des diverses clauses que contient le présent
traité , seront fixés par une convention spéciale.
XXV. S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , et S. M.
l'Empereur de toutes les Russies , se garantissent mutuellement
l'intégrité de leurs possessions et celles des puissances
comprises au présent traité de paix , telles qu'elles sont maintenant
ou seront en conséquence des stipulations ci -dessus .
XXVI. Les prisonniers de guerre faits par les parties contractantes
, ou comprises au présent traité de paix , seront
rendus réciproquement sans échange et en masse.
XXVII. Les relations de commerce entre l'Empire français
, le royaume d'Italie , les royaumes de Naples et de Hollande
, et les Etats confédérés du Rhin , d'une part , et d'autre
part l'Empire de Russie , seront rétablies sur le même pied
qu'avant la guerre.
XXVIII . Le cérémonial des deux cours des Tuileries et de
Saint-Pétersbourg entr'elles , et à l'égard des ambassadeurs ,
ministres et envoyés qu'elles accréditeront l'une près de l'autre
sera établi sur le principe d'une réciprocité et d'une égalité
parfaites.
XXIX. Le présent traité sera ratifié par S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , et par S. M. l'Empereur de toutes
les Russies.
L'échange des ratifications aura lieu dans cette ville , dans
le délai de quatre jours.
Fait à Tilsit , le 7 juillet ( 25 juin ) 1807 .
Signé Ch. Maur . TALLEY RAND , prince de Bénévent .
Le prince Alexandre KOURAKIN .
Le prince DINITRY LABANOFF DE ROSTOFF.
Pour ampliation ,
Le ministre des relations extérieures.
Signé Ch . Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent .
Les ratifications du présent traité ont été échangées à Tilsit ,
le 9 juillet 1807.
AOUT . 1807 .
235
•
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur
de la Confédération du Rhin , et S. M. le roi de Prusse ,
étant animés d'un égal desir de mettre fin aux calamités de la
guerre , ont , à cet effet , nominé pour leurs plénipotentiaires ,
savoir :
Â
S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , protecteur de
la Confédération du Rhin , M. Charles-Maurice -Talleyrand
prince de Bénévent , grand- chambellan et ministre des relations
extérieures , grand- cordon de la Légion- d'Honneur
chevalier des ordres de l'Aigle noir et de l'Aigle rouge de
Prusse , et de l'Ordre de Saint - Hubert ;
Et S. M. le roi de Prusse , M. le feld-maréchal comte de
Kalkreuth , chevalier des Ordres de l'Aigle noir et de l'Aigle
rouge de Prusse ; et M. le comte de Goltz , son conseillerprivé
et envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
près S. M. l'Empereur de toutes les Russies , chevalier de
l'Ordre de l'Aigle rouge de Prusse ; lesquels , après avoir
échangé leurs pleins-pouvoirs respectifs , sont convenus des
articles suivans :
Art. I. Il y aura , à compter du jour de l'échange des ratifications du
présent traité , pa : x et amitié parfaites entre S. M. l'Empereur des Français
, Roi d'Italie , et S. M. le roi de Prusse.
1. La partie du duché de Magdebourg située à la droite de l'Elbe ;
la Marche de Priegnitz , l'Uker- Marck , la moyenne et la nouvelle Marche
de Brandebourg , à l'exception du Cotbuser-Kreys ou cercle de Cotbus ,
dans la Basse- Lusace ; le duché de Pomeranie ; la Haute , la Basse et la
Nouvelle-Silésie avec le comté de Glatz ; la partie du district de la Netze,
située au nord de la chaussée allant de Driesen à Schneidemühl , et
d'une ligne allant de Schneidemühl à la Vistule par Woldau , en suivant
les limites du cercle de Bromberg , la Pomérelie , l'île de Nogat ,
les pays à la droite du Nogat et de la Vistule , à l'ouest de la vieille
Prusse et au nord du cercle de Culm , l'Ermeland , et enfin le royaume
de Prusse tel qu'il étoit au 1er janvier 1772 , seront restitués à S. M. le
roi de Prusse , avec les places de Spandau , Stetin , Custrin , Glogau ,
Breslau , Schweidnitz , Neiss , Bieg , Kosel et Glatz , et généralement
toutes les places , citadelles , châteaux et forts des pays ci- dessus dénominés
, dans l'état où lesdites places , citadelles , châteaux et forts se
trouvent maintenant.
La ville et citadelle de Graudentz , avec les villages de Neudorff ,
Gardchken et Sw.erkorzy, seront aussi restitués à S. M. le roi de Prusse .
III. S. M. le roi de Prusse reconnoît S. M. le roi de Naples , Joseph-
Napoléon , et S. M. le roi de Hollande , Louis - Napoléon .
IV. S. M. le roi de Prusse reconnoît pareillement la Confédération du
Rhin , l'état actuel de possession de chacun des souverains qui la composent
, et les titres donnés à plusieurs d'entr'eux , soit par l'acte de Cónfédération
, soit par les traités d'accession subséquens . Promet sadite Majesté
de reconnoître les souverains qui deviendront ultéri urement
membres de ladite Confédération , en la qualité qui leur sera donnée par
Is actes qui les y feront entrer ,
236 MERCURE DE FRANCE ,
V. Le présent traité de paix et d'amitié est déclaré commun S. M. le
roi de Naples , Joseph- Napoléon à S. M. le roi de Hollande , et aux
souverains confédérés du Rhin , alliés de S. M. l'Empereur Napoléon .
VI. S. M. le roi de Prusse reconnoît pareil: ement S. A. 1. le prince
Jérôme-Napoléon comme roi de Westphalie.
VII. S. M. le roi de Prusse cède en toute propriété et souveraineté aux
rois , grands-ducs , dues ou princes qui seront désignés pr S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , tous les duchés , marquisats , principautés
, comtés , seigneuries , et généralement tous les territoires ou
parties de territoires quelconques , ainsi que tous les domaines et biensfonds
de toute nature que sadite Majesté le roi de Prusse possédoit , àquel
titre que ce fût , entre le Rhin et l'Elbe , au commencement de la guerre
présente.
VIII. Le royanme de Westphalie sera composé de provinces cédées par
S M. le roi de Prusse , et d'autres Etats actuellement possédés par S. M.
l'Empereur Napoléon.
IX. La disposition qui sera faite par S. M. l'Empereur Napoléon des
pays désignés dans les deux articles précéden , ct l'état de possession
en résultant pour les ouverains au profit desquels elle aura été faite
sera reconnue par S. M. le roi de Prusse , de la même manière que si
eile étoit déjà effectuée et contenue au présent traité.
X. S. M. le roi de Prusse , pour lui , ses héritiers et successeurs , reponce
à tout droit actuel ou éventuel qu'il pourroit avoir ou prétendre ,
› º. sur tous les territoires sans exception_s : tués entre le Rhin et l'Elbe ,
et autres que ceux désignés en l'article VII ; 2º sur celles des possessions de
S. M. le roi de Saxe et de la maison d'Anhalt, qui se trouvent à la droite
de l'Elbe . Réripoqueinent tout droit actuel ou éventuel , et toute prétention
des Etats compris entre l'Elbe et le Rhin sur les possessions de
S. M. le roi de Prusse , telles qu'elles seront en conséquence du présent
traité , sont et demeureront éteints à perpétuité .
XI . Tous pactes , conventions ou traités d'alliance patens ou secrets qui
auroient pu être conclus entre la Prusse et auoun des Etats situés à la
gauche de l'Elbe , et que la guerre présente n'auroit point rompus , demeureront
sans effet et seront réputés núls et non avenus .
XII. S. M. le roi de Prusse ède en toute propriété et souveraineté à
S. M. le roi de Saxe , le Cotbuser- Kreys ou cercle de Cotbus , dans la
Basse-Lusace.
XIII. S. M. le roi de Prusse renonce à perpétuité à la possession de
toutes les provinces qui , ayant appartenu au royaume de Pologne , ont ,
postéricurement au 1er janvier 1772 , passé à diverses époques sous la
domination de la Prusse , à l'exception de l'Ermeland et des pays situés
à l'ouest de la Vieille - Prusse , à l'est de la Pomeranie et de la Nouvelle-
Marche , au nord du cercle de Culm , d'une ligne allant de la Vistule à
Schneidemühl par Waldau , en suivant les limites du oercle de Brombeg
, et de la chaussée allant de Schneidemühl à Driesen , lesquels , avec
la ville et citadelle de Graudentz et les villages de Neudorff, Garschken
et Swierkerzy , continueront d'être possédés en toute propriété et souve
raineté par S. M. le roi de Prusse .
XIV. S. M. le roi de Prasse renonce pareillement à perpétuité à la
Possess on de la ville de Dantzick.
XV. Les provinces auxquelles S. M. le roi de Prusse renonce par
Particle XIII ci - dessus seront ( à l'exception du territoire spécifié en
l'article XVIII ci -après ) possédées en toute propriété et s uveraineté
par S. M. le roi de Saxe , sous le titre de duché de Varsovie , et régies
par des constitutions qui , en assurant les libertés et les priviléges des
AOUT 1807 . 237
peuples de ce duché , se concilient avec la tranquillité des Etats voisins .
XVI. Pour les communications entre le royaume de Saxe et le duché
de Varsovie , S. M. le roi de Saxe aura le libre usage d'une route militaire
à travers les Etats de S. M. le roi de Prusse . Ladite route , le
nombre, des troupes qui pourront y passer à la fois et les lieux d'étapes ,
seront déterminés par une convention spéciale faite entre leursdites
Majestés , sous la médiation de la France.
XVII. La navigation par la rivière de Ne ze et le canal de Bromberg,
depuis Driesen jusqu'à la Vistule , et réciproquement , sera libre et
franche de tout péage .
XVIII. Afin d'établir autant qu'il est possible des limites naturelles
entre la Russie et le duché de Varsovie , le territoire circonscrit par la
partie des frontières russes actuelles , qui s'étend depuis Bug jusqu'à
l'embouchure de la Lossosna , et par une ligne partant de ladite embou
chure et suivant le thalweg de cette rivière ; te thalweg de la Broba
jusqu'à son embouchure ; le thalweg de la Narew depuis le point susdit
jusqu'à Suratz ; de la Lisa jusqu'à sa source , près le village de Mien ; de
l'affluent de la Nurzech , prenant sa source près le même village ; de la
Nurzech jusqu'à son embouchure au dessus du Nurr ; et enfin le thalw g
da Bug , en le remoutant jusqu'aux frontières russes actuelles , sera
réuni à perpétuité à l'empire de Russie.
། ་
XIX . La ville de Dantzick , avec un territoire de deux licues de rayon
autour de son enceinte sera rétablie dans son indépendance , sous la protection
de S. M. le roi de Prusse et de S M. le roi de Saxe , et gouverné *
par les lois qui la régissoient à l'époque où elle ces : a de se gouverner ellemême.
XX. S. M. le roi de Prusse , S. M. le roi de Saxe , ni la ville de
Dantzick, ne pourront empêcher par aucune prohibition , ni entraver par
Tétablissement d'ancun péage , droit ou impôt , de quelque nature qu'il
puisse être , la navigation de la Vistole.
XXI. Les ville , port et territoire de Dantzick seront fermés pendant
la durée de la présente guerre maritime au commerce et à la navigation
des Anglais.
.
?
XXII. Aucun individu de quelque classe et condition qu'il soit , ayant
son domicile ou des propriétés dans les provinces ayant appartenu au
royaume de Pologne , at que S. M. le roi de Prusse doit continuer de posséder,
ne pourra, non plus qu'aucun individu domicilié , soit dans le
duché de Varsovie , soit dans le territoire qui doit être réuni à l'empire
de Russie , mais ayant en Prusse des biens- fonds , rentes , pensions on
revenus de quelque nature qu'ils soient , être frappé dans sa personne
dans ses biens , rentes , pensions et revenus de tout genre , dans son rang
et ses dignités , ni poursuivi , ni recherché en aucune façon quelconque ,
pour aucune part qu'il ait pu politiquement ou militairement prendre
aux événemens de la guerre présente.
XXIII. Pareillement aucun individu né , demeurant cu propriétaire
dans les pays ayant appartenu à la Prusse antérieurement au 1er janvier
1772 , et qui doivent être restitués à S. M. le roi de Frasse , aux termes
de l'article II ci- dessus , et notamment aucun individu , soit de la grande
bourgeoisie de Berlin , soit de la gendarmerie , lesquelles ont pris les
armes pour le maintien de la tranquillité publique , ne pourra être frappé
darss
sa personne , dans ses biens , rentes , pensions et revenus de tout
genre , dans son rang et son grade , ni poursuivi , ni recherché en aucune
façon quelconque , pour aucune part qu'il ait prise ou pu prendre ,
quelque manière que ce soit , aux événemens de la guerre présente.
de
XXIV. Les engagemens , deltes et obligations de toute nature que
238 MERCURE DE FRANCE ;
S. M. le roi de Prusse a pu avoir , prendre et contracter , antérieurement à
la présente guerre , comme possesseur des pays , territoires , domaines ,
biens et revenus que sadite Majesté cède ou auxquels elle renouce par le
présent traité , seront à la charge des nouveaux poss sseurs et par eux
acquittés , sans exception , restriction , ni réserve aucune.
XXV. Les fonds et capitaux appartenans , soit à des particuliers ,
soit des établissemens publics , religieux , civils on militaires des payst
que S. M. le roi de Prusse cède ou auxquels elle renonce par le présent
traité , et qui auroient été placés , soit à la banque de Berlin , soit à la
caisse de la Société maritime , soit de toute autre manière quelconque
dans les Etats de S. M. le roi de Prusse , ne pourront être confisqués ni
Laisis ; mais les propriétaires desdits fonds et capitaux seront libres d'en'
disposer , et continueront d'en jouir , ainsi que des intérêts échus ou à
écheoir , aux termes des contrats ou obligations passés à cet effet . Réciproquement
, il en sera usé de la même manière pour tous les fonds et
capitaux que des sujets ou des établissemens publics quelconques de la
monarchie prussienne auroient placés dans les pays que S. M. le roi de
Prusse cède ou auxquels elle renonce par le présent traité .
XXVI. Les archives contenant les titres de propriété , documens et
papiers généralement quelconques relatifs aux pays , territoires , domaines
et biens que S. M. le roi de Prusse cède ou auxquels elle renonce par le
présent traité , ainsi que les cartes et plans des vi les fortifiées , citadelles ,
châteaux et forteresses situés dans lesdits pays , seront remises par des
commissaires de sadite Majesté , dans le délai de trois mois , à compter de
l'échange des ratifications , savoir : A des commissaires de S. M. l'Empereur
Napoléon , pour ce qui concerne les pays cédés à la gauche de
I'Elbe ; et à des commissaires de S. M. l'Empereur de toutes les Russies ,
de S. M. le roi de Saxe et de la ville de Dantzick , pour ce qui concerne
les pays que leursdites Majestés et la ville de Dantzick doivent posséder
en conséquence du présent traité .
.
XXVII. Jusqu'au jour de l'échange des ratifications du futur traité de
paix définitive entre la France et l'Angleterre , tous les pays de la domination
de S. M. le roi de Prusse , seront , sans exception , fermés à la
navigation et au commerce des Anglais . Aucune expédition ne pourra
être faite des ports prussiens pour les îles Britanniques , ni aucun bâtiment
venant de l'Angleterre ou de ses colonies , être reçu dans lesdits ports .
XXVIII . Il sera fait immédiatement une convention ayant pour objet
de régler tout ce qui est relatif au mode et à l'époque de la remise des
pla es qui doivent être restituées à S. M. le roi de Prusse , ainsi que les
détails qui regardent l'administration civile et militaire des pays qui '
doivent être aussi restitués . .
XXIX. Les prisonniers de guerre seront rendus de part et d'autre sans
échange et en masse , le plus tôt que faire se pourra .
XXX. Le présent traité sera ratifié par S. M. l'Empereur des Français
, Roi d'Italie , et par S. M. le roi de Prusse , et les ratifications en
seront échangées à Koenigsberg , dans le délai de six jours , à compter dé
la signature , ou plus tôt si faire se peut .
Fait et signé à Tilsit , ie 9 juillet 1807.
( L. S. ) Signé Ch. Maur. TALLEYRAND , prince de Bénévent.
( L. S. ) , Signé le maréchal comte DE KALKREUTH .
( L. S. ) Signé AUGUSTE , comte de Goltz.
Pour ampliation , le ministre des relations extérieures , Ch . Maur .
TALLEYRAND , prince de Bénévent.
Les ratifications du présent traité ont été échangées à Koenigsberg ,
12 juillet 1807.
AOUT 1807 . 239
Après que la lecture a été terminée , le sénateur Lacepède , président
ordinaire du Sénat , ayant pris la parole , a dit :
Monseigneur , la lecture des deux traités de paix que S. M. l'Eм-
PEREUR et Roa bien voulu nous faire communiquer par V. A. S. , fait
éprouver au Sénat de nouveaux sentimens d'une admiration et d'une
reconnoissance bien vives .
>> Après tant de moissons de gloire , tant de prodiges et tant de bienfaits
, le Sénat ressent plus que jamais le besoin de présenter à S. M.
I. et R. ses hommages et ses voeux . Il sait qu'il va avoir l'avantage si précieux
pour tous les Français , de jouir de l'auguste présence du plus grand
des monarques. Mais les jours , les heures , les momens même sont des
siècles pour sa juste impatience. Je demande donc , sénateurs , premiè
rement , que le Sénat ordonne la transcription sur ses registres , du traité
avec la Russie et du traité avec la Prusse ; deuxièmement , qu'une commission
spéciale soit chargée de présenter un projet d'adresse qui exprime
les sentimens d'amour et de respect dont le Sénat est si profondément
pénétré pour S. M. I. et R. »
Les deux propositions du sénateur Lacepède ont été accueillies à l'unanimité
. La commission chargée de rédiger l'adresse , est composée de
S. A. Em. le cardinal Fesch , de MM . Lacepède , Monge , Laplace et
Sémonville. La commission fera son rapport lundi 27 du courant .
CONVENTION .
Entre les soussignés d'une part , le prince de Neuchâtel ,
major-général , et de l'autre , le maréchal comte de Kalkreuth ,
munis de pleins- pouvoirs de leurs souverains respectifs , á
l'effet de régler la convention stipulée en l'art . XXVIII du
traité de paix signé à Tilsit , entre S. M. l'Empereur et Roi
Napoléon , et S. M. le roi de Prusse.
Art. Ier. Des commissaires respectifs seront nommés , sans
délai , pour placer des poteaux sur les limites du duché de
Varsovie , de la Vieille - Prusse , du territoire de Dantzick ,
ainsi que sur les limites du royaume de Westphalie avec celui
de Prusse.
on
II. La ville de Tilsit sera remise le 20 juillet ; celle - de
Koenigsberg , le 25 du même mois ; et avant le er du mois
d'août , les pays jusqu'à la Passarge , formant les anciennes.
positions de l'armée , seront remis. Au 20 août , on évacuerà
La Vieille- Prusse jusqu'à la Vistule. Au 5 septembre ,
évacuera le reste de la Vieille- Prusse jusqu'à l'Oder. Les
limites du territoire de Dantzick seront tracées à deux lieues
autour de la ville , et déterminées par des poteaux aux ar : nes
de France , de Dantzick , de Saxe et de Prusse. Au 1 octobre ,
on évacuera toute la Prusse jusqu'à l'Elbe. La Silésie sera
également remise au 1er octobre ; ce qui fera deux mois et
demi pour l'évacuation entière du royaume de Prusse . La province
de Magdebourg, pour la partie qui se trouve sur la rive
droite de l'Elbe , ainsi que les provinces de Prentzlow et de
Passewalk , ne seront évacuées qu'au 1 novembre ; mais il
er
240 MERCURE DE FRANCE ,
sera tracé une ligne de manière que les troupes ne puissent
pas approcher de Berlin. Quant à Stetin , l'époque à laquelle
cette ville sera évacuée , s ra déterminée par les plénipotentiaires
. Six mille Français resteront en garnison dans cette
ville jusqu'au moment où on l'évacuera. Les places de Spandau ,
de Gustrin , et en général toutes celles de la Silésie , seront
remises le 1
er octobre entre les mains des troupes de S. M. le
roi de Prusse.
III. Il est bien entendu que l'artillerie , toutes les munitions ,
et en général tout ce qui se trouve dans les places de Pillau ,
Colberg , Graudentz , Tresteront dans l'état où les choses se
trouvent. Il en sera de même pour Glatz et Kosel , si les
troupes françaises m'en ont pas pris possession .
IV. Les dispositions ci- dessus auront lieu aux époques déterminées
, dans le cas où les contributions frappées sur le pays
seroient acquittées . Bien entendu que les contributions serout
censées acquittées quand des sûretés suffisantes seront recon◄
pues valables par l'intendant- général de l'armée. Il est également
entendu que toute contribution qui n'étoit pas connue
publiquement avant l'échange des ratifications , est nulle .
V. Tous les revenus du royaume de Prusse , depuis le jour
de l'échange des ratifications , seront versés dans les caisses du
roi et pour le compte
de S. M. , si les contributions
dues et
échues depuis le 1 novembre
1806 jusqu'au
jour de l'échange
des ratifications
, sont acquittées
.
VI. Des commissaires seront nommés de part et d'autre pour
traiter et décider de tous les différends à l'amiable. Ils se rên➡
dront en conséquence à Berlin le 25 juillet , afin que cela
n'apporte aucun retard à l'évacuation.
VII. Les troupes , ainsi que les prisonniers de guerre frangais
, vivront dans le pays , et des magasins qui peuvent y
exister jusqu'au jour de l'évacuation .
VHI. Si les hôpitaux ne sont pas évacués à l'époque où les
troupes doivent se retirer , les malades français serent soignés
dans les hôpitaux , et tous les secours leur seront doones par
les soins des administrations du roi , sans cesser d'avoir auprès
d'eux les officiers de santé nécessaires.
IX. La présente convention aura sa pleine et entière exécu–
tion . En foi de quoi nous l'avons signée , et y avons apposé le
aceau de nos armes. A Keuigsberg , le 12 juillet 1807.
DU VENDREDI 31 .
-
(Suivent les signatures . )
FONDS PUBLICS .
-C p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807, 79f 25c 30e . 200
25c 50c one ooc oor oọc oof oof oor voe rof ouc ooc ooc coc oofooe oog
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , oof ooc ooc , oof ooc cöc
Act. de la Banque de Fr. 130of 0000f cos coʊuf
(No. CCCXVI. )
( SAMEDI 8 AOUT 1807. ) .
DE
ΤΑ
SE
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
5.
cen
TRADUCTION LIBRE
DE LA PREMIÈRE ÉLÉGIE DE TIBULLE .
Divitias alius, etc.
De la richesse épris , qu'un autre entasse l'or ;
Qu'il joigne à mille arpens d'autres arpens encor :
Un ennemi voisin jour et nuit l'inquiète ;
Il se réveille et tremble au son de la trompette.
Ma médiocrité , voilà mon vrai trésor !
Je lui dois mon repos , ma douce insouciance.
Pourvu que le feu brille en mon humble foyer,
Que toujours la prodigue et flatteuse espérance
Du froment le plus pur emplisse mon grenier ,
Qu'elle verse à grands flots le vin dans mon cellier ,
Heureux , j'en crois jouir , et rêve l'abondance.
Je ne dédaigne point les rustiques travaux :
Tantôt , sans les blesser , ma main sûre et légère ,
Enrichit mes pommiers d'une branche étrangère ;
Tantôt j'unis la vigne aux stériles ormeaux .
Quelquefois , en mon sein , du vallon solitaire
Je rapporte un chevreau délaissé par sa mère :
Maniant tour-à - tour la bêche et l'aiguillon ,
Je romps la glèbé , ou j'aide à tracer un sillon .
Je révère les Dieux soit que , sur mon passage ,
242
MERCURE DE FRANCE ,
Un monument orné de fleurs et de gazon ,
Soit qu'en un champ désert un tronc miné par l'âge ,
A mon culte pieux présente leur image.
Chaque année on me voit , au retour du printemps ,
Offrir un sacrifice aux déités des champs ,
Consacrer à Palès un tribut de laitage ,
Purifier le toit , les brebis, le berger ;
Et , quel que soit l'espoir que donne mon verger ,
De Pomone , d'avance , assurer le partage.
Blonde Cérès ! je veux de tes plus beaux épis
Suspendre une couronne aux murs de ton parvis.
Armé , dans mes jardins , de sa faulx menaçante ,
Que Priape aux oiseaux inspire l'épouvante ?
Et vous aussi , gardiens de mon petit enclos ,
Qui le fûtes jadis de mon vaste héritage ,
Je vous aurois alors immolé des taureaux ,
Dieux Lares ! Maintenant , un seul de mes agneaux
Sera , dans ma détresse , un magnifique hommage.
Qu'il tombe ! Et qu'aux accens des enfans du village ,
Demandant de bons vins et de riches moissons ,
Le ciel veuille toujours nous combler de ses dons !
Qu'il exauce nos voeux ! que sa bonté facile
Accepte notre offrande , et ne dédaigne pas
Ces vases indigens , ces mêts peu délicats !
Des premiers laboureurs l'art encore mal habile
En coupes façonna la molle et simple argile.
Fuyez , loups et voleurs , épargnez mon troupeau !
Pour vous servir de proie il n'est pas assez beau .
Pourrois-je regretter des trésors inutiles ,
Les biens de mes aïeux , leurs domaines fertiles ?
Une moisson légère à mes besoins suffit :
Il me suffit , le soir , de retrouver ce lit
Où des travaux du jour réparant la fatigue ,
De ses pavots pour moi , Morphée est si prodigue .
Qu'il est doux , quand au loin mugissent les autans ,
La nuit , entre ses bras , de serrer sa compagne ;
Ou quand l'humide hiver inonde la campagne ,
De s'endormir au bruit de la pluie et des vents !
Que ne puis - je , à mon gré , savourer ces délices !
Qu'il coure à la fortune arracher ses présens ,
Celui qui peut de l'onde affronter les caprices .
Pour moi , content du peu ,
libre d'ambition ,
Il ne me convient point de quitter le rivage.
L'été , pour me soustraire aux ardeurs du lion ,
AOUT 1807 . 243
Je cherche les ruisseaux et l'ombre d'un bocage.
Périssent à jamais l'or et les diamans ,
Plutôt qu'à la beauté je cause des alarmes ,
Plutôt que mon départ fasse couler ses larmes.....
C'est à vous , Messala , par des faits éclatans ,
Sur la terre et les mers , de signaler nos armes ,
Et d'orner vos palais d'immortels monumens.
Mais moi , qui dans les fers d'une jeune maîtresse ,
A sa porte attaché , veille et gémis sans cesse ,
Je n'aspirai jamais à la célébrité.
Pourvu qu'on me permette , ô ma chère Délie ,
De passer près de toi le reste de ma vie ,
Qu'importe qu'on me juge avec sévérité ,
Qu'on blâme et ma paresse et mon oisiveté !
Avec toi , je crains peu le travail le plus rude :
Je puis moi- même au joug atteler les taureaux ,
Sur les monts escarpés conduire les troupeaux ,
Du plus affreux désert braver la solitude ;
Et si le soir enfin je t'enlace en mes bras ,
D'un lit dur et grossier je ne me plaindrai pas .
Sans l'amour, sous un dais brillant d'or et de soie ,
Des chagrins dévorans sommes- nous moins la proie !
Le duvet , les tapis , le murmure des eaux ,
A l'amant malheureux rendent- ils le repos ?
Quel est le coeur d'airain qui pourroit à tes cliarmes
Préférer les hasards , la guerre et ses alarmes ?
Dût- il des ennemis forçant les bataillons ,
Au milieu de leur camp planter ses pavillons;
Dût- il , rayonnant d'or , sur son char de victoire ,
Eblouir tous les yeux de l'éclat de sa gloire !
Je veux encor , Délie , en mourant attacher
Sur tes yeux attendris ma paupière tremblante ;
Je veux presser ta main de ma main défaillante.
Tu pleureras alors en voyant mon bûcher ;
Tu pleureras : ton coeur ne pourra s'en défendre.
Tes larmes , tes baisers , réchaufferont ma cendre.
On verra , l'oeil en pleurs , l'amant s'en approcher ;
L'amante en reviendra plus sensible et plus tendre .
De mes mânes , sur- tout , ne trouble point la paix !
Prends garde que tes mains n'offensent tes attraits....
Epargne l'or flottant de cette chevelure ! .....
Délie , en attendant , profitons des beaux jours !
Des Parques , hâtons -nous de prévenir l'injure !
Livrons-nous aux plaisirs , livrons- nous aux amours.
1
Q 2
244 MERCURE DE FRANCE ;
Trop tôt , hélas ! viendra l'âge de la sagesse :
Trop tôt les cheveux blancs et la froide vieillesse
Viendront nous interdire et les ris et les jeux .
En amour , chef habile et soldat courageux ,
Tandis qu'il m'est permis de suivre ses bannières ,
Je me plais à forcer les portés , les barrières.
Loin d'ici les drapeaux , les clairons belliqueux !
Bellone vend toujours ses faveurs meurtrières.
Content de mon destin , je vis exempt de soins ,
Au-dessus des trésors , au-dessus des besoins .
KÉRIVALANT.
L'ATTENTE ,
STANCES.
NYMPHE des bois , déjà les voiles sombres
Ont de l'Olympe embrassé le contour ,
Et l'astre ami du silence et des ombres ,
Te cherche en vain sur la couche d'amour.
Quand du soleil la flamme dévorante
S'évanouit dans un affreux séjour ,
Quand la pâleur de la rose mourante
N'espère plus un seul rayon d'amour ,
Nymphe des bois , quel destin nous sépare ?
Quel Dieu fatal s'oppose à ton retour ?
Oublierois - tu qu'un amant te prépare
Et les baisers et les myrtes d'amour ?
Rappelle - toi cette nuit fortunée
Où , de Diane abandonnant la cour,
Le front paré des fleurs de l'hyménée ,
Tu t'enivrois des voluptés d'amour .
Tu me disois : « Idole de ma vie ,
» Mes yeux éteints se dérobent au jour ;
» Mourons , mourons , et mon ame ravie
» N'exhalera que des soupirs d'amour. »>
Nymphe des bois , déjà les voiles sombres
Ont de l'Olympe embrassé le contour ,
Et l'astre ami du silence et des ombres
1
Te cherche en vain sur la couche d'amour.
Henri TERRASSON ( de Marseille . )
AOUT 1807: 245
VERS
SUR LA MORT D'ÉLÉONORE. ( 1 )
DANS le tombeau repose Eléonore :
La mort de son printemps a moissonné les fleurs ;
Graces , prenez le deuil ! Gémis , lyre sonore !
Et vous , Amours , laissez couler vos pleurs !
Elle n'est plus ! Comme une ombre légère ,
Ses traits charmans s'effacent à nos yeux :
Telle s'enfuit la lueur passagère
De cet éclair qui brille dans les cieux .
Quand sur son front les roses d'hyménée
Devoient du tendre Amour remplacer le bandeau,
Elle s'éclipse , et de sa destinée
Le souvenir se perd dans la nuit du tombeau.
Elle a vécu , la jeune Eléonore ;
De l'Amour qui gémit elle a trompé l'espoir :
Telle une fleur que le Midi dévore
S'incline en pâlissant , et meurt avant le soir.
Tel , à nos yeux terminant sa carrière ,
Ce flambeau dont l'éclat se dissipe et s'enfuit ,
Versant à peine un reste de lumière ,
S'éteint languissamment dans l'ombre de la nuit.
Par M. C. MICHELET.
ENIGME.
L'ARABIE est le lieu dans lequel je suis né;
Nous sommes dix enfans : on me fit , par idée ,
Le plus jeune de tous et le moins fortuné ;
Mais j'éloigne de moi cette triste pensée.
Je suis beaucoup , je ne suis rien ;
3
( 1 ) Cette pièce a été imprimée avec plusieurs erreurs très- graves dans le
dernier Almanach des Muses de 1807. On lui avoit donné pour titre : La
Mort d'Eléonore , conte , et on avoit joint les stances les unes aux autres ;
ce qui faisoit un morceau sans alinéa . Voyez l'Almanach des Muses de
M. Brasseur , page 119. J'ignore si ces fautes viennent des imprimeurs.
ou des éditeurs
3
246 MERCURE DE FRANCE ,
Accompagné , je fais du bien ;
Mais je plains qui m'a seul , il est un pauvre sire ;
Et , s'il m'est permis de le dire ,
Il a toujours un sot maintien .
J'ai pourtant du pouvoir ; dans plus d'une contrée
chacun chez soi me donne entréé.
Je suis connu ,
Le plus riche marchand
M'accueille à bras ouvert , et mon secours implore ,
En cela bien pensant ,
Devenant avec moi dix fois plus riche encore.
Je pourrois ajouter
Que , malgré ma vieillesse ,
L'abbé , le financier , le marquis , la duchesse ,
Me font aussi leur cour ; mais pourquoi m'en vanter?
Rien ne peut m'émouvoir ; je suis toujours le même,
Petit individu
A mine ronde et blême ,
De noir , en général , presque toujours vêtu .
LOGOGRIPHE
EN de certains pays bienheureux qui me porte ,
En France on me respecte , on me craint à la Porte.
J'ai six pieds bien comptés , dont toute la valeur ,
Je puis vous l'assurer , consiste en la couleur :
Si vous les partagez , prenez garde à ma tête ;
Souvent elle épouvante et fait fuir mainte bête.
Si vous la renversez , on la craint dans les eaux ;
En la décapitant, elle est un des métaux.
Quant à ma queue , on la trouve cstimable ,
Selon que plus ou moins elle est considérable.
A mon tout est pendu ce signe précieux ,
Qui , tout ainsi que moi , fait bien des envieux .
CHARADE .
D'UNE Conjonction l'on forme mon premier ;
L'on se vêtit de mon dernier ;
L'on craint la dent de mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Langue.
Celui du Logogriphe est Corniche , où l'on trouve Roch ( Saint ) ,
niche , Nice.
Celui de la Charade est Main-morte.
AOUT 1807 . 247
Mon Séjour auprès de Voltaire , et Lettres inédites que
m'écrivit cet homme célèbre jusqu'à la dernière année de
sa vie ; par Côme- Alexandre Collini , historiographe et
secrétaire intime de S. A. S. l'Electeur Bavaro - Palatin ,
et membre des Académies de Berlin , de Manheim , de
l'Institut de Bologne , etc. Un vol . in- 8 ° . Prix : 5 fr. ,
et 6 fr. 50 c. par la poste. A Paris , chez Leopold Collin ,
libraire , rue Gît- le - Coeur , n° . 4; et chez le Normant .
Nous avons déjà un grand nombre de Mémoires sur la
vie de M. de Voltaire : tous ont été lus avec avidité . Quels
que fussent l'opinion et les principes des lecteurs , ils ont
voulu connoître les détails de la vie d'un homme qui eut un
si grand ascendant sur ses contemporains. On a observé avec
raison qu'une Vie bien faite de M. de Voltaire seroit la
meilleure histoire des erreurs du dix- huitième siècle : cet
ouvrage est encore à faire . Quand on l'entreprendra , les
matériaux ne manqueront pas . Une multitude innombrable
de lettres , des Mémoires écrits sur tous les tons , les relations
qui paroîtront encore ( car peu de personnes ont fait le
voyage de Ferney sans écrire leur journal ) ; enfin , des renseignemens
de toute espèce aideront l'écrivain qui se chargera
de ce travail .
:
L'ouvrage que nous annonçons n'ajoutera presque rien
aux conoissances que nous avons déjà sur cet objet . M. Collini
a été le secrétaire de M. de Voltaire ; il lui a dû sa fortune
la reconnoissance l'a nécessairement empêché de
dire la vérité tout entière , et la probité s'est opposée à ce
qu'il révélât des secrets qu'il devoit à une confiance intime.
Il est vrai qu'à la fin du dix-huitième siècle , on vit paroître
des Mémoires où l'on abusoit des confidences de l'amitié ,
où l'on déshonoroit les femmes , où l'on flétrissoit les maisons
dans lesquelles on avoit été admis , où enfin l'on couvroit
de ridicule , et l'on déchiroit ses bienfaiteurs ; mais
M. Collini , loin de pratiquer ces affreux principes , auxquels
tant de Mémoires particuliers ont dû leur succès , n'a
cherché qu'à faire valoir son héros : il l'a toujours présenté
sous l'aspect le plus favorable ; et s'il n'est point parvenu à
le justifier sur plusieurs points , c'est que la chose étoit
impossible. Nous aurons lieu de remarquer la foiblesse de
ses efforts dans cette partie de son ouvrage .
Quoique la relation de M. Collini ne fournisse que des
4
248 MERCURE DE FRANCE ,
détails peu importans sur la vie de . M. de Voltaire , elle ne
manque cependant pas d'intérêt. L'auteur raconte l'histoire
de sa jeunesse. Avant d'être placé chez M. de Voltaire , il fit
un assez long séjour à Berlin : la manière dont il se produisit
est curieuse à remarquer ; elle peut fournir quelques
traits caractéristiques des moeurs du siècle , et donner une
idée assez juste du traitement qu'éprouvoient à la cour de
Prusse les gens de lettres et les artistes .
M. Collini , appartenant à une famille honnête de Florence
, avoit été destiné au barreau par ses parens . Ses goûts
ne s'accordoient pas avec cette destination : il étoit passionné
pour la littérature . Après avoir achevé ses études à l'Université
de Pise , il étoit sur le point de prendre le degré de
docteur , lorsque son père mourut. Cette perte , en lui causant
beaucoup de chagrin , ne fit qu'augmenter son dégoût
pour un état qu'on avoit voulu lui faire embrasser malgré
fui . Il saisit la première occasion d'y renoncer . Un de ses
amis fort riche alloit faire un voyage en Suisse : il proposa
M. Collini de l'accompagner . Ce dernier , sans prévenir ses
parens , accepta cette offre , et partit avec le dessein de ne plus
paroître dans son pays , où il auroit fallu exercer l'état
d'avocat.
à
Le jeune fugitif s'arrêta à Coire , pour réfléchir au parti
qu'il prendroit. Forcé de vivre avec économie , il quitta une
bonne auberge dans laquelle il s'étoit d'abord logé , pour se
réfugier dans un galetas , où il fut consolé par la société
d'une femme qui venoit plaider en séparation . Quoiqu'elle
parlât une autre langue que M. Collini , ils s'entendirent
bientôt. On verra par la suite que l'auteur avoit beaucoup
de penchant pour les jeunes femmes séparées de leurs maris.
Cependant , la société de cette dame , quoique très-agréable ,
ne calmoit pas l'inquiétude de M. Collini , qui , comme
presque tous ses compatriotes , avoit un esprit d'ordre et de
prévoyance qui ne l'abandonnoit jamais.
La cour de Prusse étoit regardée alors comme l'asile des
lettres ceux qui les cultivoient y faisoient leur fortune ; et
l'exemple d'Algarotti devoit séduire un jeune Italien qui
n'avoit d'autre titre qu'un goût passionné pour la littérature .
M. Collini enthousiasmé de cette idée , mais ne sachant
quels moyens employer pour la mettre à exécution , se
rappela très-heureusement qu'il avoit vu à Florence une
signora dont la soeur , connue sous le nom de la Barberina ,
étoit danseuse de l'Opéra de Berlin , et passoit pour jouir
d'un grand crédit . Il écrivit à cette signora , ainsi qu'à ses
parens. L'une lui envoya une lettre de recommandation
AOUT 1807 .
249
pour la danseuse ; les autres , approuvant son projet , lui
firent passer une lettre-de- change pour les frais de son
voyage. M. Collini alla donc chercher fortune à Berlin .
:
La Barberina le reçut fort bien , et promit de s'occuper
de lui il apprit d'elle les moyens qu'on avoit employés
pour l'attirer en Prusse . Rien de plus singulier que ces
détails : M. de Voltaire n'a fait que les indiquer dans ses
Mémoires .
Mlle Barberina dansoit sur l'un des théâtres de Venise .
Le roi , instruit de ses talens , chargea son ministre de l'engager
pour Berlin . Elle fit une réponse verbale que le
ministre regarda comme un consentement. Cependant la
danseuse vivoit avec un Anglais qui s'opposa tant qu'il le
put à ce projet , et qui vouloit la ramener à Londres . Elle
penchoit pour ce parti , et refusoit de signer son engagement.
Le ministre de Prusse la fit enlever de force , et elle
fut conduite à Berlin par des soldats . Le roi , malgré cette
manière un peu violente d'attirer les talens à sa cour , la
reçut fort agréablement ; et l'un des ministres lui présenta
un engagement où ses appointemens étoient en blanc , et
devoient être fixés par elle. La Barberina eut la modestie
de ne demander d'abord que dix -huit mille livres , et , s'il
faut en croire M. de Voltaire , elle obtint par la suite une
augmentation de quatorze mille livres . Ainsi cette danseuse ,
suivant ce dernier , touchoit à elle seule plus que trois ministres
d'Etat ensemble .
M. de Voltaire arriva alors à Berlin , pour y jouir d'une
faveur aussi grande qu'elle fut courte. Le jeune Florentin
forma aussitôt le projet de s'attacher à un homme si célèbre .
Mais comment parvenir jusqu'à lui ? M. Collini devoit à
une danseuse l'agrément dont il jouissoit à Berlin ; il espéra
qu'une cantatrice pourroit lui procurer ce qu'il desiroit avec
tant d'ardeur. Mlle Astraa , à laquelle il fut présenté , promit
de parler de lui à M. de Voltaire : elle s'acquitta de cette
commission , et parvint , au bout d'un an , à faire recevoir
son protégé en qualité de secrétaire . M. Collini , au comble
de ses voeux , se livra au travail qui lui fut imposé, Ses
principales fonctions étoient de copier des ouvrages commencés
, des pièces fugitives , et d'écrire des lettres sous
la dictée ; dans d'autres momen3 , il lisoit des auteurs italiens
. M. de Voltaire s'occupoit alors du poëme de la Loi
Naturelle, de l'Orphelin de la Chine , du Siècle de Louis XIV,
et du quatorzième chant d'un poëme qu'il n'osoit encore
montrer. M. Collini ne donne aucun détail sur ces différens
ouvrages . Il dit seulement qu'on les lui fit copier plusieurs
250 MERCURE DE FRANCE ,
"
fois. Il parle en même temps du Dictionnaire Philosophique
.
"
« Il faut placer à cette année , dit- il , le projet du Diction-
» naire Philosophique , qui ne parut que long-temps après.
» Le plan de cet ouvrage fut conçu à Postdam ; j'étois
chaque soir dans l'usage de lire à Voltaire , lorsqu'il étoit
» dans son lit , quelques morceaux de l'Arioste ou du
» Bocace . Je remplissois avec plaisir mes fonctions de lec-
» teur , parce qu'elles me mettoient à même de recueillir
» d'excellentes observations , et me fournissoit une occasion
>> favorable de m'entretenir avec lui sur divers sujets . Le
» 28 septembre , il se mit au lit fort préoccupé ; il m'apprit
qu'au soupé du roi , on s'étoit amusé de l'idée du Diction-
>> naire Philosophique ; que cette idée s'étoit convertie en
» un projet sérieusement adopté , que les gens de lettres du
» roi et le roi lui-même devoient y travailler de concert ,
» et que l'on en distribueroit les articles , tels qu'Adam ,
» Abraham , etc. Je crus d'abord que ce projet n'étoit qu'un
badinage ; mais Voltaire , vif et ardent au travail , com-
» mença dès le lendemain . »
»
»
Il est évident que l'idée du Dictionnaire Philosophique
n'avoit été qu'une plaisanterie , car le roi de Prusse n'ordonna
pas de s'en occuper. Mais M. de Voltaire , qui crut
voir dans ce sujet les moyens de tourner en ridicule toutes
les idées religieuses , s'empressa d'y travailler. Cela peut
faire juger avec quelle maturité de réflexion il entreprenoit
ses ouvrages . M. Collini ajoute gravement : « Ce fut
» toujours à cette activité et au libre emploi de son temps
» que nous devons ce nombre prodigieux d'excellens ou-
» vrages , dont une foible partie suffiroit pour établir la
» réputation d'un seul homme. » Il résulte de cette réflexion
que M. Collini regardoit le Dictionnaire Philosophique
comme un excellent ouvrage : l'auteur se contredira bientôt
, quand il dira que M. de Voltaire eut toujours beaucoup
de respect pour les religions établies .
M. Collini ne jouit pas long-temps de la tranquillité qu'il
avoit trouvée à Postdam. Cette cour de philosophes se
divisa ; et la haine la plus violente anima les deux partis l'un
contre l'autre . M. Collini ne rapporte que ce que tout le
monde sait sur les querelles de Maupertuis et de Voltaire.
Le résultat fut la disgrace du dernier ; il commença par
quitter la cour , et obtint ensuite avec beaucoup de peine la
liberté d'aller prendre les eaux de Plombières .
Son fidèle secrétaire le suivit ; ils s'arrêtèrent à la cour de
Gotha , où ils travaillèrent aux annales de l'Empire . M. ColAOUT
1807 . 251
lini paroît avoir eu beaucoup de part à cet ouvrage. De
Gotha, ils passèrent à Francfort , où ils furent arrêtés . Cette
aventure est connue , et M. Collini n'y ajoute que des détails
peu intéressans . Cependant il cite deux traits de violence
, échappés à M. de Voltaire , qui méritent d'être rapportés.
Après avoir obtenu sa liberté , M. de Voltaire aperçut
dans un corridor voisin de sa chambre un homme qui avoit
prêté main-forte pour l'arrêter : il soupçonna qu'on venoit
l'espionner : transporté de fureur , il saisit un pistolet , et se
précipita vers cet homme. M. Collini , heureusement , se
jeta sur M. de Voltaire , et lui retint le bras . Cet emportement
manqua de faire arrêter de nouveau les voyageurs ;
le secrétaire de la ville se chargea de l'affaire , qui n'eut pas
de suite.
L'autre histoire est beaucoup moins tragique ; nous laisserons
parler M. Collini : « Le libraire Vanduren vint un
>>matin présenter un mémoire pour des livres qu'il avoit
> remis à Voltaire treize ans auparavant. Vanduren ne put
» lui parler , et me laissa le compte. Voltaire le lut, et
>>trouva que la somme demandée étoit pour des exem-
> plaires de ses propres oeuvres ; il en fut outré. Le libraire
>>revint dans l'après-dînée ; mon illustre compagnon de
> voyage et moi nous nous promenions dans le jardin de
» l'auberge. A peine aperçoit-il Vanduren , qu'il va à lui
> plus rapidement que l'éclair , lui applique un soufflet et se
>> retire. C'est la seule fois que j'aie vu Voltaire frapper
> quelqu'un, Que l'on juge de mon embarras. Je me trou-
>>vai tout-à-coup seul , vis-à-vis le libraire souffleté. Que
>> lui dire ? Je tâchai de le consoler de mon mieux; mais
> j'étois tellement surpris , que je ne sus rien trouver de
>>plus efficace que de lui dire qu'au bout du compte , ce
>>soufflet venoitd'un grand homme. »
Il est douteux que cette consolation ait eu beaucoup d'effet
sur Vanduren. Il étoit dans la même situation que Sosie ,
lorsque Mercure , après l'avoir battu , lui dit :
Et les coups de bâton d'un Dieu
Font honneur à qui les endure ,
et probablement il répondit à M. de Collini , dans le même
sens que le domestique d'Amphitryon :
Ma foi , monsieur le Dieu , je suis votre valet :
Je me serois passé de votre courtoisie .
M. Collini partagea encore quelque temps la vie errante
de son patron :jouissant de toute sa confiance , il étoit son
252 MERCURE DE FRANCE ,
factotum. Après s'être arrêté alternativement dans plusieurs
endroits de l'Alsace , M. de Voltaire ne pouvant obtenir la
permission de reparoître à Paris , passa dans le pays de
Vaux , où il se fixa . La maison de sur Saint- Jean , qu'il appela
les Délices , devint célèbre sous ce nouveau nom , et les
pélerinages des enthousiastes du philosophe commencèrent .
Mais M. de Voltaire ne jouit pas long-temps du repos qu'il
s'étoit promis ; et ce nouvel orage fut causé par sa faute ,
ainsi que tous ceux dont il avoit souffert jusqu'alors. Le
poëme auquel il avoit travaillé à Berlin alloit paroître ; et
tout annonçoit une persécution d'autant plus redoutable
qu'elle étoit juste .
Le Conseil des Délices décida qu'on enverroit à Paris
M. Collini , pour tâcher de conjurer l'orage dont on étoit
menacé. Il reçut de pleins -pouvoirs , et se mit en route
avec une jeune dame de Florence , très-jolie , et séparée de
son mari. L'auteur passa quelques jours fort agréables ;
mais la dame quitta bientôt son compagnon de voyage pour
se jeter dans le grand monde ; et M. Collini s'occupa librement
de la négociation dont il étoit chargé . Il n'eut pas
beaucoup de peine à réussir plusieurs hommes puissans
protégeoient M. de Voltaire; et cet orage ne fut que pas-
:
sager.
Peu de temps après son retour aux Délices , M. de Col
lini tomba dans la disgrace de M. de Voltaire . Trois causes
décidèrent son éloignement. Madame Denis faisoit une tragédie
à l'insu de son oracle ; M. Collini étoit son confident ;
et les confidences secrètes que ce travail exigeoit donnèrent de
l'humeur à M. de Voltaire . Cette circonstance , dit l'auteur
, ne l'auroit pas obligé de quitter les Délices , si son
étourderie n'y en eût ajouté d'autres plus graves. Comme on
l'a vu , M. Collini avoit un goût particulier pour les femmes
séparées de leurs maris . Une dame qui avoit ce malheur ,
s'étoit retirée à Genève ; M. de Voltaire , protecteur des
belles opprimées , la recueillit chez lui. Le jeune Florentin
en devint amoureux , elle répondit à cette passion ; et leur
liaison ayant été découverte , elle fut obligée de retourner à
Genève. Tout cela n'auroit point encore enlevé à M. Collini
la confiance de M. de Voltaire ; mais un dernier tort
décida sa disgrace. Madame Denis surprit une lettre que le
secrétaire écrivoit à une demoiselle d'une ville voisine ; elle
y étoit nommée , et l'on se permettoit des plaisanteries sur
elle . Irritée de cet outrage , elle demanda à son oncle le
`sacrifice de son indiscret secrétaire : vainement celui-ci chercha-
t-il à obtenir sa grace ; madame Denis demeura inflexiAOUT
1807 . 253
ble , et M. Collini fut obligé de quitter les Délices , sans
perdre cependant l'amitié de M. de Voltaire , qui le récompensa
avec générosité.
La disgrace de M. Collini lui fut avantageuse.Après avoir
étéquelque temps chargé de l'éducation d'un jeune seigneur
autrichien, il eut le bonheur, sur la recommandation de son
ancien patron , d'être placé à une cour d'Allemagne , comme
secrétaire et historiographe ; ce qui lui procura enfin un état
fixe , et lui facilita les moyens de se livrer à son goût pour
les lettres . Les ouvrages qu'il composa alors sont peu connus
; nous n'en avons appris les titres que parla notice qui
précède les Mémoires de M. Collini.
On voit que l'auteur ne donne qu'un petit nombre de
détails intéressans. Il parle trop de lui , et pas assez de
P'homme célèbre qu'il paroît avoir voulu peindre. Il est
plus heureux dans quelques descriptions qui caractérisent
très-bien l'économie fastueuse de M. de Voltaire. Un des
tableaux les plus curieux est celui qu'il fait du théâtre où
le poète essayoit ses pièces. On sait que M. de Voltaire
ne cessoit de s'extasier sur ce théâtre , qu'il en parloit dans
presque toutes ses lettres , et qu'il s'élevoit continuellement
contre la mesquinerie des décorations du Théâtre Français.
Ladescription de M. Collini donnera une idée de lamagnificence
de ce spectacle :
<<Voltaire étoit loin , dit-il , d'apporter aux représen-
>>tations qu'il donnoit lui-même de ses pièces , la pompe
>> qu'il exigeoit des comédiens. Il déclamoit sans cesse contre
>> la mesquinerie de nos théâtres , et les siens étoient même
» au-dessous de la simplicité. Voici la description som-
>> maire de ce qu'il fit arranger à Tourney. Les châssis des
>> coulisses étoient couverts d'oripeau en clinquant et de
>> fleurs de papier ; le fond représentoit des arcades percées
>>dans le mur. Au lieu de frises , on voyoit un drap sur
>>lequel étoit peint en couleur cannelle un immense soleil. >>
Joignez à cela les talens des acteurs , dont quelques-uns
suisses , et vous aurez une idée de ces spectacles si vantés
dans les lettres de M. de Voltaire .
Le volume de M. Collini est grossi d'un grand nombre
de lettres inédites . Presque toutes manquent d'intérêt : on
ne pourroit excepter qu'une correspondance très-courte ,
relative à un point de l'Histoire de Louis XIV , sur lequel
M. Collini ne s'accordoit point avec M. de Voltaire. Les
autres lettres ne roulent que sur des affaires de ménage ,
et ne devoient être considérées que comme des billets
auxquels on n'attache aucune importance. Il est possible
۱
254 MERCURE DE FRANCE ,
d'en juger par cette instruction que M. de Voltairedonnoit
à son secrétaire :
« Il faut que Loup fasse venir du gros gravier , qu'on
» en répande , et qu'on l'affermisse depuis le pavé de la
» cour jusqu'à la grille qui mène aux allées des vignes.
>> Ce gravier ne doit être répandu que dans un espacede la
>> largeur de la grille. Les jardiniers devroient avoir déjà
>> fait deux boulingrins carrés à droite et à gauche de
>> cette allée de sable , en laissant trois pieds à sabler aux
>> deux extrémités de ce gazon , comme je l'avois ordonné....
» Je prie M. Collini de renvoyer les maçons au reçu de ma
» lettre, ils n'ont plus rien à faire ; mais je voudrois que
> les charpentiers pussent se mettre tout de suite après le
» berceau du côté de la brundée. Il faut que les domes
>>tiques aient grand soin de remuer les marronniers , d'en
>>faire tomber les hannetons , et de les donner à manger
>>aux poules. »
Voilà certainement des détails bien peu dignes de la
postérité. Si M. de Voltaire se fût douté que plusieurs
années après sa mort on auroit imprimé de pareilles lettres ,
il est probable qu'il auroit moins pardonné cette indiscrétion
, que quelques torts envers madame Denis.
Nous avons ditque M. Collini faisoit toujours l'apologie
de M. de Voltaire , et qu'il cherchoit à le justifier sur tous
les points. Il est curieux d'examiner comment il s'y prend ,
lorsqu'il parle de l'impiété du philosophe :
« Il parloit avec liberté , dit M. Collini , de la religion
>>dont les ministres l'avoient persécuté ; mais il pensoit que
> l'on doit du respect à toutes celles qui sont autorisées par
» les lois. Il n'aimoit point l'intolérance religieuse , poli-
» tique et littéraire. Sa correspondance avec le cardinalde
>>Bernis , l'abbé Moussinot, l'abbé Prevost , le P. Menou ,
>>prouve qu'il respectoit les ministres des autels lorsqu'ils
» n'étoient pas des instrumens de persécution . S'il passa
» quelquefois les bornes de la prudence , c'est qu'ily fut forcé
> par de misérables querelles , dont il n'étoit jamais le provo-
>>cateur ; si on l'avoit laissé vivre tranquille , il n'auroit
>>jamais écrit cet amas de pièces peu édifiantes. »
Sans nous arrêter à la contradiction qui exista si constamment
entre les écrits de M. de Voltaire , et les principes
que lui suppose ici M. Collini , faisons quelques observations
sur ces ministres des autels pour lesquels il avoit
tant de respect : il n'eut avec le cardinal de Bernis que des
liaisons de société , et dans sa vieillesse il rejeta les salutaires
conseils de ce prélat. On peut voir par leurs lettres impriAOUT
1807 . 255
mées , que le philosophe respectoit l'homme en place , et
non le prêtre. L'abbé Moussinot étoit chargé d'affaires de
M. de Voltaire à Paris ; et ce dernier , loin de le respecter ,
lui donnoit ses ordres très -lestement . L'abbé Prevost n'avoit
d'un prêtre que le nom : il voulut pour de l'argent faire
l'apologie de M. de Voltaire ; mais le philosophe , sans
l'estimer beaucoup , refusa ses services intéressés. Le
P. Menou n'eut de relations avec lui que pour éprouver
ses sarcasmes et ses calomnies . Voilà donc ces ministres des
autels pour lesquels on nous disoit que M. de Voltaire
avoit tant de respect ! Il faut , après cet examen , laisser
M. Collini assurer qu'on suscita à son patron de misérables
querelles , parce qu'on voulut réprimer sa licence
et son impiété ; il faut lui laisser dire que les ouvrages
anti-religieux de l'auteur du Dictionnaire Philosophique
ne sont que peu édifians : on sait à quoi s'en tenir sur
tout cela.
Ces Mémoires sont écrits avec une certaine naïveté d'expression
et de sentiment qui les fait lire sans fatigue. Le style
n'en est pas très-correct ; mais on doit excuser un Italien
qui a passé une grande partie de sa vie en Allemagne , s'il
ne parle point la langue française avec pureté . Le titre de
ce livre le fera rechercher ; et il sera mis au rang de ces
brochures qui amusent un moment , mais qu'on ne lit pas
deux fois. P.
SUR LA PEINTURE.
LES Grecs , à qui nous devons tout , perfectionnèrent la
peinture comme les autres arts , et la portèrent au même
degré d'excellence que la sculpture ; mais le temps , qui a
conservé un grand nombre de statues antiques , ne nous a
laissé aucun monument célèbre des peintres anciens . Nous
n'avons que les productions de quelques décorateurs du dernier
âge ; et cependant ces productions , qui sans doute passoient
alors pour très-médiocres , et qui ne peuvent être
que des copies ou des imitations imparfaites des ouvrages
des grands maîtres , offrent pour la plupart un dessin noble
et correct , de grandes pensées , et des passions bien expri--
mées. Ces qualités sont plus ou moins remarquables dans
les peintures trouvées à différentes époques , telles que celles
des grottes, lesmosaïques de Palestrina , la noce aldobrandine,
les fresques de la pyramide de Cestius , et notamment
256 MERCURE DE FRANCE ,
1
celles d'Herculanum , beaucoup plus nombreuses et plus
variées . Plusieurs de ces dernières font admirer en outre
une vivacité , une fraîcheur de coloris que vingt siècles n'ont
pu altérer , et qui rendent croyable tout ce que les anciens
racontent de l'illusion merveilleuse que produisoient les
tableaux de quelques- uns de leurs grands peintres .
Ilparoît que ce bel art , parvenu à son plus haut degré de
perfection au milieu du siècle d'Alexandre , necessade déclinerdans
les âges suivans; car depuisce temps , jusqu'à l'entier
asservissement de la Grèce par les Romains, et depuis cette
dernière époque jusqu'aux irruptions des Barbares , on ne
trouve aucun nom célèbre dans la peinture. La sculpture ,
plus heureuse , plus encouragée peut-être , produisit , à de
longs intervalles , quelques monumens qui rappelèrent
les beaux temps de l'art. Le groupe du Laocoon est , suivant
Pline , du second siècle de l'ère chrétienne ; et le témoignage
de cet homme célèbre , se trouve confirmé par les observations
des habiles sculpteurs modernes , qui remarquent
dans ces figures , et dans quelques autres également parfaites
d'exécution ( 1 ) , un style moins sévère , un caractère de
formes moins naïf , moins sublime que dans les statues vraiment
grecques , et qui sont en très-petit nombre .
Tout porte à croire qu'à cette dernière époque de la
sculpture , les peintres ne jouissoient depuis long-temps que
de peu de considération , et n'étoient guère employés qu'à
décorer les maisons de campagne et les palais des grands
de Rome. Réduits par de semblables travaux à la partie
mécanique de l'art , éloignés de l'étude de la nature , asservis
aux caprices et au mauvais goût des riches qui les payoient ,
sans espérance et sans amour de la gloire , leur dégénération
dût être rapide ; et les troubles qui ne cessèrent d'agiter
l'Occident , achevèrent de la rendre sans ressource .
Exilés de Rome par les Barbares , les beaux arts se réfugièrent
dans le Bas-Empire , où ils languirent long-temps
au milieu des discordes civiles et des troubles de toute espèce
qui le déchiroient. Cependant , on ne cessa point d'y cultiver
la peinture , puisqu'en 1240 , des peintres grecs , mandés
par le sénat de Florence , la rapportèrent en Italie . Cimabué
(1 ) Par exemple , la Vénus de Médicis , les deux Antinoüs, les deux
Gladiateurs , sont , suivant les habiles connoisseurs , des statues de ce derpier
âge : l'Apollon du Belvédère ne seroit lui-même qu'une copie exécutée
dans ce même temps , et dont le type grec original devont être en bronze.
On ne peut nier que toutes ces conjectures ne soient appuyées de raisonnemens
assez forts , et qui pourroient fournir matière à une dissertation
intéressante.
instruit
AOUT 1807 . 25 LA
SEIN
instruit par leurs leçons , fut le premier qui s'y distingua;
le Giotto fut son disciple , et en forma d'autres . Tous ces
peintres peignirent à fresque et à la détrempe. Ce ne fut
qu'au commencement du quinzième siècle que la découverte
de la peinture à l'huile sembla leur ouvrir une plus
vaste carrière , en leur procurant des moyens nouveaux.
Dans la détrempe et la fresque , les clairs avoient trop
crudité , les bruns n'étoient pas assez vigoureux . L'huile , au
contraire , tempère les clairs , les rend tendres et semblables
à la chair , donne de la force aux bruns et du relief aux figures .
La découverte de cet admirable procédé est due , dit - on ,
à un Flamand , nommé Van-eik ; plusieurs cependant lui
en contestent la gloire . Quoi qu'il en soit , Antoine de Messine
, en 1430 , fut le premier italien qui peignit à l'huile ,
et André Verrochio , en 1460 , se rendit célèbre par un
dessin plus correct et par la grace de ses têtes . Ce dernier
fut maître de Léonard de Vinci et de Perrugin , qui le
devint à son tour de Raphaël , le premier des peintres
romains , et de tous les peintres du monde .
A cette époque la plus brillante pour l'école d'Italie ,
P'école française n'existoit point encore. Les Allemands , plus
heureux , cultivoient déjà la peinture avec succès . Du temps
de Raphaël florissoit Albert Durer , qui mérita son estime
preuve la plus éclatante de ses talens ; Holbein le suivit
de près ; mais ces deux grands hommes ne furent point
remplacés , et ce ne fut que vers la fin du seizième siècle ,
époque de la naissance de l'école française , que l'école flamande
jusque-là obscure et languissante , commença à jeter
de l'éclat .
Ainsi , depuis le siècle de Léon X , jusqu'à celui de
Louis XIII , l'école d'Italie fut sans rivale , et marchant de
succès en succès , ne se vit disputer qu'à cette époque , une
palme qu'on ne put cependant lui arracher. Elle conserva
celte prééminence jusqu'au milieu du siècle dernier , époque
de son entière décadence . Dans le coup d'oeil rapide que
nous avons le projet de jeter sur cette école , ( 1 ) la plus an-
( 1 ) Ce nom générique d'école d'Italie comprend six parties ou pays , qui
tous ont leur nom et un caractère particulier . On distingue l'école
romaine , les écoles florentine , vénitienne , lombarde , napolitaine , gêboise
; mais il est vrai de dire que le même goût se fait sentir dans tous les
buvrages des Italiens , et qu'ils ne se sont distingués que par leur wanière
de peindre. Dans ces six divisions , les quatre premières sont seules rema! -
quables , bien que les deux autres aient produit quelques peintres recommandables
; mais c'est moins l'histoire des peintres que celle de la peinture
dont nous voulons offrir un rapide t bleau .
R
246 MERCURE
DE FRANCE ,
Accompagné , je fais du bien.;
Mais je plains qui m'a seul , il est un pauvre sire ;
Et , s'il m'est permis de le dire ,
Il a toujours un sot maintien .
J'ai pourtant du pouvoir ; dans plus d'une contrée
Je suis connu , chacun chez soi me donne entréé .
Le plus riche marchand
M'accueille à bras ouvert , et mon secours implore ,
En cela bien pensant ,
Devenant avec moi dix fois plus riche encore.
Je pourrois ajonter
Que , malgré ma vieillesse ,
L'abbé , le financier , le marquis , la duchesse ,
Me font aussi leur cour ; mais pourquoi m'en vanter ?
Rien ne peut m'émouvoir ; je suis toujours le même ,
Petit individu
A mine ronde et blême ,
De noir , en général , presque toujours vêtu .
LOGOGRIPHE.
EN de certains pays bienheureux qui me porte ,
En France on me respecte , on me craint à la Porte.
J'ai six pieds bien comptés , dont toute la valeur ,
Je puis vous l'assurer , consiste en la couleur :
Si vous les partagez , prenez garde à ma tête ;
Souvent elle épouvante et fait fuir mainte bête .
Si vous la renversez , on la craint dans les eaux ;
En la décapitant , elle est un des métaux .
Quant à ma queue , on la trouve cstimable ,
Selon que plus ou moins elle est considérable .
A montout est pendu ce signe précieux ,
Qui , tout ainsi que moi , fait bien des envieux .
CHARADE.
D'UNE Conjonction l'on forme mon premier ;
L'on se vêtit de mon dernier ;
L'on craint la dent de mon entier .
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Langue.
Celui du Logogriphe est Corniche , où l'on trouve Roch ( Saint ) ,
niche , Nice.
Celui de la Charade est Main-morte.
AOUT 1807 . 247
Mon Séjour auprès de Voltaire , et Lettres inédites que
m'écrivit cet homme célèbre jusqu'à la dernière année de
sa vie ; par Côme-Alexandre Collini , historiographe et
secrétaire intime de S. A. S. l'Electeur Bavaro- Palatin ,
et membre des Académies de Berlin , de Manheim , de
l'Institut de Bologne , etc. Un vol . in- 8° . Prix : 5 fr. ,
et 6 fr. 50 c . par la poste . A Paris , chez Léopold Collin ,
libraire , rue Gît-le- Coeur , n° . 4 ; et chez le Normant.
Nous avons déjà un grand nombre de Mémoires sur la
vie de M. de Voltaire : tous ont été lus avec avidité . Quels
que fussent l'opinion et les principes des lecteurs , ils ont
voulu connoître les détails de la vie d'un homme qui eut un
si grand ascendant sur ses contemporains. On a observé avec
raison qu'une Vie bien faite de M. de Voltaire seroit la
meilleure histoire des erreurs du dix-huitième siècle : cet
ouvrage est encore à faire . Quand on l'entreprendra , les
matériaux ne manqueront pas . Une multitude innombrable
de lettres , des Mémoires écrits sur tous les tons , les relations
qui paroîtront encore ( car peu de personnes ont fait le
voyage de Ferney sans écrire leur journal ) ; enfin , des renseignemens
de toute espèce aideront l'écrivain qui se chargera
de ce travail.
:
L'ouvrage que nous annonçons n'ajoutera presque rien
aux conoissances que nous avons déjà sur cet objet. M. Collini
a été le secrétaire de M. de Voltaire ; il lui a dû sa fortune
la reconnoissance l'a nécessairement empêché de
dire la vérité tout entière , et la probité s'est opposée à ce
qu'il révélât des secrets qu'il devoit à une confiance intime .
Il est vrai qu'à la fin du dix-huitième siècle , on vit paroître
des Mémoires où l'on abusoit des confidences de l'amitié ,
où l'on déshonoroit les femmes , où l'on flétrissoit les maisons
dans lesquelles on avoit été admis , où enfin l'on couvroit
de ridicule , et l'on déchiroit ses bienfaiteurs ; mais
M. Collini , loin de pratiquer ces affreux principes , auxquels
tant de Mémoires particuliers ont dû leur succès , n'a
cherché qu'à faire valoir son héros : il l'a toujours présenté
sous l'aspect le plus favorable ; et s'il n'est point parvenu à
le justifier sur plusieurs points , c'est que la chose étoit
impossible. Nous aurons lieu de remarquer la foiblesse de
ses efforts dans cette partie de son ouvrage .
Quoique la relation de M. Collini ne fournisse que des
4
248 MERCURE DE FRANCE ,
détails peu importans sur la vie de . M. de Voltaire , elle ne
manque cependant pas d'intérêt . L'auteur raconte l'histoire
de sa jeunesse. Avant d'être placé chez M. de Voltaire , il fit
un assez long séjour à Berlin : la manière dont il se produisit
est curieuse à remarquer ; elle peut fournir quelques
traits caractéristiques des moeurs du siècle , et donner une
idée assez juste du traitement qu'éprouvoient à la cour de
Prusse les gens de lettres et les artistes .
M. Collini , appartenant à une famille honnête de Florence
, avoit été destiné au barreau par ses parens . Ses goûts
ne s'accordoient pas avec cette destination : il étoit passionné
pour la littérature. Après avoir achevé ses études à l'Université
de Pise , il étoit sur le point de prendre le degré de
docteur , lorsque son père mourut. Cette perte , en lui causant
beaucoup de chagrin , ne fit qu'augmenter son dégoût
pour un état qu'on avoit voulu lui faire embrasser malgré
fui. Il saisit la première occasion d'y renoncer. Un de ses
amis fort riche alloit faire un voyage en Suisse : il proposa à
M. Collini de l'accompagner . Ce dernier , sans prévenir ses
parens , accepta cette offre , et partit avec le dessein de ne plus
paroître dans son pays , où il auroit fallu exercer l'état
d'avocat.
Le jeune fugitif s'arrêta à Coire , pour réfléchir au parti
qu'il prendroit. Forcé de vivre avec économie , il quitta une
bonne auberge dans laquelle il s'étoit d'abord logé , pour se
réfugier dans un galetas , où il fut consolé par la société
d'une femme qui venoit plaider en séparation . Quoiqu'elle
parlât une autre langue que M. Collini , ils s'entendirent
bientôt. On verra par la suite que l'auteur avoit beaucoup
de penchant pour les jeunes femmes séparées de leurs maris.
Cependant , la société de cette dame , quoique très-agréable ,
ne calmoit pas l'inquiétude de M. Collini , qui , comme
presque tous ses compatriotes , avoit un esprit d'ordre et de
prévoyance qui ne l'abandonnoit jamais .
:
La cour de Prusse étoit regardée alors comme l'asile des
lettres ceux qui les cultivoient y faisoient leur fortune ; et
l'exemple d'Algarotti devoit séduire un jeune Italien qui
n'avoit d'autre titre qu'un goût passionné pour la littérature .
M. Collini enthousiasmé de cette idée , mais ne sachant
quels moyens employer pour la mettre à exécution , se
rappela très-heureusement qu'il avoit vu à Florence une
signora dont la soeur , connue sous le nom de la Barberina ,
étoit danseuse de l'Opéra de Berlin , et passoit pour jouir
d'un grand crédit. Il écrivit à cette signora , ainsi qu'à ses
parens. L'une lui envoya une lettre de recommandation
AOUT 1807 . 249
pour la danseuse ; les autres , approuvant son projet , lui
firent passer une lettre-de- change pour les frais de son
voyage. M. Collini alla donc chercher fortune à Berlin .
:
La Barberina le reçut fort bien , et promit de s'occuper
de lui il apprit d'elle les moyens qu'on avoit employés
pour l'attirer en Prusse . Rien de plus singulier que ces
détails : M. de Voltaire n'a fait que les indiquer dans ses
Mémoires .
Mlle Barberina dansoit sur l'un des théâtres de Venise.
Le roi , instruit de ses talens , chargea son ministre de l'engager
pour Berlin . Elle fit une réponse verbale que le
ministre regarda comme un consentement. Cependant la
danseuse vivoit avec un Anglais qui s'opposa tant qu'il le
put à ce projet , et qui vouloit la ramener à Londres . Elle
penchoit pour ce parti , et refusoit de signer son engagement.
Le ministre de Prusse la fit enlever de force , et elle
fut conduite à Berlin par des soldats . Le roi , malgré cette
manière un peu violente d'attirer les talens à sa cour, la
reçut fort agréablement ; et l'un des ministres lui présenta
un engagement où ses appointemens étoient en blanc , et
devoient être fixés par elle. La Barberina eut la modestie
de ne demander d'abord que dix-huit mille livres , et , s'il
faut en croire M. de Voltaire , elle obtint par la suite une
augmentation de quatorze mille livres . Ainsi cette danseuse ,
suivant ce dernier , touchoit à elle seule plus que trois ministres
d'Etat ensemble .
M. de Voltaire arriva alors à Berlin , pour y jouir d'une
faveur aussi grande qu'elle fut courte. Le jeune Florentin
forma aussitôt le projet de s'attacher à un homme si célèbre.
Mais comment parvenir jusqu'à lui ? M. Collini devoit à
une danseuse l'agrément dont il jouissoit à Berlin ; il espéra
qu'une cantatrice pourroit lui procurer ce qu'il desiroit avec
tant d'ardeur. Mlle Astraa , à laquelle il fut présenté , promit
de parler de lui à M. de Voltaire : elle s'acquitta de cette
commission , et parvint , au bout d'un an , à faire recevoir
son protégé en qualité de secrétaire . M. Collini , au comble
de ses voeux , se livra au travail qui lui fut imposé. Ses
principales fonctions étoient de copier des ouvrages commencés
, des pièces fugitives , et d'écrire des lettres sous
la dictée ; dans d'autres momens , il lisoit des auteurs italiens
. M. de Voltaire s'occupoit alors du poëme de la Loi
Naturelle, de l'Orphelin de la Chine , du Siècle de Louis XIV,
et du quatorzième chant d'un poëme qu'il n'osoit encore
montrer . M. Collini ne donne aucun détail sur ces différens
ouvrages . Il dit seulement qu'où les lui fit copier plusieurs
256 MERCURE DE FRANCE ,
celles d'Herculanum , beaucoup plus nombreuses et plus
variées . Plusieurs de ces dernières font admirer en outre
une vivacité , une fraîcheur de coloris que vingt siècles n'ont
pu altérer , et qui rendent croyable tout ce que les anciens
racontent de l'illusion merveilleuse que produisoient les
tableaux de quelques-uns de leurs grands peintres .
Il paroît que ce bel art , parvenu à son plus haut degré de
perfection au milieu du siècle d'Alexandre , ne cessa de décliner
dans les âges suivans ; car depuis ce temps , jusqu'à l'entier
asservissement de la Grèce par les Romains , et depuis cette
dernière époque jusqu'aux irruptions des Barbares , on ne
trouve aucun nom célèbre dans la peinture. La sculpture ,
plus heureuse , plus encouragée peut -être , produisit , à de
longs intervalles , quelques monumens qui rappelèrent
les beaux temps de l'art. Le groupe du Laocoon est , suivant
Pline , du second siècle de l'ère chrétienne ; et le témoignage
de cet homme célèbre , se trouve confirmé par les observations
des habiles sculpteurs modernes , qui remarquent
dans ces figures , et dans quelques autres également parfaites
d'exécution ( 1 ) , un style moins sévère , un caractère de
formes moins naïf , moins sublime que dans les statues vraiment
grecques , et qui sont en très-petit nombre .
Tout porte à croire qu'à cette dernière époque de la
sculpture , les peintres ne jouissoient depuis long-temps que
de peu de considération , et n'étoient guère employés qu'à
décorer les maisons de campagne et les palais des grands
de Rome. Réduits par de semblables travaux à la partie
mécanique de l'art , éloignés de l'étude de la nature , asservis
aux caprices et au mauvais goût des riches qui les payoient ,
sans espérance et sans amour de la gloire , leur dégénération
dût être rapide ; et les troubles qui ne cessèrent d'agiter
l'Occident , achevèrent de la rendre sans ressource .
Exilés de Rome par les Barbares , les beaux arts se réfugièrent
dans le Bas-Empire , où ils languirent long-temps
au milieu des discordes civiles et des troubles de toute espèce
qui le déchiroient. Cependant , on ne cessa point d'y cultiver
la peinture , puisqu'en 1240 , des peintres grecs , mandés
par le sénat de Florence , la rapportèrent en Italie . Cimabué
(1 ) Par exemple , la Vénus de Médicis , les deux Antinou , les deux
Gladiateurs , sont , suivant les habiles connoisseurs , des statues de ce dernier
âge : ' Apollon du Belvédère ne seroit lui -même qu'une copie exécutée
dans ce même temps , et dont le type grec original devoit être en bronze.
On ne peut nier que toutes ces conjectures ne soient appuyées de raisonnemens
assez forts , et qui pourroient fournir matière à une dissertation
intéressante.
instruit
AOUT 1807. 25 LA
:
SEINI
T
instruit par leurs leçons , fut le premier qui s'y distingua,
leGiotto fut son disciple , et en forma d'autres . Tous ces
peintres peignirent à fresque et à la détrempe. Ce ne fut
qu'au commencement du quinzième siècle que la découverte
de la peinture à l'huile sembla leur ouvrir une plus
vaste carrière , en leur procurant des moyens nouveaux
Dans la détrempe et la fresque , les clairs avoient trop de
crudité , les bruns n'étoient pas assez vigoureux. L'huile , au
contraire , tempère les clairs , les rend tendres et semblables
à la chair, donne de la force aux bruns et du relief aux figures .
La découverte de cet admirable procédé est due , dit-on ,
à un Flamand , nommé Van-eik ; plusieurs cependant lui
en contestent la gloire. Quoi qu'il en soit , Antoine de Messine
, en 1430 , fut le premier italien qui peignit à l'huile ,
et André Verrochio , en 1460 , së rendit célèbre par un
dessin plus correct et par la grace de ses têtes . Ce dernier
fut maître de Léonard de Vinci et de Perrugin , qui le
devint à son tour de Raphaël , le premier des peintres
romains , et de tous les peintres du monde.
A cette époque la plus brillante pour l'école d'Italie ,
Pécole française n'existoit point encore. Les Allemands , plus
heureux , cultivoient déjà la peinture avec succès . Du temps
de Raphaël florissoit Albert Durer , qui mérita son estime ,
preuve la plus éclatante de ses talens ; Holbein le suivit
de près ; mais ces deux grands hommes ne furent point
remplacés , et ce ne fut que vers la fin du seizième siècle ,
époque de la naissance de l'école française , que l'école flamande
jusque-là obscure et languissante , commença à jeter
de l'éclat .
Ainsi , depuis le siècle de Léon X , jusqu'à celui de
Louis XIII , l'école d'Italie fut sans rivale , et marchant de
succès en succès , ne se vit disputer qu'à cette époque , uné
palme qu'on ne put cependant lui arracher. Elle conserva
cette prééminence jusqu'au milieu du siècle dernier, époque
de son entière décadence. Dans le coup d'oeil rapide que
hous avons le projet de jeter sur cette école , (1) la plus an
(1) Ce nom générique d'école d'Italie comprend six parties ou pays , qui
tous ont leur nom et un caractère particulier. On distingue l'école
romaine, les écoles florentine , vénitienne , lombarde , napolitaine , gêboise
; mais il est vrai de dire que le même goût se fait sentir dans tous les
buvrages des Italiens , et qu'ils ne se sont distingués que par leur wanière
de peindre . Dans ces six divisions , les quatre premières sont seules remarquables
, bienque les deux autres aient produit quelques peintres recommandables
; mais c'est moins l'histoire des peintres que cellede la peinture
dont nous voulons offrir un rapide tableau .
R
258 MERCURE DE FRANCE ,
cienne , la plus féconde , et qui s'est le plus approchée de
Ja perfection . Nous rous bornerons à caractériser , par
quelques traits , les principaux peintres de chacune de ses
divisions , à établir en peu de mots leurs rapports les uns
avec les autres , et les qualités différentes qui les distinguent.
Nous croyons que ce ssoonntt sur-tout ces caractères généraux
qu'il importe de bien saisir pour étudier avec fruit l'histoire
de l'art.
Raphaël fut le chef de l'école romaine : elle reçut de ce
grand homme la sévérité du style , la correction et la pureté
du dessiinn ,, et par ces deux qualités , obtint le premier rang.
E'ève du Perrugin , qu'il avoit bientôt surpassé , il abandonna
tout-à- fait la manière de son maître à la vue des cartons
que Michel-Ange et Léonard de Vinci avoient faits
pour le palais des ducs à Florence. Présenté au pape
Jules II , par le fameux architecte Bramante son parent , il
eut , dès ses premiers pas dans la carrière , une occasion
brillante de développer les dons précieux qu'il tenoit de
l'étude , et plus encore de la nature. Il fut employé à peindre
dans les loges du Vatican , et débuta par l'Ecole d'Athènes ,
composition noble , riche , élégante , où il rassembla les
plus grands personnages de l'antiquité , et semble avoir été
inspiré par cette admirable antiquité , pour la pureté des
contours et la noble simplicité des attitudes . Il donna successivement
la Dispute du Saint-Sacrement , le Mont-Parnasse ,
et se vit bientôt sans maîtres et presque sans rivaux.
en
Jusque-là gracieux , naif , dessinateur correct , élégant ,
il n'avoit point encore la grandeur et la majesté. La vue de
la chapelle que peignoit alors Michel-Ange , développa
lui le germe de ces deux qualités. Il marcha depuis de chefd'oeuvre
en chef-d'oeuvre jusqu'au moment fatal où une mort
prématurée l'enleva aux arts, dont il étoit la merveille, et lors
qu'il s'occupoit de joindre à toutes les parties sublimes qu'il
possédoit déjà la couleur qu'il avoit jusqu'alors négligée. Son
tableau de la Transfiguration , la Sainte-Famille qu'il fit pour
Francois Lor, prouvent qu'il seroit parvenu à exceller également
dans cette partie .
Grace, correction , élégance ( qu'on nous pardonne de le
répéter ) , naïvetédans les expressions , noblesse et naturel
dans les attitudes , choix exquis dans les formes , élévation
dans les pensées , telles sont les qualités que possédoit
Raphaël ; et jamais peintre ne les a offertes réunies à un
degréaussi éminent. Jamais peintre ne connut comme lui
cet heureux mélange des plus belles formes qu'offre la
nature , et des conceptions idéales dont l'antiquité a laissé
AOUT 1807 . 259
les modèles . De ce mélange résulte le beau- composé dont
il a laissé des images qui n'ont point encore été égalées , et
qu'on ne surpassera sans doute jamais. Simple et sublime
dans ses caractères de tête , il est sur-tout admirable dans
celles dës vierges et des vieillards. Ses contours , malgré
leur pureté merveilleuse , semblent tracés avec une facilité ,
nous dirions presqu'une négligence qui répand sur ses compositions
un charme inexprimable. C'est le molle atque
facetumde Virgile , et les tableaux de l'un seront sans doute
aussi difficilement égalés que les vers de l'autre .
L'état de la peinture à cette époque dans toute l'Italie ,
amène naturellement une réflexion devenue triviale peutétre
à force d'être répétée , mais dont la justesse se trouve
confirmée par l'expérience de tous les siècles ; c'est que l'enfance
des arts , généralement longue et débile est toujours suivied'unejeunesse
rapide et brillante.Ade profondes ténèbres
succède tout-à-coup la plus vive lumière : les grands génies
naissent , pour ainsi dire , tous à la fois ; l'art s'élève dans
un moment à la perfection , et son déclin , qui dès-lors commence
insensiblement , n'est séparé de son enfance que
par un court intervalle. Si dans les temps qui suivent ces
époques fameuses , quelques génies heureux en soutiennent
encore la gloire , ils marchent cependant toujours à quelque
distance des premiers modèles,qui ne sont jamais surpassés
: cette vérité est sur-tout sensible dans la renaissance
de lapeinture chez les modernes. Avant même que Raphaël
eût élevél'école romaine au premier rang , Léonardde Vinci ,
Michel-Ange ,jetoient un grand éclat sur celle de Florence,
Léonard de Vinci , qui parut le premier , assujettit la peinture
à des règles certaines , et joignit l'exemple au précepte.
Michel-Ange , qui le suivit de près , fut grand dans
lapeinture , et excella sur-tout dans l'architecture et la sculpture.
Sa peinture est fière et terrible ; mais comme il a
cherché le difficile et le surprenant , plutôt que le noble et
le vrai , elle étonne plus qu'elle ne plaît. Grand anatomiste ,
il affectoit de charger trop les muscles et d'en outrer les
attitudes . S'il n'a pas été le peintre le plus parfait , il fit du
moins paroître le premier ce qu'il y avoit de plus grand
dans cet art : il ouvrit la route à Raphaël .
En même temps que ce grand homme , florissoient déjà
le Giorgion et le Tilien , ces princes de l'école vénitienne
qui surpassa toutes les autres par le coloris . L'école lombarde
, qui fut depuis la plus fameuse et la plus féconde en
peintres excellens , produisit bientôt après le Corrége , le
Primatice , le Polidore : ce Corrége , de qui l'on a dit qu'un
R2
260 MERCURE DE FRANCE ,
Ange sembloit conduire son pinceau ; ce Primatice , dont
le nom doit être cher à la France , à qui il apporta , avec le
Florentin Maître-Roux , le goût romain et les belles traditions
de la peinture !
Ces diverses écoles produisirent des peintres qui succédèrent
à leurs maîtres , et héritèrent d'une partie de leur
gloire et de leurs talens. A Venise , le Véronèse , si magnifique
et si grand ; le Tintoret, si fécond et si énergique ; à
Rome, Jules Romain , fier et correct; le Baroche , gracieux
et doux; Andrea Sacchi , le Feti , qui les suivirent ; a
Florence , André del Sarte , Daniel de Volterre , Maître-
Roux , Pietre de Cortone , etc. Mais ce fut sur-tout dans
l'école lombarde que la peinture brilla d'un éclat plus long
et plus durable. Le goût de cette école , maniéré dans son
origine, fut totalement changé , dans le siècle suivant , par
ce fameux Annibal Carrache , dont le dessin est si correct ,
la couleur si forte , les expressions si passionnées ; et tandis
que les autres écoles quittoient peu à peu la belle carrière
que leur avoient ouverte leurs premiers maîtres , la sienne ,
régénératrice des vrais principes , produisit une foule d'élèves
illustres , qui , pendant une longue suite d'années , furent la
gloire de l'Italie : l'Albane , le peintre des graces ;le Guide ,
qui joignit à cette grace l'élévation et la force , et qui seroit
parfait , si son dessin n'offroit pas un peu de manière ; le
Caravage, moins correct , mais plus énergique encore que
son maître ; le Guerchin , brillant et fécond ; enfin , le Dominiquin
, ce peintre sublime qui ne le cède qu'à Raphaël
pour l'élégance et la correction , et auquel on peut le comparer
pour les caractères et l'expression .
Ce n'est que vers l'époque de cette révolution dans l'école
lombarde , que l'on peut placer la naissance de l'école française
et les beaux temps de celle des Flamands . Albert
Durer et Holbein n'avoient laissé que de foibles héritiers
de leurs grands talens. Une imitation froide et mesquine de
la nature , undessin trivial et souvent incorrect , un pinceau
sec et léché , étoient les caractères de cette école. Cependant
elle avoit produit une suite non interrompue de peintres ,
dont plusieurs s'étoient exercés dans l'histoire : Blomaert
Martin de Vos , Porbus , Rothenamer , Otto-Venius , qui
fut le maître de Rubens , ne furent point des peintres
méprisables . La France , plus tardive , n'avoit eu depuis
François Ir que des peintres de portraits obscurs et médiocres;
et ce ne fut que vers le commencement du dixseptième
siècle , que Vouet et Jean Cousin jetèrent les
fondemens de l'école française , lorsque Rubens étonnoit
AOUT 1807 . 261,
l'Europe par ses chefs-d'oeuvre , et élevoit en France un
monument célèbre à la peinture , dans la fameuse galerie
du Luxembourg .
De l'école de Vouet sortirent bientôt le Brun et le Sueur :
le Brun , génie fécond , brûlant , élevé , et qui , par l'éciat
de ses compositions , obtint la première place dans l'estime
d'un monarque qu'entraînoient également le faste et la
grandeur ; le Sueur , plus correct , plus élégant , plus sage
dans ses pensées , plus sévère dans son style , que l'on
nomme à juste titre le Raphaël de la France , et qui mérita
une place très -près de ce grand homme : génie rare et
sublime , à qui il n'a manqué que de voir l'Italie pour
égaler peut- êire Raphaël , et qui , sans l'avoir vue , a surpassé
, pour le grand goût du dessin et la pureté des draperies
, presque tous ses peintres les plus renommés . Bientôt
la France compta une foule d'habiles artistes ; et Stella , la
Hire , Bourdon , Mignard , Jouvenet , tous contemporains.
et rivaux , contribuèrent à l'ornement et à la gloire du siècle
de Louis XIV.
Cependant , dès le temps de Vouet , la France avoit produit
un homme supérieur à tous ces hommes célèbres , qui
suivit une route nouvelle , et qui , dans la carrière qu'il
s'ouvrit , n'eut ni modèle ni rivaux : on devine que nous
voulons parler du célèbre Poussin . La France se glorifie de
lui avoir donné naissance ; mais l'Italie , qu'il adopta en
quelque sorte pour patrie , et au sein de laquelle il puisa ,
dans une profonde méditation de l'antique, les grandes
qualités qui le distinguent ; l'Italie , à juste titre peut-être ,
le regarde comme un de ses peintres , et l'arrache à notre
école. Il n'en est pas moins l'honneur éternel de son pays ,
le plus profond penseur , le génie le plus dramatique que la
peinture ait produit ; et bien que son exécution ne réponde
pas toujours à la beautéde lapensée, cette pensée , toujours.
si féconde , si poétique , subjugue , entraîne , et fait oublier
ceque son coloris (1 ) a souvent de triste et de faux . Il est à
la peinture ce que Tacite est à l'histoire .
Cette envieuse Italie compte encore parmi ses élèves deux
Français célèbres , et qui florissoient à cette même époque :
le Valentin , qui , séduit par la manière sombre et énergique
(1)Cettecouleur sombre et mélancolique que l'on retrouve dans presque
tous ses tableanx d'histoire , semble être plutôt le résultat d'un système.
qued'une manière fausse de voirla nature ; car ses paysages , où il a excelle
sont aussi adım rables pour la force et la vérité du coloris , que pour la
beauté de l'ordonnance.
:
3
262 MERCURE DE FRANCE ,
du Caravage , l'égala dans les effets , et le surpassa dans le
choix des formes ; le Lorrain , le premier des paysagistes ,
qui réunit dans ses tableaux la magnificence des scènes à
tous les prestiges des effets lumineux , et fut , dans son genre ,
ce que Raphaël avoit été dans le sien.
Tandis que l'école française s'élevoit sous Louis XIV,
les écoles d'Italie déclinoient; et celle des Lombards conservoit
seule de l'éclat sous le Guide et le Dominiquin , qui
vivoient encore. L'ecole flamande , à cette même époque ,
marchoit dans une autre carrière avec un grand succès ; et
sa gloire n'étoit point éclipsée par celle de ses rivales .
Rubens avoit déjà montré dans ses nombreux tableaux
d'histoire tout ce que la fougue du pinceau a de plus extraordinaire
, toutes les richesses du plus éclatant coloris. Fécond
et poétique dans ses pensées , grand dans l'ordonnance ,
brillant d'effetss,, plein dechaleur etde sentiment, il étonne,
il transporte , il entraîne ; on oublie malgré soi l'inconvenance
des costumes , le peu de noblesse des formes , les
incorrections même de son dessin. La toile respire , et commande
l'admiration .
Son école féconde en grands peintres n'en produisit aucun
qui , dans ce genre historique , pût lui être comparé. Gaspard
de Crayer et Jordaens , qui l'approchèrent de plus
près , marchèrent sur ses traces , sans oser s'écarter beaucoup
de sa manière. D'autres furent ses serviles imitateurs.
Vandick, son élève le plus célèbre , peignit cependant l'histoire
avec un grand succès , mais la négligea bientôt pour le
portrait, où ilfut excellent.Dans cegenre, il surpassa tous ceux
qui l'avoient précédé ; et parmi ses contemporains , Rembrandt
seul obtint une renommée égale à la sienne. Tous
deuxatteignirent le vrai par des routes entièrement opposées:
Vandick , par les moyens les plus simples , peignit la nature
dans sa sublime naiveté ; Rembrandt , sombre , énergique ,
là chercha , la saisit dans des situations piquantes , fortes ,
extraordinaires . Il fit un grand pas dans la science du clairobscur
; il offrit des moyens nouveaux aux coloristes , et ,
sous ce rapport , partagea la gloire de Rubens..
:Le goût et la manière de ces grands peintres dut avoir
naturellement une grande influence sur les élèves qui sortirent
de leurs écoles : bien qu'ils eussent vu l'Italie , ils
avoient été peu frappés de ses trésors d'antiquités ; et de
retour dans leur patrie , l'imitation exacte de la nature , souvent
même avec ses défauts , le charme du coloris , la science
des effets, avoient été l'unique objet de leurs études , et le
succès les avoit justifiés. Leurs élèves , la plupart attachés à
AOUT 1807 . 263
leur pays , d'où ils ne sortirent jamais , loin des grands
modèles du style et de la correction du dessin , entraînés
d'ailleurs par l'exemple de leurs maîtres , et par ce charme
inexprimable de la couleur et des effets, se livrèrent sans
réserve à cette imitation naïve et piquante de la nature.
Rien de ce qu'elle produit ne leur parut indigne de leurs
pinceaux; et l'on vit naître , si l'on peut s'exprimer ainsi , la
comédie et la pastorale de la peinture. Les scènes bourgeoises
et rustiques , les foires , les marchés , les danses , les places
publiques , les charlatans , les camps , les flottes , les animaux
, les fleurs , les fruits , enfin ttoout ce qui frappe les
yux fut étalé sur la toile. On avoit jusqu'alors admiré le
coloris éclatant des tableaux d'histoire sortis de cette école ;
dans ces nouvelles compositions , une combinaison plus
savante encore de la couleur et de la lumière , offritdes
effets encoreplus merveilleux. Alors se perfectionna cette
magiedu clair-obscur , cet art industrieux de répandre les
lumières elles ombres, tant sur les objets particuliers quedans
la masse d'un tableau , de manière que sur une superficie
plane , la vue s'enfonce , s'éloigne considerablement , quelquefois
se repose. Tout fut employé pour séduire l'oeil; les
groupes de lumières , le contraste de l'obscurité , les glacis ,
les reflets , lesdemi-teintes , les repoussoires : par un calcul
ingénieux , les clairs et les ombres se prêtèrent un mütuel
secours , et l'on rivalisa avec la nature , de vérité , d'éclatet
de fraîcheur. Une quantité de productions charmantes, fruins
du pinceau le plus précieux et du sentiment le plus exquis ,
sortirent de cette école, et firent les délices des amateurs .
LesBeschëm , les P. Potter, les Teniers , les Gerard-Don
Van-Velde , Wouwermans , et tant d'autres remplirent
l'Europe de leurs compositions aimables et variées .
on ,
Si nous comparons maintenant ces trois écoles entrelles ,
non-seulement nous pourrons saisir les caractères qui les
distinguent les unes des autres , mais encore les causes de
leurs différences. En Italie , une nature plus grande et plus
richê , un ciết plus pur , le développement parfait des
formes humaines , què favorise le climat , et, plus que tout
cela , les trésors de l'antique , durent nécessairement élever
Pame des peintres , leur inspirer un plus grand goût de
dessin , une plus belle ordonnance , des attitudes et des
expressions plus nobles . Telles sont en effet les qualités
dominantes dans cette école, qui cependant a produit de
grands coloristes. Mais il est important de remarquer que
les peintres les plus célèbres par lacorrection du dessin
ceux qui ont le plus négligé la couleur , tandis que ceux qui
sont
4
264 MERCURE DE FRANCE ,
s'y sont livrés , tels , par exemple , que les Vénitiens , des,
sinent moins bien , et n'ont point de style. Il semble , en
effet , que ces deux parties de l'art ne puissent s'allier parfaitement
ensemble , et que l'une doive perdre ce que l'autre
a gagné . Raphaël lui-même dessine moins purement dans
les tableaux où il a cherché la couleur .
Le goût flamand est la nature même , presque sans choix ,
et sans s'embarrasser de l'antique. Une couleur brillante ,
des effets de lumière vraiment magiques , une touche spirituelle
, délicate , précieuse ; voilà ses qualités principales .
Son dessin est généralement lourd , souvent incorrect , surtout
dans les tableaux d'histoire , et manque entièrement
de noblesse. Entraînés par l'imitation, les peintres fłamands
peignent de la nature jusqu'à ses défauts .
On peut dire que le goût français , plus noble que celui
des Flamands , moins élégant que le goût italien , tient le
milieu entre ces deux écoles . Les peintres français sentirent
qu'il ne falloit pas peindre la nature avec ses imperfections ;
mais , trop éloignés des restes de l'antiquité pour pouvoir
Ja rectifier sur ces modèles naïfs et sublimes de la plus belle
nature , ils substituèrent à l'imitation exacte un dessin maniéré
et systématique , qui n'avoit qu'un faux éclat , et qui
perdit bientôt l'école. Le Brun , qui passoit de son temps
pour le plus grand peintre , contribua beaucoup à faire
adopter cette manière fausse et brillante. Le Sueur , beaucoup
moins célèbre , et plus digne de l'être , n'ent point
d'imitateurs , et resta seul attaché aux véritables principes
de l'art.
L'école d'Italie , qui n'avoit cessé de décliner depuis le
coinmencement du dix-septième siècle , s'éteignit entièrement
dans le dix-huitième : Carlo Maratti et Ricci furent
ses derniers peintres que l'on puisse citer. On ne doit pas
oublier cependant Raphaël Mengs , qui vint après eux , et
qui , quoiqu'Allemand de naissance , a étudié en Italie. Ce
peintre , copiste servile et froid , et souvent peu judicieux ,
de l'antique , eut une destinée contraire à celle de beaucoup
de génies , persécutés de leur vivant , et déifiés après leur
mort: il jouit , tant qu'il vécut, de la plus éclatante célébrité ,
fut comparé à ce que la peinture avoit de plus grand , et
vient d'être justement placé par la postérité au rang des
peintres médiocres.
L'école flamande , si florissante , au contraire , tandis que
celle d'Italie languissoit , s'éteignit comme elle , tout-à-coup ,
au commencement du dix - huitième siècle : ses grands
maitres ne laissèrent pas un seul de leurs élèves digne de
AOUT 1807 . 265
leur succéder. L'imitation servile de la touche , de la couleur
et des autres procédés de l'art , devint l'unique objet de leurs
études ; et ces froids élèves se bornèrent à copier les tableaux
de tant de peintres charmans qui n'avoient copié que la
nature.
L'état de misère et de foiblesse dans lequel tomba successivement
l'Italie , explique naturellement la décadence de
son école ; mais il est une autre cause de cette décadence ,
moins apparente , qu'on n'a peut-être pas encore remarquée ,
et qui fut commune aux deux écoles de Flandre et d'Italie :
ce fut l'abondance des chefs -d'oeuvre produits par les grands
maîtres , qui joignoient presque tous une grande fécondité à
L'excellence de leur travail. Ces richesses rendirent dédaigneux
, difficile sur les productions modernes : les peintres
vivans furent négligés , critiqués ; et le génie , sans encouragement
et sans récompense , s'éteignit avant d'avoir pu
se développer .
,
La chute de l'école française , si heureusement régénérée
à la fin du siècle dernier , tient à des causes différentes de
celles que nous venons de présenter. Les chefs de cette école
avoient adopté , comme nous l'avons dit , un goût de dessin
systématique qui n'étoit ni l'imitation naïve des Flamands ,
ni la nature rectifiée par l'antique , telle que l'avoient imitée
les Italiens. Ce système faux et arbitraire avoit l'inconvénient
funeste de ne laisser aux élèves aucun type certain
aucune marche régulière. L'antique ne servant plus de
guide , et la nature telle qu'elle s'offroit paroissant trop
pauvre aux peintres qui les suivirent , chacun d'eux ne
consulta que son caprice dans le caractère des formes qu'il
adopta; et bien que la France , plus opulente , continuâtd'accorder
une protection constante aux arts , la peinture déclina
bientôt d'une manière effrayante : le dessin , plus maniéré
encore sous le pinceau des.Lemoyne , des Coypel , des Subleyras
, devint ignoble et trivial dans l'école des Vanloo et
des Boucher ; et vers les derniers temps de ces hommes malheureusementtrop
célèbres , l'incorrection et la bizarrerie furent
portées àuntelexcèsde ridicule,que les bons esprits commencèrent
à s'en réjouir , jugeant bien que le dégoût etle
mépris que devoient inspirer de semblables travers , ne pouvoient
manquer d'amener une révolution. En effet , sur la
fin du règne de Louis XV , l'afféterie dans les formes , dans
les attitudes , la bizarrerie des costumes et des compositions ,
P'absurde lazzis de la touche avoient amené l'art à un point
de dégradation pire que la barbarie ; et il s'éleva de tous
côtés des cris contre les folies du genre moderne , Alors
266 MERCURE DE FRANCE ,
!
t
parut un homme qui , doué d'un espritjuste etd'un grand
amour pour l'art , osa secouer les entraves du système académique
, étudia l'antique , enfin la règle de ses travaux ; et
bravantlesclameurs et les préjugés de son école , marcha dans
la route abandonnée depuis si long-temps : c'étoit le célèbre
Vien. Il eutde grands succès ; tous les yeux s'ouvrirent , et
la révolution fut rapide. Son école fut la plus suivie; et dèslors
on espéra qu'ily naîtroit quelque heureux talent qui
marcheroit d'un pas plus ferme encore dans la carrière
qu'il venoit d'ouvrir .
Cet espoir a été réalisé ( 1 ) : l'école française , maintenant
la seule florissante , rappelle presque les beaux jours de
celle d'Italie , et offre déjà des noms (2) et des chefs-d'oeuvre
que l'on peut placer auprès de ses plus grands noms et de
ses productions les plus parfaites. Elle parviendra sans doute
au même degré d'excellence et de gloire , si ces maîtres
habiles peuvent persuader à cette jeunesse ardente qui travaille
sous leurs yeux , et que doivent animer leurs exemples
, de mêler à l'étude assidue qu'elle fait de l'antique , un
peu plus d'observation de la nature. L'abus de ce qu'il y a
de plus excellent peut devenir nuisible. Il est un point dans
les choses, en-deçà et au-delà duquel on est également hors
du beau. L'imitation de l'antique poussée trop loin , devient
une copie froide et inanimée; et la nature seule peut répandre
sur les productions des beaux arts la chaleur et la
vie.
Viedu Comte de Munnich , général-feld- maréchal au service
de Russie ; ouvrage traduit librement de l'allemand de
Gérard - Antoine de Halem. AParis , chez H. Nicolle -
et Comp , libraires , rue des Petits - Augustins; et chez
leNormant.
LES Vies des personnages célèbres inspirent ordinairement
un intérêt plus vifque les histoires générales. Celles-ci
ouvrent , à la vérité , une carrière plus vaste au talent de
l'écrivain : c'est là qu'il montrera dans tout son jour cet
esprit d'ordre et de sagacité , ce coup-d'oeil sûr et perçant
qui répand la lumière sur les faits, en montrant les liens
secrets qui les unissent et les rendent dépendans les uns des
-
(1) M. David est élève de M. Vien .
(2) MM. Girodet , Gros , Gérard et Guérin.
AOUT 1807. 267
autres , et qui découvre dans leurs principes les plus cachés
les causes éloignées des révolutions des empires ; c'est là
qu'il développera toutes les richesses d'un style simple avec
noblesse , et brillant sans affectation , qui s'élève sans effort
avec le sujet , et prend successivement le ton et la couleur des
époques qu'il décrit. Mais , quelle que soit l'étendue de
ses talens et la beauté du sujet qu'il aura entrepris de
traiter , il sera presque impossible que la multitude des
événemens ne finisse point par fatiguer quelquefois l'attention
du lecteur : tant de personnages qui se pressent et qui se
succèdent sans cesse , finiront par se nuire mutuellement et
par s'effacer les uns les autres. Obligé de restreindre la place
que chacun doit occuper dans cette longue galerie , àpeine
fui en restera-t-il assez pour les marquer de ces traits distinctifs
, qui seuls peuvent leur donner l'ame et la vie.
La peinture fidelle et énergique des moeurs , des passions
des caractères , voilà sur-tout ce qu'on cherche dans les récits
historiques , et ce qui les rend àla fois attachans et instructifs ;
voilà ce qu'on trouve dans les Vies particulières , bien plus
souvent que dans les grandes histoires. L'écrivain n'ayant à
y mettre en scène qu'un nombre assez borné de personnages,
peut les étudier chacun à loisir, et mettre tous ses soins
à les représenter avec fidélité : de plus , la nature de son
onvrage lui permet de recueillir scrupuleusement une foule
d'anecdotes et de petites maximes, qui sont particulièrement
propres à peindre les moeurs , mais qui paroîtroient minutieuses
et déplacées dans l'histoire générale d'une nation.
Ce sont des détails de ce genre , employés , il est vrai, avec un
goût et un discernement inimitables , qui font tout le mérite
des Vies de Plutarque. Cet écrivain ne peut être comparé aux
grands modèles de l'antiquité , ni pour la force et l'élévation
du style , ni pour la richesse des tableaux , ni pour ces
harangues éloquentes qui forment la partie la plus brillante
de leurs ouvrages. Néanmoins , parce qu'il a excellé à
peindre les caractères et les moeurs , il marche leur égal à
tous , et il est relu plus souvent qu'aucun d'eux. Il y a certaines
histoires générales qu'on ne lit guère d'un bout à
l'autre que parce qu'il faut s'instruire : on revient par goût
aux vies particulières , lors même qu'elles sont foiblement
écrites; et c'est sur-tout de ce genre d'histoire qu'on peut
dire : Historia quoquo modo scripta delectat.
de
Pour que la vie des personnages célèbres soit susceptible
ce degré d'intérêt qui élève nnaaturellement le talent de
l'écrivain , et qui peut même y suppléer quelquefois , il ne
suffit pas qu'ils aient fait de grandes choses ; il faut encore
268 MERCURE DE FRANCE ,
qu'ils se fassent remarquer par quelques-uns de ces traits
singuliers qui rendent un caractère digne d'une étude partculière.
Tels sont sur-tout les homines qui , sortis d'une
condition privée , n'ont dû qu'à eux-mêmes leur élévation
et leur fortune ; ceux dont les succès ont été mêlés de revers ,
et qui d'une grande élévation tombés tout - à - coup dats
l'adversité , ont mesuré toute l'inconstance de la fortune.
Tout cela se trouve dans la vie du comte de Munnich . On
a déjà vu ce grand personnage figurer dans plus d'un ouvrage
connu , particulièrement dans ceux de M. de Rulhière sur
la cour de Russie et sur les révolutions de Pologne ; mais
jusqu'à présent personne n'avoit entrepris d'écrire l'histoire
entièredesa vie : c'est un compatriote de Munnich, M. Gérard-
Antoine de Halem , qui s'est chargé d'élever ce monument à la
gloire d'un homme dont son pays s'honore. Les renseignemens
qu'il a recueillis à ce dessein , soit dans ce pays même ,
soit à Pétersbourg; ceux qu'il a obtenus du comte de Salm ,
gendre du feld-maréchal , sont des garans satisfaisans de la
vérité de sa narration. Je pense donc que le lecteur ne sera pas
faché de trouver ici , d'après cet ouvrage , une esquisse rapide
de la vie d'un homme non moins remarquable par la singu
larité des moeurs et du caractère , que par la carrière brillante
qu'il a remplie.
Burchard-Christophe de Munnich naquit le 9 mai 1685 ,
à Neuenhautorf , village situé environ à trois lieues de la
ville d'Oldenbourg. Son père , après avoir quitté le service
du Danemarck , avec le grade de lieutenant- colonel ,
remplissoit depuis plusieurs années les fonctions d'inspecteurgénéral
des digues des comtés d'Oldenbourg et de Delmenhort.
Il associa de bonne heure son fils à ses travaux : ce
fut à cette école que Munnich puisa ce goût et ce talent pour
les constructions hydrauliques , qui devoit être dans la suite
le principe de sa hautefortune. A l'étude des inathématiques,
auxquelles l'appeloient à la fois ses dispositions et la nature de
ses travaux, le jeune Munnich joignit celle du latin, et surtout
celle de la langue française, qui étoit déjà la langue de
l'Europe. Un voyage qu'il fit en France , à l'âge de 16 ans, lui
donna les moyens de se familiariser avec l'usage de cet
idiome , qu'il cultiva toute sa vie avec une prédilection particulière.
Ce fut en 1702, époque de la guerre de la succession , que
Munnich entra dans la carrière militaire. Il venoit d'être
nommé capitaine-cominandant d'une compagnie au service
du landgrave de Hesse. En cette qualité , il servit successivement
pendant l'espace de dix ans enAllemagne , en Italie , ot
۱
AOUT 1807 . 269
surtout en Flandre , où il assista à la prise de Lille , de
Gand, de Bruges et de Tournay. Il se distingua au sanglant
combat de Malplaquet , et y obtint le grade de lieutenantcolonel.
Il fut aussi blessé dangereusement , et fait prisonnier
à la bataille de Desain. Transporté en France , il y fut
traité avec distinction , et y reçut de tous côtés des préve
nances. Il eut sur-tout occasion de rendre de fréquentes
visites à Fénélon qui l'accueillit avec bonté. Munnich ,
dans sa vieillesse, se plaisoit à rappeler ses relations avec cet
illustre prélat , et conservoit la plus tendre vénération pour
sa mémoire.
2
Rendu bientôt après à la liberté , il retourna à son corps ,
fut fait colonel d'un régiment d'infanterie , et passa en 1716
au service d'Auguste II , roi de Pologne , qu'il quitta en 1721 ,
avec le grade de général-major , pour s'attacher définitivement
à la Russie.
C'étoit à l'époque où Pierre-le-Grand , voulant donner la
vie au colosse qu'il avoit créé , cherchoit partout hors de
ses Etats des hommes dignes d'être associés à ses travaux. Ceux
qui excelloient à la fois dans l'art de la guerre et dans celui
des constructions civiles et militaires , pouvoient voir s'ouvrir
auprès de lui une double source de fortune et de gloire. C'est
àces titres que Munnich , qui avoit imaginé un nouveau système
de fortification ,lui fut présenté , et obtint sur-le-champ
lapromesse de la place d'ingénieur-général , et de lieutenant
général d'infanterie : promesse qui eut son exécution peu de
temps après. Admis à accompagner l'empereurdans les courses
nombreuses auxquelles donnoient lieu son activité habituelle
et le soin qu'il apportoit à l'exécution de ses grands desseins ,
Munnich trouvoit journellement l'occasion de le convaincre
de sa vaste capacité ; mais c'est sur-tout du jour où l'exécution
du canal du lac Ladoga lui fut confiée , que sa faveur
commença à éclipser celle de ses rivaux.
Pour vivifier par l'industrie la ville qu'il avoit fondée , et
en faire le principal entrepôt du commerce de la Russie ,
Pierre ne devoit pas se contenter de faciliter la navigation
de la Nevva ; il falloit encore y faire arriver avec sûreté
les diverses marchandises qui , envoyées de la Perse , d'Astracan
et de Casan , étoient apportées par la rivière de Wolchowa.
Cette rivière se réunissant au lac Ladoga , environ
cent werstes plus haut que la Newa , pour établir entr'elles
une communication sûre et facile , on résolut de faire traverser
le lac par un canal. Cette grande entreprise , que
l'empereur avoit fort à coeur de voir terminée , avoit été
commencée dès 1719 ; mais comme elle ne se poursuivoit
270 MERCURE DE FRANCE ,
pas avec cette célérité qui commande la confiance , et qui est
le garant du succès, il résolut d'en ôter la direction au général
Grégoire Pizarew , à qui elle avoit été confiée d'abord ,
et de la donner à Munnich. Si cette préference combla les
voeux du jeune étranger, elle ne manqua pas non plus de lui
faire d'ardens ennemis , qui s'efforcerent de faire échouer ses
travaux , et de lui ôter une confiance qui leur sembloit une
usurpation. Heureusement , Munnich avoit dans Pierre un
juge éclairé , qui , doué de cette activité qui caractérise
L'homme vraiment fait pour régner , vouloit tout voir par ses
yeux. Les travaux de Munnich eurent son approbation ; et
jusqu'à sa mort , qui arriva en 1725 , il l'honora d'une estime
etd'une amitié qui déconcerta toutes les haines , et qui fit
perdre à l'envie jusqu'à l'espoir de lui nuire.
;
Cette haute faveur se soutint auprès de l'impératrice Catherine
, qui sembloit s'être fait une loi sacrée d'adopter tous les
sentimens de son époux. Elle s'accrutcore sous Pierre II : en
1727, ce prince éleva Munnich au grade de général d'infanterie ;
P'année suivante, il lui décerna le titre de comte de Russie,
et lui confia le gouvernement de Saint-Pétersbourg , de l'Ingrie,
de la Carélie et de la Finlande. Animé par tous ces encouragemens
, Munnich porta tant d'activité dans l'exécution
du canal confié à ses soins , que la navigation en fut ouverte
dès le 12 juin 1728. Dans l'intention de rendre un hommage
éclatant à sa probité autant qu'à ses talens , l'empereur rendit
une déclaration qui le mit à l'abri de toute responsabilité
et de toute reddition de compte : récompense plus rare et
non moins flatteuse que toutes celles qui lui avoient été prodiguées.
L'éclat dont brilleit Munnich s'étoit renfermé jusqu'alors
dans la cour de Pétersbourg. C'est sous le règne de l'impératrice
Anne qu'il attira sur lui les regards de l'Europe.
Cette princesse , en le nominant feld-maréchal-général , avoit
annoncé , dès son avènement au trône, l'estime qu'elle lui
portoit. Cen'est pas qu'il n'eût auprès d'elle deux concurrens
redoutables : l'un étoit Ostermann , qu'il avoit porté par
son crédit à la tête des affaires , et à qui ce crédit étoit devenu
odieux en cessant de lui être nécessaire ; l'autre étoit le fameux
Biren, plus connu encore sous le nom de Biron. Cet obscur
Courlandais, dont la faveur de l'impératrice fit un duc de
Courlande , se montroit d'autant plus jaloux de la faveur dont
il jouissoit , qu'il la sentoit fondée sur des titres moins estimables.
Tous deux fatiguèrent Munnich ; de petites intrigues, qui
peut-être auroient abouti à une rupture ouverte, s'ilsn'avoient
pas cru plus prudent de se borner à l'éloigner de la cour, en le
AOUT 1807 . 271
plaçant à la tête des armées : des amis dévoués ne l'auroient
pas mieux servi .
La première expédition où Munnich fit connoître ses talen's
de général en chef, fut le siége de Dantzick , où s'étoit retiré
Stanislas Leczinski , élu roi de Pologne après la mort d'Auguste
II. On connoît assez les circonstances de ce siége. Les
habitans , après s'être défendus long-temps avec le courage
le plus obstiné , furent enfin obligés d'en venir à une capitulation
; et Stanislas courut les plus grands périls , ens'échappant,
déguisé en paysan. Munuich obscurcit la gloire que lui
acquit cette expédition , par l'acharnement avec lequel il
poursuivit ce malheureux prince,qui vit , dit Voltaire, sa téte
mise à prix dans la ville de Dantzick , dans un pays libre ,
dans sa propre patrie , au milieu de la nation qui l'avoit élu
suivant toutes les lois.
Ce succès n'étoit que le prélude de ceux qui devoient
bientôt signaler les armes de la Russie. Depuis long-temps
cet empire vouloit effacer l'affront qu'il avoit essuyé sur les
bords du Pruth , dans sa dernière guerre contre les Turcs.
Dans cedessein, l'impératrice jeta les yeux sur le vainqueur
de la Pologne. Se frayer à travers la Crimée une route vers
la mer Noire , former un établissement sur cette mer , et de
la menacer les murs de Constantinople; tel fut le vaste plan
qu'onlui donnoit à remplir. Les lignes de Perecop,quidéfendoient
l'entréede la Crimée, emportées de viveforce; l'invasion
et le ravagede cette presqu'île , la prise deBaktschi-Seraï et de
plusieurs autres places , signalèrent la première campagne
qui s'ouvrit en 1736. Celle de l'année suivante ne fut pas
rendue moins gloriense par la prise d'Oczakow, où lesRussos
entrèrent après un assaut des plus meurtriers dont l'histoire
moderne fasse mention. La campagne de 1738 fut moins
heureuse ; mais si , jusque - là , on avoit pu quelquefois
reprocher à Munnich de trop se confier à sa fortune et à la
valeur deses troupes , la dernière campagne , conduite avec
autant de prudence que de hardiesse, amena des succès plus
décisifs , qui mirent le comble àsa gloire. Une marche rapide
et imprévue à travers la Pologne, le porta tout- à - coup
dans la Moldavie : le passage de plusieurs rivières dangereuses
à la vue des ennemis ; leur déroute complète dans
la journée de Stawutschane , la prise de la forteresse de
Choczim , et la fuite de presque tous les Turcs au-delà du
Danube, le laissèrent maître de cette province.Déjà il se flattoit
dela réunir bientôt à laRussie, lorsqu'il apprit quelAutriche,
dont les armes étoient constamment malheureuses , et qu'il
avoit trop indisposé,e en, refusantde concerter sesplans avec
872 MERCURE DE FRANCE ,
elle , venoit de conclure une paix séparée avec la Turquies
Dès - lors , il prévit avec douleur que le fruit de ses exploits
alloit lui échapper , et que sa souveraine ne consentiroit pas
à porter seule tout le poids de la guerre. En effet , dès ce
moment elle ne songea plus elle-même qu'à la paix , qu'elle
signa un mois après l'Autriche. Ce traité ne valut à la Russie
que quelques acquisitions fort peu importantes. Elle ne rentra
dans la place d'Azof qu'en s'engageant à en raser les fortifications
, et n'acquit pas même le droit d'avoir des bâtimens
de commerce soit sur la mer d'Azof, soit sur la mer Noire.
Mais si une campagne si brillante ne produisit pas tous les
avantages qu'on devoit en attendre , la gloire de Munnich
n'en fut pas moins complète. En effet , il avoit montré tous
les talens qui font le grand capitaine : hardi dans ses plans ,
plein de vigueur dans l'exécution , fécond en ressources au
milieududanger; ce qui le distinguoit, c'étoit surtout cette force
de caractère , sans laquelle il n'y a point de grand homme
de guerre . Malheureusement , il n'étoit pas exempt des dé
fauts qui avoisinent cette éminente qualité. Le commandement
, dont les formes auroient souvent besoin d'être adoucies
, étoit chez lui dur et impérieux; et sa sévérité dans le
maintien de la discipline dégénéra quelquefois en cruauté.
Quoiqu'il ne fût pas né sous le triste ciel de la Russie, quoiqu'il
se fût livré de bonne heure à l'étude des sciences et des
arts , qui adoucissent les moeurs , il sembloit avoir dans le
caractère quelque chose de l'apreté sauvage que conservoit
encore le peuple à demi barbare qu'il conduisoit aux combats.:
Le traité signé , Munnich se hâta d'aller jouir de sa gloire
à la cour de sa souveraine. On attendit sa présence pour
publier la paix et pour la célébrer. Il reçut des mains de
l'impératrice une riche épée ; son traitement fut considérablement
augmenté ; et ce qui étoit bien plus important
et bien plus honorable, il fut nommé lieutenant-colonel dư
régiment des gardes Préobraskenski, dont la place de colonel
étoit toujours réservée au souverain.
Munnich retrouva dans Ostermann et dans Biron les mêmes
sentimens d'envie , encore aigris par ses succès; mais il avoit
des droits trop bien acquis à l'estime de l'impératrice pour
qu'ils pussent se flatter de le renverser : ainsi , une apparence
d'union régna entre ces trois hommes , qui s'observoient d'un
oeil jaloux , et qui tiroient leur sûreté de la crainte qu'ils
s'inspiroient mutuellement. Munnich se décida , même dans
une circonstance importante , à servir l'ambition de Biron .
L'impératrice Anne fut atteinte de la maladie dont elle
mourut:
AOUT 1807 .
JEIN
DEPT
DE
mourut. Voulant maintenir la succession dans sa branche ell
avoit marié lanièce de sa soeur, laduchesse de Mecklemtours, 5.
auprince Antoine-Ulric de Brunswick; de ce mariage étoit meen
le prince Iwan , qui étoit encore dans la première enfance.
fut cet enfant, son petit-neveu , qu'elle nomma son successeur
à la couronne , au préjudice de la princesse Elisabeth , fille
dePierre-le-Grand. Par une conséquence naturelle de ce choix,
la régence devoit appartenir à la duchesse de Brunswick
conjointeinent avec son époux. Mais le duc étoit généralementdétesté,
et l'impératrice conservoit toujours son ancienne
foiblesse pour Biron. Munnich flatta cette disposition ; et de
concert avec Ostermann , il fit passer la régence entre les
mains du duc de Courlande. Il sentoit sa supériorité sur ce
favori , et il se flattoit de lui être nécessaire et de régner sous
son nom. Mais quand l'impératrice eut fermé les yeux , il
eut bientôt l'occasion d'être convaincu que Biron ne se souvenoit
plus d'un si grand service. Il reconnut d'ailleurs que
ce favori sans talens ne se soutiendroit pas dans le poste
dangereux où il étoit placé , et que peut-être , pour prévenir
une ruine inévitable il se rapprocheroit de la princesse Elisabeth
: réunion qui seroit infailliblement le signal de la
perte du feld-maréchal. Il résolut donc de prévenir la main
qui alloit le frapper, en faisant rendre la régence à la duchesse
de Brunswick. Cette entreprise n'étoit pas sans danger. Biron
se méfioit d'autant plus du feld-maréchal , qu'il avoit luimême
la conscience de ses mauvais desseins à son égard. La
nuit même fixée par Muhuich pour l'exécution de son projet ,
il fut retenu à souper par le régent, qui,méditant aussi sa perte,
l'accabloit de témoignages d'amitié. On raconte que le duc,
qui étoit rêveur et agité, lui demanda tout-à- coup , au milieu
de la conversation , si dans ses campagnes il avoit jamais
entrepris quelque chose d'important pendant la nuit : à quoi
Munnich, surpris de cette question , répondit sans se déconcerter,
et même en conservant l'espèce de franchise qui faisoit
son caractère , qu'il ne se rappeloit pas d'avoirfait rien d'extraordinaire
pendant la nuit : mais qu'au reste il avoit pour
principe de ne jamais laisser échapper aucune bonne occasion.
Il mit ce principe en usage dès la nuit même. Biron,
surpris dans son sommeil , fut envoyé à Pélim en Sibérie , et
la princesse Anne fut proclamée régente.
Après un tel service , il n'y avoit point de récompenses que
le feld-maréchal n'eût droit d'attendre ; aussi reçut- il beaucoup
de présens , soit en argent, soit en terre , parmi lesquelles
on remarquoit la seigneurie de Wurtemberg en Silésie , que
Biron avoit possédée , et il eut la place de premier ministre en
S
274 MERCURE DE FRANCE ,
chef du conseil intime : mais il nejouit pas long-temps de
cette nouvelle dignité. Ostermann, qui , sous le règne précédent,
avoit exercé cette place sans en avoir le titre, s'obstinoit
à lui disputer une autorité qu'il regardoit comme son bien
propre, et lui suscita mille obstacles : d'un autre côté, la
foiblesse du caractère de la régente lui fit adopter une politique
foible et incertaine quine pouvoit s'accorder avec celle
de Munnich. Tandis que celui-ci signoit une alliance avec le
roi de Prusse, elle promettoit ses secours à l'impératrice
Marie-Thérèse. Plusieurs dégoûts de ce genre forcèrent le
maréchal à offrir sa démission , qui fut acceptée. Mais sa
retraite ne laissa point tranquille la régente , qui , naturellement
timide , redoutoit l'explosion d'un ressentiment qu'elle
sentoit s'être attiré : « La foiblesse, dit très-bien l'historien,
traîne toujours à sa suite la méfiance et quelquefois la dureté...
>>Pour se tranquilliser , elle eût peut- être relégué Munnich en
>> Sibérie, si sa favorite ne l'eût détournée de cette mesure
>>>violente. » Aussi Munnich reconnut-il qu'il n'y avoit plus
pour lui de succès à espérer en Russie, et il sedisposa à retourner
dans sa patrie; mais la princesse Elisabeth ne lui en laissa pas
le temps : elle mit à profit l'insouciance de la régente , qui
fermoit les yeux sur ses projets. Dans la nuit du 25 au 26
novembre 1741 , elle se mità la têted'environ cent grenadiers
de la garde Préobrasenski , et se fit proclamer impératrice.
L'élévation de cette princesse étoit la perte de Munnich ,
qu'elle détestoit : elle nomma un tribunal , composé de ses
ennemis, pour le juger : « On ne fit déposer contre lui ,
>> dit M. de Halem, que quelques simples soldats , vils mer-
» cenaires , qui , pour la plus petite récompense, étoient dis-
»posés à dire tout ce qu'on leur prescriroit. Munnich repré-
>> senta au procureur-général du tribunal l'irrégularité de la
>> procédure ; et, conservant au milieu de cette redoutable
>> séance la mâle fermeté qui fait braver le malheur : « Vous
>> ferez mieux, lui dit-il , d'écrire à ma place les réponses
» qui vous conviendront; je les signerai sans les voir. >> Le
procureur- général eut l'insolence de le prendre au mot ,
Munnich signa ce qu'on lui présenta.
Condamné sur ces prétendus aveux , le vainqueur des
Tarcs parut au pied de l'échafaud avec lamême contenance
qu'il avoit montrée au milieu des batailles. Il écouta sans
changer de visage l'arrêt qui le condamnoit à être écartelé, et
le manifeste impérial qui commuoit cette peine en celle de
l'exil ; et l'impératrice laissant àchacun des condamnés une
graceà demander ,il se borna à solliciter la permissiond'emmener
son chapelain. Il fut envoyé à Pelim , en Sibérie , dans
AOUT 1807 . 275
P'habitation même où il avoit fait envoyerBiron un an auparavant,
et dont , par un raffinement de haine , il avoit donné
Ne plan de sa propre main. Au reste, sans vouloiraffoiblir l'admirationque
doit inspirer son héroïque fermeté, on peut remarquer
enpassantque l'exemple n'en étoitpas nouveau à la courde
Russie. Sous le règne de Pierre II, le prince Menzicoff, descendu
de plus haut encore , avoit supporté son malheur avec la même
résignation. Ces révolutions si fréquentes dans les cours despotiques
, y tombent en général sur des victimes préparées à
leurdisgrace : c'est que ceux qui veulent y suivre la carrière
dangereuse de l'ambition , nignorent pas à quels dangers ils
s'exposent, et regardent l exil ou le supplice comme les chances
malheureuses deleur condition, à-peu-près commeleguerrier
s'attend à être frappé par la mort au milieumême de ses victoires.
Munnich fut rappelé de Pelim par Pierre III , qui succéda à
Elisabeth. Il avoit alors près de quatre-vingts ans. A six lieues
dePétersbourg, il rencontra son fils unique , et sa petite-fil'e
Anne, qu'il n'avoit point encore vue. Cet illustre vieillard ,
dont l'aspect du supplice et un exil de vingt années n'avoient
pu ébranler la constance , s'étonna de verser de douces
larmes en se retrouvant au sein de sa famille. Pierre III , passionné
pour la gloire militaire , reçut avec la considération
qui lui étoit due , le vieux guerrier qui avoit tanthonoré les
armes de la Russie : heureux s'il avoit su mettre à profit ses
sages conseils! Munnich reconnut bientôt que cet imprudent
souverainmarcheit à sa perte; mais il voyoit en luisonbienfaiteur,
et ilaima mieuxs'exposer à tomberavec lui , que de ne pas
ledéfendre jusqu'à la dernière extrémité. Jamais ilne semontra
plusgrand que dans la fatale révolution qui décida du sort dece
malheureux prince. Toujours calme en présence du danger,
et trouvant encore des ressources au moment où tout paroissoit
désespéré , il proposa à Pierre plusieurs partis qui l'eussent
sauvé sans doute, s'il eût eu le courage de les suivre. Enfin, le
voyant prêt à mettre bas les armes sans avoir combattu , il
s'approcha de lui d'un air affligé , et lui demanda s'il ne
savoit pas mourir en empereur : Prenez , lui dit-il , un crucifix
à la main; ils n'oseront vous toucher, et moi je me
charge des dangers du combat. Pierre persista dans sa résolution
, et il alla se jeter dans les mains de ses bourreaux.Dèslors
Munnich n'eut plus qu'à fléchir avec tout le monde
devant la nouvelle souveraine ,et il parut le jour suivant parmi
ceux qui alloient la féliciter : Vous avez voulu combattre
contre moi, lui dit Catherine. - Oui , Madame, répondit-
il; mais c'est à présent mon devoir de combattre pour
Sa
276 MERCURE DE FRANCE ,
votre majesté , et je le remplirai avec le méme dévouement.
Munnich n'étoit plus à redouter : Catherine , voyant tout soumis
à son empire , pouvoit sans risque faire célébrer sa générosité.
Aussi , loin de lui faire un crime de sa reconnoissance
envers celui qui l'avoit rappelé de l'exil , elle le traita avec
une considération particulière , et voulut même employer ses
talens et ses dernières forces au service de l'Empire .
Legoût de cette princesse pour les grandes entreprises la porta
à reprendre les vastes desseins de Pierre-le-Grand : l'un de ceux
que ce prince affectionnoit le plus , étoit la construction d'un
port à Rogerwick , sur la Baltique. La conduite de cet inportant
ouvrage fut confiée à Munnich , qui s'attacha à cette
idée avec enthousiasme. Je ne m'apesantirai point avec son
historien sur les difficultés d'un travail qui doit peu intéresser
aujourd'hui , puisqu'il n'a eu aucun résultat , et n'a jamais été
terminé. Qu'il suffise de dire que si Munnich porta dans cette
entreprise toute l'ardeur d'un jeune homme , il y montra
aussi ce triste égoïsme dont la vieillesse a tant de peine à se défendre
, et qui lui fait attacher une importance exclusive à ses
idées et à ses occupations . Dès ce moment , il importuna
chaque jour l'impératrice de ses lettres et de ses sol icitations ,
il la fatigua de conseils et de remontrances , comme si les
travaux du port Baltique eussent été la seule chose importante
dans le gouvernement de toutes les Russies. Si quelque
chose peut prouver dans Catherine un fonds de bonté naturelle,
c'est que , malgré tant d'importunités , elle ne cessa de témoi
gner à ce vieux maréchal toute la considération à laquelle
ses anciens services et son zèle lui donnoient droit ; et que ,
jusqu'à sa mort, elle saisit toutes les occasions de lui accorder
des distinctions flatteuses. Il rendit le dernier soupir le
16 octobre 1767 , à l'âge de quatre-vingt-quatre ans cinq mois
etsix jours.
Je terminerai cet article par quelques réflexions sur l'ouvrage
que je viens d'analyser. J'ai déjà dit que le récit de M. de
Halem paroissoit devoir inspirer une entière confiance. Je
remarquerai cependant que , dans certains détails, il se trouve
en opposition avec le témoignage de M. de Rulhière. On pense
bien que , dans tous ces cas , le traducteur n'hésite point à se
prononcer en faveur de son auteur ; mais les raisons qu'il en
donne ne paroissent pas toujours très-convaincantes. Rulhière
ayant écrit à Pétersbourg même , a dû y trouver des
informations plus exactes que partout ailleurs. Il est vrai qu'il
est aisé de voir à son style qu'il cherche à briller , et qu'on
peut quelquefois soupçonner son imagination de chercher à
embellir la vérité. Mais d'un autre côté , la partialité de
AOUT 1807 . 277
M. de Halem en faveur de son héros n'est pas moins visible ,
ela pu quelquefois lui faire illusion . Quoi qu'il en soit , ces
différences tombent sur des circonstances assez peu importantes
, pour qu'il soit inutile de chercher à reconnoître de
quel côté peut être l'erreur.
L'exactitude et la bonne foi , qui sont sans doute les premières
qualités d'un historien , ne sont pas les seules qui recommandent
l'ouvrage de M. de Halem. Il raconte avec clarté
et avec élégance; il entre bien dans les divers intérêts de ses
personnages ; il fait souvent sortir du fonds du sujet des réflexions
judicieuses et solides. On doit donc des remercîmens
au traducteur qui nous a fait connoître un ouvrage si intéressant
, d'autant plus qu'en exceptant quelques traces de néologisme
et quelques inadvertances , sa version est en général
élégante et facile. Il dit , dans son Avant-Propos , qu'il a
supprimé quelques longueurs ; cela se croit sans peine : car
⚫ce seroit un vrai phénomène , qu'un ouvrage allemand qui
n'auroit pas besoin d'être abrégé. Il ajoute qu'il a fondu.
dans le texte plusieurs morceaux que l'auteur a rejetés dans
Les notes; et c'est un soin dont on doit encore lui savoir
gré. Les notes favorisent singulièrement la inanie des dissertations
, si générale chez les Allemands. Mais en France le goût
est plus sévère : l'on ne veut point que le fil de la narration soit
àtout moment interrompu, et l'on condamne avec raison.
une méthode trop facile , qui, en épargnant à l'écrivain les
transitions , et en facilitant son travail , augmente beaucoup
celui du lecteur. C.
:
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
Au Rédacteur du Mercure de France .
Monsieur ,
Vous avez raison de dire que l'ouvrage annoncé dans le
Journal du 18 juillet , numéro CCCXIII , sous le titre de
Vie de Frédéric II, roi de Prusse , ou Tableau des Evénemens
historiques , militaires , politiques , littéraires , des
Sciences et des Arts , sous le règne de ce prince , par
M. Denina , etc. , n'est pas une nouvelle Vie de Frédéric II ;
mais ce n'est pas non plus un Eloge que j'offre à l'admiration
du public , et une troisième édition que je présente ,
dites-vous , malheureusement un an trop tard. Permettez-
3
278 MERCURE DE FRANCE ,
moi de vous dire , Monsieur, que c'est un ouvrage que j'ai
fait il y a justement vingt ans ; que , depuis la première
publication , je n'y ai plus touché du tout , et que je ne
puis nullement reconnoître cette troisième édition ou contrefaçon
, que débite le libraire Villet , annoncée et critiquée
dans ledit numéro CCCXIII du Mercure de France .
En 1786 , quelques semaines après la mort de Frédéric
II , je lus à l'Académie des Sciences et de Belles-
Lettres de Berlin , un Essai d'Eloge du roi , qui l'avoit
fondée , et qui m'y avoit attaché en qualité d'historien. Cet
Essai ayant trouvé de l'approbation , je me vis engagé à lui
donner plus d'étendue , et à le rédiger de manière qu'il pût
servir de préliminaire aux OEuvres posthumes du roi
auteur , qu'on venoit alors de livrer à l'impression. Je le
fis de mon mieux , profitant non-seulement de ce qui avoit
paru sur ce sujet , mais des notices particulières que je reçus
de personnes respectables qui avoient connu Frédéric II à
différentes époques. Je le livrai aux éditeurs desdites OEuvres
posthumes , qui le publièrent en 1788 , sous le titre d'Essai
sur la Vie et le Regne de Frédéric II. L'ouvrage eut un
prompt succès ; de sorte que les éditeurs le remirent sous
presse dans le cours de la même année 1788 , à mon insu ,
craignant que , si j'en étois prévenu , je n'y fisse des corrections
et des changemens qui en retardassent l'impression
et le débit. On se contenta d'y ajouter , à la tête des pages ,
f'indication des chapitres , dont on ne s'étoit pas avisé auparavant
, et d'exécuter les corrections indiquées dans l'Errata.
On le réimprima , au reste , si conforme à l'édition
précédente , qu'on ne voulut pas même l'annoncer comme
une seconde édition. L'année suivante , l'ouvrage fut traduit
en italien , et imprimé à Venise avec le même titre d'Essai,
etc. Il fut en même temps contrefait à Liége , où l'on
jugea à propos de l'intituler : Nouvelle Vie de Frédéric II.
Loin de donner mon consentement à ce changement de
titre , je n'en fus pas seulement prévenu , et je n'en ai eu
connoissance qu'après le fait. J'en ai été vraiment fâché ,
parce que le titre d'Essai demandoit moins de détails , moins
de profondeur , et me dispensoit sur-tout de relever des
particularités qui pouvoient représenter le monarque philosophe
et auteur sous un aspect moins favorable.
Mon intention étoit sans doute d'en dire plutôt du bien
que du mal; mais je n'ai pourtant pas dissimulé ce qui
n'étoit pas louable dans ses actions , ses écrits et ses principes.
Je me suis sur cela plus clairement expliqué dans le
sixième volume de mon Histoire des Révolutions de l'AlleAOUT
1807 . 279
magne, imprimée à Florence en 1804, et qui se trouve à
Paris chez le libraire Fantin. Dans la Prusse Littéraire , qui
devoit servir , et servit en effet de continuation à l'Essai sur
sa Vie et son Règne , dont il est ici question , dans l'article
Frédéric II , tom. 2 , pag. 61-85 , en considérant ce
roi comme philosophe et auteur , j'en parle avec lamême
liberté avec laquelle j'ai parlé de Maupertuis , de Wolf, de
Kant , de Klopstack , et des autres écrivains de son temps.
C'est aussi dans ce dernier ouvrage (1) , plutôt que dans
l'Essai précédent , qu'on trouve un tableau des événemens
politiques, littéraires , des sciences et des arts , qu'annonce
lefrontispice appliqué à une contrefaçon sortie des presses
d'un libraire-imprimeur de Liége en 1789 , et qu'on débite
à présent comme une édition de l'année courante 1807.
Au reste , je vois , Monsieur , avec une sorte de satisfaction
que le dernier chapitre de cette Vie de Frédéric II ,
divisé en hult paragraphes , pag. 346-408 , contenant des
réflexions sur son caractère et son administration , vous a
parumieux écrit que les chapitres précédens : comme c'étoit
làlepremierouvrage que j'écrivois en français , àl'exception
de trois ou quatre Mémoires académiques , et de quelques
Lettres sur le progrès des arts , il étoit naturel que , dans la
continuation du travail , le style eût acquis plus de facilité
ou de précision , car je puis vous assurer qu'aucune main
étrangère n'a écrit ce morceau , etque, quel qu'il soit , il est
totalement de moi.
J'ai l'honneur d'être , etc.
NOUVELLES POLITIQUES.
PAR , vendredi 7 août
DENINA.
Le 2 de ce mois , à onze heures , le corps diplomatique
s'est rendu au palais de Saint-Cloud, a été conduit à
l'audience de l'EMPEREUR et Ror, par les maîtres et aides des
cérémonies , dans les formes ordinaires, et introduit auprès
de S. M., par S. Exc. le grand-maître. Acette audience ont
été présentés à S. M. ,
Par S. Ex . M. l'ambassadeur d'Autriche : M. le comte de
Mier , chambellan attaché à l'ambassade.
(1 ) La Prusse Littéraire , on Histoire abrégée de la plupart des
Auteurs , des Académiciens et des Artistes qui sont nés, ou qui ont
vécu dans les Etats prussiens , depuis 174 jusqu'à 1786 , par ordre
alphabétique.
4
280. MERCURE DE FRANCE ,
A
Par S. Exc. M. l'ambassadeur de Portugal : M. de Souza
Rothelho , M. Carvalhal , M. Ferrao .
- Par S. Ex. M. l'ambassadeur d'Espagne : M. le chevalier ..
de Los-Rios , gentilhomme de la chambre , et colonel au service
de S. M. T. C.; M. Camille Los-Rios , secrétaire d'ambassade
en Portugal.
Par S. Ex . M. le ministre de Wurtemberg : M. de Vrolle ,
secrétaire de légation. 1
Par S. Exc. M. le grand-maître des cérémonies : M. de
Vandeden , chambellan de S. M. le roi de Hollande, ministre
près du roi de Naples ; M. de Renesse , brigadier-écuyer de
S. M. la reine de Hollande.
Après cette audience , l'Institut en corps a été introduit
auprès de S. M.: M. Bervic , président de ce corps , a porté
la parole. L'EMPEREUR a accueilli avec bienveillance les
hommages des meinbres de l'Institut , et s'est entretenu longtemps
avec eux. (Moniteur. )
Le 15 août , à onze heures du matin , S. M. PEMPEREUR
se rendra à l'église de Notre- Dame. Le soir, le
palais et le jardin des Tuileries seront illuminés. A neuf
heures , il y aura concert sur la terrasse , et cercle dans les
appartemens. Le 16 , à cinq heures après midi , S. M. se
rendra au Corps législatif. Le soir , le palais des Tuileries
et le jardin seront illuminés comme le jour précédent , et it
y aura cercle , concert et ballet dans les appartemens
-M. Barente, auditeur du conseil d'Etat, est nommé souspréfet
de Bressuire ( Deux-Sèvres ).
-M. Joseph Gauthier , ex-membre du corps législatif, est
nommé sous-préfet de Brives ( Corrèze ).
-La commission militaire extraordinaire , séant'à Turin ,
département du Pô , réunie d'après un arrêté de M. le général
Menou , commandant - général , etc. etc. des départemens
au-delà des Alpes , a prononcé , dans le courant de juillet , sur
un délit d'une espèce nouvelle en matière de conscription. La
commission a reconnu que les nommés Prever et Castellar ,
habitans de la ville de Turin , avoient accaparé une grande
quantité de remplaçans pour le département du Pô , et les,
avoient nourris à leurs propres frais dans des maisons particulières
, pour les vendre ensuite à haut prix , aux couscrits qui
voudroient se faire remplacer dans le service militaire . La
commission a déclaré que ce commerced'hommes étoithonteux,
immoral et contraire à toutes les lois , et elle a condamné ceux
qui faisoient ce trafic , à un an d'emprisonnement et à2,500fr.
d'amende , ainsi qu'aux frais de la procédure. Il résulte de ce
AOUT 1807 . 284
commerce , que tel remplaçant ne reçoitqu'une somme trèspeu..
considérable , tandis que l'intermédiaire entre lui et le
remplacé , en reçoit une très-forte ; ce qui est toujours au
détriment des peuples. (Moniteur. )
-Une députation du sénat , à la tête de laquelle étoient
S. Ex. le président , M. Lacépède , et les deux préteurs ,
M. le maréchal duc de Dantzick , et M. Clément de Ris , s'est
rendue le 5 à Saint-Cloud pour complimenter S. M. le
roi de Westphalie. Une députation du tribunat a été ensuite
admise à l'audience de S. M.
1
;
Statut constitutionnel du Duché de Varsovie.
Titre Ier.
Art. I. La religion catholique , apostolique et romaine est
la religion de l'Etat.
II Tous les cultes sont libres et publics.
III. Le duché de Varsovie sera divisé en six diocèses ; il y
aura un archevêché et cinq évêchés .
IV. L'esclavage est aboli ; tous les citoyens sont égaux
devant la loi ; l'état des personnes est sous la protection des
tribunaux .
Tit. II. Du Gouvernement.
V. La couronne ducale de Varsovie est héréditaire dans la
personne du roi de Saxe , ses descendans , héritiers et surcesseurs
, suivant l'ordre de succession établi dans la maison de
Saxe.
,
VI. Le gouvernement réside dans la personne du roi. Il
exercedans toute sa plénitude les fonctions du pouvoir excutif.
Il a l'initiative des lois .
VII. Le roi peut déléguer à un vice-roi la portion de son
autorité qu'il ne jugera pas à propos d'exercer immédiatement.
VIII. Si le roi ne juge pas à propos de nommer un viceroi
, il nomme un président du conseil des ministres. Dans ce.
cas, les affaires des différens ministères sont discutées dans le
çonseil , pour être présentées à l'approbation du roi .
IX. Le roi convoque , proroge et ajourne l'assemblée de la
diète générale. Il convoque également,les diétines ou assemblées
de district , et les assemblées communales. Il préside le
sénat lorsqu'il le juge convenable.
X. Les biens de la couronne ducale consistent : 1º dans un
revenu annuel de sept millions de florins de Pologne, moitig
282 MERCURE DE FRANCE ,
en terres ou domaines royaux , moitié en une affectation sur
le trésor public; 2°. dans le palais royal de Varsovie et le palais
deSaxe.
Tit. III. Des Ministres - et du Conseild'Etat.
XI. Le ministère est composé comme il suit : un ministre
delajustice, un ministre de l'intérieur etdes cultes , un ministre
de la guerre , un ministre des finances et du trésor , un
ministre de la police. Il y a un ministre secrétaire d'Etat. Les
ministres sont responsables.
XII. Lorsque le roi a jugé à propos de transmettre à un
vice-roi la portion de son autorité qu'il ne s'est pas immédiatement
réservée , les ministres travaillent chacun séparément
avec le vice-roi.
XIII. Lorsque le roi n'a pas nommé de vice-roi , les ministres
seréunissent en conseil des ministres, conformément à
ce qui a été dit ci-dessus , art. VIII .
XIV.Le conseil d'Etat se compose des ministres. Ilse réunit
sous la présidence du roi , ou du vice-roi, ou du président
nommé par le roi.
XV. Le conseil d'Etat discute , rédige et arrête des projets
de loi ou les règlemens d'administration publique , qui sont
proposés par chaque ministre pour les objets relatifs à leurs
départemens respectifs.
XVI. Quatre maîtres des requêtes sont attachés au conseil
d'Etat , soit pour l'instruction des affaires administratives et
de celles dans lesquelles le conseil prononce comme cour
de cassation , soit pour les communications du conseil avec
les commissions de la chambre des nonces.
XVII. Le conseil d'Etat connoît des conflits de juridiction
entre les corps administratifs et les corps judiciaires , du
contentieux de l'administration , et de la mise en jugemeat
des agens de l'administration publique. 71
XVIII. Les décisions , projets de loi , décrets et règlemens
discutés au conseil d'Etat , sont soumis à l'approbation du roi.
Tit. IV. De la Diète générale,
XIX. La diète générale est composée de deux chambres ,
savoir : la te chambre ou chambre du sénat ; la 2º chambre ,
ou chambre des nomces.
XX. La diete générale se réunit , tous les deux ans , à
Varsovie , à l'époque fixée par l'acte de convocation émané du
roi. La session ne dure pas plus de quinze jours.
XXI . Ses attributions consistent dans la délibération de la
loi des impositions , ou loi des finances, et des lois relatives
AOUT 1807 . 283
:
aux changemens à faire, soit à la législation civile , soit à la
législation criminelle , soit au système monétaire.
XXII. Les projets de lois rédigés au conseil d'Etat sont
transmis à la diète générale par ordre du roi , délibérés à la
chambre des nonces au scrutin secret et à la pluralité des
suffrages , et présentés à la sanction du sénat.
Tit. V. -Du Sénat.
XXIII. Le sénat est composé de dix-huit membres , savoire
six évêques , six palatins , six castellans.
XXIV. Les palatins et les castellans sont nommés par le
roi. Les évêques sont nommés par le roi et institués par le
Saint-Siége.
XXV. Le sénat est présidé par un de ses membres,nommé
à cet effet par le roi.
XXVI . Les fonctions des sénateurs sont à vie.
XXVII. Les projets de lois délibérés à la chambre des
nonces, conformément à ce qui est dit ci-après , sont transmis
à la sanction du sénat.
XXVIII. Le sénat donne son approbation à la loi , si ce
n'est dans les cas ci-après : 1°. Lorsque la loi n'a pas été délibéréedans
les formes prescrites par la constitution , ou que
la délibération aura été troublée par des actes de violence ;
2°. lorsqu'il est àsa connoissance que la loi n'a pas été adoptée
par la majorité des voix ; 5°. lorsque le sénat juge que la
loi est contraire , ou à lasûreté de l'Etat, ou aux dispositions
du présent statut constitutionnel.
XXIX. Dans le cas où , par l'un des motifs ci-dessus , le
sénat a refusé sa sanction à une loi, il investit le roi , par une
délibération motivée , de l'autorité nécessaire pour annuller
ladélibération des nonces.
XXX. Lorsque le refus du sénat est motivé par l'un des
deux premiers cas prévus par l'art. XXVIII , le roi , après
avoir entendu le conseil d'Etat , peut ordonner le renvoi du
projet de loi à la chambre des nonces , avec injonction de
procéder avec régularité. Si les mêmes désordres se renouvellent,
soitdans la tenue de l'assemblée, soit dans les formes
de la délibération , la chambre des nonces est par cela même
dissoute , et le roi ordonnede nouvelles élections.
XXXI. Le cas de la dissolution de la chambre des nonces
arrivant , la loi des finances est prorogée pour une année, et
les lois civiles ou criminelles continuent à être exécutées sans
modification ni changement.
XXXII. Lorsque le sénat a refusé sa sanction à une loi ,
le roi peut également , et dans tous les cas , nommer de nouveaux
sénateurs, etrenvoyer ensuite la loi au sénat. Néanmoins
284 MERCURE DE FRANCE ,
:
le sénat ne peut se trouver composé de plus de six évêques,
douze palatins et douze castellans.
XXXIII. Lorsque le roi a usé du droit établi par l'article
ci-dessus, les places qui viennent à vaquer dans le sénat parmi
les palatins etles castellans , ne sont pas remplies jusqu'à ce
que le sénat soit réduit au nombre fixé par l'article XXIII .
XXXIV. Lorsque le sénat a donné son approbation à une
loi, ou que le roi, nonobstant les motifs de la délibération du
sénat, en a ordonné la promulgation, ce projet est déclaré loi
et immédiatement obligatoire
Tit. VI . De la chambre des Nonces .
XXXV. La chambre des nonces est composée : 1º, De soixante
noncesnommés par les diétines ou assemblées des nobles
de chaque district , à raison d'un nonce par district. Les nonces
doivent avoir au moins 24 ans accomplis, jouir de leurs droits,
ou être émancipés. 2°. De quarante députés des communes.
XXXVI. Tout le territoire du duché de Varsovie est partagé
en quarante assemblées communales , savoir : huit pour
la ville de Varsovie , et trente-deux pour le reste du territoire.
XXXVII. Chaque assemblée communale doit comprendre
au moins six cents citoyens ayant droit de voter.
XXXVIII. Les membres de la chambre des nonces restent
en fonctions pendantneufans. Ils sont renouvelés par tiers tous
* les trois ans. En conséquence , et pour la première fois seulement
, un tiers des membres de la chambre des nonces ne restera
en fonctions que pendant trois ans , et un antre tiers pendant
six ans. La liste des membres sortant à ces deux époques ,
sera formée par le sort.
XXXIX. La chambre des nonces est présidée par un maréchal
choisi dans son sein et nommé par le roi.
XL. La chambre des nonces délibère sur les projets de lois,
qui sont ensuite transmis à la sanction du sénat.
XLI. Elle nomme à chaque session , au scrutin secret et à
lamajorité des suffrages, trois commissions composées chacune
de cing membres, savoir : commission des finances ; commissiondelégislation
civile ; commission de législation criminelle.
Le maréchal-président de la chambre des nonces , donne
communication au conseil d'Etat , par un message , de la
nomination desdites commissions..
XLII. Lorsqu'un projet de loi a été rédigé au conseil
d'Etat , il en est donné communication à la commission que
P'objet de la loi concerne , par le ministre du département
auquel cet objet est relatif, et par l'intermédiaire des maîtres
des requêtes attachés au conseild'Etat. Si la commission a des
AOUT 1807 . :
285
observations à faire sur le projet de loi , elle se réunit chez
ledit ministre. Les maîtres des requêtes chargés de la communicationdu
projet de loi , sont admis à ces conférences .
XLIII. Si la commission persiste dans ses observations , et
demande des modifications au projet de loi , il en est fait
rapport par le ministre au conseil d'Etat. Le conseil d'Etat
peut admettre les membres de la commission à discuter dans
son sein les dispositions du projet de loi qui ont paru susceptibles
de modifications.
XLIV. Le conseil d'Etat ayant pris connoissance des observations
de la commission , soit par le rapport du ministre ,
soit par la discussion qui aura eu lieu dans son sein , arrête
définitivement la rédaction du projet de loi , qui est transmis
chambre des nonces àla poury être délibéré.
XLV. Les membres du conseil d'Etat sont membres nés de
la chambre des nonces. Ils y ont séance et voix délibérative.
XLVI. Les membres du conseil d'Etat et les membres de
la commission des nonces ont seuls le droit de porter la parole
dans la chambre , soit dans le cas où le conseil et la commission
sont d'accord sur le projet de loi , pour en faire ressortir
les avantages , soit en cas de dissentiment , pour en relever
ou combattre les inconvéniens. Aucun autre membre ne peut
prendre la parole sur le projet de loi .
XLVII. Les membres de la commission peuvent manifes
ter leur opinion individuelle sur le projet de loi , soit qu'ils
aient été de l'avis de la majorité de la commission, soit que
leur opinion ait été celle de la minorité. Les membres du
conseil d'Etat, au contraire , ne peuvent parler qu'en faveur
du projet de loi arrêté au conseil.
XLVIII. Lorsque le maréchal-président de la chambre
des nonces juge que la matière est assez éclaircie , il peut fermer
ladiscussion et mettre le projet de loi en délibération. La
chambre délibère en scrutin secret et à la majorité absolue
des suffrages.
XLIX. La loi ayant été délibérée , la chambre des nonces
la transmet aussitôt au sénat.
Tit. VII. - Des Diétineset Assemblées communales .
L. Les diétines ou assemblées de district , sont composées des nobles ,
du district .
LI. Les assemblées communales sont composées de citoyens propriétaires
non nobles , et des autres citoyens qui auront droit d'en faire
partie , comme il sera dit ci-après .
LII. Les diétines etles assemblées communales sont convoquées par
le roi. Le lieu , le jour de leur réunion , les opérations auxquelics elles
doivent p océder et la durée de leur session , sont exprimés dans les
lettres de convocation .
286 MERCURE DE FRANCE ,
LIII. Nol ne peut être admis à voter s'il n'est âgé de 21 ans accomplis,
s'il ne jouit de ses droits , ou n'est émancipé. L'émancipation pourra
désormais avoir lieu à at ans , nonobstant toutes lois et usages contraires .
LIV. Chaque diétine , ou assemblée de district , nomme un nonce, ct
présente des candidats pour les conseils de département et de district ,
et pour les justices de paix.
LV. Lesdiétines sont présidées par un maréchd nommé par le roi.
LVI. Elles sont divisées en dix séries , chaque série est composée de
districts séparés les uns des autres par le territoire d'un ou plusieurs
districts. Deux séries ne peuvent être convoquées en même temps.
LVII. Les députés des communes sont nommés par les assemb'ées
communales. Elles présentent une liste double de candidats pour les
conseils municipaux,
LVII. Ont droit de voter dans les assemblées communales : 1 °. Tout
eitoyen propriétaire non noble ; 2º. tout fabriquantet chef d'atelier ,
tout marchand ayant un fonds de boutique , ou magasin équivalent à un
capital de 10,000 florins de Pologne ; 3°, tous les curés et vicaites ;
4.tout artiste , et citoyen distingué par ses talons , ses connoissances ,
oupar des services rendus , soit au commerce , soit aux arts ; 5°. tout
sous-officier et soldat qui , ayant reçu des blessures ou fait plusieurs
campagnes , auroit obtenu sa retraite; 6º tout sous officier ou soldat en
activitéde service ayant obtenu des distinctions pour sa bonne conduite ;
7°. les officiers de tout grade. Lesdits officiers , sous-officiers et soldats ,
actuellement en activité de service , qui se trouvero ent en garnison dans
la ville où l'assemblée communale seroit réunie, ne pourroient jouir, dans
ce cas seulement , du droit accordé par le présent article. 1
LIX. La liste des votans propriétaires est dressée par la municipalité ,
et certifiée par les receveurs des contributions . Celle des curés et vicaires
estdresséepar le préfet , et visée par le ministre de l'intérieur. Celle des
officiers , sous-officiers , soldats , désignés dans l'article ci-dessus , est
dresséeparle préfet , et visée par le ministre de a guerre. Celle des fabricans
et chefs d'ateliers et des marchands ayant un fonds de boutique ,
magasinou établissemens de fabrique d'un capital de 10,000 flor. de Pologne,
et celledes citoyens distingués par leurs talens, leurs connoissance's et des
services rendus , soit aux sciences , aux arts , soit au commerce , sont dressées
par le préfet, et arrêtées chaque année par le sénat. Les citoyens quise
touvent dans le dernier des cas énoncés ci-dessus , peuvent adresser directement
leur pétition au sénat , avec les pièces justificatives de leurs
demandes.
LX. Le sénat , dans tous les cas où il y a lieu de soupçonner des abus
dans la fomation des listes , peut ordonner qu'il en soit formé de nouvelles.
LXI. Les assemblées communales ne peuvent être convoquées en même
temps, dans toutel'étendue d'un district . Il y aura toujours un intervalle
de huitjours entre la réunion de chacune d'elles , à l'exception néanmoins
de celles de la ville de Varsovie , qui peuvent être convoquées enmême
temps , au nombrede deux seulement.
LXII . Les assemblées communales sont présidées parun citoyennommé
parleroi.
LXIII. II ne peut y avoir lieu , dans les diétines et dans Ics assemblées
communales , à aucune discussion de quelque nature qu'elle puisse
être, à aucune délibération , de pétition, ou de remontrance. Elles ne
doivent s'occuper que de l'élection , soit des députés , soit des candidats,
dont le nombre est désigné d'avance, comme il est dit ci-dessus, par les
lettres de convocation.
AOUT 1807 . 287
Tit. VIII. - Division du Territoire et Administration.
LXIV. Le territoire demeure divisé en six départemens.
LXV. Chaque département est administré par un préfet. Il y a dans
ch que département un conseil des affaires contentieuses , composé de
trois membres au moins , et de cinq au plus, et un conseil-généralde
département, composé de seize membres au moins , et de vingt-quatre au
plus.
LXVI. Les districts sont administrés par un sous-préfet. Ily a dans
chaque district , un conseil de district composé de neuf membres , au
moins , et de douze au plus .
LXVII. Chaque municipalité est administrée par un maire ou président.
Ily a dans chaque municipalité un conseil municipal , composé
dedix membres pour 2,500 habitans et au-dessous ; de vingt pour 5000
habitans et au-dessous; et de trente pour les villes dont la population
excède 5000 habitans .
LXVIII. Les préfets , conseillers de préfecture , sous-préfets et maires,
sont nommés par le roi , sans présentation préalable. Les membresdes
conseilsde départemens et des conseils de districts sont nommés par
le roi , sur une liste double de candidats présentés par les diétines de
districts. Il sont renouvelés par moitié, tous les deux ans. Les membres
des consei's municipauxsont nommés par le roi , sur une liste double
de candidats présentés par les assemblées conimunales. Ils sont reneuvelés
par moitié tous les deux ans. Les consei's de département etdedistrict,
et les conseils municipaux , nomment un président choisi dans
Leur sein.
Tit. IX. - Ordre judiciaire.
LXIX . Le Code Napoléon formera la loi civile du duché de Varsovie.
LXX. La procédure est publique en matière civile et criminelle.
LXXI . Il y a une justice de paix par district ; un tribunal civil de
première instance par département; une cour de justice criminelle par
deuxdépartemens; une seule cour d'appel pour tout leduché deVarsovie.
LXXII. Le conseil d'Etat , auquel sont réunis quatre maîtres de
requêtes nommés par le roi , fait les fonctions de cour de cassation .
LXXHI, Les juges de paix sont nominés par le roi sur une liste
triple de candidats présentés par les diétines dedistricts. Ils sont renouvelés
par tiers tous les deux ans .
LXXIV. L'ordre judiciaire est indépendant.
LXXV. Les juges des tribunaux de première instance , des courscriminelles
etdes cours d'appel , sont nommés per le roi et à vie.
LXXVI. La cour d'appel peut , soit sur ladénonciationdu procureur
royal, soit sur celle d'un de ses présidens demander au roi la destitution
d'un juge d'un tribunal de première mstance oud'une courcriminelle,
qu'elle croit coupable de prévarication dans l'exercicede ses fonctions.
Ladestitution d'un juge de la cour d'appel peut être demandée par
le conseil d'Etat , faisantles fonctionsde cour de cassation. Dans ces cas
seuls, ladestitution d'un juge peut être prononcée par la loi.
LXXVII. Les jugemens des cours et des tribunaux sont rendus au
nomdu roi.
LXXVIII. Le droit de faire grace appartient au roi : seul il peut
remettre ou commuer la peine.
TIT. X. De la force armée.
LXXIX. La force armée sera composée de 30,000 hommes de toute
arme , présens sous les armes , les gordes nationales non comprises.
288 MERCURE DE FRANCE ,
LXXX. Le ri pourra appeler en Saxe une partie des trouper di
duché de Varsovie, en les faisant remplacer par un pareil nombre de
troupes saxорпез .
119
LXXXI. Dans le cas où les circonstances exigeroient qu'indépendam
ment des troupes du duché de Varsovie , le roi envoyât sur le territoire
de ce duché d'autres corps de troupes saxonnes , il ne pourroit être
établi à cette occasion aucune autre imposition ou charge publique , que
celles qui auroient été autorisées par la loi des finances .
Tit. XI .-Dispositions générales.
LXXXII . Les titulaires de toutes les charges et fonctions qui ne sont
point à vie , y compris la vice-roy uté , sont révocables à la volonté du
ro ,les nonces exceptés .
LXXXIII . Aucun individu , s'il n'est citoyen du du hé de Varsovie ,
ne peut être appelé à y remplir des fonctions, soit ecclésiastiques , soit
eiviles , soit judiciaires.
LXXXIV. Tous les actes du gouvernement, de la législation , de l'ad -
ministration et des tribunaux sont écrits en langue nationale.
LXXXV. Les Ordres civils et militaires précédemment existans en
Pologne, sont maintenus . Le roi est le chef de ces Ordres .
LXXXVI. Le présent statut constitutionnel sera complété par des
règlemens éman's du roi et discutés dans son conseil d'Etat.
LXXXVII. Les lois et règlemens d'administration publique seront
publiés au Bulletin des lois , et n'ont pas besoin d'autre forme de publication
pour devenir obligatoires .,
Tit. XII.- Dispositions transitoires .
LXXXVIII . Les impositions actuellement existantes continueront à
étre perçues jusqu'au 1. janvier 1809 .
LXXXIX. Il ne sera rien changé au nombre et à l'organisation acnels
des troupes , jusqu'à ce qu'il ait été s atué à cet égard par la première diète
générale qui sera convoquée.
Les membres de la commission de gouvernement ,
Signé, MALACKOWSKI , président ; GUTACKOWSKI , Stanislat
POTOCKI , DZIALINTSKI , WIBICKI , BILINSKI , SOBOLEWSKI
LUSZCREWSKI , Secrétaire-general.
NAPOLEON , PARLA GRACEDE DIEU ET LES CONSTITUTIONS,
EMPEREUR DES FRANÇAIS , ROI D'ITALIE , PROTECTEUR DE LA
CONFÉDÉRATION DU RHIN , nous avons approuvé et approuvons
le statut constitutionnel ci-dessus , qui nous a été présenté en
exécution de l'article Vc traité de Tilsit , et que nous consi
dérons comme propre *remplir nos engagemens envers les
peuples de Varsovie et laGrande-Pologne en conciliant
leurs libertés et priviles avec la tranquillité des Etats voisins.
Donré-au palais roya de Dresde , le 22 juillet 1807 .
٢٠
de
Signé NAPOLEON.
१ ९ ३० वाजे ONDS PUBLICS .
DU VENDREDI 7 août . - Cp. 0/0 c. J. du 22 mars 1867, 85f 5sc 600.
70c Sof 86f 25c 86f 86f 25c oof ooc oor oof ooc oocooc oo oof ooc out
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 82f boc ooc . oof coc coc
Act. de la Banque de Fr. 1270f oooof oo oooof
1070
15
(No. CCCXVII. )
(SAMEDI 15 AOUT 1807.)
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
}
FRAGMENT
:رو
DU 11º LIVRE DE L'ART D'AIMER D'OVIDE. (1 )
IL se trompe celui qui, pour servir ša flamme ,
Vadu front d'un poulain détacher l'hippomane .
Si des filtres étoient un amoureux poison ,
Par ses filtres Médée eût retenu Jason;
Circéde son palais n'eût pas vu fuir Ulysse.
Non, des enchantemens le magique artificeķ
Ne peut rien sur l'amour : loin de séduire un coeur ,
Il y jette le trouble , y porte la fureur .
Loinde nous Canidie , et son art trop coupable!
Le secret d'être aimé, c'est de se rendre aimable.
Mais tu n'obtiendras pas ces innocens secrets .
De ta seule figure et de tes seuls attraits :
Sois beau comme de Grec vanté dans l'Iliade ,.
Comme Hylas qu'enleva l'amour d'une Naïade ;
Si tu ne veux pas craindre un second abandon ,
Joins lesdons de l'esprit à ce fragile don.
C'est un bien peu durable ; il décroît avec l'age :
Le temps n'épargne pas les graces du visage .
Dès que l'été paroît , la fille du printemps ,
Lo-violette meurt, et les lis n'ont qu'un temps;
*(1) La traduction en vers de ce poëme est sous presse
1
if
et
4
/
T
290 MERCURE DE FRANCE ,
La rose sèche et tombe, et son épine reste.
De la frèle beauté c'est l'image funeste.
Beaujeune homme , bientôt tes cheveux blanchiront ,
Et les rides bientôt vont sillonner ton front .
Répare par l'esprit ce que l'âge t'envie :
La beauté de l'esprit dure autant que lavie.
M. DESAINTANGE.
SUR L'ASCENSION NOCTURNE DE M. GARNERIN,
DANS LA NUIT DU 4 AOUT 1807 .
De l'ombre et du repos antique souveraine,
La Nuit , d'un voile sombre avoit couvert la plaine
Où Paris , des beaux-arts le fortuné séjour ,
Anos regards surpris s'embellit chaque jour .
Sur son char ténébreux poursuivant sa carrière ,
Les astres l'éc'airoient de leur douce lumière.
Soudain un météore inconnu dans les cieux
D'une vive clarté vient éblouir ses yeux .
Du haut du firmament , que son ombre environne ,
Elle voit dans les airs briller une couronne ;
Un char aérien , par cet astre emporté,"
Dans le vague des cieux flotte avec majesté ;
Sur ce char un mortel , soutenu par l'audace ,
S'élève , et dans les cieux semble chercher sa place.
La déesse en gémit , et suspendant son cours ,
Au mortel téméraire elle tient ce discours :
« De quel droit oses-tu , fils mortel de la terre,
» De mon empire obscur pénétrer le mystère ?
>> Ce n'étoit pas assez que des audacieux
>> Eussent troublé la paix qui règne aux sombres lieux
» Où le Styx est couvert de mes voiles funèbres ;
>> Ce n'étoit pas assez qu'au mil eu des ténèbres ,
» L'homme , suivant au loin des astres étrangers,
>> Du perfide Océan eût bravé les dangers ;
>> Aujourd'hui de l'audace il comble la mesure ,
>> Et toujours plus rebelle aux lois de la nature ,
>> Le genre humain du ciel envahit le séjour,
>> Me brave sur mon trône , au milieu de ma cour.
>> Morel , qui que tu sois , respecte mon empire ,
» Ou crains d'ètre puni d'un orgueilleux délire . »
L'audacieux mortel lui répond en ces mots :
« O Nuit , fille du Ciel , déesse du repos ,
AOUT 1807 . 291
>> Ces feux qui dans les airs forment un diadême,
>> De celui d'un héros vous présentent l'emblême.
>> O Nuit , en sa faveur , recevez dans les cieux
>> D'un règne plein d'éclat ce signe radieux.
» La paix , que ce héros trouve dans la victoire,
>> Mérite bien qu'au ciel on élève sa gloire.
>>> Sous ses heureuses lois nous verrons désormais
>> Et les jours et les nuits embellis par la paix.
>>> Le Dieu qui chaque jour dispense la lumière
>> A vu les faits brillans de sa valeur guerr ère ;
» Vous-même , à son retour , fites briller sur nous
>> De l'astre de Fréjus le rayon le plus doux ;
>> Et cet astre toujoursa , sous son influence ,
» De l'Aigle des Français vu fleurir la puissance.
>> Sous ce règne, fécond en prodiges fameux ,
» Les arts prennent partout un élan généreux.
>> Animé des regards de ce chef intrépide,
» Il n'est point de Français qui se montre timide.
» O Nuit ! à notre essor pourquoi vous opposer ?
>> Pour lui plaire , il n'est rien que l'on ne puisse oser .
» Son nom saura du temps percer la nuit profonde :
>> Sans honte on peut céder au conquérant du monde. >>
La Nuit cède à ces mots , et du trône des airs
Laisse au rapide char les passages ouverts ;
Mais, tandis que du ciel il parcourt l'étendue ,
La déesse bientôt le cache à notre vue.
EDGAR ET LAURENCE.
J
ROMANCE.
Au temps jadis, par sa vaillance ,
Le noble Edgar fut renommé ;
Windsor garde la souvenance
De maint preux par lui désarmé.
D'amour il dédaigna les flammes
Pour chercher la gloire et l'honneur ,
Et jamais les plus belles dames
N'eurent de pouvoir sur son coeur.
Pourtant un jour que son courage
L'avoit conduit dans un tournoi ,
Son coeur , de l'amoureux servage
Fut bien près de subir la loi:
Ta
292
MERCURE DE FRANCE ,
"r
Les yeux de gente damoiselle
Troublèrent le fier chevalier ;
Il pâlit , et soudain loin d'elle
Précipita son dextrier .
C'est ainsi qu'il connut Laurence :
Sur son front brilloit la candeur ;
A son teint , roses d'innocence
Mêloient leur touchante langueur.
Cortes , barons , de cette belle
Se disputoient un seul regard ;
Mais de l'amour vive étincelle
Embrasa son coeur pour Edgar.
Réduite à l'aimer en silence ,
On vit bientôt ses traits flétris ;
Sur son visage , la souffrance ,
Hélas ! ne laissa que des lis.
Pauvre Laurence , à ton aurore
L'amour te conduit au tombeau !
souffle brûlant dévore
Tel un
Le narcisse , amant du ruisseau.
Un jour qué son ame abattue
Cédoit au
besoin du repos ,
En songe , d'une voie émue ,
Elle laissa tomber ces mots :
« O de l'amour cruel martyre !
» Faut- il m'éteindre dans les pleurs ,
» Et lorsque je meurs , n'oser dire :
» Edgar , c'est pour toi que je meurs ! »>
Alix qui veilloit auprès d'elle ,
Entendit ce cri douloureux ;
Pleine de tristesse et de zèle ,
Elle s'en alla vers le preux .
Dans les tours du château gothique
Gémissoient les brises du nord,
Et la chouette prophétique
De Laurence annonçoit la mort.
« Ah ! soutenez mon espérance ,
>> Beau chevalier , lui dit Alix ;
>> Des sombres douleurs de Laurence
>> Le secret enfin m'est appris :
AOUT 1807 293
Le coeur de la vierge modeste ,
» En songe , a parlé sans détour ;
» Venez , à cette heure funeste ,
>> Pour vous elle expire d'amour. >>>
Cette voix , ce touchant langage ,
D'Edgar attendrirent le coeur ;
Soudain de son noble visage
S'enflamme la chaste pâleur.
« Sèche tes pleurs , ange timide ,
» Edgar finira tes tourmens ! »
Ila dit ; et dans l'ombre humide
D'Alix il suit les pas errans.
« Réveille - toi , pauvre Laurence ,
» Lui dit cet amant adoré :
» Si j'avois connu ta souffrance ,
» Tu n'aurois pas long- temps pleuré. »>
Mais Laurence est pâle et muette ,
Les pleurs d'Edgar mouillent sa main :
Ainsi sur l'humble violette
Brillent les larmes du matin.
« Ah ! lui dit la vierge éperdue ,
»
Que n'ai- je eu le sort de la fleur ,
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.1 .
»› Qui naît et qui meurè inconnue , mislota.
» L'amour n'eût pas brisé mon coeur !
» Promets à Laurence expirante a 12
>> De tes pleurs le deuil, consolant.....op , to braga 1
A ces mots , cette ame innocentem sapidia sume 2
Aux cieux s'envola doucement.
D'Edgar , l'amé désespérée
Ne retrouva plus le repos ;
Partout sa raison égarée
Voyoit des spectres , des tombeaux .
Le jour , dans les bois les plus sombres
Il alloit cacher ses tourmens ;
Et la nuit , au milieu des ombres ,
H **)
Sa voix la demandoit aux vents .
Mais enfin , dans un monastère ,
bord des mers
Qui s'élevoit an h
Il prit le cilice et la haire
Pour dompter ses chagrins amers .
}
294
MERCURE
DE FRANCE,
Là , dans la nuit , quand sur la rive
Se brisent les flots écumans ;
Il croit de Laurence plaintive
Entendre les gémissemens.
P. M. LORRANDÓ.
ENIGME.
JB parle bien en vain si l'on ne m'envisage :
Mon silence est ma voix , ma forme est mon langage.
Ce qu'on m'a dit , lecteur , c'est moi qui te le dis ;
Tu dis ce que je dis , dis-moi donc qui je suis.
"
Par un Abonné.
LOGOGRIPHE
DE neuf pieds seulement, qui composent mon tout,
Six donneront un fruit très- agréable au goût ;
Deux offriront un arbre ; et quatre, une rivière;
Tu trouveras dans cinq un bítume odorant ,
Un grand marché public , une arme meurtrière ;
Dans trois , ce que jamais on n'excite en pleurant ;
Et dans huit , pour tout dire , un Père de l'Eglise ,
Ou , si tu l'aime mieux , certaine chose exquise
Qu'on servoit , nous dit- on………. Je n'achèverai pas ;
Il faut te laisser seul franchir ce mauvais pas.
Cependant , je veux bien te dire bonté
par
Que le mot que tu cherche est un fruit de l'été.
CHARADE.
J'AI vu mon entier ,
Avec mon premier
Manger mon dernier .
C
1
16767
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° . est Zéro.
Celui du Logogriphe est Cordon , où l'on trouve cor, roc , or, don.
Celui de la Charade est Car-lin.
A OUT 1807. 295
De Louis XIV et de ses Successeurs.
QUELQUES admirateurs de Louis XIV n'ont pas été
contens de ses OEuvres , publiées , l'an dernier , en six vol.
in-8° . ; et les invectives contre les éditeurs de ce Recueil
ont été sans mesure. Que pouvoit-on cependant imaginer
de plus utile à la gloire de ce roi célèbre que de rassem→
bler ainsi toutes ses lettres , toutes ses idées , toutes ses
esquisses ? Ce soin même n'étoit - il pas un hommage , et
n'en devoit-il pas résulter un moyen de plus d'apprécier
un si grand homme? Suffisoit - il de l'avoir jugé par les actes
de ses ministres et par les Mémoires de ses contemporains ?
Ne convenoit- il pas de le considérer de plus près dans les
écrits dictés ou ordonnés par lui , de suivre attentivement
toutes ses traces des pensées qui ont été le plus véritablement
les siennes ? Et si les éditeurs ont porté la fidélité jusqu'au
scrupule , si toutes les pièces qui composent leur Recueil
sont d'une authenticité parfaite , que peut-on avoir à leur
reprocher , sinon peut- être quelques - unes des observations
qui leur sont propres , et qui occupent assez peu d'espace
dans les six volumes ?
à qui Disons plus ; il y a des
lecteursa
vérité , la foiblesse ,
plus Louis A
la nullité de ses talens militaires y est démontrée jusqu'à
l'évidence on ne sera plus tenté de l'élever au rang des
héros , de le comparer à ceux dont le génie anime de grandes
armées , dirige des mouvemens innombrables , prévoit les
obstacles , combine les moyens , et décide la victoire . Mais
enfin il ne ressemble pas non plus à ces monarques fainéans
, qu'on a vu languir , avant lui , après lui , sur le
même trône , indifférens à tous les besoins de l'Etat , incapables
de les sentir et de les comprendre. Louis XIV ,
malgré les vices de son éducation , sut conserver et accroître
l'activité naturelle de ses facultés ; il acquit , par ses propres
efforts , la plupart des connoissances et des habitudes de
P'homme d'Etat ; et depuis la mort de Mazarin , en 1661 , il
a réellement présidé à l'administration intérieure de son
royaume. Ses lettres , ses écrits , les notes qu'il fournissoit
au rédacteur de ses Mémoires , annoncent des observations
délicates , des vues profondes , des résolutions fermes , de
la stabilité dans les plans , des intentions généreuses , et de
la droiture dans de grands desseins .
292
MERCURE DE FRANCE ,
Les yeux de gente damoiselle
Troublèrent le fier chevalier ;
Il pâlit , et soudain loin d'elle
Précipita son dextrier.
C'est ainsi qu'il connut Laurence :
Sur son front brilloit la candeur ;
Ason teint , roses d'innocence
Mêloient leur touchante langueur.
Comtes , barons , de cette belle
Se disputoient un seul regard ;
Mais de l'amour vive étincelle
Embrasa son coeur pour Edgar.
Réduite à l'aimer en silence ,
On vit bientôt ses traits flétris ;
Sur son visage , la souffrance ,
Hélas ! ne laissa que des lis .
Pauvre Laurence , à ton aurore
L'amour te conduit au tombeau !
Tel un souffle brûlant dévore
Le narcisse , amant du ruisseau.
Un jour que son ame abattue
Cédoit au besoin du repos ,
En songe , d'une voie émue ,
✔Elle laissa tomber ees mots :
« O de l'amour cruel martyre !
» Faut- il m'éteindre dans les pleurs ,
>> Et lorsque je meurs , n'oser dire :
>> Edgar , c'est pour toi que je meurs ! >>
Alix qui veilloit auprès d'elle ,
Entendit ce cri douloureux ;
Pleine de tristesse et de zèle ,
Elle s'en alla vers le preux.
Dans les tours du château gothique
Gémissoient les brises du nord,
Et la chouette prophétique
De Laurence annonçoit la mort.
« Ah ! soutenez mon espérance ,
>> Beau chevalier , lui dit Alix ;
>>> Des sombres douleurs de Laurence
>>>Le secret enfin m'est appris :
AOUT 1807: 293
Le coeur de la vierge modeste ,
» En songe , a parlé sans détour ;
» Venez , à cette heure funeste ,
» Pour vous elle expire d'amour. »
Cette voix , ce touchant langage ,
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« Sèche tes pleurs , ange timide ,
» Edgar finira tes tourmens ! »
Il a dit ; et dans l'ombre humide
D'Alix il suit les pas errans.
« Réveille -toi , pauvre Laurence ,
» Lui dit cet amant adoré :
» Si j'avois connu ta souffrance ,
» Tu n'aurois pas long- temps pleuré . »
Mais Laurence est påle et muette ,
Les pleurs d'Edgar mouillent sa main :
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Brillent les larmes du matin .
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294 MERCURE DE FRANCE,
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Là , dans la nuit , quand sur la rive
Se brisent les flots écumans ,
Il croit de Laurence plaintive
Entendre les gémissemens.
P. M. LORRANDO.
ENIGME.
Je parle bien en vain si l'on ne m'envisage :
Mon silence est ma voix , ma forme est mon langage.
Ce qu'on m'a dit , lecteur , c'est moi qui te ledis;
Tu dis ce que je dis , dis-moi donc qui je suis .
Parun Abonné.
LOGOGRIPHE.
De neuf pieds seulement, qui composent mon tout ,
Six donneront un fruit très-agréable au goût ;
Deux offriront un arbre ; et quatre , une rivière;
Tu trouveras dans cinq un bitume odorant,
Un grand marché public , une arme meurtrière ;
Dans trois, ceque jamais onn'excite enpleurant ;
Etdans huit , pour tout dire , un Père de l'Eglise ,
Ou, si tu l'aime mieux , certaine chose exquise
Qu'on servoit , nous dit-on.... Je n'achèverai pas ;
Il faut te laisser seul franchir ce mauvaispas.
Cependant , je veux bien te dire parbonté
Que le mot que tu cherche est un fruit de l'été.
CHARADE. 1
,
J'AI vu mon entier
Avec mon premier
Manger mon dernier .
٤٦ 10767
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Zéro .
Celui du Logogriphe est Cordon , où l'on trouve cor, roc, or, don.
Celui de la Charade est Car-lin.
AOUT 1807. 295
De Louis XIV et de ses Successeurs.
QUELQUES admirateurs de Louis XIV n'ont pas été
contens de ses OEuvres , publiées , l'an dernier , en six vol.
in-8°.; et les invectives contre les éditeurs de ce Recueil
ont été sans mesure. Que pouvoit-on cependant imaginer
de plus utile à la gloire de ce roi célèbre , que de rassembler
ainsi toutes ses lettres , toutes ses idées , toutes ses
esquisses ? Ce soin même n'étoit - il pas un hommage , et
n'en devoit-il pas résulter un moyen de plus d'apprécier
un si grand homme? Suffisoit-il de l'avoir jugé par les actes
de ses ministres et par les Mémoires de ses contemporains ?
Ne convenoit-il pas de le considérer de plus près dans les
écrits dictés ou ordonnés par lui , de suivre attentivement
toutes ses traces des pensées qui ont été le plus véritablement
les siennes ? Et si les éditeurs ont porté la fidélité jusqu'au
scrupule , si toutes les pièces qui composent leur Recueil
sont d'une authenticité parfaite , que peut-on avoir à leur
reprocher , sinon peut-être quelques-unes des observations
qui leur sont propres , et qui occupent assez peu d'espace
dans les six volumes ?
Disons plus ; il y a des lecteurs à qui ce Recueil a inspiré
plus d'estime pour Louis XIV. A la vérité , la foiblesse ,
la nullité de ses talens militaires y est démontrée jusqu'à
l'évidence : on ne sera plus tenté de l'élever au rang des
héros , de le comparer à ceux dont le génie anime de grandes
armées , dirige des mouvemens innombrables , prévoit les
obstacles , combine les moyens , et décide la victoire. Mais
enfin il ne ressemble pas non plus à ces monarques fainéans
, qu'on a vu languir , avant lui , après lui , sur le
même trône, indifférens à tous les besoins de l'Etat , incapables
de les sentir et de les comprendre. Louis XIV ,
malgré les vices de son éducation , sut conserver et accroître
l'activité naturelle de ses facultés ; il acquit , par ses propres
efforts , la plupart des connoissances et des habitudes de
P'homme d'Etat ; et depuis la mort de Mazarin , en 1661 , il
a réellement présidé à l'administration intérieure de son
royaume. Ses lettres , ses écrits , les notes qu'il fournissoit
au rédacteur de ses Mémoires , annoncent des observations
délicates , des vues profondes , des résolutions fermes , de
la stabilité dans les plans , des intentions généreuses , et de
ladroiture dans de grands desseins .
@96 MERCURE DE FRANCE ,
Depuis 1661 jusqu'en 1715 , ce règne peut se diviser en
deux époques. La première , qui se termine en 1685 , est
l'une des plus brillantes de notre histoire. Des triomphes ,
des bienfaits , des chefs- d'oeuvre la remplissent; et le monarque
, au milieu des hommes célèbres qui l'environnent,
paroît digne en effet de toutes les gloires qu'ils font
Tejaillir sur lui.Ces talens politiques , guerriers, littéraires,que
safortune a rassemblés autour de son trône , il les distingue,
il les honore , il les protège contre l'envie , l'intrigue et l'intolérance.
C'est à lui qu'ils doivent ce libre essor qui jette
sur de nom français un éclat immortel .
à
Pourquoi faut-il que des conseillers perfides l'entraînent ,
en 1685 , proscrire six cent mille citoyens fidèles , paisibles
, industrieux , à révoquer cet édit de Nantes , monument
sacré de lasagesse et de la loyauté de son aïeul ? On sait
trop quelles violences précédèrent et consommèrent ce désastre
; mais on n'en remarque point assez l'horrible influence.
Tout décroît dès- lors , tout s'éclipse ou s'altère par
degrés ; l'hypocrisie , la misère , le faste et les revers occupent
le reste d'un trop long règne . Les talens qui brillent
encore ne s'élèvent plus sans péril, Racine disgracié meurt
de sa disgrace même. Il n'est pas permis à Fénélon de
publier en France son plus bel ouvrage; et Bossuet lui-même
s'abstient de mettre au jour la défense des quatre articles
de 1682. Le monarque implore, en 1710 , Phumiliante paix
d'Utrecht; il obtient de Rome , en 1713 , un nouveau signal
de persécutions religieuses ; il n'expire qu'en léguant aux
règnes suivans les germes de toutes les discordes et de toutes
les adversités : des provinces désertes , un trésor vide , un
crédit épuisé , des armées vaincues , des alliés infidèles , et
des ennemis formidables .
- Quelques panégyristes du dix-septième siècle se plaisent
àopposer sa littérature à la philosophie du dix-huitième.
Osons rendre plus de justice aux écrivains qui ont illustré
le règne de Louis XIV , et ne les accusons point d'avoir
manqué de philosophie. C'est de la profondeur et de l'indépendance
de leurs pensées que leur style emprunte ses
graces , son énergie , sa noblesse. Quel est , pour ne citer
qu'un exemple , quel est l'écrivain du dix-huitième siècle
plus philosophe que Molière ? Qu'a-t-on fait , depuis 1700,
de plus philosophique que Tartufe ? Mais il est vrai que
l'édit de 1685 , ceux qui l'ont suivi , et les malheurs publics
qu'ils ont amenés , ont imprimé peu-à-peu une direction
nouvelle aux idées et aux travaux des hommes de lettres ;
et plus on croit avoir à se plaindre de cette direction , plus
AOUT 1807 . 297
ón doit en détester la cause . Ce fut , n'en doutons point , le
triste spectacle de tant de lois funestes qui exaspéra Bayle ,
Montesquieu , Voltaire , Rousseau , d'Alembert , et leurs
disciples . Environnés d'objets moins affligeans , ils auroient
eu d'autres pensées ; plus libres , ils auroient été moins
hardis ; et leurs talens , appliqués à des sujets moins épineux
, obtiendroient aujourd'hui des hommages plus unanimes.
Quelle que soit la littérature du dix-huitième siècle ,
moins élégante ou plus instructive que celle du dix-septième,
elleest ce que les lois de Louis XIV l'ont forcée d'être ; et
ce caractère philosophique par lequel on veut absolument
la distinguer , n'est au fond que la vive empreinté des
entraves politiques et religieuses qu'elle avoit à secouer.
Rienn'est plus affreux sans doute que la licence , la sédition
, la révolte ; et s'il étoit convenu que le mot de philosophie
ne signifie que tout cela , il seroit assurément le plus
odieux de la langue. Mais alors aussi il en faudroit inventer
In autre pour exprimer l'amour de la sagesse , la recherche
de la vérité, l'activité de l'esprit , l'étendue des pensées , le
progrès de la raison, la dignité des moeurs , la franchise et
J'énergie des vertus . Il nous paroît plus simple de ne pas
dénaturer ainsi les vocabulaires anciens et modernes , et de
conserver au mot de philosophie le sens honorable qu'ils
s'accordent à lui donner. Tous les siècles ont révéré sous
ce nom les lumières et les vertus de Socrate dans la vie
privée , et de Marc-Aurèle sur le trône. Un philosophe est
un sage, un esprit éclairé, un homme de bien , un citoyen
paisible , un sujet fidèle. Il oppose à toutes les turbulences ,
à tous les fanatismes , le calme de ses pensées et de son
caractère ; à tous les excès , une modération inflexible. Une
des plus vénérables maximes de l'antiquité , est celle qui
fixe le bonheur des cités à l'époque où la philosophie les
gouvernera , soit que l'héritier d'un trône devienne philosophe
, soit que l'héroïsme , le génie et les bienfaits d'un
philosophe le placent à la tête d'un vaste empire :
demum civitates beatas fore , cum reges philosopharentur ,
aut philosophi regnarent.
Tum
Depuis Socrate jusqu'à Malesherbes , des philosophes ont
été proscrits dans tous les siècles. Depuis Anytus jusqu'à
nos jours , la vérité et la vertu n'ont jamais manqué de persécuteurs
. Il n'est aucun temps , et presqu'aucun liều , où
l'on n'aperçoive les efforts de la raison et ceux de l'intolérance
, les triomphes alternatifs de l'une et de l'autre . Si le
dix-huitième nous paroît si éminemment philosophique ,
c'est parce que nous en sortons à peine, et qu'il vit encore
298 MERCURE DE FRANCE ,
dans nos souvenirs et nos habitudes ; c'est parce qu'à
toute époque on est disposé à regarder les progrès les plus
récens de l'esprit humain comme les plus grands qu'il ait
encore faits ; c'est , enfin , parce que les persécutions ont
ranimé , depuis 1685 , les querelles religieuses , et provoqué
un examen sévère de plusieurs questions délicates .
On reproche chaque jour à la philosophie les troubles
qui ont terminé le dix-huitième siècle . Il seroit plus aisé de
prouver qu'elle avoit indiqué les seuls moyens de les prévenir;
qu'ils sont nés précisément du mépris de ses conseils
, de la résistance à ses lumières . Mais ces troubles ,
enfin, si cruels et si déplorables , y apportera-t-on quel que
remède par ce soin qu'on prendra sans cesse d'en retracer
et d'en exagérer l'image ?
La guerre n'est , de sa nature , qu'un fléau ; et c'est ainsi
sur-tout que la considèrent les héros qu'elle immortalise.
Cependant , lorsque des triomphes et des traités viennent
de raffermir les droits d'un grand peuple , de rouvrir et
d'agrandir les sources de sa prospérité , la reconnoissance
efface jusqu'au souvenir des imalheurs que les combats ont
entraînés .
Les révolutions ressemblent à la guerre; elles sont des
calamités presqu'aussi vastes , et non moins inévitables ,
quand les gouvernemens ont vieilli dans l'inertie ou dans
l'erreur , les nations dans la détresse ou dans l'opprobre.
L'un des plus constans et des plus tristes résultats de l'histoire
, c'est qu'il n'appartient souvent qu'aux révolutions de
rajeunir les peuples , d'épurer les institutions , de ranimer
l'énergie publique. En gémissant de la violence de ces
crises , il faut déplorer encore plus les égaremens qui les
avoient provoquées. Heureux l'Empire au sein duquel un
gouvernement fort et sage en prévient invinciblement le
retour !
Ily auroit de la témérité à vouloir déterminer le degré
précciiss de dépérissement où laFrance auroit pu descendre ,
si les abus et le calme de l'ancien régime s'étoient prolongés
vingt ans de plus. On peut affirmer seulement qu'elle n'eût
acquis ni les nouvelles provinces , ni la toute- puissance
militaire , ni l'ascendant politique , qui lui assurent aujourd'hui
une place si éminente parmi les plus grands Empires .
Rien assurément ne lui promettoit en 1786 les destinées
florissantes qui viennent de commencer pour elle ; et l'on
étoit loin d'espérer, de cette troisième dynastie, de jour en
jour plus caduque , des prodiges et des bienfaits pareils à
ceux du héros qui s'est élancé du sein des orages pour
fonder la quatrième .
· AOUT 1807 . 2.99
Des rois qui se proclamoient les chefs de la noblesse ,
qui ne professoient le culte de leurs aïeux qu'en proscrivant
les autres cultes , qui ne savoient récompenser que les
hasards de la naissance ou de la catholicité , de tels rois
étoient bien moins ceux de la nation que ceux d'une caste
ou d'une secte. Le caractère de la quatrième dynastie est
d'être purement nationale. La gloire de l'Empereur des
Français est d'être en effet tout ce qu'exprime ce titre
auguste. C'est le mérite seul qu'il cherche , qu'il emploie ,
qu'il récompense dans tous les rangs de la société ; ce sont
les talens que son génie appelle , en quelque circonstance ,
tranquille ou terrible , qu'ils aient éclaté. Il a extirpé jusqu'aux
derniers germes des abus et des désordres auxquels
toutes les administrations de la troisième dynastie étoient
livrées ; et de sa main victorieuse il a établi d'une manière
positive le principe de la tolérance religieuse , qui a été si
méconnu dans tous les temps. Il ne croiroit pas avoir assez
réparé les malheurs de la révolution , s'il ne guérissoit
radicalement les maux plus profonds qui l'ont précédée.
Que le culte dela majorité des Français ait une existence
plus solennelle , le Concordat lui garantit un tel avantage ;
mais que cet hommage aux croyances de la multitude tende
à proscrire ou à flétrir les opinions du petit nombre , cette
hypothèse est par trop absurde : les actes par lesquels
PEmpereur n'a cessé de rassurer les consciences ont trop
d'éclat pour la permettre ; et ce n'est point dans la quatrième
dynastie qu'on espère , quand on se promet le retour des
violences , des exclusions , des anathèmes : on ne peut
attendre , sous le règne de Napoléon , que des lois justes et
bienfaisantes . L'intolérance , qui , après avoir égaré les
gouvernemens , a toujours fini par ne pas les tolérer euxmêmes
, l'intolérance va perdre de plus en plus son crédit
sur la terre ; et il faudroit la reléguer dans le ciel , si notre
religion sainte et pure nous permettoit de supposer, comme
autrefois , des dieux pervers , des divinités malfaisantes.
H. P. O.
300 MERCURE DE FRANCE,
1
Théorie du Beau dans la Nature et les Arts , ouvrage
posthume de P. J. Barthez , médecin de l'Empereur et
du Gouvernement , ancien chancelier de l'Université de
Médecine de Montpellier , conseiller d'Etat , membre de
Ma Légion-d'Honneur et de presque toutes les célèbres
Académies de l'Europe ; mis en ordre et publié par son
frère , avec la Vie de l'auteur . - A Paris , chez Léopold
Cotin , libraire , rue Gît-le-Coeur, n°. 14 ; et chez le
Normant , imprimeur - libraire , rue Saint - Germain-
P'Auxerrois, n . 17. De l'imprimerie de Crapelet ( 1807 )
вр
Le nom de Barthez , qui honore les sciences , et particulièrement
celle de la médecine , ne leur appartiendra plus
exclusivement ; et l'ouvrage de la Théorie du Beau permet
aux lettres de le réclamer. Son auteur sera placé plus d'une
fois , par ceux qui les cultivent , au rang de ces génies dont
les idées originales font des chefs de doctrine, et leur sagesse
des autorités . L'ouvrage de la Théorie du Beau peut
trouver en plusieurs points , des contradicteurs ; mais , en
beaucoup d'autres , il surprendra par la profondeur de ses
aperçus . On s'étonnera qu'un homme, livré toute sa vie
aux méditations médicales , aux exercices continus du pra
ticien ,manquant , on peut le dire, de loisirs pour détourner
son esprit vers l'étude des autres arts , ait pourtant surpris
ou deviné leurs secrets ; on s'étonnera de l'entendre parler
en orateur , de l'éloquence ; en poête , de la poésie ; en
compositeur , de la musique ; en véritable artiste , de tous
les arts . Mais ne faisons pas d'avance , et comme pour surprendre
la confiance du lecteur , l'éloge de cet ouvrage que
sonanalyse doit établir par preuve , et mettre par conséquent
au-dessus du doute.
La Théorie du Beau a été trouvée dans les manuscrits
de M. Barthez ; et c'est l'un de ses dignes frères , écrivain
lui-même , auteur du roman moral d'Elnathan , qui vient
de publier cette savante production. Il l'a fait précéder de la
Vie de son frère. Dans ce précis , il paie un juste tribut
d'hommages à cette ombre illustre : ici , c'est le coeur, autant
que l'esprit , qui s'acquitte. Voulant m'occuper beaucoup de
l'ouvrage deM. Barthez , je renvoie le lecteur aux détails
intéressans qui concernent sa personne .
A la suite de sa Vie est placée l'Introduction de l'ouvrage ;
et les premières lignes de cette Introduction consacrent cette
vérité , que ce n'est point dans l'état primitif, que l'on a
AOUT 1807 . 301
suppose souvent avoir été pour l'homme l'état de nature ,
mais dans la société, que peut seformer et se développer en
lui le sentiment de la beauté.
:
Le sentiment de la beauté est en effet un fruit de la
réflexion, que développe l'esprit d'observation et de rapprochement
, qui lui-même est un fruit de la civilisation. Ce
sentiment nn''eexxiiste donc point, ou n'existe que vaguement
dans les sociétés errantes , où ne vit pas le sentiment des
arts ; car en même temps qu'eux naît l'idée du beau , qui
s'étend avec eux , et toujours participe de leurs progrès .
Telle fut sa marche dans la Grèce; telte elle ne fut point
dans l'Egypte , où le sentiment du beau resta , comme on a
dit qu'y restèrent les arts eux-mêmes , stationnaire.
Envisageons toujours deux hommes dans l'homme ,
l'homme physique et l'homme intellectuel. Dans les sociétés
sauvages , l'on ne connoît , j'oserai même dire , l'on ne
cultive que l'homme physique : là sont ignorées , et par
conséquent négligées , les facultés de l'esprit et celles du,
chef- d'oeuvre des dieux , celles de l'ame. L'homme , dans
ces sociétés , ne jouit donc pas dans toute leur plénitude,
des bienfaits de la divinité : l'homme y est incomplet ,
puisqu'il n'est qu'une partie de lui -même , et qu'on n'y
remarque de lui que la plus imparfaite.
Les jouissances qu'on puise dans la culture des facultés
de l'esprit ajoutent aux jouissances des sens , en augmentant
leur activité , les enrichissant eux- mêmes de facultés nouvelles
, et leur donnant une délicatesse de perceptions qu'ils
n'eussent pu , sans l'influence de l'ame, ni connoître ni
soupçonner : j'ajouterai qu'elles remplissent les vides de la
vie, les interstices trop nombreux de ses plaisirs ; et que
là, semant d'intéressans épisodes , elles préviennentl'ennui,
ce poison lent qui la consume. L'ame , pénétrée et nourrie
des sucs de la science et des arts , ouverte au sentiment du
beau , en éprouve la passion. Dans cet heureux état , toute
autre affection équivoque ou malfaisante , tout penchant
vicieux a fui loin d'elle. Que de coeurs sauvés par la culture
d'un seul art ! Car ici la raison , cette raison si superbe
seroit impuissante , et son secours inefficace. Une illusion
ne se détruit que par une illusion : or , qui niera l'heureuse
diversion que font aux souffrances de l'ame les brillantes
illusions des arts ?
A cet avantage joignez cet autre : l'ame prend les habitudes
et comme l'allure de l'esprit. Or, l'esprit , incessamment
livré à la contemplation des beautés de la nature et
des arts , fait à l'ame un besoin de la contemplation du
1
302 MERCURE
DE FRANCE
,
grand , du beau moral. Les affections de même nature
deviennent son aliment habituel. Des grandes pensées
naissent les grandes actions : « L'esprit de l'homme ainsi
» éclairé , dit M. Barthez , et perfectionné par l'étude des
>> lettres et de la philosophie , conçoit les vertus auxquelles
» Phomme peut s'élever d'une manière beaucoup plus pár ,
» faite et plus grande que ne peut le concevoir un pâtre , un
» laboureur , ou tout autre homme d'une condition obscure,
» dont l'éducation n'a point étendu les lumières naturelles .
» Celui-ci ne peut que parcourir sans cesse un cercle de
» vertus communes , dans lequel il est entraîné , comme
automatiquement , par la nécessité , l'habitude et l'exemple
» de ses pareils. »
»
Et quand le sentiment du beau , qu'on a puisé dans la
méditation et la culture des arts , n'auroit d'autre utilité que
de rendre la vertu aimable , qui oseroit calomaier ces arts ,
qui sont la source de ce sentiment ? Le coeur qui s'en est
rempli se figure alors la vertu , telle qu'il a vu figurer les
chefs-d'oeuvre de la sculpture et de la peinture , revêtue
des plus dignes et des plus séduisantes formes ; et , pleine
d'attraits pour lui , il la suit et il l'adore.
Inspiré par la lecture de l'Introduction à la Théorie du
Beau, j'ai jeté ces idées , qui se rapportent à celles de l'auteur.
Je passe à l'ouvrage lui-même , bien plus fécond en
heureuses pensées de tout genre , et contre la séduction
desquelles il faut se tenir en garde , de peur d'être entraîné
à produire plusieurs volumes , alors qu'on a pour tâche de
ne rendre compte que d'un seul.
Cet ouvrage est divisé en discours ( au nombre de sept ) ,
qui sont eux-mêmes divisés en sections . Le premier discours
, comme cela devoit être , a pour titre : Du Sentiment
de la Beaute. Il falloit d'abord faire connoître quel il est ,
avant de rechercher par quels procédés ou artifices il se
forme.
**
Je suis fâché de commencer par n'être pas de l'avis de
l'auteur , du moins du principe qu'il pose , dès ses premières
lignes , que la beauté n'existe point par elle-même , et dans
les objets que nous trouvons beaux ; qu'elle n'est qu'une .
relation qu'ils ont avec nous , etc.
s'ac- Sans doute il y a un beau relatif, sur-tout en matière
d'arts ; mais il y a aussi un beau subsistant en soi , que
cordent à reconnoître presque tous les yeux et tous les goûts.
Entre le beau relatif et le beau positif, il est un beau douteux
ou de convention qu'on peut nier ou admettre ; mais ,
quant à un beau réel ( ici , les éclaircissemens me sont inter-
+
AOUT 1807.
303
dits, sous peine d'être accusé de faire un Traité ) ; quant à un
beau réel, dis-je , son existence ne peut être révoquée en
doute , à moins de douter aussi du sentiment qui en émane.
Il est , par exemple , telle action héroïque , tel écrit sublime
tel héros , tel grand poète , que tous les esprits bien organisés
ont admiré ou admirent. Dira-t-on que cette sorte de
beau n'a qu'une existence relative ? Ne sera-t-il qu'effet
lorsqu'il est prouvé qu'il est cause dans ces mouvemens
d'admiration qui agitent notre ame ? Est-ce que cet homme
illustre , ou ce fait remarquable, ne seroient l'un et l'autre que
par rapport à notre manière de l'envisager, et non par euxmêmes?
Je pense que Platon , raisonnant en sens inverse ,
et se formant du beau une idée à part de son objet , a
peut-être trop cédé aux prestiges de son imagination brillante
; mais M. Barthez tombe , je le pense , dans un autre
extrême , lorsqu'il ne fait de la beauté qu'un objet de relation
et purement dépendant ; que dis - je ? qu'un objet
négatif, comme le froid, comme s'il n'y avoit pas déjà beaucoup
à dire pour ou contre ce système de Brown , touchant
le calorique.
M. Barthez ne reconnoît- il pas cependant un peu plus
loin l'existence indépendante du beau , lorsqu'il parle « des
» conditions particulières qui doivent exister dans les divers
» genres d'objets , pour qu'ils puissent exciter le sentiment
» de leur beaute? Si l'accomplissement de ces conditions
est de rigueur , pour exciter ce sentiment , il faut reconnoître
que le beau existe , alors que les objets offrent en eux ces
conditions remplies. Raisonner autrement , c'est raisonner
subtilement , et non franchement; car nul effet sans cause .
Un grand génie , un grand talent , le génie de Napoléon , le
talent de M. Barthez excitent mon admiration , mon estime.
N'est-ce ici encore qu'un beau relatif? Ce beau que j'admire
existe bien clairement hors de moi ; et , par réflexion , il
provoque en moi ce mouvement que je nomme admiration .
Ce sera donc le sentiment , c'est -à -dire l'effet , et non le
beau , c'est- à -dire l'objet ou la cause , qui sera relatif. Et
alors ne pourroit- on pas dire au contraire que c'est bien le
sentiment du beau qui n'existe pas de lui-même , puisqu'il
ne commence qu'alors qu'il est excité par l'objet qui le frappe,
que postérieurement , et par une conséquence de la vue de
cet objet ? Je pense pourtant que , une fois né , il est trèsprononcé
, très -réel ; mais je pense aussi , à fortiori , que
P'objet a , comme lui , son existence très-distincte et très -indé
pendante des affections , qui ne sont que ses effets.
M. Barthez , à l'exemple de Winckelmann , a su distin304
MERCURE DE FRANCE ,
guer la perfection d'avec la beauté. La perfection ! C'est elle
qui est relative . Tous les yeux et tous les goûts peuvent être
plus ou moins juges de ce qui est beau . Il n'y a que des yeux
et des goûts éclairés qui le soient de ce qui est ou seroit parfait;
car il faut être , avant tout , instruit des procédés qui
mènent à la perfection.
un
Je répète que tous les yeux et tous les goûts peuvent être
plus ou moins juges de ce qui est beau et il est en effet
beau que nous sentons naturellement , et même dès l'enfance
, comme en vertu d'une disposition innée. En celui-là ,
il n'y a rien , ou presque rien de relatif. Il en est un autre
( celui qu'on sent dans les arts ) qui n'existe , je l'accorde ,
que fugitivement et superficiellement pour le vulgaire , et
qui se fait sentir , aux esprits éclairés seulement , dans toute
sa plénitude. Ici , il y a sans doute plus de relatif que llààhaut
; mais il y a encore un positif qu'on ne peut nier. Je'
dois faire remarquer que M. Barthez , parlant du beau , le
considère et dans la nature et dans les arts ; et c'est par cette
raison que j'ai cru devoir combattre sa doctrine.
Le second discours roule sur les agrémens qui , étant
attachés à certaines combinaisons des sons , peuvent être les
élémens du sentiment de la beauté.
Or , M. Barthez prononce d'abord que , « entre les objets
» des divers sens , il n'y a que ceux des sens de la vue et de
» l'ouïe qui puissent produire des sensations agréables , dont
» résultent les sentimens de la beauté . »
Cette décision n'est- elle pas un peu tranchante? Le toucher
, dans les ténèbres , ne distingue - t- il pas la beauté des
formes ( bien sentir, c'est voir ) ; l'odorat , la beauté des fleurs
qui parfument l'atmosphère ; et le goût , celle d'un fruit ,
éclairé par sa saveur ?
Ce discours ou chapitre est plein de recherches savantes
que l'auteur appuie sur des autorités reçues et estimées , telles
que Sulzer , Métastase , le père Martini , l'abbé Arnaud ,
Chabanon , Grétry , et autres grecques et latines , desquelles '
ces modernes ont eux-mêmes étayé l'édifice systématique
par eux élevé , soit à tous les arts en général , soit à celui de
la musique en particulier.
A propos des effets de la musique chez les anciens' , effets
supérieurs à ceux de la musique moderne , effets d'autant
plus surprenans , qu'il paroît (et c'est une remarque du
père Martini et de quelques autres ) , qu'il paroît que ces
anciens ne connoissoient pas l'harmonie proprement dite ,
M. Barthez rapporte sa supériorité sur la nôtre , à ce défaut
mêine d'harmonie , c'est-à-dire , à sa simplicité . Cette obserration
AOUT 1807 .
vation me semble lumineuse . Qu'on y réfléchisse : dégagé
de la partie scientifique , cet art devoit être un langage plus
naturel, et, comme étant moins composé, plus perceptible par
les sens et par l'ame. Aujourd'hui , les accens étudiés de
l'art , mêlés aux accens inspirés du coeur , partagent celui-ci
entre les sensations qui lui sont propres , et les combinaisons
qui appartiennent à l'esprit ,
« J'observe , dit M. Barthez , que les effets d'expression
» que produit la mélodie , sont d'autant plus puissans , que
» son exécution est plus dégagée d'ornemens qui lui sont
» étrangers . »
Depuis plusieurs années , les grands effets de la musique
s'affoiblissent , et bientôt seront perdus ; car , depuis plusieurs
années , l'on s'éloigne de la musique dramatique.
L'on a transporté dans l'art musical , comme l'ont fait dans
l'art poétique , quelques versificateurs modernes ( et je me
garderai bien de les honorer du titre de poètes ) : l'ony a transporté
je ne sais quelle manie enquêteuse , diroit Montaigne ,
de difficultés . Il semble que ce qu'ils craindroient le plus , ou
que leur plus grand effort seroit d'être simples . Au chant
d'expression , ont succédé les roulades , les roucoulemens ,
et l'on pourroit dire les gloussemens . De cette manièrè ,
l'exécution tombe dans une monotonie fatigante , et le chant
sort du gosier , non de l'ame . Aussi ne s'adresse -t - il plás
qu'à l'oreille , bientôt fatiguée elle -même , quand le coeur .
n'est pas de moitié dans l'intérêt.
M. Barthez considère et signale diverses causes générales
de la supériorité des effets de la musique des anciens ; mais
ses recherches deviennent ici trop scientifiques et trop techniques
pour entrer dans le cadre d'une simple analyse. Il
traite , dans cet intéressant chapitre , des combinaisons des
sons , du rhythme , de ses retours périodiques , de son pouvoir
, de ses caractères , etc. Ce chapitre entier s'offre à la
méditation du lecteur . Je passe au troisième , dont voici le
titre : Du beau dans les arts imitatifs , ou dans la peinture
et la sculpture.
M. Barthez attaque le principe de Batteux , qui a dit que
tous les beaux arts ont pour objet l'imitation de la nature.
Eh ! quel est donc , peut-on demander , l'objet des arts ,
autre que cette imitation ? Ou , si tel n'est pas leur but ,
pourquoi est-il reçu que l'artiste le plus habile est celui qui
s'est le moins éloigné de la nature , en rendant les produc
tions ou les effets de la nature ?
« A parler exactement , continue M. Barthez , les seuls
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
» arts qui sont essentiellement imitatifs , sont la peinture ét
» la sculpture. »
Ces deux arts le sont en effet plus que les autres ; mais la
poésie , qui est une autre peinture , est aussi une science
imitalive , ou pour mieux dire imitatrice. Pour détruire,
cette assertion , ce ne seroit pas aller droit à la preuve que
d'argumenter de cette sorte d'idéal qui entre dans la poésie ,
et qui entre de même , et toujours , dans les deux arts qu'on
vient de nommer . Qu'est-ce que cet idéal ? Il est formé par
un ingénieux travail de l'esprit , qui , calculant les distances
et les perspectives , a créé ce qu'on nomme le grandiose
, cet artifice nécessaire pour que les objets soient en
rapport avec les sens , et regagnent , dans une exagération
bien entendue de leurs formes , ce qu'ils doivent inévitablement
perdre dans l'éloignement. Cet idéal n'est pas toujours
, il est vrai , renfermé dans ces limites . Il les franchit ,
par exemple , dans les héros d'Homère et de l Arioste ; mais
pourtant ces héros tiennent encore à la nature par leurs
passions ; et c'est par ces passions sur -tout , c'est- à-dire par
ce qui les rapproche le plus du modèle , qu'ils nous plaisent
et nous font illusion . Que leurs passions , après cela , soient
colossales comme leur stature , peu importe dès-lors qu'elles
sont en perspective , et qu'entre ces êtres imaginés , mais
imités d'êtres réels , tout est en proportion . L'ensemble de
ces hommes extraordinaires est formé de traits empruntés
de l'homme ordinaire , et sont seulement agrandis . C'est en
celte dernière opération que réside l'idéal. Des beautés réunies
de cinq filles choisies de Cos , le pinceau de Zeuxis
forma une Hélène ; mais alors même son art n'eut pas
d'autre objet qu'une parfaite imitation de la nature , puisqu'elle
lui fournissoit les traits dont il composoit son ensemble
et l'idéal , à proprement parler , existoit encore
ici , dans l'ensemble seulement.
J'irai plus loin , et je dirai que ce qui est produit par l'artiste
, même idéalement , étoit ou est dans la nature. Réunir
des beautés éparses ; rapprocher d'agréables accidens qui
ne frappoient dans le grand tableau de la vie , ou de la
terre , ou du ciel , que par intervalles ; lier entr'elles d'intéressantes
circonstances que la nature n'offroit que séparées :
voilà Popération ou du peintre ou du poète ; mais , s'il ne
l'imite pas cette fois dans son ensemble , il forme un ensemble
de ses divers traits ; et plus il les a rendus au naturel
, plus il excelle. Tant pis ensuite pour les poètes ou
les peintres , qui se faisant plus savans que la nature , l'ont
je te dirai , faussée , et non surpassée , comme disent quel-
9
AOUT 1807.
307
ques personnes. Des peintres , pleins de génie , tels que
le Tintoret et Rambrandt , ont pu , en opérant une sorte
d'hymen , plutôt inattendu que forcé , entre des couleurs
tranchantes , aller jusqu'à produire des contrastes qu'on n'a
pas remarqués dans la nature , et en obtenir de surprenans
et merveilleux effets ; mais ces couleurs encore étoient prises
sur la grande palette , et fournies par l'observation et l'imitation
des objets naturels. Toute l'industrie du peintre a
consisté , cette fois encore , à les élire et les rapprocher.
Quoiqu'on ne partage pas , et même alors qu'on ne les
partage pas , quelques opinions de M. Barthez , opposées
à des opinions admises comme fruits de l'expérience , on
ne peut que s'étonner , presque à chaque page de son livre ,
du fonds de vaste érudition , et de la fécondité d'aperçus
qui en forme la substance.
Rien de plus juste , comme rien de plus profondément
senti et analysé que ce qu'il dit dans ce troisième discours
des beautés idéales de l'expression ; des caractères que doi
vent avoir les qualités agréables des objets visibles , pour
faire naître le sentiment de la beauté; de ceux que doi
vent avoir les couleurs d'un objet , ses formes , så grandeur,
etc.; de l'effet de ses rapports et proportions , de leur
influence , etc. , dans la même fin.
Partout dans ces considérations , la critique de M. Bar
thez est solide et conséquente , est celle d'un homme quí
cherche à dégager la vérité des ombres de l'erreur .
Le quatrième discours traite des beautés de l'homme et de
la femme. L'auteur y remarque les agrémens principaux qui
peuvent concourir à produire le sentiment de la beauté du
corps humain. « Il est très- certain , comme il dit , que l'on
a une telle habitude de lier , avec l'idée de la beauté d'u corps
humain , l'idée de ses dimensions un peu supérieures à
celles qui sont les plus ordinaires , que , par une suite de
l'association de ces idées ; on est porté à croire plus grande
qu'elle n'est , la taille peu avantageuse d'un homme chez
qui les parties du corps ont de la beauté , par l'effet de leur
correspondance parfaite. Suétone rapporte que l'empereur
Auguste étoit de petite taille ; mais que ce défaut étoit couveri
per la convenance d'agencement et les justes proportions
de ses membres ; de sorte qu'on ne ' en apercevoit que lors
qu'il étoit assis auprès d'un homme de grande taille . »
Il parcourt quelques goûts des peuples relativement à la
beauté. L'on a donné à ce mot une acception sans doute
trop restreinte ; car enfin je pense , et M. Barthez le prouve
que le convenable , qui suppose l'armonie dans les rap-
Y a
302 MERCURE DE FRANCE ,
grand , du beau moral. Les affections de même nature
deviennent son aliment habituel. Des grandes pensées
naissent les grandes actions : « L'esprit de l'homme ainsi
>>éclairé , dit M. Barthez , et perfectionné par l'étude des
>>lettres et de la philosophie , conçoit les vertus auxquelles
>> l'homme peut s'élever d'une manière beaucoup plus pár
>>faite et plus grande que ne peut le concevoir un pâtre, un
>>laboureur , ou tout autre hommed'une condition obscure,
>>dont l'éducation n'a point étendu les lumières naturelles.
>>Celui-ci ne peut que parcourir sans cesse un cercle de
> vertus communes , dans lequel il est entraîné , comme
>> automatiquement , par la nécessité , l'habitude et l'exemple
>> de ses pareils .>>>
Et quand le sentiment du beau , qu'on a puisé dans la
méditation et la culture des arts , n'auroit d'autre utilité que
de rendre la vertu aimable , qui oseroit calomaier ces arts ,
qui sont la source de ce sentiment ? Le coeur qui s'en est
rempli se figure alors la vertu , telle qu'il a vu figurer les
chefs-d'oeuvre de la sculpture et de la peinture , revêtue
des plus dignes et des plus séduisantes formes ; et , pleine
d'attraits pour lui, il la suit et il l'adore.
Inspiré par la lecture de l'Introduction à la Théorie du
Beau, j'ai jeté ces idées , qui se rapportent à celles de l'auteur.
Je passe à l'ouvrage lui-même , bien plus fécond en
heureuses pensées de tout genre , et contre la séduction.
desquelles il faut se tenir en garde , de peur d'être entraîné
à produire plusieurs volumes , alors qu'on a pour tâche de
ne rendre compte que d'un seul.
Cet ouvrage est divisé en discours (au nombre de sept ) ,
qui sont eux-mêmes divisés en sections. Le premier discours
, comme cela devoit être , a pour titre : Du Sentiment
de la Beauté. Il falloit d'abord faire connoître quel il est ,
avant de rechercher par quels procédés ou artifices il se
forme.
Je suis fâché de commencer par n'être pas de l'avis de
l'auteur , du moins du principe qu'il pose , dès ses premières
lignes , que la beauté n'existe point par elle-même , et dans
les objets que nous trouvons beaux; qu'elle n'est qu'une
relation qu'ils ont avec nous , etc.
Sans doute il y a un beau relatif, sur-tout en matière
d'arts ; mais il y a aussi un beau subsistant en soi, que s'accordent
à reconnoître presque tous les yeuxettouslesggooûts.
Entre le beau relatifet le beau positif, il est un beau douteux
ou de convention qu'on peut nier ou admettre ; mais ,
quant à un beau réel (ici ,les éclaircissemens me sont inter-
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que
dits, sous peine d'être accusé de faire un Traité) ; quant à un
beau réel , dis-je , son existence ne peut être révoquée en
doute , à moins de douter aussi du sentiment qui en émane.
Il est , par exemple , telle action héroïque , tel écrit sublime ,
tel héros , tel grand poète , que tous les esprits bien organisés
ont admiré ou admirent. Dira-t-on que cette sorte de
beau n'a qu'une existence relative ? Ne sera-t-il qu'effet ,
lorsqu'il est prouvé qu'il est cause dans ces mouvemens
d'admiration qui agitent notre ame ? Est-ce que cet homme
illustre , ou ce fait remarquable, ne seroient l'un et l'autre
par rapport à notre manière de l'envisager, et non par euxmêmes
? Je pense que Platon , raisonnant en sens inverse ,
et se formant du beau une idée à part de son objet , a
peut-être trop cédé aux prestiges de son imagination brillante
; mais M. Barthez tombe , je le pense , dans un autre
extrême , lorsqu'il ne fait de la beauté qu'un objet de relation
et purement dépendant ; que dis - je ? qu'un objet
négatif , comme le froid, comme s'il n'y avoit pas déjà beaucoup
à dire pour ou contre ce système de Brown , touchant
le calorique.
M. Barthez ne reconnoît-il pas cependant un peu plus
loin l'existence indépendante du beau , lorsqu'il parle « des
» conditions particulières qui doivent exister dans les divers
» genres d'objets , pour qu'ils puissent exciter le sentiment
» de leur beauté? Si l'accomplissement de ces conditions
est de rigueur , pour exciter ce sentiment , il faut reconnoître
que le beau existe , alors que les objets offrent en eux ces
conditions remplies . Raisonner autrement , c'est raisonner
subtilement , et non franchement ; car nul effet sans cause .
Un grand génie , un grand talent , le génie de Napoléon , le
talent de M. Barthez excitent mon admiration , mon estime.
N'est-ce ici encore qu'un beau relatif? Ce beau que j'admire
existe bien clairement hors de moi ; et , par réflexion , il
provoque en moi ce mouvement que je nomme admiration .
Ce sera donc le sentiment , c'est-à-dire l'effet , et non le
beau , c'est-à -dire l'objet ou la cause , qui sera relatif. Et
alors ne pourroit-on pas dire au contraire que c'est bien le
sentiment du beau qui n'existe pas de lui-même , puisqu'il
ne commence qu'alors qu'il est excité par l'objet qui le frappe,
que postérieurement , et par une conséquence de la vue de
cet objet ? Je pense pourtant que , une fois né , il est trèsprononcé
, très -réel ; mais je pense aussi , à fortiori , que
l'objet a , comme lui , son existence très-distincte et très- indé
pendante des affections , qui ne sont que ses effets .
M. Barthez , à l'exemple de Winckelmann , a su distin304
MERCURE DE FRANCE ,
1
guer la perfection d'avec la beauté. La perfection! C'est elle
qui est relative. Tous les yeux et tous les goûts peuvent être
plus ou moins juges de ce qui est beau. Il n'y a que des yeux
et des goûts éclairés qui le soientde cé qui
fait; car il faut être , avant tout , instruit des procédés qui
mènent à la perfection.
est ou seroitpar-
3.
Je répète que tous les yeux et tous les goûts peuvent être
plus ou moins juges de ce qui est beau et il est en effet un
beau que nous sentons naturellement, et même dès l'enfance
, comme en vertu d'une disposition innée. En celui-là ,
il n'y a rien , ou presque rien de relatif. Il en est un autre
(celui qu'on sent dans les arts ) qui n'existe , je l'accorde ,
que fugitivement et superficiellement pour le vulgaire , et
qui se fait sentir , aux esprits éclairés seulement , dans toute
sa plénitude. Ici, ily a sans doute plus de relatif que làhaut;
mais il y a encore un positif qu'on ne peut nier. Je
dois faire remarquer que M. Barthez , parlant du beau , le
considère et dans la nature et dans les arts ; et c'est par cette
raison que j'ai cru devoir combattre sa doctrine.
Le second discours roule sur les agrémens qui , étant
attachés à certaines combinaisons des sons , peuvent être les
élémens du sentiment de la beauté.
Or , M. Barthez prononce d'abord que , « entre les objets
>> des divers sens , iln'y a que ceux des sens de la vue et de
>> l'ouïe qui puissent produire des sensations agréables , dont
>> résultent les sentimens de la beauté . >>>
Cette décision n'est- elle pas un peu tranchante? Le toucher,
dans les ténèbres , ne distingue-t-il pas la beauté des
formes ( bien sentir, c'est voir ) ; l'odorat , la beauté des fleurs
qui parfument l'atmosphère ; et le goût , celle d'un fruit,
éclairé par sa saveur ?
Ce discours ou chapitre est plein de recherches savantes
quel'auteur appuie surdes autorités reçues et estimées, telles
que Sulzer , Métastase , le père Martini , l'abbé Arnaud ,
Chabanon , Grétry , et autres grecques et latines , desquelles
ces modernes ont eux-mêmes étayé l'édifice systématique
par eux élevé , soit à tous les arts en général , soit à celuide
la musique en particulier.
Apropos des effets de la musique chez les anciens , effets
supérieurs à ceux de la musique moderne , effets d'autant
plus surprenans , qu'il paroît (et c'est une remarque du
père Martini et de quelques autres ) , qu'il paroît que ces
anciens ne connoissoient pas l'harmonie proprement dite ,
M. Barthez rapporte sa supériorité sur la nôtre , à ce défaut
même d'harmonie , c'est-à-dire , à sa simplicité. Cette obser-
:
vation
AOUT 1807 .
vation me semble lumineuse. Qu'on y réfléchisse : dégagé
de la partie scientifique , cet art devoit être un langage plus
naturel, et, commeétant moins composé, plus perceptible par
les sens et par l'ame. Aujourd'hui , les accens étudiés de
l'art , mêlés aux accens inspirés du coeur , partagent celui-ci
entre les sensations qui lui sont propres , et les combinaisons
qui appartiennent à l'esprit.
« J'observe , dit M. Barthez , que les effets d'expression
>> que produit la mélodie , sont d'autant plus puissans , que
>> son exécution est plus dégagée d'ornemens qui lui sont
>> étrangers .>>>
Depuis plusieurs années , les grands effets de la musique.
s'affoiblissent , et bientôt seront perdus ; car , depuis plusieurs
années , l'on s'éloigne de la musique dramatique .
L'on a transporté dans l'art musical , comme l'ont fait dans
l'art poétique , quelques versificateurs modernes (etje me
garderai bien de les honorerdu titre de poètes ) : l'ony a transporté
je ne sais quelle manie enquêteuse , diroit Montaigne ,
dedifficultés . Il semble que ce qu'ils craindroient le plus , ou
que leur plus grand effort seroit d'être simples . Au chant
d'expression , ont succédé les roulades , les roucoulemens ,
et l'on pourroit dire les gloussemens. De cette manière,
l'exécution tombe dans une monotonie fatigante , et lechant
sort du gosier , non de l'ame. Aussi ne s'adresse- t- il plus
qu'à l'oreille , bientôt fatiguée elle-même , quand le coeur
n'est pas de moitié dans l'intérêt .
M. Barthez considère et signale diverses causes générales
de la supériorité des effets de la musique des anciens ; mais
ses recherches deviennent ici trop scientifiques et trop techniques
pour entrer dans le cadre d'une simple analyse. Il
traite , dans cet intéressant chapitre , des combinaisons des
sons , du rhythme , de ses retours périodiqués , de son pouvoir
, de ses caractères , etc. Ce chapitre entier s'offre à la
méditation du lecteur. Je passe au troisième , dont voicile
titre : Du beau dans les arts imitatifs , ou dans la peinture
et la sculpture.
M. Barthez attaque le principe de Batteux , qui a dit que
tous les beaux arts ont pour objet l'imitation de la nature .
Eh ! quel est donc , peut-on demander , l'objet des arts ,
autre que cette imitation ? Ou , si tel n'est pas leur but ,
pourquoi est-il reçu que l'artiste le plus habile est celui qui
s'est le moins éloigné de la nature, en rendant les produc.
tions ou les effets de la nature ?
<<A parler exactement , continue M. Barthez , les seuls
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
>>arts qui sont essentiellement imitatifs , sont la peinture et
>>>la sculpture.>>
Ces deux arts le sont en effet plus que les autres ; mais la
poésie, qui est une autre peinture , est aussi une science
imitative , ou pour mieux dire imitatrice. Pour détruire
cette assertion, ce ne seroit pas aller droit à la preuve que
d'argumenter de cette sorte d'idéal qui entre dans la poésie ,
et qui entre de même, et toujours , dans les deux arts qu'on
vientde nommer. Qu'est-ce que cet idéal ? Il est formé par
un ingénieux travail de l'esprit , qui , calculant les distances
et les perspectives , a créé ce qu'on nomme le grandiose
, cet artifice nécessaire pour que les objets soient en
rapport avec les sens , et regagnent , dans une exagération
bien entendue de leurs formes , ce qu'ils doivent inévitablement
perdre dans l'éloignement. Cet idéal n'est pas toujours,
il est vrai , renfermé dans ces limites. Il les franchit ,
par exemple , dans les héros d'Homère et de l Arioste ; mais
pourtant ces héros tiennent encore à la nature par leurs
passions ; et c'est par ces passions sur-tout , c'est-à-dire par
ce qui les rapproche le plus du modèle , qu'ils nous plaisent
et nous font illusion. Que leurs passions , après cela , soient
colossales comme leur stature , peu importe dès-lors qu'elles
sont en perspective , et qu'entre ces êtres imaginés , mais
imités d'êtres réels , tout est en proportion. L'ensemble de
ces hommes extraordinaires est formé de traits empruntés
de l'homme ordinaire , et sont seulement agrandis. C'est en
cette dernière opération que réside l'idéal1.. DDeess beautés réunies
de cinq filles choisies de Cos , le pinceau de Zeuxis
forma une Hélène ; mais alors même son art n'eut pas
d'autre objet qu'une parfaite imitation de la nature , puisqu'elle
lui fournissoit les traits dont il composoit son ensemble
: et l'idéal , à proprement parler , existoit encore
ici , dans l'ensemble seulement.
J'irai plus loin , et je dirai que ce qui est produit par l'artiste
, même idéalement, étoit ou est dans la nature. Réunir
des beautés éparses ; rapprocher d'agréables accidens qui
ne frappoient dans le grand tableau de la vie , ou de la
terre , ou du ciel , que par intervalles ; lier entr'elles d'intéressantes
circonstances que la nature n'offroit que séparées :
voilà l'opération ou du peintre ou du poète ; mais , s'il ne
l'imite pas cette fois dans son ensemble , il forme un ensemble
de ses divers traits ; et plus il les a rendus au uaturel
, plus il excelle. Tant pis ensuite pour les poètes ou
les peintres , qui se faisant plus savans que la nature , l'ont ,
je te dirai , faussée , et non surpassée , comme disent quel
AOUT 1807. 307
ques personnes . Des peintres , pleins de génie , tels que
le Tintoret et Rambrandt , ont pu , en opérant une sorte
d'hymen , plutôt inattendu que forcé , entre des couleurs
tranchantes , aller jusqu'à produire des contrastes qu'on n'a
pas remarqués dans la nature , et en obtenir de surprenans
et merveilleux effets ; mais ces couleurs encore étoient prises
sur la grande palette , et fournies par l'observation et l'imitation
des objets naturels . Toute l'industrie du peintre a
consisté , cette fois encore , à les élire et les rapprocher .
Quoiqu'on ne partage pas , et même alors qu'on ne les
partage pas , quelques opinions de M. Barthez , opposées
àdes opinions admises comme fruits de l'expérience , on
ne peut que s'étonner , presque chaque page de son livre ,
du fonds de vaste érudition ; et de la fécondité d'aperçus
qui en forme la substance.
à
Rien de plus juste , comme rien de plus profondément
senti et analysé que ce qu'il dit dans ce troisième discours
des beautés idéales de l'expression ; des caractères que doi
vent avoir les qualités agréables des objets visibles , pour
faire naître le sentiment de la beauté; de ceux que doivent
avoir les couleurs d'un objet , ses formes , så grandeur,
etc.; de l'effet de ses rapports et proportions , de leur
influence, etc. , dans la même fin.
Partout dans ces considérations , la critique de M. Barthez
est solide et conséquente , est celle d'un homme quí
cherche à dégager la vérité des ombres de l'erreur .
Le quatrième discours traite des beautés de l'homme et de
lafemme. L'auteur y remarque les agrémens principaux qui
peuvent concourir à produire le sentiment de la beauté du
corps humain. « Il est très-certain , comme il dit , que l'on
aune telle habitude de lier , avec l'idée de la beauté du corps
humain , l'idée de ses dimensions un peu supérieures à
celles qui sont les plus ordinaires , que , par une suite de
l'association de ces idées , on est porté à croire plus grande
qu'elle n'est, la taille peu avantageuse d'un homme chez
qui les parties du corps ont de la beauté , par l'effet de leur
correspondance parfaite. Suétone rapporte que l'empereur
Auguste étoit de petite taille ; mais que ce défaut étoit couveri
par la convenance d'agencement et les justes proportions
de ses membres; de sorte qu'on ne 'en apercevoit que lors
qu'il étoit assis auprès d'un homme de grande taille. »
Il parcourt quelques goûts des peuples relativement à la
beaute. L'on adonné à ce mot une acception sans doute
trop restreinte ; car enfin je pense , et M. Barthez le prouve ,
que le convenable, qui suppose Puanmonie dans les rap
Va
308 MERCURE DE FRANCE ,
ports, est presque toujours le beau. La laideur même a
quelquefois sa beauté. Voyez ce Roscius , avec ses yeux
de travers (perversissimis oculis ! ) : Catulle nous le repré
sente plus beau qu'Apollon. Qu'IL EST BEAU ! s'écrioient
les femmes , oubliant l'air commun de le Kain , lorsque
l'ame d'Orosmane ou de Vendôme , passant dans la sienne ,
animoit ses yeux de tous les feux de l'amour. En ces momens
d'inspiration , la figure de l'homme de génie , quelque
peu conforme même qu'elle soit à ces proportions qui constituent
la beauté , brille en effet d'un éclat céleste ; et c'est
dans cette idée que le Métromane a dû dire :
Les personnes d'esprit sont-elles jamais laides ?
L'enfant qui n'a aucuns traits marqués , aucuns non plus
où se montre son ame , que lui-même ignore, peut plaire ,
mais sans exciter le sentiment du beau , que peut faire
naître au contraire l'aspect d'un vieillard , dont l'ame ;
encore jeune , vient vivifier et rajeunir le regard :
« On voit , dit M. Barthez , de belles têtes de vieillards du
genre le plus imposant , dont les traits pleins de vie et
d'intelligence , semblent n'avoir été fixés par le long cours
des années que pour annoncer une ame qui survit à tout;
de ces têtes qui pourroient servir de modèles aux grands
artistes pour former des images divines de Saturne ou du
Temps, qui conserve sa nature immortelle à travers les
ruines de tous les âges . >>>>
2
La beauté du corps humain est remarquable donc :
d'abord , dans lajuste proportion qui existe entre ses parties
, dont le résultat organique impose quelquefois tellement
auxyeux , qu'il semble , comme on l'a vu par l'exemple
d'Auguste , élever la stature ; et, comme le reconncît aussi
Héliodore , dans son roman de Théagène (formæ præstantia
et excellentia adedit ad speciem proceritatis ). Elle l'est
ensuite dans la souplesse et la justesse d'exécution de ses
mouvemens , dans la pose du corps , doù résulte la grace ,
plus belle que la beauté même . Oeci est pour la grace naturelle.
Il en est une autre , factice , mais non moins puissante
quelquefois chez la femme , lorsque , par une sorte
d'aveu de sa propre foiblesse , elle semble solliciter le secour's
-de l'homme , de ce fier protecteur , qu'elle rend plus foible
qu'elle . C'est Armide triomphant d'un camp tout entier de
héros , dont elle feint de se faire la sujette,pour les mieux
faire ses esclaves .
Dans le cinquième discours , l'auteur développe les
beautés de l'eloquence.
AOUT 1807 : 309
Nous ferons remarquer , en entrant dans sa pensée , qu'il
est dans l'éloquence , comme dans les autres arts , des proportions
et des mesures que sent l'ame , non pas en s'en
rendant compte comme l'esprit , mais sans se tromper plus ,
et même en se trompant moins que lui. Voilà pourquoi
le vulgaire , qui n'a pas même une idée des règles de la
rhétorique , ni des procédés de l'orateur , goûte presque
toujours les vraies beautés oratoires , ou sent les vices d'un
discours , soit que l'objet traité le fût sans inspiration ou
non convenablement; qu'il soit étendu et délayé dans des
formes diffuses , ou à peine indiqué dans des divisions
étroites et mesquines .
L'orateur doit conserver religieusement le caractère de
l'éloquence , et ne pas le confondre , par exemple , avec
celui de la poésie. La poésie étant une sorte de langue toute
particulière , ses tours et ses nombres ne sauroient être
transportés dans la prose , meme oratoire , sans blesser
Poreille,, en cequ'ilsyforment une mesure cadencée qu'elle
n'yattend pas , qu'elle ne doit pas y attendre.
La prose a son rhythme général , résultant spécialement
des tours périodiques ; et son harmonie qui lui est propre ,
résultant aussi de l'ingénieux mélange des longues et des
petites phrases. Pour compléter ce résultat harmonique ,
il ne faut pas d'abus dans l'emploi des unes et des autres ;
c'est-à-dire, qu'il faut n'être ni trop souvent périodique ,
à l'exemple de Cicéron , ni procéder trop souvent par trait
et par épigramme , à l'exemple de Sénèque , et même de
Tacite ; n'être , enfin , ni trop arrondi , ni trop sec .
Il est, de plus , un autre excès que n'ont point évité
quelques-uns de nos écrivains , celui des phrases qu'on
pourroit nommer interminables , et qu'il ne faut pas confondre
avec celles qui ne sont que périodiques . M. Barthez -
fait , à ce sujet , cette remarque critique , qui est souvent
juste:
« Buffon , qui a beaucoup travaillé sur le style , sur
lequel il a donné d'ailleurs des conseils particuliers qui
sont fort bons , a généralement négligé les effets du rhythme
périodique , en faisant très -souvent des phrases qui ne
finissent pas , et dans lesquelles les parties principales ne
sont pas séparées , de manière à former, pour chaque
idée majeure , unson complet auquel réponde un accord
simple et harmonieux. »
Aristote trace , en deux mots , la ligne de démarcation
entre la prose et les vers : Le discours oratoire doit avoir
des nombres , mais il ne doit point avoir de mètres. Cette
1
3
310 MERCURE DE FRANCE ,
distinction est excellente. Elle n'a point été sentie , ou a
été ignorée de nos faiseurs de prose poétique. Nombreuse ,
et non régulièrement mesurée ; voilà quelle doit être la
prose. In Toreille est le seul juge de cette cadence irrégu
lière qui lui convient : irrégulière , sans doute , puisqu'elle
n'a ni règles de temps établies , ni retours de sous forcés ,
comme la cadence poétique.
ici ג
M. Barthez reçoit les trois divisions de style oratoire ,
admises par les rhéteurs : lesimple , le sublime , le tempéré.
C'est encore l'heureux mélange de ces trois styles qui constitue
la perfection d'un discours . Il produit , selon Hermogène
, Cicéron , Quintilien , etc. la variété , et par conséquent
l'intérêt, L'orateur ne peut être ou toujours simple,
ou toujours tempéré, ou toujours élevé , sous peine , là ,
d'ennuyer ; de fatiguer son auditeur, Que l'orateur
consulte donc , encore cette fois , son ame , son meilleur
guide ; qu'elle l'inspire , et il aura le ton convenable : car
Pame l'élevera , s'il faut qu'il s'élève ; et s'il faut qu'il soit
simple , le fera descendre avec dignité. En l'écoutant , il ne
se trompera ni sur le choix des pensées , ni sur celui des
expressions , ni sur ce qu'il faudra dire qu taire. L'ame
le ramènera à la peinture des sentimens naturels , et réglera
les tentatives quelquefois hasardées de l'art. En puisant
ainsi son talent dans son coeur , l'orateur est bien sûr
de se garantir de l'affectation , qui est la mort du talent. C'est
ce qui fait la grande force de celui de Démosthènes , ainsi
caractérisé par M. Barthez :
«La forme essentielle du style de Démosthènes , est d'être
1. serré et nerveux , les pensées n'y étant point liées d'une
Įmanière lâche ou avec des mots superflus ; 2°. grave , les
tours donnés aux pensées n'ayant point d'affectation , de
légèreté ou de finesse ; 3° , noble ou élevé , les expressions y
étant éloignées du langage familier , sans paroître recherchées
, etc,
Quant aux moyens oratoires , dont M. Barthez fait la
recherche dans la section troisième , c'est encore l'ame qui
les fournit à l'orateur (pectus est quodfacit disertos ) .
De là il passe aux causes qui acertaines époques, empêchent
Jes orateurs de s'élever au sublime. Les grands traits s'épuisent
, le beau s'use ; on en veut créer un nouveau , on ne
produit à saplace que du bizarre. Il faut qu'un autre ordre ,
que d'autres circonstances renouvellent les moeurs et les
habitudes , ouvrent au génię une nouvelle sphère d'idées :
alors le sublime peut reparoître. Cette époque de l'esprit
pumain luit pour nous ; car c'est celle ou un grand peuple
AOUT 1807 . 3tr
A
2
se retrempe , si l'on peut le dire , dans les destinées d'un
grand homme, et se ranime et se relève sous sa purissante
influence ; mais , alors , il ne faut pas que la médiocrité
envieuse attaque en tous sens les talens nés et à naître
pour les rabaisser à son niveau. L'un des moyens d'élever le
* génie , c'est de lui faire envisager toujours le point d'élévation,
en lui montrant la difficulté , mais non l'impossibilité
d'y atteindre. Malheureusement celui qui ne peut que
ramper veut que tout rampe autourde lui, et comme lui.
L'auteur assigne avec vérité et précision les causes prochaines
et éloignées de la décadence du goût.
Il montre les heureux effets de la culture des belleslettres
, qui sont un adoucissement des ennuis de la vie ;
une garantie pour les sciences elles-mêmes , qui survivent
à peine à leur chute ; un bienfait général pour l'esprit et
les moeurs , qu'elles polissent ; pour les coeurs , où elles
portent le sentiment de la vertu. Tout se tient dans l'ordre
inoral : la dégradation des esprits amène celle des coeurs
et celle des coeurs celle des esprits . Le secret , c'est de les
renouveler les uns par les autres .
2
La matière du sixième discours est intéressante pour
tous les poètes : il roule sur les beautés de la poésie.
L'art du poète n'est pas représentatif immédiatement ,
mais indirectement , des objets naturels , en ce qu'il produit
sur l'esprit , par une savante imitation , l'effet que produisent
la peinture et la sculpture sur les sens. Par elle ,
Pimagination se représente l'objet comme s'il étoit sous les
yeux ; et l'illusion ou l'optique de la scène le rend toutpuissant
sur l'ame , plus puissant même quelquefois que la
réalité. Il est très-sûr que le sentiment du beau est en proportion
des lumières de l'esprit ; il se fortifie par le raisonnement
et l'analyse : c'est un germe , en quelque sorte , que
la lecture ou la vue a fait entrer dans l'aime , que la réflexion
y développe, etde qui peuvent naître des productions , si
ce n'est pareilles , du moins analogues. C'est ce que j'éprouve
en ce moinent, à la lecture de la Théorie du Beau , qui
m'invite à suivre le cours des idées de son auteur, et m'entraîneroit
peut-être à faire moi-même un nouvel ouvrage
de même nature , sur cette matière inépuisable .
M. Barthez pénètre jusque dans les secrets du mécanisme
poétique , qu'il explique de manière à faire croire que le
célèbre physiologiste s'est, toute sa vie , occupé de poésie ;
qu'il empêche du moins qu'on n'oublie que le dieu d'Epidaure
est fils du dieu des vers. Je pourrois le suivre ici
dans ses recherches , si je ne craignois de tomber dans des
:
4
312 MERCURE DE FRANCE ,
explications trop métaphysiques , trop sèches par conséquent,
pour plus d'un lecteur. Je développerois , par exemple ,
sa théorie des temps ou de l'intervalle des mots , qui ralentit
ou précipite plus ou moins le mouvement du vers , par
conséquent sa mesure et son harmonie .
J'avouerai pourtant que , s'ily a les trois quarts de réel ,
il y a un quart d'arbitraire dans ses jugemens sur les effets
imitatifs des objets que le poète cherche à reproduire , ou
du moins à répéter. Exemple , lorsqu'il dit :
« L'on exprime avec force un mouvement précipité de
>> descente d'un objet , lorsque la suite de mots qui peint
>>ce mouvement finit par un mot monosyllabe qui fait une
>> chute singulièrement raccourcie. C'est ce qu'on sent dans
>> ces traits si connus :
Procumbit hymi bos
Et ..... ter revoluta toro est. »
L'on peut convenir qu'en ces deux endroits l'imitation
est heureuse ; mais il n'en faudroit pas faire une règle
générale. En voici la preuve :
<<Dans ce vers de Virgile sur la colombe , dit M. Barthez ,
>> que l'épervier saisit et déchire dans les airs avec ses serres ,
Tum cruor et vulsæ labuntur ab æthere pennæ ,
>>je vois , dit - il , la chute des plumes , dont la légéreté
>>ralentit cette chute et les relève en partie , bien exprimée
>>par le rhythme des mots ; et la beauté de cette expression
>>pittoresque se réfléchit sur l'image même. »
La prévention qui entre dans ce jugement est frappante.
Supposons que le même poète voulût peindre des roches
détachées et tombant du haut d'une montagne , et que l'expression
rupes remplace celle de pennæ :
Tum cruor et vulsæ labuntur ab æthere rupes ;
levers ne sera pas moins harmonieux ; mais il sera pittoresque
en un sens tout contraire , en ce qu'il peindra la
pesanteur, au lieu de la légéreté.
J'invite les poètes à méditer ses remarques ingénieuses et
pleines de goût sur l'usage des figures dans la poésie , sur
les figures sur-tout de comparaisons, pour lesquelles nous
somines devenus beaucoup plus exigeans que les anciens ;
car ils se contentoient de rapports incertains et éloignés entre
les objets de similitude : nous en voulons , nous , de prochains
et de frappans ; nous voulons même qu'ils s'accordent
et se correspondent en tous leurs points. Voilà ce qui rend
AOUT 1807 . 313
dans nos poëmes les figures plus rares , par l'embarras
qu'éprouve le poète de trouver ces ressemblances de rapport
: et voilà ce qui est autant de richesse perdue pour la
poésie , privée, en leur absence , du relief d'expression , qui
en est le coloris .
Ici je m'arrêterai : les considérations qui suivent , à
quelques points près qu'on peut contester , ou tout au moins
discuter , méritent beaucoup d'éloges . L'on remarque dans
toutes ces dissertations des connoissances variées , et sur-tout
un goût , qui n'appartiennent d'ordinaire qu'à l'homme qui
a fait son étude particulière de l'objet qu'il traite. Ce livre
est , en général , l'ouvrage , et d'un bon esprit , et d'un esprit
du premier ordre, éminemmentobservateur, et qui, à laforce
d'une conception vive et puissante, jointcelle d'une exécution
précise , presque toujours très-claire , quoique savante et
profonde. Je ne fais point de remarques sur le style , qui
laisse beaucoup àdesirer : la constante solidité du fond fera
oublier l'inégalité des formes.
3
R.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
:
٢٠٢٠
AU RÉDACTEUR DU MERCURE DE FRANCE.
Observations sur l'Histoire critique de la République
Romaine , etc.
1.
Deux extraits d'une Histoire critique , insérés dans le
Journal de l'Empire des 3 et 20 mai , donnent lieu à quelques
observations sur les règnes des sept rois de Rome , et sur
l'ouvrage , dans lequel l'auteur s'est proposé de détruire des
préjugés invétérés sur l'histoire des premiers siècles de cette
république.
Selonles meilleurs chronologistes , Romulus a régné 37 ans,
mais à quiconque suit avec attention le fif des événemens , ce
règne paroîtra n'avoir été que 17. Plutarque prouve évidemment
que le triomphe de Romulus coïncide à-peu-près avec
la dix-septième année de son règne. Ce même historien ,
Denys d'Halicarnasse et Tite- Live font la prise de Fidènes
le prétexte de la guerre contre les Veïens : ils parlent de
cette guerre comme entreprise bientôt après la réduction de
314 MERCURE DE FRANCE,
ville; aucundes trois ne laisse croire qu'elle ait été de longue.
durée. Ainsi , puisque la prise de Fidènes arriva dans la
seizième année du règne de Romulus , on ne peut rejeter la
conjecture d'Etienne Pighius , qui place le triomphe de
Romulus sur les Veiens dans la dix-septième année ; et , de
l'avis des mêmes historiens , cette guerre fut la dernière. Il
s'ensuit que , si ce prince a régné 37 ans , il a passé les dernières
années de sa vie dans une paix parfaite. En ajoutant
au moins 20 années de paix aux 43 années pacifiques sous
Numa, il faut convenir que les Romains avoient joui de la
paix durant 63 ans , lorsque Tullus Hostilius monta sur le
trône. Cependant , Plutarque rapporte que , quand Numa
fut élu roi , les Romains s'étoient endurcis à la guerre , et
Tite-Liveles appelle animos militia efferatos ( 1 ) . Comment ,
après une paix aussi longue , Tullus Hostilius auroit- il, pu
les tendre si subitement guerriers ? L'erreur à cet égard
semble venir de l'attachement des historiens à une chronologie
artificielle , puisque les événemens ne s'accordent pas
avec leurs époques.
Tarquin l'Ancien ne paroît pas avoir régné 38 , ni avoir
vécu 80 ans ; et le règne de Servius Tullius, son successeur, ne
peut se prolonger jusqu'à 44 ans. Servius , au commencement
de son règne , établit le cens , qui devoit être renouvelé
tous les cinq ans. Néanmoins , selon les marbres capitolins
, on ne compte que quatre lustres dans l'espace de ces
44 années. Il n'est pas probable que Servius aura négligé
P'observance d'une institution qui étoit le chef-d'oeuvre de
sa politique . Si donc ce règne ne renferme que quatre lustres
ou 20 ans , la mort de ce prince étant supposée immédiatement
avant le cinquième lustre, et le premier fixé vers la
cinquième année du règne , comme Denys d'Halicarnasse
semble l'insinuer, on peut retrancher 20 années des 44 assignées
à son administration. En supposant que Tarquin le
Superbe , petit-fils de l'ancien , n'ait eu que sept ans lorsque
son aïeul mourut , le règne de Tullius , à qui il succéda ,
ayant été de 44 , il en avoit 51 lorsqu'il s'empara du trône.
S'il es vrai qu'il ait régné 25 ans , il étoit âgé de 76 ans
lorsqu'il fut banni : s'il est vrai encore qu'il ait fait la guerre
aux Romains pendant 14 ans , où il parut toujours à la tête
de son armée , il adû continuer ses exploits militaires jusqu'à
l'âge de go ans; ce qui répugne à Denys d'Halicarnasse、
Il résulteroit que , suivant les supputations du chevalier
(1) Liv. , lib. 1 , стр. 15.
AOUT 1807: 315
Newton , ces sept règnes peuvent monter , par un calcul
fondé sur le cours de la nature et sur l'expérience , àgans ,
chaque règne étant borné à 15 , 16 et même 17 ans , lesquels ,
par rétrogradation , depuis l'exil des Tarquins , atteindront la
trente-huitième Olympiade , qui déterminera l'époque de la
fondation de Rome àl'an 628 avant Jésus-Christ , c'est-àdire
, 24 ans plus tard que celle fixée par les chronologistes
<<Mais , dit l'auteur de l'Histoire critique , qui n'agite
point la question , si l'on abrège la durée des règues de
>> Rome, l'histoire en devient encore moins vraisemblable
>>sous tous les rapports. On ne voit pourtant pas que des
difficultés chronologiques doivent affaiblir la croyance que
l'on donne à l'histoire . « Les faits rapportés par Denys
>> d'Halicarnasse et par Tite- Live , ne sont que des fables ,
>>des contes les plus ridicules. Il n'étoit pas besoin d'un
>>grand effort de raison pour se convaincre de leur absur
>>dité , etc. Il falloit croire sans examen qu'un certain Hora-
> tius Coclès avoit défendu , à lui tout seul, un pont contre
>> une armée entière; qu'un autre Romain avoit laissé brûler
» sa main , pour la punir de n'avoir pas tué Porsenna; qu'une
>>jeune fille, nominée Clélie, avoit traversé le Tibre à la
> nage , etc.; qu'un Menenius Agrippa avoit apaisé une
» sédition , en contant des fables aux révoltés. Tous ces contes
> n'étoient pas même crus du temps de Vespasien , etc.
D'ailleurs , Tite - Live lui- même n'ajoutoit que peu de
> croyance à ces faits miraculeux; il avoue qu'on ne savoit
> pas de son temps auxquels des champions d'Albe ou de
> Rome appartenoient les noms d'Horace et de Curiace. »
Cet aveu de Tite- Live annonce son étonnement sur l'inexactitude
d'un fait de l'antiquité le plus mémorable , mais il
reconnoit les Horaces pour Romains (1) . « Il faudra croire
> encore qu'après environ cinquante ans , une domination
> fondée par trois mille banditset pasteurs , et accrue d'un
>> ramas de débiteurs insolvables , de criminels échappés à
» l'animadversion des lois , d'esclaves fugitifs , sera devenue
> assez florissante pour que son quatrième roi ait été obligé
>> de lui donner un port et une ville maritime , et que son
>>cinquième roi ait appelé les arts , et signalé son règne par
>>>des travaux dignes des nations les plus florissantes. Comme
> cette conclusion est absurde , les faits avérés obligent de
reculer l'époque de la fondation de Roine. »
Ladernièrede toutes ces assertions sembleroit nous rame-
(1) Live,lib . 1, сар, 24.
316 MERCURE DE FRANCE ,
ner au pyrrhonisme de l'histoire. D'unepart , on nepeutabré
ger la durée des règnes sans inconvénient; d'autre part , il
faut en reculer l'époque. Quel parti prendre ?Avec tous les
égards dus à la personne même et à la réputation de l'auteur,
le lecteur impartial , sans se laisser éblouir par le
flambeau de la critique , est en droit d'examiner l'authenticité
des faits et des preuves ; car un suffrage isolé ne balancera
jamais celui de tous les anciens qui ont parlé du peuple
romain, le seul distingué de tous les autres peuples , etque
Pauteur présente sous l'aspect le plus odieux , avec la teinte
du ridicule. En suivant l'ordre établi dans la critique , voici
les faits : Horatius Coclès ne parut point seul à la tête du
pont; il fut soutenu par deux autres Romains aussi distingués
par leur naissance que par leur courage. On lui érigea
une statue dans le Comice (1). Mucius Scævola , jeune
Romain , dans l'enthousiasme de la liberté , exposa sa main
sur un brasier ardent, pour affronter un Toscan qui vouloit
asservirRome. On lui accorda, au-delà du Tibre , un champ
qui , dans la suite , fut appelé de son nom (2). Les Romains ,
pour rendre à la jeune Clélie un honneur extraordinaire ,
Tui firent élever une statue équestre dans la voie Sacrée (3).
Menenius Agrippa , habile magistrat , connoissoit le pouvoir
des fables , et son apologue , plein de sens et de raison ,
produisit l'effet qu'il devoit en attendre (4) . Suétone rapporte
que l'empereur Vespasien entreprit de rétablir les trois mille
tables d'airain qui avoient souffert de l'incendie des Gaulois ,
et qu'après une recherche exacte des textes , il forma la collection
la plus belle et la plus ancienne des titres de l'Empire
, lesquels remontoient presqu'à la naissance de Rome(5).
Il n'est pas dit que Rome, loin d'avoir fait trembler Porsenna
, avoit été obligée de se rendre à ce prince . L'histoire
dit, au contraire , qu'il leva le siége , que la paix fut conclue ,
etqu'il sortitdu territoire romain (6) . Le quatrième roi est
Ancus Marcius , qui établit des cérémonies militaires dont
(1) Liv., lib . 1, cap. 1o. Nicétas , dans son Histoire de l'Empereur
AlexisDucas, rapporte qu'au siége de Constantinople un seul Frane mit
en fuite une armée de Grecs. Quelqu'invraisemblable que soit ce fait en
lui-même, il est encore moins probable qu'un Grec l'ait inventé.
(2)-Cap . 13.
(3)-Ibid. Pourquoi d'ailleurs l'action de Clélie seroit-elle regardće
comme fabuleuse , tandis que, pendant notre révolution , nous avons vu
une femme se dévoner volontairement à la mort, pour débarrasser la patrie
d'un monstre qui la dévoroit ?
-Cap. 32.
(5) Suet. , Vit. Vespas. , cap . 8.
(6) Liv. 1 , lib . a , cap. 15.
AOUT 1807 . 317
Tite-Live nous a conservé la formule. Comme les rois ses
prédécesseurs , il transporta àRome les ennemis vaincus , et
les rendit citoyens : il joignit à la ville le Janicule , et pratiqua
une communication par un pont de bois , le premier
qui ait été construit sur le Tibre. Sa domination s'étendit
jusqu'à la mer , et sous son règne fut bâtie la ville d'Ostie ,
à l'embouchuredu Tibre (1) . Le cinquième roi est Tarquin
l'Ancien. Ce prince , après s'être signalé par différens établissemens
politiques , fit reconstruire en pierres les murs de
la ville , environna la place publique de galeries , l'orna de
temples , et de salles destinées aux tribunaux et aux écoles
publiques . Pline , qui vivoit 800 ans après , ne parle qu'avec
admiration des aqueducs qu'il fit construire , pour conduire
jusqu'au Tibre les eaux stagnantes faute d'écoulement (2).
En accordant à Ancus 24 ans de règne , et à Tarquin l'An
cien 38 , peut-on conclure raisonnablement que les faits
avérés obligentde reculer l'époque de la fondation deRome?
Il n'a pas fallu tant d'années à NAPOLEON, premierEmpereur
des Français , pour opérer plus de merveilles .
Quelques écrivains modernes , il est vrai , donnent le fondateur
de Rome pour un prince d'une naissance incertaine ,
devenu lui-même chef de brigands , et dont la ville , dans
son origine , n'étoit qu'une retraite de voleurs. Il falloit sans
doute que Romulus fût doué d'une grande sagesse pour
'former d'un ramas de bandits le peuple le plus grand , le
plus religieux , le plus riche en exemples de vertu , le plus
long-temps inaccessible à l'avarice et à la prodigalité ; chez
lequel, enfin , la vie pauvre et frugale ait été aussi constamment
en honneur (3) . En effet , Denys d'Halicarnasse met
ce chef au-dessus des plus habiles législateurs ; et Tite-Live ,
en parlant de son règne et de ses exploits , dit que tout
répond à l'idée d'un héros regardé comme descendant d'un
dieu , et digne lui - même d'être regardé comme tel (4) .
L'auteur de l'Histoire des Révolutions de cette république
'remarque que l'on sera peut- être étonné que , dans un Etat
gouverné par un roi , et assisté du sénat, tout se fit au nom
du peuple , sans faire mention du prince régnant; mais il
ajoute que les premiers habitans de Rome se pressèrent de
donner une forme au gouvernement , qui ne fut ni pure
mentmonarchique , ni entièrement républicain : de manière
(1) Lib . 1 , cap. 32 , 33.
(2) Ibid. , cap. 38.
(3) Liv. Præf.
(4) Liv. , lib . 11 , cap. 13 .
318 MERCURE DE FRANCE ,
que le roi , le sénat et le peuple étoient dans une dépen
dance réciproque ; le peuple , néanmoins , s'étoit réservé la
meilleure part dans l'administration des affaires .
Quoi qu'il en soit , l'auteur de l'Histoire critique prétend
qu'aucune autre histoire ne présente plus souvent , comme
dignes des plus grands éloges , les actions que doit condainner
l'équitable postérité. Il n'y voit que crimes , que
fausses vertus , qu'une politique vraiment infernale. Il craint
que les jeunes gens , destinés à vivre sous les lois de la
monarchie , ne prennent en dégoût et même en haine les
institutions de leur pays , et que , par la folle prétention
de devenir citoyens Romains , ils ne deviennent mauvais
citoyen . Si cette crainte étoit fondée , il faudroit proscrire
toutes les anciennes histoires , et un très-grand nombre des
modernes . L'historien critique seroit peut-être fort étonné
lui-même , si un de ces vieux illustres de Corneille , qu'il
rapetisse prodigieusement , l'interpelloit : L. Junius Brutus ,
par exemple. Ce Romain avoit à venger la mort d'un père
et d'un frère , victimes de la cruauté de Tarquin le superbe ,
à laquelle il n'auroit point échappé , s'il n'avoit caché le
projet de sa vengeance sous le masque de la stupidité. Personne
n'ignore le crime de Sextus Tarquin , et la fin tra
gique de Lucrèce (1) . Tout-à-coup Brutus laisse tomber le
masque , et paroit un grand homme. Il jure d'employer le
fer et le feu , de soulever le ciel et la terre contre le superbe
Tarquin , l'exécrable Tullie , leurs enfans et cette race scélérate:
il proteste que Rome ne sera plus , à l'avenir , gouvernée
par des rois (2). L'état républicain succède au monarchique.
Brutus est premier consul. Une conspiration en
faveur de Tarquin se découvre , ses enfans sont complices
. Père et juge , pouvoit-il , aussi foible que Collatin son
collègue, manquer à son serment sans autoriser de nouvelles
conjurations ? Sourd à la voix de la nature , il n'écoute que
son devoir , et , en sa présence , il fait trancher latête à ses
deux fils , comme à des traîtres . Voilà Brutus ! Ab uno
disce omnes . C'est ainsi qu'un philosophisme trop à la
mode, sous prétexte de s'affranchir des préjugés , brave
les traditions les plus accréditées , et prête aux plus belles
actions les couleurs de la bassesse et du crime. Tite- Live
soutient que le but principal dans l'étude de cette histoire ,
estd'étudier à fond le régime etles moeurs du peuple romain;
(+) Cap . 58.
(2) Cap. 59.
AOUT 1807 .
qu'elle est un monument d'autant plus utile, qu'elle expose
au grand jour des modèles d'instruction de toute espèce , des -
règles de conduite pour soi-même et pour la chose publique.
Ony apprend ce qui est également honteux dans l'entreprise
et dans l'exécution , afin de l'éviter : Inde fædum
inceptu , fædum exitu , quod vites . (1 )
Comme l'espace dans lequel je dois me renfermer ne mo
permet point de donner tous les développemens que pourroit
exiger unediscussion sur une matière aussi intéressante , je
termine en disant , avec un célèbre académicien , que , dans
l'étude de l'ancienne histoire de Rome , le lecteur s'en rap
porte au jugement , à la critique , à la pénétration et à la
fidélité de Cicéron , de Varron , d'Atticus , de Denys d'Halicarnasse
et de Tite-Live , auxquels se joint Polybe. Ce
n'est pas faire injure à un savantd'aujourd'hui que d'assurer
qu'il n'a pas les qualités d'historien dans un degré supérieur
à ces grands hommes , qui , plus près des événemens ,
avoient une connoissance plus exacte et plus approfondie de
l'antiquité.
DELAMARCHE , auteur des Recherches historiques
sur l'Origine de Rome , etc. etc.
-S. M. a rendu, le 8 de ce mois, le décret suivant :
NAPOLÉON, Empereur des Français etRoi d'Italie, protecteur
de la Confédération du Rhin.
Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur , notre conseil
d'Etat entendu, nous avons décrété et décrétons ce qui
suit:
Titre I" .- Dispositions générales.
Art. Icr. Aucune représentation à bénéfice ne pourra avoir
lieu que sur le théâtre même dont l'administration où les
entrepreneurs auront accordé le bénéfice de ladite représentation.
Les acteurs de nos théâtres impériaux ne pourront
jamais paroître dans ces représentations que sur le théâtre
auquel ils appartiennent.
II. Les préfets , sous-préfets et maires sont tenus de ne pas
souffrir que, sous aucun prétexte, les acteurs des quatre grands
théâtres de la capitale qui auront obtenu un congé pour aller
dans les départemens , y prolongent leur séjour au-delà du
(1) Præfat.
320 MERCURE DE FRANCE ,
:
temps fixé par le congé ; en cas de contravention, les direc
teurs des spectacles seront condamnés à verser à la caisse des
pauvres le montant de la recette des représentations qui auront
eu lieu après l'expiration du congé.
III.Aucune nouvelle salle de spectacle ne pourra être construite
; aucun déplacement d'une troupe d'une salle dans une
autre ne pourra avoir lieu dans notre bonne ville de Paris ,
sans une autorisation donnée par nous , sur le rapport de notre
ministre de l'intérieur.
Tit. II. -- Du nombre des Théâtres , et des règles auxх-
quelles ils sont assujétis.
IV. Le maximum du nombre des théâtres de notre bonne
villedeParis est fixéà huit. En conséquence , sont seuls autorises
à ouvrir , afficher et représenter , indépendamment des
quatre grands théâtres mentionnés en l'article Ist du règlement
de notre ministre de l'intérieur , en date du 25 avril dernier ,
les entrepreneurs ou administrateurs des quatre théâtres suivans
: 1º. Le théâtre de la Gaîté , établi en 1760 ; celui de
l'Ambigu Comique , établi en 1772 , boulevard du Temple ,
lesquels joueront concurremment des pièces du même genre
désignées aux paragraphes 3 et 4 de l'article III du règlement
de notre ministre de l'intérieur. 2°. Le théâtre des
Variétés , boulevard Montmartre , établi en 1777 , et le
théâtres du Vaudeville, établi en 1792, lesquels joueront concurremmentdes
pièces du même genre désignées aux paragraphes
3 et 4 de l'art. III du règlement de notre ministre
de l'intérieur.
V. Tous les théâtres non autorisés par l'article précédent ,
seront fermés avant le 15 août. En conséquence , on ne pourra
représenter aucune pièce sur d'autres théâtres dans notre
bonne ville de Paris , que ceux ci-dessus désignés , sous aucun
prétexte , ni y admettre le public , même gratuitement ,
faire aucune affiche , distribuer aucun billet , imprimé ou
à la main , sous les peines portées par les lois et règlemens de
police.
VI. Le règlement susdaté, fait par notre ministre de l'intérieur
, est approuvé , pour être exécuté dans toutes les dispositions
auxquelles il n'est pas dérogé par le présent décret.
VII. Nos ministres de l'intérieur et de la police générale
sont chargés de l'exécution du présent décret.
-
t
Signé NAPOLÉON.
Une ordonnance de M. le conseiller d'Etat préfet de
police , en date du 10 août , contient les dispositions,suivantes
:
Les
AOUT 1807 . 321
Ledécret impérial du 8 août présent mois , concernant les
théatres de Paris , sera imprimé , publié et affiché avec la
présente ordonnance.
Les quatre grands théâtres mentionnés en l'article Ier du
règlement de S. Ex. le ministre de l'intérieur , en date du 25
avril dernier , savoir : le théâtre de l'Opéra ( Académie Impériale
de Musique ); le Théâtre-Français ( Théâtre de S. M.
I'Empereur ) ; le théâtre de l'Impératrice; le théâtre de
l'Opéra - Comique ( théâtre de S. M. l'Empereur) ; et les
théâtre du Vaudeville , des Variétés , boulevard Montmartre;
de la Gaieté et de l'Ambigu- Comique , étant seuls autorisés
par l'article IV du décret impérial précité, à ouvrir , afficher
et représenter , tous autres théâtres non autorisés par ledit
article, doivent être fermés avant le 15 août, présent mois ,
conformément aux dispositions de l'article V du même décret
impérial.
Čes dispositions seront notifiées dans les vingt-quatre heures
aux propriétaires et entrepreneurs des théâtres non autorisés ,
pourqu'ils aient à s'y conformer dans le délai prescrit.
Les commissaires de police dans les divisions desquels il
se trouve des théâtres , autres que les huit autorisés par le
décret impérial , sont chargés spécialement, par la présenté
ordonnance, de faire cette notification, d'en dresser procèsverbal
, et de letransmettre de suite à la préfecture de police.
Pour l'entière exécution de l'article V du décret impérial ,
pareille notification sera faite aux propriétaires on locataires
des théâtres dits de Société , où le public étoit admis gratuitement
par des billets imprimés ou à la main.
-On a donné , lundi dernier , au Théâtre de l'Impéra
trice, la première représentation du Mariage des Grenadiers
, ou l'Auberge de Munich , coinédie en un acte:
Cette pièce de circonstance a obtenu le plus grand succès.
L'auteur a été demandé à grands cris. M. Picard, forcé de
paroître , est venu recevoir la preuve du plaisir que le public
avoit à le revoir, et de l'estime qu'il a toujours fait de son
talent.
-
4
Le même jour, on a donné à l'Opéra-Comique une
première réprésentation de l'Amante sans le savoir. Cette
pièce n'a eu aucun succes.
Mile Duval- Desroziers , actrice du Théâtre-Français ,
vientde mourir à l'âge de trente et un ans , des suites d'une
maladie de langueur. Elle ne jouoit que des rôles secondaires
, et même assez médiocrement ; mais elle n'est pas
moins regrettée par ceux qui la connoissoient. C'étoit une
fort belle femme, etdouéeéedu caractère le plus estimable
X
B22 MERCURE DE FRANCE ,
Elle a demandé , par son testament , à être transférée dans
le lieu de la sépulture de son père , dont la perte récente a
hâté sa mort. Elle a, de plus, desiré qu'on fit l'ouverture
de son corps , afin que la médecine découvrît la cause des
souffrances qu'elle avoit éprouvées , et d'une manière d'être
extraordinaire , et qu'elle ne pouvoit décrire ; voulant ainsi
être , après sa mort, utile à l'humanité. Cette intention a
été remplie : on atrouvé chez elle le péricarde extrêmement
rapetissé , et accompagné d'une poche qui renfermoit des
cailloux fort brillans , dont l'un, heurte par le scalpel , a
réellement fait feu . Mlle Desroziers laisse une mère et des
soeurs inconsolables , avec lesquelles elle aimoit à partager
tout ce qu'elle retiroit de son emploi.
-On voit depuis quelque temps au jardin des Plantes un
aigle que S. M. l'Impératricey a envoyé , et qu'on distingue
autant par sa beauté que par un anneau d'argent qu'il porte
àunede ses pattes. C'estle même dont on a parlé ily a quelque
temps; il s'étoit d'abord familiarisé avec un coq anglais , qui
a fini par lui servir de pâture. On ne sait pas si la mort du coq
a été provoquée par sa fierté , par quelque mouvement de
colère, ou bien par la faim de l'aigle. Le public ne sera pas
faché de connoître l'histoire de ce superbe animal , depuis le
moment où il a perdu sa liberté.
a
Il s'est laissé prendre dans la forêt de Fontainebleau , à un
piége tendu à des renards, et dont la détente lui a fracturé la
patte. Confié au docteur Paulet, sa cure a été longue et l'opération
douloureuse. L'aigle l'a supportée avec un courage et
une patience qu'on obtient difficilement de l'homme. Pendant
l'opération on ne lui a laissé que la tête de libre , et il n'a point
faitusage de cette liberté pour s'opposer au pansement de la
plaiedont on a retiré des esquilles , ni à l'appareil que la fracture
a exigé. Emmailloté dans une serviette , et couché sur le
côté, il a passé la nuit sur la paille sans faire le moindre mouvement.
lendemain, débarrassé de tout cet appareil , il
été sehucher sur un paravent , où il a passé douze jours entiers
sans s'appuyer sur la patte malade. Pendant ce temps , il n'a
point cherché à s'échapper , quoique les fenêtres restassent
ouvertes , et il a refusé toute nourriture. Ce n'est que le treizième
jour qu'il a essayé son appétit sur un lapin qu'on lui a
livré vivant; il l'a saisi avec la griffe non malade , et l'a mis à
mort d'un coup de bec entre la première vertèbre du cou et la
tête. Après l'avoir dévoré , il a repris sa place sur le paravent ,
d'où il n'a plus bougé jusqu'au vingt-unième jour de son accident.
Alors il a commencé à essayer la patte blessée , et sans
jamais riendéranger à la ligature qui l'assujétissoit , il en a
2 323 AOUT 1807.
rétabli l'usage par un exercice modéré avec intelligence. Cet
animal intéressant a passé trois mois dans la chambre d'un
domestique , qui le soignoit. Du moment où le feu étoit
allumé, il s'en approchoit , et se laissoit caresser. Au moment
da coucher , il se mettoit sur le paravent, en s'approchant
le plus près possible du lit , et s'éloignoit à l'extrémité
opposée , aussitôt que la lampe étoit éteinte. La confiance
desa force paroissoit éloigner de lui toute espèce d'inquiétude.
Il est impossible de montrer plus de résignation , plus de courage
, plus de raison dans la longue durée de sa maladie. Il
est de la plus belle espèce , et il ne conserve aucun reste d'iufirmité
, depuis l'accident qui lui a fait perdre sa liberté.
-On assure que l'école spéciale de géographie et d'histoire
, que S. M. se propose d'ajouter au Collège de France ,
pour l'encouragementdes lettres, sera composée ainsi qu'il suit :
Les chairesde géographie sont au nombre de quatre : 1°. une
chairedegéographie maritime; 2°. deux chaires de géographie
continentale , l'une de l'Europe et l'autre des autres parties du
monde ; 3°. d'une chaire de géographie commerciale et statistique.
Les chaires d'histoire seront au nombre de dix ; savoir : une
chaire d'histoire ancienne , y compris celle de grec; une
chaire d'histoire romaine ; une chaire d'histoire du moyen âge;
une chaire d'histoire moderne ; une chaire d'histoire de France;
une chaire d'histoire militaire ; une chaire d'histoire de législation
; une chaire d'histoire littéraire; une chaire d'histoire
ecclésiastique ; enfin une chaire de biographie.
-Le quai Napoléon , que l'on construit pour former une
communication directe entre le pont Notre - Dame et le
nouveau pont de la Cité , est totalement achevé dans la partie
qui décrit une courbe , et les travaux s'avancent rapidement
dans l'autre partie.
On propose à l'émulation des artistes pour sujet d'un
concours d'architecture , le projet d'un édifice monumental ,
destiné principalement à servir d'orangerie impériale et de
promenade d'hiver pour les habitans de Paris. Ondesireroit
que cet édifice ne s'éloignât pas beaucoup du palais des
Tuileries .
X On demande que cet édifice , indépendamment de sa
principale destination , puisse encore servir éventuellement
à l'exposition des produits de l'industrie nationale et à celle
de tous les objets propres à piquer la curiosité du public.
On laisse aux artistes le choix de l'emplacement , de sa
forme et de ses dimensions. On observe seulement que le
choix plus ou moins heureux de cet emplacement fera partie
(
X2
334 MERCURE DE FRANCE ,
essentielle du mérite du projet : on laisse aussi au génie d
artistes la plus grande latitude , pourvu toutefois que dans
cet édifice , qui doit être noble , d'un style d'architecture
analogue et pur , la décoration puisse s'accorder avec une
sage économie .
Les artistes étant maîtres de varier leurs compositions ,
on leur prescrit seulement de faire en sorte que leurs distributions
soient disposées de manière à ce qu'on ne soit pas.
obligé de suivre les mêmes traces en allant et en revenant.
On demanderoit que le centre pût servir d'arène , autour
*de laquelle s'éleveroit un amphithéâtre , dont la plate-forme
de l'édifice feroit les derniers degrés .
Il faut descendre à couvert .
-Les tableaux de la dernière exposition qui ont été plus
particulièrement distingués par les suffrages et l'estime du
public , sont encore , en ce moment , exposés dans la salle
Muséum , pour satisfaire la curiosité de plusieurs illustres
personnages que l'ouverture de la dernière campagne empêche
de s'occuper du salon.
de
On commence à abattre les vilaines maisons qui écrasoient
le pont Saint- Michel , et donnoient à ce quartier populeux
de la ville une physionomie basse et misérable. Le
pont Saint-Michel est très-ancien , mais n'a pas toujours
porté le même nom. On le nommoit autrefois le petit Pont,
puis le petit Pont-Neuf, puis le Pont-Neuf, puis enfin le
pont Saint-Michel , soit parce qu'il conduisoit à la place de ce
nom , au haut de la rue de la Harpe , soit plutôt à cause
la petite église de Saint- Michel , qui étoit dans l'enclos du
Palais. Il n'a pas toujours été bâti en pierre . L'an 1378 , il se
tint au Palais une assemblée composée de deux présidens et
soixante-sept conseillers du parlement , des doyen , chantre ,
pénitencier , et quatre chanoines de Notre-Dame , et de
cinq bourgeois . Là il fut résolu de construire ce pont , et on
fit aussitôt commandement au Prévot des Marchands de
faire commencer les travaux. Celui-ci n'y employa d'abord
que des vagabonds , des joueurs et des fainéans . L'ouvrage ,
qu'on faisoit en bois , avançoit peu et se faisoit mal; le pont
fut emporté par les glaces en 1407. On le reconstruisit deux
fois de la même manière et deux fois il essuya le même sort ,
savoir , en 1547 et en 1616. Enfin on se détermina , en 1618 ,
à le rebâtir en pierres , et ce fut alors qu'on le chargea des
trente-deux maisons qu'on y voit aujourd'hui , toutes bâties
sur le même plan, et toutes d'un aspect désagréable . Les
écroulemens et les incendies qu'elles ont éprouvées à plusieurs
reprises n'ont décourage personne . On les rebâtissoit
AOUT 1807 . 325
scrupuleusement sur l'ancien plan. Telle étoit la force de
Thabitude , et tel aussi l'empire des considérations particulières
sur l'intérêt public , toutes les fois qu'un gouvernement
ne joindra pas , comme le nôtre , les lumières à la
puissance , et la résolution de faire le bien à tous les moyens
de l'opérer.
La construction du canal destiné à joindre l'Escaut au
Rhin n'est plus une vaine hypothèse , et ce nouveau monument
de la gloire et de l'activité éclairée de S. M. l'Empereur
va enfin recevoir son exécution. Rien ne sera négligé
pour que ce canal réponde a la grandeur et à la puissance
du gouvernement qui le fait exécuter. Quatre rangs d'arbres
borderont les digues; de jolies maisons seront construites pour
Le service de chaque écluse ; un vaste port à son embouchure
dans le Rhin recevra et protégera les bateaux pendant l'hiver
et les débâcles.
On écrit de Vienne que l'architecte de la cour , M. de
Hohenberg , a présenté à l'Empereur un plan pour la constructiond'un
nouveau palaisimpérial , d'un style majestueux
et plus digne d'un souverain que l'ancien. L'encente de ce
palais seroit assez étendue pour que 20,000 hommes pussent
y être passés en revue. S. M. I. a fait un accueil particulier
à ce plan . S'il est entièrement agréé , les travaux dureront
plusieurs années , et l'on ne construira que successivement,
afin de diminuer les frais .
-Outre les tableaux qui décorent maintenant le choeur
de la basilique métropolitaine , on vient d'ériger deux statues
majestueuses , dont chacune couronne un rang des stales
canoniales . Le même temple se pare de tout ce qu'ily a
de plus riche pour la fête de Saint-Napoléon et le Te Deum
de la paix. Les belles tapisseries de la couronne sont tendues
dans toute la longueur de la nef et des bas-côtés .
Deux fontaines s'élèvent à -la- fois sur le parvis Notre-
Dame; elles borderont chaque côté de la porte du bureau
central des hospices de Paris : l'eau jaillira ddeess deux vases
de forme antique et d'une élégante simplicité.
-On a mis en vente depuis quelques jours, chez le Normant,
un ouvrage posthume de l'abbé Millot , de l'Académie française
intitule : Elémens de l'Histoire d'Allemagne ( 1 ) . Ces nou-
T
(1 ) Trois vol . in-12 . Prix : 8 fr . , et 11 fr. par la poste. Troi vol . in-8
Prix: 12 fr . , et 16 fr. par la poste.
Nota. Il a été tiréquelques exemplaires des deux formats sur pap. vélin
On trouve chez le même libraire , les Elémens de l'Histoire de France-
4vol. in- 12. Prix : to fr . 50 c. , et 14 fr . par la poste ; les Elémens de
Histoired'Angleterre ,3v. in- 12. Prix: 7fr. 50 c., et 10 fr. par laposte.
3
326 MERCURE DE FRANCE ,
1
veaux Elémens sont en trois volumes , comme les Elémens de
[Histoire de France , et ceux de l'Histoire d'Angleterre , par
le même auteur. Quand l'éditeur n'auroit pas pris le soin
d'apprendre au publie comment il est devenu propriétaire de
ce manuscrit , il suffiroit de parcourir l'introduction pour
être convaincu de l'authenticité de cet ouvrage. L'abbé Millot ,
sas être un très-grand écrivain , a cependant une manière
qui n'est qu'à lui, et par conséquent facile à reconnoître ; son
style , quelquefois dur et incorrect , a presque toujours le
mérite d'ure rare précision , et souvent celui d'une grande
* énergie. Cette introduction offre un tableau rapide et trèsanimé
de l'Histoire de l'Allemagne , depuis l'époque où les
Romains commencèrent à avoir quelque rapport avec les
Germains, jusqu'à l'avénement de Charlemagne à l'empire.
Nous rendrons compte incessamment de cet ouvrage d'autant
plus intéressant , que l'histoire de cette partie de l'Europe est
généralement moins étudiée en France , et a jusqu'ici trouvé
peud'historiens dont on puisse supporter la lecture.
- Voici quelques détails sur la dernière ascension de
M. Garnerin : son ballon , après avoir été ballotté dans l'air
pár les rapides variations du vent , a fait une ascension directe
de trois mille toises , et a rencontré un nuage fort
humide , qu'il s'est hâté de quitter , parce qu'il ressentoit un
froid insupportable , et que ses lumières menacoient de s'éteindre.
Ayant vogué quelque temps sans savoir où il étoit ,
parce qu'il n'avoit pas de point de comparaison pour sa
boussole , il est descendu à l'instant même de l'aurore ,
jusques à trois cents toises de la terre : ayant aperçu des
moissonneurs que son approche n'épouvantoit pas , il les
questionna , et apprit d'eux qu'il étoit près de Laon , cheflieu
du département de l'Aisne. Le desir de faire quelques
observations , le décida à continuer son voyage aërien . II
remonta à une plus grande hauteur que la première fois ; y
trouva une température à huit degrés au-dessous de zéro;
qu'il abandonna bientôt, dans la crainte d'y être asphixié
par la transition trop rapide du chaud au froid. Il rapporte
avoir vu , dans cette région élevée , plusieurs météores ,
dont il se tint à une distance respectueuse. Courmelois-sur-
Vesle , où il descendit vers les six heures du matin , est un
village du département de la Marne , situé à cinq lieues audelà
de Rheims , et à quarante-cinq lieues de Paris .
Errata. Mercure du 8 août 1807 , page 263 , ligne 25 : L'on rivalisa
avec la nature; lisez : l'art rivalisa , etc. Page 266 , ligne 3 : Etudia l'ar
-tique , enfin la règle de ses travaux ; lisez : enfit la règle , etc.
AOUT 1807 . 327
MODES du 10 août.
On prépare en abondance les habits et les manteaux de cour , qui
doivent servir aux présentations qui vont avoir lieu. Comme la saison le
prescrit, les manteaux sont de moire légère et de couleurs claires , rose
bleu ou li'as , brodés en argent ou garnis de plusieurs rangs de dentelle
d'argent. D'autres manteaux , sans broderie , sont ornés de fleurs , formant
une guirlande épaisse par le bas et mince vers le haut . Le corps de la robe
estde tulle brodé , soit semé général, ou bordure , avec un large remontant
et une garniture pareille , en dentelle légèrement froncée.
NOUVELLES POLITIQUES.
Constantinople , 20 juin.
Le courrier qui avoit été expédié de Constantinople à
Londres , il y a quatre mois , est de retour avec des dépêches.
Le cabinet de Londres désavoue la conduite de son
ambassadeur Arbuthnot et celle de l'amiral Duckworth , et
annonce l'envoi d'un nouvel ambassadeur , M. Paget. Ces.
dépêches ont donné lieu à un conseil qui s'est tenu chez le
muphti , dans lequel il a été décidé qu'on ne recevroit pas
l'ambassadeur anglais ; qu'on enverroit au-devant de lui pour
l'empêcher d'arriver à Constantinople , et qu'on n'écouteroit
aucune proposition avant que l'Egypte ne fût évacuée , et les
croisières anglaises rappelées au-delà de Malte. Tchelebi ,
pacha des Dardanelles , a été nommé grand-visir. C'est un
homme très-favorisé par les janissaires. Il s'est rendu sur-lechamp
à l'armée. (Moniteur. )
Londres, 4 août.
Les dernières dépêches de l'amiral Gambier annonçoient
qu'il se disposoit à passer le Sund avec toute son escadre. Nous
pouvons maintenant assurer que l'objet de cette expédition
est de prendre des mesures efficaces pour empêcher la flotte
danoise de tomber entre les mains de l'ennemi. Le but de la
seconde expédition n'est pas moins important ; et nous nous
flattons que sous peu de jours nous serons en état d'annoncer
ànos lecteurs que l'une et l'autre ont eu un succès complet.
(Sun.)
328 MERCURE DE FRANCE;
龙
Les troubles recommencent en Irlande. Une lettre de
Dublin , du 27 juillet, contient les détails qui suivent :
<< Samedi dernier ( 25 ) la garnison de Dublin a passé toute
⚫ la nuit sous les armes. Des patrouilles nombreuses parcouroient
les rues , et toutes les précautions de police avoient été prises
pour prévenir une insurrection , que des avis reçus par le
gouvernement, lui faisoient craindre. Un grand nombre d'habitans
de la campagne et beaucoup de personnes suspectes
s'étoient rendus à Dublin , et tout annonçoit que leur réunion
dans cetteville étoit le résultat d'un vaste complot. La vigilance
de l'administration en a sans doute imposé aux mal-intentionnés
, et la nuit s'est passée sans désordre. Cependant , les
inquiétudes ne sont pas dissipées , et le gouvernement continue
sasurveillance. »
2
Un convoi de 150 voiles, venant des îles , sous l'escorte du.
Canada, de 74 , vient d'arriver dans nos ports. Il étoit parti
de Tortola il y a environ six semaines. Un seul bâtiment
péri dans la traversée. Il a été consumé par un incendie.
L'équipage a été sauvé ; mais on n'a pu retirer la cargaison .
Le Courrier fait les réflexions suivantes sur le départ de
l'Empereur Alexandre pour Pétersbourg :
« Le retour précipité de l'Empereur de Russie à Pétersbourg
peut faire croire qu'il a voulu y donner des ordres pour
faire exécuter immédiatement quelques conditions du traité
avec la France. Plusieurs lettres reçues hier , font regarder
comme très-probable le départ pour, la Grande-Bretagne d'un
grand nombre de négocians anglais résidans à Pétersbourg , et
quelques-unes des premières maisons anglaises qui font le
commerce de Russie, ont donné des ordres pour faire assuren
les propriétés qu'ils ont dans les ports russes de la Baltique ,
taut en cas de prise qu'en cas de saisie.
>> On sait que la conduite de la dernière administration
déplaisoit autant à l'Empereur de Russie qu'à toutes les autres
puissances continentales ; elle prétendoit faire cause commune,
pour le salut de l'Europe , avec nos autres alliés , et elle ne
leur a pas envoyé un seul soldat ; elle a même chicané pour.:
donner 80,000 liv. st. ( 80,000 liv. st. mises en balance avec
le salut de l'Europe ! ) Le portrait tracé par un de nos confrères
n'est peut-être que trop vrai. « Nos ministres dans les
cours étrangères , nos envoyés extraordinaires ont été sans
cesse poursuivis par ces malheureuses questions : Où sont
donc les troupes anglaises ? Quand arrivent-elles ? Pourquoi
ne viennent-elles pas ? >> A force d'être trompé , on devient
indifférent ; et c'est vraisemblablement ce sentiment , ou plutot
cette absence de sentiment, qui prévaut , à notre égard ,
: AOUT 1807 . 329
dans le coeur de notre ancien allié. Il y a plus : quand il faut
ajouter aux fausses espérances données par les anciens ministres,
les malheurs éprouvés par les alliés , il n'est pas étonnant que
l'indifférence se change en mépris , et même en haine. >>>
Hambourg , 3 août..
On lit dans les gazettes de Copenhague du 28 juillet , l'article
suivant , qui paroît y avoir été inséré officiellement :
« La nouvelle qu'on vient de recevoir qu'une flotte consi
dérable de guerre est prête à mettre à la voile des ports d'Angleterre
pour la mer du Nord et la Baltique , paroît n'avoir
causé aucune crainte au public de cette ville. Il a d'ailleurs
trop de confiance en la sagesse de son gouvernement , et se
croit , par les mesures de défense de la ville et du port , assez en
sûreté contre une attaque quelconque... »
Toutes les communications avec la forteresse de Stralsund
étant coupées , il est très difficile de savoir ce qui se passe dans
cette place et dans les environs.
D'après un calcul qui paroît exact , les forces militaires de
la Prusse ne s'élèvent pas en ce moment à plus de 50,000 h . ,
y compris les garnisons de Glatz et Silberberg en Silésie.
Après la restitution des prisonniers de guerre prussiens qui
sont en France, il n'est pas apparent que la monarchie prussienne
puisse entretenir à l'avenir une armée de plus de
120,000 hommes , et encore faudra-t-il pour cela une économie
rigoureuse dans les finances. On sait que la Prusse avoit
autrefois des dépôts de recrutement dans un grand nombre de
villes de l'Empire, qui lui fournissoient beaucoup d'hommes ;
que l'on joigne à cela la perte de plus du tiers de sa population,
et l'on verra combien cette puissance va se trouver bornée
pour le recrutement d'une armée où l'on comptoit un si
grand nombre d'étrangers de tous les pays.
Du 4 août.- S. A. R. le prince Christian de Danemarck
et son auguste épouse, qui sont à Altona depuis le 16du mois
dernier , en sont partis avant-hier pour se rendre à Schwerin
et à Dobberau .
१
Le gouvernement saxon fait acheter mille chevaux pour
remonter la cavalerie saxonne ; on évalue cette dépense a
80,000 écus.
Précisément au moment où les trois souverains se trouvoient
ensemble à Tilsit , l'épouse de M. Staneowitz , fonctionnaire
public à Gamberinen , accoucha de trois enfans mâles , qui
furent baptisés le 10 juillet, et nommés Alexandre , Napoléon
ęt Frédéric-Guillaume.
On assure que le roi de Westphalie établira sa résidence
330 MERCURE DE FRANCE ,
dans la ville de Cassel , et que le mariage de ce souverain avec
la princesse de Wurtemberg , sera célébré à Paris le 25 août.
Il paroît hors de doute que le cabinet britannique a accepté
la médiation de la Russie.
PARIS , vendredi 14 août.
-Hier, à cinq heures du soir , trois voitures de la cour ont
conduit à Saint-Cloud S. A. Em. Mgr. le prince-primat, suivi
de ses officiers et des officiers de S. M. l'EMPEREUR , attachés
à sa personne. S. A. a été reçue au bas de l'escalier par S. Exc.
le grand -maître des cérémonies , qui l'a introduite dans le
cabinet de S. M. l'EMPEREUR et Ror .
S. Exc. M. le marquis Venturi , ambassadeur extraordinaire
de S. M. la reine d'Etrurie , a ensuite été conduit à l'audience
de S. M. par un maître et un aide des cérémonies qui avoient
été le chercher , à son hôtel , avec trois voitures de la cour.
S. Exc. le grand-maître des cérémonies a introduit avec les
formes accoutumées M. l'ambassadeur , qui a été présenté par
S. A. S. le prince de Bénévent , grand-chambellan , et a remis
ses lettres de créance à S. M.
S. Exc. M. le baron de Reigersberg, ministre plénipotentiaire
de S. A. I. et R. le grand-ducde Wurtzbourg, a ensuite
été conduit , introduit et présenté de la même manière , et a
remis également ses lettres de créance.
Le mêmejour , S. E. M. le sénateur Cezami , grand-écuyer
de S. A. I. Madame la princesse de Lucques , et son envoyé
extraordinaire , a été présenté à S. M. ( Moniteur. )
- Dimanche, 9 août , avant la messe , une députation
du royaume d'Italie , composée de S. Exc. M. Cafarelli ,
ministre de la guerre ; M. Contarini , membre de la consulte
d'Etat , et M. le patriarche de Venise , a été introduite dans
le cabinet de S. M. l'EMPEREUR et Rox par S. Exc. le grandmaître
des cérémonies , et présentée à S. M. par S. Exc. le
ministre des relations extérieures du royaume d'Italie . M. le
patriarche de Venise a porté la parole au nom de la députation.
Après la messe , S. M. a reçu le consistoire de l'Eglise
réformée du département de la Seine , présenté par S. Exc. le
ministre des cultes. M. Marron , président , a porté la parole.
Le conseil-général du département de la Seine a été admis
ensuite à l'audience de S. M. M. Rouillé de l'Estang , président
, a porté la parole.
Le même jour , Mad. la comtesse de Metternich, épouse de
'f
AOUT 1807. 331
M. l'ambassadeur de S. M. l'Empereur d'Autriche , a été présentée
à S. M. Elle a été conduite par un maître et un aide
des cérémonies, qui sontallés la chercher à son hôtel avec trois
voitures de la cour. Elle a été reçue à l'entrée des appartemens
par Mad. Maret, dame du palais , introduite par S. Ex .
le grand -maître des cérémonies , et présentée par Mad. Maret.
L'audience finie , Mad. la comtesse de Metternich a été reconduite
à son hôtel avec le cortége qui l'avoit accompagnée
à son arrivée.
Aneufheures du soir , S. A. S. le prince archichancelier de
l'Empire a présenté au serment, qu'ils ont prêté entre les mains
de S. M. , MM. le prince de Bénévent, ministre des relations
extérieures , nommé à la dignité de vice-grand-électeur ;
Champagny , ministre de l'intérieur , nommé ministre des
relations extérieures; Cretet, conseiller d'Etat, nommé ministre
de l'intérieur. (Moniteur.)
-Le 10 , à9 heures du soir , ont été présentés par S. A. S.
le prince archichancelier de l'Empire , au serment qu'ils ont
prêté entre les mains de S., M. , M. le conseiller d'Etat
Regnaut , nommé secrétaire de l'état de la famille impériale ;
et M. le conseiller d'Etat Jaubert , nommé gouverneur de la
Banque. (Moniteur. )
-S. A. R. le prince héréditaire de Bade et S. A. I. la
princesse Stéphanie-Napoléon son épouse viennent d'arriver
à Paris. LL. AA. occupent, rue de Lille, l'hôtel de S. A. I.
le prince Eugène , vice-roi d'Italie.
- Dans la nuit du 7 au 8 de ce mois , au milieu du
plus violent orage , le tonnerre est tombé avec un fracas
épouvantable sur le magasin à poudre de la ville de Namur.
Heureusement il n'a endommagé que la toiture de l'édifice.
-Un accident déplorable vient de confirmer la nécessité
des mesures récemment prises par la préfecture de police
à l'égard des cabriolets destinés pour les environs de Paris.
Lundi matin, vers midi , un de ces cabriolets , chargé de
cinq voyageurs , au nombre desquels se trouvoient une jeune
personne et sa mère , a été précipité dans la Seine , entre
Marly et Malmaison. Tous les secours prodigués aux victimes
de cette catastrophe furent inutiles , et ce fut un spectaclebien
douloureux de voir la même voiture ramener à Paris tous ces
infortunés compagnons de voyage que la mortvenoit de frapper
a la fois. On attribue cet épouvantable malheur au vice du
cheval , attaqué de la maladie qu'on nomme vertigo .
332 MERCURE DE FRANCE ,
- La princesse de Wirtemberg , reine de Westphalic , n'a
dû arriver à Strasbourg que le 14 août, d'où elle partira
le 17 pour Paris, en passant par Nancy. M. le maréchal Bestières,
nommé commissaire-plénipotentiaire pour aller rece- /
voir. S. A. R. sur les frontières de l'Empire , et l'accompagner
jusqu'aParis, est passé à Nancy , le 9 de ce mois, se rendant à
àStrasbourg.
- LL. MM. le roi et la reine de Hollande ont quitté
Tarascon le 4 de ce mois pour se rendre à Paris. Un journal
annonce qu'on attend aussi dans cette capitale LL. AA. II. le
prince vice-roi d'Italie et la princesse vice-reine .
-Onmande de Luxembourg que des événemens malheureux
se succèdent dans le département des Forêts avec une
rapidité bien affligeante , depuis l'explosion du Ferlorenkort et
la destruction de six habitations à Hollenfeliz par le feu du
ciel. Quarante-huit maisons viennent d'être la proie des
flammes dans la ville de Bastogne (surnommée Paris en
Ardennes ) ; l'incendie s'y est manifestée le 5 août, à trois
heures de l'après midi. Le lendemain au départ du courrier ,
il n'étoit point éteint : la cause de ce nouveau désastre est
encore ignorée.
-
On écrit de Nantes , 3r juillet :: « Une femme étant
tombée de cheval , il y a 7 ou 8 mois , on fut obligé de lui
couper le bras. La femme-de- chambre d'une dame de cette
ville, présente à l'opération , vint enrendre compte à sa maîtresse
, qui fut singulièrement affectée de ce récit. Cette dame
étoit dans les premiers mois de sa grossesse. Elle est accouchée
ces jours derniers d'un garçon qui ale bras coupé au même
endroit que celle qui a subi l'opération. L'accoucheur dit
n'avoir jamais rien vu de semblable. Le bras de l'enfant semble
véritablement avoir été coupé. »
On a long-temps disputé sur le pouvoir de l'imagination
des femmes enceintes. Ce nouveau fait peut fournir matière
à de nouvelles dissertations qui ne donneront pas plus de
lumières sur cette bizarre opération de la nature.
-- Le 31 juillet a été une époque de désastres pour le département
de l'Oise , ainsi que pour plusieurs autres départemens.
Dans le seul arrondissement de Clermont, la grèle a
ravagé trente-cinq communes; dans l'arrondissement de Beaus
vais , des maisons ont été découvertes , des moulins renversés ,
des chênes déracinés et des moissons entières ont tout-à-fait
disparu. Le même jour, le tonnerre est tombé sur le village.
de Sacy-le-Grand , où il a brûlé neuf maisons; sur le hameau
de Chamlier , où il a brûlé quatre maisons ; et près de Beauvais
sur la maison d'un ouvrier, qu'il a également réduite en
AOUT 1807 . 333
cendres. Le 10 de ce mois , la ville même de Beauvais a été
inondée en moins d'une heure ; la petite rivière de Thérain ,
est sortie tout-à-coup de son lit , et a couvert les faubourgs
de cette ville .
- D'après une décision de M. le conseiller d'Etat directeur-
général des ponts et chaussées , les voitures des cultivateurs
, non garnies de jantes larges , pourront continuer
jusqu'au 1er octobre prochain , à transporter les approvisionnemens
dans les villes , à condition qu'elles ne s'éloigneront pas
de plus de 3 myriamètres du domicile du propriétaire , et
qu'elles porteront un chargement inférieur à 2,900 kilogrammes
pour les voitures à deux roues , et à 4,200 kilogrammes
pour celles à quatre roues. Ce dernier délai, accordé
en faveur des cultivateurs qui n'auroient pas encore eu les
moyens de se pourvoir de roues larges , he recevra plus
aucune prolongation.
PREFECTURE DU DEPARTEMENT DE LA SEINE .
Programme arrété par M. le conseiller d'Etat Frochot,
préfet du département de la Seine , pour la célébration
desfétes du 15 août 1807 , dans la ville de Paris.
La fête de l'anniversaire de la naissance de S. M. l'EMPEREUR
et Ror sera célébrée dans la ville de Paris , par des jeux , des
exercices et des réjouissances publiques. Cette fête durera deux
jours, les 15 et 16 août.
Le 15 août, il sera établi , tant sur la rivière qu'aux Champs-
Elysées , des joûtes , jeux et autres exercices qui auront lieu
aux heures et sur les lieux indiqués ci-après , savoir :
Jeux qux Champs-Elysées.
Amidi , la fête s'ouvrira par des jeux aux Champs-Elysées.
Ces jeux seront : le jeu de quilles , celui de rampeau , de
siam , de bagues et les mâts de cocagne. Les trois premiers
seront placés dans les fossés qui bordent le Cours-la-Reine;
les jeux de bagues occuperont le grand carré, dit des Jeux , et
Jes mâts de cocagne , le carré de Marigny. Chacun de ces jeux
sera composé de plusieurs parties , à chacune desquelles il
sera accordé des prix. Le nombre des parties qui composeront
chaque jeu et des prix qui y seront attachés , est déterminé
ainsi qu'il suit :
1. Jeux de Quilles. -
Il y aura deux jeux , composés
)
334 MERCURE DE FRANCE ,
chacun de quinze joueurs. Il sera joué trois parties à chaque
jeu , et accordé trois prix pour chaque partie. Le premier ,
de 100 fr.; le second , de 75 fr.; le troisième , de 50 fr.
-
2°. Jeux de Rampeau. Il y aura également deux jeux
de rampeau , composés chacun de quarante joueurs. Il sera
de même joué trois parties à chaque jeu , et accordé trois
prix pour chaque partie. Lepremier, 100 fr.; lesecond, 75 fr.;
le troisième , 50 fr.
5°. Jeux de Siam. -Ils seront au nombre de quatre , à
chacun desquels on admettra dix joueurs ; chaque jeu sera de
trois parties, et il y aura trois prix à chaque partie. Le premier
, de 100 fr.; le second , de 75 ; le troisième de 50.
4°. Jeux de Bagues.- Ils seront au nombre de huit , composés
chacun de quatre joueurs. Il y aura vingt-cinq parties à
chaque jeu, et un prix de 12 fr. à chaque partie.
5°. Mats de Cocagne. - Ils seront au nombre de deux ;
tous ceux qui se présenteront seront admis. Il sera donné cinq
prix pour chaque mât. Celui qui arrivera le premier au but
recevra une montre d'or; le second, une montre d'argent ;
le troisième , une paire de boucles d'argent ; le quatrième ,
un gobelet d'argent; le cinquième , un mouchoir des Indes.
Des groupes de musiciens placés près de chaque jeu , exécuteront
des fanfares pendant la durée des jeux. L'ouverture et
l'organisation de ces jeux , ainsi que la distribution des prix ,
seront faits par le M. le maire du ir arrondissement.
Jeux sur la rivière. - A deux heures s'ouvriront les jeux
sur la rivière , entre le Pont-Royal et celui de la Concorde.
Ces jeux commenceront par une joûte sur l'eau. Il sera
accordé un prix de 300 fr. pour chaque joûte à celui des
combattans qui aura forcé le plus grand nombre d'adversairesdans
l'espace de deux heures. Lejeu des joûtes sera terminé
par le départ d'oiseaux aquatiques qui seront placés dans
deux cages suspendues au milieu du bassin , et que les joûteurs
poursuivront.
Immédiatement après commenceront les exercices sur la
corde, la voltige , les tours de force et d'adresse , exécutés
par M. Forioso et sa troupe , sur deux grands bateaux
qui seront disposés à cet effet. M. Forioso fera ensuite
le trajet du Pont-Royal à celui de la Concorde , sur une
corde tendue au-dessus de la rivière , et attachée des deux
bouts à l'un et l'autre pont. Pendant toute la durée de
ces exercices , la musique exécutera des fanfares. Les prix
de la joûte seront distribués par M. le maire du 10º arrondissement
, qui ouvrira et dirigera les différens jeux et exercices.
AOUT 1807 . 335
Ahuit heures du soir , l'Hôtel-de-Ville , et tous les édifices
communaux seront illuminés. La fête sera terminée
par un feu d'artifice qui sera tiré àneuf heures sur le pont
de la Concorde.
Le dimanche 16 août , à neuf heures du soir, il y aura
bal et illumination à l'Hôtel-de-Ville.
BANQUE DE FRANCE.
Extrait des registres des délibérations du conseil-général;
séance du 5 août 1807.
Le conseil-général de la Banque de France , considérant que la paix
donnée au continent fait espérer une paix générale , et promet une grande
étendue au commerce français ; que le but de l'institution de la Banque
est de favoriser la circulation des capitaux et la baisse du taux de l'intérêt
dans tout l'Empire de France ; que , pour donner à ses opérations tous les
développemens dont elles sont susceptibles , l'accroissement du capital
ordonné par la loi du 22 avril 1806 , lui devient nécessaire ; arrête ce
qui suit:
ART. Ier. L'émission des quarante-cinq mille actions de la Banque de
France , ordonnée par la loi du 22 avril 1806 , est arrêtée .
II. Le prix des nouvelles actions est fixé à 1200 fr .; savoir : 1000 fr . ,
capital primitif, et 200 fr. , somme égale à la réserve acquise aux anciennes
actions .
III . Les actionnaires actuels seront admis de préférence pour la souscription
de tout ou de partie de leurs actions.
IV. Les soumissions pour les nouvelles actions seront reçues à compter
du 20 du présent mois d'août 1807, jusqu'au 31 décembre même année
inclusivement. Il sera ouvert trois registres de souscription : un pour les
actionnaires actuels qui voudront doubler leurs actions ; un pour les
actionnaires qui voudront souscrire pour un nombre d'actions excédant
le doublement de leurs actions actuelles ; un pour tous ceux , autres que
les act onnaires , qui desireront acquérir de nouvelles actions . Cea registres
seront clos et arrêtés le 1er janvier 1808.
V. Les actions non soumissionnées par les actionnaires pour le doubl -
ment de leurs actions actuelles , seront réparties proportionnellement
entre les actionnaires souscripteurs , pour un nombre d'actions excédant
ledoublement. Le surplus , s'il y en a, sera réparti par égales parts entre
Jes souscripteurs non actionnaires .
VI. Le prixdes nouvelles actions sera versé dans lescaissesde la Banque ,
dans le délai de deux ans , à partir du 1er janvier 1808 , en cinq paiemens
égaux, desix ensix mois , dont le premier sera fait dans les dix premiers
jours dejanvier 1808.
VII. Il sera bonifié un intérêt annuel de quatre pour cent sur les sommes
reçues par la Banque, à compter du paiement des nouvelles actions jusqu'à
leur entier acquittement. Le paiement de cet intérêt sera fait tous les
sixmois; cet intérêt sera imputable , à titre d'à-compte , sur le paiement
subsequent.
VIII. Le paiement de nouvelles actions pourra être fait par anticipation.
Dans cecas , l'intérêt des sommes payées cessera à la fin du semestre
courant. Les actions payées par anticipation jouiront du divi ende du
336 MERCURE DE FRANCE ,
semestre qui suivra le paiement anticipé. Les soumissionnaires qui auront
payé dans les dix premiers jours du semestre , jouiront du dividende dễ
ce semestre , comme s'ils avoient payé dans le courant du semestre précédent..
IX. Les souscripteurs qui n'auront pas satisfait aux paiemens des actions
par eux soumissionnées , dans les termes fixés par l'article VI ci-dessus
n'auront droit qu'à un nombre d'actions égales aux paiemens qu'ils auront
effectués. Ils ne pourront prétendre à la délivrance de leurs actions , nià
la répartition du dividende , qu'à l'expiration des deux ans fixés pour le
paiement des soumissions . En attendant, il leur sera bonifié l'intérêt du
capital des actions auxquelles ils auront droit sur le pied de quatre pour
cent par an , conformément à 'article VII ci-dessus .
X. Les actions nouvelles ne seront inscrites sur le registre des actions ,
et ne pourront être transférées par les souscripteurs qu'après leur parfait
et entier paiement. Les transferts ne pourront avoir lieu qu'à partir
du 1er . janvier 1806 .
Pour extrait , Le secrétaire général , AUDIBERT .
Arrêté duditjour 5 août 1807 .
Sur la proposition de M. le gouverneur , le conseil général
delabanque de France arrête qu'à partir de lundi 10 août 1807
l'escompte de la banque sur l'effet de commerce est réduite à
quatre pour cent l'an.
Pour extrait , Le secrétaire-général , AUDIBERT.
Paris , le 8 août 1807 .
Le directeur-général , GARRAT
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
2
DU SAM. S. -Cp. olo c . J. du 22 mars 1807 , 87f 87f 25c 40с бос
600 500 700 600 5oc oofooc oof ooc ooc. ooc . oocooc oof ooc 000
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 84f. 5oc oof ooc oof
Act. de la Banque de Fr. 1300f docof ooc. 00oof. oooof ooe пос
DU LUNDI 10.-C pour o/o c. J. du 22 mars 1807 , 87f 25c 50c 45c 87
86f- 750 oof coc oof, oof ooc 000 001. oof. 000 000 оос оос.
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 84f 50c. 50с.оос оос
Act. de la Banque de Fr. 1295f 129af oc 129of 1285f ooc.
DU MARDI IL . - Ср. 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 85f 55f 75c 86f Sof
тос 85fgо . ооc eoc doc ouc. oof ooc boc coc coc oof cof ope
Udem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 83f. 75c 50€ 129of coc.оос осе
Act. de la Banque de Fr. 1285f 1292f50c 1290f. ooc oooof
DU MERCREDI 12.- Ср. 0/0 с . J. du 22 mars 807 , 86f86f 100 250 бос
500 60€ 5cc 40c. 5oc ooc oof or c . ooc cof ooc. of.
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 83f joc. oof. oof one coc оос
Act. de la Banque de Fr. 129of 000of ooc 0000f oooof oboof ooc
DU JEUDI 13.- Cp . oo c . J. du 22 mars 1807 871 86f700 500 700 500
86f 700 500 400 осоос 000 000 000 000 оос оосоос оос оос оос сос
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 83f 50c S4f ooc boc opc oof ooc
Act. de la Banque de Fr. 1290f. oooof oo oooof. oooof
DU VENDREDI 14. - C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807, 86f 50с 300.400
3oc 35e oof ooc oof oof ooc oof ooo oo oof ooc ooc oo ooo oof our o
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 83 750 000. oof coc-coc
Act. de la Banque de Fr. 1280f oooof ooc oooof
(No. CCCXVIII.)
( SAMEDI 22 AOUT 1807.)
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
LA COLÈRE D'APOLLON,
!!
:
ODE i
Au lumineux Olympe , assis en cercle immense
Les Immortels charmés écoutoient en silence
Les chants sublimes d'Apollon;
Ces chants qu'il inventa , quand jadis sur la terre ,
Caché sous l'apparence et sous le nom d'Homère ,
Erroit le Dieu de l'Hélicon .
7
ن
1.
Debout , et sur sa lyre , en héros si fertile , ..
Il redisoit les Grecs et le divin Achille, ...
Vainqueurs d'Ilion et d'Hector ;
Mais, des bords du Memel , Pactive Renommée
Vient les entretenir d'une plus grande armée,
Et d'un homme plus grand encor .
0
ce
Soudain , abandonnant les concerts du Permesse ,
L'Olympe tout entier entoure la Déesse,
Et de cent prodiges nouveaux
Ecoute avidement l'histoire merveilleuse ;
Cependant qu'Apollon , d'une plaiute envieuse
Exhale l'orgueil en ces mots :
Quel est donc de mortel pour qui les destinées
>> Ont écrit dans les cieux de si belles années,
1
2.1
06294
Y
100
338 MERCURE DE FRANCE ,
>> Cet artisan de grands exploits ;
>> Ce géant qui , semblable au maître du tonnerre ,
>> Fait trois pas , et soudain est au bout de la terre ;
>>> Parle , et fait ou défait les rois ?
>> O honte ! j'aurois pu, dans mon divindélire,
>> Enfanter un héros aux accords de ma lyre;
>> L'entourer de faits glorieux ;
>> Faire tomber les tours devant sa renommée ;
» Du seul son de sa voix repousser une armée,
>> Et le rendre l'égal des Dieux !
" Des hommes révérés dont les âges antiques
Contoient avec orgueil les gestes héroïques ,
>> J'ai réuni tous les lauriers ;
» J'en ai ceint mon Achille ; et, du haut de leur temple ,
» Les filles d'Helicon le montroient pour exemple
>> Ala famille des guerriers .
» C'est en vain: un mortel a détruit mon ouvrage ;
» Un mortel a vaincu ce sublime courage
>> Qu un Dieu s ul avoit inventé !
>> Achille voit un autre effacer ses prodiges ;
>> Et ses exploits , enfans de mes brillaus prestiges ,
>›› Cèdent à la réalité !
» Que dis- je ? Et n'est-ce pas mon hardi privilége
>> De punir du néant la gloire sacrilége
>> Dont la mienne se voit ternir ?
» Les Destins m'ont donné les siècles pour empire ,
» Et nul , sans mes accords , sans l'aveu de ma lyre ,
>> Ne peut entrer dans l'avenir.
» L'ouvrage des mortels est comme eux périssable ;
>> Leurs plus hardis travaux comme des grains de sable,
>> S'effacent sous les pa- du Temps ;
>> Mi seul , je puis donner une longue mémoire ;
> Saus mor, tout est stérile , et la plus belle gloire
>> Mourra , veuve de monumens. »
だっ
Il a dit : prolongés par la voûte sonore ,
Les accens d'Apollon retentissoient encore ,
Quand, dans le céleste palais ,
L'olivier à la main , d'un voile b'anc parée,
DesPlaisirs, des Amours , et des Arts entourée,
En souriant entra la Paix.
1
AOUT 1807 . 339
Le ciel s'est couronné d'une splendeur nouvelle ,
Et, belle de pudeur, la Déesse autour d'e'le
Promenánt ses regards sereins ,
Sur le Dieu courroucé doucement les arrête,
Et semble l'inviter , d'un signe de sa tête ,
Ala suivre chez les humains .
Comme un torrent , grossi des nocturnes orages
(Si l'on peut se servir de terrestres images
En parlant d'un être immortel ) ,
Aux rayons de l'aurore apaise son murmure,
Et plus doux , réfléchit dans son onde pus pure
La sérénité d'un beau ciel ; 1
Tel s'apaise Apollon: la Déesse riante
Jamais ne se montra p'us belle et plus brillante
Aux yeux charmés du Dieu des vers ,
Même quand , d'Hynénée usurpant la puissance,
Le Destin cimenta leur divine alliance
Aux jours du naissant univers .
Ainsi , ce que n'ont pu ni l'antique Cybèle,
Ni Minerve , autrefois son amante fidelle ,
Ni Mars au casque étincelant ,
Ni tous les Dieux enfin que l'Olympe rassemble ;
Un sourire plus fort que tous les Dieux ensemble
A vaincu son ressentiment.
C'enest fait: il se livre au charme qui l'entraîne ,
Il va suivre la Paix aux rives de la Seine :
Ainsi l'ordonnent les Destins .
Il monte sur ton char , Déesse radieuse ;
Et , parant d'olivier sa lyre harmonieuse,
Prélude à ses accords divins .
t
""
T
3
M. LE BRUN , de l'Académie Française.
FRAGMENT
3..1
:
DU LIVRE II DE L'ART D'AIMER D'OVIDE (1 )
A TA maîtresse aussi tu feras des présens;
S'ils sont de peu de prix, qu'au moins ils soient galans .
Sousle poids de ses dons , quand l'Automne vermeille
Courbera ies rameaux , pour elle une corbeille
* (1) La traduction en vers de ce poëme est sous presse.
Ya
340 MERCURE DE FRANCE ,
-
S'emplira des plus beaux par ton ordre apportés .
Dans le marché public ils seront achetés .
Tu diras toutefois que ce cadeau champêtre
Se compose des fruits que ton jardin vit naftre.
Qu'on lui porte en ton nom des figues, des raisins ,
Et ce que , dans les champs de Crémone voisins ,
Aimoit Amaryllis , la noix et la châtaigne ,
Mais que dans nos cités Amaryllis dédaigne.
Que des grives encor , qu'enfile un noeud de fleurs ,
Soient de ton souvenir les messagers flatteurs.1
Un fourbe achète ainsi l'espoir d'un héritage :
Ah! périsse des dons ce criminel usage.
Dois -je des vers galans te conseiller Penvoi?
Hélas , de tels présens sont de bien mince aloi !
Qu'importe le mérite ? On cherche les richesses.
Un sot a de l'espritquand il fait des largesses .
Le siècle où nous vivons est le vrai siècle d'or :
L'or donne les honneurs et l'art de plaire encor.
Homère , accompagné des Muses pour escorte ,
S'il vient la bourse vide , Homère est à la porte .
Les trésors d'Apollon sont des dons superflus .
Des modernes Daphnés n'attends que des refus.
Quelques femmes d'esprit se rencontrent peut -être;
D'autres ne le sont pas , mais veulent le paroître .
Aces belles du moins tu peux offrir tes vers :
Mais d'un lecteur fàcheux évite le travers :
Les vers que ton amour composera pour elles ,
Peut- être auront le prix de quelques bagatelles.
1
M. DESAINTANGE.
LA NUIT, :
OU LES REGRETS DE L'ABSENCE .
A Délie.
Le grand astre du monde , achevant sa carrière,
Cache son front vermeil dans l'humide séjour ;
Déjà de Vespérus la naissante lumière
Mêle un éclat douteux aux feux mourans du jour.
Le char de la Nuit azurée .
Vers le sombre Orient recommence son tour ;
D'innombrables flambeaux sa marche est éclairée.
Phébé, sous la voûte éthérée ,Ou to Dow
Enpompe a ramené les astres de sacepura
Majestueuse, au sein de l'ombre et du silence ,
De son voile argenté couvrant la plaine immense
RY
:
AOUT 1807 . 341
Elle paroft; et sa présence
Annonce l'heure de l'amour.
Levent expire au loin dans les bois qui frémisssent;
Les Cyclopes lassés , et quittant les marteaux,
Dontles coups répétés fatiguoient les échos ,
Ne tourmentent plus les métaux
Sur les enclumes qui gémissent;
Des derniers sons du cor les vallons retentissentsi
Déjà le doux sommeil verse l'oubli des maux ,
Et sur le peuple des hameaux
Ses noirs pavotss'appesantissent .
son Tout cède à pouvoir : oui , tous les animaux ,
Ceux que l'on voit errer dans nos,plaines fécondes ,
Ceux dont le nid léger flotte sur des rameaux ,
Ceux qui nagent au sein des ondes ,
Les poissons émaillés et l'essaim des oiseaux,
Les lions rugissans , les timides troupeaux ,
نا
Tous, suspendant leurs courses vagabondes,
Savourent à l'envi les douceurs du repos.
Quel silence profond dans ma retraite obscure !
Tout dort , moi seul je veille,hélas ! et mes soupirsi
Troublent la paix de la nature.
Mon coeur s'épuise en vaius desirs :
Le calme de la nuit semble aigrir ma blessure.
Ni ce ciel radieux d'azur et de saphirs ,
Ces tranquilles forêts , ni cet air sans Zéphyrs ,
Rien ne peut de mes sens apaiser le murmure.
Infortuné! je veille aux rayons du matin,
Je veille quand l'Olympe au Madi se colore;
La fraîcheur d'un beau soir augmente mon chagrin :
La nuit règne , et je veille encore.
Voici l'heure où , des cours ignorant les loisirs ,
L'humble berger, lassé des soins de la campagne ,
Entre les brasde sa compagne ,
S'endort, enivré de plaisirs;
Etmoi , sans repos sur la terre ,
Morne, pensif et solitaire ,..
J'ai placé nion bonheur en de vains souvenirs ,
Dont je vois fuir déjà la trace passagère.
Reviens, o ma Délie, adoucir mes malheurs;
Du redoutable Amour , qui t'a donné ses armes,
16
:
Jene sens plus que les douleurs.
Viens; dans mes yeux éteints ne cherche plus les larmes :
Mon coeur est mort au sentiment;
La nature, avec tous ses charmes ,
N'est qu'un désert pour ton amant.
Vois-tu resplendir sur nos têtes :
T
i
Cesglobes,dont les feux d'or et de diamant
Sèment l'azur du firmament ?
1..1
Ils semblent dans leur cours m'annoncer les tempêtes ;
Leur éclat m'importune , il accroît mon tourment.
Ces fleurs , autrefois mes délices ,
Où l'abeille recueille un nectar précieux,
3
343 MERCURE DE FRANCE ,
Paroissent , en ouvrant leurs timides calices,
Sur le sol maternel se faner à mes veux .
Zéphyr semble emprunter le souffle de Borée ,
Le rayon du matin est un feu dévorant;
Et le ruisseau, dans la campagne errant,
Qui s'échappoit sans bruit de sa source ignorée,
Se transforme en fougueux torrept .
Ah, reviens dissiper les peines que tu causes !
Naguère auprès de toi quel étoit mon destin !
Tu commandois , et sous ma main
D'elles mêmes les fleurs se présentoient écloses ;
Tu t'éloignes , tu fuis; c'en est fait , le chagrin,
De mavie expirante a desséché les roses ,
Et le froid de la mort s'est glissé dans mon sein .
34
Viens, parois à mes yeux , et ma peive est fin'es
Déjà mon coeur s'élance au -devant de tes pas ,
Déjà mes vous charmés dévorent les appas
Dont tu vas paroître embellie;
L'écho redit cent fois e bau nom de Délie ;
Et le plaisir te tend les bras .
Viens déjà loin de moi s'enfuit la nuit profonde;
Ses lambeaux pâlissans s'éteignent dans les airs ;
L'astre éclatant du jour . sorti du sein des 'mers,
Va redonner la vie et la lumière au monde;
Délie à son amant va rendre l'univers.
1
Par P. DORANGE,
ENIGME.
Je suis pour avoir cessé d'être :
Par le présent , je suis dans le passé,
Par le futur, qui me fera renaître ,
Dans le présent on me verra placé.
LOGOGRIPHER
Je suis fidèle au pauvre comme au riche.
Si vous cherchez , lecteur , par la combinaison,
Vous trouverez d'abord ma niche
Dans les cinq lettres de mon nom :
Il en peut naître encore un fort puissant empire,
Mais n'est-ce point trop vous en dire ? :
CHARADE.
QUAND j'ai mis à net mon premier ,
J'aime à voir arriver , bien garni , mon entier.;
Puis je vais respirer au bord de mon dernier.
Le mot de l'Enigmę du dernier No. cst Echo .
:
Celui da Logogriphe est Framboise , où l'on trouve fraise , if, Oise,
ambre , foue , sabre , ris , Ambroise, ambrosie.
Colui de la Charade est Bec-figue.
AOUT 1807: 343
DE LA LANGUE DE LA POLITIQUE.
UNE Science , a dit Condillac , n'est qu'une langue bien
faite : expression très - philosophique , qui renferine une
vérité importante.
Ainsi nos pensées , nos connoissances , nos sciences , en
un mot , ne sont que nos paroles , non-seulement pour celui
qui en parle , mais pour celui-là même qui ne fait qu'y
penser.
Ainsi , comme nous ne pouvons , en connoissances
morales , rien recevoir des autres dans nos pensées , que par
l'expression de la parole extérieure qu'ils nous font entendre,
nous ne pouvons non plus rien apercevoir dans nos propres
pensées que par l'impression de la parole intérieure que
nous concevons ou entendons en nous-mêmes ; proposition
extrêmement féconde dans ses conséquences , et que l'auteur
de cet article a présenté ailleurs sous une forine abrégée
, lorsqu'il a dit : « Qu'il étoit nécessaire de penser sa
>>parole , pour pouvoir parler sa pensée.>>
Ainsi chaque science , même chaque art , a sa langue
technique et particulière, qu'il faut apprendre et savoir pour
pouvoir parler d'un art ou d'une science : de là viennent /
les erreurs où sont tombés tant d'écrivains du dernier siècle ,
qui ne savoient que la langue de la littérature, du roman, de la
géométrie , de la musique , de la médecine ; et même tant
d'hommes qui n'avoient jamais parlé que la langue des arts
mécaniques, et qui ont voulu parler la langue de lathéologie,
de lamorale, de la politique : et, sije voulois généraliser cette
pensée , j'oserois dire que , dans le dernier siècle , où l'on a
parlé si correctement l'idiome français , on n'a cependant
pas toujours parlé la langue de la France ; et que l'expression
a été souvent plus française que les opinions. Ainsi une
science dont la langue n'est pas bien faite , n'est pas une
science suffisamment développée et parfaitement connue.
De toutes les langues des sciences , la moins bien faite ,
pour me servir de l'expression de Condillac , est la langue
de la politique ; et , par une conséquence infaillible , la politique
est de toutes les sciences la moins avancée. Mais la politique
se perfectionnera à mesure qu'on en fera la langue ,
comme la chime s'est perfectionnée parce qu'on en a bien
fait la langue.
4
344 MERCURE DE FRANCE ,
Il y a plusieurs causes du peu de progrès des connoissances
politiques , déjà remarqué par Leibnitz au commencement
du dernier siècle , et attesté par les événemens
déplorables qui en ont signalé la fin, et que ce grand
homme avoit prédits .
On n'a pas assez observé les rapports qui existent entre
la société politique et la société religieuse ; et au lieu de
commencer la politique par Dieu , pouvoir suprême de
l'une et de l'autre , et par les lois absolues et générales qu'il a
données à toutes les deux , on l'a commencée par l'homme ,
sujet dans la société , et par les lois arbitraires et locales
qu'il a données à ses semblables : et l'on a fait une politique
turbulente comme les passions , et variable comme
les climats .
Les anciens , dépossédés de l'empire de la morale par le
Christianisme , et de l'empire de la physique par l'expérience
, ont continué à régner dans le monde politique ; et
lamauvaise politique d'Aristote a survécu à l'oubli où sont
tombées sa physique et sa métaphysique.
La plupart des publicistes ont écrit sous l'influence de
gouvernemens aristocratiques ou démocratiques ; et leur
politique s'est ressentie des idées fausses et étroites qu'inspire
un état de société où tout est l'ouvrage de l'homme et
de ses passions : « J'ai remarqué , dit Leibnitz , en parlant
>> du plus célèbre de ces publicistes étrangers , de grands
>> défauts dans les principes de Samuel Puffendorff. Cet
>> auteur pénètre rarement au fond de la matière..... Il
>> importe à la jeunesse et même à l'Etat d'établir de meil-
>>leurs principes de la science du droit que ceux que donne
>>>cet auteur. >>>>
Les gouvernemens monarchiques , seuls dépositaires,de
la véritable doctrine politique , alarmés de la tendance de
beaucoup de gens de lettres vers les systèmes populaires ,
ontcraintd'encourager la culture d'une science qui , depuis
trois siècles , avoit pris , même dans de bons esprits , une
fausse direction .
Dans un autre siècle , M. de Montesquieu eût pu être le
créateur de la science politique , dont le caractère de son
esprit etde son style le rendoit singulièrement propre à faire
la langue. Malheureusement , ce beau génie n'a pas arrêté
sa pensée sur l'idée vaste et féconde de la constitution naturelle
des sociétés , et sur les lois générales de l'ordre social
données aux nations comme aux familles , par l'auteur et le
conservateur du genre humain : constitutions et lois de la
nature , dont toutes les lois de l'homme , toutes les insti
AOUT 1807 . 345
tutions politiques , ouvrage de son esprit et de ses passions ,
ne sont que des dérogations . Mably , publiciste grec en français
, avec bien moins de génie que Montesquieu , porta au
dernier excès l'admiration que la philosophie de son temps
professoit pour les constitutions populaires de l'antiquité .
J. J. Rousseau , plus profond peut-être que ces deux écrivains
, mais égaré par ses préjugés et ses habitudes , se
perdit dans les abstractions de la démocratie : il creusa dans
le vide pour y chercher le néant , et trop tard désabusé ,
reconnut lui-même que son Contrat Social étoit un ouvrage
à refaire ; « mais , disoit- il , je n'en ai ni la force ni le
>> temps. (1 ) » Triste condition que celle d'un écrivain à qui
le temps n'a manqué que pour réparer les maux qu'il avoit
faits !
Et, pour citer un exemple de l'imperfection de la langue
politique , même dans ses expressions élémentaires , le titre
des ouvrages qui renferment les principes de la science est :
Du Droit de la Nature et des Gens;et ce titre , qui devroit
offrir aux commençans , sous l'expression précise d'une idée
juste , l'abrégé et comme l'analyse du corps entier de la
doctrine politique , est une véritable énigme qui présente un
sens louche et inexact ; c'est-à-dire , une idée fausse ou du
moins obscure , sous une expression incorrecte.
la
Du droit de la nature et des gens signifie : des lois privées
et publiques , des lois des familles et des nations , ou ne
signifie rien du tout. Mais le mot droit , qui a plus d'une
acception dans notre langue , ne représente qu'imparfaitement
l'idée nette et précise qu'exprime le mot lois , qui n'a
qu'une acception ; et ce droitde nature n'est guère plus
clair que les droits de l'homme (2). Le mot nature , après
l'abus qu'on en a fait, et même sans cet abus a lui-même
trop besoin de commentaire , pour pouvoin servir d'introduction
aux élémens d'une science ; et l'expression gens ,
avec laquelle on a traduit gentes, gentium , a dans notre
langue une autre signification que le mot nations ; et elle
est du latin francisé , plutôt que du français. Enfin, et c'est
ici le défaut capital de cette locution , que veut dire l'opposition
qu'elle établit entre la nature et les gens ? Est-ce que
la nature ne comprend pas les peuples , ou que les rapports
des nations entr'elles , objet des lois publiques , sont moins
(1) De mes Relations avec Jean-Jacques ; par Dussaulx, traducteur
de Juvénal , membre de l'Académie des Inscriptions.
(2) Voyez, sur le mot Droit , Burlamaqui , p. 1 , chap. V. Droit est le
traduction dejus, qui vient de jubere,jussum; etjura, selon Festus, se
disoit autrefois jusa onjussa .
346 MERCURE DE FRANCE ,
naturels que les rapports des hommes ou des familles entr'elles
, objet des lois privées ? Et n'est-ce pas toujours la
même nature , considérée dans la société domestique et
dans la société publique ? Sans doute , dans le commerce
familier , où l'on entend à-peu-près ce que l'on veut dire ,
et où l'extrême précision seroit une pédanterie insupportable
, l'expression de droit de la nature et des gens , consacrée
par l'usage , suffit aux besoins de la conversation
comme ces monnaies qui , quoiqu'altérées , n'en sont pas
moins reç ves dans les échanges journaliers pour une valeur
qu'elles n'ont pas ; mais , lorsqu'il s'agit d'enseignement ,
cette expression, peu correcte , rend les idées confuses dès
Je premier pas que l'on fait dans la science , semblable à ces
expositions embarrassées qui jettent de l'obscurité sur toute
la suite d'une intrigue dramatique .
Aussi , lorsqu'on a voulu expliquer ce droit de nature,
ces mots employés dans une science toute morale , on les
a interprétés dans un sens tout-à fait physique : « Ledroit
>>>naturel , dit Justinien, est celui que la nature enseigne à
>> tous les animaux. » Jus naturale est quod natura omnia
animalia docuit. Et pour faire entendre ce que ce droit
naturel doit être entre les hommes , on a cominencé par
chercher ce qu'il peut être entre les loups. On croiroit peutêtre
que, dans le cours de plus de douze siècles qui se sont
écoulés depuis Justinien , les idées sur le droit naturel ont
dû s'éclaircir , et que nous n'en sommes plus à en regarder
la connoissance comme commune à l'homme et aux bêtes ;
et cependant , dans le dernier ouvrage sur cette matière
qui aparu en 1803 , sous le titre d'Institutions au Droit de
la Nature et des Gens, et sous le nomd'un homine qui a
rempli avec distinction des missions importantes en politique
, on litau premier paragraphe : « Toutes les recherches ,
>>toutes les méditations sur la nature humaine , ont pour
>> dernier résultat , qu'il existe dans l'homme un principe
>>primordial, essentiel , une impulsion inhérente à sa na-
>>ture, et qui est la base de son existence ; que le premier
objet de ce principe , qu'on nomme instinct , est sa propre
>> conservation ; que sa propre conservation le conduit à
>>satisfaire ses besoins physiques; qu'elle est par conséquent
> la source de l'amour de soi et de l'intérêt personnel. >>>
Ily auroit bien des choses à dire sur cet amour de soi et
cet intérêt personnel, dont l'auteur fait le fondement et le
motif de la société , qui est proprement l'amour des autres
et l'intérêt de tous ; mais je n'ai cité ce passage que pour
prouver qu'encore aujourd'hui , comme aux temps demi
AOUT 1807 . 347
païens de Justinien , on cherche à expliquer le droit de la
nature par des instincts de propre conservation physique,
par des impulsions vers des besoins physiques , c'est-à-dire ,
par l'homme animal , et que cette première thèse de l'ouvrage
moderne ne diffère de la proposition un peu crûment
avancée par l'ancien législateur , que par une expression
adoucie et plus étudiée , puisqu'au fond on retrouve dans
ļa brute , et même plus impérieux et plus marqués , ces
mêmes instincts de conservation , ces mêmes impulsions ,
ces mêmes besoins physiques , que l'auteur des Institutions
, etc. , semble ne considérer que dans l'homine.
Si, de cette première expression de la langue politique ,
nous passons à d'autres mots de son vocabulaire , nous ne
trouverons guère plus de précision dans les idées , ni de
propriété dans les termes ; et pour nous borner à quelques
exemples en petit nombre , mais qui nous fourniront l'occasion
dedévelopper des vérités importantes , les expressions
pouvoir absolu , pouvoir arbitraire , despotisme , tyrannie ,
n'ont pas encore une acception propre et parfaitement déterminée;
elles sont employées assez souvent l'une pour l'autre ,
même dans les écrits ; et cependant , l'on n'aura jamais en
politique une langue bien faite , et par conséquent une
bonne doctrine , qu'autant qu'on attachera à chaque mot
l'idée précise qui y correspond , et que l'on évitera une
confusion dans les termes , qui suppose de l'incertitude dans
les pensées . La philosophie voit toujours deux idées là où
elle voit deux expressions , et elle laisse les synonymes à la
poésie. Avant de me livrer à cette discussion , je dois prévenir
le lecteur que je traite toujours de la politique dans
cette pensée , ou , si l'on veut , dans ce système , que j'ai
développé ailleurs , qu'il est une nature morale ou sociale
comme il existe une nature physique ou corporelle ; qu'il y
a des lois générales qui régissent le monde social , comme
il y a des lois générales qui régissent le monde matériel ; et
que celui qui a donné la meilleure constitution à la société
des fourmis ou des abeilles , n'a pas laissé sans constitution ,
et au caprice des passions , la société des hommes : aveg
cette différence toutefois , que la brute obéit en brute aux
Jois de son existence , c'est-à-dire , par un instinct ou impulsion
aveugle , invariable , irrésistible ,dans chaque individu
; au lieu quel'homme obéit à ses lois en être intelligent ,
c'est-à-dire , libre ; libre cependant dans un ordre de choses
nécessaire et déterminé. Car, si l'homme est libre , la société
ne l'est pas ; elle marche vers son but , quoique l'homme
s'en écarte sans cesse ; et cette distinction réelle et fonda
344 MERCURE
. DE FRANCE
,
Il y a plusieurs causes du peu de progrès des connoissances
politiques , déjà remarqué par Leibnitz au commencement
du dernier siècle , et attesté par les événemens
déplorables qui en ont signalé la fin , et que ce grand
homme avoit prédits .
On n'a pas assez observé les rapports qui existent entre
la société politique et la société religieuse ; et au lieu de
commencer la politique par Dieu , pouvoir suprême de
l'une et de l'autre , et par les lois absolues et générales qu'il a
données à toutes les deux , on l'a commencée par l'homme
sujet dans la société , et par les lois arbitraires et locales
qu'il a données à ses semblables et l'on a fait une politique
turbulente comme les passions , et variable comme
les climats .
Les anciens , dépossédés de l'empire de la morale par le
Christianisme , et de l'empire de la physique par l'expérience
, ont continué à régner dans le monde politique ; et
la mauvaise politique d'Aristote a survécu à l'oubli où sont
tombées sa physique et sa métaphysique.
.
La plupart des publicistes ont écrit sous l'influence de
gouvernemens aristocratiques ou démocratiques ; et leur
politique s'est ressentie des idées fausses et étroites qu'inspire
un état de société où tout est l'ouvrage de l'homme et
de ses passions : « J'ai remarqué , dit Leibnitz , en parlant
» du plus célèbre de ces publicistes étrangers , de grands
» défauts dans les principes de Samuel Puffendorff. Cet
» auteur pénètre rarement au fond de la matière…………. Il
» importe àla jeunesse et même à l'Etat d'établir de meil-
» leurs principes de la science du droit que donne
» cet auteur . »
ceux que
Les gouvernemens monarchiques , seuls dépositaires de
la véritable doctrine politique , alarmés de la tendance de
beaucoup de gens de lettres vers les systèmes populaires ,
ont craint d'encourager la culture d'une science qui , depuis
trois siècles , avoit pris , même dans de bons esprits , une
fausse direction .
Dans un autre siècle , M. de Montesquieu eût pu être le
créateur de la science politique , dont le caractère de son
esprit et de son style le rendoit singulièrement propre à faire
la langue. Malheureusement , ce beau génie n'a pas arrêté
sa pensée sur l'idée vaste et féconde de la constitution naturelle
des sociétés , et sur les lois générales de l'ordre social
données aux nations comme aux familles , par l'auteur et le
conservateur du genre humain : constitutions et lois de la
nature , dont toutes les lois de l'homme , toutes les instiAOUT
1807. 345
tutions politiques , ouvrage de son esprit et de ses passions ,
ne sont que des dérogations. Mably , publiciste grec en frauçais
, avec bien moins de génie que Montesquieu , porta au
dernier excès l'admiration que la philosophie de son temps
professoit pour les constitutions populaires de l'antiquité.
J. J. Rousseau , plus profond peut-être que ces deux écrivains
, mais égaré par ses préjugés et ses habitudes , se
perdit dans les abstractions de la démocratie : il creusa dans
le vide pour y chercher le néant , et trop tard désabusé ,
reconnut lui-même que son Contrat Social étoit un ouvrage
à refaire ; « mais , disoit- il , je n'en ai ni la force ni le
» temps. (1 ) » Triste condition que celle d'un écrivain à qui
le temps n'a manqué que pour réparer les maux qu'il avoit
faits !
Et , pour citer un exemple de l'imperfection de la langue
politique , même dans ses expressions élémentaires , le titre
des ouvrages qui renferment les principes de la science est :
Du Droit de la Nature et des Gens ; et ce titre , qui devroit
offrir aux commençans , sous l'expression précise d'une idée
juste , l'abrégé et comme l'analyse du corps entier de la
doctrine politique , est une véritable énigme qui présente un
sens louche et inexact ; c'est - à -dire , une idée fausse ou du
moins obscure , sous une expression incorrecte.
Du droit de la nature et des gens signifie des lois privées
et publiques , des lois des familles et des nations , ou ne
signifie rien du tout. Mais le mot droit , qui a plus d'une
acception dans notre langue , ne représente qu'imparfaitement
l'idée nette et précise qu'exprime le mot lois , qui n'a
qu'une acception ; et ce droit de la nature n'est guère plus
clair que les droits de l'homme (2). Le mot nature , après
l'abus qu'on en a fait , et même sans cet abus , a lui- même
trop besoin de commentaire , pour pouvoir servir d'introduction
aux élémens d'une science ; et l'expression gens ,
avec laquelle on a traduit gentes , gentium , a dans notre
langue une autre signification que le mot nations ; et elle
est du latin francisé , plutôt que du français . Enfin , et c'est
ici le défaut capital de cette locution , que veut dire l'opposition
qu'elle établit entre la nature et les gens ? Est-ce que
la nature ne comprend pas les peuples , ou que les rapports
des nations entr'elles , objet des lois publiques , sont moins
(1) De mes Relations avec Jean Jacques ; par Dussaulx, traducteur
de Ju énal , membre de l'Académie des Inscriptions .
(2) Voyez , sur le mot Droit , Burlamaqui , p . 1 ° , chap . V. Droit est le
traduction dejus , qui vient de jubere , jussum ; et jura , selon Festus , to
disoit autrefois jusa on jussa.
346
MERCURE
DE FRANCE
,
naturels que les rapports des hommes ou des familles entr'elles
, objet des lois privées ? Et n'est-ce pas toujours la
même nature , considérée dans la société domestique et
dans la société publique ? Sans doute , dans le commerce
familier , où l'on entend à- peu- près ce que l'on veut dire
et où l'extrême précision seroit une pédanterie insupportable
, l'expression de droit de la nature et des gens , consacrée
par l'usage , suffit aux besoins de la conversation
comme ces monnaies qui , quoiqu'altérées , n'en sont pas
moins reçues dans les échanges journaliers pour une valeur
qu'elles n'ont pas ; mais , lorsqu'il s'agit d'enseignement ,
cette expression , peu correcte , rend les idées confuses dès
le premier pas que l'on fait dans la science , semblable à ces
expositions embarrassées qui jettent de l'obscurité sur toute
la suite d'une intrigue dramatique .
>
Aussi , lorsqu'on a voulu expliquer ce droit de nature ,
ces mots employés dans une science toute morale ,
on les
a interprétés dans un sens tout-à fait physique : « Le droit'
» naturel , dit Justinien , est celui que la nature enseigne à
» tous les animaux . » Jus naturale est quod natura ómnia
animalia docuit. Et pour faire entendre ce que ce droit
naturel doit être entre les hommes , on a commencé par
chercher ce qu'il peut être entre les loups. On croiroit peutêtre
que , dans le cours de plus de douze siècles qui se sont
écoulés depuis Justinien , les idées sur le droit naturel ont
dû s'éclaircir , et que nous n'en sommes plus à en regarder
la connoissance comine commune à l'homme et aux bêtes ;
et cependant , dans le dernier ouvrage sur cette matière
qui a paru en 1853 , sous le titre d'Institutions au Droit de
la Nature et des Gens , et sous le nom d'un homine qui a
rempli avec distinction des missions importantes en politique
, on lit au premier paragraphe : « Toutes les recherches ,
> toutes les méditations sur la nature humaine , ont pour
» dernier résultat , qu'il existe dans l'homme un principe
» primordial , essentiel , une impulsion inhérente à sa na-
» ture , et qui est la base de son existence ; que le premier
objet de ce principe , qu'on nomme instinct , est sa propre
» conservation ; que sa propre conservation le conduit à
satisfaire ses besoins physiques ; qu'elle est par conséquent
» la source de l'amour de soi et de l'intérêt personnel ,
€
>>
Il y auroit bien des choses à dire sur cet amour de soi et
cet intérêt personnel , dont l'auteur fait le fondement et le
motifde la société , qui est proprement l'amour des autres ,
et l'intérêt de tous ; mais je n'ai cité ce passage que pour
prouver qu'encore aujourd'hui , comme aux temps demiAOUT
1807 . 347
2
païens de Justinien , on cherche à expliquer le droit de ta
"nature par des instincts de propre conservation physique
par des impulsions vers des besoins physiques , c'est-à -dire
par l'homme animal , et que cette première thèse de l'ouvrage
moderne ne diffère de la proposition un peu crûnent
avancée par l'ancien législateur , que par une expression
adoucie et plus étudiée , puisqu'au fond on retrouve dans
la brute , et même plus impérieux et plus marqués , ces
mêmes instincts de conservation , ces mêmes impulsions ,
ces mêmes besoins physiques , que l'auteur des Institutions
, etc. , semble ne considérer que dans l'homme.
Si , de cette première expression de la langue politique ,
nous passons à d'autres mots de son vocabulaire , nous ne
trouverons guère plus de précision dans les idées , ni de
propriété dans les termes ; et pour nous borner à quelques
exemples en petit nombre , mais qui nous fourniront l'occasion
de développer des vérités importantes , les expressions
pouvoir absolu , pouvoir arbitraire , despotisme , tyrannie ,
n'ont pas encore une acception propre et parfaitement déterminée
; elles sont employées assez souvent l'une pour l'autre ,
même dans les écrits ; et cependant , l'on n'aura jamais en
politique une langue bien faite , et par conséquent une
bonne doctrine , qu'autant qu'on attachera à chaque mot
l'idée précise qui y correspond , et que l'on évitera une
confusion dans les termes , qui suppose de l'incertitude dans
les pensées. La philosophie voit toujours deux idées là où
elle voit deux expressions , et elle laisse les synonymes à la
poésie . Avant de me livrer à cette discussion , je dois prévenir
le lecteur que je traite toujours de la politique dans
cette pensée , ou , si l'on veut , dans ce système , que j'ai
développé ailleurs , qu'il est une nature morale ou sociale
comme il existe une nature physique ou corporelle ; qu'il y
a des lois générales qui régissent le monde social , comme
il y a des lois générales qui régissent le monde matériel ; et
que celui qui a donné la meilleure constitution à la société
des fourmis ou des abeilles , n'a pas laissé sans constitution ,
et au caprice des passions , la société des hommes
cette différence toutefois , que la brute obéit en brute aux
lois de son existence , c'est-à - dire , par un instinct ou impulsion
aveugle , invariable , irrésistible , dans chaque indi→
vidu ; au lieu que l'homme obéit à ses lois en être intelligent ,
c'est-à-dire , libre ; libre cependant dans un ordre de choses
nécessaire et déterminé. Car, si l'homme est libre , la société
avec
ne l'est pas ; elle marche
vers
son but , quoique
l'homme
' en écarte
sans
cesse
; et cette
distinction
réelle
et fonda
348 MERCURE DE FRANCE ,
mentale pent lever de grandes difficultés . On n'exige pas
d'un écrivain qu'il soit infaillible; mais on peut luidemander
d'être conséquent dans ses opinions .
Toute société done , ou tout pouvoir bien constitué , je
veux dire , fondé sur ses lois naturelles , lois raisonnables ,
legitimes (car toutes ces expressions , et même celles de
divines que j'aurois pu ajouter , ne font que présenter la
même idée sous des rapports différens), doit être et est par
le fait indépendant des hommes , et par conséquent absolu .
Car si le bon sens , selon M. Bossuet , est le maître des
affaires , la raison doit être la reine du monde ; non cette
lueur incertaine qui égare si souvent l'homme aveuglé par
ses passions , mais cette lumière vive et forte émanée de la
source même de toutes les clartés , et qui n'est que la connoissance
des vrais rapports de toutes choses.
Ainsi l'on peut dire que la raison du pouvoir est le pouvoir
de la raison , et ce pouvoir ne doit éprouver aucune
opposition : car où seroit , à parler même philosophiquement
, la raison de s'opposer à la raison ? La nécessité d'un
pouvoir absolu ou définitif a été si bien sentie , que l'on en a
attribué le privilége même à une autorité qu'on supposoit
pouvoir ne pas être conforme àla raison ; puisque l'apôtre
de la souveraineté pópulaire , Jurieu , a osé dire : « Le
>>peuple est la seule autorité qui n'ait pas besoin d'avoir
raison pour valider ses actes . » Au fond , un pouvoir qui
n'est pas définitif n'est pas un pouvoir. Il y a contradiction
contradiction
dans les termes , et par conséquent , ſausseté dans l'idée et
désordre dans les effets .
Il faut bien l'avouer. Cette politique n'est pas celle de la
fausse philosophie , et l'on doit la chercher dans une meilteure
philosophie : « J'observe le roi , disent les Livres
>>saints ; sa parole est puissante , et personne ne lui peut
> dire : Pourquoi faites-vous ainsi? Façon de parler , dit
* M. Bossuet , si propre à signifier l'indépendance , qu'on
> n'en a point de meilleure pour exprimer celle de Dieu.
>>Personne , dit Daniel , ne résiste à son pouvoir, et ne lui
>>dit : Pourquoi faites- vous ainsi ? Dieu est donc indépen-
> dant par lui-même ou par sa nature , et le roi est indé-
> pendant àl'égard des hommes, et sous les ordres de Dieu . >>>
Ce qui ne veut pas dire qu'il soit nécessaire , pour que le
pouvoir soit absolu et indépendant , que l'homme qui
l'exerce obéisse à toutes les lois de la religion et de la morale
révélées par Dieu , ce qui est une erreur condamnée dans
Wiclef; mais que le pouvoir ne sauroit être absolu et indépendant
s'il n'est constitué sur les lois naturelles de l'ordre
AOUT 1807 . 349
social , dont Dieu est l'auteur , et que notre raison peut découvrir
; et s'il ne s'exerce en vertu de ces mêmes lois.
Lapremière condition du pouvoir , et la loi la plus fondamendale
de la société , est que le pouvoir soit définitivement
un dans sa volonté législative , et multiple dans son
action publique , ou dans l'interprétation et l'exécution
de la loi ; c'est-à-dire , que le pouvoir doit vouloir par luimême
, et agir par des ministres constitués comme le pou
voir ; car s'il y a dans le même Etat deux volontés législatives
, ou elles se combattent , et alors il y a deux sociétés
opposées ; ou elles se détruisent, et il n'y a plus de société,
puisqu'il n'y a plus de volonté. Et si le pouvoir n'agit pas
pardes ministres qui soient indépendans dans l'exercicede
leurs fonctions , ilpeut agir avec les passionts et les erreurs .
Nous opposerons l'une à l'autre la France et la Turquie ,
les deux extrêmes , l'une du pouvoir absolu , l'autre du pouvoir
arbitraire.
Ainsi, en France , le pouvoir avoit endéfinitif laplénitude
de la volonté législative , qui n'est au fond que le droitde
développer les lois fondamentales , et de les appliquer à l'état
successif de la société ; et la fonction de distinguer dans la
loi la volonté du pouvoir de la volonté de l'homme , de la
faire connoître aux peuples , de l'interpréter dans des
décisions générales , et d'en faire l'application à des cas particuliers
, étoit confiée à des corps .
En Turquie, au contraire , il ne se fait jamais de lois; et
même cette société et celles qui lui ressemblent , se distinguent
par un attachement aveugle et opiniâtre pour leurs
loisanciennes , écrites ou traditionnelles , et par une horreur
insurmontable de tout changement. Ces sortes d'Etats ne
subsistent que d'habitudes ; et la conversion d'une seule loi ,
même mauvaise , en une meilleure , pourroit entraîner la
ruine totale de l'édifice , dont les diverses parties ne seroient
plus en harmonie. Il ne se fait donc jamais de lois ; et s'il
s'en faisoit , le corps des uhlémas ou des ministres de la religion
et des docteurs de la loi , auroit une grande part au
pouvoir législatif , ou plutôt seroit le vrai législateur, et ses
décisions l'emporteroient même sur la volonté des princes .
Mais l'application et l'exécution de la loi , dans ce qu'elle
ade plus redoutable et de plus auguste , je veux dire , dans
le droit de disposer de la vie et de la propriété , appartient au
prince qui , à la vérité , renvoie à des cadis la connoissance
des délits particuliers , à laquelle il ne pourroit pas suffire ;
mais qui juge lui-même et punit de mort sans forme de procès
, et par un seul acte de son pouvoir , les crimes contre
350 MERCURE DE FRANCE ,
PEtat ou contre sa personne , et confisqué à son profit les
biens des condamnés. Cette faculté personnelle au prince ,
et qu'il exerce sans réclamation , de faire lui-même l'appli
cation de la loi , constitue proprement le pouvoir arbitraire.
Etde là vient que lorsque les rois en France nommoient des
commissions extraordinaires pour soustraire un homme
prévenu de crimes à la jurisdiction de ses juges naturels ,
ministres constitués et permanens du pouvoir , on se plaignoit
qu'ils exerçoient un pouvoir arbitraire ; parce que, dans
ce cas , le prince s'immisçoit dans la fonction d'interpréter ,
d'appliquer etd'exécuter la loi , sinon par lui-même,dumoins
par des agens de circonstance , des agens aux ordres de
P'homme , etqui n'étoient pas les ministres constitutionnels
du pouvoir.
Mais lorsque le chef de l'Etat est investi personnellement
par la loi ou la coutume de l'Etat , de l'action publique ,
c'est-à-dire , du droit de disposer de la vie et de la fortune
des sujets , ses agens, et même dans les emplois subalternes ,
participent en quelque degré à ce pouvoir arbitraire ; parce
que le pouvoir exercé ou transmis , est toujours de la même
nature; et ils disposent arbitrairement aussi dans la sphère
de leur autorité , et selon la mesure de leur pouvoir , de la
propriété et quelquefois de la personne de ceux qui leur sont
subordonnés . C'est là le comble de l'oppression et le plus
grand désordre des Etats mahométans .
Je ne prétends pas que dans les Etats chrétiens , il n'y eût
quelquefois des actes de pouvoir arbitraire ; mais la loi veilloit
pour les condamner , et les tribunaux pour s'en plaindre ;
au heu que dans les Etats de l'Orient , l'abus lui -même est la
loi ; et comme, même sous un prince modéré, l'ignorance
l'exécute , la servitude s'y soumet.
Ainsi il faut observer que le mot absolu , en parlant du
pouvoir , tombe plutôt sur la volonté ou sur le pouvoir
législatif; et de mot arbitraire , plutôt sur l'action ou la
fonction d'exécuter la loi : fonction dont les publicistes
modernes ont fait deux pouvoirs, sous le nom de pouvoir
exécutif et de pouvoir judiciaire , afin de les opposer au
pouvoir législatif, et d'établir ainsi entre les différens pouvoirs
qu'ils supposent indépendans les uns des autres , leur
chimère favorite de la balance des pouvoirs .
Le pouvoir en France étoit arbitraire , lorsque Clovis
fendoit lui-même la tête à un soldat , qu'il n'auroit pu peutêtre
faire juger par les tribunaux; le pouvoir étoitbsolu ,
lorsque le foible Louis XIII faisoit juger par le parlement
le plus grand seigneur de son royaume , qu'il n'auroit pu
AOUT 1807 . 351
certainement tuer lui-même , sans exciter un soulèvement
universel.
Ainsi le pouvoir absolu consiste à ne vouloir que des
lois naturelles , bonnes , raisonnables , lois fondamentales
de la société , contre lesquelles tout ce que l'on fait est nul
de soi , comme dit M. Bossuet , et à n'agir qu'en vertu
de ces mêmes lois ; et le pouvoir arbitraire consiste à
faire tout ce que veulent ou permettent des lois impar
faites et contre la nature de la société : lois qui ne sont
jamais fondamentales ou primitives , même lorsqu'elles
sont le plus anciennes .
Ainsi qu'on y prenne garde. Le pouvoir n'est pas bon ,
parce qu'il est absolu ; mais il est absolu, parce qu'il est
ou lorsqu'il est bon : bonté de pouvoir qui est tout-à- fait
indépendante de la bonté morale de l'homme qui l'exerce.
Ainsi , dans le commerce ordinaire de la vie , un homme
n'est pas meilleur que les autres , parce qu'il a de l'empire
sur leur esprit; mais il a de l'empire sur les esprits ,
parce qu'il est meilleur que les autres ou plus fort d'esprit
et de raison.
Et de même , le pouvoir n'est pas mauvais , parce
qu'il est arbitraire; mais il est arbitraire , parce qu'il est
mauvais , c'est-à-dire , imparfait , et qu'il ne connoît pas
les moyens légitimes de son action , parce qu'il ignore la
règle fixe et sûre de ses volontés .
Aussi le pouvoir absolu est le pouvoir le plus indépendant
ou le plus fort , parce qu'il n'y a rien de plus fort
que ce qui est selon la nature et la raison ; et le pouvoir
arbitraire est le pouvoir le plus dépendant et le plus foible ,
parce qu'il n'y a rien de plus foible que ce qui est contre la
nature. Le grand-seigneur peut faire étrangler ses frères
et ses visirs , et il ne pourroit casser une milice factieuse ,
ni faire punir un uhléma séditieux , pas même sauver sa
tête et sa couronne des violences populaires . Le pouvoir
en France ne pouvoit même signer un' arrêt de mort; et
les tribunaux , à qui il avoit confié son action ou l'exécution
de la loi , étendoient leur jurisdiction sur toutes les
personnes et sur tous les corps . La justice en France pesoit
plusque la force; et le parlement , au besoin , auroit jugé
l'armée.
Le pouvoir arbitraire est le pouvoir d'un enfant qui veut
tout avec violence , et qu'un rien arrête ; le pouvoir absolu
est le pouvoir d'un homme qui ne veut qu'avec raison , et
qui est obéi.
Le pouvoir absolu ou constitué sur ses lois naturelles est
/
352 MERCURE DE FRANCE ,
bon , et par conséquent un état légitime de société ; mais
le pouvoir arbitraire peut être un état légal, lorsqu'il est
fondé sur la loi de l'Etat, ou sur une coutume qui a acquis
force de loi ( 1 ) . Ainsi , l'on n'est pas plus étonné en
Turquie d'apprendre que le grand-seigneur a fait couper
la tête à son visir et s'est emparé de ses trésors , qu'on ne
l'étoit à Paris d'entendre crier dans les rues un arrêt des
cours souveraines qui condamnoit à mort un malfaiteur-,
et adjugeoit ses biens au fisc : et c'est même là un des
grands maux du despotisme invétéré de l'Orient , qu'en
opprimant les corps il étouffe la raison.
Il faut cependant observer que le grand-seigneur, lorsqu'il
condamne ainsi sans forme de procès , n'est pas coupable ,
même aux yeux de la suprême justice , pourvu toutefois
qu'il agisse sans passion et avec une conviction fondée du
crime , parce qu'il ne fait que suivre la loi de l'Etat , une
loi plus ancienne que le prince , et qui attribue à un seul
homme autant de pénétration , de lumières et d'impartialité
qu'à tout un tribunal; et que même , chez ces peuples
abrutis , il ne pourroit changer cette loi , toute absurde qu'elle
est , ni se refuser au terrible ministère dont elle l'a revêtu
sans faire une révolution dans l'Etat et compromettre l'existence
du pouvoir lui-même. Dans ce cas , c'est la loi qui
est coupable , et non le prince , qui est dans une ignorance
invincible ou dans une position forcée ; ou plutôt c'est la
société qui est imparfaite , pour avoir retenu dans l'état
public les lois de l'état domestique des premières sociétés ,
où le chef de la famille avoit lui seul le pouvoir suprême
de vie et de mort sur ses enfans et ses serviteurs .
Cette constitution ou état legal du pouvoir arbitraire
forme le gouvernement despotique , où l'usage légal de ce
pouvoir s'appelle , dans la langue politique , despotisme.
M. de Montesquieu est allé trop loin lorsqu'il a défini le
despotisme : « Un gouvernement où un seul , sans loi et sans
>> règle , enchaîne tout par sa volonté et par ses caprices . >>>
On a observé avec raison , qu'un pareil gouvernement ou
plutôt un pareil désordre , ne subsisteroit pas deux jours .
Le despotisme ne manque pas plus de lois et de règles que
(1 ) Un exemple fera sentir la différence que j'établis entre l'état
légitime et l'état légal , qui tous deux viennent du mot lex. L'indisso-
Jubilité est l'état légitime du mariage , parce qu'il est fondé sur la loi de
Ta nature ou de son auteur; la dissolubilité ou le divorce , là où il est
permis par la loi , est l'etat légal, parce qu'il est fondé sur une loi de
Thomme ب
tout
,
AOUT 1807 .
353 5.
DEP
tout autre état de société ; et même , comme je l'ai déjà
remarqué , les lois et les coutumes y sont l'objet d'un respect
servile et superstitieux. Mais les règlesy sont fausses et les
lois imparfaites ; sans que le despote sache comment sortir
de ce despotisme , qui souvent , comme le dit très - bien
Montesquieu , <« lui est plus pesant qu'aux peuples mêmes » ;
et bien loin qu'il entraîne tout par sa volonté et par ses
caprices , il est souvent entraîné lui-même par la volonté
du peuple et les caprices des soldats .
La définition que cet écrivain donne du despotisme d'un
seul , ne pourroit convenir qu'au despotisme de tous , qu'on
appelle démocratie , état de société sans loi et sans règle ,
puisque le peuple a toujours le droit de faire de nouvelles
lois , et même de changer les meilleures , suivant le principe
de J. J. Rousseau , et que n'ayant pas besoin d'avoir
raison pour valider ses actes , il peut tout entraîner par
sa volonté et par ses caprices . Sous le despotisme d'un
seul , il y a trop d'immobilité dans les lois ; sous le despotisme
de tous , il y a trop d'instabilité : l'un est une monarchie
imparfaite , l'autre n'est que chaos et confusion ;
et si , sous le premier , l'homme est esclave , il peut , sous
le second , tomber au-dessous de l'esclavage , et , comme
dit Tacite , dégénérer même de la servitude .
La constitution du pouvoir absolu forme l'état légitime
ou naturel de la société : c'est ce qu'on appelle la monarchie
parfaite , ou simplement la monarchie .
La constitution , ou l'état légal du pouvoir arbitraire
sous un seul chef, forme la monarchie imparfaite , ou le
despotisme.
L'usage arbitraire du pouvoir absolu , ou l'usage illégal
du pouvoir arbitraire , s'appelle tyrannie.
Ainsi la monarchie est l'état légitime de la société , parce
qu'il en est l'état naturel.
Le despotisme peut être un état légalde société , quoiqu'il
n'en soit pas l'état naturel ;
Et latyrannie n'est ni un état légitime , ni un état légal ,
parce qu'elle est l'abus du pouvoir absolu , et même du
pouvoir arbitraire .
Cependant on ne pourroit s'empêcher de regarder la
démocratie ( dans une nation indépendante ) comme la
constitution de l'état légal de la tyrannie , si l'on prenoit à
la rigueur le principe de Jurieu : « Que le peuple est la
>>seule autorité qui n'ait pas besoin d'avoir raison pour
>> valider ses actes >> ; principe répété à l'assemblée constituante
, et confirmé par de grands et mémorables exemples
cen
354 .: MERCURE DE FRANCE ,
:
d'actes populaires valides sans raison , et même contre toute
raison , toute justice et toute humanité.
Le despotisme est l'imperfection du pouvoir , soit qu'une
société trop jeune encore n'ait pu parvenir à la parfaite
constitution du pouvoir ; soit que , dans ses derniers temps ,
dechue de cette constitution parfaite , elle n'ait pu encore
y revenit..
Ainsi le despotisme est l'enfance de la société ; et il peut
en être la convalescence.
La tyrannie est donc le crime de l'homme , et le despotisme
la faute des événemens .
Ainsi , il n'eût pas été prudent , en Angleterre , de parler
de tyrannie sous Henri VIII ; et il eût été permis à Rome
de parler de despotisme sous Trajan .
Louis XI , en France , fut un tyran. Tite , Antonin ,
Mare-Aurèle , furent des despotes. Néron et Henri VIII
ont été à la fois des despotes et des tyrans , car le pouvoir est
imparfait en Angleterre , et souventy est devenu arbitraire .
Dans nos monarchies chrétiennes , comme la loi prend
sous sa sauve-garde l'homme et sa propriété , il faudroit ,
pour encourir le reproche de tyrannie , porter atteinte à
l'un ou à l'autre ; mais sous le despotisme de l'Orient , où
'la loi'permet beaucoup au prince sur l'homme et sur la
propriété , le prince ne pourroit sans démence en usurper
davantage ; et comme ces peuples abrutis tiennent plus à
leurs usages qu'à leur vie même, il suffit d'avoir voulu
faire quelque innovation dans des usages même indifférens ,
pour être accusé de tyrannie. Vraisemblablementl'infortuné
Sélim a été regardé comme un tyran , pour avoir voulu
faire raser la barbe aux Janissaires ; et si son successeur lui
avoit fait couper la tête , cette exécution atroce n'auroit passé
que pour un usage, permis et même prudent de l'autorité.
Nous avons dit que le despotisme est l'imperfection du
pouvoir ; et le pouvoir peut être imparfait dans sa constitution
, dans sa volonté, dans són action .
১
Le pouvoir , pour être parfaitement constitué , doit être
indivisible , héréditaire de mâle en mâle , et par ordre de
primogéniture , et même propriétaire de domaines , et non
pensionnaire de l'Etat. Il seroit aisé de prouver que , faute
de l'une ou de l'autre de ces conditions ou de ces lois , le
pouvoir n'est pas entièrement indépendant ; et s'il n'est pas
indépendant , il peut devenir arbitraire , et il n'en est préservé
que par la modération ou le génie du prince.
Il y a imperfection du pouvoir partout ou sa volonté
législative est subordonnée à des volontés populaires , et
AOUT 1807. 355
són action trop dépendante de la force populaire , ou des
passions individuelles .
Le pouvoir en Turquie est indivisible , héréditaire , et
même de mâle en måle ; mais l'ordre de primogéniture
paroît n'être régulièrement observé que dans toute la famille,
etnondans lamême branche . La volonté législative y seroit ,
s'il y avoit lieu , subordonnée aux décisions des uhlémas ; et
l'action est exercée par le prince lui-même , et l'a été trop
souvent par le peuple ou par les soldats .
On voit à la fois dans cette constitution du pouvoir , bonne
sous quelques rapports , imparfaite sous d'autres , la raison
de la longue durée de cette société et de sa foiblesse habituelle
, du profond respect du peuple pour la famille qui
est en possession du trône, et de ses fréquentes révoltes contre
T'homme qui l'occupe. Car ce peuple grossier considère le
pouvoir d'une manière tout-à-fait arbitraire il adore le
pouvoir , au moment où il précipite l'homme du trône ; et
c'est en se mettant à genoux devant un sultan déposé , que
les muets lui présentent le fatal cordon. Une religion absurde
étaie sans l'affermir cette constitution icieuse , et en prolonge
l'existence , sans pouvoir en perfectionner la nature.
Mais tout ce qui ne peut parvenir à sa véritable nature est
condamné à périr. La langueur a gagné l'Empire ottoman .
En vain on a voulu y ranimer dans cce grand corps un esprit
de vie. C'est un malade à l'agonie , dont le moindre déplac
ment précipite la fin .
Je finirai cet article par quelques réflexions importantes .
Quand on traite de la politique , il faut toujours en revenir
à la religion ; et c'est ce que les publicistes du dernier
siècle out beaucoup trop négligé. Chez les peuples mahométans
, le despotisme est dans la famille par la polygamie ;
et , par une conséquence nécessaire , le pouvoir arbitraire
est dans l'Etat , dont la famille est l'élément.
Chez les Chrétiens , la monarchie est dans la famille par
la monogamie , et la monarchie est dans l'Etat : car , là où
la faculté du divorce rapproche la famille de la polygamie ,
comme dans les Etats protestans , le pouvoir public y vise
un peu plus à l'arbitraire , autant du moins que l'ont permis
les moeurs et les idées chrétiennes .
Les Turcs , qui font de leur prince l'image de Dieu , ne
voient dans l'un et dans l'autre qu'un maître suprême qui
agit par des volontés arbitraires et particulières , et non en
vertu de lois générales , dont ils n'ont pas même l'idée .
Les Chrétiens , qui font aussi de leurs princes les mi-
Za
356 MERCURE DE FRANCE,
nistres de la Divinité , les considèrent agissant , comme
elle , par des lois immuables et générales .
Le pouvoir est arbitraire en Turquie , parce qu'il n'y a
pas assez de raison et de lumières pour qu'il soit absolu;
le pouvoir est absolu chez les Chrétiens , où il y a trop de
raison et de lumières pour qu'il soit arbitraire. Aussi le
pouvoir chez les Chrétiens périroit , s'il vouloit rester ou
devenir arbitraire ; et en Turquie , s'il vouloit cesser de.
l'être , parce que rien dans les lois et dans les moeurs n'y
estdisposé pour qu'il devienne absolu : « Un gouvernement
>>modéré , dit Montesquieu (et il n'y a qu'un gouvernement
>>fort qui puisse être modéré ) , un gouvernement modéré
>>peut ,tant qu'il veut , et sans péril , relâcher ses ressorts.
دل Il se maintient par ses lois , et par sa force même. Mais
>>lorsque , dans legouvernement despotique , le prince cesse
» un momentde lever le bras , ... tout est perdu>. >>
Le pouvoir arbitraire est redouté en Turquie; et le pouvoir
qui ne voudroity être qu'absolu , comme il l'est chez
les Chrétiens , n'y seroit pas respecté.
Le pouvoir absolu est respecté chez les Chrétiens ; et le
pouvoir qui voudroit y être arbitraire , y seroit objet de
mépris , plutôt que de crainte , parce que là où il y a plus
de raisondans les esprits , ily a aussi plus d'élévation dans
les ames , et même d'énergie dans les caractères .
Il est même nécessaire , dans les Etats chrétiens , que le
pouvoir soit absolu , et son action confiée à des corps qui ,
pour assurer le repos de la société , se conduisent beaucoup
plus par des considérations d'ordre public , que par des
motifs de bonté ou d'indulgence personnelle. Si le pouvoir
y étoit arbitraire, et que son action dépendiť de la volonté
du prince , la douceur de moeurs qu'inspire le Christianisme
, et la haute idée qu'il donne de l'homme, risqueroient
d'affoiblir l'action du pouvoir ; et trop souvent les
crimes resteroient impunis , et les bons sans protection et
sans défense. Chose remarquable ! la constitution , dans
les Etats mahométans , donne au prince le pouvoir arbitraire
de punir sans le ministère des tribunaux ; et , chez
les Chrétiens , elle lui attribue le pouvoir arbitraire de faire
grace malgré les tribunaux. Mais , comme les uns peuvent
périr par l'abus des exécutions arbitraires , les autres peuvent
périr par l'abus de l'impunité ; et le droit de faire
grace arbitrairement , si doux à exercer dans tous les temps ,
et même si nécessaire et si sacré dans les temps de crises
politiques , peut , dans les temps ordinaires , devenir pour
la société plus dangereux que le pouvoir même de punir
AOUT 1807 . 357
arbitrairement : et nous en avons fait quelquefois en France
une triste expérience. Aussi la constitution française avoitelle
limité l'exercice de ce droit , et les tribunaux pouvoient
punir , même malgré le prince. C'étoit alors le pouvoir
absolu qui , pour l'intérêt de la société , l'emportoit sur le
pouvoir arbitraire. Mais combien ne faut- il pas de perfection
dans les lois , de bonté dans les moeurs publiques , de fixité
dans les idées , de respect pour la propriété , d'unité dans la
morale , de raison enfin et d'ordre dans toutes les parties
du corps social , pour que le pouvoir ou ses ministres
puissent toujours être sévères sans dureté , ou indulgens
sans partialité et sans scandale !
Dans un second article , nous ferons l'application des
principes que nous avons exposés à quelques parties principales
des deux constitutions de la France et de l'Angleterre.
DE BONALD .
i
Sur la traduction de DON QUICHOTTE ( 1 ) , par Florian ;
article faisant suite à l'extrait de la traduction en vers
des Poésies de Lope de Vega, par M. d'Aguilar.
En rendant compte de la traduction de quelques poésies
de Lope de Vega , par M. d'Aguilar , les bornes d'un extrait
ne nous permirent pas de relever une erreur échappée à ce
littérateur estimable. Nous croyons devoir la réfuter dans
un article particulier; et nous nous y décidons d'autant plus
volontiers, que cette discussion a pour but de préserver
ceux qui voudront traduire les anciens auteurs espagnols
d'un défaut auquel pourroit les entraîner le sentiment de
M. d'Aguilar.
On sait que Florian aimoit beaucoup la littérature espagnole:
il fit en vers et en prose des traductions fort agréables ;
et c'est à lui qu'on eut l'obligation de connoître les véritables
beautés de Cervantes . M. d'Aguilar le traite avec beaucoup
trop de sévérité : « Florian , dit-il , n'avoit jamais voyagé en
>>Espagne; il ne connoissoit ni la langue , ni le génie de la
> nation. Sa traduction posthume de Don Quichotte est
>> extrêmement inexacte , et souvent infidelle . >>>
(1) Six vol. in-18. Prix : 6 fr . , et 9 fr. par la poste. Trois vol. in 8°.,
figures. Prix: 18 fr. , et 22 fr. 50 c. par la poste.
AParis , chez le Normant.
3
358 MERCURE DE FRANCE ,
il
D'après ce jugement , il paroît que M. d'Aguilar auroit
desiré que Florian eût traduit plus littéralement , qu'il ne
se fût permis aucune suppression , et qu'il n'eût ajouté aucun
örnement à son original. Avec ce système , il est douteux
qu'un traducteur ait pu plaire à des lecteurs français . Cervantes
entre souvent dans des détails trop minutieux ,
prodigue les épithètes , et ses phrases sont en général trop
longues . Florian crut devoir donner plus de rapidité à la
narration , écarter les détails inutiles , et, ménager les épithètes
. Il falloit beaucoup de goût pour ne pas dénaturer
un ouvrage excellent , en voulant le corriger : heureusement
Florian n'en manquoit pas . Nous avons comparé sa traduction
à l'original , et nous sommes restés convaincus qu'à
très-peu d'exceptions près , il avoit rempli le but. Son travail
afait oublier l'ancienne traduction , qui , pour être longue
et traînante , n'en est pas plus exacte,
L'opinion de M. d'Aguilar est partagée par plusieurs
personnes , même par celles qui ignorent la langue espagnole.
Des raisonnemens ne les feroient pas revenir de cette
idée ; il vaut mieux employer des exemples . Nous examinerons
donc la traduction de Florian sous deux rapports :
d'abord , en choisissant un morceau d'une certaine étendue ,
nous le comparerons à l'original , dont nous donnerons une
traduction presque littérale ; ensuite , nous parlerons en
général des changemens et des suppressions que l'auteur de
Galatée a cru devoir se permettre .
*** L'épisode de Marcelle est un des plus intéressans que présente
le roman de Don Quichotte. Une jeune personne douée
de tous les charmes , jouissant d'une fortune honnête , a
pris le parti de vivre libre , et s'est rétirée dans une campagne
solitaire , où elle n'est occupée que du soin de ses troupeaux.
Plusieurs amans se sont présentés , mais aucun
n'a pu toucher son coeur. Parmi eux , Chrysostôme , jeune
homme qui a reçu une éducation brillante ,s'est fait remarquer:
vainement a-t-il employé tous les moyens pour attendrir
Marcelle ; désespéré de son indifférence , il est mort de
chagrin. Ses funérailles se font avec beaucoup de pompe , et
tout le monde maudit la dureté de la jeune personne. A
ce moment elle paroît , et prononce un discours où elle
explique très -bien les raisons de sa conduite. Voici la traduction
de Florian :
198
<<Vous prétendez que je suis belle , qu'on ne peut me
voir sans m'aimer , et vous me regardez comme obligée de
répondre à ce sentiment. Mais l'amour dépend- il de nous ?
Ah ! si l'on peut excuser cette passion dangereuse , c'est
(
AOUT 1807. 359
parce qu'elle n'est pas volontaire , parce qu'elle est l'élan
rapide d'un coeur qui s'échappe malgré lui-même. L'amour
s'attire alors de nos ames cette compassion pénible que nous
inspirent des insensés ; et , je te le demande, Ambroise , qui
pourroitjamais exiger que l'on choisit pour ses modèles les
objets de notre pitié ? >>>
« Vous vous plaignez tous , cependant , de ce qu'étant
belle, je n'aime point. J'aurois le même droit de me plaindre
si , n'étant point belle , vous ne m'aimiez pas . Pourquoi
voulez-vous me punir de cette prétendue beauté que je ne
me suis point donnée ? Elle flatte peu mon orgueil ; et je
l'aurois bientot oubliée , si j'étois assez heureuse pour qu'on
daignât l'oublier. Je n'estime , je ne chéris , je ne connois
de biens sur la terre que l'innocence et la paix. C'est pour
trouver l'un et conserver l'autre que j'ai choisi l'état de bergère
; que , loin d'un monde que je méprise , je veux passer
ma vie au milieu des forêts , dans les prés , au bord des
fontaines , avec les compagnes de mon enfance et de mes
plaisirs , aussi purs que doux. Les soins de mon troupeau
m'occupent , l'oiseau dans les airs me distrait. Le spectacle
de la nature suffit à mes yeux , à mon coeur. Une félicité
qui ne nuit à personne ne peut-elle être tolérée ? Quelqu'un
a-t- il à me reprocher de l'avoir un moment déçu par une
fausse espérance? N'ai- je pas dit à Chrysostôme lui-même ,
lorsqu'il me déclara ses feux , dans cette place où je vois son
corps ; ne l'ai-je pas averti que ses peines étoient perdues ,
que je ne voulois , que je ne pouvois point aimer ? Je n'en
rendois pas moins justice à ses qualités estimables ; je lui
offris la douce amitié qui suffit aux coeurs innocens . Il
repoussa ce sentiment pur , il regarda comme de la haine
tout ce qui n'étoit point de l'amour ; son désespoir l'a mis
au tombeau . Est-ce moi qu'il faut accuser ? En étant sincère ,
ai-je été coupable ? »
<<Bergers , je viens vous déclarer, à la face du ciel, et devant
ce cercueil , que ma liberté in'est chère , que j'en veux jouir à
jamais. J'en acquis le droit en naissant , je l'emporterai
dans la tombe. Čessez donc de vaines poursuites , cessez des
plaintes injustes ; et si ma beauté trop vantée est fatale à
votre repos , fuyez , et laissez-moi le mien . »
Cette traduction est très-abrégée , comme on le verra
bientôt : nous avons eu soin de sculigner tout ce qui n'est
pas dans l'original. Le discours que Cervantes prête à
Marcelle est beaucoup plus raisonné . Florian a eu raison de
le rendre plus rapide ; mais on peut regretter quelques
4
354 MERCURE DE FRANCE ,
d'actes populaires valides sans raison , et même contre toute
raison , toute justice et toute humanité.
Le despotisme est l'imperfection du pouvoir , soit qu'une
société trop jeune encore n'ait pu parvenir à la parfaite
constitution du pouvoir ; soit que , dans ses derniers temps ,
déchue de cette constitution parfaite , elle n'ait pu encore
y revenir.
Ainsi le despotisme est l'enfance de la société ; et il peut
en être la convalescence .
La tyrannie est donc le crime de l'homme , et le despotisme
la faute des événemens .
Ainsi , il n'eût pas été prudent , en Angleterre , de parler
de tyrannie sous Henri VIII ; et il eût été permis à Rome
de parler de despotisme sous Trajan .
Louis XI , en France , fut un tyran. Tite , Antonin ,
Marc-Aurèle , furent des despotes . Néron et Henri VIII
ont été à la fois des despotes et des tyrans , car le pouvoir est
imparfait en Angleterre , et souvent y est devenu arbitraire .
Dans nos monarchies chrétiennes , comme la loi prend
sous sa sauve- garde l'homme et sa propriété , il faudroit
pour encourir le reproche de tyrannie , porter atteinte à
l'un ou à l'autre ; mais sous le despotisme de l'Orient , où
la loi permet beaucoup au prince sur l'homme et sur la
propriété , le prince ne pourroit sans démence en usurper
davantage ; et comme ces peuples abrutis tiennent plus à
leurs usages qu'à leur vie même , il suffit d'avoir voulu
faire quelque innovation dans des usages même indifférens
pour être accusé de tyrannie . Vraisemblablement l'infortuné
Sélim a été regardé comme un tyran , pour avoir voulu
faire raser la barbe aux Janissaires ; et si son successeur lui
' avoit fait couper la tête , cette exécution atroce n'auroit passé
que pour un usage , permis et même prudent de l'autorité.
Nous avons dit que le despotisme est l'imperfection du
pouvoir ; et le pouvoir peut être imparfait dans sa constitution
, dans sa volonté, dans son action .
Le pouvoir , pour être parfaitement constitué , doit être
indivisible , héréditaire de mâle en mâle , et par ordre de
primogéniture , et même propriétaire de domaines , et non
pensionnaire de l'Etat . Il seroit aisé de prouver que , faute
de l'une ou de l'autre de ces conditions ou de ces lois , le
pouvoir n'est pas entièrement indépendant ; et s'il n'est pas
indépendant , il peut devenir arbitraire , et il n'en est préservé
que par la modération ou le génie du prince .
" Il y a imperfection du pouvoir partout ou sa volonté
législative est subordonnée à des volontés populaires , et
>
AOUT
1807 .
355
son action trop dépendante de la force populaire , ou des
passions individuelles .
Le pouvoir en Turquie est indivisible' , ' héréditaire , et
même de mâle en mâle ; mais l'ordre de primogéniture
paroît n'être régulièrement observé que dans toute la famille,
et non dans la même branche. La volonté législative y seroit ,
s'il y avoit lieu , subordonnée aux décisions des uhlemas ; et
l'action est exercée par le prince lui -même , et l'a été trop
souvent par le peuple ou par les soldats .
On voit à la fois dans cette constitution du pouvoir , bonne
sous quelques rapports , imparfaite sous d'autres , la raison
de la longue durée de cette société et de sa foiblesse habituelle
, du profond respect du peuple pour la famille qui
est en possession du trône , et de ses fréquentes révoltes contre
T'homme qui l'occupe. Car ce peuple grossier considère le
pouvoir d'une manière tout-à - fait arbitraire : il adore le
pouvoir , au moment où il précipite l'homme du trône ; et
c'est en se mettant à genoux devant un sultan déposé , que
les muets lui présentent le fatal cordon . Une religion absurde
étaie sans l'affermir cette constitution vicieuse , et en prolonge
l'existence , sans pouvoir en perfectionuer la nature .
Mais tout ce qui ne peut parvenir à sa véritable nature est
condamné à périr . La langueur a gagné l'Empire ottoman .
En vain on a voulu y ranimer dans ce grand corps un esprit
de vie . C'est un malade à l'agonie , dont le moindre déplace
ment précipite la fin .
Je finirai cet article par quelques réflexions importantes .
Quand on traite de la politique , il faut toujours en revenir
à la religion ; et c'est ce que les publicistes du dernier
siècle ont beaucoup trop négligé. Chez les peuples mahométans
, le despotisme est dans la famille par la polygamie ;
et , par une conséquence nécessaire , le pouvoir arbitraire
est dans l'Etat , dont la famille est l'élément .
Chez les Chrétiens , la monarchie est dans la famille par
la monogamie , et la monarchie est dans l'Etat : car , là où
la faculté du divorce rapproche la famille de la polygamie ,
comme dans les Etats protestans , le pouvoir public y vise
un peu plus à l'arbitraire , autant du moins que l'ont permis
les moeurs et les idées chrétiennes .
Les Turcs , qui font de leur prince l'image de Dieu , ne
voient dans l'un et dans l'autre qu'un maître suprême qui
agit par des volontés arbitraires et particulières , et non en
vertu de lois générales , dont ils n'ont pas même l'idée.
Les Chrétiens , qui font aussi de leurs princes les mi-
Z 2
356 MERCURE DE FRANCE,
nistres de la Divinité , les considèrent agissant , comme
elle , par des lois immuables et générales .
Le pouvoir est arbitraire en Turquie , parce qu'il n'y a
pas assez de raison et de lumières pour qu'il soit absolu ;
le pouvoir est absolu chez les Chrétiens , où il y a trop de
raison et de lumières pour qu'il soit arbitraire . Aussi le
pouvoir chez les Chrétiens périroit , s'il vouloit rester ou
devenir arbitraire ; et en Turquie , et en Turquie , s'il vouloit cesser de
l'être , parce que rien dans les lois et dans les moeurs n'y
est disposé pour qu'il devienne absolu : « Un gouvernement
» modéré , dit Montesquieu ( et il n'y a qu'un gouvernement
fort qui puisse être modéré ) , un gouvernement modéré
» peut , tant qu'il veut , et sans péril , relâcher ses ressorts .
» Il se maintient par ses lois , et par sa force même. Mais
lorsque , dans le gouvernement despotique , le prince cesse
» un moment de lever le bras ,... tout est perdu . »
>>
Le pouvoir arbitraire est redouté en Turquie ; et le pouvoir
qui ne voudroit y être qu'absolu , comme il l'est chez
les Chrétiens , n'y seroit pas respecté.
Le pouvoir absolu est respecté chez les Chrétiens ; et le
pouvoir qui voudroit y être arbitraire , y seroit objet de
mépris , plutôt que de crainte , parce que là où il y a plus
de raison dans les esprits , il y a aussi plus d'élévation dans
les ames , et même d'énergie dans les caractères .
Il est même nécessaire , dans les Etats chrétiens , que le
pouvoir soit absolu , et son action confiée à des corps qui ,
pour assurer le repos de la société , se conduisent beaucoup
plus par des considérations d'ordre public , que par des
motifs de bonté ou d'indulgence personnelle . Si le pouvoir
y étoit arbitraire , et que son action dépendît de la volonté
du prince , la douceur de moeurs qu'inspire le Christianisme
, et la haute idée qu'il donne de l'homme , risqueroient
d'affoiblir l'action du pouvoir ; et trop souvent les
crimes resteroient impunis , et les bons sans protection et
sans défense. Chose remarquable ! la constitution , dans
les Etats mahométans , donne au prince le pouvoir arbitraire
de punir sans le ministère des tribunaux ; et , chez
les Chrétiens , elle lui attribue le pouvoir arbitraire de faire
grace malgré les tribunaux. Mais , comme les uns peuvent
périr par l'abus des exécutions arbitraires , les autres peuvent
périr par l'abus de l'impunité ; et le droit de faire
grace arbitrairement , si doux à exercer dans tous les temps ,
et même si nécessaire et si sacré dans les temps de crises
politiques , peut , dans les temps ordinaires , devenir pour
la société plus dangereux que le pouvoir même de punir
AOUT 1807 . 357
arbitrairement : et nous en avons fait quelquefois en France
une triste expérience . Aussi la constitution française avoitelle
limité l'exercice de ce droit , et les tribunaux pouvoient
punir , même malgré le prince . C'étoit alors le pouvoir
absolu qui , pour l'intérêt de la société , l'emportoit sur le
pouvoir arbitraire . Mais combien ne faut- il pas de perfection
dans les lois , de bonté dans les moeurs publiques , de fixité
dans les idées , de respect pour la propriété , d'unité dans la
morale , de raison enfin et d'ordre dans toutes les parties
du corps social , pour que le pouvoir ou ses ministres
puissent toujours être sévères sans dureté , ou indulgens
sans partialité et sans scandale !
Dans un second article , nous ferons l'application des
principes que nous avons exposés à quelques parties principales
des deux constitutions de la France et de l'Angleterre.
DE BONALD.
Sur la traduction de DON QUICHOTTE ( 1 ) , pår Florian ;
article faisant suite à l'extrait de la traduction en vers
des Poésies de Lope de Vega , par M. d'Aguilar .
EN rendant compte de la traduction de quelques poésies
de Lope de Vega , par M. d'Aguilar , les bornes d'un extrait
ne nous permirent pas de relever une erreur échappée à ce
littérateur estimable. Nous croyons devoir la réfuter dans
un article particulier ; et nous nous y décidons d'autant plus
volontiers , que cette discussion a pour but de préserver
ceux qui voudront traduire les anciens auteurs espagnols
d'un défaut auquel pourroit les entraîner le sentiment de
M. d'Aguilar.
On sait que Florian aimoit beaucoup la littérature espagnole
: il fit en vers et en prose des traductions fort agréables ;
et c'est à lui qu'on eut l'obligation de connoître les véritables
beautés de Cervantes . M. d'Aguilar le traite avec beaucoup
trop de sévérité : « Florian , dit- il , n'avoit jamais voyagé en
» Espague ; il ne connoissoit ni la langue , ni le génie de la
» nation. Sa traduction posthume de Don Quichotte est
>> extrêmement inexacte , et souvent infidelle ..»
( 1 ) Six vol . in- 18. Prix : 6 fr. , et 9 fr. par la poste . Trois vol. in §º.
figures. Prix : 18 fr. , et 22 fr. 50 c . par la poste .
A Paris , chez le Normant .
3
358 MERCURE
DE FRANCE
,
D'après ce jugement , il paroît que M. d'Aguilar auroit
desiré que Florian eût traduit plus littéralement , qu'il ne
se fût permis aucune suppression , et qu'il n'eût ajouté aucun
ornement à son original . Avec ce système , il est douteux
qu'un traducteur ait pu plaire à des lecteurs français . Cervantes
entre souvent dans des détails trop minutieux ,
il
prodigue les épithètes , et ses phrases sont en général trop
longues. Florian crut devoir donner plus de rapidité à la
narration , écarter les détails inutiles , et , ménager les épithètes
. Il falloit beaucoup de goût pour ne pas dénaturer
un ouvrage excellent , en voulant le corriger : heureusement
Florian n'en manquoit pas . Nous avons comparé sa traduction
à l'original , et nous sommes restés convaincus qu'à
très- peu d'exceptions près , il avoit rempli le but. Son travail
a fait oublier l'ancienne traduction , qui , pour être longue
et traînante , n'en est pas plus exacte ,
L'opinion de M. d'Aguilar est partagée par plusieurs
personnes , même par celles qui ignorent la langue espagnole
. Des raisonnemens ne les feroient pas revenir de cette
idée ; il vaut mieux employer des exemples . Nous examinerons
donc la traduction de Florian sous deux rapports :
d'abord , en choisissant un morceau d'une certaine étendue ,
nous le comparerons à l'original , dont nous donnerons une
traduction presque littérale ; ensuite , nous parlerons en
général des changemens et des suppressions que l'auteur de
Galatée a cru devoir se permettre .
L'épisode de Marcelle est un des plus intéressans que présente
le roman de Don Quichotte . Une jeune personne douée
de tous les charmes , jouissant d'une fortune honnêté , a
pris le parti de vivre libre , et s'est rétirée dans une campagne
solitaire , où elle n'est occupée que du soin de ses troupeaux.
Plusieurs amans se sont présentés , mais aucun
n'a pu toucher son coeur . Parmi eux , Chrysostôme , jeune
homme qui a reçu une éducation brillante , s'est fait remarquer:
vaineinent a - t-il employé tous les moyens pour attendrir
Marcelle '; désespéré de son indifférence , il est mort de
chagrin . Ses funérailles se font avec beaucoup de pompe , et
tout le monde maudit la dureté de la jeune personne. A
ce moment elle paroit , et prononce un discours où elle
explique très - bien les raisons de sa conduite . Voici la traduction
de Florian :
ཧཱུྃ ༔ t ་ ཛཱ་ དམ
« Vous prétendez que je suis belle , qu'on ne peut me
voir sans m'aimer , et vous me regardez comme obligée de
répondre à ce sentiment. Mais l'amour dépend'- il de nous ?
Ah ! si l'on peut excuser cette passion dangereuse ", c'est
AOUT 1807. 559
parce qu'elle n'est pas volontaire , parce qu'elle est l'élan
rapide d'un coeur qui s'échappe malgré lui-même. L'amour,
s'attire alors de nos ames cette compassion pénible que nous
inspirent des insensés ; et , je te le demande , Ambroise , qui
pourroitjamais exiger que l'on choisit pour ses modèles les
objets de notre pitié ? »
Vous vous plaignez tous , cependant , de ce qu'étant
belle, je n'aime point. J'aurois le même droit de me plaindre
si , n'étant point belle , vous ne m'aimiez pas. Pourquoi
voulez -vous me punir de cette prétendue beauté que je ne
me suis point donnée ? Elle flatte peu mon orgueil ; et je
l'aurois bientôt oubliée , si j'étois assez heureuse pour qu'on
daignât l'oublier . Je n'estime , je ne chéris , je ne connois
de biens sur la terre que l'innocence et la
paix. C'est pour
trouver l'un et conserver l'autre que j'ai choisi l'état de bergère
; que , loin d'un monde que je méprise , je veux passer
ma vie au milieu des forêts , dans les prés , au bord des
fontaines , avec les compagnes de mon enfance et de mes
plaisirs , aussi purs que doux . Les soins de mon troupeau
m'occupent , l'oiseau dans les airs me distrait . Le spectacle
de la nature suffit à mes yeux , à mon coeur. Une félicité
qui ne nuit à personne ne peut- elle être tolérée ? Quelqu'un
a-t-il à me reprocher de l'avoir un moment déçu par une
fausse espérance ? N'ai- je pas dit à Chrysostôme lui- même ,
lorsqu'il me déclara ses feux , dans cette place où je vois son
corps ; ne l'ai-je pas averti que ses peines étoient perdues ,
que je ne voulois , que je ne pouvois point aimer ? Je n'en
rendois pas moins justice à ses qualités estimables ; je lui
offris la douce amitié qui suffit aux coeurs innocens . Il
repoussa ce sentiment pur , il regarda comme de la haine
tout ce qui n'étoit point de l'amour ; son désespoir l'a mis
au tombeau. Est-ce moi qu'il faut accuser ? En étant sincère ,
ai- je été coupable ? »
« Bergers , je viens vous déclarer, à la face du ciel, et devant
ce cercueil , que ma liberté m'est chère , que j'en veux jouir à
jamais . J'en acquis le droit en naissant , je l'emporterai
dans la tombe . Čessez donc de vaines poursuites , cessez des
plaintes injustes ; et si ma beauté trop vantée est fatale à
votre repos , fuyez , et laissez -moi le mien. »
Cette traduction est très-abrégée , comme on le verra
bientôt nous avons eu soin de souligner tout ce qui n'est
pas dans l'original. Le discours que Cervantes prête à
Marcelle est beaucoup plus raisonné . Florian a eu raison de
le rendre plus rapide ; mais on peut regretter quelques
4
360 MERCURE DE FRANCE ,
détails qu'il a supprimés . On va en juger par une traduction
presque littérale de l'auteur espagnol :
« Le ciel m'a fait belle , dites-vous , et aucun ne peut
résister à mes charmes. Vous pensez que cet amour que je
vous inspire m'oblige à partager votre passion : cependant ,
l'instinct naturel que Dieu m'a donné , en m'apprenant que
tout ce qui est beau est aimable , m'apprend aussi que toute
personne qu'on aime parce qu'elle est belle , n'est pas
forcée à répondre à cet amour . Il pourroit arriver que
l'amant d'une belle femme fût laid ; peu digne d'être aimé
il auroit mauvaise grace à dire : Vos charmes ont allumé
ma passion ; il faut que vous m'aimiez , quoique la nature.
m'ait disgracié . Je suppose que tout le monde fût également
beau , ce ne seroit pas une raison pour aimer indifféremment
tous ceux qui se présenteroient. Toutes les belles
personnes n'inspirent pas de l'amour ; quelques - unes
charment la vue , sans toucher le coeur si toutes faisoient
naître le même sentiment , il y auroit une confusion qui
empêcheroit qui que ce fût de se fixer ; l'inconstance seroit
continuelle , et j'ai entendu dire que le véritable amour ne
s'attachoit qu'à un seul objet : il veut être libre , et sans
entrave .
» Cela étant ainsi , comme je le crois , pourquoi voulezvous
contraindre ma volonté , et me forcer à répondre à
une passion que je ne partage pas ? Si le ciel , au lieu de
m'avoir fait belle , m'eût fait laide , dites-moi , seroit - il
juste que je me plaignisse de ce que vous ne m'adresseriez
pas vos hommages ? Remarquez que je n'ai pas demandé
la beauté ; le ciel me l'a donnée sans consulter mes desirs ,
ni mon choix . La vipère ne mérite aucun reproche pour
la piqûre qu'elle fait , quoique cette piqûre donne la mort :
la nature l'a créée pour cela . Je ne mérite pas plus d'être
blâmée , parce que ma beauté a séduit quelques -uns de
vous . Une femme honnête est comme un feu ou comme
un glaive placé dans un lieu solitaire ; ils ne brûlent et ne
percent que les imprudens, qui s'en approchent de trop près.
» L'honneur et la vertu sont les vrais ornemens de l'ame :
sans eux , le corps , quelque séduisant qu'il soit , ne peut ni
ne doit paroître beau . S'ils sont les véritables attraits d'une
femme , doit-elle les perdre pour satisfaire la passion d'un
homme qui emploie l'artifice et tous les moyens qui sont en
son pouvoir , afin de la séduire ?
» Je suis née libre ; et pour vivre libre , j'ai choisi cette
solitude. Les arbres de cette montagne sont ma société ;
les eaux limpides des ruisseaux me tiennent lieu de miroir :
AOUT 1807.
361
c'est aux arbres et aux ruisseaux que je confie mes pensées
et mes charmes. Je suis un feu brûlant dans un lieu solitaire
, une épée tirée loin des hommes. Ceux que ma vue
a enflammés , mes paroles les ont désabusés. S'il est vrai
que l'amour se soutienne par l'espérance , comme je n'en
ai donné ni à Chrysostôme ni à aucun autre , ce n'est point
ma cruauté , mais son opiniâtreté qui l'a fait périr.
M
» Peut-être dira- t-on que ses vues étoient honnêtes , et
me fera-t-on un crime de ne les avoir pas accueillies . Je
répondrai que , lorsque dans ce même lieu où l'on creuse
son tombeau , il me découvrit sa passion , je lui dis que
mon projet étoit de vivre dans le célibat , et de ne confier
qu'à la terre cette fragile beauté dont il étoit épris. Si ,
nalgré ce refus , il a voulu s'obstiner dans son espoir , et
lutter contre les vents contraires , doit - on s'étonner qu'il
ait fait naufrage ? Si je l'avois flatté , j'aurois été fausse
si je l'avois contenté , j'aurois manqué au vou que j'ai
formé. Malgré ma rigueur , il a persisté dans sa passion ;
il a cru que je l'abhorrois , parce que je n'avois point
d'amour pour lui . Voyez à présent s'il . seroit juste qu'on
m'imputât son malheur . Si j'ai trompé quelqu'un , qu'il se
plaigne ; si j'ai donné de fausses espérances , qu'on me le
reproche. Je consens qu'on dévoile les avances que j'ai pu
faire , qu'on s'enorgueillisse des faveurs que j'ai pu accorder :
mais quelqu'un à qui je n'ai rien promis , que je n'ai pas
trompé , dont je n'ai jamais flatté la passion , ne doit m'appeler
ni cruelle ni homicide .
» Jusqu'à présent , le ciel n'a pas permis que j'aimasse
quelqu'un ; et je ne me sens aucun penchant à l'amour.
Que cette déclaration serve à tous ceux qui veulent m'adresser
leurs voeux , et qu'on sache à l'avenír que , si quelqu'un
meurt pour moi , ce ne sera ni par les tourmens de la
jalousie ni par mes dédains . On n'est point jaloux d'une
personne insensible , et l'on ne doit point regarder des refus
comme des mépris.
»
Que celui qui m'appelle barbare me fuie comme un
objet dangereux ; que celui qui m'appelle ingrate ne me
fasse point la cour. Pourquoi me suivre sans cesse , si l'on
me croit ces mauvaises qualités ? Cette ingrate , cette barbare
ne cherche , ne suit , n'appelle personne. La passion
impatiente de Chrysostôme l'a fait périr doit - on s'en
prendre à moi , parce que je lui ai opposé la vertu et la
pudeur ? Si je conserve ma vertu dans ce lieu solitaire
a-t-on le droit d'exiger que je m'expose à la perdre dans la
compagnie des hommes ?
>
362 MERCURE DE FRANCE ,
۱۰
>>Je possède , comme vous le savez , des biens qui suffisent
à mes desirs ; je n'ambitionne pas ceux des autres.
Jouissant de ma liberté , je ne veux pas la perdre . Je n'aime
ni ne hais personne, on ne me voit point tromper celui-ci ,
attirer celui - là ; me moquer de l'un , m'entretenir avec
P'autre. La société des jeunes filles des villages voisins , le
soin de mon troupeau , suffisent pour m'occuper. Mes desirs
ne s'élancent pas au-delà de ces montagnes ; s'ils vont plus
loin quelquefois , c'est lorsque mes yeux contemplént les
beautés d'un ciel pur ; spectacle qui dispose l'ame à se
rejoindre à son Créateur.>>>
On voit que ce discours de Marcelle est trop long et trop
raisonné : il offre des répétitions , des subtilités , et des comparaisons
recherchées. On ne doit donc pas savoir mauvais
gré à Florian de n'en avoir pris que la substance. Cependant
il eût été à desirer que l'élégant traducteur, au lieu d'ajouter
des ornemens qui sentent un peu le goût moderne, eût conservé
de véritables beautés qui se trouvent dans Cervantes .
Pourquoi ne voit-on pas dans sa traduction le développement
des raisons qui décident Marcelle à mépriser l'amour ?
Pourquoi n'y voit-on pas cette belle pensée qui termine le
discours de la jeune personne ? Au lieu de la rendre telle
qu'elle est , Florian l'a rejetée au milieu du discours , et n'a
fait que l'indiquer .
Les réflexions générales que l'on peut faire sur la traduction
de Florian lui sont aussi favorables que les réflexions
particulières . Elles roulent sur trois objets dans lesquels il
s'est permis des abréviations ou des suppressions : les vers
qui sont en assez grand nombre , lesproverbes de Sancho , et
quelques détails de narration. Pour les vers , il n'est guère
possible d'adresser à Florian des reproches fondés . Cervantes
, excellent prosateur , n'étoit que poète médiocre :
suivant le goût de son temps , il prodiguoit les figures exagérées
, et ne savoit pas mettre un frein à son imagination.
Pour en donner un exemple , il suffira de citer la romance
par laquelle Chrysostôme se plaint des rigueurs de Marcelle.
Dans l'auteur espagnol , elle a plus de cent trente vers . Le
berger commence par prier l'Enfer de lui prêter sa voix terrible
; il veut employer les rugissemens du lion , les hurlemens
du loup , les sons plaintifs du hibou , etc. Il appelle
Tantale et Sisiphe pour joindre leurs douleurs à la sienne ;
il invoque Cerbère et tous les monstres du Tartare , afin -
qu'ils emportent ses chants plaintifs , et finit par dire qu'un
amant malheureux ne mérite pas d'autre pompe funèbre .
AOUT 1807 .
363
A cette déclamation , Florian a eu grande raison de substituer
la jolie romance qui commence par ces vers :
Σ Heureux qui voit chaque matin ,
Dans son humble et champêtre asile , etc.
On ne voit pas que Florian mérite des reproches pour
avoir élagué les proverbes de Sancho . Peut-être auroit-il
pu en conserver quelques-uns que son goût trop délicat
lui a fait rejeter ; mais en général , il a donné , par ces
suppressions , plus de rapidité et d'agrément au roman de
Don Quichotte.
Les particularités qu'il a retranchées ne sont guère plus à
regretter. Sans doute , il eût été à desirer qu'il en gardât quelques-
unes d'une gaieté un peu grossière , il est vrai , mais qui
étinceloientd'esprit et de comique. En les revêtant des graces
décentes de son style , il les auroit rendus dignes de plaire
aux esprits les plus sévères et les plus sérieux. Mais on ne
peut s'empêcher de convenir qu'il en a supprimé plusieurs
qui ne pouvoient inspirer que le dégoût : en voici un exemple
tiré du chapitre 18 du premier livre. Don Quichotte , après
avoir livré bataille à deux troupeaux de moutons , est
assommé par les bergers : une pierre lui a enfoncé quatre
ou cinq dents. Etendu par terre, il prie Sancho Pança de
venir visiter sa bouche , et oublie que quelques momens
auparavant , il a pris un élixir qui est un vomitif très-violent.
Le fidèle écuyer obéit à son maître , et approche la
tête pour regarder dans sa bouche. A ce moment l'élixir
fait son effet , et le visage de Sancho Pansa est inondé . Il
croit d'abord que le pauvre Don Quichotte rend le sang par
la bouche , et déplore sa perte ; mais averti par l'odeur de
l'élixir , il est saisi d'un tel dégoût qu'il vomit à son tour
sur le visage de son maître dans cette situation , ajoute
l'auteur espagnol , ils restèrent tous les deux fort agréablement
: Quedaron entrambos como de perlas. Personne ne
peut regretter que Florian ait supprimé cette particularité .
Il résulte de nos observations et des exemples qui servent
à les appuyer , que M. d'Aguilar a été beaucoup trop sévère
envers Florian. Un goût trop vif pour une langue , aveugle
souvent sur les défauts des ouvrages qui l'ont rendue célèbre.
Pour être dans une juste mesure , il nous paroît
qu'il faut se borner à dire que Florian , habitué à imiter
plutôt qu'à traduire , a peut-être trop cherché à donner sa
manière et son coloris à Cervantes .
Si l'on pardonne à ce défaut , ( et tous ceux qui ignorent
l'espagnol ne peuvent le sentir) , loin,d'accuser le traduc364
MERCURE DE FRANCE ,
teur d'inexactitude et d'infidélité , on s'applaudira au contraire
de ce qu'il a consacré ses dernières années à rendre
avec élégance l'un des chefs- d'oeuvre de la littérature espagnole.
P
Fables et Poésies diverses , par Fumars , Professeur de
Belles-Lettres à l'Université de Copenhague. Un vol.
in- 12 . Prix , pap. vélin : 3 fr . , et 4 fr. par la poste ;
pap. superfin vélin , 6 fr. , et 7 fr. par la poste ; in -8° .
gr. -raisin , 5 fr. , et 6 fr . par la poste ; gr . -raisin vélin
superfin , 10 fr. , et 11 fr. par la poste. A Paris , chez
H. Nicolle et Comp. , libraires , rue des Petits-Augustins ,
n°. 15 ; et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain - l'Auxerrois , n° . 17.
-
On peut être un très-honnête homme , a dit Molière , et
faire mal les vers . Nous ajouterons quelque chose de plus
flatteur ou de plus consolant pour l'amour-propre ; c'est
qu'on peut être homme d'esprit , et même professeur de
belles -lettres , et n'être encore qu'un médiocre écrivain . Il
faut dans cet état , plus que dans tout autre , savoir distinguer
la théorie de la pratique , et ne pas se croire obligé de créer
l'exemple en même temps qu'on donne le précepte. Nous
avons des modèles parfaits dans tous les genres de poésies :
le professeur , qui doit les citer pour appuyer ses leçons ,
et qui en dédaigne l'autorité , parce qu'il pense trouver dans
son propre fonds de nouvelles ressources , si ce n'est même
des ouvrages supérieurs à ceux qu'il a sous la main , s'expose
, malgré toute son habileté , à passer pour un homme
rempli d'une vanité folle , et bien souvent pour un poète
sans jugement et sans goût. Si quelque chose peut excuser
un pareil travers d'esprit , ce doit être la position où se
trouvoit l'auteur des Poésies que nous annonçons , lorsqu'il
les a composées , et le doute modeste qu'il a conservé sur
leur mérite. Il semble qu'un Français qui professe les
belles- lettres dans une cour étrangère doive s'évertuer , en
leur honneur , à prouver qu'il n'a point reçu une science
stérile , et que la littérature a quelque chose de plus solide
que ces fleurs qui ornent l'entretien des beaux-esprits . Ces
compositions légères reçoivent toujours de l'à-propos et des
circonstances qui les font naître , un charme utile à la culture
des beaux- arts et à leurs progrès : c'est une fécondité
riante , ou , si l'on veut , une exubérance sans danger pour
AOUT 1807 .
365
,
la nation qui possède les grands modèles , lorsqu'on a le
bonespritde ne lui présenter ces foibles imitations qu'après
les avoir soumises à l'examen des hommes les plus capables
de les apprécier. Telle étoit l'intention de M. Fumars
lorsque la mort est venue le surprendre , et qu'elle l'a subitement
enlevé , ily a un an , à sa famille , à ses amis , et ,
on peut le dire , aux Muses françaises , dont il étoit le
ministre auprès de la nation danoise. Il n'est pas certain que
ses Fables et ses Poésies eussent été imprimées , s'il avoit
pu , comme il le vouloit , consulter à la source du goût , et
recevoir un bon conseil ; mais on peut assurer qu'il ne les
auroit pas données au public dans l'état où elles se sont
trouvées après sa mort , puisqu'on y remarque des imperfections
notables qu'il auroit certainement corrigées. Et
toutefois , nous devons cet aveu à la vérité , quelque soin
qu'il eût pris pour les faire paroître avec plus d'éclat , on
peut douter qu'il en eût fait un livre digne de figurer à côté
des productions qu'il s'étoit proposé d'imiter. Les fables de
La Fontaine et les poésies légères de Voltaire l'avoient
séduit : à l'exemple de tous les hommes sensibles qui n'ont
pas assez étudié leur propre talent, il prit son enthousiasme
pourune inspiration , et sa facilité pour du génie. Il savoit
bienque le naturel et les graces ne s'imitent pas , puisqu'il
a fait une fable pour le prouver ; mais il étoit fort éloigné
de s'en faire l'application. Nous la citerons ici , sans prétendrey
trouver nous-mêmes aucune allusion , mais uniquement
parce que l'auteur y vise à une certaine originalité
quelquefois piquante , sans être toujours heureuse , et
qu'ayant la prétention de rajeunir un sujet déjà traité par
La Fontaine , on sentira mieux de combien l'inimitable
naïveté du génie est au-dessus de la finesse et de la subtilité
de l'esprit :
LE SINGE ET L'OURS .
UnSinge rare , unique et nouveau tous les jours,
De tous ses devanciers effaçoit la mémoire ,
Tant il étoit fécond , admirable en ses tours:
Il falloit les voir pour les croire.
Aussi dans Paris , à lafoire ,
Lui seul avoit la foule; et tous nos courtisans
Avouoient , avec modestie ,
Qu'auprès de Viessir Gille, enfaitde singerie,
Ils étoient tous des ignorans.
Un soir, pour amuser nombreuse compagnie ,
Il voulut dans son art instruire certain Ours,
Qui, peu propre au métier , faisoit tout à rebours .
«Commençons par danser : gare la croquignole!!
Quitte cet air dandin: allons done, du jarret;
366 MERCURE DE FRANCE ,
>> Du moelleux dans ces bras ; donne-toi l'air frivole .
>> Toujours la tête basse ! » Il saute à son collet ,
Fait effort, la relève , et l'ours cheoit en arrière :
Le rire d'éclater dans l'assemblée entière ;
EtGille aussi fait l'aimable railleur .
Notre Ours se ramassoit : «Eh bien ! mon philosophe ,
>> Que ferai-je de toi ? Va , tu n'es pas d'étoffe
>> A plaire à ces messieurs. Quitte cet air penseur?!
>> Je ne pensaijamais , je suis un enchanteur.
>>A contrefaire tout admire ma souplesse :
>> Est- il abbé, marquis , traitant , robin , duchesse ,
>> Dont je ne prende l'air gave , insolent , badin
» Ou libertin ?
>> Imite-moi; je veux qu'à la porte on s'écrie :
>>>Un prodige , Messieurs, c'est ici l'Ours charmant. »
« Le ciel ne ne tailla pour pareille folie ,
› Répondit l'Ours très -sensément ;
>>Enchante tous ces fous , sois leur digne copie :
>> Auprès des bons esprits je vaudrai mieux que toi ;
3
>> Je suis un Ours, mais je suis moi.>>
16
-1
:
;
1.
Il est trop aisé de remarquer les longueurs qui ralentissent
inutilement la rapidité du récit , pour que nous nous arrêtions
à les faire observer : on pourroit aisément les faire
disparoître , et il seroit facile de corriger le vers qui a treize
syllabes . Tout cela pourroit n'être que trop abondant ; mais
il s'y rencontre deux autres défauts plus graves que nous
devons relever , parce qu'ils semblent déceler un défaut de
jugement. Lorsque le singe s'est assuré par la leçon qu'il
donne à l'ours qu'il n'en pourra rien faire, et qu'il l'a abandonné
en lui disant : Va, tu n'es pas d'étoffe à plaire à ces
messieurs , son rôle doit finir ; et il est hors de toute vraisemblance
qu'il continue à pérorer , comme s'il lui restoit
encore quelqu'espérance de pouvoir changer les manières
de l'ours . Mais au surplus , toute la scène représentée
dans la fable pèche essentiellement contre les règles du bon
goût et de la droite raison. Le singe , étant imitateur par
instinet , ne sort pas de sa nature lorsqu'il ne fait que des
grimaces ridicules, au lieu des gestes qu'il voudroit copier.
Ses manières ne sont pas celles d'un lourdaud qui se donne
les airs d'un bel-esprit. Il imite mal , mais avec gentillesse;
et ses bévues réjouissent autant que son habileté. L'ours ne
peut lui dire sensément :
,
Auprès des bons esprits je vaudrai mieux que toi;
Je suis un Ours , maisje suis moi,
1.
:
puisque ce n'est pas par un effort grotesque et hors de son
caractère ou de ses facultés que le singe se montre tel que
nous le voyons, et qu'il est autant lui-même avec toute sa
AOUT 1807 . 367
légèreté et son adresse , que l'ours avec sa pesanteur et sa
stupidité . Véritablement , cet ours philosophe joue ici le
rôle d'un sot qui se vanteroit de son ineptie auprès d'un
homme d'esprit , et qui lui soutiendroit qu'elle est plus
estimable que toute sa pénétration , parce qu'elle lui est
naturelle. Trouver mauvais qu'un singe fasse des singeries ,
ce n'est pas de la gravité ; c'est de la bêtise .
La Fontaine a bien mieux conçu et exécuté ce sujet dans
sa fable de l'Ane et du Petit Chien , que tout le monde sait
par coeur :
Ne forçons point notre talent ,
Nous ne ferions rien avec grace ;
Jamais un lourdand , quoi qu'il fasse ,
Ne sauroit passer pour glant.
1
Le poète intelligent se garde bien de faire dire à l'âne qu'il
vaudra mieux que le petit chien , qu'il ne peut imiter . Toute
la faute de son entreprise tourne à sa honte , comme cela
doit être ; et il n'y a pas dans cette petite fable un seul mot
dejactance inutile. Vouloir faire mieux n'est pas trop sage ;
le tenter , ne point réussir , et conserver un travail imparfait
, n'est certainement pas d'un homme de goût : il falloit
le supprimer. Il y a cependant quelque chose de mieux
que cette fable du Singe et de l'Ours , dans le livre de
M. Fumars ; mais on n'y sauroit trouver cette grace naïve
qui fait le charme de ce genre de poésie. Il court après le
naturel , et il tombe trop souvent dans le faux et le trivial.
Unhéron, insulté par un pigeon porteur d'un billet , prend
le papier , le jette dans un étang , et lui dit :
Monseigneur , du courage ;
14Ote donc ta culotte, ôte du moins tes bas .
Puis , l'auteur ajoute :
८
:
1
Le Pigeon , humble et bas ,
314
Aces genoux tout nus, qu'il insultoit naguère ,
L'oeil rouge et gros de pleurs, se morfond en prière.
Il becquette , il becquette , etc.
T
Tout cela ne ressemble pas beaucoup à La Fontaine , il
faut en convenir ; mais aussi pourquoi La Fontaine a- t-il un
genre que personne ne peut attraper ?
M. Fumars auroit été plus heureux dans ses Poésies
légères , s'il avoit consacré ses loisirs à ce seul genre de
-littérature ; mais il faut se connoître soi-même , et consulter
long- temps son esprit et ses forces. Celui qui réussit dans
l'épigramme , veut faire un conte , et celui qui tourneroit
agréablement une épître , se croit appelé à faire un poëme :
1
368 MERCURE DE FRANCE ,
nul ne veut rester dans le rang où son esprit le place naturellement
, ni faire de bonne grace le travail auquel il est
propre. M. Fumars pouvoit faire d'agréables madrigaux ;
mais il lui falloit absolument des fables ; et sur plus de cent
qu'il a composées , il n'y en a peut - être pas quatre qui
soient décidément bonnes .
Le Recueil de ses OEuvres , qui n'est cependant pas sans
mérite , fait plus d'honneur aux presses de M. Herhan qu'au
talent poétique de l'auteur ; mais il rend un témoignage
honorable àses vertus domestiques , à son humeur sociable ,
au bon esprit qui l'a toujours animé dans sa nouvelle patrie,
où il a dignement soutenu par ses leçons , quelquefois
même par ses écrits , l'honneur de la littérature de sa nation
, et , par sa bonne conduite, la réputation du caractère
français. G.
Mélanges historiques , anecdotiques et critiques sur la fin
du Règne de Louis XIV et le commencement de celui de
Louis XV; par madame la princesse Elisabeth-Charlotte
de Bavière , seconde femme de Monsieur , frère de
Louis-le-Grand : précédés d'une Notice sur la vie de cette
illustre princesse. Un vol. iu-8° . Prix : 5 fr. , et 6 fr. 50 c.
par la poste. A Paris , chez Léopold Collin , libraire , rue
Git-le-Coeur , n°. 4; et chez le Normant.
Cs volume est la réimpression d'un livre qui a paru en
1788 , sous le titre de Fragmens de lettres originales de
madame Charlotte-Elisabeth de Bavière , veuve de Monsieur,
frère unique de Louis XIV. Quel motif a pu déterminer
l'éditeur à changer ce titre connu , et dont la fortune étoit
faite ? Celui sans doute d'induire en erreur les personnes
peu en garde contre les ruses des Bibliopoles , en leur
faisant accroire qu'il s'agissoit d'un ouvrage tout nouveau .
Si l'idée n'est pas délicate , elle n'est pas adroitenon plus .
Paroissant sous ce titre équivoque de Mélanges , les Fragmens
de lettres originales de Madame , dont personne
jusqu'ici n'a contestéle mérite ni l'authenticité, pourroient,
au premier aperçu , passer pour une de ces compilations
mal faites , ou de ces suppositions impudentes dont le
nombre s'accroît indécemment au grand scandale , plutôt
qu'au déshonneur des lettres qui sont en vérité bien innocentes.
C'est donc servir les intérêts de l'éditeur , mieux
qu'il n'a fait lui-même, que de dévoiler sa supercherie.
Dans
AOUT 1807 . 369
lesquelles les DE LA S
Dans son dessein de convertir des lettres en mélanges, il a
imaginé d'effacer toute trace de commerce épistolaire ; et en
conséquence il a supprimé les dates sous
divers fragmens étoient placés ; ce qui ne l'a pas empêché
de conserver ces mots du texte : & Aujourd'hui je com
>> mencerai ma lettre , etc. >>; et telles autres phrases par
lesquelles on apprendroit que ces prétendus Melange 5.
sont que des Fragmens de lettres , si on ne savoit d'aven
à quoi s'en tenir. Au reste , cette suppression des dat
n'est pas une infidélité aussi préjudiciable qu'on le croiroit
d'abord , puisque les anecdotes contenues dans les Fragmens,
sont presque toutes fort antérieures à l'époque où les lettres
ont été écrites , et qu'ainsi la date de ces mêmes lettres ne
peut servir en rien à l'éclaircissement des faits . Ce qu'on
nous donne de la correspondance de la seconde Madame ,
vade 1715 à 1720 , et il n'y est presque jamais question que
du règne et de la cour de Louis XIV, mort en 1715.
Il est un autre genre de retranchement que l'éditeur s'est
permis ; c'est celui de quelques détails minutieux , qui ,
n'étant pas trop déplacés dans une correspondance intime ,
Jui ont sans doute paru l'être dans des mélanges historiques .
Ainsi il n'a point conservé cette phrase : « Notre Roi et
>> feu Monsieur aimoient extrêmement les oeufs durs » ;
ni cette autre : « Le roi avoit très souvent la bouche
>> ouverte » ; ni vingt autres encore du même intérêt . J'a
voue que ce sont-là des particularités fort peu importantes
pour l'histoire , et je ne me sens pas la force de reprocher
àl'éditeur de les avoir supprimées. Il est vrai qu'il a con-
-servé , et surtout ajouté quelques autres choses qui lui
ôtoient le droit de retrancher celles- là .
Madame , née Bavaroise , correspondoit dans sa langue
maternelle avec un prince et une princesse de sa famille , et
les archives de la maison ont conservé ses lettres autographes
. Des passages en avoient été extraits , et s'étoient
trouvés dans les papiers d'une dame de la plus haute naissance
, qu'on ne nomme point. Ce sont ces extraits ou fragmens
qu'a traduits et publiés , en 1788 , M. de Maimieux ,
auteur de la Pasigraphie. Voilà l'histoire du livre , telle que
M. de Maimieux l'a donnée en tête de la première édition .
Ces fragmens sont- ils réellement tirés de Lettres originales
de Madame ? C'est ce dont il est impossible de douter après
les avoir lus : jamais livre de ce genre n'a porté un caractère
de vérité plus irrécusable . Ces extraits sont-ils fidelement
traduits ? Rien n'autorise le soupçon à cet égard , et tout , au
contraire , commande la confiance. La seule chose qu'on pût
Aa
370
MERCURE DE FRANCE ,
desirer , ce seroit un peu plus de correction et d'élégance
dans la traduction . On y voit : Je lui observai que , etc.; on y
voit encore qu'on évitoit de parler au roi de la famine
de 1709 , pour qu'il n'en eût pas la mort de chagrin . Cette
tournure n'est nullement française , et l'on croiroit presque
que c'est une phrase allemande de Madame , que le traducteur
a oublié de mettre en français .
Tout cela n'empêche pas que les Fragmens de Lettres
originales de Madame ne soient un des livres les plus
piquans et les plus singuliers qui aient paru sur le règne de
Louis XIV. Ils ont un rapport infini avec les Mémoires de
Saint- Simon . C'est la même connoissance des personnes et
des choses , la même manière de les envisager , produite par
les mêmes intérêts et les mêmes passions ; c'est ce même
mélange de partialité et de franchise , de rudesse et de grâce ,
d'invectives quelquefois grossières , et de traits les plus délicatement
louangeurs. Madame étoit la mère du Régent ,
comme St. -Simon en étoit le conseil et le censeur . Les amis , les
ennemis de l'un étoient aussi ceux de l'autre . Ils avoient une
horreur égale pour les mésalliances , étoient également intraitables
sur l'article des prérogatives de la naissance et du rang:
l'élévation de Mad . de Maintenon et des princes légitimés ,
étoit pour tous deux le sujet d'une égale indignation . Enfin
c'est le même esprit qui a dicté les Mémoires et les Lettres ; on
croiroit souvent que c'est la même plume qui les a tracés. Il
peut être curieux de voir comment Saint-Simon a peint cette
princesse qui lui ressembloit à tant d'égards . Le portrait qu'il
en a fait ne fera pas seulement connoître sa personne , il
donnera aussi une juste idée de son livre . « Madame , se-
» conde femme de Monsieur , étoit une princesse toute de
» l'ancien temps , attachée à l'honneur et à la verité , au
» rang , à la grandeur , inexorable sur les bienséances. Elle
» ne manquoit pas d'esprit , et ce qu'elle voyoit , elle le
voyoit très-bien . Bonne et fidelle amie , sûre, vraie , droite ,
» aisée à prévenir et à choquer , fort difficile à ramener ;
grossière , dangereuse à faire des sottises publiques , fort
» allemande dans toutes ses moeurs , et franche ; ignorant
» toute commodité et toute délicatesse pour soi et pour les
>> autres ; sobre , sauvage , et ayant ses fantaisies .... Elle
» avoit une haine parfaite de M. du Maine , des bâtards et
» de leurs grandeurs ; et elle étoit blessée de ce que
M. son
>> fils n'avoit point de vivacité là-dessus . Avec ces qualités ,
» elle avoit des foiblesses , des petitesses ; et elle étoit toujours
en garde qu'on ne lui manquât. »
»
>>
Saint-Simon nous apprend encore qu'elle passoit sa vie
AOUT 1807 . 371
à écrire à ses parens d'Allemagne , pour qui elle avoit
conservé une affection singulière : et voilà , pour le dire en
passant , une raison de plus de croire à l'existence des originaux
de ses lettres , et , par suite , à l'authenticité des
fragmens. Mais cette preuve est tout-à-fait surérogatoire : il
n'en faut pas d'autre , il n'y en a pas de meilleure que la
teneur et le ton de ces fragmens eux-mêmes . Si quelque
chose pouvoit exciter le doute , que d'ailleurs tout tend à
écarter , ce seroit de voir Madame écrire , sous la date du
5 novembre 1715 : « Mad. de la Vallière a été maîtresse du
>>roi : c'étoit une excellente personne. Mad. de Maintenon
>> a été gouvernante des enfans naturels du roi elle a
>> remplacé la Montespan ; mais elle a monté à un degré
>>bien plus haut. » A quel prince d'Allemagne , si peu
instruit des événemens d'une cour sur laquelle l'Europe
entière avoit les yeux , falloit-il que Madame apprit des
choses alors aussi généralement et aussi anciennement
connues ?
Lesfragmens sont distribués sous des titres particuliers ;
etces titres ne sont autre chose que les noms de Louis XIV,
des membres de sa famille , de ses maîtresses , et de quelques
autres personnages qui ont joué un rôle important , soit
sous son règne , soit pendant la minorité de son successeur ,
tels que Louvois , Law et l'abbé Dubois. Au moyen de
cette distribution à la fois simple et bonne , les divers objets
extraits des lettres de Madame se sont placés facilement dans
l'ouvrage ; et on les y retrouve de même. Un chapitre intitulé
Mélange comprend tout ce qui n'avoit pas directement
trait aux personnes qui font le sujet des autres chapitres .
De toutes celles qu'elle a peintes dans ses lettres , Madame
elle-même est la plus originale , la plus curieuse à observer .
J'ai déjà dit à quel point elle étoit entichée du préjugé de la
naissance : elle donnoit de temps en temps des preuves
visibles de sa manie. Elle apprend que deux filles de Strasbourg
, placées auprès de la nièce de Mad. de Maintenon ,
se donnoient pour des princesses palatines. Elle voit à la
promenade une de ces filles avec sa maîtresse , va droit à
elle , l'apostrophe plus que vivement ; et , après lui avoir
expliqué d'une façon énergique et fort humiliante comment
sa mère avoit fait des filles princesses , elle lui dit : Si , à
l'avenir, tu as l'effronterie de te nommer princesse palatine ,
je teferai couper lesjupes. Je n'ose pas dire jusqu'où . Ce
qu'il y eut d'affreux , c'est que la pauvre fille en mourut,
peu de jours après , de saisissement et de douleur. Le roi ,
qui l'apprit, dit à Madame :: « Il ne fait pas bon se jouer à
Aa2
372 MERCURE DE FRANCE ,
vous sur le chapitre de votre maison : la vie en dépend. Elle
appliqua un rude soufflet à son fils , à la première nouvelle
de son mariage avec une fille naturelle du roi ; et elle ne
put jamais lui pardonner cette alliance , qu'elle appéloit une
honteuse mésalliance. Elle détesta toute sa vie , dans l'abbé
Dubois , moins le corrupteur de son fils , que l'un des auteurs
de son mariage .
Sur tout le reste , elle étoit pleine de bonté et de sens .
Lorsque son fils fut devenu régent , elle ne voulut en rien
se mêler des affaires : « Ce royaume , dit-elle , n'a malheu-
>>reusement été que trop dirigé par des femmes jeunes et
>>vieilles de toute espèce; il est temps enfin qu'on laisse
>>agir les hommes .... En Angleterre , les femmes peuvent
>> régner ; mais il faut que la France soit gouvernée par des
>> hommes , si l'on veut que tout aille bien. >> Son aversion
pour Mad. de Maintenon faisoit peut- être en ceci une partie
de sa raison . Au reste , elle pouvoit fonder son opinion sur
d'autres preuves ; car elle-même rapporte ailleurs que la
reine , mère de Louis XIV, fit un jour présent des cinq
grosses fermes à sa femme-de-chambre , et qu'elle fut tout
étonnée quand on lui eut appris que ces cinq grosses fermes ,
qu'elle prenoit apparemment pour des métairies , étoient
tout le revenu de l'Etat.
La meilleure , ou plutôt la seule manière de rendre
compte d'un livre entièrement composé d'anecdotes et de
traits détachés , est d'en citer quelques-uns des moins connus
et des plus piquans : c'est ce que je vais faire. En voici qui
concernent Louis-Armand , prince de Conti : « Il est presque
>>toujours distrait , dit Madame ; et lorsqu'on y pensele
>>moins , il tombe sur sa propre canne . On y étoit si accou-
>> tumé du temps du feu roi , que , lorsqu'on entendoit
>>tomber quelque chose , on disoit : Ce n'est rien ; c'est le
>> prince qui tombe . » Ce prince , contrefait , mais spirituel ,
entendoit la plaisanterie à merveille. A un bal de l'Opéra ,
un masque , portant une bosse postiche , vint se mettre à
côté de lui : Masque, qui êtes-vous , dit le prince ?
suis le prince de Conti. -Voilà comme on se trompe ; ily
a plus de vingt ans queje croyois l'être. Il avoit une femme
très-aimable , qui , suivant Madame , faisoit à la beauté le
tort de prouver que les agrémens et les graces la surpassent.
- Je
A l'article de Law , on trouve un trait assez singulier de
préoccupation du fameux médecin Chirac. Il avoit beaucoup
d'actions dans la banque du Mississipi. Il apprend dans
l'antichambre d'une malade que cette sorte d'effets baissoit
beaucoup. De là il va tâter le pouls de celle qui l'avot fait
AOUT 1807 . 373
appeler , et il dit : Ah , bon Dieu ! cela diminue , diminue
diminue , baisse , baisse , baisse . La malade effrayée se met
à sonner de toutes ses forces , et à appeler ses gens , en
criant : Je me meurs ! M. Chirac dit que mon pouls diminue.
Eh ! vous rêvez , Madame , dit Chirac ; votre pouls est excellent
, et vous vous portez à merveille. Je parlois des
actions qui baissent : ce qui me fait perdre considérablement
d'argent.
L'établissement du Système est généralement regardé
comme le principe de cette corruption totale de moeurs et
de cette horrible dégradation des caractères , dont les effets ,
toujours croissans , ont fini par amener la dissolution de
P'Etat.
Le chapitre de Law offre une foule de traits qui montrent
à quel degré d'avilissement étoient tombés la nation entière,
et principalement ceux qui prétendoient en être l'élite. Ce
n'étoit plus devant la grandeur qu'on se prosternoit , comme
du temps de Louis XIV ; c'étoit devant l'or , la plus honteuse
des idoles . Le Régent cherchoit une duchesse pour
conduire une de ses filles à Gènes . Quelqu'un lui dit :
Monseigneur , si vous voulez avoir le choix , envoyez chez
madame Law , vous les y trouverez toutes assembées . Une
femme de qualité se fit verser exprès pour, parler à Law.
Elle disoit à son cocher : Verse donc , coquin , verse donc !
Le cocher versa , et Law qui étoit à portée , accourut pour
secourir la dame. Une autre , dont il fuyoit les poursuites
obstinées , alla se camper devant la porte d'une îmaison où
il dinoit , et fit crier au feu par ses gens . Law , épou
vanté sortit , aperçut la dame et s'enfuit. Un jour qu'il
donnoit audience à plusieurs femmes , il voulut se retirer
un moment pour un besoin léger mais fort pressant. Comme
elles le retenoient , il fut obligé de leur en faire la confidence.
Ah ! si ce n'est que cela , dirent-elles , ce n'est rien ;
faites toujours et écoutez-nous .
Le volume des Mélanges historiques est précédé d'une
notice sur Madame , qui est un modèle achevé d'ineptie
et de mauvais style , un véritable chef- d'oeuvre en son
genre. On n'en peut heureusement accuser aucun écrivain
de nos jours : elle est tirée de l'une des nombreuses et
insipides compilations qui ont été faites depuis cinquante
ans en l'honneur desfemmes célèbres ou illustres , et l'auteur
se uomme Maubuy ; mais c'est s'associer bien gratuitement
et bien ridiculement au déshonneur de l'avoir composée
, que de la réimprimer. L'éditeur , qui n'a pas craint
de l'employer , étoit presque digue de l'avoir faite.
M.
374 MERCURE DE FRANCE ,
A VOYAGE ROUND THE WORLD , etc. Voyage
autour du Monde , entrepris dans le but de
répandre la pratique de la vaccination
ordre du gouvernement espagnol.
par
DIMANCHE dernier 7 septembre 1806 , le Dr. François-
Xaxier Balmis , chirurgien extraordinaire du roi , eut
P'honneur de baiser la main de S. M. à l'occasion de son
retour d'un voyage autour du monde , exécuté dans le but
uniqne de procurer à toutes les possessions de la couronne
d'Espagne , situées au -delà des mers , ainsi qu'à beaucoup
d'autres contrées , le bienfait inestimable de la vaccination.
S. M. a mis le plus vif intérêt à s'enquérir de toutes les
particularités de l'expédition , et elle a eu l'extrême satisfaction
d'apprendre que le résultat de ce voyage a dépassé
toutes les espérances conçues à l'époque où il fut entrepris .
On avoit confié la direction de l'expédition aux soins de
plusieurs membres de la Faculté , qui ont emmené avec eux
vingt-deux enfans qui n'avoient jamais eu la petite- vérole :
ces enfans étoient destinés à se transmettre l'un à l'autre le
vaccin , par inoculation successive , pendant la durée du
voyage. On fit voile de la Corogne , sous la direction du
Dr. Balmis , le 30 novembre 1803. Sa première station fut
aux Canaries , la seconde à Porto-Ricco , et la troisième aux
Caraques. En partant du port de la Guayra , l'expédition
fut divisée en deux parties : l'une se dirigea vers le continent
de l'Amérique méridionale , sous le commandement du
sous-directeur don François Salvani ; l'autre , commandée
par le Dr. Balmis , fit voile pour la Havane , et de là pour
PYucatan . Là , on se subdivisa encore le Prof. François
Pastor partit du port de Siral pour aller à celui de Villa
Hermosa , dans la province de Tobasca ; afin de propager
la vaccination dans le district de Ciudad Real de Chiapa , et
ensuite à Guatimala , en faisant un circuit de quatre cents.
lieues par des chemins difficiles , et en y comprenant Oxaca .
Le reste de l'expédition , qui arriva sans accident à la Vera-
Cruz , traversa non-seulement la vice-royauté de la Nouvelle-
Espagne , mais aussi les provinces de l'intérieur , d'où elle
devoit retourner à Mexico , où le rendez-vous général avoit
été indiqué.
Ce précieux préservatif contre les ravages de la petitevérole
a déjà été répandu dans toute l'Amérique septentrio
AOUT 1807 . 375
nale,jusques aux côtes de Sonara et Sinaloa , et même aux
Gentilset Néophytes de la Haute Pimerie. On a établi dans
chaque lieu principal un conseil , formé des autorités , et
des membres de la faculté les plus zélés , et on leur a confié
cet inestimable spécifique , comme un dépôt sacré , dont
ils étoient responsables à leur souverain , et à la postérité.
Ce premier travail étant terminé , le directeur a conduit
cette partie de l'expédition , d'Amérique en Asie , avec le
plus heureux succès. Après avoir eu à vaincre quelques difficultés
, il s'est embarqué à Acapulco pour les Philippines ,
la dernière des contrées qu'on s'étoit proposé, dans l'origine
, de visiter.
Ce grand et pieux dessein du roi ayant été favorisé par la
Providence , le Dr. Balmis fit ce second voyage en deux
mois et quelques jours , en emmenant avec lui , de la Nouvelle
Espagne , vingt-six enfans , destinés à être successive-
⚫ment vaccinés , comme les précédens ; ces enfans furent
confiés aux soins de la directrice de l'hospice des Enfans-
Trouvés de la Corogne , dame qui , dans ce voyage , ainsi
que dans les précédens , s'est conduite de manière à mériter
toute l'approbation des supérieurs . L'expédition étant
arrivée aux Philippines , et ayant propagé le spécifique dans
les isles soumises à S. M. Catholique,Balmis concerta avec
Je capitaine-général les moyens d'étendre la bénéficence du
roi et la gloire de son nomjusques aux derniers confins de
P'Asie .
La vaccine a été introduite dans tout le vaste archipel des
isles Visayes , dont les chefs , accoutumés à une guerre perpétuelle
avec nous , ont posé les armes en admirant la générosité
d'un einemi qui leur apportoit les bienfaitsde la santé
et de la vie , dans le temps même où une épidémie de
petite-vérole exerçoit au milieu d'eux ses ravages. Lorsque
le Dr. Balmis atteignit Macao et Canton , les principaux
individus des colonies portugaises et de l'empirede la Chine
ne semontrèrent pas mmooiinns reconnoissansen recevantdu
virus vaccin frais et en pleine activité ; résultat que lesAnglais
, après plusieurs efforts répétés , n'avoient pu obtenir ,
enessayant d'envoyer ce virus par les vaisseaux de la compagniedes
Indes. Il perdoit toujoursson efficacitédans le long
trajet qu'exigeoit son transport par cette voie.
sur les
Après avoir propagé la vaccine à Canton, autant que les
circonstances lelui permirent , Balmis s'en reposant sur
soins que mettroient les employés de la factorerie anglaise
àcontinuer ces bons offices , retourna à Macao et s'em
4
376 MERCURE DE FRANCE ,
barqua dans un vaisseau Portugais pour Lisbonne , où il
arriva le 15 août. Il s'arrêta en passant à Sainte- Hélène ,
assez pour déterminer par ses exhortations et sa persévérance
, les habitans anglais de l'île , à recevoir un préservatif
qu'ils avoient repoussé pendant plus de huit ans , quoique
ce fût une découverte due à un individu de leur nation ,
et que le virus vaccin leur eût été précédemment envoyé
par le Dr. Jenner lui-même.
La partie de l'expédition qui étoit destinée pour le Pérou ,
fit naufrage dans l'une des embouchures de la rivière de la
Magdeleine ; mais ayant été secourue par les indigènes , par
les magistrats locaux et par legouverneur de Carthagène , le
sous-directeur , les trois membres de la faculté qui l'accompagnoient
, et les enfans , furent sauvés , et la vaccination
s étendit dans ce port et dans la province , avec succès . De
là on la porta à l'isthme de Panama; et des personnes
pourvues de tout ce qui étoit nécessaire , entreprirent la
longue et pénible navigation de la rivière dela Magdeleine ,
en se séparant , lorsqu'on atteignit l'intérieur , pour exécuter
leur commission dans les villes de Ténériffe , Mompox ,
Ocana , Socorro , San Gil y Medellin , dans la vallée de
Cucuta , et dans les villes de Pamplona , Giron , Tunja ,
Velez , et autres places voisines , jusqu'à ce qu'on se rencontra
à Santa-Fé . On laissa dans toutes les villes un peu
considérables , des instructions aux membres de la facuké ,
sur la manière de conserver ce virus , que le vice-roi affirme
avoir été communiqué à cinquante mille individus ,
sans qu'il y ait eu sur ce nombre , aucun accident défavorable
à cette pratique. Vers la fin de mars 1805 , ils se
préparèrent à continuer leur voyage , en se divisant , afin
de pouvoir s'étendre avec plus de facilité etde promptitudę
dans tous les districts de la vice-royauté situés le long de
la route de Popayan , Cuença et Quito , jusques à Lima ,
Ils arrivèrent à Guyaquil au mois d'août suivant.
Le résultat de cette expédition n'a pas été seulement de
communiquer la vaccine à tous les peuples , amis ou ennemis
, qu'on a visités , chez les Maures , les Visayens , les
Chinois , mais d'assurer à la postérité dans les domaines
de S. M. la perpétuité de ce grand bienfait , tant au moyen
des comités centraux qu'on a établis partout , que par la
découverte que le docteur Balmis a faite d'un virus vaccin
indigène , dans les vaches de la vallée d'Atlixco près la
viile de Puebla de los Angeles ; dans le voisinage de celle
de Valladolid de Mechoacan , où l'adjudant Antonio Gut
AOUT 1807 . 377
ţierez a trouvé ce même virus; et dans le district de Calabozo,
dans la province de Caraques , où don Carlos de Pozo , médecin
de la résidence , en a fait également la découverte.
Une multitude d'observations , qui seront publiées sans
délai , sur le développement de la vaccine selon les climats ,
et sur son efficacité , non-seulement comme préservatif
contre la petite-vérole , mais comme ayant la propriété de
guérir simultanément d'autres affections morbides , prouveront
quelles ont été les heureuses conséquences d'une
expédition unique dans l'histoire .
Quoique l'entreprise n'eût pour objet direct que la communication
immédiate de la vaccine , l'instruction des gens
de l'art , et les mesures d'administration qui pouvoient
tendre à perpétuer ce bienfait , cependant le directeur n'a
perdu aucune occasion de rendre son voyage utile à l'agriculture
et aux sciences . Il a rapporté une collection considérable
de plantes exotiques , et les dessins de beaucoup
d'objets d'Histoire naturelle. Il a rassemblé beaucoup de
documens importans , et ce n'est pas un de ses moindres
droits à la reconnoissance de ses compatriotes , que d'avoir
rapporté une collection précieuse d'arbres et de plantes en
pleine vigueur , et en état de se reproduire, et qui , disséminées
sur les divers points de la péninsule , qui seront le
plus analogues à leur sol natal , rendront cette expédition
aussi mémorable dans les annales de l'agriculture , que
dans celles de la médecine et de l'humanité . On espère
que le sous-directeur et les aides , chargés de faire passer
au Pérou ces objets précieux , reviendront bientôt par la
voie de Buenos - Ayres , et qu'ils rapporteront aussi un
pombre considérable d'observations et d'objets utiles , recueillis
d'après les instructions du directeur, sans perdre de
vue la mission philantropique qu'ils ont reçue de S. M.
(Biblioth. Brit. )
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
- La distribution des prix du concours général des lycées
de Paris a eu lieu le 14 a midi , dans la salle olympique. M. le
conseiller d'état préfet du départeinent de la Seine , et MM. les
inspecteurs-généraux des étude ,présidoientà cette distribution.
378 MERCURE DE FRANCE ,
L'un des professeurs de belles-lettres du lycée Bonaparte ,
M. de Guerle , a prononcé le discours d'ouverture. Le sujet
de ce discours étoit l'Etude. L'orateury a dépeint avec beaucoup
de talent, ses avantages, les plaisirs qu'elle procure , les
récompensesqui lui sont attachées. L'élève qui a remporté le
prix d'honneur est J. V. Leclere , de l'école secondaire de
M. Dabot , place de l'Estrapade, suivant les cours du lycée
Napoléon. Sur 202 nominations,le lycée Napoléon en a obtenu
96, dont 30 prix; le lycée Impérial 65 , dont 20 prix; le
lycée Charlemagne 36, dont 5 prix ; et le lycée Bonaparte
6, dont un prix.
-L'EMPEREUR avisité le 17 les travaux publics qui s'exécutent
dans presque tous les quartiers de Paris , notamment
ceux du Louvre, du Carrousel , du pont d'Austerlitz , de
la place Vendôme et du jardin des Capucines. Il s'est aussi
rendu sur le quai Desaix et sur l'emplacement de la Bastille,
où estouvert un boulevard magnifique , et où doit venir
aboutir le canal de l'Ourcq. On dit aussi que c'est dans les
environs de cette place que doivent être construits les greniers
publics décrétés par S. M. En revenant du château des
Tuileries , l'EMPEREUR visita la grande place destinée à servir
de marché sur l'emplacement des anciens Jacobins. Il étoit
accompagné du roi de Westphalie et de deux chambellans.
Partout où il passa, il fut accueilli par des acclamations et
des applaudissemens unanimes. le 19, sur les cinq heures du
matin, S. M. s'est également rendue au Palais-Royal , où
l'on croit qu'il est question d'ordonner quelques travaux.
-M. et Mad. Blanchard ont fait à Rotterdam , le 3 de
ce mois, une ascension tres-malheureuse. Apeine leur balloń
avoit-il pris l'essor , que , poussé par un vent violent ,il
alla se heurter et se briser contre les toits des bâtimens voisins.
M. Blanchard tomba sur le pavé et se blessa grievement ; on
espère cependant qu'il en reviendra. Sa femme resta quelque
temps suspendue à un arbre , auquel elle eut la présence
d'esprit de s'accrocher; mais saisie ensuite d'un évanouissement
, elle tomba , sans que sa chute qu'on prévoyoit et
qu'on trouva moyen d'adoucir , ait eu pour elle rien de dangereux.
-M. Gail , professeur de littérature grecque au Collége
de France , commence à mettre au jour la belle édition de
Thucydide (1 ) , qu'il préparoit depuis long-temps , et que
( 1 ) Histoire Grecque de Thucydide , accompagnée de la version
latine, des variantes de treize manuscrits de la Bibliothèque Impériale, de
:
AOUT 1807 .
$
379
l'on attendoit avec impatience. Le premier volume , qui
vient de paroître , contient un Mémoire sur Thucydide ,
dans lequel on voit que le savant traducteur d'Anacréon ,
de Théocrite , Bion , Moschus , etc. , sait , quand il le veut ,
tirer de son propre fonds , et même alors intéresser , et
qu'au lieu de le traduire les historiens , il seroit digne de se
montrer historien lui-même. Nous reviendrons sur cet
important ouvrage , qui manquoit à l'instruction publique,
et que M. Gail publiera complet sous deux ou trois mois.
Nous rendrons également compte de trois autres ouvrages
de M. Gail , fort utiles pour les jeunes hellénistes , la
nouvelle Grammaire Grecque , les Dialogues des Morts de
Lucien , et la Clef d'Homère. On trouvera , dans la Clef
d'Homère , des dissertations et des notes qui prouvent le
grammairien exact et l'homme de goût ; dans les Dialogues
des Morts , des notes d'une saine critique, qui rendent cette
dernière édition bien supérieure à celles qui l'ont précédée ;
et dans la Grammaire Grecque , une netteté qui justifie le
succès qu'elle a obtenu dans toutes les écoles. (2)
-( Nous donnerons dans notre prochain numéro le rapport
sur les travaux de la classe d'histoire et de littérature ancienne ,
fait par M. Ginguené , à l'assemblée générale de l'Institut ,
le lundi 7 juillet 1807. )
spécimens de ces manuscrits , de cartes géographiques et d'estampes ; et
précédé d'un Mémoire historique , littéraire et critique , par J. B. Gail ,
professeur de littérature grecque au Collège de France, de l'Académie
Royale des Sciences de Gottingue Iet volume : Mémoire sur Thucydide;
XIX volume de la Collection in-8°. Prix : 4 fr.; 6 fr. pap. vélin. Idem,
in 4°. Prix : 6 fr. , et 9 fr . pap . vélin .
AParis , chez Gail neven, au Collège de France, place Cambray; et
chez le Normant. En prenant le papier vélin, on s'engage pour le
Thucydide complet.
(2) Nouvelle Grammaire Grecque, àl'usage des lycées et autres écoles.
VIII vol. de la Collection in-8° . Troisième édition , revue , corrigée et
augmentée. Prix des deux premières parties , I fr. 50 e., reliées en parchemin.
Les trois parties réunies,2 fr , reliées én parchemin.
Dialogues des Morts de Lucien, accompagnnééss de notes élémentaires
etgrammaticales, des variantes des trois manuscrits de Lucien , et d'une
version latine. Nouvelle édition , divisée en deux parties . XVIII volume
de la Collection in 12. Les deux parties , avec la traduction , afr. 25 c. ,
reliées en parchemin. Les deux parties , sans la traduction , I fr. 80 c. ,
reliées en parchemin .
Clefd'Homère , précédéa de dissertations grammaticales, d'un tab'eau
des verbes primitifs , d'une lettre à M. Bat , et d'observations sur plusieurs
morceaux d'Homère . XVII volume de la Collection in- 12. Prix , in- 12 , 2 fr .
50 c. , reliéenparchemin. In-8°, 3 fr. 50 c. Idem, pap. vélin , in-8°, 5 fr.
Cestrois ouvrages se vendent à Paris , chez Gail neveu , au College de
France , place Cambray; et chez le Norinant.
380 MERCURE DE FRANCE ,
MODES du 20 août.
Aucune coiffure ne se fait à l'invisible maintenant : on ne veut que
de très -petits chapeaux , de petites capotes , de petites paysannes , de
petites toques. La mode des rubans écossais n'est point encore passée ;
il vient d'en paroître à très-petites raies rose et blanc. Les pluines se
portent toujours rondes et follettes ; blanches , dans la grande parure;
et vertes , dans la moyenne .
On revient aux pélerines plissées . Les remplis rapprochés et réguliers,
imitant des raies d'étoffe , se font remarquer depuis quelques
jours au bas des robes blanches .
Les schalls à jour , nommés zéphirs , soie et laine , sont presque
tons de deux couleurs , vert tendre et blanc , lilas et blanc. Tout unis ,
on les porte blanc .
:
:
NOUVELLES POLITIQUES.
Copenhague , 9 août.
Tout est en armes chez nous. Le prince Royal est arrivé
dans notre ville ; l'île de Sélande et la ville de Copenhague
sont menacées .
Voici ce qui a été publié ici :
« Il n'est que trop vrai, les menaces injustes et multipliées du
gouvernement anglais compromettent notre existence ; ils nous
offrent des secours contre des dangers imaginaires. Danois ,
vous êtes menacés de perdre votre indépendance ! Les Anglais
veulent occuper vos ports , vos chantiers , sous le prétexte
que les Français , dont nous n'avons point à nous plaindre ,
veulent s'en emparer. Non,vous ne recevrez point la loi qu'une
nation injuste veut vous imposer avec tant d'arrogance. Le
prince Royal arrivera demain. Si les Anglais poussent l'atrocité
jusqu'à attaquer nos rivages , ils trouveront dans chacun
de nos citoyens le même courage et le même dévouement
qu'en 1801. La France , la Russie, toute l'Europe marcheront
à votre secours, »
Ce n'est point à ces écrits qui circulent dans le public que
le gouvernement s'est remis du soin de sa défense : les batteries
s'arment avec activité. ( Moniteur. )
PARIS, vendredi 21 août.
-Par décret impérial du 14 août , MM. Faureet Albisson ,
membres du tribunat , sont nommés conseillers d'Etat , section
de législation.
-
نم
Par décret du même jour , M. Arnould, membre du
tribunat , est nommé membre de la commission de comptaAOUT
1807. 381
-
bilité impériale , en remplacement de M. de Saucourt, décédé.
Par décret du même jour, S. M. a nommé M. Labrouste,
tribun , à la place d'administrateur de la caisse d'amortissement,
en remplacement de M. Duffaut , décédé.
Avant-hier soir , vers neuf heures , S. M. accompagnée
de l'Impératrice et du prince Jérôme ,est descendue des appartemens
du château pour se promener , en calèche , dans le
jardin des Tuileries. Toutes les personnes qui jouissoient , en
ce moment , du plaisir de la promenade , se sont à l'instant
précipitées autour de la voiture de LL. MMм. , et les ont
accompagnées depuis la terrasse du bord de l'eau jusque
dans l'allée des orangers , aux cris mille fois répétés de Vive
I'Empereur ! Vive l' Impératrice !
: - Par jugement du tribunal de police correctionnelle de
l'arrondissement de Lille , du 29 juin, le sieur Bianchi , médecin
, chargé de la visite des conscrits , a été condamné par
défaut à 1000 fr. d'amende , et à deux années d'emprisonnement,
pour avoir reçu des présens et gratifications , à
raisondes fonctions qu'il a remplies près le conseil de recrutement.
Les nommés Bernard Dagos , Etienne Lartigue, et Bernard
Bruttis , de l'arrondissement de Mont-de-Marsan ( Landes ) ,
convaincus d'escroqueries en matière de conscription , ont été
condamnés , savoir, le premier à six mois d'emprisonnement
et à 200 fr. d'amende; le second , à huit mois d'emprisonnement
et à 300 fr. d'amende, et le dernier à deux mois d'emprisonnement
et à 75 fr. d'amende .
Jean Vidal père, de la cominune d'Orbon , département
du Tarn, pour soustraire son fils à la conscription , avoit fait
usage d'une pièce fausse sachant qu'elle étoit fausse. Cette pièce
étoit l'acte de naissance du père , dans lequel il étoit dit qu'il
étoit né en 1734, tandis qu'il étoit réellement né en 1741; son
but étoit d'être considéré comme âgé de plus de 71 ans , et de
jouir ainsi du bénéfice de l'article XVIII du décret du 8 fructidor
an 13. La cour de justice criminelle spéciale a , par arrêt
du 21 juillet , condamné cet individu à huit ans de fers , à la
Hétrissure avec fer rouge sur l'épaule gauche , à l'exposition
pendant six heures , à l'impression , a l'affiche de l'arrêt,
au nombre de 400 exemplaires , et aux dépens.
Les nommés Bailly etGorret, convaincus d'escroquerie en
matière de conscription , ont été condamnés par la cour de
justice criminelle du département de la Somme , à deux ans
d'emprisonnement , et 5000 fr. d'amende chacun , solidairement.
Le nommé Fréville, impliqué dans la même affaire , a
été condamné à deux mois seulement de prison , et à 200 fr.
d'amende. (Moniteur. )
382 MERCURE DE FRANCE ,
SENAT CONSERVATEUR.
Messagede Sa Majesté Impériale et Royale au Sénat.
Sé nateurs ,
Conformément à l'article LVII de l'acte des constitutions
de l'Empire , en date du 28 floréal an 12 , nous avons nommé
membres du sénat :
MM. Klein , général de division; Beaumont , général de
division ; et Béguinot , général de division.
Nous desirons que l'armée voie dans ces choix l'intention
où nous sommes de distinguer constamment ses services .
MM. Fabre ( de l'Aude ) président du tribunat , et Curée ,
membre du tribunat.
Nous desirons que les membres du tribunat trouven tdans
ces nominations un témoignage de notre satisfaction pour la
manière dont ils ont concouru , avec notre conseil d'Etat , à
établir les grandes bases de la législation civile.
M. l'archevêque de Turin.
Nous saisissons avec plaisir cette occasion de témoigner
notre satisfaction au clergé de notre Empire , et particulièrement
à celui de nos départemens au-delà des Alpes.
M. Dupont , maire de Paris.
Notre bonne ville de Paris verra dans le choix d'un de ses
maires , le desir que nous avons de lui donner constainment
des preuves de notre affection.
CORPS LÉGISLATIF.
Session de l'an 1807.
L'ouverture du corps législatif s'est faite dimanche 16 avec
le plus grand éclat. A cinq heures l'EMPEREUR est sorti du
château des Tuilleries , et c'est rendu au palais du corps
législatif dans l'ordre indiqué par le cérémonial. Après s'être
reposé pendant environ vingt minutes dans les appartemens
du président , S. M. , précédée de la députationdes membres
du corps législatif qui étoit allée la recevoir aux portes
extérieures du palais , est entrée dans la salle des séances , aux
acclamations des spectateurs qui remplissoient les tribunes.
,
S. M. a prononcé le discours suivant :
<<Messieurs les députés des départemens du corps législatif;
messieurs les tribuns et les membres de mon conseil d'Etat
>>Depuis votre dernière session , de nouvelles guerres , de
nouveaux triomphes , de nouveaux traités de paix ont changé
la face de l'Europe politique .
>>Si la maison de Brandebourg qui , la première , se conjura
contre notre indépendance , règne encore , elle le doit à
la sincère amitié que m'a inspirée le puissant Empereur du
Nord.
AOUT 1807 . 383
» Un prince français régnera sur l'Elbe : il saura concilier
les intérêts de ses nouveaux sujets avec ses premiers et ses plus
sacrés devoirs.
>>La maison de Saxe a recouvré , après 50 ans , l'indépendance
qu'elle avoit perdue.
>> Les peuples du duché de Varsovie , de la ville de
Dantzick, ont recouvré leur patrie et leurs droits.
:
(
>> Toutes les nations se réjouissent d'un commun accord ,
de voir l'influence malfaisante que l'Angleterre exerçoit sur le
continent , détruite sans retour.
>> La France est unie aux peuples d'Allemagne par les
lois de la Confédération du Rhin , à ceux des Espagnes , de la
Hollande , de la Suisse et des Italies par les lois de notre système
fédératif. Nos nouveaux rapports avec la Russie sont
cimentés par l'estime réciproque de ces deux grandes nations.
<<Dans tout ce que j'ai fait , jai eu uniquement en vue le
bonheurde mes peuples , plus cher àmes yeux quema propre
gloire.
>>Je desire la paix maritime. Aucun ressentiment n'influera
jamais sur mes déterminations : je n'en saurois avoir contre
une nation , jouet et victime des partis qui la déchirent , et
trompée sur la situation de ses affaires , comme sur celle de ses
voisins. ;
>>Mais quelle que soit l'issue que les décrets de la Providence
aient assignée à la guerre maritime , mes peuples me
trouveront toujours le même , et je trouverai toujours mes
peuples dignes de moi.
>> Français , votre conduite dans ces derniers temps où
votre EMPEREUR étoit éloigné de plus de 500 lieues , a augmenté
mon estime et l'opinion que j'avois conçue de votre
caractère. Je me suis senti fier d'être le premier parmi vous.
-Si , pendant ces dix mois d'absence et de périls , j'ai été
présent à votre pensée, les marques d'amour que vous m'avez
données , ont excité constamment mes plus vives émotions.
Toutes mes sollicitudes , tout ce qui pouvoit avoir rapport
même à la conservation de ma personne , ne me touchoient
que par l'intérêt que vous y portiez et par l'importance dont
elles pouvoient être pour vos futures destinées. Vous êtes un
bon et grandpeuple.
>> J'ai médité différentes dispositions pour simplifier et
perfectionner nos institutions.
>> La nation a éprouvé les plus heureux effets de l'établissement
de la Légion-d'Honneur. J'ai créé différens titres impériaux
pour donner un nouvel éclat aux principaux de mes
sujets, pour honorerd'éclatans servicespar d'éclatantes récom384
MERCURE
DE FRANCE
,
penses , et aussi pour empêcher le retour de tout titre féodal
incompatible avec nos constitutions .
» Les comptes de mes ministres des finances et du trésor
public vous feront connoître l'état prospère de nos finances.
Mes peuples éprouveront une considérable décharge sur la
contribution foncière.
>> Mon ministre de l'intérieur vous fera connoître les tra
vaux qui ont été commencés ou finis ; mais ce qui reste à faire
est bien plus important encore ; car je veux que dans toutes
les parties de mon Empire , même dans le plus petit hameau
l'aisance des citoyens et la valeur des terres se trouvent augmentées
par l'effet du système général d'amélioration que j'ai
conçu.
» Messieurs les députés des départemens au corps légis →
latif , votre assistance me sera nécessaire pour arriver à ce
grand résultat , et j'ai le droit d'y compter constamment. »
Ce discours a excité le plus vif enthousiasme , et.S. M. a
levé la séance aux cris réitérés de vive l'Empereur ! Les mêmes
acclamations se sont fait entendre dans les rues que le cortége
de S. M. a suivies.
Dans la séance d'aujourd'hui , le corps législatif a nommé
M. Fontanes candidat à la présidence ; les candidats des quatre
autres séries avoient été nommés à la fin de la dernière session.
On a fait un second scrutin secret pour la nomination de
quatre vice - présidens : ce scrutin n'ayant donné la majorité
à aucun membre , il en sera fait un autre demain .
FONDS PUBLICS DU MOIS D'A OUT.
DU LUNDI 17. C pour ojo c . J. du 22 mars 1807 , 86f 75c 90c 70c 60¢
50c 75c 650 60c 50º 6oc occ ooc ooi of. ooc ooc obe ooc.
Idem . Jouiss . du 22 sept . 1807 , 83f 75c . 5oc . ooc OOC A.
Act. de la Banque de Fr. 1285f 1282foc 000 f 000 f ooc.
DU MARDI 18. C p . ojo c . J. duu 22 mars 1807 , 8f 30c 20c 10c 206
25c 30c 40c . 3oc 40c 50c ouc . oof ooc ooc coc ooc oof oof ooc
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , 83f. 75c 84f 53f Soc. noc occ
--
Act. de la Banque de Fr, 128of oooof ooc 0000f. ooc ooʊof
DU MERCREDI 19.- C p . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 86f 6ọc 75c Súc goc
87f87f rec 20c . ooc ooc oofo.c. ooc of ooc . oof.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , S4f ooc . oof. oof ooc ooc ooc
Act, de la Banque de Fr. 128f50c 1290f 0000f 0000f00001 ooc
DU JEUDI 20.- Cp . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 871 Soc SSF 8Sf 4oc 30c
88f 20c 30c 3c orc ooc ooc ooc -ooc cu o cooc occ ooc ooc coe coc
Idem . Jouiss . dư 22 se to 18o7 , 8f Jac 84f ooc boc one off one
Act. de la Banque de Fr. 129 f. oooof ooc oooof: 0000f *
DU VENDREDI 21. C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 88f 35c, 25c. 400
3oc 40c 50c 40c 6oc 50c ooc oof ooc ooc oof ooc ooc ooc ooc oof oos
Idem Jouiss. du 22 sept. 1807 , 85f- 50c ooc. oof ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. oocof oooof ooc gooof
(No. CCCXIX . )
( SAMEDI 29 AOUT 1807. )
..
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
•
FRAGMENT
D'UN ESSAI POÉTIQUE SUR L'ÉCOLE FRANÇAISE.
SUBSTITUANT l'esprit au bon sens , au génie ,
Le clinquant des couleurs à leur sage harmonic ,
Coypel ( 1 ), en s'éloignant de la simplicité,
Crut que la bouffissure étoit la majesté.
Bientôt , à l'Opéra choisissant ses modèles ,
Il retraça partout et ses dieux et ses belles ;
Sur le jeu des acteurs composa ses tableaux ,
En héros de coulisse habilla ses héros .
Sous ses pinceaux menteurs , aussi bien qu'au théâtre,
Leur front s'enlumina de carmin et de plâtre.
On vit Didon , Esther , Achille , Agamemnon ,
Costumés comme en scène et Couvreur et Baron,
Gesticuler , agir , marcher avec méthode.
Ce genre dépravé fut prôné par la mode :
Car trop souvent les arts , chez nous autres Français ,
A ce bizarre dieu doivent plus d'un succès ,
Et l'artiste du jour seul est l'artiste habile .
( 1 ) Il s'agit ici d'Antoine Coypel. Son père , son frère et son fils ,
se sont tous fait un nom dans la peinture ; et tous sont tombés dans les
vices que l'on reproche ici à Antoine.
Bh
DEST
DE
5
LA
SEINE
366 MERCURE DE FRANCE ,
>>>
>> Du moelleux dans ces bras ; donne- toi l'air frivole ."
Toujours la tête basse ! » Il saute à son collet ,
Fait effort , la relève , et l'ours cheoit en arrière
Le rire d'éclater dans l'assemblée entière ;
Et Gille aussi fait l'aimable railleur .
Notre Ours se ramassoit : « Eh bien ! mon philosophe ,
» Que ferai-je de toi ? Va , tu n'es pas d'étoffe
» A plaire à ces messieurs. Quitte cet air penseur; }
» Je ne pensaijamais , je suis un enchanteur.
» A contrefaire tout admire ma souplesse :
» Est- il abbé, marquis , traitant , robin , duchesse ,
» Dont je ne prene l'air gave , insolent , badin
» Ou libertin ?
» Imite-moi; je veux qu'à la porte on s'écrie :
» Unprodige , Messieurs , c'est ici l'Ours charmant. »
« Le ciel ne ne tailla pour pareille folie ,
» Répondit l'Ours très - sensement ;
» Enchante tous ces fous , sois leur digne copie :
Auprès des bons esprits je vaudrai mieux que toi ;
>> Je suis un Ours , mais je suis moi . »
>>
nous
Il est trop aisé de remarquer les longueurs qui ralentissent
inutilement la rapidité du récit , pour que nous nous arrêtions
à les faire observer on pourroit aisément les faire
disparoître , et il seroit facile de corriger le vers qui a treize
syllabes . Tout cela pourroit n'être que trop abondant ; mais
il s'y rencontre deux autres défauts plus graves que
devons relever , parce qu'ils semblent déceler un défaut de
jugement. Lorsque le singe s'est assuré par la leçon qu'il
donne à l'ours qu'il n'en pourra rien faire , et qu'il l'a abandonné
en lui disant : Va , tu n'es pas d'étoffe à plaire à ces
messieurs , son rôle doit finir ; et il est hors de toute vraisemblance
qu'il continue à pérorer , comme s'il lui restoit
encore quelqu'espérance de pouvoir changer les manières
de l'ours . Mais , au surplus , toute la scène représentée
dans la fable pèche essentiellement contre les règles du bon
goût et de la droite raison . Le singe , étant imitateur par
instinct , ne sort ' pas de sa nature lorsqu'il ne fait que des
grimaces ridicules , au lieu des gestes qu'il voudroit copier .
Ses manières ne sont pas celles d'un lourdaud qui se donne
les airs d'un bel- esprit. Il imite mal , mais avec gentillesse;
et ses bévues réjouissent autant que son habileté . L'ours ne
peut lui dire sensément :
Auprès des bons esprits je vaudrai mieux que toi;
Je suis un Ours , mais je suis moi,
1
puisque ce n'est pas par un effort grotesque et hors de son
caractère ou de ses facultés que le singe se montre tel que
nous le voyons , et qu'il est autant lui-même avec toute sa
AOUT 1807 .
367
légèreté et son adresse , que l'ours avec sa pesanteur et sa
stupidité . Véritablement , cet ours philosophe joue ici le
rôle d'un sot qui se vanteroit de son ineptie auprès d'un
homme d'esprit , et qui lui soutiendroit qu'elle est plus
estimable que toute sa pénétration , parce qu'elle lui est
naturelle . Trouver mauvais qu'un singe fasse des singeries ,
ce n'est pas de la gravité ; c'est de la bêtise . " .
La Fontaine a bien mieux conçu et exécuté ce sujet dans
sa fable de l'Ane et du Petit Chien , que tout le monde sait
par coeur :
嚣
Ne forçons point notre talent ,
Nous ne ferions rien avec grace ;`
Jamais un lourdand , quoi qu'il fasse ,
Ne sauroit passer pour glant.
Le poète intelligent se garde bien de faire dire à l'âne qu'il
vaudra mieux que le petit chien , qu'il ne peut imiter . Toute
la faute de son entreprise tourne à sa honte , comme cela
doit être ; et il n'y a pas dans cette petite fable un seul möt
de jactance inutile . Vouloir faire mieux n'est pas trop sage ;
le tenter , ne point réussir , et conserver un travail imparfait
, n'est certainement pas d'un homme de goût : il falloit
le supprimer. Il y a cependant quelque chose de mieux
que cette fable du Singe et de l'Ours , dans le livre de
M. Fumars ; mais on n'y sauroit trouver cette grace naïve
qui fait le charme de ce genre de poésie, Il court après le
naturel , et il tombe trop souvent dans le faux et le trivial.
Un héron , insulté par un pigeon porteur d'un billet , prend
le papier , le jette dans un étang , et lui dit
Monseigneur , du courage ;
Ote donc ta culotte , ôte du moins tes bas.
Puis , l'auteur ajoute : 1
Le Pigeon , humble et bas ,
314
A ces genoux tout nus, qu'il insultoit naguère ,
L'oeil rouge et gros de pleurs , se morfond en prière.
Il becquette , il becquette , etc.
Tout cela ne ressemble pas beaucoup à La Fontaine , il
faut en convenir ; mais aussi pourquoi La Fontaine a- t-il un
genre que personne ne peut attraper ?
M. Fumars auroit été plus heureux dans ses Poésies
légères , s'il avoit consacré ses loisirs à ce seul genre de
-littérature ; mais il faut se connoître soi-même , et consulter
long- temps son esprit et ses forces. Celui qui réussit dans
l'épigramme , veut faire un conte et celui qui tourneroit
agréablement une épître , se croit appelé à faire un poëme :
368 MERCURE DE FRANCE ,
nul ne veut rester dans le rang où son esprit le place naturellement
, ni faire de bonne grace le travail auquel il est
propre. M. Fumars pouvoit faire d'agréables madrigaux ;
mais il lui falloit absolument des fables ; et sur plus de cent
qu'il a composées , il n'y en a peut - être pas quatre qui
soient décidément bonnes.
Le Recueil de ses OEOEuvres , qui n'est cependant pas sans
mérite , fait plus d'honneur aux presses de M. Herhan qu'au
talent poétique de l'auteur ; mais il rend un témoignage
honorable à ses vertus domestiques , à son humeur sociable ,
au bon esprit qui l'a toujours animé dans sa nouvelle patrie ,
où il a dignement soutenu par ses leçons , quelquefois
même par ses écrits , l'honneur de la littérature de sa nation
, et , par sa bonne conduite , la réputation du caractère
français . G.
Mélanges historiques , anecdotiques et critiques sur la fin
du Règne de Louis XIV et le commencement de celui de
Louis XV; par madame la princesse Elisabeth-Charlotte
de Bavière , seconde femme de Monsieur , frère de
Louis-le-Grand : précédés d'une Notice sur la vie de cette
illustre princesse. Un vol. iu-8° . Prix : 5 fr . , et 6 fr. 50 c.
par la poste. A Paris , chez Léopold Collin , libraire , rue
Git- le-Coeur , nº . 4 ; et chez le Normant.
CB volume est la réimpression d'un livre qui a paru en
1788 , sous le titre de Fragmens de lettres originales de
madame Charlotte- Elisabeth de Bavière , veuve de Monsieur,
frère unique de Louis XIV. Quel motif a pu déterminer
l'éditeur à changer ce titre connu , et dont la fortune étoit
faite ? Celui sans doute d'induire en erreur les personnes
peu en garde contre les ruses des Bibliopoles , en leur
faisant accroire qu'il s'agissoit d'un ouvrage tout nouveau .
Si l'idée n'est pas délicate , elle n'est pas adroite non plus.
Paroissant sous ce titre équivoqué de Mélanges , les Fragmens
de lettres originales de Madame , dont personne
jusqu'ici n'a contesté le mérite ni l'authenticité , pourroient ,
au premier aperçu , passer pour une de ces compilations
mal faites , ou de ces suppositions impudentes dont le
nombre s'accroît indécemment au grand scandale , plutôt
qu'au déshonneur des lettres qui sont en vérité bien innocentes.
C'est donc servir les intérêts de l'éditeur , mieux
qu'il n'a fait lui-même , que de dévoiler sa supercherie .
Dans
AOUT 1807. 36g
DE LA
Dans son dessein de convertir des lettres en mélanges , il a
imaginé d'effacer toute trace de commerce épistolaire ; eten
conséquence il a supprimé les dates sous lesquelles les
divers fragmens étoient placés ; ce qui ne l'a pas empêche
de conserver ces mots du texte : Aujourd'hui je om-
» mencerai ma lettre , etc. » ; et telles autres phrase P
lesquelles on apprendroit que ces prétendus Mélange .
sont que des Fragmens de lettres , si on ne savoit d'aven
à quoi s'en tenir . Au reste , cette suppression des da
n'est pas une infidélité aussi préjudiciable qu'on le croiroit
d'abord , puisque les anecdotes contenues dans les Fragmens,
sont presque toutes fort antérieures à l'époque où les lettres
ont été écrites , et qu'ainsi la date de ces mêmes lettres ne
peut servir en rien à l'éclaircissement des faits . Ce qu'on
nous donne de la correspondance de la seconde Madame ,
va de 1715 à 1720 , et il n'y est presque jamais question que
du règne et de la cour de Louis XIV, mort en 1715 .
+
» ;
Il est un autre genre de retranchement que l'éditeur s'est
permis ; c'est celui de quelques détails minutieux , qui ,
n'étant pas trop déplacés dans une correspondance intime ,
Jui ont sans doute paru l'être dans des mélanges historiques .
Ainsi il n'a point conservé cette phrase « Notre Roi et
» feu Monsieur aimoient extrêmement les oeufs durs »
ni cette autre .: « Le roi avoit très souvent la bouche
ouverte » ; ni vingt autres encore du même intérêt . J'avoue
que ce sont- là des particularités fort peu importantes
pour l'histoire , et je ne me sens pas la force de reprocher
à l'éditeur de les avoir supprimées . Il est vrai qu'il a con-
-servé , et surtout ajouté quelques autres choses qui lui
ôtoient le droit de retrancher celles -là .
Madame , née Bavaroise , correspondoit dans sa langue
maternelle avec un prince et une princesse de sa famille , et
les archives de la maison ont conservé ses lettres autographes.
Des passages en avoient été extraits , et s'étoient
trouvés dans les papiers d'une dame de la plus haute naissance
, qu'on ne nomme point. Ce sont ces extraits ou fragmens
qu'a traduits et publiés , en 1788 , M. de Maimieux ,
auteur de la Pasigraphie. Voilà l'histoire du livre , telle que
M. de Maimieux l'a donnée en tête de la première édition .
Ces fragmens sont- ils réellement tirés de Lettres originales
de Madame? C'est ce dont il est impossible de douter après
les avoir lus jamais livre de ce genre n'a porté un caractère
de vérité plus irrécusable. Ces extraits sont-ils fide ement
traduits ? Rien n'autorise le soupçon à cet égard , et tout , au
contraire , commande la confiance . La seule chose qu'on pût
:
A a
370 MERCURE DE FRANCE ,
desirer , ce seroit un peu plus de correction et d'élégance
dans la traduction . On y voit : Je lui observai que , etc.; on y
yoit encore qu'on évitoit de parler au roi de la famine
de 1709 , pour qu'il n'en eût pas la mort de chagrin . Cette
tournure n'est nullement française , et l'on croiroit presque
que c'est une phrase allemande de Madame , que le traduc
teur a oublié de mettre en français .
Tout cela n'empêche pas que les Fragmens de Lettres
originales de Madame ne soient un des livres les plus
piquans et les plus singuliers qui aient paru sur le règne de
Louis XIV. Ils ont un rapport infini avec les Mémoires de
Saint- Simon . C'est la même connoissance des personnes et
des choses , la même manière de les envisager , produite par
les mêmes intérêts et les mêmes passions ; c'est ce même
mélange de partialité et de franchise , de rudesse et de grâce ,
d'invectives quelquefois grossières , et de traits les plus délicatement
louangeurs. Madame étoit la mère du Régent ,
comme St. -Simon en étoit le conseil et le censeur . Les amis , les
ennemis de l'un étoient aussi ceux de l'autre . Ils avoient une
horreur égale pour les mésalliances , étoient également intraitables
sur l'article des prérogatives de la naissance et du rang:
l'élévation de Mad . de Maintenon et des princes légitimés ,
étoit pour tous deux le sujet d'une égale indignation . Enfin
c'est le même esprit qui a dicté les Mémoires et les Lettres ; on
croiroit souvent que c'est la même plume qui les a tracés. Il
peut être curieux de voir comment Saint-Simon a peint cette
princesse qui lui ressembloit à tant d'égards . Le portrait qu'il
en a fait ne fera pas seulement connoître sa personne , il
donnera aussi une juste idée de son livre . « Madame , se-
» conde femme de Monsieur , étoit une princesse toute de
» l'ancien temps , attachée à l'honneur et à la verité , au
» rang , à la grandeur , inexorable sur les bienséances . Elle
>> ne manquoit pas d'esprit , et ce qu'elle voyoit , elle le
» voyoit très-bien . Bonne et fidelle amie, sûre , vraie , droite ,
» aisée à prévenir et à choquer , fort difficile à ramener ;
» grossière , dangereuse à faire des sottises publiques , fort
» allemande dans toutes ses moeurs , et franche ; ignorant
toute commodité et toute délicatesse pour soi et pour les
» autres ; sobre , sauvage , et ayant ses fantaisies .... Elle
» avoit une haine parfaite de M. du Maine , des bâtards et
» de leurs grandeurs ; et elle étoit blessée de ce que M. son
>> fils n'avoit point de vivacité là -dessus . Avec ces qualités ,
» elle avoit des foiblesses , des petitesses ; et elle étoit toujours
en garde qu'on ne lui manquât. »
»
Saint-Simon nous apprend encore qu'elle passoit sa vie
AOUT 1807. 371
à écrire à ses parens d'Allemagne , pour qui elle avoit
conservé une affection singulière et voilà , pour le dire en
passant , une raison de plus de croire à l'existence des originaux
de ses lettres , et , par suite , à l'authenticité des
fragmens. Mais cette preuve est tout-à- fait surérogatoire : il
n'en faut pas d'autre , il n'y en a pas de meilleure que la
teneur et le ton de ces fragmens eux-mêmes. Si quelque
chose pouvoit exciter le doute , que d'ailleurs tout tend à
écarter , ce seroit de voir Madame écrire , sous la date du
5 novembre 1715 : « Mad. de la Vallière a été maîtresse du
>> roi : c'étoit une excellente personne . Mad . de Maintenon
» a été gouvernante des enfans naturels du roi elle a
remplacé la Montespan ; mais elle a monté à un degré
» bien plus haut. » A quel prince d'Allemagne , si peu
instruit des événemens d'une cour sur laquelle l'Europe
entière avoit les yeux , falloit-il que Madame apprit des
choses alors aussi généralement et aussi anciennement
connues ?
>>
soit
Les fragmens sont distribués sous des titres particuliers ;
et ces titres ne sont autre chose que les noms de Louis XIV,
des membres de sa famille , de ses maîtresses , et de quelques
autres personnages qui ont joué un rôle important ,
sous son règne , soit pendant la minorité de son successeur ,
tels que Louvois , Law et l'abbé Dubois . Au moyen de
cette distribution à la fois simple et bonne , les divers objets
extraits des lettres de Madame se sont placés facilement dans
l'ouvrage ; et on les y retrouve de même. Un chapitre intitulé
Mélange comprend tout ce qui n'avoit pas directement
trait aux personnes qui font le sujet des autres chapitres .
De toutes celles qu'elle a peintes dans ses lettres , Madame
elle-même est la plus originale , la plus curieuse à observer .
J'ai déjà dit à quel point elle étoit entichée du préjugé de la
naissance elle donnoit de temps en temps des preuves
visibles de sa manie. Elle apprend que deux fulles de Strasbourg
, placées auprès de la nièce de Mad . de Maintenon ,
se donnoient pour des princesses palatines. Elle voit à la
promenade une de ces filles avec sa maîtresse , va droit à
elle , l'apostrophe plus que vivement ; et , après lui avoir
expliqué d'une façon énergique et fort humiliante comment
sa mère avoit fait des filles princesses , elle lui dit : Sí , à
l'avenir, tu as l'effronterie de te nommer princesse palatine ,
je te ferai couper les jupes. Je n'ose pas dire jusqu'où . Cé
qu'il y eut d'affreux , c'est que la pauvre fille en mourut,
peu de jours après , de saisissement et de douleur. Le roi ,
qui l'apprit , dit à Madame : « Il ne fait pas bon se jouer à
A a 2
372
MERCURE DE FRANCE ,
vous sur le chapitre de votre maison : la vie en dépend. Elle
appliqua un rude soufflet à son fils , à la première nouvelle
de son mariage avec une fille naturelle du roi ; et elle ne
put jamais lui pardonner cette alliance , qu'elle appéloit une
honteuse mésalliance . Elle détesta toute sa vie , dans l'abbé
Dubois , moins le corrupteur de son fils , que l'un des auteurs
de son mariage .
Sur tout le reste , elle étoit pleine de bonté et de sens .
Lorsque son fils fut devenu régent , elle ne voulut en rien
se mêler des affaires : « Ce royaume , dit-elle , n'a malheu-
» reusement été que trop dirigé par des femmes jeunes et
» vieilles de toute espèce ; il est temps enfin qu'on laisse
» agir les hommes .... En Angleterre , les femmes peuvent
» régner ; mais il faut que la France soit gouvernée par des
» hommes , si l'on veut que tout aille bien . » Son aversion
pour Mad . de Maintenon faisoit peut-être en ceci une partie
de sa raison . Au reste , elle pouvoit fonder son opinion sur
d'autres preuves ; car elle-même rapporte ailleurs que la
reine , mère de Louis XIV, fit un jour présent des cinq
grosses fermes à sa femme-de-chambre , et qu'elle fut tout
étonnée quand on lui eut appris que ces cinq grosses fermes ,
qu'elle prenoit apparemment pour des métairies , étoient
tout le revenu de l'Etat.
La meilleure , ou plutôt la seule manière de rendre
compte d'un livre entièrement composé d'anecdotes et de
traits détachés , est d'en citer quelques-uns des moins connus
et des plus piquans : c'est ce que je vais faire. En voici qui
concernent Louis- Armand , prince de Conti : « Il est presque
» toujours distrait , dit Madame ; et lorsqu'on y pense le
» moins , il tombe sur sa propre canne . On y étoit si accou-
» tumé du temps du feu roi , que , lorsqu'on entendoit
» tomber quelque chose , on disoit Ce n'est rien ; c'est le
prince qui tombe . » Ce prince , contrefait , mais spirituel ,
entendoit la plaisanterie à merveille . A un bal de l'Opéra ,
un masque , portant une bosse postiche , vint se mettre à
côté de lui : Masque , qui êtes - vous , dit le prince ?
suis le prince de Conti. Voilà comme on se trompe ; il y
a plus de vingt ans que je croyois l'être . Il avoit une femme
très- aimable , qui , suivant Madame , faisoit à la beauté le
tort de prouver que les agrémens et les graces li surpassent.
>>
- Je
A l'article de Law, ou trouve un trait assez singulier de
préoccupation du fameux médecin Chirac. Il avoit beaucoup
d'actions dans la banque du Mississipi . Il apprend dans
l'antichambre d'une malade que cette sorte d'effets baissoit
beaucoup. De là il va tâter le pouls de celle qui l'avo t fait
AOUT 1807 . 373
appeler , et il dit : Ah , bon Dieu ! cela diminue , diminue
diminue , baisse , baisse , baisse . La malade effrayée se met
à sonner de toutes ses forces , et à appeler ses gens , en
criant : Je me meurs ! M. Chirac dit que mon pouls diminue.
Eh ! vous rêvez , Madame , dit Chirac ; votre pouls est excellent
, et vous vous portez à merveille. Je parlois des
actions qui baissent : ce qui me fait perdre considérablement
d'argent.
L'établissement du Système est généralement regardé
comme le principe de cette corruption totale de moeurs et
de cette horrible dégradation des caractères , dont les effets ,
toujours croissans , ont fini par amener la dissolution de
P'Etat.
Le chapitre de Law offre une foule de traits qui montrent
à quel degré d'avilissement étoient tombés la nation entière ,
et principalement ceux qui prétendoient en être l'élite . Ce
n'étoit plus devant la grandeur qu'on se prosternoit , comme
du temps de Louis XIV ; c'étoit dev. nt l'or , la plus honteuse
des idoles . Le Régent cherchoit une duchesse pour
conduire une de ses filles à Gènes. Quelqu'un lui dit :
Monseigneur , si vous voulez avoir le choix , envoyez chez
madame Law , vous les y trouverez toutes assemblées . Une
femme de qualité se fit verser exprès pour parler à Law.
Elie disoit à son cocher : Verse donc , coquin , verse donc !
Le cocher versa , et Law qui étoit à portée , accourut pour
secourir la dame. Une autre , dont il fuyoit les poursuites
obstinées , alla se camper devant la porte d'une inaison où
il dinoit , et fit crier au feu par ses gens . Law , épouvanté
sortit , aperçut la dame et s'enfuit. Un jour qu'il
donnoit audience à plusieurs femmes , il voulut se retirer
un moment pour un besoin léger mais fort pressant. Comme
elles le retenoient , il fut obligé de leur en faire la confidence.
Ah ! si ce n'est que cela , dirent- elles , ce n'est rien ;
faites toujours et écoutez-nous.
Le volume des Mélanges historiques est précédé d'une
notice sur Madame , qui est un modèle achevé d'ineptie
et de mauvais style un véritable chef- d'oeuvre en son
genre. On n'en peut heureusement accuser aucun écrivain
de nos jours elle est tirée de l'une des nombreuses et
insipides compilations qui ont été faites depuis cinquante
ans en l'honneur des femmes célèbres ou illustres , et l'auteur
se uomine Maubuy ; mais c'est s'associer bien gratuitement
et bien ridiculement au déshonneur de l'avoir composée
, que de la réimprimer . L'éditeur , qui n'a pas craint
de l'employer , étoit presque digue de l'avoir faite .
M.
374 MERCURE DE FRANCE,
A VOYAGE ROUND THE WORLD , etc. Voyage
autour du Monde , entrepris dans le but de
répandre la pratique de la vaccination , par
ordre du gouvernement espagnol.
DIMANCHE dernier 7 septembre 1806 , le Dr. François-
Xaxier Balmis , chirurgien extraordinaire du roi , eut
P'honneur de baiser la main de S. M. à l'occasion de son
retour d'un voyage autour du monde , exécuté dans le but
uniqne de procurer à toutes les possessions de la couronne
d'Espagne , situées au -delà des mers , ainsi qu'à beaucoup
d'autres contrées , le bienfait inestimable de la vaccination .
S. M. a mis le plus vif intérêt à s'enquérir de toutes les
particularités de l'expédition , et elle a eu l'extrême satisfaction
d'apprendre que le résultat de ce voyage a dépassé
toutes les espérances conçues à l'époque où il fut entrepris .
On avoit confié la direction de l'expédition aux soins de
plusieurs membres de la Faculté , qui ont emmené avec eux
vingt-deux enfans qui n'avoient jamais eu la petite-vérole :
ces enfans étoient destinés à se transmettre l'un à l'autre le
vaccin , par inoculation successive , pendant la durée du
voyage. On fit voile de la Corogne , sous la direction du
Dr. Balmis , le 30 novembre 1803. Sa première station fut
aux Canaries , la seconde à Porto - Ricco , et la troisième aux
Caraques. En partant du port de la Guayra , l'expédition
fut divisée en deux parties : l'une se dirigea vers le continent
de l'Amérique méridionale , sous le commandement du
sous-directeur don François Salvani ; l'autre , commandée
par le Dr. Balmis , fit voile pour la Havane , et de là pour
PYucatan . Là , on se subdivisa encore le Prof. François
Pastor partit du port de Siral pour aller à celui de Villa
Hermosa , dans la province de Tobasca ; afin de propager
la vaccination dans le district de Ciudad Real de Chiapa , et
ensuite à Guatimala , en faisant un circuit de quatre cents
lieues par des chemins difficiles , et en y comprenant Oxaca .
Le reste de l'expédition , qui arriva sans accident à la Vera-
Cruz , traversa non- seulement la vice-royauté de la Nouvelle-
Espagne , mais aussi les provinces de l'intérieur , d'où elle
devoit retourner à Mexico , où le rendez-vous général avoit
été indiqué.
Ce précieux préservatif contre les ravages de la petitevérole
a déjà été répandu dans toute l'Amérique septentrioAOUT
1807 . 375
nale , jusques aux côtes de Sonara et Sinaloa , et même aux
Gentils et Néophytes de la Haute Pimerie. On a établi dans
chaque lieu principal un conseil , formé des autorités , et
des membres de la faculté les plus zélés , et on leur a confié
cet inestimable spécifique , comme un dépôt sacré , dont
ils étoient responsables à leur souverain , et à la postérité.
Ce premier travail étant terminé , le directeur a conduit
cette partie de l'expédition , d'Amérique en Asie , avec le
plus heureux succès . Après avoir eu à vaincre quelques difficultés
, il s'est embarqué à Acapulco pour les Philippines ,
la dernière des contrées qu'on s'étoit proposé , dans l'origine
, de visiter.
Ce grand et pieux dessein du roi ayant été favorisé par la
Providence , le Dr. Balmis fit ce second voyage en deux
mois et quelques jours , en emmenant avec lui , de la Nouvelle
Espagne , vingt-six enfans , destinés à être successivement
vaccinés , comme les précédens ; ces enfans furent
confiés aux soins de la directrice de l'hospice des Enfans-
Trouvés de la Corogne , dame qui , dans ce voyage , ainsi
que dans les précédens , s'est conduite de manière à mériter
toute l'approbation des supérieurs . L'expédition étant
arrivée aux Philippines , et ayant propagé le spécifique dans
les isles soumises à S. M. Catholique , Balmis concerta avec
le capitaine-général les moyens d'étendre la bénéficence du
roi et la gloire de son nom jusques aux derniers confins de
l'Asie.
La vaccine a été introduite dans tout le vaste archipel des
isles Visayes , dont les chefs , accoutumés à une guerre perpétuelle
avec nous , ont posé les armes en admirant la générosité
d'un ennemi qui leur apportoit les bienfaits de la santé
et de la vie , dans le temps même où une épidémie de
petite-vérole exerçoit au milieu d'eux ses ravages . Lorsque
le Dr. Balmis atteignit Macao et Canton , les principaux
individus des colonies portugaises et de l'empire de la Chine
ne se montrèrent pas moins reconnoissans en recevant du
virus vaccin frais et en pleine activité ; résultat que les Anglais
, après plusieurs efforts répétés , n'avoient pu obtenir ,
en essayant d'envoyer ce virus par les vaisseaux de la compagnie
des Indes . Il perdoit toujours son efficacité dans le long
trajet qu'exigeoit son transport par cette voie.
Après avoir propagé la vaccine à Canton , autant que les
circonstances le lui permirent , Balmis s'en reposant sur les
soins que mettroient les employés de la factorerie anglaise
à continuer ces bons offices , retourna à Macao et s'em376
MERCURE DE FRANCE ,
barqua dans un vaisseau Portugais pour Lisbonne , où il
arriva le 15 août. Il s'arrêta en passant à Sainte - Hélène ,
assez pour déterminer par ses exhortations et sa persévérance
, les habitans anglais de l'île , à recevoir un préservatif
qu'ils avoient repoussé pendant plus de huit ans , quoique
ce fût une découverte due à un individu de leur nation ,
et que le virus vaccin leur eût été précédemment envoyé
par le Dr. Jenner lui- même.
La partie de l'expédition qui étoit destinée pour le Pérou ,
fit naufrage dans l'une des embouchures de la rivière de la
Magdeleine ; mais ayant été secourue par les indigènes , par
les magistrats locaux et par le gouverneur de Carthagène , le
sous-directeur , les trois membres de la faculté qui l'accompagnoient
, et les enfans , furent sauvés , et la vaccination
S étendit dans ce port et dans la province , avec succès . De
là on la porta à l'isthme de Panama ; et des personnes
pourvues de tout ce qui étoit nécessaire , entreprirent la
longue et pénible navigation de la rivière de la Magdeleine ,
en se séparant , lorsqu'on atteignit l'intérieur , pour exécuter
leur commission dans les villes de Ténériffe , Mompox ,
Ocana , Socorro , San Gil y Medellin , dans la vallée de
Cucuta , et dans les villes de Pamplona , Giron , Tunja ,
Velez , et autres places voisines , jusqu'à ce qu'on se rencontra
à Santa-Fé . On laissa dans toutes les villes un peu
considérables , des instructions aux membres de la faculté
sur la manière de conserver ce virus , que le vice-roi affirme
avoir été communiqué à cinquante mille individus ,
sans qu'il y ait eu sur ce nombre , aucun accident défavorable
à cette pratique . Vers la fin de mars 1805 , ils se
préparèrent à continuer leur voyage , en se divisant , afin
de pouvoir s'étendre avec plus de facilité et de promptitude
dans tous les districts de la vice-royauté situés le long de
la route de Popayan , Cuença et Quito , jusques à Limą ,
Ils arrivèrent à Guyaquil au mois d'août suivant .
"
Le résultat de cette expédition n'a pas été seulement de
communiquer la vaccine à tous les peuples , amis ou ennemis
, qu'on a visités , chez les Maures , les Visayens , les
Chinois , mais d'assurer à la postérité dans les domaines
de S. M. la perpétuité de ce grand bienfait , tant au moyen
des comités centraux qu'on a établis partout , que par la
découverte que le docteur Balmis a faite d'un virus vaccin
udigène , dans les vaches de la vallée d'Atlixco près la
ville de Puebla de los Angeles ; dans le voisinage de celle
de Valladolid de Mechoacan , où l'adjudant Antonio GutAOUT
1807 . 377
țierez a trouvé ce même virus ; et dans le district de Calabozo ,
dans la province de Caraques , où don Carlos de Pozo , médecin
de la résidence , en a fait également la découverte.
Une multitude d'observations , qui seront publiées sans
délai , sur le développement de la vaccine selon les climats
et sur son efficacité , non -seulement comme préservatif
contre la petite -vérole , mais comme ayant la propriété de
guérir simultanément d'autres affections morbides , prouveront
quelles ont été les heureuses conséquences d'une
expédition unique dans l'histoire ,
Quoique l'entreprise n'eût pour objet direct que la communication
immédiate de la vaccine , l'instruction des gens
de l'art , et les mesures d'administration qui pouvoient
tendre à perpétuer ce bienfait , cependant le directeur n'a
perdu aucune occasion de rendre son voyage utile à l'agriculture
et aux sciences. Il a rapporté une collection considérable
de plantes exotiques , et les dessins de beaucoup
d'objets d'Histoire naturelle . Il a rassemblé beaucoup de
documens importans , et ce n'est pas un de ses moindres
droits à la reconnoissance de ses compatriotes , que d'avoir
rapporté une collection précieuse d'arbres et de plantes en
pleine vigueur , et en état de se reproduire , et qui , disséminées
sur les divers points de la péninsule , qui seront le
plus analogues à leur sol natal , rendront cette expédition
aussi mémorable dans les annales de l'agriculture , que
dans celles de la médecine et de l'humanité . On espère
que le sous-directeur et les aides , chargés de faire passer
au Pérou ces objets précieux , reviendront bientôt par la
voie de Buenos - Ayres , et qu'ils rapporteront aussi un
nombre considérable d'observations et d'objets utiles , recueillis
d'après les instructions du directeur, sans perdre de
yue la mission philantropique qu'ils ont reçue de S. M.
( Biblioth. Brit . )
VARIÉTÉS .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
-
La distribution des prix du concours général des lycées.
de Paris a eu lieu le 14 à midi , dans la salle olympique . M. le
conseiller d'état préfet du département de la Seine , et MM . lea
fuspecteurs-généraux des étude , présidoient à cette distribution .
378
MERCURE DE FRANCE ,
L'un des professeurs de belles -lettres du lycée Bonaparte
M. de Guerle , a prononcé le discours d'ouverture. Le sujet
de ce discours étoit l'Etude. L'orateur y a dépeint avec beaucoup
de talent , ses avantages , les plaisirs qu'elle procure , les
récompenses qui lui sont attachées. L'élève qui a remporté le
prix d'honneur est J. V. Leclere , de l'école secondaire de
M. Dabot , place de l'Estrapade , suivant les cours du lycée
Napoléon . Sur 202 nominations ,le lycée Napoléon en a obtenu
96 , dont 30 prix ; le lycée Impérial 65 , dont 20 prix ; le
lycée Charlemagne 36, dont 5 prix ; et le lycée Bonaparte
6, dont un prix.
-L'EMPEREUR a visité le 17 les travaux publics qui s'exécutent
dans presque tous les quartiers de Paris , notamment
ceux du Louvre, du Carrousel , du pont d'Austerlitz , de
la place Vendôme et du jardin des Capucines. Il s'est aussi
rendu sur le quai Desaix et sur l'emplacement de la Bastille
, où est ouvert un boulevard magnifique , et où doit venir
aboutir le canal de l'Ourcq. On dit aussi que c'est dans les
environs de cette place que doivent être construits les greniers
publics décrétés par S. M. En revenant du château des
Tuileries , l'EMPEREUR visita la grande place destinée à servir
de marché sur l'emplacement des anciens Jacobins. Il étoit
accompagné du roi de Westphalie et de deux chambellans.
Partout où il passa , il fut accueilli par des acclamations et
des applaudissemens unanimes. le 19 , sur les cinq heures du
matin , S. M. s'est également rendue au Palais - Royal , où
l'on croit qu'il est question d'ordonner quelques travaux.
--
- M. et Mad. Blanchard ont fait à Rotterdam , le 3 de
ce mois , une ascension tres-malheureuse. A peine leur ballon
avoit-il pris l'essor , que , poussé par un vent violent , il
alla se heurter et se briser contre les toits des bâtimens voisins.
M. Blanchard tomba sur le pavé et se blessa grièvement ; on
espère cependant qu'il en reviendra . Sa femme resta quelque
temps suspendue à un arbre , auquel elle eut la présence
d'esprit de s'accrocher ; mais saisie ensuite d'un évanouissement
, elle tomba , sans que sa chute qu'on prévoyoit et
qu'on trouva moyen d'adoucir , ait eu pour elle rien de dangereux.
-M. Gail , professeur de littérature grecque au Collége
de France , commence à mettre au jour la belle édition de
Thucydide ( 1 ) , qu'il préparoit depuis long-temps , et que
{
(1 ) Histoire Grecque de Thucydide , accompagnée de la version
latine , des variantes de treize manuscrits de la Bibliothèque Impériale , de
AOUT 1807. 379
l'on attendoit avec impatience. Le premier volume , qui
vient de paroître , contient un Mémoire sur Thucydide ,
dans lequel on voit que le savant traducteur d'Anacréon
de Théocrite , Bion , Moschus , etc. , sait , quand il le veut ,
tirer de son propre fonds , et même alors intéresser , et
qu'au lieu de traduire les historiens , il seroit digne de se
montrer historien lui -même. Nous reviendrons sur cet
important ouvrage , qui manquoit à l'instruction publique ,
et que M. Gail publiera complet sous deux ou trois mois .
Nous rendrons également compte de trois autres ouvrages
de M. Gail , fort utiles pour les jeunes hellénistes , la
nouvelle Grammaire Grecque , les Dialogues des Morts de
Lucien , et la Clef d'Homère . On trouvera , dans la Clef
d'Homère , des dissertations et des notes qui prouvent le
grammairien exact et l'homme de goût ; dans les Dialogues
des Morts , des notes d'une saine critique , qui rendent cette
dernière édition bien supérieure à celles qui l'ont précédée ;
et dans la Grammaire Grecque , une netteté qui justifie le
succès qu'elle a obtenu dans toutes les écoles . (2)
- (Nous donnerons dans notre prochain numéro le rapport
sur les travaux de la classe d'histoire et de littérature ancienne ,
fait par M. Ginguené , à l'assemblée générale de l'Institut ,
le lundi 7 juillet 1807. )
spécimens de ces manuscrits , de cartes géographiques et d'estampes ; et
précédé d'un Mémoire historique , littéraire et critique , par J. B. Gail ,
professeur de littérature grecque au College de France , de l'Académie
Royale des Sciences de Gottingue fer volume : Mémoire sur Thucydide ;
XIX volume de la Collection in- 8° . Prix : 4 fr.; 6 fr . pap. vélin . Idem ,
in 4° . Prix : 6 fr. , et 9 fr. pap. vélin .
A Paris , chez Gail neven, au Collège de France , place Cambray ; et
chez le Normant. En prenant le papier vélin , on s'engage pour le
Thucydide complet .
(2) Nouvelle Grammaire Grecque , à l'usage des lycées et autres écoles.
VIIIe vol. de la Collection in- 8° . Troisième édition , revue , corrigée et
augmentée. Prix des deux premières parties , 1 fr. 50 c . , reliées en parchemin.
Les trois parties réunies , 2 fr , reliées én parchemin.
Dialogues des Morts de Lucien , accompagnés de notes élémentaires
et grammaticales , des variantes des trois manuscrits de Lucien , et d'une
version latine . Nonvelle édition , divisée en deux parties . XVIII® volume
de la Collection in 12. Les deux parties , avec la traduction , a fr. 25 c. ,
reliées en parchemin . Les deux parties , sans la traduction , 1 fr. 80 c. ,
reliées en parchemin.
Clef d'Homère , précédéa de dissertations grammaticales , d'un tab'eau
des verbes primitifs , d'une lettre à M. Bat , et d'observations sur plusieurs
morceaux d'Homère. XVII volume de la Collection in- 12. Prix , in- 12 , 2 fr.
50 c. , relié en parchemin. In - 8° , 3 fr. 50 c. 1dem , pap . vélin , in-8° , 5 fr.
Ces trois ouvrages se vendent à Paris , chez Gail neveu , au Collège de
France , place Cambray ; et chez le Norinant.
376
MERCURE DE FRANCE ,
barqua dans un vaisseau Portugais pour Lisbonne , où il
arriva le 15 août. Il s'arrêta en passant à Sainte - Hélène ,
assez pour déterminer par ses exhortations et sa persévérance
, les habitans anglais de l'île , à recevoir un préservatif
qu'ils avoient repoussé pendant plus de huit ans , quoique
ce fût une découverte due à un individu de leur nation ,
et que le virus vaccin leur eût été précédemment envoyé
par le Dr. Jenner lui-même.
La partie de l'expédition qui étoit destinée pour le Pérou ,
fit naufrage dans l'une des embouchures de la rivière de la
Magdeleine ; mais ayant été secourue par les indigènes , par
les magistrats locaux et par le gouverneur de Carthagène , le
sous-directeur , les trois membres de la faculté qni l'accompagnoient
, et les enfans , furent sauvés , et la vaccination
s étendit dans ce port et dans la province , avec succès . De
là on la porta à l'isthme de Panama ; et des personnes
pourvues de tout ce qui étoit nécessaire , entreprirent la
Ingue et pénible navigation de la rivière de la Magdeleine ,
en se séparant , lorsqu'on atteignit l'intérieur , pour exécuter
leur commnission dans les villes de Ténériffe , Mompox ,
Ocana , Socorro , San Gil y Medellin , dans la vallée de
Cucuta , et dans les villes de Pamplona , Giron , Tunja ,
Velez , et autres places voisines , jusqu'à ce qu'on se rencontra
à Santa- Fé. On laissa dans toutes les villes un peu
considérables , des instructions aux membres de la faculté
sur la manière de conserver ce virus , que le vice- roi affirme
avoir été communiqué à cinquante mille individus ,
sans qu'il y ait eu sur ce nombre , aucun accident défavorable
à cette pratique. Vers la fin de mars 1805 , ils se
préparèrent à continuer leur voyage , en se divisant , afin
de pouvoir s'étendre avec plus de facilité et de promptitude
dans tous les districts de la vice-royauté situés le long de
la route de Popayan , Cuença et Quito , jusques à Lima ,
lls arrivèrent à Guyaquil au mois d'août suivant.
Le résultat de cette expédition n'a pas été seulement de
communiquer la vaccine à tous les peuples , amis ou ennemis
, qu'on a visités , chez les Maures , les Visayens , les
Chinois , mais d'assurer à la postérité dans les domaines
de S. M. la perpétuité de ce grand bienfait , tant au moyen
des comités centraux qu'on a établis partout , que par la
découverte que le docteur Balmis a faite d'un virus vaccin
udigène , dans les vaches de la vallée d'Atlixco près la
vide de Puebla de los Angeles ; dans le voisinage de celle
de Valladolid de Mechoacan , où l'adjudant Antonio Gut-
2
AOUT 1807 .
377
tierez a trouvé ce même virus ; et dans le district de Calabozo,
dans la province de Caraques , où don Carlos de Pozo , médecin
de la résidence , en a fait également la découverte.
Une multitude d'observations , qui seront publiées sans
délai , sur le développement de la vaccine selon les climats
et sur son efficacité , non - seulement comme préservatif
contre la petite-vérole , mais comme ayant la propriété de
guérir simultanément d'autres affections morbides , prouveront
quelles ont été les heureuses conséquences d'une
expédition unique dans l'histoire ,
Quoique l'entreprise n'eût pour objet direct que la communication
immédiate de la vaccine , l'instruction des gens
de l'art , et les mesures d'administration qui pouvoient
tendre à perpétuer ce bienfait , cependant le directeur n'a
perdu aucune occasion de rendre son voyage utile à l'agriculture
et aux sciences . Il a rapporté une collection consi →
dérable de plantes exotiques , et les dessins de beaucoup
d'objets d'Histoire naturelle . Il a rassemblé beaucoup de
documens importans , et ce n'est pas un de ses moindres
droits à la reconnoissance de ses compatriotes , que d'avoir
rapporté une collection précieuse d'arbres et de plantes en
pleine vigueur , et en état de se reproduire , et qui , disséminées
sur les divers points de la péninsule , qui seront le
plus analogues à leur sol natal , rendront cette expédition
aussi mémorable dans les annales de l'agriculture , que
dans celles de la médecine et de l'humanité . On espère
que le sous-directeur et les aides , chargés de faire passer
au Pérou ces objets précieux , reviendront bientôt par la
voie de Buenos - Ayres , et qu'ils rapporteront aussi un
nombre considérable d'observations et d'objets utiles , recueillis
d'après les instructions du directeur, sans perdre de
yue la mission philantropique qu'ils ont reçue de S. M、
(Biblioth. Brit . )
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
La distribution des prix du concours général des lycées
de Paris a eu lieu le 14 à midi , dans la salle olympique . M. le
conseiller d'état préfet du département de la Seine , et MM . les
uspecteurs-généraux des étude , présidoient à cette distribution,
378 MERCURE DE FRANCE ,
L'un des professeurs de belles - lettres du lycée Bonaparte ,
M. de Guerle , a prononcé le discours d'ouverture . Le sujet
de ce discours étoit l'Etude. L'orateur y a dépeint avec beaucoup
de talent , ses avantages , les plaisirs qu'elle procure , les
récompenses qui lui sont attachées. L'élève qui a remporté le
prix d'honneur est J. V. Leclere , de l'école secondaire de
M. Dabot , place de l'Estrapade , suivant les cours du lycée
Napoléon. Sur 202 nominations,le lycée Napoléon en a obtenu
96 , dont 30 prix ; le lycée Impérial 65 , dont 20 prix ; le
lycée Charlemagne 36 , dont 5 prix ; et le lycée Bonaparte
6, dont un prix.
—L'EMPEREUR a visité le 17 les travaux publics qui s'exécutent
dans presque tous les quartiers de Paris , notamment
ceux du Louvre, du Carrousel , du pont d'Austerlitz , de
la place Vendôme et du jardin des Capucines. Il s'est aussi
rendu sur le quai Desaix et sur l'emplacement de la Bastille
, où est ouvert un boulevard magnifique , et où doit venir
aboutir le canal de l'Ourcq. On dit aussi que c'est dans les
environs de cette place que doivent être construits les greniers
publics décrétés par S. M. En revenant du château des
Tuileries , l'EMPEREUR visita la grande place destinée à servir
de marché sur l'emplacement des anciens Jacobins. Il étoit
accompagné du roi de Westphalie et de deux chambellans.
Partout où il passa , il fut accueilli par des acclamations et
des applaudissemens unanimes. le 19 , sur les cinq heures du
matin , S. M. s'est également rendue au Palais- Royal , où
l'on croit qu'il est question d'ordonner quelques travaux .
-
M. et Mad. Blanchard ont fait à Rotterdam , le 3 de
ce mois , une ascension tres-malheureuse. Apeine leur ballon
avoit-il pris l'essor , que , poussé par un vent violent , il
alla se heurter et se briser contre les toits des bâtimens voisins.
M. Blanchard tomba sur le pavé et se blessa grièvement ; on
espère cependant qu'il en reviendra. Sa femme resta quelque
temps suspendue à un arbre , auquel elle eut la présence
d'esprit de s'accrocher ; mais saisie ensuite d'un évanouissement
, elle tomba , sans que sa chute qu'on prévoyoit et
qu'on trouva moyen d'adoucir , ait eu pour elle rien de dangereux
.
M. Gail , professeur de littérature grecque au Collége
de France , commence à mettre au jour la belle édition de
Thucydide ( 1 ) , qu'il préparoit depuis long- temps , et que
(1 ) Histoire Grecque de Thucydide , accompagnée de la version
latine , des variantes de treize manuscrits de la Bibliothèque Impériale , de
AOUT 1807 . 379
l'on attendoit avec impatience. Le premier volume , quï
vient de paroître , contient un Mémoire sur Thucydide ,
dans lequel on voit que le savant traducteur d'Anacréon ,
de Théocrite , Bion , Moschus , etc. , sait , quand il le veut ,
tirer de son propre fonds , et même alors intéresser , et
qu'au lieu de traduire les historiens , il seroit digne de se
montrer historien lui-même. Nous reviendrons sur cet
important ouvrage , qui manquoit à l'instruction publique ,
et que M. Gail publiera complet sous deux ou trois mois .
Nous rendrons également compte de trois autres ouvrages
de M. Gail , fort utiles pour les jeunes hellénistes , la
nouvelle Grammaire Grecque , les Dialogues des Morts de
Lucien , et la Clef d'Homère . On trouvera , dans la Clef
d'Homère , des dissertations et des notes qui prouvent le
grammairien exact et l'homme de goût ; dans les Dialogues
des Morts , des notes d'une saine critique , qui rendent cette
dernière édition bien supérieure à celles qui l'ont précédée ;
et dans la Grammaire Grecque , une netteté qui justifie le
succès qu'elle a obtenu dans toutes les écoles . (2)
- (Nous donnerons dans notre prochain numéro le rapport
sur les travaux de la classe d'histoire et de littérature ancienne ,
fait par M. Ginguené , à l'assemblée générale de l'Institut ,
le lundi 7 juillet 1807. )
spécimens de ces manuscrits , de cartes géographiques et d'estampes ; et
précédé d'un Mémoire historique , littéraire et critique , par J. B. Gail ,
professeur de littérature grecque au Collège de France , de l'Académie
Royale des Sciences de Gottingue fer volume : Mémoire sur Thucydide ;
XIXe volume de la Collection in- 8° . Prix : 4 fr.; 6 fr . pap . vélin . Idem ,
in 4° . Prix : 6 fr. , et 9 fr . pap . vélin .
A Paris , chez Gail neven , au College de France , place Cambray ; et
chez le Normat . En prenant le papier vélin , on s'engage pour le
Thucydide complet.
(2) Nouvelle Grammaire Grecque , à l'usage des lycées et autres écoles.
VIII vol. de la Collection in- 8 ° . Troisième édition , revue , corrigée et
augmentée. Prix des deux premières parties , 1 fr. 50 c . , reliées en parchemin.
Les trois parties réunies , 2 fr , reliées én parchemin .
Dialogues des Morts de Lucien , accompagnés de notes élémentaires
et grammaticales , des variantes des trois manuscrits de Lucien , et d'une
version latine. Nonvelle édition , divisée en deux parties. XVIII® volume
de la Collection in 12. Les deux parties , avec la traduction , a fr. 25 c. ,
reliées en parchemin . Les deux parties , sans la traduction , 1 fr. 80 c. ,
reliées en parchemin.
Clef d'Homère , précédéa de dissertations grammaticales , d'un tab'eau
des verbes primitifs , d'une lettre à M. Bat , et d'observations sur plusieurs
morceaux d'Homère . XVIIª volume de la Collection in- 12. Prix , in- 12 , 2 fr.
50 c. , relié en parchemin. In- 8° , 3 fr. 50 c. Idem , pap. vélin , in-8° , 5 fr.
Ces trois ouvrages se vendent à Paris , chez Gail neveu , au Collège de
France , place Cambray; et chez le Norinant.
380 MERCURE DE FRANCE ,
MODES du 20 août.
Aucune coiffure ne se fait à l'invisible maintenant : on ne veut que
de très - petits chapeaux , de petites capotes , de petites paysannes , de
petites toques. La node des rubans écossais n'est point encore passée ;
il vient d'en paroître à très-petites raies rose et blanc . Les pluines se
portent toujours rondes et follettes ; blanches , dans la grande parure;
et vertes , dans la moyenne.
On revient aux pélerines plissées . Les remplis rapprochés et réguliers
, imitant des raies d'etoffe , se font remarquer depuis quelques
jours au bas des robes blanches .
Les schalls à jour , nommés zéphirs , soie et laine , sont presque
tons de deux couleurs , vert tendre et blanc , lilas et blanc. Tout unis
on les porte blanc.
NOUVELLES POLITIQUES.
Copenhague , 9 août.
?
Tout est en armes chez nous. Le prince Royal est arrivé
dans notre ville ; l'île de Sélande et la ville de Copenhague
sont menacées .
Voici ce qui a été publié ici :
<< Il n'est que trop vrai , les menaces injustes et multipliées du
gouvernement anglais compromettent notre existence ; ils nous
offrent des secours contre des dangers imaginaires. Danois ,
vous êtes menacés de perdre votre indépendance ! Les Anglais
veulent occuper vos ports , vos chantiers , sous le prétexte
que les Français , dont nous n'avons point à nous plaindre ,
veulent s'en emparer. Non, vous ne recevrez point la loi qu'une
nation injuste veut vous imposer avec tant d'arrogance. Le
prince Royal arrivera demain. Si les Anglais poussent l'atrocité
jusqu'à attaquer nos rivages , ils trouveront dans chacun
de nos citoyens le même courage et le même dévouement
qu'en 1801. La France , la Russie , toute l'Europe marcheront
à votre secours, »>
Ce n'est point à ces écrits qui circulent dans le public que
le gouvernement s'est remis du soin de sa défense : les batteries
s'arment avec activité. ( Moniteur. )
-
PARIS , vendredi 21 août.
Par décret impérial du 14 août , MM. Faure et Albisson ,
membres du tribunat , sont nommés conseillers d'Etat , section
de législation . 1
-Par décret du même jour , M. Arnould , membre du
tribunat , est nommé membre de la commission de comptaAOUT
1807 .
381
་
bilité impériale , en remplacement de M. de Saucourt , décédé .
Par décret du même jour, S. M. a nommé M. Labrouste,
tribun , à la place d'administrateur de la caisse d'amortisse
ment , en remplacement de M. Duffaut , décédé.
Avant-hier soir , vers neuf heures , S. M. accompagnée
de l'Impératrice et du prince Jérôme , est descendue des appartemens
du château pour se promener , en calèche , dans le
jardin des Tuileries. Toutes les personnes qui jouissoient , en
ce moment , du plaisir de la promenade , se sont à l'instant
précipitées autour de la voiture de LL. MM. , et les ont
accompagnées depuis la terrasse du bord de l'eau jusque
dans l'allée des orangers , aux cris mille fois répétés de Vive
l'Empereur ! Vive Impératrice !
Par jugement du tribunal de police correctionnelle de
l'arrondissement de Lille , du 29 juin , le sieur Bianchi , mé lecin
, chargé de la visite des conscrits , a été condamné par
défaut à 1000 fr. d'amende , et à deux années d'emprisonnement,
pour avoir reçu des présens et gratifications , à
raison des fonctions qu'il a remplies près le conseil de recrutement.
Les nommés Bernard Dagos , Etienne Lartigue , et Bernard
Bruttis , de l'arrondissement de Mont- de- Marsan ( Landes ) ,
convaincus d'escroqueries en matière de conscription , ont été
condamnés , savoir , le premier à six mois d'emprisonnement
et à 200 fr . d'amende ; le second , à huit mois d'emprisonnement
et à 300 fr . d'amende , et le dernier à deux mois d'emprisonnement
et à 75 fr. d'amende.
I
Jean Vidal père , de la cominune d'Orbon , département
du Tarn , pour soustraire son fils à la conscription , avoit fait
usage d'une pièce fausse sachant qu'elle étoit fausse . Cette pièce
étoit l'acte de naissance du père , dans lequel il étoit dit qu'il
étoit né en 1734 , tandis qu'il étoit réellement né en 1744 ; son
but étoit d'être considéré comme âgé de plus de 7 ans , et de
jouir ainsi du bénéfice de l'article XVIII du décret du 8 fructidor
an 13. La cour de justice criminelle spéciale a , par arrêt
du 21 juillet , condamné cet individu à huit ans de fers , à la
Hétrissure avec fer rouge sur l'épaule gauche , à l'exposition
pendant six heures , à l'impression , a l'affiche de l'arrêt ,
au nombre de 400 exemplaires , et aux dépens .
Les nommés Bailly et Gorret , convaincus d'escroquerie en
matière de conscription , ont été condamnés par la cour de
justice criminelle du département de la Somme , à deux ans
d'emprisonnement , et 5000 fr. d'amende chacun , solidairement.
Le nommé Fréville , impliqué dans la même affaire , a
été condamné à deux mois seulement de prison , et à 200 fr.
d'amende. (Moniteur. )
384- MERCURE DE FRANCE ,
penses , et aussi pour empêcher le retour de tout titre féodal
incompatible avec nos constitutions .
>> Les comptes de mes ministres des finances et du trésor
public vous feront connoître l'état prospère de nos finances .
Mes peuples éprouveront une considérable décharge sur la
contribution foncière.
>> Mon ministre de l'intérieur vous fera connoître les travaux
qui ont été commencés ou finis ; mais ce qui reste à faire
est bienplus important encore ; car je veux que dans toutes ,
les parties de mon Empire , mêmedans le plus petit hameau ,
l'aisance des citoyens et la valeur des terres se trouvent augmentées
par l'effet du système général d'amélioration que j'al
conçu.
>> Messieurs les députés des départemens au corps législatif
, votre assistance me sera nécessaire pour arriver à ce
grand résultat, et j'ai le droit d'y compter constamment. >>>
Ce discours a excité le plus vif enthousiasme , et S. M. a
levé la séance aux cris réitérés de vive l'Empereur ! Les mêmes
acclamations se sont fait entendre dans les rues que le cortége
de S. M. a suivies .
Dans la séance d'aujourd'hui , le corps législatif a nommé
M. Fontanes candidat à la présidence ; les candidats des quatre
autres séries avoient été nommés à la fin de la dernière session.
On a fait un second scrutin secret pour la nomination de
quatre vice - présidens : ce scrutin n'ayant donné la majorité
àaucun membre , il en sera fait un autre demain.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT .
7
DU LUNDI 17.-C pour 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 86f 750 900 700 600
500 750 650 600 5ос босоос ooo ooi o fooс пос обе 000.
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 83f75c. 50c . оос оос
Act. de la Banque de Fr. 1280f 1282foc 000 f coo of ooc.
DU MARDI 18. - С р . о/о с. J. du 22 mars 1807 , 8of 30c 200 LOC 200
25c 3dc 400. 300 400 500 000. oof oos ooc coc ooc oof of ooc
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 83f. 75c 84f 53f Soc . ooc ос
Act. de la Banque de Fr. 1280f oooof oo oooof. ooc oooof
DU MERCREDI 19.- Cp . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 86f 600 750 800 goe
3
87f87f roc 200. ooc ooc oofo c . ooc of ooc . oof.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , 84f ooc. oof. oof ooc ooc оос
Act, dela Banque de Fr. 12871 500 1290 0000 0000 00001 coc
DU JEUDI 20.- C p . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 87f Soc SSF 8Sf 40c 306
88f 20c 30c 3 core ooc 000 000-000 сос о соос осс оос оос оос сос
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 85f 300 84f ooc coc doc oof ooc
Act. de la Banque de Fr. 129 f. oooof oo oooof. oooof
* DU VENDREDI 21. - C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807, 88f 350, 25c. 400
Зос 400 500 400 600 50c ooc oof ooc ooc oof ooc ooc ooc ooc of cos
Idem Jouiss . du 22 sept . 1807 , 85f- 50c ooc . oof coc coc
Act. de la Banque de Fr. oocof oooof coc qooof
১
43
(N°. CCCXIX. ) DE
(SAMEDI 29 AOUT 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
FRAGMENT
:
D'UN ESSAI POÉTIQUE SUR L'ÉCOLE FRANÇAISE.
SUBSTITUANT l'esprit au bon sens , au génie ,
Le clinquant des couleurs à leur sage harmonie ,
Coypel ( 1) , en s'éloignant de la simplicité ,
Crut que la bouffissure étoit la majesté.
Bientôt , à l'Opéra choisissant ses modèles ,
Il retraca partout et ses dieux et ses belles ;
Sur le jeu des acteurs composa ses tableaux ,
En héros de coulisse habilla ses héros .
Sous ses pinceaux menteurs , aussi bien qu'au théâtre ,
Leur front s'enlumina de carmin et de plâtre .
On vit Didon , Esther , Achille , Agamemnon ,
Costumés comme en scène et Couvreur et Baron,
Gesticuler , agir , marcher avec méthode .
Ce genre dépravé fut prôné par la mode :
Car trop souvent les arts , chez nous autres Français ,
A ce bizarre dieu doivent plus d'un succès ,
Et l'artiste du jour seul est l'artiste habile .
(1) Il s'agit ici d'Antoine Coypel. Son père , son frère et son fils ,
se sont tous fait un nom dans la peinture ; et tous sont tombés dans tes
vices que l'on reproche ici à Antoine.
5
SEL
386 MERCURE DE FRANCE ,
Evoquons des Enfers , pour un instant , Virgile :
Ne le voyez-vous point qui , d'un rire éternel ,
Accueille ces tableaux maniérés , où Coypel ,
D'après ses vers si purs , nous retrace d'Enée ,
Dans un style empoulé , la haute destinée ?
De retour chez Pluton , près du chantre d'Hector ,
Avec les peintres grecs il en plaisante encor.
Ainsi , toujours plus loin des formes les plus pures ,
Les beaux-arts s'égaroient dans les caricatures ;
L'élève , enchérissant sur ses prédécesseurs ,
Tomboit de vice en vice , et d'erreurs en erreurs .
Pour flatter le pouvoir , pour plaire à la richesse ,
Alors on vit des arts la servile souplesse ,
Méconnoissant leur but , blessant leur dignité ,
Oublier la décence , abjurer la beauté ;
Et , de l'éclat menteur d'une lumière impure ,
Obscurcir le bon goût , et voiler la nature .
Insensible aux grands traits des plus nobles vertus,
Unpeintre sans génie , esclave des Plutus ,
Dont il sut aduler les bizarres caprices ,
Avilit ses crayons en caressant leurs vices .
Bientôt il put compter des flots d'imitateurs :
Ainsi , le mauvais goût suit les mauvaises moeurs ;
Mais souvent on le voit à sa cause survivre .
L'honnête homme en tout temps put faire un méchant livre ;
Sans imiter Boucher ( 1) , mille peintres obscurs ,
De leurs chastes tableaux ont pu salir les murs .
Tel fut Restout ( 2) , Restout , dans ses moeurs si sévère ,
Que , peignant la déesse adorée à Cythère ,
(1) Boucher étoit né avec d'heureuses dispositions pour son art ; mais
en sacrifiant au mauvais goût de son siècle , il le corrompit encore , etmit
en quelque sorte son immortalité en viager. Une chose remarquable , c'est
que ce même Boucher avoit été le premier maître de notre célèbre David.
(2) Restout auroit été peut-être aussi un habile homme s'il fût venu
plutôt ou plus tard . C'étoit d'ailleurs un homme plein d'honneur et de
religion , dont il poussoit même les pratiques si loin , qu'il ne se permettoit
jamais d'étudier le nu d'après les femmes . Un jour , un nommé Deschamps ,
modèle vigoureux et musclé , fut demandé par un artiste. Deschamps
répondit qu'il ne pouvoit aller chez lui , parce qu'à l'heure même il
devoit poser une Vénus chez M. Restout.
Cinq beautés parfaites avoient été nécessaires à Zeuxis pour peindre son
Hélène. Il suffisoit à M. Restout d'observer un homme taillé en Hercule
pour imaginer şes Vénus ,
AOUT 1807 . 387
Il en étudioit le contour délicat
Sur les membres musclés d'un vigoureux soldat :
Ainsi sa froide Muse , aux excès condamnée ,
N'osoit peindre Vénus , de peur d'être damnée .
Toujours l'erreur première entraîne une autre erreur .
A peine du faux goût la perfide lueur
Eut corrompu de l'art les règles éternelles ,
L'art en tout s'éloigna des routes naturelles :
L'antique et Raphaël blessèrent tous les yeux ,
Et Lemoine ( 1 ) et Boucher furent au rang des dieux.
Ces rois du mauvais goût , à leur triste manière
Asservirent long-temps l'école tout entière .
Il fallut , au caprice immolant la raison ,
Faire pyramider la composition ,
La resserrer en grappe , ou l'étendre en nuage;
Faire entr'eux contraster le corps et le visage ,
Lajambe avec le bras , la face avec le dos ;
Le jour ne put frapper qu'au centre des tableaux .
Dût-on dans l'ombre voir la figure première ;
N'importe , on l'éclaira d'une vive lumière .
Le dirai-je ? Des os , des muscles confondus
Les contours vagabonds ne se distinguoient plus ;
Traçant d'après nature un trait imaginaire ,
Chaque élève , d'un maître arborant la bannière ,
Soumis aveuglément à son aveugle appui ,
Ne voyoit , consultoit , et n'imitoit que lui.
Tels on vit de Boucher les disciples maussades
Inonder les boudoirs de leurs peintures fades ;
Tels on vit les Natoire , et cent autres encor ,
Comprimer du talent le primitif essor .
L'art n'offrit au public , de leurs erreurs complice ,
Que des traits toujours faux , qu'un ton toujours factice ;
On eut honte d'avoir admiré dans Poussin
Un ton mâle , un grand style , un sévère dessin .
La mode alors créa ces teintes satinées ,
Et de rose et de gris toujours enluminées ;
Pour établir les plans , les distinguer entr'eux ,
Un complaisant brouillard les recula des yeux.
Onméconnut les lois et du jour et de l'ombre ;
Nul objet ne parut ni lumineux ni sombre ;
Nul choix , nulle élégance , et nul discernement.
( 1 ) Lemoine, élève de Galloche , eut pour disciples Boucher et Natoire ,
qui tous deux ont propagé sa manière vicieuse.
Bba
1 .
388 MERCURE DE FRANCE ,
Le désordre dès-lors s'appela mouvement ;
La manière usurpa l'empire de la grace ;
Au jeu des passions succéda la grimace ;
Du pâtre et du héros l'on confondit les traits ,
Et l'on peignit Hector d'après un porte-faix .
Changée en déité , la lourde paysanne
Fut masquée en Vénus , travestie en Diane ;
Et d'un pied déformé par d'ignobles souliers ,
L'on fit marcher le dieu qui porte les lauriers !
Tel fut le précipice où tomba la peinture :
La même époque vit s'éclipser la sculpture ;
Sous François appelée à des destins brillans ,
Depuis elle suivit le mauvais goût des temps.
Dédaignant de marcher dans des bornes prescrites ,
Le sculpteur de son art transgressa les limites ,
Soudain prit un essor plus fou qu'ambitieux ;
Mais alors il tomba sans descendre des cieux .
Il prétendit du peintre imiter les images ;
Fit des brouillards en marbre , en bronze des nuages ;
Sculpta les pleurs , le vent , la flamme , le satin ;
Fit marcher un squelette un sable dans la main ,
Plus ferme sur ses pieds qu'une figure en vie ,
Et prit l'excès du faux pour l'effort du génie ; ( 1 )
Trouva l'antique froid , dur , compassé , mesquin ;
Ne vit dans l'Apollon qu'un triste mannequin ;
Et des abus de l'art épuisant la mesure ,
Sut encore enlaidir la plus laide nature.
Vous restiez oubliés , énergique Pilon !
Toi chaleureux Pujet , toi sublime Gougeon !
Cependant , en secret , de l'art en décadence ,
Julien et Pajon rêvoient la renaissance :
L'un sectateur du vrai , l'autre de l'idéal ,
Par des chemins divers eurent succès égal.
Mais Vien , le premier , d'une volonté ferme ,
S'opposant au désordre , en sut prévoir le terme.
Il sut , de ces erreurs débrouillant le chaos ,
Etayer ses succès par des succès nouveaux ,
Indiquer à l'étude une sûre pratique ;
Vers Poussin , Raphaël , la nature et l'antique ,
( 1 ) On peut voir au Musée des Monumens français , dans la salle oir
sont recucillis divers morceaux de sculpture du dix - huitième siècle ,
jusqu'où les statuaires de cette époque ont poussé l'oubli des principes de
leur art.
AOUT 1807 .
389
Ramener cet essaim d'élèves égarés ,
Leur montrer des chemins trop long-temps ignorés ;
Et du dieu des beaux-arts enfin rouvrant le temple ,
Y donner à la fois le précepte et l'exemple.
On vit dans ses tableaux le dessin conservé ,
Le coloris plus vrai , l'effet mieux observé ;
Il sut distribuer et l'ombre et la lumière ,
Distinguer chaque objet par son vrai caractère ,
Et , toujours s'exerçant sur de nobles objets ,
Faire un choix délicat des plus heureux sujets.
On n'a point oublié que son crayon habile
Jadis nous fit gémir sur ce rival d'Achille
Pleuré par son vieux père au pied de ses remparts.
J'aime à te voir tracer , patriarche des arts ,
D'une main ferme encore , et plus qu'octogénaire , ( 1 )
Les folâtres amours sur le sein de leur mère :
Nouvel Anacréon , malgré l'effort des ans ,
J'aime à te voir , le front paré de cheveux blancs ,
Dans le brillant déclin de ton illustre vie ,
Ranimer ta vieillesse à force de génie .
A. L. GIRODET , D. R. , Peintre d'Histoire.
Nota. C'est par erreur que l'on a attribué à M. Le Brun , de l'Académie
Française , l'ode intitulée la Colère d'Apollon , insérée dans le
dernier numéro du Mercure de France ; elle est de M. P. Le Brun .
ENIGME.
MoN sort est bien bizarre , il le faut avouer :
On ne veut me souffrir en place.
Celui qui ne m'a pas veut cependant m'avoir ;
Et dès qu'il m'aperçoit , aussitôt il m'efface .
Les héros paroîtroient moins bien ornés sans moi ,
Etant à l'air guerrier annexe ;
$
Mais quoiqu'aux ennemis j'aide à causer l'effroi ,
Je ne fais pas peur au beau sexe.
Par un Abonné.
( 1 ) Ces vers furent faits , il y a quelques années , lorsque M. Vien
s'occupoît , âgé de près de 90 ans , à tracer des compositions dignes du
génie et des crayons de l'Albane .
3
3go MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE
EN naissant , de la nature
J'ai reçu maint trait vengenr ,
Qui , par sanglante blessure ,
Repousse le ravisseur :
Sous ma défense une reine
Semble sans cesse avertir
Qu'il faut passer par la peine
Pour arriver au plaisir.
Si tu prends la patience ,
Lecteur , de me désunir ,
A tes yeux quelle abondance
Ne vais -je pas découvrir !
Trois de mes pieds à la France
Donnent de quoi la nourrir ;
En quatre l'on trouve ensemble
Tout ce qui sert à vêtir.
Crois- moi , bornant ton desir
A ces biens que je rassemble ,
Songe à me fuir ; sur- tout tremble
De connoître , de sentir
Ce
que mon corps va t'offrir ,
Et qui mérite ta haine :
Un mal physique et moral ,
Qui , par un destin fatal ,
Afflige la race humaine .
CHARADE.
DANS les bois fort souvent on entend mon premier ;
Près d'Emma rarement on reste mon dernier ,
A la vue des attraits que contient mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Jour.
Celui du Logogriphe est Chien , où l'on trouve niche , Chine .
Celui de la Charade est Plat-eau .
1
AOUT 1807 . 391
DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE.
Il étoit plus aisé de recueillir tous les livres , que de les
:
épurer et de les apprécier. Les grandes bibliothèques sont
devenues une partie du luxe des riches et de la magnificence
des rois. Le savant pauvre , dont elles sont l'habitation , n'y
jouit que des droits de l'hospitalité ; il n'y possède que ce
qu'il s'approprie par sa mémoire : heureux encore que l'orgueil
de le servir soit entré dans la vanité d'étaler des
richesses dont lui seul fait usage ! Cette fameuse bibliothèque
d'Alexandrie , brûlée par un conquérant barbare ,
causa les regrets de l'univers celle que nos rois ont formée
pour la nation , l'un des glorieux monumens de la monarchie
, réunit ce qu'il y a de plus rare à ce qu'il y a de plus
commun ; c'est le trésor de l'esprit humain dans toute son
abondance et dans toute sa surabondance . En entrant dans
ce temple de toutes les études , l'homme , qui sait se frapper
des grands objets , admire l'héritage des siècles , qui se sont
joints par leurs travaux la communication des peuples par
l'imprimerie ; il ne conçoit plus de bornes à l'avidité de son
instruction. Mais bientôt une terreur secrète , une sombre
langueur , un triste désespoir , s'emparent de son ame . Il
se mesure avec ces murailles de science , et il reste accablé
sous l'énorme disproportion de ses voeux et de ses facultés .
Il songe à tout ce qui s'écrit , s'imprime dans tant de nations
lettrées ; et il conçoit que , pour contenir dans un siècle
toutes les pensées des hommes , il ne faudra plus un palais
des rois , mais presqu'une ville entière. Ah! quel soulagement
, quel ravissement il éprouveroit , si on lui disoit :
Sortez enfin de cet immense dépôt , que vos regards ne
peuvent embrasser , et où vos pensées se confondent ! Ce
n'est plus que l'amas informe de toutes les productions
accumulées par les âges ; on peut encore y puiser des secours
et des lumières. Mais voici le sanctuaire des vraies connoissances
; voici le choix de ce qu'il faut lire ; c'est ici qu'on
s'instruit et qu'on jouit : vous avez été épouvanté du grand
nombre des livres ; vous allez être étonné du petit nombre
des bons .
Un grand danger nous menace , et je m'étonne qu'il n'ait
4
382 MERCURE DE FRANCE ,
་
SENAT CONSERVATEUR .
Message de Sa Majesté Impériale et Royale au Sénat.
Sé nateurs ,
Conformément à l'article LVII de l'acte des constitutions
de l'Empire , en date du 28 floréal an 12 , nous avons nommé
membres du sénat :
MM . Klein , général de division ; Beaumont , général de
division ; et Béguinot , général de division .
Nous desirons que l'armée voie dans ces choix l'intention
où nous sommes de distinguer constamment ses services .
MM. Fabre ( de l'Aude ) président du tribunat , et Curée ,
membre du tribunat.
Nous desirons que les membres du tribunat trouvent dans
ces nominations un témoignage de notre satisfaction pour la
manière dont ils ont concouru , avec notre conseil d'Etat , à
établir les grandes bases de la législation civile .
M. l'archevêque de Turin.
Nous saisissons avec plaisir cette occasion de témoigner
notre satisfaction au clergé de notre Empire , et particulièrement
à celui de nos départemens au-delà des Alpes.
M. Dupont , maire de Paris.
Notre bonne ville de Paris verra dans le choix d'un de ses
maires , le desir que nous avons de lui donner constamment
des preuves de notre affection .
CORPS LÉGISLATIF.
Session de l'an 1807.
L'ouverture du corps législatif s'est faite dimanche 16 avec
le plus grand éclat. A cinq heures l'EMPEREUR est sorti du
château des Tuilleries , et c'est rendu au palais du corps
législatif dans l'ordre indiqué par le cérémonial. Après s'être
reposé pendant environ vingt minutes dans les appartemens
du président , S. M. , précédée de la députation des membres
du corps législatif qui étoit allée la recevoir aux portes
extérieures du palais , est entrée dans la salle des séances , aux
acclamations des spectateurs qui remplissoient les tribunes .
S. M. a prononcé le discours suivant :
« Messieurs les députés des départemens du corps législatif;
messieurs les tribuns et les membres de mon conseil d'Etat ,
» Depuis votre dernière session , de nouvelles guerres , de
nouveaux triomphes , de nouveaux traités de paix ont changé
la face de l'Europe politique.
» Si la maison de Brandebourg qui , la première , se conjura
contre notre indépendance , règne encore , elle le doit à
la sincère amitié que m'a inspirée le puissant Empereur du
Nord.
AOUT 1807 .
383
» Un prince français régnera sur l'Elbe : il saura concilier
les intérêts de ses nouveaux sujets avec ses premiers et ses plus
sacrés devoirs.
» La maison de Saxe a recouvré , après 50 ans , l'indépendance
qu'elle avoit perdue.
» Les peuples du duché de Varsovie , de la ville de
Dantzick , ont recouvré leur patrie et leurs droits.
(
>> Toutes les nations se réjouissent d'un commun accord ,
de voir l'influence malfaisante que l'Angleterre exerçoit sur le
continent , détruite sans retour.
» La France est unie aux peuples d'Allemagne par les
lois de la Confédération du Rhin , à ceux des Espagnes , de la
Hollande , de la Suisse et des Italies par les lois de notre système
fédératif. Nos nouveaux rapports avec la Russie sont
cimentés par l'estime réciproque de ces deux grandes nations.
Dans tout ce que j'ai fait , j ai eu uniquement en vue lè
bonheur de mes peuples , plus cher à mes yeux que ma propre
gloire.
"
» Je desire la paix maritime. Aucun ressentiment n'influera
jamais sur mes déterminations : je n'en saurois avoir contre
une nation , jouet et victime des partis qui la déchirent , et
trompée sur la situation de ses affaires , comme sur celle de ses
voisins.
» Mais quelle que soit l'issue que les décrets de la Providence
aient assignée à la guerre maritime , mes peuples me
trouveront toujours le même , et je trouverai toujours mes
peuples dignes de moi.
» Français , votre conduite dans ces derniers temps où
Votre EMPEREUR étoit éloigné de plus de 500 lieues , a augmenté
mon estime et l'opinion que j'avois conçue de votre
caractère. Je me suis senti fier d'être le premier parmi vous.
-
Si , pendant ces dix mois d'absence et de périls , j'ai été
présent à votre pensée , les marques d'amour que vous m'avez
données , ont excité constamment mes plus vives émotions.
Toutes mes sollicitudes , tout ce qui pouvoit avoir rapport
même à la conservation de ma personne , ne me touchoient
que par l'intérêt que vous y portiez et par l'importance
elles pouvoient être pour vos futures destinées . Vous êtes un
bon et grand peuple.
dont
» J'ai médité différentes dispositions pour simplifier et
perfectionner nos institutions.
>> La nation a éprouvé les plus heureux effets de l'établissement
de la Légion -d'Honneur. J'ai créé différens titres impériaux
pour donner un nouvel éclat aux principaux de mes
sujets, pour honorer d'éclatans services par d'éclatantes récom384
: MERCURE
DE
FRANCE
,
penses , et aussi pour empêcher le retour de tout titre féodal
incompatible avec nos constitutions .
» Les comptes de mes ministres des finances et du trésor
public vous feront connoître l'état prospère de nos finances .
Mes peuples éprouveront une considerable décharge sur la
contribution foncière.
.
» Mon ministre de l'intérieur vous fera connoître les travaux
qui ont été commencés ou finis ; mais ce qui reste à faire
est bien plus important encore ; car je veux que dans toutes
les parties de mon Empire , même dans le plus petit hameau
l'aisance des citoyens et la valeur des terres se trouvent augmentées
par l'effet du système général d'amélioration que j'ai
conçu .
» Messieurs les députés des départemens au corps légis→
latif , votre assistance me sera nécessaire pour arriver à ce
grand résultat , et j'ai le droit d'y compter constamment. »
Ce discours a excité le plus vif enthousiasme , et S. M. a
levé la séance aux cris réitérés de vive l'Empereur ! Les mêmes
acclamations se sont fait entendre dans les rues que le cortége
de S. M. a suivies.
Dans la séance d'aujourd'hui , le corps législatif a nommé
M. Fontanes candidat à la présidence ; les candidats des quatre
autres séries avoient été nommés à la fin de la dernière session.
On a fait un second scrutin secret pour la nomination de
quatre vice - présidens : ce scrutin n'ayant donné la majorité
à aucun membre , il en sera fait un autre demain .
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
DU LUNDI 17. -C pour o/o c . J. du 22 mars 1807 , 86f 75c 90c 70€ 60 €
50c 75c 650 600 50c boc noc ooc ooi of . ooc noc odc ooc.
Idem . Jouiss . du 22 sept . 1807 , 83f 75c . 5oc . ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. 1285f 1282foc 000 f 000 f ooc.
DU MARDI 18 .. C p. oo c . J. du 22 . 200
25c 30c 40c. 3oc 40c 5oc ouc . oof oo ooc coc ooc oof oof ooc
22 mars,1807 , 8f 3oc
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 83f. 75c 84f 53f Soc. ooc occ
Act. de la Banque de Fr. 128of oooof ooc oooof. ooc odʊof
- IOC 200
DU MERCREDI 19.- C p . 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 86f 6ọc 75c Soc gos
87f87f rec 20c . ooc ooc oofo.c. ooc of ooc . oof.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , S4f ovc . oof. oof ooc ooc ooc
Act, de la Banque de Fr. 128; f 50c 1290f 0000f 0000f0000 ! ooc
DU JEUDI 20.- Cp. 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 87f Soc SSf 8Sf 4oc 30c
88f 20c 30c 3c orc ooc ooc ooc ooc ouc o c ooc occ ooc voc ooc coe
Idem . Jouiss. du 22 sept . 1807 , 85f 3oc 84f ooc ooc doc oof ooc
Act. de la Banque de Fr. 129 f. oooof ooc oooof: 0000f
DU VENDREDI 21. C p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 88f 35c ,
25c .400
3oc 40c 50c 40c 6oc 5oc ooc oof ooc ooc oof ooc ooc ooc ooc of cos
Idem Jouiss. du 22 sept. 1807 , 85f- 50c ooc . oof ooC VOC
Act. de la Banque de Fr. oocof oooof ooc quoof
( No. CCCXIX . )
DEST
( SAMEDI 29 AOUT 1807. )
ས་ ་ ་ , !
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
л
FRAGMENT
D'UN ESSAI POÉTIQUE SUR L'ÉCOLE FRANÇAISE .
que
SUBSTITUANT l'esprit au bon sens , au génie ,
Le clinquant des couleurs à leur sage harmonie ,
Coypel ( 1 ) , en s'éloignant de la simplicité ,
Crut lá bouffissure étoit la majesté.
Bientôt , à l'Opéra choisissant ses modèles ,
Il retraça partout et ses dieux et ses belles ;
Sur le jeu des acteurs composa ses tableaux ,
En héros de coulisse habilla ses héros .
Sous ses pinceaux menteurs , aussi bien qu'au théâtre ,
Leur front s'enlumina de carmin et de plâtre .
On vit Didon , Esther , Achille , Agamemnon ,
Costumés comme en scène et Couvreur et Baron,
Gesticuler , agir , marcher avec méthode .
Ce genre dépravé fut prôné par la mode : -
Car trop souvent les arts , chez nous autres Français ,
A ce bizarre dieu doivent plus d'un succès ,
Et l'artiste du jour seul est l'artiste habile.
( 1 ) Il s'agit içi d'Antoine Coypel . Son père , son frère et son fils ,
se sont tous fait un nom dans la peinture ; et tous sont tombés dans les
vices que l'on reproche ici à Antoine.
Bb
SEI.
386 MERCURE DE FRANCE ,
Evoquons des Enfers , pour un instant , Virgile !
Ne le voyez-vous point qui , d'un rire éternel ,
Accueille ces tableaux maniérés , où Coypel ,
D'après ses vers si purs , nous retrace d'Enée ,
Dans un style empoulé , la haute destinée ?
De retour chez Pluton , près du chantre d'Hector ,
Avec les peintres grecs il en plaisante encor.
Ainsi , toujours plus loin des formes les plus pures ,
Les beaux- arts s'égaroient dans les caricatures ;
L'élève , enchérissant sur ses prédécesseurs ,
Tomboit de vice en vice , et d'erreurs en erreurs .
Pour flatter le pouvoir , pour plaire à la richesse ,
Alors on vit des arts la servile souplesse ,
Méconnoissant leur but , blessant leur dignité ,
Oublier la décence , abjurer la beauté ;
Et , de l'éclat menteur d'une lumière impure ,
Obscurcir le bon goût , et voiler la nature.
Insensible aux grands traits des plus nobles vertus,
Un peintre sans génie , esclave des Plutus ,
Dont il sut aduler les bizarres caprices ,
Avilit ses crayons en caressant leurs vices .
Bientôt il put compter des flots d'imitateurs :
Ainsi , le mauvais goût suit les mauvaises moeurs ;
Mais souvent on le voit à sa cause survivre .
L'honnête homme en tout temps put faire un méchant livre ;
Sans imiter Boucher ( 1 ) , mille peintres obscurs ,
De leurs chastes tableaux ont pu salir les murs .
Tel fut Restout (2) , Restout , dans ses moeurs si sévère ,
Que , peignant la déesse adorée à Cythère ,
( 1 ) Boucher étoit né avec d'heureuses dispositions pour son art ; mais
en sacrifiant au mauvais goût de son siècle , il le corrompit encore , et mit
en quelque sorte son immortalité en viager. Une chose remarquable , c'est
que ce même Boucher avoit été le premier maître de notre célèbre David .
(2) Restout auroit été peut-être aussi un habile homme s'il fût venu
plutôt ou plus tard . C'étoit d'ailleurs un homme plein d'honneur et de
religion , dont il poussoit même les pratiques si loin , qu'il ne se permettoit
jamais d'étudier le nu d'après les femmes. Un jour , un nommé Deschamps ,
modèle vigoureux et musclé , fut demandé par un artiste . Deschamps
répondit qu'il ne pouvoit aller chez lui , parce qu'à l'heure même il
devoit poser une Vénus chez M. Restout .
Cinq beautés parfaites avoient été nécessaires à Zeuxis pour peindre son
Hélène . Il suffisoit à M. Restout d'observer un homme taillé en Hercule
pour imaginer ses Vénus ,
AOUT 1807 . 387
Il en étudioit le contour délicat
Sur les membres musclés d'un vigoureux soldat :
Ainsi sa froide Muse , aux excès condamnée ,
N'osoit peindre Vénus , de peur d'être damnée.
Toujours l'erreur première entraîne une autre erreur.
A peine du faux goût la perfide lueur
Eut corrompu de l'art les règles éternelles ,
L'art en tout s'éloigna des routes naturelles :
L'antique et Raphaël blessèrent tous les yeux ;
Et Lemoine ( 1 ) et Boucher furent au rang des dieux.
Ces rois du mauvais goût , à leur triste manière
Asservirent long -temps l'école tout entière.
Il fallut , au caprice immolant la raison ,
Faire pyramider la composition ,
La resserrer en grappe , ou l'étendre en nuage ;
Faire entr'eux contraster le corps et le visage ,
La jambe avec le bras , la face avec le dos ;
Le jour ne put frapper qu'au centre des tableaux.
Dût-on dans l'ombre voir la figure première ;
N'importe , on l'éclaira d'une vive lumière .
Le dirai-je ? Des os , des muscles confondus
Les contours vagabonds ne se distinguoient plus ;
Traçant d'après nature un trait imaginaire ,
Chaque élève , d'un maître arborant la bannière,
Soumis aveuglément à son aveugle appui ,
Ne voyoit , consultoit , et n'imitoit que lui.
Tels on vit de Boucher les disciples maussades
Inonder les boudoirs de leurs peintures fades ;
Tels on vit les Natoire , et cent autres encor ,
Comprimer du talent le primitif essor .
L'art n'offrit au public , de leurs erreurs complice ,
Que des traits toujours faux , qu'un ton toujours factice ;
On eut honte d'avoir admiré dans Poussin
Un ton mâle , un grand style , un sévère dessin .
La mode alors créa ces teintes satinées ,
Et de rose et de gris toujours enluminées ;
Pour établir les plans , les distinguer entr'eux ,
Un complaisant brouillard les recula des yeux .
On méconnut les lois et du jour et de l'ombre ;
Nul objet ne parut ni lumineux ni sombre ;
Nul choix , nulle élégance , et nul discernement.
( 1 ) Lemoine, élève de Galloche , eut pour disciples Boucher et Natoire ,
qui tous deux ont propagé sa manière vicieuse .
Bb 2
388 MERCURE DE FRANCE ,
Le désordre dès-lors s'appela mouvement ;
La manière usurpa l'empire de la grace ;
Au jeu des passions succéda la grimace ;
Du pâtre et du héros l'on confondit les traits ,
Et l'on peignit Hector d'après un porte-faix.
Changée en déité , la lourde paysanne
Fut masquée en Vénus , travestie en Diane ;
Et d'un pied déformé par d'ignobles souliers ,
L'on fit marcher le dieu qui porte les lauriers !
Tel fut le précipice où tomba la peinture :
La même époque vit s'éclipser la sculpture ;
Sous François appelée à des destins brillans ,
Depuis elle suivit le mauvais goût des temps.
Dédaignant de marcher dans des bornes prescrites ,
Le sculpteur de son art transgressa les limites ,
Soudain prit un essor plus fou qu'ambitieux ;
Mais alors il tomba sans descendre des cieux .
Il prétendit du peintre imiter les images ;
Fit des brouillards en marbre , en bronze des nuages ;
Sculpta les pleurs , le vent , la flamme , le satin ;
Fit marcher un squelette un sable dans la main ,
Plus ferme sur ses pieds qu'une figure en vie ,
Et prit l'excès du faux pour l'effort du génie ; ( 1)
Trouva l'antique froid , dur , compassé , mesquin ;
Ne vit dans l'Apollon qu'un triste mannequin ;
Et des abus de l'art épuisant la mesure
Sut encore enlaidir la plus laide nature.
Vous restiez oubliés , énergique Pilon !
Toi chaleureux Pujet , toi sublime Gougeon !
Cependant , en secret, de l'art en décadence ,
Julien et Pajon rêvoient la renaissance :
L'un sectateur du vrai , l'autre de l'idéal ,
Par des chemins divers eurent succès égal.
7.
Mais Vien , le premier, d'une volonté ferme ,
S'opposant au désordre , en sut prévoir le terme .
Il sút , de ces erreurs débrouillant le chaos ,
Etayer ses succès par des succès nouveaux ,
Indiquer à l'étude une sûre pratique ;
Vers Poussin , Raphaël , la nature et l'antique ,
(1) On peut voir au Musée des Monumens français , dans la salle où
sont recueillis divers morceaux de sculpture du dix - huitième siècle ,
jusqu'où les statuaires de cette époque ont poussé l'oubli des principes de
leur art.
AOUT 1807 . 389
Ramener cet essaim d'élèves égarés ,
Leur montrer des chemins trop long-temps ignorés ;
Et du dieu des beaux- arts enfin rouvrant le temple ,
Ydonner à la fois le précepte et l'exemple .
On vit dans ses tableaux le dessin conservé ,
Le coloris plus vrai , l'effet mieux observé ;
Il sut distribuer et l'ombre et la lumière ,
Distinguer chaque objet par son vrai caractère ,
Et , toujours s'exerçant sur de nobles objets ,
Faire un choix délicat des plus heureux sujets.
On n'a point oublié que son crayon habile
Jadis nous fit gémir sur ce rival d'Achille
Pleuré par son vieux père au pied de ses remparts.
J'aime à te voir tracer , patriarche des arts ,
D'une main ferme encore , et plus qu'octogénaire , (1 )
Les folâtres amours sur le sein de leur mère :
Nouvel Anacréon , malgré l'effort des ans ,
J'aime à te voir , le front paré de cheveux blancs ,
Dans le brillant déclin de ton illustre vie ,
Ranimer ta vieillesse à force de génie.
A. L. GIRODET , D. R. , Peintre d'Histoire .
Nota. C'est par erreur que l'on a attribué à M. Le Brun , de l'Académie
Française , l'ode intitulée la Colère d'Apollon , insérée dans le
dernier numéro du Mercure de France; elle est de M. P. Le Brun .
ENIGME.
MON sort est bien bizarre , il le faut avouer:
On ne veut me souffrir en place.
Celui qui ne m'a pas veut cependant m'avoir ;
Et dès qu'il m'aperçoit , aussitôt il m'efface .
Les héros paroîftroient moins bien ornés sans moi,
Etant à l'air guerrier annexe ;
Mais quoiqu'aux ennemis j'aide à causer l'effroi ,
Je ne fais pas peur au beau sexe .
f
Par un Abonné.
(1 ) Ces vers furent faits , il y a quelques années , lorsque M. Vien
s'occupoit , âgé de près de go ans , à tracer des compositions dignes du
génie et des crayons de l'Albane .
3
3go
MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE
EN naissant , de la nature
J'ai maint trait vengenr ,
reçu
Qui , par sanglante blessure ,
Repousse le ravisseur :
Sous ma défense une reine
Semble sans cesse avertir
Qu'il faut passer par la peine
Pour arriver au plaisir.
Si tu prends la patience ,
Lecteur, de me désunir,
A tes yeux quelle abondance
Ne vais -je pas découvrir !
Trois de mes pieds à la France
Donnent de quoi la nourrir ;
En quatre l'on trouve ensemble
Tout ce qui sert à vêtir.
Crois- moi , bornant ton desir
A ces biens que je rassemble ,
Songe à me fuir ; sur- tout tremble
De connoître , de sentir
Ce que mon corps va t'offrir ,
Et qui mérite ta haine :
Un mal physique et moral ,
Qui , par un destin fatal ,
Afflige la race humaine.
CHARADE.
DANS les bois fort souvent on entend mon premier ;
Près d'Emma rarement on reste mon dernier ,
A la vue des attraits que contient mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Jour.
Celui du Logogriphe est Chien , où l'on trouve niche , Chine,
Celui de la Charade est Plat-eau.
AOUT 1807. 391
DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE.
Il étoit plus aisé de recueillir tous les livres , que de les
:
épurer et de les apprécier. Les grandes bibliothèques sont
devenues une partie du luxe des riches et de la magnificence
des rois. Le savant pauvre , dont elles sont l'habitation , n'y
jouit que des droits de l'hospitalité ; il n'y possède que ce
qu'il s'approprie par sa mémoire : heureux encore que l'orgueil
de le servir soit entré dans la vanité d'étaler des
richesses dont lui seul fait usage ! Cette fameuse bibliothèque
d'Alexandrie , brûlée par un conquérant barbare ,
causa les regrets de l'univers celle que nos rois ont formée
pour la nation , l'un des glorieux monumens de la monarchie
, réunit ce qu'il y a de plus rare à ce qu'il y a de plus
commun ; c'est le trésor de l'esprit humain dans toute son
abondance et dans toute sa surabondance . En entrant dans
ce temple de toutes les études , l'homme , qui sait se frapper
des grands objets , admire l'héritage des siècles , qui se sont
joints par leurs travaux la communication des peuples par
l'imprimerie ; il ne conçoit plus de bornes à l'avidité de son
instruction. Mais bientôt une terreur secrète , une sombre
langueur , un triste désespoir , s'emparent de son ame. Il
se mesure avec ces murailles de science , et il reste accablé
sous l'énorme disproportion de ses voeux et de ses facultés .
Il songe à tout ce qui s'écrit , s'imprime dans tant de nations
lettrées ; et il conçoit que , pour contenir dans un siècle
toutes les pensées des hommes , il ne faudra plus un palais
des rois , mais presqu'une ville entière . Ah! quel soulagement
, quel ravissement il éprouveroit , si on lui disoit :
Sortez enfin de cet immense dépôt , que vos regards ne
peuvent embrasser , et où vos pensées se confondent ! Ce
n'est plus que l'amas informe de toutes les productions
accumulées par les âges ; on peut encore y puiser des secours
et des lumières. Mais voici le sanctuaire des vraies connoissances
; voici le choix de ce qu'il faut lire ; c'est ici qu'on
s'instruit et qu'on jouit : vous avez été épouvanté du grand
nombre des livres ; vous allez être étonné du petit nombre
des bons.
Un grand danger nous menace , et je m'étonne qu'il n'ait
4
392
MERCURE DE FRANCE ,
encore été ni présenté ni senti : je crains pour l'avenir le
dégoût et le découragement où tomberont tous les esprits
à la vue de tant de volumes , dans lesquels se disperse incessamment
la science humaine .
Ce seroit jusque sous cet aspect d'une habile réduction
des livres , propres à chaque science , que je pourrois considérer
l'emploi de la critique . Je confie cette pensée à des
esprits plus capables de la féconder et de la faire prévaloir,
Je me borne à une application plus restreinte , et à rechercher
la meilleure direction de la critique , relativement aux
Quvrages littéraires ,
Deux choses cultivent l'esprit d'une nation , et , en concourant
ensemble , doublent leurs effets ; c'est le génie qui
produit , et la réflexion qui observe. Souvent une nation
possède déjà des chefs -d'oeuvre , qu'elle n'est pas encore
capable de les sentir , de les admirer ; mais c'est un don
qu'elle peut acquérir , que les hommes habiles peuvent lui
communiquer. Le génie lui-même est souvent prêt à s'égarer
: souvent il manque de vues et de règles pour atteindre
à la perfection , dont il a les moyens ; et c'est encore un
art que la méditation des excellens esprits peut lui donner ,
sur-tout si elle porte sur les ouvrages où le génie s'alimente ,
et qui lui servent de modèles .
Si on n'a pas encore senti tous les avantages de la critique
littéraire , c'est qu'elle n'a pas encore été exercée sur un
plan digne de son but , ni par des hommes faits pour développer
tous ses services .
C'est elle qui ramène sans cesse à la vérité dans les idées ,
à la fidélité dans les tableaux ; fait régner dans tout la proportion
et l'accord ; reproduit la nature , étend la raison ,
perfectionne le goût ; met dans tout leur éclat les beautés ;
pénètre jusques aux causes des défauts ; abat incessamment
les fausses règles ; établit des principes plus sûrs ; avertit le
talent de toutes ses forces , de toutes ses ressources , par les
tourmens utiles qu'elle lui donne ; répand dans toute la
masse d'une nation des idées saines , des affections délicates ,
et peut enfin composer son caractère de l'aversion de tout
ce qui est faux et vil , de l'enthousiasme de tout ce qui est
noble et grand .
Mais , pour produire des fruits si heureux , il ne faut pas
qu'elle puisse être exercée par l'envie et la médiocrité. Elle
n'est pas du génie , quoiqu'elle puisse souvent en montrer ;
mais elle ne peut se former et se développer que par ces
impressions et ces réflexions , qui caractérisent le talent ,
AOUT 1807 . 393
Elle a besoin aussi des plus nobles motifs , tels qu'un amour
irrésistible du vrai , la gloire de récompenser ou de venger
le mérite , l'ambition de rendre un témoignage qui devance
ou prépare le jugement de la postérité .
Il m'a toujours paru que l'institution des journaux avoit
été une aberration , plutôt que la juste direction dans la
critique littéraire . Trop de petits intérêts séduisent ou préviennent
pour ou contre les ouvrages récens ; toujours
quelque desir secret d'exalter ou de rabaisser au -delà des
beautés ou des défauts. C'est par-là que les travaux de la
littérature sont devenus la ressource d'hommes souvent sans
instruction , sans esprit , quelquefois sans honneur , qui ,
ne pouvant rien produire de tolérable , s'érigent en juges de
tout ; à qui la méchanceté sert de génie , et la détraction de
métier. Si vous voulez connoître tout le prix de la vraie
critique , lisez le petit nombre de morceaux de ce genre ,
qui sont échappés à nos bons écrivains ; considérons surtout
les nobles et importans services qui lui étoient réservés ,
si elle eût été portée dans la plus ancienne de nos institutions
littéraires .
Supposons qu'à cette époque de la renaissance du goût et
d'un nouveau développement de l'esprit humain , ce Richelieu
, qui paroît avoir conçu la grande idée de faire
régner un jour la langue de son pays dans toute l'Europe ,
en lui donnant une sorte de législation ; supposons que
Richelieu , dans les lois qu'il imposoit à la réunion des
hommes célèbres de son temps , leur eût dit : « Je ne vous
» établis
seulement pour
pas
honorer en vous ces dons de
» la nature qui vous distinguent , pour vous procurer ce
» repos , cette indépendance , ces hommages publics , né-
» cessaires à l'exercice des talens ; je vous destine à une
» haute utilité , à une belle gloire . Tandis que notre langue
» se perfectionnera , en revêtant vos pensées , fixez- en les
règles ; expliquez son génie dans son vocabulaire. Mais
» ce travail ne suffiroit encore ni à vos talens ni à mes
» vues ; je vous en réserve , je vous en impose un autre ,
» si vaste , si élevé , qu'il exige le concours de tous les esprits
» éminens . Veillez , réguez sur toutes les productions que
» votre langue a reçues ; je les confie à votre examen , et
>> les mets sous votre garde . Remontez jusque dans la bar-
» barie de notre littérature ; que rien ne vous échappe dans
» tout ce qui a été écrit ; séparez le bon du mauvais ; dans
» le mauvais même , recherchez le bon ; conservez tout ce
» qui est précieux et utile ; jugez les ouvrages , les talens ,
»
394
MERCURE DE FRANCE ,
» les siècles ; créez la critique , qui donne au génie toute sa
gloire , et détruit la funeste autorité de ses défauts . »
»
» Tant que les objets demeurent au milieu des passions
qu'ils excitent , ils ne peuvent être bien appréciés ; tant
que le choc des premières opinions subsiste , l'esprit
» humain ne sait pas se fixer dans un jugement sain et
» durable : vous ne vous jugerez pas les uns et les autres ;
» mais , dans un demi - siècle , vos successeurs feront sur
» vous ce que vous aurez fait sur vos devanciers . Ecrivez
» dans la vigilante inquiétude d'un tribunal équitable et
» sévère ; jugez vos pères comme vous desirez que vos
» descendans vous jugent.
» Ainsi se formera la glorieuse collection de nos richesses
>> littéraires ; elles gagneront par le choix ce qu'elles per-
» dront par le nombre. Les bons écrivains vous devront
» d'être mieux goûtés ; les autres , de ne pas mourir tout
» entiers ; la nation , de savoir ce qu'elle possède ; et dans
» tout ce qu'elle doit estimer , ce qui est fait pour un culte
>> assidu . Telles seront vos fonctions et vos titres à la recon-
>> noissance universelle des peuples éclairés . »
Figurons-nous ce projet rempli , ce plan exécuté : quelle
dignité il eût donné à notre littérature ; quels plus grands
progrès encore il lui eût préparés !
De la hauteur de cette vue, parcourons les deux champs
ouverts à la critique .
Cicéron , Quintilien et Longin avoient heureusement commencé
ce genre de littérature , qui , bien traité , guide
étend , féconde tous les autres : il s'est particulièrement
enrichi dans le dernier siècle .
Vauvenargues , un des beaux talens de la grande époque
où il fut placé , avoit porté dans la critique par quelques
morceaux , cet esprit juste et élevé , ce sentiment profond de
tout ce qui est beau et bon parmi les hommes , ce trait toujours
aussi pur qu'original de son style .
Voltaire n'a rien de plus précieux dans ses volumes de
prose , que ses discussions littéraires , dont son commentaire
sur Corneille est le plus célèbre .
Thomas , dans son Essai sur les Eloges , est peut-être celui
qui a porté le plus loin l'appréciation des talens , dont l'examen
est entré dans le cadre de son ouvrage .
Marmontel , dans ses Elémens de Littérature , en creusant
dans les principes de l'art d'écrire , a toujours reconnu qu'il
n'y avoit de théorie utile , que la théorie appliquée ; et il a
AOUT 1807 . 395
toujours appuyé la sienne de l'analyse de quelques-uns de
nos chefs-d'oeuvre.
La Harpe a mieux saisi encore l'enseignement littéraire ,
en le plaçant tout entier dans l'étude des beautés et des
défauts des grands écrivains . Il avoit bien médité et sur- tout
bien senti le mérite de quelques-uns ; et il l'a développé d'une
manière supérieure : c'est par lui sur-tout que les théâtres
de Racine et de Voltaire seront enfin bien connus , mêmede
ceux qui les savoient par coeur.
La critique se mêle à tout. L'histoire , quand elle s'arrête
au tableau des sciences et des arts , trouve, dans son exposition
, les ouvrages et les noms, qui ont illustré les différens
âges. La poésie et l'éloquence recherchent avec la
même affection , ces nobles objets et savent les marquer de
ces traits vifs et profonds , qui restent dans la mémoire .
Elle est le fond de plusieurs genres , où nous avons
maintenant des chefs - d'oeuvre. Qu'est-ce qu'un éloge de
Fénélon , de La Fontaine , de Fontenelle ? Un discours
critique animé du sentiment d'une sorte d'apothéose , et
orné de la pompe d'une cérémonie publique. Les éloges
historiques qui se prononcent dans les autres académies ,
nos discours de réception à nous-mêmes , ne sont devenus
des ouvrages que depuis qu'ils approfondissent davantage
les titres de gloire d'un savant , d'un grand écrivain. Que
sont ces belles - lettres , où des hommes pleins d'ame et
d'esprit épanchent ce qu'ils viennent d'éprouver à la lecture
d'un beau livre ? Tout cela entre dans le domaine de la
critique , autant que les jugemens de Cicéron sur les orateurs
de son temps , autant que les leçons de La Harpe au Lycée ,
autant que les articles que de véritables gens de lettres ont
quelquefois fournis à nos journaux.
Mais qui n'aperçoit qu'il manque encore à la critique littéraire
d'être embrassée dans toute l'étendue de ses objets
et de ses services , et d'être portée à sa place ? Elle devoit
être la destination spéciale des académies , à qui il appartient
si bien de prononcer des jugemens raisonnés sur toutes les
productions des lettres .
C'est par- là que nous recevrions les nouvelles éditions
des ouvrages immortalisés avec une instruction qui nous en
rendroit la lecture plus agréable et plus fructueuse.
C'est par-là que ces corps acquerroient , par leurs propres
travaux, un fonds de richesses qui suffiroit à la récompense
de ces travaux même ; car tous les anciens ouvrages devien
droient , à ce prix , leur propriété,
396 MERCURE DE FRANCE ;
C'est par-là que tous les gens de lettres , versés dans l'art
de penser et d'écrire , acquerroient utilement une occupation
facile et honorable , pour tous les momens où ils ne
produisent point , par leur propre génie.
C'est par-là qu'ils se formeroient entr'eux à un talent qui
leur a souvent manqué , faute d'exercice , celui de la discussion
improvisée; qu'ils concourroient àlle perfectionner
pour tous les genres de discussions , où il est si précieux.
Un jugement, formé d'impressions débattues , dans un
corps mélangé d'esprits divers , en étendant les vues qui
enrichissent l'art , atteindroit toutes les parties , tous les
caractères de l'ouvrage ; apprendroit non seulement à
saisir tout ce qu'il a debeauet d'utile , mais encore à voir
au-delà.
Un tel corps n'est pas fait pour s'occuper des productions
insipides ou ridicules ; il les laisseroit dans leur oubli , ne
s'attacheroit qu'à celles que l'estime publique lui indiqueroit
ou qu'il croiroit lui devoir indiquer. La critique , objet
aujourd'hui de tant de frayeurs , deviendroit celui de toutes
les émulations : ce qui fixeroit son rang parmi les travaux
de l'esprit , et commenceroit sa gloire .
Il n'y a pas de comparaison pour l'importance , ladignité
et l'utilité entre la critique littéraire sur les ouvrages anciens ,
et celle qui ne s'attache qu'aux ouvrages du temps.
Je suis loin pourtant de vouloir proscrire celle-ci : au
contraire , je voudrois lui assurer tout son mérite , en la
mettant aussi sous la direction des corps littéraires.
Il pourra bien y avoir , dans ces corps , des préjugés sur
le genre de l'ouvrage , sur la manière de l'auteur ; des préventions
contre ses idées , des inimitiés contre sa personne :
mais ils s'atténueront ici plus qu'ailleurs ; ils se modéreront
par un principe de décence , par un devoir de justice , par
le respect de sa propre dignité ,dont un corps , qui prononce
sous les regards du public , ne pourroit s'écarter que pour
yrevenir bientôt par sa disposition naturelle.
Ily a ici à pourvoir à quelques inconvéniens.
D'abord , admettons que ces jugemens sur des ouvrages
du temps ne peuvent avoir ni une complète impartialité ni
cettematurité qui ne peut naître que d'une longue épreuve ,
d'une lente observation. Disons donc qu'il y aura toujours
lieu de les modifier , de les révoquer même.
Et ceci doit encore s'appliquer aux discussions sur les ouvrages
des âges antérieurs .
Ensuite , gardons - nous d'habituer le public à ne plus
AOUT 1807 . 397
sentir, à ne plus juger par lui-même; ses impressions bien
observées , bien démêlées doivent entrer pour beaucoup dans
les jugemens des hommes de l'art. Laissons-lui donc le
temps de les éprouver , de les produire. Il conviendroit que
les discussions de l'Académie ne vinssent qu'à une certaine
distance du temps où les ouvrages auroient paru .
Enfin il faut déterminer , par le nom , le caractère de ces
divers emplois de la critique . On ne juge bien qu'avec l'expérience
des siècles : j'appellerois jugement l'examen d'un
ouvrage ancien; je n'appellerois qu'observations celui d'un
ouvrage récent.
Lapassion du cardinal de Richelieu contre le Cid lui inspira
d'en demander la critique à l'Académie française. Une
sorte de ressentiment contre ce vil motif décria cet emploi
des corps littéraires , dont l'essai même avoit été honorable :
c'est peut-être là ce qui fit tomber la proposition de l'auteur
du Télémaque , qui vouloit ramener l'Académie à ce genre
de travail , comme à sa vraie destination .
Il est vrai que la proposition même ne présentoit qu'un
voeu stérile , sans un plan d'exécution. Mais ce plan , on
l'auroit trouvé , on l'eût fait adopter au gouvernement , si
on eût assez voulu la chose même.
Soit que cette proposition , que je renouvelle , et sur laquelle
je suis prêt à offrir un système d'organisation , doive
être un jour adoptée , soit que le talent de la critique ne
doive jamais s'exercer que par des travaux séparés , il a des
principes qu'on peut fixer ; et ses travaux se rallient aussi à
une théorie.
Les morceaux de critique sontde petits ouvrages qui ont
une place dans les études et les plaisirs de l'homme de goût ,
quand ils ont rempli leur objet , et qu'ils sont bien faits en
eux-mêmes .
Quelquefois , ce sont de courtes notices , et propres à ces
journaux , qui ne peuvent accorder que quelques pages . Il
y faut quelque chose de plus piquant dans les idées et les
formes , et des tournures plus familières : c'est la manière
dont les gens du monde aiment qu'on leur parle de tout ; il
convient d'imiter leur légèreté même , pour les frapper de
ce qui a droit à leur attention .
D'autres fois , dans un cadre plus étendu , on a à parcourir
tout ensemble l'objet du livre , le fond du livre ,
le genre auquel il appartient ; les circonstances qui l'ont fait,
naître ou accompagné ; les effets qu'il a produits , ou qu'il
étoit propre à produire; la nature de ses beautés et de ses
défauts.
398 MERCURE DE FRANCE,
Si vous vous arrêtez sur l'objet de l'ouvrage , pour rem
plir une juste attente , vous devez offrir un corps de pensées
neuves et justes , écrites avec noblesse et élégance. Vous
luttez à la fois avec le sujet et avec l'ouvrage ; montrez-vous
à la hauteur de l'un et de l'autre .
Lorsque vous arrivez au fond du sujet, faites reconnoître
dans une analyse raisonnée la méditation de ses richesses ,
de ses difficultés , la connoissance des principes , des ressources
de l'art qui lui sont applicables. Tâchez d'être
l'homme qui peut rendre une justice entière , et répandre
lui-même de nouvelles lumières .
}
Le genrede l'ouvrage est susceptible aussi de beaucoup de
considérations . Les règles qu'on y a posées sont-elles celles
de la bonne marche de la vérité , de la belle nature , de la
raison éternelle ? Les modèles qu'on y a établis le sont-ils
en tout ? N'ont-ils pas déjà tout épuisé dans la manière
qu'ils ont instituée ? Le nouvel écrivain a-t-il bien ou mal
fait de s'en rapprocher ou de s'en éloigner ? Telles sont
quelques-unes des questions qui appartiennent à votre
écrit.
Il y a souvent une importance historique ou un intérêt
philosophique dans les circonstances environnantes d'un
ouvrage. Observez bien si elles ont ces caractères , et , alors ,
ne dédaignez pas de les présenter ; consignez -les dans un
écrit destiné à faire penser l'observateur des événemens et
des hommes , à conserver des faits précieux pour la tradition
des arts .
C'est encore sous les mêmes aspects que vous devez considérer
et retracer les effets du livre ; mais ici , d'autres vues
doivent aussi vous diriger. Le livre obtient-il un succès
disproportionné à son mérite ? S'il n'en résulte aucune
injustice pour personne , taisez -vous là-dessus . Où seroit
l'utilité de prévenir un retour tout naturel , quí va bientôt
s'opérer ? Mais si on n'affecte d'élever trop haut cet ouvrage ,
cet écrivain , que pour faire expier à d'autres la haute
estime qu'ils avoient obtenue , gardez-vous sans doute de
rendre détraction pour détraction ; accordez à l'écrivain nouveau
son légitime prix ; et , ensuite , réclamez pour la gloire
que l'on veut rabaisser. Si l'indifférence du public pour le
sujet , si une prévention contre le genre, contre l'auteur , ou
les efforts coupables de quelque cabale se manifestent ; ou
bien encore , si l'obscurité de l'auteur , ou l'absence de ces
causes qui aident une belle production à obtenir l'éclat qui
lui appartient , concourent à la faire méconnoître , alors
AOUT 1807 . 399
armez-vous de tout le zèle d'un noble ministère ; devenez
cet ami qui console d'une injustice publique , par la pureté
et la gravité de son témoignage , et ce défenseur intrépide
du mérite , qui prépare son triomphe. Il n'y a pas , dans la
profession des lettres , un plus bel emploi du talent et un
plus beau succès à rechercher.
Un homme ami des talens penchera toujours plus vers
l'indulgence que vers la sévérité , sur-tout à l'égard des
ouvrages contemporains ; il ne critiquera jamais avec toute
sa sagacité , qu'où il a pu louer avec admiration. Mais il se
doit à lui-même , et encore plus au public , de ne louer
que ce qui a réellement du mérite ; un éloge de mauvaise
foi , ou d'une fade complaisance , compromettroit son goût
sans servir à l'ouvrage.
Un article , pour être bien fait , n'a pas besoin de parcourir
toutes ces divisions ; souvent une partie doit prédominer
, et un certain tact l'indique à la fois à l'auteur et au
lecteur. Mais , lorsqu'il les embrasse , il doit les combiner
de manière qu'elles aient de la proportion et de l'accord ;
qu'elles fassent un tout harmonieux ; et ce n'est pas là ce
qu'il y ade moins difficile dans ces compositions .
Le vrai moyen de s'y élever au talent et à l'art qu'elles
exigent , c'est de ne pas les voir comme une tâche dont on
s'est chargé , mais comme des morceaux , où l'on veut attacher
une partie de sa réputation. Il est bon , en les écrivant
, de ne pas les destiner à la seule impression du
moment, de les porter par sa pensée , à l'époque où on ne
lit plus que ce qui est resté supérieur ; où l'on rougiroit
soi-même d'offrir au public des choses au-dessous de soi ;
et c'est pour cela qu'il est utile d'adopter , pendant quelque
temps , ce genre de travail . Alors , on s'en fait une étude ;
on veut s'en faire un mérite ; et on peut parvenir à y
trouver un honorable emploi de son temps .
Mais ce qui donnera sur-tout du prix à ces produc--
tions , ce sera le caractère qui s'y fera reconnoître . Etes-vous
un esprit d'école , qui n'admet rien que ce qui est dans la
manière qu'il a adoptée ? Vous n'inspirerez rien de grand
et d'heureux ; car on reconnoîtra aisément que vous voulez
renfermer les arts dans vos propres bornes . Etes-vous un
homme de parti , qui se prostitue à des louanges , à des critiques
de commande ? On repoussera votre jugement, lors
même que vous auriez échappé à cette affection. Etes-vous
un de ces hommes à paradoxe , pour qui la simple vérité a
perdu ses attraits naturels , ou unde ces esprits envieux et
400 MERCURE DE FRANCE ,
chagrins , qui ne consentent à encenser les morts que pour
leur sacrifier les vivans ? En vain vous vous porterez pour
un censeur original qui voit ce que les autres ne savent pas
saisir , ou pour le défenseur du goût : vos passions pourront
bien donner à quelques-unes de vos pages je ne sais quoi
d'âpre et de mordant , qui pourra les faire citer tant qu'elles
caresseront une malignité toujours trop commune ; mais
vous ne serez jamais de ces critiques qu'on estime , parce
qu'ils éclairent ; qu'on aime, parce qu'on se retrouve et
qu'on se plaît dans leur manière de voir et dé sentir .
L'empire de la critique , comme tout autre , doit être
fondé sur la confiance publique. Qu'elle ne se montre donc
jamais sans ses qualités propres : la sincérité des intentions ,
l'amour du vrai , le goût du beau , et ce besoin des belles
ames de répandre avec abandon tous les plaisirs qu'elles ont
goûtés elles -mêmes dans les productions de l'esprit.
LACRETELLE aine.
Génie du Christianisme , ou Beautés de la Religion Chrétienne
; par François-Auguste de Châteaubriand . Edition
abrégée , à l'usage de la jeunesse. Deux vol. in - 12 . Prix :
5 fr . , et 6 fr. 50 c. par la poste . - A Paris , chez
H. Nicolle et Comp . , libraires , rue des Petits -Augustins ,
nº . 15 ; et chez le Normant.
LORSQUE le Génie du Christianisme parut , quelques
personnes voulurent faire un crime à l'auteur des deux
épisodes qu'il a introduits dans son ouvrage , et dont le
ton passionné s'accordoit peu , suivant elles , avec la gravité
du sujet. Il n'étoit pas difficile de répondre victorieusement
à cette objection , qui ne pouvoit guère être faite de bonne
foi. L'une des principales choses que M. de Châteaubriand
se proposoit dans son ouvrage , c'étoit de prouver que la
religion épure les passions sans les éteindre , qu'elle enri-,
chit et féconde l'imagination , rend plus pathétique et plus
touchant le tableau des fautes et des malheurs des hommes ,
et présente au poète une source inépuisable de beaux sentimens
et de belles pensées . Qu'avoit -il de mieux à faire
pour établir cette vérité d'une manière incontestable , que
de réduire la théorie en pratique , et de donner l'exemple
avec
AOUT 1807 . cen
et
avec le précepte? D'ailleurs , pour se faire lire de ceux à
qui l'ouvrage étoit spécialement destiné , ne falloit-il pas
s'accommoder à leur goût , flatter leur imagination ,
composer en quelque sorte avec la frivolité du siècle ? Depuis
quand est-il défendu de prêter quelques ornemens à
la vérité pour la rendre plus aimable ,Met de chercher à
adoucir la lliiqquueur salutaire qui doit rappeler le malade à
la vie?
Mais si ces épisodes convenoient parfaitement aux gens
du monde, et leur présentoient même d'importantes leçons,
elles n'étoient point de nature à être mises entre les mains
des jeunes élèves , qu'on ne sauroit assez éloigner de tout
ce qui peut seulement leur faire soupçonner l'existence des
passions. Ainsi le Génie du Christianisme , sur lequel la
jeunesse semble particulièrement avoir des droits , et
comme ouvrage religieux et comme modèle de plus d'un
genre d'éloquence , n'existoit point encore pour elle. C'est
pour satisfaire à cet égard aux justes réclamations des
maîtres , que M. de Châteaubriand se détermina il y a
environ deux ans à publier l'Abrégé que nous annonçons
, et que les presses de M. Herhan reproduisent
aujourd'hui avec d'intéressantes corrections. Sans doute
l'auteur dut sentir plus d'une fois les mains paternelles
tomber , quand le desir d'être utile le portoit à mutiler
ainsi son propre ouvrage : il alloit peut-être le dépouiller
de ce qui avoit le plus contribué à son succès. Heureusement
, le Génie du Christianisme a résisté à cette épreuve ,
qui eût été mortelle pour un ouvrage moins solide. S'il a
perdu quelques fleurs , le fond est resté. On doit même
dire que l'ensemble des raisonnemens et des preuves , plus
rapproché dans l'Abrégé , y paroît encore plus frappant.
Ainsi celte édition, qui n'étoit destinée qu'à la jeunesse,
n'est point sans intérêt pour ceux- là mêmes qui ont lu
Touvrage complet.
On déclame beaucoup aujourd'hui contre la critique
ceux qui la défendent répondent que les plus violentes
satires n'ont jamais nui long-temps à un bon ouvrage , et
ont souvent haté son succès . Ce qui est arrivé au Génie
du Christianisme est encore une preuve de cette vérné.
Toutes les critiques qu'on en a faites sont déjà oubliées :
cependant peu de livres en ont essuyé de plus vives. Un
critique a même prétendu qu'il n'avoit pas réussi. Rien
n'est plus aisé , mais aussi, rien n'est plus maladroit que
de nier un succès , parce qu'il nous afllige. Il vaut bien
Ge
5.
402 MERCURE DE FRANCE ,
mieux en faire tout l'honneur à l'esprit de parti , à un
engouement passager , en un mot, à la faveur des circonstances.
Aussi cette petite ruse a-t-elle été plus d'une
fois employée à l'occasion du Génie du Christianisme , et
celad'autantplus àpropos , qu'elle étoit appuyée sur quelque
vraisemblance. Lorsque cet ouvrage parut , les temples
étoient encore déserts; les ministresde la religion , à peine
échappés àde longues persécutions , étoient erranset dispersés.
La cause que défendoit M. de Châteaubriand avoitdonc,
commeil ledit lui-même, le puissant intérêtdu malheur.
Aujourd'hui les temps sont bienchangés. Ungouvernement
réparateur a fermé toutes les plaies ,consolé toutes les infortunes
, et fait perdre aux victimes mêmes jusqu'au souvenir
des mauxqu'elles ont soufferts . Cependant le succès duGénie
du Christianisme ne fait que se confirmer chaque jour : ce
n'étoit donc point aux circonstances seules qu'on devoit
P'attribuer ; et il faut reconnoître , au contraire , qu'à quelqu'époque
qu'il eût été publié , il auroit toujours produit une
vive sensation , et étonné la littérature.
Cequi devoit d'abord entraîner tous les suffrages , forcer
même la prévention et l'envie àquelques éloges , c'est cette
imagination riche et féconde , cette profonde sensibilité ,
cettedouce et touchante mélancolie qui répandent un charme
particulier sur le style de M. de Châteaubriand. Nul n'a
mieux connu les rapports secrets par lesquels les objets
purement physiques se font entendre à nos coeurs , et les
remplissentde vives émotions. Nul ne sait mieux saisir dans
les descriptions les circonstances intéressantes qui frappent
l'imagination du lecteur , et qui mettent l'objet sous ses
yeux. Mais si l'auteur du Génie du Christianisme sait toucher
, émouvoir , passionner même son lecteur , il sait
aussi , quand il le faut, ne répandre qu'avec une sage économie
ces fleurs de l'imagination qui servent à parer la
raison et à la rendre plus persuasive ; et c'est peut-être alors
que son style , orné dans cette juste mesure qu'il n'est donne
qu'aux grands écrivains de connoître , paroît encore plus
pur , plus classique, plus propre à éclaireretà plaire tout
ensemble, à convaincre et à persuader. Il suffit de citer à
ce sujet le livre des Missions. La manière à la fois simple
et touchante dont l'auteur raconte les paisibles exploits des
héros du Christianisme, l'art secret avec lequel il nous associe
, pour ainsi dire , à leurs pieuses expéditions , et nous
fait partager leur zèle et leurs dangers , produit l'intérêt le
plus entraînant , et offre un modèle achevé du style histoAOUT
1807 . 403
'rique. Le pinceau de Tacite décrivant les moeurs vertueuses
des Germains , n'est ni plus éloquent ni plus pur
que celui auquel nous devons letouchant tableau de la république
chrétienne du Paraguay.
こ
J'ai dit que les critiques les plus prévenus avoient consenti
sans trop de peine à reconnoître dans le Génie da
Christianisme une belle imagination , un style plein de
charmeet depoésie : c'étoit peut- être afin d'avoir plus beau
jeu à refuser à l'auteur des qualités plus nécessaires encore
dans un ouvrage où il n'a voulu plaire que pour mieux instruire
et persuader . Cependant , quelle sagacité rare , quelle
raison étendue et profonde n'a-t-il pas fallu joindre à cette
fécondité d'imagination , pour saisir tant de relations admirables
entre les institutions du Christianisme et les besoins de
l'humanité , pour montrer cette religion divine prêtant un
égal appui à la politique et àla morale , donnant un maître
aux rois de la terre, et un appui au foible et à l'orphelin ,
souriant avec bonté aux beaux arts qu'elle ennoblit et qu'elle
inspire; en un mot, réunissant par un noeud sacré tout ce
qui assure la durée , le bonheur et la gloire des Empires .
Si l'on entend par philosophie ce que ce mot signifie en
effet , le véritable amour de la sagesse , l'étude et la connoissance
de l'homme , et de ce qui peut le conduire à la fois au
bonheur et à la vertu , qui a plus droit que M. de Châteaubriand
au titre de philosophe? Plusieurs écrivains en ont
étédécorés pour s'être élevés contre les excès du fanatisme
que la religion condamna toujours , et que personne ne songeoit
à défendre. Mais il est des dévotions populaires , ou , si
Pon veut même , d'innocentes superstitions qu'une raison
orgueilleuse peut regarder avec mépris, mais que la reigion,
plus indulgente , permet sans les consacrer. Aucun
d'eux n'avoit soupçonné qu'en attaquant imprudemment de
ridicules pratiques , ils ne feroient rien pour la raison , et
ôteroient une consolation au malheur , et peut- être à la
morale un appui. Ecoutons à ce sujet M. de Châteaubriand :
Quel homme sensé peut douter que ces usages religieux
> ne tendent à conduire le peuple à la vertu plus sûrement
> peut-être que les lois elles-mêmes ? Aforce de déclamer
>> contre la superstition , on finira par ouvrir la voie à tous
» les crimes. Ce qu'ily aura d'étonnant pour les sophistes ,
> c'est qu'au milieu des maux qu'ils auront causés , ils
>> n'auront pas même la satisfaction de voir le peuple plus
>> incrédule. S'il cesse de soumettre son esprit à la religion ,
> il se fera des opinions monstrueuses. Il sera saisi d'une
CC2
404 MERCURE DE FRANCE ,
> terreur d'autant plus étrange , qu'il n'en connoîtra pas
>> l'objet ; il tremblera dans un cimetière où il aura gravé
» que a mort est un sommeil éternel ; et en affectant de
>>mépriser la Puissance divine , il ira interroger la bohé-
>>mienne , ou chercher sa destinée dans les bigarrures
>> d'une carte. Qui a mieux conny les hommes, qquueellest
ici le véritable philosophe , du défenseur du Christianisme
ou de l'ennemi de la superstition ?
Ily a peu d'années encore qu'on regardoit généralement
la religion comme ennemie par sa nature de tout ce quí tend
à éclairer l'esprit ou à parler à l'imagination. Ceux même
qui révéroient sa sainteté et sa morale , pensoient que son
caractère grave et sévère , favorisoit peu l'essor du génie
poétique. Cette opinion sembloit d'autant plus enracinée ,
qu'elle avoit en sa faveur des autorités imposantes , et remontoit
même à l'époque la plus brillante de notre littérature.
On sait assez que Boileau ne voyoit dans l'Evangile
que pénitence àfaire et tourmens mérités , et qu'il ne concevoit
pas qu'un sujet chrétien pût se prêter à ces ingénieuses
fictions qui font vivre la poésie épique. On ne peut s'empêcher
de s'étonner qu'en défendant avec autant d'érudition
que de goût , la cause des anciens , ce grand critique n'ait
pas songé à remonter à la source des différences qui distinguent
lesdeuxlittératures.Depuis cette époquee,,lamême
dispute se réveilla plus d'une fois. L'esprit de discussion
succédant aux créations du génie , on agita toutes les questions
littéraires , on subtilisa sur toutes les théories ; mais
au milieu de tant de dissertations , personne ne parut soupçonner
que l'influence de la religion chrétienne sur le goût
et sur la littérature , méritât seulement d'être examinée :
enfin , l'ouvrage de M. de Châteaubriand paroît , et aussitôt
il se fait une révolution générale dans l'opinion . On voit le
Christianisme , en prescrivant à l'homme une morale plus
pure et plus austère , en l'éclairant sur la dignité de son
origine et sur ses hautes destinées , agir puissamment sur
les moeurs , donner naissance à des caractères nouveaux et
à des combats de passion plus pathétiques et plus touchans ,
ouvrir ainsi au génie une source féconde des plus hautes
beautés poétiques , et compenser avec avantage ce que l'antique
Mythologie pouvoit offrir de plus favorable aux fictions
et aux caprices de l'imagination. Cette manière neuve
et instructive de présenter la littérature , devoit conduire
l'auteur aux observations les plus intéressantes. N'est-ce pas ,
par exemple , une idée vraiment ingénieuse que celle de
chercher dans les imitations que nos grands poètes ont faites
AOUT 1807 . 405
des anciens , les traits chrétiens qu'ils y ont répandus sans
s'en apercevoir eux-mêmes , et de montrer Voltaire inspiré,.
comme malgré lui , par cette même religion qu'il avoit l'ingratitude
d'outrager , et lui devant ses plus belles créations ?
Mais c'est peu de faire voir comment la religion élève les
conceptions du génie , et lui inspire ses plus hautes pensées..
M. de Châteaubriand va plus loin : il prouve que c'est au
contraire l'incrédulité qui corrompt le goût , fait avorter
les talens , et devient une cause immédiate de dégénération
et de décadence . On trouve tout dans cette discussion;
dialectique vigoureuse et pressante , style rapide et
entraînant , images pleines de noblesse et d'élévation : ce
sont peut-être les plus belles pages que l'auteur ait écrites.
Avec quelle force il nous représente la flétrissante doctrine
de l'athée , rétrécissant le cercle de nos pensées , mettant
des appétits à la place des passions , des ressorts physiques
à la place des lois morales , se perdant dans de vaines subtilités
et de stériles abstractions ; en un mot , tarissant dans
l'ame de l'écrivain la source de l'inspiration et des sentimens.
nobles et tendres , qui sont toute l'éloquence ! Avec quelle
sagacité il découvre , dans les ouvrages de Rousseau et de
Buffon , et dans le caractère différent de leurs styles , l'em--
preinte en bien et en mal de ce qu'ils ont choisi et de ce qu'ils
ont rejeté de la religion ! Montesquieu , dans un ouvrage de
sajeunesse , avoit aussi payé tribut à la corruption de son
siècle : « Mais , dit l'auteur , dans le livre qui l'a placé au
> rang des hommes illustres , il a magnifiquement réparé
>> ses torts , en faisant l'éloge du culte qu'il avoit eu l'im-
>> prudence d'attaquer. La maturité de ses années , et l'inté-
> rêt même de sa gloire , lui firent comprendre que , pour
>> élever un monuinent durable , il falloit en creuser les
>>fondemens dans un sol moins mouvant que la poussière
» de ce monde ; son génie , qui embrassoit tous les temps ,
>> s'est appuyé sur la seule religion à qui tous les temps sont
>>promis. » On ne peut rien citer de plus beau que ces lignes ,
si ce n'est peut-être celles qui terminent le même chapitre :
« On aura beau chercher à ravaler le génie de Bossuet , it
>>aura le sort de cette grande figure d'Homère , qu'on aper-
>>çoit derrière les âges : quelquefois elle est obscurcie par la
>>poussière qu'tın siècle fait en s'écroulant ; mais aussitôt que
>>le nuage s'est dissipé , on voit reparoître la majestueuse
>>figure , qui s'est encore agrandie pour dominer les ruines
>>> nouvelles. » Ya-t-ildans Bossuet même beaucoup d'images
plus hardies , plus imposantes , plus sublimes ?
Le résultat de cette éloquente discussion , c'est que les
3
406 MERCURE DE FRANCE ,
bonnes moeurs sont dépendantes du bon goût , comine le
bon goût des bonnes moeurs , c'est que , quiconque est
insensible au vrai beau , pourroit bien méconnoître aussi
la vertu. Plus on réfléchira sur cette pensée , plus on se convaincra
combien elle est vraie et profonde. En effet , le goût
et la morale sont tous deux analogues à la nature du coeur
humain , et aux sentimens que Dieu lui-même y a gravés .
Les idées d'ordre , de proportion , de décence, qui constituent
l'un, ne sont point d'une autre espèce que celles d'humanité
et de justice sur laquelle l'autre est fondée. La morale a ,
pour nous parler , la voix de la conscience , qui , plus prompte
que la déflexion , nous fait en un moment discerner nos
devoirs; le goût a aussi une conscience qui se fait entendre
aux hommes privilégiés . Plus infaillible que tous les raisonnemens
, elle les éclaire comme par inspiration , et leur
communique rapidement le sentiment du beau , comme
la conscience morale donne à tous les hommes celui du
bien. Ainsi , la morale et le goût non-seulement dérivent
d'un même príncipe , ils se ressemblent encore par la
manière dont ils agissent sur nous , et ne sont , pour ainsi
dire , qu'une même chose , qui , dans la conduite de la vie ,
nous apprend à bien agir , et dans les spéculations de notre
esprit , nous apprend à bien penser .
Mais s'il y a en effet une véritable fraternité entre les
beaux sentimens et les belles pensées , entre la dignité de
Pame et celle du génie , dans quel ouvrage la trouverat-
on plus vivement empreinte que dans le Génie du Christianisme
? Tout y est animé de cette sensibilité vive et pénétrante
, qui semble descendre du coeur de l'écrivain pour entrerdans
celui du lecteur ; et l'on reconnoît presqu'à chaque
page une piété noble et chevaleresque , si l'on ose employer
cette expression , qui touche et élève l'ame. C'est
sur-tout à des beautés de ce genre , qu'il faut attribuer l'enthousiasme
universel que cet ouvrage a inspiré , et qui s'est
presque étendu jusque sur la personne de l'auteur. Les
livres auxquels nous aimons à revenir , sont particulièrement
ceux qui nous font aimer l'écrivain ; ce sont encore
ceux qui nous font sentir ces nobles émotions et cet attendrissement
délicieux que les ames perverties ne connoissent
plus : car , de même que dans la conversation nous ne
trouvons personne aussi spirituel que ceux qui savent nous
rendre aimables , il n'y a point d'écrivain que nous préférions
à celui qui nous donne bonne opinion de nousmêmes.
Cette double observation , fondée sur le coeur
humain , garantit au Génie du Christianisme un succès
AOUT 1807 . 407
durable ; et tout annonce que la postérité confirmera ce
qu'en a dit l'homme le plus capable d'apprécier les beaux
ouvrages , que c'est un monument à jamais mémorable
lamain qui l'éleva , etpourle commencement du dix- pnoeuuvrième siècle.
VARIÉTÉS.
C.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
La distribution générale des prix aux élèves des Ecoles
demédecine et de pharmacie , des Lycées et des Prytanées ,
de l'Ecole de peinture, sculpture et architecture , et du Conservatoire
de musique , a eu lieu le 21 août , dans la grande
salle des séances de l'Institut , à une heure après-midi.
a
La distribution a été faite par S. Ex. le ministre de l'intérieur,
assistédu conseiller-d'Etat vie , directeur-général
de l'instruction publique , et du président de l'Institut.
Avant la distribution , M. Arnault , membre de l'Institut
etde la Légion d'Honneur , chef de la division d'instruction
publique au ministère de l'intérieur , a prononcé le discours
suivant :
<< Messieurs ,
J'ai annoncé que des résultats feroient bientôt ressortir
les avantages du système d'instruction adopté par le gouvernement;
ma prédiction n'a pas été vaine.
Tous les établissemens dont il se compose ont atteint en
peu de temps le plus haut degré de la prospérité. Une
affluence toujours croissante d'élèves succède à celle qui en
sort annuellement pour subvenir aux besoins de toutes les
professions libérales .
Passons rapidement en revue la situation de ces établissemens
.
LeConservatoire de musique, dont les élèves remplissent
les plus brillans orchestres de l'Europe et font l'ornement
duplus magnifique théâtre de la capitale , vient encore de
perfectionner son régime intérieur . Une école complete de
déclamation est ajoutée aux diverses chaires qu'il possède.
Des fonds ont été assignés pour la construction d'une
bibliothèque qui manquoit à sa riche collectionde musique,
laplus complete qui existe.
i
4
400 MERCURE DE FRANCE ,
L'Ecole de peinture n'a éprouvé aucun changement. Chez
elle se sont formés les hommes qui ont relevé la gloire de
l'Ecole française , chez elle se forment ceux qui la soutiendront.
Les succès de cet établissement sont garans de la
bonté de son organisation .
On ne peut rien ajouter à l'organisation des Ecoles de
médecine. Là , sont réunis tous les moyens d'instruction
dans toutes les parties de l'art de guérir. C'est dans nos
hospices civils et militaires , auxbesoins multipliés desquels
ces Ecoles subviennent continuellement , qu'il faut en aller
reconnoître la féconde utilité . Partout la science , l'adresse ,
P'activité des officiers de santé y secondent les intentions bienfaisantes
du père de l'armée , du père du peuple.
Les noms des professeurs qui occupent les diverses chaires
du Collège de France , répondent de la prospérité de cet
établissement , la plus libérale comme la plus ancienne des
institutions académiques ,
L'Ecole polytechnique , assujétie à une discipline plus
sévère , n'en a été que plus féconde en sujets, également
utiles aux arts de la paix et aux travaux de la guerre.
Toutes les Ecoles de droit sont en activité. Plus de trois
mille étudians les fréquentent.
Il n'est pas de ville en France qui ne possède au moins
une Ecole secondaire .
Les Lycées ouverts dans les villes d'Amiens , d'Angers ,
de Toulouse , de Versailles , de Cahors et de Paris ( Lycée
Napoléon ) , portent à trente-cinq le nombre de ces établissemens
, où les hommes autrefois utiles dans les corporations
enseignantes , dans les Universités , dans les Ecoles
centrales , ont retrouvé de l'activité. La capacité , la moralité
, telles ont été les conditions exigées par les inspecteurs
qui stipuloient pour les pères de famille. En effet , ces deux
conditions ne sont pas moins exigibles dans l'instituteur
que dans le magistrat. Qu'il garde donc le silence l'homme
instruit qui auroit été écarté de ce concours ; il ne pourroit
réclamer sans s'accuser ,
Dans les Lycées croissent pour l'honneur des sciences et
des lettres , pour la défense et la gloire de l'Etat , huit mille
élèves , dont trois mille sept cents doivent , en tout ou en
partie ,le bienfait de leur éducation à la munificence impériale.
Par l'étude des langues anciennes et modernes , des
sciences physiques et mathématiques , de l'éloquence et de
Ja morale , là se sont formés tant de sujets , l'espoir de la tribune
, de la ssccèènnee et du barreau ; tant de sujets déjà estimés
dans nos administrations , déjà illustres dans nos armées,
AOUT 1807 . 409
et qui , grace au systèine qui a servi de base à leur éducation
, joignent aux connoissances nécessaires à leur succes ,
dans la profession qu'ils ont embrassée , celles par lesquelles
ils peuvent apprécier le mérite des hommes qui , par une
autre route , tendent à une gloire différente.
Cette disposition des esprits qui , sans détruire l'émulation
entre les hommes de génies divers ; les amèneroit à se
rendre réciproquement plus de justice , n'est pas un des
effets le moins heureux de l'instruction pour ainsi dire mul
țiple donnée dansles Lycées ; et c'est , n'en doutons pas ,
dans l'intention de le fo tifier qu'a été instituée la solennité
qui réunit pour la cinquièine fois toutes les Ecoles spéciales.
En fondant des prix égaux pour les sujets qui se sont le
plus distingués dans létude des sciences , des arts et des
lettres , le régénérateur de la France prouve qu'il honore
d'une estime égale des facultés où le succès ne peut être le
partage. des esprits médiocres ; et que , jaloux de signaler
son règne par tous les genres de gloire , il veut provoquer le
développement de tous les genres de génie .
Abandonnez-vous donc à l'impulsion qui vous domine ,
vous qui dédaignez les professions vulgaires , vous que
tourmentent le besoin de la célébrité et la conscience des
moyens que vous avez pour l'acquérir. La gloire ne vous
échappera pas , si vous en êtes dignes ; par quelque moyen
que vous veuillez être grands , vous le paroîtrez sivous l'êtes ;
le plus illustre de vos contemporains est juste envers vous
comme la postérité.
Cettejustice dont il donne un si éclatant exemple , pourquoi
des hommes que nous estimons tous également , se la
sont-ils refusée entr'eux ? Pourquoi des hommes illustres à
des titres différens se sont- ils long - temps obstinés à prétendre
que c'est à l'art qu'ils professent , à la science qu'ils
cultivent , que devroient appartenir exclusivement la faveur
du prince , l'estime de la génération présente , l'admiration
des siècles ?
Foiblesse ! dont quelques esprits supérieurs n'ont pas été
exempts , et qui a peut-être été l'une des causes de leur
grandeur. Erreur ! qui s'est fait absoudre quelquefois par
ses effets , et qu'alors il a fallu regarder comme une consé
quence et un principe de l'émulation.
Le goût ne suffit pas pour former les hommes supérieurs
dans les sciences et les arts de génie. La passion seule peut
donner la force d'entrer dans ces carrières ingrates et glorieuses
, et de les parcourir en dépit des difficultés dont elles
sont semées ; eh , quelle passion n'est pas exclusive , et ne
tend pas, par cela même , à l'injustice !
4ro MERCURE DE FRANCE ,
- Aux yeux de l'homme qu'une passion domine , tout co
qui n'est pas l'objet de son culte n'y peut être comparé que
pour en faire ressortir l'excellence. Tous les hominages
doivent se rapporter à cet objet de tous ses sacrifices . Mais
cette passion , source des plus injustes dédains , est aussi
celle des efforts les plus généreux. C'est en s'occupant d'un
seul objet avec toutes les forces de leur esprit , que des
hommes ont dépassé les limites qui sembloient assignées
aux forces humaines .
C'étoient des hommes exclusifs que Malebranche et Despréaux.
Sans ce défaut , qui sait s'ils n'eussent pas été détournés
par quelques distractions , des routes par lesquelles
Pun est arrivé au premier rang des poètes , et l'autre au
premier rang des philosophes ?
Quoi qu'il en soit , jeunes gens qui m'écoutez , en imitant
de toutes vos forces les grands homines dans leur constance ,
préservez-vous de toute injurieuse partialité .
Quand vous voudrez apprécier la solidité de la gloire
acquise à des titres qui vous sont étrangers , commencez
par examiner ces titres sous le rapport de l'utilité sur
laquelle ils se fondent , de la difficulté avec laquelle on les
obtient. Ce qui est utile a droit à l'estime ; ce qui est difficile
, à l'étonnement ; la gloire n'est due qu'à ce qui est
utile et difficile tout ensemble.
Au degré de civilisation où nous sommes parvenus ,
n'hésitez pas à ranger parmi les objets de ce genre tout ce
qui étend la supréinatie de notre nation ! Les travaux des
arts y contribueroient - ils moins que ceux des sciences ?
Refuser d'admettre parmi les choses utiles leurs produc-'
tions , sources de tant de plaisir pour un peuple ingénieux
et délicat , ce seroit démentir nos habitudes , qui les classent
journellement parini les choses nécessaires , démentir l'esprit
dans lequel a été organisé ce corps si célèbre en Europe
par la réunion des génies divers dont il se compose , l'Institut
, où des hommes illustrés par des moyens différens
sont appelés au partage du même honneur ; exemple donné
par l'antiquité , qui honoroit d'une égale admiration toutes
les oeuvres du génie ; exemple consacré par les symboles
ingénieux sous lesquels elle enveloppe souvent ses leçons.
Sur le Parnasse régnoit l'égalité la plus parfaite. Point de
droit d'aînesse parmi les Muses : elles formoient un cercle
autour d'Apollon , qui les favorisoit toutes , et n'en préféroit
aucune .
La gloire est acquise sans doute à ce savant qui , par de
longues études , par des veilles multipliées , est parvenu
2004
AOUT 1807. 411
non-seulement à savoir ce qui a été découvert avant lui ,
mais qui , homme de génie , a découvert ce quijusqu'à lui
avoit été ignoré . Exempt d'erreurs , il a corrigé les erreurs
des autres ; il a porté la lumière dans la science dont il a
étendu le domaine ; ce ne sont pas à des objets d'une vaine
curiosité qu'il a appliqué ses recherches ; les résultats de
ses travaux sont consacrés sur-tout par leur utilité; ils ont
créé dans vos manufactures une nouvelle branche d'industrie
, une nouvelle source de richesses pour votre commerce
, pour vos armées de nouveaux moyens de victoire ;
par eux , l'art d'Esculape , celui de Triptolème , promettent
àl'humanité de nouveaux bienfaits . Reconnoissons , dis-je ,
les droits d'un pareil homme à l'admiration universelle ;
mais s'il prétend que cette admiration ne peut être accordée
qu'aux travaux qui la lui obtiennent , vous qui la méritez
aussi par vos succès dans les arts ou dans les lettres , n'hé
sitez pas à lui répondre :
« Vos succès n'effacent pas l'éclat des nôtres. Si les études
qui vous les assurent embrassent plus d'objets que celles
par lesquelles nous nous formons , elles vous donnent pour
vous élever plus d'appuis. Obligé d'étudier tout ce que les
autres ont su , par ces études vous vous êtes approprié le
fruitde tout leur travail. Aussi savant , en entrant dans la
carrière , que Pétoit , quand il en est sorti , le plus savant
deceux qui vous y ont précédé , vous continuez ce que vous
n'avez pas commencé , ce que vous ne pourrez pas finir.
En fait de science , qui peut se flatter de ne rien laisser à
découvrir après lui ? Quoi de plus malheureux dans les
lettres , que de venir après un homme de génie ! Il pose
la limite , il ferme la route. Dans les sciences , c'est tout le
contraire ; il a reculé la borne ; tout le chemin qu'il a parcouru
, il vous l'a frayé ; vous êtes dans votre premier élan
quand il s'arrête ; vous avez votre vie entière pour le
dépasser. >>>>
Pour ê êtremoins multipliées dans leurs objets que celles
qui forment les savans , les études qui font les grands artistes
sont-elles en effet moins longues et moins difficiles ?
Combiende temps n'a-t-il pas usé le crayon , combien de
temps n'a-t- il pas étudié la nature dans le modèle des
ateliers , et mieux encore dans les chefs-d'oeuvre de son
maître, cet élève de Raphaël , dont la main est digne enfin
desaisir lepinceau ? Necontestez pas l'utilité à son art imploré
tous les jours par vos affections les plus douces ; à son
art à qui votre piété demande un père , une mère qui vous
ont été enlevés ; votre tendresse, l'épouse ou l'enfant qu'elle
412 MERCURE DE FRANCE ,
a perdus ; votre reconnoissance un bienfaiteur absent ; votre
admiration le héros , le modèle qu'elle a besoin de contempler
continuellement. Art par qui les rois survivent à leurs
palais , les dieux à leurs temples ; art par qui les grandes
leçons de l'histoire , écrites et lisibles pour l'ignorance même ,
sont transmises à la postérité la plus reculée.
Et ce compositeur qui, dès ses premiers accords , s'empare
de votre ame , y porte à son gré la gaîté ou la tristesse ,
la terreur ou l'attendrissement , et se joue en despote de
toutes vos passions , n'exerceroit-il qu'un art vague et frivole ?
Aussi terrible que Crébillon , aussi tendre que Racine , il a
transporté la tragédie sur la scène lyrique. En donnant
à son art la déclamation pour base , il s'est assuré des
succès indépendans du caprice de la mode , et s'est élevé
au premier rang des poètes dramatiques . Sont-ce donc là
de, succès faciles ? Est-ce sans avoir étudié long-temps la
nature qu'il auroit donné à chaque passion l'accent qui lui
est propre ? Est-ce sans avoir approfondi les lois de l'harmonie
qu'il auroit trouvé ces accords qui réveillent en vous
tout-à-la- fois cette foule d'idées , de sentimens et de sensations
? Est-ce en laissant errer au hasard ses doigts sur la lyre ,
qu'il en obtient ces chants ravissans de mélodie et de vérité ,
et qu'il arrache des cris d'admiration à ses plus obstinés détracteurs
? Nécessaire dans la paix comme dans la guerre ,
au combat , la musique règle et soutient le courage du
brave ; dans nos fêtes , elle entretient et accroît l'alégresse
publique . Celui qui conteste l'utilité d'un tel art , n'ajamais
assisté à une bataille ou à un triomphe.
S'il est une carrière où la gloire semble facile et s'obtienne
chaque jour plus difficilement , c'est sans contredit celle des
lettres , à qui l'on a même contesté leur utilité , que je crois
pourtant inutile de prouver. Jeune homme , qui fondant
votre espoir sur de bonnes études , sur les connoissances
qu'elles vous ont acquises en littérature , en politique , en
histoire , en philosophie ; qui , poussé par je ne sais quel
instinct aveugle , voulez poursuivre la renommée par cette
route trompeuse , qui pour être unie n'en est que plus glissante
, arrêtez un moment ; écoutez : Avec les forces du
talent vous croyez arriver au but ; le géniey parviendroit à
peine. Avec du talent vous espérez capter la faveur du public
; le génie fixeroit à peine son attention. A ces distractions
dans lesquelles les objets les plus graves et les plus
frivoles , les intérêts politiques et les soins de la mode retiennent
presque tous les esprits , s'anit contre vos succès
1
un obstacle toujours croissant.
AOUT 1807. 413
C'est le dégoût qui naît de la satiété.
Cet homme qui sans plaisirs au sein de l'abondance ,
parce qu'il est sans besoins , effleure à peine d'une dent
dédaigneuse les mets les plus recherchés , et croit , par le
mépris avec lequel il les repousse , prouver l'excessive
délicatesse de son goût; cet homme est l'image du public
qui vvaa vous juger.
Cepublic a continuellement sous les yeux les ouvrages
dont le 17º et le 18º siècles ont enrichi notre littérature.
Songez que c'est après Pascal , Rousseau , Montesquieu, que
vous vous annoncerez comme un penseur ; après Corneille,
Racine , Voltaire , que vous vous présenterez comme un
poète. Serez-vous plus sublime que Bossuet ? Serez-vous naif
comme La Fontaine ? Les bibliothèques sont remplies , les
théâtres regorgent de chefs-d'oeuvre. Graces à tant d'hommes
de génie dans tous les genres , l'homme de goût n'a plus
rien à desirer. Il desire pourtant ; et semblable encore à
cet homme dégoûté qui sans appétit n'en fait pas moins
recouvrir sa table , si les ouvrages nouveaux qu'il dédaigne
ne se succèdent pas rapidement , il accuse bientôt de stérilité
cet âge dont la fécondité l'importunoit.
Unouvrage paroît enfin. L'auteur a tenté une route nouvelle
, trouvé de nouvelles ressources dans un genre qui
sembloit épuisé , réveillé l'intérêt par des moyens inconnus :
croyez -vous qu'il obtienne justice de l'universalité de ses
contemporains dont il a varié les plaisirs ? Quelques-uns
àpeine lui feront grace. Ce qu'il regarde comme un mérite ,
lui sera reproché comme un tort par le plus grand nombre.
Comparé aux ouvrages dont il differe , son ouvrage qu'on
eût dédaigné comme une imitation s'il leur eût ressemblé ,
est condanné comme une innovation , parce qu'il ne leur
ressemble pas. Il s'éloigne , dira-t-on , des grands modèles .
Eh , les grands modèles , n'est-ce pas la nature qui les offre ?
La nature ! si féconde en sentimens divers , si variée dans
ses aspects . Eh , n'est-ce pas en l'imitant sous des rapports
qui ont échappé aux maîtres auxquels il succède , que
Phomme de génie peut s'élever et se placer à côté d'eux ?
Quelle différence entre le sort des poètes qui précèdent
un siècle illustre , et celui des poètes qui le suivent ! Il a été
bien plus facile de préparer la gloire de Louis XIV que de
la continuer. Avant ce siècle accablant , quelques beautés
ont obtenu grace pour des ouvrages surchargés de fautes .
Depuis lui , quelques fautes ont suffi pour faire condamner
des ouvrages riches en beautés. Bien qu'il soit reconnu que
Part devienne de jour en jour plus difficile , on devient de
:
L
414 MERCURE DE FRANCE ,
jour en jour plus exigeant ; et la sévérité des juges s'accroît
de la cause même qui semble commander plus d'indulgence.
Cette sévérité dégénéreroit facilement en injustice , si
l'esprit de parti venoit ajouter aux erreurs enfantées par les
préventions littéraires. Alors l'art du critique , toujours
plus facile que celui de l'auteur , car il est plus facile d'indiquer
les défauts d'un ouvrage que de faire un ouvrage même
défectueux , l'art du critique achevéroit d'égarer l'opinion .
Tantôt justifié dans sa rigueur sur laquelle on enchérit , si
elle frappe sur un homme étranger aux intérêts du détracteur
; tantôt accusé de son indifférence pour des productions
vantées , par cela seul qu'elles appartiennent à des
hommes enrôlés sous la bannière de l'apologie , le public
finit par passer de l'incertitude à l'indifférence. Condamnant
d'après les autres , les ouvrages blâmés ; d'après lui-même ,
les ouvrages loués , il finit par croire que le siècle est réellement
déchu : l'erreur s'accrédite. Soit indignation de tantde
partialité , soit doute de leur force , les Muses se taisent. Le
flambeaude la gloire est prêt à s'éteindre sans être consume ;
ladécadence des lettres va s'effectuer , parce qu'elle a été
annoncée, et les nations rivales qui croient déjà saisir le
sceptre que nous n'avons point perdu , nous calomnient en
répétant ce que nous disons de nous-mêmes. Le terme
d'un tel désordre est arrivé. Le génie tutélaire qui nous
a assuré la suprématie dans les parties où l'on croyoit
pouvoir nous la contester , n'a pas perinis qu'on nous la
refusát dans celle où l'on nous l'a toujours cédée. Il sait
qu'il en est de la gloire littéraire comme de la gloire
des armes ; que , différente de celle des sciences et des arts
pour les travaux desquels tous les peuples civilisés sont en
communauté , et qu'ils se partagent en raison de la proportion
dans laquelle ils y contribuent , la gloire des lettres
acquisépardes moyens particuliers à une nation , est essentiellement
nationale; que si les progrès des sciences constatent
la supériorité du siècle, ceux des lettres constatent dans ce
sièclela supériorité de cette nation ; qu'enfin les peuples étant
en rivalité de génie comme dé courage , nous ne devons pas
plus laisser déprimer nos chefs-d'oeuvre que rabaisser nos
victoires.
Déjà les richesses que nous possédons sont remises en
honneur, et des moyens ont été pris pour les accroître.
Les libéralités de la puissance sont prodiguées au génie ,
bien plus stimulé encore par l'estime du prince , bien plus
échauffé par ces prodiges que dix ans de victoires lui laissent
àchanter.
Prodiges de la guerre qui n'ont point interrompu ceux
AOUT 1807 . 415
de la paix ! Pendant que NAPOLÉON achetoit la paix par
tant de dangers , par tant de privations , l'abondance et la
sécurité régnoient dans la capitale qui se décoroit de tous
les côtés de monumens demandés par l'utilité , élevés par
la magnificence. Liés par leurs noms au souvenir des grands
hommes et des grandes actions , de nouvelles promenades
sesont ouvertes , de nouveaux quais ont été construits lelong
du fleuve qui coule sous les arches du pont d'Austerlitz et sur
les fondations de celui d'Jéna;des fontaines font jaillir dans
toutes les places la fraîcheur et la salubrité ; notre colonne
trajane se dresse ; un temple est élevé à l'Honneur ; deux
arcs-de-triomphe , à laGloire ; ce palais queles travaux de
trois siècles què lapuissancede dix rois n'avoient pu que
commencer , le Louvre s'achève ; et c'est d'une cabane qué
sont émanés les décrets qui encombrent Paris des plussuperbes
édifices .
,
Dans cette cabane , tout ce qui est grand , tout ce qui est
ntile a occupé la tête infatigable qui règle les destinées de
la terre, et qui ne peut se délasser du travail que par le
travail même. 1
Croyons que les intérêts de l'instruction publique n'y ont
point été oubliés par ce génie à qui tout est présent , et que
l'organisation définitive qui doit en consolider la prospérité
ya été méditée entre deux victoires. رود
Et quel plus grand bienfait pour la génération présente ,
pour les générations futures , que celui d'une éducation
libérale ! Tel est , j'ose l'affirmer , le dernier présent que
NAPOLEON nous réserve, quel que soit le nom sous lequel
il nous l'accorde. Entre ses mains , les noms , comme les
choses , changent de valeur. Je suis donc loin de partager
l'opinion de ceux qui , sur la foi d'une dénomination antérieurement
employée , concluent que l'instruction seroit
désormais restreinte à la mesure dans laquelle la distribuoit
l'institution que ce nom rappelle; que, réduite presqu'à
l'enseignement des langues mortes , elle ne permettroit
l'étudedes sciences physiques, mathématiques et morales,
quedans la proportion et la direction déterminées pour ce
genre d'étude dans les anciens collégés .
Il est des hommes qui ne peuvent se mouvoir que pour
reculer ; intéressés à donner à l'instruction les étroites limites
de leur science et de leur capacité , ils répètent que ce n'est
pas sans danger que l'on répand les lumières; que l'esprit
de révolte et l'esprit philosophique he sont qu'une même
chose; qu'en conséquence la portion éclairée de la nation
doit , pour l'intérêt du prince , étre aussi peu nombreuse
416 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il est possible ; que les erreurs doivent , pour l'utilité des
gouvernemens , entrer dans une certaine proportion , dans
l'enseignement, qui ne doit pas embrasser toutes les vérités ;
enfinque lanation la plus ignorante est aussi la plus docile.
Ils ne savent donc pas ceux qui parlent ainsi de ce qui
s'est passé , ce qui se passe chez les peuples condamnés à
l'ignorance par la superstition. Fait pour la servitude et non
pour l'obéissance, un peuple ignorant est toujours près de
la révolte. Voit-il autre chose dans le pouvoir sous lequel il
fléchit , qu'un abus de la force , dont il abusera si jamais
les circonstances lui délient les mains? Sait-il ce que c'est que
droits et devoirs ? Conçoit-il les avantages de ces sacrifices
d'une portion de la fortune et de la liberté en faveur de la
société qui nous garantit la conservation du reste ? Non :
la violence seule peut le forcer à concourir au bien common
, comme la terreur à respecter l'ordre social qu'il me
nace sans cesse , parce qu'il ne sait pas de quel intérêt il est
pour tous de conserver. Les lumières se répandent sur le
globe; les arts de la guerre et de la paix s'étendent et se
perfectionnent; les nations policées , en adoptant presque simultanément
les nouvelles découvertes , maintiennent entr'eles
un honorable équilibre : attaché à ses usages par ses
préjugés , le peuple ignorant , seul ne participe pas à tant
d'avantages. Recuté dans la civilisation , parce que seul de
tous les peuples il ne s'y est pas avancé , il s'est rangé luimême
parmi les bêtes féroces , à qui l'homme livre une
guerre interminable , tantôt en haine de leur cruauté , tantôt
endesir de leur dépouille. Que pourra le chef d'un tel
peuple contre les ennemis qui le menacent ? Qu'opposerat-
il à ces armées formidables par le courage , la discipline
et la science militaire ? Une multitude rassemblée au hasard
, dont le fanatisme déchaîne et enchaîne à son gré la
fureur stupide. En vain ce chef sent-il les avantages des
lumières que son peuple dédaigne ; en vain tente-t-ilde l'y
faire participer , ce bienfait lui est reproché comme un
crime. Réprouvé par l'ignorance qu'il a voulu détrôner , il
voit couler à grands flots le sang de ceux qui ont osé conspirer
avec lui la félicité publique ; et des acclamations d'une
joie brutale signalent le triomphe de ce peuple qui se croit
régénéré , parce qu'il est retombé dans labarbarie
Ah! si l'ignorance étoit le plus sûr garant de la docilité
des nations , pourquoi Pierre-le-Grand auroit-il employé
tant de soins et d'efforts pour éclairer la sienne ? II
faut à un grand prince un peuple digne de lui , un peuple
qui , loin de rester en arrière des peuples éclairés, les
devance.
BERT
DEA
AOUT 1807 . 419
devance . L'éducation sur-tout peut nous donner , ou plutôt
nous conserver cet avantage. Education libérale , cuine
nous est donc pas moins assurée par l'intérêt del'EMPEREUR,
que par sa magnanimité ! Voudroit - il compromettre
gloire immense de l'Empire ? Que deviendroit cette gloire,
s'il ne se formoit pour la conserver des hommes aussi forts
que ceux qui l'ont acquise à la France ? Des hommes qui
puissent continuer les héros qui commandent nos armées ,
les sages qui siégent dans nos conseils .
Loin d'avoir rien à redouter de lavigueur de son peuple ,
d'est par cette vigueur même que le prince exécute ces vastes
conceptions qui , faute d'une armée française , eussent passé
pour des rêves du génie .
Le fils de Philippe médite la conquête de l'Asie. Est-ce
parmi les coursiers assouplis par l'esclavage, affoiblis par là
mutilation , qu'il choisit le compagnon de ses fatigues et de
ses victoires ?
Celui dont la vigueur s'étoit fortifiée dans la liberté ,
celui dont la bouche n'avoit jamais été outragée par le frein ,
dont le dos n'avoit été déshonoré par aucun fardeau , futle
seul qu'Alexandre trouva digne de lui.
Indomptable pour des hommes , Bucéphale obéit à un
héros. Les forces avec lesquelles il avoit résisté jusqu'alors ,
tournent au profit du vainqueur qui se l'asservit ; et ces
forces seules pouvoient suffire à une course dont le terme
étoit les bornes du Monde !
Après ce discours , qui a été fréquemment in errompu
par les applaudissemens réitérés de l'assemblée , la distri
bution des prix a eu lieu aux élèves des diverses écoles
spéciales ; nous ferons connoître le procès -verbal de cette
distribution .
Le conservatoire de musique a ensuite, exécuté un
concert , dans lequel il a fait entendre des morceaux choisis ,
et ceux de ses éleves qui avoient été couronnés . Ces élèves
ont été entendus avec le plus vif intérêt , et ont justifié le
suffrage honorable qu'ils ont reçu , par le talent réel qu'ils
ont déployé.>>>
La classe de la langue et de la littérature française
de l'Institut de France , a tenu hier une séance publique et
extraordinaire .
M. François (de Neufchâteau ) y a prononcé l'éloge de
M. de Nivernois , l'un des quarante de l'Académie française ,
honoraire de ceile des inscriptions et belles-lettres , mort
doyen de ces deux compagnies .
M. Delille a récité divers fragunens de son poëme sur les
Dd
48 MERCURE DE FRANCE ,
trois règnes de la nature , et de celui sur la conversation.
Cette séance avoit attiré un concours nombreux et choisi
d'auditeurs. L'éloge de M. de Nivernois et les fragmens
de M. Delille ont été entendus avec beaucoup d'intérêt ,
interrompus et suivis par les plns vifs applaudissemens .
-Le 4 septembre prochain , la classe des beaux-arts de
l'Institut ouvrira le concours pour le grand prix de composition
musicale. Les concurrens doivent être inscrits avant
cette époque au secrétariat de l'Institut.
Le 4septembre , ils s'y rendront à huit heures du matin ,
pour être examinés d'abord sur l'harmonie. Ceux qui d'après
ce premier examen seront admis à conconrir, auront à composer
:
1 °. Un contrepoint double à l'octave et à quatre parties ;
2º. Uncontrepoint double à la douzième et à quatre parties
;
3°. Un contrepoint triple ou quadruple à trois ou quatre
parties;
4°. Une fugue selon les règles sévères à deux ou trois
sujets et à quatre voix ;
5°. Une scène dramatique composée d'un récitatif obligé ,
d'un cantabile , suivi d'un récitatif simple , et terminé par un
air de mouvement.
Les concurrens pourront déployer dans cette scène toutes
les richesses de l'harmonie et de la mélodie , et tout le luxe
d'un orchestre complet .
La section de musique de la classe des beaux-arts donnera
le cantofermo sur lequel seront composées les trois espèces
de contrepoint , en notes rondes .
Les contrepoints et le cantofermo devront être transportés
alternativement à chacuue des parties . La même section
donnera aussi le sujet de la fugue.
Les concurrens pourront accompagner les quatre parties
vocales de la fugue par quatre parties instrumentales.
Le concours devra être terminé le 25 septembre. Pour
concourir , il faut être Français ou naturalisé , et n'avoir pas
plus de trente ans.
Le grand prix donne droit à la pension dans l'école impériale
de France à Rome pendantcinq ans, et il est exécuté
dans la séance publique de la classe des beaux-arts de l'Institut.
-
Le secrétaire perpétuel de la classe des
beaux-arts , JOACHIM LE BRETON.
Outre les prix qu'elle a déjà annoncés , l'Académie
des Jeux floraux a délibéré de donner , le 3 mai 1808 , un
AOUT 1807 . 419
prix extraordinaire , qui sera une branche d'olivier d'argent ,
de même valeur que l'amaranthe , à l'ode ou au poëme qui
aura célébré plus dignement les avantages de la paix de
Tilsit , et la gloire du monarque qui l'a conquise par tant
de victoires. Les ouvrages de ce concours particulier , qui
n'auront pas obtenu le prix extraordinaire , concourront
aussi pour les prix ordinaires , savoir : les odes pour
l'amaranthe; et les poëmes , pour la violette . :
-Madame Cottin , auteur de plusieurs romans qui ont
eu un succès aussi brillant que de mérite , est morte le 25
août des suites d'une maladie longue et douloureuse. Elle
n'étoit âgée que de 34 ans . C'étoit une femme sans prétention
, quoique douée de talens supérieurs. Elle sera longtemps
regrettée par ceux qui l'ont connue particulièrement.
M. Valmont de Bomare , auteur d'un Dictionnaire
d'Histoire naturelle , justement estimé , et qui a été , pendant
une longue suite d'années , à la tête du beau cabinet de Chantilly
, vient de mourir , regretté de toutes les personnes qui
l'ont connu.
- Un monument à la paix s'élève au sein de la ville de
Marseille . Ce grand ouvrage , tout en marbre de Carrare ,
sort du ciseau de M. Chinard , de Lyon , statuaire de
S. M. l'Impératrice , et membre de plusieurs sociétés savantes
.
Voici la description qu'on lit de ce monument dans les
nouvelles publiques :
Une statue de dix pieds de proportion , représente laPaix
occupée à greffer l'olivier sur un vieux tronc de laurier dont
les racines sont immenses . Mercure , dieu du commerce ,
serre les liens des greffes , tandis que l'Agriculture remplit
la corne d'abondance de fruits que la Paix distribue. A ses
pieds sont déposées toutes les armes offensives , en signe de
repos . La déesse est placée sur un piédestal représentant le
temple de Janus , dont les portes sont fermées par la
Victoire. Le monument est couronné par des Génies qui
s'embrassent en enlaçant des faisceaux de palmes , en signe
d'union éternelle.
NOUVELLES POLITIQUES.
Kiel , 18 août.
M. Jackson , envoyé au prince Royal comme négociateur
de l'Angleterre , a porté à Kiel des demandes de cette puissance.
Sans énoncer aucune raison , l'Angleterre exigeoit une
Dd2
430
MERCURE DE FRANCE ,
alliance offensive et défensive. Elle vouloit pour garantie la
remise de la flotte danoise, de la forteresse de Cronenbourg
et de la ville de Copenhague. Le prince Royal a rejeté de
telles propositions avec Findignation qu'elles méritoient.
Il a dit à M. Jackson qu'on ne pouvoit trouver dans l'histoire
un seul exemple d'une attaque aussi odieuse que celle
dont le Danemarck étoit menacé , et quil y auroit plus
de loyauté a espérer des pirates de Barbarie , que du gouvernement
anglais. «Vous proposez votre alliance, a ajouté
ce prince; eh ! ne savons-nous pas ce que c'est que votre
alliance ! Vos alliés , en attendant vainement des secours pendant
une année entière , nous ont appris ce qu'elle vaut. >>
M. Jackson ayant observé que le prince lui parloit bien durement
, S. A. R. a répondu que quand on avoit le courage de
se charger d'une pareille mission , il falloit avoir celui
de tout entendre ; que d'ailleurs , ce qu'il répondoit au ministre
, il le diroit également au roi d'Angleterre s'il étoit
présent. Ce fut après cette audience que le prince Royal partit
pour Copenhague. Il y fut reçu avec un enthousiame général.
Après avoir mis tout en ordre , il jugea à propos de repasser
sur le continent , en confiant au général Peymann les pouvoirs
civils et militaires pour la défense de la capitale. Au
passage du Belt , le bâtiment qui portoit le princeRoyal fut
au moment d'être arrêté par les Anglais.
Le lendemain , le public de la capitale apprit par une
proclamation affichée dans toutes les rues , le départ du
prince Royal. Le même jour , la légation anglaise s'est retirée,
Le corps diplomatique est aussi parti.
Le 13 août , M. Jackson a déclaré que les hostilités alloient
commencer. Dès-lors tout fut en armes , et l'on se prépara à
une vigoureuse défense.
La garnison de Copenhague est de huit mille hommes
detroupes réglées. L'armée est malheureusement sur le continent,
ce qui vient de ce funeste penchant des puissances
du continent de n'avoir de jalousie que contre la France et
de n'en avoir pas contre les Anglais. Mais le gouvernement
trouvera des ressources dans l'immense population de la ville
et dans les sentimens énergiques dont tous les citoyens sont
animés . Il n'y a pas un habitant qui n'ait à la bouche
la réponse faite par S. A. R. à l'agent anglais , lorsque
celui-ci lui dit que l'Angleterre compenseroit avec de l'argent
toutes les pertes que le Danemarck pourroit éprouver. « Et
>> avec quoi, répondit le prince, compenserez-vous l'hon-
>>> neur ? >>
L'attaque a commencé le 16. Toute l'armée est en marche
sur la Fionie.
AOUT 1807 . 421
En réunissant les nobles discours tenus par le prince Royal
dans ces circonstances importantes , on n'a point oublié cette
phrase: « S'il faut que par suite de la trahison des Anglais la
capitale soit prise, je saurai faire cet hiver ce qu'a fait Gustave;
et les glaces du Belt m'offriront un assuré passage. »
Camarades,
N°. I.
PROCLAMATION.
Après avoir mis ordre à tout, autant que les circonstances
et le temps me l'ont permis, je vole à l'armée pour l'employer
le plus promptement possible au salut de mes chers compatriotes
, s'il ne survient bientôt des événemens qui , conformément
à mes voeux , puissent aplanir tout d'une façon honorable
et pacifique.
Copenhague , le 12 août 1807 .
FRÉDÉRIK , prince Royal.
N°. I I.
Glukstact , 16 août 1807 .
১৬
Nous Christian VII , par la grace de Dieu , etc..
Faisons savoir :
L'envoyé britannique Jackson , ayant déclaré le 13 de ce
mois, que les hostilités contre le Danemarck commenceroient,
et ayant demandé enmême temps des passeports pour lui et
sa suite , et par conséquent la guerre entre le Danemarck ot
l'Angleterre devant être regardée comme commencée , nous
exhortons nos fidèles sujets à prendre partout les armes , pour
s'opposer aux projets audacieux de l'ennemi , et détourner sa
violente agression.
En conséquence nous ordonnons par la présente , que tous.
les navires anglais , toutes les propriétés et marchandises
anglaises soient partout séquestrées par les magistrats et autres ,
et notamment par les douaniers, dans quelque lieu , et dans
quelques maios et dépôt qu'elles se trouvent.
Nous voulons en outre que tous les sujets anglais , jusqu'à
ce qu'ils puissent être transportés hors du pays , soient arrêtés
sans exception , comme ennemis de notre royaume et de
notre pays.
Tous les magistrats et autres officiers publics , ainsi que les
subordonnés qu'ils emploient à cette fin , doivent exécuter cet
ordre avec la plus grande sévérité. Il est en outre entendu que
tous les navires et chaloupes anglaises qui approcheroient des
côtes , doivent être considérés et traités comme ennemis.
Nous ordonnons de plus que tous les étrangers suspects
422 MERCURE DE FRANCE ,
soient surveillés avec la plus grande attention , et que les
magistrats , ainsi que leurs subordonnés , s'emploient avec
le plus grand zèle à découvrir le plus tôt possible tous les
espions.
Enfin nous trouvons nécessaire d'ordonner que sous des
peines sévères toute correspondance avec des sujets anglais
cesse entièrement , aussitôt la publication desces présentes ,
et qu'on ne fasse aucun paiement quelconque à eux , ou
pour eux , jusqu'à nouvel ordre.
Nous nous confions , au reste , dans notre juste cause, dans
le courage et dans la fidélité éprouvée de nos bien-aimés
sujets.
Fait à Gluckstadt , le 16 août 1807 .
Signé le baron DE BROKDORFF.
Du 20 août.
J. C. MORITZ .
D'après la dernière dislocation des troupes en Holstein ,
elles vont former une ligne non interrompue depuis Lubeck
jusqu'à l'extrême fronti re du Jutland. On a établi de distance
en distance des petits camps le long de la côte , pour pouvoir
se porter sur tous les points. Les positions les plus importantes
du canal sont également gardées. Frederichsort a été mis en
état de défense, et de l'autre côté de l'embouchure du port
de Kiel , on a établi une batterie de 10 pièces de gros calibre.
On arme des bâtimens qui seront stationnés à l'entrée des
ports du Holstein. La milice est organisée et armée dans tout
le pays ; on a également organisé des gardes-côtes.
La milice en Sélande est forte de 19 bataillons : on en a jeté
quelques-uns dans Copenhague et Cronburg. Il en reste 13
pour protéger l'île , qui seront réunis à la cavalerie et aux
autres corps qui s'y trouvent. Partout se forment des corps
devolontaires; sous peu on aura 50.000 hommes sous les
armes dans le Danemarck et les duchés . Tout est animé de
l'enthousiasme et du courage le plus exalté et de la haine la
plus profonde contre les Anglais.
S. M. le roi se rend à Rendsburg avec tous les ministres et
lesdépartemens.
Patente concernant la guerre survenue entre le Danemarck
et l'Angleterre.
Gottorff , 16 août.
Nous Christian VII , par la grace de Dieu , roi de Danemarck , de
Norwège , des Vandales et des Goths , duc de Sleswick , d'Holstein ,
de Storman et de Ditmarsch , comme aus i d'Oldenbourg , etc. etc.
Atous nos bien-aimés et fidèles sujets faisons savoir par la présen e:
AOUT 1807 . 423
l'am' assadeur anglais Jakoon declaré , le 13 de ce mois , que le hostilites
alloi nt commencer co tre le Da einarck , t en même temps il a
demandé un pas eport pour par ir avec sa site. Dès-lors la guerre en re
le Danemarcket Angleterre est censée avoi éclaté, et tout fidè e sujet
es! r quis par la présente de prendre les armes pour repousser l'audace
violent de l'enne ui. Tout navire ou bâtiment an lais qui approchera de
la côte , doit être traité en cnemi.
On impose à chacun le devoir d'observ r attentivemen , et de dénoncer
aux magis rats tout individu étranger quinspireroit quelque soupçon.
To te lettre de change avec des sujets anglais , et tou paiement à eux
adressé , sont généralement et strictement prohibés par la présente; du
reste, nous nous confions , sous la protection de Dieu , à la just ce de
notre cause , ainsi qu'à la fidélité éprouvée et au courage des s jets de
notre monarchie danoise.
Le résente sera notifiée et affichée entous les lieux publics, fin que
chacun at à s'y conformer. Et pour foi de ce que dessus , nous avons fait
apposer notre sceau royal .
Donné en notre conseil supérieur , à notre château de Gottorff, 'e 16
ποût 1807. Signé, F. C. KRÜCK ; G. PETENSEN.
En conséquence d'un ordre suprême de son altesse royale le prince
Frédéric, endated'aujourd'hui , doanslleeqguel vụ la guerre déclarée entre
le Danemarck et l'Angleterre , il est ordonné à un chacun de prendre les
armes , d'arrêter tout Anglais qui se trouveroit ici ; de mettre en séquestre
toute propriété anglaise qui seroit en ce pays , et tous navires
anglais avec marchandises ou cargaisons , sans avoir gard à qui elles
peuvent appartenir ; et enfin , d'interdire toute correspondance avec la
nation anglaise.
Sur ce , le magistrat fait savoir publiquement qu'il est commandé à tous
et àchacun des habitans de ce lieu , 1º. à dater d'aujourd'hui , de ne point
aliéner ni expédier des propriétés ou marchandises anglaises qu'iis ont
chez eux, soit pour eux-mêmes, soit pour d'autres; 2°. de ne faire aucun
paiement à des anglais ou pour compte anglais ; 3°. de remettre sous
trois jours un état certifié par serment , de toute propriété ou marchandise
anglaise , comme aussi de ce qu'ils redevroient aux Anglais ou pour
compte anglais; 4. de s'abstenir de oute correspondance directe ou indirecte
avec les Anglais. Le magistrat est dans l'attente que chacun en ce
qui le concerne se fera un devoir d'observer ce qui est prescrit , et que
sur-tout chacun dressera son bordereau de manière à ce qu'il soit trouvé
conforme à la vérité , lorsqu'on en fera l'examen per l'inspection des livres
de commerce, L'observationdes mesures qui précèdent , est commandée
sous les peines les plus sévères.
Donné à Kiel par le bourguemestre-conseiller , ce 16 août 1807 .
(Moniteur ).
DANEMARCK.
Copenhague 16 , août.
Les Anglais ont débarqué , le 16 , plusieurs mille hommes
à Webek , trois mille d'ici. Dans ce moment ils occupent le
château de Friderischsberg et les environs de la ville: les faubourgs
sont encore libres. Dans les escarmouches qui ont eu
lieu , nous avons fait quelques prisonniers, et eu un-homme
tué et six blessés.
1
424 MERCURE DE FRANCE ,
LesAnglais ont répandu une proclamation dans laquelle ils
disent qu'ils ne sont pas venus comme ennemis , mais pour
prendre la flotte en dépót. Jusqu'à présent ils paient tout ce
qu'ils prennent.
La flotte de Rugen est arrivée le 16 au soir. Nos chaloupes
canonnières ont déjà pris hier deux transports et brûlé un troi.
sième. Le calme empêche la grande flotte d'approcher : elle
est encore à deux milles.
Nous sommes pleins de confiance; l'esprit qui règne est
excellent.
Le 18 au soir à six heures
Les Anglois fortifient, Friderichsberg qui est à undemimille
d'ici . On estime à 12,000 hommes le nombre de troupes
débarquées ; il y a parmi elles des montagnards d'Ecosse.
Nous sommes bien pourvus de vivres,
Notre commandant Peymann vient de publier la proclamatiou
suivante :
Concitoyens , pour la seconde fois le gouvernement
anglais viole le droit des gens et trouble notre repos. Pour la
seconde fois , nous voyons la capitale surprise de la manière
la plus perfide par une force anglaise. Nos ennemis ont choisi
lemoment où nos frères sont appelés à assurer le repos du pays .
sur les bords de l'Elbe ; mais ils se sont trompés dans le calcul
de nos forces et de nos moyens de défense. Ils ont oublié que
l'esprit de Frédéric repose sur nous et nous anime!!
>> Concitoyens , je dois veiller avec vous et combattre avee
vous pour nos foyers et notre honneur. C'est avec une joie
ravissante queje suis témoin de votre vif amour de la patrie ,
etde votre courage. Vous n'avez pas besoin d'encouragement.
Je suis convaincu que notre cher Prince Royal nous reconnoîtra
, s'il revient au milieu de nous. >>
Donné à la citadelle de Frédéricks Lafen , le 17 août.
Altona , 22 août.
Les habitans de Copenhague sont résolus à se défendre; ils
ont déja brûlé les faubourgs. Les Anglais paroissent fort déconcertés
des préparatifs d'une si vigoureuse défense.
Hambourg , 17 août.
Il n'est venu aucune nouvelle depuis celles qui ont été
annoncées hier. Les ordres du prince Royal contre les Anglais
s'exécutent avec rigueur. On a arrêté à Altona et à Wandsbeck,
près Hambourg , dix-sept Anglais. On a mis les scellés sur
tous les magasins à Altona , et l'on va procéder à l'inventaire
des propristés anglaises.
AOUT 1807. 425
Une consternation générale a régné aujourd'hui à la bourse.
Il ne s'est fait aucune espèce d'affaires. Un seul sentiment
animoit tout le monde : l'indignation contre l'Angleterre.
On est véritablement exaspéré.
Défense expresse est faite de laisser remonter l'Elbe à la
plus petite barque. Sion ne se relâche point de ces mesures
sévères , si les ports danois restent fermés au commerce
anglais , si ces mêmes ports et Altona cessent d'être l'entrepôt
des marchandises anglaises ; si la correspondance arglaise est
forcée de passer par la Suède , il n'y a point de doute que
cette rupture du Danemarck ne se fasse bientôt sentir à
l'Angle erre d'une manière très-fâcheuse pour elle.
Du 22.-D'après les mesures que prennent les Danois , le
commerce anglais va éprouver des pertes considérables et être
totalement suspendu. Comme ils étoient les seuls qui favori
sassent la contrebande et l'introduction des marchandiseś anglaises
dans le nord de l'Allemagne , leur état de guerre avec
les Anglais coupe entièrement la communication entr'eux et
le nord de l'Allemagne,
PARIS, vendredi 28 août
A
L'aide-de-camp du prince de Neuchâtel , M. Delagrange,
est parti le 21 août de Stralsund. Le roi de Suède , après avoir
déclaré qu'il vouloit s'enterrer sous les ruines de Stralsund
a pris la fuite , et a laissé la ville sans capitulation. Les troupes
françaises y sont entrées, et s'en sont emparées; le maréchal
Brune a eu pitié des habitans ; et quoique cette ville eût été
prise sans capitulation , il a ordonné qu'elle fût traitée avec
les plus grands égards .
Le caractère du roi de Suède s'est sur-tout fait remarquer
pendant le siège. Tous les jours il envoyoit faire des prcpositions
plus ridicules les unes que les autres. On lui répondoit
par ce proverbe , que qui trompe une fois , tant pis pour
celui qu'il trompe , mais que qui trompe une seconde fois , tant
pis pour celui qui a trompé ; qu'ayant manqué à l'engagement
pris en son nom par le général Essen , on ne pouvoit
plus se fier à sa parole , et qu'on ne vouloit point entrer en
pourparlers avec lui. Ce prince a pris alors le parti de s'ensbarquer
avec ses troupes et de fuir, laissant la ville à la merci
du vainqueur. Il a prouvé par-là qu'il étoit aussi mauvais
général que mauvais prince. C'est peut-être la première fois
qu'un roi abandonne ainsi ses sujets. Toutefois le continent en
est débarrassé pour toujours. Le roi de Suède ne rentrera plus
enPomeranie.
Nous avons trouvé dans la place 400 pièces de canon.
(Moniteur.)
426 MERCURE DE FRANCE ,
- S. Ex . M. Portalis , ministre des cultes , est mort
mardi matin , dans la soixante- unième année de son âge ,
d'une maladie dont le principe et les progrès n'avo ent
d'abord offert rien d'alarmant. Mardi matin , se sentant
plus foible , il deınanda les derniers sacremens , et il mourut
dans les bras du curé de Saint-Thomas , qui les lui administroit.
M. Portalis fut un avocat distingué au parlemeut
d'Aix , un orateur très-éloquent dans nos assemblées législatives
, un homme d'E at au conseil , un ministre éclairé ,
laborieux , utile et cher au grand inonarque qui l'avoit choisi
dans le rétablissement des cultes et de la morale publique ,
et, ce qui n'est pas moins digne d'éloge , dans toutes les circonstances
de sa vie , il fut toujours bon , toujours simple ;
et toujours un parfaitement honnête homme. Il sera universellement
regretté.
-Les députés de Westphalie , envoyés à Paris auprès du
prince Jérôme , sont :
MM. le comte'de Blumenthal etde Schulembourg , députés
de Magdebourg ;
MM. le comte Dalvensleben , grand- doyen , et de Schulembourg
, députés de la Vieille-Marche ;
MM. le baron de Hagen, conseiller provincial ; Slabenrauch
, conseiller de la régence , députés de la principauté
d'Halberstadt ;
MM. l'abbé Henke , vice-président , député des prélats ;
le comte de Brabeck, député de la noblesse ; le baron de
Plessen , idem; Fein , conseiller de la cour , député du tiersétat,
députés du duché de Brunswick;
MM. le baron de Wendt , grand-prévôt , évêque suffragant;
le comte de Merweld, grand-chanoine; le comte de
Brabeck; le baron de Hammerstein ; Crome , conseiller ;
Silberschlag , président de la régence , députés de la principauté
de Hildesheim ;
MM. le baron de Wink , grand-doyen ; de Bulsche , grand
chanoine; de Horst , conseiller provincial ; de Lins , négociant;
de Hoevel , président de la chambre ; de Pessel , conseiller
, députés de la principauté de Minden;
MM. le baron de Hammerstein , député de la noblesse ;
de Wiederhole , conseiller de justice , députés du comté de
Schauenbourg ;
MM. le baron de Gilsa , grand-écuyer , député des Etats ;
le professeur Robert , idem ; le sénateur Fischer , idem ;
le baron de Heister , conseiller privé ; d'Appel , conseiller
intime , et directeur de la chambre des finances ; Heimbach ,
conseiller de guerre ; de Nademacher , idem ; de Corvey;
AOUT 1807 . 427
هن
de Pessel ( voyez la principauté de Minden ) , députés de
l'électorat de Hesse ;
MM. le grand-doyen , comte de Kerselstadt; le baron de
Staxchausen; Gerken, conseiller député du tiers-état; Holtgreven
, conseiller de la régence pour la ville de Paderborn ,
députés de la principauté de Paderborn.
1
-S. M. l'EMPEREUR ayant communiqué au sénat le mariage
du prince Jérôzne avec la princesse de Wurtemberg, le sénat
a adressé à S. M. le message suivant :
Sire ,
« V. M. I. et R. a bien voulu annoncer au sénat , par un
message , le mariage de son auguste frère , le prince Jérôme ,
avec la princesse Catherine de Wurtemberg.
>> Le sénat, Sire , s'empresse de présenter à V. M. I. et R.
un nouvel hommage de sa gratitude et de son profond respect.
>> La France , Sire , verra avec une satisfaction bien vive , le
jeune prince qui , sur l'Océan et dans les champs de la Silésie ,
amérité de vaincre au nom du plus grand des héros , uni avec
une princesse digne du trône sur lequel la modération des destinées
de l'Europe va élever son auguste frère.
>> Elle recevra avec reconnoissance de V. M. I. et R. , се
nouveau gagede la perpétuité de la plus illustre des dynasties ,
de la tranquillité ducontinent, de la stabilité des institutions
européennes , de la félicité des nations confédérées sous vos
aigles protectrices ; et votre bon et grand peuple , Sire , sera
toujours heureux de tout ce qui pourra ajouter au bonheur
personnel de V. M. »
-Une députation du corps législatif s'est rendue auprès de
S. M. le roi de Westphalie, afin de lui offrir le tribut de ses
voeux pour la prospérité de ses peuples , la félicité de sa
personne , ainsi que celle de son auguste épouse.
Les maires des divers arrondissemens de la capitale
viennent de prévenir leurs administrés , par de nombreuses
affiches , qu'ils doivent faire prendre leurs nouvelles cartes
civiques dans leurs mairies respectives , d'iciau 1 septembre,
afin d'être admisdans les assemblées cantonnales , dont l'ouverture
doit avoir lieu ce jour-là .
Voici l'analyse de l'exposé de la situation de l'Empire , présenté
par S. Ex. le ministre de l'intérieur :
L'exorde du discours de M. Crétet se compose du tableau
général de la France , il y a quinze mois , au moment où les
députés des départemens se séparoient pour retourner dans
leurs foyers. Acette époque l'EMPEREUR sembloit enfin toucher
aumoment de jouir du fruit de ses glorieux travaux ; les
princes de l'Allemagne étoient, pour la plupart, alliés de la
428 MERCURE DE FRANCE ,
:
France ; la Prusse étoit du nombre de ses amis; les différends
avec la Russie avoient été terminés par la signature d'un traité
de paix; la tranquillité au-dehors paroissoit affermie comme
au-dedans ; de nombreuses députations accouroient de toutes
les parties de l'Empire, pour offrir à l'EMPEREUR le tribut de
l'admiration et de la reconnoissance du peuple ; les braves de
l'armée venoient assister aux fêtes ordonnées dans la capitale
pour célébrer leurs victoires ; l'EMPEREUR reportoit toute son
attention sur l'administration intérieure , lorsque l'Angleterre,
habituée à chercher sa sûreté dans le malheur des autres nations
, fit renoncer la Russie aux sentimens pacifiques , scellés
parun traité récent , entraîna la Prusse dans une guerre sans
motif et sans but, contre l'opinion des ministres et peut-être
contre la volonté du roi. Une armée de 130,000 hommes , avide
decombats , commandée par le roi et ses vieux généraux formésà
l'école du grand Frédéric , a été presque détruite dans
une première bataille , et ses débris anéantis dans les rangs des
armées russes. La France, calme et tranquille, pendant que les
orages échatoient sur les contrées lointaines où ils s'étoient
formées , a vu se poursuivre le cours des améliorations intérieures
, commencées dans l'état de paix. L'exécution de la loi
relative au recrutementa enlieu avec plusd'activitéquejamais.
Les contributions ont été ponctuellernent acquittées; les gardes
nationales ont rivalisé de zèle : l'opinion publique a conservé
toute sa pureté;... le gouvernement a été particulièrement
satisfait de la conduite des maires , et S. M. a résolu d'entourer
d'une juste considération cette magistrature paternelle , par.-
laquelle l'action de la puissance arrive à la grande majorité de
ses sujets.
Les legs et donations faits aux hospices se sont élevés , en
1806 , uncapital de 2millions 300 mille francs , et leur dotation
s'est encore accrue par un nouveau bienfait de S. M. ,
d'un capital de 15 millions 600 mille francs. Les victimes de
la guerre maritime ont reçu des indemnités de S. M.
Le gouvernement commence par s'occuper des établissemens
destinés à la repression de la mendicité. L'abbaye de Fontevrault
, les Ursulines de Montpellier, sont préparées pour recevoir
des dépôts des départeinens; celui de Villers- Coterets est
presqu'achevé, et suffira aux besoins de la capitale et des
environs.
Treize mille quatre cents lieues de route ont été entretenues,
réparées ; six mille cent vingt-septroutes principales quipartent
dela capitale, se dirigeantà toutes les frontières de l'Empire ,
ont étéle principal objet des travaux.
Dix-huit fleuves ou rivières principales ont vu leur naviga
AOUT 1807 . 429
tion s'améliorer. Dans le nombre on remarque les travaux exécutés
sur la Loire et sur la Charente.
Quatre ponts ont été achevés pendant le cours de la dernière
campagne, ou sont sur le point de l'être. Dix autres sont
en pleine activité ; on remarque sur-tout ceux de Rouanne
et de Tours.
Dix canaux , presque tous commencés sous ce règne , sont
en activité , et se poursuivent. Celui de l'Ourcq est porté aux
trois quarts d'exécution. Les deux percemens de celui de
Saint- Quentin , qui joint la Seine à l'Escaut , Paris à la Belgique
et à la Hollande, sont effectués ; ils seront achevés dans
dix-huit mois.
Les ports maritimes ont vu aussi des créations nouvelles ;
Anvers recouvre son ancienne gloire et devient un centre de
marine militaire. Pour la première fois , cette partie de l'Escaut
voit flotter des vaisseaux de 74 et de So canons. Quatorze vaisseaux
sont sur le chantier .
Flessingue élargi se trouve en état de recevoir une escadre.
ADunkerque , la jetée de l'ouest est reconstruite. ACalais ,
celles de l'est et de l'ouest sont réparées. A Cherbourg , les deux
môles sont élevés : au milieu des mers la batterie Napoleon ,
couverte de canons , ferme la rade aux vents et à l'ennemi. A
Rochefort , il a été établi un appareil ingénieux pour faire
entrer les vaisseaux de premier rang et sortir à toutes les
marées.
-
L'agriculture a été aussi le constant objet de l'attention du
gouvernement. Les bergeries nationales conservent les
belles races dans toute leur pureté : des bergers seront instruits
dans l'art d'éduquer les troupeaux. - La restauration des
haras est très-avancée. Douze dépôts d'étalons ont été établis ,
et renferment goo animaux du plus beau choix. Le service de
la monte est assuré dans un grand nombre de départemens. Les
écoles vétérinaires prospèrent.
Un code se prépare pour le commerce ; il a pour objet de
remettre en vigueur les lumineuses dispositions des anciennes
ordonnances , en les appropriant au temps présent , en protégeant
la bonne foi et en réprimant le scandale des faillites.
Nos filatures de coton sortent de l'état d'inactivité où elles
étoientil y a vingt mois. Le décret du 22 février leur a rendu la
vie , etmaintenant nos ateliers fabriquent des étoffes que nos
goûts empruntoient à l'industrie étrangère.
L'EMPEREUR a voulu que la capitale , devenue la première
capitale de l'univers, répondît par son aspect à cette glorieuse
destination. A l'une des extrémités , le pont d'Austerlitz est
achevé ; à l'autre , le pont d'Jéna est commencé. La colonne
430 MERCURE DE FRANCE ,
9
de la Grande-Armée s'élève à la place Vendôme ; le monument
Desaixau milieu de celle de la Victoire ; la statue d'Haupoult
ornera la place des Vosges. Le palais du corps législatif s'orne
d'un péristyle dont la majesté annonce le sanctuaire des lois.
Vis-à-vis sera le temple de la Victoire. Au milieu s'élève le
palais du souverain : ainsi , le trône est entre la justice et la
gloire. Les travaux de Sainte-Geneviève avancent , ceux de
Saint-Denis sont presqu'achevés. Plusieurs églises et palais
épiscopaux ont été restaurés dans les départemens. Le tombeau
de Desaix est assis sur le sommet des Alpes Dominant d'un
côté sur la France , de l'autre sur l'Italie , ce tombeau attestera
aux deux pays les honneurs renduspar leur commun libérateur ,
àson compagnon , a son ami , mort au sein de la victoire qui
fixa leur double destinée .
L'école française est occupée à retracer sur le marbre et sur
la toile les époques les plus glorieuses de ce règne.
La guerre a retardé l'établissement d'une université générale;
'EMPEREUR veut encore le perfectionner.
Plusieurs lycées on été organisés cette année; leur nombre
estde trente-cinq; ils renferment huit mille élèves , dont trois
mille sept cents doivent , en tout ou en partie , leur éducation
à la munificence nationale . Les douze écoles de droit sont
ouvertes , et deux mille étudians viennent y puiser la connoissance
des lois .
-
Les opérations relatives à la mesure de l'arc du méridien de
Barcelonne aux îles Baleares ont été reprises et seront continuées
cet hiver. L'observatoire du Panthéon est rétabli; celui
de Turin est rendu à l'astronomie.
L'EMPEREUR desire que les belles-lettres partagent l'impulsiondonnée
à tout ce qui est grand; que la langue française ,
devenue la langue de l'Europe , continue à justifier ce beau
privilége par son élégance , sa pureté et le droit de ses productions
; que l'opinion publique encourage la naissance des talens ,
les protége contre les atteintes du dénigrement et de la malignité
; qu'il n'y ait désormais pas plus de secte parmi les gens
de lettres , qu'il n'y a de parti politique dans l'Etat ; que la
littérature trouve dans l'alliance du goût et de la morale , le
principe de ses succès; que la critique devienne décente pour
être utile;queleshommes appelés à la noble fonction d'éclairer
et d'instruire , dédaignent les suffrages mendiés......
Le gouvernement n'a que de la satisfaction à témoigner en
général aux membres du clergé dans tous les degrés de la hiérarchie.
Il offre pureté de moeurs , piété, tolérance , désintéressement
, application à ses devoirs. Les divers cultes autorisés
vivent dans une union honorable pour leurs ministres.
AOUT 1807 . 431
Les Juifs , conservant le nom français , sont , par le bienfait
de S. M. , rendus dignes de le porter.
Parmi tant d'objets intéressans que présente l'exposé de la
situation de l'Empire , il en est quelques-uns plus remarquables
par leur importance et par la rapidité de leurs succès;
tel est sans doute l'état prospère de nos finances. Les négociations
du trésor , jusque- la si onéreuses , sont maintenant
àun taux modéré , dont aucun temps et aucun gouvernement
n'ont offert d'exemple. La caisse de service facilite , d'une part,
les versemens , fournit , de l'autre , aux particuliers des placemens
sûrs , et déjoue toutes les combinaisons de l'agiotage;
les caisses sont pleines , les paiemens se font à point nommé ;
les effets publics jouissent d'une confiance beaucoup plus
grande que les effets des particuliers. Pour cela aucun impôt
n'a été établi ; l'or ' re et la prévoyance ont tout fait , et cette
incroyable amélioration , une seule année , une année de
guerre a suffi pour l'opérer.
L'orateur , en terminant son discours , se résume ainsi :
<<Plusieurs branches de l'administration perfectionnées , les
finances dans l'état le plus heureux , la France seule , entre
tous les Etats de l'Europe , n'ayant pas de papier- monnaie ,
son commerce , au milieu d'une stagnation inévitable , conservant
toutes ses espérances , et préparant les germes de sa
prospérité future; nos colonies maintenues dans un état qui
doit un jour enrichir la métropole ; les armes de la France
portées , par une suite de succès sans exemple , jusqu'aux
extrémités de l'Europe; son influence s'étendant au-delàdu
Bosphore , et jusqu'au milieu du continentde l'Asie ; le plus
grand ordre , la plus profonde tranquillité régnant dans son
intérieur , lorsque son souverain a été pendant dix mois
éloigné de 600 lieues ; l'Europe soumise ou étonnée , nos
ennemis confondus , l'Angleterre restant seule chargée du
fardeau de la guerre et de la haine des peuples. Telles sont ,
Messieurs , les opérations d'une année , et les espérances de
celle qui va suivre. Ce tableau s'embellira du bien que vous
allez faire , et sans doute vous vous trouverez heureux d'avoir
à concourir à l'accomplissement des voeux d'un souverain qui,
parvenu au plus haut degré de gloire auquel un mortel puisse
arriver , fonde son bonheur sur le bonheur de son peuple , et
n'ambitionne d'autre récompense de tant de pénibles travaux,
de soins infatigables , d'inquiétudes et de danger , que l'amour
de ses sujets et le suffrage de la postérité.>>
Après cette communication intéressante , les applaudissemens
de l'assemblée et des tribunes témoignent combien les
Français sont déjà pénétrés du sentiment de reconnoissance
432 MERCURE DE FRANCE ,
et d'admiration , si bien motivé par tous les faits déve
loppés par S. E. le ministre de l'intérieure
M. le président , dans sa réponse à MM. les orateurs du
gouvernement , exprime une de ces vérités frappantes qui
reçoivent encore plus de force par le talent et l'éloquence
concise de l'orateur . M. Fontanes sait toujours louer dignement
le grand-homme qui s'est placé pour ainsi dire audessus
de tout éloge. Organe du peuple français , comme
chef de ses représentans au corps législatif, il ose parler contre
la guerre à celui qui n'a fait la guerre, que pour conquérir
la paix. Il s'élève en même temps aux graudes considérations
de la philosophie politique. En nommant la guerre
un horrible fléau , il voit aussi qu'elle a quelquefois rapproché
sur le champ de bataille des ennemis faits pour s'entendre
, s'apprécier et se servir mutuellement ; qu'elle remue
fortement les ames par des spectacles extraordinaires , et
développe de grands moyens de prospérité sociale ; mais il
ne faut pas qu'elle pese.long- temps sur les peuples ; et l'orateur
appelle les bénédictions du peuple français sur le grand
prince qui a fini la guerre avant qu'elle soit devenue fatale
aux nations. L
La réponse de M. Fontanes est vivement applaudie , et
T'assemblée en ordonne l'impression à six exemplaires , ainsi
que de l'exposé de S. Ex. le ministre de l'intérieur.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
-
-
DU SAM. 22. -C p. olo c . J. du 22 mars 1807 , Egf bog 9of gof 256
40c gof 30 40c 30c 40c 25c 30c 20c ooc. ooc . occ ooc oofooc ooc
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 88f. ooc oof ooe oof
Act. de la Banque de Fr. 1380f 000of ooc . ouoof. 0000f Dec 0ỌC
DU LUNDI 24. C pour 0/0c. J. du 22 mars 1807 , 9of 9of 3oc 40c 5oc
60c 4pc 30c 60c 50c 75c 6oc ooc oof oof. ooc ooc ooc 000
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , 87f 50c . 5oc . ooc osc
Act. de la Banque de Fr. 1365f 137of 1375f 138 f coc voc.
DU MARDI 25, C. p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 92f 93f gaf 750 93f
oσe oue ooe . ooc ooc ooc ooc . oof ooc ooc coc ooc oof of ooc
Idern. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 90f. cac eof off coc . 6oc de¿
-
Act. de la Banque de Fr. 1430f 1410f 1405f. 1400f 000of
DU MERCREDI 26 — Cp . 0,0 c. J. du 22 mars 807 , 92f 40c 93f30c 50d
oof of oe onc .. moc moc oofo.c. ooc cof noc . of.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , gof 25c . oof. oof ooc ooc ooc
`Act. de la Banque de Fr. 1410f 1405f 2395f 1400f oooof ouc coc
DU JEUDI 27.- € p. o c. J. du 22 mars 1807 , 93 951 25c 40c 20º 93f
oof ooc ooc oco oc ouc ooc ooc ooc doc ooc ooc o`c ooc onc ooc vec
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , 9of gof foc ooc ooc ooc oof ooe
Act . de la Banque de Fr. 1415f. 1417f 50 € 000uf. 000of
DU VENDREdi 28. -
7
C p . ojo c. J. du 22 mars 1807 , 92f 91f 900. gaf
3oc 40c 5oc 4oc 6oc 50c ooc oof ooc ooe oof ooc doc ooc coc oof ooe
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , 89f 50c ooc . oof doc voc
Act. de la Banque de Fr. 1410f 1415f 141af 500
CCCXX. )
(
SAMEDING
SEPTEMBRE
1807.2
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DEPT
DE
LA SEIND
FRAGMENT
D'unpoëme inédit, qui a pour titre : L'ANNÉE CHAMPÊTRE,
Chant du Printemps .
Он ! qu'il est doux , après qu'un long hiver
Nous a glacés , vieillis dans nos tristes demeures,
D'aller au sein des prés , sous un bocage vert ,
Rajeunir ses travaux , sa pensée et ses heures ;
D'épier les détours , les caprices charmans ,
D'entendre les gazouillemens
De ce ruisseau jaseur , qui bondit , qui serpente ,
S'indigne des cailloux qui retardent sa pente ,
Etcache , malgré lui , ses liquides trésors
Sous le cresson touffu qui tapisse ses bords !
Ah! qu'il est doux de voir son onde qui murmure ,
Suivre ces beaux vallons dans leur molle courbure ,
Joindre l'éclat de son cristal
Aux fleurs dont s'embellit sa rive hospitalière ,
Et s'engloutir enfin dans la vaste rivière ,
Qui , richedu tribut de ce jeune vassal ,
Jette un oeil complaisant sur son large canal;
N'occupe son loisir , dans ses courses tranquilles,
t
2
Ee
434 MERCURE DE FRANCE ,
Quede ses bords heureux, de ses riantes îles ;
Voudroit fuir ces cités qui , sous des ponts massifs ,
Ainsi que son orgueil tiennent ses flots captifs ;
Et de leurs fers pompeux s'échappe dans les plaines ,
Où son miroir , ridé par de douces haleines ,
En les réfléchissant , fait mouvoir les bouquets ,
Trembler les bois , les prés , les hameaux , les campagnes ,
Balancer les coteaux , ondoyer les bosquets ,
Et, le soir, se noireit de l'ombre des montagnes !
Comme à l'entour de ces palais ,
De ces châteaux de cire où les libres abeilles
Déposent de leur art les naissantes merveilles ,
On voit avec plaisir leurs escadrons épais
Alonger , essayer sur les cloches poudreuses
Leurs ailes , que l'hiver rendoit si paresseuses ,
Saisir , dans l'aspect du matin ,
Les présages de l'air et sa température ,
Et changeant de projet , d'après leur conjecture ,
Hater ou retarder la moisson douce et pure
De ces sucs printaniers , leur champêtre butin !
Grands Dieux ! à quels transports mon ame s'abandonne,
Lorsqu'au doux bruit des flots , à leurs frémissemens ,
A ce murmure sourd de l'essaim qui bourdonne ,
Se mêlent les mugissemens
De ce boeuf qui , sorti de l'étable profonde ,
Revoit ses chers sillons , qu'il trace et qu'il féconde ;
Lorsqu'à ces vagues bêlemens
Des agneaux dispersés dans leur course inégale ,
Vient s'unir la voix matinale
Du domestique oiseau , roi de la basse-cour ,
Qui célèbre chaque intervalle
Des heures de la nuit et de celles du jour;
Etquand la flute pastorale,
2
Des vallons aux coteaux , des coteaux dans les airs ,
Fait monter à la fois nos voeux et ses concerts !
L'amour, cet attrait invincible ,
Le tourment , le bonheur de tout être sensible ,
Et qui , de l'arbre même échauffant les rameaux ,
Vers ces ormes aimés fait pencher ces ormeaux ,
L'amour natt du printemps. Sa flamme irrésistible
1
1
SEPTEMBRE 1807. 435
Consume de desirs les plus forts animaux.
Dans le tigre, dans l'ours il ressemble à la rage;
Du lion et de l'aigle il double le courage ;
Il produit du cheval les fiers hennissemens :
Tandis que, sous l'abri de la feuille nouvelle ,
Le pigeon , le ramier , l'aimable tourterelle ,
Redoublent leurs soupirs et leurs roucoulemens ;
Jamais alors , jamais , par un accent plus tendre,
Ces murmures d'amour de moi se font entendre ,
Que par ces sons voluptueux
Echappés de ces nids , que la jeune fauvette ,
Pour cacher aux regards sa famille secrète ,
Suspend aux rameaux tortueux.
Son amant suit son vol : aux caresses pressantes
Elle oppose d'abord ses ailes frémissantes ,
Et les coups de son bec , par degrés affoiblis , ..
Sa coquette pudeur , ses refus amollis.
Bientôt elle est vaincue; et , par un doux hommage,
Les baisers se multipliant ,
Du duvet de son cou , sous le bec ondoyant ,
Descendent sur tout son plumage.
Ces oiseaux, que l'on croit de la légèreté
Le modèle ainsi que l'emblême ,
:
Donnent aux animaux , nous donnent à nous-même ,
Des leçons de fidélité.
Chacun d'eux repose enchanté
Auprès de ses petits , sur les frèles demeures
Où l'aquilon jaloux peut troubler ses plaisirs :
Il y trompe le temps , il y charme les heures;
Et, par des airs nouveaux , ranime ses desirs .
Le bois , jadis muet , en devient si sonore ,
Qu'aux siècles de Dodone on croit renaître encore.
Philomèle , chantant ses amoureux ennuis ,
Vient aux concerts des jours associer les nuits ;
Et l'homme , qu'elle enlève aux douceurs de Morphée,
Est surpris que les airs aient aussi leur Orphée.
Par M. DE MURVILLE.
Ee2
430 MERCURE DE FRANCE ,
1
alliance offensive et défensive. Elle vouloit pour garantie la
remise de la flotte danoise , de la forteresse de Cronenbourg
et de la ville de Copenhague. Le prince Royal a rejeté de
telles propositions avec indignation qu'elles méritoient .
Il a dit à . Jackson qu'on ne pouvoit trouver dans l'histoire
un seul exemple d'une attaque aussi odieuse que celle
dont le Danemarck étoit menacé , et quil y auroit plus
de loyauté à espérer des pirates de Barbarie , que du gouvernement
anglais. « Vous proposez votre alliance , a ajouté
ce prince ; eh ! ne savons-nous pas ce que c'est que votre
alliance ! Vos alliés , en attendant vainement des secours pendant
une année entière , nous ont appris ce qu'elle vaut. »
M. Jackson ayant observé que le prince lui parloit bien durement
, S. A. R. a répondu que quand on avoit le courage de
se charger d'une pareille mission , il falloit avoir celui
de tout entendre ; que d'ailleurs , ce qu'il répondoit au ministre
, il le diroit également au roi d'Angleterre s'il étoit
présent. Ce fut après cette audience que le prince Royal partit
pour Copenhague. Il y fut reçu avec un enthousiame général.
Après avoir mis tout en ordre , il jugea à propos de repasser
sur le continent , en confiant au général Peymann les pouvoirs
civils et militaires pour la défense de la capitale. Au
passage du Belt , le bâtiment qui portoit le prince Royal fut
au moment d'être arrêté par les Anglais.
Le lendemain , le public de la capitale apprit par une
proclamation affichée dans toutes les rues , le départ du
prince Royal. Le même jour , la légation anglaise s'est retirée .
Le corps diplomatique est aussi parti.
Le 13 août , M. Jackson a déclaré que les hostilités alloient
commencer. Dès- lors tout fut en armes , et l'on se prépara à
une vigoureuse défense .
La garnison de Copenhague est de huit mille hommes
de troupes réglées. L'armée est malheureusement sur le continent
, ce qui vient de ce funeste penchant des puissances
du continent de n'avoir de jalousie que contre la France et
de n'en avoir pas contre les Anglais . Mais le gouvernement
trouvera des ressources dans l'immense population de la ville
et dans les sentimens énergiques dont tous les citoyens sont
animés. Il n'y a pas un habitant qui n'ait à la bouche
la réponse faite par S. A. R. à l'agent anglais , lorsque
celui-ci lui dit que l'Angleterre compenseroit avec de l'argent
toutes les pertes que le Danemarck pourroit éprouver. « Et
» avec quoi , répondit le prince , compenserez- vous l'hon-
>> neur? >>
L'attaque a commencé le 16. Toute l'armée est en marche
sar la Fionie.
AOUT 1807:
I 421
En réunissant les nobles discours tenus par le prince Royal
dans ces circonstances importantes , on n'a point oublié cette
phrase : « S'il faut que par suite de la trahison des Anglais la
capitale soit prise , je saurai faire cet hiver ce qu'a fait Gustave ;
et les glaces du Belt m'offriront un assuré passage. »>
Camarades ,
N°. I.
PROCLAMATION.
Après avoir mis ordre à tout , autant que les circonstances
et le temps me l'ont permis , je vole à l'armée pour l'employer
le plus promptement possible au salut de mes chers compatriotes
, s'il ne survient bientôt des événemens qui , conformément
à mes voeux , puissent aplanir tout d'une façon honorable
et pacifique.
Copenhague , le 12 août 1807 .
FREDERIK , prince Royal.
No. II.
Glukstast , 16 août 187.
Nous Christian VII , par la grace de Dieu , etc ..
Faisons savoir :
L'envoyé britannique Jackson , ayant déclaré le 13 de ce
mois, que les hostilités contre le Danemarck commenceroient,
et ayant demandé en même temps des passeports pour lui et
sa suite, et par conséquent la guerre entre le Danemarck t
l'Angleterre devant être regardée comme commencée , nous
exhortons nos fidèles sujets à prendre partout les armes , pour
s'opposer aux projets audacieux de l'ennemi , et détourner sa
violente agression .
En conséquence nous ordonnons par la présente , que tous.
les navires anglais , toutes les propriétés et marchandises
anglaises soient partout séquestrées par les magistrats et autres ,
et notamment par les douaniers , dans quelque lieu , et dans
quelques mains et dépôt qu'elles se trouvent.
Nous voulons en outre que tous les sujets anglais , jusqu'à
ce qu'ils puissent être transportés hors du pays , soient arrêtés
sins exception , comme ennemis de notre royaume et de
notre pays.
Tous les magistrats et autres officiers publics , ainsi que les
subordonnés qu'ils emploient à cette fin , doivent exécuter cet
ordre avec la plus grande sévérité. Il est en outre entendu que
tous les navires et chaloupes anglaises qui approcheroient des
côtes , doivent être considérés et traités comme ennemis.
Nous ordonnons de plus que tous les étrangers suspects
422
MERCURE
DE
FRANCE
,
soient surveillés avec la plus grande attention , et que les
magistrats , ainsi que leurs subordonnés , s'emploient avec
le plus grand zèle à découvrir le plus tôt possible tous les
espions.
Enfin nous trouvons nécessaire d'ordonner que sous des
peines sévères toute correspondance avec des sujets anglais
cesse entièrement , aussitôt la publication de ces présentes ,
et qu'on ne fasse aucun paiement quelconque à eux , ou
pour eux , jusqu'à nouvel ordre .
Nous nous confions , au reste , dans notre juste causė , dans
le courage et dans la fidélité éprouvée de nos bien-aimés
sujets.
Fait à Gluckstadt , le 16 août 1807.
Signé le baron DE BROKDORFF.
J. C. MORITZ.
Du 20 août.
D'après la dernière dislocation des troupes en Holstein ,
elles vont former une ligne non interrompue depuis Lubeck
jusqu'à l'extrême fronti re du Jutland. On a établi de distance
en distance des petits camps le long de la côte , pour pouvoir
se porter sur tous les points. Les positions les plus importantes
du canal sont également gardées. Frederichsort a été mis en
état de défense , et de l'autre côté de l'embouchure du port
de Kiel , on a établi une batterie de 10 pièces de gros calibre.
On arme des bâtimens qui seront stationnés à l'entrée des
.peris du Holstein. La milice est organisée et armée dans tout
pays ; on a également organisé des gardes - côtes.
La milice en Sélande est forte de 19 bataillons : on en a jeté
quelques-uns dans Copenhague et Cronburg. Il en reste 13
' pour protéger l'île , qui seront réunis à la cavalerie et aux
autres corps qui s'y trouvent. Partout se forment des corps
de volontaires ; sous peu on aura 50.000 hommes sous les
armes dans le Danemarck et les duchés. Tout est animé de
l'enthousiasme et du courage le plus exalté et de la haine la
plus profonde contre les Anglais.
S. M. le roi se rend à Rendsburg avec tous les ministres et
les départemens.
Patente concernant la guerre survenue entre le Danemarck
et l'Angleterre.
Gottorff , 16 août.
Nus Christian VII , par la grace de Dieu , roi de Danemarck , de
Norwège , des Vandales et des Goths , duc de Sleswick , d'Holstein ,
de Storman et d. Ditmarsch , comme aus i d'Oldenbourg , etc. etc.
A tous nos bien-aimés et fidèles sujets faisons savoir par la présen es
AOUT 1807. 423
1
l'am'assadeur anglais Jack on declaré , le 13 de ce mois , que le hostilites
alloi nt commencer co tre le Da emarck , it en même temps it a
demandé un pas eport pour par ir avec sa site. Dès- lors la guerre en re
le Danemarck et Angleterre est censée avoitéclaté, et tout fidè e sujet
ester quis par la présente de prendre les armes pour repousser l'audace
violent de l'enne . Tout navire ou bâtiment an¸lais qui approchera de
la côte , doit être traité en ensemi.
On impose à chacun le de voir d'observar attentivemen , et de dénoncer
aux magis rats out individu étranger qui inspireroit quelque soupçon.
To te lettre de chan e avec des sujets anglais , et ou paiement à eux
adressé , sont généralement et strictement prohibés par la présente ; du
reste , nons nos confions , sous la protection de Dieu , à la just ce de
notre cause , ainsi qu'à la fidélité éprouvée et au courage des s jets de
notre monarchie danoise.
·
Le résente sera notifiée et affichée en tous les lieux publics , fin que
chacun at à s'y conformer. Et pour foi de ce que dessus , nous avons fait
apposer notre sceau royal.
Donné en notre conseil supérieur , à notre château de Gottorff , e i
août 1807. Signé , F. C. KRÜCK ; G. PETERSEN.
En conséquence d'un ordre suprême de son altesse royale le prince
Frédéric , en date d'aujourd'hui , dans lequel , vụ la guerre déclarée entre
le Danemarck et l'Angleterre , il est ordonné à un chacun de prendre les
armes , d'arrêter tout Anglais qui se trouveroit ici ; de mettre en séquestre
toute propriété anglaise qui seroit en ce pays , et tous navires
anglais avec marchandises ou cargaisons , sans avoir égard à qui elles
peuvent appartenir ; et enfin , d'interdire toute correspondance avec la
nation anglaise.
Sur ce , le magistrat fait savoir publiquement qu'il est commandé à tous
et à chacun des habitans de ce lieu , 1º . à dater d'aujourd'hui , de ne point
aliéner ni expédier des propriétés ou marchandises anglaises qu'fis ont
chez eux , soit pour eux-mêmes , soit pour d'autres ; 2° . de ne faire aucun
paiement à des anglais ou pour compte anglais ; 3° . de remettre sous
trois jours un état certifié par serment , de toute propriété ou marchandise
anglaise , comme aussi de ce qu'ils redevroient aux Anglais ou pour
compte anglais ; 4° . de s'abstenir de oute correspondance directe ou indirecte
avec les Anglais . Le magistrat est dans l'attente que chacun en ce
qui le concerne se fera un devoir d'observer ce qui est prescrit , et que
sur-tout chacun dressera son bordereau de manière à ce qu'il soit trouvé
conforme à la vérité , lorsqu'on en fera l'examen per l'inspection des livres
de commerce. L'observation des mesures qui précèdent , est commandée
aous les peines les plus sévères .
Donné à Kiel par le bourguemestre- conseiller , ce 16 août 1807 .
( Moniteur ).
DANEMARCK.
Copenhague 16 , août .
Les Anglais ont débarqué, le 16 , plusieurs mille hommes
à Webek , trois mille d'ici. Dans ce moment ils occupent le
château de Friderischsberg et les environs de la ville : les faubourgs
sont encore libres. Dans les escarmouches qui ont eu
lieu , nous avons fait quelques prisonniers , et eu un homme
tué et six blessés.
1
424 MERCURE DE FRANCE ,
•
Les Anglais ont répandu uue proclamation dans laquelle ilg
disent qu'ils ne sont pas venus comme ennemis , mais pour
prendre la flotte en dépôt. Jusqu'à présent ils paient tout ce
qu'ils prennent.
La flotte de Rugen est arrivée le 16 au soir. Nos chaloupes
canonnieres ont déjà pris hier deux transports et brûlé un troi,
sième. Le calme empêche la grande flotte d'approcher : elle
est encore à deux milles.
Nous sommes pleins de confiance ; l'esprit qui règne est
excellent.
Le 18 au soir à six heures
Les Anglois fortifient Friderichsberg qui est à un demimille
d'ici. On estime à 12,000 hommes le nombre de troupes,
débarquées ; il y a parmi elles des montagnards d'Ecosse.
Nous sommes bien pourvus de vivres,
Notre commandant Peymann vient de publier la proclama
tiou suivante :
Concitoyens , pour la seconde fois le gouvernement
anglais viole le droit des gens et trouble notre repos. Pour la
seconde fois , nous voyons la capitale surprise de la manière
la plus perfide par une force anglaise . Nos ennemis ont choisi
le moment où nos frères sont appelés à assurer le repos du pays
sur les bords de l'Elbe ; mais ils se sont trompés dans le calcul
de nos forces et de nos moyens de défense . Ils ont oublié que
l'esprit de Frédéric repose sur nous et nous anime !!
» Concitoyens , je dois veiller avec vous et combattre avce
vous pour nos foyers el notre honneur. C'est avec une joie.
ravissante que je suis témoin de votre vif amour de la patrie ,
et de votre courage. Vous n'avez pas besoin d'encouragement.
Je suis convaincu que notre cher Prince Royal nous reconnoîtra
, s'il revient au milieu de nous. »
Donné à la citadelle de Frédéricks Lafen , le 17 août.
Altona , 22 août.
Les habitans de Copenhague sont résolus à se défendre ; ils
ont déja brûlé les faubourgs . Les Anglais paroissent fort déconcertés
des préparatifs d'une si vigoureuse défense.
Hambourg , 17 août.
Il n'est venu aucune nouvelle depuis celles qui ont été
annoncées hier. Les ordres du prince Royal contre les Anglais
s'exécutent avec rigueur. On a arrêté à Altona et à Wandsbeck,
pres Hambourg , dix-sept Anglais. On a mis les scellés sur
tous les magasins à Altona , et l'on va procéder à l'inventaire
des proprietés anglaises
A OUT 1807.
425
Une consternation générale a régné aujourd'hui à la bourse ,
Il ne s'est fait aucune espèce d'affaires. Un seul sentiment
animoit tout le monde : l'indignation contre l'Angleterre.
On est véritablement exaspéré .
Défense expresse est faite de laisser remonter l'Elbe à la
plus petite barque . Si on ne se relâche point de ces mesures
sévères , si les ports danois restent fermés au commerce
anglais , si ces mêmes ports et Altona cessent d'être l'entrepôt
des marchandises anglaises ; si la correspondance ar glaise est
forcée de passer par la Suède , il n'y a point de doute que
cette rupture du Danemarck ne se fasse bientôt sentir à
l'Angle erre d'une manière très - fâcheuse pour elle.
Du 22. D'après les mesures que prennent les Danois , le
commerce anglais va éprouver des pertes considérables et être
totalement suspendu. Comme ils étoient les seuls qui favori
sassent la contrebande et l'introduction des marchandises anglaises
dans le nord de l'Allemagne , leur état de guerre avec
les Anglais coupe entièrement la communication entr'eux et
le nord de l'Allemagne,
PARIS , vendredi 28 août
1
L'aide-de camp du prince de Neuchâtel , M. Delagrange,
est parti le 21 août de Stralsund. Le roi de Suède , après avoir
déclaré qu'il vouloit s'enterrer sous les ruines de Stralsund
a pris la fuite , et a laissé la ville sans capitulation . Les troupes
françaises y sont entrées , et s'en sont euparées ; le maréchal
Brune a eu pitié des habitans ; et quoique cette ville eût été
prise sans capitulation , il a ordonné qu'elle fût traitée avec
les plus grands égards.
Le caractère du roi de Suède s'est sur- tout fait remarquer
pendant le siége. Tous les jours il envoyoit faire des prcpositions
plus ridicules les unes que les autres. On lui répondoit
par ce proverbe , que qui trompe une fois , tant pis pour
celui qu'il trompe , mais que qui trompe une seconde fois , tant
pis pour celui qui a trompe ; qu'ayant manqué à l'engage
ment pris en son nom par le général Essen , on ne pouvoit
plus se fier à sa parole , et qu'on ne vouloit point entrer en
pourparlers avec lui. Ce prince a pris alors le parti de s'enbarquer
avec ses troupes et de fuir , laissant la ville à la merci
du vainqueur. Il a prouvé par-là qu'il étoit aussi mauvais
général que mauvais prince . C'est peut- être la première fois
qu'un roi abandonne ainsi ses sujets . Toutefois le continent en
est débarrassé pour toujours. Le roi de Suède ne rentrera plus,
Pomeranie. en
Nous avons trouvé dans la place 400 pièces de canon .
( Moniteur. )
426 MERCURE DE FRANCE ,
--
S. Ex. M. Portalis , ministre des cultes , est mort
mardi matin , dans la soixante- unième année de son âge ,
d'une maladie dont le principe et les progrès n'avo ent
d'abord offert rien d'alarmant . Mardi matin , se sentant
plus foible , il demanda les derniers sacremens , et il mourut
dans les bras du curé de Saint-Thomas , qui les lui administroit.
M. Portalis fut un avocat distingué au parlemeut
d'Aix , un orateur trè -éloquent dans nos assemblées législatives
, un homme d'Etat au conseil , un ministre éclairé
laborieux , utile et cher au grand monarque qui l'avoit choisi
dans le rétablissement des cultes et de la morale publique
et , ce qui n'est pas moins digne d'éloge , dans toutes les circonstances
de sa vie , il fut toujours bon , toujours simple ;
et toujours un parfaitement honnête homme. Il sera universellement
regretté .
-Les députés de Westphalie , envoyés à Paris auprès du
prince Jérôme , sont :
MM . le comte de Blumenthal et de Schulembourg , députés
de Magdebourg ;
MM. le comte Dalvensleben , grand- doyen , et de Schulembourg
, députés de la Vieille - Marche ;
MM. le baron de Hagen , conseiller provincial ; Slabenrauch
, conseiller de la régence , députés de la principauté
d'Halberstadt ;
MM. l'abbé Henke , vice- président , député des prélats ;
le comte de Brabeck , député de la noblesse ; le baron de
Plessen , idem ; Fein , conseiller de la cour , député du tiersétat
, députés du duché de Brunswick ;
MM. le baron de Wendt , grand-prévôt , évêque suffragant
; le comte de Merweld , grand- chanoine ; le comte de
Brabeck ; le baron de Hammerstein ; Crome , conseiller ;
Silberschlag , président de la régence , députés de la principauté
de Hildesheim ;
MM. le baron de Wink , grand- doyen ; de Bulsche , grand
chanoine ; de Horst , conseiller provincial ; de Lins , négociant
; de Hoevel , président de la chambre ; de Pessel , conseiller
, députés de la principauté de Minden ;
MM . le baron de Hammerstein , député de la noblesse ;
de Wiederhole , conseiller de justice , députés du comté de
Schauenbourg ;
MM. le baron de Gilsa , grand- écuyer , député des Etats ;
le professeur Robert , idem ; le sénateur Fischer , idem ;
le baron de Heister , conseiller privé ; d'Appel , conseiller
intime , et directeur de la chambre des finances ; Heimbach
conseiller de guerre ; de Nademacher , idem ; de Corvey ;
AOUT 1807. 427
de Pessel ( voyez la principauté de Minden ) , députés de
l'électorat de Hesse ;
MM . le grand -doyen , comte de Kerselstadt ; le baron de
Staxchausen ; Gerken , conseiller député du tiers- état ; Holtgreven
, conseiller de la régence pour la ville de Paderborn ,
députés de la principauté de Paderborn.
S. M. I'EMPEREUR ayant cominuniqué au sénat le mariage
du prince Jérône avec la princesse de Wurtemberg , le sénat
a adressé à S. M. le message suivant :
Sire
་ V. M. I. et R. a bien voulu annoncer au sénat , par un
message , le mariage de son auguste frère , le prince Jérôme ,
avec la princesse Catherine de Wurtemberg.
le
» Le sénat , Sire , s'empresse de présenter à V. M. I. et R.
un nouvel hommage de sa gratitude et de son profond respect.
» La France , Sire , verra avec une satisfaction bien vive ,
jeune prince qui , sur l'Océan et dans les champs de la Silésie ,
a mérité de vaincre au nom du plus grand des héros ,
uni avec
une princesse digne du trône sur lequel la modération des destinées
de l'Europe va élever son auguste frère.
» Elle recevra avec reconnoissance de V. M. I. et R. , ce
nouveau gage de la perpétuité de la plus illustre des dynasties ,
de la tranquillité du continent , de la stabilité des institutions
européennes , de la félicité des nations confédérées sous vos
aigles protectrices ; et votre bon et grand peuple , Sire , sera
toujours heureux de tout ce qui pourra ajouter au bonheur
personnel de V. M. »
- Une députation du corps législatif s'est rendue auprès de
S. M. le roi de Westphalie, afin de lui offrir le tribut de ses
voeux pour la prospérité de ses peuples , la félicité de sa
personne , ainsi que celle de son auguste épouse.
--
Les maires des divers arrondissemens de la capitale
viennent de prévenir leurs administrés , par de nombreuses
affiches , qu'ils doivent faire prendre leurs nouvelles cartes
civiques dans leurs mairies respectives , d'ici au 1 septembre,
afin d'être admis dans les assemblées cantonnales , dont l'ouverture
doit avoir lieu ce jour-là .
Voici l'analyse de l'exposé de la situation de l'Empire , présenté
par S. Ex. le ministre de l'intérieur :
L'exorde du discours de M. Crétet se compose du tableau
général de la France , il y a quinze mois , au moment où les
députés des départemens se séparoient pour retourner dans
leurs foyers. A cette époque l'EMPEREUR sembloit enfin toucher
au moment de jouir du fruit de ses glorieux travaux ; les
princes de l'Allemagne étoient , pour la plupart, alliés de la
428 MERCURE DE FRANCE ,
France; la Prusse étoit du nombre de ses amis ; les différends
avec la Russie avoient été terminés par la signature d'un traité
de paix ; la tranquillité au-dehors paroissoit affermie comme
au- dedans ; de nombreuses députations accouroient de toutes
les parties de l'Empire , pour offrir à l'EMPEREUR le tribut de
l'admiration et de la reconnoissance du peuple ; les braves de
l'armée venoient assister aux fêtes ordonnées dans la capitale
pour célébrer leurs victoires ; l'EMPEREUR reportoit toute son
attention sur l'administration intérieure , lorsque l'Angleterre,
habituée à chercher sa sûreté dans le malheur des autres nations
, fit renoncer la Russie aux sentimens pacifiques , scellés
par un traité récent , entraîna la Prusse dans une guerre sans
motif et sans but , contre l'opinion des ministres et peut - être
contre la volonté du roi. Une armée de 130,000 hommes , avide
de combats , commandée par le roi et ses vieux généraux formés
à l'école du grand Frédéric , a été presque détruite dans
une première bataille , et ses débris anéantis dans les rangs des
armées russes . La France, calme et tranquille , pendant que les
orages éclatoient sur les contrées lointaines où ils s'étoient
formées , a vu se poursuivre le cours des améliorations inté→
rieures , commencées dans l'état de paix . L'exécution de la loi
relative au recrutement a eu lieu avec plus d'activité que jamais.
Les contributions ont été ponctuellernent acquittées ; les gardes
nationales ont rivalisé de zèle : l'opinion publique a conservé
toute sa pureté ; ... le gouvernement a été particulièrement
satisfait de la conduite des maires , et S. M. a résolu d'entourer
d'une juste considéra ion cette magistrature paternelle , par
laquelle l'action de la puissance arrive à la grande majorité de
ses sujets.
J
Les legs et donations faits aux hospices se sont élevés , en
1806 , un capital de 2 millions 300 mille francs , et leur dotation
s'est encore accrue par un nouveau bienfait de S. M.
d'un capital de 15 millions 600 mille francs. Les victimes de
guerre maritime ont reçu des indemnités de S. M. la
"
Le gouvernement commence par s'occuper des établissemens
destinés à la repression de la mendicité. L'abbaye de Fontevrault
, les Ursulines de Montpellier, sont préparées pour rece→
voir des dépôts des départemens ; celui de Villers - Coterets est
presqu'achevé , et suffira aux besoins de la capitale et des
environs .
Treize mille quatre cents lieues de route ont été entretenues ,
réparées ; six mille cent vingt-sept routes principales qui partent
de la capitale , se dirigeant à toutes les frontières de l'Empire ,
ont été le principal objet des travaux.
Dix-huit fleuves ou rivières principales ont vu leur navigaAOUT
1807 . 429
tion s'améliorer . Dans le nombre on remarque les travaux exécutés
sur la Loire et sur la Charente.
Quatre ponts ont été achevés pendant le cours de la derniere
campagne , ou sont sur le point de l'être. Dix autres sont
en pleine activité; on remarque sur - tout ceux , de Rouanne
et de Tours.
Dix canaux , presque tous commencés sous ce règne , sont
en activité , et se poursuivent. Celui de l'Ourcq est porté aux
trois quarts d'exécution. Les deux percemens de celui de
Saint- Quentin , qui joint la Seine à l'Escaut , Paris à la Belgique
et à la Hollande , sont effectués ; ils seront achevés dans
dix-huit mois.
Les ports maritimes ont vu aussi des créations nouvelles ;
Anvers recouvre son ancienne gloire et devient un centre de
marine militaire. Pour la première fois , cette partie de l'Escaut
voit flotter des vaisseaux de 74 et de 80 canons. Quatorze vaisseaux
sont sur le chantier .
Flessingue élargi se trouve en état de recevoir une escadre.
A Dunkerque , la jetée de l'ouest est reconstruite. A Calais ,
celles de l'est et de l'ouest sont réparées. A Cherbourg , les deux
môles sont élevés au milieu des mers la batterie Napoleon ,
couverte de canons , ferme la rade aux vents et à l'ennemi . A
Rochefort , il a été établi un appareil ingénieux pour faire
entrer les vaisseaux de premier rang et sortir à toutes les
marées.
-
L'agriculture a été aussi le constant objet de l'attention du
gouvernement. Les bergeries nationales conservent les
belles races dans toute leur pureté : des bergers seront instrui's
dans l'art d'éduquer les troupeaux. La restauration des
haras est très-avancée. Douze dépôts d'étalons ont été établis ,
et renferment 900 animaux du plus beau choix. Le service de
la monte est assuré dans un grand nombre de départemens . Les
écoles vétérinaires prospèrent.
Un code se prépare pour le commerce ; il a pour objet de
remettre en vigueur les lumineuses dispositions des anciennes
ordonnances , en les appropriant au temps présent , en protégeant
la bonne foi et en réprimant le scandale des faillites.
Nos filatures de coton sortent de l'état d'inactivité où elles
étoient il y a vingt mois . Le décret du 22 février leer a rendu la
vie , et maintenant nos ateliers fabriquent des étoffes que nos
goûts empruntoient à l'industrie étrangère.
L'EMPEREUR a voulu que la capitale , devenue la première
capitale de l'univers , répondît par son aspect à cette glorieuse
destination . A l'une des extrémités , le pont d'Austerlitz est
achevé ; à l'autre , le pont d'Jéna est commencé. La colonne
430 MERCURE DE FRANCE ,
de la Grande-Armée s'élève à la place Vendôme ; le monument
Desaix au milieu de celle de la Victoire ; la statue d'Haupoult
ornera la place des Vosges. Le palais du corps législatif s'orne
d'un péristyle dont la majesté annonce le sanctuaire des lois.
Vis-à -vis sera le temple de la Victoire . Au milieu s'élève le
palais du souverain : ainsi , le trône est entre la justice et la
gloire. Les travaux de Sainte- Geneviève avancent , ceux de
Saint- Denis sont presqu'achevés. Plusieurs églises et palais
épiscopaux ont été restaurés dans les départemens. Le tombeau
de Desaix est assis sur le sommet des Alpes Dominant d'un
côté sur la France , de l'autre sur l'Italie , ce tombeau attestera
aux deux
pays les honneurs rendus par leur commun libérateur ,
à son compagnon , a son ami , mort au sein de la victoire qui
fixa leur double destinée.
L'école française est occupée à retracer sur le marbre et sur
· la toile les époques les plus glorieuses de ce règne .
La guerre a retardé l'établissement d'une université générale;
l'EMPEREUR veut encore le perfectionner.
Plusieurs lycées on été organisés cette année ; leur nombre
est de trente-cinq ; ils renferment huit mille élèves , dont trois
mille sept cents doivent , en tout ou en partie , leur éducation
à la munificence nationale. Les douze écoles de droit sont
ouvertes , et deux mille étudians viennent y puiser la connoissance
des lois.
-
Les opérations relatives à la mesure de l'arc du méridien de
Barcelonne aux îles Baléares ont été reprises et seront continuées
cet hiver. L'observatoire du Panthéon est rétabli ; celui
de Turin est rendu à l'astronomie.
L'EMPEREUR desire que les belles-lettres partagent l'impulsion
donnée à tout ce qui est graud ; que la langue française ,
devenue la langue de l'Europe , continue à justifier ce beau
privilége par son élégance , sa pureté et le droit de ses productions
; que l'opinion publique encourage la naissance des talens ,
les protége contre les atteintes du dénigrement et de la malignité
; qu'il n'y ait désormais pas plus de secte parmi les gens
de lettres , qu'il n'y a de parti politique dans l'Etat ; que la
littérature trouve dans l'alliance du goût et de la morale , le
principe de ses succès ; que la critique devienne décente pour
être utile ; que les hommes appelés à la noble fonction d'éclairer
et d'instruire , dédaignent les suffrages mendiés ......
Le gouvernement n'a que de la satisfaction à témoigner en
général aux membres du clergé dans tous les degrés de la hiérarchie.
Il offre pureté de moeurs , piété , tolerance , désin'éressement
, application à ses devoirs. Les divers cultes autorisés
vivent dans une union honorable pour leurs ministres .
AOUT 1807 . 431
Les Juifs , conservant le nom français , sont , par le bienfait
de S. M. , rendus dignes de le porter.
Parmi tant d'objets intéressans que présente l'exposé de la
situation de l'Empire , il en est quelques-uns plus remarquables
par leur importance et par la rapidité de leurs succès;
tel est sans doute l'état prospère de nos finances. Les négociations
du trésor , jusque- là si onéreuses , sont maintenant
à un taux modéré , dont aucun temps et aucun gouvernement
n'ont offert d'exemple. La caisse de service facilite , d'une part,
les versemens , fornit , de l'autre , aux particuliers des placemens
sûrs , et déjoue toutes les combinaisons de l'agiotage ;
les caisses sont pleines , les paiemens se font à point nommé ;
les effets publics jouissent d'une confiance beaucoup plus
grande que les effets des particuliers. Pour cela aucun impôt
n'a été établi ; l'or ' re et la prévoyance ont tout fait , et cette
incroyable amélioration , une seule année , une année de
guerre a suffi pour l'opérer.
L'orateur , en terminant son discours , se résume ainsi :
« Plusieurs branches de l'administration perfectionnées , les
finances dans l'état le plus heureux , la France seule , entre
tous les Etats de l'Europe , n'ayant pas de papier - monnaie ,
son commerce , au milieu d'une stagnation inévitable , conservant
toutes ses espérances , et préparant les germes de sa
prospérité future ; nos colonies maintenues dans un état qui
doit un jour enrichir la métropole ; les armes de la France
portées , par une suite de succes sans exemple , jusqu'aux
extrémités de l'Europe ; son influence s'étendant au - delà du
Bosphore, et jusqu'au inilieu du continent de l'Asie ; le plus
grand ordre , la plus profonde tranquillité régnant dans son
intérieur , lorsque son souverain a été pendant dix mois
éloigné de 600 lieues ; l'Europe soumise ou étonnée , nos
ennemis confondus , l'Angleterre restant seule chargée du
fardeau de la guerre et de la haine des peuples. Telles sont ,
Messieurs , les opérations d'une année , et les espérances de
celle qui va suivre. Ce tableau s'embellira du bien que vous
allez faire , et sans doute vous vous trouverez heureux d'avoir
à concourir à l'accomplissement des voeux d'un souverain qui ,
parvenu au plus haut degré de gloire auquel un mortel puisse
arriver , fonde son bonheur sur le bonheur de son peuple , et
n'ambitionne d'autre récompense de tant de pénibles travaux,
de soins infatigables , d'inquiétudes et de danger , que l'amour
de ses sujets et le suffrage de la postérité. »
Après cette communication intéressante , les applaudissemens
de l'assemblée et des tribunes témoignent combien les
Français sont déjà pénétrés du sentiment de reconnoissance
432 MERCURE DE FRANCE ,
et d'admiration , si bien motivé par tous les faits déve
loppés par S. E. le ministre de l'intérieur. " .
M. le président , dans sa réponse à MM . les orateurs du
gouvernement , exprime une de ces vérités frappantes qui
reçoivent encore plus de force par le talent et l'éloquence
concise de l'orateur. M. Fontanes sait toujours louer dignement
le grand-homme qui s'est placé pour ainsi dire audessus
de tout éloge. Organe du peuple français , comme
chef de ses représentans au corps législatif, il ose parler contre
la guerre à celui qui n'a fait la guerre, que pour conquérir
la paix. Il s'élève en même temps aux graudes considérations
de la philosophie politique. En nommant la guerre
un horrible fléau , il voit aussi qu'elle a quelquefois rapproché
sur le champ de bataille des ennemis faits pour s'entendre
, s'apprécier et se servir mutuellement ; qu'elle remue
fortement les ames par des spectacles extraordinaires , et
développe de grands moyens de prospérité sociale ; mais il
ne faut pas qu'elle pese.long- temps sur les peuples ; et l'orateur
appelle les bénédictions du peuple français sur le grand
prince qui a fini la guerre avant qu'elle soit devenue fatale
aux nations . L
La réponse de M. Fontanes est vivement applaudie , et
T'assemblée en ordonne l'impression à six exemplaires , ainsi
que de l'exposé de S. Ex. le ministre de l'intérieur.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
-
DO SAM. 22. -C p . olo c . J. du 22 mars 1807 , Eg 60g gof gof 25€
40c gof 300 400 30c 40c 25c 30c 20c ooc. ooc. occ oc oof ooc occ
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 88f. ooc oof ooc oof
-
Act. de la Banque de Fr. 1380f oooof ooc . oooof. 000of ooc ooc
DU LUNDI 24. C pour 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 9of 9of 30c 40c 5oc
60c 40c 30c 60c 50c 75c 6oc ooc oof oof. ooc ooc ooc ooc
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 87f 50c . 5oc . ooc osc
Act. de la Banque de Fr. 1365f 137of 137 of 138 £ coc voc.
DU MARDI 25, C. p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 92f 93f 92f 75c 93f
oбe oue ooc . ooc ooc ooc ooc . oof ooc ooc coc ooc oof of ooc
Idem . Jouiss. du 22 sept . 1807 , gof. cac cof off ooc . coc occ
Act. de la Banque de Fr. 1430f 1410f 1405f. 1400f 000of
-
DU MERCREDI 26 - Cp. oo c. J. du 22 mars 807 , 92f 40c 93f30c 500
oofo for conc . ooc cocoofo c . ooc cof noc . of.
Idem . Jouiss . du 22 sepi . 1807 , 9of 25c . oof. oof ooc ooc ooc
Act. de la Bauque de Fr. 141of 1405f 2395f 1400f 000of ouc coc
DU JEUDI 27.-· € p . o c. J. du 22 mars 1807 , 93 951 25¢ 4oc 20º 93f
pof one oóc OCÓ ĐẶC ĐỌC ĐỌC ĐỘC ĐỌC ĐỘC ĐỌC GÓC 0 C ỐỌC CỌC GỐC LỌC
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , gof gof soc ooc ooc ooc oof oo ..
Act. de la Banque de Fr. 1415f. 1417f 50c ooouf. oooof .
DU VENDRedi 28 . --
Cp. ojo c. J. du 22 mars 1807 , 92f gif 900. gaf
3oc 40c 5oc 40c 60c 50c ooc cof ooc oor oof ooc doc ooc coc oef one
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , 89f 50c ooc . oof dve voc
"
Act. de la Banque de Fr. 1410f 1415f 141af 300
(No. CCCXX . )
( SAMEDI 5 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
DEPT
LA
FRAGMENT
D'un poëme inédit, qui a pour titre : L'ANNÉE CHAMPÊTRE ,
Chant du Printemps.
OH! qu'il est doux , après qu'un long hiver'
Nous a glacés , vieillis dans nos tristes demeures,
D'aller au sein des prés , sous un bocage vert ,
Rajeunir ses travaux , sa pensée et ses heures ;
D'épier les détours , les caprices charmans ,
D'entendre les gazouillemens
De ce ruisseau jaseur , qui bondit , qui serpente ,
S'indigne des cailloux qui retardent sa pente ,
Et cache , malgré lui , ses liquides trésors
Sous le cresson touffu qui tapisse ses bords !
Ah ! qu'il est doux de voir son onde qui murmure ,
Suivre ces beaux vallons dans leur molle courbure ,
Joindre l'éclat de son cristal
Aux fleurs dont s'embellit sa rive hospitalière ,
Et s'engloutir enfin dans la vaste rivière,
Qui , riche du tribut de ce jeune vassal ,
Jette un oeil complaisant sur son large canal ;
N'occupe son loisir , dans ses courses tranquilles ,
Ee
SEINE
434 MERCURE DE FRANCE ,
Que de ses bords heureux , de ses riantes fles ;
Voudroit fuir ces cités qui , sous des ponts massifs ,
Ainsi que son orgueil tiennent ses flots captifs ;
Et de leurs fers pompeux s'échappe dans les plaines ,
Où son miroir , ridé par de douces haleines ,
En les réfléchissant , fait mouvoir les bouquets ,
Trembler les bois , les prés , les hameaux , les campagnes ,
Balancer les coteaux , ondoyer les bosquets ,
Et , le soir, se noireit de l'ombre des montagnes !
Comme à l'entour de ces palais ,
De ces châteaux de cire où les libres abeilles
Déposent de leur art les naissantes merveilles ,
On voit avec plaisir leurs escadrons épais
Alonger , essayer sur les cloches poudreuses
Leurs ailes , que l'hiver rendoit si paresseuses ,
Saisir , dans l'aspect du matin ,
Les présages de l'air et sa témpérature ,
Et changeant de projet , d'après leur conjecture ,
Håter ou retarder la moisson douce et pure
De ces sucs printaniers , leur champêtre butin !
Grands Dieux ! à quels transports mon ame s'abandonne,
Lorsqu'au doux bruit des flots, à leurs frémissemens ,
A ce murmure sourd de l'essaim qui bourdonne ,
Se mêlent les mugissemens
De ce boeuf qui , sorti de l'étable profonde ,
Revoit ses chers sillons , qu'il trace et qu'il féconde ;
Lorsqu'à ces vagues bêlemens
Des agneaux dispersés dans leur course inégale ,
Vient s'unir la voix matinale
Du domnestique oiseau , roi de la basse-cour ,
Qui célèbre chaque intervalle
Des heures de la nuit et de celles du jour;
C
Et quand la flute pastorale ,
Des vallons aux coteaux , des coteaux dans les airs ,
Fait monter à la fois nos voeux et ses concerts !
L'amour , cet attrait invincible , ··
Le tourment , le bonheur, de tout être sensible ,
Et qui , de l'arbre même échauffant les rameaux ,
Vers ces ormes aimés fait pencher ces ormeaux ,
L'amour naft du printemps. Sa flamme irrésistible
SEPTEMBRE 1807. 435
*
Consume de desirs les plus forts animaux .
Dans le tigre, dans l'ours il ressemble à la rage;
Du lion et de l'aigle il double le courage ;
Il produit du cheval les fiers hennissemens :
Tandis que , sous l'abri de la feuille nouvelle ,
Le pigeon , le ramier , l'aimable tourterelle ,
Redoublent leurs soupirs et leurs roucoulemens ;
Jamais alors , jamais , par un accent plus tendre ,
Ces murmures d'amour de moi se font entendre ,
Que par ces sons voluptueux
Echappés de ces nids , que la jeune fauvette ,
Pour cacher aux regards sa famille secrète ,
Suspend aux rameaux tortueux.
Son amant suit son vol : aux caresses pressantes
Elle oppose d'abord ses ailes frémissantes ,
Et les coups de son bec , par degrés affoiblis ,
Sa coquette pudeur , ses refus amollis.
Bientôt elle est vaincue ; et , par un doux hommage ,
Les baisers se multipliant ,
Du duvet de son cou, sous le bec ondoyant ,
Descendent sur tout son plumage.
Ces oiseaux , que l'on croit de la légèreté
Le modèle ainsi que l'emblême ,
Donnent aux animaux , nous donnent à nous-même ,
Des leçons de fidélité .
Chacun d'eux repose enchanté
Auprès de ses petits , sur les frêles demeures
Où l'aquilon jaloux peut troubler ses plaisirs :
11 y trompe le ´temps , il y charme les heures ;
Et , par des airs nouveaux, ranime ses desirs.
Le bois , jadis muet , en devient si sonore ,
17
Qu'aux siècles de Dodone on croit renaître encore.
Philomèle , chantant ses amoureux ennuis ,
Vient aux concerts des jours associer les nuits ;
Et l'homme , qu'elle enlève aux douceurs de Morphée ,
Est surpris que les airs aient aussi leur Orphée.
Par M. DE MURVILLE.
E e 2
436 MERCURE DE FRANCE,
LE VER LUISANT ET LE VER DE TERRE ,
FABLE.
Dans une de ces nuits d'été,
Dont l'obligeante obscurité
Sert d'asile au tendre mystère ,
Dans un jardin , un Ver luisant
Disoit à certain Ver de terre ,
Qui de son réduit solitaire
Venoit de sortir en rampant :
« Avouez que de la nature
>> Je suis le plus bel ornement;
>> On diroit que de ma parure
>> J'ai dérobé l'éclat au firmament.
Je crois, sans injustice aucune ,
>> Pouvoir disputer à la lune
>> Le sombre empire de la nuit.
>> Am'éclipser elle s'applique ;
>> Mais ces clartés dont elle luit ,
>> Le soleil les lui communique :
>> Je brille de mes propres feux.>>>
«Unpareil sort ne me tenteroit guère
>> Répond l'insecte tenebreux
>> Vous en rirez ; mais je préfère
>> A cet appareil fastueux ,
:
>> A tant de gloire et de lumière,
» Ma forme lugubre et grossière ,
>> Mon misérable accoutrement. >>>>
De l'amour propre étrange aveuglement,
>> Reprit le diamant mobile ;
>> Même l'espèce la plus vile
» Jusqu'à moi voudra s'élever !>>>
« A Dieu ne plaise , dit le Ver ,
>> Je me connois , je vous admire ,
>> Je rends justice à votre éclat ;
>> Mais , content de mon humble état,
J'ai le bon esprit de me dire
SEPTEMBRE 1807. 437
» Que , dans ma triste obscurité,
>> Je trouve au moins ma sûreté ,
>> Et c'est tout ce que je desire.
>> Jouissez long-temps des honneurs
>> Que la nature vous destine ,
» Et puissiez-vous , dans ses faveurs ,
>> Ne pas trouver votre ruine ! »
Comme ils parloient , sur un arbre voisin
Un Rossignol égayoit sa compagne ,
Attentive à son chant divin.
Notre chanteur , dans la campagne ,
Aperçoit le Ver lumineux
Qui se plaisoit à voir ses feux
Jaillir sur l'herbe étincelante ;
L'oiseau profite du signal ,
Fond sur le petit animal ,
Et, sans respect pour sa robe brillante,
Il croque le porte-fanal.
Du voile de la modestie
Couvrez des talens précieux;
Par trop d'éclat ne frappez pas les yeux ,
Cherchez plutôt à cacher votre vie .
Croyez -moi , mes amis , le secret d'être heureux ,
N'est guère que celui d'échapper à l'envie.
Par M. V. Jour.
ENIGME.
AUTREFOIS , de Bellone ornant la tête altière ,
J'aninmois deux rivaux luttant dans la carrière ;
Et le Dieu dont la lyre enchante les échos ,
S'arrogeant à son tour l'honneur de mes rameaux ,
En couronnoit le front de sa docte cohorte.
Maintenant , ô du sort retour injurieux !
Banni des immortels , ils m'ont conduit ces Dieux ,
Comus à la cuisine, et Bacchus à la porte.
Parun Abonné.
3
438 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
MES traits sont délicats , sans être faits au tour ;
J'embellis des objets qu'un art travaille à jour.
Mes pieds sont au nombre des Muses :
Am'éplucher si tu t'amuses ,
Tu trouveras , lecteur , un sédiment ;
Un fleuve ; du siècle un fragment;
Unlocal entouré de la liquide plaine ;
Le palefroi du vieux Silène ;
L'oiseau chéri de Jupiter ;
Un esprit habitant du ciel ou de l'enfer ;
Une figure obtuse , ou droite ou curviligne ;
De la fureur une cause maligne ;
Ce qui s'alonge sans largeur ,
Et qui s'étend sans profondeur ;
Un produit de la bergerie ;
L'essence de la poterie ;
Certain blanc qu'un oiseau domestique fournit ;
Un rude végétal , et qu'Horace a maudit;
Une substance élémentaire ;
Du cocher le cri salutaire ;
Le principe fécond du germe;.
Le trésor que l'épi renferme ;
L'harmonieux attribut d'Apollon ;
L'oiseau que La Fontaine a dépeint fanfaron;
Un grain moulu , d'usage à la cuisine ;
Dans tous les cas le fin mot qui termine.
Je suis de la métallurgie
Un des chefs-d'oeuvre superfins :
Après tout , dans deux mots latins
Tu trouveras mon étymologie.
Par M. R ... , Narbonnois octogénaire.
CHARADE.
On chante mon premier ,
On sème mon dernier ,
Et l'on craint mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Barbe.
Celui du Logogriphe est Epine , où l'on trouve épi, nipe , peine,
Celui de la Charade est Cor-sage.
SEPTEMBRE 1807 . 439
Histoire de Pierre du Terrail , dit le chevalier Bayard ,
sans Peur et sans Reproche; par M. Guyard de Berville.
Nouvelle édition. Un volume in-12 . Prix : 2 fr . 50 c. , et
3 fr. 25 c. par la poste .AParis , chez Amable Costes , lib . ,
quai des Augustins , n° . 29 ; et chez le Normant.
Ο
N ne pouvoit mieux choisir, pour réimprimer une Vie
de Bayard , que le moment où la gloire de la France est
parvenue à son plus haut degré. Quoique le théâtre de la
guerre de Troie fut resserré , les caractères célèbres tracés
par Homère ont fait l'admiration de tous les grands hommes
qui se sont distingués dans la carrière des arines . Bayard ne
doit-il pas inspirer le même sentiment ? S'il n'a pu donner
à son génie l'essor dont il étoit susceptible , s'il n'a presque
jamais commandé en chef , il n'en a pas moins été considéré
avec raison comme un des modèles de l'héroïsme
militaire.
La Vie de Bayard a été écrite par un contemporain.
Sous le nom du loyal serviteur , le secrétaire de ce chevalier
nous a transniis non-seulement ses belles actions , mais les
détails les plus circonstanciés de sa vie privée. Cette histoire
parut , pour la première fois , en 1527 , sous ce titre : La
très-joyeuse et plaisante Vie , composée par le loyal serviteur,
des faits , gestes et prouesses du bon chevalier sans
Peur et sans Reproche. Théodore Godefroy la réimprima
en 1616 , en y ajoutant des remarques ; et le président
de Boissieu , allié à Bayard par les femmes , en publia une
troisième édition en 1650 , qui passe pour la plus complète
et la plus exacte. Ce livre , peu connu aujourd'hui , a été
considéré avec raisoncomme un modèle de naïveté : le style
est plus clair et aussi nourri que celui de Philippe de Commines
; et si l'on pouvoit regretter notre ancien langage ,
l'ouvrage du loyal serviteur suffiroit pour donner quelque
fondement à cette opinion.
M. Gaillard a parlé de ce livre dans deux ouvrages différens
. Ses jugemens , très -favorables à l'auteur , doivent être
rappelés : <<Dans le livre du loyal serviteur, dit- il , l'ame du
>> héros paroît réunir toutes les vertus , sans aucun mélange
> de défauts . On pourroit croire, ou que l'auteur a étéaveuglé
>>par son zèle , ou qu'il n'a voulu que présenter auxhommes
> un modèle chimérique et inimitable , si son récit n'étoit
> confirmé par celui de tous les historiens comtemporains ,
4
440 MERCURE DE FRANCE ,
» soit français , soit étrangers ..... (1 ) » « Elle existe cette
>> ame , dit- il dans un autre ouvrage , elle respire tout
>>entière dans ce tableau qu'une main fidelle a tracé , dans
» ce livre où la vertu est si naïve et si aimable , dans ce livre
» qui est aussi un bienfait pour l'humanité : c'est le bréviaire
>> du guerrier , du citoyen , de l'homme . (2) »
M. Guyard de Berville , en écrivant la Vie de Bayard ,
qui parut pour la première fois en 1760 , s'est presque borné
à traduire l'ouvrage du loyal serviteur . C'étoit un véritable
service rendu aux lettres , parce qu'à cette époque on ne
lisoit plus guère les livres dont le style avoit vieilli. En
se renfermant dans les modestes fonctions de traducteur ,
M. Guyard de Berville a conservé autant qu'il lui a été possible
le coloris de l'original : il a su faire entrer dans le langage
moderne plusieurs tournures anciennes ; et son travail ,
sous ce rapport , est d'autant plus estimable , qu'on n'y aperçoit
aucune bigarrure. Il a en outre recueilli tous les renseignemens
donnés par les contemporains , et les a fondus
dans son ouvrage ; ce qui le rend plus complet que celui du
loyal serviteur.
Les principaux traits de la vie de Bayard sont trop connus
pour qu'on veuille les rappeler dans un extrait . Il faut les
Lire dans l'ouvrage de M. Guyard , où l'enchaînement et les
circonstances leur donnent plus d'intérêt et plus d'éclat. On
se bornera à faire quelques réflexions sur la manière dont
du Belloy a peint , dans une tragédie , l'une des époques
les plus brillantes de la vie du héros : cela fournira en
même temps l'occasion de donner une légère idée du caractère
de ce guerrier célèbre .
L'argument historique de la tragédie de Gaston etBayard
ne paroît pas très-fécond au premier coup d'oeil . Gaston de
Foix , duc de Nemours , nommé récemment vice-roi de
Milan , et général en chef de l'armée que Louis XII avoit
en Italie , venoit de chasser les Espagnols , qui avoient voulu
s'emparer de Bologne . Pendant son absence , les habitans de
Brescia , l'une des villes les plus importantes de l'Etat vénitien
, s'étoient soulevés contre les Français. A la tête des
révoltés étoit le comte Louis Avogare, irrité de ce que le
vice- roi ne l'avoit pas vengé d'un de ses ennemis . La gar
nison française fut massacrée , et les Vénitiens , à la tête
desquels étoit le provéditeur Gritti , s'emparèrent de la ville.
Le château refusa de capituler ; et le comte du Lude , quile
(1) Histoire de François Ir . Tome II.
(2) Eloge du chevalierBayard.
र
A
SEPTEMBRE 1807. 441
ortirent bient
1
commandoit, parvint à faire connoître à Gaston le danger où
il se trouvoit. Ce prince vola à son secours avecBayard. Leur
marche fut si rapide , qu'ils prévinrent les Vénitiens , qui ,
de leur côté , envoyoient des renforts au provéditeur. Gaston
et Bayard sortirent bientôt du château . Après un combat .
opiniatre , où les assaillans eurent à lutter non-seulement
contre les troupes vénitiennes , mais contre les habitans de
Brescia , qui les accabloient du haut des maisons , en jetant
sur eux des pierres , des meubles , de l'eau bouillante , ils
demeurèrent les maîtres , et la ville fut livrée au pillage.
Bayard , qui avoit dirigé l'attaque , fut blessé dangereusement
d'un coup de pique , et le fer resta dans sa plaie. Ses
amis désespérés , n'ayant point de brancard pour le transporter,
enlevèrent la porte d'une maison , le mirent dessus ,
et le conduisirent chez une dame dont la maison n'avoit
point encore été forcée , et qui fut très-heureuse d'avoir un
pareilhôte.
C'est sur cet événement , qui ne présente qu'un beau fait
d'armes, que du Belloy est parvenu à former un canevas de
tragédie. On doit convenir qu'il y a employé beaucoup d'art.
Il suppose d'abord que Bayard seul a pénétré dans le château
de Brescia. Ce guerrier est dans l'impuissance de résister
aux Vénitiens ; mais sa rréésolution inébranlable est de mourir
plutôt que de se rendre. Vainement le duc d'Urbin , neveu
du pape , veut le corrompre , et lui offre les plus grands
avantages : Bayard rejette avec horreur cette proposition.
Cette scène est une des plus belles du théâtre de du Belloy.
Cependant Gaston arrive avec son armée : il a surmonté
tous les obstacles , et son apparition imprévue produit beaucoup
d'effet. Désormais les Français n'ont plus à craindre
que les trahisons de leurs ennemis. C'est ici que commence
la fable inventée par du Belloy.
Avogare et Altémore , seigneurs bressans , ont formé le
projet de faire périr tous les Français. Le premier profite
de l'amour que sa fille a inspiré aux deux chefs pour les
diviser , et pour les perdre l'un pourl'autre. Le second , qui
aime aussi Euphémie sans en être aimé , seconde les desseins
du comte. Euphémie, comme cela est très -naturel , a préféré
le jeune Gaston au sage Bayard ; elle ignore les sinistres
desseins de son père. Cependant une dispute qui s'élève
entre les deux chefs , à l'occasion de leur amour, se calme
d'une manière inattendue par le sacrifice généreux que
Bayard fait de sa passion. Avogare et Altémore forment
d'autres trames ; Euphémie en est instruite ; elle se trouve
entre son amant et son père , et sa situation devient tragique ,
430 MERCURE DE FRANCE ,
de la Grande - Armée s'élève à la place Vendôme ; le monument
Desaix au milieu de celle de la Victoire ; la statue d'Haupoult
ornera la place des Vosges. Le palais du corps législatif s'orne
d'un péristyle dont la majesté annonce le sanctuaire des lois.
Vis-à-vis sera le temple de la Victoire. Au milieu s'élève le
palais du souverain : ainsi , le trône est entre la justice et la
gloire. Les travaux de Sainte-Geneviève avancent , ceux de
Saint- Denis sont presqu'achevés. Plusieurs églises et palais
épiscopaux ont été restaurés dans les départemens. Le tombeau
de Desaix est assis sur le sommet des Alpes . Dominant d'un
côté sur la France , de l'autre sur l'Italie , ce tombeau attestera
aux deux pays les honneurs rendus par leur commun libérateur ,
à son compagnon , a son ami , mort au sein de la victoire quí
fixa leur double destinée .
L'école française est occupée à retracer sur le marbre et sur
la toile les époques les plus glorieuses de ce règne.
La guerre a retardé l'établissement d'une université générale
; l'EMPEREUR veut encore le perfectionner.
Plusieurs lycées on été organisés cette année ; leur nombre
est de trente-cinq ; ils renferment huit mille élèves , dont trois
-mille sept cents doivent , en tout ou en partie , leur éducation
à la munificence nationale. Les douze écoles de droit sont
ouvertes , et deux mille étudians viennent y puiser la connoissance
des lois .
Les opérations relatives à la mesure de l'arc du méridien de
Barcelonne aux iles Baléares ont été reprises et seront continuées
cet hiver. L'observatoire du Panthéon est rétabli ; celui
de Turin est rendu à l'astronomie.
L'EMPEREUR desire que les belles-lettres partagent l'impulsion
donnée à tout ce qui est grand ; que la langue française ,
devenue la langue de l'Europe , continue à justifier ce beau
privilége par son élégance , sa pureté et le droit de ses productions
; que l'opinion publique encourage la naissance des talens ,
les protége contre les atteintes du dénigrement et de la malignité
; qu'il n'y ait désormais pas plus de secte parmi les gens
de lettres , qu'il n'y a de parti politique dans l'Etat ; que la
littérature trouve dans l'alliance du goût et de la morale , le
principe de ses succès ; que la critique devienne décente pour
être utile ; que les hommes appelés à la noble fonction d'éclairer
et d'instruire , dédaignent les suffrages mendiés......
Le gouvernement n'a que de la satisfaction à témoigner en
général aux membres du clergé dans tous les degrés de la hiérarchie.
Il offre pureté de moeurs , piété , tolerance , désin'éressement
, application à ses devoirs . Les divers cultes autorisés
vivent dans une union honorable pour leurs ministres.
AOUT 1807. 431
Les Juifs , conservant le nom français , sont , par le bienfait
de S. M. , rendus dignes de le porter.
Parmi tant d'objets intéressans que présente l'exposé de la
situation de l'Empire , il en est quelques-uns plus remarquables
par leur importance et par la rapidité de leurs succès;
tel est sans doute l'état prospère de nos finances . Les négociations
du trésor , jusque -là si onéreuses , sont maintenant
à un taux modéré , dont aucun temps et aucun gouvernement
n'ont offert d'exemple. La caisse de service facilite , d'une part,
les versemens , fornit , de l'autre , aux particuliers des placemens
sûrs , et déjoue toutes les combinaisons de l'agiotage ;
les caisses sont pleines , les paiemens se font à point nommé ;
les effets publics jouissent d'une confiance beaucoup plus
grande que les effets des particuliers. Pour cela aucun impôt
n'a été établi ; l'or ' re et la prévoyance ont tout fait , et cette
incroyable amélioration , une seule année , une année de
guerre a suffi pour l'opérer.
L'orateur , en terminant son discours , se résume ainsi :
« Plusieurs branches de l'administration perfectionnées , les
finances dans l'état le plus heureux , la France seule , entre
tous les Etats de l'Europe , n'ayant pas de papier - monnaie ,
son commerce , au milieu d'une stagnation inévitable , conservant
toutes ses espérances , et préparant les germes de sa
prospérité future ; nos colonies maintenues dans un état qui
doit un jour enrichir la métropole ; les armes de la France
portées , par une suite de succes sans exemple , jusqu'aux
extrémités de l'Europe ; son influence s'étendant au-delà du
Bosphore , et jusqu'au milieu du continent de l'Asie ; le plus
grand ordre , la plus profonde tranquillité régnant dans son
intérieur , lorsque son souverain a été pendant dix mois
éloigné de 600 lieues ; l'Europe soumise ou étonnée , nos
ennemis confondus , l'Angleterre restant seule chargée du
fardeau de la guerre et de la haine des peuples. Telles sont ,
Messieurs , les opérations d'une année , et les espérances de
celle qui va suivre. Ce tableau s'embellira du bien que vous
allez faire , et sans doute vous vous trouverez heureux d'avoir
à concourir à l'accomplissement des voeux d'un souverain qui ,
parvenu au plus haut degré de gloire auquel un mortel puisse
arriver , fonde son bonheur sur le bonheur de son peuple , et
n'ambitionne d'autre récompense de tant de pénibles travaux,
de soins infatigables , d'inquiétudes et de danger , que l'amour
de ses sujets et le suffrage de la postérité. »
Après cette communication intéressante , les applaudissemens
de l'assemblée et des tribunes témoignent combien les
Français sont déjà pénétrés du sentiment de reconnoissance
432 MERCURE DE FRANCE ,
et d'admiration , si bien motivé par tous les faits déve
loppés par S. E. le ministre de l'intérieur.
M. le président , dans sa réponse à MM . les orateurs du
gouvernement , exprime une de ces vérités frappantes qui
reçoivent encore plus de force par le talent et l'éloquence
concise de l'orateur . M. Fontanes sait toujours louer dignement
le grand-homme qui s'est placé pour ainsi dire audessus
de tout éloge. Organe du peuple français , comme
chef de ses représentans au corps législatif, il ose parler contre
la guerre à celui qui n'a fait la guerre, que pour coqquérir
la paix. Il s'élève en même temps aux graudes considérations
de la philosophie politique. En nommant la guerre
un horrible fléau , il voit aussi qu'elle a quelquefois rapproché
sur le champ de bataille des ennemis faits pour s'entendre
, s'apprécier et se servir mutuellement ; qu'elle remue
fortement les ames par des spectacles extraordinaires , et
développe de grands moyens de prospérité sociale ; mais il
ne faut pas qu'elle pese.long-temps sur les peuples ; et l'orateur
appelle les bénédictions du peuple français sur le grand
prince qui a fini la guerre avant qu'elle soit devenue fatale
aux nations. Zb
*
La réponse de M. Fontanes est vivement applaudie , et
T'assemblée en ordonne l'impression à six exemplaires , ainsi
que de l'exposé de S. Ex. le ministre de l'intérieur .
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
-
-
• DO SAM. 22. C p. olo c. J. du 22 mars 1807 , Egf ɓog gof gof 256
4oc gof 30 40c 3oc 40c 25c 30c 20c ooc. ooc . occ ooc oof ooc ooc
Idem . Jouiss. du 22 sept . 1807 , 88f. ooc oofooe oof
Act . de la Banque de Fr. 138of oooof ooc. oooof. 000of ooc ooc
DU LUNDI 24. C pour 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 9of gof 30€ 40c 50¢
60c 4pc 30c 60c 50c 75c 6oc ooc oof oof. ooc ooc ooc 000
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 87f 50c . 5oc . ooc osc
Act. de la Banque de Fr. 1365f 137of 137 of 138 f cọc vòc .
DU MARDI 25. C p . 0/0 c . J , du 22 mars 1807 , 92f 93f 92f 75c 93f
ooe ooc oo . ooc ooc ooc ooc . oof ooc ooc coc ooc oof of ooc
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , gof. ccc 6of off ooc . 6oc occ
Act. de la Banque de Fr. 1430f 1410f 1405f. 1400f 0000f
---
DU MERCREDI 26 — Cp . 00 c. J. du 22 mars 1807 , 92f 40c 93f3ọc 50d
oofof or conc. ooc oc oofo c . ooc cof noc . of.
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , gof zic . oof. oof ooc ooc onc
Act. de la Banque de Fr. 1410f 1405f 2395f 1400f 000of ouc ooc
DU JEUDI 27.- € p . o c . J. du 22 mars 1807 , 93 951 25c 4oc 20º 93f
oof ooc ooc oco o c ouc ooc ooc ooc doc oọc ooc orc ooc onc ode voe
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 9of gof foc ooc ooc ooc oof ooe
Act . de la Banque de Fr. 1415f. 1417f 50c 000uf. 0000fr
DU VENDRedi 28 . ---
C p. 0/0 c . J. du 22 mars 1807 , 92f gif 90ć . gaf
3oc 40c 50c 40c 60c 50c ooc cof ooc oor oof ooc doc ooc coc oof oos
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , 89f 50c ooc . oof Ov¢ voc
Act. de la Banque de Fr. 1410f 1415f 141af 500
"
(No. CCCXX . )
DEPT
( SAMEDI 5 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
LA
SEINE
FRAGMENT
D'un poëme inédit, qui a pour titre : L'ANNÉE CHAMPÊTRE ,
OH!
Chant du Printemps.
H ! qu'il est doux , après qu'un long hiver
Nous a glacés , vieillis dans nos tristes demeures,
D'aller au sein des prés , sous un bocage vert ,
Rajeunir ses travaux , sa pensée et ses heures ;
D'épier les détours , les caprices charmans ,
D'entendre les gazouillemens
De ce ruisseau jaseur , qui bondit , qui serpente ,
S'indigne des cailloux qui retardent sa pente ,
Et cache, malgré lui , ses liquides trésors
Sous le cresson touffu qui tapisse ses bords !
Ah ! qu'il est doux de voir son onde qui murmure ,
Suivre ces beaux vallons dans leur molle courbure
Joindre l'éclat de son cristal
Aux fleurs dont s'embellit sa rive hospitalière ,
Et s'engloutir enfin dans la vaste rivière ,
Qui , riche du tribut de ce jeune vassal ,
Jette un oeil complaisant sur son large canal ;
N'occupe son loisir , dans ses courses tranquilles ,
Ee
434 MERCURE DE FRANCE ,
Que de ses bords heureux , de ses riantes fles ;
Voudroit fuir ces cités qui , sous des ponts massifs ,
Ainsi que son orgueil tiennent ses flots captifs ;
Et de leurs fers pompeux s'échappe dans les plaines ,
Où son miroir , ridé par de douces haleines ,
En les réfléchissant , fait mouvoir les bouquets ,
Trembler les bois , les prés , les hameaux , les campagnes ,
Balancer les coteaux , ondoyer les bosquets ,
Et, le soir, se noircit de l'ombre des montagnes !
Comme à l'entour de ces palais ,
De ces châteaux de cire où les libres abeilles
Déposent de leur art les naissantes merveilles ,
On voit avec plaisir leurs escadrons épais
Alonger , essayer sur les cloches poudreuses
Leurs ailes , que l'hiver rendoit si paresseuses ,
Saisir , dans l'aspect du matin ,
Les présages de l'air et sa température,
Et changeant de projet , d'après leur conjecture ,
Håter ou retarder la moisson douce et pure
De ces sucs printaniers , leur champêtre butin !
Grands Dieux ! à quels transports mon ame s'abandonne,
Lorsqu'au doux bruit des flots , à leurs frémissemens ,
A ce murmure sourd de l'essaim qui bourdonne ,
Se mêlent les mugissemens
De ce boeuf qui , sorti de l'étable profonde ,
Revoit ses chers sillons , qu'il trace et qu'il féconde ;
Lorsqu'à ces vagues bêlemens
Des agneaux dispersés dans leur course inégale ,
Vient s'unir la voix matinale
Du domestique oiseau , roi de la basse-cour ,
Qui célèbre chaque intervalle
Des heures de la nuit et de celles du jour;
Et quand la flute pastorale ,
Des vallons aux coteaux , des coteaux dans les airs ,
Fait monter à la fois nos voeux et ses concerts !
L'amour , cet attrait invincible ', - * .
Le tourment , le bonheur, de tout être sensible ,
Et qui , de l'arbre même échauffant les rameaux ,
Vers ces ormes aimés fait pencher ces ormeaux ,
L'amɔur naft du printemps. Sa flamme irrésistible
SEPTEMBRE 1807. 435
Consume de desirs les plus forts animaux .
Dans le tigre , dans l'ours il ressemble à la rage ;
Du lion et de l'aigle il double le courage ;
Il produit du cheval les fiers hennissemens :
Tandis que , sous l'abri de la feuille nouvelle ,
Le pigeon , le ramier , l'aimable tourterelle ,
Redoublent leurs soupirs et leurs roucoulemens ;
Jamais alors , jamais , par un accent plus tendre ,
Ces murmures d'amour de moi se font entendre ,
Que par ces sons voluptueux
Echappés de ces nids , que la jeune fauvette ,
Pour cacher aux regards sa famille secrète ,
Suspend aux rameaux tortueux.
Son amant suit son vol : aux caresses pressantes
Elle oppose d'abord ses ailes frémissantes ,
Et les coups de son bec , par degrés affoiblis ,
Sa coquette pudeur , ses refus amollis.
"
Bientôt elle est vaincue ; et , par un doux hommage,
Les baisers se multipliant ,
Du duvet de son cou , sous le bec ondoyant ,
Descendent sur tout son plumage.
Ces oiseaux , que l'on croit de la légèreté
Le modèle ainsi que l'emblême ,
Donnent aux animaux , nous donnent à nous-même ,
Des leçons de fidélité .
Chacun d'eux repose enchanté
Auprès de ses petits , sur les frèles demeures
Où l'aquilon jaloux peut troubler ses plaisirs :
Il y trompe
Et, par
le temps , il y
des airs nouveaux ,
charme les heures ;
ranime ses desirs .
Le bois , jadis muet , en devient si sonore ,
Qu'aux siècles de Dodone on croit renaître encore.
Philomèle , chantant ses amoureux ennuis ,
Vient aux concerts des jours associer les nuits ;
Et l'homme, qu'elle enlève aux douceurs de Morphée,
Est surpris que les airs aient aussi leur Orphée.
Par M. DE MURVILLE.
E e 2
236 MERCURE DE FRANCE ,
LE VER LUISANT ET LE VER DE TERRE,
FABLE.
DANS une de ces nuits d'été,
Don't l'obligeante obscurité
Sert d'asile au tendre mystère ,
Dans un jardin , un Ver luisant
`Disoit à certain Ver de terre ,
Qui de son réduit solitaire
Venoit de sortir en rampant :
«<< Avouez que de la nature
» Je suis le plus bel ornement ;
>> On diroit que de ma parure
» J'ai dérobé l'éclat au firmament.
Je crois , sans injustice aucune ,
>> Pouvoir disputer à la lune
» Le sombre empire de la nuit .
» A m'éclipser elle s'applique ;"
» Mais ces clartés dont elle luit ,
» Le soleil les lui communique :
>> Je brille de mes propres feux . »
« Un pareil sort ne me tenteroit guère ,
» Répond l'insecte ténébreux':
» Vous en rirez ; mais je préfère
» A cet appareil fastueux ,
» A tant de gloire et de lumière ,
» Ma forme lugubre et grossière ,
>> Mon misérable accoutrement. »>
De l'amour propre étrange aveuglement ,
» Reprit le diamant mobile ;
» Même l'espèce la plus vile
» Jusqu'à moi voudra s'élever !»»
« A Dieu ne plaise , dit le Ver ,
» Je me connois , je vous admire ,
» Je rends justice à votre éclat ;
» Mais , content de mon humble état ,
» J'ai le bon esprit de me dire
SEPTEMBRE 1807. 437
» Que', dans ma triste obscurité ,
>> Je trouve au moins ma sûreté ,
>> Et c'est tout ce que je desire .
>> Jouissez long-temps des honneurs
» Que la nature vous destine ,
» Et puissiez- vous , dans ses faveurs ,
» Ne pas trouver votre ruine ! »
Comme ils parloient , sur un arbre voisin
Un Rossignol égayoit sa compagne ,
Attentive à son chant divin .
Notre chanteur , dans la campagne ,
Aperçoit le Ver lumineux
Qui se plaisoit à voir ses feux
Jaillir sur l'herbe étincelante ;
L'oiseau profite du signal ,
Fond sur le petit animal ,
Et, sans respect pour sa robe brillante,
Il croque le porte-fanal .
Du voile de la modestie
Couvrez des talens précieux ;
Par trop d'éclat ne frappez pas les yeux ,
Cherchez plutôt à cacher votre vie .
Croyez-moi , mes amis , le secret d'être heureux ,
N'est guère que celui d'échapper à l'envie .
Par M. V. Jour.
ENIGME.
AUTREFOIS , de Bellone ornant la tête altière ,
J'animois deux rivaux luttant dans la carrière ;
Et le Dieu dont la lyre enchante les échos ,
S'arrogeant à son tour l'honneur de mes rameaux ,
En couronnoit le front de sa docte cohorte.
Maintenant , ô du sort retour injurieux !
Banni des immortels , ils m'ont conduit ces Dieux ,
Comus à la cuisine , et Bacchus à la porte.
Par un Abonné.
3
438 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
MES traits sont délicats , sans être faits au tour ;
J'embellis des objets qu'un art travaille à jour.
Mes pieds sont au nombre des Muses :
A m'éplucher si tu t'amuses ,
Tu trouveras , lecteur , un sédiment ;
Un fleuve ; du siècle un fragment ;
Un local entouré de la liquide plaine ;
Le palefroi du vieux Silène ;
L'oiseau chéri de Jupiter ;
Un esprit habitant du ciel ou de l'enfer ;
Une figure obtuse , ou droite ou curviligne ;
De la fureur une cause maligne ;
Ce qui s'alonge sans largeur ,
Et qui s'étend sans profondeur ;
Un produit de la bergerie;
L'essence de la poterie ;
Certain blanc qu'un oiseau domestique fournit ;
Un rude végétal , et qu'Horace a maudit ;
Une substance élémentaire ;
Du cocher le cri salutaire ;
Le principe fécond du germe ;
Le trésor que l'épi renferme ;
L'harmonieux attribut d'Apollon ;
L'oiseau que La Fontaine a dépeint fanfaron ;
Un grain moulu , d'usage à la cuisine ;
Dans tous les cas le fin mot qui termine .
Je suis de la métallurgie
Un des chefs- d'oeuvre superfins :
Après tout , dans deux mots latins
Tu trouveras mon étymologie.
Par M. R ………, Narbonnois octogénaire.
CHARADE.
ON chante mon premier ,
On sème mon dernier ,
Et l'on craint mon entier.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº . est Barbe.
Celui du Logogriphe est Epine , où l'on trouve épi , nipe , peine,
Celui de la Charade est Cor-sage .
SEPTEMBRE 1807 . 439
et
Histoire de Pierre du Terrail , dit le chevalier Bayard ,
sans Peur et sans Reproche ; par M. Guyard de Berville .
Nouvelle édition . Un volume in- 12 . Prix : 2 fr . 50 c . ,
3 fr. 25 c. par la poste . A Paris , chez Amable Costes , lib . ,
quai des Augustins , n° . 29 ; et chez le Normant.
On ne pouvoit mieux choisir , pour réimprimer une Vie
de Bayard , que le moment où la gloire de la France est
parvenue à son plus haut degré, Quoique le théâtre de la
guerre de Troie fut resserré , les caractères célèbres tracés
par Homère ont fait l'admiration de tous les grands hommes
qui se sont distingués dans la carrière des arines . Bayard ne
doit -il pas inspirer le même sentiment ? S'il n'a pu donner
à son génie l'essor dont il étoit susceptible , s'il n'a presque
jamais commandé en chef , il n'en a pas moins été considéré
avec raison comme un des modèles de l'héroïsme
militaire.
La Vie de Bayard a été écrite par un contemporain .
Sous le nom du loyal serviteur , le secrétaire de ce chevalier
nous a transmis non-seulement ses belles actions , mais les
détails les plus circonstanciés de sa vie privée. Cette histoire
parut, pour la première fois , en 1527 , sous ce titre : La
très-joyeuse et plaisante Vie , composée par le loyal serviteur,
des faits , gestes et prouesses du bon chevalier sans
Peur et sans Reproche. Théodore Godefroy la réimprima
en 1616 , en y ajoutant des remarques ; et le président
de Boissieu , allié à Bayard par les femmes , en publia une
troisième édition en 1650 , qui passe pour la plus complète
et la plus exacte. Ce livre , peu connu aujourd'hui , a été
considéré avec raison comme un modèle de naïveté : le style
est plus clair et aussi nourri que celui de Philippe de Commines
; et si l'on pouvoit regretter notre ancien langage
l'ouvrage du loyal serviteur suffiroit pour donner quelque
fondement à cette opinion.
M. Gaillard a parlé de ce livre dans deux ouvrages différens
. Ses jugemens , très-favorables à l'auteur , doivent être
rappelés : «Dans le livre du loyal serviteur , dit-il , l'ame du
» héros paroît réunir toutes les vertus , sans aucun mélange
de défauts . On pourroit croire, ou que l'auteur a été aveuglé
» par son zèle , ou qu'il n'a voulu que présenter aux hommes
>> un modèle chimérique et inimitable , si son récit n'étoit
> confirmé par celui de tous les historiens comtemporains ,
440 MERCURE DE FRANCE,
» ame ,
» soit français , soit étrangers ..... ( 1 ) » « Elle existe cette
dit - il dans un autre ouvrage , elle respire tout
>> entière dans ce tableau qu'une main fidelle a tracé , dans
» ce livre où la vertu est si naïve et si aimable , dans ce livre
» qui est aussi un bienfait pour l'humanité : c'est le bréviaire
» du guerrier , du citoyen , de l'homme. ( 2) »
M. Guyard de Berville , en écrivant la Vie de Bayard ,
qui parut pour la première fois en 1760 , s'est presque borné
à traduire l'ouvrage du loyal serviteur. C'étoit un véritable
service rendu aux lettres , parce qu'à cette époque on ne
lisoit plus guère les livres dont le style avoit vieilli . En
se renfermant dans les modestes fonctions de traducteur ,
M. Guyard de Berville a conservé autant qu'il lui a été possible
le coloris de l'original : il a su faire entrer dans le langage
moderne plusieurs tournures anciennes ; et son travail ,
sous ce rapport , est d'autant plus estimable , qu'on n'y aperçoit
aucune bigarrure. Il a en outre recueilli tous les renseignemens
donnés par les contemporains , et les a fondus.
dans son ouvrage ; ce qui le rend plus complet que celui du
loyal serviteur.
Les principaux traits de la vie de Bayard sont trop connus.
pour qu'on veuille les rappeler dans un extrait. Il faut les
lire dans l'ouvrage de M. Guyard , où l'enchaînement et les
circonstances leur donnent plus d'intérêt et plus d'éclat. On
se bornera à faire quelques réflexions sur la manière dont
du Belloy a peint , dans une tragédie , l'une des époques
les plus brillantes de la vie du héros cela fournira en
même temps l'occasion de donner une légère idée du caractère
de ce guerrier célèbre .
*
L'argument historique de la tragédie de Gaston et Bayard
ne paroît pas très-fécond au premier coup d'oeil . Gaston de
Foix , duc de Nemours , nommé récemment vice -roi de
Milan , et général en chef de l'armée que Louis XII avoit
en Italie , venoit de chasser les Espagnols , qui avoient voulu
s'emparer de Bologne . Pendant son absence , les habitans de
Brescia , l'une des villes les plus importantes de l'Etat vénitien
, s'étoient soulevés contre les Français. Ala tête des
révoltés étoit le comte Louis Avogare , irrité de ce que le
vice-roi ne l'avoit pas vengé d'un de ses ennemis . La gar
Bison française fut massacrée , et les Vénitiens , à la tête
desquels étoit le provéditeur Gritti , s'emparèrent de la ville.
Le château refusa de capituler ; et le comte du Lude , qui le
(1 ) Histoire de François Ier. Tome H
(2) Eloge du chevalier Bayard, i
SEPTEMBRE 1807: 441
Commandoit, parvint à faire connoître à Gaston le danger où
il se trouvoit. Ce prince vola à son secours avec Bayard . Leur
marche fut si rapide , qu'ils prévinrent les Vénitiens , qui ,
de leur côté , envoyoient des renforts au provéditeur . Gaston
et Bayard sortirent bientôt du château. Après un combat.
opiniâtre , où les assaillans eurent à lutter non - seulement
contre les troupes vénitiennes , mais contre les habitans de
Brescia , qui les accabloient du haut des maisons , en jetant
sur eux des pierres , des meubles , de l'eau bouillante , ils
demeurèrent les maîtres , et la ville fut livrée au pillage.
Bayard , qui avoit dirigé l'attaque , fut blessé dangereuse- ,
ment d'un coup de pique , et le fer resta dans sa plaie. Ses
amis désespérés , n'ayant point de brancard pour le transporter
, enlevèrent la porte d'une maison , le mirent dessus ,
et le conduisirent chez une dame dont la maison n'avoit
point encore été forcée , et qui fut très -heureuse d'avoir un
pareil hôte.
C'est sur cet événement , qui ne présente qu'un beau fait
d'armes, que
du Belloy est parvenu à former un canevas de
tragédie. On doit convenir qu'il y a employé beaucoup d'art.
Il suppose d'abord que Bayard seul a pénétré dans le château
de Brescia. Ce guerrier est dans l'impuissance de résister
aux Vénitiens ; mais sa résolution inébranlable est de mourir
plutôt que de se rendre . Vainement le duc d'Urbin , neveu
du pape , veut le corrompre , et lui offre les plus grands
avantages : Bayard rejette avec horreur cette proposition .
Cette scène est une des plus belles du théâtre de du Belloy.
Cependant Gaston arrive avec son armée : il a surmonté
tous les obstacles , et son apparition imprévue produit beaucoup
d'effet. Désormais les Français n'ont plus à craindre
les trahisons de leurs ennemis . C'est ici que commence
la fable inventée par du Belloy.
que
Avogare et Altémore , seigneurs bressans , ont formé le
projet de faire périr tous les Français . Le premier profite
de l'amour que sa fille a inspiré aux deux chefs pour les
diviser , et pour les perdre l'un pour l'autre . Le second , qui
aime aussi Euphémie sans en être aimé , seconde les desseins
du comte. Euphémie , comme cela est très - naturel , a préféré
le jeune Gaston au sage Bayard ; elle ignore les sinistres
desseins de son père. Cependant une dispute qui s'élève
entre les deux chefs , à l'occasion de leur amour , se calme
d'une manière inattendue par le sacrifice généreux que
Bayard fait de sa passion . Avogare et Altémore forment
d'autres trames ; Euphémie en est instruite ; elle se trouve
entre son amant et son père , et sa situation devient tragique ,
*
442 MERCURE DE FRANCE ,
-
Heureusement la dernière conspiration , qui est la plus terrible
et la plus dangereuse , puisqu'il s'agit de faire sauter
en l'air le palais où sont les généraux français , est découverte
par un déserteur dont le noble dévouement efface le crime .
Ce rôle, très-bien amené , offre une grande leçon aux soldats
français qui seroient tentés de préférer le service étranger
à celui de leur patrie. Avogare et Altémore sont punis :
comme dans le Cid, Gaston et Euphémie conçoivent l'espoir
de s'unir quand celle-ci aura pu calmer sa douleur.
Cette intrigue est, comme on le voit , assez commune ;
mais du Belloy a eu le mérite de faire entrer dans son cadre
de beaux développemens qui servent à peindre les moeurs
du temps , et les caractères de ses deux héros . Heureux s'il
se fût abstenu des coups de théâtre , et des petits moyens
dont il se servoit trop souvent ! Quoi qu'il en soit , sa pièce
est restée au répertoire : la facilité qu'elle offre aux comédiens
de briller sans beaucoup de peine dans les deux principaux
rôles , a contribué à l'y maintenir autant que les
noms célèbres qu'elle rappelle.
On a dit que du Belloy n'avoit négligé aucune occasion
de peindre ses héros : il a eu souvent l'art de placer dans la
bouche de Bayard les belles réponses qu'il avoit faites en
différentes occasions. Nous en citerons deux exemples.'
Il est très-vrai que le pape Jules II fit proposer à Bayard
de passer à son service : ce fut à la fin de 1503 , après l'affaire
deGarillan. Bayard répondit qu'il n'avoit qu'un maître au
ciel qui étoit Dieu , et un maître sur la terre qui étoit le roi ,
et qu'il n'en serviroitjamais d'autres. Du Belloy a très-bien
paraphrasé cette belle réponse : Bayard relève avec convenance
et d'une manière poétique l'emportement inconsidéré
d'un pape octogénaire qui prit les armes au siége de la
Mirandole , et qui entra dans cette ville par la brêche :
Un pontife m'exhorte à violer ma foi !
Des Chrétiens mieux que lui je connois donc la loi .
Dieu dit à tout sujet , quand il lui donne l'être :
« Sers , pour me bien servir , ta patrie et ton maître ;
>>Sur la terre à ton roi j'ai remis mon pouvoir ;
>> Vivre et mourir pour lui c'est ton premier devoir . >>
En rappelant nos coeurs à cette loi suprême ,
Unpontife devient l'organe de Dieu même;
Mais , Seigneur, quand sa voix trahit l'ordre du ciel ,
C'est l'hommealors qui parle, et l'homme criminel.
Envain d'unrang sacré Jule exalte l'empire ,
Lui qui, soufflant partout la fureur qui l'inspire,
Dupieddes saints autels embrase l'univers;
Luiqui , le front blanchi par quatre- vingts hivers ,
Etaledans un camp le mélange bizarre
SEPTEMBRE 1807 . 443
De l'airain des guerriers au lin de la tiare;
Qui dans Mirande , enfin , vint lui- même assiéger ,
Dépouiller l'orphelin qu'il devoit protéger.
Ne croyez pas pourtant que mon erreur sinistre
Rejette sur l'autel l'opprobre du ministre.
Dépend- il en effet des vices d'un mortel
Dedégrader le nom , les droits de l'Eternel ?
Sont- ils moins saints pour nous quand Jules les profane ?
Le crime avilit- il la loi qui le condamne ?
Je sépare deux noms qu'on veut associer ;
Je révère un pontifeet combats un guerrier .
On a transcrit cette tirade , quoiqu'un peu longue, parce
que c'est peut-être le morceau de duBelloy le mieux soutenu.
LorsqueBayard entreprit la fameuse défense de Mézières ,
qui le couvrit de gloire , on le somma de se rendre , en lui
faisant observer que la place n'étoit pas forte , et n'avoit pas
une garnison suffisante. Les généraux ennemis lui offrirent
en outre telle composition qu'il desireroit. Il répondit qu'il
les remercioit de leurs offres gracieuses ; mais que le roi
l'ayant choisi pour garder la place , il la conserveroit si bien
qu'ils s'ennuieroient du siège avant lui , et qu'avant que
d'entendre à en sortir, il espéroit faire dans les fossés un
pont de corps morts sur lesquels il pourroit passer. Du
Belloy a placé ce dernier trait dans sa tragédie : en montrant
au duc d'Urbin ses vieux soldats couverts de cicatrices ,
Bayard ajoute:
Ils ne veulent sortir de ces fossés sanglans
Que sur un pont formé d'ennemis expirans .
Après avoir parcouru la fable un peu romanesque sur
laquelle du Belloy a fondé sa tragédie , on ne sera peut-être
pas fâché de savoir ce que Bayard fit réellement à Bresse
lorsqu'il fut blessé.
On le soigna , comme on l'a dit , chez une dame des
premières familles de la ville. Le mari étoit absent , et deux
demoiselles fort aimables habitoient la maison avec leur
mère. La présence de Bayard empêcha cette_famille d'éprouver
les désastres qui suivent un assaut. Le chevalier
se rétablit après quelques semaines , et voulut aller partager
avec son général l'honneur de la bataille de Ravennes. La
dame chez laquelle il étoit logé crut qu'à son départ il
exigeroit une somme immense pour avoir préservé sa
maison du pillage. D'ailleurs , suivant les usages du temps ,
elle se regardoit elle et son époux comme les prisonniers de
Bayard. Atout hasard , elle mit deux mille cinq cents ducats
en or dans un coffre d'acier , et les porta au vainqueur.
* Monseigneur , lui dit-elle , je rendrai graces à Dieu
444 MERCURE DE FRANCE ,
>>toute ma vie de ce qu'il lui a plu , dans le saccagement
>> de notre ville , conduire en notre maison un chevalier si
» généreux ; je vous regarderai toujours comme notre ange
>>tutélaire , et reconnoîtrai vous devoir la vie et l'honneur ,
>>ainsi que mon mari et mes deux filles . Depuis que vous
>>y êtes entré , nous n'avons reçu de vous que bontés et
>>amitiés ; vos gens même ne nous ont manqué en rien ,
>> et n'ont pas disposé de la moindre chose sans payer .
>>Nous confessons être vos prisonniers : la maison et tout
>> ce qu'elle contient est à vous par droit de conquête ; mais
> vous nous avez laissé voir tant de générosité et de gran-
>>deur d'ame , que je viens vous prier d'avoir pitié de
>>nous , et de vous contenter du petit présent que j'ai l'hon-
>> neur de vous offrir . »
Bayard demanda froidement combien contenoit le coffre :
ladame , craignant qu'il ne trouvât la rançon trop modique ,
le lui dit en tremblant , et offrit d'ajouter ce qu'il desireroit :
« Ce n'est pas ce que je veux dire , répliqua Bayard :
>>quand vous m'offririez cent mille écus , je ne les estimerois.
>> pas tant que tout le bien que vous m'avez fait depuis que
>>je suis chez vous , et la bonne compagnie que vous m'avez
>>tenue , vous et votre famille. >> En effet , la mère et ses
deux filles avoient souvent porté leur ouvrage dans la
chambre du chevalier , et s'étoient efforcées de le distraire ,
soit en chantant , soit en jouant du luth : « Au lieu de
>>prendre votre argent , ajouta Bayard , je vous promets
>> que , tant que je vivrai , vous aurez en moi un gentil -
>>homme pour serviteur et pour ami , et que je conserverai
>> chèrement le souvenir de vos bienfaits .>>>
La dame , profondément touchée de la générosité de
Bayard , insista pour qu'il acceptât le coffre : « Puisque
>>vous le voulez absolument , Madame , répondit - il , je
>> l'accepte ; mais , je vous prie , faites venir vos demoiselles
» pour que je prenne congé d'elles . >>> La dame obéit :
pendant son absence , Bayard partagea la somme en trois
lots , deux de mille ducats , et un de cinq cents . Les demoiselles
parurent devant lui avec leur mère ; l'aînée se jeta à
ses pieds : « Vous voyez en nous , lui dit-elle , Monseigneur,
>>deux jeunes filles qui vous doivent la vie et l'honneur .
>>Nous sommes bien fâchées de n'avoir pas d'autre puis-
>>sance pour reconnoître vos graces , que de prier Dieu
>> toute notre vie pour votre seigneurie , et de lui demander
>>qu'il vous récompense en cette vie et dans l'autre. >>>
Bayard attendri lui répondit les larmes aux yeux : « Vous
> savez que les gens de guerre ne sont pas ordinairement
SEPTEMBRE 1807 . 445
.
chargés de bijoux ou autres choses à présenter aux de-
» moiselles ; mais madame votre mère vient de m'obliger
» de recevoir d'elle deux mille cinq cents ducats que vous
» voyez là ; je vous en donne à chacune mille pour con-
» tribuer à vous marier. Madame , poursuivit- il , en s'a-
» dressant à la mère , ces cinq cents ducats sont à mon
profit ; et l'usage que j'en veux faire , c'est de les distri-
» buer aux pauvres monastères de filles qui auront le plus
» souffert du pillage : comme je vais partir , et que vous
» êtes plus en état que moi de connoître où sera le plus
» grand besoin , je me repose sur vous de cette bonne
» oeuvre ; et tout de suite je prends congé de vous et de
» vos filles . »
·»
On imagine l'effet que tant de générosité dut produire
sur ces trois femmes . Le lendemain il les fit dîner avec lui ,
et ne voulut accepter d'elles que de petits ouvrages sortis
de leurs mains . Il partit ensuite comblé des bénédictions
de cette famille. Ce récit , beaucoup plus développé dans
l'ouvrage de M. Guyard , donne une idée du caractère de
Bayard.
Ce guerrier , célibataire jusqu'à sa mort , ne fut pas
insensible aux charmes d'un sexe que les lois de la chevalerie
lui prescrivoient de servir . S'il fit quelques fautes ,
elles furent effacées par plus d'un trait digne de celui que
nous venons de rapporter.
Très-jeune encore , et lorsqu'il ne faisoit qu'entrer dans
la carrière des armes , il fut épris d'une demoiselle de la
cour de Savoie. Cette demoiselle partagéoit son amour ;
mais le chevalier, appelé par l'honneur, suivit Charles VIII
en Italie. Pendant son absence , les parens de la demoiselle
la marièrent malgré elle au seigneur de Fluxas , l'un des
gentilshommes du pays. Cette dame revit Bayard quelques
années après son mariage . La conversation qu'ils eurent
ensemble donne une idée des moeurs du temps. Nous ne la
puiserons point dans l'ouvrage de M. Guyard de Berville ,
'mais dans les anciens Mémoires du loyal serviteur , écrits
d'une manière beaucoup plus naïve .
La dame de Fluxas , après avoir félicité Bayard de ses
exploits , lui parla ainsi : « Monseigneur de Bayard , mon
amy, voicy la première maison où vous avez esté nourry;
» ce vous seroit grand honte si vous ne vous y faisiez co-
» gnoître , aussi bien qu'avez faict ailleurs. »
Madame , répondit Bayard , vous savez bien que dès
» ma jeunesse vous ay aimée , prisée et honorée ; et si
» vous tiens à si saige et bien enseignée que ne voulez
446 MERCURE
DE FRANCE
,
»
» mal à personne , et encore à moy moins qu'à un autre.
Dites-moy , s'il vous plaict , que voulez-vous que je fasse
» pour donner plaisir à madame votre bonne maîtresse
» à vous sur toutes , et au reste de la bonne et belle com-
» pagnie qui est céans ? »
»
"
Cette bonne maîtresse étoit Blanche , duchesse douairière
de Savoie. Mad. de Fluxas demanda à Bayard qu'il lui
donnât le spectacle d'un tournois : « Vrayement , lui répondit-
il , puisque le voulez , il sera faict . Vous êtes la
» dame en ce monde qui a premièrement acquis mon
» coeur à son service , par le moyen de votre bonne grace.
» Je suis asseuré que je n'en auray jamais que la bouche
» et les mains ; car de vous requérir d'autre chose , je
perdrois ma peine aussi , sur mon ame , j'aimerois
» mieulx mourir que vous presser déshonneur etc. >>
Cette réponse de Bayard justifie la familiarité de Mad. de
Fluxas , qui , dans nos moeurs , seroit au moins impru-
»
dente.
:
2
L'ouvrage de M. Guyard de Berville se fait lire avec
intérêt. On pourroit reprocher à l'auteur d'entrer dans des
détails trop minutieux , de manquer de rapidité , et de
ne pas écrire assez noblement ; mais ces défauts même ont
leur agrément : ils tiennent à l'intention qu'a eue l'auteur
de peindre l'esprit et les moeurs naïves du siècle . M. Guyard
a fait un ouvrage plus important , dont une nouvelle édition
seroit probablement accueillie : c'est une Vie de Duguesclin.
Elle présente plus d'intérêt , parce que , dès le commencement
de sa carrière , Duguesclin commande en chef , et
parce qu'il fit , par sa valeur et sa constance , une grande
révolution en Espagne. P.
Elégies de Tibulle , traduction nouvelle , en vers français
par F. de Carondelet- Potelles . Un vol. in-8 . Prix : 4 fr ..
et 5 fr. par la poste. A Paris , chez Buisson , libraire , rue
Git- le-Coeur ; et chez le Normant .
« TIBULLE , dit M. de La Harpe , est le poète du sentiment
; il est sur-tout , comme écrivain , supérieur à tous
ses rivaux . Son style est d'une élégance exquise , son goût
est pur , sa composition irréprochable. Il a un charme
d'expression qu'aucune traduction ne peut rendre . Il ne
peut être bien senti que par le coeur. Une harmonie délicieuse
porte au fond de l'aime les impressions les plus douces :
SEPTEMBRE 1807 . 447
c'est le livre des amans. Il a, de plus , ce goût pour la campagne
qui s'accorde si bien avec l'amour ; car la nature est
toujours plus belle quand on n'y voit qu'un seul objet. C'est
à Tibulle qu'il en faut revenir , c'est lui qu'il faut relire
quand on aime . »
Ce poète si pur , si harmonieux , si délicat , et , à tous
égards , si difficile à traduire , ne devroit pas être exposé , ce
semble , aux entreprises des traducteurs médiocres. Il y a
dans sa perfection et ses graces singulières quelque chose
qui avertit impérieusement la médiocrité de ne point y
toucher ; mais cet avertissement n'est entendu que de la
médiocrité qui se connoît. Il est sans effet et comme non
avenu pour la médiocrité qui s'ignore ; c'est-à-dire , qui
s'en fait accroire à elle-même , qui s'exagère ridiculement
ses moyens , et ne sait se refuser à aucun projet difficile , à
aucune espérance invraisemblable. Un homme d'esprit , qui
s'est essayé quelquefois à rimer des chansonnettes , qui
aime Tibulle et veut se faire un nom dans les lettres ,
imagine tout naturellement de traduire Tibulle en vers . Il
se met donc à l'oeuvre , et , sans avoir de Nemesis ni de Délie
qui l'inspire , sans posséder aucun des heureux talens du
chantre de Némesis et de Délie , il redit en français mesuré
et rimé ce que Tibulle a si bien dit en latin seulement
mesuré. Que résulte-t-il de ses versions mécaniques et de son
froid travail ? Que le doux , le tendre , le gracieux Tibulle
est rendu méconnoissable à tous les yeux ; que ces élégies
latines , où le coeur , l'imagination et le goût ont savouré
cent choses charmantes , n'offrent plus , sous le titre d'élégies
françaises , qu'un mauvais recueil de pièces érotiques , où
l'esprit est sans naturel , la passion sans accent , et la poésie
sans coloris ; et qu'enfiu l'on est tenté de dire au traducteur
avec reproche , comme la Muse de l'épigramme le disoît
autrefois à un de ses pareils ,
Que traduire ainsi les anciens ,
C'est les traduite en ridicule .
Je suis fâché pour M. de Carondelet-Potelles qu'il ait
employé aussi malheureusement ses loisirs. Il auroit dû
mieux consulter ses forces , et s'attacher à quelque autre
genre de travail littéraire. Il ne parle pas assez bien sa
langue pour être endroit de la faire parler à sa manière
aux poètes distingués de l'ancienne Rome. Il n'a sur-tout,
comme écrivain , ni la justesse , ni le beau naturel , ni l'élégance
exquise et soutenue qui seroient nécessaires à un traducteurde
Tibulle. Son imagination ne paroît être nulle448
MERCURE DE FRANCE ,
ment poétique. Le sentiment et la tendresse ont chez lui
un air emprunté . De quelque manière , en un mot , et sous
quelque rapport qu'on envisage sa traduction , elle paroîtra
tout-à-fait indigne de l'original qu'elle représente. J'en vais
citer deux morceaux que je ferai précéder du texte latin , et
que le lecteur pourra ainsi apprécier par comparaison. Je
lesprends l'un et l'autre dans la première élégie.Voici d'abord
quelques vers de Tibulle :
« Te bellare decet terra , Messala , marique ,
Ut domus hostiles præferat exuvias .
Me retineni vinctumformosæ vincla puellæ ,
Et sedeo duras janitor antè fores .
Non ego laudari curo , mea Delia , tecum
Dummodò sim , quæso , segnis inersque vocer.
Ipse boves , modò sim tecum , mea Delia , possim
Jungere , et in solo pascere monte pecus;
Et te dùm liceat teneris retinere lacertis ,
Mollis in incultd sit mihi somnus huто . »
En voici la traduction :
1. C
:
« Messala , de vingt rois enchaînés sur tes pas,
Traînant la déponille ennemie ,
C'est à toi de chercher , d'obtenir aux combats
L'éclat d'une gloire enrichie :
Moi , gardien d'une amante , et captif dans ses lacs ,
Je veille à sa porte chérie.
Le laurier triomphal n'attire point mes voeux ;
Aux pieds de la beauté que j'aime
Je veux bien qu'on me nomme oisif et paresseux...
Le Destin me forçåt - il même
De paître mes troupeaux et d'atteler mes boeufs ,
J'y trouverois mon bien suprême;
Et je saurois goûter un sommeil enchanteur...
Sur la plus aride prairie ,
Si , toujours dans ses bras , je pouvois sur mon coeur
Presser tendrement ma Délie . >>>
:
On voit que le traducteur, dans les premiers vers de ce
morceau , a rendu ambitieusement , et gâté par l'emphase ,
le te bellare decet de Tibulle , dont la simplicité est si bien
assortie , soit au ton de l'élégie , soit à la situation de tendresse
et d'amour dans laquelle se trouve en ce moment
le poète : on voit aussi que l'ordre naturel des idées est
violé dans ces mêmes vers , en ce qu'ils représenteut d'abord
Messala comme traînant après soi la dépouille de vingt rois
qu'il a vaincus , et ensuite comme cherchant la gloire dans
les combats. On voit enfin qu'au lieu de rendre l'image
précise , vraie et locale , des dépouilles étalées devant la
-porte d'un vainqueur romain , ils présentent à l'esprit l'idée
-vague d'une gloire obtenue , ou , comme parle le traducteur,
d'une
SEPTEMBRE 1807. 4
5.
DE
d'une gloire enrichie : mauvaise et ridicule expression. Le
cinquième vers renferme une contradiction que n'offre
point le vers correspondant de Tibulle : ce poète n'a garde
de se représenter à la fois comme le gardien de son amante
et comme son captif. Il s'est bien gardé aussi de dire que
le laurier triomphal n'attiroit point ses voeux ; car ily avoit
trop loin , soit de ses prétentions d'état et de naissance ,
soit de son âge et de ses occupations littéraires ou galantes ,
aux grands honneurs de la guerre , aux honneurs du
triomphe. Il a dit simplement : Non ego laudari curo. Il n'a
point dit non plus qu'il vouloit bien qu'on le nommat oisif
et paresseux, seulement aux pieds de la beauté qu'i ai noit
(ce que le traducteur dit pourtant , ou semble dire ) , mais
partout où l'on auroit occasion de parler de lui. Quant au
soin de paître ou de faire paître ses troupeaux , et d'atteler
ses boeufs, il a déclaré , en meilleur style , il est vrai , qu'il
s'en chargeroit volontiers , mais sans ajouter qu'il y trouveroit
son bien supreme ; il a même mis pour condition
que Délie partageroit avec lui ce soin , ou le verroit s'y
livrer : de sorte que c'est Delie qui figure ici comme le
bien suprême , et non la conduite ou l'attelage des boeufs .
Il veut bien encore dormir sur a dure , à côté de sa maî
tresse ; mais il ne présente point , à cette occasion , l'image
fausse et anti-naturelle d'une aride prairie. J'observe , au
surplus , que ces vers n'ont rien de l'aisance , de l'agilité ,
ni de la tendresse mélodieuse des vers latins .
Tibulle dit ensuite , parlant toujours à Délie :
Te spectem , suprema mihi cum venerit hora ,
Te teneam moriens deficiente manu....
Flebis et arsuro positum me , Delia, lecto
Tristibus et acrymis oscula mista dabis ;
Flebis : non tua sunt duro præcordia ferro
Vincta , nec in tenero stat tubi corde siler.
Illo non juvenis poterit de funere quisquam
Lumina , non virgo , sicca referre domum .
Tu manes ne læde meos ; sed parce solutis
( rinibus , et teneris, Delia , parce genis .
M. de Carondelet-Potelles traduit ainsi :
Ah , que de ma main défaillante
Je presse encor la tienne à mơn dernier instant !
Et que ma paupière pesante
Puisse porter sur toi mon regard expirant !
D'un sein d'acier d'un coeur de pierre ,
Le ciel ne t'a point fait le présent odieux...
Tu pleureras , beauté trop chère ! ...
Sur le bûcher fatal où Tibulle à tes yeux
Offrira son lit funéraire,
Ff
450 MERCURE DE FRANCE ,
Tu joindras des sanglots à tes baisers d'adieux.
Les Romains , leur jeunes amantes ,
Viendront mêler aussi leurs pleurs à mes cyprès .
Sur-tout que tes mains imprudentes,
En déchirant ton sein , en mutilant tes traits ,
traits,
Des dieux n'insultent point l'ouvrage !
Mes mânes , gémissant du sort de tes attraits ,
S'offenseroient d'un tel outrage.
Le te teneam moriens est bien rendu ; mais il devroit
terminer le tableau , comme dans le latin , parce qu'il en
forme l'image la plus touchante , et qu'il vient naturellement
après le te spectem. Une paupière ne porte point un
regard. Un sein d'acier, un coeur de pierre , ne sauroient
être la matière d'un présent : le mot sein , d'ailleurs , signifiant
ici la même chose que le mot coeur, il falloit opter
entre l'acier et la pierre , pour caractériser métaphoriquement
cette chose unique. Le bûcher fatal où Tibulle offrira
son lit funéraire est quelque chose qui ressemble fort au
galimatias . On ne peut considérer les pleurs comme se
mêlant aux cyprès , lors même qu'ils les arrosent , parce
que ces choses sont trop dissemblables entr'elles . Le faux
pathétique , les images outrées et odieuses , les grands mots
sans idée qui se trouvent dans les six derniers vers , contrastent
on ne peut mieux avec la simplicité naturelle et
tendre des deux vers latins , dont ils sont ou veulent être
la traduction . Tu manes ne læde meos ; sed parce solutis
crinibus , et teneris , Delia, parce genis : il n'y a là ni sein
déchiré, ni traits mutilés , ni ouvrage des dieux insulté ; on
n'y voit rien non plus qui ressemble au sort des attraits de
Délie , ou à l'outrage essuyé par ces attraits . Le traducteur,
ne pouvant être tendre et précis comme son modèle , veut
être fort , expressif et riche ; il ne fait qu'outrer son expression.
Ce qui me reste à dire de sa traduction , c'est qu'elle est
partout à peu près aussi défectueuse que dans ces deux
morceaux. Qui a lu la première de ses Elégies françaises ,
les a toutes lues : de sorte que , dans ce nombre considérable
de pièces versifiées avec un long travail , il n'en est
pas une seule qu'on puisse recommander à l'attention des
gens de goût. Pourquoi M. de Carondelet-Potelles a-t-il
entrepris une traduction de Tibulle ? G.
SEPTEMBRE 1807. 451
PEUT- IL EXISTER UN BONHEUR PARFAIT ?
Le parfait bonheur seroit un état dont un être sensible
seroit parfaitement content. Si l'ame éprouve un regret , si
elle forme un desir , si elle s'aperçoit d'une gêne , si elle
conçoit une inquiétude , il n'y a poiut de parfait bonheur.
Si la mémoire peut retracer mieux , si l'imagination peut
se figurer mieux que ce qu'on éprouve , il n'y a point de
parfait bonheur. Si tous les momens de l'existence n'étoient
point également délicieux , il n'y auroit point de parfait
bonheur. Maintenant, sans nous perdre en de vaines suppositions
, considérons l'homme tel qu'il est , et appliquons-lui
cette première théorie du parfait bonheur. L'homme naît ,
il croît , il décline , il finit , tout change incessamment autour
de lui; et quand rien ne changeroit au dehors , il n'en changeroit
pas moins au dedans : c'est sa nature , et c'est à cette
nature qu'il faut accommoder son bonheur , comme il faut
ajuster son vêtement à sa taille. Il semble donc que ce qui
lui conviendroit le mieux , ce seroit de pouvoir toujours
satisfaire à son desir ; mais la seule idée du desir exclut celle
du parfait bonheur. Rien ne doit manquer au bonheur ; il
manque au contraire nécessairement quelque chose au desir ,
sans quoi ce ne seroit pas le desir. Cependant , s'il se pouvoit
que l'homme ne desirât point , en seroit-il plus heureux ?
J'en doute. Il n'aimeroit point , car aimer c'est desirer ; et
non-seulement il n'aimeroit point , comme il est si triste de
ne pas aimer , mais même il n'aimeroit rien : il mangeroit
sans faim , il boiroit sans soif , et , faute de privations , il ne
connoîtroit point de jouissances. Certes , ce n'est point là le
bonheur. Supposons -le pourtant au milieu de toutes les
sortes de plaisir , et dans une ivresse perpétuelle de tout ce
qui peutcharmer ses sens et son esprit , encore lui faudra-t-il
des intervalles de relâche ; et quand vous feriez couler pour
lui un torrent de délices , il ne sauroit le boire d'une haleine .
Nous savons tous , d'ailleurs , que plus le plaisir est vif ,
moins il est durable , et que nos sens ni notre ame ne pourroient
supporter une longue extase. Si donc c'est là ce qu'on
entend par le parfait bonheur , il faut devenir autre chose
qu'un homme pour le goûter , et c'est à quoi l'homme
ne consentira point. Ce n'est pas une autre nature qu'il
demande , c'est un autre état. Mais je veux bien encore
Ff2
452 MERCURE DE FRANCE ,
admettre qu'il soit doué de facultés à l'épreuve d'une extase
continue , n'est-il pas homme ? N'est-il pas mortel ? N'est-il
pas raisonnable ? Ne prévoit-il pas sa fin , et par conséquent
celle de son bonheur ? Or, plus le bonheur seroit grand ,
plus cette pensée seroit triste , et plus elle mêleroit d'absinthe
à l'ambroisie . Proposerez-vous à l'arbitre des destinées de
lui ôter cette funeste prévision ? Mais vous proposeriez d'en
faire un imbécille : et c'est encore à quoi l'homme sage ou
même insensé ne souscrira jamais ; car ni la raison ni la
folie ne sont tentées d'abdiquer. Il faut en conclure qu'un
bonheur parfait , dans toute l'étendue du terme , est absolument
incompatible avec notre nature , et même avec nos
desirs . Il deviendroit pour notre ame ce que seroit pour nos
poumons un air vital parfaitement épuré , qui , dès-lors ,
ne seroit plus respirable. Revenons cependant sur un sujet
qu'il est si difficile de perdre de vue ; cherchons de nouveau
àrassembler , par la pensée , tous les élémens de ce qu'on
nomme bonheur , et voyons ce qui en résultera .
Vous cherchez à réaliser l'idée d'un homme parfaitement
heureux; soit. Dites à présent où vous placez le parfait
bonheur : est -ce dans la sensibilité ou dans l'apathie ? Ce
n'est sûrement point dans l'apathie ; car la première condition
pour être heureux , c'est de le sentir : c'est donc dans
la sensibilité ; et , qui plus est , pour que le parfait bonheur
soit parfaitement senti , la sensibilité doit être portée sous
tous les rapports au plus haut degré d'exaltation dont elle
soit susceptible . Il convient donc que celui que vous vous
proposez d'élever en idée à ce dernier période de la félicité ,
soit organisé de manière à correspondre aux vues que vous
avez sur lui ; il faut qu'il surpasse tous les autres hommes
par la finesse , la justesse , la vivacité, j'oserois pprreessqquuee dire
la sagacité de ses perceptions ; il faut que , de tous les yeux
possibles , les siens soient les plus perçans , les plus clairvoyans
, les plus propres à se laisser charmer par les beautés
d'ensemble et de détail ; il faut qu'ils soient les plus attentifs
à la correction , à l'élégance , à la grace des formes , ainsi
qu'à la pureté , à l'éclat et à l'accord des couleurs ; il faut
que son oreille soit insatiable des douceurs de l'harmonie
musicale et poétique ; il faut que cette supériorité de goût
se fasse remarquer dans le système complet de ses sensations
, et s'étende à plus forte raison sur tout ce qui tient
aux nobles voluptés de l'intelligence ; en sorte qu'aucun
autre mortel n'égale votre prédestiné dans le sentiment
exquis de tout ce qui est beau et bon : car , s'il n'étoit pas
le premier des connoisseurs et le plus infaillible des juges
SEPTEMBRE 1807 : 453
en tout genre , il ne discerneroit point assez , et par conséquent
il ne savoureroit qu'imparfaitement toute la félicité
que vous lui préparez . Joignez maintenant à ces deux
premières données les circonstances , les hasards même qui
favoriseront le mieux votre projet ; n'épargnez rien ; mettez
pour lui la fortune et la nature à contribution ; supposezfe
riche de tous leurs dons réunis , et coulant des jours
tranquilles sous le ciel le plus ami de l'homme , dans une
contrée ordonnée , arrangée , embellie et peuplée à plaisir ,
où la campagne offre un printemps perpétuel , et les villes
une variété constante d'amusemens et de fêtes ; enchérissez
sur le vallon de Tempé , sur les bords du Taygète , sur
Athènes , sur Sybaris ; qu'il y vive à l'abri de toutes les
contradictions , de toutes les craintes , de tous les troubles
domestiques et politiques ; entouré de la société la plus
aimable , la plus choisie , où tout sera beauté pour ses
yeux , mélodie pour son oreille , parfum pour son odorat ,
délices pour son goût , agrémens pour son esprit ; que tout
de
que la nature offre de plus ravissant se joigne à ce que
l'art peut enfanter de plus merveilleux pour exciter en lui
les plus douces émotions ; enfin , que tous les objets divers
qui s'offrent à sa pensée ou à ses sens , rivalisent en quelque
sorte de charmes , et semblent se disputer ses préférences ...
Eh bien , vous le dirai- je ? pour fruit de tant de méditations ,
de complaisances , de soins , de recherches , vous avez
réussi peut-être à faire le plus malheureux des êtres
vous l'avez pétri à plaisir ; mais il falloit aussi pétrir le
monde entier à l'avenant. Tout ce qui exciteroit l'enthousiasme
du reste des hommes ne sera pas même soutenable
pour celui que vous venez de créer ; tout ce qui , en fait
de graces , de charmes , d'esprit , de force , de grandeur ,
d'élévation , passeroit le plus la mesure commune , auroit
peine à trouver grace devant lui , tandis que le plus imperceptible
défaut va lui paroître monstrueux . Où trouver un
ami pour un tel homme ? Où trouver une compagne ? Où
trouver un amusement ? Où trouver un plaisir ? Les conversations
les plus aimables , les plus sublimes compositions ,
les traits les plus ingénieux , tous les chefs-d'oeuvre dont
l'esprit et les talens peuvent le plus se glorifier , n'auront
plus rien qui l'intéresse il porte en tout une mesure à
laquelle rien ne s'arrange. A quoi daignera-t- il accorder
une attention , même passagère , à moins que ce ne soit
pour s'amuser des efforts impuissans de ce que nous appelons
talent , esprit , génie , comme l'on rit un moment des
gambades d'un singe , des phrases d'un perroquet , et da
3
434 MERCURE DE FRANCE ,
bégaiement d'un enfant? Non , toutes les fleurs que nous
avons semées sur sa route se fanent à ses yeux ; sa perfection
même trouve un supplice dans le besoin de la perfection ,
et le dégoût reste assis à ses côtés au banquet de la vie.
Direz-vous que c'est assez pour votre phénix des témoignages
à chaque instant renouvelés de l'admiration universelle
? Mais ce phénix est néanmoins un homme , et les
dieux seuls vivent d'encens . Direz - vous qu'il pourra du
moins se glorifier à juste titre d'une prodigieuse supériorité
sur ses soi-disant semblables , et que tant et tant d'avantages ,
toujours présens à sa pensée , compenseront de reste le léger
inconvénient de l'infériorité qu'il voit dans tout ce qui l'entoure
? On dit , en effet , que l'orgueil a ses jouissances ;
mais voyez pour qui ? Vous direz peut-être qu'il aura le
droit de se moquer de tout ; mais s'il en a vraiment le
droit , je doute qu'il y trouve du plaisir ; et puis le plaisir
de se moquer est sot ou méchant: il ne peut donc pas entrer
en ligne de compte pour le bonheur. Et quand même le
sentiment continu de sa supériorité pourroit exister dans le
coeur d'un homme sans mépris pour les inférieurs , il auroit
peut- être encore quelque chose de triste que j'entrevois ,
mais que de si loin je ne saurois définir : ce qu'il y a de
certain , c'est que plus on est élevé , soit au propre , soit au
figuré , plus on est isolé , et que tous les sommets sont
froids .
,
Tel est , convenons- en , l'arrêt sévère que le commun
des hommes , les philosophes même au fond de leurs
coeurs , se plaisent à prononcer contre la grandeur en
général , comme pour se consoler , et peut-être même pour
se venger de n'y pouvoir atteindre . Mais cet arrêt est - il
donc bien juste , est - il donc sans appel ? Si une longue
succession de siècles avoit enfin amené l'époque où l'humanité
se surpasseroit elle-même ; s'il apparoissoit un être
en qui la nature , comme par un commandement exprès
de la destinée , auroit épuisé tout ce qu'elle peut prodiguer
de dons sublimes à un enfant de la terre ; s'il existoit jamais
un homme fait pour enorgueillir la race humaine , en lui
faisant voir jusqu'où l'homme peut s'élever , et pour confondre
les esprits les plus superbes , en leur montrant le
génie à son apogée , cet homme auroit-il donc moins de
droits qu'un autre à être heureux ? Gardons-nous de le
penser ; mais cette félicité ne ressembleroit pas plus à l'objet
des vulgaires desirs , que celui à qui le ciella destineroit ne
ressembleroit au vulgaire. Que seroit- ce pour un génie de
cet ordre que des plaisirs passagers ? Que seroit-ce que de
SEPTEMBRE 1807 . 455
,
frivoles honneurs ? Que seroit-ce même qu'une tranquille
sécurité ? Non , plus de travaux que de délices plus
d'orages que de jours sereins l'attendroient sur toute l'étendue
de sa glorieuse carrière ; et celui que le ciel auroit jugé
digne d'être le dépositaire de sa puissance , ne pourroit
asseoir son bonheur qu'en posant de ses mains laborieuses
les fondemens du bonheur du monde. Il auroit reçu la
mission d'un astre , il faudroit qu'il la remplit. Les astres
ne s'arrêtent point , les astres ne se détournent point , les
astres ne luisent point pour eux.... Suivez donc vos hautes
destinées , oserois-je dire à cet homme plus qu'humain :
éclairez , fécondez , vivifiez , disposez , embellissez les
contrées sur lesquelles vous planerez. L'entreprise n'est
pas d'un mortel ; mais le ciel vous la confie ; vous l'accomplirez
; et dans votre marche triomphante , devenu l'objet
de tous les regards , de tous les étonnemens , de toutes les
espérances , de toutes les inquiétudes , vous jouirez dans vos
vastes pensées de l'avenir que vous préparez .
Mais pressons -nous de revenir , quoique de bien loin ,
au commun des hommes ; car c'est pour eux que nous
écrivons . Les prodiges ne sont pas de notre ressort. La
nature dans ses exceptions montre plutôt ce qu'elle peut ,
que ce qu'elle est. Considérons-la dans ses limites ordinaires
; et puisqu'il s'agit de bonheur , voyons la portion
moyenne qu'il lui a plu d'assigner à chacun de ses enfans .
Remercions- la d'abord cette nature de ne pas écouter,
quand elle en auroit le loisir, tant de voeux extravagans que
nous formons quelquefois dans l'essor de nos pensées ;
sans prévoir quels en seroient les résultats ; remercionsla
, puisqu'il devoit y avoir tant d'imperfections dans
l'Univers , de nous avoir produit nous- mêmes assez imparfaits
pour n'en être point trop offensés. Remercions-
la de nous avoir donné des organes assez ,peu délicats
pour trouver quelques plaisirs où des êtres d'un ordre
supérieur au nôtre ne trouveroient que des dégoûts .
Remercions -la d'avoir couvert notre vue intérieure d'un
voile assez transparent pour nous laisser démêler ce qu'il
'nous importe le plus de connoître ; assez épais pour nous
cacher les dangers de notre marche , les bornes de notre
horizon et le terme de notre route. Remercions -la de nous
avoir fait tous à-peu-près les uns comme les autres , afin
qu'il n'y eût jamais trop loin d'un homme à un homme ;
remercions-la de ce que nous pouvons nous communiquer
entre nous la pensée, la joie , la consolation , les secours
mutuels , et tout ce qui peut alléger le fardeau imposé à
1
4
450 MERCURE DE FRANCE ,
chacun ; remercions -la sur- tout d'avoir ouvert notre coeur
à toutes les émotions douces , à toutes les affections tendres ,
à la compassion , à l'indulgence , à la bienveillance , à
l'amour, à l'amitié : voilà le bonheur qui nous convient ; il
dépend en grande partie de nous , il nous suffit ; et nous
avons tous droit d'y prétendre , même en laissant les choses
comme elles sont , et l'homme comme il est .
En effet , si l'on ne s'éloigne pas du réel , de peur de
s'approcher trop de l'impossible , on verra que presque tout
le bonheur dont nous sommes susceptibles , se réduit à
celui dont nous sommes capables : il consiste , non dans
l'accord des choses avec l'homme , ce qui nous mettroit
au pouvoir du hasard , le pire des maîtres , mais dans
P'accord de l'homme avec les choses , et sur-tout avec luimême.
Le bonheur est dans la paix des passions , soit qu'elles
soient modérées , soit qu'elles soient subjuguées : on seroit
tenté d'ajouter , soit qu'elles soient satisfaites ; mais il n'est
que trop vrai qu'elles sont insatiables. Tout bien examiné ,
bien comparé , bien discuté , on trouvera que le bonheur
n'est autre chose qu'une harmonie ; car c'est la mère de
tout bien : il est l'harmonie de l'homme avec la nature ,
avec la société , avec la fortune , avec le destin ; harmonie
délicieuse , mais plus difficile à soutenir au degré de perfection
dont elle est susceptible , à mesure que nos rapports
sont plus multipliés : semblable à certains instrumens qui
tiennent d'autant moins l'accord , qu'ils ont plus de cordes .
A qui faut-il nous en prendre ? Est-ce à la nature ? Est-ce
à la société ? La nature , il est vrai , nous avoit donné dés
desirs ; mais si nous l'avions suivie , elle se seroit chargée
d'y satisfaire : ces desirs auroient été simples , innocens ,
fondés en raison , faciles à concilier entr'eux et à contenir
dans les étroites limites du nécessaire , du réel et du possible.
La société les a changés en passions ; elle a fait ce qu'il
falloit pour les exalter , les aiguiser , les irriter , les désordonner
; elle les a fortifiés de toutes les illusions de l'imagination
séduite , et de toutes les flatteries de la raison avilie :
notre sensibilité , dans le principe , étoit une chaleur vitale
qui devoit tenir nos facultés au degré d'activité nécessaire
pour jouir de l'existence ; elle s'est changée en une ardeur
fébrile qui consume l'homme au lieu de le soutenir , qui
maîtrise l'intelligence même , et qui met des fantôines à la
place des réalités . Encore une fois , ce parfait bonheur
nous est refusé à tous tant que nous sommes ; mais ce
şera toujours le plus sage d'entre nous qui sera le plus
heureux, B.
SEPTEMBRE 1807 . 457
Rapport sur les travaux de la classe d'histoire et de litterature
ancienne , fait par M. Ginguené , l'un de ses
membres , à l'assemblée générale de l'Institut , le lundi
7 juillet 1807.
MESSIEURS ,
La classe d'histoire et de littérature ancienne , fidèlement
attachée à l'exécution de nos règlemens , qui font des
quatre divisions de l'Institut une seule et grande famille,
m'a fait l'honneur de me choisir pour vous rendre , aux
termes de l'article XI de l'arrêté du Gouvernement (1 ) , le
compte annuel de ses travaux.
Ils ont pour objet , dans la plus grande partie de nos
attributions , cette vénérable antiquité , dans l'étude de laquelle
il y a toujours et des leçons à puiser , et des découvertes
à faire. C'est par les travaux de cette espèce , auxquels
on pourroit bien quelquefois donner le titre de découvertes ,
que je commencerai ce Rapport.
M. Mongez , persuadé que rien n'est indifférent dans
l'étude des anciens; que le sens précis des mots qui paroissent
les moins importans , est souvent lié à l'histoire
des usages ou à celle des arts , a remarqué que le mot creta
étoit emplové par les meilleurs auteurs latins , dans des
sens très - différens ; que les philologues étoient partagés
sur sa véritable signification ; que quelques-uns seulement
lui donnoient le même sens que le mot craie a dans notre
langue , tandis que le plus grand nombre le traduisoit par
le mot équivalent à notre mot argile. Il s'est proposé de fixer
Popinion sur cet objet.
Il commence son Mémoire par quelques notions préliminaires
de minéralogie sur les différentes espèces de terres
désignées en français par les noms d'argile , de craie et de
marne : il leur assigne à chacune les propriétés qui les caractérisent
, et qui les distinguent entr'elles . Ces distinctions
posées , il établit , 1 ° . que l'argilla des Romains est notre
argile ordinaire , et il le prouve par plusieurs passages de
Pline et de Columelle ; 2°. que le mot creta étoit le plus
souvent synonyme d'argilla; que la creta n'étoit point ce
que nous appelons de la craie , mais de l'argile. Différens
passages de ces deux mêmes auteurs et de Caton , de Re
(1 ) Du 3 pluviose an XI.
458 MERCURE DE FRANCE ,
1
rusticâ , ne sont pás ses seules preuves ; il en rapporte aussi
de Virgile dans ses Géorgiques , de Plaute dans une de ses
comédies , et sur-tout un beau passage du poète Lucrèce ,
dans lesquels le mot creta ne peut avoir de sens raisonnable
, si on ne lui donne la même significatiou qu'au mot
argilla. Il cite ensuite d'autres passages où le sens du mot
creta n'est pas aussi clairement déterminé , mais dans lesquels
il est visible qu'il désigne une matière friable et privée
des caractères distinctifs de l'argile enfin , il en rapporte
d'autres où ce mot , employé comme il l'est , et accompagné
des épithètes qui le modifient, indique la substance que
nous nommons la marne , et que les Latins nommoient
aussi marga.
L'auteur conclut de toutes ces explications , que les Romains
ont désigné par le mot argilla et par ses dérivés , la
même terre que nous appelons argile ou glaise; qu'il en
est de même de la marne , marga, dont ils connurent les
qualités et les propriétés diverses , depuis qu'ils eurent des
communications avec les Gaulois ; que quant au mot creta ,
il doit être traduit en français , ordinairement par le mot
argile , souvent par le mot marne , et quelquefois , mais
rarement , par le mot craie,
« Le choix entre ces trois mots , dit M. Mongez , dépend
du sens de la phrase latine dans laquelle le mot creta est
employé , et de l'usage qu'en fait habituellement l'auteur
que l'on traduit; enfin , lorsqu'on n'aura aucun moyen pour
fixer le véritable sens d'un des trois mots latins , il faut le
traduire par l'expression vague , terre blanche. »
Si aucun mot n'est à négliger dans les écrits des anciens ,
on peut dire qu'aucun fragment, aucun débris même de
meuble ou d'ustensile n'est à dédaigner dans les objets
d'antiquité que des fouilles nouvelles ou que le hasard
peuvent nous offrir. Un second Mémoire de M. Mongez
en fournit une preuve frappante. C'étoit , en apparence ,
une chose bien peu digne d'attention , que l'oreille d'une
vieille écuelle d'étain , retrouvée parmi des ruines. Nous
allons voir cependant qu'elle n'étoit pas sans importance ,
et qu'elle sert à la solution d'un doute que les sciences chimiques
n'avoient pas encore entièrement résolu.
D'après quelques essais faits dans le dernier siècle , d'une
mine d'étain de Saxe , qui contenoit de l'arsenic , il s'étoit
répandu en Europe , sur l'emploi de l'étain dans l'usage
domestique , des craintes que des expériences postérieures ,
faites par des chimistes français , doivent avoir dissipées .
Cependant il pouvoit être utile, il étoit au moins curieux
SEPTEMBRE 1807 . 45g
de savoir si l'étain des anciens contenoit de l'arsenic , du
cuivre , ou quelqu'autre substance métallique. M. Baraillon ,
correspondant de la classe , ayant découvert , dans l'ancienne
ville romaine de Néris , Aquæ Neriæ , célèbre par ses eaux
thermales , située dans le département de l'Allier , des vases
d'étain que l'on croit avoir servi à des soldats romains , a
fait passer à M. Mongez l'oreille d'une écuelle d'étain faisant
partie de ces découvertes. Le résultat de l'essai qui en
a été fait , avec laplus scrupuleuse exactitude , parM. Anfrye
, inspecteur- général des essais à la Monnaie , a été que
l'étain trouvé à Néris forme un alliage d'étain et de plomb ,
tenant entre le quart et le tiers. Ainsi les Romains n'ont
pas craint de faire un usage habituel d'ustensiles d'étain
dans lesquels le plomb entroit pour les quatre dixièmes .
De ces faits , notre confrère passe à l'explication d'un
passage de Pline , où il est dit (1 ) que l'on altéroit de son
temps l'étain de deux manières , soit avec un tiers de bronze
blanc, æs candidum , pour en faire le plumbum album , ou
plomb blanc , soit en mêlant à égales parties le plomb et
l'étain ; d'où résultoit ce que quelques ouvriers appeloient
plumbum argentarium. Il faitvoir que, mêmedans le premier
de ces deux alliages , le plomb entroit pour une quantité
assez forte , et montre le rapport qu'ils ont tous les deux
avec ceux que l'étain subit de nos jours dans les divers
• usages où on l'emploie. Cherchant ensuite à déterminer la
nature de ce que Pline appelle , dans ce passage , es album ,
æs candidum , il croit reconnoître cet alliage dans celui que
nous appelons potin gris , ou simplement potin. Enfin , il
rapproche Pétain trouvé à Néris du plumbum album des
Romains , alliage confondu souvent avec le stannum , l'étain
pur , et il voit de très-grands rapports entre l'un et l'autre .
Une question s'élève sur ce morceau d'étain trouvé à
Néris ; c'est de savoir à quelle époque il a été travaillé.
M. Mongez examine cette question , en rattachant , pour
ainsi dire , l'histoire de ce débris de métal à celle de la ville
même où on la trouvé. Il conclut de cet examen , qu'il faut
attribuer aux Romains l'étain trouvé à Néris , en le faisant
remonter , soit au-delà du quatrième siècle , époque de la
première destruction de Néris , ce qui paroîtroit vraisemblable
d'après la forme de la construction et la profondeur
des ruines d'où on l'a tiré , soit du moins avant la fin du
huitième siècle , époque où cette ville ancienne fut détruite
(1) Art. XXXIV , c. 48.
?
460 MERCURE DE FRANCE ,
pour la seconde fois ; ce qui rendroit encore l'analyse de ce
débris curieuse et instructive .
Une autre découverte , faite dans le cimetière de Saint-
Irénée à Lyon , a fourni à M. Mongez le sujet d'un troisième
Mémoire. Sur un tombeau déterré en 1778 par le curé
de cette paroisse , enfoui une seconde fois par les suites de la
révolution , et déterré de nouveau , étoit gravée une épitaphe
latine , très-bien conservée , commencent par ces mots : Memoricæ
æternæ Exomni Paterniani quondam centurionis
legionarii , etc. L'explication littérale de cette épitaphe offre
quelques difficultés que lève l'auteur du Mémoire. Il reconnoît
que le nom du Romain pour qui elle est faite , est
Exomnius Paternianus . Mais la qualité de ce Romain présente
une difficulté plus importante. Que signifie au juste ce
titre de centurio legionarius qui lui est donné ? Que signifie
ce même titre dans une autre inscription où il est joint de
même à celui de centurio ? C'est ce qu'on ne trouve dans
aucun des Mémoires de Le Beau sur la Légion romaine ,
pas même dans le 16º , consacré presqu'entier aux centurions
, et ce que M. Mongez a clairement expliqué par la
distinction qui existoit entre les centurions légionnaires et
ceux des troupes auxiliaires .
La constitution très-différente des légions et des troupes
auxiliaires fait comprendre l'intérêt que la famille d'un centurion
pouvoit avoir à rappeler sur son tombeau , que c'étoit
dans les légions qu'il avoit obtenu ce grade. La légion n'étoit
composée que de citoyens et d'hommes de naissance libre :
s'il y eut à cela des exceptions , elles furent peu communes
avant les 3º et 4° siècles de notre ère. Les troupes auxiliaires
étoient formées , au contraire , d'hommes sortis de peuples
différens par les moeurs , la discipline militaire , et dont le
nombre n'étoit pas déterminé comme celui des soldats de la
légion. Enfin , les auxiliaires ne prêtoient serment qu'entre
les mains du tribun qui les commandoit , tandis que le général
même recevoit celui des légions . La considération
dont jouissoient les officiers de ces deux sortes de troupes
étoit donc fort différente ; et la vanité , qui préside toujours
plus ou moins à la rédaction des épitaphes , ne pouvoit pas
oublier cette circonstance dans celle de Paternianus .
La pierre sépulcrale qui porte cette inscription , offre
encore une particularité remarquable. Sur cette pierre est
gravée une tessère ou table carrée-longue , qui contient
P'inscription latine, et qui est garnie , à ses deux extrémités
, de deux espèces d'oreilles ou de tenons . Sur chacun
de ces tenons , l'un à droite et l'autre à gauche , sont gra
SEPTEMBRE 1807. 461
vés , en caractères grecs , deux noms propres grecs , avec
le mot grec qui répond à notre mot adieu sur l'un , et celui
qui répond à notre mot salut ou je vous salue sur l'autre . La
même particularité se retrouve sur deux autres tombeaux
découverts dans la même ville de Lyon ; et ce contraste d'une
épitaphe latine , flanquée pour ainsi dire de deux inscriptions
grecques , n'a jamais été expliqué .
M. Mongez pense que les deux inscriptions grecques ont
été gravées postérieurement aux épitaphes , et qu'elles l'ont
été par quelques -uns des chrétiens grecs d'Asie qui établirent
les premiers le christianisme à Lyon. Ces chrétiens
auront enseveli leurs morts dans les tombeaux qui avoient
servi à des païens , en laissant subsister leurs épitaphes ,
lorsqu'elles ne contenoient rien qui fût opposé à la nouvelle
croyance; et sur ces tombeaux , à côté de ces anciennes
épitaphes , ils auront adressé des souhaits et des adieux
aux chrétiens dont ils venoient d'y renfermer les corps . Cet
usage , attesté par d'autres pierres sépulcrales suffit pour
rendre raison de ces formules et de ces noms grecs placés
à côté de l'épitaphe latine d'un centurion romain.
Les ruines isolées des monumens antiques procurent ,
à mesure qu'on les découvre , quelques nouvelles connoissances
que l'on ajoute à la masse de celles que nous possédons
déjà sur l'antiquité . Mais il est peu de ces découvertes
qui se lient l'une à l'autre , pour fournir un corps de preuves
à quelqu'une de ces idées neuves et hardies qui jettent un
jour inattendu sur l'histoire des anciens temps . Il ne suffit
pas , pour faire éclore une de ces idées , que les monumens
subsistent , ni même qu'ils soient connus , il faut encore
qu'ils soient examinés par un esprit éclairé , attentif , capable
de s'élever des considérations particulières à des conséquences
générales , et peu disposé à s'effrayer de cette accusation
d'esprit de système , qui semble inventée par les esprits
timides ou bornés , pour discréditer ceux qui ont de l'étendue
ou du courage.
C'est d'une idée de cette espèce que M. Petit-Radel est
occupé depuis long-temps . L'Institut et le public même
connoissent maintenant la théorie qu'il a tirée de ses observations
sur les restes de constructions cyclopéennes , répandus
en grand nombre , tant en Italie qu'en Grèce , et
dans plusieurs parties de l'Europe. Conduit par l'ordre de
son travail à examiner des questions sur l'origine d'Argos ,
il s'est trouvé , pour la seconde fois , sur plusieurs points
fondamentaux, en contradiction avec le docte Fréret , et
obligé de le combattre : il l'étoit d'autant plus , que l'opinion
463 MERCURE DE FRANCE ,
de ce savent a été adoptée dans tous les ouvrages d'érudition
composés depuis sur ces matières , notamment dans plusieurs
Mémoires de l'Académie des inscriptions , et dans
le célèbre Voyage d'Anacharsis . En effet , l'érudition seule
peut , comme la lance d'Achille , guérir les maux qu'elle
a faits , et redresser les erreurs que l'érudition a propagées .
Fréret a prétendu que la fondation d'Argos par Phoronée
, fils d'Inachus , est due à une colonie Egyptienne , et
que c'est des Egyptiens que les Grecs reçurent les premiers
élémens des arts qui constituent la vie civile. M. Petit-
Radel pense au contraire que cette ville fut fondée par des
Grecs; que la colonie de Danaüs , la troisième, selon Fréret ,
est la seule qu'on puisse avec fondement regarder comme
la première qui se soit portée de l'Egypte vers l'Europe ,
et que les Grecs avoient des arts qui leur étoient propres
avant leur communication avec les Egyptiens. Avec tous
les égards dus à celui qu'il nomme lui-même un colosse
d'érudition, il prouve d'abord que Fréret a trop légèrement
inculpé la véracité de Denys d'Halicarnasse , qui rapporte
que , dix-sept générations avant la guerre de Troie , ce
qui remonte à l'an 1837 avant notre ère , une colonie
grecque s'étoit dirigée par mer sur l'Italie, fait constaté par
tous les monumens géographiques et historiques , tandis
que lui-même avance , plus légèrement encore , que la
colonie égyptienne qui alla s'établir, sous la conduite d'Inachus
, au fond du golfe d'Argos , étoit composée de pasteurs
qui , chassés d'Egypte par Sésostris , se répandirent dans
l'Afrique , le long de la côte voisine de l'Egypte , passèrent
ensuite dans l'île de Crète , et de là dans le Peloponèse.
Fréret attribue donc, sur de simples suppositions , une
navigation de cent vingt lieues à des Egyptiens qui , dans
ce temps , n'avoient , de son propre aveu , que l'usage de
quelques bateaux pour traverser les bras du Nil, et refuse
d'admettre , sur les autorités les plus positives , un trajet
de dix lieues , postérieur de 133 ans à l'époque qu'il
envisage .
Autre contradiction non moins palpable. Fréret attribue
à la colonie égyptienne d'Inachus , l'introduction en Grèce
des arts les plus nécessaires à la vie , et , dans le même
Mémoire , il présente les Curètes , les Telchines ou les Cyclopes
, comine ayant répandu dans la Grèce les premiers
éléinens de ces arts . Ainsi , dans le même temps qu'il
fait voir comment les arts étoient indigènes parmi les Grecs ,
puisqu'il en attribue l'invention à ces races primitives que l'on
désigne par le nom de Cyclopéennes , il peint les anciens
SEPTEMBRE 1807 . 463
Grecs comme entièrement étrangers aux arts jusqu'au
moment où ils leur furent apportés par la colonie égyptienne.
M. Petit-Radel rassemble enfin sous un seul point de
vue les diverses contradictions où sont tombés et Fréret
et Barthelemy : <<Et ce tissu de contradictions palpables
>>constituoit , dit-il , l'état de nos connoissances historiques
>> sur les monumens des origines grecques , avant que j'eusse
>>fait connoître mes recherches , que j'eusse défendu la
>> véracité de Denys d'Halicarnasse , etc. >>> L'examen de
toutes les sources historiques dont l'auteur d'Anacharsis
appuie l'origine égyptienne d'Inachus et de sa colonie , le
conduit au même résultat , qui est qu'Inachus , fondateur
d'Argos , n'étoit point Egyptien , mais Grec.
De cette discussion négative ou contradictoire , l'auteur
du Mémoire passe aux raisons positives qui lui font considérer
le fondateur d'Argos comme un autochtone européen.
Enfin , il ne laisse sans examen et sans réſutation , aucune
des raisons alléguées par Fréret , et , sur son autorité ,
par l'auteur d'Anacharsis , pour établir que le fondateur
d'Argos , Inachus , étoit venu d'Egypte , et qu'avant
l'arrivée des Egyptiens , les Grecs étoient plongés dans
l'ignorance la plus profonde des arts essentiels à la vie :
réfutation , encore une fois , d'autant plus importante , que
ces erreurs , appuyées d'une autorité si grave , se sont
glissées dans toutes les histoires grecques écrites depuis
Fréret.
Après avoir écarté cet obstacle imposant qui s'élevoit , pour
ainsi dire , contre les résultats de ces recherches , M. Petit-
Radel en poursuit le cours , et arrive toujours aux mêmes
conséquences. Sa conséquence générale est de considérer
notre hémisphère historique comme partagé originairement
en deux zônes de monumens très -différens : la zóne des
monumens qu'il nomme Cyclopéens , formés selon te
système primitif des arts de l'Europe , c'est-à-dire , de
blocs énormes taillés en polygones réguliers , assemblés
sans ciment et par la seule finesse du joint des pierres ,
et la zóne des monumens formés dans le système des arts
nés en Asie , ou autochtones asiatiques , qui consiste en
pierres taillées en carrés parallélogrammes. Il ne connoît ,
dit-il , jusqu'à ce jour , aucun exemple qui ne le confirme
dans la hardiesse de cette pensée.
Les monumens de l'Italie et de la Grèce, où l'on a observé
le mélange des deux espèces de construction , ne changent
rien à ce résultat , ou plutôt ils le confirment , puisque
partout c'est la construction Cyclopéenne qui sert de base à
464 MERCURE DE FRANCE ;
laconstruction asiatique . Tous les monumens de l'Argolide,
de l'Aitique et de la Béotie , soumis au même examen,
se rangent comme naturellement dans la même théorie.
Partout les constructions autochtones ou primitives sont
Cyclopéennes , et les constructions de forine asiatique se trouvent
avoir été introduites en Grèce à la suite des colonies
égyptiennes et phéniciennes , comme elles paroissent l'avoir
été en Italie à la suite des colonies pélasgiques et tyrrhéniennes
.
Notre confrère , sans pouvoir entrer dans tous les détails
qu'il a développés dans son Mémoire sur l'accord de sa
théorie avec tous les faits des premiers siècles de l'histoire
grecque , en a cependant assez dit dans notre dernière séance
publique , pour me dispenser de m'étendre davantage sur
les résultats toujours uniformes de toutes les parties de cet
immense travail .
Les arts qui en sont l'objet sont ces arts de première
nécessité , sans lesquels la société humaine n'eût été composée
que de hordes errantes ; c'est l'architecture primitive ,
qui eut pour but la sécurité et la défense. Les monumens
des arts inventés pour l'ornement et pour les jouissances
de la société perfectionnée , attestent quelquefois , par leur
destination , que ce perfectionnement ne s'étendoit pas jusqu'aux
sentimens d'humanité , qui devroient être la base de
toutes les institutions publiques. Tels furent , chez les
Romains , ces magnifiques amphithéâtres , où tout un peuple
venoit s'endurcir par le spectacle de l'effusion du sang, et
de ces combats à mort que des gladiateurs se livroient
entr'eux , ou qu'ils livroient à des bêtes féroces , uniquement
pour son plaisir.
Ce n'est pas sous le rapport de l'art que M. Toulongeon
a considéré les amphithéâtres romains. Dans un Mémoire
sur leur régime et leur discipline , il a évité de redire tout
ce qui est connu de leur construction et de leurs formes .
Il s'est attaché à la partie morale de ces établissemens , qui
présentoient un mélange étonnant de servitude et de courage
, de bassesse et d'intrépidité. Il s'est principalement
étendu sur ce lieu appelé Spoliarium , où l'on achevoit de
sang - froid les gladiateurs blessés qui donnoient peu d'espoir
de guérison ; sur cette férocité nationale qui remettoit aux
vestales le droit de décider , par un simple signe , de la
vie ou de la mort des vaincus (1) ; enfin , sur cette dégra-
(1 )..... Pectusque jacentis
Virgo modesta jubet converso pollice rumpi.
dation
SEPTEMBRE 1807:
lation qui fit , à une époque postérieure , descendre
l'arène , des jeunes gens des premières familles deBome
pour l'amusement de leur empereur . (1 )
Le même M. Toulongeon a communiqué à laclasure
notice sur les Commentaires de César , destinée à l'im
sion , et qui doit précéder une traduction nouvelle de
Commentairreess ,, qu'il se propose de publier.
La classe avoit confié à M. Silvestre de Sacy une mission
importante , que ses profondes connoissances dans les
Langues orientales le rendoient singulièrement propre à
remplir. Lors de la réunion de Gênes à l'Empire français ,
on y avoit découvert des archives jusqu'alors secrètes , où
étoient renfermés , disoit- on , un grand nombre de manuscrits
orientaux. M. de Sacy s'étant rendu à Gênes , en
conséquence des arrêtés de la classe et des ordres du Gouvernement
, n'a pas obtenu de ses recherches les résultats
que l'on avoit cru pouvoir espérer. Il a fait connoître , dans
notre séance publique , ceux auxquels il est parvenu , et
dont le plus satisfaisant est le rapport même, dont il n'a lu
que l'extrait.
M. Barbiedu Bocage a lu , dans la même séance publique ,
l'extrait de la notice d'un atlas hydrographique de la bibliothèque
de S. A. S. le prince de Bénévent , dessiné dans le
16e siècle. Après avoir parlé des manuscrits géographiques
de la méme époque , il a fait voir que ces manuscrits
offrent les côtes de la Nouvelle-Hollande , que l'on croyoit
découvertes postérieurement par les Hollandais et les
Anglais ; que cette découverte appartient réellement aux
Portugais , et que la connoissance s'en est perdue pour le
Portugal par l'infidélité d'un favori du roi , qui enleva tous
les papiers où étoient consignées les découvertes des Portugais.
C'est sur les antiquités du Nord que M. Pougens a principalement
dirigé ses études. Une divinité peu connue
jusqu'à ce jour s'est présentée à lui dans ses recherches :
c'est la déesse Nehalennia , révérée particulièrement en
Zélande dans le deuxième siècle de notre ère . On n'en
connoissoit pas même le nom avant le milieu du dix-septième
siècle , les monumens où elle est représentée et les
diverses inscriptions en son honneur n'ayant été découve ti
près de Domburg que le 5 janvier 1647. Plusieurs savans
hollandais , flamands et anglais , écrivirent à ce sujet des
(t) Vidimus illos juvenes , quos ex nobilissimis familiis
Luxuria in arenam conjecit .
Gg
466 MERCURE DE FRANCE ,
Dissertations , où ils parlèrent diversement de cette déesse
moonnue . Elle est représentée , dans tous ces monumens ,
vêtue d'une longue robe , quelquefois debout , plus souvent
assise , avant près d'elle , et presque toujours sur ses genoux ,
une corbeille de fruits ; un chien est couché à ses pieds :
quelquefois un de ses pieds est appuyé sur la proue d'un
vaisseaus quelquefois elle est accompagnée de la figure
d'Hercule Maguzain , plus souvent de celle de Neptune.
Sur tous ses autels on remarque des fleurs , des fruits , souvent
des cornes d'abondance ; et , ce qu'il est bon d'observer ,
sa coiffure est partout seinblable à celle que portent encore
de nos jours les paysannes de la Nord-Hollande.
Ces savans ont cherché à découvrir l'étymologie du nom
de Nehalennia , ainsi que les diverses attributions de la
déesse . M. Pougens , après avoir rapporté toutes ces opinions
, et en avoir démontré la fausseté ou l'insuffisance ,
établit qu'on n'auroit pas dû chercher , soit dans la langue
grecque , soit dans les langues orientales , l'origine du nom
de cette divinité révérée par des peuples septentrionaux. Il
lui paroît plus naturel de le dériver , 1 °. d'un nom donné
par les peuples du Nord aux nymphes ou divinités tutélaires
des eaux , et que l'on retrouve dans l'Edda , le Voluspa , etc .;
2°. du monosyllabe hall , qui , dans les anciennes langues
du Nord , signifie temple , palais , salle , vestibule , et en
général lieu couvert. Il conclut , d'après un grand nombre
d'inscriptions et de monumens, et sur-tout d'après le costume
de cette déesse , qui est encore en grande partie celui
des habitans de la Nord-Hollande , que la déesse Nehalennia
est une divinité locale ou indigène chez les anciens peuples
du Nord ; que c'est une déesse Lare ; qu'enfin , c'est la
déesse qui présidoit , en Zélande , à la navigation commerciale
, et sur-tout aux marchés publics.
Lorsque de l'étude de P'histoire et de la littérature ancienne
on descend à celle de l'histoire du moyen âge , ony
trouve peu d'époques plus mémorables que celle des croisades
. Tout ce qui est relatif à ces expéditions pieuses si
l'on veut , mais toujours dévastatrices et sanglantes , ne peut
même dans les plus petites circonstances manquer d'inspirer
quelqu intérêt. Pour réconcilier les amis de l'humanité avec
ces émigrations armées qui lui firent de si horribles plaies ,
les historiens s'efforcent de faire valoir l'influence qu'elles
ont eue relativement aux arts , aux sciences , en un mot, aux
progres de la civilisation en Europe. Nous n'avons pourtant
point encore une bonne histoire des croisades. Les sources
où il faudroit puiser pour débrouiller la suite des événemens
SEPTEMBRE 1807. 467
sont dans un état encore informe , qui réclame les soins les
plus attentifs du critique , avant que l'historien en puisse
faire usage. On doit donc savoir gré aux hommes de lettres ,
qui , pour parvenir à ce but , s'appliquent à éclaircir quelque
fait contentieux , ou à détruire quelque erreur accréditée .
L'époque d'une assemblée enue à Chartres , relativement
à la croisade de Louis-le-Jeune , à paru à M. Brial être de
ċe nombre . Les savans de la première réputation s'accordent
à placer cette époque en l'année 1146. M. Brial s'est proposé
, dans un Mémoire , de démontrer que cette assemblée ,
qu'on décore du titre de parlement du royaume , n'a été
tenue qu'en 1150 ; que l'objet de sa convocation étoit tout
différent de celui pour lequel on avoit tenu des assemblées
en 1146 et 1147 , à Bourges , à Vezelai , à Etampes ; que ,
dans ces assemblées , on s'étoit occupé des préparatifs de la
croisade , au lieu que dans l'assemblée de Chartres , il étoit
question non- seulement de porter des secours aux chrétiens
de la Terre- Sainte , prétexte dont on se servit toujours pour
ces expéditions , mais encore de venger les désastres qu'avoit
éprouvés dans sa marche l'armée des Croisés , par la perfidè
politique des empereurs grecs ; que ce fut dans cette assemblée
, et non en 1146 , que Saint Bernard fut choisi pour
être le chef d'une nouvelle croisade , qui devoit être entreprise
aux frais du clergé de France , le roi et les seigneurs du
royaume , à peine de retour de leur expédition , étant trop
épuisés d'hommes et d'argent pour en entreprendre une
autre ; qu'enfin cette assemblée n'eut aucun résultat , que
cette nouvelle croisade ne fut qu'un projet presque aussitôt
abandonné qu'il fut conçu .
Le même M. Brial a cherché , dans un autre Mémoire ,
à éclaircir un passage de l'abbé Suger, relatif à l'histoire du
Berry. L'abbé Suger a parlé , dans la Vie de Louis - le - Gros ,
d'un Humbaud , seigneur de Sainte - Sévère , dans le Berry,
que Lonis avoit assiégé , pris dans son château et constitué
prisonnier à Etampes . Ce Humba d , inconnu à l'historien
la Thaumassière , qui connoissoit si bien les familles du
Berry, n'est-il point le même que Humbaud , seigneur de
Meun ou Mehun-sur-Yèvre , dont il donne la généalogie ?
M. Brial cherche à prouver cette identité par un pass ge
d'Ives de Chartres , où il est parlé d'un Hugues de Meun ,
Hugonem Maidunensem . Ce nom de Hugues aura été mis
par les copistes à la place de celui de Humbaud , qui n'étoit
désigné que par la lettre H, selon l'usage trop commun
dans les monumens du moyen âge , de ne désigner les noms
des personnes que par la lettre initiale ; usage qui a été la
▸ g 2
468 MERCURE DE FRANCE ,
sourced'un nombre infini d'erreurs de noms dans les copies
de ces monumens. Ce qui appuie cette conjecture , c'est que
dans la généalogie de la maison de Meun , il ne se trouve
aucun personnage appelé Hugues , ni comme chefde famille,
ni comme puîné .
En admettant cette correction dans la lettre d'Ives de
Chartres , on peut expliquer le passage de l'abbé Suger.
On voit pourquoi Iyes s'intéressoit si fort à ce seigneur , qui
étoit prisonnier à Etampes , et en faveur duquel il écrit à
Léger , archevêque de Bourges , qui , d'après le texte de la
lettre , paroît avoir été la cause de sa détention. L'auteur de
ce Mémoire ne se flatte pas d'avoir levé toutes les difficultés .
Il propose son opinion. Il lui suffit d'avoir indiqué la source
d'où peut venir la confusion qui couvre ce point de critique ,
et d'avoir mis sur la voie ceux qui travailleront à l'histoire
du Berry ; histoire qui , selon M. Brial, auroit grand besoin
d'une main habile .
La main la plus habile , en effet , auroit de la peine à
vaincre les difficultés qui naissent , dans la plupart de ces
histoires particulières , de la triple obscurité des événemens ,
des personnages et des sources , et à tirer de ce travail
quelque moyen d'intéresser ou d'instruire ; quelquefois , au
contraire , l'histoire particulière , non-seulement d'une province
mais d'une maison , se lie à celle de l'Europe entière ;
et il suffit , lorsqu'on s'occupe d'une famille qui a cette importance
historique , de nommer le sujet de ses recherches ,
pour éveiller l'attention . Telle est cette célèbre maison d'Autriche
, qui a dominé les deux mondes , et mise récemment
à de si terribles épreuves . M. Mentelle a tracé , dans un
Essai historique et statistique , le tableau des accroissemens
et des pertes que cette maison a successivement éprouvés
depuis l'avénement de Rodolphe de Hapsbourg à l'Empire ,
jusqu'aux traités de Presbourg et d'Austerlitz inclusivement.
Cet Essai ou Mémoire est divisé en deux parties. La première
renferme les événemens qui ont contribué à la grandeur
de la maison d'Autriche, depuis l'élévation de Rodolphe
, en 1273 , jusqu'à la mort de Charles VI , en 1740 ; la
seconde , depuis cette époque jusqu'aux derniers traités ,
en 1806.
Les faits historiques relatifs à l'agrandissement de cette
maison , sont assez généralement connus. Les détails statistiques
le sont moins ; et cette considération , jointe à l'intérêt
particulier que ces sortes d'objets ont acquis , a engagé
M. Mentelle à s'en occuper spécialement.
SEPTEMBRE 1807 . 469
Lorsque Rodolphe fut appelé à l'Empire , il ne possédoit
guères de domaines qu'une étendue de 179 mille carrés
d'Allemagne , répondant à 495 de nos lieues carrées ; ( on
laisse ici , comme dans le reste de ces évaluations , les fractons
de lieue. ) Rodolphe paroît avoir senti , dès-lors , toute
l'importance du principe aquel ses descendans ont donné
de si grands développemens ; c'est que le moyen le plus efficace
pour conserver l'Empire dans sa famille étoit de se procurer
une grande masse d'Etats héréditaires . Il donna tous
ses soins , pendant la durée de son règne , à l'accroissement
des siens . Albert I , son fils , dont on a dit qu'il ne voyoit
le bonheur que dans la puissance , et la puissance que dans
ledespotisme , se proposa le même but , et tous les moyens
lui parurent légitimes poury parvenir. A sa mort , l'étendue
de ses domaines montoit à 1234 mille carrés , ou 3418 lieues
arrées .
Après que la couronne impériale , que l'on avoit craint
de conserver dans la famille de cet Albert , devenu odieux
à tout l'Empire , eut passé successivement dans quelques
autres familles , elle revint , en 1438 , à la maison d'Autriche
, dans la personne d'Albert II . Sous les règnes précédens
, les biens de cette maison n'avoient point cessé de
s'accroître ; le règne de Frédéric III , son successeur , fut
sans utilité pour l'Empire , mais non pour l'agrandissement
de sa maison. L'événement qui y contribua le plus , fut le
mariage de l'archiduc Maximilien avec la princesse Marie ,
fille et unique héritière du dernier duc de Bourgogne
Charles-le-Téméraire . Ce mariage fit entrer dans la maison
d'Autriche les dix-sept provinces des Pays-Bas . Le total des
domaines héréditaires de cette maison s'éleva , sous l'empire
de Maximilien , à 3613 milles carrés , ou environ 10,109
lieues carrées ; ainsi , en moins de trois cents ans , cesbiens
avoient été portés à plus de vingt fois d'étendue qu'ils avoient
d'abord .
Le mariage de Philippe , fils de Maximilien , avecJeanne,
infante d'Espagne , fille et héritière de Ferdinand et d'Isabelle
, augmenta si prodigieusement cette masse , et elle
s'accrut encore tellement sous la domination presqu'universelle
de Charles-Quint , leur fils , qu'on l'a fait monter , à
cette époque , à 16,085 milles carrés , qui font plus de
46,217 lieues carrées , en y comprenant tous ses Etats de
l'ancien et du nouveau Monde. Quelques tables de statistique
portent même cette masse à un ou deux milliers de milles
plus haut , et le nombre des sujets de Charles-Quint à plus
de 31 millions .
3
470 MERCURE DE FRANCE,
J
La division de la maison d'Autriche en deux branches
diminua les possessions de la branche allemande , réduites ,
sous Ferdinand I , frère de Charles-Quint , à 6,402 milles
carrés , ou 17,733 lieues carrées . Cependant de nouvelles
acquisitions portèrent cette étendue , sous le règne de Charles
VI , à 14,5-3 milles carrés ; mais à sa mort il n'en
restoit plus que 10,935 . Sous le règne de Marie-Therese ,
le total fut porté un peu plus haut ; il augmenta encore sous
Léopold ; et même au commencement du règne de François
II , il étoit de 13,904 milles ; mais la puissance de sa
maison ayant diminué par les derniers événemens , voici à
quels résultats actuels s'arrête M. Mentelle , sans se dissimuler
que , malgré les soins qu'il a pris , et malgré les renseignemens
directs qu'il aarreeçus des savans les plus distingués
de l'Allemagne , la connoissance de matériaux plus exacts
peut faire parvenir encore à des résultats plus complets .
Etendue, 10,730 milles carrés , ou 29,842 lheues carrées.
Population , 22 millions 4 à 800 mille ames .
Revenus , de 103 à ro4 millions de florins .
Une autre puissance européenne a fixé l'attention de
M. Dupont de Nemours : il a lu dans nos séances quelques
chapitres d'une Histoire des finances de l'Angleterre , travail
relatif à l'une des attributions les plus précieuses de la
classe , celle de l'application des sciences morales et politiques
à l'histoire. Parvenu au système de finances établi en
Angleterre par le roi Alfred , quelques observations qui
ont été faites à notre confrère, lui ont fourni le sujet d'une
dissertation sur les constitutions domaniales de finance.
Aquelque point que ces constitutions puissent être imparfaites
, il leur trouve un avantage remarquable , celui de.
fonder le service public par une seule concession , au moment
où l'utilité de cette concession frappe tous les esprits ,
ęt de telle manière que les propriétés privées peuvent demeurer
, et si la concession a été suffisante , demeurent
effectiveinent exemptes d'impôts .
L'histoire présente des exemples de trois sortes de constitutions
domaniales de finance. La plus ancienne est celle.
àpartage de terres. Diodore de Sicile nous fait connoître.
qu'elle a existé en Egypte , où le tiers des terres avoit été
donné aux Pharaons , et un autre tiers aux prêtres. Les
rois de plusieurs autres nations ont eu aussi des domaines
de cette espèce.
La seconde constitution domaniale de finance est à partage
defruit. Ily en a deux grands exemple , l'un chez le Hébreux,
l'autre chez les Chinois. M. Dupont fait connaître.
SEPTEMBRE 1807 . 471
les différences qui existent entre ces deux genres de constitution
domaniale , toutes deux de la même espèce . Il démontre
les inconvéniens , tant de cette seconde espèce que
de la première , ou de celle qui fut en usage chez les Egyptiens.
Enfin , la troisième constitution domaniale de finance est
à partage de revenu . Elle n'a encore été tentée que par l'Assembée
constituante de France. Cette assemblée avoit décrété
que les terres paieroient le cinquième du revenu , après
défalcation préalable de tous les faits de culture , et que tout
propriétaire qui pourroit avoir été taxé à plus de ce cinquième
, obtiendroit un dégrévement ; mais cette disposition
n'a été observée que pendant une année seulement. M. Dupont
regarde ce plan de constitution domaniale de finances
comme très-supérieur à celui des Egyptiens , des Hébreux
et des Chinois .
Il s'est trouvé engagé dans une autre discussion , à l'occasion
d'une attribution qui a été rendue à la classe d'histoire
et de littérature ancienne , et qui étoit une des principales
de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. En vertu
d'une lettre de S. Exc. le ministre de l'intérieur , la classe a
dû s'occuper de présenter au gouvernement des projets de
médailles , pour consacrer les glorieux événemens dont nous
sommés témoins. Deux opinions contradictoires se sont
élevées sur la manière dont ces événemens doivent être
représentés . Quelques membres de la classe pensoient que
l'on pouvoit s'approcher de la vérité dans la manière de
rendre les actions , les personnes , les costumes et les objets
matériels , en sorte que l'on pût voir , sans le secours des
inscriptions , pour quelle nation et dans quel temps ces
médailles auroient été frappées ; d'autres se tenoient aux
principes généraux reçus parmi les artistes et les amateurs de
l'art , qui autorisent dans la représentation de tous les sujets
que traite l'imitation des arts du dessin , une manière emblé--
matique ou figurée de représenter les choses , sans égard
aux temps , aux lieux et aux personnes .
M. Dupont , qui s'étoit fortement déclaré pour la première
opinion , a expliqué ses motifs dans deux mémoires.
Les médailles , dit-il dans le premier , ont d'abord été des
monnaies sur lesquelles ceux qui les faisoient frapper ont
voulu rappeler des événemens dont ils trouvoient utile ou
honorable de conserver le souvenir. Ce n'est que dans les
temps modernes qu'elle sont devenues de simples monu
mens historiques. Il trouve qu'elles sont d'autant plus obli
gées d'être historiques ,c'est-à-dire , de donner, sans aucune
اني
472 MERCURE DE FRANCE
:
:
équivoque , une idée de l'événement qu'elles rappellent , du
temps et du lieu où il s'est passé , des grands hommes dont
on veut qu'elles perpétuent le souvenir.
Il juge en conséquence : 1 °. que les légendes et les exergues
de celles qui son proposées , doivent être en français ;
2°. Que ces médailles doivent , dans leurs accessoires et
dans les costumes , offrir une idée monumentaire de nos
sciences , de nos arts , de nos moeurs . Il désapprouve qu'on
yvoie des trirèmes , quand nous avons des frégates et des
vaisseaux de guerre qui sont beaucoup plus beaux , et que
nos héros ont réellement montés ; que des armes antiques
remplacent nos canons , nos fusils , nos drapeaux , dont
l'effet ne lui paroît pas moins pittoresque. Notre costume
militaire , sur-tout , qui moule le corps et les membres , lui
paroît aussi avantageux et plus fidèle que la cuirasse antique .
Les anciens portèrent dans leurs médailles et leurs basreliefs
une vérité locale , sans laquelle nous ignorerions
quels étoient leurs meubles , leurs vêtemens , leurs armes .
M. Dupont veut que , de même, nos médailles puissent être
comprises par nos contemporains et par nos descendans ,
sans effort , sans commentaire , et que ce ne soit pas pour
eux de véritables énigmes . Enfin , les médailles lui paroissent
faites pour l'histoire et pour la gloire des nations et des
princes , encore plus que pour celle des artistes .
Le second Mémoire n'étoit que l'application de cette
théorie à quelques-unes des médailles proposées.
La classe n'a point partagé ses opinions , et M. Quatremère
de Quincy a expliqué la théorie qui y est contraire ,
dans un Mémoire étendu , dont il a lu un extrait dans la
séance publique. Voici quelle est , en peu de mots , la
substance de cette théorie :
Chaque art , ou chaque genre d'imitation , n'est , en définitif
, que le résultat d'une manière de considérer la nature
dans un de ses aspects , on sous un de ses rapports particuliers
. Ces diverses manières sont très-nombreuses ; mais
elles se divisent facilement et évidemment en deux principales
, dont l'une consiste à voir les objets dans leur rapport
positif et matériel, et l'autre à les considérer dans leur
rapport intellectuel ou moral. En correspondance avec ces
deux manières opposées de considérer un sujet , les artistes
reconnoissent quatre modes ou styles dans les ouvrages de
P'art : savoir le style trivial , le style naturel , le style noble
et le style poétiqne. M. Quatremère donne des exemples de
-ces quatre styles et de la manière dont le même sujet peut
être traité dans l'un ou dans l'autre. Il établit ensuite qu'il
SEPTEMBRE 1807 . 473
1
n'y a aucune raison ni aucun moyen d'excepter de cette
théorie , et de soustraire à la rigueur de ses conséquences
aucun sujet moderne ou national. Toute cette discussion est
l'objet de la première partie.
Il s'attache , dans la seconde , à développer la théorie
abstraites des procédés poétiques par lesquels l'imitation des
arts du dessin parvient à faire passer les sujets que traite
P'artiste de l'ordre de choses positif à l'ordre de choses idéal ;
ordre qui autorise on plutôt nécessite le style poétique ou
figuré. Ce style ne peut exister que par un changement
apparent dans l'extérieur et les formes des actions, des choses
etdes personnes. Les deux procédés poétiques par lesquels
ce changement s'opère dans les arts du dessin , consistent
dans l'action de généraliser , et dans l'action de transposer ,
ou la métophore. L'auteur explique fort en détail la nature
et l'emploi de des deux procédés , sans lesquels il ne peut
exister dans les arts de style poétique , ni par conséquent de
'moyens d'élever les objets de l'ordre positif à l'ordre idéal.
Il emploie spécialemeut sa troisième partie à développer
les moyens pratiques par lesquels l'artiste opère l'imitation
métaphorique , et les changemens qu'il fait subir aux sujets
qu'il traite; et il applique ces notions en particulier à la composition
des médailles et des monumens honorifiques . Il
traite , dans la quatrième , de la liberté que les Grecs et les
Romains employèrent dans la représentation de leurs costumes
et de leurs sujets historiques . Enfin il analyse les
différences de l'habillement antique et de l'habillement
moderne , et fait voir que l'un fut aussi favorable à l'imitation
que l'autre y est contraire.
Je finirai ce rapport en observant que je n'ai dû y faire
entrer ni les travaux de plusieurs de nos confrères qui n'ont
pas jugé à propos de leur donner cette sorte de publicité , ni
un Mémoire historique et géographique de M. la Porte-du-
Theil sur l'île de Salamine , parce que son auteur ne le
regarde que comme destiné à faire partie d'un plus grand
travail; ni un autre Mémoire de M. de Sainte-Croix , sur le
tombeau de Mausole , parce que ladescription de ce tombeau
n'est plus aussi qu'une partie accessoire d'une dissertation
qui embrasse la chronologie des dynastes ou princes de
Carie , que notre confrère a terminé depuis , dont iln'a
encore que commencé la lecture. Je n'y ai pas non plus
compris les Observations de M. Dupuis , sur le Zodiaque
de Tentiris Dendera , ou qui ont été imprimées à part , ainsi
que ses nouvelles Explications du Zodiaque chronologique
et mythologique. Pour la même raison , j'ai passé sous siet
474 MERCURE DE FRANCE ,
lence les Recherches de M. Langlès , sur l'origine , l'histoire
et les travaux littéraires des Tatars - Mantchoux , qui sont
destinées à une publication indépendante de cellede nos Mémoires
; et enfin , l'introduction générale à la première partie
de l'Histoire littéraire moderne , queje me dispose à publier,
et qui contient le tableau de ia destruction des Lettres par
l'invasion des Barbares en Italie , et des vicissitudes qu'elles
yéprouvèrent jusqu'au 11° siècle , premiere époque de leur
renaissance .
e
VARIÉTÉS .
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES .
-Le secrétaire perpétuel de la classe de la langue et de la
littérature françaises de l'Institut , répond par la voie des
feuilles publiques aux nombreuses demandes en éclaircissementqui
lui parviennent sur les concours ouverts par l'Académie
, et rappelle que les deux prix d'éloquence proposés
cette année par l'Académie , seront décernés dans la séance
publique qu'elle tiendra l'un des premiers jours d'avril 1803,
et que les pièces destinées au concours doivent être remises
au sécrétariat de l'Institut le 15 janvier 1808 , terme de
rigueur .
-
On annonce trois grands opéras : la Mort d'Adam ,
paroles de M. Guillard , musique de M. le Sueur ; la Vestale
, paroles de M. Jouy , musique de M. Spontini ; et la
Mort d'Abel , dont on ignore les auteurs .
-On fait espérer à Feydeau une pièce intitulée Cimarosa.
Le sujet est tiré de la vie de ce grand compositeur , et la
musique est d'un de ses élèves .
- On parle de réformes dans l'administration de plusieurs
théâtres; on croit que le régime de l'Académie Impériale
subira quelques changemens .
-Il paroît décidé que les Comédiens français retourneront
au faubourg Saint-Germain , et que c'est pour eux que l'on
répare l'Odéon .
Mad. Catalani est arrivée à Dublin , où elle doit faire
briller son talent à des conditions fort avantageuses pour elle.
A son retour , elle passera à Edimbourg , où elle est fort
désirée .
M. Le Brun , membre de l'Institut et de la Légion
d'Honneur , poète , que ses succès dans le genre lyriqua
SEPTEMBRE 1807 . 475
avoient fait surnommer le Pindare français , vient de
mourir dans un âge très-avancé. La mort de M. Portalis
et la sienne laissent deux places vacantes à l'Académie
Française . Les obsèques de M. Le Brun se sont faites avec
les cérémonies ordinaires . Une députation de l'Institut a
accompagné le corps à l'église de Saint-Roch , d'où , après
le service divin , il a été conduit au cimetière Montmartre,
M. Chénier a prononcé sur la tombe un éloge funèbre. Un
détachement militaire , qui accompagnoit le convoi , a
rendu au mort les honneurs prescrits pour les membres de
la Légion d'honneur .
M. le docteur Caldwell, de Philadelphie , vient de
publier la traduction de l'ouvrage de M. Alibert sur les
fièvres pernicieuses intermittentes. Ily a ajouté , en forme
d'Appendix , un excellent Essai sur l'épidémie de la fièvre
jaune qui a régué aux Etats-Unis d'Amérique en 1805 .
-- M. Moradjea d'Ohsson , suédois d'origine , et depuis
long-temps établi en France , auteur d'un ouvrage extrêmement
curieux et fort cher, intitulé Histoire de l'Empire
Ottoman , vient de mourir à Bièvres près Paris.
-Le monument qu'on a construit à M. Fox , à Weste
minster , est un simple tombeau qui n'a pour inscription
que les lettres initiales de son nom; mais on croit qu'on se
propose d'élever à la mémoire de cet homme célèbre un
monument plus digne de sa renommée.
NOUVELLES POLITIQUES,
Kiel , 21 août.
Le lieutenant-général Peyman ,gouverneurde Copenhague ,
afait brûler dans les faubourgs les maisons qui pouvoient favoriser
les assiégeans , et nuire aux opérations de la défense de
laplace. On estime le dommage àplusieurs millions de risdales.
Ces faubourgs étoient grands et parfaitement bâtis; mais les
habitans de Copenhague sont tellement animés , qu'on raconte
que les pauvres habitans des faubourgs étoient les plus acharnés
à la destruction de leurs maisons.
Les Anglais ont effectué leur débarquement. La ville est
investie par terre et par mer. Le général anglais Cathcart a
établi son quartier-général au château de Frederiksberg , et
déjà les hostilités ont commencé. Le parlementaire que les
Anglais ont envoyé n'a pas été reçu , et a été chassé avec indi
gnation. « Vous n'êtes pas des ennemis , leur a dit le général
Peyman , vous êtes des brigands. Sans déclaration de guerre ,
sans motifs , vous venez nous attaquer , vous pouvez nous tues
476 MERCURE DE FRANCE ,
1
si vous êtes les plus forts : la vie nous seroit odieuse , s'il nou
falloit la tenir de vous. »
Le 18, les Danois ont fait une sortie; les Auglais ont été
repoussés et ont eu 15 hommes tués. Deux bâtimens anglais
dedébarquement ont été pris par les chaloupes canonnières
danoises. Un léger engagement a eu lieu sur mer entre les
bâtimens danois et anglais. Quelques bombes qu'ont jeté les
Anglais n'ont fait aucun dommage. On est parvenu à organiser
dans l'intérieur de l'île un corps de 10 mille hommes ,
dont 4 mille de troupes de ligne , et le reste de landwern ou
cultivateurs anciens soldats , exercés ou qui sont exercés
annuellement. Ce corps est sous les ordres du général Gartenschiold.
Jamais l'esprit dans une ville assiégée n'a été meilleur. La
haine contre l'ennemi et le zèle pour la cause commune
passent toute expression. Les baillis de l'île de Sélande rassemblent
et envoient à l'armée des chevaux tout harnachés.
En dépit des croisières anglaises , des volontaires arrivent tous
les jours à Copenhague. Les étudians , au nombre de six cents,
se sont présentés chez le grand -maréchal de la cour ; et, réunis
sur la place du château , ils ont fait le serment de vaincre ou
demourir.
Quel spectacle que celui de toutes les scènes d'oppression
et de tyrannie que les Anglais s'occupent aujourd'hui de
donner au monde ! Aucune n'ade caractère plus odieux que
leur agression contre le Danemarck. Ils attaquent la capitale
d'un roi , leur ami , leur allié , qui n'a aucune discussion
avec eux ,sans lui avoir déclaré la guerre ; bien plus , d'un
roi partial pour eux , puisque pendant toute l'année ils n'ont
eu de communication avec le continent que par ses Etats.
Bénie soit la Providence , de ce que cet horrible gouvernement
est sans troupes et sans généraux de terre !
Du 20. L'ambassadeur de France à Copenhague , est ici. Le
prince Royal travaille jour et nuit. Les habitans de cette
ville et les étudians forment un corps de volontaires pour
garder et défendre le rivage de Friedrichsort. Tout est aussi
en mouvement à Gluckstadt : on y organise , avec la plus
grande activité , les moyens de défense de la rive droite de
l'Elbe. Il y aura un armement général dans tout le Holstein ,
particulièrement dans les endroits situés sur les côtes et les
bords des rivières ; on s'empresse partout à prendre volontairement
les armes. En attendant , beaucoup de troupes
réglées se portent vers le Fahnen. On compte maintenant
500 voiles anglaises qui sont près de Copenhague ou à la vue
decette ville. D'après un avis publié à Sleswick , on y délivre
des lettres de marque contre les bâtimens anglais.
SEPTEMBRE 1807 . 477
Unnavire marchand suédois , qui descendoit le canal pour
-
entrer en mer , avoit été détenu par le cutter posté ici. Le
commandant du yacht de guerre suédois adressa sur-le-champ
ses réclamations au prince Royal , qui a fait relâcher le vaisseau
suédois ; il a passé , ainsi que plusieurs autres vaisseaux de la ›
même nation. Le yacht de guerre suédois a aussi mis à la voile
cetaprès-midi.
Du 25. Un courrier porteur de nouvelles de Copenhague
jusqu'au 20 , et de la Sélande jusqu'au 22, annonce
que deux autres sorties ont été faites le 19 et le 20, et qu'elles
ont eu le même succès que la première ; c'est-à- dire , quelques
tués et blessés et quelques prisonniers. On a appris également
que les Danois étoient restés maîtres de la presque totalité des
avenues qui environnent Copenhague , et notamment d'un
grand lac qui se trouve en avantdes portes de l'est et du nord ,
en touchant d'un côté à la citadelle et s'étendant presque jusqu'à
la porte d'ouest. Tous ces points ont eté mis en état de
défense. Ils offrent de grands avantages , parce que se trouvant
protégés par le canon de la place , ils en augmentent
considérablement le circuit , et forcent l'ennemi à affoiblir sa
ligne d'investissement , qui par-là devient presque nul. Aussi
la crainte d'une prise d'assaut a-t-elle entièrement cessé ,
même dans le coeur des citoyens les plus timides ; et si l'on
a aujourd'hui de l'impatience , c'est de voir les Anglais le
tenter.
Il paroît d'un autre côté qu'ils ne s'attendoient point à
autant de résistance , et qu'ils espéroient que ce ne seroit que
l'affaire d'un coup de main; car ils ont à peine quelques
pièces de siège.
Le quartier- général du général Cathcart est toujours à Fredericsberg
, où il sembleroit craindre d'être assiégé lui-même ,
à en juger par les travaux dont on l'a environné. Ce château
est situé sur une éminence que traverse la grande route de
Hambourg , et à une demi-lieue de Copenhague .
Du reste les Anglais après avoir pour ainsi dire chassé
un souverain de sa résidence , avoir investi et bombardé
sa capitale qu'ils assiégent encore , ont l'impudence de proclamer
qu'ils ne viennent que pour protéger le Danemarck
contre les armées françaises. Peut-on pousser plus loin la
perfidie et même la sottise ? On dit que pour donner quelque
appui à leur assertion , ils paient la plupart des objets
qu'ils consomment dans l'île. Il paroît au surplus qu'on prend
leur argent , mais sans les en croire davantage.
Les nouvelles de la Sélande aunoncent que le quartiergénéral
du général danois Cartenskiold est àRingstedt. Le
478 MERCURE DE FRANCE ,
corps sous ses ordres s'étend jusqu'à Roschild. Il n'a fait encore
aucun mouvement , parce que son organisation n'est pas
complète. Il manquoit particulièrement d'officiers ; mais ,
grace au dévouement et à l'intrépidité qui animent en général
le militaire danois , il en parvient journellement en Sélande,
en depit des croisières anglaises . On ne doute pas que ce corps
ne soit bientôt en état d'agir.
La frégate de garde au Sund a été prise en voulant se réfugier
dans un des pors de la Norwège. Un vaisseau de ligne et une
frégate l'ont attaquée; et après un léger combat qu'il lui
étoit impossible de soutenir , parce que c'étoit un vieux
bâtiment armé de pièces de 12 seulement, elle a été forcée
de se rendre. (Moniteur. )
PARIS, vendredi 4 septembre.
Rapport du maréchal Brune au ministre de la guerre.-Au
quartier-général de Stralsund , le 20 août 1807 .
Nous sommes entrés ce soir dans Stralsund après cinq jours
de tranchée ouverte: dans ce court espace de temps, les travaux
ont été poussés avec une vigueur telle que je me promettois
d'emporter la place en peu de jours. Il ya eu un accord
parfait dans toutes les armes. Le roi de Suède , voyant les progrès
de nos travaux , l'inutilité de ses feux contre nos travailleurs
, et nos nombreuses batteries prêtes à foudroyer la
place, a jugé convenable de s'embarquer avec ses troupes; il
est allé à Rugen, laissant à Stralsund pour commandant, un de
ses aide-de-camp , M. Peyron , qui est venu aujourd'hui avec
deux des principaux magistrats proposer une capitulationa
J'ai dû me refuser à une telle demande; et en même temps
que je rassurois les magistrats effrayés de l'abandon auquel les
livroit leur ridicule souverain , je faisois placer trois compagnies
de grenadiers à chaque porte : je suis entré dans la
place; j'ai nommé le général Thouvenot pour y commander.
L'effroi des habitans étoit extrême ; mais j'ai prononcé le nom
de S. M. , et , sûr de la sagesse des soldats , j'ai fait subitement
succéder le calme à l'épouvante .
On nous a appris que le roi avoit été épouvanté des dangers
qu'il avoit courus à l'affaire du 6, quand nous repoussions ses
postes dans la place; et à celle du 15 , pour l'ouverture de la
tranchée : il a emmené quelques canons et en a enclosé un
grand nombre ; nous avons trouvé un grand désordre de transports.
Je rendrai à V. Exc. un compte particulier de cet événea
ment , aussi déshonorant pour le roi de Suède comme général
SEPTEMBRE 1807. 479
que comme souverain ; mais je ne dois pas différer à exprimer
la vive satisfaction que je ressens de la conduite parfaite des
troupes françaises et alliées dont S. M. m'a confié le commandement.
Signé BRUNE.
Je crois avoir oublié de dire à V. Exc . dans ma précédente
dépêche que le roi de Suède avoit envoyé, il y a quatre jours ,
un aide-de-camp pour réi'érer la proposition la plus ridicule.
On est à plaindre d'avoir à traiter avec un pareil souverain ;
mais les peuples de Suède sont bien plus à plaindre encore ,
officiers , soldats , citoyens , tous gémissent des travers de leur
prince; tous aiment les Français et admirent S. M.
Le roi de Suède est seul de son parti dans son royaume; il
faut cependanty joindre douze à quinze misérables , comme
Fersen et Armfeld. (Moniteur. )
Extrait d'une lettre de S. Exc . le maréchal Brune , à S. A. S.
le prince de Neuchatel , vice-connétable.
Au quartier- général de Stralsund , le 23 août.
Nous avons emporté cette nuit , moitié par surprise , moitié
devive force , l'île et le fort de Danholm. Six cents suédois
sont prisonniers. Nous avons trouvé dans l'île 14 pièces de
canon ou mortiers.
Le roi de Suède nous a laissé à Stralsund 500 bouches à feu ,
300,000 boulets , 100,000 bombes , 200 milliers de poudre,
et beaucoup de fer en barre.
--Conformément aux ordres de Sa Majesté l'Empereur et
Roi , et par les soins de LL. EExc. les ministres de l'inté
rieur et de la guerre , le 29 août 1807 , à 7 heures du soir, ont
eu lieu les funérailles de S. Exc. M. Jean - Etienne - Marie
Portalis , ministre des cultes, grand-aigle de la Légion d'honneur
membre de l'Institut et de plusieurs autres sociétés
savantes, décédé en son hôtel , rue de l'Université , le mardi 25
du courant.
,
Les députations des corps de l'Etat , les fonctionnaires
publics civils et militaires , les administrations , les parens et
les amis du défunt , s'étoient rendus à son hôtel.
Le cortège en est parti à pied, pour aller à l'église de
Saint-Thomas-d'Aquin, au milieu de deux haies de troupes ,
à la lueur des flambeaux , et au milieu d'un concours de
spectateurs , sensiblement émus.
CORPS LÉGISLATIF.
Lundi , 31 août , MM. les conseillers d'Etat Treilhard ,
Pelet et d'Hauterive , ont présenté un projet de loi relatif à la
contrainte par corps pour dettes contractées par des étrangers.
Mardi , MM. Regnault , Jaubert et Réal ont présenté un
projet de loi relatif au code du commerce. Les sept premier
480 MERCURE DE FRANCE ,
er Litres du 1 livre traitent : 1º (tteess commercans, 2°. de la
tenue des livres ; 3°. des sociétés en général et en commandite;
4°- des séparations de biens; 5º. des dispositions particulières.
àchacun decestitres ; 6°. des commissionaires ; 7°. des formes
suivant lesquelles la vente et l'achat pourront être commercialement
établis. Mercredi , MM. les conseillers d'Etat Begouen
, Fourcroy et Bérenger ont présenté le 8º titre du livre
1er du projet de Code de commerce. Ce titre comprend les
divisions suivantes : De la lettre de change ; de la forme ; de
la provision; de l'acceptation ; de l'acceptation par interven
tion; de l'échéance ( à cet égard, tous les délais de grace , de
faveur , d'usages ou d'habitudes locales sout abrogés ) ; de
l'endossement ( il est défendu d'antidater les ordres , à peine
de faux ) ; de la solidarité ; de l'aval ; du paiement ; du paiement
par intervention ; des droits et devoirs du porteur.
( Ce paragraphe fixe les délais pour le paiement des lettres
de change tirées des Echelles du Levant , des côtes septentrionales
et occidentales de l'Afrique , des Indes orientales et
occidentales , et pour le temps de la guerre maritime. ) Les
dernières divisions traitent des protêts, du rechange , du
billet à ordre , enfin de la proscription. Jeudi , MM. Ségur ,
Rhédon et Treilhard , ont présenté le 3º livre du projet de
Code de commerce , intitulé : Des Faillites et Banqueroutes.
Vendredi , MM. Mare tet Corvetto ont présenté le livre IV
du code de commerce , contenant la jurisdiction commerciale.
Nota. Dans sa séance du 5 , le Corps-législatif a adopté .
le projet relatif au prêt à intérêt , qui lui avoit été présenté
le 25 août.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
DU LUNDI 31 , - C pour o/oc. J. du 22 mars 1807 , 9if gof goc 600 500
9of 700 800 750 gif gof75c 80c 850 750.000 000 000 000.
Idem. Jouiss , du 22 sept. 1807 , 87f 25c. 500. ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 13 of 139of oooof cooof coc
DU MARDI 1er septembre . - C p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , gafgaf
200 250 500. 25c 50c 30c 50c. oofoo ooc cocooc oof cof ooc
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807, 89f. Soc eof oof coe. coc ooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1405f 1410f 143of. 000of0000f
DU MERCREDI 2 - Ср . оо c. J. du 22 mars 807 , 9of 5oc gofgol 200
8gf75c 8gf75c. gof boc 50c off. ooc ofcoc. oof.
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , oof ooc. oof. oof ooc ooc one
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1405f400f 1405f0000f oooof
DU JEUDI 3. - Cp. o/o c . J. du 22 mars 1807. gof 500 toe gof gof 100
gof 100 8gf 750 500 000 000 000 оос оос о е 000 000 000 000 оос бос
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 87f 100 oof ooc oo ooo oofooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement oooof, oooof one oooof. oooof
DU VENDREDI 4. - Ср . 0/0 c. J. du 22 mar ,1807, 9of, 89f 250. 8gf
8Sf700,000,000 000 coc ooc cof ooc ooc oof ooc ooc cuc cocoof onc
Idem. Jóuiss. du 22 sept. 1807 , 87f 500 000. oof các con
Act. de la Banque de Fr. avec donblement 1400f 1397f 50c 1400k
( No. CCCXXÍ. )
(SAMEDI 12 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DEPT
DE
LA SELA
5.
cen
ODE.
AH, qu'un vulgaire amant sur les roses s'oublie !
Tibulle s'éveilloit pour chanter sa Délie :
Qu'il est doux , qu'il est beau de passer tour-a-tour
Des bosquets de Vénus au temple de Mémoire !
Quel charme de trouver la gloire
En sortant des bras de l'Amour !
Non, tu ne mourras pas , ô ma chère Delphire !
Des baisers etdes vers unissons le délire ;
Des siècles envieux qu'il repousse l'effort ;
2
Qu'un vers tendre , après nous , exhale encor notre ame,
Et coupe d'un sillon de flamme
L'ombre éternelle de la mort !
1
Nota. Cette Ode nous a été donnée par M. LE BRUN, de l'Académie
Française , quelque jours avant sa mort.
TRADUCTION
Du début du poème contre RUFIN , de CLAUDIEN.
Je doutois si d'un Dieu la sagesse profonde
Gouvernoit les destins et de l'homme et du monde ,
Ou si l'homme et ces feux qui peuplent l'univers ,
Sans maître , sans soutien erroient au sein des airs.
Hh
482 MERCURE DE FRANCE , (
1
C'est un Dieu , me disois-je , au séjour du tonnerre ,
Qui de son bras puissant a suspendu la terre :
Il fait naître les fleurs , il fait mûrir le fruit ;
Il donne au jour ses feux , ses ombres à la nuit.
C'est lui qui du soleil mesura la carrière ;
Du soleil , à Phébé , qui prête la lumière.
Par lui marche l'année en égales saisons ;
Par lui l'Océan gronde en ses vastes prisons.
C'est un Dieu qui lui dit : « O mer , sur ton rivage
>> De tes flots écumans doit expirer la rage.>>
Mais quand je vois partout donner chez les mortels
Ala vertu des fers , au crime des autels ,
Mon esprit abattu , mon ame embarrassée ,
D'une Divinité rejettent la pensée ;
Je crois voir au hasard épandus dans les airs
Les atomes se joindre et former l'univers ;
Et je peuple de Dieux la région céleste ,
Immortels pour eux seuls , et dédaignant le reste.
Rufin a fait cesser ce doute injurieux ,
Et son supplice enfin vient d'absoudre les Dieux.
Le voile se déchire , et ma plainte importune
Cessera désormais d'accuser la fortune.
Plus haut , sa main puissante élève le pervers,
Etplus rapide il tombe. O Muses , en mes vers ,
Apprenez aux mortels quel gouffre épouvantable
Sur la terre a vomi ce monstre détestable .
Voyant partout régner la paix et le bonheur,
L'implacableAlecton, la rage dans le coeur ,
Secoue au loin les feux de sa torche fatale ;
Elle appelle ses soeurs et la troupe infernale.
Aussitôt à sa voix s'assemblent à grand bruit
Les monstres de l'Enfer , noirs enfans de la Nuit :
L'Envie au coeur de fiel ; la Faim impérieuse;
La pâle Maladie , et sa suite hideuse ;
La Vieillesse , qu'attend la Mort sur un tombeau;
La Discorde , agitant un sinistre flambeau ;
SEPTEMBRE 1807 . 483
L'Audace au front altier; la Terreur au teint blême ;
Le Remords dévorant , qui se ronge lui-même ;
Le Deuil , couvert d'un voile humide et déchiré ;
Le Luxe insatiable , et de biens altéré.
4 Couverte de lambeaux , sur ses pas , en silence ,
Se traîne lentement la honteuse Indigence ,
Qu'embrasse l'Avarice , attachée à son sein .
Après eux , des Soucis vient le nombreux essaim.
De ces monstres hideux la cohorte pressée ,
Sur les siées de fer à grand bruit s'est placée.
La superbe Alecton , une torche à la main ,
S'élève : tout se tait. La déesse soudain
Fait siffler ses serpens , les rejette en arrière ,
Et d'une voix terrible exhale sa colère :
<< D'un siècle fortuné nous souffrons donc le cours !
>> Nous laissons les mortels couler en paix leurs jours .
>> De la paix maintenant sommes-nous donc amies ?
>> Mais que dis-je , mes soeurs , sommes-nous les Furies ?
>> Eh , que font dans vos mains ces fouets jadis sanglans ?
>> Que font sur votre front ces paisibles serpens ?
>> Jupiter nous chassa du séjour du tonnerre ;
>> Théodose aujourd'hui nous chasse de la terre.
>> Quoi ! le souffrirez-vous ? ... Le prince est jeune encor ;
» Allumez vos flambeaux , ou craignez l'âge d'or.
» Déjà l'humble Vertu , la Piété modeste ,
>> Promènent en cent lieux leur puissance funeste ,
>> Bravent à haute voix les filles d'Acheron.
>> Astrée est sur la terre : elle insulte Alecton ;
>> Tire de leurs cachots les Lois emprisonnées ,
>> Des cachots où ce bras les avoient enchaînées .
>> Dans un honteux repos , quoi ! foible déité ,
>> Alecton trafneroit son immortalité !
>> Non , non , faisons cesser cet odieux outrage ;
4
>> Soyons dignes de nous.... Oui , je veux , dans ma rage ,
>> Je veux souiller le jour de tous mes noirs poisons ;
» M'élancer sur les mers , et briser leurs prisons;
Hh2
468 MERCURE DE FRANCE ,
source d'un nombre infini d'erreurs de noms dans les copies
de ces monumens . Ce qui appuie cette conjecture , c'est que
dans la généalogie de la maison de Meun , il ne se trouve
aucun personnage appelé Hugues , ni comme chefde famille,
ni comme puîné .
En admettant cette correction dans la lettre d'Ives de
Chartres , on peut expliquer le passage de l'abbé Suger.
On voit pourquoi Iyes s'intéressoit si fort à ce seigneur , qui
étoit prisonnier à Etampes , et en faveur duquel il écrit à
Léger , archevêque de Bourges , qui , d'après le texte de la
lettre , paroît avoir été la cause de sa détention . L'auteur de
ce Mémoire ne se flatte pas d'avoir levé toutes les difficultés .
Il propose son opinion . Il lui suffit d'avoir indiqué la source
d'où peut venir la confusion qui couvre ce point de critique ,
et d'avoir mis sur la voie ceux qui travailleront à l'histoire
du Berry ; histoire qui , selon M. Brial , auroit grand besoin
d'une main habile.
La main la plus habile , en effet , auroit de la peine à
vaincre les difficultés qui naissent , dans la plupart de ces
histoires particulières , de la triple obscurité des événemens
des personnages et des sources , et à tirer de ce travail
quelque moyen d'intéresser ou d'instruire ; quelquefois , au
contraire , l'histoire particulière , non-seulement d'une province
mais d'une maison , se lie à celle de l'Europe entière ;
et il suffit , lorsqu'on s'occupe d'une famille qui a cette importance
historique , de nommer le sujet de ses recherches ,
pour
éveiller l'attention . Telle est cette célèbre maison d'Autriche
, qui a dominé les deux mondes , et mise récemment
à de si terribles épreuves . M. Mentelle a tracé , dans un
Essai historique et statistique , le tableau des accroissemens
et des pertes que cette maison a successivement éprouvés
depuis l'avénement de Rodolphe de Hapsbourg à l'Empire ,
jusqu'aux traités de Presbourg et d'Austerlitz inclusivement.
Cet Essai ou Mémoire est divisé en deux parties . La première
renferme les événemens qui ont contribué à la grandeur
de la maison d'Autriche , depuis l'élévation de Rodolphe
, en 1273 , jusqu'à la mort de Charles VI , en 1740 ; la
seconde , depuis cette époque jusqu'aux derniers traités ,
en 1806.
Les faits historiques relatifs à l'agrandissement de cette
maison , sont assez généralement connus. Les détails statistiques
le sont moins ; et cette considération , jointe à l'intérêt
particulier que ces sortes d'objets ont acquis , a engagé
M. Mentelle à s'en occuper spécialement.
SEPTEMBRE 1807 . 469
Lorsque Rodolphe fut appelé à l'Empire , il ne possédoit
guères de domaines qu'une étendue de 179 mille carrés
d'Allemagne , répondant à 495 de nos lieues carrées ; ( on
laisse ici , comme dans le reste de ces évaluations , les fractons
de lieue. ) Rodolphe paroît avoir senti , dès-lors , toute
l'importance du principe auquel ses descendans ont donné
de si grands développemens ; c'est que le moyen le plus efficace
pour conserver l'Empire dans sa famille étoit de se procurer
une grande masse d'Etats héréditaires . Il donna tous
ses soins , pendant la durée de son règne , à l'accroissement
des siens . Albert I , son fils , dont on a dit qu'il ne voyoit
le bonheur que dans la puissance , et la puissance que dans
le despotisme , se proposa le même but , et tous les moyens
lui parurent légitimes pour y parvenir . A sa mort , l'étendue
de ses domaines montoit à 1234 mille carrés , ou 3418 lieues
Carrées.
Après que la couronne impériale , que l'on avoit craint
de conserver dans la famille de cet Albert , devenu odieux
à tout l'Empire , eut passé successivement dans quelques
autres familles , elle revint , en 1438 , à la maison d'Autriche
, dans la personne d'Albert II . Sous les règnes précédens
, les biens de cette maison n'avoient point cessé de
s'accroître ; le règne de Frédéric III , son successeur , fut
sans utilité pour l'Empire , mais non pour l'agrandissement
de sa maison. L'événement qui y contribua le plus , fut le
mariage de l'archiduc Maximilien avec la princesse Marie ,
fille et unique héritière du dernier duc de Bourgogne
Charles -le -Téméraire. Ce mariage fit entrer dans la maison
d'Autriche les dix-sept provinces des Pays- Bas. Le total des
domaines héréditaires de cette maison s'éleva , sous l'empire
de Maximilien , à 3613 milles carrés , ou environ 10,109
lieues carrées ; ainsi , en moins de trois cents ans , ces biens
avoient été portés à plus de vingt fois d'étendue qu'ils avoient
d'abord .
à
Le mariage de Philippe , fils de Maximilien , avec Jeanne ,
infante d'Espagne , fille et héritière de Ferdinand et d'Isabelle
, augmenta si prodigieusement cette masse , et elle
s'accrut encore tellement sous la domination presqu'universelle
de Charles -Quint , leur fils , qu'on l'a fait monter ,
cette époque , à 16,085 milles carrés , qui font plus de
46,217 lieues carrées , en y comprenant tous ses États de
l'ancien et du nouveau Monde. Quelques tables de statistique
portent même cette masse à un ou deux milliers de milles
plus haut , et le nombre des sujets de Charles-Quint à plus
de 31 millions.
3
470 MERCURE
DE FRANCE ,
La division de la maison d'Autriche en deux branches
diminua les possessions de la branche allemande , réduites ,
sous Ferdinand I , frère de Charles-Quint , à 6,402 milles
carrés , ou 17,733 lieues carrées . Cependant de nouvelles
acquisitions porterent cette étendue , sous le règne de Charles
VI , à 14,573 milles carrés ; mais à sa mort il n'en
restoit plus que 10,935 . Sous le règne de Marie-Therese ,
le total fut porté un peu plus haut ; il augmenta encore sous
Léopold ; et même au commencement du règne de Francois
II , il étoit de 13,994 milles ; mais la puissance de sa
maison ayant diminué par les derniers événemens , voici à
quels résultats actuels s'arrête M. Mentelle , sans se dissimuler
que , malgré les soins qu'il a pris , et malgré les renseignemens
directs qu'il a reçus des savans les plus distingués
de l'Allemagne , la connoissance de matériaux plus exacts
peut faire parvenir encore à des résultats plus complets .
Etendue , 10,730 milles carrés , ou 29,842 heues carrées .
Population , 22 millions 4 à 800 mille ames .
Revenus , de 103 à ro4 millions de florins.
Une autre puissance européenne a fixé l'attention de
M. Dupont de Nemours : il a lu dans nos séances quelques
chapitres d'une Histoire des finances de l'Angleterre , travail
relatif à l'une des attributions les plus précieuses de la
classe , celle de l'application des sciences morales et politiques
à l'histoire . Parvenu au système de finances établi en
Angleterre par le roi Alfred , quelques observations qui
ont été faites à notre confrère , lui ont fourni le sujet d'une
dissertation sur les constitutions domaniales de finance.
A quelque point que ces constitutions puissent être imparfaites
, il leur trouve un avantage remarquable , celui de.
fonder le service public par une seule. concession , au moment
où l'utilité de cette concession frappe tous les esprits ,
et de telle manière que les propriétés privées peuvent demeurer
, et si la concession a été suffisante , demeurent
effectivement exemptes d'impôts.
L'histoire présente des exemples de trois sortes de constitutions
domaniales de finance. La plus ancienne est celle.
à partage de terres . Diodore de Sicile nous fait connoître.
qu'elle a existé en Egypte , où le tiers des terres avoit été.
donné aux Pharaons , et un autre tiers aux prêtres. Les
rois de plusieurs autres nations ont eu aussi des domaines
de cette espèce.
La seconde constitution domaniale de finance est à partage
de fruit. Il y en a deux grands exemple , l'un chez le Hébreux
, l'autre chez les Chinois. M. Dupont fait connaître,
SEPTEMBRE 1807 . 471
les différences qui existent entre ces deux genres de constitution
domaniale , toutes deux de la même espèce . Il démontre
les inconvéniens , tant de cette seconde espèce que
de la première , ou de celle qui fut en usage chez les Egyptiens.
Enfin , la troisième constitution domaniale de finance est
à partage de revenu. Elle n'a encore été tentée que par l'Assembée
constituante de France . Cette assemblée avoit décrété
que les terres paieroient le cinquième du revenu , après
défalcation préalable de tous les faits de culture , el que tout
propriétaire qui pourroit avoir été taxé à plus de ce cinquième
, obtiendroit un dégrévement ; mais cette disposition
n'a été observée que pendant une année seulement. M. Du
pont regarde ce plan de constitution domaniale de finances
comme très-supérieur à celui des Egyptiens , des Hébreux
et des Chinois .
Il s'est trouvé engagé dans une autre discussion , à l'occasion
d'une attribution qui a été rendue à la classe d'histoire
et de littérature ancienne , et qui étoit une des principales
de l'Académie des inscriptions et belles- lettres . En vertu
d'une lettre de S. Exc . le ininistre de l'intérieur , la classe a
dû s'occuper de présenter au gouvernement des projets de
médailles , pour consacrer les glorieux événemens dont nous
sommés témoins. Deux opinions contradictoires se sont
élevées sur la manière dont ces événemens doivent être
représentés. Quelques membres de la classe pensoient que
l'on pouvoit s'approcher de la vérité dans la manière de
rendre les actions , les personnes , les costumes et les objets
matériels , en sorte que l'on pût voir , sans le secours des
inscriptions , pour quelle nation et dans quel temps ces
médailles auroient été frappées ; d'autres se tenoient aux
principes généraux reçus parmi les artistes et les amateurs de
l'art , qui autorisent dans la représentation de tous les sujets
que traite l'imitation des arts du dessin , une manière emblé--
matique ou figurée de représenter les choses , sans égard
aux temps , aux lieux et aux personnes .
M. Dupont, qui s'étoit fortement déclaré pour la première
opinion , a expliqué ses motifs dans deux mémoires ."
Les médailles , dit-il dans le premier , ont d'abord été des
monnaies sur lesquelles ceux qui les faisoient frapper ont
voulu rappeler des événemens dont ils trouvoient utile ou
honorable de conserver le souvenir . Ce n'est que dans les
temps modernes qu'elle sont devenues de simples monu
mens historiques . Il trouve qu'elles sont d'autant plus obligées
d'être historiques , c'est-à-dire , de donner, sans aucune
4
472 MERCURE DE FRANCE
équivoque , une idée de l'événement qu'elles rappellent , du
temps et du lieu où il s'est passé , des grands hommes dont
on veut qu'elles perpétuent le souvenir.
Il juge en conséquence : 1 ° . que les légendes et les exergues
de celles qui son próposées , doivent être en français ;
2°. Que ces médailles doivent , dans leurs accessoires et
dans les costumes , offrir une idée monumentaire de nos
sciences , de nos arts , de nos moeurs . Il désapprouve qu'on
y voie des trirèmes , quand nous avons des frégates et des
vaisseaux de guerre qui sont beaucoup plus beaux , et que
nos héros ont réellement montés ; que des armes antiques
remplacent nos canons , nos fusils , nos drapeaux , dont
l'effet ne lui paroît pas moins pittoresque . Notre costume
militaire , sur- tout , qui moulele corps et les membres , lui
paroît aussi avantageux et plus fidèle que la cuirasse antique.
Les anciens portèrent dans leurs médailles et leurs basreliefs
une vérité locale , sans laquelle nous ignorerions
quels étoient leurs meubles , leurs vêtemens , leurs armes .
M. Dupont veut que , de même , nos médailles puissent être
comprises par nos contemporains et par nos descendans ,
sans effort , sans commentaire , et que ce ne soit pas pour
eux de véritables énigmes . Enfin , les médailles lui paroissent
faites pour l'histoire et pour la gloire des nations et des
princes , encore plus que pour celle des artistes .
Le second Mémoire n'étoit que l'application de cette
théorie à quelques-unes des médailles proposées.
La classe n'a point partagé ses opinions , et M. Quatremère
de Quincy a expliqué la théorie qui y est contraire
dans un Mémoire étendu , dont il a lu un extrait dans la
séance publique. Voici quelle est , en peu de mots , la
substance de cette théorie :
Chaque art , ou chaque genre d'imitation , n'est , en définitif
, que le résultat d'une manière de considérer la nature
dans un de ses aspects , on sous un de ses rapports particuliers
. Ces diverses manières sont très -nombreuses ; mais
elles se divisent facilement et évidemment en deux principales
, dont l'une consiste à voir les objets dans leur rapport
positif et matériel , et l'autre à les considérer dans leur
rapport intellectuel ou moral. En correspondance avec ces
deux manières opposées de considérer un sujet , les artistes
reconnoissent quatre modes ou styles dans les ouvrages de
Part savoir le style trivial , le style naturel , le style noble
et le style poétiqne . M. Quatremère donne des exemples de
ces quatre styles et de la manière dont le même sujet peut
être traité dans l'un ou dans l'autre . Il établit ensuite qu'il
:
SEPTEMBRE 1807 . 473
n'y a aucune raison ni aucun moyen d'excepter de cette
théorie , et de soustraire à la rigueur de ses conséquences
aucun sujet moderne ou national . Toute cette discussion est
-l'objet de la première partie.
Il s'attache , dans la seconde , à développer la théorie
abstraites des procédés poétiques par lesquels l'imitation des
arts du dessin parvient à faire passer les sujets que traite
l'artiste de l'ordre de choses positif à l'ordre de choses idéal ;
ordre qui autorise on plutôt nécessite le style poétique ou
figuré . Ce style ne peut exister que par un changement
apparent dans l'extérieur et les formes des actions , des choses
et des personnes . Les deux procédés poétiques par lesquels
ce changement s'opère dans les arts du dessin , consistent
dans l'action de généraliser , et dans l'action de transposer ,
ou la métophore . L'auteur explique fort en détail la nature
et l'emploi de ces deux procédés , sans lesquels il ne peut
exister dans les arts de style poétique , ni par conséquent de
moyens d'élever les objets de l'ordre positif à l'ordre idéal.
Il emploie spécialemeut sa troisième partie à développer
les moyens pratiques par lesquels l'artiste opère l'imitation
métaphorique , et les changemiens qu'il fait subir aux sujets
qu'il traite ; et il applique ces notions en particulier à la composition
des médailles et des monumens honorifiques . Il
traite , dans la quatrième , de la liberté que les Grecs et les
Romains employèrent dans la représentation de leurs costumes
et de leurs sujets historiques . Enfin il analyse les
différences de l'habillement antique et de l'habillement
moderne , et fait voir que l'un fut aussi favorable à l'iinitation
l'autre y est contraire .
que
Je finirai ce rapport en observant que je n'ai dû y faire
entrer ni les travaux de plusieurs de nos confrères qui n'ont
pas jugé à propos de leur donner cette sorte de publicité , ni
un Mémoire historique et géographique de M. la Porte -du-
Theil sur l'île de Salamine , parce que son auteur ne le
regarde que comme destiné à faire partie d'un plus grand
travail ; ni un autre Mémoire de M. de Sainte- Croix , sur le
tombeau de Mausole , parce que la description de ce tombeau
n'est plus aussi qu'une partie accessoire d'une dissertation
qui embrasse la chronologie des dynastes ou princes de
Carie , que notre confrère a terminé depuis , et dont il n'a
encore que commencé la lecture. Je n'y ai pas non plus
compris les Observations de M. Dupuis , sur le Zodiaque
de Tentiris Dendera , ou qui ont été imprimées à part , ainsi
que ses nouvelles Explications du Zodiaque chronologique
et mythologique. Pour la même raison , j'ai passé sous si474
MERCURE
DE FRANCE ,
lence les Recherches de M. Langlès , sur l'origine , l'histoire
et les travaux littéraires des Tatars -Mantchoux , qui sont
destinées à une publication indépendante de celle de nos Mémoires
; et enfin , l'introduction générale à la première partie
de l'Histoire littéraire moderne , que je me dispose à publier,
et qui contient le tableau de ia destruction des Lettres par
l'invasion des Barbares en Italie , et des vicissitudes qu'elles
y éprouvèrent jusqu'au 11 ° siècle , prémiere époque de leur
e
renaissance .
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
Le secrétaire perpétuel de la classe de la langue et de la
littérature françaises de l'Institut , répond par la voie des
feuilles publiques aux nombreuses demandes en éclaircisse
ment qui lui parviennent sur les concours ouverts par l'Académie
, et rappelle que les deux prix d'éloquence proposés
cette année par l'Académie , seront décernés dans la séance
publique qu'elle tiendra l'un des premiers jours d'avril 1803 ,
et que les pièces destinées au concours doivent être remises
au sécrétariat de l'Institut le 15 janvier 1808 , terme de
rigueur .
On annonce trois grands opéras : la Mort d'Adam ,
paroles de M. Guillard , musique de M. le Sueur ; la Vestale
, paroles de M. Jouy , musique de M. Spontini ; et la
Mort d' Abel , dont on ignore les auteurs.
-On fait espérer à Feydeau une pièce intitulée Cimarosa.
Le sujet est tiré de la vie de ce grand compositeur , et la
musique est d'un de ses élèves .
On parle de réformes dans l'administration de plusieurs
théâtres ; on croit que le régime de l'Académie Impériale
subira quelques changemens.
-Il paroît décidé que les Comédiens français retourneront
au faubourg Saint-Germain , et que c'est pour eux que l'on
répare l'Odéon ,
-Mad. Catalani est arrivée à Dublin , où elle doit faire
briller son talent à des conditions fort avantageuses pour elle.
A son retour , elle passera à Elimbourg , où elle est fort
désirée.
M. Le Brun , membre de l'Institut et de la Légiond'Honneur
, poète , que ses succès dans le genre lyriqua
SEPTEMBRE 1807 . 475
avoient fait surnommer le Pindare français , vient de
mourir dans un âge très-avancé. La mort de M. Portalis
et la sienne laissent deux places vacantes à l'Académie
Française. Les obsèques de M. Le Brun, se sont faites avec
les cérémonies ordinaires . Une députation de l'Institut a
accompagné le corps à l'église de Saint-Roch , d'où , après
le service divin , il a été conduit au cimetière Montmartre,
M. Chénier a prononcé sur la tombe un éloge funèbre. Un
détachement militaire , qui accompagnoit le convoi , a
rendu au mort les honneurs prescrits pour les membres de
la Légion d'honneur.
M. le docteur Caldwell , de Philadelphie , vient de
publier la traduction de l'ouvrage de M. Alibert sur les
fièvres pernicieuses intermittentes . Il y a ajouté , en forme
d'Appendix , un excellent Essai sur l'épidémie de la fièvre
jaune qui a régné aux Etats - Unis d'Amérique en 1805 .
―
M. Moradjea d'Ohsson , suédois d'origine , et depuis
long-temps établi en France , auteur d'un ouvrage extrêmement
curieux et fort cher , intitulé Histoire de l'Empire
Ottoman , vient de mourir à Bièvres près Paris.
Le monument qu'on a construit à M. Fox , à Westminster
, est un simple tombeau qui n'a pour inscription
que les lettres initiales de son nom ; mais on croit qu'on se
propose d'élever à la mémoire de cet homme célèbre un
monument plus digne de sa renommée .
NOUVELLES POLITIQUES,
Kiel , 21 août.
Le lieutenant - général Peyman , gouverneur de Copenhague ,
a fait brûler dans les faubourgs les maisons qui pouvoient favoriser
les assiégeaus , et nuire aux opérations de la défense de
la place . On estime le dommage à plusieurs millions de risdales.
Ces faubourgs étoient grands et parfaitement bâtis ; mais les
habitans de Copenhague sont tellement animés , qu'on raconte
que les pauvres habitans des faubourgs étoient les plus acharnés
à la destruction de leurs maisons.
Les Anglais ont effectué leur débarquement. La ville est
investie par terre et par mer. Le général auglais Cathcart a
établi son quartier-général au château de Frederihsberg , et
déjà les hostilités ont commencé. Le parlementaire que les
Anglais ont envoyé n'a pas été reçu , et a été chassé avec indi
gnation . « Vous n'êtes pas des ennemis , leur a dit le général
Peyman , vous êtes des brigands. Sans déclaration de guerre ,
sans motifs , vous venez nous attaquer ; vous pouvez nous tuce
476
MERCURE DE FRANCE ,
si vous êtes les plus forts : la vie nous seroit odieuse , s'il nou
falloit la tenir de vous. >>
Le 18 , les Danois ont fait une sortie ; les Auglais ont été
repoussés et ont eu 15 hommes tués. Deux bâtimens anglais
de débarquement ont été pris par les chaloupes canonnières
danoises. Un léger engagement a eu lieu sur mer entre les
bâtimens danois et anglais. Quelques bombes qu'ont jeté les
Anglais n'ont fait aucun dommage. On est parvenu à organiser
dans l'intérieur de l'île un corps de 10 mille hommes
dont 4 mille de troupes de ligne , et le reste de landwern ou
cultivateurs anciens soldats , exercés ou qui sont exercés
annuellement. Ce corps est sous les ordres du général Cartenschiold.
Jamais l'esprit dans une ville assiégée n'a été meilleur. La
haine contre l'ennemi et le zèle pour la cause commune
passent toute expression . Les baillis de l'île de Sélande rassemblent
et envoient à l'armée des chevaux tout harnachés .
En dépit des croisières anglaises , des volontaires arrivent tous
les jours à Copenhague . Les étudians , au nombre de six cents ,
se sont présentés chez le grand - maréchal de la cour ; et , réunis
sur la place du château , ils ont fait le serment de vaincre ou
de mourir .
Quel spectacle que celui de toutes les scènes d'oppression
et de tyrannie que les Anglais s'occupent aujourd'hui de
donner au monde ! Aucune n'a de caractère plus odieux que
leur agression contre le Danemarck. Ils attaquent la capitale
d'un roi , leur ami , leur allié , qui n'a aucune discussion
lui avoir déclaré la guerre ; bien plus , d'un *
roi partial pour eux , puisque pendant toute l'année ils n'ont
eu de communication avec le continent que par ses Etats.
Bénie soit la Providence , de ce que cet horrible gouvernement
est sans troupes et sans généraux de terre !
avec eux sans
2
Du 20. L'ambassadeur de France à Copenhague , est ici . Le
prince Royal travaille jour et nuit. Les habitans de cette
ville et les étudians forment un corps de volontaires pour
garder et défendre le rivage de Friedrichsort. Tout est aussi
en mouvement à Gluckstadt : on y organise , avec la plus
grande activité , les moyens de défense de la rive droite de
l'Elbe. Il y aura un armement général dans tout le Holstein ,
particulièrement dans les endroits situés sur les côtes et les
bords des rivières ; on s'empresse partout à prendre volontairement
les armes. En attendant , beaucoup de troupes
réglées se portent vers le Fahnen . On compte maintenant
300 voiles anglaises qui sont près de Copenhague ou à la vue
de cette ville. D'après un avis publié à Sleswick , on y délivre
des lettres de marque contre les bâtimens anglais.
SEPTEMBRE 1807. 471
Un navire marchand suédois , qui descendoit le canal pour
entrer en mer , avoit été détenu par le cutter posté ici . Le
commandant du yacht de guerre suédois adressa sur- le- champ
ses réclamations au prince Royal , qui a fait relâcher le vaisseau
suédois ; il a passé, ainsi que plusieurs autres vaisseaux de la
même nation. Le yacht de guerre suédois a aussi mis à la voile
cet après-midi.
19 Du 25.- Un courrier porteur de nouvelles de Copenhague
jusqu'au 20 , et de la Sélande jusqu'au 22 , annonce
que deux autres sorties ont été faites le et le 20 , et qu'elles
ont eu le même succès que la première ; c'est -à - dire , quelques
tués et blessés et quelques prisonniers . On a appris également
que les Danois étoient restés maîtres de la presque totalité des
avenues qui environnent Copenhague , et notamment d'un
grand lac qui se trouve en avant des portes de l'est et du nord ,
en touchant d'un côté à la citadelle et s'étendant presque jusqu'à
la porte
d'ouest. Tous ces points ont eté mis en état de
défense. Ils offrent de grands avantages , parce que se trouvant
protégés par le canon de la place , ils en augmentent
considérablement le circuit , et forcent l'ennemi à affoiblir sa
ligne d'investissement , qui par-là devient presque nul. Aussi
la crainte d'une prise d'assaut a -t-elle entièrement cessé
même dans le coeur des citoyens les plus timides ; et si l'on
a aujourd'hui de l'impatience , c'est de voir les Anglais le
"
tenter.
11 paroît d'un autre côté qu'ils ne s'attendoient point à
autant de résistance , et qu'ils espéroient que ce ne seroit que
l'affaire d'un coup de main ; car ils ont à peine quelques
pièces de siége.
Le quartier - général du général Cathcart est toujours à Fredericsberg
, où il sembleroit craindre d'être assiégé lui-même ,
à en juger par les travaux dont on l'a environné. Ce château
est situé sur une éminence que traverse la grande route de
Hambourg , et à une demi -lieue de Copenhague.
Du reste les Anglais après avoir pour ainsi dire chassé
un souverain de sa résidence , avoir investi et bombardé
sa capitale qu'ils assiégent encore , ont l'impudence de proclamer
qu'ils ne viennent que pour protéger le Danemarck
contre les armées françaises. Peut-on pousser plus loin la
perfidie et même la sottise ? On dit que pour donner quelque
appui à leur assertion , ils paient la plupart des objets
qu'ils consomment dans l'île. Il paroît au surplus qu'on prend
leur argent , mais sans les en croire davantage.
Les nouvelles de la Sélande aunoncent que le quartiergénéral
du général danois Cartenskiold est à Ringstedt. Le.
478 MERCURE DE FRANCE ,
corps sous ses ordres s'étend jusqu'à Roschild. Il n'a fait encore
aucun mouvement , parce que son organisation n'est pas
complète. Il manquoit particulièrement d'officiers ; mais
grace au dévouement et à l'intrépidité qui animent en général
le militaire danois , il en parvient journellement en Sélande ,
en depit des croisières anglaises . On ne doute pas que ce corps
ne soit bientôt en état d'agir.
La frégate de garde au Sund a été prise en voulant se réfugier
dans un des poris de la Norwège. Un vaisseau de ligne et une
frégate l'ont attaquée ; et après un léger combat qu'il lui
étoit impossible de soutenir , parce que c'étoit un vieux
bâtiment armé de pièces de 12 seulement , elle a été forcée
de se rendre. (Moniteur. )
PARIS , vendredi 4 septembre.
guerre. *
Rapport du maréchal Brune au ministre de la
quartier-général de Stralsund , le 20 août 11807 .
Au
Nous sommes entrés ce soir dans Stralsund après cinq jours
de tranchée ouverte dans ce court espace de temps , les travaux
ont été poussés avec une vigueur telle que je me promettois
d'emporter la place en peu de jours. Il y a eu un accord
parfait dans toutes les armes. Le roi de Suède , voyant les progrès
de nos travaux , l'inutilité de ses feux contre nos travailleurs
, et nos nombreuses batteries prêtes à foudroyer la
place , a jugé convenable de s'embarquer avec ses troupes ; il
est allé à Rugen , laissant à Stralsund pour commandant , un de
ses aide-de-camp , M. Peyron , qui est venu aujourd'hui avec
deux des principaux magistrats proposer une capitulationa
J'ai dû me refuser à une telle demande ; et en même temps
que je rassurois les magistrats effrayés de l'abandon auquel les
livroit leur ridicule souverain , je faisois placer trois compagnies
de grenadiers à chaque porte je suis entré dans la
place ; j'ai nommé le général Thouvenot pour y commander .
L'effroi des habitans étoit extrême ; mais j'ai prononcé le nom
de S. M. , et , sûr de la sagesse des soldats , j'ai fait subitement
succéder le calme à l'épouvante.
On nous a appris que le roi avoit été épouvanté des dangers
qu'il avoit courus à l'affaire du 6 , quand nous repoussions seg
postes dans la place ; et à celle du 15 , pour l'ouverture de la
tranchée il a emmené quelques canous et en a enclosé un
grand nombre ; nous avons trouvé un grand désordre de transports.
Je rendrai à V. Exc. un compte particulier de cet événcent
, aussi déshonorant pour le roi de Suède comme général
L
SEPTEMBRE 1807 . 479
que comme souverain ; mais je ne dois pas différer à exprimer
la vive satisfaction que je ressens de la conduite parfaite des
troupes françaises et alliées dont S. M. m'a confié le comman→
dement. Signé BRUNE.
Je crois avoir oublié de dire à V. Exc . dans ma précédente
dépêche que le roi de Suède avoit envoyé , il y a quatre jours ,
un aide-de- camp pour réi'érer la proposition la plus ridicule .
On est à plaindre d'avoir à traiter avec un pareil souverain ;
mais les peuples de Suède sont bien plus à Flaindre encore ,
officiers , soldats , citoyens , tous gémissent des travers de leur
prince ; tous aiment les Français et admirent S. M.
Le roi de Suède est seul de son parti dans son royaume ; il
faut cependant y joindre douze à quinze misérables , comme
(Moniteur. ) Fersen et Armfeld.
Extrait d'une lettre de S. Exc . le maréchal Brune , à S. A. S.
le prince de Neuchatel , vice- connétable.
Au quartier- général de Stralsund , le 23 août.
Nous avons emporté cette nuit , moitié par surprise , moitié
d vive force , l'île et le fort de Danholm . Six cents suédois
sont prisonniers. Nous avons trouvé dans l'île 14 pièces de
canon ou mortiers .
Le roi de Suède nous a laissé à Stralsund 500 bouches à feu
300,000 boulets , 100,000 bombes , 200 milliers de poudre ,
et beaucoup de fer en barre.
--
"
Conformément aux ordres de Sa Majesté l'Empereur et
Roi , et par les soins de LL . EExc. les ministres de l'inté →
rieur et de la guerre , le 29 août 1807 , à 7 heures du soir , ont
eu lieu les funérailles de S. Exc. M. Jean - Etienne Marie
Portalis , ministre des cultes , grand -aigle de la Légion d'honneur
, membre de l'Institut et de plusieurs autres sociétés
savantes , décédé en son hôtel , rue de l'Université , le mardi 25
du courant.
les Les députations des corps de l'Etat , les fonctionnaires
publics civils et militaires , les administrations ,
les amis du défunt , s'étoient rendus à son hôtel .
parens et
Le cortège en est parti à pied , pour aller à l'église de
Saint-Thomas-d'Aquin , au milieu de deux haies de troupes ,
à la lueur des flambeaux , et au milieu d'un concours de
spectateurs , sensiblement émus . 1
CORPS LÉGISLATIF.
Lundi , 31 août , MM. les conseillers d'Etat, Treilhard ,
Pelet et d'Hauterive , ont présenté un projet de loi relatif à la
contrainte par corps pour dettes contractées par des étrangers.
Mardi , MM. Regnault , Jaubert et Réal ont présenté un
projet de loi relatif au code du commerce. Les sept premiere
480 MERCURE DE FRANCE ,
er
itres du 1 livre traitent : 1 ° es commercans , 2°. de la
tenue des livres ; 3 ° . des sociétés en général et en commandite;
4- des séparations de biens ; 5° . des dispositions particulières
à chacun de ces titres ; 6° . des commissionaires ; 7 ° . des formes
suivant lesquelles la vente et l'achat pourront être commercialement
établis . Mercredi , MM. les conseillers d'Etat Begouen
, Fourcroy et Bérenger ont présenté le 8° titre du livre
1er du projet de Code de commerce. Ce titre comprend les
divisions suivantes : De la lettre de change ; de la forme ; de
la provision ; de l'acceptation ; de l'acceptation par intervention
; de l'échéance ( à cet égard , tous les délais de grace , de
faveur , d'usages ou d'habitudes locales set abrogés ) ; de
l'endossement ( il est défendu d'antidater les ordres , à peine
de faux ) ; de la solidarité ; de l'aval ; du paiement ; du paiement
par intervention ; des droits et devoirs du porteur.
( Ce paragraphe fixe les délais pour le paiement des lettres
de change tirées des Echelles du Levant , des côtes septentrionales
et occidentales de l'Afrique , des Indes orientales et
occidentales , et pour le temps de la guerre maritime. ) Les
dernières divisions traitent des protêts , du rechange , du
billet à ordre , enfin de la proscription . Jeudi , MM. Ségur ,
Rhédon et Treilhard , ont présenté le 3 livre du projet de
Code de commerce , intitulé : Des Faillites et Banqueroutes.
Vendredi , MM. Mare tet Corvetto ont présenté le livre IV
du code de commerce , contenant la jurisdiction commerciale
.
Nota. Dans sa séance du 5 , le Corps- législatif a adopté .
le projet relatif au prêt à intérêt , qui lui avoit été présenté
le 25 août.
FONDS PUBLICS DU MOIS D'AOUT.
DO LUNDI 31 , C pour o/oc. J. du 22 mars 1807 , 91f 9of goc 6oc 50c
9 f 70c 80c 75c gif gof 75c 80c 5c 75c . ooc noc ooc ooc .
Idem. Jouiss, du 22 sept. 1807 , 87f 25c. 50c . ooc onc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 13 of 139of 000of cooof ooc
DU MARDI 1er septembre . — C p . 0/0 c. J. du 22 mars 1807 , 92f92f
20c 25c 50c . 25c 5oc 3oc 50c . oof oo ooc coc ooc oof oof ooc
7
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , 89f. Soc eof oof ooe . aoc ooc
Act . de la Banque de Fr. avec doublement 1405f 1410f 1430f. 0000f 000of
DU MERCREDI 2 Cp. oo c. J. du 22 mars 807 , 9of 50c gol gol 250
89f756 89f75c . gof boc 5oco f. ooc of ooc . ouf.
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1807 , oof- coc . oof. oof ooc ooc one'
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1405f1400f 1405f 000of oooof
DU JEUDI 3. - Cp. oo c. J. du 22 mars 1807 , 9of 50c 10c gof gof 100
9of roc 8of 75 % 5cc ooc one oỌC ĐỌC ĐỘC ĐẶC DỌC ĐỘC ĐỌC GÓC ĐỌC 600
Idem . Jouiss. du 22 sept. 1807 , 87f 10c oof ooc ooc one oof ooc
Act , de la Banque de Fr. avec doublement oooof. Gooof one neo f. 0000f
DU VENDREDI 4. Cp. 0/0 c. J. du 22 mar 1807 , 9of Syf 25c. 89f .
8Sf zoc ooc , one oỌC ĐỌC one Gof ooc 002 ouf oỌC ĐỌC DỌC CỌC
Idem . Jouiss . du 22 sept . 18o7 , 87f foc one , oof coc coc
Act. de la Banque de Fr. avec doablement 1400f 1397f 500 1400k.
oof
3
(No. CCCXXI. )
LA
SEINE
( SAMEDI 12 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DEP
DE
5 .
cen
7
ODE
Ax, qu'un vulgaire amant sur les roses s'oublie Í
Tibulle s'éveilloit pour chanter sa Délie :
Qu'il est doux , qu'il est beau de passer tour-à -tour
Des bosquets de Vénus au temple de Mémoire !
Quel charme de trouver la gloire
En sortant des bras de l'Amour !
Non, tu ne mourras pas , ô ma chère Delphire !
Des baisers et des vers unissons le délire ;
Des siècles envieux qu'il repousse l'effort ;
Qu'un vers tendre , après nous ,
exhale encor notre ame,
Et coupe d'un sillon de flamme
L'ombre éternelle de la mort !
Nota. Cette Ode nous a été donnée par M. LE BRUN, de l'Académie
Française , quelque jours avant sa mort.
TRADUCTION
Du début du poème contre RUFIN , de CLAUDIEN.
Je doutois si d'un Dieu la sagesse profonde
Gouvernoit les destins et de l'homme et du monde ,
Ou si l'homme et ces feux qui peuplent l'univers ,
Sans maître , sans soutien erroient au sein des airs.
# Hh
482 MERCURE
DE FRANCE ,
(
C'est un Dieu , me disois-je , au séjour du tonnerre,
Qui de son bras puissant a suspendu la terre :
Il fait naître les fleurs , il fait mûrir le fruit ;
Il donne au jour ses feux , ses ombres à la nuit.
C'est lui qui du soleil mesura la carrière;
Du soleil , à Phébé , qui prête la lumière.
Par lui marche l'année en égales saisons ;
Par lui l'Océan gronde en ses vastes prisons .
C'est un Dieu qui lui dit : « O mer, sur ton rivage
>> De tes flots écumans doit expirer la rage. ››
Mais quand je vois partout donner chez les mortels
A la vertu des fers , au crime des autels ,
Mon esprit abattu , mon ame embarrassée ,
D'une Divinité rejettent la pensée ;
Je crois voir au hasard épandus dans les airs
Les atomes' se joindre et former l'univers ;
Et je peuple de Dieux la région céleste ,
Immortels pour eux seuls , et dédaignant le reste.
Rufin a fait cesser ce doute injurieux ,
Et son supplice enfin vient d'absoudre les Dieux .
Le voile se déchire , et ma plainte importune
Cessera désormais d'accuser la fortune.
2
Plus haut , sa main puissante élève le pervers,
Et plus rapide il tombe . O Muses , en mes vers
Apprenez aux mortels quel gouffre épouvantable
Sur la terre a vomi ce monstre détestable .
Voyant partout régner la paix et le bonheur ,
L'implacable Alecton , la rage dans le coeur ,
Secoue au loin les feux de sa torche fatale ;
Elle appelle ses soeurs et la troupe infernale.
Aussitôt à sa voix s'assemblent à grand bruit
Les monstres de l'Enfer , noirs enfans de la Nuit :
L'Envie au coeur de fiel ; la Faim impérieuse ;
La pâle Maladie , et sa suite hideuse ;
La Vieillesse , qu'attend la Mort sur un tombeau ;
La Discorde , agitant un sinistre flambeau;
SEPTEMBRE 1807 . 483
L'Audace au front altier ; la Terreur au teint blême ;
Le Remords dévorant , qui se ronge lui- même ;
Le Deuil , couvert d'un voile humide et déchiré ;
Le Luxe insatiable , et de biens altéré.
Couverte de lambeaux , sur ses pas , en silence ,
Se traîne lentement la honteuse Indigence ,
Qu'embrasse l'Avarice , attachée à son sein.
Après eux , des Soucis vient le nombreux essaim.
De ces monstres hideux la cohorte , pressée ,
Sur les sie es de fer à grand bruit s'est placée.
La superbe Alecton , une torche à la main ,
S'élève : tout se tait. La déesse soudain
Fait siffler ses serpens , les rejette en arrière ,
Et d'une voix terrible exhale sa colère :
"
« D'un siècle fortuné nous souffrons donc le cours !
» Nous laissons les mortels couler en paix leurs jours.
>> De la paix maintenant sommes-nous donc amies ?
» Mais que dis-je , mes soeurs , sommes-nous les Furies ?
» Eh , que font dans vos mains ces fouets jadis sanglans ?
"
Que font sur votre front ces paisibles serpens ?
>> Jupiter nous chassa du séjour du tonnerre ;
» Théodose aujourd'hui nous chasse de la terre.
>> Quoi ! le souffrirez -vous ? ... Le prince est jeune encor ;
» Allumez vos flambeaux , ou craignez l'âge d'or.
» Déjà l'humble Vertu , la Piété modeste ,
» Promènent en cent lieux leur puissance funeste ,
» Bravent à haute voix les filles d'Achéron .
» Astrée est sur la terre : elle insulte Alecton ;
» Tire de leurs cachots les Lois emprisonnées ,
>> Des cachots où ce bras les avoient enchaînées .
» Dans un honteux repos , quoi ! foible déité ,
>> Alecton traineroit son immortalité !
>> Non , non , faisons cesser cet odieux outrage ;
» Soyons dignes de nous…….… Oui , je veux , dans ma rage,.
» Je veux souiller le jour de tous mes noirs poisons ;
» M'élancer sur les mers , et briser leurs prisons ;
Hh 2
484 MERCURE DE FRANCE,
>> Je veux couvrir les cieux d'une fumée impure ,
>> Et dans ses fondemens ébranler la nature. »
• Elle dit , pousse au loinun fier mugissement,
Agite dans les airs son flambeau menaçant ,
Etses serpens soudain en sifflant se hérissent.
D'un bruit sourd et confus les Enfers retentissent..
Les uns veulent voler sur les pas d'Alecton;
Ceux-ci craignent les lois du sévère Pluton.
Déjà leurs cris du Styx font trembler le rivage.
Tel , des mers en courroux , le flot , après l'orage ,
S'élève encore , gronde ; et, chassés par les vents,
On voit fuir dans les airs les nuages flottans.
Mais la soeur d'Alecton s'élève : c'est Mégère,
Du Crime et de la Rage épouvantable mère;
Mégère, qui ne boit que le sang criminel
Que le fils a cherché dans le flanc paternel.
Elle arma contre Alcide etles cieux et la terre;
Déshonora cet arc le rival du tonnerre;
Et, chez les rois d'Argos faisant pâlir le jour ,
Avec leurs corps sanglans se joua tour-d-tour.
C'est elle , à la lueur de sa torche funeste ,
Qui consacra l'hymen d'Edipe et de Thyeste.
«Oui , je le sais, mes soeurs , en vain contre les ciens
>>>Nous voudrions armer un bras audacieux,
» Dit- elle ; mais s'il faut bouleverser la terre ,
» J'ai qui saura servir cette noble colère ; (1 )
>> Rufin : il peut lui seul accomplir ce dessein.
>> A peine il vit le jour , recueilli sur mon sein ,
>> Et demandant en pleurs mes mamelles livides ,
>>. Il en pressa le sang sur ses lèvres avides.
>> Abuser avec art , donner en vain sa foi ,
>> Sont les moindres talens qu'il ait reçus de moi.
(1) Le traducteur s'est permis de passer en cet endroit quatre vers qui
se trouvent dans l'auteur latin , parce qu'il les a jugés d'un mauvais goût ,
et renfermant d'ailleurs des idées qui se trouvent plus bas.
1
SEPTEMBRE 1807 . 485
» Mattre de sa fureur , savant dans l'art de nuire ,
>> Il flatte d'une main , et de l'autre il déchire :
>> Cruel autant qu'adroit , et plus avide encor ,
» Du Tage et du Pactole il engloutiroit l'or.
» Toujours prêt à semer la discorde et la guerre ,
>> Si les temps reculés l'eussent vu sur la terre ,
» Oreste , de Pylade erroit abandonné ,
>> Et Castor , sous Pollux tomboit assassiné.
» Encore enfant , je vis tout ce qu'il devoit être ;
» Et docile , il apprit à surpasser son maître :
» Enfin , seul , de l'Enfer il a tous les forfaits.
» Parlez , et Théodose , au sein de son palais ,
» Bientôt verra ce monstre , à qui céderoit même
» D'Ulysse et de Minos la sagesse suprême. »
A
A ces mots , un cri part , et cent profanes mains
Applaudissent d'avance aux malheurs des humains.
Elle attache aussitôt sa livide ceinture ;
Fait sur son front sanglant dresser sa chevelure ;
Court au noir Phlégéthon ; à ses brûlantes eaux
Allume en frémissant deux énormes flambeaux ;
Et soudain , frappant l'air de ses ailes funèbres ,
S'élance , et fend du Styx les impures ténèbres.
Par M. A. DEVILLE .
ENIGME.
MA charrue est légère , et cinq boeufs que j'y mets
La font aller de reste , ainsi que l'on peut croire :
Le champ que je laboure est blanc comme l'ivoire ;
Ce que j'y sème est noir comme le jais .
Par un Abonné.
LOGOGRIPHE
Je ne vous dirai pas si je suis très-utile ,
Quoique je sois connu aux champs comme à la ville ;
Sur-tout dans certaine saison ,
Où de moi l'on fait grand usage ,
3
486 MERCURE DE FRANCE ,
Soit par plaisir , soit par raison .
Fillette , pour peu qu'elle fût sage ,
De moi ne feroit pas de cas ,
Dans la crainte d'un faux pas ;
Car je vais toujours en courant,
Et mon plancher est fort glissant .
Mais il me faut absolument un frère ;
Pour mon emploi je le crois nécessaire .
Si l'on me fait servir , ah ! quel dur esclavage !
On m'attache ; on me fait le plus cruel outrage ,
Puisqu'on me foule aux pieds. Mais après , dans un coin ,
Quand de moi , pour un temps , on n'a plus nul besoin ,
Avec mépris je suis jeté.
C'est alors , cependant , que j'ai ma liberté.
J'en ai trop dit , lecteur , pour me laisser chercher;
Et sans peine , à présent , tu peux me deviner.
Me faudra- t- il encor , pour me faire connoître ,
Te compter mes cinq pieds, décomposer mon être ?
Eh bien ! trouves en moi un utile aliment;
Une partie aussi de ton habillement ;
Une rivière en France ; un arbre toujours vert ,
Qui croît au haut des mouts , au milieu d'un désert ;
Unespacede temps qui jamais ne te dure;
Certainapprêt servant à former ta chaussure ;
Unpronom possessif;
Un terme négatif.
Mafoi , je suis au bout , je n'ai plus rien à dire ,
Amoins qu'à mes dépens j'apprête encore à rire.
Par M. Edme PATIN.
CHARADE.
2
Mon premier sert à table ,
Mon second sert à table ,
Etmon tout sert à table.
1
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Laurier.
Celui du Logogriphe est Filigrane ( ouvrage d'orfèvrerie ) , où l'on
trouve lie , Nil , an , île , ane , aigle , Ange, angle , rage, ligne ,
laine , argile , glaire , ail , air, gare , graine, grain , lyre , geai,
farine , fin . Les deux mots latins sont granum fili.
Celui de la Charade est Mi-graine ,
SEPTEMBRE 1807 . 487
RÉFLEXIONS sur la Géologie , et Citations
A
d'Exemples de ses erreurs etde son utilité.
La géologie , fondée sur des faits bien vus et bien jugés ,
estune des branches les plus intéressantes de l'histoire naturelle
. Se rendre raison de l'état actuel de la surface de la
terre , et le trouver conforme à l'histoire révélée de son
origine , de celle du genre humain et de tous les êtres qui
composent la création , est , pour l'homme raisonnable et
instruit , la plus grande satisfaction qu'il puisse éprouver.
Il ne se voit plus un être jeté au hasard sur le globe qu'il
habite , mais un être qui a réellement l'origine élevée qui
lui est annoncée , qu'il est sorti des mains de l'être éternel
qui forma l'Univers , et qui donna l'existence à tous les
êtres.
Mais autant les observations bien faites et bien jugées des
faits conduisent à une saine géologie , autant celles qui sont
faites superficiellement et sans réflexion donnent-elles naissance
àdes systèmes qui conduisent àl'erreur et à l'égarement .
Lorsque de Buffon , ayant imaginé que la terre et les planètes
étoient des fragmens du soleil , enlevés de cet astre par
le choc accidentel d'une comète , imagina ensuite que le
soleil étoit composé d'une matière en fusion et incandescente
, il crut voir la terre composée dans son origine de cette
même matière ; et partant du temps qu'il falloit à un boulet
de canon , d'un diamètre donné , pour se refroidir entièrement
depuis l'instant de son état de fusion , il calcula de
sang froid le temps où la terre , ayant perdu graduellement
cet excès de chaleur primitive supposée , arriveroit
enfin à un froid absolu ; c'est-à-dire , à la fin de l'existence
de tous les êtres qui l'habitent.
A
On voit, par cet exemple , à quel excès d'égarement on
peut être entraîné quand on abandonne cette première et
grande vérité : Que l'Univers est l'ouvrage d'un Etre puissant
et sage; que tout s'y meut ety existe d'après les lois qu'il a
établies , et pour des fins dignes de son infinie sagesse.
Lorsque les attérissemens des fleuves sur le rivage de la
mer ont été mépris pour un sol qu'elle abandonne , on a
conclu ce système absurde , que la mer circule autour du
globe , en abandonnant les côtes occidentales et envahissant
les orientales , quoiqu'il soit bien connu que les côtes occi
4-
488 MERCURE DE FRANCE ,
dentales ne sont point abandonnées par la mer, et qu'en
plusieurs endroits les côtes orientales , loin d'être envahies ,
étendent leurs rivages par les attérissemens des grands
fleuves qui s'y versent .
Quand, au contraire , ces attérissemens des fleuves qui
s'accumulent sur le rivage de la mer , quoiqu'existans aux
yeux de tous les hommes , n'ont pas même été remarqués ,
on a fait descendre sous ses flots ce sédiment charié par les
fleuves , pour y former des continens futurs ; et , pour produire
cet effet supposé , on a supposé encore des courans au
fond de la mer , qui sillonnent des vallées et élèvent des
montagnes , quoiqu'il soit attesté par les navigateurs que ces
courans n'existent point; etpar le raisonnement , que la mer
doity être tranquille .
Quand les partisans du soulèvement des montagnes ont
cité, à l'appui de leur opinion, l'exemple des volcans : voilà ,
ont-ils dit, des montagnes notoirement élevées par le feu ;
pourquoi les autres montagnes ne l'auroient-elles pas été
de même ? N'approfondissant rien , et s'en tenant à un
aperçu superficiel , ils n'ont pas vu que les volcans sont absolument
distincts des autres montagnes ; qu'ils n'ont rien de
commun avec elles , ni dans leur forme , ni dans les matières
qui les composent , ni dans la cause de leur élévation ,
et la manière dont ils ont été élevés .
Les volcans ont tous la forme d'un cône tronqué , provenant
de l'accumulation de matériaux rejetés par une
bouche à feu , qui retombent sur eux-mêmes à l'entour de
cette bouche ; et les couches qui en résultent sont dans le
sens de l'inclinaison des pentes du cône , qui ne sont dérangées
de cette position que lorsque des bouches nouvelles
s'ouvrent sur les flancs du volcan . Ensuite , toutes les matières
sont visiblement des produits du feu : on ne trouve que des
vitrifications plus ou moins complètes ; des laves compactes ,
spongieuses et cellulaires , c'est- à-dire , pleines de boursoufflures
; des scories de divers volumes , souvent pulvérisées
en particules aussi petites que le sable le plus fin ; et des
teintes de soufre abondent dans les environs du cratère.
Toutes les autres montagnes sont formées par couches ,
étendues dans l'origine horizontalement on peu inclinées ,
par les dépôts successifs accumulés sur le fond de l'ancienne
mer, qui ne sont devenus des élévations que par l'affaissement
brusque ou en bascule des côtés qui leur faisoient suite .
Rien , absolument rien , n'y montre l'ouvrage du feu ; tout
y est l'ouvrage des eaux.
Le système qui prétend tout opérer par cristallisation ,
L
SEPTEMBRE 1807 . 489
Cristallise aussi les montagnes , quoique rien ne soit plus
varié et plus irrégulier que leurs formes , qui toutes sout
accidentelles .
Mais il n'est aucun système ( celui de Buffon excepté ) qui
soit plus contraire à tout ce que nous montre la nature , que
celui du docteur Hutton d'Edimbourg , dont le chevalier
Hall a entrepris de prouver la réalité par ses petites expériences
tubulaires de compression de la chaleur . Il est
Curieux , par exemple , de lire comment il amène et conclut
la formation du granit par le feu : « Enfin , dit- il , dans le
» cas où la température ( la chaleur ) seroit encore plus
» élevée , le sable lui -même se fondroit en entier , et pour-
» roit être converti par le refroidissement plus ou moins en
» granit , siénite , etc. , en conservant , dans quelque cas , des
» traces de la stratification primitive , et en constituant le
» gneiss et le granit stratifié ; d'autres fois , en s'insinuant
» dans les crevasses , il formeroit des veines de granit parfait. »
Certainement , il suffit de rapporter de telles conclusions
pour montrer qu'elles ne sont que des résultats créés par
l'imagination la moins exercée dans la connoissance des
phénomènes terrestres . D'un sable vitrifié , c'est - à - dire ,
d'une substance que le feu réduit par la fusion en un verre
homogène , il prétend en former , par une plus grande
chaleur , une roche composée de deux , de trois et même
de quatre substances différentes ; car on voit des granits
qui réunissent le quarts , le feldspath , le mica et l'homblende
, matières qui n'ont aucun caractère de fusion , et
qui n'existoient pas mieux dans la substance du sable , dont
il prétend les tirer , que les fossiles marins , renfermés dans
des couches sableuses , n'existoient dans la substance du
sable où ils sont déposés. Après cela , il n'est pas étonnant
qu'on ait prétendu que les corps cristallisés renfermés dans
les laves , sont formés de sa substance par le refroidissement ,
quoiqu'il n'y ait entr'eux nul rapport.
Les conclusions du chevalier Hall et des partisans de
son hypothèse , n'empêcheront pas que le granit ne soit par
le fait , comme dans la persuasion des naturalistes et des
géologues éclairés et instruits , une roche formée par Pintermède
de l'eau ; et quant aux autres roches , les ressemblances
annoncées peuvent être encore bien douteuses. Les
faits que j'ai cités ci -devant prononcent le peu de fondement
de toutes ces conclusions.
Le chevalier Hall compare la pression qu'il prétend
résulter d'une grande profondeur de la mer, à celle qu'il a
obtenue dans ses petits tubes de compression de la chaleur ;
490 MERCURE DE FRANCE ,
et il part de là pour en conclure la formation de toutes les
roches . Cependant , il estcontre toute bonne physique d'assimiler
la pression d'un solide impénétrable aux fluides expansibles
, à celle d'un liquide que ces fluides pénètrent : ainsi
le fluide igné , comme fluide plus léger que l'eau , la pénétrera
, quelle que soit sa profondeur , et ne sera point comprimé.
Je l'ai dit ci-devant , et je le répète , que s'il se manifestoit
une grande chaleur au fond de la mer , cette chaleur
n'y seroit point comprimée , mais s'éleveroit , pénétreroit
l'eau et la feroit bouillir , si elle étoit portée à un assez haut
degré pour produire l'ébullition.
Quoique cet effet physique soit inévitable , s'il falloit un
exemple pour le confirmer , le voici : En approchant de l'île
de Vulcano , je remarquai , à la surface de la mer, quelques
places qui fumoient ; je fis ramer à ces places , et j'y portai
la main; je la retirai bien vîte , elles étoient brûlantes. La
mer , cependant, devoit y être très-profonde : car à l'entour
des îles volcaniques , qui s'élèvent brusquement du fond de
l'eau , la mer y est toujours d'une grande profondeur ; et
quand elle eût été beaucoup plus profonde , la chaleur n'auroit
pas cessé de la pénétrer, de s'élever jusqu'à la surface
de l'eau , et de se dissiper dans l'atmosphère .
Cette île et ses environs présentoient ainsi , dans ce moment-
là , les deux seuls effets qui résultent des feux souterrains
qui se manifestent au fond de la mer : celui d'élever
un volcan , lorsqu'ils sont assez considérables pour cela , et
celui seulement de pénétrer l'eau et de l'échauffer . Jamais
ils ne peuvent y être comprimés .
Je demanderai ensuite aux constructeurs des couches du
globe par l'intermède du feu qu'ils appellent plutonique
(qualification digne de figurer à côté de cette divinité de la
Fable ) , dans quel moment de l'existence du globe ils feront
paroître l'homme et les êtres organisés; dans quel moment
ils feront paroître les végétaux qui les nourrissent , l'eau
qui les abreuve , l'air qu'ils respirent ?
C'est là où viennent enfin échouer tous les auteurs de
systèmes sur la formation des globes , qui ne tirent leurs
moyens que de leurs seules conceptions , sans recourir à
l'intervention d'une Intelligence suprême , qui a donné
l'existence à chaque classe d'êtres aux époques marquées
par sa sagesse ; ou s'ils entreprennent de l'expliquer , ce
ne sont plus que des rêves dont les figures fantastiques
varient autant qu'il y a d'imaginations qui les créent.
On réclame fréquemment les faits pour fonder telle ou
SEPTEMBRE 1807 . 491
1
telle hypothèse géologique. Ce n'est que par eux , sans
doute , qu'on peut espérer de parvenir à la vérité ; mais
l'expérience nous apprend que la plupart de ceux qui les
réclament , les voient et les jugent mal. De là tant de mauvaises
géologies . Je viens d'en citer plusieurs exemples , et
je pourrois en augmenter beaucoup laliste.
Mais quand les recherches géologiques sont fondées sur
des faits bien jugés , sur une géographie physique bien
observée, cette science n'est pas nulle , et n'est pas un rêve;
elle conduit à des résultats certains (1) . On reconnoît alors
que nos continens n'ont pas plus d'ancienneté que celle que
leur assigne l'époque du Déluge , récité par l'historien sacré
de la Genèse.
Ceux qui rejettent l'authenticité de ce récit , qui,rejettent
encore toute révélation faite à l'homme de son origine et de
celle du globe qui lui a été donné pour demeure , ont les
yeux fermés à tous les faits qui l'attestent , et saisissent avec
empressement tout ce qui a l'apparence d'autoriser leur
scepticisme.
: C'est d'après cette disposition de l'esprit et du coeur, que
quelques physiciens et géomètres , arrivés de France en
Egypte en 1798 , publièrent à leur retour , avec le ton du
triomphe , la découverte qu'ils avoient faite , disoient- ils ,
dans la haute Egypte , de zodiaques qui prouvoient que les
Egyptiens étoient un peuple d'une ancienneté très-reculée ,
bien antérieure aux chronologies de la Genèse.
Ces zodiaques égyptiens n'étoient cependant pas une
découverte nouvelle. On voit dans la partie historique de
l'Académie des Sciences , de l'année 1708 , le dessin d'un
grand fragment de l'un de ces zodiaques , gravé sur un
marbre antique qui avoit été apporté d'Egypte , et trouvé à
Rome en 1705. D'après la réunion des figures de ce zodiaque
avec d'autres animaux etdes figures humaines symboliques
, dont quelques-unes à têtes d'animaux , et avec
(1 ) Nulle et réve : expressions de l'auteur de l'article VARIÉTÉS , dans le
Journal de l'Empire du 22 juin dernier. L'auteur de cet article (M. Malte-
-Brun) fait , dit- il , ses sincères complimens de condoléance aux géclogues
qui ne croient pas que le granit soit une cristallisation ignée , sur
la réussite des expériences de sir James Hall. Cependant sir James Hall ne
dit pas qu'il ait fait du granit , mais seulement que le sable , fondu en
entier par une chaleur très- élevée , pourroit étre converii en granitpar
Je refroidissement. C'est bien vite transformer en fait une simple conjecture
ou plutôt une vraiefiction , comme le sont toutes ses conclusions
surla formationdes roches calcaires. Un système géologique fondé sur
de telles données seroit en effet un reve..
492 MERCURE DE FRANCE ,
les planètes représentées par des têtes humaines , on voit
que ce zodiaque est plus astrologique qu'astronomique; et
c'est ainsi qu'en jugea l'Académie. Donc , jusqu'à ce que
l'on soit initié dans le sens des hiéroglyphes égyptiens , on
nepeut rien conclure de ces zodiaques, dont l'arrangement
et la combinaison des figures ne sont dus manifestement
qu'aux chimères de l'astrologie , auxquelles les Egyptiens
étoient fort adonnés .
Deux faits géologiques bien intéressans , appartenant à
l'Egypte même et à son voisinage , détruisent les conséquences
tirées de ces zodiaques. Les voyageurs dont les
observations m'ont déjà fourni ces faits , ne pensoient guère
qu'ils confirmeroient la chronologie de MOISE , et en attesteroient
la vérité.
On sait , d'après les relations de plusieurs voyageurs , que
la côte d'Arabie sur la Mer Rouge, est encombrée de récifs
de corail, qui en rendent l'abord difficile et dangereux.
Ces récifs sont l'ouvrage et l'habitation de polypes , qui ,
à mesure qu'ils travaillent , abandonnent leurs premières
demeures , sur lesquelles ils continuent à bâtir. On voit
très-distinctement cette succession de travail dans ces mêmes
productions marines qui font l'ornement des cabinets d'histoire
naturelle , sous les noms de coraux , de madrepores ,
millepores , orgues de mer , etc.
€ Dans les climats chauds , ces polypes sont toujours en
activité ; ils ne cessent pas de multiplier et de construire :
d'où résulte qu'en peu de temps ils augmentent d'une manière
sensible la masse de leurs demeures , qui s'étendent et
s'élèvent dans une progression toujours croissante ; et cette
masse ne se détruit point en vieillissant , étant de la même
matière que le test des coquilles , et en ayant la dureté.
Dans sa description de l'Arabie , M. Niebuhr cite un
-exemple frappant de l'accroissement rapide de ces bancs de
corail qu'on observe à quelques lieues au nord de Mocka :
<<Galefka , ville autrefois célèbre , dit-il , est à présent un
» mauvais village, dont les habitans, peu nombreux, vivent
>>de leurs dattiers et de leur pêche. La côte y est aujourd'hui
>> si remplie de bancs de corail , que le port en est impra-
>> ticable , même aux petits bâtimens.>>>
Le voyageur danois , frappé de ce phénomène , mais
imbu de l'erreur que la mer se retire , l'attribue à cette
cause : « On ne peut pas douter, dit - il , que la mer ne
>>> se retire encore continuellement , et que le Théama ne
prenne des accroissemens successifs. Les bancs de corail
> augmentent sans cesse , et , en s'approchant du rivage ,
SEPTEMBRE 1807 . 493
> rendent la navigation du golfe de plus en plus dangereuse
. »
Si donc les peuples de l'Egypte étoient aussi anciens qu'on
l'a annoncé , d'après l'interprétation donnée avec tant d'empressement
aux zodiaques égyptiens , le golfe Arabique ,
qui baigne leurs côtes , seroit depuis long-temps entièrement
encombréde ces bancs de corail.
Ce n'est pas seulement la Mer Rouge qui montre ce
phénomène bien remarquable; un grand nombre d'îles
situées entre les tropiques en sont aussi environnées , et
rendent leur abord également dangereux.
M. Labillardière , auteur de la relation du Voyage à la
recherche de La Peyrouse , fait à cette occasion la réflexion
suivante : « Ces polypiers , dit-il , dont l'accroissement con-
>>tinuel obstrue de plus en plus le bassin des mers , sont bien
>>capables d'effrayer les navigateurs ; et beaucoup de bas-
>>fonds , qui offrent encore aujourd'hui un passage , ne tar-
>>deront point à former des écueils extrêmement dange-
>> reux. » M. Labillardière fait cette réflexion à la suite du
récit des dangers qu'ils avoient courus en approchant de la
nouvelle Calédonie .
Si l'état actuel des continens et des mers existoit depuis
des milliers de siècles , comme le prétendent les écrivains
qui rejettent la chronologie de Moïse , n'est-il pas évident
que ces récifs , dont l'accroissement ne cesse point , environneroient
depuis long-temps ces îles d'un si grand nombre
d'enceintes de ces murs de corail , qu'elles auroient été
inaccessibles aux premiers navigateurs dès une très-grande
distance en mer ? La nature est donc ici d'accord avec la
chronologie de l'écrivain sacré . Le travail de ces petits
animaux , comme je l'ai déjà exprimé , s'élève du fond des
mers en témoignage de la vérité de son récit. (1 )
Le second fait géologique qui détruit les conséquences
qu'on a tirées des zodiaques égyptiens , appartient à l'Egypte
même. L'irruption des sables du désert de Libye qui borde
les rives occidentales du Nil , est ce nouveau chronomètre.
Je l'ai déjà cité (2) ; mais il est essentiel de répéter des
vérités qu'on s'efforce en tant d'occasions de détruire. C'est
pourquoi je les présente encore dans ce Journal, à l'attention
(1 ) Lettre sur les Zodiaques trouvés dans la Haute-Egypte , adreséeaux
rédacteurs de la Bibliothèque Britannique , le 10 mai 1802. Cahier
du même mois , page 101 .
(2) Voyez le Cahier de la Bibliothèque Britannique de mars 1805 ,
page288 à 296.
494 MERCURE DE FRANCE ,
et aux réflexions de ses lecteurs : car c'est à l'abandon des
vérités révélées , fondement des principes moraux et religieux
, fondement des principes de charité et de justice ,
seules sources du vrai bonheur des hommes , que sontdus
tous les maux qui troublent la société , et qui font tantde
malheureux.
Je viens au nouveau chronomètre. Les sables du désert
de Libye , poussés par les vents d'Occident , ne laissent plus
de rives cultivables sur les bords occidentaux du Nil , partout
où ils n'en sont pas garantis par des montagnes. On voit
l'empiétement de ces sables sur des terrains autrefois habités
et cultivés .
M. Denon nous apprend , dans la relation de son Voyage
dans la basse et haute Egypte , que des sommités de ruines
de villes anciennes ensevelies sous ces sables se montrent
encore à l'extérieur ; et sans une suite de montagnes appelée
chaîne libyque , qui borde la rive gauche du Nil, et forme
une barrière contre les débordemens de ces sables dans les
endroits où elle s'élève , le Nil n'auroit depuis long-temps ,
de ce côté-là , aucune rive habitable .
« Rien n'est triste , dit M. Denon, comme de marcher
>>sur ces villages dévorés par le sable du désert , de fouler
>>aux pieds leurs toits , de rencontrer les sommités de leurs
minarets , de penser que là étoient des champs cultivés ,
qu'ici croissoient des arbres , qu'ici encore habitoient des
>> hommes , et que tout a disparu.>>>
»
১)
Si donc nos continens étoient aussi anciens qu'on l'a prétendu
, tous les bords occidentaux de ce fleuve , exposés au
fléau des sables du désert , ne montreroient aucune trace
d'habitation des hommes , au lieu que ces traces existantes ,
attestent les progrès successifs de l'empiétement des sables ;
et les rives de ces endroits-là , autrefois habitées , resteront
pour toujours arides et désertes .
Ainsi la grande population del'ancienne Egypte , annoncée
par les nombreuses et vastes ruines de ses villes , étoit due
en grande partie à une cause qui n'existe plus, et sur laquelle
on ne porte pas son attention.
Les sables du désert étoient éloignés de l'Egypte ; les .
oasis , ou terrains habitables , existans encore comme des
îles au milieu des sables , lui étoient réunis ; mais ces sables ,
transportés par les vents d'Occident , ont enseveli et couvert
cette étendue , et frappé de stérilité un terrain autrefois
productif et fertile .
Ce n'est donc pas uniquement à ses révolutions et à ses
changemens de souverains , que l'Egypte doit la perte de
SEPTEMBRE 1807. 495
son ancienne splendeur , mais encore à la privation , sans
retour , d'un pays qui fournissoit à ses besoins avant que
les sables du désert l'eussent couvert et fait disparoître.
Maintenant , si l'on fixe son attention sur ce fait , et
qu'on réfléchisse aux conséquences qui seroient résultées ,
si des milliers ou seulement quelques centaines de siècles
s'étoient écoulés depuis l'existence de nos continens hors de
la mer , n'est- il pas évident que tout le pays à l'occident du
Nil auroit été enseveli sous les sables du désert avant l'établissement
des villes de l'ancienne Egypte , quelqu'antiquité
qu'on leur suppose , et que ce pays , dès long-temps stérile ,
auroit détournédu projet d'élever d'aussi vastes et nombreux
établissemens , auxquels même on n'eût pas pensé ?
Lorsqu'ils prirent naissance , une autre cause les favorisoit.
La navigation de la Mer Rouge étoit sans danger sur
ses côtes . Tous ses ports , aujourd'hui encombrés de bancs
de corail , étoient d'un accès facile et sûr. Les vaisseaux
chargés de marchandises et de denrées pouvoienty aborder
et en partir , sans craindre de se briser contre des écueils
qui se sont élevés depuis ,, et qui continuent à s'étendre .
Les vices du gouvernement actuel de l'Egypte , et la découverte
du passage des Indes en Europe par le Cap de
Bonne-Espérance , ne sont pas ainsi les seules causes de son
état présent de décadence. Si les sables du désert n'avoient
pas envahi le pays qui la confine à l'ouest , et si le travail
des polypes marins dans la Mer Rouge n'avoit pas rendu
périlleux l'abord de ses ports et de ses côtes , et comblé
quelques - uns de ses ports , la consommation de l'Egypte
seule , et des pays voisins ainsi que leurs productions ,
suffiroient pour la maintenir dans un état de prospérité et
d'abondance . Le passage aux Indes par le Cap de Bonne-
Espérance cesseroit ; l'existence politique dont jouissoit
l'Egypte dans l'époque brillante de Thèbes et de Memphis
se rétabliroit , qu'elle n'atteindroit plus à ce degré de splendeur.
Ainsi les récifs de corail élevés dans la Mer Rouge , à
l'orient de l'Egypte , et les sables du désert , venus de l'occident
, se réunissent pour attester cette vérité : Que nos
continens n'ont pas plus d'ancienneté que celle que leur
assigne la chronologie de l'écrivain sacré de la Genèse ,
depuis la grande époque du Déluge .
Genève, le 1 août 1807. G. A. DELUC.
J
496 MERCURE DE FRANCE ,
Tableau historique et politique de l'année 1806 , précédé
d'unCoup-d'OEil sur les cingpremièresannées du 19 siècle,
et accompagné de huit portraits gravés en taille-douce .
Un vol. in-8°. de plus de 460 pages d'impression . Prix :
5 fr. 50 €. , et 6 fr. 50 c. par la poste. A Paris , chez
Buisson , libraire , rue Git-le- Coeur , n°. to , ci-devant
rue Haute-Feuille , n°. 20 ; et chez le Normant .
IL est, pour l'écrivain , des sujets d'un choix heureux ,
mais d'une exécution pénible. Les avoir conçus , c'est donner
déjà une idée favorable de son esprit ; les avoir traités
avec succès , une idée avantageuse de son talent. Si c'est
un fonds mal choisi qu'un fonds stérile , c'en est un fort
embarrassant à manier qu'un trop abondant. Souvent
il est moins difficile d'inventer que de disposer , moins
difficile d'administrer un modique qu'un immense patrimoine.
Teldut être l'embarras de l'auteur du Tableau qui
est sous nos yeux. Il consista sur-tout à y faire entrer les
traits sans nombre qui le composent ; à réunir en consé
quence et coordonner ces traits , pour en former un ensemble
régulier et suivi , une composition attachante dont
l'image ne fût pas trop au-dessous du modèle. Poury prétendre
, cet auteur devoit chercher , non pas à maîtriser sa
matière , mais à lui obéir. Ici les faits commandent'; il dut
donc suivre l'ordre des faits : leur succession naturelle dut
former le fil naturel de leur narration . L'art consistoit à ne
laisser jamais échapper ce fil conducteur , soit en interrompant
leur série , d'où naît tout leur intérêt , soit en s'abandonnant
trop à l'attrait des réflexions ou conjectures qui
naissent de leur plus simple exposé. L'auteur semble avoir
conçu son travail dans cet esprit, qui ne l'a point abandonné
dans l'exécution ; etvoici en effet comment il procede :
Son ouvrage se compose de trois parties . La première
offre un coup-d'oeil de notre révolution , observée dans
son berceau et dans ses développemens , soit à l'intérieur ,
soit à l'extérieur ; un aperçu des premiers exploits , des
grandes vues naissantes , tant comme héros que comme
personnage politique , de l'homme extraordinaire qui devoit
enchaîner enfin l'hydre des factions. Cette première partie
contient donc toutes nos révolutions , y compris la dernière
, celle du 18 brumaire , etc.
Ces éclaircissemens étoient indispensables pour mener
avec
SEPTEMBRE 1807 . 497
1
avec plus d'intérêt le lecteur aux événemens que renferme
la seconde partie .
L'auteur y remonté au mois d'octobre 1805 ( à cause de
la guerre d'Autriche qui a cominencé à cette époque ) . Il
donne , par mois , un récit détaillé de tout ce qui s'est
passé d'important dans l'Europe et les autres contrées du
monde , jusqu'à la fin de 1806 , etc.
Sans prétendre suivre l'auteur dans ses récits , jetons
un coup-d'oeil sur ces deux premières parties de son ouvrage
, les plus importantes en ce qu'elles renferment ces
prodiges militaires qui ont décidé des destinées de la Francè ,
de son repos , et, par avance , de celui du monde.
Notre révolution , comme une flamme dévorante , avoit
embrâsé toutes les puissances du continent , qui pensèrent
qu'un peuple , amolli par l'exemple de ses chefs , succomberoit
sous ladouble guerre qu'elles lui préparoient , et qu'il
se livroit lui-même ; mais ce même peuple , énervé dans les
délices , avoit , dès les premières attaques , repris une vie
nouvelle , et se retrempoit dans ses orages. Ces puissances ,
incapables de juger le caractère français , ne voyoient pas
que sa prétendue légèreté n'est que l'heureuse flexibilité d'un
esprit supérieur qui sait se ployer à tout ; qu'elle cachoit un
foyer d'activité qu'une étincelle pouvoit allumer : semblable
à ces monts dont la surface n'offre à l'oeil que de rians
paysages , et dont le sein renferme un volcan. Le volcanirrité
éclata sur elles .
L'auteur caractérise en peu de mots l'effrayante puissance
delaconvention et l'autorité olygarchiquè , et bientôt impuissante
, du directoire .
<.<Ce fut au milieu de pareilles circonstances que parut
tout-à-coup à la tête de l'armée d'Italie , un jeune guerrier
>>destiné par le sort et par son génie à mettre fin à tant de
>>troubles , à tant d'anarchie , et dont les premiers pas furents
>>marqués par des faits qui durent frapper vivement tout
>>homme capable d'observer et de réfléchir . i
>>A vingt-sept ans , ce jeune chef a pacifié l'Italie , et
>>fondé le gouvernement cisalpin. Mais il part... Avec lui
>>>fuientlavictoire et l'espoir dubonheur public , qui revien-
>> dront avec lui. Un malaise général est le triste fruit de
>>l'administration incertaine et sans intensité du gouver-,
>> nement de cinq hommes , plus inexpérimentés que mal
>> intentionnés . Le besoin d'une révolution se faisoit sentir :
>>elle n'attendoit qu'un chef. Le ciel le ramère des déserts
>>de la Syrie. Le port de Fréjus le reçoit ; et déjà l'audace
>>des puissances, qui commencoient de nouvelles insultes,
Li
'498 MERCURE
DE FRANCE
,
» tombe à la vue de son épée. Aux plaines du Milanais , à
» Pavie , à Brescia , à Marengo , il rejette sur elles ce
» manteau d'humiliation dont elles vouloient nous cou-
» vrir. »
I Dans l'esquisse de l'auteur , dont je ne puis qu'indiquer
des traits , partout nous est représenté l'homme supérieur ,
dont la vue embrasse tout , dont le bras frappe nos ennemis
dont la main cicatrise nos plaies , dont la voix sèche nos
larmes , et rappelle à l'espérance les peuples qu'elle ne peut
pas encore rappeler au bonheur .
L'auteur a observé en vrai Français , et suivi dans tous
sés détours l'astucieux cabinet de Londres , toujours fidèle
à l'esprit de ses plans d'asservissement général , bien qu'il en
change les formes , selon l'exigeance des cas , des temps et
des circonstances ; toujours prêt à tout accorder , pourvu
qu'il ne livre rien de ce qu'il accorde ; signant une réconciliation
, pour mieux assurer le succès d'une perfidie ; protégeant
des infortunés , pour mieux les perdre ; machinant
F'esclavage des peuples , en se proclamant le vengeur de leurs
libertés ; stipulant pour l'intérêt de leur fisc , afin de se l'approprier
; pour l'intégralité de leur territoire , afin de le tout
envahir ; pour leur industrie , afin de l'exploiter ; épiant en
conséquence , dans les arts et les sciences , le premier signal
des découvertes , pour s'en donner l'honneur , et pour qui
Tous les moyens sont bons dès-lors qu'ils sont utiles .
En suivant l'auteur , l'on suivra la marche triomphale des
armées ; et ici il faut avoir des ailes . L'on remarquera que
le but prochain ou éloigné de leur chef , c'est la paix , tou->
jours la paix. Cette idée le poursuit jusqu'au sein des batteries
qui tonnent pour forcer à la recevoir ceux qui la
repoussent ; et , durant que toutes ses mesures sont prises ‹
dans les camps pour la préparer , de sages et fermes insti- <
tutions dans l'intérieur s'organisent pour la rendre à jamais ‹
solide et brillante.
Il faut renoncer à donner l'extrait de ce livre , qui lui- ‹
même est l'extrait , si l'on peut le dire , de quelques années ,
et dont presque chaque page contient assez de faits illustres ‹
et d'opérations extraordinaires pour composer la vie entière
d'un grand homme , où les événemens sont pressés si
étroitement , que telle de ces pages encore ressemble plutôt
à un sommaire qu'à un narré . Ne pouvant les saisir tous
sans copier le livre , nous nous bornerons à faire sortir de
cet immense Tableau quelques traits pris au hasard , tous
étant également remarquables, et comportant en soi, comme
en leur fin , le plus puissant intérêt.
SEPTEMBRE 1807 . 499
Le motif qui forma ces coalitions tant de fois rompues
et renouées est inexplicable quant aux puissances du continent
. Quant à l'Angleterre , la soif de l'or , soif insatiable ,
voilà l'éternel mobile de sa conspiration de tous les temps'
contre les nations. Sa conduite après le traité d'Amiens
prouva qu'elle n'avoit intentionnellement regardé cette paix
que comme une trève ; mais prouve aussi que , disposés
secrètement à le rompre , ses ministres n'avoient pas , en le
signant , marqué dans leur esprit l'époque de sa rupture , et
qu'il y eut alors autant d'inconséquence que de mauvaise
foi dans la politique de M. Pitt. La conduite des autres ?
puissances , inconséquente dès l'origine , continuoit de
l'être. Le motif qui les animoit étoit vague , où n'étoit
qu'un prétexte. Elles s'étoient armées d'abord en faveur
des principes monarchiques contre les principes démago- ·
giques ; mais , lorsque le gouvernement de la France fut
ramené à ceux de la raison et de la sagesse , on ne savoit
plus contre quels principes elles s'armoient . Il sembloit
ce fût alors contre le monarque que les Français s'étoient
choisi , et que ces puissances le voulussent forcer à conquérir
à plusieurs reprises le droit que toute la France lui avoit
donné de la gouverner . L'histoire expliquera difficilement
le but de l'Autriche , de la Russie , de la Prusse , formant
et rompant des traités , sans doute abusées toujours du
stérile espoir de dompter une nation indomptable , véritable
image , depuis quinze ans , de ce ressort vigoureux qui
s'échappe avec d'autant plus d'énergie , qu'on cherche da→
vantage à le comprimer.
que
Leurs provocations avoient d'abord été ouvertes , ainsi
que leur aggression ; mais de l'expérience des combats
elles retirèrent du moins un fruit , la prudence . Dès-lors
elles commencèrent à croire que le coup seroit d'autant plus
sûrement porté , qu'il auroit précédé la menace . De là , dans
la dernière guerre sur-tout , ces préparatifs hostiles au sein
des ténèbres , ces marches simultanées de troupes et de
négociateurs . C'est un tableau digne d'observation , et qui
nous semble avoir été bien saisi par l'auteur de ce Précis
historique , que le spectacle de ces puissances frappées
d'une même terreur devant le génie, d'un seul homine
tous ces peuples s'unissant dans le secret contre un seul
peuple ; et en même temps le chef de ce peuple , doué d'une
sorte de prescience , prévenant toutes les attaques , toutes
les machinations , et jusqu'à la pensée de ces cabinets que
ses salutaires avertissemens ne peuvent préserver de leur
perte. Mais ce qui ajoute à l'effet de ce Tableau , c'est qu'au
li a
500 MERCURE DE FRANCE ;
milieude ces chocs qui sembloient devoir briser l'Europe ,
l'Europe se raffermissoit sur d'inébranlables bases; que la
guerre , qui épuisoit tout , ainsi que vient de le remarquer
leprésident du corps législatif , renouveloit nos finances et
nos armées ; que toutes les parties de l'administration intérieure
des Etats français , déplacées par les anciennes révolutions
,venoient comme d'elles-mêmes reprendre le rang
qu'elles devoient occuper; et qu'au-delà de ces Etats s'élevoient
de nouveaux Empires alliés , de nouveaux remparts
pour la France. Ainsi sortoient de ces feux tumultueux ,
comme autrefois les boucliers des héros des fournaises de
Lemnos , les Empires d'Italie , de Naples , de Hollande ,
nouveaux boucliers aussi d'un nouvel Achille, c'est-à-dire ,
sans figure , que chaque effort des rois coalisés pour enlever
à l'Empereur des Français une portion de sa puissance , y
ajoutoit au contraire une puissance nouvelle ; et pourtant
il étoit encore remarquable qu'après chaque effort , l'Empereur
des Français étoit le premier à offrir, ou se montroit
toujours disposé à accepter la paix , qui seule devoit la
limiter.
Cette histoire , qui est celle des faits et des époques , en
offre presqu'à chaque page la preuve irrécusable. Sa patience
pour l'obtenir , qui va jusqu'à faire un sacrifice de ses lauriers
, est aussi admirable que son génie. Elle forme un trait
particulier et saillant de son caractère , trait qui n'a point
échappé à notre auteur , trait qui confirme la justessedecette
pensée d'un grand poète , applicable ici mieux que jamais :
Qui sait se posséder peut commander au monde.
Nous n'avons pu qu'indiquer les divisions et donner une
idée de l'esprit dans lequel est conçu cet ouvrage. Cet esprit
est celui d'un observateur et d'un écrivain plein du sujet
qu'il traite , et qu'il peut traiter, parce qu'il paroît versé daus
ladouble science du guerrier et du politique.
N'oublions pasque ceci n'estqu'un précis :sansce souvenir,
le lecteur pourroit souhaiter quelquefois que les grandes
époques et les grands traits fussent décrits avec des couleurs
plus énergiques , plus éclatantes , un intérêt plus développé,
àla manière des anciens historiens ; mais on ne peut exiger
de l'auteur plus qu'il n'a promis , et il a mieux fait que
beaucoup d'autres, en tenant tout ce qu'il a promis. Quelque
serré que soit son précis , il ne l'est pas jusqu'à la sécheresse.
Il peint quelquefois , et ses peintures sont attachantes.
Jeleprouverois par des citations , sije ne craignois d'étendre
trop cet extrait. Ses réflexions ont presque toujours le grand
SEPTEMBRE 1807. 5or
mérite d'être amenées sans effort , et tirées de l'essence des
faits. Si toutes n'ont pas pour base une vérité positive ,
toutes reposent sur des conjectures vraisemblables . Cet effet
n'a peut-être point eu ce motif, cette cause où l'auteur le
fait remonter ; mais il a pu l'avoir , et la raison ne le désapprouve
pas , encore que le fait puisse le démentir.
La troisième partie traite des affaires particulières des
différens Etats de l'Europe , c'est-à-dire , de son administration
tant civile que politique. Ici , un seul homme
donne et règle encore le mouvement : il est la Providence
qui domine ces grands corps , et dont ils attendent leur salut
et leur bonheur.
Pour bien connoître ce livre , il faut le lire ; et ceux qui
l'auront lu , partageant le desir des éditeurs , inviteront sans
doute l'auteur à continuer sur le même plan , d'année en
année, le récit des événemens de l'époque à jamais mémorable
dans laquelle nous vivons. R.
Lettres sur les Arts imitateurs en général , et sur la Danse
en particulier; dédiées à S. M. l'Impératrice des Français
et Reine d'Italie , par J. G. Noverre , ancien maître de
ballets en chef de l'Académie Impériale de Musique ,
ci - devant chevalier de l'Ordre du Christ. Ornées du
portrait de l'auteur. Deux vol. in-8° . A Paris , chez
Léopold Collin , libraire , rue Git-le-Coeur , n°. 4 ; et
chez le Normant.
:.
:
-
M. NOVERRE , célèbre compositeur de ballets , donna
en 1760 , sous le titre de Lettres sur la Danse , l'ouvrage
qu'il vient de faire réimprimer sous un nouveau titre et
avec des additions considérables. Cet ouvrage eut dans le
temps autant de succès que le sujet en comportoit. Voltaire
, à qui l'auteur en fit hommage , lui écrivit que c'étoit
un ouvrage de génie , qui , n'annonçant que la danse ,
donnoit de grandes lumières sur touslleess
arts . Voisenon ,
qu'il ne faudroit peut-être pas citer après Voltaire , fit à
M. Noverre le même compliment : « Je trouve le titre de
>> votre ouvrage bien modeste , lui disoit-il : c'est une vraie
>>poétique. » M. Noverre s'est corrigé de cette modestie ,
en intitulant Lettres sur les Arts imitateurs en général , et
sur la Danse en particulier , ce qui s'appeloit d'abord tout
simplement Lettres sur la Danse. Mon avis est qu'il eût
mieux fait de s'en tenir à son premier titre. La danse est
3
502 MERCURE DE FRANCE ,
le véritable objet de son ouvrage il n'y est parlé des arts
imitateurs (ou mieux des arts d'imitation) , c'est-à-dire ,
de la peinture , de la sculpture et de la musique , qu'acces
soirement et relativement à la danse , dont elles secondent
ou embellissent les travaux. En général , il vaut mieux
annoncer moins et donner davantage , que de rester audessous
de ses promesses . M. Noverre devoit peut - être
d'autant moins prendre Voltaire au mot sur cette disproportion
qu'il remarquoit obligeamment entre le titre et
l'ouvrage , qu'en lui envoyant son livre , il l'avoit consulté
sur le plan d'un ballet , dont le sujet devoit être le neuvième
chant de la Henriade. Voltaire , on le sait , remboursoit
toujours à gros intérêt les hommages qu'il recevoit. Au
reste le malin vieillard dut trouver plaisant que son
Henri IV abandonnât son armée et courût mille dangers,
pour venir danser un pas de deux avec la belle Gabrielle
comme on le voit dans le programme de M. Noverre.
Mais voilà l'inconvénient inévitable du genre. Il n'étoit
guère plus possible à M. Noverre d'exprimer nettement
le véritable objet de la visite de Henri IV, que de rendre
le qu'il mourût de Corneille dans son ballet des Horaces ,
L'embarras étoit d'un autre genre ; mais il n'étoit pas
moindre .
?
Il paroît que la division de l'ouvrage par lettres n'est
pas tout- à-fait une forme de convention que l'auteur a
adoptée ; mais qu'il a bien réellement adressé , les unes
après les autres , des lettres sur la danse à M. Dauberval
son élève , et que la réunion de ces lettres a formé tout
naturellement un livre . Il n'y a pas lieu de s'en plaindre :
l'ouvrage y a peut- être gagné plus de facilité et d'abandon ;
ce qu'on trouve rarement dans ces prétendues lettres de
tout genre , qui ne sont que de vrais chapitres , et qui n'en
different que parce qu'on met en tête Monsieur ou Madame,
et au bas Votre très -humble serviteur. Mais comme
tout bien est mêlé de mal , et qu'on ne peut obtenir l'un
qu'à la charge de supporter l'autre , les véritables lettres ont
quelquefois de la diffusion et du désordre : faute d'avoir à
l'avance distribué et classé les objets , on est plusieurs fois
ramené au même par le cours indéterminé des idées ; et
il en résulte des redites , dont la variété et le charme de
L'expression ne peuvent pas toujours sauver l'ennui. Ces
differens défauts se sont fait sentir à moi dans l'ouvrage de
M. Noverre. Riche d'un grand fond d'instruction et d'expérience
sur la matière qu'il traite , il veut transmettre à
son élève le dépôt tout entier de ses connoissances ; et ce
SEPTEMBRE 1807.
503
qui peut avoir pour l'artiste un certain degré d'utilité ou
seulement d'intérêt , paroît souvent superflu ou indifférent
à l'homme du monde. D'ailleurs , doué d'une grande facilité
de diction, et n'ayant point cet art de l'écrivain , qui consiste
à diminuer l'étendue de l'expression pour augmenter la
force de la pensée , il ne sacrifie aucune circonstance , ne
franchit aucune idée intermédiaire , ne sous-entend aucun
principe , aucune conséquence , et exprime tout avec le
plus grand nombre de termes possible : ce qui ôte à son
style , je ne dis pas le nerf et la précision principalement
réservés pour les matières graves , mais la légèreté et le
piquant dont les sujets un peu futiles ont particulièrement
besoin. Enfin , de toute manière , les Lettres sur la Danse
sont un peu trop l'ouvrage d'un compositeur de ballets ,
fait pour un homme qui se destine à la même profession .
Peut-être encore l'un pouvoit-il se dispenser , pour l'instruction
de l'autre , de remonter jusqu'au commencement
du monde, et de rechercher l'origine de la danse dans les
mêmes ténèbres conjecturales où J. J. Rousseau a voulu
découvrir le berceau de la société. De là , M. Noverre
parcourt tous les siècles , et retrace l'hi toire des beaux- arts
en Egypte , en Grèce , et dans l'Italie ancienne et moderne.
Les miracles de la pantomime chez les Romains , les prodigieux
succès des Pylade, des Batyle et des Hilas , occupent
, comme de raison , la plus grande place dans ce
tableau . Les recherches de l'auteur sur les moyens et les
effets de l'art scénique chez les anciens sont curieuses et
instructives : elles nous apprennent au moins que nous ne
savons presque rien sur les moyens , et que nous devons
ajouter peu de foi à ce qu'on nous raconte des effets . Sur
les autres objets , l'érudition et la critique de M. Noverre
ne me semblent ni aussi positives ni aussi sûres. Il n'est
pas vrai , par exemple , ou du moins nous ne sommes
point du tout certains que , bien avant Homère , et , comme
le dit l'auteur , dans des temps plus reculés , la république
d'Athènes se fût déclarée la protectrice des arts et des
sciences . Il est encore moins exact de dire que les arts
commencèrent à se montrer sous le règne de François I
et sous celui de Louis XIII; mais qu'alors leurs efforts
furent proportionnés à la foiblesse de leur enfance. Cette
enfance-là étoit bien l'âge de virilité, du moins pour la
peinture , la sculpture , la ciselure , et en général pour les
'arts du dessin. Interrogez les artistes de nos jours , et ils
vous diront si nous avons surpassé de beaucoup les Léonard
de Vinci , les Jean Goujon et leur école. Enfin , c'est sans
r
4
504 MERCURE DE FRANCE ,
fondement que l'auteur place le fanatisme au nombre des
causes qui ont agité le ministère de Mazarin, Sous ce ministère
, les Protestans furent laissés et demeurèrent tranquilles
, et les Jansénistes n'avoient encore qu'une guerre
de plume avec leurs adversaires. Sous ce même ministère
fut établie une académie royale de danse , à qui lon
accorda des lettres-patentes : « Cette académie , dit M. No-
>>verre , la plus sémillante des académies possibles , sauta
› légèrement sur ce titre glorieux , et se voua au plus pro-
>> fond silence. Point de discours , point de complimens de
>> réception , point d'éloges . » Qu'on ne se hâte point de
juger le style de M. Noverre sur cet échantillon. Son livre
est généralement écrit de bon goût,
C'est de l'établissement de cette académie , fondée par
Mazarin , que date véritablement la danse de théâtre en
France; c'est aussi à partir de cette époque que M. Noverre
entre véritablement dans son sujet. On n'exigera pas de
moi que je le suive à travers les progrès lents , et quelquefois
les pas rétrogrades que l'art de la danse a faits pour
arriver au point de perfection où nous le voyons aujourd'hui
. C'est dans son ouvrage même qu'il faut lire l'histoire
des opéras et des ballets , des machines et des danseurs
célèbres . Parmi ces derniers figure ridiculement Marcel ,
connu par quelques traits de fatuité et d'importance , que
rdes écrivains distingués lui ont fait l'honneur de citer . Ce
qu'on n'auroit pas cru d'après cela , c'est que ce Marcel
avoit de l'esprit . Mais M. Noverre , qui la connu , l'assure ;
et il ajoute que l'esprit étoit alors chose rare chez le peuple
dansant : alors est poli. Il est bien certain que , si l'on
connoissoit plusieurs danseurs qui eussent de l'esprit , non
pas comme Marcel , mais comme M. Noverre , qui en a
sûrement davantage , le préjugé qui en refuse à cette sorte
d'artistes seroit bien affoibli. M. Noverre dit encore quelque
chose de fort singulier au sujet de ce même Marcel : « II
>>>chantoit très-agréablement , dit- il , preuve non équivoque
» qu'il étoit mauvais danseur. » M. Noverre auroit peut-être
dû expliquer pourquoi ces deux talens s'excluent , sì l'un en
effet ne compatit point avec l'autre .
On pardonne sans peine à un artiste de parler de son art
en termes un peu trop magnifiques , parce que cette exageration
fait supposer un grand amour de cet art , et que sans
cet amour on ne sauroit y réussir. Mais cela ne va peutêtre
pas jusqu'à justifier l'emploi des expressions de génie ,
de sublime et de sublimité, à propos de danse et de danseurs ,
sur-tout lorsqu'on vient à penser que l'épithète de sublime
SEPTEMBRE 1807.
505
»
par exemple , est peut-être la plus forte qu'on puisse appliquer
à Corneille et à Bossuet , et qu'à peine conviendroit-il
de s'en servir en parlant de Racine et de Massillon : « Rien
» n'étant indifférent au génie , dit quelque part M. Noverre ,
» rien ne doit l'être au maître de ballets . » Prise à part ,
cette phrase est déjà un peu fière ; mais son faste frappe
bien davantage , quand on se rappelle que l'auteur l'a déjà
employée en parlant de Colbert : « Le grand Colbert , après
» avoir établi en France l'académie d'architecture , s'appliqua
encore à encourager les sciences . Rien n'est indiffe
» rent au génie. Il proposa au roi l'établissement d'une
» académie des sciences , et sa proposition fut agréée. » Cette
dernière phrase n'est pas seulement remarquable en ce que
le grand Colbert y est absolument traité de la même façon
que le maître de ballets dans la première ; on y voit encore
que Colbert, après avoir établi une académie d'architecture
ne crut pas indigne de ses soins d'en établir une pour les
sciences , c'est- à- dire , qu'après s'être occupé des grandes
choses , il ne dédaignoit pas les petites , et que , comme le
dit M. Noverre , rien ne lui étoit indifférent. S'il n'étoit pas
tout-à-fait dans l'intention de l'auteur de mettre les Cassini
et les Hugens au- dessous des Mansard et des Perrault , son
expression a bien désobéi à sa pensée.
J'arrive à ce qui fait la gloire de M. Noverre et le véri→
table objet de son livre , c'est-à -dire , aux ballets d'action ,
dont il est le créateur en France. On entend par ballets
d'action ces pièces sans paroles ni chant , où la pantomime
et la danse seules expriment une action : les charmans ballets
de Télémaque , de Psyché et du Jugement de Paris , appar¬
tiennent à ce genre , et en sont les chefs -d'oeuvre ; mais
M. Noverre en a fourni les premiers modèles, Avant lui ,
ces ballets pantomimes n'étoient que des farces grossières et
dégoûtantes . On en peut juger par leurs titres : c'étoient les
Savoyards , le Casseur de Vitres , les Sabotiers , les Charbonniers
, les Pierrots , le Suisse dupe , etc. M. Noverre ,
rempli d'imagination et de goût , fut révolté de ces basses
caricatures , et il résolut d'en purger la scène de l'Opéra :
« La fable , dit -il , m'offrit ses dieux , l'histoire ses héros ;
» et renonçant à ces hommes vulgaires qui ne savent que se
remuer joyeusement ou tristement , je m'efforçai de donner
» à mes productions la noblesse de l'épopée et la grace de la
poésie pastorale . Le succès couronna mes premiers essais
» mon genre se propagea , et j'ai la satisfaction de voir
» dans un âge très-avancé , qu'il a été adopté et sanctionné
par le public de toutes les nations de l'Europe, » M. Noverre
i
506 MERCURE DE FRANCE ,
:
sentit les bornes de son art , et n'entreprit point de les franchir.
Il laissa les pensées à la parole , qui peut seule les
exprimer ; il s'empara des sentimens et des passions , dont
*le geste est un fidèle interprète. Toute sa poétique est dans
cette phrase : « Resserrez l'action , retranchez tout dialogue
> tranquille , rapprochez les incidens , réunissez tous
> tableaux épars , et vous réussirez . >>
les
L'établissement des ballets d'action , héroïques ou gracieux
, ne fut pas la seule révolution que M. Noverre fit sur
le théâtre de l'Opéra ; il parvint encore ày corriger le costume
, qui étoit faux et sur-tout ridicule , et à faire supprimer
les masques , qui l'étoient plus que tout le reste.
C'étoit sans doute par cette raison-là qu'on y tenoit beaucoup.
Il eut toutes les peines du monde à persuader que
ces figures de carton ôtoient aux personnages un des plus
• sûrs moyens qu'ils eussent pour exprimer les mouvemens
de leur ame , et que l'inconvénient d'une figure peu avantageuse
, ou d'un jeu quelquefois forcé de physionomie ,
n'étoit rien en comparaison de cette hideuse immobilité d'un
masque qui , revêtu de couleurs et privé de mouvement ,
allioit ainsi , pour ainsi dire , la vie et la mort. Lorsque
M. Noverre écrivit son livre , l'usage des masques étoit
encore en vigueur : aussi il emploie tout un long chapitre
àlecombattre, et il revient à la charge dans plusieurs autres .
Cette partie de l'ouvrage manque maintenant d'à-propos ,
d'utilité , et par conséquent d'intérêt . Il étoit peut-être dans
letemps nécessaire d'échafauder beaucoup de raisonnemens
et de prenves , pour battre en ruine un sot et ridicule usage
quedéfendoit une longue habitude ; mais aujourd'hui qu'à
peine on conçoit qu'il ait existé , on ne lit pas sans quelqu'impatience
ce grand nombre de pages consacrées à la
réfutation d'une absurdité que personne ne défend plus.
Cette observation s'étend à la critique de plusieurs autres
coutumes bizarres et impertinentes qui subsistoient encore à
l'époque où M. Noverre publia şes Lettres, et qu'il a eu depuis
la satisfaction de voir réformer . Déterminé à refondre son
ouvrage , et à l'étendre en quelques points , il auroit peutêtre
dû supprimer ou du moins abréger beaucoup toutes ces
discussions désormais sans objet.
5
Un monument vraiment curieux de folie et de mauvais
goût , c'est la description des costumes dont on affubloit à
Opéra les personnages allégoriques . S'il en faut croire
M. Noverre , on dansoit les Vents avec des soufflets à la
main, des moulins à vent sur la tête, et des habits de plumes .
On dansoit le Monde avec une coiffure qui figuroit le mout
SEPTEMBRE 1807. 507
Olympe , et un habit qui représentoit une carte de géographie
: sur le sein , du côté du coeur , étoit écrit en gros caractères
, Gallia; sur le ventre, Germania; sur unejambe, Italia;
sur une partie moins noble , Terra australis incognita ; sur
unbras , Hispania , etc. La Musique portoit un habit rayé en
manière de papier réglé , et chargé de croches et de doubles
croches: les clefs de g-re-sol , de c-sol-ut et d'f- ut-fa , formoient
sa coiffure. Enfin , on faisoit danser le Mensonge
avec une jambe de bois , un habit garni de masque , et une
lanterne sourde à la main. L'extravagance monstrueuse de
ces costumes me représente celle des vers de Ronsard , de
Dubartas et de Chassiquet : c'est par là que , dans tous les
arts , depuis la poésie jusqu'à la danse , il en a fallu passer
pour arriver au vrai beau , qui est l'élégance réunie à la
simplicité.
J'ai peut- être un peu trop longuement parlé d'un ouvrage
sur la danse , qui lui-même est , ce me semble , un peu
trop étendu pour son objet. Du moins est-il vrai que si
tout ce qu'il renferme peut être utile aux danseurs , qui ne
Je liront pas , comme l'auteur lui-même en a le juste pressentiment
, les gens du monde qui entreprendront de le
lire y trouveront, relativement à eux , une certaine superfluité
de détails et d'instruction. Au reste , cet ouvrage
mérittee,, à beaucoup d'égards , le succès qu'il a obtenu : il
est écrit avec esprit , et le talentde la diction y est porté aussi
loin qu'on pouvoit l'attendre de la part d'un homme qui ne
s'est occupé des lettres qu'autant qu'elles avoient rapport
avec l'art qu'il a cultivé toute sa vie. Plusieurs choses plairont
à toutes les classes de lecteurs ; ce sont des Lettres à
Voltaire, où M. Noverre donne à ce grand homme , d'après
son invitation , tous les détails qu'il a pu réunir sur la personne
, le talent. et les habitudes de Garrick , dont il a été
l'ami , et qu'il a vu long-temps de fort près: ce sont encore
d'autres Lettres , où l'auteur porte sur les différens sujets
qui ornent aujourd'hui la scène de l'Opéra et celle des Français
, des jugemens remplis de justesse , d'impartialité et de
politesse . On pourra goûter aussi beaucoup des Observations
sur le caractère et l'exécution des fêtes publiques , et sur la
Constructiond'une salled'Opéra. Personne ne pouvoitdonner
sur ce dernier objet des idées plus justes et mieux raisonnées
que celui qui , pendant soixante ans , a monté des ballets
sur tous les théâtres de l'Europe , et a été témoin des
accidens sans nombre dont ces établissemens et ceux qui les
fréquentoient ont été les victimes . L'ouvrage est terminé par
les programmes de quelques -uns des ballets historiques,
508 MERCURE DE FRANCE ,
mythologiques ou d'invention , que M. Noverré a dessinés.
On remarque dans tous une imagination tantôt forte , tantôt
riante , et toujours fertile, et un grand art de tracer et d'enchaîner
les tableaux , qui , dans cette sorte de drame ,
doivent exprimer , à défaut de la parole, les divers incidens
dont se compose une action.
Ο.
Le Bachelier de Salamanque , ou Mémoireset Aventures de
don Chérubin de la Ronda; par Le Sage. Edition stéréotype
de Herhan. Deux vol. in-18, sans fig. Prix: 2 fr. 20 c.
Le même roman , 2 vol. in- 12 , papier fin , avec fig , 5 fr .
Le même , papier vélin satiné , to fr. A Paris , chez H.
Nicolleet comp. , rue des Petits-Augustins , n°. 15 ; et
chez le Normant.
LE SAGE étoit un homme qui connoissoit parfaitement
le monde , et qui l'a peint avec habileté dans ses romans. Le
Bachelier de Salamanque , entr'autres , offre une suite de
tableaux qu'on pourroit appeler de famille,dans lesquels on .
reconnoît d'abord les caractères qu'on a rencontrés dans la
société , quelque peu de temps qu'on ait pu l'observer. Les
événemens , quoique romanesques et souvent extraordinaires
ne sortent pas cependant de l'ordre du possible : et l'on s'intéresse
toujours aux personnages qui sont en scène , parce que
l'auteur a eu le bon esprit de ne leur donner que des passions
honnêtes , ou du moins fort adoucies par une certaine urbanité
qu'il avoit lui-même dans le coeur. Don Chérubin de la
Ronda est un aimable cavalier qui se laisse mener comme
un enfant par la fortune , et qui , de l'état chétifde précepteur
qu'il avoit embrassé , finit par devenir secrétaire d'un vice-roi
d'Espagne , au service duquel il amasse une fortune qui satisfait
sa petite ambition , et qui lui permet de passer le reste
de ses jours avec les bons amis qu'il s'étoit faits dans lesdivers
états de peine et de prospérité qu'il avoit successivement
parcourus. Il seroit assez difficile de dire si l'auteur avoit un
autre dessein , en écrivant cette histoire surchargée d'acteurs
et d'aventures , que celui d'amuser ses lecteurs par un récit
païf des scènes les plus communes de la vie humaine , et de
les réjouir par la révélation des travers et des foiblesses de
tous les hommes : nous ne le pensons pas. Le Sage n'est pas
un écrivain moraliste ; il croyoit Ihomme bon toutes les fois
qu'il n'est pas contrarié , un peu fripon par intérêt , mais
incapable de se corriger à ses dépens, Le meilleur , à son avis,
SEPTEMBRE 1807 . 50g
estcelui qui sait le mieux se plier aux circonstances , et qui
faittoujours céder sans effort sa propre volonté aux caprices
de ceux dont il peut raisonnablement attendre quelque chose
d'utile. Telle est la vertu de ses héros , et en particulier celle
du Bachelier de Salamanque , qu'il conduit à la prospérité
par le doux chemin de la complaisance sans servitude, etde la
flatterie sans bassesse. C'est une chose curieuse que l'admirable
facilité avec laquelle il prend le caractère et les goûts de toutes
les personnes avec lesquelles il se trouve dans un état d'infériorité
, et l'heureux succès que cette disposition bénigne lui
procure toujours pour son avancement. Il faut en citer un
exemple , que bien des lecteurs se rappelleront avec plaisir ,
et qu'un plus grand nombre ne seront pas fachés de rencontrer
ici pour la première fois.
Parmi toutes les bonnes qualités dont le ciel a bien voulu
le gratifier , don Chérubin ne compte point la bravoure;
sonnaturel pacifique lui fait éviter les querelles avec le plus
grand soin; il préfère toujours la sûreté obscure de sa personne
à l'honneur d'une vie éclatante et périlleuse ; il abandonne
volontiers ses plus chères espérances aussitôt qu'on les
lui dispute un peu vivement. Il se présente cependant une
circonstance dans laquelle il fait violence à son humeur débonnaire;
mais la défense de ses droits a peu de part dans sa
résolution , et la crainte de perdre l'estime d'un ami généreux
lui fait alors entreprendre plus qu'il n'auroit fait pour
l'amour de sa maîtresse. Voici le fait :
,
Don Chérubin avoit pour intime ami don Manuel de
Pédrilla , qui le protégeoit auprès de sa soeur dona Paula
quoiqu'il l'eût promise, quelque temps avant , à un autre
cavalier nommé don Ambroise de Lorca. Les petits soins et
les attentions des deux amis produisirent bientôt l'effet qu'ils
en attendoient. Dona Paula bannit de son coeur l'amant qui
n'avoit plus d'appui dans son frère , et elle considéra don
Chérubin comme un époux digne d'elle. Malheureusement
don Ambroise étoit un homme de coeur qui n'entendoit
point raillerie , et qui , s'apercevant du manége qu'on employoit
pour l'écarter , somma don Manuel de lui tenir la
parole qu'il lui avoit donnée ; mais celui-ci , profitant du
changement qu'il avoit lui-même opéré dans les sentimens de
sa soeur , lui répondit qu'il le feroit avec plaisir, mais qu'il
devoit se rappeler qu'ils étoient convenus de ne point contraindre
les volontés de dona Paula , et qu'il étoit bien fâché
d'avoir à lui apprendre que son coeur étoit échappé à ses
galanteries.
Don Ambroise , qui s'attendoit à cette déclaration , et qui
510 MERCURE DE FRANCE ,
d'avance avoit pris sa résolution , fit sentir à don Manuel que
s'il étoit pris pour dupe il sauroit bien se venger de l'affront
qu'on vouloit lui faire; et il lui donna rendez-vous , ainsi
qu'à don Chérubin , à l'entrée des montagnes de Bogarra ;
pour éclaircir cette affaire.
و
«Mon ami , continue le Bachelier , vint me rendre compte
de cette conversation , et ne me fit pas grand plaisir en m'annonçant
qu'il falloit.nous préparer à nous battre. Il avoit beau
semontrer courageux jusqu'à se faire un jeu de cet appel ,
jenem'en faisois qu'une image très-désagréable . Néanmoins
quoiqueje sentisse frémir la nature , je ne laissai pas d'affecter
parhonneur de paroître résolu; je pris même un air d'intrépidité
, dont je suis sûr que mon ami fut la dupe ; mais tout
cela ne me rendoit pas plus vaillant , et dans le fond de l'ame:
j'aurois voulu la partie rompue. »
3
« Je dirai plus , ajoute-t-il avec naïveté , pour accommoder
les choses ,je fis , la nuit , un plan de pacification , par
lequel je cédois de bonne grace ma maîtresse à mon rival.
Véritablement je rejetai ensuite une pensée si lâche; je me
représentai le mépris dans lequel je tomberois , si je ne mar->
quois pas de la fermeté dans cette occasion , et qu'enfin je
perdrois avec mon honneur l'estime de mon ami et l'objet
demon amour. Ces réflexions m'échaufferent peu à peu , et
m'inspirerent tant de courage , que je ne respirai plus que le
combat. >>
Le lendemain , don Ambroise ayant amené au rendez-vous
un cavalier pour répondre à don Chérubin , tandis que lui
tâcheroit de se venger de don Manuel , les quatre champions
descendirent de cheval , et sur-le-champ ils tirèrent leurs
épées. Don Chérubin , qui ne savoit seulement pas manier la
sienne , et qui se trouvoit en face d'un habile escrimeur , ne
foiblit point à sa vue : tout au contraire , il monta son courage
ou sa fureur à un tel point qu'il étonna son adversaire ,
et qu'il lui fit sentir la pointe de sa lame si rudement qu'il
l'étendit sur le carreau ; ce qui le surprit lui - même bien
étrangement , car il ne savoit comment cela s'étoit fait. En
même temps don Manuel expédioit aussi son ennemi , mais
avec plus de sang-froid , et dans toutes les règles de l'escrime ;
ensortequ'ils sortirent tous deux vainqueurs de ce combat,
qui d'abord avoit causé tant de frayeur à don Chérubin. On
pense bien que cet exploit lui valut la main de dona Paula ,
et qu'il établit sa réputation d'une manière bien honorable
dans le pays.
Le roman pouvoit aisément finir par cette aventure; mais
la fécondité de Le Sage ne pouvoit se contenter d'un petit
SEPTEMBRE 1807. 511
volume. Il trouble bientôt le bonheur des époux par une
séparation cruelle ; et , tandis que dona Paula meurt de chagrin
, le Bachelier vole à sa recherche, et se trouve engagé
dans une suite de voyages et d'événemens qui se terminent
encore par un mariage. On pourroit reprocher à l'auteur
d'être ici rentré dans le cercle qu'il avoit quitté , et de faire
trouver au Mexique à-peu-près les mêmes caractères que don
Chérubin avoit laissés en Espagne. Salzedo ressemble trop à
don Manuel ; celui-ci lui avoit donné sa soeur , l'autre lui
donne sa fille ; et pour toutes ses bonnes fortunes , le Bachelier
n'a besoin que de se montrer d'un esprit docile et complaisant:
tant il est vrai que les hommes estiment plus cette
douceur bénévole qui flatte leur vanité , que les qualités supérieures
auxquelles ils seroient obligés de rendre un hommage
secret! Le Bachelier se fait partout des amis serviables, en consentant
à n être d'abord que leur créature , et il devient leur
égal en se plaçant de lui-même fort au- dessous d'eux. Les
hommes éprouvent un singulier plaisir à former l'esprit d'un
autre homme, et à le tirer de l'obscurité ; c'est une sorte de
création dont ils s'evorgueillissent : on est toujours assuré de
leur plaire lorsqu'on veut bien leur procurer ce plaisir. Beaucoup
d'autres , avant et depuis le Bachelier de Salamanque ,
ont fait leur chemin dans ce monde avec ce seul moyen. Si les
jeunes gens , qui liront son histoire , veulent profiter de cette
seule leçon que l'auteur y a placée , il leur sera faciled'en
reconnoître la sagesse et d'en éprouver le bienfait; mais il faut
les prévenir en même temps que ce n'est pas de l'adresse qu'il
leur faut pour jouer ce personnage , et que, s'ils n'ont pas
commeluillaaplusparfaite modestie avecunespritdéjà cultivé,
tous leurs efforts n'aboutiroient qu'à devenir d'orgueilleux
valets, ou des chevaliers tels que l'illustre don Guzman d'Alfarache.
G.
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
En attendant l'Homme aux Convenances, le Faux Bon
homme, les Deux Vieillards et la Femme Misanthrope ,
les Comédiens Français ont remis au théâtre Abdelazis et
Zuleima , de M. Murville .
-Talma et sa femme sont de retour à Paris.
512 MERCURE DE FRANCE ...
- Julien , du Vaudeville , vient de débuter à l'Opéra-
Comique, dans le rôle de l'Officier français de l'Amant
Jaloux. On assure que Grétry, présent à ce spectacle, a été
fort content du nouvel officier . Ce compositeur , vraiment
national , a dû être beaucoup plus content de lui-même et
du goût du public : toute sa musique a été applaudie avec
transport.
On attend au même théâtre les débuts de madame
Henri-Belmont.
-
Madame Catalani , qui se trouve en ce moment à
Dublin , s'y est fait entendre et admirer dans un grand
concert donné le 20 août , dans le bâtiment nommé la
Rotonde . Elle n'a pas moins excité d'enthousiasme à Dublin
qu'à Londres et à Paris.
-Madame Grassini , cantatrice célèbre , que nous avons
eu le plaisir d'entendre ici , il y a quelques années , est
arrivée nouvellement dans cette ville ; elle vient de Londres ,
etse rend enItalie: elle n'y fera qu'un séjour très -court , étant
obligée de retourner en Angleterre , où elle est engagée pour
l'hiver prochain. Il faut espérer qu'elle ne se sefusera pas au
plaisir qu'auroient sûrementde l'entendre ceux à qui saréputation
adonné le desir de jouir de ses talens .
-Ponce-Denis-Ecouchard Le Brun étoit né à Paris en1729.
Quoiqu'il se soit exercé avec un succès décidé dans plusieurs
genres , ses ouvrages lyriques nous paroissent sur-tout devoir
le faire vivre parmi les grands poètes , comme ils l'ont déjà
fait nommer le Pindare de la France . Il laisse en manuscrit
un recueil d'odes , d'épîtres , d'élégies et d'épigrammes ; il
laisse aussi des chants presqu'achevés et de nombreux fragmens
d'un poëme sur la Nature. Il a fait paroître en outre ,
à diverses époques et dans divers recueils , des traductions
du début de l'Iliade , et des épisodes d'Aristée et de Nisus
et Euryale. On pourra remarquer qu'il aura eu , comme
Rousseau , ce mérite particulier , que de la même main
qui accordoit la lyre , il savoit très-bien aiguiser le trait
malin d'une épigramme .
Voici le texte du discours prononcé par M. Chénier sur
la tombe de M. Le Brun , le jour de ses funérailles :
<<Messieurs , l'Institut vient de perdre un poète justement
célèbre. Le Brun n'est plus. Divers travaux ont signalé sa
longue carrière ; mais quoiqu'il ait obtenu de brillans succès
endes genres qui sembloient opposés , la poésie lyrique ,
principal objetde ses études , fondera sa réputation. Racine
le fils, dont il se félicitoit d'être l'élève , lui transmit la tradition
des beaux vers , et la langne dece siècle mémorable
où
DEL
SA
SEPTEMBRE 1807 . 513
Cer
par
où les Français eurent à la fois du génie et du gout. Ce fut
LeBrun qui , jeune encore , intéressa la gloire de Voltaire
en faveur de la nièce de Corneille . Le poète lyrique ne
pas indigne d'être l'intermédiaire entre deux grands hommes.
Il osa faire parler l'ombre classique du créateur de la scène
française , et l'auteur de Mérope entendit la voix de l'auteur
du Cid. Imitateur de Pindare , Le Brun chanta l'enthou
siasme en vers inspirés. Quand les envieux ennemis de
Buffon croyoient ternir sa renommée , Le Brun vengea l'éloquent
philosophe par une ode qui restera dans notre poésie ,
comme monument d'un talent supérieur et d'une amitié
courageuse. Ainsi le nom de ce poète habile s'allioit aux
noms de ses plus illustres contemporains. Souvent élevé ,
quelquefois ambitieuxdans son style , cherchantla hardiesse,
et ne fuyant point l'audace , il célébra tout ce qui donne les
hautes pensées : Dieu , la nature , la liberté , le génie et la
victoire. Tant d'exploits qui , depuis dix ans , commandent
l'admiration des peuples , ont ranimé sa vieillesse. Près
d'expirer , sa voix harmonieuse encore n'est pas restée inférieure
à des prodiges , les derniers et les plus grands qu'il
ait chantés . La postérité , juge impassible ,dira les qualités
qui le distinguent, et ne taira pas celles qui lui manquent.
Pour nous , à l'aspect de cette tombe où de yains débris s'en
gloutissent , mais où ne descend point la gloire , en rendant
les devoirs funèbres au digne successeur de Malherbe et de
Rousseau , nous n'avons à faire entendre aujourd'hui que
des regrets pour sa perte , et des élogės pour ses talens.>>>
-Parmi lescandidats qui se présentent pour les deux places
vacantes à l'Académie Française , on nomme MM. Delamalle
, Picard ; Laujon , Saint-Ange, Noël , Desfaucherets,
Grandmaison , etc.
-On écrit de Commercy qu'on a trouvé , il y a quelques
jours , dans une pièce d'orge , près de cette ville , une médaille
antique , représentant d'un côté le jeune Valérien ,
et de l'autre une Beilone appuyée sur un bouclier , ayant
auprès d'elle une pique fichée en terre , surmontée d'un
casque , avec cette légende : Gloriæ Augusti.
- Le public va bientôt jouir de deux monumens nouveaux
: la colonne de la place du Grand - Châtelet est
achevée ; on étoit occupé , jeudi dernier , à y installer la
statue qu'elle doit supporter , et qui est en plomb. C'est , à
ce qu'on peut présumer , une Victoire ou une Renommée.
D'une autre part, le palais du Corps législatif est parvenu
à sa hauteur ; on en pose , en ce moment , le couronnement
, et toutes les bases des colonnes qui doivent orner'
Kk
514 MERCURE DE FRANCE,
la façade septentrionale sont assises : cette façade semble
offrir l'exécution du portail de la Madeleine , qui n'a presque
existé qu'en projet.
-L'Ecole de Médecine de Paris vient d'approuver , sous
le rapport de la salubrité publique , l'établissement des
filtres de M. Cuchet et compagnie. Elle déclare que l'eau
filtrée dans l'atelier de M. Cuchet , est d'une extrême limpidité
; qu'elle est plus pure et plus saine que l'eau puisée dans
la rivière, parce qu'elle contient autant d'air atmosphérique ,
unpeumoins de carbonate de chaux , aucune de ces substances
putrescentes , vaseuses , qui troublent l'eau de la rivière , et lui
communiquent une saveur marécageuse si remarquable surtout
pendant les sécheresses de l'été. Enfin l'Ecole déclare que
l'établissement de M. Cuchet lui paroît mériter la protection
du gouvernement.
-L'Académie des Sciences de Pétersbourg avoit proposé,
vers la finde l'année 1805 , le sujet de prix suivant : « L'académie
impériale a jugé avantageux à l'avancementdes sciences
de proposer un prix de500 roubles, qui sera décerné au physicien
qui aura fait et qui aura communiqué la série la plus
instructive d'expériences nouvelles sur la lumière considérée
comme matière; sur les propriétés qu'on pourra lui attribuer;
sur les affinités qu'elle pourroit avoir avec d'autres corps ,
soit organiques,soit non organiques; et sur les modifications
et phénomènes qui se manifestent dans ses substances , en
vertudes combinaisons dans lesquelles la matière de la lumière
est engagée avec elles. n Ce prix a été partagé , en février 1807,
entre deux mémoires , l'undu P. Placide Heinrich, à Munich ,
et l'autre du professeur Link , à Rostock.
-Le public apprendra avec regret qu'on n'a point réussi
àdérouler les six manuscrits d'Herculanum,dont l'ancien
roi deNaples avoit fait présent àson altesse royale le prince
de Galles , il y a environ deux ans. On n'a pu déployer
qu'un coin de l'un de ces rouleaux.
On soutint ensuite le tout à l'action de la vapeur sous la
direction d'un habile chimiste; mais on n'obtint pas l'effet
desiré. Loin que par là on soit parvenu à amollir cette
masse roulée et à la rendre flexible, elle a au contrairepris
plus de fermeté ; et la vapeur en agissant sur l'écriture ,
l'a presqu'entièrement effacée. Le peu de succès de cette
expérience a fait renoncer à des épreuves ultérieures sur les
autres rouleaux. On se rappelle que presque dans le même
temps , un nombre égal de ces manuscrits fut envoyé à
l'Institut national de France. Comme on n'a point appris
qu'aucunde ces manuscrits ait été déroulé , il est àcraindro
SEPTEMBRE 1807 . 515
qu'on n'ait pas mieux réussi à Paris qu'à Londres. Les
amateurs de la littérature attendent avec une sorte d'anxiété
ce que décidera le nouveau gouvernement de Naples sur la
continuation de ces travaux , que l'évacuation de ce pays par
Pancienne cour aura peut-être interrompus.
( The Monthly Repertory. )
-Voici un aperçu de la situation des Etats-Unis , à l'épo
que de mai 1806 : Dans le cours des vingt dernières années ,
lapopulation des Etats-Unis s'est accrue au point , que de
2,650,000habitans dont elle étoit composée au conimencement
de cette période , elle monte aujourd'hui à 5,156000 ; le
nombre des niaisons , qui étoit alors de 650,000 , est à présent
de 1,225,000 ; les terres défrichées étoient portées à 21,500,000
acres , il y en a à présent 59,400,000 ; le prix moyen de l'acre
estmonté de 2à6 dollars.On comptoit dans les Etats 600,000
chevaux; il y en a aujourd'hui 1,200,000 ; le nombre des
bêtesà cornes est venu de 1,200,000 à 2,950,000 ; la valeur
des importations étoientde 11 millions, elle estde80 millions
de dollars; les exportations en productions du pays sontmontées
de 9 millions à 49 millions de dollars ; en marchandises
étrangères , de 1 million à36 millions de dollars. Dans l'espace
de douze ans , le revenu national s'est élevé de 8 à 15 millions
de dollars , tandis que les dépenses sont restées à-peu-près les
mêmes; les espèces en circulation sont montées de 10 à 17
millions.
- Il doit paroître sous peu une édition complète des
OEuvres de M. de la Luzerne , ancien évêque de Langres ;
l'édition que l'on propose se fera de deux formats , in- 12 et
in-40.; celle in-12 formera environ 38 vol. , à 1 fr. 75 c. ,
franc de port , pour les souscripteurs ; et 2 fr. 50 cent. pour
ceux qui n'auront pas souscrit. Celle in-4°. formera 10 vol. ,
à 8 fr. pour les souscripteurs , et 10 fr. pour les autres.
L'éditeuurr invite ceux qui desirent jouir de l'avantage proposé
, de souscrire le plutôt possible , et d'adresser les demandes
, franc de port ; autrement , elles ne seront pas
reçues . On peut souscrire pour chaque ouvrage séparément,
ou pour la totalité. On est également libre de choisir le
format qu'on jugera convenable , et on ne paiera rien qu'en
recevant chaque volume.
Ouvrages nouveaux . Dissertation sur l'Existence et les
Attributs de Dieu , I vol . Dissertation sur la Spiritualité de
l'Ame , I vol . Dissertation sur la Loi naturelle , I vol.
Dissertation sur la Révélation en général , 1 vol. Dissertation
sur la Liberté de l'Homme , I vol. Dissertation sur les
Prophéties , a vol. Considération sur la Dignité de l'Etat
Kk2
516 MERCURE DE FRANCE ,
Ecclésiastique , 2 vol. La Hiérarchie Ecclésiastique , ou
Dissertation sur les Droits respectifs des Evêques et des
Prêtres , 12 volumes .
Ouvrages déjà imprimés , et qu'on réimprime pour former
la collection complète dans le mêmeformat. Instruction
sur le Schisme , 2 vol. Excellence de la Religion ,
I vol . Instruction sur la Démonstration des Sacremens ,
4 vol. Instruction sur la Révélation , I vol. Considération
sur la Passion de Jésus-Christ , I vol . Dissertation sur les
Vérités de la Religion , 4 vol. Homélies ou Explication des
Evangiles des dimanches et fêtes de l'année , 5 vol. On
souscrit à Langres , chez Laurent Bournot , éditeur et seul
propriétaire des OEuvres de M. de la Luzerne ; à Paris ,
chez J. J. Blaise , libr. , quai des Augustins , n°. 61 , près le
Pont-Neuf ; chez Blancheville , vicaire-trésorier de Sainte-
Marguerite ; et chez le Normant.
-M. F. S. Stuart de Billarcay, dans le comté d'Essex ,
annonce qu'ayant été conduit au bord du tombeau par
une phthisie pulmonaire , il avoit rétabli parfaitement sa
santé en mangeant par jour trois ou quatre pintes) la pinte
d'Angleterre est à-peu-près une chopine de France ) de groseilles
bien mûres , rouges ou blanches. Il cite plusieurs
autres personnes , qui ont été guéries de la même maladie
par ce même moyen. (The Monthly Repertory. )
- M. Bennet de Pithome en Wiltshire , se propose de
publier incessamment un grand nombre de lettres originales
de Charles Ier et de ses amis , qu'il dit s'être conservées dans
sa famille. (Idem. )
MODES du 10 septembre.
Les capotes gros-bleu ont repriş faveur : les plumes rondes que l'on
met dessus , sont assorties ; mais assez souvent le petit ruban qui se
coud près du bord , est d'un jaune tranchant .
On continue de teindre en noir des chapeaux de paille jaune.
Cofferetteet fichu ne font qu'un; unais il y a des fichus à collerette
de bien des sortes: la garniture plissée et très-fournie , que l'on nomme
ruche, et qui fait le tour du col , est la portion commune de cet ajusteinent;
c'est le dos , corset ou fichu; ce sont les demi-pelerines , les
pointes , par leur terminaison ou leur largeur , qui établissent des
différences .
La garniture appelée ruche , se retrouve quelquefois sur les capotes
de taffetas , particulièrement sur les vertes , et sur des robes de blonde
et rubans , à larges raies perpendiculaires , robes peu communes encore ,
etde très-grande parure .
Nous avons dit qu'on portoit du taffetas gris ; on en voit aussi de
noisette et de lapis .
SEPTEMBRE 1807. 517
NOUVELLES POLITIQUES.
Canton , 6 mars .
On s'attend à tout moment à une rupture entre les Anglais et lesChinois,
d'après la rixe qui a eu lieu dernièrement , et dans laquelle un matelot est
mort d'un coup de massue qu'il a reçu d'un Anglais. Les Chinois ont
demandé un Anglais pour le faire mourir suivant les lois de leur pays , et
les Anglais ont refuse , ne pouvant trouver le coupable. Le vice- roi de la
province aordonné encon équence d'arrêter le commerce des Anglais ;et
probablement la première démarche des Chinois sera de s'emparer de
quelques-uns des membres de la factorerie; ce qui pourra avoir les coséquences
les plus graves. Ils ont donné aux Anglais trois jours pour se
décider: passé ce terme, il est à crai dre qu'ils ne veuillent obtenir par
la force ce qu'on refuse à leurs demandes . Dans ce dernier cas , on do.t
s'attendre à quelque scène sanglante.
( Extrait d'unjournal américain. )
Tunis , 24 juillet.
Voici quelques détails propres à faire connoître les causes
etles circonstances de la guerre que se font les deux régences
de Tunis et d'Alger :
Au mois de juin 1806, le bey de Tunis, las de la dépendance dans
laquelle il se trouvoit vis-à-vis du dey d'Alger , prit la résolution de s'affranchir
de ce joug , et de venger les Tunisiens des maux que les Algériens
leur avoient causés en 1756 , époque à laquelle ces derniers prirent
Tunis ,dont ils décapitèrent le bey. Un article du traité conclu à la suite
de cet événement avoit forcé les Tunisiens à démolir les forteresses de
leurs frontières. Le bey actuel s'occupa d'abord de les rétablir. Dans le
même temps il envoya deux camps sur les frontières des deux régences ;
et ayant découvert que quelques -uns de ses sujets entretenoient des relations
avecle bey de Constantine , il les fit arrêter au nombre de neuf. L'un
d'eux eut la tête tranchée, les autres reçurent mille coups de bâton , et
l'envoyé du bey de Constantine fut chassé des Etats de Tunis. Du reste ,
le beyde Tunis publia hautement qu'il n'avoit aucune vue hostile , et qu'il
vouloit seulement assurer son indépendance. A cette nouvelle , le dey
d'Alger rassembla une armée , sous le prétextede réduire quelques rebelles ;
mais bientôt il déclara ses véritables intentions , et dans les premiers jours
de juillet , ses troupes se mirent en marche pour aller attaquer les Etats
tunisiens .
L'armée tunisienne étoit commandée parMustapha, surnommé l'Anglais,
ancien bey de Constantine , chassé depuis peu d'Alger, et réfugié à Tuois.
Ledey d'Alger , avant d'en venir aux dernières extrémités, proposa pour
conditions de paix qu'on lui payât une forte somme, et qu'on lui reanît le
bey Mustapha et son fils. Il y eut d'abord quelques négociations ; mais à
la fin d'août la guerre fut définitivement déclarée. Deux corsaires algériens
attaquèrent à la vue d'Alger un bâtiment tunisien , qui ne dut son salut
qu'à la supériorité de sa marche. Les choses cependant restèrent dans le
même état, et les préparatifs se continuèrent de part et d'autre , jusqu'en
janvier 1807 : vers les premiers jours de ce mois, deux frégates algériennes
bloquèrent Tunis par mer , et génèrent extrêmement l'entrée et la sortie
des bâtimens étrangers. Cependant les Tunisiens , menacés depuis long-
3
518 MERCURE DE FRANCE ,
1
temps par une expédition formidable , dont plusieurs circonstances firent
retarder de jour enjour le départ , se mirent en devoir d'attaquer Constantine,
dont le nouveau bey venoit d'être étranglé avec toute sa famille: un
grand nombre d'Arabes se joignirent aux Tunisiens, dont l'armée se trouva
portée à 40,000 hounmes. Déjàles cheicks de Constantine entroient en négociation;
et le dey d'Alger, inquiet de ses progrès , et d'ailleurs harcelé
par les rebelles d'Oran, fit quelques tentatives d'aecorumodement vers la fin
de mars de cette année. Elles n'eurent pas de suite ; et le danger devenant
de jour en jour plus pressant , on fit partir d'Aiger , le a avril , un renfert
pour l'armée, et le même jour quatre bâtimens chargés d'artillerie firent
voile pour Bonne.
Les Tunisiens mirent le siége devant Constantine ; mais ils éprouvèrent
une résistance inattendue : les tribus qui devoient se réunir à eux les attaquèr
nt avec fureur , et peu s'en fallut que toute l'avant-garde de l'armée
tunisienne ne tombât entre leurs mains . La lâcheté des agas et une terreur
subite qui s'empara des Tunisiens , les forcèrent enfin à lever le siège ; leur
arı'n e se retira dans le plus grand désordre, poursuivie par les troupes
réunies d'Alger et de Constantine . C'est à la fin de mai que cet événement
s'estpassé. Le dey d'Alger fit célébrer cette victoire avec un grand éclat ;
il annonça le projet de faire de la régence de Tunis une quatrième province
algérienne , et l'on s'occupa de donner un nouveau bey àcette ville,
qu'on regardoit déjà comme conquise. Cependant le bey de Tunis rassembla
tout ce qui lui restoit de forces , en donna le commandement au garde
des s eaux, et lui enjoignit de livrer bataille aux Algériens : elle eut lieu
12juillet ; les Algériens furent complétement battus . Toute l'artillerie
les bagages , les munitions , 130 tentes , 4000 chameaux, environ autant
d'autres bêtes de transport, tombèrent au pouvoir des Tunisiens, qui ont
fait un butin immense. La plus grande partie des troupes algériennes ,
composées de Turcs, se rendit prisonnière; des pelotons entiers, excédés
de faim, de soif et de fatigue , venoient se jeter dans les mains des vainqueurs.
le
Algeriens ,
Les chaleurs excessives ont empêché les Tunisiens d'entreprendre sur
le-champ de nouveau le siége de Constantine; mais ils font leurs préparatifs
pour l'exécution de ce projet. On croit que cette ville ne peut manquer
de tomber dans leurs mains , et que la puissance d'Alger sera bien
long-temps à se relever de ces désastres . (.Moniteur.)
er
Cassel, 1 septembre.
On vient de publier ici le décret suivant :
Extrait des minutes de la secrétairerie d'Etat.
Aupalais impérial des Tuileries , le 18 août.
Napoléon , Empereur des Français , Roi d'Italie , et protecteur
de la Confédération du Rhin ;
Avons décrété et décrétons ce qui suit :
Art. Ir. Tous les Etats dénommés ci-après , composant le
royaume de Westphalie , seront , au 1er septembre , réunisdans
un seul gouvernement et dans une seule administration; savoir :
Les Etats de Brunswick-Wolfenbuttel ; la partie de l'Alt-Marck,
située sur la rive gauche de l'Elbe ; la partie du pays de Magdebourg
, située sur la rive gauche de l'Elbe ; le territoire de
Halle; le pays d'Hildesheim et la ville de Goslar ; le pays
SEPTEMBRE 1807 . 519
d'Halberstadt; le pays d'Hohenstein; le territoire de Quedlinbourg;
le comté de Mansfeld ; l'Eichsfeld avec Trefurth ;
Muhlhausen ; Nordhausen ; le comté de Stolberg ; l'Etat de
Hesse-Cassel , avec Rintelnet Schaumbourg , non compris le
territoire de Hanau , Schmalkalden et Catzellenbogen du
Rhin ; Gættingen et Grubenhagen , avec les enclavages de
Hohenstein et d'Elbingerode ; l'évêché d'Osnabruck ; l'évêché
de Paderborn ; Minden et Ravensberg; et le comté Rittberg-
Kaunitz .
II. Une régence composée de nos conseillers d'Etat ,
MM. Beugnot, Siméon et Jollivet , et du général de division
Lagrange, sera chargée de la police et de l'administration du
pays.
III. L'intendant-général et les autres administrateurs de
nos armées s'adresseront à ladite régence , pour tout ce qui
est relatif au passage et aux différens besoins de l'armée.
IV. A partir du 1 octobre , le roi de Westphalie prendra
possession de ses Etats , et administrera pour son propre /
compte.
V. La régence aura soin , 1º. de bien étudier le pays pour
yadapter l'organisation qui doity être établie , conformémentà
la constitution ; 2°. de faire rentrer dans la caisse de
l'armée la contribution ordinaire de l'année , ainsi que les
contributions extraordinaires.
VI. La régence correspondra pour tous ces objets avee le
prince de Neuchâtel, notre major-général.
VII. Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution
du présent décret.
Ariété de la régence du royaume de Westphalie.
Cassel , vendredi 28 août.
La régence des pays et Etats composant le royaume de
Westphalie ,
Vu le décret de S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie ,
et protecteur de la Confédération du Rhin , donné au palais
impérial des Tuileries le 18 du présent mois, portant détermination
des pays dont le royaume de Westphalie devra
être composé , et établissement d'une régence chargée de la
police et de l'administration de ce royaume jusqu'au moment
où S. M. le roi de Westphalie aura pris possession de ses
Etats , arrête :
« Le décret impérial susdaté sera imprimé dans les deux
langues , française et allemande , publié et affiché partout où
besoin sera , et notifié particulièrement aux gouverneurs et
intendans des pays , territoires , villes et Etats , qui y sont
4
530 MERCURE DE FRANCE ,
1
'dénommés , pour par eux être exécuté selon sa forme et
teneur. »
Les membres de la régence du royaume
de Westphalie ,
Signé SIMÉON , JOLLIVET , LAGRANGE , BEUGNOT.
Copenhague , 19 août.
Hier, pendant le débarquement , l'ennemi fit un feu continuel
avec des bombes et grenades dirigées contre notre
flottille . Le commandant Krieger avança avec ses barques
canonnières pour faire une diversion ; mais bientôt les Anglais
ouvrirent une batterie masquée près du moulin des Cygnes ,
et forcèrent le commandeur à s'éloigner de la côte. Le lieutenant
Boll a été grièvement blessé , ainsi que deux matelots.
Quelques barques canonnières ont été plus ou moins endommagées
; mais on les a tout de suite réparées.
Le capitaine Wieugel , directeur de la navigation , commande
une brigantine armée de volontaires , et stationnée de
manière à défendre la côte dite Kalleboe .
Du 20 août. - On a fait ce matin , à trois heures et demie ,
une sortie par la porte d'Est , afin de prendre une batterie
élevée par l'ennemi de l'autre côté du moulin des Cygnes.
La troupe étoit composée de cent hommes de la garde à
cheval , de cent hommes du régiment de cavalerie de Sélande ,
sous les ordres du major de Flindt, du corps des chasseurs du
roi , commandé par le major de Holstein , et de deux bataillons
d'infanterie avec deux batteries. Le lieutenant- colonel de
Voigt commandoit en chef. En même temps trois bataillons
de milices et quelques hussards sortirent de la porte du Nord ,
afin de couvrir notre aile gauche .
Le capitaine Baron de Holstein , commandant en second
de la flottille, sortit également avec neuf chaloupes canonnières
pour couvrir l'attaque. On réduisit d'abord la batterie
anglaise au silence ; mais bientôt l'ennemi ouvrit une autre
batterie masquée et fortifiée ; et à cinq heures et demie , les
chaloupes furent forcées de se retirer. Pendant cette affaire ,
le lieutenant A. Holstein reçut deux fortes contusions. Deux
hommes furent tués et huit blessés .
On voit par le rapport du lieutenant-colonel de Voigt
qu'il étoit impossible d'enlever la batterie ennemie avec le
peu de forces que nous avions. De plus , un brouillard épais
nous empêchoít de reconnoître la position de l'ennemi. Les
fossés, et le blé qui n'étoit pas encore coupé , empêchoient
d'ailleurs la cavalerie d'agir. La retraite se fit dans le meilleur
ordre. Notre perte est de seize hommes tués et de vingt blessés
; celle de l'ennemi est inconnue.
SEPTEMBRE 1807 . 521
Les Anglais jettent quelquefois des bombes, qui cependant
n'ont pas encore fait de mal. La ville n'a pas été
atteinte.
De la Sélande , le 21 août.
Les Anglais se couvrent avec de la cavalerie et de l'infanterie
légère, de manière qu'on n'apprend rien de ce qui se passe
chez eux. Ils renvoient tous ceux qui s'approchent. Le général
Castenschiold se tient sur la défensive. Les avant- postes anglais
vont d'une auberge à moitié chemin entre Copenhague et
Rothschild , jusqu'à la baie de Kioge.
Cet aprèsmidi , vers les deux heures , un corps anglais d'environ
400 hommes de cavalerie, de quatre pièces de campagne
et de quelque infanterie , parut dans le village de
Glostrup. Cette manoeuvre obligea le général en chef de
prendre une position plus sûre. Il se retira pendant la nuit
sur les collines de Korndrup. L'expérience nous a déjà montré
que l'esprit de nos troupes est excellent; les milices ellesmêmes
demandent d'attaquer à la baïonnette .
Liste des tués et blessésjusqu'au 20 août.
Blessés. - Quatre officiers , trois bas-officiers , cinquanteun
soldats et matelots.
Tués. -Un bas- officier , vingt soldats et matelots.
Les officiers sont les lieutenans Boll et A. Holstein , de la
marine ; le lieutenant Ræpstoff, de la garde à pied ; et le lieutenant
Fries, du régiment de Norwege.
Stralsund, 22 août.
Nos troupes ont tous les jours des pourparlers avec les
officiers et soldats suédois. Tous témoignent le plus vif mécontentement
du rôle que joue leur roi , de son asservissement
à l'Angleterre , et de la conduite inexplicable qu'il tient envers
la France.
:
Kiel, 27 août.
On a publié à Kiel , par ordre de S. A. le prince Royal ,
les pièces suivantes :
Lettre du général anglais au général-major Peymann.
Quartier-général devant Copenhague , le 18 août 1807 .
Monsieur ,
« Je ne puis m'empêcher de prier V. Exc. , tant enmon
nom qu'en celui de l'amiral qui coinmande la flotte de S. M. ,
de considérer sérieusement la position actuelle de la ville de
Copenhague , qui est au moment d'éprouver la plus terrible
catastrophe.
« Si cette ville , la capitale du Danemarck , la résidencedu
522 MERCURE DE FRANCE ,
roi , le séjour de la maison royale et du gouvernement, le
siége des sciences et du commerce , remplie d'habitans de tout
rang , de tout âge et de tout sexe; si cette ville veut essuyer
les horreurs d'un siége , elle sera attaquée par tous les moyens
qui peuvent amener sa destruction : dès que les ordres seront
donnés pour cette attaque , les officiers qui en seront chargés
seront obligés de les exécuter avec la plus grande rigueur ,
etd'employer tous les moyens qui sont en leur pouvoir pour
prendre la ville. Une attaque contre une ville aussi opulento
et aussi populeuse , ne peut amener d'autre résultat que la
destruction des habitans et la ruine de leurs propriétés.
>> Si le Danemarck se refuse à acquiescer de bonne grace à
nos desirs , notre gouvernement a donné l'ordre positifd'attaquer
la ville par terre et par mer. Les préparatifs à cet effet
sont peut- être plus avancés que vous ne le croyez.
» Âu nom du ciel , Monsieur , daignez calculer de sangfroid
si la résistance que vous vous proposez n'opérera et ne
précipitera pas la ruine de la ville que vous voulez défendre ,
et si le desir de donner , dans la lutte actuelle , des preuves de
votre valeur ( que personne ne vous conteste ) n'aura pas pour
résultat la destruction de la capitale , suite nécessaire d'un
siége de ce genre , ainsi que la perte de votre flotte et de votre
arsenal , malheurs que l'on pourroit éviter.
>>>Les propriétés de toute espèce, situées hors de la ville , ont
été respectées jusqu'ici. Il faut que vous sachiez en outre que
des objets de la plus grande valeur pour le Danemarck sont
tombés en ma puissance , et que je les ai respectés jusqu'à
présent. Cette situation des choses ne peut durerlong-temps.
» Je veux éviter toutes les mesures qui pourroient offenser
V. Exc.; mais je la supplie , ainsi que les personnes admises à
ses conseils , de réfléchir très-sérieusement aux malheurs irréparables
que peut entraîner une défense de quelques jours , et
que vous pouvez éviter.
CATHCART. DeV. Exc. le très-humble serviteur ,
Le général-major Peymann a donné à cette sommation la
réponse que l'on doit attendre d'un brave Danois et d'unsujet
fidèle. En envoyant à S. A. le prince Royal la lettre du général
anglais , S. Ex. ajoute ces mots :
« Les exhortations et les menaces renfermées dans la sommation
sont des formes usitées en pareilles circonstances ; mais
si l'on a cru par-là m'épouvanter , on a manqué son but. Vous
pouvez être persuadé , Monseigneur , que , conformément à
mon devoir , je me défendrai jusqu'à la dernière extrémité,
et que jamais Copenhague , tant que j'y commanderai , ne
tombera au pouvoir de l'ennemi que par assaut , ses forces
SEPTEMBRE 1807 . 523
fussent-elles même plus considérables qu'elles ne le sont . Je
ferai tous mes efforts pour défendre notre honneur , et pour.
finir mes jours comme un brave soldat et comme un fidèle
serviteur de votre altesse royale. »
Copenhague , le 21 août 1807.
On vient de publier les détails suivans :
er
PRYMANN.
Copenhague , 18 août.
Les 1º , 2º , 3º , 4° et 9 ° bataillons du régiment de milice du
général - major de Watterstorf, et les 3° et 6° du régiment du
général -major d'Oxholm , sont entièrement organisés , pourvus
du nombre nécessaire d'officiers , et sont prêts à marcher
au premier ordre. Les quatre premiers bataillons du premier
régiment ci-dessus nominé, et le troisième de l'autre , forment
la brigade du général-major de Watterstorf. Le 6º bataillon
du régiment d'Oxholm , composé d'artilleurs , et pourvu d'officiers
expérimentés , a passé au corps d'artillerie. Le meilleur
esprit anime la milice , et tous les bataillons crient à haute
voix au général : Conduisez -nous à l'ennemi ! Il y a tout lieu
de croire que ce corps se rendra digne de son nom , et qu'il
remplira la promesse qu'il a faite d'être le soutien et le défenseur
de la patrie.
Depuis six jours , il règne ici une activité et un zèle pour
la défense de la patrie , qui surpassent toutes nos espérances.
Le corps d'artillerie a pourvu la milice de tout ce qui lui
étoit nécessaire , et a élevé de nouvelles batteries. L'attaque
que l'artillerie a faite hier , sous les ordres du capitaine de
Hammel , a été exécutée avec courage , et même avec intrépidité.
+
Le commandeur Bille mérite la confiance de la nation par
son activité et son zèle. On a été témoin hier au soir d'un beau
et touchant spectacle , en voyant ce braye homme , accompagné
du commandeur Krieger , monter dans la chaloupe de
l'amirauté , attaquer avec les chaloupes canonnières les bombardes
ennemies , et les chasser de nos côtes.
Copenhague , 19 août.
Depuis hier après midi , il ne s'est rien passé d'important ;
environ 40 voiles ennemies sont arrivées de la baie de Kjoge ;
la plupart paroissent être des vaisseaux de transport.
Aujourd'hui , à 11 heures du matin , un parlementaire de
la flotte est arrivé à terre , pour demander que l'on reçût 20
• matelots blessés , appartenant à la frégate Frederikswaern ,
qui a été prise dans une action près de Skagen , par le vaisseau
de guerre anglais le Comus . Nous avons donné en échangǝ
Le capitaine et l'équipage d'un vai seau que nous avons pris et
brûlé.
1
524 MERCURE DE FRANCE ,
Dantzick , 21 août.
On vient de publier l'ordre suivant :
S. Exc. M. le gouverneur-général ordonne que vingt-quatre
heures après la publication du présent ordre , tous les officiers
prussiens , de quels grades qu'ils soient , aient à sortir de la
ville et du territoire de Dantzick .
S. Exc. M. le gouverneur se voit forcé de prendre cette
mesure rigoureuse , afin de réprimer les propos indécens que
la plupart de ces messieurs se permettent contre le gouvernement
français , ainsi que les faux bruits qu'ils affectent de
répandre pour troubler la confiance et la tranquillité des
habitans paisibles de la ville libre de Dantzick .
Tout officier prussien qui ne se sera pas conformé au présent
ordre, sera arrêté et détenu huit jours en prison, et conduit
ensuite hors le territoire de Danzick par la gendarmerie , sur
la route de Koenigsberg.
C'est ainsi que doivent être traités des individus qui n'ont
que de l'insolence et de la morgue .
Tout habitant qui gardera chez lui un officier prussien ,
sera mis en prison pendant huit jours.
M. legouverneur se réserve d'excepter decette mesure ceux
de messieurs les officiers prussiens dont la tranquillité et la
bonne conduite lui sont connues. Avant leur départ , MM. les
officiers prussiens prendront un ordre de route chez le général
commandant de la place, qui est chargé de l'exécution
du présent ordre.
Le général de division , aide-de-camp de S. М. ГЕм-
PEREUR etRor , gouverneur-général de Dantzick ,
PARIS, vendredi 1 septembre.
RAPP .
Dimanche 6 septembre , à 11 heures du matin, S. Exc.
Elhadji Idriss-Rami , ambassadeur de Maroc , a présenté ses
lettres de créance à S. M. l'EMPEREUR et RoI. S. Exc. a été
introduite au palais de Saint-Cloud par les maîtres et aides des
cérémonies , qui l'ont été chercher à son hôtel avec trois voitures
de la cour ; elle a été introduite dans le cabinet de S. M.
par S. Exc. le grand-maître des cérémonies. L'ambassadeur ,
après avoir fait trois profondes révérences , a prononcé en
arabe le discours dont voici la traduction :
La louange est à Dieu.
Au sultan des sultans , au plus glorieux des souverains , le
magnifique et auguste EMPEREUR NAPOLÉON.
Nous offrons à V. M. un nombre de salutations infinies et
۱
SEPTEMBRE 1807 . 525
proportionnées à l'étendue de notre amitié pour elle. Notre
seigneur et maître Suleyman , Empereur de Maroc ( que Dieu
fortifie et éternise la durée de son empire ! ) , nous a envoyé
auprès de V, M. pour la féliciter sur son heureux avénement
au trône de la puissance. Il est , à votre égard , ce que ses
prédécesseurs ont été constamment à l'égard des vôtres , fidèle
aux traités. Vous êtes à ses yeux le plus grand, le plus distingué
parmi tous les souverains de l'Europe , et l'amitié de V. M.
lui est extrêmement précieuse. Il m'a envoyé auprès d'elle
avec des présens. Qu'elle daigne les accepter. Nous prions le
Tout-Puissant qu'il continue à accorder à V. M. un bonheur
et une satisfaction inaltérable.
45
L'audience terminée , S. Ex. a été reconduite à son hôtel
de la même manière qu'elle avoit été amenée.
S. M. a reçu ensuite deux députations. La première , du
royaume d'Italie , composée de M. le général Gaffarelli ,
ministre de la guerre ; de M. le patriarche de Venise , et de
M. Costabili , consulteur d'Etat. Cette députation a eu son
audience de congé. La seconde , des villes anséatiques , composée
de MM. Doeving , Kahlem , Soermans et Laurentin
de Dantzick; Overbeck , de Lubeck; Groning , de Bremen ;
Doorman , de Hambourg.
Ces audiences terminées , S. M. a reçu le corps diplomatique,
qui a été conduit par les maîtres et aides des cérémonies
, et introduit par S. Ex. le grand-maître , avec les
formes accoutumées. M. le baron de Pappenheim , ministre
plénipotentiaire de S. A. R. le grand-duc de Hesse , aprésenté
ses lettres de créance à S. M. l'EMPEREUR comme Roi d'Italie .
Ont ensuite été présentés : Par M. le prince de Masserano ,
ambassadeur de S. M. le roi d'Espagne : M. le chevalier de
Betencourt , inspecteur-général des canaux et grandes routes
d'Espagne , et conseiller des finances de S. M. catholique.
ParM. le comte de Venturi , ambassadeur extraordinaire de
S. M. la reine régente d'Etrurie : M. Manucci , gentilhomme
toscan , attaché à l'ambassade.
Par M. de Cetto , envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire
de S. M. le roi de Bavière : M. le comte de
Wittgenstein , chambellan du roi.
Par M. le baron de Senft Pilbach , ministre plénipotentiaire
de S. M. le roi de Saxe : M. le comte d'Einsiedel ,
chambellan du roi.
Par M. le comte de Beust , envoyé extraordinaire et ministre
plénipotentiaire de S. A. Em. le prince-primat : MM. de
Volborn , évêque et conseiller d'Etat; le baron de Ferrette ,
lieutenant-général et grand sénéchal de la cour ; le baron
526 MERCURE DE FRANCE ,
d'Eberstein , conseiller d'Etat ; le baron de Reden-Hausen ,
chambellan; le comte de Lowenstein-Wertheim ; le baron
d'Jaugheim, conseiller d'Etat ; de Goldner,ministre du prince
d'Isembourg.
ParM. lebaron de Pappenheim , ministre plénipotentiaire
de S. A. R. le grand-duc de Hesse : MM. le comte de Stolberg-
Wernigerode ; le comte de Solms- Laubach .
Par M. le baron de Dalberg , ministre plénipotentiaire de
S. A. R. le grand-duc de Bade : M. le baron de Wellwarth ,
grand-maître de la cour de Bade; M. le comte d'Isembourg ,
général au service de S. A. R.; M. le baron de Guttenhoffen,
gentilhomme au service de S. A.
Par M. de Champagny , ministre des relations extérieures :
MM. le baron de Braudenstein , chambellan de S. A. le duc
régnant d'Anhalt-Bermbourg; de Seelhorst , chambellan de
S. A.; le baron d'Erffa , grand- écuyer de la cour de Saxe-
Meningen; le baron de Griesheim , général au service de
S. A. le duc d'Anhalt-Coethen ; le baron de Sternegg , chambellande
S. A. le duc d'Anhalt-Coethen; le baron de Lichtenstein
, ministre d'Etat dirigeant de S. A. le duc de Saxe-
Hildt-Bourghausen; le baron de Gagern , ministre d'Etat de
LL. AA. les duc et prince de Nassau ; le baron de Nauendorf,
chambellan de LL. AA.; de Fabricius , conseiller de légation
de LL. AA.; le baron de Dankelman, conseiller de S. A. le
duc de Saxe-Cobourg. (Moniteur.)
Hier , à Saint-Cloud , après la messe , M. Dupont , sénateur,
a été présenté en cette qualité, par S. A. S. le prince archichancelier
de l'Empire , au serment qu'il a prêté entre les
mains de l'EMPEREUR.
J
-On voit depuis le 7, dans le grand salon du Musée :
Napoléon , les armures qui ont été rapportées , l'année dernière,
de l'arsenal de Vienne et du château d'Ambras .
- On a amené, le 28 du mois dernier , dans les prisons de
la ville de Domfront , département de l'Orne , un individu ,
prévenu d'avoir assassiné sa femme à coups de serpe. Ses mains
et ses vêtemens étoient encore teints du sang de sa victime
quand il a été arrêté.
- S. M. a approuvé le 18 août un avis du conseil d'Etat ,
qui déclare que le concours de l'autorité législative n'est point
nécessaire pour l'exécution de l'article 545 du Code civil,
portant<< que nul ne peut être contraint de céder sa propriété ,
>> si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une
>> juste et préalable indemnité. » Les motifs de cette décision
sont ensubstance, que la nature même des choses s'oppose à ce
que l'autorité législative puisse intervenir en ce cas; qu'on a
SEPTEMBRE 1807 . 527
toujours regardé comme une garantie politique que la même
autorité qui fait la loi ne soit pas chargée de l'exécution; que
le corps législatif n'est point organisé pour éclaircir et pour
juger des questions de fait; que la dignité de ce corps en seroit
blessée, parce qu'on transforme les législateurs en simples
juges , et le plus souvent encore l'objet du jugement est-ildu
plus médiocre intérêt;que si on remonte auxdiverses consti
tutions qui ont régi la France , aucune d'elles n'a exigé l'intervention
de la loi; si on s'en rapporte à l'usage , jamais on
n'a soumis au corps législatif les expropriations ayant pour
cause les alignemens et la voirie; qu'enfin le droit de propriété
doit être regardé comme pleinement garanti par les
formes que la loi a établies , soit pour constater l'utilité publique
et réelle , soit pour fixer la valeur de l'objet consacré à
cette utilité.
- On trouve dans les papiers anglais les détails suivans
sur la personne du cardinal d'Yorck, dont les journaux ont
annoncé dernièrement la mort :
Henry-Benedict-Marie-Clément Stuart , second fils de
Jacques Stuart , connu sous le nom du prétendant , et de
Marie - Clémentine Sobiesky, étoit né à Rome le 26
mars 1745 , où il a toujours résidé jusque vers la fin de
1725 ; époque où il vint en France pour se mettre à la tête
de 15,000 hommes , rassemblés près de Dunkerque , sous le
commandement du duc de Richelieu, par ordre de LouisXV.
Avec cette armée , Henry Stuart devoit descendre en Angleterre
, pour aller secourir son frère Charles. Cependant ,
quoique les préparatifs pour l'embarquement de ces troupes
fussent faits , quoiqu'une partie fût effectivement embarquée,
aucunbâtimentnequitta la rade de Dunkerque ; etHenryayant
appris la perte de la bataille deCulloden, retourna à Rome. Au
granddéplaisir de son frère et des amis de sa famille , il se détermina
à prendre les ordres; il fut fait cardinal par le pape
Benoît XIV en 1747 , et ensuite évêque de Frascati et chancelier
de l'église de Saint-Pierre.
Depuis ce temps , le cardinal d'Yorck , nom qu'il prit à sa
promotion, selivra aux fonctions de son ministère , et parut
avoir renoncé à toutes les vues mondaines , jusqu'à la mort
de son père , qui arriva en 1758 ; alors il fit frapper des médailles
, portant d'un côté son effigie , avec ces mots : Henricus
nonus Angliæ rex; et sur le revers une ville , et Gratia Dei,
sed non voluntate hominum. Si nous sommes bien instruits ,
le roi d'Angleterre possède une de ces médailles.
Lecardinald'Yorck avoit en France deux riches bénéfices ,
les abbayes d'Enchin et de Saint-Amand; il avoit aussi une
528 MERCURE DE FRANCE ,
pension considérable de la cour d'Espagne ; il perdit tout à
la révolution. Pour aider le papevic VI a compléter la somme
demandée par le gouvernemen français en 1796 , le cardinal
donna tous ses bijoux , et entr'autres un rubis , le plus gros
et le plus beau que l'on connut , évalué à 50,000 liv. st. Il se
priva ainsi des derniers moyens d'une subsistance indépendante
, et se trouva réduit à la plus grande misère lors de l'expulsion
de Pie Viet de sa courde Rome. Le cardinal Borgia
ayant eu occassion de counoître en Italie sir John Hippisley
Coxe, ministre d'Angleterre , lui exposa dans une lettre le
malheur du cardinal d'Yorck . Sir John envoya cette lettre à
M. Stuart , qui dressa un mémoire que M. Dundas (aujourd'hui
lord Melville ) présenta au roi ; S. M. assura sur-lechamp
au cardinal d'Yorck une pension annuelle de 4,000 1. ,
dont il a joui jusqu'à sa mort. Ainsi finit, à l'âge de 82 ans
et quelques mois , le dernier rejeton en ligne directe de la
maison royale des Stuarts.
-Le régiment de dragons de Lusitanie , venant d'Espagne ,
est arrivé , le 15 août , à Perpignan. Ce régiment a été retenu
dans cette place , par ordre de M. le général Chabran. Sa force
est de 58 officiers et de 627 hommes.
FONDS PUBLICS DU MOIS DE SEPTEMBRE.
DU SAM . 5. Cp. olo c. J. du 22 mars 1807 , 87f 87f 16 87f87f .
50c 25087f 200 500 250 000000 oocooc ooc . ooc. ooc oc oof one
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 84f. 5oc oof ooc onf
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1380f oooof ooc. oooof. oooof
DU LUNDI 7. -Cpour o/o c. J. du 22mars 1807 , 88 75c 60c 750 8ос
75c 8gf 25c 8gf 89f75c gof oof ooc ode ooc . ooc ooc ooc.
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 86f 75c.50с . оос оос
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1397f 50c 1400f 0000f.cooof
DU MARDI 8. - Ср. оо c . J. du 22 mars 1807 , 9of 89f 703 75c gof
8gf 756 59f 75c 50c. gof 89f 75c gof. 89f Soc ooc coc ooc oof
Idem . Jouiss . du 22 sept. 1807 , oof. ooc eof oof ooc. ooc orc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1400f 0000f woof. oooof oooof
DU MERCREDI 9. -Cp . ojo c . J. du 22 mars 1807 , 88f 50c 88f881 20
88f 100 250 88f. 88f 35c 50c of. ooc of ooc . oof.
Idem. Jouiss . du 22 sept . 1807 , 85f 5oc . oof. oof ooc ooc ooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 139of 400 0000 00oof 0000
DU JEUDI 10.- Cp. oo c . J. du 22 mars 1807 , 89f 8gf 25c 8gf 89f 250
8gf 88f 75c 500 750 600 75с бое росоос оос оос 000 000 000.000 COC
Idem. Jouiss. du 22 sept . 1897 , 86f ooc oof goc coc ooc oofooc
Act. de la Banque de Fr. avec doublement 1385f. 0000f oo oooof. oooof
DU VENDREDI 11. Cp . o/o c. J. du 22 mars 1807, 88f 75c 800. 756
700 000 000 0oocoocooc ooc oof ooc ooe oof oor ooc ooc obe oof ooc
Idem. Jouiss. du 22 sept. 1807 , 86f ooc ooc . oof ooc doc
Act. de la Banque de Fr. avec donblement 1400f 1402 f 500 0000f
:
:
5. cen
( NO. CCCXXII . )
(SAMEDI 19 SEPTEMBRE 1807. )
MERCURE
DE FRANCE .
POÉSIE.
FRAGMENT
DU CHANT XVI DE LA JÉRUSALEM DÉLIVRÉE.
(Palais d'Armide. )
LE superbe édifice, en ses flancs circulaires,
Cache un pompeux jardin , que de puissans mystères
Ont paré de leurs dons , ornemens éternels,
D'où jamais n'approcha l'art des foibles mortels.
Autour on voit, formés d'une main infernale,
Mille réduits confus , vaste et sombre dédale;
Et les détours cachés de ses sentiers obscurs,
Loinde tous les regards en recèlent les murs.
Lesguerriers cependant en découvrent l'issue :
Cent portes d'argent pur ornent son avenue,
Frappent au loin les yeuxde leur éclat brillant,
Et roulent sur des gonds d'un or étincelant.
Les guerriers attentifs franchissent la première,
Où le taleret vainqueur surpasse la matière :
La sculpture y respire ; et le regard charmé
Croit voir, dans son erreur , le métal animé.
Là, perdu dans les flots d'une horde timide,
Le vainqueur des Enfers , le redoutable Alcide ,
Qui des cieux autrefois supporta le fardeau ,
Soutientune quenouille, et tourne unvil fuseau.
3
)
fa
1
17
LI
530 MERCURE DE FRANCE ,
L'Amour , d'un ris moqueur , s'applaudit à sa vue;
Omphale , en se jouant , soulève la massue ;
Et, couvrant par le fer ses membres délicats ,
Du monstre de Némée ose parer son bras .
Plus loin est une mer qu soulève l'orage ,
Dont les flots écumeux blanchissent le rivage:
Deux ennemis puissans , sur leurs nombreux vaisseaux ,
S'y disputent la pourpre et l'empire des eaux.
L'éclair jaillit du sein/des armes menaçantes ,
Il brille en lames d'or dans les eaux bouillonnantes ;
L'onde en est enflammée , et , d'un éclat affreux ,
Sur Leucathe embrasé semble jeter ses feux.
Auguste voit sous lui flotter l'aigle romaine ;
Antoine de l'Egypte arma la souveraine ,
Traîne sous ses drapeaux , à son sort attachés ,
L'Arabe et l'Indien , de leur sol arrachés .
Au choc impétueux de leurs nefs foudroyantes ,
On croiroit voir , cédant aux vagues mugissantes ,
Les Cyclades sur l'onde au gré des vents flotter ;
Les monts , avec fracas , contre les monts heurter.
Les énormes vaisseaux se choquent et se brisent :
La mort vole ; le fer et la flamme s'épuisent ;
Le sang rougit les mers; mille débris épars ,
Autour des combattans flottent de toutes parts ,
Le sort est balancé ; mais la reine , sans gloire ,
Fuit , et laisse aux rivaux s'arracher la victoire.
Antoine fuit ! ... Eh quoi ! ce prix de sa valeur ,
Lemonde entier soumis ne tente plus son coeur ?
Non, non , il ne craint point ; mais son ame est captive :
2 Atravers l'onde il suit la reine fugitive ;
Et , frémissant de honte , et de rage et d'amour ,
On le voit indécis regarder tour-à-tour
La bataille fatale , encore disputée ,
Et la nefqui s'enfuit , par les vents emportée.
Dans les détours du Nil , enfin , guidant ses pas ,
Au sein de son amante il attend le trépas ;
Et, goûtant les plaisirs d'une flamme fidelle ,
Oublie et les destins , et leur rage cruelle.
Les deux guerriers , laissant ce magique tableau ,
Pénètrent les détours d'un dédale nouveau.
Tel on voit le Méandre , en sa course incertainey..
Par cent replis divers se jouer dans la plaine :
Il paroît vers la mer apporter ses présens ,
Tourne, descend , remonte , et joint ses flors naissan s.
Ainsi lart a tracé , par d'infernales ruses ,
SEPTEMBRE 1807 . 531
r
Autour de ce palais mille lignes confuses ;
Mais du sage vieillard le livre précieux
En dévoile aussitôt les secrets à leurs yeux.
Apeine ont- ils franchi cette route inconnue ,
Qu'un jardin somptueux se présente à leur vue.
De spacieux bassins y captivent les eaux;
Elles roulent plus loin leurs liquides cristaux;
Les fleurs de cent climats y brillent rassemblées ;
Sous les coteaux dorés sont de fraîches vallées ,
Des grottes , des bosquets , des gazons toujours verts.
Tous les trésors des champs à leurs yeux sont offerts :
L'art seul y créa tout ; il voile la culture.
Ason heureux désordre on croit voir la nature ;
On croit que dans ses jeux, caprices du hasard ,
La nature , à son tour, voulut imiter l'art .
Le zéphyr , que seconde un magique mystère ,.
Répand dans ce jardin son souffle salutaire ;
Et les fleurs et les fruits , par lui renouvelés,
Naissent en même temps , croissent toujours mêlés .
Là se trouvent unis le printemps et l'automne;
Sur la rose qui meurt une rose bourgeonne.
Là le fruit qui mûrit sur un rameau doré ,
De mille fruits naissans est toujours entouré.
Sur un cep élevé , la vigne tortueuse
Etale les rubis d'une grappe orgueilleuse ;
Son jus de l'ambroisie efface la douceur ,
Et la grappe voisine est encore en sa fleur.
Les oiseaux, se jouant à l'abri du feuillage,
Font entendre à l'envi leur séduisant ramage.
Zéphyre agite l'air , glisse sous les berceaux,
Balance mollement les gazons et les eaux :
Il vole , et , frémissant à travers la verdure ,
Ala voix des oiseaux unit son doux murmure,
Répond à leurs concerts , écoute leurs accens ,
Ou , plus harmonieux , il embellit leurs chants...
Un d'eux plane dans l'air , sur ses ailes dorées;
Des plus riches couleurs ses plumes sont parées;
L'or s'y mêle à l'azur , au plus vif incarnat ;.
La pourpre , sur son bec, brille en tout son éclat;
Et sa voix étonnante , à la notre pareille,,
Fait entendre des sons connus à notre oreille.
Il parle; les oiseaux suspendent leurs concerts,
Et les vents attentifs se taisent dans les airs
<<Ah ! dit- il , au printemps voyez naître la rose ;
:
1
L12
532 MERCURE DE FRANCE,
:
>> Modeste en sa fraîcheur , à peine est-elle éclose ,
>> Plus elle cache aux yeux les trésors de son sein ,
>> Plus elle paroît belle , et provoque au larcin.
>> Tout- à-coup on la voit , superbe et fastueuse,
>> Etaler ses attraits; bientôt, plus malheureuse ,
» Dans ses restes mourans , négligés des zéphyrs ,
» L'oeil ne reconnoît plus l'objet de ses desirs .
>> Telle , au déclin d'un jour qui s'éclipse sans cesso,
>> Nous voyons de nos ans s'écouler la jeunesse :
» Un souffle la détruit , et le destin jaloux
>> N'en renouvelle plus les doux momens pour nous.
>> Cueillons , dans l'âge heureux du matin de la vie ,
>> La rose de l'amour, le soir la voit flétrie .
» Aimons quand le printemps nous ordonne d'aimer ;
>> Aimons sans cesse, aimous quand nous pouvons charmer ..
Il dit ; et les oiseaux , reprenant leur ramage ,
Paroissent , par leurs chants , approuver ce langage ;
Redoublent leurs transports , leurs baisers amoureux.
Tout célèbre l'amour : il brûle de ses feux
Les animaux errans dans ces forêts paisibles;
Et les bois , et la terre , et les eaux insensibles ,
Cédant , au même instant , au doux besoin d'aimer ,
Semblent former des voeux , sentir et s'animer.
Par M. F. NEGREL ( de Marseille. )
FRAGMENS
DU I. LIVRE DES FASTES D'OVIDE.
L
AUJOURD'HUI que mon temple est fermé par Auguste ,
Il le sera long - temps. Levant sa tête auguste ,
Janus promène alors ses yeux sur l'univers .
Omon héros ! la paix y règne; et dans les fers ,
Le Rhin , à qui tu dois ta palme triomphante ,
Aremis dans tes mains son urne obéissante .
Dure la paix , et ceux dont elle est le bienfait !
Qu'ils vivent pour veiller sur le bien qu'ils ont fait !
•
Descends , fille du ciel ( la Paix ) , et règne sur la terre !
Triomphes destructeurs , cessez avec la guerre ?
Qu'êtes-vous pour nos chefs ? Leur gloire est dans la paix.
Pourqu'on ne s'arme plus , armez- vous désormais ,
SEPTEMBRE 1807 . 533
Soldats ! et vous clairons , trompettes héroïques ,
Proclamez et la paix et ses fêtes publiques .
Que l'Univers entier , des Parthes aux Germains ,
Tremble dans le silence au seul nom des Romains ;
Que des rois alliés la libre obéissance ,
S'ils ne la craignent pas , adorent leur puissance.
Consacrons à la paix un encens solennel :
Qu'une blanche génisse expire à son autel .
Conservez , Dieux puissans , cette paix si profonde ,
Et l'auguste maison qui l'a donnée au monde.
Par M. DESAINTANGE . '
N. B. Dans le N° . du 15 août , Fragment de l'ART D'AIMER , vers 15°. ,
au lieu de un second abandon , lisez : un facheux abandon.
ENIGME.
Des mains de l'art je reçus l'existence.
Le fer , le feu , la terre et l'eau
Eurent tous part à ma naissance ,
Etpour combattre l'air je quittai le berceau.
Par mon état placée à la classe femelle ,
Je n'eus jamais d'époux , j'ai cependant un fils ;
Je le porte en mon sein , et sa nature est telle ,
Qu'il existoit peut-être avant que je naquis.
Lecteur , lorsque des jeux une troupe légère
T'entraîne, à tes devoirs je sais te ramener ;
Je te rends à l'amour, et plus d'une bergère
N'eût pas reçu sans moi l'hommage du berger .
Par mes soins , par ma vigilance ,
Je préviens les fureurs d'un fougueux élément ;
Et je m'oppose à la prudence
D'un ennemi qui te surprend.
Mets- tu le deuil ? sensible à tes alarmes ,
En accens douloureux je partage tes larmes.
L'hymen couronne-t-il ton amoureuse ardeur ?
Par mille cris joyeux je chante ton bonheur.
Et quand la nuit , sortant de ses demeures sombres,
Sème dans l'Univers le silence et les ombres ,
Tu dors , et respectant ce précieux sommeil ,
Je me tais , pour ne point trop hater ton réveil .
Pour prix de mes bienfaits , quelle est ma destinée ?
Tu me charges de fers , me mets la corde au cou;
Au plus haut d'un gibet je me vois attachée :
C'est l'acted'un ingrat , ou bien celui d'un fou .
$
3
534 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
Assis sur le berceau du monde,
Jefinivai sur son tombeau .
Mon empire s'étend sur la terre et sur l'onde.
Je rends le sort de l'homme ou plus triste ou plus beau.
Sept pieds , en tout , forment mon être :
Les quatre premiers font connoître
Pour un coeur bien épri un titre précieux;
Trois de plus , lecteur , j'offre à votre impatience
Cequi fuit , et jamais ne se rend à vos voeux ;
Vous trouverez en moi ce qu'avec la naissance
Vous donna le divin auteur ;
Le nom d'une chose très -rare ,
T Ala honte de notre coeur ;
Deux élémens , dont un fut le tombeau d'I care ;
L'épithète d'absynthe; un mal très-redoutable ;
Ce qu'aux dépens de la raison
Souvent cherche un poète ; une fougue indomptable ;
Ceque, dans la belle saison ,
On entend dans le champs. Ma foi , c'en est
Devinez-moi bien vite, ou sinon me laissez .
CHARADE.:
assez;
L
f
ENFANT du luxe et de l'orgueil ,
Mon premier va comme on le mène ;
Et mon second, en demi denil ,
2
Jase souvent à perdre haleine.
Mon tout se trouve à l'hôpital ,
Aux champs de Mars est nécessaire ;
Je guéris quelquefois le mal
Quele champ d'honneur a fait faire.
Par un Abonné.
1.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier N°. est Plume.. :
Celui du Logogriphe est Patin, où l'on trouve pain , pan (d'habit) ,
Ain , pin , an , tan , ta , ni . かこ
Celui de la Charade est Plat-eau.
SEPTEMBRE 1807 . 535
:
Vie de Julius Agricola , traduction nouvelle , avec le texte
en regard. Un vol . in- 12 . Prix : 1 fr . 80 c.; et 2 fr. 20 c.
par la poste. AParis , chez Xhrouet , imprimeur-libraire ,
desMMooiineaux , n°. 16 ; Barbou , rue des Mathurins-
Saint-Jacques ; et Deterville , rue Haute-Feuille ; et chez
le Normant.
rue
CE ne sont plus les faits et les événemens que l'on recherche
aujourd'hui dans les ouvrages de Tacite , ce sont les pensées
et le style ; ce n'est plus l'histoire que l'on étudie , c'est l'historien;
et sous ce rapport , une nouvelle traduction ne doit
être considérée que comme un sujet de comparaison , et par
conséquent d'instruction et de plaisir.
Il n'est rien de plus digne d'encouragement que cette
rivalité de plusieurs talens , pour rendre l'impression qu'ils
ont reçue des auteurs anciens. Rousseau dit quelque part ,
que lorsqu'il voulut parler au public , il sentit le besoin
d'apprendre à écrire , et qu'alors il se mit à traduire Tacite.
On n'examine point ici pourquoi il vouloit parler en public ,
ni ce qu'il avoit à lui dire ; il suffit de remarquer comment
il s'y prépara. Rousseau suivoit l'exemple des plus célèbres
écrivains anciens et modernes , qui tous , depuis Cicéron et
Virgile , jusqu'à Racine et Fénélon , ont regardé cet exercice
comme le plus utile apprentissage de l'art d'écrire .
D'ailleurs , ce qui développe le talent de l'écrivain n'est
jamais perdu pour la langue. Les richesses d'une langue ne
peuvent se conserver ou se renouveler que par les moyens
qui les ont acquises ; et puisque les traductions des auteurs
latins (1) ont été les premiers essais de notre prose française ,
elles doivent trouver une place honorable parini nos derniers
travaux. Peut-être même , le retour vers les sources latines ,
est-il aujourd'hui plus favorable à la perfection et à l'ornement
du style qu'il ne le ſut jadis aux commencemens et
aux progrès de notre langue. Désormais les imitations trop
serviles , les hardiesses malheureuses qui en retardèrent la
marche à différentes époques , ne sont plus à craindre , ou
ne peuvent plus séduire . Le traducteur , éclairé par tant de
modèles qui en ont invariablement fixé le génie , est sans
(1) Les traductions de Quinte- Curce et de Tite- Live, entreprises par
les ordres du roi Jean.
3
536 MERCURE DE FRANCE ,
cesse averti du respect qui lui est dû. Ainsi elle s'enrichit
sans se corrompre , et ne fait à l'antiquité que des emprunts
légitimes et consacrés par l'analogie.
Tacite a exercé dans tous les temps beaucoup de traducteurs.
Il est possible de justifier leur admiration , et même
leur préférence. C'est qu'en effet il est peu d'hommes dont
on se sentè plus honoré d'exprimer les pensées. C'est qu'on
ne connoît point d'écrivain à la fois plus riche et plus
concis , plus pittoresque et plus profond , et qui donne plus
de jouissances à l'esprit , à mesure qu'il péuètre davantage
dans les intentions de son style. Il n'est pas jusqu'au caractère
singulier de cette élocution brusque , heurtée dans sa rapidité
, qui dissimule son abondance par des coupes hardies et
inattendues , et dont la suite ne subsiste que par les idées ;
il n'est pas jusqu'à ces difficultés mêmes , qui ne piquent et
n'attirent le talent : du moins il pourra toujours leur opposer
avec utilité , si ce n'est toujours avec succès , les ressources
d'une langue plus circonspecte dans sa marche , et plus
exigeante dans le choix des transitions.
On n'ignore pas que cette opinion sera blamée par plusieurs
critiques . Quelques-uns , appuyés sur des traditions
de collége , qui ne sont pas toujours des traditions classiques ,
s'obstinent à reléguer Tacite parmi les historiens du second
ordre et d'une latinité suspecte; protestant ainsi contre
l'autorité de Bossuet , de Racine et de Montesquieu .
,
D'autres ont vu des intentions plus profondes dans une
préférence qui ne sembloit que littéraire. Le goût de certains
écrivains pour Tacite a été , suivant eux , une passion philosophique
; et l'on avoue qu'elle a été jusqu'au ridicule
s'il est vrai que les philosophes du XVIII siècle aient placé
son nom avant celui de Tite- Live , et de tous les auteurs
de l'antiquité grecque et latine. Que ce fût dans leurs conversations
, nous ne le nierons pas , car on n'en trouve
aucune preuve dans leurs écrits. Que plutôt ce fût moins
une opinion philosophique , que le travers de quelques
philosophes , nous aimerons encore mieux le croire , puisqu'à
l'enthousiasme de d'Alembert, on peut opposer les
éloges assez froids et presque dédaigneux de Voltaire . Quoi
'qu'il en soit, il seroit aussi imprudent de partager cette
admiration exclusive , que de fixer les rangs entre ces deux
grands historiens . Si l'on demandoit la place qu'ils doivent
occuper dans l'instruction publique, la question change ;
et déjà elle est décidée par Rollin et par toussles bboonnss maîtres .
Mais si l'on dispute de la supériorité réelle de l'un ou de
l'autre , qui trouvera une mesure commune à deux mérites
SEPTEMBRE 1807 . 537
si divers ? Et qui osera tenir la balance entre deux hommes
si excellens dans leur diversité ?
Grammatici ceriant , et adhuc sub judice lis est.
Quintilien nous oblige à cette réserve. Il est douteux que ,
sans l'autorité de ce grand critique , aucun moderne , jugeant
d'après ses propres lumières , se fût permis d'égaler Salluste
à Tite - Live , dont la diction suave et abondante , lactea
ubertas , n'est jamais au-dessous de la grandeur romaine ,
et dont le génie plus étendu en a d'ailleurs embrassé tous
les développemens. Cependant Quintilien ajoute , comme
le plus bel éloge de Tite- Live : « Que ce sont ces différentes
>>qualités qui lui ontmérité la gloire que Salluste s'est acquise
>>par son inimitable briéveté . » Ideoque illam immortalem
Sallustii velocitatem diversis virtutibus consecutus est. Que
les détracteurs de Tacite se taisent , en voyant la place de
Salluste marquée par un juge si infaillible ; et disons de
tous , pour terminer une controverse qui ressembleroit
à tant de disputes de préséance , qu'ils sont plus égaux que
semblables , magis pares quam similes. ( 1 )
L'auteur du Cours de Littérature appelle la Vie d' Agricola
le chef- d'oeuvre d'un historien qui n'a fait que des
chefs-d'oeuvre . Assurément , celui qui a sibien loué Tacite
étoit digne de l'apprécier. Cependant le magnifique éloge
de la Vie d'Agricola ne conviendroit-il pas mieux à l'immortel
Tableau de la sombre et ingénieuse tyrannie de
Tibère ? Il est permis de le croire , si l'on s'en rapporte
aux traditions , qui donnent ordinairement tant de poids
aux décisions de M. de La Harpe ; et ici on ne craint pas
de l'appeler en témoignage contre lui-même , et l'on demande
si ces belles pages du Cours de Littérature , où la
critique s'élève à un si haut degré d'éloquence , et semble
un moment rivale du génie dont elle a dérobé le secret ,
(1) On ne veut pas ici se prévaloir de ce passage de Quintilien ; que
les commentateurs appliquent à Tacite : Superest adhuc , el exornat
ælatis nostræ gloriam vir sæculorum memoria di nus , qui olim
nominabitur , nunc intelligitur. Habet amatores , nec imitatores , ut
libertas , quanquam circumsisis quæ dixisset , ei nocuerit ; sed elatum
abundė spiritum, et audaces sententias deprehendas , etiam in
iis quæ manent. ( QUINT. lib . 10, cap. 1.)
M. Rollin pense aussi que le passage suivant du chap. de Imitatione,
fait allusion à Tacite : Non est quod crediderim verum etiam contenderim
ætatis nostræ fuisse , quos totos imitandos fore . Mais ce sont
In des expressions bienveillantes pour un disciple et un contemporain
islustre,, qquu''iiilllnneefaut pas prendre àlalettre.
4
538 MERCURE DE FRANCE ,
n'ont pas plutôt été inspirées par le peintre de Tibère que
par le panégyriste d'Agricola. Un journaliste , que l'on
n'accusera pas de recevoir sans examen les jugemens de
M. de La Harpe , veut sur-tout que l'on admire dans la
Vied'Agricola P'ordre et la suite des idées. Nous avouerons
que , de tous les genres de mérite que nous y avons remarqués
, ce n'est pas celui qui nous a frappés davantage : du
moins , si l'ordonnance de l'ouvrage est absolument irréprochable
, on pourroit , ce semble , trouver quelques
défauts de convenances entre les parties qui le composent.
Lorsque Tacite entreprit d'élever à la mémoire de son
beau-père ce monument de ses regrets et de sa piété , il
venoit de quitter le barreau , il se préparoit à de grands
travaux d'histoire ; et cette circonstance devoit influer sur
les dispositions du biographe. De là un mélange sans
proportion de genres différens , qui , malgré le talent qui
nous entraîne , laisse quelques doutes à la critique. On
vante avec justice cette description de la Grande-Bretagne ,
qui suspend le rrééccit des premières années d'Agricola , pour
nous transporter sur le principal théâtre de sa gloire. Soit ,
en effet , que Tacite nous représente l'aspect de cette île ,
qui semble sous la domination immédiate de l'Océan , et
la tristesse imposante de ses rivages , et la sévérité d'un
ciel toujours nébuleux , et l'impuissante fécondité d'une
terre dont les fruits ne mûrissent pas ; soit qu'il retrace les
moeurs et les coutumes des habitans , discute sur leur origine
, remonte aux invasions qui précédèrent celle d'Agricola
, et rappelle les fautes et les malheurs de tant de
consuls romains , il nous attache et nous intéresse profondément.
Cependant le tableau n'est-il pas trop vaste pour
le cadre qui le renferme ? Que dire des deux discours qui
terminent l'exposition rapide et abrégée de la conquête de
la Grande -Bretagne ? Assurément il n'est personne qui
eût le courage de vouloir les retrancher. Mais si ces harangues
directes ne manquent pas toujours de vraisemblance
dans une histoire générale , le discours de Galgacus en a- t-il
beaucoup dans la Vie d'Agricola ? On n'ose insister davantage.
Il est peu sûr de critiquer Tacite. D'ailleurs , un
ouvrage qui avoit annoncé le plus grand des historiens et
le plus grand peintre de l'antiquité , et qui offre comme un
essai des diverses beautés qui brillent dans ses autres écrits ,
peut justifier tous les éloges . On n'admirera jamais assez
cette noble austérité dans le style et dans les images , qui
doit être le principal ornement de l'histoire ; cette sévérité
à demi réprimée et encore menaçante dans l'exorde , qui ,
SEPTEMBRE 1807 . 539
bientôt après , semble s'attendrir à l'image d'un homme de
bien ; cet amour de la vertu , qui explique honorablement
l'indignation contre les vices ; ce respect pour les devoirs
domestiques , dans l'exercice desquels Tacite affermissoit
son ame , en attendant le jour où il pourroit se manifester :
voilà ce qui place la Vie d'Agricola parmi les ouvrages les
plus précieux de l'antiquité. Elle doit avoir un attrait particulier
pour les jeunes gens , naturellement prompts à s'enflammer
pour un beau caractère. Rollin partageoit en ceci
le goût des jeunes gens ; et dans son Traité des Etudes , il
conseille aux rhétoriciens qui veulent employer utilement le
loisir des vacances , de s'attacher à ce modèle , de s'exercer
à le traduire , et à l'imiter , s'il étoit possible .
Les conseils de Rollin n'ont point été perdus pour celui
qui eût mérité d'être son disciple; et cet essai , entrepris
d'abord comme une étude , retouché dans la suite par
une main plus exercée , est devenu , au jugement des connoisseurs
, la meilleure traduction de la Vie d'Agricola..
Nous répétons ce jugement avec d'autant plus de franchise
, que la modestie du jeune traducteur n'en peut être
alarmée. En luttant avec Tacite dans un seul morceau , il
avoit moins de mérite à l'emporter sur ses concurrens ; et
le prix de la difficulté vaincue demeure toujours à celui qui
a fourni la carrière tout entière. On trouveroit même dans
la traduction d'Agricola , par M. Dureau de la Malle , plu
sieurs passages qui se soutiennent mieux à côté du texte.
Mais , en général , celle-ci se distingue par un plus grand
nombre de traits heureux , par une élégance plus soutenue ,
sur-tout par une expression plus littérale ; et cette dernière
qualité lui assure l'avantage. On voit qu'elle a été l'objet
particulier des efforts du nouveau traducteur . « C'est là
>>dit-il , dans une simple et élégante préface , c'est là , si
>>je ne me trompe , le premier et le plus grand moyen de
» succès lorsqu'on traduit un historien chez qui la prc-
>>fondeur de la pensée et la richesse de l'imagination se
>>manifestent tout à-la- fois , dans un style plein de noblesse ,
>>de franchise et de force. »
Mais il est plus aisé de faire une poétique que d'y être
fidèle. Un exemple justifiera mieux les principes du traducteur
et nos éloges .
Nous choisissons le discours prononcé par Galgacus avant
la bataille qui devoit décider le sort de toute la Grande
Bretagne :
<<<Toutes les fois que je songe aux causes de la guerre et
>> à la nécessité qui nous presse , je me tiens assuré qu'au
?
540 MERCURE DE FRANCE ,
»
» jourd'hui même ; et par notre union , commencera la
» liberté de toute la Bretagne ; car nous sommes tous ici
> exempts de servitude : et au - delà , il n'y a plus de terres ;
» la mer elle- même est sans abri , puisque la flotte romaine
» est là qui nous menace. Ainsi , le parti du combat et
des armes , qui est le plus honorable pour le courage , est
» le plus sûr pour la lâcheté même . Les précédentes batailles ,
>> au milieu des alternatives de la fortune , laissoient en nous
» une dernière espérance : nous , les plus distingués de
» toute la Bretagne , et placés comme dans son sanctuaire ;
» nous , qui loin des rivages des peuples esclaves , avions
» préservé nos yeux même des atteintes de la tyrannie .
» Retirés aux bornes du monde et de la liberté , cette pro-
» fonde retraite où la Renommée pénètre à peine , nous a
» défendus jusqu'à ce jour ; et ce qui est inconnu en est
plus grand et plus redoutable, Mais voilà que nos limites
» sont découvertes . Derrière nous , plus de peuples ; rien
» que des flots et des rochers ; et au bas de cette montagne
sont les Romains , dont vous fléchiriez inutilement
l'orgueil par votre soumission ou par votre indigence .
» Ravisseurs du monde , déjà la terre manque à leurs ra-
» vages , et ils sondent les mers . Avares , si feur ennemi est
» riche ; ambitieux , s'il est pauvre : l'Orient et l'Occident
» n'ont pu les rassasier . Seuls entre tous les peuples , ils pour-
» suivent avec une égale fureur et les richesses et la pau-
» vreté. Piller , égorger , enlever , voilà dans leur perfide
langage ce qu'ils nomment gouvernement ; la ruine et la
» solitude , voilà leur paix . »
»
»
Voilà un discours éloquent et une traduction exacte . Il
faudroit répéter cet éloge à chaque page . Nous ferons cependant
une observation sur la phrase suivante : « Les précé-
» dentes batailles , au milieu des alternatives de la fortune ,
>> laissoient en nous une dernière espérance : nous les plus
» distingués de toute la Bretagne , et placés comme dans son
» sanctuaire ; nous qui , loin des rivages , des peuples
» esclaves , etc. » Ce nous répété produit ici de l'embarras ,
sans ajouter à l'énergie . Il semble que la tournure eût été
plus naturelle et d'un meilleur effet , en suivant le mouve
ment du latin : Quia nobilissimi Britannice eòque in ipsis
penetralibus siti.
·
Nous avons noté dans cette traduction deux ou trois autres
passages qui nous paroissent susceptibles de légères corrections.
Ceux qui en ont rendu compte , avant nous , ont
aussi proposé leurs remarques ; et a- t-on jamais rendu
compte d'une traduction , sans trouver un meilleur sens ,
SEPTEMBRE 1807 . 541
une meilleure expression que le traducteur ? Les critiques
triomphent de ces petites découvertes ; mais on leur en sait
peude gré. Montagne parle , avec une admiration tout-à-fait
naïve, d'un savant qui avoit compté deux inille fautes dans
lePlutarque d'Amyot. Il est possible que ce censeur minutieux
eût souvent raison contre Amyot; mais il est encore
plus probable qu'il avoit moins de zèle pour le sens de Plutarque
, que d'empressement à montrer qu'il entendoit sa
langue.
On doit au traducteur de la Vie d'Agricole, l'Excerpta de
Tacite , ouvrage adopté pour l'instruction publique , dontle
choix judicieux a été reconnu dans le temps , et dont l'utilité
est éprouvée aujourd'hui. Nous aurions desiré que celui qui,
jusqu'à présent , a été si heureux avec Tacite , tentât de
nouveaux efforts , et s'essayât sur de plus grands tableaux.
Mais appelé par des devoirs qui exigent l'homme tout entier,
il adû renoncer à ses premiers plaisirs ; et déjà nous pourrions
le suivre dans l'examen d'une question du plus haut
intérêt social ( 1 ) , où il a prouvé combien les bonnes études
préparent avec avantage à la défense des vérités utiles .
Heureux celui qui s'est livré à des études solides et à des
goûts sérieux dès sa jeunesse. Il n'a point recherché des
succès prématurés , qui trop souvent ne font briller qu'un
rayon de gloire passager , et tuent jusqu'à l'espérance des
talens. Tous ses travaux restent ; chaque jour il en recueille
le fruit. Il attend la gloire en méritant la considération.
Ses ouvrages portent un caractère de perfection et de maturité
, qui fait l'éloge de sa vie ; et ses études sont encore des
leçons. P. M.
OEuvres choisies de M. Lefranc de Pompignan , de l'Académie
Française. Deux vol. petit in- 12. Prix : 3 fr . , et
4 fr . par la poste. A Liége , chez François Lemarié, près
l'Hôtel-de-Ville ; et à Paris , chez Villet , lib. , rue Hautefeuille
, n° . 1 ; et chez le Normant.
CETTE édition des OEuvres choisies de M. Lefranc de
Pompignan contient plusieurs ouvrages d'un genre différent,
qui tous font honneur à leur auteur. Avant de jeter
(1) Considérations sur le Prét à intérét. Un vol . in-8° . A Paris ,
chezMéquignon l'aîné , rue de l'Ecole-de- Médecine; et chez leNormant.
542 MERCURE DE FRANCE ,
un coup d'oeil sur ce qu'ily a de plus remarquable dans cette
collection , nous ferons quelques réflexions sur le talent d'un
homme qui éprouva d'une manière bien terrible l'injustice
de ses contemporains .
M. Lefranc , destiné à la robe , joignit aux études nécessaires
à son état celles de la littérature , pour laquelle il
avoit un goût qui ne lui fit cependant jamais négliger ses
devoirs. Il ne courut point après les succès de société ; il ne
crut pas , comme tant d'autres , que quelques petits vers ,
quelques essais dramatiques , suffisoient pour faire la réputationd'unhommede
lettres. Ce fut chez les anciens qu'il
chercha des modèles : l'étude approfondie de l'hébreu le mit
à portée de connoître les beautés sublimes des Livres Saints;
celle du grec le fit pénétrer dans les secrets du style des
Homère , des Sophocle et des Euripide; et il trouva dans
Virgile et dans Horace des trésors non moins précieux. A
ces études , M. Lefranc joignit celle des langues modernes :
l'italien , l'espagnol , l'anglais lui étoient familiers . Son goût
exquis , ne puisant dans les deux premières langues que ce
qu'elles produisirent d'estimable lorsqu'elles contribuèrent à
la renaissance des lettres , chercha dans la troisieme ces étincelles
de génie qui brillent dans les productions de Shakespeare
et de Milton , et ces règles de goût que présentent
Addisson et Pope , esprits sages qui , malgré leurs succès ,
ne purent cependant former une école dans leur pays .
Cette flexibilité dans l'imagination , cette facilité étonnante
dans le travail , dont M. Lefranc étoit doué , ne se
concilient que rarement avec le génie qui invente , et qui ,
luttant contre des difficultés en apparence insurmontables ,
ouvre une nouvelle carrière , et s'élève au-dessus de ses contemporains
. Les grands génies , pour l'ordinaire , ramènent
toutes leurs études à un seul objet : ils en font l'occupation
de leur vie ; et si , pour se délasser , ils se jouent en traitant
des sujets moins graves , ces amusemens ne les détournent
jamais de leur objet principal. Les hommes qui leur
sont inférieurs , mais qui , doués d'un esprit juste et d'une
diction saine , s'exercent sur divers sujets sans les porter au
même degré de perfection que leurs modèles , méritent aussi
notre estime. Ces écrivains du second ordre nous plaisent
par les efforts qu'ils font pour approcher des grands maîtres ;
ils nous les font mieux apprécier : souvent ils nous présentent
des morceaux dignes de notre admiration ; et leurs écrits
sages servent à empêcher leurs contemporains de se livrer
aux écarts du mauvais goût. C'est dans cette classe que
M. Lefranc nous paroît mériter d'être placé , quoique , dans
SEPTEMBRE 1807 . 543
le genre de l'ode , il se soit quelquefois élevé à la hauteur
de J. B. Rousseau .
La tragédie de Didon est très-connue. Ce sujet si beau
offroit les plus grandes difficultés : M. Lefranc les a surmontées
. Il a su répandre de l'éclat sur le rôle d'Enée , en
supposant qu'il sauve Didon avant de l'abandonner ; il a
relevé le caractère de Didon , en lui donnant toute la fierté
d'une reine : enfin , il a placé entre les deux amans un
ministre fidèle qui combat leur passion , et qui prédit les malheurs
dont ils sont menacés . Souvent M. Lefranc a imité
heureusement le quatrième livre de l'Enéide ; un de ses plus
beaux passages est celui où il traduit la fameuse imprécation :
Tum vos , ô Tyrii , etc. On regrette qu'il n'ait pas fait entrer
dans le rôle de Didon les dernières paroles que lui prête
Virgile ; rien n'est plus tendre et plus touchant:
Dulces exuviæ , dum fata deusque sinebant ,
Accipite hanc animam , neque his exsolvite curis , etc.
La dernière réflexion de Didon est sur-tout pleine de pathétique
:
Felix , heu ! nimium felix , si littora tantum
Nunquam Dardanicæ tetigissent nostra carine !
M. Lefranc n'a pas dédaigné de s'exercer dans le genre
léger. Sa Dissertation sur le Nectar et l'Ambroisie , adressée
à madame de Pontac , réunit les graces d'un style enjoué à
une éruditiou pleine de goût. L'auteur traduit en vers quelques
morceaux d'Homère , de Pindare et de Virgile ; et ses
traductions , sans être bien fidelles , ont du moins le mérite
de donner quelqu'idée à une dame de la manière de ces
grands poètes . Dans le Voyage de Languedoc et de Provence,
il a cherché à imiter Chapelle et Bachaumont : on y trouve
moins de négligence que dans l'ouvrage de ces deux aimables
épicuriens ; mais il n'offre pas autant de grace et d'abandon .
Dans ce Voyage , M. Lefranc s'élève quelquefois au ton de
la poésie épique : on a sur- tout remarqué un morceau où il
peînt avec beaucoup. d'énergie les combats des gladiateurs .
Ce morceau est heureusement amené, à l'occasion des Arènes
de Nîmes .
L'éditeur a fait entrer dans ce Recueil trois Epîtres qui ,
sans pouvoir être comparées à celles de Boileau , pour l'élégance
et la précision , méritent cependant d'être distinguées
par des peintures de moeurs pleines de vérité , et par un
style pur et correct. Nous n'en citerons qu'un passage sur
les détracteurs de Boileau :
Mais admire avec moiles travers où s'égare
De ces hommes altiers l'injustice bizarre !
1
544 MERCURE DE FRANCE ,
Un seul mot qui les blesse est un crime odieux :
Veulent-ils se venger ? tout est juste à leurs yeux.
Boileau , qui d'Apollon régloit si bien l'empire ,
Cet unique Boileau , qu'en vain l'on veut proscrire ,
Etdont les vers heureux , sans cesse répétés ,
Par ses propres conseurs sont toujours imités,
Qu'a-t-il dit, qu'a-t- il fait dans ses divins ouvrages
Qui dût à sa mémoire attirer tant d'outrages ?
Il se plut à fronder les Pradons , les Cotins ;
Il traduisit les Grecs , imita les Latins :
Ce sont de grands torfaits ; mais a-t- il , dans ses rimes ,
De l'exacte décence oublié les maximes ? etc.
Cette édition présente la traduction des Géorgiques , qui
n'avoitencore paru que dans les OEuvres complètes de l'auteur .
Nous nous arrêterons quelques momens sur cet ouvrage ,
que les amateurs pourront comparer à la célèbre traduction
de M. Delille.
L'éditeur , dans un Avertissement très-court , s'exprime
ainsi : « Sans prétendre nuire à la traduction de M. l'abbé
• Delille , nous ajouterons qu'il est certain que M. Lefranc
>>est plusfidele , qu'il donne une idée plus juste du poëme
> latin ; qu'enfin il remplit mieux les devoirs d'un traducteur
> qui ne lutte pas avec son modèle. »
Ce jugement , exprimé d'une manière tranchante , mérite
d'être examiné . La traduction de M. Delille passe pour un.
ouvrage classique ; elle est entre les mains de tout le monde :
celle de M. Lefranc , au contraire , est à peine connue. Si
la grande réputation de l'une , et si le peu de succès de l'autre
tiennent à un préjugé injuste , sans doute il est très à propos
de la combattre, et de montrer au public qu'il s'est trompé ;
mais si l'opinion qu'on a portée sur les deux ouvrages est
conforme aux règles immuables du goût , on ne voit pas
pourquoi l'éditeur cherche à détruire , par quelques lignes ,
la célébrité d'une des productions qui ont fait le plus d'honneur
au dix-huitième siècle.
Nous avons examiné la traduction de M. Lefranc ; et tout
en rendant justice aux efforts qu'il a faits pour rendre son
original , nous n'avons pu adhérer au jugement de l'éditeur
sur sa fidélité : la même raison nous empêche de convenir
avec lui que M. Lefranc donne une idée plus juste du poète
latin. Il nous a paru aussi que le devoir d'un traducteur
n'étoit pas de se traîner servilement sur les traces de son
modèle ; mais qu'au contraire il devoit lutier avec lui. C'est
de cette lutte si pénible que M. Delille a tiré ses plus grandes
beautés.
Après avoir examiné la traduction de M. Lefranc , nous
Pavons comparée à celle de M. Delille ; et voici l'idée qui
nous
r
SEPTEMBRE 1807 .
SBINE
nous est restée de ce parallèle : M. Lefranc , guide apÁ
goût trop timide , ne s'est pas approprié les expressions poé
tiques de Virgile ; il a souvent rendu les traits les plus bea
par des images qui sont loin de donner une idée du modèle
Son système étant de ne pas étendre les idées de Virgile
s'est renfermé dans une précision qui approche quelquefois
de la sécheresse. Ce défaut est très-important quand on tra
duit un poète tel que Virgile. Son aimable abandon son
élégance si naturelle , sa douce harmonie , son caractere
tendre et expressif, ne peuvent être exprimés par un traducteur
sans cesse asservi à des règles austères , et qui craint
toujours de prendre l'essor . M. Delille a mieux jugé ce que
l'on devoit attendre d'un poète assez hardi pour traduire en
vers le chef-d'oeuvre de Virgile . Il a cru devoir lutter avec
son modèle , quand il s'est trouvé dans l'impossibilité de
rendre fidèlement quelque beauté . Il s'est efforcé , suiv int le
système de nos grands maîtres , de faire passer dans notre
langue les expressions poétiques de l'auteur latin ; et ce travail
, qui exigeoit tant de délicatesse dans le goût , a rendu à
la langue française les trésors de la poésie didactique , dont
elle avoit été privée depuis Boileau .
Il résulte de ces observations , qui vont être appuyées par
des exemples , que la traduction de M. Delille est supérieure
à celle de M. Lefranc , quoique cette dernière mérite d'être
étudiée par les gens de lettres , auxquels elle offrira l'occasion
de faire des parallèles intéressans , et de remarquer les difficultés
presqu'insurmontables que Virgile présente à ses traducteurs.
Un des principaux charmes des Géorgiques , c'est une
alliance toujours bien amenée des idées morales aux principes
didactiques ; c'est cette douce rêverie qui porte le poète
à revenir fréquemment sur la paix dont jouissent les hommes
des champs , tandis que les villes sont livrées aux discordes et
aux abus d'un luxe effréné . On se rappelle toujours avec
attendrissement ce vers du second livre :
Ofortunatos nimium sua si bona norint ,
Agricolas !
La vie du vieillard des bords du Galèse n'inspire pas moins
d'intérêt . C'est sur-tout lorsque les détails didactiques sont
arides , que Virgile y joint des idées morales. Nous en citerons
un exemple qui nous fournira l'occasion de comparer
M. Lefranc à M. Delille. Il s'agit de choisir des semences ;
M m
546 MERCURE DE FRANCE ,
le poète , après avoir peint
les préparer , ajoute :
les procédés dont on se sert pour
Vidi lec'a diù , et multo spectata labore ,
Degenerare tamen , ni vis humana quotannis
Maxima quæque manu legeret ; sic omnia fatis
In pejus ruere, ac retro sublapsa referri.
Non aliter, quan qui adverso vix flumine lembum
Remigiis subigit , si brachia forte remisit,
Atque illum in præceps prono rapit alveus amni.
Voici la traduction de M. Lefranc .
Inutiles secrets , remèdes impuissans !
Si le grain le plus gros n'est choisi tous les ans ,
Dans le meilleur terrain l'espèce dégénère.
Tout change avec le temps , se corromptet s'altère.
L'homme est ce nautonnier foible et présomptueux ,
Dont la nacelle affronte un fleuve impétueux :
Il lutte avec les flots , il remonte avec peine ;
Mais il quitte la rame, et le torrent l'entraîne .
Cette imitation est foible ; elle manque de mouvement ; et
la transition qui montre au lecteur l'instabilité de la fortune ,
est amenée d'une manière pénible . Du reste , le dernier vers
est de la plus grande foiblesse. M. Delille a beaucoup mieux
rendu ce passage :
Remède infructueux , inutiles secrets !
Les grains les plus heureux , malgré tous ces apprêts,
Dégénèrent enfin , si l'homme avec prudence,
Tous les ans ne choisit laplus belle semence .
Tel est l'arrêt du sort : tout marche à son déclin .
Je crois voir un nocher qui , la rame à la main ,
Lutte contre les flots , et les fend avec peine :
Suspend- il ses efforts ? P'onde roule et l'entraîne.
Les poëmes épiques et les tragédies présentent souventdes
descriptions de tempêtes : celle que Virgile a placée dans le
premier livre des Géorgiques est d'un genre différent. Il ne s'agit pas d'un héros dont le naufrage peut arrêter les grandes
entreprises: c'est un ouragan qui détruit les espérances du laboureur. Cette simplicité dans la scène n'empêche pas le
poète de se servir des couleurs épiques ; elles fontle con- traste le plus heureux et le plus touchant avec l'état de
misère et de foiblesse de ceux que la tempête menace :
Sæpe etiam immensum cælo venit agmen aquarum Etfædam glomerant tempestatem imbribus atris Collectæ ex alto nubes : ruit arduus æther , .. Et pluvia uvia ingenti sata læta , boumque labores Diluit : implenturfossæ , et cavaflumina crescunt
Cum
sonitu, fervetque fretis spirantibus æquor. Ipsepater , media nimborum in nocte, corusca Fulmina molitur dextra ; quo maxima motu
Terra tremit, fugereferæ, et mortalia corda
SEPTEMBRE 1807 . 547
Pergentes humilis stravit pavor ; illeflagranti
AutAtho , aut Rhodopen , aut alta Ceraunia telo
Dejicit ; ingeminant austri , et densissimus imber :
Nunc nemora ingenti vento , nunc littora plangunt,
Cette belle description offroit aux traducteurs de grandes
difficultés ; mais aussi elle leur fournissoit l'occasion de
déployer toutes les richesses de leur imagination. Nous allons
encore comparér M. Lefranc à M. Delille ; et nous pourrons
mieux les juger dans cette lutte , où ils ont probablement
fait usage de toutes leurs forces. Nous commencerons
par les vers de M. Lefranc :
J'ai vu dans un beau jour se grossir sur nos têtes
D'effroyables vapeurs d'où sortoient les tempêtes ,
La nuit couvrir les airs , le ciel fondre en torrens,
Les eaux noyer les grains dans la campagne errans,
Les fleuves débordés augmenter le ravage ,
Et la mer en fureur dévorer le rivage.
De Jupiter , assis sur un trône brûlant ,
:
L'univers voit alors le bras étincelant :
Brutes , mortels , toût tremble au bruit de son tonnerre ;
Ses coups portent l'effroi jusqu'au sein de la terre ;
L'éclair fuit , le feu tombe , Athos est embrase ;
De Rhodope fumant le sommet est brisé.
Les plaines , les forêts , les montagnes frémissent
Sousla foudre qui gronde, et les vents qui mugissent.
On voit avec regret qu'il y a beaucoup de vague dans cette
description. Les traits de M. Delille sont plus frappans ; et
s'il a un peu étendu son modèle , on ne peut lui reprocher
d'avoir affoibli la vigueur du pinceau de Virgile :
Un vaste amas d'effroyables nuages ,
Dans ses flancs ténèbreux couvant de noirs orages ,
S'élève,' s'épaissit , se déchire ; et soudain
La pluie , à flots pressés , s'échappe de son sein :
Le ciel descend en eaux, et couche sur les plaines
Ces riantes moissons , vains fruits de tant de peines ;
Les fossés sont remplis ; les fleuves débordés
Roulent en mugissant dans les champs inondes ;
Des torrens bondissans précipitent leur onde ,
Et des mers en courroux le noir abyine gronde.
Dans cette nuit affreuse , environné d'éclairs ,
Le roi des cieux s'assied sur le trône des airs;
La terre tremble au loin sous son maître qui tonne :
Les animaux ont fui ; l'homme éperdu frissonne;
L'univers ébranlé s'épouvante..... Le Dieu
D'un bras étincelant dardant un trait de feu ,
De ces monts si souvent mutilés par la foudre ,
De Rhodope et d'Athos met les rochers enpoudre,
Et leur sommet brisé vole en éclats fumans .
Le vent croît , l'air frémit d'horribles sifflemens ;
En torrens redoublés les vastes cieux se fondent;
La rive au loin gémit, et les bois lui répondent .
1
1
Mm 2
548 MERCURE DE FRANCE ,
C'est sur-tout par les mouvemens de style que M. Lefranc
est inférieur à M. Delille. Il les dénature presque toujours.
A-t-il à rendre cette apostrophe pleine d'énergie:
Audeat?
il traduit ainsi :
Solem quis dicerefalsum ,
C'estenfinle soleil qui peut seul nous apprendre
Quels jourset quelles nuits , etc.
-M. Delille se rapproche bien plus de l'original , quand il
s'écrie:
Qui pourroit, o soleil , t'accuser d'imposture? etc.
M. Lefranc veut-il traduire ces vers si tendres :
Tedulcis conjux, te solo in littore secum ,
Tevenientedie, te decedente carebat,
il emploie une longue périphrase :
Ilchantoit vainement, pour charmer son supplice ,
Le nom, le nom chéri de sa tendre Eurydice ;
Les accords de sa lyre exprimoient ses douleurs,
Et le jour et la nuit renouveloient ses pleurs.
M. Delille a mieux imité cemouvement du poète latin :
Tendre épouse , c'est toi qu'appeloit son amour,
Toi qu'il pleuroit la nuit , toi qu'il pleuroit le jour .
Ces rapprochemens nous paroissent suffire pour montrer
que l'éditeur s'est trompé dans le jugement qu'il a porté
sur les deux traductions des Géorgiques . Le panégyriste de
M. Lefranc ( 1 ) est absolument de notre avis : « Je voudrois
» en vain dissimuler , dit- il , que , dans sa traduction des
> Géorgiques , il n'a ni l'imagination dans l'expression , ni la
>> verve et le mouvement toujours animé , toujours varié de
>>ce traducteur célèbre qui , parmi nous , a porté la magie
» du style à un si haut degré de perfection .>>^^
On regrette que l'éditeur n'ait pas fait entrer dans son
Recueil quelques poésies sacrées de M. Lefranc. Les sarcasmes
de M. de Voltaire n'ont pas empêché les connoisseurs
d'y remarquer de grandes beautés. La paraphrase du
Pseaume de la Création méritoit sur-tout de trouver place
dans les OEuvres choisies de l'auteur. P.
(a) M. l'abbé Maury, Discours de réception.
SEPTEMBRE 1807 . 549
Lettres de Marie Stuart , reine d'Ecosse, et de Christine ,
reine de Suède ; précédées de Notices sur Marie Stuart ,
Elisabeth et Christine , et suivies du récit de la mort de
Monaldeschi , grand-écuyer dela reinede Suède ; publiéés
par Léopold Collin. Trois vol. in- 12 . Prix : 8 fr. 50 c. ,
et 11 fr. par la poste. A Paris , chez Léopold Collin ,
libraire , rue Git-le-Coeur , n° . 4 ; et chez le Normant.
A La Haye , chez Immerzeel et Comp . , Venestraat ,
n°. 149.
ON pouvoit croire que le libraire Léopold Collin , déjà
éditeur de plus de quinze volumes de Lettres de femmes ,
avoit entièrement épuisé cette espèce de mine qu'il avoit
d'abord couverte fort heureusement , mais dont il ne tiroît
plus sur la fin que des matières peu dignes du creuset.
Il vient cependannttdedécouvrir un nouveau filon qu'il commence
à exploiter : ce sont les lettres des souveraines. Nous
l'engageons , pour son propre intérêt , à ne pas pousser trop
loincette seconde collection; car les souveraines aussi ont écrit
des lettres qui ne méritent pas d'être imprimées , et réimprimées
sur-tout. On disoit d'un homme qui , sans manquer
d'esprit , n'en avoit pourtant pas assez Quand il a trouvé
un bon mot , il ne le lâche pas qu'il n'en ait fait une sottise.
Ce mot peut s'appliquer à quelques-uns de ceux qui
font des spéculations de littérature, ou plutôt de librairie.
Marie Stuart et Christine sont des noms très-propres à
exciter la curiosité. Ces deux reines ont marqué dans l'histoire
: l'une par ses graces , ses foiblesses , ses crimes peutêtre
, et sur-tout ses malheurs ; l'autre par ses talens dignes
du trône , et la bizarrerie de caractère qui le lui a fait abandonner.
Marie n'étoit-elle que foible ? Etoit-elle aussi coupable ?
Jusqu'à quel point l'étoit-elle ? Voilà des questions qui
ont partagé les historiens , et enfanté des volumes . Un
mari qu'elle avoit choisi et fait roi , eut envers elle les torts
les plus graves , jusqu'à celui de se joindre aux mécontens
que le fanatisme puritain suscitoit contre une reine catholique.
Il fit assassiner , sous les yeux de Marie , le musicien
David Rizzio qu'elle aimoit, au moins comme confident
et homme dévoué. Ce mari ingrat fut assassiné à son tour.
L'auteur présumé du crime , Bothwell, enteva la reine et
se fit épouser par elle. Marie , poursuivie et emprisonnée
par ses sujets , s'échappa de leurs mains, et alla chercher un
3
550 MERCURE DE FRANCE ,
asile en Angleterre. Elisabeth la retint captive pendant dixhuitans;
etcomme des partisans de cette malheureuse reine
faisoient des tentatives pour lui enlever sa victimé , en s'assurant
d'elle-même , ou , si l'on veut , en la faisant périr ,
elle fit faire le procès de Marie , qui fut condamnée à mort
et eut la tête tranchée . Tels sont les faits en eux-mêmes , nus
et dégagés de leurs causes. Ce sont ces causes qui varient ,
et sur lesquelles on ne s'accorde pas. Marie avoit-elle de
l'amour pour ce David Rizzio ; et son mari , en faisant poignarder
cet homme , a-t- il vengé son honneur outragé?
*Marie s'est- elle vengée à son tour du meurtre de son amant,
en consentant au meurtre de son mari ? L'assassin de celui-ci ,
Bothwell , en enlevant la reine, a-t-il agi d'après un plan
concerté entr'eux ? Marie l'a-t-elle épousé de son plein gré,
et pour satisfaire sa passion ? Etoit-elle , dans sa prison ,
instruite et consentante des complots que ses partisans faisoient
contre l'autorité et la vie d'Elisabeth ? A toutes ces
questions , tous les historiens anglais et protestans , moins
un, ont répondu : OUI; et presque tous les historiens faisant
profession d'un zélé catholicisme , ont répondu : NON';
en sorte qu'à en croire les uns , Marie a été au moins aussi
coupable que malheureuse ; et qu'à entendre les autres ,
ellea été la victime innocente de son attachement pour sa
religion , de sa douceur , de sa bonté, et même de sa beauté ,
dont Elisabeth étoit jalouse jusqu'à la rage. Le Jésuite d'Orléans
n'hésite point à lui donner le nom de martyre. Quelques
écrivains , en qui les préjugés de nation et de secte
n'obscurcissoient pas les lumières naturelles , ont cherché la
véritéau milieudeces opinions extrêmes. Ils ont trouvé que
Marie n'étoit ni aussi coupable , ni aussi innocente qu'on
l'avoit faite ; qu'elle eut d'aimables qualités , mais aussi
de grandes foiblesses ; que par un effet trop ordinaire du
désordre , elle se trouva engagée malgré elle dans le crime ,
mais que déjà trop rigoureusement punie par sa longue et
injuste captivité , elle ne méritoit pointde porter sa tête sur
un échafaud , lors même que les juges qui l'y condamnèrent
eussent eu le droit de la juger. Tel est le sentiment de Voltaire
sur cette princesse infortunée, qu'il compare avec raison
à Jeanne de Naples , dont elle eut les charmes , les graces ,
les torts et la fin tragique. Je ne dois pas oublier de dire
qu'un écrivain passionné pour la vérité , et très en état de la
découvrir , M. Gaillard , a consacré à la justification de
Marie Stuart un volume entier de son Histoire de la Rivalite
de la France et de l'Angleterre. Il ne lui trouve pas un seul
tort , pas même de ceux que nous autres Francais pardonSEPTEMBRE
1807. 551
nons si facilement aux femmes . L'amour de Marie pour
David Rizzio , et ensuite pour Bothwell , étoit un de ces
points sur lesquels les historiens les plus favorables à cette reine
étoient à-peu-près tous d'accord. M. Gaillard le réfute , et
voici comme ils'y prend. David Rizzio étoit difforme ; Bothwellavoit
plus de soixante ans , et étoit , selon Brantôme , qui
l'avoit vu en Ecosse , le plus laid homme et d'une si mauvaise
grace qu'il se pût voir. Est-il vraisemblable qu'une
reine , dans la première fleur de son âge , et dans tout
l'éclat de sa beauté , dont les hommes les plus beaux de
son royaume auroient brigué pour cela seul les faveurs , ait
eut le goût assez bizarre pour les accorder à un misérable
musicien contrefait , et à un vieux soldat difforme ? C'est
aux femmes particulièrement qu'il appartient de juger de
la solidité de cette apologie , que trop d'hommes seroient
intéressés à ne pas trouver fondée .
La Notice qui précède les Lettres de Marie Stuart est
de Brantôme : autant vaut de Brantôme que d'un autre. Il
étoit contemporain de son héroïne , il l'avoit vue à la cour
de France , et il avoit pu apprendre d'original la plupart des
choses qu'il raconte. Il s'en faut bien cependant que son récit
ait tout le mérite , tout l'intérêt qu'il pouvoit avoir : ce n'est
guère qu'un long panégyrique , où l'exagération et le défaut
depreuves excitent continuellement la défiance du lecteur.
Brantôme étoit un historien sans critique , qui recueilloit
indistinctement tous les bruits , et écrivoit au gré de ses préventious
. D'ailleurs , son style , qu'on est convenu d'appeler
naïf, est singulièrement diffus , et quelquefois obscur. Deux
passages vraiment touchans se trouvent dans son article de
Marie Stuart : ce sont les adieux que cette pauvre reine fait
à ce doux pays de France qu'elle aimoit tant , et sur-tout
sa mort si résignée , si héroïque , si chrétienne , au milieu
de ses femmes éplorées et de ses juges même qu'elle avoit
attendris.
Les Lettres de Marie Stuart tirent de son infortune tout
l'intérêt qu'elles offrent une tendre pitié pour elle , une
profonde horreur pour sa persécutrice ; voilà ce qu'il est
impossible de ne pas ressentir en les lisant. Du reste , elles
contiennent fort peu de faits dignes de remarque , et il y
règne ce ton de monotonie qui résulte nécessairementd'une
plainte continuelle , et d'une situation qui ne change pas .
Le style en est disparate. On ne sait pas précisément en
quelle langue Marie écrivoit à Elisabeth et autres personnes
qu'elle vouloit intéresser à son sort. Ily a lieu de croire
que la plupart de ses lettres ont été écrites par elle en an
4
552 MERCURE DE FRANCE ,
glais ou en écossais; qu'ensuite elles ont été traduites en
Jatin par les historiens anglais, qui, de même que les nôtres ,
ont long-temps fait usage de cette langue ; et qu'enfin , du
latin elles ont été traduites en français, à différentes époques .
C'est là ce qui fait sans doute que les unes sont écrites en
français du seizième siècle , et les autres en français moderne.
On peut présumer que celles qu'elle a adressées au
roi , à la reine et à l'ambassadeur de France , étoient écrites
par elle en français , langue qu'elle avoit parfaitement sue ,
dit-on, et que c'est le texte même de ces Lettres qui nous
a été donné : ce français du temps de Marie Stuart , est ,
comme on sait , quelquefois difficile à entendre. Ce seroit ,
pour les éditeurs de pareils livres , une raison de plus d'en
soigner beaucoup la correction ; mais faute d'attention ou
de savoir , ilslanégligent considérablement.
L'éditeur des Lettres de Marie Stuart n'est pas à l'abri de
ce reproche. Il met la science que j'ai en Dieu , au lieu de
lafiance;je n'ai cette heure d'en étre témoin , au lieu deje
n'ai cet heur (ce bonheur) , etc. Les Lettres de Marie Stuart
font la matière d'un volume et démi à-peu-près . L'autre
moitié du second volume contient des pièces justificatives
pour l'histoire de Marie , lesquelles consistent en une
Apologie assez mal faite de cette princesse , et en un Recueil
de quelques Lettres sans suscription , que ses ennemis produisirent
comme une preuve de son commerce criminel
avec Bothwell , le meurtrier de son mari , mais qui étoient
supposées , à ce qu'on croit , qu'on n'a jamais voulu communiquer
à Marie , malgré ses instances , et dont on a
fini par détruire les prétendus originaux. Ces Lettres sont
suivies d'une mauvaise Notice sur Elisabeth , et de quelques
Lettres relatives au projet de mariage de cette reine avec le
duc d'Alençon , frère du roi de France. Cette Notice et ces
Lettres sont un pur remplissage.
En tête des Lettres de Christine , on a placé , sous le titre
de Notice, l'ouvrage de d'Alembert, intitulé Mémoires et
Reflexions sur Christine, reine de Suède. Il falloit que l'éditeur
ignorât de qui étoit cet écrit ; car il a mis simplement
à la fin : Extrait de la Galerie des Femmes illustres. Il ne
lui en auroit pas coûté davantage de mettre le vrai titre de
l'ouvrage et le nom de l'auteur , s'il les eût connus . Le nom
de d'Alembert eût donné quelque relief à ce morceau , qui
est sans contredit le plus piquant de tout le Recueil.
Ily ades lettres de Christine de deux espèces : les unes
sont véritables , les autres fictives ; celles-ci sont l'ouvrage
du libraire Lacombe , auparavant avocat Les Lettres qu'on
SEPTEMBRE 1807 . 553
publie de nouveau aujourd'hui sont les véritables. Elles
sont adressées à des souverains , à de grands seigneurs ,
àdes savans , à des poètes , à des femmes illustres du temps.
Comme celles de Marie Stuart , elles offrent de grandes
différences de style; ce qui tient peut-être à la même cause.
Toutes ces Lettres n'auront pas été écrites dans la même
langue : différentes personnes auront traduit en français
les Lettres latines , suédoises , italiennes , etc.: de-là autant
de styles que de traducteurs , sans compter le style de Christine
elle-même , dans les Lettres qu'elle a écrites originalement
en français. On pourroit de plus soupçonner qué
quelques-unes de celles-ci ont été retouchées , ou même
entièrement supposées. Il s'y trouve assez fréquemment des
idées , des tournures et des expressions qui autoriseroient
cette opinion. Mais chaque lecteur exercera lui-même sa
critique sur cet objet.
L'ordre chronologique n'est nullement observé dans lá
collection des Lettres de Christine. On trouve, par exemple,
une Lettre à Mazarin sur la mort de Monaldeschi , arrivée
eu 1657 , avant d'autres Lettres datées de 1654. Ce désordre
est d'autant plus singulier , que l'éditeur ( l'ancien sans
doute copié par le nouveau ) s'excuse quelque part de ne
pas placer à son rang une Lettre de Pascal qu'il a trouvée
trop tard.
Peu de souverains ont abdiqué , qui ne s'en soient pas
grandement repentis dans la suite. Christine , avec toute la
philosophie dont elle faisoit parade , n'a point échappé à
ce sort commun des princes descendus du trône , et son
amour-propre n'a point eu assez d'empire sur son dépit pour
l'empêcher de paroître et d'éclater. On ne connoît pas bien
le véritable motifde son abdication : peut-être n'y en a-t-il
pas eu d'autre que cette disposition d'esprit inquiète et dégoûtée
, qui nous fait préférer aux lieux où nous sommes tous
les lieux où nous ne sommes pas. Quoi qu'il en soit , Christiné
quitta la Suède , ou plutôt s'en évada pour aller vivre
à Rome. Il lui parut nécessaire d'adopter la religion dú
pays; en conséquence elle abjura la sienne , quoiqu'elle
eût, dans une autre circonstance , témoigné le plus grand
mépris pour ceux qui commettoient , disoit-elle alors , cet
acte de foiblesse. Au reste , elle ne voulut pas qu'on attri
buất saconversion àd'autres motifs qu'à des motifs humains :
<<Sa Sainteté , écrivoit-elle à la comtesse de Sparre , s'attri-
>>bue ma prétendue conversion, et voudroit que je le fisse
>> croire à tout le monde. » Plus loin : « Le pape fait la
> chatemite flepuis quelque temps à mon égard,parce qu'il
554 MERCURE DE FRANCE ,
>>voit bien que tous ses bonbons sont un peu trop sucrés
>>pour une grande fille qui n'aime point les directeurs . » Le
reste de la lettre est de ce ton , et même d'un ton un peu
plus fort. Ce n'est pas celui d'une néophyte bien fervente ,
ni bien sincère. Il vint en fantaisie à Christine de se faire
élire reine , ou plutôt roi de Pologne. Eile avoit pour compétiteur
le grand Condé , à qui elle avoit autrefois prodigué
les témoignages de son admiration , mais dont alors el'e
parloit avec assez peu de ménagement. Elle écrivoit au
nonce du pape, à Varsovie : « Le prince de Condé est le seul
» que je crains ; son mérite m'offusque et me déplaît fort :
>>il faut le rendre odieux . Cela me sera très-aisé : c'est un
>>prince bouillant, qui se vengera tôt ou tard , sur la Pologne ,
>>des chagrins et des tourmens que la France lui a fait
>>éprouver injustement..... Quoique le prince de Condé
>>soit grand capitaine et bon soldat, ilest emporté et avare.
>> Il seroit un mauvais roi , parce que l'avarice est , selon
>>moi , le plus bas et le plus méprisable de tous les défauts
>>dans un prince. Fût-il pauvre , il doit être libéral et ma-
>>gnifique. » Christine échoua dans son projet de régner en
Pologne. Elle ne fut pas plus heureuse dans celui de remonter
sur le trône de Suède , après la mort de Charles Gustave .
Elle mourut à Rome , âgée de 63 ans , en prononçant deux
vers latins qu'elle avoit faits .
Le volume de ses Lettres est terminé par une relation de
Ja mort de Monaldeschi , dont l'auteur est le P. Lebel , supérieur
des Mathurins de Fontainebleau , qui avoit assisté ce
malheureux pendant qu'on le perçoit à coups d'épée , et
qui avoit été seul témoin de cette cruelle exécution, avec les
lâches domestiques que Christine en avoit chargés . Cette relation
n'excite pas un vif intérêt , parce que Monaldeschi personnellement
n'en mérite aucun ; mais elle inspire du moins
l'effroi et l'horreur : elle est écrite avec un ton de douleur et
de pitié concentrées , qui ajoute beaucoup à l'impression du
récit. Je terminerai par quelques fragmens de la Lettre que
Christine écrivit , au sujet de cet assassinat , à Mazarin , qui
en avoit témoigné son indignation : « Monsieur Mazarin ,
>>ceux qui vous ont appris le détail de la mort de Monal-
>> deschi , mon écuyer, étoient très- mal informés . Je trouve
>>fort étrange que vous commettiez tant de gens pour vous
>>éclaircir de la vérité du fait. Votre procédé ne devroit
>>point m'étonner , tout fou qu'il est; mais je n'aurois jamais
>> cru que nivous , ni votre jeune maître orgueilleux , eussiez
>> osé m'en témoigner le moindre ressentiment .
>*Apprenez tous tant que vous êtes , valets et maîtres ,
SEPTEMBRE 1807 . 555
>>petits et grands , qu'il m'a plu d'agir ainsi ; que je ne dois ,
> ni ne veux rendre compte de mes actions à qui que ce soit,
>> sur-tout à des fanfarons de votre sorte..... Ma volonté est
>> une loi que vous devez respecter ; vous taire est votre
>>devoir , et bien des gens que je n'estime pas plus que vous ,
>> feroient très-bien d'apprendre ce qu'ils doivent à leurs
>> égaux , avant que de faire plus de bruit qu'il ne leur
>> convient. Sachez , mons Cardinal , que Christine est
>>reine partout où elle est..... Croyez- moi , Jules , com-
>> portez-vous de manière à mériter ma bienveillance ; c'est
» à quoi vous ne sauriez trop vous étudier. Dieu vous pré-
>>serve d'aventurer jamais le moindre propos indiscret sur
>> ma personne , etc. >>>
Jamais assurément le crime ne s'est exprimé avec plus
de hauteur et d'arrogance . 0.
Traité Elémentaire de Mécanique ; par L. B. Francoeur ,
professeur au Lycée Charlemagne , et Examinateur
pour l'Ecole Polytechnique. Nouvelle édition . Un vol.
in-8°. Prix: 7 fr. , et 8 fr. 50 c. par la poste. A Paris ,
chez Courcier, libraire , quai des Augustins ; et chez
le Normant.
Le suffrage de la Commission d'instruction publique ,
et trois éditions successivement épuisées , ont déjà constaté le
mérite de cet ouvrage. Nous profitons , pour le recommander
à l'attention de nos lecteurs , du renouvellement de
l'année classique , époque à laquelle les maîtres font choix
des livres élémentaires qu'ils veulent mettre entre les mains de
la jeunesse studieuse confiée à leurs soins. Quoique spécialement
consacré à la critique littéraire , le Mercure n'a jamais
craint de faire quelque excursion hors du domaine qui lui
est propre , en faveur des ouvrages purement scientifiques
quand la nature et le but de ces ouvrages les rendent d'uu
intérêt général , ou les mettent au nombre des livres destinés
à l'éducation .
,
On s'est souvent élevé dans ce Journal contre la prééminence
queles sciencesexactes avoient usurpée sur la littérature,
principalement dans l'instruction publique. Tout en rendant
justice à un ouvrage estimable sur l'une des parties les plus
importantes des mathématiques , je ne démentirai point les
principes sur lesquels ces réclamations étoient fondées. Les
belles-lettres tiendront toujours la première place dans une
bonne éducation : elles sont d'un usage journalier dans toutes
556 MERCURE DE FRANCE ,
les classes de la société , dans toutes les circonstances de la
vie; en ornantà la fois l'esprit et l'imagination de ceux qui
les cultivent , en leur apprenant à présenter leurs pensées
dans l'ordre le plus heureux , à les revêtir de couleurs
variées et brillantes , elles leur assurent l'empire le plus
doux et le plus légitime que l'homme puisse exercer sur ses
semblables , celui qui naît du talent de convaincre et de
persuader. Liées essentiellement à toutes les pensées morales,
sans lesquelies il n'y a ni poésie , ni éloquence , dépositaires
des grandes leçons de la philosophie et de l'histoire ,
elles donnent de la dignité aux moeurs , elles remplissent
l'ame de beaux sentimens ; et en l'élevant à des idées de
bonheur, bien différentes de celles qui abusent le commun
des hommes , elles la placent dans une noble indépendance
des caprices de la fortune. Un emploi si relevé et si utile
leur donne bien droit à une considération égale à celle
qu'ont valu aux sciences mathématiques , les services purement
physiques qu'elles ont rendus à la société .
Mais en défendant la littérature contre les usurpations
des sciences exactes , qui seroit assez aveugle pour leur
contester le mérite et les avantages qui leur sont propres ?
Tout atteste les bienfaits nombreux dont l'humanité leur
est redevable. Que l'imagination s'élance sur les mers ,
qu'elle pénètre dans les glaces du pôle , qu'elle s'élève au
milieu des cieux , partout elle réclame l'appui de ces hautes
sciences , et retrouve l'empreinte de leur génie. On peut
contester sans doute l'utilité de tant de profonds calculs
qui , trop souvent perdus pour la pratique , se renferment
dans de vaines abstractions. Mais quand les mathématiques
n'offriroient qu'un prodige de sagacité et d'invention ,
quand on ne verroit en elles qu'un des monumens les plus
étonnans de l'industrie humaine , ne seroient-elles pas par
cela seul bien dignes de l'attention de quiconque veutdonner
quelque culture à son esprit ?
Cette vérité avoit été sentie dans l'ancien système d'éducation
: les études se terminoient par un cours de mathématiques
, qui , bien que resserrédans des limites assez étroites ,
suffisoit néanmoins pour initier les jeunes gens aux principaux
élémens de cette science , et pour avertir le goût et
les dispositions secrètes de ceux que la nature appeloit à
en faire le principal objet de leurs travaux. Cependant il
faut convenir que cette partie de l'enseignement étoit restée
assez imparfaite. La plupart des traités élémentaires , en
usage dans les colléges , pouvoient avoir le mérite de la
clarté; mais ils ne rendoient point assez sensible la mu
SEPTEMBRE 1807 . 557
tuelle dépendance de tous les théorêmes qui , tour-à-tour
conséquences et principes , sont liés entr'eux par une chaîne
non interrompue; les démonstrations les plus importantes
ymanquoient souvent de cette précision et de cette rigueur
si nécessaires dans une science dont le plus bel attribut
est la certitude. D'ailleurs , pendant le peu de temps assignéàces
leçons , les élèves pouvoient bien prendre quelque
idée des principes généraux de la science; mais ce temps
ne leur suffisoit pas pour se familiariser avec les idées abstraites
qui en sont la base , et qui apprennent à en faire
de justes applications. Ils connoissoient les élémens de la
géométrie , et ne s'étoient point encore fait un esprit géométrique
: cependant sans cet esprit , on n'a véritablement
retiré aucun fruit de pareilles études. En effet , la plupart
des démonstrations partielles , et , si l'on peut parler ainsi ,
le matériel de la science s'oublie bien vite , quand on n'a
pas occasion d'en faire usage; mais si on en possède l'esprit,
il est toujours facile de ressaisir la chaîne des vérités
et des principes , et l'on pourroit , en quelque sorte, les
recréer au besoin.
C'est au milieu des orages de la révolution que l'étude
des mathématiques devint à la fois plus générale et mieux
dirigée , et c'est sur-tout à l'ouverture de l'école normale
qu'il faut attribuer le changement devenu général dans la
méthode d'instruction. Rien n'étoit , il est vrai , plus bizarre
que cet établissement , véritable école encyclopédique , où
l'on prétendoit enseigner à la fois toutes les sciences.
Toutefois , cette conception si extravagante et si gigantesque,
eut pourtant quelques bons effets. Tant de
frais d'instructions , si généreusement prodigués , furent ,
il est vrai , complétement perdus pour la plupart des
auditeurs appelés à en jouir ; mais ils ne furent pas
inutiles au petit nombre de ceux que des connoissances
déjà acquises mettoient en état d'en profiter. D'ailleurs ,
si le principal but qu'on s'étoit proposédans l'établissementde
cette école fut presqu'entièrement manqué ,certaines parties
de l'instruction publique en retirèrent du moins un avantage
auquel on n'avoit pas songé. Des savans célèbres furent
appelés à enseigner la science qui avoit fait l'objet de
toutes leurs méditations. Ce ne fut pas sans fruit qu'ils
travaillèrent à applanir l'entrée de la carrière , de cette main
ferme et exercée qui en avoit reculé les limites ; abrégeant
tout , parcequ'ils voyoient tout , comme on l'a dit d'un
écrivain célèbre , ils surent en même temps simplifier et
558 MERCURE DE FRANCE ,
féconder les principes , et créèrent des méthodes d'instruc
tion tout à-la-fois plus faciles et plus profondes . Ce fut
principalement l'enseignement des mathématiques qui ,
entre les mains de MM. La Grange et La Place , prit une
forme toute nouvelle. La beauté du plan d'études , tracé par..
T'auteur de la Mécanique Céleste , fut d'abord sentie par tous
les maîtres , et l'ancienne routine fut aussi-tôt abandonnée.
Cette utile révolution nécessitoit , la rédaction de nouveaux
livres élémentaires. Excités par l'exemple des deux premiers
géomètres de l'Europe , des savans distingués ne
craignirent plus de dérober quelques loisirs à des spéculations
plus relevées , pour se livrer au développement des
premiers principes de la science. Ainsi, cette fois du moins ,
la composition de ces ouvrages utiles ne fut pas abandonnée
aux spéculations de la médiocrité qui s'en est presque toujours
avidement emparée , et qui ne se lassera jamais de les
multiplier en les copiant les uns sur les autres. Parmi ces
nouveaux traités vraiment faits pour honorer leurs auteurs ,
on distingue particulièrement le grand ouvrage de M. La
Croix , qu'on peut regarder comme un répertoire complet
des connoissances actuelles sur le calcul différentiel et intégral.
Mais il faut étudier avant tout la géométrie de M. Le
Gendre , où l'on retrouve cette méthode exacte et rigoureuse
, dont Euclide avoit donné l'exemple dans ses élémens,
et dont faisoient tant de cas les géomètres de l'antiquité.
Ainsi , dans la science même , où , grace à une longue suite
de siècles , nous nous sommes avancés le plus loin des
limites où les anciens se renfermèrent , il y a à profiter en
les méditant. Si l'on peut encore porter à un plus haut degré
d'élévation ce vaste édifice , c'est en s'appropriant le génie
de ceux qui l'ont fondé .
Ce que M. Le Gendre avoit exécuté si heureusement pour
la géométrie , M. Francoeur a voulu le faire pour la mécanique
, et il a su prouver , par le succès , que cette entreprise
difficile n'étoit pointau-dessus deses forces. Un plan sagement
conçu et fidèlement exécuté , un choix heureux de démonstrations
, partout des exemples bien adaptés aux préceptes ,
telles sont les principales qualités qui caractérisent un bon
livre élémentaire : telles sont celles qui recommandent particulièrement
celui que nous annonçons. Distingué, dès qu'il
parut par la Commission d'instruction publique , et adopté
dans la plupart des écoles , il s'est encore amélioré dans
deux éditions consécutives , et il reparoît aujourd'hui pour la
SEPTEMBRE 1807 . 560
1
quatrième fois avec des changemens et des corrections qui
lui donnent un nouveau prix . C'est ainsi qu'un livre de ce
genre se perfectionne : quelle que soit la sagacité de l'auteur,
elle gagne toujours à être éclairée par l'expérience .
On convient généralement de la difficulté de composer de
bons livres élémentaires : mais je ne sais si la plupartdes écrivains
qui se sont exercés dans ce genre , s'étoient demandé
d'abord en quoi consiste précisémentcette difficulté. Tous affichent
la prétention d'être éminemment clairs et faciles , de
faire de l'étude un jeu, d'ôter auxsciences toutes leurs épines.
Si leurs promesses étoient exactement remplies , un enfant
deviendroit savant sans nul effort , et acquerroit tous les
talens , sans s'être seulement exercé au travail. Cet exercice
est cependant le but qu'on doit se proposer dans toute bonne
éducation , même avant celui d'orner la tête des élèves
de connoissances variées , et propres à faire admirer les
brillans résultats de leurs études . Les théories les plus
curieuses leur seront assez rarement utiles dans le cours de
leur vie : souvent même ils les oublieront avec la même facilité
qu'ils les auront acquises : mais , dans quelque situation
que la fortune les place ,' ils s'applaudiront de s'être livrés de
bonne heure à l'application et au travail. Le meilleur livre
élémentaire n'est donc pas toujours le plus clair et le plus
facile : c'est plutôt celui qui met le plus en jeu les facultés
des jeunes élèves , qui , par des difficultés placées à propos et
mesurées avecart sur leurs progrès, sait provoquer leurardeur,
réveiller leur curiosité , et les forcer fréquemment à tendre
tous les ressorts de leur intelligence. Il faudroit préférer à
tous celui qui , au lieu de leur enseigner une science , les
conduiroit à la découvrir successivement eux- mêmes . On
dira peut- être qu'un pareil livre rebuteroit bientôt la plupart
des commençans : mais ceux qui reculent devant quelques
obstacles , qui ne se sentent point payés des plus opiniâtres
efforts , par le plaisir inappréciable de triompher d'une
difficulté , de voir une foule de vérités intéressantes se dégager
, pour ainsi dire , d'elles-mêmes d'un principe fécond
qu'ils auront péniblement découvert ceux-là , dis-je , ne
sont pas faits pour les sciences. Il n'y a donc pas d'inconvénient
à ce qu'ils soient découragés dès l'entrée d'une carrière
ingrate , où ils ne feroient jamais que se traîner avec
effort, au lieu d'y marcher à grands pas .
Pour composer des élémens suivant le principe qu'on
vient d'établir , il ne suffit pas d'être savant : il faut encore
560 MERCURE DE FRANCE ,
avoir l'habitude de l'enseignement , et sur-tout se bien
rappeler les difficultés qu'on a trouvées soi-même à s'instruire.
M. Francoeur étoit à cet égard dans une situation
très- favorable . Elève de l'Ecole polytechnique, et plein des
excellentes leçons qu'il y avoit reçues , le souvenir de ses
premières études étoit encore nouveau dans sa mémoire ,
lorsqu'il donna la première édition de son ouvrage. Depuis
il s'est occupé constamment à former des élèves , dont la
plupart ont été admis à cette même école , et dont plusieurs
se rendent déjà utiles à l'Etat dans diverses parties du
service public. Deux choses étoient également à craindre
dans la composition de ce Traité : c'étoit de fatiguer les
forces des jélèves , en voulant trop les exercer , ou de rester
au-dessous de l'état actuel de la science . M. Francoeur
a su éviter ces deux écueils. C'est en usant sobrement et à
propos des diverses méthodes de calcul, dont la mécanique
exige, pour être bien traitée , une connoissance approfondie;
c'est en réglant l'emploi de ces méthodes sur la complication
et l'importance des démonstrations , qu'il a voulu
prouver qu'il y étoit parfaitement versé: bien plus sage en
cela que beaucoup d'autres professeurs , qui ne croientjamais
pouvoir déployer un trop grand appareil de calculs , et qui
paroissent écrire bien moins pour instruire , que pour étaler
dans toute son étendue une science souvent acquise de la
veille. C.
Opuscules en vers , par l'auteur de la Nouvelle Ruth. Vol.
in-8°. Prix : 1 fr. 80c. , et 2 fr. 20 c. par la poste.A Paris ,
chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , nº. 17.
C'EST avec un plaisir toujours nouveau que l'on relit ces
touchantes élégies où Tibulle , Properce , Ovide , et M. de
Parny, leur digne rival , ont si bien développé les sentimens
d'un coeur passionné. Ala chaleur de leur style , à la vérité
de leurs expressions , qui pourtant sont toujours pures et
élégantes , on sent qu'ils n'ont point chanté des maîtresses
imaginaires , des Iris et des Phylis , mais des femmes charmantes
qui étoient réellement les objets de leur culte , et que
Délie, Cynthie , Corine , Eléonore , ont existé.
Ces quatre chefs de la poésie érotique sont inimitables ,
précisément parce qu'ils sont modèles , et que ce dont ils
est
SEPTEMBRE 1807 .
est le plus difficile d'approcher , c'est la perfection. On nen
doit pas moins des encouragemens aux poètes d'un ordre
moins distingué qui courent la même carrière , sur-tout s'ils
ont un caractère propre qui les fasse remarquer. L'auteur
de ces Opuscules n'a point à se reprocher , comme quelques
poètes , d'avoir brûlé d'une flamme adultère , ou d'avoir
donné trop de célébrité à quelque fille chaste qui , sans ses
vers , n'auroit été qu'honnête et obscure . La noble sévérité
de l'amour conjugal jette un voile religieux sur ses peintures
les plus voluptueuses. Epris , dans un âge déjà avancé, de
sa Pauline , qui s'offre à lui comme Ruth s'offrit à Booz , il
l'épouse , il n'aime qu'elle , il n'occupe son lecteur que d'elle .
Il la chante lorsqu'il est heureux de la voir sans cesse ; il la
chante encore lorsqu'une mort imprévue la lui a ravie : il
desire ne pas lui survivre long-temps , parce que le bonheur
qu'il espère dans un autre monde , se compose et s'embellit
à ses yeux de l'idée consolante qu'ily reverra Pauline , et
qu'il n'en sera plus séparé. En attendant cette félicité future
et éternelle , il retrouve l'image de Pauline dans les traits du
fils qu'elle lui a donné : il adresse à cet enfant des vers du
plus tendre intérêt ; et l'on voitque chez lui l'amour paternel
s'enrichit des pertes de l'amour conjugal.
Eh ! quel censeur atrabilaire auroit la cruauté d'arrache r
un vieillard à la douce extase des sentimens les plus doux
que l'homme puisse éprouver, pour lui reprocher un peu
de monotonie et de prolixité , défauts qui tiennent peut-être
plús à l'âge de l'auteur qu'à son talent ? Réservons ces critiques
pour ceux à qui une longue perspective dans l'avenir
permet d'en profiter ; prodiguons-les même aux auteurs qui
écrivent sans l'aveu de Minerve , et que des chutes multipliées
ont avertis de, leur impuissance : il faut sans cesse les
corriger , précisément parce qu'ils affectent d'être incorrigibles
; mais laissons-nous aller au doux plaisir de citer des
morceaux estimables dans l'ouvrage d'un vieillard qui a
senti qu'il devoit mêler les arts à ses souvenirs , parce qu'ils
les adoucissent lorsqu'ils sont douloureux , et en augmentent
le charme lorsqu'ils sont agréables ; qui , après avoir usé les
beaux jours de sa vie dans des emplois utiles et laborieux ,
consacre le loisir de ses dernières années à regretter et à
célébrer l'épouse qui fit trop peu de temps félicité , et qui
se trouve avoir encore assez d'imagination pour se sauver
de la tristesse par la mélancolie.
sa
Pauline , ainsi que nous l'avons dit plus haut , s'offre
3
Nn
562 MERCURE DE FRANCE ,
elle-même aux regards de Télamon , commeRuth s'offrit à
ceux de Booz :
Télamon, contemplant cette jeune merveille ,
N'ose en croire ses yeux , son coeur ni son oreille.
I se croit transporté dans ces temps fabuleux
Où le toit d'un mortel servoit d'asile aux Dieux ,
Et doute si l'Amour , dans les bosquets de Flore ,
ATiton rajeuni n'amène pas l'Aurore .
<< Non ( lui dit-il enfin ) , je ne croirai jamais
>> Qu'une ame si sublime , unie à tant d'attraits ,
>>D'un mortel ici-bas puisse être le partage.
>> Toi donc qui viens m'offrir ce divin assemblage ,
>> Ah ! contre mon respect rassure mon amour.
>> Quels furent les parens dont tu reçus le jour ?
>> Nomme moi , si tu n'es qu'une simple mortelle ,
>> L'arbre heureux d'où sortit une tige si belle.
» Mais, quel que soit ton sort , jeune et charmant objet,
>> As- tu bien inédité le choix que ton coeur fait ?
>> Sous mon douzième lustre , hélas ! le temps m'accable ;
» Après tant de printemps l'hiver seul est durable.
» L'Amour , pour enchaîner les coeurs de deux amans ,
>>> Forme-t- il ses liens avec des cheveux blancs ? >> -
« Ah ! crois-moi , Télamon , la vertu n'a point d'âge :
>> En tous temps , en tous lieux elle embellit le sage;
>>Et sur le front blanchi de la caducité ,
>> Montre encor de ses traits l'immortelle beauté.>>>
Ces vers , en général , sont bien tournés , et ont de l'harmonie.
En voici d'autres qui nous paroissent encore meilleurs.
Ils sont tirés d'une Epître que l'auteur adresse à son
fils échappé comme par miracle à une maladie mortelle :
En vain le mois d'avril , au chant de mille oiseaux ,
Déployoit du printemps les verdoyans drapeaux....
Que me fait le printemps et sa joyeuse escorte ?
Mon fils étoit mourant.... la nature étoit morte.
Mais la tombe se ferme , et les citux sont ouverts :
Tout est beau, tout est bon dans ce vaste univers.
Du soleil ranimé la flamme la plus pure
Par sa douce chaleur féconde la nature.
Les arbres en berceaux mollement arrondis ,
Du feuilllage naissant qui les a reverdis ,
Aux oiseaux amoureux offrent le doux asile .
Que ce rivage est frais ! que ce bois est tranquille !
Comme ces verts gazons , aux rayons du matin ,
Semblent sourire aux fleurs qui naissent de leur sein!
Que ces prés , émaillés de couleurs éclatantes ,
Prodiguent àmes sens de vapeurs odorantes !
De la rose enchaînée heureux libérateur ,
Le zéphyr du bonton a dégagé la fleur ;
Et d'unbaiser, qu'emporte une aile fugitive,
Fait payer sa rançon à la belle captive.
Ruisseaux, qui murmurioz de si tristes accens,
Qiseaux, qui n'aviez plus que de lugubres chants,
SEPTEMBRE 1807 . 563
Vous charmez maintenant mon oreille attendrie
Par les sons enchanteurs de votre mélodie.
La nuit s'est dissipée , un nouveau jour a lui;
Et quand mon fils renaît , tout renaît avec lui .
Il y a quelques fautes dans ces vers , mais un sentiment
vrai les anime : les mouvemens du style empêchent le lecteur
de s'apercevoir du vague de quelques expressions ; et
l'auteur , qui , s'il est foible quelquefois , du moins n'est
jamais maniéré, paroît s'être nourri des bons modèles .
Μ.
Voyage Historique et Pittoresque d'Espagne , etc.; par
M. Alexandre de Laborde. Quatrième livraison. Le prix
dechaque livraison est , pour les souscripteurs , en papier
fin , de 21 fr .; papier vélin 36 fr.; figures avant la lettre ,
60fr. A Paris , chez P. Didot l'aîné , rue du Pont de
Lodi , n°. 6; Nicolle et comp. , libraires , rue des Petits-
Augustins , no . 15 ; et chez le Normant.
DEPUIS que l'on a annoncé ce bel ouvrage dans notre
Journal , les livraisons se sont suivies avec rapidité. Celle
que l'on publie aujourd'hui renferme les vues du Mont-
Serrat. Ces magnifiques paysages sont d'une exécution supérieure,
et formeroient , isolés dans des cadres , des tableaux
d'un grand prix. Que sera - ce donc lorsque l'auteur nous
montrera les riantes vallées du royaume de Grenade , couronnées
paarr l'Alhambra , le Généralif, et les ruines magiques
de l'architecture moresque ? Le texte du Voyage
augmente aussi d'intérêt , à mesure que les sites et les
monumens deviennent plus rares et plus beaux. Nous avons
sur-tout remarqué , dans l'exposé des planches , le commencement
d'une description des hermitages du Mont-
Serrat , qui nous fait desirer vivement le reste . Quand on
voit l'écrivain lutter d'élégance et de goût avec le peintre ,
et montrer à l'esprit ce que l'autre représente aux yeux ,
on ne peut s'empêcher d'applaudir à une pareille réunion
de talens . Tout annonce que le travail de M. de Laborde
obtiendra le succès qu'il mérite. Aucun ouvrage de cette
nature n'aura fait plus d'honneur à la France : nous y
reviendrons .
Nna
564
MERCURE
DE
FRANCE
,
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
M. Massias , chargé d'affaires de S. M. l'Empereur
des Français près le grand-duc de Bade , vient d'acquérir
une Vierge d'Albert Dürer. Ce tableau , regardé par plusieurs
artistes comme le chef-d'oeuvre de ce peintre , est
fait depuis trois siècles , et a encore tout son éclat . La
Madone a le costume allemand ; l'enfant Jésus tient d'une
main des cerises , et de l'autre un papillon . Si le goût n'a
pas présidé aux détails , on assure que les caractères de
tête et les chairs sont de la plus haute perfection . On compare
même cette Vierge à celle de Raphaël dite della Sedia.
Ce tableau provenoit de la succession de la dernière margrave
catholique de Baden -Baden .
Une notice publiée par M. Verninac , sur M. le chevalier
d'Ohsson , que les lettres françaises viennent de
perdre , contient des détails très - curieux ; en voici un
précis :
Mouradjea d'Ohsson , né à Constantinople , d'une famille
arménienne catholique , fut attaché jeune à l'ambassade de
Suède , et mérita d'être chargé personnellement des intérêts
de cette puissance près de la Porte , en 1782.
sur
Familiarisé avec les langues de l'Orient , jouissant en Turquie
d'une grande considération et d'une grande fortune,
il se livra à des recherches d'autant plus louables que le
génie turc offre plus d'obstacles à la curiosité des chrétiens ,
et parvint à rassembler d'immenses matériaux sur l'empire
ottoman , sur son histoire , sa législation et ses moeurs ,
les peuples anciens dont les débris avoient formé la monarchie
des successeurs de Mahomet . En 1787 et 88 , il publia
én France ses deux premiers volumes in-folio . Chassé par
les orages politiques , il retourna à Constantinople : enfin
ramené en France par la paix et la protection que trouvent
toujours les arts et les sciences auprès d'un gouvernement
fort et régulier , il fit paroître , en 1804 , deux volumes
contenant l'histoire des anciens Perses , d'après leurs propres
monumens et les annales de l'Orient. Ces annales , à peu près
inconnues jusqu'à cette époque , ont ouvert à M. d'Ohsson
une carrière historique que nul n'avoit parcourue avant
}
SEPTEMBRE 1807 : 565
lui. Elles ont servi à déterminer et à faire connoître la
durée , et les événemens qui la remplissent , d'un vaste
Empire dont nous ne connoissions pour ainsi dire que les
frontières , sans avoir pénétré dans son intérieur . Cet Empire
, dont notre grand Cyrus ne fut qu'un petit vassal , selon
M. d'Ohsson , remonteroit au berceau du monde , d'après
la chronologie des juifs et des chrétiens , puisqu'il auroit
commencé au temps où cette chronologie compte 1750 ans
depuis la création . Depuis cette époque jusqu'à la conquête
des Arabes , en l'an 661 de l'ère vulgaire , quatre dynasties
successives auroient régné sur cet empire l'espace d'environ
3000 ans.
-On vient d'exposer à la vue du public , dans l'église de
Saint-Sulpice , quatre tableaux appartenant au Musée de
Rouen , qui ont été envoyés à Paris pour être restaurés. L'un ,
représentant la mort de saint François de Sales , est de Jouvenet
; le second est une descente de Croix , par de Lahire ces
deux peintres de l'école française sont assez connus. Le troisième
tableau représente saint Charles-Boromée , secourant les
pestiférés de Milan ; et le quatrième a pour sujet la présentation
de la Vierge au temple. L'un et l'autre sont de M. Lemonier
. Ces quatre tableaux ont mérité , dit- on , le suffrage
des amateurs.
On va faire graver à Madrid , par les plus fameux
artistes espagnols , les tableaux que le roi d'Espagne possède
dans ses palais . S. M. , comme protecteur des beauxarts
, a approuvé le plan qui lui a été présenté , et a donné
ordre à D. Joseph Camaron , son peintre ordinaire , sousdirecteur
de l'Académie de Saint-Ferdinand , de se charger
des dessins . Ce professeur a commencé par le superbe tableau
de Raphaël d'Urbin , connu en Espague sous le nom
de Pasmo de Sicilia , et qui est un des chefs-d'oeuvre de
ce grand peintre. La planche sera gravée par D. Ferdinand
de Selma , graveur ordinaire du roi . Son Excellence Mgr.
le prince de la Paix , amateur et protecteur zélé des arts , a
offert aussi sa superbe galerie , et a déjà confié un des plus
plus beaux tableaux du Guercino , la Bénédiction de Jacob à
ses petits -fils , à D. Joseph Martinez , qui en a fait le dessin ;
la gravure sera de D. Raphaël Esteve , graveur ordinaire
du roi . On peut souscrire pour chaque estampe séparée. Le
prix de la souscription pour le Pasmo de Sicilia , papier
grand-aigle , est de 40 fr. avant la lettre , et de 25 fr. avec
la lettre pour la Bénédiction de Jacob , papier grand-aigle ,
32 fr. 50 c. avant la lettre , et 20 fr . avec la lettre . On sous-
3
566 MERCURE DE FRANCE ,
crit à Madrid , à l'imprimerie royale ; et à Paris , chez
Théophile Barrois fils , libraire , quai de Voltaire , n° . 5 .
-M. Nowel , savant médecin , qui a résidé long-temps
en France , où il a été un des premiers promoteurs de la
vaccine , vient de mourir dans są terré près de Danbury.
Le gouvernement français , qui l'estimoit , lui avoit permis
de retourner en Angleterre .
- Le général Grant vient d'annoncer la découverte des
longitudes , au moyen d'un instrument mathématique , qui
fait connoître , avec la plus grande exactitude , la route parcourue
par un vaisseau qui marche sans s'arrêter. Il paroît
que cet instrument a du rapport avec beaucoup d'autres
qu'on a imaginés pour déterminer les latitudes et les longitudes
en mer.
-Un exemple curieux de léthargie a eu lieu dernièrement
à Cuckfield , en Angleterre . Voici le fait : « Samedi,
15 d'août , une jeune femme , au service de madame Wood ,
se plaignit d'un violent mal de tête , disant en même temps
qu'elle éprouvoit une grande envie de dormir. Sa maîtresse
lui fit prendre une infusion de feuilles de menthe , et l'envoya
se mettre au lit. Elle n'y fut pas plutôt qu'elle tomba
dans un profond sommeil. Elle a continué à dormir jusqu'au
dimanche 23 du mois ( huitjours entiers) sans qu'il
ait été possible de la réveiller , quoiqu'on ait fait tout ce
qu'on a cru propre à y réussir. Le 23, au moment de son
réveil, on sonnoit l'officedu matin. Elle jugea que le bruit
des cloches l'avoit réveillée, et s'excusa, sur son indisposition
de la veille ( elle croyoit n'être qu'au dimanche 16 ) , d'être
restée si tard au lit. Elle se leva sans qu'il fût besoinde
beaucoup l'aider , ne se plaignant que d'une soif excessive.
Elle paroissoit aussi très-foible. Sa maîtresse a pris d'elle le
plus grand soin, et elle est aujourd'hui parfaitement réta
blie. Pendant tout le temps de cette singulière suspension
des facultés intellectuelles de cette femme , son visage n'a
pas cessé un moment d'être animé des couleurs de la santé,
Cependant , au bout de trois jours ses joues commencèrent
à perdre beaucoup de leur embonpoint , son pouls battit de
plus enpluslentement , et à la fin on s'apercevoit à peine
qu'elle respirât. Il avoit été impossible, pendant toute la
durée de sa léthargie , de lui faire prendre aucune espèce
d'aliment , et toute évacuation quelconque avoit été suspendue
chez elle,
SEPTEMBRE 1807 . 567
Restauration de l'arc de triomphe appelé Porte Saint-
Denis , à Paris.
Il est probable que les hommes qui ont vu s'élever ce
beau monument étoient bien loin de penser qu'après cent
dix-sept ans de durée seulement il seroit parvenu à un
tel état de dégradation , qu'on seroit obligé de le restaurer.
C'est pourtant ce qui est arrivé , soit à cause de
la précipitation qu'on a mise à le construire entre un
départ de Louis XIV pour les armées et son retour dans
la capitale (1) , soit par la mauvaise qualité des matières
employées daus la plus grande partie de la masse de ce
monument , soit par le peu de soin qu'on en a eu , soit
enfin par les outrages qu'il a reçus de mains ignorantes
et barbares qui ont effacé les délicieuses sculptures-basrelief
qui existoient sur les soubasseinens .
En 1788 , comme aujourd'hui , les socles qui supportent
les pyramides , et sur lesquelles reposent les figures
allégoriques , étoient exfoliés ,et présentoient des dégradations
capitales ; plusieurs éclats de pierre avoient eu lieu ,
tant dans les sculptures que dans l'architrave , la frise et la
corniche .
Dès 1788 , les bas-relief qui décorent les soubassemens ,
précieux par le style et par le fini , brillans par leur composition
et sur-tout par leur délicatesse , étoient horriblement
et honteusement effacés par les porte-faix accoutumés
à se tenir au pied de ce monument , et qui , fichant
continuellement dans les joints des pierres des clous auxquels
ils appendoient leurs crochets , leurs hottes , leurs
brancards , et jusqu'aux roues de leurs charrettes à bras ,
ont mutilé , effacé ces chefs-d'oeuvres de sculpture , qu'on
ne peut plus voir aujourd'hui.
Le prévôt des marchands et les échevins résolurent enfin
de restaurer ce magnifique monument : des mesures , pour
y parvenir , furent prises ; les échafauds nécessaires furent
posés, et Paris s'applaudit alors de ce que ses magistrats
mettoient un terme à la déshonorante mutilation de ce
chef-d'oeuvre unique. La révolution qui se préparoit
alors détourna de cet objet l'attention du corps-de-ville.
L'échafaudage resta debout jusqu'en juin 1790 , époque
à laquelle il fut démonté .
Depuis ce moment , on ne s'est plus occupé de la porte
Saint - Denis que pour arracher le LUDOVICO MAGNO qui
(1) La tradition assure que la porte Saint-Denis fut construite en dix
mois; si rien ne justifie cette assertation , rien aussi ne la détruit.
552 MERCURE DE FRANCE ,
glais ou en écossais ; qu'ensuite elles ont été traduites en
Jatin par les historiens anglais, qui , de même que les nôtres ,
ont long-temps fait usage de cette langue ; et qu'enfin , du
latin elles ont été traduites en français , à différentes époques..
C'est là ce qui fait sans doute que les unes sont écrites en
français du seizième siècle , et les autres en français moderne.
On peut présumer que celles qu'elle a adressées au
roi , à la reine et à l'ambassadeur de France , étoient écrites
par elle en français , langue qu'elle avoit parfaitement sue ,
dit - on , et que c'est le texte même de ces Lettres qui nous
a été donné ce français du temps de Marie Stuart , est ,
comme on sait , quelquefois difficile à entendre. Ce seroit ,
pour les éditeurs de pareils livres , une raison de plus d'en
soigner beaucoup la correction ; mais faute d'attention ou
de savoir , ils la négligent considérablement.
L'éditeur des Lettres de Marie Stuart n'est pas à l'abri de
ce reproche. Il met la science que j'ai en Dieu , au lieu de
la fiance; je n'ai cette heure d'en étre témoin , au lieu de je
n'ai cet heur ( ce bonheur ) , etc. Les Lettres de Marie Stuart
font la matière d'un volume et démi à- peu-près . L'autre
moitié du second volume contient des pièces justificatives
pour l'histoire de Marie , lesquelles consistent en une
Apologie assez mal faite de cette princesse , et en un Recueil
de quelques Lettres sans suscription , que ses ennemis produisirent
comme une preuve de son commerce criminel
avec Bothwell , le meurtrier de son mari , mais qui étoient
supposées , à ce qu'on croit , qu'on n'a jamais voulu communiquer
à Marie , malgré ses instances , et dont on a
fini par détruire les prétendus originaux. Ces Lettres sont
suivies d'une mauvaise Notice sur Elisabeth , et de quelques
Lettres relatives au projet de mariage de cette reine avec le
duc d'Alençon , frère du roi de France . Cette Notice et ces
Lettres sont un pur remplissage.
En tête des Lettres de Christine , on a placé , sous le titre
de Notice , l'ouvrage de d'Alembert , intitulé Mémoires et
Reflexions sur Christine , reine de Suède. Il falloit que l'éditeur
ignorât de qui étoit cet écrit ; car il a mis simplement
à la fin Extrait de la Galerie des Femmes illustres. Il ne
lui en auroit pas coûté davantage de mettre le vrai titre de
l'ouvrage et le nom de l'auteur , s'il les eût connus . Le nom
de d'Alembert eût donné quelque relief à ce morceau , qui
est sans contredit le plus piquant de tout le Recueil .
:
Il y a des lettres de Christine de deux espèces : les unes
sont véritables , les autres fictives ; celles - ci sont l'ouvrage
du libraire Lacombe , auparavant avocat Les Lettres qu'on
SEPTEMBRE 1807 . 553
publie de nouveau aujourd'hui sont les véritables . Elles
sont adressées à des souverains , à de grands seigneurs ,
à des savans , à des poètes , à des femmes illustres du temps .
Comme celles de Marie Stuart , elles offrent de grandes
différences de style ; ce qui tient peut-être à la même cause.
Toutes ces Lettres n'auront pas été écrites dans la même
langue, différentes personnes auront traduit en français
les Lettres latines , suédoises , italiennes , etc. : de-là autant
de styles que de traducteurs , sans compter le style de Christine
elle-même , dans les Lettres qu'elle a écrites originale
ment en français. On pourroit de plus soupçonner qué
quelques-unes de celles-ci ont été retouchées , ou même
entièrement supposées . Il s'y trouve assez fréquemment des
idées , des tournures et des expressions qui autoriseroient
cette opinion . Mais chaque lecteur exercera lui-même sa
critique sur cet objet.
L'ordre chronologique n'est nullement observé dans lá
collection des Lettres de Christine . On trouve, par exemple,
une Lettre à Mazarin sur la mort de Monaldeschi , arrivée
eu 1657 , avant d'autres Lettres datées de 1654. Ce désordre
est d'autant plus singulier , que l'éditeur ( l'ancien sans
doute copié par le nouveau ) s'excuse quelque part de ne
pas placer à son rang une Lettre de Pascal qu'il a trouvée
trop tard.
Peu de souverains ont abdiqué , qui ne s'en soient pas
grandement repentis dans la suite . Christine , avec toute la
philosophie dont elle faisoit parade , n'a point échappé à
ce sort commun des princes descendus du trône , et son
amour-propre n'a point eu assez d'empire sur son dépit pour
l'empêcher de paroître et d'éclater . On ne connoît pas bien
le véritable motif de son abdication : peut- être n'y en a-t-il
pas eu d'autre que cette disposition d'esprit inquiète et dégoûtée
, qui nous fait préférer aux lieux où nous sommes tous
les lieux où nous ne sommes pas . Quoi qu'il en soit , Christiné
quitta la Suède , ou plutôt s'en évada pour aller vivre
à Rome. Il lui parut nécessaire d'adopter la religion du
pays ; en conséquence elle abjura la sienne , quoiqu'elle
eût , dans une autre circonstance , témoigné le plus grand
mépris pour ceux qui commettoient , disoit- elle alors , cet
acte de foiblesse . Au reste , elle ne voulut pas qu'on attribuât
sa conversion à d'autres motifs qu'à des motifs humains:
« Sa Sainteté , écrivoit-elle à la comtesse de Sparre , s'attri-
» bue ma prétendue conversion , et voudroit que je le fisse
>> croire à tout le monde . » Plus loin : « Le pape fait lä
>> chatemite tlepuis quelque temps à mon égard , parce qu'il
554
MERCURE
DE
FRANCE
,
» voit bien que tous ses bonbons sont un peu trop sucrés
» pour une grande fille qui n'aime point les directeurs . » Le
reste de la lettre est de ce ton , et même d'un ton un peû
plus fort. Ce n'est pas celui d'une néophyte bien fervente ,
ni bien sincère . Il vint en fantaisie à Christine de se faire
élire reine , ou plutôt roi de Pologue . Eile avoit pour compétiteur
le grand Condé , à qui elle avoit autrefois prodigué
les témoignages de son admiration , mais dont alors ele
parloit avec assez peu de ménagement. Elle écrivoit au
nonce du pape , à Varsovie : « Le prince de Condé est le seul
» que je crains ; son mérite m'offusque et me déplaît fort :
» il faut le rendre odieux . Cela me sera très - aisé : c'est un
prince bouillant, qui se vengera tôt ou tard , sur la Pologne ,
» des chagrins et des tourmens que la France lui a fait
» éprouver injustement..... Quoique le prince de Condé
» soit grand capitaine et bon soldat , il est emporté et avare .
» Il seroit un mauvais roi , parce que l'avarice est , selon
» moi , le plus bas et le plus méprisable de tous les défauts
» dans un prince. Fût- il pauvre , il doit être libéral et magnifique.
» Christine échoua dans son projet de régner en
Pologne . Elle ne fut pas plus heureuse dans celui de remonter
sur le trône de Suède , après la mort de Charles Gustave.
Elle mourut à Rome , âgée de 63 ans , en prononçant deux
vers latins qu'elle avoit faits .
>>
>
Le volume de ses Lettres est terminé par une relation de
la mort de Monaldeschi , dont l'auteur est le P. Lebel , supérieur
des Mathurins de Fontainebleau , qui avoit assisté ce
malheureux pendant qu'on le perçoit à coups d'épée , et
qui avoit été seul témoin de cette cruelle exécution , avec les
lâches domestiques que Christine en avoit chargés . Cette relation
n'excite pas un vif intérêt , parce que Monaldeschi personnellement
n'en mérite aucun ; mais elle inspire du moins
l'effroi et l'horreur : elle est écrite avec un ton de douleur et
de pitié concentrées , qui ajoute beaucoup à l'impression du
récit. Je terminerai par quelques fragmens de la Lettre que
Christine écrivit , au sujet de cet assassinat , à Mazarin , qui
en avoit témoigné son indignation : « Monsieur Mazarin ,
>> ceux qui vous ont appris le détail de la mort de Monal-
» deschi , mon écuyer, étoient très-inal informés . Je trouve
» fort étrange que vous commettiez tant de gens pour vous
» éclaircir de la vérité du fait . Votre procédé ne devroit
point m'étouner , tout fou qu'il est ; mais je n'aurois jamais
» cru que nivous , ni votre jeune maitre orgueilleux , éussiez
» osé m'en témoigner le moindre ressentiment .
» Apprenez tous tant que vous êtes , valets et maîtres ,
SEPTEMBRE 1807 . 555
>>
»
petits et grands , qu'il m'a plu d'agir ainsi ; que je ne dois ,
> ni ne veux rendre compte de mes actions à qui que ce soit,
» sur-tout à des fanfarons de votre sorte ..... Ma volonté est
» une loi que vous devez respecter ; vous taire est votre
devoir , et bien des gens que je n'estime pas plus que vous ,
>> feroient très - bien d'apprendre ce qu'ils doivent à leurs
égaux , avant que de faire plus de bruit qu'il ne leur
» convient. Sachez , mons . Cardinal , que Christine est
» reine partout où elle est ..... Croyez- moi , Jules , com-
» portez-vous de manière à mériter ma bienveillance ; c'est
» à quoi vous ne sauriez trop vous étudier . Dieu vous pré-
» serve d'aventurer jamais le moindre propos indiscret sur
» ma personne , etc. »
>>
Jamais assurément le crime ne s'est exprimé avec plus
de hauteur et d'arrogance. 0.
Traité Elémentaire de Mécanique ; par L. B. Francoeur ,
professeur au Lycée Charlemagne , et Examinateur
pour l'Ecole Polytechnique . Nouvelle édition . Un vol.
in-8° . Prix : 7 fr . , et 8 fr . 50 c . par la poste. A Paris ,
chez Courcier , libraire , quai des Augustins ; et chez
le Normant.
LE suffrage de la Commission d'instruction publique ,
et trois éditions successivement épuisées , ont déjà constaté le
mérite de cet ouvrage. Nous profitons , pour le recommander
à l'attention de nos lecteurs , du renouvellement de
l'année classique , époque à laquelle les maîtres font choix
des livres élémentaires qu'ils veulent mettre entre les mains de
la jeunesse studieuse confiée à leurs soins . Quoique spécialement
consacré à la critique littéraire , le Mercure n'a jamais
craint de faire quelque excursion hors du domaine qui lui
est propre , en faveur des ouvrages purement scientifiques ,
quand la nature et le but de ces ouvrages les rendent d'uu
intérêt général , ou les mettent au nombre des livres destinés
à l'éducation .
On s'est souvent élevé dans ce Journal contre la prééminence
que les sciences exactes avoient usurpée sur la littérature ,
principalement dans l'instruction publique . Tout en rendant
justice à un ouvrage estimable sur l'une des parties les plus
importantes des mathématiques , je ne démentirai point les
principes sur lesquels ces réclamations étoient fondées . Les
belles - lettres tiendront toujours la première place dans une
bonne éducation : elles sont d'un usage journalier dans toutes
556 MERCURE DE FRANCE ;
les classes de la société , dans toutes les circonstances de la
vie ; en ornant à la fois l'esprit et l'imagination de ceux qui
les cultivent , en leur apprenant à présenter leurs pensées
dans l'ordre le plus heureux , à les revêtir de couleurs
variées et brillantes , elles leur assurent l'empire le plus
doux et le plus légitime que l'homme puisse exercer sur ses
semblables , celui qui naît du talent de convaincre et de
persuader . Liées essentiellement à toutes les pensées morales ,
sans lesquelles il n'y a ni poésie , ni éloquence , dépositaires
des grandes leçons de la philosophie et de l'histoire ,
elles donnent de la dignité aux moeurs , elles remplissent
l'ame de beaux sentimens ; et en l'élevant à des idées de
bonheur , bien différentes de celles qui abusent le commun
des hommes , elles la placent dans une noble indépendance
des caprices de la fortune. Un emploi si relevé et si utile
leur donne bien droit à une considération égale à celle
qu'ont valu aux sciences mathématiques , les services purement
physiques qu'elles ont rendus à la société .
Mais en défendant la littérature contre les usurpations
des sciences exactes , qui seroit assez aveugle pour leur
contester le mérite et les avantages qui leur sont propres ?
Tout atteste les bienfaits nombreux dont l'humanité leur
est redevable . Que l'imagination s'élance sur les mers ,
qu'elle pénètre dans les glaces du pôle , qu'elle s'élève au
milieu des cieux , partout elle réclame l'appui de ces hautes
sciences , et retrouve l'empreinte de leur génie. On peut
contester sans doute l'utilité de tant de profonds calculs
qui , trop souvent perdus pour la pratique , se renferment
dans de vaines abstractions. Mais quand les mathématiques
n'offriroient qu'un prodige de sagacité et d'invention ,
quand on ne verroit en elles qu'un des monumens les plus
étonnans de l'industrie humaine , ne seroient-elles pas par
cela seul bien dignes de l'attention de quiconque veut donner
quelque culture à son esprit ?
:
Cette vérité avoit été sentie dans l'ancien système d'éducation
les études se terminoient par un cours de mathématiques
, qui , bien que resserré dans des limites assez étroites ,
suffisoit néanmoins pour initier les jeunes gens aux principaux
élémens de cette science , et pour avertir le goût et
les dispositions secrètes de ceux que la nature appeloit à
en faire le principal objet de leurs travaux. Cependant it
faut convenir que cette partie de l'enseignement étoit restée
assez imparfaite. La plupart des traités élémentaires , en
usage dans les colléges , pouvoient avoir le mérite de la
clarté ; mais ils ne rendoient point assez sensible la muSEPTEMBRE
1807. 557
tuelle dépendance de tous les théorêmes qui , tour-à-tour
conséquences et principes , sont liés entr'eux par une chaîne
non interrompue ; les démonstrations les plus importantes
y manquoient souvent de cette précision et de cette rigueur
si nécessaires dans une science dont le plus bel attribut
est la certitude. D'ailleurs , pendant le peu de temps assigné
à ces leçons , les élèves pouvoient bien prendre quelque
idée des principes généraux de la science ; mais ce temps
ne leur suffisoit pas pour se familiariser avec les idées abstraites
qui en sont la base , et qui apprennent à en faire
de justes applications. Ils connoissoient les élémens de la
géométrie , et ne s'étoient point encore fait un esprit géométrique
: cependant sans cet esprit , on n'a véritablement
retiré aucun fruit de pareilles études. En effet , la plupart
des démonstrations partielles , et , si l'on peut parler ainsi
le matériel de la science s'oublie bien vîte , quand on n'a
pas occasion d'en faire usage ; mais si on en possède l'esprit
, il est toujours facile de ressaisir la chaîne des vérités
et des principes , et l'on pourroit , en quelque sorte , les
recréer au besoin.
2
C'est au milieu des orages de la révolution que l'étude
des mathématiques devint à la fois plus générale et mieux
dirigée , et c'est sur-tout à l'ouverture de l'école normale
qu'il faut attribuer le changement devenu général dans la
méthode d'instruction . Rien n'étoit , il est vrai , plus bizarre
que cet établissement , véritable école encyclopédique , où
l'on prétendoit enseigner à la fois toutes les sciences .
Toutefois , cette conception si extravagante et si gigantesque
, eut pourtant quelques bons effets. Tant de
frais d'instructions , si généreusement prodigués , furent,
il est vrai , complétement perdus pour la plupart des
auditeurs appelés à en jouir ; mais ils ne furent pas
inutiles au petit nombre de ceux que des connoissances
déjà acquises mettoient en état d'en profiter. D'ailleurs ,
si le principal but qu'on s'étoit proposé dans l'établissement de
cette école fut presqu'entièrement manqué , certaines parties
de l'instruction publique en retirèrent du moins un avantage
auquel on n'avoit pas songé. Des savans célèbres furent
appelés à enseigner la science qui avoit fait l'objet de
toutes leurs méditations. Ce ne fut pas sans fruit qu'ils
travaillèrent à applanir l'entrée de la carrière , de cette main
ferme et exercée qui en avoit reculé les limites ; abrégeant
tout , parce qu'ils voyoient tout , comme on l'a dit d'un
écrivain célèbre , ils surent en même temps simplifier et
1
MERCURE
DE FRANCE
,
558
féconder les principes , et créèrent des méthodes d'instruction
tout à-la-fois plus faciles et plus profondes . Ce fut
principalement l'enseignement des mathématiques qui
entre les mains de MM. La Grange et La Place , prit une
forme toute nouvelle. La beauté du plan d'études , tracé par
T'auteur de la Mécanique Céleste , fut d'abord sentie par tous
les maîtres , et l'ancienne routine fut aussi- tôt abandonnée .
Cette utile révolution nécessitoit , la rédaction de nouveaux
livres élémentaires . Excités par l'exemple des deux premiers
géomètres de l'Europe ,. des savans distingués ne
craignirent plus de dérober quelques loisirs à des spéculations
plus relevées , pour se livrer au développement des
premiers principes de la science . Ainsi , cette fois du moins ,
la composition de ces ouvrages utiles ne fut pas abandonnée
aux spéculations de la médiocrité qui s'en est presque toujours
avidement emparée , et qui ne se lassera jamais de les
multiplier en les copiant les uns sur les autres . Parmi ces
nouveaux traités vraiment faits pour honorer leurs auteurs ,
on distingue particulièrement le grand ouvrage de M. La
Croix , qu'on peut regarder comme un répertoire complet
des connoissances actuelles sur le calcul différentiel et intégral
. Mais il faut étudier avant tout la géométrie de M. Le
Gendre , où l'on retrouve cette méthode exacte et rigoureuse
, dont Euclide avoit donné l'exemple dans ses élémens ,
et dont faisoient tant de cas les géomètres de l'antiquité.
Ainsi , dans la science même , où , grace à une longue suite
de siècles , nous nous sommes avancés le plus loin des
limites où les anciens se renfermèrent , il y a à profiter en
les méditant. Si l'on peut encore porter à un plus haut degré
d'élévation ce vaste édifice , c'est en s'appropriant le génie
de ceux qui l'ont fondé .
Ce que M. Le Gendre avoit exécuté si heureusement pour
la géométrie , M. Francoeur a voulu le faire pour la mécanique
, et il a su prouver , par le succès , que cette entreprise
difficile n'étoit point au -dessusde ses forces . Un plan sagement
conçu et fidèlement exécuté , un choix heureux de démonstrations
, partout des exemples bien adaptés aux préceptes ,
telles sont les principales qualités qui caractérisent un bon
livre élémentaire : telles sont celles qui recommandent particulièrement
celui que nous annonçons . Distingué , dès qu'il
parut par la Commission d'instruction publique , et adopté
dans la plupart des écoles , il s'est encore amélioré dans
deux éditions consécutives , et il reparoît aujourd'hui pour la
SEPTEMBRE 1807 .. 560
quatrième fois avec des changemens et des corrections qui
lui donnent un nouveau prix . C'est ainsi qu'un livre de ce
genre se perfectionne : quelle que soit la sagacité de l'auteur,
elle gagne toujours à être éclairée par l'expérience . .
On convient généralement de la difficulté de composer de
bons livres élémentaires : mais je ne sais si la plupart des écrivains
qui se sont exercés dans ce genre , s'étoient demandé
d'abord en quoi consiste précisément cette difficulté . Tous affi
chent la prétention d'être éminemment clairs et faciles , de
faire de l'étude un jeu , d'ôter aux sciences toutes leurs épines.
Si leurs promesses étoient exactement remplies , un enfant
deviendroit savant sans nul effort , et acquerroit tous les
talens , sans s'être seulement exercé au travail . Cet exercice
est cependant le but qu'on doit se proposer dans toute bonne
éducation , même avant celui d'orner la tête des élèves
de connoissances variées , et propres à faire admirer les
brillans résultats de leurs études . Les théories les plus
curieuses leur seront assez rarement utiles dans le cours de
leur vie : souvent même ils les oublieront avec la même facilité
qu'ils les auront acquises : mais , dans quelque situation
que la fortune les place ; ' ils s'applaudiront de s'être livrés de
bonne heure à l'application et au travail . Le meilleur livre
élémentaire n'est donc pas toujours le plus clair et le plus
facile c'est plutôt celui qui met le plus en jeu les facultés
des jeunes élèves , qui , par des difficultés placées à propos et
mesurées avecart sur leurs progrès , sait provoquer leur ardeur,
réveiller leur curiosité , et les forcer fréquemment à tendre
tous les ressorts de leur intelligence. Il faudroit préférer à
tous celui qui , au lieu de leur enseigner une science , les
conduiroit à la découvrir successivement eux-mêmes . On
dira peut-être qu'un pareil livre rebuteroit bientôt la plupart
des commençans : mais ceux qui reculent devant quelques
obstacles , qui ne se sentent point payés des plus opiniâtres
efforts , par le plaisir inappréciable de triompher d'une
difficulté , de voir une foule de vérités intéressantes se dégager
, pour ainsi dire , d'elles-mêmes d'un principe fécond
qu'ils auront péniblement découvert ceux- là , dis-je , ne
sont pas faits pour les sciences . Il n'y a donc pas d'inconvénient
à ce qu'ils soient découragés dès l'entrée d'une carrière
ingrate , où ils ne feroient jamais que se traîner avec
effort , au lieu d'y marcher à grands pas.
:
:
Pour composer des élémens suivant le principe qu'on
vient d'établir , il ne suffit pas d'être savant : il faut encore
560 MERCURE DE FRANCE ,
avoir l'habitude de l'enseignement , et sur-tout se bien
rappeler les difficultés qu'on a trouvées soi -même à s'iustruire.
M. Francoeur étoit à cet égard dans une situation
très-favorable. Elève de l'Ecole polytechnique , et plein des
excellentes leçons qu'il y avoit reçues , le souvenir de ses
premières études étoit encore nouveau dans sa mémoire
lorsqu'il donna la première édition de son ouvrage. Depuis
il s'est occupé constamment à former des élèves , dont la
plupart ont été admis à cette même école , et dont plusieurs
se rendent déjà utiles à l'Etat dans diverses parties du
service public. Deux choses étoient également à craindre
dans la composition de ce Traité c'étoit de fatiguer les
forces des élèves , en voulant trop les exercer , ou de rester
au-dessous de l'état actuel de la science . M. Francoeur
a su éviter ces deux écueils . C'est en usant sobrement et à
propos des diverses méthodes de calcul , dont la mécanique
exige , pour être bien traitée , une connoissance approfondie ;
c'est en réglant l'emploi de ces méthodes sur la complication
et l'importance des démonstrations , qu'il a voulu
prouver qu'il y étoit parfaitement versé : bien plus sage en
cela que beaucoup d'autres professeurs , qui ne croient jamais
pouvoir déployer un trop grand appareil de calculs , et qui
paroissent écrire bien moins pour instruire , que pour étaler
dans toute son étendue une science souvent acquise de la
veille . C.
Opuscules en vers , par l'auteur de la Nouvelle Ruth. Vol.
in-8°, Prix : 1 fr. 80 c. , et 2 fr. 20 c. par la poste. A Paris ,
chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain- l'Auxerrois , n°. 17.
C'EST avec un plaisir toujours nouveau que l'on relit ces
touchantes élégies où Tibulle , Properce , Ovide , et M. de
Parny, leur digne rival , ont si bien développé les sentimens
d'un coeur passionné. A la chaleur de leur style , à la vérité
de leurs expressions , qui pourtant sont toujours pures et
élégantes , on sent qu'ils n'ont point chanté des maîtresses
imaginaires , des Iris et des Phylis , mais des femmes charmantes
qui étoient réellement les objets de leur culte , et que
Délie , Cynthie , Corine , Eléonore , ont existé.
Ces quatre chefs de la poésie érotique sont inimitables ,
précisément parce qu'ils sont modèles , et que ce dont ils
est
SEPTEMBRE 1807 .
564
est le plus difficile d'approcher, c'est la perfection . On nen
doit pas moins des encouragemens aux poètes d'un ordre
moins distingué qui courent la même carrière , sur- tout s'ils
ont un caractère propre qui les fasse remarquer. L'auteur
de ces Opuscules n'a point à se reprocher , comme quelques
poètes , d avoir brûlé d'une flamme adultère , ou d'avoir
donné trop de célébrité à quelque fille chaste qui , sans ses
vers , n'auroit été qu'honnête et obscure . La noble sévérité
de l'amour conjugal jette un voile religieux sur ses peintures
les plus voluptueuses. Epris , dans un âge déjà avancé , de
sa Pauline , qui s'offre à lui comme Ruth s'offrit à Booz , il
l'épouse , il n'aime qu'elle , il n'occupe son lecteur que d'elle.
Il la chante lorsqu'il est heureux de la voir sans cesse ; il la
chante encore lorsqu'une mort imprévue la lui a ravie : il
desire ne pas lui survivre long-temps , parce que le bonheur
qu'il espère dans un autre monde , se compose et s'embellit
à ses yeux de l'idée consolante qu'il y reverra Pauline , et
qu'il n'en sera plus séparé. En attendant cette félicité future
et éternelle , il retrouve l'image de Pauline dans les traits du
fils qu'elle lui a donné : il adresse à cet enfant des vers du
plus tendre intérêt ; et l'on voit que chez lui l'amour paternel
s'enrichit des pertes de l'amour conjugal .
Eh ! quel censeur atrabilaire auroit la cruauté d'arracher
un vieillard à la douce extase des sentimens les plus doux
que l'homme puisse éprouver , pour lui reprocher un peu
de monotonie et de prolixité , défauts qui tiennent peut-être
plus à l'âge de l'auteur qu'à son talent ? Réservons ces critiques
pour ceux à qui une longue perspective dans l'avenir
permet d'en profiter ; prodiguons-les même aux auteurs qui
écrivent sans l'aveu de Minerve , et que des chutes multipliées
ont avertis de leur impuissance : il faut sans cesse les
corriger , précisément parce qu'ils affectent d'être incorrigibles
; mais laissons -nous aller au doux plaisir de citer des
morceaux estimables dans l'ouvrage d'un vieillard qui a
senti qu'il devoit mêler les arts à ses souvenirs , parce qu'ils
les adoucissent lorsqu'ils sont douloureux , et en augmentent
le charme lorsqu'ils sont agréables ; qui , après avoir usé les
beaux jours de sa vie dans des emplois utiles et laborieux ,
consacre le loisir de ses dernières années à regretter et à
célébrer l'épouse qui fit trop peu de temps sa félicité , et qui
se trouve avoir encore assez d'imagination pour se sauver
de la tristesse par la mélancolie .
Pauline , ainsi que nous avons dit plus haut , s'offre
Nn
563 MERCURE DE FRANCE ,
elle-même aux regards de Télamon , comme Ruth s'offrit à
ceux de Booz :
Télamon, contemplant cette jeune merveille,
N'ose en croire ses yeux , son coeur ni son oreille.
Il se croit transporté dans ces temps fabuleux
Où le toit d'un mortel servoit d'asile aux Dieux,
Et doute si l'Amour , dans les bosquets de Flore ,
A Titon rajeuni n'amène pas l'Aurore.
« Non ( lui dit -il enfin ) , je ne croirai jamais
» Qu'une ame si sublime , unie à tant d'attraits ,
>> D'un mortel ici-bas puisse être le partage .
>> Toi donc qui viens m'offrir ce divin assemblage ,
>> Ah ! contre mon respect rassure mon amour.
» Quels furent les parens dent tu reçus le jour ?
» Nomme moi , si tu n'es qu'une simple mortélle ,
» L'arbre heureux d'où sortit une tige si belle .
» Mais , quel que soit ton sort , jeune et charmant objet ,
» As- tu bien inédité le choix que ton coeur fait ?
» Sous mon douzième lustre , hélas ! le temps m'accable ;
» Après tant de printemps l'hiver seul est durable.
» L'Amour , pour enchaîner les cours de deux mans ,
>> Forme-t- il ses liens avec des cheveux blancs ? »>
« Ah ! crois-moi , Télamen , la vertu n'a point d'âge :
» En tous temps , en tous lieux elle embellit le sage ;
" Et sur le front blanchi de la caducité ,
))
>> Montre encor de ses traits l'immortelle beauté . »
...
Ces vers , en général , sont bien tournés , et ont de l'harmonie.
En voici d'autres qui nous paroissent encore meilleurs.
Ils sont tirés d'une Epître que l'auteur adresse à son
fils échappé comme par miracle à une maladie mortelle :
En vain le mois d'avril , au chant de mille oiseaux ,
Déployoit du printemps les verdoyans drapeaux....
Que me fait le printemps et sa joyeuse escorte ?
Mon fils étoit mourant ... la nature étoit morte .
Mais la tombe se ferme , et les cieux sont ouverts :
Tout est beau , tout est bon dans ce vaste univers.
Du soleil ranimé la flamme la plus pure
Par sa douce chaleur féconde la nature.
Les arbres en berceaux mollement arrondis ,
Du feuilllage naissant qui les a reverdis ,
Aux oiseaux amoureux effrent le doux asile.
Que ce rivage est frais ! que ce bois est tranquille !
Comme ces verts gazons, aux rayons du matin,
Semblent sourire aux fleurs qui naissent de leur sein!
Que ces prés , émaillés de couleurs éclatantes ,
Prodiguent à mes sens de vapeurs odorantes !
De la rose enchaînée heureux libérateur ,
Le zéphyr du bonton a dégagé la fleur ;
Et d'un baiser , qu'emporte une aile fugitive,
Fait payer sa rançon à la belle captive.
Ruisseaux , qui murmuri z de si tristes accens ,
Oiseaux , qui n'aviez plus que de lugubres chants ,
SEPTEMBRE 1807 .
563
Vous charmez maintenant mon oreille attendrie
Par les sons enchanteurs de votre mélodie .
La nuit s'est dissipée , un nouveau jour a lui ;
Et quand mon fils renaît , tout renaît avec lui .
Il y a quelques fautes dans ces vers , mais un sentiment
vrai les anime : les mouvemens du style empêchent le lecteur
de s'apercevoir du vague de quelques expressions ; et
l'auteur , qui , s'il est foible quelquefois , du moins n'est
jamais maniéré , paroît s'être nourri des bons modèles .
M.
Voyage Historique et Pittoresque d'Espagne , etc.; par
M. Alexandre de Laborde . Quatrième livraison . Le prix
de chaque livraison est , pour les souscripteurs , en papier
fin , de 21 fr.; papier vélin 36 fr .; figures avant la lettre ,
60 fr. A Paris , chez P. Didot Paîné , rue du Pont de
Lodi , n°. 6; Nicolle et comp . , libraires , rue des Petits-
Augustins , no. 15 ; et chez le Normant.
DEPUIS que l'on a annoncé ce bel ouvrage dans notre
Journal , les livraisons se sont suivies avec rapidité . Celle
que l'on publie aujourd'hui renferme les vues du Mont-
Serrat. Ces magnifiques paysages sont d'une exécution supérieure
, et formeroient , isolés dans des cadres , des tableaux
d'un grand prix. Que sera - ce donc lorsque l'auteur nous
montrera les riantes vallées du royaume de Grenade , couronnées
par l'Alhambra , le Généralif , et les ruines magiques
de l'architecture moresque ? Le texte du Voyage
augmente aussi d'intérêt , à mesure que les sites et les
monumens deviennent plus rares et plus beaux. Nous avons
sur-tout remarqué , dans l'exposé des planches , le commencement
d'une description des hermitages du Mont-
Serrat , qui nous fait desirer vivement le reste . Quand on
voit l'écrivain lutter d'élégance et de goût avec le peintre ,
et montrer à l'esprit ce que l'autre représente aux yeux ,
on ne peut s'empêcher d'applaudir à une pareille réunion
de talens. Tout annonce que le travail de M. de Laborde
obtiendra le succès qu'il mérite . Aucun ouvrage de cette
nature n'aura fait plus d'honneur à la France : nous y
reviendrons .
Nn 2
564
MERCURE DE FRANCE ,
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
•
M. Massias , chargé d'affaires de S. M. l'Empereur
des Français près le grand-duc de Bade , vient d'acquérir
une Vierge d'Albert Dürer. Ce tableau , regardé par plusieurs
artistes comme le chef- d'oeuvre de ce peintre , est
fait depuis trois siècles , et a encore tout son éclat. La
Madone a le costume allemand ; l'enfant Jésus tient d'une
main des cerises , et de l'autre un papillon . Si le goût n'a
pas présidé aux détails , on assure que les caractères de
tête et les chairs sont de la plus haute perfection . On compare
même cette Vierge à celle de Raphaël dite della Sedia
Ce tableau provenoit de la succession de la dernière margrave
catholique de Baden -Baden .
Une notice publiée par M. Verninac , sur M. le chevalier
d'Ohsson , que les lettres françaises viennent de
perdre , contient des détails très - curieux ; en voici un
précis :
Mouradjea d'Ohsson , né à Constantinople , d'une famille
arménienne catholique , fut attaché jeune à l'ambassade de
Suède , et mérita d'être chargé personnellement des intérêts
de cette puissance près de la Porte , en 1782 .
Familiarisé avec les langues de l'Orient , jouissant en Turquie
d'une grande considération et d'une grande fortune, il se livra à des recherches d'autant plus louables que le
génie turc offre plus d'obstacles à la curiosité des chrétiens ,
et parvint à rassembler d'immenses matériaux sur l'empire
ottoman , sur son histoire , sa législation et ses moeurs , sur
les peuples anciens dont les débris avoient formé la monarchie
des successeurs de Mahomet . En 1787 et 88 , il publia
en France ses deux premiers volumes in-folio . Chassé par
les orages politiques , il retourna à Constantinople : enfin
ramené en France par la paix et la protection que trouvent
toujours les arts et les sciences auprès d'un gouvernement
fort et régulier , il fit paroître , en 1804 , deux volumes
contenant l'histoire des anciens Perses , d'après leurs propres
monumens et les annales de l'Orient. Ces annales , à peu près
inconnues jusqu'à cette époque , ont ouvert à M. d'Ohsson
une carrière historique que nul n'avoit parcourue avant
SEPTEMBRE 1807 : 565
lui. Elles ont servi à déterminer et à faire connoître la
durée , et les événemens qui la remplissent , d'un vaste
Empire dont nous ne connoissions pour ainsi dire que les
frontières , sans avoir pénétré dans son intérieur. Cet Empire
, dont notre grand Cyrus ne fut qu'un petit vassal , selon
M. d'Ohsson , remonteroit au berceau du monde , d'après
la chronologie des juifs et des chrétiens , puisqu'il auroit
commencé au temps où cette chronologie compte 1750 ans
depuis la création . Depuis cette époque jusqu'à la conquête
des Arabes , en l'an 661 de l'ère vulgaire , quatre dynasties
successives auroient régné sur cet empire l'espace d'environ
3000 ans .
net ;
-On vient d'exposer à la vue du public , dans l'église de
Saint-Sulpice , quatre tableaux appartenant au Musée de
Rouen , qui ont été envoyés à Paris pour être restaurés. L'un ,
représentant la mort de saint François de Sales , est de Jouvele
second est une descente de Croix , par de Lahire : ces
deux peintres de l'école française sont assez connus. Le troisième
tableau représente saint Charles- Boromée , secourant les
pestiférés de Milan ; et le quatrième a pour sujet la présentation
de la Vierge au temple. L'un et l'autre sont de M. Lemonier
. Ces quatre tableaux ont mérité , dit- on , le suffrage
des amateurs.
-
— On va faire graver à Madrid , par les plus fameux
artistes espagnols , les tableaux que le roi d'Espagne possède
dans ses palais . S. M. , comme protecteur des beauxarts
, a approuvé le plan qui lui a été présenté , et a donné
ordre à D. Joseph Camaron , son peintre ordinaire , sousdirecteur
de l'Académie de Saint- Ferdinand , de se charger
des dessins . Ce professeur a commencé par le superbe tableau
de Raphaël d'Urbin , connu en Espague sous le nom
de Pasmo de Sicilia , et qui est un des chefs -d'oeuvre de
ce grand peintre. La planche sera gravée par D. Ferdinand
de Selma , graveur ordinaire du roi . Son Excellence Mgr.
le prince de la Paix , amateur et protecteur zélé des arts , a
offert aussi sa superbe galerie , et a déjà confié un des plus
plus beaux tableaux du Guercino , la Bénédiction de Jacob à
ses petits -fils , à D. Joseph Martinez , qui en a fait le dessin ;
la gravure sera de D. Raphaël Esteve , graveur ordinaire
du roi . On peut souscrire pour chaque estampe séparée . Le
prix de la souscription pour le Pasmo de Sicilia , papier
grand-aigle , est de 40 fr. avant la lettre , et de 25 fr. avec
la lettre pour la Bénédiction de Jacob , papier grand-aigle ,
32 fr. 50 c. avant la lettre , et 20 fr. avec la lettre . On sous-
:
3
566 MERCURE DE FRANCE ,
crit à Madrid , à l'imprimerie royale ; et à Paris , chez
Théophile Barrois fils , libraire , quai de Voltaire , nº. 5 .
-M. Nowel , savant médecin , qui a résidé long-temps
en France , où il a été un des premiers promoteurs de la
vaccine , vient de mourir dans sa terre près de Danbury .
Le gouvernement français , qui l'estimoit , lui avoit permis
de retourner en Angleterre .
-Le général Grant vient d'annoncer la découverte des
longitudes , au moyen d'un instrument mathématique , qui
fait connoître , avec la plus grande exactitude , la route par
courue par un vaisseau qui marche sans s'arrêter . Il paroît
que cet instrument a du rapport avec beaucoup d'autres
qu'on a imaginés pour déterminer les latitudes et les longitudes
en mer .
-Un exemple curieux de léthargie a eu lieu derniè
rement à Cuckfield , en Angleterre . Voici le fait : « Samedi ,
15 d'août , une jeune femme , au service de madame Wood ,
se plaignit d'un violent mal de tête , disant en même temps
qu'elle éprouvoit une grande envie de dormir. Sa maîtresse
lui fit prendre une infusion de feuilles de menthe , et l'envoya
se mettre au lit. Elle n'y fut pas plutôt qu'elle tomba
dans un profond sommeil, Elle, a continué à dormir jusqu'au
dimanche 23 du mois ( huit jours entiers ). sans qu'il
ait été possible de la réveiller , quoiqu'on ait fait tout ce
qu'on a cru propre à y réussir . Le 23, au moment de son
réveil , on sonnoit l'office du matin . Elle jugea que le bruit
des cloches l'avoit réveillée , et s'excusa , sur son indisposition
de la veillé ( elle croyoit n'être qu'au dimanche 16 ) , d'être
restée si tard au lit. Elle se leva sans qu'il fût besoin de
beaucoup Paider , ne se plaignant que d'une soif excessive.
Elle paroissoit aussi très-foible. Sa maîtresse a pris d'elle le
plus grand soin , et elle est aujourd'hui parfaitement rétablie
. Pendant tout le temps de cette singulière suspension
des facultés intellectuelles de cette femme , son visage n'a
pas cessé un moment d'être animé des couleurs de la santé,
Cependant , au bout de trois jours ses joues commencèrent
à perdre beaucoup de leur embonpoint , son pouls battit de
plus lentement , et à la fin on s'apercevoit à peine
qu'elle respirât. Il avoit été impossible , pendant toute la
durée de sa léthargie , de lui faire prendre aucune espèce
d'aliment , et toute évacuation quelconque avoit été suspendue
chez elle.
:
SEPTEMBRE 1807 . 567
Restauration de l'arc de triomphe appelé Porte Saint-
Denis , à Paris.
Il est probable que les hommes qui ont vu s'élever ce
beau monument étoient bien loin de penser qu'après cent
dix-sept ans de durée seulement il seroit parvenu à un
tel état de dégradation , qu'on seroit obligé de le restaurer.
C'est pourtant ce qui est arrivé , soit à cause de
la précipitation qu'on a mise à le construire entre un
départ de Louis XIV pour les armées et son retour dans
la capitale ( 1 ) , soit par la mauvaise qualité des matières
employées daus la plus grande partie de la masse de ce
monument , soit par le peu de soin qu'on en a eu , soit
enfin par les outrages qu'il a reçus de mains ignorantes
et barbares qui ont effacé les délicieuses sculptures -basrelief
qui existoient sur les soubassemens .
En 1788 , comme aujourd'hui , les socles qui supportent
les pyramides , et sur lesquelles reposent les figures
allégoriques , étoient exfoliés , et présentoient des dégradations
capitales ; plusieurs éclats de pierre avoient eu lieu ,
tant dans les sculptures que dans l'architrave , la frise et la
corniche .
Dès 1788 , les bas- relief qui décorent les soubassemens
précieux par le style et par le fiai , brillans par leur composition
et sur-tout par leur délicatesse , étoient horriblement
et honteusement effacés par les porte-faix accoutu
més à se tenir au pied de ce monument , et qui , fichant
continuellement dans les joints des pierres des clous auxquels
ils appendoient leurs crochets , leurs hottes , leurs
brancards , et jusqu'aux roues de leurs charrettes à bras ,
ont mutilé , effacé ces chefs -d'oeuvres de sculpture , qu'on
ne peut plus voir aujourd'hui.
Le prévôt des marchands et les échevins résolurent enfin
de restaurer ce magnifique monument : des mesures , pour
y parvenir , furent prises ; les échafauds nécessaires furent
posés , et Paris s'applaudit alors de ce que ses magistrats
mettoient un terme à la déshonorante mutilation de ce
chef-d'oeuvre unique . La révolution qui se préparoit
alors détourna de cet objet l'attention du corps-de - ville .
L'échafaudage resta debout jusqu'en juin 1790 , époque
à laquelle il fut démonté.
Depuis ce moment , on ne s'est plus occupé de la porte
Saint -Denis que pour arracher le LUDOVICO MAGNO qui
(1) La tradition assure que la porte Saint-Denis fut construite en dix
mois ; si rien ne justifie cette assertation , rien aussi ne la détruit .
568 MERCURE DE FRANCE ,
étoit dans la frise , pour boucher l'une des petites portes ,
et convertir l'autre en une boutique , qui du côté du nord ,
présentoit l'aspect d'une porte de prison , et du côté du midi ,
celui d'une enseigne à bierre. Le placement d'un marchand
dans cette petite porte a fait plus de mal encore aux sculp--
tures de soubassement , que les porte-faix n'en ont fait aux
sculptures des trois autres. Et en effet , les porte-faix n'ont
altéré les sculptures que jusqu'à sept ou huit pieds du sol ;
mais la banne que ce marchand , exposé au midi , mettoit
pour se défendre des rayons du soleil, il la plaçoit à environ
onze pieds du sol : pour la soutenir , il avoit fiché des crampons
à cette hauteur , et les fluctuations que le vent imprimoit
à la banne et aux bois sur lesquels elle étoit montée ,
ont froissé et détruit des bas- reliefs qui , jusque-là , et par
leur élévation avoient échappé à la brutalité des portefaix.
,
En outre de ces causes de dégradation , qu'on pouvoit
évitér , le temps , les saisons , les intempéries ont continué
d'exercer leurs ravages , et les réparations ; qui n'étoient
que légères en 1788 , sont dévenues majeures.
Aujourd'hui , la presque totalité des sculptures des soubassemens
est ignominieusement mutilée , gatée , et même
effacée ; toutes les dégradations , depuis 1788 , ont empiré
et augmenté. Récemment , la jambe et une partie de la
cuisse du cheval du guerrier qui précède Louis XIV , dans
le grand bas-relief du côté du midi , sont tombées ; le pied
et l'avant-bras du cheval du guerrier qui suit Louis XIV,
sont aussi tombés . Ces denx chevaux ne présentent plus que
des tronçons de cuisse et d'épaule , perte qui est d'autant
plus sensible , que les parties manquantes étoient de ronde
bosse , et tout-à-fait détachées du fonds du bas - relief.
Depuis la chûte de ces parties , il s'en est opéré deux autres ,
celle de l'avant-bras et de la main d'un autre guerrier
pédestre (toujours dans le mème bas-relief) , et celle de la
mâcheoire inférieure du fion qui supporte la.figure allégorique
qui se trouve à la gauche de la grandeporte .
Sur la face du nord , les corps des lions qui supportent
les pyramides sont déformés par l'exfoliation de la matière
et la corrosion de l'eau . Enfin , les socles des quatres pyramides
n'existent plus , ou au moins ne sont plus sensibles
à l'oeil.
La base , dans tout son pourtour , est tellement dégradée
, qu'il est vrai de dire que ce monument est déchaussé.
Dans la construction proprement dite , on voit que les
SEPTEMBRE 1807 . 569
profils de l'imposte , ceux de l'architrave , sur- tout dans
les angles , sont éclatés et gâtés , et que plusieurs pierres
dans lesquelles ces profils étoient faits , sont exfoliées ;
que dans la frise , plusieurs toises de longueur sont à réparer;
que dans la corniche beaucoup de parties sont à
refaire.
Naguère ce monument précieux , plus envié encore
qu'admiré par l'Europe , n'inspiroit plus qu'un sentimens
pénible . Aujourd'hui tout est changé ; le protecteur des
arts vient d'ordonner la restauration de ce bel édifice , et
les arts sont consolés.
Mais il existe une espèce d'inquiétude dans l'esprit de
quelques personnes qui craignent que ce beau monument
n'éprouve , soit dans l'ensemble , soit dans les détails , des
changemens sensibles , que d'avance elles regardent comme
devant en altérer le caractère , en gâter la beauté et en
dénaturer le style. Cette crainte vient de ce que quelques
journaux ont annoncé qu'on devoit placer sur la porte
Saint-Denis un quadrige ou d'autres objets , fruits des conquêtes
de l'Empereur. Bien instruit de ce qui se passe à cet
égard , nous croyons pouvoir affirmer que ce bel arc de
triomphe n'éprouvera aucune altération dont les arts ayent
àgémir, La restauration en est confiée à un homme qui est
non-seulement habile , mais sage , à un homme trop plein
du respect qu'on doit aux belles choses , pour en violer
aucune ; trop admirateur de Blondel , pour prétendre à
réformer son bel oeuvre. D'ailleurs , en suppo ant qu'il fût
possible que l'architecte auquel l'honneur de faire cette réstauration
est dévolu , s'écartât du chemin tracé par la raison
et la voix publique , n'existe-t-il pas une volonté , une puissance
toujours prêtes à arrêter toute tentative audacieuse , et
àparalyser toute main qui se prépareroit à commettre un
sacrilége ! mais , nous le répétons , le respect queM. Legrand
professe pour les chefs-d'oeuvre de l'art , garantissent que
celui dont il s'agit sera vénéré comme il doit l'être.
On sentira sans doute la nécessité de rétablir dans la
frise le LUDOVICO MAGNO qu'on en a arraché , et dont la
suppression détruit le sens des inscriptions qui restent.
Et, en effet , à qui se rapportent les QUOD superavit , subegit ,
cepit , qui se trouvent dans ses inscriptions ? il est nécessaire
de leur rendre le sens que nos ancêtres leur avoient donné.
Ainsi le veut la gloire du dix-septième siècle.
Pour l'honneur du dix- neuvième , nous desirons que
l'inscription effacée dans le soubassement à gauche de la face
du midi , soit remplacée par une inscription française ,
570 MERCURE DE FRANCE ,
indicative de la volonté qui a ordonné cette restauration .
et du temps où elle a été faite. Nous desirons enfin que les
caractères des autres inscriptions perdent leur maigreur ,
et qu'on leur en substitue d'autres qui , plus prononcés ,
rendent ces inscriptions plus faciles à lire ..
Il est encore à desirer , pour la conservation de ce monument
, qu'il soit pris des précautions pour que les eaux
de l'entablement ne tombent à l'avenir sur aucune des parties
de ce chef-d'oeuvre. Il paroît aisé de recueillir ces eaux
derrière l'acrotère , et de les faire descendre jusque sur le
pavé par un tuyau placé dans l'intérieur , ou au moins encastré
dans la maçonnerie.
NOUVELLES POLITIQUES.
Kiel, 7 septembre.
Le numéro 6 du journal officiel , le Danemarck en 1807 ,
contient ce qui suit ;
rap-
Après avoir été pendant huit jours sans aucune nouvelle
de la Sélande , nous avons reçu par différentes voies , des
ports qui ne sont pas exactement conformes dans quelques
détails , et qui s'accordent parfaitement dans les faits principaux
:
Le général Castenskiold s'est retiré des environs de Kiege ,
et s'est rapproché de la partie méridionale de l'ile . Suivant
toutes les apparences , ce mouvement n'avoit d'autre but que
de faciliter la jonction des renforts qui se trouvent dans cette
partie , et d'affoiblir en même temps le corps des assiégeans ,
en les forçant d'envoyer des troupes à sa poursuite. O est
même fondé à croire que cette retraite s'est opérée de concert
avec la garnison de Copenhague ; car d'après différentes nouvelles
( verbales à la vérité , mais cependant dignes de foi ) que
l'on a reçues de cette capitale , sa garnison auroit fait une
vigoureuse sortie , du 29 au 30 août , avec tant de succès , que
l'ennemi auroit perdu plusieurs centaines de prisonniers , et
un nombre considérables de canons. L'attaque fut dirigée
contre le château de Friederiksberg , où l'ennemi s'étoit
retranché , et nos obus y ont mis le feu . On assure d'un autre
côté, que notre flottille a profité d'un calme pour attaquer
les vaisseaux ennemis , et qu'elle en a maltraité plusieurs , au
' point qu'ils ont coulé à fond.
-
Du 8. Quoique la nouvelle de l'heureuse sortie exécutée
la garnison de Copenhague ne soit pas encore officiellement
confirmée , elle est néanmoins attestée par tant de lettres
par
SEPTEMBRE 1807 . 571
différentes , arrivées au quartier - général de Kiel , qu'on n'es
peut douter. La perte a certainement été très-considérable de
part et d'autre , puisqu'on a fait aux Anglais 500 prisonniers.
On dit que de notre côté , le grand- maréchal de la cour
M. de Hauch , qui commandoit le corps des étudians , a été
légèrement blessé à cette affaire. Le château de Friederiksberg,
où les Anglais s'étoientforteinent retranchés , au point de garnir
toutes les fenêtres de pièces de canon , a été incendié par
nos obus , et forcé non-seulement d'en déloger , en abandonnant
16 pièces dé canon , mais encore d'évacuer les environs.
Suivant le rapport d'un capitaine de navire qui vient d'arri
ver à Swinemunde , il y auroit eu , le 31 août , une forte
canonnade dans la rade même de Copenhague. Un autre capitaine
de vaisseau , arrivée à Lubeck , a déclaré aussi qu'en
passant , le31 août , devant Copenhague , il avoit été témoin
d'une très -vive action entre les Danois et les Anglais . Il étoit
si près du lieu du combat , que plusieurs boulets sont tombés
à côté de son bâtiment. Il dit que le feu des Danois étoit aussi
vif que celui de l'ennemi.
Helgoland n'ayant pu être approvisionné , cette petite île
s'est rendue à l'ennemi le 4 septembre. La garnison d'environ
40 hommes , la plupart invalides , a été faite prisonnière de
guerre ; elle est déjà arrivée à Gluckst , à bord d'un parlementaire
anglais. Plusieurs petits vaisseaux , entr'autres douze
bateaux pour la pêche du hareng , sont aussi tombés au pou
voir de l'ennemi. Les Anglais ont devant l'île d'Helgoland le
yaisseau de ligne le Majestueux, de 74 , amiral Russel ; le
quebeck , Commodore- Falkland, de 40 canons, et huit frégates
ou bricks,
Le Grand-Belt est bloqué entre Kierteminde et Callandsberg
par quelques frégates ennemies , et entre Langeland et
Corsoer par
de gros vaisseaux de guerre , et autres petits bâtimens.
Un certain nombre de cutters entretiennent la communication
entre les deux lignes ennemies. Cependant, malgré leurs
nombreuses croisières , nous apprenons que deux bataillons
d'infanterie légère , sous les ordres du major Sund , ont heureusement
atteint les côtes de la Sélande , dans la nuit du 2 au
3 de ce mois.
-
*
Du 11. Après trois jours et trois nuits de bombardement
consécutif, l'incendie de 5 à 600 maisons , et une blessure
dangereuse qui a mis le général Peymann hors de combat, Copenhague
a capitule , et les Anglais sont maîtres de la flotte.
Le prince Royal est désespéré de l'inexécution de ses ordres ,
mais sans être abattu. Qu'on attende quelques jours avant de
572 MERCURE DE FRANCE ,
nous juger, disoit ce prince, et l'on verra si nous sommes
dignes de l'estime de l'Europe, et sur-tout de celle de l'Empereur
Napoléon. Le prince est résolu à n'accéder à aucune
proposition , et à pousser la guerre avec plus de vigueur que
jamais. (Moniteur.)
Stralsund, 9 septembre.
Le roi de Suède est parti hier de Rugen pour retourner
dans ses Etats. Le baron de Toll qui commande son armée ,
sachant que les marins de la garde impériale étoient arrivés ,
qu'un grand nombre de bateaux étoient réunis , et que tout
étoit prêt pour l'expédition de Rugen , a demandé à entrer
enarrangement. Le maréchal Brune lui a envoyé le général
Reille. Le baron de Toll a offert la neutralité de l'île. On n'a
pas répondu à cette proposition. Le baron de Toll alors sest
rendu lui-même à Stralsund pour proposer un arrangement.
Il en est résulté la capitulation ci-jointe......
Le roi de Suède et l'armée suédoise paroissent indignés de
la conduite des Anglais. Des ordres ont été donnés en Suède
pour armer tous les ports , et se mettre en état de défense.
Desnouvelles sûres constatent que l'expédition anglaise contro
leDanemarck ne s'est pas faite de concert avec le cabinetde
Stockholm , qui a été surpris , comme tous les autres, de cette
étrange violation de tous les droits.
Capitulation de l'ile de Rugen.
Aujourd'hui 7 septembre 1807 , il a été convenu ce qui
suit entre les soussignés :
i°. L'armée suédoise évacuera l'île de Rugen, qui sera
occupée par l'armée française.
2. Après demain 9, à midi , l'armée française occupera ,
dans l'île de Rugen , le pays à l'ouest d'une ligne tirée de
Gustow à Dramendorf.
5°. Dans huit jours , l'armée suédoise se retirera dans le
Wittow, le Jasmund et le pays à l'est de Dunzewitz à Putbus.
4°. Dans douze jours , Wittew et Jasmund seront évacués
par l'armée suédoise.
5°. Dans vingtjours l'armée suédoise se retirera dans le pays
àl'estd'une ligne tirée de Dolgen à Gobbin ; et dans un mois
elle aura évacué toute l'île de Rugen , et les îles de Ummentz ,
Hiddensée , Vihn , Ruden et Greifswald-Oie.
6°. La marine suédoise évacuera les mers de Pomeranie et
deRugen aux époques fixées pour l'évacuation de l'armée.
7°. Si à cette époque de l'évacuation totale , il reste encore
des malades , des effets ou objets militaires et des chevaux
appartenans à l'armée suédoise , il restera des préposés suédois
pour en avoir soin et accélérer leur départ.
,
SEPTEMBRE 1807 . 573
8°. L'armée suédoise pourra faire fréter de gré à gré des
bâtimens de transport dans les ports de la Poméranie.
9°. Les bâtimens appartenans aux ports de la Pomeranie et
deRugen, qui seront emmenés en Suède par le transport de
l'armée , seront renvoyés fidèlement et le plus tôt possible ;
et ils seront escortés par la marine suédoise , de manière à ce
que leur navigation ne puisse être troublée par qui que ce
soit.
10°. Si , pardes événemens dè mer, quelquebâtiment portant
des troupes ou des effets militaires partis de Rugen , étoit jeté
sur les côtes de cette île ou de laPomeranie , il lui sera donné
assistance , et il sera regardé comme neutre.
Fait double à Stralsund, les jour , mois et an que dessus.
Signés BRUNE , maréchal d'Empire , commandant
en chef l'armée de S. M. l'Empereur des
Français , Roi d'Italie ; :
J. P. baron DE TOLL , général de cavalerie,
commandant les troupes suédoises dans
l'îlede Rugen.
PARIS , vendredi II septembre.
Traité d'armistice entre la Russie et la Porte-Ottomane.
La Sublime-Porte et la cour impériale de Russie , desirant
mutuellement et sincèrement mettre fin à la guerre qui divise
actuellement les deux Empires , et rétablir la paix et la bonne
harmonie avec la médiation de S. M. l'Empereur des Français
et Roi d'Italie , que les deux hautes parties contractantes ont
également acceptée , sont convenues qu'il y auroit sur-lee
champ armistice : elles ontnommé pour cet effet leurs pléni
potentiaires respectifs , c'est-à-dire , la Sublime-Porte , S. Exc .
Saïd-Mehemed-Galip-Effendi , ci-devant reis-effendi , et
actuellement neihandzi; et la cour de Russie , S. Exc. M. le
général Sergio Lascaroff, conseiller privé de S. M. l'Empereur
de toutes lesRussies , et chevalier de plusieurs ordres : lesquels ,
en présence de M. le colonel adjudant commandant Guilleminot
, envoyé par S. M. l'Empereur des Français et Roi
d'Italie, pour assister aux arrangemens relatifs à l'armistice,
sont convenus des articles suivans :
Art. Ir. Aussitôt après la signature de l'armistice , les généraux
en chef des deux armées impériales , savoir : S. A. le grandvisir
et S. Exc. le général Michelson enverront des courriers ,
pour que les hostilités cessent tout-à-fait de part et d'autre ,
tant sur terre que sur mer, dans les rivières , et en unmot,
partout où il se trouve des troupes des deux puissances.
374 MERCURE DE FRANCE ,
II. Commela Sublime-Porte et la Russie desirent également
de la manière la plus sincère, le rétablissement de la paix et de
la bonne harmonie, les hautes parties contractantes nommeront,
aussitôt après la signature du présent armistice, des
plénipotentiaires pour traiter et conclure la paix , le plus tôt
possible , dans tel endroit qu'ils auront jugé convenable. Și ,
pendant les négociations pour la paix , il s'élève malheureusement
des difficultés , et que les affaires ne puissent s'arranger ,
l'armistice ne sera rompu que le printemps prochain , c'est-àdire,
le 1er de la lune de safer , l'an de l'égire 1223 , et le 3
avril V. S. ou le 21 mars N. S. 1808 de l'ère chrétienne.
III. Aussitôt après la signature du présent armistice , les
troupes russes commenceront à évacuer la Valachie et la
Moldavie , ainsi que toutes les provinces , forteresses et autres
pays qu'elles ont occupés pendant cette guerre , et à se retirer
à leurs anciennes frontières ; de manière que l'évacuation
soit entièrement terminée dans l'espace de trente-cinq jours ,
àcompter de la date du présent armistice. Les troupes russes
laisseront dans les pays et forteresses qui doivent être évacués
par elles, tous les effets, canons et munitions qui s'y trouvoient
avant l'occupation. La Sublime-Porte nommera des
commissaires qui recevront lesdites forteresses des officiers
russes désignés à cet effet. Les troupes ottomanes sortiront de
même de la Moldavie et de la Valachie en dedans les trentecinq
jours , pour repasser le Danube.Elles ne laisseront dans
les forteresses d'Ismail , Braïlow et Giurgion, que les garnisons
suffisantes pour les garder, Les troupes russes correspondront
avec les troupes ottomanes , afin que les deux armées
commencent à se retirer en même temps de la Moldavie et de
la Valachie. Les deux parties, contractantes ne se mêleront
-nullement de l'administration des deux principautés de la
Moldavie et de la Valachie jusqu'à l'arrivée des plénipotentiaires
chargés de traiter de la paix, Jusqu'à la conclusion de
la paix, les troupes ottomanes ne pourront occuper aucune
des forteresses qui seront , en conséquence du présent armistice
, évacuées par les troupes russes. Les habitans seuls pourront
y entrer.
IV. Conformément à l'article précédent , l'île de Tenedos ,
ainsi que tout autre endroit dans l'Archipel , qui , avant que
la nouvelle de l'armistice y soit parvenue , aura été occupé par
-les troupes russes , sera évacué. Les vaisseaux russes qui sont
mouillés devant Tenedos ou quelqu'autre endroit de l'Archipel
, retourneront à leurs ports , afin que le détroit des Dardanelles
soittout-à-fait ouvert et libre. Si les vaisseaux russes ,
ense rendant à leurs ports , sont obligés de s'arrêter à quelque
SEPTEMBRE 1807. 575
endroit de l'Archipel , à cause d'une tempête ou de quelque
autre besoin indispensable , les officiers turcs n'y mettront
aucun obstacle , et leur prêteront , tout au contraire , les
secours nécessaires. Tous les vaisseaux de guerre ou autres
vaisseaux ottomans qui , pendant la guerre , seroient tombés
entre les mains des Russes, seront rendus avec leurs équipages ,
ainsi que les vaisseaux russes qui seroient tombés au pouvoir
des forces ottomanes. Les vaisseaux russes , en se rendant à
leurs ports , ne prendront à bord aucun sujet de la Sublime-
Porte.
V. Tous les bâtimens de flottille russe qui se trouvent dans
l'embouchure de la Sunné ou de quelque autre embouchure ,
sortiront et se rendrontà leurs ports, afin que les vaisseaux
Ottomans puissent aller et venir en toute sûreté. La Sublime-
Porte donnera des ordres pour que les bâtimens russes , se
rendant à leurs ports , soient respectés , et qu'il leur soit
permis d'entrer même dans quelque port ottoman en cas
qu'ilsy soient obligés par une tempête ou par quelqu'autre
besoin indispensable.
VI. Tous les prisonniers de guerre et autres esclaves des
deux sexes , de quelque qualité ou grade qu'ils soient , seront
incessaminent mis en liberté et rendus de part et d'autre sans
aucune rançon , à l'exception cependant des Musulmans qui
auroient embrassé volontairement la religion chrétienne dans
l'Empire de la Russie; et les chrétiens sujets de la Russie qui
auroient pareillement embrassé volontairement la religion
mahométane dans i Empire ottoman. Aussitôt après la conclusion
du présent armistice , tous les commandans , officiers
et habitans des forteresses de la Turquie qui se trouvent actuellement
en Russie , seront rendus et envoyés en Turquie avec
tous leurs effets et bagages.
VII. Le présent traité d'armistice , écrit en turc et en
français , a été signé par les deux plénipotentiaires et par
M. l'adjudant-commandant Guilleminot , et il a été échangé,
afin qu'il soit ratifié par le grand-visir et par S. Ex. le général
en chef Michelson.
Les deux plénipotentiaires auront soin que ladite ratification
soit échangée dans une semaine , ou plus tôt si faire
se peut.
Fait et arrêté au château de Slobosia , près de Giurgion ,
le 20 de la lune du Dgemaziül-Ahir , l'an de l'égire 1222 ,
et le 12 août V. S. , ou le 24 août 1807 N. S. de l'ère
chrétienne.
SignéGALIB-EFFENDI , SERGIO-LASKAROFF, GUILLEMINOT.
576 MERCURE DE FRANCE ,
La cour est revenue jeudi dernier à Saint-Cloud. Ilya eu le
matin conseil des ministres , et le soir tragédie. La cour est
restée douze jours à Rambouillet. Le prince-primat, le grand- .
duc de Wurtzbourg et le prince de Dessau, ont chassé plusieurs
fois avec LL. MM.
CORPS LEGISLATIF .
Dans saséance du 14 , le corps législatif a adopté le liv. 4
duCode de Commerce , intitulé : De la Juridiction commerciale.
Le 15, cinq projets de lois ont été sanctionnés : le premier
est relatif aux contrats à la grosse aventure , etd'assurance
; le second concerne les transactions maritimes ; le troisième
traite desavaries , de la contribution du frêt , et c; lequatrième
fixe au 1er janv. prochain l'époque à laquelle le Code du
Commerce sera exécuté ; le cinquième est relatifau budjet de
l'Etat. Le 16 , cinq autres projets ont été approuvés : ils sont
relatifs à l'organisation de la cour des comptes , à des imposisitions
pour la confection des routes, au desséchement
des marais , à des aliénations , concessions à rentes , etc. etc.
Le 17, le corps législatif a adopté un projet qui proroge la
loi qui attribue à la cour de justice criminelle de ta Seine la
connoissance du crime de faux des effets publics , ou qui
intéressent la comptabilité. Le 18 , MM. les conseillers d'Etat
chargés de présenter au corps législatif le décret impérial qui
déclare la session terminée , ont été introduits. M. Bouley (de
la Meurthe ) a fait lecture , au nom de S. M. , d'un sénatusconsulte
, en date du 19 août , dont les principales dispositions
portent qu'à l'avenir , et à compter de la clôture de
la session actuelle , les discussions des projets de lois qui
avoient lieu préalablement devant les sections du tribunat ,
seront faites par trois commissions créées dans le sein du corps
législatif, qui porteront les noms de commission de législation
civile et criminelle , commission de l'administration de l'intérieur
, et commission des finances. M. Fontanes , président ,
a répondu à cette communication par un discours qui a été
accueilli par les applaudissemens unanimes de l'assemblée.
La séance a été terminée par la lecture du procès-verbal
et levée aux cris répétés de vive l'Empereur !
1
FONDS PUBLICS..
DU VENDREDI 18. - C p. 0/0 c. J. du 22 mars 1807, fermée. 000.00€
ooc oo oo oo ooc coc ooc oof ooc ooc oof ooc one ooc ooc oof oac
Idem. Jouiss . du 22 sept. 1807 , 84f50c 80с. 850 оос оос
Act. de la Banque de Fr. avec donblement oooof oooof oo oooof
(NO. CCCXXIII. )
(SAMEDI 26 SEPTEMBRE 1807 .
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
DEPT
DE
LA 5.
cen
ODE
A L'IMAGINATION.
IMAGINATION , riche et brillante fée ,
Prends le pinceau d'Apelle et la lyre d'Orphée ;
Soutiens mes chants ; colore , embellis mes tableaux :
J'implore ton secours . Viens , tandis que Morphée
Sur le globe assoupi distille ses pavots.
Viens les cheveux flottans , la gorge demi-nue :
Sur l'aile des zéphyrs mollement soutenue ,
Qu'un voile transparent trahisse tes appas ;
: Et que tes doigts de rose , entr'ouvrant une nue,
Laissent tomber des fleurs , mais ne les sèment pas .
Tu m'exauces , tu sors de l'azur d'un nuage ;
Un sillon de lumière a marqué ton passage :
Des Jeux autour de toi je vois planer l'essaim ,
Et de Sylphes légers une troupe volage ,
Se mêlant aux Amours , folâtre sur ton sein.
Les Plaisirs séducteurs , la Gajeté , la Paresse ,
Les Ris , l'Illusion , aimable enchanteresse ,
Qui d'erreur en erreur promène les humains ,
En groupes variés entourent la déesse ,
Et se parent des fleurs qui tombent de ses mains .
Viens- tu , fille des Dieux , du palais de l'Aurore ?
Dis , es-tu soeur d'Iris ? Plus riante que Flore ,
578 MERCURE DE FRANCE ,
1
Oùprends-tu les couleurs dont tu peins l'Univers ?
Que vois-je ? Un autre monde à mes yeux vient d'éclore :
Ceciel est toujours pur, ces champs sont toujours verts.
Prêtant un nouvel être à la nature entière ,
Tu souris , et soudain respire la matière :
Tu fais parler la Mort , tu fais voler le Temps ;
Et l'Olympe , à ta voix levant sa tête altière ,
Tressaille sous les pieds du vainqueur des Titans .
Pour réchauffer les nuits de la zone glacée ,
Tu plaças près du pole Andromède et Persée :
Tout arbre a sa Dryade , et tout fleuve est un Dieu.
Donnant une ame au marbre , un corps à la pensée ,
De vie et de bonheur tu remplis chaque lieu.
C'est toi qui du Printemps viens tresser la couronne ,
Qui du sang d'Adonis teins la pâle anémone ,
Et parfumes la rose au souffle de Cypris .
Tu dores , tu mûris , sous la main de Pomone ,
Ces fruits , présens d'amour dont Vertumne est épris .
Veux- tu calmer les flots que la tempête agite ,
Hymen endort leur roi sur le sein d'Amphytrite....
Ah! fais plus , ferme encor le temple de Janus ;
Et de ces jours de deuil précipitant la fuite ,
Conduis Mars désarmé dans les bras de Vénus .
Pénétrant sans effort jusqu'aux royaumes sombres ,
Sur les rives du Styx tu fais errer les ombres;
Puis , ramenant les morts au séjour des vivans ,
De spectres courroucés tu peuples ces décombres ,
Où leur funèbre cri se joint au bruit des vents.
Tu fais couler sans cesse , au sein de l'Elysée ,
Ces limpides ruisseaux qui , dans leur pente aisée ,
Murmurent le sommeil ou roulent le bonheur ,
Et ce Léthé paisible où notre ame abusée
Boit des maux à longs traits l'oubli consolateur.
Tout suit tes lois : le temps , l'espace , la nature.
Du palais des Destins perçant la nuit obscure ,
Tu vois dans le passé, tu lis dans l'avenir;
Et ton miroir magique à la race future ,
Des jours qui ne sont plus transmet le souvenir.
Loin, bien loin les jardins et d'Armide et d'Alcine !
Tout peint danstes travaux ta céleste origine :
SEPTEMBRE 1807 . 579
Tu surpasses les Dieux même en les imitant;
Ils n'ont créé qu'un monde , et sous ta main divine
Mille mondes plus beaux naissent à chaque instant .
Heureux qui dès l'enfance a distingué tes traces;
Qui, bercé par tes chants , caressé par les Graces ,
Ates lois , à ton culte a consacré ses jours !
Libre au milieu des fers , calme dans les disgraces ,
Il pense , espère , sent , aime et jouit toujours .
S'élançant avec toi vers l'immense Empyrée ,
A l'éternité seule il borne sa durée.
Les siècles ont passé , l'Univers se dissout :
Planant sur ses débris , dans sa course assurée ,
Il triomphe du Temps , qui triomphe de tout.
Accourant sur tes pas, les Talens , le Génic ,
Tous les Arts dont la Grèce enrichit I Ausonie ,
Ou doublent nos plaisirs , ou trompent nos ennuis :
D'une teinte brillante ils colorent la vie ;
Ils remplissent nos jours , ils abrègent nos nuits .
C'est toi qui , dans ces vers si chéris d'Alexandre ,
De Pergame détruit éternises la cendre:
Au sein des immortels tu transportas Platon ;
Etdans ce gouffre horrible où Dante osa descendre ,
Tu trempas fièrement le pinceau de Milton .
O si par tes faveurs je comptois mes journées ,
Si , par d'heureux travaux forçant les destinées ,
Mon nom pouvoit s'unir à ces noms immortels,
Déesse , que j'aimai dès mes jeunes années ,
Que d'encens tu verrois fumer sur tes autels !
Quel penser téméraire en mon ame s'éveille !
Ces chantres qui du Pinde ont été la merveille,
Aigles audacieux , planent au haut des airs ;
Et moi , d'un vol timide, et semblable à l'abeille ,
J'erre de fleurs en fleurs sous des ombrages verts .
Eh bien ! champs paternels , prés fleuris , frais bocages ,
Bords sacrés du Léman, couverts d'épaís feuillages ,
Inspirez-moi des vers naturels et touchans ,
Et peut-être qu'un jour , parcourant vos rivages,
Nos neveux attendris répéteront mes chants.
Nota. Cette belle odevest de M. DE BRIDEL , déjà avantageusement
connu par unRecueil de Poésies , imprimé à Lausanne en 1786.
002
580 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGME.
QUOIQU'IL Soit aisé de me voir ,
Me palper est chose impossible ;
Le jour je puis être visille ,
Mais je ne règne que le soir.
Toujours le sol il me fait naître ,
Et, dans mon bizarre destin ,
•Géant à sa naissance , ainsi qu'à son déclin ,
Au milieu de son cours on me voit disparoître ,
Pour grandir encore à la fin.
Père et fauteur de la mélancolie ,
Parfois je charme tes loisirs :
J'intimide Chloé et j'enhardis Sylvie ;
J'inspire la terreur et flatte les desirs ;
Je suis l'emblème de 'a vie ,
Et l'image de tes plaisirs .
LOGOGRIPHE.
LECTEUR , si tu m'ôtes la tête ,
Je charmeles hôtes des bois ,
De l'Enfer je fais la conquête ,
Et tout rend hommage à ma voix .
Avec ma tête , dans la Fable ,
Ministre d'un des premiers Dieux ,
Je tiens de lui le pouvoir ineffable
De te plonger , quand je le veux ,
Dans son calme délicieux .
CHARADE .
LE cerf s'agite au bruit de mon premier ;
Le jardinier cultive mon dernier ;
L'on se pare avec mon entier .
Par un Abonné.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº. est Cloche .
Celui du Logogriphe est Mariage , où l'on trouve mari, age, ame ,
ami , air, mer, amer, rege , rime , ire, ramage..
Celui de la Charade est Char-pie
SEPTEMBRE 1807 . 581
Eusèbe , Héroïde ; par J. D. Laya , professeur de belleslettres
au Lycée Charlemagne. Avec cette épigraphe ,
tirée de l'ouvrage :
« Mon ami, l'avenir est pour l'homme un abyme :
>> Au- delà du présent , trop sûr de s'égarer ,
>> Heureux , il doit jou'r ; malheureux , espérer. »
Prix : 75 c. , et 1 fr. par la poste. AParis , à l'imprimerie
de l'Institution des Sourds - Muets , sous la direction
d'Ange Clo , rue du faubourg Saint-Jacques , n° . 256 ;
et chez le Normant.
L'HÉROÏDE , inconnue chez les Grecs , prit naissance chez
les Latins ,et c'est Ovide qui en est l'inventeur . Les Héroïdes
qu'il nous a laissées sont estimées des connoisseurs ; mais on
a remarqué avec raison qu'elles se ressemblent toutes par le
sujet ; qu'elles offrent toujours des amantes malheureuses et
abandonnées ; qu'elles contiennent toujours des plaintes ,
toujours des regrets , toujours des reproches , et qu'elles
pèchent , conséquemment , par un défaut qu'un écrivain
ne sauroit trop éviter , la monotonie. Ovide , d'ailleurs , n'a
pas su se préserver d'un autre défaut qui se fait assez généralement
sentir dans ses autres ouvrages , celui de faire abus
d'esprit; et s'il est un genre de poésie où ce défaut doit
singulièrement choquer l'homme de goût , c'est sur-tout
'Héroïde , genre exclusivement consacré à la passion et au
sentiment , et dans lequel le coeur seul doit parler .
Ovide n'a pas eu d'imitateurs parmi les anciens ; et comme
on ne peut appeler Héroïdes les pièces que Fontenelle a
données sous ce titre , tant le ton en est commun , et le style
foible , pour ne pas dire plat , il ne paroît pas qu'il en ait eu
parmi les modernes , jusqu'au moment où le célèbre Pope
publia en Angleterre son Epître d'Héloïse à Abailard. Le
succès de cet ouvrage , inspiré sans doute par la lecture des
Lettres si touchantes et si passionnées d'Héloïse elle-même ,
ne devoit pas rester toujours ignoré des Français . Longtemps
nos études et nos connoissances en littérature s'étoient
à-peu-près bornées aux écrits des Grecs et des Latins ; et
quant à ce que nous appelons la littérature étrangère , elle
ne s'étendoit guère au-delà des productions en prose et en
vers de l'Italie moderne. Les écrits des auteurs anglais , et
c'est à Voltaire que nous en avons l'obligation , arrivèrent
3
582 MERCURE DE FRANCE ,
,
enfin jusqu'à nous . On les traduisit , on les imita; etparmi les
imitations se fit principalement remarquer celle de l'Epître
dePope , par Colardeau. C'étoit le début de ce poète aimable
etdistingué, et c'est son chef-d'oeuvre . En traduisant Pope
il devoit craindre de rester au-dessous de lui; et s'il lui est
inférieur dans quelques morceaux de force , il lui est au
moins égal en sensibilité , et supérieur en graces et en
abandon. Le bruit que fit l'Epître de Colardeau , lorsqu'elle
parut, ne tint donc pas seulement à la nouveauté du genre ,
au sujet , au nom de l'héroïne que le poète faisoit parler ,
elle devoit réussir par le talent qui y brille , talent qui s'annonçoit
avec un éclat extraordinaire , par l'art et la vérité
avec lesquels sont peints tous les tourmens d'un coeur sensible
et passionné , par le bon goût qui règne en général
dans le choix des pensées, des images et des expressions.
Après un pareil début , on devoit beaucoup attendre de
Colardeau. Il crut ne pouvoir mieux justifier les hautes
espérances qu'on avoit conçues de lui , qu'en publiant un
nouvel ouvrage dans le genre de celui qui l'avoit fait connoître
și avantageusement. Pope avoit été son guide dans
l'Epître d'Héloïse à Abailard ; il l'avoit suivi pas à pas ; il
voulut marcher à-peu -près seul , en composant l'Epître
d'Armide à Renaud , et rivaliser même avec Quinault et
le Tasse. Mais il s'égara . Autant son premier ouvrage est
animé , brûlant , autant le second est languissant et froid.
Le style de l'un est harmonieux , élégant , poétique ; celui
du second est souvent foible , prosaïque et lâche ; enfin , ce
ne sont plus les mêmes couleurs , les mêmes pinceaux ni le
même peintre.
Si l'Epitre d'Armide à Renaud eût précédé celle d'Héloïse
à Abailard , il est probable que le genre de l'Héroïde eût
trouvé fort peu de partisans ; mais on avoit lu , on relisoit
sans cesse l'imitation de Pope , et une vive émulation s'étoit
élevée entre la plupart des poètes alors vivans , pour obtenir
un succès pareil à celui de Colardeau. Dorat qui ne doutoit
de rien , et essayoit tout , fut le prémier à se présenter dans
la lice ouverte par son ami ; et , pour être plus sûr d'attirer
sur lui les regards , fit une réponse d'Abailard à Héloïse .
Cette réponse , très-inférieure à la lettre d'Héloïse , n'est
pourtant pas ce que Dorat a fait de plus mauvais : on y
trouve quelques vers bien tournés ; mais elle pèche
essentiellement par le fond. Ce n'est qu'une lamentation
éternelle d'Abailard sur l'état affreux où l'ont réduit
les bourreaux que l'oncle d'Héloïse avoit armés contre lui ,
les tourmens , le désespoir , la rage qu'il en éprouve , y re
SEPTEMBRE 1807 : 583
viennent presque à chaque instant ; et ily a au moins de
la maladresse à fixer si souvent l'imagination du lecteur sur
une pareille idée , sur une pareille image. La pièce d'ailleurs
n'est pas exempte des autres défauts que l'on trouve dans les
productions poétiques de Dorat ; il y a de l'incohérence , du
vague et de la déraison. Soyons justes pourtant : Dorat,
dans la lettre du comte de Comminges à sa mère , et dans
celle de Barnevelt à Trumant , a une manière différente
de sa manière habituelle ; il met de l'ordre dans ses idées , et ,
ce qui n'est pas moins étonnant , son style en général est
naturel.
Je pourrois après Dorat , ou concurremment avec lui ,
çiter La Harpe , qui débuta par quelques Héroïdes; Barthe
qui en fit une assez remarquable sous le titre de Lettre de
l'abbé de Rancé à un ami ; et d'autres poètes encore , qui
s'exercèrent plus ou moins heureusement dans un genre qui
étoit devenu à la mode ; mais il me suffit , je crois , de dire
que Colardeau ne fut effacé , ni même balancé par aucun de
ses rivaux , et que malgré les efforts que l'on fit pour conserver
à ce genre , mauvais en lui-même , la faveur extraordinaire
dont il avoit joui à son apparition , il ne tarda pas à
être abandonné.
En effet , de longues années s'écoulèrent sans qu'il parût
une seule Héroïde. Il étoit réservé à M. Laya de rappeler
P'attention sur cette sorte de composition. Sa Lettre de la
Présidente de Tourvel à Valmont , publiée il y a cinq ou
six ans , eut du succès , et elle le méritoit. Elle attache par
le fond et par les détails . Le styleen est ferme et nourri de
pensées , et l'intérêty est gradué avec art. Pourquoi M. Laya ,
après l'accueil qu'avoit reçu cette production , a-t-il gardé
un long silence ? On se l'est demandé ; et si l'on en cherchoit
la raison , peut- être la trouveroit-on dans la répugnance
que peut éprouver un homme de mérite à ne publier des
ouvrages que pour être l'objet du dénigrement injuste
dans lequel se complaisent certains critiques de nos jours.
Quoi qu'il en soit, la verve de M. Laya s'est réveillée ,
et il vient de nous donner une nouvelle Héroïde . Mais
sa pièce devoit- elle porter ce titre ? Dans l'Héroïde , ce
sont, comme le mot l'indique , des héros qui sont censés
écrire ; ce sont du moins des personnages dont le
nom seul excite déjà l'intérêt par les souvenirs touchans
qui s'y rattachent. Or , M. Laya pouvoit bien qualifier
d'Héroide la lettre de la Présidente de Tourvel à Valmont ,
parce que le roman où figure cette femme , malheureuse
victime d'un séducteur, est très-connu , et que dès-lors elle est
4
584 MERCURE DE FRANCE ,
devenue un personnage en quelque sorte célèbre. Mais quels
sont les héros ou les personnages célèbres qui paroissent dans
sa nouvelle Hérovie ? Eusèbe et Thérèse. Ils ne sont point
connus . On n'a jamais entendu parler de leurs malheurs :
leur nom même n'éveille aucune idée élevée. M. Laya
ne devoit donc pas intituler sa pièce Eusèbe , Héroïde ; mais
se contenter de lui donner ce titre plus simple et plus convenable
: Lettre d'Eusebe à son ami. Colardeau , sur ce
point, lui avoit donné la leçon et l'exemple.
J'abandonne au jugement de M. Laya cette observation ,
qui lui a déjà été faite , et je passe au fond de son ouvrage.
Il y a de l'intérêt ; et si ce n'est qu'une fiction , elle est touchante
et heureusement imaginée. Eusèbe , à vingt ans , est
resté sans famille , sans fortune , sans autre ressource que
des dons naturels , cultivés par une bonne éducation et de
grandes dispositions pour l'éloquence . Il veut tenter la
fortune dans les colonies , s'embarque , arrive , obtient des
succès , rencontre une jeune personne charmante et l'épouse .
Quelque temps après , le souvenir de sa patrie , qui est aussi
celle de sa femme , se réveille dans leurs ames . Ils partent ,
emportant avec eux tout се qu'ils possèdent ; mais une
horrible tempête les surprend dans la traversée : ils font
naufrage , et leur vaisseau brisé s'abyme à la vue des côtes .
Eusèbe est jeté seul sur le rivage; et dans son désespoir , il
est trop heureux de trouver un asile chez des religieux
hospitaliers . Comme il a tout perdu , il veut s'ensevelir dans
leur maison; il prend donc l'habit de novice , et prononce ses
voeux. Un jour , qu'exerçant son talent oratoire , il prêche
devant une nombreuse assemblée de fidèles , leur fait le
récit de ses malheurs, leur avoue que l'amour tourmente
encore son coeur , et s'en accuse , un cri lamentable se fait
entendre. Il reconnoît la voix de sa femme..... Un moment
Jes rapproche ; mais la religion qui les avoit unis élève désormais
entr'eux une insurmontable barrière ; et tout en déplorant
leur sort , ils se disent un éternel adieu .
Ce court exposé justifie , ce me semble , ce que j'ai dit
du fond de l'ouvrage de M. Laya. Quant au style , il est
ferme , et ne manque ni de chaleur, ni de mouvement. Ily
a bien quelques taches , parce qu'il est difficile de faire un
ouvrage parfait; mais elles sont en petit nombre , et rachetées
par des morceaux où se déploie un vrai talent. Je n'en
chercherai pas dans ces huit vers , où le poète parle des religieux
qui l'ont recueilli après son naufrage :
D'un tendre égarement victime intéressante ,
L'un offroit à son Dieu sa plaie encor récente ;
1
SEPTEMBRE 18072 / 585
L'autre, sur son vieux front , où revit le passé ,
Laissoit lire un regret qui s'est mal effacé.
D'un long tourment d'amour ce front portoit l'empreinte ;
La trace reste encor , si la flamme est éteinte.
Je voyois dans ces traits que l'amour a minés ,
L'image de ces rocs par les feux calcinés .
,
Ces vers n'ont rien de repréhensible. Cependant , un de
ces critiques bienveillans dont j'ai parlé, s'amusant à les
citer par distiques , s'écrie : Il est CLAIR que c'est un Chartreux
amoureux ; voyons le SECOND .... c'est encore un
Chartreux amoureux , si je ne me trompe; voyons le TROISIÈME
.... encore un Chartreux amoureux ; enfin , M. Laya
les peint tous in globo . Il est CLAIR que le critique a lu
sans attention ou qu'il n'est pas de très-bonne foi. Il n'est
question dans cette tirade que de deux Chartreux. Le poète
consacre deux vers à l'un , et six vers à l'autre : cela saute
aux yeux ; mais on veut être plaisant , et on l'est per fas et
nefas. Moi , qui ne crois pas que , même en littérature , on
puisse être plaisant aux dépens de la vérité , je ne prêterai
point à M. Laya , pour égayer le lecteur , des torts qu'il
n'a pas ; mais je me permettrai de lui dire , avec tous les
égards que l'on doit à un homme de talent , qu'il y a dans
sa pièce quelques inversions forcées , telles que celles-ci :
Solitude bruyante , aux doux loisirs contraire ;
Denos plus chers tourmens , où tout vient nous distraire....
Souvent est près de nous le bien qu'on croit perdu , etc.
Cette dernière inversion pèche même contre la règle géné
rale , qui veut qu'un vers renfermant une maxime , n'offre
qu'un tour simple et facile ; témoins les vers suivans :
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire.
Chassez le naturel , il revient au galop .
Il n'est de pire Etat que l'Etat populaire , etc.
J'engage encore M. Laya , lorsqu'il réimprimera son
ouvrage , à faire disparoître quelques-uns de ces vers qui
pe présentent que la même image :
Mes pleurs avoient baigné la tombe de ma mère ....
Oh ! que puissent mes pleurs
Bientôt mouiller ton sol ....
Ces prêtres , exercés aux secrets des douleurs ,
Ont bientôt dans mes yeux lu celui de mes pleurs .
Et, pour tarir mes pleurs , près de mon lit pleurer.
L'impartialité_me faisoit un devoir d'adresser quelques
reproches à M. Laya ; elle m'en fait un plus doux mainte-
1
586 MERCURE DE FRANCE ,
nant , celui de citer l'un des morceaux qui prouvent en
faveur de son talent. Je prends celui où Eusèbe raconte son
naufrage :
Sous nos pieds la mer tonne , et le ciel sur nos têtes.
Mon vaisseau , frèle abri qu'assiégent les tempêtes ,
Par la vague tantôt vers la côte lancé ,
Enpleine mer, tantôt , par elle repoussé,
Jouet de son caprice , ici fuit dans l'abyme ;
Là, sur elle incliné , monte et pend à sa cîme.
De ténèbres , de feux, d'ondes environnés ,
Par la terre et la mer et le ciel condamnés ,
Pournous,plluuss de refugeen cet abyme immense ,
Où l'antique chaos sous nos pieds recommence.
C'en est fait ! ... Recevez , terre de nos neveux ,
Pour vos races et vous l'hommage de nos voeux .
Reçois , sol paternel , les ames tugitives
De tes fils sans tombeaux expirant sur tes rives.
En ce commun désastre , en ces momens affreux ,
Du nmoins je goûte encor le bonheur douloureux
De mourir embrassé de celle que j'adore ......
Qu'ai-je dit ? ... Ce bonheur.... Non , il m'échappe encore !
Le foudre souterrain , s'élançant de nouveau ,
Rugit, éclate , entraîne et brise mon vaisseau ,
Dont les mille débris , que chasse au loin sa rage ,
Avec un long fracas sont vomis sur la plage.
Sous la garde du Dieu qui protège mes jours ,
Poussé par ces débris j'en ai suivi le cours,
Mais seul ! Les flots jaloux m'ont ravi ce que j'aime.
Déplorable moitié de cet autre moi-même ,
Sur le sable jeté , tout meurtri , tout sanglant ,
Epargnépar la mort , ma's bientôt l'appelant ,
Quandle jour de mes sens me rend enfin l'usage ,
Etne me laisse plus douter de mon venvage !
Quel terrible moment! ... quels pensers ! ... quel effroi ! ...
Devant-moi l'Océan ! des débris , rès de moi,
Et des corps mutilés qui gissent sur l'arêne ! ...
Sur ce champ de la mort en rampant je me traîne ,
Observant , d'un regard sinistre et douloureux ,
Jusqu'en leurs moindres traits ces cadavres affreux ;
La cherchant , m'écriant , craignant de reconnoître
Ses restes adorés.... Le souhaitant peut- être ....
Je m'arrête à regret ; j'aurois pu transcrire encore , et le
lecteur , sans doute , m'en auroit su gré. Quel que soit cependant
le talent que M. Lava a montré dans cette seconde
Héroïde , j'oserai lui conseiller d'abandonner un genre qui ,
je le répète , est mauvais en lui-même , et de se livrer plutôt
à celui dans lequel son Epitre à un Jeune Cultivateur lui
promet des succès non moins certains et plus durables . Une
Héroide n'est qu'une sorte d'amplification de collége , un
long monologue où le poète semble réduit à n'employer
que trois figures , l'apostrophe , l'exclamation et la dubitaSEPTEMBRE
1807 . 587
?
tion. Unde nos poètes vivans , auteur de plusieurs Héroïdes
qui ont contribué à lui faire un nom dans la république des
lettres , avoit adressé à Voltaire celle de Gabrielle d'Estrées ;
il reçut cette réponse , dans laquelle deux vers contiennent
un reproche que l'on peut faire à toutes les Héroïdes :
Mon amour propre et vivement flatté
De votre écrit ; mon goût l'est davantage.
On n'a jainas par un plus doux langage ,
Avec plus d'art b'essé la vérité.
:
Pour Gabrielle , en son apoplexie ,
Aucuns diront qu'elle parle long-temps.
Mais ses discours sont si vrais , si touchans,
Elle aime tant , qu'on la croiroit guérie .
Tout lecteur sage avec plaisir verra
Qu'en expirant , l'aimable Gabrielle
Ne pense point que Dieu la damnera
Pour aimer trop un amant digne d'elle.
Avoir du goût pour le Roi Très-Chrétien
C'est oeuvre pie : on n'y peut rien reprendre .
Le Paradis est fait pour un coeur tendre ,
Et les damnés sont ceux qui n'aiment rien.
V....
Maximes et Réflexions sur différens sujets de morale et de
politique , suivies de quelques Essais ; par M. de L. Un
vol. in- 12. Prix: 3 fr. , et 4 fr. par la poste. A Paris ,
chez Xhrouet , lib . , rue des Moineaux ; et chez le Normant .
M. DE L. a pris pour épigraphe le passage suivant des
Considérations sur les Moeurs : « Il seroit à souhaiter que
>>ceux qui ont été à portée de connoître les hommes , fissent
>>part de leurs observations ; elles seroient aussi utiles à la
>> science des moeurs , que les journaux des navigateurs l'ont
>>été à la navigation. » Il a prouvé par son exemple la justesse
de l'observation de Duclos . En effet on reconnoît , en
lisant son livre , qu'il doit autant à l'expérience qu'à la méditation
; qu'il n'a écrit qu'après avoir beaucoup vu , et jugé
qu'après avoir comparé. L'impartialité et la modération ,
qui ont toujours fait la base du caractère de M. de L. , n'ont
été nullement altérées par les événemens de la révolution ,
dont il a été la victime comme tant d'autres ; mais nul n'a
mieux profité de cette maxime salutaire que l'on trouve dans
son ouvrage : « Le temps le plus mal employé est celui que
>>l'on donne aux regrets , à moins qu'on n'en tire des leçons
>>pour l'avenir . » Ce n'est qu'à la manière dont il peint les
cours , que l'on peut s'apercevoir qu'il occupoit un rang
très-distingué dans la société .
588 MERCURE DE FRANCE,
Après tant de livres de morale , il sembloit téméraire
d'écrire sur un sujet si rebattu ; mais M. de L. a démontré
qu'il y avoit encore des vérités neuves et utiles , et qu'une
expression piquante pouvoit donner aux pensées déjà connues
le charine de la nouveauté.
L'ouvrage commence par des maximes ; en voici quelquesunes
:
« Conduisez- vous avec la fortune comme avec les mau-
» vaises paies : ne dédaignez pas les plus foibles à - comptes . »
« La plupart des peines n'arrivent si vite que parce que
>> nous faisons la moitié du chemin . »>
Lorsque la résistance est inutile , la sagesse se soumet ,
» la folie s'agite , la foiblesse se plaint , la bassesse flatte , la
» fierté supporte et se tait . »
« Les événemens prévus par les bons esprits ne manquent
guère d'arriver ; mais la fortune se réserve deux secrets ,
» l'époque et les moyens. » Y
« La vérité n'est si difficile à connoître , que parce qu'il y
>> a encore plus de trompés que de trompeurs . »
« S'il est plus satisfaisant pour l'amour-propre de con-
» vaincre , il est plus sûr pour l'intérêt de persuader.
«<
>>
Puisque les hommes sont injustes , et que malheureu-
» sement ils sont partout divisés en deux classes , les puis-
» sans et les foibles , tâchons , par tous les moyens que per-
» met la vertu , de nous placer dans la première , non pour
» être oppresseurs , mais de peur d'être opprimés.
« Le temps est comme l'argent ; n'en perdez pas , vous
»
en aurez assez . »
>>
« L'ennui est une maladie dont le travail est le remède ; le
plaisir n'est qu'un palliatif. »
« On se lasse de tout , excepté du travail . »
« L'humeur porte sa peine. »
« Le génie crée , l'esprit arrange. »
« La bassesse trouve le moyen de dégrader ce que les
>> hommes ont de plus noble à donner et de plus doux à
» recevoir , les louanges les louanges méritées »
« L'envie décèle la médiocrité , les grands caractères ne
connoissent que les rivalités . >>
« Les foiblesses des hommes supérieurs satisfont l'envie
> et consolent la médiocrité . »
»
« Les succès couvrent les fautes ; les revers les rappellent.
« La vertu est le triomphe de la générosité sur l'intérêt .
« La grande difficulté dans l'éducation , consiste à tenir les
enfans dans la soumission , sans dégrader leur caractère . »
« Le moyen de passer doucement la vie , est de préférer
.
SEPTEMBRE 1807 . 589
» les plaisirs qui viennent de l'habitude à ceux que donne
» le changement. »>
« Il ne faut pas trop regarder à travers les bonnes
>> actions . >>
« Puisque l'âge diminue les agrémens en nous laissant
» nos défauts , et que la considération est la seule indemnité
» de la vieillesse , tâchons de devenir plus respectables à me-
» sure que nous devenons moins aimables . »
Dans un chapitre sur l'amour- propre , sujet qui paroissoit
épuisé par M. de la Rochefoucault , on trouve les réflexions
suivantes :
« Lorsqu'enfin les hommes sont forcés de convenir de
» leurs erreurs , ils ne se dispensent guère de faire un compliment
de condoléance à leur amour-propre . J'ai eu lort ,
» mais j'ai raison à présent. Remarquez que la raison est
toujours au présent , et le tort au passé. »
>>
»
« Si la flatterie a des succès à la cour , la dignité a sa po-
» litique ; mais il n'est pas donné à tout le monde d'user de
>> ce moyen. »
Quand par hasard la flatterie ne réussit pas , ce n'est
» pas sa faute ; c'est celle du flatteur. »
....
« Vous croyez que vous êtes modeste...
» savois pas si orgueilleux . »
»
«<
Je ne vous
L'orgueil de la naissance seroit le plus sot et le plus
insupportable de tous , sans l'orgueil des parvenus , qui
» semblent toujours pressés de regagner le temps perdu . »
« C'est par amour- propre que l'on aime tant les gens
>> modestes . >>
M. de L. a aussi écrit sur les femmes : ses opinions sur
elles nous paroissent en général trop sévères . Cependant il a
fait un beau portrait de la mère de famille ; mais on a droit
de s'étonner qu'il ne dise rien de l'épouse tendre et vertueuse
, de celle qui double les charmes de la paternité , et
sans laquelle l'homme ne connoitroit guerre les délices de
l'amour vertueux . Ce chapitre finit par une observation qui
ne nous paroît pas indigne de Montesquieu , dont elle rappelle
la manière :
« En Europe , les femmes valent mieux que les moeurs ;
» dans l'Orient , c'est le contraire. »
Le chapitre suivant traite de l'amour et de l'amitié ; nous
choisissons les articles les plus courts :
« L'amant jure d'aimer toujours , et change bien vîte .
>> L'ami ne jure point , et aime toujours ; mais l'amant et
» l'ami sont la même personne . Ainsi , la vie se passe à
promettre sans tenir, et à tenir sans promettre. »
590
MERCURE DE FRANCE ,
« Il est assez facile de trouver une maîtresse , et bien aisé
» de conserver un ami : ce qui est difficile , c'est de trouver
» un ami et de conserver une maitresse . »
« L'amant passionné peut pardonner une infidélité , mais
» il ne s'en console point , parce qu'il sait qu'elle diminue
» nécessairement l'amour de sa maîtresse . »
« L'infidélité irrite l'amour , mais n'en guérit point. . . .
» Dirai-je ce qui le tue ? Ce sont des poisons lents , l'ennui
» et la satiété.“ »
« Les amans regardent comme des ingrats ceux qui ne
» répondent pas à leur tendresse ; cependant l'amour n'est
» pas un bienfait , mais l'amour- propre offensé est souve-
» rainement injuste . »
« Si quelque chose peut adoucir la douleur que nous
» cause la perte d'un ami , c'est la certitude qu'il étoit mal-
» heureux et sans espoir d'un meilleur sort . »
« Tâchons de nous persuader qu'il y a de l'égoïsme dans
nos regrets . »
La première partie de l'ouvrage est terminée par un assez
grand nombre de pensées détachées. Nous en citerons
quelques-unes :
« Ne pas vouloir les moyens de ce qu'on veut , est une
» bien commune inconséquence . »
« Il y a un moyen sûr , mais un peu cher , de faire
» prendre à un fripon toutes les apparences d'un honnête
» homme; c'est de lui donner cent mille livres de rente . »
« Plaisir de faire plaisir , jouissance délicieuse inconnue à
» l'égoïste , que vous dédommagez bien l'homme sensible de
» la part qu'il prend aux souffrances d'autrui ! »
« Si la fortune pouvoit récriminer , on seroit moins
» prompt à l'accuser . »
>>
« La modestie , ce doute aimable de son mérite , est dans
>> la nature aussi bien que l'amour- propre ; mais l'humilité
» n'est qu'une pénitence que la religion impose à l'orgueil . »
« Ce qui dégoûte les bons esprits des discussions métaphysiques
, c'est que , pour l'ordinaire , on commence
>> par ne pas s'entendre , et que l'on finit par se quereller .
Depuis quelques années , je suis devenu bien plus
J'entends : vos forces ont diminué . »
« Il y auroit de quoi faire bien des heureux avec tout le
»bonheur qui se perd dans le monde. »
«
»
sage .
« Lorsque les passions meurent , les goûts en héritent . »
Puisque nous sommes en butte à des maux inévitables ,
» la sagesse est la science des compensations . »
«<
La seconde partie de l'ouvrage de M. de L. , traite de la
SEPTEMBRE 1807 . 531
politique ; et d'abord nous observerous que , quelque jugement
que l'on porte sur ses opinions , on doit lui savoir gré
de son extrême clarté , qualité toujours précieuse , mais
dont quelques écrivains modernes qui visent à la profondeur
et ne rencontrent que l'obscurité , nous font encore
mieux sentir le prix.
Lorsque l'on joint à des intentions pures , de la justice et
de la modération , il est permis de traiter les sujets les plus
délicats. Voici comment s'exprime M. de L. , dans un
chapitre sur la noblesse et l'égalité :
« Dans un état bien ordonné , le peuple doit retirer plus
» d'avantages de la noblesse que les nobles eux-mêmes. »>
« Lorsque la noblesse n'est pas accessible au mérite , les
» distinctions qu'elle procure outragent la justice , et exci-
» tent l'indignation de toute ame indépendante et fière . »
« Combien de services rendus à l'Etat , pour un bout de
» ruban ou un vain titre , et combien peu d'actions glorieuses
» pour obtenir une place dans l'histoire ! C'est que le desir
» des distinctions est aussi commun que l'amour de la gloire
» est rare . »
« Les décorations extérieures et les titres ont ce grand
>> avantage pour la société , qu'en obligeant à la bienséance
» ceux qui en sont revêtus , ils diminuent le nombre des
» mauvais exemples .
>>
L'ouvrage est terminé par deux essais , l'un sur l'influence
des armes à feu , sur l'art militaire et la civilisation ,
rempli d'idées neuves et ingénieuses ; l'autre sur l'état
des femmes en Europe , qui n'est pas fini , et qui mérite de
l'être. D.
Réponse de l'auteur de la traduction de Lope de Vega , à
M. P. , au sujet de la traduction de DON QUICHOTTE de
Florian .
MONSIEUR P., quia rendu compte, dans le Mercure du 25
juillet dernier , de ma traduction de quelques poésies de
Lope de Vega , m'accuse , dans celui du 22 août , de sévérité
et même d'erreur dans le jugement que j'ai porté de la traduction
de Don Quichotte de Florian . J'ai dit qu'elle étoit
extrêmement inexacte , et souvent infidelle . J'ai cru dans
mon Avant-propos , où je traitois du génie de la langue et
de la littérature espagnole , devoir cette assertion à la vérité :
vérité malheureusement trop facile à prouver , et dont on
592
MERCURE
DE FRANCE
,
sera parfaitement convaincu lorsqu'on aura achevé de me
lire . J'aurois voulu n'avoir à jeter que des fleurs sur la tombe
d'un écrivain célèbre et justement estimé , tant pour la
pureté et la douceur de son style , que pour son caractère
moral et littéraire . Mais je dois au public , je me dois à moimême,
de soutenir et de prouver ce que j'ai avancé. Je le
répète , les preuves n'en seront que trop faciles . Je n'attaque
point Florian écrivain , mais Florian traducteur : il lui
restera à jamais le mérite d'une foule d'ouvrages originaux
et d'imitations heureuses ( 1 ) ; mais , malheureusement ,
Don Quichotte n'est pas de ces ouvrages qu'on peut imiter ;
il faut le traduire s'il est possible ; et Florian ne l'a point
traduit.
Pourquoi traduit-on ? Pour faire connoître un ouvrage
à ceux qui n'entendent pas la langue dans laquelle il est
écrit . Le premier mérite d'une traduction est donc la fidélité ;
car, si elle n'est pas fidelle , on pourra lire un ouvrage bien
pensé et bien écrit , mais on ne lira point l'ouvrage original . Je
pense qu'il faut aussi conserver l'esprit et la couleur du modèle ,
et ne pas faire comme Tourreil , à qui on reprochoit d'avoir
donné de l'esprit à Démosthènes. On lit les traductions des
auteurs grecs , latins , étrangers , non-seulement pour connoître
leurs beautés , et s'instruire en profitant de ce qu'ils
ont d'utile , mais encore pour sortir quelquefois de son siècle
et de son pays , remonter vers l'antiquité , ou voyager chez
les nations étrangères . Si , au lieu de rencontrer des étrangers
, on ne trouve que des Français , ce n'est pas la peine
de sortir de France. Il faut donc qu'un traducteur parle
autant qu'il est possible à ses lecteurs la langue de l'auteur
original : il faut que dans une traduction , Homère soit
aussi grec que le permet la différence des idiomes ; Virgile ,
latin ; Cervantes , espagnol. Je suis bien loin d'interdire les.
sacrifices que le goût exige , et les adoucissemens du texte
nécessaires pour ménager la délicatesse des lecteurs peu
accoutumés à l'esprit étranger ; mais je pense qu'il ne faut
se permettre que ceux qui sont absolument indispensables ;
qu'il faut être religieux observateur du costume antique ou
national , ne pas donner une perruque à la Louis XIV à
un empereur romain , ni un habit français à un auteur
espagnol du seizième siècle. Je crois , non-seulement qu'il
(1 ) La Galatée de Florian a été traduite en espagnol , comme un ouvrage
original ; preuve ou mérite de la composition , mais non de sa ressemblance
à celle de Cervantes. L'on pouvoit imiter la Galatée; Don Quichotte
ne peut être imité.
faut
SEPTEMBRE 1807 . 593
,
faut étudier l'esprit particulier de l'auteur que l'on traduit ,
mais encore l'esprit général de sa nation , ses moeurs , ses
usages , ses habitudes . Sous ce point de vue Cervantes est
un des auteurs qu'il est le plus difficile , je dirai presqu'impossible
de traduire ( 1 ) , sur-tout pour un Français . Personne
n'est plus national que lui , plus fortement teint du
caractère de son pays , de son ciel , de son climat , plus
empreint des habitudes , des usages de sa nation , plus popu
lairement énergique dans une langue où tout ce qui n'est pas
élevé tombe souvent dans le populaire , dans un pays où il
faut avoir vécu long-temps pour sentir tout ce que celte
popularité a de piquant , d'original et de plaisant. Le genre
d'esprit qui distinguoit Florian , n'étoit point en rapport avec
celui de son original ; il faut avoir quelqu'analogie avec ses
modèles pour les bien rendre : l'Albane auroit sûrement mal
copié un tableau de Michel -Ange ; et je ne sais comment
Florian s'est si fort adonné à des imitations et à des traductions
des Espagnols , dont le caractère étoit l'opposé de celui de
son esprit , et la couleur habituelle si peu d'accord avec celle
de son style . Non-seulement il n'a pas rendu Cervantes ,
non-seuleinent il ne l'a pas imité , parce que cela est impossible
, mais il s'est mépris sur le sens des phrases , et même
sur celui des mots pour lesquels le Dictionnaire seul auroit
suffi pour l'éclairer . Ses omissions , ses additions , ses altérations
de l'original sont de l'inexactitude ; ses contre - sens
sont de l'infidélité . Voici un exemple de l'une et de l'autre
dans la conversation de Don Diego de Miranda avec Don
Quichotte , chapitre seizième de la seconde partie , et dans
Florian , chapitre quatorzième de la même partie . Don
Quixote Rogò , etc.
En voici d'abord la traduction exacte et presque mot- àmot.
Je donnerai ensuite celle de Florian .
« Don Quichotte le pria de lui dire qui il étoit , puisque
» lui- même l'avoit mis au fait de son caractère et de sa vie ;
» à quoi le cavalier au manteau vert répondit : Seigneur
» chevalier de la Triste-Figure , je suis un gentilhomme natif
» d'un village où nous irons dîner aujourd'hui , s'il plaît à
» Dieu . Je suis plus que médiocrement riche , et mon nom
» est Don Diego de Miranda . Je passe ma vie avec ma
» femme , mes enfans et mes amis ; mes divertissemens
(1 ) Don Juan Antonio Pellicer , bibliothécaire du roi et de l'Académie
d'histoire de Madrid , qui a donné il y a six ou sept ans une précieuse
édition de Don Quichotte , accompagnée de notes curieuses et savantes ,
dit en le comparant à Hudibras , qui est lui-même une mitation de Don
Quickoite , que l'un et l'autr : sont intraduisibles.
P p
594
MERCURE DE FRANCE ,
»
» sont la chasse et la pêche , je n'entretiens pourtant ni
>> faucons ni levriers , mais quelques perdrix apprivoisées
» pour servir d'appeaux , et quelques furets hardis . J'ai en-
>> viron six douzaines de livres ; les uns en langue vulgaire ,
» et les autres en latin ; quelques-uns d'histoire , et d'autres
» de dévotion . Ceux de chevalerie n'ont pas encore passé
» le seuil de ma porte ; je feuillette plus volontiers les livres
» profanes que les ouvrages dévots , lorsqu'ils sont d'une
» composition honnête et agréable , qu'ils plaisent par le
langage , étonnent et charment par l'invention ; et de tels
» livres , il y en a bien peu en Espagne . Je mange quelque-
>> fois chez mes voisins et amis , et plus souvent je les invite
» chez moi ; ma table est propre , bien servie et abondante ;
je n'aime point à médire, et ne permets pas qu'on médise
» devant moi ; je ne recherche point la vie des autres , je
» ne suis point un lynx pour les actions d'autrui ; j'entends
>> la messe chaque jour ; je fais part de mon bien aux pauvres ,
» sans faire parades de bonnes oeuvres , pour ne pas donner
» entrée dans mon coeur à l'hypocrisie et à la vanité , en-
> nemis qui s'emparent doucement du coeur le plus en
garde contr'eux ; je tâche de remettre en paix ceux qui
» sont brouillés , je suis dévot à la Vierge , et j'ai toujours
>> confiance en la miséricorde infinie de Dieu . »
»
»
Voici la traduction de Florian ; c'est Don Quichotte qu'il
fait d'abord parler à la première personne :
<< Laissons cette discussion , et permettez-moi de vous
» demander à mon tour quel genre de vie votre goût vous
>> a fait choisir ? »
«
«< Seigneur , répondit l'étranger , je dois ces détails à
» votre politesse ; je suis gentilhomme , j'habite un village
» où nous irons dîner aujourd'hui , si vous voulez bien me
faire cet honneur. Mon nom est Don Diegue de Miranda;
» ma mediocre fortune est plus que suffisante pour mes
» desirs . Je passe ma paisible vie avec ma femme , mes en-
» fans et quelques amis . La chasse et la pêche sont les
» amusemens qui remplissent mes loisirs. Je n'ai ni meute
» ni équipage , les grands apprêts ne conviennent point à
» mes simples amusemens . Un héron , une perdrix privée ,
» sont tout ce qu'il me faut et tout ce que je veux . J'ai quel-
» ques livres , les uns latins , les autres espagnols ; j'enfais
» comme de mes amis , j'ai soin qu'ils soient en petit
» nombre. L'histoire m'instruit et m'amuse , j'éleve mon
» ame avec les ouvrages de piété ; mais je lis davantage les
>> auteurs profanes , lorsqu'ils réunissent une morale pure
au charme de l'imagination et à l'harmonie du style . Je
DE IA
SL
»
SEPTEMBRE 1807.
amai
vais quelque fois dîner chez mes voisin , je les invit chez
moi plus souvent. Dans ces repas toujours abondans, naj
» recherchés , je tâche d'égayer mes convives , sa ne5
» permettre, et sans souffrir qu'on y médise de personne en
» ne m'informe point des actions d'autrui , je me borne a
» veiller sur les miennes ; mes yeux et má sévérité ne
» s'étendent point au- delà de mon étroit horizon. Attentif
» autant queje le peux à remplir les préceptes de ma religion
sainte , je n'oublie pas surtout de partager mon
>> bien avec les pauvres . Quand j'ai le bonheur de pouvoir .
» donner , je fais en sorte que ce soit un secret entre mon
» coeur et celui qui le reçoit je sais trop que la vanité
» éteint le mérite d'une bonne action , et je me dis que
puisque cette bonne action est un plaisir , ce n'est pas la
» peine de s'en vanter. Je tâche de remettre la paix entre
» mes voisins brouillés , de réunir les familles divisées , de
» leur prouver que le bonheur dans ce monde n'est autre
» chose que la volonté de s'aider mutuellement. C'est ainsi
» que je coule mes jours , en attendant avec tranquillité le
» moment où je rendrai compte au souverain Créateur ,
» dontj'espère que la miséricorde surpassera la justice. »
»
;
Don Diègue est ici un seigneur de château français
fort poli , qui raisonne et parle à merveille ; mais ce n'est
point le franc et simple Caballero de Aldea , le gentilhomme
de village de Castille ou de la Manche , dont Cer
vantes avoit le modèle sous les yeux lorsqu'il traça le portrait
de Diego de Miranda . On voit que si Florian a abrégé
plusieurs passages de don Quichotte , il a terriblement
alongé ce discours , dont la simplicité et le laconisme font
le mérite dans l'original. Don Diego de Cervantes n'a
point la politesse française ; il ne dit point , si vous voulez
me faire cet honneur ; il dit , je suis natif d'un village où
nous irons dîner , s'il plaît à Dieu , si Diosfuere servido.
Il dit , qu'il est plus que médiocrement riche , soy mas
que medianamente rico ; Florian lui fait dire tout le contraire
ma médiocre fortune est plus que suffisante pour
mes desirs. Je pense que cela peut s'appeler un contresens
, et que l'infidélité est déjà ici bien constatée . Don
Diego ne dit pas qu'il passe sa paisible vie ; il la raconte,
et laisse à juger au lecteur si elle est paisible ou non .
Il n'a point de héron ; car les hérons sont fort inutiles
tant pour la chasse que pour la pêche. Il a un furet ( huron,
en espagnol , signifie furet ) ; et je ne sais comment l'épithète
d'atrevido , hardi , que Cervantes donne à cet animal ,
n'a pas fait comprendre à Florian que ce n'étoit pas
"
Pp 2
596
MERCURE DE FRANCE,
un héron ; car jamais épithète ne convint moins à cet
oiseau aquatique ; mais il a copié l'erreur de l'ancienne
traduction , comme nous le verrons bientôt lorsque je la
rapporterai. Je pense que cette métamorphose d'un furet
en héron est un second contre- sens bien décidé ; et en voilà
déjà deux en peu de lignes . Tout le reste sont des phrases
morales très-bien écrites , sauf peut-être la réflexion qu'il
seroit possible de faire sur celle -ci : Sans me permettre et
sans souffrir qu'on y médise de personne. Sans me permettre
qu'on y médise me paroît peu digne du style constamment
pur de Florian ; mais ce n'est pas ce dont il s'agit :
il s'agit , après avoir relevé deux contre-sens marquans
de continuer à faire voir que , dans cette traduction , les
Français ne sortent jamais de leurs pays ; les traits du
caractère espagnol y sont entièrement effacés . Don Diego ,
dans Cervantes , ne dit point : Attentifautant queje le peux
à remplir les préceptes de ma religion sainte il dit :
J'entends la messe chaque jour : trait caractéristique de
l'Espagnol. Il ne dit pas non plus : J'élève mon ame avec
les ouvrages de piété ; il dit qu'il a des livres de dévotion ,
et avoue franchement qu'il leur préfère les ouvrages profanes
lorsqu'ils sont bien écrits . Il ne fait point de phrases
sur la bienfaisance ; il dit comment il la pratique : il
n'attend point avec tranquillité le moment, etc.; il dit ,
qu'il espère en la miséricorde de Dieu. Comme on ne le
verra que trop , Florian s'est mépris ici sur le caractère ,
sur le ton , sur la couleur du personnage , et enfin sur le
sens de l'original . Je crois que la seule lecture de ce morceau
le prouvera. Je pourrois en citer bien d'autres ; mais
cette discussion n'est déjà que trop longue , et j'espère qu'on
m'en fera grace . Il me reste à rapporter le passage dans
Pancienne traduction ; et le voici :
« Cependant don Quichotte changeant de discours , pria
» le cavalier de lui dire sa profession et sa vie. Pour moi,
seigneur chevalier de la Triste-figure , répondit - il , je
» m'appelle don Diego de Miranda , et suis gentilhomme,
» né dans un village ici près , où nous irons , Dieu aidant,
» souper ce soir. J'ai , Dieu merci , du bien raisonna-
» blement , et je passe doucement ma vie avec ma femme
» et mes enfans. Mes exercices ordinaires sont la chasse
» et la pêche , non pas que j'entretienne pour cela ni chiens
>> ni oiseaux, mais seulement quelque perdrix privée qui sert.
d'appeau pour la tonnelle , et un héron avec des filets.
» J'ai quantité de livres , les uns latins , les autres espagnols
; il y en a qui traitent de l'histoire , les autres
»
SEPTEMBRE 1807. 597
»
» sont de dévotion ; car pour des livres de chevalerie , je
» n'en souffre pas chez moi . Je prends beaucoup de plaisir
» à lire ou l'histoire , ou des nouvelles , pourvu qu'il y
» ait quelque chose d'agréable dans l'invention et le style ;
» mais , à mon sens , il se trouve peu de pareils livres
» en Espagne. Mes voisins et moi vivons en bonne intelligence
, et nous mangeons souvent les uns chez les
>> autres ; nos repas sont sans façon , assez délicats , mais sans
superfluité ; et nous en avons banni toute sorte d'excès ,
» haïssant naturellement la débauche . Je me suis fait une
> loi de vivre en homme de bien et d'assister les pauvres ,
.au lieu d'employer mon revenu en choses superflues ; et
je ne néglige rien pour entretenir la paix parmi mes
» voisins et dans ma maison, prévenant, autant que je puis ,
» tous les désordres qui peuvent arriver. »
»
»
Cette traduction mal écrite , moins fidelle que celle de
Florian, n'a pas entièrement dénaturé soy masque medianamente
rico ; elle exprime l'aversion de don Diégo , pour
les livres de chevalerie , que Florian aa ppaasssséé,, jjee ne sais pourquoi
, sous silence , quoique cette circonstance soit essentielle
pour don Quichotte : une infinité de passages y sont entièrement
méconnoissables . Cependant à travers ses nombreuses
omissions et ses infidélités , elle conserve quelque chose de la
bonhommie du gentilhomme Manchego . Il s'ensuit de l'une
et de l'autre que don Quichotte n'a pas élé encore traduit
en français . Monsieur P. doit le sentir mieux que personne,
lui qui a traduit avec infiniment de fidélité , d'élégance et de
grace le discours de Marcelle , si abrégé par Florian. La
traduction de monsieur P. m'a fait un extrême plaisir, j'aime
à le lui dire , pour lui prouver
combien
peu de rancune
je conserve de la sévérité avec laquelle il m'a traité en rendant
compte de ma traduction de Lope de Vega .
D'AGUILAR .
3
582 MERCURE DE FRANCE ,
enfin jusqu'à nous . On les traduisit , on les imita ; et parmi les
imitations se fit principalement remarquer celle de l'Epître
de Pope , par Colardeau . C'étoit le début de ce poète aimable
et distingué , et c'est son chef-d'oeuvre. En traduisant Pope ,
il devoit craindre de rester au -dessous de lui ; et s'il lui est
inférieur dans quelques morceaux de force , il lui est au
moins égal en sensibilité , et supérieur en graces et en
abandon. Le bruit que fit l'Epître de Colardeau , lorsqu'elle
-parut , ne tint donc pas seulement à la nouveauté du genre ,
au sujet , au nom de l'héroïne que le poète faisoit parler ,
elle devoit réussir par le talent qui y brille , talent qui s'annonçoit
avec un éclat extraordinaire , par l'art et la vérité
avec lesquels sont peints tous les tourmens d'un coeur sensible
et passionné , par le bon goût qui règne en général
dans le choix des pensées , des images et des expressions.
Après un pareil début , on devoit beaucoup attendre de
Colardeau . Il crut ne pouvoir mieux justifier les hautes
espérances qu'on avoit conçues de lui , qu'en publiant un
nouvel ouvrage dans le genre de celui qui l'avoit fait connoître
si avantageusement. Pope avoit été son guide dans
PEpître d'Héloïse à Abailard ; il l'avoit suivi pas à pas ; il
voulut marcher à- peu - près seul , en composant l'Epître
d'Armide à Renaud , et rivaliser même avec Quinault et
le Tasse. Mais il s'égara. Autant son premier ouvrage est
animé , brûlant , autant le second est languissant et froid.
Le style de l'un est harmonieux , élégant , poétique ; celui
du second est souvent foible , prosaique et lâche ; enfin , ce
ne sont plus les mêmes couleurs , les mêmes pinceaux ni le
même peintre.
Si l'Epitre d'Armide à Renaud eût précédé celle d'Héloïse
à Abailard , il est probable que le genre de l'Héroïde eût
trouvé fort peu de partisans ; mais on avoit lu , on relisoit
sans cesse l'imitation de Pope , et une vive émulation s'étoit
élevée entre la plupart des poètes alors vivans , pour obtenir
un succès pareil à celui de Colardeau . Dorat qui ne doutoit
de rien , et essayoit tout , fut le premier à se présenter dans
la lice ouverte par son ami ; et , pour être plus sûr d'attirer
sur lui les regards , fit une réponse d'Abailard à Héloïse .
Cette réponse , très -inférieure à la lettre d'Héloïse , n'est
pourtant pas ce que Dorat a fait de plus mauvais : on y
trouve quelques vers bien tournés ; mais elle pèche
essentiellement par le fond. Ce n'est qu'une lamentation
éternelle d'Abailard sur l'état affreux où l'ont réduit
les bourreaux que l'oncle d'Héloïse avoit armés contre lui ,
les tourmens , le désespoir , la rage qu'il en éprouve , y reSEPTEMBRE
1807: 583
viennent presque à chaque instant ; et il y a au moins de
la maladresse à fixer si souvent l'imagination du lecteur sur
une pareille idée , sur une pareille image. La pièce d'ailleurs
n'est pas exempte des autres défauts que l'on trouve dans les
productions poétiques de Dorat ; il y a de l'incohérence , du
vague et de la déraison . Soyons justes pourtant : Dɔrat,
dans la lettre du comte de Comminges à sa mère , et dans
celle de Barnevelt à Trumant , a une manière différente
de sa manière habituelle ; il met de l'ordre dans ses idées , et ,
ce qui n'est pas moins étonnant , son style en général est
naturel .
qui
Je pourrois après Dorat , ou concurremment avec lui ,
citer La Harpe , qui débuta par quelques Héroïdes ; Barthe
qui en fit une assez remarquable sous le titre de Lettre de
l'abbé de Rancé à un ami ; et d'autres poètes encore ,
s'exercèrent plus ou moins heureusement dans un genre qui
étoit devenu à la mode ; mais il me suffit , je crois , de dire
que Colardeau ne fut effacé , ni même balancé par aucun de
ses rivaux , et que malgré les efforts que l'on fit pour conserver
à ce genre , mauvais en lui -même , la faveur extraor
dinaire dont il avoit joui à son apparition , il ne tarda pas à
être abandonné.
En effet , de longues années s'écoulèrent sans qu'il parût
une seule Héroïde . Il étoit réservé à M. Laya de rappeler
l'attention sur cette sorte de composition . Sa Lettre de la
Présidente de Tourvel à Valmont , publiée il y a cinq ou
six ans , eut du succès , et elle le méritoit . Elle attache par
le fond et par les détails . Le style en est ferme et nourri de
pensées , et l'intérêty est gradué avec art . Pourquoi M. Laya ,
après l'accueil qu'avoit reçu cette production , a- t- il gardé
un long silence ? On se l'est demandé ; et si l'on en cherchoit
la raison , peut - être la trouveroit-on dans la répugnance
que peut éprouver un homme de mérite à ne publier des
ouvrages que pour être l'objet du dénigrement injuste
dans lequel se complaisent certains critiques de nos jours.
Quoi qu'il en soit , la verve de M. Laya s'est réveillée ,
et il vient de nous donner une nouvelle Héroïde . Mais
sa pièce devoit - elle porter ce titre ? Dans l'Héroïde , ce
sont , comme le mot l'indique , des héros qui sont censés
écrire ; ce sont du moins des personnages dont le
nom seul excite déjà l'intérêt par les souvenirs touchans
qui s'y rattachent. Or , M. Laya pouvoit bien qualifier
d'Héroide la lettre de la Présidente de Tourvel à Valmont ,
parce que le roman où figure cette femme , malheureuse
victime d'un séducteur, est très-connu , et que dès-lors elle est
4
584 MERCURE
DE FRANCE
,
devenue un personnage en quelque sorte célèbre . Mais quels
sont les héros ou les personnages célèbres qui paroissent dans
sa nouvelle Héroi ie ? Eusèbe et Thérèse . Ils ne sont point
cɔnnus. On n'a jamais entendu parler de leurs malheurs :
leur nom même n'éveille aucune idée élevée . M. Laya
ne devoit donc pas intituler sa pièce Eusebe , Héroïde ; mais
se contenter de lui donner ce titre plus simple et plus convenable
Lettre d'Eusebe à son ami. Cofardeau , sur ce
point , lui avoit donné la leçon et l'exemple.
J'abandonne au jugement de M. Laya cette observation ,
qui lui a déjà été faite , et je passe au fond de son ouvrage .
Il y a de l'intérêt ; et si ce n'est qu'une fiction , elle est touchante
et heureusement imaginée . Eusèbe , à vingt ans , est
resté sans famille , sans fortune , sans autre ressource que
des dons naturels , cultivés par une bonne éducation et de
grandes dispositions pour l'éloquence . Il veut tenter la
fortune dans les colonies , s'embarque , arrive , obtient des
succès , rencontre une jeune personne charmante et l'épouse .
Quelque temps après , le souvenir de sa patrie , qui est aussi
celle de sa femme , se réveille dans leurs ames . Ils partent ,
emportant avec eux tout ce qu'ils possèdent ; mais une
horrible tempête les surprend dans la traversée : ils font
naufrage , et leur vaisseau brisé s'abyme à la vue des côtes .
Eusèbe est jeté seul sur le rivage ; et dans son désespoir , it
est trop heureux de trouver un asile chez des religieux
hospitaliers . Comme il a tout perdu , il veut s'ensevelir dans
leur maison ; il prend donc l'habit de novice , et prononce ses
voeux. Un jour , qu'exerçant son talent oratoire , il prêche
devant une nombreuse assemblée de fidèles , leur fait le
récit de ses malheurs , leur avoue que l'amour tourmente
et s'en accuse , un cri lamentable se fait
entendre . Il reconnoît la voix de sa femme..... Un moment
les rapproche ; mais la religion qui les avoit unis élève désormais
entr'eux une insurmontable barrière ; et tout en déplorant
leur sort , ils se disent un éternel adieu .
encore son coeur ,
Ce court exposé justifie , ce me semble , ce que j'ai dit
du fond de l'ouvrage de M. Laya. Quant au style , il est
ferme , et ne manque ni de chaleur, ni de mouvement. Il y
a bien quelques taches , parce qu'il est difficile de faire un
ouvrage parfait ; mais elles sont en petit nombre , et rachetées
par des morceaux où se déploie un vrai talent . Je n'en
chercherai pas dans ces huit vers , où le poète parle des religieux
qui l'ont recueilli après son naufrage :
D'un tendre égarement victime intéressante ,
L'un ofiroit à son Dieu sa plaie encor récente ;
SEPTEMBRE 1807 / 585
L'autre , sur son vieux front , où revit le passé ,
Laissoit lire un regret qui s'est mal effacé .
D'un long tourment d'amour ce front portoit l'empreinte ;
La trace reste encor , si la flamme est éteinte.
Je voyois dans ces traits que l'amour a minés ,
L'image de ces rocs par les feux calcinés .
Ces vers n'ont rien de repréhensible . Cependant , un de
ces critiques bienveillans dont j'ai parlé , s'amusant à les
citer par distiques , s'écrie : Il est CLAIR que c'est un Chartreux
amoureux ; voyons le SECOND ...
c'est encore un
:
Chartreux amoureux , si je ne me trompe ; voyons le TROISIÈME
.... encore un Chartreux amoureux ; enfin , M. Laya
les peint tous in globo. Il est CLAIR que le critique a lu
sans attention , ou qu'il n'est pas de très - bonne foi . Il n'est
question dans cette tirade que de deux Chartreux. Le poète
consacre deux vers à l'un , et six vers à l'autre cela saute
aux yeux ; mais on veut être plaisant , et on l'est per fas et
ne fas. Moi , qui ne crois pas que , même en littérature , on
puisse être plaisant aux dépens de la vérité , je ne prêterai
point à M. Laya , pour égayer le lecteur , des torts qu'il
n'a pas ; mais je me permettrai de lui dire , avec tous les
égards que l'on doit à un homme de talent , qu'il y a dans
sa pièce quelques inversions forcées , telles que celles -ci :
Solitude bruyante , aux doux loisirs contraire ;
De nos plus chers tourmens , où tout vient nous distraire....
Souvent est près de nous le bien qu'on croit perdu , etc.
Cette dernière inversion pèche même contre la règle générale
, qui veut qu'un vers renfermant une maxime , n'offre
qu'un tour simple et facile ; témoins les vers suivans :
Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire .
Chassez le naturel , il revient au galop .
Il n'est de pire Etat que l'Etat populaire , etc.
J'engage encore M. Laya , lorsqu'il réimprimera son
à faire disparoître quelques - uns de ces vers qui
ne présentent que la même image :
Mes pleurs avoient baigné la tombe de ma mère ……….
Oh ! que puissent mes pleurs
Bientôt mouiller ton sol ....
Ces prêtres , exercés aux secrets des douleurs ,
Ont bientôt dans mes yeux lu celui de mes pleurs .
Et, pour tarir mes pleurs , près de mon lit pleurer.
L'impartialité me faisoit un devoir d'adresser quelques
reproches à M. Laya ; elle m'en fait un plus doux mainte
586 MERCURE DE FRANCE ,
nant , celui de citer l'un des morceaux qui prouvent en
faveur de son talent . Je prends celui où Eusèbe raconte son
naufrage :
Sous nos pieds la mer tonne , et le ciel sur nos têtes .
Mon vaisseau , frèle abri qu'assiégent les tempêtes ,
Par la vague tantôt vers la côte lancé ,
En pleine mer , tantôt , par elle repoussé ,
Jouet de son caprice , ici fuit dans l'abyme ;
Là , sur elle incliné , monte et pend à sa cime.
De ténèbres , de feux , d'ondes environnés ,
Par la terre et la mer et le ciel condamnés ,
Pour nous , plus de refuge en cet abyme immense ,
Où l'antique chaos sous nos pieds recommence .
C'en est fait ! ... Recevez , terre de nos neveux ,
Pour vos races et vous l'hommage de nos voeux.
Reçois , sol paternel , les ames fugitives
De tes fils sans tombeaux expirant sur tes rives .
En ce commun désastre , en ces momens affreux ,
Du moins je goûte encor le bonheur douloureux
De mourir embrassé de celle que j'adore.....
Qu'ai-je dit ?... Ce bonheur.... Non , il m'échappe encore !
Le foudre souterrain , s'élançant de nouveau ,.
Rugit, éclate , entraîne et brise mon vaisseau ,
Dont les mille débris , que chasse au loin sa rage ,
Avec un long fracas sont vomis sur la plage.
Sous la garde du Dieu qui protège mes jours ,
Poussé par ces débris j'en ai suivi le cours ,
Mais seul ! Les flots jaloux m'ont ravi ce que j'aime .
Déplorable moitié de cet autre moi- même ,
Sur le sable jeté , tout meurtri , tout sanglant ,
Epargné par la mort , ma's bientôt l'appelant ,
Quand le jour de mes sens me rend enfin l'usage ,
Et ne me laisse plus douter de mon venvage !
Quel ter iole moment ! ... quels pensers !... quel effroi ! ...
Devant-moi l'Océan ! des débris rès de moi , 1
Et des corps mutilés qui gissent sur l'arêne ! ...
Sur ce champ de la mort en rampant je me traîne ,
Observant , d'un regard sinistre et douloureux ,
Jusqu'en leurs moindres traits ces cadavres affreux ;
La cherchant , m'écriant , caignant de reconnoître
Ses restes adorés .... Le souhaitant peut -être....
Je m'arrête à regret ; j'aurois pu transcrire encore , et le
lecteur , sans doute , m'en auroit su gré . Quel que soit cependant
le talent que M. Lava a montré dans cette seconde
Héroïde , j'oserai lui conseiller d'abandonner un genre qui ,
je le répète , est mauvais en lui -même , et de se livrer plutôt
à celui dans lequel son Epitre à un Jeune Cultivateur lui
promet des succès non moins certains et plus durables . Une
Héroïde n'est qu'une sorte d'amplification de collége , un
long monologue où le poète semble réduit à n'employer
que trois figures , l'apostrophe , l'exclamation et la dubitaSEPTEMBRE
1807 . 587
tion . Un de nos poètes vivans , auteur de plusieurs Héroïdes
qui ont contribué à lui faire un nom dans la république des
lettres , avoit adressé à Voltaire celle de Gabrielle d'Estrées ;
il reçut cette réponse , dans laquelle deux vers contiennent
un reproche que l'on peut faire à toutes les Héroïdes :
Mon amour propre et vivement flatté
De votre écrit ; mon goût l'est davantage.
On n'a jaina s par un plus doux langage ,
Avec plus d'art blessé la vérité.
Pour Gabrielle , en son apoplexie ,
Aucuns diront qu'elle parle long- temps.
Mais ses discours sont si vrais , si touchans ,
Elle aime tant , qu'on la croiroit guérie .
Tout lecteur sage avec plaisir verra
Qu'en expirant , l'aimable Gabrielle
Ne pense point que Dieu la damnera
Pour aimer trop un amant digne d'elle .
Avoir du goût pour le Roi Très- Chrétien
C'est oeuvre pie : on n'y peut rien reprendre .
Le Paradis est fait pour un coeur tendre ,
Et les damnés sont ceux qui n'aiment rien.
V....
Maximes et Réflexions sur différens sujets de morale et de
politique , suivies de quelques Essais ; par M. de L. Un
vol . in- 12. Prix : 3 fr . , et 4 fr . par la poste. A Paris ,
chez Xhrouet, lib. , rue des Moineaux ; et chez le Normant.
M. DE L. a pris pour épigraphe le passage suivant des
Considérations sur les Moeurs : « Il seroit à souhaiter que
» ceux qui ont été à portée de connoître les hommes , fissent
» part de leurs observations ; elles seroient aussi utiles à la
» science des moeurs , que les journaux des navigateurs l'ont
» été à la navigation . » Il a prouvé par son exemple la justesse
de l'observation de Duclos . En effet on reconnoît , en
lisant son livre , qu'il doit autant à l'expérience qu'à la méditation
; qu'il n'a écrit qu'après avoir beaucoup vu , et jugé
qu'après avoir comparé. L'impartialité et la modération ,
qui ont toujours fait la base du caractère de M. de L. , n'ont
été nullement altérées par les événemens de la révolution ,
dont il a été la victime comme tant d'autres ; mais nul n'a
mieux profité de cette maxime salutaire que l'on trouve dans
son ouvrage : « Le temps le plus mal employé est celui que
» l'on donne aux regrets , à moins qu'on n'en tire des leçons
» pour l'avenir . » Ce n'est qu'à la manière dont il peint les
cours , que l'on peut s'apercevoir qu'il occupoit un rang
très-distingué dans la société .
588 MERCURE DE FRANCE ,
Après tant de livres de morale , il sembloit téméraire
d'écrire sur un sujet si rebattu ; mais M. de L. a démontré
qu'il y avoit encore des vérités neuves et utiles , et qu'une
expression piquante pouvoit donner aux pensées déjà connues
le charine de la nouveauté.
L'ouvrage commence par des maximes ; en voici quelquesunes
:
<< Conduisez - vous avec la fortune comme avec les mau-
» vaises paies : ne dédaignez pas les plus foibles à-comptes. »
« La plupart des peines n'arrivent si vite que parce que
>> nous faisons la moitié du chemin . »>
'"
Lorsque la résistance est inutile , la sagesse se soumet ,
» la folie s'agite , la foiblesse se plaint , la bassesse flatte , la
» fierté supporte et se tait . »
« Les événemens prévus par les bons esprits ne manquent
guère d'arriver ; mais la fortune se réserve deux secrets ,
» l'époque et les moyens. »
D
« La vérité n'est si difficile à connoître , que parce qu'il y
» a encore plus de trompés que de trompeurs . »
« S'il est plus satisfaisant pour l'amour-propre de con-
» vaincre , il est plus sûr pour l'intérêt de persuader . »
<< Puisque les hommes sont injustes , et que malheureu-
» sement ils sont partout divisés en deux classes , les puis-
» sans et les foibles , tâchons , par tous les moyens que per-
» met la vertu , de nous placer dans la première , non pour
» être oppresseurs , mais de peur d'être opprimés. >>>
« Le temps est comme l'argent ; n'en perdez pas , vous
en aurez assez . >>
« L'ennui est une maladie dont le travail est le remède ; le
plaisir n'est qu'un palliatif. »
« On se lasse de tout , excepté du travail . »
« L'humeur porte sa peine. »
« Le génie crée , l'esprit arrange . »
« La bassesse_trouve le moyen de dégrader ce que les
>> hommes ont de plus noble à donner et de plus doux à
recevoir , les louanges méritées » >
« L'envie décèle la médiocrité , les grands caractères ne
» connoissent que les rivalités . »>
« Les foiblesses des hommes supérieurs satisfont l'envie
>> et consolent la médiocrité . »
22
« Les succès couvrent les fautes ; les revers les rappellent.
« La vertu est le triomphe de la générosité sur l'intérêt . »
« La grande difficulté dans l'éducation , consiste à tenir les
enfans dans la soumission , sans dégrader leur caractère . »
« Le moyen de passer doucement la vie , est de préférer
SEPTEMBRE 1807 . 589
» les plaisirs qui viennent de l'habitude à ceux que donne
» le changement. »>
« Il ne faut pas trop regarder à travers les bonnes
>> actions . >>
་«
Puisque l'âge diminue les agrémens en nous laissant
» nos défauts , et que la considération est la seule indemnité
» de la vieillesse , tâchons de devenir plus respectables à me-
» sure que nous devenons moins aimables . »
Dans un chapitre sur l'amour- propre , sujet qui paroissoit
épuisé par M. de la Rochefoucault , on trouve les réflexions
suivantes :
«< Lorsqu'enfin les hommes sont forcés de convenir de
» leurs erreurs , ils ne se dispensent guère de faire un compliment
de condoléance à leur amour-propre . J'ai eu lort ,
» mais j'ai raison à présent . Remarquez que la raison est
» toujours au présent , et le tort au passé. »
»
« Si la flatterie a des succès à la cour , la dignité a sa politique
; mais il n'est pas donné à tout le monde d'user de
» ce moyen . »
>>
«<
pas
Quand par hasard la flatterie ne réussit pas ,
sa faute ; c'est celle du flatteur . »>
« Vous croyez que vous êtes modeste .....
» savois pas si orgueilleux . »
»
«<
ce n'est
Je ne vous
L'orgueil de la naissance seroit le plus sot et le plus
insupportable de tous , sans l'orgueil des parvenus , qui
>> semblent toujours pressés de regagner le teinps perdu . »>
«< C'est par amour-propre que l'on aime tant les gens
» modestes . »
M. de L. a aussi écrit sur les femmes : ses opinions sur
elles nous paroissent en général trop sévères . Cependant il a
fait un beau portrait de la mère de famille ; mais on a droit
de s'étonner qu'il ne dise rien de l'épouse tendre et vertueuse
, de celle qui double les charmes de la paternité , et
sans laquelle l'homme ne connoîtroit guerre les délices de
l'amour vertueux . Ce chapitre finit par une observation qui
ne nous paroît pas indigne de Montesquieu , dont elle rappelle
la manière :
que les moeurs ; « En Europe , les femmes valent mieux
>> dans l'Orient , c'est le contraire. »
Le chapitre suivant traite de l'amour et de l'amitié ; nous
choisissons les articles les plus courts :
« L'amant jure d'aimer toujours , et change bien vîte .
» L'ami ne jure point , et aime toujours ; mais l'amant et
» l'ami sont la même personne . Ainsi , la vie se passe à
promettre sans tenir, et à tenir sans promettre. »
590
MERCURE DE FRANCE ,
<< Il est assez facile de trouver une maîtresse , et bien aisé
» de conserver un ami : ce qui est difficile , c'est de trouver
» un ami et de conserver une maîtresse . »
"
« L'amant passionné peut pardonner une infidélité , mais
> il ne s'en console point , parce qu'il sait qu'elle diminue
» nécessairement l'amour de sa maîtresse . »>
« L'infidélité irrite l'amour , mais n'en guérit point...
» Dirai-je ce qui le tue ? Ce sont des poisons lents , l'ennui
» et la satiété . »
« Les amans regardent comme des ingrats ceux qui ne
» répondent pas à leur tendresse ; cependant l'amour n'est
>> pas un bienfait , mais l'amour- propre offensé est souverainement
injuste . »>
«<
Si quelque chose peut adoucir la douleur que nous
» cause la perte d'un ami , c'est la certitude qu'il étoit mal-
» heureux et sans espoir d'un meilleur sort . »>
« Tâchons de nous persuader qu'il y a de l'égoïsme dans
»> nos regrets . »
La première partie de l'ouvrage est terminée par un assez
grand nombre de pensées détachées. Nous en citerons
quelques-unes :
« Ne pas
vouloir
les moyens
de ce qu'on
veut , est une
» bien commune
inconséquence
. »
« Il y a un moyen sûr , mais un peu cher , de faire
» prendre à un fripon toutes les apparences d'un honnête
» homme ; c'est de lui donner cent mille livres de rente . >>
« Plaisir de faire plaisir , jouissance délicieuse inconnue à
l'égoïste , que vous dédommagez bien l'homme sensible de
» la part qu'il prend aux souffrances d'autrui ! »
« Si la fortune pouvoit récriminer , on seroit moins
» prompt à l'accuser. »
>>
»
« La modestie , ce doute aimable de son mérite , est dans
» la nature aussi bien que l'amour- propre ; mais l'humilité
» n'est qu'une pénitence que la religion impose à l'orgueil .
« Ce qui dégoûte les bons esprits des discussions métaphysiques
, c'est que , pour l'ordinaire , on commence
» par ne pas s'entendre , et que l'on finit par se quereller . »
Depuis quelques années , je suis devenu bien plus
J'entends : vos forces ont diminué . »
« Il y auroit de quoi faire bien des heureux avec tout le
»bonheur qui se perd dans le monde . »
«<
» sage.
-
« Lorsque les passions meurent , les goûts en héritent. »
Puisque nous sommes en butte à des maux inévitables ,
>> la sagesse est la science des compensations . >>
«<<
La seconde partie de l'ouvrage de M. de L. , traite de la
SEPTEMBRE 1807 . 531
politique ; et d'abord nous observerons que , quelque jugement
que l'on porte sur ses opinions , on doit lui savoir gré
de son extrême clarté , qualité toujours précieuse , mais
dont quelques écrivains modernes qui visent à la profondeur
et ne rencontrent que l'obscurité , nous font encore
mieux sentir le prix.
Lorsque l'on joint à des intentions pures , de la justice et
de la modération , il est permis de traiter les sujets les plus
délicats. Voici comment s'exprime M. de L. , dans un
chapitre sur la noblesse et l'égalité :
« Dans un état bien ordonné , le peuple doit retirer plus
» d'avantages de la noblesse que les nobles eux-mêmes . »
« Lorsque la noblesse n'est pas accessible au mérite , les
» distinctions qu'elle procure outragent la justice , et exci-
» tent l'indignation de toute ame indépendante et fière . »
« Combien de services rendus à l'Etat , pour un bout de
» ruban ou un vain titre , et combien peu d'actions glorieuses
» pour obtenir une place dans l'histoire ! C'est que le desir
» des distinctions est aussi commun que l'amour de la gloire
» est rare . »
« Les décorations extérieures et les titres ont ce grand
>> avantage pour la société , qu'en obligeant à la bienséance
» ceux qui en sont revêtus , ils diminuent le nombre des
» mauvais exemples.
»
L'ouvrage est terminé par deux essais , l'un sur l'influence
des armes à feu , sur l'art militaire et la civilisation ,
rempli d'idées neuves et ingénieuses ; l'autre , sur l'état
des femmes en Europe , qui n'est pas fini , et qui mérite de
l'être . D.
1
Réponse de l'auteur de la traduction de Lope de Vega , à
M. P. , au sujet de la traduction de DON QUICHOTTE de
Florian .
MONSIEUR P. , qui a rendu compte, dans le Mercure du 25
juillet dernier , de ma traduction de quelques poésies de
Lope de Vega , m'accuse , dans celui du 22 août , de sévérité
et même d'erreur dans le jugement que j'ai porté de la traduction
de Don Quichotte de Florian. J'ai dit qu'elle étoit
extrêmement inexacte , et souvent infidelle . J'ai cru dans
mon Avant-propos , où je traitois du génie de la langue et
de la littérature espagnole , devoir cette assertion à la vérité :
vérité malheureusement trop facile à prouver , et dont on
592 MERCURE DE FRANCE ,
sera parfaitement convaincu lorsqu'on aura achevé de me
lire . J'aurois voulu n'avoir à jeter que des fleurs sur la tombe
d'un écrivain célèbre et justement estimé , tant pour la
pureté et la douceur de son style , que pour son caractère
moral et littéraire . Mais je dois au public, je me dois à moimême,
de soutenir et de prouver ce que j'ai avancé. Je le
répète , les preuves n'en seront que trop faciles . Je n'attaque
point Florian écrivain , mais Florian traducteur : il lui
restera à jamais le mérite d'ane foule d'ouvrages originaux
et d'imitations heureuses ( 1) ; mais , malheureusement ,
Don Quichotte n'est pas de ces ouvrages qu'on peut imiter
il faut le traduire s'il est possible ; et Florian ne l'a point
traduit.
Pourquoi traduit-on ? Pour faire connoître un ouvrage
à ceux qui n'entendent pas la langue dans laquelle il est
écrit. Le premier mérite d'une traduction est donc la fidélité;
car, si elle n'est pas fidelle , on pourra lire un ouvrage bien
pensé et bien écrit, mais on nelira point l'ouvrage original. Je
pensequ'il faut aussiconserver l'esprit et la couleurdu modèle,
etne pas faire comme Tourreil , à qui on reprochoit d'avoir
donné de l'esprit à Démosthènes . On lit les traductions des
auteurs grecs , latins , étrangers , non-seulement pour connoître
leurs beautés , et s'instruire en profitant de ce qu'ils
ont d'utile , mais encore pour sortir quelquefois de son siècle
et de son pays , remonter vers l'antiquité , ou voyager chez
les nations étrangères . Si , au lieu de rencontrer des étrangers
, on ne trouve que des Français , ce n'est pas la peine
de sortir de France. Il faut donc qu'un traducteur parle
autant qu'il est possible à ses lecteurs la langue de l'auteur
original : il faut que dans une traduction , Homère soit
aussi grec que le permet la différence des idiomes ; Virgile ,
latin; Cervantes , espagnol. Je suis bien loin d'interdire les .
sacrifices que le goût exige , et les adoucissemens du texte
nécessaires pour ménager la délicatesse des lecteurs peu
accoutumés à l'esprit étranger ; mais je pense qu'il ne faut
se permettre que ceux qui sont absolument indispensables ;
qu'il faut être religieux observateur du costume antique ou
national , ne pas donner une perruque à la Louis XIV à
un empereur romain , ni un habit français à un auteur
espagnol du seizième siècle . Je crois , non-seulement qu'il
(1) La Galatée de Florian a été traduite en espagnol, comme un ouvrage
original ; preuve ou mérite de la composition , mais non de sa ressemblance
à celle de Cervantes . L'on pouvoit imiter laGalatée; Don Quichotte
ne peut être imité.
faut
SEPTEMBRE 1807 . 593
faut étudier l'esprit particulier de l'auteur que l'on traduit ,
mais encore l'esprit général de sa nation , ses moeurs , ses
usages , ses habitudes. Sous ce point de vue , Cervantes est
un des auteurs qu'il est le plus difficile , je dirai presqu'impossible
de traduire (1) , sur-tout pour un Français . Personne
n'est plus national que lui , plus fortement teint du
caractère de son pays , de son ciel , de son climat , plus
empreint des habitudes , des usages de sa nation , plus populairement
énergique dans une langue où tout ce qui n'est pas
élevé tombe souvent dans le populaire , dans un pays où il
faut avoir vécu long-temps pour sentir tout ce que cette
popularité a de piquant , d'original etde plaisant. Le genre
d'esprit qui distinguoit Florian , n'étoit point en rapport avec
celui de son original ; il faut avoir quelqu'analogie avec ses
modèles pour les bien rendre : l'Albane auroit sûrement mal
copiéun tableau de Michel-Ange ; et je ne sais comment
Florian s'est si fort adonné à des imitations età des traductions
des Espagnols , dont le caractère étoit l'opposé de celui de
son esprit , et la couleur habituelle si peu d'accord avec celle
de son style. Non-seulement il n'a pas rendu Cervantes ,
non-seulement il ne l'a pas imité , parce que cela est impossible
, mais il s'est mépris sur le sens des phrases , et même
sur celui des mots pour lesquels le Dictionnaire seul auroit
suffi pour l'éclairer. Ses omissions , ses additions , ses altérations
de l'original sont de l'inexactitude ; ses contre-sens
sont de l'infidélité. Voici un exemple de l'une et de l'autre
dans la conversation de Don Diego de Miranda avec Don
Quichotte , chapitre seizième de la seconde partie , et dans
Florian , chapitre quatorzième de la même partie. Don
Quixote Rogò , etc.
Envoici d'abord la traduction exacte et presque mot-àmot.
Je donnerai ensuite celle de Florian .
»
<<D<on Quichotte le priade lui dire qui il étoit , puisque
lui-même l'avoit mis au fait de son caractère et de sa vie ;
>>à quoi le cavalier au manteau vert répondit : Seigneur
>>chevalier de la Triste-Figure, je suis un gentilhomme natif
>> d'un village où nous irons dîner aujourd'hui , s'il plaît à
>>Dieu . Je suis plus que médiocrement riche , et mon nom
>>est Don Diego de Miranda. Je passe ma vie avec ma
>> femme , mes enfans et mes amis ; mes divertissemens
(1) Don Juan Antonio Pellicer , bibliothécaire du roi et de l'Académie
d'histoire de Madrid , qui a donné il y a six ou sept ans une précieuse
édition de Don Quichotte , accompagnée de notes curieuseset savantes ,
dit en le comparant à Hudibras , qui est lui -même une imitation de Don
Quichotte, que l'un et l'autre sont intraduisiles .
Pp
594 MERCURE DE FRANCE ,
»
» sont la chasse et la pêche , je n'entretiens pourtant ni
» faucons ni levriers , mais quelques perdrix apprivoisées
» pour servir d'appeaux , et quelques furets hardis . J'ai en-
>> viron six douzaines de livres ; les uns en langue vulgaire
» et les autres en latin ; quelques- uns d'histoire , et d'autres
» de dévotion . Ceux de chevalerie n'ont pas encore passé
» le seuil de ma porte ; je feuillette plus volontiers les livres
profanes que les ouvrages dévots , lorsqu'ils sont d'une
» composition honnête et agréable , qu'ils plaisent par le
» langage , étonnent et charment par l'invention ; et de tels
» livres , il y en a bien peu en Espagne . Je mange quelque-
» fois chez mes voisins et amis , et plus souvent je les invite
» chez moi ; ma table est propre , bien servie et abondante ;
» je n'aime point à médire, et ne permets pas qu'on médise
» devant moi ; je ne recherche point la vie des autres , je
» ne suis point un lynx pour les actions d'autrui ; j'entends
» la messe chaque jour ; je fais part de mon bien aux pauvres ,
>> sans faire parades de bonnes oeuvres , pour ne pas donner
» entrée dans mon coeur à l'hypocrisie et à la vanité , en-
» nemis qui s'emparent doucement du coeur le plus en
>>> garde contr'eux ; je tâche de remettre en paix ceux qui
» sont brouillés , je suis dévot à la Vierge , et j'ai toujours
» confiance en la miséricorde infinie de Dieu . »
Voici la traduction de Florian ; c'est Don Quichotte qu'il
fait d'abord parler à la première personne :
<< Laissons cette discussion , et permettez-moi de vous
» demander à mon tour quel genre de vie votre goût vous
» a fait choisir ? »
»
«<
Seigneur , répondit l'étranger , je dois ces détails à
» votre politesse ; je suis gentilhomme , j'habite un village
» où nous irons dîner aujourd'hui , si vous voulez bien me
faire cet honneur. Mon nom est Don Diegue de Miranda;
» ma médiocre fortune est plus que suffisante pour mes
» desirs . Je passe ma paisible vie avec ma femme , mes en-
» fans et quelques amis. La chasse et la pêche sont les
» amusemens qui remplissent mes loisirs . Je n'ai ni meute
» ni équipage , les grands apprêts ne conviennent point à
» mes simples amusemens. Un héron , une perdrix privée ,
» sont tout ce qu'il me faut et tout ce que je veux . J'ai quel-
» ques livres , les uns latins , les autres espagnols ; j'enfais
» comme de mes amis , j'ai soin qu'ils soient en petis
» nombre . L'histoire m'instruit et m'amuse , j'éleve mon
» ame avec les ouvrages de piété ; mais je lis davantage les
>> auteurs profanes , lorsqu'ils réunissent une morale pure
» au charme de l'imagination et à l'harmonie du style. Je
DE LA
»
SEPTEMBRE 1807.
» vais quelque fois dîner chez mes voisin , je les invitche
» moi plus souvent. Dans ces repas toujours abondans , jamai
» recherchés , je tâche d'égayer mes convives , sae5.
» permettre, et sans souffrir qu'on y médise de personne en
» ne m'informe point des actions d'autrui , je me borne
» veiller sur les miennes ; mes yeux et má sévérité ne
» s'étendent point au-delà de mon étroit horizon . Attentif
» autant que je le peux à remplir les préceptes de ma religion
sainte , je n'oublie pas surtout de partager mon
» bien avec les pauvres . Quand j'ai le bonheur de pouvoir .
» donner , je fais en sorte que ce soit un secret entre mon
» coeur et celui qui le reçoit je sais trop que la vanite
» éteint le mérite d'une bonne action , et je me dis que
puisque cette bonne action est un plaisir , ce n'est pas la
» peine de s'en vanter. Je tâche de remettre la paix entre
» mes voisins brouillés , de réunir les familles divisées , de
» leur prouver que le bonheur dans ce monde n'est autre
» chose que la volonté de s'aider mutuellement. C'est ainsi
» queje coule mes jours , en attendant avec tranquillité le
» moment où je rendrai compte au souverain Créateur ,
» dontj'espère que la miséricorde surpassera la justice . »>
>>
:
Don Diegue est ici un seigneur de château français ,
fort poli , qui raisonne et parle à merveille ; mais ce n'est
point le franc et simple Caballero de Aldea , le gentilhomme
de village de Castille ou de la Manche , dont Cer
vantes avoit le modèle sous les yeux lorsqu'il traça le por
trait de Diego de Miranda . On voit que si Florian a abrégé
plusieurs passages de don Quichotte , il a terriblement
alongé ce discours , dont la simplicité et le laconisme font
le mérite dans l'original. Don Diego de Cervantes n'a
point la politesse française ; il ne dit point , si vous voulez
me faire cet honneur; il dit , je suis natif d'un village où
nous irons dîner , s'il plaît à Dieu , si Dios fuere servido.
Il dit , qu'il est plus que médiocrement riche , soy mas
que medianamente rico ; Florian lui fait dire tout le contraire
ma médiocre fortune est plus que suffisante pour
mes desirs. Je pense que cela peut s'appeler un contresens
, et que l'infidélité est déjà ici bien constatée. Don
Diégo ne dit pas qu'il passe sa paisible vie ; il la raconte ,
et laisse à juger au lecteur si elle est paisible ou non .
Il n'a point de héron ; car les hérons sont fort inutiles
tant pour la chasse que pour la pêche. Il a un furet ( huron,
en espagnol , signifie furet ) ; et je ne sais comment l'épithète
d'atrevido , hardi , que Cervantes donne à cet animal ,
n'a pas fait comprendre à Florian que ce n'étoit pas
9
PP 2
595 MERCURE DE FRANCE,
un héron ; car jamais épithète ne convint moins à cet
oiseau aquatique; mais il a copié l'erreur de l'ancienne
traduction , comme nous le verrons bientôt lorsque je la
rapporterai. Je pense que cette métamorphose d'un furet
en héron est un second contre-sens bien décidé ; et en voilà
déjà deux en peu de lignes. Tout le reste sont des phrases
morales très-bien écrites , sauf peut-être la réflexion qu'il
seroit possible de faire sur celle-ci : Sans me permettre et
sans souffrir qu'on y médise de personne. Sans me permettre
qu'on y médise me paroît peu digne du style constamment
pur de Florian ; mais ce n'est pas ce dont il s'agit :
il s'agit , après avoir relevé deux contre-sens marquans ,
de continuer à faire voir que , dans cette traduction , les
Français ne sortent jamais de leurs pays; les traits du
caractère espagnol y sont entièrement effacés. Don Diego ,
dans Cervantes, ne dit point : Attentifautant queje le peux
à remplir les préceptes de ma religion sainte ; il dit :
J'entends la messe chaque jour : trait caractéristique de
P'Espagnol . Il ne dit pas non plus : J'élève mon ame avec
les ouvrages de piété; il dit qu'il a des livres de dévotion ,
et avouefranchement qu'il leur préfère les ouvrages profanes
lorsqu'ils sont bien écrits . Il ne fait point de phrases
sur la bienfaisance ; il dit comment il la pratique : il
n'attend point avec tranquillité le moment , etc.; il dit ,
qu'il espère en la miséricorde de Dieu. Comme on ne le
verra que trop , Florian s'est mépris ici sur le caractère ,
sur le ton , sur la couleur du personnage , et enfin sur le
sens de l'original. Je crois que la seule lecture de ce morceau
le prouvera. Je pourrois en citer bien d'autres ; mais
cettediscussion n'est déjà que trop longue , et j'espère qu'on
m'en fera grace. Il me reste à rapporter le passage dans
Pancienne traduction ; et le voici :
« Cependant don Quichotte changeant de discours , pria
» le cavalier de lui dire sa profession et sa vie. Pour moi,
seigneur chevalier de la Triste-figure , répondit - il , je
>>m'appelle don Diego de Miranda , et suis gentilhomme,
» né dans un village ici près , où nous irons , Dieu aidant,
» souper ce soir. J'ai , Dieu merci , du bien raisonna-
» blement , et je passe doucement ma vie avec ma femme
>> et mes enfans. Mes exercices ordinaires sont la chasse
» et la pêche , non pas que j'entretienne pour cela ni chiens
> ni oiseaux, mais seulementquelqueperdrix privée qui sert
» d'appeau pour la tonnelle , et un héron avec des filets.
» J'ai quantité de livres , les uns latins , les autres espa-
>> gnols ; il y en a qui traitent de l'histoire , les autres
SEPTEMBRE 1807 . 597
*
>> sont de dévotion ; car pour des livres de chevalerie , je
» n'en souffre pas chez moi. Je prends beaucoup de plaisir
à lire ou l'histoire , ou des nouvelles , pourvu qu'il y
>> ait quelque chose d'agréable dans l'invention et lestyle;
>> mais , à mon sens , il se trouve peu de pareils livres
>> en Espagne. Mes voisins et moi vivons en bonne intel-
>> ligence , et nous mangeons souvent les uns chez les
>>autres ; nos repas sont sans façon , assez délicats , mais sans
>> superfluité; et nous en avons banni toute sorte d'excès ,
>> haïssant naturellement la débauche. Je me suis fait une
>>loi de vivre en homme de bien et d'assister les pauvres ,
». au lieu d'employer mon revenu en choses superflues ; et
> je ne néglige rien pour entretenir la paix parmi mes
>>voisins et dans ma maison, prévenant, autant que je puis ,
> tous les désordres qui peuvent arriver. >>>
Cette traduction mal écrite , moins fidelleque celle de
Florian, n'a pas entièrement dénaturé soy masque medianamente
rico; elle exprime l'aversion de don Diego , pour
les livres de chevalerie , que Florian a passé, je ne sais pourquoi,
sous silence , quoique cette circonstance soit essentielle
pour don Quichotte : une infinité de passages y sont entièrement
méconnoissables. Cependant à travers ses nombreuses
omissions etses infidélités , elle conserve quelque chose de la
bonhommie du gentilhomme Manchego . Il s'ensuit de l'une
etde l'autre que don Quichotte n'a pas été encore traduit
en français . Monsieur P. doit le sentir mieux que personne,
lui qui a traduit avec infiniment de fidélité , d'élégance et de
grace le discours de Marcelle , si abrégé par Florian. La
traduction de monsieur P. m'a fait un extrême plaisir, j'aime
à le lui dire , pour lui prouver combien peu de rancune
je conserve de la sévérité avec laquelle il m'a traité en rendant
compte de ma traduction de Lope de Vega.
D'AGUILAR .
3
598 MERCURE DE FRANCE ,
Eloge ( 1 ) du duc de Nivernois , l'un des quarante de l'Académie
Française , honoraire de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres , et qui est mort doyen de ces deux
compagnies ; lu dans l'assemblée publique et extraordinaire
de l'Institut de France , Classe de la Langue et de la
Littérature françaises , le 26 août 1807 , par N. François
(de Neufchâteau ) .
MESSIEURS ,
« L'usage antique et sacré d'honorer les morts par des
éloges publics , dont la perspective flatteuse semble étendre
>>la durée de la vie par-delà ses bornes réelles , est une
>>des plus salutaires et des plus consolantes institutions de
* >> l'humanité .>>>
C'est ce que disoit M. de Nivernois lui-même en parlant
comme directeur de l'Académie Française , le 9 avril 1761 ,
Il se plaignoit que cette coutume fût trop négligée par les
législateurs modernes , et il félicitoit les Sociétés littéraires
qui avoient rendu ces éloges un bien commun auquel
chaque membre avoit un droit égal,
Des circonstances trop connues ont privé long-temps la
* mémoire du duc de Nivernois de cette espèce d'apothéose
littéraire , à laquelle personne n'avoit certainement des
titres plus sacrés que lui. Il est à remarquer que depuis
environ deux siècles , il a été celui des membres de l'Académie
qui a rempli le plus souvent les fonctions de directeur
lors des réceptions , et qu'il a prononcé dans ces occa-
**sions brillantes , le plus grand nombre de discours. Ilme
faudroit , messieurs ,le talent dont ils sont remplis , pour lui
rendre plus dignement l'hommage que ses mânes attendent
de la classe de l'Institut , qui occupe aujourd'hui la place
de l'Académie. Ici , heureusement pour moi , l'intérết du
tableau est dans le sujet même , et le fond a une valeur
indépendante de la forme. Je dois développer les avantages
de l'étude dans toutes les positions où un homme
peut se trouver. Tel est l'abrégé de la vie du duc de Nivernois
, et le premier coup d'oeil suffit pour annoncer d'avance
que ce discours doit être moins l'éloge spécial d'un litté-
( 1) Ceci est l'extrait même qui a été lu à la séance; mais l'Eloge est plus
étendu , et sera imprimé avec beaucoup de pièces inédites , et d'autres morceaux
du duc de Nivernois , qui ne se trouvent point dans le recueil de
ses COEuvres en huit volumes in-8°.
SEPTEMBRE 1807 . 599
rateur distingué , que le panégyrique des belles-lettres ellesmêmes
.
M. de Nivernois étoit né dans la classe des grands seigneurs
de l'ancien régime ; c'étoit un avantage rare ; mais
ilééttooiitt plus rare encore qu'on n'en abusât pas. Sous le
règne de Louis XV, peu de grands noms sont restés purs ;
celui du duc de Nivernois est demeuré intact. La nature
l'avoit moins bien doué que la fortune ; une constitution
frêle , ménagée avec soin , lui a pourtant permis de pousser
sa carrière au-delà de 80 ans . La révolution l'a dépouillé
dans ses vieux jours de tout l'éclat de l'opulence. Dans ce
long espace de temps , M. de Nivernois a toujours travaillé
comme s'il n'eût pas eu d'autre vocation ; et pendant les deux
tiers du dix-huitième siècle , on l'a vu d'une part toujours
prêt à servir son prince et son pays , et d'un autre côté
occupé sans relâche par le goût des beaux-arts . On auroit
dit que sa devise étoit celle de l'oranger , toujours chargé en
même temps de feuilles , de fruits et de fleurs ; toute son
existence fut embellie jusqu'à la fin par la littérature . Il avoit
présenté les Muses dans le palais des rois , les Muses l'ont
suivi dans le fond des prisons : elles ont eu ses premiers
voeux et ses derniers soupirs ; puissent-elles sourire encore
aux guirlandes funèbres que nous sommes chargés de
déposer sur son tombeau !
Louis-Jules -Barbon , Mancini-Mazarini , connu sous le
nom de duc de Nivernois , pair de France , grand d'Espagne
de la première classe , brigadier des armées du roi , chevalier
de ses ordres , l'un des quarante de l'Académie Française ,
honoraire de celle des Inscriptions et Belles- Lettres , associé
étranger des Académies de Berlin et de Stockholm , docteur
en droit de l'Université d'Oxford en Angleterre , étoit né à
Paris le 16 décembre 1716. Il fut le dernier rejeton de la
maison Mancini , illustre en Italie depuis l'an 1300. En l'an
1630 , son quatrième aïeul , Paul Mancini , avoit institué à
Rome l'Académie des Humoristes , à-peu-près dans le même
temps où se formoit ici l'Académie Française . Paul Mancini
n'est pas le seul de ce sang distingué qui ait eu du goût pour
les lettres . Philippe Julien , son aïeul, mort en 1707 , est ce
duc de Nevers que Voltaire a compris parmi les écrivains
du siècle de Louis XIV, comme auteur de vers singuliers
qu'on entendoit très-aisément et avec grand plaisir. Voltaire
dit à ce sujet que son esprit et ses talens s'étoient perfectionnés
dans son petit-fils .
Philippe-Jules- François , duc de Nevers , son père , l'un
des plus beaux esprits du temps , avoit passé sa jeunesse à
4
600 MERCURE DE FRANCE ,
la cour de Louis XIV, dans la compagnie des hommes
choisis en tout genre qui en faisoientl'ornement. Il fit donner
å son fils une éducation soignée. Dès ses premières études ,
ón lui trouva d'heureuses dispositions , et particulièrement
un goût très-prononcé pour la littérature et pour la poésie.
On contraria d'autant moins ce penchant naturel , que c'étoit
in goût de famille. Tous les Mancini , élevés dans la politesse
romaine , étoient bien loin de partager les préjugés
gothiques de notre ancienne noblesse , attachée à sa barbarie
, et fière de son ignorance. D'ailleurs , le jeune Louis-
Jules étoit né foible et délicat sa constitution ne lui permettant
pas les exercices violens , on crut qu'il falloit d'autant
plus occuper son esprit. On seroit étonné de ce que dévora
d'avance l'activité de sa jeunesse : outre sa langue maternelle ,
il en apprit quatre autres , l'italien , le grec , le latin et Pan-
⚫glais; mais il étudia ces langues sur un plan qui ne pouvoit
être suivi que par un homme doué du plus heureux talent.
Pour s'établir un fonds d'idées et se former un style d'après
les premiers maîtres , il traduisoit en notre langue des morceaux
choisis des ouvrages les plus intéressans dans les langues
qu'il apprenoit. Ses OEuvres sont remplies de ceux de
ses premiers essais qu'il avoit conservés , et parmi lesquels
on distingue la Vie d'Agricola , traduite de Tacite , et un
Essai sur les Jardins anglais , traduit d'Horace Walpole.
En 1734 , il entra au service , ety porta toute l'ardeur de
son âge de 18 ans. Il fit une partie des campagnes d'Italie
sous les ordres du maréchal de Villars : nommé ensuite
colonel du régiment de Limosin , il passa en Allemagne ,
et se distingua par des actions de valeur et une conduite
réfléchie , qui lui promettoient des succès dans la carrière
militaire.
Mais les fatigues excessives et les rigueurs du climat , que
le jeune colonel eut à souffrir en Bohême , altérèrent sa
santé , au point qu'après une longue résistance , il fut contraint
de revenir chercher du soulagement , d'abord à nos
eaux de Plombières , et ensuite à Paris : il se proposoit de
n'y faire qu'un court séjour; mais ses maux augmentant ,
il se détermina par des considérations particulières , relatives
à sa famille , à remettre son régiment. Il ne renonça au
service qu'avec de vifs regrets ; il a consacré ses regrets dans
une de ses élégies dictée par le sentiment , et adressée au
corps dont il étoit obligé de se séparer .
Ses autres élégies, qui paroissent avoir été ses premiers
ouvrages en vers , sont toutes adressées à sa première
femune , Hélène Phelippeaux , soeur du comte de Maurepas ,
SEPTEMBRE 1807 601
qu'il a immortalisée sous le nom de Délie. L'amour a fait
Lien des poètes , celui-ci a été inspiré par l'hymen de la
manière la plus tendre ; et l'on doit observer , comme un
des traits de son éloge , que c'est à l'amour conjugal qu'il
a dû sa verve naissante et consacré ses premiers chants .
Il cachoit avec modestie les écrits qu'il avoit composés
jusqu'alors . Ses vers n'étoient presque connus que de sa
femme , pour laquelle ils avoient été faits. Il produisoit à
ses amis , pour les consulter seulement , son parallèle ingenieux
et plein d'un goût exquis , entre les poésies d'Horace
et celles de Despréaux et de J. B. Rousseau , celui de ses
écrits qui a été le plus souvent réimprimé à part. Son
mérite perçoit d'avance à son insu , et le secret en fut révélé
avec éclat , en 1743 , par le choix que fit de lui l'Académie
française pour remplacer le célèbre Massillon .
M. de Nivernois étoit encore à l'armée d'Allemagne ,
lorsque l'Académie , où il avoit montré le desir d'arriver
unjour, se détermina à l'élire même avant qu'il s'y attendit.
Il étoit difficile de remplacer un homme comme l'évêque de
Clermont. L'Académie avoit d'abord jeté les yeux sur la
Bletterie , homme de mérite , il est vrai , mais qui fut écarté
sous prétexte de jansénisme. Ce choix ne pouvant obtenir
l'approbation de Versailles , l'Académie française s'empressa
d'y substituer celui du duc de Nivernois , qui eut ainsi
T'honneur très- rare d'être nommé dans son absence. Son
discours de réception est plein de grâce et de noblesse. Il
entroit à l'Académie le même jour que Marivaux. L'archevêque
de Sens , Languet , répondit à tous deux d'une manière
grave , mais cependant flatteuse et juste.
Le duc de Nivernois n'avoit pas 27 ans. Il regarda dès-lors
l'adoption académique comme une faveur signalée , et qu'il
se proposa de mériter de plus en plus. Il ne passoit d'abord
que pour l'homme le plus aimable ; mais il acquit bientôt
la réputationque donne un mérite solide. Bernis lui adressoit
alors deux épitres charmantes; l'une sur le bon goût , et
l'autre sur l'ambition : c'étoit le résultat de leurs entretiens
familiers , roulant tantôt sur la morale , tantôt sur la littérature.
Les deux frères Sainte-Palaye , Duclos , le marquis
de Mirabeau père , le maréchal duc de Noailles , le président
de Montesquieu , devinrent ses amis .
L'Académie des inscriptions et belles-lettres le reçut aussi
dans son sein,
Cependant le temps et les soins que l'on prenoit de sa
santé , sansdétruire la cause des souffrances qu'il éprouvoit,
les rendirent plus supportables. II put se livrer à l'étude , et
602 MERCURE DE FRANCE ,
diversifier ses travaux littéraires , qui s'étendoient à tous les
genres de productions agréables , soit en vers , soit en prose ;
mais dans le temps dont nous parlons , il s'appliqua sur-tout
àune étude approfondie de l'histoire et du droit des gens ;
étude qui devoit le conduire à se rendre utile dans la plus
belledes carrières, pour un citoyen éclairé et pour un homme
vertueux : la carrière des ambassades .
On a communément une très-fausse idée de ce qu'on
nomme le métier des négociateurs . La politique est destinée
à rapprocher les nations , et à maintenir la paix entre les
princes . C'est une noble tâche que celle qui se charge de la
tranquillité du monde. Le monde entier a intérêt qu'elle
soit bien remplie ; mais elle a été diffamée par quelques
machiavélistes , et pour dernier outrage , elle a été abandonnée
, dans l'ancien régime , à des sarcasmes de théâtre ;
elle est jugée trop au hasard par le vulgaire , qui ne voit
que les résultats des traités , et qui ne peut savoir ce que
l'art de négocier exige de la part de ceux qui prétendent s'y
distinguer. Aucun autre état ne suppose un plus pénible
apprentissage. Le duc de Nivernois , qui en apprécioit à-lafois
l'importance et les difficultés , n'oublia rien pendant
long-temps pour se mettre en état de traiter dignement un
jour les affaires publiques. Nous pouvons juger aujourd'hui
du nombre des matériaux qu'il amassoit , dans cette vue ,
par plusieurs morceaux instructifs qu'il a conservés dans ses
oeuvres. Ses connoissances dans l'histoire s'y reproduisent
tour-à-tour sous plusieurs formes différentes. Tantôt ce
sont des dialogues entre des anciens et des modernes ,
Cicéron et Fontenelle , Alcibiade et le duc de Guise , Périclès
et le cardinal Mazarin ; tantôt ce sont des parallèles ou des
réflexions sur Alexandre et Charles XII , où le conquérant
grec et le batailleur ( 1 ) suédois sont justement appréciés .
Ses Mémoires sur Clovis et nos premiers rois , lus à
l'Académie des inscriptions , jettent un jour nouveau sur
les antiques monumens de l'histoire nationale. Il a ouvert à
cet égard une carrière où il seroit à desirer que d'autres
voulussent marcher sur ses traces et rendre , comme lui ,
claires et un peu plus lisibles les premières pages de nos
fastes si ennuyeux et si obscurs . Enfin le duc de Nivernois
tira des manuscrits du roi deux morceaux très -considérables
d'une politique usuelle ; l'un est le précis lumineux de la
négociation de Loménie en Angleterre , en 1595 ; l'autre
( 1 ) Ce mot de batailleur est de M. de Nivernois même , et il l'a motivé
dans sa comparaison d'Alexandre et de Charles XII.
SEPTEMBRE 1807 . 603
:
est le résumé de la négociation du président Jeannin en
Hollande pour la trève de 1609. Ce dernier travail est surtout
remarquable par son objet comme par sa rédaction . On
ne sauroit le lire sans estimer l'auteur et sans admirer avec
lui la probité , l'intelligence et la raison supérieure du présidence
Jeannin , homme d'état , ami des lettres , dont on
est étonné que l'éloge public n'ait pas été mis au concours ,
et dont la statue manque ici à côté des statues de Sully et
de l'Hôpital . Mais le secret qui doit envelopper long-temps
Jes utiles travaux des négociateurs , les dérobe d'abord à
l'estime contemporaine ; leurs dépêches ne sont publiques
que très-long-temps après leur mort , quand l'intérêt de ces
dépêches est entièrement refroidi , et la postérité semble
arriver plus tard pour eux que pour les autres.
La réputation du duc de Nivernois lui-même doit souffrir
encoreaujourd'hui de cette espèce de réserve et de ce mystère
forcé qu'on garde souvent plus d'un siècle sur les services
de ce genre. Néanmoins nous pouvons , sans indiscrétion
soulever d'avance pour lui un coin du voile qui recouvre
encore ses travaux , dont on n'a pas une juste idée.
,
Le duc de Nivernois a été chargé de trois missions politiques
sous le règne de Louis XV , qui le nomma successivement
:
1 ° . Ambassadeur extraordinaire à Rome en 1748 ,
2º . Ministre plénipotentiaire près du roi de Prusse ,
en 1755 ,
3º. Ministre plénipotentiaire et ambassadeur extraordinaire
en Angleterre , en 1762 .
Lorsque le duc de Nivernois fut envoyé à Rome , il
veilla particulièrement à ce qu'il ne fût donné aucune
'atteinte aux maximes et aux libertés de l'église gallicane . Il
remplit parfaitement les vues du gouvernement sur cette
matière , où il étoit ordinairement aussi aisé de prévenir
le mal , qu'il étoit difficile ensuite d'y remédier.
Quoiqu'on eût imposé silence aux disputans , les querelles
théologiques du commencement de ce siècle n'étoient pas
assoupies. Celles des parlemens et du clergé de France se
réveilloient sans cesse. Malgré la sagesse connue du pontife
Benoît XIV , les contre-coups de ces discordes se faisoient
ressentir à Rome , et d'autres circonstances pouvoient contrarier
encore les succès que l'ambassadeur avoit dû s'y
promettre.
La duchesse de Nivernois , qui étoit avec lui , étoit soeur
'd'un ministre qui fut disgracié et exilé avec éclat , le 26
avril 1749 , peu de temps après l'arrivée du duc de Niver-
1
604 MERCURE DE FRANCE ,
nois à Rome. Ce coup de foudre retentit de Versailles en
Italie; mais il ne porta aucune atteinte à l'influence et à
l'estimeque notre ambassadeur y avoit déjà méritées .
Il jouit constamment à Rome de la plus grande considération
.
Il est vrai qu'il avoit donné des preuves de magnificence
auxquelles les Romains ne furent jamais insensibles . Ce
peuple aime toujours la pompe et les spectacles imposans .
Lorsque le duc de Nivernois fit son entrée publique , on
lui fit unmérited'avoir eu à sa suite jusqu'à cent dix carosses .
Ses assemblées étoient de trois à quatrecents personnes ; ses
fêtes étoient ordonnées avec richesse et avec goût. Cette
représentation lui étoit onéreuse, et ne l'amusoit nullement;
il s'en dédommageoit en cultivant les arts : car dans ce
temps-là même il étoit devenu très-bon musicien ; il composoit
des opéra avec ce Labruère, son secrétaire d'ambassade
, qui étoit un homme de lettres fort connu et plein
detalent , et qui même après lui fut résident du roi àRome.
Leduc de Nivernois aimoit à s'entourer d'hommes de mérite
en tout genre , bien contraire à ces grands , impatiens d'un
voisinage dont ils craignent d'être éclipsés , et qui excluent
deleurs entours l'esprit et le talent , dont le reflet les humilie.
Undes objets qui occupèrent le ducde Nivernois à Rome ,
et dans lequel il s'applaudit d'avoir pu réussir , doit être
rappelé , sur-tout au milieu des hommes de lettres et au
sein de l'Académie. L'Esprit des Lois avoit paru ; avant de
lecomprendre on l'avoit déchiré ; et ce chef-d'oeuvre avoit
été sur-tout dénigré à Paris avec acharnement par un malheureux
journaliste , qu'on appeloit alors Nouvelliste ecclésiastique,
espèce de dogue acharné qui , du milieu de ses
ténèbres , avoit le privilége d'aboyer contre tout le monde.
Tous les siècles ont leur Zoïle.
Celui - ci avoit outragé le président Montesquieu , qui
daigna lui répondre. Le folliculaire écrasé , ne pouvant
s'agiter ici sous le mépris public dont il étoit couvert , avoit
imaginé de dénoncer l'Esprit des Lois au tribunal de Rome
qui compose l'index des livres défendus. On ne voyoit pas
trop comment un jurisconsulte français pouvoit , en écrivant
en France , subir la jurisdiction d'une cour étrangère ; mais
ceux qui veulent dénoncer , n'y regardent pas de si près ; les
calomniateurs ne manquoient pas de dire qu'ils étoient les
vengeurs de la cause du ciel , et ils tâchoient de soulever
contrel'Esprit des Lois la Sorbone et le Vatican. La Sorbonneayant
vu la défense de Montesquieu , garda prudemsnent
le silence. Le duc de Nivernois se conduisit de son
SEPTEMBRE 1807 . 605
côté avec tantde sagesse , que le tribunal de l'Index ne donna
point de suite aux procédures qu'on avoit inconsidérément
dirigées contre cet ouvrage , dont la France s'honore , et que
le genre humain a déposées dans ses archives. Lui avoir
épargné une proscription injuste , c'est avoir servi la raison
etla courde Rome elle-même.
Montesquieu fut sensible aux soins que se donna pour
lui , dans cette occasion, le duc de Nivernois , dont il reçut
depuis une autre marque d'amitié bien honorable pour les
lettres . En 1755 , pendant la maladie dont mourut , à Paris ,
le président de Montesquieu , Louis XV envoya chez lui
pour se faire informer des nouvelles de sa santé , et ce qui
consola cet illustre malade autant que l'objet même d'une
démarche si flatteuse de la part de son souverain , c'est que
le roi en eût chargé le duc de Nivernois.
Il étoit revenu de Rome au mois de février 1752 , avec
une santé très-foible. En 1753 , il maria sa fille ainée au
comte de Gisors , fils du maréchal de Belle-Isle. Ce trèsjeune
homme qui donnoit les plus brillantes espérances ,
engagea son beau-père à composer pour lui plusieurs morceaux
de prose qui sont , à notre avis , les plus parfaits de
ses ouvrages; ce sont des lettres sur l'usage de l'esprit , sur
l'état de courtisan , sur la manière de se conduire avec ses
ennemis. Ceux qui veulent apprécier la pensée et le style
du duc de Nivernois , doivent le chercher dans ces lettres ;
personne ne pourra les lire sans être pénétré de plus d'estime
pour l'auteur , et sans profiter pour soi- même des
leçons douces et aimables qu'il donnoit avec tant de grace à
un fils adoptif si digne de les recevoir.
L'Europe paroissoit tranquille. La paix d'Aix-la-Chapelle
sembloit avoir calmé les peuples et les rois; mais il étoit
un peuple qui ne pouvoit souffrir la prospérité de la France,
ni même le commerce libre des autres nations. Les Anglais
avoient tout-à-coup exercé leurs pirateries contre la France
et la Hollande. La guerre étoit inévitable , quoique l'on se
füt long-temps flatté de l'éloigner par des négociations sur
lesquelles la France s'étoit endormie.
Par l'indiscrétion et la corruption des anti-chambres de la
cour , toute l'Europe étoit instruite de ce qu'on pensoit à
Versailles; et par l'insouciance de notre ministère , on ne
savoit rien à Versailles de ce qu'on pensoit en Europe. Nous
voulions la guerre sur mer , l'Angleterre vouloit la guerre
sur le continent. Elle avoit envoyé mylord Holderness à
Berlin ; sa mission étoit remplie , lorsqu'enfin l'abbé de
Bernis avertit Louis XV qu'il étoit plus que temps dedépu
606 MERCURE DE FRANCE ,
ter à Frédéric un homme qui fût en état de négocier avec
lui.
M. de Nivernois étoit malade lorsqu'il fut nommé ministre
plénipotentiaire près du roi de Prusse; il ne balança
pas : malgré la saison avancée , il partit de Paris à la fin du
mois de décembre , et il arriva à Berlin le 12 janvier 1756 ;
mais il n'étoit plus temps .
Le but de sa mission étoit de renouveler avec le roi de
Prusse le traité d'alliance que ce prince avoit antérieurement
contracté avec la France , et qui expiroit au mois de
mai 1756. La signature de la convention du 16 janvier 1756 ,
entre la Prusse et l'Angleterre , terminoit naturellement la
négociation. Mais quoique le roi de Prusse ne fût plus à
portée de prendre d'engagemens avec la France , il traita
M. de Nivernois de la manière la plus honorable. Ill'admit ,
contre l'usage , à manger avec lui et avec les princes , ses
frères , honneur dont les ministres étrangers ont toujours
été exclus . Enfin , il alla jusqu'à le loger dans le château de
Postdam : ce qui étoit non-seulement inoui pour un ministre
étranger , mais pour quiconque n'étoit pas prince souverain.
Le duc de Nivernois n'avoit passé que peu de mois à la
cour de Berlin; mais dans ce peu de temps , il prit sur
le sol de la Prusse , sur ses productions et ses ressources
naturelles , civiles , militaires , sur la politique du prince
qui la gouvernoit, les renseignemens les plus sûrs et les
plus curieux que l'on eût encore eus en France Il les remit ,
àson tour , audépôt des affaires étrangères ; et sans doute ils
seront un jour rendus publics. Leducde NNiivvernois en a tiré
d'avance quelques pages bien curieuses ; c'est son portrait du
roidePrusse qui offre la peinture la plus impartiale etla plus
ressemblante qu'on ait jamais tracée de ce roi extraordinaire .
Il faut songer que cette image a été dessinée en 1756 , qu'elle
est faite d'après nature , dans une crise décisive du long
règne du roi de Prusse : c'est donc , à tous égards , un monument
qui doit nous être précieux ; et quand bien même le
voyage du duc de Nivernois sur les bords de la Sprée ne
nous auroit valu que ce tableau de Frédéric , le fruit n'en
seroit pas perdu pour la postérité , puisqu'il offre à nos
yeux les qualités d'un grand modèle , représentées par un
grand peintre.
En prenant cette mission , le duc de Nivernois avoit
prouvé son dévouement : ce n'étoit pas sa faute si l'on ne
s'étoit avisé de la lui donner qu'après coup ; il avoit procuré
à notre ministère des notions dont il manquoit. Son travail
SEPTEMBRE 1807 . 607
pendant quatre mois avoit été prodigieux ; on sera curieux
de savoir quel en fut le prix. A son retour en France , le
comte de Bernis vouloit qu'il fût du moins appelé au conseil
d'Etat ; il en fut écarté . Il vaqua une place de gentilhomme
de la chambre , la voix publique l'y nommoit :
elle fut donnée à un autre . M. de Nivernois content d'avoir
été utile , étoit loin de rien demander. Mais bientôt les
malheurs publics se joignirent pour l'affliger , avec des
malheurs domestiques d'une nature bien sensible. Ayant
perdu son fils très-jeune , il avoit reporté ses espérances sur
son gendre le comte de Gisors ; et ce jeune guerrier périt
à la fleur de son âge , des suites des blessures qu'il avoit
reçues à Crevelt , où il s'étoit couvert de gloire: sa mort fut ,
comme dit Duclos , une perte nationale. Le roi Louis XV ,
la reine , toute la famille royale , allèrent en visite , à cette
occasion , chez le maréchal de Belle-Isle. Madame de
Gisors , accablée de douleur , se réfugia dans le sein de la
haute dévotion. Le duc de Nivernois fut profondément
affecté ; et quelque temps après ayant eu lieu de rappeler
ce malheureux événement dans un discours académique ,
son discours fut interrompu par ses sanglots involontaires ,
et la douleur de l'assemblée se confondit en quelque sorte
avec les larmes paternelles . Eh ! Messieurs , quels Français
pourroient , sans être émus , entendre prononcer les noms
de ceux de leurs compatriotes qui , nouveaux Décius , ont
cherché une mort certaine dans les champs de l'honneur ,
et se sont dévoués pour le prince et pour la patrie !
Cependant cette guerre qui embrâsoit l'Europe , déconcertoit
toutes les vues d'après lesquelles le système de la
politique moderne avoit été changé. Au lieu de faire en
Angleterre la descente qu'on y craignoit , nous avions préféré
des campagnes en Allemagne qui convenoient mieux à
l'Autriche . Dans cette alliance nouvelle , la France ne it
que des fautes et n'éprouva que des revers . L'Autriche avoit
voulu se servir de nos armes pour reprendre la Silésie ; mais
bien loin d'arracher la Silésie au roi de Prusse , nous nous
laissions ravir , outre le Canada , presque toutes nos colonies .
L'impression de ces désastres avoit été sinistre : on desiroit
la paix à quelque prix que ce pût être; le ministère de
Versailles étoit bien décidé à en faire les frais , et cette réso
lution honteuse et affligeante étoit pourtant reçue comme
un bienfait public. Un congrès inutile fut tenté à Augsbourg
: effrayé justemeut des lenteurs de ces assemblées , le
duc de Choiseuil résolut de procurer d'abord une paix séparée
entre la France et l'Angleterre ; il fit imprimer un
608 MERCURE DE FRANCE ,
mémoire qui eut du succès , même à Londres. Ses premières
démarches , confiées à Bussy , ne réussirent point;
mais la mort du roi d'Angleterre changea un peu la scène :
les deux cours consentirent à s'envoyer enfin des ministres
munis de leurs pleins-pouvoirs respectifs , dans le mois de
septembre 1762. Le duc de Bedford se rendit en France ;
le duc de Nivernois fut choisi pour remplir la mission importante
deministre plénipotentiaire de France à Londres :
c'étoit la voix publique qui l'avoit fait nommer ; il justifia
bien l'attente que son nom avoit inspirée.
M. Pitt , ministre dirigeant et grand partisan de la
guerre , avoit été forcé de se retirer , et de laisser les rênes
de l'administration entre les mains de M. Bute , ami du roi ,
et qui desiroit vivement la paix , ainsi que ce prince luimême
en avoit besoin pour commencer son règne sous des
auspices favorables ; mais lui et son ministre étoient presque
les seuls Anglais qui eussent cette idée.
Tous les agioteurs de Londres étoient dévoués au parti
de la guerre , qui leur paroissoit le moyen d'organiser à
leur profit une rapine universelle ; et ce parti se signaloit
chaque jour par les déclamations les plus piquantes et les
plus injurieuses contre le ministère , ou , pour mieux dire ,
contre M. Bute, quien étoit le membre le plus puissant et
le plus courageux.
M. de Nivernois surmonta les dégoûts de toute espèce
qu'on lui suscita ; ses dépêches remplissent plus de60 portefeuilles
: il est à desirer qu'on les publie un jour. C'est alors
qu'on pourra juger cette négociation , et voir par quelle patience
, quelles démarches et quels soins il eut le bonheur de
contribuer efficacement à la paix qui fut assurée par le traité
définitif , signé à Paris le 10 février 1763 : elle avoit paru
un problême impossible à résoudre ; les malheurs les plus
grands avoient accablé coup sur coup et la France et ses
alliés. Les négociateurs sont vainement habiles quand les
généraux sont battus : cette balance dans laquelle lapolitique
doit peser les prétentions respectives , a besoin que son équilibre
soit maintenu par la victoire ; M. Nivernois n'avoit pas
été appuyé par ce secours si nécessaire à un ambassadeur ;
au contraire , il avoitcontre lui les succès répétés de l'Angleterre
et de la Prusse : ainsi l'on peut dès - lors adınirer sa
évérance et applaudir à son courage.
M. de Nivernois eut son audience de congé le 5 mai 1673.
Dans cette dernière fonction de son ministère , le roi lui
témoigna de la façon la plus touchante ses véritables regrets
de levoir partir , en lui faisant promettre de faire le plutôt
qu'il
SEPTEMBRE 1807.
qu'il pourroit un second voyage en Angleterre. On peut
direque les sentimens du roi étoient partagés par tous ceux
qui l'avoient connu en Angleterre , et on peut assurer
sans flatterie qu'il n'y avoit point d'exemple d'ambassadeur
dont les grandes vertus et les grands talens eussent fait plus
d'impression sur la nation anglaise. Des hommes tels que
lui sont faits pour rapprocher les peuples ; cette gloire doit
être attaché à son nom et le rendre immortel . L'humanité
entière doit honorer de préférence ces anges conciliateurs
qui se sont signalés par leur adresse à renouer entre les
nations les noeuds utiles du commerce et les doux liens de
la paix.
C'étoit peu de l'avoir conclue. Ce qui se passa dans la
suite fit plus d'honneur encore au caractère et aux vertus
du duc de Nivernois. Malgré les sacrifices que la France
et l'Espagne avoient faits pour la paix, et quoique l'Angleterre
fût la seule des nations qui eût gagné à cette guerre
des richesses énormes et des possessions immenses , cependant
la cupidité s'étoit accrue en raison même des pertes
auxquelles l'Espagne et la France avoient dû souscrire.
L'Angleterre assouvie de leurs dépouilles n'en étoit point
rassasiée , et ce fut la seule contrée où la paix , dont
s'applaudissoit le reste de l'Europe , fut un objet continuel
desarcasmes et de regrets ,,on pourrait dire de blasphemes
contre l'humanité. Cet esprit de fureur ne se calmoit point
par le temps ; car six ans même après la paix , en 1769 ,
laconvocation d'un nouveau parlement fournit un nouveau
texte aux calomniateurs forcenés de la pacifications de 1763.
Au moment des élections , un homme accrédité par ses
talens et sa famille , le docteur Murgrave , adressa de Plymouth
à toute l'Angleterre une remontrance énergique
contre le fléau de la paix ; il soutint que la cour de France
n'avoit pu extorquer cette paix criminelle qu'en achetant
la cour de Londres , et qu'en faisant distribuer de trèsgrosses
sommes d'argent à laprinceesssseede Galles , au lord
Bute , au duc de Bedford , aux lords Hallifax etEgremont ,
secrétaires d'Etat , et au feu comte de Virg. Ce pamphlet
violent produisit tout l'effet que l'auteur s'en étoit promis.
Ces accusations honteuses et si avidement reçues donnent
une bien triste idée de ceux qui les adoptent avec tant de
facilité . Il faut que la corruption soit une chose bien vulgaire
pour qu'on s'empresse de la croire sur le moindre
soupçon et sans aucune preuve. La haine qu'un pareil
libelle réveilla généralement contre le cabinet de Londres
३...
L
Q q
DE
610 MERCURE DE FRANCE ,
1 .
alla si loin, que l'on ne put en arrêter l'effet qu'en soumettant
la chose à la délibération du nouveau parlement.
En 1770, les scandaleux mensonges de ce docteur Murgrave
furent examinés et discutés dans les deux chambres . Mais
dans tous les discours qui furent prononcés à cette occasion ,
dans les enquêtes juridiques qui furent faites à la barre ;
enfin dans tout le cours de cette étrange procédure , on
rendit un hommage public et solemnel à la pureté des
principes et au caractère moral du duc de Nivernois. Ce
fut sur - tout par- là qu'on repoussa l'idée qu'un homme
comme lui eût pu être l'agent d'une séduction infame . La
chambre des communes chassa de son sein le docteur qui
avoit signé le phamphlet , après qu'il eût été réprimandé
par l'orateur comme un brouillon incendiaire et comme un
docteur en démence .
M. de Nivernois à son retour en France fut bien reçu
du roi , et couvert en tous lieux des applaudissemens et de
Pestime général. M. Duclos observe qu'il n'eut de récompense
que l'approbation publique ; mais il n'en rechercha
pas d'autre , et il refusa même avec une noble franchise
celles qu'on lui offrit.
:
Devenu libre et dans le sein de sa famille , il se livra
au soin de ses affaires qui se trouvoient fort arriérées Les
dépenses inséparables de trois ambassades remplies avec
magnificence pour l'honneur de la nation , avoient exigé
de sa part des engagemens onéreux. Il fit de grands retranchemens
dans sa maison , mais avec dignité , sans rien
changer au sort de ceux qui lui étoient attachés , prenant
toutes les privations sur lui-même; l'économie, l'ordre et la
justice se trouvoient dans toutes ses actions .
En 1769 , Philippe-Jules- François , son père , mourut ,
laissant des biens considérables : il n'avoit donné à son fils ,
en le mariant , que le titre du duché et de la pairie , et s'étoit
réservé tout l'utile
M. de Nivernois n'augmenta passes dépenses en raison
de ses nouveaux moyens ; il ne s'occupa que du soin d'acquitter
les dettes qu'il ne lui avoit pas été possible jusqu'alors
d'éteindre entièrement. 400 39166 1
Ce grand devoir fempli , il se livra ensuite à l'amélioration
de ses propriétés , mais bien moins cependant pour son
avantage personnel , que pour celui des habitans et des
cultivateurs. دا 3
Il avoit bien senti tout l'odieux des servitudes sous lesquelles
ils gémissoient , et avant que les lois vinssent les
affranchir, il fit dans cette vue tous les sacrifices possibles
des droits presque légaliens qui lui appartenoient.
SEPTEMBRE 1807 . 611
J'aimerois à tracer le tableau détaillé de ces améliorations;
mais je crains d'abuser des momens de cette séance , et je
coule rapidement sur les faits riches et nombreux qui
remplissent la vie du duc de Nivernois. Il faut que son
éloge résulte de ses actions , et non de mes paroles .
S'il étoitjuste et généreux envers le peuple de ses domaines,
il n'étoitpas moins empressé de montrer , à la même époque ,
son respect pour l'ordre public et pour les droits de la couronne
.
Les ducs deGonzague , de Mantoue , possesseurs primitifs
du duché de Nevers , jouissoient , ivant les titres originaires
de ce grand domaine ,'de plusieurs droits éminens et
utiles , qui furent vendus au cardinal Mazarin en 1660. Ses
successeurs en avoient joui et devoient en jouir suivant leur
titre ; M. de Nivernois se fit un devoir de les remettre au
roi ; et ne reçut pour indemnité que ce qu'il plut au Gouvernement
de lui offrir, une modique rente viagère , dont la
charge n'a pas été sensible aux finances . Il n'étoit pas de
ceux qui mettoient dans ce temps le trésor royal au pillage ,
et spéculoient sur les dépouilles de la fortune de l'Etat , pour
améliorer leur fortune particulière .
L'ordre ainsi établi dans ses affaires , ses devoirs envers
le souverain et sa patrie remplis , sa réputation de citoyen
vertueux et savant faite de manière à lui survivre , il passoit
så vie dans le calme , au milieu de sa famille , et dans la
société des hommes de lettres distingués par leurs moeurs ,
non moins que par leurs talens. Il étoit assidu aux séances
particulières de l'Académie française , et faisoit les délices .
des séances publiques , quand il prononçoit ses discours ou
qu'il lisoit ses fables avec cet agrément , cette noble simplicité
qui caractérisoient son style et qui animoient son débit. Il
alloit à la cour et y étoit considéré , souvent même appelé
dans les conseils secrets . A. Paris , sa maison étoit l'exemple
de beaucoup d'autres . L'hôtel de Rambouillet avoit été
moins célèbre que ne l'étoit alors l'hôtel de Nivernois. On
y trouvoit le même goût pour les choses d'esprit sans
même affectation ; on y trouvoit sur-tout les mêmes sentimens
d'honneur : toutes les vertus y étoient respectées ,
recherchées comme elles le furent autrefois dans ces demeures
révérées de Sully , de Brissac , de Lamoignon , de
Montausier , où la véritable grandeur et l'ancienne courtoisie
se sont conservées de manière qu'en passant devant
ces hôtels , on croyoit voir, en quelque sorte , les sanctuaires
de l'honneur et les temples de la sagesse.
la
Mais cet état , qui étoit le bonheur pour lui, fut troublé
Qq2
612 MERCURE DE FRANCE ;
le 10 mars 1782 , époque où il perdit madame de Nivernois,
son épouse , cette Délie qu'il a célébrée dans ses vers avec
tant de délicatesse , qui partageoit ses sentimens , ses goûts ,
etdont il ne pouvoit ètre séparé sans se trouver plongé dans
une douleur pour laquelle il n'y a point de consolation. Elle
ne laissoit qu'une fille , mariée au duc de Cossé , et fort
affligée elle-même de la perte d'un fils chéri , sur lequel
reposoient toutes les espérances de deux maisons illustres .
Dans cette solitude affreuse , une de ses parentes , Marie--
Thérèse de Brancas , veuve du comte de Rochefort , l'amie
et la société de madame de Nivernois pendant quarante
années , s'étoit vouée à être sa compagne et à lui adoucir
l'ennui du reste de sa vie. Il l'épousa en secondes noces;
mais hélas ! le bonheur s'étoit retiré de lui ; il la perdit
le 26 jour de leur union , et il a consacré ses regrets par
une préface touchante qu'il a mise à la tête de quelques
opuscules de la seconde duchesse de Nivernois , imprimés
pour ses amis seuls.
Dès- lors , ni son intérieur , ni la décadence imminente
des affaires publiques , ne lui promettoient plus que des
jours orageux ; il alloit en effet avoir un grand besoin des
provisions de sagesse qu'il s'étoit ménagées dans les premiers
momens de la jeunesse et du bonheur.
Le dirai-je ? il vint un moment où cette voix publique ,
qui prépare les choix des rois par les choix de la renommée ,
designoit uniquement le duc de Nivernois pour être gouverneur
de l'héritier du trône. Nul ne possédoit comme lui
toutes tes les qualités nécessaires pour bien remplir cette fonction
importante dont lui-même a si bien parlé dans sa réponse
académique à M. de Coëtlosquet , ancien évêque de
Limoges . Mais le mérite et la faveur se trouvoient rarement
alors sur une même route : M. de Nivernois fut éloigné
de cet emploi , parce qu'il étoit trop sévère : ainsi le prononcèrent
des courtisans plus occupés de leur intérêt , que
du soindu bonheur public, et dont les formes contrastoient
avec son extrême réserve . Mais quand on le proposoit à la
confiance du roi pour entrer dans le ministère , les mêmes
hommes qui venoient d'insister sur son austérité , affectoient
tout-à-coup de ne plus voir en lui , au lieu de ce Caton
rigide, qu'un poète léger et un courtisan agréable . C'est
ce qui arrive souvent. Un honnête homme , homme d'esprit
, peut être doublement perdu ; car l'honnête homme
court grand risque d'être noyé par les méchans , et l'homme
d'esprit par les sots.
Etranger à l'intrigue , M. de Nivernois étoit trop éclairé
SEPTEMBRE 1807. 613
1
pour être ambitieux. Mais cette biference sur ses intérêts
personnels , ne l'attiediss it pont sur l'intérêt public. Il le
voyoit en citoyen , avec zèleet avec douleur , comme on
devoit le voir alors .
En effet , le démon des discordes civiles commençoit à
miner l'autorité royale , et les appuis de la couronne contribuoient
à l'ébranler. Un gouvernement fort étouffe les
germes des troubles ; mais sous un gouvernement foible ,
ces germes négligés prennent avec le temps une consistance
effrayante ; et c'est alors qu'on est étonné de voir les plus
grands et les plus sinistres effets , amenés par les plus
petites et les plus méprisables causes. On s'étoit aperçu
du mal, lorsqu'il paroissoit sans remède. L'assemblée des
Notables n'avoit eu aucun résultat . Dans ces circonstances
critiques , sur les représentations de M. de Vergennes , le
duc de Nivernois fut enfin appelé au Conseil d'Etat. Il
sentoit qu'il étoit bien tard , et cependant il s'y rendit :
vieux et infirme , il immola sa liberté à son devoir , se
fixa à Versailles , rendit tous les services qu'on pouvoit
attendre de lui ; mais la mort imprévue du comte de Vergennes
vint déranger le plan que ce ministre habile avoit
formé pour éviter les malheurs , qu'il étoit alors facile
de prévoir , et peut-être de prévenír. Privé de cet appui
la politique de Versailles fut tous les jours plus vacillante ,
et tous les jours , en quelque sorte , le trone tomboit par
morceaux : M. de Nivernois sentit que sa présence étoit
inutile à la cour , et il rentra dans sa demeure; dissimulant
son désespoir sous un air de sérénité , mais jugeant bien
l'état des choses , et sentant qu'il devoit attendre , lorsqu'on
arriveroit à une époque trop prochaine, llaa prison ou la
mort. En effet , il fut arrêté ( le 13 septembre 1793)le même
jour que le vieux lieutenant-civil , ce vénérable Angrand'Alleray.
Chargé de près de seize lustres , et n'ayant qu'un soufle
de vie , le duc de Nivernois devoit exciter la pitié de ceux
qui le gardoient , s'ils eussent connu la pitié. Une autre
spéculation lui valut de leur part quelques ménagemens .
Sa santé étoit à tel point détruite , sa fin naturelle paroissoit
devoir être si prochaine , il faisoit avec tant de graces
tous les sacrifices qu'on exigeoit de lui , qu'on parut l'oublier,
et qu'on eut l'air de voir en lui une victime réservée pour
les dernières crises de l'esprit de destruction , qui étoit le
système des dominateurs du moment. Dans cette situation ,
cet illustre captif jugeant avec sagesse des suites de cette
tourmente révolutionnaire , persuadé qu'alors on ne pouvoit
3
614 MERCURE DE FRANCE ,
y opposer aucune résistance , à moins que de vouloir irriter
la fureur des tigres investis du pouvoir suprême , il eut la
force d'être calme , s'entoura de ses livres , s'occupa de faire
des vers , fut un consolateur aimable pour tous les compagnons
de sa détention , etun bienfaiteur délicat pour ceux
qui , au chagrin d'avoir perdu leur liberté , joignoient les
douloureuses privations de l'indigence. Enfin, pendant près
d'une année qu'il fut détenu à la caserne des Carmes àParis ,
sa conduite fut celle que Socrate tint autrefois dans les
prisons d'Athènes .
2
Sorti de cet état au mois d'août 1794 , et rétabli dans sa
maison qu'il trouva toute démeublée , il y a moins vécu
qu'il y a langui quatre années , presque toujours malade
mais conservant tout son esprit , tout son atticisme et ses
graces , dans la société d'un très-petit nombre d'amis , et
singulièrement dans cellede son médecin , M. Caille l'aîné ,
qui s'étoit dévoué à lui. M. Caille a reçu ses derniers soupirs
le 25 février 1798 .
On peut juger de sa tranquillité et de sa présence d'esprit
jusqu'au dernier moment, par le billet connu , qu'il écrivit
le matin même de sa mort à ce médecin qu'il aimoit. On
peut douter qu'Anacréon , même en bonne santé , ait rien
fait de plus agréable que ce billet en vers , à-la-fois poétique,
philosophique et amical , tracé par une main mourante.
Le duc de Nivernois méritoit d'avoir des amis , parce
qu'il savoit à- la-fois les choisir et les conserver. J'en citerai
un seul exemple , si touchant et si respectable , qu'on le
croiroit , quoique moderne , emprunté des beaux temps
antiques . M. Guynement de Keralio , qui a été gouverneur
du prince de Parme dans le temps où Condillac étoit son
instituteur , avoit été lié , avant d'aller à Parme , avec M. de
Nivernois , que l'on appeloit dans ce temps le prince de
Vergagne. Ils étoient jeunes l'un et l'autre ; mais M. de
Keralio avoit quatre ans de plus. Durant tout le temps que
celui-ci a été en Italie , M. de Nivernois ne l'a pas perdu
de vue un seul instant : à son retour il l'accueillit , Tengagea
à venir demeurer près de lui , et voulut qu'il ne passât pas
un seul jour sans le voir. Ils se sont enfermés ensemble
dans la prisondes Carmes : la mort seule a pu les désunir.
M. de Keralio étoit dans la chambre de son ami , le jour et
au moment où il a rendu le dernier soupir. O divine amitié !
voilà les traits qui te signalent ; voilà les sentimens vrais,
profonds , immuables , auxquels on peut te reconnoître !
Heureux les coeurs qui les éprouvent , et heureuse encore
1
SEPTEMBRE 1807 : 6.5
Pame qui s'occupe à les retracer , si elle pouvoit rendre
Pimpression délicieuse qu'ils doivent faire ressentir !
Quelque temps avant cette époque ( en 1706 ) , M. de
Nivernois a publié lui- même le Recueil de ses OEuvres , en
8 volumes in-8°, avec une épigraphe tirée des Tusculanes ,
dans laquelle l'autear , à l'exemple de Cicéron , dit avec
modestie , que si ses occupations ont pu n'être pas inutiles
à ses concitoyens , il voudroit bien pouvoir aussi leur être
bon à quelque chose , même dans ses derniers loisirs .
Ce Recueil a paru dans un temps trop peu favorable
pour qu'il soit généralement répandu et apprécié à sa juste
valeur. Mais si nous pouvons nous flatter de rappeler sur
les ouvrages de notre célèbre confrère l'attention publique ,
•nous répondons d'avance à ceux qui les liront , de l'agrément
et du profit qu'ils doivent y trouver. De tous les gens de
qualité qui , par air ou par goût , ont cultivé les lettres , le
duc de Nivernois est celui qui , sans le secours de sa naissance
et de son noin , seroit sorti plutôt du rang des simples
amateurs , et seroit devenu classique .
Si c'étoit un seigneur de la cour de Louis XIV qui nous
eût laissé les ouvrages du duc de Nivernois , vu de si loin ,
convenons - en , sa renommée seroit beaucoup plus imposante
; mais il est venu tard , il est trop près de nous : on
n'a pas encore eu le temps de le mettre à sa place. Il est
même si peu connu sous les rapports qui le distinguent ,
que les détails de cet éloge , révélant un homme nouveau ,.
étonneront sans doute ceux qui ne le connoissent que pour
avoir ouï citer de lui de jolis vers ou des saillies spirituelles
: mérite si vulgaire en France , qu'il ne vaut presque
plus la peine d'être remarqué.
Mais si les bons mots sont communs , il n'en est pas encore
de même des bons livres . Nous devons , à ce titre , analyser
rapidement les OEuvres du duc de Nivernois .
F Les deux premiers volumes de la collection sont uniquement
composés de ses fables . Il en avoit récité un certain,
nombre dans plusieurs séances publiques de l'Académie
française ; elles avoient obtenu un succes de lecture qu'on a
pu croire dans le temps un peu exagéré par la faveur des
circonstances et par les charmes du débit : mais ces fables
out un mérite qui doit les distinguer de tout autre écrit de
ce genre , dans lequel la France est si riche , qu'elle dédaigne
ses richesses .
On veut tout rapporter à la naïveté par laquelle , il est
vrai , La Fontaine est inimitable ; cependant nous avons des
contes qui ne ressemblent pas aux siens , et qui ont un autre
4
616 MERCURE DE FRANCE ,
mérite. Voltaire nous a démontré qu'ily a pour le moins
trois manières diverses de narrer agréablement . Nous osons
dire que les fables de Nivernois ont un cachet particulier ,
c'est le but dans lequel l'auteur les avoit composées . En
écrivant ces fables , il songeoit aux enfans des rois , à ceux
des classes élevées de la société ; en un mot , il voyoit un
monde au-dessus de celui qu'avoient envisagé nos autres
fabulistes ; il contoit dans un autre étage , et sa philosophie
planoit en quelque sorte sous les lambris dorés. Desirons
que les jeunes princes se pénètrent de ses leçons , et qu'après
avoir écouté dans le bon La Fontaine , Esope aux champs
et à la ville , ils entendent aussi dans notre Nivernois un
nouvel Esope à la cour .
Les quatre volumes qui suivent dans les OEuvres de notre
auteur , contiennent des mélanges d'une littérature aimable
et variée. Ony trouve de tout: des épîtres , des contes , des
épigrammes , des chansons dont il a fait tout-à-la-fois les
paroles et la musique. Il a imité avec soin des morceaux
excellens , choisis dans les meilleurs poètes ou anciens ou
étrangers , Anacreon , Virgile , Horace , Ovide , Milton ,
Pope , l'Arioste et Métastase . Jamais sa muse ne vous mène
qu'en bonne compagnie , et elle se montre toujours digne
de vous y introduire.
L'ouvrage le plus étendu que renferment les OEuvres du
duc de Nivernois, est aussi la production la plus considérable
qui existe dans notre langue , en vers de dix syllabes ;
ce sont les trente chants du poëme de Richardet , originairement
composés en italien vers l'an 1716 , par le prélat
Fortiguerra , ami du pape Clément XII. Ce singulier poëme,
improvisé en quelque sorte par suite d'un défi au sujet du
Berni et de l'Arioste , a été abrégé et mis en douze chants
par un autre rhneur français. M. de Nivernois s'est ataché
au texte , et l'a rendu avec un abandon et une aisance qui
peuvent sembler trop faciles , mais qui donnent pourtant
àcette version négligée et même diffuse , l'air d'un ouvrage
original.
Ce qui surprendra , Messieurs , c'est que cette traduction ,
comprenant trente mille vers , a été vraiment faite au courant
de la plume , et d'un seul jet , pour ainsi dire , dans
cette caserne des Carmes où fut enfermé si long-temps
le duc de Nivernois , en 1793. Accablé de souffrances
et de privations , dépouillé de ses biens , outragé par Chaumette
à la tribune de Paris , menacé de perdre la vie , il
savoit se distraire en traduisant Fortiguerra ; un chant de
Richardet occupoit agréablement dix ou douze journées de
sacaptivité,
SEPTEMBRE 1807 . 617
1
Victime des secousses de la plus formidable des révolutions
, le duc de Nivernois ne pouvoit sans doute approuver
de pareils changemens faits avec tant de violence par
de malheureux insensés qui sembloient rendre exprès la
liberté funeste , afin de la rendre odieuse. Mais , loin de
faire le procès à cette cause d'un grand peuple , et de saisir,
comme tant d'autres , le prétexte de ses excès , pour calomnier
ses principes , le duc de Nivernois donnoit un grand et
rare exemple ; il se résignoit devant elle, savoit perdre
tranquillement cent mille écus de rente , et descendoit , sans
murmurer, d'un des rangs les plus élevés qui fussent alors
dans l'Etat. Que tous ceux qui m'écoutent se mettent à sa
place , et que leur conscience réponde avec franchise ! Une
philosophie réduite à cette épreuve, et qui en sort aussi
paisible , annonce- t-elle une ame d'une trempe commune ?
Certes , il falloit que la sienne trouvật en elle-même de
prodigieuses ressources , pour ne pas succomber , à l'âge
de 80 ans , sous le poids des ruines qui l'écrasoient sans
Pébranler.
Lorsque le duc de Nivernois sortit de sa prison, et qu'il
rentra dans son hôtel où il manquoit de tout, il ne tira
d'autre vengeance de cette persécution que de faire quelques
couplets sans fiel , et même fort aimables : on l'appeloit
alors citoyen Mancini , et il y fait allusion , en empruntant
l'air de Tarare : Ahi ! povero Calpigi !
Je ne dois pas dissimuler que la prose de M. Nivernois est
plus correcte que ses vers, sur-tout que ses grands vers; mais
ses chansons et ses romances, toutes ses piècesfugitives , sont
généralement d'un goût pur , et d'un très-bon ton ; on en
jugera mieux par quelques divertissemens que j'ai pu recueillir
, et qui composeront, dans ses OEuvres posthumes (1 ) ,
son Théâtre de société . C'est là qu'on le verra dans son
intérieur jouant avec sa muse , et l'associant une fois à celle
d'un de ses confrères que nous avons le bonheur de posséder
encore. Il s'agissoit de célébrer la fête du prince Henri
de Prusse , qui étoit venu à Paris en 1788. Cette fête fut
remarquable , d'abord par le grand prince qui en étoit
l'objet , et ensuite par l'union des deux muses charmantes
qui firent ce jour les honneurs du Parnasse français . On
dut aimer à voir ensemble dans une telle occasion , le duc
de Nivernois et le chevalier de Boufflers .
(1) Les Envres posthumes du duc de Nivernois seront imprimées à la
suite de cet Eloge , dont elles seront les pièces justificatives , et formeront
quatre parties in8°. qu'on trouvera chez Maradan , rue des Grands
Augustins.
618 MERCURE DE FRANCE ,
On n'aime pas moins à relire les vers que M. de Boufflers
adressoit dans ce temps au duc de Nivernois , en lui
envoyant des moutons destinés à parquer dans une pièce de
gazon de son parc de Saint-Ouen.
Petits moutons ! votre fortune est faite;
Pour vous ce pré vaut le sacré vallon:
N'enviez pas l'heureux troupeau d'Admète ,
Carvous paissez sous les yeux d'Apollon.
Le duc de Nivernois a regretté de ne pouvoir mettre
dans sa collection ses discours à l'Académie , et nous devons
aussi réparer cette omission. On relira avec plaisir dans
ses OEuvres posthumes , ses nombreuses réponses aux récipiendaires
dans notre Académie française. İl varie à propos
son ton pour chacun d'eux ; il leur parle. à tous dans leur
langue , sans flatterie et sans apprêt; il montre tour-à-tour
et sous des couleurs ressemblantes , l'avocat général fameux ,
en recevant M. Séguier ; l'avocat et l'homme de bien, en
parlant à M. Target; l'orateurde lachaire et le panégyristede
S. Vincent de Paule, eu recevant ici, pour la première fois,
M l'abbé Maury ; les journalistes éclairés , honnêtes et
utiles , en parlant de l'abbé Arnaud et de M. Suard ; et
plusieurs autres genres de mérites académiques , en louant
successivement , ( après ces fameux personnages , ou du
cardinal de Fleury, ou du maréchal de Belle -Isle ) , les
Massillon , les Fontenelle , les Sallier , les Batteux , les
Giry, les Coëtlosquet , les Trublet , les Séguy , les Duresnel ,
les Pompignan , les Condorcet et les Voltaire. Ce fut dans
la même séance qu'il sut rendre justice à l'auteur de Didon ,
etqu'il rendit hommage à l'auteur de la Henriade. Enfin ,
en 1795, il a paru se ranimer pour célébrer encore l'esprit,
les moeurs et les ouvrages de son ami Barthélemy. Ainsi
donc sa mémoire est liée à l'histoire de la littérature et de
l'Académie dans tout le XVIII siècle : le peintre s'est
associé à la gloire de ses modèles , et son image aura sa
place dans cette galerie des hommes de lettres français , dont
il a légué les portraits à la postérité.
O ! si , dans l'Elysée qu'habitent les ombres célèbres ,
celle du duc de Nivernois pouvoit être sensible aux accens
de ma foible voix , j'oserois peut- être lui dire :
Consolez-vous , mânes chéris ! quand vous avez quitté
la vie , hélas ! vos yeux ne voyoient pas encore bien distinctement
cette France que vous aimiez , hors du chaos affreux
où elle avoit été plongée par ses dissentions civiles. Vos
yeux en s'éteignant , cherchoient votre famille , et ne la
voyoient plus. Vous regrettiez aussi l'Académie française , :
SEPTEMBRE 1807 . 619
qui nesubsistoit plus. Eh bien ! si vos regards s'arrêtent sur
la terre , jouissez du spectacle heureux que Paris présente
aujourd'hui . Les quatre Académies dont la réunion compose
l'Institut de France , sont assemblées en ce moment
pour honorer votre mémoire : le public applaudit au tribut
que l'on vous décerne. Votre digne fille , et sa fille et vos
petits - enfans sont présens à cette séance , hormis ce jeune
Mortemart que son devoir attache aux drapeaux de la
Grande-Armée!
Et cette fête littéraire , succède et se marie à des fêtes
nationales d'un caractère plus auguste , et par lesquelles
la France se réjouit d'avoir donné la paix au Monde , sous
l'influence d'un génie que le Ciel fit exprès pour elle , et qui
replace cet Empire plus haut que Charlemagne ne l'avoit
jadis élevé.
* O Nivernois ! de votre temps , la Sprée et la Tamise
avoient humilié la Seine , mais cette opprobre est effacé. La
pyramide de Rosbach vient décorer Paris , et l'épée de
Frédéric II est déposée aux Invalides . Si Londres continue
à repousser la paix , nous n'avons plus besoin de mendier
sonindulgence comme vous y étiez malheureusement obligé!
Désormais réunies , la Seine et la Newa sauront bien forcer
la Tamise à laisser la mer libre et le Continent en repos . De
votre temps enfin , l'oeil cherchoit Parisdans Paris : ce n'étoit
plus hélas ! la première des villes ; c'étoit l'antre de la discorde;
ses fêtes étoient des supplices , et ses monumens des
ruines. Aujourd'hui le Louvre s'achève; tout Paris est
digne du Louvre. De tous côtés l'oeil y rencontre les trophées
de la gloire , les créations du génie, les pompes de la
paix ; et cette grande capitale du plus grand des Empires ,
devient la reine des cités et la merveille de l'Europe .
Aimable et sage Nivernois ! tout ce que vous avez chéri ,
tout ce que vous crûtes perdu , tout se réunit à la fois pour
expier Poutrage fait à vos derniers jours , et pour venger
votre mémoire ; recevez les hommages de notre Académie ,
que votre famille du moins les recueille pour vous , et que
l'image des triomphes et des prospérités de l'Empire français
pénétrant jusqu'à vous dans l'asyle éternel des ombres
vertueuses, ajoute , s'il se peut , à la félicité dont a mérité de
jouir le citoyen recommandable qui , pendant soixante ans ,
travailla comme vous , sans ambition et sans faste , pour le
gloire des lettres et pour le bien de sa patrie !
620 MERCURE DE FRANCE ,
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES ,
NOUVELLES LITTÉRAIRES.
-M. de Parny vient de donner au public un nouveau
poëme en douze chants , intitulé les Rosecroix.
-On a donné , jeudi dernier , au théâtre de l'Opéra-
Comique, une première représentation de la Folie musicale,
ou le Chanteur prisonnier. Cette nouveauté n'a point eu de
succès . L'auteur du poëme est M. Francis , et l'auteur de
lamusique est M. Pradère fils .
Le même jour , le théâtre de l'Impératrice a été plus
heureux. Le Volage , ou le Mariage difficile , comédie en
trois actes et en prose , jouée pour la première fois , a
obtenu le plus grand succès. L'auteur , M. Caigniez , n'étoit
encore connu au théâtre que par des mélodrames .
- Mad. Catalani est décidément engagée à l'Opéra de
Londres , pour la saison prochaine; elle chantera dans les
pièces comiques , ainsi que dans les sérieuses , et n'aura pas
la liberté de se faire entendre dans les concerts .
-Dimanche prochain , à deux heures , commenceront au
Champ-de-Mars les Courses d'épreuves , dont l'objet est de
déterminer quels seront les chevaux admis aux courses qui se
ferontle 11 et le 12 octobre , et pour lesquelles il sera décerné
desprix; ces courses d'épreuve continueront d'avoir lieu tous
lesjours à lamême heure , jusqu'au 4 octobre . Tous chevaux
indistinctement, et sans examen préalable ,y seront admis.
-Les artistes qui auroient l'intention de s'occuper du
projet d'orangerie ou promenade publique d'hiver , dont le
programe a été publié par la voix des journaux , sont prévenus
que le concours ne sera fermé qu'au 1. mars prochain.
Ils sont invités à déposer , avant ce terme , leurs projets au
ministère de l'intérieur.
-M. Dureau de la Malle est mort le 20 , et laisse une
troisième place vacante à l'Académie française. Nous lui
devons la meilleure traduction que nous ayons des OEuvres
de Tacite; il a aussi traduit Salluste et Tite-Live , mais ces
deux ouvrages n'ont point encore paru.
AU RÉDACTEUR DU MERCURE DE FRANCE.
Monsieur ,
:
Je crois devoir répondre à l'article inséré dans le Numéro
du Journal de Paris , du II août 1807 , sur les ravages
SEPTEMBRE 1807 . 631
occasionnés par la petite-vérole dans la ville d'Anvers , où ,
dit-on, la vaccine est malheureusement discréditée , par suite
de l'impression qu'a faite dans les premières classes de la
société un ouvrage du docteur anglais Rowley, contre cette
découverte salutaire. On semble reprocher au Comité de
Vaccine de Paris de n'avoir pas cherché à savoir si l'ouvrage
du docteur Rowley a été réfuté en Angleterre. Le
reproche est mal fondé. Les savans médecins qui le composent
n'ont pas cru qu'après tant de preuves de l'efficacité
de la vaccine, tantd'expériences constatées , de faits notoires
et positifs rendus publics soit par le Comité , soit par de
grands praticiens tant de Londres que de Paris , il existât
encore des gens capables d'ajouter foi à des opinions aussi
absurdes que celles contenues dans l'ouvrage , ou plutôt
dans les trois ouvrages des docteurs Rowley , Moseley et
Squirrel , tous partisans outrés de l'ancienne inoculation ,
qu'ils voudroient substituer à la vaccination.
Permettez-moi cependant , Monsieur , de faire connoître
au public , par la voie de votre excellent Journal , que le
docteur Thornton , médecin distingué de Londres , personnellement
connu des docteturs Rowley, Moseley et Squirrel ,
a répliqué aux faits avancés par ces Messieurs , dans son
ouvrage intitulé: Preuves de l'Efficacitéde la Vaccine, etc. (1),
dont j'ai donné depuis peu une traduction française. Vous
pouvez consulter à ce sujet les pages 147 et suivantes de cet
ouvrage , qui a obtenu l'accueil le plus flatteur, tant de la
part du public , que de celle des médecins les plus expérimentés
de lacapitaallee et des départemens.
Voici la réponse du docteur Thornton aux objections ridicules
des adversaires de la vaccine :
« .... Mon respectacle ami, le docteur Moseley , a agi
>>avec prudence en combattant la précipitation avec laquelle
>>on selivroit à la découverte de la vaccine ; mais l'événe-
> ment a incontestablement justifié sa vertu préservative.
>>Lorsque nous voyons aujourd'hui des gens pousser la
>>sottise assez loin pour faire naître , probablement dans
>>l'imagination des gens bornés , que la transmission de la
> maladie d'une vache à un corps humain peut occasionner
>> à ce dernier les différentes humeurs qui appartiennent à la
>> nature des bêtes ; que l'enfant vaccine va prendre la bruta-
>>lité d'un veau , et qu'il lui poussera des cornes et une
(1) Un vol. in-8° . , orné de deux planches coloriées , représentant au
naturel la vraie et la fausse vaccine. Prix : 4 fr .
A Paris , chez Chomel , imprimeur- libraire , rue Jean-Robert , nº . 26
Capelle et Renand , libraires- commissionnaires , rue J. J. Rousseau, no. 6,
et chez le Normant.
622 MERCURE DE FRANCE ,
>> longue queue velue , on est justement surpris qu'ils trouvent
>> eucore des gens assez simples pour les croire. >>>
«Au lieu de toutes ces absurdités , poursuit le docteur
>>Thornton, page 133 de la traduction , la véritable consé-
>>quence de cette transmission a été une seule pustule locale ,
>>peu ou point d'indisposition , et l'impossibilité de jamais
>>contracter une maladie dégoûtante , cruelle et dévastatrice ,
>>qui , de nos jours , moissonnoit , à la connoissance de touť
>>le monde, un individu par minute.
>> Dieu soit béni ! la vaccine n'a engendré d'humeurs , de
>>cornes et de queues , que dans l'imagination des gens
>> exaltés et insensés ; les raisonnemens de ceux-ci reposent
>>sur la malignité et sur un préjugé vulgaire . Il n'en est pas
>>de même de l'opinion réfléchie du praticien , qui ne tire
>>ses conséquences que des faits passés sous ses yeux , etc.>>>
Le docteur Thornton réfute également les objections du
docteur Squirrel , qui a raisonné sur le compte de la vaccine
dans la supposition qu'elle provenoit originairement du
cheval. L'origine d'un remède , répond le docteur Thornton ,
ne prouve rien contre son efficacité , et il faut attribuer les
fausses conséquences qu'en tire le docteur Squirrel et les
autres adversaires de la vaccine , à un défaut d'expérience
personnelle de cette opération salutaire.
→
Je voudrois multiplier les citations : un simple fait prou -
vera mieux que tout ce que je pourrois ajouter , combien
les cinq cent-quatre cas de vaccination dont parle le docteur.
Rowley méritent peu de croyance , et de quel crédit son
ouvrage jouit en Angleterre. La Chambre des Communes
vient de voter , au commencement du mois d'août 1807, une
récompense de 20,000 liv . sterlings ( 480,000 fr . ) au docteur
Jenner , inventeur de la vaccine ; prix honorable , et digne
d'unedécouverte si utile à l'humanité .
DUFFOUR , médecin de l'Hospice Impérial
des Quinze- Vingts et du Comité central
de Bienfaisance du cinquième Arrondissement
de Paris , etc.
NOUVELLES POLITIQUES.
PARIS, vendredi 26 septembre.
-M. de Lindholun , aide-de-camp de S. A. R. le prince
Royal de Danemarck , est arrivé à Paris. Il a eu une audience
de l'EMPEREUR . ১
-S. Exc. le ministre secrétaire d'Etat et M. le maréchal
Moncey sont partis le 25 pour aller s'établir à Fontainebleau.
On attend incessamment dans cette ville M. le prince
de Bénévent.
1
TABLE
DU TROISIÈME TRIMESTRE DE L'ANNÉE 1807 .
TOME VINGT - NEUVIÈME.
POÉSIE ..
La Rose coquette ( ode anacreontique ) , page
3
Le Projet illusoire ,
6
Le Capucin devant une Planète , 49
Hymne d'un Convalescent au Soleil ,
5t
L'Opéra champêtre, 97
Difficulté de trouver et de rassembler les matériaux de l'Histoire des
premiers siècles, Id.
Ils se sont embrassés ! ( vaudeville populaire ), 98
L'Amour et les Oiseleurs ( idle) ,
:
145
Epilogue d'un poëme intitulé : Le Génie voyageur , 146
Beauté , Bonté et Grace ( allégorie ) , 148
La Paix de Tilsit ( ode ) , 193
Traduction libre de la première Elégie de Tibulle , 241
L'Attente ( stances ) , 1 244
Vers sur la Mort d'Eléonore , 245
Fragmens du II . liv. de l'Art d'Aimer d'Ovide, 289et 339
Edgar et Laurence ( romance) ,
Ode, par M. Le Brun ,
Fragment du premier liv. des Fastes d'Ovide ,
Ode à l'Imagination ,
Surl'Ascension nocturne de M. Garnerin , le 4 août 1807 ,
La Colère d'Apollon ( ode ) ,
La Nuit, ou les Regrets de l'Absence ,
Fragment d'un Essai poétique sur l'Ecole française ,
Fragment d'un poëme intitulé : L'Année Champêtre ,
Le Ver luisant et le Ver de terre ( fable ) ,
Traduction du début du poëme contre Rufin , de Claudien ,
Fragment du Chant XVI . de la Jérusalem délivrée ,
Extraitset comptes rendus d'Ouvrages.
290
291
337
340
385
433
436
481
Id.
529
532
577
VoyagePittoresque et Historique de l'Espagne , 7 et 563
Poésies ,
22
Examen de l'Opinion de plusieurs Géologues et Naturalistes , 53
Pensées de Balzac , 59
Correspondance littéraire de M. de La Harpe , 68
De la Vertu , 79
De la Manière d'écrire l'Histoire , JOF
Suite des Souvenirs de Félicie , 121
Vie de Frédéric II , roi de Prusse,
T T
128
Nouvelles Considérations sur les Sauvages de l'Amérique , 151
Traduction en vers de quelques Poésies de Lope de Vega, 156
624 TABLE DES MATIERES.
Nouveaux Opuscules de l'abbé Fleury , 167
Quelques Détails sur les moeurs des Grecs, desArabes et des Turcs, 197
Mémoires du marquis d'Argens , chambellan de Frédéric-le-Grand, 214
Mon Séjour auprès de Voltaire , 247
Sur la Peinture, 255
Viedu comte de Munnich , 266
De Louis XIV et de ses Successeurs , 295
Théorie du Beau dans la Nature et les Arts , 30
De la Langue et de la Politique , 343
Sur la traduction de Don Quichotte , par Florian , 357
Fables et Poésies diverses , 364
Mélanges , etc. , sur la fin du règne de Louis XIV et le commencement
de celui de Louis XV , 368
AVoyage round the world , etc. Voyage autour du Monde, 374
De la Critique littéraire , 39
Le Génie cu Christianisme , 400
Histoirede Pierre du Terrail , dit le chevalier Bayard ; sans Peur et
sans Reproche, 439
Elé ies de Tibulle , traduction nouvelle, 446
Pent-il exister un Bonheur parfait? 451
Rapport sur les Travaux de la Classe d'Histoire et de Littérature
ancienne , fait à l'Institut , 2 457
Réflexions sur laGéologie, 487
Tableau Historique et Politique , de l'année 1806 , etc. ,
Lettre sur les Arts imitateurs en général , et sur la Danse en parti-
496
culier , 50t
Le Bachelier de Sa'amanque , ou Mémoires et Aventures de Don
Chérubin de la Ronda , 508
OEuvres chisies de M. Lefranc de Pompignan , 541
Lettres de Marie Stuart , reine d'Ecosse , et de Christine , reine de
Suède , 54g
Traité élémentaire de Mécanique , 555
Opuscules en vers , 560
Eusèbe , Héroïde , par J. D. Laya ,
581
Maximeset Réflexions sur différens sujets de morale et de politique , 587
Réponse de l'auteur de la traduction de Lope de Vega , à M. P. , au
sujet de la traduction de Don Quichotte de Florian ,
Eloge du duc de Nivernois , l'un des quarante de l'Académie Française,
etc.; lu dans l'assemblée publique et extraordinaire de l'Ins
titut de France, Classe de la Langue et de la Littérature françaises
, le 26 août 1807 , par N. François (de Neufchâteau ) ,
59
1.
598
LITTÉRATURE, SCIENCES , ARTS ET SPECTACLES.
Pages 37,86, 155 , 179 , 277 , 313 , 377 , 407, 474 , 511 , 564, 620
NOUVELLES POLITIQUES.
4
Pages 87, 143 , 187 , 223, 279, 327 , 30, 419, 475 , 517, 579, 622
Pages
PARIS.
41 , 89, 189, 223 , 279, 330, 380, 425,478, 524, 573 , 628
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères