Nom du fichier
1806, 01-03, t. 23, n. 233-245 (4, 11, 18, 25 janvier, 1, 8, 15, 22 février, 1, 8, 15, 22, 29 mars)
Taille
37.50 Mo
Format
Nombre de pages
630
Source
Lien vers la source
Année de téléchargement
Texte
MERCURE
15 .
cen
DE
FRANCE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
TOME VINGT - TROISIEME.
VIRESACQUIRIT
EUNDO
A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE DE LE NORMANT.
1806.
I
(RECAP
)
0904
6345
v
,
23
1806
.
No. CCXXXIII. )
( SAMEDI 4 JANVIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
LE CORDONNIER DEVENU MÉDECIN ,
FABLE IMITÉE DE PHÈDRE,
Prologue.
LORSQU'APOLLON eut conçu le dessein
De faire son fils médecin ,
Il voulut à Chiron confiant son enfance ,
Qu'au prix d'un long travail il acquît la science.
De nos docteurs nouveaux on en exige moins (1 ) :
Sans trop d'études ni de soins ,
Il suffit aujourd'hui d'un fonds de suffisance .
Après un léger examen ,
Un charlatan , tout bardé d'ignorance ,
D'une patente fait un brevet d'assassin :
Malheur alors au pauvre genre humain !
(1) Cette fable fut écrite en 1793 , dans le temps où le dernier des
fraters , armé d'une patente , pouvoit impunément exercer le terrible
droit de vie et de mort.
V.23
529724
A 2
4
MERCURE
DE FRANCE
,
Cet homicide abus me rappelle une fable ,
Dont la morale peut nous être profitable.
,
Un mauvais cordonnier , près de mourir de faim ,
Sous un nom supposé , dans un petit village
Vendit de l'antidote ; et par son verbiage ,
En peu de temps passa pour un grand médecin.
Le roi tombe malade ; il mande l'empyrique ;
Et pour éprouver son savoir :
<<< Je veux sur toi , dit-il , essayer le pouvoir
>> De ton célèbre spécifique . »
Puis, feignant de verser du poison au docteur ,
A l'antidote il mêle de l'eau pure ,
Et lui prescrit de boire la liqueur.
Le charlatan , transi de peur ,
Avoue aussitôt l'imposture ;
Confesse que jamais il ne fut médecin ;
Qu'il ignore le grec autant que le latin ;
Que d'un peuple idiot la crédule ignorance
Est son secret unique , et toute sa science .
Donnant alors au peuple une utile leçon :
« Vous voyez , dit le prince , en cette conjoncture ,
>> Combien il faut manquer de sens et de raison ,
» Pour commettre sa guérison
» A qui nul n'a voulu confier sa chaussure ! ›
KERIVALANT.
LE TOMBEAU D'EMILIE ,
ÉLÉGIE.
ELLE n'est plus cette beauté touchante ,
De son sexe à la fois le modèle et l'orgueil !
Elle n'est plus , et la mort dévorante
Aux portes de la vie a creusé son cercueil.
En vain j'ai vu briller ses attraits , sa jeunesse ,
Son aimable candeur , sa grace enchanteresse
JANVIER 1806. 5
Sa douce piété , fidelle aux malheureux ;
Ni les pleurs d'un époux , ni les soins d'une mère ,
Ni d'un père éperdu la fervente prière ,
N'ont pu la dérober à son sort rigoureux.
O tendre rose , à peine épanouie ,
Tu descends de ta tige au matin de la vie ,
Un souffle destructeur t'enlève à notre amour !
O reine des jardins de Flore ,
Si tu ne vis qu'une aurore ,
Ce fut au moins l'aurore d'un beau jour !
Nymphes du Sor ( 1 ) , dont elle aima les rives ,
Pleurez votre jeune soeur !
Pleurez , et que vos voix plaintives
Se mêlent aux soupirs qu'exhale ma douleur !
Au lit de mort repose , ô mon amie !
Dors sur le sein de tes aïeux ..
Le choc des passions eût agité ta vie , N
Et le calme t'attend près d'eux .
C. A. CHAUDRUC.
$
L'ANTIQUE ,
CONTE
D'UNE calcédoine gravée
Un ignorant faisoit grand cas ."
D'autres bavards l'avoient trouvée
Digne du cabinet des plus grands potentats.
La découverte excitant des débats ,
Au plus célèbre antiquaire de France
Père du jeune Anacharsis ,
薯
Le possesseur s'adresse : « Ayez la complaisance ,
>> Sur ce rare morceau , de donner votre avis , ! .
( 1 ) Le Sor , petite rivière qui donne son nom au Sorsois. -
3
6 MERCURE DE FRANCE,
Lui dit- il ; cette pierre est sans doute une antique ? » →→
<< Pas encor ; mais avec le temps
"
Elle pourra soutenir la critique ,
>> Et nous en parlerons dans deux ou trois mille ans. »
Par F. DEVENET.
ENIGM E.
ON me donne souvent , jamais on ne me livre ;
Percé de mille traits , je ne meurs pourtant pas ;
Pour certains romanciers mon nom a tant d'appas ,
Qu'ils me mettent cent fois et plus dans un seul livre.
H. ( d'Eu . )
LOGO GRIPHE.
LECTEUR , je suis un saint , qu'on chante cependant
A table , à l'Opéra , de même qu'à l'Eglise ,
Sans que le plus dévot jamais s'en formalise.
Veux- tu me disséquer ? Tu verras sûrement
Le doux nom qu'un amant parfois donne à sa belle ,
Deux notes de musique , un fougueux élément ;
Enfin , ce qui jadis embarrassa souvent
Un poète fameux à qui j'étois rebelle.
CHARA D E.
De mon premier Arimane est l'auteur ;
De mon second un Dieu, propice :
Ce Dieu si bon , ami de la justice ,
Veut que mon tout détruise le bonheur,
Par G. V. ( de Brive ) , abonné,
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la
CHARADE insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigine du dernier N° est les Cartes.
Celui du Logogriphe est Crime , où l'on trouve rime.
Celui de la Charade est Or-pin.
JANVIER 1806 .
7
L'ESP
De la Politique et de la Morale.
' ESPRIT humain qui saisit le composé plutôt
que le simple , dans ses premiers efforts pour réduire
une science quelconque en un système d'enseignement
, commence assez souvent par de gros
livres , où il cherche à tâtons les principes dans la
foule des détails et des conséquences : quand une
fois les principes sont connus , les idées se fixent ,
la science se généralise , et les livres se resserrent .
Alors on abrège tout parce que l'on voit tout ,
pour me servir du mot heureux de Montesquieu
en parlant de Tacite .
De combien de volumes l'Exposition de la Foi
de Bossuet , les Discours du même auteur sur
l'Histoire Universelle , ceux de Fleury sur l'Histoire
Ecclésiastique , l'Histoire de la Grandeur et
de la Décadence des Romains par Montesquieu ,
ne sont- il pas l'analyse , et comme la quintessence ?
On trouve , il est vrai , dans ces derniers écrits ,
peu de faits particuliers , parce que le temps qui
fournit des matériaux à l'histoire , laisse derrière
lui , dans sa course rapide , et livre à l'oubli les
faits comme les hommes , pour faire place à de
nouveaux faits et à de nouvelles générations ; mais
on y trouve les résultats généraux de tous les faits ,
et c'est , après tant de siècles d'événemens , tout
ce qu'il importe à la société de connoître et de
retenir.
Cette marche est même nécessaire aux progrès
de la raison et des connoissances humaines. En
effet , lorsque les livres qui traitent d'une seule
science se sont multipliés au point que la vie la
plus longue de l'homme le plus studieux peut à
4
8 MERCURE DE FRANCE ,
2
peine suffire à les parcourir, il faut , sous peine
de retomber dans l'ignorance , à force d'excès , et
si j'ose le dire d'encombrement dans les moyens
d'instruction , non pas abréger les livres , mais analyser
la science pour réduire les livres qui la contiennent
à la mesure de la durée de l'homme et
de ses facultés car il y a cette différence entre
l'abrégé et l'analyse , que l'abrégé supprime quelques
faits pour soulager la mémoire , et que l'analyse
généralise l'ensemble des faits pour étendre
les idées .
Nous avons sous les yeux des exemples familiers
de la nécessité de cette réduction du composé
au simple , et du particulier au général . La géométrie
et l'arithmétique proprement dites , ont
suffi long-temps aux besoins de la société et aux
recherches des savans sur les propriétés de l'étendue
et de la quantité . Mais lorsque les progrès de
la société ont exigé un plus grand développement
de vérités mathématiques , l'esprit humain s'est vu
arrêté , dans son essor , par l'inextricable confusion
des démonstrations compliquées tirées de
la géométrie linéaire , ou par l'infinie multiplicité
des signes arithmétiques ; et alors il a inventé
l'algèbre ou l'analyse , qui au moyen d'un petit
nombre de signes généraux , et d'opérations simples
et faciles , représente toutes les figures de l'étendue
, toutes les valeurs de la quantité , et en démontre
ou en combine tous les rapports.
Et pour faire l'application de cette comparaison
aux matières politiques ; lors J. J. Rousseau a
dit : « Le gouvernement passe de la démocratie à
>> l'aristocratie ; de l'aristocratie à la royauté ; c'est-
» là son inclinaison naturelle , le progrès inverse
» est impossible. » Il a donné une véritable formule
de la science politique ; une formule analytique
ou générale , où l'on trouve la raison et la fin
JANVIER 1806.
9
de toutes les révolutions ( 1 ) des sociétés , comme l'on
trouve dans la formule algébrique , appelée le binome
de Newton , la raison , la racine , la somme detoutes
les progressions et puissances . Et il est remar-,
quable que cet écrivain , après avoir posé ce principe
, cherche , dans le Contrat Social , à faire
Pimpossible , et à contrarier l'inclinaison naturelle
des sociétés , pour ramener les gouvernemens
de la royauté à la démocratie.
Dans une partie plus usuelle encore ; lorsque le
poids et le volume des monnoies de fer ou de
cuivre ont rendu trop difficultueuses , et même
impraticables les transactions journalières de commerce
, il a fallu , en conservant les valeurs , réduire
les signes qui les expriment , sous un plus
petit volume d'or et d'argent ; et lorsqu'enfin de nou
veaux progrès et une circulation plus active , et
peut être forcée d'hommes et de choses , ont
multiplié à l'excès le besoin et l'usage des métaux
précieux , il est devenu nécessaire de réduire encore
les signes monétaires , et de les convertir en
papier de Banque moyen usité aujourd'hui dans.
toute l'Europe ; mais agent actif de révolutions
privées et publiques , avec lequel on peut mettre
sur un quarré de papier la fortune de toutes les
familles , et le sort de tout un état.
Ainsi , quand un peuple a d'immenses bibliothèques
, il faut , pour lui en faciliter l'usage , les
réduire en petits livres , et il est vrai aussi , sous un
rapport plus moral , qu'il faut peu de livres à un
peuple qui lit beaucoup ; c'est-à- dire , qu'il ne faut
que de bons livres partout où la lecture est un
besoin de première nécessité.
(1 ) Cette formule suppose un état tombé dans la démocratie par
une révolution ; car , d'ailleurs , les sociétés laissées à la nature n'ont
jamais commencé par le gouvernement populaire ; mais par la royauté ,
d'abor d domestique , ensuite publique . "
ΤΟ MERCURE
DE FRANCE
Il est peu de sciences sur lesquelles on ait autant,
écrit que sur la politique et sur la morale : elles .
ont été traitées séparément par des publicistes et
des moralistes ; quelquefois par des écrivains qui
n'étoient ni l'un ni l'autre. Et non-seulement elles.
ont été traitées séparément ; mais elles ont été regar-,
dées trop souvent comme peu compatibles entr'elles :
opinion fausse et dangereuse qui déshonore la poli-.
tique et qui dégrade la morale , en présentant la
première de toutes les sciences , la science de gouverner
les hommes , comme indépendante des lois
de la morale ; ou la morale , comme de trop basse
condition , si je puis m'exprimer ainsi , pour trouver
place dans les hautes pensées des gouvernemens ..
Il m'a toujours paru que si l'on remontoit aux
principes mêmes de ces deux sciences , on pourroit
donner , en peu de mots , le secret de leur
union ; et qu'au lieu de les trouver opposées l'une
à l'autre , on découvriroit sans peine leur étroite
affinité. Ce sont deux familles , dont l'une s'est
élevée aux premières dignités de l'état ; tandis que
l'autre est restée dans la condition privée , et qui ,
en se communiquant leurs titres , retrouvent la
southe commune d'où elles sont sorties.
La politique prise dans un sens étendu , est l'ensemble
des règles qui doivent diriger la conduite
des gouvernemens envers leurs sujets , et envers les
autres états.
La morale est l'ensemble des règles qui doivent
diriger la conduite des hommes envers eux-mêmes ,
et envers les autres.
Si ces définitions sont exactes , la politique et
la morale sont semblables , Seulement l'une a rapport
au général , l'autre au particulier ; celle - là au
corps social , celle - ci à l'individu .
Ainsi l'on pourra dire : Que la politique est aux
gouvernemens ce que la morale est aux particuJANVIER
1806.
hiers : ou , en transposant les termes comme dans
une équation ( 1 ) , que la politque doit être la
morale des états ; et la morale , la politique des
particuliers : ou encore , que la bonne politique est
la grande morale , la morale publique , par opposition
à la morale proprement dite , qui est la morale
privée ; expressions différentes qui présentent
au fond le même sens , et qui ne font que mieux
développer le rapport mutuel de ces deux régulateurs
des actions publiques et des actions privées.
Ce ne sont là , il est vrai , que des définitions ;
mais des définitions exactes sont la clef des sciences.
Elles ont l'avantage de fixer d'abord la pensée et
de donner des notions étendues et précises à la
fois , sous une expression simple et abrégée . Aussi
Leibnitz , qui n'étoit pas content de tout ce qu'on
avoit écrit jusqu'à lui sur la politique , et qui , je
crois , eût été bien étonné de tout ce qu'ont écrit
depuis sur le même sujet , et J. J. Rousseau , et
Mably, et même Montesquieu , Leibnitz témoigne
le desir qu'on s'occupe de donner des définitions
exactes.
La politique et la morale sont semblables, même
lorsqu'elles se conduisent par des maximes opposées
en apparence . Ainsi la morale défend à
l'homme d'attenter à la vie de son semblable , et
même de desirer la propriété d'autrui ; et la politique
ordonne ou permet aux gouvernemens d'oter
la vie aux méchans , et méme de disposer de la vie
des bons pour le service légitime de la société .
Elle leur ordonne ou leur permet de disposer de
la propriété particulière par l'impôt , ou de l'em-
(1 ) Le goût réprouve ces expressions scientifiques ; mais on les emplote
ici pour faire sentir que des sciences différentes par leur objet , ræ
menées à des principes généraux , peuvent présenter des rapports communs.
L'auteur de cet article a donné quelques développemens à cette
proposition , dans sa Législation primitive.
12
MERCURE
DE FRANCE
,
ployer par droit de préhension à des objets d'utilité
publique
.
La morale dit à l'homme de ne pas faire à
autrui ce qu'il ne voudroit pas qu'on lui fit; et
cependant cette maxime d'éternelle vérité suppose
une égalité parfaite entre les hommes , et ne peut
par conséquent pas être à l'usage de la société
publique , ni même de la société domestique ; car
quel
est le magistrat ou le père de famille qui voudroit
être soumis à tout ce qu'il est obligé d'infliger
de peines , ou d'ordonner de services à ses
subordonnés ?
2
a
Et cependant , la politique et la morale , différentes
par le sujet auquel elles s'appliquent et
les moyens qu'elles emploient , mais semblables par
leurs principes , le sont encore par leur objet ;
puisque la fin de la morale est la conservation de
T'homme et sa perfection morale , et que la fin de
la politique est la conservation et la perfection de
la société.
Et même lorsque la morale dit à l'homme de
combattre ses propres passions , et lui permet
d'opposer une légitime défense aux passions des
autres , elle se rapproche tout-à-fait de la politique,
qui ordonne aux gouvernemens de réprimer les
méchans la société renferme dans son sein , et que
de la défendre au-dehors contre l'étranger.
On objectera peut - être les
que gouvernemens
les mieux ordonnés établissent ou tolèrent , des
choses qui paroissent incompatibles avec la saine
morale. Il est aisé de répondre en général que
tout ce qu'un gouvernement établit d'opposé à la
morale est tout aussi contraire à la politique ; ce
qui prouve , mieux que tout ce qu'on pourroit
dire , l'étroite liaison de leurs principes. Quant aux
tolérances , telles , par exemple , que celle des livres
dangereux , des spectacles licencieux , de la prosJANVIER
1806. 13
titution , etc. , qui peuvent n'être que pour un
temps , elles sont , si l'on veut , des foiblesses dont
le gouvernement le plus moral ne peut pas toujours
se défendre ; à -peu -près comme ces fautes
qui échappent à l'homme le plus vertueux ,
dont il travaille toute sa vie , et quelquefois en
vain , à se corriger.
et
Montesquieu , qui , comme moraliste , n'approuve
pas le divorce , le justifie , comme écrivain
politique , dans ces paroles : « Le divorce a ordinairement
une grande utilité politique » , et met
ainsi la politique en opposition avec la morale :
erreur grave dans son principe et dans ses conséquences
, et qui n'est pas la seule qu'ait accréditée
cet écrivain célèbre , dont les ouvrages , si forts de
pensée et d'expression , laissent beaucoup à desirer
du côté de la solidité des principes.
Reprenons le parallèle de la politique et de la
morale.
pas
Un gouvernement qui prendroit la morale privée
pour règle de sa conduite publique , ne conserveroit
la société , et seroit oppresseur par
foiblesse , comme le particulier qui prendroit la
politique pour règle de ses actions privées , seroit ,
par violence , oppresseur de ses semblables.
On peut donner des exemples de cette double
erreur .
Nous avons vu des gouvernemens prenant à la
rigueur les préceptes de la morale privée , qu'ils
appeloient philantropie , abolir la peine de mort ,
ce premier moyen de conservation de la société ;
nous avons sous les yeux des sectes entières, telles
que les Quakers , qui s'abstiennent de la guerre ,
et de prêter serment à la justice , comme d'actions
illégitimes et contraires aux principes de la morale.
Même on peut remarquer , dans l'école philosophique
du 18e siècle , une disposition générale et
14 MERCURE DE FRANCE ,
habituelle à rendre odieuse la politique , par zèle
pour la morale . Les déclamations imprudentes de
quelques écrivains , ont dévoyé la politique , sans
profit pour la morale , et intimidé les gouvernemens
; et il n'a été que trop aisé d'en reconnoître
la secrète influence dans la conduite de ceux
qui étoient à la tête des affaires de France au
Commencement de la révolution..
C'est alors la petite morale qui tue la grande,
pour me servir d'un mot fameux de Mirabeau. Je
sais qu'il a été sujet de scandale , parce que cet
homme , qui ne consultoit pas plus la morale publique
dans sa politique , que la morale privée
dans sa conduite , en faisoit l'application aux circonstances
d'une révolution , où il n'étoit pas plus
question de morale que de politque ; mais , consi
dérée dans un sens général et dans un ordre légitime
de circonstances politiques , cette maxime
renferme un sens vrai et profond que cet orateur
saisissoit mieux que personne , et elle présente une
haute leçon de science de gouvernement .
On trouve quelque chose de semblable dans le
testament du cardinal de Richelieu .
Je sais l'abus qu'on peut faire de ces maximes ,
et combien il est aisé de les présenter sous un jour
défavorable ; mais je répondrai avec Montesquieu ,
que si l'on vouloit raconter tout ce qu'ont occasionné
de mal dans le monde les meilleures institutions,
« on diroit des choses effroyables. »
I
Un particulier qui , pour redresser les torts dont
il auroit à se plaindre dans sa personne ou dans
ses biens , au lieu de s'adresser aux tribunaux ,
attenteroit à la vie de son ennemi , ou s'empareroit
à force ouverte des propriétés de son voisin , se
conduiroit par les lois de la politique , qui ne sont
applicables qu'aux gouvernemens , et non par les
règles de la morale privée , qui fixent les rapports
JANVIER 1806 . 15
des particuliers entr'eux dans la société , et ce seroit
alors la grande morale qui tueroit la petite.
K
Ce n'est pas cependant que le particulier , on
plutôt la société domestique ne puisse rentrer dans
l'exercice de la force qui lui appartenoit avant
l'établissement des sociétés publiques. Au premier
âge de tous les peuples , et tant qu'ils ne sont qu'en
état privé ou de famille , la morale privée permet
les guerres privées , et elle les permettroit encore
par le grand principe de la conservation , partout
où la société publique manqueroit de pouvoir ou
de volonté d'employer la force publique à protéger
les particuliers , et seroit par conséquent, à leur
égard , comme n'existant pas. C'est ce qui donne ,
même au sein des sociétés les mieux ordonnées , à
l'homme attaqué dans un lieu écarté , de nuit dans
son domicile , et partout où l'autorité publique ne
peut venir à son secours , le droit de repousser la
force par la force ; car Dieu , en qui réside essen →
tiellement le droit suprême de vindicte , mihi
vindicta et ego retribuam , Dieului-même n'ordonne
à l'homme de pardonner qu'en prescrivant à la
société de punir ; car ce n'est pas en vain qu'elle
a reçu le glaive : motifpuissant aux gouvernemens
de protéger les bons , puisqu'il n'enchaîne leur
force que sous la condition de les défendre de
toute la sienne.
Ainsi , partout où la petite morale tue lagrande ,
et où les gouvermens , par de fausses idées d'humanité
, abjurent le pouvoir qu'ils tiennent de Dieu
même et le devoir qu'il leur prescrit , de réprimer
et de punir , il arrive infailliblement que la grande
morale tue la petite , et que le particulier se ressaisit
du droit de se rendre à lui-même la justice
que le gouvernement lui refuse ; car le déni de
justice est le plus grand crime dont un gouvernement
puisse être coupable. C'est là une des causes
16 MERCURE DE FRANCE ;
qui rendoient l'assassinat fréquent dans quelques
parties de l'Europe , même chrétienne ; et je ne
crains pas d'assurer que ce crime odieux n'y étoit
pas , pour cette raison , regardé tout-à-fait du même
que dans les états mieux gouvernés , et particulièrement
en France.
oeil
Dans les temps ordinaires , et sous un gouvernement
qui connoît ses devoirs , le particulier est
rarement tenté d'agir envers les autres par les lois
de la politique , au détriment de la morale. Cependant
, celui qui ayant usurpé sciemment la propriété
d'autrui , oppose au légitime propriétaire la
loi de la prescription , est un homme injuste , qui
manque à la morale pour se servir de la loi politique.
Aussi cette loi , qui a passé du paganisme
dans la chrétienté , convient plutôt à l'ordre politique
qu'à l'ordre civil , et peut-être n'a- t -elle pas
été suffisamment discutée par les jurisconsultes ,
plus disposés à justifier ce qu'ils trouvent établi ,
qu'à raisonner sur ce qui doit l'être .
A
Mais dans des temps de révolution , alors que
les simples citoyens se croient tous souverains ,
tous magistrats , tous pouvoir ou ministres du
pouvoir , la loi politique règne seule , et la morale
est comptée pour rien. On a même vu en France ,
dans des temps semblables , l'expression d'honnêtes
gens , qui désigne ceux qui remplissent avec exactitude
les devoirs de la morale , devenir un titre
d'injure et de proscription. Alors , tous ceux qui
dénoncent comme aristocrates ; leurs concitoyens ,
leurs parens , leurs amis , leurs voisins , leurs maîtres,
leurs patrons , qui les poursuivent comme suspects,
qui les dépouillent commme fugitifs , obéissent à
la loi politique du moment , sans aucun égard aux
lois de la morale éternelle ; et c'est sur-tout alors
que la grande morale , ou ce qu'on prend pour
elle , tue la petite. Je sais bien que la plupart de
ceux
•
17
JANVIER 1806.
ceux qui se font ainsi les arbitres et les exécuteurs
de vengeances politiques , n'ont aucune idée de
morale publique ou privée , et ne prennent conseil
que de leur haine , leur jalousie , ou leur cupidité;
mais il a alors aussi des hommes égarés par
Y
l'ivresse du pouvoir , qui se persuadent remplir des
devoirs publics en concourant à des injustices privées
; et cet aveuglement , plus commun peut -être
qu'on ne pense , et le plus terrible dont l'esprit
humain puisse être frappé , doit rendre les hommes
éclairés aussi indulgens envers les personnes qui
ont coopéré à ces excès , qu'ils doivent être sévères
envers les opinions qui les y ont conduits.
Je connois un ecclésiastique d'un rare mérite ,
qui fut obligé , au temps de la terreur , de se cacher
dans un village écarté , et même , pour des considérations
particulières , de confier au maire de
l'endroit le secret de son asile , et par conséquent
de sa vie. Le municipal , homme humain et religieux
, venoit quelquefois à nuit close tenir compagnie
au proscrit , dont il déploroit sincèrement
le sort. Souvent , au milieu de la conversation la
plus affectueuse , il s'interrompoit lui-même , et reregardant
le malheureux d'un air profondément
attristé :
«<< Cependant , monsieur , lui disoit -il , je
» me damne , et mon devoir est de vous
» arrêter. On se doute bien que l'ecclésiastique
employoit tout son savoir à calmer les terreurs
religieuses de ce maire scrupuleux ; mais il sentoit
lui-même qu'il ne le persuadoit pas ; et il se couchoit
tous les soirs avec la crainte qu'un remords
de conscience ne l'envoyât le lendemain à l'échafaud,
D
re
La distinction que nous avons établie entre
la politique et la morale , ou , si l'on veut , enentre
la morale publique et la morale privée, peut
nous expliquer l'épithète de vertueux que se don-
BB
18 MERCURE DE FRANCE ,
noient si libéralement , et peut - être de bonne foi , des
hommes fameux par leurs excès en révolution . Une
fois la révolution reconnue un devoir , la violence devenoit
une vertu ; et plus on étoit violent , plus on
étoit vertueux. Mais en même temps , ces mêmes
hommes pouvoient remplir les devoirs de la mo
rale privée envers ceux qui n'étoient pas l'objet de
leurs prétendus devoirs publics . Plusieurs d'entr'eux
étoient bons pères , bons fils , bons époux ,
bons amis , bons voisins , et sensibles aux malheurs
d'autrui . Ils étoient même justes envers leurs ennemis
lorsque leur politique ne se trouvoit pas en
opposition avec la morale ; et l'on se rappelle que
des misérables , aux jours des 2 et 3 septembre ,
les mains teintes de sang , rapportoient fidellement
au comité les chétives dépouilles de leurs malheureuses
victimes , et faisoient pleurer d'attendrissement
sur tant de vertu les étranges magistrats qui
siégoient à cet épouvantable tribunal .
Les hommes dont les jugemens sont aussi erronés
que leurs vertus sont foibles et fragiles , se
portent naturellement à excuser les erreurs publiques
où sont tombés les personnages célèbres
par leur vertus privées , ou leurs fautes privées par
leurs vertus publiques. Mais le livre régulateur de
tous les jugemens et de toutes les vertus , n'admet
pas cette compensation ; et il nous dit admirablement
, en parlant des plus grands devoirs , comme
des moins importans , et des vertus publiques comme
des vertus privées : « Il faut pratiquer les unes , et
» ne pas négliger les autres. » Ainsi , ce seroit un
tort à un historien de vouloir excuser les foiblesses
privées de Henri IV , par les qualités publiques
et royales dont ce prince fut un si parfait modèle
; mais il est encore moins raisonnable d'opposer
des traits de morale privée , et de bienfaisance
personnelle , aux justes reproches que l'Europe est
JANVIER 1806 .
19
en droit de faire à la mémoire de quelques écrivains
célèbres qui , ayant traité dans leurs ouvrages ,
de religion , de moeurs et de politique , ont revêtu
ou usurpé un caractère vraiment public , se sont
associés aux gouvernemens dans l'importante fonction
d'éclairer les peuples et de les conduire , et
sont devenus , pour cette raison , des personnages
politiques. Si je vais à Ferney , et que j'en admire
les maisons , les rues , les établissemens publics et
particuliers, Voltaire , me dira - t- on , a fait tout
» ce que vous voyez ; » et je bénirai sa bienfaisance
; et , en me rappelant avec complaisance
d'autres traits d'humanité qui ont honoré sa vie , je
plaindrai le sort de ces grands hommes dont la main
droite ne peut ignorer ce que fait la gauche , et à
qui il n'est pas plus permis de garder le secret de
leurs vertus , que le silence sur leurs opinions ; mais
si je me rappelle la révolution et ses suites ,
•
«<
Voltaire , me dira le philosophe de ce siècle
» le plus profond en doctrine révolutionnaire ,
» Voltaire a fait tout ce que nous voyons ; » et je
ne sais si aux yeux du juge suprême , qui pèse au
poids du sanctuaire nos erreurs et nos vertus ,
Voltaire peut être absous du bien qu'il a fait par
le mal qu'il a occasionné . Il observoit , si l'on veut ,
la petite morale ; mais il bouleversoit la grande ;
et en bâtissant un village , il démolissoit l'Europe.
J. J. Rousseau , autre écrivain qui eut aussi
l'ambition d'être le précepteur du genre humain ,
n'a pas laissé , graces à ses Confessions , la même
ressource à ses admirateurs ; et il est difficile de
justifier les erreurs de ses écrits par la sagesse de
sa conduite. Il est même quelques actions de sa
vie qu'on essayeroit vainement de rejeter sur l'indépendance
un peu sauvage de son génie , et qu'on
ne peut charitablement attribuer qu'au désordre
prouvé de sa raison.
B 2
20 MERCURE DE FRANCE,
Cependant , il faut bien se garder de penser
que Voltaire , que J. J. Rousseau , que Diderot ,
Helvétius , et les autres écrivains de la même époque,
aient desiré , encore moins eussent approuvé
une révolution qu'ils auroient au contraire détestée
, et dont ils auroient été , tôt ou tard , les victimes
. L'abbé Raynal , un des derniers et des plus.
célèbres écrivains philosophes de l'école du XVIIIe
siècle , forcé de convenir de l'effet qu'ont pu produire
ces écrits , a pris le soin d'en justifier les auteurs
dans sa lettre à l'assemblée constituante :
« Je suis , dit -il , je vous l'avoue , profondément
» attristé des crimes qui couvrent de deuil cet
» empire. Seroit-il donc vrai qu'il fallût me rappe-
» ler avec effroi que je suis un de ceux qui , en
» éprouvant une indignation généreuse contre le
» pouvoir arbitraire , ai peut-être donné des armes
» à la licence ? La religon , les lois , Fautorité
royale , l'ordre public , redemandent - ils donc à
» la philosophie , à la raison , les liens qui les unis- '
» soient à cette grande société de la nation fran-
» çaise , comme si , en poursuivant les abus , en
>>
"
rappelant les droits des peuples et les devoirs des
» princes , nos efforts criminels avoient rompu ces
» liens ? Mais , non : Jamais les conceptions har-
» dies de la philosophie n'ont été présentées par
» nous comme la mesure rigoureuse des actes de
» la législation . » Contentons - nous du désaveu ,
sans trop presser cette justification . Mais en vérité ,
forsque l'on voit des écrivains doués , quelquesuns
, des plus rares talens , et qui , tous ensemble ,
ont pris un si haut ascendant sur leur siècle , traitant
la philosophie par hyperboles , publier, sur
les objets les plus importans , leurs conceptions
hardies , qu'on ne doit pas prendre à la rigueur,
set faire ainsi , avec une inconcevable témérité , de
l'esprit sur les lois , les moeurs , la religion , l'autoJANVIER
1806 . 21
rité politique , au milieu de la société , et en présence
de toutes les passions ; on ne peut s'empêcher
de les comparer à des enfans qui , dans leurs jeux
imprudens , tranquilles sur des dangers qu'ils ne
soupçonnent même pas , s'amuseroient à tirer des
feux d'artifice dans un magasin à poudre.
DE BONNALD .
Lettres de Mlle de Montpensier , de mesdames de Motteville
et de Montmorency , de Mlle Dupré et de
madame la marquise de Lambert. Un yo' . in - 12 .
Prix : 2 fr . 50 cent. , et 3 fr. 25 cent. par la poste.
A Paris , chez Léopold Collin , libraire , rue Git -le-
Coeur , n°, 18.; et chez le Normant , libraire , impri
meur du Journal de l'Empire , rue des Prêtres Saint-
Germain- l'Auxerrois , nº. 17 .
.
2
L'ÉDITEUR des lettres de mesdames de Coulanges
Ja Fayette , Aïssé , etc. , etc. , poursuit avec zele et
discernement la tâche qu'il s'est imposée. Cependant il lui
a été difficile d'éviter dans un ouvrage de ce genre l'inconvénient
dont parle Martial :
1
« Sunt mala , sunt bona , sunt quædam mediocria , » -¦
Ce fâcheux mélange dont le poète latin semble n'exempter
aucun livre , étoit sur -tout inévitable dans un recueil
de lettres écrites par des personnes plus ou moins sensible's
, plus ou moins spirituelles , et différant · d'ailleurs
entr'elles par les moeurs , le rang , le caractère
et le siècle où elles ont vécu . Mais si l'homme de goût ,
en parcourant cette collection , n'est pas toujours également
satisfait , ces différences mêmes qu'il découvre dans
le ton , dans les principes , dans les sentimens , peuvent
faire naître des réflexions nouvelles et des rapprochemens
curieux . Sous ce rapport , ce dernier volume moins piquant
que les précédens , n'est pas d'un moindre intérêt ; il con-
3-
22 MERCURE DE FRANCE ,
tient les lettres de quatre femmes qui toutes , à l'exception
de madame de Montmorency , eurent de la célébrité .
Cette dame de Montmorency , sur laquelle on n'a point
de renseignemens certains , et qu'on ne peut démêler parmi
celles qui portoient alors le même nom , écrivoit le peu
de lettres que nous avons d'elle au fameux comte de Bussy-
Rabutin . Ces lettres , qui ne contiennent que des nouvelles
peu intéressantes sur les affaires et les intrigues du
temps , n'ont d'ailleurs rien de remarquable que le naturel
élégant qui faisoit le caractère du langage de la cour de
Louis XIV, et qui se peint plus vivement dans les lettres des
femmes , parce que , dans ce genre seulement , les femmes
écrivent assez ordinairement comme elles parlent. Mille
autres dames aimables , ornement de ce beau siècle
écrivoient sans doute tout aussi bien que madame de Montmorency
, et leurs lettres n'ont point été conservées , par
la raison que ce n'est pas assez d'écrire naturellement et
élégamment des choses communes , pour passer à la postérité.
Les petits billets de madame de Montmorency ne
méritoient donc guère cet honneur , et la Bruyère qui ,
cette époque , rendoit un témoignage si éclatant à la supériorité
des femmes dans le style épistolaire , qui , inspiré
sans doute par les lettres des Sevigné , des Coulanges ,
des la Fayette , dont les copies manuscrites couroient alors
le monde , vantoit la vivacité de leurs tours , la justesse ,
la délicatesse , le charme de leurs expressions , n'eût fait
qu'une légère attention à celles de madame de Montmorency.
Il auroit reconnu à son style une femme de trèsbonne
compagnie , comme il y en avoit tant , mais il n'eût
pas pensé qu'elle méritât des éloges pour écrire dans la
langue que parloit tout le monde. C'étoit la grace , la
finesse , la variété qui le charmoient , et non le naturel
et l'élégance , si communs alors qu'ils n'avoient presque
aucun prix.
Mlle Dupré , nièce d'un assez mauvais poète ( Desmarets
de Saint-Sorlin) , fut élevée par son oncle qui lui
JANVIER
23
1806. .
>
inspira la manie des vers. Elle fut une femme savante
et passa pour avoir de l'esprit . Ses lettres écrites aussi fort
naturellement ont encore moins d'agrément que celles
de madame de Montmorency , parce que les sujets en sont
moins variés , et qu'elle ne cesse de mêler à une prose
assez médiocre les plus détestables vers qu'il soit possible
d'imaginer ; et cependant il est facile de s'apercevoir
qu'elle préfère de beaucoup ses vers à sa prose . C'est une
chose vraiment digne de remarque que le peu de discernement
que montroient alors en poésie une foule de personnes
distinguées d'ailleurs par leur goût et la culture
de leur esprit. Nos grands poètes qui ne faisoient que de
naître n'étoient pas encore appréciés , et le véritable caractère
de la poésie française étoit si peu connu des gens du
bel air , que Mlle Dupré n'a pas honte d'envoyer au même
Bussy , comme une belle chose , comme une chose qui a
fait de l'effet dans le monde, le madrigal suivant, composé
par le sieur Courart en l'honneur d'une dame à qui l'ambassadeur
Turc avoit , dit- elle , jeté le mouchoir :
« Je n'ai pas peine à concevoir
» Qu'on vous ait jeté le mouchoir ;
» Mais j'ai de la peine à comprendre
» Que vous l'ayez bien voulu prendre.
» Des mouchoirs qu'on vous a jetés,
>> Et que vous avez rejetés ,
» On a vu la terre jonchée ;
» Mais puisque vous les acceptez ,
» Vous allez être bien mouchée. »>
*
Il est impossible assurément d'imaginer rien de plus sot et
de plus trivial , et l'on ne supporteroit pas maintenant une
semblable platitude dans un vaudeville de Boulevard . C'est
avec la même complaisance qu'elle rappelle une petite
pièce de poésie qu'elle avoit écrite quelque temps avant à
un homme de sa connoissance , et qui finissoit par ces
vers gracieux :
«J J'emporte un teint vermeil et frais ,
» Un esprit gai ; pour un coeur tendre ,
» Vous auriez tort de le prétendre . ›››
h
24 MERCURE DE FRANCE ,
"
Ces lettres sont en outre farcies de bouts-rimés qui étoient
alors fort à la mode . Il paroît que Bussy ne demeuroit point
en resté avec elle , et la payoit de la même monnoie ; car
è'le lui dit sérieusement quelque part que son rondeat
efface son bout-rimé , quoique celui-ci soit beau nussi:
En voilà assez sans doute pour faire juger que les lettres
de Mlle Dupré , heureusement en petit nombre , sont une
fort insipide lecture .
Celles de Mlle de Montpensier , sans être beaucoup
plus amusantes , sont du moins curieuses . On sait le rôle
singulier que joua dans la guerre de la Fronde cette princesse
, née avec un caractère ambitieux et entreprenant ,
qui , trompée dans son ambition , chercha des dédommagemens
dans l'amour qu'elle avoit d'abord dédaigné , et
n'y trouva que de nouveaux chagrins. Elle avoit passé sa
jeunesse à refuser des mariages et à en manquer ce fut
long- temps avant sa folle passion pour M. de Lauzun , et
an milieu des chagrins que lui causoient tant de desseins
avortés , tant d'espérances déçues , qu'elle écrivit ces
lettres adressées à madame de Motteville , dame d'honneur
de la reine Anne. Le sujet en est singulier et romanesque
; il s'agit du projet d'une espèce de Thébaïde que
la princesse semble former trèsérieusement , pour y
réunir une société de personnes dégoûtées du monde , de
ses vains plaisirs , de ses fausses grandeurs , et sur- tout
des illusions de l'amour. Ce projet vraiment bisarre annonce
un esprit chagrin , mécontent du monde parce qu'il
n'a pu y réussir , et gâté par les sentimens faux et exaltés
qui régnoient alors dans les romans . Elle compose des
lois pour sa petite république , règle les occupations , les
divertissemens , jusqu'aux vêtemens de ces nouveaux solitaires
: elle veut que dans ses états on s'occupe de vers ,
de musique , qu'où lise les bons ouvrages qui viendroient
de Paris , qué même on en compose . Elle veut des gens
de toutes les façons , des homines d'épée , des docteurs ,
des personnes dú sexe ; mais sous la condition que tous
JANVIER 1806. 25
auroient pour jamais renoncé à l'amour. Les hommes
d'épée devroient avoir prouvé leur bravoure , et auroient
la permission d'être galans , mais de cette galanterie
honnête et bienséante qui consiste à rendre aux dames des
hommages purs et désintéressés : « L'air galant peut con
» venir à tout , dit- elle ; et puisque Sainte Thérèse avoit
l'esprit galant , qui ne le voudroit point avoir ? » Il
faut que les femmes soient spirituelles , honnêtes , et ne
négligent point entièrement leur beauté ; que les docteurs
aient une science extraordinaire , et que tous ces gens- là
vivent ensemble paisiblement , sans amour , sans coquetterie
sans jalousie , sans médisance , et sans rivalité . Elle
permet cependant des plaisirs innocens. Par exemple :
« Je voudrois , dit - elle , qu'on allât garder les moutons
» dans nos belles prairies ; qu'on eût des houlettes et › des
» capelines ; qu'on dînât sur l'herbe verte de mets rusti-
» ques et convenables aux bergers , et qu'on imitât quel-
» 'quefois ce qu'on a lu dans l'Astrée , sans toutefois faire
» l'amour ; car cela ne me plaît point , en quelque habit
que ce soit. » Des idées si extraordinaires ont fait croire
à plusieurs personnes que ces lettres n'étoient, qu'un badinage
, une critique des romans de la Calprenède et de
Mlle Scudéry ; mais ces puérilités et mille autres pareilles
sont débitées d'un ton trop grave et trop solennel pour
qu'on s'arrête à cette pensée ; et bien loin de pouvoir
soupçonner que Mile de Montpensier cherchât à se moquer
du ridicule des autres , on est forcé de reconnoître
qu'elle-même , en cette circonstance , se montre sous un
aspect vraiment ridicule.
Madame de Motteville lui répond en femme d'esprit, et
qui sait faire sa cour ; car , tout en ayant l'air d'admirer
les idées merveilleuses de la princesse , elle s'arrange de
manière à concilier le bon sens avec sa complaisance . Elle
la raille d'abord avec beaucoup de finesse et d'agrément
sur certains arrangemens qu'elle a ordonnés , et q ui
sentent plutôt la princesse que la bergère : « Vous avez
"
26
MERCURE DE FRANCE ;
"
» bâti , lui dit - elle , une demeure magnifique ; vous y
» avez introduit des calèches et des carrosses , et vous ne
>> voulez garder les brebis que par divertissement . Mais je
» vois bien ce que c'est ; vous êtes née pour commander
» et pour porter des couronnes . Cela vous est si naturel ,
» et il est si raisonnable que cela soit ainsi , que je ne m'é-
» tonne pas de ce que , sans y penser , vous vous êtes
» établie notre souveraine. » Il nous semble qu'il y a de
la délicatesse dans ce passage , et qu'il contient une critique
assez vive sans blesser l'amour - propre. Elle poursuit sur
lé même ton ; et ayant toujours l'air de s'extasier sur beaucoup
de petites choses de peu d'importance , elle attaque
avec la même adresse et plus de force l'idée favorite de la
princesse , celle sur laquelle semble reposer tout le plan
de sa petite république , la défense de se marier et de faire
l'amour. Madame de Motteville convient avec elle que le
plaisir de la conversation , qui est le seul qu'elle veuille
permettre , est en effet le seul estimable aux yeux des
honnêtes gens « Mais j'ai grand'peur , ajoute-t- elle , que
» cette loi si sage et si nécessaire ne fût mal observée ; et
» comme en cela vous seriez contrainte d'y apporter du
» remède , je pense qu'enfin vous vous trouveriez obligée
» de permettre cette erreur si commune qu'une vieille
» coutume a rendu légitime et qui s'appelle mariage. >>
Tout en lui accordant que les bergers assez parfaits pour
dédaigner ce lien , mériteroient bien plus d'estime , elle
pense qu'il est nécessaire , afin d'éviter tout inconvénient ,
d'avoir un peu d'indulgence pour les foiblesses de ceux
qui auroient un peu moins de vertu . Elle lui démontre
très-bien que cette galanterie sans but et sans espérance
dont elle fait une loi aux hommes qu'elle veut introduire
parmi son peuple , n'étant point dans la nature , ne peut
subsister long-temps dans cette pureté imaginaire qu'elle
prétend lui imposer : « Comme je compte toujours , pour-
» suit-elle , sur ce qui se pratique ordinairement plutôt
» que sur ce qu'il est presque impossible de faire ,
et que
JANVIER 1806 . 27
å des
vous avez à commander à des hommes et non pas
» anges , je vous dis encore une fois qu'il est fort à propos
» de permettre le mariage ; car si vous ne le faites , 'il
» arrivera indubitablement que vos bergers abuseront de
» la permission que vous leur donnez : de l'esprit galant
» ils iront à la galanterie , et sans y penser vous bannirez
>> l'amour légitime pour introduire le criminel ; car il est
» difficile qu'ils avent toute cette innocente galanterie
» sans objet que vous leur ordonnez et que je leur sou→
» haite. » Cette manière de voir les choses annonce un
jugement sain , et partout madame de Motteville écrit
avec le même bon sens et beaucoup de naturel : on s'ap
perçoit sans peine qu'elle apprécie cette correspondance
et ce projet à leur juste valeur ; mais en même temps ,
qu'elle sait ce qu'elle doit d'égard et de respect à une
personne d'un si haut rang. Ces lettres peuvent être utiles
à ceux qui ont le malheur d'être les familiers des princes ,
et qui seroient quelquefois tentés de les contredire ; et la
manière dont cette dame sait se tirer d'une position qui ne
laissoit pas que d'être embarassante , pourroit , en pareil
cas , être offerte pour modèle .
Cette correspondance est suivie de quelques billets que
Mile de Montpensier écrivoit aussi à Bussy, et de sa lettre au
roi pour lui demander la permission d'épouser M. de Lauzun .
C'est une chose vraiment curieuse , et qui peut servir à
l'histoire du coeur humain , que de voir avec quelle ardeur
et quelle humilité cette princesse si fière , qui avoit été
sur le point d'être la femme d'un empereur , qui avoit
refusé un roi d'Angleterre , demande la permission d'épouser
un simple gentilhomme , et trouve maintenant
très-bon sous l'habit d'un capitaine aux gardes , cet amour
qui lui déplaisoit autrefois sous quelque habit que cefút.
Ce recueil est terminé par les lettres de Mad. de Lambert
, beaucoup plus intéressantes pour le fond que toutes
les autres , moins naturelles pour le style . Ce n'est pas
qu'elles soient écrites avec affectation ; mais elles n'ont
28 MERCURE DE FRANCE ,
pas la négligence aimable , le tour aisé et naïf qui faisoit
le ton du siècle précédent , et l'on voit d'abord que l'on
est dans d'autres temps , et qu'il y règne un genre d'esprit
fort différent . Le goût se corrompoit avec les moeurs sous
la régence , et madame de Lambert étoit entourée des
beaux-esprits de ce temps- là . Sa maison étoit une espèce
d'académie où présidoient la Motte et Fontenelle ; et sans
y penser, elle perdoit dans leur société un peu de ces grâces
naturelles qui sont l'apanage de son sexe , et que la
nature dui avoit données . Ses pensées sont arrangées avec
trop de soin , son style a une élégance trop châtiée , une
régularité trop soutenue ; en un mot , ses lettres sont écrites
comme si elles devoient être imprimées et publiées , ce
qui est le plus grand défaut du genre épistolaire . « . J'ai
Deu peine à rappeler des idées agréables oubliées depuis
> long-temps , dit - elle à l'abbé de Choisy : pour vous ,
» qui les avez toujours présentes , et qui n'avez jamais pu
» épuiser ce fonds de joie qui est en vous , quelque dé-
» pense que vous ayez su faire ; vous à qui la vieillesse
sied bien , puisqu'elle n'en écarte ni les jeux , ni les
» amours ; vous qui avez su rétablir l'intelligence entre
» les passions et la raison , de peur d'en être inquiété ; vous
» qui par une sage économie avez toujours des plaisirs
» de réserve , et qui les faites succéder les uns aux autres ;
» vous qui avez su ménager la nature dans les plaisirs ,
» afin que les plaisirs soutinssent la nature ; vous enfin
» qui , comme Saint Evremont , dans vos belles années
viviez pour aimer , et qui présentement aimez pour
vivre , vous avez raison , mon cher abbé , etc.
* Cela s'appelle parler comme un livre , et même comme
un livre un peu précieux. Madame de Sévigné eût pu penser
quelque chose de cela , parce qu'il y a là - dedans quelques
pensées fort aimables ; mais elle les eût rendues avec
des tours autrement variés et des expressions autrement
vives et naturelles .
Ce ton apprêté déplaît moins dans une lettre sur l'édu
JANVIER 1806.
29
cation d'une jeune demoiselle , parce que cette lettre est
en quelque sorte un petit traité de morale , qui demande
de l'enchaînement dans les idées. Il est difficile de faire
parler à la raison un langage plus aimable et plus doux.
Madame de Lambert y montre un esprit cultivé , un coeur
sensible , une ame religieuse , et ce mélange de nobles
qualités se retrouve dans tout ce qu'elle écrit ; parlout elle
pense avec solidité , et s'exprime avec élégance. Nous avons
lu , sur-tout , avec le plus grand intérêt une lettre qu'elle
adresse à l'un de ses amis , dont la fortune , d'abord médiocre
, étoit devenue très-brillante , et à qui elle reproche
d'avoir un peu changé ses principes en passant dans un
autre état. Le tour qu'elle prend pour lui faire ce reproche
est très -adroit ; elle le met d'abord en opposition avec luimême
, en lai racontant , comme si elle parloit d'un au
tre , tout ce qu'il disoit lorsqu'il vivoit dans une retraite
qu'il trouvoit alors préférable à tous les plaisirs du monde,
et les méchantes raisons qu'il emploie maintenant pour
soutenir le contraire de ses premières maximes. Après
l'avoir battu de la sorte avec ses propres armes , et l'avoir
forcé de convenir que , même s'il est heureux dans le
monde , il ne peut l'être tout au plus qu'au degré où il
l'étoit avant : « Enfin , continue- t- elle , je me retranche à
>> dire que si dans votre retraite vous étiez heureux , il
» falloit y rester. Vos plaisirs étoient sûrs , durables et
» indépendans ; que si vous n'êtes heureux à présent qu'au
» même degré où vous l'étiez dans votre solitude , vous y
» avez perdu , parce que votre bonheur tient aux autres ;
» vous avez besoin d'eux , et vous êtes déchu de votre li-
» berté . Je crois que vous ne pouvez faire un aussi bon
» traité avec la fortune qu'avec la sagesse ; qu'il y a toujours
à perdre , et que le mieux qui vous puisse arri-
» ver , si vous êtes renvoyé à vous -même , c'est de v
» retrouver comme vous étiez quand vous êtes parti. Mais
» il faut donc que vous passiez en dépense contre vous
>> toutes les avancés que vous auriez faites dans le chemin
» de la vertu ; elles sont en pure perte . »
vous
30 MERCURE DE FRANCE,
1
On ne peut faire de plus excellentes réflexions ; et si elle
ne s'étoit pas avisée d'écrire sur Homère , madame de
Lambert seroit , à nos yeux , une des personnes les plus
judicieuses de son temps et de son sexe. Mais elle a en
le malheur de donner ses idées sur ce poète qu'elle n'entendoit
pas , et de le trouver insipide , parce que la Motte,
qui ne l'entendoit pas plus qu'elle , l'avoit assurée que là
chose étoit ainsi , et que la traduction de madame Dacier
étoit très fidelle . Or , cette traduction l'avoit ennuyée ;
donc Homère étoit ennuyeux. Ce raisonnement lui paroît
sans réplique , et voici les réflexions qu'e le juge à propos
d'y ajouter : « Les deux partis soutiennent qu'il y a des
» beautés et des défauts dans Homère ; mais il faudroit
» savoir le nombre et le poids de ces défauts. Il y a des
» beautés : il faudroit donc supputer le nombre des beautés
, pour savoir qui des deux l'emporte , et l'on tom-
» beroit dans un calcul fort incertain. Mais où prendre
» des juges du beau et du parfait ? Le beau est réel , il
» n'est pas imaginaire. Si vous attachez l'idée du beau à
» la grandeur , à la nouveauté , à la diversité , Homère
» peut être beau . Mais si vous voulez que le parfait ré-
» veille en nous des sentimens agréables qui intéressent
» le coeur , Homère n'est pas beau pour moi , car il m'en.
>> nuie. »>
Nous croyons que si l'on eût prié madame de Lambert
d'expliquer clairement ce que veut dire ce petit passage ,
elle eût été presqu'aussi embarrassée que si on lui eût de
mandé de traduire les quatre vers fameux d'Homère , dont
elle cite la traduction faite par la Motte en douze mortels
alexandrins :
« Vénus lui donne alors sa divine ceinture ,
>> Ce chef-d'oeuvre sorti des mains de la nature ;
» Ce tissu , le symbole et la cause à la fois
» Du pouvoir de l'Amour , du charme de ses lois .
››› Elle enflamme les yeux de cette ardeur qui touche ;
» D'un souris enchanteur elle anime la bouche ,
>> Passionne la voix , en adoucit les sons;
JANVIER 1806. 31
» Prête des tons heureux , plus forts que les raisons ;
» Inspire , pour toucher , ces tendres stratagêmes ,
» Ces refus attirans , l'écueil des sages mêmes ;
» Et la nature , enfin , y voulut renfermer
>> Tout ce qui persuade et ce qui fait aimer. »
Avec de pareils vers , dit -elle , on ne peut avoir
» tort. >> -
Madame de Sévigné se moquoit de Racine ; madame de
Lambert s'extasioit sur les vers de la Motte. Les femmes
douées de tant de finesse , d'une imagination si vive , d'un
coeur si tendre , sont-elles donc incapables de former un
bon jugement en littérature ; et lorsqu'il est à peu près
prouvé qu'elles n'y peuvent obtenir de véritable succès
un seul genre excepté, serions - nous aussi forcés de reconnoître
qu'il ne leur est pas même permis de juger des
grandes productions de l'esprit ?
N.
SPECTACLES.
.I
€
電
THEATRE DE L'OPÉRA - COMIQUE.
Le Duel nocturne.
LA fable du Duel nocturne n'étoit pas très-mal_imaginée.
C'est un amant aimé qui trouve le moyen d'écarter
ses rivaux en les mystifiant ; mais il n'étoit guère possible
que l'exécution fût plus mesquine , plus dénuée d'esprit ,
quoique la pièce soit , dit-on , d'un auteur qui en a beaucoup.
Il a eu cette fois un caprice de parcimonie , que le
public ne lui a point passé ; et dans le fait , quand on ne
l'amuse pas , il lui importe assez peu que ce soit impuissance
ou négligence .
Valcour , jeune officier , aime Julie qui ne demande pas
mieux que de couronner son amour par un prompt mariage.
Mais son père , quoique le prétendant lui convienne
32 MERCURE DE FRANCE ,
d'ailleurs , hait en lui une malheureuse facilité à se faire
des querelles , et à les vider militairement. Ce père , ayant
perdu un fils par un duel , abhorre les duellistes, Il est
assez mal-adroit de placer dans un opéra comique , même
à l'avant- scène, un meurtre qui attriste l'ame , et l'attriste
inutilement. Il n'est pas besoin d'avoir eu un fils tué en
combat singulier pour haïr les spadassins . Quoi qu'il en
soit , le père desire que sa fille choisisse entre deux autres
aspirans , dont l'un s'occupe de poésie , et l'autre uniquement
de sa toilette.
• Valcour , pour se débarrasser des deux concurrens , propose
à chacun de se battre contre lui. Le poète accepte de
bonne grace , et l'autre en faisant quelques façons . Rendezvous
donné pour la nuit au même lieu , à la même heure.
L'itinéraire des deux combattans est tracé, afin qu'ils n'arri→
vent pas du même côté. Valcour se charge d'apporter des
pistolets : arrivé le premier , il en présente successivement
un à ses deux rivaux , donne le signal , s'écarte un peu , et
les deux nigauds . se tirent réciproquement sans se faire
grand mal , leur arme n'étant chargée qu'à poudre. Le
père averti de se trouver sur le champ de bataille à l'heure
convenue , trouve les deux mystifiés le pistolet à la main ,
leur fait une mercuriale , et donne sa fille à Valcour .
La pièce est si mal conduite , que celui - ci se trouve ,
pour la première fois , en scène avec son futur beau- père ,
et lui parle comme s'il l'avoit déjà vụ sans que le spectateur
ait été instruit que cette entrevue a eu lieu dans
l'entr'acte,
La surprise a été extrême , comme on peut s'imaginer.
La musique n'a pas été jugée beaucoup meilleure que les
paroles. La chute a été complète , et devoit l'être.
JANVIER 1806. 38en
D
THEATRE DE L'IMPÉRATRICE.
t
(Rue de Louvois . )
Les Nouveaux Artistes , comédie en un acte et en vers
de M. Morice.
DANS notre révolution , tout le monde voulut s'élever
au-dessus de sa sphère. Il ne faut point s'en étonner , c'est
là le mobile et le but de toutes les révolutions . Dans les
temps ordinaires même chacun tâche de s'exhausser ; tout
marquis veut avoir des pages. Mais ce qui n'est qu'un desir
dans un moment de calme , est une fureur dans les orages
révolutionnaires. Quand la plupart des avocats et des prêtres
aspirèrent , les uns à la simarre , les autres à la mitre
ou à la tiare , il étoit assez naturel que ceux qui trempoient
leurs pinceaux dans la cire luisante , voulussent
s'assimiler à ceux qui faisoient des leurs un plus noble
usage , et partager avec eux , sinon les fonctions , du moins
le nom d'artistes. Leur vanité du moins n'étoit que ridicule
; un mot la satisfaisoit. L'ambition des autres étoit
plus dangereuse ; elle visoit aux choses , et ne pouvoit les
atteindre sans bouleverser tout l'ordre de celles qui exis .
toient.
La vanité étant plus comique que l'ambition , c'est elle
aussi que M. Morice a essayé de tourner en ridicule . Ce
sont ces pauvres misérables , qui se décorent du nom d'artistes
, qu'il a immolés à la risée : Vexat censura colum- :
bas. Mais comme ce ridicule est peu sailiant , comme cette
vanité est sans conséquence , sa pièce aussi a été à- peuprès
sans effet . On peut rire du sot orgueil d'un fat titré
ou opulent ; les prétentions exagérées des gens d'un bas
étage , inspirent plus de pitié que de gaieté.
Les événemens , les intérêts divers , sont entassés avec
tant de profusion dans cette pièce , que rien ne peut y être
développé.
C
34 MERCURE DE FRANCE ,
Un M. Dubreuil avoue qu'il n'a qu'une pensée , c'est la
bonne chère.
la
J'y sange tout le jour , j'y rêve encor la nuit ,
dit- il. Mécontent d'un cuisinier ordinaire qui l'a suivi à
campagne , où il est en ce moment , il envoie à Paris ".
en chercher un plus consommé dans son art . Sa femme ,
de son côté , excédée d'être jusqu'à quinze jours de suite
sans pouvoir changer de bonnet , y a demandé une excellente
modiste . Enfin , une soeur de l'un de ces deux époux ,
passionnée pour les beaux- arts , a prié qu'on lui fit venir
une légion d'artistes. Deux nouveaux débarqués , un homme
et une femme , se présentent , trouvent d'abord cette soeur ,
qui , trompée par leur langage emphatique , croit que le
premier cultive la chimie , l'autre la peinture. Ce sont un
cuisinier et une modiste. La soeur est humiliée de la méprise
, tandis que M. et Mad. Dubreuil se réjouissent de
rencontrer ce qu'ils cherchoient , et envoient les deux artistes
à la cuisine et au cabinet de toilette . Mais bientôt
paroissent deux autres personnages , qui se disent être
le cuisinier et la modiste demandés. Pour découvrir la
vérité , on met les places au concours . La supercherie des
derniers venus est découverte. Qui sont- ils donc ? Un musicien
et une femme peintre. Le premier est amoureux de
mademoiselle Dubreuil , l'autre a épousé secrètement le
fils de cette soeur qui raffole des beaux-arts. En faveur du
talent de sa bru clandestine pour la peinture , elle approuve
le mariage ; et M. Dubreuil , fort riche suivant les apparences
, agrée le musicien pour gendre , uniquement parce
que celui-ci l'assure qu'il ne le cède à personne en gourmandise.
Pour avoir plutôt fait et courir plus vite à table ,
il se dispense de la moindre information , de la plus petite
question , et s'envole en disant :
Sur-tout ne laissons pas refroidir le dîné.
Cette petite comédie , si mal conduite , est écrite avec
légèreté , avec esprit , quelquefois avec grace. Elle a eu les
honneurs du succès ; mais c'est un succès apparent , et qui
n'aura point de résultats.
JANVIER 1806. 35
THEATRE DU VAUDEVILLE .
Les Ecriteaux , ou Le Sage à la Foire Saint - Germain ,
comédie anecdotique en deux actes ; par MM. Barré
Radet et Desfontaines .
Le théâtre de la Foire eut pour premiers acteurs des
danseurs de corde , qui , afin de varier les plaisirs des
spectateurs , mêloient à leurs danses quelques pantomimes
burlesques ; ensuite , on y joua des fragmens de vieilles
pièces italiennes , dont la gaieté piquante , souvent grivoise
et un peu grossière , attiroit la foule . La Comédie Française
obtint un arrêt qui défendit le dialogue aux forains .
On leur composa des pièces qui n'avoient qu'un seul personnage
. Le Théâtre Français parvint à leur faire défendre
tout-à fait la parole . Ils se sauvèrent par le chant , et ne
firent plus entendre que des vaudevilles . Ils réussirent
encore. L'Académie Royale de Musique , à son tour , leur
fit interdire le chant. Ils affichèrent néanmoins Arlequin
roi de Sérendib , et n'annoncèrent point que ce fut une
pantomime. On fut curieux de voir comment ils pourroient
jouer autre chose qu'une pantomime , privés de la double
faculté de la parole et du chant. La Foire exécuta ce qu'on
regardoit comme impossible.
y en
Des écriteaux , portés par des Amours , contenoient les
couplets que chaque personnage auroit du chanter. Ils
étoient sur des airs connus . L'assemblée entière les chanta ,
tandis que l'acteur faisoit les gestes analogues à son rôle .
Cette anecdote est le fond du joli vaudeville des trois
grands faiseurs. Ils y ont ajouté quelques incidens . Il
a´un tout-à-fait épisodique . C'est Le Sage fils , qui vient
en ambassade , de la part des comédiens Français , pour
tâcher de réconcilier son père avec eux. Cette scène ,
absolument inutile , est la seule qui ait déplu . Les auteurs
ont bien plus heureusement imaginé de faire trouver le
Ca
36 MERCURE DE FRANCE ,
lieutenant de police à la représentation du Roi de Sérendib,
et de lui faire dire : « Qu'il falloit bien laisser chanter ceux
» qui faisoient chanter tout le monde . »
• Ils ontadapté à l'anecdote une intrigue peu intéressante ,
il est vrai , mais suffisante peut -être pour un vaudeville
du genre de celui-ci , où il n'y a nulle prétention à l'intérêt
. L'arlequin de la troupe , croyant la Foire dans la nécessité
de fermer boutique , est allé chercher fortune en
province . Le souffleur , amoureux de la fille de M. Chabli ,
marchand de vin , chez lequel Le Sage arrange son plan ,
est éconduit par le père de sa maîtresse , qui ne veut pas
donner sa fille à un homme sans place . Le souffleur ne se
décourage pas . Le marchand veut le mettre à la porte.
Il résiste. « Si vous ne voulez pas , dit -il , parler à votre
» gendre , servez votre pratique ; donnez-moi du vin . » Il
ose entreprendre de remplacer Arlequin , en prend l'habit ,
en imite les gestes , la pantomime , est applaudi , et il ob
tient la main de sa maîtresse. Ce qui a donné plus de prix
à ce rôle , très-gai par lui - même , c'est qu'il a été joué
et fort bien joué par le jeune Bløsseville , dont il étoit en
ce genre le coup d'essai .
Des trois couplets écrits sur les cartons , et qui sont de
Le Sage , il y en a un assez mordant. Il s'adresse à un voleur
qui prend la bourse d'Arlequin :
Cette bourse porte malheur ;
Elle me vient d'un procureur ,
Et va de voleur en voleur.
Craignez , Monsieur , que la justice'
A son tour ne vous la ravisse .
Mais pour annoncer les Ecriteaux , il y a une épigramms
très- vive contre les critiqués , et qui appartient aux auteurs
du vaudeville :
Si ces couplets ainsi rangés
Prétent matière à la satire ,
Du moins ne seront- ils jugés
Qué par des gens qui sauront lire.
1
JANVIER 1806 . 37
Le public , qui s'amuse également des traits que lance
la critique , et de ceux qui lui sont lancés , a fait répéter
le couplet.
* Ce vaudeville a eu un succès véritable. Il est très - bien
joué . On regrette que les rôles de mesdames Hervey et
Desmares soient si pet considérables. L'une est l'Amoureuse
de la pièce , l'autre la Directrice du théâtre de la
Foire. Chacune n'a qu'un mot à dire et un couplet à chanter ;
mais elles le disent et le chantent de manière qu'on peut
juger qu'il ne s'établira point de dictature feminine au Vau
deville , et c'est tant mieux : l'empire des trois Graces est un
régime plus agréable..
ANNONCES.
Mémoires de la Société médicale d'Emulation , séante à l'Ecole de
Médecine de Paris : tome sixième et dernier :; costenant différens
mémoires , et terminé par une table générale des matières insérées
dans les six volumes . · Prix : 6 fr. , et 7 fr . 50 c . par la poste.
-
A Paris , chez Crapart , Caille et Ravier , librairės , rue Pavée
Saint- André , D. 17 .
Les mêmes libraires vendent séparément et au même prix que
celui- ci , les cinq premiers volumes .
Mémoire sur l'Art de perfectionner les Constructions rurales
par M. de Perth is , ancien officier du G nie , propriétaire dans le
département de l'Yonne. Avec 14 figures. Mémoire qui a remporté
le prix proposé par la Société d'agriculture du département de
la Seine ; avec cette épigraphe
+
:
Est modus in rebus.
Jo-4 Prix : 6 fc. , et 7 fr. 25 c . par la poste.
-
A Paris , chez Mad. Huzard , imprimeur- libraire , rue de l'Epéron
Saint-André- des- Arcs , n . 7.
-
La Morale du Jeune - Age , ou choix de fables , contes et histoires
analogues à ses devoirs, et à ses goûts ; ouvrage dans lequel la distinction
de ces trois genres de récits se trouve établie et démontrée par
Prix : des exemples. Trois parties , en 2 vol . in 16 , avec 48 fig .
-broché, 2 fr. 40 cent. , et 3 fr. par la poste. Les mêmes, cartonnés
avec pièce sur le dos , prix 3 fr. Le premier vol . contenant les fables ,
de même que le second qui contient les contes et les histoires , se
vendent séparément. Prix de chaque vol . broché , 1 fr. 20 , et 1 fr.
50 cent. par la poste , cartonné comme ci- dessus , 1 fr . 50 cent .
A Paris , chez Genets , jeune , libraire , rue de Thionville , n° . 14
Traité d'éducation physique des enfans , précédé d'instructions
sur les convulsions , et des moyens d'en préserver les personnes des
deux sexes. Par le docteur Saccombe. Prix fr. 25 cent. , et
1 fr. 50 cent. par la poste.
A Paris , chez Michelet , imprimeur-librare , rue du Jour , nº. 13 ,
vis- à- vis l'église de Saint- Eustache.
F
Réformejudiciaire en France ; par G.. Delamardelle , avant 1789.
conseiller d'état , procureur- général au conseil supérieur de Saint-Do38
MERCURE DE FRANCE ;
mingue. Un vol . in- 8° . Prix , broc. 3fr. , et 3 fr. 75 c. :: parlaposte
A Paris , chez Desenne ; lib. , palais du Tribunat , galerie de pierre.
n° 2 ; et chez Maradan , rue des Grands Augustins , nº . 9 , vis-à-vis
la rue du pont de Lody.
Chansons choisies de M. de Piis . Deux vol. in-18 , papier vélin ,
ornés du portrait de l'auteur . Prix : 3 fr. 60 c. , et 4 fr. 50 c .
par la poste.
-
A Paris , chez Léopold Collin , libraire , rue Git-le - Coeur , n. 4.
Heur et Malheur , ou Trois mois de la Vie d'un Fol et de celle
d'un Sage , roman français , suivi de Deux Soirées historiques ; par
l'Auteur du nouveau Diable Boiteux ; avec cette épigraphe :
Une morale nue apporte de l'ennui.
LA FONTAINE.
Deux vol. in-12 , avec une gravure. Prix : 3 fr. 60 c. , et 4 fr. 75 c.
par la poste.
E
A Paris , chez F. Buisson , libraire , rue Hautefeuille , nº . 23 ;
chez Barba , libraire , Palais du Tribunat , derrière le Théâtre Français
, nº . 51 , et Galerie Neuve , nº. 14 .
Dictionnaire raisonné des matières de législation civile ,
criminelle , definances et administrative ; par C. P. D. , auteur
du Nouveau Dictionnaire des Domaines et du Répertoire du Domamiste.
Tome 9 , in- 8°. - Prix 5 fr . , et 6 fr. par la poste . Le prix de
J'ouvrage complet , neuf vol . grand in- 8° en petit romain plein , prix :
45 fr. , et 55 fr. par la poste.
པ་
A Paris , chez Rondonneau , imprimeur ordinaire du Corps Législatif
, au dépôt des Lois , hôtel de Boulogne , rue Saint - Honoré.
Le petit Magasin des Dames , quatrième année ; avec celte
épigraphe :
Une mère dans sa famille ,
Avec du goût et des talens ,
En aimera mieux ses enfans ,
En élevera mieux sa fille .
ARM . CHARLEMAGNE .
Un vel. in- 18 , fig. Prix : 1 fr . 5 c. , et 1 fr. 80 c. par la poste .
A Paris , chez Solvet , libraire éditeur , rue des Noyers , nº 4ỗ;
et Michel , rue du Coq , nº. 13.
Discours à l'Empereur ; avec cette épigraphe :
Connois Torgueil des frondeurs de Paris.
Compatis au destin , aux torts des beaux esprits.
par L. Mælibée , Américain .
A Paris , chez Martinet , rue du Coq Saint Honoré .
Introduction à la Science de la Statistique , suivie d'un coupd'oeil
général sur 1 Etude entière de la Politique , sur sa marche et des
divisions ; d'après l'allemand de M. de Schloetzer , professeur à l'Université
de Goettingue avec un discours préliminaire , des additions et
des remarques ; dédié à S. A. S. Monseigneur Cambacerès , archichancelier
de l'Empire. Par Denis- François Donnant , secrétaire perpétuel
de la Société Académique des Sciences , membre de l'Athénée
des Arts , du Conseil d'Administration , de la Société d'Encouragement
, de la Société de Statistique , etc , etc , etc. Un vol . in-8º ,
Prix : 3 fr . , et 4 fr. par la poste.
-
A Paris , de l'Imprimerie Impériale ; chez Galland , libraire , palais
du Tribunat , galerie de bois , n . 225.
Ces différens ouvrages se trouvent aussi chez LE NORMANT, rue
des Prêtres Saint- Germain- l' Auxerrois , nº . 17.
JANVIER 1806.
3д
NOUVELLES DIVERSE S.
-
Vienne , 18 décembre. S. M. l'Empereur Napoélon
a fait publier le 14 un ordre du jour dans lequel il annonce
à l'armée la conclusion d'un armistice et l'ouverture des
négociations de paix. Il l'avertit en même temps de ne point
se laisser amollir , mais de regarder cette suspension d'armes
comme un moment de repos et un moyen de se préparer
à de nouveaux combats. On profitera de cet intervalle
pour se procurer tous les objets nécessaires à la guerre , tels
que capotes , souliers , armes , attirails d'artillerie , che-
་
vaux , etc.
- La gazette de Vienne contient aujourd'hui l'article suivant
:
« S. M. l'Empereur Napoléon travaille sans relâche au
palais de Schoenbrunn , et donne de temps en temps audience
aux différentes autorités françaises et autrichiennes.
» Le 14 décembre , S. Exc. M. le baron de Haugwitz ,
ministre d'état et du cabinet prussien , a eu l'honneur
d'être présenté à S. M. I. L'entretien a duré quatre heures.
Ce ministre est reparti le 16 avec une escorte répondant à
son rang, M. Harnier , résident de S. M. prussienne à Munich
, est resté ici.
» L'Angleterre ne paroît pas vouloir renoncer à l'influence
qu'elle a acquise sur les habitans de Vienne par ses
agens salariés . Tous les bruits inquiétans qui se répandent
journellement pour empêcher les bourgeois de payer la
contribution ou pour entraver les relations commerciales
et les arrivages , en sont une preuve suffisante. Tantôt l'on
répand que les troupes russes ont fait halte dans leur retraite,
quoiqu'elles suivent exactement la route qui leur a été
désignée ; tantôt ce sont les Prussiens qui s'avancent , tandis
que la Prusse a eu tout le temps d'éclater ; et le moment
actuel , après la bataille d'Austerlitz , n'est sûrement pas le
plus convenable. Tantôt l'on se fonde sur l'arrivée prochaine
de l'archiduc Charles , dont l'armée , par sa résistance
courageuse et les difficultés d'une retraite , a été trop
affoiblie pour pouvoir rien effectuer d'important ou em
4
40 MERCURE DE FRANCE ,
pêcher les transports de parvenir jusqu'à Vienne : ce qui
seroit contraire à l'armistice auquel ce prince a adhéré. On
verra par l'état officiel , détaillé jour par jour , que depuis
le 18 octobre jusqu'au 4 décembre , cette armée a éprouvé
en prisonniers seuls une perte de 24,454 hommes. Si l'on
joint à cette perte le nombre des morts , blessés et égarés ,
l'on pourra juger si cette armée est en état de faire la loi a
l'armée française victorieuse et deux fois plus nombreuse.
» Le 15 décembre , les quarante drapeaux pris à la bataille
d'Austerlitz ont été portés solennellement à Schoenbrunn
, et présentés à l'Empereur Napoléon . »
Du 20. Un supplément à la gazette de cette ville contient
co qui sait :
« S. M. l'Empereur Napoléon vient d'envoyer un parlėmentaire
en Hongrie pour demander si l'on veut laisser
passer des vivres à Vienne , ou si l'on veut traiter cette ville
comme ennemie, S. M. l'Empereur Napoléon, s'est abstenu
jusqu'à présent , à l'égard de la capitale de l'Autriche , de
tous procédés et de tous changemens auxquels les villes
conquises sont assujéties . Il lui a laissé les mêmes magistrats
et autorités qui jouissoient de la confiance de S. M. François
II ; il vouloit par là faire connoître à ce monarque ses
sentimens et lui donner une preuve d'estime. Mais si l'on
refuse à cette ville les subsistances nécessaires qu'elle tiroit
ordinairement de la Hongrie , et qu'elle a même tirées
pendant les hostilités et lorsque les armées se battoient pres
d'Austerlitz ; si l'on oublie qu'elle est la capitale de l'Autriche
, l'Empereur Napoléon se croit obligé de la prendre
sous sa protection , et de pourvoir à son entretien. Il sera
nécessaire alors de changer la constitution de la capitale et
de lui en donner une qui soit plus conforme aux circons→
tances actuelles. Mais peut-on se flatter que cette nouvelle
constitution s'accordera avec le système et les principes du
gouvernement de l'Autriche ; qu'elle maintiendra les bornes
dans lesquelles le gouvernement tenoit l'esprit public ;
qu'enfin elle ne changera sous aucun rapport les usages de
la nation? Il en resteroit peut-être des souvenirs à l'Autriche
qui seroient plus durables que ceux qu'une guerre mal- .
heureuse pourroit laisser.
» Une pareille conduite est inouie dans l'histoire. Lorsque
Henri IV assiégeoit la ville de Paris qui s'étoit révoltée ,
JANVIER 1806. .41
ily fit conduire des vivres , quoique le duc de Mayenne
voulût se faire déclarer roi de France.
» Du reste la ville de Vienne peut être sans crainte. L'Empereur
Napoléon dont la grandeur d'ame pourvoit à tout ,
saura aussi procurer aux habitans les subsistances nécessaires.
Toutefois les autorités auxquelles l'Empereur d'Allemagne
a confié l'administration , seront responsables de l'approvisionement
de la capitale. »
-
Munich , 22 décembre. L'Empereur Napoléon est
attendu demain en cette résidence. On ignore si S. M. I
et R. y fera un long séjour . Son départ de Vienne nous fait
espérer que les négociations , de paix sont très-avancées.
PARIS.
Comme nous avons à rendre compte des nouvelles de
deux semaines , au lieu d'une , nous sommes forcés de nous
borner à un résumé des bulletins de la Grande- Armée .
Le 34° daté de Brünn, le 19 frimaire ( 20 décembre) porte:
L'Empereur a reçu aujourd'hui M. le prince Repum fait
prisonnier à la bataille d'Austerlitz à la tête des chevaliersgardes
, dont il étoit le colonel. S. M. lui a dit quelle ne
vouloit pas priver l'empereur Alexandre d'aussi braves gens ,
et qu'il pouvoit réunir tous les prisonniers de la garde impériale
russe et retourner avec eux en Russie. S. M. a exprimé
le regret que l'empereur de Russie eût voulu livrer
bataille , et a dit que ce monarque , s'il l'avoit cru la veille,
auroit épargné le sang et l'honneur de son armée.
M. le prince Jeau de Lichtenstein est arrivé hier avec de
pleins pouvoirs. Les conférencés entre lui et M. de Talleyrand
sont en pleine activité.
T
Le premier aide -de- camp Jnnot , que S. M. avoit envoyé
auprès des empereurs d'Allemagne et de Russie , a vu à
Holitz l'empereur d'Allemagne , qui l'a reçu avec beaucoup
de grace et de distinction . Il n'a pu continuer sa mission
, parce que l'empereur Alexandre étoit parti en poste
pour Saint-Pétersbourg , ainsi que le général Kutuzow,
Les paysans de Moravie tuent les Russes partout où ils
les rencontrent isolés ; ils en ont déjà massacré une cen42
MERCURE DE FRANCE ,
taine. L'Empereur des Français a donné des ordres pour
que des patrouilles de cavalerie parcourent les campagnes
et empêchent ces excès. Puisque l'armée ennemise se retire,
les Russes qu'elle laisse après elle sont sous la protection
du vainqueur. Il est vrai qu'ils ont commis tant de désordres
, tant de brigandages qu'on ne doit pas s'étonner de
ces vengeances. Ils maltraitoient les pauvres comme les
riches : 300 coups de bâton leur paroissoient une légère
offense. Ils n'est point d'attentats qu'il n'aient commis. Le
pillage , l'incendie des villages , le massacre , tels étoient
leur jeux. Ils ont même tué des prêtres jusque sur les autels !
Malheur au souverain qui attirera jamais un tel fléau sur
son territoire ! La bataille d'Austerlitz a été une victoire
européenne , puisqu'elle a fait tomber le prestige qui sembloit
s'attacher au nom de ces barbares. Ce mot ne peut
s'appliquer cependant ni à la cour ni au plus grand nombre
des officiers , ni aux habitans des villes , qui sont au contraire
civilisés jusqu'à la corruption.
Le 35° , du lendemain et du même endroit, annonce que
l'armée russe s'est mise en marche le 17 frimaire sur trois
colonnes , pour retourner en Russie. A la tête de la première
, est parti l'empereur de Russie.
Indépendamment de l'artillerie de bataille , un parc entier
de 100 pièces de canon a été pris aux Russes avec tous
leurs caissons. L'Empereur est allé voir ce parc ; il a ordonné
que toutes les pièces prises fussent transportées en
France. Il est sans exemple que , dans une bataille , on ait
pris 150 à 160 pièces de canon toutes ayant fait feu et
servi dans l'action.
"
Le 36 bulletin , daté de Schoenbrünn , le 23 frimaire
( 14 décembre ) est ainsi conçu :
Ce sera un recueil d'un grand intérêt , que celui des
traits de bravoure qui ont illustré la grande armée .
Un carabinier du 10° régiment d'infanterie légére a le
bras gauche emporté par un boulet de canon : « Aidemoi
, dit-il à son camarade , à ôter mon sac, et cours me
venger : je n'ai pas besoin d'autres secours. » Il met ensuite
son sac sur son bras droit , et marche seul vers l'ambulance.
Le général Thiébaut, dangereusement blessé , étoit transporté
par 4 prisonniers russes ; 6 Français blessés l'aperJANVIER
1806. 43
"
çoivent , chassent les Russes et saisissent le brancard , en
disant a C'est à nous seuls qu'appartient l'honneur de
porter un général français blessé. »>
Le général Valhubert a la cuisse emportée d'un coup
de canon , quatre soldats se présentent pour l'enlever :
«< Souvenez -vous de l'ordre du jour , leur dit-il d'une
voix de tonnerre , et serrez vos rangs. Si vous revenez vain .
queurs , on merelevera après la bataille ; si vous êtes vaincus,
je n'attache plus de prix à la vie. »
Ce général est le seul dont on ait à regretter la perte
tous les autres généraux blessés sont en pleine guérison .
Les bataillons des tirailleurs du Pô , et des tirailleurs
corses se sont bravement comportés dans la défense du
village de Strolitz . Le colonel Franceschi , avec le 8º de
hussards , s'est fait remarquer par son courage et sa bonne
conduite. On a fait écouler l'eau dn lac sur lequel de
nombreux corps russes s'étoient eufuis le jour de la bataille
d'Austerlitz , et l'on en a retiré quarante pièces de canon
russes , et une grande quantité de cadavres.
L'Empereur est arrivé ici avant-hier 21 , à dix heures du
soir. Il a reçu hier la députation des maires de Paris , qui
ont été présentés par S. A. S. le prince Murat. M. Dupont ,
maire du 7e arrondissement , a prononcé un discours et présenté
une adresse du préfet et des maires de la capitale à
S. M. l'Empereur , qui a répondu : « qu'il voyoit avec plai-
» sir la députation des maires de Paris ; que , quoiqu'il les
>> reçût dans le palais de Marie-Thérèse , le jour où il se
>> retrouveroit au milieu de son bon peuple de Paris , seroit
» pour lui un jour de fête ; qu'ils avoient été à portée de
» voir les malheurs de la guerre , et d'apprendre par le
» triste spectacle dont leurs regards ont été frappés , que
>> tous les Français doivent considérer comme salutaire et
» sacrée la loi de la conscription , s'ils ne veulent pas que
» quelque jour leurs habitations soient dévastées et le beau
» territoire de la France livré , ainsi que l'Autriche et la
>> Moravie , aux ravages des barbares ; que , dans leurs rap-
» ports avec la bourgeoisie de Vienne , ils ont pu s'assurer
» qu'elle -même apprécie la justice de notre cause , et la
>> 'funeste influence de l'Angleterre et de quelques hommes
>> corrompus. » Il a ajouté « qu'il veut la paix , mais une
>> paix qui assure le bien-être du peuple français , dont le
44 MERCURE DE FRANCE ,
» bonheur , le commerce et l'industrie sont constamment
>> entravés par l'insatiable avidité de l'Angleterre. >>
S. M. a ensuite fait connoître aux députés , qu'elle étoit
dans l'intention de faire hommage à la cathédrale de Paris
des drapeaux conquis sur les Russes le jour anniversaire de
son couronnement , et de leur confier ces trophées pour
les porter au cardinal -archevêque.
Hier toutes les maisons des rues que le cortège du tribunat
a traversées , étoient garnies de tapisseries , de tentures
et d'ornemens variés . Les habitans de la plupart des
'maisons avoient pris le soin d'ajouter à ces décorations extérieures
des emblêmes , des devises, des chiffres et des guirlandes
de lauriers. Partout on lisoit ces mots : Napoleon ,
Ulm , Vienne , Austerlitz . Peaucoup de maisons offroient
le buste de S. , M. couronné de lauriers, Des allégories ingénieuses
, des inscriptions heureusement empruntées au
génie de nos grands poëtes ont été remarquées ..
9
Le cortége a traversé une double haie de spectateurs
étroitement pressés , dont les yeux se fixoient avec un noble
orgueil , mêlé d'un sentiment d'attendrissement et de respect
, sur les glorieux trophées de la Grande-Armée et sur
les vieux guerriers chargés de les porter . Parmi ces vétérans ,
plusieurs se faisoient remarquer par d'honorables blessures;
le plus grand nombre d'entr'eux décorés de l'aigle de la
Légion d'honneur , offroient aux yeux cette décoration ,
comme un garant de leurs droits à l'honorable fardeau
dont ils étoient chargés .
: mer que
A l'aspect de ces nobles dépouilles , de ces éclatans témoignages
de l'héroïsme de l'armée française , les coeurs
sembloient s'élever et se réunir dans un sentiment commun
d'admiration et de reconnoissance , que ne pouvoient expribien
foiblement les cris élevés du sein de la foule
et de toutes les fenêtres : Vive l'Empereur , vive la Grande-
Armée ! Victoire ! victoire ! Vive l'Empereur! Ainsi
dans cette circonstance , les habitans de Paris , de toutes
les classes , de tout sexe et de tout âge , ont su faire éclater
de la manière la plus vive et la plus unanime leur dévouement
et leur reconnoissance pour S. M. et pour ses armées
victorieuses.
(Moniteur. )
16
- En verta du sénatus-consulte qui ordonne la levée de
"
JANVIER 1806.
So mille conscrits pour l'an 1806 , M. le conseiller d'état
préfet du département de la Seine a fait afficher hier l'arrêté
suivant :
Art. I. Tous les jeuues gens du département de la Seine,
nés depuis le 23 septembre 1785 inclusivement , jusqu'au
31 décembre 1786 inclusivement , sont somméss ,,..quelles
que soient leur taille , leur constitution physique , ou
même leurs infirmités , de se présenter depuis le 2 janvier
1806 , jusqu'au 20 du même mois , devant le maire de
leur commune ou de leur arrondissement , pour y déclarer
leurs noms et prénoms , la date et le lieu de leur naissance ,
leur profession et domicile , ainsi que les noms et prénoms
, profession et domicile de leurs père , mère ou
tuteurs , et pour donner les divers renseignemens qui leur
seront demandés.
II . En cas d'absence ou de maladie , les pères , mères
tuteurs , ou plus proches parens desdits jeunes gens , se
présenteront pour faire les déclarations ci-dessus indiquées.
‹ III . Ceux qui , passé le 20 janvier 1806 , ne se trouveront
pas inscrits sur les tableaux de conscriptions de
leur municipalité , soit d'après leur présentation en personne
, soit par l'intermédiaire de leurs parens ou tuteurs ,
s'ils sont absens ou malades , seront notés comme n'ayant
pas répondu aux appels de l'administration , et comme
tels , sujets aux peines prescrites par les lois.
-La classe de la langue et de la littérature française a
tenu , hierjeudi , une séance publique présidée par M. Arnault
, dans laquelle on a entendu , 1 ° . le rapport du concours
des prix proposés au concours de l'an 14 , par le secrétaire
perpétuel.
2°. La lecture de la pièce de vers qui a remporté le prix ,
et de quelques fragmens de la pièce qui a obtenu l'accessit.
3°.L'annonce des sujets de prix pour le concours de
l'année 1806 .
4. La lecture de l'éloge de l'avocat général Seguier
l'un des quarante de l'académie française , par M. Portalis .
5º . La lecture de quelques fables par M. Arnault.
•
Voici les prix proposés au concours pour l'année 1806 :
Prix de poésie , lequel sera adjugé à une pièce de vers
dont le sujet sera le Voyageur. Le genre du poëme est au
46 MERCURE DE FRANCE ;
1
choix des auteurs , et doit avoir au moins cent vers , et au
plus deux cents.
Prix d'éloquence. Dans la séance publique du 5 nivose
an 13 , la classe avoit proposé pour sujet du prix d'éloquence
le Tableau littéraire de la France dans le dixhuitième
siècle.
Aucun des discours envoyés n'ayant paru mériter le
prix , elle remet de nouveau le même sujet au concours.
Le terme prescrit pour l'envoi des pièces destinées au
concours , est fixé au 15 octobre 1806.
-La belle édition des OEuvres de Plutarque , traduction
d'Amyot , est enfin terminée. Les deux derniers
volumes , XXIV et XXV , viennent de paroître l'un
contient la Table raisonnée et très-ample des matières
des douze volumes des VIES DES HOMMES ILLUSTRES , ét
l'autre celle des onze volumes des OEUVRES MORALES ET
MELEES ; ils complètent non-seulement cette nouvelle edition
, mais aussi la première, publiée par le même libraire
en 1783 , 22 volumes in-8°. Le tome XXIII , servant
également de Supplément aux deux éditions , est publié
pour la première fois ( 1 ). Le succès de la première édition
"
(1 ) N. B. Les Souscripteurs peuvent faire retirer ces deux derniers
volumes en rapportant la reconnoissance de souscription ; à Paris ,
chez Cussac , imprimeur- libraire rue Croix-des- Petits- Champs ,
n°. 23 , et chez le Normant ; et dans les départemens ou pays étrangers
, chez les libraires qui ont reçu leur souscription . Les personnes
qui n'ont pas souscrit pour l'une on l'autre de ces éditions ,
pourront se procurer les Tomes XXIII , XXIV et XXV , aux prix
ci-après , suivant le format et la qualité du papier de leur exemplaire.
-
Tome XXIII , composé de divers Fragmens , traduits par M Clavier,,
imprimé sur carré fin , in 8 ° . cartonné, 6 fr . Idem , carré fin , façon
de Hollande , in -8° . 10 fr . Idem , carré fin , façon d'Annonay,
in-4° . 21 fr..— Idem , carré vélin , in-4 °. 30 fr .
-
Tomes XXIV et XXV ( tables ) sur carré fin , in -8 °. 15 fr. — Idem,
carré vélin , in- 8° . 36 fr. - Idem , grand-raisin fin , gr. in - 8° . 18 fr.
- Idem , grand-raisin vélin , gr. in-5° . 36 fr. Idem , carré fin ,
façon d'Annonay , fin-4° . 48 fr. Idem , carré vélin , in-4°. 60 fr.
Prix des OEuvres complettes.
-
Euvres de Plutarque , nouvelle édition , carré fin , 25 vol.
in-8° . fig. avec un grand nombre de médaillons gravés au simple
trait d'après l'antique , cartonnés . 150 fr . Idem , carré vélin ,
in-8° . 312 fr, 50 c. Idem , grand-raisin fin , gr. in- 8 °, 213 fr. 50g,
Idem , grand-raisin vélin , gr . in -8° . 412 fr . 50 c.
JANVIER 1806 . 47.
garantit celui de la seconde , qui est encore mieux exécuté.
Il est à desirer que le public encourage ces grandes entreprises
de librairie , sur-tout lorsqu'elles ont pour objet
des ouvrages tels que ceux de Plutarque , celui de tout les
historiens anciens et modernes qui a le mieux su allier deux
choses trop souvent séparées , l'instruction et l'agrément.
-
M. Antoine-François de Beaumont , neveu de l'archevêque
de Paris de ce nom , et ancien chef d'escadre, est ›
mort dernièrement à Toulouse. Ses services dans la carrière
qu'il a parcourue , lui avoient mérité des décorations distinguées
, et son caractère élevé et généreux lui ont procuré
des amis tendres.
En 1778 , le 11 septembre , n'étant encore que capitaine
de vaisseau, et commandant dans les
parages d'Ouessant
la frégate la Junon , de 40 canons , il fit rencontre.
du Fox , bâtiment de même force , qui , par une singularité
qui se trouve dans les rapprochemens , étoit commandé
par le brave lord Wensor , neveu de l'archevêque
de Cantorbéry. Quoique malade alors au point de ne pouvoir
même se mouvoir , M. de Beaumont se fait porter sur
le pont ; son courage ranimant ses forces et surmontant
ses douleurs , il commanda seul le combat , qui durà deux
heures , avec une telle vivacité que le Fox démâté ,ayant
perdu la plus grande partie de son équipage , fut contraint
d'amener , et le vainqueur presque mourant le conduisit à
Brest.
Cette action , que les circonstances rendent encore plus
remarquable , a été transmise à la postérité par un monument
; le gouvernement la fit représenter dans un tableau
en grand , dont l'original fut déposé en 1780 au ministère
de la marine , en parallèle avec celui dont le brave du
Coüedic a fourni le sujet , et il en a décerné une copie à
M. de Beaumont , ornée d'une inscription qui la rend
encore plus glorieuse.
TRIBUNAT.
Le 9 nivose 30 décembre le tribunat a tenu une séance
extraordinaire dont l'objet étoit de délibérer sur les projets
de monumens qu'on doit élever à la gloire de l'Empereur,
H
48 MERCURE DE FRANCE ;
Après avoir entendu un grand gombre d'orateurs , le tribunat
sur le rapport de M. Faure , au nom d'une commis
sion spéciale après cet arrêté :
« Le tribunat considérant que des gages éternels de la
reconnoissance nationale sont dus à un monarque qui fait
la gloire et le bonheur de son peuple , et dont la vie offre
un tissu d'actions héroïques ; qu'il n'est point d'expression
qui puisse peindre l'étendue et la rapidité des prodige ;"
opérés par Napoléon et les armées françaises , sur-tout dans
cette campagne à jamais mémorable , terminée si glorieusement
par la victoire d'Austerlitz ; que tant de sujets
d'admiration et de gratitude doivent être transinis à la pos
téritéé par des monumens où tout rappelle de si précieux
souvenirs ; le tribunat exerçant le droit qui lui est accordé
par l'art. 29 des constitutions de l'Empire ,
•
Emet le voeu :
1 °. Que sur une des principales places de la capitale il
soit érigé une colonne surmontée de la statue de l'Empereur.
Cette colonne portera pour inscription : A Napoléon-
le- Grand , la patrie reconnoissante. La place recevra
le nom de Napoléon-le-Grand .
2°. Qu'il soit élevé un édifice où soient réunis les chefsd'oeuvre
des arts destinés à consacrer la gloire de Napoléon
et des armées françaises. Que dans ce monument soit déposé
avec l'appareil le plus pompeux , pour y rester
pendant la paix , l'épée que l'Empereur portoit à Austerlitz
, et qu'elle en soit retirée avec la même pompe ,
si la guerre impose la nécessité d'en faire usage ; que dans
ce même lieu , soient distribués les grands prix que S. M.
doit donner de sa propre main aux productions du génie
et de l'industrie nationale ; qu'il soit également destiné
aux actes solennels de la Légion d'honuçur et de l'instruc➡
tion publique.
3°. Que chaque année , l'anniversaire de la naissance de
Napoléon soit célébré par une fête nationale , dont l'éclat
soit digne d'un monarque si cher à son peuple.
Le tribunat a arrêté aussi de faire frapper une médaille
en mémoire de l'inauguration des huit drapeaux qui lui
ont été donnés par S. M. l'Empereur et Roi.
SEINE
( No CCXXXIV. ) A
( SAMEDI 11 JANVIER
10 DE LA
MERCUR
Cent
DE
FRANCE..
Ꭱ Ꭺ
LITTÉRATURE.
P O ÉS I E.
Traduction de la fin du livre de l'ENEIDE
par Hyacinthe Gaston ( 1).
« D'AUTRES ,
'AUTRES , plus mollement sous le ciseau divin
Feront vivre le marbre et respirer l'airain ,
•
Sauront à la tribune enchaîner le vulgaire ,
Ou décrire des cieux la marche circulaire ;
Toi , Romain , souviens - toi d'asservir l'univers.
Vaincre, dicter des lois à cent peuples divers ,
Faire par tes bienfaits pardonner ta victoire,
Rome , voilà tes arts Rome , voilà ta gloire
Ainsi parloit Anchise à son fils étonné.
Regarde Marcellus de palmes couronné
3
b ,et 4fr.
(1 ) Le tome second de l'Eneide, traduite en vers par M. Gaston,
contenant les cinqueme , sixième , septième et huitième livres , vient
de paroître. Prix : fr. 6o c . , 60 c . par la poste. Le prix du
premier volume est le même. Nous rendrons compte incessamment
de cet ouvrage , On le trouve chezle Normant-
D
50. MERCURE DE FRANCE ,
"
Lui dit il sur ce peuple il élève sa tête ;
Le troisième triomphe , honorant sa conquête ,
Traîne en pompe à son char les rebelles Gaulois
Et les drapeaux captifs des fiers Carthaginois ;
Seul il rend son pouvoir à Rome consternée, »>
Un jeune homme , à pas lents , le suit ; les yeux d'Enée
Admirent son armure , et sur-tout sa fierté ;
Mais la douleur attriste et flétrit sa beauté .
« Mon père , ce héros qui marche sur sa trace
Est-il son fils ? Sort- il de ton auguste race
?
Quels honneurs ! ils sont tous autour de lui pressés ;
Ce sont les mêmes traits , mais il sont effacés ,
Et la nuit sur son front étend son voile sombre . »
«< Oh ! de quel deuil ta voix vient d'affliger mon ombre
Dit Anchise ; et pourquoi ne m'épargnes- tu pas
La douleur d'annoncer les secrets du trépas ?
La Parque tranchera cette fleur passagère !
Dieux ! ne la voulez-vous que montrer à la terre !
Votre pouvoir , jaloux du pouvoir des Romains ,
Leur ravit ce présent échappé de vos mains .
Pleure , cité de Mars , la gloire de tes armes !
Tibre , combien tes flots doivent rouler de larmes ,
Lorsque , sur ton rivage , un peuple gémissant
L'appellera trois fois sur son bûcher récent !
Illustre enfant de Troie , espoir de l'Italie ,
Combien il eût aimé les Dieux et la patrie !
Antique loyauté , valeur dans les combats !
Nul mortel n'auroit pu résister à son bras ,
Soit qu'un coursier sous lui du pied frappât la plaine ,
Soit qu'il eût voulu seul descendré dans l'arène .
Cher enfant , si tu peux échapper aux destins ,
Tu seras Marcellus..... Venez ; à pleines mains
Donnez des lys ; donnez , j'en couvrirai sa tombe.
Mon ombre te les offre au défaut d'hécatombe ,
Infortuné ! reçois ce vain tribut de fleurs
Que l'amour paternel a trempé de ses pleurs . »
JANVIER 1806. 50
Enée autour de lui voit errer ces images ,
Et de Rome à venir il parcourt tous les âges.
Son père lui décrit les moeurs des Laurentins ,
Leurs armes , leur cités , et jusqu'à leurs desseins.
Le Sommeil , de ses fils sépara les cohortes ,
Et pour eux , nous dit- on , il destina deux portes .
L'ivoire éblouissant sur deux pivots légers
Tourne , et livre une issue aux Songes mensongers ;
La corne transparente et ses gonds redoutables
Ouvrent l'autre passage aux Songes véritables.
Anchise précédoit la Vierge et le héros ,
Et préparoit son fils à des périls nouveaux .
Enée arrive enfin à la porte d'ivoire ,
La franchit , enivré d'espérance et de gloire.
Il vole vers Caïette , et sur ces bords amis
Il range ses vaisseaux sur leur ancre affermis.
MES SOUVENIRS.
Je suis las , mes amis ; je puis faire une pause .
Après un long travail , il faut qu'on se repose.
Je vais donc prendre haleine , au moins jusqu'à demain
Encor ce ne sera que la plume à la main .
Je veux vous rappeler mes secrètes pensées ,
Et mes plaisirs présens , et mes peines passées .
Car cet amour des vers , Dieu sait s'il m'a coûté !
Si je jouis un peu , je l'ai bien acheté.
O toi , que pour mes goûts je trouvois trop sévère ,
Je ne t'accuse point : tu m'aimois ô mon père !
Et tu fus , par tendresse , inflexible pour moi ;
Je me plaignois à tort! Soyons de bonne foi :
Presque toujours , un père à bon droit se défie ;
Et c'est l'événement qui seul nous justifie.
Il m'a justifié tout au plus à demi ....
Que dis -je ! ... ces jours même où j'ai souffert , gémi
N'étoient pas sans douceurs : souvent je les regrette :
D 2
52 MERCURE DE FRANCE ,
Oui , je regrette , amis , cette obscure retraite ,
L'humble hôtel , dont trois ans j'occupai le plus haut ,
Que je serois fâché d'avoir quitté plutôt.
J'aime à me rappeler ma respectable hôtesse
Sa longue patience et sa délicatesse ;
Je n'oublîrai jamais sa constante amitié.
Je la payois fort mal , étant fort mal payé :
Eh bien , elle attendoit ; et je lui dois peut- être
Et mon premier ouvrage et ceux qui pourront naître.
C'est là que j'ai trouvé quelques amis bien chers
Possédés , comme moi , de ce démon des vers ,
Bons fils , mais sourds de même à la voix de leurs pères.
Unis par le malheur , nous nous aimions en frères.
Vous souvient-il , amis , de nos petits repas ,
Bien petits en effet , si l'on comptoit les plats ,
Mais joyeux , mais charmans , et cent fois préférables
Au luxe , au vain apprêt de ces superbes tables ?
Nous n'avions pas le sou , mais nous étions contens ;
« Nous étions malheureux : c'étoit là le bon temps ! »
Je nourrissois pourtant quelques peines secrètes ;
J'affligeois mes parens ; je grossissois mes dettes :
Je capitulai donc. On m'offroit de payer
Jusqu'au dernier mémoire , et de tout oublier ;
Pourvu qu'oubliant , moi , vers et prose , je vinsse
Vivre , honnête avocat , au fond de ma province.
J'obéis : je quittai donjon , hôtesse , amis ;
Je promis tout , et tins ce que j'avois promis.
Tout Chartres m'est témoin (le fait est trop notoire )
Que j'ai , trois ans entiers , lassé mon auditoire .
J'étois plus las moi -même , et je rongeois mes fers .
Je les brise à la fin , et je retourne aux vers.
Je plaidois bien encor ; mais ma robe discrète
Annonçoit l'avocat et cachoit le poète.
Vous savez tout le reste : abrégeons ce récit.
L'Inconstant est joué ; l'Inconstant réussit.
L'Optimistele suit ; même sort l'accompagne :
***
JANVIER 1806.
53
Beau moment pour bâtir des Chateaux en Espagne !
O bonheur ! ... chers amis ! ... car je n'ai plus pour eux
De souhaits à former ; eux- mêmes ils sont heureux .
Ils sont , ainsi que moi , malgré tant de traverses ,
Arrivés à leur but par des routes diverses.
Tels que des voyageurs , au naufrage echappés ,
Nous buvons dans le port ; et nos petits soupés
Sans être moins joyeux , sont presque aussi modestes.
Réunion charmante , et passe - temps célestes !
Lorsque vers le passé nous tournons nos regards ,
Et que nous nous voyons , bravant mille hasards ,
Mêlant toujours l'espoir à nos plus justes craintes ,
Souffrans , mais résignés , gais même dans nos plaintes ;
Qu'il est doux , puisqu'enfin luisent des jours sereins ,
De se ressouvenir, même de ses chagrins !
COLLIN -
D'HARLEVILLE.
Etrennes d'une Mère à son Fils, ou très- humbles
Remontrances d'une antique Commode au jeune
Williams.
er Janvier 1806.
Le sort , qui fait des matices,
Me transporte, en ce moment,
Dans ce cabinet charmant,
Dont vous faites vos délices ;
Mais croyez , mon bel enfant ,
Que je n'y viens qu'en tremblant
Vous consacrer mes services.
Trop souvent à mon aspect ,
Imposant et vénérable ,
Vous avez ri sans respect
De ma vieillesse honorable .
Epris de la nouveauté ,
Dont le charme est peu durable ,
3
54
MERCURE
DE FRANCE ,
Williams , votre oeil enchanté ,
Pour juger de la beauté ,
Ne connoît d'autre méthodo
Que ce caprice léger •
.
Séduisant et passager ,
Que l'on appelle la mode.
Moi , si j'ai vécu long-temps ,
Ma fierté s'en accommode ;
Mes antiques ornemens
Prouvent que depuis cent ans
Je suis utile et commode.
Puissiez-vous dans vos récits .
Un jour à vos petits-fils ,
Dire à -peu-près même chose !
Cher Williams , en attendant ,
Devenez plus indulgent ,
Et songez qu'un trait piquant
Est , à l'esprit d'un enfant ,
Ce qu'est l'épine à la rose.
Mais , malgré mes documens
S'il vous prend encore envie
De railler à mes dépens ,
Pensez vîte , je vous prie ,
A cette sensible amie ,
Qui de moi va se privant ,
Croyant , dans sa bonhomie,
Faire un superbe présent
A ce fils qu'elle aime tant..
Si votre coeur vous ramène
A ce touchant souvenir ,
Ah ! bien loin de me bannir ,
Déjà ma grace est certaine ,
Et tout prêts à s'attendrir ,
Vos yeux me disent sans peine ,
-Que je viens de l'obtenir.
Par madame d²**
JANVIER 1806. 55
Dialogue entre M. D'EAU - BONNE , médecin par
routine , et M. BOURRU , goutteux de profession,
AIR : Frère Jean à la cuisine.
I
(Le Médecin tient un entonnoir à la main; à ses pieds est une chaudière
d'eau bouillante . )
Je suis le Docteur d'Eau- Bonne ;
En un jour, Monsieur Bourru ,
A vous guérir je m'abonne ,
Mais buvez chaud , buvez dru.
L'eau du cru
(Qui l'eût cru! )
A Paris n'est pas moins bonne
Qu'à Plombières , qu'à Bourbonne ,
Qu'à Vichy , qu'à Balaru.
LE GOUTTEUX. Il est assis dans unfauteuil, et le pied sur
un tabouret.
Quand ma goutte se rencogne
Dans mon douloureux orteil ,
De boire un muids de Bourgogne
Qu'on me donne le conseil.
Jus vermeil , 1
Sans pareil ,
S'il faut te boire en ivrogne ,
J'aurai coeur à la besogne ,
Dans l'espoir d'un doux sommeil !
LE DOCTEUR , furieux.
A mes épreuves sévères
Tu ne veux point faire accueil :
Sans doute tu ne révères
Qu'Hypocrate et son recueil.
Crains l'écueil
Da cercueil ,
56
MERCURE DE FRANCE ,
Pour peu que tu persévères
A fuir mes quarante verres
D'eau de la Seine ou d'Arcueil,"
LE GOUTTEUX , se résignant.
Dès qu'à l'eau pure je goûte ,
C'est pour ma bouche un fléau ;
Mais quoiqu'elle me dégoûte ,
Je boirois fleuve et ruisseau
A plein seau ,
Par tonneau ,
Et , qui pis est , goutte à goutte,
Si je croyois que la goutte :
Ne revint jamais sur l'eau .
LE DOCTEUR , s'apprêtant à entonner son 'eau bouillante.
Embouchez , ou je me fâche ,
Cet entonnoir dont l'objet ,
Quand l'abdomen est trop lache ,
Est d'empêcher tout rejet.
Jet par jet
Mon projet
Est de noyer sans relâche
L'infâme qui prend à tâche
De vous ronger sans sujet .
LE GOUTTEUX , après avoir avalé une gorgée d'eau bouil
lance son tabouret dans les jambes du Docteur,
lante ,
Ah , quel feu ! Quelle colique !
Quel hoquet !... j'en suis honteux.
Sors , Esculape hydraulique !
Ton remède рец coûteux
Est venteux
Et douteux..
41
Ne crois pas que je me pique
De décéder hydropique ,
Quand je peux vivre goutteux,
PIIS.
1
JANVIER 1806. 57
L'ÉGLOGUE DESENCHANTÉE.
L'HOMME se paît d'illusions légères !
Même éveillés , hélas , nous rêvons tous !
Témoins en sont églogues mensongères .
Qui ne croiroit que vos destins sont doux ,
Petits moutons chantés par vos bergères ?
Vous paissez l'herbe , on vous défend des loups ;
Sous sa houlette une Philis vous range ;
Le beau Mirtil en est presque jaloux ;
t
Oui, mais un soir , las , tombés sous leurs coups ,
Avec Philis le beau Mirtil vous mange !
M. LEBRUN , de l'Institut National.
SUR LA NOUVELLE D'UN ACCOUCHEMENT, '
་ ད
Un grand- papa , d'un style triomphant ,
M'écrit qu'un fres -aimable enfant
Vient de naître dans sa famille.
Est - ce un garçon ? est-ce une fille ?
Je n'en sais rien ; mais cette tendre fleur
Ne déparera point celles qui sont écloses ;
De sa tige natale elle sera l'honneur :
L
C'est un bouton de plus dans un bouquet de roses.
M. DELILLE.
ENIGM E.
Je suis témoin juge et supplice
Du méchant qui commet le mal ;
Je lui reproche ba malice ,
Et je l'attends au jour fatal .
Par G. V. ( de Brives ) , abonné,
58 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
JE porte un roc dans mes entrailles ;
Un saint honoré dans Paris :'
Point de pleurs à mes funérailles ,
Mais bien le Plaisir et les Ris .
Dégagé de mon chef , je préside à l'Eglise ;
Agréable surprise !...
Mon chef remis , ma queue étant en bas
Je ne préside point à la guerre , aux combats ;
Je suis cher à la gourmandise !...
En est-ce assez , lecteur , pour deviner mon nom ?
Si vous répondez : Non....
Vous trouverez encor le desir de l'avare ;
L'instrument des oiseaux pour éviter la faim ,
Et celui du chasseur , lorsqu'il sonne fanfare ,
Et l'échange commun à tout le genre humain. -
Par le même.
CHARA DE.
FEMME ne trompe pas quand elle est mon premier ;
Un marquisat , dit -on , vaut moins que mon dernier ;
Mon tout , que je chéris , et que Madrid regrette ,"
D'un monarque étonnant fut deux fois la conquête.
Par FELIX MER .... DE ROUGEMONT.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la
CHARADE insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Coeur.
Celui du Logogriphe est Remi , où l'on trouve mie , re,
mi, mer, rime.
Celui de la Charade est Mal-heur.
The fi
JANVIER 1806. 59
Lettres de madame de Montier , recueillies par
Madame le Prince de Beaumont. Nouvelle
édition. Trois vol. in- 12 . Prix : 5 fr. , et 6 fr.
50 cent. par la poste. A Paris , chez Renard ,
libraire , rue Caumartin , nº. 750 , et rue de
l'Université ; et chez le Normant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxer
rois , nº. 17 .
JAMAIS
<
AMAIS on n'a fait tant de romans moraux que
depuis qu'on n'a plus de moeurs. Chaque genre a
eu sa mode passagère. Le Sage , le meilleur des
romanciers français , n'eut presque point d'imitateurs.
Dans le temps de la régence , époque de la
dégradation trop générale de la haute société , on
chercha pour l'instruction du peuple , à réduire en
maximes la doctrine du libertinage adoptée par les
grands . Les romans de Crébillon fils fixèrent quel
que temps l'attention par une peinture fidelle et
parfois séduisante de quelques sociétés au milieu
d'un persiflage de mauvais goût , et d'un jargon
frivole où le génie de notre langue étoit absolu →
ment dénaturé , on remarqua des traits piquans ,
des développemens ingénieux qui firent le succès
de ces ouvrages aujourd'hui presque oubliés. Les
jeunes gens ne manquèrent pas de régler leur morale
sur les principes du romancier, qu'ils croyoient
être ceux de la bonne compagnie : ils cherchèrent
à copier les originaux auxquels on attribuoit tant
de triomphes auprès des femmes ; et les provinces
mêmes offrirent des copies toujours très-ridicules
des héros dont la licence et l'étourderie faisoient .
tout le mérite, Aux romans de Crébillon succé60
MERCURE DE FRANCE ,
dèrent ceux de l'abbé Prévost , qui , pour donner
du neuf, fit un grand étalage de sentiment et de
morale. Les aventures extraordinaires dont il surchargea
ses conceptions , excitèrent d'abord la
curiosité ; il eut aussi l'art d'entretenir l'intérêt ,
et d'émouvoir le coeur par des combinaisons d'événemens
, communs à la vérité , mais qui ne manquaient
pas d'une certaine liaison . Sa morale toujours
exaltée , les vertus factices dont il ornoit ses
héros ne pouvoient être utiles aux moeurs ; mais
c'étoit de quoi l'on s'inquiétoit le moins : Prévost
amusoit ; que pouvoit-on lui demander de plus ?
Ce qui prouve que sa morale n'étoit qu'un pur
charlatanisme , c'est l'ouvrage que l'on regarde
comme son chef - d'oeuvre . Dans ce livre trop
vanté ( 1 ) , l'auteur ne craint pas d'employer tout
son talent pour attacher l'intérêt sur une femme
perdue , et sur un escroc. Les philosophes et les
gens du monde admirèrent ce tour de force . Mais
dans un siècle moins dégradé , quelle indignation
universelle ne se seroit pas élevée contre un au→
teur qui auroit cherché à pallier le mépris qu'on
doit aux vices les plus bas , et à justifier même
les crimes !
Ce succès dont on avoit eu peu d'exemples , fit
naître aux philosophes l'idée de se servir des
romans pour propager leur doctrine . L'un prostitua
son éloquence à donner l'apparence de la
vertu au séducteur le plus vil, à couvrir de tous les
charmes de la pudeur une fille qui ne rougit pas
de tromper son époux en lui cachant ses anciennes
fautes , à prêcher dogmatiquement le suicide , à
prouver qu'un athée peut être le plus honnête
homme du monde. L'autre encore plus cynique ,
traça le tableau prétendu des couvens ; et tout ce
(1 ) Manon Lescaut.
JANVIER 1806 . 61
que son imagination effrénée et libertine put lui
fournir de monstrueux et de dégoûtant , il le fit
entrer dans ses combinaisons . Un troisième ne
respectant pas plus les convenances , mit tout son
art à tourner en ridicule ce qu'il y a de plus sacré
parmi les hommes. Un autre enfin , reproduisant
en phrases emphatiques toutes les rapsodies sur le
fanatisme , dénatura l'histoire pour faire des romans
auxquels il n'eut pas même le talent de donner
de l'intérêt . C'est désigner assez la nouvelle
Héloïse , la Religieuse , les romans de Voltaire , les
Incas et Bélisaire , productions aussi condamnables
sous le rapport des moeurs que répréhensibles sous
le rapport du goût .
Sans s'arrêter aux productions lugubres et monstrueuses
que l'on admira pendant la révolution , on
doit donner quelque attention au nouveau genre
de
roman qui fut introduit . Un des traits caractéristiques
de cette époque si féconde en excès de tous les genres,
c'est que
l'on sut joindre à l'égoïsme le plus complet
, à la perversité la plus raffinée une sorte de
prétention à la sensibilité qui , par son affectation ,
ne pouvoit manquer d'être taxée de fausseté. Jamais
on ne donna plus de drames larmoyans , que dans
des temps où la véritable sensibilité n'avoit pas be
soin d'être excitée par des fables ; jamais on ne versa
plus de larmes au spectacle , qu'à une époque où l'on
voyoit d'un oeil see les horreurs les plus inouies.
Cette prétention à la sensibilité , à la mélancolie ,
survécut aux circonstances qui l'avoient fait naître .
Il seroit possible de réduire en quelques axiomes
toute la théorie morale des romans modernes les
passions excusent tout ; on ne doit point reprocher
une erreur à une femme sensible quand d'ailleurs
elle est bienfaisante ; la sensibilité ne consiste point
à aimer son mari , ses enfans; il faut qu'une femme
ait une grande passion , qu'elle y sacrifie tout , que
62 MERCURE DE FRANCE ;
cette passion l'occupe sans cesse , qu'elle se livre
au vague de la mélancolie , et qu'enfin elle devienne
folle ou qu'elle se tue. Une femme ne seroit pas
sensible , si la religion pouvoit la consoler dans ses
malheurs , ou lui inspirer le repentir de ses fautes.
Madame de la Vallière n'avoit point de sensibilité :
si elle en avoit eu , loin d'expier ses égaremens par
une pénitence de trente ans , elle auroit troublé la
cour par ses cris ; et , après s'être inutilement donnée
en spectacle , elle seroit tombée dans une profonde
mélancolie qui l'auroit conduite soit aux
Petites -Maisons , soit dans un des bassins de Versailles.
Au lieu de dire froidement , en apprenant
la mort de son fils le duc de Vermandois : Je dois
pleurer sa naissance encore plus que sa mort, elle
aurait fait embaumer cet enfant chéri pour l'avoir
toujours dans sa chambre , ou l'auroit fait brûler
pour mettre ses cendres dans un vase antique , ou
enfin elle auroit fait composer avec ses cheveux
des bagues et des colliers qu'elle auroit pu porter
au bal , si sa mélancolie l'y avoit entraînée. Telle
est la sensibilité des héroïnes des romans modernes.
Malgré cette mode , d'autant plus répandue aujourd'hui
qu'il suffit de déraisonner pour produire
et admirer des ouvrages aussi ridicules que dangereux
, il s'est conservé , même dans les romans , une
école de bon goût et de saine raison qui laisse
quelque espoir de changement dans cette partie
de la littérature dont l'empire est si puissant sur
les moeurs. Deux femmes auxquelles on doit des
livres d'éducation , ont marché avec succès sur les
traces de Mad. de la Fayette. Dans Mlle de Clermont
, et dans Mad. de la Vallière , qui sont peutêtre
les meilleures nouvelles historiques que nous
ayons , Mad. de Genlis a su intéresser et plaire
par des moyens toujours naturels , par d'excellentes
peintures de moeurs , et par une observation scruJANVIER
1806. 630
puleuse des convenances les plus délicates. Mad . le
Prince de Beaumont , qui , comme Mad . de Genlis
a consacré à l'enfance ses premiers ouvrages ,
les lettres prouve aussi par de Mad. de Montier ,
dont nous annonçons une nouvelle édition , que l'on
peut obtenir des lecteurs en ne se livrant à aucune
conception extraordinaire , en ne dérogeant en
rien à la morale la plus sévère , et en donnant à des
tableaux toujours chastes les couleurs simples et
naturelles qui leur conviennent.
"
Le but de Mad . de Beaumont a été d'indiquer
aux jeunes femmes une règle de conduite dans
toutes les circonstances où elles peuvent se trouver.
Quoique l'esprit religieux domine dans l'ouvrage
les esprits frivoles n'y trouveront aucune trace de
ce qu'ils appellent pédantisme. L'auteur n'y prêche.
pas des vertus impossibles à pratiquer : tout est proportionné
à la foiblesse et à la fragilité humaines ;
rien n'y est contraire aux devoirs , et même aux
usages que le monde prescrit ; et ce qui est vraiment
digne d'éloge , c'est que jamais la condescendance
de l'auteur ne va jusqu'à modifier les préceptes
sacrés de la religion ; écueil qu'il lui étoit
extrêmement difficile d'éviter dans son plan.
Une famille noble , mais déchue , habite dans les
environs de Sens : M. de Montier , ancien militaire ,
vit d'une manière assez obscure avec son épouse
femme respectable , mère de plusieurs demoiselles ,
que la modicité de leur fortune fait craindre de ne
pouvoir établir. Un grand seigneur de Savoie passant
à Sens , voit l'aînée des filles de M. de Montier;
elle lui plaît , et lui est accordée. Il la conduit
aussitôt dans ses terres , sans qu'elle ait eu le
temps de le connoître et de s'habituer à lui. C'est
à ce moment que commence la correspondance
de Mad . de Montier avec sa fille. Une jeune femme
qui n'a jamais vu le monde , a grand besoin de
64 MERCURE DE FRANCE ;
conseils , lorsque , sans aucune préparation , elle
change ainsi d'état , et se trouve éloignée de sa
mère. La marquise , c'est ainsi qu'elle est désignée
dans le roman , rend compte à Mad. de
Montier de toutes ses actions. Le premier désagrément
qu'elle éprouve vient de la violence de son
mari : le marquis est, sujet à se laisser emporter par
la colère ; la douceur seule suffit pour le ramener ;
et Mad. de Montier donne à sa fille des conseils
qui annoncent une grande connoissance du coeur
humain. Bientôt elle est mise à de plus grandes
épreuves : on se bornera à indiquer les principales.
Un comte intimement lié avec le marquis , ne
peut voir sans l'aimer , la femme de son ami . Il
parvient , dans un bal masqué , à lui faire connoître
sa passion. La marquise est fort embarrassée : comment
évitera-t - elle les assiduités du comte ? Ce
seigneur a beaucoup de crédit à la cour de Sardaigne
; il procure au marquis une grande place :
ne serait -il pas dangereux de donner lieu de penser
qu'il a des vues intéressées ? Dans cette position
délicate , Mad. de Montier dirige parfaitement sa
fille elle lui indique les moyens de se dérober
sans affectation aux poursuites du comte , et luj
démontre avec beaucoup de raison qu'une femme
vertueuse ne doit jamais inquiéter son époux par
des confidences indiscrètes ; une réserve décente
suffit pour éviter tous les dangers.
La situation de la marquise devient encore plus
critique par l'infidélité de son mari une de ses
femmes a plu au marquis ; il vit avec elle dans sa
propre maison. Une héroïne de roman se désoleroit
ou afficheroit de grands sentimens . La marquise
, d'après les conseils de sa mère , emploie
tous les moyens que lui suggère la prudence pour
rompre cette liaison. Sans faire aucun reproche à son
mari , sans jamais l'exposer à rougir devant elle de
Sa
HOJANVIER 1806. 65
sa faiblesse , elle trouve le moyen de lui faire étouffer,
un goût passager , et de conserver sa tendresse et
sa confiance . L'infidélité de son époux met la márquise
dans une situation d'autant plus dangereuse,
qu'elle éprouve en même temps une passion violente
pour un homme de sa société. Cette passion.
est combattue avec succès par les conseils de
Mad . de Montier l'extrême soumission de la
marquise aux préceptes sévères , mais pleins de
prudence que lui donne sa mère , achève sa guérison.
"
ardior ra
+
Cependant Mad. de Montier a envoyé à la marquise
sa jeune soeur , dont le caractère assez singu-
Hier fait un contraste très -marqué avec celui de
l'héroïne. Dès l'âge le plus tendre , cette jeune personne
annonce un orgueil et une envie de dominer
qui peuvent la faire tomber dans de grandes erreurs .
Les conseils de sa mère , l'exemple de sa soeur ne
peuvent la corriger. Le comte qui a connu toute la
vertu de la marquise , achangé sonamour enrespect :
quelques restes de cette re inclination le portent
à s'attacher à la jeune personne , qui ressemble si
peu cependant à celle qu'il a aimée . Il la demande
et l'obtient. La comtesse présentée à la cour , se livre.
aux goûts que sa mère a vainement cherché à combattre
sa vanité, son esprit de domination l'entraînent
à des erreurs et à des folies dont il seroit trop
long de donner le détail ; il vaut mieux à
l'intéressante marquise , dont les épreuves sont loin
d'être finies. En se promenant dans son parc , une
aventure romanesque met en sonpouvoir un enfant
dont elle a pitié et qu'elle porte dans son appartement.
Le marquis la croit criminelle , l'accable de
reproches et s'éloigne d'elle quelque temps après
les mêmes soupçons l'agitent , et le résultat en est
encore plus terrible. Mad. de Montier console sa
fille dans ces situations difficiles , et parvient à
E
revenir
66 MERCURE DE FRANCE ,
éclairer le marquis , qui , honteux de ses soupçons ,
demande et obtient son pardon.
Les autres épreuves auxquelles la marquise est
soumise , sont toutes celles qui peuvent accabler
une épouse et une mère. Son mari meurt, ainsi que
son fils unique ; elle est entièrement ruinée. Au
milieu de ces malheurs inouis , l'héroïne aidée de
sa mère , trouve dans la religion les consolations
dont son coeur a besoin. Les remèdes sont toujours
proportionnés aux maux ; et , sans faste philosophique
, on voit une foible femme lutter contre
tout ce que l'imagination peut concevoir de plus
terrible. T
Le style de Mad. de Beaumont est toujours conforme
à l'âge , au caractère et au rang des personnages
qu'elle fait parler. Cet avantage si rare donne
à l'ouvrage dont nous parlons un nouveau degré
d'intérêt. Ce qui paroît sur-tout étonnant , c'est
que les lettres de Mad. de Montier sont celles qui
se font lire avec le plus de plaisir : quoiqu'elles ne
renferment que des conseils , elles sont si bien adaptées
au sujet , qu'on les attend avec impatience , et
qu'on seroit faché si elles ne suspendoient pas de
temps à autre le cours rapide des événemens. Parmi
les nombreuses citations que nous pourrions faire ,
nous nous bornerons à transcrire un passage sur les
devoirs d'une femme chargée de l'éducation d'une
princesse destinée à régner. On n'y verra ni cette
emphase , ni cette enflure qu'un philosophe ne manqueroit
pas de mettre dans un pareil sujet. La marquise
est nommée à la place de gouvernante des
princesses de Savoie sa mère lui donne des conseils
.
Rien dans ce monde n'arrive sans une sage.
» conduite de la Providence. Elle sait tirer parti
» de tout , même des fautes des hommes , pour la
» perfection de son ouvrage et le bien de l'unis
JANVIER 1806 .
67
*
» vers. C'est l'ambition qui a fait les premiers rois ;
» l'ambition est sans doute un mal , et c'est de ce
» mal que Dieu s'est servi pour mettre et faire ré-
» gner l'ordre parmi les hommes. Qu'il est peu de
princes auxquels on inculque cette grande vé-
>> rité ! Si on leur demandoit lorsqu'ils commencent
a à se connoître , et qu'ils sortent des mains de
» ceux qui étoient chargés de les instruire , et qui
n'ont fait que les gâter , si on leur demandoit ,
» dis-je : Est - ce ungrand bonheur d'êtrené prince ?
» Ils répondroient , d'après ce qu'on leur a insi-
» nuée , soit par paroles , soit par actions : oui ,
» c'est un grand bonheur. Un prince est riche , il
»
す
a des beaux habits , il fait bonne chère , on le
• » respecte , on n'ose le contredire , il ne se gêne
» pour personne , et tout le monde se gêne pour
» lui ; quand il fait des fautes , ceux qui sont les
juges des autres hommes ne peuvent les punir.
- Apprenez un catéchisme tout opposé à celles
< » que vous instruirez , et qui peuvent devenir
» reines ; et qu'elles puissent dire , si on leur fai-
→» soit la même question : Sans doute il y a quelque
avantage à posséder le souverain pouvoir ,
car il met en état de faire de grands biens ; mais
» cet avantage est un foible dédommagement des
» maux inséparables de la grande puissance . Les
2
grands ne font pas tout le bien qu'ils veulent ,
» et font souvent le mal qu'ils ne veulent pas. Ils
ne peuvent faire un heureux qu'en faisant cent
» misérables ; la flatterie forme un nuage épais
dont ils sont environnés , ensorte qu'ils ne peuvent
apercevoir la vérité. On n'aime en eux que leurs
» bienfaits , et ils ne peuvent espérer d'avoir un
» seul ami réel : tout tient à leur rang , à leurs
n
bienfaits , et rien à leur personne. Ils ne font
>> point de petites fautes , tout est connu , tout est
» exagéré , et ils se trouveront chargés au jugement
E 2
68 MERCURE DE FRANCE ,
» de Dieu , d'une multitude de crimes qu'ils ont
» occasionnés par leur mauvais exemple , leurs
» négligences , leur ignorance . La loi divine leur
» est beaucoup plus pénible à observer qu'au reste
» des hommes . >>
$
On regrette que l'auteur ait borné ses instructions
aux personnes d'une condition relevée : on
voudroit que l'utilité de son livre fût plus générale .
Cela n'eût pas été difficile , en n'apportant aucun
changement au plan de l'ouvrage : en effet , Mad. de
Montier n'étant pas riche , auroit pu marier l'une
de ses filles à un bourgeois ; alors les conseils qu'elle
lui auroit donnés , se seroient trouvés applicables à
la classe la plus nombreuse de la société . Une critique
sévère pourroit aussi reprocher à Mad. de
Beaumont quelques détails romanesques ,
tels que
l'histoire de cet enfant qui donne lieu aux premiers
soupçons du marquis , et l'intention marquée de
graduer les épreuves auxquelles l'héroïne est soumise
; intention qui annonce trop que l'ouvrage
n'est qu'une fiction ; mais les excellentes vues morales
de ce livre , le talent distingué que l'on y remarque
, doivent faire fermer les yeux sur ces légers
défauts . Les bons romans sont si rares , on les
lit si peu , que nous avons cru devoir donner à celuici
toute l'attention que nous aurions apportée à un
livre nouveau . Il est à desirer que ce livre peu volumineux
, et mis par les éditeurs à un prix modique ,
ait autant de succès que lorsqu'il fut publié pour
la première fois ce seroit une présomption peu
favorable pour notre goût et pour nos moeurs, sil
n'étoit pas honoré du même accueil . onoga
4 sp di d P. J
b Jaiot
bubgure
(f
JANVIER 1806 .
69
.
P
Réflexions de Machiavel sur la première Décade de Tite-
Live. Nouvelle traduction , précédée d'un Discours
préliminaire ; par M. D. M. M. D. R. Un vol . in - 8 ° .
Prix : 3 fr. , et 4 fr . par la poste. A Paris , chez Bachelier ,
libr. , quai des Augustins , n° 55 et 68 ; et chez le Normant,
imprimeur - libraire , rue des Prêtres Saint - Germainl'Auxerrois
, no. 17.
(Troisième et dernier extrait.)
QUELQU'UN a dit que les étrangers faisoient souvent
preuve de génie dans leurs ouvrages , mais que les Français
seuls savoient composer un livre. On pourroit croire d'abord
qu'il y a un peu d'amour propre national dans cette
assertion; cependant , si on compare successivement nos bons
écrivains , dans les divers genres de littérature , à ceux
des autres nations , je pense qu'on demeurera convaincu
de leur supériorité dans le grand art d'établir de justes
proportions dans un ouvrage , d'ordonner avec sagacité ses
différentes parties , et d'en former un ensemble
lio parfait
eux seuls , en un mot , savent conduire
le lecteur par une
route toujours
variée , où il n'est ni égaré dans de longs
détours
, ni tantôt forcé de gravir
avec peine , tantôt jeté
brusquement
vers le terme de sa course. Les Discours
de Machiavel
sur Tite - Live viennent
s'offrir à l'appui de ce
que j'avance
.
1
3
Assurément ce n'est pas le génie qui manque à ce grand
politique , et il avoit un fonds d'idées assez riche pour
composer un excellent ouvrage ; mais il ne paroît pas qu'il
ait soupçonné l'art de disposer un plan . If a partagé ses
Discours en trois livres dans le premier , il traite du gouvernement
intérieur de la république Romaine ; dans le
second , il examine ses rapports avec les autres peuples ;
dans le troisième , il parle des grands hommes qui l'ont
illustrée. Cette division qui semble , au premier coup
3
70
MERCURE DE FRANCE ,
G
d'oeil , heureusement imaginée , n'introduit en effet aucun
ordre dans l'ouvrage. Il n'y a pas la moindre méthode
dans ces trois livres , et les différens sujets qui y sont
traités rentrent à tout moment l'un dans l'autre . C'est en
vain qu'on croiroit justifier un pareil défaut , en disant
que Machiavel n'a prétendu faire qu'un commentaire sur
Tite-Live ; dans ce cas , il auroit dû suivre pas à pas l'historien
latin. Au contraire , il mele au hasard toutes les
différentes époques. Il passe indistinctement des consuls
aux rois , et des rois aux dictateurs. Ici il effleure à peine
une matière importante ; là , il en approfondit une autre
jusqu'à satiété, Aucun fil qui puisse guider le lecteur à
travers tant de raisonnemens divers ; aucune idée principale
à laquelle les autres viennent se lier , pour former
avec elle un système régulier et complet. Que l'on compare
cet ouvrage aux Considérations de Montesquieu sur
les causes de la grandeur et de la décadence des Romains,
on sera étonné de voir que l'écrivain français , sous un
volume quatre fois moindre , où il passe en revue toute
l'histoire Romaine , depuis Romulus jusqu'à la prise de
Constantinople , ait présenté un tableau bien plus complet
de la République que ne l'a fait Machiavel , qui n'avoit pas
d'autre objet. Les discours sur Tite -Live ne sauroient donc
étre appelés un bon livre , si l'ordre et la méthode sont
des parties essentielles de l'art d'écrire , principalement
dans le genre didactique. Cependant , sous d'autres rapports
, ils seront toujours dignes des regards de la postérité
. Veut- on s'en faire une idée exacte ? que l'on s'imagine
entendre converser un homme de génie sur l'histoire
Romaine. Il n'aura pas devant les yeux un but bien déterminé
. Tantôt une idée lui en rappellera une autre , qui
l'éloignera pour un moment de son sujet ; tantôt il reviendrara
dra sur ses pas , et répétera en d'autres termes ce qu'il
momens auparavant. aura dit quelques Souvent ses vues
seront lumineuses et profondes, ses phrases vives , animées
, abondantes ; quelquefois aussi il abusera de są
A
JANVIER 1806. 71
facilité d'élocution , et ses auditeurs , tout en continuant
de l'écouter avec intérêt , seront tentés de l'accuser de
prolixité. Cette comparaison peut faire comprendre à la
fois le mérite et les défauts de l'ouvrage dont nous parlons !
D'après tout ce que je viens de dire , on sent bien qu'il
seroit impossible d'en faire ici une analyse exacte. Il faut
se borner à donner une idée de l'esprit qui y domine : c'est
celui d'un partisan décidé du gouvernement populaire .
L'opinion de Machiavel est si prononcée à cet égard , qu'il
y a un chapitre où il s'efforce de prouver qu'un peuple est
plus sage etplus constant qu'un monarque. Il veut d'abord
établir que cette légèreté qui est reprochée au peuple par
Tite-Live et tous les historiens de l'antiquité , est aussi
le défaut des princes. Il est vrai qu'il ajouté bientôt qu'il
ne prétend parler que des princes qui ont eu le pouvoir'
funeste de briser le frein qui les auroit retenus ; êt qu'il
fait une exception positive en faveur des rois de France ;
car il est à remarquer que Machiavel , dans vingt endroits
de ses ouvrages , témoigne une haute admiration pour la
constitution tempérée de ce royaume , que de plus grands
politiques que lui ont attaquée avec tant de fureur , jusqu'au
moment où ils sont parvenus à la renverser. Mais
qui ne voit que cette seufe distinction suffit pour ruiner
d'avance tous ses raisonnemen's , et que dès-lors qu'il l'accorde
, il n'attaque plus qu'une proposition absurde que
personne n'a jamais songé à soutenir , et qu'il s'est plu à
forger lui-même pour le plaisir de la combattre ? En effet ,
a qui viendroit-il dans l'idée de comparer aucun régime
politique quelconque au despotisme , qui n'est point un
gouvernement , mais un état violent , contraire aux premières
notions du droit naturel ? On ne pourroit assimiler
à un tyran absolu qu'une multitude sans freïn , en proie à
55
?
?
ૐ
toutes les convulsions de
l'ae
: mais quel despote est
aussi farouche qu'elle ; ou plutôt ne trouve- t - on pas en
ellé autant de
cé corps terrible , qui se précipite au hasard ,
Prily a de
membres
divers
dans
é au hasard , au gré de
73 MERCURE DE FRANCE ,
Faveugle fureur qui le tourmente , et qui voit des enne
mis dans tous ceux qui ne sont pas ses complices ?
n
C'est peu d'accorder an peuple la constance , c'est- àdire
, la vertu que l'expérience de tous les siècles et la
nature même des choses ont fait regarder comme la plus
opposée à son caractère ; Machiavel soutient qu'il est plus
prudent , qu'il est meilleur juge qu'un prince ; il rappelle
cet adage ancien , que la voix du peuple est la voix de
Dieu. Malheureusement cet apophthegme , si long-temps
célebre , a perdu tout son crédit parmi nous . Une expérience
fatale, nous a appris que ce n'est presque jamais la
voix du peuple qui se fait entendre 1 , ou que s'il l'élève en
effet quelquefois , ce n'est que pour mêler des vociférations
furieuses aux perfides discours des factieux qui l'égarent.
de
Je ne suivrai pas Machiavel dans tous les raisonnemens
qu'il rassemble à l'appui d'une opinion qui n'a plus d
partisans . Il y a des propositions si évidemment fausses ,
qu'il suffit de les énoncer sans perdre son temps à les ré-,
futer. Seulement j'ai dû indiquer celle -ci , parce qu'elle
explique presque toutes les erreurs où Machiavel est
tombé , et parce qu'elle est le principe de cette admiration
exagérée pour les Romains qu'il professe presque à chaque
page. Et qu'on ne m'accuse pas de condamner ici le noble
enthousiasme qui doit échauffer tout homme qui a quelqu'élévation
dans l'ame , au récit des grands exemples de
dévouement , de patriotisme et deves vertu que Tit - Live
nous a transmis . Quel coeur assez froil ne s'est senti
quelquefois ému au nom seul des Régulus et des Caton
el à quel titre oseroit- on blâmer les grands écrivains qui
ont consacré leur éloquence à célébrer leurs belles actions
et à exciter en nous le desir de les imiter ? Mais Machiavel
BRABubenonton 291214
C
༧༤),,,,padsGym ne s'est pas arrêté là ; rrete là , et , comme il le dit , clairement des
les premières pages de son livre , ce sont les institutions,
mêmes de la o
Publique
Romaine
qu'il
vouloit
s'efforcer
10
de faire adopter à ses contemporains .Or , on sait trop
combien il est dangereux pour les modernes de vouloir
JANVIER 1806.
7.3
s'approprier des lois qui n'ont point été faites pour eux ,
quelqu'heureux effet qu'elles aient eus chez des peuples
qui , par leur génie , leur caractère et leur religion , différoient
de pous dans tous les points car les lois ne sauroient
jamais être appelées bonnes par elles - mêmes ; elles
ne peuvent l'être que par leur rapport avec les moeurs.
Elles ne refont pas le génie d'un peuple , quand elles sont
trop directement en opposition avec lui ; et pour qu'elles
soient utiles , il faut qu'elles s'appuient sur ce que ce génic
peut offrir de favorable à une constitution sage , et qu'elles
combattent en lui , avec constance et avec lenteur , tout ce
qui tendroit à la renverser. Qu'on essaie de lui donner des
Jois peu conformes à ce génie national ; ce n'est qu'en causant
les convulsions les plus terribles , qu'elles pourront
parvenir à le dénaturer ; encore ne réussiroient- elles pas
à effacer ces traits primitifs de légèreté ou de constance ,
de douceur ou de cruauté , d'amour pour l'indépendance
ou de dévouement à ses chefs , qui forment le caractère
distinctif d'une nation ; et l'histoire, après plusieurs siècles de
bouleversemens , nous montre encore des traits du génie
de la Grèce et de Rome , qui , comme des éclairs au milien
d'une nuit profonde , ont brillé de temps à autre parmi
des peuples dégénérés. Et certes ce n'est pas aux nations
Ceres
européennes qu'il conviendroit de se plaindre de cette
stabilité , et , si l'on peut parler ainsi , de cette espèce
d'immortalité que la nature a accordée au génie de chaque
Peuple . C'est elle qui garantit leur sûreté et la douceur
leurs gouvernemens , bien plus solider solidement encore que des
lois positives et une constitution solidement établie. En
effet , il ne faudroit qu'une volonté puissante pour anéantir
en un moment toutes ces lois . Mais tous les efforts d'un
despote iront échouer contre un préjugé populaire ; et la
force de l'opinion , d'autant plus invincible , que les attaques
qu'on lui porte ne font que l'accroître , brisera jusques
dans ses mains les instrumens de sa tyrannie.
Après avoir montré la source des erreurs qu'on trouve
B
7 ) 3
Sins
icara *
74 MERCURE DE FRANCE ;
dans Machiavel , il seroit trop long de citer tout ce qu'ît
offre à la méditation des politiques . Ce qui caractérise surtout
son génie , c'est une vue perçanté qui pénètre jus
qu'au fond des choses , et qui en distingue au premier coup
d'oeil les conséquences et le principe. On est étonné souvent
de tout ce qu'il découvre dans un seul fait . Je citerai
à ce sujet le chapitre intitulé ainsi : Que pour maintenir
une liberté nouvelle , il est nécessaire defaire mourir les
fils de Brutus. Ce titre singulier se trouve bien justifie ,
quand l'auteur prouve , avec évidence , que les révolutions
ne sauroient être consolidées que par des exemples de
igueur et de cruauté qui portent l'épouvante dans tous
les coeurs : vérité terrible , qui devroit rendre les peuples
circonspects sur les changemen's les plus légers danis là
constitution , si quelque chose étolt capable de mettre un
frein à l'ambition et à l'amour de la nouveauté.
Il est temps de parler du travail de M. D. M.; mais
avant d'en venir à sa traduction , il faut dire un một dà
discours préliminaire , qui est assez long pour être regardé
Ini-même comme un livre de politique. M. D. M. , qui
regrette avec Machiavel les institutions de la république
Romaine , a essayé de compléter son auteur , en recherchant
si , parmi les principes qui ont donné aux anciennes
républiques une si grande et si justè célébrité , il en est
qu'onpuisse appliquer au gouvernement de nos états et à
la conduite de nos affaires. Il commence par ressusciter
Machiavel, et par lui faire tenir un long discours adressé aut
roiseaux peuples . « Savez-vous ce qui constitue la véritable
» force des états ? C'est la sagesse des lois , c'est la modé "
ration de ceux qui gouvernent.... N'aspirez à régner
» que par l'exemple des vertus.... Paissiez-vous ne former
» qu'une république , où vingt peuples rivaux , sans être
» ennemis , ne combattent que d'honneur , de sagesse , de
probité , d'humanité , d'industrie , etc. etc. ! » Ainsi ,
continue l'auteur , parloit à toute l'Europe , en homme
inspiré par la vertu , ce Machiavel dont la calomnie a fléJANVIER
1806 .
75
tri si long-temps le nom. Et , un peu plus bas , il ajoute ?
« On verra ce génie sublime établir des principes fondés
sar l'expérience et non sur de vaines spéculations , et
en faire sortir les maximes les plus satisfaisantes pour
la vertu , les plus consolantes pour Phumanité. » On
conviendra que cette prosopopée , placée si singulièrement
à la tête d'un ouvrage de raisonnement , pourroit être jus
tement critiquée ; mais puisque l'auteur vouloit absolument
jeter du dramatique dans une préface , il devoit du
moins se rappeler la première règle du drame , qui est de
prêter à ses personnages des discours conformes à leur
caractère connu . Or , je le demande , n'est-ce pas abuser
de la permission accordée à un traducteur d'être idolâtre
de son modèle , que de mettre dans la bouche de Machiavel
´dės paroles si opposées aux principes politiques professés
dans les Réflexions sur Tite- Live , et sur- tout dans
le prince ? L'auteur poursuit sa marche ; il passe en revue
l'histoire et le gouvernement de la république Romaine :
tout ce qu'il dit à ce sujet m'a paru emprunté à Montesquieu
, et je me garderai bien de lui en faire un reproche.
II compare ensuite ce gouvernement à celui de nos étaté
modernes. Ici j'avouerai , en toute humilitê , qu'après une
lecture fort attentive il me seroit très- difficile de dire ce
que j'ai retenu : tant ses idées m'ont semblé vagues et perdues
dans une stérile abondance de mots. Tout ce qui m'a
frappe , c'est que si Machiavel suppose les hommes trop
méchans , M. D. M. les suppose beaucoup trop Bons. Une
fois ses projets expliqués , il ne trouve plus aucune diffi
culté dans l'exécution ; et , dans son enthousiasme , il voit
tout l'univers s'empresser à y concourir. «Tous les citoyens
sentiront qu'ils ont le même intérêt à niaintenir les lois et
la constitution de leur pays. Ils auront cette noble estime
de soi même , qui rend l'homme si grand et si généreux....
ét
On verra les divers ordres de l'état respecter mutuellement
leurs prérogatives , les chérir , s'intéresser à leur
conservation..... Là , hrilleront avec éclat cet amour de la
76
MERCURE
DE FRANCE
,
W
et
293891
gloire , cette discipline , cette intrépidité , cette constance
que la liberté inspire toujours ; mais la modération sui ,
vra la victoire.... Bientôt la paix sera le voeu universel , e
les nations ne seront plus rivales que de sagesse , d'industrie
et de verlus. » Un espoir si consolant fait sans doute
honneur au coeur de M. D. M.; mais il est permis de
douter qu'il se réalise aussi facilement qu'il le croit. Quoi
qu'il en soit , comme si ces tableaux n'étoient pas assez
séduisans par eux-mêmes , l'auteur a cru devoir en relever
l'éclat par des déclamations qui pouvoient être encore
la mode quand il fit paroître son ouvrage , mais qu'il falloit
supprimer aujourd'hui parce qu'elles sont devenues
fort ridicules . Tantôt , après avoir exposé son opinion particulière
sur l'agrandissement de la république Romaine ,
il, emploie cette formule si usitée chez Diderot et chez
Raynal : « Malheur à quiconque ne sentira pas que l'empire
du monde étoit dû à des principes si nobles , si confians
, si généreux ! » C'est- à-dire , eenn d'autres termes ,
Malheur à vous tous , vous tous , qui n'avez ppaass ll''eesspprriit de penser
comme moi ! Tantôt il apostrophe les hommes , les peuples
, les rois , la France, « Homme , qui que tu sois , en
quelque pays que le ciel t'ait fait naître,
etc... Ah ! princes
, quelle est votre funeste erreur ! ... etc. Achève , o
ma patrie ! achève cet immortel ouvrage... etc. etc. »
Qu'il nous, soit permis de dire à M. D. M. que ce n'est
sûrement pas à l'école de Machiavel qu'il a pris ce ton de
déclamateur , et qu'il le traduit beaucoup mieux qu'il ne
l'imite. En général , on remarque que lleess hhoommmmes de génie
, quand même ils ne seroient pas grands écrivains , ne
sortent jamais du fon que demande le genre de leur ouvrage
c'est qu'ils sont tellement pénétrés de leur sujet ,
qu'ils le traitent naturellement comme il doit l'être ; c'est
d'ailleurs qu'ils en voient si bien toutes les ressources.
qu'ils n'ont nul besoin d'aller emprunter des ornemens
étrangers. Bien des lecteurs , tout en blâmant ces grands
mouvemens oratoires , si déplacés dans un ouvrage didac-
"
སྙ
es
108 50
JANVIER 1806. 12 $ 7
tique , les attribuent à une surabondance de chaleur que
l'écrivain ne peut contenir , et qu'il répand sur tout ce
qu'il écrit . Malheureusement l'expérience prouve que tous
ceux qui veulent à toute force paroître brûlans , quand il
faudroit n'être que raisonnables , seront toujours trèsfroids
quand le sujet exigera une véritable chaleur. 3 1.0
+
C'est avec bien du plaisir qu'après avoir critiqué M. D. M,
comme écrivain original , je puis le louer comme traducteur.
Le style de sa version m'a paru clair et correct, sans manquer
de cette fermeté qui caractérise la manière de Machiavel.
Il seroit à desirer que la même main nous donnât en français
tous les ouvrages du politique italien : car , quoiqu'ils ne
soient pas très- difficiles à faire passer dans notre langue ,
on ne connoît aucune traduction complète qui puisse en
donner une juste idée à ceux qui n'entendent pas la lan¬
gue italienne . Cas
VARIÉTÉ S.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
I
4
}
-M. Collin d'Harleville vient de publier la collection
de ses oeuvres en quatre volumes in- 8° . Les trois prémiers
contiennent les pièces de théâtre ; le dernier , les
pièces fugitives. L'auteur a fait réimprimer l'Inconstant ,
tel qu'il se joue aujourd'hui sur le Théâtre Français , c'està-
dire , réduit en trois actes . Il a supprimé toutes les préfaces
particulières , excepté celle de l'Optimiste. Les
Artistes , précédemment réduits à quatre actes , n'en ont
plus que trois . Cette nouvelle édition contient , de plus ,
une comédie nouvelle , reçue à la Comédie Française ,
intitulée : les Riches. Enfin , le volume des poésies fugitives
, se compose , en grande partie , de pièces lues par
Lauteur dans les séances de l'Institut . Nous parlerons plus
en détail des différens ouvrages contenus dans cette inté78
MERCURE DE FRANCE ,
ressante collection , et particulièrement de la nouvelle comédie
des Riches.
-L'ouvrage le plus à la mode , pour le moment , est un
roman nouveau , intitulé : Alphonsine , ou la Tendresse
Maternelle. Il est de madame de Genlis , dont le nom suffit
pour expliquer l'empressement des lecteurs. Nous en rent
drons compte incessamment . Il paroît en même temps une
nouvelle édition des Chevaliers du Cygne.
La chute des deux dernières pièces données à l'Opéra
Buffa , a enfin déterminé le retour aux chefs- d'oeuvre de
la musique italienne. On annonce la reprise prochaine du
Mariage Secret, Mesdames Ferlendis , Cavanassi et Crespi ,
chanteront dans cette pièce . C'est mademoiselle Crespi qui
sera chargée de l'emploi difficile de remplacer madame
Strina dans le rôle de Carolina . On peut être sûr d'avance
qu'elle réussira , s'il suffit pour cela d'une jolie figure , d'une
taille charmante et d'une voix fraîche. Avant la représentation
du Mariage Secret , madame Cavanassi que l'on a
déjà entendue dans deux concerts , débutera par un des
deux principaux rôles des Cantatrice Villane.
On représente depuis quelques jours sur le Thédtre
des Elèves , une nouvelle pièce qui atteste les progrès
rapides que l'art dramatique fait depuis quelque temps ;
elle est intitulée. Gibraltar. C'est le nom d'un prétendu que
l'on mystifie , et que l'on force enfin à renoncer à la main
de la demoiselle qu'il veut épouser. Jusqu'ici rien de plus
commun , au nom près de M. Gibraltar , Mais nous avons
promis du neuf, en voici assurément : le premier acte est
une tragédie , le second un opéra , le troisième un méladrame
, le quatrième une comédie , et le cinquième un
vaudeville . La pièce a beaucoup de succès . Les connoisseurs
admirent sur- tout l'acte de la tragédie et celui du
mélodrame.
--
On annonce toujours au théâtre de l'Opéra-Comique
les débuts de mademoiselle Esther Severin , et la continuation
de ceux de M. Desperamons.
JANVI E R.. 1806.
79
Un savant italien, M. J.F. Galecini- Napione, membre
de l'Académie Impériale de Turin , a publié depuis peu
une dissertation italienne sur la patrie de Christophe
Colomb. Le résultat de ses recherches est que ce célèbre
navigateur étoit né , non à Gênes , comme on le croit
communément , mais dans un petit endroit de la province
Ligurienne, dont Gênes étoit la capitale , sans que l'on
sache positivement le nom de cet endroit ; qu'il étoit › originaire
du Montferrat ; que ses parens étoient de Cuccaro,
petite ville ou château de cette province du Piémont , et
que par conséquent le Montferrat est la véritable patrio
de ce grand homme , quoiqu'il eût reçu le jour dans une
autre partie de l'Italie ; de même que Florence est regar
dée comme la patrie de Pétrarque , quoiqu'il fût réellement
né à Arezzo ; et de Boccace , qui cependant vint au monde
à Paris. M
3
M. Giuseppe Franchi- Pont , membre de la même
Académie , a fait imprimer , dans les mémoires de cette
société savante une dissertation en italien sur deux trèsbeaux
torses cuirassés , restes de deux statues colossales
en marbre , trouvés , en 1801 et 1802 , dans la démolition
des murs de la ville de Suze , et depuis envoyés au
Muséum Français . M. Franchi -Pont décrit et explique les
bas-reliefs gravés sur les deux cuirasses ; détermine l'épobasreliefs
graves sra
que et examine le travail des deux statues auxquelles ces
torses ont appartenu , et conclut qu'elles ornoient l'arc de
Suze , qui fut élevé à Auguste par Marcus Julius Cotius ,
lorsque cet empereur étoit dans les Gaules , accompagné
de Caius , fils d'Agrippa. It conjecture enfin que l'un de
ces torses appartenoit à la statue d'Agrippa , et l'autre à la
statue de Cotius lui - même qui commandoit dans ces
contrées , qu'il avoit beaucoup aidé Agrippa à réduire sous
l'obéissance romaine.
..
?
Quoique les deux lettres suivantes n'aient point par
elles -mêmes un grand intérêt , la célébrité de celui qui les
84 MERCURE DE FRANCE ,
f
a écrites nous a paru uné raison suffisante pour les faire
connoître. 5 .
Lettre adressée à Mad. de Vouldy, Dame et Chanoinesse
de Poulangis. ( Voltaire écrit à son médecin . )
} 1.9
e « Je vous suis très-obligé , Monsieur , de votre recette ,.
» et encore plus du plaisir que m'a fait votre visite . Votre
» société mé paroît aussi desirable que vos consultations .
» Heureux les malades qui vous ont pour médecin , et les,
"
gens bien sains qui vous ont pour ami ! Madame la
» marquise du Châtelet aime trop l'esprit , le savoir et
» le mérite pour ne pas souhaiter de vous voir , vous et
>> monsieur votre frère. Elle ne songe à avoir des appar-
» temens commodes dans son château , que pour y attirer ,
» des personnes comme vous. Je partage ses sentimens ,
>> et j'y joins celui de la reconnoissance. Je fais mille com-
» plimens à monsieur votre frère. Les gens de lettres qui
» aiment la vertu et la liberté de penser , sont amis ayant
» de s'être vus .
}
>> Je suis bien véritablement , Monsieur , votre , etc.
? » A Cirey , ce 27 d'Août , 1735. » "
Lettre inédite de Voltaire au président Bouhier , écrite
1
en 1739.
« Tibi gratias ago quamplurimas , vir doctissime et
» optime , de tuo quem mihi promittis Petronio. Jam in
» te miratus sum , priscorum , qui li priscorum , qui litteras restituerunt
» et bonas artes , Senatorum Budæorum et Thuanorum
» elegantem , et peritissimum æmulatorem scientia
» pené oblito restitutorem , et ætatis tuce ornamentum .
» Nunc iter ad Belgas facio et cras proficiscor , cum
» illustrissima muliere , quæ latine linguæ perita , nunc
» ad græcas litteras avidum doctrinæ animum applicare
» inchoat , et quæ Geometric et Physicæ potissimum
» addicta , Eloquentiæ et Poescos lepores non dedigna-
» tur, quæque acutojudicio et summa cum voluptate Virgilium
JANVIER 1806.
DEPI
1
» gilium , Miltonum et Tassum perlegit , Ciceronem et
» Adissonum.
» Si alicujus libri opus tibi est qui in his tantum pro-
» vinciis ad quas pergo reperiundus sit , jubere potes
» et mandata tua exequar. Te veneror et tuus
» velim. » VOLTAIRE.
Pridie noñas , à Cirey, en Champagne .
« Mais si vous aviez quelques ordres à donner , quelques
» commissions pour la Hollande , mon adresse sera à
» Bruxelles , sous le couvert de madame la marquise du
» Chastelet , qui vous estime beaucoup . »
Le Pétrone dont parle Voltaire , est le Recueil de tra
ductions en vers français, contenant le Poëme de Pétrone,
deux Epitres d'Ovidde et le Pervigilium Veneris ; avec des
Remarques par le président Boulier, de l'Académie française.
Paris , 138 , in - 12 .
Extrait d'une lettre d'un Officier supérieur de la
Grande - Armée.
3 Frimaire an XIV .
En passant à Vienne , je me suis empressé
» d'aller voir le mausolée de la princesse Christine , par
» Canova. Il y avoit quinze jours qu'il étoit posé , quand
>>> nous sommes entrés dans cette ville.
» J'ai admiré ce chef- d'oeuvre ; j'ai trouvé qu'il étoit
» mille fois au - dessus de l'immense réputation de Canova.
» Non , je n'ai jamais va de morceau d'ensemble , en
n sculpture , qui offrit une composition si noble , si impo-
» sante , si religieuse . Une idée heureuse ajoute un grand
mérite à cette composition ; c'est d'avoir mis au milieu
» du monument une porte ouverte qui laisse voir un fond
» très-noir : il semble que le séjour de la mort est là ,
» derrière…….. Une jeune fille entre dans le tombeau pour
» y déposer l'urne qui contient les cendres. De jeunes en-
F
$2 MERCURE DE FRANCE ,
>> fans l'accompagnent , et tiennent les bouts de sa guirlande
et des flambeaux . Un vieillard la suit , et s'appuie
» sur un bâton et sur le bras d'une jeune fille qui tient
>> aussi une guirlande dont deux autres enfans tiennent
» les bouts. Ils viennent déposer ces fleurs sur la tombe.
» De l'au're côté une figure de Génie admirable , est cou-
» chée sur un lion endormi , et représente le Repos ...
>>
Note du Rédacteur. Ce monument élevé à la mémoire
de l'archiduchesse Christine , tante de l'empereur actuel ,
et qui fait aujourd'hui l'ornement d'une des principales
églises de Vienne , n'a point été exécuté dans cette capitale
, comme l'ont imprimé quelques journalistes , mais a
Rome , où nous l'avons vu dans l'atelier même de Canova .
C'est un des plus grands monumens de la statuaire ; mais
nous sommes loin de penser qu'il n'y ait pas en sculpture
de composition aussi noble , aussi imposante , aussi religieuse.
Le mausolée élevé au pape Rezzonico , par Canova.
lui-même , et qui est un des plus beaux ornemens de
Saint - Pierre de Rome , nous paroît supérieur sous ces
trois rapports. La composition du tombeau de l'archiduchesse
Christine , comme on peut le voir même par ce
qu'en dit l'auteur de la lettre , manque de simplicité et
de clarté. L'unité , ce principe du beau dans tous les arts ,
n'y est pas à la vérité violée , parce qu'elle ne l'est point
dans une procession . Cette espèce d'upité , si l'on peut
s'exprimer ainsi , devroit être réservée pour les bas- reliefs .
L'exécution est admirable , le marbre est travaillé avec
cette perfection qui est un des caractères les plus frappans
du talent de ce grand artiste. L'expression est un peu
maniérée. La figure du vieillard est sur-tout remarquable
par ce défaut , que Canova aura toujours beaucoup de
peine à éviter dans les compositions sévères , parce que
son génie l'appelle aux compositions gracieuses. Le ciseau
des modernes n'a peut- être rien produit, en ce genre , qui
approche de son Hébé , et du groupe de l'Amour et Psyché,
qui appartiennent à S. M. l'Impératrice.
JANVIER 1806. 83
y
MODES du 4 janvier. On voit au spectacle beaucoup de
chapeaux noirs en velours épinglé ou uni , avec des plumes
rose très-courtes , ou en velours blanc , façonné , avec des
passe-poils rose , et autour du fond , des flammes rose. Les
robes à l'espagnole ont le dos lacé ou boutonné ; on en voit
à fond puce , chiné en or. Les manches se font par raies ,
l'une d'étoffe , l'autre de satin blanc elles sont toujours
bouffantes et courtes. Les gants , comme de coutume , n'atteignent
pas le coude , et , par conséquent , laissent entre
le bout de manche , un intervalle de chair. Les turbans ,
assez nombreux dans les derniers cercles , à l'Opéra surtout
, étoient moitié velours amarante , orange , capucine
foncé ; moitié étoffe fond blanc , brochée ou brodée en
argent ou en or. Ils ne laissoient voir que peu de cheveux ,
les uns sur le front , en anneaux , les autres au-dessous des
tempes , en façon de nageoires. L'étoffe brodée qu'un
coiffeur emploie en turban , est ordinairement un fichu ;
dans ce cas, il a soin de disposer ses plis , de manière à
'cacher le moins possible du fond brodé. On porte en diadème
de fleurs , du mirte très- peu fleuri . Dans les réseaux
de fleurs, pour la grande parure , les fleurs sont petites et
peu voyantes. Une des plus jolies toilettes de cercle, est une
robe de satin hortensia , le chapeau pareil , très-petit, avec
une plume large et longue , qui en couvre presque tout
le devant : bas blancs , souliers hortensia. Pour la ville
on fait faire des capotes en velours ; quelquefois vert , mais
plus communément amarante , dont la doublure blanche
en satin , forme rebord trois fois plissé , ou liseret triple ,
´et qui , de plus , ont autour de la pièce ronde , qui forme
de fond , un liseret blanc. Les palatines de cygne se font
encore plus larges que de coutume , ainsi que celles de
renard doré, peu communes , parce qu'elles sont d'un prix
excessif. Pour accompagner, un peigne à vignette , il y a
des colliers en guirlande de vigné , et des boucles d'oreilles,
en grappe. Lorsque , sur le peigne, au lieu de feuillage , ce
ne sont que des raisins , le collier porte , sur une même
ligne , une vingtaine de grappes détachées , et , à chaque
oreille , pend un raisin. Outre les peignes en corne d'abondance
, le premier janvier a vu naître les peignes en feuille
de vigne, et les peignes en lyre. La lyre a , comme la feuille,
une direction horizontale.
Un jeune homme , fût- il simple commis marchand
n'oseroit aujourd'hui mettre une cravatte rouge à fleure
jaunes, mais un foulard de cette espèce, sortant de la pochs
❤
F 2
84 MERCURE DE FRANCE,
i
en travers, d'un homme bien mis , ne gâte rien à sa toi
lette. Les chapeaux de bal , sont les chapeaux claques ; on
les porte très-grands , si grands qu'ils ne sont de mise
nulle part ailleurs ; et telle est la raison pour laquelle les
petits-maîtres y tiennent : il y a tant de plaisir , dans le
jeune âge , à narguer par des emplettes de fantaisie , celui
qui n'a qu'une somme modique à dépenser en vêtemens !
Les montres nouvelles n'ont plus , pour indiquer les
heures , qu'un très-petit cadran. Le reste de l'espace est
occupé par deux figures debout , qui servent comme de
support à une espèce de dôme qui couronne le cadran.
Ces figures , et les ornemens sont en or.
Deux pendules se disputent le suffrage des amateurs.
L'une, car depuis long-temps le cadran n'est devenu
qu'accessoire , l'une a pour sujet , l'Innocence ; l'autre ,
tes Soins Maternels. Dans la première , une jenne fille à
genoux , soulève un gros chou , sous lequel elle aperçoit
un enfant nouveau-né. Dans la seconde , une jeune mère
a ses soins partagés entre un nourrisson et un enfant agenouillé
, à qui elle fait réciter sa prière. Ces sujets , bien
ciselés , bien finis , sont en bronze doré.
Quelque nombreux que soient les becs de quinquets ,
une boutique n'est pas éclairée comme la mode le prescrit,
si , en dekors , il n'y a sur les pilastres , plusieurs demibocaux
lumineux .
Un étalage n'est pas fait dans le dernier goût , si les
étoffes roulées, ne sont encore tordues. Par un des coins ,
on fixe au plancher ces précieux torchons , qui , croisés par
d'autres , forment des grillages serrés et semblent afficher ,
outre l'embarras des belles choses , le desir de les céder
vil prix.
Du 9 janvier . Les spencers sont réputés d'un meilleur
genre que les redingottes. Il faut , avec un spencer , une
culotte neuve et des bas blancs , tandis qu'avec la redin
gotte à rotonde boutonnée , on peut, outre la vieille culotte ,
mettre un mauvais gilet et de gros linge. Jamais , peutêtre
, on ne fit pour le linge d'aussi folles dépenses que
maintenant. Les chemises d'un petit-maître ne sont pas
moins fines que sa cravatte .
Il a été acheté par les dames , pour cadeaux d'étrennes
beaucoup de gilets brodés , rayés , cannelés. Le drap qui
s'emploie en habits de la dernière mode , est d'un vertfoncé
, qui cependant diffère du vert-bouteille. La gance
d'un chapeau habillé , d'un chapeau français , est d'acier ;
JANVIER 1806. 85
mais la gance d'un claque , est une gance noire , façonn .
Les dames font faire leurs chapeaux parés un peu plus
grands qu'à l'ordinaire. Il y a de ces chapeaux qui , sur le
devant , portent une trentaine de petites plumes follettes ,
formant touffe. Ces plumes sont blanches sur toutes les
couleurs de chapeaux . Le jais blanc , en guirlande förmant
le diadême , est de mode pour les coiffures en cheveux.
On brode aussi des fonds de toques en jais , même des
rebords de toques. Toutes les coiffures en cheveux forment
peu de volume . Par derrière, la tête , malgré les nattes , doit
presque conserver sa rondeur. Au lieu de diadême de jais ,
c'est quelquefois un diadême de fleurs , ou un bandeau de
pierres gravées.
Le
pampre
n'est pas le seul
attribut
de Bacchus
dont
se
soient
emparé
les joailliers
. Il y a des bandeaux
de feuilles
de lierre
, or émaillé
ou mat , entremêlées
de pierres
gravées
.
Les
capotes
de toutes
les couleurs
possibles
sont
doublées
de blanc
. La
mode
des
capotes
de velour
amarante
se soutient
. On voit
à quelques
capotes
de couleur
un rebord
de
cygne
.
Une autre nouveauté bien marquante , est un fichu de
velours noir , bordé de cygne.
Les douillettes habillées , en satin , en velours , ornées
d'une écharpe , ne se quittent ni dans une loge de spectacle
, ni dans un cercle. ( 1 )
( 1 ) A dater de ce jour , nous donnerons exactement les modes .
ANNONCES.
Le plus utile des Présens , ou le Directeur des Estomaes ; instruction
sur les alimens de cet espèce , dont chacun , selon son âge,
et son tempérament , peut se permettre ou doit s'interdire l'usage
d'après l'avis des plus célèbres médecins , tels que Boerhaave , Chomel
, Geoffroy , l'Emery , etc. etc. , avec cette épigraphe : . Fortuna
salutis monstrat iter. » VIRG. Nouvelle édition . Prix : 1. fr.
50 c. broch. ; et relié en marroquin doré sur tranche , avec crayon et
cartes pour l'inscription du menu de chaque jour , 5 fr . , et 6 fr.
par la poste.
A Paris , chez l'Editeur , rue Neuve Saint- Augustin , nº . 37
vis-à-vis l'hôtel de Richelieu .
Des bonbons , des chansons , telles sont les étrennes que l'on donne
ordinairement aux jeunes gens de douze à quinze ans ; passé cet âge ,
le présent le plus convenable à offrir aux personnes à la santé desquelles
on s'intéresse , est sans contredit le Veni mecum que nous
annonçons ; la commodité du format ajoute encore à l'utilité de
l'ouvrage.
น
-
3.
86
MERCURE DE FRANCE ,
Cinquième livraison du Cornelius Nepos francais , ou Notices
hi toriques sur les généraux qui se sont illustrés dans la gue re , suivi
de traits de travoure. Par A. Chateauneuf. Prix du vol .: 1 fr. 50 c.
et 2 fr . par la poste . Les cinq livraisons se vendent 7 fr . 50 c. , . et 9 fr ,
par la poste.
A Paris , rue Neuve - des - Bons-Enfans. , nº . 5. Le vol . que nous annonçons
content des notices historiques sur les généraux Massena ,
Desfourneaux , Joubert , Beaupui et Oudinot..
Le bon Jardinier , Almanach pur l'année 186 ; contenant des
préceptes généraux de culture , l'indication , mois par mois , des
travaux à faire dans les jardins ; la description , l'histoire et la culture
des plantes potagères , utiles cu propres aux fourrages ; des arbres
fruitiers de toute espèce , avec la manière de les bien conduire , et
l'indication des meilleurs fruits ; des oignons et plantes à fleurs et
d'ornement , même les plus rares ; et des arbres , arbrisseaux et arbustes .
utiles ou d'agrément ; suivis d'une table très-complète de tous les noms
de chaque plante , et précédés d'un vocabulaire explicatif des termes
de jardinage ou de botanique , ayant besoin d'interprétation . Dédié et
présenté à S. M. l'Impératrice Reine. Par M. Delaunay . Un vol . petit
in- 12 , de plus de 800 pages. Prix : 5 fr. broché , 6 fr . relé , et 6 fr. 50 c.
par la poste .
A Paris , chez Onfroy , libraire , rue Saint-Victor, nº 22 ; et au 1º
avril , rue Saint -Jacques , uº 51 , près celle des Noyers.
e
er
Les Trésors de l'Histoire et de la Morale , extraits des meilleurs
auteurs grecs , latins et français , p ur l'éducation . Nouvelle édition ,
revue et augmentée ; orne de soixante figures en taille - doucé. Par A.
L. de Laroche . Un vol . in- 12.1 Prix : 2 fr . , et 2 fr. 75 c. par la
poste.
·
A Paris , chez le Prieur ' , libraire , rue des Noyers , n . 45.
Elémens de Physique - expérimentale , de Chimie et de
Minéralogie , suivis d'un abrégé d'Astronomie à l'usage des lycées ,
écoles centrales , et les secondaires et pensionnats ; par P. Ja otot
proviseur du lycée et professeur d'Astronomie à Dijon , membre de
l'académie de cette ville , et de plusieurs autres sociétés littéraire ,
Seconde édition , totalement refondue , et augmentée de plus d'un
tiers. Deux vol. in-8 ° , en caractère petit- romain neuf , et 1 vol.
in-4° de planches , gravées par Tardieu . Prix , broche : 15 fr. ,
et 18 fr. par la poste .
A Paris , chez Crapart , Caille et Ravier , libraires , rue Pavée
Saint-André- des- Arcs .
L'Investigateur des Chances , Répertoire unique de nouveaux
résultats et d'observations importantes , pour obtenir souvent des
Buccès aux loteries impériales . Par J. F. Gardon , rédacteur du Guide
Théorique-Aléatoire faisant suite au Journal de l'Observateur de la
roue de fortune ; avec cette épigraphe :
Caca regens filo vestigia.....
Lib. VI. Eneid. Virgil.
Prix :: 2 fr. , et 2 fr. 25 c. par la poste.
A Paris , chez l'Auteur , rue de l'Université , n . 21.
Ces différens ouvrages se trouvent aussi chez LE NORMANT , rue
des Pretres Saint- Germain-l'Auxerrois , nº. 17.
JANVIER 1806 .. 87
NOUVELLES
- -
POLITIQUES.
Vienne , 29 décembre. On a publié , aujourd'hui ,
les deux proclamations suivantes. Celle qui est adressée aux
habitans de notre ville a produit sur nous tous un effet qu'il
est impossible de décrire.
« Soldats ,
Proclamation.
-
» La paix entre moi et l'empereur d'Autriche est signée.
» Vous avez dans cette arrière saison fait deux
campa-
» gnes ; vous avez rempli tout ce que j'attendois de vous.
» Je vais partir pour me rendre dans ma capitale . J'ai
» accordé de l'avancement et des récompenses à ceux qui
» se sont le plus distingués : je vous tiendrai tout ce que
» je vous ai promis. Vous avez vu votre Empereur partager
» avec vous vos périls et vos fatigues ; je veux aussi que
vous veniez le voir entouré de la grandeur et de la
» splendeur qui appartiennent au souverain du premier
» peuple de l'univers. Je donnerai une grande fête aux
» premiers jours de mai à Paris ; vous y serez tous , et
» après nous irons où nous appelleront le bonheur de
» notre patrie et les intérêts de notre gloire.
» Soldats , pendant ces trois mois qui vous seront něné-
» cessaires pour retourner en France , soyez le modèle
» de toutes les armées : ce ne sont plus des preuves de cou-
» rage et d'intrépidité que vous êtes appelés à donner ,
» mais d'une sévère discipline. Que mes alliés n'aient pas
>> se plaindre de votre passage ; et en arrivant sur ce ter-
>> ritoire sacré , comportez -vous comme des enfans au
>> milieu de leur famille mon peuple se comportera
>> avec vous comme il le doit envers ses héros et ses dé-
>> fenseurs.
» Soldats , l'idée que je vous verrai tous avant six mois
>> rangés autour de mon palais , sourit à mon coeur , et
» j'éprouve d'avance les plus tendres émotions : nous célé-
» brerons la mémoire de ceux qui , dans ces deux campa-
» gnes , sont morts au champ d'honneur , et le monde
>> nous verra tous prêts à imiter leur exemple, et à faire
» encore plus que nous n'avons fait , s'il le faut , contre
» ceux qui voudroient attaquer notre honneur , on qui se
88 MERCURE DE FRANCE ,
» laisseroient séduire par l'or corrupteur des éternels en-
» nemis du continent.
» Schoenbrunn , le 6 nivose an 14.
Proclamation.
>> NAPOLÉON . »
« Habitans de la ville de Vienne
» J'ai signé la paix avec l'empereur d'Autriche. Prêt à
>> partir pour ma capitale , je veux que vous sachiez l'estime
>> que je vous porte , et le contentement que j'ai de
>> votre bonne conduite pendant le temps que vous avez été
» sous ma loi. Je vous ai donné un exemple inqui jusqu'à
» présent dans l'histoire des nations. Dix mille hommes de
» votre gårde naționale sont restés armés , ont gardé vos
» portes ; votre arsenal tout entier est demeuré en votre
pouvoir et pendant ce temps-là je courois les chances.
» les plus hasardeuses de la guerre. Je me suis confié en
» vos sentimens d'honneur , de bonne foi , de loyauté ;
» vous avez justifié ma confiance,
>> Habitans de Vienne , je sais que vous avez tous blâme
» la guerre que des ministres vendus à l'Angleterre ont
» suscitée sur le continent. Votre souverain est éclairé sur
» les menées de ces ministres corrompus ; il est livré tout
>> entier aux grandes qualités qui le distinguent , et désor-
» mais j'espère pour vous et pour le continent des jours
>> plus heureux.
» Habitans de Vienne , je me suis peu montré parmi
» vous , non par dédain ou par un vain orgueil , mais je
» n'ai pas voulu distraire en vous aucun des sentimens que
» vous deviez au prince avec qui j'étois dans l'intention de
» faire une prompte paix. En vous quittant , recevez ,
>> comme un présent qui vous prouve mon estime , votre
» arsenal intact , que les lois de la guerre ont rendu ma
» propriété servez -vous-en toujours pour le maintien
» de l'ordre. Tous les maux que vous avez soufferts ,
>> attribuez-les aux malheurs inséparables de la guerre; et-
» tous les ménagemens que mon armée a apportés dans
» vos contrées , vous les devez à l'estime que vous avez
» méritée. 1
» Schoenbrunn , le 6 nivose an 14.
er
» Signé NAPOLÉON. »
Stuttgard, 1 janvier. Le premier jour de la nouvelle
année a été pour tout notre pays un jour à jamais mémorable.
Ce matin , M. le général de division Lemarrois
JANVIER 1806. 89
aide-de-camp de l'Empereur Napoléon, porteur d'une lettre
de S. M. pour notre souverrain , est arrivé à Stuttgard.
Il est descendu au château , et s'étant rendu sur-le- champ
auprès de notre électeur , il lui a annoncé la conclusion
de la paix entre la France et l'Autriche. A midi , un
bulletin officiel a donné au public connoissance de cette
grande et heureuse nouvelle. Nous y avons lu avec la plus
vive joie , que par cette paix , S. A. S. l'électeur de Wurtemberg
est confirmé dans la dignité royale , et reconnu roi
de Souabe et de Wurtemberg. Le bulletin se termine
par ces mots : Dieu bénisse le roi.
Francfort , 2 janvier. -Parmi les acquisitions que
l'on croit généralement qui sont échues à l'électeur désigné
roi de Bavière, outre la partie septentrionale du Tyrol, les
villes impériales d'Augsbourg , Ratisbonne , Nuremberg,
les évêchés d'Eichtett et de Passau , les possessions de l'ordre
Equestre et de l'ordre Teutonique situées en Franconie
et en Souabe, on assure que seront aussi comprises les principautés
prussiennes d'Anspach et de Bayreuth , et que le
roi de Prusse recevra en échange les villes anséatiques de
Hambourg , Lubeck , Brême , etc.
Nous apprenons aussi de Munich deux nouvelles trèsimportantes
; savoir l'élévation de l'électeur de Bavière
à la dignité du roi et le mariage prochain de la princesse
Augusta , fille aînée de l'électeur , issue de son mariage
du premier lit avec la princesse de Hesse -Darmstadt , avec
S. A. le prince Eugène , vice-roi d'Italie . Voici , sur ce
dernier événement quelques particularités que nous rapportons
d'après diverses lettres de Munich. Il paroît , y
dit-on , que ce mariage avoit été arrêté assez long-temps
avan ' qu'il en eût rien transpiré dans le public. La demande .
solennelle n'a eu lieu que le 27 décembre , pour les formalités
d'usage. S. M. l'empereur Napoléon envoya , à cet
effet , à Munich le général Duroc , grand maréchal du
palais , pour demander le consentement de l'électeur de
Bavière , que S. A. donna sur-le-champ. Le maréchal
Duroc en fit part aussi-tôt à S. M. l'Impératrice , qui
embrassa la princesse , et l'électeur son père , et leur témoigna
la satisfaction que lui faisoit éprouver cette union
entre l'aimable princesse et son fils. Le maréchal Duroc
envoya sur-le-champ un courier à l'Empereur , pour l'informer
du résultat de sa mission. On dit aussi que l'Impératrice
a déclaré à l'électeur , que ce mariage auroit
99
MERCURE DE FRANCE ,
sous les rapports politiques, les suites les plus avantageuses
pour la France , l'Italie et la Bavière.
Outre la ville impériale d'Ausgbourg et le comté deBurgau ,
les troupes bavaroises se sont aussi mises en possession ,
depuis huit jours , du comté de Koenigseck-Rotenfels , de
la ville d'Isny et de son territoire , de la ville de Lindau
et de son territoire , et de plusieurs autres districts sur les
bords orientaux du lac de Constance. Toutes ces possessions
appartenoient à l'Autriche.
RÉPUBLIQUE BATAVE.
Oldenzel , 23 décembre.
Les choses ont pris tout-à-coup une face nouvelle
autour de nous. Les troupes françaises qu s'étoient rassemblées
en très-grandes forces sur nos frontières , ont reçu
l'ordre subit de se replier vers l'intérieur de la Hollande.
Il n'est resté que 70 hommes à Otmarsum. Ce changement
a fait la plus vive et la plus agréable impression
sur tous les esprits. Rien ne prouve mieux que
sommes à l'abri de toute attaque étrangère.
On lit aujourd'hui ce qui suit dans la gazette ( hessoise )
de Hanau :
nous
Nous savons maintenant avec certitude les trou-
, que
pes prussiennes et hessoises sous les ordres de notre sérénissime
électeur , qui s'étoient avancées jusqu'à Alsfeld
et Fuld , ont pris des quartiers d'hiver dans ces pays , en
conséquence des négociations de paix qui ont lieu. Les
avant-postes sont dans la principauté de Hanau , et s'étendent
jusqu'à Brakenau , Tann et Geysa. >>
PARIS.
La paix a été signée à Presbourg , capitale de la
Hongrie , le 6 nivose ( 27 décembre ) , à quatre heures du
matin , entre M. de Talleyrand et MM. le prince de Lichtenstein
et de Giulay. ( Moniteur. )
- Une députation du tribunat s'est rendue le 5 janvier
à l'Hôtel-de -Ville pour y remettre les drapeaux donnés
par S. M. I. à sa bonne ville de Paris ,
Les maires députés par la ville de Paris sont de retour
avec les drapeaux qui leur ont été confiés par S. M.
l'Empereur et Roi , pour être suspendus aux voûtes de
Notre-Dame.
-S. A. I. le prince Joseph est parti avant-hier à huit
heures du soir , avec la plus grande partie de sa maison et
de nombreux équipages , pour aller au-devant de S. M.
'Empereur et Roi,
JANVIER 1806 .
90
➡S. M. l'Empereur et Roi , revenú de Schoenbrunn
par Lintz et Passau , est arrivé à Munich le 27 décembre ,
à une heure du matin. ( Moniteur. )
-C'est le 2 janvier que Maximilien-Joseph a été proclamé
roi de Bavière , à Munich . S. M. I. et R. étoit arrivée
le 31 décembre dans cette ville , où l'on croit que son
séjour se prolongera. On assure que le mariage dn prince
Eugène avec la princesse Augusta , aura lieu dans la même
ville , le 18 janvier.
-
La convocation du corps législatif que l'on avoit an→
noncée pour le 1er février , est différée.
L'escadre de S. M. , partie de l'île d'Aix le 28 messidor
dernier , sous les ordres du contre-amiral Allemand ,
est rentrée le 3 nivose , 161 ° jour depuis son départ , après.
avoir été constamment sous voiles pendant 148 jours. Elle
a pris à l'ennemi un vaisseau de guerre , 3 corvettes et 42
bâtimens marchands , faisant partie des convois de Sainte-
Hélène , des Antilles , Lisbonne , Opporto , et des côtes d'Afrique.
Elle a débarqué à son arrivée 1200 prisonniers. Le
contre-amiral Allemand annonce que l'escadre est en bon
état ; qu'elle a parfaitement navigué , et il se loue partículièrement
des capitaines , officiers , inarins et soldats sous
ses ordres. Il eût encore prolongé sa croisière si le grand
nombre de prisonniers qu'il avoit à bord n'eût abrégé la
durée de ses vivres. Indépendamment des bâtimens de
guerre dont il s'est emparé , et de ses dernières prises ,
dont on ne sait pas encore toute la valenr , on doit éva➡
luer à plus de 18,000,000 fr. les dommages qu'il a portés
au commerce de l'ennemi. Voici l'état des bâtimens com
posant l'escadre : le Majestueur , de 100 canons , contreamiral
Allemand , capitaine Willaumez ; le Magnanime ,
de 74 c. , capit. Violette ; le Jemmappes , de 74 c. , capit.
Petit ; le Suffren , de 74 c. , capit. Troude ; le Lion , de 74
c., capit. Soleil ; la Calcutta , de 56 c. , capit. Berard ; Amide
, de 40 c. , capit, Louvel ; la Gloire , de 40 c. , capit.
Bonami ; la Thétis , de 40 c. , capit. Pinsum ; le Sylphe
de 16 c. , capit, Langlois ; et le Palinure , de 16 c. , capi ,
Janu. (Journal officiel )
XXXVII Bulletin de la Grande- Armée .
Schoenbrunn , le 5 nivose ( 26 décembre 1805. )
Voici la position de l'armée aujourd'hui : Le maréchal
Bernadotte occupe la Bohême ; le maréchal Mortier , la
Moravie ; le maréchal Davoust occupe Presbourg , capitale
de la Hongrie ; le maréchal Soult occupe Vienne ; le
maréchal Ney occupe la Carinthic ; le général Marmont ,
92 MERCURE DE FRANCE ;
la Styrie ; le maréchal Massena , la Carniole ; le maréchal
Augereau reste en réserve en Souabe. Le maréchal Massena ,
avec l'armée d'Italie , est devenu 8°. corps de la Grande-
Armée.
Le prince Eugène a le commandement en chef de toutes
les troupes qui sont dans le pays de Venise et dans le
royaume d'Italie . Le général Saint- Cyr marche à grandes
journées sur Naples , pour punir la trahison de la reine ,
et précipiter du trône cette femme criminelle , qui , avec
tant d'impudeur , a violé tout ce qui est sacré parmi les
hommes. On a voulu intercéder pour elle auprès de l'Empereur;
il a répondu : « Les hostilités dussent- elles recommencer
et la nation soutenir une guerre de trente ans ,
une si atroce perfidie ne peut-être pardonnée. La reine de
Naples a cessé de régner ; ce dernier crime a rempli sa destinée
; qu'elle aille à Londres augmenter le nombre des
intrigans , et former an comité d'encre sympathique avec
Drake , Spencer Smith , Taylor , Wickam : elle pourra y
appeler , si elle le juge convenable , le baron d'Armfeld ,
MM. de Fersen , d'Antraigues et le moine Morus. »
*
M. de Talleyrand est à Presbourg , où l'on négocie. Les
plénipotentiaires de l'empereur d'Autriche sont le prince
Jean de Lichtenstein et le général Giulay. Le prince Charles
a demandé à voir l'Empereur. S. M. aura demain une
entrevue avec ce prince , à la maison de chasse de Stamersdorff,
à trois lieues de Vienne.
*
L'Empereur passe aujourd'hui la revue de la division.
Legrand, près Laxembourg. L'Empereur ne prend à Vienne
aucun divertissement. Il a reçu fort peu de personnes. Pendant
quelques jours le temps a été assez froid : la journée
d'aujourd'hui est fort belle.
L'Empereur a fait une grande quantité de promotions
dans l'armée et dans la Légion d'Honneur ; mais les grades.
qu'il a à sa disposition peuvent difficilement récompenser
tant de braves.
L'électeur de Wurtemberg a envoyé à l'Empereur le
grand cordon de l'Ordre de Wurtemberg , avec trois autres
qui ont été donnés au sénateur Harville , premier écuyer
de l'Impératrice , au maréchal Kellermann et au général
Marmont. L'Empereur a donné le grand cordon de la
Légion d'Honneur à l'électeur , au prince électoral et au
prince Paul , ses fils , et à ses frères les princes Eugène-
Frédéric - Henri et Guillaume - Frédéric - Philippe il a
connu ces deux derniers princes à son passage à LouisJANVIER
1806 ..
93
bourg , et a été bien aise de leur donner une preuve de
l'opinion qu'il a conçue de leur mérite.
Les électeurs de Bavière et de Wurtemberg vont prendre
le titre de Roi ; récompense qu'ils ont méritée par l'attachement
et l'amitié qu'ils ont montrés à l'Empereur dans
toutes ces circonstances.
L'empereur a témoigné son mécontentement qu'on eût
osé faire à Mayence une proclamation signée de son nom,
et qu'on a remplie de sottises. Elle est datée d'Olmutz , ou
l'Empereur n'a jamais été ; et ce qu'il y a de plus surprenant
, c'est qu'elle a été mise à l'ordre du jour de l'armée
de Mayence. Quel que soit l'individu qui en est l'auteur ,
il sera puni selon toute la rigueur des fois. Est-il un plus
grand crime , dans un état civilisé , que d'abuser du nom
du souverain?
L'empereur d'Autriche est toujours à Holitsch.
Un grand nombre de blessés sont guéris. L'armée est en
meilleur état qu'elle n'a jamais été. Le prince Murat rend
compte que sa cavalerie a presque doublé depuis la bataille
d'Austerlitz . Tous les chevaux qui par suite des marches
forcées étoient restés en route , sont rétablis et ont rejoint
léur corps. Plus de deux mille pièces de canon sont évacuées
de l'arsenal de Vienne sur la France. L'Empereur a
ordonné qu'il y auroit une salle au musée Napoléon destinée
à recevoir les choses curieuses qui ont été recueillies à
Vienne. Il a fait rendre à la Bavière les canons et les drapeaux
qui lui ont été pris en 1740. Les Bavarois faisoient
alors cause commune avec la France ; mais la France étoit
gouvernée par un prêtre pusillanime.
Les peuples d'Italie ont montré beaucoup d'énergie.
L'Empereur a dit plusieurs fois : « Pourquoi mes peuples
d'Italie ne paroitroient-ils pas avec gloire sur la scène du
Monde ? ils sont pleins d'esprits et de passions : dès-lors il
est facile de leur donner les qualités militaires. » Les canonniers
italiens de la garde royale se sont couverts de gloire
à la bataille d'Austerlitz , et ont mérité l'estime de tous
les vieux canonniers français. La garde royale a toujours
marché avec la garde impériale , et a été partout digne
d'elle.
Venise sera réunie au royaume d'Italie.
Les villes de Bologne et de Brescia sont toujours les pre
mières à se distinguer par leur énergie ; aussi l'Empereur ,
en recevant les adresses de ces villes , a -t-il dit : Je sais
les villes de Bologne et de Brescia sono miei di cuore.
que
94 MERCURE DE FRANCE,
L'Empereur a fort approuvé les dispositions du prince
Louis pour la défense de la Hollande ; la bonne position
qu'il a prise à Nimègue , et les mesures qu'il a proposées
pour garantir la frontière du Nord.
Sa Majesté Impériale et Royale vient de nommer
Grands-Cordons de la Légion d'Honneur :
MM. les généraux de division , Vandamme , Saint-Hilaire
, Friant , Legrand.
Grands-Officiers :
MM. les généraux de division , Belliard , Bisson , Caffa→
relli , Lery , Malher , Nansouty.
Commandans :
MM. Campana , général de brigade ; Mossel , général
de brigade d'artillerie ; Ruffin , général de brigade. MM.
Allain , Binot , Duhamel , Fontaine , Girard , Jarry ,
Lemarrois , Boerner , le Camus , Lomet , adjudans-commandans.
MM. Arrighi , Barbanègre , Barbier , Bardet , Barois
Bazancourt , Belfort, Bousson , Broc , Brun , Burthe , Carrié
, Caulaincourt , Cavaignac , Clément, Corbineau , Curial
Darricaud , Delorme , Demarçay , Desailly , Dijon , Doumere
, Edigoffen , Fiteau, Fouler , Guiton , Lafond- Blaniac ,
La Jonquière , Lataye , La Cour , La Martinière , Houdart-
Lamotte , Latrille , Lefebvre , Lhuillier , Marx , Maucune,
Maupetit , Meunier , Morel , Morin , Nicolas , Noriot ,
Pouget , Pouzet , Préval , Privé , Ravier , Rey, Reynaud ,
Rigau , Rouvillois , Saint-Raymond , Schobert , Schwartz,
Taupin , Tereyre , Valtère ; tous colonels de divers régimens
de toutes armes.
Officiers :
7
M. Cuny, colonel d'artillerie ; MM. Bigaret , Henriot ,
Nourri , majors dans divers régimens .
Girar-
MM . Bailli-Mention , Baltus , Borelly , Gault ,
din , Jacquemin , Maucomble , Pellegrin , tous chefs d'escadron.
MM. Blanc , Courtot , Duguay , Esnard , Fontenay,
Fruchard , Legros , Perrier , Polard , Regeau , Renard ,
Revest , Royer , Saint-Loup ; tous chefs de bataillon.
MM. Boeuf, Chassignac , Darcantel , Hulot , Ornano ,
Houdot , commandans de bataillon. MM. Barry , Gerin ,
Pigeau , capitaines. MM. Arcambal , commissaire-ordonnateur
; Fririon , Lambert , Mathieu Faviers , inspecteurs
aux revues ; Coste , premier médecin de l'armée
Tabarié , sous-inspecteur aux revues , chef de la seconde
division au ministère de la guerre.
JANVIER 1806 . 95
-S. M. a fait , au quartier-général de Schoenbrunn ,
de nombreuses promotions dans la Grande-Armée, Voici un
extrait des décrets impériaux relatifs à ces promotions :
Sont nommés généraux de division : Les généraux
de brigade Demont , Piston , Sébastiani , Lemarrois , Rapp',
Marchand , Rouyer , Buker , Dupas , Merle , Morand ,
Heudelet , Sahuc et Ordenner , commandant les grenadiers
à cheval de la garde.
Sont nommés généraux de brigade : Les colonels
Cochois , Yvendorff , Belfort , Conroux , Dufour , Legendre
, Raymond-Viviez , Bonnet-d'Houières , Le Drü ,
Ritay , Schramm , Vedel , Wathier , Pagez , Montbrun,
Colbert , Bessières, Durosnel , Latour-Maubourg , Franceschi
, Guyot , Beaumont , Poitevin , Kirgener , Casals et
Vallongue.
er
er
Sont nommés colonels de divers régimens : MM. Isanus
, aide-de-camp du prince Murat ; Decous , adjudantcommandant
; Michel , major du 40 de ligne ; Lemarrois ,
adjudant-commandant ; Baille , major du 51 ° de ligne ;
Silbermann , chef de bataillon ; Guyot , aide-de-camp du
maréchal Lannes ; Brayer , major du 9° de ligne ; Cabannes
, major du 28° d'infanterie légère ; le prince Borghese ,
chef d'escadron de la garde impériale ( il est nommé color
nel du 1º¹ régiment de carabiniers ) ; Chouard, chef d'escadron
; Dornez , major du 1º de cuirassiers ; Exelmans ,
aide-de-camp du prince Murat ; Borde-Soult , major
du 1er de chasseurs ; Laborde , aide-de-camp du général
Junot ; Barbenegre , aide-de-camp du maréchal Bessières ;
Dahlman , major ( il est nommé colonel-commandant en
second les chasseurs à cheval de la garde ) ; Bourbier , chef
d'escadron des chasseurs à cheval de la garde ; Beurman
idem ; Dalton , adjudant- commandant ; Chauvel , major
du 64 d'infanterie , Guyardet , major du 4 d'infanterie ;
Rabié , chef de bataillon au 55 d'infanterie ; Devillers ,
chef de bataillon au 10 d'infanterie légère..
·Sont nommés colonels du génie MM. Bizot-Coudret
, major du génie ; Dode , Garbi , Label , Blein et
Liedault, chefs de bataillon dans cette arme. MM. Geoffroy
et Micheau , chefs de bataillon du génie , sont nommés
majors dans cette arme. M. Pezzi , chef de bataillon du
génie ligurien, est nommé chef de bataillon du génie français.
Les capitaines du génie , Mayniel , Guardia , Valasi ,
Baraillon le jeune , Bernard , Le Jeune , Jovain , Sirmain-
Marie et Prost , sont nommés chefs de bataillon dans cette
arme.
96
MERCURE DE FRANCE ;
-Le capitaine Delaitre est nommé chef d'escadron
des Mamelucks de la garde. M. Lepie , major des grenadiers
à cheval de la garde , aura rang de major-colonel
de la garde. M. Chastel , major du 24° de dragons , est
nommé major en second des grenadiers de la garde.
Beaucoup d'autres sont nommés chefs d'escadron ou de
bataillon dans divers régimens.
SÉNAT CONSERVATEUR.
Dans la séance publique du mercredi 1er janvier 1806 ,
présidée par S. A. I. le prince Joseph , grand-électeur , le
sénat , après avoir procédé à la réception et à l'inauguration
des drapeaux ennemis , au nombre de 54 , apportés
ledit jour au sénat par le tribunat en corps , en vertu des
ordres de S. M. l'Empereur et Roi ; délibérant sur les propositions
qui ont été faites par plusieurs membres , relativement
aux moyens de consacrer le souvenir des événemens
glorieux qui ont rempli la campagne de deux mois ,
terminée par la bataille d'Austerlitz ; décrète ce qui suit
ART . Ier . Le sénat conservateur , au nom du peuple fran
çais , consacre un monument triomphal a Napoléon-le-
Grand.
II. Le sénat en corps ira au-devant de Sa Majesté Impériale
et Royale , et lui présentera l'hommage de l'admiration
, de la re onnoissance et de l'amour du peuple français
Le sénat , dans la même séance , délibérant sur la proposition
d'un de ses membres , relative aux moyens de témoi
.gner à S. M. l'Empereur et Roi la reconnoissance du sénat
, pour le gage précieux qu'il reçoit de la bienveillance
de Sa Majesté , dans les drapeaux dont il lui a fait don
décrete ce qui suit :
H
"
Art. Ier, La lettre de S. M. l'Empereur et Roi , datée
d'Elchingen , le 26 vendémiaire an 14 , et par laquelle
S. M. fait don'au sénat de 40 drapeaux conquis par son
armée , sera gravée sur des tables de marbre qui seront pla
cées dans la salle des séances du sénat .
II. A la suite de cette lettre , sera pareillement gravé ce
qui suit
Les 40 drapeaux , et 14 autres ajoutés aux premiers par
Sa Majesté , ont été apportés au sénat par le tribunat en
corps , et déposés dans cette salle le mercredi 1er janvier
1806.
•
I
( N° CCXXXV . ) Ice
( SAMEDI 18 JANVIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
ཏ .
PROSPECTUS
U MERCURE DE FRANCE POUR L'ANNÉE 1806.
Nous croyons devoir exposer au Public , au commencement
de cette année , les idées que nous avons conçues , et
que nous regardons comme propres à rendre la rédaction
de ce Journal plus parfaite et plus intéressante. Les entreprises
littéraires , comme toutes les autres , se perfectionnent
par le temps . Le zèle n'a jamais manqué aux amis des
Tettres entre les mains desquels se trouve aujourd'hui le
MERCURE DE FRANCE ; mais ils ne peuvent se dissimuler
que plusieurs parties de ce Journal ont , jusqu'à présent ,
laissé quelque chose à desirer : les unes étoient en effet susceptibles
de plus d'agrément et d'intérêt ; les autres , par
leur nature même , ne pouvoient pas recevoir un degré plus
éminent de perfection . Ainsi , modifier , changer , refondre
, ou même supprimer entièrement tout ce qu'on essayeroit
vainement de perfectionner ; rendre meilleur tout ce
qui peut le devenir , et mettre le mieux à la place du bien
partout où le mieux est possible , voilà ce que se proposent
les directeurs du MERCURE ; heureux si feurs efforts parviennent
à rendre plus digne de l'attention des personnes
qui aiment et qui cultivent les lettres , un Journal auquel elles
se sont toujours intéressées , qui remonte presqu'à la naissance
de notre littérature , et qui , après avoir disparu un
G
98
MERCURE DE FRANCE ,
moment dans le tourbillon révolutionnaire où les lettres
et les arts eux-mêmes furent engloutis , s'est remontré aussitôt
que des temps plus heureux ont permis de se livrer aux
plaisirs de l'esprit
et-
Ceux qui réfléchissent sur les progrès et les développemens
des diverses branches de la littérature , ont pu remarquer
que ce Journal a toujours acquis , depuis son origine
, de nouveaux degrés d'amélioration , et par conséquent
de nouveaux titres à l'estime des lecteurs . Depuis
cinquante ans sur-tout il est devenu en quelque sorte le patrimoine
des critiques les plus distingués , et des littérateurs
les plus illustres . La plupart des articles qui y furent insérés
sont de véritables ouvrages qui ont mérité d'échapper
à la destinée d'un Journal , et qu'on retrouve avec le plus
grand plaisir dans les collections des Euvres de Marmontel,
de Champfort , de La Harpe , etc. A sa renaissance , tous les
bons écrivains qui avoientpu se former pendantl'interruption ,
s'empressèrent d'enrichir de leurs critiques et de leurs observations
un Journal environné de souvenirs si heureux ,
plusieurs des littérateurs déjà connus dans divers genres , se
firent en même temps un plaisir et un devoir de contribuer
au succès d'une entreprise à laquelle les lettres françaises
semblent avoir attaché quelque portion de leur gloire : M. de
La Harpe avoit repris ses travaux dans le MERCURE , lorsqu'une
mort prématurée l'empêcha de concourir plus longtemps
à la célébrité d'un Journal auquel il avoit dû autrefois
une partie de la sienne ; et si des fonctions plus importantes
n'avoient momentanément séparé M. de Fontanes des
occupations littéraires , il continueroit encore aujourd'hui
de soutenir la réputation du MERCURE , et de perfectionner
dans ce recueil le genre de la critique , en répandant ,
comme il l'a fait avec tant de succès , plus de fleurs , d'ornemens
et de graces , que ses devanciers , sur la sévérité
des discussions propres à ce Journal.
C'est ici l'occasion d'observer ce que le style et la méthode
de la critique ont gagné depuis quelques années . La sécheresse
et l'aridité , qui paroissoient autrefois inséparables
de cette partie de la littérature , ont entièrement disparu .
On ne croit pas aujourd'hui que l'érudition , les connoissances
, la sûreté du jugement et du goût , qualités essentielles
et fondamentales du critique , le dispensent de savoir
bien écrire on veut qu'il s'exprime avec grace , en même
temps qu'il juge avec équité : on veut que les agrémens de
son style couvrent et dérobent l'austérité de ses analyses ; il
faut que par des idées accessoires développées à propos ,
:
JANVIER 1806.
99
:
[
par des rapprochemens , par des observations générales ,
par une diction sagement ornée , et quelquefois aussi par
des tours qui semblent appartenir à un genre plus élevé ,
il sache plaire au lecteur qu'il se propose d'éclairer , et
montrer du talent lui-même , en critiquant le talent des autres
. Voilà ce qu'on trouve aujourd'hui dans les Journaux
qui sont en possession de l'estime publique ; voilà , s'il nous
est permis de le dire , ce que présente le MERCURE DE
FRANCE qu'on jette un coup -d'oeil sur les anciennes collections
de ce Journal , on sera frappé de la différence qu'il
y a entre la manière dont il fut rédigé pendant la plus
grande partie du dix-huitième siècle , et la méthode qu'on
a adoptée dans ces derniers temps : des extraits courts et
secs écrits sans aucun goût , des jugemens à peine motivés
, de légères notices en style lourd , nulle vue , nul
aperçu , nulle application des grands principes de l'art ;
enfin peu d'instruction et beaucoup d'ennui , telle est la
peinture fidelle du MERCURE , tel qu'il étoit autrefois . Aujourd'hui
les gens de lettres qui remplissent dans ce Journal
les pénibles fonctions de critiques , ont cru devoir
répandre dans leurs dissertations plus d'agrément et de variété
, plus d'aperçus divers , plus d'idées et de graces : suivant
la nature des ouvrages qui sont soumis à leur examen ,
leur style s'élève ou s'égaie ; leurs extraits ne sont point de
froides analyses : ils développent leurs divers jugemens ; ils
motivent tout ce qu'ils avancent ; ils ne se contentent pas de
faire connoitre d'une manière générale le livre dont ils ont
à parler ; ils entrent dans les plus grands détails , et souvent
les idées de l'auteur qu'ils jugent , leur fournissent l'occasion
d'exposer des vues et des idées qu'en d'autres temps
on eût cru devoir réserver pour des ouvrages d'un genre
supérieur à celui des articles de Journaux. Enfin , et l'on
ne fait que rappeler ici ce dont les amateurs de la littérature
se souviennent très-bien , il a paru dans le MERCURE , depuis
quelques années , plus d'un morceau qui peut être
regardé , non- seulement comme un modèle de critique ,
mais comme un modèle de style et d'élégance .
Plusieurs circonstances ont pu influer sur ces développemens
heureux et nouveaux , que la critique a reçus dans
les divers Journaux , et particulièrement dans le MERCURE,
depuis sa renaissance ; mais les méditations auxquelles ont
donné lieu quinze années d'une révolution si extraordinaire ,
1 paroissent avoir le plus puissamment concouru à cette espèce
de progrès : il n'y a guères d'ouvrages qui n'appartiennent
plus ou moins , soit aux doctrines funestes qui ont affligé
20
G 2
100 MERCURE DE FRANCE ,
*
""
!
la France de tant de maux , soit aux principes salutaires
par lesquels on les a réparés ; la critique littéraire a donc
souvent trouvé l'occasion d'approfondir les maximes les plus
importantes de la morale et de la politique : les discussions
les plus intéressantes , les plus étroitement liées à la grande
cause de la félicité générale , sont venues naturellement se
placer sous la plume des écrivains périodiques : ils ont pu
traiter des questions sur lesquelles une fatale expérience
avoit répandu tant de lumière , opposer la justesse du raisonnement
à la subtilité du sophisme , présenter des vues
utiles , affermir les bonnes doctrines en combattant les mauvaises
, et balancer par la sagesse de leurs écrits , et par la
maturité des méditations du cabinet , la funeste turbulence
de ces déclamations insensées et furieuses dont la France
avoit retenti pendant si long-temps ; ils ont pu rappeler
même à un nouvel examen ces ouvrages composés à une
époque antérieure , et qu'on doit regarder comme les sources
empoisonnées où les factieux et les novateurs de tout genre
avoient puisé leurs coupables erreurs .
Lorsque le MERCURE reparut , il y a cinq ans , les changemens
salutaires qui venoieut d'être opérés dans l'état , à
cette époque , produisirent un changement dans la rédaction
de ce Journal : la partie littéraire avoit été jusque-là soumise
à l'iufluence philosophique ; mais le nouveau MERCURE
répara abondamment les torts de l'ancien . Un de nos
premiers littérateurs commença , dès les premiers jours de
la renaissance de ce Journal , par y combattre avec autant
de politesse de style que de solidité de raison ce système
de la perfectibilité également désavoué par le goût et par
la saine politique, et qu'on pouvoit bien regarder comme une
apologie déguisée de cette révolution qui auroit fait rétrograder
l'espèce humaine , au lieu de lui ouvrir de nouvelles
voies de perfection et de bonhenr , si une main puissante
. n'en avoit arrêté le cours . Depuis on a toujours vu le MERCURE
consacré aux bonnes doctrines : il n'y a peut-être pas
un point intéressant de politique , de morale , de religion ,
qui n'ait été discuté , approfondi , développé dans ce Journal
: les saines maximes y ont été présentées sous toutes
les formes ; les sophismes philosophiques attaqués de
toutes les manières ; l'ancienne littérature , comme la nouvelle
, les ouvrages qui sont en possession de la renommée ,
comme ceux qui y prétendent , ont été examinés , jugés avec
sévérité , mais avec justice : les écrits des philosophes ont
été analysés , appréciés , réduits à leur valeur dans ce
même Journal dont ils s'étoient emparés depuis si long-
(
JANVIER 1806. 101
temps , et qu'ils regardoient comme un des plus utiles instrumens
de leur réputation , et comme un des moyens les
plus sûrs pour la propagation de leurs principes et de leurs
systèmes .
:
Les circonstances ont donc conduit les rédacteurs du
MERCURE à revenir sur beaucoup d'ouvrages dont le rang
et la destinée paroissoient fixés sans retour , et cette méthode
par laquelle la critique , qui ne connoît pas de prescription
, soumet à son examen les livres dont la réputation
est faite depuis long-temps , est une des meilleures innovations
qui se soient introduites dans les Journaux les
livres les plus anciens sont très -nouveaux pour beaucoup
de personnes ; ceux qui les ont lus , et qu'ils ont pu intéresser
sous divers rapports , ne doivent pas être fâchés qu'on
les entretienne avec soin et réflexion de ce qu'ils savent ;
ceux qui ne les ont pas lus peuvent les considérer comme
des ouvrages qui viennent de paroître ; et ces livres , dont
quelquefois ils ne connoissent pas même le noin , doivent
avoir pour eux tout l'attrait de là nouveauté . Autrefois , une
édition d'un ouvrage ancien étoit annoncée comme une
simple nouvelle littéraire , et l'annonce étoit tout au plus
accompagnée d'une courte notice ; aujourd'hui on traite un
ouvrage ancien , comme s'il étoit nouveau : on le discute ,
on l'examine ; on fait la revue de ses titres , pour confirmer
sa réputation , s'il la mérite , et pour le dépouiller d'une
gloire usurpée , s'il n'est pas digne du rang qu'il occupe
dans l'opinion publique. Ce système est également heureux
et utile sous le double point de vue de la morale et du goût.
La plupart des ouvrages qui ont acquis dans le siècle
dernier le plus de renommée , sont , il faut le dire , infectés
des plus mauvais principes. Il n'est donc pas permis à
un critique de se taire , lorsque de nouvelles éditions lai
Temettent ces ouvrages sous les yeux : il doit les analyser
comme s'ils étoient nouveaux , en peser les maximes , en
relever les erreurs ; il doit s'efforcer d'éclairer ceux que
T'éclat des grandes réputations aveuglent , et de dissiper le
prestige qui séduit leur imagination . C'est un des moyens
les plus efficaces pour ramener le Public aux idées saines et
justes , dont la philosophie du dix-huitième siècle l'écarta
trop long-temps ; et le succès a jusqu'ici répondu à l'efficacité
du moyen les doctrines philosophiques ont vu tomber
insensiblement leur crédit ; et les plus hautes réputations
d'un siècle si fier de ses systèmes et de ses sophismes se
sont abaissées à la voix de la raison soutenue de l'expérience
des événemens , et de l'éloquence des faits .
3
102
MERCURE DE FRANCE ,
•
"
1
En revenant aux bons principes en morale et en politique
, on est revenu au bon goût en littérature , par cette
affinité naturelle qui existe entre toutes les opérations de la
raison considérée sous divers points de vue l'habitude de
bien penser sur quelques objets a conduit à bien penser
sur tous les autres ; le goût n'est qu'une application délicate
des principes de la raison aux arts de l'esprit et aux ouvrages
de l'imagination ; les temps de délire et de démence sont ordinairement
des temps de mauvais goût ; les époques où les
sociétés humaines se conduisent par les règles de la vraie
politique et de la saine morale , sont généralement pour le
bon goût des époques de triomphe et de gloire ; le mauvais
goût n'est qu'un vice des esprits corrompus et faussés par
les passions et les mauvaises doctrines ; tout ce qui les
ramène au bon sens les ramène en même temps au bon
goût ; tout ce qui tend à rectifier les intelligences , tend à
rectifier le jugement sur les arts et la littérature comme sur
tous les autres objets. Cinquante ans de déraison avoient
porté le mauvais goût à son comble , lorsque la révolution ,
préparée par tant d'années d'erreurs spéculatives qu'elle n'a
fait que mettre en pratique , est venue achever le bouleversement
des vrais principes en tout genre , et particulièrement
dans la littérature et dans les arts . Cette fureur d'écrire
que la liberté ou plutôt la licence de la presse répandit dans
tous les esprits , ce torrent de discours et de déclamations
de toute espèce , auquel tant d'assemblées et tant de tribunes
ouvrirent un large cours , achevèrent de défigurer
la langue , en altérant sa pureté : l'enflure , le barbarisme ,
le néologisme ne connurent plus de frein , et la société étoit
sur le point de périr par la confusion du langage , comme
par celle des principes , quand un heureux changement
rétablit et les vrais principes et la langue dans leurs droits ;
en même temps qu'on abhorra les erreurs , qui avoient
causé tant de maux , on détesta l'espèce de langage qui avoit
servi à les propager l'obscurité sentencieuse de tant de
professeurs d'absurdités , l'éloquence forcenée de tant
d'énergumènes , l'entortillage et l'emphase de tant de charlatans
poliques et littéraires perdirent peu à peu l'ascendant
qu'ils avoient usurpé sur les esprits ; les yeux s'ouvrirent et
reconnurent le faux de tant de chimériques beautés qui les
avoient fascinés : on revint insensiblement au bon goût
comme au bon sens tant il est vrai que l'excès des maux en
produit souvent le remède !
Mais pour confirmer une révolution si utile , il est néces→
saire que les critiques ne se bornent pas à l'examen des ou
JANVIER 1806 . 103
vrages récens qui paroissent tous les jours ; il faut , pour
ainsi dire, qu'ils aillent attaquer le mauvais goût jusque dans
ses sources : c'est dans les ouvrages les plus renommés du
dix-huitième siècle , c'est dans les livres des coryphées de la
philosophie qu'ils doivent rechercher les gerines de cette
corruption contagieuse qui avoit frappé tous les esprits ; et
c'est aussi en faisant connoître , en analysant de nouveau
les chefs-d'oeuvre du siècle de Louis XIV , qu'ils doivent
opposer les modèles de l'art aux copies plus ou moins informes
que produisit le mauvais goût , enfant d'une fausse
philosophie.
Tels sont les principes qui ont dirigé jusqu'à présent , et
qui continueront de diriger à l'avenir les gens de lettres
chargés de la rédaction du MERCURE DE FRANCE ; et sous
ces divers rapports , ce Journal hebdomadaire a un grand
avantage sur les feuilles de tous les jours , qui peuvent suivre
la même méthode : l'examen des ouvrages y est nécessairement
plus étendu , plus développé , plus circonstancié
; l'application des principes y comporte plus de détails ;
tandis que dans une feuille de tous les jours on ne peut
qu'effleurer les ouvrages , le MERCURE les approfondit ;
les extraits y sont rédigés avec plus de soin , de réflexion et
de maturité ; un Journal de tous les jours cherche souvent à
suppléer par la tournure piquante de la forme à la foiblesse
évidente du fond , suite nécessaire d'un travail rapide , qui
ne peut point s'aider du secours de la méditation ; le MERCURE
dédaigne les agrémens légers d'une critique frivole, et n'ambitionnant
que le degré d'élégance qu'exigent les discussions
littéraires , il ne renonce pas à plaire pourvu que l'instruction
s'unisse au plaisir qu'il procure , et recherche plus ce
que la critique a de solide et de satisfaisant pour la raison ,
que ce qu'elle peut avoir d'agréable et d'attrayant pour la
malignité . C'est là ce qui a garanti et protégé l'existence de
ce Journal , qui ne paroît que quatre fois par mois , au
milieu de tant de Journaux , qui paroissent tous les jours ,
et qui s'occupent des mêmes objets . Les gens de lettres et
tous les amis de la littérature ont senti qu'ils ne pouvoient
trouver que dans ce Journal de véritables analyses littéraires ,
de vraies critiques suffisamment motivées , des détails , des
citations ; enfin tout ce qui concourt à rendre plus parfait
l'examen des ouvrages , et le jugement porté sur les productions
de l'esprit.
Cette partie du MERCURE a paru jusqu'ici mériter les
suffrages du Public , et rien ne sera omnis de ce qui pourra
l'en rendre tous les jours plus digne : les gens de lettres à
104 MERCURE DE FRANCE,
qui elle est confiée , connus par leur goût et par leur éru
dition , se félicitent de compter parmi eux deux écrivains
célèbres qui ont ouvert d'une manière si brillante le dixneuvième
siècle par des ouvrages capables d'en assurer la
gloire , ouvrages qui , supérieurs dans des genres trèsdifférens
, serviront dans l'avenir d'époque à la renai
sance des lettres françaises , remises en honneur par les
travaux de ces deux écrivains , et rappelées en quelque
sorte à la vie par leurs talens , après une longue revolution
, qui les avoit dégradées et presqu'entièrement éteintes
MM. de Bonald et de Châteaubriand continueront d'enrichir
ce recueil de leurs observations , soit qu'ils rendent compte
des ouvrages nouveaux qui paroîtront avec quelque carac
tère d'importance , soit qu'ils croient devoir revenir sur des
ouvrages anciens , soit que se livrant à l'inspiration de leur
propre pensée , ils veuillent déposer dans ce Journal les idées
et les réflexions que chaque instant et chaque objet peuvent
faire naître dans des esprits si actifs , si profonds , et si
observateurs .
:
Nous ne pouvons nous dissimuler que la partie de ce
Journal où l'on rendoit compte des spectacles , n'a pas joui
de la même faveur, quelque talent qu'aient eu les rédacteurs ,
et quelques efforts qu'ils aient fait . La raison en est toute
simple autant le MERCURE , dans tout le reste , doit avoir
de supériorité , comme ouvrage de littérature et de critique ,
sur les Journaux de tous les jours , autant , par sa nature
même, doit- il être inférieur à ces mêmes Journaux , quand
il s'agit de rendre compte des spectacles : ce n'est souvent
que huit jours après la représentation d'une pièce de théâtre ,
qu'il parle de cette pièce ; la curiosité est alors satisfaite et
refroidie les feuilles de tous les jours ont rendu compte
de la pièce et l'ont jugée dès le lendemain de la représentation
; il ne reste donc plus au MERCURE que de revenir
sur des critiques ou sur des louanges déjà épuisées , pour
les approuver ou les modifier , sorte de travail qui manque
nécessairement d'intérêt , parce qu'il ne peut avoir ni la
maturité qui recommande les autres articles littéraires de
ce même Journal , ni la rapidité qui , dans ce genre , est
une grace de plus pour les articles des autres Journaux ;
on a donc cru qu'il falloit retrancher ce qu'on ne pouvoit
perfectionner ; ainsi cette partie du MERCURE sera supprimée
à l'avenir.
:
Mais cette suppression n'empêchera pas qu'on ne consigne
comme nouvelle , dans ces annales de la littérature , la représentation
des pièces de théâtres et le succès qu'elles
JANVIER 1806. 105
auront obtenu , en se réservant de faire un extrait détaillé et
une critique réfléchie de celles des pièces jouées sur les trois
principaux théâtres , qui auront quelqu'importance littéraire ,
lorsque l'impression permettra de faire à ces ouvrages une .
application plus méditée des règles de l'art , et mettra à même
d'en porter un jugement plus approfondi.
ce
Ceretranchement d'une partie sur laquelle on a vainement
essayé de répandre quelqu'intérêt , fournira la possibilité
d'orner ce Journal d'un article qui ne peut manquer d'en
avoir beaucoup , et qu'un grand nombre de personnes regrettent
avec raison de n'y pas trouver : elles se plaignent que le
MERCURE n'est pas assez varié dans ses matières , et c'est
à ce défaut de variété qu'on se propose de remédier , au
moyen de la supression indiquée. La littérature sera toujours
l'objet principal du MERCURE , mais elle ne sera plus dorénavant
le seul dont on s'occupera dans la rédaction de ce
Journal : les arts et les sciences y tiendront leur place : il
ne se passera rien d'important dans leur domaine qui ne
soit consigné avec la plus grande précision et l'exactitude
la plus scrupuleuse dans le MERCURE , qui par-là même
pourra offrir un jour d'utiles archives et des matériaux nécessaires
à l'histoire des connoissances humaines . Pour remplir
ce but avec autant de succès qu'il est possible , on a eu
soin de se ménager des correspondances dans les diverses
-parties de l'Europe , et tout ce qu'on recevra viendra des
mains les plus sûres et les plus savantes .
L'Europe , en ce moment , présente , sous ce rapport
comme sous beaucoup d'autres, un grand spectacle au monde:
jamais les arts et les sciences , et sur-tout jamais ces dernières
n'ont eu plus de mouvement et d'activité ; chaque jour révèle
, pour ainsi dire , de nouveaux progrès. Les mathématiques
, la physique , la chimie ,la physiologie marchent
d'un pas rapide vers un but de perfection que l'imagination
même ne sauroit assigner. Les biens qui peuvent résulter
pour l'humanité de cet esprit d'étude et d'observation qui
se répand tous les jours davantage en Europe , se sont manifestés
plusieurs fois par d'heureuses applications ; et
les découvertes qui ont fait le plus de bruit dans le monde
ne peuvent guère être comparées à ces miracles des derniers
temps , par lesquels on est parvenu à rendre salubre l'air le
plus infecté , et à détruire dans sa racine une des plaies qui
affligeoient le plus profondément la race humaine . C'est à
ces grands objets qu'on se propose de donner dans le MERCURE
, une sérieuse attention , sans négliger les plus petits
détails relatifs soit à l'érudition qui prépare les matériaux
106 MERCURE DE FRANCE ,
et le succès des arts , soit aux arts qui fournissent aux hommes
tant de jouissances de tout genre , soit aux sciences qui
répandent sur eux tant de lumières , et qui les servent en
les éclairant .
Le premier des arts , la poésie , continuera de remplir
dans ce Journal une place particulière ; mais on mettra
dorénavant plus de soin dans le choix des pièces . On avoue
la justice des reproches qui ont été faits à cet égard : il sembloit
que cette partie du Journal fût devenue le domaine
de quelques personnes dont les noms y paroissoient presque
seuls ; la carrière est désormais ouverte à l'émulation de tous
ceux qui peuvent desirer que leurs ouvrages en vers soient
consignés dans ce Recueil ; ils peuvent être sûrs qu'on examinera
avec attention toutes les pièces qui seront envoyées
commes'il s'agissoit d'un véritable concours ; qu'on accueillera
avec plaisir et avec encouragement tout ce qui paroîtra digne
des regards du public , et qu'il n'y aura jamais d'autre cause
de non-admission que la foiblesse des ouvrages . On mettra
en même temps à contribution , autant qu'on le pourra ,
les écrivains les plus exercés dans ce genre.
M. DELILLE , qu'ils se plaisent aujourd'hui à regarder
comme leur chef , a promis de leur donner quelquefois
l'exemple en leur communiquant , pour l'ornement de ce
Journal, les richesses et même les secrets de son portefeuille .
Enfin , on se fera un devoir de publier avec exactitude
toutes les pièces qui seront couronnées dans les académies ,
comine servant à l'histoire même de l'art ,
de
C'est aussi pour imprimer à ce Journal , sous un autre
rapport , le caractère de la sévérité historique , qu'à l'avenir
on bannira de la partie politique tous les on dit , tous les
bruits , toutes les conjectures , tout ce qui ne sera pas
la plus entière certitude , de manière qu'après avoir lu , pendant
le cours de las emaine , les Journaux de tous les jours ,
on trouvera , dans le MERCURE , un résumé fidèle de tout
ce qu'il y aura de certain et de tout ce qui méritera , par-là
même , d'être retenu.
On pense que , par ces diverses modifications , ce Journal
obtiendra toute la perfection dont il est susceptible ; et
l'on espère que le Public , ami des lettres , ne sera pas mécontent
de la manière dont ces vues seront mises à exécution
puissent-elles enflammer tous les jours davantage l'amour
de la littérature qui , dans tous les temps , a dû beaucoup
à ce Journal ! Puissent- elles concourir au progrès des
lettres , dont la naissance parmi nous est contemporaine de
celle du MERCURE !
:
JANVIER 1806. 107
POÉSI E.
DISCOURS EN VERS
SUR L'INDÉPENDANCE DE L'HOMME DE LETTRES .
( Cette pièce a remporté le prix de poésie proposé par
la Classe de la langue et de la littérature française de
Institut national. )
La noble indépendance est l'ame des talens :
Rien ne peut du génie enchaîner les élans ,
Il aime à parcourir des régions nouvelles ;
Ce n'est point pour ramper qu'il a reçu des ailes .
Le vulgaire ne voit que par les yeux d'autrui ,
Le sage voit , observe , et juge d'après lui .
De l'austère équité sa main tient la balance ,
Son esprit vigilant étudie en silence ,
Apprend le coeur humain , cherche à le définir ,
Et des maux du passé préserve l'avenir .
Seul au sein de la foule et dégagé d'entraves ,
Il élève un front libre au milieu des esclaves :
L'air impur des cités ne corrompt point ses moeurs.
Etranger aux partis et sourd à leurs clameurs ,"
D'un tardif repentir s'épargnant l'amertume ,
Il ne profane point la candeur de sa plume ;
On ne le verra point , au prix de ses vertus ,
Acheter les faveurs de l'aveugle Plutus .
Rousseau , doué d'une amé indépendante et fière ,
Transfuge des châteaux revole à sa chaumière :
Les honneurs, les trésors en vain lui sont offerts ;
Pour lui des fers brillans n'en sont pas moins des fers.
De l'orgueilleux bienfait il repousse l'outrage ,
Il fuit , enveloppé de sa vertu sauvage;
Il porte au sein des bois , sur la cîme des monts ,
Sa longue rêverie et ses pensers profonds.
168 MERCURE DE FRANCE,
Foulant aux pieds les biens que le vulgaire adore ,
Que leur préfère-t-il ? un rayon de l'aurore.
Fier de s'appartenir , le mortel studieux ,
Des bois inspirateurs ami silencieux ,
N'ira point , s'arrachant à ses loisirs utiles ,
User son avenir en des cercles futiles .
Le front cein de lauriers qu'il venoit de cueillir ,
Despréaux dans Auteuil alloit se recueillir :
Au fond de ces berceaux , assis près de Molière ,
Il confioit ses chants à l'ombre hospitalière ;
Et , d'un éclat menteur trop long-temps éblouis ,
Ses yeux se reposoient du faste de Louis.
L'ami des doux loisirs , dans l'humble solitude ,
Amasse lentement les trésors de l'étude ,
Et, préparant de loin ses destins éclatans ,
Epure ses travaux dans le creuset du temps. •
Comme il méprise alors tant de vils adversaires ,
Tant de combats grossiers , pugilats littéraires !
Quand des rivaux , jaloux de sa célébrité ,
Cherchent à le couvrir de leur obscurité ,
Il luit à nos regards , plus radieux encore.
Ainsi l'astre éternel , que l'Orient adore ,
Chassant des noirs brouillards l'amas séditieux ,
Apparoît plus brillant , et s'empare des cieux .
Descartes , que noircit l'impure calomnie ,
Dans les champs du Batave exile son génie ;
Recommande sa gloire à la postérité ,
Et sur des bords lointains poursuit la vérité.
C'est ainsi que le sage en lui se réfugie :
Son adversité même accroît son énergie ;
Athlète infatigable , au jour de la douleur ,
Il soutient sans fléchir la lutte du malheur .
Des chagrins de la vie il recueille l'histoire ,
Et pour lui l'infortune est un pas vers la gloire.
Sur son vaisseau brisé , tel Vernet sans pâlir
Etudioit le flot prêt à l'ensevelir.
1
C'est peu que l'écrivain , armé de ses ouvrages,
Des destins ennemis affronte les outrages ,
JANVIER 1806. 109
C'est peu que sa vertu brave l'adversité ;
Elle résiste même à la prospérité.
Libre à la cour , soumis aux rois , mais sans bassesse ,
Devant eux il s'incline , et jamais ne s'abaisse .
Si le crime puissant veut contraindre sa voix
A chanter l'injustice et le mépris des loix ,
Ferme , et se reposant sur sa vertu rigide ,
Il oppose au pouvoir un silence intrépide.
D'un généreux transport son grand coeur animé ,
Quel que soit l'oppresseur , protège l'opprimé,
Et, pour jamais fidèle au parti qu'il embrasse ,
Partage noblement une noble disgrace.
Quand Fouquet de Louis eut perdu la fayeur,
La Fontaine resta l'ami de son malheur :
D'un coeur naïf et pur déployant l'énergie ,
Il fit sur son destin soupirer l'élégie ,
Et, laissant les flatteurs à leur vulgaire effroi ,
Il chanta son ami , même devant son roi.
Dévoûment vertueux ! Témérité sublime !
Tel est du vrai talent l'abandon magnanime.
La tyrannie en vain prétend l'anéantic ,
En vain de son exil l'arrêt va retentir ;
Il n'est point de déserts , point d'exil pour le sage.
Ces sables dévorans, ces plaines sans ombrage ,
Ces antres , ces rochers n'ont pour lui rien d'affreux;
Seul, errant et proscrit , il n'est point malheureux.
L'étude , objet constant de son idolâtrie ,
Au bout de l'univers lui fonde une patrie.
Mais pour l'ensevelir les cachots sont ouverts;
Il y descend , courbé sous le poids de ses fers
Calme , il répète encore à l'oppresseur qu'il brave :
« Je ne suis qu'enchaîné , je ne suis point esclave. »
Sur ce mur ténébreux , son muet confident ,
Il trace avec sa chaîne un vers indépendant !
Qu'un servile mortel à plaisir s'humilie ;
Qu'au parti du vainqueur son effroi se rallie ;
De vingt maîtres divers adulateur hanal ,
Que pour oser pensor il attende un signal !
110 MERCURE DE FRANCE ,
Le sage en tous les temps garde son caractère .
Tyrans ! il vous poursuit de sa franchise austèré;
Et , libre sous le poids de votre autorité ,
En présence du glaive , il dit la vérité.
Là Caton , qu'un despote honore de sa haine ,
Va rejoindre au tombeau la liberté romaine ;
Là Socrate , épuisant la coupe de la mort ,
De son dernier sommeil tranquilement s'endort .
L'homme obscur peut frémir , tout entier il succombe ,
Et l'éternel oubli vient peser sur sa tombe ;
Le sage ne meurt point : sous la main des bourreaux
Il défend à la mort d'effacer ses travaux ;
Il la voit , il l'attend , sans pâlir d'épouvante :
Le grand homme n'est plus ; mais sa gloire est vivante.
De ses persécuteurs s'il trompe les poignards,
Nous révérons en lui le Nestor des beaux-arts.
:
Son ame toute entière en ses écrits respire ;
Ses actions jamais n'ont démenti sa lyre
Il se conserva pur au milieu des méchans ;
Il meurt , et la vertu reçoit ses derniers chants.
Tel un cygne superbe , ornement du rivage ,
Au noir limon des eaux déroba son plumage ,
Et, saluant la mort de sons mélodieux ,
D'une voix plus touchante exhale ses adieux.
M.
MILLEVOYE .
DISCOURS EN VERS ( 1 )
SUR L'INDÉPENDANCE DE L'HOMME DE LETTRES ;
Pièce qui a obtenu l'ACCESSIT au jugement de la Classe de
la langue et de la littérature française de l'Institut national;
par M. VICTORIN FABRE.
SOIT
que
Pro re pauca loquar.
de la raison interprétant les lois ,
Dans l'esprit des mortels tu consacres ses droits ;
(1 ) Cette pièce n'est pas tout- à-fait telle qu'elle a été envoyée au
concours. J'ai supprimé quatorze vers ; et j'ai fait quelques changemens
à -peu-près à un égal nombre. Plusieurs membres de l'Institut ont
JANVIER 1806 .
Soit que la revêtant d'images plus chéries ,
Tu l'amènes au coeur par des routes fleuries ,
Philosophe ou poète , épris des doctes Soeurs ,
Veux- tu jouir en paix de leurs chastes faveurs ?
Vis libre , indépendant , seul maître de ton ame.
Loin d'un monde servile entretiens cette flamme ,
Ce feu de liberté , dont les nobles élans ,
Font les måles vertus , les sublimes talens .
Forme-lui dans ton ame une secrète enceinte .
Si d'un souffle étranger il éprouve l'atteinte ,
Il meurt ; et ton esprit sent languir sa vigueur :
La source en est tarie ; elle étoit dans ton coeur.
Affranchi des erreurs d'une vie inquiète ,
L'écrivain studieux , au sein de la retraite
Laisse couler en paix ses modestes loisirs .
C'est là qu'exempt d'honneurs , libre de vains desirs ,
Au flambeau du Génie épiant la nature ,
Il la surprend sans voile et la peint sans parure.
D'une tranquille étude il goûte la douceur ;
Et la gloire pour lui naît au sein du bonheur .
Il sę fait un Olympe au- dessus des orages .
Loin , bien loin sous ses pieds , un voile de nuages
Dérobe à ses regards ces flots tumultueux ,
Ces écueils que la foudre éclaire de ses feux ,
Cet Océan sans ports , où gronde la tourmente ,
Où , de l'ambition suivant l'étoile errante ,
Les crédules humains , frêles jouets du sort ,
Sans rame et sans boussole emportés loin du bord ,
Se choquant dans la nuit , au milieu des orages ,
L'un par l'autre brisés confondent leurs naufrages .
tandis que les flots dispersent leurs débris ,
Favorisé des vents et des astres amis ,
Lui ,
Sans terreur il s'élance aux plaines azurées .
De l'Olympe , à sa voix les voûtes éthérées
témoigné le desir que j'en fisse l'aveu : la raison qu'ils ont eu l'indulgence
d'en donner , m'est trop honorable pour que je ne m'empresse
pas d'obéir. (Note de l'auteur. )
112 MERCURE DE FRANCE ,
"
S'ouvrent ; et son génie échappant à nos yeux ,
Sur l'aile de la gloire , y vole au sein des Dieux.
O culte des talens ! renais dans ma patrie ;
Réveille dans nos coeurs ta sainte idolâtrie,
Viens ranimer ce feu , cette sublime ardeur ,
Qui du Génie éteint rallumne la splendeur
Et qu'au sein des parfums d'une flamme sacrée ,
Renaisse le phénix de sa cendre adorée.
Que dis-je ? Il n'est plus temps . Sur la terre penchés ,
Les regards des mortels y rampent attachés.
Vainement sur leur front planeroit le Génie.
Mais lui -même , aspirant à son ignominie ,
Il descend de sa gloire ; et par sa lâcheté
Trop souvent il provoque un mépris mérité.
L'un, vouant à l'intrigue une Muse docile ,
Brigue des vains honneurs la couronne servile ;
Insensé , qui s'empresse aux pieds de la grandeur
D'enchaîner son génie , exilé de son coeur !
Cette chaîne , énervant la pensée asservie ,
Ote à l'ame captive et la famme et la vie.
Avec la liberté , qui ne l'inspire plus ,
La gloire fuit ses chants à la faveur vendus.
L'autre , altéré du gain plus que de renommée
Trafique des chansons d'une Muse affamée ,
Et se laissant conduire à son avide espoir ,
L'encensoir à la main suit l'or et le pouvoir.
Le talent que dévore une ardeur mercenaire
Est tel que l'arbrisseau captivé dans la serre ,
Et qui , se nourrissant de factices chaleurs ,
Donne un pâle feuillage et de stériles fleurs .
D'une ardeur éphémère il s'allume et fermente ;
Dans ses canaux filtrée une sève indigente ,
N'apporte à ses rameaux qu'un suc infructueux .
Oh ! qu'il purge Hélicon de son aspect honteux ,
Le lâche qui des arts souillant le sanctuaire ,
Prostitue à Plutus un encens adultère !
Toi ! si pour ton génie il est un avenir ,
Respecte-le toi - même , et crains de le ternir .
Feras-ta ,
JANVIER 1806- 5 .
Feras-tu , dans les Cours , que ta voix importune ,
Ramper la flatterie aux pieds de la fortune ?
Crois-tu d'un Crassus souffrant que l'indigne appui,
Le Dien qui t'inspiroit s'abaisse jusqu'à lui ?
Malheureux ! connois- tu la chaîne qui te lie ?
Il faut à tous ses goûts que tôn ame se plie ,
Qu'elle épouse la sienne , obéisse à sa voix.
Bientôt , à ta pensée il va dicter des lois ,
Ason génie étroit asservir ton génie
Il s'enorgueillira de ta gloire ternie;
De tes lauriers flétris il voudra se parer ;
Et, fier de t'avilír , il croira t'honorer .
Ah ! si d'un protecteur l'appiri t'est nécessaire ,
Crois-moi, cherch nami , mais un ami sincère;
A ton libre génie il pourra pardonner.
Il donne ses bienfaits ; lui seul sait les donner ;
Lui seul de sa grandeur sait oublier la trace .
Le favori d'Auguste étoit l'ami d'Horace ;
Et par cette amitié , plus que par sa grandeur,
Avoit acquis le droit d'être son bienfaiteur.
Mais dans ce siècle avare où trouver des Mécènes ?
Non , non ; fuis des bienfaits qui deviennent des chaîn
Des ennuis trop réels sous des biens apparens .
Protégé , diras-tu , da suffrage des grands ,
Tu verrois aussitôt mille voix mercenaires ,
De ce suffrage vain mille échos tributaires ,
Du bruit de leur louange enfler ta gloire. Non .
Crains ce bruit dangereux , crains ce frêle renom ,
Qui fuit comme l'éclair sans laisser de mémoire.
Peut-être moins vanté , mais avec plus de gloire ,
Moins envié sans doute avec plus de bonheur ,
Tu vivras , mourras libre ; et c'est là ta grandeur,
Mais follement épris d'une que éclatante ,
Si tu poursuis au loin sa faveur inconstante,
Toujours loin de toi-même emporté dans son cours
Tu vas en un vain songe égarer tes beaux jours.
Détrompé , mais trop tard , à la retraite obscure
Tu viens redemander la paix et la nature,
cen
114 MERCURE DE FRANCE ,
Et rentré dans la vie au point de la quitter ,
N'entrevois le bonheur que pour le regretter .
Trop heureux si ton ame à soi-même rendue ,
Pouvoit , en recouvrant sa dignité perdue ,
Se rallumer encore au déclin de tes ans ,
De ces jeunes ardeurs foyer des grands talens ;
De ton hiver du moins éternisant le reste ,
Venger de ton printemps l'égarement funeste ;
Et déplorant ces jours éclipsés pour jamais ,
Trouver dans l'avenir le prix de tes regrets !
Voltaire , ce génie aux aîles étendues ,
Qui, s'ouvrant dans les arts des routes inconnues ,
Dans leur empire immense étoit fait pour régner ,
Crut trop à ces faveurs qu'il devoit dédaigner .
Il pense , fatigué des lenteurs de sa gloire , II
Håter par
A ses yeux
les honneurs l'éclat de sa mémoire
éblouis les honneurs sont offerts ;
On lui promet la gloire , on lui donne des fers.
Loin de sa liberté , qu'il outrage et qu'il aime ,
Il ne se trouve plus ; il a fui de lui-même ;
Son coeur s'est dépouillé de ses nobles transports ,
Et son esprit aux fers sent languir ses ressorts .
La voix de la raison frappe alors son oreille ;
D'un long rêve aussitôt son ame se réveille ;
Cet éclat , ces honneurs , qu'il a trop expiés,
Fantômes du sommeil , il les foule à ses pieds.
Il fuit ; et loin des Cours , au sein de la retraite ,
Va respirer l'oubli d'une vie inquiète, quand
Goûter la paix des champs , des hois silencieux.
La gloire et le bonheur l'attendoient en ces lieux.
Sur des monts écartés retrouvant son génie ,
Il rend à ses destins son ame rajeunie.
Il vit pour l'univers : la raison à sa voix
Des peuples éclairés passe au conseil des rois :
Il proclame son culte ; et vengeant ses outrages ,
Ce génie immortel dans le long cours des âges
S'avance , encore armé de son flambeau vengeur
Et
(2)Isse
devant
lui le faux jour de l'érreur
(2 ).
convenu de dire la nuit de l'erreur , comme on dit la nuit
de l'ignorance . L'ignorance et l'erreur ne sont cependant pas la même
JANVIER 1806. 115
Tel aux murs de Plancus près d'apporter ses ondes ,
Que destine son urne à leurs rives fécondes,
Le Rhone impétueux , égaré dans son cours ,
Semble au sein de la terre englouti pour toujours.
Mais bientôt , ramenant ses flots à la lumière ,
Plus calme , il s'agrandit dans sa libre carrière ,
Et conrt , bordé de fleurs , de fruits , de pampres verte
Du tribut de son onde enorgueillir les mers ( 3 ) .
LE COIN DU FEU.
POINT d'ennuyeux causeur , de témoin importun;
Lui seul de ma maison exacte sentinelle ,
Mon chien , ami constant et compagnon fidèle ,
Prend à mes pieds sa part de la douce chaleur .
Et toi charme divin de l'esprit et du coeur ;
Imagination , de tes douces chimères
Fais passer devant moi les figures légères !
A tes songes brillans que j'aime à me livrer !
Dans ce brasier ardent qui va le dévorer ,
Par toi ce chêne en feu nourrit ma rêverie :
Quelles mains l'ont planté ; quel sol fut sa patrie ?
Sur les monts escarpés bravoit - il l'aquilon ?
Bordoit-il le ruisseau ? Paroit-il le vallon ?
Peut-être il embellit la colline que j'aime ?
Peut-être sous son ombre ai-je rèvé moi- même ?
Tout-à-coup je l'anime : à son front verdoyant
Je rends de ses rameaux le panache ondoyant ,
Ses guirlandes de fleurs , ses touffes de feuillage ,
Et les tendres secrets que voila son ombrage.
(Fragment du poëme de l'IMAGINATION
par M. Delille.
chose . L'une nous laisse dans les ténèbres , et ne nous égare point'
l'autre nous donne des lumières trompeuses , et nous éclaire pour nous
égarer. Il sembleroit donc plus juste de dire la nuit de l'ignorance
et le faux jour de l'erreur. (Note de l'auteur.)
( 3) Avant de baigner les murs de Lyon , et les campagnes charmantes
qui l'entourent , le Rhône se perd tout entier , à quatre lieues
de Genève , disent les géographes , sous une voûte immense de rochers ,
d'où il sort ensuite près du pont de Grezin . Mais les géographes se
trompent ; c'est à six ou sept lieues de Genève , à deux lieues au- dessous
du pont de Grezin , que commence ce qu'on appelle dans le pays
perle du Rhône. (Note de l'auteur. )
N. B. Nous examinerons ces deux pièces de vers dans un prochain
Numéro.
Fa
la
116 MERCURE
DE FRANCE
,
ENIGM E.
DANS un double et sombre parterre ,
Eclairé de rayons divers ,
J'allume une soudaine guerre
Entre deux amis que je sers.
J'intéresse dans leurs querelles
Un grand nombre de demoiselles ,
Qui font mille cris éclatans .
Cependant toute la dispute
Finit entre les combattans ,
Par la bizarre culbutte
Des restes d'un squelette affreux
Brusquement sortis de leurs creux .
LOGOGRIPHE.
ASILE frais et pacifique ,
Je résonne souvent d'une tendre musique.
Si l'on m'ôte un membre à trois pieds ,
Il me reste deux parts faciles à connoître :
Par l'une que de gens noyés !
Et pour l'autre , que de gens qui s'exposent à l'être !
CHARAD E.
L'ASPECT de mon premier réjouit la nature ,
Montre des prés fleuris l'élégante parure, …
Ranime les oiseaux, dont le groupe joyeux
D'innombrables concerts fait retentir les cieux ;
Son approché est toujours annoncée au village
Par les chants de l'oiseau symbole du courage ,
Et l'agricole alors , indigné d'être 'oisif,
Regagne ses guérêts d'un pas lourd et tardif.
Mon second est pour tous une scène commune-♪
Quels que soient des mortels le rang et la fortune ,
Tous viennent y jouer un rôle infortuné ,
Et disparoissent tous dès qu'il est terminé.
Mon tout est de la France une petite ville .
Devine , cher lecteur, ce n'est pas difficile.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Conscience.
Celui du Logogriphe est Brochet , où l'on trouve roc
rochet, broché, or, bec , cor, troc.
Celui de la Charade est Franche- Comté,
• Roch (saint),
JANVIER 1806.
117
•
SÉANCE DE L'INSTITUT NATIONAL , DU 2 JANVIER.
Eloge de M. Séguier , premier avocat - général du roi
au parlement de Paris , et l'un des quarante de
l'Académie française ; par S. E. M. Portalis , Ministre
des Cultes , membre de l'Institut national ,
grand-cordon de la Légion d'Honneur , etc. , etc.
Broch. in-8°. Prix : 1 fr. , et 1 fr. 25 c. par la poste .
A Paris , à la Librairie STEREOTYPE de Nicolle
et Compe , rue des Grands - Augustins , nº 15 ;
et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint Germain -l'Auxerrois , nº 17 .
L'ÉLOGE
ÉLOGE de M. Séguier demandoit un orateur
qui , sous le double rapport des personnes et des choses
, pût répondre à la gravité , à l'étendue et à la variété
d'un tel sujet . Un nom cher et respecté dans la
république des lettres , après avoir été grand et illustre
dans la carrière des lois ; des fonctions sévères et des
talens aimables ; l'exercice de la parole dans la direction
des jugemens et dans le ministère de la morale ;
le penchant à encourager les lumières , avec le devoir
de réprimer les écarts ; enfin , une longue magistrature
, des questions immenses , des temps orageux ,
une révolution effrayante qui s'annonce , se précipite
, éclate , et entraîne avec elle la puissance de
l'état et la destinée des individus , la justice et les
justiciables , les princes et les peuples , les trônes et
les autels , voilà ce qu'avoit à résumer dans son discours
celui à qui seroit dévolu le panegyrique du
dernier avocat -général du roi au parlement de Paris.
M. Portalis , par son caractère public et privé , par
3
118 MERCURE
DE FRANCE
,
"
la diversité de mérites et la richesse de moyens qu'on
l'a vu déployer successivement au barreau , à la tribune
, dans le ministère auguste dont il est aujourd'hui
revêtu , a paru spécialement désigné pour remplir
cette tâche honorable. Elle appartenoit en effet
à l'orateur du Code civil confondu avec le régulateur
du culte divin. La justice a son sacerdoce , comme la
religion a le sien ; et l'on peut dire que l'un et l'autre
se touchent , puisque l'équité souveraine est le premier
attribut de l'Etre suprême , comme le premier
devoir qu'il impose à ceux qui le représentent sur la
terre par leur puissance .
Si une grande attente avoit été conçue , une grande
attente a été justifiée . On y admire , dans l'éloge de
M. Séguier , une égalité imposante entre l'impor
tance du sujet et la force de celui qui le traite ;
une abondance précieuse , parce qu'elle est de choses
bien plus que de mots ; un style pur , correct , trèsvigoureux
et cependant très- clair , ce qui devient trèsrare
; des sentimens tous empreints de bonne foi ; ce
qui devient plus rare encore ; des pensées générale
ment justes , très -souvent profondes , et toujours
dirigées vers le bien . L'analyse y est exacte , la louange
noble , la discussion animée , l'instruction salutaire .
Entre les travaux du magistrat qu'on célèbre , et les
principes de l'orateur qui le loue , règne un accord
puissant qui , pour ainsi dire , les féconde et les
renforce l'un par l'autre . Enfin , un caractère éminent
de cette belle production , c'est , depuis la première
jusqu'à la dernière ligne , une impartialité , une
dignité indépendantes de tous les partis et de toutes
les époques . On se souvient , en la lisant , de ces élo
quentes et généreuses opinions , qui, portées du Conseil
des Anciens à la connoissance de l'Europe en-
, y firent partout honorer et chérir le nom de
tière ,
M. Portalis.
Il a manqué à ce discours d'être proféré par celui
qui l'avoit dicté . Il a manqué à la lecture un organe
JANVIER 1806.
119
4
qui pût en soutenir toute la durée sur le même ton.
On a même pu croire quelquefois , à l'hésitation du
lecteur , que ses yeux n'étoient pas assez familiarisés
avec le manuscrit remis entre ses mains. Malgré ces
inconvéniens , qui , à la vérité , n'ont été bien sensibles
que vers la fin de la séance , la lecture du discours
a été continuellement interrompue par les applaudissemens
les plus vifs , par des applaudissemens réitérés
sur les mêmes passages , et qui , nous aimons à le
dire , n'étoient pas seulement , ou le témoignage de la
satisfaction , ou l'hommage de l'admiration , mais l'élan
de la conscience et de la reconnoissance publiques .
Ainsi , après le beau morceau sur l'indépendance nécessaire
des tribunaux et des avocats ; après la proclamationde
cette vérité incontestable que l'éloquence,
ainsi que toutes les robles facultés de l'homme , ne
peut pas exister sans la liberté ; après la juste et sage
définition de cette liberté qui ne doit avoir de bornes
que celles posées par la loi , mais qui doit finir où
la loi commence ; après le compte rendu des beaux
réquisitoires de M. Séguier contre le Système de la
Nature , et autres ouvrages également monstrueux ;
sur - tout après le morceau d'inspiration dans lequel
le ministre des cultes a foudroyé la doctrine calamiteuse
des matérialistes et des athés , la salle a retenti
d'acclamations et d'applaudissemens , qui se sont renouvelés
deux et trois fois avant que la lecture pût
être reprise.
Les bornes d'un journal ne nous permettent pas
une analyse aussi détaillée que nous nous plairions à
la faire , d'un discours qui d'ailleurs doit être lu en
entier . Nous allons le parcourir rapidement , avec la
double intention de rendre hommage tout à -la-fois et
au magistrat qui en a été l'objet , et à celui qui est
l'auteur de l'Éloge. Ni la mémoire du premier , ni la
sensibilité du second ne seront offensées , si parmi
tant de témoignages de notre assentiment et de notre
admiration , il nous arrive quelquefois de mêler la
4
120 MERCURE
DE FRANCE
,
2
controverse à la louange . La franchise de l'une garantira
la sincérité de l'autre , et nous serons d'autant
plus dignes de les célébrer , que nous répéterons avec
plus de fermeté :
Amicus Plato , maģis amica veritas.
Antoine - Louis Séguier naquit à Paris le 1er dé-
» cembre 1726 , d'une famille illustre et ancienne...
» Ses aïeux lui avoient transmis un riche héritage
de science et de vertu . » Si , dans nos principes
dit M. Portalis , qui refusent tout à la vanité , et qui
n'encouragent que le mérite , on peut parler encore
de la naissance comme d'un avantage réel , c'est
quand elle perpetue , en faveur de ceux qui peuvent
S'en prévaloir , des souvenirs honorables qui élèvent
lame, et la préparent aux grandes choses. C'est une
famille illustre: en effet , qu'une famille qui , pendant
trois siècles de services publics , a fourni un chancelier
et un garde ' des sceaux de France , cinq présidens à
mortier , deux lieutenans- civils , trois avocats-généraux
, treize conseillers ' au parlement de Paris , sept
maitres des requêtes , un ambassadeur , et plusieurs
militaires tués les armes à la main. C'est une famille
illustre qui , dans ce chancelier , montre l'ami et le
protecteur des lettres , re , le bienfaiteur du
genre humainen même temps que le chef de la magistrature
française ; qui , dans un de ces présidens , offre
à l'Eglise et à la nation gallicanes celui par qui elles
' ont été préservées de l'inquisition ( 1 ) ; qui , dans un
de ces conseillers , rappelle au coeur des Parisiens
(1) Pierre Séguier , avocat -général au parlement de Paris
en 1550 ; président à Mortier en 1554 ; l'une des plus brillantes
lumieres du temple des loix , est-il dit dans l'Eloge
des Doctes Français ; premier commissaire dans les diffĕrends
du pape Jules III et du roi Henri II ; premier député de
Charles IX pour la conclusion de la paix et la démarcation
des limites entre la France et la Savoye , auteur d'un traité de
Connoissance de Dieu et de soi- même , etc.
JANVIER 1806. 121
le père de leurs orphelines ( 1 ) , et dans un autre
rappelle au coeur de tous les Français le magistrat
choisi par leur Henri IV ,tantôt pour lui ramener
ses sujets égarés par la rebellion , tantôt pour
secourir ses villes affligées d'une contagion au milieu
de laquelle ce magistrat-héros meurt lui - même ,
martyr de son dévouement et rival de la bienfaisance
de son maître adoré (2 ) . Une telle illustration est en
effet un avantage réel. De tels souvenirs élèvent l'ame
en effet , et la préparent aux grandes choses. Le service
de l'état s'y trouve donc intéressé autant que la
gloire des particuliers. Il faut reconnoître ici que le
respect de la vertu ne peut pas exister sans le respect
des races qui l'ont éminemment pratiquée , ni l'amour
de la patrie sans la reconnoissance envers les familles
qui ont bien mérité d'elle. Il faut , en remontant à la
Source de toute justice et de toute sagesse , répéter cet
oracle de l'Ecriture : Les générations des hommes
justes seront bénies (3) . En redescendant aux autorités
mortelles ; en séparant ces priviléges politiques ,
abandonnés aux caprices , aux inconstances et aux
révolutions humaines , de ces droits indestructibles de
l'opinion et de la vérité , il faut dire ici avec Boileau :
La noblesse , Dangeau , n'est point une chimère.
Ce qui n'empêche pas de. dire ensuite avec Voltaire
Qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux .
-
(1) Antoine Séguier , lieutenant - civil et conseiller d'état
en 1586 ; avocat- général au parlement de Paris en 1587 ; président
à Mortier en 1597 ; ambassadeur à Venise en 1598 ; a
Templi Paris de ses aumônes et de ses fondations ; a institué
notamment l'Hôpital de la Miséricorde pour l'éducation de
cent pauvres filles orphelines.
(2) Jean Séguier , conseiller au parlement , maître des.
requêtes , lieutenant- civil , sous Henri III et Henri IV. Jean
étoit le troisième frère de Pierre Séguier , second du noïn
président à Mortier en 1576 , mort en 1607 après avoir servi
quatre rois , et aïeul du chancelier de France.
(3) El generatio rectarum benedicetur.
122 MERCURE DE FRANCE ;
Combien de questions ont été débattues avec fu→
reur , sur lesquelles il eût été facile de s'entendre , si
des deux côtés on eût voulu consentir et à faire la
part de la vérité , et à reconnoître l'empire de la nécessité
; si l'on se fût accordé , les uns , pour ne plus
défendre avec un ridicule odieux des prétentions aussi
futiles qu'injustes , les autres pour ne pas s'obstiner ,
avec un acharnement stupide , à faire disparoître ce
qui ne peut être détruit qu'avec la mémoire , la pensée
et le coeur de l'homme ! Il étoit digne de M. Portalis
, qui joint le meilleur esprit à l'esprit le plus
étendu , de donner à ces vérités le signal de se rencontrer
. Au nom de la société entière , nous le remercions
d'avoir rendu hommage aux savans , aux vertueux
, aux illustres aïeux de M. l'avocat - général
Séguier. Nous le remercions d'avoir bien marqué le
terme de ces conceptions délirantes , qui prétendirent
, il y a quinze ans , arranger le monde comme
si rien ne s'y étoit passé avant l'année 1790 , et comme
si toute la génération qui couvroit alors la terre étoit
sortie , la veille , des pierres de Deucalion : Unde
homines nati , DURUM GENUS ( 1 ).
Né avec les dispositions les plus heureuses , déve
loppé par une éducation telle que les Jésuites savoient
la donner, M. Séguier parut au barreau avec des talens
précoces. Avocat du roi au châtelet , à l'âge de
22 ans , en 1748 ; il devint avocat-général au grand
conseil en 1751 , et alla bientôt remplir le même ministère
au parlement de Paris , à cette première cour
du royaume , qui , selon la belle et féconde expression
de M. Portalis , étoit dépositaire de la tradition
entière de l'état. Là, M. Séguier fut à sa place ; là,
il devint l'homme de la loi et l'orateur de la patrie.
Quelles idées ! quelle définition ! Comme ce petit
nombre de mots nous a peint là hauteur du tribunal ,
(1) Ovide.
་་་ ་
JANVIER 1806. 123
le personnel du magistrat , la dignité , l'importance et
les devoirs de son emploi !
•
Cet emploi , devenu si grand dans ses développemens
, si sacré dans son objet , l'orateur s'étonne de
le trouver purement fiscal dans sa naissance. « Le
>> croiroit-on ? l'établissement d'une partie publique
» doit son origine à des principes de fiscalité . » En
effet , à ces époques reculées où le suzerain étoit
presque toujours en état de guerre avec ses vassaux ,
et le prince avec ses sujets , même dans les premiers
temps qui ont suivi le triomphe immodéré d'une
puissance vindicadive , ombrageuse et avide , le mot
seul de fiscalité présentoit avec lui quelque chose de
sordide , d'injuste , d'odieux . Pour le fise de ces tempslà
, défendre c'étoit attaquer , conserver c'étoit envahir.
Avec les progrès de la civilisation on vit naître
et s'établir des idées plus saines , des principes plus
purs , des procédés plus justes et plus généreux . Les
procureurs du fisc sentirent que le domaine du prince
devoit être défendu comme celui de tous les citoyens ,
mais qu'il devoit être défendu tout entier , et que la
plus noble partie de ce domaine étoit la distribution
de la justice à ses sujets , et le maintien scrupuleux :
de toutes leurs propriétés. On sut que l'intérêt du
souverain et celui du peuple devoient s'identifier ,
loin d'ètre opposés l'un à l'autre ; qu'on ne peut ni
appauvrir le peuple sans appauvrir le souverain , ni
blesser une seule propriété sans blesser du même coup
toutes les autres . On vit les procureurs du prince
conclure eux - mêmes au rejet de demandes qu'ils
avoient formées en son nom , parce qu'ils avoient.
reconnu pendant l'instruction du procès qu'elles.
n'étoient pas fondées en droit ; et les fiscaux qui ,
par des chicanes aussi mal- habiles que honteuses , vouloient
tout réduire en domaines , parurent plus mal- .
faisans et aussi ridicules que nous l'a paru depuis ce
personnage de la scène , qui vouloit mettre tout le
royaume en ports de mer. Cependant , après avoir
•
$24 MERCURE DE FRANCE ,
donné un défenseur au fisc, on avoit créé un officier
pour défendre les églises et les mineurs , pour protéger
l'innocence , pour rechercher et poursuivre le
crime . Ainsi ( dit M. Portalis ) nacquit cette
grande et belle institution , connue sous le nom de
» ministère public , qui a préservé nos gouvernemens
» modernes de cette foule de délateurs devenus les
» fleaux des familles et de l'état sous les empereurs
de l'ancienne Rome ; cette institution qui , sur tous
» les points d'un vaste empire , donne un organe
» la loi , un régulateur à la jurisprudence , un appui
» consolant à la foiblesse opprimée , un accusateur
à
redoutable au méchant , une sauve-garde à l'intérêt
» général contre les prétentions toujours renaissantes
» de l'intérêt particulier ; enfin , une sorte de repré-
> sentant au corps entier de la société . »
Après cette belle définition d'un ministère sublime
, le panégyriste de M. Séguier va nous montrer
comment ce magistrat l'a rempli , comment il s'est
élevé à la hauteur de ses fonctions aussitôt qu'elles
lui eurent été confiées .
Ce ne sera pas sans nous avoir fait parcourir la
succession des temps qui ont précédé celui de M. Séguier
, sans nous avoir montré , dans deux tableaux
également instructifs et intéressans , d'un côté la
marche et les progrès de l'éloquence judiciaire en
France , de l'autre l'épurement et le perfectionnement
de la jurisprudence elle- même .
Dans le premier de ces tableaux , passent en revue
chacun avec le caractère qui lui est propre , les le
Maltre, les Patru , Terrasson , Cochin ; le grave.
et savant Lamoignon se délassant dans ses entretiens
avec Boileau , délassemens précieux qui cultivoient
son goût et ornoient sa raison ; le président
le Pelletier faisant élever ses enfans par ROLLIN , le
restaurateur des bonnes études et l'instituteur de la
France ; enfin cet illustre , ce vertueux , ce religieux;
d'Aguesseau , aussi bon littérateur que grand magisJANVI
E R. 1806 . 125
trat , qui opéra dans le langage des lois la même révalution
que Fontenelle a opérée dans celui des sciences.
II
Le second tableau , frappant de profondeur , de
justice et de justesse , nous découvre la philosophie
étendant partout son influence salutaire , et agissant
sur le fonds même de la legislation et de la jurisprudence.
Il nous présente ensuite CUJAS, longuement
et laborieusement occupé à ramasser des trésors , qu'il
enfouissoit au moment même où il les avoit recueillis.
DOMAT , plusphilosophe qu'on nepense , osant concevoir
et sachant exécuter le projet de réunir en corps et
de placer en ordre toutes les lois naturelles et civiles.
Enfin paroît cet homme , qui n'est plus de la mesure
des autres hommes , MONTESQUIEU , ayant reçu du
ciel les balances d'orpour peser la destinée des em
pires. Quelle image ! et combien celui qui l'a conçue
est digne de louer celui par qui elle est inspirée ! Ici ,
nous nous sentons également pressés par l'espace , par
le temps , par l'hésitation à choisir entre des phrases
qui sont toutes à citer . Le lecteur doit recourir à
Fouvrage même , et probablement ne sera plus tenté
de reprendre la suite de notre analyse .
།
+
C'est donc après cette révolution dans la langue , et
pendant cette révolution dans l'esprit des lois ; c'est
quand cette raison supérieure qui agrandit les idées ,
inspiroit partout la meilleure manière de les expri
mer; c'est lorsque les discours des LA CHALOTAIS ,
des MONCLAR , des DUDON , des CASTILLON , des
SERVAN , répandus dans les parlemens de provinces ,
devenoient des modèles pour la capitale même , que
s'ouvrit à Paris la carrière de M. l'avocat -général
Séguier. Son intervention dans les affaires des particuliers
, sa surveillance immédiate dans les affaires générales
formoient la division naturelle du compte
qu'avoit à rendre son panégyriste.
*
(La suite dans le prochain numéro.
"
6a
$126 MERCURE DE FRANCE ;
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
Le Théâtre Français a donné cette semaine la première
représentation de la reprise de Manlius Capitolinus , tragédie
de Lafosse. Cette pièce , représentée pour la première fois
le 18 janvier 1698 , est trop connue pour avoir besoin d'une
analyse détaillée ; elle a été souvent remise au thỏâtre , et
n'y a jamais obtenu qu'un succès d'estime. En voici les raisons
déduites par Voltaire avec évérité , avec dureté même ,
avec ce ton de plaisanterie qui déshonore trop souvent ses
critiques , mais cependant avec justice. « Je viens de lire
» Manlius , écrivoit- il en 1751 ; il y a de grandes beautés ,
» mais elles sont plus historiques que tragiques ; et à tout
» prendre , cette pièce ne me paroît que la Conjuration de
» Venise , de l'abbé de Saint-Réal , gâtée . Je n'y ai pas
» trouvé , à beaucoup près , autant d'intérêt que dans l'abbé
» de Saint- Réal : 1 ° la conspiration n'est ni assez terrible , ni
» assez grande , ni assez détaillée ; 2º Manlius est d'abord le
» premier personnage , ensuite Servilius le devient ; 3 ° Man-
» lius , qui devroit être un homme d'une ambition respec-
1
table , propose à un nommé Rutile ( qu'on ne connoît pas
» et qui fait l'entendu sans avoir un intérêt marqué à tout
» cela ) de recevoir Servilius dans la troupe , comme on re-
» çoit un voleur chez des Cartouchiens. Cela est intéres-
» sant dans la Conspiration de Venise , et nullement vrai-
» semblable dans celle de Manlius qui doit être un chef im-
» périeux et absolu ; 4° la femme de Servilius devine , sans
» aucune raison , qu'on veut assassiner son père , et Servilius
» l'avoue par une foiblesse qui n'est nullement tragique ;
» 5° cette foiblesse de Servilius fait toute la pièce , et éclipse
JANVIER
127
1806.
» absolument Manlius qui n'agit point , et qui n'est plus lä
» que pour être pendu ; 6° Valérie qui pourroit deviner ou
» ignorer le secret , qui , après l'avoir su , pourroit le går-
» der ou le violer , prend le parti d'aller tout dire et de faire
» son traité, et vient ensuite en avertir son imbécille de mari.
» qui ne fait plus qu'un personnage aussi insipide que Man-
» lips ; 7° autre événement qui pourroit arriver dans la pièce.
» ou n'arriver pås , et qui n'est pas plus prévu, pas plus contenu
» dans l'exposition que les autres , le sénat manque honteusement
de parole à Valérie ; 8° Manlius une fois condamné
» tout est fini ; tout le reste n'est encore qu'un événement
» étranger qu'on ajoute à la pièce comme on peut. » Quoi
qu'en dise M. de La Harpe dans son Cours de Littérature ,
ces observations sont vraies en général ; il n'y a de faux que
la conclusion qu'en tire Voltaire : « Je ne sais si je me trompe,
mais j'ose croire que la pièce de Rome sauvée a beaucoup
» plus d'unité , est plus tragique , est plus frappante et plus
>> attachante. » Sous tous ces rapports Manlius est fort su
périeur à Rome sauvée. L'expérience du théâtre l'a cons
tamment prouvé et le prouvera encore , si , comme on l'annonce,
les comédiens s'occupent de la remise de cette pièce.
Ce qui nuit, en général , à toutes ces tragédies dont le sujet
* est une conspiration , c'est que le poète est obligé de jeter
tout l'intérêt sur les conspirateurs , et par conséquent sur le
crime; necessité malheureuse qui le force à violer une des lois
fondamentales de l'art dramatique. Corneille , dans Cinna ,
force de génie, est parvenu à triompher de cet obstacle; mais ce
défaut nuira toujours au succès de Catilina , de Rome sauvée, de
la Mort de César , de la Conjuration de Venise , et de Manlius
même, quoique cette dernière pièce renferme de fort belles
scènes. La plus tragique est celle, où Manlius , qui a répondu
de Servilius comme de lui-même , instruit que la conspiration.
est découverte par sa faute , vient le trouver , tenant à la
main la lettre de Rutile. « Ceux, dit M. de La Harpe , qui
1
128 MERCURE DE FRANCE ,
» ont vu jouer ce rôle à l'inimitable le Kain , se rappellent
encore quelle terreur son visage répandoit dans toute l'as-
» semblée , au moment où il paroissoit au fond du théâtre ,
» fixant les yeux sur Servilius. Talma a produit aussi un
très-grand effet dans cette scène , et a bien joué tout le rôle .
C'est un de ceux qui lui fait le plus d'honneur. Saint-Prix qui
l'avoit joué , en 1788 , avec succès , remplit aujourd'hui
moins heureusement celui de Rutile. Les autres rôles ont été
p'us que foiblement rendus. Damas , toujours voisin de l'exa
gération, charge celui de Servilius. Mlle Fleuri et Naudet ont
fait rire.
On remarque que les seules pièces qui attirent en cé
momeut du monde au Théâtre Français , sont : Horace.
Esther , et le Bourgeois- Gentilhomme. Cette observation qui
fait honneur au goût du public , n'est pas. très- encourageante
pour nos auteurs modernes. Ils n'en paroissent pas cependant
très - effrayés ; car on parle de la prochaine représen
tation de deux nouvelles tragédies , la Mort de Henri IV ,
et Pyrrhus. La première de ees pièces est de M. Legouvé . On
parle aussi d'une pièce intitulée Joseph. Mlle Duchesnois doit
jouer incessamment le rôle de Cornélie dans la Mort de Pompée.
On annonce aussi la prochaine rentrée de Monvel , par
le rôle d'Auguste dans Cinna.
-L'Académie Impériale de musique a remis l'opéra de
Dardannus , et le ballet de la Chercheuse d'esprit . Mais les
amateurs de ce théâtre ne méritent pas le même éloge que
ceux du Théâtre Français. Ce n'est point , en effet , la belle
musique de Sacchini qu'ils ont été entendre , toute leur admi
ration est réservée à Duport , qui a dansé dans l'opéra et dans
le ballet . Ce théâtre s'occupe en ce moment des préparatifs
de la fête qui doit y avoir lieu au retour de LL. MM . On
décore la porte d'entrée destinée à la famille impériale . La
fête se composera de chants héroïques et de ballets. Les ballets
JANVIER 1806. 129
lets seront de la composition de M. Gardel , le poëme de
M. Esménard...
Les comédiens italiens du théâtre Louvois n'ont donné
aucune nouveauté cette semaine. Les comédiens français du
même théâtre en ont donné une qui n'a obtenu et ne méritoit
aucun succès ; c'est une comédie en trois actes , intitulée
Augustine. Au bruit des murmures et même des sifflets ,
Picard , qui avoit joué dans cette pièce , est venu nommer les
auteurs. Ce sont MM. Joseph Pain et Bilderbeek .
Le premier début de Mlle Esther Severin au théâtre de
la rue Feydeau , dans l'Opéra- Comique et le Prisonier , n'a
pas été heureux. M. Despéramons a repris les siens avec succès.
On annonce comme très -prochaine la première représentation
des Deux Aveugles de Tolède et la reprise de
Sargines.
Le théâtre de la Porte Saint-Martin vient de perdre
une de ses premières danseuses , Mlle Santiquet , morte le
14 Janvier , à l'âge de 16 ans . On promet aux nombreux amateurs
des mélodrames une nouvelle pièce de ce genre , intitu
lée : Frédéric à Spandau , et on a donné u e comédie nouvelle,
Deux Filles pour Une. Le dernier mélodrame représenté avec
succès sur ce théâtre , a pour titre : Caroline et Dorville , ou
-la Bataille des Dunes . Les paroles sont de M. Leroi , la musique
de M. Demorange . Toutefois il est juste d'observer que
le véritable auteur d'un melodrame n'est point l'auteur des
paroles , ni même celui de la musique , mais le metteur en
scène; et c'est M. Aumer qui a mis en scène la Bataille des
Dunes.
•
de
-On ignore encore ce que deviendra Brunet . Si, d'un côté ,
l'on assure qu'il est définitivement engagé pour la somme
vingt mille francs au théâtre dont il fait la gloire , de l'autre
M. Foignet , directeur des Jeunes Artistes , affirme que ledit
Brunet a signé un engagement avec lui . S'il étoit encore
temps , et si l'on pouvoit se permettre de donner un conseil
à ce grand artiste , nous lui dirions :
L'enseigne fait la chalandise.
Ι
130 MERCURE DE FRANCE ;
M. Grimod de la Reynière vient de faire paroître le
premier numéro du Journal des Gourmands et des Belles.
M. C. Claudon , peintre célèbre , vient de mourir à
Nancy.
J
B. G. Sage commencera son cours de chimie et de minéralogie
, le 10 janvier , à midi , dans le laboratoire de la
première école des mines , à la Monnoie.
-
. ג י
Depuis dix jours , la mollesse constante de l'atmos
phère a occasionné ou décidé beaucoup de rhumes et de catarres
, qui , presque tous , ont été accompagnés d'affection
gastrique , de prostation de forces et de métastase laringei.
Cette incommodité , dont on ne plaint pas assez les victimes ,
est plus grave qu'on ne pense , quoique la haute médecine
paroisse en avoir dédaigné le traitement. Etablissons -en d'abord
les symptômes. Le malade éprouve tout à- coup , sans
prélulé et sans cause apparente , une douleur de tête avec sentiment
de pesanteur , comme d'un liquide épanché et coulant
dans la cavité centrale , envie de vaumir , pouls febrile , roideur
douloureuse dans toutes les articulations . Bandeaux de
larmes dans les yeux , engorgemens dans les sinus frontaux ,
écoulement d'une liqueur âcre par les narines. Bientôt l'orétisme
augmente , la fièvre s'allume , les facultés digestives se
dépravent; enfin arrive un relâchement complet. Les moyens
Seuratifs sont , en raison des symptômes les plus prononcés ,
Fémétique s'il y a haute gastricité , les boissons délayantes
et chaudes, quelquefois les acides légèrement spiritueux , les
fumigations aromatiques , quelquefois aussi les lavemens stimulans
pour porter sur le tube intestinal l'irritation dirigée
vers les premières voies . C'est alors qu'il convient d'user
d'une diète sévère, de se tenir dans un lit chaud, et de changer
souvent de linge , s'il y a transpiration. A mesure que les
phénomènes diminuent d'intensité , on peut se relâcher sur
la diète , mais on continuera de boire et d'user de lavemens.
Cette affection , comme toutes les autres , à son commence-
+
JANVIER 1806.. 131
1
ment, sont incrementum , et sa fin ; peut- être même seroit - il
dangereux de cumuler ces trois périodes. On peut en modifier
les crises , mais qu'on se garde bien de les empêcher.
Une autre réflexion se présente ici naturellement ; c'est au
changement trop soudain de température , que l'on doit les
rhumes. Vaudroit - il mieux se tenir enfermé tout l'hiver auprès
de son feu ? Non , sans doute. Les alternatives de froid
et de chaud déterminent la coction des humeurs , et sans
elle , on éprouveroit de graves maladies au lieu de simples in
commodités . Cette réponse s'adresse à ceux qui demandent
s'il y a des préservatifs contre le rhume.
( Gazette de Santé , du 11 janvier. )
MODEs du 16 janvier. Naguère on ne voyoit presque que des
robes rose , au bal de l'Athénée ; aujourd'hui , ce sont les robes lilas qui
dominent elles sont toujours en crêpe, et le corset en satin blanc. :
On a remarqué , sur une robe blanche , un corset de velours pourpre,
lacé derrière , avec une garniture de robe , et des raies dé manches de la
même étoffe.
´´Il y a quelques robes de danseuses , faites à l'enfant , que trois noeuds
de rubans ferment sur le dos .
Les robes sur lesquelles on ne met pas de corset d'une autre couleur ,
ont une écharpe blanche houée sur le côté.
Les couturières profitent de l'écharpe pour faire reprendre la mode
des Psychés , espèce de robes qui ne laissent voir qu'un côté de la gorge .
Leur Psyché commence à l'épaule droite , et vient se perdre sous le sein
gauche , où l'écharpe se noue.
On citoit , jeudi dernier , comme un modèle de simplicité , un costume
de bal qui consistoit en une robe bleu de ciel , et en deux gros bouquets
-de roses blanches . Une guirlande mince aboutissoit , par une direction
transversale , à ces deux bouquets , l'un fixé au dessous du sein gauche ,
l'autre sur le bord inférieur de la robe.
Dans les rangs des dames spectatrices , on trouve des turbans ; ils sont
formes de deux morceaux d'étoffé , l'un soie blanche et argent , l'autre
velours pourpre , amaranthe ou rose.
Les coiffures en cheveux , d'après les remarques fuites au théâtre et au
bal , sont tout-à-fait lisses pardevant et forment un grand front . S'il y
a un crochet , il est petit . Les draperies d'étoffe entrent pour peu dans les
compartimeus de coiffures en cheveux.
Quelques modistes font des capotes en velours côtelé leur forme est
alongée , et , comme toutes les autres capotes , elles sont doublées de
blane. Non- seulement les modistes emploient des plumes roses , mais que ! -
quefois elles donnent pour rebord à une toque noire , un plumet rose
recoquillé .
Les sociétés où l'on danse , sont celles qui présentent le plus de variété
dans les costumes. Deux parures sont là de rigueur , l'une pour les femmes
qui regardent , et l'autre pour celles qui sont actrices. Quand on va voir
s seulement danser , on met une robe de grande 2 tenue , à grande queue ,
છે
Í 2
132 MERCURE DE FRANCE ;
grande prétention , de velours ou de satin nacarat , avec des ornemens, en
or et la toque parcille : mais les femmes qui dansent sont vêtues d'une
manière plus svelte et plus légère ; à peine leur corps agile est - il couvert
d'une nuéc de crêpe : point de queue , peu de plis sur les hanches , point
de garniture lourde. Par ce contraste de vêtemens , un cavalier , au premier
coup-d'oeil , distingue la femme qui veut danser de celle qui sacrifie
ce plaisir au goût de la représentation .
Pour les Hommes . Point de gilet sans une petite gance.
Il est aussi sévèrement prescrit d'avoir , à un habit , un collet pareil ,
qu'un collet de velours à une redingote. Les poches en travers ont été
adaptées aux spencers. Un spencer doit avoir un collet d'étoffe .
On commence à substituer aux boutons blancs , des boutons pareils , ou
recouverts d'un ruban de soie , assorti au drap.
Beaucoup de chapeaux parés ont un plumet noir , et les chapeaux toutà-
fait habillés , un plumet blanc.
NOUVELLES POLITIQUES.
Stuttgard , 4 décembre.
Voici la proclamation qui a été publiée ici solennellement
le 1er de ce mois :
Proclamation.
uFrédéric, par la grace de Dieu, roi de Wurtemberg, grandpannetier
du saint Empire romain , et électeur, etc. , etc. , etc.
Faisons savoir par celle- ci , que par la grace du Dieu miséricordieux
la paix a été conclue , le 27 décembre , entre S. M.
l'empereur d'Allemage et d'Autriche , et S. M. l'Empereur
des Français et Roi d'Italie.
>>Ayant pris pour nous et nos successeurs le titre de Roi , en
conséquence d'une convention faite le 12 décembre de l'année
dernière , avec S. M. l'Empereur des Français et Roi d'Italie ,
laquelle forme partie intégrante du traité de paix conclu entre
sa dite M. I. et R. , et S. l'empereur d'Allemagne et d'Autri–
che , nous en donnons ici connoissance afin que chacun y ait
égard.
>>Nous trouvons dans cet événement , qui doit être glorieux
et mémorable pour tout fidèle Wurtembergeois , une nouvelle
preuve de la protection de la Providence qui ne cesse
de veiller sur notre maison , et nous croyons pouvoir être
assurés que tous nos serviteurs et sujets sont pénétrés des
mêmes sentimens de joie et de reconnoissance au sujet de cet
événement inattendu , auquel le bonheur de la patrie est
étroitement lié.
τη TI
» Les nouveaux rapports qui vont en dériver , nous donnent
l'agréable espérance de pouvoir augmenter de plus en plus et
consolider le bien -être de tous nos pays , tant héréditaires
qu'acquis , et le bonheur de tous nos fidèles sujets que nous
avons si fortement à coeur. Notre zèle infatigable sera encore
JANVIER 1806. 133
animé par la persuasion où nous sommes de trouver constamment
notre récompense dans l'attache ment et la fidélité
inébranlable de tous nos sujets. Nous les assú ons ici de notre
gracieuse bienveillance.
» Donné à notre résidence royale de Stuttgard , le rer
janvier. »
3
er
Le même jour , 1 janvier , il y a eu gala à la cour. A dix
heures du matin , il a été chanté à l'église du château un
Te Deum solennel auquel S. M. le roi et la reine et toute la
famille royale ont assisté. Après le service divin , la cour s'est
rendue au château ; M. d'Arberg , chambellan de S. M.
l'Empereur des Français , a présenté au roi , ainsi qu'à LL. AA.
le prince Royal et le prince Paul les décorations du grand
ordre de la Légion d'Honneur. Il y a eu ensuite grand couvert
; et le soir comédie et redoute gratis.
3
S. M. a daigné faire le même jour différentes promotions :
le prince royal a été nommé lieutenant-général , ainsi que le
général-major de Varenbuhler. M. le président de la régence,
de Taubenhien , et le ministre d'état de Mundelslohe , ont
été élevés au rang de général d'artillerie.
er
Londres , 1 janvier.
L'amiral Parker sera à la tête du convoi de lord Nelson
le prince de Galles suivra le cortège ainsi que tous les amiraux
et capitaines qui sont en Angleterre , principalement ceux qui
ont été à la bataille de Trafalgar. Tous les pavillons qui ont
été pris à cette journée mémorable seront suspendus dans
l'église de Saint-Paul , où l'on a fait des préparatifs pour
placer 3000 personnes.
Extrait détaillé du testament de lord Nelson, et du codicile qui y
est annexé.
« Horatio Nelson , vicomte de Burnham - Thorpe , dans le comté de
Norfolk , duc de Bronte , dans le royaume de Sicile , etc. etc. , donne la
somme de 100 liv . aux pauvres des trois paroisses de Burnham -Thorpe ,
Sutton et Morton , dans le comté de Nolfolk ; une pareille somme pour
être distribuée entre les curés ou ministres .
» A Emma Hamilton , veuve du chevalier Hamilton , son étoile de
diamans , comme un gage d'amitié , et en outre la coupe d'argent dont
elle lui avoit fait présent.
» A son frère le comte Nelson , la boîte d'or dont la cité de Londres
lui fit présent , et l'épée d'or qui lui fut présentée par les capitaines de
son escadre après la bataille du Nil.
» A sa soeur Catherine Marcham , l'épée qui lui fut donnée par la
ville de Londres..
» A sa soeur Susanna Bolton , la coupe d'or qu'il reçut de la société
des négocians turcs .
» A son digne ami , le capitaine Hardy , ses lunettes de mer , ses télescopes
et 100 liv . sterl.
3.
134 MERCURE DE FRANCE ,
>> A chacun des ses exécuteurs testamentaires , 100 l . st.
1
» A Guillaume Haslewood , de Graven- Street , tous ses effets mobi
liers , excepté ceux qui se trouvent à sa maison de Morton , excepté aussi
ses bijoux et son épée enrichie de diamans.
» Ses exécuteurs testamentaires sont chargés de convertir en argent
tous ses biens-fonds , et d'en placer le produit dans les trois pour cent
consolidés ; ils y joindront l'argent qu'il trouveront à son décès , et en
remettront le dividende à Françoise Herbert , vicomtesse Nelson , son
épouse . Cette somme est indépendante de celle qu'il a fait remettre antérieurement
à la vicomtesse Nelson ; et , réunies , elles lui serviront de
douaire . Si les sommes provenant de la vente de ses biens-fonds en Angleterre
, étoient insuffisantes pour produire un reveuu net de 1000 liv . st .
à sa veuve , ses exécuteurs testamentaires disposeront de la manière qui
leur semblera la plus avantageuse , du duché de Bronte, et des terres qui
en dépendant dans la Sicile. Le revenu de 1000 liv. dont la vicomtesse
Nelson aura joui pendant sa vie , sera , lors de son décès , partagé en trois
parts égales , entre son frère Guillaume Nelson , et ses deux soeurs , Susanna
Bolton et Catherine Marcham . ››
"
- Codicile annexé au testament . « Horatio Nelson , vicomte du
Nil , etc ayant joint à mon testament du 10 mai 1803 , un codicile en
date du 13 du même mois , j'ajoute à ce testament un nouveau codicile
dont la teneur suit : Je donne et lègue , par le préseut testament , à miss
Horatia Nelson - Thompson , baptisée le 14 mai dernier , dans la paroisse
de Mary-le-Bonne , au comté de Midlesex , par Benjamin Laurence , et
Jean Willock, clore assistant, laquel e je reconnois pour ma fille adoptive,
la somme de 4000 liv . sterl . , qui lui sera payée six mois après mon décès ,
et plus tôt, s'il est possible. Je charge ma chère amie Emma, lady Hamil
ton , d'être la seconde mère d'Horatia Nelson , jusqu'à ce que cette enfant
ait atteint l'âge de dix- huits ans : les intérêts de la somme de 4000 liv. st .
seront payés à lady Hamilton , pour l'entretien et l'éducation de ma fille"
adoptive . Ce soin , dont je charge lady Hamilton , lui sera agréable sans
doute ; elle aimera à remplir ces pieux devoirs à ma place . J'attends cette
dernière marque de sa constante amitié. Elle ne manquera pas , j'en ai la
confiance , d'élever la jeune Horatia dans les principes de la religion et de
la vertu. Elle en fera une femme accomplie , comme elle-même . J'espère
que , formée par les soins de lady Hamilton , Horatia sera digne des
voeux de mon cher neveu Horatio Nelson , et que ces deux objets de ma
tendresse seront mariés sous les auspices de ma bonne amie , et heureux
l'un par l'autre . Je ratifie et confirme toutes mes dispositions testamenaaires
précédentes ; en foi de quoi , j'ai apposé ma signature et mon cachet
au présent codicile , écrit tout entier de main et sur une seule feuille de
papier , le 6 septembre , de l'an de Notre-Seigneur- Jésus- Christ 1803 , »
Signé , NELSON et BRONTE .
PARIS,
- Le 9 nivose dernier , le tribunat a arrêté en séance
secrète , l'adresse suivante de remerciement à S, M, l'Empereur
et Roi ?
« Sire , ... <<<
» Vos fidèles sujets les membres du tribunat supplient
JANVIER 1806. 135
V. M. de recevoir avec bonté l'expression de leur reconnoissance
pour
le don qu'elle a daigné leur faire d'une partie des
drapeaux conquis par la Grande-Armée. Ce gage mémorable
de votre bienveillance leur est d'autant plus précieux , qu'il
leur a fourni l'occasion de célébrer les hauts faits des guerriers
qui ont vaincu sous vos ordres , et les prodiges par lesque's
vous avez encore une fois étonné l'univers. Sire , depuis longtemps
le tribunat se glorifie de son dévouement à votre
auguste personne ; il s'enorgueillit aujourd'hui d'une marque
d'estime qui l'autorise à penser qu'il a rempli ses devoirs
envers la patrie et envers V. M. C'est la récompense la plus
honorable de son zèle ; elle est un encouragement aux efforts
qu'il ne cessera de faire pour en mériter de nouvelles . Le
tribunat a arrêté qu'une médaille perpétueroit le souvenir du
bienfait et de la reconnoissance. »>
er
Le 1 janvier , le sénat conservateur après avoir , sur
la proposition d'un de ses membres , signalé par des acclamations
et des voeux solennels pour la conservation de l'Em--
pereur et pour la prospérité de l'Empire , l'époque mémorable
de la séance publique de ce jour , qui étoit aussi celle du
renouvellement de l'année , a arrêté que le procès-verbal de
cette séance seroit transmis par un message à S. M. l'Empereur
et Roi ; qu'il seroit pareillement transmis au corps législatif,
lors de sa rentrée , et au tribunat.
-
Le dimanche , 5 janvier 1806 , une députation du tribunat
s'est rendu à l'hôtel - de-ville , pour y remettre les drapeaux
pris à Wertingen , dont S. M. Î'EMPEREUR et Ror a fait
présent à la ville de Paris , et qu'elle avoit confiés à la dépu
tation du tribunat. Dans la même séance , les mêmes députés
ont rendu compte de la mission de la députation. M. Rouillé
de l'Etang , président du conseil-général , a rectifié , au nom
du conseil , les propositions de M. le préfet , relatives à la
construction , aux frais de la commune de Paris , d'un monument
consacré à perpétuer à la fois le souvenir des faits glorieax
de Napoléon-le-Grand , et les sentimens d'admiration ,
d'amour et de respect que la capitale de l'Empire fait éclater
pour son EMPEREUR .
-Dans la séance publique tenue le 10 janvier , le tribunat
, sur la proposition de M. Jard-Panvilliers , a résolu d'aller
en corps au-devant de S. M. l'Empereur et Roi , lors de son
retour à Paris. Les députés chargés de porter à l'Hôtel-de-
Ville les drapeaux de Wertingen , ont rendu compte , daus la
même séance, de leur mission.
4
136
MERCURE
DE
FRANCE
;
)
Le 14 janvier , hier , à deux heures après midi , en conformité des
ordres de Sa Majesté l'EMPEREUR et Roi , S. A. S. Mgr. le prince
archi-chancelier de l'Empire s'est rendu à la séance du Sénat . S. A. a été
reçue dans les formes ordinaires , et ayant pris sa place , elle a dit :
« Messieurs ,
» Si le prince grand-électeur étoit encore parmi nous , vous auriez reçu
de ses mains la communication que S. M l'EMPEREUR et Roi m'ordonne
de vous faire. La lettre que S. M. adresse u sénat , et que je lui apporte ,
a pour objet de vous instruire de deux- transactions importantes. L'une
est le mariage du prince Eugène avec la princesse Auguste, fille de S M.
le roi de Bavière . L'autre est le traité de paix avec l'empereur d'Autriche ,
conclu à Presbourg le 5 nivose ( 26 décembre 1805 ) , et ratifié le lendemain
au palais de Schoenbrün . près Vienne . En vous donnant connoissance
des articles qui le composent , S. M. satisfait tout à-la-fois au besoin
qu'elle éprouve de communiquer avec vous sur tous les grands intérêts de
l'état , et au desir d'accélérer la publication de cet acte , dont nos lois
constitutionnelles ont voulu que vous fussiez instruits les premiers.
>> Vous appercevrez , messieurs , dans l'établissement du prince
Eugene, un nouveau témoignage de la tendresse de S. M. , pour celui qui
justifie si bien le beau titre qu'elle lui a conféré , en le nommant l'enfant
de son adoption . Heureux prince, qui , appelé si jeune à l'administration
d'un grand état , a su se rendre égal à cette tâche difficile , se montre de jour en jour plus digne d'imiter les glorieux exemples dont son enfance
a été nourrie , et conservera la tradition de bonté dont son auguste
mère lui a transmis l'héritage. Ce mariage manifeste aussi combien
' EMPEREUR apprécie la loyauté de l'antique maison de Bavière , dont
l'attachement pour la France ne s'est jamais démenti dans toutes les époques de notre monarchie ; et combien S. M. est touchée du courage et du dévouement , dont la nation bavaroise et son illustre chef viennent
de lui donner des preuves au péril de leurs plus grands intérêts . Quant au traité de paix, chacune des conditiors qu'il renferme, offre de nouveaux
sujets d'admirer la magnanimité de Napoléon -le- Grand , qui forcé de prendre les armes , n'a cherché d'autre fruit de ses victoires, que la gloire
de fonder le repos de l'Europe, en honorant la fidélité de ses alliés.
» Votre juste impatience compte avec regret les momens jusqu'à celui
qui nous rendra la présence de notre monarque . Croyez , messieurs , qu'il
ressent aussi le desir d'être rendu à l'amour de ses peuples. Maisle tableau
des heureux qu'il a faits , étoit une jouissance trop digne de son
coeur , pour qu'il pût leur refuser un dernier regard , qui accroît leur bonheur
, et qui en assure la durée. Je remets , messieurs , entre les mains de
M. le président , la lettre de S. M. l'EMPEREUR et Roi , une expédition
du traité de paix ratifié , et je demande acte de cette remise. »
Lettre de S. M. l'EMPEREUR au séṇat.
SÉNATEURS ,
" La paix a été conclue à Presbourg et ratifiée à Vienne entre moi te
l'empereur d'Autriche. Je voulois dans une séance solennelle , vous en
faire connoître moi-même les conditions , mais ayant depuis long-tems arrêté
, avec le roi de Bavière , le mariage de mon fils le prince Eugène avec
la princesse Auguste sa fille , et me trouvant à Munich au moment où la
célébration dudit mariage devoit avoir lieu , je n'ai pu résister au plaisir
d'unir moi-même les jeunes époux , qui sont tous deux le modèle de leur
JANVIER 1806. 137
sexe. Je suis d'ailleurs , bien-aise de donner à la maison royale de Bavière ,
et à ce brave peuple bavarois , qui , dans cette circonstance , m'a rendu
tant de services et montré tant d'amitié , et dont les ancêtres furent constamment
unis de politique et de coeur à la France , cette preuve de ma
considération et de mon estime particulière . Le mariage aura lieu le 15
janvier . Mon arrivée au milieu de mon peuple sera donc retardée de quelques
jours. Ces jours paroîtront longs à mon coeur; mais , après avoir été
sans cesse livré anx devoirs d'un soldat , j'éprouve un tendre délassement à
m'occuper des détails et des devoirs d'un père de famille . Mais ne voulant
point retarder davantage la publication du traité de paix , j'ai ordonné , en
conséquence de nos statuts constitutionels , qu'il vous fût communiqué
sans délai, pour être ensuite publié comme loi de l'Empire.
» Donné à Munich , le 6 janvier 1806 .
» Signé NAPOLÉOn . »
COPIE DU TRAITÉ DE PAIX.
NAPOLÉON , par la grace de Dieu et par les constitutions , Empereur
des Français , Roi d'Italie , ayant vu et examiné le traité conclu , arrêté
et signé à Presbourg le 26 décembre 1805 ( 5 nivose an 14 ) , par notre
ministre des relations extérieures , en vertu des pleins-pouvoirs que nous
lui avions conférés à cet effet , avec MM . le prince de Liechtenstein et
le comte de Gyulai ; ministres plénipotentiaires de S. M. l'empereur
d'Allemagne et d'Autriche , également munis de pleins- pouvoirs , duquel
traité la teneur suit :
S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , et S. M.
l'Empereur des Français , Roi d'Italie , également animés du
desir de mettre fin aux calamités de la guerre , ont résolu de
procéder , sans délai , à la conclusion d'un traité de paix
définitif , et ont , en conséquence , nommé pour plénipotentiaires
; savoir : S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche ',
M. le prince Jean de Liechtenstein , prince du Saint-Empire
romain , grand-croix de l'ordre militaire de Marie-Thérèse
chambellan , lieutenant-général des armées de sadite majesté
l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , et propriétaire d'un
régiment d'hussards ; et M. le comte Ignaz de Gyulai , commandeur
de l'ordre militaire de Marie-Thérèse , chambellan
de sadite majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche ,
lieutenant-général de ses armées , et propriétaire d'un régiment
d'infanterie ; Et S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie , M. Charles-Maurice Talleyrand Périgord , grand
chambellan ministre des relations extérieures de sadite
Majesté l'Empereur des Français et Roi d'Italie , grand-cordon
de la Légion d'honneur , chevalier des ordres de l'Aigle-
Rouge et Noir de Prusse ; lesquels , après avoir échangé
leurs pleins-pouvoirs , sont convenus des articles suivans :
Art. Ier. Il y aura , à compter de ce jour , paix et amitié
entre S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , et S. M.
l'Empereur des Français , Roi d'Italie , leurs héritiers et suc-
' cesseurs , leurs états et sujets respectifs , à perpétuité.
138 MERCURE DE FRANCE ,
•
Il, La France continuera de posséder en toute propriété et
souveraineté , les duchés , principautés , seigneuries et territoires
au-delà des Alpes , qui étoient , antérieurement au présent
traité , réunis et incorporés à l'Empire français , ou régis
par les lois et les administrations françaises.
III. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , pour
lui , ses héritiers et successeurs , reconnoît les dispositions
faites par S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , relativement
aux principautés de Lucques et de Piombino.
IV. S. M: l'empereur d'Allemagne et d'Autriche renonce ,
tant pour lui que pour ses héritiers et successeurs , à la partie
des états de la république de Venise , à lui cédée par les
traités de Campo - Formio et de Lunéville , laquelle sera
réunie à perpétuité au royaume d'Italie.
V. Sa majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche reconnoit
S. M. l'Empereur des Français comme Roi d'Italie.
Mais il est convenu que , conformément à la déclaration faite
par S. M. l'Empereur des Français , au moment où il a pris
la couronne d'Italie , aussitôt que les puissances nommées dans
cette déclaration auront rempli les conditions qui s'y trouvent
exprimées , les couronnes de France et d'Italie seront séparées
à perpétuité , et ne pourront plus , dans aucun cas , être réunies
sur la même tête. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche
s'engage à reconnoître , lors de la séparation , le successeur
que S. M. l'Empereur des Français se sera donné comme
Roi d'Italie.
VI. Le présent traité de paix est déclaré commun à leurs
altesses sérénissimes les électeurs de Bavière , de Wurtemberg
et de Bade , et à la république batave , alliées de S. M. l'Em
pereur des Français , Roi d'Italie , dans la présente guerre.
VII. Les électeurs de Bavière et de Wurtemberg ayant pris
le titre de hoi, sans néanmoins cesser d'appartenir à la confédération
germanique , S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche
les reconnoît en cette qualité.
VIII. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , tant
pour lui , ses héritiers et successeurs , que pour les princes de
sa maison , leurs héritiers et successeurs respectifs , renonce
aux principautés, seigneuries , domaines et territoires ci -après ,
désignés : Cede et abandonne à S. M. le roi de Bavière , le
margraviat de Burgaw et ses dépendances , la principauté
d'Eichstadt , la partie du territoire de Passau appartenant à
S. A. R. l'électeur de Salzbourg , et située entre la Bohême
l'Autriche , le Danube et l'Inn ; le comté de Tyrol , y compris
les principautés de Brixen et de Trente ; les sept seigneuriesJANVIER
1806.
139
du Vorarlberg avec leurs enclaves ; le comté de Hohenems ,
le comté de Konigsegg- Rothenfels , les seigneuries de Tetnang
et Argen, et la ville et territoire de Lindau ; à S., M. le roi de
Wurtemberg les cinq villes dites du Danube, savoir : Ehingen,
Munderkingen , Reidlingen , Mengen et Sulgaw , avec leurs
dépendances , le haut et bas comté de Hohenberg , le landgraviat
de Nellenbourg et la préfecture d'Altorff , avec leurs
dépendances ( la ville de Constance exceptée ) , la partie du
Brisgaw faisant enclave dans les possessions wurtembergeoises
et située à l'est d'une ligne tirée du Schlegelberg jusqu'à la
Molbach , et les villes et territoires de Willingen et Brentingen
. A´S. A. S. l'électeur de Bade , le Brisgaw (à l'exception
de l'enclave et des portions séparées ci-dessus désignées ) ,
l'Ortenaw et leurs dépendances , la ville de Constance et la
commanderie de Meinau . Les principautés , seigneuries
domaines et territoires susdits , seront possédés respectivement
par LL. MM. les rois de Bavière et de Wurtemberg et par
S. A. S. l'électeur de Bade , soit en suzeraineté , soit en toute
propriété et souveraineté , de la même manière , aux mêmes
titres , droits et prérogatives que les possédoient S. M. l'empereur
d'Allemagne et d'Autriche , ou les princes de sa maison ,
et non autrement.
IX. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche reconnoît
les dettes contractées par la maison d'Autriche au profit
des particuliers et des établissemens publics du pays , faisant
actuellement partie intégrante de l'Empire français ; et il est
convenu que sadite majesté restera libre de toute obligation
par rapport à toutes dettes quelconques que la maison d'Au
triche auroit contractées , à raison de la possession , et hypothéquées
sur le sol des pays auxquels elle renonce par le
présent traité.
X. Les pays de Saltzbourg et de Berchtolsgaden apparte→
nant à S. A. R. et E. l'archiduc Ferdinand , seront incorporés
à l'empire d'Autriche , et S. M. l'empereur d'Allemagne et
d'Autriche les possédera en toute propriété et souveraineté
mais à titre de duché seulement.
XI. S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , s'engage
à obtenir , en faveur de S. A. R. l'archiduc Ferdinand , élec+
teur de Saltzbourg , la cession , par S. M. le roi de Bavière ,
de la principauté de Wurtzbourg , telle qu'elle a été donnée
à sadite majesté par le recès de la députation de l'empire
germanique , du 25 février 1803 ( 6 ventose an 11. ) Le titre
électoral de S. A. R. sera transféré sur cette principauté , que
S. A. R. possédera en toute propriété et souveraineté de la
même manière et aux mêmes conditions qu'elle possédoit
140
1
MERCURE DE FRANCE ,
l'électorat de Saltzbourg. Et quant aux dettes , il est convenu
que le nouveau possesseur n'aura à sa charge que les dettes
résultant d'emprunts formellement consentis par les états du
pays , ou des dépenses faites pour l'administration effective
dudit pays. '.
XII. La dignité de grand-maître de l'ordre Teutonique ,
les droits , domaines et revenus , qui antérieurement à la présente
guerre , dépendoient de Mergentheim , chef- lieu de
l'ordre , les autres droits , domaines et revenus qui se trouveront
attachés à la grande-maîtrise , à l'époque de l'échange
des ratifications du présent traité , ainsi que les domaines et
revenus dont , à cette même époque , ledit ordre se trouvera
en possession , deviendront héréditaires dans la personne et la
descendance directe et masculine , par ordre de primogéniture
de celui des princes de la maison impériale qui sera désigné
par S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche. S. M. l'Empereur
Napoléon promet ses bons offices pour faire obtenir
le plus tôt possible , à S. A. R. l'archiduc Ferdinand , une
indemnité pleine et entière en Allemagne.
. XIII. S.M. le roi de Bavière pourra occuper la ville d'Augsbourg
et son territoire , les réunir à ses états et les posséder en
toute propriété et souveraineté . Pourra également S. M. le roi
de Wurtemberg occuper , réunir à ses états et posséder en
toute propriété et souveraineté le comté de Bondorff, et S. M.
l'empereur d'Allemagne et d'Autriche s'engage à n'y mettre
aucune opposition.
XIV. Leurs Majestés les rois de Bavière et de Wurtemberg
et son altesse sérénissime l'électeur de Bade jouiront ,
sur les territoires à eux cédés , comme aussi sur leurs anciens
états , de la plénitude de la souveraineté et de tous les droits
qui en dérivent et qui leur ont été garantis par S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , ainsi et de la même manière
qu'en jouissent S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche
, et S. M. le roi de Prusse sur les états allemands. S. M.
l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , soit comme chef de
l'Empire , soit comme co -état , s'engage à ne mettre aucun
obstacle à l'exécution des actes qu'ils auroient faits ou pourroient
faire en conséquence.
les . XV. Sa majesté . l'empereur d'Allemagne et d'Autriche ,
tant pour lui , ses héritiers et successeurs , que pour
princes de sa maison , leurs héritiers et successeurs , renonce
à tous droits , soit de souveraineté , soit de suzeraineté , à
toutes prétentions quelconques , actuelles ou éventuelles , sur
tous les états , sans exception , de leurs majestés les rois de
Bavière et de Wurtemberg, et de S. A. S. l'électeur de Bade ,
JANVIER 1806. 141
et généralement sur tous les états , domaines et territoires.
compris dans les cercles de Bavière , de Franconie et de
Souabe , ainsi qu'à tout titre pris desdits domaines et territoires
; et réciproquement toutes prétentions actuelles ou
éventuelles desdits Etats à la charge de la maison d'Autriche
ou de ses princes , sont et demeureront éteintes à perpé
tuité ; néanmoins les renonciations contenues au présent ar
ticle ne concernent point les propriétés qui sont par l'art. XI,
ou seront , en vertu de l'art. XII ci dessus , concédées à
LL. AA. RR. les archiducs ' désignés dans lesdits articles.
-
XVI. Les titres domaniaux et archives , les plans et cartes
des différens pays , villes et forteresses , cédés par le présent
traité , seront remis dans l'espace de trois mois , à dâter de
l'échange des ratifications , aux puissances qui en auront acquis
la propriété.
XVII. Sa Majesté l'Empereur Napoléon garantit l'inté→
grité de l'empire d'Autriche dans l'état où il sera en consé→
quence du présent traité de paix , de même que l'intégrité
des possessions des princes de la maison d'Autriche , désignés
dans les articles onzième et douzième.i >
XVIII. Les hautes parties contractantes reconnoissent l'in→
dépendance de la république helvétique , régie par l'acte de
niédiation , de même que l'indépendance de la république
batave.
XIX. Les prisonniers de guerre faits par la France et ses
alliés sur l'Autriche , et par l'Autriche sur la France et ses
alliés , et qui n'ont pas été restitués , le seront dans quarante
jours , à dater de l'échange des ratifications du présent traité.
XX. Toutes les communications et relations commerciales
seront rétablies dans les deux pays comme elles étoient avant
la guerre. f
XXI. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche et S. M,
l'Empereur des Français , Roi d'Italie , conserveront entr'eux
le même cérémonial , quant au rang et aux autres étiquettes ,
-que celui qui a été observé avant la présente guerre.
XXII. Dans les cinq jours qui suivront l'échange des ratifications
du présent traité , la ville de Presbourg et ses environs,
à la distance de six lieues, seront évacués. Dix jours après ledit
séchange , les troupes françaises et alliées de la France auront
évacué la Moravie , la Bohême , le Wiertel-Unter - Wienner-
Wald , le Wiertel-Unter- Manhartsberg , la Hongrie et toute
la Styrie. Dans les dix jours suivans , elles évacueront le
Wiertel- Ober- Wienner - Wald et le Wiertel - Ober-Manhartsberg.
Enfin dans le délai de deux mois , à compter de l'échange
des ratifications , les troupes françaises et alliées de la
142 MERCURE DE FRANCE ,
France auront évacué la totalité des états héréditaires de
S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , à l'exception
de la place de Braunau , laquelle restera pendant un mois de
plus à la disposition de S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie , comme Kieu de dépôt pour les malades et pour l'artillerie.
Il ne sera , pendant ledit mois , fait aux habitans aucune
réquisition de quelque nature que ce soit. Mais il est
convenu que jusqu'à l'expiration dudit mois il ne pourra être
stationné ni introduit aucun corps quelconque de troupes autrichiennes
dans un arrondissement de six lieues autour de ladite
place de Braunau. Il est pareillement convenu que chacun
des lieux qui devront être évacués successivement par les
troupes françaises dans les délais susmentionnés , ne pourra
être occupé par les troupes autrichiennes que 48 heures après
l'évacuation. Il est aussi convenu que les magasins laissés par
l'armée française dans les lieux qu'elle devra successivement
évacuer , resteront à sa disposition , et qu'il sera fait par les
hautes parties contractantes un arrangement relatif à toutes les
contributions quelconques de guerre précédem. imposées sur les
divers états héréditaires occupés par l'armée française ; arran←
gement en conséquence duquel la levée desdites contributions
cessera entièrement à compter du jour de l'échange des ratifi
cations. L'armée française tirerá son entretien et ses subsistances
de ses propres magasins établis sur les routes qu'elle
doit suivre. !
XXIII. Immédiatement après l'échange des ratifications du
présent traité , des commissaires seront nommes de part et
d'autre , pour remettre et recevoir , au nom des souverains
respectifs , toutes les parties du territoire vénitien , non occupées
par les troupes de S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie. La ville de Venise , les lagunes et les possessions de
terre ferme seront remises dans le délai de quinze jours ; l'Istrie
et la Dalmatie vénitiennes , les bouches du Cattaro , les iles
vénitiennes de l'Adriatique et toutes les places et forts qu'elles
renferment , dans le délai de six semaines , à compter de l'échange
des ratifications. Les commissaires respectifs veilleront
à ce que la séparation de l'artillerie ayant appartenu à la république
de Venise et de l'artillerie autrichienne , soit exacte
ment faite , la première devant rester en totalité au royaume
d'Italie. Ils détermineront , d'un commun accord , l'espèce et
la nature des objets qui , appartenant à S. M. l'Empereur
d'Allemagne et d'Autriche , devront en conséquence rester à
sa disposition. Ils conviendront , soit de la vente au royaume
d'Italie de l'artillerie impériale et des objets susmentionnés ,
soit de leur échange contre une quantité équivalente d'artilleJANVIER
1806. 143
rie ou d'objets de même ou d'autre nature qui seroient laissés
par l'armée française dans les états héréditaires. Il sera donné
toute facilité et toute assistance aux troupes autrichiennes et
aux administrations civiles et militaires , pour retourner dans
les états d'Autriche par les voies les plus convenables et les
plus sûres , ainsi que pour le transport de l'artillerie impériale
, des magasins de terre et de mer , et autres objets qui
n'auroient pas été compris dans les stipulations , soit de vente
soit d'échange, qui pourront être faites.
XXIV. Les ratifications du présent traité seront échangées
dans l'espace de huit jours , ou plus tôt si faire se peut.
Fait et signé à Presbourg , le 26 décembre 1805 ( 5 nivose)
an 14 ). ( Suivent les signatures. )
f
Avons approuvé et approuvons le traité ci- dessus , en tous et chacun
des articles qui y sont contenus , déclarons qu'il est accepté , ratifié et
confirmé , et promettons qu'il sera inviolablement observé . En foi de quoi,
nous avons donné les présentes , signées de notre main , contre - signées et
scellées de notre sceau Impérial . Au palais de Schoenbrün , le 6 nivosa
an 14 ( 27 décembre 1805. )
Signé NAPOLÉON.
Le Sénat , après avoir entendu M. François de Neufchâtean , président ,
MM. Bois y et Chaptal , a délibéré de faire une adresse de remerciement
à Sa Majesté l'EMPEREUR et Roi , une adresse de félicitation à Sa Majesté
l'Impératrice et Reine ; il a délibéré aussi que M. le président écriroit à
S. A. S. Mgr. le prince Eugène , vice- roi d'Italie et archi-chancelier
d'état , pour le féliciter sur son mariage. La rédaction des adresses à été
renvoyée à une commission qui s'assemblara demain. t
Conventionpourl'exécution des dispositions de l article XXIII
du traité de paix.
"
S. M. l'Empereur d'Allemagne et d'Autriche et S. M. l'Em
pereur des Français , Roi d'Italie , voulant , conformément
a l'article XXIII du traité de paix , déterminer , d'un commun
accord , l'espèce et la nature des objets qui , appartehant
à S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche dans le
pays vénitien , devront en conséquence rester à sa disposition ,
comme artillerie , munitions et objets de marine et qui
pourront être vendus au royaume d'Italie , ou échangés contre
une quantité d'artillerie , munitions et autres objets qui seroient
laissés par l'armée française dans les états héréditaires
ont en conséquence nommé pour commissaires ; savoir
S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , M. le prince de
Liechtenstein , lieutenant-général ; et S. M. l'Empereur des
Français , roi d'Italie , M. le maréchal Berthier ; lesquels sont
convenus des articles suivans ;
Art. 1. Conformément à l'art. XXIII du traité de paix , il
144 MERCURE DE FRANCE ,
sera dressé , à dater de ce jour , un état de l'artillerie et des
munitions autrichiennes dont l'armée française est en posses
sion , soit à Brünn , soit dans la place de Vienne. A cet effet ,
le comte de Kollovrath et M. le général Andréossy , commis
saires de leurs souverains respectifs , feront dresser l'état des
dits objets.
II. M. le comte de Bellegarde , nommé par l'empereur
d'Allemagne commissaire pour la remise des pays, forts, places :
du pays vénitien , cédés à l'armée française , et le général de
division Lauriston , nommé commissaire par S. M. l'Empereur
et Roi Napoléon pour prendre possession des susdits ,
pays , veilleront à ce que la séparation de l'artillerie qui a
appartenu à la république de Venise et de l'artillerie autri
chienne , soit exactement faite , la première devant rester en
totalité au royaume d'Italie ; détermineront d'un commun
accord l'espèce et la nature des objets qui , appartenant à
l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , devront en conséquence
rester à sa disposition.
III. Quand les états ci-dessus seront dressés , M. le général
comte de Kollovrath , et M. le général Andréossy , sont autorisés
à convenir de l'échange desdits objets d'artillerie autrichienne
appartenant dans les états de Venise à S. M. l'empereur
d'Allemagne , pièce pour pièce , objet pour objet, contre
une quantité équivalente d'artillerie ou d'objets de méme nature
qui seroient laissés par l'armée française dans les états
héréditaires , conformément aux états qui seront dressés.
IV. Comme il y a dans les arsenaux de Venise plusieurs
objets de marine , les susdits commissaires sont autorisés à en
faire échange contre l'artillerie et les munitions laissées par
l'armée française dans les états héréditaires ; les susdits commissaires
régleront entr'eux la valeur des objets , afin de déter
miner l'échange.
V. Le surplus de l'artillerie et des munitions autrichiennes
et d'autres objets quelconques qui resteroient dans les états
de Venise , et qui ne seroient pas échangés , pourront être
achetés pour le royaume d'Italie , conformément au prix qui
en sera fixé par MM. de Bellegarde et Lauriston.
" .
VI. En conséquence des dispositións ci-dessus , à dater de
demain 4 janvier 1806 , toute évacuation d'artillerie et de
munitions autrichiennes appartenantes à l'armée française ,
soit à Brünn , soit à Vienne , cessera , et les états qui en seront
dressés , remis aux commissaires respectifs pour servir à l'échange.
Suivent les signatures. )
:
(N° CCXXXVI. )
5
cen
( SAMEDI 25 JANVIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSI E.
LES LECTURES D'AUTOMNE
ANECDOTE.
( N. B. Le premier poète de France venoit de réciter , dans
ane Société où j'avois le bonheur de me trouver , plusieurs
morceaux détachés de ses divers poëmes. J'avouerai que ,
dans mon ravissement , je sacrifiai , sans même y songer ,
l'amour- propre au plaisir d'offrir mon tribut à cet aimable
enchanteur. Le dirai- je ? cet épanchement a paru flatter ,
toucher même jusqu'au fond du coeur celui qui en étoit l'objet
; et ce souvenir me détermine à le faire imprimer. )
GRACE à notre légéreté,
Ou plutôt à notre foiblesse ,
C'est un besoin pour nous que la variété.
Admirer trop long-temps nous fatigue , nous blesse.
Ici , quoique ravis par mille accéns divers ,
Avons-nous respiré ? Quel état ! je m'empresse
De venir alléger le poids qui vous oppresse ,
Et vous délasser des beaux vers.
K
146 MERCURE
DE FRANCE
,
Ma Muse peut , je crois , vous rendre un tel service :
Un récit fort naïf va remplir son objet.
A raconter peut -être est- elle un peu novice :
Mais vous l'écouterez en faveur du sujet.
Au sein d'une féconde et riante campagne ,
En un séjour paisible , et bien loin de Paris ,
Où l'on trouvoit de bons , sinon de beaux esprits ,
Un loyal chevalier et sa digne compagne ,
Unis de coeur , doués de goût et de raison ,
Chaque année , au retour de l'arrière- saison ,
Aimoient à réunir une estimable élite
de mérite ,
De bons voisins , comme eux , pleins de sens ,
Passant la vie entière en leurs vastes châteaux ,
Bénis du pauvre , aimés de leurs heureux vassaux ,
De l'honneur et de la nature
Suivant , de père en fils , les primitives lois ;
Patriarches français , honorant à la fois
La Noblesse et l'Agriculture.
Instruits d'ailleurs , non pas sur des sujets légers ,
Mais nourris des auteurs de Rome et de la Grèce ,
Et vous verrez bientôt si ce point m'intéresse ?`
Conversant , tour-à- tour , dans leurs bois , leurs vergers ,
Avec Virgile , Homère , Anacréon , Horace ,
Même à tel autre accent n'étant point étrangers ,
Et lisant dans le texte et Tompson et le Tasse .
De tels cultivateurs n'étoient pas malheureux.
Mais à ces braves gens ,. j'en suis fâché pour eux
....
Notre littérature étoit peu familière.
>
Expliquons- nous : sans doute ils connoissoient Molière ,
Corneille, La Fontaine , et Racine et Boileau ,
Et même les bons vers de Malherbe , Rousseau ;
Mais nos auteurs vivans , nos poètes modernes ,
Leurs étoient inconnus . Pourquoi ? Je n'en sais rien .
Les jugeoient -ils trop subalternes ?
Etoient- ils trop près d'eux ? Cela se pourroit bien.
Je ne me pique point d'expliquer ce mystère ,
Moi qui ne suis qu'historien..
A peine avoient-ils lu , franchement j'en convien ,
Quelques volumes de Voltaire;
JANVIER 1806 .
147
Car , comme a dit quelqu'un qui n'est pas sans esprit ,
« Dans Racine on lit tout , dans Voltaire on choisit.»
La dame du château , plus juste et plus heureuse,
A ses plaisirs si purs , en femme généreuse ,
Voulut bien les associer ;
Ils en valoient la peine : elle eut la fantaisie
De les instruire , eh ! oui, de les initier
Dans la moderne poésie ;
Sûre qu'après avoir goûté cette ambroisie ,
Ils s'uniroient bientôt pour la remercier .
« Oui , je veux , leur dit - elle , en ma longue lecture
» Vous réduire au français , pour toute nourriture :
>> Je ne vous donnerai que du bon, que du beau ;
» Mais vous n'aurez que du nouveau . »
Or , mes amis , suivez un peu cette aventure ,
Que, pour plus de clarté , j'ai dû prendre ab ovo .
Vous jugez si d'abord madame de Marsenne....
(Marsenne étoit le nom des maîtres du château ,
Et le nom du lieu même où se passe la scène ;
Car ici point d'incognito. )
Vous jugez si chacun la remercie !
Et vite ,
A tenir sa promesse on l'engage , on l'invite .
« Très- volontiers , dit -elle . » Et , dès le premier soir,
Autour d'un grand foyer , elle les fait asseoir ;
Et sans préparatif et sans cérémonie .....
J'oubliois dans le cercle étoit un étranger , :
Un étranger , du moins pour cette compagnie,
Que des malheurs avoient forcé de voyager ,
Et de retour enfin , après dix ans d'absence ,
Espérant, méritant , donnant des jours meilleurs ;
Inconnu , vous disois-je , à nos voisins ; d'ailleurs ,
De monsieur de Marsenne intime connoissance .
Souvenez -vous de lui : j'ose vous assurer
Qu'à mon récit , bientôt , il saura figurer.
La lecture commence : observez que la dame
Lisoit seule , et pour cause ; elle lisoit fort bien ,
Comme alors qu'on sent tout. Qui sent mieux qu'une femme ?
K 2
148 MERCURE
DE FRANCE
,
Bien lire est un don rare , et qui ne gâte rien .
Les bons vers sont meilleurs ; personne ici n'iguore
Qu'étant bien récités ils valent mieux encore .
Elle lut , tour- à- tour , maint ouvrage charmant .
Tantôt c'étoit un long poëme ,
Qui sembloit court ; tantôt ce n'étoit qu'un fragment ,
Une épître , et partout , du feu , du sentiment ,
De ces vers qu'on admire , et de ces traits qu'on aime.
Il régnoit un silence ! ... On écoutoit , Dieu sait !
On eût craint d'interrompre un moment la lectrice ,
Et le coeur seul applaudissoit.
Mais si de chaque ouvrage , alors , on jouissoit ,
Du reste. ....
et l'on verra si c'étoit un caprice ,
Le nom de chaque auteur fut toujours un secret :
Le beau sexe est encor , souvent , le plus discret.
L'aimable automne , ainsi , s'étoit presque écoulée :
Pour lire longuement , ce sont là les beaux jours .
Madame de Marsenne, ayant fini son Cours ,
S'adresse, en souriant , à la noble assemblée :
« Enfin , dit-elle , chers amis ,
>> J'ai donc exécuté ce que j'avois promis ;
>> Et je viens d'introduire en ce séjour champêtre , --
» Ce qu'on a fait de mieux , depuis trente ans , peut -être.
>> Vous desirez savoir le nom de chaque auteur;
>> Eh bien ! indiquez - moi l'ouvrage le meilleur ,
» Et l'auteur préféré va se faire connoître. »
Elle se tut : alors , un vieillard , dont l'aspect ,
Le regard calme , doux , et la démarche auguste ,
Annonçoient sa belle ame et l'esprit droit et juste ,
Veut parler ; tout le monde écoute avec respect.
:
« Ah ! dit-il , d'une voix et d'un ton énergiques ,
>> Plus même qu'à son âge on n'auroit espéré ,
» Madame a lu , je l'avoûrai ,
» De beaux vers tour- à - tour brillans et pathétiques ,
>> Des vers brûlant d'un feu sacré ,
>>>›› Et dont la verve eût pénétré
» Dans les coeurs les plus froids et les plus léthargiques :
JANVIER 1806. 149
» Mais quel auteur jamais peut être comparé
>> Au traducteur des Géorgiques ? »
« J'estime assurément l'ouvrage en question ,
})
>>
( Répond avec l'air fin , le sourire ironique ,
Morsan , homme d'esprit, et tant soit peu caustique; )
» Mais ce n'est , après tout , qu'une traduction .
>> Rajeunir de la sorte un monument antique ,
>> Al'immortalité rarement nous conduit.
>> Vous savez le mot du critique :
>> Traduis toujours ; jamais tu ne seras traduit . ››
»
Il rit , mais seul . « Monsieur , un bon mot est facile
Repartit le vieillard ; mais c'est un beau succès ,
>> Que de forcer sa langue à devenir docile ,
>> De lutter , corps à corps , même contre Virgile ,
» De rendre un vers latin par un seul vers français ,
» D'être fidèle et noble ; et pour moi , je pensois
>> Que Virgile auroit cu cette grace , ce style ,
>> S'il fût né parmi nous , s'il eût été... De mille
Qui l'avoient tenté , celui- ci , >>
>> Quel qu'il soit , a l'honneur d'avoir seul réussi . »>
Or , chacun d'applaudir au vieillard vénérable .
- « Certes , je rends justice à ce rare écrivain ,
>> Dit son neveu , sincère et pourtant agréable ;
›› Mais chacun suit son goût ; et je préfère enfin ,
» L'auteur original , et le poète aimable ,
›› Qui , sans traduire ainsi Vanière ni Rapin ,
>> Tant d'autres , nous crée lui -même un vrai Jardin .
» Que d'abandon , de grace ! Il plait , attache , éveille .
>> Quel brillant coloris ! Flore , sur son chemin ,
» Semble , avec complaisance , épancher sa corbeille :
->> C'est le chantre des bois , ou plutôt c'est l'abeille ,
» Qui vole , et de cent fleurs compose un doux butin.
» Je veux relire encor ces Jardins , dès demain . ››
— « Des Jardins , c'est fort bien , reprend un galant komme,
» Sévère dans ses goûts , et grand cultivateur ,
Mais si l'utilité fait le prix d'un auteur ,
» C'est à l'Homme des Champs qu'il faut donner la pomme.
150
MERCURE
DE FRANCE
,'
» Sans puiser à la source et d'Athènes et de Rome,
» Voilà des vers français, des vers à la Boileau :
>> J'estime un tel poète ; enfin , dans ce tableau ,
>> Ne remarquez-vous pas qu'il nous a peints nous-mêmes ,
» Nos travaux, nos plaisirs , et jusqu'à nos systèmes ?
» Bravo ! l'Homme des Champs , Messieurs , l'Homme des
Champs ! »
- « Des Champs et des Jardins ! Sujets neufs et touchans !
>> Eh ! messieurs les auteurs , parlez-nous de la ville .....
» De Paris ; si le sort à jamais m'en exile ,
» Consolez -moi; laissez votre éloge banal
» Des bois , des prés , des eaux', enfin de la nature :
» A quoi ben en tracer l'éternelle peinture ,
» Quand sous les yeux sans cesse on a l'original ? »
Celle qui plaisantoit ainsi , mais sans malice,
Etoit la jeune et vive et piquante Clarice ,
Fille du bon vieillard , qui le premier parla ,
Légère , et qui d'abord cédoit à son caprice .
Voyant qu'on sourioit , elle contiņua ,
« Relisons encor , je vous prie ,
>> Ce poète charmant , dont la Muse fleurie
» Suit dans tous ses écarts la douce Illusion ,
» Comme on suit un ruisseau fuyant dans la prairie į
>> Peint les songes du jour , la tendre rêverie ,
» L'espoir , le souvenir, l'amour , l'ambition ,
» Mille erreurs ; et pourtant au vrai toujours fidèle ,
« Même au sein de la fiction ,
>> Saisit, embrasse et peint l'Imagination
>> En vers légers , brillans et variés comme elle.
» Quel ami consolant ! Quel aimable enchanteur !
>> Je ne connois pas ce poète ,
» Mais il peut se vanter d'avoir fait ma conquête ;
>> Je crois que par instinct il devina mon coeur. »
- « Moi , je lis dans les yeux de notre aimable Rose
» (Dit madame Marsenne , en regardant la soeur
» De ce jeune et sage Monrose ,
» Qui parle des Jardins avec tant de douceur) ,
» Qu'elle vou droit aussi nous dire quelque chose.
JANVIER 1806 . 151
» N'est-il pas Trai ? »» -«Madame... » -- « Hé bien , parlez . »>> Je
n'ose. »
« Osez donc , lui dit- elle , et d'un ton caressant. >>
- « L'Imagination , dit Rose , en rougissant ,
>> Pour les humains , sans doute , aura toujours des charmes ;
» Qui , mais s'il est plus doux de répandre des larmes ,
» Si la Mélancolie .... et je crois qu'on la sent ,
» A pour toucher nos coeurs de plus puissantes armes ;
>> Je connois un sujet bien plus intéressant ,
"
» Madame; et vous venez vous-même de nous lire....
- « Eh quoi donc ? .... chère enfant ! Mais comme elle soupire ! »
— « Ah ! c'est que de ces vers j'ai retenu l'accent ,
» ( Poursuit Rose ; elle ajoute :) ô comme on s'abandonne,
>> Aux consolations de la tendre amitié !
>> Edipe s'appuyant sur sa chère Antigone ( 1 ) ,
» Gémit d'un long exil , de la perte d'un trône :
» Elle l'embrasse et pleure ; il a tout oublié.
>> Ah ! tous nos coeurs sont de moitié
>> Dans les doux soins qu'elle lui donne ;
» Et si j'avois une couronne
» Elle seroit pour toi , chantre de la Pitié. »
- « Bon ! la Pitié ! vertu d'un coeur foible et timide
» ( Reprend Linval , brave homme , et chasseur intrépide ,
» Mais aux Muses sachant consacrer ses hivers ) :
›› Pleurer mal à propos , amis , c'est un travers .
}
» Les vers ! voilà le point qu'il faut que l'on décide ,
» Et je réserve , moi , la palme des bons vers
» Au traducteur de l'Enéide (2) .
» L'éloge en pareil cas seroit très-superflu ,
» Si l'ensemble répond à plus d'un beau passage ,
>> Que Madame ici nous a lu ;
b
>> Ce poète n'est pas à son apprentissage. »
(1 ) On appelle de ce nom madame Delille , qui en est bien digne par
ses tendres soins pour son époux , presque privé de la vue.
( Note de l'auteur. ) :
(2 ) Cette traduction n'avoit pas encore paru , non plus que celle de
Milton. ( Note de l'auteur. )
4
153 MERCURE DE FRANCE ,
« Monsieur est un vrai connoisseur ,
>> Et sûrement Virgile est un fort beau génie
>>
› ( Répondit d'un air sombre , et du ton d'un censeur ,
» Forlis , qui n'est que froid , et se croit un penseur ,
>> Et s'applaudit sur-tout de son anglomanie ) .
» Mais Milton , poursuit- il , vous l'avez entendu :
>> Il va paroître en vers , et ce qu'on nous en cite ,
» Nous promet un chef-d'oeuvre ; il nous étoit bien dû ,
» Mesdames , je vous félicite ;
» Vous apprendrez par coeur le Paradis perdu.
>> " Que de feu , que de verve et quel style énergique !
» Les Cieux ét les Enfers , les Anges et Satan ,
>> Et ce touchant Eden , Eve aux côtés d'Adam ,
>> Tout s'anime , tout vit sous son pinceau magique :
>> Je plains le Virgile Français . >>
- «‹ Moi , je ne plains personne , et je suis fort tranquille :
>> J'ose aussi du Milton garantir le succès ,
» Mais je répondrois bien de celui du Virgile.
Ainsi parloit Marsenne , assez bon juge en vers .
D'autres sont préférés ; un botaniste incline
En faveur d'un essai sur les Règnes divers
Qu'embrasse la nature en ce vaste univers ,
Et croit en vers français lire Buffon ou Pline .
Ainsi de son objet chacun est occupé.
D'une savante épître , ici , on est frappé ;
>>
Là , dans quelques morceaux fort bien traduits de Pope ,
Du traducteur habile on cherche l'horoscope.
L'un admire une esquisse , et l'autre un vaste plan ;
En un mot chaque ouvrage avoit son partisan ,
Et la discussion devenait un peu vive.
<< Messieurs , leur dit enfin la dame du château ,
» Qui depuis bien long-temps sourioit în petto ;
» Je ne m'étonne point de ce qui vous arrive ;
» Je sens votre embarras ; tout est bon , tout est beau !
» J'ai causé cette guerre , et j'apporte l'olive
» Pour apaiser enfin un combat si nouveau .
» Amis , m'en croirez-vous ? choisissons pour arbitre ,
Quelqu'un.., qui , jusqu'ici , je l'observois , s'est tu ,
» Et dont la modestie est la grande vertų ;
JANVIER 1806. 153
» Mais qui seroit , je crois , capable , à plus d'un titre ,
» D'éclaircir à jamais ce point si débattu . ››
Elle se tourne alors vers la même personne ,
Que , s'il vous en souvient , j'ai pris soin d'indiquer ,
Et par un doux regard l'invite à s'expliquer.
Il rougit , on l'observe ; et bientôt on soupçonne..
Ce que vous devinez , que ce rare mortel ,
Qu'ainsi l'on invitoit , par un trop juste appel ,
A tenir la balance , à peser les suffrages ,
Etoit l'unique auteur de tous ces beaux ouvrages .
COLLIN D'HARLEVILLE.
TRIOLE T.
UN seul instant je vis Glycère,
Et je l'aimai dès cet instant :
Tout le monde en eût fait autant.
D'une aussi gentille bergère
Je tâchai de me faire amant :
Tout le monde en eût fait autant.
Bientôt je parvins à lui plaire .
A mon amour j'étois constant ,
Croyant qu'on m'en rendoit autant.
Mais la cruelle étoit légère ;
Et si je lui plus aisément ,
Tout le monde en eût fait autant.
POLLE.
L'HOMME AFFAIRÉ.
« Je te tiens donc enfin , fripon hupé ,
Depuis six mois et plus que tu m'évites !
Rends-moi l'argent que tu m'as attrapé,
Ou ce bâton , comme tu le mérites.... »
1<
Pardon, Monsieur d'affaires occupé ,
Je ne suis point à ce que vous me dites. >>
PONS ( de Verdun ) .
154 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
DANS le monde je suis tellement nécessaire ,
Que personne aujourd'hui ne se passe de moi ;
Avant que d'exister je suis une matière ,
Tantôt de précieux , tantôt de mince aloi .
Des souverains , des rois je reçois la naissance ;
Eux seuls ont le pouvoir de me donner le jour ;
Et lorsque par leur ördre on m’ôte l'existence ,
C'est encor pour renaître et mourir tour-à- tour.
Par Auguste BONNET.
LOGOGRIPHE.
J'AI dans mon ventre un air ;
A mes deux côtés j'ai la note.
Lecteur, dois-je en être plus fier ?
Solfier et chanter ne sont point ma marotte.
CHARAD E.
QUELQUEFOIS mon premier
Renferme mon dernier ;
Et quant à mon entier ,
Si
ce n'est une peine ,
Il sert pour indiquer
Où tel chemin vous mêne.
Mots de l'ENIGME , du LOCOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Trictrac..
Celui du Logogriphe est Ormeau , où l'on trouve eau et or.
Celui de la Charade est Aube - terre , petite ville du département de la
Charente.
JANVIER 1806. 155
SÉANCE DE L'INSTITUT NATIONAL , DU 2 JANVIER.
Eloge de M. Séguier , premier avocat -général du roi
au parlement de Paris , et l'un des quarante de
l'Académie française ; par S. E. M. Portalis , Ministre
des Cultes , membre de l'Institut national ,
grand-cordon de la Légion d'Honneur , etc. , etc.
Broch. in- 8 ° . Prix : 1 fr . , et 1 fr. 25 c. par la poste.
A Paris , à la Librairie STEREOTYPE de Nicolle
el Compe , rue des Grands - Augustins , nº 15 ;
et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint Germain -l'Auxerrois , nº 17.
ON
I
( Deuxième et dernier Extrait. )
N sent qu'il nous est impossible de détailler et
même de parcourir nominativement , soit les brillans
succès de M. Séguier , soit les brillantes descriptions
de son historien non moins éloquent que lui . On
doit également s'attendre à y rencontrer les questions
les plus graves et les plus intéressantes de l'ordre
social. -Là , c'est le droit de tester , c'est le principe
, l'étendue et la borne de cette législation donnée
au père de famille dans sa tribu , et par laquelle il
s'y survit à lui-même. — Ici , c'est la foi et le lien sacré
du mariage ; l'examen de ce qui le constitue devant
les hommes et devant Dieu , sous quelque loi
qu'on vive , et quelque religion qu'on professe ; l'examen
aussi de ce qui peut en prévenir ou de ce qui
doit en suivre la profanation. - C'est tantôt la supposition
intéressée , et tantôt la suppression dénaturée
d'un enfant ; une naissance mystérieuse ou un
état équivoque ; la crainte d'établir un individu étranger
au milieu de la famille qui le repousse , et le
danger d'en exclure celui que la présomption salu156
MERCURE DE FRANCE ,
-
―
taire de la loi y retient ; l'effet du titre qui ne peut
se prescrire ; la force de la possession qui ne peut
s'enlever ; la légitimité d'un être innocent defendue
non seulement contre une attaque injuste , mais.
même contre une loi rigoureuse , quand cette loi
n'est réclamée que par d'avides et de barbares collatéraux.
Ailleurs , c'est la propriété d'un grand
nom , qu'ont le droit de chérir ceux qui se montrent
dignes de le porter ; c'est celle de domaines contestés
entre le prince et un de ses sujets ; et dès qu'il y
a incertitude constante sur le droit , la grandeur da
souverain , l'honneur de son administration , la pudeur
de sa justice veulent que la balance incline vers
le sujet. Ce sont quelquefois des intrigues de cour
à repousser avec dédain du sanctuaire des lois , ou
des manoeuvres de noirceur à y punir avec sévérité.....
Nous ne pousserons pas cette énumération
plus loin. Tout ce que des discussions de ce genre
peuvent fournir à l'éloquence ou à l'érudition , au
talent ou à la sensibilité , à la force ou à la délicatesse ,
a brillé dans les plaidoyers de M. Séguier , et se
retrouve dans son Eloge.
L'orateur , jurisconsulte et académicien , joint
l'élégance à la solidité. Il dispose ses sujets comme
il les traite, il sait , suivant le précepte de Boileau ,
Passer du grave au doux , du plaisant au sévère .
Après toutes ces causes en effet si graves et si sévères ,
quoi de plus doux à présenter que cette Rosière de
Salency , et le charmant plaidoyer , et l'intérêt touchant
dont elle devint l'objet pour M. l'avocat-général
Séguier ! « Cette fête étoit appelée la Fête de la Rose.
» Elle étoit particulière à la commune de Salency . Les
» habitans décernoient toutes les années une cou-
>> ronne de fleurs à la fille jugée la plus vertueuse . La
jeune personne étoit conduite en triomphe au
pied des autels. La couronne qui lui étoit destinéé
» etoit bénite par le ministre de la religion , et placée
ל כ
>
JANVIER 1806 . 157
>>
» sur sa tête par le seigneur du lieu . L'origine de la
» fête de la Rose remontoit au sixième siècle . On
» prétendoit que S. Médard en étoit le fondateur.
» Cette fête fut ignorée tant que l'ordre n'en fut pas
» troublé . Une contestation qui s'éleva entre le sei-
» gneur , le curé et les habitans , la fit connoitre .
» Avec quelle grace M. SEGUIER , dans cette cause ,
» ne présenta-t- il pas au tribunal et au public les
détails aimables que la tradition de la contrée nous
avoit transmis sur une institution qui n'avoit point
de modèle ! Cet orateur ne crut pas indigne de la
gravité de son ministère , de proposer et de faire
adopter un petit code pour la fète de la Rose ; de
» fixer ainsi la marche de cette fête , d'en protéger
» le but , d'en conserver les effets , et de perpé-
» tuer dans une petite ville , qui s'honoroit d'avoir
» été jusqu'alors l'asile de l'innocence , le culte religieux
qu'on y rendoit à la vertu ! »
>>
»
»
>>
Est-il possible d'offrir un tableau qui respire tout
à-la-fois plus de fraîcheur et plus de pureté ? On remarque
sans doute comme l'orateur sait varier ses
tons avec ses sujets , comme c'est ici le style de la
chose , des plirases courtes et simples , des expres
sions naïves , un petit code , la tradition de la contrée......
voilà le cachet du goût .
Pour rendre cette observation plus frappante ,
nous allons transcrire le morceau qui suit immédiatement
. Le Panégyriste est remonté du doux au
grave : c'est l'Emule de M. Séguier , dans ses causes
les plus élevées ; c'est , dans la parole et dans la pensée
, le disciple de Cicéron et de Montesquieu , qui ,
rempli de leurs préceptes , les transmet aux autres.
Il peint l'éloquence et la raison improvisant dans une
grande assemblée , et voici comment il s'exprime :
« Ils sont rares les hommes qui n'éprouvent pas le
>> besoin de fixer d'avance leurs idées par une ré-
>> daction soignée ; qui disposent quand ils le veulent
» et avec une sorte de souveraineté , des mots , des
158 MERCURE DE FRANCE ;
»
images , des figures , de toutes les richesses ora-
» toires ; et qui , soutenus par la conscience de leurs
» propres forces , produisent au-dehors , comme
par inspiration , leurs sentimens et leurs pensées ,
» avec l'ordre et l'éclat que la préparation la plus
» réfléchie ne garantit pas toujours. »D
Après cette description que M. Portalis a écrite en
songeant à d'autres , et que tout le monde a écoutée
en pensant à lui , il dit , deux pages plus bas : « L'é
>> loquence est la toute puissance de l'homme ; avec
» une parole il crée ce qui est , il débrouille ce qui
» n'est pas encore . Il dit : toutes les passions obéis-
>> sent , toutes les opinions se confondent dans une
» seule opinion ; et la vérité qu'il proclame perce
» avec la rapidité de la lumière jusque dans le fond
» des ames. »
Le premier de ces deux paragraphes est amené à
la suite de l'observation faite par l'orateur , que
M. SEGUIER ne parloit jamais sans avoir écrit. On a
donné , à cet égard, à M. Portalis des notes inexactes,
ou du moins trop absolues . Sans doute dans les causes
d'un intérêt majeur , et d'une grande complication ,
M. SEGUIER écrivoit son plaidoyer. Il ne le récitoit
pas même de mémoire. Il lisoit , et ainsi le pratiquoient
tous les avocats- généraux du royaume , tous
ceux du moins que nous avons entendus. Le magistrat
chargé de présenter à un tribunal suprême tous
les faits et tous les moyens contradictoires des parties
adverses , de les balancer ensuite les uns par les autres ,
et d'indiquer aux juges l'arrêt à prononcer , doit en
effet songer à d'autres avantages que ceux d'un orateur
qui s'abandonne . La plus légère omission ne le
laisseroit pas sans reproche , et nous croyons que cette
phrase justement appliquée à M. SEGUIER , par son
panégyriste , est applicable à tout magistrat qui a été
chargé des mêmes fonctions que lui . On voyoit même
souvent , dans les affaires compliquées , les juges demander
, pendant le cours des opinions , les feuilles
JANVIER 1806.
139
de l'avocat - général , pour s'éclairer sur une circonstance
douteuse ou un fait contesté .
Mais dans les affaires ordinaires et peu embarrassées
, dans ce qu'on appelcit les causes sommaires
du parquet où les gens du roi jugeoient , et dans
plusieurs autres circonstances , nous avons vu et entendu
M. SEGUIER improviser avec une facilité , une
abondance et une netteté extrêmes . L'Empereur
Joseph II , pendant le séjour qu'il fit à Paris , vint
assister à une audience de grand - chambre sans être
annoncé . On l'aperçut , bien malgré lui , dans la
lanterne , ou tribune du premier président. M. Séguier
portoit alors la parole : averti de cette apparition
par le murmure qui parcourut l'assemblée , et
par la direction des regards que lui - même suivit
involontairement , il ne s'arrêta pas une minute ;
mais poursuivant son discours , il trouva moyen d'y
amener un hommage plein de grace et de noblesse
pour son illustre auditeur. Telle fut l'étendue , la
correction et l'à- propos de ce compliment , qu'on eût
pu le croire composé avec le reste du discours , si
quand l'orateur le prononçoit , ses yeux n'eussent pas
quitté son manuscrit .
Nous citerons encore à cet égard une grande et
douloureuse circonstance du règne de Louis XVI ,
que M. Portalis a citée avant nous , le procès de ce
brave et infortuné général LALLY , dont la tête , mise
à prix par les ennemis de la France , en 1745 , a été
abattue par un de ses tribunaux en 1766 , puis vengée
en 1778 , par la justice du souverain', qui , sur la requête
du fils , a cassé et annullé la condamnation du
père. Nous avons eu occasion de lire une espèce de
journal des séances que tint le parquet à l'issue de
cette cruelle affaire ; journal rédigé alors par le
doyen des substituts du procureur - général , celui que
Louis XV appeloit le beau , et les plaideurs l'honnête
Pierron. Ce fut ce magistrat qui fit le rapport du procès
devant le procureur- général et les trois avocats160
MERCURE DE FRANCE ,
généraux ; et quoique le vice - roi de l'Inde française ,
après avoir langui quinze mois à la Bastille sans avoir
de juges , n'eût pu obtenir , dans la précipitation
subite de son jugement , un délai de huit jours pour
mettre sa défense en état ; quoiqu'on eût poussé la
rigueur jusqu'à lui refuser , à trois reprises , le secours
d'un conseil ; sur le seul résultat de la procédure
dirigée exclusivement à sa charge , le Rapporteur du
parquet conclut , « à ce que l'accusé fût honorable-
>> ment absous de toutes les accusations qui étoient
» du ressort de la justice civile , et le roi supplié de
» nommer un conseil de guerre . pour prononcer sur
» la partie militaire. » Ce fut cet avis qu'adopta la
justice de M. SEGUIER , et que son courage défendit
jusqu'à la dernière extrémité ; mais c'est son talent
qui nous occupe ici , et le point auquel nous voulions
en venir , c'est que le doyen des substituts , arrivé
dans son journal au jour des opinions émises dans
l'intérieur du parquet , débutoit ainsi , en résumant
celle de M. Séguier : Mes conclusions adoptées en
entier par M. Séguier, qui , sans avoir rien disposé
par écrit, parla plus de deux heures comme par inspiration
, etjamais peut-être ne se montra plus disert,
plus animé , plus fort de raisonnement , de sensibilité
et de parole . L'analyse que le doyen présente ensuite
du discours de l'avocat- général , justifie complètement
l'éloge qu'il en fait , mais excéderoit les bornes
de celle qui nous occupe.
C'est dans un utile parallèle entre l'éloquence de
la chaire et celle du barreau , que M. Portalis a présenté
cette belle définition , que nous avons citée toutà
-l'heure , de l'éloquence en général . C'est là qu'il fait
un appel noble et encourageant aux jeunes candidats
qui se sentent dignes de marcher sur les traces des
Cochin et des Gerbier , des d'Aguesseau et des Séguier;
là , qu'il leur montre dans les lois la garantie de
la liberté nécessaire à l'orateur magistrat et a Forateur
du barreau ; là , que pour leur faire apprécier la gloire
qui
JANVIER 1806.
aniles attend , il cite le mot de Gustave III sque
M. l'avocat-général Séguier lui fut présenté
་ །། ་
LA
droit n'être pas d'Europe pour ignorer le nom d'un
magistrat aussi éloquent. C'est là enfin , que ramené
par sa juste admiration et par son sentiment fond
à l'idée du souverain dont il est le ministre , et du legis
lateur dont il a été l'organe , M. Portalis s'écrie : « Dans
» un siècle où l'on sait apprécier tout ce qui apprend
» à connoître les hommes , et tout ce qui peut servir
» l'humanité ; dans le siècle où un grand prince , rassasié
de la gloire qui environne les héros , a obtenu
» une gloire plus réelle , en devenant par son génie le
législateur du plus grand empire de l'univers ; quelle
» impulsion les orateurs du barreau ne reçoivent- ils pas
» de l'étonnante et rapide confection de tant de codes
qui assurent le bonheur du peuple français , et pré-
» parent celui des autres peuples ? Est - ce dans un tel
» moment, si capable de donner l'essor à l'éloquence
judiciaire , que l'on oseroit désespérer de voir se
» former de nouveaux orateurs dans le barreau , qui
sera toujours la première aréne ouverte aux talens
» jaloux de se faire connoître ? »
Le moment est venu pour l'orateur de nous faire
parcourir les titres littéraires de M. Séguier ; son entrée
dans cette Académie , dont le chancelier Séguier
avoit été le second protecteur ; son éloge ingénieux et
varié de Fontenelle , qu'il remplaçoit en 1757 son
éloge touchant et délicat de M. de Sainte - Palaye ,
qu'il eut à célébrer en 1781 , en remplissant les fonctions
de directeur ; son amour pour la littérature , et
les services éminens qu'il rendit aux littérateurs , et
l'immense et superbe travail dont il étonna les chambres
assemblées du parlement , quand il voulut éteindre
toutes les contestations entre le génie qui crée un livre
et le mécanisme qui l'imprime . Dans cet ordre de personnes
et de sujets se placent successivement , l'origine
et les progrès , la multiplication et la diversité des
sciences ; l'esprit et les moeurs de la chevalerie ; l'image,
L
162 MERCURE DE FRANCE,
ou plutôt le chef- d'oeuvre de l'amour fraternel ; la consécration
du droit de propriété que conserve un auteur
sur ce qu'il peut appeler sa création ; des réflexions
piquantes et même neuves sur la révolution
amenée par la découverte de l'imprimerie ; l'union
puissante et désormais nécessaire des lettres , de la
politique et des lois ; à chaque instant un tableau qui
plaît , ou une question qui intéresse ; une pensée qui
élève , un sentiment qui pénètre , une décision qui
entraîne.
Mais on a fait à M. SEGUIER , un reproche directement
contraire à un des mérites que vient de célé–
brer en lui M. Portalis. Un témoignage imposant s'est
élevé ; des mémoires ont été publiés récemment , qui
ont excité un grand intérêt, qui en eussent excité un
plus grand encore, si une amitié moins indulgente
en eût retranché plusieurs détails , hasardés en plus
d'un sens; et dans ces mémoires M. Séguier est accusé
de s'être rendu auprès de son parlement, le dénonciateur
des philosophes et des hommes de lettres.
C'est , dit son panégyriste , le plus grave des reproches
et la plus foible des objections , et il le montre
jusqu'à l'évidence par une discussion de dix pages,
qui nous a paru courte, tant elle est animée et entraînante.
Les devoirs du ministère public ; la surveillance
qu'il doit exercer sur les moeurs ; le danger
d'écrits qui attaquent journellement et la morale , et
la religion, et l'état ; l'outrage fait à la philosophie en
la confondant avec la rebellion et l'impiété ; l'épouvantable
résultat de ces doctrines monstrueuses du
matérialiste et de l'athée ; la dégradation des individus;
la fluctuation et le déchirement des sociétés ; les
bienfaits au contraire qu'a répandus et que répand
journellement le christianisme , l'ordre qu'il maintient
, la vraie morale qu'il a notifiée à l'univers, qu'il a
sanctionnée par ses dogmes , qu'il a rendue populaire
par son culte , voilà l'enchaînement de vérités , de
JANVIER 1806 . 163
+
peintures , de mouvemens compris dans ces dix pages
qu'il faut lire et qu'on ne peut extraire. On craint
de distinguer quelque partie aux dépens du tout .
Nous dirons cependant que la page 52 est particulièrement
admirable , et qu'elle a été applaudie avec
enthousiasme . Nous indiquerons encore le passage où
M. Portalis a dit , en parlant de la religion chrétienne :
Il lui appartient de faire des croyans : c'est le pyrrhonisme
quifait les crédules . Le public a remarqué
ainsi que nous la finesse de cette observation , et la
justesse du développement qui la suit . Ce même public
s'est senti appelé à l'effusion de sa reconnoissance ,
lorsque l'orateur lui a montré l'auguste libérateur qui
a reçu dans ses bras la France déchirée par l'impiété
et par l'anarchie , s'empressant de relever les autels
pour asseoir le premier des Empires. Enfin tout le
monde a conclu , avec le panégyriste de M. Séguier ,
que cet avocat -général , par ses beaux réquisitoires
contre les écrits s ditieux et impies, avoit bien mérité
de la religion , de la patrie , et du genre humain.
盞
Nous voudrions pouvoir trouver une défense aussi
tranchante , ou plutôt un hommage aussi mérité pour
un autre réquisitoire de M. Séguier , qui a été au
moins l'objet d'une grande controverse . Il nous paroit
que c'est une circonstance délicate dans la carrière
officielle , de cet illustre magistrat , et la vérité nous
oblige à dire que nous la trouvons susceptible
d'excuse plutôt que d'approbation .
Dans cette disposition des esprits au milieu de
laquelle M. Séguier se trouvoit lancé , dans cette lutte
de beaucoup d'idees anciennes contre beaucoup
d'idées nouvelles , dans ce partage à faire entre ce
qui étoit principe et ce qui étoit préjugé , entre les
réformes nécessaires et les innovations dangereuses ,
entre les lois destructives et les lois conservatrices ,
il étoit bien difficile que de part et d'autre on ne
dépassat pas souvent le but , et que tout le monde
s'arrêtat à ce juste milieu , à ces points immuables
164 MERCURE DE FRANCE ,
de démarcation quos ultrà citràque nequit consistere
rectum. Sans doute il falloit détruire la superstition
sans ébranler la religion , abolir les auto - da-fé sans
renverser les autels , faire disparoître l'absurde férocité
de la question , et le guet -à-pens des procès clandestins
, sans prétendre à l'impunité de délits publics
aussi avérés et aussi funestes que des libelles calomnieux
, des provocations à la révolte , et des blasphemes
contre la Divinité. Mais il falloit aussi que les
magistrats investis du ministère public fissent un réquisitoire
contre le Système de la Nature , contre l'Histoire
philosophique et politique du commerce des
Européens dans l'Inde ; et il ne falloit pas qu'ils en
fissent un contre ce qu'on a appelé le Mémoire des
Trois Roués. Il ne falloit pas que M. du Paty qui avoit
rempli lui -même ces fonctions de la partie publique
avec tant de supériorité , de courage et d'éclat , qui
avoit mérité ainsi de se voir élevé à la dignité de président
à mortier au parlement de Bordeaux , fût
injurieusement dénoncé et criminellement poursuivi
par ses collégues de Paris ; et pourquoi ? Pour avoirvoulu
arracher à l'execrable supplice de la roue trois
malheureux , dont l'innocence lui étoit démontrée ;
pour avoir relevé avec une sévérité , qu'on pouvoit
appeler miséricordieuse , les erreurs , la légèreté , la
passion des juges ; pour avoir examiné en magistrat ,
en philosophe , en chrétien , en homme , si les dispositions
de la loi n'étoient pas souvent responsables des
méprises et des prévarications de ses ministres ; enfin
pour avoir uni sa voix à celles des SERVAN , des CASTILLON
, des DUDON , des MONCLAR , qui tous demandoient
qu'un souverain probe et bienfaisant par
essence , achevat de purger la jurisprudence française
des restes de barbarie et d'injustice qui la souilloient
encore. Il ne falloit pas sur-tout que le premier tribunal
du royaume , que la cour des pairs suscitât toutes.
les préventions de l'esprit de parti , et risquât d'accabler
de toute son influence trois accusés dont
JANVIER 1866. 165
le sort étoit pendant à un autre tribunal , et qui
étoient encore près de la roue à laquelle ils
avoient été condamnés par les premiers juges,
M. Portalis cherchant à éluder ce reproche pour
le magistrat qu'il célébroit , n'a pas trouvé un moyen
plus sûr que celui de nous présenter un monument
de la justice ferme et compatissante de M. SEGUIER ,
dans ce procès célèbre dont nous avons parlé plus
haut . Ce magistrat , a-t- il dit , ne pouvoit élre soup
çonné de méconnoître les droits de l'humanité. On
sait que dans la fameuse affaire du général Lally,
il avoit opiné avec courage pour l'absolution de cet
intéressant accusé, devenu trop célèbre par ses mal-`
heurs , après l'avoir été par tant de bravoure , de services
et de générosité . On sait que dès - lors il avoit
développé dans les délibérations du parquet toutes
les raisons présentées depuis avec tant d'énergie , de
sentiment et d'éloquence , par la piétéfiliale.
Personne , comme on a pu le voir , ne connoît et
n'apprécie mieux que nous tout ce que M. l'avocatgénéral
SEGUIER déploya de courage , de vertu et
de sensibilité dans cette cruelle occasion . Mais dans
le procès du général de l'Inde , il n'écouta que son
esprit et son coeur ; dans celui des accusés de Chau
mont , l'esprit de corps lui fit violence ou illusion :
dans tous les deux sa volonté d'être juste fut la même.
Heureusement pour les trois accusés , leur cause
n'étoit pas portée devant un de ces grands corps qui
prétendoient avoir le droit de condamner au supplíce
pour les cas résultant du procès ; qui épousoient leurs
jugemens , leurs querelles , leurs ambitions réciproques
; et qui par leur nature et leurs habitudes , par
leur grand pouvoir et leur petit nombre , tendoient
toujours à se promettre l'un à l'autre , comme autrefois
les décemvirs de Rome , ut quod unus eorum
probasset, idem et cæteri ratum haberent. (1 ) La
( 1) Denys d'Halicarnasse.
166 MERCURE DE FRANCE ,
sentence devoit être revue par une cour du second
ordre , composée de ces magistrats qu'un conseiller de
grand-chambre app eloit dédaigneusement en 1764
des juges en guetres , parce qu'ils ne savoient pas
s'élever au-dessus de la lettre de la loi . A leur honneur'
immortel , et d'une voix unanime , les juges du bailliage
de Rouen dé clarèrent innocens les trois malheureux
qu'une première sentence avoit condamnés à
être rompus vifs . Le procureur du roi , qui étoit leur
accusateur légal , conclut lui- même à leur absolution ,
et ils furent autorisés à prendre à partie leurs premiers .
juges . Ainsi la question se trouva tranchée irrévocablement
en faveur des patrons exaltés de l'innocence ,
contre leurs dénonciateurs formalistes . Le réquisitoire
de M. SEGUIER , désormais inoffensif pour les accusés
qui étoient absous , impuissant d'ailleurs contre
des réformes que rien ne pouvoit plus empêcher de
prévaloir , ne fut plus qu'un monument de la väste
érudition de celui qui l'avoit écrit, et un gage de respect
pour les exemples et la tradition antiques , principe
après tout dont l'oubli seroit aussi dangereux que
son exagération. M. Séguier se jugea lui-même plus
sévèrement que nous . ne le jugeons , et se fit d'une
méprise innocente un titre de gloire réel . Heureux
de n'avoir pas précipité le glaive sur la tête de ces
infortunés; mais frémissant des dangers qui leur avoit
fait courir , et qu'il avoit courus lui-même , il ne voulut
pas concevoir des regrets stériles de la pénible
démarche que sa compagnie avoit exigée de hui , et
il fut un de ceux qui insista le plus vivement auprès
du garde des sceaux Miromesnil pour la formation
d'un comité de magistrats , chargé de revoir enfin et
de refondre la justice et la procédure criminelle . On
sait que la révolution a surpris ce comité au milieu
de ses travaux .
+ Vers le même temps , provoqué encore par une
direction étrangère mais plus pure , M. Séguier porta
au parlement un réquisitoire digne en tout de son
JANVIER 1806. 167
" auteur. Le frère du grand FREDERIC , le prince
HENRI étoit à Paris , et il y recueilloit tout ce que
peut inspirer de sentimens le charme de l'affabilité
uni avec l'éclat de la gloire . Tandis que toute la France
lui répétoit cette strophe charmante du chevalier
de Boufflers , qui valoit elle seule un poëme entier ( 1 ) ;
cet homme qui , comme les harpies , souilloit tout ce
qu'il touchoit , MIRABEAU publioit , colportoit et
vendoit , sous le titre d'Histoire secrète de la cour de
Berlin , un libelle affreux contre le caractère du
grand homme à qui la France s'honoroit de témoigner
l'hospitalité la plus amicale et la plus distinguée .
Louis XVI indigné manda M. Séguier , lui remit
lui -même le libelle , le magistrat parla , et le héros
fut vengé.
Tant de beaux et de grands travaux ont été
détruits par la tempête révolutionnaire , qu'à peine
oserons- nous regretter plusieurs morceaux de littéra- .
ture agréable échappés à M. SEGUIER dans ses
délassemens , quelques pièces de poésie pleines de
naturel , d'esprit et de graces , des épîtres , des
contes , même quelques chansons. Plutarque nous
dit que le sage Socrate faisoit des chansons de table ,
et nous trouvons dans Boileau des airs dont il égayoit ,
pendant la vacance , les banquets de Bâville .
Faut- il faire ici la part de l'envie et de la malignité?
Faut- il dire ou dissimuler que M. SEGUIER eut une
jeunesse ardente , et connut ces passions vives , auxquelles
les grands génies échappent si difficilement ?
Nous l'avouerons sans qu'il y ait rien ni d'embarrassant
(1 ) Pour vous tout se déclare.
On diroit que Paris
Confond les deux HENRIS
De Prusse et de Navarre.
Nous nous plaisons à vous nommer ;
Nous sommes fiers de vous aimer .
Princes , on peut vous en croire :
Dites - nous , sans détour,
Si toute votre gloire
Vaut mieux que notre amour ?
168. MERCURE
DE FRANCE
;
pour sa mémoire , ni de pénible pour notre respect;
parce qu'en lui l'homme privé ne dérangea jamais
l'homme public dans la ligne de ses fonctions ; parce
que ses plaisirs n'eurent jamais de prise sur ses devoirs
; parce que la maturité de l'àge fit un bon
époux , un bon père , un ami solide de celui qui
avoit toujours été un orateur éloquent , un jurisconsulte
infatigable et un magistrat intègre.
Nous touchons à la fin de cette analyse , et cer
pendant nous n'avons encore rien dit d'une partie ,
aussi importante qu'étendue , de l'éloge de M. Segnier ,
celle qui commence à la page 55 , et occupe le reste
du discours de M. Portalis. C'est que sur cette partie
il ne nous est plus possible de nous livrer à des détails,
Nous nous bornerons à dire qu'elle est pleine d'intérêt
, d'observations fines et de grands aperçus ;
que l'homme d'état , le philosophe, l'historien doi
vent la méditer attentivement ; mais qu'elle renferme
beaucoup de questions de fait ou de droit , sur les
quelles il seroit également téméraire de donner ou
de refuser son assentiment sans un examen appro-..
fondi . Il s'agit en effet des événemens publics , des ,
orages politiques qu'a traversés M. Séguier , de cette
lutte de tous les pouvoirs , de l'abus ou de l'abandon
chacun a fait du sien ; en un mot , de cette suite .
de révolutions partielles et locales qui en ont amené
une dernière et universelle. Ceux qui ont déjà une
conviction acquise peuvent assurément se croire en
droit de la manifester. Celui pour qui une circons
tance est avérée et une autre problématique, doit
craindre de hasarder uue opinion incomplète. Le
temps , d'ailleurs , est - il bien venu d'adresser à la
Muse de l'histoire cette invocation connue , adressée
à lá Muse de l'épopée :
que
Dis comment la Discorde a troublé nos provinces
Dis les malheurs du peuple et la faute des princes
Sans doute, l'injustice et le crime ne méritent aucune
pitié; mais les fautes ont été punies par tant de
JANVIER. 1806, 169
malheurs , et quelquefois même produites par tant,
de vertus , qu'on n'a pas le courage de les reprocher
devant ceux qui les ont commises, ou devant leur's
cendres à peine refroidies , ou devant leurs enfans , à
qui ce seroit dénoncer leurs pères. Ce n'est pas que
dans cette partie de l'éloge de M. Séguier , il y ait un
seul mot qui puisse , nous ne dirons pas affliger , mais
inquiéter la sensibilité. Jamais blessures n'ont été
approchées avec une crainte plus pieuse de les déchirer
ou de les aigrir. Mais , pour cela , il faut en retenir
beaucoup plus qu'on n'en dit , et si celui qui a
été chargé officiellement de louer M. Séguiér , ne
pouvoit s'empêcher d'agiter plus ou moins pericu
losa plenum opus alea , celui qui rend compte de
l'Eloge n'a pas contracté la même obligation.
Ce que nous croyons pouvoir avouer dès ce mo→
ment , c'est que , dans notre opinion , la destruction
des Jésuites fut une affaire de parti et non de justice
; que ce fut un triomphe orgueilleux et vindica
tif de l'autorité judiciaire sur l'autorité ecclésiastique
; nous dirions même sur l'autorité royale , si
nous avions le temps de nous expliquer ; que les motifs
étoient futiles ; que la persécution devint barbare ;
que l'expulsion de plusieurs milliers de sujets hors
de leurs maisons et de leur patrie pour des métaphores
communes à tous les instituts monastiques ( 1 ) ,
pour des bouquins ensevelis dans la poussière et
composés dans un siècle où tous les casuistes avoient
professé la même doctrine , étoit l'acte le plus arbitraire
et le plus tyrannique qu'on pût exercer ; qu'il
(1 ) Que de puériles déclamations sur cette figure employée.
par le fondateur des Jésuites , pour donner à ses disciples
l'idée de l'obéissance qu'ils devoient à leur général i Qu'ils
soient comme le bâton dans la main du vieillard ! Le fondateur
des Dominicains avoit dit : comme la coignée dans la
main du bucheron. Que de preuves d'assassinats eût fourni ,
contre les Jésuites , cette dernière figure employée au lieu de
l'autre dans leur institut !
170 MERCURE DE FRANCE ,
en résulta généralement le désordre qu'entraine toujours
une grande iniquité , et qu'en particulier une
plaie , jusqu'ici incurable , fut faite à l'éducation publique
, et notamment à l'éducation monarchique .
M. Séguier obligé par son corps de prendre une part
active dans cette guerre acharnée contre des moines,
y mit au moins tout ce qu'il put de modération et de
douceur. C'étoit en quelque sorte solliciter l'indulgence
pour eux , que de rappeler les services qu'ils
avoient rendus à la religion , aux sciences et aux
lettres. Elevé dans un de leurs colléges , M. Séguier
pouvoit juger combien on les calomniait ; il savoit
que pour un La Valette et pour un Lavaur , cette
société comptoit dans son sein trente Bourdaloue et
autant de Porée , de la Rue , de Tournemires , d'Orléans,
de Vanière , etc.
Nous ne craindrons pas encore de professer ( et
ceux qui ne connoissent pas d'autre mot que celui
d'innovation pour qualifier la suppression de la torture
, ne nous contesteront pas notre opinion ) , qu'à
nos yeux une des premières et des plus grandes innovations
a été ce système subit , par lequel douze parlemens
que les rois avoient créés successivement en
France , prétendirent tout- à- coup ne former qu'un
seul parlement national ; partagé en douze classes.
De là devoient sortir toutes les querelles qui en sont
sorties , et qui ont eu la durée et le terme que chacun
sait.
Nous n'en croyons pas moins que la vérification
libre des lois dans les cours souveraines étoit depuis
cinq siècles une partie intégrante du droit public de
France ; que c'étoit une sauve-garde aussi précieuse
pour la religion des rois que pour la sûreté des peuples
; qu'au milieu des torts alternatifs du gouvernement
et de la magistrature :
Iliacos infrà muros peccatur et extră.
Le chancelier Maupeou fut une peste publique qui
JANVLER 1806 .
171
envenima tout au lieu de tout guérir ; que l'envoi
d'un mousquetaire à chaque magistrat pour l'arracher
la nuit à son sommeil , et le forcer de dire un
oui qui devoit le déshonorer, ou un non qui devoit le
perdre ; que la matinée qui vint après cette nuit ; que
la confiscation des charges , la dispersion et l'exil des
magistrats , la destruction de toute l'ancience magistrature
de France furent des delits monstrueux , et
portèrent la cognée aux racines de l'ancienne monarchie.
Nous croyons sur-tout que M. Séguier montra
dans ces temps malheureux une sagesse exemplaire
, et un courage admirable. Si rien ne fut plus
grand que sa conduite , rien n'est plus beau que la
peinture qui nous en est tracée par son panégyriste.
Nous rendrons un dernier hommage à l'un et à l'autre
par cette dernière citation qui coupera court à
quelques controverses délicates , et mettra un terme
à une analyse , où l'admiration du beau et le sentiment
du vrai nous ont entraînés bien au - delà des
limites ordinaires .
« Tout-à - coup les magistrats de la première cour souve-
» raine de France sont dispersés par l'exil , et relégués dans
» des maisons de force ou à une grande distance de la ca-
» pitale. Le 15 avril 1771 , le monarque tient un nouveau
» lit de justice pour organiser et consommer leur remplace-
» ment.
» M. SEGUIER , connu par la modération de ses principes ,
» n'avoit point été compris dans la disgrace commune. Il
» reçut ordre de se trouver au lit de justice et d'y remplir
>> les importantes fonctions de sa charge. Quel moment pour
>> ce magistrat ! Seul au milieu des ennemis de la magistra
» ture , isolé de tous les collègues estimables dont il avoit
» pendant sa longue carrière partagé si glorieusement les
» travaux et les vertus , entouré d'hommes étrangers qui
» étoient étonnés de leur propre élévation , placé au pied du
» trône et sous les yeux d'un monarque trompé par tant de
» prestiges , et aigri par tant de machinations , quelles paroles
» pourra-t-il faire entendre , et pour qui élevera-t-il sa voix
» dans ce nouveau sanctuaire ?
» Parlera-t-il pour des magistrats qui ne sont plus ? Se
» réunira-t-il à des magistrats qui ne sont point encore ? La
>> foudre qui avoit frappé sa compagnie , menaçoit toutes les
172 MERCURE DE FRANCE ,
» autres. Dans une situation aussi orageuse , iill falloit falloit que le
» sentiment du devoir l'emportât sur tout autre sentiment.
» et que l'honneur parlât plus haut que la crainte dans l'ame
» d'un magistrat subitement jeté au milieu d'une assemblée
» qui n'offroit à ses regards que le courroux du maître et
» Pappareil imposant de sa puissance.
» M. SEGUIER s'éleva au-dessus des considérations ordi-
»> naires ; il se constitua l'organe de la nation entière. Sans
>> avoir partagé les torts et l'exagération de ses collègues , il
w ne redouta pas le risque de partager leur malheur. Dépouillé
≫ de ses anciennes fonctions, dédaignant les fonctions nouvelles
» qui lui étoient offertes , il se créa , pour ainsi dire , à lui-
» même une magistrature extraordinaire et passagère , dont
>> il ne pouvoit trouver le titre que dans sa fidélité et dans
» són courage. Il s'adressa au coeur du monarque sans braver
» son autorité. Il chercha à intéresser sa pitié pour désarmer
» sa sévérité. Il dénonça les hommes perfides qui feignent ,
» dans les cours , de travailler pour les princes , lorsqu'ils ne
» travaillent que pour ses courtisans contre lui. Il exposa
» les suites affreuses que pouvoit entraîner dans une mo-
» narchie usée , un événement qui menaçoit la stabilité de
>> toutes les institutions nationales et la sûreté du monarquei
garantie par ces institutions. Car on ébranloit le trône , en
» détruisant des établissemens que la conduite des rois et le
» respect des peuples nous avoient présentés jusqu'alors comme
» aussi inébranlabes que le trône même.
» Ainsi se termina dans cette mémorable occurence , la
» mission d'un magistrat qui ne mit jamais les périls en ba-
>> lance avec les devoirs , qui consacra par sa démission et sa
» retraite les grandes vérités qu'il venoit de proclamer , et qui
>> sut constamment demeurer fidèle à sa patrie , à son prince
» et à son honneur. »>
Trois ans s'écoulèrent , un nouveau règne s'ouvrit ,
et avec lui se présentèrent toutes les espérances qu'on
pouvoit concevoir de la vertu la plus pure assise sur
le trône , si l'on n'abusoit pas de sa jeunesse , si l'on
ne contrarioit point ses desirs , si l'imprudence des
uns et la passion des autres ne faisoient pas germer
la ruine des semences même qui devoient pros
duire le salut . Le 12 novembre 1794 , M. Séguier
fut rétabli dans ses fonctions avec l'ancien parlement
qu'il falloit ou ne falloit pas rappeler, c'est une grande
question ; mais qui , rappelé une fois , devoit certaiJANVI
E R. 1806. 173
(
nement l'être autrement qu'il ne le fut . Dès le lende
main , M. Séguier vit ce grand corps aux prises avec
l'autorité qui l'avoit ressuscité la veille . Il le vit , pendant
le cours de treize années , renverser successive→
ment M. Turgot qui vouloit le bien , M. Necker qui
le faisoit , M. de Calonne qu'on eût pu obliger à le
vouloir et à le faire . M. Séguier vit la guerre d'Amé--
rique , le fardeau de ses dépenses et le produit de ses
principes . Avec cet appauvrissement des finances , et
cette exaltation des systèmes , il vit concourir la marche
progressive des esprits depuis un siècle. Il annonça
en 1785 le pressentiment d'une révolution prochaine.
Il la vit commencer en 1787 , le jour où le parlement
se déclara tout- à-coup incompétent pour enregistrer
l'impôt ( 1 ) , et somma le roi d'assembler , sans délai ,
les Etats- Généraux ( 2 ) . I la vit se consommer
en 1789 , et se souiller dès-lors des crimes odieux
qui n'ont pu être qubliés que par la comparaison de
ce qui a suivi. Il pensa en être victime en 1790 , set
mourut à Tournay le 26 janvier 1792 , poursuivi par
l'image affreuse de sa patrie déchirée . Nous nous
unissons de tout notre coeur au dernier regret , que
son panégyriste a exprimé sur ses derniers momens.
"
« Que n'a-t-il assez vécu pour être témoin des succès d'un
» fils, héritier de ses talens et de ses qualités , qui préside aved
» tant de distinction une des principales cours de justice de
» cette capitale ! Que n'a-t-il pu voir la nation française
(1) C'étoit Atlas qui refusoit de porter le monde , a dit
M. Necker. Jamais il ne s'est dit rien de plus fort ni de plus
vrai.
(2) M. Dudon , procureur-général du parlement de Bordeaux
, l'un des hommes les plus instruits , et l'une des plus
fortes têtes de la magistrature française , dit alors publiquement
: MM. les Enquêteurs de Paris ne savent pas qu'ils
vontperdre la France. Non-seulement ils veulent les Etats-
Géneraux , mais ils les veulent tout de suite , sans laisser
même le temps de s'y préparer. Les Etats- Généraux dévore.
ront les parlemens , ils dévoreront le roi , ils se dévoreront
eux-mêmes.
" }
174 MERCURE DE FRANCE ,
» renaître , pour ainsi dire , de ses cendres , s'élever avec toute .
» la maturité d'un ancien peuple , et toute la vigueur d'un
» peuple nouveau , marcher à la prospérité et au bon-
» heur par les routes brillantes de la gloire , compter autant
» de héros que de soldats dans ses armées , parvenir à un'
» degré de considération et de puissance qu'aucune expres-
>> sion ne peut atteindre , et enfin obtenir entre tous les peu-
» ples le titre de la Grande-Nation , si bien mérité par les,
» prodiges dont nous sommes redevables au génie de plus
» grand des hommes !
VARIÉTÉ S.
LITTÉRATURE SCIENCES 2 ARTS , SPECTACLES.
Les représentations de Manlius continuent avec le
plus grand succès. Talma , non seulement dans la belle scène,
du quatrième acte , mais dans tout le rôle , est admirable.
N'ayant point vu le Kain , nous manquons de moyens de
comparaison ; mais il nous paroît impossible que ce grand ac
teur lui-même ait pu dire avec plus de force , plus d'énergie ,
' avec un sentiment plus profond ces beaux vers dans lesquels
sont si bien exprimées l'envie et la haine qui animent Manlius
, et le poussent invinciblement du Capitole à la Roche
Tarpeïenne na v :
Mes bienfaits vous font peur , et d'un esprit tranquille
Vous regardez l'excès du pouvoir de Camille !
A l'armée , à la ville , au sénat , en tous lieux',
De charges et d'honneurs on l'accable à mes yeux ;
De la paix , de la guerre , il est lui seul l'arbitre ;
Ses collègues soumis et contens d'un vain titre ,
Entre ses seules mains laissant tout le pouvoir ,
Semblent à l'y fixer exciter son espoir.
D'où vient tant de respect , d'amour pour sa conduite ?
Des Gaulois à son bras vous imputez la fuite ;
Vos éloges flatteurs ne parlent que de lui ,
Mais que deveniez-vous avec ce grand appui ,
JANVIER 1806. R 175
!
Si , dans le temps que Rome aux barbares livrée ,
Ruisselante de sang , par le feu devorée ,
Attendoit les secours loin d'elle préparés ,
DuCapitole encore ils s'étoient emparés ?
+
A
1
.191:
1
C'est moi qui prévenant votre attente frivole ; alam
Renversai les Gaulois du haut du Capitole,
Ce Camille si fier ne vainquit qu'après moi
Des ennemis déjà battus , saisis d'effroi .
C'est moi qui par ce coup préparai sa victoire ,
Et de nombreux secours eurent part à sa gloire ;
La mienne est à moi seul , qui seul ai combattu ;
Et quand Rome empressée honore sa vertu ,
Ge sénat , ces consuls , sauvés par mon courage )
Ou d'une mort cruelle , ou d'un vil esclavage ,
M'immolent sans rougir à leurs premiers soupçons ,
Me font de mes bienfaits gémir dans les prisons ,
De mille affronts enfin , flétrissent pour salaire
La splendeur de ma race et du nom consulaire !
}
Act. I , Sc. 3.
D
"
I
La comédie n'a pas été aussi heureuse que la tragédie.
On a remis le Sage Etourdi , comédie médie en trois actes et en vers ,
de Boissy ; pièce très-froide accueillie très-froidement. Une
tragédie nouvelle , qui a pour titre Antiochus , est en ce mo
ment à l'étude . Cette pièce est , dit- on , le début d'un jeune
poète. Mlle Raucourt , qu'une maladie grave avoit éloignée
du théâtre depuis deux mois , doit y rentrer incessamment
par les rôles de Jocaste dans OEdipe, et de Cléopâtre
dans Rodogune.
-
·
M. Desrosiers , qui a joué quelque temps l'emploi des
pères nobles à la Comédie Française , et qui depuis étoit l'ua
des directeurs du théâtre de Rouen , vient de mourir à Paris.
inti-
Le théâtre de l'Impératrice a donné , mercredi dernier ,
la première représentation d'une comédie en un acte ,
tulée le Capitaine Laroche. On espère , pour l'honneur de
ce théâtre , qu'elle n'y reparoîtra plus.
7176
MERCURE DE FRANCE ,
-Le théâtre du Vaudeville a donné , cette semaine , la première
représentation d'Isaure ou l'Inconstant dans l'embarras.
Rien ne ressemble moins à un vaudeville que cette pièce.
Aussi a- t-elle eu très-peu de succès. L'auteur est M. Maurice
Séguier.
-
Les poètes Hollandais sont occupés en ce moment à
traduire la tragédie des Templiers, de M. Raynouard ; le poëme
de la Navigation , par M. Esmenard ; celui de la Gastronomie
, par M. Berchoux.
-
17
"
ป
On vient d'imprimer à Toulouse le procès - verbal de
l'ouverture de l'Ecole de Droit. Cette cérémonie s'est faite
avec un grand appareil , en présence des autorités constituées
et de M. le général Chabran , commandant de la dixième
division militaire. M. Jame , professeur de droit civil et
directeur de l'Ecole , a prononcé un discours plein de vues
justes et étendues sur la jurisprudence. Cette belle et utile
institution consolera désormais la ville de Toulouse de la
perte de son ancienne Université .
La trente -deuxième livraison de la Galerie de Florence,
a parule lundi , 20 du courant , chez M. Masquelier, graveur,
rue de la Harpe , nº. 117 .
"
་ ་སྐམ་།
Mile Julie Charpentier , sculpteur , vient de finir un
bas-relief et divers 'ornemens en bronze , destinés à la déco
ration d'une fontaine publique à Blois . Ne pouvant exposer
ces ouvrages au Salon , on pourra les voir à son atelier , aux
Gobelins , jusqu'au 1º février.
er
as Les frères Piranesi continuent toujours leur belle collection
des antiquités d'Herculanum ; la 21 livraison vient
de paroître , et soutient la réputation de celles qui l'ont précédée
.
On a aussi publié il y a quelques jours la 6 livraison
de la nouvelle traduction d'Ovide, avec les dessins de Barbier,
Moreau et Monsiau. Elle renferme six figures : Pallas dans
l'antre de l'Envie; Cadmus sortant du temple d'Apollon ; le
même
JANVIER 1806. cen
1
même Héros tuant le dragon ; Diane surprise par Actéon , ce
chasseur déchiré par ses chiens ; Junon sous la figure de
Beroé. On promet pour une des prochaines livraisons la Vie
d'Ovide.
On a calculé que , pendant l'année 1805 , l'Angleterre
n'a produit que goo ouvrages nouveaux ; la France 1150 , et
l'Allemagne seule 4645. Cependant la foire de la Saint- Michel
à Leipsick , a produit mille ouvrages de moins qu'en 1804.
On n'y a pas compté plus de 63 romans , et seulement 61 almanachs.
Les branches qui ont le plus fourni comparativement
sont la médecine et l'instruction publique.
-On vient de faire , à Paris , une heureuse application des
procédés chimiques à l'utilité commune ; c'est un briquet
portatif. Il est composé de muriate oxigéné de potasse et d'acide
sulfurique concentré; on plonge une allumette dans le sel
muriatique, ensuite dans l'acide ; il se fait une légère détonation
et l'allumette prend feu. Ce briquet a sur le briquet
phosphorique l'avantage de ne pas avoir d'odeur , de se conserver
plus long- temps et de coûter beaucoup moins ; mais
l'usage n'en est pas sans quelque danger .
*
M. James Blanc , de North -Wallop ( Angleterre ) , a fait
pendant deux années de suite , avec beaucoup de succès , l'expérience
de semer du sarrazin avec de la graine de turneps . Les
turneps qu'on en a recueillis n'ont aucunement souffert des
pucerons , au lieu que dans les pièces de terre voisines qui
étoient seulement ensemencées avec de la graine de turneps ,
ces plantes se trouvoient dévorées de pucerons . Si une expérience
plus longue confirme ce nouveau procédé si peu dispendieux
, on ne doute pas que les agriculteurs n'en fassent
promptement usage.'
-Un fermier de Newtown - Cummingham , en Irlande, a
récemment inventé une machine qui , à l'aide de deux hommes
et d'un cheval , peut battre en sept heures 1800 gerbes d'orges
M
178 MERCURE DE FRANCE ,
ou Soo gerbes de chanvre . Cette machine ne coûte pas plus de
sept guinées à établir.
Le ravage que la petite-vérole à occasionné dans plusieurs
villes des Indes orientales , a engagé les indigènes à
user enfin de la vaccine . Le docteur Miln , dont on ne sauroit
trop louer le zèle et le courage , a vacciné un grand
nombre de personnes à Goa et à Bombay. Le docteur Anderson
a aussi , dans les possessions anglaises de la côte du
Malabar inoculé la vaccine à vingt- six mille individus en un
mois seulement. Dans les Indes occidentales les indigènes ont
aussi profité de cette grande découverte. Les missionnaires
catholiques ont introduit la vaccine parmi les tribus sauvages
les plus voisines des Etats Unis . Nice
"
ΤΙ
→ Jamais peut- être ou n'a ¡ lant imprimé et réimprimé
d'ouvrages de fommes , que pendant l'année qui vient de
s'écouler. En voici une note
rons par les ouvrages anciens,
exacte. Nous commence
Lettres de Mad . de Sévigné
, 8 vol . in - 8 ° et in- 12. ~ Lettres de 'Mesdames de
Villars , de Coulanges , de la Fayette , de Ninon Lenclos et
de Mlle Aïssé . Ce reçueil a eu trois éditions dans l'année .
Lettres de Mad. la duchesse du Maine et de Mad. la marquise
de Simiane ; 1 vol . in- 12 . Lettres de Mlle de Mont..
pensier , de Mesdames de Motteville et de Montmorency ,
de Mlle Dupré et de Mad. la marquise de Lambert ; un
vol. in-12. Lettres de Mad. de Tencin ; ug vol
.
--
་
1
---
Lettres de Scudéry , de Mlle de Salvans de Saliez , et de
Mile Descartes ; 1 vol. in- 12 . Lettres de Mad. de.
Moutier , recueillies par Mad . Leprince de Beaumont ,
nouvelle édition ; 3 vol . in - 12 , Passons aux ouvrages nouveaux
, parmi lesquels il s'en trouve quelques - uns dont
le public apprendra aujourd'hui l'existence ; peut - être le
temps leur a-t - il manqué. - Hommage à la Religion et à la
Gloire , par Mad. Guénard , veuve de Méré ; in- 8 ° .
Conseils à un Chrétien qui veut retirer des fruits du Sa-
---
JANVIER 1806. 179
crifice de la Messe , par Mlle. ... ej in- 18. De la nécessité
de l'Instruction pour les Femmes par Mad. Gacon-
Dufour ; vol. in-12. Alphonse de B ylarie , histoire
réelle , arrivée vers les derniers temps de la monarchie , par
Mile A. R. Gaetan 2 vol. iņ - 12 . Le comte de Cork ,
surnommé le Grand , ou la Séduction sans artifice , suivi de
six Nouvelles , par Mad de Genlis¹; 2 vol . in - 12 .
-
"
Elégies,
par Mad. Victoire Babois , sur la mort de sa fille , âgée de
cinq ans ; in- 12. → Manuscrits de M. Neker , publiés par
Mad, de Staël ; in-8° . — Adolphe de Morný , ou le malheur
de deux jeunes époux , par Mad . de... , aut ur d'Elisa
Bermont ; 3 vol. in-12 . Alicia , ou le Cultivateur de
Schaffouse , par Charlotte Bournon - Malarme ; 2 vol. in- 12.
1
Manuel de la Ménagère à la ville et à la campagne , ét
de la femme de basse-cour ; ouvrage dans lequel on trouve
-des remèdes éprouvés pour la guérison des bestiaux et ' des
animaux utiles , par Mad . Gacon-Dufour ; 2 vol . in- 12 .
Emilie Fitz- Osborn , traduit de l'anglais , par Mad. de L. ! . !' ;
3 volbin- 12. Fedaretta , traduit de l'anglais , par Mad. de
G... il ; 2 vol. in 12. Le Fou de la Montagne , traduit
de l'anglais , par Mlle de C... 2 vol . in 12. Julie de
Saint-Olmont , ou les Premières Illusions de Famour , par
Mad. ... ; 5 vol . · Koraïme 5 ou l'Illustre infortunée' ,
Nouvelle mongolienne ; suivie d'aventures françaises , indiennes
, grecques , etc..... le tout tiré des manuscrits trouvés
dans un arbre à A ………… , près P.... , par Mad . de Flannanville
, institutrice de feue la princesse Elisabeth , fille de
Mad. la princesse de Sekacoukoy ; 2 vol. in- 12.- La Mariée
, ou vertus et foiblesses , pär Mad . Lepel... d'Ar® ... ;
12 vol.in 12. Esprit de Mad . de Genlis ; r vol. in - 12 .
Moliosa , ou l'Héroïsme de la reconnoissance , Nouvelle
arlandaise , far Marie Decourthamp ; 2 vol. in- 12 . Má
hildes par Mad . Cottin ; 6 vol. in 12. Zulmator , prin-
Acesse de la Chine , ou le petit Barbet blanc des Bains d'AM
2
180- MERCURE DE FRANCE ,
-
-
pollon , conte des Fées , par Mad . Desfontaines ; in - 8° .
Suite des Nouveaux Contes moraux , et Nouvelles historiques
, par Mad. de Genlis ; in-8 ° . Le Naufrage d'Azéma ;
suivi de Mélanges littéraires , pour servir à l'instruction et à
l'amusement de la jeunesse , par Mad . de Flamanville ; in ~ 18 .
Ursule , ou la victime de la superstition , par Mad. de
Saint-Venant ; 2 vol. in- 12 . Le Pauvre Aveugle , traduit
de l'allemand , par Mad. la chanoinesse Depolier. 2 vol .
in - 12 Les Chevaliers du Cygne , par Mad. de Genlis ;
3 vol, in-8° , nouvelle édition . Adèle de Senange , par
Mad . de Flahaut ; 4 vol. in - 12 , nouvelle édition . - Emilie
et Alphonse , par Mad . de Flahaut , 3 vol. in- 12 , nouvelle
édition. Enfin , Alphonsine , ou la Tendresse maternelle
, par Mad. de Genis ; 3 vol. in- 8° et in- 12. Suivant
toutes les apparences , l'année 1806 ne sera pas plus
stérile que la précédente . On annonce comme devant
prochainement
paroître , un roman nouveau , par Mad. de Staël ;
un Voyage en Italie , par la même ; Madame de Maintenon ,
par Mad. de Genlis ; un Recueil d'Elégies , par Mad. Dufresnoi
. Il faut ajouter que Mesdames Briquet , Chénier , de
la Fer , Delille ( du Vaudeville ) , Bourdic - Viot , de
Montanclos , Perrier , Dufresnoy , de Condorcet , etc.. etc. ,
sont au moins pour un quart dans les nombreux almanachs
des Muses , et dans les recueils de poésies et de prose qui
paroissent sous différens titres depuis le 1er janvier.
---
Qui ne connoit M. Urbain Domergue , membre de
l'Institut ? qui ne connoît ses Eglogues , ses Grammaires et son
Bureau de Consultation sur la Grammaire ? qui ne connoît
sur-tout les épigrammes par lesquelles son collègue Lebrun a
célébré toutes ces belles choses ? « Messieurs , dit un jour à
» l'Institut M. Urbain Domergue , il est des mots qui ont
>> reçu du ciel des lettres denaturalité. J'ai fait des églógues ;
» et comme je desirerois que vous n'en prétendissiez point
» cause d'ignorance , j'ajouterai que mes églogues ont obtenu
JANVIER 1806. 181
» des lettres de naturalité de tous les gens de goût . Je desi-
>> rerois aussi que vous interposassiez votre autorité pour
» défendre le mot amateur au féminin . Il est ridicule de
» dire , une amateur . Il est temps de faire présent à la lan◄
» gue , malgré elle , du terme d'amatrice. Plût au ciel , Mes-
>> sieurs , que vous vous enthousiasmassiez , comme moi ,
» de l'imparfait du subjonctif en asse . L'emploi de ce temps
» est aussi nécessaire à l'harmonie qu'à la correction . » M. Lebrun
répondit ainsi le lendemain à son éloquent collègue :
Grand puriste , vous qui donnâtes ,
De votre pleine autorité ,
Lettres de naturalité
A des mots que vous étonnâtes ,
Je voudrois que vous donnassiez
Les églogues que vous rimôtés ,
Que rien ne retranchassiez
Des beaux vers que vous déclamâtes.
Faites voir sur votre bureau
Le pubis hurlant dans vos rimes ( 1 ) ,
Et l'embrassement du taureau ( 2 ) ;"
Et l'amatrice dont nous rimes."
-La dernière flotte du Bengale arrivée en Angleterre ,
a rapporté une collection considérable de manuscrits orientaux
, rassemblés par le major Onhley. Elle renferme cinquante
ouvrages jusqu'ici inconnus en Europe ; ils sont écrits
en arabe , en persan , ou en langue souscrite. Cette collection
contient aussi des figures mythologiques et d'autres antiquités
découvertes par M. Onhley dans l'Indostan , le Thibet,
la Tartarie , la Chine , à Ceylan et dans le royaume d'Ava.
( 1) Ce vers fait allusion au vers de M. Urbain Domergue sur Scylla
et Charibde , '
Dont le pubis est ceint de monstres aboyans.
(2) « D'un robuste taureau le fier embrassement. >>
Vers de M. Domergue.
3
182 MERCURE DE FRANCE ,
.
Cet officier a fait noter un très-grand nombre d'airs indiens
et persans. La place d'aide -de- camp d'un nabab , qu'il a océupée
pendant plusieurs années , lui a donné les moyens de
compléter sa riche collection.
- On annonce comme devant paroître prochainement la
collection des discours et des réquisitoires du célèbré avocatgénéral
Séguier. C'est sous les yeux même de son fils , M. Sé
guier , premier président de la cour d'appel , que s'imprime ce
recueil précieux.
-
}
Peu de personnes ont lu en entier l'ouvrage de Lavater
sur l'Art de connoître les Hommes par la Physionomie . Mais
tout le monde connoît des fragmens , ou du moins a entendu
parler de cette production bizarre. M. Moreau de la Sarthe en
ann nce une couvelle édition , corrigée et disposée dans un
ordre plus méthodiqué , qui de plus sera précédée d'une Notice
historique et augmentée d'une Exposition des recherches ou des
opinions de Lachambre , de Porta , de Camper , de Gall , sur la
physiononie ; d'une Histoire anatonique et physiologique de
la Face , avec des figures coloriées , et d'un très - grand nombre
d'articles nouveaux sur les caractères des passions , des tem -
péramens et des maladies. Cet ouvrage paroîtra par souscription
Les livraisons vont commencer. Il en paroitra deux par
mois . L'ouvrage en aura vingt - quatre ; ainsi il sera terminé
dans un an. Nous ignorons s'il sera un peu moins absurde et
mois ennuyeux que l'ouvrage original de Lavater. En attendant
que la publication de la première livraison nous permette
d'en juger , avec connoissance de cause , voici ce qu'on en dit
dans unjournal ( la Décade) , dont M. Moreau de la Sarthe
est un des principaux rédacteurs : « Les ouvrages connus de
» M. Moreau de la Sarthe domment une garantie infaillible du
» mérite et du succès de ce nouveau travail , par lequel il va
» étendre l'estime qu'il a déjà acquise et les rapports qui se
» rétablissent au grand avantage de la raison et de l'huma -
» nité , entre la philosophie et la médecine , nuaflats toV
JANVIER 1806. 183
C
-Les météorologistes auront eu un vaste champ pour exercer
leurs recherches dans les dix jours qui viennent de s'écou
ler , et les médecins observateurs une nouvelle preuve de la
connexion du système sanitaire au système atmosphérique.
Le 11 janvier , le baromètre a franchi plusieurs fois la
limite fatale sur laquelle est tracé le mot effrayant tempête ,
el il est descendu à 2 lignes près du degré de sinistre mémoire
, qui , en 1768 , fut la cause ou l'effet du tremblement
de terre de la Calabre ( 1 ) . Toute la nuit qui a succédé à ce
jour orageux , a offert l'épouvantable réunion du sifflement
des vents , d'une pluie continue , de bruits lointains et
inaccoutumés , du craquement des édifices. On a complé
beaucoup de morts subites et de paralysies de vieillards ,
de catarres suffocans chez les enfans , d'oedématies chez
les femmes enceintes sur-tout . Eh ! comment pourroit – il
en être autrement , entourés d'eau qui nous poursuit jusque
dans nos caves ! Nous la respirons avec l'air ; et si l'on n'a
pas la précaution d'assainir par le feu les appartemens , de
se vêtir de manière à absorber l'humidité ambiante, et de changer
chaque jour d'habillement , de tenir un régime sec et
aromatique , la fibre se macère et se prête à toutes les maladies
dépendantes de l'influence d'une atmosphère saturée
d'eau sur l'économie animale. On a demandé si cette affection
étoit contagieuse. On répond trop facilement par la négative
à ces questions , qui pourtant valent bien la peine d'être discuttes
; et en observant que les personnes qui , dans les maisons
ont donné des soins à ces malades , ont les premières
succombé ensuite à ce mal , nous sommes tentés de conseiller
d'agir de même que s'il étoit communicable ; et cet avis
conduit naturellement à l'idée de préservatifs , dont les plus
,
(1 ) Il y a ici erreur de date . Les derniers désastres de la Calabre eurent
lien le 5 février 1783. Ceux qui les avoient précédés étoient du S'août 11779
mais il est vrai qu'en 1768 le baromètre a passé le degré de la Tempète.
4
184 MERCURE DE FRANCE ,
peu sûrs sont une diète sage, des alimens secs , un de vin pur❜
le café , le chocolat mangé à sec , un air continuellement séché
par un bon brasier, et non par un poêle , qui ne fait que chauffer
le bain de vapeur que l'on respire ; des habits légers et
chauds , les pieds bien couverts , ainsi que la tête , n'en
déplaise à l'école de Salerne , du temps de laquelle les têtes
étoient apparemment plus vigoureuses ; des frictions spiritueuses
, le changement de linge fréquent , sur-tout quand l'on
a sué.
Depuis dix jours la plus grande élévation du baromètre a
marqué, dans son maximum , 28 p . 41. trois douzièmes.
Id. , pour le minimum , 27 p . 61. six douzièmes.
Le thermomètre de M. Chevallier s'est élevé pour le maximum
, à 9 deg.
\
Il est descendu dans le minimum , à sept dixièmes .
L'hygromètre a marqué , dans son maximum , 99 d.
Et, pour le minimum , 83.
Vents dominans. Les vents , depuis dix jours , ont soufflé
18 fois au S.-O. , 3 fois à l'O. , 6 fois au N.-O.
La Seine baisse sensiblement ,
*
( Gazette de Santé, du 21 janvier. )
MODES du 20 janvier . Les toques parées se portent avec deux on
trois plumes très- courtes et très- larges : on pose ces plumes sur le devant,
et elles retombent jusque sur le nez , parce qu'elles sont fort souples .
Les fleurs , sur les chapeaux , ne sont que de demi- toilette . Ajouté aux
fleurs , un tablier de dentelle caractérise un négligé fort élégant .
•
Outre la sensitive , on porte dumuguet et des roses blanches du Bengale,
Les douillettes de velours vert , doublées de blanc , et les douillettes
rose sont , dans leur genre , ce qu'on connoît de plus à la mode ; cependant
elles n'offrent rien de neuf pour la coupe , la seule différence consiste
dans l'écharpe , qui se noue par- devant .
Les collerettes ont jusqu'à trois rangs ; elles ne sont cependant pas trèshautes
; on les plisse à gros plis ronds.
Tout autour de la toque , qui accompagne une redingote ou douillette
de velours , sont , au défaut de plumes , des pattes à demi osanges ,
la couleur de la doublure de la redingote ,
L'écharpe d'une robe parée se noue sur le côté ; elle est de crêpe ,
JANVIER 1806. 185
+
avec un petit filet d'or passé dans l'étoffe , ou une légère broderie d'or
ou d'argent .
Par derrière et sur les côtés , toutes les robes de parure sont excessivement
décolletées ; il faut , pour qu'elles ne quittent pas les épaules , une
forte compression .
Pour les ceintures et les corsets élastiques , on cite M. Delacroix ,
mécanicien , rue S. Honoré , nº . 64 , près celle des Prouvaires.
Les toques ont , par devant , moins de plis pour rebord , moins de draperie
que de coutume , et le fond en est encore plus petit , colle davantage
sur la tête.
Coiffée d'une toque , ou de son bonnet de tulle , à étoile brodée , une
femme àqui l'on avoit cru , au spectacle ou an bal , des cheveux fort longs
laisse distinguer qu'elle a la tête très-peu garnie.
Pour les véritables coiffures en cheveux , les fleuristes vendent ce qu'ils
nomment un tour de peigne , une guirlande qui se pose circulairement ;
et , pour les Titus , un réseau qui cache tout le derrière de la tête , et revient
par deux petites lignes dirigées vers le toupet , se rejoindre au - d
u- dessus
du front , en façon de diadême.
Il y a beaucoup de tours de peigne et de réseaux en sensitive ; quelquefois
la sensitive est verte , avec de petites graines en brillans ; mais plus
communément rose le rose étant , en coiffures , la couleur dominante .
"
Quelques modistes avoient employé , comme garniture de capotes , un
rebord de cygne : un autre duvet est réputé d'un meilleur genre , c'est le
Maarbout , qui se porte en blanc , ou teint en rose , qu'on ne trouve point
à acheter , qui ne s'obtient , que par cadeaux , que Buffon ne connut' point >
et que nos plumassiers disent venir de loin et être fort rare.
Les sachets imprégnés d'essence de rose , ont un but d'utilité ; ils préservent
des mites les schalls de cachemire aussi , imaginés comme cadeau
d'étrennes , ils se reproduisent comme article de commerce journalier
. Un seul apprêteur , l'année dernière , eut à remettre à neuf plus de
trois mille schalls de cachemiré.
Quelques-unes de nos élégantes ont , dès la fin de la semaine dernière .
renouvelé connoissance avec la terrasse des Feuillans . Aux plus belles redingotes
en velours , le bourrelet espagnol des emmanchûres étoit coupé par
des raies de martre. Les palatines avoient la largeur d'un fichu ; elles
étoient de cygne.
Encore une pendule nouvelle : le sujet est Paul et Virginie ; les figures
sont en bronze antique , et , sur les deux têtes , la draperie flottante en
bronze doré.
Dans les plus beaux appartemens , les meubles sont de velours vert .
L'un des doubles rideaux est de soie blanche. Les franges sont en or , et
les glands en pot au lait .
186 MERCURE DE FRANCE ,
NOUVELLES POLITIQUES.
Munich, 16 janvier.
L'armée française a évacué la Moravie et la Hongrie ; la
ville de Vienne a été évacuée le 14. Le maréchal Soult ,
commandant l'arrière-garde , est aujourd'hui à Saint-Polten .
Tout se passe dans le meilleur ordre , et il règne entre l'armée
française et les pays qu'elle traverse la plus parfaite harmonie.
#
S. M. l'EMPEREUR et Ro et S. M. le roi de Bavière ayant
arrêté entr'eux le mariage du prince Eugène , vice- roi d'Italie ,
et de la princesse royale Auguste-Amélie de Bavière , les cérémonies
du mariage de ces illustres personnes ont eu lieu à
Munich , les 13 et 14 de ce mois.
Le 13 , à une heure après midi , les deux familles impériale
et royale se sont rendues en cortége dans la grande galerie du
palais , disposée à cet effet. LL. MM. II. et RR. étoient entourées
de leur cour. La nef de la galerie qui se prolongeoit
en face des trônes étoit occupée par toutes les personnes de
distinction qui se trouvoient à Munich , et parmi lesquelles
un grand nombre étoit venu , tant des états de S. M. le roi de
Bavière que des états voisins .
LL. MM. ayant pris place , le ministre secrétaire d'état de
l'Empire a fait la lecture du contrat de mariage , qui a ensuite
été signé suivant les formes qui avoient été précédemment
réglées. Le ministre secrétaire-d'état a présenté la plume
à S. M. l'EMPEREUR et à S.. M. l'Impératrice. Il a remis ensuite
le contrat de mariage au ministre secrétaire- d'état des
affaires étrangères du roi de Bavière , qui , après l'avoir
présenté à LL. MM. le roi et la reine de Bavière , le lui a
rendu.
Ce contrat ayant été présenté successivement et dans les
mêmes formes au prince Eugène , à la princesse Auguste , au
prince Royal de Bavière , et à S. A. S. le prince Murat ,
grand-amiral , a ensuite été signé par MM. Charles - Maurice
Talleyrand - Périgord , ministre des relations extérieures ;
Michel Duroc , grand-maréchal du palais ; Armand-Augustin-
Louis de Caulincourt , grand- écuyer ; Jean-Baptiste Bessières ,
maréchal de l'Empire , colonel-général de la garde ; Louis-
Auguste-Juvénal d'Harville , sénateur , premier écuyer de
S. M. l'Impératrice , témoins du prince Eugène : par MM. le
comte Théodore-Tapor de Mourwiski , ministre d'état ; le
comte Antoine de Forring-Seefeld , grand-maître ; le baron
JANVIER 1806 . 187
C
Maximilien de Rechberg , grand-chambellan ; le baron Louis
de Gohren , grand-maréchal ; et le baron Charles de Kesling
, grand-écuyer , témoins de la princesse Auguste. Le
contrat a alors été contre -signé par le ministre secrétaire→
d'état de l'Empire et par le ministre secrétaire -d'état des
affaires étrangères de Bavière. Ce dernier l'a ensuite remis au
ministre sécrétaire d'état de l'Empire. Cet acte sera déposé
dans les archives impériales.
La cérémonie de la signature étant ainsi terminée , le prince
Eugène et la princesse Auguste-Amélie de Bavière se sont placés
devant le trône , et le ministre secrétaire - d'état de l'empire ,
en conséquence de l'autorisation expresse qu'il en avoit reçue
par décret impérial du même jour ; et remplaçant S. A. S. le
prince archichancelier de l'Empire Cambacérès , a procédé à
l'acte civil du mariage. Après avoir fait aux illustres époux
les demandes prescrites par la toi , il a prononcé les paroles
ci-après : « S. M. l'EMPEREUR et Ror, entendant que les for-
» malités observées ci-dessus , satisfassent pleinement à ce
» qu'exigent les lois de l'Empire pour consacrer l'état civil
>> des illustres conjoints , et pour les autoriser en conséquence
» à appeler sur leur union les bénédictions de notre sainte
» mère l'Eglise catholique , apostolique et romaine ; en vertu
» de l'autorisation expresse que nous en avons reçue de S. M. ,
» nous déclarons , au nom de li toi , LL. AA. II . et RR. le
» prince Eugène et la princesse Auguste-Amélie de Bavière,
» anis par les liens du mariage . »
L'acte civil a ensuite été présenté par le ministre secrétaired'état
, à la signature des illustres époux et de leurs augustes
familles. Les témoins qui avoient eu l'honneur de signer le
contrat , ont signé cet acte , qui l'a été ensuite par le ministre
secrétaire d'état , en présence de LL. MM.
SA. S. E. l'archichancelier de l'Empire germanique ,
primat d'Allemagne , est entré alors avec son clergé get a
occupé un fauteuil placé en face des trônes. Le prince Eugène
et la princesse Auguste se sont présentés devant lui , et S. A. S. E.
l'archevêque primat a procédé à la bénédiction des anneaux
et à la cérémonie des fiançailles.
LL. MM. II. et RR. et leurs familles étant rentrées dans
leurs appartemens , tous les spectateurs se sont retirés , pénétrés
du respect et de l'émotion profonde dont cette cérémonie im-
*posante avoit pénétré tous les coeurs.
Le lendemain . 14 , à sept heures du soir , le sacrement du
mariage a été célébré par S. A. S. E. l'archevêque primat ,
dans la chapelle du palais. LL. MM. d'EMPEREUR et Roi et
l'Impératrice Reine ayant été averties par le premier cham188
MERCURE
DE FRANCE
;
bellan , faisant les fonctions de grand- maître des cérémonies ,
que LL. MM. le roi et la reine de Bavière et la princesse
Auguste-Amélie étoient à la chapelle , s'y sont rendues avec
le prince Eugène , et en grand cortége. Les trônes étoient
placés à la droite et à la gauche de la nef. LL. MM. II . et RR.
étoient accompagnées de leurs familles , et environnées de
leurs principaux officiers. Le prince Eugène et la princesse
Auguste-Amélie étoient à genoux sur des prie-Dieu places
des deux côtés de la nef , à portée des trônes. S. A. S. E.
l'archevêque primat a alors procédé à la consécration du
mariage dans les formes que la Sainte-Eglise prescrit. Après la
bénédiction nuptiale , un Te Deum a été chanté.
LL. MM. sont revenues avec le même cortége . Le prince
Eugène donnant la main à son auguste épouse , et marchant
entre l'EMPEREUR et Roi et l'Impératrice- Reine.
LL. MM. le roi et la reine de Bavière étant arrivés dans les
appartemens de S. M. l'Impératrice, il y a eu cercle et banquet
impérial.
PARIS.
En conformité des ordres de S. M. l'EMPEREUR et Ror
S. A. S. Mgr le prince archichancelier de l'Empire s'est
rendu , le 22 janvier , à trois heures précises , à la séance du
senat. Après avoir été reçu avec le cérémonial accoutumé ,
S. A. S. a pris séance et a dit :
1
«< Messieurs ,
» La nouvelle communication que je viens vous faire de la
part de S. M. l'EMPEREUR et Roi , est relative à l'adoption
du prince Eugène , et à l'hérédité de la couronne d'Italie.
» Nos lois constitutionnelles ont réglé avec étendue tout
ce qui concerne le droit de succéder à l'Empire.
» Il n'en est de même des statuts pas du
d'Italie :
royaume
les dispositions que ces statuts renferment , attribuent l'hérédité
du trône à la descendance légitime , naturelle , ou adoptive
de S. M. l'EMPEREUR et ROI. Jusqu'ici leur prévoyance
n'a pas été plus loin. De là un germe d'inquiétude que S. M.
veut détruire , en même temps qu'il est de sa justice d'assurer
à une portion si intéressante de ses sujets la longue et paisible
jouissance du gouvernement libéral dont l'établissement est
pour eux une ère de gloire et de prospérité.
» C'est pour Faccomplissement de cette résolution que
S. M. vient de donner à ses états d'Italie un quatrième statut.
Cette charte contient de la part de S. M. l'EMPEREUR et Roi ,
JANVIER 1806 .
189
l'adoption du prince Eugène ; elle ordonne qu'au défaut de
descendans issus de l'EMPEREUR , le prince Eugène succédera
à la couronne d'Italie et la transmettra à sa postérité ; elle
détermine enfin que , si la descendance de S. A. I. et R. vient
à défaillir , cette couronne sera dévolue à l'un des plus proches
de celui des princes du sang impérial qui , à cette époque
régneroit sur les Français. La lecture de la lettre que S. M.
vous adresse , vous mettra mieux que tout ce que je pourrois
vous dire , en mesure de rendre hommage à cette profondeur
de pensées , à cette série de combinaisons qui se manifestent à
chaque ligne de cette lettre , et qui caractérisent si bien la prévoyante
sagesse de notre auguste souverain , ainsi que sa continuelle
sollicitude pour le bonheur de ses peuples.
>>
Vous le savez , Messieurs , chaque jour l'EMPEREUR cont
solide son ouvrage, chaque jour il en cimente toutes les parties,
et il établit entre elles des relations dont l'utilité garantit la du
rée. Aujourd'hui il donne à ses sujets d'Italie une grande
marque de son affection , en leur destinant un prince avec
lequel son esprit ne cessera jamais d'être. Ce prince est
Français , il l'est de coeur comme d'origine ; il portera sur le
trône où son illustre père l'appelle , des sentimens qui maintiendront
entre l'Italie et le reste de VEmpire des liaisons né−
cessaires à la commune prospérité.
>> Dans la connoissance que S. M. vous donne des dispositions
qu'elle vient d'arrêter , vous trouverez , Messieurs , un,
nouveau témoignage de son affection , une preuve qu'elle regarde
le sénat français comme l'une des bases du grand édifice
qu'elle a fondé. Les diverses parties qui le composent , bien
qu'ordonnées sous des lois différentes , se rapportent toutes à
un but digne de son génie : la conservation de l'ensemble , la
félicité de tous , et la gloire immortelle du fondateur.
» Je remets à M. le président la lettre de S. M. l'EMPEREUR
et Roi. »
Lettre de S. M. l'EMPEREUR et Roi au Sénat.
» Sénateurs ,
>> Le sénatus-consulte organique du 18 floréal an 12 a pourvu
à tout ce qui étoit relatif à l'hérédité de la couronne impériale
en France. "
« » Le premier statut constitutionnel de notre royaume d'Italie
, en date du 19 mars 1805 , a fixé l'hérédité de cette couronne
dans notre descendance directe et légitime , soit naturelte
, soit adoptive ( 1 ).
( 1 ) Art. II. La couronne d'Italie est héréditaire dans sa descendance
directe et légitime , soit naturelle , soit adoptive , de mâle en mâle , et à
190
MERCURE DE FRANCE ,
» Les dangers que nous avons courus au milieu de la
guerre , et que se sont encore exagérés tos perples d'Italie ,
ceux que nous pouvons courir en combattant les ennemis qui
restent encore à la France , leur font concevoir ce vives inquiétudes
: ils ne jouissent pas de la sécuri é que leur offre la
modération et la libéralité de nos lois , parce que leur avenir
est encore incertain . Nous avons considéré comme un de nos
premiers devoirs de faire cesser ces inquiétudes.
» Nous nous sommes en conséquence déterminés à adopter
comme notre fils le prince Eugene , archichancelier d'état de
notre Empire et vice - roi de notre royaume d'Italie . Nous Pavons
appelé , après nous et nos enfans naturels ét légitimes , au
trône d'Italie , et nous avons statué qu'à défaut , soit de notre
descendance directe , légitime et naturelle ; soit de la descen-.
dance du prince Eugene , notre fils , la couronne d'fialie sera
dévolue au fils ou au parent le plus proche de celui des princes
de notre sang qui , le cas arrivant , se trouvera alors régner
en France.
0913 501 9J
» Nous avons jugé de notre dignité que le prince Eugène
jouisse de tous les honneurs attachés à notre adoption , quoi
qu'elle ne lui donne des droits que sur la couronne d'Italie
entendant que dans aucun cas , ni dans aucune circonstance
notre adoption ne puisse autoriser ni lai ni ses ' descendans a
élever des prétentions sur la couronne de France , dont la succession
est irrévocablement réglée par les constitutions de l'Empire.
2
L'histoire de tous les siècles nous apprend que l'uniformité
des lois nuit essentiellement à la force et à la bonne organisation
des empires , lorsqu'elle s'étend au-delà de ce que
permettent soit les moeurs des nations , soit les considerations
géographiques,
» Nous nous réservons , d'ailleurs , de faire connoître par
des dispositions ultérieures les liaisons que nous entendons
qu'il existe après nous , entre tous les états fédératifs de l'Empire
français. Les différentes parties indépendantes entr'elles ,
ayant un intérêt commun , doivent avoir un lien cominud . «
» Nos peuples d'Italie accueilleront avec des transports de
joie les nouveaux témoignages de notre sollicitude. Ils verront
un garant de la félicité dont ils jouissent , dans la permanence
du gouvernement de ce jeune prince , qui , dans des circons
Fuel do 53304b qugenéticas -97)oiteasb 95TET
l'exclusion perpétuelle des femmes et de lem descendance , sans néanytoins
que son droit d'adoption puisse s'étendre sur une autre personne qu'un
citoyen de l'Empire français ou du royaume d'Italie, mai
Statut constitutionnel du royaume d'Italie. ( 19 mars 18050). -
JANVIER 1806 .
191
tances si orageuses , et sur-tout dans ces premiers momens sí
difficiles pour les hommes même expérimentés , a su gouverner
par l'amour , et faire chérir nos lois.
» Il nous a offert un spectacle dont tous les instans nous
ont vivement intéressé . Nous l'avons vu mettre en pratique ,
dans des circonstances nouvelles , les principes que nous nous
étions étudié à inculquer dans son esprit et dans son coeur
pendant tout le temps où il a été sous nos yeux. Lorsqu'il s'agira
de défendre nos peuples d'Italie , il se montrera également
digne d'imiter et de renouveler ce que nous pouvons
avoir fait de bien dans l'art si difficile des batailles,
» Au même moment où nous avons ordonné que notre
quatrième statut constitutionnel fut communiqué aux trois
colleges d'Italie , il nous a paru indispensable de ne pas différer
un instant à vous instruire des dispositions qui asseoient la
prospérité et la durée de l'Empire sur l'amour et l'intérêt de
toutes les nations qui le composent. Nous avons aussi été persuadé
que tout ce qui est pour nous un sujet de bonheur et
de joie , ne sauroit être indifferent ni à vous , ni à mon
peuple.
.
» Donné à Munich , le 12 janvier 1806. »...
1
Signe NAPOLÉON.
Le sénat a voté des remerciemens à S. M. l'EMPEREUR et
Roi , et a renvoyé la rédaction, de sa réponse à une commission
composée des sénateurs Lacepède , Sémonville et Sieyes..
-Les drapeaux pris à la bataille d'Austerlitz , et envoyés par
l'EMPEREUR, au chapitre de l'église Notre- Dame de Paris , ont
été reçus par le clergé , et suspendus au voûtes de l'église
suivant l'intention de S. M. I. Cette religieuse oérémonie , qui
a eu lieu le 19 janvier , avoit attiré beaucoup de monde.
Par un décret rendu au palais de Sehoenbrunn , le 6 nivose
, 27 décembre , S. M. ordonne que le corps législatif
ouvrira ses séances , pour la session de l'an 1806 , le premier
jour du mois de mars prochain..
Le prince Louis est arrivé à Paris , le 18 janvier . S. A.
I. en est repartie le surlendemain pour aller jusqu'à Strasbourg
au-devant de l'EMPEREUR ,
!-
S. A. S. le prince Murat est de retour à Paris.
Jusqu'à présent les curés et desservans étoient obligés de
faire toucher , au chef- lieu de département , les sommes qui
leur sont allouées par chaque trimestre . Son Ex. le ministre
des cultes vient de les avertir , par une circulaire , qu'en
vertu d'une décision prise par l'autorité , ils recevront du préfet
de leur département des mandats payables chez les receveurs
d'arrondissement.
·
192 MERCURE
DE FRANCE,
-M. le comte de Bunau , ministre plénipotentiaire de la
cour de Saxe , est mort à Paris le 20 janvier à la suite d'une maladie
de langueur. C'est lui qui , il y a un an , vit entrer chez lui
son cuisinier furieux d'avoir été congédié la veille. Il portoit
deux pistolets. Avec l'un il tire sur son maître et le manque ;
avec l'autre il se brûle la cervelle et. tombe mort à ses pieds.
M. de Bunau ne s'étoit jamais remis de l'émotion que lui
avoit causé cette étrange scène. Il avoit été plusieurs années
ministre de Saxe en Danemarck. Il descendoit d'un comte de
Bunau connu en Allemagne par son érudition et par quatre
volumes in-4 sur l'Histoire de l'Empire qu'il n'a pu porter
au-delà du dixième siècle , mais qui est encore consultée par
les savans.
On lit dans le Journal de l'Empire du jeudi 9 janvier
qu'à la suite d'une comédie nouvelle que M. Colin-d'Harleville
a comprise dans la collection de ses oeuvres , on a imprimé
ces mots : Vu et permis l'impression et la mise en vente ,
» d'après décision de S. E. le sénateur ministre de la police
» générale de l'Empire , en date du g de ce mois prairial an 15 .
» Par ordre de son excellence. Le chef de la division de la
» liberté de la presse. Signé P. Lagarde. » ":
S. M. a été surprise d'apprendre par cet article qu'un
auteur aussi estimable que M. Collin- d'Harleville avoit eu
besoin d'approbation pour imprimer un ouvrage qui porte
son nom. Il n'existe point de censure en France. Tout citoyen
français peut publier tel livre qu'il juge convenable , sauf à
en répondre. Aucun ouvrage ne doit être supprimé , aucun
auteur ne peut être poursuivi que par les tribunaux , ou d'après
un décret de S. M. , dans le cas où l'écrit attentéroit aux
premiers droits de la souveraineté et de l'intérêt public. Nous
retomberions dans une étrange situation , si un simple come
mis s'arrogeoit le droit d'empêcher l'impression d'un livre ,
ou de forcer un auteur à en retrancher ou à y ajouter quelque
chose.
La liberté de la pensée est la première conquête du siècle.
L'Empereur veut qu'elle soit conservée ; il faut seulement que
l'usage de cette liberté ne préjudicie ni aux moeurs , ni aux
droits de l'autorité suprême ; et ce n'est sans doute qu'un
écrivain dépravé qui peut vouloir y porter atteinte , ce ne
seroit aussi qu'nn prince foible qui pourroit tolérer une licence
destructive des fondemens de l'ordre social et de la
tranquillité des citoyens. La liberté et la civilisation n'existent
qu'entre les extrêmes ; c'est aussi entre les extrêmes que l'administratiou
et la législation doivent se maintenir un
( Journal officiel. )
(No CCXXXVII.)
( SAMEDI 1er FÉVRIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
A M. DE BOUFFLER S.
( Celle Epitre est de M. Delille : elle n'avoit pas encore été
imprimée. )
HONNEUR des chevaliers , la fleur des troubadours ,
Ornement du beau monde , et délices des cours ,
Tu veux donc , dans le sein de ton champêtre asile ,
Vivre oublié ! La chose est difficile ,
Pour toi que le bon goût recherchera toujours .
En vain dans un réduit agreste
Le campagnard mondain , le poète modeste ,
L'aimable paresseux veut être enseveli ,
Toujours pour toi coulera le Permesse,
Et jamais le fleuve d'oubli.
La
Ces vers pleins de délicatesse
Où ta Muse présente au lecteur enchanté
grace et là raison , l'esprit et la bonté,
La bonhomie et la finesse ,
L'élégance avec la justesse ,
La profondeur et la légèreté ,
Souvent, avec un art extrême
Prête au bon sens l'accent de la gafte ,
Et se calomnie elle-même
Par un air de frivolité
Ces titres heureux de ta gloire
Seront toujours présens à la mémoire.
Fut
N
194
MERCURE
DE FRANCE
,
1 .
Digne à la fois des palais et des champs,
Ton Aline toujours aura ces traits touchans
Qu'elle reçut de ta Muse facile .
Lorsque ton pinceau séducteur ,
Toujours brillant , toujours fertile,
Gai comme ton esprit , et pur comme ton coeur ,
Entre le dais et la coudrette ,
Entre le sceptre et la houlette ,
Nous peint cet objet enchanteur ,
Moitié princesse et moitié bergerette ,
Malgré toi tout Paris répétera tes chants ;
Et toujours tu joindras, dans ton aimable style ,
A la simplicité des champs ,
Toutes les graces de la ville.
Puis quand il seroit vrai que tes modestes voeux
Pussent s'accommoder de ces rustiques lieux ,
Pourrois-tu bien au fond d'une campagne
Enterrer l'aimable compagne
A qui de tes beaux jours nous devons les douceurs ?
Si tu n'avois de ton doux hyménée
Reçu pour
dot qu'un immense trésor ,
Je te dirois : Va dans la solitude
Cacher tes jours et ta femme et ton or ,
Et d'un triste richard l'ayare inquiétude .
1
Mais l'esprit , la beauté sont faits pour le grand jour
La ville est leur empire , et le monde leur cour.
Le sage créateur du monde
Ensevelit les métaux corrupteurs
."
Au sein d'une mine profonde :
Il cache l'or et nous montre les fleurs.
Si toutefois , dans ton humeur austère ,
Las du monde et de ses travers ,
Tu veux dans le fond des déserts
Cacher ton loisir solitaire ,
Avec tes goûts nouveaux permets nous de traiter ,
Prenons un temps : pour nous quitter,
Attends que tu cesses de plaire ,
Et tes vers de nous enchanter.
100%
FEVRIER 1806 . 195
Alors , puisqu'il le faut , sois agricole , range
Tes fruits nouveaux dans tes celliers ,
Tes bleds battus dans tes greniers ,
Tes bleds en gerbe dans ta grange ,
Dans tes caveaux tes choux rouges ou verts .
Mais que m'importe ta vendange ,
A moi qui m'enivrai du nectar de tes vers ,
Et quelquefois de ta louange?
Plus d'un contrefacteur du vin le plus parfait ,
Des pressoirs de Pomard et des cuves du Rhône ,
Des crus de Jurançon , de Tavel et de Beaune
Sait assez bien imiter le fumet ;
Même d'un faux Aï la moussse mensongère ,
En pétillant dans la fougère ,
Trompe souvent plus d'un gourmet ;
Mais tes écrits ont un bouquet
Que nul art ne peut contrefaire .
J. DELILLE.
STANCES A LA MELANCOLIE.
ALIMENT et poison d'une ame trop sensible ,
Toi , sans qui le bonheur me seroit impossible ,
Tendre Mélancolie ! ah ! viens me consoler :
Viens calmer les tourmens de ma sombre retraite ,
Et mêle une douceur secrète
A ces pleurs que je sens coulér.
ง
Loin de moi , vains plaisirs , que le monde idolâtre !``
Ces rires insensés , cette gaîté folâtre ,
Semblent braver na peine , et ne font que l'aigrir .
J'aime mieux mes soupirs , ma tristesse , mes larmes :
Ma langueur a pour moi des charmes ;-
Je souffre ... et ne veux point guérir.
Fidèles au malheur , comme à la solitude ,
Nourrissez de mon coeur la longue inquiétude ,
Souvenirs qui touchez , même en nous déchirant ;
Que je dise à ma dernière heure :"
« On me plaint , on m'aime , on me pleure
Que je sourie en expirant .
COLLIN D'ARLEVILLE.
N 2
196 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
Je suis , je ne suis plus ; j'étois et je vais être.
Veut-on me retenir ? je suis mort pour jamais ;
Mais pour jamais aussi , je suis prêt à renaître :
Je meurs toujours ; toujours je nais.
LOGOGRIPHE.
Qu'on lise à l'ordinaire , ou qu'on lise à rebours ,
Je suis toujours la même chose.
Le genre humain me doit ses jours ,
Quoique de son trépas je sois aussi la cause,
CHARAD E.
Mon premier ne sera qu'un rempart 'impuisssant
Pour un peuple qui veut usurper le trident ;
Tu vois dans mon dernier ce que fait notre Alcide
Pour surprendre et dompter un ennemi perfide ;
Les étonnans succès de l'immortel guerrier
Offrent à mes lecteurs le nom de mon entier.
Par BEZ AVE. DE MAZIÈRE l'aîné.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Monnaie.'
Celui du Logogriphe est Notaire , où l'on trouve note , air.
Celui de la Charade est Pot-eau.
FEVRIER 1806.
197
VOYAGE AU MONT- BLANC ,
ET RÉFLEXIONS
SUR LES PAYSAGES DE MONTAGNES ..
« Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable. »
J'AI
vu beaucoup de montagnes en Europe et en
Amérique , et il m'a toujours paru que dans les descriptions
de ces grands monumens de la nature , on
alloit au-delà de la vérité. Ma dernière expérience à
cet égard ne m'a point fait changer de sentiment ,
J'ai visité la vallée de Chamouni , devenue célèbre
par les travaux de M. de Saussure ; mais je ne sais si
le poète y trouveroit le speciosa deserti comme le
minéralogiste. Quoi qu'il en soit , j'exposerai avec
simplicité les réflexions que j'ai faites dans mon
voyage : mon opinion d'ailleurs a trop peu d'autorité
pour qu'elle puisse choquer personne,
vre pas
Sorti de Genève par un temps assez nébuleux ,
j'arrivai à Servoz au moment où le ciel commençoit
à s'éclaircir. La crête du Mont- Blanc ne se découde
cet endroit , mais on a une vue distincle
de sa croupe neigée appelée le Dôme. On franchit
ensuite le passage des Montées , et l'on entre dans la
vallée de Chamouni. On passe au-dessous du glacier
des Bossons ; ses pyramides se montrent à travers les
branches des sapins et des mélèzes . M. Bourrit a
comparé ce glacier , pour sa blancheur et la coupe
3
198 MERCURE DE FRANCE ,
alongée de ses cristaux, à une flotte à la voile ; j'ajouterois
, au milieu d'un golfe bordé de vertes forêts .
Je m'arrêtai au village de Chamouni , et le lendemain
je me rendis au Montanvert . J'y montai par
le plus beau jour de l'année. Parvenu à son sommet ,
qui n'est qu'une croupe du Mont -Blanc , je découvris
ce qu'on appelle très- improprement la Mer de
Glace .
Qu'on se représente une vallée dont le fond est entièrement
couvert par un fleuve. Les montagnes qui
forment cette vallée , laissent pendre au - dessus de
ce fleuve des masses de rochers , les aiguilles du Dru,
du Bochard , des Charmoz. Dans l'enfoncement , la
vallée et le fleuve se divisent en deux branches , dont
Fune va aboutir à une haute montagne appelée le
Col du Géant , et l'autre à des rochers nommés les
Jorasses. Au bout opposé de la vallée se trouve une
pente qui regarde la vallée de Chamouni . Cette
pente presque verticale est occupée par la portion de
la Mer de Glace qu'on appelle le Glacier des Bois .
Supposez donc qu'il est survenu un rude hiver ; le
fleuve qui remplit la vallée , ses inflexions et ses
pentes , a été glacé jusqu'au fond de son lit ; les sommets
des monts voisins se sont chargés de glace et de
neige partout où les plans du granit ont été assez
horizontaux pour retenir les eaux congelées : voilà la
Mer de Glace et son site. Ce n'est point , comme on
le voit , une mer ; c'est un fleuve , c'est si l'on veut le
Rhin glacé la Mer de Glace sera son cours , et le
Glacier des Bois sa chute à Laufen.
Lorsqu'on est descendu sur la Mer de Glace , la
surface qui vous en paroissoit unie du haut du Montanvert
, offre une multitude de pointes et d'anfractuosités.
Les pointes de glace imitent les formes et les
déchirures de la haute enceinte de rocs qui surplombent
de toutes parts : c'est comme le relief en marbre
blanc des montagnes environnantes.
Parlons maintenant des montagnes en général,
FEVRIER 1806.
199
1
Il y a deux manières de les voir avec les nuages ,
ou sans les nuages. Ce sont là les deux caractères
principaux des paysages des Alpes.
Avec les nuages , la scène est plus animée ; mais,
alors elle est obscure , et souvent d'une telle confusion
qu'on peut à peine y distinguer quelques
traits .
2
i
Les nuages drapent les rochers de mille manières..
J'ai vu au- dessus de Servoz un piton chauve et ridé
qu'une nue traversoit obliquement
comme une toge ;
on l'auroit pris pour la statue colossale d'un vieillard
romain . Dans un autre endroit on apercevoit la partie
cultivée de la montagne
; une barrière de nuages arrêtoit
la vue au sommet de cette pente défrichée , et
au -dessus de cette barrière s'élevoient de noires,
ramifications
de rochers qui imitoient des gueules de
Chimère , des Sphinx , des têtes d'Anubis , et diverses
formes des monstres et des dieux de l'Egypte.
Quand les nues sont chassées par le vent , les monts
semblent fuir rapidement derrière ce rideau mobile.
Ils se cachent et se découvrent tour - à- tour : tantôt
un bouquet de verdure se montre subitement à l'ouverture
d'un nuage comme une île suspendue dans le
ciel ; tantôt un rocher se dévoile avec lenteur , et perce
peu a peu
à la vapeur profonde comme un fantôme .
Le voyageur attristé n'entend que le bourdonnement
du vent dans les pins , le bruit des torrens qui tombent
dans les glaciers , par intervalle la chute de l'avalanche
, et quelquefois le sifflement de la marmotte
effrayée qui a vu l'épervier des Alpes dans la nue .
Lorsque le ciel est sans nuages, et que l'amphithéâtre
des monts se déploie tout entier à la vue , un seul accident
mérite alors d'être observé , Les sommets des
montagnes dans la haute région où ils se dressent ,
offrent une pureté de lignes , une netteté de plan et
de profil que n'ont point les objets de la plaine. Ces
cimes anguleuses sous le dôme transparent du ciel ,
ressemblent à de superbes morceaux d'histoire naturelle
, à de beaux arbres de coraux ou de stalactite
MERCURE DE FRANCE ,
renfermes sous un globe du cristal le plus pur." Le
montagnard cherche dans ces découpures élégantes
l'image des objets qui lui sont familiers de là ces roches
nommées les Mulets , les Charmoz , ou les Chamois
; de là ces appelations empruntées de la religion
, les sommets des croix , le rocher du reposoir
le glacier des pèlerins ; dénominations naïves qui
prouvent que si l'homme est sans cesse occupé de
l'idée de ses besoins , il aime à placer partout le souvenir
de ses consolations .
Quant aux arbres des montagnes , je ne parlerai
que du pin , du sapin et du mélèze , parce qu'ils font ,
pour ainsi dire , l'unique décoration des Alpes.
Le pin rappelle par sa forme la belle architecture ;
ses branches ont le port de la pyramide , et son tronc
celui de la colonne. Il imite aussi la forme des rochers
où il vit souvent je l'ai confondu sur les redans
et les corniches avancées des montagnes , avec
des flèches et des aiguilles élancées ou échevelées
comme lui. Au revers du col de Balme , à la descente
du glacier de Trient , on rencontre un bois de
pins , de sapins et de mélèze , qui surpasse ce qu'on
peut voir de plus beau dans ce genre . Chaque arbre
dans cette famille de géans compte plusieurs siècles .
Cette tribu Alpine a un roi que les guides ont soin
de montrer aux voyageurs : c'est un sapin qui pourroit
servir de mât au plus grand vaisseau. Le monarque
seul est sans blessure , tandis que tout son peuple
- autour de lui est mutilé : l'un a perdu sa tête ,
l'autre une partie de ses bras ; celui - ci à le front
silloné par la foudre ; celui - là le pied noirci par le
feu des pâtres. Je remarquai sur- tout deux jumeaux
sortis du même tronc , qui s'élançoient ensemble dans
le ciel. Ils étoient égaux en hauteur , en forme , en
âge ; mais l'un étoit plein de vie , et l'autre étoit desséché
. Ils me rappelèrent ces vers touchans de Virgile ;
Daucia , Laride Thymberque , simillima proles ,
Indiscreta suis , gratusque parentibus rror
At nunc dura dedit vobis discrimi a Pallas.
FEVRIER 1806. 201
<< Fils jumeaux de Daucus , rejetons semblables , d
Laris et Thymber , vos parens mêmes ne pouvoient
» vous distinguer , et vous leur causiez de douces
» méprises ! Mais la mort mit entre vous une cruelle
» différence . »
Ajoutons que le pin annonce la solitude et l'indigence
de la montagne
. Il le Il est le compagnon du pauvre
Savoyard
dont il partage la destinée ; comme lui ,
il croit et meurt inconnu sur des sommets inaccessibles
où sa postérité se perpétue
également
ignorée.
C'est sur le mélèze que l'abeille cueille ce miel ferme
et savoureux
qui se marie si bien avec la crême et
les framboises
du Montanvert
. Les bruits du pin ,'
quand ils sont légers , ont été loués par les poètes
bucoliques
; quand ils sont violens , ils ressemblent
au mugissement
de la mer : vous croyez quelquefois
entendre gronder l'océan au milieu des Alpes . Enfin,
l'odeur du pin est aromatique
et agréable ; elle a surtout
pour moi un charme
particulier , parce que je
l'ai sentie à plus de vingt lieues en mer sur les côtes
de la Virginie. Aussi réveille - t - elle toujours dans
mon esprit l'idée de ce nouveau monde , qui me fut
annonce par un souffle embaumé
, de ce beau ciel ,
de ces mers brillantes
où le parfum des forêts m'étoit
apporté par la brise du matin ; et comme tout s'enchaîne
dans nos souvenirs , elle me rappelle aussi les
sentimens de regrets et d'espérance
qui m'occupoient
,
lorsqu'appuyé
sur le bord du vaisseau , je rêvois à
cette patrie que j'avois perdue , et à ces déserts que
j'allois trouver .
Mais pour venir enfin à mon sentiment particulier
sur les montagnes , je dirai : que comme il n'y a pas
de beaux paysages sans un horizon de montagnes , il
n'y a point aussi de lieux agréables à habiter ni de
satisfaisant pour les yeux et pour le coeur , là où l'on
manque d'air et d'espace . Or c'est ce qui arrive toujours
dans l'intérieur des monts . Ces lourdes masses
ne sont point en harmonie avec les facultés de l'homme ,
et la foiblesse de ses organes.
202 MERCURE DE FRANCE , 1
Ensuite on attribue aux paysages des montagnes la,
sublimité . Celle - ci tient sans doute à la grandeur des ..
objets . Mais si l'on prouve que cette grandeur trèsréelle
en effet , n'est cependant pas sensible au regard
, que devient la sublimité?
Il en est des monumens de la nature comme de
ceux de l'art ; pour jouir de leur beauté , il faut être .
au véritable point de perspective ; sans cela les .
formes , les couleurs , les proportions , tout disparoît .
Dans l'intérieur des montagnes , comme on touche à
l'objet même et que le champ del'optique est trop
resserré , les dimensions perdent nécessairement leur
grandeur : chose si vraie , que l'on est continuellement
trompé sur les hauteurs et sur les distances. J'en ap- .
pelle aux voyageurs : le Mont- Blanc leur a- t- il paru
fort élevé du fond de la vallée de Chamouni ? Souvent
un lac immense dans les Alpes a l'air d'un petit
étang ; vous croyez arriver en quelques pas au haut
d'une pente que vous êtes trois heures à gravir ; une ,
journée entière vous suffit à peine pour sortir de
cette gorge à l'extrémité de laquelle il vous sembloit
que vous touchiez de la main. Ainsi cette grandeur
des montagnes dont on fait tant de bruit , n'est réelle
que par la fatigue qu'elle vous donne . Quant au pay- ,
sage , il n'est guère plus grand à l'oeil qu'un paysage
ordinaire .
Mais ces monts qui perdent leur grandeur apparente
, quand ils sont trop rapprochés du spectateur,
sont toutefois si gigantesques qu'ils écrasent ce qui
pourroit leur servir d'ornement . Ainsi , des lois
› par
contraires , tout se rapetisse à la fois dans les défilés
des Alpes , et l'ensemble et les détails . Si la nature ,
avoit fait les arbres cent fois plus grands sur les mon- ,
tagnes que dans les plaines ; si les fleuves et les cascades
y versoient des eaux cent fois plus abondantes ,
ces grands bois , ces grandes eaux , pourroient produire
des effets pleins de majesté sur les flancs élargis
de la terre ; mais il n'en est pas de la sorte : le :
cadre du tableau s'accroit démesurément , et les riFEVRIER
1866. 207:
vières , les forêts ' , les villages , les troupeaux gardent
les proportions ordinaires. Alors il n'y a plus de rap
port entre le tout et la partie , entre le théâtre et la
décoration . Le plan des montagnes étant verticaldevient
en outre une échelle toujours dressée , où
l'oeil rapporte et compare malgré vous les objets qu'il ·
embrasse , et ces objets viennent accuser tour- à-tour
leur petitesse sur cette énorme mesure. Les pins les
plus altiers , par exemple , se distinguent à peine dans
l'escarpement des vallons , où ils paroissent collés
comme des flocons de suie . La trace des eaux plu-.
viales est marquée dans ces bois grêles et noirs, par de
petites rayures jaunes et parallèles ; et les torrens les
plus larges , les cataractes les plus élevées ressemblent à
de maigres filets d'eau , ou à des vapeurs bleuâtres .
Ceux qui ont aperçu des diamans , des topazes ,
des émeraudes dans les glaciers sont plus heureux que ›`
moi mon imagination n'a jamais pu découvrir ces
trésors. Les neiges du bas du Glacier des Bois , mêlées
à la poussière de granit , m'ont paru semblables
à de la cendre ; on pourroit prendre la Mer de Glace,
dans plusieurs endroits , pour des carrières de chaux .
et de plâtre ; ses crevasses seules offrent quelques
teintes du prisme , et quand les couches de glace sont
appuyées sur le roc , elles ressemblent à de gros verre
de bouteille.
Ces draperies blanches des Alpes ont d'ailleurs un
grand inconvénient ; elles noircissent tout ce qui les ·
environne , et jusqu'au ciel dont elles rembrunissent
l'azur. Et ne croyez pas que l'on soit dédommagé de
cet effet désagréable par les beaux accidens de la lumière
sur les neiges. La couleur dont se peignent les
montagnes lointaines , est nulle pour le spectateur
placé à leurs pieds. La pompe dont le soleil couchant.
couvre la cime des Alpes de la Savoie , n'a lieu que
pour l'habitant de Lausanne . Quant au voyageur de
la vallée de Chamouņi , c'est en vain qu'il attend ce
brillant spectacle. Il voît comme du fond d'un en-.
.
204
MERCURE DE FRANCE ,
"
tonnoir au- dessus de sa tête , une petite portion d'un
ciel bleu et dur sans couchant et sans aurore ; triste
séjour où le soleil jette à peine un regard à midi , pardessus
une barrière glacéc.
Qu'on me permette, pour me faire mieux entendre,
d'énoncer une vérité triviale. Il faut une toile pour
peindre dans la nature , le ciel est la toile des pay-.
sages ; s'il manque au fond du tableau , tout est confus
et sans effet . Or les monts , quand on en est trop
voisin , obstruent la plus grande partie du ciel . Il n'y
a pas assez d'air autour de leurs cimes ; ils se font
ombre l'un à l'autre , et se prêtent mutuellement les
ténèbres , qui résident toujours dans quelque enfoncement
de leurs rochers. Pour savoir si les paysages
des montagnes avoient une supériorité si marquée ,
il suffisoit de consulter les peintres. Vous verrez qu'ils
ont toujours jeté les monts dans les lointains , en
ouvrant à l'oeil un paysage sur les bois et sur les
plaines.
Il n'y a qu'un seul accident qui laisse aux sites, des
montagnes leur majesté naturelle : c'est le clair de
lune . Le propre de ce demi - jour sans reflets et d'une
seule teinte , est d'agrandir les objets , en isolant les
masses , et en faisant disparoître cette dégradation de
couleurs qui lie ensemble les parties d'un tableau .
Alors plus les coupes des monumens sont franches et
décidées , plus leur dessin a de longueur et de hardiesse
, et micux la blancheur de la lumière profile
les lignes de l'ombre. C'est pourquoi la grande architecture
romaine , comme les contours des montagnes
, est si belle à la clarté de la lune.
Le grandiose, et parconséquent l'espèce de sublime
qu'il fait naître , disparoit donc dans l'intérieur des
montagnes : voyons si le gracieux s'y trouve dans un
degré plus éminent ,
Premièrement on s'extasie sur les vallées de la
Suisse . Mais il faut bien observer qu'on ne les trouve
si agréables que par comparaison .. Ĉertes, l'oeil fatigue:
FEVRIER 1806. 205
d'errer sur des plateaux stériles ou des promontoires
couverts d'un lichen rougeâtre , retombe avec grand
plaisir sur un peu de verdure et de végétation . Mais
en quoi cette verdure consiste- t- elle ? en quelques
saules chétifs , en quelques sillons d'orge et d'avoine
qui croissent péniblement et mûrissent tard , en quelques
arbres sauvageons qui portent des fruits âpres et
amers. Si une vigne végète péniblement dans un petit
abri tourné au midi , et garantie avec soin du vent
du nord , on vous fait admirer cette fécondité extraor
dinaire. Vous élevez-vous sur les rochers voisins ? les
grands traits des monts font disparoître la miniature
de la vallée. Les cabanes deviennent à peine visibles ,
et les compartimens cultivés ressemblent à des échantillons
d'étoffes sur la carte d'un drapier.
On parle beaucoup des fleurs des montagnes, des
violettes que l'on cueille au bord des glaciers , des
fraises qui rougissent dans la neige , etc. Ce sont d'imperceptibles
merveilles qui ne produissent aucun
effet : l'ornement est trop petit pour des colosses.
Enfin je suis bien malheureux , car je n'ai pu voir
dans ces fameux Chalets enchantés par l'imagination
de J. J. Rousseau , que de méchantes cabanes remplies
du fumier des troupeaux , de l'odeur des fromages
et du lait fermenté. Je n'y ai trouvé pour habitans
de misérables montagnards qui se regardent
eux-mêmes comme en exil , et aspirent au moment
de descendre dans la vallée .
P
que
De petits oiseaux muets voletant de glaçons en glaçons
, des couples assez rares de corbeaux et d'éperviers
, animent à peine ces solitudes de neiges et de
pierres , où la chute de la pluie est presque toujours
le seul mouvement qui frappe vos yeux . Heureux
quand le pivert annonçant l'orage , fait retentir sa
voix cassée au fond d'un vieux bois de sapins ! Et
pourtant ce triste signe de vie rend plus sensible la
mort qui vous environne. Les chamois , les bouque206
MERCURE DE FRANCË ,
1
1.
1
tins , les lapins blancs sont presqu'entièrement détruits ;
les marmottes même deviennent rares , et le petit Savoyard
est menacé de perdre son trésor . Les bêtes
sauvages ont été remplacées sur les sommets des Alpes .
par des troupeaux de vaches qui regrettent la plaine
aussi bien que leurs maîtres . Couchées dans les gras
herbages du pays de Caux , elles offriroient pour le
moins une scène aussi belle , et elles auroient de plus
le mérite de rappeler les descriptions des poètes de
l'antiquité.
Il ne reste plus qu'à parler du sentiment qu'on
éprouve dans les montagnes . Eh bien ! ce sentiment ,
selon moi , est fort pénible. Je ne puis être heureux
là où je vois partout les fatigues de l'homme , et ses
travaux inouis qu'une terre ingrate refuse de payer.
Le montagnard qui sent son mal est plus sincère que
les voyageurs : il appelle la plaine le bon pays , et në
prétend pas que des rochers arrosés de ses sueurs ,
sans en être plus fertiles , soient ce qu'il y a de plus
beau et de meilleur dans les distributions de la Providence.
S'il paroît très- attaché à sa montagne , cela
tient aux relations merveilleuses que Dieu à établies
entre nos peines , l'objet qui les cause , et les lieux
où nous les avons éprouvées ; cela fient aux souvenirs
de l'enfance , aux premiers sentimens du coeur , aux
douceurs , et même aux rigueurs de la maison paternelle.
Plus solitaire que les autres hommes , plus sérieux
par l'habitude de souffrir , le montagnard appuie
davantage sur tous les sentimens de sa vie . Il ne
faut pas attribuer au charme des lieux qu'il habite ,
l'amour extrême qu'il montre pour son pays , mais à
la concentration de ses pensées , et au peu d'étendue
de ses besoins .
Mais les montagnes sont le séjour de la rêverie ?
J'en doute ; je doute qu'on puisse rêver lorsque la
promenade est une fatigue ; lorsque l'attention que
vous êtes obligés de donner à vos pas ocupe entièrFEVRIER
1806. 207
rement votre esprit. L'amateur de la solitude qui bayeroit
aux chimères (1 ) en gravissant le Montanvert ,
pourroit bien tomber dans quelques puits , comme
l'astrologue qui prétendoit lire au- dessus de sa tête
quand il ne pouvoit voir à ses pieds.
Je sais bien que les poètes ont desiré les vallées et
les bois pour converser avec les Muses. Mais écoutons
Virgile :
Kura mihi et rigui placeant in vallibus amnes
Flumina amem , sylvasque inglorius.
D'abord il se plairoit aux champs , rura mihi ; il chercheroit
les vallées agréables , riantes , gracieuses , vallibus
amnes ; il aimeroit les fleuves , flumina amem
(non pas les torrens ) , et les forêts où il vivroit sans
gloire , sylvasque inglorius. Ces forêts sont de belles
futaies de chênes , d'ormeaux , de hêtres , et non de
tristes bois de sapins ; car il n'eût pas
dit :
Et INGENTI ramorum prolegat UMBRA ,
« Et d'un feuillage épaix ombragera ma tête . »
Et où veut - il que cette vallée soit placée ? Dans un
lieu où il y aura de beaux souvenirs , des noms harmonieux
, des traditions , des Muses et de l'histoire :
O ubi campi,
Sperchiusque , et virginibus bacchata lacanis
Taygeta ! O qui me gelidis in vallibus Hæmi
Sistat!
Dieux ! que ne suis - je assis au bord du Sperchius !
Quand pourrai-je fouler les beaux vallons d'Hémus !
Oh ! qui me portera sur le riant Taygète !
Il se seroit fort peu soucié de la vallée de Chamouni,
du glacier de Taconay , de la petite et de la grande
Jorasse , de l'aiguille du Dru , et du rocher de la
Tête -Noire.
9
Enfin , si nous en croyons Rousseau et ceux qui ont
recueilli ses erreurs sans hériter de son éloquence
quand on arrive au soinmet des montagnes on se
sent transformé en un autre homme.« Sur les hautes
» montagnes , dit J. J. , les méditations prennent un
(1 ) La Fontaine.
208 MERCURE DE FRANCE ,
»
» caractére grand , sublime , proportionné aux objets
qui nous frappent ; je ne sais quelle volupté tran-
» quille qui n'a rien d'âcre et de sensuel. Il semble
» qu'en s'élevant au -dessus du sejour des hommes ,
>> on y laisse tous les sentimens bas et terrestres .......
Je doute qu'aucune agitation violente pût tenir
» contre un pareil séjour prolongé , etc. »
Plût à Dieu qu'il en fût ainsi ! Qu'il seroit doux
de pouvoir se délivrer de ses maux en s'élevant à
quelques toises au -dessus de la plaine ! Mais malheureusement
l'ame de l'homme est indépendante de
l'air et des sites . Hélas ! un coeur chargé de sa peine
n'est pas moins pesant sur les hauts lieux que dans les
vallées. L'antiquité , qu'il faut toujours citer quand il
s'agit de vérité de sentimens , ne pensoit pas comme
Rousseau sur les montagnes : elle les représente au
contraire comme le séjour de la désolation et de la
douleur. Si l'amant de Julie oublie ses chagrins parmi
les rochers du Valais , l'époux d'Eurydice nourrit
ses douleurs sur les monts de la Thrace. Malgré le
talent du philosophe genevois , je doute que la voix
de Saint-Preux retentisse aussi long- temps dans l'ave
nir que la lyre d'Orphée . OEdipe, ce parfait modèle
des calamités royales, cette image accomplie de tous les
maux de l'humanité, cherche aussi les sommets déserts :
Il va
du Cithéron remontant vers les cieux ,
Sur le malheur de l'homme interroger les Dieux.
Enfin une autre antiquité plus belle encore et plus
sacrée , nous offre les mêmes exemples . L'Ecriture ,
qui connoissoit mieux la nature de l'homme que les
faux sages du siècle , nous montre toujours les grands
infortunés , les prophètes et J. C. même se retirant au
jour de l'affliction sur les hauts lieux . La fille dé
Jephté , avant de mourir , demande à son père la permission
d'aller pleurer sa virginité sur les montagnes
de la Judée. Super montes assumam , dit Jérémie ,
fletum ac lamentum. « Je m'éleverai sur les montagnes
pour
FEVRIER 18.6 .
209
» pour pleurer et gémir. » Ce fut sur le mont des
Oliviers que J. C. but le calice rempli de toutes les
douleurs et de toutes les larmes des hommes .
C'est une chose digne d'être observée , que dans les
pages les plus raisonnables d'un écrivain qui s'étoit
établi le défenseur de la morale , on distingue encore
des traces de l'esprit de son siècle . Ce changement
supposé de nos dispositions intérieures selon le séjour
que nous habitons , tient secrètement au système de
matérialisme que Rousseau prétendoit combattre . On
faisoit de l'ame une espèce de plante soumise aux variations
de l'air , et qui comme un instrument suivoit
et marquoit le repos ou l'agitation de l'atmosphère.
Eh ! comment J. J. lui - même auroit - il pu croire de
bonne foi à cette influence salutaire des hauts lieux ?
L'infortuné ne traîna-t -il pas sur les montagnes de la
Suisse ses passions et ses misères ?
Il n'y a qu'une seule circonstance où il soit vrai
que les montagnes inspirent l'oubli des troubles de
la terre : c'est lorsqu'on se retire loin du monde pour
se consacrer à la religion . Un anachorète qui se dévoue
aux services de l'humanité , un saint qui veut
méditer les grandeurs de Dieu en silence , peuvent
trouver la paix et la joie sur des roches désertes ; mais
ce n'est point alors la tranquillité des lieux qui passe
dans l'ame de ces solitaires , c'est au contraire leur
ame qui répand sa sérénité dans la région des orages.
L'instinct des hommes a toujours été d'adorer
l'Eternel sur les lieux élevés plus près du ciel , il
semble que la prière ait moins d'espace à franchir
pour arriver au trône de Dieu. Les patriarches sacrifioient
sur les montagnes ; et comme s'ils eussent
emprunté de l'autel l'image de la Divinité , ils appeloient
le Seigneur le Très-Haut .. Il étoit resté dans
le christianisme des traditions de ce culte antique
nos montagnes , et , à leur défaut , nos collines
étoient chargées de monastères et de vieilles abbayes.
Du milieu d'une ville corrompue, l'homme qui mar-
0
210 MERCURE DE FRANCE ,
choit peut-être à des crimes , ou du moins à des vanités
, apercevoit , en levant les yeux , des autels sur
les coteaux voisins . La croix déployant au loin l'étendard
de la pauvreté aux yeux du luxe , rappeloit le
riche à des idées de souffrance et de commisération.
Nos poètes connoissoient bien peu leur art lorsqu'ils
se moquoient de ces monts du Calvaire , de ces missions
, de ces retraites qui retraçoient parmi nous les
sites de l'Orient , les moeurs des solitaires de la Thébaïde
, les miracles d'une religion divine , et le souvenir
d'une antiquité qui n'est point effacé par celui
d'Homère .
Mais ceci rentre dans un autre ordre d'idées et de
sentimens , et ne tient plus à la question générale que
nous venons d'examiner. Après avoir fait la critique
des montagnes , il est juste de finir par leur éloge .
J'ai déjà observé qu'elles étoient nécessaires à un beau
paysage , et qu'elles devoient former la chaîne dans
les derniers plans d'un tableau . Leurs têtes chenues
leurs flancs décharnés , leurs membres gigantesques ,
hideux quand on les contemple de trop près , sont admirables
, lorsqu'au fond d'un horizon vaporeux ils
s'arrondissent et se colorent dans une lumière fluide et
dorée. Ajoutons , si l'on veut , que les montages sont la
source des fleuves , le dernier asile de la liberté dans
les temps d'esclavage, une barrière utile contre les invasions
et les fléaux de la guerre . Tout ce que je demande
, c'est qu'on ne me force pas d'admirer les longues
arrêtes de rochers , les fondrières , les crevasses ,
les trous , les entortillemens des vallées des Alpes. A
cette condition , je dirai qu'il y a des montagnes que je
visiterois encore avec un plaisir extrême : ce sont celles
de la Grèce et de la Judée . J'aimerois à parcourir les
lieux dont mes nouvelles études me forcent de m'occuper
chaque jour ; j'irois volontiers chercher sur le
Tabor et le Taygète d'autres couleurs et d'autres harmonies
, après avoir peint les monts sans renommée ,
et les vallées inconnues du Nouveau-Monde.
DE CHATEAUBRIAN D.
FEVRIER. 1806. 211
Discours en vers sur l'Indépendance de l'Homme de Lettres ,
pièces dont l'une a obtenu le prix de poésie , et l'autre le
premier accessit , au jugement de la classe de la Langue
et de la Littérature française de l'Institut national ; par
Charles Millevoye. Prix : go cent . l'in - 8 ° , et 1 fr . 20 cent.
l'in -4°.; le papier vélin in - 4° . est de 1 fr . 80 cent . A Paris ,
chez Léopold Collin , libraire , rue Gît - le- Coeur , nº . 4 ;
et chez le Normant , libraire , imprimeur du Journal de
l'Empire , rue des Prêtres S. Germain - l'Auxerrois , nº 17.
IL
I
Libertate opus est.
PERS. Sat. 5 .
Il y a long- temps que les sociétés littéraires sont dans l'usage
de proposer des prix de poésie , et cependant c'est
encore une question de savoir si les lettres ont retiré de
cette institution un avantage bien réel . On ne voit pas qu'aucun
des grands écrivains qui sont l'honneur de la France ,
aient ambitionné de pareils lauriers . Voltaire concourut une
fois dans sa jeunesse , et il se vit préférer l'abbé du Jarry ,
rimeur aujourd'hui fort ignoré . M. de La Harpe est presque
le seul poète distingué dont les succès nombreux dans ce
genre aient prêté quelqu'éclat aux triomphes académiques :
encore la postérité lui tiendra -t - elle moins de compte de
toutes ses couronnes , que de la seule tragédie de Warwick ,
qui les avoit précédées toutes. - On conviendra sans peine que
l'appareil d'un couronnement public peut éveiller , dans un
homme de génie , le desir de la g'oire , et qu'un succès de cè
genre peut lui faciliter l'entrée de la carrière. Mais pour une
fois où un concours aura été utile , combien de jeunes écrivains
, couronnés pour quelques vers médiocres , se croiront
dès- lors appelés aux plus grands succès , et se livreront sans
réserve à cette passion pour la poésie , si séduisante , mais
si dangereuse quand elle n'est pas réunie au plus rare talent !
0 2
212 MERCURE DE FRANCE ,
Combien même de dispositions réelles avorteront tout- à -coup ,
grace à cette présomption malheureuse qui suit presque toujours
un succès prématuré ! Ainsi , quoique les concours
académiques puissent quelquefois tourner au profit de l'art ,
ils ne sont , la plupart du temps , qu'un piége dangereux tendu
à l'amour propre de ceux qui consulteront moins leurs forces
que le desir d'une vaine célébrité . C'est , si l'on peut emprunter
un terme de comparaison à des objets un peu plus sérieux ,
une espèce d'institution machiavélique dans la république
des lettres , qui compromet beaucoup d'intérêts particuliers
pour un avantage éloigné et incertain . Nous avons condamné
dernièrement toutes les mesures politiques que réprouve la
morale ; nous n'hésiterions pas à proscrire celle - ci , s'il n'y
avoit pas un moyen bien facile d'en détruire toutes les fâcheuses
conséquences , sans nuire à l'intérêt de la littérature .
Ce moyen seroit de ne donner le prix qu'à des ouvrages importans
, de ne plus couronner qu'un talent réel , et non plus
seulement quelques dispositions trop souvent démenties par
l'événement . Sans doute il pourroit arriver alors que l'Académie
n'eût que bien rarement l'occasion de distribuer ses
médailles ; elle seroit peut- être obligée de remettre le prix
pendant quinze ou vingt années consécutives ; mais , par-là
même , ce prix deviendroit véritablement glorieux : une
couronne décernée seroit un événement important dans la
littérature , et celui à qui on l'accorderoit pourroit se regarder
, avec raison , comme appelé par son génie à cultiver
l'art des vers , et à s'y consacrer tout entier. Le voeu que
nous énonçons ici , est celui de tous les bons esprits ,
de tous
ceux qui savent que si l'on ne peut trop estimer et encourager
un vrai poète , une multitude de poètes inédiocres est une
vraie calamité pour les lettres. Nos lecteurs ont déjà vu si l'Ins-
*titut national s'est un peu rapproché de cette idée , en accordant
cette année un prix de poésie. - L'avant-dernier numéro
de ce journal leur a mis sous les yeux les pièces du procès ;
J
FEVRIER 1806. 213
qu'il nous soit permis de joindre nos réflexions aux leurs , et
de chercher à instruire cette cause devant le tribunal du
public , avant que son jugement , sans appel , confirme ou
casse l'arrêt de la première cour littéraire de l'Europe .
Le sujet proposé par l'Institut national étoit l'Indépendance
de l'Homme de Lettres. Quand on entreprend un ouvrage
quelconque , la première règle est de bien envisager la thèse
qu'on veut y établir ; en un mot , de bien fixer le point d'où
l'on part , et celui où l'on veut arriver . On seroit d'abord
tenté de croire que M. Millevoye ne s'est pas mis fort en
peine de ce principe essentiel , en voyant combien est vague
la marche qu'il a suivie ; mais qu'il ne croie pas que je
veuille'ici lui en faire un reproche. Il est probable qu'il se
seroit vainement mis l'esprit à la torture pour se faire une
idée nette de ce qu'on doit entendre par l'indépendance de
Phomme de lettres. J'ajoutérois même , si je ne craignois de
paroître blasphemer , qu'il est douteux que les juges aient
bien compris eux- mêmes ce qu'ils vouloient dire . En effet ,
qu'est-ce que cette prétendue indépendance ? L'homme de
lettres , comme tous les autres citoyens , n'est- il pas soumis
aux lois , à la morale , à toutes les convenances de la société ?
N'est-il pas même de son devoir de mettre , dans ses opinions
et dans sa conduite , plus de mesure qu'un homme inconnu ,
puisqu'il rend ses opinions publiques , et que ses principes et
son exemple ne sont pas sans influence sur les moeurs de ses
concitoyens ? Sans doute il doit avoir une ame indépendante
des caprices de la fortune ; il doit savoir tout braver plutôt
que de commettre une action honteuse , ou d'asservir ses principes
aux caprices d'un protecteur ; mais est- il besoin de
savoir écrire pour se faire une loi de cette glorieuse indépendance
? N'est- elle pas du devoir de tout honnête homme ?
Il est vrai que le littérateur peut , sous un rapport , dépendre
moins de la fortune que le commun des hommes ; qu'il lui
est plus facile de vivre heureux dans la pauvreté , parce
3
214 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il trouve chaque jour dans l'étude des plaisirs bien plus
doux , que ceux que les richesses procurent si rarement. Si
c'est là ce que l'Institut a voulu dire , il a eu raison sans
doute : mais alors il faudroit convenir qu'il s'est bien vaguement
exprimé. Et comment supposer qu'une docte académie
n'ait pas su clairement énoncer une thèse aussi simple ? Il
seroit donc bien injuste d'attaquer ici M. Millevoye , s'il ne
paroît pas avoir su bien positivement ce qu'il vouloit prouver ;
si , au lieu de bien établir un principe , de le suivre dans tous
ses développemens , d'en déduire des conséquences claires et
lumineuses , il s'est jeté dans des lieux communs , cent fois
rebattus , sur le bonheur que le philosophe trouve en luimême
, sur son profond mépris pour les richesses et pour les
honneurs , mépris toujours démenti dans l'occasion . Tout cela
est la faute da sujet ; et tout ce qu'on peut raisonnablement
attendre du poète , c'est qu'il ait revêtu ces lieux communs de
couleurs riches et poétiques. Il est trop aisé d'être injuste ,
en détachant quelques vers qui paroissent choquans lorsqu'ils
sont isolés , et qui peuvent être beaux quand l'art du poète
a su les préparer avec art et les fondre dans le coloris général
du style : nous allons transcrire un morceau assez considérable ,
et ce sera celui qui a dû réunir le plus de suffrages . Foiblesse
de style , vague d'expression et de pensée , sur - tout manque
de logique dans les détails comme dans l'ensemble ; voilà le
vicc mortel qui précipite dans l'oubli tant de pièces de vers .
Voyons si un ouvrage couronné par l'Institut est exempt de
tous ces défauts,
Il n'est point de déserts , point d'exil pour le sage .
Ces 'sables dévorans , ces plaines sans ombrage
Ces antres , ces rochers n'ont pour lui rien d'affreux ;
Seul , errant et proscrit , il n'est point malheureux ;
L'étude , objet constant de son idolâtrie ,
Au bout de l'univers lui fonde une patrie.
On a dit cent fois que
l'amour des lettres pouvoit tenir lieu
FEVRIER 1806. 215
१
de tous les trésors , qu'il pouvoit consoler de toutes les disgraces.
Il étoit tout naturel que M. Millevoye cherchât à
rajeunir une pensée si commune ; mais devoit- il l'exagérer
au point de la rendre absurde ? Les antres et les rochers
n'auroient- ils donc rien d'affreux pour lui , qui sans doute
est un sage ? L'étude lui feroit - elle oublier si aisément sa
patrie ? A-t- il vu beaucoup de philosophes , quelque studieux
qu'il les suppose , se courber sur des livres au milieu des dé
serts , des sables dévorans et des plaines sans ombrage ?
Celui qui , dans l'exil et dans la proscription , n'est pas malheureux
, qui ne regrette pas sa patrie au bout de l'univers ,
n'est point un sage , mais un égoïste qu'il faut plaindre et
mépriser. Il est vrai que , dans ces derniers temps , on a pu
souvent s'y méprendre ; mais M. Millevoye devoit peindre le
philosophe du beau côté.
Mais pour l'ensevelir les cachots sont ouverts ;
Il y descend , courbé sous le poids de ses fers.
Calme , il répète encore à l'oppresseur qu'il brave ,
« Je ne suis qu'enchaîné , je ne suis point esclave . »>
Sur ce mur ténébreux , son muet confident ,
Il trace avec sa chaine un vers indépendant.
Je ne ferai
pas remarquer combien ces deux derniers vers,
dont l'auteur a dû beaucoup s'applaudir , sont froids et maniérés
; mais je ne puis m'empêcher d'admirer l'exagération
qui règne dans ce tableau . Quoi ! c'est dans un pays où les
gens de lettres ont porté trop souvent la liberté jusqu'à la
licence , où les écrivains les plus célèbres n'on cessé d'outra-*
ger , avec une infatigable persévérance , la religion et les
moeurs , sans être moins chéris ni moins fêtés des grands dont
ils se moquoient , et dont leurs libelles préparoient la ruine ,
c'est en France que l'on vient nous peindre les cachots s'ouvrant
pour engloutir un poète ! Ne sembleroit- il pas qu'il
suffit d'écrire quelques vers pour être exposé à boire la ciguë ,
et que le métier d'auteur est plus dangereux que celui de sol-
4
ACURE DE FRANCE ,
dat ? Que M. Millevoye se rassure ; il peut continuer à versifier
sans compromettre sa liberté . Je pense même qu'il seroit
assez embarrassé de citer un seul pays où l'on emprisonne
les poètes , du moins lorsqu'ils ne sortent pas des bornes
que leur prescrit la morale , qu'on n'a jamais outragée sans
offenser en même temps le goût. La belle poésie est essentiellement
chaste et religieuse ; et quels seroient les souverains
assez insensés pour persécuter ceux qui savent réveiller dans
les coeurs tous les sentimens généreux , faire revivre les grands
hommes de tous les âges pour l'exemple de leur siècle et de lą
postérité , et prêter à la morale un langage enchanteur ?
•
Qu'un servile mortel à plaisir s'humilie ;
effroi se rallie
De vingt maîtres divers adulateur banal ,
Qu'au parti du vainqueur son
Que pour oser penser , il attende un signal.
i
Le sage , en tous les temps , garde son caractère.
Tyrans ! il vous poursuit de sa franchise austère ,
Et , libre sous le poids de votre autorité ,
En présence du glaive , il dit la vérité .
Là , Ca'on , qu'un despote honore de sa haine ,
Va rejoindre au tombeau la liberté romaine ;
Là , Socrate , épuisant la coupe de la mort ,
De son dernier sommeil tranquillement s'endort .
L'homme obscur peut frémir , tout entier il succombe,
Et l'éternel oubli vient peser sur sa tombe ;
Le sage ne meurt point : sous la main des bourreaux
Il défend à la mort d'effacer ses travaux ;
Il la voit , il l'attend , sans pâlir d'épouvante .
Le grand homme n'est plus ; mais sa gloire est vivante .
Le lecteur a déjà remarqué combien d'expressions impropres
et de pensées fausses on pourroit relever dans ce morceau
. Je ne m'arrêterai qu'aux plus choquantes . Il vous pour-¸
suit de safranchise austère , est une métaphore qui manque
absolument de justesse . Les imprécations , la haine des peuples
poursuivent les tyrans la franchise ne poursuit per
@onne ; elle consiste uniquement à ne point dissimuler sa
FEVRIER 1866 . 217
pensée dans la crainte de déplaire . Là , Caton , qu'un des-`
pote honore de sa haine : tout le monde sent combien cette
petite antithèse d'une haine qui honore , est froide et puérile ;
mais une faute plus grave , c'est d'avoir cité Caton quand
il est question de l'homme de lettres . L'auteur voudroit- il 、
nous donner Caton pour un versificateur ou un idéologue ?
L'homme obscur peut frémir : l'homme courageux ne peutil
pas frémir de colère ? Le sage ne frémit- il pas quelquefois
d'indignation ? Il est évident que M. Millevoye a cru que frémirsignifioit
ici la même chose que craindre la mort : c'est l'expression
que le sens exigeoit impérieusement. Le sage ne
meurt point : faut-il donc absolument , pour être sage , avoir
composé quelqu'ouvrage qui assure l'immortalité ? D'ailleurs ,
est- ce l'espoir d'une vaine renommée , dont le sage doit être
moins ébloui que tout autre , qui est fait pour lui inspirer le
mépris de la mort ? Voilà bien des défauts , sans doute , et
cependant je n'ai pas encore parlé du plus grave : c'est une
froideur répandue dans toute la pièce , qui en rend la lecture
pénible , quoiqu'elle soit très- courte . Il n'y a pas deux vers
qui soient faits de verve , qui portent le caractère de l'inspiration
, qui révèlent le poète . On a dit heureusement que
les vers de Racine étoient d'une perfection désespérante pour
tous ses successeurs. On peut dire , au contraire , qu'il y a
pour le lecteur une sorte de médiocrité désespérante dans
toutes les poésies qui sont publiées chaque jour. La plupart ne
sont pas dépourvues d'une certaine correction : on n'y trouve
ni fautes grossières , ni même défaut absolu d'harmonie ; mais
tout y est également terne et sans couleur ; et jamais une pensée
neuve , exprimée d'une manière vive et originale , n'y vient
ranimer l'attention du lecteur , endormi par une cadence froide
et monotone. Nous nous plaignons tous les jours de la décadence
marquée où est tombée la poésie dans le dix - huitième
siècle. Que dirons - nous si nous considérons l'état où elle est
maintenant réduite ? Que l'on compare la pièce couronnée
-
218 MERCURE DE FRANCE ;
de
aujourd'hui à celles qui le furent il y a quarante ou cinquante
ans , aux premiers essais de Marmontel , de Thomas ,
Champfort , et l'on verra que nos poètes du jour sont aussi
éloignés de ces écrivains , si souvent dépréciés depuis , qu'ils
l'étoient eux-mêmes des grands hommes du siècle de Louis XIV.
mens ,
Jusqu'ici je n'ai fait que des critiques , et peut - être les
taxera-t- on d'exagération ? On dira qu'un ouvrage couronné
par l'Institut ne peut être destitué de toute espéce de mérite ;
et , en effet , je suis prêt à reconnoître que la pièce de M. Millevoye
en a beaucoup . Elle est tout - à - fait dans le goût du
jour : elle a tout ce qu'il faut pour être applaudie. M. Millevoye
est un des poètes de l'Athénée : sa pièce seroit excellente
pour l'Athénée ; car il est bon de savoir qu'il y a une poétique
particulière à l'usage de cette société , et il est aisé d'en
faire connoître au lecteur tout l'esprit . Si vous voulez briller
dans un Athénée , vous n'avez pas besoin de vous occuper du
plan d'un poëme . Comme vous ne lirez jamais que des fragil
suffit de lui trouver un titre qui puisse promettre
quelque chose , et vous y rattacherez , sous le titre d'épisode ,
tous les caprices de votre imagination , quands ils n'auroient
aucun rapport avec le sujet principal. Ce poëme , vous vous
garderez bien de l'imprimer ; vous pourrez même vous dispenser
de le terminer jamais ; seulement , vous en détacherez
de temps en temps quelque partie , que vous offrirez à l'admiration
empressée de vos confrères. Par ce moyen , vous
pourrez passer pour auteur de plusieurs grands ouvrages , sans
en avoir jamais fini un seul . Il seroit superflu de vous occuper
de l'enchaînement et de la justesse des pensées , mais vous
aurez soin , et c'est ici le grand principe , de semer fréquemment
des vers d'effet , de ces vers qui terminent un couplet
d'une manière brillante , et qui commandent l'applaudissement.
C'est à l'Athénée que s'est formé M. Millevoye : c'est
le théâtre où il a débuté dés sa première jeunesse , et où il a
moissonné des lauriers en sortant du collége . Je me souviens
FEVRIER 1806. 219
de lui avoir entendu lire un poëme sur l'amour maternel ,
où il avoit si bien mis en oeuvre le principe important dont
on vient de parler , qu'il lui suffisoit de hausser à propos la
voix , de s'arrêter un moment après cinq à six vers , pour
entendre éclater chaque fois les plus vives acclamations . C'est
suivant la même méthode qu'il a composé son dernier ouvrage ,
et l'événement a fait voir qu'elle étoit aussi bonne pour l'Aca .
démie que pour l'Athénée . Le jour de son triomphe , je
n'étois point à l'Institut national ; mais il n'en seroit pas moins
facile de désigner , sans s'y tromper , tous les vers qui ont excité
des bravos. Par exemple , l'auteur , parlant toujours du
sage , a dit :
Libre à la cour , soumis aux rois , mais sans bassesse ,
Devant eux il s'incline , et jamais ne s'abaisse .
Qui ne sent que cette nuance délicate entre ces deux verbes
s'incliner et s'abaisser , dont l'un est pris au physique et
l'autre au moral , a dû charmer toute l'assemblée ! Cet autre
passage n'aura pas eu moins de succès :
Des chagrins de la vie il recueille l'histoire ,
Et pour lui l'infortune est un pas vers la gloire.
Sur son vaissean brisé , tel Vernet , sans pâlir ,
Etudioit le flot prêt à l'ensevelir.
Mais y aura-t-il eu assez de battemens de mains , assez de
témoignages d'admiration pour le passage suivant , où il est
question de J. J. Rousseau :
Il porte au sein des bois , sur la cime des monts ,
Sa longue rêverie et ses pensers profonds .
Foulant aux pieds les biens que le vulgaire adore ,
Quefleur préfère-t-il ? Un rayon de l'aurore !
On sent qu'à ce rayon de l'aurore on se sera récrié , avant
de s'être demandé s'il est absolument nécessaire d'opter entre
ces biens adorés du vulgaire et un rayon de l'aurore , et s'il
n'est pas possible d'être riche et de voir lever le soleil .
On voit , par ces courtes citations , que M. Millevoye est
dans la bonne route , et que s'il borne son ambition aux ap220
MERCURE DE FRANCE ,
plaudissemens de l'Athénée , ou même d'une séance publique
de l'Académie , il n'a qu'à continuer sa marche. Nous osons
lui promettre un long enchaînement de succès qui ne lui
seront pas contestés par l'envie . Mais s'il veut parvenir à
uhe gloire plus réelle et plus durable , il faut l'avertir ici
qu'il n'a pas trouvé encore le chemin qui y conduit . Qu'il
s'occupe à acquérir des idées avant de songer à écrire ; qu'il
médite ses plans à loisir ; qu'il s'interdise sévèrement ces
cliquetis de mots , ces petites antithèses qui séduisent d'abord
des auditeurs peu exercés , mais qu'ils finissent bientôt par
condamner avec tous les gens de goût ; qu'il se méfie sur- tout
des applaudissemens de coterie , qui , presque toujours , ne
sont que le résultat d'une convention tacite entre l'amour
propre des auditeurs et celui du lecteur . Peut- être ces observations
sincères lui paroîtront- elles bien dures , au moment
sur-tout où le bruit des applaudissemens retentit encore à
son oreille : mais enfin , si mes critiques sont bonnes , elles
pourront lui être utiles ; si elles sont mal fondées , elles lui
apprendront du moins que , dans la carrière orageuse des
lettres , on n'obtient aucun succès éclatant sans l'avoir péniblement
disputé . Que M. Millevoye se rappelle que les
Romains faisoient marcher immédiatement après le triomphateur
un homme chargé de lui reprocher ses défauts .
Je dirai peu de chose de la pièce qui a obtenu l'accessit ,
Ge sont les mêmes fautes que dans la première , avec une
marche encore plus vague et plus incertaine ; cependant peutêtre
y trouvera-t-on un peu plus de poésie . L'auteur termine
en comparant Voltaire , qui abandonné la cour du roi
de Prusse , au Rhône qui reparoît au jour après s'être englouti
à quelques lieues de Genève . Il est difficile de deviner
sur quel point de ressemblance peut s'appuyer une pareille
comparaison . A ce petit inconvénient près , elle m'a paru
poétique et bien exprimée .
Tel , aux murs de Plancus , près d'apporter ses ondes ,
Que destine son urne à leurs rives fécondes ,
FEVRIER 1806.
#
Le Rhône impétueux , égaré dans son cours ,
Semble au sein de la terre englouti pour toujours ;
Mais bientôt , ramenant ses flots à la lumière ,
Plus calme , il s'agrandit dans sa libre carrière ,
Et court ,
Du tribut de son onde enorgueillir les mers.
bordé de fleurs , de fruits , de pampres verts ,
Voilà de l'harmonie , des images , en un mot , de la poésie ;
et certainement on ne trouvera pas huit vers
ceux- ci dans toute la pièce couronnée.
à
comparer.
C.
Astronomie des Dames , par Jérôme de Lalande , ancien
directeur de ’Observatoire . Un vol . in - 18 . Prix : I fr .
50 cent. , et 2 fr. par la poste. A Paris , chez Bidault ,
libraire , rue Serpente ; et chez le Normant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres S. Germain l'Auxerrois , n° 17 .
<< Vous devriez brûler tout ce meuble inutile ,
» Et laisser la science aux docteurs de la ville ;
"
M'ôter , pour faire bien , du grenier de céans ,
» Cette longue lunette à faire peur aux gens ,
>> Et cent brimborions dont l'aspect importune ;
» Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune ,
» Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous.
})
» Il n'est pas bien honnête , et pour beaucoup de causes,
»
Qu'une femme étudie et sache tant de choses. >>
MOLIÈRE.
L'ASTRONOMIE de M. de Lalande est renfermée dans un
des cent cinquante- quatre petits volumes qui composent la
Bibliothèque des Dames , ouvrage entrepris par une société
de gens savans dans l'art de faire des livres . Celui de M. de
Lalande est extrait de son grand Traité d'Astronomie , en
trois volumes in-4° . Il s'est rapetissé de cette sorte , « parce
» qu'il lui importe d'attirer , non d'effrayer à l'abord des
» sciences . » C'est - à - dire , qu'il espère qu'après avoir lu
cet extrait , les dames achèteront le premier abrégé qu'il a
1
222 MERCURE DE FRANCE ;
déjà fait de ce même ouvrage , en un volume in-8° . , et que ,
si le coeur ne leur manque pas , elles se procureront enfin
le grand Traité complet , ce qui renflera d'autant leur bibliothèque
et la bourse de l'auteur . C'est un petit moyen d'attraction
d'un côté , et de répulsion de l'autre , qui n'est que
trop en usage aujourd'hui. Les gros ouvrages se vendent
difficilement il faut les faire goûter par des abrégés ; et
quand les abrégés paroissent encore trop volumineux au
public , il faut les faire connoître par des abrégés d'abrégés ,
tels que le volume dont il est ici question . M. de Lalande
est connu pour un calculateur qui sait au juste ce qu'il faut
de matière pour produire de si beaux effets .
:
La science astronomique se compose de la connoissance
des observations utiles faites jusqu'à nos jours sur le mouvement
des astres. Ces observations sont en petit nombre ;
et depuis la réformation du calendrier grégorien , les astronomes
n'ont plus qu'à suivre la route qui leur a été tracée
pour tenir en accord , sur nos almanachs , l'ordre des mois
et des saisons avec le mouvement connu du soleil. Ce mouvement
, ou , à son défaut , celui de la lune ou de quelques
étoiles , leur donne les moyens de dresser leurs tables horaires
, qui servent ensuite à déterminer les longitudes en
mer. Ils calculent aussi les éclipses , l'éloignement et la grosseur
des astres . Mais tout ce travail , qui effraie les personnes
qui n'ont aucune idée de la mesure des angles , est
aussi facile pour celles qui veulent y donner un peu d'attention
, que les règles les plus simples de l'arithmétique. Ce
que l'on nomme esprit dans le monde , est absolument étranger
à cette science . Il n'a fallu , dans son origine , que des
yeux pour voir ; dans ses progrès , qu'un sens droit pour en
tirer des résultats ; et dans l'usage qu'on en fait aujourd'hui ,
il ne faut plus , pour être un astronome parfait , qu'une tête.
capable d'amonceler tes chiffres et de faire des livres remplis
de calculs tout faits comme ceux de Barême. En
FEVRIER 1806. 223
$
mot , l'astronomie est une science exacte , dans laquelle on
procède par nombres et par mesures ; c'est l'ornière de tous
les siècles il n'est pas plus possible de s'en écarter ,
:
qu'il
ne le seroit aux carpes de la Seine de se détourner du fleuve
et de passer par la Villette pour arriver plus tôt à Saint-
Denis . Néanmoins , si tout ce que cette science peut produire
d'utile est connu depuis long-temps ; s'il ne reste plus rien
d'essentiel à découvrir , et si , sous ce rapport , il demeure àpeu-
près indifférent que celui qui la professe soit un homme
d'esprit on un sot , il reste toujours à cet homme le mérite
de la patience : qualité dont le genre humain tire un profit
tel , que si les bêtes de somme ne la possédoient pas , nous
manquerions bientôt des objets les plus nécessaires à la vie .
L'astronomie a encore cela de particulier , qu'il suffiroit
qu'un seul homme en eût la connoissance pour que le
monde entier en obtînt tout ce qu'il peut en attendre d'avantageux.
Le travail de tous ceux qui s'en occupent , au- delà
du nombre d'astronomes que la division des grands états nécessite
, est donc complètement inutile ; mais la curiosité de
l'homme a trouvé dans cette science même , après les connoissances
utiles qui sont très -bornées , un vaste champ pour
s'exercer , et son esprit un sujet de spéculations et de sys--
tèmes dont il ne trouvera jamais le terme de là vient que
bien des personnes s'occupent de cette science plutôt comme
objet d'amusement que, d'utilité . On a cherché à reconnoître
si ce grand mouvement que nous voyons dans les astres
n'étoit qu'apparent , et si cette apparence n'étoit pas produite
le mouvement réel de la terre . On a prouvé , ou du moins
on a prétendu prouver le pour et le contre . Le système du
mouvement des astres , établi par Ptolémée , a eu ses défenseurs
, et celui de l'immobilité du ciel et de la rotation de
la terre , établi par Copernic vers le milieu du seizième siècle ,
n'a pas manqué de partisans . Les astronomes de nos jours
n'ont rien imaginé depuis , et ils paroissent avoir adopté les
par
224
MERCURE DE FRANCE ,
2.
2.
idées de l'astronome Allemand , comme plus simples , et par
conséquent plus conformes à la raison et à la vérité . Croyant
donc n'avoir plus rien à faire sur ce sujet , mais ne voulant
pas borner leurs occupations au travail mécanique de leur
science , qui les laissoit dans leur utile obscurité , quelques
astronomes modernes ont essayé de faire croire aux prédictions
météorologiques , quelques autres à la pluralité des
mondes ; d'autres encore ont voulu expliquer la formation
de tous ces globes qui se promènent dans la vaste étendue des
cieux ; mais ils l'ont fait d'une manière si malheureuse, qu'ils
n'ont pas même trouvé de contradicteurs : tant leurs opinions
ont paru ou superficielles , ou dépourvues de preuves ; et
même de sens commun !
氯
1 M. de Lalande , qui n'a , Dieu merci , rien inventé , rien
trouvé , rien imaginé de sa vie , se contente de croire fermement
, comme vrai , tout ce qui n'a jamais été présenté que
comme des notions vagues , des aperçus hasardés , ou des
jeux de l'imagination faits pour distraire un moment. Ainsi ,
le système de Copernic lui paroît admirable , dépouillé de
tout préjugé , et sans réplique , quoiqu'il soit facile de reconnoître
, comme nous le montrerons tout -à- l'heure , qu'il n'a
pas rencontré le plus simple. Les prédictions de la pluie et
du beau temps , de la chaleur et du froid , lui paroissent devoir
être infaillibles , lorsqu'on aura fait un bon nombre d'observations
sur l'ordre des temps ; et tout Paris sait que M. de
Lalande n'a pas encore fait une seule de ces prédictions , sans
que l'on ait vu le temps précisément à l'opposé de ce qu'il
annonçoit ce qui montre assez clairement ou que M. de Lalande
prédit avant d'avoir bien calculé , ou que ses calculs sont extravagans.
Il y a déjà long-temps qu'on a remarqué que la
plupart des incrédules ne sont tels que par excès de crédulité.
C'est toujours sur la foi d'autrui qu'ils nient les choses les plus
raisonnables , et qu'ils croient les plus absurdes . M. de Lalande
nous en offre une belle preuve. Il ne doute pas plus que la
1.
"
22
lune
FEVRIER 1806. 225
1
cen
lune et les autres planètes ne soient habitées , que la petite
ville de Saint - Denis ; et là-dessus il rapporte l'argument de
Fontenelle , qui représente un bourgeois de Paris sur les tours.
de Notre Dame , qui soutient que Saint - Denis n'est pas habité
parce qu'il n'y voit personne. On lui objecte qu'il y voit
cependant des maisons et des clochers comme dans Paris , et
que cela doit faire supposer qu'il y a des habitans . « Tout
» cela , dit-il , ne gagnera rien sur notre bourgeois ; il s'obsti-
» nera toujours à soutenir que Saint -Denis n'est point habité ,
» puisqu'il n'y voit personne. Notre Saint- Denis , ajoute-t - il ,
c'est la lune , et chacun de nous est ce bourgeois qui n'est
>> jamais sorti de sa ville. » Je ne suis pas étonné que M. de
Lalande ait rapporté ce raisonnement sans en faire connoître
le vice , puisqu'il ne le voit pas ; mais on peut l'être que
Fontenelle , qui étoit homme d'esprit , l'ait avancé . Ce bourgeois
, quelque stupide qu'on veuille le supposer , ne diroit -il
pas tout de suite : « Il est facile de supposer que Saint- Denis
» est habité , puisque j'y vois des habitations et trente che-
» mins par lesquels je puis y aller si cela me fait plaisir' ;
» mais qu'en prétendez-vous conclure pour l'habitation de
>> voire lune ? Montrez-moi la route de communication , et,
» si elle me paroît praticable , je vous croirai. » Mais Fontenelle
s'amusoit , et M. de Lalande parle sérieusement . Ce
grand homme pense que les hypothèses de M. le comte de
Buffon sur l'incandescense des astres et leur refroidissement
successif , sont des vérités rigoureusement démontrées , et
que , dans quatre- vingt - treize mille ans , il fera si froid
qu'il n'y aura plus personne à Paris pour acheter sa petite
astronomie , ce qui est assurément très-malheureux pour ses
arrières - petits- neveux et petites - nièces ; mais enfin , si tel est
l'ordre infaillible de tous les corps célestes , il faut bien nous
y soumettre d'avance.
Nous avons dit tout- à - l'heure que nous ferions connoître
que le système de Copernic sur le mouvement des astres ,
P
226 MERCURE DE FRANCE ,
n'est pas le plus simple qui pouvoit être conçu : cela ne sera
pas
difficile. Copernic fait faire à la terre sa révolution autour
du soleil immobile , en un an . C'est un petit voyage d'environ
deux cent millions de lieues , ce qui fait plus de cinq cent
mille en un jour . Ce'n'est pas ce qui m'effraie ; car je ne serois
pas si étonné de voir le soleil parcourir en vingt- quatre heures
tout le cercle qu'il décrit , que de voir la touche d'une
pendule faire sa révolution autour d'un cadran en douze heures
. Le cercle du ciel est un peu plus grand pour nous , qui
sommes fort petits ; mais pour celui qui l'a dessiné , c'est sans
doute fort peu de chose . Cependant , si l'on veut chercher le
mouvement le plus simple comme étant le plus probable , à
quoi bon faire voyager la terre de cette façon , puisqu'on
peut la supposer , d'une part , tournant sur elle - même sans
changer de place , tandis que , d'un autre côté , le soleil feroit
une petite révolution de quarante- six degrés du midi au nord ,
et du nord au midi , pour nous donner toutes les saisons ;
révolution , au surplus , qu'il faut toujours supposer , si l'on
ne veut pas trop compliquer les mouvemens de la terre , et
s'exposer à déranger l'harmonie et les rapports des autres
astres avec elle . Le système de Copernic a visiblement ce
défaut , puisqu'il est impossible de concevoir que le monde ,
tournant dans un espace d'une telle étendue , conserve néanmoins
toujours le même aspect des astres , et sur-tout ses
étoiles polaires . Mon dessein n'est pas de m'enfoncer ici dans
des calculs ennuyeux et étrangers au but de cet ouvrage ;
mais je demanderai comment la terre , qui n'a que neuf mille
lieues de circonférence , pourroit faire en un jour plus de
cinq cent mille lieues , lorsque , dans ce même temps , elle
ne fait qu'un tour sur elle -même , et que par conséquent elle
ne pourroit tout au plus parcourir qu'une étendue égale à
cette même circonférence ? Il faudroit donc supposer qu'elle
a un mouvement cinquante fois plus rapide que celui que sa
rotation lui donne : et quelle seroit la cause de ce mouvement
FEVRIER 1806.
227 :
extraordinaire ? Je ne sais si Copernic l'a expliquée : quant
à M. de Lalande , il n'en dit rien ; il ne parle pas même de
toutes ces difficultés . Nous sommes bien éloignés de prétendre
offrir ici quelque système nouveau ; nous connoissons trop
bien la valeur du temps , pour l'employer à de pareilles inutilités
. Nous souhaitons seulement qu'il paroisse sensible que ..
celui qui passe pour être le meilleur , a cependant des vices
considérables , et qu'on peut fort bien se dispenser de le croire
le plus simple qu'on puisse imaginer.
rance ,
M. de Lalande accuse ceux qui croient que le soleil tourne
autour de la terre , d'étre aveuglés par le préjugé de l'ignoet
de n'avoir que des idées étroites. Il nous paroît ,
au contraire , qu'il n'y a de préjugé que dans le système qu'il
défend ; car , comme il n'est fondé que sur des notions qui
n'ont rien d'assuré , sur des suppositions toutes gratuites , il
ne peut être qu'un préjugé dans toute la force du terme , et
c'est justement là le préjugé de l'ignorance . Quant aux idées
étroites , elles ne sont certainement pas dans l'esprit de ceux
qui croient au mouvement des astres autour de la terre , et
je défie M. de Lalande de concevoir une idée plus vaste et
plus majestueuse . Quant à la difficulté de faire parcourir aux
étoiles l'orbe iminense qu'elles auroient à décrire , elle est
nulle dès qu'elle est possible. Chacun d'ailleurs peut conjecturer
sur ce sujet tout ce qui lui plaît , sans craindre de se
trouver en contradiction avec les saintes Ecritures. Tout ce
que l'on pourra dire se réduira toujours à des suppositions ,
puisque , suivant M. de Lalande lui-même , il n'y a aucun
moyen de prouver le déplacement de la terre , ni même de
s'en apercevoir.
Cet astronome nous offre un bien triste exemple du danger
qu'il y a de s'écarter de son sujet et de ses occupations habituelles
, dans la seule vue de faire un peu de bruit dans ce
monde.
Quelque petit que soit le nouveau livre qu'il vient de pu
P 2
2284 MERCURE DE FRANCE ,
blier , il n'a pu se dispenser d'y faire entrer sa doctrine ;
mais
elle y est placée d'une manière si burlesque et si fole , qu'elle
est plus propre à faire rire un moment à ses dépens , qu'a
jeter la moindre erreur dans les esprits .
*
Qui croiroit qu'un homme qui se dit savant , et qui prétend
se faire passer pour un génie sublime , veuille absolument
retrouver dans les constellations , les traces antiques du
christianisme , qu'il affecte de confondre avec l'idolâtrie, et
la mythologie ; et qu'il donne à cet insigne galimatias le titre
pompeux d'Explication des Fables ? On pourroit d'abord
demander à cet esprit bizarre de quelle utilité cette explication
peut être à la science qu'il professé , et quel profit les
Dames pourront en retirer ? Mais il n'y a pas moyen de raisonner
avec un homme qui peut vous menacer du Sagittaire
ou du Scorpion ; et même je conseille aux dames de ne pas
lui chercher querelle , parce qu'il pourroit bien les faire descendre
en ligne directe de la constellation du Taureau , que
les anciens adoroient , dit- il , comme l'origine et le père de
toutes choses .
1
M. de Lalande voit et comprend tout ce qui n'est ni chiffres
ni mesures , d'une manière qui lui est toute particulière . Il
prétend , par exemple , que les douze signes du Zodiaque ,
parcourus dans le cours d'une année par le soleil , ont fait
imaginer les douze Travaux d'Hercule , entre lesquels il reconnoît
que les écuries d'Augias sont fort bien représentées
par ce même Bélier , qui , dit - il dans un autre endroit , est
l'Agneau de Dieu , ou Jésus-Christ lui -même. Mais il n'a
pas même la gloire d'avoir inventé ces lourdes inepties . Il
faut la laisser tout entière à M. Dupuis , qui au moins a eu
le bon esprit de les enterrer dans un gros ouvrage que personne
n'aura jamais le courage de lire. Mais quelle nécessité
y avoit-il d'ajouter à la partie scientifique de ce petit volume
un chapitre d'absurdités sur les fables du paganisme ? Et
n'est-il pas visible qu'il n'y a ici d'autre intention que celle
FEVRIER 1806. 229
DI
de mêler à toutes les folies qu'il lui plaît de rêver , quelques
traits contre la religion de sa patrie ? Je laisse de côté l'explication
des signes du Zodiaque . D'autres avant lui n'y avoient
vu que la représentation des douze mois de l'année . M. de
Lalande peut y voir , si cela lui fait plaisir , les douze grands
Dieux , les douze Tribus d'Israël , ou même les douze Apôtres
; toutes ces visiors ne sont pas plus ridicules les unes
que les autres , et ne méritent que le sourire du mépris . Mais
une chose qui fait connoître l'horime , et qui mérité d'être
relevée , c'est qu'après avoir confondu , sans goût , sans ordre
, et dans un style inintelligible , le sacré avec le profane
saint Jean et Gerbère , Jésus -Christ avec le Capricorne,
d'Apocalypse et les Travaux d'Hercule , finitit par dire
« qu'il a cru ne pouvoir mieux terminer l'Astronomie qu'en
» faisant connoître l'usage qu'on en fit dans les siècles les
»´´plus reculés , et le moyen qu'elle fournit pour l'explication
» de ce qu'on a célébré le plus dans l'antiquité, de ce qu'on
» célebre encore , et dont on ne connoissoit pas l'origine. »
Et il cite , pour autorités , deux ouvrages dignes de figurer à
côté des contes de Gulliver , un Mémoire sur l'origine des
Constellations , et l'origine de tous les Cultes ou Religion
universelle, Ainsi , selon M. de Lalande , le divin fondateur
du christianisme peut être rangé dans la même cathégorie
que l'amant de la belle Omphale ; et nous pouvons trouver
dans le Zodiaque tout ce que nous voudrons , voire même
l'explication de l'Apocalypse. Pauvre calculateur que l'orgueil
dévore , qui ne sait plus ni ce qu'il croit ni ce qu'il dit ,
qui se confond lui - même dans ses rêveries , et qui , pour se
distinguer , n'a pu trouver d'autre moyen que de provoquer
le mépris de tous les honnêtés gens , en foulant aux pieds la
doctrine et la religion de ses pères ! Que le ciel et les hommes
lui fassent miséricorde !
"
JALANA
G.
3
230 MERCURE DE FRANCE ,
VARIÉTÉ S.
LITTÉRATURE SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
-Madame Branchu qu'une chute grave avoit éloignée de
la scène depuis sept mois , a fait sa rentrée sur le théâtre de
l'Académie impériale de Musique , le vendredi 24 janvier.
Cette représentation avoit attiré presqu'autant de spectateurs
que les tours de force de Duport. L'actrice a été très- applaudie
dans les deux pièces. Elle nous a paru mériter quelques
fois ces applaudissemens dans Alceste , et toujours dans le
petit rôle de Colette , Ce théâtre doit , dit- on , remettre incessamment
Echo et Narcisse , opéra de Gluck, Il a remis cette
semaine le ballet d'Acis et Galatée de Duport, et prépare un
nouveau ballet de ce danseur .
Il paroît que le Théâtre Français se dispose à faire de
grands efforts pendant le cours de cet hiver. Plusieurs tragédies
du second ordre seront reprises. Le succès de Manlius
doit encourager les acteurs. Déjà l'on annonce la reprise de
Gaston et Bayard , tragédie de du Belloy. Après Manlius ,
Talma doit jouer Gustave. Le style est un peu rude ; mais
le rôle convient parfaitement aux moyens de cet acteur , qui
vient de se mettre hors de pair. Mlle Raucour rentrera dans
le rôle de Sémiramis , et Monvel dans celui de l'Abbé de
V'Epée. , ༞ ༧ !
-Les Deux Aveugles de To'ède , dont on a donné cette
semaine la première représentation à l'Opéra- Comique , n'ont
obtenu qu'un succès très - contesté. La musique , ou plutôt la
juste célébrité du compositeur , a seule empêché une chute
complette . Cette pièce , dont le fonds est pris d'une des nom.
breuses histoires racontées par le Barbier de Bagdad dans les
Mille et Une Nuits , n'est qu'un mauvais canevas dans le
genre des opéras bouffons italiens . Malheureusement ce ne
sont point les paroles de leurs opéras qu'il faudroit emprunter
FEVRIER 1806. 231
aux Italiens . Celles des Deux Aveugles sont de M. Marsollier ,
qui a trop rarement su tenir le milieu entre le drame et la
farce , et dont les nombreux succès n'ont pas peu contribué
à faire abandonner à ce théâtre le seul genre qui lui convienne ,
si toutefois Favart , d'Hele et Marmontel ne se sont pas trompés.
La musique est de M. Méhul . L'ouverture et le quintelto
ont paru dignes de l'auteur de Stratonice . Il n'est pas
heureux pour un artiste tel que M. Méhul , d'employer son
talent sur des ouvrages qui ne peuvent point rester au théâtre .
Les Cantatrice Villane , données jeudi dernier sur le
théâtre de l'Impératrice , ont obtenu un très - grand succès.
Mad. Canavalli a débuté dans cet opéra par le rôle de Rosa ,
dans lequel elle a obtenu les plus vifs applaudissemens . La musique
est de Fioravanti . — On dit que les comédiens français
de ce théâtre répètent en ce moment une comédie en trois
actes , d'un jeune homme , ou plutôt d'un enfant de treize ans .
Nous ne voulons décourager personne ; mais ce que Le Maître
a dit du poëme épique , peut aussi bien s'appliquer à la comédie :
Et ce pénible ouvrage ,
Jamais d'un écolier ne fut l'apprentissage .
La semaine prochaine paroît devoir être féconde en
nouveautés. La Comédie Française annonce la première représentation
des Français dans le Tyrol , fait historique en un
acte et en prose. L'Opéra - Comique promet la Prise de Passaw,
fait historique en deux actes , suivi d'un divertissement. Enfin ,
le théâtre de l'Impératrice affiche pour mardi la première.
représentation du Nouveau Réveil d'Epimenide , comédie
épisodique en un acte et en prose , suivie d'un divertissement .
-On prépare aussi au théâtre de la porte S. Martin , deux
représentations qui paroissent devoir attirer la foule. La première
sera donnée au bénéfice de M. Goyon , danseur de
l'Académie Impériale , par les artistes du même théâtre , et
les comédiens ordinaires de l'Empereur ; la seconde , au bénéfice
de M. Philippe , acteur retiré de l'Opéra - Comique.
On a établi un théâtre à l'hospice de Charenton , comme
moyen curatif de l'aliénation de l'esprit.
232 MERCURE DE FRANCE ,
Les libraires Treultel et Wurtz annoncent la prochaine
publication d'un ouvrage que le nom de son auteur recommandera
puissamment à la curiosité publique . Il ne s'agit de
rien moins que des OEuvres de Louis XI , en trois volumes
in- 8 °. Les éditeurs publient aujourd'hui la note suivante , que
nous donnons textuellement , sans rien préjuger sur l'authenticité
du livre qui en est l'objet :
Le maréchal de Noailles , mort en 1766 , possesseur d'une collec-
« tion de mémoires originaux , composés par Louis XIV , et écrits de sa
main ( fait presque généralement ignoré jusqu'ici ) , se décida , en 1848 ,
» à les déposer à la bibliothèque du roi . Le 6 septembre 1758 , i en donna
>> une copie à l'abbé Sallier , garde des manuscrits du ri . M. Sallier , la
» Jaissa à l'abbé Sonchet , son ami , censeur royal . Ce manuscrit , depuis
>> long temps à la disposition de MM . Treuttel et Vürtz , présentoit la
>> ' matière d'un volume in- 8 ° ; mais persuadés qu'il existoit encore beau
» coup de pièces inconnues , sorties de la plume de Louis XIV , et qui
» n'étoient pas tombées entre les mains du maréchal de Noailes , ils cru->
» rent devoir les rassembler , pour donner une édition des oeuvres de ce
» monarque , aussi compléte qu'il seroit possible. Leurs recherches ont
>> eu les plus grands succès , et ils sont parvenus à réunir une collection de
>> morceaux historiques , politiques et même littéraires de Louis XIV ,
» presque tous inédits , qui , ainsi que les mémoires , ont été confiés à un'
>> littérateur connu par des écrits également accueillis et estimés , pour ;
» les classer , y aj uter les notes et les explications nécessaires : enfin ré-
» diger , sur Louis XIV , une notice , où , par des rapprochemens his-
» toriques et des considérations nouvelles résultant des écrits de ce mo-
»> narque , il pût être apprécié avec plus d'impartialité et de précision
« qu'on ne l'avoit fait encore. »
Cette édition est divisée comme il suit : 19. Avertissement bibliogra
phique sur les écrits de Louis XIV , et les sources où ils ont été puisés . 2º .
Notice historique sur Louis XIV . 3. Instructions pour le dauphin ; Notes
et Agenda Diverses autres pièces , in tructions et dispositions politiques..
Mémoires et pièces militaires et historiques . 5º . Lettres particu
lières de Louis XIV à sa famille , aux princes étrangers , à ses ministres ,
ses généraux , ses courtisans , etc. 6° . Traductions et poésies de Louis
XIV. 7° Pièces historiques la plupart inconnues , relatives aux principaux
événemens du règne de Louis XIV. 8º . Choix de pièces satiriques
en vers , sur Louis XIV et les principaux personnages de son temps .,
Comme l'écriture des personnages célébres intéresse toujours , on joindra
à la présente édition la copie figurative , et trait pour trait , d'une lettre
de Louis XIV , et des fragmens de l'écriture de plusieurs personnages,
illustres de ce règne . Les originaux sont entre les mains des éditeurs .
M. Cointereaux , professeur d'agriculture rurale , et
connu par plusieurs écrits utiles , vient de publier une petite
brochure intitulée Avis au Peuple sur l'Economie de son
Bois , par M. Cointereaux ; instruction avec laquelle chaque
famille pourra elle - même diriger ou bâtir dans sa cheminée
1
FEVRIER 18.6. 233
་
un nouveau foyer , y maitriser le feu , y placer le pot , faire
des apprêts, s'y chauffer enfin , sans odeur comme sans fumée.
Chez l'auteur ; rue Folie - Méricourt , n° 4 , faubourg du
Temple ; et chez le Normant , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , n° 17 M. Cointereaux donne dans
son ouvrage le modèle de trois foyers , et tous les renseignemens
nécessaires pour les construire soi même , ou les
faire construire sons ses yenx par tel ouvrier qu'on jagera
à propos d'employer. L'un de ces foyers n'exige que 20 à 22
fr . de dépense ; le même , avec circuit et tuyaux de chaleur ,
coûte au plus 25 ou 26 fr . , et garni de tous les appareils
dont il est susceptible , n'outrepasse pas 39 fr . On peut voir ,
chez le sieur Cointereaux , ce foyer économique. Il offre un
emplacement pour le pot au feu , un fourneau pour un ragoût.
On peut , en avant , faire rôtir une pièce de viande , metire
un gril sur les côtés , etc. Il échauffe en outre l'appartement ,
et la famille du sieur Cointereaux n'a point d'autre feu . Il
l'alimente enfin avec très - peu de bois.
U
-
P
MODES du 25 janvier 1806. On voit au spectacle beaucoup de toques
en velours de toutes les couleurs , toutes sans bord , et sans autre ornement
qu'une plume , longue à la vérité , et fort belle. Cette plume, plutôt ronde
que plate , est plantée précisément au- dessus du front , et sa pointe vient
tomber jusque sur l'épaule gauche.
Plusieurs fonds de toques sont , sinon brodés en jais , au moins semés
de jais , épinglés en jais .
Les rubans sont , comme à l'ordinaire , d'abord veloutés , puis rayés.
Les coiffures en cheveux , qui naguère formoient , sur- tout an bal , un
front bien large , bien découvert , admettent aujourd'hui une touffe énorme
de crochets : les oreilles pourtant restent dégagées ; par-derrière est un
chou de nattes , ou un réseau de fleurs qui en tient la place.
Le plus nouveau dé tous les réseaux est formé de bandelettes de laine
blanche.
Nous avons vu un réseau de chenille noire , qui , par-devant , avoit
pour accessoire un diadême d'épis de bled , faits en jais noir.
Les roses blanches sont fort à la mode sur les petits toquets m - parés ,
et sur les chapeaux négligés .
Pour le négligé , il y a des capotes de velours gris , à passe saillante ,
rayée de bandes étroites de satin blanc,
Il n'est plus mention des redingotes de drap , quoiqu'on en porte beaucoup
les tailleurs n'ont de commandes qu'en redingotes de velours ,
qu'ils font tantôt blanches , tantôt amarante, tantôt rose . Sur toutes ces
redingotes , l'écharpe est blanche , et se noue par-devant le haut des
emmenchures a de petits crevés de satin blanc , et le dos est boutonné avec
des boutons de satin blanc.
:
234 MERCURE DE FRANCE,
Les robes à queue sont , la plupart , de satin rose ou blanc , boutonnées
ou lacées derrière , avec un tulle à la gorge. Sur les bouts de manche , au
lieu de rubans en long ou en biais , comme ci - devant , on voit de grandes
dents de loup formées d'un ruban plié.
D'abord on s'étoit borné à suspendre des fruits figurés à ses oreilles ;
mais , depuis , on a fait, et l'on porte aujourd'hui des colliers en fruits
figurés. Naguère , c'étoient des raisins avec leur pampre : aujourd'hui la
mode veut des bouquets de mûres. Dans la monture des diamans , les
palmettes , les roses , les damiers mêmes , sont passés de mode : il faut
quoi qu'il en coûte , sacrifier la main-d'oeuvre , et faire exécuter des marguerites.
Rien de plus galant qu'une tête moutonnée , sur laquelle on a
semé sept ou huit marguerites en brillans.
Les parfumeurs, pour les cadeaux du premier de l'an , avoient imaginé
des sacs compliqués , en forme de corbeilles , où l'on trouve à la fois , un
miroir , du fil, des aiguilles , un étui pour l'ouvrage, une place pour les
clefs , et une poche pour le mouchoir. Ces sacs , brodés en couleur, n'ont
rien perdu de leur vogue ; on les appelle un nécessaire , un indispensable
, un ridicule , comme vous voudrez ; mais c'est un meuble de
chambre , qu'on ne peut pas porter en ville vu sa pesanteur ; et les
femmes qui prennent de ces ridicules , ont soin de ne pas les montrer.
Pour être à la mode en négligé du matin , il faut avoir un gilet turc
rouge et argent , sous un gilet blanc de moyenne grandeur , des guêtres
qui ne passent pas la cheville , une redingote très -écourtée qui atteigne
à peine le genou , et une culotte qui convre la moitié du mollet ; des souliers
sans talon , et un chapeau non pas pointu , mais haut comme un
clocher.
Non-seulement une femme parée adapte , au lien de fleurs , une ou
plusieurs plumes à sa toque , mais sur sa robe de velours , sont quelquefois
semées de petites plumes brodées en or .
On ne voit plus autour du lit d'une petite maîtresse , de ces figures
bizarres ou hideuses , de ces Méduses et de ces Osiris , qui servoient d'ornemens
ou de supports ; onchoisit au Musée les plus belles statues : l'oiseau
qui rattache avec son bec les rideaux d'une croisée , est un cygne ; c'est un
cygne encore , qui tient dans ces pattes les bonnes-graces du lit , ou
soulève du bout de l'alle , la draperie antique d'un boudoir moderne.
Du 31 janvier. — Le rose très-pâle est encore la couleur dominante ;
on en peut faire la remarque chez les modistes et dans les salles de bal .
Une danseuse a toujours un énorme bouquet artificiel , placé du côté
gauche. Au spectacle , les fleurs sont naturelles ; et , à moins d'être en
très-grande parure , on les tient à la main : ce sont des brins de jacinthe ,
ou des violettes.
Pour les bals , il y a , outre les demi-guirlandes , dites tours de peigne ,
des diadêmes de roses blanches. Quelquefois ces roses sont en argent : on
exécute aussi en argent des guirlandes de vigne et des épis .
$
En grande parure , on recommence à reporter des coiffures à la Ninon :
de chaque côté les cheveux bouclés doivent descendre plus bas que la
jone , et , vers la pointe , former presque tire-bouchon . Cette coiffure
n'admet qu'une fleur sur le côté gauche; elle est lisse sur le front , et ,
par- derrière , se termine en chou de nattes ou en colimaçon .
Depuis quelques mois , même en grande parure , à moins que ce ne
fùt en société , on voyoit peu de robes à queue , les diamans même se
portoient avec des robes courtes .
On a vu , ces jours derniers , des robes de velours doublées d'hermine ,
les revers en schall , et , sur les deux devants , au lieu du simple liseret
accoutumé , cinq doits à-peu - près de bordure d'hermine ; la toque pas
2
FEVRIER 1806 . 235
reille , avec une plume blanche ; et aux emmanchures , pour couper le
rouleau de velours , des raies d'hermine.
A la taille de quelques autres robes de velours, on remarquoit de petites
basques quarrées , comme à des corsets à la paysanne : ces robes étoient
placées derrière , et les manches très - bouffantes , avec des crevés de rubans.
Par -devant, pour former le tablier , régnoient trois lignes perpendiculaires
de bouffettes de satin .
Les lingères fameuses forment en or , l'ourlet de leurs collerettes .
En demi- toilette , on voit quelques toquets de crêpe avec des fleurs
dessus , notamment avec des roses blanches ou de la giroflée. Ces toquets
se mettent avec un beau peigne , que la transparence du fond laisse voir
assez distinctement .
NOUVELLES POLITIQUE S.
Pétersbourg, 28 décembre.
9
Le lendemain de l'arrivée de l'empereur , les chevaliers de
l'ordre de Saint - Georges tinrent une assemblée extraordinaire.
( L'on sait que pour être reçu membre de cet ordre , il
faut avoir fait la guerre et s'être distingué. ) Il fut résolu à
l'unanimité de conférer le grand cordon à S. M. I. et une
députation fat chargée de le lui présenter , ainsi que la décision
qui avoit été prise à ce sujet. S. M. I. accueillit cet
hommage de l'ordre ; mais , malgré les instances réitérées des
députés ( le général d'infanterie prince Prosorowsky , et le
prince Kusakin , chancelier de tous les ordres de Russie ) ,
elle refusa d'accepter le grand cordon , en disant « que les
» décorations de l'ordre militaire de la première classe ne
» devoient être la récompense que des commandans en chef;
» qu'elle n'avoit point commandé , mais seulement conduit
» ses braves troupes au secours de son allié , qui avoit lui-
» même dirigé toutes les opérations ; qu'elle ne croyoit pas ,
>> par cette raison , avoir fait dans cette occasion tout ce qui
» pouvoit lui mériter une telle distinction ; que dans toutes
» ses actions , elle n'avoit fait que partager l'intrépidité de
» ses braves troupes , et ne s'étoit séparée d'elles dans au-
» cun danger ; que n'ayant encore eu aucune occasion de
>> montrer sa bravoure personnelle , elle jugeoit en ce mo--
>> ment convenable , pour prouver son estime pour l'ordre
» militaire , de n'accepter que les décorations de la quatrième
>> classe. >>
Vienne , 16 janvier.
L'empereur est arrivé ici aujourd'hui à onze heures du
matin ; il s'est d'abord rendu à la cathédrale , où on a chanté
un Te Deum , et est allé ensuite dans son palais , en passant
236 MERCURE DE FRANCE ,
par les principales rues : il n'avoit pour escorte que la garde
bourgeoise à cheval ; la bourgeoisie à pied , sous les armes
bordoit la haie ; aucune troupe réglée n'a paru. Le cortége
se composoit de huit voitures ; l'empereur étoit dans la dernière
avec l'impératrice. On lisoit beaucoup d'émotion sur
les figures de LL. MM. L'ordre qui a régné , l'affluence des
habitans dans les rues , les sentimens qui ont été généralement
manifestés ont fait reconnoître la sagesse qui a toujours ca
-ractérisé les Viennois et leur attachement pour leur souverain.
Avant l'arrivée de l'empereur , on avoit affiché et publié par
tout la proclamation suivante :
François II , par la grace de Dieu , empereur élu des
Romains , toujours auguste , empereur héréditaire d'Autriche
, roi de Germanie , de Hongrie, de Bohéme , etc. ,
etc. etc.
"
« Lorsque je me suis éloigné de vous , je n'étois pas peu fondé à croire que
notre séparation seroit de très- courte durée ; car j'avois pris la ferme résotution
de revenir à Vienne aussitôt après la levée des séances de la diete
hongroise ; mon intention étoit de rester parmi vous aussi long- temps que
ma présence dans la capitale auroit pu s'accorder avec l'obligation de veiller
aux intérêts de tout mon empire . La force des circonstances a pu seule
m'empêcher d'exécuter cette résolution . J'ai pensé qu'il étoit de mon devoir
envers vous , comine envers la généralité de mes fidèles sujets , de rester
dans le voisinage de l'armée combinée . J'ai fait choix d'un représentant
qui avoit votre confiance , et qui , sous tous les rapports , la méritoit . Je
me suis occupé de vous , et j'ai veillé à vos intérêts autant que le malheur
des circonstances l'a permis .
» La Providence n'ayant pas voulu que par des succès militaires nous
puss ons poser les fondentens d'une sécurité durable , j'ai redoublé d'efforts
pour que des négociations de paix rendissent à mes états subjugués
le repos et la tranquillité Le succès de mes efforts a paru tardif à mon
coeur ; mais on ne pouvoit terminer plus tôt une affaire qui embrasse le
présent et l'avenir , et dont la décision exigeoit un consentement mutuel.
» Ce temps malheureux n'est plus. Je reviens au milieu de vous aves
l'attendrissement que m'ont fait éprouver votre constance , votre attach
ment inébranlable , votre vigilance à conserver l'ordre et le repos , votre
empressement enfin à tempérer par la bienfaisance les malheurs de l'humanité.
Il n'est aucun devoir que vous n'ayez rémpli , aucune vertu que
vous n'ayez pratiquée . Vous vous êtes acquis l'estime de vos compatriotes ,
celle des étrangers : vous avez enfin les plus justes droits à ma reconnoissance.
Encore éloigné de vous en subissant les épreuves les plus pénibles ,
j'ai trouvé des motifs de tranquillité dans ce sentiment consolateur.
» Mais si je m'abandonne justement à la joie que me fait éprouver mon
retour au milieu des bons habitans de Vienne ; si vous-mêmes venez avec
alégresse au- devant de votre souverain , et oubliez en le revoyant les calamités
qui vous ont accablés , n'imaginez pas pour cela que votre situa
tion actuelle me soit inconnue , et que je ne l'aie pas attentivement considérée
.
» Oui , penple généreux ! tu as éprouvé des malheurs qui ont ébranlé ,
jusqu'en ses fondemens , la prospérité que tes efforts et ton activité ta
voient acquise . Je ne me dissimule point cet état des choses , j'ai cherche
FEVRIER 1806.
237
même àle connoître entièrement , parce que cette connoissance est indispensablement
nécessaire pour établir l'accord qui doit exister entre les
ressources et les besoins . On a déjà fait tout ce qu'il étoit possible de faire
dans ces malheureuses circonstances , pour empêcher que les consommations
extraordinaires auxquelles on a eu recours n'occasionnent , ni la disette
, ni un enchérissement qu'on ne puisse supporter. C'est pour parvenir
à ce but que j'emploierai dorénavant tous les moyens que la Provi
dence a mis en ma main.
» Soyez toujours aussi fidèles à votre prince que vous l'avez été dans
les temps les plus critiques ; contribuez , par vos bons sentimens , au
bien général vers lequel se dirigent tous mes efforts , redoublez d'industrie
, conduisez vous toujours avec la même noblesse , fermez l'oreille à
d'in ustes censures , comptez sur le Tout- Puissant , et joignez vos prières
aux miennes. Nos blessures , quelque profondes qu'elles soient , seront
bientôt cicatrisées . >>>
Felssberg , le 15 janvier 1806 .
Londres , 22 janvier.
Discours des lords commissaires aux deux chambres du
parlement , du 21 janvier 1806.
Milords et messieurs ,
La commission munie du grand sceau , qui nous a été délivrée
par S. M. , nous autorise , entre autres choses , à faire
connoître les motifs de cette réunion du parlement. S. M.
nous a particulièrement chargés d'appeler votre attention sur
les succès les plus décisifs dont la Providence a daigné bénir
ses armées de mer depuis la dernière session du parlement .
Les flottes de S. M. ont fait voir toute leur activité et toute
leur persévérance dans la poursuite et dans l'attaque des
différentes escadres de l'ennemi ; les résultats de chaque combat
ont été honorables pour le pavillon britannique , et ont
affoibli la puissance maritime des états avec lesquels S. M. est
en guerre. Mais la victoire remportée devant Trafalgar sur
la flotte combinée de France et d'Espagne , a manifesté , plus
que tous les exploits recueillis dans les annales même de la
marine anglaise , l'habileté et le courage des officiers et matelots
de S. M.; et la destruction d'une partie aussi considérable
des forces navales de l'ennemi , a non-seulement confirmé
de la manière la plus signalée la supériorité maritime
de ce pays , mais elle a de plus contribué essentiellement à la
sûreté des domaines de S. M.
S. M. est profondément affectée que le jour d'un triomphe
aussi mémorable ait été malheureusement obscurci par la
perte d'un héros. Elle est persuadée que vous sentirez que
cette fin déplorable , mais glorieuse , d'une vie que tant d'exploits
rendent remarquable , exige que la reconnoissance de ce
pays soit manifestée d'une manière aussi durable que distinguće.
Elle espère donc que vous concourrez à mettre S. M. en
mesure d'ajouter aux honneurs qu'elle a conférés à la famille
du feu lord vicomte Nelson , des marques de la munificence
238 MERCURE DE FRANCE ,
nationale , qui transmettront jusqu'à la postérité la plus reculée
la mémoire de son nom et de ses services , et le bienfait
de son exemple.
S. M. nous a de plus chargés de vous faire connoître que
pendant que la supériorité de ses forces maritimes s'est ainsi
établie et maintenue , S. M. a trouvé le moyen de placer les
fonds qui avoient été mis si libéralement à sa disposition pour
secourir celles des puissances du continent qui se montroient
déterminées à résister aux empiétemens formidables et toujours
croissans de la France. S. M. a ordonné que les divers
traités conclus à ce sujet fussent mis sous vos yeux ; et quoiqu'elle
ne puisse que déplorer profondément les événemens
de la guerre d'Allemagne , événemens qui ont trompé ses espérances
et conduit à un résultat défavorable , elle est persuadée
qu'après avoir pris connoissance de ses différentes démarches
, vous penserez que rien n'a été négligé de sa part
pour soutenir les efforts de ses alliés , et qu'elle s'est conduite
conformément aux principes déclarés par elle et reconnus par
le parlement comme essentiels aux intérêts et à la sécurité de
ses domaines , ainsi qu'à la sûreté du continent.
Il est un grand motif de consolation pour S. M. , et elle est
persuadée que vous y prendrez part quoique l'empereur
d'Allemagne ait été forcé d'abandonner la contestation ,
S. M. continue à recevoir de son auguste allié l'empereur de
Russie les plus fortes assurances de son attachement à cette politique
sage et généreuse , dont les principes l'ont guidé jusqu'à
présent. S. M. ne doute pas que vous ne sachiez apprécier
les avantages importans qui résulteront de la durée de
nos relations intimes avec ce souverain.
Messieurs de la chambre des communes
2
S. M. a ordonné que les états estimatifs de cette année vous
fussent présentés , et elle nous a chargés de vous assurer qu'ils
ont été dressés conformément à ce qu'exige la situation actuelle
de ce pays. S. M. compte que vous lui accorderez tous les
subsides qui , après une mûre délibération , seront reconnus être
nécessaires. Elle souhaite ardemment de contribuer , par tous
les moyens qui sont en son pouvoir , à alléger les taxes additionnelles
qui doivent nécessairement être imposées ; et c'est dans
cette vue qu'elle a ordonné d'appliquer au service public de
l'année , la somme d'un million sterling , provenant de la
vente d'une partie des prises faites a l'ennemi , et devant , conformément
à nos lois, être versée dans la caisse de la couronne..
Milords et Messieurs ,
S. M. est très-persuadée que quels que soient l'orgueil et la
confiance que les succès de nos armes doivent iuspirer , vous
sentirez combien les événemens de la guerre continentale
FEVRIER. 1086.
239
après avoir aussi malheureusement accru l'influence et le
pouvoir prédominant de la France, exigent la continuation de
toute notre vigilance et de tous nos efforts. S. M. compte que
pour nous rendre invincibles chez nous comme redoutables
à l'extérieur , vous vous occuperez invariablement à étendre
les ressources qu'elle trouvera dans la bravoure et la discipline
de ses troupes , dans le zèle et la loyauté de toutes
les classes de son peuple , et dans les richesses de ses états .
C'est de tels efforts seulement que la guerre peut être
par
menée à une fin compatible avec la sûreté et l'indépendance
de ce pays , et avec le rang qu'il occupe parmi les nations du
monde.
-
PARIS.
LL. MM. l'EMPEREUR et l'Impératrice sont arrivées
à Paris dans la nuit du 26 au 27 janvier.
-
Le 28 janvier , S. M. l'EMPEREUR et Roi , entouré des
princes de sa famille et des grands dignitaires de l'Empire ,
des ministres , des grands - officiers civils et militaires , des
officiers civils de sa maison et de son conseil -d'état , a reçu
sur son trône les hommages et félicitations des principales
autorités constituées. Ces divers corps ont été conduits dans
la salle du trône par les maîtres et aides des cérémonies , et
introduits par S. E. le grand-maître des cérémonies. Le Jour
nal Officiel contient les discours des présidens du sénat , du
tribunat , du tribunal de cassation , de la cour d'appel et du
préfet de la Seine , du président de l'institut , etc.
S. M. l'EMPEREUR et Roi a répondu au sénat en peu de mots ;
il a dit « qu'il remercioit le sénat des sentimens que le président
venoit d'exprimer , et il a ajouté qu'il mettoit son unique
gloire à fixer les destinées de la France , de manière que dans
les âges les plus reculés , elle fut toujours reconnue par la seule
dénomination du Grand-Peuple. »
L'EMPEREUR a répondu au tribunat « qu'il desiroit qu'on ne
se ressouvînt de ce qui a été fait de bien dans ces derniers mois ,
qu'au moment où son armée rentreroit en France , afin que
ses soldats fussent alors accueillis comme doivent l'être des
enfans qui sont la gloire et l'honneur de leurs familles ; qu'il
falloit en ce moment s'occuper uniquement de perfectionner
la législation , parce que les bonnes lois sont la cause la plus
durable de la prospérité des peuples. »
S. M. a dit au président de la cour de cassation « qu'elle
agréoit avec d'autant plus de plaisir les sentimens qui venoient
d'être exprimés au nom de la cour de cassation , qu'elle étoit
sensible au bien qu'une bonne administration de la justice a
fait à son peuple. »>
240 MERCURE DE FRANCE.
S. M. a répondu au discours prononcé par M. le conseillerd'état
préfet de la Seine : « Qu'il connoît tout l'attachement
que les habitans de sa bonne ville de Paris ont pour
sa personne , et qu'il a senti qu'il n'étoit pas en leur pouvoir
d'ajouter par leurs démonstrations à l'opinion qu'il en
a conçue ; mais que si la destinée avoit été contraire à ses
armes , c'est alors qu'il auroit fait une entrée solennelle pour
que ses ennemis reconnussent aux acclamations qui se seroient
fait entendre , et au nombre des Français qui se seroient pressés
autour de lui , les ressources qu'il auroit trouvées dans
l'amour de ses sujets ; que revenant victorieux , il avoit obéi :
au sentiment qui le pressoit de rentrer dans son palais , pour
s'occuper sans retard des plus chers intérêts de ses sujets. »
Un décret impérial , daté de Munich , le 12 janvier
inséré dans le Journal Officiel italien , porte que les états
vénitiens seront extraordinairement administrés , jusqu'à cé
qu on ait arrêté toutes les mesures qu'il convient de prendre
pour la réunion de ce pays au royaume d'Italie. Le prince
Eugène , nommé gouverneur de ces états , réunira l'autorité
- >
civile et militaire.
Par décret d'hier , S. M. I. et R. a nommé M. le conseiller-
d'état Mollien , ministre du trésor-public , en remplacement
de M. Barbé-Marbois. M. Mollien a été présenté par
S. A. S. Mgr l'archichancelier , au serment qu'il a prêté
entre les mains de S. M.
Par un autre décret du même jour , M. Rostagny , com →
missaire - général des relations commerciales à Venise , est
nommé administrateur- général des finances des états vénitiens ;
il exercera ses fonctions sous les ordres et l'autorité de S. A. I.
et R. le prince Eugène.
S. Exc. M. le maréchal Berthier , a adressé la circulaire
suivante à MM. les préfets des départemens
« Je vous préviens , Monsieur , que j'ai confirmé pour
l'an 1805 les capitaines et lieutenans de louveterie qui ont été
commissionnés par moi en l'an 15 et en l'an 14 , dans votre
département. Je vous prie de leur faire connoître cette décision
, et de leur recommander de porter tous leurs soins à
détruire les loups. Rappelez-leur l'obligation où ils sont de
m'écrire tous les mois , pour me rendre compte des loups qui
fréquentent leurs cantons , et de ceux qui ont été détruits .
Depuis l'organisation que j'ai faite des capitaines et lieutenans
de louveterie , il y a eu 310 loups tués , mais ce nombre
est très-peu considérable en raison de celui de ces animaux et
des ravages qu'ils font.
A
11
-Les troupes françaises out pris , le 15 janvier , possession
de la ville de Venise.
( N° CCXXXVIII. )
( SAMEDI 8 FÉVRIER 1806. )
DE
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
LE TROUPEAU ,
FABLE ( 1 ).
Tour fablier, belle et sage Clio ,
Peut invoquer parfois ton assistance ;
Accorde-moi ta divine influence ,
Et fais jaillir du feu de mon cerveau
Pour annoncer à la race future
( Si l'on me lit ) la tragique aventure
Et le salut d'un précieux troupeau .
2
Le bon Lysas , vieux berger d'Arcadie ,
Avoit moutons nombreux et bien portans ,
Que ses voisins voyoient d'un oeil d'envie .
Certain valet , gagné par ces méchans ,
Servit au mieux leur basse jalousie ,
En dissipant par ses profusions
Le bon fourrage et les provisions
Que pour l'hiver on avoit amassées" :
Il fut chassé. Lysas fit comme il put
Pour réparer les sottises passées ;
( 1 ) Nous insérons cette fable en entier , quoique très - longue , parce que
l'idée en est ingénieuse , et qu'elle nous a paru déceler dans son jeune
› auteur d'heureuses dispositions et une facilité très-rare.
cen
242
MERCURE DE FRANCE ,
C
Mais désormais le berger résolut
De n'avoir plus de valet quel qu'il fût ,
S'en rapportant à sa meute fidèle
Pour gouverner le bon peuple qui bêle ,
Et le garder des atteintes des loups ,
Voire des tours des trop adroits filous.
Tous les mâtins fameux par leur audace , *
Furent par lui chèrement achetés ,
Et les doguins de la plus forte race
Dans son bercail élevés et domptés ,
Pour recruter sa troupe vigilante .
D'abord Lysas du plus heureux succès
Voit couronner ses soins et son attente.
On dort en paix : les tyrans des forêts
Sont écartés et saisis d'épouvante ;
Mais par malheur il n'a pas aperçu
Parmi ses chiens un louveteau notable ,
D'une doguine en fredaine conçu ,
Et qui devint un loup très-forinidable.
Un soir ce loup dans les bras du sommeil
Surprend Lysas , l'étrangle et le dévore ;
Puis triomphant , au retour du soleil ,
Aux fiers mâtins qu'il pourroit craindre encore
Il fait sentir que , leur maître étant mort ,
Il leur convient , par le droit du plus fort ,
De composer l'illustre aréopage
Qui doit régler le destin des troupeaux .
L'ambition est vertu chez le sage;
Chacun croit l'être ; et sur les animaux
L'ambition prend aussi quelque empire.
Le conseil donc s'empressa de souscrire
Au noble avis du madré novateur :
On assembla tout le peuple brouteur ;
Et maître loup, qui sait penser et dire,
Quoiqu'il n'ait lu Quintilien ni Bouhours,
Vint prononcer à -peu- près ce discours :
« Assez long-temps la gent à quatre pattes
» Subit les lois d'un bipède orgueilleux,
» Qui , nous traitant de brutes , d'automates,
» Asservit tout à son empire affreux ;
» Un jour viendra , qu'abjurant ce blasphème ,
» Sur quatre pieds il marchera lui-même ,
>>>' Si l'on en croit un de nos bons amis ;
FEVRIER 1806 .
243
En attendant tout lui reste soumis :
» C'est pour lui seul qu'on a créé la terre ,
» A son avis ; et le dôme des cieux
» Pour son plaisir fut voûté par les Dieux ;
» On fit pour lui l'un et l'autre hémisphère ;
» Pour lui Phébus féconde les guérêts ;
» L'arbre pour lui végète en nos forêts ;
» Et du soleil la divine lumière
bon
» Pour l'éclairer fut faite tout exprès ;
» Enfin , pour lui la prudente nature
>> Vous habilla d'une épaisse toison ,
» Qu'il vous enlève alors qu'il trouve bo
>> De s'en servir , vous livrant à l'injure
» Du souffle aigu du rigide aquilon.
>> Bien pis encor : dans ces vertes prairies
» Vous ne broutiez que lorsqu'il lui plaisoit ;
» Dans un bercail il vous tyrannisoit ,
» Et quand l'émail de ces plantes fleuries
» Vous annonçoit la saison des amours ,
Le monstre ! alors ses mains profanatrices
» Du doux hymen vous privoient pour toujours .
>> Ses braves chiens , soumis à ses caprices ,
» Ses défenseurs , au moindre mal de dent
» Il les noyoit impitoyablement !
>> Mais qui pourroit nombrer ses injustices ,
»› Ou se vanter , sans être un vil flatteur ,
» D'avoir connu sous ses lois le bonheur ?
» Je viens enfin changer ces lois barbares ,
>> Et vous sauver de ses fureurs bizarres.
» La déité que l'on nomme Raison
» Va par ma voix vous parler sans façon
>> Tous les mortels , sans nulle différence ,
» Naissent égaux devant le Créateur ;
>> S'il donne à l'un la force et la vaillance ,
» L'autre a pour lui la beauté , la douceur ;
» Mais ils ont tous même droit au bonheur.
» Pour le chercher tout acte est légitime ;
» Tout est besoin lorsque vous desirez .
» Vivez heureux sous ce nouveau régime ,
» Broutez en paix partout où vous voudrez ;
» Rien ne pourra troubler vos jouissances ;
» Votre conseil réunit les puissances
p Législative , exécutive ; enfin
Q 2
•
244 MERCURE DE FRANCE ,
» Il s'investit du pouvoir souverain .
» D'en abuser s'il nous prenoit envie ,
» Insurgez-vous ; car le plus saint devoir
» Est d'arrêter les abus du pouvoir ;
» Chacun de nous sacrifieroit sa vie ,
» S'il le falloit , pour le commun bonheur ;
» Mais jurons tous par des sermens terribles ,
» De conserver nos droits imprescriptibles ,
» Et que jamais un nouvel oppresseur
» De ce troupeau ne sera possesseur .
» Si parmi nous il se trouvoit un traître
» Qui regrettât notre ci- devant maître ,
>> Que le coupable , assailli dans l'instant ,
>> Soit mis à mort en quatre coups de dent ! »
A ce discours , noblement pathétique ,
L'aréopage aquiesce en aboyant ,
Peuple mouton applaudit en bêlant ,
Et l'orateur est du conseil cynique
Tout d'une voix proclamé président .
Le lendemain , ce magistrat caustique
Voyant Robin , beau mouton , bien nourri
De feu Lysas c'étoit le favori ) ,
Qui s'éloignoit d'un air mélancolique :
« Tout beau , monsieur , lui dit-il , demeurez ;
>> Pourquoi donc fuir quand je viens à paroître ?
» Ha , je le vois , vous regrettez ce maître ,
>> Et sourdement tout seul vous conspirez !
>> J'en vais trouver une preuve complète :
>> A votre col vous osez conserver
» Ce beau ruban où pendoit la clochette
>> Qui de Lysas vous faisoit remarquer.
» Ah , scélérat , je saurai la cachette
» Où vous gardez de semblables bijoux
>> Pour les reprendre au inoment favorable
>> Où vos amis s'armeront contre nous !
» A mort , coquin ! l'intérêt de nous tous
>> Veut qu'à l'instant périsse le coupable ;
>> Sur un perfide on ne sauroit trop tôt
» Appesantir la main de la justice :
» Salus plebis suprema lex esto :
>> Nous atteindrons bientôt plus d'un complice. »
Tout aussitôt Robin est étranglé ,
Et le conseil en fait bonne curée .
FEVRIER 1806. 245
Le lendemain son président zélé
Lui offre encor nouvelle picorée ,
Et chaque jour d'honnêtes délateurs
Vont dénonçant d'autres conspirateurs.
Si le conseil , regorgeaut de pitance ,
Etoit tenté de montrer sa clémence ,
Le loup vouloit , pour décider ce point ,
De l'accusé connoître l'embonpoint.
Peuple mouton errant à l'aventure
Par mots , par vaux , souffroit tout sans murmure.
Un jour advint qu'un membre du conseil
Fut compromis dans une procédure ;
On le condamne avec grand appareil ,
On l'exécute en la forme ordinaire.
Puis maître loup , qui trouveroit fort bon
De régner seul sur le peuple mouton ,
Détruit encore un dogue réfractaire
Le lendemain de cette heureuse affaire.
Mais à ce coup , d'un pareil président
Tout le conseil redoutant l'énergie,
S'élève enfin contre sa tyrannie :
Le loup n'est plus. A ce règne sanglant
Succède alors une molle anarchie ;
Chacun des sieurs , présidant à son tour ,
Sur le troupeau règne pendant un jour ,
Et fatigué du poids du diadême
Le lendemain quitte le rang suprême
Pour vivre en paix du fruit de ses labeurs.
De maître loup la rare prévoyance
A pour long- temps assuré la pitance
Des conseillers ses heureux successeurs;
Mais les moutons , espèce frugivore ,
Ont dévasté tout l'empire de Flore ;
Les prés , les bois , n'offrent plus aux brouteurs
Pour pâturer , ni gazon , ni feuillage :
La faim sur eux signale ses fureurs ,
Et chaque jour les loups du voisinage
Par-ci par-là croquent quelques trafneurs .
Le ciel enfin eut pitié de leur peine ;
Cliton , chasseur , poursuivant dans les bois
Le loup féroce et le léger chamois ,
Un beau matin vint pour reprendre haleine
Dans la bruyère où le troupeau cherchoit
246 MERCURE DE FRANCE ;
De quoi calmer la faim qui le pressoit .
« D'où sortez-vous , pauvres bêtes étiques ,
>> Dit le chasseur ? Où donc est le manant
» Qui dut garder ces moutons faméliques ? »
« Méh , méh , répond le troupeau languissant. »
Cliton appelle et cherche vainement :
A son aspect , à sa mine guerrière ,
Tout le conseil , pressentant l'étrivière ,
Serre la queue et fuit dans la forêt ;
Mais les limiers suivent déjà sa trace .
Bientôt chacun est remis à sa place ;
Notre chasseur , actif et toujours prêt ,
Chasse les loups , construit ses hergeries ,
Aux meilleurs lieux fait parquer son troupeau ,
Et des toisons qu'enlève le ciseau
Achète au loin le tribut des prairies ,
Pour assurer jusqu'au 'prochain printemps
De ses moutons la juste subsistance .
On vit bientôt renaître l'abondance ,
Tout fut soumis , et tous furent contens
De vivre heureux sous son obéissance .
Ils admiroient un changement si beau ;
Et le doyen des béliers du troupeau ,
Prétendant seul en pénétrer la cause ,
Disoit un soir au vieux limier Briffaut :
« Oui , mon ami , soyez sûr de la chose ,
» Notre Cliton dans quelque grand hameau
» Doit être né de race pastorale ;
» Fils d'un berger , dès ses plus jeunes ans
» Il sut régner sur l'espèce animale :
» Qu'on est heureux sous ses yeux vigilans !
» Comme il nous mène , et comme il vous commande !
» Rien n'est plus clair , et pour moi je consens
» A m'avouer hélier de contrebande ,
» S'il n'a lui-même été long-temps berger, »
« Non , dit Briffaut , la chasse est son métier ,
» Il y passa les trois quarts de sa vie ;
» Mais c'est un gras qui sait son pain manger
» Peuple mouton est vassal du génie. »
FEVRIER 1806. 247
Fragment du poëme de l'IMAGINATION , par M. Delille.
.....
SUR LA MORT.
……….. POURQUOI veux-tu , sage et profond Montagne ,
Que l'aspect de la mort en tous lieux m'accompagne ?
Je ne me sens point fait pour un si triste effort :
C'est mourir trop long - temps que voir toujours la mort.
Je sais qu'aux bords du Nil un solennel usage.
De la mort aux festins associoit l'image ,
Mais ce récit m'étonne et ne me séduit pas.
Que le galant Horace , au milieu d'un repas ,
En nous montrant de loin les funèbres demeures ,
Nous invite à saisir le vol léger des heures ;
Je suis son doux conseil , et quand la mort m'attend,
Par quelques vers encor je lui vole an instant .
Mais pourquoi m'entourant de fantômes et d'ombres ,
Me plonges-tu vivant dans les royaumes sombres ?
" Que la mort , disois -tu , sur un ton moins chagrin ,
>> Me trouve oublieux d'elle et bêchant mon jardin ! »
Pourquoi donc aujourd'hui dans ta sombre manie ,
Pour apprendre à mourir veux -tu perdre la vie ?
Quel coeur ne flétriroit un si noir souvenir ?
Quel bien ne corromproit un si triste avenir ?
Regardez ce mortel qu'envoya la justice
1
Du lieu de son arrêt au lieu de son supplice :
Sur la route offrez- lui dés festins , des palais ,
Les palais , les festins sont pour lui sans attraits .
Croyant toucher déjà le terme qu'il redoute,
Il compte les instans, il mesure la route ,
•
Subit déjà sa peine , et certain de son sort ,
Entend dans chaque pas la marche de la mort :
Tels seroient nos destins , etc.
4
248 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
1
J'IGNORE dans quel temps l'homme me fit paroître ,
Mon pays , et le nom de qui me donna l'être ;
Il n'importe au surplus , il suffit que je suis
Utile aux grands aussi bien qu'aux petits ,
Que les premiers de moi font plus d'usage ,
Et que je suis enfin un meuble de ménage .
Mon véritable logement
Est en lieu chaud de peur du rhume ,
Juché , cloué fort inhumainement.
Sur un lit qui n'est pas de plume ,
J'ai beau crier dès qu'on me fait agir ,
De mes tourmens sembler gémir ,
On ne me traite pas avec moins de rudesse ;
Je dois encor marcher d'une égale vitesse ,
On m'y force , lecteur , mais devinez par où :
C'est en pendant une pierre à mon cou.
LOGOGRIPHE
JE porte gain , je porte gan ,
Je porte pain , je porte pan.
Je porte Per , je porte rang.
Que suis-je, lecteur ? ……. P.
CHARA D E.
BEAUTÉ , graces , jeunesse , ainsi que mon dernier ,
Tout , ici-bas , fait mon premier ;
Recours à mon entier si tu veux te distraire
De cette idée atrabilaire.
DUTHRONE-GLATIGNY.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro,
Le mot de l'Enigme du dernier N° est le Temps.
Celui du Logogriphe est Eve.
Celui de la Charade est Mer- veille.
FEVRIER 1806. 249
SUR LES JUIFS ( 1 ),
DEPUIS assez long-temps les Juifs sont l'objet de
la bienveillance des philosophes , et de l'attention
des gouvernemens.
Dans ces divers sentimens , il entre de la philantropie
, de l'indifférence pour toutes les religions , et
peut-être aussi un peu de vieille haine contre le
christianisme , pour qui l'état malheureux des Juifs
est une preuve , qu'on voudroit , avant le temps , faire
disparoître.
Ces dispositions , pour ou contre les Juifs , sont
plus sensibles en Allemagne , où les Juifs se sont extrêmement
multipliés , à la faveur de plusieurs causes
politiques et religieuses ; et sans doute aussi que ce
peuple voyageur , dans sa marche insensible de l'Asie
vers l'Europe , a dû s'arrêter d'abord aux contrées
européennes plus voisines de l'Orient , et des lieux
qui ont été son berceau .
Ce qu'il peut y avoir des vues secrètes de quelque
parti , dans les réclamations en faveur des Juifs , doit
aussi trouver les esprits mieux disposés en Allemagne
, où des opinions déjà décréditées parmi nous ,
auront cours encore pendant un siècle; car il en ést
( 1 ) Plusieurs articles sur les Juifs , insérés récemment au
Publiciste , ont donné lieu à celui que le lecteur a sous les
yeux.
250 MERCURE DE FRANCE,
dans ce
pays des opinions qui ont vieilli en France ,
à-peu-près comme des écus au soleil de Louis XIV,
qu'on y retrouve dans la circulation , et qu'on ne voit
plus en France que dans les cabinets des curieux.
Quand je dis que les Juifs sont l'objet de la bienveillance
des philosophes , il faut en excepter le chef
de l'école philosophique du XVIII, siècle , Voltaire ,
qui , toute sa vie , a montré une aversion décidée
contre ce peuple infortuné . Elle lui attira même de
la part d'un savant qui prit le nom des Juifs Portugais
, et en soutint le personnage avec beaucoup de
politesse , d'esprit et d'érudition , une réponse mortifiante
, et que Voltaire supporta très - impatiemment.
Il est probable que cet homme célèbre ne haïssoit
dans les Juifs que les dépositaires et les témoins de
la vérité de la révélation qu'il avoit juré d'anéantir.
Ce qui le prouveroit , c'est que dans le même temps
il avoit rêvé le projet de rebâtir le Temple de Jérusalem
, éternel objet des voeux et des regrets des Juifs.
On sait qu'il voulut intéresser quelques souverains
à cette entreprise insensée , et même inutile à l'objet
qu'il se proposoit ; car les oracles divins qu'il vouloit
faire mentir , prononcent la destruction totale da
Temple ; et ne disent rien sur sa reconstruction ; et
Voltaire judaisoit lui - même , en ne voyant pas que
c'est le rétablissement du culte mosaïque figuré par
le Temple , qui est incompatible avec l'existence de
la religion chrétienne , et non la restauration matérielle
d'un édifice auquel aucun intérêt ne peut plus
s'attacher.
Quoi qu'il en soit , dès 1783 , l'Académie de Metz
proposa au concours la question de l'amélioration du
sort des Juifs. Je ne sais quels furent les termes précis
du programme ; mais il est permis de conjecturer ,
d'après la tendance des idées de ce temps , qu'il y
étoit beaucoup plus question d'améliorer la condition
politique des Juifs , que de changer leur état
moral , et de les améliorer eux - mêmes. Le grand
FEVRIER 1806. 251
(
>>
Livre en politique et en morale nous dit : « Cherchez
» premièrement la justice , et les autres choses vous
>> seront données comme par surcroît. » La philosophie
économiste qui dominoit alors , renversoit cette
maxime , et disoit à-peu-près aux gouvernemens :
<< Cherchez premièrement à rendre vos peuples ri-
>> ches et même souverains ; et la morale et la vertu
» viendront ensuite comme d'elles - mêmes . » C'est par
cette même disposition qu'on s'occupoit beaucoup
plus à rendre les prisons saines et commodes , qu'à
diminuer les causes qui les remplissoient de malfaiteurs
, et que l'opinion donnoit à l'ouvrage anglais
De la Richesse des Nations, une vogue bien au- dessus
de son mérite réel , et que n'auroit certainement pas
obtenue un ouvrage bien plus moral qui eût paru sous
le titre De la Vertu considérée dans les Nations.
Enfin , la philosophie , lasse de ne réguer que
dans la littérature , prit les rênes du gouvernement
politique en France , ou plutôt en Europe , que la
France a toujours dominée par ses armes , ses opinions
ou ses exemples ; et elle put donner un libre
essor à ses projets de perfectionnement et de bienveillance
universelle . Les Juifs furent les premiers
objets de ses affections philantropiques ; et l'Assemblée
constituante , forçant toutes les barrières que la
religion et la politique avoient élevées entr'eux et les
Chrétiens , appela les Juifs à jouir des bienfaits de
la nouvelle constitution qu'elle croyoit de bonne foi
donner à la France , et provisoirement les déclara
citoyens actifs de l'Empire Français : titre qui , avec
la contemplation des droits de l'homme , nouvellement
décrétés , étoit alors regardé comme le plus
haut degré d'honneur et de béatitude auquel une
créature humaine pût prétendre !
Jusqu'alors les Juifs avoient joui en France des
facultés générales dont les gouvernemens civilisés
garantissent aux hommes le libre exercice , et qui
étoient compatibles avec la religion et les moeurs
252 MERCURE DE FRANCE ,
་
d'un peuple en guerre ouverte avec la religion et les
moeurs de tous les peuples . Les Juifs étoient protégés
en France dans leurs personnes et dans leurs biens ,
comme les régnicoles , comme les étrangers , comme
les Suisses , moins étrangers à la France que les Juifs ;
et hors le service militaire , que les Juifs n'étoient
pas jaloux de partager , et qui même , pour les
Suisses , étoit plutôt une condition imposée à la nation
Helvétique par des traités , qu'une faveur accordée
aux individus , je ne vois pas que les Suisses , qui
n'étoient en France , ni magistrats , ni administrateurs
; ni ecclésiastiques , ni même par le fait proprié--
taires , jouissent , en vertu des lois , de beaucoup plus
de droits que les Juifs. On peut même remarquer
que tous les gouvernemens chrétiens accordoient aux
Juifs , partout où ils étoient établis , le libre exercice
de leur culte , qu'ils refu -oient souvent à leurs propres
sujets qui n'étoient pas de la religion dominante.
Mais les Juifs étoient repoussés par nos moeurs beaucoup
plus qu'ils n'étoient opprimés par nos lois. Des
souvenirs religieux , naturels à des Chrétiens , les poursuivoient
plutôt que des considérations politiques ; et
l'Assemblée constituante faisoit à leur égard , comme
au nôtre , la faute énorme et volontaire de mettre ses
lois en contradiction avec la religion et les maurs ,
appelant de tous côtés les résistances pour les combattre
, et provoquant toutes les irritations , pour avoir
un prétexte de déployer toutes les rigueurs.
de
Mais ce n'étoit pas seulement l'exercice des facultés
naturelles des sujets d'une monarchie , que le 5-
cret de l'Assemblée constituante permettoit aux Jus.
Ils devoient bientôt , comme citoyens actifs . être appelés
à la participation du pouvoir lui - même , que
l'Assemblée jetoit au peuple , comme les largesses
qu'on lui fait aux jours de fête sur les places publiques
, et qui , disputées un moment par les foibles ,
sont bientôt ravies par les plus forts. Cependant ce
décret confondu dans la foule des autres décrets d'un
FEVRIER 18.6. 253
intérêt plus direct pour le grand nombre des Français
, fut peu remarqué en France , où il n'y avoit
proprement de Juifs que dans une province demiallemande
, et située à l'extrémité du royaume. Nul
doute que , si les Juifs eussent été aussi nombreux
dans les autres provinces qu'ils l'étoient en Alsace ,
les amis des Juifs n'eussent éu , tôt ou tard , à se reprocher
, comme les amis des Noirs , la précipita →
tion avec laquelle ils appeloient à la liberté , qui
alors étoit la domination , un peuple toujours étranger,
là même où il est établi ; et qui avoit aussi à venger
l'irrémissible offense d'une longue proscription. Je
ne rapproche pas les personnes , mais je compare les
passions ; et la cupidité , qui attente par les moyens
de ruse à la propriété d'autrui , est soeur de la férocité
, qui attente à la vie par la violence. Les Juifs
s'ils eussent été partout répandus en France , unis
entr'eux , comme tous ceux qui souffrent pour une
même cause , et d'intelligence avec les Juifs étrangers
, auroient fait servir leurs richesses à acquérir une
grande influence dans les élections populaires , et
auroient fait servir leur influence à acquérir de nouvelles
richesses . Je crois que , jusqu'à présent , plus
pressés de s'enrichir que de dominer , ils ont réalisé
en partie cette conjecture , en employant leurs capitaux
à de grandes acquisitions.
*
Mais que pouvoient être des considérations de
prudence , de politique , de prévoyance pour un
parti , duquel , chaque jour , la raison reçut un démenti
, la morale un affront , la justice un outrage
, qui sembloit avoir pris la société à détruire
comme des ouvriers prennent un édifice à démolir
, et qui poursuivoit cette funeste tâche avec toute
la violence que laisse aux passions l'état sauvage ,
et tout l'artifice que l'esprit acquiert dans l'état civilisé
.
Cependant il s'étoit passé en Alsace , quelques anpées
auparavant , un événement qui auroit dù inspi254
MERCURE DE FRANCE ,
rer un peu plus de circonspection à ces législateurs
inconsidérés .
Vers les années 1777 ou 1778 , les cultivateurs
d'Alsace , accablés alors , comme ils le sont aujourd'hui
par les exactions usuraires des Juifs , avoient
tenté , dans leur désespoir , un moyen illegitime de
s'en affranchir ; et un habile faussaire avoit , à ce
qu'il paroît , parcouru la province , et muni de fausses
décharges un grand nombre de débiteurs. Sans doute
les Juifs redoutèrent les tribunaux d'un pays où ils
étoient en horreur ; ou peut- être le grand nombre
d'affaires du même genre rendoit le recours à la justice
ordinaire trop lent et trop dispendieux . Quoi
qu'il en soit , les créanciers préférèrent de porter leurs
plaintes à l'autorité supérieure ; et l'on peut croire
aussi que les argumens irrésistibles , comme dit Figaroy
dont les Juifs ont toujours les poches pleines ,
devoient être plus favorablement écoutés des bureaux
de l'administration , que des compagnies de magistrature
. Un bailli d'Alsace entreprit la défense de ses
malheureux compatriotes. Il ne chercha point à exeuser
leur faute ; mais à intéresser le gouvernement
en leur faveur par le tableau des vexations que les
Juifs exerçoient , de l'extrême misère à laquelle ils
avoient réduit leurs débiteurs . Le mémoire fut imprimé
en 1779 , sous le titre d'Observations d'un
Alsacien sur l'affaireprésente des Juifs d'Alsace . Les
Juifs eurent le crédit de faire mettre le bailli en prison
; et vraisemblablement l'affaire fut assoupie , ou
arrangée à leur satisfaction , puisque le mémoire ne
fut réimprimé à Neuchâtel qu'en 1790 , quelques
mois après la translation à Paris de l'Assemblée constituante
, où le bailli avoit été nommé député. Ce
mémoire , d'où ces détails sont extraits , contient des
faits curieux relatifs aux manoeuvres des Juifs , et à
leur prodigieuse multiplication en Alsace . L'auteur ,
qui paroit très - instruit des intérêts de son pays ,
avance qu'en 1689 , il n'y avoit en en Alsace que 579
FEVRIER 1806. 255
familles juives ; qu'en 1716 , c'est - à - dire 27 ans
après , il y en avoit 1348 ; et qu'au temps où
écrit , il y a soixante ménages juifs , là où en 1716
il n'y en avoit que deux , et que dans plusieurs villages
leur nombre excède celui des Chrétiens . J'ignore
s'il fut question de cette affaire dans une assemblée
occupée de tant d'autres affaires plus importantes ,
et qui pouvoit regarder celle - là comme terminée. Iĺ
est heureux sans doute qu'elle n'y ait point été discutée.
A tous les scandales qu'a donnés à l'Europe
cette assemblée à jamais fameuse , elle eût ajouté
celui de maintenir contre de malheureux paysans ,
des créances formées aux trois quarts par l'accumulation
rapide d'intérêts usuraires. On eût vu les mêmés
législateurs dans le même temps qu'ils supprimoient
la féodalité nobiliaire , tombée en désuétude
dans tout ce qu'elle pouvoit avoir eu de personnel
et d'avilissant , couvrir de toute leur protection
cette nouvelle féodalité des Juifs , véritables hauts
et puissans seigneurs de l'Alsace , où ils perçoivent
autant que la dime et les redevances seigneuriales ;
et certes , si dans la langue philosophique , féodal
est synonyme d'oppressif et d'odieux , je ne connois
rien de plus féodal pour une province que onze millions
d'hypothèques envers des usuriers
Voilà ce que la philosophie a fait en France en
faveur des Juifs ; et c'est même leur faute , ou plutôt
la faute de leur petit nombre , s'ils n'en ont pas
mieux profité. En Allemagne , oùla politique a un peu
mieux disputé le terrain , les Juifs n'ont eucore obtenu
jusqu'à présent , que l'abolition d'une taxe personnelle
, sorte de capitation plus avilissante qu'onéreuse
, à laquelle ils étoient spécialement soumis , et
qui formoit même un des revenus propres de la dignité
impériale. Cependant , en même temps que le
gouvernement autrichien a affranchi les Juifs de cette
contribution , il a porté des lois sévères contre les
monopoles qu'ils exerçoient , et nous verrons plus bas
256 MERCURE DE FRANCE ,
que les Juifs ont paru moins reconnoissans du bienfait,
que sensibles à la gene apportée à leur industrie ;
mais en Bavière , où la philosophie a fait quelques
conquêtes , le gouvernement a porté récemment une.
loi très-peu philosophique assurément , qui ne permet
le mariage , chez les Juifs , qu'à un individu par
famille , et qui exige encore de l'époux la preuve d'une
fortune acquise de 1,000 florins , environ 2,500 liv. ,
ou 3,000 liv . de France.
Quand cette ordonnance a été connue en France
par les papiers publics , on a dû la regarder comme
une de ces nouvelles que nos journaux hasardent
quelquefois sans les garantir , sur la foi des gazettes
étrangères ; et il n'a été permis de croire à sa réalité ,
que lorsqu'on l'a vue , dans un journal accrédité , servir
de texte à plusieurs articles pour ou contre les
Juifs . Dans les circonstances actuelles de l'Europe ,
nous ne sommes frappés que des événemens qui
tirent les souverains de leurs états , ou les peuples de
leur repos , et qui s'annoncent à coups de canon.
Mais la guerre est , de tous les événemens politiques ,
le moins imprévu , et même le plus naturel. Elle est
l'inévitable résultat du rapprochement des peuples et
des passions des hommes ; elle est de tous les temps
et de tous les lieux , et peut- être n'offre - t - elle à l'observateur
autre chose à remarquer à une époque plutôt
qu'à une autre , qu'un plus grand développement
de
moyens militaires , et les progrès prodigieux que
cet art meurtrier a faits , dirai -je pour le bonheur ou
le malheur de l'humanité ? Mais il est des événemens
moins éclatans , et par-là moins aperçus du vulgaire ,
qui sont cependant d'une toute autre importance pour
indiquer l'état intérieur de la société , les maux secrets
qui la travaillent, la marche insensible des choses , et
leur influence sur les esprits et sur les affaires ; et je
ne crains pas d'avancer que l'ordonnance dont je
viens de citer les dispositions , est un des faits les plus
étranges de l'histoire moderne , et celui qui peut
offrir
FEVRIER 18
offrir les plus profonds , et même les plus douloureux
sujets de méditation à l'homme d'état véritablement
philosophe.
En effet , la religion peut commander le célibat à
ses ministres , et l'état ne pas permettre indistinctement
le mariage à ses défenseurs , ou plutôt le leur
rendre impossible ; et la raison en est évidente et
même naturelle : les prêtres et les soldats engagés
ame et corps, au service de la société publique , n'appartiennent
plus à la société domestique. Ministres ,
les uns et les autres , de la grande famille , ils ont cessé
d'être membres de la famille privée ; et il est conséquent
que la société religieuse et la société politique ,
en exigeant d'eux le sacrifice de leurs facultés , de leur
volonté , même de leur vie , puissent leur interdire
tous les liens qui attachent l'homme à la vie , et qui
partagent ses affections. Le sacrifice est pénible à
T'homme , mais il est nécessaire à la société ; et toutes
les répugnances doivent céder à ce grand intérêt .
C'est aussi parce que l'état et la religion disposent ,
pour leur service , des hommes dont la famille peut se
passer , qu'ils s'interdisent à eux -mêmes d'employer
en général les pères de famille au culte public ou
à la défense de l'état . C'est un aveu public que fait
le pouvoir politique de la nécessité du pouvoir domestique,
et même de son indépendance dans l'ordre
auquel il appartient.
On retrouve dans ces considérations , l'esprit de
cette loi si touchante des Hébreux qui , au moment
du combat , ordonnoit au jeune époux qui n'avoit
pas encore demeuré avec sa femme ; à celui qui avoit
planté une vigne et n'en avoit pas cueilli le fruit , ou
avoit bâti une maison qu'il n'avoit pas habitée , de se
retirer chez lui. Le législateur , dirigé en cela par les
vues d'une profonde politique , compatissoit encore
aux sentimens les plus chers à l'homme , au moment
et au besoin des plus sevères exigeances de la société.
Mais interdire le mariage à des hommes , à un peuple
R
258 MERCURE DE FRANCE ,
presque tout entier qui , partout dispersé , ne vit partout
qu'en société domestique ; et qui même repoussé
de la société publique , ne cherche et ne trouve que
dans les jouissances de la vie privée , de dédommagement
à l'interdiction publique dont il est partout
frappé ; exiger , dans chaque famille , du seul heureux
à qui la faveur du mariage soit accordée , la
preuve d'une fortune acquise , tandis que le mariage ,
et les soins ou les travaux d'une compagne sont pres
que toujours , pour les hommes d'une condition obscure
, le seul moyen d'acquérir de la fortune ; interdire
le mariage à un peuple pour qui le mariage est
un devoir religieux , la fécondité une bénédiction , la
stérilité un opprobre ; que ses oracles et ses prophètes
entretiennent depuis six mille ans dans cette grande
pensée , qu'il doit égaler en nombre les étoiles du ciel
et les sables de la mer ; qui lui -même attendant , espérant
en un libérateur de sa race avec une opiniâtre
persévérance , le demande à toutes les générations , et
peut l'attendre de chaque enfant qui vient au monde ;
hâter l'anéantissement d'un peuple que ses histoi es
font contemporain des premiers jours du monde ,
et le premier né de la grande famille des peuples ,
et qui dans ses espérances , se croit réservé aux derniers
jours de l'univers , et à fermer , pour ainsi dire , "
la longue marche des nations sur cette terre de passage
..... Non , je ne crois pas qu'il ait été porté par
aucun gouvernement chrétien , et à aucune époque de
la civilisation de l'Europe , une loi qu'il soit plus difficile
de justifier autrement que par la loi de l'impérieuse
nécessité qui justifie toutes les lois ; et alors il
ne reste plus qu'à plaindre le prince véritablement humain
qui se trouve réduit à une telle extrémité ; et
certes , s'ilfaut en juger par la violence du remède , le
mal passe tout ce qu'on peut imaginer. Et comme
tout est extraordinaire dans l'histoire du peuple juif,
et qu'il ne peut être malheureux comme un autre ,
c'est encore chez lui que l'on trouve l'exemple d'une
FEVRIER. 1806.
259
toi semblable. Etrange rapprochement ! Il y a plus
de trente siècles que le peuple hébreux fatiguoit ses
maîtres de sa population toujours croissante , et toujours
au sein de l'oppression : et nous lisons dans ses
annales , que les rois d'Egypte sous lesquels il servoit
alors , lui ordonnèrent d'exposer à la mort ses enfans
mâles . Alors une politique barbare faisoit perir les enfans
nouveaux-nés ; aujourd'hui une politique plus humaine
les empêche de naître . Mais où les moyens sont
différens , le principe et la fin sont les mêmes ; et si
l'imagination s'arrête aux moyens , la raison n'en considère
que la cause et les effets. Et remarquez qu'en
même temps qu'en Allemagne on bornoit par des
lois aussi violentes , la population des Juifs , une populace
mutinée les massacroit à Alger ; et rien ne
peut arrêter l'accroissement de cette plante vivace
qui fructifie dans tous les climats , entre les bénédictions
du ciel et les malédictions de la terre . Et cependant
, ô discordance des jugemens humains ! jamais
on n'a été plus occupé de population ; et une
politique matérialiste comptant les hommes par tête
et non par ordre , les calcule comme des machines ou
des animaux ; et dans le même pays où l'on commande
le célibat aux Juifs , on déclame contre lecélibat
des prêt res ; et en Bavière , commie en France ,
on détruit ces institutions religieuses qui , sans crime
et sans contrainte , et par des motifs plus purs et
plus relevés que tous ceux que peut offrir la politique
humaine , tendoient à diminuer l'excès de la popu → ›
lation et offroient au célibat volontaire un asile contre
la corruption ; et la médecine recommande la vaccine
à la politique ; découverte immense dans ses résultats
sur la population , incalculable dans ses effets
sur la socité ; présent , quel qu il soit , dont la postérité,
jugera la valeur , et dont les gouvernemens recueilleront
les fruits ! Et partout les colonies où s'écouloit la.
nombreuse population de l'Europe , se séparent de,
leurs métropoles , ou , peuplées elles-mêmes , n'offrent.
R 2
260 MERCURE DE FRANCE ;
•
plus de nouvelles terres à de nouveaux habitans ; et
partout les gouvernemens veulent des hommes , et
bientôt ils ne sauront qu'en faire , et il faudra les
nourir à la soupe à deux sous ! Et l'Allemagne ellemême
, cette mère nourricière de tant de peuples ,
n'a plus de pain à donner à ses nombreux enfans ; et
ce peuple tranquille dans ses goûts , modéré dans ses
desirs , placé sur le sol le plus fertile , se laisse prendre
à toutes les amorces , et abandonne les lieux qui l'ont
vu naître , et les objets les plus chers de ses affections
pour aller au-delà des mers et loin des terres hàbitées ,
tenter la chance d'établissemens incertains et peutêtre
mensongers ; et si l'on vouloit rapprocher cette
dernière considération du sujet qui nous occupe , seroit
ce donc que l'accroissement prodigieux du peuple
Juif déplace insensiblement le peuple allemand ? Car,
là où tout le sol est occupé , l'accroissement d'un
peuple nécessite , à la longue , le déplacement d'un
autre ; et certes , quelle que soit la bienveillance d'un
parti nombreux pour les Juifs , il nous sera permis de
penser , sans mériter les reproches d'intolérance ou
de peu de philantropie , que , peuple pour peuple , il
vaut autant conserver en France et en Allemangne
des Français et des Allemands , que les remplacer par
des Juifs.
Jusqu'à présent , nous n'avons été qu'historiens , et
nous ne nous sommes point occupés de la question
de l'amélioration de la condition des Juifs. Mais quel
est le véritable philosophe qui oseroit s'élever contre
une mesure que l'humanité commande ? Quel est surtout
le Chrétien qui pourroit ne pas l'appeler de tous
ses voeux , lorsque les oracles les plus respectables de
sa religion, et les traditions les plus anciennes , lui apprennent
que les Juifs doivent entrer un jour dans la société
chrétienne , et être appelés à leur tour à la liberté
des enfans de Dieu ? Et qui sait si la philosophie, qui
semble donner toute seule cette impulsion aux esprits ,
n'est pas elle-même , dans cette révolution comme
FEVRIER 1806. 261
dans bien d'autres , l'instrument aveugle de plus hauts
desseins ? Car toutes les fois qu'une grande question
s'élève dans la société , on peut être assuré qu'un
grand motif est présent , et qu'une grande décision
n'est pas éloignée.
Il n'y a donc , et il ne peut même y avoir qu'un
sentiment sur le fond de la question ; mais il y en a
deux sur la manière de l'envisager , et le moyen de
la résoudre.
Ceux qui ferment volontairement les yeux à la lumière
pour ne voir rien de surnaturel dans la destinée
des Juifs , attribuent les vices qu'on leur reproche ,
uniquement à l'oppression sous laquelle ils gémissent
; et conséquents à eux-mêmes , ils veulent que le
bienfait de l'affranchissement précède la réformation
des vices. Ceux , au contraire , qui trouvent le principe
de la dégradation du peuple juif , et de l'état
hostile où il est envers tous les autres peuples , dans
sa religion aujourd'hui insociable , et qui considèrent
ses malheurs et même ses vices comme le châtiment
d'un grand crime et l'accomplissement d'un terrible
anathème , ceux-là pensent que la correction des vices
doit précéder le changement de l'état politique. C'està
-dire , pour parler clairement , que les Juifs ne peuvent
pas être , et même , quoi qu'on fasse , ne seront
jamais citoyens sous le christianisme sans devenir
chrétiens.
On se rapproche même de cette opinion en Allemagne
, puisque l'auteur allemand de l'Essai sur les
Juifs répandus dans la monarchie autrichienne ,
Joseph Rohrer , veut « que la réforme des Juifs com-
» mence par l'éducation des enfans. Ce n'est pas ,
» dit- il , après avoir été imbus de tous les préjugés
» de leur nation , qu'ils deviendront les membres
» éclairés et bienveillans d'une autre. >>
La politique toute seule décideroit cette question .
On peut essayer sur un homme vicieux le pouvoir
des bienfaits ; parce qu'on peut toujours reprendre le
3
263 MERCURE DE FRANCE,
bienfait s'il en abuse , et le remettre dans l'état d'où
il est sorti . Mais la saine politique , qui n'est autre
chose que
la raison appliquée au gouvernement des
états , défend de tenter sur un peuple entier une pareille
expérience ; et parce que le bienfait , s'il est
sans fruit pour corriger , peut donner de nouvelles
armes au désordre ; et parce qu'il est impossible, sans
un affreux bouleversement , et peut - être sans une extermination
totale , de replacer un peuple dans l'état
de sujétion ou , si l'on veut , de servitude d'où on l'a
tiré . Je ne parle pas même du danger auquel s'exposeroit
le gouvernement qui , le premier , prononceroit
l'affranchissement général des Juifs et leur accorderoit
la jouissance des droits permis à tous les
citoyens , de voir affluer chez lui tous ceux de cette
nation qui ne trouveroient trouveroient pas ailleurs les mêmes faveurs
. Il y a apparence que depuis les lois imprudentes
de l'Assemblée constituante sur les Juifs , leur
nombre s'est beaucoup accru en France ; ou si elles
n'ont pas encore produit cet effet , qui souvent n'est
sensible qu'après un long espace de temps , il faut
l'attribuer à l'incertitude où l'état révolutionnaire de
la France a tenu long-temps les hommes et les clioses ,
et qui excitoit plutôt les nationaux à quitter la France
que les étrangers à s'y établir .
Et qu'on prenne garde que ceux qui desirent que
l'amélioration morale des Juifs précède le changement
de leur sort politique , et qui craignent que ,
sans cette condition , l'affranchissement des Juifs ne
tournât à l'oppression des Chrétiens , présentent en
faveur de leur opinion une expérience qu'on ne sauroit
leur contester. Les Juifs en France ont été déclarés
citoyens français ; et en Autriche , ils ont été
alfranchis de la taxe qui pesoit sur eux à l'exclusion
des autres habitans . Eh bien ! qu'on lise dans le Feuilleton
du Publiciste, du 11 vendémiaire, un article sur
les Juifs en Allemagne , tiré d'une gazette allemande
tres-estimée, publiée par un auteur qui annonce beauFEVRIER
1806 . 263-
>>
ر د
>>
»
coup de lumières et d'impartialité, et l'on y verra qu'après
avoir parlé de la mauvaise foi et des ruses que
les Juifs déploient à la foire de Leipsick , l'auteur
ajoute « On sait comment les Juifs d'Alsace pro-
» cedent avec les cultivatenrs qui ne peuvent faire
» des emprunts que chez eux ; ei des terres
que
» de paysans leur sont hypothéquées dans cette seule
province pour la valeur de onze millions . Ce sont
» eux qui , à la vérité , de concert avec des Chré-
» tiens , ont organisé l'affreuse disette de la Moravie.
» et de la Bolême , pour se faire rendre les priviléges
et les monopoles dont on les as pit dépouillés .
» Dans les états de Bavière , anciens et nouveaux ,
» ils obtiennent tous les jours plus d'influence en
qualité d'hommes à argent ; et tout bien pesé , ce
» ne sont pas des banquiers chrétiens , mais juifs qui
réglent le cours du change , non - sculement à la
» foire de Leipsick , mais à Hambourg , à Amster-
» dam et à Londres . On a donné de justes éloges à
>> l'humanité des princes allemands qui ont récem-
» ment aboli , aux dépens de leurs propres revenus ,
» la taxe corporelle des Juifs , qui étoit avilissante ;
» et l'on ne peut blâmer cette action généreuse ,
>> mais il faut conserver une marque distinctive à des
» gens qui , dans l'état actuel des choses , exclus de
» la pleine jouissance des droits de citoyens , soit .
» par leur opiniàtreté , soit par leur misère , sont
» nécessairement les ennemis du bien public. Il est
» démontré qu'aucune classe d'hommes n'a été aussi
» funeste que les Juifs aux fertiles provinces de la
» maison d'Autriche, et sur-tout depuis l'année 1796 ;
que , par leurs faux billets et leur fausse monnaie ,
» et en faisant disparoître le numéraire , ils surent
produire cette horrible cherté générale qui ne
» pouvoit profiter qu'à eux . » Plus loin , le même
auteur dit : « Iln'y a point de bornes à la bassesse des
>> Juifs mendians ou colporteurs , non plus qu'à l'incroyable
multiplication de leurs familles. Les actes
>>
>>
>>
3
4
264 MERCURE DE FRANCE ,
5
» des tribunaux de police de Leipsick , pendant la
» foire , prouvent que sur douze vols ou escro-
» queries , il y en a onze dans lesquels les Juifs
» sont compris. » Enfin , M. Lacretelle , dans un
morceau inséré autrefois au Mercure , et remis dans
le Publiciste à la suite des articles qu'on vient de lire ,
fait un tableau aussi vrai qu'il est énergique , de la
bassesse et des vices reprochés aux Juifs , pour lesquels
il sollicite , avec sagesse et mesure , l'humanité
des gouvernemens .
A ces faits positifs , à ces autorités graves , on a opposé
, dans le même journal , des plaisanteries qui ne
prouvent rien ; des récriminations contre les Chrétiens
quine prouvent pas davantage , et qu'on pourroit
même rétorquer contre les Juifs , dont l'exemple
répandu en Europe cet esprit de cupidité qui a fait
de si étranges progrès parmi les Chrétiens ; on a opposé
quelques principes hasardés sur l'usure, ou même que! -
ques reproches vagues de fanatisme et d'intolérance
qui ont perdu tout leur effet , après ce que nous avons
vu de fanatisme et d'intolérance , de la part de
ceux qui en accusoient sans cesse lesutres ; et
enfin on a pris condamnation sur les Juifs d'Alsace ,
en avouant «< que la lie de la nation juive s'étoit re-
» fugiée dans cette province , et qu'à l'exception de
» quelques familles très-estimables , le cri de l'indi-
>> gnation qui s'élevoit contr'eux n'étoit que trop mé-
» rité . » On a même eu recours à un autre moyen de
justification , et l'on a opposé aux vices reprochés au
corps de la nation , les vertus et les lumières de quelques
individus. La raison ne sauroit admettre celle
Inanière de raisonner. Sans doute , si l'on contestoit
aux Juifs la capacité physique ou morale d'acquérir
des vertus et des talens , il suffiroit pour détruire l'imtation
, de montrer des Juifs éclairés et vertueux ;
il n'est pas plus permis , en bonne logique , de
er une nation accusée d'une disposition géné-
>>
mais
justifie
rale
à l
bassesse et à la mauvaise foi , en montrant
FEVRIER 1806. 265
quelques individus instruits et honnêtes , que d'incriminer
une nation vertueuse , par l'exemple de quelques
malfaiteurs qu'elle a produits . D'ailleurs , partout
où il se trouve des Juifs qui se distinguent du
reste de leur nation par leurs talens et leur probité
l'opinion publique les en distingue aussi par l'estime
qu'elle leur accorde ; et à ses yeux , ils ne partagent
pas l'anathème qui pèse sur leurs frères . Après tout ,
les écrits de Mendelssohn , et les vertus de quelques
autres ne peuvent pas être offertes aux Chrétiens
comme une compensation des vexations qu'ils éprou™.
vent de la part des autres Juifs , et ses écrits et ses
vertus ne sont pas plus un baume contre l'escroquerie
et la mauvaise foi , que les Traités de Sénèque
contre les pertes faites au jeu. Ce Mendelssohn , qui
n'étoit pas un homme de génie , mais qui a dû être
remarqué chez les Juifs , et même renommé chez
les Allemands , où les adjectifs de célèbre et d'illustre
s'accordent merveilleusement en genre , en nombre et
en cas avec tous les noms qu'on met à la suite , ce
Mendelssohn auroit mieux fait peut -être de parler
de probité aux Juifs , que d'entretenir les Chrétiens
sur l'immortalité de l'ame , et de vouloir ainsi faire
la leçon à ses maîtres . Je crois que les Juifs se sont
distingués dans les arts , et même , puisqu'on le veut,
dans les fonctions administratives auxquelles ils ont
été appelés depuis la révolution . Je sais qu'il est des
arts qu'ils ont portés à une haute perfection , et ce ne
sont peut-être pas les plus utiles ; quant à l'administration
, il paroit difficile à un Juif, rigoureux observateur
de sa loi , de se mêler d'administration chez
les Chrétiens ; et d'ailleurs je pense qu'un gouvernement
qui a l'honneur de commander à des Chrétiens
, et le bonheur de l'être lui- même , ne doit pas
livrer ses sujets à la domination de sectateurs d'une
religion ennemie et sujette du christianisme : les Chré,
tiens peuvent être trompés par les Juifs , mais ils ne
doivent pas être gouvernés par eux , et cette dépen266
MERCURE DE FRANCE , 4
dance offense leur dignité , plus encore que la cupidité
des Juifs ne lèse leurs intérêts.
Les expériences que les gouvernemens ont faites
sur les Juifs ne sont donc pas propres à les rassurer
sur la crainte que de nouveaux bienfaits ne produisent
de plus grands désordres. Car c'est une question de
savoir si les Chrétiens ne sont pas plus opprimés par
les Juifs , quoique d'une autre manière , que les Juifs
ne le sont par les Chrétiens. Cette question rentre
même tout - à-fait dans celle qui s'est élevée pour décider
si l'affranchissement des Juifs doit suivre ou
précéder leur changement moral . En effet , si l'oppression
que les Juifs exercent par leur industrie étoit
plus onéreuse que celle qu'ils éprouvent de la part de
nos lois ou plutôt de nos moeurs , il seroit plus pressant
de les ramener à de meilleurs habitudes , que de
les faire jouir du bienfait de lois plus indulgentes. Ici
les faits parlent plus haut que les déclamations . «< Le
» célèbre Herder , dans son Adrastée , prédit que les
» enfans d'Israël , qui forment partout un état dans
l'état , viendront à bout , par leur conduite systématique
et raisonnée , de réduire les Chrétiens à
» n'être plus que leurs esclaves . » Et qu'on ne s'y
trompe pas , la domination des Juifs seroit dure
comme celle de tout peuple long - temps asservi et qui
se trouve au niveau de ses anciens maitres ; les Juifs ,
dont toutes les idées sont perverties , et qui nous mé- ·
prisent ou nous haïssent , trouveroient dans leur histoire
de terribles exemples dont ils pourroient être tentés
de nous faire une nouvelle application . Ils trouveroient
dans leurs prophéties des annonces de domination
qu'ils prendroient peut -être à la lettre et à contresens
. Et l'on n'a qu'à ouvrir l'histoire moderne ( 1 ) pour
apprendre à quelles horribles extrémités les Juifs devenus
les maîtres , se sont portés envers les Chrétiens en
Chypre et en Afrique. Enfin, le nombre des Chrétiens
»
>>
( 1 ) Hardion. Tome VII. Hist. Univ.
FEVRIER 1806 . 267
diminue partout où les Juifs se multiplient ; et si la mul.
tiplication d'un peuple est , selon la philosophie moderne
, l'indice le moins équivoque de la sagesse d'une
administration , il ne faut pas que les lois des états
chrétiens sur les Juifs , soient aussi oppressives
qu'on le suppose. Dans toutes l'Europe chrétienne
ils sont protégés dans leurs personnes , dans leurs
biens , peut-être un peu trop dans leur cruelle industrie.
On en voit d'opulens , d'aisés , de pauvres ,
comme chez les Chrétiens . Je ne parle pas des vagabonds
; mais partout où les Juifs ont feu et lieu , ils
sont , en général , mieux vêtus et mieux nourris que
nos paysans
.
Il est vrai que dans les idées libérales qui ont fait
en France une si brillante fortune , un peuple est opprimé
quand il n'est pas Souverain ; et un homme est
esclave quand il n'est pas , ou ne peut pas être législa →
teur..... J'ignore si quelque jour les Juifs seront souverains
; mais si jamais ils devenoient législateurs , il
faut le dire à notre honte , on pourroit défier un sanhédrin
de Juifs de porter des lois plus insensées et
plus atroces que celles qu'a fabriquées une Convention
de philosophes .
DE BONAL D.
$
268 MERCURE DE FRANCE.
<
RÉFLEXIONS.
Sur un poëme inédit , intitulé BATAILLE D'HASTINGS ,
ou l'Angleterre conquise ; par M. D....N.
On a rendu compte il y a quelque temps , dans ce journal ,
d'un épisode de ce poëme , intitulé le Comte de Guilfort.
La critique de cet épisode , qui ne peut d'ailleurs donner une
idée de l'ouvrage , nous a paru juste , quoiqu'un peu sévère :
elle aura pu faire croire à quelques personnes que ce poëme
étoit anti-religieux , et que , semblable aux productions da
philosophisme , il ne présentoit que de vaines déclamations.
Il est de notre devoir de relever cette erreur ; et comme l'auteur
a bien voulu nous confier l'esquisse de son ouvrage , qu'il
se propose de travailler encore , nous croyons que notre impartialité
nous prescrit de l'offrir sous le véritable point de
vue d'après lequel il doit être considéré.
L'entreprise d'un poëme épique suppose ordinairement un
esprit solide et une grande instruction. Comment concevoir
un plan aussi vaste , si l'on ne s'est pas pénétré de la lecture
des anciens , si l'on n'a pas profondément étudié les hommes,
et si l'on n'a pas long-temps réfléchi sur l'art difficile et varié
de peindre les caractères et les moeurs , de décrire les beautés
de la nature , et de marcher sans s'égarer dans le champ infini
du merveilleux ? Dans un temps où il est si rare d'exécuter
de grands ouvrages , où les conceptions littéraires paroissent
si mesquines , il semble juste d'encourager ceux qui ont
one louable émulation , et de mettre à la critique toute la
réserve dont elle est susceptible , sans tomber dans une dangereuse
indulgence . Cette réserve ne sauroit favoriser la foule
des petits poètes on voit aussi peu de gens marcher sur les
traces d'Homère et de Virgile , qu'on en voit un grand nombre
se succéder et disparoître sur celles de Dorat.
:
Nous ne chercherons point à fixer un jugement sur les vers
FEVRIER 1806.
269
de M. D....n . Son ouvrage n'étant pas encore fini lorsque
nous l'avions sous les yeux , il est à présumer qu'il n'a rien
négligé pour perfectionner cette partie si importante de son
travail. Nous ne nous occuperons que du plan . Un événement
qui décide du sort d'un empire , des moeurs héroïques , les
germes d'un merveilleux qui peut avoir le degré nécessaire
de vraisemblance ; enfin le caractère d'un héros qui paroît
réunir les qualités les plus brillantes , sans que la civilisation
en ait altéré la force : tous ces avantages que présente le sujet ,
font honneur au discernement du poète. Ce que l'on pourroit
encore desirer , c'est que la réputation de quelques-uns des
guerriers qui accompagnèrent Guillaume , fût plus répandue ;
c'est que le lecteur instruit eût au moins une connoissance
confuse de leurs caractères ; mais l'histoire garde le plus
profond silence à cet égard ; et Guillaume , dans ce tableau ,
paroît comme une grande figure isolée , dont la présence et
l'ascendant changent seuls la face d'un empire.
Virgile avoit éprouvé le même inconvénient dans les six
derniers livres de l'Enéide. Il ne paroît pas que les traditions
historiques ou mythologiques lui eussent fourni aucun renseignement
positif sur les caractères de Turnus , d'Evandre ,
de Pallas , de Mézence , etc. Le Tasse n'avoit pas été plus
heureux : ne trouvant pas assez d'héroïsme dans les personnages
connus qui avoient fait partie de la première croisade ,
il chercha , avec un art qu'on ne peut trop admirer , à suppléer
à ce défaut par les belles conceptions des caractères
de Renaud , de Tancrède , d'Argant et de Soliman : conceptions
très - conformes au genre du sujét , mais où l'on trouve
à regret je ne sais quoi de romanesque , qui annonce trop
que ces personnages n'ont existé que dans l'imagination du
poète.
Nous allons voir comment M. D... n a lutté contre cet obsta
cle. Son sujet ne le reportant pas à cette époque où l'esprit
de chevalerie commença à introduire une certaine élégance
270 MERCURE DE FRANCE ,
" de moeurs ses couleurs ont dû nécessairement
être plus sévères
; et si cette sévérité n'a pas jeté de la monotonie
et de
la tristesse dans son ouvrage , on pourra le féliciter d'avoir
sous ce rapport rempli son but.
Nous donnerons une idée du poëme de M. D... n , en faisant,
d'après son plan , le récit des principaux événemens de sa
fable ; et sans marquer la division des chants , ce qui répandroit
de la sécheresse sur cette analyse , nous chercherons à
mettre le lecteur à portée de juger jusqu'à quel point le poète
mérite d'être encouragé pour l'invention et la disposition du
grand ouvrage qu'il a entrepris.
1
M. D....n marchant sur les traces des anciens , qu'il paroît
avoir étudiés avec beaucoup de fruit , ne donne pas une
grande étendue à son action. Au moment où le poëme commence
, le duc de Normandie a déjà fait la descente en Angleterre
: son armée est campée près d'Hastings . On distingue ,
au premier coup d'oeil , combien cette disposition excite
d'abord d'intérêt , et combien elle est supérieure à celle
qu'indiquoit La Motte , qui vouloit que l'épopée suivît la
marche lente d'une histoire, et que , commençant aux événemens
qui précèdent la catastrophe , elle y conduisît longuement
sans la ressource dramatique des récits : spéculation
bien contraire à celle du génie qui entre sur - le-champ dans
le coeur du sujet , et qui rétablit ensuite en ornemens épisodiques
tout ce qui doit le compléter. Les Normands pressent
leur duc de livrer bataille aux Anglais . Ce prince, qui ne
partage point leur témérité , les exhorte à attendre que Fergant
, duc de Bretagne , son fidèle allié , se soit réuni à lui.
Murmures des soldats , impatiens de combattre . L'Archange
Michel , choisi par Dieu pour protéger l'entreprise de
Guillaume , voit cette espèce de révolte il invite l'Ange
Raphaël à presser l'arrivée des Bretons , et descend lui - même
dans le camp du duc de Normandie , où il prend les traits du
connétable de Breteuil. Son éloquence se distingue dans le
:
FEVRIER
271
"
1806.
conseil , où il a bientôt calmé l'esprit de rebellion . Il apparoît
ensuite au duc , à qui il renouvelle l'ordre de ne point combattre
avant l'arrivée de Fergant . Cependant la flotte de ce
prince approche des côtes d'Angleterre ; le vaisseau du jeune
Clisson , l'un de ses plus braves capitaines , a disparu ; on est
inquiet de son sort . Près des côtes , Fergant aperçoit des
tourbillons de flamme et de fumée ; des débris de navire flot .
tent autour de lui . L'un de ses capitaines , croyant que
Guillaume a été vaincu de renoncer les Anglais , propose par
à l'entreprise , et de se borner à chercher Clisson. Le duc de
Bretagne rejette ce lâche conseil ; il arrive en Angleterre , où
il voit l'armée Normande dans le plus bel ordre. Les débris
qui ont fait naître les inquiétudes de ses soldats , sont ceux
des vaisseaux de Guillaume , que ce prince a fait brûler pour
ôter à ses soldats tout espoir de retraite s'ils ne sont pas
vainqueurs. Admis près de Guillaume , Fergant lui raconte
le malheur de Clisson . Guillaume , pour donner à son allié
des témoignages de confiance , lui explique la cause de la
guerre ' ; ce qui donne lieu à un récit qui complète l'exposition
du sujet .
Le duc commence par rappeler ses droits au trône d'Angleterre
. Edouard l'a appelé à ce grand héritage ; et du vivant
de ce prince , Eralde , fils de Godwin , a juré sur l'Evangile
de renoncer à toutes ses prétentions . Aussitôt après la mort
d'Edouard , Eralde manquant à sa parole , a accepté le trône
d'Angleterre qui lui a été offert par les grands du royaume.
Guillaume aussitôt a rassemblé ses vassaux , et s'est préparé
à envahir l'Angleterre . Så flotte , prête à partir , a été longtemps
retenue par les vents près de Saint - Valery . Là , les
Normands se sont trouvés dans la même situation que les
Grecs sur le rivage d'Aulide ; et l'on doit penser qu'il y a
autant d'esprit de sédition parmi les barons qui ont suivi
Guillaume , que parmi les rois soumis à Agamemnon , M. D.... n
a profité avec art de cette situation. Les murmures des ba272
MERCURE DE FRANCE ,
et
rons , leur désobéissance , rappellent très - bien les moeurs du
temps , et servent à annoncer les principaux caractères . On
distingue déjà Martel , comte d'Anjou ; Roger de Beaumont ,
et le comte Rotrou , qui font éclater leur impatience , et
qui menacent d'abandonner les drapeaux de Guillaume.
Vainement Mortain , frère du prince , et le brave Montgommery
, se déclarent pour lai ; il succomberoit , si l'Archange
ne relevoit son courage . Il parle à ses barons avec fermeté ,
leur déclare que dans deux jours il leur annoncera sa dernière
résolution . Ici Guillaume raconte un pélerinage qu'il fit
à l'église de Saint - Valery. Les circonstances de cet acte de
dévotion , parfaitement conforme aux moeurs du temps , présentent
un tableau vraiment poétique . Le ciel se déclare pour
Guillaume , et son armée ne lui oppose plus aucune résistance.
Le vent devient favorable : la descente se fait sans
obatacle. Guillaume raconte une particularité qui montre quel
parti les grands hommes savent tirer des événemens qui peuvent
leur être le plus défavorables . Nous laisserons le poète
peindre cette situation :
Nos ancres cependant s'attachent au rivage ;
Nul n'abordoit encore à cet aspect soudain
Le drapeau du pontife élancé de ma main ,
S'empare d'Albion. Plein de Dieu , je m'écrie :
N'hésitezplus , servez l'honneur et la patrie,
Français ; ne livrez point à de vils ennemis
Cegarant des exploits par l' Archange promis.
Je dis , je pars , j'aborde . En l'ardeur qui m'entraîne ,
Mon pied glisse , et mes mains avoient touché l'arène.
Mon armée à l'instant s'arrête avec effroi.
Le glaive nu , debout : L'Angleterre est à moi ;
De la possession j'obtiens un nouveau gage ,
Dis-je alors . Mille voix accueillent ce présage , etc.
Guillaume continue son récit : Fergant étoit très - inquiet
sur le sort de Clisson ; il apprend alors ce qu'il est devenu.
Attaqué par quatre vaisseaux anglais , il s'est défendu avec le
plus grand courage , et n'a cédé qu'au nombre. Il est actuellement
FEVRIER 1806.
5.
ment prisonnier des Anglais . Cependant le duc de Bretagne ,
qui a vu les débris de la flotte dont l'incendie a été ordonné
par Guillaume , peut croire que l'armée n'est pas en bon
état . Cela amène naturellement Guillaume à la passer en revue
avec lui , et à lui en faire le dénombrement. On sait que ces
sortes de descriptions forment une partie essentielle de l'épopée
: il étoit difficile de préparer celle- ci avec plus d'art.
Jusqu'ici le poète n'a fait qu'un usage très - borné du merveilleux
: il va donner un libre cours à son imagination , et
nous verrons si ses conceptions sont conformes au génie et
aux opinions du siècle où il place son action. Autrefois l'âge
d'or , décrit par les poètes , régnoit sur la terre ; la corruption
se manifesta d'abord dans cette partie de l'Europe que
l'on a depuis appelée Albion , et qui tenoit au continent.
Dieu , pour empêcher que cette corruption ne s'étendît , ordonna
la commotion physique qui sépara cette contrée du
reste de l'Europe. Alors deux Génies présidèrent , l'un au
destin de la France , l'autre à celui de l'Angleterre le premier
réside au sommet des Pyrénées , l'autre sur un vaisseau .
Wainement des propositions de paix sont faites par le protecteur
de la France ; elles augmentent l'orgueil et l'insolence
du Génie de l'Angleterre . Cette conception est heureuse ; elle
fournit les moyens de peindre , d'une manière poétique , l'ori
gine de la rivalité des deux nations.
Le Génie de l'Angleterre excite l'orgueil d'Eralde , qui
cependant prend la résolution d'envoyer une ambassade à
Guillaume , pour lui déclarer qu'il peut encore évacuer l'Angleterre.
Cette ambassade a quelque rapport à celle d'Argant
et d'Alète , justement admirée dans la Jérusalem Délivrée.
Le poète moderne s'est aproprié cette belle conception , en y
joignant des circonstances intéressantes qui la rendent absolument
nouvelle. On va en juger . Dans le Tasse , au moment
où Godefroi marche contre Solime , deux envoyés de Soliman
viennent lui déclarer la guerre , s'il ne renonce pas sur-
S
274 MERCURE DE FRANCE ,
le-champ à son entreprise . Godefroi rejette avec courage cette
indigne proposition , et Argant lui annonce une guerre à mort.
Dans le poëme nouveau , Eralde , pour assurer le succès de
la négociation , fait accompagner ses ambassadeurs par
Clisson , qui est son prisonnier , et qui n'obtiendra sa liberté
que si Guillaume se retire. Cette situation du jeune héros
rappelle celle de Régulus . Les ambassadeurs admis auprès
du duc de Normandie , lui représentent qu'au lieu de combattre
des chrétiens , il devroit plutôt tourner ses armes contre
les infidèles , et délivrer les Saints Lieux de l'oppression des
barbares, Cela fait naître une digression poétique sur les croisades
qui eurent lieu vingt - huit ans après. Guillaume persiste
dans ses desseins , et Clisson qui s'est dévoué généreusement ,
en appuyant cette résolution , retourne dans ses fers.
Avant que les ambassadeurs soient de retour à Londres ,
Eralde en est déjà parti pour chercher son compétiteur. Il
apprend en route l'issue de la négociation ; et voyant qu'il n'y
a plus de paix à espérer, il assemble un conseil où il met en
délibération la question de savoir s'il attaquera Guillaume ?
ou s'il se bornera à se défendre . Deux de ses frères donnent
chacun un avis opposé le système offensif prévaut. Pendant
ce conseil , une fermentation terrible se déclare dans le camp ;
les soldats ne pardonnent pas à Clisson d'avoir fait ses efforts
pour affermir Guillaume dans sa résolution de conquérir
l'Angleterre : ils veulent sa mort . L'Amour ,
divinité allégorique
, d'accord avec le Génie de la France , s'emploie pour
sauver le chevalier. Quoiqu'il y ait dans les poëmes chrétiens
plus d'un exemple de fictions de cette nature , il nous semble
qu'elle est déplacée dans ce sujet. Emma , enflammée par
l'Amour , calme la sédition par ses larmes et par ses prières.
Bientôt après , Eralde fait punir le chef de ce soulèvement.
Clisson paroît hors de danger ; mais Emma , qui ( a quelque
rapport avec Herminie , n'est pas tranquille ; elle dispose
Lout pour fuir avec son amant ; la nuit couvre leur évasion , i
FEVRIER 1806. 275
15
et ils se retirent dans le pays de Galles , pays alors inconnu ,
et qui par cela même favorise les fictions du poète . Là , il
étale tout le merveilleux qu'on trouve dans les poëmes
d'Ossian : cette peinture neuve , vraiment épique , est en
même temps très - conforme au sujet. Bientôt le Génie de la
France arrache Clisson des bras de l'Amour ; une grande bataille
va se livrer : il doit y paroître , et se couvrir de nouveaux
lauriers .
Tout se prépare pour la bataille d'Hastings , sujet principal
du poëme. Un chant et demi est consacré à la peinture des
exploits de Guillaume , d'Eralde et de leurs guerriers. Il y a
un heureux contraste entre les dispositions de l'une et de l'autre
armée avant la bataille . Celle de Guillaume s'y prépare
par des prières , celle d'Eralde par des débauches. Cette peinture
, qui produit beaucoup d'effet , est conforme à la vérité
historique .
La défaite et la mort d'Eralde sont suivis d'une scène touchante
qui fait d'autant plus d'honneur au poète , que l'invention
lui eu appartient toute entière . On voit qu'il s'est pénétré
de la lecture d'Homère , et qu'il a voulu suivre les traces
de ce grand maître , qui a peint d'une manière si simple et si
vraie la douleur de Priam et d'Andromaque après la mort
d'Hector. Elfride , femme d'Eralde , ne sait si son mari est
mort ; elle craint tout , parce qu'il n'a point reparu depuis le
combat, Au milieu de la nuit , elle se transporte sur le champ
de bataille , couvert de morts et de mourans. Le clien fidèle
de son époux la conduit , et elle trouve Eralde étendu , presque
sans vie. Un Hermite vénérable est près de lui , et lui
donne les secours de la religion. Il déplore le sort du prince ,
dont il a souvent éprouvé la générosité . Le prince étant mort
dans les bras de la reine , on enlève son corps pour l'ensevelir
, et Guillaume témoigne à sa famille la plus tendre
pitié.
H
.
Tel est à-peu - près le plan général de ce poëme. On sent
S 2
276 MERCURE
DE FRANCE
,
qu'il a été impossible d'entrer dans un plus grand détail sur
les ressortssecondaires , les épisodes et les descriptions ; mais
il nous paroît que ce que nous avons dit de cet ouvrage suffit
pour prouver que la marche en est régulière et rapide , que
les caractères sont bien tracés , et que la fable est intéressante .
L'auteur mérite donc des encouragemens ; mais plus il a droit
à nos éloges , sous le rapport de ses conceptions , plus nous
devons lui recommander de travailler encore son poëme. Sans
le mérite du style , un ouvrage de ce genre ne peut avoir de
succès durable.
Nous terminerons cet extrait par deux morceaux , qui ,
sans être exempts de taches , pourront donner une idée favorable
du talent poétique de M. D ....n. Dieu ordonne à l'Ange
Raphaël de se transporter à Rome pour faire fulminer l'anathême
contre Eralde :
<< Au bord du Tibre , règne un mortel infaillible :
→ Ma volonté commit à ses pieuses mains
>> Et mon culte , et mes lois , et le sort des humains.
» Hâte ton vol vers lui ; dis : L'arbitre supréme
» Sur lesfils d'Albionfulmine l'anathème.
» Puni soit le parjure , et périsse à ma voix
» La révolte du peuple et l'audace des rois . »>
Dieu dit : Les Séraphins sur leurs trônes pâlissent .
Le ciel tremble , les mers et la terre frémissent .
Sur la tête d'Eralde un astre ensanglanté
Verse de ses rayons l'homicide clarté.
Au conseil , dans les camps , soit qu'il dorme ou qu'il veille ,
Il retrouve partout la sinistre merveille.
Le peuple à cet aspect , par la terreur glacé ,
De prodiges nouveaux est encor menacé .
La Tamise trois fois inondant ses rivages ,
Porta dans Westminster les débris des naufrages .
On vit les rois Saxons , habitans du cercueil ,
Du palais de la Mort abandonner le seuil ,
Se chercher , s'aborder , et par des cris funèbres ,
Souvent du nom d'Eralde effrayer les ténèbres .
Les Saints de Westminster , de leur antre caché ,
Jusqu'au pied des Autels dans l'ombre avoient marché.
Dans la main du prélat offrant un sacrifice ,
FEVRIER 1806.
277
4
Ils éteignoient l'encens , renversoient le calice ;
De leur bouche de pierre ils poussoient de longs cris ,
Et le sang s'écoula de leurs yeux amollis.
Le duc de Normandie fait un pélerinage à Saint- Valery:
Un temple au loin fameux qu'en Neustrie on révère ,
De l'Archange Michel asile favori ,
S'élève sur la Dive , auprès de Valery .
Les débris d'une croix ornent son noir portique.
Des pilastres grossiers portent le faite antique ,
Qu'aidé de trois appuis dominoit un clocher ,
Souvent dans la tempête imploré du nocher .
Le seuil usé , les murs couronnés de guirlandes ,
Et l'humble autel chargé de riches voeux , d'offrandes ,
Attestent les faveurs d'un séjour si divin ,
Où nul mortel jamais ne se prosterne en vain.
Odon qui , dans Bayeux , honoré de la mitre,
Des oracles de Rome en Neustrie est l'arbitre ,
Veut nous guider lui-même en ce pieux séjour.
Après deux jours , deux nuits de jeûnes , de prière ,
Là , dès qu'un ciel serein rend au camp la lumière ,
Nous suivons le drapeau du pontife romain.
Odon , la mitre en tête et le rosaire en main ;
Entonne de Sion les hymnes , les cantiques.
L'armée accourt, se presse , entoure les portiques :
Moi , les pieds nus , je tombe aux marches de l'autel .
Je les mouille de pleurs , et les yeux vers le ciel :
<< Dieu , tes oracles saints , ta bannière sacrée
» Me montroient d'Albion la conquête assurée,
» J'obéis . A mes voeux tout sembloit succéder :
» Mais pour quel crime au port trois mois me retarder ?
» Et toi , céleste appui que la Neustrie adore ,
» Un peuple de héros à tes autels t'implore .
» Accorde-lui les vents ; ramène parmi nous
» Ceux que d'un ciel sévère éloigna le courroux ,
» Et guide à la victoire un peuple qui te venge . »
Mes voeux sont exaucés . O prodige ! tout change ,
Je vois dans tout mon camp l'Esprit-Saint répandu , etc.
P.
7
3
278 MERCURE DE FRANCE ,
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
"
Mardi dernier , l'Académie Impériale de Musique avoit
annoncé les Prétendus , suivis d'un divertissement. On savoit
généralement que S. M. I. honoreroit ce spectacle de sa présence.
La foule étoit immense , non-seulement dans la salle ,
mais dans toutes les rues par lesquelles l'EMPEREUR devoit
passer. Les propriétaires des maisons de la rue de Richelieu
avoieut illuminé. Pendant la représentation des Prétendus ,
l'administration de l'Opéra avoit fait distribuer des branches
de lauriers à tous les spectateurs. LL. MM. , sont arrivées à
huit heures. Au moment de leur entrée dans la salle , et au
milieu d'applaudissemens et des cris de vive l'Empereur , la
toile du fond a été levée , et le théâtre a représenté une avenue
de Paris d'où l'on découvre dans le lointain quelques-uns
des monumens élevés ou embellis sous le règne de S. M. I. : le
vieux Louvre , la galerie, le Pont- des- Arts . etc. L'intermède a
commencé ; il avoit pour but de célébrer le retour de S. M.
dans sa capitale. On doit savoir gré à M. Esménard de s'être
arrêté à une idée simple et ingénieuse , et d'avoir renoncé aux
ressources usées de la mythologie , où aux énigmes de l'allégorie.
Des groupes de différentes nations étrangères se joignent
aux Français pour célébrer par des danses et des chants
le retour du héros. On distingue par la variété des costumes ,
des Mamelouck , des Grecs , des Italiens , des Espagnols , des
Suisses. ... L'intermède est terminé par une invocation que
Lays a chanté avec son talent ordinaire. Autant que les
applaudissemens et l'enthousiasme général nous ont permis
d'en juger , la musique nous a paru d'une expression
convenable au sujet ; les paroles sont imprimées , elles sont dignes
de la réputation de l'auteur du poëme de la Navigation
A l'harmonie des vers, toujours soutenue et habilement variée,
on reconnoît un homme que son astre a formé poète Depuis
les pièces de Quinault , on n'avoit point entendu à l'Opéra des
vers aussi beaux que ceux-ci :
t
CHU R.
A son pouvoir tout rend hommage ;
Son génie invincible a changé les destins .
FEVRIER 279 1806.
Un nouveau siècle est né des débris du vieux âge ;
Une Europe nouvelle , et plus libre et plus sage ,
Lui devra des jours plus sereins .
UN ITALIEN.
L'Eridan ne voit plus , dans sa course rapide ,
Que des états soumis au grand Napoléon .
UN ESPAGNOL.
Et les peuples voisins des colonnes d'Alcide
Ont invoqué son nom .
UN MAMELOUCK.
A l'Arabe inconstant qui désole sa rive ,
Le Jourdain , mille fois , raconta ses travaux ;
Le Nil ensanglanté , sur son urne captive ,
Rappelle ses drapeaux.
UN MAIRE DE PARIS.
Paris sur-tout lui doit la grandeur immortelle
Qu'un oracle trompeur annonçoit aux Romains;
Il s'accomplit pour nous, et la ville éternelle
Va sortir de ses mains.
VIEILLARDS ET ENFANS.
Ici la vieillesse et l'enfance
Rendent grace au même héros ;
Pour l'une , il créa l'espérance ,
A l'autre, il rendit le repos.
VIEILLARDS.
Dans nos foyers héréditaires ,
Par lui , sous la loi de nos pères ,
Couleront nos derniers instans.
ENFAN S.
Pour lui , pour l'état , pour la gloire,
Enfans promis à la victoire ,
Nous commençons nos premiers ans.
-L'auteur d'Antiochus , tragédie nouvelle en cinq actes ,.
dont on doit donner la première représentation la semaine
prochaine sur le Théâtre Français , vient de présenter à l'Aca¬
démie Impériale de Musique un opéra en trois actes , intitulé :
Alexandre à Babylone. Les tableaux de Lebrun , au moins
280
MERCURE DE FRANCE ,
ceux des Captives et de l'Entrée , y sont en action. On devine.
aisément le but de cet ouvrage , qui , s'il est reçu , sera représenté
pour les fêtes de mai.
-
Tous les théâtres ont donné cette semaine des pièces
nouvelles pour célébrer le retour de S. M. Celle de la Comédie
Française , intitulée : les Français dans le Tyrol , est de
M. Bouilly. La Prise de Passaw se donne aujourd'hui même.
à l'Opéra-Comique. Le Vaudeville a aussi célébré l'époque
actuelle dans une nonvelle production de MM. Radet , Barré
et Desfontaines , qui a pour titre : Deux n'en font qu'Un.
Mais de tous les ouvrages dramatiques que les circonstances,
ont fait naître , le plus ingénieux , celui qui a eu le plus de
succès , si l'on en excepte l'intermède de M. Esménard , c'est
le Nouveau Réveil d'Epimenide : cette pièce , donnée sur le
Théâtre de l'Impératrice , est de MM. Etienne et Nanteuil.
Ce théâtre se dispose à remettre nne ancienne pièce du réper¬
toire des Italiens , intitulée : Un Tour de Carnaval, et l'Ecole.
des Jaloux , comédie en trois actes de Montfleury, La reprise.
de la Pompe funebre de Crispin , comédie en un acte et en
vers de Lafont , a été heureuse. La pièce est fort gaie , et a
beaucoup fait rire.
M. Cherubini doit être , dit - on , spécialement chargé
du choix et de l'embellissement des pièces nouvelles qui seront
données par les Bouffons. La maladie de Mile Crespi a fait
suspendre les représentations des Cantatrice Villane. Un des
plus célèbres chanteurs de l'Italie, M. Crescentini , vient d'arriver
à Paris .
-
2
Charles-Nicolas -Justin Favart , fils aîné de l'auteur qui
a rendu ce nom célèbre , est mortle 1er février, à l'âge de 57 ans.
Il avoit lui-même composé quelques pièces pour l'Opéra-
Comique , et fait un grand nombre de couplets qui pourroient
servir à son éloge , puisqu'on y trouve de la grace , de
la gaieté , et qu'on y chercheroit en vain un trait de satire.
M. Cadet- Devaux soutient toujours l'efficacité de qua
rante -huit verres d'eau chaude pour la guérison de la goutte.
On lui avoit objecté la mort de M. Foulong- Dubosc qui avoit
}
FEVRIER 1806. 281
usé de ce remède. Il répond aujourd'hui par le rapport des
médecins et l'exposé des caractères de sa maladie : « Ces caraç-
>> ' tères sont ,
dit M. Cadet-Devaux , ceux d'une de ces
» maladies aiguës , inflammatoires , auxquelles les vieillards
» amateurs sont très-sujets , et auxquelles , ainsi que les
» jeunes-gens , ils succombent promptement , sur- tout quand
» ils sont usés par de longues infirmités et par le vice de
» régime. Or , tel étoit l'état habituel de M. Foulong -Dubosc ;
» et l'eau qui guérit la goutte ne préserve pas de la mort. »
à
M. de Lalande a été consulté sur les causes des commotions
atmosphériques que nous venons d'éprouver . Voici
sa réponse : elle est très -curieuse, sur-tout très-précise et trèsclaire
; aussi nous la transcrivons textuellement de peur d'erreur
en matière si grave. « M. de Lalande observe qu'il y a
eu le 12 janvier de grands coups de tonnerre à Brest , à Rouen ,
à Ypres , et des tempêtes horribles au midi , à Bordeaux ,
Dijon , à Besançon , à Nancy , et il en conclut que la raréfaction
que le tonnerre a produite au nord , a forcé l'air à s'y
porter pour remplir le vide . Voilà la cause du grand abais
sement du baromètre. Quant au tonnerre , qui est rare dans
cette saison , il l'explique par la chaleur du vent du midi qui
a regné constamment ; et , avec des nuages un peu bas , on
conçoit les étincelles électriques qui ont dû s'élancer alternativement
de la terre et des nuées dans lesquelles le fluide
électrique s'accumule tour à tour ; de la enfin la longue.
suite de tonnerres depuis Brest jusqu'à Ypres . »
-On vient d'échafauder le grand fronton de la colonnade du
Louvre , pour y sculpter un bas-relief. Cet important ouvrage
est confié à M. Lemot , auteur de la statue de Léonidas et des
bas- reliefs de la tribune du corps législatif.
On entend de tous côtés accuser la température actuelle ; mais on
oublie donc que cette température est précisément la même que celle qui
régnoit il y a trois ans à la même époque , et que la mortalité étoit bien
autre qu'en ce moment. Chaque maison offroit deux ou trois victimes de ce
catharre meurtrier , alors désigné par le peuple sous le nom expressif de
grippe. Cependant la température n'étoit pas aussi molle qu'aujourd'hui ,
mais il y avoit plus d'inégalité ; et c'est sur- tout des variations de l'atmos282
MERCURE DE FRANCE ;
phère que résulte l'intensité du danger des suppressions de transpiration .
Ajoutons que l'expérience conseille mieux ajourd'hui dans le traitement.
Il y a trois ans , trompés par l'aspect inflammatoire , par le point de côté,
que
+
crachemens de sang, on recouroit à la saignée ; la fibre déjà amollie .
s'affaissoit , et le soulagement qu'éprouvoit le malade le conduisoit rapidement
à la mort. Instruit par l'expérience , on sait aujourd'hui qu'il faut
soutenir la fibre , et l'on allie aux boissons mucilagineuses quelque amer
ou quelque spiritueux . Si rien n'a été plus constant que l'intempérie humide,
pluvieuse , douce et molle , qui a commencé il y a un mois et demi,
et qui ne paroît pas se terminer encore, rien aussi n'a été plus uniforme
la nature , la marche et la fréquence des affections catharrales ; elles
sont épidémiquement répandues , et n'offrent quelques variétés que par
leur siége et la disposition des sujets . Tantôt tout le corps est brisé par
des douleurs vagues , des courbatures , des lassitudes ; tantôt la tête souffre
des douleurs plus ou moins aiguës , soit par l'inflammation des yeux , soit
par le suintement des oreilles , soit par l'engorgement des glandes du col et
de la mâchoire ; quelquefois la membrane pituitaire est irritée par une
humeur âcre , et l'on a ce qu'on appelle vulgairement un rhume de cerveau
; d'autres fois le gozier , les bronches , la poitrine sont le siége de l'irritation
. Il n'est pas rare qu'il s'y joigne quelques accès de fièvre , qu'une
sueur utile termine ; mais il l'est davantage que des symptômes alarmans
l'aggravent, Souvent l'estomac semble y participer , et des nausées , un
sentiment de plénitude , le dégoût , ont paru décéler un embarras gastrique.
Cependant le vomitif qu'on auroit pu croire indiqué , administré
dans ce premier moment d'irritation et de crudité , a rarement amélioré
l'état ; au lieu que , donné à la fin , l'ipécacuanha , sur-tout en
țeinture ou en sirop , à petites doses répétées , a généralement réussi ; et
cette manière de le faire prendre en teinture plutôt qu'en poudre , rentre
dans l'opinion ci- dessus énoncée , que , même en purgeant ou en délayant
il a fallu soutenir le ton de la fibre ; c'est encore la raison pour laquelle
plusieurs praticiens ont administré avec succès la teinture et l'infusion
d'arnica . D'autres nous ont dit s'être également bien trouvés du poligala
de Virginie , lorsqu'il y avoit antonie complète de la fibre , et engorgement
du canal aérien , tapissé de mucosités . Dans ces rhumes gutturaux et
bronchiques , ou avec sabure , la manne à petite dose , la marmelade de
Tronchin avec le kermès, les lavemens stimulans ont paru décider l'expectoration
, et entretenir la liberté du ventre . Dans les catharres des sinus
frontaux avec céphalalgie , chez les sujets très- sanguins , les sangsues appliquées
aux temporales , ont souvent soulagé , ainsi que les hémorragies naturelles
du nez qui ont quelquefois suivi cette application . Dans le temps
FEVRIER 1806. 283
d'irritation , et sur-tout avec les personnes sèches et nerveuses , les pédiluves
ont amené souvent la détente , la souplesse de la peau , la moiteur ,
un bien être sensible ; mais on couçoit qu'on ne peut généraliser des moyens
de traitement , que des indications particulières doivent faire modifier ou
même rejeter ; et c'est ainsi que les boissons adoucissantes , ou incisives ,
ou animées d'alkool , ou de quelque purgatif, ont dû être adaptées aux sujets
comme aux circonstances. Par exemple , chez quelques personnes ,
l'affection catharrale a commencé par une dyssenterie avec fièvre ; et l'on
sent bien que l'on a dû adopter un régime mixte entre les boissons pectorales
et les anti- dyssenteriques . Quelques novateurs ont administré dès
l'abord le quinquina , qui a enlevé la fièvre ; mais il en est résulté des leucophlegmaties
, des ictères , et il a fallu rappeler la fièvre pour les guérir.
On peut , sur le seul aperçu du tableau nosologique actuel , présager des
fièvres tierces pour le printemps ; et si elles sont traitées ainsi , on est certain
de les voir succéder par des hydropisies ; mais on veut assujétir la
médecine aussi à l'empire de la mode ! N'oublions pas que le quinquina
ne reussit dans les catharres qu'après les mucilagineux et dans l'invasion
des fièvres malignes seulement ; de même que si le punch est indiqué dans
les catharres , il peut , pris intempestivement , ou à trop haute dose , déci
der l'irritation de la plèvre et uue péripneumonie . Un moyen plus sûr est
la solution suivante , dont le goût est moins entraînant que celui du punch :
alkool brûlé et sucre ana deux onces , camphre dix grains , le jus d'un
citron, et huit onces d'eau. Plusieurs malades ont éprouvé à la suite de ce
breuvage , et en restant au lit , une éruption générale à la peau , ou au
moins une transpiration , qui ont terminé heureusement leur malaise.
(Gazette de Santé du 1er février. )
MODES du 5févr. - Les coiffures à la Ninon deviennent plus nombreuses,
et approchent davantage du vrai modèle de l'émail de Petitot , que l'on voit
au musée Napoléon . De chaque côté du visage , au lieu d'une , comme cidevant
, il y a plusieurs mêches en tire- bouchons , quatre , cinq , jusqu'à
huit et par-derrière , les cheveux réunis , liés , au lieu d'être renfoncés
en chou de nattes , ou roulés en spirale , ressortent aussi en tire -bouchons.
Tout autour du lien , comme dans le portrait en émail , est une couronne
de roses . Les roses à la mode , sont toujours les roses du Bengale , autrement
appelées des roses mousseuses . Sous les doigts des modistes, sur leurs
comptoirs, le satin pour chapeaux , et la plupart des rubans sont encore
d'un rose tendre , comme la semaine dernière ; peut -être , cependant ,
emploie-t -on un peu plus de blanc .
Les velours brochés , en blanc , et les rubans blancs , veloutés , en
grande largeur , sont ceux dont on a fait , depuis quelques jours ,
de plus
fréquentes demandes.
Au lieu de blanc , quelques modistes ont employé du gros-jaune pour
doubler des capotes noires . Sur des toques , on a aussi employé du jaune
pour couper le velours noir .
Un petit chapeau de modiste , un petit toquet de lingère , ont , l'un et
284 MERCURE DE FRANCE ,
l'autre , une touffe par-devant , qui forme à-peu -près le même volume
qui descend presqu'aussi bas sur les sourcils ; et les oreilles , avec l'une et
Pantre coiffures , sont a -peu- près également degagées .
Dans quelques magasins , on marie le vert pistache au blanc .
On porte les voiles de dentelle en rideau , tirés dans toute leur largeur ;
les voiles de mousseline , au contraire , se portent divisés et rejetés de
chaque côté.
Avec un tulle festonné , on garnit , dans le dernier genre , un sac ou
ridicule, de mousseline brodée. Il y a des ridicules en velours cerise ;
ceux-là sont richement brodés en or.
Aux douillettes de soie on met des boutons de nacre de perle , et ,
outre les petites pattes de velours et le collet de velours , des aiguillettes
de velours .
Le genre espagnol a toujours la vogue pour les corsages et les emmanchures.
Le serre- tête d'une grisette a maintenant , par- derrière , au lieu de coulisse
, deux longues pointes qui , croisées , reviennent par- devant se nouer
et former rosette au- dessus du front.
On vient d'imaginer des masques à bordure de cheveux naturels , å
sourcis naturels ; ils sont frappans , repoussans de vérite ..
Les dernières robes de bal paré étoient garnies en longs tuyaux de jais
blanc .
Dans les bijoux de demi- toilette , il règne bien moins de sévérité que
dans ceux de grande parure : au bal ou dans un cercle , a-t-on un collier de
perles , il faut que le peigne , les bracelets , les boucles d'oreille , voire
même les ornemens de la robe , soient en perles ; mais le matin , en négligé ,
le même bijou présente à la fois des pierres de plusieurs genres ; et l'on
voit sur la même boucle d'oreille un bril ant pour terminer l'anneau ,
pomme de jais à facettes , qui sert de poire , et une perle qui figure entre
fes deux , et croise les chatnettes qui la tiennent suspendue .
une
La garde de l'épée d'un petit - maître doit présenter en ciselure un soleil ,
levant, la boîte de sa montre doit présenter un soleil levant , et c'est encore
un soleil levant que l'on voit dessiné sur les boutons de l'habit d'un jeune
homme du bon ton : est -ce un embleme ? est - ce un caprice ? Pourquoi cher
cher d'autre raison que celle- ci : « C'est la mode. »
NOUVELLES POLITIQUES.
Londres , 23 janvier.
Fonds publics. -Trois pour cent consolidés , 59 1/2.
M. Pitt a terminé sa glorieuse carrière ce matin, à quatre›
heures et demie. Sa mort doit être regardée comme une perte
irréparable. Il est mort sans agonie , et jusqu'au dernier moment
il a conservé sa présence d'esprit. Son ami et son ancien
précepteur , l'évêque de Lincoln , a recueilli son dernier
soupir. M. Pitt est mort dans la 47° année de son âge , étant
né le 28 mai 1759. Il laisse vacantes les charges de premier
lord de la trésorerie , de chancelier de l'échiquier , de lord
gouverneur des cinq ports , de lord du commerce et des
plantations , de cominissaire pour les affaires de l'Inde , de
FEVRIER. 1086 . 285
directeur du bureau de la Trinité , et de grand-maître de
l'université de Cambridge.
Mardi matin, 21 janvier , sa maladie ne présentoit aucun caractère
dangereux. La fièvre le quitta presqu'entièrement , et
les médecins conçurent l'espoir d'une prompte guérison.
Mais , le soir , le médecin qui lui donnoit des soins particuliers
, lui tâtant le pouls avant de se retirer , s'apperçut que la
fièvre étoit revenue ; il resta une heure auprès du malade.
La fièvre continua d'augmenter , et fit en peu d'heures des
progrès si alarmans , que tout espoir de salut s'évanouit . II
devenoit nécessaire que le médecin fit connoître son opinion ,
M. Pitt fût informé du danger de sa situation.
et que
L'évêque de Lincoln , le plus ancien et le plus assidu de ses
amis , fut appelé dans la chambre du malade , et le médecin
lui dit : « Informez votre honorable ami , qu'il n'a plus que
quarante-huit heures à vivre. Tous les secours deviennent
inutiles. Les moyens qu'on tenteroit pour le tirer de l'espèce
de létargie qu'il éprouve en ce moment , ne feroient qu'accélérer
sa fin. Il est épuisé et n'a pas assez de force pour supporter
l'effet des remèdes qui pourroient lui être administrés.
S'il vit plus de deux jours , j'en serai surpris. >>
" .
Alors l'évêque de Lincoln jugeant qu'il étoit nécessaire de
faire connoître à M. Pitt l'état dans lequel il se trouvoit
s'acquitta de ce triste devoir avec fermeté. M. Pitt parut
à peine l'entendre. L'arrêt de mort prononcé par le médecin
ne put le tirer de son affaissement. Après deux minutes de
recueillement , il étendit péniblement une de ses mains défaillantes
, en faisant signe , pour qu'on le laissât seul avec
l'évêque de Lincoln , qui s'assit très-près de son lit , et lui
offrit sans doute les consolations de la religion. Depuis ce
moment les médecins ont cessé leurs visites.
Dans la matinée de mercredi , la plupart des personnes
élevées en dignité envoyèrent savoir des nouvelles de M. Pitt.
L'avis de l'état désespéré où les médecins l'avoient laissé , fut
transmis au roi , aux membres de la famille royale , et aux
amis de M. Pitt . Lady Esther Stanhope , sa nièce , et M. James
Stanhope vinrent le voir , mercredi matin , restèrent un quart
d'heure près de lui , et s'en allèrent après avoir reçu son
dernier adieu. Son frère , le comte de Chatam , passa plusieurs
heures près de lui la nuit suivante , et reçut les derniers
épanchemens de son coeur.
A une crise assez violente qui consuma le reste de ses forces
succéda un affoiblissement qui fit douter qu'il vécût encore :
il n'avoit qu'une respiration presqu'insensible ; il n'eut plus
la force de parler : il n'exprima que par signes l'affection, la
286 MERCURE DE FRANCE ,
gratitude et les remerciemens que son oeil mourant adressoit
aux personnes qui le venoient voir.
L'évêque de Lincoln passa près de lui la nuit du mercredi
au jeudi. Vers deux heures du matin , les symptômes de la
mort se manifestèrent. Ses mains et les autres extrémités de
son, corps devinrent froides ; bientôt il perdit l'usage de ses
sens. Pour prolonger sa vie de quelques heures , on lui appliqua
à la plante des pieds des vésicatoires qui le ranimèrent un
moment , mais ne purent arrêter les progrès de la mort qu'il
portoit dans son sein. On assure qu'il jouit de l'usage de toutes
ses facultés intellectuelles jusqu'à l'instant de sa mort , qui
arriva hier , jeudi , à quatre heures et demie du matin.
Comme tout ce qui concerne les derniers momens de
M. Pitt , est de nature à piquer la curiosité publique , nous
ajouterons aux détails que nous venons de donner, ceux qui
ont été recueillis par des témoins oculaires .
Informé qu'il n'avoit plus que peu d'heures à vivre ,
M. Pitt déclara qu'il étoit résigné à la volonté divine , et
demanda au docteur Walter Forquhar combien d'heures il
avoit à vivre. M. Pitt s'occupa alors à remplir auprès de l'évêque
de Lincoln les différens devoirs que la religion
prescrit. Il répéta plusieurs fois , avec l'accent d'une profonde
humilité , ce peu de mots : « O mon Dieu ! mon
» Dieu ! je connois toute mon indignité ; mais j'espère dans
» votre miséricorde infinie à laquelle je m'abandonne ; par-
» donnez-moi mes fautes , mes erreurs , par les mérites de
» Jésus- Christ. » Après cette courte oraison , l'évêque de
Lincoln récita pour lui des prières pendant un long espace de
temps. Ces pieuses préparations parurent répandre une teinte
de contentement et de sérénité sur le visage de M. Pitt. Il
songea ensuite à mettre ordre à ses affaires particulières , et
à faire connoître ses dernières volontés aux personnes qu'il
chargea de les mettre à exécution. Ces derniers mots furent
ceux-ci : « Je meurs en paix avec tout le monde. I die in
» peace with all mankind. » ( Star. )
Du 25janvier. M. Lascelles a annoncé hier à la chambre
des communes qu'il feroit lundi une motion tendante à faire
décerner des marques signalées de la reconnoissance nationale
à la mémoire de M. Pitt.
M. Pitt sera enterré dans l'abbaye des Westminster , près de
son père et de sa mère. ( Morning-Chronicle. )
-
Du 27 On dit que la motion
de M. Lascelles
doit
avoir
pour
objet
de voter
une somme
de 50,000
liv. sterl
. pour
payer
les dettes
de M. Pitt. Il avoit
, comme
premier
lord
de la trésorerie
, 5000
liv. par an, et, comme
chancelier
de l'échiquier
FEVRIER 1806 . 287
1600 1. La dépense d'un premier ministre ne peut être moindre
que 10,000 liv . sterl . , même avec de l'économie.
M. Pitt a été 22 ans ministre , en trois époques différentes.
Du 29. Lord Grenville est nommé chancelier de l'échiquier
, premier lord de la trésorerie , et premier ministre ;
M. Fox est sécrétaire -d'état pour les affaires étrangères , et
Windham pour la guerre. On assure que lord Sidmouth
( M. Addington ) est premier lord de l'amirauté . Les différens
partis , réunis par ces nominations , doivent former , dans le
parlement , une très-grande majorité.
-
PARIS. -
M. le comte de Haugwitz , ministre d'état et du cabinet
prussien , est arrivé à Paris.
er
Le Journal officiel a publié le 1º février l'ordre du jour
suivant :
De mon camp impérial de Schoenbrunn ,
le 6 nivose an 14.
« Soldats ,
» Depuis dix ans, j'ai tout fait pour sauver le roi de Naples ,
il a tout fait pour se perdre.
>> Après la bataille de Dego , de Mondovi , de Lodi , il ne
pouvoit m'opposer qu'une foible résistance. Je me fiai aux
paroles de ce prince et fus généreux envers lui. Lorsque la se
conde coalition fut dissoute à Marengo , le roi de Naples , qui
le premier avoit commencé cette injuste guerre , abandonné à
Lunéville par ses alliés , resta seul et sans défense. Il m'implora ;
je lui pardonnai une seconde fois. Il y a peu de mois, vous étiez
aux portes de Naples. J'avois d'assez légitimes raisons , et de
suspecter la trahison qui se méditoit, et de venger les outrages
qui m'avoient été faits. Je fus encore généreux. Je reconnus la
neutralité de Naples ; je vous ordonnai d'évacuer ce royaume ;
et pour la troisième fois la maison de Naples fut raffermie et
sauvée.
Pardonnerons-nous une quatrième fois ? nous fierons-nous
une quatrième fois à une cour sans foi , sans honneur , sans
raison ? Non ! non ! la dynastie de Naples a cessé de régner ;
son existence est incompatible evec le repos de l'Europe et
l'honneur de ma couronne.
» Soldats , marchez , précipitez dans les flots , si tant est
qu'ils vous attendent , ces débiles bataillons des tyrans des
mers. Montrez au monde de quelle manière nous punissons
les parjures. Ne tardez pas à m'apprendre que l'Italie toute
entière est soumise à mês lois ou à celles de mes alliés ; que le.
288 MERCURE DE FRANCE
3
plus beau pays de la terre est affranchi du joug des hommes
les plus perfides ; que la sainteté des traités est vengée , et que
les manes de mes braves soldats égorgés dans les ports de Sicile
à leur retour d'Egypte , après avoir échappé aux périls des
naufrages , des déserts , et de cent combats , sont enfin appaisés.
» Soldats , mon frère marchera à votre tête ; il connoît
mes projets ; il est le dépositaire de mon autorité ; il a toute
ma confiance ; environnez-le de toute la votre.
-
>> NAPOLÉON. >>
Par décret rendu aux Tuileries le 31 janvier , S. M. a
nommé :
A la préfecture d'Indre et Loire , M. Lambert , sous -préfet
de Pithiviers ; à celle du département du Var , M. Dazemar ,
sous-préfet à Uzès ; à celle du département de Montenotte ,
M. Chabral , sous-préfet à Napoléon-Ville ; à celle du dé
partement de la Meuse-Inférieure , M. Roggieri.
--
Par décret du même jour , S. M. a nommé :
A la sous-préfecture de Montaigu ( département de la Vendée
) , M. Goyon-Matignon , auditeur ; à celle de Clermont
( Oise ) , M. Gaétan de Liancourt ; à celle de Châteaulin ( Finistère
) , M. Baudier , membre du conseil-général ; à celle de
Cambray ( Nord ) , M. Desmazures , actuellement conseiller
de préfecture ; à celle de Dunkerque ( même département ) ,
M. Schodt , négociant ; à celle d'Altkirck ( Haut - Rhin ) ,
M. Jolliat, actuellement conseiller de préfecture de ce département
; à celle de Toulon ( Var ) , M. Blin , ex-législateur ;
à celle de Joigny ( Yonne ) , M. Lacann , maire actuel de Joigny
; à celle de Bergerac ( Dordogne ) , M. Maine Biran ,
membre actuel du conseil de préfecture de la Dordogne.
Dans sa séance du 1 février , le sénat conservateur a
nommé :
"
er
MM. les sénateurs Canclaux et Dépérès, secrétaires du sénat
pour l'an 1806 ; les sénateurs Germain , Garnier , Roger-
Ducos , Démeunier , de Fleurieu , Sainte- Suzanne , Lemercier
et François ( de Neufchâteau ) , membres du conseil
d'administration du sénat pour la même année ; les sénateurs
Cornet et Journu-Aubert, membres de la commission sénatoriale
de la liberté individuelle , en remplacement du sénateur
Cacault décédé membre de cette commission, et du sénateur
Vernier , qui a terminé l'exercice de ses fonctions ; le sénateur
Herwyn , membré de la commission sénatoriale de la liberté
de la presse , en remplacement du sénateur Démeunier, qui a
terminé l'exercice de ses fonctions.
Madame de Montesson est morte à Paris le 5 février.
( No CCXXXIX. )
( SAMEDI 15 FÉVRIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSI E.
A#
LA MESSE DE MINUIT.
C'ÉTOIT l'hiver. Du mois qui nous ouvre l'année,
Commençoit dans six jours la première journée
L'airain nous annonçoit la moitié de la nuit .
Vers le temple des champs , par un pâtre conduit
Je suivois un sentier dans la neige affaissée ,
Qu'un pied religieux avoit déjà pressée .
Sur le coteau voisin , de frimas surmonté ,
Découvrant la pâleur de son front argenté,
La lune , des brouillards perçoit le sombre voile;
Même on voyoit briller la merveilleuse étoile
Qui des Rois Jadis dans Byageurs , surpris de sa clarté ,
guida la piété.
Le pâtre me contoit cette, divine histoire ,
Amusement chéri de ma jeune mémoire.
Dépouillé d'ornement son récit m'enchantoit.
S'interrompant soudain , quelquefois il chantoit
Un cantique grossier de pieuses louanges .
Ce cantique disoit : « Comment le choeur des Anges,
Eblouissant les yeux des pasteurs endormis ,
Du nom d'Emmanuel charmoit les cieux ravis ,
Et comment ; rassuré par cette voix divine ,
Vers l'Enfant de l'étable en foule on s'achemine ;
Et les rois d'Orient , parmi tous ces bergers ,
Humiliant l'éclat de leurs fronts étrangers ;
T
290
MERCURE DE FRANCE ,
Et les triples présens d'Or , d'Encens et de Myrre ,
Et du céleste Enfant le céleste sourire. »
O champs de Bethleem ! O lumineux réveil !
Sortez , bergers , sortez des langueurs du sommeil :
Ne craignez point. Voyez ces divines lumières ;
Aux choeurs des Séraphins mêlez vos voix grossières
En ordre merveilleux , dans les airs soutenus ,
Ils forment des concerts à l'oreille inconnus .
Ah , bergers , écoutez ces voix mélodieuses ;
Retenez vos pipeaux et vos voix paresseuses ,
Ecoutez attentifs cet hymne sans repos ,
Qui jamais jusqu'ici ne charma vos échos !
La terre a tressailli . C'est par ces grands spectacles
Que s'annonce celui qu'annonçoient les Oracles.
Que veulent ces clartés dans les champs du soleil
Quand il n'a pas rougi son orient vermeil ?
Le ciel s'incline-t-il vers la terre étonnée
Pour former avec elle un pompeux hymenée ?
Est -ce le Roi des rois qui paroît triomphant ?
Est-ce un Dieu redouté ?.... Non , c'est un foible Enfant.
Approchez : ce n'est point la terreur qu'il inspire ,
Et sur le seul amour il fonde son empire.
Et toi , peuple choisi pour garder cette loi ,
Dont tes propres dédains affermissent la foi ,
Ouvriras-tu les yeux ? Dis-nous quelle figure
Change pour toi le jour en une nuit obscure ?
Tu démens un Oracle , et tu l'as confirmé ;
Ton livre pour toi seul est un livre fermé.
Antique aveuglement ! Espérance charnelle ,
Qui te défend de voir la promesse éternelle !
Ainsi de ces pensers j'occupois mes esprits ;
Et du temple déjà les rustiques lambris
Retentissoient des chants du triple sacrifice ,
Où Jéhovah lui- même , en cette nuit propice ,
Se dérobe trois fois à nos profanes yeux ,
Et trois fois invoqué , descend trois fois des cieux ,
J'avois fendu les flots de la foule empressée ,
Toujours près de l'autel , et toujours repoussée ,
Admirant , adorant d'un zèle curieux
La sainte nouveauté qu'on permet à ses yeux .
Aux marches d'un autel écarté , solitaire ,
Que consacre Marie , et qu'une lampe éclaire ,
Une femme prioit. ( Sa touchante douleur
Vivra-t- elle en mes vers , ainsi que dans mon coeur? ),
FEVRIER 1806.
291
Cinq lustres et quatre ans sembloient dire son âge ;
Ses beaux yeux se baissoient sur le plus beau visage
Ce visage annonçoit , par sa douce pâleur ,
Moins l'injure du temps que celle du malheur .
Le long abattement de sa mélancolie ,
Ses soupirs , sa douleur pieuse et recueillie ,
Ses regards quelquefois vers les cieux rappelés ,
A l'aspect de l'Enfant ses sanglots redoublés ,
Les pleurs qui s'échappoient de sa longue paupière ,
Tout à mon coeur ému disoit : « C'est une mère. ››
Tout me disoit déjà , sans qu'on me l'eût appris :
« Cette mère a perdu les caresses d'un fils . »>
Cependant on chantoit les suprêmes louanges :
Alors les airs rivaux de l'hymne des Archanges ,
Flatterent mon oreille ; et l'instrument égal
A celui que touchoient les enfans de Jubal ,
Augmentoit , par les sons de sa belle harmonie ,
L'enchantement pieux de la cérémonie.
La mère infortunée , en ce commun transport ,
Célébroit la naissance , et pleuroit sur la mort ;
Mais n'osant de l'Eglise interrompre la joie ,
Renvoyant à son coeur les soupirs qu'il envoie ,
Elle mêla sa voix au concert fortuné ,
Et dit en gémissant : « Un Enfant nous est né . »
Hélas , qu'elle auroit mieux célébré la journée ,
Où veuve d'un époux , et de crêpes ornée ,
L'Eglise , interrompant soni culte accoutumé ,
Pleure avec une mèré aux pieds d'un fils aimé !
Et quand à son effort sa douleur qui succombe ,
Mêle aux chants du berceau les larmés de la tombe
Qu'elle eut mieux répondu de la voix et du coeur :
« Dites , est-il douleur égale à ma douleur ? »
Je le dois avouer : sa beanté , sa tristesse ,
Apportant tout son deuil parmi tant d'alégresse ,
Ce malheur à la fois profond et résigné ,
D'involontaires pleurs son livre tout baigné,
De la Religion l'imposant caractère ,
Livrant de saints combats dans le coeur d'une mère ,
La majesté du Dieu dont l'aurore nous luit ,
Ces chants du rit sacré , cette pompe de nuit ,
Tout réveilloit én moi de profondes pensées ,
Que le siècle et sa joie avoient trop effacées .
Je ne roncevois pas quel long enchantement
Captiva ma raison dans son aveuglement ,
T 2
292
MERCURE DE FRANCE ,
Quand mes yeux , éb'ouis des clartés infidelles ,
Cherchoient un vain bonheur qui me trompoit comme elles .
Près de l'arbre du mal , tels les premiers humains ,
Portant sur ses beaux fruits de curieuses mains ,
Goûtoient , dans les transports d'une indocile joie ,
Cette Divinité qui n'étoit pas 1 ur proie ;
Et , tristes artisans de leur funeste sort ,
Abandonnoient aux vents la terreur de la mort .
Ou , tel le voyageur aux côtes étrangères ,
A fui le doux banquet où ses soeurs , où ses frères ,
Assis à ses côtés , dans un charmant loisir ,
Buvoient en suriant la coupe du plaisir.
Du prêtre en ce moment la face prosternée ,
Adora : puis vers nous sa prière tournée ,
Selon l'usage antique , et par un chant divin ,
De l'auguste holocauste il annonça la fin .
Et l'orgue cependant , sous la main qui le presse ,
Maria ses accords aux chants de l'alégresse ;
Et moi , seul et pensif , près de la mère en deuil ,
J'attendis pour sortir qu'elle eût franchi le seuil .
La curiosité de mon ame attendrie ,
Respectoit , en marchant , sa longue rêverie.
Sombre et silencieux , je cherchois dans mon coeur
Par quels mots j'oserois aborder sa douleur.
La consolation est souvent importune ;
Il faut apprivoiser la sauvage infortune.
Je balançai long -temps . Long- temps prêt à parler ,
Je respectai les pleurs que je voyois couler ;
Et quelquefois , tout près de vaincre mes alarmes ,
Je crus trouver des mots , quand je trouvai des larmes.
Enfin , le ciel m'offrit un innocent moyen
De lier avec elle un touchant entretien ;
Enfin , elle essuya ses paupières humides ,
Et levant jusqu'à moi des yeux doux et timides ,
Parmi de longs soupirs et parmi des sanglots ,
Laissa péniblement tomber ces tristes mots :
« Aurélie est mon nom. L'histoire d'Aurélie
» Est courte , et seulement par le malheur remplie .
» Mon époux succomba dans ces temps , odieux
>> Où nul impunément ne compta des aïeux .
» Il périt , convaincu du forfait sans excuse
» Dont aux yeux des tyrans son noble sang l'accuse.
>> Monstres industrieux , dans leur stupidité ,
>> Ils proscrivoient l'honneur dans sa postérité ,
FEVRIER 1806.
293
, » Et des héros Romains nous vantant la mémoire ,
» Nous punissoient d'un nom qui paroit notre histoire.
» Je voulois aux bourreaux qui tranchoient ses beaux jours ,
>> Demander un trépas qu'on accordoit toujours ;
» Et j'aurois , sans pâlir , entendu la sentence
>> Qui nous eût réunis dans la même innocence.
>> Mais dans mon triste sein un murmure secret
>> Me défendit la mort où mon coeur aspiroit.
» J'obéis , je vécus. Loin d'une terre impure
>> A ses malheureux fils cruellement parjure ,
» Aux champs helvétiens , près d'un lac ignoré ,
» J'eus le premier souris d'un enfant adoré .
"
» Si jamais de l'hymen vous connoissez les charmes ,
» Vous saurez ce qu'un fils peut essuyer de larmes ;
» Mais vous ne saurez pas , j'ose an moins l'espérer ,
» De quels horribles traits on se sent déchirer ,
» Quand de ce doux objet de votre seule joie ,
>>
L'impitoyable Mort fait sa soudaine proie.
» Que sert de vous parler ? Mes pleurs ont achevé.
» Huit fois , depuis le jour qu'il me fut enlevé ,
» Les feuilles de novembre ont parsemé sa tombe ,
» Et je crois voir encor mon enfant qui succombe.
» La fièvre dans son sein se glissa par degrés ,
» Je vis ses traits charmans bientôt décolorés ;
» Enfin , l'horrible Mort , comblant sa barbarie ,
» Sur sa foible victime épuisa sa furie ,
» Et de son souffle impur , qui dévoroit mon fils ,
» Elle sécha la rose , et ne laissa qu'un lis.
» J'espérois dérober cette innocente tête ,
"
» Seul gage d'un époux qu'emporta la tempête ;
» Mais le ciel autrement en avoit ordonné
» Et je ne dirai plus : « Un Enfant nous est né. »
Elle dit , et ses pleurs achevèrent l'histoire
Qu'à jamais dans mon coeur garilera ma mémoire.
Puissé-je , la contant à la douce Pitié ,
Des pleurs que j'ai versés obtenir la moitié !
Philosophes si vains d'une vaine science
De la Religion démentez la puissance !
Epouse infortunée et mère de douleur ,
Aurélie a vécu. Dans un monde meilleur ·
Elle voit les objets d'une double tendresse ,
Et Dieu de ce roseau soutient seul la foiblesse .
Apôtres malheureux d'un néant éternel ,
Rendrez-vous son cher fils à cette autre Rachel ?
3
294
MERCURE DE FRANCE
Telle que , par les vents , une vigne inclinée ,
Veuve de son ormeau , pleure son hymenée ;
Telle l'ame abattue , en sa calamité ,
N'a pour se relever que son éternité.
Votre philosophie et sa froide chimère ,
Ne sécheront jamais les larmes d'une mère ,
IMITATION D'HORACE.
O Matre pulchráfilia pulchrior , etc. ( Liv. 1ºr , ode 16. )
A TYNDARIS,
FILLE de la Beauté , plus belle que ta mère ,
Si je fus criminel, pardonne à mon erreur.
Prends ces vers qui t'ont pu déplaire ,
Engloutis-les dans l'onde amère ,
Ou livre-les au feu vengeur.
L'oracle d'Apollon plein du dieu qui l'obsède ,
De l'amante d'Atys le prêtre ensanglanté
Dans la rage qui le possède ,
N'ont point de transport qui ne cède
Aux fureurs d'un coeur irrité.
Rien ne peut arrêter la bouillante colère :
Ni le fer menaçant , ni les flots orageux ,
Ni le dieu même du tonnerre ,
Perçant la que , et sur la terre
Fondant armé de tous ses feux.
Quand le fils de Japet , par un triste assemblage ,
Unit cent corps divers au limon créateur
De l'homine son dernier ouvrage ,
Du fier lion il prit la rage ,
Et la souffla dans notre coeur .
La colère perdit l'infortuné Thyeste.
Elle seule des tours qui menaçoient les cieux
Entraîna la chute funeste ,
Et sur leur déplorable reste
Poussa le soc injurieux.
1
FEVRIER 1806 .
Moi-même j'ai connu cette fatale ivresse ,
Et le rapide iambe a servi les transports
De mon imprudente jeunesse.
Aujourd'hui le soin qui me presse ,
C'est d'effacer mes anciens torts.
Dans ton coeur apaisé si je reprends ma place ,
Je consacre ma muse à chanter tes attraits ,
Et de ma trop coupable audace
Je veux qu'il ne reste de trace
Que ta clémence et mes regrets.
通
DE WAILLY.
RONDEA U.
Vous y viendrez , la belle dédaigneuse ,
Ace moment où fille soucieuse ,
Changeant d'humeur , de ton, de goût , d'esprit,
Rêve , se tait , observe , plus ne rit,
Eprouve en bref que bien est amoureuse.
De plaire lors vivement desireuse ,
Affecterez manière gracieuse ;
Verrez l'effet de ce qu'on vous prédit :
Vous y viendrez .
Vos quatorze ans vous rendent glorieuse ;
Mais du jeune âge , ô fuite impérieuse !
Dans son vol prompt le Temps , qui tout flétrit ,
Non plus qu'Amour ne vous fera crédit.
Or ne trouvez vieillesse si fâcheuse :
Vous y viendrez.
M. GUICHARD.
ENIGM E.
TROUVER en moi , dans un seul mot ,
Trois êtres différens et de même origine ,
Ce n'est pas l'affaire d'un sot.
Je suis peuple , pays , grain qui porte farine ;
En précis voilà tout mon lot :
Vite , lecteur, qu'on me devine ,
Sans attendre jusqu'à tantôt.
1
Par G. V. ( de Brive. )
4
296 RCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
VÉRITABLE chaos , bigarrure complète
Et d'étres et d'objets divers ,
Je suis grand comme l'univers ;
Oui , lecteur : et sans tête ,
Instrument de désastre et de prospérité ,
Et d'immenses trésors vainement enrichie ,
Dans mon sein , souvent agité,
Je donne la mort et la vie;
Et j'ai produit , détruit , en vérité ,
Déjà plus de trésors , plus d'êtres , je parie ,
Qu'on n'en voit aujourd'hui sur le globe habité.
Sans coeur , à tous les yeux charmante ,
Souvent bizarre , et plus qu'extravagante !
Aux frivoles penchans offrant un libre cours ,
Et prodigue autant qu'inconstante ,
t
Je fais des heureux tous les jours.
Je parois , et bientôt je passe ;
De moi l'on raffole, ou se lasse ;
Mais on me recherche toujours.
Et sans tête , sans coeur , quand un beau feu m'anime ,
Fière , prenant un essor glorieux , -,
Je m'élance jusques aux cieux ;
Et dans un langage sublime
Je parle aux Dieux,
CHARAD E.
MALHEUR ! trois fois malheur à mon cruel dernier ,
S'il est pour ses enfans comme dans mon premier :
Deux membranes , lecteur, vous disent mon entier. :
Par G. V. ( de Brive. )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº est Tournebroche
Celui du Logogriphe est Perpignan .
Celui de la Charade est Passe-temps.
FEVRIER 1806.
297
Histoire naturelle et mythologique de l'Ibis ; par
Jules-CésarSavigny, membre de l'Institut d'Egypte.
Un vol . in-8° , orné de six planches , gravées par
Bouquet, sur les dessins de Barrabaud et Redouté.
Prix : 5 fr. , et 6 fr . par la poste. Quelques exemplaires
sur papier d'Angoulême , avec figures tirées
en couleurs ; prix : 8 fr. , et 91 fr . par la poste. A
Paris , chez Allais , libraire , quai des Augustins ,
nº 39 ; et chez le Normant, libraire , imprimeur
du Mercure de France , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , nº 17.
EN exposant au commencement de cette année les
diverses améliorations dont on se proposoit d'enrichir
le Mercure , on a promis de ne plus le borner désormais
à la critique littéraire , et de jeter de temps à
autre quelques regards sur les arts et sur les sciences.
On est loin sans doute de vouloir changer la direction
de ce journal , qui a toujours été consacré à la
littérature ; mais sans affecter cette prétention à tout
savoir , cette manie encyclopédique qui a été si funeste
au goût dans le siècle dernier, le véritable ami
des lettres peut être jaloux de joindre à ses études
de prédilection , à la lecture assidue des grands écrivains
anciens et modernes , une connoissance générale
des différentes sciences qui se partagent la curiosité
humaine. Il doit sur tout se sentir porté vers l'histoire
naturelle , qui peut fournir chaque jour à l'écrivain
des couleurs aussi neuves que brillantes , ou plutôt
il doit la considérer comme une branche de la littérature
, depuis que Buffon , en prouvant combien
l'art d'écrire pouvoit lui prêter de charmes , en a fait
une des plus belles parties de nos richesses littéraires.
Cés considérations nous autorisent à examiner avec
quelque détail l'ouvrage que nous annonçons .
で
298
MERCURE DE FRANCE ,
Un oiseau qui a reçu les honneurs divins chez un
peuple réputé le plus sage de la terre , n'intéressera
peut-être pas moins l'historien et le moraliste , que
celui qui s'est voué à l'étude de la nature. D'ailleurs ,
le livre de M. Savigny sort de la classe ordinaire :
l'auteur ne l'a pas composé, avec les observations des
voyageurs ; il ne se borne pas à y concilier entr'elles
des descriptions vagues , des narrations quelquefois
contradictoires. C'est sur les bords du Nil , c'est dans
les sables du désert , c'est parmi les ruines et les décombres
qu'il est allé faire lui-même ses savantes observations.
Membre distingué de l'Institut d'Egypte , il
ne s'est pas borné à partager tous les périls attachés à
la mémorable expédition dont il faisoit partic . L'ardeur
de s'instruire les multiplioit chaque jour autour
de ces savans et de ces artistes , que l'espoir d'acquérir
de nouvelles lumières avoit entraînés loin de leur pa
trie , et ils sembloient tous prendre à tâche de réfuter
le préjugé , qui n'accordoit aux Français qu'un courage
bouillant et impétueux , en montrant pour la première
fois l'étude et la méditation au milieu des armes. *
Ceux qui ont l'avantage de connoître M. Savigny,
savent déjà quelle ample moisson d'observations et de
découvertes il a recueillie ; l'ouvrage que nous allons
analyser pourra faire présumer au public ce qu'il doit
attendre de ce jeune naturaliste , dont les travaux
occuperont sans doute une place distinguée dans le
beau monument qu'élève l'Institut d'Egypte pour les
amis des antiquités et des sciences.
Les anciens distinguoient deux espèces d'Ibis, l'Ibis
blanc et l'lbis noir . Hérodote les décrit l'un et l'autre
avec beaucoup de détails , et il leur attribue à tous les
deux la faculté de tuer les serpens . La prétendue inimitié
de ces oiseaux pour tous les reptiles venimeux
devenue célèbre dans l'antiquité , a attiré particulièrement
l'attention des modernes , et c'est à ce caractère
qu'ils ont cherché à reconnoître l'Ibis . Les uns l'ont
confondu avec la cicogne , connue par son appétit
FEVRIER 1806. 299 .
"
pour les serpens ; les autres , à la tête desquels il faut
mettre Linnée et Buffon , ont cru le retrouver dans
une espèce de vautour que les Arabes appellent solleihek
, et qui suit dans les déserts la marche des caravanes
, se nourrissant des cadavres des bêtes de somme
et des matières animales qu'elles laissent après elles.
Bruce fut le premier qui , à l'époque où Buffon
écrivoit ses éloquentes descriptions , remontant péniblement
le cours du Nil , dans l'espoir d'en découvrir
la source , remarqua un oiseau qui ressembloit à
l'Ibis sculpté sur les monumens. De retour en Europe ,
il publia ses observations , qui étoient entièrement
oubliées au moment où M. Savigny partit pour
l'Egypte. Prévenu lui - même de l'idée que l'Ibis étoit
l'ennemi déclaré des serpens , et qu'il se nourrissoit
de leur chair , c'est sur cette fausse donnée qu'il
s'obstina long-temps à diriger ses recherches , lorsqu'enfin
, ses yeux se portant sur un oiseau qu'il voyoit
voltiger le long des bords du Nil , il fut tenté de le
reconnoître pour l'Ibis des anciens. L'auteur entre
dans le détail des preuves qui finirent par lui démontrer
la vérité de cette première conjecture. Il commence
par comparer cet oiseau avec l'Ibis des monumens
, et il lui retrouve exactement les mêmes formes
et les mêmes proportions. Il examine plusieurs momies
d'Ibis parfaitement conservées : elles lui offrent la
même tête , le même bec , les mêmes pattes , le même
corps , et jusqu'au même plumage. Il reprend alors la
description d'Hérodote , il en discute successivement.
tous les points , et il a la satisfaction de trouver une
conformité parfaite entre l'Ibis de l'historien grec et
l'oiseau qu'il a sous les yeux.
Cependant il continue à observer ses moeurs et ses
habitudes . Il le voit fréquenter assidument les bords
du fleuve , où il paroît chercher toute sa nourriture ,
quoique ces bords ne soient habités par aucun reptile
venimeux. On lui apporte un Ibis vivant : il lui .
trouve un bec si peu propre à combattre des ennemis.
300 MERCURE DE FRANCE ,
aussi redoutables que les serpens , qu'à peine laisset-
il une impression légère sur le doigt qu'il a pincé.
Enfin , il ouvre plusieurs de ces oiseaux : il reconnoît
encore une ressemblance exacte entre leurs organes
intérieurs et ceux des Ibis embaumés ; mais en même
temps il trouve constamment leur estomac rempli ,
pour toute nourriture , de coquillages univalves etfluviatiles
, d'une espèce commune daus les canaux et
dans les champs inondés. Toutes ces expériences
semblent prouver assez que l'Ibis ne se nourrit pas
de
serpens
.
Mais M. Savigny veut prévenir toutes les objections
qu'on pourra lui faire . Le témoignage des auteurs
anciens , et en particulier celui d'Hérodote , qui raconte
fort en détail le prétendu combat des Ibis et des
serpens , pourroient ne pas l'embarrasser beaucoup .
En effet , on ne peut accorder à tous ces auteurs réunis
aucune confiance , du moment qu'ils parlent tous
d'un serpent ailé , animal fabuleux qui n'a été vu par
aucun voyageur moderne , qui même ne se rencontre
que rarement sur les monumens antiques , où la seule
forme de ses ailes suffit pour démontrer qu'il n'y
figure que comme un être purement allégorique.
Mais une objection plus difficile à combattre , c'est
celle qui se fonde sur le témoignage de M. Cuvier,
lequel assure avoir trouvé dans une momie d'Ibis des
débris non encore digérés de peau et d'écaille de ser
pent. M. Savigny répond avec raison que , pour démontrer
que ces débris de serpent avoient servi à la
nourriture de l'Ibis embaumé , il auroit fallu qu'on
les eût trouvés dans quelques parties des intestins ; or,
le témoignage d'Hérodote et d'Elien , l'inspection
même des momies , prouvent qu'on enlevoit les viscères
avant de procéder aux embaumemens. D'ailleurs ,
les Egyptiens réunissoient souvent sous une même
enveloppe des animaux absolument étrangers les uns
aux autres. M. Savigny en a vu un exemple dans une
momie d'Ibis , qu'il a trouvée remplie d'une incroyable
FEVRIER 1806. 301
multitude de mouches de différentes espéces , et il
attribue ces réunions au respect des Egyptiens pour
leurs animaux sacrés , respect qui les portoit à em→
baumer les cadavres infects de ceux qu'ils renconi
troient tombés en putréfaction ou à demi dévorés.
Enfin , il invoque un principe général sur lequel
toute certitude est fondée dans les sciences : « C'est
» qu'un fait isolé , quelles que soient d'ailleurs les
» apparences , ne peut pas prouver ce que les autres
» rendent impossible , ni réfuter ce qui existe néces-
» sairement et par la nature connue des choses »
Toutes ces considérations autorisent douc M. Savigny
à dire qu'il a retrouvé l'Ibis des anciens . D'après
M. Cuvier, il le place dans la classe des Numenius ,
et le nomme avec lui Numenius Ibis. Enfin il conclut
contre le préjugé universellement reçu , que les habi
tudes naturelles , et toute l'organisation des Ibis , démontrent
que ces oiseaux ne poursuivent , ne tuents
ni ge dévorent les serpens ; ce qui est aussi confirmé
par l'opinion bien prononcée des Egyptiens actuels ,
les alimens trouvés dans l'estomac de ces
et par
mêmes
Ibis.
7
Tels sont les faits établis dans la première partie de
l'ouvrage . On voit combien la marche des raisonne
mens est simple et naturelle , combien les preuves sont
exactes et rigoureuses . Dans la seconde partie , l'auteur
quitte les faits positifs pour se livrer à des conjectures
; mais il connoit l'art de tirer toutes les consé➡
quences d'un principe , d'enchaîner ensemble les raisonnemens
, de les faire concourir au même but , et
de les fortifier l'un par l'autre ; et de la réunion d'un
grand nombre d'analogies et de vraisemblances , il
sait former une espèce de démonstration , qui finit
par forcer l'assentiment du lecteur le plus difficile à
convaincre .
En rejetant l'opinion de toute l'antiquité sur les
combats livrés aux serpens par les Ibis , M. Savigny
se met dans l'obligation de répondre à plusieurs ques302
MERCURE DE FRANCE ,
tions. Quelle est donc la véritable cause de la véné
ration que les Egyptiens eurent pour ces oiseaux , et
du culte qu'ils lui rendirent ? Quelle est l'origine probable
du préjugé si universellement reçu sur l'antipathie
des serpens et des Ibis ? Leurs prétendus com→
bats ne sont pas , il est vrai , représentés sur les monumens
; mais pourquoi dans les hieroglyphes voit -on
presque toujours un Ibis placé immédiatement avant
ou après un serpent , que l'on reconnoît ordinairement
pour le céraste , le plus dangereux de tous les
reptiles qui habitent ces contrées ?
Pour résoudre toutes ces difficultés , M. Savigny
reporte de nouveau les yeux sur ces serpens et sur
l'lbis. Il voit cet oiseau , qui ne séjourne que sept
mois en Egypte , y arriver au temps de l'inondation ,
ne s'écarter jamais des rives du fleuve , se répandre
avec lui dans les campagnes , le suivre encore lorsqu'il
rentre dans son lit , disparoître enfin au moment où
un air brûlant corrompt les eaux , souffle la contagion
sur l'Egypte , et menace de changer en désert cette
fertile contrée ; mais le Nil , croissant de nouveau ,
ramène bientôt la fécondité et la vie , annoncées par
de nombreuses troupes d'Ibis , qui semblent le gage de
ses bienfaits. Au contraire , il voit le céraste redouter
les lieux habités , chercher des plaines sans végétation ,
où des sables échauffés par un soleil ardent exaltent
encore la violence de ses poisons , triste emblême de
la sécheresse , de la contagion et de la mort qui la
suivent. L'Ibis se plaît donc aux lieux où le céraste ne
pénètre jamais ; il fuit ceux dont ce redoutable reptile
a fait son empire . On aura donc pu croire que
l'Ibis avoit le céraste en horreur , et de là , par une
métaphore dont on trouveroit des exemples dans les
langues modernes , quoique bien moins hardies que
les anciennes , on aura dit qu'ils se livroient l'un à
l'autre de terribles batailles. Cette phrase , si propre à
peindre d'une manière énergique l'espèce de combat
qui se renouvelle chaque année entre la sécheresse et
FEVRIER 1806. 303
" •
l'humidité , entre la stérilité et la végétation , entre la
vie et la mort , dont ces deux animaux étoient réciproquemeut
le symbole ; cette phrase , retracée en
signes hieroglyphiques sur tous les monumens religieux
, n'aura pas manqué d'être bientôt prise au pied
de la lettre par un peuple ignorant et grossier. Dèslors
, est- il difficile de comprendre comment un préjugé
fortifié par le temps , autorisé en quelque sorte
par la religion même , et consacré à tous les yeux par
des signes respectés , sera devenu une opinion universelle
, comment cette opinion aura été adoptée sans
examen par les auteurs latins et grecs , qui n'écrivoient
que d'après des témoignages étrangers , ou tout au
plus d'après des traditions qu'ils avoient eux-mêmes
recueillies à la hâte dans un voyage lointain ?
Pour que cette explication paroisse encore plus
fondée , que l'on se rappelle que la plupart des récits
fabuleux de l'antiquité ne sont que des faits réels
déguisés sous un voile allégorique. L'imagination vive
et brillante de ces anciens peuples se plaisoit à multiplier
partout les images et les emblèmes. La nature
même de leurs idiomes , très -pauvres dans l'origine ,
inhabiles sur-tout à exprimer les idées métaphysiques ,
leur rendoit ces emblêmes nécessaires . Or , sous quels
traits les Egyptiens , dans leur écriture , ou plutôt dans
leur peinture hieroglyphique , auroient- ils pu mieux
représenter la contagion , qui n'est visible que par ses
effets , qu'en donnant des ailes à un reptile venimeux
qui empoisonne comme elle , qui , comme elle , se
glisse en tous lieux , et , à l'aide de ces ailes que lui
prête l'imagination , plane avec rapidité sur les contrées
qu'il désole ? Pouvoient- ils mieux figurer les
effets du fleuve bienfaisant , qui chaque année repousse
la mort dans les déserts qu'en plaçant ensuite
l'oiseau d'heureux augure qui vient annoncer ses
bienfaits . Il ne falloit pour cela que substituer l'effet à
la cause , et c'est ce qu'on fait tous les jours dans toutes
les langues. C'est ainsi qu'une explication simple et
"
304
MERCURE
DE FRANCE 9
heureuse suffit pour résoudre dans toutes ses parties
un problème compliqué , dont la solution paroissoit
presqu'impossible .
Telles sont les idées principales sur lesquelles repose
l'ingénieux système de M. Savigny . Nous ne le
suivrons pas dans une foule de considérations particulières
, qui toutes concourent à lui donner un plus
haut degré de vraisemblance . Il nous suffit d'en avoir
assez dit pour inspirer le desir de connoitre un ou−
vrage aussi érudit et aussi curieux .
quer
.
On peut se rappeler que l'opinion de l'auteur se
trouve en opposition avec celle de Buffon : il est donc
obligé de réfuter ce grand naturaliste , mais il le réfute
avec tout le respect qu'un élève doit à son maître .
Nous ne devrions peut- être pas lui en faire un mérite ;
Cependant il n'y a rien de plus commun aujourd'hui
que de voir des savans très – subalternes parler avec
peu de respect d'un homme qu'ils devroient tous
révérer , même en combattant ses erreurs , et qui a
répandu sur la science qu'ils cultivent tout l'éclat de
son génie . De minutieux observateurs qui auront
employé obscurément vingt années de leur vie à dissé
des insectes ou à décrire des mousses , ne peuvent
lui pardonner de s'être trompé sur quelques
petits faits particuliers parmi tant de grandes vues
répandues dans ses ouvrages. Ils voudroient que cet
aigle , du haut degré d'élévation d'où il planoit sur le
globe entier, eût exactement distingué tous les brins
d'herbe qui le couvrent. Ils oublient que pour réussir
dans leurs petites observations , il suffit d'avoir de
bons yeux , une patience à toute épreuve , et une
tête absolument dépourvue d'imagination et de pensées
, tandis qu'il faut un génie rare pour saisir les rapports
généraux qui unissent tant d'êtres divers , pour
en tirer des principes vastes et féconds , et un génie
plus rare encore pour développer ces principes dans
un langage toujours animé , toujours harmonieux , et
souvent sublime.
Le
1
4
EIN
DE
FEVRIER 1866 .
305
Le style de M. Savigny est loin sans doute de rea
nir constamment toutes ces qualités ; mais il escen
général simple et correct. On doit l'engager à eve
les longues périodes, qui sont souvent un défaut
quand la matière est purement didactique , parce
qu'il est rare qu'elles ne nuisent pas plus ou moins à
la clarté . On l'invite aussi à prendre garde de couper
ses raisonnemens par de petites remarques incidentes
qui en font perdre le fil , parce qu'elles ne s'y ratta
chent pas assez naturellement. A ces légers défauts
près , on ne lui doit que des éloges. Il faut sur-tout
lui savoir gré de n'avoir jamais pris un ton étranger
à son sujet. L'Egypte étoit un beau champ ouvert
à la déclamation , et beaucoup de prétendus imitateurs
de Buffon n'auroient pas manqué de nous faire
de grandes phrases sur les ruines et sur les pyramides
dans un livre où il ne falloit parler que d'un oiseau . ,
C.
:
Mémoires du comte de Bonneval , avec des notes ; par
par M. Guyot Desherbiers , ex - legislateur. Deux vol . in - 8 °.
Prix 9.fr. , et 12 fr. par la poste . A Paris , chez Capelle
el Renand , libraires , rue Jean -Jacques Rousseau , près la
Poste ; et chez le Normant , imprimeur - libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain l'Auxerrois , n . 17 .
L'HISTOIRE du comte de Bonneval , né français dans un état
illustre , et mort türe dans l'obscurité , nous offre un exemple
mémorable des suites funestes d'une éducation négligée et
d'un caractère insociable . Les mémoires romanesques dans
lesquels est mêlée cette histoire , n'ont pas même été compo-..
sés pour la défense de sa réputation : la cupidité toute seule
a réuni¹ les pièces publiques d'une tracasserie célèbre ; quelque
secrétaire ou quelque valet- de- chambre aura donné des
notes sur la vie privée du héros ; et tout cela , joint à ses
aventures déjà connues , et à celles qu'il a plu au romancier
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
d'inventer , aura formé ce qui passe dans le monde pour les
Mémoires du comte de Bonneval , qu'on suppose avoir été
écrits de sa main à Constantinople , dans le courant de l'année
1736 , parce qu'ils furent publiés en France l'année suivante .
A ce fatras de faits mutilés ou imaginés à plaisir , pour alimenter
la curiosité des oisifs , le nouvel éditeur vient d'ajouter
encore des fragmens d'autres prétendus mémoires , imprimés
en 1740 et 1741 , quoiqu'il les regarde lui -même comme apocryphes
; quelques lettres inédites de J. B. Rousseau , qui
paroissent authentiques , et un amas insupportable de notes ,
qui , selon lui , augmentent tout l'ouvrage d'un tiers . Mais il
auroit pu tout aussi bien l'enfler sans aucune mesure ; car
dès qu'on s'écarte de son sujet sans motif raisonnable , il n'y
a plus de raison pour jamais s'arrêter : Currente rotá , cur
urceus exit ?
Quoi qu'il en soit de ces conjectures , et de quelque force
que soient les raisons dont on va les appuyer , il reste toujours
certain que l'histoire du comte de Bonneval , réduite à ses
faits principaux , pourroit offrir quelqu'intérêt et beaucoup
d'instruction pour la conduite : ce seroit la matière d'un petit
volume fort utile à ces esprits violens qui n'estiment que
l'audace militaire , quoique cet'e qualité ne soit pas rare.
Les commencemens du comte de Bonneval font bien voir
quelle étoit autrefois l'insouciance de certaines familles.
A l'âge de treize ans il séduisit une jeune fille qui avoit
accès chez ses parens ; sa mère ne fit qu'en rire , et elle
ne songea qu'à le dégager des promesses qu'il avoit faites à
cette fille. Que pouvoit - il sortir d'une pareille école ? L'effervescence
des passions est incompatible avec la tranquillité
d'esprit nécessaire à l'étude ; mais pour s'étourdir , ou pour
apaiser le cri de la conscience , les hommes ardens ont besoin
de beaucoup d'exercice . De là le dégoût du jeune de Bonneval
pour tout travail spéculatif , et son ardeur pour le mouvement.
Tout le fruit et l'instruction de ses premières années , fut
d'avoir appris à bien monter à cheval. A dix-huit ans il fit
ses premières armes à Fleurus , sous le maréchal de Luxembourg.
Il est fort inutile de savoir ce que c'est que les mathéFEVRIER
1806. 307
matiques et le génie , quand on ne veut qu'obéir , et sabrer à
droite et à gauche dans une bataille ; il ne faut qu'une certaine
force physique , de l'adresse et de la bravoure . Le comte da
Bonneval posséda ces qualités dans un degré supérieur ; et
comme il se sentoit foible du côté des connoissances acquises ,
il étoit obligé , pour se distinguer du simple fantassin , de
faire des prodiges de valeur ; il sentoit bien aussi que la licence
de ses moeurs avoit besoin d'être effacée par quelques actions
d'éclat. En un mot , appelé , par sa naissance et par son ambition
, au commandement suprême , mais incapable d'acquérir
les connoissances qui y conduisent , il crut pouvoir les suppléer
par de l'audace. Il se trompa : chez les natious civilisées ,
la science militaire fait les généraux , la bravoure fait les
soldats.
Il rendit cependant un service signalé dans la bataille de
Luzara. Au moment où les troupes du prince Eugène chargeoient
l'infanterie française , au - dessous de la digue du Zéro,
le comte de Bonneval , alors simple colonel , accourut et rangea
sur une ligne tout ce qui se trouvoit sous sa main ; il
soutint , à la tête de ces braves , la première charge des Impériaux
, et , par sa résistance , il donna , dit- il , le temps aux
autres troupes d'arriver et de se mettre en bataille . Il ajoute
que le prince Eugène lui a dit vingt fois depuis , qu'il lui avoit
arraché des mains une victoire qu'il croyoit assurée . Mais
sans vouloir diminuer le prix de cette action , cet éloge étoit
plutôt dicté par la politesse que par la vérité ; car le prince
Eugène qui avoit le dessein de surprendre l'armée française ,
une fois découvert , comme il le fut par hasard , ne pouvoit
plus compter sur une victoire qui dépendoit du succès de sa
ruse .
"
A la fin de la campagne , il y eut une grande promotion :
c'étoit la seconde qui se faisoit depuis que le comte étoit au
service. Il avoit souffert avec une sorte d'impatience qué son
nom ne se trouvât pas sur la première liste ; mais il re put
supporter qu'on ne le vît pas sur la seconde. Il alla trouver le
secrétaire d'état Chamillard , qui lui répondit qu'au jugement
du rọi la yaleur n'étoit pas un titre suffisant pour avancer ,
V 2
308 MERCURE DE FRANCE ,
neur ,
qu'il falloit y joindre des moeurs et de la conduite . ( I est
bon de savoir qu'alors le comte étoit marié , et qu'il rendoit sa'
femme horriblement malheu euse . ) Il se retira la rage dans
le coeur ; et , plutôt que de rentrer en lui - même et de renoncer
à ses détestables pratiques , il aima mieux sacrifier son honson
nom , son état , sa femme et sa fortune , en désertant
ses drapeaux et en se livrant aux ennemis de la France . Il
demanda des passeports , et donna sa parole d'honneur qu'il
n'avoit pas d'autre intention que de voyager . Il emporta la
caisse des contributions , et alla s'offrir au prince Eugène .
On lui fit son procès en France , et la peine capitale fut prononcée
contre lui .
"
Les étrangers ne manquent jamais , dans un temps de guerre
sur-tout , de profiter des trahisons : on déteste la perfidie et
on accueille les traîtres . Le comte de Bonneval ' avoit acquis
quelques connoissances locales qui pouvoient être utiles , et ,
de plus , c'étoit un fort bon grenadier dont on pouvoit se
servir. Le prince lui fit avoir un régiment , qu'il composa d'e
déserteurs français. On l'exposa , comme c'est la coutume ,
dans toutes les rencontres , et ce corps fut haché par les Turcs
à Péterwaradin , où le comte se défendit comme un lion ,
avec deux cents hommes séparés du reste de sa troupe : il en
fit un petit bataillon carré , qui soutint l'effort de tout ce qui
l'entouroit. Il fut bien ôt réduit à un très-petit nombre de
guerriers ; mais comme on ne fait point de prisonniers chez
les Turcs , il fallut bien songer à la retraite il l'entreprit ,
et , à la tête de vingt- cinq hommes , il tenta le passage au
travers d'un baꞌaillon de janissaires. Il eut le bonheur de
s'en tirer , couvert de sueur , de sang , de blessurés et de
gloire. C'est dans ce combat qu'il reçut un coup de lance , et
qu'il tua d'un coup d'épée celui qui l'avoit blessé . J. B.
Rousseau n'a pas oublié ce trait , dans sa belle ode sur la
bataille de Peterwaradin :
"
Quel est ce nouvel Aleide ,
» Qui , seul , entouré de morts
>> De cette foule homicide ,
» Arrête tous les efforts ?
V FEVRIER 1806.: 309
C
>> A peine un fer détestable
» Ouvre son flano redoutable
» Son sang est déjà payé :
» Et son ennemi qui tombe ,
>>
De sa troupe qui succombe ,
» Voit fuir le reste effrayé. »
་ ་ ་་་
N'est-il pas bien déplorable qu'un courage si héroïque ne fût
pas accompagné des talens et des qualités qui font les grands
hommes ? Et combien ne dut - on pas gémir alors sur la première
éducation de cet honime , que son ardeur emportoit toujours
vers un but qu'il ne pouvoit atteindre ? Il avoit cependant
obtenu le titre de lieutenant feld - maréchal au service de
l'Empire ; mais ce poste ne pouvoit satisfaire son ambition ; il
se croyoit en état de commander en chef, et il se comparoit
volontiers aux plus grands généraux de son temps . L'igno
rance est présomptueuse et légère. Dans ses comparaisons : il
trouvoit que l'art paroissoit trop à découvert dans les opéra →
tions du maréchal de Calinat , que le maréchal de Villeroy ne
savoit pas choisir un camp , que le maréchal de Boufflers ne
pouvoit pas commander plus de dix ou douze mille hommes ,
et que la réputation du maréchal de Villars étoit un peu audessus
de son mérite. C'étoit se juger lui- même supérieur à
tous ces capitaines : car on se croit toujours exempt des défauts
que l'on remarque dans les autres. Une idée si avanta
geuse de sa personne et de son mérite , devoit naturellement
lui inspirer de hautes prétentions , que son bonheur à la guerre
venoit encore fortifier. Dans une telle disposition d'esprit , il
étoit impossible de le contenter jamais il auroit même élé
dangereux de l'entreprendre à l'égard d'un transfuge , sur les
intentions duquel il neste toujours quelques inquiétudes . Il
essuya donc des refus lorsqu'il sollicita une augmentation de
pouvoir. Il s'irrita , parce qu'au fond il sentoit bien qu'on lui
rendoit justice ; il voulut encore l'emporter de haute lutte ;
et s'il ne traita pas le prince Eugene , son protecteur , comme
il avoit traité Chamillard , c'est que le mauvais succès de sa
première faute le rendoit un peu moins audacieux . Le prince
s'aperçut de son mécontentement; et comme il connoissoit
3
310 MERCURE DE FRANCE ,
sa mauvaise tête , il l'envoya en Flandre avec son régiment ,
pour y faire les fonctions de général de l'infanterie : c'étoit
l'exiler , puisqu'il n'y avoit rien à faire sur ce nouveau théâtre,
et sa turbulence ne pouvoit s'accommoder d'un état de repos.
Il y avoit alors pour sous- gouverneur des Pays -Bas , à
Bruxelles , un nommé Prié , qui étoit la créature du prince
Eugène. Le comte de Bonneval en avoit reçu des services
auprès de leur commun protecteur , et la reconnoissance devoit
lui rendre sa prospérité agréable ; mais malheureusement
il se considéroit comme disgracié , tandis que l'autre étoit en
faveur. Il ne put souffrir cette sorte d'humiliation ; il chercha
l'occasion de se venger , et elle s'offrit bientôt d'elle - même.
Dans ce même temps , il courut à Bruxelles un bruit sur une
aventure arrivée à la reine d'Espagne , qui étoit fille du
Régent , et ce bruit fut répété comme par écho dans la maison
du sous-gouverneur. Le comte de Bonneval , qui préten.
doit tenir à la princesse par des liens de parenté , saisit cette
occasion d'attaquer son ennemi , parce qu'en même temps il
se flattoit qu'il trouveroit de l'appui en France et en Espagne
, pour s'être déclaré le champion d'une tête couronnée.
Il accusa donc publiquement Prié , sa femme et sa fille
d'être les seuls auteurs de cette nouvelle fabuleuse ( 1 ) , et il
fit circuler dans la ville des billets , par lesquels il traitoit
tous ceux qui le répétoient de coquins , de carognes , et quelque
chose de pis encore : tant la vengeance est basse et aveu→
gle ! Prié rendit compte à la cour de Vienne du scandale
occasionné par les imprudences du comte. Celui - ci fit et imprima
de longs et ennuyeux mémoires , pour prouver qu'il·
avoit eu raison de défendre une chose dont personne ne se
soucioit. On le traita de fou , de visionnaire , de chevalier
digne de figurer dans les romans de l'Arioste ; on ne le crut
pas , parce qu'un homme qui se vantoit de déshonorer toutes
les femmes , et qui les livroit brutalement à la fureur de leur
(1) On disoit qu'un amant avoit été trouvé dans la chambre de la reine ;
qu'on l'avoit poignardé et jeté par les fenêtres,
FEVRIER 1806. 311
mari après les avoir abusées , ne méritoit pas qu'on le prît
pour le défen seur des dames et le redresseur des torts qu'on
vouloit faire à leur honneur. Le prince Eugène , qu'il attaquoit
aussi dans son représentant , ne fut point sa dupe , et
tout le monde l'abandonna . Lorsque Prié eut bien fortifié son
parti , dans le silence d'une conduite réfléchie , il répondit aux
invectives du comte par un ordre de se rendre à la citadelle
d'Anvers et de s'y constituer prisonnier. Cet ordre l'étourdit
singulièrement : il avoit pensé que la popularité dont il
jouissoit le mettoit à l'abri d'un procédé de cette nature ;
peut-être pensa-t-il à s'en servir pour le parer. C'est assez ce
qu'annonceroit l'accablement qu'il fit paroître après qu'il eut
vu quelques mouvemens de la bourgeoisie qui sembloient
l'inviter à la rebellion. Il se hâta néanmoins de partir , comme
s'il avoit voulu s'ôter sur -le - champ les moyens de rien entreprendre
, dans la crainte de se perdre entièrement , ou bien
pour donner à la cour de Vienne une haute idée de son pouvoir
et de sa modération .
Il n'est pas commun dans ce monde qu'on tienne compte
à qui que ce soit du mal qu'il n'a pas fait. La cour de Vienne
qui n'avoit plus besoin des services de ce brouillon , et qui
ne vouloit pas le craindre , le laissa languir pendant quinze
mois dans les prisons d'Anvers. On l'accusa d'avoir cherché
de nouveaux appuis en France , et d'avoir voulu y rentrer ave6
son régiment. Ce n'étoit pas sans quelqu'apparence de raison ,
puisque le Régent , qui aimoit beaucoup ses pareils , ne s'étoit.
pas contenté de faire casser la sentence qui le condamnoit à
mort , mais lui avoit permis de poursuivre le recouvrement
de sa fortune contre son frère , à qui elle avoit été aban
donnée , et lui avoit même écrit pour lui offrir un état
égal à celui dont il jouissoit dans les possessions de l'Autriche.
Lorsque ce protecteur fut mort et qu'on pût croire qu'il n'en
trouveroit plus nulle part , on lui signifia de se rendre à
Vienne , et de s'abstenir de passer par aucune ville des Pays
Bas. Le projet étoit de le traiter encore avec douceur ; et s'il
avoit suivi exactement les ordres qu'il avoit reçus , ses amis
se flattoient d'avoir disposé les esprits d'une manière assez
312 MERCURE DE FRANCE ,
favorable pour n'avoir rien de fâcheux à craindre. Mais il
déconcerta toutes leurs mesures , en se rendant à la Haye , et
entrestant un mois entier hors de la puissance de l'Empereur.
Gette seule imprudence suffisoit pour justifier tous les soupçons.
Il en ajouta une autre , qui le perdit sans ressource . Il
imagina qu'il était possible d'intimider le prince Eugène ,
qu'il regardoit alors comme son plus mortel ennemi ; sa tête se
perdit , et il proposa au prince de se battre en duel. Après qu'il
eut fait cette folie , il délibéra encore s'il iroit à Vienne ; et
comme jusque -là il s'étoit toujours conduit au rebours du
bon sens et de la raison , il n'eut garde d'y manquer dans une
circonstance où il y alloit de sa vie. Dès qu'on le sut arrivé
auprès de Vienne , au mois de janvier 1725 , on le fit arrêter
et conduire au château de Brunn en Moravie. On lui fit subir
quelques interrogatoires , et , peu de jours après , le su
prême conseil de guerre le condamna à mort. Mais l'empereur
commua la peine en une année de prison , et en un bannisse
ment perpétuel de ses états .
Le coup étoit terrible le malheureux comte ne s'y attendoit
pas ; ilen fut frappé comme de la foudre , et il se livra
long- temps au p'us violent désespoir. Il se calma cependant ,
set il attendit en paix le moment où il devoit recouvrer la
liberté.
Ce moment arriva plutôt encore qu'il ne l'avoit souhaité ,
puisqu'il alloit se trouver dans un monde nouveau , sans
emploi , sans argent , sans ressource d'aucune espèce. Oh ,
qu'il dut alors jeter un triste regard sur ses jeunes années si
mal employées ; sur sa patrie , qui lui présentait un si riant
´´avenir , et qu'il avoit trahie ; sur sa ma'heureuse épouse ,
dont il avoit si indignement trompé l'espérance !
Il tourna ses pas incertains du côté de Venise , où il eut
le bonheur de recevoir d'une main inconnue une somme de
10,000 fr. c'étoit beaucoup pour un homme qui manquoit de
tout. Il tâcha d'obtenir quelqu'emploi dans la république ;
mais on lui répondit que tons ceux qui lui convenoient étoient
occupés. Il sentit ce que cela signifioit , et il comprit' qu'il
`n'y avoit plus rien à faire pour lui chez les peuples civilisésa
SOX FEVRIER 1806. 313
" La conséquence n'étoit pas difficile à tirer pour un hommequi
n'avoit ni foi ni loi. Se faire Ture , ou changer son chapeau
contre un bonnet de nuit , étoit pour lui la même chose .
Il se rendit à Constantinople , où il prit le turban. 'La sublime
-Porte tira delui tous les renseignemens et toutes les instructions
qu'il pouvoit lui donger. Il vendit , pour la seconde
fois , sa patrie et les secrets de la taétique européenne. Dans
plusieurs guerres il aida les Turcs de ses conseils , jamais
de sa personne ; et lorsque la paix fut bien établie , on le
récompensa de ses services par le gouvernement de l'île de
-Chio : espèce d'exil , dans lequel il mourut à l'âge de 75 ans.
3. Les mémoirés qu'on lui attribue , quoiqu'écrits d'un style .
de grenadier, comme le dit le nouvel éditeur , ne sont pas plus
de lui que les deux ou trois épisodes où l'on trouve l'histoire
d'une Anglaise , d'une Allemande et d'une Française , écrite
par elles- mêmes , et cette histoire n'a pas plus été écrite par
ces êtres de romans que tout le reste des deux volumes. Partout
c'est la même main , excepté dans quelques pièces relatives
à la querelle entre le comte et le gouverneur Prié.
Celles-ci se distinguent ou par des grossièretés ou par du
galimatias , et il est aisé d'en reconnoître l'auteur . Les autres
pièces ont été rédigées par une main étrangère , et il y en a
quelques- unes qui ont été faites après coup , dans la seule vue
d'enfler un peu le roman. Toutes ces pièces , au surplus ,
sont répétées jusqu'au dégoût , et il est impossible d'en lire
seulement la moitié .
?
! . L'auteur a tellement négligé les moyens de faire illusion ,
qu'il oublie , pendant cinq ou six pages de suite , que c'est
le comte qui parle , et qu'il se met lui-même à raconter son
histoire ; qu'il lui fait débiter mille sottises sur les Turcs
dont la moindre l'auroit fait empaler cent fois ; qu'il le fait
circoncire aussitôt son arrivée à Constantinople , tandis qu'aujourd'hui
le nouvel éditeur publie une lettre de Bonneval ,
dans laquelle il déclare qu'il a été retenu quinze mois aux
arrêts avant de pouvoir se déterminer à prendre le turban ;
qu'il le tient toute une année dans les prisons de Bruon
tandis que maintenant M, Guyot Desherbiers prétend qu'il
>
314 MERCURE DE FRANCE ,
s'échappa au bout de six mois ; qu'il a tout- à - fait oublié
comme il l'avoit prévu d'ailleurs , de parler de ses hauts faits
à la bataille de Peterwaradin , tandis qu'il se souvient si bien
des plus petites choses qui lui sont arrivées bien long- temps
avant ; et qu'enfin il le transporte dans un gouvernement septentrional
de la Turquie au moment de la révolution arrivée
dans Constantinople eenn 11773300 ,, tandis que , dans les fragmens
des nouveaux Mémoires , on le fait guerroyer dans l'Arabie
Pétrée. Je ne sais si M. Guyot Desherbiers a vu toutes ces
contradictions et ces inconvenances ; mais je puis bien assurer
que , quand même il les auroit fait disparoître , il en resteroit
encore suffisamment pour nous autoriser à croire que le
comte de Bonneval , qui ne voyoit pas un seul Français en
Turquie , et qui avoit rompu tous les liens qui l'attachoient
à son pays , n'a jamais pu penser qu'il se justifieroit aux yeux
de ses compatriotes avec des aventures romanesques et des
déclamations furieuses et insensées . G.
VARIETÉS.
"
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
La seconde édition du poëme de LA NAVIGATION , par
M. Fsménard , vient de paroître ( 1 ) : elle est dédiée à S. M. I.
et R. , qui a daigné en agréer l'hommage. L'auteur a fait des
changemens considérables : le poëme d'abord en huit chants ,
n'en a plus que six. Dans un prochain numéro , ces changemens
seront l'objet d'un examen particulier. M. Esménard
termine ainsi l'avertissement dont il fait précéder
cette nouvelle édition : « J'aurois voulu la présenter au pu-
» blic , corrigée de toutes les fautes qui l'avoient frappé dans
La Navigation , poëme en VI chants ; par 3. Esménard , seconde
édition . Un vol . in - 8° . , deux fig . Prix : pap. fin , 7 fr . 50 c .; pap. vélin ,
15 fr. 50 c. par la poste.
A Paris , chez Giguet et Michaud , imprimeurs libraires , rue des Bons-
Enfans , nf. 34; et chez le Normant.
FEVRIER 1806. 315
» la première ; j'ai fait tout ce qui dépendoit de moi pour
>> rendre l'ouvrage plus digne de l'intérêt qu'on m'a témoigné;
j'en ai rectifié le plan ; j'ai fait disparoître les épisodes inu-
» tiles ; j'ai tâché de donner à l'ensemble et à la marche du
>> poëme plus de mouvement et de rapidité ; j'ai ajouté quel-
>> ques vers ; j'en ai changé beaucoup ; j'en ai supprimé da-
» vantage. Sans doute il y reste de nombreux défauts ; mais
>>> cet ouvrage a traversé des temps malheureux. Né dans les
» orages d'une vie errante et persécutée , il conserve l'empreinte
d'une jeunesse imprudente , qui n'a point encore
» trouvé le repos. La fidélité des couleurs locales qu'on a
>> remarquées dans la description de tant de pays différens ,
» avantage acheté par mille souffrances , atteste du moins que'
» ce poëme n'a pas été composé dans les loisirs d'un bonheur
>> tranquille et dans l'asile solitaire où doivent mûrir les fruits
» du talent. Il porte à la fois la date du tems où je l'écrivois
>> sans espérance , et celle de l'époque où j'ai pu le publier
>> sans danger : j'ai cru ne devoir altérer ni l'un ni l'autre. »
-
Encore quatre nouveaux volumes d'oeuvres posthumes
de Marmontel ! Ils contiennent une GRAMMAIRE , une LOGIQUE,
une MÉTAPHYSIQUE , une MORALE . Ces différens ouvrages sont
compris sous le titre général de Leçons d'un Père à ses Enfans.
( 1 ) Nous en rendrons compte très- prochainement.
Les professeurs de l'école spéciale de peinture et sculpture
ont adjugé les prix de la tête d'expression , fondés par le
comte de Caylus ; savoir , celui de sculpture à M. Rutxhiel ,
sculpteur , né dans le département de l'Ourthe , élève de
M. Houdon ; et le prix de peinture à M. Guillemot , peintre ,
né à Paris , élève de M. David.
-M. Rétif de la Bretonne , auteur du Paysan perverti , des
Contemporaines , de la Malédiction paternelle , et d'environ
cent cinquante volumes de romans , vient de mourir à Paris ,
dans la plus profonde misère. Le Paysan perverti est le seul
(1) Quatre vol. in-12. Prix : 12 fr. , et 15 fr. par la poste.
A Paris , chez Xhrouet , rue des Moineaux ; et chez le Normant,
316 MERCURE
DE FRANCE
,
de ses nombreux ouvrages où l'on trouve quelques étincelles
de talent.
-La société d'encouragement à tenu le 29 janvier dernier,
une séance générale , dans laquelle elle a décerné deux médailles
d'or , de 500 fr. chacune , à MM . Poitevin-Maismy ,
préfet du département du Mont- Blanc; et Poiseré de Ceré ,
secrétaire de la société d'Agriculture du départem. des Landes,
comme ayant présenté les plus beaux échantillons de laine de
troupeaux indigènes croisés avec la race espagnole. Une mé→
daille d'encouragement de la valeur de 400 fr. , a été décernée
à M. Duplat, graveur , demeurant à Paris , rue des Maçons ,
n°. 20 , comme ayant donné des preuves d'un talent distingué
dans son art , et parce que la société croit devoir encourager
l'art de la gravure en bois . Deux médailles d'encouragement
de la valeur de 100 fr. chacune , ont été décernées , l'une à
M. Roussilly , propriétaire à la Malle - Vieille , départem ent
du Cantal , comme ayant introduit la culture de la carotte en
grand , dans un pays où elle n'étoit pas pratiquée ; l'autre à
M. Boiteux , bonnetier de Paris , rue du Brave , au bout de
la rue de Tournon , comme ayant fabriqué le premier en
France , l'espèce de tricot connu en Angleterre sous le nom
de bonneterie à toison , et destiné à soulager ceux que les
rhumatismes ou la goutte obligent de se vêtir chaudement.
--
La société d'agriculture de Châlons- sur-Marne a , dans
sa dernière séance publique , rappelé la question qu'elle
avoit précédemment proposée pour sujet du prix que la so→
ciété décernera dans sa prochaine séance' publique , le 16 août
prochain . Est- il de l'intérêt de l'agriculture en France , que
» la quotité de l'impôt foncier soit déterminée pour un cer.
» tain laps de temps ( cinquante ans , par exemple ) , et fixée
» par une loi irrévocable , à laquelle nulle circonstance pré-
» sumable ne puisse porter atteinte ? » Le montant du prix
sera une médaille de la valeur de mille grammes d'argent,
Dans la même séance , M. le préfet , président né de la société
, a annoncé qu'un crible ventilateur à cylindre , de
M. Josse, ayant obtenu la préférence sur toutes les autres machines
, son utilité étant constatée , la société décernoit à son
FEVRIER
319
806.
auteur une médaille de deuxième classe , comme prix d'encou
ragement .
-
La société d'agriculture du département du Nord ,
séante à Douai , a proposé pour sujet d'un prix qu'elle décernera
dans le mois de mai prochain , cette question : « Quellé
méthode de propager , élever , nourrir et renfermer les moutons
de la race existante dans le département du Nord , doit
être suivie dans ce département , pour obtenir de ces animaux
une laine égale en qualité aux meilleures laines fournies par les
moutons d'Angleterre ? » Le prix sera une médaille d'or de
la valeur de 150 fr. Les mémoires seront envoyés au secré¬
taire de la société avant le 1º . avril.
Nota. Croiser les races des moutons flamandes , espagnoles
ou anglaises , en se procurant des béliers tirés de l'Angleterre
ou du troupeau de Rambouillet , est un moyen d'améliorer la
laine des moutons de la Flandre. Ce moyen est facile à indiquer
, mais il ne peut être employé que par des cultivateurs.
en état de faire des avances qui excèdent les facultés d'un
grand nombre. D'ailleurs , c'est moins en modifiant la constitution
des moutons flamands qu'en en changeant la race ,
qu'ils procureroient des laines de meilleure qualité. Ce que la
société desire particulièrement , c'est l'indication d'un régime
qui améliore la laine de l'espèce flamande. S'il est un croisement
facilement praticable et peu dispendieux qui puisse seconder
le régime , il est sans doute convenable de le faire. Indiquer
le croisement seul , pour moyen d'amélioration , ce
seroit laisser sans réponse la partie la plus essentielle de la
question.
- La société des sciences et arts. de Mâcon propose , pour
sujet du prix qu'elle distribuera à la première séance de janvier
1807 , « de déterminer si les plantations de vignes destinées
ne produire que des vins communs et faites dans des terrains
propres à d'autres cultures , sont avantageuses ou nuisibles au
département de Saône et Loire et à celui de la Côte - d'Or. »
La question sera traitée sous le double point de vue de l'intérêt
général et de l'intérêt particulier. Le prix est une mé¬
daille d'or de 300 fr. Les mémoires seront adressés , avant le
318 MERCURE DE FRANCE ;
15 octobre , à M. le maire de Mâcon , ou au secrétaire perpétuel
de la société.
-On parle avec éloge d'une mécanique exécutée par
M. Faveret , horloger à Morey , département de la Haute-
Saône. C'est une pendule à huit cadrans détachés qui marquent
les heures , les minutes , les secondes , les noms et jours des
mois , les années communes et bissextiles , les mois et quantièmes
perpétuels , le lever et le coucher du soleil pour chaque
jour , l'équation de chaque jour , et le temps moyen au midi
vrai , l'entrée du soleil dans chaque signe du zodiaque , les
phases , l'âge et le mouvement périodique de la lune. La simplicité
de cet ouvrage en fait le principal mérite .
Le fameux Codex aureus n'est pas le seul manuscrit
précieux qui ait été transporté , de la bibliothèque du chapitre
de Bamberg , à Munich. Il faut y joindre quatre livres
d'Evangiles et un Missel du onxième et douzième siècles , sur
parchemin blanc , d'un beau caractère , et très-bien conservé.
La reliure est ornée de perles et de pierres précieuses dans un
encadrement d'or massif, et de petits reliefs en ivoire , représentant
differens traits du Nouveau Testament.
-Les journaux de Leypsick annoncent qu'on vient d'y
mettre sous presse les trois premiers volumes de l'Histoire
des Suisses , nouvellement refondue par Muller; les 4 et 5º yolumes
paroîtront en même temps à Pâques.
Il paroît à Pétersbourg un nouvel ouvrage plutôt de
gravure que de littérature , intitulé : Le Panthéon dés souve→
rains de la Russie. Cette collection présentera un abrégé historique
et chronologique de la vie et des exploits des grandsducs
, des czars , des empereurs russes , de leurs épouses et de
leurs enfans , depuis l'an 862 après Jésus-Christ , jusqu'à
l'empereur actuellement régnant. On y trouvera aussi des
notions sur les différentes formes du gouvernement russe ,
les troubles qui ont désolé l'empire , sur les généraux qui l'ont
illustré. C'est M. le conseiller Philipowsky qui en est l'auteur ,
et qui le fait imprimer à ses frais pour l'instruction de la
jeune noblesse russe. Il en a paru deux livraisons formant un
volume in-folio.
sur
FEVRIER 1806. 319
T - La société des Sciences et Arts de Goërlitzferce a mis au
concours les deux questions suivantes : « 1 °. Pourquoi , par
un temps clair et serein , gèle-t-il , quand le thermomètre de
Réaumur est à 3 ou 4 degrés au-dessus de zéro, et ne gèle-t-il
qu'à zéro par un temps nébuleux ? 2° . Trouver et rassembler
dans les ouvrages de Plante tout ce qui a rapport à la connoissance
des hommes ou des choses de son temps , et mettre
ces matériaux en ordre , de manière à pouvoir se procurer un
tableau de la civilisation et des moeurs contemporaines. >>
H résulte du compte que MM. Nauche et Toulet ont
rendu , le 6 février deruier , des travaux de la société Galvanique
pendant le cours des années 12 et 13 ( compte que l'on
trouve en entier dans le Moniteur du 13 février ) , il résulte ,
disons-nous , que le galvanisme forme déjà un corps de doctrine
et ne peut manquer de prendre bientôt des accroissemens
rapides. Cependant on n'a point encore précisé les points
d'identité ou de différence qui peuvent exister entre le galvanisme
et l'électricité, ni les points de contact que quelques anteurs
ont cru pouvoir supposer entre ces deux agens et le magnétisme.
On n'a point décidé encore si les fluides , tant
électrique que galvanique , sont partie intégrante ou constituante
des attributs de la vitalité ; on n'a point assez analysé
l'influence de l'oxidation dans le développement des phénomènes
galvaniques ; on n'a point expliqué pourquoi la pile
plongée dans la flamme , dans la fumée , dans le vide , conserve
son énergie et en retient même une légère partie dans l'eau .
Le monde par lequel s'opère la décomposition de l'eau n'est
pas mieux connu ; ni le degré , ni la durée de l'excitabilité
du coeur , des intestins , de la vessie , de la matrice dans
l'état de gestation , n'ont été encore assignés avec précision ;
l'on peut même justement révoquer en doute , sinon la différence
d'énergie entre l'action des deux pôles de la pile , du
moins l'existence de leurs effets secondaires , tels que ceux des
faveurs acide , alcaline , des sensations de couleurs bleues ,
pour un pôle, et rouge pour l'autre, annoncés prématurément
par plusieurs auteurs. On peut d'autant moins déterminer
l'influence de l'agent galvanique sur les fluides animaux et
320 MERCURE DE FRANCE ,
sur la végétation , que les procédés mis en usage par les au
teurs de ces différens essais , pèchent essentiellement en ce que
tes observateurs n'ont pas suffisamment distingué les effets
galvaniques proprement dits , de l'effet présumé de l'oxide
des conducteurs dont ils se sont servis.
MM. Chaptal et Cuvier ont été nommés membres de la
Société des Sciences de Copenhague.
----
M. Fischer , de Vienne ( Antriche ) , a trouvé un nou→
veau procédé pour le blanchiment de la paille . Au lieu de la
soufrer à l'étuve comme ou le faisoit avant , il la trempe dans
de l'acide muriatique saturé de potasse . La paille blanchie par
le procédé de M. de Fischer , ne jaunit jamais , et peut soutes
nir la comparaison pour le degré de blancheur ; elle acquiert,
en outre, une grande flexibilité.
--- M. Huth , conseiller de cour , à Francfort-sur-l'Oder ,
adécouvert, le 22 novembre, à 7 heures du soir, une nouvelle
comète dans Andromède. A 8 heures son ascension droite
étoit 11 degré 10 minutes ; sa déclinaison , 35 degré 20 mi
nutes. Le 25 , à la même heure , elle étoit à 10 degrés 37 minutes
d'ascension droite , et à 34 degrés 40 minutes de déclinaison
, c'est-à-dire , qu'elle étoit avancée de 45 minutes au
aud. A l'oeil nu , elle paroit comme une tache moins lumineuse
que la grande tache d'Andromède , dont elle est éloignée
de 5 degrés au sud. Au télescope , elle paroît comme
une belle planète très-lumineuse. Comme elle s'approche du
soleil , sa grandeur apparente croîtra . Elle prend sa direction
vers l'aile de Pégase.
t
L'administration de la Société de Charité Maternelle a rendu compte ,
dans l'assemblée du 9 janvier, de la situation de cet établissement , formé
en 1784 , que les orages de la révolution avoient forcé de suspendre , et
heureusement rétabli depuis environ cinq ans. Voici un extrait de će
compte : La société a admis cette année. 500 mères à la distribution de
ses secours : la totalité de ses enfans adoptifs , depuis son rétablissement
est de 2130. La société a donné , dans le compte de l'an 13 , le résultat
de ses deux premières années : celui qu'elle vient de publier offre le complé
ment des comptes de la troisième et quatrième années . Voici ce dernier :
Dans le courant de la quatrième année , la société a admis 500 mères , qui
ont donné naissance à 511 enfans . Cent-quarante -quatre garçons et cent- cinquante-
ix
FEVRIER 1806 .
321
quante-six filles ont cessé d'être asssistés par la société, les enfans ayant quinze
inois . Cinquante-un garçons et quarante - cinq filles n'ont pas encore atteint
jeurs quinze mois . Trois garçons et six fil es ont été mis en nourrice par leurs
parens. La société n'a perdu , dans le courant de ces quinze mois , que qua¬
rante-huit garçons et cinquante- neuf filles . Une observation intéressante pour
les bonnes mères que nous offre ce compte , c'est que la société a eu le
bonheur de conserver près des trois quarts de ses enfans jumeauk ; ce qui
est très- rare , même parmi les parens qui ont le p'us de moyens pour
soigner leurs enfans . Sur dix femmes qui ont donné le jour à vingt et un
enfans ( douze garçons et neuf fi'les ) , il n'en est mort que six , quatre
garçons et deux filles : dans ce nombre , il y avoit trois garçons d'une
seule couche , qui n'ont vécu que cinq ou six jours ; six mères avoient
conservé, chacune leurs deux enfans à l'époque de leurs quinze mois , où
la société , a cessé de les assister ; les trois autres en avoient conservé
chacune un. On fera observer encore combien la mortalité est moins
considérable parmi les enfans de pauvres familles que la société a le
bonheur de pouvoir secourir ; et elle a la consolation , quand elle est
obligée de cesser ses dons , de laisser presque tous les enfans avec une
bonne constitution et une santé qui leur promet un avenir plus heureux.
Plusieurs mères ont consen i à faire vacciner leurs enfans , et elles en cnt
été assez satisfaites pour que leur exemple , l'encouragement qu'elles
donneront elles -mêmes à d'autres mères , doivent amener à cet égard un
changement bien salutaire . Le total de la recette de l'année , jusqu'au
premier janvier 1806 , est porté dans ce compte à 59,699 fr .; les dépenses
, à 57,963 . Cet excédant de la recette sur la dépense , joint aux
retours et économies qui ont eu lieu dans le courant de cette année •
forme une. somine de 10,591 fr ,, qui , réunie à celle que les souscripteurs
zélés ont déjà bien voulu renouveler , donne la possibilité d'ouvrir , dès
ce jour même , un partage de 100 pla es à raison de 128 fr. pour chaque
mère. Il résulte de cet état de recette et de dépense pour la cinquième année
dont on vient d'offrir l'extrait , que la société a pu admettre à ses secours
500 mères : 420 ont donné naissance à 426 enfans , à cause des couche
doubles ( 198 garçons et 188 filles ) , les 80 autres mères ne sont pas encore
accouchées. Sur le nombre de 426 enfans nés dans le courant de la cinquième
année , la société n'a perdu que 21 garçons et 19 filles . Ce tableau
est assez satisfaisant pour que chaque membre de la société puisse s'applaudir
du fruit de ses aumônes , et pour mettre toutes les personnes qui
en auront connoissance à même de juger de l'utilité d'une institution qui
n'ayant d'autres fonds que ceux donnés annuellement par la bienfaisance
"
X
322 MERCURE DE FRANCE ;
1
du gouvernement et le zèle charitable de ses souscripteurs , d'autres agens
que quelques dames actives répandues dans les différens quartiers , a secouru
, depuis son rétablissement, 2130 familles , et préservé le même nombre
d'enfans de l'abandon et de la misère . Nous terminerons cet extrait
par l'appel simple et touchant à la bienfaisance , qui pourroit servir d'épigraphe
à ce compte où on le lit : « Ce tableau que nous présentons , disent
les charitables administratrices , sera la seule prièrc que nous nous per_
mettrons en faveur des pauvres. >>
- Toute l'Europe savante a retenti du nom de Wolf, qui
a prétendu détrôner Homère , et lui enlever l'admiration dont
il est l'objet depuis tant de siècles. On a su moins généralement
que le même professeur avoit également attaqué la gloire de
Cicéron , en lui disputant son oraison pro Marcello , un de
ses morceaux les plus éloquens , et un de ceux qu'on explique
Je plus souvent dans les colléges. M. Wolf prétend que ce
discours n'est qu'une déclamation de réthorique , composée
par des écoliers , après la mort de Cicéron , et d'après quelques
fragmens de son véritable discours...... Plusieurs auteurs
allemands ont cru leur honneur intéressé à défendre celui de
Cicéron, M. Olaüs Wormius , professeur danois , fut un des
premiers à entrer dans la lice ; mais quoiqu'il ne manquât nữ
d'éloquence , ni de sagacité , il parut un foible avocat de
l'orateur romain. Il étoit réservé de plaider cette cause avec
succès , à M. Weiske , connu par une édition de Xénophon ,
et par des travaux estimés sur plusieurs écrits de Cicéron. Aux
bonnes raisons tirées de la nature même du sujet , M. Weiske
a cru devoir joindre la plaisanteric. Il plaisante ingénieusement
M. Wolf, en lui soutenant à lui-même que son ouvrage
n'est pas de lui ; ce qu'il prouve par des citations contradictoires
et des passages indignes de la réputation d'un aussi célèbre
professeur.
-Le docteur Playfair , principal du collège de Saint-André,
en Ecosse , a publié au commencement de janvier , le prospectus
d'un système , complet de géographie ancienne et
moderne en 6. vol. in-4° . L'ouvrage est achevé, et a coûté
50 ans de travail à son auteur.
- Plus de deux mille exemplaires des oeuvres de J. J. Rouseau , in-4°.,
ont été vendus sans figures , et les possesseurs de ces éditions , ignorant
1
FEVRTER 1806 . 323
1
les moyens de se les procurer , gémissent d'avoir d'aussi beaux ouvrages
imparfaits pour remplir leurs voeux , Calixte Volland , libraire , quai
des Augustins, nº . 19 , devenu propriétaire de 138 cuivres gravés d'après
les dessins de MM. Morean , Barbier et de Latour , par Saint - Aubin ,
Ingouff , Lemire, Choffard et compagnie , distribué une nouvelle édition
'de ces figures , divisée en 6 livraisons , dont la re. , qui paroît , contient
sept estampes : Il retourne chez ses égaux. Le frontispice d'Hé-
―
-
loise . Le premier baiser de l'Amour. -Saint-Preux défie milord
Edouard. Colère du père d'Héloïse.- Nouveau défi de Saini-
Preux. — Saint- Preux chef des filles.
La collection coûtera 24 fr.; le prix de chaque livraison est , pour le
souscriptear, de 4 f .; et 4 fr. 50 c . franc de pórt , Celui qui souscrira
payera 4 fr. à valoir sur la 6º ou dernière livra son ; ceux qui ne souscriront
pas , payeront 8 fr. par chaque livraison . Ces magnifiques figures
sont destinées spécialement aux éditions in 4°. de Genève , Londres
Bruxelles, Paris Volland : on en a tiré quelques exemplaires sur papier
nom Jésus pour la grande édition de ce format , imprimée chez Didot
par de Maison-Neuve , et dont chaque livraison se vendra 6 fr.
La seconde livraison a paru le 1er. février , et paroîtraainsi de suite de
mois en mois; de sorte que l'ouvrage sera terminé le 19. juillet .
AU REDACTEUR .
Messieurs, on vient d'annoncer dans les journaux un ouvrage avec ce
titre : Hygiène, ou l'Art de conserver la santé , rédigée d'après les
principes de l'Encyclopédie ..... et où l'on trouve l'analyse des ledu
savant M. Hallé , etc.; par une société de médecins. cons
Et dans un avertissentent mis à la tête de cet ouvrage , on dit en parlant
de M. Hallé, que , sans son avou , cet ouvrage n'eût pas vu le jour .
Non-seulement je n'ai pas donné mon aveu à la publication de cet ouvrage
, mais , par une afiche et par des avis insérés dans les journaux , je
l'ai désavoué publiquement il y deux mois, lorsque j'appris qu'il alloit
paroftre : j'en avois été averti par des élèves de l'Ecole de Médecine , à qui
ce procédé de la part des éditeurs avoit paru peu honnête.
Aujourd'hui qu'il paroît avec des erreurs qui décèlent une ignorance
profonde des choses les plus généralement connues , je m'empresse de réitérer
cet aveu.
Je répéterai ici ce que j'ai déjà dit , que , dans le courant de Fannée
1806 , je compte terminer le développement des matières qui composent
mon cours d'Hygiène ; qu'alors je m'occuperai de le mettre en état d'être
gublié , et que Mme. Hazard , imprimeur-li braire , a bien voulu se char-
1
X a
324 MERCURE DE FRANCE ,
per de tout ce qui concerne cette publication. Je crois , messicurs , que
vous pensez qu'il m'importe que l'on ne croye pas que j'ai donné mon
aveu à un ouvrage qui peut être fait d'après mes leçons , mais dont je ne
connois point les auteurs , et dont la rédaction fourmille d'erreurs préjudicíables
à l'instruction , et que par conséquent vous voudrez bien donner
à cette lettre une place dans votre jourual.
Signé HALLE , professeur à l'Ecole de Médecine de Paris
de l'Institut national.
Depuis le 28 janvier au 9 février , l'élévation du baromètre
a marqué , dans son maximum , 28 p. 2 l . 1712.
Id., pour le minimum , 27 p. 5 l. 6712 .
Le thermomètre de M. Chevallier s'est élevé pour le maxi
mum à 10 deg.
Il est descendu dans le minimum à 2110.
L'hygromètre a marqué, dans son maximum , 100 d.
Et pour le minimum , 96.
Vents dominans. Les vents , depuis ces 10 jours , ont soufflé
13 fois au S. O. , 5 fois au S. E. , 7 fois au S. , et 2 fois au N. O
Dans les dix jours qui vienuent de s'écouler, il n'y en a eu que deus
qui n'aient pas été obscurcis par la pluie, Pendant ces deux jours , l'air
étoit moins vaporeux et même un peu fraid . Il n'est pas une maison où la
Gripe , qui paroît un des effets de cette température , n'ait faît payer untribut
plus ou moins fort : et l'on a compté jusqu'à deux cents enfans
alités par cette maladie , dans une seule maison dédacation . Heureusement
elle a été plus répandue que meurtrière , parce qu'avertis de bonne
heure sur la nature de cette affection et les remèdes convenables, tous ceux
qui exercent l'art de guérir à Paris se sont abstenus de la saignée , et ont
allié les toniques et même les légers stimulaus aus mucilagineux édulcorés.
C'est ainsi que les teintures, les pastilles et le sirop d'ipécacuanha ont tourà-
tour réussi selon l'indication particulière ; car, tout en convenant qu'on
peut tracer un mode général de traitement , il faut dire aussi que ce mode
est toujours subordonné aux circonstances , à l'intensité des accidens , à la
constitution du malade , etc. , et quand on peut appeler un homme de l'art
on fait toujours bien d'invoquer ses conseils . Il a été prudent de purger
après les différens périodes écoulés depuis la grippe ; et l'on a remarqué
chez plusieurs personnes qui ont négligé cette précaution des récidives ou
des dépôts affectant diverses parties ; tantôt sous forme de clous, dans les
profondeurs des muscles charnus ; tantôt sous celle d'érysipèle à la face on
de gonflement des glandes , ou enfin sous l'apparence de maux dits d'aventure
ans doigts. Des cataplasmes émolliens dans la première formation
FEVRIER 1806. 3.5
des phlegmons , puis l'onguent de la mère appliqué sur la petite éminence
blanchissante du clou , tel est le traitement bien simple qu'il faut toujours
terminer par quelques potions purgatives .
Quant à Pérysipele de la tête , malgré l'aspect inflammatoire , n'oubliant
point la dégénérescence originelle de cette affection , qui n'est due qu'à un
changement de place de l'humeur catharrale , il faut encore se garder de
saigner ; mais on mettra les pieds dans un bain très- chaud et très -court ,
on posera un vésicatoire au bras pour faire diversion et appeler l'humeur
sur une partie moins intéressante à la vie. Ce vésicatoire , au premier pansement
, donnera une large suppuration séro - gélatineuse , quelquefois
même dès-lors purulente. On se gardera bien de panser avec l'onguent
épipastique ( moyen , pour le dire en passant , trop prodigué depnis quel-'
que temps , et aussi incendiaire et dangereux dans la plupart des cas qu'il
est stimulant et utile dans quelques autres. ) Le suppuratif et le beurre suffisent
, et l'on posera même par- dessus ce pansement un cataplasmè de
plantes émollientes unies à la fleur du sureau , avec addition d'un gros de
sel de nitre ; on donnera pour boisson l'eau de poulet , le bouillon aux
herbes , une tisane apérative légèrement hémétisée , et sur tout des lavemens
purgatifs pour partager l'effort de la déviation ´humorale ; enfin ,
quand tous les symptômes inflammatoires auront disparu , on purgera .
les
Le gonflement des glandes n'exige d'autre précaution qu'une chaleur
locale , mais médiocre , pour ne pas favoriser leur développement ,
bains de pieds et des bouillons purgatifs . Le mal d'aventure des doigts
qu'on appelle aussi tourniole , et qui n'a d'aventure que d'avoir appelé aux
extrêmités une humeur qui irritoit le larynx , demande un soin particulier
pour empêcher, s'il est possible , la chute de l'ongle. On trempera vingt
fois par jour l'extrêmité du doigt malade dans l'eau chaude à une tempé
rature supportable , pour distendre la texture des fibres et favoriser la
formation du petit dépôt humoral ; on l'entourera de beurre , ou d'oseille
fricassée dans de la graisse de porc , ou de farine résolutive bien cuite' , puis
d'oguent de la mère quand il abscédera. On aura soin sur-tout de le défendre
bien du contact de l'air . Si, malgré ces précautions l'ongle tombe, lors、,
qu'il sera tombé , on plongera son doigt dans un peu de cire-vierge liquéfiée
; et cette couche , en préservant le doigt des impressions de l'air, faci- ¹
lite la crue du nouvel ongle bien formé. Il faut d'ailleurs purger à la suite
de toutes ces indispositions , qui ne sont que des modifications de l'affec
tion catharrale dégénérée , et dont l'humeur , mobilisée par quelque cause
étrangère , s'est portée sur ces différentes parties.
Traçons rapidement les moyens préservatifs de la grippe : se frotter ,
en se levant , le corps avec de l'eau de Cologne ou de l'eau-de-vie
camphrée ; ne point sortir le matin sans avoir mangé quelque chose ,
par exemple du chocolat sec , ou bu un peu de liqueur spiritueuse ; être
chaudement vêtu , et surtout avoir les pieds , la tête et la poitrine bien
3
326
MERCURE DE FRANCE ;
་
défendus contre l'humidité ; porter sur la peau un gilet de flanelle ou au
moins de tricot de laine sur la chemise ; changer de linge si l'on rentre
et d'habits si l'on a été mouillé ; ouvrir en sueur " les appariemens au
soleil , y allumer un feu clair , y brûler du vinaigre , ou employer les
fungations de Guiton- Morveau ; user d'alimens savoureux et même un
pen aromatisés; boire un peu de vin pur et de café , ne boire de l'eau qu'après
avoir pris la précaution de l'épurer ; manger peu de fruits , faire
plusieurs repas ; boire dans la journée quelques tasses chandes d'une infusion
carminative à laquelle on ajoutera une cuillerée d'eau-de-vie . Si
l'on éprouve un point de côté ou un peu d'échauffement , la cesser ; se
tenir le ventre libre par des lavemens ; éviter les grandes réunions où l'air
est vicié , où les pores sont dilatés par l'extrême chaleur , et d'où l'on
une disposition plus grande à recevoir les impressions de l'air
extérieur ; avoir à sa bouche habituellement quelque pâte mucilagineuses
ou simplement de la gomme arabique .
scrt avec un
C'est le préservatif le plus sûr dans l'opinion de ceux qui attribuent.
les épidémies à des miasmes stimulans , à des molécules acres répandus
dans l'atmosphère ; le soir , avant de se coucher , quelques cuillerées
d'un punch léger . Cette boisson acido- spiritueuse est le meilleur anti-,
septique , et n'a d'autre défaut peut -être que d'entraîner à son abus par
soa goût très- peu médicinal. La pipe est encore très- indiquée. Enfin , il
est un moyen énergiquement préservatif dans toutes les épidémies , mais
qu'il seroit ridicule d'opposer à un aussi faible ennemi que la grippe ,
c'est le vésicatoire . Tous les voyageurs ont observé que les porteurs de
cautère , d'ulcères , d'exutoires enfin , out été exempts des contagions ›.
mêmes pestilentielles , ou des épidémies varioliques.
( Gazette de Santé dų 11février )
MODES du to février. On porte des tormes de toutes les couleurs
mais toutes ne sont pas en velours on en fait en satin' ; celles-lâ ont ordinairement
, sur le bord, une grosse natte , ou une grosse corde de rubans,
elles sont , ou parées d'une grande plume blanche , ou ornées d'une demiguirlande
de roses .
Les roses du Bengale commencent avoir moins de vogue : plusieurs ›
fleuristes fabriquent des roses ordinaires ; mais pour leur imprimer le caractère
de la saison , ils y adaptent des feuilles mortes.
Le réséda et l'héliotrope sont encore de mode ,
Il y avoit dans la magnifique réunion de l'Opéra , plus de fleurs que
de plumes , et plus de diamans que de toute autre espèce de parure de ·
tête . Beaucoup de peignes en corbeille , n'étoient composés que de dia :
mans. Les robes étoient , pour la plupart , de velours ,, et faites
l'espagnole .
Pour les collerettes , la mode des dents de loup est passée , ou se passe ;
on les porte en dentelle ordinaire , fort large , et toujours rabattues.
Rien de mieux pour e négligé qu'une capote de satin gros-bleu , doublée
de blanc , liserée de blanc , à passe rayée de petites côtes de satin
blanc la forme en est ordinaire ; mais la couleur n'en est point commune.
On regarde aussi comme très - distinguées , des capotes de crepe blanc ,
rayées en biais par de larges rubans de satin blanc,
FEVRIER 1806 . 327
Il y a des douillettes grises , des donillettes abricot , des douilleties
hortensia . La nuance hortensia , ou rose - pale , a toujours la vogue.
On brode maintenant le jabot d'une chemise d'homme, et non la che
mise de chaque côté du jabot. Les cravattes ont , au milieu du coin brodé,
ane fleur , ou un chiffre sur un point de dentelle .
Les chemises de femme se brodent du haut et du bas , et aux manches.
Les mouchoirs de poche ont pour bordure des languettes en coton
rouge ou bleu.
-
NOUVELLES POLITIQUES.
Londres , 4 février.
Voici la liste du nouveau ministère , telle qu'elle a
été définitivement arrêtée hier entre le roi et lord Grenville :
M. Erskine , lord-chancelier ; lord Grenville , premier lord
de la trésorerie ; lord Henry Petty , chancelier de l'échiquier ,
M. Fox , ministre des affaires étrangères ; le comte Spencer ,
ministre de l'intérieur ; M. Windham , secrétaire de la guerre
et des colonies ; M. Grey , premier lord de l'amirauté ; le
comte Moira, grand-maître de l'artillerie ; le comte Fitz-
William , président du conseil ; lord Sidmouth , garde da
sceau privé; lord Ellenbroug , ayant voix sans fonctions.
Lord Cornwallis , qui étoit alle remplacer le marquis de
Wellesley dans le gouvernement de l'Inde , et qui avoit commencé
par changer brusquement tout le systente d'administration
de son prédécesseur , est mort un mois après son arrivée.
Dans la séance du 27 janvier , la chambre des communes
sur la motion de M. Lascelles, a arrêté : « qu'une humble adresse
" seroit présentée au roi , pour le prier de vouloir bien or-
» donner que les restes mortels du très-honorable William
» Pitt soient inhumés aux frais de l'état , qu'un monument
» soit élevé dans l'église collégiale de Saint- Pierre , à West-
» minster, pour perpétuer la mémoire de ce grand et excellent
» homme d'état , avec une inscription exprimant les senti-
» mens du peuple anglais , et ses regrets d'une perte si irré-
» parable ; enfin , que la chambre fasse les frais de ce monu-
» ment , et qu'il en soit donné avis à S. M. ».
Plusieurs membres ont parlé pour et contre la motion
parmi ces derniers on a remarqué M. Windham et M. Fox ,
qui n'ont point empêché la motion d'être approuvée par 238
voix , contre 89.
Du 6 février. Les Lords Hawkesbury , Mulgrave , Westmoreland,
Cambden et Castlereagh ; ont donné hier à S. M.
la démission de leurs emplois. Les nouveaux ministres ont été
4
MERCURE DE FRANCE ,
adrist is a main du roi ; le duc de Bedfort a acceplé
la place de lieutenant d'Irlande . Lord Minto est destiné au
oung
bear général du Bengale.
Lemier lord de la trésorerie , M. Grenville , peut être
regarde comme étant à la tête du ministre , quoiqu'en considérant
les personnes dont il est entouré , on ne puisse lui
supposer le pouvoir du ehef. Les partis combinés dans la formation
du nouveau cabinet peuvent se classer ainsi :
Le parti Grenville , ne consistant que dans le lord Grenville
lui-même , et peut-être le comte Spencer.
"
Le parti Fox , composé de M. Fox , Erskine , Grey , lord
Henry Petty, Windham et lord Fitz- William.
Le parti Addington , le lord Sidmouth lui-même , et du
lord Ellenboroug.
Le parti du prince de Galles n'a que le lord Moira.
The Courrier. )
Il paroît maintenant certain que l'escadre , sortie dernièrement
de Brest , s'est partagée en deux divisions , ainsi que
quelques rapports l'avoient annoncé. Chacune consiste en six
vaisseaux de ligne et une frégate. L'amiral Duckworth en
poursuit une , et l'amiral Louis a été détaché à la poursuite de
l'autre.
Extrait d'une lettre de la Martinique , du 12 décembre.
« Le vaisseau de S. M. , le Nembrod , est arrivé ici le 10 ,
dépêché par l'amiral Cockrane aux différentes îles , avec
ordre aux vaisseaux de S. M. de venir le joindre de suite , l'amiral
ayant reçu avis qu'une escadre française avoit été vue
dans ces parages.
Le journal ajoute que les rapports varient beaucoup sur
la force de l'escadre française ; les uns la présentent comme
étant composée de cinq vaisseaux de ligne , avec beaucoup de
troupes à bord , et croient que c'est l'escadre de Rochefort ;
d'autres ne lui donnent que deux frégates et peu de troupes,
PARLEMENT BRITANNIQUE .
Les copies des traités avec les puissances étrangères ont été
remis , le 28 janvier, aux deux chambres du parlement. Voici
un extrait de ces traités :
Traité avec l'empereur de Russie , en date du 11 avril 1805.
Il est stipulé que ce traité a pour objet de rétablir la paix
de l'Europe , et de lui rendre l'indépendance dont elle est
privée par l'ambition sans bornes du gouvernement français.
En conséquence , les deux puissances s'engagent à réunir des
or ces qui , indépendamment des troupes de la GrandeFEVRIER.
1086,
Bretagne , se monteront à 500,000 hommes effectifs , pour
obtenir les résultats suivans : L'évacuation de l'Hanovre et du
nord de l'Allemagne ; l'indépendance des républiques de la
Hollande et de la Suisse ; le rétablissement du roi de Sardaigne
en Piémont , avec une augmentation de territoire telle que les
circonstances pourront le permettre '; l'indépendance future
du royaume de Naples ; l'évacuation complète de l'Italie par
les armées françaises , y compris l'ile d'Elbe ; et enfin l'établissement
en Europe d'un ordre de choses qui puisse désormais
offrir une barrière à de nouvelles usurpations.
qui
par
En conséquence , S. M. britannique s'étoit obligée à payer
la
somme d'un million deux cent mille livres sterlings de subsides
pour chaque cent mille hommes qui seroient fournis la
Russie , payables mois par mois. Il étoit de plus stipulé que
dans le cas d'une ligue , nul ne pourra traiter de la paix que
du consentement de toutes les parties. Plusieurs articles séparés
sont annexés à ce traité.
Par le 4 article , en date du 30 mars 1805 , il est dit ,
qu'attendu la grande difficulté de mettre sur- le-champ
500,000 hommes en campagne , on mettra en marche le plus
tôt possible une armée de 400,000 hommes , qui sera composée
de la manière suivante : l'Autriche fournira 250,000 hommes
la Russie 115,000 au moins , indépendamment des levées faites
en Albanie , en Grèce, etc. , et le reste sera fourni par Naples ,
la Sardaigne , le Hanovre , et d'autres.
Le 5° article séparé porte que les troupes russes recevront
lesdits subsides jusqu'à leur retour dans leur patrie , et en
outre un équivalent de trois mois de subsides comme une
première mise en campagne. Il est de plus stipulé qu'il
n'entre nullement dans les principes des parties contractantes
de se mêler de la forme du gouvernement de la France , ni de
s'approprier aucune des conquêtes qui pourroient être faites ;
et à la fin de la guerre il sera rassemblé un congrès général
pour donner à l'Europe une paix solide et durable. Il est
stipulé par un autre article , que les parties contractantes
feront cause commune contre les puissances qui s'uniroient
avec la France , de manière à entraver la marche des opérations
combinées.
fournir à
de
Le 11 article séparé contient la promesse
l'empereur d'Allemagne un million sterling pour la première
armée qu'il mettra en campagne , dans le cas où les propositions
de paix qui devoient avoir lieu à cette époque , et
dans lesquelles l'Autriche se trouveroit comprise , n'auroient
pas un résultat favorable. Enfin , par un dernier article , il
2
330 MERCURE DE FRANCE ;
J
est stipulé que l'Autriche et la Suède n'auront aucune part
aux avantages de la confédération , à moins que leurs troupes
ne soient en campagne dans quatre mois , à compter de la
signature dudit article .
Déclaration du comte Stadion à lord Gower, datée de,
Saint-Pétersbourg , le 9 août 1805.
L'empereur d'Allemagne demandoit , par cette déclaration,
trois millions sterl. de subsides pour l'année 1805 , et quatré
millions pour l'année 1806 , et moitié des trois millions
payée comptant pour la première armée qui seroit mise en
mouvement. La réponse du lord Gower , en date du 9 août
porte qu'il n'est point autorisé à accéder à cette demande de
Ja cour de Vienne ; mais qu'en vertu de la convention du
11 avril, les subsides lui seront payés mois par mois , à compter
du 1 octobre 1805 , avec cinq mois d'avance pour la
première armée qui entrera en campagne , S. M. I. s'étant
engagée à mettre sur pied au moins 320,000 hommes.
er
Convention préliminaire entre l'Angleterre et la Suède
en date du 3 décembre 1804.
S. M. , pour mettre le roi de Suède à même de pourvoir à
Ja défense de Stralsund , consent à lui payer 60,000 liv. st. en
rois termes ; et le roi de Suède s'engage à permettre l'établis
ement d'un dépôt dans la Pomeranie suédoise, pour les besoins
des troupes hanovriennes ; et à accorder pendant la
guerre le droit d'un entrepôt à Stralsund , pour y déposer les
marchandises anglaises,
Convention avec le roi de Suède , signée à Helsingbord,
le 31 août 1805.
! S. M. s'engage à payer par mois au roi de Suède la somme
de 1800 livres sterl. pour chaque mille hommes de troupes
régulières dont il renforcera la garnison de Stralsund , ledit
renfort ne devant pas excéder 4 mille hommes de troupes
régulières. Cette convention est garantie par l'empereur de
Russie.
Traité entre S. M. et le roi de Suède , daté de Beckascog,
le 3 octobre 1805.
On renouvelle la convention du 31 août , et la Suède s'engage
à fournir 12,000 hommes de plus pour agir de concert
avec les alliés. Il lui sera payé 12 liv. st. et demi par an pour
FEVRIER 1806 . 331
chaque soldat , et cinq mois en sus pour l'équipement. Le subside
ne cessera que trois mois après la paix ( 1 ).
(1) Il étoit évident pour tout homme sensé , que la Russie et l'Autriche
avoient été séduites par l'or de l'Angleterre . Aujourd'hui la preuve officielle
et juridique en, est acquise. Tous les militaires tous les bons
Autrichiens ne pouvoient se persuader que le ministère eût ainsi trahiles
intérêts de la patrie. Après les documens que publie le cabinet de Londres ,
ifs ne peuvent plus en douter. On ne sait ce qu'on doit remarquer davantage
, ou la foiblesse , pour ne rien dire de plus , des premiers gouver
nemens de l'Europe , qui se mettent ainsi à la solde des marchands de
Londres , ou de cette honorable et généreuse résistance qui ne permet point
à leurs sujets de convenir de ces funestes stipulations , et qui les portë
à les nier afin d'en repousser l'opprobre . Les traités que le gouvernement
anglais fait connoître à l'Europe , apprennent comment l'Autriche a été
sacrifiée. Elle étoit obligée de faire marcher ses armées dans les quatre
mois à partir du traité , c'est-à-dire en octobre , pour recevoir les cinq
mois d'avance qui lui étoient accordés ; et c'est alors qu'on la vit envahie
la Bavière , en protestant néanmoins qu'elle ne vouloit pas la guerre.
Mais ne parlons plus de ses fautes ; elles ont été assez panies . Observons
dependant que si ces traités avoient été connus plus tôt , et dans tous
leurs détails , les résultats auroient peut-être été plus funestes . Nous
remarquerons aussi que M. Stadion , qui paroît être à présent à la tête
des affaires en Autriche , est le même ministre qui avoit négocié le subside.
Quant au roi de Suède , doit-on prendre en pitié ou sa foiblesse ou son
extravagance ? Il vendoít chacun de ses soldats pour le profit de 12 liv.
sterl. par an, sans songer que ses sujets , par l'interruption du commerce
perdoient des sommes bien plus considerables que ne pouvoient l'être
jamais les honteux subsides promis ou donnés par l'Angleterre . Il livroit
Stralsund ; il ouvroit la Pomeranie pour obtenir la promesse de 60,000 liv.
sterl.; somme à peine égale à ce que la moindre charge de l'administration
en Angleterre vaut à celui qui l'exerce, Nous publierons en entier la
traduction de ces traités , d'où il résulte que de toutes les puissances dur
Nord , la Prusse et le Danemarck sont demeures seuls étrangers à la corruption
, et fidèles à leurs engagemens et au desir de voir se perpétuer la
paix du continent . Les comptes de la trésorerie anglaise nous apprendront
ce qui a été payé sur ces subsides , et l'on verra que l'Angleterre , dans
cette circonstance comme dans toutes celles qui ont précédé, a beaucoup
moins tenu qu'elle n'avoit promis.
( Moniteur. )
CHAMBRE DES PAIRS.
Séance du 4.
Hier 4 février , lord Mulgrave a dit à la chambre des,
pairs qu'il résultoit des copies des traités qui avoient été soumis
à la chambre , que le principal objet du gouvernement
de S. M. avoit été de concerter un plan pour opérer la déli–
vrance de l'Europe ; on s'attendoit alors à des négociations
qui devoient précéder la campagne , et l'on verra que les
mesures étoient prises , en cas de non succès dans les négo
ciations , pour mettre en campagne une armée de 500,000
hommes , savoir : 320,000 Autrichiens , et 180,000 Russes.
332 MERCURE DE FRANCE ,
Mais les dispositions qui avoient été faites , ont été malheureusement
dérangées par la précipitation de l'Autriche ,
et c'est à cette précipitation qu'on doit attribuer tous
les malheurs de la campagne. L'Angleterre avoit pour
objet , ou bien d'entamer des négociations pour amener une:
paix générale sur des bases solides , et qui assurassent l'indé–›
pendance et la sûreté de l'Europe , ou d'établir une négociation
armée qui auroit eu pour objet de mettre un terme aux
usurpations de la France.
L'Autriche ne devoit agir hostilement que vers la fin de
l'année 1805 , et les subsides ne lui étoient accordés qu'à cette
condition : tout cet intervalle devoit être rempli par les négociations.
Cependant , en attribuant les malheurs de la campagne
à la précipitation de l'empereur d'Autriche, les ministres
n'ont pas l'intention de blâmer la conduite de ce monarque
pour avoir signé la paix avec la France. L'Autriche devoit se
tenir sur la défensive en Allemagne et agir offensivement en
Italie. On n'a pas cru devoir communiquer à la chambre certains
articles du traité d'alliance avec la Russie , attendu qu'ils
pouvoient compromettre certaines puissances du continent ;
et ce sera au nouveau ministre de S. M. à juger si cette précaution
a été convenable.
Le comte de Coventry est mort lundi dernier à Croome ,
dans le comté de Worcester , âgé de quatre-vingt-trois ans..
Par le décès de sa Seigneurie , lord Deerhurst hérite de ses
titres et de ses biens , dont le revenu s'élève à 35,000 liv. sterl.
Lord Deerhurst , aujourd'hui le comte de Coventry , est aveugle
depuis que , chassant avec le roi dans les environs de Windsor ,
l'amorce d'un fusil lui brûla les paupières et une partie de la
prunelle de l'oeil . ( The Courrier. ) 407 2
Lord Fitz -William et M. Coke, de Norfolk, viennent d'ob¬
tenir le titre de marquis de Rockingham et de marquis de
Leycestershire. ( Idem. )
Nous apprenons de Calcutta que les habitans ont décidé ,
dans une assemblée générale, de porter le deuil du marquis de
Cornwallis , et de solliciter du gouvernement la permission
d'élever à la mémoire de ce gouverneur un mausolée sur le
lieu de sa sépulture , à Ghazéepore. Des commissions ont été
nommées pour mettre à exécution ce projet dicté par la reconnoissance.
La commission d'Europe est composée du lord
Teignmouth , du général Ross , du colonel Kid , et des che
valiers Gore et G. A. Robinson . ,
(Times.)
FEVRIER 1806. 333
er
Berlin, 1 février.
La gazette de la cour contient aujourd'hui un édit ou
proclamation royale qui commence ainsi :
« Après les événemens qui ont eu pour suite la paix entre
la France et l'Autriche , tous nos efforts ont eu pour but de
préserver le nord de l'Allemagne , et particulièrement les pays
de Brunswick-Lunebourg , du fléau de la guerre dont ils étoient
éminemment menacés. Dans cette vue , nous avons conclu
( comme seul moyen d'atteindre le but ) un arrangement avec
S. M. l'Empereur des Français , en conséquence duquel les
états de S. M. le roi de la Grande-Bretagne , en Allemagne
ne seront point occupés de nouveau par les troupes françaises ,
ou par des troupes réunies à elles , mais seront au contraire
évacués entièrement par elles , et pour être pris en dépôt et
administrés par nous seuls jusqu'à la paix générale. En conséquence
, nous allons faire occuper les pays de Brunswick-
Lunebourg par un corps d'armée sous les ordres du général de
cavalerie comte de Schulenbourg-Kehnert , et nous confions
aussi à ce dernier l'administration desdits pays jusqu'à la paix ,
de manière que toutes les affaires qui concernent la partie administrative
seront gérées par lui et la commission qu'il nommera
, et qu'ils donneront conjointement les ordres et instructions
nécessaires aux autorités et magistrats du pays. »
1
Nuremberg, 5 février.
La plupart des membres de l'ordre Equestre qui ont des
biens dans les principautés de Bamberg et Wurtzbourg , se
se sont assemblés ici le 29 du mois dernier , pour se concerter
sur les mesures à prendre dans la situation critique où ils
se trouvent.
Francfort , 8 février.
On mande de Berlin que S. A. S. le duc de Brunswick s'est
mis en route , le 30 janvier , pour Pétersbourg. Ce prince est
accompagné de M. de Krusemark , lieutenant-colonel prussien.
Le corps d'armée prussienne destiné à occuper le Hanovre
, est composé de 23 bataillons d'infanterie , 25 escadrons
de cavalerie , deux batteries de 12 livres , une batterie de
réserve, et une batterie à cheval.
Parmi les changemens qui doivent encore s'effectuer en
Allemagne , on parle avec une sorte d'assurance de l'occupation
prochaine de la principauté d'Anspach par les troupes
bavaroises. On dit que cette principauté sera remise le 15 de
ce mois à la Bavière , et que le même jour les troupes prussiennes
occuperont par échange la ville et le territoire de
334 MERCURE DE FRANCE ,
Bamberg. Le temps seul peut apprendre ce qu'il y a
de vrai
dans ces changemens de nomination que chacun peut annoncer
à son gré ;
mais dont les rois ont seuls le secret.
Bále , 5 février.
S. Ex. M. le général Vial , ambassadeur de France , fut
complimenté à son arrivée à Bale par une députation du
conseil d'état . Le bourguemestre, M. Sarrasin, porta la parole.
On rapporte que M. l'ambassadeur répondit en substance aux
députés : « La Suisse a obtenu des bienfaits signales de la
part du médiateur ; elle sera de même à l'avenir l'objet de
son affection et de sa protection particulière , et le système
adopté par S. M. de servir d'appuis généraux aux petits états
situés sur les frontières de son Empire , aura lieu aussi par
la suite envers la Suisse ; mais il est de l'intérêt de tous les
cantons de la confédération helvétique de s'attacher à la
France avec ardeur , et de nourrir des sentimens conformes
à cet attachement pour la puissance protectrice du grand
Empire de France. »
PARIS.
Le prince de Bavière est arrivé à Paris le 10 de ce mois..
S. A. , après avoir été reçue en audience particulière par
l'Empereur et l'Impératrice , à été présenté par LL. MM.
aus princes et princesses de la famille impériale , qui se trouvoient
réuuis dans les grands appartemens pour le cercle et
le concert auquel & A. a assiste. S. M. ayant nommé pour
accompagner le prince Royal, S. Exc . le grand-maître des cérémonies
Ségur , M. de Bondy, chambellan , et M. de France ,
écuyer , S. A. R. conduite par le grand-maître et accompagnée
par les officiers de S. M. et par le général Reuss ,
comte Pompei et le baron Schonfeld ses chambellans , est
allée le 12 février , dans les voitures de l'Empereur , rendre
visite à LL. AA. II . et SS. les princes et princesses de la famille
Royale , les princes beaux-frères de S. M. et le princ e
archi- chancelier de l'Empire , qui ont été visiter à leur four,
le lendemain , S. A. R. Moniteur.
-
le
S. M. l'EMPEREUR voulant réconnoître les services rendus
par le général de division Gazan , et sur-tout sa conduite.
distinguée au combat de Diernstein, l'a nommé grand- officier
de la Légion d'Honneur.
S. M. a nommé également grand-officier , le général de
division Clarke , en récompense des services qu'il a rendus'
pendant le temps qu'il a été gouverneur de F'Autriche.
FEVRIER 1806. 335
Les obsèques du sénateur Fontenay , ancien maire de
Rouen , mort à Paris le 11 février , ont été faites hier avec
beaucoup de pompe : la plupart des sénateurs y ont assisté.
MM. Anisson-Duperron , Latour-Maubourg , Maurice
, Mounier , Pepin de Belle- Ille , Tournon , Vischer de
Celle , Treilhard , Lafond , Vincent Marmola , sont nommés
auditeurs du conseil d'état.
MM. Lecouteulx , Pomar , Doazan , Roederer , Abrial
et Dumolard , auditeurs au conseil d'état , ont reçu l'ordre
de se rendre en Italie , pour y être employés sous les ordres
de LL. AA. II. les princes Joseph et Eugène , à l'administration
des pays napolitains et vénitiens.
Un avis du conseil d'état , délibéré le 12 frimaire an 14 ,
et approuvé par S. M. , à Schoenbrunn , le 3o du même mois ,
est conçu en ces termes :
35%
« Le conseil d'état , après avoir entendu la section de
législation, sur le renvoi fait par S. M. I. et R. , d'un rapport
du grand-juge ministre de la justice , ayant pour objet d'examiner
la question de savoir si une lettre -de-change peut être
payée en billets de banque , autrement que du consentement
de celui qui en est porteur ; est d'avis que la réponse à cette
question ne peut souffrir aucune difficulté . Le porteur d'une
lettre-de-change a le droit d'exiger son paiement en numéraire
: les billets de la banque établie pour la commodité du
commerce , ne sont que de simple confiance. »
-Par décret impérial du 21 janvier , l'hôtel de la Maison-
Commune de Strasbourg qui a été offert à l'EMPEREUR par
cette ville , est accepté et déclaré l'un des palais impériaux.
-Par décret du 31 janvier , S. M. a confirmé la délibéra–
tion des membres du bureau des longitudes , par laquelle
M. Bouvard , astronome , est nommé membre dudit bureau ,
en remplacement de M. de Chabert , décédé.
Un décret du 4 février, porte que le grand - chancelier et
le grand-trésorier de la Légion-d'Honneur auront le rang, ét
jouiront, dans toutes les circonstances , des distinctions et des
honneurs , tant civils que militaires , des grands - officiers de
l'Empire.
-
Les généraux Gazan , Savary , Clarke et Beaumont ,
sont nommés grands-officiers de la Légion - d'Honneur.
-Le grand cordon de la Légion d'Honneur est conféré
aux généraux d'Hautpoult, Suchet , Caffarelli et Walter.
M. le conseiller d'état Bérenger est nommé directeurgénéral
de la caisse d'amortissement.
M. Narden , préfet du département de Montenotte ,
336 MERCURE DE FRANCE.
est nommé administrateur-préfet des états de Párme et dé
Plaisance.
S. Ex.´le´ministre des cultes a écrit à M. l'archevêque ·
de Bordeaux la lettre suivante , datée de Paris , le 14 janvier
1806.
« M. l'archevêque , j'ai la satisfaction de vous annoncer que S. M. I.
et R. en considération du bien de la religion et des moeurs vient d'ordonner
qu'il seroit défendu à tous les officiers de l'état civil de recevoir
l'acte de mariage du prêtre B.... s . S. M. I. et R. considère le projet formé
par cet ecclésiastique comme un délit contre la religion et la morale, dont
if importe d'arrêter les funestes effets dans leur principe. Vous, vous applaudirez
sans doute , M. l'archevêque , d'avoir prévu , autant qu'i: étoit
en vous , les intentions de notre auguste EMPEREUR , en vous opposantà la
consommation d'un scandale dont le spectacle auroit affligé les bons et
encouragé les méchans.
"
» J'écris à M. le préfet de la Gironde , pour qu'il fasse exécuter les ordres
de S. M. I. et R.; j'en fais également part à LL. EE. les ministres
de la justice et de l'intérieur. La sagesse d'une telle mesure servira à di̟riger
l'esprit des administrations civiles , dans une matière que nos lois
n'avoient point prévue . » ( Affiches de Bordeaux. ) .
M. Bureaux-de-Puzy , ancien officier du génie , exmembre
de l'assemblée constituante , ensuite préfet de Lyon ,
et en dernier lieu préfet de Gênes , vient de mourir à Gênes
après une courte maladie.
Le corps de mad de Montesson , décédée le 5. janvier ,
a été porté hier en grande pompe à l'église de Saint - Roch ,
et déposé dans une chapelle après la cérémonie. Il a été transféré
le 10 à Saint- Assise , pour y être inhumé à côté de M. le
duc d'Orléans , époux de la défunte.
Le ministre de la marine et des colonies a écrit la lettre
suivante , datée du 28 janvier , aux préfets maritimes et aux
commissaires principaux :
« S. M. L'EMPEREUR et Roi a ordonné , monsieur , de courre sus à tou
les bâtimens napolitains , et son intention est également que ceux de ces
bâtimens qui ont pu être arrêtés en mer ou mis sous embargo dans les
ports , à compter du 29 brumaire an 14 ( 20 novembre 1805 ) , époque
laquelle ses ennemis ont été reçus dans le royaume de Naples , en contravention
au traité fait à Paris le 21 septembre 1805 , et ratifié à Portici
le 8 octobre suivant , soient jugés et déclarés de bonne prise. Vous voudrez
bien annoncer en conséquence aux officiers commandant les bâtiinens
de S. M. , et aux capitaines des corsaires français , qu'ils sont autorisés
à capturer les bâtimens qu'ils rencontreront en mer navigant sous
pavillon napolitain, et vous prendrez les mesures nécessaires pour remplis,
les formalités prescrites par les lois et les réglemens , relativement à ceux
des bâtimens qui auront pu être retenus dans les ports de votre arrondissement
, conformément aux ordres contenus dans ma circulaire du 19 fria
maire dernier, »
1..
DE
DAA ( No CCXL
( SAMEDI 22 FERIE
MERCURE
DE FFRANC É.
POE S I EV
"
BATAILLE D'HASTINGS ,
OU L'ANGLETERRE , CON QUI . S' E♦
eli
Fragment du fle chant.
(C'est Guillaume qui parle au duc de Bretagne. )
i
E 11 L
PRINCE , vous auriez vu le tranchant des cognées
» Couvrir nos champs , nos ports de forêts moissonnées 1
» De l'habile ouvrier les rapides efforts
» Du léger édifice assemblent les supports ;
>>
Les chênes sur la quille en courbes s'arrondissent ;
» Sur l'orme en ais coupé les marteaux rebondissent ;
» La rame au bord s'ajuste , et le jeune sapin
» Soutient la vergue oblique où s'enfle un nouveau lin.
» Que dis-je ? Impatiens de sillonner l'arêne ,
» Un instinct belliqueux porte aux flots de la Seine
>> Ces navires , cédant sous le poids des guerriers ,
» Des armes , des pavois , des lances , des coursiers ;
» Sous leurs signes divers nos poupes semblent vivre .
» Mon épouse , au rivage obstinée à me suivre ,
>> Négligeoit les tissus où son art merveilleux
>> Consacre à l'avenir mes travaux périlleux ( 1 ) .
» Vous peindrai-je , parmi les apprêts de la guerre ,
>> Et ma fille et mes fils à l'entour de leur mère ?
(1 ) La tapisserie de Bayeux ,
Y
338 MERCURE DE FRANCE ,
» Adèle , que d'Eralde outragent les amours ,
>> Oublioit le perfide , et trembloit pour mes jours ;
>> Guillaume orne son front du cimier qu'il m'arrache ;
» Robert , baigné de pleurs , à mes genoux s'attache ;
» Mathilde sur son sein pressant Richard , Henri ,
>> Images d'un époux si tendrement chéri ,
>> Me dít : « A ces enfans si le ciel est prospère ,
>> Ils seront ton émule et l'appui de leur mère . »
›› C'est ainsi que , livrés à de nobles douleurs ,
» Ils reçurent enfin mes adieux et mes pleurs .
» Mais emportant les voeux des vieillards et des femmes ,
>> J'entre dans mon vaisseau , que font voler cent rames.
» Rouen déjà s'enfuit ! Tour-à- tour j'admirojs
>> Ces vergers dont le fruit enivre nos banquets ;
>> Le front de ses châteaux qui se mire dans l'onde ;
>> De ces hautes forêts l'ombre antique et profonde.
» Là de riches troupeaux peuplent un vert gazon ;
>> La glèbe enferme ici l'espoir de la moisson.
>> Trente fleuves divers s'élancent de leur source ,
>> Et la Seine , avec nous , les entraîne en sa course ,
>> Jusqu'aux lieux où son lit , vaste , majestueux ,
>> Rend au vieil Océan des flots respectueux .
» C'est là , de tous côtés , qu'à mes yeux se présente
» Une forêt de mâts sur les vagues flottante ;
» Les voiles déployoient au souffle frémissant ,
» D'azur, de pourpre et d'or leur sein éblouissant ;
» Du fer et de l'acier les flammes vagabondes
>> Doublent l'éclat du jour, embrasent l'air , les ondes.
Quel spectacle ! Agitant leurs glaives , leurs chapeaux , >>
>> De la poupe à la proue , un peuple de héros ,
>> Par des chants belliqueux menace l'Angleterre.
» Le signal vole ; et l'ancre arrachée à la terre ,
» On part. Les avirons des eaux coupent le sein ,
>> Le pilote attentif reconnut son chemin.
» L'air frémissoit . Aux vents la voile se déploie ;
›› La Seine retentit de mille cris de joie ;
>> La quille s'entr'ouvrant un chemin sur les eaux ,
>> Un sillon écumeux blanchit sous les vaisseaux .
>> Le soldat voit encor sur l'élément mobile
>> Fuir les bords de la Dive et la tour d'Auberville .
» Mais la France s'éloigne , et bientôt à mes yeux
» Ne laisse d'autre aspect que les mers et les cieux.
Par M. D... Na
;)
FEVRIER 1806 . 339
MONOLOGUE D'AJAX (1) ,
FRAGMENT IMITÉ DE SOPHOCLE
Tor , dont le bras puissant gouverne le tonnerre ,
Souver . in de l'Olympe et maître de la terre ,
Jupiter, si jamais je fus cher à tes yeux ,
Pour la de nière fois , daigne exaucer mes voeux .
Ajax , prêt à périr implore ta puissance ;
Grand Dieu, contre les Grecs embrasse ma défense !
Mon honneur est le tien , puisque je suis ton fils.
Ne souffre point , qu'au gré de mes fiers ennemis ,
Ce corps , honteusement privé de sépulture ,
Des avides vautours devienne la pâture .
Reçois-moi , roi des morts :! Ala clarté des cieux
Mercure , pour jamais ferme mes tristes yeux .
Conduis mon bras. Accours; que ta main immortelle
Daigue guider mes pas dans la nuit éternelle ! <
Et vous , qui vous plai ez aux tourmens des ingrats ,
Mini tres de vengeance , effroi des scélérats ,
Je vous invoque aussi , barbares Euménides !.
Déesses , vengez-moi ? punissez les Atrides .
Portez , portez sur eux d'inévitables coups !
Que l'épouse en fureur s'arme contre l'époux ;
Que la plus chère main aux Enfers les entraîne.
Au feu de mes transp rts allumez votre haine :
Sur un peuple perfide épuisez vos fureurs .
Allez , courez , volez , frappez , terribles soeurs !
Exterminez les chefs , exterminez l'armée ;
Enivrez-vous de sang de la Grè e alarmée .
Et toi , sacré flambeau , père de l'univers ,
Soleil , en parcourant tant de climats divers ;
Arrête tes regards sur ma triste patrié.
Témoin du coup affreux qui va m'ôter la vie ,
( 1 ) On sait qu'Ajax , indigné de s'être vu préférer Ulysse pour l'héri
tage des armes d'Achille , en perdit la raison ; que , résolu de laver sa
honte dans le sang des princes grecs , il eut un accès de fureur, pendant
lequel il massacra des troupeaux , croyant égorger Uly se et ses juges .
Revenu à lui-même , et moins confus de ses excès que de voir sa vengeance
trompée , il se donna la mort. Tel est l'instant et le sujet de la scène .
Y 2
340 MERCURE
DE FRANCE
,
Annonce à mes parens mon déplorable sort ,
Les vengeances des Dieux , mes fureurs et ma mort.
Ma mère ! ... Ah , si jamais un récit trop fidèle
De mes cruels destins vous portoit la nouvelle ,
Quels cris ! ... Mais est-il temps de m'at tendrir encor ?
Cher et fatal présent que je reçus d'Hector ,
Quand j'osai , contre lui mesurant mon courage,
D'un combat singulier disputer l'avantages
Instrument de ma gloire et de mon déshonneur ,
Fer, qui fus si souvent utile.à ma fureur,
Je n'attends plus de toi qu'un funeste services:
Termine d'un seul coup ma vie et mon supplice.
Qu'à son retour, Teucer, par mes soins éloigné,
Dans les flots de mon sang me retrouve baigné.
O mort , jette sur moi des regards favorables !
Je t'offre de mes jours les restes déplorables :
Je te suis ; avec toi je descends aux Enfers .
✪ lumière du jour pour jamais je te perds !
Salamine , ô patrie, ô palais de mes pères ,
Athènes, chers amis , bois , campagnes , rivières,
Qui fites autrefois le plaisir de mes yeux,
Du malheureux Ajax recevez les adieux !
KERIVALANT.
A LAURE ,
Qui m'avoit dit en plaisantant qu'elle me rendroit athée.
Non , ne crois pas , charmante Laure ,
Pouvoir chasser de mon esprit
Cet être par qui tout est , se meut , pense , agit :
Non , j'ai besoin de croire à ce Dieu que j'adore
Tous tes argumens seront vains :
Pour démontrer son existence ,
Je t'oppose à toi-même ; et tous ces traits divins ,
Dont contre lui s'arme ton éloquence ,
Suffiront seuls à sa défense :
Si Dieu n'est pas , comment pourras-tu m'expliquer
›Cet art de raisoner, le premier de tes charmes? -
Ah ! de lui seul tu tiens les armes
*
Dont tu te sers pour l'attaquer ;
Lui seul , il a formé cette bouche perfide
FEVRIER 1806. 341
Qui plaît même en le blasphement ;
Sur ton front calme et fier sa majesté réside ,
Et de tes yeux l'irrésistible aimant
Est l'emblême de sa puissance.
Ce Dieu que tu combats respire dans tes traits ;"
Par tes talens , par tes attraits ,
Tous ces raisonnemens sont réfutés d'avance ,
Et j'ai vaincu , si tu parois.
Cesse donc de nier , toi , sa parfaite image ,
Cet être en qui tout vit et par qui tout est né,"
Et paie au moins de ton hommage ,
Le droit qu'au nôtre il ťa donné
Chacun , en te voyant si belle ,
Forcé soudain au même aveu ,
Dira Laure , il existe un Dieu , :
Puisque tu n'es qu'une mortelle.
LUCE DE LANCIVAL.
ENIGM E.
ON me fait moins sentir à parler qu'à se taire ;
Je suis en mille endroits , et ne suis en aucun ;
Je déplais à Nature , et déplais à chacun .
L'objet le plus petit m'est tout-à- fait contraire.
Si j'entre en un cerveau , j'en chasse la raison :
Avec même frayeur je désole une bourse.
Je suis au corps humain un si cruel poison,
Qu'il est enfin forcé de terminer sa course .
Lecteur, pour me trouver, observe bien ce point :
Tu ne me trouveras qu'en ne me trouvant point .
AUTR E..
CONTRE la terre pécheresse
Je sers le bras du Tout-Puissant ,
Et de ce Dieu plein de tendresse,
Je suis le plus riche présent .
L'univers devient ma pâture ,
Si l'on n'arrête mes progrès ;
Et cependant à mes bienfaits
Il doit sa plus belle parure.
37
342 MERCURE DE FRANCE
RAN
,
&
Par ma faveur le genre humain
Reçoit et conserve la vie ;
Des malheureux en proie à ma furie
Trouvent le trépas dans mon sein.
C'est moi qui peins les traits qu'on vient de lire :
J'anime le poète , insi que l'orateur :
J'aignise épigramme et satire ;
Et quand je n'y suis plus , tremble pauvre lecteur .
LOGO GRIPHE
MES conseils , cher lecteur , sont toujours excellens ;
J'éclaire sur hu't pieds les sots et les savans .
Le filon me redoute et l'amoureux m'évite ;
C'est sur-tout dans la nuit que brille mon mérite ,
Sans ma tête , je suis , pour l'hu.nble mendiant ,
Un objet de douleur qu'il aperçoit souvent ;
La qualité qui plaît à l'univers entier
Se présente à tes yeux sur quatre de mes pieds ;
Mais si de bien chercher tu formes le dessein ,
En me décomposant tu trouves dans mon sein ,
D'abord , deux élémens l'un à l'autre contraire ;
Puis , ce que le méchant se plaît toujours à faire ;
Un outil nécessaire au temps de la moisson ;
Deux notes de musique ; un article ; un pronom ;
Le siége de l'honneur , clui du sentiment ;
Le nom qu'on donne au lots agités par le vent ;
Des amis de la danse une assemblée chérie ;
Ce que l'on croit gagner dans une loterie,
Devi esi tu peux je ne t'eo dirai las ;
1
Pour vouloir être clair , je deviendrois confus,
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº est Sarrasin.
Celui du Logogriphe est Monde , où l'on trouve onde , mode, ode.
Celui de la Charade est Dure-mère,
FEVRIER 1806. 43
RÉFLEXIONS
Sur l'Esprit et le Génie.
LESES contemporains , qui ne jugent que par l'impression
du moment , prennent souvent l'esprit pour
du génie , et quelquefois aussi le génie pour de l'esprit
. La postérité qui a eu le temps de la réflexion ,
et le secours de l'expérience , remet à leur place les
hommes et les réputations . Ce sont deux tribunaux ,
dont l'un juge sur les lieux , en présence des parties
et au milieu de toutes les séductions ; et dont l'autre ,
placé loin des intéressés et de leurs passions , prononce
en dernier ressort , et confirme ou annulle la sentence
des premiers juges .
Racine a bien de l'esprit , disoit -on du temps de
cet illustre poète ( 1 ) ; « Racine est un beau génie » , a
dit la postérité ; et peut- être n'accordera - t - elle que du
bel esprit à quelques hommes célèbres de l'âge suivant
, que leurs contemporains ont nommé des hommes
de génie .
Ainsi des écrivains qui ont fait
leur esprit
par
les délices de leur siècle , sont à peine connus de la
génération qui a succédé , tandis que d'autres , moins
remarqués de leur temps , ont vu croître leur réputation
, et reçoivent d'âge en âge de nouveaux tributs
d'estime et d'admiration .
C'est que tout ce qui n'est qu'esprit est un peu
volatil de sa nature , au moral comme au physique.
Il produit d'abord une impression vive , qui bientôt
se dissipe et s'évapore à force d'être répétée : sem-
1
(1) Cours de Littérature de M. de La Harpe.
344 MERCURE DE FRANCE ,
blable à ces monnaies dont l'empreinte s'efface par
le frottement . Mais le génie , pareil au diamant quelquefois
méconnoissable au sortir de la mine qui le
recèle , ne perd rien de sa solidité par le temps ,
acquiert de l'éclat par l'usage .
et
La pensée appartient à tous les êtres intelligens
ou plutôt elle est l'intelligence même ; mais l'esprit ,
je veux dire la facilité de saisir et de combiner les
divers rapports sous lesquels un ou plusieurs objets
peuvent être considérés par la pensée , l'esprit . dont
aucun être intelligent n'est totalement dépourvu ,
n'appartient , en un degré éminent , qu'au petit nombre
d'hommes qui ont reçu de la nature cette heureuse
disposition , et qui l'ont cultivée par l'étude et
la réflexion .
9
Ainsi tous les hommes ont la pensée de Dieu , la
pensée de l'homine ; mais il n'y a qu'un esprit exercé
qui découvre les rapports de l'homme à Dieu , et en
déduise les lois de la société , les motifs de nos affections
et la règle de nos devoirs .
Ainsi , dans un autre ordre d'objets , long-temps
les hommes employèrent le bois à réchauffer leurs
corps ou à préparer leurs alimens ; long - temps ils
considérèrent les animaux , et gémirent eux-mêmes
sous de lourds fardeaux ; avant qu'un homme ingenieux
et industrieux à la fois , saisissant par la pensée
les rapports de ces différens objets , de ce bois fit un
char , y attelat des animaux et s'en servit à traîner
des fardeaux .
Un esprit cultivé peut être juste , peut être faux ,
selon qu'il saisit dans les objets des rapports vrais
naturels et complets , ou des rapports contraires à
leur nature , et le plus souvent incomplets ; c'est -àdire
, selon qu'il saisit tous les rapports que la pensée
peut découvrir sur un même objet , ou seulement
une partie de ces rapports. Donnons- en un exemple,
Les hommes considérant les enfans sous le double
rapport de leur coeur et de leur esprit , n'ont pas
FEVRIER 1806. 345
tardé à s'apercevoir qu'à cet âge les affections précèdent
les connoissances ; ils en ont conclu , comme
un rapport naturel , la nécessité d'apprendre à l'enfant
à aimer , avant de lui apprendre à connoître ; et
pour prévenir l'explosion des affections désordonnées ,
ils ont cherché à lui donner des affections utiles et
réglées , et ils lui ont enseigné à aimer Dieu comme
le bien suprême , et à détester , comme le souverain
mal , tout ce qui peut lui déplaire ; et tous les peuples
se sont accordés dans ce système d'éducation , parce
qu'heureusement pour la société , l'esprit du plus
grand nombre des hommes est juste et droit . De nos
jours , un homme célèbre qui a écrit sur la morale ,
s'arrêtant seulement à l'incapacité des enfans à comprendre
ces hautes vérités , et n'allant pas plus loin ;
craignant de préoccuper leur jugement , lorsqu'il devroit
craindre de laisser leurs affections errer sans
objet et sans frein , a soutenu qu'il ne falloit leur parler
de Dieu et de leur ame que lorsqu'ils auroient
atteint l'âge de la pleine raison , et même l'époque
des plus violentes passions ; et il a fait des prosélytes
parmi les esprits foibles , je veux dire les esprits qui
ne sont pas naturellement faux , mais qui sont aisés
à fausser par trop de vivacité d'imagination , ou par
défaut de réflexion et de connoissances.
Les erreurs en morale , débitées avec le charlatanisme
du raisonnement et le prestige de l'éloquence ,
en imposent au grand nombre , parce qu'il y a , dans
le coeur de l'homme , un parti rebelle avec lequel l'erreur
entretient toujours de secrètes intelligences. Le
paradoxe plaît même par sa nouveauté , et la vérité
paroît auprès trop simple et trop timide. Ce sont les
sauts périlleux et les tours de force d'un voltigeur, dont
le peuple est beaucoup plus frappé que des attitudes
nobles , aisées et gracieuses d'un danseur consommé ;
ce sont , si l'on aime mieux , ces constructions hardies
et légères qu'un architecte se permet quelquefois
contre les règles de son art , et que le vulgaire
346 MERCURE
DE FRANCE ,
admire plutôt que ces édifices qui réunissent la solidité
et la régularité des proportions .
Ainsi , un écrivain qui , par déréglement d'esprit
ou par calcul de vanité , fait servir des talens supérieurs
à attaquer des vérités anciennes et respectées ,
est toujours sûr d'obtenir de son vivant une grande
vogue ; parce que dans une société où le plus grand
nombre des hommes , instruits par une doctrine uniforme
, suit vers la vérité une route commune ,
ne remarque guère que ceux qui s'écartent des autres ,
ou ceux qui les devancent . Cette dernière comparaison
nous conduit naturellement à parler du génie.
:
on
Le génie , en effet , est cette puissance d'intelligence
qui découvre de nouveaux rapports dans les
objets car il n'est pas donné à l'homme de découvrir
de nouveaux objets , mais seulement les rapports.
qu'ils
' ils ont entr'eux . Les hommes de génie devancent
donc les autres esprits dans la carrière des sciences ;
ils sont , pour ainsi dire , les professeurs de la société ,
et les hommes d'esprit en sont les répétiteurs , qui
expliquent la doctrine des maîtres pour l'instruction
des disciples , et quelquefois la défigurent et la corrompent.
in-
Il n'est pas besoin d'ajouter que les rapports que
le génie découvre doivent être justes et naturels , c'est-
-à-dire , être des vérités. A parler exactement , des
rapports faux ne sont pas des rapports ; et l'expression
même de rapport , qui se dit en latin ratio , et même
en français raison dans quelques circonstances ,
dique d'elle - même quelque chose de vrai . Ainsi , pour
en donner des exemples , pris à la fois dans l'ordre
moral et dans l'ordre physique , le rapport de l'homme
à Dieu n'est pas plus exprimé par le mot indépendance
que la raison ou rapport de la progression 2 ,
4, 48 , 16, 32 , etc. etc. , n'est exprimée par le nombre:
3.
1
L'esprit juste ou faux est toujours de l'esprit , comme
Je feu est toujours du feu ; et lorsqu'il réchauffe nos
FEVRIER 1806. 347
*
'corps , et lorsqu'il incendie nos habitations . On ne refuse
pas plus le titre d'hommes d'esprit aux Hardouin ,
aux la Motte , aux Linguet , ces fameux artisans de
paradoxes littéraires ou politiques , qu'aux écrivains
qui ont mis le plus de raison dans leurs écrits . Mais
l'idée de génie exclut , même dans l'acception qu'on
donne communément à cette expression , l'idée de
faux. Le génie , là où il se trompe , n'est plus du génie :
erreur et génie ne peuvent tomber sur les mêmes
points . La raison de cette différence du génie à l'esprit
, n'est pas difficile à découvrir . L'esprit n'est , pour
ainsi dire , le , que compagnon du voyage , et s'il n'instruit
pas , il amuse . Mais le génie en est le guide : et
'lorsqu'il s'égare , il manque à sa destination naturelle ,
il n'est plus du génie .
Geux qui pourroient redouter , pour les objets de
leur admiration , l'application de ce principe , doivent
se håter de le combattre ; les conséquences en sont
alarmantes pour beaucoup de réputations.
Il est vrai que ceux qui se croient intéressés à défendre
la cause d'hommes de génie qui se sont trompés
, ont la ressource de prétendre hautement qu'il
n'y a pas d'erreur dans leurs écrits , ou tacitement
qu'il n'y a , au fond , dans le monde ni erreur ni vérité.
Ce dernier moyen de justification ne peut être
admis ; car il aboutit à l'athéisme , où finit la raison
humaine . L'autre est difficile à soutenir , après ce que
nous avons vu de l'application récente de certaines
théories . En vain voudroit-on , comme on le voit quelquefois
, faire honneur au génie de ces écrivains de
la perfection idéale de leurs théories , qui ne sauroient
, par leur perfection même , recevoir d'application
. Les hommes ne peuvent juger une doctrine
que par ses fruits ; et une théorie sans application possible
, est fausse et chimérique , comme une volonté
sans exécution possible est une volonté imparfaite .
Toute théorie faite pour les hommes , qui commence
par méconnoître leur nature et les suppose autres
348 MERCURE DE FRANCE ,
qu'ils ne sont , est une absurdité , et ne prouve que la
foiblesse d'un esprit qui dépasse la juste mesure des
choses , faute de pouvoir s'y fixer ; et on peut la comparer
à une théorie de l'art de la sculpture par exemple
, qui supposeroit que le marbre est fusible comme
la cire , ou malléable comme le plomb , et qui donneroit
en conséquence des préceptes sur la pureté dụ
dessin et le moelleux des draperies.
Il faut distinguer le génie dans les sciences physiques
, du génie dans les sciences morales.
Ptolémée et Descartes (comme inventeurs d'un système
physique ) , l'un avec son système du monde ,
l'autre avec ses tourbillons , ont passé dans leur temps ,
aux yeux d'un grand nombre de physiciens , pour
des hommes de génie . Copernic et Newton , plus
habiles et plus heureux , les ont fait descendre de ce
haut rang ( sous ce rapport seulement ) , dans celui
d'hommes de beaucoup d'esprit. S'il étoit possible
que quelqu'autre inventeur de système découvrit des
erreurs graves dans les hypothèses de Copernic et de
Newton, ceux- ci décherroient à leur tour du titre
d'hommes de génie dont ils sont en possession , et ne
seroient plus regardés que comme des hommes d'une
belle et grande imagination ; et l'on peut en dire autant
de tout ce qui est hypothèse et système dans les
sciences physiques : car ce qui est d'expérience est
dû au hasard , et alors le génie n'y est pour rien ; ou
bien il est le fruit du raisonnement , et le génie peut
en réclamer sa part . Ainsi , dans la plus grande découyerte
qui ait jamais été faite , la découverte du Nouveau-
Monde , Colomb en avoit deviné l'existence par
la force de sa raison ; et ce grand homme le chercha
avec un courage et une persévérance qui ne pouvoient
venir que de cette conviction impérieuse , impossible
à détruire ou même à dissimuler , et qu'on peut appeler
l'obsession du génie.
Mais dans la science de l'homme moral , lorsque
Corneille et Racine ont mis en action les deux caracFEVRIER
1806. 349
*
tères de Pauline et d'Acomat , tous deux de leur
invention , et les plus beaux peut-être qu'il y ait au
théâtre , on comprend facilement qu'ils n'ont pas à
redouter de descendre du haut rang où ces sublimes
créations les ont placés ; parce qu'on ne peut inventér
mieux , ni même autrement dans les mêmes circonstances
; et qu'ils ont atteint , dans ces données ,
la perfection de la vertu dans une femme , et de la
force d'ame et de tête dans un ministre. C'est là une
nouvelle preuve que nous connoissons les vertus morales
beaucoup mieux que les verités physiques , et
que nous avons même des premières une connoissance
complète et achevée que nous n'aurons jamais des
autres ; et la raison en est évidente : la société , à laquelle
toute science se rapporte , ne sauroit arriver à
la perfection des lois et des moeurs , dans laquelle
consiste la civilisation , sans la connoissance de toutes
lcs vérités morales , et elle peut se passer de la connoissance
d'un grand nombre de vérités de l'ordre
physique . Elle marche vers son but avec le système
de Ptolémée comme avec celui de Copernic ; avec
les tourbillons de Descartes comme avec l'attraction
de son rival ; avec la doctrine des anciens physiciens
sur le vide , comme avec les expériences de Toricelli
et de Pascal sur la pesanteur de l'air ; et même quand
les prodiges de l'électricité et du galvanisme ne seroient
pas encore déconverts , je ne pense pas qu'il
en résultât des effets bien sensibles sur la perfection
de l'homme et la science du gouvernement. Oui , nous
ne connoissons complétement que les vérités de l'ordre
moral ; il ne laut pas se lasser de le redire à ceux
qui , prenant leur ignorance pour une objection , et
leurs hypothèses pour des démonstrations , croient
qu'il n'y a rien de certain en morale , et que la vérité
ne se trouve que dans des nomenclatures , des classifications
, des manipulations et des calculs .
Il ne faut pas cependant mépriser l'esprit de système,
trop souvent décrié par ceux qui n'ont de l'es350
MERCURE DE FRANCE ,
prit d'aucune sorte , ou qui se persuadent qu'il n'y a
plus rien à découvrir . Tout système , comme l'a dit
ailleurs l'auteur de cet article , est un voyage au pays
de la vérité , et la vérité ne se trouve qu'autant qu'on la
cherche . Mais si l'esprit cherche , le génie découvre ,
et il arrive au terme de la course , au séjour même de
la vérité .
Un autre caractère du génie est que ses découvertes
soient d'une haute importance . Des inventions d'une
utilité bornée ne passent pas , dans l'ordre moral
ce qu'on appelle l'esprit ; et dans l'ordre physique ,
l'industrie et la sagacité . Ainsi , l'inventeur d'un procédé
économique dans les arts , est un homme industrieux,
et l'inventeur du madrigal un homme d'esprit.
L'auteur du canal de Languedoc , et le père de l'épopée
et de la tragédie , sont des hommes de génie.
Il suit de là que le génie s'exerce dans les grandes
choses plutôt que dans les petites ; il réussit en l'ensemble
d'un objet mieux qu'aux détails ; et s'il paie
le tribut inévitable à la foiblesse humaine en se trompant
sur des conséquences , il doit , pour conserver
l'empreinte de sa céleste origine , ne jamais errer sur
des principes .
9
On peut à présent apercevoir la raison de l'accueil
différent que les hommes font à l'esprit et au génie .
L'esprit réussit aussitôt qu'il se montre : c'est , si l'on
me permet cette comparaison , une marchandise qui
est payée comptant , parce que tout le monde en
connoît le prix et l'usage. Mais le génie court presque
toujours la chance d'une échéance longue et incertaine
; parce que sa valeur n'est pas d'abord fixée , ni
son utilité reconnue. Les bons esprits attendent ; les
ignorans dédaignent ; les intéressés conspirent , pour
maintenir des erreurs accréditées et d'anciennes réputations
car le génie est un libérateur , qui vient affranchir
les esprits d'une longue tyrannic ; et loin de
ne laisser après lui que des déserts, comme l'a dit
un bel- esprit , il ouvre aux hommes une source fé-
7
FEVRIER 1806. 33 C
conde de biens et de vérités . Mais le bien en tout
genre ne s'établit jamais sans résistance . Le destin du
génie est donc presque toujours d'être combattu ou
méconnu ; et s'il se sauve de la persécution de l'injure
, rarement il échappe à la persécution de l'indifférence.
Aussi quelques hommes fameux du dernier siècle ,
qui avoient beaucoup d'esprit et de plus d'un genre ,
et l'esprit qui compose des ouvrages et l'esprit qui les
fait valoir , se plaignoient , même au milieu des plus
brillans succès , du nombre et de l'acharnement de
leurs ennemis . Ils auroient voulu joindre le mérite de
la persécution aux honneurs du triomphe , et faire
regarder , comme des obstacles aux progrès de la
vérité , les contradictions les plus légères et souvent
les plus utiles à leurs intérêts.
On pourroit examiner , d'après les principes quenous
avons établis , les titres de quelques écrivains
célèbres à la réputation d'hommes de génie. Le juge
ment des contemporains peut être revu par la pos- ,
térité , surtout lorsqu'il y a eu partage entre les
juges, et que l'avis qui a prévalu a porté un caractère
d'esprit de parti qui peut rendre le jugement suspect
DE BONAL D. et la révision nécessaire .
3
Le Grammairien Fabuliste , ou Principes de la Grammaire
Française , mis à la portée du premier âge , et confirmés par
des fables aussi instructives qu'amusantes ; par F. Sauger-
Préneuf, directeur d'Ecole secondaire à Limoges . Un vol .
in- 12. Prix :: I fr. 25 c. , et 1 fr . 75 c. par la poste . A Paris ,
chez la veuve Nyon , rue du Jardinet ; et chez le Normant ,
libraire , rue des Prêtres S. Germain -l'Auxerrois , nº 17..
M. SAUGER - PRENEUF , de Limoges , est encore un de ces
hommes complaisans qui veulent emmieller l'étude comme le
352 MERCURE DE FRANCE ,
pain qu'on donne aux enfans . Il ignore qu'il faut , dès l'âge
le plus tende , accoutumer l'esprit comme le corps à une
nourriture solide , et que , si rien n'est plus propre à faire
trouver insipide celle qui se représente à tous les instans du
jour , que les fades douceurs dont on la recouvre , rien aussi
n'est plus capable d'affoiblir l'attention qu'on doit à l'étude ,
que d'y mêler des jeux et des amusemens. Les enfans dévorent
le sucre, et sont remplis d'ardeur pour les distractions ; mais
ils jettent le pain , et ils ont horreur du travail .
Les premiers élémens des sciences sont simples , et tout
l'art du maître qui les enseigne consiste à les réduire à leur
pureté primitive , afin que l'écolier puisse les concevoir et les
retenir facilement. Il est vrai qu'une telle méthode n'offre
aucun aliment à la vanité des instituteurs , qui veulent absolument
avoir une manière à eux , et qui se croient obligés
de faire des livres. Il y a long - temps que les principes sont
posés et définis ; il ne faut plus , pour être un maître habile ,
qu'une intelligence capable de les comprendre , et , par- dessus
tout , une patience suffisante pour les enseigner. Les premières
règles de la Grammaire , réduites à leur juste mesure , tiendroient
à peine dix pages ; tout le reste de cette science ne
peut être appris que par l'usage , et c'est là que commence
le travail du maître . Il dirige l'application des principes ; et ,
selon son goût et sa capacité , il choisit ses exemples ou dans
les manieres de parler que l'usage a consacrées , ou dans les
écrivains qui ont acquis de la célébrité.
Il y a trois choses principales à distinguer dans l'étude de
la Grammaire ':
1º . Les principes généraux , qui enseignent à distinguer la
qualité de chaque mot en particulier , et le rapport de tous les
mots de chaque phrase entr'eux ;
I
2°. L'orthographe , qui est la manière d'écrire correctement
les mots ;
Et 5° . les règles de la construction des phrases.
M.
FEVRIER 1806.
353
M. Sauger- Préneuf n'a voulu s'occuper, dans son petit
Traité , que de la première partie , et au lieu des dix pages
qu'il lui falloit , il en a employé cent ce n'est pas trente de
moins que les plus volumineux grammairiens n'en ont écrit
pour cette seule partie ; mais si l'on veut ne compter que les
choses utiles que ce petit volume renferme , on reconnoître.
bientôt qu'elles occupent deux fois plus de place que dans
aucun autre Traité ; de manière que si M. Sauger Préneuf continue
d'écrire sur cette matière , en suivant le plan qu'il s'est
tracé , il arrivera que ses abrégés seront bien plus considérables
que les ouvrages qu'il veut simplifier. C'est un fait
qu'il est aisé de vérifier : sur cent pages de leçons , M. Sauger-
Préneuf en emploie cinquante à copier toutes les fables qui
lui reviennent à l'esprit ; s'il parle du nom , il donne cinq
fables , dans lesquelles il y a des noms propres , des noms
substantifs, des noms communs, des noms collectifs, et des
noms masculins, feminins, singuliers et pluriels. S'il explique
le pronom , il ne lui faut pas moins de six fables , dans lesquelles
on trouve tous les pronoms imaginables , le personnel , le
demonstratif, le possessif, le relatif, l'interrogatif et l'indéfini.
S'il dit un mot de l'e muet , de l'é fermé et de l'é ouvert ,
vîte
une fable dans laquelle tout cela se rencontre il n'y a pas
jusqu'à la virgule qui ne lui fournisse un motif de produire
une très-longue et très - mauvaise fable de Florian , intitulée
le Chien coupable . Il est vrai que M. Sauger- Préneuf a soin
de nous prévenir que le titre de Grammairien Fabuliste ,
qu'il donne à son ouvrage , annonce un grammairien qui a du
gout pour les fables. Mais quoi ! parce que M. Sauger-
Préneuf a du goût pour les fables , faudra- t - il que tous les
enfans perdent leur temps à lire toutes celles qu'il lui plaît
de transcrire dans son volume ? « Cela les amuse , me dira-t- il ,
» et le grand art de l'instituteur est de trouver le moyen
» ingénieux de fixer leur imagination en leur présentant
» l'objet de ses leçons sous le point de vue le plus riant et le
::
Ꮓ
354 MERCURE DE FRANCE ;
1
» plus récréatif. » Eh ! monsieur l'instituteur , que ferez - vous
donc pour les amuser dans leurs momens de loisir ? Quoi !
vous voulez que leurs plus sérieuses études soient riantes
et récréatives ! Faut - il donc vous apprendre que l'étude et le
rire s'excluent mutuellement , et que le mot de récréation
suppose une occupation sérieuse , une application précédente ,
comme le repos suppose la fatigue , et qu'il n'est pas plus
possible de cultiver son esprit en se divertissant que d'exercer
ses jambes en restant en repos ?
M. Sauger - Préneuf se wante d'avoir composé son ouvrage
sur un plan absolument neuf. Je ne sais dans quelle Grammaire
ce nouvel écrivain a puisé son instruction ; mais , en
vérité , je ne vois d'autre différence que le titre , entre son
ouvrage et tous ceux du même genre que l'on rencontre.par-,
tout. Aucun ne s'étoit encore avisé d'annoncer, au lieu de la
matière du livre , son goût particulier pour tel ou tel genre de
littérature ; et s'il est permis de s'intituler le Grammairien
Fabuliste , pour indiquer un homme qui aime Ics fables , un
autre , qui voudra réjouir davantage , s'appellera le Grammairien
Comique , ou , s'il veut ne donner que des exemples
terribles et frappans de l'apostrophe et de l'interjection , il
s'affichera sous le titre de Grammairien Tragique . Dès qu'on
est sorti de la voie du sens commun , il n'en coûte plus rien
pour se livrer à toutes les folies que la sotte vanité peut suggérer.
On sait d'ailleurs que nous avons en ce genre même
tout le sublime de l'extravagance dans la Grammaire en
vaudevilles. On peut bien après cela défier tous les nouveaux
venus de renchérir sur la bêtise de cette conception : tous
leurs plans n'auront pas même le mérite de la nouveauté.
M. Sauger - Préneuf croiroit- il avoir fait une découverte
utile aux progrès de la science qu'il professe , en confondant
avec les adjectifs quelques remarques anciennes sur les pronoms
démonstratifs et les personnels ; et peut- il s'imaginer
que , quand il les auroit placées , comme ses devanciers , au
FEVRIER 1806. 355
chapitre qui leur convenoit , elles en auroient été moins justes ,
mois faciles à trouver ou à retenir ? Ce qu'une pareille
bizarrerie a de nouveau peut- il enfler l'orgueil d'un directeur
d'école secondaire à Limoges ?
Ce grammairien fabuliste veut , dit - il encore , écarter de
sa science , avec la plus scrupuleuse attention , toutes les
épines qui peuvent ou blesser l'élève , ou l'embarrasser dans
sa marche. Il seroit curieux de savoir ce qu'il entend par
les épines de la Grammaire. Sont- ce les principes , les précepies
ou les leçons ? Cela ne se peut , puisque ce seroit écarter
la science elle - même. Que lui reste - t-il donc à écarter ,
puisque rien de ce qui est uile ne peut en être ôté ? Je l'ignore ,
et M. Saug r-Préneuf ne le sait pas plus que moi . Ce profes
scur a trop d'expérience en effet pour croire qu'on puisse sup
primer l'explication d'aucune partie du discours , sans nuire à
l'instruction d'un enfant , et il se garde bien de retrancher
de son livre la plus chétive leçon , puisqu'on y trouve jusqu'à
huit chapitres sur les sels accens , et qu'il en a même un
neuvième pour les lettres majuscules. M. Sauger Préneuf prétendra-
t- il que les fables qu'il mêle aux préceptes ont le pou=
voir d'en détruire la sécheresse et l'aridité , pour parler un
moment le langage de la fausse doctrine ? Mais , par quelle
vertu opéreroient - elles ce miracle ? Comment , par exemple ,
les Animaux malades de la peste enseigneront- ils que le mot
peu ( quantité ) est différent du mot peut ( il peut ) ? Est- ce
parce que ces deux mots se rencontrent dans cette fable ? II
faudroit être bien simple pour le croire . Ne faudra- t - il pas
toujours en expliquer la raison , et dire que le premier est un
adverbe , dont l'orthographe est invariable , tandis que l'autre
vient du verbepouvoir, qui s'écrit différemment à ‹ haque tempsy
La fable exemptera - t - elle l'enfant de donner à cette simple leçon
tout le degré d'attention qu'elle mérite , et n'est-elle pas plutôt
capable de le distra re que de l'aider à profiter ? C'est cependant
avec cette longue fable que M. Sauger- Préneuf veut
Za
356 MERCURE DE FRANCE ,
qu'on apprenne à distinguer un verbe d'un adverbe . S'il peut y
réussir , j'en suis fort aise ; mais cela seroit un peu surprenant.
Sa méthode me rappelle l'invention d'un de ses confrères ,
qui n'étoit pas un grammairien fabuliste , mais un grammais
rien historique ; car c'étoit avec des histoires qu'il prétendoit
instruire les enfans. A chaque mot qu'il vouloit enseigner, il
se mettoit à raconter une longue histoire , dans laquelle ce
mot revenoit de loin à loin. Cette histoire avoit une double
vertu , elle endormoit l'instituteur, et elle divertisoit l'enfant ;
mais elle le divertissoit si bien , qu'il ne vouloit jamais qu'on
en interrompît la lecture pour lui faire remarquer le mot
qui faisoit le sujet de la leçon : de manière que l'histoire servoit
précisément à l'empêcher de s'instruire . N'étoit - ce pas
là une méthode bien récréative ?
Personne ne doit donc se flatter d'éviter aux élèves la gêne
que produit l'application de l'esprit dans l'étude de la Grammaire
, comme dans celle de toute autre science ; et s'il existe
une manière d'enseigner qui soit plus avantageuse que celle
qui se trouve toute tracée dans les ouvrages des anciens
maîtres , ce n'est certainement pas celle de M. Sauger-Préneuf.
Il est certain , et nous en avons un exemple sous les yeux ,
qu'il y a des esprits qui ont l'art d'embrouiller les choses les
plus claires , tout en croyant les éclaircir. Que M. Sauger-
Préneuf eût marqué tous les mots d'une seule fable du nom
qui leur convenoit , je lui passerois volontiers ce travail inutile
, qu'il faut laisser aux enfans . On se doute bien qu'il est
en état de reconnoîre un verbe , et qu'il sait ce que c'est qu'un
adjectif; mais qu'il ait employé la moitié de son ouvrage à
faire remarquer l'article , l'accent aigu et l'accent grave , qui
se trouvent dans plus de quarante fables , qu'il transcrit sans
aucun propos , cela passe la mesure , et il convient de lui rappeler
que , dans un ouvrage de cette nature , il n'y a lieu de
citer dans la Syntaxe que des morceaux fort courts , qui servent
à autoriser une certaine tournure de phrase , sur laquelle on
FEVRIER 1806 . 357
donne une leçon; qu'il n'y a rien de plus inutile et de plus incon
venant que de copier une page entière pour faire remarquer
un qui interrogatif, et qu'enfin c'est le comble du ridicule
que de présenter ces enfantillages comme un plan sérieux
d'instruction .
Nous ne pouvons nous défendre de remarquer encore que
M. Sauger- Préneuf confond avec la science de la Grammaire
celle qui doit précéder son étude : il suppose que les enfans
qui le liront ne connoîtront ni les voyelles , ni les consonnes .
ni le nombre des lettres , ni ces lettres elles - mêmes . Il commence
donc par dire qu'il y a vingt - cing lettres , qui
sont , etc.; ensuite , avec ces vingt-cinq lettres , il a le secret
d'en composer trente , savoir : onze voyelles et dix neuf consonnes.
Ce sont six voyelles de plus qu'on n'en compte communément
; mais il faut excuser M. Sauger-Préneuf : la prononciation
de sa province a pu l'induire en erreur , et lur
faire prendre pour des sons simples quelques syllabes nazales
ou ténébreuses , telles que un , ou , eu , an, etc , auxquelles
il donne la préférence , sans qu'on en voie aucune raison .
M. de Wailly, dans sa Grammaire , en avoit trouvé quinze de
cette nature ; mais si tous les sons qu'il est possible de former
par la seule ouverture de la bouche sont des voyelles , au lieu
de quinze , on en trouvera bientôt plus qu'il n'y a de lettres
dans l'alphabet. Au surplus ces remarques , qui se trouvent
tout-à - fait déplacées en tête du livre de M. Sauger-
Préneuf, sont renvoyées avec d'autres dans le Traité de
M. deWailly, à la fin de la Syntaxe, plutôt pour servir de supplément
à l'instruction des maîtres que pour commencer celle
des enfans. M. Sauger-Préneuf a donc eu tort de déranger cet
ordre.
C'est sans doute aussi parce que l'accent du Limousin
l'aura trompé , qu'il confond l'é ouvert avec l'é long , et qu'il
appelle le premier l'e moyen. Selon lui , procès et tempéte
doivent se prononcer de même , quoique différemment accen-
3
358 MERCURE DE FRANCE ;
tus : cela se peut à Limoges , mais à Paris cela n'est pas pos
sible. Il n'est pas inutile de remarquer, à cette occasion , que
toutes les Grammaires qui traitent de la prononciation sont
fort sujettes à ne donner qu'une fausse instruction , lorsqu'elles
n'ont pas été faites par un habitant de la capitale , et , dans
ce genre , on doit sur-tout se défier des fruits de la Garonne
et des contrées voisines .
#
Mais enfin , si M. Sauger - Préneuf n'a pas su se renfermer
dans les bornes étroites de son sujet , on doit avouer que les
pages dans lesquelles on en rencontre quelques chapitres , ne
contiennent que des principes reçus , connus et imprimés
depuis long- temps . Il seroit encore possible , cependant , de
remarquer quelque confusion dans la qualification de quelques
temps des verbes , et quelque obscurité dans la définition de
certaines parties du discours ; mais ces details feroient supposer
que tout l'ouvrage pourroit offrir quelque mérite réel ,
au moyen de quelques corrections ; et véritablement il n'en
vaut pas la peine .
G.
?
! 914
Essai sur le Nivellement. Un vol . in 8. avec 9 p'anches renfe
mant 68 figures. Prix : 7 fr . 50 cent. , et 8 fr . pr la
poste. A Paris , chez Delunce , imprimeur -librai é , rue des
Mathurins , hôtel Cluny , et chez Firmin Didot , libraire ,
rue de Thionville , nº . 10.
DEPUIS la publication de l'excellent Traité du Nivellement
de l'abbé Picard , qui eut lieu en 1684 , tous les niveaux
décrits dans les ouvrages de ce cé èbre astronome ont été
abandonnés. Les progrès considérables qu'ont fait la physique
, la chimie et les mathématiques ont permis de mesa .
rer avec une plus grande précision , différens arcs du meri¬
dien terrestre ; d'où il est résulté une éval ation plus exacte
des deux axes de notre p'anète ; des mesures no velles ont été
établies , et enfin un grand nombre d'expériences sur la pé¬
FEVRIER 1806.
359
1
fraction qu'éprouve la lumière en traversant horizontalement
l'atmosphère , ont servi à assigner la valeur moyenne de
l'angle de la réfraction . M. Busson - Descars , vivement pénétré
de toutes ces vérités , a senti qu'un nouveau Traité sur le
Nivellement étoit devenu indispensable , et il a publié en conséquence
l'Essai dont nous allons faire sentir en peu de mots
toute l'utilité .
Cet ouvrage est divisé en quatre chapitres . Le premier ,
consacré à la théorie du Nivellement , est terminé par une
table extrêmement commode des hauteurs du niveau apparent
au- dessus du niveau vrai , et des abaissemens causés par
réfraction , depuis 20 jusqu'à 10,000 mètres.
la
Dans le chapitre second , l'auteur décrit le niveau d'eau
ordinaire ; plusieurs niveaux à bulle d'air à une et à deux lunettes
; le plus simple des niveaux à perpendicule. Il indique
les avantages et les inconvéniens de ces divers instrumens "
et donne les moyens de vérifier et de rectifier ceux d'entre
eux qui en ont besoin.
Le troisième chapitre , un des plus importans de l'ouvrage ,
est entièrement employé à la pratique du Nivellement . On
y trouve tout ce qui est nécessaire pour faire vérifier et
rapporter un Nivellement . On y donne plusieurs méthodes fort.
simples , fruits d'une longue pratique , qui doivent rendre
les erreurs extrêmement rares dans l'opération du Nivellement.
Dans le quatrième chapitre , l'auteur se contente de donner
la description de deux niveaux de pente. Le premier est le
plus simple de tous ceux qu'on ait imaginés jusqu'à ce jour.
L'invention du second est due à M. de Chézy , l'un des plus
célèbres ingénieurs des ponts et chaussées. L'auteur de l'Essai
enseigne la manière de résoudre plusieurs problèmes aussi
curieux qu'utiles , au moyen de ce dernier instrument.
Suit un petit dictionnaire ou vocabulaire des expressions
les plus usitées dans le Nivellement.
L'Essai enfin est terminé par un supplément que l'auteur
y a joint depuis la publication de l'ouvrage . Ce supplément
4
INTAS
30
360 MERCURE DE FRANCE ,
roule entièrement sur le niveau d'eau . En le lisant , on voit
que M. Busson- Descars sent combien il est important de
s'occuper de préférence de l'instrument dont se sert le plus
grand nombre des niveleurs . La plupart des savans qui ont
fait jusqu'à présent des Traités sur le Nivellement , n'avoient
dit qu'un mot , en passant , sur le niveau d'eau ; ils
sembloient dédaigner un instrument qui a pourtant le mérite
de coûter peu , de pouvoir se construire et réparer partout , de
n'avoir point besoin de vérification , et auquel les plus fameux,
niveleurs sont obligés d'avoir souvent recours , faute d'autres
instrumens qui sont très - coûteux , et qui , lorsqu'ils sont en
mauvais état , ne peuvent se réparer que dans la capitale.
M. Busson- Descars n'en a pas moins fait des observations
très -délicates sur les niveaux à bulle d'air qu'il décrit ; observations
qui n'avoient été faites par personne avant lui .
Mais l'auteur a eu particulièrement en vue la grande majorité
des personnes que leur profession oblige de faire des Nivellemens
, et qui le plus souvent n'ont que des notions
légères sur les mathématiques . Il a craint de les effrayer par
des calculs algébriques : il a voulu être le plus utile qu'il lui
a été possible , et il n'a pas écrit une page sans avoir présenté
à l'esprit l'épigraphe nunc utile multis qu'il a choisie.
RONDELET , architecte du Panthéon.
VARIETÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
Le mauvais succès des spéculations de librairie ne décourage
pas les libraires : nous avons annoncé il y a quelque temps
la belle édition de Mad. de Sévigné , en 8 volumes in-8°.; le
libraire Colnet a mis en vente , cette semaine , les oeuvres
complètes de Duclos , historiographie de France , secrétaire
FEVRIER 1806. 361
perpétuel de l'Académie française , membre de celle des Inscriptions
et Belles-Lettres. Les différens ouvrages qui composent
les dix volumes de cette collection , ont été révus et
corrigés sur les manuscrits de l'auteur ; ils sont précédés
d'une notice historique et littéraire , et ornés de six portraits.
Le dixième volume contient plusieurs écrits inédits ; des
Mémoires sur sa vie , des Considérations sur le goût , des
Fragmens historiques qui devoient faire partie des Mémoires
secrets. Nous examinerons incessainment si cette volumineuse
collection est un véritable service rendu à la mémoire de
Duclos; si la postérité, toujours juste , indulgente même pour les
grands écrivains, n'est pas quelquefois plus que sévère envers les
écrivains du second ordre ; si cet académicien tant prôné , tant
vanté pendant sa vie , n'est pas aujourd'hui trop déprécié ,
ou plutôt trop oublié. Nous desirons sincèrement que les conclusions
de cet examen soient favorables à l'auteur des Consi
dérations sur les Maurs , et qu'il puisse résister à l'application
des principes développés dans ce numéro même , par
l'auteur de la Législation primitive. ( Voyez l'article sur le
Génie et l'Esprit. ) Quoi qu'il en soit , nous pouvons dès aujourd'hui
donner une idée dés fragmens historiques qui forment
une partie considérable du dernier volume , en citant
ceux qui nous ont paru les plus remarquables :
Extrait des dépêches du cardinal de Fleuri au cardinal de
Tencin , à Rome et à Lyon , pendant les années 1739 ,
40 , 41 et 42.
« Le roi de Prusse ( le grand Frédéric ) , prince faux , vain
>> au suprême degré , et qui se croit du moins égal aux plus
>> grandes couronnes : il m'a accablé des lettres les plus flat-
» teuses et les plus remplies d'éloges. Je n'en ai pas été la dupe,
>> car je sais que son système favori est , que la France est trop
» puissante , et qu'il faut travailler à l'abaisser . Il avoit voulu
» faire un voyage ici ; mais je trouvai moyen de l'empêcher ;
362 MERCURE DE FRANCE ,
» ce qui est le plus fâcheux , est que par principe et par pro-
>> fession , il n'a aucune religion. » ( Décemb. 1740. )
« Le roi de Prusse , qui craint beaucoup la puissance du
>> roi , le recherche fort en apparence ; mais peut-on se fier à
» un roi qui fait tout le contraire de ce qu'il a publié dans
>> son Anti-Machiavel , et qui va même plus loin que le per-
>> nicieux auteur qu'il fait semblant de réfuter ? Ajoutez à
>>> toutes ces réflexions que , quoiqu'il affecte l'irréligion , il
» veut qu'on le croie protestant , et qu'il se fera honneur
» d'être à la tête de ceux qui grossissent cette secle. » ( Ibid. )
« Le roi de Prusse est indéfinissable , et son caractère est
» encore une énigme ; il m'accable de marques d'amitié et
» d'estime, etje ne m'yfie pas : je le mettrai bientôt à l'épreuve.
» Entre nous , je n'ai lu de son Anti-Machiavel qu'une qua-
>> rantaine de pages , et j'en parle comme votre Eminence.
» J'y trouve du faux en tout , et , en voulant établir de grands
» principes , il s'en éloigne en les contredisant ; il est de lui
» et non de Voltaire , quoiqu'ils se ressemblent tous deux
>> par leur irréligion . » ( Janv. 1741. )
« Si j'étois d'humeur à faire le parallèle des belles protes-
>> tations que le roi de Prusse m'a faites dans ses lettres , avec
>> ses actions , j'aurois de quoi le couvrir de honte , supposé
>> qu'il en soit susceptible. Il s'est fait connoître tel qu'il est
» et peut-être ne le connoît-on pas encore parfaitement. S'il
>> nous a trompés , ce n'est pas ma faute ; car j'ai toujours eu
» une extrême répugnance à nous lier avec lui ; et plus il me
>> marquoit d'estime et de bonté , plus les louanges qu'il me
» prodiguoit m'étoient suspectes. >>>
"
Jésuites.
<«<< Les Jésuites commencent à se livrer au bel- esprit ; ils
acheveront de se décréditer par- là . » ( Nov. 1739. )
« Les Jésuites se perdront en France par l'anarchie qui y
FEVRIER 1806. 363
est , et par le bel- esprit qui a gagné la jeunesse , qui croit
>> par-là se faire un nom dans le monde . Le père Berruyer est
» un de ceux que je crains qu'ils ne fassent du tort à la Com-
» pagnie. » Ibid. )
« Il est fâcheux que les Jésuites baissent de crédit , parce
» qu'il faut convenir qu'il n'y a presque qu'eux qui défen-
» dent l'Eglise , et ils sont les seuls prédicateurs qui nous res-
» tent. Ils m'étoient très-peu favorables sous le feu roi , et
» m'en avoient donné des preuves bien convaincantes ; mais
» je crois qu'il est du bien de la religion de les soutenir , et
» je le fais efficacement sans rancune, » ( Fév. 1740, )
14
!
« Les Jésuites ne justifient que trop tous les jours l'opi-
» nion que cette Compagnie est radicalement dévouée à la
» maison d'Autriche ; il faut pourtant convenir qu'on ne peut
» point se plaindre des Jésuites de France , quoique je ne
>> voulusse pas répondre du fond de leur coeur. » ( Janv. 1741.)
« Votre Eminence pense bien juste sur les séminaires don-
» nés aux Jésuites ;
» Mais l'avare Acheron ne lâche point sa proie.
€
» Cette Compagnie se perdra par les journaux de Trévoux
» qui donnent aux jeunes gens qui ont de l'esprit , trop de
>> connoissances des livres anglais ; et d'ailleurs ils sont acé-
» phales en France. Il n'y a plus parmi eux de subordination.
» Ce sont eux seuls pourtant, de tous les religieux , sur qui on
» puisse compter, » ( 1741. )
« Le gouvernement despotique , et la subordination ab-
» solue qui constituoient la société des Jésuites , sont entière-
» ment perdus ; et je vois qu'il en est quasi à Rome comme
» en France , où ils vivent dans une espèce d'anarchie : les
>> provinciaux ont besoin d'adresse pour se faire obéir. »
Le Chancelier d'Aguesseau.
« M. le Chancelier est certainement très- habile , et a de
364
MERCURE
DE
FRANCE
;
» grandes lumières ; mais à force d'en avoir , il trouve des
» difficultés à tout , et il est élevé dans la crainte de Dieu et
» des parlemens. »
N. B. Ici finit la correspondance du cardinal de Fleuri .
Le comte de Grammont,
Le comte de Grammont , dont les Mémoires ont été écrits
par Antoine Hamilton , son beau - frère , étoit un roué de la
première classe , avec beaucoup d'esprit et très-mordant ; il
étoit redouté des ministres mêmes , parce qu'il amusoit le roi.
Il étoit frère de père du maréchal de Grammont. Sa mère
étoit soeur de Bouteville , décapité pour duel en 1628. Il
mourut à quatre-vingt-six ans. Ce fut lui qui vendit quinze
cents livres le manuscrit où il est si clairement traité de fripon.
Fontenelle , censeur de l'ouvrage , refusoit de l'approuver
, par égard pour le comte de Grammont. Celui-ci s'en
plaignit au Chancelier , à qui Fontenelle dit les raisons du
refus d'approbation. Le comte de Grammont , moins délicat
sur son honneur , et ne voulant pas perdre les quinze
cents livres , força Fontenelle d'approuver pour l'impression.
Je tiens le fait de Fontenelle même.
L'abbé de Vateville.
L'abbé de Vateville , frère du baron , ambassadeur à
Londres , grand-oncle de celui d'aujourd'hui , beau -frère du
comte de Maurepas , fut d'abord colonel du régiment de
Bourgogne pour le roi d'Espagne , Philippe IV , et se distingua
par plusieurs actions d'éclat. Mécontent d'un passedroit
, il quitta le service , et se fit chartreux. Après avoir
fait ses voeux , s'ennuyant de la solitude , il se procura quelqu'argent
de sa famille ; sans laisser soupçonner son dessein
fit acheter , par un affidé , un habit de cavalier , des pistolets
et une épée ; il se travestit une nuit dans sa cellule et prit
FEVRIER 1806 . 365
1
le chemin du jardin. Soit hasard , soit soupçon de la part du
prieur , ils se rencontrèrent ; Vateville le poignarda sur- lechamp
, et tout de suite sauta la muraille de l'enclos . On lui
tenoit un cheval prêt ; il s'éloigna promptement , et ne s'arrêta
que lorsqu'il le fallut , pour faire rafraîchir son cheval . Ce fut
dans un lieu écarté , où il y avoit pour toute habitation une
auberge. Il fit mettre à la broche un gigot et un autre morceau
de viande , ce qui étoit tout ce qui s'y trouvoit alors.
A peine commençoit- il à manger , qu'un voyageur arrive , et ,
ne trouvant plus rien , ne doute pas que le premier arrivé ne
veuille bien partager un dîner qui paroît suffisant pour deux.
Vateville prétend qu'il n'en a pas de trop ; la querelle devient
vive , et le nouveau venu s'empare d'un des deux plats
Vateville , ne pouvant le lui arracher , tire un de ses pistolets ,
et lui casse la tête , met l'autre sur la table , et menace l'hôtesse
et un valet , qui accourent au bruit , de les traiter de même
s'ils ne se retirent. Quoiqu'ils fussent alors les deux seuls dans
la maison , cela paroît assez difficile à croire ; mais c'est
ainsi que Vateville l'a conté plusieurs fois depuis. Il achève
promptement son dîner , fait amener son cheval , et , le pistolet
à la main , tient en respect le valet , jusqu'à ce qu'il ait
conduit son cheval par la bride assez loin monter en
pour
sûreté. Il s'éloigna au plus vite. Sans le suivre sur la route ,
il suffit de dire qu'il finit par se rendre dans les états du Grand-
Seigneur , où il prit le turban , et obtint du service. Il s'y distingua
assez pour y devenir bacha , et avoir le gouvernement
de quelques places de la Morée , dans le temps que les Turcs
et les Vénitiens y étoient en guerre. La circonstance fit concevoir
à Vateville le projet de rentrer en sûreté dans sa patrie ;
il négocia avec les Vénitiens , qui obtinrent pour lui , à Rome,
l'absolution de son apostasie , sa sécularisation , et un bénéfice
considérable en Franche -Comté , au moyen de quoi il leur
livra les places dont il étoit maître. Revenu dans sa province,
dans le temps que Louis XIV y portoit la guerre , il serviț
"
366 MERCURE DE FRANCE.
こ
"
ássez utilement la France , pour en obtenir des graces mar
quées, et sur tout un crédit et une autorité respectés à Besançon.
L'archevêché élant devenu vacant , le roi l'y nomma ; mais le
pape , trouvant du scancale à nommer pour archevêque un
apostat , renegat et meurtrier publiquement connu refusa
constamment les bulles , et Vateville fut obligé de se contenter
, en échange , de deux abbayes et du haut doyenné de
Besançon. Il vivoit en grand seigneur , avec un équipage de
chasse , une table somptueuse , craint et respecté , allant de
temps en temps aux Chartreux , voir ceux de son temps qui
vivoient encore. Il mourut en 1710 , âgé de quatre-vingtdix-
ans tant la tranquillité d'ame et la bonne conscience
contribuent à la santé ! ·
xx
Voici le portrait qu'en fait Pelisson dans son histoire
manuscrite de la conquête de la Franche- Comté , en 1668 :
« Un tempérament froid et paisible en apparence , ardent et
» violent en effet ; beaucoup d'esprit , de vivacité et d'im-
» pétuosité au dedans , beaucoup de dissimulation , de modé
>> ration et de retenue au dehors. Des flammes couvertes de
» neige et de glace. Un grand silence ou un torrent de paroles
» propres à persuader ; renfermé en lui-même , mais comme
» pour en sortir au besoin avec plus de force. Tout cela
» exercé par une vie pleine d'agitations et de tempêtes ,
>> propre à donner plus de fermeté et de souplesse à l'esprit.
Voltaire et Madame de Pompadour.
Voltaire ayant donné à Mad. de Pompadour une copie de
son histoire de la guerre terminée en 1748 , par la paix d'Aixla-
Chapelle , finissoit ainsi l'histoire :
t
« Il faut avouer que l'Europe peut dater sa félicité du jour
» de cette paix. On apprendra avec surprise qu'elle fut le
» fruit des conseils pressans d'une jeune dame du plus haut
» rang , célèbre par ses charmes , par des talens singuliers
FEVRIER 1806. 367
>> par son esprit , et par une place enviée. Ce fut la destinée
» de l'Europe , dans cette longue querelle , qu'une femme la
» commençât , et qu'une ferme la finît : la seconde a fait au-
» tant de bien que la première avoit causé de mal , s'il est
>> vrai que la guerre soit le plus grand des fléaux qui puissent.
» affliger la terre , et que la paix soit le plus grand des biens
» qui puissent la consoler. »
C'est Mad. de Pompadour qui me montra cette histoire
manuscrite , avec une sorte de complaisance ; elle ne doutoit
pas que cet article ne fût un jour imprimé.
( OEuv. compl. de Duclos , tom . X. )
-Le Carnaval a donné le jour à quelques nouveautés ;
mais aucune ne survivra à l'époque qui l'a fait naître . Le
moins mauvais de ces ouvrages dont plusieurs ne méritent pas
l'honneur d'être nommés , est l'Ivrogne corrigé , ou un Tour
de Carnaval , représenté sur le Théâtre de l'Impératrice.
Cette petite pièce est de M. Dieulafoi. Les Cantatrici Villane
continuent à attirer la foule. La pièce est très-gaie ,
la musique pleine de verve et d'esprit ; Barilli joue son rôle
de la manière la plus plaisante ; madame Cavanassi chante le
sien avec un art qui justifie sa grande réputation. Les morceaux
d'ensemble sont parfaitement exécutés. Aussi, à la cinquième
représentation la salle étoit entièrement pleine. Peu
d'ouvrages i'aliens ont eu en France un pareil succès. - Le
Théâtre du Vaudeville a donné cette semaine une nouvelle
pièce de M. Radet , intitulée l'Inconnu , dont la première
représentation a été fort applaudie. - Antiochus Epiphanes
est toujours sur l'affiche de la comédie française. On ignore ce
qui retarde la représentation. Il paroît qu'une comédie en
un acte et en vers , intitulée Le Politique en défaut , passera
encore auparavant. L'Opéra Comique qui a donné pour
pièce de Carnaval , M. Deschalumeaux, descendant de Pour-
-ceaugnac auquel il manquoit ce nouveau malheur d'avoir une
-
368 MERCURE DE FRANCE ,
postérité si peu digne de lui, promet la prochaine représentation
d'Uthal , nouvel ouvrage de M. Méhul. Le sujet du poëme est
tiré d'Ossian. On l'attribue à un auteur qui a déjà fait preuve
d'un talent distingué comme poète et comme prosateur. II
paroît certain qu'Elleviou va rentrer à ce spectacle. La repré--
sentation de bénéfice , promise aux premiers sujets après 20
ans d'exercice , vient d'être accordée à madame Saint-Aubin ;.
elle aura lieu dans les premiers jours du mois prochain , sur le
théâtre de l'Académie impériale de Musique . Madame Duret ,
fille de madame Saint-Aubin , y.chantera. Les premiers sujets
des trois théâtres doivent y concourir. On croit que madame
Saint-Aubin obtiendra de faire représenter le plus parfait des
ouvrages dramatiques , Athalie , qui n'a point été donné depuis
quinze ans.
Dimanche , après la messe , M. Bernardin de Saint-
Pierre , membre de la deuxième classe de l'Institut , a eu
l'honneur de présenter à S. M. l'EMPEREUR et Roi la nouvelle
édition de Paul et Virginie. M. Locré , secrétaire du conseil
d'état , et M. Esmenard ont également eu l'honneur de présenter
à S. M. , l'un , le second volume de son ouvrage , intitulé
: Esprit du Code Nupoléon , et l'autre son Poëme sur la
Navigation, dont S. M. a bien voulu agréer la dédicace ( 1 ).
-La Société de Dijon avoit proposé pour sujet d'un prix à
distribuer en l'an XII , la question suivante : « Les fièvres
>> catarrales deviennent aujourd'hui plus communes que
>> jamais ; les fièvres inflammatoires deviennent extrêmement
» rares ; les fièvres bilieuses sont moins communes. Déter→
>> miner quelles sont les causes qui ont pu donner lieu à ces
» révolutions dans nos climats et dans nos tempéramens. »
Beaucoup de médecins se sont occupés de cette question. Le
mémoire auquel l'Académie a décerné une médaille d'encouragement
de même valeur que le prix , est de M. Gaillard ,
(1 ) On trouve ces trois ouvrages chez Rondonneau, Giguet, et le Normant .
docteurFEVRNER
1866 1869
1
docteur -médecin de Phospice national des Tucurables de
Poitiers. La même société a préposé pour sujetidu concours
de l'an prochain , a l'éloge de M. Daubenton Le prix ser
une médaille d'or et distribué dans une séance publique d
mois d'août 1806 , thoq zol zetnos notiott'sk acnej zer drips
L'Académie de Nimes avoit proposé pour sujet du prix ,
en l'an XIII , la question de savoir : « quelle est l'influence
» réciproque des moeurs des nations sur les formes de gouver
» nement , et des formes de gouvernement sur les moeurs des
» nations ; » mais n'ayant reçu aucun
miage
propre à dé
terminer son choix , elle a cru devoir retirer cette questio
L'Académie a jugé convenable de substituer un sujet 20 d'économie
rurale , d'un intérêt assez général pour ne pas circonscrire
dans les limites d'un seul département la faculté de le
traiter , et qui cependant , susceptible d'une application pairticulière
au Gard , soit d'une utilité plus spéciale à cette contrée.
En conséquence , l'Académie propose les questions ' sui-
1 of Jasva , SEMO
yantes :
L
I
Dans quels cas les défrichemens sont- ils utiles
» Dans quels cas sont- ils nuisibles ? ietijali ob
« L'Académie desire que ces questions soient particulière-
» ment traitées dans leurs rapports avec les localités du dé- · auˆdê-
367 M
partement du Gardusis 401225
IT
απ
Le prix consistera en une médaille d'or de la valeur
de 300 fr . Il sera décerné dans la séance publique de l'année
1806. L'ouvrage couronné será lu dans la niéme séance.
Le concours sera fermé le premier décembre prochain : ce
terme est de rigueur.
- La société des sciences et des arts de Grenoble , conside
rant que le département de l'Isère est celui de toute la France
qui renferme le plus de richesses minéralogiques ; que cette
branche de l'histoire naturelle n'a encore , dans le départe
ment , aucun établissement où elle soit enseignée ; voulant
propager le goût de la minéralogie sans exiger un travail trop
A a
DEP
cen
D
370 MERCURE DE FRANCE ,
―
étendu , et ayant à disposer d'un prix de la valeur de 500 fr. ,
dont M. le préfet veut bien faire les fonds , annonce qué ce
prix sera adjugé au meilleur mémoire sur la minéralogie du
Canton de l'Offspartement de l'Isère. Les concurrens ne
sont pas tenus de traiter toutes les parties de la minéralogie
de ce canton , mais ils doivent approfondir celle qu'ils auront
choisie. Trois médailles d'argent , de la valeur de 100 fr.
chacune , seront décernées aux auteurs des trois meilleurs mémoires
qui traiteront quelqu'objet particulier de la minéralogie
ou de la docimacie des autres, cantons du département
de l'Isère , tel que les moyens de perfectionner la fabrication
des fers de la mine d'Allevard , ou autres , au choix des auteurs.
On laisse aux concurrens la faculté de se servir, dans leurs
mémoires , de la nomenclature minéralogique qui leur conviendra
le mieux. Les prix et accessit seront décernés dans
la séance publique du mois de janvier 1807. Les mémoires
doivent être parvenus , francs de port , au secrétaire de la société
, avant le 1er octobre 1806.
L
-M. Gaillard , l'un des quarante de l'Académie française ,
auteur de l'Histoire de la Rivalité de la France et de l'Angleterre,
est mort à Saint-Firmin , près de Chantilly , d'une
attaque d'apoplexie , âgé de quatre-vingts ans.
-M. Hyacinthe Gaston , auteur d'une traduction estimée
des huit premiers chants de l'Enéïde , vient de mourir , en
retournant de Paris au Lycée de Limoges , dont il étoit proviseur.
Il étoit âgé d'environ 36 ans
On sait que M. Martin , savant botaniste à Cayenne , a
réussi à y propager considérablement la culture du giroflier ,
du canellier et de l'arbre à pain. Les clous de girofle recueillis
à Cayenne , ont été annoncés , pour la première fois , à la
vente , à New-Yorck , à la fin d'avril 1803 ; ils étoient de
très-bonne qualité , et d'une odeur aromatique fort agréable .
M. Anderson a pareillement réussi a introduire dans quelques-
unes des îles anglaises, des plantes de la mer du Sud et
FEVRIER 1806 . 371
des Indes Orientales. On a envoyé à Londres des échantillons
de canelle et de girofle à peu près semblables à ceux provenant
des lieux où ils sont indigènes.
Sir Joseph Robley , gouverneur de Tabago , avoit fait planter
trois arbres à pain. Depuis octobre 1800 jusqu'au mois
d'août 1801 , il en a retiré cent cinquante - trois plants qui
ont bien réussi . Il espéroit que les trois premiers arbres , qui
alors avoient trois ans , lui fourniroient environ vingt plants
par mois , et qu'il compléteroit promptement une plantation
destinée à contenir treize cents arbres , lesquels suppléeroient
au pain et nourriroient mille Nègres.
moeurs ,
-Le besoin d'épargner le combustible se fait sentir dans
tous les pays ; et , faute de pouvoir revenir aux anciennes
où un seul foyer suffisoit à une seule famille , il faut
que les hommes inventifs cherchent des moyens de parer à la
disette. En France , nous avons beaucoup d'ouvrages sur ce
sujet ; et les procédés de M. Cointeraux paroissent obtenir
beaucoup de succès ( 1 ) . Il y a un an qu'il a paru à Madrid un
ouvrage intitulé : Description de deux cuisines économiques
applicables à la préperation des mets usités en Espagne :
ce livre a produit beaucoup d'effet ; la méthode indiquée par
l'auteur a été adoptée par plus de six mille ménagés dans
Madrid seulement , et commence à se répandre dans les provinces
espagnoles.
AU REDACTEUR .
15
Monsieur , ce n'est pas sans étonnement que nous avons vu
annoncer dans le Mercure du 8 février, une pièce à faire ,
intitulée Alexandre à Babilone. Une singulière ressemblance
entre cette ouvrage projeté et celui que nous avons fait , et
où se trouvent les deux mêmes tableaux de Lebrun , nous
force à vous prier de consigner dans votre feuille , que le
même sujet , auquel M. Ch. , auteur d'Antiochus , avertit le
I
( 1 ) Avis au Peuple sur l'Economie de son Bois ; par M. Cointeraux.
Broch . in-8°, avec deux planches . Prix : 1 fr . 50 c . , et i fr.80 par la poste
A Paris , chez l'Auteur, rue Folie-Méricourt, nº 4; et chez le Normant .
A a 2
1
-372 MERCURE DE FRANCE ,
public qu'il doit travailler , est depuis long - temps traité par
nous , et mis sous les yeux d'un des hommes les plus recommandables
de l'état..
Nous avons l'honneur de vous saluer ,
Les Auteurs d'Alexandre à Jérusalem.
AU REDACTEUR.
Monsieur , la lecture de votre article sur notre père , M. Retif
de la Bretonne , nous fait sortir de l'état d'accablement où
nous a jeté le sentiment de sa perte , pour rétablir quelques
vérités.
Plus instruites que vous à cet égard , nous ne devons pas
souffrir que le public , qni fut toujours le confident préféré
de notre père , que ce public impartial , qui a tant de fois
daigné l'accueillir , soit abuser sur le compte de l'ami de la
vérité.
Notre respectable père a terminé sa vie à 72 ans , le 3 février ,
à midi , entouré de la maison , composée de ses enfans , de sa
domestique et de sa garde , sans souffrances , sans crainte . En
le disant mort à 68 ans , vous avez sans doute dater de l'époque
où il est demeuré infirme. ་
Jamais il n'a manqué d'un honnête nécessaire : ses enfans et
petits enfans ses soeurs , ses amis , et même les voisins ne l'auroient
pas souffert. Son infortune venoit de malheurs , et non
d'un manque de conduite ; quel homme fut plus que lui laborieux
et infatigable ? Gertes, il ne pouvoit être dans l'aisance
après avoir essuyé et des banqueroutes , et des remboursemens
en mandats ; mais sa position , pour avoir été difficile ,
n'a point été humiliante. Le gouvernement d'un Empereur
aussi humain que grand , pourvoit à tout avec dignité.
2
Şi cet hommage public , que nous devons à la mémoire du
plus digne des pères , est accueilli de vous , monssieur , notre
reconnoissance égalera la considération distinguée avec laquelle
nous avons l'honneur d'être vos très-humbles servantes.
A. Retif, femme Vignon.
M. R. V. Retif d'Anna,
FEVRIER 1806.- 373
MODES, du 19 février. - Outre les jacintes , on porte du lilas , et de
roses , dont une seulement épanouie , et les autres en boutons . Les rose
ont blanches. Le lilas est lilas ou blanc . Les jacintes sont blanches , lilas ,
srose , couleur de chair.
Sur les capotes , les rubans que l'on coud , pour former côtes , se plissent
en biais . Les capotes ont une passe encore plus grande que de coutume ;
mais elles se posent un peu de travers , en sorte qu'elles cachent un peu
moins le visage. On les fait en satin blanc ou rose , plus communément
blanc ; et sur le bord , on plisse un tulle , à gros plis .
Les toques de parure admettent , les unes une très longue plume , les
autres des fleurs qui cachent une partie du rebord plissé . Ces fleurs et la
plume se posent sur le devant . Avec des paillons d'or mat , découpés en
feuilles et en fleurs , pour être appliqués , on forme sur des fonds de toques
, des étoiles et des fleurs qui paroissent brodées .
Dans la grande parure , ce sont les coiffures à la Ninon , qui dominent
; il y en a où la guirlande de fleurs , qui fait le tour du peigne , est
assez longue pour que les bouts pendans viennent retomber sur chaque
épaule .
Une robe de parure a, comme une douillette , ses bourelets espagnols ,
coupés par des aiguillettes d'une couleur tranchante .
Les fichus pleins , en cygne , en renard étranger , et en martre , l'ont
`emporté sur les palatines étroites et sur les fichus bordés de poil , même
sur les palatines fourrées.
Dans les travertissemens populaires , ce n'étoient point , cette année-ci ,
les costumes à la Fanchon , ni ceux de bergères , qui dominoient ; mais
le battant- l'oeil , à grands papillons de dentelle , le caracot incarnat
jupon pareil , et le fichu blanc , garni en dentelle .
NOUVELLES POLITIQUES.'
Londres , 12 février.
le
Les membres de la nouvelle administration sont tous
entrés en fonctions. Lord Grenville , M. Fox , lord Spencer ,
MM. Windham ét Sheridan donnent particulièrement
l'exemple de l'assiduité au travail . Il semble que le sentiment
des dangers qui menacent la Grande- Bretagne ait redoublé le
zèle et le courage de M. Fox pour les éloigner. Nous ne saurions
anticiper sur les nouvelles mesures que le cabinet projette
; mais nous croyons pouvoir dire , qu'à l'exception de
quelques changemens qui se préparent dans l'organisation de ,
l'armée , le système général de l'administration sera maintenu
tel qu'il est. L'admission de M. Fox à la direction des affaires
publiques semble promettre la reprise des négociations pour
la paix , aussitôt qu'il trouvera l'occasion de les renouer d'une
manière honorable pour ce pays. La paix est son système
favori ; voudroit-il y renoncer , quand il a plus que jamais
les moyens de le faire triompher, pour l'honneur et l'avantage
du peuple anglais ? et si pour réaliser ses intentions pacifiques,
3
374 MERCURE DE FRANCE ;
il pouvoit prêter l'oreille à des conditions honteuses et défavorables
, nous avons heureusement dans le cabinet d'autres
membres qui sauroient défendre les intérêts de notre honneur
et s'opposer à toute transaction qui pourroit le compromettre.
(Morning-Post. )
Le premier usage que M. Fox a fait de ses pouvoirs comme
ministre des affaires étrangères , a été d'envoyer des dépêches
à tous nos ininistres près les cours étrangères , pour leur annoncer
le changement du ministère , et leur faire part du desir
qu'il a de contribuer de tout son pouvoir au rétablissement
de la paix de l'Europe. On assure que l'intention de M. Fox
est de faire la paix avec la France , et de suspendre toutes les
entreprises projetées contre le port de Boulogne, Mais pour
mettre la nation dans une attitude plus imposante , et conséquemment
pour être en état de traiter avec plus de dignité et
de succès , il a résolu de faire exercer au maniement des armes
toutes les personnes en état de les porter. Tous les hommes
valides seront enrôlés , répartis dans des divisions , et appelés
sous le drapeau , suivant le besoin qu'on pourra avoir de leur
secours. (The Courrier. )
"
De ce que M. T. Grenville ne se trouve pas encore désigné
pour remplir aucune place dans le ministère on conjecture
qu'il est réservé par M. Fox pour les négociations de
paix que celui- ci , dit-on, a l'intention de proposer sans délai ,
Nous avons entendu , à ce sujet , des rapports particuliers que
des motifs de circonspection nous empêchent de publier pour
le moment,
CHAMBRE DES COMMUNES. 3 février,
Lord Castlereagh , après un court exorde , fait la motion
qu'une humble adresse soit présentée à S. M. pour la prier
de vouloir bien ordonner qu'un monument soit élevé , dans
l'église cathédrale de Saint-Paul de Londres , à la mémoire du
très-noble et très-honorable Charles marquis de Cornwallis
en reconnoissance des services qu'il a rendus à ce pays , et du
dévouement dont il a donné des marques éclatantes dans les
derniers momens de sa vie.
M. Charles Graut appuie la motion .
2
M. O'hara s'oppose à la motion , parce que le noble lord
( Cornwallis ) a pris une grande part à la paix d'Amiens et à
l'union du royaume d'Irlande , transactions qui ont été si
préjudiciables à ce pays.
M. Fox , après avoir loué le mérite particulier, du marquis
de Cornwallis , appuie la motion d'autant plus volontiers
E
FEVRIER 1806. 375
qu'elle ne contient pas les expressions d'excellent homme
d'état ( faisant allusion à l'épithète donnée à M. Pitt par M. Lascelles
). Il termine ainsi : « Le reproche que l'honorable membre
» qui m'a précédé fait au marquis de Cornwallis d'avoir pris
» part à l'union du royaume d'Irlande , me fournit l'occasion
» de renouveler mon sentiment sur cette affaire, c'est que jene
>> connois pas d'actes du gouvernement qui aient été plus
» agréables et plus avantageux au peuple anglais , et la part
>> que l'honorable marquis a pu y avoir est une des grandes
» raisons pour lesquelles j'appuie la motion faite en sa fa-
» veur. >>
La motion de lord Castlereagh passe .
Le même lord dépose sur le bureau diverses pièces relatives
an traité conclu avec la Russie.
M. Cartwright prend la parole : la chambre se rappellera ,
dit-il , que depuis seize ans M. Pitt , dernier chancelier de
l'échiquier , n'a joui que du simple revenu attaché à ses deux
places , et que la sinecure des cinq ports fut la seule gratifica
tion qui lui fut donnée sans qu'il l'eût demandée ; ce qui prouve
son intégrité et son parfait désintéressement. Je suis assuré que
les dettes du feu chancelier de l'échiquier s'élèvent à plus de
quarante mille livres sterlings. Et quand vous considérerez la
continuité des services rendus par M. Pitt ; quand vous vous
rappellerez que les dettes de lord Chatam furent payées par
l'état , et que c'est dans de semblables circonstances.que M. Pitt
son digne fils , a contracté celles que je vous propose d'acquit
ter , je me flatte que vous accueillerez avec intérêt la motion
que je fais en ce moment , qu'une humble adresse soit présentée
à S. M. pour l'informer que le très-honorable William
Pitt a laissé des dettes pour le paiement desquelles ses biens
sont insuffisans ; et que la chambre des communes d'Angleterre
, desirant témoigner le respect et l'estime qu'elle conserve
pour la mémoire de ce grand homme , elle supplie S. M.
d'ordonner qu'une somme qui n'excède pas quarante mille
liv. st. soit délivrée pour le paiement desdites dettes , assurant
que la chambre des communes verra avec plaisir cet acte
de la reconnoissance publique
S. M.
M. Bootle , M. Windham , M. George Ponsonby , lord
Folkstone , M. William Smith , M. Fox , ont tour à tour
pris la parole pour appuyer cette motion , qui a été adoptée
à l'unanimité.
PARIS.
Le Journal officiel a publié le texte de différens traités
conclus entre l'Angleterre et les puissances qui ont fait partie
4
376 MERCUREDE FRANCE,
de la dernière coalition la Russie , l'Autriche et la Suède.
L'étendue de ces pièces ne nous permet pas de les insérer ; l'article
second du traité avec la Russie suffira
noître le but ostensible de cette coalition :
pour faire con-
Art. II. Cette digue aura pour objet d'effectuer ce qu'on se
propose par la présente coopération ; savoir : L'évacuation
du pays d'Hanovre et du nord de l'Allemagne ; le rétablissement
de l'indépendance des républiques de Hollande et de
Suisse le rétablissement du roi de Sardaigne en Piémont ,
avec une aussi grande angmentation de territoire que les circonstances
le permettront ; l'indépendance future duroyaume
de Naples et l'entière évacuation de l'Italie , y compris l'ile
d'Elbe , par les armées françaises ; l'établissement d'un ordre
de choses en Europe , qui puisse garantir efficacement la sû–
reté et d'indépendance des différens états , et opposer une barrière
solide à de futures usurpations.
A la suite de ces pièces , le Journal officiel contient des
réflexions quienferont parfaitement connoître l'esprit, et même
les principales conditions de ces traités , par lesquels la Russie,
l'Autriche et la Suède s'engagent à fournir des hommes
et l'Angleterre à donner de l'argent.
Il résulte de ces traités de coopération , d'accession , de
coalition , etc.,
1 ° . Que la coalition étoit résolue et conclue dans le mois
d'avril , c'est-à-dire , trois mois avant que le pays de Gênes
oût demandé sa réunion à la France.
2 °. Qu'avec une simple promesse de 80,000,000 tournois ,
» qui n'avoit d'autre objet, comme le dit lord Castlereagh, que
» d'étendre la puissance britannique , elle a armé pour sa
cause la Russie et l'Autriche ; que , comme elle ne payoit ces
So,000,000 que par portions de mois en mois , elle a pu bouleverser
le continent , faire agir tous les princes contre leurs
propres intérêts , les soumettre à ses projets et aux ordres de
ses commissaires , sans réaliser aucune autre dépense que la
modique somme de 20,000,000 tournois. Jusque- la l'Angleterre
avoit sans doute fort bien calculé.
» 3°. Qu'à la vérité l'Angleterre n'a compromis que 20 milhons
tournois pour opérer cette puissante diversion , mais
qu'aussi elle a mis la France en mesure d'acquérir Gênes
Venise et Naples ; qu'elle a fait rentrer en France plus de
200 millions de contributions ; qu'elle a placé dans la plus
haute évidence ce principe , reconnu en Europe depuis plus
de cent ans , que l'alliance avec l'Angleterre produit toujours
la ruine des princes assez imprudens pour y souscrire ; prinsipe
dont la vérité a été attestée , dans un temps peu éloigné
FEVRIER 1866. EI
377
de nous , par le sort du Stathouder et du roi de Sardaigne , et
l'est encore dans les circonstances présentes , par les malheurs
de l'Autriche et la chute du roi de Naples ; tandis qu'au con
traire l'alliance de la France , toujours favorable aux puissances
qui s'y livrent , n'amène avec elle qu'agrandissement
et prospérité : témoins la Bavière , le Wurtemberg , Bade . Si
l'Angleterre. parvenoit à susciter une quatrième coalition ,
l'Autriche , qui a perdu la Belgique à la première ; l'Italie et
la rive gauche du Rhin à la seconde ; le Tyrol , la Souabe ,
le pays vénitien à la troisième , perdroit probablement sa
Couronne.
*
» 4° . Que les Autrichiens et les Russes , qui se défendoient
si hautement d'être à la solde de l'Angleterre , d'avoir même
aucuns liens avec elle, en imposoient à l'Europe ; que le même
homme ( M. de Stadion ) qui est à présent à la tête des affaires
en Autriche , avoit déjà commencé son niinistère dans ces
négociations honteuses ; que la Russie n'a fait autre chose que
reprendre un rôle qu'elle a constamment joué depuis quinze
ans les trois coalitions ont eu lieu sous le règne de trois dif
férens souverains de Russie. Catherine , qui avoit du génie ,
se laissa néanmoins entraîner dans la première ; mais elle se
borna à intriguer pour mettre en avant les autres puissances.
En souveraine habile et expérimentée , en monarque qui con→
noissoit bien la portée d'influence et de situation de son empire
, elle se garda bien de s'engager davantage. Lors de la
seconde coalition , Paul fit marcher son armée; mais au premier
revers , il retira ses troupes : il reconnut sa faute ; il se
hâta de revenir à un système d'accord avec les intérêts de son
empire ; il renoua avec la France , et replaça sa politique dans
sa situation naturelle. Alexandre , jeune et sans expérience , a
donné dans tous les piéges des Anglais , s'est laissé séduire par
leurs déclamations et par leurs éloges; et, dédaignant l'exemple
de son prédécesseur , il a détruit ce que celui- ci avoit fait de
bien ; non content d'envoyer ses armées en Allemagne , il a
marché en personne : aussi a-t-il vu de ses propres yeux la
destruction de ce fantôme , de ce colosse de réputation militaire
que Catherine avoit commencé à créer , et dont ellemême
ne fut pas la dupe ; car elle comprit fort bien la différence
qui existoit entre ses soldats russes et le peuple français.
» 5° Que la plus excessive crédulité a souscrit à tous ces
traités ; que ceux qui les ont dictés ou rédigés supposoient
que l'Empereur Napoléon n'avoit point d'yeux , point d'oreilles
, point de jugement ; que cette armée de 500,000
Français , qui , à la connoissance de toute l'Europe , pourroit
être portée à un milion de soldats , resteroit enchaînée en378
MERCURE DE FRANCE ;
deçà de ses limites ; que ce triple rang de places fortes , qui
hérissent les frontières de la France , ne renfermeroient des
habitans ou des garnisons que pour remettre les clefs des citadelles
aux premiers cosaques qui viendroient les demander ;
que toutes ces sublimes combinaisons, toutes ces négociations ,
si avancées au mois d'avril , seroient consommées et couronnées
par de grands résultats au mois de décembre. C'est avec
le mois de décembre , en effet , que sont arrivés ces grands
résultats ; mais c'est après avoir été battus , que les deux empereurs
de Russie et d'Allemagne se sont trouvés trop heureux,
l'un d'optenir de l'Empereur des Français la restitution
de Vienne et de ses états , l'autre de retourner à Saint-Pétersbourg
avec les foibles débris de son armée.
» 6° . Enfin , qu'il ne manquoit plus à ces puissances que
d'être outragées par l'Angleterre elle-même : et en effet , le
gouvernement anglais vient de mettre assez en évidence le
mépris qu'il a pour ses allés , en livrant ainsi au grand jour
des traités secrets dont la publicité ne peut être que trèsnuisible
et très - désagréable aux souverains qui ont eu la foiblesse
de les souscrire. » Des quatorze articles de ces traités
dit lord Gastlereagh , cinq ne sont pas de nature à être publiés.
» Cette réticence est un trait de plus de la perfidie du .
cabinet de Londres. Après avoir dit tant de choses qu'il devoit
taire pour l'honneur de ses alliés , il ne veut pas que
l'imagination s'arrête. Nous suppléerons à son silence , et nous
révélerons ce grand mystère. Voici les stipulations contenues
dans ces cinq articles : La Belgique sera réunie à la Hollande.
La maison d'Orange sera rétablie dans la dignité de stathouder.
Les places de la Meuse serviront de places de sûreté , et
auront des garnisons autrichiennes et russes. La Savoie et le
comté de Nice seront réunis au Piémont. Enfin , si les succès
sont tels qu'on l'espère , la ville de Lyon passera sous la domination
du roi de Sardaigne.
+%
1 .
» A-t-il fallu une grande habileté au cabinet britannique
et à ses agens , pour donner quelque consistance à de semblables
illusions ? C'est ce que nous ne déciderons pas ; mais
quelle que soit la haine de l'Angleterre, quelque influence qu'elle
puisse obtenir en excitant les passions cupides et jalouses , la
France prospérera toujours davantage , et l'Empire français
assis sur ses cent huit départemens , et sur ses états fédératifs ,
sera plein de vigueur et de jeunesse , lorsque la Grande-
Bretagne périra de décrépitude.et de consomption. L'influence
de l'Empire français sur le continent , fera le bonheur de l'Europe
; car c'est avec lui qu'aura commencé le siècle de la civilisation
, des sciences , des lumières et des lois. »
FEVRIER 1806 .
379
-Le prince Joseph a porté son quartier-général à Feren
tino. Le 8 février , le Carigliano a été passé par son avant-garde
à Ciprano . L'armée s'est mise en marche sur Naples , la droite
commandée par le général Regnier , le centre par le général
Massena , et la gauche par le général Lecchi , commandant
le corps des troupes italiennes. Le prince a adressé le 9 février
, de son quartier-général de Ferentino , aux soldats et
aux peuples de Naples , les proclamations suivantes :
Joseph Napoléon , prince français , grand électeur de l'Empire
, lieutenant de l'EMPEREUR , commandant en chef son
armée de Naples , gouverneur des royaumes de Naples
et de Sicile.
« Peuple du royaume de Naples ,
» L'Empereur des Français et Roi d'Italie , voulant éloigner
de vous les calamités de la
guerre , avoit signé avec votre cour
un traité de neutralité. Il croyoit assurer par-là votre tranquillité
, au milieu du vaste incendie dont la troisième coalition
menaçoit l'Europe. Mais la cour de Naples s'est engagée
de plein gré parmi nos ennemis , et a ouvert ses états aux
Russes et aux Anglais. L'Empereur des Français dont la justice
égale la puissance , veut donner un grand exemple , commandé
par P'honneur de sa couronne , par les intérêts de son
peuple , et par la nécessité de rétablir en Europe le respect
qu'on doit à la foi publique.
>> L'armée que je commande marche pour punir cette perfidie;
mais vous , peuples , vous n'avez rien à craindre ; ce
n'est pas contre vous que sont dirigées ses armes. Les autels ,
les ministres de notre culte , vos lois , vos propriétés seront
respectées. Les soldats français seront vos frères .
» Si , contre les intentions bienfaisantes de S. M. , vous
prenez les armes , la cour, qui vous excite , vous sacrifie à ses
fureurs. L'armée française est telle que toutes les forces promises
à vos princes , fussent- elles sur votre territoire , ne
sauroient les défendre.
» Peuples, soyez sans inquiétude ; cette guerre sera pour
vous l'époque d'une paix solide et d'une prospérité durable. »
Ordre du jour.
« Soldats ,
L'Empereur des Français et Roi d'Italie , notre auguste
frère et souverain , en m'appelant à l'honneur de vous commander
, m'a donné le témoignage de son estimè le plus
précieux pour un Français.
>> Nous combattrons les Russes et les Anglais s'ils se présentent
; nous punirons la cour qui les a appelés au mépris
386 MERCURE DE FRANCE,
des stipulations les plus sacrées ; mais nous respecterons les
peuples
» Vous aurez pour les ministres des autels , pour les citoyens
paisibles tous les égards que commande leur état ; nous les
prenons sous notre spéciale protection.
» Si les troupes de la coalition s'éloignent , si les Napolitains
se montrent indifférens à la cause d'une cour qui , depuis
dix années , n'a cessé de trahir leurs intérêts les plus chers , il
ne nous restera que la gloire d'une exacte discipline . »
Le lieutenant de l'EMPEREUR , commandant en chef de
l'armée de Naples .
Signé JOSEPH-NAPOLÉON.
Un décret impérial du 14 de ce mois contient les dispositions
suivantes :
« Les travaux nécessaires pour établir et améliorer les abords
du pont du Jardin des Plantes , seront incessamment exécutés.
Il sera formé une place terminée en arc de cercle d'un rayon
de 99 mètres , à partir du parement extérieur de la culée entre
le pont et le Jardin des Plantes. La clôture actuelle du jardin
et les deux pavillons seront rétablis sur la ligne de cette place.
Cette place sera nommée Place du général Valhubert , en
mémoire du général de ce nom tué à Austerlitz . Le quai
du Mail , qui sera appelé Quai du colonel Morland , en mémoire
du colonel des chasseurs de la garde , tué à Austerlitz ,
sera porté à une largeur de 17 mètres 50 centimètres . Les
murs qui servent de clôture aux jardins dépendans de l'Arsenal
, seront démolis. Ces jardins seront supprimés , et leur
superficie sera plantée d'arbres , jusqu'à ce qu'il leur ait été
donné une autre destination .
"
>> Il sera formé vis-à -vis le pont du Jardin des Plantes , sur
la rive droite , une place terminée en arc de cercle d'un rayon
de 55 mètres , dont le centre est pris à 29 mètres du parement
extérieur de la culée. Cette place communiquera provisoirement
à la rue de Charenton par le cul-de-sac Saint-
Claude. Cette place sera nommée Place du colonel Mazas ,
en mémoire du colonel du 14º régiment d'infanterie de ligne,
tué à Austerlitz . Il sera ultérieurement ouvert une rue de
15 mètres de largeur en prolongement de l'axe du pont jusqu'à
la grande rue du faubourg Saint-Antoine. Cette rue sera
appelée rue du colonel Lacuée , en mémoire du colonel du
59 régiment de ligne , tué au combat de Güntzbourg. L'alignement
du quai de la Rapée en amont du pont , depuis
l'angle de la place projetée jusqu'à la rue des Chantiers , est
-fixé par une ligne prolongée sur la façade de la maison du
sieur Poncet , n . I. Cette portion de quai sera pavée ; il sera
FEVRIER. 1806. 384
construit provisoirement un pont de bois sur l'égout de la rue
des Chantiers .
e
1
» Le boulevard de la porte Saint-Antoine sera prolongé jus
qu'à la rivière au travers de l'emplacement de la Bastille ,
dans l'alignement de la courtine des fossés , sur 28 mètres
de largeur , et 670 mètres environ de longueur , à partir de
la façade extérieure de l'hôtel de Montbarey. Ce boulevard
sera nomme Boulevard- Bourdon , en mémoire du colonel du
11° régiment de dragons , tué à la Grande-Armée. Une grande
allée et deux contre -allées formeront ce boulevard. Les plantations
seront exécutées avant le printemps prochain. Les
maisons et bâtimens connus sous le nom d'hôtel Montbarey ,
et toutes les constructions qui se trouveront dans la prolon
gation des boulevards , celles situées dans l'emplacement de la
Bastille et au pourtour , le bastion servant de magasin a
poudre et le demi-bastion à l'extrémité méridionale des
fossés , seront démolis sans délai .
s jnegparka J
Il sera formé une gare de sûreté dans les fossés de l'Arsenal ;
elle sera alimentée par une dérivation des eaux de l'Ourcq; elle
communiquera à la rivière par des écluses. Le ministre de
l'intérieur nous soumettra , avant le r septembre prochain ,
les projets de l'établissement de la gare ; les murs actuels
d'escarpe et de contre-escarpe , seront conservés. Les terrains
et constructions appartenant à des particuliers , compris dans
les projets arrêtés par le présent décret, et le terrain nécessaire
pour la construction d'un magasin et corps-de- garde sur le
boulevard du Midi , à l'angle de la place projetée , seront ac
quis sur estimation , dans les formes ordinaires. Il sera prélevé
sur les fonds de la commune de Paris , une somme de
450,000 fr. , pour subvenir aux dépenses détaillées dans le
présent décret. »
Le ministre de l'intérieur a adressé , le 15 de ce mois ,
à tous les préfets de l'Empire , une circulaire dans laquelle
Son Excellence dit « que l'intention de Sa Majesté est que
les fêtes du mois de mai prochain soient à la fois consacrées
aux deux genres de gloire les plus précieux à la France ; à la
gloire immortelle qu'ont si justement obtenu les triomphes
de nos armées ; à la gloire pacifique que promettent à notre
Industrie ses efforts pour rivaliser avec celle des nations rivales.
S. M. desire que tous les dép. concourent , chacun pour
la portion d'industrie qui lui appartient à une exposition
destinée à offrir un ensemble beaucoup plus complet que celles
qui l'ont précédée . Elle desire que par l'envoi des échantillons
de toutes les fabriques , ce spectacle offre une espèce de tableau
de la statistique industrielle de la France , et que l'oeil
༑་ ་
382
MERCURE
DE FRANCE ,
2
du spectateur puisse faire en quelque sorte le dénombrement
de nos fabriques , en même temps qu'il en appréciera les productions.
L'EMPEREUR a marqué un emplacement plus vaste ,
et le nombre des portiques sera augmenté de manière que tous
les produits soient exposés sans confusion .
les
» Dans le jour qui suivra la réception de cette lettre ,
préfets feront assembler toutes les chambres consultatives des
arts et manufactures de leur département ; ils feront en sorte
qu'elles commencent immédiatement leurs opérations , et
qu'elles les ait terminées dans l'espace de quinze jours.
Elles s'occuperont de dresser un état exact des fabriques de
leur arrondissement , et en particulier de celles dont les produits
sont dignes d'étre admis au concours. Elles prendront
pour règle de recevoir tous ceux qui seront reconnus de bonne
qualité dans leur genre ; elles observeront que l'économie
des prix est aussi un mérite digne d'être apprécié par le gouvernement
et le public. Les produits de l'agriculture ellemême
, comme les laines , les lins , les chanvres , les plantes
exotiques naturalisées , les instrumens aratoires , ne doivent
point être exclus , si leur qualité est de nature à fixer l'atten→
tion. Les chambres consultatives s'adresseront donc à tous les
manufacturiers de leur ressort ; elles exciteront leur émulation,
et provoqueront l'envoi des échantillons. S'il est quelques
manufactures dont des circonstances momentanées auroient
ralenti les travaux , elles n'en doivent pas moins être empres
sées à fournir leurs échantillons , et on doit les recueillir avec
d'autant plus de sollicitude. Si elles languissent , il n'en est
que plus important de les faire connoître , de les faire valoir.
Le génie qui a tout restauré , qui en trois mois a désarmé et
pacifié le continent , rendu aujourd'hui à tous , les soins de
l'administration , dirige ses profondes méditations sur tous les
intérêts de la prospérité intérieure. L'EMPEREUR veut apprécier
avec certitude toute l'étendue de nos ressources industrielles
, et la circonstance actuelle offre l'occasion , la plus
précieuse pour en mettre le tableau tout entier sous ses yeux :
sa sagesse en appréciera les besoins , sa puissance en réparera
les pertes.
1
» L'exposition publique sera suivie d'une grande faire nationale
dans les portiques de l'exposition , à laquelle seront
admis sans distinction les produits qui auront été jugés dignes
de concourir. Les préfets feront deux états séparés , l'un des
négocians qui se bornent à envoyer des échantillons , l'autre
de ceux qui enverront des marchandises pour être vendues.
L'envoi des échantillons aura lieu aux frais de l'état ; celui des
marchandises aux frais des expéditeurs. Du reste , tous les proFEVRIER
1806. 383
duits de fabrique française pourront faire partie de la foire ,
avec cette seule différence que le gouvernement ne se chargera
pour ceux- ci ni du local ni de la dépense. Un mois après la
réception de cette lettre , les préfets adresseront au ministre de
l'intérieur ces deux états certifiés par eux. Dans l'état des simples
échantillons , ils indiqueront la nature , la qualité , le
poids , le volume , le nom et la demeure du fabricant. Les
expéditione devront être faites de manière à ce que les envois
soient à Paris au plus tard à la fin d'avril prochain. Les préfets
feront rédiger dans l'intervalle , sur chacune des manufac
tures dont les produits auront été admis , une notice détaillée
qu'ils adresseront au ministre , en indiquant le nom et la demeure
du fabricant, le nombre d'ouvriers qu'il emploie , leurs
salaires , l'origine et le prix des matières premières , les prix des
produits eux-mêmes , les débouchés , l'étendue de la fabrication
, le mérite des procédés , l'époque de la naissance de la
manufacture , les variations qu'elle a éprouvées , et les causes "
de ces variations. »>
-Les membres des comités de bienfaisance de Paris , qui
connoissent les ressources journalières des infortunés que contient
cette grande ville, ont cru pouvoir s'adresser à l'EMPEREUR
pour réclamer un secours de 30,000 fr. Aussitôt S. M. a accordé
450,000 fr. , dont 150,000 à prendre sur sa cassette.
Les fonds pour le surplus ont été assignés.
fr
M. Chompré , ci-devant consul à Malaga , est nommé
membre du conseil des prises , en remplacément de M. Mo→
reau ( de l'Yonne ) , décédé .
-
Par décret du to février , les vacances des cours d'appel ,
des tribunaux civils et des écoles de droit auront lieu depuis
le 1er septembre jusqu'au 1 novembre.
er
M. le général Junot , gouverneur général des états de
Parme et de Plaisance , a , par un décret du 27 janvier ,
ordonné le désarmement de toutes les communes qui avoient
pris part à l'insurrection .
On assure que MM. Jaubert , tribun , Merlin ( de Douai )
procureur - impérial près la cour de cassation , et le gé
néral Gassendi , sont nommés conseillers d'état ; MM. Ma
thieu Molé , Frédéric d'Houdetot , Pelet fils du conseiller
d'état ) , auditeurs au conseil d'état.
M. Lagarde , ci -devant chefdes bureaux du sécrétariat
au ministère de la police générale de l'Empire , et en dernier
lieu chargé par S. M. de l'organisation de la police du royaume
d'Italie , vient d'être nommé par S. A. I. et R. le vice-roi ,
directeur général de police dans les états vénitiens.
M. François Bienaimé , évêque de Metz , est mort dans
cette ville , le 9 de ce mois , à l'âge de 69 ans.
384 MERCURE DE FRANCE ,
--L'EMPEREUR , depuis son retour , ne paroît pas dans un
établissement public sans que sa visite ne soit marquée par
quelque circonstance touchante , et n'ait quelque résultat
mémorable. Jeudi dernier , après avoir visité le lycée Impé
rial , S. M. accompagnée de S. Exc. le ministre de l'intérieur ,
s'est rendue au Pantheon. Elle a ordonné sur -le- champ que
ce magnifique édifice seroit rendu au culte catholique , sous
Fancienne invocation de Sainte - Geneviève , patronne de
Paris. On y transportera tous les mausolées qui décoroient
autrefois les diverses églises supprimées dans ces derniers
temps , et qui se trouvent entassés dans le Musée de la rue des
Petits-Augustins...
2.S. M. a également décidé que l'église de Saint-Denis seroit
rendue à son ancienne destination , autant que le permettent
aujourd'hui les dévastations opérées dans ce monument religieux.
Cette église restera consacrée à la sépulture des princes
de la monarchie française , et trois autels expiatoires seront érigés
en réparation des outrages faits aux cendres des souverains
des trois dynasties précédentes, mon ech mondigar
S. M. 1. et R. considérant qu'au moment de la suppres
sion des corporations religieuses , il y en eut un grand nombre
qui , pour soustraire les fonds de leurs épargnes ou leurs
effets les plus précieux , les mirent en dépôt chez des particu
liers; que les membres de ces corporations , depuis leur rentrée
en France , ne formant plus que des individus , et n'ayant aucun
moyen de contrainte pour retirer ces dépôts, les déposi →
taires refusent de les restituer ; qu'il est nécessaire de prendre
une mesure pour faire rentrer au trésor public lesdits dépôts ,
a décrété , le 25 janvier , ce qui suit al
les
Les ex - religieux qui , dans le délai d'un an , à compter
de la date du présent décret , mettront l'administration des
domaines à portée de diriger des poursuites utiles contre le
dépositaires de sommes ou effets nationaux soustraits à l'époque
où les biens des établissemens religieux ont été mis sous la
main de la nation , recevront le quart des sommes ou effets
dont ils auront facilité la découverte ; ce quart leur sera
compté immédiatement après le recouvrement qui aura été
fait par le préposé de l'administration des domaines , desdites
sommes ou effets. Le présent décret sera adressé à tous les
préfets de l'Empire , pour qu'ils aient à le faire publier et
afficher dans l'étendue de leurs départemens respectifs .
The ( Affiches d'Angers. )
M.Louis Vangen de Geroldseck est nommé maire de
la ville de. Strasbourg , en remplacement de M. Hermann ,
démissionnaire, l
SELLTON
C
ت ب س
-Le général Mathieu Dumas a pris possession de la Dalmatie
Vénitienne , au nom de S. M. l'Empereur et Roi-d'Italie.
( No CCXLI. ) SORA
( SAMEDI 1er MARS 1806. )
.......
MERCURE
DE FRFRANCE.
POÉESIE.
QUESTIONS
A UN PAYSAN QUE JE N'AI PAS VU DEPUIS QUINZE AN S.
Air Que ne suis -je la fougère.
-PER Alain , qu'est devenue RE
La terre où de bons parens,
Dans une paix continue ,'
Ont choye mes plus beaux ans ? '
Hélas ! en un moindre gite
Chacun d'eux tous est logé :
Leur fortune est plus petite ,
Mais leur coeur n'est point changé.
→Père Alain , qu'est devenue
Sur ce tombeau que je fis
L'épitaphe ainsi conçue :
A SA MÈRE UN TENDRE FILS ?
Finan
Mon cher monsieur, malgré l'arbre
Qu'au devant vous aviez mis ,
Tout s'est effacé du marbre
Sous les pleurs de vos amis.
Bb
386 MERCURE DE FRANCE ,
Père Alain , qu'est devenue
Cette fontaine d'Amont ,
Qu'en son lit j'ai contenue
Par un cailloutis profond ?
Ah ! monsienr , rien, quand j'y pense ,
N'est plus doux que ses glougloux ;
Mais qu'il a dans votre absence
Passé d'eau sur vos cailloux !
Père Alain , qu'est devenue
Au bas du moulin à vent
Cette superbe avenue
Où je lisais si souvent ?
Sous la cognée inhumaine
Tout l'ombrage en a péri ;
Et celui qui s'y promène
N'y rencontre plus d'abri.
- Père Alain, qu'est devenue
Cette prairie où le soir
Pour chanter ronde connue
Parmi vous j'allois m'asseoir ?
-
Au bruit d'une aigre musette ,
Las ! parfois nous y dansons ;
Mais l'écho dans la disette
Soupire après vos chansons.
Père Alain , qu'est devenue
La cloche au timbre argentin
Qui , fendant au loin là nue ,
M'éveilloit si grand matin ?
-
- Comme autrefois elle sonne ,
Et comme autrefois j'ai soin
De prier Dieu qu'il vous donne'
L'or dont vous avez besoin.
MARS 1806 . 387
A
Père Alain , qu'est devenue
La famille Olibrius ,
Qu'autrefois j'ai soutenue
Par un prêt de mille écus 2
Des usures criminelles
L'ont remise en crédit ; mais
Les ingrats de vos nouve les
Ne m'ont demandé jamais.
་་་ - Père Alain qu'est devenue
Cette chienne au long museau,
A peine au monde venues
Quand je vous en fis cadeau ?
→ Aveugle est la pauvre Flore;
Mais si vous veniez chez nous
Vous la verriez bête encore
A se souvenir de vous.
-Père Alain , qu'est devenue
Votre femme au sourcil noir,
En ce temps là si menue,
Qu'on accouroit pour la voir ?
Vous lui rendriez justice ;
Car j'ai bien d'elle en effet
Quinze enfans , sans préjudice
De celui qu'elle me fait .
Père Alain , qu'est devenue
Dans son castel ténébreux
La bachelette ingénye
Dont je fus tant amoureux ?
Elle a joint sa destinée
A celle d'un vieux Pandour,
Qui moins l'aime en une année
Que ne l'aimiez en un jour.
7
DE PIIS
Bb 2
388 MERCURE DE FRANCE ,
AD LYDIA M. Ode IX.
Note du Rédacteur. Nous donnons le texte en regard de la traduction
, parce qu'elle nous a paru pouvoir soutenir ce dangereux voisinage.
Nous desirons être souvent dans le cas de faire le même honneur aux
pièces imitées des anciens , qui nous seront envoyées.
Dialogus Horatii et Lydiæ.
HORATIUS.
DONEC gratus eram tibi ,
Nec quisquam potior brachia candida
Cervici juvenis dabat ,
Persarum vigui rege beatior .
**
LYDIA.
Donec non alia magis
Arsisti , neque erat Lydia post Chloën ,
Multi Lydia nominis
Romanâ vigui clarior Iliâ .
HORATIUS.
Me nunc Thressa Chloë regit ,
Dulces docta modos , et cithara sciens ,
Pro quâ non metuam mori , ₫ oy , 2
Si parcent animæ fata superstiti .. 9
LY DIA.
Me torret face mutuâ
Thurini Calais filius Ornithi , vel )
Pro quo bis patiar mori ,
Si parcent puero fata superstiti .
HORATI U SAST
Quid , si prisea redit Venus ,'
Diductosque jugo cogit aheneo 2
Si flava excutitur Chloë ,
Rejectaque patet janua Lydia ?
LY DI A.
Quanquam sidere pulchrior
Ille est , tu levior cortice , et improbo
Iracundior Hadria ,
Tecum vivere amem , tecum obeam libens.
MARS 1806...
389
DIALOGUE
་ ་ ་་་
D'HORACE ET DE LYDIE.
"
HORA CE.
1.
TANDIS qu'à vingt rivaux ton coeur m'a préféré ,
Quand mes bras amoureux pressoient ton cou d'ivoire ,
De plaisir Horace enivré
N'envioit au grand roi ni son rang , ni sa gloire.
LYDI E.
Quand j'étois la plus belle à ton oeil enchanté ,
Avant que ta Chloé l'emportât sur Lydie ,
Lydie a vu son nom vanté
Le disputer dans Rome au nom fameux d'Ilie.
HORACE.
Chloé m'a subjugué , Chloé qui sait unir
Au luth harmonieux sa voix plus douce encore..
Je ne craindrois pas de mourir
Pour prolonger les jours de celle que j'adore .
LYDI E.
Galaïs qui se plaît à vivre sous mes lois ,
Brûle d'un feu pareil au feu qui me dévore .
Je consens à mourir deux fois
Pour prolonger les jours de l'amant que j'adore .
HORACE.
Si Vénus réveilloit notre première ardeur ,
Qu'elle nous enchaînât à son char pour la vie ?
Bannissant Chloé de mon coeur ,
A reprendre son bien si j'invitois Lydie .......
T 累
LYDI E.
Quoiqu'il ait la jeunesse et l'éclat d'Apollon ,
Que tu sois en amour plus léger que Zephire ,
Plus orageux que l'Aquilon ,
91 916
Près de toi que je vive , avec toi
que j'expire !
smont mol
SoxASODE
WAILLY.
९
Shalom
3
390
MERCURE DE FRANCE ;
ENIGME.
SOMBRE , brillante , affreuse et belle ,
Avant le monde je naquis
Et dois régner sur ses débris.
Le moindre éclat m'efface , et je suis immortelle;
Le soleil n'a jamais éclairé de ses feux
Mon front lugubre et solitaire ,
Et j'habite pourtant les airs , l'onde et la terre .
Inconstans et réglés , mes pas silencieux ,
Même en fuyant le jour poursuivent sa lumière.
Mais que me sert tout ce mystère ?
La clarté de peut me trahir ;
C'est dans l'obscurité qu'on peut me découvrir,
LOGO GRIPHE.
QUELQUEFOIS je deviens, d'humble sujet du roi ,
Un personnage d'importance,
Je prends un nouveau nom pour mon nouvel emploi,
Inspirant tour-à - tour la crainte et " espérance ; "
On me fuit , on me cherche , et tel s'attache à moi ,
Qui souvent s'en repent , et maudit ma présence,
Soupçonné , l'on m'attaque avec persévérance ,
Et sur tout si l'on croit me trouver sans défense :
Je résiste avec art , et n'attaque jamais;
De trois points différens on me lance des traits ,
Poursuivi sans relache , au danger qui me pressC
J'oppose tour-à-tour les renforts et l'adresse ,
Et vainqueur, on murmure , ou bien l'on applaudit ;
Mais forcé de me rendre, on éclate et l'on rit .
Décompose mon être , et bientôt en Egypte
On me voit entraîner l'abondance à ma suite;
Offrir à tes regards le tissu doux et fin
Des vêtemens sacrés du jeune Elialin
Du vieux père Saturne foible partie,
Et dont est composé le cercle de la
Des divines Houris un ardent sectateur ,
Du foible et du puissant le juste protecteur ;
Le monstre généreux des déserts de l'Afrique ;
Une ville de France ; un ton de la musique ;
Et pour tout dire enfin au lecteur curieux ,
Mon existence est liée au plus piquant des jeux .
vie;
Par M. DE BUCHEPOT , abonné.
CHARADE.
CHAQUE action possède mon premier ;
Chacun , ami lecteur, court après mon dernier;
Prends - garde , en te mirant, de trouver mon entier...
Le mot de la première Enigme du dernier No est le Vide.
Celui de la seconde est te Feu.
dernier No est le Vid
Celui du Logogriphe est Flambeau , où l'on trouve lambeau , beau ,
feu, eau, mal, fléau , fa , la , au , le , ame , lame , bal, ambe.
MARS 1806. 391
Théâtre et Poésies fugitives de M. Collin d'Harleville .
Quatre vol . in- 8° . Prix : 15 fr,, et 20 fr. par la
poste. A Paris , chez Duminil Lesueur, imprimeurlibraire
, rue de la Harpe , n° 78 ; et chez le Normant ,
imprimeur- libraire , rue des Prêtres Saint - Germainl'Auxerrois
, nº 17. .
LORSQU'ON veut examiner les OEuvres complètes
d'un poète comique qui a obtenu de grands succès ,
il est toujours utile de faire des rapprochemens entre
l'état des moeurs à l'époque à laquelle il a écrit , et
le parti qu'il a dû tirer de cette mine féconde de
ridicules , soit comme observateur, soit comme critique.
Ces sortes de rapprochemens sont curieux ,
parce que , en même temps qu'ils présentent des
résultats moraux , ils offrent aussi des développemens
intéressans pour l'art. Aristophane et Molière
ont été plus d'une fois considérés sous ce rapport ;
et l'on a eu lieu de remarquer que les observations
auxquelles cet examen a donné lieu ont fourni sur
les moeurs de deux époques très- célèbres , des renseignemens
qu'on ne trouve ni dans les historiens ,
ni même dans les moralistes.
On a été trop loin quand on a dit que la comédie
renforçoit les moeurs , au lieu de les corriger. Cela
pouvoit s'appliquer à la comédie dégénérée , telle
que nous l'avons vue dans l'école de Dorat , non
à celle que Molière a portée à son plus haut degré
de perfection . Il est sûr que le théatre doit se
soumettre jusqu'à un certain point aux préjugés du
temps. Considéré , ainsi qu'il doit l'être , comme un
objet de délassement , et non d'instruction , il sortiroit
de son genre s'il frondoit gravement les opinions
reçues ; mais le théâtre , tel que Molière l'a créé ,
étend son domaine sur tous les vices et tous les tra-
4
392 MERCURE DE FRANCE ;
vers qui ont un côté ridicule : il les immole non à
une morale sévère , mais à une certaine morale de
convention qui tient essentiellement au ton d'un
monde choisi. En cela il ne renforce pas les moeurs ,
il ne les corrige pas non plus ; il se borne à les polir.
C'est d'après ce point de vue que nous considérerons
d'abord le Théâtre de M. Collin d'Harleville ;
ensuite , nous nous étendrons avec quelque détail
sur ses principales pièces.
Le premier ouvrage de M. Collin d'Harleville.
parut en 1786. On peut se rappeler quei étoit alors
l'esprit de la société en France . Les signes non équivoques
d'un changement dans l'état se montroient à
découvert ; il n'étoit plus douteux que cette grande
crise ne fût prochaine . Toutes les distinctions de
rang , toutes les institutions monarchiques existoient
encore de fait ; mais elles étoient entièrement minées
par ceux même qui étoient le plus intéressés à les
soutenir il ne falloit qu'un souffle pour les renverser
. A cette époque , chaque ordre de citoyens
paroissoit avoir oublié ses principes et ses maximes .
Il sembloit qu'on mit une sorte de vanité à braver
les anciennes idées , à abjurer la doctrine de son
état , à manquer même aux devoirs les plus sacrés .
De là une confusion dans toutes les classes , précurseur
trop funeste de l'égalité qui devoit bientôt être
proclamée. Le théâtre n'avoit donc plus , comme
autrefois , à peindre les ridicules, attachés à l'exercice
d'une profession ; la société ne lui offroit plus
que des visages et des manières uniformes . Dans
l'égoïsme froid qui régnoit alors , on pouvoit trouver
matière à des réflexions sérieuses , mais non à
des scènes comiques , qui tiennent à une franchise
d'expression que l'on ne voyoit presque plus.
1
Peut - être , cependant , auroit - il été possible de
trouver dans cette monotone uniformité de mours.
et de caractères quelques combinaisons dramatiques .
N'auroit-il pas
été comique de représenter des généMARS
1806 .
393
raux ne s'occupant que de charrues nouvelles ou
d'expériences chimiques , des magistrats composant
de petits vers et des romans , des duchesses recherchant
des actrices et en faisant leur société , etc ...?
Au lieu qu'autrefois le comique étoit tiré des prétentions
attachées à l'amour exagéré de son rang ou
de sa profession , on l'auroit tiré alors de l'indifférence
singulière pour ces deux objets , et sur-tout
de la manie qui consistoit à s'occuper des choses
que l'on auroit dû négliger ou dédaigner. Cette
combinaison , employée par un homme de génie ,
auroit pu donner à la comédie un ressort de plus :
la tentative seule en auroit été glorieuse ; car, dans
les arts , l'estime est toujours le partage de ceux qui
ouvrent des routes nouvelles.
Il restoit à la comédie une carrière beaucoup
plus facile à parcourir. Sans s'élever contre aucun
des travers à la mode , elle pouvoit se borner à offrir
des images douces et vives , à peindre des caractères
fantastiques il est vrai , mais dont le développement
donneroit lieu à des détails agréables. La
comédie pouvoit aussi revêtir de couleurs aimables
les spéculations romanesques du temps , prendre
un ton de mélancolie qui plaisoit alors beaucoup ,
et affecter une certaine naïveté capable de réussir
à une époque où l'on étoit blasé sur tout. Telles
sont les bases sur lesquelles M. Collin d'Harleville
fonda ses trois premières pièces : l'Inconstant , l'Optimiste
et les Châteaux en Espagne.
Il a été observé plus d'une fois que ces trois
pièces avoient entre elles de grands rapports : c'est
ce qui portoit M. de La Harpe à dire qu'elles
étoient une comédie en quinze actes. On avoit avec
raison reproché à Regnard d'avoir passé les bornes
de la vraisemblance dramatique , en resserrant dans
le cadre étroit d'une comédie tous les travers que
la Bruyère attribue à un distrait , et qui , s'ils se
succédoient avec cette rapidité dans un homme , en
394 MERCURE DE FRANCE ;
feroient un fou qu'il faudroit reléguer aux Petites-
Maisons.
ས་
Ne peut- on pas , avec autant de raison , adresser
le même reproche aux trois pièces dont nous nous
occupons ? Un inconstant a beau porter jusqu'à l'extrême
la légéreté de son caractère , il est impossible
que , dans l'espace de vingt-quatre heures , il
change trois fois de maîtresse , et qu'il abandonne
la seconde pour épouser la troisième , sans s'informer
même si cette dernière n'est pas mariée. Un
optimiste peut bien considérer sous un point de vue
favorable les événemens qui lui arrivent ; mais si ,
dans une journée , le tonnerre tombe sur sa grange,
și un jeune homme auquel il a donné asile séduit
sa fille , s'il est ruiné , si enfin tous les malheurs qui
peuvent accabler un père de famille tombent sur
lui , et qu'il s'en réjouisse , on ne peut disconvenir
que ce caractère ne tienne un peu de la folie . On
voit souvent les hommes faire des châteaux en Espagne
; mais il est hors de vraisemblance qu'un
homme passe sa vie à se croire le grand Turc , le
ministre d'un état , etc. , et qu'il ne sorte jamais de
ses rêveries , même dans les momens les plus calmes.
Il résulte de ces observations que ces trois caractères
, qui rentrent les uns dans les autres , puisqu'ils
ne sont fondés que sur des illusions , ne sont pas
propres au théâtre ...
Les amans qui entrent dans ces trois pièces ont
quelque chose de mélancolique et de romanesque
qui pouvoit plaire à l'époque où elles furent représentées
, mais qui s'éloigne des principes de la bonne
école . Quelle différence entre Valère et Marianne
de Tartufe , Henriette des Femmes Savantes , Agnès
de l'Ecole des Femmes , l'amant de l'Ecole des Maris,
Angélique du Malade Imaginaire , dont les caractères
sont aussi aimables que variés , et les jeunes
gens peints par M. Collin d'Harleville ! Belford et
Angélique de l'Optimiste ne parlent que sentiment ;
MARS 1806.
395
tous les deux ont cette tristesse vague qui n'a commencé
à être introduite au théâtre que depuis la
Chaussée . Ils pourroient facilement être les héros
d'un roman moderne ; mais ils n'ont rien de dramatique.
Florville des Châteaux en Espagne présente
à peu près le même caractère : sa délicatesse
est froide et recherchée ; on ne peut se prêter à
l'idée qu'il abandonne tous ses projets d'établissement
, parce qu'un fou a été pris pour lui pendant
quelques momens. Quelques traits vraiment comiques
se trouvent cependant dans les autres caractères
de ces trois pièces. Crispin de l'Inconstant ,
Picard de l'Optimiste , et Victor des Chateaux en
Espagne , offrent des intentions dramatiques . On va
voir que lorsque M. Collin d'Harleville s'éleva plus
haut , il ne put entièrement réformér des défauts qui
sembloient tenir au caractère de son talent , ainsi
qu'à la manière dont il considéra toujours l'art dramatique.
Le Vieux Célibataire annonça des conceptions
beaucoup plus fortes . Cette comédie , l'une des
meilleures qui ait paru depuis la Métromanie et le
Méchant , offre des tableaux de moeurs bien tracés
et des caractères bien soutenus . Trois rôles sur-tout
se font remarquer. Celui de M. Dubriage est plein
de vérité rien d'affecté , ni dans sa situation , ni
dans ses discours ; il présente le sort qui attend un
homme foible , mais bon , lorsque dans sa vieillesse
il préfère ses domestiques à ses parens . Le rôle de
madame Evrard peut être considéré comme le chefd'oeuvre
de M. Collin d'Harleville. Il étoit impossible
de peindre ce personnage avec plus d'esprit et
de grace , sans cacher cependant tout l'odieux de
ses projets et de sa conduite : c'étoit le grand écueil
de ce rôle , et l'on doit avouer que M. Collin d'Harleville
l'a surmonté très-heureusement. Ambroise ne
mérite pás moins d'éloges ; son caractère brusque
fait un contraste agréable avec la souplesse de ma
396 MERCURE DE FRANCE ,
dame Evrard il est naturel que deux fourbes se
trompent l'un l'autre , et cette disposition adroitejette
beaucoup de gaieté dans la pièce.
Mais les autres personnages de la comédie du
Vieux Célibataire ne sont pas exempts des défauts
que nous avons déjà reprochés à l'auteur. Armand
et sa femme sont romanesques : ils répandent beaucoup
de langueur , sur-tout dans le quatrième acte.
Le rôle du portier suppose une intention dramatique
, puisqu'il entre dans l'action pour montrer au
vieux célibataire le bonheur dont peut jouir un bon
ménage , même dans la misère ; mais au lieu d'avoir
une gaieté franche et conforme à son état , il tombe
fréquemment dans les illusions de l'optimiste et du
faiseur de châteaux en Espagne .
Il étoit à présumer que le grand succès qu'avoit
obtenu et mérité le Vieux Célibataire , fixeroit
M. Collin d'Harleville dans la bonne route. Le
contraire arriva , et l'on peut attribuer cette erreur
à la confusion de tous les genres de littérature qui
signala les temps révolutionnaires . Le nom d'artiste
étoit alors très à la mode on le donnoit indifféremment
aux poètes , aux peintres , aux musiciens ,
aux comédiens , et même aux artisans les moins
relevés. On avoit attaché à ce mot une importance
singulière , et il n'y avoit pas de petit rimailleur
qui ne s'en parât . Les détails de la vie de cette classe
d'hommes n'avoient jusqu'alors été mis sur la scène
que pour peindre leurs ridicules ; on avoit senti que
l'intérieur d'un auteur modeste et d'un artiste honnête
ne pouvoit exciter beaucoup d'intérêt au théâtre.
M. Collin d'Harleville voulut offrir au grand
jour les vertus privées d'un poète , d'un peintre et
d'un musicien. Comptant trop sur les graces de son
style , il ne s'attacha point à lier une intrigue interessante
; il se borna a prodiguer avec une sorte de
profusion les dissertations sur la, poésie , la peinture
et la musique , en assaisonnant tout cela de compli
MARS 1806.
397
mens éternels que se font les trois artistes. Une telle
pièce ne pouvoit réussir au théâtre ; aussi éprouvat
-elle beaucoup de difficultés , et ne put - elle se soutenir
.
•
Cette disgrace ramena M. Collin d'Harleville au
bon genre ; mais il ne trouva plus un sujet aussi
heureux que celui du Vieux Célibataire. Les Maurs
du Jour peignent fort bien , les sociétés actuelles le
danger d'une jeune femme éloignée de son mari ,
ne trouvant aucune sûreté dans la maison de son
oncle , entourée chez lui de tous les piéges de la
séduction , et préservée par un frère plein de fermeté
et de vertu , offroit un riche fonds de comédie.
L'auteur a su en tirer parti. Il y a une intention
vraiment comique dans la familiarité de Florval
avec son père c'est la meilleure critique que l'on
puisse faire des éducations modernes ; mais , comme
nous l'avons déjà observé , M. Collin d'Harleville
glisse toujours dans ses pièces quelque personnage
Tomanesque le rôle de madame Euler mérite ce
reproche. Elle a une générosité affectée , et sa liaison
avec madame Dirval n'a rien de naturel . On
voit qu'elle est introduite dans la pièce pour amener
la scène du portrait ; mais cette scène n'est pas assez
nécessaire à l'ouvrage pour justifier ce rôle : il pa
roît qu'il auroit mieux valu donner pour amie à
madame Dirval une femme honnête qui fût dans
le monde , et qui , tout en blàmant les folies à la
mode , sût cependant se conformer aux moeurs de
son temps , autant que la vertu et la décence
le permettre.
病房
peuvent
Le Vieillard et les Jeunes Gens n'est pas d'une
conception aussi forte que les Moeurs du Jour.
Cependant c'est une pièce fort agréable : il y a de
la gaieté et de la finesse dans les rôles des deux
frères ; la présomption du plus jeune est sur- tout duj
très -comique . Le rôle de Lorsan n'est pas aussi
heureux on y trouve je ne sais quelle teinte de
398 MERCURE DE FRANCE ,
mauvais ton qui fait douter que ce fat ait pu se concilier
madame Merville . Le personnage du vieillard
est le meilleur de la pièce : il est aimable et noble ;
et ce caractère , que l'on avoit tenté plusieurs fois
sans succès de mettre au théâtre , fait beaucoup
d'honneur au talent de M. Collin d'Harleville . Il y
a encore dans cette pièce un personnage peu naturel;
c'est l'amant de la jeune personne , qui est protégé
par le vieillard, il a un ton apprêté qui ne
convient pas à son age ; sa reconnoissance pour
M. de Naudé passe les bornes de la vraisemblance
dramatique , puisqu'elle le porte à souffrir sans murmurer
que sa maîtresse épouse le vieillard.
Le Recueil des pièces de M. Collin d'Harleville
est terminé par une comédie intitulée les Riches,
qui n'a jamais été représentée. Le titre seul de cette
pièce donne beaucoup à espérer. Après une révolution
qui a déplacé tant de fortunes , il doit se
trouver un grand nombre de gens dont l'éducation
ne répond pas à leur situation dans le monde ; et
c'est dans les inconvenances qui résultent nécessairement
de cette position , que la comédie peut puiser
les traits les plus piquans. M. Collin d'Harleville
paroît avoir senti cet avantage ; mais il n'en a pas
tiré tout le parti que l'on avoit lieu d'attendre . Une
idée générale de cette pièce suffira pour le prouver.
Derval , homme à grandes entreprises , vient d'acheter
un château superbe qui a déjà passé , en très-peu
de temps , dans les mains de plusieurs propriétaires :
une des conditions du marché maintient dans la, pos
session d'un petit pavillon , situé dans le parc , un
particulier obscur appelé M. Belmont. Ce dernier a
une fille très - aimable qui a inspiré de l'amour au
fils de M. Derval. Gelui- ci voit avec chagrin cette
inclination , il fait ses efforts pour en distraire son
fils, Cependant une affaire plus importante l'occupe
dans ce moment. Il a fait une spéculation hasardeuse
, qui le met dans la nécessité de réunir beauMARS
1806. 399
9
coup de capitaux . Pour y subvenir , il veut vendre
son château à Duchemin , nouveau riche , qui n'a
aucune éducation , mais qui entend très - bien ses
intérêts. Ce dernier, en apprenant l'existence du pavillon
de M. Belmont , veut le réunir à son domaine
, et déclare qu'il n'achètera pas le château si
cet arrangement n'a pas lieu . Comme il est habitué
à ce que rien ne lui résiste , il veut aller trouver
M. Belmont , et se fait fort de le décider, avec de
Fargent , à renoncer à ses droits ; mais quelle est sa
suprise , en se présentant devant M. Belmont , de
le connoître pour son ancien maître ! En effet ,
ce M Duchemin a été valet de chambre de M. Belmont
, qui n'est rien moins qu'un homme pauvre et
obscur. M. Belmont lui demande le secret le caractère
de ce personnage est très- singulier , comme
on le terra bientôt.
Jusqu'à présent la pièce marche bien ; il
y a des
scènes plaines de finesse et de sel : telle est l'entrevue
de malame Derval avec la fille de M. Belmont ;
scène où la jeune personne , ne perdant pas le ton
de modestie ui lui convient , se moque très - bien
des prétentions de la nouvelle riche telles sont les
réflexions de la femme de chambre de madame
Derval , qui , ayant servi autrefois des dames de
qualité , se charge le former ses maîtresses : telle est
encore une scène ou Duchemin se moque du jeune
homme qui admire s ombrages des bois de son
père , tandis qu'on calule ce qu'ils peuvent rapporter.
Mais la suite de cette comédie ne répond pas au
commencement . L'inconvénient vient du caractère
romanesque que l'auteur a donné à M. Belmont .
Duchemin a laissé échapper quelques mots qui inspirent
à Derval des soupçons sur la fortune de
M. Belmont. On sent que Derval et sa femme ne
négligent rien pour éclaircir ce doute . Leur ruine
presque complète , qui résulte de la spéculation dont
400 MERCURE DEt FRANCE ;
on a parlé , les porte encore plus à vérifier si leur
voisin est riche. En effet , ils poussent leur peu de
délicatesse jusqu'à lui cacher ce qui vient de leur
arriver , afin que leur fils puisse épouser sa fille.
Quelle conduite peut -on croire que tiendra M. Belmont
? On présume nécessairement qu'il n'entrera
point dans une telle famille . Tout au contraire , il
donne sa fille au fils de M. Derval , sans que ce
dernier, laisse aucun espoir qu'il se corrigera. On
voit que ce dénouement est mal conçu ; et l'or
regrette que ce défaut ait empêché l'auteur de ler
à un bon ouvrage les excellentes idées qu'il a in
diquées dans les premiers actes .
i
}
Ces réflexions générales sur les comédies de
M. Collin d'Harleville , nous ont conduit à relever
plusieurs défauts qui ont du nuire à ses succès ;
mais l'auteur gagne beaucoup à être connu par
les
détails sa manière a un charme qu'on seat plutot
qu'on ne peut le définir. Quand il n'es pas trop
minutieux , il sait intéresser aux plus pettes choses ,
et inspirer une douce gaieté , qui est plutôt le résultat
de la lecture que celui de la représentation
théâtrale . Quelques réflexions sur ette partie du
talent de M. Collin d'Harleville , eront la matière
d'un second article. Après s'être exprimé sur ses
ouvrages avec une sévérité franche , qu'il doit regarder
comme une preuve d'estime , on s'étendra
avec satisfaction sur tout ce que ses productions
ont d'agréable on examinera aussi son style , ainsi
que la marche de ses pièces ; et l'on parlera des
petites comédies de M de Crac , Malice pour
Malice , Il veut tout fave , ouvrages pleins de grace.
et d'agrément , mais trop peu importans pour être
examinés sous le pont de vue d'après lequel on a
cru devoir considérer ses grandes pièces.
>
P.
N. B. Cet article étoit imprimé lorsque nous avons
appris la mort de M. Collin d'Harleville.
La
DEP
:
MARS 1866.
La Petite Maison Rustique , ou Cours théorique et pratique .
d'Agriculture, d'Economie rurale etdomestique . Deux vol.
in- 8°. Prix : 15 fr . , et 18 fr. par la poste. A Paris , chez
la veuve Devaux , libraire rue de Malte ; et chez le
Normant, libraire , imprimeur du Journal de l'Empire ,
rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 17.
17
DANS le plan nouveau et plus étendu que le Mercure vient
de se tracer , les lettres et les sciences morales continueront
sans doute d'occuper le premier rang. Mais en conservant
aux arts de l'esprit , la juste prééminence dont ils sont en
possession , on ne dédaignéra pas de donner quelqu'attention
aux arts industriels , qui travaillent pour nos besoins et qui
répandent tant d'agrémens sur la vie. Il importe d'autant
plus de soumettre à une critique sévère cette branche si cultivée
de nos connoissances , qu'un grand nombre de savans
se sont jetés dans cette partie , soit pour y faire une prompte
fortune , ce qui n'est pas sans exemple , soit pour flatter le
goût dominant de leur siècle . De là ce débordement d'expériences
, d'essais , de plans , de théories , qu'on retourne en
cent manières , qu'on reproduit sous mille formes , toujours
pour la commodité du public , et toujours pour le profit de
l'auteur . C'est ainsi qu'on nous a présenté d'abord une Maison
Rustique qui pouvoit passer pour grande, et après laquelle il
sembloit qu'on n'eût plus rien à voir ni à apprendre sur cette
matière. Mais des gens qui ne songent qu'à soulager le
public , lui proposent aujourd'hui la Petite Maison, qui réduit
la grande à des proportions plus commodes : ce qui est un
beau secret pour vendre deux fois le même ouvrage .
Cependant cette Petite Maison Rustique est encore un trop
gros livre : les véritables cultivateurs ne lisent pas des volumes
si épais ; et si les agriculteurs de cabinet les lisent , les ins402
MERCURE DE FRANCE ;
T
tructions qu'ils en retirent leur servent à - peu-près autant que
les visions d'un homme qui prétendroit se conduire tout seul
dans les rues de Pékin , parce qu'il auroit vu cette ville dans
un songe . Les auteurs de tous ces livres énormes qui traitent
de l'agriculture , ne sont ordinairement que de tristes compi-
Jateurs qui ressassent toutes les observations faites avant eux ,
anciennes ou modernes , bonnes ou mauvaises , sans choix ,
puisqu'ils manquent des connoissances nécessaires pour les
distinguer , et sans mesure, puisqu'ils n'ont pas de raison
pour en rejeter aucune . Ils commencent d'abord par supposer
que le monde n'est fait que depuis hier , et qu'on ignore
jusqu'au nom d'une charrue. En conséquence ils nous disent
gravement que c'est dans la terre que pousse le blé ; ils
apprennent aux jardiniers que les poires viennent sur les
arbres , et aux laboureurs qu'il faut semer pour recueillir.
On a beau leur crier qu'on sait tout cela depuis six mille
ans , ils n'en vont pas moins leur train , et ils ne veulent
rien rabattre de leur méthode : ils sont gens à faire retourner
un voyageur de Lyon à Paris , pour lui enseigner le chemin
de Marseille .
•
Chaque pays , chaque canton a sa culture particulière ,
fondée sur la qualité du terrain et sur une antique expérience :
partout où le citadin se transporte , il trouve une coutume
établie , des hommes instruits par leurs pères , des instrumens
convenables , et des bêtes de somme habituées à une
certaine routine ; il est d'abord forcé de consulter les usages
reçus avant de proposer ses moyens. L'autorité des Duhamel
et des Parmentier n'y est pas plus connue que celle du
Grad-Turc , et la tradition des vieillards y a plus de poids
que tous les conseils d'un agriculteur qui n'a jamais mis le
pied dans la contrée , quand même il auroit fait un livre trois
fois plus volumineux que la Petite 0 ' Maison Rustique.
"
Pour connoître parfaitement la nature d'une terre quelconque
, et pour en raisonner pertinemment , il faut l'avoir
MARS 1806 . 403
long - temps cultivée. Les notions générales sur l'agriculture
sont connues et ne peuvent pas périr ; ce sont des
règles particulières qu'il faudroit donner aux cultivateurs ;
mais sera- ce dans des livres qu'ils iront les chercher , lorsqu'ils
ont sous les yeux le tableau de ce qu'ils ont à faire , et
qu'ils peuvent trouver dans l'expérience de leurs voisins ou
dans celle qu'ils ont acquise , toutes les lumières qui peuvent
leur être utiles ? La question pour le particulier n'est jamais
de savoir si l'on feroit mieux de ne cultiver en France que
des turneps au lieu des menus grains ; mais de connoître quelle
espèce de rapport il doit demander à tel champ en telle saison ;
or c'est assurément ce qu'il sait mieux que qui que ce soit ;
et si j'achetois ce champ , je n'irois certainement pas consulter
La Petite ni même la Grande Maison Rustique , pour savoir
ce que je dois y semer ou y planter.
On peut croire , ce me semble , sans témérité , que l'agriculture
est arrivée depuis long- temps à sa perfection en
France , et que l'industrie naturelle de ses habitans n'a plus
besoin d'être excitée que sur quelques points particuliers
d'économie. Les connoissances générales que tout le monde
peut acquérir sur cette matière et que les plus ignorans possèdent
, parce qu'il n'y faut que des yeux , rendent donc
inutile tout ce qu'on peut en écrire ; c'est ce qui fait que
jamais on ne cherche dans les livres de pure théorie que des
procédés particuliers sur l'avantage desquels il n'y a plus de
doute ; car personne ne veut rien hasarder , chacun se
renferme strictement dans le cercle des connoissances dont il
a hérité. Les exemples des innovations funestes rendent timide
sur les expériences , et ce n'est qu'en tremblant qu'on s'écarte
de ce que les économistes nomment avec un mépris injuste la
routine , qui est le chemin tracé par l'expérience .
Pour qu'un écrivain sur l'agriculture fût véritablement
utile au cultivateur , il faudroit donc qu'il partît d'un point
connu , c'est- à - dire qu'il voulût bien se persuader qu'on sait
C 2
404 MERCURE DE FRANCE ,
semer du blé , et qu'il ne dît pas un mot sur un objet mieux
cornu du dernier paysan que de lui - même ; il faudroit ,
dis-je , que prenant les choses dans l'état où elles se trouvent,
il indiquât tout simplement les moyens qu'il a découverts de
s'avancer vers un mieux sensible , clair et évident : cela né
fourniroit pas à la vérité la matière d'un petit volume dans
un espace de temps considérable ; mais au moins il seroit lu ,
et il produiroit tout le bien dont il est capable.
Les économistes de nos jours cultivent beaucoup plus les
presses des imprimeurs que les champs : si , par hasard , il
s'établit une petite amélioration dans quelque contrée , ils
s'en emparent , et , au lieu d'en donner l'explication dans un
narré fort concis , ils l'enchassent dans un Traité complet
d'Agriculture . C'est le principal reproche que mérite l'auteur
de la Petite Maison Rustique , ouvrage dans lequel on ne
trouvera de nouveau que les observations sur l'Art de faire
le vin , publiées par M. Chaptal dans un autre Traité complet
d'Agriculture ; car il faut toujours un grand ouvrage
pour dire de petites choses ; et ne découvrît- on qu'une nouvelle
manière de prendre les souris , il est entendu qu'il
faudroit remonter jusqu'à Noé , afin de conjecturer les moyens
qu'il employoit pour détruire celles qui étoient dans l'arche ;
et tout cela ne pourroit encore se dire que dans un nouveau
plan d'économie rurale en plusieurs tomes.
Le principe de cette stérile abondance ne peut jamais être
honorable ; car l'inutilité en est tellement sensible, qu'elle ne
peut échapper à l'attention de l'écrivain le plus diffus et le
plus prolixe. Les uns cherchent à se faire un nom dans les
sciences , et les autres à s'enrichir. Il n'est pas difficile de voir
lequel de ces deux motifs a excité l'auteur de cette nouvelle
compilation ; mais il en est un autre qui n'est pas aussi visible
pour le commun des lecteurs : c'est le dessein de flatter la
vanité d'un savant , en rapportant à lui seul toute la
MARS 1806. 405
gloire d'une découverte utile . Il y a quelque chose de si
choquant dans une pareille affectation , qu'il faut enfin la
relever.
On peut dire que la chimie moderne a découvert la pierre
philosophale, par la manière dont elle multiplie lesTraités les
plus oiseux , et par le bruit qu'elle fait de ses moindres expériences
. Elle a cherché long- temps , et peut- être cherche-t-elle
encore le moyen de faire du pain sans blé , et même sans
farine , et celui de faire du vin , et même du bon vin , sans
raisin , de manière qu'on puisse se passer de toute espèce de
récolte , et que l'agriculture devienne absolument inutile.
Quoiqu'il soit très agréable de ne point manger son pain à
la sueur de son front , il paroît que les hommes n'auront
pas cette jouissance de long-temps ; car on n'a pu démêler
dans la terre la partie la plus déliée qui se transforme en
grain ; et la poussière la plus subtile dont on s'est servi
plus d'une fois comme approchant le plus de la farine , n'a
jamais pu faire qu'un pain détestable. Quant au vin , c'est
une autre affaire , tout Paris sait avec quel succès les marchands
de cette ville rivalisent depuis long - temps avec les
plus grands chimistes , et combien il y en a qui savent trouver
dans le fond de leurs celliers les coteaux les plus renommés
de la Champagne et de la Bourgogne. Il est vrai que le but
des uns et des autres est fort différent : les marchands de vin
ne veulent qu'imiter les productions de la nature ; les chimistes
recherchent les principes constituans de ses ouvrages , pour en
faire de pareils , en moins de temps et avec moins de travail
que la nature n'en emploie au seul développement des premiers
germes . Si le résultat de toutes leurs recherches n'a
pas été tel qu'on pouvoit l'attendre de leur haute pénétration ,
du moins n'a-t- il pas été tout- à - fait infructueux , et l'on
est venu à bout de reconnoître que le meilleur vin est en
tout temps et dans tous les pays , celui qui a été le mieux fait
avec le meilleur raisin. Ce n'est pas peu de chose que cette
+
3
406
MERCURE DE FRANCE,
:
découverte elle épargne à nos neveux bien des recherches ,
et la perte d'un temps précieux .
Ne pouvant donc faire du vin sans vendange , les chimistes
ont tourné toutes leurs vues du côté de l'amélioration des
vins médiocres , et c'est sur-tout dans cette partie qu'ils se
vantent d'avoir fait des découvertes merveilleuses. L'auteur
de la Petite Maison Rustique prétend , ou répète après tous
ceux qui ne lisent que les écrits les plus modernes , que
M. Chaptal nous a donné la meilleure doctrine sur l'art de
faire le vin. Cela se peut ; mais comme il est juste de rendre à
chacun ce qui lui appartient , personne ne peut trouver mauvais
que nous fassions observer que cette doctrine même se
trouve imprimée tout au long depuis plus de vingt années
dans le Dictionnaire de Chimie de M. Macquer , ouvrage
pour lequel on affecte beaucoup trop d'insouciance en public ,
et qui rend en secret bien des services à plus d'un ingrat .
Il faut que nous en fournissions une bonne preuve .
M. Chaptal a publié il y a sept ou huit ans un Cours complet
d'Agriculture , dans lequel il a fait entrer sa doctrine sur
l'art de faire le vin.
Voici , en deux mots , toute la différence des procédés
que cette doctrine recommande, avec la coutume habituelle
des mauvais vignerons. Ceux - ci , dit - on , vendangent trop
tôt ; ils ne séparent pas les raisins verts et pourris d'avec le
mûr , ils emploient trop de temps à compléter la cuvée ,
ils ne foulent que quand la cuve est pleine , ils ne couvrent
pas leur vendange lorsqu'elle est en fermentation dans la cuve ,
ils tirent du vin à la cannelle , et ils en arrosent la surface de la
vendange.
La doctrine de M. Chaptal veut :
Que le raisin ne soit cueilli que quand il est bien múr.
C'est à quoi ne manquent jamais les plus mauvais vignerons
, lorsque le temps le permet.
Que l'on sépare les raisins verts et pourris d'avec les múrs.
MARS 1806 . 407
C'est ce qu'ils voudroient bien pouvoir faire ; mais cela
est impraticable pour eux , dans la manipulation rapide de la
cueillette et du transport.
Que l'on emplisse la cuve promptement.
Ils ne demandent pas mieux ; mais comme c'est faute d'oùvriers
qu'ils tardent à la remplir , on ne peut rien leur
reprocher à cet égard .
Que l'on foule la vendange à mesure qu'on la jette dans
la cuve.
Cette coutume exige plus d'ouvriers que les mauvais
vignerons n'en peuvent employer. Au surplus , ce procédé ,
beaucoup plus long que celui de ne fouler que quand la cuve
est pleine , dissipe , par cela seul , beaucoup plus d'esprit ."
Que la vendange soit couverte et respectée.
Ce précepte est fort bon , et c'est le seul sur lequel il soit
raisonnable d'insister , puisque tout le reste de cette théorie
est ou indépendant de la volonté des hommes ou impraticable,
et que l'article du foulage est sujet à discussion. Ainsi la différence
réelle qui existe entre le bon et le mauvais vigneron ,
c'est que l'un couvre et respecte sa vendange , tandis que
l'autre , en ne la couvrant pas , laisse dissiper l'esprit , aigrir
la rafle , et qu'il dénature son vin lorsqu'il arrose cette rafle
déjà tournée à l'acide.
Un autre précepte de cette même doctrine , p'us curieux
qu'utile , recommande aux vignerons d'ajouter du sucre à
leur moût , dans les mauvaises années ou dans les mauvais
vignobles.
-
<«< Pourquoi le raisin donne - t - il le meilleur vin , se demande
l'auteur ? C'est parce qu'il est de tous les fruits celui qui
contient le plus de sucre . — C'est le sucre , le sucre seul
qui fait le vin. Le vin dans les bonnes années est plus
vineux celui des climats chauds l'est constamment ; il l'est
au point de donner du quart au tiers en eau-de- vie , tandis
que nos vins en donnent à peine un dixième . D'où vient
:
4
408 MERCURE DE FRANCE.
une aussi grande différence ? De la grande quantité de sucre
que contient le raisin dans les bonnes années , et sur tout dans
les pays chauds . Ajoutez à votre vendange de la matière
sucrée , et vous aurez des vins aussi spiritueux que ceux de
Bourgogne , même que ceux du Languedoc . Il ne manquera
à un pareil vin que le bouquet . Trois ou quatre poignées
de tontures de pêchers , d'amandiers ,. une poignée de purs
de sureau sèches parfumeront une ouve.
» Une , deux ou trois livres de sucre par pièce de vin suffisent
dans les années froides : si le raisin a été cueilli dans
l'état de verjus , il en faut quatre ou cinq livres.
» La manière d'employer la matière sucrée , consiste à la
faire dissoudre dans une chaudronnée de moût. Qn la verse
toute bouillante dans la cuve ; on agite la masse pour y
distribuer également la matière sucrée et la chaleur ; on
couvre sa vendange ; on laisse fermenter , et on ne rentre
dans sa foulerie que pour décuver , »
ཀ་ །
Nous donnons ces détails pour l'utilité particulière des
vignerons aisés qui pourront en faire usage ; car on sent bien
que l'énormité de la dépense qu'un pareil moyen exige , ne
permet pas qu'il soit jamais employé genéralement.
Voyons maintenant ce qui a été mis au jour , il y a vingtquatre
ans, sur ce même sujet , dans le Dictionnaire de Chimie
de M. Macquer , afin de pouvoir juger ce qu'on doit à l'enseignement
de M. Chaptal.
« Au mois d'octobre 1776 ( c'est M. Macquer qui parle ) ,
je me suis procuré assez de raisins blancs pinot et mélier d'un
jardin de Paris , pour faire vingt - cinq à trente pintes de
vin . C'était du raisin de rebut ; je l'avois choisi exprès dans
un si mauvais état de maturité qu'on ne pouvoit espérer
d'en faire un vin potable ; il y en avoit près de la moitié ,
dont une partie des grains et des grappes entières étoient si
verts qu'on n'en pouvoit supporter l'aigreur. Sans autre pré-
Caution que celle de faire séparer tout ce qu'il y avoit de
MARS 1886.
409
pourri , j'ai fait écraser le reste avec les rafles et exprimer
le jus à la main ; le moût qui en est sorti étoit très trouble ,
d'une couleur verte , sale , d'une saveur aigre - douce , où
l'acide dominoit tellement qu'il faisoit faire la grimace à ceux
qui en goûtoient. J'ai fait dissoudre dans ce moût assez de
sucre brut pour lui donner la saveur d'un vin doux , assez
bon , et , sans chaudière , sans entonnoir , sans fourneau ,
je l'ai mis dans un tonneau , dans une salle au fond d'un
jardin , où il a été abandonné. La fermentation s'y est établie
dans la troisième journée , et s'y est soutenue pendant huit
jours d'une manière assez sensible , mais pourtant fort
modérée . Elle s'est apaisée d'elle - même après ce temps.
» Le vin qui en a résulté étant tout nouvellement fait et
encore trouble , avoit une odeur vineuse assez vive et assez
piquante ; sa saveur avoit quelque chose d'un peu revêche ,
attendu que celle du sucre avoit disparu aussi complètement
que s'il n'y en avoit jamais eu . Je l'ai laissé passer l'hiver
dans son tonneau , et l'ayant examiné au mois de mars , j'ai
trouvé que , sans avoir été soutiré ni collé , il étoit devenu
clair ; sa saveur quoiqu'encore assez vive et piquante , étoit
pourtant beaucoup plus agréable qu'immédiatement après la
fermentation sensible ; elle avoit quelque chose de plus doux
et de plus moelleux , et n'étoit mêlée néanmoins de rien qui
rapprochât du sucré. J'ai fait mettre alors ce vin en bouteilles
, et l'ayant examiné au mois d'octobre 1777 , j'ai
trouvé qu'il étoit clair-fin , très- brillant , agréable au goût ,
généreux et chaud ; en un mot tel qu'un bon vin blanc de
pur raisin , qui n'a rien de liquoreux , et provenant d'un bon
, vignoble dans une bonne année . Plusieurs connoisseurs auxquels
j'en ai fait goûter en ont porté le même jugement , et
ne pouvoient croire qu'il provenoit de raisins verts , dont
on eût corrigé le moût avec du sucre. »
A l'appui de cette expérience , M. Macquer en rapporte
d'autres , qu'il seroit beaucoup trop long de donner ici : il dit
410 MERCURE DE FRANCE ;
qu'il est très-certain que c'est le principe sucré qui est là
vraie matière de la fermentation spiritueuse ; et ce savant ,
aussi modeste qu'instruit , ne manque pas d'observer qu'il ne
se donne point comme auteur de cette découverte , et qu'il
ne doute nullement que plusieurs personnes n'aient essayé
avec succès , peut-être même déjà depuis long- temps , à
faire d'excellent vin en corrigeant avec le sucre les raisins
trop peu mars.
Nous laissons au lecteur le soin de faire les réflexions que
la comparaison de ces deux extraits doit produire. Si la
méthode que M. Macquer enseigne pour corriger les vins
n'est pas la même que celle de M. Chaptal , il faut convenir
qu'elle lui ressemble assez bien , et qu'elle ne met pas mal
sur la voie. D'où vient donc que personne ne daigne en dire
un seul mot ? Est - ce qu'il ne suffit pas d'avoir travaillé toute
sa vie , avec un zèle infatigable , aux progrès d'une science ,
pour mériter un signe de reconnoissance , lorsque l'occasion
se présente ? Les savans d'aujourd'hui pourroient- ils oublier
que s'ils ne rendent pas hommage aux travaux de ceux qui
les ont précédés , ils doivent s'attendre eux - mêmes à voir
périr leur mémoire ? D'autres savans viendront , qui , retrouvant
dans les écrits anciens toutes les sources où les modernes
auront mystérieusement puisé , sauront distinguer les copistes
des véritables auteurs , et les hommes avides de renommée
d'avec ceux qui la méritént .'
L'auteur de la Petite Maison Rustique , qui ne songe qu'à
vendre ses compilations , et qui ne s'est pas même nommé ,
pour s'épargner la petite mortification d'un reproche trop
direct , a encore négligé de parler dans son ouvrage d'un
objet bien plus important que celui de l'amélioration du
mauvais vin : je veux dire la naturalisation en France des
races de moutons espagnols , dont il ne dit pas un mot. Il
ne peut pas ignorer cependant qu'aux portes de Paris même ,
il y a maintenant des troupeaux dont la lainé est absolument
MARS 1806 . 41r
la même que celle d'Espagne , et que cette branche d'industrie
qui s'étend beaucoup depuis quelques années , offre aux cultivateurs
une ressource qui leur permet de soutenir l'aug
mentation du prix des terres , qui a passé dans bien des
endroits toutes les proportions avec leur produit en grains .
Il n'est pas possible , avec l'esprit le moins soupçonneux ;
de ne pas voir dans ce silence une intention secrète de se
réserver les moyens de rendre une nouvelle édition de cet
ouvrage bien plus intéressante et plus complète ; mais n'y
a- t- il pas une véritable tromperie dans cette réticence , et ne
devroit-on pas forcer un pareil auteur à reprendre son livre
en échange du nouveau qu'il donne peu de temps après ,
lorsqu'il y a dans son premier travail une imperfection si
manifeste et si volontaire ? G.
Le premier Médecin de la Grande - Armée au
Rédacteur du MERCURE DE FRANCE.
MONSIEUR ,
Au quartier général à Augsbourg ,
le 20 février 1806. *
L'écrit dont je n'aurois pas pris la liberté de vous adresser
un exemplaire dans toute autre circonstance, sort de presse ( 1 ) ;
sa date vous assurera quelle a du être ma surprise , lorsque le
Publiciste du 10 février m'a annoncé qu'au moment où je
pleurois , en quittant l'Autriche les amis que nous y avons
perdus , MM. Dupaty et Nicolo (2) , jugeoient devoir me
mettre en scène à l'Opéra-Comique,
Ceux de qui j'ai l'honneur d'être connu , trouveront qu'en
( 1 ) Cet écrit est l'oraison funèbre des officiers de santé militaires , morts
à la Grande- Armée.
(2) Auteurs de l'opéra comique , intitulé la Prise de Passaw.
412 MERCURE DE FRANCE,
me présentant comme une espèce de Figaro , plus impudent
encore que mauvais plaisant , les poètes de l'Opéra-Comique
ont manqué le caractère de la personne. En attribuant celui
d'un misérable frater au premier médecin des armées , ils
ont étrangement méconnu les convenances du personnage,
Ils ont donc violé de fait et de droit le sage précepte du
grand maître Reddere personce ... convenientia, cuique.
1
"
Je n'avois pas lieu de m'attendre qu'une aventure , dont le
rapport officiel a été perdu par les circonstances de guerre ,
fût de nature à fournir la matière d'un opéra comique.
J'ignore quelles sont les sources où les auteurs ont pris leurs
renseignemens. La légéreté avec laquelle ils m'ont fait subir
une métamorphose si singulière peut seule me forcer à tracer
le plus brièvement qu'il me sera possible , l'histoire véritable
de la prise de Passaw par deux médecins de l'armée française.
Envoyé à Passaw le 7 brumaire dernier , par ordres supé
rieurs , pour y former des hôpitaux , je priai le médecin principal
Brassier, qui parle les deux langues , de m'y accompa
gner. Partis un peu tard de Munich , nous voyageâmes péniblement
pendant la nuit , pour arriver à Passaw le 8 , à une
heure aprés midi. Le temps étoit beau , les chevaux qui nous
amenoient les meilleurs que nous eussions encore rencontrés ,
le postillon jeune et vif. Celui- ci , en traversant la ville au
grand galop dans toute sa longueur jusqu'à la cathédrale , ne
cessa de donner du corps de manière à exciter la curiosité.
Aussi , à la porte du directeur général de police , fûmes- nous
environnés d'une grande affluence d'habitans . Nous n'eûmes
le mot de leur étonnement que lorsque M. Lenz , premier
magistrat de la ville , nous eut tirés à l'écart , pour nous
apprendre que nous étions les seuls Français dans la place ,
occupée par un corps de quinze cents hommes de l'armée
autrichienne.
Quel parti prendre ? Celui de rebrousser chemin nous
perdoit. Il nous parut plus sage, de faire bonne contenance , et
MARS 1806 . 413
cependant d'être prudens. M. Lenz nous proposa sa campagne
, à trois quarts de lieue de la ville. Nous y aurions
végété aux arrêts forcés , dans l'inquiétude , et dans l'inutilité
relativement à notre mission. « Ne nous placez pas , dis-je à
» M. Lenz , dans une maison apparente , et cela suffira . »
Tel fut l'avis de M. Moser , officier bavarois , envoyé de Munichi
à Passav pour y seconder les opérations de l'armée française.
M. Lenz partagea bientôt cette opinion. Nous remontons en
voiture comme des hommes qui reprennent leur première
route , et nous mettons pied à terre chez un des amis de
M. Lenz . Nous étions en sûreté chez M. Curtz , autant qu'on
pouvoit l'être sur la rive gauche de l'Inn , en perspective du
faubourg situé sur la rive droite ( Innstadt ) , et qu'occupoient
les troupes autrichiennes.
Les bâtimens de la belle abbaye de Saint-Nicolas frap pent
nos regards. Peut-on y établir un hôpital ? » « Oui , répondent
nos hôtes. » Allons visiter ce local. >> Cependant le temps change,
il s'obscurcit ; la pluie survient , et elle favorise notre course.
Nous montons à l'abbaye , accompagnés de l'officier bavarois.
Nous y passons quatre heures , à évaluer et mesurer les espaces
, à combiner les convenances , à prendre des notes pour
nos distributions. Jaloux d'emporter à notre logement toutes
les données du plan à tracer , nous achevions aux flambeaux
nos dernières recherches , lorsqu'un envoyé de M. Lenz vint
prévenir à l'oreille l'officier bavarois , qu'on étoit à sa poursuite
et à la recherche de deux officiers français. Son air d'embarras
nous avoit déjà fait soupçonner quelque danger , lorsque
M. Lens vint en personne nous déclarer qu'il n'y avoit
pour nous aucune sûreté ; que les conseillers de son administration
, ainsi que les notables de la ville , après mûre
délibération , nous prioient instamment de ne pas nous exposer
davantage , et sur-tout de ne pas exposer à l'incendie les
maisons où l'on nous pourroit supposer. Ce dernier motif
prévalut sur toutes nos objections. La principale étoit fondée
414 MERCURE DE FRANCE ,
sur l'étendue de cette vaste maison où nous avions le choix de
cent appartemens. Nous répondîmes qu'une prière ainsi
motivée devenoit un ordre pour notre délicatesse. Mais les
moyens de partir ?
1
« Ne doutant pas d'une détermination aussi sage que la
» vôtre, dit M. Lenz , j'ai pourvu à tout. Vos effets sont dans
» votre voiture qu'on conduit dans ce moment à l'abbaye , à
» bras d'hommes , par un chemin détourné. Dans une demi-
» heure vous aurez des chevaux de poste sortis par la porté
» d'en haut , afin de tromper les espions qui circulent autour
» de votre logement , et qui se sont présentés pour vous faire
» visite . A chaque tiers de la première lieue , pendant laquelle
» on monte à pic , un homme affidé vous avertirà par deux
» coups de pistolet tirés à une minute l'un de l'autre , s'il faut
» doubler le pas ou quitter votre voiture pour gagner la forêt
» de sapins. »
- Nous partons à dix heures du soir. Il tomboit beaucoup de
neige. Cette circonstance fut comptée pour très - favorable dans
la position où nous étions. Pendant toute notre ascension
nous ne perdîmes pas de vue les feux autrichiens très-multipliés.
Ils nous assuroient qu'on ne nous croyoit pas sur la route.
Nous n'entendimes pas tirer un coup de pistolet.
41837
"
A une heure après minuit nous arrivâmes à Furstewzell ,
chez M. Manhart , maître des forêts du duc de Bavière , à qui
M. Lenz nous avoit recommandés. M. et Mad. Manhart nous
accueillirent avec beaucoup d'intérêt , et nous traitèrent avec
un empressement digne de toute notre reconnoissance.
Cependant on ne négligea point la précaution indiquée par
M. Lenz , d'avoir des chevaux tout prêts à partir en cas de
besoin. On ne les remit à l'écurie que le lendemain à huit
heures du matin , lorsque nous eûmes reçu le courrier que nous
avoit dépêché l'administration de Passaw ...
M. Lenz nous annonçoit qu'à quatre heures du matin ,
après avoir achevé de couper ou de brûler le pont de l'Inn at
MARS 1806 . 415
celui du Danube , les Autrichiens avoient évacué Passaw.
Nous y sommes rentrés avant la fin du jour , et nous avons
eu la satisfaction de traverser à pied l'un des ponts déjà réparés.
Est-ce les deux médecins français qui ont opéré la reddition
de Passsaw ?. Ils n'ont pas la folle présomption de croire qu'ils
aient fait autant de peur à l'armée autrichienne , que d'autres à
leur place en auroient éprouvé, Mais on ne peut pas nier que
leur longue et imperturbable visite à l'abbaye de Saint-Nicolas
, n'ait contribué au départ de l'ennemi , Ils en ont été, pour
parler le langage de leur faculté , la cause éloignée. La cause
déterminante , c'est la présence d'esprit de M, Lenz, et de ses
dignes collégues.
Dès que ces ha biles administrateurs eurent la certitude que
nous avions dépassé la montagne et que nous ne courions aucun
risque , ils dirent en confidence à tous ceux qu'ils crurent
disposés à le répéter , que les deux médecins français qui avoient
paru à Passavv , ne s'y étoient arrêtés que pour s'assurer d'un
local propre à recevoir 2,500 malades ; que satisfaits de leur
opération, ils étoient sur-le-champ repartis en poste et à l'entrée
de la nuit pour le quartier général. Or, 2,500 malades
supposoient au moins l'arrivée très-prochaine de 25,000
hommes. Ils avoient laissé aux nouvellistes le soin de tirer
cette induction,
(
Voilà, monsieur, ce que les poètes de l'Opéra- Comique n'ont
pu savoir. Ils ont fait jouer à celui des médecins qu'ils ont mis
sur le théâtre , un rôle qui n'a pu être le sien , ni celui de son
camarade. Ils ont substitué de petites filles très- insignifiantes ,
à M. Lenz dont le personnage , eût été aussi intéressant pour
leur pièce, que la personne est intéressante à l'administration
qu'il préside.... Enfin , ils eussent fait tout autrement qu'ils
n'ont fait . Peut-être même dans ce récit véritable , n'eussentils
rien trouvé à faire.
Il m'en coûte beaucoup à moi -même de me mettre , non
416 MERCURE DE FRANCE ,
pas en scène , mais en évidence par ce narré. Sa première partie
est conforme à mon rapport officiel , envoyé par M. Lenz
aux présidens de cantons pour le faire parvenir au premier
poste de l'armée française , et qui a été intercepté. La seconde
partie est telle que j'ai eu l'honneur de la raconter de vive
voix à M. le maréchal Berthier à Lintz , où S. E. m'avoit
donné l'ordre de me rendre de Passaw..
Si vous pensez , monsieur, qu'il y ait quelqu'utilité à publier
ma lettre , dont je vous garantis la plus scrupuleuse
exactitude , je vous prie de lui donner place dans un de vos
prochains , numéros ; et vous ferez justice .
J'ai l'honneur de vous saluer
Le premier Médecin de la Grande-Armée.
COSTE.
VARIET É S.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
Les Mémoires de Louis XIV ( 1 ) , dont nous avions annoncé
la publication comme devantêtre très-prochaine , viennent de
paroître. Nous parlerons avec détails de cet ouvrage que le
nom de son auteur recommande si puissamment à la curiosité
publique. Nous nous bornerons aujourd'hui à exposer les
( 1 ) Mémoires de Louis XIV , écrits par lui-même , composés pour le
Grand-Dauphin , son fils , et adressés à ce prince ; suivis de plusieurs
Fragmens de Mémoires militaires , de l'Instruction donnée à Philippe V ,
de dix-sept Lettres adressées à ce monarque sur le gouvernement de ses
Etats , et de diverses autres pièces inédites ; mis en ordre et publiés par
i!
J. L. M. de Gain- Montagnac. Deux parties en un gros vcl. in - 8° . Prix :
6 fr., fr. par la poste. A Paris , chez Garnery , libraire , rue de
Seine ; à la librairie Stéréotype , rue des Petits - Augustins , n° 15 ; et
chez le Normant.
et 7
preuves
MARS 1806 . 417
preuves de l'authenticité des manuscrits que l'éditeur , M. de
Gain-Montagnać, a copiés.
Voltaire avoit annoncé dans le Siècle de Louis XIV, qu'il
existoit des écrits de ce prince ; il avoit même cité des instructions
données à Philippe V partant pour l'Espagne , ainsi qu'un
morceau sur le Métier de Roi. ( 1 ) « Rien , dit-il , ne peut
» assurément faire mieux connoître son caractère que le mor-
» ceau suivant , qu'on a tout entier écrit de sa main. » Voltaire
cite ce morceau , auquel il joint une note que nous
' croyons devoir rapporter en entier : « L'abbé Castel -de- Saint-
» Pierre , connu par plusieurs ouvrages singuliers , dans les-
>>
par
*
quels on trouve beaucoup de vues philosophiques et très-
>> peu praticables , à laissé des Annales Politiques depuis
» 1658 jusqu'à 1739. Il condamne sévèrement en plusieurs
» endroits l'administration de Louis XIV ; il ne veut pas sur→
» tout qu'on l'appelle Louis le Grand ! Si grand signifie par-
» fait, il est sûr que ce titre ne lui convient pas ; mais
les mémoires écrits de la main de ce monarque , il
>> paroît qu'il avoit d'aussi bons principes de gouvernement ,
» pour le moins , que l'abbé de Saint- Pierre. Les mémoires
» de l'abbé de Saint - Pierre n'ont rien de curieux que la
» bonne foi grossière avec laquelle cet homme se croit fait
» pour gouverner. » Après avoir fini la citation , tirée de
l'art. de Louis XIV , Voltaire termine ainsi : « Ce monument
» si précieux et jusqu'à présent inconnu dépose à la posté-
» rité en faveur de la droiture et de la magnanimité de son
Il avoit écrit plusieurs mémoires dans ce
» goût ; soit pour se rendre compte à lui-même , soit pour
>> l'instruction du Dauphin , duc de Bourgogne. »> (2)
>> ame. •• ·
Ce sont ces Mémoires , composés par Louis XIV pour l'ins-
' truction de son fils , que M. de Gain-Montagnac publie au-
3
(1 ) Propre expression de Louis XIV .
(2) Voltaire s'est trompé : les Mémoires sont adressés au grand Dauphin,
D d
418 MERCURE
DE FRANCE
,
jourd'hui. Il y a ajouté d'autres morceaux écrits de la main de
ce prince , et déposés à la Bibliothèque Impériale par M. le
le maréchal de Noailles. La collection des ouvrages de
Louis XIV se compose de trois volumes in-folio reliés et de
trois grands porte-feuilles. Les volumes reliés , sont des originaux
avec les copies faites par ordre de M. de Noailles , qui
les déposa à la Bibliothèque le 3 décembre 1749. On trouve
en tête du premier volume un certificat ainsi conçu :
« Je soussigné Adrien-Maurice , duc de Noailles , pair et
>> maréchal de France , certifie que le feu roi Louis XIV ,
>> par un effet de la confiance dont il m'honoroit , me chargea
» un soir , en 1714 , d'aller chercher dans son cabinet , et de
>> lui apporter différens papiers enfermés dans des tiroirs. Sa
» Majesté en brûla d'abord une partie ; et , sur les instantes
» prières que je lui fis de me permettre d'en garder le sur-
» plus , qui concernoit principalement ses campagnes , elle
» y consentit ; et , voulant assurer à jamais la conservation de
» ce précieux monument , j'ai rassemblé les originaux avec les
» copies que j'en ai fait faire pour en faciliter davantage la
» lecture , en trois volumes in-folio , pour être , le tout en-
» semble , déposé à la bibliothèque du roi . Fait à Paris ,
>> le 10 octobre 1749. Signé le maréchal de NoAILLES. »
De ces trois volumes , les deux tiers au moins ne contiennent
que des ordres du jour , des états de troupes , des listes d'officiers
, etc.; le surplus consiste dans le détail de trois campagnes
, et dans quelques morceaux détachés , tels que l'instruction
à Philippe V, les réflexions sur le métier de roi , un
projet de harangue à ses sujets , etc. L'éditeur les a fidellement
copiés d'après les originaux.
Les porte-feuilles ne se rattachent au dépôt de M. de
Noailles que pour les sommaires des instructions au dauphin ,
qu'on trouve écrits de la main du roi au commencement du
premier volume.
Quant aux lettres adressées à Philippe V , la dernière seule
MARS 1806 . 419
ment est originale ; mais la copie des autres a été donnée à la
Bibliothèque le 10 juin 1784 , par M. Séguier , avocatgénéral
du parlement.
--
C
Nous avons puisé ces faits dans l'avertissement que M. de
Gain-Montagnac a mis en tête de son édition . Ils sont tels ,
qu'ils ne peuvent laisser aucun doute même aux personnes les
plus en garde contre les éditeurs d'oeuvres posthumes. L'authenticité
de ces précieux manuscrits nous paroît démontrée .
Nous avons annoncé la mort de M. Gaston. Nous avions
été induits en erreur. Ses frères ont démenti cette nouvelle
dans les journaux qui l'avoient annoncée . Malheureusement
nous ne recevrons point une pareille réclamation en faveur
de l'aimable auteur de l'Optimisté et du Vieux Célibataire .
M. Collin-d'Harleville est mort lundi dernier, après une longue
maladie de langueur. Ses obsèques ont été célébrées mercredi
matin. Les présidens des quatre classes de l'Institut portoient le
poêle . En l'absence de M. Suard , sec . perpétuel de l'Académie ,
M. Andrieux a prononcé , avec l'accent de la plus vive douleur
, un discours dans lequel il a rappelé en peu de mots les
rares talens , les vertus plus rares encore de son ami ; il a
terminé par ces mots touchans : «< 0 mon ami , fidèle compa-
» gnon de ma vie, où sont désormais nos travaux communs ,
>> nos amusemens paisibles , nos lectures chéries , et nos en-
>> tretiens solitaires ? J'ai tout perdu. Entends les derniers
» adieux que te font tes paréns , tes confrères , tes amis , par
>> une voix qui te fut chère ! ... Repose en paix dans ce der-
>>> nier asile où vont s'engloutir les fortunes , les ambitions , les
>> brillans projets et les longues espérances ; tu auras du moirs
» marqué ton passage sur cette terre ; et il restera de toi ce
» que la mort même est réduite à respecter , le nom et les
>> ouvrages d'un poète , et le souvenir de tes vertus , que ta
>> gloire littéraire protégera et fera vivre dans la mémoire
» des hommes ! ..... »
1
Mercredi dernier, les comédiens français ont donné le
Dd 2
420 MERCURE DE FRANCE ,
Vieux Célibataire. Le public a vu avec intérêt Mlle Contat
jouer le rôle de madame Evrard en habit de demi- deuil.
M. Collin d'Harleville, honoroit cette actrice de son amitié !
Le Vieux Célibataire a été suivi de la première représentation
du Politique en défaut. L'incrédulité d'un vieux politique
, dont toutes les idées se trouvent bouleversées par les
merveilles de la dernière campagne , pouvoient fournir quelques
scènes au Vaudeville ; mais il étoit difficile qu'elle put
fournir le fonds d'une comédie. Aussi les auteurs , MM. Chazet
et Sewrin , n'ont-ils dû leur succès qu'à l'indulgence du public
, pour tout ce qui lui rappèle la gloire de la France. Ils
ont été absous sur l'intention. Nos poètes dramatiques ne sont
pas ceux qui ont tiré le moins de parti de la victoire d'Austerlitz
: bravement retranchés derrière un héros et une armée
invincible , ils sont tranquilles sur le succès de la journée ;
mais jusqu'ici l'Intermède de M. Esménard , et le Réveil
d'Epimenide de MM. Nanteuil et Etienne , sont les seuls
ouvrages dont les auteurs aient fait preuve d'un talent véri➡
table et de beaucoup d'esprit. Cette semaine , le Théâtre
Français a donné la première représentation de la reprise
d'Athalie. Ce chef-d'oeuvre , dont on étoit privé depuis si
long-temps , avoit attiré une foule immense : s'il n'a pas produit
tout l'effet qu'il doit produire , c'est qu il a été mal
écouté et mal joué . Saint- Prix est le seul acteur qui ait souvent
mérité les applaudissemens que tous ont reçus. Talma et
Mlle Duchesnois ont étrangement méconnu l'esprit de leurs
rôles. Nous ne dirons rien de Mlle Raucour , parce qu'elle a
fait tout ce qu'elle pouvoit faire , ni de Baptiste , parce que
.n'est pas sa faute si le parterre est décidé à rire toutes
les fois qu'il paroît dans la tragédie. On doit espérer qu'aux
représentations suivantes , dont le retard donne aux acteurs
le temps d'étudier leurs rôles , la pièce sera beaucoup mieux,
jouée. On annonce pour aujourdui , samedi , la reprise de
Mérope , et celle de Brutus et de la Mort de César pour la
emaine prochaine .
ce
MARS 18 .
421
Jusqu'à la rentrée d'Elleviou , les auteurs de l'Opéra-
Comique , renoncent , dit - on , à donner des pièces nouvelles
ils se contentent d'en remettre d'anciennės ; ce qui
probablement leur réussira mieux. Ils promettent le Barbier
de Séville , musique de Paësielló , Richard Coeur- de- Lion
et la Barbe-Bleur . On sait que ces deux derniers ouvrages
sont de Sédaine et de Grétry.
-Le pont construit vis - à-vis le Jardin - des - Plantes
réunit deux extrémités de Paris ; le pont construit vis -à -vis le
palais du corps législatif , laisse encore au-delà des quartiers
habités et sans communication directe entr'eux . On assure
que S. M. vient d'ordonner qu'il seroit construit au plutôt
un pont nouveau vis- à-vis les Invalides les devis doivent
être mis sous les yeux de l'EMPEREUR ; et dans le cas où il ne
se présenteroit pas d'actionnaires , on ajoute que S. M. feroit
elle-même les avances de cette construction .
On dit que M. Auguste orfevre a présenté les dessins
d'un trône qui , par sa richesse , répondroit à la splendeur
que doit avoir la cour de France dans les cérémonies d'ap
parat : ce trône doit être achevé pour les solennités du mois
de mai prochain.
- M. Grégoire , hôtel de Vaucanson , faubourg Saint-"
Antoine , fabrique des velours qui imitent parfaitement la
peinture. Nous avons vu des tableaux de fleurs en velours ,
et même des figures qui nous ont paru très-bien exécutées.
La vivacité du coloris est sur-tout remarquable. Les inventeurs
de cette découverte méritent d'être encouragés par le
gouvernement. Aussi , le ministre dé l'intérieur leur a-t-il
commandé pour S. M. I. divers ouvrages qui seront exposés
dans son palais , ou serviront aux présens qu'il est d'usage
de faire aux puissances étrangères.
Consultant plus notre zèle que nos moyens , disent les
rédacteurs de la Gazette de Santé , nous avons décidé dans
notre dernière assemblée consultative que sur le produit de
3
422 MERCURE DE FRANCE ,
une
la Gazette de Santé, il seroit fondé un prix annuel sur u
question relative à l'art de guérir. La question sera celle - ci ,
cette année :
» Quelle est la cause prochaine des épidémies ? Dépendent-
» elles de miasmes particuliers répandus dans l'air ou com-
» muniqués par le contact des individus ou sont-elles seu- ›
» lement le résultat d'intempéries , d'alternatives de tempér
≫ratures contraires aux fonctions du système transpiratoire ?
>> Est-il prouvé que les exutoires soient un préservatif de
>> contagions épidémiques ? >>
.
On pourra écrire les mémoires en latin , français , anglais ,
allemand , italien et espagnol.
Le mémoire jugé le meilleur par notre conseil consultatif,
sera récompensé par une médaille d'or de 200 fr .; les
auteurs de ces deux accessit seront nommés dans notre Gazette
de Santé.
On sera admis à concourir jusqu'au 15 janvier 1807.)Les
mémoires seront envoyés franc de port au bureau de notre
Gazette.
MODES du 26 février. - On emploie pour faire les capotes , des
étoffes bazinées ( å raies de bazin ) , couleurs : gris de perle , rose tendre ,
ou vert naissant ; elles sont très-courtes des oreilles , et cintrent le derrière
de la tête .
Quelques toques de velours noir ont le noeud du devant brode en jais
noir ; d'autres sont , de distance en distance , et tout autour , enjolivées
d'aiguillettes de satin jaune : sur le devant , est une touffe de trois plumes
noires , ou une seule grande plume en travers Souvent la toque est remplacée
par un petit bonnet de fantaisie , formé de rubans unis et de tulle
brodé en sorbier : sur le devant , au lieu de la fronçure ordinaire , ce
sont , ou des biais de satin , ou des fleurs de printemps.
Dans quelques magasins on emploie déjà de la paille blanche que l'on
enjolive de crevés sur le derrière ; et , sur le devant , de touffes de jacinthes
.
La couleur jaune d'or est affectée au négligé , et le rose pâle à la parure.
On voit, sur beaucoup de chapeaux parés , du réséda , tantôt vert , tantôt
muancé.
ร
On porte toujours des résilles en or et en laine : la fronçure en est
arrêtée par une flèche , qui quelquefois , vers son extrémité supérieure ,
est traversée par une barre , à pendeloques chinoises .
Les coiffures à la Ninon, si communes pendant quelques jours , adop
tées pa des femmes si jeunes , si parées , si belles , étoient introuvables ,
dernièrrment à l'Opéra , où les loges cependant offroient un magnifique
spectacle. A en juger par cette réunion , il faudrait qu'une femme coiffée
J
MARS 1806. 423
en cheveux , eût tout un côté de la tête bien dégagé , bien lisse , et que »
du côté eauche , les cheveux depuis la tempe , roulés en boudins , allassent
en s'épaississant , retomber jusque sur l'oreille. Les turbans , à en juger
par cette même soirée , devroient être , sur un fond de couleur , brodés en
fames d'argent , et la broderie argent l'emporteroit sur celle d'or .
Quelques robes de velours noir , sont brodées en jais noir , autour de
la gorge , à la ceinture et aux manches ; et beaucoup de robes blanches en
jais blanc.
Aux grandes écharpes , qui sont plus en vogue que jamais , on adapte
des franges , hautes de quatre doigts : ces franges sont très-grenues , le
noeud de l'écharpe est repincé par une rosette qui imite l'étoile .
Les colerettes à l'enfant sont très-communes ; elles retombent fort bas,
la dentelle en étant fort large ; comme elles suivent l'échancrure de la
robe par derrière , elles forment , à leur extrémité , pointe de fichu. Une
robe de velours n'admet pas de colerette .
Les fichusde cygne ou de martre se mettent sur la peau au spectacle , et au sortir de la loge , par -dessus un cachemire . "
Du 28 février. Le satin jaune d'or , employé en capotes , n'est plus
rare ; quelquefois il se coupe avec du blanc . Sur les capotes blanches , on
forme des traverses en lilas , en gros bleu , ou en rose.
Les capotes de velours noir sont toujours doublées de blane ; depuis
peu l'on en porte avec un demi-voile , cousu en- dessous à quelque distance
du bord.
La bride d'un chapeau-toque en velours , s'attache en- dessous .
Quelques jeunes personnes portent des chapeaux de paille noire , doublés
de lilas , avec des ruhans lilas .
Non- seulement l'on adapte à des fonds de taffetas , de grandes passes de
paille blanche , mais même de paille jaune. Sur les passes de ces deux '
espèces de paille , on met des fleurs , soit lilas , jacinthes doubles , ou
roses .
Les roses de la dernière mode sont , pour la couleur et la forme , de
vraies roses , mais peu épanouies ; on en met huit à dix.
Quelques fleuristes ont fait des guirlandes de jacinthes sans feuilles ,
que les coeffeurs posent sur différentes espèces de coëffures en cheveux
et les modistes sur le bord des chapeaux .
Sous un chapeau comme sur le bord d'une toque , les cheveux se portent
roulés en houdins et non en anneaux . Un turban ne laisse pas on
laisse très-peu voir de cheveux .
MM. Harmant et Michalon ne sont pas les seuls chez qui l'on trouve
des toupets et des perruques à cheveux implantés ; nous avons parlé , il
y a deux ans , des perruques à raies de chair, de M. Tellier : ces perruques
ne sont composées que de cheveux implantés. M Tellier occupe la
plus apparente de toutes les boutiques des galeries de bois , au palais du
Tribunat.
L'usage de l'écharpe a fait imaginer un bijou d'une étrange sorte. Ce
Kijou est un pistolet , qui , par le moyen d'une bandoulière en jaseron , se
suspend à l'écharpe . La crosse est en émail , bordé de perles fines ; le
en émail , damasquiné en or ; la batterie , en or mat. Au lieu du
plomb meurtrier , sort une tulipe , qui , épanouic à l'extrémité du canon ,
offre , dans son calice , un flacon troué , d'où jaillit de l'essence . L'enron
lement de la crosse renferme une montre,
canon ,
Presque toutes les femmes portenf une montre suspendue à leur col :
long-temps ce fut sous la forme d'un colimaçon ou d'une huître , à spirale
ou raies de perles fines , sur un fond émail ou or ; aujourd'hui , c'est en
façon d'étui de lorgnette , ou de vase .
$424 MERCURE DE FRANCE ,
Les chaines de montre en or et les pierres montées en breloques , ne
sont plus de bon genre. Un petit-mattre distingué porte un cachet à
branche fines , en anse de panier , et une clef en trèfle , suspendus tont
bonnement à un cordon de soie rouge-ponceau .
Parmi les broderies qui distinguent les nouveaux habits de grande parure
, en homme comme en femme , on remarque les yeux d'argus et les
queues de paon , argent et paillettes, sur un fond maron : on brode pour
homme sur drap ; pour les fenimes , on n'emploie que du velours.
C'est un contre-sens de porter des plumes dans leur sens naturel , et
pour être à la mode , une plume au lieu de s'élever sur la tête , doit descendre
le long de la joue.
1
C'est avec une culotte de peau de dain , boutons de même , et des
bottes à revers , ou un patalon de drap , large et point attaché sur le bas
de soie ; c'est avec un chapeau rond , à forme haute , et un habit vert å
boutons blancs , sur lesquels est dessiné un chien ou un cheval , la taille
très-courte , le collet très monté , les bras très-longs , qu'un jeune homime
se fait admirer à pied sur la Terrasse des Feuillans , ou à cheval , au Bois
de Boulogne . L'heure de la promenade est de deux à quatre.
Au hal , à la promenade , en négligé comme en parure , les femmes ne
portent que du rose tendre .
3221.
-
PARIS.
C'est dimanche prochain , 2 mars , que S. M. et R,
fera en personne l'ouverture de la session du corps législatif,
Toutes les cérémonies qui doivent être observées dans cette
circonstance ont été réglées par un arrêté signé de M. de
Ségur, grand maître des cérémonies. ༢
-Le prince Joseph-Napoléon écrit à S. M. l'EMPEREUR , du
quartier-général de Capoue , le 14 février , pour lui annoncer
que ses ordres sont remplis , qu'il a divisé son armée en trois
corps , qu'il a marché avec le centre , dont il a donné le commandement
immédiat au maréchal Massena , par San-Germano
et Capoue ; que la droite , commandée par le général
Regnier , a marche par Terracine et Gaëte , et que la gauche ,
composée des corps italiens , commandée par le général Lecchi ,
a débouché par Itri. Le général Regnier, arrivé à Gaëte , a
envoyé au prince de Hesse , qui commandoit la place , la sommation
ci-jointe :
Monsieur le général , avant de poursuivre les opérations qui doivent
me rendre maître de la place que vous commandez , je vous invite à réfléchir
sur votre situation , et sur la nécessité ou vous vous trouvez de rendre
Gaëte à l'armée vous avez peu de garnison , peu de moyens de défense
et aucun espoir de secours ; dans peu de jours , je vous aurai réduit à l'extrémité
, et vous n'ignorez pas ce que la garnison et les habitans auroient
alors à souffrir. Vous savez que rien ne peut s'opposer à la marche victorieuse
de l'armée française ; que dans peu de temps le royaume sera conquis
, et changera de maître . Aujourd'hui , monsieur le général , je vous
MARS 1806 . 425
accorderai une capitulation avec tous les honneurs de la guerre , et je vous
invite à remettre de suite votre réponse à mon aide-de -camp : ce soir il ne
seroit plus temps ; je ne puis pas retarder davantage la suite des opérations
contre Gaete. J'ai l'honneur , monsieur le général , de vous saluer
avec la considération la plus distinguée . Signé , REGNIER.
Réponse .
Monsieur le général , ayant reçu du roi les ordres répliqués de défendre
cette place jusqu'à la dernière extrémité , et m'en ayant fourni tous les
moyens , je ne puis moins faire que d'obéir. Je vous préviens en conséquence
que je ue puis accepter la capitulation que vous m'offrez , et suis
dans l'intention de répondre à la confiance que le roi a en moi. Malgré
cela , j'ai l'honneur d'être avec toute la considération possible ,
Monsieur le général , votre très-humble et très -obéissant serviteur .
Signé , le prince HASSIA.
D'après la réponse du prince de Hesse , le général Regnier
fit attaquer la redoute de Saint- André , armée par six pièces
de canon , et l'enleva . Le général Grigny a eu la tête emportée
par un boulet. C'étoit un officier distingué que l'armée regrette.
Il laisse une femme et une fille. Le prince Joseph les
a recommandées à l'EMPEREUR , et lui a demandé la permission
de leur accorder une pension.
Le 12 février , le corps du centre investit Capoue , qui a
répondu à une sommation par du canon. Le 15 au matin ,
des députés de la ville de Naples se sont présentés au prince
et ont signé la reddition de Gaëte , de Capoue , de Pescara ,
de Naples et des autres forts. ( Voyez les pièces ci-jointes
B, C, D, E. )
>
Le général Partouneaux est entré à Naples ; les forts ont été
sur-le-champ occupés , et le 15 le prince Joseph partoit pour
s'y rendre. Les officiers napolitains ayant demandé à servir
le prince a formé des corps napolitains , et y a fait entrer aussi
les officiers napolitains qui étoient à la solde du royaume
d'Italie. Il a nommé M. Pignatelli lieutenant- colonel dans le
régiment de dragons Napoléon , colonel du premier régiment
´ d'infanterie légère napolitaine.
Le prince Joseph a été à Caserte ; les bâtimens lui ont
paru très-beaux et d'une grande somptuosité. Revenu de la
première terreur , les peuples de Naples ont montré beaucoup
d'empressement pour les Français. Ils ont la plus grande haine
pour les Anglais. Cette nation est détestée de tout le continent ,
et l'a bien mérité.
S. M. l'EMPEREUR assistoit à la réprésentation d'Athalie
lorsqu'il a appris la nouvelle de l'entrée de son armée á
Naples. Il a chargé le général Mouton , aide- de-camp de
service près de lui , de faire annoncer par Talma , après le
premier acte , cette nouvelle , et la punition du parjure de
la reine de Naples.
426 MERCURE DE FRANCE ,
Le sceptre de plomb de cette moderne Athalie vient d'être
brisé sans retour. Le plus beau pays de la terre aura désormais
un gouvernement ferme , mais libéral. L'EMPEREUR rétablira
le royaume de Naples pour un prince français ; mais il
le rétablira fondé sur les lois et l'intérêt des peuples , et sur le
grand principe que l'existence du trône , l'éclat et la puissance
dont sont environnés les souverains , la perpétuité du
pouvoir et l'hérédité , sont des institutions faites pour le
service et l'organisation des peuples . L'Europe entière
verra avec satisfaction expulsée du trône une reine qui a tant
abusé de la souveraine puissance , dont tous les pas ont été
marqués par des révolutions , des parjures et du sang. On la
hait et on la méprise à Vienne , autant qu'on la hait et qu'on
la méprise à Naples : mais déjà sa mémoire est du ressort de
l'histoire ; car le nouveau royaume de Naples fait désormais
partie des états fédératifs de l'Empire français , et il faudra
ébranler cet Empire dans ses fondemens avant qu'on puisse
y toucher. On ne pourra pas , dans cette circonstance , accuser
la France d'ambition. Que pouvoit elle faire plus que de
pardonner trois fois dans l'espace de peu d'années ? et quel
traité pouvoit-elle faire avec une puissance qui venoit de déchirer
, vingt-cinq jours après qu'elle l'avoit ratifié , le traité
le plus avantageux pour elle et le plus solennel ?
L'honneur de la France et la nature des choses ont précipité
la ruine du trône de Naples , puisqu'il n'y avoit plus de possibilité
de conclure ancun traité. D'ailleurs l'occupation des
trônes de Milan et de Naples par des princes français , est à
peine l'équivalent de l'occupation des trônes de Naples et
d'Espagne par des princes français de la troisième dynastie.
Quant au royaume de Naples , le moindre de ses avantages sera
de jouir de la liberté du commerce , et de n'être plus soumis
aux pirateries des Algériens; mais le premier et le plus naturel
de tous, sera de n'être plus exposé à être le théâtre de la guerre ,
d'être gouverné par des principes fix's selon le bonheur et
l'intérêt de ses peuples , et non par des passions furibondes
et insensées. Ce qui fait l'éloge de la nation napolitaine , c'est
que les principaux agens qui ont entraîné la ruine du trône
étoient des Toscans et des personnes étrangères dans le pays.
On sait que M. Acton étoit anglais d'origine et d'inclination ;
qu'il avoit placé ses fonds en Angleterre , et, qu'il ne jugeoit
jamais des intérêts du royaume de Naples que par l'intérêt de
l'Angleterre,
"
Nous pouvons le dire sans être prophètes : la maison qui de
nouveau sacrifiera le repos , l'intérêt et le bonheur du continent
aux caprices et aux guinées de ces avides et insatiables.
MARS 130G. 427
speculateurs , perdra son trône au grand applaudissement de
tous les peuples du continent et de toute notre génération qui,
après avoir été si long-temps agitée, a enfin besoin de trouver
la paix et la tranquillité, et qu'on ne peut plus abuser par de
vaines paroles, (Moniteur. )
(B. ) Teano , le 13 février 1806.
Conditions que S. A. I. le prince Joseph , commandant en chef l'armée
de Naples , a bien voulu accorder à la garnison de Gaëte : 1 ° . Les honneurs
de la guerre , sortant avec arines et bagages ; les armes seront déposées
sur les glacis ; les cfficiers seulement garderont leurs épées et leurs
bagages. 2° . Les munitions de guerre en tout genre appartiendront à
l'armée française . 3º . Tous les bâtimens armés en guerre appartiendront à :
l'armée ; 4° . Enfin , tout ce qui est dans la place, magasins et autres ,
seront au pouvoir de l'armée .
(C.)
Teano , le 13 février 1806.
Il est convenu que la garnison de la place de Capone restera prisonnière
de guerre , et que ladite place sera remise lorsque les troupes françaises
se présenteront pour l'occuper. S. A. I. le prince Joseph veut ›
bien accorder aux officiers leurs épées et leurs bagages.
(D.) Teano , le 13 février 1806.
Il est convenu que la garnison de la place de Pescara restera prisonnière
de guerre , et que ladite place sera remise lorsque les troupes françaises
se présenteront pour l'occuper. S. A. I. le prince Joseph veut
bien accorder aux officiers leurs épées et leurs bagages.
(E.)
Les forts Saint- Elme, de l'Euf, del Carmine , Castelnovo , Baya , la
ville de Naples , seront remis aux troupes de l'armée de S. M. l'EMPEREUR
et Roi, dès qu'elles se présenteront ; il en será de même de la province
de la Pouille . S. A. I. le prince Joseph engage sa parole d'honneur
envers MM. le duc Campo Chiaro , et le marquis de Malespina ,,
députés de la régence de la ville de Naples , d'accorder aux troupes qui
défendent les forts et la ville , les honneurs de la guerre ; elles déposeront
leurs armes hors la ville ; il leur sera accordé , aux officiers , la permission
de garder leur épée et leurs bagages , aux soldats leurs bagages. Toutes
les troupes réglées seulement sont comprises dans cet article.
Les soldats et officiers seront libres d'aller où bon leur semblera , après
avoir déposé leurs armes hors la ville. S. A. I. le prince Joseph , lieutenant
de l'EMPEREUR , promet protection et sûreté aux propriétés des habitans
de la ville de Naples , et des provinces qui se soumettront aux armes de
S.M. I'EMPEREUR des Français , il réprimera par la force ceux qui chercheroient
à troubler la tranquillité publique. Une partie de l'armée se présentera
devant Naples , pour prendre possession des forts , et ce sera après
cet e occupation que les articles convenus par les troupes napolitaines ,
seront exécutés . (Moniteur. )
P
— e sénat conservateur , après avoir entendu les orateurs
du conseil d'état et le rapport d'une commission spéciale ,
décrété , dans sa séance du 22 février , ce qui suit ;
Les députés au corps législatif, des départemens qui composent
la première série , cesseront de faire partie de ce corps
le 31 décembre 1806 ; ceux de la quatrième série , le 31 décembre
1807 ; ceux de la troisième série , le 31 décembre 1808 ;
ceux de la cinquième série , le 31 décembre 1809 ; ceux de la
428 MERCURE DE FRANCE ;
deuxième série , le 31 décembre 1810. Les dispositions cidessus
sont applicables même aux députés qui , ayant été
nommés au corps législatif en l'an 10 , auroient fini leur cinq
ans d'exercice. Les députés qui seront nommés pour leur succéder
, à compter de l'an 1807 , commenceront à faire partie
du corps législatif à la première session de l'année dans laquelle
ils entreront en exercice. Les renouvellemens successifs des
députations de chaque série continueront ensuite à s'effectuer ,
de cinq ans en cinq ans , par la sortie des anciens membres au
31 décembre , et par l'entrée de leurs successeurs à la première
session de l'année.
-Un autre sénatus-consulte du même jour, porte que les
grands - officiers , commandans et officiers de la Légiond'Honneur
, qui , aux termes de l'article 99 de l'acte des constitutions
de l'Empire , du 28 floréal an 12 , sont membres des
colléges électoraux de département , seront en sus du nombre
de membres fixé pour les colléges par l'article 19 de l'acte des
constitutions du 16 thermidor an 10 , sans qu'ils puissent
excéder , dans chaque collége , le nombre de 25. Les membres
de la Légion-d'Honneur qui, aux termes du même article ,
sont membres des colléges électoraux d'arrondissement , seront
également , en sus du nombre fixé par l'article 18 de l'acte
des constitutions du 16 thermidor , sans qu'ils puissent excéder
, dans chaque collége , le nombre de 30. La désignation
des membres de la Légion qui devront , selon leur grade ,
être admis aux colléges électoraux de département ou d'arrondissement,
sera faite par S. M. I. et R. pour chaque collége ,
et il sera délivré à cet effet aux grands-officiers, commandans ,
officiers ou légionnaires , un brevet de nomination d'après le
quel ils seront portés sur la liste des membres du collége.
-
Par un troisième sénatus-consulte , le sénat , en attendant
que les députations au corps législatif, des départemens
des Apennins , de Gênes et de Montenotte , puissent être
nommées d'après les dispositions de l'acte des constitutions
du 16 thermidor an 10 , nomme membres du corps législatif,
pour le département des Apennins , MM. J. B. Solari , de
Chiavari ; François-Aurel Cornier : pour le département de
Génes , MM. Tealdi , Antoine Maghella , Jérôme Serra ,
Hippolyte Durazzo : pour le département de Montenotte ,
MM. Paul Cosonna , de Savone ; Nicolas Littardi , du Port-
Maurice ; Augustin Maglione. Ces députés entreront en
fonctions à compter du jour de leur nomination. Ils y resteront
jusqu'au 1 janvier 1807. Il sera nommé dans le courant
de l'année 1806 , en suivant la forme ordinaire , pour
les départemens des Apennins , de Gênes et de Montenotte
er
MARS 180b.
429
des députés au corps législatif, lesquels quitteront leurs fonctions
en même temps que les députés des séries auxquelles leurs
départemens appartiennent.
*1
-Par décret impérial du 22 , 1º . L'importation des toiles
de coton blanches et peintes , des mousselines et des cotons
filés pour mêches , est prohibée. 2°. Les cotons en laine paieront
à l'entrée de l'Empire un droit de 60 fr. par quintal décimal
, et les cotons filés , 7 fr. par kilogramme. 3°. Les cotons
filés ne pourront entrer que par les bureaux d'Anvers, Cologne,
Mayence , Strasbourg , Bourg- Libre et Versoix. 4° . Il sera
accordé aux toiles , bonneteries et autres ouvrages en coton ,
qui seront expédiés pour l'étranger , une prime de 50 fr. par
quintal décimal , en justifiant qu'ils proviennent de fabrique
française , et que le coton en laine qui a servi à leur fabrication
a payé le droit fixé par le 2º paragraphe ci -dessus.
Un décret impérial rendu sur le rapport du ministre de
l'intérieur , le 20 février, contient les dispositions suivantes :
I. L'église de Saint-Denis est consacrée à la sépulture des
Empereurs.
II. Il sera fondé un chapitre composé de dix chanoines chargés
de desservir cette église .
III. Les chanoïnes de ce chapitre seront choisis parmi les
évêques âgés de plus de 60 ans , et qui se trouveroient hors
d'état de continuer l'exercice des fonctions épiscopales ; ils
jouiront , dans cette retraite , des honneurs , prérogatives et
traitemens attachés à l'épiscopat. Notre grand-aumônier sera
chef de ce chapitre.
IV. Quatre chapelles seront érigées dans l'église de Saint-
Denis , dont trois dans l'emplacement qu'occupoient les tombeaux
des rois de la 1re , de la 2º et de la 3° race , et la 4° dans
l'emplacement destiné à la sépulture des Empereurs.
?
V. Des tables de marbre seront placées dans chacune des
chapelles des trois races, et contiendront les noms des rois dont
les mausolées existoient dans l'église de Saint- Denis.
VI. Notre grand-aumônier soumettra à notre approbation
un réglement sur les services annuels qu'il conviendra d'établir
dans ladite église .
VII. L'église de Sainte-Geneviève sera terminée et rendue
au culte , conformément à l'intention de son fondateur , sous
l'invocation de sainte Geneviève , patronne de Paris.
VIII. Elle conservera la destination qui lui avoit été donnée
par l'assemblée constituante , et sera consacrée à la sépulture
des grands-dignitaires , des grands -officiers de l'Empire et de
la couronne , des sénateurs , des grands-officiers de la Légiond'Honneur
, et , en vertu de nos décrets spéciaux , des citoyens
4
MERCURE
DE FRANCE ,
›
qui , dans la carrière des armes ou dans celle de l'administration
et des lettres , auront rendu d'éminens services à la patrie
; leurs corps enbaumés seront inhumés dans l'église .
IX. Les tombeaux déposés au Musée des monumens français
seront transportés dans cette église , pour y être rangés
par
ordre de siècles.
X. Le chapitre métropolitain de Notre-Dame , augmenté
de six membres , sera chargé de desservir l'église de Sainte-
Geneviève. La garde de cette église sera spécialement confiée
à un archi-prêtre , choisi parmi les chanoines.
XI. Il y sera efficié solennellement le 3 janvier , fête de
Sainte -Geneviève ; le 15 août , fête de Saint- Napoléon , et
anniversaire de la conclusion du concordat ; le jour des morts
et le premier dimanche de décembre , anniversaire du couronnement
et de la bataille d'Austerlitz , et toutes les fois
qu'il y aura lieu à des inhumations , en exécution du présent
décret : aucune autre fonction religieuse ne pourra être exercée
: dans ladite église qu'en vertu de notre approbation. -
- S. M. a rendu sur le rapport du ministre des cultes , le
19 février , le décret suivant :
Art. I. La fête de saint Napoléon , et celle du rétablissement
de la religion catholique en France , seront célébrées
dans toute l'étendue de l'Empire , le 15 août de chaque
année , jour de l'Assomption , et époque de la conclusion
du concordat.
II . Il y aura , ledit jour , une procession hors l'église , dans
toutes les communes où l'exercice extérieur du culte est autorisé
; dans les autres , la procession aura lieu dans l'intérieur
-de l'église.
III. Il sera prononcé , avant la procession , et par un ministre
du culte , un discours analogue à la circonstance , et il
sera chanté , immédiatement après la rentrée de la procession
, un Te Deum solennel.
IV. Les autorités militaires , civiles et judiciaires , assisteront
áà ces solennités.
V. Le même jour , 15 août , il sera célébré , dans tous les
temples du culte réformé , un Te Deum solennel en actions
de graces pour l'anniversaire de la naissance de l'Em-
PEREUR.
VI. La fête de l'anniversaire de notre couronnement , et
celle de la bataille d'Austerlitz , seront célébrées le premier
dimanche du mois de décembre , dans toute l'étendue de
1 Empire.
VII. Les autorités militaires , civiles et judiciaires y assisteront.
MARS 1800 . 431
T
VIII. Il sera prononcé dans les églises , dans les temples ,
et par un ministre du culte , un discours sur la gloire des
armées françaises , et sur l'étendue du devoir imposé à chaque
citoyen , de consacrer sa vie à son prince et à la patrie. Après
ce discours , un Te Deum sera chanté en actions de graces.
-L'EMPEREUR , toujours occupé de l'embellissement de Paris ,
vient de prendre un moyen assuré de faire achever l'interminable
marché des Jacobins , marché sans lequel il est impossible
de débarrasser la rue Traversière et les rues adjacentes ,
où les marchands étalent jusque dans les ruisseaux. Par décret
du 31 janvier , les adjudicataires du terrain des Jacobins
Saint- Honoré , ou leurs ayant- cause , sont déchus de l'adjudication
à eux faite en l'an 8 , faute d'en avoir rempli les
conditions , et la ville de Paris leur est subrogée. Ils se pourvoiront
devant le conseil de préfecture du département de
la Seine , pour les réclamations qu'ils ont à faire , avec recours
au conseil d'état. La ville de Paris liquidera ce qui peut
leur être dû , après avoir pris l'avis du ministre des finances.
La maison de M. Rouen , notaire , indispensable pour ouvrir
ce marché à deux quartiers de Paris , sera achetée par la ville
de Paris jet démolie. Les terrains environnans le nouveau
marché seront vendus aux termes des lois , et d'après l'approbation
que
le ministre de l'intérieur aura donnée aux
clauses de cette vente.
,
Sur le rapport du grand-juge ministre de la justice et
des conseillers d'état Bigot-Préameneu et Réal , chargés par
S. M. de l'examen des frais de justice à régulariser , l'EMPEREUR
a rendu le 24 de ce mois , un décret portant que les états des
frais de justice criminelle seron ' , à l'avenir , arrêtés par trimestre,
et réglés , au plus tard , à la fin du second mois du trimestre
suivant. A cet effet , le directeur-général de la régie
de l'enregistrement remettra , dans le premier mois qui suivra
chaque trimestre , l'état des avances faites par la régie. Le
montant de cet état sera couvert par les ordonnances du grandjuge.
Si , dans le trimestre de la remise de cet état , les frais de
justice du trimestre précédent n'ont pas été liquidés , la régie
de l'enregistrement ne pourra , sous aucun prétexte , faire
des avances pour le trimestre suivant. La régie de l'enregistrement
remettra au grand-juge , un double des états de recouvremens
, tant des sommes à restituer , comme abusivement
portées dans les exécutoires , que des sommes provenant des
remboursemens sur les biens des condamnés , afin qu'il soit
fait déduction de ces sommes dans les comptes des dépenses
des frais de justice. A dater de la publication du présent
décret , les procureurs-généraux près les cours criminelles
établiront un tarif pour le salaire des huissiers , et des ré̟-
9.
432 MERCURE DE FRANCE ,
glemens sur le mode de constater leur transport , de la
manière la plus économique pour les fonds publics. Lorsqu'il
y aura lieu de transporter les procédures d'un tribunal ou
d'une cour dans une autre , les minutes mêmes seront transportées
, et il est défendu de décerner aucuns exécutoires pour
copies qui seroient faites de ces procédures , sous prétexte de
leur transport. Aucune copie ne sera délivrée par un greffier
sans avoir été mise sous les yeux du président et du
impérial , ou du procureur-général impérial , qui mettront
leur visa au pied de chaque copie , et donneront au greffier le
certificat qu'il s'est conformé aux réglemens.
procureur
-M. le conseiller- d'état Dauchy est nommé administarteurs
général des finances et des domaines dans les pays vénitiens.
La pâte de tourne sol , venant de l'étranger , acquittera
à son entrée en France le droit de 10 francs par quintal métrique.
-
Par décret du 22 , M. Chabot ( de l'Allier ) membre du
tribunat , est nommé inspecteur-général des écoles de droit.
-M. Leriche , sous - préfet de Clermont , est nommé
secrétaire général de l'administration - général de Parme ,
Plaisance et Guastalla.
-M. Boyne est nommé secrétaire de la légation française
près S. M. le roi de Bavière.
- Il y a quelques jours les journaux ont parlé d'un enfant
perdu, que sa famille faisoit redemander par des affiches placardées
sur tous les murs de Paris. On sait maintenant ce qu'il
est devenu. Cet enfant, fruit de l'adultère , avoit été placé dans
une pension par celui qui lui avoit donné le jour . Le mari de
sa mère , son père putatif, pour qui il étoit devenu un objet
de jalousie et de haine , conçoit l'affreux projet de s'en défaire
, va le prendre à la pension , sous prétexte de le mener
promener , le conduit au bord de la rivière , lui lie le col
avec une de ses jarretières , à laquelle il attache une grosse
pierre , le précipite dans la Seine , et dit au maître de pension
et à la mère , que l'enfant lui est échappé au milieu de la
foule , sur un des ponts de Paris , mais qu'il se retrouvera . Des
mariniers repêchent , vers Saint-Cloud , le corps d'un enfant ,
et le portent à la Morgue. Les agens de police , chargés de
prendre des renseignemens sur la disparution de cet enfant , en
voient un exposé à la Morgue , et remarquent une jarretiêre
à son col ; ils la présentent à la mère , qui la reconnoît pour
appartenir à son mari. Les uns prétendent que celui - ci a
avoué son crime , en s'excusant sur la violence de sa jalousie ;
d'autres disent qu'il a opposé une dénégation absolue aux imputations
qui lui ont été faites. Toujours est-il certain qu'il
est en arrestation , motivée sur des présomptions aussi graves
DEPT
SEINE
DE
( N° CCXLIL ) OR
5
( SAMEDI 8 MARS 1806 Cent
MERCURE
DE FRAN CE.
90
POÉSI E.
FRAGMENT
D'U POEM É DE L'IMAGINATION,
TR
Début du premier Chant.
la sagesse ,
ROP heureux le génie , ornement de la scène ,
Qui formé par Thalie , ou cher à Melpomène ,
Egayant , à son choix , ou tourmentant les coeurs ,
Fait éclater le rire ou ruisseler les pleurs !
Mais heureux , après lui , l'ami de
Qui , disciple de Pope , élève de Lucrèce ,
Sans masque , sans cothurne et sans illusion ,
D'un style simple et vrai fait parler la raison !
Il n'entend pas pour lui retentir le théâtre
Des suffrages bruyans d'une foule idolâtre ;"
Mais le sage le lit. Le sage quelquefois ,
Pour rêver avec lui s'enfonce dans les bois ;
Et charmé de ses vers , n'en suspend la lecture
Que pour voir les forêts , les cieux et la nature .
Content de ee destin , je chante dans mes vers
L'IMAGINATION , charme de l'univers;
Mais pour la célébrer ma voix a besoin d'elle. -
Où donc te rencontrer , adorable immortelle ?
Pour enchanter l'oreille ou charmer les regards ,
Dans leurs temples brillans inspires-tu les arts ;
Vas-tu sur l'Apennin , sur les Andes sauvages,
Prêter de loin l'oreille à la voix des orages;
Dans la noire épaisseur de ces antiques bois ,
Qu jamais des humains la bache ni la voix
infi O
E e
LA
434 MERCURE DE FRANCE ,
N'interrompit la paix de leur nuit ténébreuse,
Aux coteaux d'Hercinie , aux champs de Vallombreuse ,
Pensive , égares-tu tes pas silencieux ;
De Pomone et de Pan séjour délicieux ,
Tibur t'amuse- t -il du bruit de ses cascades ;
Sur les pompeux débris de quelques colonnades ,
Le temps te montre- t-il le néant de l'orgueil ;
Gémis-tu sur les pas de quelque mère en deuil
Qui , visitant d'un fils la lugubre demeure ,
S'assied , croise les bras , baisse la tête , et pleure;
Au sein d'un doux réduit , cher à la volupté ,
Dans les bras de l'amour remets-tu la beauté ;
Ou bien aimes- tu mieux , lans sa retraite obscure
Charmer l'ami des arts , l'amant de la nature ?
Eh bien , je suis à toi ! Viens, o ma déité !
Viens telle qu'on t'admire en ta variété ,
Folâtrant sur les fleurs , te jouant dans l'orage ,
Pour sceptre une baguette et pour trône un nuage;
Conduisant sur ton char entouré de vapeurs ,
Les fantômes légers et les songes trompeurs ;
Ta robe sans agrafe et ton corps sans ceinture ,
A l'air abandonnant ta libre chevelure ;
Viens , portant dans tes mains le myrte et le laurier ,
Le luth du troubadour , la lance du guerrier ;
Variant , comme Iris , tes couleurs et tes charmes ,
Le rire dans tes yeux prêt à céder aux larmes ;
Jeune , fraiche ; et dans l'air, sur la terre et les flots ,
Versant toutes les fleurs , excepté les pavots ! ( 1 )
J. DELILL B.
ÉPITRE
A M. DE BRANCAS ,
Sur les Bouffons de Société.
Tor dont l'esprit léger , le goût brillant et fin
Rougiroit de confondre Horace et Tabarin ;
Ne ris-tu pas de voir par sa folle grimace
Un singe de Momus charmer la populace ?
La Fontaine a dit vrai : le Ciel fit pour les sots
Tous les méchans, diseurs d'insipides bons mots.
O l'aimable importun , qui d'une main falote
Agite les grelots de sa lourde marotte,,
( 1 ) Ce beau portrait de l'Imagination est le sujet d'une gravure , qui
ornera l'édition de ce poëme. Le peintre a littéralement copié tous les
traits indiqués par M. Delille , et il a fait un tableau aussi ressemblant
que poétique. (Voyez l'article Variétés. )
Note du Rédacteur du Mercure.
MARS 1806 . 435
Et pesamment folâtre en sa légéreté ,
Tourmente son prochain de sa triste gaîté.
Quelle gloire en effet pour tout être qui pense ,
De vieillir dans ces jeux d'enfantine démence ,
D'avilir son esprit , noble présent des Dieux,
Au rôle indigne et plat de farceur ennuyeux ,
Qui , payant sont écot en équivoques fades ,
Envie à l'aconnet l'honneur de ses parades ;
Et même en cheveux gris , parasite bouffon
Transporte ses treteaux chez les gens du bon ton?
Non que je veuille ici , censeur atrabilaire ,
Effaroucher les ris et bannir l'art de plaire ;
Ou de l'aménité vantant les seuls attraits ,
Du carquois de Momus émousser tous les traits :
Je connois trop le prix d'un riant badinage .
Mais je hais d'un plaisant l'absurde persiflage ,
Son babil étranger , ses barbares accens :
Un bouffon sait tout feindre , excepté le bon sens .
Je plains le malheureux qui s'est mis dans la tête
De plaire aux gens d'esprit à force d'être bête .
Qu'un monsieur Turcaret savoure en se pâniant
De ces mots à gros sel le stupide enjouement ;
Ce jargon sert toujours de voile à la sottise.
Le véritable esprit craint tout ce qui déguise.
Semblable à la beauté , la nature est sans art ;
Les Graces et d'Egmont n'ont pas besoin de fard.
Brancas , moins ingénue , en auroit moins de charmes
Ses
yeux du sentiment n'empruntent que les armes .
La feinte avilit l'âme , et , dans les moindres jeux ,
Le vrai de nos plaisirs est le principe heureux.
Il est un art charmant d'amuser et de rire :
Il faut du sel attique égayer la satire.
L'adresse est de choisir le trait qu'on doit lancer
Qu'il effleure en volant et pique sans blesser ;
Vif sans être indécent , gai sans être frivole ,
Il faut lancer , parer gafment le trait qui vole.
On sourit , quand du feu d'un mot qui semble éteint ,
L'étincelle avec art frappe au but qu'elle atteint ;
Mais on est indigné du Cyclope difforme ,
Qui sur l'aimable Acis jette sa roche énorme ;
Galathée , en pleurant , s'enfuit sous les roseaux.
Jadis Vulcain forma d'invisibles réseaux :
Tels sont les rets subtils d'un railleur socratique .
On aime un bon plaisant , on abhorre un caustique .
Voltaire parmi nous , rieur vif et malin ,
Décocha l'épigramme avec un air badin.
Par cet art autrefois l'ingénieux Catulle ,
Sur César, en jouant , lança le ridicule ;
De ce railleur exquis retenons bien le mot :
:
« Rien n'est plus sot , dit-il , que le rire d'un sot. »
LABRUN , de l'Institke.
E e 2
436 MERCURE DE FRANCE .
ENIGM E.
J'AI le corps blanc et l'ame noire ,
Aussi tu peux aisément croire
Que je suis faite pour le mal.
Quand on en donne le signal
Ön me déchire et l'on me brûle ,
Afin que par un coup fatal
Le foible succombe ou recule .
F. BONNET ( de l'Isle. )
L O G OG RIP HE.
EN me décomposant , de moi l'on peut extraire
Festin , amis , témoins , mariage , notaire ,
Amiens , Niort , Angers , Reims , Mantes , Saint- Omer,
Naître , agiter, gémir, oser, sentir, aimer,
Ton , notes , re , mi , fa , son , air, gosier, ramage ,
Aisne , Saône , Tamise , Oise , Marne , Mein , Tage ,
Songe , månes , fantôme , antre , monstre , géant ,
Mine , or, argent , étaim , agate , fer, aimant ,
Anatomie , organe , os , nerfs , sang , rate , foie ,
Geai , tarin , aga ni , serin , taon , faisan , oie ,
Ogre , tigre , magot , âne , faon , singe , rat ,
Rétif, maigre , fort , sage , ignare , ingrat ,
Iman , émir , aga , roi , trône , sénat , mitre ,
Estragon , tamarin , anis , origan , nitrè.
PON... SIM ... (de Reims. }
CHARADE.
Mon premier, jeune ou vieux ,
N'a jamais qu'une face ,
Quoique toujours sur deux ;
Mon second ne trouve point place
Chez l'homme malheureux ;
Et mon tout , que tracasse
Un ennemi dur, furieux ,
Sait donner de la grace,
Du prix à deux beaux yeux.
F. BONNET ( de l'Isle. )
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Nuit.
Celui du Logogriphe est Quinola , où l'on trouve Nil, lin, an, Ali,
lion , Laon , la.
Celui de la Charade est But-or.
MARS 1806 .
437
Mémoires de Louis XIV. Un vol in - 8°. Prix : 6 fr. ,
et 7 fr. 50 c. par la poste . A Paris , chez Garnery,
libraire , rue de Seine , ancien hôtel de Mirabeau ;
et chez le Normant , imprimeur- libraire , rue des
Prêtres Saint- Germain-l'Auxerrois , nº 17.
DEPUIS
1
EPUIS quelque temps les journaux nous annonçoient
des OEuvres de Louis XIV. Ce titre avoit
choqué les personnes qui attachent encore quelque
prix à la justesse des termes et à la décence du
langage . Elles observoient qu'un auteur peut seul
appeler OEuvres ses propres travaux , lorsqu'il les
livre lui-même au public ; qu'il faut en outre que
cet auteur soit pris dans les rangs ordinaires de la
société , et qu'il ait écrit non de simples Mémoires
historiques , mais des ouvrages de sciences ou de
littérature ; que dans tous les cas un roi n'est point
un auteur de profession , et que par conséquent il
ne publie jamais des OEuvres.
Il est vrai que dans l'antiquité les premiers.
empereurs romains cultivoient les lettres ; mais ces
empereurs avoient été de simples citoyens avant de
s'asseoir sur la pourpre . César n'étoit qu'un chef de
légion lorsqu'il écrivit l'Histoire de la conquête des
Gaules , et les Commentaires du capitaine ont fait
depuis la gloire de l'empereur. Si les Maximes de
Marc-Aurèle honorent encore aujourd'hui sa mémoire
, Claude et Néron s'attirèrent le mépris même
du peuple romain pour avoir recherché les triomphes
du poète et du littérateur.
Dans les monarchies chrétiennes , où la dignité
royale a été mieux connue , on a vu rarement le
souverain descendre dans une lice où la victoire
même n'est presque jamais sans honte , parce que
l'adversaire est presque toujours sans noblesse . Quel-
#1
3
438 MERCURE DE FRANCE ;
ques princes d'Allemagne , qui ont mal gouverné , ou
qui ont même perdu leur pays pour s'être livrés à l'étude
des sciences , excitent plutôt notre pitié que notre
admiration Denys , maître d'école à Corinthe , étoit
aussi un roi homme de lettres . On voit encore à
Vienne une Bible chargée de notes de la main de
Charlemagne ; mais ce monarque ne les avoit écrites
que pour lui-même , et pour satisfaire sa piété . Charles
V, François I , Henri IV, Charles IX, aimèrent les
lettres sans avoir la prétention de devenir auteurs .
Quelques reines de France ont laissé des vers , des
Nouvelles , des Mémoires on a pardonné à leur
dignité en faveur de leur sexe . L'Angleterre, d'où
nous sont venus de dangereux exemples , compte
seule plusieurs écrivains parmi ses monarques :
Alfred Henri VIII , Jacques I , ont fait de véritables
livres ; mais le roi-auteur par excellence , dans
les siècles modernes , c'est Frédéric . Ce prince a-t- il
perdu , a -t - il gagné en renommée à la publication
de ses OEuvres? Question que nous n'aurions pas
de peine à résoudre , si nous ne consultions que
notre sentiment .
Nous avons été d'abord un peu rassurés en ouvrant
le Recueil que nous annonçons . Premièrement , ce
ne sont point des OEuvres ; ce sont de simples Mémoires
faits par un père pour l'instruction de son
fils. Eh ! qui doit veiller à l'éducation de ses enfans ,
si ce n'est un roi ? Peut -on jamais trop inspirer l'amour
des devoirs et de la vertu aux princes d'où
dépend le bonheur de tant d'hommes ? Pleins d'un
juste respect pour la mémoire de Louis XIV, nous
avons ensuite parcouru avec inquiétude les écrits
de ce grand monarque . Il eût été cruel de perdre
encore une admiration . C'est avec un plaisir extrême
que nous avons retrouvé le Louis XIV tel qu'il
est parvenu à la postérité , tel que l'a peint madame
de Motteville : « Son grand sens et ses bonnes
» intentions , dit- elle , firent connaître les semences
MARS1806.
439
»
»
» d'une science universelle , qui avoient été cachées
à ceux qui ne le voyoient pas dans le particulier ;
» car il parut tout d'un coup politique dans les
» affaires d'état , théologien dans celles de l'Eglise ,
» exact en celles de finance ; parlant juste , prenant
toujours le bon parti dans les conseils , sensible
>> aux intérêts des particuliers ; mais ennemi de l'intrigue
et de la flatterie , et sévère envers les
grands de son royaume qu'il soupçonnoit avoir
» envie de le gouverner. Il étoit aimable de sa per-
» sonne , honnête et de facile accès à tout le monde;
» mais avec un air grand et sérieux qui imprimoit
>> le respect et la crainte dans le public.
>>
>>
Et telles sont précisément les qualités que l'on
trouve et le caractère que l'on sent dans le Recueil
des pensées de ce prince . Ce Recueil se
compose :
1º. De Mémoires adressés au grand dauphin : ils
commencent en 1661 , et finissent en 1665 .
+
2º. De Mémoires militaires sur les années 1673
et 1678.
3º. De Réflexions sur le Métier de Roi.
4º. D'Instructions à Philippe V.
5º. De dix - huit Lettres au même prince , et
d'une Lettre de madame de Maintenon.
On connoissoit déjà de Louis XIV, un Recueil
de Lettres , et une traduction des Commentaires
de César ( 1 ) . On croit que Pelisson ou Racine ( 2 )
ont revu les Mémoires que l'on vient de publier ;
( 1 ) Voltaire nie que cette traduction soit de Louis XIV.
(2 ) S'il falloit en juger par le style , je croirois que Pelisson
a eu la plus grande part à ce travail. Du moins il me semble
qu'on peut reconnoître quelquefois sa phrase symétrique ebarrangée
avec art. Quoi qu'il en soit , les pensées de Louis XIV,
mises en ordre par Racine ou Pelisson , sont un assez beau
monument. Rose , marquis de Coye , homme de beaucoup
d'esprit et secrétaire de Louis XIV, pourroit bien aussi avoir
revu les Mémoires.
4
440 MERCURE DE FRANCE ,
mais il est certain , d'ailleurs , que le fond des choses
est de Louis XIV. On reconnoît partout ses principes
religieux , moraux , politiques ; et les notes ajoutées
de sa propre main aux marges des Mémoires , ne sont
inférieures au texte ni pour le style , ni pour les
pensées.
1
Et puis c'est un fait attesté par tous les écrivains ,
que Louis XIV s'exprimoit avec une noblesse particulière
« Il parloit peu et bien , dit madame de
» Motteville ; ses paroles avoient une grande force
» pour inspirer dans les coeurs et l'amour et la
» crainte; selon qu'elles étoient dorces ou sévères . »
- « Il s'exprimoit toujours noblement et avec pré-
» cision , dit Voltaire . » Il auroit même excellé
dans les graces du langage , s'il avoit voulu en faire
une étude . Monschenay raconte qu'il lisoit un jour
l'épître de Boileau sur le passage du Rhin , devant
mesdames de Thiange et de Montespan ; & il la lut
-
avec des tons si enchanteurs , que madame de
» Montespan lui arracha l'épître des mains , en s'é-
» criant qu'il y avoit là quelque chose de surna-
>> turel , et qu'elle n'avoit jamais rien entendu de si
>> bien prononcé . »>
•
Cette netteté de pensée , cette noblesse d'élocution
, cette finesse d'une oreille sensible à la belle
poésie , forment déjà un préjugé en faveur du style
des Mémoires , et prouveroient ( si l'on avoit besoin
de preuves ) que Louis XIV peut fort bien les avoir
écrits. En citant quelques morceaux de ces Mémoires ,
nous les ferons mieux connoitre aux lecteurs.
Le roi parlant des différentes mesures qu'il prit
au commencement de son règne , ajoute :
« Il faut que je vous avoue qu'encore que j'eusse aupara→
» vant sujet d'être content de ma propre conduite , les éloges
>>> que cette nouveauté m'attiroit , me donnoient une contie
nuelle inquiétude, par la crainte que j'avois toujours de ne
» les pas assez bien mériter.
» Car enfin je suis bien aise de vous avertir , mon fils , que
MARS 18.6 . 41+
> c'est une chose fort délicate que la louange , qu'il est bien
» mal aisé de ne s'en pas laisser éblouir , et qu'il faut beau-
» coup de lumières pour savoir . discerner au vrai ceux qui
»> nous flattent d'avec ceux qui nous admirent.
Mais quelque obscures que puissent être en cela les in-
» tentions de nos courtisans , il y a pourtant un moyen assuré
» pour profiter de tout ce qu'ils disent à notre avantage , et
» ce moyen n'est autre chose que de nous examiner sévère-
» ment nous- mêmes sur chacune des louanges que les autres
»> nous donnent. Car, lorsque nous en entendrons quelqu'une
» que nous ne méritons pas en effet , nous la considérerons
» aussitôt ( suivant l'humeur de ceux qui nous l'aurout
» donnée ), ou comme un reproche malin de quelque défaut ,
» dont nous tâcherons de nous corriger, ou comme une se-
» crète, exhortation à la vertu que nous ne sentons pas en
nous »
On n'a jamais rien dit sur le danger des flatteurs.
de plus délicat et de mieux observé. Un homme qui
connoissoit si bien la valeur des louanges méritoit
sans doute d'être beaucoup loué. Ce passage est surtout
remarquable par une certaine ressemblance avec
quelques préceptes du Télémaque. Dans ce grand
siècle , la vertu et la raison donnoient au prince et
au sujet un même langage.
Le morceau suivant , écrit tout entier de la main
de Louis XIV, n'est pas un des moins beaux des
Mémoires :
« Ce n'est pas seulement dans les importantes négociations
» que les princes doivent prendre garde à ce qu'ils disent ,
» c'est même dans les discours les plus familiers et les plus
» ordinaires. C'est une contrainte sans doute fâcheuse , mais
» absolument nécessaire à ceux de notre condition ,
de ne
» parler de rien à la légère. Il se faut bien garder de pen-
» ser qu'un souverain , parce qu'il a l'autorité de tout faire ,
>> ait aussi la liberté de tout dire ; au contraire , plus il est
» grand et respecté , plus il doit être circonspect . Les choses
» qui ne seroient rien dans la bouche d'un particulier , de-
» viennent souvent importantes dans celle d'un prince. La
» moindre marque de mépris qu'il donne d'un particulier ,
» fait au coeur de cet homme une plaie incurable. Ce qui
» peut consoler quelqu'un d'une raillerie piquante ou d'une
» parole de mépris que quelqu'autre a dit de lui , c'est , ou
qu'il se promet de trouver bientôt occasion de rendre la
442 MERCURE DE FRANCE ,
» pareille , ou qu'il se persuade que ce qu'on a dit ne fera
» pas d'impression sur l'esprit de ceux qui l'ont entendu .
» Mais celui de qui le souverain a parlé , sent son mal d'au-
>> tant plus impatiemment , qu'il n'y voit aucune de ces con-
>> solations. Car enfin il peut bien dire du mal du prince qui
>> en a dit de lui , mais il ne sauroit le dire qu'en secret , et
» ne peut pas lui faire savoir ce qu'il en dit , qui est la seule
» douceur de la vengeance. Il ne peut pas non plus se persua-
» der que ce qui a été dit n'aura pas été approuvé ni écouté ,
» parce qu'il sait avec quels applaudissemens sont reçus tous
» les sentimens de ceux qui ont en main l'autorité. »
La générosité de ces sentimens est aussi touchante
qu'admirable. Un monarque qui donnoit de pareilles
leçons à son fils avoit sans doute un véritable
coeur de roi , et il étoit digne de commander à un
peuple dont le premier bien est l'honneur.
1
La pièce intitulée le Métier de Roi, dans le nouveau
Recueil , avoit été citée dans le Siècle de Louis
XIV. Elle dépose à la postérité , dit Voltaire ,
» en faveur de la droiture et de la magnanimité
» de son ame. »
Nous sommes fachés que l'éditeur des Mémoires
qui paroît d'ailleurs plein de candeur et de modestie
, ait donné à ce morceau le titre de Métier de
Roi. Louis XIV s'est servi de ce mot dans le cours
de ses Réflexions ; mais il n'est pas vraisemblable
qu'il l'ait employé comme titre. Il y a plus , il est
probable que ce prince eût corrigé cette expression ,
s'il eût prévu que ses écrits seroient un jour publiés.
La royauté n'est point un métier , c'est un caractère
; l'oint du Seigneur n'est point un acteur qui
joue un rôle , c'est un magistrat qui remplit une
fonction on ne fait point le métier de roi comme
on fait celui de charlatan. Louis XIV, dans un moment
de dégoût , ne songeant qu'aux fatigues de la
royauté , a pu l'appeler un métier, et un métier
très- pénible ; mais donnons-nous garde de prendre
ce mot dans un sens absolu . Ce seroit apprendre
aux hommes que tout est métier ici -bas ; que nous
MARS 1806 . 443
sommes tous dans ce monde des espèces d'empyriques
montés sur des treteaux pour vendre notre
marchandise aux passans . Une pareille vue de la
société mèneroit à des conséquences funestes.
Voltaire avoit encore cité les Instructions à Philippe
V, mais il en avoit retranché les premiers articles .
Il est malheureux de rencontrer sans cesse cet homme
célèbre dans l'histoire littéraire du dernier siècle ,
et de l'y voir jouer si souvent un rôle peu digne
d'un honnête homme et d'un beau génie . On devinera
aisément pourquoi l'historien de Louis XIV
avoit omis les premiers articles des Instructions ; les
voici :
i . Ne manquez à aucun de vos devoirs , sur- tout
envers Dieu .
2. Conservez-vous dans la pureté de votre éducation.
3. Faites honorer Dieu partout où vous aurez du
pouvoir ; procurez sa gloire ; donnez - en l'exemple :
c'est un des plus grands biens que les rois puissent
faire.
4. Déclarez-vous , en toute occasion , pour la vertu
contre le vice .
Saint-Louis mourant , étendu sur un lit de cendre
devant les ruines de Carthage , donna à-peu-près les
mêmes instructions à son fils :
« Beau fils , la première chose que je t'enseigne
>> et commande à garder si est , que de tout ton
» coeur, tu aimes Dieu , et te garde bien de faire
» chose qui lui déplaise. Si Dieu t'envoie adversité ,
>>> reçois-la bénignement , et lui en rends grace ; s'il
te donne prospérité , si l'en remercie très - hum-
» blement car on ne doit pas guerroyer Dieu de
» ses dons qu'il nous fait . Aie le coeur doux et
piteux aux pauvres ; ne boute pas sus trop grans
>> tailles , ni subsides à ton peuple . Fuis la compagnie
>> des mauvais . »
>>
On aime à voir deux de nos plus grands princes ,
444 MERCURE DE FRANCE,
à deux époques si éloignées l'une de l'autre , donner
à leurs fils des principes semblables de religion et
de justice . Si la langue de Joinville et celle de Racine
ne nous avertissoient que quatre cents ans d'intervalle
séparent Saint - Louis de Louis XIV, on pourroit
croire que ces instructions sont du même siècle . Tandis
que tout change dans le monde , il est beau que
des ames royales gardent incorruptible le dépôt sacré
de la vérité et de la vertu .
Louis XIV, et c'est une des choses les plus attachantes
de ses Mémoires , confesse souvent ses fautes
et les offre pour leçons à son fils :
« On attaque le coeur d'un prince comme une place. Le
» premier soin est de s'emparer de tous les postes par où
» on y peut approcher. Une femme adroite s'attache d'abord
» à éloigner tout ce qui n'est pas dans ses intérêts ; elle donne
» du soupçon des uns et du dégoût des autres , afin qu'elle
>> seule et ses amis soient favorablement écoutés ; et si nous
» ne sommes en garde contre cet usage , il faut , pour la
» contenter elle seule , mécontenter tout le reste du monde.
» Dès-lors que vous donnez à une femme la liberté de
» vous parler de choses importantes , il est impossible qu'elle
>> ne vous fasse faillir ,
3 » La tendresse que nous avons pour elle , nous faisant
» goûter ses plus mauvaises raisons , nous fait tomber insen-
» siblement du côté où elle penche , et la foiblesse qu'elle
» a naturellement , lui faisant souvent préférer des intérêts.
» de bagatelles aux plus solides considérations , lui font pres-
» que toujours prendre le mauvais parti.
» Elles sont éloquentes dans leurs expressions , pressantes
» dans leurs prières , opiniâtres dans leurs sentimens ; et tout
>> cela n'est souvent fondé que sur une aversion qu'elles au-
>> ront pour quelqu'un , sur le dessein d'en avancer un autre ,
» ou sur une promesse qu'elles auront faite légèrement. »
Cette page est écrite avec une singulière élégance ;
et si la main de Racine paroît quelque part , on pourroit
peut-être la retrouver ici . Mais l'oserions - nous
dire? Une telle connoissance des femmes prouve que
le monarque , en, se confessant , n'étoit peut -être pas
bien guéri de sa foiblesse. Les anciens disoient de
certains prêtres des Dieux : « Beaucoup portent le
MARS 1886 . 445
thyrse , et peu sont inspirés. >> Il en est ainsi de
de la passion qui subjuguoit Louis XIV : beaucoup
l'affectent et peu la ressentent ; mais aussi , quand
elle est réelle , on ne peut guère se méprendre à
l'inspiration de son langage.
"
Au reste , Louis XIV avoit appris à connoître la
juste valeur de ces attachemens que le plaisir forme
et détruit. Il vit couler les larmes de madame de
la Vallière , et il lui fallut supporter les cris et les
reproches de madame de Montespan. La soeur du fameux
comte de Lautrec , abandonnée de François I.
ne s'emporta point ainsi en plaintes inutiles. Le roi
lui ayant fait redemander les joyaux chargés de
devises qu'il lui avoit donnés dans les premiers momens
de sa tendresse , elle les renvoya fondus et convertis
en lingots. << Portez cela au roi , dit - elle . Puisqu'il
» lui a plu de me révoquer ce qu'il m'avoit donné
» si libéralement , je les lui rends et lui renvoie en
lingots d'or. Quant aux devises , je les ai , si bien
>> empreintes en ma pensée , et les y tiens si chères ,
» que je n'ai pu permettre que personne en dis-
» posât et jouît , et en eût de plaisir que moi-
» même ( 1 ) .
>>>
་ ་
Si nous en croyons Voltaire , la mauvaise éducation
de Louis XIV auroit privé ce prince des
leçons de l'histoire. Ce défaut de connoissances .
n'est point du tout sensible dans les Mémoires. Le
roi paroît au contraire avoir eu des idées assez
étendues sur l'histoire moderne , et même sur celle
des Grecs et des Romains. Il raisonne en politique
avec une sagacité surprenante ; il fait parfaitement
sentir, à propos de Charles II , roi d'Angleterre, le vice
de ces états qui sont gouvernés par des corps délibérans
; il parle des désordres de l'anarchie comme
un prince qui en avoit été témoin dans sa jeunesse ;
il savoit fort bien ce qui manquoit à la France , ce
(1) Brantôme.
446 MERCURE
DE FRANCE
,
qu'elle pouvoit obtenir ; quel rang elle devoit occu
per parmi les nations : Etant persuadé , dit - il ,
que l'infanterie française n'avoit pas été jusqu'à
» présent fort bonne , je voulus chercher les moyens
» de la rendre meilleure. » Il ajoute ailleurs :
« Pourvu qu'un prince ait des sujets , il doit avoir
» des soldats ; et quiconque ayant un état bien peu-
» plé , manque d'avoir de bonnes troupes , ne se
» doit plaindre que de sa paresse et de son peu
d'application . » On sait en effet que c'est Louis XIV
qui a créé notre armée , et environné la France de
cette ceinture de places fortes , qui la rend inexpugnable.
On voit enfin qu'il regrettoit les temps
où ses sujets étoient maîtres du monde :
«
Lorsque le titre d'empereur fut mis dans
» notre maison , dit- il , elle possédoit à la fois la
» France , les Pays - Bas , l'Allemagne , l'Italie , et la
» meilleure partie de l'Espagne , qu'elle avoit distri-
» buée entre divers particuliers , avec réserve de la
» souveraineté. Les sanglantes défaites de plusieurs
peuples venus du Nord et du Midi avoient porté
» si loin la terreur de nos armes , que toute la terre
» trembloit au seul bruit du nom français et de la
grandeur impériale.
>>
Ces passages prouvent que Louis XIV connoissoit
la France , et qu'il en avoit médité l'histoire . En portant
ses regards encore plus haut , ce prince eût vu que
les Gaulois , nos premiers ancêtres , avoient pareillement
subjugué la terre , et que toutes les fois que
nous sortons de nos limites , nous ne faisons que
rentrer dans notre héritage . L'épée de fer d'un Gaulois
a seule servi de contre - poids à l'empire du
monde . « La nouvelle arriva d'Occident en Orient ,
dit un historien , qu'une nation hyperboréenne
>> avoit pris en Italie une ville grecque appelée
» Rome. » Le nom de Gaulois vouloit dire voyageur.
A la première apparition de cette race puissante, les
>>
MARS 1806. 447
Romains déclarèrent qu'elle étoit née pour la ruine
des villes et la destruction du genre humain.
Partout où il s'est remué quelque chose de grand ,
on retrouve nos ancêtres . Les Gaulois seuls ne se
turent point à la vue d'Alexandre devant qui la terre
se taisoit. « Ne craignez-vous point ma puissance , dit
» à leurs députés le vainqueur de l'Asie ? » — « Nous
» ne craignons qu'une chose , répondirent-ils , c'est
» que le ciel tombe sur notre tête . » César ne put les
vaincre qu'en les divisant , et il mit plus de temps à
les dompter qu'à soumettre Pompée et le reste du
monde.
Tous les lieux célèbres dans l'univers ont été assujétis
à nos pères. Non - seulement ils ont pris Rome , mais
ils ont ravagé la Grèce , occupé Byzance , campé sur
les ruines de Troie , possédé le royaume de Mithridate
, et vaincu au - delà du Taurus ces Scythes qui
n'avoient été vaincus par personne . La valeur des
Gaulois décidoit de toute part du sort des empires.
L'Asie leur payoit tribut. Les princes les plus renommés
de cette partie de la terre , les Antiochus ,
les Antigonus courtisoient ces guerriers redoutables ;
et les rois tombés du trône se retiroient à l'abri de
leur épée . Ils firent la principale force de l'armée
d'Annibal ; dix mille d'entr'eux défendirent seuls
contre Paule Emile la couronne d'Alexandre, dans le
combat où Persée vit passer l'empire des Grecs sous
le joug des Latins . A la bataille d'Actium , les Gaulois
disposèrent encore du sceptre du monde , puisqu'ils
décidèrent la victoire en se rangeant sous les drapeaux
d'Auguste .
C'est ainsi que le destín des royaumes paroît attaché
dans chaque siècle au sol de la Gaule , comme à une
terre fatale , et marquée d'un sceau mystérieux . Tous
les peuples semblent avoir ouï successivement cette
voix qui annonça l'arrivée de Brennus à Rome , et
qui disoit à Céditius au milieu de la nuit : « Céditius ,
» va dire aux tribuns que les Gaulois seront demain
» ici . »
448
MERCURE DE FRANCE ,
Les Mémoires de Louis XIV augmenteront sa
renommée ils ne dévoilent aucune bassesse , ils ne
révèlent aucun de ces honteux secrets que le coeur
humain cache trop souvent dans ses abymes . Vu de
plus près et dans l'intimité de la vie , Louis XIV ne
cesse point d'être Louis -le-Grand ; on est charmé
qu'un si beau buste n'ait point une tête vuide , et
que l'ame réponde à la noblesse des dehors. « C'est
» un prince , disoit Boileau , qui ne parle jamais san's
» avoir pensé. Il construit admirablement tout ce
» qu'il dit ; ses moindres réparties sentent le souve-
>> rain ; et quand il est dans son domestique , il semble
» recevoir la loi plutôt que de la donner . » Eloge
que les Mémoires confirment de tous points . On connoît
cette foule de mots où brille la magnanimité de
Louis XIV. Le prince de Condé lui disoit un jour
qu'on avoit trouvé une image d'Henri IV attachée
à un poteau et traversée d'un poignard avec une inscription
odieuse pour le prince régnant . « Je m'en
» console, dit le monarque : on n'en a pas fait autant
» contre les rois fainéans, » On prétend que dans les
derniers temps de sa vie il trouva sous son couvert , en
se mettant à table, un billet à -peu -près conçu ainsi :
<< Le roi est debout à la place des Victoires , à cheval
» à la place Vendôme ; quand sera -t - il couché à
>> Saint- Denis ! » Louis prit le billet , et le jetant pardessus
sa tête , répondit à haute voix : « Quand il
ג כ
plaira à Dieu. » Prêt à rendre le dernier soupir ,
il fit appeler les seigneurs de sa cour : « Messieurs
» dit-il ,je vous demande pardon des mauvais exemples
» que je vous ai donnés ; je vous fais mes remerci-
» mens de l'amitié que vous m'avez toujours marquée .
» Je vous demande pour mon petit- fils la même fidé-
» lité.... Je sens que je m'attendris et que je vous
attendris aussi . Adieu , messieurs , souvenez -vous
quelquefois de moi. Il dit à son médecin qui
pleuroit : « M'avez -vous cru immortel ? » Mad . de
La Fayette a écrit de ce prince qu'on le trouvera sans
doute « un des plus grands rois , et des plus honnêtes
» >>
» hommes
DE LA
MARS 1806 .
» Cela
n'empêche pas
» hommes de son royaume.
qu'à ses funérailles le peuple ne chantât des Vecen
Deum , et n'insultât au cercueil : Numquid cognoce
tur mirabilia tua , et justitia tua in terra oblivionis ?
Que nous reste- t -il à ajouter à la louange d'un
prince qui a civilisé l'Europe , et jeté tant d'éclat
sur la France ? Rien que ce passage tiré de ses
Mémoires :
1
« Vous déviez savoir avant toutes choses , mon fils , que
>> nous ne saurions montrer trop de respect pour celui qui
»> nous fait respecter de tant de milliers d'hommes.
» La première partie de la politique est celle qui. nous
» enseigne à le bien servir. La soumission que nous avons
» pour lui , est la plus belle leçon que nous puissions donner
» de celle qui nous est due ; et nous péchons contre la pru-
» dence , aussi bien que contre la justice , quand nous man-
» quons de vénération pour celui dont nous ne sommes que
» les lieutenans.
>> Quand nous aurons armé tous nos sujets pour la dé-
>> fense de sa gloire , quand nous aurons relevé ses autels
» abattus , quand nous aurons fait connoître son nom aux
>> climats les plus reculés de la terre , nous n'aurons fait
» que l'une des parties de notre devoir, et sans doute nous
» n'aurons pas fait celle qu'il desire le plus de nous , si nous
>> ne nous sommes soumis nous-mêmes au joug de ses com-
» mandemens. Les actions de bruit et d'éclat ne sont pas
» toujours celles qui le touchent davantage , et ce qui se passe
» dans le secret de notre coeur est souvent ce qu'il observe
» avec plus d'attention .
» Il est infiniment jaloux de sa gloire , mais il sait mieux
» que nous discerner en quoi elle consiste. Il ne nous a peut-
» être fait si grands qu'afin que nos respects l'honorassent da-
» vantage , et si nous manquons de remplir en cela ses
» desseins , peut-être qu'il nous laissera tomber dans la pous-
» sière de laquelle il nous a tirés.
>> Plusieurs de mes ancêtres , qui ont voulu donner à leurs
» successeurs de pareils enseignemens , ont attendu pour cela
» l'extrémité de leur vie , mais je ne suivrai pas en ce point
>> leur exemple. Je vous en parle dès cette heure , mon fils ,
>> et vous en parlerai toutes les fois que j'en trouverai l'oc-
» casion. Car , outre que j'estime qu'on ne peut de trop
» bonne heure imprimer dans les jeunes esprits des pensées
» de cette conséquence , je crois qu'il se peut faire que ce
Ff
450 MERCURE DE FRANCE ,
» qu'ont dit ces princes dans un état si pressant , ait quelqué
» fois été attribué à la vue du péril où ils se trouvoient ; au
>>> lieu que vous en parlant maintenant , je suis assuré que la
>> vigueur de mon âge , la liberté de mon esprit et l'état flo-
» rissant de mes affaires , ne vous pourront jamais laisser
» pour ce discours aucun soupçon de foiblesse ou de dégui-
» sement. >>
C'étoit en 1661 que Louis XIV donnoit cette
sublime leçon à son fils.
DE CHATEAUBRIAND .
OEuvres posthumes de Marmontel. Quatre vol . in- 12 . Prix :
12 fr. , et 15 fr. par la poste . A Paris , chez Xhrouet , lib . ,
rue des Moineaux ; et chez le Normant , imprimeur -libraire ,
rue des Prêtres Saint - Germain l'Auxerrois , n°. 17.
( Premier extrait.
ON se plaint tous les jours de l'état de stérilité dans lequel
languit depuis long-temps la littérature . En effet , presque .
tous les écrivains qui avoient donné dans leur jeunesse des
lueurs de talent , découragés par les revers imprévus qui ont
suivi des succès prématurés , gardent maintenant le silence et
semblent s'être condamnés à l'inaction . Cependant les années :
s'accumulent , la saison du travail s'enfuit , les germes les plus
heureux se dessèchent faute de culture. Chaque jour voit
disparoître des écrivains distingués , sans qu'il s'élève personne
pour les remplacer. Au lieu de nous offrir des ouvrages que
la postérité puisse opposer à ceux des deux derniers siècles ,
toutes les productions modernes se réduisent à des notices
littéraires qu'on place à la tête des éditions nouvelles d'auteurs
anciens , et à des articles de journaux sur ces mêmes
auteurs : c'est-à-dire , à une multitude de critiques , bonnes ou
mauvaises , sur des livres jugés depuis long - temps.
Au milieu de cette langueur léthargique , dans laquelle
paroissent plongés presque tous les gens de lettres , un des
MARS 1806. 451
écrivains les plus féconds du siècle dernier semble encore
vouloir se charger de la gloire de celui - ci . On diroit que du
fond de son tombeau , Marmontel prétend se venger du silence
auquel les circonstances l'avoient condamné dans les
dernières années de sa vie . Ses OEuvres pósthumes , publiées
coup sur coup depuis un an , auroient suffi , si on ne considère
que le nombre des volumes , à occuper la vie entière d'un écrivain
laborieux ; mais quoiqu'elles ne soient pas sans mérite , il
ne paroît pas qu'elles augmentent beaucoup la réputation de
l'auteur. L'ouvrage le plus important qu'elles présentent , les
Mémoires sur la Régence , attirèrent un moment l'attention
publique au moment où ils parurent ; on les jugea curieux
pour le fonds , mais on y trouva les faits mal liés , mal ordonnés
entr'eux , et l'on ne se crut pas tout - à- fait dédommagé
du défaut absolu d'ensemble par un style correct et même
assez élégant , mais froid et sans couleur , et par conséquent
fort éloigné de celui qui convient à l'histoire . Les Mémoi
res sur la vie de l'Auteur furent lus avec plus d'avidité encore.
Des anecdotes sur des personnages célèbres , des peintures
assez fidelles du ton et des moeurs qui régnoient dans
certaines sociétés du dernier siècle , des intrigues de coulisse ,
des histoires scandaleuses , ne pouvoient manquer de piquer
la curiosité de bien des lecteurs ; mais tous furent étonnés de
lire sur le titre , que ces récits , souvent assez libres , qui pou
voient être amusans pour le public , étoient consacrés par un
père à l'instruction de ses enfans . Aujourd'hui l'on va voir
ce même père donner des leçons sur la grammaire , la logique ,
la métaphysique et la morale : occupation bien plus convenable
sans doute que celle d'entretenir ses élèves des aventures
galantes de sa jeunesse ; et peut- être les lecteurs , par
un jugement tout opposé à celui qu'ils ont porté sur les Mémoires
, avoueront que ces leçons ont pu être fort utiles à
ceux pour qui elles furent écrites , mais décideront qu'elles
ne devoient pas sortir de leurs mains . « En effet , diront- ils
>> chaque instituteur , chaque père de famille peut imaginer
» une méthode particulière d'instruction dont il recueillera
» d'autant plus d'avantages , qu'elle sera mieux adaptée au
Ff2
452 MERCURE DE FRANCE ,
» caractère particulier de ses élèves ; mais faudra - t -il que le
» public soit condamné à lire tous les traités de métaphysique ,
» de géographie , d'histoire , etc. , etc. , qui seront écrits pour
» cet usage ? Nous avons un si grand nombre de grammaires ,
» de logiques , de livres élémentaires de toute espece , com-
» posés les uns avec les autres , qu'il y a un terrible préjugé
>> contre tout ce qui paroît de nouveau dans ce genre , et
» qu'il n'est plus permis d'en augmenter le nombre si on ne
» fait beaucoup mieux que ce qui existe déjà . » Avant de décider
si le Cours d'Etudes de Marmontel se trouve dans ce cas,
nous allons jeter successivement un coup d'oeil sur les divers
traités qui le composent : nous commencerons par la Grammaire.
L'étude de cette science est une des plus pénibles auxquelles
l'enfance puisse être condamnée , et malheureusement c'est
une des premières qu'on est forcé de lui enseigner quand on
veut la former à la connoissance des langues anciennes . De
combien de pleurs n'avons-nous pas tous arrosé nos syntaxes
grecque et la tine ? Combien de fois n'avons - nous pas répété ,
sans les comprendre, ces règles si difficiles , qui depuis si longtemps
sont la terreur des classes ? Ceux qui regrettent si souvent
leur enfance, ont oublié apparemment tous les chagrins qui
l'accompagnent : s'ils sont moins profonds que ceux qui affligent
l'homme dans les autres périodes de sa vie , ils renaissent
presque à chaque instant de la journée. L'enfant ne
connoît à la vérité ni les passions violentes de la jeunesse ,
ni les inquiétudes de l'âge mûr ; mais les langues savantes ,
avec leurs verbes réguliers et irréguliers , et toutes les épines
de leurs syntaxes , et toutes les bizarreries de l'usage , lui
paroissent inventées pour son tourment ; et si l'on se rappelle
tout l'appareil des châtimens qui punissent en lui la paresse
et l'amour du jeu , ses deux seules passions , on en conclura
cette vérité consolante , que la mesure des biens et des maux
est à-peu-près la même pour tous les âges de la vie.
Les difficultés attachées aux élémens des langues anciennes
une fois surmontées , l'étude de la langue française devient
facile , sur tout pour les enfans qui sont élevés sous les yeux
MARS 1806 . 453
paternels ou sous les soins d'un maître particulier. Ils connoissent
déjà les principes fondamentaux qui sont communs
à tous les idiomes ; un long usage les a familiarisés avec les
termes les plus abstraits de la grammaire. Accoutumés d'ailleurs
à n'entendre autour d'eux qu'un langage pur et correct ;
exactement repris toutes les fois que , se laissant conduire
par une analogie souvent trompeuse , ils méconnoissent les
lois que l'usage a introduites , ils savent déjà leur langue avant
d'en connoître un seul principe. Ils possèdent du moins ce
qui est le plus long et le plus indispensable à acquérir. En
effet , ce qu'on appelle routine est absolument nécessaire pour
bien parler et bien écrire un idiome quelconque ; sans elle ik
n'y a ni naturel , ni variété , ni énergie dans le style . Que
deviendroient la chaleur qui anime un écrivain éloquent ,
l'inspiration qui fait courir sa plume , s'il étoit obligé de se
demander à chaque phrase quelles règles de la grammaire il
doit observer? C'est par la crainte continuelle de les violer
dans leurs moindres détails , que les grammairiens de profes
sion sont toujours de froids écrivains ; que leurs phrases ,
exactement concertées , se traînent toujours de la même ma→
nière ; que souvent même elles deviennent entortillées et
confuses . Chez eux la pensée n'est que l'accessoire : le principal
est de bien aligner les mots dans l'ordre que prescrit le
bel usage et les règles qu'ils ont établies eux - mêmes . Ce n'est
pas ainsi que procèdent les grands écrivains. Its se sont tellement
pénétrés du génie de la langue , qu'ils le devinent , pour
ainsi dire , jusque dans ses caprices. Celui à qui un instinct
prompt et infailliblé ne révèle pas pourquoi telle expression
est préférable à telle autre , pourquoi tel mot doit être placé
ici plutôt que là , quand même il en ignoreroit la raison métaphysique
ou grammaticale ; celui - là , dis -je , ne saura jamais
écrire . On ne doit pas conclure de tout ceci qu'il faille négliger
la grammaire , mais seulement qu'il ne suffit pas d'en posséder
toutes les règles , et qu'il est encore plus essentiel de
former le goût d'un élève que de lui bien apprendre la syntaxe
.
Telle est la marche que Marmontel avoit adoptée pour ses
3
454 MERCURE
DE FRANCE
,
enfans. Il les avoit déjà instruits dans les langues anciennes ,
il les avoit familiarisés avec nos bons auteurs avant de leur
mettre dans les mains ses Leçons sur la langue Française.
Come nous ignorons quelles étoient les dispositions particulières
de ses élèves , nous nous plaisons à croire que ce
Traité étoit plus propre qu'aucun autre à les instruire ; mais
il aura certainement , aux yeux du public , le double défaut
d'être à la fois incomplet , puisqu'il ne contient ni les définitions
premières , ni les conjugaisons ; et beaucoup trop long ,
puisqu'il forme un gros volume. On y voit exposés , dans une
foule de remarques particulières , des points de grammaire
sur lesquels l'usage éclaire aussi bien que toutes les règles ;
et tous ces détails , qu'il est moralement impossible de se fixer
dans la tête , ne servent qu'à faire perdre de vue les principes,
généraux qu'il faut absolument retenir. Le secret d'ennuyer
est celui de tout dire , a dit Boileau : c'est aussi celui de ne
rien apprendre. Les lois du langage , comme toutes les autres
lois , ne sauroient jamais être ni trop simples i en trop petit
nombre , afin qu'elles soient moins exposées à être méconnues
par l'ignorance , et que la chicane trouve moins de prétextes
pour en excuser la violation .
Les Leçons de Marmontel offrent encore un autre inconvénient
qui doit les rendre peu propres à l'instruction des enfans
l'auteur se plaît trop à s'arrêter sur les définitions abstraites.
La grammaire n'est- elle pas une étude assez aride par
elle - même ? Faut - il encore l'embarrasser mal - à- propos dans
les difficultés de la métaphysique ? On lit , dès les premières
pages du Traité que nous annonçons , que l'adjectif réunit
Pidée d'une qualité distincte , avec l'idée confuse et vague
d'un étre auquel appartient cette qualité ; que le participe a
été d'abord un adjectif verbal , exprimant l'étre en action , ou
en situation inactive ou passive . L'auteur entre ensuite dans
une longue dissertation sur le gérondif et le supin , deux modes
séparés par une nuance presqu'imperceptible , qui jusqu'a
lui , à ce qu'il assure , avoit échap , é à tous les grammairiens.
Il copie tout ce que Condillac et tant d'autres ont dit sur les
termes abstraits et concrets , sur les trois espèces de mots
MARS 1806.
1
qui entrent nécessairement dans la proposition simple.
Ailleurs il classe laborieusement toutes les conjonctions , qu'il
distingue en adversatives , circonstancielles , causatives ,
transitives et inductives , etc. etc. Il est sans doute curieux ,
il est même utile de connoître la théorie métaphysique du
langage ; mais une expérience constante ne prouve - t- elle pas
qu'une pareille étude ne convient ni à l'enfance , ni même
à la première jeunesse ? Je dis plus : elle n'est indispensable
qu'à l'homme qui , se vouant à la culture des lettres , est dans
l'obligation de connoître , sous tous les rapports , l'instrument
qu'il est destiné à mettre tous les jours en oeuvre . Encore se
gardera- t -il bien de s'appesantir trop long- temps sur cette
étude ; et après s'être convaincu que , passé de certaines bornes
assez étroites , la métaphysique n'est plus qu'un abyme
sans fond, où se perd inutilement la curiosité humaine , il
abandonnera sans regret ces stériles spéculations aux idéologues
et aux professeurs d'entendement humain , bien convaincu
qu'elles ne sont propres qu'à faire de mauvais raisonneurs
et d'insipides écrivains .
Après avoir critiqué les Leçons sur la Grammaire , comme
élémens de cette science , il est juste de reconnoître que si
on les considère comme un recueil d'observations gramma-.
ticales bon à consulter et non à lire de suite , elles peuvent sous
ce rapport présenter de l'intérêt . Marmontel , écrivain généralement
pur et correct , est ici sur son terrain ; if a pu déposer
dans son Traité toutes les remarques qu'une longue
pratique l'avoit mis à portée de faire sur notre langue . Et en
effet , presque toutes les difficultés qu'elle présente s'y trou
vent discutées et résolues avec beaucoup de clarté. Ces fameuses
règles des participes , qui nous ont valu tant de punitions
dans notre enfance , que bien des personnes qui ne sont
plus en âge d'en recevoir violent tous les jours , y sont développées
avec le plus grand soin dans tous leurs détails . Seroitce
faire injure à l'érudition grammaticale de nos lecteurs , que
de leur proposer , avec Marmontel , sur le que relatif et le
participe , quelques petits problèmes à résoudre ? Ceux à qui
tous les cas particuliers d'une règle assez seroient
compliquée
4
'456 MERCURE DE FRANCE ,
présens à la mémoire , nous pardonneront cette citation , qui
servira du moins à leur faire connoître la clarté que l'auteur
su répandre sur ses observations.
« Doit- on dire :
L'histoire que je vous ai donnée à lire ;
Les maux qu'il a eus à souffrir ;
Les sommes qu'il a cues à payer ?
Pui; car le régime du verbe n'est pas ce gérondif à lire ,
à souffrir, à payer; ce n'en est que le complément , et son
régime véritable est le nom qui précède .
Il n'en est pas de même des exemples suivans :
La lettre que j'ai su qu'on vous avoit écrite ;
La lettre que j'ai présumé que vous aviez reçue ...
Ici , ce que j'ai su , ce que j'ai présumé , ce n'est point- la
lettre. Donc ce n'est point là le régime du participe .......
Quelque chose qu'il m'a dit , me fait soupçonner.
Quelque chose qu'il m'ait due , il ne m'a point persuadé.
Pourquoi dit dans la première phrase , et pourquoi dite
dans la seconde ? C'est que , dans l'une , quelque chose est
pris dans un sens neutre ; c'est l'aliquid latin ; et que , dans
l'autre , il a le sens de chose dont le genre est déterminé ,
Il a obtenu toutes les graces qu'il a voulu,
Il a obtenu toutes les graces qu'il a desirées.
Pourquoi voulu , et pourquoi désirées ? C'est qu'on ne
dit pas vouloir des graces , et que le régime du participe est
sous-entendu voulu obtenir; au lieu qu'on dit desirer des
graces , et que c'est graces que régit directement le verbe
desirer.
Ce dernier exemple prouve que l'usage , qui souvent peut
être accusé justement de bizarrerie , est aussi quelquefois
très-conforme à la raison , lors même qu'au premier coup
d'oeil il paroît déroger sans sujet à la règle établie . Une espèce
d'instinct qui souvent guide sûrement les hommes , sans
même qu'ils s'en aperçoivent , leur a dit ici que l'idée de
grace et celle de vouloir s'excluoient mutuellement , et que ,
par conséquent, l'on ne pouvoit pas rapporter l'une à l'autre . »
MARS 1806.
457
1
C'est avec cette netteté que Marmontel prononce sur les
cas les plus embarrassans de notre syntaxe. Nous n'oserions
assurer, il est vrai , que ce mérite ne se trouve pas au même
degré chez Restaut , chez Wailly, chez Dumarsais , chez
beaucoup d'autres grammairiens ; mais ce qui est , je crois ,
particulier à notre auteur, ce sont les deux derniers chapitres
, qui sont sans contredit les meilleurs, et qui semblent
presqu'exempts de la sécheresse et de l'ennui inséparables
d'une Grammaire. Dans l'un , Marmontel apprécie le génie
de la langue française , comparé à celui des langues anciennes.
Il observe avec beaucoup de sagacité une foule d'idiotismes
qu'il seroit très-difficile de soumettre à une analyse exacte ,
et qui , par- là même , sont très - remarquables , quoiqu'un
usage journalier nous ait tellement familiarisés avec eux ,
que nous nous en servons tous les jours , sans savoir même
s'ils existent. Il remarque , sur- tout, dans nos bons auteurs
beaucoup d'ellipses particulières à la langue française , qui
prouvent que , quoique la clarté soit son caractère distinctif,
elle peut fréquemment ne le céder en précision à aucun
idiome. Dans l'autre chapitre , il passe en revue toutes les qualités
qui contribuent à la perfection du langage et du style.
On ne fera à ce sujet qu'une observation : Marmontel répète
plus d'une fois que les grands auteurs ont leurs prérogatives ,
qu'ils ont pu se permettre ce qu'on ne passeroit pas à un
écrivain vulgaire cela doit être bien entendu . Comme il
n'y a presque pas d'auteurs qui ne se jugent intérieurement
de grands génies , quoiqu'ils n'en conviennent pas tous , il
résulteroit de ce principe que la plupart se croiroient
autorisés à des licences qui introduiroient dans la langue un
étrange chaos . Molière a dit que la grammaire savoit régenter
jusqu'aux rois. Les rois du Parnasse ne sont sûrement
pas les souverains qui doivent être le moins soumis à
ses lois. Ce qui est faute de grammaire chez un mauvais
écrivain , le seroit aussi chez eux ; mais il y a des hardiesses
heureuses qu'on leur permet , et qui choqueroient dans
d'autres , parce qu'eux seuls savent les préparer, les rendre
nécessaires , les cacher adroitement dans le tissu de leur style .
458 MERCURE
DE FRANCE
;
On sait que Racine en offre un grand nombre d'exemples ,
et il les emploie avec tant d'art , que plusieurs mauvais écrivains
qui accusoient sa poésie de timidité , n'y avoient pas
même soupçonné tant de licences et d'expressions créées "
qu'ils auroient peut- être balancé à employer eux - mêmes , si
par hasard elles se fussent offertes sous leur plume .
Les autres parties du Cours d'Etudes de Marmontel , seront
P'objet d'un second article , dans l'un de nos prochains numéros.
C.
VARIET ÉS .
LITTÉRATURE , SCIENCES > ARTS , SPECTACLES.
Le Poëme de l'Imagination ( 1 ) , attendu avec tant d'im
patience par tous ceux qui cultivent ou aiment la poésie ,
devoit paroître au commencement de ce mois ; sa publication
est encore différée : il ne sera mis en vente que dans les premiers
jours du mois d'avril . Peu d'ouvrages ont été aussi vivement
desirés ; et , si toutefois nous pouvons en juger par les
fragmens que M. Delille nous a permis de publier , et par
ceux dont nous avons entendu la lecture , peu d'ouvrages
aussi auront mieux rempli l'attente publique. En attendant
que nos lecteurs puissent confirmer ce jugement , nous
croyons faire une chose qui leur sera agréable , en leur mettant
sous les yeux l'analyse de ce poëme , qui nous a été com-
(1 ) L'Imagination , poëme en VIII chants , par J. Delille , accompagné
de notes historiques et littéraires . Deux volumes in-18 , papier in grand
raisin , deux figures . Prix : 7 fr.; pap . vélin superfin , br . et cart . , 4 fig.
16 fr . Les mêmes , sat . et cart. , 4 fig. avant la lettre , 20 fr. Les méines ;
in-8°, pap. fin grand raisin , 2 fig . , 12 fr .; pap . vélin superfin , br.et cart . ,
2 fig. , 28 fr. Les mêmes , sat . et cart . , 6 fig. avant la lettre , 36 fr. Les
mêmes, in-4°, pap. commun Jésus , sans fig. , 30 fr .; páp. vélin superlin
grand Jésus , br . et cart . , 2 fig. , 120 fr . Les mêmes , sat. et cart. , 4 fig.
avant la lettre , 150 fr .
MARS 1806.
459
muniquée par les éditeurs, Les morceaux déjà connus suffiront
pour donner une idée des couleurs brilllantes dont le peintre
des Jardins aura su embellir un fonds si riche par lui -même .
PREMIER CHANT . L'homme sous le rapport intellectuel. Les sens sont
frappés par les différens objets qui se présentent à eux ; ces impressions
se gravent dans la mémoire ; phénomène inexplicable de cette faculté ; les
songes , l'action de l'imagination dans l'emploi des figures ; ses voyages
du monde physique au monde moral , et du monde moral au monde physique
, les comparaisons , les contrastes et les rapports plus ou moins immédiats
; les différentes idées réveillées les unes par les autres ; les idées
innées , bonheur attaché à la culture de l'intelligence ; épisode à ce sujet .
DEUXIÈME CHANT . L'homme sensible . Influence de l'imagination suṛ
le bonheur ; l'imagination se rejette vers le passé par le souvenir , et vers
l'avenir par l'espérance et la crainte ; au souvenir appartiennent les regrets
, les remords , l'amitié , la reconnoissance , la vengeance et la haine ;
épisode à ce sujet ; effets de la prévoyance ; les illusions ; l'espérance , la
crainte , l'avarice , l'ambition , l'amour ; épisode relatif à cette passion.
TROISIÈME CHANT . Impression des objets extérieurs . Les couleurs ,
les formes , les mouvemens , la grace , la pudeur , la nouveauté , la mode ,
les batailles , les volcans ; quels objets font naître et entretiennent la mélancolie
, la tristesse , l'épouvante et l'horreur ; nuances qui distinguent
ces affections ; les objets rians , peinture de quelques objets de ce genre ;
effets de la grandeur , les pyramides , les forêts , la mer et les montagnes ;
le spectacle du ciel ; l'homme lui -même le plus bel ouvrage de la création ,
et affectant plus vivement l'imagination que tous les autres objets , par
l'expression de ce sentiment , l'éloge du discours , du geste et du regard .
QUATRIÈME CHANT. Impression des lieux. Effets de l'imagination sur
les lieux , et des lieux sur l'imagination ; influence des lieux sauvages et
des lieux rians subordonnée aux dispositions de notre ame ; nous aimons
les lieux où nous reçûmes le jour , l'éducation , où nous avons été heureux
ou malheureux , amans ou aimés , ceux où reposent les objets de nos
affections et de nos regrets ; antiquité des lieux et souvenirs qui y sont
attachés ; les ruines de Rome , d'Athènes , etc.; épisode sur le voyage
en Grèce par M. de Choiseul ; les catacombes de Rome.
CINQUIÈME CHANT . Les arts . Hymne à la beauté ; le beau idéal dans
les arts , la sculpture et la peinture ; l'Apollon du Belvédère ; la Transfi→
guration de Raphaël ; la musique , la danse , l'architecture ; la poésie , ses
différens genres , les grands hommes qui l'ont illustrée ; l'éloquence , les
hautes sciences , la géométrie , les arts mécaniques.
460 MERCURE DE FRANCE ;
SIXIÈME CHANT. Le bonheur et la morale. Influence de l'imagination:
sur le bonheur ; l'indépendance , le travail , la vertu ; l'excès de confiance ,
de défiance ; l'imagination exagère les biens et les peines ; nécessité d'armer
son imagination contre la crainte de la mort , de la pauvreté et de l'obs
curité ; secours que peuvent y ajouter la lecture des moralistes ; nécessité
de réprimer et de distraire son imagination dans le malheur ; exemple
de Pélisson .
mens ,
"
SEPTIÈME CHANT. La politique. Moyens que l'imagination a fournis
pour suppléer aux lois ; l'étiquette , les cérémonies publiques , le culte des
morts ; fêtes champêtres dans différens pays ; fètes triomphales ; les monules
tombeaux ; puissance des costumes et des signes .
Huitième chant. Les cultes . La contemplation de l'Etre suprême ,
première source de toute perfection ; origine des divers cultes ; influence
qu'ont eue sur eux les passions , les moeurs et les climats ; union du pouvoir
civil et du pouvoir religieux ; moyens politiques qu'ont offerts les
cultes aux législateurs ; la religion révélée ; l'imagination l'a embellie dans
ses triomphes et l'a soutenue dans ses persécutions ; l'espoir du pardon
mis à côté de la crainte des châtimens ; avantage du christianisme sous ce
rapport ; épisode à ce sujet .
Les dessins du Poëme de l'Imagination ont été confiés à MM. Lebarbier,
Monciau et Myris.
Le dimanche 16 février , le conseil des mines a présenté à S. M.
une médaille , offrant d'un côté l'effigie de l'EMPEREUR, et l'autre le Mont-
Blanc , caractérisé par une géant accroupi sur des rochers ; médaillè exé•
cutée d'après l'idée de M. Denon. Le président a porté la parole en ces
termes :
SIRE,
« Le conseil des mines vient vous présenter l'hommage de son respect ,
de sa fidélité et de sa reconnoissance.
» Tandis que V. M. mettoit le comble à la gloire du grand peuple , Ic
conseil - d'état , d'après ses ordres , préparoit une loi nouvelle sur les
mines ; elle doit remplacer les anciens arrêts , et la loi de 1791 , dont les
dispositions incohérentes entre elles , ne reposent sur aucune base fixe .
Nous sommes persuadés , Sire , que cette loi fera un jour la prospérité
de ceux même dont elle semble aujourd'hui blesser les intérêts . Nous
osons assurer V. M. que , si elle daigne donner à notre administration la
force et les moyens pour exécuter toutes les améliorations que projette le
ministre de l'intérieur, il en résultera un nouveau lustre pour votre Empire.
De tous côtés on extraira du sol de la France , sans nuire à sa surface , des
MARS 1806 . 461
substances minérales nouvelles ; des fabriques nombreuses s'élèveront ;
elles enrichiront le commerce et nous ferons à l'Angleterre une guerre
d'industrie dont elle redoute déjà les effets .
>>
"
Permettez , Sire , que nous ayons l'honneur de vous présenter une
médaille frappée avec le premier argent extrait des mines de plomb de
Pesey ( Mont-Blanc ) , près de laquelle vous avez fondé la première école
pratique des mines . Cette mine, anciennement exploitée par la cour de Savoie,
étoit abandonnée depuis plusieurs années ; nous l'avons prise , en l'an 10,
dans l'état de délabrement le plus déplorable : aujourd'hui tout est rétabli
, tout est en grande activité ; et non- seulement elle couvre ses dépenses
, mais elle donne des bénéfices importans .
» Vous avez bien voulu , Sire , accueillir le projet d'exécution de cette
médaille , qui vous fut proposé par M. Denon. Nous supplions V. M. I.
et R. de vouloir bien en agréer l'hommage , au nom du corps des mines ,
et de lui accorder le titre de corp´s-impérial des mines. »
-
Le bureau de l'Institut ayant été admis le même jour à l'audience de
Sa Majesté , M. Arnault , président de l'Institut , a dit :
SIRE ,
« Permettez- nous , avant tout , de vous exprimer notre reconnoissance
pour les deux faveurs nouvelles dont vous avez honoré l'Institut . Võus
avez défendu que les statues des grands hommes qui décorent la salle de
nos séances , nous fassent enlevées , et vous nous avez permis de placer
au milieu d'elles celle de Votre Majesté : nous vous remercions , Sire ,
de nous conserver nos pénates , ' et de nous autoriser à en augmenter le
nombre . >>
Après ce discours , le président de l'Institut a annoncé à
S. M. que le président de la classe des sciences physiques et
mathématiques desireroit lui faire hommage du sixième volume
des Mémoires de cette classe. S. M. a accueilli avec
bonté ce résultat des travaux d'un corps non moins utile que
célèbre. Plusieurs membres de l'institut ont aussi présenté à
S. M. les ouvrages dont la note suit , et ont de même reçu
un accueil encourageant.
1°. Le tome VI des Mémoires de la classe des sciences ;
1
2º. Le premier volume de la collection des Mémoires des savans étrangers
;
3°. Le premier volume de l'ouvrage intitulé : Base du Système mér
tique , par M. Delambre , faisant suite aux Mémoires de l'Institut .
462 MERCURE DE FRANCE ,
Ces trois ouvrages ont été présentés par M. Legendre , président , au
nom de la classe .
Ensuite M. Legendre a eu l'honneur de présenter en son nom les Nouvelles
Méthodes pour la détermination de l'orbite des comètes , avee
un supplément .
M. Delabillardière a présenté : Novæ Hol'andiæ plantarum specimen,
tome Ier .
M. Arnault la collection de ses Discours sur l'instruction pu
blique.
Le président de la classe des Beaux - Arts , présenté par le président de
l'Institut , a offert à S. M. la cornaline qui a remporté le prix de gravure
en pierre fine , au jugement de cette classe ; elle est l'ouvrage de
M. Thiollier .
MM . Degerando , Dureau de la Malle , Chaudet et Brial , membres
nonvellement admis dans les diverses classes de l'Institut , ont ensuite été
présentés à S. M.
4
- Le Théâtre Français , n'a donné cette semaine aucune
nouveauté. La représentation de Mérope , n'a pas rempli l'attente
des nombreux spectateurs que ce chef-d'oeuvre de Voltaire
avoit attirés. On en accuse généralement la foiblesse du
jeu des acteurs. Aujourd'hui samedi on doit reprendre la¨
Mort de César. On peut assurer d'avance que cette pièce
essentiellement froide , et que le Kain lui-même n'est jamais
parvenu à réchauffer , produira encore moins d'effet que
Mérope.
- Nous avons annoncé il y a quelque temps , la prochaine
représentation sur le théâtre de l'Impératrice , d'une comédie
en trois actes , par un enfant de treize ans. Nous avions ma
nifesté la crainte que ce pénible ouvrage ne fût au-dessus des
forces d'un écolier. L'événement n'a que trop justifié cette
crainte. La pièce a été donnée mercredi dernier ; elle est intitulée
les Trois Noms ou C'est le même. Nul plan , un
dialogue insipide , aucun de ces défauts , qui peuvent faire
concevoir quelqu'espérance. Cependant les camarades de l'auteur,
l'ont demandé à grands cris après la représentation . On
est venu annoncer qu'il se nommoit Edmond Isoard. Les sifflets
l'ont renvoyé chez son maître de pension achever ses
MARS 1806. 463
études. Son instituteur, quelqu'habile qu'il soit , ne lui donnera
jamais de leçon plus utile.
La représentation donnée le 6 mars , au profit de Brunet.
a été aussi glorieuse que pouvoit l'attendre un artiste de ce mérite.
Toutes les loges étoient louées depuis plusieurs jours ; il
ne restoit de place pour les plébéïens qu'au parterre et dans
les galeries. Les deux nouvelles pièces ont eu un succès diffé
rent ; l'une a été applaudie avec l'enthousiasme que demandoit
une aussi grande fête ; l'autre a été accueillie plus froidement ,
mais la présence de Brunet a tout réchauffé. On ne pouvoit se
lasser d'admirer ce grand héritier du génie de Tabarin et Scaramouche.
La recette a été très -abondante , et son produit ,
joint au traitement annuel de vingt mille francs , prouve invinciblement
que les grands talens peuvent espérer une grande
fortune. ( Courrier des Spectacles. )
-On annonce , comme devant paroître très-prochaine
ment , une nouvelle Satire de M. Chénier , membre de l'ins
titut ; elle aura pour titre Epitre à Voltaire.
Il paroît qu'on va relever le théâtre de l'Odéon ; déjà'
les ouvriers y sont occupés à faire les premiers préparatifs .
Cette belle salle sera , dit-on , reconstruite sur le même plan ;
mais elle aura plus de profondeur , et son extrémité s'alignera
avec les maisons de la rue de Vaugirard.
Un décret du 6 contient les dispositions suivantes :
L'alignement arrêté par les plans généraux des embellissemens
de Paris , vis- à-vis la façade du Louvre , rue du Coq , sera
exécuté vis -à-vis l'hôtel d'Angivilliers , en abattant les cours
et jardins sans toucher à l'hôtel . Les maisons situées entre la
rue de Beauvais et la place du Louvre , seront vendues par la
régie de l'enregistrement , pour être démolies avant le 1er novembre
prochain. Il sera ouvert une rue de la largeur de 17
mètres , sur la direction du milieu du palais des Tuileries et
du milieu de celui du Louvre. Les maisons qui se trouvent
sur l'alignement de cette rue , seront démolies , et la rue pavée,
464 MERCURE DE FRANCE ,
er
avant le 1 novembre prochain. La nouvelle rue prendra le
nom de Rue Impériale. Les façades de cette rue seront bâties
sur un plan régulier qui sera proposé par l'architecte du palais
des Tuileries. Il sera élevé un arc de triomphe à la gloire de
nos armées , à la grande entrée du palais des Tuileries , sur le
Carrousel . Cet arc de triomphe sera élevé avant le 1º novembre
; les travaux d'art seront commandés , et devront être
´achevés et placés avant le 1er janvier 1809. .
-Par décret du même jour , 1° . il sera construit un égoût
couvert pour l'écoulement des eaux de la rue Froidmanteau .
2º. Il sera construit un mur de quai dans le prolong ement
du port Saint - Nicolas. 3°. Les murs du quai vis -à - vis le
Louvre seront réparés et élevés.
-S. Ex. le ministre de l'intérieur vient d'adresser aux préfets une nouvelle
circulaire relative à l'exposition du 15 mai prochain ; elle est de la
teneur suivante :
M. le préfet , j'aperçois , par quelques réponses que j'ai déjà reçucs
sur l'exposition des produits de l'industrie , du 25 mai prochain , que le
sens de ma lettre du 15 février n'a pas été exactement saisi par les fonctionnaires
auxquels elle a été adressée , parce qu'on a supposé que cette
exposition devoit avoir lieu sur le même plan que les deux précédentes .
On a cru qu'elle ne devoit recevoir que les produits des manufactures les
plus marquantes qui se distinguent par un caractère particulier , qui
sortent de la classe ordinaire. L'intention de S. M. l'EMPEREUR est ,
au contraire , qu'elle puisse offrir un tableau complet , et , comme j'ai
eu l'honneur de vous le dire , une sorte de carte géographique industrielle
de toute la France ; que toutes les manufactures , sans exception ,
quel qu'en soit le genre , pourvu que , dans leur genre , la fabrication
n'en soit pas mauvaise , et propre à décréditer nos fabriques , soient
admises à concourir . Il est donc indispensable que vous m'adressiez au
moins des échantillons de toutes les fabriques de votre département
jors même que leur activité seroit ralentie , afin que , dans les portiques
qui vous seront réservés , on puisse faire un dénombrement exact et complet
de toutes leurs espèces et du nombre des ateliers.
C'est par cette circonstance , précisément destinée à offrir un spectacle
aussi neuf que grand et instructif , que la prochaine exposition doit être
caractérisée, C'est pour la réaliser que j'ai invoqué tout le concours de
votre
MARS 1806 .
votre zèle , en vous autorisant à employer même la voie des inv
individuelles . Les fabricans ont , dans cette circonstance , un motif de
plus de multiplier leurs envois ; ils n'auront pas seulement pour objet
l'exposition , mais aussi la foire qui doit la suivre , et à laquelle tous les
genres de produits peuvent être admis . Au surplus , si les perfectionnemens
obtenus surpassoient nos espérances , je solliciterois de S. M. l'Eм-
PEREUR d'étendre le nombre des récompenses et des distinctions , de manière
qu'elles puissent embrasser tous ceux qui y auroient acquis des droits
marqués par leurs efforts . Je vous renouvelle , monsieur le préfet , avec
instance , toutes les recommandations que je vous ai faites à ce sujet , et
j'y joins les assurances de ma parfaite considération .
La questure administrative du corps législatif vient de
faire placer une horloge dans son palais. M. Poyet , son arciti
tecte , chargé d'en déterminer le local , a profité de cette cir
constance pour masquer du côté de la cour d'honneur , la vue
désagréable du comble sur lequel porte la lanterne qui é laire
la salle des séances ; c'est ce qu'il a obtenu en élevant.un fromton
qui a procuré la place nécessaire pour établir derrière , cette
horloge. Sur ce fronton MM. les questeurs ont fait peindre ,
par M. Fragonard fils , un bas-relief représentant l'EMPEREUR
enchaînant la Victoire à son trône, avec une guirlande de lauriers
, protégeant la France et renversant ses ennemis , dont un
cherche à rassembler le faisceau de la coalition qui est désuni.
Du côté opposé , l'Abondance , l'Harmonie , les Arts et le
Commerce suivent la Victoire . Ce bas- relief a été peint sur la
pierre qui doit en recevoir la sculpture , afin d'en voir l'effe
d'abord avant de le sculpter, et de pouvoir y faire à volonté
des changemens qui seroient jugés nécessaires.
-M. l'abbé Pierre - François Desmonceaux , ci -devant
pensionnaire du roi , médecin -oculiste , est mort le 4 mars, rue
de Turenne , d'une goutte remontée. Connu par sa piété et sa
charité pour les pauvres , dont tous les matins sa maison étoit
remplie , et qu'il soulageoit avec une affection tendre et le
plus pur désintéressement , il laisse à ses amis les regrets qu'on
doit à l'homme de bien qui , doué de vertus bienfaisantes ,
G S
466 MERCURE DE FRANCE ,
en a donné l'exemple toute sa vie . Il étoit âgé de 72 ans.
--
Il existe en ce moment à Paris , rue de la Limace , nº 20 ,
un enfant de vingt-un mois , qui ne pèse que quatre livres ,
et qui n'a que trente -quatre centimètres ( dix -huit pouces
trois lignes ) de longueur ; il a six dents , dont quatre à la
mâchoire supérieure , deux à l'inférieure. Il est venu au terme
ordinaire de neuf mois. Le père et la mère sont forts et vigoureux.
Le père est porte-faix ; et la mère , qui est trèsbelle
femme , est blanchisseuse. Ils ont eu trois enfans avant
celui- ci , dont deux sont morts et un troisième existant , court
aussi , mais gros et ventru , âgé de quatre ans . Ils ont une fille
qui est en nourrice , et bien portante , venue depuis la naissance
de cet enfant , qui semble promettre une stature singulièrement
petite ; il est d'ailleurs bien proportionné , gai ,
viable ; il rit souvent , mais il n'articule aucun son . Ce fait ,
au reste , rentre dans l'ordre de ceux attestant les écarts particuliers
de la nature ; tel est celui de Nicolas Ferry, né dans les
Vosges , et connu depuis sous le nom de Bébé , ou le nain du
roi de Pologne, auquel il appartenoit en effet. Il n'avoit, quand
il vint au monde , que o mètre 2165 ( 8 pouces ) de long , et ne
pesoit que trois hectogrammes 6714 ( 12 onces ). On le porta
à l'église sur une assiette garnie de filasse : un sabot rembourré
lui servoit de berceau ; sa bouche trop petite ne pouvant admettre
le mamelon de sa mère , une chèvre y suppléa , et sembla
même la remplacer par son affection. Il parla à dix-huit
mois ; il marcha à deux ans , et ses premiers souliers avoient
dix-huit lignes de longueur. A sa mort , qui arriva à près de
vingt-trois ans , il avoit o mètre 8933 ( 35 pouces ) de haut.
Il n'avoit joui d'une bonne santé que jusqu'à quinze ans ; et
le peu de raison qu'il montroit ne s'élevoit pas au-dessus de
l'instinct de certains animaux bien dressés : il étoit venu à sept
mois. M. le comte de Tressan a donné l'histoire d'une famille
composée tour à tour de nains et d'individus d'une taille or—
dinaire l'ainé n'avoit que 34 pouces , le second 28 ; trois
MARS 1806 . 467
frères cadets , suivant à un an de distance , avoient chacun
cinq pieds et demi ; et le sixième enfant , qui étoit une fille ,
avoit 21 pouces. Elle étoit bien faite , jolie et spirituelle , ainsi
que ses frères ; le second sur-tout étoit remarquable par l'élégance
de sa taille , sa force et son esprit : il savoit très- bien
l'arithmétique , l'allemand et le français ; il se livroit avec
adresse à tous les exercices ; il étoit vif dans ses réparties ,
juste dans ses raisonnemens. Tous ces enfans étoient venus
à199 mois.
-
Depuis le 18 février jusqu'au 28 , le baromètre s'est élévé dans
son maximum à 28 p..61g. 6112 .
Il est descendu , dans son minimum å 28 p . 1 lig . 3/12 .
Le thermomètre de M. Chevallier ( dilatation ) s'est élevé dans son
maximun , à 10 degrés 5710 .
Id. , ( dilatation ) dans's n minimum , i deg. 8/ 1ỏ.
L'hygromètré a marqué , dans son maximum , 99 d.
Et, pour le minimum , 85.
-
La température que nous avons décrite il y a deux mois , continue
de dominer ; ainsi le régime alimentaire et médical , que nous avons tracé
à cette époque , a pu être à la fois curatif et préservatif ; si l'on excepte
une courte et vive gelée , le temps , loin de varier , depuis la mi -décembre
, n'a présenté qu'une température douce , molle et tiède : de lå
pluie , du vent , des brouillards , peu de soleil ; des catharres , des paralysics
, des apoplexies , des affections glandulaires , des diathèses scorbutiques
, quelques péripneumonies ; tel est en racourci le tableau de l'atmosphère
et des maladies . Si l'on a remarqué quelques fluxions de poitrine
très -aiguës , et d'une marche très- rapide , on a sur-tout observé
aussi que des phthisies pulmonaires , inactives depuis long-temps , cnt
éprouvé tout-à -coup une accélération très- prompte dans leur progression ;
et nous avons vu beaucoup de ces malades qui sembloient , sous la foi
d'un catharre chronique ou d'un asthme , avoir des droits à quelque longévité
, obéir subitement à l'influence de l'atmosphère , et perdre la vie
en très- peu de temps , si l'on n'a pas cu la précaution d'opérer aussitôt une
diversion humorale par l'application d'un vésicatoire ou d'un cautère :
d'autres ayant des engorgemens , soit des glandes mésentériques , soit
du foie , ont éprouvé une fonte colliquative qui les a rapidement entraînis
au tombeau. C'est ainsi que nous avons perdu l'auteur du Vieux
Célibataire , M. Collin d'Harleville . N'accusons de ces désordres que la
macération de la fibre dans un atmosphère humide , et concluons - en que
Gg 2
468 MERCURE
DE FRANCE
,
la médecine et la saine raison se sont accordées pour indiquer un régime
torique , tant alimentaire que médicamenteux .
-
er
( Gazette de Santé , du 1 mars. )
MODES du 5 février. Les fleurs à la mode sont des jacinthes sans
feuilles , ou un brin de lilas . Les touffes de ruhan , sur le devant des
chapeaux , n'offrent plus de pointes , mais des rosettes très- rapprochées.
L'écharpe a pour quelques dames tant de charmes , qu'en négligé , n'en
ayant point pour ceinture , elles en portent une autour de leur chapeau ,
dont les pointes , garnies de franges , viennent caresser leur joue gauche.
On parle , pour les jeunes gens , d'un projet d'écharpe : les habits seroient
à dos et pans carrés.
Les spencers sont en grande vogue. Un habit et une redingote ont la
taille très- étroite ; un spencer l'a fort large.
Aux diamans , aux antiques , aux perles , aux coquilles , il faut ajouter
un nouvel ajustement pour nos dames , c'est une garniture de mosaïques ,
rattachées par des serpens en or ; ces mosaïques représentent ordinairement
des oiseaux . On appelle un écrin complet en ce genre , une volière
de Clarisse.
NOUVELLES POLITIQUES.
Vienne , 17 février.
Voici la lettre que S. M. l'empereur a adressée à l'archiduc
Charles , en le nommant généralissime :
« Mon chère frère ,
"
» Après les malheureux événemens qui se sont passés en
dernier lieu , et la paix obtenue par de si grands sacrifices
il est d'une nécessité indispensable de mettre les forces militaires
de la monarchie dans un état qui réponde à la population
et à la situation des finances , qui se distingue par l'ordre
et la précision , et qui protège d'une manière assurée mes
pays héréditaires. Ma première démarche pour atteindre ce
but , est de vous mettre à la tête de toutes mes armées, en
qualité de généralissime. Lorsque les troupes sauront que ,
dans le cas où je serois forcé de nouveau à la guerre , elles
seront sous votre commandement, cette idée rappellera à ceux
qui ont déjà servi , la gloire qu'ils ont acquise sur le champ de
bataille , dans tant d'occasions , lorsque vous les commandiez ;
elle inspirera aux autres cette confiance dans les talens , la bravoure
et la prévoyance de leur général , qui conduit le plus
sûrement à la victoire. Avec la dignité de généralissime , je
MARS 1806 .
469
vous confere la direction de toutes mes forces militaires en
temps de paix , de manière que le conseil de guerre ainsi que
tous les employés seront sous vos ordres.
>> Je vous ferai connoître encore aujourd'hui ma volonté
d'une manière plus détaillée , par un billet de ma main , qui
déterminera la sphère d'activité qui vous sera particulière ,
ainsi que celle des autorités qui vous seront subordonnées.
J'attends en même temps de vos lumières et de votre zèle
infatigable la formation de plans d'amélioration , ainsi que
les soins les plus efficaces pour leur exécution .
» Vienne , le 10 février 1806. FRANÇOIS. >>
M. le général de Vincent est parti pour Paris ; il y gérera
les affaires de notre cour jusqu'à l'arrivée d'un ambassadeur
de S. M.
PARIS.
Message de Sa Majesté l'EMPEREUR et Roi , au Sénat
« Sénateurs ,
conservateur.
>> Voulant donner une preuve de l'affection que nous avons
pour la princesse Stéphanie, nièce de notre épouse bien- aimée,
nous l'avons fiancée avec le prince Charles , prince héréditaire
de Bade ; et nous avons jugé convenable , dans cette circons→
tance , d'adopter ladite princesse Stéphanie- Napoléon comme
no re fille. Cette union , résultat de l'amitié qui nous lie depuis
plusieurs années à l'électeur de Bade , nous a aussi paru
conforme à notre politique et au bien de nos peuples. Nos
départemens du Rhin verront avec plaisir une alliance qui
sera pour eux un nouveau motif de cultiver leurs relations de
commerce et de bon voisinage avec les sujets de l'électeur.
Les qualités distinguées du prince Charles de Bade , et l'affection
particulière qu'il nous a montrée dans toutes les circons
tances , nous sont un sûr garant du bonheur de notre fille.
Accoutumé à vous voir partager tout ce qui nous intéresse
nous avons pensé ne devoir pas tarder davantage à vous
donner connaissance d'une alliance qui nous est trèsagréable.
» Donné en notre palais des Tuileries , ce 4 mars 1806, »
Signé NAPOLEON.
>
Le sénat , délibérant sur la communication qui lui a été
faite au nom de S. M. l'EMPEREUR et Roi , par S. A. S. le
prince archi- chancelier de l'Empire , dans la séance d'hier ,
relativement à l'adoption de la princesse Stéphanie -Napoléon ,
nièce de S. M. l'Impératrice , et à l'alliance de S. A. I. avec
3
470 MERCURE DE FRANCE ;
le prince Charles , prince héréditaire de Bade , a arrêté qu'il
sera fait au message de S. M. la réponse dont suit la teneur :
«< Sire ,
>> Le sénat reçoit toujours avec une profonde sensibilité
tous les témoignages de la confiance de V. M. I. et R. L'objet
du message relatif à l'adoption de la princesse Stéphanie-Napoléon
et à son mariage avec le prince Charles de Bade , est
un nouveau monument de cette sagesse et de cette prévoyance
qui caractérisent toutes les actions et toutes les pensées de
V. M. Vos peuples , Sire , accoutumés à admirer en vous les
exploits du premier des héros , et les vues du plus grand des
politiques , aiment aussi à partager les sentimens et la joie du
meilleur des pères. Le sénat s'empresse d'offrir à V. M. I. et
R. ses félicitations respectueuses , et il est convaincu que ce
nouvel acte de votre gouvernement paternel , sera un sujet
d'alégresse commun aux deux , rives du fleuve célèbre qui ,
grace à V. M. , après avoir si long- temps séparé la France de la
Germanie , servira désormais à les réunir. »
Le 24 février , M. le maréchal Bernadotte a pris possession
du pays prussien d'Anspach ; S. Ex. a adressé , le même
jour , aux magistrats et aux habitans la proclamation suivante :
Au quartier-général d'Anspach , le 24 fevrier 1806,
En conséquence d'un traité conclu entre la France et la
Prusse , S. M. prussienne a consenti à céder Anspach au roi de
Bavière ; et l'occupation de ce pays, conformément audit traité,
doit être faite par les troupes françaises , au même moment
que les troupes de S. M. le roi de Prusse occuperont le Hanot
vre. Les Prussiens occupant cet électorat , j'ai l'ordre de mousouverain
de procéder à l'occupation d'Anspach. Les revenus
et les ressources du pays seront mis en séquestre pour l'entretien
des troupes qui l'occuperont pendant le temps qui sera
jugé nécessaire. L'armée dont le commandement m'est confié
observera une bonne discipline , et je ferai punir suivant la
rigueur des lois , tout militaire qui s'en écarteroit et qui troubleroit
la tranquillité des habitans. J'ai lieu d'espérer , de mon
côté, que les habitans d'Anspach accueilleront , comme ils le
doivent , les troupes sous mes ordres.
Le maréchal d'Empire , J. BERnadotte.
Le prince Joseph est entré à Naples le 15 février à deux
heures après midi. Il est descendu au palais royal. Il a reçu la
visite des autorités. Il a été satisfait de l'accueil et des sentimens
que le public a manifestés , malgré la crainte qu'on a du
retour de la reine de Naples. Cette femme vindicative , et qui
a fait couler tant de sang , y est excessivement haïe et redoutée.
Le lendemain , le prince a fait afficher la proclamation
"
MARS 1806 .
471
1
de l'EMPEREUR , datée de Schoenbrünn . Cette garantie a fait le
plus grand plaisir a Naples. On sait que l'EMPEREUR n'a jamais
trahi la confiance des peuples. Ainsi , lorsqu'il prévit que les
événemens et la politique l'obligeroient à abandonner Venise ,
il se tint éloigné et ne voulut jamais y entrer ; mais aujourd'hui
que Venise est pour jamais réunie aux états féderatifs de
l'Empire , il s'y rendra à son premier voyage. C'est ainsi qu'à
Vienne , voulant faire la paix avec l'empereur , et non renver
ser l'ancienne monarchie , il écarta les hommes exaltés , et
contint tous ceux dont les sentimens étoient opposés à la race
régnante. Par sa proclamation , il garantit aujourdhui aux
Napolitains leur avenir ; il leur garantit que jamais la maison
de Naples ne régnera sur ce beau royaume. Cette déclaration a
rassuré les plus timides. La reine de Naples avoit tout einporté
, non-seulement les propriétés royales , mais encore ce!-
les des particuliers ; elle a enlevé 10 millions de la banqué , et
ruiné la plupart des familles de Naples. Une frégate , un brick
et quinze bâtimens de transport , chargés de meubles , de fusils ,
etc. etc. , ont été obligés , par la violence des vents , de venir
mouiller sous les batteries des côtes. Ils ont amené , et se sont
rendus aux Français.
Le 16 au matin , jour de dimanche , le prince Joseph est
allé à la messe , qui a été célébrée par le cardinal Ruffo , archevêque
de Naples. Il a fait présent à saint Janvier d'un beau
collier de diamans. Cette cérémonie a excité une vive joie
parmi cette population , qui a la plus grande vénération pour
ce saint.
L'armée française a encore trouvé dans l'arsenal plus de
200 pièces de canon et 200 milliers de poudre.
Une fregate que montoit la reine de Naples a été considérablement
maltraité par la tempête.
L'armée française est en grande marche pour la Calabre.
(Moniteur. )
- Dans une dépêche datée de la rade Simonsbaye , le
3° jour complémentaire de l'an 13 , le contre-amiral Linois
informe S. Ex. le ministre de la marine , qu'ayant appareillé
de l'Isle-de-France , le 2 prairial de la même année , avec
le Marengo et la frégate la Belle-Poule seulement , il a fait
dans les mers des Indes une croisière de 114 jours , dont le
résultat a été la perte pour les Anglais de deux forts vaisseaux
de la compagnie des Indes , dont l'un a été pris , et l'autre
forcé de s'échouer. Le bâtiment perdu est le contre- ship la
Sarah , de 1000 tonneaux , armé de 30 canons ou caronades ,
chargé de coton , parti de Bombay pour la Chine. Lė vaisseau
pris est le Brunswick , du port de 1200 tonneaux , chargé de
1
4.
472 MERCURE DE FRANCE ,
4762 balles de coton , de bois de Sandal , etc. Il venoit aussi
de Bombay, et se rendoit en Chine.
Le 18 thermidor , le contre- amiral soutint contre des forces
très-supérieures un combat d'autant plus glorieux qu'il n'eut
que 8 hommes blessés , et que l'ennemi souffrit beaucoup. Les
forces anglaises consistoient en un vaisseau de 74 , six bâtimens
armés à deux batteries , et quatre autres qui n'en avoient
qu'une , et il n'avoit à leur opposer qu'un vaisseau de même
force et une frégate . Néanmoins , il continua de manoeuvrer
pendant deux jours pour harceler l'ennemi , et chercher à atteindre
les bâtimens qui se sépareroient ; mais la grosseur de
la mer, et la fréquence des bourrasques , le contrarièrent cons
tamment. Comme ses provisions d'eau étoient totalement épuisées
, il fut contraint de faire route pour le Cap .
le
Dans sa séance du 3 mars , le tribunat a arrêté qu'il
-seroit fait une adresse à l'EMPEREUR , relativement au discours
prononcé hier par S. M. à l'ouverture de la session du corps
législatif , et que cette adresse seroit portée à S. M. I. par
tribunat en corps. Les membres qui forment la commission ,
nommée pour la rédaction de cette adresse , sont MM . Delaistre,
Gallois, Dacier, Gilet-la-Jacqueminière , Chabot ( de l'Allier ),
Chassiron et Duveyrier.
-La gazette de Gênes , du 22 février , contient un décret ,
de S. M. Ï. , rendu au palais des Tuileries le o du même,
mois , par lequel les pouvoirs extraordinaires accordés à l'archi-
trésorier de l'Empire sont rapportés. S. A. continuera de
rester à Gênes avec les mêmes pouvoirs dont jouit S. A. I. le
prince Louis comme gouverneur de la 27 ° division militaire .
Les habitans de Gênes se félicitent de cette mesure , et expriment
le regret qu'ils auroient eu si la paix , en consolidant leur
réunion , les avoit privés de l'administrateur auquel ils doivent
l'organisation qui les assimile aux autres départemens de l'Empire
français.
-
Le Code Napoléon sera mis en vigueur dans les pays
vénitiens , au 1 avril prochain.
-
•
Le prince électoral de Bade est arrivé à Paris le 2 mars
à dix heures du soir. Il est descendu au palais des Tuileries .
Il a été présenté le lendemain à l'EMPEREUR et à l'Impératrice,
et a dîné avec Leurs Majestés. S. A. S. électorale est accompagnée
de MM. le colonel de Roder , chambellan ; le capitaine
de Grosseman , aide-de-camp , et le référendaire intime
Klüber.
— Par décret du 28 février , S. M. a nommé membres du
chapitre de Saint - Denis : MM. Dumoustier de Merinville ,
ci-devant évêque de Chambéry ; Chabot , ci - devant évêque
MARS 1806 .
473
de Mende ; Bexon , ci- devant évêque de Namur ; André ,
ci-devant évêque de Quimper ; et de Girac , ancien évêque
de Rennes.
-- Il sera établi à l'école polytechnique une chaire de
grammaire et belles- lettres. M. Andrieux , membre de l'Institut
, est nommé instituteur pour cette chaire.
M. Poisson est nommé à l'une des places d'instituteur
d'analyse , vacante à l'école polytechnique , par la démission
de M. Fourrier , préfet du département de l'Isère .
-Les administrateurs- généraux des poudres et salpêtres de
l'Empire pourront désormais autoriser la mise en jugement
des préposés qui leur sont subordonnés , sans qu'il soit besoin'
de recourir au conseil d'état.
ет
-- A dater du 1 janvier 1807 , les religieux et religieuses
des états de Parme et de Plaisance jouiront de la même pension
qui a été accordée par le décret du 28 thermidor an 10,'
aux religieux et religieuses des départemens du Pô , de Marengo
, de la Doire , de la Sesia , de la Stura et du Tanaro .
Par décret du 28 février , les tabacs en feuilles venant de
l'étranger , sur bâtimens français , ne paieront que 180 francs
par quintal décimal .
--
l'ar décret du 4 mars , il será perçu aux entrées de Paris
les taxes ci-après sur les boissons qui y arriveront , savoir :
vins et vinaigres et lies claires , 16 fr. 50 cent. pr hectolitre
bierre , à l'entrée , 5 fr.; cidres ou poirées , à l'entrée , 5 fr.
Ces produits seront affectés aux travaux du pavé et autres de
la ville de Paris.
―
Un décret du même jour ordonne ce qui suit :
Les droits d'entrée seront , à compter de la publication du
présent décret , perçus sur les marchandises désignées en l'ar
ticle suivant , conformément au tarif y porté : Cacao , 200 fr.
par quintal métrique; cacao venant des colonies françaises, pour
droit d'entrée , 6 fr. , et pour droit de consommation , 169 fr .
Café , 150 fr.; café venant des colonies françaises , pour
droit d'entrée, fr. , et pour droit de consommation , 119 fr.
Poivre , 150 fr.; idem venant des colonies françaises , 155 fr .
Sucre brut , 55 fr .; idem venant des colonies françaises ,
45 fr. Sucre tête et terré , 100 fr.; idem venant des colonies
françaises , 80 fr. - Thé , de quelque pays qu'il vienne , 3 fr.
par kilogramme,
Plus un droit additionnel de 10 pour 100 de la valeur.
Le3 de ce mois la cour de justice criminelle de Paris a jugé
l'affaire des héritiers du duc de Looz ; elle a condamné les
nommés Flachat et Charpentier , comme coupables d'escroquerie
, le premier à une année d'emprisonnement et 2000 fr ,
4
:
474 MERCURE DE FRANCE ,
d'amende ; l'autre , à six mois et à 1000 fr. Elle a acquitté de
toute accusation les sieurs Novaro et Cavelier , et a " par son
arrêt , déclaré nuls et frauduleux les actes passés à Rhena le 5
mars 1803.
CORPS LÉGISLATIF.
Session de 1806. - Dimanche 2 mars.
L'ouverture du corps législatif s'est faite aujourd'hui avec
le plus grand éclat. A midi un quart , l'Empereur est sorti de
son palais , a traversé le jardin des Tuileries , et s'est rendu au
palais du corps législatif dans l'ordre indiqué par le cérémonial.
Après s'être reposée pendant environ 20 minutes dans les
appartemens du président , S. M. , précédée de la députation
des membres du corps législatif, qui étoit allée la recevoir aux
portes extérieures du palais , est entrée dans la salle des délibérations
, aux acclamations des spectateurs qui remplissoient
les tribunes. L'EMPEREUR a pris place sur son trône. Après les
premiers momens d'enthousiasme , le prince archichancelier
de l'empire , s'avançant au bas des cinq marches du trône , demande
à S. M. la permission de lui présenter successivement
les membres du corps législatif nouvellement élus , et de les
admettre à prêter serment . Un questeur fait l'appel des nouveaux
membres , qui montent sur une tribune placée au milieu
du parquet , et y prononcent le serment ainsi conçu : Je jure
obéissance aux constitutions de l'Empire , et fidélité à
l'Empereur.
L'appel terminé , et tous les membres ayant prêté le serment
, l'EMPEREUR se lève et prononce le discours suivant.
« Messieurs les députés des départemens au corps législatif ,
messieurs les tribuns , et les membres de mon conseil d'état ,
depuis votre dernière session , la plus grande partie de l'Europe
s'est coalisée avec l'Angleterre. Mes armées n'ont cessé de
vaincre que lorsque je leur ai ordonné de ne plus combattre.
J'ai vengé les droits des états foibles , opprimés par les forts.
Mes alliés ont augmenté en puissance et en considération ; mes
ennemis ont été humiliés et confondus ; la maison de Naples
a perdu sa couronne sans retour ; la presqu'île de l'Italie toute
entière fait partie du grand Empire. J'ai garanti , comme chef
suprême , les souverains et les constitutions qui en gouvernent
les différentes parties.
>> La Russie ne doit le retour des débris de son armée ,
qu
'au bienfait de la capitulation que je lui ai accordée. Maître
de renverser le trône impérial d'Autriche , je l'ai raffermi. La
MARS 1806.
475
conduite du cabinet de Vienne sera telle , que la postérité ne
ine reprochera pas d'avoir manqué de prévoyance. J'ai ajouté
une entière confiance aux protestations qui m'ont été faites
par son souverain. D'ailleurs , les hautes destinées de ma couronne
ne dépendent pas des sentiniens et des dispositions des
cours étrangères . Mon peuple maintiendra toujours ce trône à
l'abri des efforts de la haine et de la jalousie ; aucun sacrifice
ne lui sera pénible pour assurer ce premier intérêt de la
patrie.
>> Nourri dans les camps , et dans des camps toujours triomphans
, je dois dire cependant que, dans ces dernières circonstances
, mes soldats ont surpassé mon attente ; mais il m'est
doux de déclarer aussi que mon peuple a rempli tous ses devoirs.
Au fond de la Moravie , je n'ai pas cessé un instant d'éprouver
les effets de son amour et de son enthousiasme. Jamais
il ne m'en a donné des marques qui aient pénétré mon coeur
de plus douces émotions. Français ! je n'ai pas été trompé dans
mon espérance. Votre amour , plus que l'étendue et la richesse
de votre territoire , fait ma gloire. Magistrats , prêtres ,
citoyens , tous se sont montrés dignes des hautes destinées de
cette belle France , qui depuis deux siècles est l'objet des
ligues et de la jalousie de ses voisins.
» Mon ministre de l'intérieur vous fera connoître les événemens
qui se sont passés dans le cours de l'année . Mon conseil
d'état vous présentera des projets de lois pour améliorer les
différentes branches de l'administration. Mes ministres des
finances et du trésor public vous communiqueront les comptes
qu'ils m'ont rendus , vous y verrez l'état prospère de nos
finances. Depuis mon retour , je me suis occupé sans relâche
de rendre à l'administration ce ressort et cette activité qui
portent la vie jusqu'aux extrémités de ce vaste Empire. Mon
peuple ne supportera pas de nouvelles charges , mais il vous
sera proposé de nouveaux développemens au système des
finances , dont les bases ont été posées l'année dernière. J'ai
l'intention de diminuer les impositions directes qui pèsent uni-'
quement sur le territoire , en remplaçant une partie de ces
charges par des perceptions indirectes .
>>Les tempêtes nous ont fait perdre quelques vaisseaux après
un combat imprudemment engagé. Je ne saurois trop me louer
de la grandeur d'ame et de l'attachement que le roi d'Espagne
a montrés dans ces circonstances pour la cause commune. Je
desire la paix avec l'Angleterre. De mon côté , je n'en retarderai
jamais le moment. Je serai toujours prêt à la conclure ,
en prenant pour base les stipulations du traité d'Amiens,
Messieurs les députés du corps législatif, l'attachement que
476 MERCURE DE FRANCE ,
vous m'avez montré , la manière dont vous m'avez secondé
dans les dernières sessions ne me laisse point de doute sur
votre assistance . Rien ne vous sera proposé qui ne soit nécessaire
pour garantir la gloire et la sûreté de mes peuples. »
N B. L'Impératrice assistoit à cette séance , dans une tribune
richement décorée , vis-à-vis le trône de l'EMPEREUR..
Elle avoit à sa droite , les princesses Murat et Louis ; à sa gauche
, le jeune prince royale de Bavière ; les dames d'honneur
étoient rangées en cercle au fond de la tribune. L'EMPEREUR
et l'Impératrice sont sortis en même temps , et ont recueilli
partout sur leur passage les témoignages les plus éclatans.
d'amour et de respect.
Séance du 4.
-Le corps législatif a nommé quatre vice - présidens ce
sont MM. Golzard , Reynaud-Lascours, Noguez et Beauchamp .
Séance du 5.
Son Excellence le ministre de l'intérieur , accompagné des
conseillers d'état Bigot-de-Préameneu et Cretet , fait l'exposé
de la situation de l'Empire. Après avoir d'abord appelé l'attention
de l'assemblée sur les derniers travaux de S. M. , qui
sont pour l'Europe un sujet d'étonnement , pour la France un
sujet d'admiration et d'amour , l'orateur trace le tableau de la
situation intérieure de l'Empire , à partir des derniers momens
de la précédente session , jusqu'au premier jour de la session .
actuelle.
La généralité des citoyens oc cupés aux travaux qui leur sont
offerts en tout genre , les magistrats voués à leurs importans
devoirs , des entrepôts établis sur divers points de l'Empire ,
des routes percées à travers les Alpes , les Apennins ; des lois
heureusement imposées à la nature pour faciliter les communications
entre les départemens et les peuples voisins , des marais
desséchés , des ponts les plus hardis, jetés sur les fleuves ;
des moles , des jetées , établis dans divers ports; un monument
qui s'élève dans la plaine de Marengo ; un lycée , un évêché ,
des tribunaux fondés dans la ville de Turin , le vou de Gênes
réalisé , des distinctions flatteuses accordées à ses principaux.
habitans ; Parme , Plaisance jouissant d'un code de loi et
d'un système d'administration assortis aux lumières du
siècle une insurrection , excitée sur les prétextes les .
plus frivoles , étouffée par des mesures aussi sages que rapides
; l'Italie se reposant de ses longues agitations dans le
calme de la monarchie ; les projets contre l'Angleterre suspendus
un moment pour dissiper la ligue excitée par elle ;
l'armée s'élançant des bords de la Manche aux rives du Rhin ,
paroissant presqu'au même moment à Ulm , à Vienne , à
9
MARS 1806. 477
"
Austerlitz , revenant en ce moment aux lieux qu'elle á quittés
il y a quelques mois , et devenue un nouvel objet de
terreur pour l'Angleterre ; l'EMPEREUR alliant au soin de
venger par les armes la gloire de son peuple , au soin de
consolider sa félicité intérieure par ses décrets datés d'Ulm ,
de Munich , de Schoemberg , de Brunn , d'Austerlitz ; le peuple
de Paris et de la France entière , se montrant jaloux d'obéir
aux lois du souverain absent , et de suppléer pour le maintien
du bon ordre , les troupes parties pour le défendre ,
le dévouement des conscrits , leur crainte d'arriver sur le
théâtre de la guerre trop tard pour en partager les
dangers et la gloire ; les monarques vaincus , traités avec générosité
et modération la puissance de nos fidèles alliés
augmentée ; l'Italie , cette noble fille de la France , recueil-
Fant les plus précieux fruits de la guerre , la paix assurée
aux paisibles habitans des montagnes du Tyrol , le souvenir
affectueux du monarque pour sa bonne ville de Paris , la
cathédrale de la capitale remplie et décorée d'enseignes offertes
au peuple qui se préparoit à seconder son EMPEREUR ,
le peuple de Paris se préparant à célébrer la gloire des armées
françaises par une fête triomphale ..... ; les compagnies de
réserve se formant au métier de la guerre en la faisant aux
brigands de l'intérieur ; le mont Genève ouvrant dans son
sein une communication abrégée entre l'Espagne et l'Italie
le canal Napoléon unissant le Rhin au Rhône , quantité
d'autres canaux multipliant des débouchés pour les produits
de l'agriculture , de l'industrie et du commerce.
Des ports militaires creusés et fortifiés, entr'autres le port de
Bonaparte , qui sera sur la Manche la terreur de l'Angleterre ,
trois lignes télégraphiques établies , des récompenses accordées
aux ingénieurs qui ont fait preuve de zèle et de talent , Napoléon-
Ville ( dans la Vendée ) présageant à sa naissance les
hautes destinées attachées à son nom , la capitale plus embellie
en une année qu'elle le fut dans un demi-siècle , un
nouveau quartier se composant d'édifices élevés sur des dessins
uniformes , destinés à le décorer , un' pont jeté à l'autre,
extrémité de Paris , et portant le nom d'Austerlitz ,
comptabilité régularisée , le Mont - de- Piété sauvant le
de l'usure dévorante , les prisonniers de guerre secourus moitié
par l'assistance du gouvernement , moitié par la bienfaisance
individuelle , le calendrier de la révolution sacrifié à
l'ancien calendrier plus favorable aux relations commerciales
et politiques des autres peuples , l'institution de l'uniformité
des poids et mesures conservée pour l'intérêt du commerce
général , les harras acquérant de nouvelles ressources
•
la
478 MERCURE DE FRANCE ,
de la rétrocession de leurs terrains , le Dictionnaire de l'Aca⭑
démie achevé , et devenant un des monumens du siècle de
Napoléon , l'école polytechnique remplissant sa brillante destination
, l'école militaire de Fontainebleau parée de quelquesuns
des lauriers cueillis en Allemagne , l'heureux effet des lois
sur les douanes protégeant nos manufactures , nos flottilles conservées
intactes , notre marine redoublant d'ardeur , et brûlant
du desir de réparer les pertes de quelques vaisseaux , les côtes
de la Manche se recouvrant des bataillons vainqueurs à Austerlitz
, l'empereur d'Autriche soumis au besoin de la paix
le sentiment de sa conservation , l'intention de la France
de profiter des moyens qui la rapprochent de l'empire ottoman
pour le soutenir , et faire respecter l'indépendance de cet
ancien allié , bien loin d'y porter atteinte , comme la jalousie
de nos ennemis nous en suppose le projet ridicule : tels
sont les principaux traits du grand tableau présenté par
S. Ex. le ministre de l'intérieur.
par
M. le président répond : M. le ministre de l'intérieur et
MM . les conseillers d'état , la présence et les paroles de
l'EMPEREUR avoient laissé dans ces lieux des impressions profondes
qui se réveillent quand vous nous parlez de lui. Nous
devions être accoutumés aux prodiges ; mais les derniers exploits
du vainqueur d'Austerlitz ont pourtant surpris ceux qui
l'admiroient le plus , comme s'ils ne le connoissoient pas encore.
Il ne fut donné qu'à lui de renouveler toujours l'admiration
qui sembloit être épuisée . Mais tant de triomphes
ne sont aujourd'hui qu'une partie de sa gloire .
&
L'homme devant qui l'Univers se tait , est aussi l'homme
en qui l'Univers se confie. Il est à la fois la terreur et l'espérance
des peuples. Il n'est pas venu pour détruire , mais
pour réparer. Au milieu de tant d'états où la vigueur manquoit
à tous les conseils et la prévoyance à tous les desseins , il a
montré tout-à-coup ce que peut un grand caractère ; il a
rendu à l'histoire moderne l'intérêt de l'histoire ancienne, et ces
spectacles extraordinaires que notre foiblesse ne pouvoit plus
concevoir. Dès les que sages le virent paroître sur la scène du
monde , ils reconnurent en lui tous les signes de la domination
, et prévirent que son nom marqueroit une nouvelle
époque de la société. Ils se gardèrent bien d'attribuer à la
seule fortune cette élévation préparée par tant de victoires
et soutenue par une si haute politique. La fortune est d'ordinaire
plus capricieuse ; elle n'obéit si long- temps qu'aux
génies supérieurs . Qui ne reconnoît l'ascendant de celui qui
nous gouverne ? Puissent les exemples qu'il donne à l'Europe
n'être pas perdus , et que tout ce qu'il y a de gouvernemen
MARS 1806 . 479
éclairés sur leurs véritables intérêts se réunisse autour du sien ,
comme autour d'un centre nécessaire à l'équilibre et au repos
général!
Mais quelle que soit au-dehors la renommée de nos armes
et l'influence de notre politique , le corps législatif craindroi
presque de s'en féliciter , si la prospérité intérieure n'en étoit
pas la suite nécessaire. Notre voeu le plus cher est pour le peuplet
nous devons lui souhaiter le bonheur avant la gloire. Ce voeu
qui est la première pensée de l'EMPEREUR , sera rempli. Nous
en avons pour garant ses promesses , dont nous voyons déjà
l'accomplissement dans le tableau que vous avez développé.
Le système des finances va devenir plus simple , le revenu
public s'accroîtra , et le peuple sera soulagé. Le même esprit
anime tout ; et lorsque nous entendions rappeler tant de travaux
prequ'aussitôt achevés qu'entrepris , les canaux ouverts dans
les campagnes , les chemins tracés sur les sommets des Alpes ,
les hospices enrichis par l'économie et la probité , les temples
réparés , les villes embelliés , chacun de nous songeoit au ministre
digne de concourir , par ses lumières et son zèle , aux
bienfaits d'une administration si sage et si puissante.
le
M. le ministre de l'intérieur , MM . les conseillers d'état ,
corps législatif vous donne acte de l'exposé que vous venez
de lui faire. Il se formera en comité général pour s'occuper
de cette communication.
Le corps législatif ordonne l'impression à six exemplaires
de l'exposé de M. Champagny et de la réponse de M. le président.
Après ce discours , M. Sapey de la Tour- du-Pin a demandé
qu'une députation se rendit auprès de S. M. pour lui témoi
gner la reconnoissance du corps législatif pour le don qu'Elle
lui a fait des drapeaux conquis à la bataille d'Austerlitz, et lui
exprimer les sentimens du peuple français pour son libérateur
et son monarque. La proposition de M. Sapey est adoptée
à l'unanimité. Nous regrettons de ne pouvoir citer le discours
de cet orateur et celui prononcé par M. Janet ( du Jura. )
Dans l'un et l'autre on trouve cette éloquence qui tient à la
conviction , et cette simplicité à laquelle on est réduit lorsqu'il
faut parler d'actions si grandes qu'il suffit de les rappeler
pour exciter l'enthousiasme et la reconnoissance.
Séance du & mars.
Les orateurs du conseil d'état , MM. Regnault ( de Saint-
Jean -d'Angely ) et Deleau , communiquent au corps législatif
l'acte de réunion de la république ligurienne à l'Empire
français , ainsi que le sénatus- consulte qui a nommé pour
l'année 1806 'seulement , les députés de Gênes , de Montenotte
et des Apennins. M. Regnault fait précéder cette commun480
MERCURE DE FRANCE ,
cation d'un discours dans lequel il expose les causes , les
circonstances et les résultats de la réunion de Gênes.
MM. Bonnot , Blanc , Soret et Gauthier , sont nommés
secrétaires du corps législatif.
Seance du 7. 2.
M. le conseiller d'état Pelet ( de la Lozère ) présente un
projet de loi dont voici les dispositions :
Les propriétaires de la ville de Mayence , département du
Mont-Tonnerre , et les villages de la banlieue , appelés Weisseneau
, Lanbenheim , Bodenheim , Zalboch , Bretzenheim ,
Gunzenheim , Monbach et Marienborn , dont les maisons ont
été détruites par l'effet de la guerre , et qui les ont fait ou
feront rebâtir , seront exempts de toute contribution foncière
sur ces maisons pendant dix ans. Pour jouir de cette exemp
tion , chaque propriétaire sera tenu de justifier , avant la fin
de l'an XIV, que son bâtiment est élevé de deux mètres , au
moins , au-dessus du sol .
M. le conseiller d'état Begouen succède à son collègue , et
présente aussi un projet de loi tendant à accorder la même
exemption aux propriétaires de la commune d'Argentone
Château ( Deux -Sèvres ) , dont les maisons ont été détruites
par la guerre civile , et qui les feront rebâtir.
MM . Pelet et Bégotten , en exprimant les motifs de ces deux
projets , ont particulièrement fait observer que ces deux
villes se sont attiré leurs désastres par l'attachement qu'elles
ont montré à la cause commune , qu'il est juste qu'elles en
reçoivent pour récompense une indemnité flatteuse dans l'im
manité demandée en leur nom ; qu'il est même intéressantque
l'étranger , on mettant le pied sur le sol français , auxportes
de Mayence , n'y rencontre plus de décombres ; que
l'image des tombeaux cesse d'attrister même les lieux les plus
obscurs de l'Empire , et qu'Argenton brille aussi de l'éclat du
règne de Napoléon . Ces deux projets de loi seront adressés au
tribunat , et seront discutés le 17.
La fin de la séance est consacrée à un scrutin secret pour
l'élection de deux membres de la questure , en remplacement
de MM. Terrasson et Delaitre , dont les fonctions ont cessé
cette année. M. Despalières ayant seul réuni la majorité
absolue , est proclamé membre de la questure. L'élection de
l'autre est remise à demain.
Le corps législatif transmet, selon l'usage , la liste des
membres qu'il a perdus , dans la dernière session , soit për
nort , soit par démission. La voici : MM . Chirmer , Manière ,
Catouard et Brelivet , décédés , et Maquer , démissionnaire .
Demain des orateurs du gouvernement viendront proposer
un projet de loi.
( N° CCXLIII. )
( SAMEDI 15 MARS 1806. )
cen
MERCURE
DE FRANCE.
POÉS I E.
FRAGMENT
DU VIII CHANT DU POEME DE L'IMAGINATION,
IES climats même , enfin , ont aussi leur puissance .
L'habitant des rochers ou des marais fangeux ,
Sur les monts , dans les eaux pense trouver ses dieux ;
Mais sous un ciel plus pur les fils des Zoroastres
Adorent à genoux le roi brillant des astres.
Que dis-je ? O dieu du jour , est- il quelques mortels
Qui ne t'aient consacré des temples , des autels ?
La Perse t'encensa , le Tartare t'adore
Ton triomphe commence où commence l'aurore ,
Et s'étend aux lieux même où ton char n'atteint pas
Le Sarmate t'invoque au milieu des frimas ;
Et , t'adressant de loin son cantique sauvage ,
Le Lapon tout transi t'offre aussi son hommage,
Ainsi , des noirs frimas au ciel le plus ardent ,
Et du berceau du jour aux portes d'occident ,
Loué par le regret ou la reconnoissance ,
Tout bénit tes bienfaits ou pleure ton absence.
Ah , si l'homme est coupable en adorant tes feux,
Tes éternels bienfaits deinandent grace aux eieux !
Eh , qui méritoit mieux d'usurper notre hommage,
Que cet astre , des Dieux la plus brillante image,
Qui dispense les ans , la vie et les couleurs ,
Enfante les moissons , murit l'or, peint les fleurs ,
Hh
482 MERCURE DE FRANCE ,
* Jusqu'aux antres profonds fait sentir sa puissance ,
Revêt les vastes cieux de sa magnificence ,
De saison en saison conduit le char du jour,
Nous attriste en partant , nous charme à son retour,
Eclaire , échauffe , anime , embellit et féconde ,
Et semble en se montrant réproduire le monde ?
Ame de l'univers , source immense de feu ,
Ah , sois toujours son roi , sí tu n'es plus son dieu !
Plaisirs , talens , vertus , tout s'allume à ta flamme :
Le jeune homme te doit les doux transports de l'ame ,
Et le vieillard dans toi voit son dernier ami.
Eh bien , astre puissant, contre l'âge ennemi ,
Protège donc mes vers , et défends ton poète !
Verse eucor, verse-moi cette flamme secrète ,
Le plus pur de tes feux , le plus beau de tes dons ;
Encore une étineelle , encor quelques rayons ;
Et que mes derniers vers pleins des feux du jeune âge,
De ton couchant pompeux soient la brillante image.
J. DELILLE.
ODE SUR LA VIEILLESSE.
QUE Minos jette dans son urne
Les noms des vulgaires mortels;
Muses , vos fils bravent Saturne
A l'ombre de vos saints autels !
En vain s'échappe la jeunesse ;
Mon ame trompe la vieillesse ,
Ma pensée est à son printemps :
Sa fleur ne peut m'être ravie;
Et même, en exhalant ma vie,
Je ne meurs point : je sors du temps.
La nuit jalouse et passagère
Dont la Parque ombrage nos yeux ,
N'est qu'une éclipse mensongère
D'où l'esprit sort plus radieux .
Ainsi la nymphe , transformée
En chrysalide inanimée
Que voilent de sombres couleurs ,
Prépare ses brillantes ailes ,
Et ce front paré d'étincelles
Qu'adore la reine des fleurs,
MARS 1806. 483
Ce vieillard qui charmoit la Grèce ,
Cet Anacréon si vanté,
Dans la coupe de l'alégresse
Sut boire l'immortalité ;
Jeune de verve et de pensée,
Sa vieillesse füt caressée
Par les Muses et les Amours ;
Son hiver eut des fleurs écloses ,
Son front se couronna de roses ;
Et ces roses vivent toujours.
Mais du chantre heureux de Bathylle
La verte et brillante saison
Ne fut qu'une suite stérile
De printemps obscurs et sans nom .
Lui-même voilà son jeune âge,
Sûr de l'immortel badinage
Dont il ménageoit le flambeau :
Il a reculé sa mémoire ,
Et sembla nattre pour la gloire
Aux portes mêmes du tombeau.
Telle, quand la prodigue Florè
A vu flétrir ses doux présens,
Dons stériles qu'en vain l'Aurore
Humeatoit de pleurs bienfaisans ,
La sage et tardive Pomone
Ose confier à l'Automne ,
Voisin des farouches hivers ,
Ces fruits dont la riche corbeille
Brave les larcins de l'abeille ,
Et le souffle glacé des airs.
.
"
Ou tel , des grappes colorées
Le feu liquide et pétillant
Vieillit , loin des coupés dorées,
Au sein pur d'un cristal brillant.
Loin que son âge le consume ,
Riche du temps qui le parfume
Il devient ce jus précieux ,
Cette liqueur à qui tout cède ,
Même celle que Ganymède
Versoit à la table des Dieux.
M. LE BRUN, membre de l'Institut.
Hh 2
184 MERCURE
DE FRANCE
,
ENIGM E.
POUR me loger je n'ai besoin d'autrui :
Aussi , chez moi je ne souffre personne ;
Et sous mon toit si quelqu'un s'introduit ,
C'est quand j'y meurs , ou quand je l'abandonne .
Dans ce solide et singulier abri ,
Je brave tout, vent , frimas , pluie et grêle;
A me fermer , si le froid me réduit ,
Jusqu'au retour de la saison nouvelle ,
Sans art , sans peine , et sans aucun apprêt ,
Tout simplement je clos ma solitude ;
Et là, je prends , exempt de tout regret ,
Du jeûne et du repos l'économe habitude.
LOGOGRIP HE.
JE disposois jadis de la nature entière ,
Et j'inspirai long-temps le respect et l'effroi ;
Mais aujourd'hui , lecteur, plains -moi ,
Je ne puis renverser la plus foible chaumière.
Pris en détail , mes huit pieds te font voir
Une ville aux confins d'Italie et de France ;
Chez les Orientaux un homme de savoir ;
D'un marchand le flatteur espoir ;
L'objet dont un amant desire la présence ; ·
Une prison ; ce qui fait ma puissance ;
Et ce qu'on tend pour recevoir.
CHARADE.
VERS soixante ans on devient mon premier :
Il n'est plus alors d'espérance
Que l'on obtienne mon dernier ,
A moins que ce ne soit de la reconnoissance ;
Mais pour celui qu'un tendre sentiment
Place sur des lèvres de rose ,
Il est fait pour le jeune amant ,
Pour qui le coeur parle et dispose.
Les enfans de mon tout , dans les airs, emportés,
Restent collés au sein dont ils sont allaités.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Cartouche ,
Celui du Logogriphe est Fantasmagorie , formant un acrostiche.
Celui de la Charade est Sou-ris.
MARS 1806. 485
La Navigation , poëme ; par J. Esménard. - Seconde
édition en un seul volume , où les VIII chants de la
première édition en deux volumes sont réduits en
VI chants. Volume in-8° . pap . fin , 2 figures ;
prix : 6 fr. Le même , pap. vélin superfin , 14 fr.
A Paris , chez Giguet et Michaud, libraires , rue des
Bons - Enfans ; et chez le Normant, rue des Prêtres
Saint-Germain- l'Auxerrois , nº 17%
СЕТ
ET ouvrage parut pour la première fois il y a environ
un an, et il annonça au public un poète qui promettoit
encore de beaux jours aux lettres françaises.
Des critiques éclairés élevèrent différentes objectionssur
la marche générale du poëme , mais s'accordèrent
tous à louer les nombreuses beautés dont il brilloit dans .
ses détails ; et pour que l'auteur n'eût rien à desirer ,
des épigrammes , des satires et des injures vinrent
l'avertir que l'impuissante médiocrité prenoit déja
ombrage de ses succès. Des hommes qui , s'il leur
restoit quelque pudeur , au lieu de faire ressouvenir
de leur existence par des satires , s'applaudiroient de
partager l'oubli où leurs ouvrages sont tombés , s'efforcèrent
de rabaisser un talent qu'ils ne pouvoient
égaler . Tel est l'accueil réservé à ceux que de rares
dispositions et un desir de gloire qui les accompagne
presque toujours entrainent dans la carrière orageuse
des lettres des spectateurs attentifs observent tous
leurs mouvemens ; les uns pour éclairer leur marche ,
les autres pour les décourager dès leurs premiers pas..
Toutefois une réflexion autorisée par une constante
expérience , doit les rassurer une critique juste et
lumineuse peut influer utilement sur l'opinion du
public , l'empêcher de s'égarer , håter en un mot le
jugement sans appel que le temps ne manque jamais
de prononcer ; une critique passionnée retardera
3
486 MERCURE DE FRANCE ,
à l'anéantin succès mérité , mais ne réussira jamais
à l'anéantir ; et il est aussi impossible à l'esprit de
parti de faire tomber dans l'oubli un bon ouvrage ,
que d'en soutenir un mauvais. Les exemples ne manqueroient
pas à l'appui de cette assertion. Quand le
grand poète qui , dans ce temps de stérilité , soutient
presque seul l'honneur de notre littérature , publia
pour la première fois la traduction des Géorgiques ,
un écrivain fameux par l'exagération de ses critiques
, ne s'efforça-t-il pas de marquer du sceau de
la médiocrité cette belle production ? Quand le
même poète , au lieu de perdre son temps à lui
répondre , sut prendre une place distinguée parmi
les auteurs originaux , en composant le poëme des
Jardins , la critique ne redoubla-t- elle pas d'animosité
pour rabaisser ce nouvel ouvrage bien au- dessous
de cette traduction , d'abord si décriée ? Cependant
, en dépit de tant de satires , les Géorgiques
sont aujourd'hui un ouvrage classique ; et si l'on
peut faire aux Jardins de justes reproches , sous le
rapport du plan , ce poëme n'en est pas moins placé
dans toutes les bibliothèques , traduit dans toutes les
langues , et relu souvent par tous ceux qui ne sont
pas insensibles aux charmes des beaux vers.
Tel a été le sort de tous les bons ouvrages : tel
sera celui du poëme de la Navigation , aujourd'hui
sur-tout qu'il reparoît sous les yeux du public ,
exempt d'une grande partie des défauts qu'on avoit
relevés dans la première édition. L'un des plus graves
tenoit au trop grand nombre d'épisodes , qui faisoient
perdre de vue le sujet principal . Ce n'étoit
point par l'absence des beautés que péchoit l'ouvrage;
c'étoit plutôt par une surabondance d'orne
mens , qu'il falloit retrancher , ou réduire dans de
plus justes proportions ; et ces sacrifices devoient
particulièrement porter sur les premiers chants. « Je
» reconnois avec mes critiques , dit l'auteur lui-
» même , que ce n'est point sur l'ordre des temps ,
MARS 1806 . 487
»
» mais sur les progrès de la navigation que je devois
régler la marche de mon poëme, et qu'il ne fal-
>> loit point confondre les époques de l'art avec celles
» de l'histoire . J'avois méconnu ce principe dans mes
» trois premiers chants ; car, depuis les voyages des
» Phéniciens jusqu'à la bataille d'Actium , la forme
» des vaisseaux , tant pour la guerre que pour le
» commerce , n'ayant presque différé que par la
» grandeur, et la manière de les diriger étant res-
» tée à- peu - près la même , ces dix siècles n'en
» forment qu'un pour la science de la navigation .
» Le second commence pour elle avec l'usage de la
» boussole et la renaissance des arts. C'est là aussi
» que mon second chant devoit commencer. » Il
étoit d'autant plus nécessaire de corriger cette faute ,
qu'elle influoit sur tout le reste de l'ouvrage : le lecteur
arrivoit déjà fatigué à l'époque où la navigation
, s'ouvrant chez les modernes une bien plus.
vaste carrière , réclamoit de sa part une attention
nouvelle . Il ne falloit pas moins que les détails brillans ,
semés partout d'une main prodigue , pour ranimer
en lui le desir de poursuivre une si longue route.
Heureusement , si ce défaut étoit grave , il étoit facile
à faire disparoître : il a suffi à l'auteur de sacrifier
tous les épisodes qui l'écartoient du but vers
lequel il devoit se hâter. L'ensemble de son ouvrage
s'est en quelque sorte enrichi par cette suppression :
il y règne maintenant des proportions plus justes ,
un accord plus parfait dans les différentes parties
qui le composent, et la marche en est devenue à la
fois plus simple , plus régulière et plus rapide . Sans
doute bien des censeurs , doués de la plus rare facilité
d'invention , ne manqueront pas encore de proposer
au poète un plan tout différent de celui qu'il
a cru devoir adopter , car il y a mille manières d'envisager
un sujet ; mais il pourrra leur répondre ,
qu'après avoir médité le sien pendant plusieurs
années , il s'est arrêté au plan qui lui a paru offrir le
4
488 MERCURE DE FRANCE ,.
'moins d'inconvéniens et le plus d'avantages ; qu'un
auteur seroit fort embarrassé s'il lui falloit adopter
'tous les avis qu'on lui ouvre , et qu'avant de juger ce
qu'il a fait , il seroit raisonnable d'examiner attentivement
ce qu'il pouvoit faire.
Un pareil examen ne peut être que favorable au
poëme de la Navigation . Je pense qu'on en conclura
que le plan est maintenant tout ce qu'il devoit être ,
et que s'il présente encore des défauts assez marquans
, il faut les attribuer au fonds même de l'ouvrage
sur lequel je ne saurois partager l'opinion de l'auteur
, qui le regarde comme éminemment poétique.
Il est assez naturel qu'un écrivain défende avec
quelqu'obstination le sujet qu'il a choisi . S'il l'a préfère
, c'est parce qu'il lui a paru présenter de l'intérêt
, des points de vue riches et variés , des beautés
analogues au genre de talent qu'il a reçu en partage .
Lorsqu'il a passé plusieurs années à en étudier toutes
les ressources , lorsqu'une fois il lui doit une foule
de beaux vers et de détails aussi neufs que brillans ,
il doit lui être bien difficile de le juger avec impartialité.
D'ailleurs , M. Esmenard a peut -être assez
répondu à tous les critiques , en composant un aussi
beau poëme. J'avouerai cependant que le choix de
ce sujet ne me paroît pas aussi heureux qu'à lui , et
que j'y vois plusieurs inconvéniens assez graves qui
en étoient inséparables.
D'abord on ne peut se dissimuler qu'il est beaucoup
trop vague , qu'il ne présente pas des limites assez
marquées. La navigation touche à toutes les grandes
époques de l'histoire , et elle n'est liée nécessairement
à presqu'aucune . Il résulte de là que l'auteur est obligé
d'effleurer une foule d'objets , sans pouvoir en approfondir
un seul. A chaque instant il fait allusion à
quelque grand événement : il vous met sous les yeux
quelque fait célèbre ; et lorsque vous commencez
à vous y intéresser vivement , il est contraint de
Tabandonner pour vous en montrer un autre. La
«
·
MARS 1806 ... 489
» découverte de l'Amérique , dit - il dans sa préface ,
» paroissoit à M. de La Harpe un très-beau sujet pour
» l'épopée. » Ce grand événement , où l'on admire
l'audace et le génie dans l'entreprise , la sagesse , la
persévérance , le courage infatigable dans l'exécution ,
suffisoit donc seul à un long poëme. Cependant il
ne forme chez M. Esménard qu'un épisode assez
court. Qu'est ce donc que la fécondité apparente
d'un sujet où l'auteur est forcé de se contenir dans
des bornes étroites , toutes les fois que son imagination
voudroit s'élancer dans les vastes champs de
la fiction et du merveilleux , si ce n'est une abondance
stérile qui produit le même effet que la pauvreté ?
-
M. Esménard cherche à justifier ce manque d'unité ,
nécessairement si nuisible à l'intérêt d'ensemble , en
citant les Métamorphoses d'Ovide , dont les différentes
parties ne sont pas mieux liées entr'elles . Mais c'est
malgré ce défaut , et non pas à cause de ce défaut
que ce poëme est compté au nombre des beaux ouvrages
de l'antiquité. Quand un auteur veut faire
choix d'un sujet , c'est toujours l'exemple des plus
parfaits modèles qui doit le guider . Qui seroit
assez présomptueux pour oser se flatter de les
égaler , quand même il auroit entre les mains
une matière plus heureuse que celle sur laquelle ils
ont répandu les trésors de leur génie ? Que sera - ce
donc s'il se prive volontairement de cet avantage , et
s'il est déjà vaincu avant d'avoir pris la plume ?
Les poètes qui renoncent aux plus grandes ressources
de leur art , celles que présente la peinture
énergique des passions et des moeurs , doivent du
moins choisir des sujets qui aient avec l'homme des
rapports propres à le toucher. C'est ce que Virgile
a fait admirablement dans les Géorgiques. Il a si
bien étudié les liens secrets qui unissent tous les êtres ,
qu'il intéresse nos coeurs à la douleur d'un animal
qui a perdu le compagnon de ses peines , ou même
à l'accroissement d'une plante. D'ailleurs les travaux
490
MERCURE
DE FRANCE
;
de l'agriculture , les plaisirs de la vie champêtre , altachent
tous les hommes ; le charme secret qu'ils
trouvent dans ces peintures semble leur rappeler leur
première destination , et dans quelque situation
brillante que le sort les ait placés , l'image d'une vie
innocente et paisible réveille toujours en eux des desirs
et des regrets. Les prodiges de la navigation ne
sauroient jamais exciter un intérêt semblable : ils
peuvent surprendre , étonner , forcer l'admiration ;
mais ils sont muets pour le coeur. Or , une expérience
constante a prouvé depuis long- temps que de tous les
ressorts qui sont dans la main du poète , l'admiration
est le moins énergique et le plus prompt à se détendre.
Tels sont les défauts que je crois inhérens à la nature
même du poëme de la Navigation , et l'équité
me prescrivoit de les relever. Car la conclusion immédiate
que l'on doit tirer de tout ce qu'on vient de
lire , c'est qu'il faut attribuer les beautés de l'ouvrage
au talent de l'auteur , et que la plupart de ses imperfections
doivent être mises sur le compte du sujet.
Au reste , quel que soit le jugement du public à cet
égard , il est certain que la beauté des vers , la variété
des peintures , l'intérêt des détails , compenseront
toujours avantageusement ce qui peut lui manquer
sous le rapport de l'ensemble. M. de La Harpe
dit que c'est la poésie du style qui fait vivre un poëme:
si ce jugement est vrai , on peut assurer M. Esménard
que son ouvrage ne périra pas. Ce feu divin qui fait
les poètes , ce don précieux dont la nature est si
avare , anime constamment l'auteur de la Naviga
tion. Il n'y aura pas deux opinions à cet égard ; et
l'on peut caractériser son style en disant que chez
lui l'expression est toujours éminemment poétique.
J'ouvre le livre au hasard , et je demande si le génie
de la poésie ne respire pas dans tous les vers de cette
belle comparaison :
Tel qu'on voit au sommet des Alpes menaçantes,
Un aiglon généreux sur ses ailes naissantes
MARS 1806. 493
S'élever , redescendre , et s'élevant encor,
Quelque temps incertain balancer son essor;
Tout-à-coup il s'élance et brave les orages,
1l plane avec la foudre au milieu des nuages ,
Et perdu loin de nous dans les champs de l'Ether ,
Porte son vol superbe aux pieds de Jupiter :
Tel ce navigateur dont la voile timide
Effleure les contours de la plaine liquide ,
Observe le pouvoir d'un art encore enfant ,
Il tremble ; mais un jour il ira, triomphant ,
Sur les flots subjugés élevant sa puissance ,
Peupler de l'Océan la solitude immense;
Agrandir son empire , et , vainqueur des hivers ,
Jusqu'au pôle glacé reculer l'univers ...
Veut-on savoir comment M. Esménard sait embellir
une idée
commune
, par la vivacité des couleurs
sous lesquelles il la présente , talent rare qui n'a ja
mais appartenu qu'aux vrais poètes ? Tout le monde
auroit pu dire que les Barbares qui détruisirent l'empire
romain se succédoient si rapidement que leurs
exploits s'effaçoient les uns par les autres , et que leurs
noms même sont presqu'oubliés ; voici comment s'exprime
le poète :
La maîtresse du monde est en proie aux Barbares ,
A ces peuples obscurs dont les faits éclatants
N'ont pas même occupé la mémoire du temps;
Qui domptoient l'univers sans connoître la gloire ,
Et qui , sur des débris promenant la victoire ,
Du capitole altier, conquérans méprisés ,
N'ont pu graver leur nom sur ses remparts brisés.
Dans le champ troisième , consacré à l'expédition de
Vasco de Gama , il peint ainsi le phénomène terrible,
appelé par les marins , le reversement des moussons
:
7
Il sillonnoit enfin cette mer fortunée
Ou deux vents opposés se partagent l'année ,
Et de l'Afrique au Gange , impétueux riyaux ,
Commandent aux saisons et règnent sur les eaux,
Sitôt que triomphant sur l'onde solitaire,
L'un d'eux en a banni son fougueux adversaire ,
Sans trouble , sans effort , sous un ciel toujours pur ,
Il vole , balancé sur ses ailes d'azur,
Et, des flots apaises dominateur tranquille,
Aux plus frêles vaisseaux ouvre un chemin facile .
Mais lorsque son rival , s'élançant dans les airs ,
Vient saisir à son tour le sceptre de ces mers ,
Soudain leur fol orgueil soulève les tempêtes.
Tel que deux rois jaloux de couronner leurs têtes
492 MERCURE DE FRANCE,
Du même diadême et des mêmes honneurs ,
Ils font gémir la terre au bruit de leurs fureurs.
Sous leur choc orageux les rivages frémissent ;
D'un mugissement sourd les pôles retentissent .
On diroit que le ciel , armé de tous ses feux ,
Frappe du Comorin les sommets nébuleux ;
Le Typhon déchaîné , dans sa course brûlante
Arrache les vaisseaux à la rive tremblante
Où l'ancre avoit mordu le sable hospitalier ;
L'Océan sur ses bords s'élève tout entier ,
Les ébranle , retombe , et du poids de ses ondes
Presse l'Indus qui fuit dans ses grottes profondes.
Ainsi, par l'imagination créatrice du poète , ces deux
vents opposés deviennent deux rivaux terribles qui se
disputent l'empire des mers. Leur combat ébranle
l'Océan , et l'Indus épouvanté remonte vers sa source .
Ne pourroit-on pas appliquer à cette belle peinture
ces vers de l'Art poétique ?
Là, pour nous enchanter , tout est mis en usage ;
Tout prend un corps , une ame, un esprit, un visage.
On n'auroit encore qu'une idée imparfaite du talent
de M. Esménard , si l'on pensoit qu'il se borne
à rassembler ainsi les plus riches couleurs . Divers épisodes
semés dans le cours de son poëme , prouvent
qu'il sait aussi créer des fictions et des situations intéressantes.
Je citerai dans ce genre , la fable de Dédale
et d'Icare , et celle où il raconte la découverte
de l'aimant ; toutes deux aussi bien écrites qu'heureusement
imaginées . Mais la partie de son ouvrage
qu'il paroît avoir travaillée àvec une sorte de prédilection
, et où il semble qu'il ait réuni toutes ses
forces , ce sont les vers qu'il a consacrés à la mémoire
de M. de la Peyrouse . L'auteur du poëme de la
Navigation devoit un hommage particulier à l'un
de ceux qui ont le plus honoré ce bel art parmi les
Français ; et il avoit trop de talent pour ne pas chanter
, d'une manière digne de lui , un homme célèbre ,
dont le nom sera toujours cher aux amis des sciences
et de l'humanité , et qui réunit dans sa personne tout
ce qui a droit à l'intérêt des hommes , les talens ,
les vertus et le malheur. Le poëte le suit dans ses péMARS
1806.
493
nibles voyages ; il peint des couleurs les plus fortes et
les plus touchantes , tous les dangers qui l'assaillirent ,
toutes les pertes qu'il eut à pleurer. Enfin il termine
ce beau morceau par ces vers attendrissans ;
Mais que vois-je , ô douleur , une femme éplorée
Est assise au sommet de ces rochers déserts ,
Que la vieille Armorique oppose aux flots amers !
Les regards attachés sur l'onde menaçante,
Elle croit voir encor la voile blanchissante
Qui loin d'elle emporta le charme de ses jours.
Infortunée , hélas , plus d'espoir , plus d'amours !
N'entend tu pas l'oiseau , précurseur de l'orage ,
Qui du jeune Céyx rappelant le naufrage ,
D'un vol précipité rase les flots mouvants ;
Et mêle un cri lugubre au murmure des vents ?
O nouvelle Alcyone , ô jeune et tendre épouse !
Fuis ces bords désolés , non , jamais la Peyrouse)
Ne viendra recueillir sur ton coeur agité,
De ses vastes travaux le prix trop mérité :
Cette dernière citation suffira pour prouver que
M. Esménard réunit aux autres qualités qui font le
vrai poète , le don d'une sensibilité naturelle et vraie.
Cela nous autorise à l'exhorter vivement à de nouveaux
efforts. L'âge des grands travaux est arrivé pour
lui . Il est aujourd'hui l'un des plus chers espoirs de la
poésie française.. Il vient d'élever un monument
durable , qui ne sera pas oublié des amis des lettres :
cette gloire ne doit pas suffire à son ambition. Il faut
désormais qu'il intéresse à ses chants toutes les classes
de lecteurs ; et il n'est guère permis d'aspirer à un si
beau succès dans la haute poésie , si l'on ne s'efforce
d'entourer une action noble et intéressante , de fic,
tions neuves , de situations attachantes , de grands
caractères et de grandes passions,
C.
494 MERCURE DE FRANCE ;
Mémoires secrets sur le règne de Louis XIV , la régence et
le règne de Louis XV. Par M. Duclos , de l'Académie
française , historiographe de France , etc. Deux vol. in- 8°.
Prix : 9 fr. , et 12 fr. par la poste. A Paris , chez Buisson ,
libraire , rue Hautefeuille ; et chez le Normant , libraire ,
imprimeur du Journal de l'Empire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , nº . 17. ( 1)
« Ceux qui m'auront connu, dit M. Duclos, attesteront ma
» probité, ma franchise , et, j'ose dire, la bonté de mon
» coeur. » Il n'y a pas un seul philosophe qui ne se juge le plus
probe , le plus franc et le meilleur des hommes , mais qui , en
mêmetemps , ne se croie obligé d'avertir le public qu'il possède
ces qualítés. Il ne sent pas que cet avertissement est bien plus
propre à détruire la confiance qu'à l'inspirer , et il ignore
que cette complaisance à parler de soi - même décèle un
orgueil intolérable. M. Duclos étoit historiographe de France,
c'est-à-dire qu'il vivoît des bienfaits et des faveurs de la cour
sous la condition de travailler à notre histoire. Nous allons
voir comment il a rempli ses obligations.
Si l'histoire ne devoit offrir qu'un vain amusement, il
seroit inutile de chercher la vérité dans ses récits , et le roman
de Don Quichotte seroit plus estimable que toutes les annales
du monde; mais elle est faite pour instruire les hommes , et
pour ajouter à leur expérience celle des siècles précédens.
Son objet principal est de retracer toutes les actions du
pouvoir public , et les malheurs ou les avantages qui en ont
été le fruit , parce que c'est par la force des exemples que
( 1) Note du rédacteur. Il n'est question dans cet article que des Mémoires
secrets de Duclos , qui ont été publiés avant l'édition complette
de ses OEuvres , dont nous rendrons compte incessamment.
MARS 1806.
495
s'éprouvent toutes les doctrines , et que la société s'avance
peu-à-peu à la connoissance de l'ordre. C'est là ce qu'on
pourroit, et ce qu'on devroit même appeler la philosophie
de l'histoire , si l'abus de cette expression n'en avoit corrompu
le vrai sens et le légitime usage. L'écrivain qui ne veut qu'amuser
n'est pas un historien , c'est un romancier ; celui qui
cherche curieusement dans les correspondances familières ,
dans les rapports domestiques , ou dans sa propre imagination ,
des faits inconnus et déshonorans , des motifs pour attenuer
la valeur d'une bonne action , et qui les publie ; celui là ,
dis-je , n'est pas non plus un historien , c'est un libelliste.
Tout homme qui révèle le secret d'autrui n'est point un homme
bon sa prétendue franchise n'est que de la méchanceté ; et
si par son état , il étoit de son devoir de le taire ce secret ,
il ne faut plus parler de sa probité.
:
-
Toute histoire secrète est une histoire suspecte. En écrivant
ses Mémoires , M. Duclos n'a jamais pu penser qu'il remplissoit
la tâche qui lui étoit imposée ; il trompoit done
l'attente de ceux qui l'avoient nommé l'historiographe de la
nation , non seulement en ne faisant pas ce qu'il devoit
faire , mais encore en faisant ce dont il devoit s'abstenir.
« Il ne vouloit pas être l'organe du mensonge , dit-il dans
» sa préface. » Mais qui est-ce qui m'assure qu'il ne l'est
pas dans ses révélations secrètes ? Et qui le forçoit donc
à mentir en écrivant l'histoire ? Cette histoire auroit-elle
été supprimée par l'autorité ? Sa tâche étoit remplie , le reste
ne le regardoit pas. Qui sait pourquoi nous n'avons rien de
Boileau ni de Racine sur l'histoire ? Tout le monde ne sait-il
pas au contraire pourquoi ni l'un ni l'autre n'auroit jamais
voulu publier de Mémoires secrets ? J'ignore au surplus ce
qu'un écrivain entend par le titre de Mémoires secrets, puisqu'il
n'y a rien de moins secret que ce qui est imprimé. C'est
encore un de ces appâts que les charlatans présentent à la
multitude , pour faire des dupes ; et l'un des plus grands
496 MERCURE DE FRANCE ,
moyens de succès que la philosophie ait mis en oeuvre , a été
de spéculer sur les scandales de toute espèce.
L'auteur de la notice qui précède la préface a cru répondre
à tout, en transcrivant un passage des Considérations sur les
Moeurs, où M. Duclos prétend qu'il ne faut pas trop détruire
les préjugés , parce qu'ils sont la loi du commun des
hommes , et qu'il les regarde comme les fondemens de la
morale et les liens de la société. Mais , si les fondemens de la
morale et les liens de la société n'étoient à ses yeux que des
préjugés faits pour le commun des hommes , il est entendu
qu'un esprit aussi supérieur s'affranchissoit aisément de leur
joug . Ce n'étoit pas sans dessein qu'on avançoit dans son parti
que , pour être un bon historien , il falloit n'avoir ni affection
, ni religion , ni patrie ; être , en un mot , un homme
sans préjugés. Sur ce pied-là , M. Duclos devoit se croire un
Tacite ; mais qui m'expliquera comment on peut être capable
d'écrire l'histoire de la société , en se séparant de tous les
principes et de toutes les affections qui forment les liens de
cette société ? Je voudrois savoir de quelle règle pouvoit se
servir M. Duclos , dans les jugemens qu'il avoit à porter sur
les actions des hommes ? Si l'on y fait attention , on décou
vrira qu'il n'en avoit pas , ou bien qu'il s'en étoit fait une
qu'il plioit à son humeur. Il loue , blâme , approuve , rectifie
, condamné et absout en suivant cette règle › molle et ·
flexible , qui se prête au mouvement capricieux de ses passions .
Son histoire commence en 1700 ; il la conduit jusqu'en
1764 , et , dans un espace de temps si considérable , il ne
trouve pas un seul parfait honnête homme en France. Tous ,
depuis le chef de la nation jusqu'au dernier commis , sont
des tyrans , des ambitieux , des hypocrites , des intrigans ;
des cagots , des ignorans et des fripons. Quant aux femmes ,
il n'en connoît qué de deux sortes , des bigottes et des dé
bauchées. C'est un écrivain auquel on peut appliquer la dernière
partie de la critique de Montaigne sur Guichardin ,
"
T
sans
MARS 1806.
cen
sans en retrancher un mot : « J'ai aussi remarqué ceci , dit- il ,
» que de tant d'ames et effects qu'il juge , de tant de mou-
>> vemens et conseils , il n'en rapporte jamais un seul à la
» vertu , religion et conscience : comme , si ces parties-là
>> estoient du tout esteintes au monde ; et de toutes les actions ,
» pour belles , par apparence , qu'elles soient d'elles-mêmes ,
>> il en rejecte la cause à quelqu'occasion vicieuse, ou à quelque
» profit. Il est impossible d'imaginer que parmy cet infiny
» nombre d'actions de quoy il juge , il n'y en ait eu quelqu'une
produite par la voye de la raison. Nulle corruption
>> peut avoir saisi les hommes si universellement , que quel-
» qu'une n'eschappe de la contagion : cela me fait craindre
» qu'ily aye un peu du vice de son goust ; et peut être advenu
» qu'il ait estimé d'autruy selon soi. »
>>
Ce qui peut choquer encore davantage un lecteur judicieux ,
c'est qu'en décriant toute la nation avec cet esprit frondeur
et chagrin , il accorde plus volontiers les grandes qualités aux
hommes les plus corrompus. C'est une manie dont Voltaire
avoit déjà donné l'exemple , et qui a infecté de mauvaise foi
tout ce qu'il a écrit sur l'histoire . M. le président Hénault en
fait la remarque dans une de ses lettres . Chez lui ce sont toujours
les protestans ou les incrédules qui sont habiles et honnêtes.
S'il y a quelque crime commis , c'est toujours par un
catholique , et par un homme qui fréquentoit les églises ,
Si M. le duc de Bourgogne n'a pas réussi à faire lever le
siége de Lille , vous remarquerez que c'est parce qu'il entendoit
la messe. Voilà ce qu'on a pris long-temps pour de l'esprit
; et c'est avec le même travers que M. Duclos se plaît à
faire remarquer l'habileté des hommes vicieux. Il leur
suppose
de la valeur , et ce n'est pas sans peine qu'il convient que les
moeurs de la régence ont perdu la morale.
Un défaut général que l'on peut reprocher à tous les faiseurs
de Mémoires historiques , c'est d'attribuer les plus grands
effets à des causes imperceptibles. Une tasse de café répandue
li
498 MERCURE DE FRANCE ,
sur une robe , produit la disgrace d'un général d'armée. Une
petite contradiction sur la hauteur d'une croisée , occasionne
une querelle , et la chaleur de cette misérable discussion met
toute l'Europe en feu . Ils attachent trop d'importance aux
détails , et ils entrent dans trop de faits minutieux. Če sont
des gens qui admirent quelques fils d'une tapisserie des Gobelins
, au lieu de se mettre à la distance convenable pour
embrasser tout le sujet. M. Duclos n'est pas exempt de ces
défauts , et il y a bien des inutilités et des petitesses dans ses
Mémoires ; mais il faut peut-être les pardonner à la position
de l'historien , trop rapproché des objets pour pouvoir en
saisir l'ensemble.
Il seroit inutile de le chicaner sur la vérité de mille
petites intrigues , qu'une histoire générale ne peut jamais
recueillir , et qui , vraies ou fausses , sont également indifférentes
pour la postérité . L'historien qui voudroit descendre
dans le détail des intérêts et des cabales domestiques des
princes, et de tous ceux qui les entourent , femmes , enfans ,
ministres et courtisans , favoris et maîtresses , entreprendroit
un ouvrage aussi impossible à exécuter qu'il seroit inutile dans
son objet. Les détails dans l'histoire ressemblent aux fleurs ,
et aux arbrisseaux dans la campagne. Les anciens ont excellé
dans ces détails , parce qu'ils n'avoient qu'un petit cercle à
décrire ; mais depuis que l'horizon des connoissances hu→
maines s'est agrandi , depuis qu'une foule de peuples se sont
élevés sur la scène du monde , il est devenu nécessaire de
considérer les objets d'une manière plus vaste et plus générale.
La fausseté du jugement est ce qui réclame le plus l'attention
du lecteur dans les Mémoires de M. Duclos , parce que
l'histoire , entre les mains d'un homme qui a l'esprit faux , est
un guide infidèle anquel on ne peut se confier sans impru→
dence.
Les exemples qui peuvent appuyer notre opinion ne sont
pas rares dans son ouvrage ; mais il nous a paru que sou
MARS 1806. 499
1
affectation à vouloir repousser du régent les soupçons du
crime affreux qui l'ont constamment poursuivi , est suffisante
pour la justifier. Nous sommes fort éloignés cependant d'affirmer
qu'il fut coupable de ce crime ; mais en même temps
nous ne pouvons convenir avec M. Duclos qu'il en fût incapable
, puisque , selon cet historien lui- même , toute la vie
de ce prince a été souillée par les plus horribles excès , et
qu'il n'a jamais pris la peine d'apaiser les cris de l'indignation
publique , par le plus léger amendement dans sa conduite :
c'est ce caractère qui l'avoit fait appeler par Louis XIV , un
fanfaron de crimes.
Lorsqu'un grand malheur afflige la société , qu'il est
affreux pour un prince de ne trouver ni dans son caractère ,
ni dans sa vie , de quoi se défendre contre le soupçon d'en
étre l'auteur ! Lorsqu'en moins d'un an trois héritiers de la
couronne furent enlevés subitement à la France , et que le
quatrième ne parut sauvé de cette catastrophe que par le
contre-poison qui lui fat douiné à tout événement par une
de ses gouvernantes , tous les soupçons se portèrent sur le
duc d'Orléans , non -seulement parce qu'il avoit intérêt à ce
crime , mais parce qu'on l'en jugeoit capable. S'il est innocent
, ce qu'il éprouva doit à jamais servir d'exemple à ceux
que la Providence a placés près des monarques pour en être
les appuis. La licence de ses nioeurs le fit accuser d'une com
mune voix d'avoir empoisonné toute la famille royale : punition
terrible , mais juste des autres crimes dont il s'étoit
déjà couvert. Le soupçon de ce triple parricide , la seule
vengeance d'un peuplé désespéré , le poursuivit jusqu'à ce
que la mort vint le frapper subitement entre les bras d'une
prostituée , et il s'attachera toujours à sa mémoire pour
épouvanter quiconque oseroit limiter.
•
M. Duclos se contente de dire , pour toute défense , que
lavie de Louis XV est la démonstration de l'innocence du
Ii a
500 MERCURE DE FRANCE ,
duc d'Orléans ; mais il se pourroit que cela ne prouvât que
la vertu du contre-poison.
Etre capable d'un crime et l'avoir commis sont deux choses
fort différentes , sans doute , et nous ne prétendons pas que
l'opinion doive dépasser le soupçon du crime ; mais c'est
jouer le rôle d'un défenseur officieux , plutôt que celui d'un
historien , que de vouloir détruire un soupçon si général
sans en apporter aucune raison solide. M. Duclos revient si
souvent à la charge sur cet article dans ses Mémoires , qu'on
seroit tenté de croire qu'il les a entrepris dans l'intention
d'effacer cette tache odieuse , pour plaire à la maison
d'Orléans. Il est cependant bien difficile de se défendre d'une
réflexion , c'est qu'un ambitieux perdu de débauche , couvert
des crimes les plus honteux , et qui affichoit l'impiété la plus
révoltante , pouvoit bien avoir commis un crime de plus
pour arriver à la couronne. Cette induction est si facile à
tirer , que dans une autre circonstance étrangère à cette histoire
, M. Duclos ne manque pas d'en faire la remarque. La
princesse Sophie , soeur consanguine du czar Pierre Ier. ,. fut
soupçonnée de l'avoir empoisonné pour régner à sa place.
« Que cette imputation soit bien ou mal fondée , dit
» M. Duclos , ce n'est pas le caractère de Sophie qui a pu la
» détruire , puisqu'elle entreprit de faire immoler ce frère
>> par les Strélitz , etc. » Ainsi il appuie un soupçon par une
accusation ; et certainement si on lui avoit dit que la vie du
Czar prouvoit l'innocence de Sophie , il se seroit moqué avec
raison d'une pareille preuve. Toutes les tentatives de crime
n'ont pas le succès que les scélérats s'en promettent.
Le même écrivain qui a entrepris de faire passer le régent
pour un homme d'état , respectable à bien des égards , devoit
sans doute chercher à flétrir la mémoire du cardinal de
Fleury , qui fut un ministre foible , mais un homme religieux.
M. Duclos n'avoit garde de manquer une bizarrerie qui
étoit si bien dans son caractère et dans ses principes. On
MARS 1806. 50
chercheroit vainement dans tout son ouvrage une seule ligne
en faveur des véritables appuis de l'autorité et de la morale
publique. S'il parle de Villars , il ne dit pas un mot de ses
talens militaires , et s'il nomme Bossuet , c'est pour en faire
un persécuteur. Tous ceux qui foulent aux pieds les lois religieuses
, sont pour lui des esprits fermes , et même des
génies étendus. C'est ainsi qu'il qualifie le génevois le Fort ,
parce qu'il persuada au czar qu'il pouvoit répudier sa première
femme et en prendre une autre. Tout ce qui peut rompre
un des liens qui enchaînent les passions des hommes est pour
les philosophes un acte d'héroïsme.
>
Ces Mémoires , au surplus , qui ont bien perdu de leur
intérêt depuis la révolution , mais qui en ont encore beaucoup
sont écrits d'un stile aisé et rapide , où l'on remarque
avec peine quelques traits de mauvais goût. Ils renferment un
petit abrégé de l'Histoire de Russie , qui a tout le mérite que
l'on peut souhaiter. L'auteur alors n'avoit aucun intérêt à
faire des suppositions ; et il montre qu'il auroit été en état
d'écrire l'Histoire de France , si la cruelle manie de vouloir
tout réformer n'avoit égaré son jugement , et s'il n'avoit pas
préféré , aux devoirs de sa charge , le triste honneur de tirer
furtivement de l'obscurité quelques anecdotes plus affligeantes .
qu'utiles pour l'humanité. G.
:
POMPEI A. ( 1 )
J'AI vu à-peu-près tout ce que l'Italie offre de remarquable
aux yeux d'un étranger ; j'ai vu le Panthéon , le Vésuve , le
Colysée , Saint-Pierre ; j'ai vu Milan , Florence , Naples ,
(1 ) Ce morceau sur Pompeïa est extrait d'un nouveau Voyage en Italie
et en Sicile , par M. Creuzé- Delessert . Cet ouvrage , qui s'imprime en
Ce moment chez Didot , sera publié incessainment.
( Note du rédacteur. )
3
502 MERCURE DE FRANCE ,
7
Palerme , Rome : mais ce que je desirerois le plus revoir ce
seroit Pompéïa.
Pompéia étoit une médiocre ville de la Campanie ; ce n'est
qu'un très-petit débris de l'antiquité , mais c'en est le débris
le plus vrai , le plus curieux , le plus touchant. Ce n'est pas ,
comme Herculanum , une suite de caves où l'on ne voit que
ce qu'on veut bien imaginer ; ce n'est pas , comme Rome ,
une ville nouvelle qui a effacé une ville antique ; c'est véri–
tablement une antique cité , dont les habitans ont fui hier ,
et où ils se reconnoîtroient aujourd'hui ; que , dis - je , les
infortunés ne purent fuir. Ceux d'Herculanum , plus heureux
eurent presque tous le temps d'échapper à la lave qui les pour-
-suivoit ; mais la cendre plus rapide engloutit en peu d'instans
tout Pompéïa , et toute sa population ! ( 1 ) atenta
Comment cette ville put- elle être si long -temps oubliée ?
Comment le fut- elle un seul jour ? A peine la cendre s'élevat-
elle de quelques pieds au-dessus du sommet très-peu élevé
de ses habitations . Quoi ! ses malheureux habitans n'avoient
donc dans les villes voisines aucun parent , aucun ami qui eût
le courage de chercher à en retirer quelques- uns du tombeau
où ils étoient ensevelis vivans ? On y auroit incontestablement
réussi . Quoi ! le gouvernement d'alors n'usa pas de ses moyens
puissans pour cette noble opération ? Ah ! si dans les Alpes
et autres montagnes oubliées de la nature , de malheureuses
créatures , ensevelies avec leurs chaumières sous quarante
pieds de neige , ont été après plus d'un mois dégagées et retrouvées
vivantes , peut-on douter que sous cette cendre du
Vésuve un grand nombre de victimes n'aient conservé long-
( 1 ) Nous croyons que l'auteur se trompe , et que la presque totalité des
habitans de Pompeïa eut le temps de se sauver , et même d'emporter les
effets les plus précieux . Nous 'dennerons les raisons qui appuient ceite
opinion , lorsque nous examinerons l'ouvrage de M. Creuzé.
( Nole du rédacteur. )
MARS 1806 . 503
temps , la vie et même l'espérance ? Avec quelle horreur elles
durent enfin abjurer l'une et l'autre ! Laissons louer les gouvernemens
anciens ; mais convenons que ce fait et beaucoup
d'autres prouvent une indifférence pour le malheur et une
incurie pour la vie des hommes , qui n'existe plus , du moins
en Europe ; convenons que dans un pareil événement , le
plus mauvais de nos gouvernemens modernes déploieroit
tous ses efforts , toutes ses ressources , et , avec les chances
qu'on avoit pour Pompéia, arracheroit beaucoup de victimes.
à la mort , et aux volcans encore en fureur.
:
La grande route qui conduit à Pompeïa paroît être presque
au niveau de son sol . En approchant on voit à gauche une
colline médiocrement élevée , et c'est Pompéia , mais Pompeïa
enseveli ; car une assez petite partie de la ville a été décou
verte jusqu'à ce jour. On y arrive bientôt , et il faut à peine
descendre de quelques pieds pour se trouver dans la ville des
Romains le premier sentiment qu'on éprouve en entrant
dans cette cité dévastée , est deviné par tout le monde , et
ne peut être exprimé par personne. On parcourt ces rues solitaires
, où on arrive après le Vésuve ; on regarde tout avec
avidité ; on voudroit tout voir à la fois : voilà les maisons des
Romains , voilà leurs rues , voilà leurs peintures , voilà leurs.
moeurs ; il n'y a pas là un objet qui ne soit remarquable , pas
un caillou qui ne soit intéressant. Le plus curieux des muséum
c'est Pompeïa.
:
Ce qu'on voit d'abord ," c'est le quartier des soldats , qui ressemble
beaucoup à nos cloîtres : on y retrouve encore , dans
différentes chambres , des moulins qui leur ont servi ils...
sont ingénieux , et gravés dans toutes les collections ; mais ce
qu'on ne peut graver nulle part , c'est l'impression que font
les ossemens d'un soldat ; on voit encore les fers qui attachoient
cet infortuné au moment de l'éruption ; les juges
périrent avec l'accusé.
504 MERCURE DE FRANCE ,
roues ,
La rue qu'on a découverte est fort étroite ; elle est pavée
des laves du Vésuve . On y distingue encore les traces des
traces qui prouvent que la voie des voitures étoit alors
de quatre pieds. Il y a des trottoirs de trois pieds de chaque
côté de la rue ; c'est , comme on le voit, un vieil usage ,
on n'auroit pas dû le perdre.
et
Toutes les maisons se ressemblent ; les plus grandes et les plus
petites ont une cour intérieure , au milieu de laquelle est une
baignoire . Presque toutes sont fermées par un péristile à colonnes
; et il est à remarquer que le même goût d'architecture
agrandi , règne encore en Italie. En effet , dans ce pays une foule
de maisons ont des cours à colonnades . L'Italie presque entière
est sur des colonnes. Pour en revenir aux maisons de Pompeïa ,
leur distribution est fort simple et fort uniforme : toutes les
chambres donnent sur la cour ou sur le péristile ; toutes sont
très-petites ; beaucoup sont sans croisées , et ne recevoient le
jour que par la porte ou par une ouverture faite au-dessus.
Si l'on ajoute à cela que ces chambres en général sont isolées
et ne se communiquent pas , on aura une idée de la manière
de se loger des anciens , et on trouvera que beaucoup de nos
pauvres ont plus leurs commodités , que leurs riches ne les
avoient. Une chose assez digne d'observation , c'est que toutes
les portes sont extrêmement basses ; et à moins que
les an→
ciens ne trouvassent très-bon de se baisser toutes les fois qu'ils
entroient dans une chambre , il est évident qu'ils n'étoient pas
plus grands que nous. Nouveau fait à alléguer à ceux qui pré→
tendent que l'homme physique dégénère sans cessé,
Le goût ifalien pour la peinture à fresque se retrouve en-
-core à Pompeïa. Il y a fort peu de chambres sur les murailles
desquelles il n'y eût quelques peintures. On en a enlevé plu→
sieurs , par l'effet de ce système dont je me suis déjà plaint ;
mais il en reste , et il falloit que les couleurs en fussent bonnes ,
car aussitôt qu'on jette un peu d'eau dessus , elles reparoissent
avec quelque vivacité. Toutes ces peintures sont en général
MARS 1806. 505
fort médiocres ; mais beaucoup sont curieuses par les fabriques
et costumes du temps , dont elles offrent la représentation et
souvent la seule qui existe . C'est en quelque sorte l'antiquité
dans l'antiquité . Beaucoup d'autres offrent des sujets mytho-.
logiques , et ne sont guère bonnes qu'à prouver combien ,
dès-lors étoit universel le goût pour ces ingénieuses fictions
qni triomphent même de l'abus qu'on en a fait , et qui seront
à jamais la religion des arts.
On distingue encore plusieurs . boutiques , et même sur
une d'elles l'empreinte que les tasses avoient faites sur le
marbre dont le comptoir est revêtu..
Un fait qui prouve combien les anciens aimoient les spec-,
tacles , c'est qu'on a découvert dans la petite ville de Pompeïa
deux théâtres. Le plus grand donne parfaitement des théâtres
antiques l'idée qu'on cherche en vain à s'en faire dans
les souterrains d'Herculanum . C'est un amphithéâtre demicirculaire
dont les gradins nombreux sont pratiqués dans le
sol même. C'est sans contredit la forme la plus commode
pour que tout le monde puisse voir et être vu. Tel a été de
tout temps le double but des spectacles . Au reste , dans ce
mot de spectacles , il faut comprendre les lutteurs , les gladiateurs
, et même jusqu'aux naumachies. Il faut observer de
plus , que le théâtre étoit presque toujours le lieu d'assemblée
du peuple , qui s'y occupoit de ses affaires autant que
de ses plaisirs.
Les antiquaires admirent beaucoup à Pompeia un petit
temple d'Isis ; mais il y a des temples antiques ailleurs , et il
n'y a que là des maisons et des rues romaines. Au reste , ce
temple d'Isis est d'une parfaite conservation ; on y retrouve
jusqu'à l'ouverture faite sous la place , où étoit la statue d'Isis,
et d'où probablement on la faisoit parler . On a d'ailleurs
déshonoré ce temple comme tout ce qu'on a trouvé là ; on a
enlevé et transporté dans l'insignifiant Portici des tables
isiaques , des statues , des ustensiles nécessaires aux cérémo506
MERCURE DE FRANCE ,
nies , comme candelabres , lampes , pateres , etc.; enfin , on a
enlevé tout ce qui pouvoit l'être. On n'a pas même respecté
les ossemens des malheureux prêtres surpris , au milieu de
leurs fonctions , dans ce temple , qui ne fut jamais destiné à
être couvert , et où , par conséquent , ils eurent le bonheur de
périr sur-le-champ.
Plus on se promène dans Pompeia , et plus on regrette
que cette inappréciable découverte ne soit pas tombée
én de meilleures mains. Si cette ville déshonorée et
mutilée telle qu'elle l'est , inspire encore un intérêt si vif ,
que ne seroit-elle pas si en l'exhúmant on eût rétabli les toitures
, effacé les dégradations de toute espèce , et sur-tout conservé
religieusement en place tout ce qu'on auroit trouvé?
Voilà ce que le gouvernement français n'eût pas manqué de
faire. Je dis le gouvernement français , parce qu'il est reconnu
qu'il a , depuis Louis XIV, les plus beaux , les plus nobles
établissemens publics de l'univers , et qu'il les embellit encore
de nos jours.
"
Je pense avec regret à ce qu'il auroit fait de Pompeïa et
à ce qu'il en feroit encore ; car Pompeïa n'étant exhumé qu'en
partie , on pourroit suivre ce plan pour le reste de la ville :
et , supposé que le gouvernement napolitain voulût , comme
fait celui de Londres pour des choses moins intéressantes,
exiger une rétribution des curieux , je ne doute pas que le
produit ne dédommageât , et au- delà , des frais d'excavation
et des gardiens. Mais je desire , plus que je ne l'espère
l'exécution de cette idée , qui est celle de tous les amis des arts.
Les Français , qui , en 1798 , ne furent qu'un moment les
maîtres de Naples , ont laissé à Pompeia des traces de leur
activité , et on y va voir aujourd'hui la fouille des Français-
Elle n'a produit aucune découverte bien importante , et dans
les circonstances où elle a été faite , on a dû en enlever tout
ce qu'on y a trouvé ; mais elle prouve du moins que si la
même nation avoit plus long-temps conservé Naples , elle
MARS 1806. 507
n'auroit pas laissé , comme on le fait , dormir la partie ignorée
de Pompeia , et il y a à parier qu'avec plus de temps elle
auroit régularisé les excavations , et peut-être suivi le plan
qui donneroit à cette découverte tout son éclat , et laisseroit
cette ville tout son intérêt ( 1 ).
Une des choses les plus intéressantes de Pompeia , et celle
par laquelle on fiait ordinairement , c'est une maison de
campagne qu'on a trouvée à une assez petite distance de la
ville. On y arrive par le chemin le plus agréable , et cela ne
rend que plus triste le tombeau où l'on descend. Oui , le tombeau.
Cette maison , quoique détruite par le haut , donne
encore , et plus qu'aucune autre , par ses constructions intérieures
, une idée des maisons antiques : le jardin même est
découvert ; on en voit les bassins , les divisions . Ailleurs , à
Pompeïa , on ne fait qu'habiter avec les Romains , içi on se
promène avec eux. On rencontre encore des débris de l'antiquité
; on voit des amphores qui furent remplies d'un vin qui
avoit sans doute beaucoup de consuls. On voit ... mais pour
moi , je n'ai plus rien pu voir, après m'être promené dans
un souterrain qui tourne en quarré autour du jardin , et dans
lequel on a trouvé vingt-sept cadavres. C'est là que toute une
malheureuse famille eut le temps de se réfugier ; c'est là
qu'elle cut trop celui d'attendre des secours qui ne vinrent
point , et de retenir un espoir qui s'échappoit ; c'est là que retentirent
les clameurs de l'épouvante et les soupirs de l'agonie
; c'est là que la terreur, la faim , le désespoir , immolèrent
leurs victimes. La fiction d'Ugolin s'efface et s'évanouit
⚫ devant cette effrayante réalité . Sur vingt- sept créatures humaines
, sans doute toutes n'étoient pas également bonnes
et regrettables ; mais sans doute aussi il y eut là un homme
(1 ) On peut aujourd'hui espérer, ou plutôt on peut affirmer que les
voeux de M. Creuzé , qui , comme il l'a dit plus haut , sont ceux de tous
les amis des arts , seront prochainement accomplis.
( Note du Rédacteur. )
508 MERCURE DE FRANCE .
:
vertueux , des amis fidèles , une mère tendre , des enfans innocens.
Là , tous les sentimens humains furent brisés ; là , au
milieu d'une nuit profonde , et parmi les cris de l'angoisse , un
vieillard , un chef de famille , fit entendre ses derniers adieux
à son fils qui le cherchoit , à sa fille qui le soutenoit encore ,
toute sa génération qui s'éteignoit avec lui.
Et quand je me livrois à ces pensées qui brisent le coeur ,
quand je contemplois en silence ce théâtre de destruction ,
les oiseaux chantoient au-dessus de ma tête , la nature étoit
riante , le ciel pur, l'air serein , et mème le Vésuve lointain
laissoit à peine apercevoir la fumée qui se glissoit le long de
ses flancs noircis et sur sa croupe tumultueuse.
LA FILLE HERMITE.
Anecdote Américaine véritable.
UNE demoiselle américaine de la province de Machassusset , jeune ,
riche , très-jolie , extrêmement aimable , modeste , timide , d'une santé
délicate , renonce tout - à - coup à la société dont elle faisoit le charme ;
elle s'arrache à la tendresse de parens qui lui étoient chers . Jamais
elle n'a eu à se plaindre de personne ; tous les hommes la respectoient
autant qu'ils l'aimoient ; et jamais sa belle ame n'avoit eu à se reprocher
d'avoir eu l'idée du mal . Elle étoit dévote , mais sans exaltation . Un
seul sentiment la tourmentoit , mais invinciblement , et sans qu'elle
pût s'en rendre raison , du moins n'a - t - elle jamais voulu l'avouer :
c'étoit une haine insurmontable contre tous les hommes , sans aucune
autre exception qu'en faveur de son père ; et elle venoit de le perdre
lorsqu'elle se décida à aller s'ensevelir dans une caverne affreuse , au
milieu d'une épaisse forêt . C'est à l'âge de dix-huit ans qu'elle prit oe
parti extrême , et il y en a trente qu'elle se félicite de l'avoir suivi . J'ai
pénétré jusque dans sa retraite , et je vais rapporter fidellement ce que
j'ai vu.
Quand on est sorti du Sud- Salem , et que l'on est arrivé sur le sommet
de la plus élevée des montagnes du Nord-Salem , on se trouve arrêté par
an mur de roches presque perpendiculaire , et qui a vingt pieds d'élévaMARS
1806 .
509
(
tion. Ce n'est qu'avec la plus grande difficulté que l'on peut descendre
dans l'enfoncement que forment ces rochers , et on y voit aussitôt l'antre
qui sert de retraite à Miss Sara Bishop . ( C'est le nom de la fille hermite. )
Aux pieds de ces rochers se voit un terrain uni et d'une assez vaste étendue
; le sol en est fertile , et la verdure agréable . On aperçoit çà et là des
arbres de la plus grande beauté . Miss Sara n'a avec elle ni poules, ni chat ,
ni chien; enfin aucun animal quelconque ; elle se nourrit des racines et
des légumes qu'elle cultive , des fruits sauvages qu'elle recueille , et elle se
désaltère avec l'eau saine et limpide d'une source voisine de sa , demeure.
C'est auprès de cette source que je l'aperçus , plongée dans la méditation
la plus profonde. Je ne voulus pas la distraire , et j'attendis avec résignation
que , revenant à elle , ses regards se portassent d'eux-mêmes sur moi .
Dès qu'elle m'eut aperçu elle jeta un cri d'horreur ; et courant avec la
légéreté d'une biche qui fuit la poursuite du chasseur , elle atteint sa retraite
en peu de secondes , s'y élance comme un trait , et en barricade *
l'entrée .
+
Je ne pouvois me résoudre à retourner sur mes pas ' : je frappe , j'appelle
, je sollicite avec instance la faveur d'être admis ; on ne me répond
point . Je me persuade que si Miss Sara consent à me recevoir et à
m'entendre , je réussirai à la rendre à la société . Je me suis promis
de ne rien négliger pour changer ses idées et lui faire supporter sans
effroi la vue d'un homme qui n'aspire qu'à lui plaire et à lui être utile .
Le récit de sa vie , le fruit de ses réflexions et le spectacle de ses vertus
doivent la rendre précieuse au monde .... Rien ne peut plus m'arrêter : je
force la foible barrière qui me sépare de la fille hermite , et je suis dans sa
cellule.
Elle étoit assise par terre , couverte de vêtemens de coton de couleur
brune ; son visage étoit entièrement caché par ses longs cheveux , et il
me fut impossible de distinguer ses traits . Elle me présenta un papier sur
lequel je lus ce qui suit : « Quel mal vous ai-je fait pour vous obliger à
>> troubler mon repos , en violant l'asile que je me suis choisi et que j'ha-
» biterai jusqu'à ma mort ? En vain vous voudriez changer ma volonté ,
» elle est immuable : trente années de constance doivent vous le prouver
» assez . Il vous seroit plus facile et il seroit moins cruel de m'arracher la
» vie !... J'ai dû fuir la société des hommes ; je ne puis point ne pas les
>> abhorrer ! J'ai fait voeu de ne jamais parler et je le tiendrai . Fuyez
>> homme ! Par pitié , fuyez , et laissez -moi avec Dieu et la nature ! »
J'osai lui adresser encore quelques mots ; je la pressai avec instance de
me suivre ; je mis en usage toutes les ressources que mon esprit ou plutôt
510 MERCURE DE FRANCE ,
.
mon coeur me suggérèrent ; ce fut inutilement : elle se bouchoit les
oreilles , sa tête posoit sur ses genonx , je voyois la terre mouillée de ses
Jarmes , et j'entendois ses gémissemens.
Je jetai les yeux sur l'ameublement de sa cellule : une table très - simple
supportoit une bible en plusieurs gros volumes ; plus loin , je vis uné centaine
de livres rangés sur des tablettes au- dessus d'un bureau ; une grande
armoire contenoit tout son linge ; des assiettes de bois et des marmites de
fer composaient toute sa vaisselle ; elle n'avoit point de lit , elle couchoir
sur le rocher couvert d'une natte.
Je saluai respectueusement Miss Sara Bishop ', et je me retirai .
J'ai su que quelques personnes charitables faisoient porter de temps à
autre du linge et des vêtemens à cette étonnante fille : on les hui jette du
haut du rocher, et ce sont les seuls secours qu'elle accepte : elle laisse pourrir
avec dédain , sur la place où ils tombent , tous les présens , soit en vivres ,
soit en meubles , ou autres effets qu'on veut lui donner.
( Traduit d'une gazette de Boston. ) ,
VARIETÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLEST
1.
-M. Roger, auquel on doit déjà la jolie comédie de
Caroline ou le Tableau , vient d'obtenir un nouveau succès.
La première représentation de sa pièce intitulée l'Avocat,
a été donnée mercredi dernier au théâtre Français . C'est une
imitation , très-heureuse de l'Avocat Vénitien , de Goldoni.
On a généralement reproché à l'auteur d'avoir fait plutôt
un drame qu'une comédie ; mais tout le monde s'est accordé
à louer le style. Nous n'entrerons pas aujourd'hui dans de plus
grands détails : cette pièce nous paroît être du petit nombre
de celles que nous nous réservons d'examiner lorsqu'elles
sont imprimées .
!
•
-M. Ducis a refait en entier le cinquième acte de sa tragédie
d'Hamlet. Cette pièce sera jouée dans quelques jours avec ce
changement.
MARS 1806. 511
-La représentation au bénéfice de madame Saint-Aubin
aura lieu le jeudi 29 : elle se composera de la tragédie
des Templiers , de l'Opéra Comique , du Prisonnier , et d'un
ballet .
Le Conservatoire, du musique vient de recevoir, au
nombre de ses associés étrangers , le célèbre compositeur
Zingarelli , qui réside à Rome. Zingarelli composa en France
avec Marmontel , un opéra d'Antigone , qui n'eut qu'un
succès médiocre ; mais il s'est fait une juste réputation en
Italie par son Pyrrhus , et par d'autres ouvrages pleins de
verve et de talent.
-Parmi les improvisateurs véritablemeut poètes , qui sont
' une des singularités les plus remarquables de l'Italie , aucun
ne s'est fait , de nos jours , une réputation plus brillante
que M. Gianni. On assure qu'il vient d'obtenir une pension
de la munificence de S. M. Il a improvisé , lundi dernier,
sur la Bataille d'Austerlitz ( sujet proposé par le célèbre
antiquaire Visconti ) , un chant de victoire plein d'images
et d'harmonie , qu'on va traduire en vers français.
--
L'athénée des arts vient de publier le Compte rendu de
ses travaux dans le cours de l'année dernière . On y voit avec
intérêt les encouragemens donnés par cette société savante
aux différens artistes qui ont soumis leurs découvertes à son
examen : entr'autres à M. Fougerolles , qui a inventé une
machine propre à mouvoir plusieurs lames de scies destinées à
refendre des pierres ; à M. Tatin , qui a communiqué les
movens d'établir plus facilement des pépinières d'arbres fruitiers
; à M. Daujon l'aîné , qui a imaginé et exécuté un chassis
mécanique , au moyen duquel on peut enlever et changer
de lit les malades et les blessés , sans leur faire éprouver ni
douleur , ni secousse ; à M. Fourché , auteur d'une romaine à
queue oscillante , plus exacte , plus facile à manier , et moins
sujette à la fraude que toutes les anciennes romaines du commerce
; à M. Douette-Richardot , cultivateur intelligent et
512 MERCURE DE FRANCE ;
actif qui , dans le département de la Haute-Marne , a défriché
des montagnes arides , desséché des marais contagieux , planté
des forêts , croisé des races , etc. etc.
--
pu
·On exécute déjà sur la rive droite de la Seine les grands
travaux qui viennent d'être ordonnés par S. M. Tous les arbres
du jardin de l'Arsenal et des édifices environnans sont abattus ,
pour l'ouverture d'un nouveau boulevard qui , bordant la rue
Saint-Antoine , vis-à-vis le boulevard Beaumarchais , en
deviendra la suite , traversera l'emplacement de l'ancienne
Bastille , le terrain de l'Arsenal , et s'étendra jusqu'au bord de
la rivière , à cinquante pas au-dessous du pont du jardin des
Plantes. On eût desiré que l'extrémité de ce boulevard eût
faire face à la descente du pont , et au boulevard opposé de la
Salpêtrière mais il paroît que la nécesssité de conserver une
partie des fossés de l'Arsenal pour le canal de l'Ourcq et pour
la gare projetée , ne permettra pas d'étendre le nouveau
boulevard dans un alignement plus direct. Des ordres sont
donnés pour que les travaux soient poussés avec la plus grande
célérité ; et ils seront promptement achevés , si l'on en juge
par le nombre des ouvriers qu'on yemploie , et qui ne prernent
aucun jour de repos.
-
Le ministre de l'intérieur , d'après les renseignemens
avantageux qui lui ont été transmis par plusieurs préfets des
départemens , au sujet des opérations que le docteur Forlenze
a pratiquées avec le plus grand succès sur un nombre considérable
de personnes affectées de maladies des yeux, vient de
donner à cet oculiste un témoignage de la satisfaction que lui
inspire son zèle , et que méritent ses talens , en le nommant
chirurgien-oculiste des lycées , des écoles secondaires , des
hospices civils et établissemens de bienfaisance des départemens
de l'Empire français.
-Le 10 janvier dernier, S. Ex. le ministre de l'intérieur ,
en confirmant le choix fait par le jury , de M. Verrier , pour
remplir la place de professeur de clinique à l'école impériale
vétérinaire
MARS 1806. 513
vétérinaire d'Alfort , a décidé que dorénavant les places de
professeurs qui viendroient à vaquer dans les écoles impériales
vétérinaires, seroient toujours données au concours. M.Verrier
avoit pour concurrent M. Pontier ; et le jury qui , après les
plus mûrs examens , a choisi le premier , a arrêté unanimement
que le second seroit recommandé au ministre de l'intérieur ,
comme un sujet distingué. S. Ex. , pour répondre au desir du
jury , a ordonné qu'il seroit délivré à M. Pontier un extrait
du rapport qui le mèntionne si honorablement.
-Plusieurs particuliers ont entrepris d'établir à Pétersbourg
un Museum Alexandrinum ; on en distribue le prospectus.
Le projet est de rassembler dans un édifice spacieux des collections
d'histoire naturelle , d'anatomie et d'objets d'arts ,
pour servir aux études des souscripteurs. On y formera aussi
une collection choisic de journaux et d'ouvrages scientifiques.
Les directeurs du Musée en publièrent eux - mêmes le
journal Le prix de la souscription ne pourra jamais s'élever
au-dessus de 6o roubles.
-- On écrit de Rome que Sa Sainteté érige un autre Musée
dans le corridor du Belvédère ; il y fait placer tous les mor
ceaux d'antiquité qu'il a achetés ou qui sont provenus des
fouilles qu'il fait continuer.
-Le 12 février , un incendie a consumé le théâtre allemand
de Pétersbourg , et une partie du palais de Kurchelen.
M. Héliodore Corneiro , qui par ordre du prince du Bresil
, parcourt en ce moment les premières écoles de médecine de
l'Europe , va publier deux Traités intéressans ; le premier est
un Essai historique et critique sur les connoissances et la littérature
des anciens , comparées à celles des modernes. Le second
a pour objet de montrer les dangers de l'inoculation de
la vaccine , et les fâcheuses conséquences observées en Angleterre.
Ce dernier ouvrage est accompagné de deux belles gra-
(Journaux Anglais. )
M. Corneiro n'est pas le seul adversaire que la vaccine ait
K k
vures.
514 MERCURE DE FRANCE ,
fes
trouvé en Angleterre ; c'est une chose fort singulière que
obstacles qu'éprouvent les progrès de cette découverte , dans
le pays d'où elle s'est répandue dans le reste de l'Europe-
Parmi les Anglais qui la combattent , il en est sur-tout qui se
se distinguent en la poursuivant avec une sorte de fureur. Cet
ennemi de la vaccine est l'auteur de la Schola medicinæ universalis
, le docteur William Kowley, à qui sa réputation de
praticien , sa place de chef d'un grand hospice et sa chaire publique
thérapeutique donnent une grande influence . Tous les
gens infatués de l'ancienne routine ont placé leurs dernières
espérances dans le nouvel ouvrage du docteur , intitulé : La
vaccine n'est point un préservatif de la petite vérole ; avec
cette épigraphe : Audi candide alteram partem. On y raconte
deux cent dix-huit cas différens ou la petite vérole naturelle
a eu lieu , dit-on , nonobstant linoculation antérieure de la
vaccine , et l'on somme tous les amis de l'humanité , qui auroient
conoissances de cas du même genre , d'en rendre compte
à une adresse que l'on désigne, Ce qui fait le plus d'impression
dans cet ouvrage , ce sout deux estampes coloriées , représentant
les ulcères et les plaies dégoûtantes qui sont survenues
à divers sujets après l'inoculation de la vaccine , que l'on
qualifie de beastly disease. Enfin , l'auteur annonce avec une
emphase qui sent un peu le charlatan , la découverte qu'il a
faite d'une méthode toute nouvelle pour l'ancienne inocula--
tion. La meilleure réponse à toutes ses attaques , est sans doute
l'adresse du maire de Norfolk que tous les journaux Anglais
ont publiée , et les preuves satisfaisantes données par le docteur
Jenner , que non-seulement les individus qui ont été
vaccinés , mais leurs enfans ; sont garantis de la contagion de
la petite vérole.
Le docteur Gall poursuit son examen systématique
des crânes allemands , avec un zèle et une activité qui donnent
les plus belles espérances. Après avoir parcouru le Holstein
et le Danemarck , étonné Berlin , et distrait quelque temps
MARS 1806 . 515
les têtes hambourgeoises de leurs spéculations commerciales ,
il s'est rendu à Brême , où go souscripteurs , parmi lesquels
on compte vingt belles daines , suivent assiduement ses leçons.
Il compte de là se rendre à Munster , et démontrer
l'excellence de sa doctrine , et la finesse de son tact sur tous
les crânes de la Westphalie,
141
Pendant quelques jours l'air a été plus sec , l'atmosphère plus resserrée.
On a éprouvé un peu de gèlée.
Depuis le 28 février au 9 mars , lë baromètre s'est élevé , dans son
maximum , à 28 p . 6 lig.
Il est descendu , dans son minimum à 28 p. 2 lig.
Le thermomètre de Chevallier ( dilatation ) s'est élevé dans son maxi-
`mum à 3 degrés 8/10 .
Id. , ( condensation ) dans son minimum , 2 deg. 8/10.
* L'hygromètre a marqué , dans son maximum 99 d.
Et pour le minimum 81 .
La hauteur de la rivière , prise au pont Royal , le 9 mars , étoit dé
3 mètres 8 décimètres .
Les vents dominans du 28 février au 9 mars ont soufflé 3 fois au S.-O. ,
9 fois a S.-E. , 4 fois au N. , et io fois au N.-O.
MODEs du 10 mars . Une redingote , fût- elle de velours , ou une
douillette ne suffit pas à nos élégantes pour se garantir de la bise ;
elles y ajoutent un fichu de cygne ou de martre , et quelquefois , outre le
fichu , un schall . Les fichus pleins , en fourrure , sont beaucoup plus
communs que les schalls .
ཐཱ མ
De toutes les modes , il ne sera plus vrai de dire que celle de la promenade
est la moins dispendieuse à suivre. Une toute -belle ne se montre à*
pied qu'au bois de Boulogne .
Sur le boulevard d'Antin , on a vu quelques écharpes . Il faut , pour
constituer un négligé distingué , outre l'écharpe , une collerette de mousseline
claire , ourlée en or , ou festonnée en or , brodée en or. Avec ces
eollerettes , la robe est fermée par devant .
On convertit , il y a deux ans , plusieurs cachemires en mamelucks ;
maintenant on voit des robes faites de cachemire. Retroussées par devant,
¿ ces robes ont , au-dessus de la ceinture , un chou en draperie . On ne porte
presque que des robes sans queue , des robes rondes .
Les toques de velours, noir ou de couleur , ont de grandes pointes de satin .
Les capotes se font en jaune et blanc , velours et satin ; lilas et blanc ,
Brutes larges quelquefo`s le grand tulle cousu au hord , n'est point plis ég :
Kk 2
516 MERCURE DE FRANCE ,
Les jeunes personnes mettent de grands chapeaux de paille jaune , dont
le bord , par derrière, est coupé net ou retroussé . Dessus est un ruban
lilas ou rose tendre , avec un gros noeud sur l'oreille gauche.
Les fleurs imitent le naturel , et sont , pour la plupart , de la saison.
On porte des jonquilles , des narcisses , du lilas , de la jacinthe et du crocus
( safran ).
Pour les coiffures en cheveux , l'héliotrope a encore de la vogue. Le
plus souvent , les fleurs ne se posent que d'un côté ; de l'autre , on ne voit
sur les cheveux lisses , qu'un rang de perles , qui va se perdre sous la
touffe de boudins .
>
Cette année -ci les turbans ne paroissent que de loin en loin , et en
petit nombre ; mais il n'est pas rare qu'un coiffeur marie à des cheveux
lisses , un morceau de velours , noir ou de couleur ; quelquefois même
sans former un turban , il cache tous les cheveux sous une enveloppe de
velours , qui , dans ce cas , prend la forme d'une coiffure en cheveux , et
laisse passage au peigne.
Sur les petits chapeaux , c'est , comme de coutume , une très -grande
plume , ou quelquefois , ce sont trois plumes , qui , inclinées dans le
même sens , paroissent n'en faire qu'une.
Pour former raies sur des capotes , il y a des ruhans veloutés , brochés ,
de deux couleurs , vert et brun , lilas et blanc , jaune et blanc. Outre le
satin jaune d'or , on emploie des velours jaune d'or. Il y a aussi des veet
des étoffes rose , bazinées.
lours rose ,
On recommence à broder en couleur , ou , pour mieux dire , on recommence
à porter des broderies de couleur . Ce sont , sur des robes ,
comme sur des pointes de schall , des palmes isolées . Les ridicules ont
prèsqué tous maintenant un petit ruban en broderie turque , près du
bord , et sur tous sens . Ils sont à six pans .
Les éventails sont toujours très- petits , et les bouquets fort gros. Les
éventails circulaires , trop compliqués , éventent mal ; mais , dans leur
centre , ils cachent une lorgnette : tel est le motif de la préférence qu'on
leur accorde,
Les chemises sont brodées en gros coton et à grandes fleurs : pour un
vêtement qui doit être caché , on veut une broderie très-apparente.
(
NOUVELLES POLITIQUES.
Piscara , 27 février.
Les troupes du royaume d'Italie sont entrées dans notre
place et y ont laissé garnison. Le général Lecchi a continué
ussitôt sa marche pour Naples. ( Moniteur. )
MARS 1806. 517
Berlin , 1 mars.
Le courrier du cabinet , M. Kobecke , est parti avanthier
pour Paris. Il y porte , à ce qu'on assure , la ratifi
cation du traité que notre cour a conclu avec la France , et
en vertu duquel elle cède la principauté d'Anspach , celle de
Clèves et Neufchâtel.
Le conseiller-privé de légation , M. Nagler , est parti hier
matin pour Anspach. L'objet de sa mission est d'effectuer ,
au nom de S. M. , la cession de cette principauté.
On dit que M. le marquis de Lucchesini retourne demain
à Paris . M. le baron de Hardenberg donne aujourd'hui un
grand dîner en son honneur .
Hambourg , 5 mars.
Le bruit court que notre ville ainsi que celles de Brême et
de Lubeck , seront occupées par des troupes prussiennes. La
garnison suédoise de Lawenbourg a été réduite à soixante-six
chasseurs et à un foible détachement de hussards.
Londres , 2 mars.
--
Cours des effets publics.- Billets de la banque , 204 1/2 ,
5/4 , 1/2. Trois pour cent réduits , 61 1/4 , 1/8, Trois
pour cent consolidés , 60 1/2 , 5/8 , 3/8..
Hier , à quatre heures du soir , sont arrivés ici le major
Baird , envoyé de l'armée avec des dépêches du général David
Baird , et le capitaine Downmann , envoyé de la flotte avec
des dépêches du commodore Popham , contenant les détails
de l'important événement de la prise du Cap de Bonne-
Espérance.
༡ *
Aussitôt après l'arrivée de ces officiers , la note suivante
fut envoyée par le premier lord de l'amirauté au lord maire
tandis que le canon du parc et de la ville annonçoient cette
nouvelle.
De l'amirauté , 27 février 18c6.
« M. Grey a l'honneur de transmettre au lord maire la rela➡
tion ci-incluse du succès qu'ont obtenu les forces de S. M.
sous le commandement de sir David Baird et de sir Popham . » ›
Du bureau de l'amirauté , 27 février.
2
« M. Downmann, capitaine du vaisseau de S. M. le Diadéme
, est arrivé ce soir avec des dépêches dé sir Popham ,
datées du Cap de Bonne -Espérance le 13 janvier. Ces lettres
portent Que l'escadre sous le commandement du commedore
arriva au Cap le 4 ; que le débarquement des troupes fut
3
518 MERCURE DE FRANCE ,
effectué le 6 , et qu'après une action qui eut lieu le 8 , et dans
laquelle l'ennemi perdit 700 hommes , et les troupes de
S. M. 240 tués ou blessés , le ro fut signée une capitulation
par laquelle le Cap , la ville et ses dépendances furent rendus
aux armes de S. M. Le général Janson , commandant les
troupes ennemies , s'étoit retiré dans l'intérieur du pays avec
le reste de ses forces , montant à environ 1800 ou 2000
hommes ( 1 ) »%:
L'amirauté ayant reçu l'avis qu'il étoit de nouveau sorti de
Brest quatre vaisseaux de ligne et une corvette , a donné aussitốt
l'ordre à l'escadre de Plymouth de mettre à la voile pour
poursuivre l'ennemi. Le brick canonnier le Contest , de 14
canons, s'aperçut de la sortie de la nouvelle escadre de Brest ,
la suivit pendant quelque temps , et la perdit ensuite de vue.
Des malles arrivées aujourd'hui d'Halifax et de New- Yorck
nous ont apporté les papiers américains jusqu'au 27 janvier
contenant plusieurs nouvelles intéressantes. Les différends entre
la Grande - Bretagne et les Etats - Unis sont loin d'être terminés.
Les lettres particulières de New-Yorck et de Washington ,
d'accord avec les journaux américains , apprennent que des
objets de la plus haute importance ont été discutés dans les
dernières séances du congrès , auxquelles le public n'a point
été admis.
Le président Jefferson a envoyé un message au sénat et
aux représentans , par lequel il les a informés que l'Angleterre ,
sans égard pour les représentations qui lui ont été faites par
les plénipotentiaires américains , continuoit de violer les
droits de la neutralité , d'enlever les marins et même les
passagers à bord des bâtimens américains , pour les faire servir
sur ses flottes ; que la cour de Londres , pressée par les
( 1 ) Le capitaine-général de l'Isle- de -France avoit offert , il y a quinze
mois , au commandant du Cap un secours de deux mille hommes , que ce
commandant ne voulut jamais accepter . Les quatre vaisseaux hollandais
qui sont à Batavia ne font rien pour la cause commune. Il ne sont pas
sortis une fois de Batavia : ils n'ont pas fait une prise . Ils est à remarquer
que , tandis que l'Angleterre se moque de la coalition , sacrifie l'Autriche,
et les puissances du continent qu'elle a séduites , elle emploie ses forces
non contre Boulogne , non pour des débarquemens sur nos côtes , mais à
conquérir les colonies hollandaises . Il n'y a rien d'extraordinaire dans cette
conduite. Les Anglais qui font des dupes , ne se croient pas obligés de
l'être. Ils dirent après cela que la France veut les faire renoncer à toute
influence sur le continent . C'est l'Angleterre qui par sa conduite y renonce
de la manière la plus décidée . Notez que le roi de Naples et les
Russes croyoient que le général Baird devoit venir se combiner avec eux.
( Moniteur. )
MARS 1806.
519
remontrances énergiques des ministres américains , s'est néan➡
moins déterminée à donner l'ordre fictif à ses escadres de suspendre
pour quelque temps ces actesde violence , sans toute→→
fois en désavouer le principe ; en conséquence de cette com
munication, la chambre des représentans a reçu un projet de
bill qu'elle a converti en décret.
Par ce décret , il est permis à tout navire américain et à
tout matelot de cette nation , naviguant sous pavillon américain
, de repousser la force par la force , de tuer même ,
avec toute arme à feu , quiconque tenteroit d'exercer à son
bord le droit révoltant de la presse. Une récompense de
200 dollars ( près de 1100 fr. ) est promise à chacun de ceux
qui opposeront cette courageuse résistance. Tout matelot
américain qui a été jusqu'à ce jour , ou qui pourra être désormais
enlevé par la presse , recevra une indemnité de
60 dollars ( 325 fr. par mois ) ; il pourra , ainsi que ses héri
tiers ou ayant cause', pour recouvrer cette indemnité
mettre opposition au paiement de toutes sommes dues par
des citoyens des Etats-Unis , aux sujets de la puissance pour
laquelle il aura été victime de la presse ; quiconque se per
mettra désormais d'exercer la presse sur un bâtiment portant
les couleurs américaines , même sous le prétexte d'une commission
émanée d'un gouvernement étranger , sera jugé
comme pirate , et condamné à mort.
2
Enfin , lorsque le président des Etats-Unis aura acquis la
preuve qu'un citoyen desdits Etats , qui auroit été forcé par
violence ou par menaces , de servir à bord d'un vaisseau étran➡
ger, aura été condamné à mort ou à telle autre peine afflictive
, en vertu de l'autorité de cette puissance étrangère , il
pourra faire infliger la peine du talion le plus rigoureux à
tous sujets de ce même gouvernement ; et il est en conséquence
autorisé , par le présent décret , à faire saisir et appréhender
lesdits sujets.
1 Cette loi terrible , par laquelle les Etats-Unis trouvent
moyen de faire respecter leurs droits sans recourir à la guerre ,
a fait ici la plus vive sensation. Le droit de la presse ne sembloit
pas odieux , parce qu'on pouvoit croire que les Américains
s'y soumettoient en quelque sorte de bon gré , et que
les réclamations de leurs ambassadeurs n'étoient faites que
pour la forme ; mais enfin une mesure aussi rigoureuse que
célle que vient de prendre le congrès américain , prouve que
son mécontentement est sérieux , que notre conduite est véritablement
violente ; et nous sommes réduits à y renoncer ,
autant pour respecter l'opinion des peuples éclairés sur notre
4
520 MERCURE DE FRANCE ,
compte , que pour épargner à nos préposés à la presse les
scènes effrayantes dont les menace le nouveau décret rendu
par le congrès américain. (Morning-Chronicle. )
Nous avons reçu les gazettes de New-Yorck jusqu'au 7 février . M. Gregg
a fait , le 29 janvier , dans la chambre des représentans , la motion suivante
, qui a été renvoyée à l'examen d'un comité :
« Attendu que la Grande - Bretagne exerce la presse sur les citoyens
des Etats -Unis , et qu'elle le forces à servir à bord de ses vaisseaux de
guerre , et qu'elle saisit et condamne les navires appartenans aux citoyens
des Etats- Unis , et leurs cargaisons , quoique non chargés de contrebande
de guerre , non destinés pour des ports bloqués , sous prétexte
qu'ils font avec l'ennemi , pendant la guerre , un commerce qui ne leur
étoit pas permis pendant la paix ;
» Attendu , en outre , que le gouvernement des Etats -Unis n'a cessé
de faire à ce sujet au gouvernement britannique des remontrances qui ont
été jusqu'à présent sans effet ; il est résolu en conséquence que , jusqu'à
ce qu'on ait obtenu une entière satisfaction à ce sujet , et « à compter du...,
il ne sera importé aux Etats- Unis aucune marchandise provenant
de la Grande-Bretagne ou de ses colonies . Le président est autorisé à
faire cesser cette prohibition dans le cas d'un arrangement qui auroit lieu
à sa satisfaction . »
Nous sommes persuadés que les Américains seront les premiers à se
repentir d'une pareille mesure , s'ils sont assez hardis pour la décréter,
D'après un rapport officiel , fait au congrès , leur force navale consiste en
huit frégates , dont deux seulement sont prêtes à mettre en mer ; quatre
bricks , deux bombardes , et des chaloupes canonnières , dont on ne dit
pas le nombre : peuvent- ils avec des pareilles forces parler sérieusement
des mesurer avec la Grande-Bretagne ?
Le bruit s'est répandu à New- Yorck , le 29 janvier , que l'ambassadeur
d'Espagne avoit reçu ordre du gouvernement des Etats- Unis de
quitter le pays . On lit dans les gazettes une longue lettre adressée par
cet ambassadeur au sec étaire- d'état américain , dans laquelle il se plaint
de l'inexactitude des faits avancés par le président dans son discours d'ou
verture , concernant la conduite de l'Espagne.
Le bruit s'est répandu hier qu'il étoit arrivé des nouvelles d'Amérique
, annonçant que l'embargo avoit été mis sur les bâtimens anglais
dans tous les ports des Etats- Unis , et que le gouvernement de ce pays
avoit en outre déclaré la guerre à l'Espagne. Nous ne pouvons garantir
l'anthenticité de cette nouvelle .
Du 5. Le bruit s'est répandu hier dans toute la ville que M. T.Grenville
et M. Robert Adair alloient incessamment partir pour se rendre à Paris
avec un caractère diplomatique. Ce bruit p roît peu fondé On sait maintenant
que les dépêches qui furent apportées de France , il y a quelques,
jours au bureau des transports , par mad. Barton , étoient relatives aux
prisonniers de guerre . Elles contenoient simplement la réponse du gouvernement
français aur propositions qui lui avoient été portées dernièrement
de la part du nôtre , par le capitaine Majendie , au sujet de l'é
change des prisonniers.
Lord Holland remplace , dit-on , à Vienne sir Arthur Paget , et le
marquis de Douglas va à Berlin ou à Pétersbourg .
Le capitaine d'un bâtiment américain a informé avant - hier le gouvernument
qu'il avoit rencontré une escadre forte de 8 vaisseaux de ligne, à
peu d'heures de marche de la même latitude où le paquebot arrivé der
nièrement rapporte avoir laissé l'amiral Dukworth. Cette circonstance fait
MARS 1806 . 521
présumer que cette escadre qui , d'après le nombre de vaisseaux qu'on
lui donne , n'est pas celle de l'amiral Dukworth , devoit être la flotte
sortie de Brest. Cependant beaucoup de personnes prétendent que l'escadre
française a trompé les recherches de notre amiral ', et qu'elle est
partie pour les Indes orientales. ( Courrier. )
Sir Sidney Smith est parti de Falmouth , le 2 de ce mois , à bord du
Pompée; il se rend dans la Méditerranée .
-
PARIS.
Un
rapport fait à S. M. sur les ponts et chaussées
, par
le conseiller
d'état directeur
-général
de cette partie de l'administration
, inséré hier et aujourd'hui
dans le Moniteur
, offre
le tableau des travaux les plus importans
des ponts et chaussées
,
de la navigation
, des canaux et des ports de commerce
, exécutés
dans les années 12 et 13. Cette pièce très-étendue , paroît
avoir servi de base à la partie de l'Exposé
de la situation
{
de l'Empire
, qui a rapport
à tous les grands travaux
exécutés
,
commencés
et projetés
pour rendre
en France
les communications
plus belles et plus faciles.
— M. le sénateur Tronchet est mort mercredi six heures :
du matin. T
-Les propriétaires de belles jumens poulinières , soit de ,
l'ex-Normandie , soit des environs de Paris , sont prévenus
que S. Exc. le grand-écuyer a envoyé en Normandie huit,
étalons du haras de S. M. l'EMPEREUR et Roi , et de premièrerace
française , arabe , turque et barbe pour le temps de la
monte , et qu'il reste au haras de Saint- Cloud huit étalons
de la plus pure race française et arabe : toutes les jumens.
saines , de bonne espèce et tournure , seront reçues à la porte
jaune , près Saint-Cloud.
ARMÉE DE NAPLES.
PROCLAMATION.
Au nom de S. M. l'Empereur des Français et Roi d'Italie,
notre auguste frère et souverain , Nous Napoléon Joseph
Bonaparte , prince français , grand-électeur de l'Empire ,
lieutenant de l'Empereur , commandant en chef de l'armée
de Naples.
Peuples du royaume de Naples ,
S. M. l'Empereur des Français et Roi d'Italie m'a ordonné
de prendre , en son nom , possession de ce royaume. Je prends
au même nom l'engagement inviolable et sacré que la dynastie
de Naples ne régnera jamais sur ces contrées. Elle avoit
renoncé à votre amour , et oublié que l'affection d'un peuple ›
est le plus précieux des droits que puissent avoir les souverains
à le gouverner
522 MERCURE DE FRANCE ,
Je n'ai trouvé parmi vous que les impressions de la terreur
que vous avoient inspirées les injustices de votre cour.
Peuples , ne craignez plus , le cours de ses vengeances est
terminé; quel que soit le système adopté , le changement de
la dynastie de Naples restera immuable. Unissez-vous d'affection
, de confiance et de zèle aux mesures que je prends pour
améliorer vos finances , pour diminuer vos besoins , pour
vous assurer la justice et la paix. Si l'effet ne suit pas aussi
promptement que je le desirerois les moyens que je prends ,
pour alléger les fardeaux que vous avez supportés , n'en accusez
que les folles déprédations de tout genre qui ont tant altéré
les ressources de l'état.
courage
Que ceux qui seroient encore dévoués à une cour qui , après
avoir provoqué la guerre , n'a pas eu le de combattre
, qui a fui le danger après l'avoir attiré sur elle , qui
a dépouillé vos cités des fruits de votre génie et de celui de
vos pères ; que ceux à qui elle a laissé , dans sa fureur insensée ,
l'odieuse mission de fomenter le désordre , d'organiser l'assassinat
, et d'ourdir des trames criminelles , reconnoissent que ,
leur véritable devoir est dans le bien public , ou qu'ils
tremblent ! Mais que la nation , je le répète , soit au contraire
sans inquiétude et sans alarmes , elle éprouvera dans peu les
effets des intentions bienfaisantes de S. M. , et des soins qui
m'ont été recommandés pour rendre à ce peuple toute sa
splendeur et toute son ancienne prospérité .
Conformément à mes promesses , vos magistrats sont conservés
; j'ai pourvu aux remplacemens de ceux qui vous ont
abandonnés. Je n'imposerai aucune contribution de guerre.
Je ne souffrirai pas que vos propriétés soient lésées en aucune
manière. Enfin , il ne dépendra que de vous de n'avoir connu
de la guerre que le nom .
Naples , le 21 février 1806.
Signé JOSEPH Bonaparte.
Au nom de l'Empereur des Français , Roi d'Italie , notre
très-auguste frère et souverain , Nous Napoléon - Joseph
Bonaparte , prince français , grand-électeur de l'Empire
lieutenant de S. M. , commandant en chef l'armée de Naples ,
voulant rendre à l'administration son activité accoutumée
ordonnons ce qui suit :
1
Les fonctions exercées par les secrétaires-d'état qui ont
abandonné leur poste , seront provisoirement remplies par
des directeurs , ainsi qu'il suit :
Pour la secrétairerie des graces et justice , par M. Michel -Ange
Cianciulli , chef de Rote du sacro regio consiglio ; pour celle
MARS 1806. 523
-
?
des finances , par M. le prince de Bisignano ; pour celle de la
guerre , par M. André- François Miot , conseiller d'état de
S. M. l'EMPEREUR et Roi , et l'un des commandans de la
Légion d'Honneur ; pour celle de la marine , par M. le
commandeur Pignatelli ; pour la police -générale du royaume ,
par M. Salicetti, ci-devant ministre plénipotentiaire de S. M."
I'EMPEREUR et Roi à Gênes , et l'un des commandans de la
Légion-d'Honneur ; pour les affaires ecclésiastiques , par
M. le duc de Cassano ; pour la maison et domaines royaux ,
par M. le duc de Campochiaro.
Fait à Naples , le 22 février 1806.
Soldats
Signe JOSEPH BONAPARTE.
Ordre du jour du 19 février.
Je me plais à vous féliciter sur le bon esprit qui règne parm
vous ; vous avez montré , en supportant les privations de tout
genre résultantes des marches forcées que vous avez dû faire
et de la difficulté des chemins , la même force d'ame qui vous
rend si supérieurs à vos ennemis . Je m'occupe de tous vos
besoins , et je ne serai content que lorsque vous serez aussi
bien que je le desire. Je ne souffrirai dans l'armée aucune
déprédation. Il faut que toutes les ressources soient dirigées .
pour le bien de tous , et non pour le bien- être de quelques
individus. Ils sont en très-petit nombre, et je les connois. Que
ce premier avertissement paternel leur serve et m'évite des
mesures de rigueur. Signé JOSEPH BONAPARTE.
Le général en chef renouvelle :
1. La défense d'exiger la table des habitans du pays. 2. De
garder des chevaux napolitains. Ils doivent tous être remis à la
disposition du général commandant la cavalerie, pour servir à
la remonte du corps de l'armée. L'exécution de ses ordres sera ,
suivie , et personne , quel que soit son rang , n'échappera à sa
surveillance, 3. Comme un témoignage de sa satisfaction ,
le général en chef a ordonné qu'il sera
donné par
forme de gratification une somme de 5 fr. à chaque sousofficier
et soldat , pour être ajoutée à sa masse de linge et
chaussure , et être par préférence employée en achat de souliers.
Les chefs de corps qui préféreront des souliers en nature
s'adresseront au commissaire - ordonnateur en chef. Cette distribution
sera faite sur l'état de l'effectif de chaque corps , visé
par le sous-inspecteur. Signé JOSEPH BONAPARTE.
Il sera formé quatre compagnies d'artillerie napolitaine , et
une compagnie d'ouvriers . Elles seront portées au grand complet
de guerre de cent hommes , et formées des anciens ça524
MERCURE DE FRANCE.
nonniers et ouvriers napolitains de bonne volonté . Elles seront
organisées , habillées , soldées et traitées en tout comme
celles du corps impérial d'artillerie française. Les officiers et
sous- officiers seront pris parmi ceux de l'artillerie napolitaine
qui voudront prendre du service.
Ces compagnies pourront être commandées par un officier
supérieur. Il y aura en outre vingt employés d'artillerie napolitaine
, gardes , conducteurs , ouvriers , vétérans et chefs armuriers
et artificiers. Le général commandant en chef l'artillerie
, est chargé de la présente organisation. Il présentera à
l'approbation du général en chef le contrôle des officiers avec
leur service et celui des soldats .
Signé JOSEPH Bonaparte.
Par ordre du prince ,
Le général de division , chef de l'état-major-général
de S. M. 1. , CÉSAR BERTHIER.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 8 .
Les orateurs du conseil d'état , MM. Regnault et Ségur
présentent un projet de loi dont voici les dispositions principales
:
Il sera établi à Lyon un conseil de prud'hommes , composé
de neuf membres , dont cinq négocians- fabricans , et quatre
chefs d'ateliers. Les négocians-fabricans ne pourront être élus
prud'hommes , s'ils n'exercent leur état depuis six ans , ou
s'ils ont fait faillite . Les chefs d'ateliers , pour être élus , devront
savoir lire , écrire avoir au moins six années d'exercice.
Le conseil des prud'hommes se renouvellera par tiers ,
chaque année , le 1er janvier ; il pourront toujours être réélus
Les prud'hommes termineront par la voie de conciliation
les petits différends qui s'élèvent journellement soit entre les
fabricans et les ouvriers , soit entre des chefs d'ateliers et des
compagnons ou apprentis. Ils jugeront jusqu'à la somme de
60 fr. , sans formes , sans frais , sans procédures et sans appel ,
les différends à l'égard desquels la voie de conciliation aura été
sans effet. Tout différend portant sur une somme supérieuré à
celle de 60 fr. , sera porté devant le tribunal de commerce.
Le conseil des prud'hommes sera spécialement chargé de
constater les contraventions aux lois et réglemens , ainsi que
les soustractions des matières premières. Il est aussi chargé des
mesures conservatrices de la propriété des dessins. Tout fabricant
qui voudra revendiquer par la suite , devant le tribuMARS
1806 . 525
nal de commerce , la propriété d'un dessin de son invention ,
sera tenu d'en déposer , aux archives du conseil des prud'hommes,
un échantillon plié sous enveloppe , revêtu de son cachet
et de sa signature , et sur lequel sera légalement apposé
le cachet du conseil. En cas de contestation entre plusieurs
inventeurs de dessins , le conseil des prud'hommes fera l'ouverture
des paquets qui auront été déposés par les parties , et
fournira un certificat indiquant le nom du fabricant qui aura
la priorité de date. Les dernières dispositions du projet établissent
des réglemens de compte , et une police entre les
maîtres d'ateliers et les négocians. Il pourra être établi des
conseils de prud'hommes dans les autres villes où le gouvernement
jugera à propos d'en établir. Leur composition pourra
être différente , selon les lieux ; mais leurs attributions seront
les mêmes. La discussion de ce projet s'ouvrira le 18.
*
Séance du 12 ( 1 ),
MM. Despalières et Nougarède ont été choisis par S. M.
pour remplir les deux places vacantes à la questure du corps
législatif.
M. le conseiller d'état Siméon propose un projet de loi
dont voici les principales dispositions :
Lorsque des délits contraires à la police et à la conservation
des bois auront été commis , soit dans une forêt nationale ,
soit dans une forêt de la couronne , et que parmi les prévenus
ou complices il y aura un ou plusieurs agens ou préposés de
l'administratiou des forêts , le directeur-général de l'administration
des forêts nationales , les cinq directeurs desdites fo→
rêts , l'administrateur-général des forêts de la couronne , et
les conservateurs qui leur sont respectivement subordonnés ,
pourront en dresser procès-verbal et instruire contre celui
ou ceux des prévenus qui seront agens ou préposés de l'administration
, ainsi qu'envers leurs complices , quoiqu'ils ne
soient pas agens ou préposés des forêts.
Ils pourront également dresser des procès-verbaux et instruire
contre toutes personnes qu'ils surprendront en flagrant
délit , sans qu'il soit nécessaire , dans ce cas , que parmi les
prévenus il y ait un ou plusieurs agens de l'administration .
Le directeur-général de l'administration des forêts natio
nales , les cinq administrateurs des forêts de la couronne et les
conservateurs sont en conséquence autorisés à faire , jusqu'au
mandat d'arrêt exclusivement , en se conformant aux lois sur
(1) Le peu d'étendue de la partie politique dans ce journal , nous oblige
A ne donner que l'extrait des séances du corps législatif qui présenteront
un intérêt général .
526 MERCURE DE FRANCE ,
l'instruction correctionnelle et criminelle , tout ce que les
magistrats de sûreté et directeurs de jury pourroient faire.
Après l'instruction, si le délit n'est susceptible que de
peines correctionnelles , l'administrateur-général des forêts
nationales , l'administrateur- général des forêts de la couronne,
les administrateurs des forêts ou le conservateur qui aura
instruit , renverra les prévenus et les pièces devant le directeur
du jury, qui , suivant la nature du délit , les renverra luimême
devant le tribunal compétent..
Les substituts , magistrats de sûreté , directeurs du jury et
autres fonctionnaires de l'ordre judiciaire auxquels la poursuite
des délits est confiée , n'en demeurent pas moins chargés
de faire toutes les diligences convenables pour faire atteindre
et punir les auteurs et complices des dégradations commises
dans les forêts ; et en cas de concurrence entr'eux et les officiers
supérieurs des forêts , la poursuite du délit demeurera à ceux
qui , les premiers , auront délivré un mandat soit de dépôt,
soit d'amener , soit d'arrêt.
Piéces historiques relatives à la troisième coalition.
a
La troisième coalition s'est formée dans l'ombre , et a été
dissipée si promptement, que les historiens ne l'auroient connue
que par ses résultats , si le cabinet de Saint -James n'avoit
pris lui-même le soin de livrer à la postérité et les auteurs de
cette guerre et le ridicule de leurs projets. Nous avons déjà
imprimé plusieurs pièces extraites du grand volume in- folio
qui a été soumis au parlement d'Angleterre ; le Journal officiel
en a publié un grand nombre de nouvelles cette semaine.
Leur étendue ne nous permettant pas de les donner en entier,
nous nous bornerons à en retracer les conclusions rigoureuses.
On peut compter sur l'exactitude du résumé suivant. Ces
nouvelles pièces prouvent invinciblement :
1° Que la coalition ne vouloit point respecter la neutralité
de la Suisse , et qu'elle avoit résolu de s'emparer de ce pays
pour pénétrer en Franche-Comté .
2°. Que la Russie qui ne parle dans les journaux que par
500 mille hommes , ne s'étoit engagée à fournir à la coalition
que 115,000 hommes : elle ne pouvoit pas effectivement en
fournir davantage. On s'amuse à faire peur des Russes à l'Allemagne
, comme on lui faisoit jadis peur des Turcs. On sait
très-bienaprès tout, que la population de la Russie est moindre
que celle des autres états de l'Europe ; qu'elle est disséminée
sur des pays immenses , habités par un peuple demi -sauvage
que les Russes ont fort peu de généraux qui aient les premières
MARS 1806.
527
idées de tactique ; que même les sous-officiers y sont trèsrares
; qu'ils n'ont point de bons ingénieurs , point d'hommes
d'artillerie. Quelque van té qu'ils montrent et quelques prétentions
qu'ils veuillent afficher , laRussie n'est que la quatrième,
puissance de l'Europe. La première fois que les Russes auront
la guerre , ou avec les Autrichiens , ou avec les Prus
siens, ils seront battus , comme ils l'ont été par Frédéric dans
la guerre de sept ans.
Le principal agent de tous leurs plans militaires est M. de
Vinzingerode , qui est Autrichien , et qui a toujours été au
service d'Autriche ; ils ont deux ou trois émigrés dans leurs
armées dontils font grand cas, et qui doivent en effet leur paroître
des officiers bien habiles. Ils ont dans les différentes branches
de leur administration beaucoup d'autres employés qui ne
sont point nés russes et dont ils ne peuvent se passer par
exemple, si l'établissement d'Odessa prend tant d'accroissement,
ils le devront à M. de Richelieu . On ne met ainsi les étrangers
en évidence que quand on est dans une grande disette
d'hommes.
On peut regarder comme un des grands vices de l'organisation
militaire des Russes , les maladies fréquentes qui s'établissent
dans l'armée , résultat de l'excessive malpropreté des
soldats , de leur indiscipline et de leurs moeurs sauvages et
féroces.
3°. Que l'empereur d'Allemagne , c'est-à- dire le chef du
corps germanique , appeloit les étrangers dans la Bavière et
les autres états d'Allemagne , qu'alliés ou non , les états de
l'empire devoient être pillés et mis à exécution ; singulière
manière de remplir les devoirs de chef du corps germanique.
4°. Que la Prusse n'a pas eu plus de part à toutes ces menées
que la Bavière et le Danemarck ; et qu'elle a même si
peu connu ce qui se passoit , qu'elle s'est laissée prendre au
dépourvu. Elle est la première des puissances du continent
qui ait fait sa paix avec la France à la première coalition ;
elle n'a voulu prendre aucune part à la seconde , et elle est
tout-à-fait étrangère aux mouvemens de la troisième.
C'est sur ces documens que les Français doivent régler leur
opinion , et non sur des articles de gazettes et sur des propos
de subalternes , propos auxquels les cours sont exposées par
la malveillance et les intrigues si compliquées des agens
anglais. Tout ce qui revient chaque jour prouve que le roi de
Prusse n'a pas cessé d'être ami de la France.
:
5°. Que les plans militaires des coalisés étoient aussi dépourvus
de raison que les idées des cabinets étoient fausses
sur la force des armées françaises , et que tout prêts à se l'exa528
MERCURE DE FRANCE ,
gérer après la bataille , ils avoient commencé la guerre dans
la persuasion que les Français étoient sans armée.
6°. Que M. de Stadion , qui est aujourd'hui à la tête dự
cabinet autrichien, a non-seulement pris part à ces tripotages
qui ont failli causer la ruine de sa patrie , mais qu'il a été plus
qu'exécuteur , puisqu'il a pris sur lui beaucoup de choses.
7°. Que les coalisés croyoient surprendre l'Empereur des
Français , et qu'ils étoient aussi extravagans en espérances
qu'ils se sont montrés dépourvus de ressources et de moyens
réels lorsqu'il a fallu agir.
8°. Que le prince Charles d'Autriche a toujours été opposé
à toutes ces menées , n'a jamais compris la raison de la guerre
et n'y a jamais adhéré.
9°. Qu'il résulte de l'écrit publié par le prince de Schwarzenberg,
que , la veille de la bataille , les Russes étoient à Austerlitz
pour se mettre en marche pour Nicolsburg ; manoeuvre
insensée , plus et bien plus coupable que celle de Mack,
L'Empereur Napoléon qui a jugé à propos d'attaquer le
11 frimaire , parce qu'il a trouvé l'occasion belle , avoit eu
le projet de reculer encore d'une marche, et de jeter les Russes
dans le Danube.
10°. Que si le conseil aulique punit le général Mack comme
auteur de la guerre , il doit aussi punir MM. Stadion et
Cobentzel ; que si c'est comme auteur de mauvais plans qu'on
accuse le général autrichien , la Russie , de son côté , devroit
punir les auteurs du projet de marche sur Nicolsburg ; que
général Mack ne commandoit pas l'armée autrichienne , puist
qu'il en étoit le quartier-maître ; que le prince Ferdinand he
la commandoit pas , puisque M. Mack n'étoit pas son quartier-
maître. Les militaires éclairés et justes chez tous les peuples
, en méprisant le caractère de Mack , trouveront injuste
et arbitraire la punition qu'on voudra lui faire subit
il ne mérite que le mépris : mais tous ceux qui ont été les
agens de cette basse et funeste intrigue , doivent le partager
avec lui.
11 °. Que rien ne prouve mieux combien ces publications
sont inutiles à la justification du cabinet anglais , que
l'inconsidération de l'Angleterre pour les autres états dont
ces publications compromettent les souverains et les ambassadeurs
; enfin , que désormais les ministres du continent ne
doivent parler aux ambassadeurs anglais qu'en présence d'un
notaire , s'ils ne veulent pas voir publier quelque jour de prétendues
conversations et de misérables rapsodies rédigées par
un ambassadeur pour faire sa cour à un ministre , ou servir
toute autre intrigue.
32
( No CCXLIV. )
( SAMEDI 22 MARS 80
DE A
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSI E.
L'INDULGENCE
POEM E.
MORTEELL ! est-ce à toi d'oser être sévère
Composé monstrueux d'orgueil et de misère ,
Ta foiblesse est égale à ta férocité . Ty
D'un Dieu toujours propice et toujours irrité,
Je te vois implorant et lassant la clémence ,
Lever: au ciel des bras armés pour la vengeance.
Quel est donc ton espoir ? Crois-tu , dans ta fureur,
Tromper l'oeil de Dieu même , et lui eacher ton coeur ?
Mais je veux. que ce coeur, dépouillé d'injustice ,
D'un courroux vertueux n'accable que le vice .
Eh bien ! il faut encor tempérer ce courroux :
C'est trop peu qu'il soit juste , il faut qu'il soit plus doux .
Le vice est moins affreux qu'un zèle trop sauvage
Pardonnons . L'indulgence est l'équité du sage ."
Heureux qui pourra dire au juge souverain :
Seigneur, toi seul es juste, et moi je fus humain ! »
LI
530 MERCURE DE FRANCE ,
Ce juge est descendu . La justice en silence
A remis dans ses mains le glaive et la balance ;
Mais je vois près de lui la clémence et l'amour .
Toi, qui jugeois ton frère , il t'appelle à ton tour .
Tu frémis , tu le dois ; crains ta rigueur extrême,
Crais les propres arrêts ; ils t'ont jugé toi-même :
Malheur ! malheur à toi si tu fus sans pitié ,
Si ta vertu brava le vice humilié !
Eh! quel coeur sait jamais s'il vit dans l'innocence ?
Tout inortel en tout temps a besoin d'indulgence ;
Tout mortel est coupable aux yeux de l'Eternel ,
Et le plus rigoureux est le plus criminel .
Mais ce maître des coeurs plaint la foiblesse humaine :
S'il estime le zèle , il réprouve la haine,
Le misantrope amer , le dévot emporté ,
Destructeurs ou tyrans de la société ,
Prennent pour la vertu P'humeur et la colère.
Homme farouche et dur, prends pitié de ton frère !
Es-tu foible ? pardonne. Es- tu fort ? soutiens-moi;
Eclaire ma raison et raffermis ma foi.
Des folles passions si j'ai subi l'empire ,
Le ciel t'a-t-il chargé du soin de me maudire ?
Ou si d'un doute encor mon esprit agité ,
A travers ce bandeau voit mal la vérité ,
Crois-tu qu'à tes fureurs ce doute se détruise ?
Et dois-tu m'outrager quand je veux qu'on m'instruise ?
Mais laissons ce docteur, ardent à discourir,
S'indigner de mes maux au lieu de les guérir.
Il est bien d'autres torts qu'il faut que je pardonne :
L'amour qui me trahit , l'ami qui m'abandonne ;
Et l'indigne rival que l'on m'a préféré ,
Et le vil concurrent qui s'est déshonoré
En usurpant ma place , en ravissant ma gloire ,
En frustrant mes travaux des fruits de la victoire.....
Il faut oublier tout , profiter du malheur,
Habiter en soi-même et jouir de son coeur.
C'est par de tels conseils. que la philosophie ,
Ne pouvant l'embellir, console au moins la vie.
Si l'on ne peut aimer, il est doux de sentir
Qu'on a su pardonner, qu'on ne sait point haïr.
MARS. 1806. 531
La médiocrité n'a pas tant d'indulgence ;
Le mérite l'aigrit , et la vertu l'offense :
*ན་
Tout succès noble et justé est horrible à ses yeux ;
Le coeur de l'intrigánt est toujours envieux .
Ciel ! ô ciel ! étouffez cette exécrable envie ,
Ou sauvez de ses traits la vertu poursuivie . '
Femmes , d'une rivale admirez la beauté ;
Amis , soyons rivaux en générosité ,
Sachons goûter l'esprit , respecter le génie ,
Honorer les talens que le ciel nous dénie.
Je ne vous parle point d'excuser les défauts ,
De plaindre les méchans et d'épargner les sots :
C'est le plus foible effort d'une vertu commune :
Peut-être il en faut plus pour souffrir leur fortune ,
De leurs basses hauteurs l'insolente bonté ;
Mais pour chérir loin d'eux l'auguste pauvreté ,
Pour savoir dédaigner le faste et la mollesse' ,
Voyez à qui le ciel prodigua la richesse .
De leur or accablés ont- ils pu découvrir
Que partager ses biens est tout l'art d'en jouir ? £
Oh ! que je plains un goût dédaigneux et sévère !
Ecoutez ces mortels ; tous demandent à plaire .
Qu'ils obtiennent d'aimer , ils seront trop heureux. '
L'amour embellit tout , il comble tous les veux : -
Amour, mets dans nos coeurs ton indulgence aimable ,
Répands sur l'univers ce charme inexprimable
Qui sait tout transformer , et pour qui chaque objet
Est tout ce que tu veux , et tout ce qui nous plaît !
Si la soeur de l'Amour, l'Amitié douce et tendre ,
Sur la terre à ma voix daignoit encor descendre ,
Songeons qu'elle n'admet que des coeurs indulgens ,
Qu'elle ne doit plus rien aux amis exigeans ;
Qu'il faut tout excuser, froideur, oubli , caprice , K
Le partage sur - tout , et même l'injustice.
J
pel SiqA (7)
shin 12
Toi , qui sus à la fois et vaincre et gouverner, T
Henri ! tu sus encore aimer et pardonner.
Laissons à Richelieu ses grandeurs despotiques ,
Sa digue , ses fureurs , ses chagrins politiques.
Tu daignas épargner Conchine et d'Epernon ;
Ton coeur voulut trois fois faire grace à Biron ;
LI2
532 MERCURE DE FRANCE ,
"
Montpensier à tes pieds adora ta clémence ( 1 ) ,
Et Mayenne attendri publia ta vengeance ( 2 ) .
Tu jugeas qu'être bon c'étoit plus qu'être grand ;
Ta gloire est immortelle , et voilà tốn garant.
O modèle sacré d'amour et d'indulgence !
De tes douces vertus daigne animer la France ,
Daigne éclairer notre ame , et fais-nous concevoir
Qu'aimer est un bonheur, pardonner un devoir .
Parfeu M. GAILLARD , de l'Académie Française et de la
Classe d'histoire et de littérature ancienne de l'Institut.
ODE
A LA DANS E.
GLOIRE des vierges du Permesse ,
Charme des Dieux et des mortels ,
Jeune et bienfaisante dées e
Dont les ris servent les autels ;
Brillante et vive Terpsichore ,
Toi qui m'embrases , que j'adore ,
Entends ma voix ; quitte les cieux :
Descends , plus prompte que Zéphire,
Vole , et de mon brûlant délire
Guide l'essor impérieux.
Disparoissez , aigres sibylles ,
Disparoissez , barbons grondeurs ;
(1 ) Après la prise de Calais par les Espagnols , en 1595 , des seigneurs
français , factieux et ambitieux , engagèrent le duc de Montpensier à proposer
au roi de rendre les gouvernemens héréditaires et souverains , sous
la seule condition de l'hommage , c'est - à - dire , de renouveler l'ancien
régime féodal qui avoit désolé la France et perdu la seconde race.
Henri IV fit rougir le duc de Montpensier de cette proposition , lui en
fit sentir toutes les conséquences , relativement à ses propres intérêts ( à
lui Montpensier ) , et cette triste conférence finit par un attendrissement
réciproque.
( 2 ) De l'avoir lassé à la promenade : Mon cousin, lui dit- il , voilà la
seule vengeance queje prendrai de vous . Mot divin qui suffiroit pour
faire adorer ce prince.
MARS 1806. 533
Des bals ennemis inhabiles ,
Et vous,
Des plaisirs envieux frondeurs .
Amours , Graces légères ,
Gentils bergers , tendres bergères ,
Accourez tous à mes chansons .
Cupidon , marque la cadence ,
Mon luth va célébrer la danse ,
Que tout s'anime à ses doux sons.
Tombez aux pieds de Terpsichore ,
Mortels , bénissez ses bienfaits ;
Ses jeux ne font jamais éclore
Que des plaisirs , des biens parfaits .
Ils sont l'idole du jeune âge ,
L'amour des belles et du sage ,
Et l'effroi de la Faculté .
Tout s'embellit par leur présence ,
Et l'on voit naître de la danse
La paix, la joie et la santé.
Tous les climats et tous les âges,
Peuples anciens , peuples nouveaux ,
Rois, conquérans , héros et sages ,
Dans ce bel art furent rivaux .
Ici , David , pour fêter l'Arche ,
En bondissant ouvre la marche;
Là, bondit Epaminondas.
Plus loin , dans sa fougue héroïque ,
Le fondateur de la Pyrrhique
Danse, et fait danser ses soldats.
Ce mortel , plus grand en sagesse
Que les Bias et les Thalès ,
Socrate , danse en sa vieillesse
Chez l'amante de Périclès.
Anacréon, plus vieux encore,
Fêtant Bacchus et Terpsichore ,
Danse , embrasé de Cupidon;
Et chez le tyran de Sicile ,
Aristippe , d'un pied agile ,
Danse gaiement devant Platon.
Les guerriers nus , les vierges nues
Dansent aux bords de l'Eurotas ;
3
534
MERCURE
DE
FRANCE
,
Des formes mâles et velues
Pressent des membres délicats.
On lutte , on s'étreint , on s'enlace ;
Beauté , vigueur, souplesse et grace,
Brillent en groupes animés .
D'un saint transport chacun s'embrase ,
Et dans une immobile extase
Les spectateurs restent charmés.
Ces immortels que l'honime adore ,
Les Dieux eux- mêmes , oui les Dieux ,
Amans rivaux de Terpsichore ,
Font leurs délices de ses jeux.
Au sein des bois , Faunes , Dryades ,
Mêlant leurs chants à leurs gambades ,
Dansent en choeur gais et dispos ;
Et Pan , la mine rubiconde ,
Excite leur folâtre ronde
Des sons joyeux de ses pipeaux .
Les Muses dansent sur le Pinde ;
Les Graces dansent à Paphos ;"
Bacchus danse aux rives de l'Inde ;
Le Dieu du jour danse à Délos .
J'entends danser les Corybantes ,
Leurs cris , leurs rondes mugissantes,
Sauvent l'amant de Danaé ;
Et s'agitant , échevelées ,
Les Bacchantes , dans les vallées ,
Dansent en criant : Evohé.
Si d'une gloire si brillante
La danse en Grèce resplendit ;
D'une grandeur non moins puissante
En Europe elle s'applaudit.
Sa flamme embrase les provinces ;
Belles , guerriers , savans et princes ,
Font tous pour elle assaut d'exploits ;
Et dans des fêtes solennelles
Don Juan accourt de Bruxelles
Voir à Paris danser Valois ( i ) .
( 1 ) Marguerite de France , dernière princesse de la maison de Valois ,
'fille de Henri II.
MARS 1806. 535
Plein d'une belliqueuse rage ,
Devant Charles-Quint , Scaliger
Dressant son dos courbé par l'âge ,
Danse coiffé, bardé de fer ,
Fougueux il bondit , il s'élance ,
Choque l'airain , brandit sa lance ;
Et l'air tremblant porte aux échos
Ce cri terrible et frénétique :
Voilà Pyrrhus et la Pyrrhique !
Voilà la danse des héros !
Ce roi qui fatigua la gloire ,
Qui triompha près de cent ans,
Qui vit entier dans la mémoire ,
Vainqueur du trépas et du temps ,
Louis , donnant de grands exemples,
A la danse dressa des temples ,
Et de la danse fut l'honneur ;
Et par les charmes de la danse ,
Libre des soins de sa puissance ,
Fut et grand homme et grand danseur.
Mais tel que l'astre dont l'aurore
Rougit d'orgueil le front des cieux ,
Et de ses feux , éteint , dévore ,
Des vastes nuits les pâles feux :
Ainsi mon siècle , par la danse ,
Anéantit dès sa naissance
L'éclat des siècles précurseurs ;
Et roi de leur troupe vassale ,
Voit leur couronne triomphale
Tomber aux pieds de ses danseurs.
Comme un géant immense en gloire ,
Maître de l'immortalité ,
Il court au temple de mémoire
Régner sur la postérité ;
Et dans ses bonds inimitables ,
Dans ses élans inconcevables ,
Jusques aux cieux portant ses pas ,
Entend les cris de tous les âges
Eterniser de leurs hommages
Ses incroyables entrechats.
Par G..E DE P .......TE ( de Lyon . )
4
536 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
SANS être femme , ni fille ,
'Ami lecteur , tiens pour certain ,
Qu'ainsi que toute ma famille ,
Je suis du genre féminin .
Ici je suis française , et quoique favorable
A maint et maint écrivain ,
Abeaucoup de savans j'ai paru détestable .
Combien d'entr'eux dédaignent la beauté
De mes plus jeunes soeurs , et courtisent les vieilles ;
Leurs consacrent travaux et veilles ,
Dans leur possession placent la volupté ,
Et préfèrent , la chose est des plus étonnantes ,
Quoique l'exacte vérité .
Par un goût singulier , les mortes aux vivantes . *
Par M. DUTHRÔNE - GLATIGNY.
LOGO GRIPHE
EN SON, NET.
L'HUMAINE ambition me donna la naissance.
Mes services d'abord étoient de peu d'effets ;
Mais ayant reconnu quelle est ma résistance ,
On m'employa depuis à de très- grands projets .
Par mon secours les rois conservent leur puissance ,
On peuple quelquefois des déserts , des forêts ,
L'artisan s'enrichit , le militaire avance ,
Enfin je suis utile aux princes , aux sujets .
Huit lettres font mon nom ; pour peu qu'on les déplace ,
Le lecteur trouvera de l'homme une boisson ;
Un fer propre à tenir, et glace , et lit en place .
Il peut trouver encore une graine ; un poisson ;
Un saint du mois de mai ; du monde une partie ;
Ce
que la mort détruit ; un gros bourg d'Italie ."
Par M. LEMaire.
CHARADE.
ÉTFS-VOUS mon dernier,
Brusquement mon premier
Vous met en mon entier.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº est Escargot.
Celui du Logogriphe est Magicien , où l'on trouve Nice , mage ■
gain , amie , cage , magie , main
Celui de la Charade est Chauve- souris.
MARS 1806. 537 **
Voyage en Chine , formant le complément du voyage
de lord Macartney ; par John Barrow . Trois vol.
in-8°. Prix : 20 fr. , et 25 fr. par la poste . A Paris ,
chez Buisson , libraire , rue Hautefeuille ; et le
Normant , libraire , imprimeur du Journal de
l'Empire, rue des Prêtres Saint- Germain-l'Auxerrois
, nº. 17.
'Deuxième etdernier extrait. ( Voyez le N° du 23 novembre. )
DANS un premier extrait sur ce Voyage , nous avons
examiné les Chinois dans leurs rapports avec l'autorité
publique ; nous avons fait remarquer l'accord
parfait qui existoit entre la loi politique et la loi
civile , découlant toutes les deux du même principe
( le despotisme paternel ) , et se prêtant un mutuel
secours . Il nous reste maintenant à considérer la société
domestique et ses institutions : sous ce rapport ,
le tableau que nous allons offrir de ce peuple ne
présentera pas des couleurs plus riantes.
Plusieurs déclamateurs modernes se sont extasiés
sur l'extrême civilisation des Chinois : l'examen de
leur gouvernement a prouvé que cette prétendue civilisation
n'étoit autre chose que l'extrême servitude ,
combinée sans doute par une sagesse profonde , mais
qui , tout en maintenant la tranquillité de ce vaste
empire , n'en produit pas moins son effet naturel et
nécessaire la dégradation de toutes les facultés
morales de l'homme. L'examen de la société domestique
confirme cette vérité ; et un observateur qui ,
sans avoir rien vu de l'administration extérieure de la
Chine , se trouveroit transporté dans l'intérieur de
la maison d'un Chinois , concluroit aussitôt qu'il est
chez un peuple peu avancé dans la civilisation .
En effet , c'est un principe à-peu -près invariable ,
538 MERCURE DE FRANCE ,
-
que la condition des femmes , chez quelque nation
que
ce soit , peut servir de règle pour juger du degré
de civilisation auquel cette nation est parvenue. Ce
n'est que dans la perfection de nos sociétés européennes
que l'on a senti quelle heureuse influence
pouvoient avoir sur la société leurs qualités morales
et intellectuelles , que la nature ne leur a point données
pour qu'elles restassent dans l'inaction à laquelle
elles sont condamnées chez les peuples sauvages et
sous les gouvernemens despotiques. Dans nos heureuses
contrées , où des gouvernemens justes et modérés
ne peuvent avoir d'autre but que d'inspirer
aux citoyens des sentimens nobles et généreux , on a
senti qu'il seroit barbare et impolitique d'avilir un
sexe de qui l'homme reçoit les premières et les plus
durables impressions , et dont les douceurs sont si
admirables pour tempérer ce qu'il peut avoir d'àpreté
dans le caractère et de férocité dans les moeurs. Des
effets contraires doivent nécessairement résulter d'un
état de choses entièrement opposé ; et partout où la
volonté arbitraire d'un seul tient lieu de loi , où les
premières impressions que l'on reçoit sont celles de la
nécessité, de la servitude et de l'excellence de la force ,
le moral des femmes doit être compté pour rien ;
leur foiblesse doit les rendre esclaves ; et leurs agrémens
physiques , seul mérite que l'on recherche en
elles , loin d'être un avantage pour celles qui les
sèdent , ne doivent servir , en raison du prix extrême
qu'on y met , qu'à rendre leur captivité plus dure ,
à les éloigner de toute société , à en faire enfin les
victimes soumises et dégradées des plaisirs sensuels et
de la jalousie de leurs tyrans . Telles sont les moeurs
de tous les états despotiques de l'Asie , et nulle part
l'avilissement et l'esclavage de ce sexe aimable n'est
plus frappant et plus déplorable qu'à la Chine :
pos-
« Les Chinois , dit l'auteur , ont assujetti les fem-
» mes à un bien plus grand degré d'humiliation et
» de gêne , que ne l'avoient fait les anciens Grecs et
'MARS 1806 .
539
>>
» nos aïeux , dans le temps que l'Europe n'étoit
» pas encore éclairée . Non contens de les priver
physiquement de l'usage de leurs pieds , ils ont
imaginé , pour les rendre encore plus casanières ,
>> d'établir que c'est un crime moral pour une femme
» d'être vue hors de sa maison . Si elles ont besoin
» de rendre visite à une parente ou à une amie , il
» faut qu'elles aillent en chaise à porteur. Marcher
» seroit pour elles le comble de l'indécence . Les
» dames de la campagne qui n'ont pas l'avantage
» d'avoir des chaises à porteur , se font quelquefois
» charier dans une espèce de brouette couverte.
Cependant les femmes et les filles de la classe infé-
» rieure ne sont ni renfermées dans leur maison , ni
exemptes d'un pénible travail d'esclaves . Plusieurs
d'entr'elles y sont obligées de travailler avec un
» enfant sur le dos , pendant que leurs maris sont
» occupés à jouer , à se promener ou à dormir pares-
» seusement. J'ai souvent vu de ces malheureuses
» femmes aidant à tirer la petite charrue chinoise
» ou la herse. » De manière qu'à la tyrannie orientale
qui ordonne l'éternel esclavage des femmes , se
joint celle des sauvages qui les traitent comme des
bêtes de somme.
>>
Ce mépris tyrannique pour les femmes éteint
nécessairement toutes les douceurs de la vie domestique
« Chez elle - même , au sein de sa propre
» famille , une femme ne doit ni manger à la même
» table que son époux , ni s'asseoir dans la même
>> chambre . Les enfans mâles , dès l'âge de neuf à
» dix ans , sont absolument séparés de leurs soeurs.
» Aussi les sentimens d'affection , qui sont moins
» l'effet d'un instinct naturel entre les enfans W
que
» d'une communication mutuelle de leurs besoins
» et de leurs plaisirs , se trouvent arrêtés dans leur
» germe , et périssent à l'instant où ils étoient près
» d'éclore. »
Dans un pays où le moral de l'amour est entière540
MERCURE DE FRANCE ;
ment inconnu , où les femmes ne sont considérées
que comme de vils instrumens des plaisirs d'un
maître , on ne doit nullement consulter , dans le mariage
, ni leurs sentimens , ni leur inclination : « On
» peut dire , poursuit M. Barrow, que les filles des
» Chinois sont toujours vendues . Celui qui veut en
» épouser une doit commencer par faire son marché
» avec les parens de cette fille . Elle n'a pas le droit
» de choisir ou de refuser ....... Là , nulle conversation
» préliminaire n'est jamais permise ; là , nulle com-
> munication d'opinions , nulle comparaison de sen-
» timens relativement aux inclinations ou aux répu-
» gnances qu'on éprouve , ne peut avoir lieu. Üne
» femme est une marchandise qui doit être indubi-
» tablement livrée à celui qui en offre le plus. A la
» vérité , l'homme n'a pas , à cet égard , un grand
» avantage ; car il ne lui est jamais permis de voir sa
» femme , avant le moment où elle arrive en grande
» cérémonie à sa porte . Toutefois la clef de la voiture
» de cérémonie où la femme est renfermée , et qui
» la conduit chez l'époux , est apportée d'avance à
» celui-ci et si en ouvrant cette voiture , il trouve
» que la femme ne lui convient pas , il est maître de
» la renvoyer à ses parens. Mais , dans ce cas , tout
» ce qu'il leur a donné pour prix de cette femme
» est perdu pour lui , et ils peuvent , en outre , lui
» demander une somme d'argent , à condition pour-
» tant qu'elle n'excédera pas la valeur des choses
» qu'ils ont déjà reçues . »
Tout cela doit , sans doute , paroître horrible à des
européennes , mais ne peut produire les mêmes impressions
sur une Chinoise , accoutumée dès l'enfance
à ces idées de dépendance absolue , préparée par les
habitudes de la maison paternelle à celles qu'elle doit
prendre dans la maison d'un époux , où elle continue
d'être une espèce de meuble inanimé , qui se modifie
suivant les volontés ou le caprice du maître auquel le
sort l'a soumise. Elle ne se croit point avilie ; elle
MARS 1806. 541
y a
n'éprouve ni trouble ni jalousie ; elle voit même sans
chagrin son mari introduire dans sa maison une
seconde , une troisième femme ; et la polygamie est
encore une conséquence de cette servitude , de cet
abrutissement extrême des femmes. Partout où il
des sentimens et des engagemens réciproques ; partout
enfin, où le moral de l'amour est quelque chose , une
seconde épouse ne peut être admise dans la société ; car
ces sentimens ne peuvent se partager sans se détruire ,
et la paix domestique seroit troublée . Par la même
raison
, ce partage doit être peu de chose dans un
pays où l'amour est tout physique. Une femme s'attend
à voir son mari diviser sa tendresse entre elle et plusieurs
rivales ; et en l'épousant , il n'a point pris
l'engagement de n'épouser qu'elle . Chez elles , le coeur
n'est donc jamais déchiré , l'orgueil n'est point
révolté ; elles n'ont ni assez d'activité d'esprit, ni assez
d'expérience pour se faire une idée juste du malheur
de leur état ; ce qui ne pourroit résulter que de sa
comparaison avec quelque autre situation plus douce ,
dont , heureusement pour elles , elles n'ont pas la
moindre connoissance. Elles n'ont ni plaisir ni chagrin
, et le seul mal qu'elles connoissent est l'ennui
qui résulte de cet engourdissement de toutes les facultés
de l'ame. << Pour tromper les longues et pesantes
» heures qui doivent nécessairement accabler des
» femmes séquestrées du commerce du monde , et
» absolument dépourvues de moyens d'occuper leur
>>
esprit , elles ont adopté l'usage de fumer. Toutes
» ces femmes , depuis l'âge de huit ou neuf ans ,
>> portent , comme un accessoire de leur habillement ,
» une petite bourse de soie pour mettre une pipe
» et du tabac , chose dont quelques- unes se servent ,
» mêine dans une si tendre jeunesse. Il y en a qui
» sont constamment employées à broder des étoffes
» de soie , ou à peindre des oiseaux , des insectes et
» des fleurs sur de la gaze très- fine . »>
J
Telle est la constitution civile et politique , telles
543 MERCURE DE FRANCE ,
sont les moeurs domestiques des Chinois, Bassesse et
servitude au- dehors , tyrannie dans l'intérieur , misère
et oppression générale ; mais un orgueil national qui
les console de tout. Après tout , le bonheur est dans
l'opinion ; et le Chinois , mourant de faim et courbé
sous le bambou , qui se croit le premier peuple de.
la terre et le plus heureux , l'est en effet ,
Nous nous sommes principalement attachés , en
rendant compte de ce Voyage , à ce qui pouvoit faire,
connoître les lois , le caractère et les moeurs de ce
peuple singulier. M. Barrow ne s'est pas borné à ce
seul genre d'observation ; et sa relation embrasse une
foule de remarques non moins intéressantes sur les
arts , l'agriculture , le commerce , la religion , les
monumens , l'administration militaire , celle des
finances , etc. Il donne des détails curieux sur les
Tartares- Mantchous , sur la cour de Péking , sur le
régime intérieur des palais , sur les occupations et les
amusemens de l'empereur. Ce qui a été dit avant
lui , il le répète d'une manière nouvelle , et avec des
développemens plus étendus , ou des rapprochemens
qui n'avoient point encore été faits ; et ce qu'on ne
trouve nulle part , c'est une analyse claire et précise
de la langue écrite de ce peuple extraordinaire. Ce
n'est pas que nous approuvions toutes les réflexions
de l'auteur , encore moins plusieurs notes du traducteur
, qui attaque fort légèrement les traditions les
plus respectables , avec des argumens mille fois
réfutés sur la prétendue antiquité du monde ; mais
si nous en exceptons ces notes , extrêmement rares ,
et un petit nombre de passages dans le texte , où
perce l'orgueil britannique et l'esprit du protestantisme
, ce Voyage est amusant et instructif. La traduction,
qui manque quelquefois d'élégance , est écrite
cependant avec la clarté et la simplicité que demande
ce genre d'ouvrage , et nous croyons qu'elle mérite
d'obtenir du succès .
N.
MARS 1806. 543
Epitre à M. de Voltaire , par M. de Chénier , de l'Institut
National.
}
DEPUIS long-temps nous craignions que M. de Chénier
dégoûté de la littérature comme de la politique , n'eût renoncé
à tout commerce avec les Muses ; et lorsque nous nous
plaignions tout récemment de l'oisiveté à laquelle sembloient
s'être condamnés nos premiers talens , on peut bien croire
que c'étoit lui que nous avions particulièrement en vue. Le
législateur des Hébreux , après les avoir guidés pendant quarante
ans dans le désert , termina ses jours au moment d'entrer
dans la terre promise. Nous pensions que par une destinée
pareille , l'un de nos plus illustres législateurs , après nous
avoir conduits au milieu des orages de l'anarchie , nous avoit
abandonnés lorsque nous entrions sous un ciel plus heureux ;
que , fidèle à ses principes , il avoit voulu , comme Moïse ,
mourir sur la montagne , c'est-à -dire , se condamner à un
silence absolu , ce qui pour un poète est uné véritable mort.
Le nom même de l'auteur de l'Epitre à Voltaire , proclamé
noblement au coin des rues depuis plusieurs jours , ne nous
avoit pas désabusés , et nous ne doutions pas que cette pièce
ne fût l'ouvrage de quelqu'écrivain subalterne , fier de porter
le nom d'un poète célèbre. Heureusement nous n'avons pas
eu besoin d'achever la lecture des vingt premiers vers pour
être complétement rassurés , et nous nous hâtons d'apprendre
a nos lecteurs que M. de Chénier est bien le même que Marie-
Joseph Chenier , le même qui , pendant trois législatures
consécutives , sut si glorieusement réunir les doubles fonctions
de Lycurgue et de Tyrtée.
Au nom de tous les amis des lettres , félicitons bien sincèrement
l'illustre auteur d'être rentré dans une carrière qu'il
doit encore parcourir avec gloire. Et qu'on ne dise pas que
sa célébrité n'a pas besoin de quelques épîtres satiriques nou544
MERCURE DE FRANCE ,
velles , qu'elle repose depuis long-temps sur des bases iné
branlables ; nous n'avons point oublié les nombreux succès
que M. de Chénier a obtenus au théâtre. Nous nous plaisons
à reconnoître que ses tragédies , composées au milieu des troubles
de l'anarchie , étoient excellentes pour le temps où elles
furent représentées ; qu'elles sont , en un mot , un des beaux
monumens de la littérature révolutionnaire . Mais dans la
monarchie tranquille et florissante où nous sommes désormais
condamnés à vivre , ces chefs - d'oeuvre paroîtroient fort
déplacés sur la scène , d'où ils sont bannis depuis plusieurs
années. Il est donc probable qu'ils sont désormais destinés
au plus profond oubli : grand exemple des étonnans revers
de fortune qu'amènent toujours avec elles les révolutions
politiques. Ainsi M. de Chénier fait très - prudemment de
travailler à son immortalité sur de nouveaux frais , et de se
jeter dans la satire.
en
On peut appliquer à ce genre de poésie le jugement d'un
casuiste célèbre , sur le théâtre : on peut dire qu'il a de grandes
autorités contre lui , et de grands exemples en sa faveur.
Des moralistes sévères ont pensé qu'un écrivain manquoit à
l'équité et à la modération qui caractérisent le sage ,
versant le ridicule sur des hommes dont le seul tort est souvent
de n'avoir pas assez admiré, ses ouvrages. Nous pensons, comme
eux , qu'une satire injuste qui n'est dictée que par un ressentiment
personnel , est en effet très-condamnable ; mais nous
ne pouvons convenir qu'il faille laisser en paix les ridicules
prétentions de tant d'impertinens auteurs , qui trop souvent
outragent à la fois la morale et le goût. La satire nous paroît
à leur égard non-seulement juste , mais nécessaire ; et nous
devons de la reconnoissance à l'écrivain courageux qui se
charge de les remettre à leur place. Il est vrai que pour qu'il
soit en droit d'exercer ces difficiles fonctions , il y a deux
conditions indispensables : il faut qu'il soit excellent poète ,
et sur-tout qu'il jouisse d'une réputation sans tache. Prendre
le
MARS 1806.
EL
;
le rôle austère de censeur , quand il ne faudroit songerqu
se réformer soi-même ; attirer sur soi les justes récriminations
de ses adversaires , quand on devroit s'applaudir d'ée te5.
cen
tombé dans l'oubli , ce seroit déclarer effrontément qu'apres
s'être perdu dans l'opinion publique , on ose encore
braver ; ce seroit ressembler à un homme ivre , qui , au lieu
d'être confus de son état , youdroit faire rejaillir sur les pas
sans la fange où il se seroit roulé.
Remercions donc M. de Chénier de prendre en main la
défense du bon goût et de la saine philosophie. Quel autre
apporteroit à ce noble emploi des titres aussi incontestables ?
Il sera beau de voir de grands talens consacrés à une grande
M. de Chénier , réformateur de son siècle , M. de Chénier
prodiguant le mépris à ses adversaires , qui sont , comme
on sait , tous les ennemis de la raison et des idées libérales
ce sera un spectacle vraiment curieux et dont personne ne
voudroit céder sa part.
P
L'Epitre à Voltaire nous annonce ce que nous pouvons
espérer dans ce genre. L'auteur en paroissant n'avoir d'autre
dessein que de converser avec ce grand poète , y dévoue sans
pitié à la risée publique tous ceux qui ont eu le malheur de
lui déplaire. Cette espèce de satire , d'autant plus piquante
qu'elle est indirecte , n'a pas le mérite de la nouveauté. On
sait que Voltaire en a donné plus d'un exemple , et nous
citerons particulièrement son Epître àHorace, où, pour tourner
ses ennemis en ridicule , il paroît avoir emprunté au poète
latin la gaieté piquante , la grace et la fine plaisanterie qui le
caractérisent. Sans excuser quelques traits beaucoup trop
libres , on peut être charmé de le voir causer avec le poète
latin comme avec un ami d'enfance , à qui il se plaît à
peindre les différentes traverses qu'il a essuyées , et l'heureuse
philosophie qu'il a puisée dans ses écrits. On remarquera surtout
qu'il se garde bien de raconter à Horace , ce qu'Horace
doit savoir mieux que lui ; de lui rappeler , par exemple ,
M m
546 MERCURE
DE FRANCE ,
comment Brutus le créa tribun militaire , comment il s'enfuit
à la bataille de Philippes , comment de retour à Rome il fut
présenté à Mécène , qui le prit en amitié et lui ménagea la
protection d'Auguste , etc. , etc. Il aime mieux l'entretenir
des ridicules du temps , et l'amuser, par des peintures riantes
"qu'Horace lui - même n'auroit pas désavouées. Nous sommes
fachés que M. de Chénier ait fait précisément le contraire.
Il prend Voltaire au sortir du collége , il le suit dans toutes
les circonstances de sa vie , à Cirey , à Postdam , à Ferney ;
il le ramène à Paris , où il le couronne , et c'est là qu'il termine
son histoire . Assurément cette marche peut avoir beaucoup
de mérite sous le rapport de la chronologie ; mais
comment l'auteur n'a-t - il pas craint d'ennuyer à la fois et
ses lecteurs et Voltaire lui - même , en leur récitant une
histoire qu'ils connoissent tous depuis long-temps ? Si un
admirateur de M. de Chénier lui adressoit une longue Epître
pour lui raconter toutes les circonstances les plus glorieuses
de sa vie , depuis 1789 jusqu'à la représentation de Cyrus ,
ces détails pourroit être fort beaux ; mais le réjouiroient- ils
beaucoup ?
Au reste , on sent bien que quand nous reprochons à l'au—
teur d'avoir rempli son ouvrage de faits si rebattus , nous ne
voulons pas dire qu'il n'y ait mis que cela : il connoît trop
bien son art pour ne pas mêler à l'histoire d'heureux épisodes.
C'est ainsi , par exemple , qu'il suspend un moment son
récit pour admirer les rapides progrès de la raison publique
au dix-huitième siècle , quand
Diderot , d'Alembert , contre les oppresseurs ,
Sous un libre étendard , liguèrent les penseurs .
L
Seulement nous regrettons que l'auteur n'ait pas complété
ce beau tableau. Il eût été curieux de voir la sage
philosophie de ces penseurs , d'abord minant sourdement
toutes les bases de notre antique monarchie , appelant ensuite
de tous les coins de la France des ouvriers pour la détruire , et
MARS 1806.. 547
L
renversant avec elle jusqu'aux fondemens de la société ; et
enfin, ce qui est pour l'auteur le point important de ce grand
ouvrage , confiant à M. de Chénier la construction d'un
édifice nouveau. Mais sans doute le poète aura craint , non
sans sujet , de réveiller trop de souvenirs , et il se sera rappelé
fort a-propos son Horace :
Incedo per ignes
Suppositos cineri doloso.
Tels sont les défauts que nous avons vus avec regret dans
la conception générale de l'Epútre à Voltaire. Disons maintenant
un mot du style. C'est là que les grands poètes ne manquent
jamais de prendre leur revanche . Nous allons transcrire
l'une des tirades les plus brillantes , celle où est célébré le
triomphe de Voltaire :
-51216
ཤིན ལྡན་དས་རྡོ་
Faut-il donc s'étonner si la France unanime
Au déclin de tes ans brigua l'honneur sublime
De léguer sur le marbre à la postérité '-
Les traits d'un écrivain cher à l'humanité ? 1
pas
✓
OT
is by
gostdio sa
5 10
O généreux concours des amis de l'étude ! hovnoq olim so
Non , ce n'est ainsi que l'humble servitude, on
Offrant comme un tribut son hommage imposteur,
Consacre à la puissance un marbre adulateur .
Tairons- nous ce beau jour où Paris dans l'ivresse
D'un triomphe paisible honoroit ta vieillesse ?
Qu'on étale avec pompe aux yeux des conquérans
Des gardes , des vaincus , des étendards sanglans ,
Le glaive humide encore et futnant de carnage ,,
Et le profane encens vendu par l'esclavagelin , wel jo
Ta garde étoit un peuple accouru sur tes pas;
Il bénissoit ton nom , te portoit dans ses bras ,
Des pleurs de sa tendresse il ranimoit ta vie. “Thatha 11T
don A vanter un grand homme il condamnoit Tenvie ;
Admiroit les éclairs qui brilloient dans tes yeux ; I
Contemploit de ton front les sillons radieux,
Creusés par soixante ans de travaux et de gloire,
Et qui d'un siècle entier sembloient tracer l'histoire.
M m 2
548 MERCURE DE FRANCE ;
:
Ces vers ne sont pas sans facilité et sans harmonie : on est
faché d'y trouver plusieurs taches. La France unanimè est un
latinisme ; jusqu'ici on auroit dit la France d'un væu unanime.
Mais il y a des innovations heureuses qui sont permises aux
poètes , et nous croyons que celle- ci est de ce nombre. 11
seroit plus difficile de justifier brigua l'honneur sublime. Il
est juste sans doute de récompenser les grands talens ; · mais
appeler cela un honneur sublime brigué par tout un peuple ,
c'est une exagération de versificateur , qui ne voit rien de si
glorieux pour une nation que d'applaudir à des vers. Humide
encore forme un pleonasme si le glaive est fumant de carnage
, à plus forte raison est-il humide. Le vers suivant offre
un assemblage de grands mots qui n'expriment rien de précis ;
défaut malheureusement assez ordinaire chez M. de Chénier.
'Des pleurs de sa tendresse il ranimoit ta vie. Autre exagération
plus forte encore que la première. Le peuple étoit , si
l'on veut , ému , transporté ; mais prétendre qu'il baignoit
un poète de pleurs , et des pleurs de sa tendresse , c'est tout
ce qu'on pourroit dire s'il étoit question de Henri IV ou de
Titus. On ne dit rien des trois derniers vers. Ces sillons ra-
'dieux creusés par soixante ans de gloire , et qui sembloient
tracer l'histoire d'un siècle, font un vrai galimatias qu'il
seroit trop difficile d'expliquer.
On devoit s'attendre à trouver dans un auteur célèbre ,
dans un poète dramatiqué , couronné par de nombreux
succès , le double talent de bien apprécier les grands écrivains
et les grands princes. Sans doute cet heureux discernement
ne manqueroit pas à M. de Chénier , s'il n'avoit pas adopté
une étrange méthode pour asseoir ses jugemens : c'est de
n'apprécier les hommes célèbres que sur le plus ou le moins
d'aversion qu'ils ont montré pour ce qu'il appelle les préjugés
et la superstition . Aussi Fontenelle , dont les écrits
n'outragèrent jamais la religion , lui paroît-il un sage un
peu timide , et il ajoute
MARS 1806 .
549
Moutesquieu, plus profond , plus fin , plus intrépide ,
Amenant parmi nous deux voyageurs Persans ,
Essaya sous leur nom de venger le bou sens.
D'Usbec et de Rica les mordantes saillies ,
Par la raison publique en naissant accueillies ,
Couvroient les préjugés d'un ridicule heureux ,
Et le Français malin s'aguerrissoit contre eux.
Tout le monde sait que si l'on trouve dans les Lettres Persannes
quelques plaisanteries trop hardies , il ne faut les imputer
qu'à la jeunesse de l'auteur , qui changea bien de langage ,
quand son génie , mûri par l'âge , se développa tout entier
dans l'Esprit des Lois. Mais l'Esprit des Lois , mais les
Causes de la Grandeur et de la Décadence des Romains ne
sont rien pour M. de Chénier ; et de tout Montesquieu il n'a
retenu que quelques sarcasmes fort usés sur des objets trèsrespectables.
Il est pourtant vrai de dire que ce grand homme
reparoît une autre fois dans l'Epître ; et voici comment
l'auteur sait réparer le tort qu'il lui fait ici :
J
Monstesquieu , dans ce siècle , osant juger les lois ,
Des peuples asservis revendiqua les droits ,
Du pouvoir absolu vengea l'espèce humaine ,
Et fit rougir l'esclave en lui montrant sa chaîne.
A ces grands mots , pillés à la tribune de la Convention , qui
pourroit reconnoître celui que M. de La Harpe a si bien
caractérisé , en l'appelant un génie essentiellement conservateur?
Diroit-on autre chose d'un philosophe de la révolution?
Mais c'est un travers de M. de Chénier de prêter ses propres
couleurs à tous ceux qu'il veut peindre ; et parce qu'il ne voit
partout que chaînes à briser , que préjugés à combattre ,
parce qu'il est le vrai don Quichotte de la philosophie moderne
, il suppose très-gratuitement à tous nos grands hommes
des idées libérales qui ne leur sont jamais venues en tête.
On va en voir un autre exemple :
Le portrait de Henri IV entroit naturellement dans une
Epure à Voltaire. L'auteur devoit s'étendre avec d'autant plus
3
550 MERCURE DE FRANCE ,
de plaisir sur l'éloge d'un roi cher à tous les coeurs français
que Voltaire lui doit une grande partie de sa gloire. Voici
cet éloge contenu dans un seul vers :
Ce Bourbon, roi loyal , mais douteux catholique.
Ainsi , pour trouver quelque chose à louer dans le meilleur
de nos rois , M. de Chénier a été obligé de révoquer en doute
sa sincérité et sa bonne foi.
1 Puisque nous en sommes sur les portraits , citons encore
celui du grand Frédéric ; il est plus étendu et n'est pas moins
curieux :
:
Que de fois tes regards
Ont suivi ce héros qui chérit tous les arts ;
Qui sur tant de périls fonda sa renommée ;
Qui forma, conduisit , ménagea son armée;
Qui fut historien , philosophe , soldat ;.
Qui l'écrivit en vers la veille d'un combat ,
*
Rima le beau serment de mourir avec gloire.....
Après ce beau serment vous croyez qu'on va vous dire qu'il
marcha au combat , qu'il vit cent fois la mort sur sa tête ?
Non il vécut . Et pourquoi vécut- il ? Pour dicter la paix ,
pour réparer les maux de la guerre , pour faire le bonheur
et la gloire de ses peuples ? Non c'est pour rimer qu'il
remporta la victoire. Voici le texte :
2
Rima le beau serment de mourir avec gloire,
Vécut, et pour rimer remporta la victoire.
Voilà sans doute un bel éloge pour un poète ; mais peut-être
le grand Frédéric devoit-il être représenté sous d'autres couleurs.
Après tout ce qu'on vient de lire , on croira sans peine
que M. de Chénier traite avec une bienveillance marquée
tous les écrivains, bons ou mauvais , qui ont partagé sa haîne
contre l'oppression ; mais ce qu'on ne devineroit peut - être
pas , c'est le jugement qu'il porte d'un poète que la postérité
MARS 1806, 55r
a mis au nombre des beaux génies qui sont l'honneur de la
France. Il ne dit qu'un mot de Crébillon , et le voici :-
Crébillon , dont le style indigna Melpomène.
J'avoue que si nous étions encore dans le bon temps , où
la politesse étoit condamnée comme incompatible avec la
franchise d'un homme libre je ne manquerois pas de rappeler
içi , à Marie-Joseph Chénier , ces vers d'Amphitryon
Comme avec irrévérence
Parle des Dieux ce maraud !
ว
Mais puisque les préjugés nous obligent maintenant à de
serviles égards , je ferai observer à M. de Chénier , avec la
timide réserve d'un esclave , que quoique le style de Crébillon
soit moins pur que celui des autres maîtres de la scène ,
il a souvent une vigueur et une énergie qui plaisent particulièrement
à Melpomène , bien loin de l'indigner ; qu'il se fait
aujourd'hui bien peu de vers qui puissent entrer en comparaison
avec les belles tirades de Rħadamiste et d'Electre , même
sous le seul rapport de la correction ; et que par conséquent ,
bien que de l'avis de tout le monde le style des Gracques 3
de Timoléon et de Jean Calas soient parfaitement digne
de la beauté des conceptions , l'illustre auteur devoit traiter
avec plus de déférence l'un de ses plus célèbres devanciers.
Une aussi excessive sévérité ne peut manquer de provoquer
celle des lecteurs , et peut-être leur fera-t-elle remarquer
dans l'Epître à Voltaire un assez grand nombre de fautes
qui indignent à -la-fois la logique et le goût. Nous ne les
suivrons pas dans cet examen , et nous croyons en avoir assez
dit pour faire présumer qu'il pourroit n'être pas très-favorable
à M. de Chénier.
414
?
Mais avant de finir , l'équité nous oblige de prévenir le
lecteur qu'il ne doit pas trop s'en rapporter à nos critiques ,
qui peut-être ne sont pas exemptes de quelque partialité.
En effet , il faut bien nous décider à avouer ici ce qui doit
552 MERCURE DE FRANCE ;
bientôt être connu de toute l'Europe avec les vers de
M. de Chénier : nous avons un sujet de ressentiment contrelui.
Ce grand poète nous a jugés dignes de son courroux , et
nous sommes à jamais couverts de honte par le distique
suivant :
Qu'ont fait ces nains lettres , qui , sans littérature ,
Au-dessous du néant soutiennent le Mercure ?
On demandera peut-être comment le géant Chénier a daigné
regarder de si haut de misérables nains. Le géant répondra
qu'il sait trop bien où vont les vers médiocres , et qu'il a ses
raisons pour ne pas vouloir qu'on rencontre des critiques
même au- dessous du néant. Soumettons-nous donc à notre
destinée. Obscurs prosateurs que nous sommes , reconnoissons
que nous avons mérité l'animadversion d'un poète célèbre ,
ne fût--ce que pour nous être souvenus trop souvent de cet
arrêt terrible de Boileau :
Il n'est point de degré du médiocre au pire.
C...
Les Quatre Saisons du Parnasse , avec des Mélanges littéraires
et des Notices sur les pièces nouvelles , etc. Il en
paroît trois volumes , qui sont l'Eté , l'Hiver et le Printemps
, à raison de 3 fr . , et 4 fr. par la poste. A Paris ,
chez madame Dubois , rue du Marché-Palu ; et chez
le Normant, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , nº 17 .
La France est un pays fertile sous tous les rapports : le
cerveau de nos poètes est aussi fécond que le sein de la terre.
Heureux climat , qui produit du blé , du vin et des chansons !
Mais les chansons ne nous coûtent guère , et il faut avouer
qu'on est assez juste en ne les estimant que ce qu'elles valent.
Sous peine d'être un franc Béotien , il faut distinguer le
MARS 1806. 553
vin d'Orléans du Saint-Emilion , et ne pas prendre un chansonnier
du Vaudeville pour un Anacréon. On se plaint que › ,
nous dédaignons une richesse qui nous accable ; mais nous
sommes comme Lucullus , qui avoit cinq mille manteaux de
pourpre dans ses greniers.
Nous avions un Almanach des Muses ( 1 ) , qui servoit de
magasin général aux beaux-esprits ; mais au lieu d'une récolte
on prétend en faire quatre. Ah ! messieurs , c'est trop . Pourremplir
ces quatre nouveaux magasins , il faudra ramasser
toutes les criblures , et les disputer au Nouvel Almanach des
Muses , au Chansonnier des Dames , à la Guirlande de
Fleurs , à l'Almanach Poétique de Bruxelles , et à tous les
Recueils de chansons présens et futurs. (2)
Outre ces dix ou douze magasins généraux de chansons ,
d'épigrammes , d'odes , de madrigaux , etc. , etc. , qui contiennent
toutes les richesses du bel-esprit , nous en avons
encore de particuliers , qui renferment les productions des
poètes qui se croient assez puissans et assez féconds pour
remplir seuls un volume. M. Hinard (3) et M. la Chabeaussière
( 4 ) nous offrent chacun le leur ; mais , hélas ce sont
autant de magasins fermés , et tout ce qu'ils contiennent est
absolument inconnu.
M. la Chabeaussière mérite cependant quelque célébrité :
c'est lui qui a eu l'idée neuve de mettre Anacréon en couplets
, et nous lui devons le rare agrément de chanter des
pièces grecques sur des airs du Pont-Neuf. J'ai toujours
(1 ) Un vol . in- 18. Prix : 1 fr. 80 cent. , et 2 fr. 25 cent . par la poste.
A Paris , chez Louis , libraire ; et le Normant , imprimeur -libraire.
(2 ) Tous ces Recueils forment chacun un volume in - 18 , à raison de
fr. 50 c. , et 2 fr. par la poste. A Paris , chez Barba , Frechet , et le Normant.
(3) Poésies de M. Hinard. Un vol . in- 12. Prix : 1 fr. 50 cent . , et
2 fr. par la poste. A Paris , chez le Normant.
(4) OEuvres diverses de M. la Chabeaussière. Un vol . in- 8 ° . Prix :
a fr. 50 cent. , et a fr . par la poste. A Paris , chez le Normant.
5541 MERCURE DE FRANCE ,
retenu le petit refrain par lequel il termine une de ces odos ,
eharmantes ; le voici :
Je ne forme qu'un desir : ·
Jouir, jouir,
C'est le refrain du plaisir.
t
On ne peut pas s'exprimer d'une manière plus naturelle , et il
me paroît que c'est être original en traduisant ; car certaine—-
ment il n'y a pas là un mot d'Anacréon : tout est de M. la ›
Chabeaussière. Ainsi , qu'on ne vienne pas nous dire que c'est
du style pillé , que les traducteurs n'ont qu'un mérite d'emprunt
, qu'ils doivent tout à leur modèle , et cent autres propos
de cette nature , que l'envie suscite à des censeurs chagrins.
Je ne sais quel savant critique s'est avisé de trouver mauvais
que M, la Chabeaussière ait fait parler Anacréon d'artillerie
, sous prétexte que les Grecs n'avoient pas inventé la
poudre ; mais assurément Anacréon n'étoit pas un sot ; et , en
tout cas , son traducteur , qui est poète , n'avoit- il pas les
mêmes droits que Milton et l'Arioste , qui se sont permis de
semblables anachronismes dans leurs fictions ? Je conviens
que M. la Chabeaussière a pris dans un sens un peu vaste le
quid libet audendi d'Horace , le droit de tout oser ; mais il y a
des gens qui crient sans cesse qu'on ne voit plus d'aigles
dans la littérature , et ils ont toujours des ciseaux tout prêts
pour rogner les ailes du génie.
G.
Mes Passe-Temps , chansons suivies de l'Art de la Danse ,
poëme en quatre chants , calqué sur l'Art Poétique de
Boileau; par Jean-Etienne Despréaux , etc. Deux vol.
in-8°. Prix : 12 fr. , et 15 fr. par la poste. A Paris , chez
Cussac , libraire ; et chez le Normant, imprimeur-libraire ,
rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n° 17.
Ces deux volumes , remplis de chansons fort gaies et d'un
poëme burlesque , imprimés en beaux caractères , et ornés de
MARS 1806. 555
deux gravures par Moreau , avec plus de quarante pages
d'airs anciens et nouveaux , notés et gravés , méritent d'être
distingués de la foule , et de nous arrêter un moment.
M. Etienne Despréaux est tout à-la-fois danseur , musicien
et poète. Ses chansons amusent souvent la foule dans
les carrefours et sur les quais de la capitale. Elles ne sont
pas toutes parfaites ; mais elles sont toujours spirituelles et
joyeuses avec décence . Il en fournit aux dîners du Vaudeville ,
qui doivent être agréables à entendre chanter, puisqu'à la lecture
même elles ne sont pas sans agrément.
La production la plus bizarre de cet aimable convive , est
certainement son poëme de la Danse , calqué sur l'Art
Poétique de Boileau , qu'il vole , change , et retourne sans
pitié , sans scrupule , et cependant avec toute l'innocence et
toute la politesse imaginables. Quelques passages de ce caprice
pourront mettre le lecteur a portée de juger de son talent
pour la parodie
:
La nature , fertile en danseurs excellens ,
Selon leurs facultés partage les talens :
L'un , dans un pas de deux , peut exprimer sa flamme ;. «
L'autre , d'un pas plus vif, sait égayer notre ame.
Gardel peut d'un héros nous peindre les combats ,
Et Deshayes d'un Zéphyr les amoureux ébats ;
Mais souvent un danseur qui se flatte et qui s'aime,
Méconnoît son talent et s'ignore soi- même.
Ainsi , tels autrefois , et même de nos jours ,
En Hercules taillés ont dansé les Amours.
J'aime sur le théâtre un élégant danseur ,
Qui , sans se diffamer aux yeux du spectateur ,
Plaît par la grace seule , et jamais ne la choque ;
Mais pour un faux plaisant , dont le bon goût se moque ,
Qui , de sauts étonnans est toujours occupé ,
Qu'il s'en aille , s'il veut , sur des treteaux grimpé ,
Le long de nos remparts , séjour des pasquinades ,
Sur la corde foraine essayer ses gambades.
M. Etienne Despréaux ne suit pas toujours son guide ;
556 MERCURE DE FRANCE ;
lui faut des vers de liaison pour coudre ensemble ceux qu'il
lui dérobe dans sa marche , et véritablement il ne s'en tire
pas mal :
Occupez-vous sans cesse à vous bien dessiner ;
A vaincre vos défauts il faut vous obstiner.
Arrondissez vos bras , soignez chaque attitude ,
Recommencez souvent . L'art est fils de l'étude .
N'allez pas , jour et nuit , vous exercer d'abord :
Un arc toujours tendu perd bientôt son ressort,
Le ciel qui rarement prodigue ses bienfaits ,
En nous donnant le jour, fit peu d'hommes parfaits.
Pour un être accompli combien j'en vois de gauches !
Faites-vous des amis prompts à vous censurer.
Mais distinguez l'ami du sot admirateur ,
Et discernez sur-tout l'intéressé flatteur,
Conducteur de cabale et pilier de parterre ,
Que le public invite ou contraint à se taire :
Pour des billets gratis , qu'il est certain d'avoir,
Le matin il vous loue et vous siffle le soir.
Le caractère de l'auteur se peint parfaitement dans la
petite épître qui précède ce nouveau poëme , qui a au moins
le mérite de faire rire. L'auteur fait une énumération de tous
les traits par lesquels il peut ressembler en quelque chose à
Boileau , qu'il prend pour modèle , et il la termine ainsi :
Il est encore un plus singulier trait ,
Qui va terminer ce portrait.
Sévère et docte satirique ,
Moi , petit chansonnier comique ,
Tous deux nous avons même nom
Et non pas le même renom ;
Mais je possède un avantage,
Pour lequel ton ombre , je gage ,
Céderoit tes fameux écrits :
Tufus, je suis.
Il a raison :
« Un lion mort ne vaut pas un moucheron qui respire. »
G.
MARS 1806. 557
12
Chansons choisies de M. de Piis , ornées du portrait de l'auteur.
Deux vol. in- 18. Prix : 3 fr. 60 cent , et 4 fr. 50 cent.
par la poste. A Paris , chez Léopold Collin , libraire ; et
chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , n° 17.
PUISQUE nous sommes en train de parler de chansons , ilⓇ®
faut dire un mot de celles que M. Piis vient de faire réimprimer
en deux petits volumes. Un journaliste obscur , qui se
dit de ses amis , croit le louer beaucoup en traitant de sols et
de cagots les écrivains qui condamnent la publicité de certains
couplets plus que libres , qu'il n'a pas eu le courage de
sacrifier au bon goût et à la décence ; mais il seroit fort à
plaindre s'il n'avoit pas d'autres titres à l'estime des gens de
bien que les qualités qu'un pareil personnage peut apercevoir.
On est toujours étonné qu'un homme qui a fait de jolies
chansons , et qui doit s'y connoître , en publie tant de médiocres
; mais dès que l'envie de faire un livre est venuę
prendre un homme au collet , il se sent tout-à-coup des
entrailles si paternelles , un, coeur si rempli d'indulgence
pour ses plus chétives productions , que le moindre petit
billet lui paroît digne de passer à la dernière postérité. Il ne
faudroit qu'en rire , si , pour grossir ces bagatelles et couvrir
sa stérilité , on n'appeloit pas trop souvent la licence au
secours de l'esprit. Etre toujours gai , toujours spirituel ,
faire sourire les Graces , sans jamais alarmer la pudeur, est un
tour de force dont peu d'écrivains sont capables.
"
Les peintres et les poètes ont des passions comme les autres
hommes ; mais leurs égaremens produisent des effets plus
dangereux. Les peintres font des tableaux licencieux , les
poètes des chansons libertines. Les uns et les autres sont des
excès condamnables , puisqu'il est toujours possible au vrai
talent de plaire en restant dans les termes de la grace et de
la décence. A la vérité , il y a des gens qui ne sont émus que
558 MERCURE DE FRANCE ,
#
par les monstruosités ; mais ce n'est pas pour cette espèce
dégradée que le peintre doit tailler ses crayons , et le poète
monter sa lyre. M. Piis ne peut que gagner
A réduire sa Muse aux règles du devoir ,
er
et à mépriser ce qu'on ne peut pas avouer dans tous les temps
et dans toutes les circonstances. La petite pièce de lui que
nous avons recueillie dans le numéro du 1º de ce mois , en
est une bonne preuve , et ce n'est pas la seule que nous pourrions
en apporter. Pourquoi mettre dans un livre ce qu'on
ne pourroit pas mettre sur la scène ? M. Piis fait des chansons
très agréables et de charmans vaudevilles : pourquoi se permet-
il dans les unes des licences qu'il évite avec tant de soin
dans les autres ? G.
VARIET ÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
M. Agasse a publié cette semaine les Mélanges de
M. Gaillard ( 1 ) . Nous nous empresserons d'en rendre compte.
Mais avant que le temps nous ait permis de le faire , et sans
rien préjuger sur le mérite des nombreux opuscules renfermés
dans ces quatre nouveaux volumes , nous pensons que l'on
avec plaisir , dans un journal auquel il a long - temps
travaillé , une courte notice sur un des écrivains , qui , dans
ces derniers temps , a le plus honoré les lettres par l'alliance ,
trop rare , du talent et de la vertu, peal to alaise
1 བད ། ་
I
(1) Mélanges Académiques , Poétiques , Littéraires , Philo'ogiques ,
Critiques et Historiques ; par feu M. Gaillard , de la classe d'histoire et
de littérature ancienne de l'Institut . Quatre vol. in-8 ° . Prix broches
18fr. , et 23 fr. par la poste.
A Paris , chez H. Agasse , imp , lib. , rue des Poitevins , nº . 6.
MARS 1806. 559
3
1
« Des circonstances étrangères au respectable auteur de cés
Mélanges en ont retardé quelque temps la publication , et
ils étoient prêts à paroître lorsque nous avons eu la douleur
d'apprendre sa mort. Il étoit né à Ostel , village de l'ancien
diocèse de Soissons , le 26 mars 1726 , et il a terminé sa
longue et honorable carrière à Saint- Firmin près Chantilly ,
le 13 février 1806 , âgé de quatre- vingts ans moins un mois.
Aussi ( comme il le dit dans la préface qu'il a mise en tête
de ces Mélanges ) est-il vraisemblable qu'il étoit le doyen de
la littérature française. Ecrivain infatigable et laborieux, il
a publié uunn grand nombre d'ouvrages , dont les principaux
sont l'Histoire de François I, celle de la Rivalité de la
France et de l'Angleterre , et celle de Charlemagne ; le
Dictionnaire historique de l'Encyclopédie méthodique , par
ordre de matières , dont il a fait plus des trois quarts ; des
Mélanges académiques , littéraires , historiques , etc. Plusieurs
de ses Mémoires sont insérés dans le Recueil de l'Académie
des inscriptions et belles-lettres , et dans la notice
des manuscrits de la Bibliothèque impériale. Il a eu part au
Journal des Savans depuis 1752 jusqu'en 1792 , et a fourni
beaucoup d'articles au Mercure , depuis 1780 jusqu'en 1789.
Couronné plusieurs fois à l'Académie française , et honoré
de la même distinction dans quelques-unes des plus célèbres
Academies de province , il a cultivé avec succès différentes
branches de la littérature. Ses productions , soit dictatiques ,
soit historiques , soit morales , annoncent l'homme instruit ,
l'écrivain guidé par des sentimens nobles et élevés , l'observateur
judicieux qui connoît les hommes , et sait peindre
les vices et les vertus avec les couleurs qui leur sont propres.
» Etranger à toute espèce de parti , il a consacré sa vie
presque toute entière au travail et à la retraite , ne se permettant
guère d'autre délassement que la société de quelques
savans et gens de lettres ses amis , à la plupart desquels il
dit avoir eu le chagrin de survivre. Sa mémoire étoit pro560
MERCURE DE FRANCE;
digieuse , et il a eu le rare bonheur de la conserver jusqu'au
dernier moment. Elle donnoit à sa correspondance et à sa
conversation un intérêt également agréable et instructif par
une multitude de faits piquans et d'ingénieuses allusions. De
moeurs extrêmement douces , et d'un caractère plein d'aménité
en société , il faisoit de son savoir l'usage qu'un homme
riche , inspiré par la bienveillance , peut faire de sa fortune.
» L'Aurea mediocritas , qui étoit le voeu d'Horace , étoit
aussi le terme de l'ambition de M. Gaillard , qui n'a jamais
eu qu'une honnête aisance. Des fruits de ses économies il
avoit acquis une petite maison et un modeste jardin à Saint-
Firmin , village qui est dans une situation charmante , près
la cascade du canal de Chantilly , et en face de sa belle forêt.
Il avoit choisi cette maison dans un emplacement tel , qu'il
ne fût pas distrait de ses travaux par le magnifique aspect
qui est au devant du village. C'est là qu'il a passé les temps
les plus désastreux de la révolution , dans la retraite la plus
obscure. Pour échapper au récit des calamités qui se multiplioient
tous les jours , et n'être pas témoin des dégradations
qu'éprouvoit successivement ce domaine unique de Chantilly,
dont le château avoit été converti en prison , cet homme
sensible s'enfonçoit dans le plus épais de la forêt. Il s'y rendoit
dès la pointe du jour , avec des livres , du papier , des
plumes , de l'encre et quelque nourriture , s'y installoit au
pied d'un arbre , et y travailloit jusqu'au soir. Même lorsque
le calme commença à se rétablir en France , il a continué
cette manière d'être qui s'étoit tournée chez lui en habitude ,
et qui a fini par lui être funeste. Tout entier à ses méditations
et à ce qu'il écrivoit , il oublioit les intempéries des
saisons et des jours. Souvent une pluie abondante le surprenoit
dans cet asyle sauvage , et il revenoit sur la nuit avec les
habits trempés d'humidité. Cette imprudence paralysa , il y
a quelques années , une partie de son corps , et il fut obligé
de renoncer à cette singulière existence qui sembloit faire
8
son
DEPT
C
M-A· RS 1896.
son bonheur, Astreint à une vie plus sédentaire ,
vint augmenter ses infirmités ; et comme elle ne tarda
་
6
561
Coulte
se fixer dans les genoux , il ne lui fut plus possible de
marcher.
» Mais au milieu de toutes ses infirmités , il conservoit une
tête saine , et , comme nous l'avons déjà fait observer , une
mémoire imperturbable ; il travailla encore toute la matinée
la veille de sa mort. Avec une constitution aussi robuste que
la sienne , il n'y a pas de doute qu'il n'eût fourni une plus
longue carrière s'il avoit pu se déterminer à renoncer plus tôt
à l'habitude dangereuse qu'il avoit contractée dans un âge
très -avancé. Une goutte remontée l'a emporté le jeudi 23
février 1806 ; il est mort dans les bras de sa soeur , à laquelle
il n'avoit cessé de donner des preuves de la plus tendre af→
fection , et d'une religieuse respectable et âgée à laquelle il
avoit donné asyle au milieu du naufrage , et qui par son
testament sera désormais à l'abri de tous besoins.
a
» La maison de M. Gaillard n'étoit pas loin de celle où avoit
péri d'une manière si tragique le célèbre abbé Prevost. L'abbé
Prevostavoit eu subitement une attaque d'apoplexie dans cette
même forêt de Chantilly , où M. Gaillard avoit été atteint de
sa paralysie. Un pareil rapprochement avoit frappé ce der
nier , qui craignoit le sort du romancier ( 1) . M. Gaillard en
parloit quelquefois avec inquiétude , et par précaution il avqit
(1 ) Voici comme ce terrible accident est raconté dans l'Essai sur la
vie de l'abbé Prevost , qui est en tête de la collection in-8° . de ses OEOEuvres
publiées en 1783 , rue et hôtel Serpente à Paris . :
་་ Comme il ( l'abbé Prevost ) s'en retournoit seul à Saint -Firmin , le
» 23 novembre 1763 , par la forêt de Chantilly , il fut frappé d'une
» apoplexie subite , et demeura sur la place. Des paysans qui survinren
» par hasard , ayant apperçu son corps étendu au pied d'un arbre , le por
» tèrent au curé du village le plus prochain. Le curé le fit déposer dans
pson église en attendant la justice , qui fut appelée , comme c'est l'usage
» lorsqu'un cadavre a été trouvé. Elle se rassembla avec précipitation , et
Nn
562 MERCURE DE FRANCE ;
´ordonné que , lors de son décès , son corps fût gardé intact
pendant trois jours sans être enseveli : cette dernière volonté a
été rigoureusement observée.
>> M. Gaillard avoit été membre de l'Académie française et de
celle des inscriptions et belles-lettres , et à sa mort il étoit
membre de la classe d'histoire et de littérature ancienne de
l'Institut. >>
D'après un décret de S. M. , il sera établi dans le local du
Conservatoire impérial de musique , un pensionnat pour recevoir
douze élèves ( hommes ) . Ces élèves ne pourront être admis
dans le pensionnat qu'après la révolution physique , dite
la mue de la voix. Six élèves ( femmes ) seront pensionnées
chez leurs parens ou dans une pension particulière , au choix
du ministre de l'intérieur ; elles viendront prendre l'instruction
au Conservatoire. Il sera ajouté au crédit annuel du Conservatoire
la somme de 1200 fr. , tous frais compris , par
chaque élève ( homme ) admis dans le pensionnat , et celle
de 900 fr. pour chaque femme. Trois classes de déclamation
seront ajoutées à celles déjà existantes dans le Conservatoire.
Deux de ces classes seront affectées à l'enseignement de la dé≈
clamation dramatique. Il sera fait un fonds particulier au
ministre de l'intérieur , 1 °. pour les frais de premier établissement
du pensionnat ; 2° . pour l'établissement , dans la principale
salle du Conservatoire , d'un théâtre propre à l'exécution
des exercices dramatiques ; 3°. pour l'achèvement de la
bibliothèque du Conservatoire.
-M. de Ségur , orateur du conseil d'état , présente le projet
de loi suivant :
Art. I. Il sera construit un pont sur la Seine , vis-à-vis
» fit procéder sur- le- champ , par le chirurgien , à l'ouverture. Un cri du
» malheureux qui n'étoit pas mort , fit juger la vérité à celui qui dirigeoit
» l'instrument , et glaça d'effroi les assistans . Le chirurgien s'arrêta ; il
» étoit trop tard ; le coup porté etoit mortel . L'abbé Prévot ne r'ouvrit les
» yeux que pour voir l'appareil cruel qui l'environnoit , et de quelle ma-
» mière horrible on lui arrachoit la vie , ete, »
MARS 1806: 563
l'Ecole Militaire. II. Une taxe semblable à celle statuée par
la loi du 24 ventose an 9 , sera établie sur ce pont. III. La
perception de cette taxe pourra être concédée aux particuliers
qui fourniroient tout ou partie des fouds nécessaires à la construction
du pont. IV. Les conditions de la concession et la
durée de la perception , seront déterminées par un réglement
d'administration publique. V. Si la construction du pont
nécessite des achats de démolitions de maisons , les proprié
taires seront tenus de les céder au prix de l'estimation et à
la charge du paiement préalable , et en observant les conditions
prescrites par les lois , dans le cas d'aliénation pour cause
d'utilité publique.
-
L'ingénieur des mines de France, faisant sa tournée dans
plusieurs départemens , a découvert dans celui des Deux-
Sèvres des mines de houille très étendues , et qui n'ont jamais
été fouillées .
-On s'occupe de la collection du dessin au trait , des
plans , profils et élévations de tous les ponts de France audessus
de vingt mètres d'ouverture , sur une petite échelle
d'un centimètre pour quatre mètres. Cette réunion du travail
des ingénieurs en chef des départemens , à laquelle préside
l'inspecteur-général M. Gauthey, formera une collection com
plète des ponts , très-précieuse pour l'art de l'ingénieur.
-Il est arrivé à Paris, il a quelque temps, un enfant étranger
dont les talens précoces ont étonné ceux qui en ont vu les essais.
C'est un enfant de six ans , nommé Pio Cianchettini , dont le
père est italien et la mère allemande. Il parle très-bien l'ita- .-
lien , l'allemand , le français , l'anglais , et il joue du pianoforté
non-seulement avec une grande force d'exécution , mais
encore , ce qui est plus rare , avec ame et avec goût. Il improvise
aussi sur cet instrument ; et dans les fantaisies qui lui
échappent , on trouve souvent des traits heureux de chant et
d'harmonie.
Nn a
564 MERCURE DE FRANCE ,
L'habile chimiste anglais , Richard Chenevix , a fait
naufrage sur les côtes de la mer Noire , près le Bosphore de
Thrace , et sur le même vaisseau qui portoit le corps de l'ambassadeur
espagnol , Ocaritz , mort en Moldavie , que son
épouse en rapportoit. On assure que personne ne s'est sauvé.
M. Chenevix venoit de visiter les mines de Hongrie, et vouloit
voyager dans le Levant.
Un professeur de belles-lettres de Copenhague , a reçu
de Naples l'avis qu'on a récemment découvert parmi les rouleaux
manuscrits d'Herculanum , un fragment de poésie latine
de 7༠ vers hexamètres , que l'on attribue à Varius , ami d'Horace
et de Virgile ;
Scriberis Varios fortis , et hostium
Victor Mæonii carminis aliti, etc.
'HORAT. Od. V.
Il est question , dans ces vers , de la bataille d'Actium et
de la mort de Cléopâtre. On cite entre autres vers celui-ci :
Consiliis nox apta ducum , lux aptior armis.
On répète en ce moment à Paris l'expérience de Pacchiani
, de la décomposition de l'eau par le galvanisme.
-
Ruiter, professeur à Yena , déjà connu par ses travaux
sur le galvanisme , vient de publier une expérience qui fera
époque dans l'étude de cette découverte , et doit peut- être
en reculer les limites . Il résulte de son observation qu'il existe
une analogie marquée entre le magnétisme minéral et le galvanisme
, au point qu'une série d'aimans superposés , donne ,
ainsi que la pile de Volta , l'éclair , la saveur, la commotion ,
avec accumulation d'énergie en raison de l'augmentation du
nombre des pièces. Une analogie avec l'électricité , non moins
étrange et déjà observée , c'est que cette pile a un côté positif
et l'autre négatif, en raison de la différence de la direction
de ses pôles.
-Le docteur Baronio vient de publier à Milan la descripMARS
1806 . 565
tion d'une pile galvanique formée de seules matières végétales
il coupe des disques de raifort et de betterouge de deux
pouces de diamètre ; il prépare des disques égaux de bois de
noyer, garnis d'un rebord destiné à contenir un peu de solution
de crême de tartre ( tartrite acidule de potasse ) , par le
vinaigre , dans laquelle ils ont été préalablement fait bouillir"
pour les purger du principe résineux contenu dans le noyer ;
soixante paires de disques de raifort et de bettes alternés et
séparés par des disques de noyer imprégnés de la solution cidessus
, ont produit des effets galvaniques sur une grenouille
préparée , dont on la fait communiquer , au moyen d'une
feuille de cochlearia , la moelle épinière avec la base de la
pile. D'autres disques ont obtenu le même succès , et on peut
raisonnablement espérer qu'on pourra soumettre la végétation
universelle à l'empire du galvanisme.
Depuis le 9 mars au 19 , le baromètre s'est élevé dans
Son maximum à 28 P. 8 lig. 7/12.
Il est descendu dans son minimum à 27 p. 1 lig.
Le therm. de Chevallier ( dilatation ) s'est élevé dans son
maximum à 12 degrés 5710.
I
Id. ( dilatation ) dans son minimum 1 deg.
L'hygromètre a marqué dans son maximum 99 d. 172.
Et pour le minimum 70.
Nulle époque peut- être n'a présenté encore dans les
fastes de l'aréométrie un problême météorologique aussi
étonnant que la station atmosphérique que nous éprouvons
depuis treize semaines. Si l'on en excepté quelques jours
pendant lesquels le thermomètre est descendu de très- peu de
degrés au - dessous de zéro , la température s'est renfermée
dans un cercle étroit et vicieux , d'où sont émanées plusieurs
affections morbides ; elles sont le présage de maladies plus
graves à l'arrivée du printemps , si l'on n'en prévient l'inva—
sion par des moyens appropriés ; et pour qu'on ne nous accuse
pas de ne prédire que les temps passés , et de ne porter
3
566 MERCURE DE FRANCE ;
remède qu'aux aumx éprouvés , nous avons voulu consigner
ici ce pronostic , avec le desir sincère que sa publication soit
utile , plutôt comme préservative que comme moyen curatif
En général il faut soutenir le ton affaisé de la fibre ,. sans
s'en laisser imposer par la fause apparition d'érétisme qu'elle
présenteroit. Ainsi , en état de santé les spiritueux avec modération,
les amers , les aromates , le café , le chocolat , les alimens
épicés sont indiqués. En état de maladie , cette indica—
tion ne doit pas être non plus perdue de vue , et malgré l'appareil
inflammatoire , il ne faut pas oublier que de grandes
évacuations billeuses ou sanguines affaisseroient subitement
les solides , et ne permettroient pas à la fibre de reprendre son
énergie , sous l'influence de la molle température qui nous ré”
git. On doit surtout se souvenir (et ce conseil s'adresse aux
jeunes praticiens ) que si une saignée débilite , et par la perte
qu'elle cause , et par le mouvement pertubatoire qu'elle imprime
au système , une purgation extrême laisse émen t
après elle une atonie qu'il faut s'empresser de relever par des
stimulans , l'ipécacuanha , les vésicatoires , le quinquina , l'opium
, selon les diverses indications.
Ce principe s'applique à la température humide qui nous
domine en ce moment, et explique pourquoi il est imprudent
de purger copieusement , et surtout de saigner largement ,
avec le danger de laisser survenir une prédominance billeuse .
C'est en général le moment d'user avec succès de ces pillules
trop vantées et trop dépréciées tour-à-tour, dont l'aloës est
la base , et qui , prises à petites doses , ( deux ou trois avant
le repas ) sont aussi recommandables en cette saison , et avec
une constitution humide , qu'elles sont dangereuses pendant
les fortes gelées , et surtout durant les ardeurs de l'été. Nous
voulons parler des pilules dites Gourmandes du docteur
Franck. ( Gazette de Santé du 21 mars. )
MODES du 15 mars.
On voit des redingotes de velours à nombre de femmes de comptoir ;
elles n'osent y mettre l'écharpe. Les capotes , toujours oblongues , courtes
MARS 1806. 567
des oreilles et bien avancées sur le nez , ne se font plus aussi généralement
de deux couleurs ; il y en a de tout-à- fait blanches . Autrement , lilas et
blanc , jaune d'or et blanc , gros-bleu et blanc , chamois et blanc , noisette
et blanc , s'associent pour former des côtes parallèles . Les pensées sont à
la mode , en guirlande et en touffe ; les violettes également . Blanches , on
les regarde comme plus parées que violettes ; ce sont des violettes doubles
on les emploie , comme les jacinthes , sans mélange de feuilles . Au
lieu de la guirlande en spirale , qui suivoit les nattes , derrière une coiffure
en cheveux , c'est aujourd'hui un rang de perles ou de diamans . Les
perles sont en grande faveur. Il y a des colliers de perles fines d'un prix
énorme ; les médaillons de ces colliers sont en losange , et au nombre de
trois. On porte aussi des colliers de corail. Le corail n'en doit être ni
tout-à-fait pâle , ni d'un rouge vif.
::
Excepté en agrafes de ceintures , les joailliers ne vendent plus guère de
camées. Il n'en est pas de même du bois de palmier pétrifié. Un collier
dont les plaques sont en bois de palmier , n'est point un collier de rebut.
Tous les jours on fait des boucles d'oreilles en bois de palmier , sur- tout
des cachets et des clefs de montre. La clef de montre du genre le plus
nouveau , et une clef à quantième ; elle a un cadran d'émail . Si , depuis
quelques jours , les coiffeurs ont moins posé de fleurs ; pour cela , il n'en
est pas sorti une moins grande quantité de l'atelier des fleuristes . Les
marchandes de modes , au lieu de chou d'étoffe ou de rosette , mettent
presque toutes une guirlande épaisse , de fleurs doubles , sur le devant
des chapeaux . Sur les Boulevards , on n'a vu que capotes de velours noir ,
doublées , les unes de rose , et les autres de lilas .
A la Veillée des Muses de mardi , les femmes étoient , pour la plupart ,
en robes à queue , brodées en argent , et coiffées en toques de velours
blanc. Au dernier bal , figuroit un costume espagnol , composé de deux
robes blanches , courtes , et cependant étagées , garnies en ponceau ; le
corset de velours noir , tenu en devant par une agrafe de diamans , et ,
pour coiffures un filet d'or. Les concerts du dimanche , qui commencent
deux heures , offrent en général des toilettes épaisses , des redingotes
de velours , des fichus de cygne , de martre , et sur- tout des cachemires .
Les vases de forme antique sont les principaux ornemens de nos appar
temens modernes ; et voici comment on les dispose chez une petite -maîtresse
: deux vases de terre cuite à dessins à l'encre de la Chine , parent
l'antichambre ; on met des fleurs naturelles dans ces vases-là : deux vases
de porcelaine , ou blancs et or , ou à camées et argent , décorent la cheminée
du salon et présentent des fleurs artificielles .
Dans la chambre à concher on voit deux vases d'albâtre de Florence, qui,
le jour, se réfléchissent dans la glace et sont éblouissans de blancheur , et
le soir , au moyen de lampes pratiquées dans leur intérieur , répandent
une lumière pleine de sentiment et de douceur. Dans le boudoir , enfin ,
est une coupe d'agathe qui , pour pendant , a deux vases faits de pierres
précieuses , de lapist lazuli , par exemple, est entouré d'or mat. Le dessin
en est si pur , et les formes en sont si heureuses que même en tôle vernie ,
ce seroient encore des objets d'un grand prix.
Du 20.-
En négligé , on porte beaucoup de voiles rabattus , et , sur le
bord des capotes , de demi-voiles . Il y a déjà des capotes de mousseline
claire, avec un transparent rose . Le velours aussi cède la place à la paille . On
adapte un fond de taffetas aux chapeaux de paille blanche. Les grands chapeaux
de paille jaune n'ont d'autre ornement que le ruban , qui est blanc
ou rose , mais , par préférence , blanc . Le seul blanc qui soit de mode , est
un blanc mat; il va de pair avec le rose pâle et le lilas , qui sont les couleurs
régnantes. Les jacinthes sont toujours en vogue , et , comme de coutume
568 MERCURE DE FRANCE ,
jes guirlandes ou les touffes qui en sont formées , n'ont pas de mélange de
feuilles On voit beaucoup plus de litas que la semaine dernière ; il se porte
en brins . En demi- toilette , on met des fleurs devant et derrière . Les coiffeurs
en sont plus économes : pour la grande parure, ils en emploient peu ,
craignant sans doute de détruire l'effet de leurs gros tire- bouchons. Les
écharpes se soutiennent . Beaucoup de robes montent jusqu'au col , et ont
une fraise. Si l'on en excepte quelques canezous , brodés au plumetis ,!
rien de neuf. Presque tout ce qui s'exécute , est réservé pour Longchamp.
A Longchamp paroîtront , sinon des voitures extraordinaires , au moins
des garnitures de housses tout -à -fait riches , et de très- nouvelles bordures,
Jusqu'ici , tous les galons de voitures avoient été soie et laine , et d'un
travail commun . M. Cartier , fabricant d'étoffes de soie , pour meubles ,
et de tapis , rue de la Loi , nº . 89 , a fait exécuter dans sa manufacture
de Lyon , des bordures en velours , frisé et nué , de diverses couleurs ,
qui réunissent à l'élégance une extrême solidité . Ces bordures sont toutà-
fait en soie comme le point en est plus réduit , elles offrent au frottetement
moins de prise que les bordures moitié soie , moitié laine , et , ce
qui est vrai sans paroître vraisemblable , elles ne sont pas d'un prix plus
haut. Sur le fond liseré se détachent en relief des desseins velours , soit
dans le genre cachemire , ou dans le goût du jour , mi -arabesque , miétrusque
. Une double chaîne en fait la so îditë ; il y en a de
geurs on peut les employer pour meuliles ; on s'en est même servi pour
garnir des robes. Le magasin de M. Cartier offre un assortiment trèscomplet
de garnitures de menbles . Les caisses des voitures à la mode sont
d'un vert clair , et le train plus foncé , avec des filets d'or ; on , gris - de-
Jin , chamois , jaune clair , et le train en vermillon . Dans le décor , les
couleurs tendres sont aussi en grande faveur , notamment le gris - de- lín ,
le lilas , l'hortensia' , avec des orneinens en coloris . Dans les salons , ou
exécute beaucoup de frises et d'attributs en grisaille .
NOUVELLES POLITIQUES ,
Vienne , 3 mars,
*
s lar-
S, M. a confié à M. le baron de Thugut une branche du département
des affaires étrangères,
Le prince Charles de Lorraine ( prince de Lambesc ) ,.
lieutenant-général commandant de la Gallicie , est nommé
capitaine de la garde noble allemande , à la place du prince
d'Aversperg.
Le 12 du mois dernier , l'anniversaire de la naissance de
notre souverain fut célébré avec la plus touchante solennité à
Kaschau , par les enfans de LL, MM. II. Le jeune prince hé
réditaire avoit adressé , la veille , la lettre suivante à l'évêque
de Kaschau :
« Monsieur et très-vénérable évêque ,
» C'est demain le jour de la naissance de S. M. impériałe➡
apostolique , mon auguste père , que j'aime si tendrement,
antson fils ainé et le premier de ses sujets , je mme rendrai à
pied à l'église cathédrale , pour y prier avce la plus vive fera
MARS 1806. 509
veur, pendant le service solennel , le Dieu tout-puissant qu'il
daigne conserver durant un grand nombre d'années S. M. l'Empereur
et le père de tant de peuples. Des événemens malheureux
et imprévus m'ont arraché du sein des meilleurs et des
plus chers parens. J'ai été transporté en Hongrie et confié à
la garde de la fidelle nation hongroise. Me trouvant depuis le
20 novembre de l'année dernière , dans cette ville , je veux
passer le jour de demain , ce jour si cher à mon coeur au
milieu des bons habitans de Kaschau , et le consacrer aux
exercices de la piété.
>> Je vous envoie , monsieur l'évêque , en mon nom et au
nom de mes frères et soeurs , 700 florins que je vous prie de
distribuer aux véritables pauvres de la ville et de la campagne. »
Signé FERDINAND.
1
Munich , 25 février.
On s'attend ici à des événemens très-importans. Peut-être
le sort de l'état de Wurtzbourg changera-t-il encore une fois.
On dit qu'à la réquisition du maréchal Berthier , l'armée
bavaroise doit se tenir prête à marcher. (Moniteur.)
Francfort , 13 mars .
On vient de publier ici la pièce suivante , qui a perdu
beaucoup de son intérêt , mais qui explique enfin les divers
mouvemens des troupes coalisées dans le nord de l'Allemagne ,
qui ont si souvent occupé l'attention des politiques.
Mémoire de S. Exc. M. le baron de Hardemberg, ministre
d'état et du cabinet prussien , à lord Harrowby.
Berlin , le 22 décembre 1805.
Mylord , en conséquence de la réponse préalable que j'ai
eu l'honneur d'adresser à V. Exc. sur la demande qu'elle m'a
faite relativement à la sûreté des troupes de S. M. britannique
dans le nord de l'Allemagne , je m'empresse de vous faire
parvenir les assurances positives que j'ai le plaisir de pouvoir
vous communiquer à ce sujet.
Votre Exc. connoît l'état actuel des affaires ; vous verrez
d'abord qu'au point où sont venues les choses entre l'Autriche
et la France , après la malheureuse bataille d'Austerlitz
après la retraite de la grande armée russe , et dans l'incertitude
absolue où l'on est des vues de l'Empereur Napoléon , relativément
à la Prusse , il est indispensablement nécessaire d'user
de la plus grande précaution. L'armée la plus brave ne peut
pas toujours compter sur la victoire ; et il est sans doute de
l'intérêt de la Prusse , comme de l'intérêt de tous, d'empêcher
qu'elle ne soit attaquée dans un moment où tout le poids de
570 MERCURE DE FRANCE ;
la guerre tomberoit sur elle , et où il ne peut être conclu
d'arrangement conforme aux circonstances.
Le roi , constamment animé du desir de rétablir la tranquillité
générale sur un pied solide et satisfaisant , autant que
possible , pour tous , devoit desirer vivement que sa médiation
, qui avoit été stipulée dans la convention signée à Potsdam
, le 3 novembre , fût acceptée par la France. Dans un
entretien que M. le comte de Haugwitz eut, le 28 novembre
, avec l'Empereur Napoléon , ce souverain se montra disposé
à consentir à cette médiation , sous la double condition :
1º que , pendant les négociations , aucunes troupes de S. M.
britannique , ni russes ni suédoises , n'entreroient sur les
frontières d'Hollande , pour y commencer la guerre , en se
retirant du Nord de l'Allemagne ; 2 ° que l'on accorderoit à
la forteresse d'Hameln un circuit plus étendu , pour faire
cesser l'embarras où se trouvoit la garnison à cause des vivres.
"
Le roi ne pouvoit pas accepter ces conditions , dans les circonstances
du moment où elles furent faites . Mais ces circonstances
sont entièrement changées ; et dans les conjonctures
actuelles , S. M. a non-seulement trouvé cette double proposition
admissible ( sous la condition que l'Empereur Napoléon
s'engagera , de son côté , à ne faire entrer aucun corps de
troupes dans le nord de l'Allemagne , et de ne rien entreprendre
, dans cet intervalle , contre le Hanovre ) , mais elle l'a
même regardée comme favorable , parce que l'on gagne par-là
du temps , pour voir les choses plus clairement , et pour se
préparer à tout événement , soit que la guerre éclate , soit
que cet état intermédiaire des choses conduise à une négociation
définitive.
Pour ne point perdre de temps , S. M. a envoyé le généralmajor
de Pfuhl au quartier - général français , afin que cet .
arrangement soit porté sa conclusion. M. le comte de
Haugwitz a aussi reçu ,
le 19 de ce mois , les instructions
nécessaires , et le roi a fait déclarer à la France , qu'il regarderoit
la réoccupation du Hanovre par les troupes françaises ,
comme une mesure hostile contre lui.
Conformément à ce que je viens d'exposer , le roi m'a
autorisé , milord , à vous déclarer , qu'en conséquence des
assurances précédemment données , s'il arrivoit que les troupes
de S. M. britannique et les troupes russes fussent malheureuses ;
le roi prend sur lui la sûreté des premières dans le Hanovre
et leur accorde la pleine liberté de se retirer , en cas de nécessité
, vers l'armée prussienne et les états du roi , toutefois
avec ces modifications , que les circonstances prescrivent :
1° qu'elles prendront leurs positions derrières les troupes
MARS 1806 .
571
prussiennes , et que pour le moment , pendant les négociations
intermédiaires , elles s'abstiendront de tout mouvement et
démarches qui pourroient être provocatoires contre la Hollande
; 2° que si les troupes prussiennes étoient attaquées par
les Français , Sa Majesté pourroit se reposer avec une certitude
absolue sur l'assistance et la coopération des troupes de S. M.
britannique , aussi long - temps qu'elles se trouveroient dans le
nord de l'Allemagne. S. M. fait entrer en Westphalie un
corptrespectable , et elle prendra , en outre , toutes les mesures
de sûreté et de défense nécessaires. Les troupes russes sous les
ordres du général comte de Tolstoy , sont déjà entièrement
à la disposition du roi , l'empereur Alexandre l'ayant laissé
entièrement le maître de les faire agir à sa volonté ; ainsi que
celles qui sont en Silésie sous les ordres du général Benningsen.
Je prie doncVotre Exc. d'écrire le plus tôt possible à milord
Catckart , commandant en chef des troupes de S. M. britannique
, et de l'engager à prendre sans délai les mesures nécessaires
sous ses différens rapports , et particulièrement d'accepter
l'invitation qui lui sera faite , d'après un ordre du roi , par
le comte de Kalkreuth , de se rendre en personne dans un endroit
qui sera désigné , pour se concerter avec lur et avec
M. le comte de Tolstoy , sur les positions que devront prendre
les troupes de S. M. britannique , les Russes et les Prussiens ,
conformément à l'arrangement exposé ci-dessus .
Comme les troupes suédoises se trouvent dans une même
cathégorie avec les troupes britanniques et russes , il est fort à
desirer que S. M. suédoise puisse être engagée à se conformer
à cet arrangement.
J'espère , milord , que vous voudrez bien vous entendre à
cette fin avec M. le prince Dolgoroucki , que S. M. l'Empereur
de toutes les Russies a chargé de tout ce qui concerne la desti- ..
nation des troupes russes. Dans le cas où S. M. suédoise confieroit
au comte de Tolstoy la conduite de ses troupes , le roi
est prêt à lui donner la garantie qu'elle offre aux troupes de
S. M. britannique , pendant leur séjour dans le nord de l'Allemagne.
3. Pour ce qui concerne l'approvisionnement de la forteresse
d'Hameln , l'on a jugé que la fixation d'un circuit
duquel la garnison pourroit tirer ce dont elle a besoin , entraîneroit
de grands inconvéniens , tant par rapport aux sujets
de S. M. britannique , qu'à cause de la collision qui pourroit
en résulter entre les troupes. Il paroît donc plus convenable
de fournir , du pays d'Hanovre , à la garnison les objets qui
seront nécessaires , par l'intermédiaire d'une personne tierce ,
572 MERCURE DE FRANCE.
à qui le général Barbou fera connoître ce dont il a besoin
pour sa consommation journalière , et sur la réquisition de
laquelle le ministère hanovrien pourvoira à ce que les objets
demandés soient livrés à l'endroit désigné. Le général Barbou
devroit s'engager , de son côté , à se tenir tranquille dans
Hameln.
D'après ces idées , le roi envoie à Hanovre M. de Krusemarck
, lieutenant-colonel des gardes du corps , et adjudant
de M. le maréchal Mollendorf. Je lui donne , de mon côté ,
une lettre pour le ministère de S. M. britannique à Hanovre
et une autre pour le général Barbou , afin que tous les arrangemens
nécessaires à l'entretien de la garnison d'Hameln , puissent
être arrêtés sans délai et mis à exécution.
Il ne me reste , mylord , qu'à me référer à ce que j'ai eu
l'honneur de vous dire de bouche , et à vous prier de faire en
général toutes les démarches que vous jugerez convenables
pour l'exécution de l'arrangement que j'ai l'honneur de vous
proposer. Je vous prie aussi de déclarer au commandant des
troupes de S. M. britannique , que ce ne sera qu'autant qu'il
jugera à propos d'accéder audit arrangement , et de prendre
les mesures qui dépendront de lui pour en assurer l'accomplissement
, que S. M. prussienne remplira l'obligation formelle
de garantir la sûreté des troupes de S. M. britannique.
Il est cependant nécessaire , en cas d'une attaque de la part
des Français , que la direction parte d'un point ; et il paroît
naturel que le plus ancien en grade prenne le commandement.
Le général comte de Kalkreuth devroit en conséquence
être choisi , tant par cette raison , que parce que se trouvant
dans le voisinage de l'ennemi , il est plus à portée de connoître
les mesures qui sont à prendre .'
Je renouvelle à Votre Exc . l'assurance de la haute considération
, avec laquelle j'ai l'honneur d'être etc. etc.
Signé , HARDEMBERG ( 1 ).
(1 ) La note qu'on vient de lire a été imprimée officiellement dans les
journaux anglais . Est-elle véritable ? est- elle supposée ? c'est ce que M
d'Hardemberg peut dire ! Nous ne ferons que peu de remarques : la première
, c'est que le protocole de la cour de Prusse , et que les min stris
écrivent au nom du roi , et qu'ici M. d'Hardemberg écrit en son nom et
non à celui de son souverain ; la seconde , c que l'insulte que M. d'Har-
9 en supposant qu'il n'ait signé
le traité conclu à Vienne avant la paix de Presbourg , que pour se donner
les moyens de tromper , ne peuvent entacher la loyauté de ce prince ,
et cette penseé ne deshonore uniquement que le ministre qui pense aussi
bassement. Enfin , qu'il est sans exemple dans l'histoire des nations qu'un
gouvernement ait assez manqué de politique pour ménager si peu ses am s
et: s crifier , comme le fait l'Angleterre , et d'une manière si éclatante ,
demberg fait au caractère du roi de Prusse est
MARS 1806. 573
Berne , 7 mars.
Toutes les mousselines , batistes , cotonnades , etc. , fabri
quées en Suisse , ne sont plus admises par les douanes françaises.
C'est principalement aux cantons de Saint- Gall , Appenzell
, Schwitz , que ce coup est sensible.
De Neuchatel , le 11 mars.
Copie du rescrit de S. M. le roi de Prusse , adressé aux
habitans de la ville et principauté de Neuchâtel et Valangin
, pour leur faire part de la cession qu'ilfait de ces pays
à S. M. l'Empereur Napoléon.
« Frédéric- Guillaume , par la grace de Dieu , roi de
Prusse , etc. , amés et féaux , salut ! L'affection paternelle que
depuis notre avénement au trône nous avons pris à tâche de
témoigner en toute occasion au pays de Neuchâtel et Valangin
, doit vous faire juger des sentimens que nous éprouvons ,
en vous adressant la présente. Elle est destinée à vous annoncer
un changement que les circonstances ont rendu inévitable.
Des considérations de la dernière importance , prise de l'intérêt
le plus pressant de notre monarchie entière , nous
ont obligé d'acquiescer à remettre entre les mains de
Sa Majesté l'Empereur des Français , le soin du bonheur
futur de ces états. Quelque desir que nous eussions de continuer
à y travailler nous-mêmes , et quelque peine profonde
des hommes qui ont trahi leur conscience et leur souverain pour le servir.
Voilà M. d'Hardemberg bien réconipensé de s'être prostitué aux éternels
ennemis du continent . Nous doutons que sa qualité de sujet du roi
d'Angleterre , l'avantage d'avoir résidé lui et sa femme à la cour de
Londres , puissent le porter à approuver la publication que vient de faire
le gouvernenient anglis . Il est vrai que cette note ne peut être considérée
comme émanée du roi ; et l'Angleterre n'a point manqué à la
Prusse et à son souverain en la publiant ; mais elle a laissé voir seulement
de quelle manière elle récompense ceux qui trahissent la caus- du continent
pour se vouer à son despo isme. Après avoir lu une pareille note ,
après l'avoir vue publiée dans tous les journaux anglais , il n'est personne
qui ne juge qu'il ne peut pas y avoir en Europe un homme plus
complétement deshonoré que M. d'Hardemberg. Le nom prussien n'en
peut recevoir aucune atteinte , puisque M. d'Hardemberg n'est pas Prussien.
Le militaire ne peut non plus s'en affliger , puisque M. d'Hardemberg
n'est point soldat . S'il l'étoit , il sauroit que les soldats du Grand-
Frédéric se battent pour soutenir les principes de sa politique , mais ne
sont point traîtres ni parjures.
Après toutes les publications du gouvernement anglais , après la direction
qu'il a donnée aux escadres et aux forces de terre qu'il a expédiées
au Cap de Bonne- Espérance et dans les colonies, aux lieu de les
envoyer au secours de ses alliés , nous doutons que l'Angleterre puisse
de long-temps avoir crédit pour les affaires du continent. Si elle s'en
trouve exclue , elle n'en accusera point la France ; et ce sera sa haine pour
ce continent qui aura produit cet effet.
5741
MERCURE
DE
FRANCE
,
"
que nous ressentions de nous séparer des sujets estimables ,
dont nous avons toujours hautement approuvé la loyauté et
l'attachement , nous ne pouvions nous dissimuler combien
cette résignation volontaire étoit préférable pour vous au sort
d'un pays de conquête , dont, sous d'autres rapports , vous
étiez menacés. D'ailleurs , la distance où votre pays , par
sa position géographique , se trouve du centre de nos états
ne nous permettant pas de le faire jouir d'une protection
suffisante et directe , et cette situation le faisant nécessairement
dépendre de l'Empire français , tant pour son approvisionnement,
que pour ses relations de culture , de commerce
et d'industrie , nous devons penser que les liens plus
étroits qui vont l'attacher à cet Empire , pourront devenir
pour ses habitans une nouvelle source de bien - être et de
prospérité.
>> Aussi notre intention est-elle de contribuer , autant qu'il
dépendra de nous par notre intercession et nos bons offices
auprès du gouvernement français , à lui offrir les avantages
qu'il peut desirer. Vous devez être convaincus en général , et
nous vous chargeons de témoigner en toute occasion , que nous
prendrons toujours à ce pays et à ses habitans un vifet sincère
intérêt , et que la mémoire de leur dévouement et de leur
fidélité ne s'effacera jamais de notre coeur.
» La sagesse du puissant souverain , auquel leur sort est
uni , permet d'opérer en toute confiance l'accomplissement
des voeux ardens que nous formons pour eux.
>> Nous avons nommé notre chambellan et envoyé extraordinaire
près du corps helvétique , le baron de Chambrier
d'Olaires , pour soigner, de notre part , et en qualité de commissaire
royal , la remise de cette province à celui que S. M.
l'Empereur des Français aura choisi pour en prendre possession
en son nom. Il est aussi muni , à cet égard , des pouvoirs
´requis et nous lui avons également adressé nos instructions
relativement aux objets de finance , par rapport auxquels nous
avons à coeur de donner aux sujets , dont nous nous séparons
à regret , une dernière preuve de notre amour et de notre
desir de leur être utile.
en
>> Nous sommes persuadés que vous seconderez le baron
de Chambrier en tout ce qui dépendra de vous , dans l'éxécution
de la commission dont il est chargé. Il l'est ,
particulier , de vous déclarer déliés , ainsi que tous les officiers
publics , du serment qu'ils ont prêté à notre maison , et de
les remercier tous du zèle et de la fidélité dont ils nous ont
fait preuve , en les assurant des sentimens inaltérables d'intérêt
et de bienveillance sur lesquels ils peuvent compter de
MARS 1806 .
575
notre part. Sur cela nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte
et digne garde. >>
A Berlin , le 28 février 1806.
Signé , FRÉDÉRIC - GUILLAUME.
Etplus bas , RECK - HARDEM BERG.
Nuremberg , 7 mars.
Un détachement de troupes françaises est entré la nuit
dernière dans cette ville ; il a été suivi dans la matinée par
le 97 régiment d'infanterie de ligne , commandé par le
général Frère , et qui fait partie du corps d'armée du maréchal
Bernadotte. Ces troupes ont pris des logemens chez les
bourgeois.
par
La proclamation suivante a été publiée à cette occasion ,
ordre du sénat :
1
<< Des circonstances particulières ont engagé S. Ex. M. le
maréchal d'Empire Bernadotte commandant en chef les
roupes françaises qui se trouvent dans le voisinage , à mettre
dans cette ville un certain nombre de ces troupes ; mais il a
donné en même temps l'assurance formelle au sénat que cette
disposition , qui ne doit être regardée que comme une mesure
militaire devenue indispensable , ne portera aucunement préjudice
à la ville.
» Comme lesdites troupes entrent ici ce matin , et doivent
être mises en quartier dans les maisons particulières , le sénat
en informe par celle- ci la bourgeoisie , et elle engage tous
et chacun à les accueillir et à bien traiter , assurés comme
ils peuvent l'être que M. le général commandant fera observer
la plus exacte discipline . »
PARIS.
Par décret du 14 mars , S. M. a nommé membres de la
Légion-d'Honneur, 2 adjudans- commandans , 14 chefs de ba→
taillons et d'escadrons, 422 capitaines, 173 lieutenans, 72 souslieutenans
, 175 sous-officiers , 326 caporaux , brigadiers et
soldats , 4 sous-inspecteurs , 5 commissaires des guerres ,
remplit aujourd'hui plusieurs colonnes du Moniteur.
MM. Dupont-Delporte , le Pelletier d'Aunay, Canouville
( Ernest ) , Campan , Camille Basset du Châteaubourg ,
Taboureau , Barente , Duval ( de Mons ) , sont nommés auditeurs
du conseil d'état.
-S. A. le prince Murat a quitté Paris il y a quelques jours;
on dit que ses aides-de- camp l'ont accompagné ; et comme
on explique toutes les démarches à Paris , à Vienne , à Berlin
par les changemens qui vont s'opérer dans le nord de l'Alle576
MERCURE DE FRANCE ,
magne , et par les concessions qui en seront les suites
ajoute que le Murat a rapport à ces objets
importans.
le
voyage du prince
Murat
-Les obsèques du sénateur Tronchet se sont faites mardi
18 avec beaucoup de pompe, Le cortége , composé de députations
des principaux ordres de l'état , précédé et suivi de
nombreux détachemens de troupes , est allé prendre le corps
du défunt à son domicile , rue Pavée au Marais, l'a conduit a
l'église Saint-Louis , où le service funèbre a été célébré. Le
cortége s'est ensuite, rendu à l'église de Sainte- Genevieve : à
trois heures et demie , le cercueil a été déposé dans un des
caveaux. Cette cérémonie avoit attiré un grand concours de
spectateurs dans les rues des différens quartiers que le cortége
a traversés.2}
CORPS LEGISLATIF.
Séance du 14.
MM. Defermont et Jaubert présentent deux projets de loi
M. Defermont lit le premier projet ainsi conçu : Les disposi
tions de l'art. 61 de la loi du 22 frimaire an 7 . concernant la
prescription des droits d'enregistrement seront , à compter de
la publication de la présente loi , applicables aux perceptions
des droits d'inscriptions et transcriptions hypothécaires établis
par les chapitres 2 et 3 du titre II de la loi du 21 ventose
an 7.
M. Jaubert lit le second projet de loi , dont voici les dispasitions
: Les tuteurs et curateurs des mineurs ou interdits
qui n'auroient en inscriptions ou promesses d'inscriptions de
5 pour 100 consolidé , qu'une rente de 50 fr. et au – dessous ,
en pourront faire le transfert sans qu'il soit besoin d'autorisation
spéciale , ni d'affiches , ni de publications , mais seulement
d'après le cours constaté du jour , et à la charge d'en
compter comme du produit des meubles.
Les mineurs émancipés qui n'auroient de même en inscriptions
ou promesses d'inscriptions qu'une rente de 50 francs et
au - dessous , pourront également les transférer avec la seule
assistance de leur curateur , et sans qu'il soit besoin d'avis de
parens ou d'aucune autre autorisation .
Les inscriptions ou promesses d'inscriptions au-dessus de
50 fr . de rente ne pourront être vendues par les tuteurs ou
curateurs qu'avec l'autorisation du conseil de famille , et suivant
le cours du jour légalement constaté. La vente se fera
dans tous les cas, sans qu'il soit besoin d'affiches ni de publican
tions.
La discussion de ces deux projets est fixée au 24 .
( N° CCXLV. )
( SAMEDI 29 MARS 1806.
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
961
SEL
2#
NIOBÉ.
APOLLON s'est armé d'un courroux inflexible :
Niobé va subir sa vengeance terrible.
Orgueilleuse , écoutant une aveugle fierté,
Elle osa de ce Dieu dédaigner la beauté !
Elle osa , respirant une amour criminelle ,
Préférer ses enfans au fils d'une immortelle !
Insensée , ah , retiens tes coupables accens !
Apollon outragé menace tes enfans.
Il te voit étaler leur superbe assemblage ,
Louer avec orgueil , adorer ton ouvrage !
Il t'entend prononcer un choix injurieux,
D'une voix sacrilege insulter à tes Dieux !
Fuis , détourne les coups de sa main vengeresse ;
Sauve de sa fureur les fruits de ta tendresse.
Quelle erreur te séduit ! Pour calmer son courroux
Vainement tu fléchis tes superbe genoux ;
C'est en vain qu'abjurant une arrogance impie ,
Ton orgueil confondu s'abaisse et s'humilie !
Ton tardif repentir, tes pleurs , ton désespoir ,
Sur un Dieu furieux resteront sans pouvoir.
Il tend déjà son arc , et ses flèches cruelles
Déchirent sans pitié tes filles les plus belles.
578 MERCURE DE FRANCE ,
1
O regrets leur candeur, leur touchante beauté ,
Ne peuvent d'Apollon fléchir la cruauté ;
Et treize fois , d'un bras que la vengeance anime ,
Chaque flèche élancée a frappé sa victime.
Quel aspect douloureux ! Sur un marbre fumant ,
Du sang de sa famille à longs flots ruisselant ,
Niobé l'oeil en feu , haletante , éperdue ,
Ne sait où reposer ni ses pas , ni sa vue.
Ah ! pourroit- elle fuir ? Il lui reste un enfant
Qui lui devient plus cher en ce cruel moment.
Le trait fatal est prêt ; il va trancher sa vie !
Sa mère.... Dieu barbare , arrête ta furie....
Elle presse sa fille entre ses bras tremblans ,
La couvre et la dérobe à tes traits menaçans !
Dans cet affreux danger, son ame vigilante
Inspire à son amour une ruse innocentè :
Sur sa fille elle a yu mille charmes épars ,
D'Apollon elle espère attendrir les regards .
Son bras tremblant se lève : une épaule éclatante
Offre à l'oeil ébloui sa beauté ravissante .
Le Dieu reste saisi , l'arc tombe de ses mains ,
Il hésite à l'aspect de tant d'appas divins .
Niobé voit son trouble ; enfin son coeur respire ....
Vain et cruel espoir qui flatte son délire !
L'insensée elle- même aggrave sa douleur,
Et son zèle imprudent a comblé son malheur.
Le Dieu , de la pitié repousse le murmure ;
L'objet qui l'a touché réveille son injure .
Sa haine se rallume , et son trait irrité
Ensanglante le sein de la jeune beauté .
Elle meurt exhalant le cri de l'innocence ,
Et le Dieu satisfait sourit de sa vengeance.
O mère infortunée ! ô supplice effrayant !
Niobé d'un oeil sec voit ce corps expirant .
A force de souffrir son ame est épuisée ;
De ses jours malheureux la trame s'est usée ;
Son corps pâle , endurci par l'excès des douleurs ,
A pris d'un maibre froid la forme et les couleurs .
Par M. BARTOUILH .
MARS 1806. 579
Note du Rédacteur . Depuis le grand succès de Manlius , les journaux ont sou
vent entretenu le public des particularités de la vie de la Fosse . Plusieurs ont parlé
de son talent pour la poésie italienne ; mais on ignore communément que la Fosse
porta ce talent à un degré très-rare dans un étranger . Nous pensons donc qu'on lira
avec plaisir une des pièces de vers italiens , qui , pendant son séjour à Florence , le
firent recevoir de l'Académie des Apathistes . Ce qui nous détermine sur- tout à la
publier, c'est que le texte en est étrangement mutilé dans tous les Recueils où elle a
été imprimée. On nous en a adressé une imitation en vers français , qui en donnera
une idée à ceux de nos lecteurs qui n'entendent pas la langue du Tasse .
CANZONNETTA.
Il Poeta pregia l'Inconstanza .
V'è chi mi grida e dice :
« A che pensi infelice ?
» Forse anco tu presumi
>> Di filli col tuo ardore
>> Fermar l'instabil core ?
>> Ferma prià venti e fiumi ;
>> Poi su l'alma rubella
>> Per te si provi pure arte si bella . »
A tui detti io rispondo :
O fato mio giocondo
Provido ciel che diede
Alei cor si leggiero ;
Che si a l'amor primiero
Serbasse ognor la fede
Come filli in altrui ,
Ver me si volgerian gli affetti sui.
M' ami ella un giorno solo ,
E poi s'en fuga a volo ,
Preda di nuovo amante !
Che in si bel giorno ameno ,
Mi strugerrebbe il seno
Giubilo traboccante ,
Onde licto et gradito,
Tra i contenti merrei prià che tradito .
ODE:
Le Poète fait l'éloge de l'Inconstance .
POURQUOI me répéter sans cesse :
Imprudent ! quelle est ton erreur ?
Penses-tu dans ta folle ivresse
>> Q'Iris te soumette son coeur ?
›› Enchaîne l'onde et le nuage
» Avant de former cet espoir ;
>> Puis sur le coeur de la volage
» Reviens essayer ton pouvoir. >>
Tyrans jaloux , faites silence !
Béni soit le ciel bienfaisant
Qui de cette aimable inconstance
Pour mon bonheur lui fit présent .
Oui , grace à cette humeur propice ,
Je puis être heureux à mon tour,
Et lui voir céder par caprice ,
Ce qu'elle refuse à l'Amour .
Qu'un seul jour je puisse lui plaire ,
Qu'elle m'aime, et passe à l'instant ,
Au gré de son ame légère ,
Dans les bras d'un nouvel amant !
O sort préférable à la vie !
Tu ne m'entendras pas gémir ,
Iris , avant ta perfidie ,
Va, je serai mort de plaisir.
TOUZET.
002
580 MERCURE DE FRANCE ;
ENIGM E.
Ou je suis , on ne cherche , hélas ! qu'à m'outrager;
Jour et nuit on s'occupe à pouvoir me détruire :
Mais où je ne suis plus, on me prise , on m'admire ;
Et par un travers qui fait rire ,
On fait tout pour me ménager .
LOGO GRIPHE.
vengeance ,
O cité malheureuse ! ô puissante Ilion !
Que votre sort cruel fut une affreuse image !
Je pouvois vous sauver : tel étoit l'avantage
Attaché par les Dieux à ma possession ;
Mais vos fiers ennemis , poussés par la
Surent me dérober à votre vigilance .
Neuf pieds forment mon tout : avec eux aisément
Vous trouverez , lecteur, le nom du premier homme ,
Un grand saint , né païen , qui fut martyr à Rome ;
Un titre anglais ; un mot synonymeà rampant ;
L'antithèse du bien ; un trésor admirable
Qui sut toucher jadis un coeur impitoyable ,
Et lui fit respecter les lois de l'amitié ;
Ce qui surprend et donne un coup d'oeil agréable ;
La mère de ce Dieu , qui , sans nulle pitié ,
Bâtit certaine nuit l'infortuné Sosie ;
L'opposé de femelle ; un rôle embarrassant ;
Ce mont fameux de Grèce , où d'Hélène l'amant
Un jour favorisa la reine d'Idalie ;
Un fâcheux adjectif à qui chérit Eglé ;
Un prêtre du Tibet ; deux notes de musique ;
Uu bon légume ; un nombre ; un ornement sacré
Un grand musicien ; une ville d'Afrique.
Mais c'est assez , lecteur, cherche à me deviner :
Si ton esprit tardif ne peut rencontrer jnste ,
Le poète divin , le protégé d'Auguste
T'apprendra qui je suis ; daigne le consulter .
CHARA D E.
ON fuit le malheureux que ronge mon premier ;
D'un pur nectar on boit jusques à mon dernier ;
On trouve au fond des puits l'ombre de mon entier,
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Langue.
Celui du Logogriphe est Vaisseau , où l'on trouvé eau, vis, vasse,
vive , Yves , Asie , vie , Suse.
Celui de la Charade est Mal-aise.
MARS 1806 . 581
A
Sur les Eloges historiques de MM. SEGUIER
et de MALESHERBES.
L'ELOGE historique de M. de Malesherbes , par
M. Gaillard , et celuide M. Séguier , par M. Portalis ,
ont paru presqu'en même temps .
Ces hommages publics décernés
par
l'amitié et par
l'éloquence , à des noms et à des hommes respectables
, sont une sorte d'expiation solennelle pour
tous les outrages , et , s'il étoit possible , pour toutes
les barbaries dont ces illustres personnages ont été
l'objet , dans des temps dont le gouvernement ne doit
jamais perdre le souvenir.
Il y avoit donc des vertus , des talens et des lumières
dans ces familles infortunées, poursuivies par
tant de haines et victimes de tant de fureurs !
Sans doute , toutes les races ne pouvoient pas se
vanter de la même illustration , ni tous les individus
s'attribuer le même mérité ; mais si la gloire de ces
noms recommandables appartient à la France entière ,
elle honore plus particulièrement la classe et les corps
dont ils étoient membres ; et n'est-il pas juste que tous
ceux qui ont été confondus dans la même haine et
en butte aux mêmes fureurs que ces personnages distingués
, retirent aussi quelque part de la réhabilitation
tardive accordée à leur mémoire ?
On eût attendu peut - être de l'homme de lettres
qui a le mieux connu et le plus aimé M. de Malesherbes
, de nouveaux détails sur la dernière action.
qui a illustré la vie de ce digne magistrat , et sur la
catastrophe qui l'a terminée . Sans doute , Louis XVI
ne devoit pas se défendre devant la convention , ni
même permettre qu'on y comparût en son nom . Au
point où étoient parvenus les esprits et les événemens ,
il étoit évident qu'on ne pressoit la comparution du
3
582 MERCURE DE FRANCE ,
roi , que comme un aveu de la compétence du peuple
, et non comme un moyen de justification pour
l'accusé , ou d'instruction pour ses juges ; et l'infortuné
monarque qui ne pouvoit plus rien pour sauver
sa tête de l'échafaud , auroit da , à ses derniers momens
, prendre plus de soin de sa dignité , et sauver
la royauté de la barre de la Convention. Mais le dévouement
de M. de Malesherbes aux desirs de son
royal ami , n'en fut que plus héroïque , puisqu'il eut
à sacrifier ses sentimens personnels sur la honte et
l'inutilité de cette plaidoierie , et à surmonter l'inexprimable
horreur de défendre la cause de toutes les
vertus , au tribunal de toutes les passions.
On trouve , dans tous les écrits du temps , le récit
de la mort de M. de Malesherbes , mais on est porté
à croire que l'estimable auteur de son éloge , eût pu
nous en apprendre davantage sur les derniers momens
de cet homme vertueux. Les douloureuses
circonstances qui ont accompagné la fin M. de Malesherbes
, ont dû être religieusement recueillies , et
auroient dignement terminé un écrit consacré à sa
mémoire . Une sensibilité foible et superficielle repousse
les détails déchirans ; une sensibilité plus ferme
et plus profonde les recherche et s'en nourrit . Et quelle
scène de compassion et d'horreur que celle où l'on vit
cette race illustre frappée d'un seul coup , et , si l'on
peut le dire , dans toutes ses générations , aïeul , fille ,
petite- fille , soeur , gendre , etc. , et entre des personnes
si chères , les malheurs de chacun accrus et redoublés
par le spectacle du malheur de tous les autres !
« Eh ! qui auroit pu croire , quelques années aupa-
» ravant , s'écrie l'auteur , un seul Français capable
» de concevoir l'idée de tels crimes ?.... »
Comment une révolution a -t-elle pu dénaturer å
ce point le caractère national ?
C'est la première pensée que fassent naître ces
affreux souvenirs ; c'est même la seule qu'ils rappellent
aujourd'hui ; et des maux inouis qui ont dù
MARS 1806. 583
exciter , il y a quelques années , de si profonds ressentimens
, ne peuvent plus être , au moment où nous
sommes , qu'un sujet inépuisable de méditations.
Une nation renommée pour sa loyauté et pour sa
douceur , a choisi ses victimes dans les familles qui
regardoient comme la plus belle portion de leur héritage
l'honneur de la servir de leurs personnes et
du capital de leurs biens , dit Montesquieu , et qui ,
en France , mieux qu'en aucun autre pays de l'Europe
, avoient rempli avec gloire et désintéressement
( 1 ) , cette périlleuse destination. Elle les a
dépouillées avec toutes les subtilités de la jurispru
dence ; elle les a proscrites et massacrées avec tous
les rafinemens de la barbarie ; et l'on a vu , chez le
peuple le plus humain , un oubli profond de toute
humanité ; et chez le peuple le plus chrétien , le
refroidissement universel de la charité.
Jadis , pour de moindres fautes , des réparations
éclatantes auroient attesté de grands repentirs ; et la
foi à cette suprême justice qui , tôt ou tard , atteint
ceux même qu'elle ne poursuit pas , auroit peuplé
de solitaires pénitens les rochers et les déserts.
L'homme alors étoit emporté ; aujourd'hui il est
corrompu : le coeur n'est pas moins foible ; mais l'esprit
est plus dépravé. Ainsi , dans les maladies aiguës
qui attaquent la jeunesse de l'homme , la force d'un
tempérament qui a conservé tout son ressort amène
des crises salutaires ; tandis qu'à un autre âge , le principe
de la vie affoibli n'offre plus à l'art aucune ressource
.
Les plus petits phénomènes de la nature physique
retentiront dans tous les journaux , occuperont tous
les savans , et feront éclore vingt systèmes où l'incertitude
le disputera à l'inutilité ; mais la révolution fran-
(1 ) La noblesse française étoit en général la plus pauvre de
l'Europe , et la plus occupée au service public.
4
584 MERCURE DE FRANCE ,
çaise , ce phénomène inoui en morale , en politique ?
en histoire , qui offre à la fois et l'excès de la perversité
humaine dans la décomposition du corps social ,
et la force de la nature des choses dans sa recomposition
; cette révolution , qui ressemble à toutes celles
qui l'ont précédée , et à laquelle nulle autre ne ressemble
, mérite bien autrement d'occuper les pensées
des hommes instruits , et de fixer l'attention des
gouvernemens , parce qu'elle présente , dans une seule
société , les accidens de toute la société ; et dans les
événemens de quelques jours , des leçons pour tous
les siècles.
Désordre des finances , foiblesse de l'autorité , ambition
de quelques hommes , résistance de quelques
autres , toutes ces circonstances et mille autres , furent
les causes secondes ou occasionnelles de la révolu
tion . Elles sont assez connues , et sont même presque
toujours exagérées ; mais toutes ces causes , absolument
toutes , dépendoient d'une cause première
unique , efficiente, pour parler avec l'école , une cause
sans laquelle toutes les autres causes ou n'eussent pas
existé , ou n'eussent rien produit. Et cette cause , il
importe d'autant plus de la rappeler, qu'elle conserve
encore toute son activité , et que les uns s'obstinent à
la méconnoître , et même d'autres à la nier.
Cette cause est la propagation des fausses doctrines
; car , dans la société comme dans l'homme ,
c'est toujours l'esprit éclairé ou perverti qui commande
les actions vertueuses ou dépravées ; et le crime
n'est jamais que l'application d'une erreur. M. de
Condorcet est convenu de cette vérité , lorsqu'il a
attribué aux écrits de Voltaire toute la révolution ; et
quoiqu'on l'ait traité même avec mépris pour avoir
fait cet aveu indiscret , M. de Condorcet n'en fut pas
moins l'homme de ce parti le plus habile , le plus profond
et le plus actif; et s'il a péri victime lui-même
de la révolution , c'est que les hommes qui veulent ,
malgré la nature et la raison , imprimer un grand
"
585 MARS 1806 .
mouvement à la société , ne voient pas que si l'esprit
commence les révolutions , c'est la violence qui les
conduit , et la force qui les termine .
Il faut donc le dire : aujourd'hui sur- tout que la
liberté de la presse est un dogme de notre constitution
, et l'indépendance ( 1 ) des gens de lettres la
plus chère de leurs prétentions , depuis l'Evangile
jusqu'au Contrat Social, ce sont les livres qui ont
fait les révolutions. Si des écrivains accrédités viennent
à bout de persuader aux hommes que certaines institutions
sont incompatibles avec leur bonheur , et
que certaines classes de citoyens sont des instrumens
d'oppression et de servitude , le peuple , aussitôt que
des circonstances particulières déchaîneront sa force ,
détruira les institutions ; et si , dans la foule , il se
trouve de ces hommes , heureusement rares , qui se
conduisent par des conséquences rigoureuses , plutôt
que par des sentimens humains , ils détruiront même
(1) On sait à présent à quoi s'en tenir sur cette indépendance
, et tout le monde est d'accord. Voltaire étoit indépendant
, lorsque , mécontent du roi de Prusse , qu'il avoit révolté
par ses causticités et par son ingratitude , il fuyoit de sa
cour pour aller tenir lui-même une cour à Ferney, et y manger
cent mille livres de rente ; Jean -Jacques étoit indépendant
, lorsque , dans sa folie , croyant le genre humain tout
entier, jusqu'aux bateliers et aux décrotteurs de Paris , ligués
contre lui , il jetoit ses enfans à l'hôpital , et couroit se cacher
à Ermenonville ; Caton étoit indépendant , lorsque , accablé
par le génie de César, il se tuoit lui-même , pour ne pas mourir
les armes à la main , et désertoit la cause de la liberté
romaine ; Socrate étoit indépendant , lorsqu'il avaloit la ciguë ,
à laquelle il étoit condamné par jugement……………. Je rends justice
au talent poétique des deux auteurs couronnés par l'Institut
; mais rien ne prouve le vice de la question comme la
foiblesse de leurs compositions. Quant au fond , toutefois , ils
n'ont pas pu mieux faire , ni se tirer plus heureusement dụ
piége que des gens de lettres avoient tendu aux gens d'esprit.
586 MERCURE DE FRANCE ;
les individus , s'ils se persuadent qu'il n'y a pas d'autre
moyen d'empêcher le retour des institutions ; et chacun
de nous pourroit dire de ces hommes ce qu'en
disoit Leibnitz , traçant , en 1716 , l'histoire prophétique
de nos malheurs : « Et j'en ai connus de cette
trempe. »
Des écrits qu'on appeloit alors philosophiques , et
qui bientôt ne nous paroîtront que séditieux , avoient
donc fait , en France , la révolution des idées , avant
que les décrets vinssent opérer la révolution des lois ;
et il n'est pas inutile de reconnoître la route par
laquelle les esprits avoient été conduits à ce dernier
excès de l'égarement et de la dépravation .
Notre siècle a reproché aux siècles qui l'ont précédé
d'avoir ignoré certaines vérités de l'ordre physique,
telles que la circulation du sang , la pesanteur
de l'air , l'électricité , la marche des corps célestes , etc.,
et je suis loin de contester l'utilité de ces découvertes
, même à ceux qui en exagéreroient l'importance
pour le perfectionnement des arts utiles et le
bonheur de la vie ; mais les siècles d'ignorance pourroient
, avec autant de raison , reprocher au siècle
des lumières d'avoir méconnu les vertus morales les
plus nécessaires à la conservation de la société , et
d'avoir mis à la place les erreurs les plus funestes. Je
ne craindrai pas de dire que toutes ces erreurs , en
morale , c'est -à-dire en religion et en politique , dérivent
d'une seule erreur . C'est dans notre siècle qu'a
été, sinon avancée , du moins soutenue et développée
dans toutes ses conséquences la maxime que tout
pouvoir vient du peuple : maxime athée , puisqu'elle
nie , ou du moins qu'elle recule Dieu de la pensée
de l'homme , et de l'ordre de la société ; maxime
matérialiste , puisqu'elle place le principé du pouvoir,
c'est - à - dire ce qu'il y a de plus moral au
'monde , dans le nombre, qui est une propriété de la
matière. Heureusement pour notre repos , le peuple
ne gouverne plus ; mais il importe à l'honneur de la
MARS 1806 . 587
1
raison , chez une nation éclairée , que le dogme de
sa souveraineté disparoisse de la théorie de la législation.
La religion chrétienne , en nous enseignant que
tout pouvoir vient de Dieu , omnis potestas a Deo,
attache au centre même de toute justice , de toute
raison , et de toute immutabilité , le premier anneau
de cette chaîne qui lie entr'elles et maintient à leur
place les différentes parties du corps social , et met
Je pouvoir hors de portée pour toutes nos passions et
tous nos intérêts personnels . Une fausse philosophie ,
en nous disant que tout pouvoir vient du peuple ,
en place la source au foyer de toutes les erreurs , de
tous les désordres , de toutes les inconstances , le met ,
pour ainsi dire , sous la main de chacun , et en fait
le jouet de toutes les passions et le but de toutes les
ambitions. Cette maxime est aussi destructive de
la religion que de la politique ; car ceux qui la
soutiennent attribuent au peuple le pouvoir de
faire sa religion , comme le pouvoir de faire ses lois .
Les écrivains du siècle des lumières s'étoient distribués
les rôles : les uns , comme Voltaire , Diderot
, etc. , attaquoient la religion chrétienne ; les
autres , tels que Mably, Rousseau , etc. , attaquoient
le gouvernement monarchique , c'est - à - dire la reli--
gion et le gouvernement , seuls nécessaires ou conformes
à la nature de l'homme en société . Les sarcasmes
de Voltaire paroissoient de graves objections
aux hommes superficiels ; et les sophismes de J. J.
Rousseau , des argumens sans réplique aux hommes
qui se croient profonds. Les grands qui occupoient
un rang éminent dans l'ordre politique , ne prenoient
de cette doctrine que la licence en matière
de religion , et les inférieurs qui tenoient encore à la
religion , goûtoient assez les maximes de l'indépendance
politique et de la souveraineté populaire.
Mais comme les relations nombreuses entre les dif- ·
férentes classes de la société rapprochoient fréquemment
tous les esprits et toutes les opinions , la reli588
MERCURE DE FRANCE ;
gion, avilie chez les grands , cessoit peu -à-peu d'être
respectée du peuple ; et le pouvoir politique , odieux
au peuple , devenoit suspect aux grands eux -mêmes ;
et , sans la religion , il n'y a plus de raison au pouvoir
que la force , ni d'autre, motif à l'obéissance que
la nécessité. La même doctrine enseignoit à l'homme
que son intérêt devoit être le seul mobile de ses
actions ; et alors les chefs du gouvernement , croyant
qu'il étoit de leur intérêt de rendre le pouvoir populaire
, sont devenus peuple ; et le peuple , persuadé
qu'il étoit de son intérêt de rendre sa force prépondérante
, est devenu souverain . De là , la foiblesse des
uns , la révolte des autres , les malheurs de tous , et
toute la révolution , Les désordres extérieurs ont été
arrêtés par l'établissement d'un pouvoir politique
indépendant du peuple dans son principe et son
exercice ; et les désordres intérieurs , bien plus graves ,
bien autrement dangereux , seront arrêtés par l'établissement
du pouvoir de la religion , indépendant
même des rois dans son existence et dans son enseignement
; car les rois ont sur la religion une autorité
de protection qui entraîne une dépendance dans
l'ordre extérieur du culte et de la discipline .
寫
Cette digression ne m'a pas écarté de mon sujet ,
puisque les auteurs des Eloges de MM . Séguier et
de Malesherbes , persuadés aussi que les écrits impies
et séditieux ont été la cause première des malheurs
de la France , se sont attachés , l'un à
prouver
que M. Séguier avoit dû dénoncer et poursuivre une
fausse philosophie ; et l'autre , à disculper M. de
Malesherbes d'en avoir favorisé la propagation.
M. Gaillard avance, et la Correspondance de Voltaire
en offre la preuve , que M. de Malesherbes ,
chargé de la direction de la librairie , ne permettoit
pas tout à Voltaire. Cette manière de justifier M. de
Malesherbes laisse quelque chose à desirer . On pouvoit
, en effet , ne pas tout permettre à Voltaire , et
cependant lui permettre beaucoup ; et certes , si l'on
MARS 1806.
589
en juge par ce qu'on lui a permis , on ne conçoit
guères ce qu'on a pu lui défendre . M. de La Harpe ,
dans sa Correspondance , se contente de dire : « Que
» M. de Malesherbes , dans la place de directeur de
» la librairie , accordoit aux productions de l'esprit
» et au commerce des pensées une liberté honnête
» et décente . » D'ailleurs , tous les écrits dont le
ministère en France prohiboit la publication , paroissoient
imprimés chez l'étranger ; et leur introduction
clandestine étoit plutôt du ressort de la police
que de la compétence du directeur de la librairie ,
qui ne disposoit point de moyens coercitifs. C'est
ce qu'on pourroit dire en faveur de M. de Malesherbes
, s'il avoit besoin à cet égard de justification.
Il est vrai que M. Gaillard ajoute : « Que ce fut
» sous M. de Malesherbes et sous ses auspices , qu'a
» paru le plus beau , le plus vaste monument de
» notre siècle et de tous les siècles . Cette Encyclo-
» pédie , dont M. le chancelier d'Aguesseau avoit
» connu et extrêmement goûté le projet , et qui ,
» selon l'expression du successeur de M. d'Alembert
» à l'Académie Française , par son étendue et par
» la seule audace de son entreprise , commande
>> pour ainsi dire l'admiration même avant de la
» justifier. »
Il ne s'agit pas ici de la protection accordée à
l'Encyclopédie par M. de Malesherbes ; qui pourroit
, en se rappelant ses malheurs , s'occuper à lui
chercher des torts ; mais de l'opinion que veut donner
de cet ouvrage M. Gaillard : opinion qui paroît
exagérée , et à laquelle le mérite personnel de cet
écrivain pourroit donner force de jugement.
D'abord , l'autorité de M. d'Aguesseau n'est ici .
d'aucun poids , parce que si ce magistrat célèbre ,
sincèrc ami de sa religion et de son pays , avoit
goûté le projet de l'Encyclopédie tel qu'il lui fut
présenté , il en auroit certainement blâme l'exécution.
Et quant au successeur de M. d'Alembert à
590
MERCURE DE FRANCE
l'Académie Française , obligé de faire l'éloge de celui
qu'il remplaçoit , il ne pouvoit guères , à cette époque
se dispenser de faire une phrase à l'honneur de
l'Encyclopédie , dont M. d'Alembert avoit été un
des fondateurs.
Que l'Encyclopédie soit le plus vaste monument
typographique de notre siècle et de tous les siècles ,
et , sous ce rapport , le plus beau aux yeux des imprimeurs
et des libraires , rien de plus vrai ; et il n'y
a pas de commerçant en librairie qui ne préfère , s'il
est assuré du débit , la plus énorme compilation à
tous les chefs- d'oeuvre du génie. Mais qu'aux yeux des
gens de lettres l'Encyclopédie soit le plus beau monument
littéraire qui existe , c'est ce dont il est permis
de douter , et sur quoi il paroît que l'opinion géné
rale a autrement décidé. Voltaire se plaint , en mille
endroits de sa Correspondance , de l'imperfection de
ce Recueil ; et M. de La Harpe , dans la sienne , ne
le traite pas mieux , et il l'appelle << une espèce de
» monstre, au moins par sa mauvaise construction . »
« Il est sûr , dit-il ailleurs , qu'il y a , dans cet im-
» mense Dictionnaire , beaucoup à retrancher, à cor-
» riger, à suppléer; il est surchargé de déclamations
» sans nombre ; il falloit consulter avec plus d'attention
les sources où l'on a puisé ; mais , pour sup-
» pléer tout ce qui manque , il faut beaucoup de
» talent, et il falloit , je crois , un choix de coopéra-
» teurs mieux dirigé et plus réfléchi. Les parties les
» plus importantes sont confiées à des hommes mé-
» diocres. L'esprit de parti a présidé au choix des
» coopérateurs. » Ailleurs encore : « Cet édifice
>> immense et irrégulier fut originairement fondé sur
>>> l'amour des sciences , des lettres et de la philosophie.
Le dessin avoit de la majesté ; mais les par-
» ties étoient sans proportions . De bons architectes
» y travailloient avec des maçons médiocres. L'en-
» nemi vint , on prit la fuite..... Un architecte plus
opiniâtre que les autres resta seul , il invita les
꾸
»
2
MARS 1806 . 591
» aveugles et les boiteux à mettre la main à l'oeuvre :
» l'ouvrage fut achevé et défiguré . Sans Diderot ,
» l'Encyclopédie n'auroit pas été achevée . D'Alem-
» bert s'en étoit retiré de bonne heure . » Voilà les
reproches que M. de La Harpe , lié alors d'amitié et
de principes avec les encyclopédistes , faisoit à l'Encyclopédie
, et il est permís de croire que , depuis qu'il
étoit revenu à d'autres sentimens , il y trouvoit à reprendre
des défauts plus graves. Or, il est difficile
de se persuader qu'une oeuvre littéraire , ainsi traitée
par le plus habile critique et un des meilleurs littérateurs
de notre siècle , soit le plus beau momument
littéraire de tous les siècles . Un Dictionnaire qui
n'est ni exact , ni précis , ni complet , est , comme
Dictionnaire , un mauvais ouvrage , puisqu'il manque
des qualités essentielles à un recueil de ce genre ,
qu'on consulte de confiance , et comme autorité ,
pour s'épargner la peine de lire et de discuter une
infinité de livres ; et qui , pour remplir son objet ,
doit être un répertoire exact , précis et complet , de
choses jugées et certaines , plutôt qu'une compilation
indigeste d'opinions et de systèmes. Considérée
sous des rapports plus importans , l'Encyclopédie
justifie encore moins le pompeux éloge qu'en fait
M. Gaillard. La littérature en est systématique , la
philosophie erronée , l'érudition superficielle et l'intention
perfide. Ce qu'il y a de plus remarquable dans
cette oeuvre dispendieuse , qu'on ne peut comparer
qu'à une immense bibliothèque formée sans discernement
et sans choix , est la partie des arts mécaniques
, qui , pour la première fois , y sont accolés
aux sciences morales ; et l'on peut dire que . dans cet
énorme recueil , les connoissances sont comptées par
tête plutôt que par ordre ; ce qui est , en tout , un
moyen infaillible de confusion .
On vouloit ennoblir les arts et populariser les
sciences , inspirer à la classe instruite et élevée le goût
des arts mécaniques , et initier aux sciences morales
1
592 MERCURE DE FRANCE ,
-
la classe pauvre et laborieuse . C'étoit , au moins
quant aux arts mécaniques , le plan de l'auteur d'Emile
sur une plus grande échelle ; et il en devoit
arriver que
l'homme public prendroit dans un livre
qui donnoit aux arts une si haute importance , des
goûts qui lui faisoient négliger ses devoirs ; et que l'artisan
cherchant , par exemple , le mot amidon , et trouvant
tout auprès l'article Ame , fait par un écolier,
dit Voltaire sur Olympie , y puiseroit des doutes ou
des leçons de matérialisme .
Je ne sais si l'Encyclopédie peut faire des savans
et des artistes ; mais il me semble qu'on voit , tout
comme auparavant , les jeunes étudians pâlir sur les
livres , et les jeunes apprentis faire chez leurs maîtres
un long noviciat de leur métier , et que cet ouvrage
n'a pas plus changé à l'enseignement , qu'il n'a ajouté
aux connoissances .
Si je peux dire tout ce que je pense , l'Encyclopédie
tout entière me paroît n'être que le premier
volume d'un grand ouvrage , dont la révolution est
le second , et ces deux volumes sont de la même
composition , et si l'on peut le dire , du même format.
En effet , quels ont été les faiseurs de l'Encyclopédie ,
et qui trouve- t- on ? Quelques écrivains supérieurs ;
beaucoup de médiocres ; un plus grand nombre d'ouvriers
sans talens ; des articles d'une bonne doctrine
exposée franchement ; des articles d'une doctrine
erronée jetée çà et là avec art et au moyen des renvois ;
d'autres en grand nombre qui n'y sont que pour grosi
sir le recueil . Et les différentes assemblées qui ont
commencé ou consommé la révolution , qu'étoientelles
autre chose que des réunions de quelques
hommes à grands talens , et à bons principes , de
beaucoup d'hommes foibles et médiocres , d'un trèsgrand
nombre d'hommes nuls , qui n'ajoutoient rien
à la masse des lumières , mais seulement à la somme
des voix ? On y a entendu les meilleurs principes
hautement défendus, et les erreurs les plus funestes
avancées
DE
LA
SA
MARS 1806. 593
avancées avec réserve , jusqu'au moment où l'on a pu
les mettre en pratique . On voit , dans l'Encyclopédie
les arts mécaniques , et les connoissances qu'on peut
appeller domestiques , parce qu'elles servent aux
soins ou aux plaisirs de l'homme privé , rapprochées
et pour ainsi dire élevées à la hauteur des sciences
morales , et de ces nobles recherches de l'esprit humain
, qui sont le fondement de la société et l'objet
des études de l'homme public ; et dans la révolution ,
on a vu la partie de la nation occupée de travaux
mécaniques , s'élever contre la classe chargée des
fonctions publiques , et du devoir de gouverner et de
défendre la société. D'ailleurs , l'ouvrage tout entier
est sorti des mêmes ateliers ; et comme dans ces
traités destinés à l'enseignement d'un art , il y a un
volume de théorie et d'explication , et un volume de
planches qui montre la pratique et la met en action
sous les yeux du lecteur, on pourroit regarder l'Encyclopédie
comme le texte de la révolution , et la
révolution comme les figures de l'Encyclopédie. Je
finirai par une réflexion douloureuse , et qui me ramène
au discours de M. Portalis. On n'a
pas été
assez étonné d'entendre pour la première fois , chez
une nation chrétienne , un orateur éloquent , ministre
de la surveillance du gouvernement sur le culte
public , et sous ce rapport confident de ses intentions
religieuses , et organe de ses pensées , obligé de s'élever
en public contre l'athéisme et le matérialisme ( 1 ) ,
et d'avertir de leurs funestes progrès la compagnie littéraire
, qui , réunissant , aux frais de l'état , les esprits
les plus distingués , doit conserver à la société le dépôt
de toutes les bonnes doctrines. Autrefois , l'autorité
religieuse tonnoit dans les temples , et l'autorité civile
sévissoit dans les tribunaux contre les productions
(1 ) On conviendra aujourd'hui que l'auteur de cet article
a pu parler dans un journal de l'athéisme , dont M. Portalis a
parlé à l'Institut.
PP
594 MERCURE DE FRANCE,
impies et licencieuses aujourd'hui que le mal est
plus répandu , qu'il gagne même le peuple , qu'il
infecte les sciences les plus étrangères à la morale , et
qu'à la faveur du ridicule , sous lequel peut-être on
déguise à dessein l'audace de l'entreprise , on ose ,
sans respect pour son pays , sa nation et son nom
honorer publiquement d'un brevet d'athéisme les
personnages les plus importans de son temps , et les
plus illustres de tous les temps , le gouvernement
somme les lettres et la philosophie de venir au secours
de la société , et il leur rappelle que , s'il tolère
qu'elles amusent les hommes , il ne les paie què
pour instruire la société. Ainsi , tant que les maladies
n'attaquent que les individus , l'administration
laisse aux gens de l'art le soin de les guérir ; mais
lorsqu'elles menacent une ville ou une province , l'au
torité suprême , médecin universel , publie , par For
gane de ses agens , des moyens généraux de traitement
; et même , quand il le faut , fait marcher la
force publique pour circonscrire et arrêter les progrès
de la contagion.
1
C'est done au materialisme que nous en sommes
venus . C'est le caput mortuum de la grande décom
position morale , et les dernières erreurs quesca
choient dans leurs replis ces doctrines irréligieuses ,
avancées avec réserve dans les premiers temps et toutà-
fait développées dans le nôtre, Comme la religion
chrétienne est la suprême conservatrice et comme
la citadelle des idées morales , cette prodigieuse dégénération
des esprits a des pensées tout - à-fait matérielles
, peut s'expliquer par le genre d'ennemis que
la religion a aujourd'hui à combattre. Je ne parle
pas de la petite guerre des chansons et des sarcasmes
qué Leibnitz accuse Luther d'avoir commencée contre
la religion catholique , et dans laquelle Voltaire , habile
partisan , s'est signalé en livrant au ridicule tous
les dogmes et toutes les pratiques de la religion chre
tienne ; mais , jusqu'à nos jours , la religion n'avoit eu
MARS 1806.
595
༣
à se défendre que contre des théologiens , des philosophes
, des littérateurs , des politiques , et certes
ce ne sont pas les plus forts , ni ceux qui ont marqué
par les plus grands pas la carrière des sciences .
Ceux-la du moins étoient occupés de sciences morales
, de hautes pensées , et ils n'avoient garde de
nier la spiritualité de l'homme dont ils cherchoient à
persuader l'esprit . On se battoit de part et d'autre ,
sinon à forces égales , du moins avec des armes
pareilles. A présent la religion est attaquée par
des systèmes de médecine ou de chimie , et par des
savans qui , arrêtés à l'observation de l'homme physique
et de l'univers matériel , ne voient rien audelà
de cette étroite sphère , même lorsqu'ils se permettent
d'en sortir. Ces hommes cherchent la pensée
dans le jeu des organes qu'ils soumettent à leurs
dissections ; et ils croient connoitre le maître , parce
qu'ils ont dans l'antichambre interrogé les valets. Nous
reviendrons peut -être un jour sur cette manière nouvelle
de considérer l'homme moral .
"
DE BONALD.
Le Suicide , ou Charles et Cécilia ; par Mad. Fleury. Trois
vol. in - 12. Prix : 5 fr. , et 6 fr. 50 cent. par la poste.
A Paris , chez Martinet , libraire , rue du Coq Saint-
Honoré , n. 15. '
LE Suicide de madame Fleury est un roman bien triste
bien mal écrit , et , ce qui doit étonner davantage , bien peu
décent. Le crime dont il porte le nom , ne s'y rencontre que
pour servir d'enseigne à l'ouvrage , et piquer la curiosité dů
lecteur ; car on n'y traite point en forme la matière du suicide
, comme dans la Nouvelle Héloïse . On n'y trouve pas de
201 071 894fach 92*
Pp2
596 MERCURE DE FRANCE ,
ces grandes dissertations à double face , qu'on admiroit tant
autrefois , de ces beaux raisonnemens pour et contre , par les
quels un homme vous prouvoit d'abord qu'on pouvoit se tuer,
et ensuite qu'on ne le pouvoit pas , vous laissant à la fin plus
embarrassé et plus ignorant que s'il n'avoit pas agité la ques←
tion. Mad. Fleury traite les choses avec plus de légéreté. Son
ouvrage est tout simplement un recueil de folies imaginées
à plaisir , parmi lesquelles celle du suicide se trouve confondue
, sans être ni plus ni moins remarquable que toutes
les autres. Il ne renferme aucun précepte , aucune moralité ,
et il seroit impossible de dire quel en est l'objet et la fin.
Mais nous tâcherons d'en tirer une leçon utile , à laquelle
l'auteur n'a pas songé. Puisqu'un mauvais livre ne peut servir
de modèle , il faut que la critique le fasse servir d'exemples
et, en reproduisant dans un tableau rapide tous les traits d'une
imagination déréglée , que celui- ci nous présente , on espère
que l'auteur voudra bien se juger lui-même , et s'épargner
la confusion d'une leçon plus directe.
Charles est un enfant trouvé , qui devient amoureux de
Julia, fille unique de son bienfaiteur , riche et honnête propriétaire
de Paris , qui se nomme M. d'Arlis. On le fait partir
pour Marseille ; et Cécilia , fille de M. Blondel , négociant ,
chez lequel le jeune homme apprend le commerce, est toutà-
coup subjuguée par la plus sombre passion : l'amour et la
jalousie entrent tout à-la-fois dans son coeur ; mais elle cache
si bien ses sentimens que personne ne s'en aperçoit , excepté
mad. Fleury , qui , de Paris où elle écrit , voit tout ce qui
se passe de plus secret à l'extrémité de la France, Lorsque
M. d'Arlis est débarrassé de Charles , il marie sa fille Julia
qui fait le sacrifice de son amour pour obéir à ses parens. Le
personnage qui l'épouse est un homme dont les propos font
excessivement rougir les femmes qui se promènent aux
Champs-Elysées , et prodigieusement rougir l'aimable et sensible
Julia. Elle se souvenoit toujours d'avoir vu tomber sur.
* དྷ་ ་
?
MARS 1806.
597
le coeur de Charles les pleurs qui couloient de
elle n'en étoit pas moins fidelle à ses devoirs.
ses yeux ;' mais
Tandis qu'elle exerçoit sa vertu dans Paris , il parut à Marseille
une jeune Espagnole , qui avoit des perles orientales dans
la bouche , et qui plut beaucoup à Charles. C'étoit une
veuve agaçante , qui étoit cause de la mort de son époux , tué
dans un duel , et qui voyageoit pour ses menus plaisirs,
Mad. Fleury raconte à leur sujet des choses qu'elle seule a pu
voir , et que je ne répéterai certainement pas ; ensuite elle
nous assure qu'elle jouit d'une rose sans s'inquiéter quelle est
la main qui l'a cultivée ; ce qui n'est ni d'un bon style , ni
d'un bon coeur.
Mais on ne commande point à son coeur dans ce roman.
Cécilia laisse gonfler celui qui l'agite par la noire jalousie , et
l'Espagnole permet au sien tous les écarts imaginables , et
cela n'empêche pas que la candeur de l'innocence ne l'ait
pris pour son siège. Quant à Charles , il aime toujours sa
Julia , quoiqu'elle soit mariée et qu'il soit devenu infidèle :
on sait que tout cela ne dépend pas de nous ; que c'est attaché
à lafoible humanité. Or donc Mad. Fleury prétend qu'il
ya un auteur qui dit qu'il faut mourir quand on a perdu ce
qu'on aime. Mais Charles qui ne savoit pas que cet auteur
eût dit cela , ne mourut pas , et son ignorance lui sauva la vie.
Julia ne le savoit pas davantage , car elle se portoit à
merveille ; elle commençoit même à oublier son premier
amant , lorsque son mari lui proposa de la conduire à Marseille
, où il savoit qu'elle trouveroit l'objet de ses affections.
-Ce procédé fut reçu de la meilleure grace du monde , et
Charles fut au comble de la joie , de voir arriver sa chère
Julia. Les bals , les fêtes lui furent prodigués ; mais cette
jeune femme étoit trop bien élevée pour se laisser séduire .
"Son mari n'étoit pas aussi sage qu'elle : il vit l'innocente Espagnole
, et , pour la première fois de sa vie , il aima d'un
amour sincère. Malheureusement il trouva près d'elle l'amant .
3
598 MERCURE DE FRANCE ,
qui l'avoit débarrassée de son mari : cette figure le choqua ,
l'aigrit et le mit en fureur ; il lui proposa de se battre , et
ils eurent la satisfaction de s'entretuer tous les deux. Ce double
meurtre fit soupçonner que l'Espagnole n'étoit pas aussi can—
dide que Mad. Fleury voudroit le faire croire : elle eut des
remords ; elle se retira dans un couvent d'Espagne , et s'y fit
religieuse.
Cécilia séchoit à vue d'oeil ; et Julia , devenue veuve , ne
savoit où donner de la tête , ni comment elle devoit s'y
prendre pour se consoler. Charles , qui avoit découvert ses
parens , et qui , bien entendu , se trouvoit le neveu de son
patron M. Blondel , rioit sous cape de toutes ces aventures ,
et se disoit à lui-même qu'il étoit bien inutile qu'il s'inquiétât
de sa situation , que Mad. Fleury sauroit bien lui faire épouser
sa Julia , puisqu'elle avoit su le rendre à sa famille , l'enrichir
, l'ennoblir , et tuer le seul homme qui pût contrarier ses
desirs. Il ne se trompoit pas : à l'expiration du deuil il reçut
toute la latitude de bonheur qu'un mortel puisse éprouver ,
mais la pauvre Cécilia fut plongée dans une longitude dé
malheur qui fait pitié.
"
Ilfaut étrefemme pour bien se pénétrer de la situation de
la tendre Julia : or comme je ne suis pas femme , je ne
chercherai pas à m'en pénétrer. Mais il faudroit étre plus
qu'un auteur pour bien peindre son âme et le conflit de ses
idées : or , Mad. Fleury, qui apparemment n'est pas plus
qu'un auteur , n'en dit rien. J'imiterai son silence .
Lorsque Cécilia vit qu'il lui étoit impossible de devenir
l'épouse de Charles , elle prit le parti de devenir folle ; mais
qui le croiroit , si Mad. Fleury ne l'attestoit elle - même ,
cette douce , cette sage , cette paisible Julia qui possédoit
tout ce qui pouvoit combler ses desirs , qui s'étoit montrée
si réservée , tandis qu'elle avoit un mari qu'elle n'aimoit pas ,
s'abandonna tout-à-coup à la dissipation , au désordre et à
l'infidélité , lorsqu'elle eut pour époux son amant qu'elle
MARS 1806. AMM 599
adoroit , et dont elle étoit adorée. Mad. Fleury trouve fort
aimable le nouveau venu qui la séduisit ; mais il est à croire
qu'elle permet aux hommes de penser différemment sur ce
chapitre. Il n'étoit pas , dit-elle , de ces aimables roués qui
font des protestations outrées ; et elle ne voit pas qu'on dút
l'en blâmer. Cela peut être dans les moeurs de ceux qui veulent
bien qu'on les désigne par un mot énergique échappé de
la Grève ; mais ce n'est pas heureusement par leurs lois que se
régissent les familles , et ce n'est pas non plus sur leurs opinions
que se réglera notre jugement. Mad. Fleury , qui n'y pense
sûrement pas , trouve que rien n'estplus naturel que de porter
le trouble et la désolation au sein d'un ménage uni ; mais
Cartouche et Mandrin trouvoient aussi très- naturel d'assassiner.
On a trouvé très- naturel de les faire pendre , et je trou
verois très-naturel qu'on en fît autant à l'aimable séducteur,
à l'homme charmant qui mit la triste Julia dans un état si
déplorable , que , pour s'épargner la honte qui l'attendoit
elle commit un double suicide. J'ignore si cette action est
encore toute naturelle : Mad. Fleury n'en dit rien ; elle ne
Ja blâme ni ne l'approuve , et ne paroît la raconter que comme
une de ces choses communes dont on ne daigne prendre aucun
souci. Elle ne nous arrêtera donc pas , et nous dirons șeulement
que Cécilia pouvant alors prétendre à la main de Charles ,
cessa de faire la folle , et qu'elle l'épousa peu de temps après.
Elle fut heureuse ; et Mad. Fleury se voyant arrivée non
moins heureusement au terme qu'elle s'étoit prescrit ,
alla
s'étendre mollement dans son lit.
፡ 1
Nous passons : sous silence les petites aventures étrangères
aux principaux personnages de ce mauvais roman , comme
indignes de fixer notre attention. Celles dont nous venons de
présenter un abrégé succinct , suffisent sans doute pour faire
connoître l'étrange égarement dans lequel l'esprit peut tomber
, lorsqu'il s'aventure sans guide dans une carrière où il
n'est point appelé.
G.
4
600 MERCURE DE FRANCE,
Des Détails géographiques en vers.
Un traducteur d'Homère en vers français , et Dieu sait quels
vers ! n'avoit traduit qu'en prose , à la fin du second chant de
l'Iliade , le dénombrement des vaisseaux des Grecs et des guerriers
qu'ils amenoient devant Troie , ayant regardé , dit-il ,
ce morceau comme une espèce de table géographique , peu
susceptible de l'harmonie des vers,
10
1
Je ne crois pas qu'on puisse avancer une hérésie plus forte
en poésie. La géographie est au contraire une des sources les
plus fécondes des vers harmonieux et des richesses poétiques.
A la description des lieux , de leur nature , de leur position ,
de leur aspect , de leurs distances , de leurs rapports , de leurs
contrastes tant physiques que poétiques , du caractère des
habitans , de leurs moeurs , de leurs intérêts , elle joint ces
souvenirs, ou touchans our agréables , attachés à de certaîns
lieux , ces traits , ces monumens consacrés la Fable ou par
l'Histoire ; enfin tout ce qui anime et vivifie. Quoi de plus
favorable à la poésie en tout genre ? Dans Homère , dans
Virgile , dans les Métamorphoses d'Ovide , dans Télémaque ,
etc. , rien de plus magnifique et de plus harmonieux que les
descriptions géographiques. Dira- t-on que la versification
française y répugne,? Voyez comment M. Delille a rendu ces
détails quand ils s'offroient à lui dans les Géorgiques :
par
Nonne vides croccos ut Tmolus odores ,
India mittit ebur , molles sua thura Saboei ?
At Chalybes nudi ferrum virosaque Pontus
Castorea, Eliadum palmas Epirus equarum ?
16
Le Tmole est parfumé d'un safran précieux ;
Dans les champs de Saba l'encens croît pour les Dieux;
L'Euxin voit le castor se jouer dans ses ondes ;
Le Pont s'enorgueillit de ses mines fécondes ;
MARS 4806. 601
L'Inde produit l'ivoire ; et dans ses champs guerriers
L'Epire, pour l'Elide , exercé ses coursiers.
.
Voilà , pour l'observer en passant , un de ces endroits où le
traducteur est comme forcé d'être supérieur à l'original pour
les autres endroits où il sera forcé de lui être inférieur. Virgile
, par le choix du mot mittit , qui s'applique indistincte→→
ment à tous les objets dont il parle , a pu être aussi concis
qu'il l'a voulu , et semble avoir cherché principalement ce
mérite. Le traducteur, peut-être faute d'un mot semblable
et assez poétique , a été obligé de varier et d'enrichir son
énumération . Le Tmole est parfumé de safran ; à Saba ,
l'encens croit pour les Dieux ; l'Euxin voit le castor se
jouer; le Pont s'enorgueillit de ses mines ; l'Inde produit
l'ivoire ; l'Epire exerce ses coursiers . Pas deux traits semblables
: variété riche comme celle de la nature dont il s'agissoit
en effet de peindre la variété dans les différens terrains et
dans leurs différentes productions. Certainement le poète qui ,
en pareil cas , varie le plus ses tours et ses expressions , est
celui qui remporte le prix.
Phasimque Lycumque ,
Et caput undè altus primùm se erumpit Enipeus ,
Unde pater Tiberinus et undè Aniena fluenta ,
Saxosumque sonans Hypanis mysusque Caïcus ,
Et gemina auratus Taurino cornua vultu
Eridanus, quo non alius per pinguia culta
In mare purpureum violentior influit amnis.
De là partent le Phase et le vaste Lycus ,
Le père des moissons , le riche Caïcus ,
L'Enipée orgueilleux d'orner la Thessalie ,
Le Tibre encore plus fier de baigner l'Italie ;
L'Hypanis se brisant sur des rochers affreux ,
Et l'Anio paisible et l'Eridan fougueux.
Si le traducteur n'a pas rendu gemina auratus Taurino
cornua vultu , il a bien dédommagé le lecteur par les beautés
602 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il lui a données en échange : il a enrichi le Caïcus ; il a surtout
beaucoup orné l'Enipée , le Tibre , l'Hypanis ; et le rapprochement
rend, plus sensible le contraste de l'Anio paisible
et de l'Eridan fougueux.
-Même richesse dans les détails suivans , soit de l'original ,
soit de la traduction :
Aspice et extremis domitum cultoribus orbem ,
Eoasque domos Arabum pictosque Gelonos ;
Divisa arboribus patriæ . Sola India nigrum
Fert ebenum , solis est thurea virga Sabais .
Quid tibi adorato referam sudantia ligno
Balsamaque et Baccas semper frondentis acanthi ?
Quid nemora Ethyopum molli canentia lanâ ,
Velleraque ut foliis depectant tenuia Seres ? .....
quos Oceano propior gerit India lucos
Extremi sinus orbis , ubi aëra vincere summum
Arboris haud ullæ jactu potuere sagittæ ,
Aut
Et gens illa quidem sumptis non tarda pharetris......
Sed neque Medorum sylva , ditissima terra ,
Nec pulcher Ganges atque auro turbidus Hermus
Laudibus Italia certent , non Bactra , neque Indus
Totaque thuriferis Panchaïa pinguis arenis .....
· • Te Lari maxime , teque
Fluctibus et fremitu assurgens , Benace , marino.....
Hæc genus , acre virum Marsos pubemque Sabellam ,
Assuetumque malo Ligurem Volscosque verutos
Extulit .
De l'aurore au couchant parcourons l'univers :
Tous les divers qlimats ont des arbres divers..
Chez l'Arabe l'encens embaume au loin la plaine ;
Sur les rives du Gange on voit noircir l'ébène ;
Là , d'un tendre duvet les arbres sont blanchis ; ›
Ici d'un fil doré les bois sont enrichis .
Le Nil du vert acanthe admire les feuillages ;
Le baume , heureux Jourdain , parfume tes rivages ,
Et l'Inde au bord des mers voit monter ses forêts
Plus haut que ses archers ne fant voler leurs traits ... 4 21
MARS 1806. 603
1
Mais l'Inde , et ses forêts et leur riche trésor ,
Et le Gange et l'Hermus qui roule un limon d'or ,
Et les riches parfums que l'Arabie exhale ,
Al'antique Ausonie ont-ils rien qui s'égale ?.....
Ici , le Lare étend son enceinte profonde ;
1
Là, tel qu'un Océan le Benac s'enfle et gronde......
Ses champs ont vu fleurir cent peuples redoutables :
Les Sabins belliqueux , les Marses indomptables ,
Et ces Liguriens qu'indigne le repos ,
Et ces Volsques armés d'énormes javelots.
S'aperçoit -on , dans aucun de ces exemples , que les détails
géographiques nuisent à l'harmonie ? Ne voit-on pas au contraire
qu'ils y contribuent sensiblement ?
す
Dans nos tragédies mêmes , ces sortes de descriptions sont
toujours les plus riches et les plus poétiques , précisément
parce qu'étant dépourvues de tout intérêt dramatique , elles
ont plus besoin de la pompe épique.
Voyez dans Mithridate , comment la route politique et mi
litaire de ce prince est tracée :
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y voit finir son cours ;
Que du Scythe avec moi , l'alliance jurée ,
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?.....
Daces , Pannoniens , la fière Germanie ,.
Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie. :
Dans quels beaux vers géographiques Théramène rend
compte à Hippolyte , des courses qu'il a faites en cherchant
Thésée :
Déjà , pour satisfaire à votre juste crainte ,
J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe ;
J'ai demandé Thésée aux peuples de ces bords ,
Où l'on voit l'Acheron se perdre chez les morts ;
J'ai visité l'Elide , et laissant le Ténare ,
Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare . རྞྞ ༞ བྷོ ཊྛོས
Ces deux mers que sépare Corinthe ces bords où l'on voit
604 MERCURE DE FRANCE.
l'Achéron se perdre chez les morts , cettemer qui vit tomber
Icare , voilà bien ce mélange de beautés géographiques et historiques
ou mythologiques dont nous avons parlé.
Dans Esther :
De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves coururent ;
Les filles de l'Egypte à Suse comparurent :
Celles même du Parthe et du Scythe indompté
Vinrent briguer le sceptre offert à la beauté.
Dans Athalie :
Sur d'éclatans succès ma puissance établie
A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie.
Par moi Jérusalem goûte 'un calme profond :
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond
Ni l'altier Philistin , par d'éternels ravages ,
Comme au temps de vos rois , désoler ses rivages.
Le Syrien me traite , et de reine , et de soeur.....
Jéhu , le fier Jéhu tremble dans Samarie.
Voyez comme l'astronomie est jointe à la géographie dans
es vers d'Alzire , et voyez quels vers !
J'ai consumé mon âge au sein de l'Amérique ;
Je montrai le premier aux peuples du Mexique 2nd.
L'appareil inoui , pour ces mortels nouveaux
De nos châteaux ailés qui voloient sur les eaux.
Des mers de Magellan jusqu'aux astres de l'Ourse ,
Les vainqueurs castillans ont dirigé ma course......
De la zone brûlante et du milieu du monde ,
L'astre du jour a vu ma course vagabonde
Jusqu'aux lieux où , cessant d'éclairer nos climats,
Il ramène l'année et revient sur ses pas.
Dans la Mort de César :
L'Euphrate attend César , et je pars dès demain.
Brutus et Cassius me suivront en Asie ;
Antoine retiendra la Gaule et l'Italie.
De la mer Atlantique et des bords du Bétis,
Cimber gouvernera les rois assujétis .
MARS 1806. 605
Je donne à Décius la Grèce et la Lycie,
A Marcellus le Pont , à Casca la Syrie.
f.
Dans l'Orphelin de la Chine : ...
Vous , dans l'Inde soumise , humble dans sa défaite,
Soyez de mes décrets le fidèle interprète ,
Tandis qu'en Occident je fais voler mes fils
Des murs de Samarcande aux bords du Tanaïs.
Dans Tancrède :
Le Grec a sous ses lois les peuples de Messine ;
Le hardi Solamir insolemment domine
Sur les fertiles champs couronnés par l'Etna ,
Dans les murs d'Agrigente , aux campagnes d'Enna......
De quel droit un Couci vint- il dans Syracuse ,
Des rives de la Seine aux bords de l'Arethuse ?.....
On voit même en nos jours
Trois simples écuyers , sans biens et sans secours ,
Sortis des flancs glacés de l'humide Neustrie
Aux champs Apuliens se faire une patrie.....
Grecs , Arabes , Français , Germains , tout nous dévore ,
Et nos champs , malheureux par leur fécondité ,
Appellent l'avarice et la rapacité
Des brigands du midi , du nord et de l'aurore.
On voit que ces vers géographiques sont précisément les
vers les plus harmonieux qu'il y ait dans notre langue.
Peut-être une vérité si palpable n'avoit-elle pas besoin de
tant de preuves ; mais j'ai détruit une erreur , et j'ai eu le
plaisir de me rappeler de beaux vers.
Par feu M. GAILLARD , de l'Académie Française , et
membre de la Classe d'histoire et de littérature
ancienne de l'Institut.
606 MERCURE DE MERCURE DE FRANCE ,
VARIETÉS.
D
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS
SPECTACLES.
4.
-M. le conseiller d'état Fourcroy a fait à S. M. I. , sur
la situation actuelle de l'instruction publique, un rapport
dont nous allons donner un extrait. Nous tâcherons de n'omettre
rien d'essentiel : ༢།9 །
25.17 « Votre Majesté , dit-il en commençant , reconnoîtra dans
ce compte rendu, l'état encore languissant des écoles primaires ;
celui des écoles secondaires communales, dont le succès a passé
toutes les espérances ; celui des Lycées , qui n'a point trompé
l'espoir qu'on en avoit conçu ; la continuité des avantages.
offerts par le Collége de France , l'Ecole polytechnique et le
Conservatoire de musique ; ceux que promettent les Ecoles
de Droit ; enfin la possibilité , ainsi que la nécessité de
lier et de consolider tous les établissemens d'instruction , par
la création d'un corps enseignant , dont V. M. a donné ellemême
les premières bases. »
Le rapporteur parcourant ensuite tous les établissemens de
l'instruction publique rend d'abord compte des obstacles
qu'a éprouvés la formation des écoles primaires . Les principaux
sont la nécessité d'attendre la circonscription définitive
des paroisses , pour connoître les logemens disponi →
bles ; 2° l'impossibilité presqu'absolue pour un grand nombre
de communes rurales de fournir un logement à l'instituteur
ou de payer l'indemnité qui doit en tenir lieu ; 3º le défaut
d'instituteurs capables.
Il a été adressé aux préfets une circulaire pour connoître ce
qui reste des anciens frères Ignorantins , et pour régénérer
cette institution , qui rendoit autrefois les plus grands services.
Le résultat a prouvé qu'il n'existe plus qu'un très-petit nombre
de ces congréganistes ; et il est impossible qu'ils se multiplient
MARS 1806. 607
si , comme autrefois , ils n'ont point un chef- lieu d'institu
tion pour former des sujets. Pour avoir de bons maîtres , il
faudroit charger les villes de faire sur leurs revenus un tráil
tement fixe à leurs instituteurs primaires. C'est un moyen
qu'il seroit possible d'employer pour le rétablissement des
frères Ignorantins , et les communes verroient , avec plaisir
qu'il fût adopté. * 』ན་ ° w D
Les écoles secondaires sont dans l'état le plus florissant z
dans l'espace de moins de deux ans , il a été créé 370 écoles
secondaires communales, et environ 377 écoles secondaires par,
ticulières ; nombre égal au moins à celui des anciens colléges
et pensionnats. Outre ces écoles secondaires , il existe encore
environ 4500 écoles tenues par des particuliers. Ainsi , il n'y a
pas une seule ville dans toute l'étendue de l'Empire , qui ne
possède des moyens d'instruction suffisans et proportionnés à
ses besoins. Le nombre des directeurs et professeurs des écolés
secondaires communales s'élève à 1344 ; celui des élèves , tant
pensionnaires qu'externes , est d'environ 22,480. La totalité des
sommes payées par les communes pour l'entretien de leurs
écoles , peut être évaluée à 1,096,355 fr. Dans les 377 écoles
secondaires particulières , on compte 27,706 élèves , tant pensionnaires
qu'externes. Dans les 4500 petites maisons d'éducation
, on compte plus de 25,000 élèves. Ainsi le nombré de
tous les élèves qui suivent le cours des établissemens ci- dessus
désignés est de 75,194.
Quarante - cinq Lycées ont été successivement décrétés .
29 sont en pleine activité ; 16 restent à organiser. Sur les 29
établis , 26 seulement ont des pensionnaires de l'état . Les
élèves du gouvernement sont au nombre de 3 ,gob environ.
Le décret du 3 floréal an 13 a donné aux Lycées une organisation
nouvelle ; le nombre des élèves a été porté de 100 à 150 ;
mais 20 seulement sont à pension entière , 50 à 34 , et 8 à
demi-pension. Cette mesure a eu son exécution pour les 26
Lycées en exercice. Les procureurs - gérans et censeurs des
études ont été supprimés dans les Lycées de Lyon , Marseille ,
Besançon et Nancy. Cette mésure sera exécutée dans tous les
Lycées où elle sera praticable. 242 élèves , tant du Prytanée
९
"
>
608 MERCURE DE FRANCE ,
que des Lycées , ont déjà été nommés à l'Ecole Impériale
Militaire de Fontainebleau. L'état de l'instruction dans les
Lycées est en général fort satisfaisant. On doit néanmoins
distinguer les Lycées de Mayence , Strasbourg , Lyon , Bordeaux
, Dijon , Grenoble , Besançon et Moulins.
Les moyens d'améliorer l'administration des Lycées et
'd'augmenter leurs succès , sont : 1 ° d'organiser cette année les
seize Lycées promis formellement par des décrets ; 2 ° de
rendre l'étude dans les Lycées nécessaire pour plusieurs états
de la société , comme elle l'étoit autrefois dans les universités
pour parvenir à la prêtrise , aux licences de droit et de médecine
, à l'instruction publique , et peut-être aux premières
places de l'administration ; 3º de rétablir, en conséquence , unè
espèce de doctorat au sortir des dernières classes des Lycées ,
à la place de l'ancienne matrise és-arts qui terminoit l'étude
dans les colléges de l'Université , et qui étoit nécessaire pour
être reçu aux écoles de théologie , de médecine et de droit ;
4º d'exiger que les directeurs des écoles secondaires particulières
envoient leurs élèves assez forts pour suivre la sixième de latin
dans les Lycées. On rétablira ainsi ce qui existoit autrefois
dans l'Université ; les maîtres de pension qui y étoit attachés
étoient obligés de conduire leurs élèves dans les classes des
colleges , où les externes étoient ainsi plus nombreux que les
pensionnaires ; alors les pensionnats n'étoient que des répétitions
cette mesure est desiré par tous ceux qui s'occupent
d'instruction publique; 5° d'établir une inspection continuelle
et sévère des Lycées. Deux ans suffiront pour porter , par
ces divers moyens , les Lycées à un degré de prospérité tel ,
que la plupart pourroient alors se suffire à eux-mêmes , et
subsister par leur pensionnat.
-
A
La dépense totale de tous les Lycées s'élevera à 5,080,000 f. ,
laquelle somme , fait pour 6450 élèves , 645 fr. par chacun .
Collège de France , Le collège de France , créé par François I " ,
en 1530 , ne paroît pas destiné à subir de grands changemens, ni dans
son administration aussi facile que simple , ni dans son enseignement
consacré en quelque sorte par le temps même . Il jouit de son ancienne
réputation
MARS 1806. I
DEH
DE
réputation, que le mérite de ses professeurs ne ces
'justifier.
LA
Bouten ou
5.
La mort de M. de Villoison ayant laissé vacate la chaire der
vulgaire , fondée pour ce savant , et le ministre dretions exters
ayant fait valoir les diverses considérations qui rroient dign
des langues orientales , persane et turque , S. M. , pondere du
brumaire dernier , a ordonné qu'il sera attaché un profesorner
à chacune de ces deux langues , et que la chaire de langue turque sera
substituée à celle de grec vulgaire qui demeure supprimée .
4
L'enseignement du collège de France comprend quatre branches de
connoissances :
1°. Les sciences mathématiques , divisées en trois chaires ; l'astronomie ,
les mathématiques pures , et l'application des mathématiques à la physique
; 2°. les sciences naturelles ou d'observation , divisées en cinq chaires ;
savoir : physique exprimentale , médecine , anatomie , chimie et histoire
naturelle ; 3 ° . les sciences du droit des gens de l'histoire , formant
deux cours ; 4°. les langues anciennes et vivantes , comprenant neuf
chaires .
Il y a dix-neuf professeurs , et les classes sont suivies par plus de
quinze cents personnes , dont le plus grand nombre se destine à professer
elles-mêmes. Le collège de France est donc une véritable école normale
dont la réputation s'est toujours soutenue par le grand mérite des professeurs
.
←
Cet établissement coûte 123 à 130 mille fr .
Ecole Polytechnique Tous les ingénieurs qui se destinent aux
différens services publics , doivent appliquer également dans leurs travaux
les sciences mathématiques , les sci ences naturelles , les arts graphiques ,
et recevoir dans une même école cette instruction première et fondamentale
; tel est l'objet de l'Ecole polytechnique. Le conseil de perfectionnement
a, depuis l'an 8 , annoncé d'abord , puis inséré dans le programme
d'admission, plusieurs considérations simples et faciles , et les candidats
ont été astreints successivement à prouver, qu'outre les élémens de mathématiques
et de statistique , ils ont une écriture lisible ; qu'il possèdent les
principes de leur langue et ceux du dessin d'imitation . Le programme de
1806 annonce qu'à compter de 1807 , les candidats seront tenus de posséder
assez de latin pour expliquer les Offices de Cicéron , et que cette anné
même, à mérite égal , les candidats qui posséderont le latin auront la préférence
.
L'École polytechnique a fourni cette année quatre- vingt-quatre élèves
Q ૧
619 MERCURE
DE FRANCE
,
7
auxdifférens corps d'ingénieurs. Ces élèves , et ceux qui sont morts dans
le cours de l'année , qui ont donné leur démission , ou se sont retirés à la
suíte des examens , ont été remplacés par cent vingt- cinq élèves , choisis
par le jury d'admission , sur la liste des examinateurs. L'Ecole, au commencement
de cette année classique , renferme trois cent dix-neuf élèves.
Ecoles de Droit- Les écoles de droit, instituées au nombre de
douze par la loi du 22 ventôse an 12, doivent être établies , d'après le décret
du 4º jour complémentaire même année , à Paris , Dijon , Turin , Grenoble
, Aix , Toulouse , Poitiers , Rennes , Caen , Bruxelles , Coblentz et
Strasbourg.
Sa Majesté a successivement nommé aux écoles de Paris , de Toulouse
, de Turin , d'Aix , de Grenoble , de Caen , de Rennes , de Dijon et
de Bruxelles .
Les nominations pour les écoles de Coblentz et de Strasbourg sont
prêtes à être soumises au choix de S. M .; il n'y aura plus que celle
de Poitiers : mais les considérations qui ont retardé l'organisation de cette
école vont disparoître ; et avant trois mois , toutes les écoles de droit
seront pourvues de leurs professeurs , de leurs suppléans , de leur
secrétaire , de leur directeur et de leur conseil de discipline et d'enseignement.
L'école de Paris a fait , en brumaire dernier , l'ouverture de ses cours ,
et on ne peut qu'applaudir au concours des élèves , à leurs efforts actifs ,
à leur instruction même , qui semble n'avoir pas souffert de l'interruption
de cet enseignement . '
L'école de Turin a repris ses cours . On s'occupe à mettre en accord la
loi sur les écoles de droit , avec le décret qui comprend cette école dans
l'Université de cette ville.
les
premiers
la
L'école de Toulouse a aussi fait l'ouverture de ses cours ;
renseignemens n'offrent que des motifs de satisfaction .
Les écoles de Grenoble et d'Aix vont également s'ouvrir .
Conservatoire de Musique. - Cet établissement a eté formé
loi du 16 thermidor an 3 ,, pour enseigner gratuitement l'art de la musique
à six cents élèves des deux sexes , choisis proportionnellement dans tous
les départemens .
par
Par cette même loi , les professeurs étoient au nombre de cent quinze ;
ce qui portoit les dépenses de l'établissement à 240.000 fr . par année.
Le ministre ayant réduit , à compter du 1er vendémiaire an 11 , la dépense
à 100,000 fr , le nombre des professeurs a été nécessairement
diminué. Le conservatoire se trouvé aujourd'hui composé d'un directeur
MARS 1896. 6th
de trois inspecteurs de l'enseignement , d'un sécrétaire , d'un bibliothé
caire , de trente-cinq professeurs , et de quelques employés.
Il a été ajouté depuis la dernière réforme 6,000 fr . pour subvenir à un
supplément de traitement accordé à M. Garat , et au traitement de trois
répétiteurs à 700 fr. chacun ; ce qui porte la dépense totale à 106,000 fr.
Quoique le Conservatoire de musique ait subi , comme on le voit ; des
réformes considérables , il n'a pas cessé un instant de répondre aux vues
libérales du gouvernement .
S. M. l'Emperent a daigné choisir parmi les professeurs , le premier
violon de sa chapelle , M. Kreutzer ; et telle est maintenant en Europe la
réputation de l'école française , que deux autres professeurs du Conservatoire
, MM. Boyeldieu ´et Rode , âgés de vingt huit ans au plus , sont
aujourd'hui , l'un maître de chapelle , l'autre premier violon de l'empereur
de Russie, Mademoiselle Philis, qui est en ce moment première cantatrice
du théâtre de la cour à Saint- Pétersbourg , devoit tout son talent au Conservatoire
, et particulièrement à M. Garat , professeur . {
On sait que plusieurs élèves ont essayé leurs talens sur le théâtre de
l'Académie impériale de musique , et que , malgré l'opposition de quelques
partiséns des anciennes méthodes , ils ont ont obtenu du succès. De
ce nombre sont Mad. Brauchu ; Miles Pelet et Hymn ; MM. Roland ,
Bonnet , Derivis , Eloi , Nourrit et Despéramons . Le Conservatoire fournit
d'ailleurs des chanteurs du second ordre à tous les théâtres des dépar–
temens , et des instrumens à vent à presgue tous les corps militaires . On
sait que la musique instrumentale a été portée , en France , à un degré de
supériorité que les virtuoses étrangers ne peuvent atteindre .
Au rapport publié en entier par le Moniteur , étoit joint un rapport
particulier de M. le conseiller d'état Lacuée , sur l'école polytechnique.
Nous allons faire pour ce rapport ce que nous avons fait pour le précédent :
« Sire , dit M. Lacuée , je vais , en exécution des ordres de votre
masté , mettre sous ses yeux tous les détails relatifs à l'école polytechnique
, qu'elle a desiré connoître. Cette école est aujourd'hui composéer
de trois cents élèves .........
» L'instruction militaire a été un peu retardée , parce que nous n'avons
pu nous procurer d'instructeurs ; mais , avant un mois , les élèves pourront
, si votre niajesté daigne leur accorder cette faveur , se présenter à la
parade .
» La discipline militaire est bien établie , et déjà les sous - officiers
commencent à prendre du nerf......
Sous le rapport des études , votre majesté aura lieu d'être satisfaite :
Q q 2
612 MERCURE DE FRANCE ,
les arts physiques et graphiques ont pris un très grand accroissement , et
les sciences mathématiques n'ont rien perdu.
Votre majesté peut être certaine que, d'après le régime actuel , la
masse des élèves sera plus instruite qu'elle ne l'a jamais été . Peutêtre
, il faut en convenir , deux ou trois jeunes gens , chaque année ,
ne s'éléveront pas , pendant leur séjour à l'école , aussi haut qu'ils
l'auroient fait jadis ; mais bientôt ils reprendront leur essor , et , ję
le répète , la masse. sera bien plus propre que jamais à bien servir
votre majesté.............
>> L'esprit des élèves est excellent ; ils sont dévoués de coeur à votre
majesté et à son auguste famille. Votre majesté n'a pu en juger encore
que par l'adresse qu'ils lui ont présentée : moi , j'en juge chaque jour
par leur admiration pour le gouvernement de votre majesté , par leur
enthousiasme au récit des événemens de la dernière campagne , par leurs
discours et leurs actions.
>> Leur conduite est très-bonne ; non qu'il n'y ait des étourderies , des
légéretés ; mais il est impossible que , parmi trois cent jeunes gens de
vingt ans , il ne s'en trouve pas toujours quelqu'un dont les passions
soient très - ardentes . Une discipline paternelle , mais sévère , nous en a
fait ou nous en fera raison .
» Environ cent vingt élèves doivent sortir chaque année de l'école
polytechnique complétement instruits. 2 1
›› Sur ce nombre , les services publics qu'elle alimente doivent en consommer
annuellement de soixante - dix à quatre-vingt en temps de paix ,
de soixante- dix à quatre- vingt en temps de guerre.
» Il restera donc pour l'armée ou pour l'instruction publique les manufactures
, les arts , de trente à quarante élèves chaque année. Ce résidu
est bien peu considérable en raison de nos besoins. Tous les jeunes gens
qui ont complété leur instruction à l'école , sont tous avantageusement
placés, et tous se font distinguer par leurs talens et leur conduite . Tous ne
Sat pas des Bertrand , des Malus , des Poisson , des Biot ; mais tous font
honneur à cet établissement.
4
+
» Sur seize cent soixante-quatre élèves qui ont été admis à l'école , trois
cent seize y sont encore ; mille environ remplissent des fonctions publiques
: le reste est disséminé dans l'Empire.
» Il seroit aisé , si on le vouloit , de multiplier les débouchés pour l'
cole. Le ministre des finances pourroit y puiser beaucoup de ses ingé
nieurs pour le cadastre ; les ports de mer, des constructeurs de bâtimens de
commerce ; les poudres , leurs commissaires ; les forêts , leurs arpenteurs;
MARS 1806 . 613
la marine , de bons aspirans
; l'état- major de l'armée
et les corps militaires
, des officiers
très- instruits
et très- disciplinés
.
» Nous avons quitté le palais Bourbon avec regret ; mais nous nous
applaudissons aujourd'hui d'être à Navarre. L'établissement est beau ,
très-beau. Lorsqu'il sera achevé , il sera digne de son créateur et de son
objet. »
Après avoir entré dans tous les détails relatifs à l'administration
aux dépenses , à la situation financière , à la comptabilité , M. Lacuée
termine ainsi :
« Telle est , sire , la situation de l'école polytechnique ; je crois que
nous sommes dans la bonne voie ; j'espère que nous y ferons de grands
pas. Heureux si je puis parvenir à rendre ces jeunes gens si intéressans
dignes de ce que votre majesté fait pour eux ! Oui , sire , si par mes
soins je puis contribuer à donner chaque année à votre majesté cent
cinquante sujets , dignes par leurs talens et leurs principes d'entrer
dans les services publics , si je puis deur donner cette force de corps ,
cette fermeté de caractère , cette docilité d'esprit et cette austère probité
qui sont plus nécessaires encore dans l'exercice des fonctions publiques
que dans le reste de la société , je croirai avoir répondu à la confiance
dont votre majesté m'a honoré , et j'ose vous affiriner , sire , que c'est le
premier et le plus ardent de mes voeux. »
―
Mercredi dernier, la classe de la langue et de la littérature
française de l'Institut, a nommé , à la place vacante par
la mort de M. Collin - d'Harleville , M. Daru , conseillerd'état
, intendant de la liste civile , auteur d'une traduction
complète des OEuvres d'Horace , en vers français. MM . Carion
de Nisas , Champagny, Mathieu Dumas , Saint-Ange , Desfaucherets,
Noël , Guillard , de Traci , étoient sur les rangs . Au dernier
scrutin , M. de Traci , déjà membre de la classe d'histoire ,
est resté avec M. Daru . Sur trente membre présens , M. de
Traci a obtenu neuf voix , et M. Daru vingt et une. Dans la
même séance , le bureau a été renouvelé. M. Villars a été
nommé président , et M. Radner vice-président .
-L'Opéra a repris, cette semaine , Echo et Narcisse , musique
de Gluck , paroles du baron de Tchoudy , représenté ,
pour la première fois , le 24 août 1779. Cet ouvrage n'eut
dans la nouveauté aucun succès , et il étoit facile de prévoir
qu'il ne seroit pas plus heureux aujourd'hui. Le poëme est
froid et ennuyeux ; il avoit d'abord trois actes, on l'a réduit
en deux, sans pouvoir lui donner le moindre intérêt.
Gluck dont le principal mérite consiste dans une connoissance
approfondie du drame lyrique , s'est entièrement mé-
3.
614 MERCURE DE FRANCE ,
氟
pris sur le caractère de la musique convenable à un opéra
fondé sur une des plus ingénieuses fictions de la mythologie.
Le récitatif et les airs d'Echo et Narcisse ne paroîtroient pas
déplacés dans Alceste , ou dans Iphigénie en Tauride,
M. de La Harpe a dit en parlant des premières représentations
de cet opéra « La chute de Narcisse , très - misérable
» production , paroles et musique , à fait voir que Gluck ne
» pouvoir réussir sans être soutenu par l'intérêt des grandes
» situations , dont le mérite est indépendant du lieu ; et lors-
» qu'il est abandonné à lui -même et aux ressources de son
» art , la pauvreté ordinaire de son talent devient sensible
» et manifeste. L'arrêt est sévère , sur tout durement exprimé
, mais il est juste ; et cependant il ne sera point ratifié
dans un pays où la musique n'a jamais été , même à
l'Opéra , qu'un accessoire. Quoi qu'il en soit , la douce mélodie
de l'hymne qui termine Echo et Narcisse :
-
Le Dieu de Paphos et de Ghide , etc."
reveille les spectateurs assoupis par la monotonie du récitatif
et des airs qui remplissent les deux actes de cet ennuyeux
opéra , que tous les effort et le grand talent de Lays né soutiendront
, point. Il est à la vérité très-foiblement secondé
par Nourrit et sur-tout par Mad. Ferrière,
-La représentation , au bénéfice de Mad. Saint-Aubi u
eu lieu mercredi dernier sur le même théâtre. On a donné
les Templiers , Ma Tante Aurore et une divertissement
exécuté par les premiers danseurs de l'Opéra , et dans le-,
quel madame Duret Saint-Aubin a chanté, La salle n'étoit,
pas entièrement pleine ; et en général , l'effet de ces différens
ouvrages n'a pas répondu à l'attente du public : peut-être eûton
pu mieux choisir. Madame Saint-Aubin a été vivement
demandée par le public , qui lui a prodigué les plus vifs applaudissemens
, Avant qu'elle parut , et au milieu du divertis
sement , Martin avoit chanté les couplets suivans , que nous
donnons pour ce qu'ils valent ; ils sont de M. Chazet.
Saint- Aubin, la Grace et le Goût
Sont venus pour voir leur actrice ;
Ils savoient qu'aujourd'hui sur- tout
On joueroit à leur bénéfice .
La foule accourt de toutes parts ,
Et s'acquittant par sa présence ,
Fait pour toi du Temple des Arts
.: Celui de la Reconnoissance .
Pour te célébrer , en ces lieux
On voit Melpomène et Thalie
I
}
MARS 1806 . 615
Unir à leurs aimables jeux
Et Therpsycore et Polymnie.
Si dans ces hommages flatteurs
Le sentiment éclate et brille ,
Pouvoit- on moins faire entre soeurs ?
Et n'es-tu pas de la famille?
Dans chaque rôle on t'applaudit ;
Virginie est tendre et décente ,
Georgette plaît par son esprit ;
Aline est naïve et piquante :
Le public est fou de Nina ,
Lisbeth n'eut jamais de rivale ;
Enfin dans Adolphe et Clara
Les prisonniers sont dans la salle.
Que l'hommage offert au talent
Pour quelque temps encor t'enchaîne ;
Le pubic en te couronnant
Te défend de quitter la scène.
Poursuis le cours de tes succès ,
Un adieu troubleroit la fête ;
Un jour de victoire jamais
Ne doit être un jour de retraite .
Antiochus Epiphanes , annoncé depuis si long-temps , a
enfin , et encore beaucoup trop tôt pour l'auteur, été représenté
à la fin de la semaine dernière. Le cinquième acte n'a
point été achevé. Que dire d'une tragédie sans plan , sans
caractère , sans style ; d'une tragédie dans laquelle il y a cinq
reconnoissances , et pas un vers que l'on puisse citer ? Sans
doute les auteurs se font d'étranges illusions ; sans doute les
comédiens ont en général le goût très-peu sûr. Avec tout cela , on
peut à peine concevoir comment l'auteur d'Antiochus a´osé
présenter une pareille rapsodie , et comment les comédiens.
ont pu se résoudre à l'apprendre et à l'offrir au public , sur
un théâtre honoré par tant de chefs- d'oeuvre.
Les représentations de Richard Coeur-de- Lion continuent
à être très-suivies , quoique le rôle de Blondel ne soit plus
joué par Elleviou , qui est très - malade. Samedi dernier , à
peine le dernier couplet de cet opéra etoit-il chanté , que le
public a demandé M. Grétry par d'unanimes acclamations.
Madame Saint- Aubin a amené ce grand compositeur sur la
scène , qu'il a enrichi e de tant d'ouvrages charmans , et lui a
offert , au nom des spectateurs, une couronne , rarement aussi
bien méritée.
Monsieur ,
AU RÉDACTEUR.
Le silence de nos journaux sur le succès prodigieux que
Chérubini vient d'obtenir à Vienne dans l'opéra qu'il a été
4
616 MERCURE DE FRANCE ,
y composer d'après l'invitation de la cour , me fait présumer
que les gazettes allemandes qui parlent avec admiration
de ce nouvel ouvrage , ne sont point connues en
France. Comme la véritable récompense des grands artistes
est dans leur célébrité , je vous prie , Monsieur , de vouloir
bien annoncer dans une de vos feuilles , l'enthousiasme
qu'à excité la musique de Chérubini dans la patrie des Haydn
et des Mozart ; il est tel , que la cour et la ville l'ont proclamé
le premier compositeur de l'Europe. Je partage cette
opinion , et je me fais gloire de la manifester.
J'ai l'honneur de vous saluer , MÉHUL.
Note du Rédacteur. Il est plus facile d'exciter l'enthousiasme
dans la patrie des Haydn et des Mozart que dans celle
des Paësiello et des Cimarosa . Il est à craindre que le succes
de M Cherubini à Vienne n'achève d'en faire un transfuge de
l'école italienne , dans laquelle il est né, d'autant plus qu'il a
toujours eu du penchant pour le germanisme. Nous desirons
vivement que PFurope sanctionne la pr clamation de la cour
et de la ville de Vienne. Le retour prochain de M. Cherubini ,
ne tardera pas à nous faire savoir ce que nous devons en penser.
Quoi qu'il en puisse être , l'opinion manifestée par M. Méhul
honore d'autant plus cet habile compositeur, qu'il a lui-même
de justes prétentions au rang décerné à son ami par les
Allemands .
-
1
M. Brieude fils ( non M. de Brienne
"
,
comme on l'a
imprimé par erreur dans quelques journaux ) vient de remporter
le prix proposé par la société des sciences et arts de
Rennes , et dont le sujet est l'éloge de Duclos . Cet éloge paroîtra
d'ici à peu de jours , chez Colnet , éditeur des
OEuvres completes de cet écrivain. Le prix est de 300 fr.
M. Denonal , employé au ministère du grand-juge , a obtenu un accessit.
-
7
-M. Hults , astronome prussien , demeurant à Francfortsur-
l'Oder , pense que le soleil éprouvé dans ce moment une
très-grande révolution physique ; il fonde son opinion sur un
groupe de taches qu'il vient d'y découvrir , ce qui occupe ,
sclon lui , un quinzième de son diamètre dans leur longueur ,
et un dix-neuvième dans leur largeur. Ces taches prennent
différentes formes , et éprouvent dans l'espace de 2 et de 3
heures des changemens visibles,
On vient de publier à Madrid un ouvrage qui ne
peut qu'être fort intéressant par les recherches savantes
qu'il a exigées c'est un plan de la ville et des environs
de Jérusalem , tels qu'ils étoient au temps de Jésus-
Christ. On y voit retracés les lieux , les édifices dont parle
l'Ecriture ; les murs , les portes, les rues de cette ville fameuse,
MARS 1806 . 6.17
et la route de Jérusalem au Calvaire. A la suite de cet ouvrage,
dont tous les détails sont appuyés sur des citations , on a imprimé
le voyage d'un Espagnol qui rend compte de la situation
actuelle de la Terre-Sainte.
2
MODES du 25 mars .
Les perles sont en si grande faveur , qu'on les préfère même aux dia-
De
torsades de perles fines ornoient les plus belles coiffures mans. grosses en cheveux , à la reprise de Richard Coeur-de- Lion , au Théâtre Fey- deau. Ces perles , combinées avec des nates , formoient , en général , bour- relet sur le devant de la coiffure , et reparoissoient tant soit peu par der- rière dans le chou de nattes . Au même usage sout employées par nombre de coiffeurs , des torsades d'argent , moitié brillant , moitié mat. Les pei- gnes sont rares , les fleurs même ne se montrent pas aussi souvent que de coutume sur les coiffures en cheveux. En revanche , plusieurs toques ont une touffe de fleurs , bien serrée , bien épaisse , qui en cache tout le de- vant. Cette touffe est faite de jacinthes doubles , ou d'un mélange de jacinthes simples et de violettes . Au spectacle, on voit quelquefois du jais blanc sur des toques blanches , et, le matin , du jais noir sur des toques noires . En négligé , nombre de femmes riches mettent une glaneuse de päille jaune très -fine , avec un fond de taffetas.
Samedi le bois de Boulogne , que nous avons dit être le seul endroit où les femmes à voiture voulussent se montrer à pied , offroit une très- belle réunion de femmes en demi- toilette . Là , on a pu remarquer que les ca- nezous de mousseline claire , garnis, d'un tulle festonné , n'avoient point de bouts de manches , et étoient tous noués par- derrière , à l'enfant. Les capotes de perkale , rayées sur le bord en grosses cordes de coton avoient toutes la passe coupée en équerre au niveau des oreilles ; elle's
étoient plus profondes d'un tiers que les capotes de l'été dernier .
A mesure que les fichus de cygne disparoissent , et tandis qu'il y a peu de collerettes , on s'aperçoit que le nombre des femmes tondues sur la
nuque, est très- considérable. Les chapeaux de paille jaune , à passe im- mense par-devant et sur les côtés, coupés quarrément derrière les oreilles , et sans bord sur la nuque , sont la coiffure de prédilection des femmes de
comptoir et des modistes endimanchées. Il faut , sur ces chapeaux , que le raban , après la rosette formée de côté , ait des bouts assez longs pour que l'effilé , dépassant le bord , vienne flotter au- devant des yeux. Dimanche , on auroit pu compter cinquante de ces chapeaux dans la grande allée des Tuileries. Parées de leur mieux , assises ou se promenant , il y avoit là cinq à six cents femmes qui rivalisoient de toilette ou de tournure . Le
blane mat , le rose pâle , le lilas et le lapis ont à-peu -près une égale vogue. Le vert-naissant et le jaune-d'or ne sont employés que comme accessoires. Souvent l'on voit blanc sur blanc , soie et paille , satin et velours . Les
le font
élégantes qui portent un demi-voile sur le devant dẹ leur capote , coudre en dessous , près du bord , mais non pas précisément sur le bord. It dans les étoffes à petites raies , pour culottes de printemps , une y a très-grande variété de nuances. Dans la maison Ybert , place du palais du
serin-nais-
Tribunat , se trouvent noisette , vigogne , vert- américain ,
blanc
sant , tourterelle , tourtereau , gris-perle , vert-d'eau , chamois , de lait , couleur de peau , fève de marais , café au lait. Ces étoffes n'ont
qu'un défaut , celui d'être fort chères .
618 MERCURE DE FRANCE ;
เ
NOUVELLES POLITIQUES.
Constantinople , 18 février.
la Voici la traduction de l'ordre donné le 6 de ce mois par
Sublime-Porte sur le protocole à suivre envers la cour de
France :
« La volonté suprême de Sa Hautesse étant que les articles
>> des capitulations impériales , qui unissent la Sublime-Porte,
» dont la durée est éternelle , à la cour de France , soient
>> constamment mis à exécution , quoique jusqu'a ce jour
>>> cette puissance n'ait été désignée que sous la simple quali-
>> fication de cour de France , il devient désormais indispen-
» sable d'insérer dans les barats ( ou diplomes ) , et dans les
>>>>commandemens impériaux les titres d'imperator et de
» padischah de France. Il est donc expressément enjoint que
» les barats et commandemens impériaux qui seront expédiés
» à l'avenir portent les susdits titres et qualifications d'im-
» perator et de padischah de France. »
A
La déclaration par laquelle la Porte reconnoît Napoléon I",
Empereur et Roi , a été envoyée par un courrier à Haleb-
Effendi , à Paris. Ce dernier , qui depuis un certain temps
vivoit comme simple particulier dans cette capitale , a reçu
en même temps l'ordre de déployer de nouveau le caractère
d'ambassadeur de la Porte près la cour de France.
1 M. d'Italinski , ambassadeur de Russie , a remis au ministère
turc une protestation au sujet de cette reconnoissance
en alléguant qu'elle étoit contraire au traité d'alliance qui
venoit d'être renouvelé entre la Russie et la Porte. Il a aussi
envoyé un courrier à sa cour pour l'instruire de cet événe
ment. Le ministre d'Angleterre a expédié également un
courrier à Londres.
Milan , 14 mars.
S. M. l'EMPEREUR et Roi vient de donner l'ordre que
les troupes qui sont dans le royaume d'Italie , soient mises
sur le pied de paix. (Moniteur. )
. Vienne , 15 mars.
On annonce que le prince d'Auersperg , ci-devant capitaine
de la garde , a été condamné à mort a l'unanimité , par le
tribunal chargé de le juger ; que d'après l'intercession de
S. M. l'empereur de Russie , notre monarque a daigné commuer
la peine ; qu'en conséquence , le prince d'Auersperg
perdra toutes ses charges et dignités , et sera exilé pour 20
ans dans une de ses terres. Il devra en outre payer une amende
de 300,000 florins qui seront versés dans la caisse des pauvres.
MARS 1806. 619
.
PARIS.
Au 1 avril , les troupes françaises seront mises sur le
pied de paix. Les trois camps volans qui avoient été formés a
Alexandrie , Rennes et Poitiers , ont été dissous ; et les gardes
nationales qui avoient été mises en réquisition , sont rentrées
chez elles depuis deux mois. Les corps de réserve que com
mandoient les maréchaux et sénateurs Kellermann et Lefebvre,
ont été dissous. L'EMPEREUR a fait témoigner sa satisfaction à
ces deux maréchaux pour le zèle qu'ils ont mis dans l'exercice
de leurs fonctions . Ainsi toutes nos armées prennent leur
organisation de leur état de paix. On croit qu'avant la fin
d'avril , la très-grande majorité des armées aura repassé le
Bhin. (Moniteur.)
On croit généralement à Milan , qu'après les fêtes du
mois de mai , LL. MM. II . et RR. iront visiter leur royaume
d'Italie et les nouvelles provinces qui viennent d'y être incorporées.
-
Par décret du 21 mars , S. M. a nommé pour compléter
le Chapitre impérial de Saint-Denis , qui doit être composé
de dix évêques âgés de plus de 60 ans , MM. de Juigné , ancien
archevêque de Paris ; Rollet , ci -devant évêque de Montpellier ;
Lubersac , ancien évêque de Chartres ; et Ruffo , ancien
cien évêque de Saint-Flour.
Le journal officiel publie en outre les nominations suivantes
, dont quelques- unes ont déjà été indiquées dans notre
feuille :
2 .
--
M. le sénateur Beauharnais est nommé à la sénatorèrie
d'Amiens vacante par le décès du sénateur Tronchet.
M. Maret , préfet du département du Loiret , est nommé
conseiller d'état , section de l'intérieur, M. Pieyre , préfet
de Lot et Garonne est nommé préfet du Loiret , en remplacement
de M. Maret. M. Savoye-Rollin , préfet de
l'Eure , est nommé à la préfecture de la Seine- Inférieure , en
remplacement de M. Beugnot , appelé au conseil d'état.
M. Alexandre-François Bruneteau- Sainte- Suzanne est nommé
préfet de l'Ardèche , en remplacement de M. Robert , passé à
la préfecture de Marengo. *
-
-
M. Sturz , membre du corps législatif , est nommé souspréfet
de l'arrondissement des Deux-Ponts.
-M. Hermann , premier secrétaire de légation à Madrid ,
est nommé commissaire-général des relations commerciales à
Lisbonne , en remplacement de M. Serrurier , démissionnaire.
M. Raymond , secrétaire de légation à Stuttgard , est
nommé chargé d'affaires de France près la république Raguse,
630 MERCURE DE FRANCE ,
M.Fourcroy est nommé commissaire des relations commerciales
à la Corogne , à la place vacante par la retraite de
M. Aillaud.
-M. Taillepied de Bondi est nommé receveur-général du
département de Maine et Loire ; et M. Tellier , receveurgénéral
du département de la la Loire.
-
Un décret du 21 mars nomme membres de la Légiond'Honneur
110 militaires de tout grade .
Un autre décret du même jour porte que le chocolat
paiera , à l'entrée de l'Empire , un droit de 260 fr. par quintal
décimal.
Le ministre de la marine et des colonies est parti avanthier
matin de Paris. On croit que S. Exc. va visiter les côtes
de la Manche.
G
Par un sénatus-consulte du 21 de ce mois , rendu sur la
proposition des orateurs du conseil d'état et sur le rapport d'une
commission spéciale du sénat , la caisse d'amortissement est
autorisée à acquérir du sénat les domaines qui ont été affectés
à sa dotation dans les départemens de la Doire , de Marengo
de la Sésia , de la Stura , et dans le territoire qui composoit 1 ,
département du Tanaro. Elle en acquittera le prix par une
concession de rentes en cinq pour cent , et aux conditions suivantes
: La caisse d'amortissement cédera au sénat une rente de
555,000 f. en cinq pour cent constitués , et recevra , en échange ,
tous les biens du sénat dans les départemens ci-dessus désignés.
La jouissance des rentes à cinq pour cent , qui seront cédées au
sénat par la caisse d'amortissement , aura lieu à compter du
1er janvier 1806. Réciproquement , la caisse d'amortissement
recouvrera , pour son compte, sur les domaines qui lui seront
cédés par le sénat , tous les produits dont l'échéance sera postérieure
au 1 janvier dernier. Le traité qui sera fait entre le
chancelier du sénat et le directeur de la caisse d'amortissement,
en exécution des articles ci-dessus , subrogera la caisse d'amortissement
à la propriété , possession et disponibilité des domaines
ci-dessus mentionnés en l'art . II. Les rentes qui seront
transférées au sénat , par la caisse d'amortissement , seront déclarées
inaliénables.
Un autre sénatus- consulte du même mois , porte que ,
l'EMPEREUR , sur la demande d'un sénateur titulaire d'une
senatorerie , pourra le faire passer à une autre senatorerie
dont le titulaire sera décédé. Lá sénatorerie devenue vacante
par la translation , sera conférée dans les formes prescrites
par les constitutions de l'Empire.
-
M. le maréchal d'Empire Jourdan est parti le 27 pour
Naples ; on dit qu'il estnommé gouverneur de cette capitale.
TABLE
3 45
Du troisième trimestre de la sixième année
du MERCURE DE FRANCE.
TOME VINGT - TROISIÈME.
LITTERATURE.
POÉSIE.
Le Cordonnier devenu Médecin , fable imitée de E
Phèdre ,
&
Le Tombeau d'Emilie ( Elégie ) ,
L'Antique ( Conte ) ,
Page
Traduction de la fin du VI Livre de l'Enéide , par
Hyacinthe Gaston ,
Mes Souvenirs ,
Etrennes d'une Mère à son Fils , ou très-humbles Remontrances
d'une antique Commode au jeune Williams ,
Dialogue entre M. d'Eau-Bonne , médecin par routine ,
et M. Bourru , goutteux de profession ,
L'Eglogue désenchantée ,
Sur la nouvelle d'un Accouchement,
Discours en vers sur l'Indépendance de l'Homme de
lettres ,
Autre, idem,
Le Coin du feu ,
Les Lectures d'Automne ,
Triolet ,
L'Homme affairé ,
Epître à M. de Boufflers ,
49
5L
53
55
57
Id.
107
110
115
145
153
Ads
195
622 TABLE DES MATIERES.
Stances à la Mélancolie ,
Le Troupeau ( Fable ) ,
1
Page 195
241
247 , 433 , 481
289
Fragmens du poëme de l'Imagination ; par M. Délille ,
La Messe de Minuit ,
Imitation d'Horace : O Matre pulcráfilia pulcrior, etc. , 294
Rondeau , 295
Bataille d'Hastings , ou l'Angleterre conquise . ( Fragment
337
du II Chant),
Monologue d'Ajax . ( Fragment imité de Sophocle ) ,
339
A Laure , qui m'avoit dit en plaisantant qu'elle me rendroit
athée ,
340
Questions à un Paysan que je n'ai pas vu depuis quinze
385
*
ans ,
Dialogue d'Horace et de Ly die , 389
Epître à M. de Brancas , sur les Bouffons de société , 454
! 482
Ode sur la Vieillesse ,
529
L'Indulgence , poëme ,
552
Ode à la Danse ,
577
Niobé ,
579
Ode par M. Touzet ,
Extraits et comptes rendus d'Ouvrages.
Lettres de mademoiselle de Montpensier , des mesdames de
Motteville et de Montmorency , de mademoiselle Dupré
et de madame la marquise de Lambert ,
Lettres de madame de Montier , recueillies par madame
le Prince de Beaumont ,
Réflexions de Machiavel sur la première Décadé de
Tite-Live ,
Eloge de M. Séguier , premier avocat général du roi au
Parlement de Paris , et l'un des quarante de l'Aca
démie française ; par S. Exc. M. Portalis , Ministre des
Cultes,
21
59
69
117, 155
TABLE DES MATIERES. 623
Discours en vers sur l'Indépendance de l'Homme de
lettres , pièces dont l'une a obtenu le prix de poésie ,
et l'autre le premier accessit , au jugement de l'Institut
National ; par Charles Millevoye , Page 211
Astronomie des Dames , par Jérôme de Lalande ,
Histoire naturelle et mythologique de l'Ibis; par Jules-
César Savigny ,
Mémoires du comte de Bonneval , avec des Notes ; par
M. Guyot-Desherbiers , ex -législateur ,
Le Grammairien fabuliste, ou Principes de Grammaire
française , mis à la portée du premier âge , et confirmés
par des Fables aussi instructives qu'amusantes ;
par F. Sauger -Préneuf,
Essai sur le Nivellement ,
221
297
305
351
358
Théâtre et Poésies fugitives de M. Collin-d'Harleville , 3gi
La Petite Maison Rustique , ou Cours théorique et pratique
d'Agriculture , d'Economie rurale et domestique
,
Mémoires de Louis XIV ,
ཝེནྟི
401
437
OEuvres posthumes de Marmontel , 450
La Navigation , poëme ; par J. Esménard , seconde édi- *
tion ,
485
Mémoires secrets sur le Règne de Louis XIV , la Régence
et le Règne de Louis XV ; par M. Duclos , 494
Voyage en Chine , formant le complément du Voyage
de lord Macartney ; par John Barrow ,
557
Epître à M. de Voltaire , par M. de Chénier , 543
Les Quatre Saisons du Parnasse ,
552
Mes Passe-Temps , chansons suivies de l'Art de la Danse ,
poëme en quatre Chants , etc. ,
554
Chansons choisies de M. de Piis ,
557
Sur les Eloges historiques de MM. Séguier et de
Malesherbes ,
581
2.
Le Suicide , ou Charles et Cécilia ; par madame Fleury , 595
624 TABLE DES MATIERES.
VARIË - TÉ S.
De la Politique et de la Morale ,
Prospectus du MERCURE DE FRANCE pour l'année
1806 ,
Voyage au Mont-Blanc , et Réflexions sur les Paysages de
Montagnes ,
Sur les Juifs ,
Réflexions sur le poëme inédit , intitulé Bataille d'Hastings
, ou l'Angleterre conquise ; par M. D....n ,
Réflexions sur l'Esprit et le Génie ,
Page 7
98
97
249
268
343
Le premier Médecin de la Grande-Armée au Rédacteur
du Mercure de France , 411
La Fille hermite , anecdote américaine véritable , 508
C
Pompéia,
501
Des Détails géographiques en vers ,
600
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
Pages , 33 , 77 , 126 , 174 , 230 , 278, 314 , 360 ,
416, 458 , 510 , 558
NOUVELLES POLITIQUES , 59 , 87 , 152 , 186 , 235 ,
226 , 327 , 373 , 468 , 516 , 568 , 618
PARIS, 41 , 94, 134 , 188 , 259 , 228 , 334 , 375 , 424 ,
CORPS LEGISLATIF ,
469 , 521 , 575 , 619
474, 524, 576.
Fin LA TAZLE DES MATIÈRES.
15 .
cen
DE
FRANCE ,
LITTÉRAIRE ET POLITIQUE.
TOME VINGT - TROISIEME.
VIRESACQUIRIT
EUNDO
A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE DE LE NORMANT.
1806.
I
(RECAP
)
0904
6345
v
,
23
1806
.
No. CCXXXIII. )
( SAMEDI 4 JANVIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
LITTÉRATURE.
POÉSIE.
LE CORDONNIER DEVENU MÉDECIN ,
FABLE IMITÉE DE PHÈDRE,
Prologue.
LORSQU'APOLLON eut conçu le dessein
De faire son fils médecin ,
Il voulut à Chiron confiant son enfance ,
Qu'au prix d'un long travail il acquît la science.
De nos docteurs nouveaux on en exige moins (1 ) :
Sans trop d'études ni de soins ,
Il suffit aujourd'hui d'un fonds de suffisance .
Après un léger examen ,
Un charlatan , tout bardé d'ignorance ,
D'une patente fait un brevet d'assassin :
Malheur alors au pauvre genre humain !
(1) Cette fable fut écrite en 1793 , dans le temps où le dernier des
fraters , armé d'une patente , pouvoit impunément exercer le terrible
droit de vie et de mort.
V.23
529724
A 2
4
MERCURE
DE FRANCE
,
Cet homicide abus me rappelle une fable ,
Dont la morale peut nous être profitable.
,
Un mauvais cordonnier , près de mourir de faim ,
Sous un nom supposé , dans un petit village
Vendit de l'antidote ; et par son verbiage ,
En peu de temps passa pour un grand médecin.
Le roi tombe malade ; il mande l'empyrique ;
Et pour éprouver son savoir :
<<< Je veux sur toi , dit-il , essayer le pouvoir
>> De ton célèbre spécifique . »
Puis, feignant de verser du poison au docteur ,
A l'antidote il mêle de l'eau pure ,
Et lui prescrit de boire la liqueur.
Le charlatan , transi de peur ,
Avoue aussitôt l'imposture ;
Confesse que jamais il ne fut médecin ;
Qu'il ignore le grec autant que le latin ;
Que d'un peuple idiot la crédule ignorance
Est son secret unique , et toute sa science .
Donnant alors au peuple une utile leçon :
« Vous voyez , dit le prince , en cette conjoncture ,
>> Combien il faut manquer de sens et de raison ,
» Pour commettre sa guérison
» A qui nul n'a voulu confier sa chaussure ! ›
KERIVALANT.
LE TOMBEAU D'EMILIE ,
ÉLÉGIE.
ELLE n'est plus cette beauté touchante ,
De son sexe à la fois le modèle et l'orgueil !
Elle n'est plus , et la mort dévorante
Aux portes de la vie a creusé son cercueil.
En vain j'ai vu briller ses attraits , sa jeunesse ,
Son aimable candeur , sa grace enchanteresse
JANVIER 1806. 5
Sa douce piété , fidelle aux malheureux ;
Ni les pleurs d'un époux , ni les soins d'une mère ,
Ni d'un père éperdu la fervente prière ,
N'ont pu la dérober à son sort rigoureux.
O tendre rose , à peine épanouie ,
Tu descends de ta tige au matin de la vie ,
Un souffle destructeur t'enlève à notre amour !
O reine des jardins de Flore ,
Si tu ne vis qu'une aurore ,
Ce fut au moins l'aurore d'un beau jour !
Nymphes du Sor ( 1 ) , dont elle aima les rives ,
Pleurez votre jeune soeur !
Pleurez , et que vos voix plaintives
Se mêlent aux soupirs qu'exhale ma douleur !
Au lit de mort repose , ô mon amie !
Dors sur le sein de tes aïeux ..
Le choc des passions eût agité ta vie , N
Et le calme t'attend près d'eux .
C. A. CHAUDRUC.
$
L'ANTIQUE ,
CONTE
D'UNE calcédoine gravée
Un ignorant faisoit grand cas ."
D'autres bavards l'avoient trouvée
Digne du cabinet des plus grands potentats.
La découverte excitant des débats ,
Au plus célèbre antiquaire de France
Père du jeune Anacharsis ,
薯
Le possesseur s'adresse : « Ayez la complaisance ,
>> Sur ce rare morceau , de donner votre avis , ! .
( 1 ) Le Sor , petite rivière qui donne son nom au Sorsois. -
3
6 MERCURE DE FRANCE,
Lui dit- il ; cette pierre est sans doute une antique ? » →→
<< Pas encor ; mais avec le temps
"
Elle pourra soutenir la critique ,
>> Et nous en parlerons dans deux ou trois mille ans. »
Par F. DEVENET.
ENIGM E.
ON me donne souvent , jamais on ne me livre ;
Percé de mille traits , je ne meurs pourtant pas ;
Pour certains romanciers mon nom a tant d'appas ,
Qu'ils me mettent cent fois et plus dans un seul livre.
H. ( d'Eu . )
LOGO GRIPHE.
LECTEUR , je suis un saint , qu'on chante cependant
A table , à l'Opéra , de même qu'à l'Eglise ,
Sans que le plus dévot jamais s'en formalise.
Veux- tu me disséquer ? Tu verras sûrement
Le doux nom qu'un amant parfois donne à sa belle ,
Deux notes de musique , un fougueux élément ;
Enfin , ce qui jadis embarrassa souvent
Un poète fameux à qui j'étois rebelle.
CHARA D E.
De mon premier Arimane est l'auteur ;
De mon second un Dieu, propice :
Ce Dieu si bon , ami de la justice ,
Veut que mon tout détruise le bonheur,
Par G. V. ( de Brive ) , abonné,
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la
CHARADE insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigine du dernier N° est les Cartes.
Celui du Logogriphe est Crime , où l'on trouve rime.
Celui de la Charade est Or-pin.
JANVIER 1806 .
7
L'ESP
De la Politique et de la Morale.
' ESPRIT humain qui saisit le composé plutôt
que le simple , dans ses premiers efforts pour réduire
une science quelconque en un système d'enseignement
, commence assez souvent par de gros
livres , où il cherche à tâtons les principes dans la
foule des détails et des conséquences : quand une
fois les principes sont connus , les idées se fixent ,
la science se généralise , et les livres se resserrent .
Alors on abrège tout parce que l'on voit tout ,
pour me servir du mot heureux de Montesquieu
en parlant de Tacite .
De combien de volumes l'Exposition de la Foi
de Bossuet , les Discours du même auteur sur
l'Histoire Universelle , ceux de Fleury sur l'Histoire
Ecclésiastique , l'Histoire de la Grandeur et
de la Décadence des Romains par Montesquieu ,
ne sont- il pas l'analyse , et comme la quintessence ?
On trouve , il est vrai , dans ces derniers écrits ,
peu de faits particuliers , parce que le temps qui
fournit des matériaux à l'histoire , laisse derrière
lui , dans sa course rapide , et livre à l'oubli les
faits comme les hommes , pour faire place à de
nouveaux faits et à de nouvelles générations ; mais
on y trouve les résultats généraux de tous les faits ,
et c'est , après tant de siècles d'événemens , tout
ce qu'il importe à la société de connoître et de
retenir.
Cette marche est même nécessaire aux progrès
de la raison et des connoissances humaines. En
effet , lorsque les livres qui traitent d'une seule
science se sont multipliés au point que la vie la
plus longue de l'homme le plus studieux peut à
4
8 MERCURE DE FRANCE ,
2
peine suffire à les parcourir, il faut , sous peine
de retomber dans l'ignorance , à force d'excès , et
si j'ose le dire d'encombrement dans les moyens
d'instruction , non pas abréger les livres , mais analyser
la science pour réduire les livres qui la contiennent
à la mesure de la durée de l'homme et
de ses facultés car il y a cette différence entre
l'abrégé et l'analyse , que l'abrégé supprime quelques
faits pour soulager la mémoire , et que l'analyse
généralise l'ensemble des faits pour étendre
les idées .
Nous avons sous les yeux des exemples familiers
de la nécessité de cette réduction du composé
au simple , et du particulier au général . La géométrie
et l'arithmétique proprement dites , ont
suffi long-temps aux besoins de la société et aux
recherches des savans sur les propriétés de l'étendue
et de la quantité . Mais lorsque les progrès de
la société ont exigé un plus grand développement
de vérités mathématiques , l'esprit humain s'est vu
arrêté , dans son essor , par l'inextricable confusion
des démonstrations compliquées tirées de
la géométrie linéaire , ou par l'infinie multiplicité
des signes arithmétiques ; et alors il a inventé
l'algèbre ou l'analyse , qui au moyen d'un petit
nombre de signes généraux , et d'opérations simples
et faciles , représente toutes les figures de l'étendue
, toutes les valeurs de la quantité , et en démontre
ou en combine tous les rapports.
Et pour faire l'application de cette comparaison
aux matières politiques ; lors J. J. Rousseau a
dit : « Le gouvernement passe de la démocratie à
>> l'aristocratie ; de l'aristocratie à la royauté ; c'est-
» là son inclinaison naturelle , le progrès inverse
» est impossible. » Il a donné une véritable formule
de la science politique ; une formule analytique
ou générale , où l'on trouve la raison et la fin
JANVIER 1806.
9
de toutes les révolutions ( 1 ) des sociétés , comme l'on
trouve dans la formule algébrique , appelée le binome
de Newton , la raison , la racine , la somme detoutes
les progressions et puissances . Et il est remar-,
quable que cet écrivain , après avoir posé ce principe
, cherche , dans le Contrat Social , à faire
Pimpossible , et à contrarier l'inclinaison naturelle
des sociétés , pour ramener les gouvernemens
de la royauté à la démocratie.
Dans une partie plus usuelle encore ; lorsque le
poids et le volume des monnoies de fer ou de
cuivre ont rendu trop difficultueuses , et même
impraticables les transactions journalières de commerce
, il a fallu , en conservant les valeurs , réduire
les signes qui les expriment , sous un plus
petit volume d'or et d'argent ; et lorsqu'enfin de nou
veaux progrès et une circulation plus active , et
peut être forcée d'hommes et de choses , ont
multiplié à l'excès le besoin et l'usage des métaux
précieux , il est devenu nécessaire de réduire encore
les signes monétaires , et de les convertir en
papier de Banque moyen usité aujourd'hui dans.
toute l'Europe ; mais agent actif de révolutions
privées et publiques , avec lequel on peut mettre
sur un quarré de papier la fortune de toutes les
familles , et le sort de tout un état.
Ainsi , quand un peuple a d'immenses bibliothèques
, il faut , pour lui en faciliter l'usage , les
réduire en petits livres , et il est vrai aussi , sous un
rapport plus moral , qu'il faut peu de livres à un
peuple qui lit beaucoup ; c'est-à- dire , qu'il ne faut
que de bons livres partout où la lecture est un
besoin de première nécessité.
(1 ) Cette formule suppose un état tombé dans la démocratie par
une révolution ; car , d'ailleurs , les sociétés laissées à la nature n'ont
jamais commencé par le gouvernement populaire ; mais par la royauté ,
d'abor d domestique , ensuite publique . "
ΤΟ MERCURE
DE FRANCE
Il est peu de sciences sur lesquelles on ait autant,
écrit que sur la politique et sur la morale : elles .
ont été traitées séparément par des publicistes et
des moralistes ; quelquefois par des écrivains qui
n'étoient ni l'un ni l'autre. Et non-seulement elles.
ont été traitées séparément ; mais elles ont été regar-,
dées trop souvent comme peu compatibles entr'elles :
opinion fausse et dangereuse qui déshonore la poli-.
tique et qui dégrade la morale , en présentant la
première de toutes les sciences , la science de gouverner
les hommes , comme indépendante des lois
de la morale ; ou la morale , comme de trop basse
condition , si je puis m'exprimer ainsi , pour trouver
place dans les hautes pensées des gouvernemens ..
Il m'a toujours paru que si l'on remontoit aux
principes mêmes de ces deux sciences , on pourroit
donner , en peu de mots , le secret de leur
union ; et qu'au lieu de les trouver opposées l'une
à l'autre , on découvriroit sans peine leur étroite
affinité. Ce sont deux familles , dont l'une s'est
élevée aux premières dignités de l'état ; tandis que
l'autre est restée dans la condition privée , et qui ,
en se communiquant leurs titres , retrouvent la
southe commune d'où elles sont sorties.
La politique prise dans un sens étendu , est l'ensemble
des règles qui doivent diriger la conduite
des gouvernemens envers leurs sujets , et envers les
autres états.
La morale est l'ensemble des règles qui doivent
diriger la conduite des hommes envers eux-mêmes ,
et envers les autres.
Si ces définitions sont exactes , la politique et
la morale sont semblables , Seulement l'une a rapport
au général , l'autre au particulier ; celle - là au
corps social , celle - ci à l'individu .
Ainsi l'on pourra dire : Que la politique est aux
gouvernemens ce que la morale est aux particuJANVIER
1806.
hiers : ou , en transposant les termes comme dans
une équation ( 1 ) , que la politque doit être la
morale des états ; et la morale , la politique des
particuliers : ou encore , que la bonne politique est
la grande morale , la morale publique , par opposition
à la morale proprement dite , qui est la morale
privée ; expressions différentes qui présentent
au fond le même sens , et qui ne font que mieux
développer le rapport mutuel de ces deux régulateurs
des actions publiques et des actions privées.
Ce ne sont là , il est vrai , que des définitions ;
mais des définitions exactes sont la clef des sciences.
Elles ont l'avantage de fixer d'abord la pensée et
de donner des notions étendues et précises à la
fois , sous une expression simple et abrégée . Aussi
Leibnitz , qui n'étoit pas content de tout ce qu'on
avoit écrit jusqu'à lui sur la politique , et qui , je
crois , eût été bien étonné de tout ce qu'ont écrit
depuis sur le même sujet , et J. J. Rousseau , et
Mably, et même Montesquieu , Leibnitz témoigne
le desir qu'on s'occupe de donner des définitions
exactes.
La politique et la morale sont semblables, même
lorsqu'elles se conduisent par des maximes opposées
en apparence . Ainsi la morale défend à
l'homme d'attenter à la vie de son semblable , et
même de desirer la propriété d'autrui ; et la politique
ordonne ou permet aux gouvernemens d'oter
la vie aux méchans , et méme de disposer de la vie
des bons pour le service légitime de la société .
Elle leur ordonne ou leur permet de disposer de
la propriété particulière par l'impôt , ou de l'em-
(1 ) Le goût réprouve ces expressions scientifiques ; mais on les emplote
ici pour faire sentir que des sciences différentes par leur objet , ræ
menées à des principes généraux , peuvent présenter des rapports communs.
L'auteur de cet article a donné quelques développemens à cette
proposition , dans sa Législation primitive.
12
MERCURE
DE FRANCE
,
ployer par droit de préhension à des objets d'utilité
publique
.
La morale dit à l'homme de ne pas faire à
autrui ce qu'il ne voudroit pas qu'on lui fit; et
cependant cette maxime d'éternelle vérité suppose
une égalité parfaite entre les hommes , et ne peut
par conséquent pas être à l'usage de la société
publique , ni même de la société domestique ; car
quel
est le magistrat ou le père de famille qui voudroit
être soumis à tout ce qu'il est obligé d'infliger
de peines , ou d'ordonner de services à ses
subordonnés ?
2
a
Et cependant , la politique et la morale , différentes
par le sujet auquel elles s'appliquent et
les moyens qu'elles emploient , mais semblables par
leurs principes , le sont encore par leur objet ;
puisque la fin de la morale est la conservation de
T'homme et sa perfection morale , et que la fin de
la politique est la conservation et la perfection de
la société.
Et même lorsque la morale dit à l'homme de
combattre ses propres passions , et lui permet
d'opposer une légitime défense aux passions des
autres , elle se rapproche tout-à-fait de la politique,
qui ordonne aux gouvernemens de réprimer les
méchans la société renferme dans son sein , et que
de la défendre au-dehors contre l'étranger.
On objectera peut - être les
que gouvernemens
les mieux ordonnés établissent ou tolèrent , des
choses qui paroissent incompatibles avec la saine
morale. Il est aisé de répondre en général que
tout ce qu'un gouvernement établit d'opposé à la
morale est tout aussi contraire à la politique ; ce
qui prouve , mieux que tout ce qu'on pourroit
dire , l'étroite liaison de leurs principes. Quant aux
tolérances , telles , par exemple , que celle des livres
dangereux , des spectacles licencieux , de la prosJANVIER
1806. 13
titution , etc. , qui peuvent n'être que pour un
temps , elles sont , si l'on veut , des foiblesses dont
le gouvernement le plus moral ne peut pas toujours
se défendre ; à -peu -près comme ces fautes
qui échappent à l'homme le plus vertueux ,
dont il travaille toute sa vie , et quelquefois en
vain , à se corriger.
et
Montesquieu , qui , comme moraliste , n'approuve
pas le divorce , le justifie , comme écrivain
politique , dans ces paroles : « Le divorce a ordinairement
une grande utilité politique » , et met
ainsi la politique en opposition avec la morale :
erreur grave dans son principe et dans ses conséquences
, et qui n'est pas la seule qu'ait accréditée
cet écrivain célèbre , dont les ouvrages , si forts de
pensée et d'expression , laissent beaucoup à desirer
du côté de la solidité des principes.
Reprenons le parallèle de la politique et de la
morale.
pas
Un gouvernement qui prendroit la morale privée
pour règle de sa conduite publique , ne conserveroit
la société , et seroit oppresseur par
foiblesse , comme le particulier qui prendroit la
politique pour règle de ses actions privées , seroit ,
par violence , oppresseur de ses semblables.
On peut donner des exemples de cette double
erreur .
Nous avons vu des gouvernemens prenant à la
rigueur les préceptes de la morale privée , qu'ils
appeloient philantropie , abolir la peine de mort ,
ce premier moyen de conservation de la société ;
nous avons sous les yeux des sectes entières, telles
que les Quakers , qui s'abstiennent de la guerre ,
et de prêter serment à la justice , comme d'actions
illégitimes et contraires aux principes de la morale.
Même on peut remarquer , dans l'école philosophique
du 18e siècle , une disposition générale et
14 MERCURE DE FRANCE ,
habituelle à rendre odieuse la politique , par zèle
pour la morale . Les déclamations imprudentes de
quelques écrivains , ont dévoyé la politique , sans
profit pour la morale , et intimidé les gouvernemens
; et il n'a été que trop aisé d'en reconnoître
la secrète influence dans la conduite de ceux
qui étoient à la tête des affaires de France au
Commencement de la révolution..
C'est alors la petite morale qui tue la grande,
pour me servir d'un mot fameux de Mirabeau. Je
sais qu'il a été sujet de scandale , parce que cet
homme , qui ne consultoit pas plus la morale publique
dans sa politique , que la morale privée
dans sa conduite , en faisoit l'application aux circonstances
d'une révolution , où il n'étoit pas plus
question de morale que de politque ; mais , consi
dérée dans un sens général et dans un ordre légitime
de circonstances politiques , cette maxime
renferme un sens vrai et profond que cet orateur
saisissoit mieux que personne , et elle présente une
haute leçon de science de gouvernement .
On trouve quelque chose de semblable dans le
testament du cardinal de Richelieu .
Je sais l'abus qu'on peut faire de ces maximes ,
et combien il est aisé de les présenter sous un jour
défavorable ; mais je répondrai avec Montesquieu ,
que si l'on vouloit raconter tout ce qu'ont occasionné
de mal dans le monde les meilleures institutions,
« on diroit des choses effroyables. »
I
Un particulier qui , pour redresser les torts dont
il auroit à se plaindre dans sa personne ou dans
ses biens , au lieu de s'adresser aux tribunaux ,
attenteroit à la vie de son ennemi , ou s'empareroit
à force ouverte des propriétés de son voisin , se
conduiroit par les lois de la politique , qui ne sont
applicables qu'aux gouvernemens , et non par les
règles de la morale privée , qui fixent les rapports
JANVIER 1806 . 15
des particuliers entr'eux dans la société , et ce seroit
alors la grande morale qui tueroit la petite.
K
Ce n'est pas cependant que le particulier , on
plutôt la société domestique ne puisse rentrer dans
l'exercice de la force qui lui appartenoit avant
l'établissement des sociétés publiques. Au premier
âge de tous les peuples , et tant qu'ils ne sont qu'en
état privé ou de famille , la morale privée permet
les guerres privées , et elle les permettroit encore
par le grand principe de la conservation , partout
où la société publique manqueroit de pouvoir ou
de volonté d'employer la force publique à protéger
les particuliers , et seroit par conséquent, à leur
égard , comme n'existant pas. C'est ce qui donne ,
même au sein des sociétés les mieux ordonnées , à
l'homme attaqué dans un lieu écarté , de nuit dans
son domicile , et partout où l'autorité publique ne
peut venir à son secours , le droit de repousser la
force par la force ; car Dieu , en qui réside essen →
tiellement le droit suprême de vindicte , mihi
vindicta et ego retribuam , Dieului-même n'ordonne
à l'homme de pardonner qu'en prescrivant à la
société de punir ; car ce n'est pas en vain qu'elle
a reçu le glaive : motifpuissant aux gouvernemens
de protéger les bons , puisqu'il n'enchaîne leur
force que sous la condition de les défendre de
toute la sienne.
Ainsi , partout où la petite morale tue lagrande ,
et où les gouvermens , par de fausses idées d'humanité
, abjurent le pouvoir qu'ils tiennent de Dieu
même et le devoir qu'il leur prescrit , de réprimer
et de punir , il arrive infailliblement que la grande
morale tue la petite , et que le particulier se ressaisit
du droit de se rendre à lui-même la justice
que le gouvernement lui refuse ; car le déni de
justice est le plus grand crime dont un gouvernement
puisse être coupable. C'est là une des causes
16 MERCURE DE FRANCE ;
qui rendoient l'assassinat fréquent dans quelques
parties de l'Europe , même chrétienne ; et je ne
crains pas d'assurer que ce crime odieux n'y étoit
pas , pour cette raison , regardé tout-à-fait du même
que dans les états mieux gouvernés , et particulièrement
en France.
oeil
Dans les temps ordinaires , et sous un gouvernement
qui connoît ses devoirs , le particulier est
rarement tenté d'agir envers les autres par les lois
de la politique , au détriment de la morale. Cependant
, celui qui ayant usurpé sciemment la propriété
d'autrui , oppose au légitime propriétaire la
loi de la prescription , est un homme injuste , qui
manque à la morale pour se servir de la loi politique.
Aussi cette loi , qui a passé du paganisme
dans la chrétienté , convient plutôt à l'ordre politique
qu'à l'ordre civil , et peut-être n'a- t -elle pas
été suffisamment discutée par les jurisconsultes ,
plus disposés à justifier ce qu'ils trouvent établi ,
qu'à raisonner sur ce qui doit l'être .
A
Mais dans des temps de révolution , alors que
les simples citoyens se croient tous souverains ,
tous magistrats , tous pouvoir ou ministres du
pouvoir , la loi politique règne seule , et la morale
est comptée pour rien. On a même vu en France ,
dans des temps semblables , l'expression d'honnêtes
gens , qui désigne ceux qui remplissent avec exactitude
les devoirs de la morale , devenir un titre
d'injure et de proscription. Alors , tous ceux qui
dénoncent comme aristocrates ; leurs concitoyens ,
leurs parens , leurs amis , leurs voisins , leurs maîtres,
leurs patrons , qui les poursuivent comme suspects,
qui les dépouillent commme fugitifs , obéissent à
la loi politique du moment , sans aucun égard aux
lois de la morale éternelle ; et c'est sur-tout alors
que la grande morale , ou ce qu'on prend pour
elle , tue la petite. Je sais bien que la plupart de
ceux
•
17
JANVIER 1806.
ceux qui se font ainsi les arbitres et les exécuteurs
de vengeances politiques , n'ont aucune idée de
morale publique ou privée , et ne prennent conseil
que de leur haine , leur jalousie , ou leur cupidité;
mais il a alors aussi des hommes égarés par
Y
l'ivresse du pouvoir , qui se persuadent remplir des
devoirs publics en concourant à des injustices privées
; et cet aveuglement , plus commun peut -être
qu'on ne pense , et le plus terrible dont l'esprit
humain puisse être frappé , doit rendre les hommes
éclairés aussi indulgens envers les personnes qui
ont coopéré à ces excès , qu'ils doivent être sévères
envers les opinions qui les y ont conduits.
Je connois un ecclésiastique d'un rare mérite ,
qui fut obligé , au temps de la terreur , de se cacher
dans un village écarté , et même , pour des considérations
particulières , de confier au maire de
l'endroit le secret de son asile , et par conséquent
de sa vie. Le municipal , homme humain et religieux
, venoit quelquefois à nuit close tenir compagnie
au proscrit , dont il déploroit sincèrement
le sort. Souvent , au milieu de la conversation la
plus affectueuse , il s'interrompoit lui-même , et reregardant
le malheureux d'un air profondément
attristé :
«<< Cependant , monsieur , lui disoit -il , je
» me damne , et mon devoir est de vous
» arrêter. On se doute bien que l'ecclésiastique
employoit tout son savoir à calmer les terreurs
religieuses de ce maire scrupuleux ; mais il sentoit
lui-même qu'il ne le persuadoit pas ; et il se couchoit
tous les soirs avec la crainte qu'un remords
de conscience ne l'envoyât le lendemain à l'échafaud,
D
re
La distinction que nous avons établie entre
la politique et la morale , ou , si l'on veut , enentre
la morale publique et la morale privée, peut
nous expliquer l'épithète de vertueux que se don-
BB
18 MERCURE DE FRANCE ,
noient si libéralement , et peut - être de bonne foi , des
hommes fameux par leurs excès en révolution . Une
fois la révolution reconnue un devoir , la violence devenoit
une vertu ; et plus on étoit violent , plus on
étoit vertueux. Mais en même temps , ces mêmes
hommes pouvoient remplir les devoirs de la mo
rale privée envers ceux qui n'étoient pas l'objet de
leurs prétendus devoirs publics . Plusieurs d'entr'eux
étoient bons pères , bons fils , bons époux ,
bons amis , bons voisins , et sensibles aux malheurs
d'autrui . Ils étoient même justes envers leurs ennemis
lorsque leur politique ne se trouvoit pas en
opposition avec la morale ; et l'on se rappelle que
des misérables , aux jours des 2 et 3 septembre ,
les mains teintes de sang , rapportoient fidellement
au comité les chétives dépouilles de leurs malheureuses
victimes , et faisoient pleurer d'attendrissement
sur tant de vertu les étranges magistrats qui
siégoient à cet épouvantable tribunal .
Les hommes dont les jugemens sont aussi erronés
que leurs vertus sont foibles et fragiles , se
portent naturellement à excuser les erreurs publiques
où sont tombés les personnages célèbres
par leur vertus privées , ou leurs fautes privées par
leurs vertus publiques. Mais le livre régulateur de
tous les jugemens et de toutes les vertus , n'admet
pas cette compensation ; et il nous dit admirablement
, en parlant des plus grands devoirs , comme
des moins importans , et des vertus publiques comme
des vertus privées : « Il faut pratiquer les unes , et
» ne pas négliger les autres. » Ainsi , ce seroit un
tort à un historien de vouloir excuser les foiblesses
privées de Henri IV , par les qualités publiques
et royales dont ce prince fut un si parfait modèle
; mais il est encore moins raisonnable d'opposer
des traits de morale privée , et de bienfaisance
personnelle , aux justes reproches que l'Europe est
JANVIER 1806 .
19
en droit de faire à la mémoire de quelques écrivains
célèbres qui , ayant traité dans leurs ouvrages ,
de religion , de moeurs et de politique , ont revêtu
ou usurpé un caractère vraiment public , se sont
associés aux gouvernemens dans l'importante fonction
d'éclairer les peuples et de les conduire , et
sont devenus , pour cette raison , des personnages
politiques. Si je vais à Ferney , et que j'en admire
les maisons , les rues , les établissemens publics et
particuliers, Voltaire , me dira - t- on , a fait tout
» ce que vous voyez ; » et je bénirai sa bienfaisance
; et , en me rappelant avec complaisance
d'autres traits d'humanité qui ont honoré sa vie , je
plaindrai le sort de ces grands hommes dont la main
droite ne peut ignorer ce que fait la gauche , et à
qui il n'est pas plus permis de garder le secret de
leurs vertus , que le silence sur leurs opinions ; mais
si je me rappelle la révolution et ses suites ,
•
«<
Voltaire , me dira le philosophe de ce siècle
» le plus profond en doctrine révolutionnaire ,
» Voltaire a fait tout ce que nous voyons ; » et je
ne sais si aux yeux du juge suprême , qui pèse au
poids du sanctuaire nos erreurs et nos vertus ,
Voltaire peut être absous du bien qu'il a fait par
le mal qu'il a occasionné . Il observoit , si l'on veut ,
la petite morale ; mais il bouleversoit la grande ;
et en bâtissant un village , il démolissoit l'Europe.
J. J. Rousseau , autre écrivain qui eut aussi
l'ambition d'être le précepteur du genre humain ,
n'a pas laissé , graces à ses Confessions , la même
ressource à ses admirateurs ; et il est difficile de
justifier les erreurs de ses écrits par la sagesse de
sa conduite. Il est même quelques actions de sa
vie qu'on essayeroit vainement de rejeter sur l'indépendance
un peu sauvage de son génie , et qu'on
ne peut charitablement attribuer qu'au désordre
prouvé de sa raison.
B 2
20 MERCURE DE FRANCE,
Cependant , il faut bien se garder de penser
que Voltaire , que J. J. Rousseau , que Diderot ,
Helvétius , et les autres écrivains de la même époque,
aient desiré , encore moins eussent approuvé
une révolution qu'ils auroient au contraire détestée
, et dont ils auroient été , tôt ou tard , les victimes
. L'abbé Raynal , un des derniers et des plus.
célèbres écrivains philosophes de l'école du XVIIIe
siècle , forcé de convenir de l'effet qu'ont pu produire
ces écrits , a pris le soin d'en justifier les auteurs
dans sa lettre à l'assemblée constituante :
« Je suis , dit -il , je vous l'avoue , profondément
» attristé des crimes qui couvrent de deuil cet
» empire. Seroit-il donc vrai qu'il fallût me rappe-
» ler avec effroi que je suis un de ceux qui , en
» éprouvant une indignation généreuse contre le
» pouvoir arbitraire , ai peut-être donné des armes
» à la licence ? La religon , les lois , Fautorité
royale , l'ordre public , redemandent - ils donc à
» la philosophie , à la raison , les liens qui les unis- '
» soient à cette grande société de la nation fran-
» çaise , comme si , en poursuivant les abus , en
>>
"
rappelant les droits des peuples et les devoirs des
» princes , nos efforts criminels avoient rompu ces
» liens ? Mais , non : Jamais les conceptions har-
» dies de la philosophie n'ont été présentées par
» nous comme la mesure rigoureuse des actes de
» la législation . » Contentons - nous du désaveu ,
sans trop presser cette justification . Mais en vérité ,
forsque l'on voit des écrivains doués , quelquesuns
, des plus rares talens , et qui , tous ensemble ,
ont pris un si haut ascendant sur leur siècle , traitant
la philosophie par hyperboles , publier, sur
les objets les plus importans , leurs conceptions
hardies , qu'on ne doit pas prendre à la rigueur,
set faire ainsi , avec une inconcevable témérité , de
l'esprit sur les lois , les moeurs , la religion , l'autoJANVIER
1806 . 21
rité politique , au milieu de la société , et en présence
de toutes les passions ; on ne peut s'empêcher
de les comparer à des enfans qui , dans leurs jeux
imprudens , tranquilles sur des dangers qu'ils ne
soupçonnent même pas , s'amuseroient à tirer des
feux d'artifice dans un magasin à poudre.
DE BONNALD .
Lettres de Mlle de Montpensier , de mesdames de Motteville
et de Montmorency , de Mlle Dupré et de
madame la marquise de Lambert. Un yo' . in - 12 .
Prix : 2 fr . 50 cent. , et 3 fr. 25 cent. par la poste.
A Paris , chez Léopold Collin , libraire , rue Git -le-
Coeur , n°, 18.; et chez le Normant , libraire , impri
meur du Journal de l'Empire , rue des Prêtres Saint-
Germain- l'Auxerrois , nº. 17 .
.
2
L'ÉDITEUR des lettres de mesdames de Coulanges
Ja Fayette , Aïssé , etc. , etc. , poursuit avec zele et
discernement la tâche qu'il s'est imposée. Cependant il lui
a été difficile d'éviter dans un ouvrage de ce genre l'inconvénient
dont parle Martial :
1
« Sunt mala , sunt bona , sunt quædam mediocria , » -¦
Ce fâcheux mélange dont le poète latin semble n'exempter
aucun livre , étoit sur -tout inévitable dans un recueil
de lettres écrites par des personnes plus ou moins sensible's
, plus ou moins spirituelles , et différant · d'ailleurs
entr'elles par les moeurs , le rang , le caractère
et le siècle où elles ont vécu . Mais si l'homme de goût ,
en parcourant cette collection , n'est pas toujours également
satisfait , ces différences mêmes qu'il découvre dans
le ton , dans les principes , dans les sentimens , peuvent
faire naître des réflexions nouvelles et des rapprochemens
curieux . Sous ce rapport , ce dernier volume moins piquant
que les précédens , n'est pas d'un moindre intérêt ; il con-
3-
22 MERCURE DE FRANCE ,
tient les lettres de quatre femmes qui toutes , à l'exception
de madame de Montmorency , eurent de la célébrité .
Cette dame de Montmorency , sur laquelle on n'a point
de renseignemens certains , et qu'on ne peut démêler parmi
celles qui portoient alors le même nom , écrivoit le peu
de lettres que nous avons d'elle au fameux comte de Bussy-
Rabutin . Ces lettres , qui ne contiennent que des nouvelles
peu intéressantes sur les affaires et les intrigues du
temps , n'ont d'ailleurs rien de remarquable que le naturel
élégant qui faisoit le caractère du langage de la cour de
Louis XIV, et qui se peint plus vivement dans les lettres des
femmes , parce que , dans ce genre seulement , les femmes
écrivent assez ordinairement comme elles parlent. Mille
autres dames aimables , ornement de ce beau siècle
écrivoient sans doute tout aussi bien que madame de Montmorency
, et leurs lettres n'ont point été conservées , par
la raison que ce n'est pas assez d'écrire naturellement et
élégamment des choses communes , pour passer à la postérité.
Les petits billets de madame de Montmorency ne
méritoient donc guère cet honneur , et la Bruyère qui ,
cette époque , rendoit un témoignage si éclatant à la supériorité
des femmes dans le style épistolaire , qui , inspiré
sans doute par les lettres des Sevigné , des Coulanges ,
des la Fayette , dont les copies manuscrites couroient alors
le monde , vantoit la vivacité de leurs tours , la justesse ,
la délicatesse , le charme de leurs expressions , n'eût fait
qu'une légère attention à celles de madame de Montmorency.
Il auroit reconnu à son style une femme de trèsbonne
compagnie , comme il y en avoit tant , mais il n'eût
pas pensé qu'elle méritât des éloges pour écrire dans la
langue que parloit tout le monde. C'étoit la grace , la
finesse , la variété qui le charmoient , et non le naturel
et l'élégance , si communs alors qu'ils n'avoient presque
aucun prix.
Mlle Dupré , nièce d'un assez mauvais poète ( Desmarets
de Saint-Sorlin) , fut élevée par son oncle qui lui
JANVIER
23
1806. .
>
inspira la manie des vers. Elle fut une femme savante
et passa pour avoir de l'esprit . Ses lettres écrites aussi fort
naturellement ont encore moins d'agrément que celles
de madame de Montmorency , parce que les sujets en sont
moins variés , et qu'elle ne cesse de mêler à une prose
assez médiocre les plus détestables vers qu'il soit possible
d'imaginer ; et cependant il est facile de s'apercevoir
qu'elle préfère de beaucoup ses vers à sa prose . C'est une
chose vraiment digne de remarque que le peu de discernement
que montroient alors en poésie une foule de personnes
distinguées d'ailleurs par leur goût et la culture
de leur esprit. Nos grands poètes qui ne faisoient que de
naître n'étoient pas encore appréciés , et le véritable caractère
de la poésie française étoit si peu connu des gens du
bel air , que Mlle Dupré n'a pas honte d'envoyer au même
Bussy , comme une belle chose , comme une chose qui a
fait de l'effet dans le monde, le madrigal suivant, composé
par le sieur Courart en l'honneur d'une dame à qui l'ambassadeur
Turc avoit , dit- elle , jeté le mouchoir :
« Je n'ai pas peine à concevoir
» Qu'on vous ait jeté le mouchoir ;
» Mais j'ai de la peine à comprendre
» Que vous l'ayez bien voulu prendre.
» Des mouchoirs qu'on vous a jetés,
>> Et que vous avez rejetés ,
» On a vu la terre jonchée ;
» Mais puisque vous les acceptez ,
» Vous allez être bien mouchée. »>
*
Il est impossible assurément d'imaginer rien de plus sot et
de plus trivial , et l'on ne supporteroit pas maintenant une
semblable platitude dans un vaudeville de Boulevard . C'est
avec la même complaisance qu'elle rappelle une petite
pièce de poésie qu'elle avoit écrite quelque temps avant à
un homme de sa connoissance , et qui finissoit par ces
vers gracieux :
«J J'emporte un teint vermeil et frais ,
» Un esprit gai ; pour un coeur tendre ,
» Vous auriez tort de le prétendre . ›››
h
24 MERCURE DE FRANCE ,
"
Ces lettres sont en outre farcies de bouts-rimés qui étoient
alors fort à la mode . Il paroît que Bussy ne demeuroit point
en resté avec elle , et la payoit de la même monnoie ; car
è'le lui dit sérieusement quelque part que son rondeat
efface son bout-rimé , quoique celui-ci soit beau nussi:
En voilà assez sans doute pour faire juger que les lettres
de Mlle Dupré , heureusement en petit nombre , sont une
fort insipide lecture .
Celles de Mlle de Montpensier , sans être beaucoup
plus amusantes , sont du moins curieuses . On sait le rôle
singulier que joua dans la guerre de la Fronde cette princesse
, née avec un caractère ambitieux et entreprenant ,
qui , trompée dans son ambition , chercha des dédommagemens
dans l'amour qu'elle avoit d'abord dédaigné , et
n'y trouva que de nouveaux chagrins. Elle avoit passé sa
jeunesse à refuser des mariages et à en manquer ce fut
long- temps avant sa folle passion pour M. de Lauzun , et
an milieu des chagrins que lui causoient tant de desseins
avortés , tant d'espérances déçues , qu'elle écrivit ces
lettres adressées à madame de Motteville , dame d'honneur
de la reine Anne. Le sujet en est singulier et romanesque
; il s'agit du projet d'une espèce de Thébaïde que
la princesse semble former trèsérieusement , pour y
réunir une société de personnes dégoûtées du monde , de
ses vains plaisirs , de ses fausses grandeurs , et sur- tout
des illusions de l'amour. Ce projet vraiment bisarre annonce
un esprit chagrin , mécontent du monde parce qu'il
n'a pu y réussir , et gâté par les sentimens faux et exaltés
qui régnoient alors dans les romans . Elle compose des
lois pour sa petite république , règle les occupations , les
divertissemens , jusqu'aux vêtemens de ces nouveaux solitaires
: elle veut que dans ses états on s'occupe de vers ,
de musique , qu'où lise les bons ouvrages qui viendroient
de Paris , qué même on en compose . Elle veut des gens
de toutes les façons , des homines d'épée , des docteurs ,
des personnes dú sexe ; mais sous la condition que tous
JANVIER 1806. 25
auroient pour jamais renoncé à l'amour. Les hommes
d'épée devroient avoir prouvé leur bravoure , et auroient
la permission d'être galans , mais de cette galanterie
honnête et bienséante qui consiste à rendre aux dames des
hommages purs et désintéressés : « L'air galant peut con
» venir à tout , dit- elle ; et puisque Sainte Thérèse avoit
l'esprit galant , qui ne le voudroit point avoir ? » Il
faut que les femmes soient spirituelles , honnêtes , et ne
négligent point entièrement leur beauté ; que les docteurs
aient une science extraordinaire , et que tous ces gens- là
vivent ensemble paisiblement , sans amour , sans coquetterie
sans jalousie , sans médisance , et sans rivalité . Elle
permet cependant des plaisirs innocens. Par exemple :
« Je voudrois , dit - elle , qu'on allât garder les moutons
» dans nos belles prairies ; qu'on eût des houlettes et › des
» capelines ; qu'on dînât sur l'herbe verte de mets rusti-
» ques et convenables aux bergers , et qu'on imitât quel-
» 'quefois ce qu'on a lu dans l'Astrée , sans toutefois faire
» l'amour ; car cela ne me plaît point , en quelque habit
que ce soit. » Des idées si extraordinaires ont fait croire
à plusieurs personnes que ces lettres n'étoient, qu'un badinage
, une critique des romans de la Calprenède et de
Mlle Scudéry ; mais ces puérilités et mille autres pareilles
sont débitées d'un ton trop grave et trop solennel pour
qu'on s'arrête à cette pensée ; et bien loin de pouvoir
soupçonner que Mile de Montpensier cherchât à se moquer
du ridicule des autres , on est forcé de reconnoître
qu'elle-même , en cette circonstance , se montre sous un
aspect vraiment ridicule.
Madame de Motteville lui répond en femme d'esprit, et
qui sait faire sa cour ; car , tout en ayant l'air d'admirer
les idées merveilleuses de la princesse , elle s'arrange de
manière à concilier le bon sens avec sa complaisance . Elle
la raille d'abord avec beaucoup de finesse et d'agrément
sur certains arrangemens qu'elle a ordonnés , et q ui
sentent plutôt la princesse que la bergère : « Vous avez
"
26
MERCURE DE FRANCE ;
"
» bâti , lui dit - elle , une demeure magnifique ; vous y
» avez introduit des calèches et des carrosses , et vous ne
>> voulez garder les brebis que par divertissement . Mais je
» vois bien ce que c'est ; vous êtes née pour commander
» et pour porter des couronnes . Cela vous est si naturel ,
» et il est si raisonnable que cela soit ainsi , que je ne m'é-
» tonne pas de ce que , sans y penser , vous vous êtes
» établie notre souveraine. » Il nous semble qu'il y a de
la délicatesse dans ce passage , et qu'il contient une critique
assez vive sans blesser l'amour - propre. Elle poursuit sur
lé même ton ; et ayant toujours l'air de s'extasier sur beaucoup
de petites choses de peu d'importance , elle attaque
avec la même adresse et plus de force l'idée favorite de la
princesse , celle sur laquelle semble reposer tout le plan
de sa petite république , la défense de se marier et de faire
l'amour. Madame de Motteville convient avec elle que le
plaisir de la conversation , qui est le seul qu'elle veuille
permettre , est en effet le seul estimable aux yeux des
honnêtes gens « Mais j'ai grand'peur , ajoute-t- elle , que
» cette loi si sage et si nécessaire ne fût mal observée ; et
» comme en cela vous seriez contrainte d'y apporter du
» remède , je pense qu'enfin vous vous trouveriez obligée
» de permettre cette erreur si commune qu'une vieille
» coutume a rendu légitime et qui s'appelle mariage. >>
Tout en lui accordant que les bergers assez parfaits pour
dédaigner ce lien , mériteroient bien plus d'estime , elle
pense qu'il est nécessaire , afin d'éviter tout inconvénient ,
d'avoir un peu d'indulgence pour les foiblesses de ceux
qui auroient un peu moins de vertu . Elle lui démontre
très-bien que cette galanterie sans but et sans espérance
dont elle fait une loi aux hommes qu'elle veut introduire
parmi son peuple , n'étant point dans la nature , ne peut
subsister long-temps dans cette pureté imaginaire qu'elle
prétend lui imposer : « Comme je compte toujours , pour-
» suit-elle , sur ce qui se pratique ordinairement plutôt
» que sur ce qu'il est presque impossible de faire ,
et que
JANVIER 1806 . 27
å des
vous avez à commander à des hommes et non pas
» anges , je vous dis encore une fois qu'il est fort à propos
» de permettre le mariage ; car si vous ne le faites , 'il
» arrivera indubitablement que vos bergers abuseront de
» la permission que vous leur donnez : de l'esprit galant
» ils iront à la galanterie , et sans y penser vous bannirez
>> l'amour légitime pour introduire le criminel ; car il est
» difficile qu'ils avent toute cette innocente galanterie
» sans objet que vous leur ordonnez et que je leur sou→
» haite. » Cette manière de voir les choses annonce un
jugement sain , et partout madame de Motteville écrit
avec le même bon sens et beaucoup de naturel : on s'ap
perçoit sans peine qu'elle apprécie cette correspondance
et ce projet à leur juste valeur ; mais en même temps ,
qu'elle sait ce qu'elle doit d'égard et de respect à une
personne d'un si haut rang. Ces lettres peuvent être utiles
à ceux qui ont le malheur d'être les familiers des princes ,
et qui seroient quelquefois tentés de les contredire ; et la
manière dont cette dame sait se tirer d'une position qui ne
laissoit pas que d'être embarassante , pourroit , en pareil
cas , être offerte pour modèle .
Cette correspondance est suivie de quelques billets que
Mile de Montpensier écrivoit aussi à Bussy, et de sa lettre au
roi pour lui demander la permission d'épouser M. de Lauzun .
C'est une chose vraiment curieuse , et qui peut servir à
l'histoire du coeur humain , que de voir avec quelle ardeur
et quelle humilité cette princesse si fière , qui avoit été
sur le point d'être la femme d'un empereur , qui avoit
refusé un roi d'Angleterre , demande la permission d'épouser
un simple gentilhomme , et trouve maintenant
très-bon sous l'habit d'un capitaine aux gardes , cet amour
qui lui déplaisoit autrefois sous quelque habit que cefút.
Ce recueil est terminé par les lettres de Mad. de Lambert
, beaucoup plus intéressantes pour le fond que toutes
les autres , moins naturelles pour le style . Ce n'est pas
qu'elles soient écrites avec affectation ; mais elles n'ont
28 MERCURE DE FRANCE ,
pas la négligence aimable , le tour aisé et naïf qui faisoit
le ton du siècle précédent , et l'on voit d'abord que l'on
est dans d'autres temps , et qu'il y règne un genre d'esprit
fort différent . Le goût se corrompoit avec les moeurs sous
la régence , et madame de Lambert étoit entourée des
beaux-esprits de ce temps- là . Sa maison étoit une espèce
d'académie où présidoient la Motte et Fontenelle ; et sans
y penser, elle perdoit dans leur société un peu de ces grâces
naturelles qui sont l'apanage de son sexe , et que la
nature dui avoit données . Ses pensées sont arrangées avec
trop de soin , son style a une élégance trop châtiée , une
régularité trop soutenue ; en un mot , ses lettres sont écrites
comme si elles devoient être imprimées et publiées , ce
qui est le plus grand défaut du genre épistolaire . « . J'ai
Deu peine à rappeler des idées agréables oubliées depuis
> long-temps , dit - elle à l'abbé de Choisy : pour vous ,
» qui les avez toujours présentes , et qui n'avez jamais pu
» épuiser ce fonds de joie qui est en vous , quelque dé-
» pense que vous ayez su faire ; vous à qui la vieillesse
sied bien , puisqu'elle n'en écarte ni les jeux , ni les
» amours ; vous qui avez su rétablir l'intelligence entre
» les passions et la raison , de peur d'en être inquiété ; vous
» qui par une sage économie avez toujours des plaisirs
» de réserve , et qui les faites succéder les uns aux autres ;
» vous qui avez su ménager la nature dans les plaisirs ,
» afin que les plaisirs soutinssent la nature ; vous enfin
» qui , comme Saint Evremont , dans vos belles années
viviez pour aimer , et qui présentement aimez pour
vivre , vous avez raison , mon cher abbé , etc.
* Cela s'appelle parler comme un livre , et même comme
un livre un peu précieux. Madame de Sévigné eût pu penser
quelque chose de cela , parce qu'il y a là - dedans quelques
pensées fort aimables ; mais elle les eût rendues avec
des tours autrement variés et des expressions autrement
vives et naturelles .
Ce ton apprêté déplaît moins dans une lettre sur l'édu
JANVIER 1806.
29
cation d'une jeune demoiselle , parce que cette lettre est
en quelque sorte un petit traité de morale , qui demande
de l'enchaînement dans les idées. Il est difficile de faire
parler à la raison un langage plus aimable et plus doux.
Madame de Lambert y montre un esprit cultivé , un coeur
sensible , une ame religieuse , et ce mélange de nobles
qualités se retrouve dans tout ce qu'elle écrit ; parlout elle
pense avec solidité , et s'exprime avec élégance. Nous avons
lu , sur-tout , avec le plus grand intérêt une lettre qu'elle
adresse à l'un de ses amis , dont la fortune , d'abord médiocre
, étoit devenue très-brillante , et à qui elle reproche
d'avoir un peu changé ses principes en passant dans un
autre état. Le tour qu'elle prend pour lui faire ce reproche
est très -adroit ; elle le met d'abord en opposition avec luimême
, en lai racontant , comme si elle parloit d'un au
tre , tout ce qu'il disoit lorsqu'il vivoit dans une retraite
qu'il trouvoit alors préférable à tous les plaisirs du monde,
et les méchantes raisons qu'il emploie maintenant pour
soutenir le contraire de ses premières maximes. Après
l'avoir battu de la sorte avec ses propres armes , et l'avoir
forcé de convenir que , même s'il est heureux dans le
monde , il ne peut l'être tout au plus qu'au degré où il
l'étoit avant : « Enfin , continue- t- elle , je me retranche à
>> dire que si dans votre retraite vous étiez heureux , il
» falloit y rester. Vos plaisirs étoient sûrs , durables et
» indépendans ; que si vous n'êtes heureux à présent qu'au
» même degré où vous l'étiez dans votre solitude , vous y
» avez perdu , parce que votre bonheur tient aux autres ;
» vous avez besoin d'eux , et vous êtes déchu de votre li-
» berté . Je crois que vous ne pouvez faire un aussi bon
» traité avec la fortune qu'avec la sagesse ; qu'il y a toujours
à perdre , et que le mieux qui vous puisse arri-
» ver , si vous êtes renvoyé à vous -même , c'est de v
» retrouver comme vous étiez quand vous êtes parti. Mais
» il faut donc que vous passiez en dépense contre vous
>> toutes les avancés que vous auriez faites dans le chemin
» de la vertu ; elles sont en pure perte . »
vous
30 MERCURE DE FRANCE,
1
On ne peut faire de plus excellentes réflexions ; et si elle
ne s'étoit pas avisée d'écrire sur Homère , madame de
Lambert seroit , à nos yeux , une des personnes les plus
judicieuses de son temps et de son sexe. Mais elle a en
le malheur de donner ses idées sur ce poète qu'elle n'entendoit
pas , et de le trouver insipide , parce que la Motte,
qui ne l'entendoit pas plus qu'elle , l'avoit assurée que là
chose étoit ainsi , et que la traduction de madame Dacier
étoit très fidelle . Or , cette traduction l'avoit ennuyée ;
donc Homère étoit ennuyeux. Ce raisonnement lui paroît
sans réplique , et voici les réflexions qu'e le juge à propos
d'y ajouter : « Les deux partis soutiennent qu'il y a des
» beautés et des défauts dans Homère ; mais il faudroit
» savoir le nombre et le poids de ces défauts. Il y a des
» beautés : il faudroit donc supputer le nombre des beautés
, pour savoir qui des deux l'emporte , et l'on tom-
» beroit dans un calcul fort incertain. Mais où prendre
» des juges du beau et du parfait ? Le beau est réel , il
» n'est pas imaginaire. Si vous attachez l'idée du beau à
» la grandeur , à la nouveauté , à la diversité , Homère
» peut être beau . Mais si vous voulez que le parfait ré-
» veille en nous des sentimens agréables qui intéressent
» le coeur , Homère n'est pas beau pour moi , car il m'en.
>> nuie. »>
Nous croyons que si l'on eût prié madame de Lambert
d'expliquer clairement ce que veut dire ce petit passage ,
elle eût été presqu'aussi embarrassée que si on lui eût de
mandé de traduire les quatre vers fameux d'Homère , dont
elle cite la traduction faite par la Motte en douze mortels
alexandrins :
« Vénus lui donne alors sa divine ceinture ,
>> Ce chef-d'oeuvre sorti des mains de la nature ;
» Ce tissu , le symbole et la cause à la fois
» Du pouvoir de l'Amour , du charme de ses lois .
››› Elle enflamme les yeux de cette ardeur qui touche ;
» D'un souris enchanteur elle anime la bouche ,
>> Passionne la voix , en adoucit les sons;
JANVIER 1806. 31
» Prête des tons heureux , plus forts que les raisons ;
» Inspire , pour toucher , ces tendres stratagêmes ,
» Ces refus attirans , l'écueil des sages mêmes ;
» Et la nature , enfin , y voulut renfermer
>> Tout ce qui persuade et ce qui fait aimer. »
Avec de pareils vers , dit -elle , on ne peut avoir
» tort. >> -
Madame de Sévigné se moquoit de Racine ; madame de
Lambert s'extasioit sur les vers de la Motte. Les femmes
douées de tant de finesse , d'une imagination si vive , d'un
coeur si tendre , sont-elles donc incapables de former un
bon jugement en littérature ; et lorsqu'il est à peu près
prouvé qu'elles n'y peuvent obtenir de véritable succès
un seul genre excepté, serions - nous aussi forcés de reconnoître
qu'il ne leur est pas même permis de juger des
grandes productions de l'esprit ?
N.
SPECTACLES.
.I
€
電
THEATRE DE L'OPÉRA - COMIQUE.
Le Duel nocturne.
LA fable du Duel nocturne n'étoit pas très-mal_imaginée.
C'est un amant aimé qui trouve le moyen d'écarter
ses rivaux en les mystifiant ; mais il n'étoit guère possible
que l'exécution fût plus mesquine , plus dénuée d'esprit ,
quoique la pièce soit , dit-on , d'un auteur qui en a beaucoup.
Il a eu cette fois un caprice de parcimonie , que le
public ne lui a point passé ; et dans le fait , quand on ne
l'amuse pas , il lui importe assez peu que ce soit impuissance
ou négligence .
Valcour , jeune officier , aime Julie qui ne demande pas
mieux que de couronner son amour par un prompt mariage.
Mais son père , quoique le prétendant lui convienne
32 MERCURE DE FRANCE ,
d'ailleurs , hait en lui une malheureuse facilité à se faire
des querelles , et à les vider militairement. Ce père , ayant
perdu un fils par un duel , abhorre les duellistes, Il est
assez mal-adroit de placer dans un opéra comique , même
à l'avant- scène, un meurtre qui attriste l'ame , et l'attriste
inutilement. Il n'est pas besoin d'avoir eu un fils tué en
combat singulier pour haïr les spadassins . Quoi qu'il en
soit , le père desire que sa fille choisisse entre deux autres
aspirans , dont l'un s'occupe de poésie , et l'autre uniquement
de sa toilette.
• Valcour , pour se débarrasser des deux concurrens , propose
à chacun de se battre contre lui. Le poète accepte de
bonne grace , et l'autre en faisant quelques façons . Rendezvous
donné pour la nuit au même lieu , à la même heure.
L'itinéraire des deux combattans est tracé, afin qu'ils n'arri→
vent pas du même côté. Valcour se charge d'apporter des
pistolets : arrivé le premier , il en présente successivement
un à ses deux rivaux , donne le signal , s'écarte un peu , et
les deux nigauds . se tirent réciproquement sans se faire
grand mal , leur arme n'étant chargée qu'à poudre. Le
père averti de se trouver sur le champ de bataille à l'heure
convenue , trouve les deux mystifiés le pistolet à la main ,
leur fait une mercuriale , et donne sa fille à Valcour .
La pièce est si mal conduite , que celui - ci se trouve ,
pour la première fois , en scène avec son futur beau- père ,
et lui parle comme s'il l'avoit déjà vụ sans que le spectateur
ait été instruit que cette entrevue a eu lieu dans
l'entr'acte,
La surprise a été extrême , comme on peut s'imaginer.
La musique n'a pas été jugée beaucoup meilleure que les
paroles. La chute a été complète , et devoit l'être.
JANVIER 1806. 38en
D
THEATRE DE L'IMPÉRATRICE.
t
(Rue de Louvois . )
Les Nouveaux Artistes , comédie en un acte et en vers
de M. Morice.
DANS notre révolution , tout le monde voulut s'élever
au-dessus de sa sphère. Il ne faut point s'en étonner , c'est
là le mobile et le but de toutes les révolutions . Dans les
temps ordinaires même chacun tâche de s'exhausser ; tout
marquis veut avoir des pages. Mais ce qui n'est qu'un desir
dans un moment de calme , est une fureur dans les orages
révolutionnaires. Quand la plupart des avocats et des prêtres
aspirèrent , les uns à la simarre , les autres à la mitre
ou à la tiare , il étoit assez naturel que ceux qui trempoient
leurs pinceaux dans la cire luisante , voulussent
s'assimiler à ceux qui faisoient des leurs un plus noble
usage , et partager avec eux , sinon les fonctions , du moins
le nom d'artistes. Leur vanité du moins n'étoit que ridicule
; un mot la satisfaisoit. L'ambition des autres étoit
plus dangereuse ; elle visoit aux choses , et ne pouvoit les
atteindre sans bouleverser tout l'ordre de celles qui exis .
toient.
La vanité étant plus comique que l'ambition , c'est elle
aussi que M. Morice a essayé de tourner en ridicule . Ce
sont ces pauvres misérables , qui se décorent du nom d'artistes
, qu'il a immolés à la risée : Vexat censura colum- :
bas. Mais comme ce ridicule est peu sailiant , comme cette
vanité est sans conséquence , sa pièce aussi a été à- peuprès
sans effet . On peut rire du sot orgueil d'un fat titré
ou opulent ; les prétentions exagérées des gens d'un bas
étage , inspirent plus de pitié que de gaieté.
Les événemens , les intérêts divers , sont entassés avec
tant de profusion dans cette pièce , que rien ne peut y être
développé.
C
34 MERCURE DE FRANCE ,
Un M. Dubreuil avoue qu'il n'a qu'une pensée , c'est la
bonne chère.
la
J'y sange tout le jour , j'y rêve encor la nuit ,
dit- il. Mécontent d'un cuisinier ordinaire qui l'a suivi à
campagne , où il est en ce moment , il envoie à Paris ".
en chercher un plus consommé dans son art . Sa femme ,
de son côté , excédée d'être jusqu'à quinze jours de suite
sans pouvoir changer de bonnet , y a demandé une excellente
modiste . Enfin , une soeur de l'un de ces deux époux ,
passionnée pour les beaux- arts , a prié qu'on lui fit venir
une légion d'artistes. Deux nouveaux débarqués , un homme
et une femme , se présentent , trouvent d'abord cette soeur ,
qui , trompée par leur langage emphatique , croit que le
premier cultive la chimie , l'autre la peinture. Ce sont un
cuisinier et une modiste. La soeur est humiliée de la méprise
, tandis que M. et Mad. Dubreuil se réjouissent de
rencontrer ce qu'ils cherchoient , et envoient les deux artistes
à la cuisine et au cabinet de toilette . Mais bientôt
paroissent deux autres personnages , qui se disent être
le cuisinier et la modiste demandés. Pour découvrir la
vérité , on met les places au concours . La supercherie des
derniers venus est découverte. Qui sont- ils donc ? Un musicien
et une femme peintre. Le premier est amoureux de
mademoiselle Dubreuil , l'autre a épousé secrètement le
fils de cette soeur qui raffole des beaux-arts. En faveur du
talent de sa bru clandestine pour la peinture , elle approuve
le mariage ; et M. Dubreuil , fort riche suivant les apparences
, agrée le musicien pour gendre , uniquement parce
que celui-ci l'assure qu'il ne le cède à personne en gourmandise.
Pour avoir plutôt fait et courir plus vite à table ,
il se dispense de la moindre information , de la plus petite
question , et s'envole en disant :
Sur-tout ne laissons pas refroidir le dîné.
Cette petite comédie , si mal conduite , est écrite avec
légèreté , avec esprit , quelquefois avec grace. Elle a eu les
honneurs du succès ; mais c'est un succès apparent , et qui
n'aura point de résultats.
JANVIER 1806. 35
THEATRE DU VAUDEVILLE .
Les Ecriteaux , ou Le Sage à la Foire Saint - Germain ,
comédie anecdotique en deux actes ; par MM. Barré
Radet et Desfontaines .
Le théâtre de la Foire eut pour premiers acteurs des
danseurs de corde , qui , afin de varier les plaisirs des
spectateurs , mêloient à leurs danses quelques pantomimes
burlesques ; ensuite , on y joua des fragmens de vieilles
pièces italiennes , dont la gaieté piquante , souvent grivoise
et un peu grossière , attiroit la foule . La Comédie Française
obtint un arrêt qui défendit le dialogue aux forains .
On leur composa des pièces qui n'avoient qu'un seul personnage
. Le Théâtre Français parvint à leur faire défendre
tout-à fait la parole . Ils se sauvèrent par le chant , et ne
firent plus entendre que des vaudevilles . Ils réussirent
encore. L'Académie Royale de Musique , à son tour , leur
fit interdire le chant. Ils affichèrent néanmoins Arlequin
roi de Sérendib , et n'annoncèrent point que ce fut une
pantomime. On fut curieux de voir comment ils pourroient
jouer autre chose qu'une pantomime , privés de la double
faculté de la parole et du chant. La Foire exécuta ce qu'on
regardoit comme impossible.
y en
Des écriteaux , portés par des Amours , contenoient les
couplets que chaque personnage auroit du chanter. Ils
étoient sur des airs connus . L'assemblée entière les chanta ,
tandis que l'acteur faisoit les gestes analogues à son rôle .
Cette anecdote est le fond du joli vaudeville des trois
grands faiseurs. Ils y ont ajouté quelques incidens . Il
a´un tout-à-fait épisodique . C'est Le Sage fils , qui vient
en ambassade , de la part des comédiens Français , pour
tâcher de réconcilier son père avec eux. Cette scène ,
absolument inutile , est la seule qui ait déplu . Les auteurs
ont bien plus heureusement imaginé de faire trouver le
Ca
36 MERCURE DE FRANCE ,
lieutenant de police à la représentation du Roi de Sérendib,
et de lui faire dire : « Qu'il falloit bien laisser chanter ceux
» qui faisoient chanter tout le monde . »
• Ils ontadapté à l'anecdote une intrigue peu intéressante ,
il est vrai , mais suffisante peut -être pour un vaudeville
du genre de celui-ci , où il n'y a nulle prétention à l'intérêt
. L'arlequin de la troupe , croyant la Foire dans la nécessité
de fermer boutique , est allé chercher fortune en
province . Le souffleur , amoureux de la fille de M. Chabli ,
marchand de vin , chez lequel Le Sage arrange son plan ,
est éconduit par le père de sa maîtresse , qui ne veut pas
donner sa fille à un homme sans place . Le souffleur ne se
décourage pas . Le marchand veut le mettre à la porte.
Il résiste. « Si vous ne voulez pas , dit -il , parler à votre
» gendre , servez votre pratique ; donnez-moi du vin . » Il
ose entreprendre de remplacer Arlequin , en prend l'habit ,
en imite les gestes , la pantomime , est applaudi , et il ob
tient la main de sa maîtresse. Ce qui a donné plus de prix
à ce rôle , très-gai par lui - même , c'est qu'il a été joué
et fort bien joué par le jeune Bløsseville , dont il étoit en
ce genre le coup d'essai .
Des trois couplets écrits sur les cartons , et qui sont de
Le Sage , il y en a un assez mordant. Il s'adresse à un voleur
qui prend la bourse d'Arlequin :
Cette bourse porte malheur ;
Elle me vient d'un procureur ,
Et va de voleur en voleur.
Craignez , Monsieur , que la justice'
A son tour ne vous la ravisse .
Mais pour annoncer les Ecriteaux , il y a une épigramms
très- vive contre les critiqués , et qui appartient aux auteurs
du vaudeville :
Si ces couplets ainsi rangés
Prétent matière à la satire ,
Du moins ne seront- ils jugés
Qué par des gens qui sauront lire.
1
JANVIER 1806 . 37
Le public , qui s'amuse également des traits que lance
la critique , et de ceux qui lui sont lancés , a fait répéter
le couplet.
* Ce vaudeville a eu un succès véritable. Il est très - bien
joué . On regrette que les rôles de mesdames Hervey et
Desmares soient si pet considérables. L'une est l'Amoureuse
de la pièce , l'autre la Directrice du théâtre de la
Foire. Chacune n'a qu'un mot à dire et un couplet à chanter ;
mais elles le disent et le chantent de manière qu'on peut
juger qu'il ne s'établira point de dictature feminine au Vau
deville , et c'est tant mieux : l'empire des trois Graces est un
régime plus agréable..
ANNONCES.
Mémoires de la Société médicale d'Emulation , séante à l'Ecole de
Médecine de Paris : tome sixième et dernier :; costenant différens
mémoires , et terminé par une table générale des matières insérées
dans les six volumes . · Prix : 6 fr. , et 7 fr . 50 c . par la poste.
-
A Paris , chez Crapart , Caille et Ravier , librairės , rue Pavée
Saint- André , D. 17 .
Les mêmes libraires vendent séparément et au même prix que
celui- ci , les cinq premiers volumes .
Mémoire sur l'Art de perfectionner les Constructions rurales
par M. de Perth is , ancien officier du G nie , propriétaire dans le
département de l'Yonne. Avec 14 figures. Mémoire qui a remporté
le prix proposé par la Société d'agriculture du département de
la Seine ; avec cette épigraphe
+
:
Est modus in rebus.
Jo-4 Prix : 6 fc. , et 7 fr. 25 c . par la poste.
-
A Paris , chez Mad. Huzard , imprimeur- libraire , rue de l'Epéron
Saint-André- des- Arcs , n . 7.
-
La Morale du Jeune - Age , ou choix de fables , contes et histoires
analogues à ses devoirs, et à ses goûts ; ouvrage dans lequel la distinction
de ces trois genres de récits se trouve établie et démontrée par
Prix : des exemples. Trois parties , en 2 vol . in 16 , avec 48 fig .
-broché, 2 fr. 40 cent. , et 3 fr. par la poste. Les mêmes, cartonnés
avec pièce sur le dos , prix 3 fr. Le premier vol . contenant les fables ,
de même que le second qui contient les contes et les histoires , se
vendent séparément. Prix de chaque vol . broché , 1 fr. 20 , et 1 fr.
50 cent. par la poste , cartonné comme ci- dessus , 1 fr . 50 cent .
A Paris , chez Genets , jeune , libraire , rue de Thionville , n° . 14
Traité d'éducation physique des enfans , précédé d'instructions
sur les convulsions , et des moyens d'en préserver les personnes des
deux sexes. Par le docteur Saccombe. Prix fr. 25 cent. , et
1 fr. 50 cent. par la poste.
A Paris , chez Michelet , imprimeur-librare , rue du Jour , nº. 13 ,
vis- à- vis l'église de Saint- Eustache.
F
Réformejudiciaire en France ; par G.. Delamardelle , avant 1789.
conseiller d'état , procureur- général au conseil supérieur de Saint-Do38
MERCURE DE FRANCE ;
mingue. Un vol . in- 8° . Prix , broc. 3fr. , et 3 fr. 75 c. :: parlaposte
A Paris , chez Desenne ; lib. , palais du Tribunat , galerie de pierre.
n° 2 ; et chez Maradan , rue des Grands Augustins , nº . 9 , vis-à-vis
la rue du pont de Lody.
Chansons choisies de M. de Piis . Deux vol. in-18 , papier vélin ,
ornés du portrait de l'auteur . Prix : 3 fr. 60 c. , et 4 fr. 50 c .
par la poste.
-
A Paris , chez Léopold Collin , libraire , rue Git-le - Coeur , n. 4.
Heur et Malheur , ou Trois mois de la Vie d'un Fol et de celle
d'un Sage , roman français , suivi de Deux Soirées historiques ; par
l'Auteur du nouveau Diable Boiteux ; avec cette épigraphe :
Une morale nue apporte de l'ennui.
LA FONTAINE.
Deux vol. in-12 , avec une gravure. Prix : 3 fr. 60 c. , et 4 fr. 75 c.
par la poste.
E
A Paris , chez F. Buisson , libraire , rue Hautefeuille , nº . 23 ;
chez Barba , libraire , Palais du Tribunat , derrière le Théâtre Français
, nº . 51 , et Galerie Neuve , nº. 14 .
Dictionnaire raisonné des matières de législation civile ,
criminelle , definances et administrative ; par C. P. D. , auteur
du Nouveau Dictionnaire des Domaines et du Répertoire du Domamiste.
Tome 9 , in- 8°. - Prix 5 fr . , et 6 fr. par la poste . Le prix de
J'ouvrage complet , neuf vol . grand in- 8° en petit romain plein , prix :
45 fr. , et 55 fr. par la poste.
པ་
A Paris , chez Rondonneau , imprimeur ordinaire du Corps Législatif
, au dépôt des Lois , hôtel de Boulogne , rue Saint - Honoré.
Le petit Magasin des Dames , quatrième année ; avec celte
épigraphe :
Une mère dans sa famille ,
Avec du goût et des talens ,
En aimera mieux ses enfans ,
En élevera mieux sa fille .
ARM . CHARLEMAGNE .
Un vel. in- 18 , fig. Prix : 1 fr . 5 c. , et 1 fr. 80 c. par la poste .
A Paris , chez Solvet , libraire éditeur , rue des Noyers , nº 4ỗ;
et Michel , rue du Coq , nº. 13.
Discours à l'Empereur ; avec cette épigraphe :
Connois Torgueil des frondeurs de Paris.
Compatis au destin , aux torts des beaux esprits.
par L. Mælibée , Américain .
A Paris , chez Martinet , rue du Coq Saint Honoré .
Introduction à la Science de la Statistique , suivie d'un coupd'oeil
général sur 1 Etude entière de la Politique , sur sa marche et des
divisions ; d'après l'allemand de M. de Schloetzer , professeur à l'Université
de Goettingue avec un discours préliminaire , des additions et
des remarques ; dédié à S. A. S. Monseigneur Cambacerès , archichancelier
de l'Empire. Par Denis- François Donnant , secrétaire perpétuel
de la Société Académique des Sciences , membre de l'Athénée
des Arts , du Conseil d'Administration , de la Société d'Encouragement
, de la Société de Statistique , etc , etc , etc. Un vol . in-8º ,
Prix : 3 fr . , et 4 fr. par la poste.
-
A Paris , de l'Imprimerie Impériale ; chez Galland , libraire , palais
du Tribunat , galerie de bois , n . 225.
Ces différens ouvrages se trouvent aussi chez LE NORMANT, rue
des Prêtres Saint- Germain- l' Auxerrois , nº . 17.
JANVIER 1806.
3д
NOUVELLES DIVERSE S.
-
Vienne , 18 décembre. S. M. l'Empereur Napoélon
a fait publier le 14 un ordre du jour dans lequel il annonce
à l'armée la conclusion d'un armistice et l'ouverture des
négociations de paix. Il l'avertit en même temps de ne point
se laisser amollir , mais de regarder cette suspension d'armes
comme un moment de repos et un moyen de se préparer
à de nouveaux combats. On profitera de cet intervalle
pour se procurer tous les objets nécessaires à la guerre , tels
que capotes , souliers , armes , attirails d'artillerie , che-
་
vaux , etc.
- La gazette de Vienne contient aujourd'hui l'article suivant
:
« S. M. l'Empereur Napoléon travaille sans relâche au
palais de Schoenbrunn , et donne de temps en temps audience
aux différentes autorités françaises et autrichiennes.
» Le 14 décembre , S. Exc. M. le baron de Haugwitz ,
ministre d'état et du cabinet prussien , a eu l'honneur
d'être présenté à S. M. I. L'entretien a duré quatre heures.
Ce ministre est reparti le 16 avec une escorte répondant à
son rang, M. Harnier , résident de S. M. prussienne à Munich
, est resté ici.
» L'Angleterre ne paroît pas vouloir renoncer à l'influence
qu'elle a acquise sur les habitans de Vienne par ses
agens salariés . Tous les bruits inquiétans qui se répandent
journellement pour empêcher les bourgeois de payer la
contribution ou pour entraver les relations commerciales
et les arrivages , en sont une preuve suffisante. Tantôt l'on
répand que les troupes russes ont fait halte dans leur retraite,
quoiqu'elles suivent exactement la route qui leur a été
désignée ; tantôt ce sont les Prussiens qui s'avancent , tandis
que la Prusse a eu tout le temps d'éclater ; et le moment
actuel , après la bataille d'Austerlitz , n'est sûrement pas le
plus convenable. Tantôt l'on se fonde sur l'arrivée prochaine
de l'archiduc Charles , dont l'armée , par sa résistance
courageuse et les difficultés d'une retraite , a été trop
affoiblie pour pouvoir rien effectuer d'important ou em
4
40 MERCURE DE FRANCE ,
pêcher les transports de parvenir jusqu'à Vienne : ce qui
seroit contraire à l'armistice auquel ce prince a adhéré. On
verra par l'état officiel , détaillé jour par jour , que depuis
le 18 octobre jusqu'au 4 décembre , cette armée a éprouvé
en prisonniers seuls une perte de 24,454 hommes. Si l'on
joint à cette perte le nombre des morts , blessés et égarés ,
l'on pourra juger si cette armée est en état de faire la loi a
l'armée française victorieuse et deux fois plus nombreuse.
» Le 15 décembre , les quarante drapeaux pris à la bataille
d'Austerlitz ont été portés solennellement à Schoenbrunn
, et présentés à l'Empereur Napoléon . »
Du 20. Un supplément à la gazette de cette ville contient
co qui sait :
« S. M. l'Empereur Napoléon vient d'envoyer un parlėmentaire
en Hongrie pour demander si l'on veut laisser
passer des vivres à Vienne , ou si l'on veut traiter cette ville
comme ennemie, S. M. l'Empereur Napoléon, s'est abstenu
jusqu'à présent , à l'égard de la capitale de l'Autriche , de
tous procédés et de tous changemens auxquels les villes
conquises sont assujéties . Il lui a laissé les mêmes magistrats
et autorités qui jouissoient de la confiance de S. M. François
II ; il vouloit par là faire connoître à ce monarque ses
sentimens et lui donner une preuve d'estime. Mais si l'on
refuse à cette ville les subsistances nécessaires qu'elle tiroit
ordinairement de la Hongrie , et qu'elle a même tirées
pendant les hostilités et lorsque les armées se battoient pres
d'Austerlitz ; si l'on oublie qu'elle est la capitale de l'Autriche
, l'Empereur Napoléon se croit obligé de la prendre
sous sa protection , et de pourvoir à son entretien. Il sera
nécessaire alors de changer la constitution de la capitale et
de lui en donner une qui soit plus conforme aux circons→
tances actuelles. Mais peut-on se flatter que cette nouvelle
constitution s'accordera avec le système et les principes du
gouvernement de l'Autriche ; qu'elle maintiendra les bornes
dans lesquelles le gouvernement tenoit l'esprit public ;
qu'enfin elle ne changera sous aucun rapport les usages de
la nation? Il en resteroit peut-être des souvenirs à l'Autriche
qui seroient plus durables que ceux qu'une guerre mal- .
heureuse pourroit laisser.
» Une pareille conduite est inouie dans l'histoire. Lorsque
Henri IV assiégeoit la ville de Paris qui s'étoit révoltée ,
JANVIER 1806. .41
ily fit conduire des vivres , quoique le duc de Mayenne
voulût se faire déclarer roi de France.
» Du reste la ville de Vienne peut être sans crainte. L'Empereur
Napoléon dont la grandeur d'ame pourvoit à tout ,
saura aussi procurer aux habitans les subsistances nécessaires.
Toutefois les autorités auxquelles l'Empereur d'Allemagne
a confié l'administration , seront responsables de l'approvisionement
de la capitale. »
-
Munich , 22 décembre. L'Empereur Napoléon est
attendu demain en cette résidence. On ignore si S. M. I
et R. y fera un long séjour . Son départ de Vienne nous fait
espérer que les négociations , de paix sont très-avancées.
PARIS.
Comme nous avons à rendre compte des nouvelles de
deux semaines , au lieu d'une , nous sommes forcés de nous
borner à un résumé des bulletins de la Grande- Armée .
Le 34° daté de Brünn, le 19 frimaire ( 20 décembre) porte:
L'Empereur a reçu aujourd'hui M. le prince Repum fait
prisonnier à la bataille d'Austerlitz à la tête des chevaliersgardes
, dont il étoit le colonel. S. M. lui a dit quelle ne
vouloit pas priver l'empereur Alexandre d'aussi braves gens ,
et qu'il pouvoit réunir tous les prisonniers de la garde impériale
russe et retourner avec eux en Russie. S. M. a exprimé
le regret que l'empereur de Russie eût voulu livrer
bataille , et a dit que ce monarque , s'il l'avoit cru la veille,
auroit épargné le sang et l'honneur de son armée.
M. le prince Jeau de Lichtenstein est arrivé hier avec de
pleins pouvoirs. Les conférencés entre lui et M. de Talleyrand
sont en pleine activité.
T
Le premier aide -de- camp Jnnot , que S. M. avoit envoyé
auprès des empereurs d'Allemagne et de Russie , a vu à
Holitz l'empereur d'Allemagne , qui l'a reçu avec beaucoup
de grace et de distinction . Il n'a pu continuer sa mission
, parce que l'empereur Alexandre étoit parti en poste
pour Saint-Pétersbourg , ainsi que le général Kutuzow,
Les paysans de Moravie tuent les Russes partout où ils
les rencontrent isolés ; ils en ont déjà massacré une cen42
MERCURE DE FRANCE ,
taine. L'Empereur des Français a donné des ordres pour
que des patrouilles de cavalerie parcourent les campagnes
et empêchent ces excès. Puisque l'armée ennemise se retire,
les Russes qu'elle laisse après elle sont sous la protection
du vainqueur. Il est vrai qu'ils ont commis tant de désordres
, tant de brigandages qu'on ne doit pas s'étonner de
ces vengeances. Ils maltraitoient les pauvres comme les
riches : 300 coups de bâton leur paroissoient une légère
offense. Ils n'est point d'attentats qu'il n'aient commis. Le
pillage , l'incendie des villages , le massacre , tels étoient
leur jeux. Ils ont même tué des prêtres jusque sur les autels !
Malheur au souverain qui attirera jamais un tel fléau sur
son territoire ! La bataille d'Austerlitz a été une victoire
européenne , puisqu'elle a fait tomber le prestige qui sembloit
s'attacher au nom de ces barbares. Ce mot ne peut
s'appliquer cependant ni à la cour ni au plus grand nombre
des officiers , ni aux habitans des villes , qui sont au contraire
civilisés jusqu'à la corruption.
Le 35° , du lendemain et du même endroit, annonce que
l'armée russe s'est mise en marche le 17 frimaire sur trois
colonnes , pour retourner en Russie. A la tête de la première
, est parti l'empereur de Russie.
Indépendamment de l'artillerie de bataille , un parc entier
de 100 pièces de canon a été pris aux Russes avec tous
leurs caissons. L'Empereur est allé voir ce parc ; il a ordonné
que toutes les pièces prises fussent transportées en
France. Il est sans exemple que , dans une bataille , on ait
pris 150 à 160 pièces de canon toutes ayant fait feu et
servi dans l'action.
"
Le 36 bulletin , daté de Schoenbrünn , le 23 frimaire
( 14 décembre ) est ainsi conçu :
Ce sera un recueil d'un grand intérêt , que celui des
traits de bravoure qui ont illustré la grande armée .
Un carabinier du 10° régiment d'infanterie légére a le
bras gauche emporté par un boulet de canon : « Aidemoi
, dit-il à son camarade , à ôter mon sac, et cours me
venger : je n'ai pas besoin d'autres secours. » Il met ensuite
son sac sur son bras droit , et marche seul vers l'ambulance.
Le général Thiébaut, dangereusement blessé , étoit transporté
par 4 prisonniers russes ; 6 Français blessés l'aperJANVIER
1806. 43
"
çoivent , chassent les Russes et saisissent le brancard , en
disant a C'est à nous seuls qu'appartient l'honneur de
porter un général français blessé. »>
Le général Valhubert a la cuisse emportée d'un coup
de canon , quatre soldats se présentent pour l'enlever :
«< Souvenez -vous de l'ordre du jour , leur dit-il d'une
voix de tonnerre , et serrez vos rangs. Si vous revenez vain .
queurs , on merelevera après la bataille ; si vous êtes vaincus,
je n'attache plus de prix à la vie. »
Ce général est le seul dont on ait à regretter la perte
tous les autres généraux blessés sont en pleine guérison .
Les bataillons des tirailleurs du Pô , et des tirailleurs
corses se sont bravement comportés dans la défense du
village de Strolitz . Le colonel Franceschi , avec le 8º de
hussards , s'est fait remarquer par son courage et sa bonne
conduite. On a fait écouler l'eau dn lac sur lequel de
nombreux corps russes s'étoient eufuis le jour de la bataille
d'Austerlitz , et l'on en a retiré quarante pièces de canon
russes , et une grande quantité de cadavres.
L'Empereur est arrivé ici avant-hier 21 , à dix heures du
soir. Il a reçu hier la députation des maires de Paris , qui
ont été présentés par S. A. S. le prince Murat. M. Dupont ,
maire du 7e arrondissement , a prononcé un discours et présenté
une adresse du préfet et des maires de la capitale à
S. M. l'Empereur , qui a répondu : « qu'il voyoit avec plai-
» sir la députation des maires de Paris ; que , quoiqu'il les
>> reçût dans le palais de Marie-Thérèse , le jour où il se
>> retrouveroit au milieu de son bon peuple de Paris , seroit
» pour lui un jour de fête ; qu'ils avoient été à portée de
» voir les malheurs de la guerre , et d'apprendre par le
» triste spectacle dont leurs regards ont été frappés , que
>> tous les Français doivent considérer comme salutaire et
» sacrée la loi de la conscription , s'ils ne veulent pas que
» quelque jour leurs habitations soient dévastées et le beau
» territoire de la France livré , ainsi que l'Autriche et la
>> Moravie , aux ravages des barbares ; que , dans leurs rap-
» ports avec la bourgeoisie de Vienne , ils ont pu s'assurer
» qu'elle -même apprécie la justice de notre cause , et la
>> 'funeste influence de l'Angleterre et de quelques hommes
>> corrompus. » Il a ajouté « qu'il veut la paix , mais une
>> paix qui assure le bien-être du peuple français , dont le
44 MERCURE DE FRANCE ,
» bonheur , le commerce et l'industrie sont constamment
>> entravés par l'insatiable avidité de l'Angleterre. >>
S. M. a ensuite fait connoître aux députés , qu'elle étoit
dans l'intention de faire hommage à la cathédrale de Paris
des drapeaux conquis sur les Russes le jour anniversaire de
son couronnement , et de leur confier ces trophées pour
les porter au cardinal -archevêque.
Hier toutes les maisons des rues que le cortège du tribunat
a traversées , étoient garnies de tapisseries , de tentures
et d'ornemens variés . Les habitans de la plupart des
'maisons avoient pris le soin d'ajouter à ces décorations extérieures
des emblêmes , des devises, des chiffres et des guirlandes
de lauriers. Partout on lisoit ces mots : Napoleon ,
Ulm , Vienne , Austerlitz . Peaucoup de maisons offroient
le buste de S. , M. couronné de lauriers, Des allégories ingénieuses
, des inscriptions heureusement empruntées au
génie de nos grands poëtes ont été remarquées ..
9
Le cortége a traversé une double haie de spectateurs
étroitement pressés , dont les yeux se fixoient avec un noble
orgueil , mêlé d'un sentiment d'attendrissement et de respect
, sur les glorieux trophées de la Grande-Armée et sur
les vieux guerriers chargés de les porter . Parmi ces vétérans ,
plusieurs se faisoient remarquer par d'honorables blessures;
le plus grand nombre d'entr'eux décorés de l'aigle de la
Légion d'honneur , offroient aux yeux cette décoration ,
comme un garant de leurs droits à l'honorable fardeau
dont ils étoient chargés .
: mer que
A l'aspect de ces nobles dépouilles , de ces éclatans témoignages
de l'héroïsme de l'armée française , les coeurs
sembloient s'élever et se réunir dans un sentiment commun
d'admiration et de reconnoissance , que ne pouvoient expribien
foiblement les cris élevés du sein de la foule
et de toutes les fenêtres : Vive l'Empereur , vive la Grande-
Armée ! Victoire ! victoire ! Vive l'Empereur! Ainsi
dans cette circonstance , les habitans de Paris , de toutes
les classes , de tout sexe et de tout âge , ont su faire éclater
de la manière la plus vive et la plus unanime leur dévouement
et leur reconnoissance pour S. M. et pour ses armées
victorieuses.
(Moniteur. )
16
- En verta du sénatus-consulte qui ordonne la levée de
"
JANVIER 1806.
So mille conscrits pour l'an 1806 , M. le conseiller d'état
préfet du département de la Seine a fait afficher hier l'arrêté
suivant :
Art. I. Tous les jeuues gens du département de la Seine,
nés depuis le 23 septembre 1785 inclusivement , jusqu'au
31 décembre 1786 inclusivement , sont somméss ,,..quelles
que soient leur taille , leur constitution physique , ou
même leurs infirmités , de se présenter depuis le 2 janvier
1806 , jusqu'au 20 du même mois , devant le maire de
leur commune ou de leur arrondissement , pour y déclarer
leurs noms et prénoms , la date et le lieu de leur naissance ,
leur profession et domicile , ainsi que les noms et prénoms
, profession et domicile de leurs père , mère ou
tuteurs , et pour donner les divers renseignemens qui leur
seront demandés.
II . En cas d'absence ou de maladie , les pères , mères
tuteurs , ou plus proches parens desdits jeunes gens , se
présenteront pour faire les déclarations ci-dessus indiquées.
‹ III . Ceux qui , passé le 20 janvier 1806 , ne se trouveront
pas inscrits sur les tableaux de conscriptions de
leur municipalité , soit d'après leur présentation en personne
, soit par l'intermédiaire de leurs parens ou tuteurs ,
s'ils sont absens ou malades , seront notés comme n'ayant
pas répondu aux appels de l'administration , et comme
tels , sujets aux peines prescrites par les lois.
-La classe de la langue et de la littérature française a
tenu , hierjeudi , une séance publique présidée par M. Arnault
, dans laquelle on a entendu , 1 ° . le rapport du concours
des prix proposés au concours de l'an 14 , par le secrétaire
perpétuel.
2°. La lecture de la pièce de vers qui a remporté le prix ,
et de quelques fragmens de la pièce qui a obtenu l'accessit.
3°.L'annonce des sujets de prix pour le concours de
l'année 1806 .
4. La lecture de l'éloge de l'avocat général Seguier
l'un des quarante de l'académie française , par M. Portalis .
5º . La lecture de quelques fables par M. Arnault.
•
Voici les prix proposés au concours pour l'année 1806 :
Prix de poésie , lequel sera adjugé à une pièce de vers
dont le sujet sera le Voyageur. Le genre du poëme est au
46 MERCURE DE FRANCE ;
1
choix des auteurs , et doit avoir au moins cent vers , et au
plus deux cents.
Prix d'éloquence. Dans la séance publique du 5 nivose
an 13 , la classe avoit proposé pour sujet du prix d'éloquence
le Tableau littéraire de la France dans le dixhuitième
siècle.
Aucun des discours envoyés n'ayant paru mériter le
prix , elle remet de nouveau le même sujet au concours.
Le terme prescrit pour l'envoi des pièces destinées au
concours , est fixé au 15 octobre 1806.
-La belle édition des OEuvres de Plutarque , traduction
d'Amyot , est enfin terminée. Les deux derniers
volumes , XXIV et XXV , viennent de paroître l'un
contient la Table raisonnée et très-ample des matières
des douze volumes des VIES DES HOMMES ILLUSTRES , ét
l'autre celle des onze volumes des OEUVRES MORALES ET
MELEES ; ils complètent non-seulement cette nouvelle edition
, mais aussi la première, publiée par le même libraire
en 1783 , 22 volumes in-8°. Le tome XXIII , servant
également de Supplément aux deux éditions , est publié
pour la première fois ( 1 ). Le succès de la première édition
"
(1 ) N. B. Les Souscripteurs peuvent faire retirer ces deux derniers
volumes en rapportant la reconnoissance de souscription ; à Paris ,
chez Cussac , imprimeur- libraire rue Croix-des- Petits- Champs ,
n°. 23 , et chez le Normant ; et dans les départemens ou pays étrangers
, chez les libraires qui ont reçu leur souscription . Les personnes
qui n'ont pas souscrit pour l'une on l'autre de ces éditions ,
pourront se procurer les Tomes XXIII , XXIV et XXV , aux prix
ci-après , suivant le format et la qualité du papier de leur exemplaire.
-
Tome XXIII , composé de divers Fragmens , traduits par M Clavier,,
imprimé sur carré fin , in 8 ° . cartonné, 6 fr . Idem , carré fin , façon
de Hollande , in -8° . 10 fr . Idem , carré fin , façon d'Annonay,
in-4° . 21 fr..— Idem , carré vélin , in-4 °. 30 fr .
-
Tomes XXIV et XXV ( tables ) sur carré fin , in -8 °. 15 fr. — Idem,
carré vélin , in- 8° . 36 fr. - Idem , grand-raisin fin , gr. in - 8° . 18 fr.
- Idem , grand-raisin vélin , gr. in-5° . 36 fr. Idem , carré fin ,
façon d'Annonay , fin-4° . 48 fr. Idem , carré vélin , in-4°. 60 fr.
Prix des OEuvres complettes.
-
Euvres de Plutarque , nouvelle édition , carré fin , 25 vol.
in-8° . fig. avec un grand nombre de médaillons gravés au simple
trait d'après l'antique , cartonnés . 150 fr . Idem , carré vélin ,
in-8° . 312 fr, 50 c. Idem , grand-raisin fin , gr. in- 8 °, 213 fr. 50g,
Idem , grand-raisin vélin , gr . in -8° . 412 fr . 50 c.
JANVIER 1806 . 47.
garantit celui de la seconde , qui est encore mieux exécuté.
Il est à desirer que le public encourage ces grandes entreprises
de librairie , sur-tout lorsqu'elles ont pour objet
des ouvrages tels que ceux de Plutarque , celui de tout les
historiens anciens et modernes qui a le mieux su allier deux
choses trop souvent séparées , l'instruction et l'agrément.
-
M. Antoine-François de Beaumont , neveu de l'archevêque
de Paris de ce nom , et ancien chef d'escadre, est ›
mort dernièrement à Toulouse. Ses services dans la carrière
qu'il a parcourue , lui avoient mérité des décorations distinguées
, et son caractère élevé et généreux lui ont procuré
des amis tendres.
En 1778 , le 11 septembre , n'étant encore que capitaine
de vaisseau, et commandant dans les
parages d'Ouessant
la frégate la Junon , de 40 canons , il fit rencontre.
du Fox , bâtiment de même force , qui , par une singularité
qui se trouve dans les rapprochemens , étoit commandé
par le brave lord Wensor , neveu de l'archevêque
de Cantorbéry. Quoique malade alors au point de ne pouvoir
même se mouvoir , M. de Beaumont se fait porter sur
le pont ; son courage ranimant ses forces et surmontant
ses douleurs , il commanda seul le combat , qui durà deux
heures , avec une telle vivacité que le Fox démâté ,ayant
perdu la plus grande partie de son équipage , fut contraint
d'amener , et le vainqueur presque mourant le conduisit à
Brest.
Cette action , que les circonstances rendent encore plus
remarquable , a été transmise à la postérité par un monument
; le gouvernement la fit représenter dans un tableau
en grand , dont l'original fut déposé en 1780 au ministère
de la marine , en parallèle avec celui dont le brave du
Coüedic a fourni le sujet , et il en a décerné une copie à
M. de Beaumont , ornée d'une inscription qui la rend
encore plus glorieuse.
TRIBUNAT.
Le 9 nivose 30 décembre le tribunat a tenu une séance
extraordinaire dont l'objet étoit de délibérer sur les projets
de monumens qu'on doit élever à la gloire de l'Empereur,
H
48 MERCURE DE FRANCE ;
Après avoir entendu un grand gombre d'orateurs , le tribunat
sur le rapport de M. Faure , au nom d'une commis
sion spéciale après cet arrêté :
« Le tribunat considérant que des gages éternels de la
reconnoissance nationale sont dus à un monarque qui fait
la gloire et le bonheur de son peuple , et dont la vie offre
un tissu d'actions héroïques ; qu'il n'est point d'expression
qui puisse peindre l'étendue et la rapidité des prodige ;"
opérés par Napoléon et les armées françaises , sur-tout dans
cette campagne à jamais mémorable , terminée si glorieusement
par la victoire d'Austerlitz ; que tant de sujets
d'admiration et de gratitude doivent être transinis à la pos
téritéé par des monumens où tout rappelle de si précieux
souvenirs ; le tribunat exerçant le droit qui lui est accordé
par l'art. 29 des constitutions de l'Empire ,
•
Emet le voeu :
1 °. Que sur une des principales places de la capitale il
soit érigé une colonne surmontée de la statue de l'Empereur.
Cette colonne portera pour inscription : A Napoléon-
le- Grand , la patrie reconnoissante. La place recevra
le nom de Napoléon-le-Grand .
2°. Qu'il soit élevé un édifice où soient réunis les chefsd'oeuvre
des arts destinés à consacrer la gloire de Napoléon
et des armées françaises. Que dans ce monument soit déposé
avec l'appareil le plus pompeux , pour y rester
pendant la paix , l'épée que l'Empereur portoit à Austerlitz
, et qu'elle en soit retirée avec la même pompe ,
si la guerre impose la nécessité d'en faire usage ; que dans
ce même lieu , soient distribués les grands prix que S. M.
doit donner de sa propre main aux productions du génie
et de l'industrie nationale ; qu'il soit également destiné
aux actes solennels de la Légion d'honuçur et de l'instruc➡
tion publique.
3°. Que chaque année , l'anniversaire de la naissance de
Napoléon soit célébré par une fête nationale , dont l'éclat
soit digne d'un monarque si cher à son peuple.
Le tribunat a arrêté aussi de faire frapper une médaille
en mémoire de l'inauguration des huit drapeaux qui lui
ont été donnés par S. M. l'Empereur et Roi.
SEINE
( No CCXXXIV. ) A
( SAMEDI 11 JANVIER
10 DE LA
MERCUR
Cent
DE
FRANCE..
Ꭱ Ꭺ
LITTÉRATURE.
P O ÉS I E.
Traduction de la fin du livre de l'ENEIDE
par Hyacinthe Gaston ( 1).
« D'AUTRES ,
'AUTRES , plus mollement sous le ciseau divin
Feront vivre le marbre et respirer l'airain ,
•
Sauront à la tribune enchaîner le vulgaire ,
Ou décrire des cieux la marche circulaire ;
Toi , Romain , souviens - toi d'asservir l'univers.
Vaincre, dicter des lois à cent peuples divers ,
Faire par tes bienfaits pardonner ta victoire,
Rome , voilà tes arts Rome , voilà ta gloire
Ainsi parloit Anchise à son fils étonné.
Regarde Marcellus de palmes couronné
3
b ,et 4fr.
(1 ) Le tome second de l'Eneide, traduite en vers par M. Gaston,
contenant les cinqueme , sixième , septième et huitième livres , vient
de paroître. Prix : fr. 6o c . , 60 c . par la poste. Le prix du
premier volume est le même. Nous rendrons compte incessamment
de cet ouvrage , On le trouve chezle Normant-
D
50. MERCURE DE FRANCE ,
"
Lui dit il sur ce peuple il élève sa tête ;
Le troisième triomphe , honorant sa conquête ,
Traîne en pompe à son char les rebelles Gaulois
Et les drapeaux captifs des fiers Carthaginois ;
Seul il rend son pouvoir à Rome consternée, »>
Un jeune homme , à pas lents , le suit ; les yeux d'Enée
Admirent son armure , et sur-tout sa fierté ;
Mais la douleur attriste et flétrit sa beauté .
« Mon père , ce héros qui marche sur sa trace
Est-il son fils ? Sort- il de ton auguste race
?
Quels honneurs ! ils sont tous autour de lui pressés ;
Ce sont les mêmes traits , mais il sont effacés ,
Et la nuit sur son front étend son voile sombre . »
«< Oh ! de quel deuil ta voix vient d'affliger mon ombre
Dit Anchise ; et pourquoi ne m'épargnes- tu pas
La douleur d'annoncer les secrets du trépas ?
La Parque tranchera cette fleur passagère !
Dieux ! ne la voulez-vous que montrer à la terre !
Votre pouvoir , jaloux du pouvoir des Romains ,
Leur ravit ce présent échappé de vos mains .
Pleure , cité de Mars , la gloire de tes armes !
Tibre , combien tes flots doivent rouler de larmes ,
Lorsque , sur ton rivage , un peuple gémissant
L'appellera trois fois sur son bûcher récent !
Illustre enfant de Troie , espoir de l'Italie ,
Combien il eût aimé les Dieux et la patrie !
Antique loyauté , valeur dans les combats !
Nul mortel n'auroit pu résister à son bras ,
Soit qu'un coursier sous lui du pied frappât la plaine ,
Soit qu'il eût voulu seul descendré dans l'arène .
Cher enfant , si tu peux échapper aux destins ,
Tu seras Marcellus..... Venez ; à pleines mains
Donnez des lys ; donnez , j'en couvrirai sa tombe.
Mon ombre te les offre au défaut d'hécatombe ,
Infortuné ! reçois ce vain tribut de fleurs
Que l'amour paternel a trempé de ses pleurs . »
JANVIER 1806. 50
Enée autour de lui voit errer ces images ,
Et de Rome à venir il parcourt tous les âges.
Son père lui décrit les moeurs des Laurentins ,
Leurs armes , leur cités , et jusqu'à leurs desseins.
Le Sommeil , de ses fils sépara les cohortes ,
Et pour eux , nous dit- on , il destina deux portes .
L'ivoire éblouissant sur deux pivots légers
Tourne , et livre une issue aux Songes mensongers ;
La corne transparente et ses gonds redoutables
Ouvrent l'autre passage aux Songes véritables.
Anchise précédoit la Vierge et le héros ,
Et préparoit son fils à des périls nouveaux .
Enée arrive enfin à la porte d'ivoire ,
La franchit , enivré d'espérance et de gloire.
Il vole vers Caïette , et sur ces bords amis
Il range ses vaisseaux sur leur ancre affermis.
MES SOUVENIRS.
Je suis las , mes amis ; je puis faire une pause .
Après un long travail , il faut qu'on se repose.
Je vais donc prendre haleine , au moins jusqu'à demain
Encor ce ne sera que la plume à la main .
Je veux vous rappeler mes secrètes pensées ,
Et mes plaisirs présens , et mes peines passées .
Car cet amour des vers , Dieu sait s'il m'a coûté !
Si je jouis un peu , je l'ai bien acheté.
O toi , que pour mes goûts je trouvois trop sévère ,
Je ne t'accuse point : tu m'aimois ô mon père !
Et tu fus , par tendresse , inflexible pour moi ;
Je me plaignois à tort! Soyons de bonne foi :
Presque toujours , un père à bon droit se défie ;
Et c'est l'événement qui seul nous justifie.
Il m'a justifié tout au plus à demi ....
Que dis -je ! ... ces jours même où j'ai souffert , gémi
N'étoient pas sans douceurs : souvent je les regrette :
D 2
52 MERCURE DE FRANCE ,
Oui , je regrette , amis , cette obscure retraite ,
L'humble hôtel , dont trois ans j'occupai le plus haut ,
Que je serois fâché d'avoir quitté plutôt.
J'aime à me rappeler ma respectable hôtesse
Sa longue patience et sa délicatesse ;
Je n'oublîrai jamais sa constante amitié.
Je la payois fort mal , étant fort mal payé :
Eh bien , elle attendoit ; et je lui dois peut- être
Et mon premier ouvrage et ceux qui pourront naître.
C'est là que j'ai trouvé quelques amis bien chers
Possédés , comme moi , de ce démon des vers ,
Bons fils , mais sourds de même à la voix de leurs pères.
Unis par le malheur , nous nous aimions en frères.
Vous souvient-il , amis , de nos petits repas ,
Bien petits en effet , si l'on comptoit les plats ,
Mais joyeux , mais charmans , et cent fois préférables
Au luxe , au vain apprêt de ces superbes tables ?
Nous n'avions pas le sou , mais nous étions contens ;
« Nous étions malheureux : c'étoit là le bon temps ! »
Je nourrissois pourtant quelques peines secrètes ;
J'affligeois mes parens ; je grossissois mes dettes :
Je capitulai donc. On m'offroit de payer
Jusqu'au dernier mémoire , et de tout oublier ;
Pourvu qu'oubliant , moi , vers et prose , je vinsse
Vivre , honnête avocat , au fond de ma province.
J'obéis : je quittai donjon , hôtesse , amis ;
Je promis tout , et tins ce que j'avois promis.
Tout Chartres m'est témoin (le fait est trop notoire )
Que j'ai , trois ans entiers , lassé mon auditoire .
J'étois plus las moi -même , et je rongeois mes fers .
Je les brise à la fin , et je retourne aux vers.
Je plaidois bien encor ; mais ma robe discrète
Annonçoit l'avocat et cachoit le poète.
Vous savez tout le reste : abrégeons ce récit.
L'Inconstant est joué ; l'Inconstant réussit.
L'Optimistele suit ; même sort l'accompagne :
***
JANVIER 1806.
53
Beau moment pour bâtir des Chateaux en Espagne !
O bonheur ! ... chers amis ! ... car je n'ai plus pour eux
De souhaits à former ; eux- mêmes ils sont heureux .
Ils sont , ainsi que moi , malgré tant de traverses ,
Arrivés à leur but par des routes diverses.
Tels que des voyageurs , au naufrage echappés ,
Nous buvons dans le port ; et nos petits soupés
Sans être moins joyeux , sont presque aussi modestes.
Réunion charmante , et passe - temps célestes !
Lorsque vers le passé nous tournons nos regards ,
Et que nous nous voyons , bravant mille hasards ,
Mêlant toujours l'espoir à nos plus justes craintes ,
Souffrans , mais résignés , gais même dans nos plaintes ;
Qu'il est doux , puisqu'enfin luisent des jours sereins ,
De se ressouvenir, même de ses chagrins !
COLLIN -
D'HARLEVILLE.
Etrennes d'une Mère à son Fils, ou très- humbles
Remontrances d'une antique Commode au jeune
Williams.
er Janvier 1806.
Le sort , qui fait des matices,
Me transporte, en ce moment,
Dans ce cabinet charmant,
Dont vous faites vos délices ;
Mais croyez , mon bel enfant ,
Que je n'y viens qu'en tremblant
Vous consacrer mes services.
Trop souvent à mon aspect ,
Imposant et vénérable ,
Vous avez ri sans respect
De ma vieillesse honorable .
Epris de la nouveauté ,
Dont le charme est peu durable ,
3
54
MERCURE
DE FRANCE ,
Williams , votre oeil enchanté ,
Pour juger de la beauté ,
Ne connoît d'autre méthodo
Que ce caprice léger •
.
Séduisant et passager ,
Que l'on appelle la mode.
Moi , si j'ai vécu long-temps ,
Ma fierté s'en accommode ;
Mes antiques ornemens
Prouvent que depuis cent ans
Je suis utile et commode.
Puissiez-vous dans vos récits .
Un jour à vos petits-fils ,
Dire à -peu-près même chose !
Cher Williams , en attendant ,
Devenez plus indulgent ,
Et songez qu'un trait piquant
Est , à l'esprit d'un enfant ,
Ce qu'est l'épine à la rose.
Mais , malgré mes documens
S'il vous prend encore envie
De railler à mes dépens ,
Pensez vîte , je vous prie ,
A cette sensible amie ,
Qui de moi va se privant ,
Croyant , dans sa bonhomie,
Faire un superbe présent
A ce fils qu'elle aime tant..
Si votre coeur vous ramène
A ce touchant souvenir ,
Ah ! bien loin de me bannir ,
Déjà ma grace est certaine ,
Et tout prêts à s'attendrir ,
Vos yeux me disent sans peine ,
-Que je viens de l'obtenir.
Par madame d²**
JANVIER 1806. 55
Dialogue entre M. D'EAU - BONNE , médecin par
routine , et M. BOURRU , goutteux de profession,
AIR : Frère Jean à la cuisine.
I
(Le Médecin tient un entonnoir à la main; à ses pieds est une chaudière
d'eau bouillante . )
Je suis le Docteur d'Eau- Bonne ;
En un jour, Monsieur Bourru ,
A vous guérir je m'abonne ,
Mais buvez chaud , buvez dru.
L'eau du cru
(Qui l'eût cru! )
A Paris n'est pas moins bonne
Qu'à Plombières , qu'à Bourbonne ,
Qu'à Vichy , qu'à Balaru.
LE GOUTTEUX. Il est assis dans unfauteuil, et le pied sur
un tabouret.
Quand ma goutte se rencogne
Dans mon douloureux orteil ,
De boire un muids de Bourgogne
Qu'on me donne le conseil.
Jus vermeil , 1
Sans pareil ,
S'il faut te boire en ivrogne ,
J'aurai coeur à la besogne ,
Dans l'espoir d'un doux sommeil !
LE DOCTEUR , furieux.
A mes épreuves sévères
Tu ne veux point faire accueil :
Sans doute tu ne révères
Qu'Hypocrate et son recueil.
Crains l'écueil
Da cercueil ,
56
MERCURE DE FRANCE ,
Pour peu que tu persévères
A fuir mes quarante verres
D'eau de la Seine ou d'Arcueil,"
LE GOUTTEUX , se résignant.
Dès qu'à l'eau pure je goûte ,
C'est pour ma bouche un fléau ;
Mais quoiqu'elle me dégoûte ,
Je boirois fleuve et ruisseau
A plein seau ,
Par tonneau ,
Et , qui pis est , goutte à goutte,
Si je croyois que la goutte :
Ne revint jamais sur l'eau .
LE DOCTEUR , s'apprêtant à entonner son 'eau bouillante.
Embouchez , ou je me fâche ,
Cet entonnoir dont l'objet ,
Quand l'abdomen est trop lache ,
Est d'empêcher tout rejet.
Jet par jet
Mon projet
Est de noyer sans relâche
L'infâme qui prend à tâche
De vous ronger sans sujet .
LE GOUTTEUX , après avoir avalé une gorgée d'eau bouil
lance son tabouret dans les jambes du Docteur,
lante ,
Ah , quel feu ! Quelle colique !
Quel hoquet !... j'en suis honteux.
Sors , Esculape hydraulique !
Ton remède рец coûteux
Est venteux
Et douteux..
41
Ne crois pas que je me pique
De décéder hydropique ,
Quand je peux vivre goutteux,
PIIS.
1
JANVIER 1806. 57
L'ÉGLOGUE DESENCHANTÉE.
L'HOMME se paît d'illusions légères !
Même éveillés , hélas , nous rêvons tous !
Témoins en sont églogues mensongères .
Qui ne croiroit que vos destins sont doux ,
Petits moutons chantés par vos bergères ?
Vous paissez l'herbe , on vous défend des loups ;
Sous sa houlette une Philis vous range ;
Le beau Mirtil en est presque jaloux ;
t
Oui, mais un soir , las , tombés sous leurs coups ,
Avec Philis le beau Mirtil vous mange !
M. LEBRUN , de l'Institut National.
SUR LA NOUVELLE D'UN ACCOUCHEMENT, '
་ ད
Un grand- papa , d'un style triomphant ,
M'écrit qu'un fres -aimable enfant
Vient de naître dans sa famille.
Est - ce un garçon ? est-ce une fille ?
Je n'en sais rien ; mais cette tendre fleur
Ne déparera point celles qui sont écloses ;
De sa tige natale elle sera l'honneur :
L
C'est un bouton de plus dans un bouquet de roses.
M. DELILLE.
ENIGM E.
Je suis témoin juge et supplice
Du méchant qui commet le mal ;
Je lui reproche ba malice ,
Et je l'attends au jour fatal .
Par G. V. ( de Brives ) , abonné,
58 MERCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
JE porte un roc dans mes entrailles ;
Un saint honoré dans Paris :'
Point de pleurs à mes funérailles ,
Mais bien le Plaisir et les Ris .
Dégagé de mon chef , je préside à l'Eglise ;
Agréable surprise !...
Mon chef remis , ma queue étant en bas
Je ne préside point à la guerre , aux combats ;
Je suis cher à la gourmandise !...
En est-ce assez , lecteur , pour deviner mon nom ?
Si vous répondez : Non....
Vous trouverez encor le desir de l'avare ;
L'instrument des oiseaux pour éviter la faim ,
Et celui du chasseur , lorsqu'il sonne fanfare ,
Et l'échange commun à tout le genre humain. -
Par le même.
CHARA DE.
FEMME ne trompe pas quand elle est mon premier ;
Un marquisat , dit -on , vaut moins que mon dernier ;
Mon tout , que je chéris , et que Madrid regrette ,"
D'un monarque étonnant fut deux fois la conquête.
Par FELIX MER .... DE ROUGEMONT.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la
CHARADE insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Coeur.
Celui du Logogriphe est Remi , où l'on trouve mie , re,
mi, mer, rime.
Celui de la Charade est Mal-heur.
The fi
JANVIER 1806. 59
Lettres de madame de Montier , recueillies par
Madame le Prince de Beaumont. Nouvelle
édition. Trois vol. in- 12 . Prix : 5 fr. , et 6 fr.
50 cent. par la poste. A Paris , chez Renard ,
libraire , rue Caumartin , nº. 750 , et rue de
l'Université ; et chez le Normant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxer
rois , nº. 17 .
JAMAIS
<
AMAIS on n'a fait tant de romans moraux que
depuis qu'on n'a plus de moeurs. Chaque genre a
eu sa mode passagère. Le Sage , le meilleur des
romanciers français , n'eut presque point d'imitateurs.
Dans le temps de la régence , époque de la
dégradation trop générale de la haute société , on
chercha pour l'instruction du peuple , à réduire en
maximes la doctrine du libertinage adoptée par les
grands . Les romans de Crébillon fils fixèrent quel
que temps l'attention par une peinture fidelle et
parfois séduisante de quelques sociétés au milieu
d'un persiflage de mauvais goût , et d'un jargon
frivole où le génie de notre langue étoit absolu →
ment dénaturé , on remarqua des traits piquans ,
des développemens ingénieux qui firent le succès
de ces ouvrages aujourd'hui presque oubliés. Les
jeunes gens ne manquèrent pas de régler leur morale
sur les principes du romancier, qu'ils croyoient
être ceux de la bonne compagnie : ils cherchèrent
à copier les originaux auxquels on attribuoit tant
de triomphes auprès des femmes ; et les provinces
mêmes offrirent des copies toujours très-ridicules
des héros dont la licence et l'étourderie faisoient .
tout le mérite, Aux romans de Crébillon succé60
MERCURE DE FRANCE ,
dèrent ceux de l'abbé Prévost , qui , pour donner
du neuf, fit un grand étalage de sentiment et de
morale. Les aventures extraordinaires dont il surchargea
ses conceptions , excitèrent d'abord la
curiosité ; il eut aussi l'art d'entretenir l'intérêt ,
et d'émouvoir le coeur par des combinaisons d'événemens
, communs à la vérité , mais qui ne manquaient
pas d'une certaine liaison . Sa morale toujours
exaltée , les vertus factices dont il ornoit ses
héros ne pouvoient être utiles aux moeurs ; mais
c'étoit de quoi l'on s'inquiétoit le moins : Prévost
amusoit ; que pouvoit-on lui demander de plus ?
Ce qui prouve que sa morale n'étoit qu'un pur
charlatanisme , c'est l'ouvrage que l'on regarde
comme son chef - d'oeuvre . Dans ce livre trop
vanté ( 1 ) , l'auteur ne craint pas d'employer tout
son talent pour attacher l'intérêt sur une femme
perdue , et sur un escroc. Les philosophes et les
gens du monde admirèrent ce tour de force . Mais
dans un siècle moins dégradé , quelle indignation
universelle ne se seroit pas élevée contre un au→
teur qui auroit cherché à pallier le mépris qu'on
doit aux vices les plus bas , et à justifier même
les crimes !
Ce succès dont on avoit eu peu d'exemples , fit
naître aux philosophes l'idée de se servir des
romans pour propager leur doctrine . L'un prostitua
son éloquence à donner l'apparence de la
vertu au séducteur le plus vil, à couvrir de tous les
charmes de la pudeur une fille qui ne rougit pas
de tromper son époux en lui cachant ses anciennes
fautes , à prêcher dogmatiquement le suicide , à
prouver qu'un athée peut être le plus honnête
homme du monde. L'autre encore plus cynique ,
traça le tableau prétendu des couvens ; et tout ce
(1 ) Manon Lescaut.
JANVIER 1806 . 61
que son imagination effrénée et libertine put lui
fournir de monstrueux et de dégoûtant , il le fit
entrer dans ses combinaisons . Un troisième ne
respectant pas plus les convenances , mit tout son
art à tourner en ridicule ce qu'il y a de plus sacré
parmi les hommes. Un autre enfin , reproduisant
en phrases emphatiques toutes les rapsodies sur le
fanatisme , dénatura l'histoire pour faire des romans
auxquels il n'eut pas même le talent de donner
de l'intérêt . C'est désigner assez la nouvelle
Héloïse , la Religieuse , les romans de Voltaire , les
Incas et Bélisaire , productions aussi condamnables
sous le rapport des moeurs que répréhensibles sous
le rapport du goût .
Sans s'arrêter aux productions lugubres et monstrueuses
que l'on admira pendant la révolution , on
doit donner quelque attention au nouveau genre
de
roman qui fut introduit . Un des traits caractéristiques
de cette époque si féconde en excès de tous les genres,
c'est que
l'on sut joindre à l'égoïsme le plus complet
, à la perversité la plus raffinée une sorte de
prétention à la sensibilité qui , par son affectation ,
ne pouvoit manquer d'être taxée de fausseté. Jamais
on ne donna plus de drames larmoyans , que dans
des temps où la véritable sensibilité n'avoit pas be
soin d'être excitée par des fables ; jamais on ne versa
plus de larmes au spectacle , qu'à une époque où l'on
voyoit d'un oeil see les horreurs les plus inouies.
Cette prétention à la sensibilité , à la mélancolie ,
survécut aux circonstances qui l'avoient fait naître .
Il seroit possible de réduire en quelques axiomes
toute la théorie morale des romans modernes les
passions excusent tout ; on ne doit point reprocher
une erreur à une femme sensible quand d'ailleurs
elle est bienfaisante ; la sensibilité ne consiste point
à aimer son mari , ses enfans; il faut qu'une femme
ait une grande passion , qu'elle y sacrifie tout , que
62 MERCURE DE FRANCE ;
cette passion l'occupe sans cesse , qu'elle se livre
au vague de la mélancolie , et qu'enfin elle devienne
folle ou qu'elle se tue. Une femme ne seroit pas
sensible , si la religion pouvoit la consoler dans ses
malheurs , ou lui inspirer le repentir de ses fautes.
Madame de la Vallière n'avoit point de sensibilité :
si elle en avoit eu , loin d'expier ses égaremens par
une pénitence de trente ans , elle auroit troublé la
cour par ses cris ; et , après s'être inutilement donnée
en spectacle , elle seroit tombée dans une profonde
mélancolie qui l'auroit conduite soit aux
Petites -Maisons , soit dans un des bassins de Versailles.
Au lieu de dire froidement , en apprenant
la mort de son fils le duc de Vermandois : Je dois
pleurer sa naissance encore plus que sa mort, elle
aurait fait embaumer cet enfant chéri pour l'avoir
toujours dans sa chambre , ou l'auroit fait brûler
pour mettre ses cendres dans un vase antique , ou
enfin elle auroit fait composer avec ses cheveux
des bagues et des colliers qu'elle auroit pu porter
au bal , si sa mélancolie l'y avoit entraînée. Telle
est la sensibilité des héroïnes des romans modernes.
Malgré cette mode , d'autant plus répandue aujourd'hui
qu'il suffit de déraisonner pour produire
et admirer des ouvrages aussi ridicules que dangereux
, il s'est conservé , même dans les romans , une
école de bon goût et de saine raison qui laisse
quelque espoir de changement dans cette partie
de la littérature dont l'empire est si puissant sur
les moeurs. Deux femmes auxquelles on doit des
livres d'éducation , ont marché avec succès sur les
traces de Mad. de la Fayette. Dans Mlle de Clermont
, et dans Mad. de la Vallière , qui sont peutêtre
les meilleures nouvelles historiques que nous
ayons , Mad. de Genlis a su intéresser et plaire
par des moyens toujours naturels , par d'excellentes
peintures de moeurs , et par une observation scruJANVIER
1806. 630
puleuse des convenances les plus délicates. Mad . le
Prince de Beaumont , qui , comme Mad . de Genlis
a consacré à l'enfance ses premiers ouvrages ,
les lettres prouve aussi par de Mad. de Montier ,
dont nous annonçons une nouvelle édition , que l'on
peut obtenir des lecteurs en ne se livrant à aucune
conception extraordinaire , en ne dérogeant en
rien à la morale la plus sévère , et en donnant à des
tableaux toujours chastes les couleurs simples et
naturelles qui leur conviennent.
"
Le but de Mad . de Beaumont a été d'indiquer
aux jeunes femmes une règle de conduite dans
toutes les circonstances où elles peuvent se trouver.
Quoique l'esprit religieux domine dans l'ouvrage
les esprits frivoles n'y trouveront aucune trace de
ce qu'ils appellent pédantisme. L'auteur n'y prêche.
pas des vertus impossibles à pratiquer : tout est proportionné
à la foiblesse et à la fragilité humaines ;
rien n'y est contraire aux devoirs , et même aux
usages que le monde prescrit ; et ce qui est vraiment
digne d'éloge , c'est que jamais la condescendance
de l'auteur ne va jusqu'à modifier les préceptes
sacrés de la religion ; écueil qu'il lui étoit
extrêmement difficile d'éviter dans son plan.
Une famille noble , mais déchue , habite dans les
environs de Sens : M. de Montier , ancien militaire ,
vit d'une manière assez obscure avec son épouse
femme respectable , mère de plusieurs demoiselles ,
que la modicité de leur fortune fait craindre de ne
pouvoir établir. Un grand seigneur de Savoie passant
à Sens , voit l'aînée des filles de M. de Montier;
elle lui plaît , et lui est accordée. Il la conduit
aussitôt dans ses terres , sans qu'elle ait eu le
temps de le connoître et de s'habituer à lui. C'est
à ce moment que commence la correspondance
de Mad . de Montier avec sa fille. Une jeune femme
qui n'a jamais vu le monde , a grand besoin de
64 MERCURE DE FRANCE ;
conseils , lorsque , sans aucune préparation , elle
change ainsi d'état , et se trouve éloignée de sa
mère. La marquise , c'est ainsi qu'elle est désignée
dans le roman , rend compte à Mad. de
Montier de toutes ses actions. Le premier désagrément
qu'elle éprouve vient de la violence de son
mari : le marquis est, sujet à se laisser emporter par
la colère ; la douceur seule suffit pour le ramener ;
et Mad. de Montier donne à sa fille des conseils
qui annoncent une grande connoissance du coeur
humain. Bientôt elle est mise à de plus grandes
épreuves : on se bornera à indiquer les principales.
Un comte intimement lié avec le marquis , ne
peut voir sans l'aimer , la femme de son ami . Il
parvient , dans un bal masqué , à lui faire connoître
sa passion. La marquise est fort embarrassée : comment
évitera-t - elle les assiduités du comte ? Ce
seigneur a beaucoup de crédit à la cour de Sardaigne
; il procure au marquis une grande place :
ne serait -il pas dangereux de donner lieu de penser
qu'il a des vues intéressées ? Dans cette position
délicate , Mad. de Montier dirige parfaitement sa
fille elle lui indique les moyens de se dérober
sans affectation aux poursuites du comte , et luj
démontre avec beaucoup de raison qu'une femme
vertueuse ne doit jamais inquiéter son époux par
des confidences indiscrètes ; une réserve décente
suffit pour éviter tous les dangers.
La situation de la marquise devient encore plus
critique par l'infidélité de son mari une de ses
femmes a plu au marquis ; il vit avec elle dans sa
propre maison. Une héroïne de roman se désoleroit
ou afficheroit de grands sentimens . La marquise
, d'après les conseils de sa mère , emploie
tous les moyens que lui suggère la prudence pour
rompre cette liaison. Sans faire aucun reproche à son
mari , sans jamais l'exposer à rougir devant elle de
Sa
HOJANVIER 1806. 65
sa faiblesse , elle trouve le moyen de lui faire étouffer,
un goût passager , et de conserver sa tendresse et
sa confiance . L'infidélité de son époux met la márquise
dans une situation d'autant plus dangereuse,
qu'elle éprouve en même temps une passion violente
pour un homme de sa société. Cette passion.
est combattue avec succès par les conseils de
Mad . de Montier l'extrême soumission de la
marquise aux préceptes sévères , mais pleins de
prudence que lui donne sa mère , achève sa guérison.
"
ardior ra
+
Cependant Mad. de Montier a envoyé à la marquise
sa jeune soeur , dont le caractère assez singu-
Hier fait un contraste très -marqué avec celui de
l'héroïne. Dès l'âge le plus tendre , cette jeune personne
annonce un orgueil et une envie de dominer
qui peuvent la faire tomber dans de grandes erreurs .
Les conseils de sa mère , l'exemple de sa soeur ne
peuvent la corriger. Le comte qui a connu toute la
vertu de la marquise , achangé sonamour enrespect :
quelques restes de cette re inclination le portent
à s'attacher à la jeune personne , qui ressemble si
peu cependant à celle qu'il a aimée . Il la demande
et l'obtient. La comtesse présentée à la cour , se livre.
aux goûts que sa mère a vainement cherché à combattre
sa vanité, son esprit de domination l'entraînent
à des erreurs et à des folies dont il seroit trop
long de donner le détail ; il vaut mieux à
l'intéressante marquise , dont les épreuves sont loin
d'être finies. En se promenant dans son parc , une
aventure romanesque met en sonpouvoir un enfant
dont elle a pitié et qu'elle porte dans son appartement.
Le marquis la croit criminelle , l'accable de
reproches et s'éloigne d'elle quelque temps après
les mêmes soupçons l'agitent , et le résultat en est
encore plus terrible. Mad. de Montier console sa
fille dans ces situations difficiles , et parvient à
E
revenir
66 MERCURE DE FRANCE ,
éclairer le marquis , qui , honteux de ses soupçons ,
demande et obtient son pardon.
Les autres épreuves auxquelles la marquise est
soumise , sont toutes celles qui peuvent accabler
une épouse et une mère. Son mari meurt, ainsi que
son fils unique ; elle est entièrement ruinée. Au
milieu de ces malheurs inouis , l'héroïne aidée de
sa mère , trouve dans la religion les consolations
dont son coeur a besoin. Les remèdes sont toujours
proportionnés aux maux ; et , sans faste philosophique
, on voit une foible femme lutter contre
tout ce que l'imagination peut concevoir de plus
terrible. T
Le style de Mad. de Beaumont est toujours conforme
à l'âge , au caractère et au rang des personnages
qu'elle fait parler. Cet avantage si rare donne
à l'ouvrage dont nous parlons un nouveau degré
d'intérêt. Ce qui paroît sur-tout étonnant , c'est
que les lettres de Mad. de Montier sont celles qui
se font lire avec le plus de plaisir : quoiqu'elles ne
renferment que des conseils , elles sont si bien adaptées
au sujet , qu'on les attend avec impatience , et
qu'on seroit faché si elles ne suspendoient pas de
temps à autre le cours rapide des événemens. Parmi
les nombreuses citations que nous pourrions faire ,
nous nous bornerons à transcrire un passage sur les
devoirs d'une femme chargée de l'éducation d'une
princesse destinée à régner. On n'y verra ni cette
emphase , ni cette enflure qu'un philosophe ne manqueroit
pas de mettre dans un pareil sujet. La marquise
est nommée à la place de gouvernante des
princesses de Savoie sa mère lui donne des conseils
.
Rien dans ce monde n'arrive sans une sage.
» conduite de la Providence. Elle sait tirer parti
» de tout , même des fautes des hommes , pour la
» perfection de son ouvrage et le bien de l'unis
JANVIER 1806 .
67
*
» vers. C'est l'ambition qui a fait les premiers rois ;
» l'ambition est sans doute un mal , et c'est de ce
» mal que Dieu s'est servi pour mettre et faire ré-
» gner l'ordre parmi les hommes. Qu'il est peu de
princes auxquels on inculque cette grande vé-
>> rité ! Si on leur demandoit lorsqu'ils commencent
a à se connoître , et qu'ils sortent des mains de
» ceux qui étoient chargés de les instruire , et qui
n'ont fait que les gâter , si on leur demandoit ,
» dis-je : Est - ce ungrand bonheur d'êtrené prince ?
» Ils répondroient , d'après ce qu'on leur a insi-
» nuée , soit par paroles , soit par actions : oui ,
» c'est un grand bonheur. Un prince est riche , il
»
す
a des beaux habits , il fait bonne chère , on le
• » respecte , on n'ose le contredire , il ne se gêne
» pour personne , et tout le monde se gêne pour
» lui ; quand il fait des fautes , ceux qui sont les
juges des autres hommes ne peuvent les punir.
- Apprenez un catéchisme tout opposé à celles
< » que vous instruirez , et qui peuvent devenir
» reines ; et qu'elles puissent dire , si on leur fai-
→» soit la même question : Sans doute il y a quelque
avantage à posséder le souverain pouvoir ,
car il met en état de faire de grands biens ; mais
» cet avantage est un foible dédommagement des
» maux inséparables de la grande puissance . Les
2
grands ne font pas tout le bien qu'ils veulent ,
» et font souvent le mal qu'ils ne veulent pas. Ils
ne peuvent faire un heureux qu'en faisant cent
» misérables ; la flatterie forme un nuage épais
dont ils sont environnés , ensorte qu'ils ne peuvent
apercevoir la vérité. On n'aime en eux que leurs
» bienfaits , et ils ne peuvent espérer d'avoir un
» seul ami réel : tout tient à leur rang , à leurs
n
bienfaits , et rien à leur personne. Ils ne font
>> point de petites fautes , tout est connu , tout est
» exagéré , et ils se trouveront chargés au jugement
E 2
68 MERCURE DE FRANCE ,
» de Dieu , d'une multitude de crimes qu'ils ont
» occasionnés par leur mauvais exemple , leurs
» négligences , leur ignorance . La loi divine leur
» est beaucoup plus pénible à observer qu'au reste
» des hommes . >>
$
On regrette que l'auteur ait borné ses instructions
aux personnes d'une condition relevée : on
voudroit que l'utilité de son livre fût plus générale .
Cela n'eût pas été difficile , en n'apportant aucun
changement au plan de l'ouvrage : en effet , Mad. de
Montier n'étant pas riche , auroit pu marier l'une
de ses filles à un bourgeois ; alors les conseils qu'elle
lui auroit donnés , se seroient trouvés applicables à
la classe la plus nombreuse de la société . Une critique
sévère pourroit aussi reprocher à Mad. de
Beaumont quelques détails romanesques ,
tels que
l'histoire de cet enfant qui donne lieu aux premiers
soupçons du marquis , et l'intention marquée de
graduer les épreuves auxquelles l'héroïne est soumise
; intention qui annonce trop que l'ouvrage
n'est qu'une fiction ; mais les excellentes vues morales
de ce livre , le talent distingué que l'on y remarque
, doivent faire fermer les yeux sur ces légers
défauts . Les bons romans sont si rares , on les
lit si peu , que nous avons cru devoir donner à celuici
toute l'attention que nous aurions apportée à un
livre nouveau . Il est à desirer que ce livre peu volumineux
, et mis par les éditeurs à un prix modique ,
ait autant de succès que lorsqu'il fut publié pour
la première fois ce seroit une présomption peu
favorable pour notre goût et pour nos moeurs, sil
n'étoit pas honoré du même accueil . onoga
4 sp di d P. J
b Jaiot
bubgure
(f
JANVIER 1806 .
69
.
P
Réflexions de Machiavel sur la première Décade de Tite-
Live. Nouvelle traduction , précédée d'un Discours
préliminaire ; par M. D. M. M. D. R. Un vol . in - 8 ° .
Prix : 3 fr. , et 4 fr . par la poste. A Paris , chez Bachelier ,
libr. , quai des Augustins , n° 55 et 68 ; et chez le Normant,
imprimeur - libraire , rue des Prêtres Saint - Germainl'Auxerrois
, no. 17.
(Troisième et dernier extrait.)
QUELQU'UN a dit que les étrangers faisoient souvent
preuve de génie dans leurs ouvrages , mais que les Français
seuls savoient composer un livre. On pourroit croire d'abord
qu'il y a un peu d'amour propre national dans cette
assertion; cependant , si on compare successivement nos bons
écrivains , dans les divers genres de littérature , à ceux
des autres nations , je pense qu'on demeurera convaincu
de leur supériorité dans le grand art d'établir de justes
proportions dans un ouvrage , d'ordonner avec sagacité ses
différentes parties , et d'en former un ensemble
lio parfait
eux seuls , en un mot , savent conduire
le lecteur par une
route toujours
variée , où il n'est ni égaré dans de longs
détours
, ni tantôt forcé de gravir
avec peine , tantôt jeté
brusquement
vers le terme de sa course. Les Discours
de Machiavel
sur Tite - Live viennent
s'offrir à l'appui de ce
que j'avance
.
1
3
Assurément ce n'est pas le génie qui manque à ce grand
politique , et il avoit un fonds d'idées assez riche pour
composer un excellent ouvrage ; mais il ne paroît pas qu'il
ait soupçonné l'art de disposer un plan . If a partagé ses
Discours en trois livres dans le premier , il traite du gouvernement
intérieur de la république Romaine ; dans le
second , il examine ses rapports avec les autres peuples ;
dans le troisième , il parle des grands hommes qui l'ont
illustrée. Cette division qui semble , au premier coup
3
70
MERCURE DE FRANCE ,
G
d'oeil , heureusement imaginée , n'introduit en effet aucun
ordre dans l'ouvrage. Il n'y a pas la moindre méthode
dans ces trois livres , et les différens sujets qui y sont
traités rentrent à tout moment l'un dans l'autre . C'est en
vain qu'on croiroit justifier un pareil défaut , en disant
que Machiavel n'a prétendu faire qu'un commentaire sur
Tite-Live ; dans ce cas , il auroit dû suivre pas à pas l'historien
latin. Au contraire , il mele au hasard toutes les
différentes époques. Il passe indistinctement des consuls
aux rois , et des rois aux dictateurs. Ici il effleure à peine
une matière importante ; là , il en approfondit une autre
jusqu'à satiété, Aucun fil qui puisse guider le lecteur à
travers tant de raisonnemens divers ; aucune idée principale
à laquelle les autres viennent se lier , pour former
avec elle un système régulier et complet. Que l'on compare
cet ouvrage aux Considérations de Montesquieu sur
les causes de la grandeur et de la décadence des Romains,
on sera étonné de voir que l'écrivain français , sous un
volume quatre fois moindre , où il passe en revue toute
l'histoire Romaine , depuis Romulus jusqu'à la prise de
Constantinople , ait présenté un tableau bien plus complet
de la République que ne l'a fait Machiavel , qui n'avoit pas
d'autre objet. Les discours sur Tite -Live ne sauroient donc
étre appelés un bon livre , si l'ordre et la méthode sont
des parties essentielles de l'art d'écrire , principalement
dans le genre didactique. Cependant , sous d'autres rapports
, ils seront toujours dignes des regards de la postérité
. Veut- on s'en faire une idée exacte ? que l'on s'imagine
entendre converser un homme de génie sur l'histoire
Romaine. Il n'aura pas devant les yeux un but bien déterminé
. Tantôt une idée lui en rappellera une autre , qui
l'éloignera pour un moment de son sujet ; tantôt il reviendrara
dra sur ses pas , et répétera en d'autres termes ce qu'il
momens auparavant. aura dit quelques Souvent ses vues
seront lumineuses et profondes, ses phrases vives , animées
, abondantes ; quelquefois aussi il abusera de są
A
JANVIER 1806. 71
facilité d'élocution , et ses auditeurs , tout en continuant
de l'écouter avec intérêt , seront tentés de l'accuser de
prolixité. Cette comparaison peut faire comprendre à la
fois le mérite et les défauts de l'ouvrage dont nous parlons !
D'après tout ce que je viens de dire , on sent bien qu'il
seroit impossible d'en faire ici une analyse exacte. Il faut
se borner à donner une idée de l'esprit qui y domine : c'est
celui d'un partisan décidé du gouvernement populaire .
L'opinion de Machiavel est si prononcée à cet égard , qu'il
y a un chapitre où il s'efforce de prouver qu'un peuple est
plus sage etplus constant qu'un monarque. Il veut d'abord
établir que cette légèreté qui est reprochée au peuple par
Tite-Live et tous les historiens de l'antiquité , est aussi
le défaut des princes. Il est vrai qu'il ajouté bientôt qu'il
ne prétend parler que des princes qui ont eu le pouvoir'
funeste de briser le frein qui les auroit retenus ; êt qu'il
fait une exception positive en faveur des rois de France ;
car il est à remarquer que Machiavel , dans vingt endroits
de ses ouvrages , témoigne une haute admiration pour la
constitution tempérée de ce royaume , que de plus grands
politiques que lui ont attaquée avec tant de fureur , jusqu'au
moment où ils sont parvenus à la renverser. Mais
qui ne voit que cette seufe distinction suffit pour ruiner
d'avance tous ses raisonnemen's , et que dès-lors qu'il l'accorde
, il n'attaque plus qu'une proposition absurde que
personne n'a jamais songé à soutenir , et qu'il s'est plu à
forger lui-même pour le plaisir de la combattre ? En effet ,
a qui viendroit-il dans l'idée de comparer aucun régime
politique quelconque au despotisme , qui n'est point un
gouvernement , mais un état violent , contraire aux premières
notions du droit naturel ? On ne pourroit assimiler
à un tyran absolu qu'une multitude sans freïn , en proie à
55
?
?
ૐ
toutes les convulsions de
l'ae
: mais quel despote est
aussi farouche qu'elle ; ou plutôt ne trouve- t - on pas en
ellé autant de
cé corps terrible , qui se précipite au hasard ,
Prily a de
membres
divers
dans
é au hasard , au gré de
73 MERCURE DE FRANCE ,
Faveugle fureur qui le tourmente , et qui voit des enne
mis dans tous ceux qui ne sont pas ses complices ?
n
C'est peu d'accorder an peuple la constance , c'est- àdire
, la vertu que l'expérience de tous les siècles et la
nature même des choses ont fait regarder comme la plus
opposée à son caractère ; Machiavel soutient qu'il est plus
prudent , qu'il est meilleur juge qu'un prince ; il rappelle
cet adage ancien , que la voix du peuple est la voix de
Dieu. Malheureusement cet apophthegme , si long-temps
célebre , a perdu tout son crédit parmi nous . Une expérience
fatale, nous a appris que ce n'est presque jamais la
voix du peuple qui se fait entendre 1 , ou que s'il l'élève en
effet quelquefois , ce n'est que pour mêler des vociférations
furieuses aux perfides discours des factieux qui l'égarent.
de
Je ne suivrai pas Machiavel dans tous les raisonnemens
qu'il rassemble à l'appui d'une opinion qui n'a plus d
partisans . Il y a des propositions si évidemment fausses ,
qu'il suffit de les énoncer sans perdre son temps à les ré-,
futer. Seulement j'ai dû indiquer celle -ci , parce qu'elle
explique presque toutes les erreurs où Machiavel est
tombé , et parce qu'elle est le principe de cette admiration
exagérée pour les Romains qu'il professe presque à chaque
page. Et qu'on ne m'accuse pas de condamner ici le noble
enthousiasme qui doit échauffer tout homme qui a quelqu'élévation
dans l'ame , au récit des grands exemples de
dévouement , de patriotisme et deves vertu que Tit - Live
nous a transmis . Quel coeur assez froil ne s'est senti
quelquefois ému au nom seul des Régulus et des Caton
el à quel titre oseroit- on blâmer les grands écrivains qui
ont consacré leur éloquence à célébrer leurs belles actions
et à exciter en nous le desir de les imiter ? Mais Machiavel
BRABubenonton 291214
C
༧༤),,,,padsGym ne s'est pas arrêté là ; rrete là , et , comme il le dit , clairement des
les premières pages de son livre , ce sont les institutions,
mêmes de la o
Publique
Romaine
qu'il
vouloit
s'efforcer
10
de faire adopter à ses contemporains .Or , on sait trop
combien il est dangereux pour les modernes de vouloir
JANVIER 1806.
7.3
s'approprier des lois qui n'ont point été faites pour eux ,
quelqu'heureux effet qu'elles aient eus chez des peuples
qui , par leur génie , leur caractère et leur religion , différoient
de pous dans tous les points car les lois ne sauroient
jamais être appelées bonnes par elles - mêmes ; elles
ne peuvent l'être que par leur rapport avec les moeurs.
Elles ne refont pas le génie d'un peuple , quand elles sont
trop directement en opposition avec lui ; et pour qu'elles
soient utiles , il faut qu'elles s'appuient sur ce que ce génic
peut offrir de favorable à une constitution sage , et qu'elles
combattent en lui , avec constance et avec lenteur , tout ce
qui tendroit à la renverser. Qu'on essaie de lui donner des
Jois peu conformes à ce génie national ; ce n'est qu'en causant
les convulsions les plus terribles , qu'elles pourront
parvenir à le dénaturer ; encore ne réussiroient- elles pas
à effacer ces traits primitifs de légèreté ou de constance ,
de douceur ou de cruauté , d'amour pour l'indépendance
ou de dévouement à ses chefs , qui forment le caractère
distinctif d'une nation ; et l'histoire, après plusieurs siècles de
bouleversemens , nous montre encore des traits du génie
de la Grèce et de Rome , qui , comme des éclairs au milien
d'une nuit profonde , ont brillé de temps à autre parmi
des peuples dégénérés. Et certes ce n'est pas aux nations
Ceres
européennes qu'il conviendroit de se plaindre de cette
stabilité , et , si l'on peut parler ainsi , de cette espèce
d'immortalité que la nature a accordée au génie de chaque
Peuple . C'est elle qui garantit leur sûreté et la douceur
leurs gouvernemens , bien plus solider solidement encore que des
lois positives et une constitution solidement établie. En
effet , il ne faudroit qu'une volonté puissante pour anéantir
en un moment toutes ces lois . Mais tous les efforts d'un
despote iront échouer contre un préjugé populaire ; et la
force de l'opinion , d'autant plus invincible , que les attaques
qu'on lui porte ne font que l'accroître , brisera jusques
dans ses mains les instrumens de sa tyrannie.
Après avoir montré la source des erreurs qu'on trouve
B
7 ) 3
Sins
icara *
74 MERCURE DE FRANCE ;
dans Machiavel , il seroit trop long de citer tout ce qu'ît
offre à la méditation des politiques . Ce qui caractérise surtout
son génie , c'est une vue perçanté qui pénètre jus
qu'au fond des choses , et qui en distingue au premier coup
d'oeil les conséquences et le principe. On est étonné souvent
de tout ce qu'il découvre dans un seul fait . Je citerai
à ce sujet le chapitre intitulé ainsi : Que pour maintenir
une liberté nouvelle , il est nécessaire defaire mourir les
fils de Brutus. Ce titre singulier se trouve bien justifie ,
quand l'auteur prouve , avec évidence , que les révolutions
ne sauroient être consolidées que par des exemples de
igueur et de cruauté qui portent l'épouvante dans tous
les coeurs : vérité terrible , qui devroit rendre les peuples
circonspects sur les changemen's les plus légers danis là
constitution , si quelque chose étolt capable de mettre un
frein à l'ambition et à l'amour de la nouveauté.
Il est temps de parler du travail de M. D. M.; mais
avant d'en venir à sa traduction , il faut dire un một dà
discours préliminaire , qui est assez long pour être regardé
Ini-même comme un livre de politique. M. D. M. , qui
regrette avec Machiavel les institutions de la république
Romaine , a essayé de compléter son auteur , en recherchant
si , parmi les principes qui ont donné aux anciennes
républiques une si grande et si justè célébrité , il en est
qu'onpuisse appliquer au gouvernement de nos états et à
la conduite de nos affaires. Il commence par ressusciter
Machiavel, et par lui faire tenir un long discours adressé aut
roiseaux peuples . « Savez-vous ce qui constitue la véritable
» force des états ? C'est la sagesse des lois , c'est la modé "
ration de ceux qui gouvernent.... N'aspirez à régner
» que par l'exemple des vertus.... Paissiez-vous ne former
» qu'une république , où vingt peuples rivaux , sans être
» ennemis , ne combattent que d'honneur , de sagesse , de
probité , d'humanité , d'industrie , etc. etc. ! » Ainsi ,
continue l'auteur , parloit à toute l'Europe , en homme
inspiré par la vertu , ce Machiavel dont la calomnie a fléJANVIER
1806 .
75
tri si long-temps le nom. Et , un peu plus bas , il ajoute ?
« On verra ce génie sublime établir des principes fondés
sar l'expérience et non sur de vaines spéculations , et
en faire sortir les maximes les plus satisfaisantes pour
la vertu , les plus consolantes pour Phumanité. » On
conviendra que cette prosopopée , placée si singulièrement
à la tête d'un ouvrage de raisonnement , pourroit être jus
tement critiquée ; mais puisque l'auteur vouloit absolument
jeter du dramatique dans une préface , il devoit du
moins se rappeler la première règle du drame , qui est de
prêter à ses personnages des discours conformes à leur
caractère connu . Or , je le demande , n'est-ce pas abuser
de la permission accordée à un traducteur d'être idolâtre
de son modèle , que de mettre dans la bouche de Machiavel
´dės paroles si opposées aux principes politiques professés
dans les Réflexions sur Tite- Live , et sur- tout dans
le prince ? L'auteur poursuit sa marche ; il passe en revue
l'histoire et le gouvernement de la république Romaine :
tout ce qu'il dit à ce sujet m'a paru emprunté à Montesquieu
, et je me garderai bien de lui en faire un reproche.
II compare ensuite ce gouvernement à celui de nos étaté
modernes. Ici j'avouerai , en toute humilitê , qu'après une
lecture fort attentive il me seroit très- difficile de dire ce
que j'ai retenu : tant ses idées m'ont semblé vagues et perdues
dans une stérile abondance de mots. Tout ce qui m'a
frappe , c'est que si Machiavel suppose les hommes trop
méchans , M. D. M. les suppose beaucoup trop Bons. Une
fois ses projets expliqués , il ne trouve plus aucune diffi
culté dans l'exécution ; et , dans son enthousiasme , il voit
tout l'univers s'empresser à y concourir. «Tous les citoyens
sentiront qu'ils ont le même intérêt à niaintenir les lois et
la constitution de leur pays. Ils auront cette noble estime
de soi même , qui rend l'homme si grand et si généreux....
ét
On verra les divers ordres de l'état respecter mutuellement
leurs prérogatives , les chérir , s'intéresser à leur
conservation..... Là , hrilleront avec éclat cet amour de la
76
MERCURE
DE FRANCE
,
W
et
293891
gloire , cette discipline , cette intrépidité , cette constance
que la liberté inspire toujours ; mais la modération sui ,
vra la victoire.... Bientôt la paix sera le voeu universel , e
les nations ne seront plus rivales que de sagesse , d'industrie
et de verlus. » Un espoir si consolant fait sans doute
honneur au coeur de M. D. M.; mais il est permis de
douter qu'il se réalise aussi facilement qu'il le croit. Quoi
qu'il en soit , comme si ces tableaux n'étoient pas assez
séduisans par eux-mêmes , l'auteur a cru devoir en relever
l'éclat par des déclamations qui pouvoient être encore
la mode quand il fit paroître son ouvrage , mais qu'il falloit
supprimer aujourd'hui parce qu'elles sont devenues
fort ridicules . Tantôt , après avoir exposé son opinion particulière
sur l'agrandissement de la république Romaine ,
il, emploie cette formule si usitée chez Diderot et chez
Raynal : « Malheur à quiconque ne sentira pas que l'empire
du monde étoit dû à des principes si nobles , si confians
, si généreux ! » C'est- à-dire , eenn d'autres termes ,
Malheur à vous tous , vous tous , qui n'avez ppaass ll''eesspprriit de penser
comme moi ! Tantôt il apostrophe les hommes , les peuples
, les rois , la France, « Homme , qui que tu sois , en
quelque pays que le ciel t'ait fait naître,
etc... Ah ! princes
, quelle est votre funeste erreur ! ... etc. Achève , o
ma patrie ! achève cet immortel ouvrage... etc. etc. »
Qu'il nous, soit permis de dire à M. D. M. que ce n'est
sûrement pas à l'école de Machiavel qu'il a pris ce ton de
déclamateur , et qu'il le traduit beaucoup mieux qu'il ne
l'imite. En général , on remarque que lleess hhoommmmes de génie
, quand même ils ne seroient pas grands écrivains , ne
sortent jamais du fon que demande le genre de leur ouvrage
c'est qu'ils sont tellement pénétrés de leur sujet ,
qu'ils le traitent naturellement comme il doit l'être ; c'est
d'ailleurs qu'ils en voient si bien toutes les ressources.
qu'ils n'ont nul besoin d'aller emprunter des ornemens
étrangers. Bien des lecteurs , tout en blâmant ces grands
mouvemens oratoires , si déplacés dans un ouvrage didac-
"
སྙ
es
108 50
JANVIER 1806. 12 $ 7
tique , les attribuent à une surabondance de chaleur que
l'écrivain ne peut contenir , et qu'il répand sur tout ce
qu'il écrit . Malheureusement l'expérience prouve que tous
ceux qui veulent à toute force paroître brûlans , quand il
faudroit n'être que raisonnables , seront toujours trèsfroids
quand le sujet exigera une véritable chaleur. 3 1.0
+
C'est avec bien du plaisir qu'après avoir critiqué M. D. M,
comme écrivain original , je puis le louer comme traducteur.
Le style de sa version m'a paru clair et correct, sans manquer
de cette fermeté qui caractérise la manière de Machiavel.
Il seroit à desirer que la même main nous donnât en français
tous les ouvrages du politique italien : car , quoiqu'ils ne
soient pas très- difficiles à faire passer dans notre langue ,
on ne connoît aucune traduction complète qui puisse en
donner une juste idée à ceux qui n'entendent pas la lan¬
gue italienne . Cas
VARIÉTÉ S.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
I
4
}
-M. Collin d'Harleville vient de publier la collection
de ses oeuvres en quatre volumes in- 8° . Les trois prémiers
contiennent les pièces de théâtre ; le dernier , les
pièces fugitives. L'auteur a fait réimprimer l'Inconstant ,
tel qu'il se joue aujourd'hui sur le Théâtre Français , c'està-
dire , réduit en trois actes . Il a supprimé toutes les préfaces
particulières , excepté celle de l'Optimiste. Les
Artistes , précédemment réduits à quatre actes , n'en ont
plus que trois . Cette nouvelle édition contient , de plus ,
une comédie nouvelle , reçue à la Comédie Française ,
intitulée : les Riches. Enfin , le volume des poésies fugitives
, se compose , en grande partie , de pièces lues par
Lauteur dans les séances de l'Institut . Nous parlerons plus
en détail des différens ouvrages contenus dans cette inté78
MERCURE DE FRANCE ,
ressante collection , et particulièrement de la nouvelle comédie
des Riches.
-L'ouvrage le plus à la mode , pour le moment , est un
roman nouveau , intitulé : Alphonsine , ou la Tendresse
Maternelle. Il est de madame de Genlis , dont le nom suffit
pour expliquer l'empressement des lecteurs. Nous en rent
drons compte incessamment . Il paroît en même temps une
nouvelle édition des Chevaliers du Cygne.
La chute des deux dernières pièces données à l'Opéra
Buffa , a enfin déterminé le retour aux chefs- d'oeuvre de
la musique italienne. On annonce la reprise prochaine du
Mariage Secret, Mesdames Ferlendis , Cavanassi et Crespi ,
chanteront dans cette pièce . C'est mademoiselle Crespi qui
sera chargée de l'emploi difficile de remplacer madame
Strina dans le rôle de Carolina . On peut être sûr d'avance
qu'elle réussira , s'il suffit pour cela d'une jolie figure , d'une
taille charmante et d'une voix fraîche. Avant la représentation
du Mariage Secret , madame Cavanassi que l'on a
déjà entendue dans deux concerts , débutera par un des
deux principaux rôles des Cantatrice Villane.
On représente depuis quelques jours sur le Thédtre
des Elèves , une nouvelle pièce qui atteste les progrès
rapides que l'art dramatique fait depuis quelque temps ;
elle est intitulée. Gibraltar. C'est le nom d'un prétendu que
l'on mystifie , et que l'on force enfin à renoncer à la main
de la demoiselle qu'il veut épouser. Jusqu'ici rien de plus
commun , au nom près de M. Gibraltar , Mais nous avons
promis du neuf, en voici assurément : le premier acte est
une tragédie , le second un opéra , le troisième un méladrame
, le quatrième une comédie , et le cinquième un
vaudeville . La pièce a beaucoup de succès . Les connoisseurs
admirent sur- tout l'acte de la tragédie et celui du
mélodrame.
--
On annonce toujours au théâtre de l'Opéra-Comique
les débuts de mademoiselle Esther Severin , et la continuation
de ceux de M. Desperamons.
JANVI E R.. 1806.
79
Un savant italien, M. J.F. Galecini- Napione, membre
de l'Académie Impériale de Turin , a publié depuis peu
une dissertation italienne sur la patrie de Christophe
Colomb. Le résultat de ses recherches est que ce célèbre
navigateur étoit né , non à Gênes , comme on le croit
communément , mais dans un petit endroit de la province
Ligurienne, dont Gênes étoit la capitale , sans que l'on
sache positivement le nom de cet endroit ; qu'il étoit › originaire
du Montferrat ; que ses parens étoient de Cuccaro,
petite ville ou château de cette province du Piémont , et
que par conséquent le Montferrat est la véritable patrio
de ce grand homme , quoiqu'il eût reçu le jour dans une
autre partie de l'Italie ; de même que Florence est regar
dée comme la patrie de Pétrarque , quoiqu'il fût réellement
né à Arezzo ; et de Boccace , qui cependant vint au monde
à Paris. M
3
M. Giuseppe Franchi- Pont , membre de la même
Académie , a fait imprimer , dans les mémoires de cette
société savante une dissertation en italien sur deux trèsbeaux
torses cuirassés , restes de deux statues colossales
en marbre , trouvés , en 1801 et 1802 , dans la démolition
des murs de la ville de Suze , et depuis envoyés au
Muséum Français . M. Franchi -Pont décrit et explique les
bas-reliefs gravés sur les deux cuirasses ; détermine l'épobasreliefs
graves sra
que et examine le travail des deux statues auxquelles ces
torses ont appartenu , et conclut qu'elles ornoient l'arc de
Suze , qui fut élevé à Auguste par Marcus Julius Cotius ,
lorsque cet empereur étoit dans les Gaules , accompagné
de Caius , fils d'Agrippa. It conjecture enfin que l'un de
ces torses appartenoit à la statue d'Agrippa , et l'autre à la
statue de Cotius lui - même qui commandoit dans ces
contrées , qu'il avoit beaucoup aidé Agrippa à réduire sous
l'obéissance romaine.
..
?
Quoique les deux lettres suivantes n'aient point par
elles -mêmes un grand intérêt , la célébrité de celui qui les
84 MERCURE DE FRANCE ,
f
a écrites nous a paru uné raison suffisante pour les faire
connoître. 5 .
Lettre adressée à Mad. de Vouldy, Dame et Chanoinesse
de Poulangis. ( Voltaire écrit à son médecin . )
} 1.9
e « Je vous suis très-obligé , Monsieur , de votre recette ,.
» et encore plus du plaisir que m'a fait votre visite . Votre
» société mé paroît aussi desirable que vos consultations .
» Heureux les malades qui vous ont pour médecin , et les,
"
gens bien sains qui vous ont pour ami ! Madame la
» marquise du Châtelet aime trop l'esprit , le savoir et
» le mérite pour ne pas souhaiter de vous voir , vous et
>> monsieur votre frère. Elle ne songe à avoir des appar-
» temens commodes dans son château , que pour y attirer ,
» des personnes comme vous. Je partage ses sentimens ,
>> et j'y joins celui de la reconnoissance. Je fais mille com-
» plimens à monsieur votre frère. Les gens de lettres qui
» aiment la vertu et la liberté de penser , sont amis ayant
» de s'être vus .
}
>> Je suis bien véritablement , Monsieur , votre , etc.
? » A Cirey , ce 27 d'Août , 1735. » "
Lettre inédite de Voltaire au président Bouhier , écrite
1
en 1739.
« Tibi gratias ago quamplurimas , vir doctissime et
» optime , de tuo quem mihi promittis Petronio. Jam in
» te miratus sum , priscorum , qui li priscorum , qui litteras restituerunt
» et bonas artes , Senatorum Budæorum et Thuanorum
» elegantem , et peritissimum æmulatorem scientia
» pené oblito restitutorem , et ætatis tuce ornamentum .
» Nunc iter ad Belgas facio et cras proficiscor , cum
» illustrissima muliere , quæ latine linguæ perita , nunc
» ad græcas litteras avidum doctrinæ animum applicare
» inchoat , et quæ Geometric et Physicæ potissimum
» addicta , Eloquentiæ et Poescos lepores non dedigna-
» tur, quæque acutojudicio et summa cum voluptate Virgilium
JANVIER 1806.
DEPI
1
» gilium , Miltonum et Tassum perlegit , Ciceronem et
» Adissonum.
» Si alicujus libri opus tibi est qui in his tantum pro-
» vinciis ad quas pergo reperiundus sit , jubere potes
» et mandata tua exequar. Te veneror et tuus
» velim. » VOLTAIRE.
Pridie noñas , à Cirey, en Champagne .
« Mais si vous aviez quelques ordres à donner , quelques
» commissions pour la Hollande , mon adresse sera à
» Bruxelles , sous le couvert de madame la marquise du
» Chastelet , qui vous estime beaucoup . »
Le Pétrone dont parle Voltaire , est le Recueil de tra
ductions en vers français, contenant le Poëme de Pétrone,
deux Epitres d'Ovidde et le Pervigilium Veneris ; avec des
Remarques par le président Boulier, de l'Académie française.
Paris , 138 , in - 12 .
Extrait d'une lettre d'un Officier supérieur de la
Grande - Armée.
3 Frimaire an XIV .
En passant à Vienne , je me suis empressé
» d'aller voir le mausolée de la princesse Christine , par
» Canova. Il y avoit quinze jours qu'il étoit posé , quand
>>> nous sommes entrés dans cette ville.
» J'ai admiré ce chef- d'oeuvre ; j'ai trouvé qu'il étoit
» mille fois au - dessus de l'immense réputation de Canova.
» Non , je n'ai jamais va de morceau d'ensemble , en
n sculpture , qui offrit une composition si noble , si impo-
» sante , si religieuse . Une idée heureuse ajoute un grand
mérite à cette composition ; c'est d'avoir mis au milieu
» du monument une porte ouverte qui laisse voir un fond
» très-noir : il semble que le séjour de la mort est là ,
» derrière…….. Une jeune fille entre dans le tombeau pour
» y déposer l'urne qui contient les cendres. De jeunes en-
F
$2 MERCURE DE FRANCE ,
>> fans l'accompagnent , et tiennent les bouts de sa guirlande
et des flambeaux . Un vieillard la suit , et s'appuie
» sur un bâton et sur le bras d'une jeune fille qui tient
>> aussi une guirlande dont deux autres enfans tiennent
» les bouts. Ils viennent déposer ces fleurs sur la tombe.
» De l'au're côté une figure de Génie admirable , est cou-
» chée sur un lion endormi , et représente le Repos ...
>>
Note du Rédacteur. Ce monument élevé à la mémoire
de l'archiduchesse Christine , tante de l'empereur actuel ,
et qui fait aujourd'hui l'ornement d'une des principales
églises de Vienne , n'a point été exécuté dans cette capitale
, comme l'ont imprimé quelques journalistes , mais a
Rome , où nous l'avons vu dans l'atelier même de Canova .
C'est un des plus grands monumens de la statuaire ; mais
nous sommes loin de penser qu'il n'y ait pas en sculpture
de composition aussi noble , aussi imposante , aussi religieuse.
Le mausolée élevé au pape Rezzonico , par Canova.
lui-même , et qui est un des plus beaux ornemens de
Saint - Pierre de Rome , nous paroît supérieur sous ces
trois rapports. La composition du tombeau de l'archiduchesse
Christine , comme on peut le voir même par ce
qu'en dit l'auteur de la lettre , manque de simplicité et
de clarté. L'unité , ce principe du beau dans tous les arts ,
n'y est pas à la vérité violée , parce qu'elle ne l'est point
dans une procession . Cette espèce d'upité , si l'on peut
s'exprimer ainsi , devroit être réservée pour les bas- reliefs .
L'exécution est admirable , le marbre est travaillé avec
cette perfection qui est un des caractères les plus frappans
du talent de ce grand artiste. L'expression est un peu
maniérée. La figure du vieillard est sur-tout remarquable
par ce défaut , que Canova aura toujours beaucoup de
peine à éviter dans les compositions sévères , parce que
son génie l'appelle aux compositions gracieuses. Le ciseau
des modernes n'a peut- être rien produit, en ce genre , qui
approche de son Hébé , et du groupe de l'Amour et Psyché,
qui appartiennent à S. M. l'Impératrice.
JANVIER 1806. 83
y
MODES du 4 janvier. On voit au spectacle beaucoup de
chapeaux noirs en velours épinglé ou uni , avec des plumes
rose très-courtes , ou en velours blanc , façonné , avec des
passe-poils rose , et autour du fond , des flammes rose. Les
robes à l'espagnole ont le dos lacé ou boutonné ; on en voit
à fond puce , chiné en or. Les manches se font par raies ,
l'une d'étoffe , l'autre de satin blanc elles sont toujours
bouffantes et courtes. Les gants , comme de coutume , n'atteignent
pas le coude , et , par conséquent , laissent entre
le bout de manche , un intervalle de chair. Les turbans ,
assez nombreux dans les derniers cercles , à l'Opéra surtout
, étoient moitié velours amarante , orange , capucine
foncé ; moitié étoffe fond blanc , brochée ou brodée en
argent ou en or. Ils ne laissoient voir que peu de cheveux ,
les uns sur le front , en anneaux , les autres au-dessous des
tempes , en façon de nageoires. L'étoffe brodée qu'un
coiffeur emploie en turban , est ordinairement un fichu ;
dans ce cas, il a soin de disposer ses plis , de manière à
'cacher le moins possible du fond brodé. On porte en diadème
de fleurs , du mirte très- peu fleuri . Dans les réseaux
de fleurs, pour la grande parure , les fleurs sont petites et
peu voyantes. Une des plus jolies toilettes de cercle, est une
robe de satin hortensia , le chapeau pareil , très-petit, avec
une plume large et longue , qui en couvre presque tout
le devant : bas blancs , souliers hortensia. Pour la ville
on fait faire des capotes en velours ; quelquefois vert , mais
plus communément amarante , dont la doublure blanche
en satin , forme rebord trois fois plissé , ou liseret triple ,
´et qui , de plus , ont autour de la pièce ronde , qui forme
de fond , un liseret blanc. Les palatines de cygne se font
encore plus larges que de coutume , ainsi que celles de
renard doré, peu communes , parce qu'elles sont d'un prix
excessif. Pour accompagner, un peigne à vignette , il y a
des colliers en guirlande de vigné , et des boucles d'oreilles,
en grappe. Lorsque , sur le peigne, au lieu de feuillage , ce
ne sont que des raisins , le collier porte , sur une même
ligne , une vingtaine de grappes détachées , et , à chaque
oreille , pend un raisin. Outre les peignes en corne d'abondance
, le premier janvier a vu naître les peignes en feuille
de vigne, et les peignes en lyre. La lyre a , comme la feuille,
une direction horizontale.
Un jeune homme , fût- il simple commis marchand
n'oseroit aujourd'hui mettre une cravatte rouge à fleure
jaunes, mais un foulard de cette espèce, sortant de la pochs
❤
F 2
84 MERCURE DE FRANCE,
i
en travers, d'un homme bien mis , ne gâte rien à sa toi
lette. Les chapeaux de bal , sont les chapeaux claques ; on
les porte très-grands , si grands qu'ils ne sont de mise
nulle part ailleurs ; et telle est la raison pour laquelle les
petits-maîtres y tiennent : il y a tant de plaisir , dans le
jeune âge , à narguer par des emplettes de fantaisie , celui
qui n'a qu'une somme modique à dépenser en vêtemens !
Les montres nouvelles n'ont plus , pour indiquer les
heures , qu'un très-petit cadran. Le reste de l'espace est
occupé par deux figures debout , qui servent comme de
support à une espèce de dôme qui couronne le cadran.
Ces figures , et les ornemens sont en or.
Deux pendules se disputent le suffrage des amateurs.
L'une, car depuis long-temps le cadran n'est devenu
qu'accessoire , l'une a pour sujet , l'Innocence ; l'autre ,
tes Soins Maternels. Dans la première , une jenne fille à
genoux , soulève un gros chou , sous lequel elle aperçoit
un enfant nouveau-né. Dans la seconde , une jeune mère
a ses soins partagés entre un nourrisson et un enfant agenouillé
, à qui elle fait réciter sa prière. Ces sujets , bien
ciselés , bien finis , sont en bronze doré.
Quelque nombreux que soient les becs de quinquets ,
une boutique n'est pas éclairée comme la mode le prescrit,
si , en dekors , il n'y a sur les pilastres , plusieurs demibocaux
lumineux .
Un étalage n'est pas fait dans le dernier goût , si les
étoffes roulées, ne sont encore tordues. Par un des coins ,
on fixe au plancher ces précieux torchons , qui , croisés par
d'autres , forment des grillages serrés et semblent afficher ,
outre l'embarras des belles choses , le desir de les céder
vil prix.
Du 9 janvier . Les spencers sont réputés d'un meilleur
genre que les redingottes. Il faut , avec un spencer , une
culotte neuve et des bas blancs , tandis qu'avec la redin
gotte à rotonde boutonnée , on peut, outre la vieille culotte ,
mettre un mauvais gilet et de gros linge. Jamais , peutêtre
, on ne fit pour le linge d'aussi folles dépenses que
maintenant. Les chemises d'un petit-maître ne sont pas
moins fines que sa cravatte .
Il a été acheté par les dames , pour cadeaux d'étrennes
beaucoup de gilets brodés , rayés , cannelés. Le drap qui
s'emploie en habits de la dernière mode , est d'un vertfoncé
, qui cependant diffère du vert-bouteille. La gance
d'un chapeau habillé , d'un chapeau français , est d'acier ;
JANVIER 1806. 85
mais la gance d'un claque , est une gance noire , façonn .
Les dames font faire leurs chapeaux parés un peu plus
grands qu'à l'ordinaire. Il y a de ces chapeaux qui , sur le
devant , portent une trentaine de petites plumes follettes ,
formant touffe. Ces plumes sont blanches sur toutes les
couleurs de chapeaux . Le jais blanc , en guirlande förmant
le diadême , est de mode pour les coiffures en cheveux.
On brode aussi des fonds de toques en jais , même des
rebords de toques. Toutes les coiffures en cheveux forment
peu de volume . Par derrière, la tête , malgré les nattes , doit
presque conserver sa rondeur. Au lieu de diadême de jais ,
c'est quelquefois un diadême de fleurs , ou un bandeau de
pierres gravées.
Le
pampre
n'est pas le seul
attribut
de Bacchus
dont
se
soient
emparé
les joailliers
. Il y a des bandeaux
de feuilles
de lierre
, or émaillé
ou mat , entremêlées
de pierres
gravées
.
Les
capotes
de toutes
les couleurs
possibles
sont
doublées
de blanc
. La
mode
des
capotes
de velour
amarante
se soutient
. On voit
à quelques
capotes
de couleur
un rebord
de
cygne
.
Une autre nouveauté bien marquante , est un fichu de
velours noir , bordé de cygne.
Les douillettes habillées , en satin , en velours , ornées
d'une écharpe , ne se quittent ni dans une loge de spectacle
, ni dans un cercle. ( 1 )
( 1 ) A dater de ce jour , nous donnerons exactement les modes .
ANNONCES.
Le plus utile des Présens , ou le Directeur des Estomaes ; instruction
sur les alimens de cet espèce , dont chacun , selon son âge,
et son tempérament , peut se permettre ou doit s'interdire l'usage
d'après l'avis des plus célèbres médecins , tels que Boerhaave , Chomel
, Geoffroy , l'Emery , etc. etc. , avec cette épigraphe : . Fortuna
salutis monstrat iter. » VIRG. Nouvelle édition . Prix : 1. fr.
50 c. broch. ; et relié en marroquin doré sur tranche , avec crayon et
cartes pour l'inscription du menu de chaque jour , 5 fr . , et 6 fr.
par la poste.
A Paris , chez l'Editeur , rue Neuve Saint- Augustin , nº . 37
vis-à-vis l'hôtel de Richelieu .
Des bonbons , des chansons , telles sont les étrennes que l'on donne
ordinairement aux jeunes gens de douze à quinze ans ; passé cet âge ,
le présent le plus convenable à offrir aux personnes à la santé desquelles
on s'intéresse , est sans contredit le Veni mecum que nous
annonçons ; la commodité du format ajoute encore à l'utilité de
l'ouvrage.
น
-
3.
86
MERCURE DE FRANCE ,
Cinquième livraison du Cornelius Nepos francais , ou Notices
hi toriques sur les généraux qui se sont illustrés dans la gue re , suivi
de traits de travoure. Par A. Chateauneuf. Prix du vol .: 1 fr. 50 c.
et 2 fr . par la poste . Les cinq livraisons se vendent 7 fr . 50 c. , . et 9 fr ,
par la poste.
A Paris , rue Neuve - des - Bons-Enfans. , nº . 5. Le vol . que nous annonçons
content des notices historiques sur les généraux Massena ,
Desfourneaux , Joubert , Beaupui et Oudinot..
Le bon Jardinier , Almanach pur l'année 186 ; contenant des
préceptes généraux de culture , l'indication , mois par mois , des
travaux à faire dans les jardins ; la description , l'histoire et la culture
des plantes potagères , utiles cu propres aux fourrages ; des arbres
fruitiers de toute espèce , avec la manière de les bien conduire , et
l'indication des meilleurs fruits ; des oignons et plantes à fleurs et
d'ornement , même les plus rares ; et des arbres , arbrisseaux et arbustes .
utiles ou d'agrément ; suivis d'une table très-complète de tous les noms
de chaque plante , et précédés d'un vocabulaire explicatif des termes
de jardinage ou de botanique , ayant besoin d'interprétation . Dédié et
présenté à S. M. l'Impératrice Reine. Par M. Delaunay . Un vol . petit
in- 12 , de plus de 800 pages. Prix : 5 fr. broché , 6 fr . relé , et 6 fr. 50 c.
par la poste .
A Paris , chez Onfroy , libraire , rue Saint-Victor, nº 22 ; et au 1º
avril , rue Saint -Jacques , uº 51 , près celle des Noyers.
e
er
Les Trésors de l'Histoire et de la Morale , extraits des meilleurs
auteurs grecs , latins et français , p ur l'éducation . Nouvelle édition ,
revue et augmentée ; orne de soixante figures en taille - doucé. Par A.
L. de Laroche . Un vol . in- 12.1 Prix : 2 fr . , et 2 fr. 75 c. par la
poste.
·
A Paris , chez le Prieur ' , libraire , rue des Noyers , n . 45.
Elémens de Physique - expérimentale , de Chimie et de
Minéralogie , suivis d'un abrégé d'Astronomie à l'usage des lycées ,
écoles centrales , et les secondaires et pensionnats ; par P. Ja otot
proviseur du lycée et professeur d'Astronomie à Dijon , membre de
l'académie de cette ville , et de plusieurs autres sociétés littéraire ,
Seconde édition , totalement refondue , et augmentée de plus d'un
tiers. Deux vol. in-8 ° , en caractère petit- romain neuf , et 1 vol.
in-4° de planches , gravées par Tardieu . Prix , broche : 15 fr. ,
et 18 fr. par la poste .
A Paris , chez Crapart , Caille et Ravier , libraires , rue Pavée
Saint-André- des- Arcs .
L'Investigateur des Chances , Répertoire unique de nouveaux
résultats et d'observations importantes , pour obtenir souvent des
Buccès aux loteries impériales . Par J. F. Gardon , rédacteur du Guide
Théorique-Aléatoire faisant suite au Journal de l'Observateur de la
roue de fortune ; avec cette épigraphe :
Caca regens filo vestigia.....
Lib. VI. Eneid. Virgil.
Prix :: 2 fr. , et 2 fr. 25 c. par la poste.
A Paris , chez l'Auteur , rue de l'Université , n . 21.
Ces différens ouvrages se trouvent aussi chez LE NORMANT , rue
des Pretres Saint- Germain-l'Auxerrois , nº. 17.
JANVIER 1806 .. 87
NOUVELLES
- -
POLITIQUES.
Vienne , 29 décembre. On a publié , aujourd'hui ,
les deux proclamations suivantes. Celle qui est adressée aux
habitans de notre ville a produit sur nous tous un effet qu'il
est impossible de décrire.
« Soldats ,
Proclamation.
-
» La paix entre moi et l'empereur d'Autriche est signée.
» Vous avez dans cette arrière saison fait deux
campa-
» gnes ; vous avez rempli tout ce que j'attendois de vous.
» Je vais partir pour me rendre dans ma capitale . J'ai
» accordé de l'avancement et des récompenses à ceux qui
» se sont le plus distingués : je vous tiendrai tout ce que
» je vous ai promis. Vous avez vu votre Empereur partager
» avec vous vos périls et vos fatigues ; je veux aussi que
vous veniez le voir entouré de la grandeur et de la
» splendeur qui appartiennent au souverain du premier
» peuple de l'univers. Je donnerai une grande fête aux
» premiers jours de mai à Paris ; vous y serez tous , et
» après nous irons où nous appelleront le bonheur de
» notre patrie et les intérêts de notre gloire.
» Soldats , pendant ces trois mois qui vous seront něné-
» cessaires pour retourner en France , soyez le modèle
» de toutes les armées : ce ne sont plus des preuves de cou-
» rage et d'intrépidité que vous êtes appelés à donner ,
» mais d'une sévère discipline. Que mes alliés n'aient pas
>> se plaindre de votre passage ; et en arrivant sur ce ter-
>> ritoire sacré , comportez -vous comme des enfans au
>> milieu de leur famille mon peuple se comportera
>> avec vous comme il le doit envers ses héros et ses dé-
>> fenseurs.
» Soldats , l'idée que je vous verrai tous avant six mois
>> rangés autour de mon palais , sourit à mon coeur , et
» j'éprouve d'avance les plus tendres émotions : nous célé-
» brerons la mémoire de ceux qui , dans ces deux campa-
» gnes , sont morts au champ d'honneur , et le monde
>> nous verra tous prêts à imiter leur exemple, et à faire
» encore plus que nous n'avons fait , s'il le faut , contre
» ceux qui voudroient attaquer notre honneur , on qui se
88 MERCURE DE FRANCE ,
» laisseroient séduire par l'or corrupteur des éternels en-
» nemis du continent.
» Schoenbrunn , le 6 nivose an 14.
Proclamation.
>> NAPOLÉON . »
« Habitans de la ville de Vienne
» J'ai signé la paix avec l'empereur d'Autriche. Prêt à
>> partir pour ma capitale , je veux que vous sachiez l'estime
>> que je vous porte , et le contentement que j'ai de
>> votre bonne conduite pendant le temps que vous avez été
» sous ma loi. Je vous ai donné un exemple inqui jusqu'à
» présent dans l'histoire des nations. Dix mille hommes de
» votre gårde naționale sont restés armés , ont gardé vos
» portes ; votre arsenal tout entier est demeuré en votre
pouvoir et pendant ce temps-là je courois les chances.
» les plus hasardeuses de la guerre. Je me suis confié en
» vos sentimens d'honneur , de bonne foi , de loyauté ;
» vous avez justifié ma confiance,
>> Habitans de Vienne , je sais que vous avez tous blâme
» la guerre que des ministres vendus à l'Angleterre ont
» suscitée sur le continent. Votre souverain est éclairé sur
» les menées de ces ministres corrompus ; il est livré tout
>> entier aux grandes qualités qui le distinguent , et désor-
» mais j'espère pour vous et pour le continent des jours
>> plus heureux.
» Habitans de Vienne , je me suis peu montré parmi
» vous , non par dédain ou par un vain orgueil , mais je
» n'ai pas voulu distraire en vous aucun des sentimens que
» vous deviez au prince avec qui j'étois dans l'intention de
» faire une prompte paix. En vous quittant , recevez ,
>> comme un présent qui vous prouve mon estime , votre
» arsenal intact , que les lois de la guerre ont rendu ma
» propriété servez -vous-en toujours pour le maintien
» de l'ordre. Tous les maux que vous avez soufferts ,
>> attribuez-les aux malheurs inséparables de la guerre; et-
» tous les ménagemens que mon armée a apportés dans
» vos contrées , vous les devez à l'estime que vous avez
» méritée. 1
» Schoenbrunn , le 6 nivose an 14.
er
» Signé NAPOLÉON. »
Stuttgard, 1 janvier. Le premier jour de la nouvelle
année a été pour tout notre pays un jour à jamais mémorable.
Ce matin , M. le général de division Lemarrois
JANVIER 1806. 89
aide-de-camp de l'Empereur Napoléon, porteur d'une lettre
de S. M. pour notre souverrain , est arrivé à Stuttgard.
Il est descendu au château , et s'étant rendu sur-le- champ
auprès de notre électeur , il lui a annoncé la conclusion
de la paix entre la France et l'Autriche. A midi , un
bulletin officiel a donné au public connoissance de cette
grande et heureuse nouvelle. Nous y avons lu avec la plus
vive joie , que par cette paix , S. A. S. l'électeur de Wurtemberg
est confirmé dans la dignité royale , et reconnu roi
de Souabe et de Wurtemberg. Le bulletin se termine
par ces mots : Dieu bénisse le roi.
Francfort , 2 janvier. -Parmi les acquisitions que
l'on croit généralement qui sont échues à l'électeur désigné
roi de Bavière, outre la partie septentrionale du Tyrol, les
villes impériales d'Augsbourg , Ratisbonne , Nuremberg,
les évêchés d'Eichtett et de Passau , les possessions de l'ordre
Equestre et de l'ordre Teutonique situées en Franconie
et en Souabe, on assure que seront aussi comprises les principautés
prussiennes d'Anspach et de Bayreuth , et que le
roi de Prusse recevra en échange les villes anséatiques de
Hambourg , Lubeck , Brême , etc.
Nous apprenons aussi de Munich deux nouvelles trèsimportantes
; savoir l'élévation de l'électeur de Bavière
à la dignité du roi et le mariage prochain de la princesse
Augusta , fille aînée de l'électeur , issue de son mariage
du premier lit avec la princesse de Hesse -Darmstadt , avec
S. A. le prince Eugène , vice-roi d'Italie . Voici , sur ce
dernier événement quelques particularités que nous rapportons
d'après diverses lettres de Munich. Il paroît , y
dit-on , que ce mariage avoit été arrêté assez long-temps
avan ' qu'il en eût rien transpiré dans le public. La demande .
solennelle n'a eu lieu que le 27 décembre , pour les formalités
d'usage. S. M. l'empereur Napoléon envoya , à cet
effet , à Munich le général Duroc , grand maréchal du
palais , pour demander le consentement de l'électeur de
Bavière , que S. A. donna sur-le-champ. Le maréchal
Duroc en fit part aussi-tôt à S. M. l'Impératrice , qui
embrassa la princesse , et l'électeur son père , et leur témoigna
la satisfaction que lui faisoit éprouver cette union
entre l'aimable princesse et son fils. Le maréchal Duroc
envoya sur-le-champ un courier à l'Empereur , pour l'informer
du résultat de sa mission. On dit aussi que l'Impératrice
a déclaré à l'électeur , que ce mariage auroit
99
MERCURE DE FRANCE ,
sous les rapports politiques, les suites les plus avantageuses
pour la France , l'Italie et la Bavière.
Outre la ville impériale d'Ausgbourg et le comté deBurgau ,
les troupes bavaroises se sont aussi mises en possession ,
depuis huit jours , du comté de Koenigseck-Rotenfels , de
la ville d'Isny et de son territoire , de la ville de Lindau
et de son territoire , et de plusieurs autres districts sur les
bords orientaux du lac de Constance. Toutes ces possessions
appartenoient à l'Autriche.
RÉPUBLIQUE BATAVE.
Oldenzel , 23 décembre.
Les choses ont pris tout-à-coup une face nouvelle
autour de nous. Les troupes françaises qu s'étoient rassemblées
en très-grandes forces sur nos frontières , ont reçu
l'ordre subit de se replier vers l'intérieur de la Hollande.
Il n'est resté que 70 hommes à Otmarsum. Ce changement
a fait la plus vive et la plus agréable impression
sur tous les esprits. Rien ne prouve mieux que
sommes à l'abri de toute attaque étrangère.
On lit aujourd'hui ce qui suit dans la gazette ( hessoise )
de Hanau :
nous
Nous savons maintenant avec certitude les trou-
, que
pes prussiennes et hessoises sous les ordres de notre sérénissime
électeur , qui s'étoient avancées jusqu'à Alsfeld
et Fuld , ont pris des quartiers d'hiver dans ces pays , en
conséquence des négociations de paix qui ont lieu. Les
avant-postes sont dans la principauté de Hanau , et s'étendent
jusqu'à Brakenau , Tann et Geysa. >>
PARIS.
La paix a été signée à Presbourg , capitale de la
Hongrie , le 6 nivose ( 27 décembre ) , à quatre heures du
matin , entre M. de Talleyrand et MM. le prince de Lichtenstein
et de Giulay. ( Moniteur. )
- Une députation du tribunat s'est rendue le 5 janvier
à l'Hôtel-de -Ville pour y remettre les drapeaux donnés
par S. M. I. à sa bonne ville de Paris ,
Les maires députés par la ville de Paris sont de retour
avec les drapeaux qui leur ont été confiés par S. M.
l'Empereur et Roi , pour être suspendus aux voûtes de
Notre-Dame.
-S. A. I. le prince Joseph est parti avant-hier à huit
heures du soir , avec la plus grande partie de sa maison et
de nombreux équipages , pour aller au-devant de S. M.
'Empereur et Roi,
JANVIER 1806 .
90
➡S. M. l'Empereur et Roi , revenú de Schoenbrunn
par Lintz et Passau , est arrivé à Munich le 27 décembre ,
à une heure du matin. ( Moniteur. )
-C'est le 2 janvier que Maximilien-Joseph a été proclamé
roi de Bavière , à Munich . S. M. I. et R. étoit arrivée
le 31 décembre dans cette ville , où l'on croit que son
séjour se prolongera. On assure que le mariage dn prince
Eugène avec la princesse Augusta , aura lieu dans la même
ville , le 18 janvier.
-
La convocation du corps législatif que l'on avoit an→
noncée pour le 1er février , est différée.
L'escadre de S. M. , partie de l'île d'Aix le 28 messidor
dernier , sous les ordres du contre-amiral Allemand ,
est rentrée le 3 nivose , 161 ° jour depuis son départ , après.
avoir été constamment sous voiles pendant 148 jours. Elle
a pris à l'ennemi un vaisseau de guerre , 3 corvettes et 42
bâtimens marchands , faisant partie des convois de Sainte-
Hélène , des Antilles , Lisbonne , Opporto , et des côtes d'Afrique.
Elle a débarqué à son arrivée 1200 prisonniers. Le
contre-amiral Allemand annonce que l'escadre est en bon
état ; qu'elle a parfaitement navigué , et il se loue partículièrement
des capitaines , officiers , inarins et soldats sous
ses ordres. Il eût encore prolongé sa croisière si le grand
nombre de prisonniers qu'il avoit à bord n'eût abrégé la
durée de ses vivres. Indépendamment des bâtimens de
guerre dont il s'est emparé , et de ses dernières prises ,
dont on ne sait pas encore toute la valenr , on doit éva➡
luer à plus de 18,000,000 fr. les dommages qu'il a portés
au commerce de l'ennemi. Voici l'état des bâtimens com
posant l'escadre : le Majestueur , de 100 canons , contreamiral
Allemand , capitaine Willaumez ; le Magnanime ,
de 74 c. , capit. Violette ; le Jemmappes , de 74 c. , capit.
Petit ; le Suffren , de 74 c. , capit. Troude ; le Lion , de 74
c., capit. Soleil ; la Calcutta , de 56 c. , capit. Berard ; Amide
, de 40 c. , capit, Louvel ; la Gloire , de 40 c. , capit.
Bonami ; la Thétis , de 40 c. , capit. Pinsum ; le Sylphe
de 16 c. , capit, Langlois ; et le Palinure , de 16 c. , capi ,
Janu. (Journal officiel )
XXXVII Bulletin de la Grande- Armée .
Schoenbrunn , le 5 nivose ( 26 décembre 1805. )
Voici la position de l'armée aujourd'hui : Le maréchal
Bernadotte occupe la Bohême ; le maréchal Mortier , la
Moravie ; le maréchal Davoust occupe Presbourg , capitale
de la Hongrie ; le maréchal Soult occupe Vienne ; le
maréchal Ney occupe la Carinthic ; le général Marmont ,
92 MERCURE DE FRANCE ;
la Styrie ; le maréchal Massena , la Carniole ; le maréchal
Augereau reste en réserve en Souabe. Le maréchal Massena ,
avec l'armée d'Italie , est devenu 8°. corps de la Grande-
Armée.
Le prince Eugène a le commandement en chef de toutes
les troupes qui sont dans le pays de Venise et dans le
royaume d'Italie . Le général Saint- Cyr marche à grandes
journées sur Naples , pour punir la trahison de la reine ,
et précipiter du trône cette femme criminelle , qui , avec
tant d'impudeur , a violé tout ce qui est sacré parmi les
hommes. On a voulu intercéder pour elle auprès de l'Empereur;
il a répondu : « Les hostilités dussent- elles recommencer
et la nation soutenir une guerre de trente ans ,
une si atroce perfidie ne peut-être pardonnée. La reine de
Naples a cessé de régner ; ce dernier crime a rempli sa destinée
; qu'elle aille à Londres augmenter le nombre des
intrigans , et former an comité d'encre sympathique avec
Drake , Spencer Smith , Taylor , Wickam : elle pourra y
appeler , si elle le juge convenable , le baron d'Armfeld ,
MM. de Fersen , d'Antraigues et le moine Morus. »
*
M. de Talleyrand est à Presbourg , où l'on négocie. Les
plénipotentiaires de l'empereur d'Autriche sont le prince
Jean de Lichtenstein et le général Giulay. Le prince Charles
a demandé à voir l'Empereur. S. M. aura demain une
entrevue avec ce prince , à la maison de chasse de Stamersdorff,
à trois lieues de Vienne.
*
L'Empereur passe aujourd'hui la revue de la division.
Legrand, près Laxembourg. L'Empereur ne prend à Vienne
aucun divertissement. Il a reçu fort peu de personnes. Pendant
quelques jours le temps a été assez froid : la journée
d'aujourd'hui est fort belle.
L'Empereur a fait une grande quantité de promotions
dans l'armée et dans la Légion d'Honneur ; mais les grades.
qu'il a à sa disposition peuvent difficilement récompenser
tant de braves.
L'électeur de Wurtemberg a envoyé à l'Empereur le
grand cordon de l'Ordre de Wurtemberg , avec trois autres
qui ont été donnés au sénateur Harville , premier écuyer
de l'Impératrice , au maréchal Kellermann et au général
Marmont. L'Empereur a donné le grand cordon de la
Légion d'Honneur à l'électeur , au prince électoral et au
prince Paul , ses fils , et à ses frères les princes Eugène-
Frédéric - Henri et Guillaume - Frédéric - Philippe il a
connu ces deux derniers princes à son passage à LouisJANVIER
1806 ..
93
bourg , et a été bien aise de leur donner une preuve de
l'opinion qu'il a conçue de leur mérite.
Les électeurs de Bavière et de Wurtemberg vont prendre
le titre de Roi ; récompense qu'ils ont méritée par l'attachement
et l'amitié qu'ils ont montrés à l'Empereur dans
toutes ces circonstances.
L'empereur a témoigné son mécontentement qu'on eût
osé faire à Mayence une proclamation signée de son nom,
et qu'on a remplie de sottises. Elle est datée d'Olmutz , ou
l'Empereur n'a jamais été ; et ce qu'il y a de plus surprenant
, c'est qu'elle a été mise à l'ordre du jour de l'armée
de Mayence. Quel que soit l'individu qui en est l'auteur ,
il sera puni selon toute la rigueur des fois. Est-il un plus
grand crime , dans un état civilisé , que d'abuser du nom
du souverain?
L'empereur d'Autriche est toujours à Holitsch.
Un grand nombre de blessés sont guéris. L'armée est en
meilleur état qu'elle n'a jamais été. Le prince Murat rend
compte que sa cavalerie a presque doublé depuis la bataille
d'Austerlitz . Tous les chevaux qui par suite des marches
forcées étoient restés en route , sont rétablis et ont rejoint
léur corps. Plus de deux mille pièces de canon sont évacuées
de l'arsenal de Vienne sur la France. L'Empereur a
ordonné qu'il y auroit une salle au musée Napoléon destinée
à recevoir les choses curieuses qui ont été recueillies à
Vienne. Il a fait rendre à la Bavière les canons et les drapeaux
qui lui ont été pris en 1740. Les Bavarois faisoient
alors cause commune avec la France ; mais la France étoit
gouvernée par un prêtre pusillanime.
Les peuples d'Italie ont montré beaucoup d'énergie.
L'Empereur a dit plusieurs fois : « Pourquoi mes peuples
d'Italie ne paroitroient-ils pas avec gloire sur la scène du
Monde ? ils sont pleins d'esprits et de passions : dès-lors il
est facile de leur donner les qualités militaires. » Les canonniers
italiens de la garde royale se sont couverts de gloire
à la bataille d'Austerlitz , et ont mérité l'estime de tous
les vieux canonniers français. La garde royale a toujours
marché avec la garde impériale , et a été partout digne
d'elle.
Venise sera réunie au royaume d'Italie.
Les villes de Bologne et de Brescia sont toujours les pre
mières à se distinguer par leur énergie ; aussi l'Empereur ,
en recevant les adresses de ces villes , a -t-il dit : Je sais
les villes de Bologne et de Brescia sono miei di cuore.
que
94 MERCURE DE FRANCE,
L'Empereur a fort approuvé les dispositions du prince
Louis pour la défense de la Hollande ; la bonne position
qu'il a prise à Nimègue , et les mesures qu'il a proposées
pour garantir la frontière du Nord.
Sa Majesté Impériale et Royale vient de nommer
Grands-Cordons de la Légion d'Honneur :
MM. les généraux de division , Vandamme , Saint-Hilaire
, Friant , Legrand.
Grands-Officiers :
MM. les généraux de division , Belliard , Bisson , Caffa→
relli , Lery , Malher , Nansouty.
Commandans :
MM. Campana , général de brigade ; Mossel , général
de brigade d'artillerie ; Ruffin , général de brigade. MM.
Allain , Binot , Duhamel , Fontaine , Girard , Jarry ,
Lemarrois , Boerner , le Camus , Lomet , adjudans-commandans.
MM. Arrighi , Barbanègre , Barbier , Bardet , Barois
Bazancourt , Belfort, Bousson , Broc , Brun , Burthe , Carrié
, Caulaincourt , Cavaignac , Clément, Corbineau , Curial
Darricaud , Delorme , Demarçay , Desailly , Dijon , Doumere
, Edigoffen , Fiteau, Fouler , Guiton , Lafond- Blaniac ,
La Jonquière , Lataye , La Cour , La Martinière , Houdart-
Lamotte , Latrille , Lefebvre , Lhuillier , Marx , Maucune,
Maupetit , Meunier , Morel , Morin , Nicolas , Noriot ,
Pouget , Pouzet , Préval , Privé , Ravier , Rey, Reynaud ,
Rigau , Rouvillois , Saint-Raymond , Schobert , Schwartz,
Taupin , Tereyre , Valtère ; tous colonels de divers régimens
de toutes armes.
Officiers :
7
M. Cuny, colonel d'artillerie ; MM. Bigaret , Henriot ,
Nourri , majors dans divers régimens .
Girar-
MM . Bailli-Mention , Baltus , Borelly , Gault ,
din , Jacquemin , Maucomble , Pellegrin , tous chefs d'escadron.
MM. Blanc , Courtot , Duguay , Esnard , Fontenay,
Fruchard , Legros , Perrier , Polard , Regeau , Renard ,
Revest , Royer , Saint-Loup ; tous chefs de bataillon.
MM. Boeuf, Chassignac , Darcantel , Hulot , Ornano ,
Houdot , commandans de bataillon. MM. Barry , Gerin ,
Pigeau , capitaines. MM. Arcambal , commissaire-ordonnateur
; Fririon , Lambert , Mathieu Faviers , inspecteurs
aux revues ; Coste , premier médecin de l'armée
Tabarié , sous-inspecteur aux revues , chef de la seconde
division au ministère de la guerre.
JANVIER 1806 . 95
-S. M. a fait , au quartier-général de Schoenbrunn ,
de nombreuses promotions dans la Grande-Armée, Voici un
extrait des décrets impériaux relatifs à ces promotions :
Sont nommés généraux de division : Les généraux
de brigade Demont , Piston , Sébastiani , Lemarrois , Rapp',
Marchand , Rouyer , Buker , Dupas , Merle , Morand ,
Heudelet , Sahuc et Ordenner , commandant les grenadiers
à cheval de la garde.
Sont nommés généraux de brigade : Les colonels
Cochois , Yvendorff , Belfort , Conroux , Dufour , Legendre
, Raymond-Viviez , Bonnet-d'Houières , Le Drü ,
Ritay , Schramm , Vedel , Wathier , Pagez , Montbrun,
Colbert , Bessières, Durosnel , Latour-Maubourg , Franceschi
, Guyot , Beaumont , Poitevin , Kirgener , Casals et
Vallongue.
er
er
Sont nommés colonels de divers régimens : MM. Isanus
, aide-de-camp du prince Murat ; Decous , adjudantcommandant
; Michel , major du 40 de ligne ; Lemarrois ,
adjudant-commandant ; Baille , major du 51 ° de ligne ;
Silbermann , chef de bataillon ; Guyot , aide-de-camp du
maréchal Lannes ; Brayer , major du 9° de ligne ; Cabannes
, major du 28° d'infanterie légère ; le prince Borghese ,
chef d'escadron de la garde impériale ( il est nommé color
nel du 1º¹ régiment de carabiniers ) ; Chouard, chef d'escadron
; Dornez , major du 1º de cuirassiers ; Exelmans ,
aide-de-camp du prince Murat ; Borde-Soult , major
du 1er de chasseurs ; Laborde , aide-de-camp du général
Junot ; Barbenegre , aide-de-camp du maréchal Bessières ;
Dahlman , major ( il est nommé colonel-commandant en
second les chasseurs à cheval de la garde ) ; Bourbier , chef
d'escadron des chasseurs à cheval de la garde ; Beurman
idem ; Dalton , adjudant- commandant ; Chauvel , major
du 64 d'infanterie , Guyardet , major du 4 d'infanterie ;
Rabié , chef de bataillon au 55 d'infanterie ; Devillers ,
chef de bataillon au 10 d'infanterie légère..
·Sont nommés colonels du génie MM. Bizot-Coudret
, major du génie ; Dode , Garbi , Label , Blein et
Liedault, chefs de bataillon dans cette arme. MM. Geoffroy
et Micheau , chefs de bataillon du génie , sont nommés
majors dans cette arme. M. Pezzi , chef de bataillon du
génie ligurien, est nommé chef de bataillon du génie français.
Les capitaines du génie , Mayniel , Guardia , Valasi ,
Baraillon le jeune , Bernard , Le Jeune , Jovain , Sirmain-
Marie et Prost , sont nommés chefs de bataillon dans cette
arme.
96
MERCURE DE FRANCE ;
-Le capitaine Delaitre est nommé chef d'escadron
des Mamelucks de la garde. M. Lepie , major des grenadiers
à cheval de la garde , aura rang de major-colonel
de la garde. M. Chastel , major du 24° de dragons , est
nommé major en second des grenadiers de la garde.
Beaucoup d'autres sont nommés chefs d'escadron ou de
bataillon dans divers régimens.
SÉNAT CONSERVATEUR.
Dans la séance publique du mercredi 1er janvier 1806 ,
présidée par S. A. I. le prince Joseph , grand-électeur , le
sénat , après avoir procédé à la réception et à l'inauguration
des drapeaux ennemis , au nombre de 54 , apportés
ledit jour au sénat par le tribunat en corps , en vertu des
ordres de S. M. l'Empereur et Roi ; délibérant sur les propositions
qui ont été faites par plusieurs membres , relativement
aux moyens de consacrer le souvenir des événemens
glorieux qui ont rempli la campagne de deux mois ,
terminée par la bataille d'Austerlitz ; décrète ce qui suit
ART . Ier . Le sénat conservateur , au nom du peuple fran
çais , consacre un monument triomphal a Napoléon-le-
Grand.
II. Le sénat en corps ira au-devant de Sa Majesté Impériale
et Royale , et lui présentera l'hommage de l'admiration
, de la re onnoissance et de l'amour du peuple français
Le sénat , dans la même séance , délibérant sur la proposition
d'un de ses membres , relative aux moyens de témoi
.gner à S. M. l'Empereur et Roi la reconnoissance du sénat
, pour le gage précieux qu'il reçoit de la bienveillance
de Sa Majesté , dans les drapeaux dont il lui a fait don
décrete ce qui suit :
H
"
Art. Ier, La lettre de S. M. l'Empereur et Roi , datée
d'Elchingen , le 26 vendémiaire an 14 , et par laquelle
S. M. fait don'au sénat de 40 drapeaux conquis par son
armée , sera gravée sur des tables de marbre qui seront pla
cées dans la salle des séances du sénat .
II. A la suite de cette lettre , sera pareillement gravé ce
qui suit
Les 40 drapeaux , et 14 autres ajoutés aux premiers par
Sa Majesté , ont été apportés au sénat par le tribunat en
corps , et déposés dans cette salle le mercredi 1er janvier
1806.
•
I
( N° CCXXXV . ) Ice
( SAMEDI 18 JANVIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
ཏ .
PROSPECTUS
U MERCURE DE FRANCE POUR L'ANNÉE 1806.
Nous croyons devoir exposer au Public , au commencement
de cette année , les idées que nous avons conçues , et
que nous regardons comme propres à rendre la rédaction
de ce Journal plus parfaite et plus intéressante. Les entreprises
littéraires , comme toutes les autres , se perfectionnent
par le temps . Le zèle n'a jamais manqué aux amis des
Tettres entre les mains desquels se trouve aujourd'hui le
MERCURE DE FRANCE ; mais ils ne peuvent se dissimuler
que plusieurs parties de ce Journal ont , jusqu'à présent ,
laissé quelque chose à desirer : les unes étoient en effet susceptibles
de plus d'agrément et d'intérêt ; les autres , par
leur nature même , ne pouvoient pas recevoir un degré plus
éminent de perfection . Ainsi , modifier , changer , refondre
, ou même supprimer entièrement tout ce qu'on essayeroit
vainement de perfectionner ; rendre meilleur tout ce
qui peut le devenir , et mettre le mieux à la place du bien
partout où le mieux est possible , voilà ce que se proposent
les directeurs du MERCURE ; heureux si feurs efforts parviennent
à rendre plus digne de l'attention des personnes
qui aiment et qui cultivent les lettres , un Journal auquel elles
se sont toujours intéressées , qui remonte presqu'à la naissance
de notre littérature , et qui , après avoir disparu un
G
98
MERCURE DE FRANCE ,
moment dans le tourbillon révolutionnaire où les lettres
et les arts eux-mêmes furent engloutis , s'est remontré aussitôt
que des temps plus heureux ont permis de se livrer aux
plaisirs de l'esprit
et-
Ceux qui réfléchissent sur les progrès et les développemens
des diverses branches de la littérature , ont pu remarquer
que ce Journal a toujours acquis , depuis son origine
, de nouveaux degrés d'amélioration , et par conséquent
de nouveaux titres à l'estime des lecteurs . Depuis
cinquante ans sur-tout il est devenu en quelque sorte le patrimoine
des critiques les plus distingués , et des littérateurs
les plus illustres . La plupart des articles qui y furent insérés
sont de véritables ouvrages qui ont mérité d'échapper
à la destinée d'un Journal , et qu'on retrouve avec le plus
grand plaisir dans les collections des Euvres de Marmontel,
de Champfort , de La Harpe , etc. A sa renaissance , tous les
bons écrivains qui avoientpu se former pendantl'interruption ,
s'empressèrent d'enrichir de leurs critiques et de leurs observations
un Journal environné de souvenirs si heureux ,
plusieurs des littérateurs déjà connus dans divers genres , se
firent en même temps un plaisir et un devoir de contribuer
au succès d'une entreprise à laquelle les lettres françaises
semblent avoir attaché quelque portion de leur gloire : M. de
La Harpe avoit repris ses travaux dans le MERCURE , lorsqu'une
mort prématurée l'empêcha de concourir plus longtemps
à la célébrité d'un Journal auquel il avoit dû autrefois
une partie de la sienne ; et si des fonctions plus importantes
n'avoient momentanément séparé M. de Fontanes des
occupations littéraires , il continueroit encore aujourd'hui
de soutenir la réputation du MERCURE , et de perfectionner
dans ce recueil le genre de la critique , en répandant ,
comme il l'a fait avec tant de succès , plus de fleurs , d'ornemens
et de graces , que ses devanciers , sur la sévérité
des discussions propres à ce Journal.
C'est ici l'occasion d'observer ce que le style et la méthode
de la critique ont gagné depuis quelques années . La sécheresse
et l'aridité , qui paroissoient autrefois inséparables
de cette partie de la littérature , ont entièrement disparu .
On ne croit pas aujourd'hui que l'érudition , les connoissances
, la sûreté du jugement et du goût , qualités essentielles
et fondamentales du critique , le dispensent de savoir
bien écrire on veut qu'il s'exprime avec grace , en même
temps qu'il juge avec équité : on veut que les agrémens de
son style couvrent et dérobent l'austérité de ses analyses ; il
faut que par des idées accessoires développées à propos ,
:
JANVIER 1806.
99
:
[
par des rapprochemens , par des observations générales ,
par une diction sagement ornée , et quelquefois aussi par
des tours qui semblent appartenir à un genre plus élevé ,
il sache plaire au lecteur qu'il se propose d'éclairer , et
montrer du talent lui-même , en critiquant le talent des autres
. Voilà ce qu'on trouve aujourd'hui dans les Journaux
qui sont en possession de l'estime publique ; voilà , s'il nous
est permis de le dire , ce que présente le MERCURE DE
FRANCE qu'on jette un coup -d'oeil sur les anciennes collections
de ce Journal , on sera frappé de la différence qu'il
y a entre la manière dont il fut rédigé pendant la plus
grande partie du dix-huitième siècle , et la méthode qu'on
a adoptée dans ces derniers temps : des extraits courts et
secs écrits sans aucun goût , des jugemens à peine motivés
, de légères notices en style lourd , nulle vue , nul
aperçu , nulle application des grands principes de l'art ;
enfin peu d'instruction et beaucoup d'ennui , telle est la
peinture fidelle du MERCURE , tel qu'il étoit autrefois . Aujourd'hui
les gens de lettres qui remplissent dans ce Journal
les pénibles fonctions de critiques , ont cru devoir
répandre dans leurs dissertations plus d'agrément et de variété
, plus d'aperçus divers , plus d'idées et de graces : suivant
la nature des ouvrages qui sont soumis à leur examen ,
leur style s'élève ou s'égaie ; leurs extraits ne sont point de
froides analyses : ils développent leurs divers jugemens ; ils
motivent tout ce qu'ils avancent ; ils ne se contentent pas de
faire connoitre d'une manière générale le livre dont ils ont
à parler ; ils entrent dans les plus grands détails , et souvent
les idées de l'auteur qu'ils jugent , leur fournissent l'occasion
d'exposer des vues et des idées qu'en d'autres temps
on eût cru devoir réserver pour des ouvrages d'un genre
supérieur à celui des articles de Journaux. Enfin , et l'on
ne fait que rappeler ici ce dont les amateurs de la littérature
se souviennent très-bien , il a paru dans le MERCURE , depuis
quelques années , plus d'un morceau qui peut être
regardé , non- seulement comme un modèle de critique ,
mais comme un modèle de style et d'élégance .
Plusieurs circonstances ont pu influer sur ces développemens
heureux et nouveaux , que la critique a reçus dans
les divers Journaux , et particulièrement dans le MERCURE,
depuis sa renaissance ; mais les méditations auxquelles ont
donné lieu quinze années d'une révolution si extraordinaire ,
1 paroissent avoir le plus puissamment concouru à cette espèce
de progrès : il n'y a guères d'ouvrages qui n'appartiennent
plus ou moins , soit aux doctrines funestes qui ont affligé
20
G 2
100 MERCURE DE FRANCE ,
*
""
!
la France de tant de maux , soit aux principes salutaires
par lesquels on les a réparés ; la critique littéraire a donc
souvent trouvé l'occasion d'approfondir les maximes les plus
importantes de la morale et de la politique : les discussions
les plus intéressantes , les plus étroitement liées à la grande
cause de la félicité générale , sont venues naturellement se
placer sous la plume des écrivains périodiques : ils ont pu
traiter des questions sur lesquelles une fatale expérience
avoit répandu tant de lumière , opposer la justesse du raisonnement
à la subtilité du sophisme , présenter des vues
utiles , affermir les bonnes doctrines en combattant les mauvaises
, et balancer par la sagesse de leurs écrits , et par la
maturité des méditations du cabinet , la funeste turbulence
de ces déclamations insensées et furieuses dont la France
avoit retenti pendant si long-temps ; ils ont pu rappeler
même à un nouvel examen ces ouvrages composés à une
époque antérieure , et qu'on doit regarder comme les sources
empoisonnées où les factieux et les novateurs de tout genre
avoient puisé leurs coupables erreurs .
Lorsque le MERCURE reparut , il y a cinq ans , les changemens
salutaires qui venoieut d'être opérés dans l'état , à
cette époque , produisirent un changement dans la rédaction
de ce Journal : la partie littéraire avoit été jusque-là soumise
à l'iufluence philosophique ; mais le nouveau MERCURE
répara abondamment les torts de l'ancien . Un de nos
premiers littérateurs commença , dès les premiers jours de
la renaissance de ce Journal , par y combattre avec autant
de politesse de style que de solidité de raison ce système
de la perfectibilité également désavoué par le goût et par
la saine politique, et qu'on pouvoit bien regarder comme une
apologie déguisée de cette révolution qui auroit fait rétrograder
l'espèce humaine , au lieu de lui ouvrir de nouvelles
voies de perfection et de bonhenr , si une main puissante
. n'en avoit arrêté le cours . Depuis on a toujours vu le MERCURE
consacré aux bonnes doctrines : il n'y a peut-être pas
un point intéressant de politique , de morale , de religion ,
qui n'ait été discuté , approfondi , développé dans ce Journal
: les saines maximes y ont été présentées sous toutes
les formes ; les sophismes philosophiques attaqués de
toutes les manières ; l'ancienne littérature , comme la nouvelle
, les ouvrages qui sont en possession de la renommée ,
comme ceux qui y prétendent , ont été examinés , jugés avec
sévérité , mais avec justice : les écrits des philosophes ont
été analysés , appréciés , réduits à leur valeur dans ce
même Journal dont ils s'étoient emparés depuis si long-
(
JANVIER 1806. 101
temps , et qu'ils regardoient comme un des plus utiles instrumens
de leur réputation , et comme un des moyens les
plus sûrs pour la propagation de leurs principes et de leurs
systèmes .
:
Les circonstances ont donc conduit les rédacteurs du
MERCURE à revenir sur beaucoup d'ouvrages dont le rang
et la destinée paroissoient fixés sans retour , et cette méthode
par laquelle la critique , qui ne connoît pas de prescription
, soumet à son examen les livres dont la réputation
est faite depuis long-temps , est une des meilleures innovations
qui se soient introduites dans les Journaux les
livres les plus anciens sont très -nouveaux pour beaucoup
de personnes ; ceux qui les ont lus , et qu'ils ont pu intéresser
sous divers rapports , ne doivent pas être fâchés qu'on
les entretienne avec soin et réflexion de ce qu'ils savent ;
ceux qui ne les ont pas lus peuvent les considérer comme
des ouvrages qui viennent de paroître ; et ces livres , dont
quelquefois ils ne connoissent pas même le noin , doivent
avoir pour eux tout l'attrait de là nouveauté . Autrefois , une
édition d'un ouvrage ancien étoit annoncée comme une
simple nouvelle littéraire , et l'annonce étoit tout au plus
accompagnée d'une courte notice ; aujourd'hui on traite un
ouvrage ancien , comme s'il étoit nouveau : on le discute ,
on l'examine ; on fait la revue de ses titres , pour confirmer
sa réputation , s'il la mérite , et pour le dépouiller d'une
gloire usurpée , s'il n'est pas digne du rang qu'il occupe
dans l'opinion publique. Ce système est également heureux
et utile sous le double point de vue de la morale et du goût.
La plupart des ouvrages qui ont acquis dans le siècle
dernier le plus de renommée , sont , il faut le dire , infectés
des plus mauvais principes. Il n'est donc pas permis à
un critique de se taire , lorsque de nouvelles éditions lai
Temettent ces ouvrages sous les yeux : il doit les analyser
comme s'ils étoient nouveaux , en peser les maximes , en
relever les erreurs ; il doit s'efforcer d'éclairer ceux que
T'éclat des grandes réputations aveuglent , et de dissiper le
prestige qui séduit leur imagination . C'est un des moyens
les plus efficaces pour ramener le Public aux idées saines et
justes , dont la philosophie du dix-huitième siècle l'écarta
trop long-temps ; et le succès a jusqu'ici répondu à l'efficacité
du moyen les doctrines philosophiques ont vu tomber
insensiblement leur crédit ; et les plus hautes réputations
d'un siècle si fier de ses systèmes et de ses sophismes se
sont abaissées à la voix de la raison soutenue de l'expérience
des événemens , et de l'éloquence des faits .
3
102
MERCURE DE FRANCE ,
•
"
1
En revenant aux bons principes en morale et en politique
, on est revenu au bon goût en littérature , par cette
affinité naturelle qui existe entre toutes les opérations de la
raison considérée sous divers points de vue l'habitude de
bien penser sur quelques objets a conduit à bien penser
sur tous les autres ; le goût n'est qu'une application délicate
des principes de la raison aux arts de l'esprit et aux ouvrages
de l'imagination ; les temps de délire et de démence sont ordinairement
des temps de mauvais goût ; les époques où les
sociétés humaines se conduisent par les règles de la vraie
politique et de la saine morale , sont généralement pour le
bon goût des époques de triomphe et de gloire ; le mauvais
goût n'est qu'un vice des esprits corrompus et faussés par
les passions et les mauvaises doctrines ; tout ce qui les
ramène au bon sens les ramène en même temps au bon
goût ; tout ce qui tend à rectifier les intelligences , tend à
rectifier le jugement sur les arts et la littérature comme sur
tous les autres objets. Cinquante ans de déraison avoient
porté le mauvais goût à son comble , lorsque la révolution ,
préparée par tant d'années d'erreurs spéculatives qu'elle n'a
fait que mettre en pratique , est venue achever le bouleversement
des vrais principes en tout genre , et particulièrement
dans la littérature et dans les arts . Cette fureur d'écrire
que la liberté ou plutôt la licence de la presse répandit dans
tous les esprits , ce torrent de discours et de déclamations
de toute espèce , auquel tant d'assemblées et tant de tribunes
ouvrirent un large cours , achevèrent de défigurer
la langue , en altérant sa pureté : l'enflure , le barbarisme ,
le néologisme ne connurent plus de frein , et la société étoit
sur le point de périr par la confusion du langage , comme
par celle des principes , quand un heureux changement
rétablit et les vrais principes et la langue dans leurs droits ;
en même temps qu'on abhorra les erreurs , qui avoient
causé tant de maux , on détesta l'espèce de langage qui avoit
servi à les propager l'obscurité sentencieuse de tant de
professeurs d'absurdités , l'éloquence forcenée de tant
d'énergumènes , l'entortillage et l'emphase de tant de charlatans
poliques et littéraires perdirent peu à peu l'ascendant
qu'ils avoient usurpé sur les esprits ; les yeux s'ouvrirent et
reconnurent le faux de tant de chimériques beautés qui les
avoient fascinés : on revint insensiblement au bon goût
comme au bon sens tant il est vrai que l'excès des maux en
produit souvent le remède !
Mais pour confirmer une révolution si utile , il est néces→
saire que les critiques ne se bornent pas à l'examen des ou
JANVIER 1806 . 103
vrages récens qui paroissent tous les jours ; il faut , pour
ainsi dire, qu'ils aillent attaquer le mauvais goût jusque dans
ses sources : c'est dans les ouvrages les plus renommés du
dix-huitième siècle , c'est dans les livres des coryphées de la
philosophie qu'ils doivent rechercher les gerines de cette
corruption contagieuse qui avoit frappé tous les esprits ; et
c'est aussi en faisant connoître , en analysant de nouveau
les chefs-d'oeuvre du siècle de Louis XIV , qu'ils doivent
opposer les modèles de l'art aux copies plus ou moins informes
que produisit le mauvais goût , enfant d'une fausse
philosophie.
Tels sont les principes qui ont dirigé jusqu'à présent , et
qui continueront de diriger à l'avenir les gens de lettres
chargés de la rédaction du MERCURE DE FRANCE ; et sous
ces divers rapports , ce Journal hebdomadaire a un grand
avantage sur les feuilles de tous les jours , qui peuvent suivre
la même méthode : l'examen des ouvrages y est nécessairement
plus étendu , plus développé , plus circonstancié
; l'application des principes y comporte plus de détails ;
tandis que dans une feuille de tous les jours on ne peut
qu'effleurer les ouvrages , le MERCURE les approfondit ;
les extraits y sont rédigés avec plus de soin , de réflexion et
de maturité ; un Journal de tous les jours cherche souvent à
suppléer par la tournure piquante de la forme à la foiblesse
évidente du fond , suite nécessaire d'un travail rapide , qui
ne peut point s'aider du secours de la méditation ; le MERCURE
dédaigne les agrémens légers d'une critique frivole, et n'ambitionnant
que le degré d'élégance qu'exigent les discussions
littéraires , il ne renonce pas à plaire pourvu que l'instruction
s'unisse au plaisir qu'il procure , et recherche plus ce
que la critique a de solide et de satisfaisant pour la raison ,
que ce qu'elle peut avoir d'agréable et d'attrayant pour la
malignité . C'est là ce qui a garanti et protégé l'existence de
ce Journal , qui ne paroît que quatre fois par mois , au
milieu de tant de Journaux , qui paroissent tous les jours ,
et qui s'occupent des mêmes objets . Les gens de lettres et
tous les amis de la littérature ont senti qu'ils ne pouvoient
trouver que dans ce Journal de véritables analyses littéraires ,
de vraies critiques suffisamment motivées , des détails , des
citations ; enfin tout ce qui concourt à rendre plus parfait
l'examen des ouvrages , et le jugement porté sur les productions
de l'esprit.
Cette partie du MERCURE a paru jusqu'ici mériter les
suffrages du Public , et rien ne sera omnis de ce qui pourra
l'en rendre tous les jours plus digne : les gens de lettres à
104 MERCURE DE FRANCE,
qui elle est confiée , connus par leur goût et par leur éru
dition , se félicitent de compter parmi eux deux écrivains
célèbres qui ont ouvert d'une manière si brillante le dixneuvième
siècle par des ouvrages capables d'en assurer la
gloire , ouvrages qui , supérieurs dans des genres trèsdifférens
, serviront dans l'avenir d'époque à la renai
sance des lettres françaises , remises en honneur par les
travaux de ces deux écrivains , et rappelées en quelque
sorte à la vie par leurs talens , après une longue revolution
, qui les avoit dégradées et presqu'entièrement éteintes
MM. de Bonald et de Châteaubriand continueront d'enrichir
ce recueil de leurs observations , soit qu'ils rendent compte
des ouvrages nouveaux qui paroîtront avec quelque carac
tère d'importance , soit qu'ils croient devoir revenir sur des
ouvrages anciens , soit que se livrant à l'inspiration de leur
propre pensée , ils veuillent déposer dans ce Journal les idées
et les réflexions que chaque instant et chaque objet peuvent
faire naître dans des esprits si actifs , si profonds , et si
observateurs .
:
Nous ne pouvons nous dissimuler que la partie de ce
Journal où l'on rendoit compte des spectacles , n'a pas joui
de la même faveur, quelque talent qu'aient eu les rédacteurs ,
et quelques efforts qu'ils aient fait . La raison en est toute
simple autant le MERCURE , dans tout le reste , doit avoir
de supériorité , comme ouvrage de littérature et de critique ,
sur les Journaux de tous les jours , autant , par sa nature
même, doit- il être inférieur à ces mêmes Journaux , quand
il s'agit de rendre compte des spectacles : ce n'est souvent
que huit jours après la représentation d'une pièce de théâtre ,
qu'il parle de cette pièce ; la curiosité est alors satisfaite et
refroidie les feuilles de tous les jours ont rendu compte
de la pièce et l'ont jugée dès le lendemain de la représentation
; il ne reste donc plus au MERCURE que de revenir
sur des critiques ou sur des louanges déjà épuisées , pour
les approuver ou les modifier , sorte de travail qui manque
nécessairement d'intérêt , parce qu'il ne peut avoir ni la
maturité qui recommande les autres articles littéraires de
ce même Journal , ni la rapidité qui , dans ce genre , est
une grace de plus pour les articles des autres Journaux ;
on a donc cru qu'il falloit retrancher ce qu'on ne pouvoit
perfectionner ; ainsi cette partie du MERCURE sera supprimée
à l'avenir.
:
Mais cette suppression n'empêchera pas qu'on ne consigne
comme nouvelle , dans ces annales de la littérature , la représentation
des pièces de théâtres et le succès qu'elles
JANVIER 1806. 105
auront obtenu , en se réservant de faire un extrait détaillé et
une critique réfléchie de celles des pièces jouées sur les trois
principaux théâtres , qui auront quelqu'importance littéraire ,
lorsque l'impression permettra de faire à ces ouvrages une .
application plus méditée des règles de l'art , et mettra à même
d'en porter un jugement plus approfondi.
ce
Ceretranchement d'une partie sur laquelle on a vainement
essayé de répandre quelqu'intérêt , fournira la possibilité
d'orner ce Journal d'un article qui ne peut manquer d'en
avoir beaucoup , et qu'un grand nombre de personnes regrettent
avec raison de n'y pas trouver : elles se plaignent que le
MERCURE n'est pas assez varié dans ses matières , et c'est
à ce défaut de variété qu'on se propose de remédier , au
moyen de la supression indiquée. La littérature sera toujours
l'objet principal du MERCURE , mais elle ne sera plus dorénavant
le seul dont on s'occupera dans la rédaction de ce
Journal : les arts et les sciences y tiendront leur place : il
ne se passera rien d'important dans leur domaine qui ne
soit consigné avec la plus grande précision et l'exactitude
la plus scrupuleuse dans le MERCURE , qui par-là même
pourra offrir un jour d'utiles archives et des matériaux nécessaires
à l'histoire des connoissances humaines . Pour remplir
ce but avec autant de succès qu'il est possible , on a eu
soin de se ménager des correspondances dans les diverses
-parties de l'Europe , et tout ce qu'on recevra viendra des
mains les plus sûres et les plus savantes .
L'Europe , en ce moment , présente , sous ce rapport
comme sous beaucoup d'autres, un grand spectacle au monde:
jamais les arts et les sciences , et sur-tout jamais ces dernières
n'ont eu plus de mouvement et d'activité ; chaque jour révèle
, pour ainsi dire , de nouveaux progrès. Les mathématiques
, la physique , la chimie ,la physiologie marchent
d'un pas rapide vers un but de perfection que l'imagination
même ne sauroit assigner. Les biens qui peuvent résulter
pour l'humanité de cet esprit d'étude et d'observation qui
se répand tous les jours davantage en Europe , se sont manifestés
plusieurs fois par d'heureuses applications ; et
les découvertes qui ont fait le plus de bruit dans le monde
ne peuvent guère être comparées à ces miracles des derniers
temps , par lesquels on est parvenu à rendre salubre l'air le
plus infecté , et à détruire dans sa racine une des plaies qui
affligeoient le plus profondément la race humaine . C'est à
ces grands objets qu'on se propose de donner dans le MERCURE
, une sérieuse attention , sans négliger les plus petits
détails relatifs soit à l'érudition qui prépare les matériaux
106 MERCURE DE FRANCE ,
et le succès des arts , soit aux arts qui fournissent aux hommes
tant de jouissances de tout genre , soit aux sciences qui
répandent sur eux tant de lumières , et qui les servent en
les éclairant .
Le premier des arts , la poésie , continuera de remplir
dans ce Journal une place particulière ; mais on mettra
dorénavant plus de soin dans le choix des pièces . On avoue
la justice des reproches qui ont été faits à cet égard : il sembloit
que cette partie du Journal fût devenue le domaine
de quelques personnes dont les noms y paroissoient presque
seuls ; la carrière est désormais ouverte à l'émulation de tous
ceux qui peuvent desirer que leurs ouvrages en vers soient
consignés dans ce Recueil ; ils peuvent être sûrs qu'on examinera
avec attention toutes les pièces qui seront envoyées
commes'il s'agissoit d'un véritable concours ; qu'on accueillera
avec plaisir et avec encouragement tout ce qui paroîtra digne
des regards du public , et qu'il n'y aura jamais d'autre cause
de non-admission que la foiblesse des ouvrages . On mettra
en même temps à contribution , autant qu'on le pourra ,
les écrivains les plus exercés dans ce genre.
M. DELILLE , qu'ils se plaisent aujourd'hui à regarder
comme leur chef , a promis de leur donner quelquefois
l'exemple en leur communiquant , pour l'ornement de ce
Journal, les richesses et même les secrets de son portefeuille .
Enfin , on se fera un devoir de publier avec exactitude
toutes les pièces qui seront couronnées dans les académies ,
comine servant à l'histoire même de l'art ,
de
C'est aussi pour imprimer à ce Journal , sous un autre
rapport , le caractère de la sévérité historique , qu'à l'avenir
on bannira de la partie politique tous les on dit , tous les
bruits , toutes les conjectures , tout ce qui ne sera pas
la plus entière certitude , de manière qu'après avoir lu , pendant
le cours de las emaine , les Journaux de tous les jours ,
on trouvera , dans le MERCURE , un résumé fidèle de tout
ce qu'il y aura de certain et de tout ce qui méritera , par-là
même , d'être retenu.
On pense que , par ces diverses modifications , ce Journal
obtiendra toute la perfection dont il est susceptible ; et
l'on espère que le Public , ami des lettres , ne sera pas mécontent
de la manière dont ces vues seront mises à exécution
puissent-elles enflammer tous les jours davantage l'amour
de la littérature qui , dans tous les temps , a dû beaucoup
à ce Journal ! Puissent- elles concourir au progrès des
lettres , dont la naissance parmi nous est contemporaine de
celle du MERCURE !
:
JANVIER 1806. 107
POÉSI E.
DISCOURS EN VERS
SUR L'INDÉPENDANCE DE L'HOMME DE LETTRES .
( Cette pièce a remporté le prix de poésie proposé par
la Classe de la langue et de la littérature française de
Institut national. )
La noble indépendance est l'ame des talens :
Rien ne peut du génie enchaîner les élans ,
Il aime à parcourir des régions nouvelles ;
Ce n'est point pour ramper qu'il a reçu des ailes .
Le vulgaire ne voit que par les yeux d'autrui ,
Le sage voit , observe , et juge d'après lui .
De l'austère équité sa main tient la balance ,
Son esprit vigilant étudie en silence ,
Apprend le coeur humain , cherche à le définir ,
Et des maux du passé préserve l'avenir .
Seul au sein de la foule et dégagé d'entraves ,
Il élève un front libre au milieu des esclaves :
L'air impur des cités ne corrompt point ses moeurs.
Etranger aux partis et sourd à leurs clameurs ,"
D'un tardif repentir s'épargnant l'amertume ,
Il ne profane point la candeur de sa plume ;
On ne le verra point , au prix de ses vertus ,
Acheter les faveurs de l'aveugle Plutus .
Rousseau , doué d'une amé indépendante et fière ,
Transfuge des châteaux revole à sa chaumière :
Les honneurs, les trésors en vain lui sont offerts ;
Pour lui des fers brillans n'en sont pas moins des fers.
De l'orgueilleux bienfait il repousse l'outrage ,
Il fuit , enveloppé de sa vertu sauvage;
Il porte au sein des bois , sur la cîme des monts ,
Sa longue rêverie et ses pensers profonds.
168 MERCURE DE FRANCE,
Foulant aux pieds les biens que le vulgaire adore ,
Que leur préfère-t-il ? un rayon de l'aurore.
Fier de s'appartenir , le mortel studieux ,
Des bois inspirateurs ami silencieux ,
N'ira point , s'arrachant à ses loisirs utiles ,
User son avenir en des cercles futiles .
Le front cein de lauriers qu'il venoit de cueillir ,
Despréaux dans Auteuil alloit se recueillir :
Au fond de ces berceaux , assis près de Molière ,
Il confioit ses chants à l'ombre hospitalière ;
Et , d'un éclat menteur trop long-temps éblouis ,
Ses yeux se reposoient du faste de Louis.
L'ami des doux loisirs , dans l'humble solitude ,
Amasse lentement les trésors de l'étude ,
Et, préparant de loin ses destins éclatans ,
Epure ses travaux dans le creuset du temps. •
Comme il méprise alors tant de vils adversaires ,
Tant de combats grossiers , pugilats littéraires !
Quand des rivaux , jaloux de sa célébrité ,
Cherchent à le couvrir de leur obscurité ,
Il luit à nos regards , plus radieux encore.
Ainsi l'astre éternel , que l'Orient adore ,
Chassant des noirs brouillards l'amas séditieux ,
Apparoît plus brillant , et s'empare des cieux .
Descartes , que noircit l'impure calomnie ,
Dans les champs du Batave exile son génie ;
Recommande sa gloire à la postérité ,
Et sur des bords lointains poursuit la vérité.
C'est ainsi que le sage en lui se réfugie :
Son adversité même accroît son énergie ;
Athlète infatigable , au jour de la douleur ,
Il soutient sans fléchir la lutte du malheur .
Des chagrins de la vie il recueille l'histoire ,
Et pour lui l'infortune est un pas vers la gloire.
Sur son vaisseau brisé , tel Vernet sans pâlir
Etudioit le flot prêt à l'ensevelir.
1
C'est peu que l'écrivain , armé de ses ouvrages,
Des destins ennemis affronte les outrages ,
JANVIER 1806. 109
C'est peu que sa vertu brave l'adversité ;
Elle résiste même à la prospérité.
Libre à la cour , soumis aux rois , mais sans bassesse ,
Devant eux il s'incline , et jamais ne s'abaisse .
Si le crime puissant veut contraindre sa voix
A chanter l'injustice et le mépris des loix ,
Ferme , et se reposant sur sa vertu rigide ,
Il oppose au pouvoir un silence intrépide.
D'un généreux transport son grand coeur animé ,
Quel que soit l'oppresseur , protège l'opprimé,
Et, pour jamais fidèle au parti qu'il embrasse ,
Partage noblement une noble disgrace.
Quand Fouquet de Louis eut perdu la fayeur,
La Fontaine resta l'ami de son malheur :
D'un coeur naïf et pur déployant l'énergie ,
Il fit sur son destin soupirer l'élégie ,
Et, laissant les flatteurs à leur vulgaire effroi ,
Il chanta son ami , même devant son roi.
Dévoûment vertueux ! Témérité sublime !
Tel est du vrai talent l'abandon magnanime.
La tyrannie en vain prétend l'anéantic ,
En vain de son exil l'arrêt va retentir ;
Il n'est point de déserts , point d'exil pour le sage.
Ces sables dévorans, ces plaines sans ombrage ,
Ces antres , ces rochers n'ont pour lui rien d'affreux;
Seul, errant et proscrit , il n'est point malheureux.
L'étude , objet constant de son idolâtrie ,
Au bout de l'univers lui fonde une patrie.
Mais pour l'ensevelir les cachots sont ouverts;
Il y descend , courbé sous le poids de ses fers
Calme , il répète encore à l'oppresseur qu'il brave :
« Je ne suis qu'enchaîné , je ne suis point esclave. »
Sur ce mur ténébreux , son muet confident ,
Il trace avec sa chaîne un vers indépendant !
Qu'un servile mortel à plaisir s'humilie ;
Qu'au parti du vainqueur son effroi se rallie ;
De vingt maîtres divers adulateur hanal ,
Que pour oser pensor il attende un signal !
110 MERCURE DE FRANCE ,
Le sage en tous les temps garde son caractère .
Tyrans ! il vous poursuit de sa franchise austèré;
Et , libre sous le poids de votre autorité ,
En présence du glaive , il dit la vérité.
Là Caton , qu'un despote honore de sa haine ,
Va rejoindre au tombeau la liberté romaine ;
Là Socrate , épuisant la coupe de la mort ,
De son dernier sommeil tranquilement s'endort .
L'homme obscur peut frémir , tout entier il succombe ,
Et l'éternel oubli vient peser sur sa tombe ;
Le sage ne meurt point : sous la main des bourreaux
Il défend à la mort d'effacer ses travaux ;
Il la voit , il l'attend , sans pâlir d'épouvante :
Le grand homme n'est plus ; mais sa gloire est vivante.
De ses persécuteurs s'il trompe les poignards,
Nous révérons en lui le Nestor des beaux-arts.
:
Son ame toute entière en ses écrits respire ;
Ses actions jamais n'ont démenti sa lyre
Il se conserva pur au milieu des méchans ;
Il meurt , et la vertu reçoit ses derniers chants.
Tel un cygne superbe , ornement du rivage ,
Au noir limon des eaux déroba son plumage ,
Et, saluant la mort de sons mélodieux ,
D'une voix plus touchante exhale ses adieux.
M.
MILLEVOYE .
DISCOURS EN VERS ( 1 )
SUR L'INDÉPENDANCE DE L'HOMME DE LETTRES ;
Pièce qui a obtenu l'ACCESSIT au jugement de la Classe de
la langue et de la littérature française de l'Institut national;
par M. VICTORIN FABRE.
SOIT
que
Pro re pauca loquar.
de la raison interprétant les lois ,
Dans l'esprit des mortels tu consacres ses droits ;
(1 ) Cette pièce n'est pas tout- à-fait telle qu'elle a été envoyée au
concours. J'ai supprimé quatorze vers ; et j'ai fait quelques changemens
à -peu-près à un égal nombre. Plusieurs membres de l'Institut ont
JANVIER 1806 .
Soit que la revêtant d'images plus chéries ,
Tu l'amènes au coeur par des routes fleuries ,
Philosophe ou poète , épris des doctes Soeurs ,
Veux- tu jouir en paix de leurs chastes faveurs ?
Vis libre , indépendant , seul maître de ton ame.
Loin d'un monde servile entretiens cette flamme ,
Ce feu de liberté , dont les nobles élans ,
Font les måles vertus , les sublimes talens .
Forme-lui dans ton ame une secrète enceinte .
Si d'un souffle étranger il éprouve l'atteinte ,
Il meurt ; et ton esprit sent languir sa vigueur :
La source en est tarie ; elle étoit dans ton coeur.
Affranchi des erreurs d'une vie inquiète ,
L'écrivain studieux , au sein de la retraite
Laisse couler en paix ses modestes loisirs .
C'est là qu'exempt d'honneurs , libre de vains desirs ,
Au flambeau du Génie épiant la nature ,
Il la surprend sans voile et la peint sans parure.
D'une tranquille étude il goûte la douceur ;
Et la gloire pour lui naît au sein du bonheur .
Il sę fait un Olympe au- dessus des orages .
Loin , bien loin sous ses pieds , un voile de nuages
Dérobe à ses regards ces flots tumultueux ,
Ces écueils que la foudre éclaire de ses feux ,
Cet Océan sans ports , où gronde la tourmente ,
Où , de l'ambition suivant l'étoile errante ,
Les crédules humains , frêles jouets du sort ,
Sans rame et sans boussole emportés loin du bord ,
Se choquant dans la nuit , au milieu des orages ,
L'un par l'autre brisés confondent leurs naufrages .
tandis que les flots dispersent leurs débris ,
Favorisé des vents et des astres amis ,
Lui ,
Sans terreur il s'élance aux plaines azurées .
De l'Olympe , à sa voix les voûtes éthérées
témoigné le desir que j'en fisse l'aveu : la raison qu'ils ont eu l'indulgence
d'en donner , m'est trop honorable pour que je ne m'empresse
pas d'obéir. (Note de l'auteur. )
112 MERCURE DE FRANCE ,
"
S'ouvrent ; et son génie échappant à nos yeux ,
Sur l'aile de la gloire , y vole au sein des Dieux.
O culte des talens ! renais dans ma patrie ;
Réveille dans nos coeurs ta sainte idolâtrie,
Viens ranimer ce feu , cette sublime ardeur ,
Qui du Génie éteint rallumne la splendeur
Et qu'au sein des parfums d'une flamme sacrée ,
Renaisse le phénix de sa cendre adorée.
Que dis-je ? Il n'est plus temps . Sur la terre penchés ,
Les regards des mortels y rampent attachés.
Vainement sur leur front planeroit le Génie.
Mais lui -même , aspirant à son ignominie ,
Il descend de sa gloire ; et par sa lâcheté
Trop souvent il provoque un mépris mérité.
L'un, vouant à l'intrigue une Muse docile ,
Brigue des vains honneurs la couronne servile ;
Insensé , qui s'empresse aux pieds de la grandeur
D'enchaîner son génie , exilé de son coeur !
Cette chaîne , énervant la pensée asservie ,
Ote à l'ame captive et la famme et la vie.
Avec la liberté , qui ne l'inspire plus ,
La gloire fuit ses chants à la faveur vendus.
L'autre , altéré du gain plus que de renommée
Trafique des chansons d'une Muse affamée ,
Et se laissant conduire à son avide espoir ,
L'encensoir à la main suit l'or et le pouvoir.
Le talent que dévore une ardeur mercenaire
Est tel que l'arbrisseau captivé dans la serre ,
Et qui , se nourrissant de factices chaleurs ,
Donne un pâle feuillage et de stériles fleurs .
D'une ardeur éphémère il s'allume et fermente ;
Dans ses canaux filtrée une sève indigente ,
N'apporte à ses rameaux qu'un suc infructueux .
Oh ! qu'il purge Hélicon de son aspect honteux ,
Le lâche qui des arts souillant le sanctuaire ,
Prostitue à Plutus un encens adultère !
Toi ! si pour ton génie il est un avenir ,
Respecte-le toi - même , et crains de le ternir .
Feras-ta ,
JANVIER 1806- 5 .
Feras-tu , dans les Cours , que ta voix importune ,
Ramper la flatterie aux pieds de la fortune ?
Crois-tu d'un Crassus souffrant que l'indigne appui,
Le Dien qui t'inspiroit s'abaisse jusqu'à lui ?
Malheureux ! connois- tu la chaîne qui te lie ?
Il faut à tous ses goûts que tôn ame se plie ,
Qu'elle épouse la sienne , obéisse à sa voix.
Bientôt , à ta pensée il va dicter des lois ,
Ason génie étroit asservir ton génie
Il s'enorgueillira de ta gloire ternie;
De tes lauriers flétris il voudra se parer ;
Et, fier de t'avilír , il croira t'honorer .
Ah ! si d'un protecteur l'appiri t'est nécessaire ,
Crois-moi, cherch nami , mais un ami sincère;
A ton libre génie il pourra pardonner.
Il donne ses bienfaits ; lui seul sait les donner ;
Lui seul de sa grandeur sait oublier la trace .
Le favori d'Auguste étoit l'ami d'Horace ;
Et par cette amitié , plus que par sa grandeur,
Avoit acquis le droit d'être son bienfaiteur.
Mais dans ce siècle avare où trouver des Mécènes ?
Non , non ; fuis des bienfaits qui deviennent des chaîn
Des ennuis trop réels sous des biens apparens .
Protégé , diras-tu , da suffrage des grands ,
Tu verrois aussitôt mille voix mercenaires ,
De ce suffrage vain mille échos tributaires ,
Du bruit de leur louange enfler ta gloire. Non .
Crains ce bruit dangereux , crains ce frêle renom ,
Qui fuit comme l'éclair sans laisser de mémoire.
Peut-être moins vanté , mais avec plus de gloire ,
Moins envié sans doute avec plus de bonheur ,
Tu vivras , mourras libre ; et c'est là ta grandeur,
Mais follement épris d'une que éclatante ,
Si tu poursuis au loin sa faveur inconstante,
Toujours loin de toi-même emporté dans son cours
Tu vas en un vain songe égarer tes beaux jours.
Détrompé , mais trop tard , à la retraite obscure
Tu viens redemander la paix et la nature,
cen
114 MERCURE DE FRANCE ,
Et rentré dans la vie au point de la quitter ,
N'entrevois le bonheur que pour le regretter .
Trop heureux si ton ame à soi-même rendue ,
Pouvoit , en recouvrant sa dignité perdue ,
Se rallumer encore au déclin de tes ans ,
De ces jeunes ardeurs foyer des grands talens ;
De ton hiver du moins éternisant le reste ,
Venger de ton printemps l'égarement funeste ;
Et déplorant ces jours éclipsés pour jamais ,
Trouver dans l'avenir le prix de tes regrets !
Voltaire , ce génie aux aîles étendues ,
Qui, s'ouvrant dans les arts des routes inconnues ,
Dans leur empire immense étoit fait pour régner ,
Crut trop à ces faveurs qu'il devoit dédaigner .
Il pense , fatigué des lenteurs de sa gloire , II
Håter par
A ses yeux
les honneurs l'éclat de sa mémoire
éblouis les honneurs sont offerts ;
On lui promet la gloire , on lui donne des fers.
Loin de sa liberté , qu'il outrage et qu'il aime ,
Il ne se trouve plus ; il a fui de lui-même ;
Son coeur s'est dépouillé de ses nobles transports ,
Et son esprit aux fers sent languir ses ressorts .
La voix de la raison frappe alors son oreille ;
D'un long rêve aussitôt son ame se réveille ;
Cet éclat , ces honneurs , qu'il a trop expiés,
Fantômes du sommeil , il les foule à ses pieds.
Il fuit ; et loin des Cours , au sein de la retraite ,
Va respirer l'oubli d'une vie inquiète, quand
Goûter la paix des champs , des hois silencieux.
La gloire et le bonheur l'attendoient en ces lieux.
Sur des monts écartés retrouvant son génie ,
Il rend à ses destins son ame rajeunie.
Il vit pour l'univers : la raison à sa voix
Des peuples éclairés passe au conseil des rois :
Il proclame son culte ; et vengeant ses outrages ,
Ce génie immortel dans le long cours des âges
S'avance , encore armé de son flambeau vengeur
Et
(2)Isse
devant
lui le faux jour de l'érreur
(2 ).
convenu de dire la nuit de l'erreur , comme on dit la nuit
de l'ignorance . L'ignorance et l'erreur ne sont cependant pas la même
JANVIER 1806. 115
Tel aux murs de Plancus près d'apporter ses ondes ,
Que destine son urne à leurs rives fécondes,
Le Rhone impétueux , égaré dans son cours ,
Semble au sein de la terre englouti pour toujours.
Mais bientôt , ramenant ses flots à la lumière ,
Plus calme , il s'agrandit dans sa libre carrière ,
Et conrt , bordé de fleurs , de fruits , de pampres verte
Du tribut de son onde enorgueillir les mers ( 3 ) .
LE COIN DU FEU.
POINT d'ennuyeux causeur , de témoin importun;
Lui seul de ma maison exacte sentinelle ,
Mon chien , ami constant et compagnon fidèle ,
Prend à mes pieds sa part de la douce chaleur .
Et toi charme divin de l'esprit et du coeur ;
Imagination , de tes douces chimères
Fais passer devant moi les figures légères !
A tes songes brillans que j'aime à me livrer !
Dans ce brasier ardent qui va le dévorer ,
Par toi ce chêne en feu nourrit ma rêverie :
Quelles mains l'ont planté ; quel sol fut sa patrie ?
Sur les monts escarpés bravoit - il l'aquilon ?
Bordoit-il le ruisseau ? Paroit-il le vallon ?
Peut-être il embellit la colline que j'aime ?
Peut-être sous son ombre ai-je rèvé moi- même ?
Tout-à-coup je l'anime : à son front verdoyant
Je rends de ses rameaux le panache ondoyant ,
Ses guirlandes de fleurs , ses touffes de feuillage ,
Et les tendres secrets que voila son ombrage.
(Fragment du poëme de l'IMAGINATION
par M. Delille.
chose . L'une nous laisse dans les ténèbres , et ne nous égare point'
l'autre nous donne des lumières trompeuses , et nous éclaire pour nous
égarer. Il sembleroit donc plus juste de dire la nuit de l'ignorance
et le faux jour de l'erreur. (Note de l'auteur.)
( 3) Avant de baigner les murs de Lyon , et les campagnes charmantes
qui l'entourent , le Rhône se perd tout entier , à quatre lieues
de Genève , disent les géographes , sous une voûte immense de rochers ,
d'où il sort ensuite près du pont de Grezin . Mais les géographes se
trompent ; c'est à six ou sept lieues de Genève , à deux lieues au- dessous
du pont de Grezin , que commence ce qu'on appelle dans le pays
perle du Rhône. (Note de l'auteur. )
N. B. Nous examinerons ces deux pièces de vers dans un prochain
Numéro.
Fa
la
116 MERCURE
DE FRANCE
,
ENIGM E.
DANS un double et sombre parterre ,
Eclairé de rayons divers ,
J'allume une soudaine guerre
Entre deux amis que je sers.
J'intéresse dans leurs querelles
Un grand nombre de demoiselles ,
Qui font mille cris éclatans .
Cependant toute la dispute
Finit entre les combattans ,
Par la bizarre culbutte
Des restes d'un squelette affreux
Brusquement sortis de leurs creux .
LOGOGRIPHE.
ASILE frais et pacifique ,
Je résonne souvent d'une tendre musique.
Si l'on m'ôte un membre à trois pieds ,
Il me reste deux parts faciles à connoître :
Par l'une que de gens noyés !
Et pour l'autre , que de gens qui s'exposent à l'être !
CHARAD E.
L'ASPECT de mon premier réjouit la nature ,
Montre des prés fleuris l'élégante parure, …
Ranime les oiseaux, dont le groupe joyeux
D'innombrables concerts fait retentir les cieux ;
Son approché est toujours annoncée au village
Par les chants de l'oiseau symbole du courage ,
Et l'agricole alors , indigné d'être 'oisif,
Regagne ses guérêts d'un pas lourd et tardif.
Mon second est pour tous une scène commune-♪
Quels que soient des mortels le rang et la fortune ,
Tous viennent y jouer un rôle infortuné ,
Et disparoissent tous dès qu'il est terminé.
Mon tout est de la France une petite ville .
Devine , cher lecteur, ce n'est pas difficile.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Conscience.
Celui du Logogriphe est Brochet , où l'on trouve roc
rochet, broché, or, bec , cor, troc.
Celui de la Charade est Franche- Comté,
• Roch (saint),
JANVIER 1806.
117
•
SÉANCE DE L'INSTITUT NATIONAL , DU 2 JANVIER.
Eloge de M. Séguier , premier avocat - général du roi
au parlement de Paris , et l'un des quarante de
l'Académie française ; par S. E. M. Portalis , Ministre
des Cultes , membre de l'Institut national ,
grand-cordon de la Légion d'Honneur , etc. , etc.
Broch. in-8°. Prix : 1 fr. , et 1 fr. 25 c. par la poste .
A Paris , à la Librairie STEREOTYPE de Nicolle
et Compe , rue des Grands - Augustins , nº 15 ;
et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint Germain -l'Auxerrois , nº 17 .
L'ÉLOGE
ÉLOGE de M. Séguier demandoit un orateur
qui , sous le double rapport des personnes et des choses
, pût répondre à la gravité , à l'étendue et à la variété
d'un tel sujet . Un nom cher et respecté dans la
république des lettres , après avoir été grand et illustre
dans la carrière des lois ; des fonctions sévères et des
talens aimables ; l'exercice de la parole dans la direction
des jugemens et dans le ministère de la morale ;
le penchant à encourager les lumières , avec le devoir
de réprimer les écarts ; enfin , une longue magistrature
, des questions immenses , des temps orageux ,
une révolution effrayante qui s'annonce , se précipite
, éclate , et entraîne avec elle la puissance de
l'état et la destinée des individus , la justice et les
justiciables , les princes et les peuples , les trônes et
les autels , voilà ce qu'avoit à résumer dans son discours
celui à qui seroit dévolu le panegyrique du
dernier avocat -général du roi au parlement de Paris.
M. Portalis , par son caractère public et privé , par
3
118 MERCURE
DE FRANCE
,
"
la diversité de mérites et la richesse de moyens qu'on
l'a vu déployer successivement au barreau , à la tribune
, dans le ministère auguste dont il est aujourd'hui
revêtu , a paru spécialement désigné pour remplir
cette tâche honorable. Elle appartenoit en effet
à l'orateur du Code civil confondu avec le régulateur
du culte divin. La justice a son sacerdoce , comme la
religion a le sien ; et l'on peut dire que l'un et l'autre
se touchent , puisque l'équité souveraine est le premier
attribut de l'Etre suprême , comme le premier
devoir qu'il impose à ceux qui le représentent sur la
terre par leur puissance .
Si une grande attente avoit été conçue , une grande
attente a été justifiée . On y admire , dans l'éloge de
M. Séguier , une égalité imposante entre l'impor
tance du sujet et la force de celui qui le traite ;
une abondance précieuse , parce qu'elle est de choses
bien plus que de mots ; un style pur , correct , trèsvigoureux
et cependant très- clair , ce qui devient trèsrare
; des sentimens tous empreints de bonne foi ; ce
qui devient plus rare encore ; des pensées générale
ment justes , très -souvent profondes , et toujours
dirigées vers le bien . L'analyse y est exacte , la louange
noble , la discussion animée , l'instruction salutaire .
Entre les travaux du magistrat qu'on célèbre , et les
principes de l'orateur qui le loue , règne un accord
puissant qui , pour ainsi dire , les féconde et les
renforce l'un par l'autre . Enfin , un caractère éminent
de cette belle production , c'est , depuis la première
jusqu'à la dernière ligne , une impartialité , une
dignité indépendantes de tous les partis et de toutes
les époques . On se souvient , en la lisant , de ces élo
quentes et généreuses opinions , qui, portées du Conseil
des Anciens à la connoissance de l'Europe en-
, y firent partout honorer et chérir le nom de
tière ,
M. Portalis.
Il a manqué à ce discours d'être proféré par celui
qui l'avoit dicté . Il a manqué à la lecture un organe
JANVIER 1806.
119
4
qui pût en soutenir toute la durée sur le même ton.
On a même pu croire quelquefois , à l'hésitation du
lecteur , que ses yeux n'étoient pas assez familiarisés
avec le manuscrit remis entre ses mains. Malgré ces
inconvéniens , qui , à la vérité , n'ont été bien sensibles
que vers la fin de la séance , la lecture du discours
a été continuellement interrompue par les applaudissemens
les plus vifs , par des applaudissemens réitérés
sur les mêmes passages , et qui , nous aimons à le
dire , n'étoient pas seulement , ou le témoignage de la
satisfaction , ou l'hommage de l'admiration , mais l'élan
de la conscience et de la reconnoissance publiques .
Ainsi , après le beau morceau sur l'indépendance nécessaire
des tribunaux et des avocats ; après la proclamationde
cette vérité incontestable que l'éloquence,
ainsi que toutes les robles facultés de l'homme , ne
peut pas exister sans la liberté ; après la juste et sage
définition de cette liberté qui ne doit avoir de bornes
que celles posées par la loi , mais qui doit finir où
la loi commence ; après le compte rendu des beaux
réquisitoires de M. Séguier contre le Système de la
Nature , et autres ouvrages également monstrueux ;
sur - tout après le morceau d'inspiration dans lequel
le ministre des cultes a foudroyé la doctrine calamiteuse
des matérialistes et des athés , la salle a retenti
d'acclamations et d'applaudissemens , qui se sont renouvelés
deux et trois fois avant que la lecture pût
être reprise.
Les bornes d'un journal ne nous permettent pas
une analyse aussi détaillée que nous nous plairions à
la faire , d'un discours qui d'ailleurs doit être lu en
entier . Nous allons le parcourir rapidement , avec la
double intention de rendre hommage tout à -la-fois et
au magistrat qui en a été l'objet , et à celui qui est
l'auteur de l'Éloge. Ni la mémoire du premier , ni la
sensibilité du second ne seront offensées , si parmi
tant de témoignages de notre assentiment et de notre
admiration , il nous arrive quelquefois de mêler la
4
120 MERCURE
DE FRANCE
,
2
controverse à la louange . La franchise de l'une garantira
la sincérité de l'autre , et nous serons d'autant
plus dignes de les célébrer , que nous répéterons avec
plus de fermeté :
Amicus Plato , maģis amica veritas.
Antoine - Louis Séguier naquit à Paris le 1er dé-
» cembre 1726 , d'une famille illustre et ancienne...
» Ses aïeux lui avoient transmis un riche héritage
de science et de vertu . » Si , dans nos principes
dit M. Portalis , qui refusent tout à la vanité , et qui
n'encouragent que le mérite , on peut parler encore
de la naissance comme d'un avantage réel , c'est
quand elle perpetue , en faveur de ceux qui peuvent
S'en prévaloir , des souvenirs honorables qui élèvent
lame, et la préparent aux grandes choses. C'est une
famille illustre: en effet , qu'une famille qui , pendant
trois siècles de services publics , a fourni un chancelier
et un garde ' des sceaux de France , cinq présidens à
mortier , deux lieutenans- civils , trois avocats-généraux
, treize conseillers ' au parlement de Paris , sept
maitres des requêtes , un ambassadeur , et plusieurs
militaires tués les armes à la main. C'est une famille
illustre qui , dans ce chancelier , montre l'ami et le
protecteur des lettres , re , le bienfaiteur du
genre humainen même temps que le chef de la magistrature
française ; qui , dans un de ces présidens , offre
à l'Eglise et à la nation gallicanes celui par qui elles
' ont été préservées de l'inquisition ( 1 ) ; qui , dans un
de ces conseillers , rappelle au coeur des Parisiens
(1) Pierre Séguier , avocat -général au parlement de Paris
en 1550 ; président à Mortier en 1554 ; l'une des plus brillantes
lumieres du temple des loix , est-il dit dans l'Eloge
des Doctes Français ; premier commissaire dans les diffĕrends
du pape Jules III et du roi Henri II ; premier député de
Charles IX pour la conclusion de la paix et la démarcation
des limites entre la France et la Savoye , auteur d'un traité de
Connoissance de Dieu et de soi- même , etc.
JANVIER 1806. 121
le père de leurs orphelines ( 1 ) , et dans un autre
rappelle au coeur de tous les Français le magistrat
choisi par leur Henri IV ,tantôt pour lui ramener
ses sujets égarés par la rebellion , tantôt pour
secourir ses villes affligées d'une contagion au milieu
de laquelle ce magistrat-héros meurt lui - même ,
martyr de son dévouement et rival de la bienfaisance
de son maître adoré (2 ) . Une telle illustration est en
effet un avantage réel. De tels souvenirs élèvent l'ame
en effet , et la préparent aux grandes choses. Le service
de l'état s'y trouve donc intéressé autant que la
gloire des particuliers. Il faut reconnoître ici que le
respect de la vertu ne peut pas exister sans le respect
des races qui l'ont éminemment pratiquée , ni l'amour
de la patrie sans la reconnoissance envers les familles
qui ont bien mérité d'elle. Il faut , en remontant à la
Source de toute justice et de toute sagesse , répéter cet
oracle de l'Ecriture : Les générations des hommes
justes seront bénies (3) . En redescendant aux autorités
mortelles ; en séparant ces priviléges politiques ,
abandonnés aux caprices , aux inconstances et aux
révolutions humaines , de ces droits indestructibles de
l'opinion et de la vérité , il faut dire ici avec Boileau :
La noblesse , Dangeau , n'est point une chimère.
Ce qui n'empêche pas de. dire ensuite avec Voltaire
Qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux .
-
(1) Antoine Séguier , lieutenant - civil et conseiller d'état
en 1586 ; avocat- général au parlement de Paris en 1587 ; président
à Mortier en 1597 ; ambassadeur à Venise en 1598 ; a
Templi Paris de ses aumônes et de ses fondations ; a institué
notamment l'Hôpital de la Miséricorde pour l'éducation de
cent pauvres filles orphelines.
(2) Jean Séguier , conseiller au parlement , maître des.
requêtes , lieutenant- civil , sous Henri III et Henri IV. Jean
étoit le troisième frère de Pierre Séguier , second du noïn
président à Mortier en 1576 , mort en 1607 après avoir servi
quatre rois , et aïeul du chancelier de France.
(3) El generatio rectarum benedicetur.
122 MERCURE DE FRANCE ;
Combien de questions ont été débattues avec fu→
reur , sur lesquelles il eût été facile de s'entendre , si
des deux côtés on eût voulu consentir et à faire la
part de la vérité , et à reconnoître l'empire de la nécessité
; si l'on se fût accordé , les uns , pour ne plus
défendre avec un ridicule odieux des prétentions aussi
futiles qu'injustes , les autres pour ne pas s'obstiner ,
avec un acharnement stupide , à faire disparoître ce
qui ne peut être détruit qu'avec la mémoire , la pensée
et le coeur de l'homme ! Il étoit digne de M. Portalis
, qui joint le meilleur esprit à l'esprit le plus
étendu , de donner à ces vérités le signal de se rencontrer
. Au nom de la société entière , nous le remercions
d'avoir rendu hommage aux savans , aux vertueux
, aux illustres aïeux de M. l'avocat - général
Séguier. Nous le remercions d'avoir bien marqué le
terme de ces conceptions délirantes , qui prétendirent
, il y a quinze ans , arranger le monde comme
si rien ne s'y étoit passé avant l'année 1790 , et comme
si toute la génération qui couvroit alors la terre étoit
sortie , la veille , des pierres de Deucalion : Unde
homines nati , DURUM GENUS ( 1 ).
Né avec les dispositions les plus heureuses , déve
loppé par une éducation telle que les Jésuites savoient
la donner, M. Séguier parut au barreau avec des talens
précoces. Avocat du roi au châtelet , à l'âge de
22 ans , en 1748 ; il devint avocat-général au grand
conseil en 1751 , et alla bientôt remplir le même ministère
au parlement de Paris , à cette première cour
du royaume , qui , selon la belle et féconde expression
de M. Portalis , étoit dépositaire de la tradition
entière de l'état. Là, M. Séguier fut à sa place ; là,
il devint l'homme de la loi et l'orateur de la patrie.
Quelles idées ! quelle définition ! Comme ce petit
nombre de mots nous a peint là hauteur du tribunal ,
(1) Ovide.
་་་ ་
JANVIER 1806. 123
le personnel du magistrat , la dignité , l'importance et
les devoirs de son emploi !
•
Cet emploi , devenu si grand dans ses développemens
, si sacré dans son objet , l'orateur s'étonne de
le trouver purement fiscal dans sa naissance. « Le
>> croiroit-on ? l'établissement d'une partie publique
» doit son origine à des principes de fiscalité . » En
effet , à ces époques reculées où le suzerain étoit
presque toujours en état de guerre avec ses vassaux ,
et le prince avec ses sujets , même dans les premiers
temps qui ont suivi le triomphe immodéré d'une
puissance vindicadive , ombrageuse et avide , le mot
seul de fiscalité présentoit avec lui quelque chose de
sordide , d'injuste , d'odieux . Pour le fise de ces tempslà
, défendre c'étoit attaquer , conserver c'étoit envahir.
Avec les progrès de la civilisation on vit naître
et s'établir des idées plus saines , des principes plus
purs , des procédés plus justes et plus généreux . Les
procureurs du fisc sentirent que le domaine du prince
devoit être défendu comme celui de tous les citoyens ,
mais qu'il devoit être défendu tout entier , et que la
plus noble partie de ce domaine étoit la distribution
de la justice à ses sujets , et le maintien scrupuleux :
de toutes leurs propriétés. On sut que l'intérêt du
souverain et celui du peuple devoient s'identifier ,
loin d'ètre opposés l'un à l'autre ; qu'on ne peut ni
appauvrir le peuple sans appauvrir le souverain , ni
blesser une seule propriété sans blesser du même coup
toutes les autres . On vit les procureurs du prince
conclure eux - mêmes au rejet de demandes qu'ils
avoient formées en son nom , parce qu'ils avoient.
reconnu pendant l'instruction du procès qu'elles.
n'étoient pas fondées en droit ; et les fiscaux qui ,
par des chicanes aussi mal- habiles que honteuses , vouloient
tout réduire en domaines , parurent plus mal- .
faisans et aussi ridicules que nous l'a paru depuis ce
personnage de la scène , qui vouloit mettre tout le
royaume en ports de mer. Cependant , après avoir
•
$24 MERCURE DE FRANCE ,
donné un défenseur au fisc, on avoit créé un officier
pour défendre les églises et les mineurs , pour protéger
l'innocence , pour rechercher et poursuivre le
crime . Ainsi ( dit M. Portalis ) nacquit cette
grande et belle institution , connue sous le nom de
» ministère public , qui a préservé nos gouvernemens
» modernes de cette foule de délateurs devenus les
» fleaux des familles et de l'état sous les empereurs
de l'ancienne Rome ; cette institution qui , sur tous
» les points d'un vaste empire , donne un organe
» la loi , un régulateur à la jurisprudence , un appui
» consolant à la foiblesse opprimée , un accusateur
à
redoutable au méchant , une sauve-garde à l'intérêt
» général contre les prétentions toujours renaissantes
» de l'intérêt particulier ; enfin , une sorte de repré-
> sentant au corps entier de la société . »
Après cette belle définition d'un ministère sublime
, le panégyriste de M. Séguier va nous montrer
comment ce magistrat l'a rempli , comment il s'est
élevé à la hauteur de ses fonctions aussitôt qu'elles
lui eurent été confiées .
Ce ne sera pas sans nous avoir fait parcourir la
succession des temps qui ont précédé celui de M. Séguier
, sans nous avoir montré , dans deux tableaux
également instructifs et intéressans , d'un côté la
marche et les progrès de l'éloquence judiciaire en
France , de l'autre l'épurement et le perfectionnement
de la jurisprudence elle- même .
Dans le premier de ces tableaux , passent en revue
chacun avec le caractère qui lui est propre , les le
Maltre, les Patru , Terrasson , Cochin ; le grave.
et savant Lamoignon se délassant dans ses entretiens
avec Boileau , délassemens précieux qui cultivoient
son goût et ornoient sa raison ; le président
le Pelletier faisant élever ses enfans par ROLLIN , le
restaurateur des bonnes études et l'instituteur de la
France ; enfin cet illustre , ce vertueux , ce religieux;
d'Aguesseau , aussi bon littérateur que grand magisJANVI
E R. 1806 . 125
trat , qui opéra dans le langage des lois la même révalution
que Fontenelle a opérée dans celui des sciences.
II
Le second tableau , frappant de profondeur , de
justice et de justesse , nous découvre la philosophie
étendant partout son influence salutaire , et agissant
sur le fonds même de la legislation et de la jurisprudence.
Il nous présente ensuite CUJAS, longuement
et laborieusement occupé à ramasser des trésors , qu'il
enfouissoit au moment même où il les avoit recueillis.
DOMAT , plusphilosophe qu'on nepense , osant concevoir
et sachant exécuter le projet de réunir en corps et
de placer en ordre toutes les lois naturelles et civiles.
Enfin paroît cet homme , qui n'est plus de la mesure
des autres hommes , MONTESQUIEU , ayant reçu du
ciel les balances d'orpour peser la destinée des em
pires. Quelle image ! et combien celui qui l'a conçue
est digne de louer celui par qui elle est inspirée ! Ici ,
nous nous sentons également pressés par l'espace , par
le temps , par l'hésitation à choisir entre des phrases
qui sont toutes à citer . Le lecteur doit recourir à
Fouvrage même , et probablement ne sera plus tenté
de reprendre la suite de notre analyse .
།
+
C'est donc après cette révolution dans la langue , et
pendant cette révolution dans l'esprit des lois ; c'est
quand cette raison supérieure qui agrandit les idées ,
inspiroit partout la meilleure manière de les expri
mer; c'est lorsque les discours des LA CHALOTAIS ,
des MONCLAR , des DUDON , des CASTILLON , des
SERVAN , répandus dans les parlemens de provinces ,
devenoient des modèles pour la capitale même , que
s'ouvrit à Paris la carrière de M. l'avocat -général
Séguier. Son intervention dans les affaires des particuliers
, sa surveillance immédiate dans les affaires générales
formoient la division naturelle du compte
qu'avoit à rendre son panégyriste.
*
(La suite dans le prochain numéro.
"
6a
$126 MERCURE DE FRANCE ;
VARIÉTÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
Le Théâtre Français a donné cette semaine la première
représentation de la reprise de Manlius Capitolinus , tragédie
de Lafosse. Cette pièce , représentée pour la première fois
le 18 janvier 1698 , est trop connue pour avoir besoin d'une
analyse détaillée ; elle a été souvent remise au thỏâtre , et
n'y a jamais obtenu qu'un succès d'estime. En voici les raisons
déduites par Voltaire avec évérité , avec dureté même ,
avec ce ton de plaisanterie qui déshonore trop souvent ses
critiques , mais cependant avec justice. « Je viens de lire
» Manlius , écrivoit- il en 1751 ; il y a de grandes beautés ,
» mais elles sont plus historiques que tragiques ; et à tout
» prendre , cette pièce ne me paroît que la Conjuration de
» Venise , de l'abbé de Saint-Réal , gâtée . Je n'y ai pas
» trouvé , à beaucoup près , autant d'intérêt que dans l'abbé
» de Saint- Réal : 1 ° la conspiration n'est ni assez terrible , ni
» assez grande , ni assez détaillée ; 2º Manlius est d'abord le
» premier personnage , ensuite Servilius le devient ; 3 ° Man-
» lius , qui devroit être un homme d'une ambition respec-
1
table , propose à un nommé Rutile ( qu'on ne connoît pas
» et qui fait l'entendu sans avoir un intérêt marqué à tout
» cela ) de recevoir Servilius dans la troupe , comme on re-
» çoit un voleur chez des Cartouchiens. Cela est intéres-
» sant dans la Conspiration de Venise , et nullement vrai-
» semblable dans celle de Manlius qui doit être un chef im-
» périeux et absolu ; 4° la femme de Servilius devine , sans
» aucune raison , qu'on veut assassiner son père , et Servilius
» l'avoue par une foiblesse qui n'est nullement tragique ;
» 5° cette foiblesse de Servilius fait toute la pièce , et éclipse
JANVIER
127
1806.
» absolument Manlius qui n'agit point , et qui n'est plus lä
» que pour être pendu ; 6° Valérie qui pourroit deviner ou
» ignorer le secret , qui , après l'avoir su , pourroit le går-
» der ou le violer , prend le parti d'aller tout dire et de faire
» son traité, et vient ensuite en avertir son imbécille de mari.
» qui ne fait plus qu'un personnage aussi insipide que Man-
» lips ; 7° autre événement qui pourroit arriver dans la pièce.
» ou n'arriver pås , et qui n'est pas plus prévu, pas plus contenu
» dans l'exposition que les autres , le sénat manque honteusement
de parole à Valérie ; 8° Manlius une fois condamné
» tout est fini ; tout le reste n'est encore qu'un événement
» étranger qu'on ajoute à la pièce comme on peut. » Quoi
qu'en dise M. de La Harpe dans son Cours de Littérature ,
ces observations sont vraies en général ; il n'y a de faux que
la conclusion qu'en tire Voltaire : « Je ne sais si je me trompe,
mais j'ose croire que la pièce de Rome sauvée a beaucoup
» plus d'unité , est plus tragique , est plus frappante et plus
>> attachante. » Sous tous ces rapports Manlius est fort su
périeur à Rome sauvée. L'expérience du théâtre l'a cons
tamment prouvé et le prouvera encore , si , comme on l'annonce,
les comédiens s'occupent de la remise de cette pièce.
Ce qui nuit, en général , à toutes ces tragédies dont le sujet
* est une conspiration , c'est que le poète est obligé de jeter
tout l'intérêt sur les conspirateurs , et par conséquent sur le
crime; necessité malheureuse qui le force à violer une des lois
fondamentales de l'art dramatique. Corneille , dans Cinna ,
force de génie, est parvenu à triompher de cet obstacle; mais ce
défaut nuira toujours au succès de Catilina , de Rome sauvée, de
la Mort de César , de la Conjuration de Venise , et de Manlius
même, quoique cette dernière pièce renferme de fort belles
scènes. La plus tragique est celle, où Manlius , qui a répondu
de Servilius comme de lui-même , instruit que la conspiration.
est découverte par sa faute , vient le trouver , tenant à la
main la lettre de Rutile. « Ceux, dit M. de La Harpe , qui
1
128 MERCURE DE FRANCE ,
» ont vu jouer ce rôle à l'inimitable le Kain , se rappellent
encore quelle terreur son visage répandoit dans toute l'as-
» semblée , au moment où il paroissoit au fond du théâtre ,
» fixant les yeux sur Servilius. Talma a produit aussi un
très-grand effet dans cette scène , et a bien joué tout le rôle .
C'est un de ceux qui lui fait le plus d'honneur. Saint-Prix qui
l'avoit joué , en 1788 , avec succès , remplit aujourd'hui
moins heureusement celui de Rutile. Les autres rôles ont été
p'us que foiblement rendus. Damas , toujours voisin de l'exa
gération, charge celui de Servilius. Mlle Fleuri et Naudet ont
fait rire.
On remarque que les seules pièces qui attirent en cé
momeut du monde au Théâtre Français , sont : Horace.
Esther , et le Bourgeois- Gentilhomme. Cette observation qui
fait honneur au goût du public , n'est pas. très- encourageante
pour nos auteurs modernes. Ils n'en paroissent pas cependant
très - effrayés ; car on parle de la prochaine représen
tation de deux nouvelles tragédies , la Mort de Henri IV ,
et Pyrrhus. La première de ees pièces est de M. Legouvé . On
parle aussi d'une pièce intitulée Joseph. Mlle Duchesnois doit
jouer incessamment le rôle de Cornélie dans la Mort de Pompée.
On annonce aussi la prochaine rentrée de Monvel , par
le rôle d'Auguste dans Cinna.
-L'Académie Impériale de musique a remis l'opéra de
Dardannus , et le ballet de la Chercheuse d'esprit . Mais les
amateurs de ce théâtre ne méritent pas le même éloge que
ceux du Théâtre Français. Ce n'est point , en effet , la belle
musique de Sacchini qu'ils ont été entendre , toute leur admi
ration est réservée à Duport , qui a dansé dans l'opéra et dans
le ballet . Ce théâtre s'occupe en ce moment des préparatifs
de la fête qui doit y avoir lieu au retour de LL. MM . On
décore la porte d'entrée destinée à la famille impériale . La
fête se composera de chants héroïques et de ballets. Les ballets
JANVIER 1806. 129
lets seront de la composition de M. Gardel , le poëme de
M. Esménard...
Les comédiens italiens du théâtre Louvois n'ont donné
aucune nouveauté cette semaine. Les comédiens français du
même théâtre en ont donné une qui n'a obtenu et ne méritoit
aucun succès ; c'est une comédie en trois actes , intitulée
Augustine. Au bruit des murmures et même des sifflets ,
Picard , qui avoit joué dans cette pièce , est venu nommer les
auteurs. Ce sont MM. Joseph Pain et Bilderbeek .
Le premier début de Mlle Esther Severin au théâtre de
la rue Feydeau , dans l'Opéra- Comique et le Prisonier , n'a
pas été heureux. M. Despéramons a repris les siens avec succès.
On annonce comme très -prochaine la première représentation
des Deux Aveugles de Tolède et la reprise de
Sargines.
Le théâtre de la Porte Saint-Martin vient de perdre
une de ses premières danseuses , Mlle Santiquet , morte le
14 Janvier , à l'âge de 16 ans . On promet aux nombreux amateurs
des mélodrames une nouvelle pièce de ce genre , intitu
lée : Frédéric à Spandau , et on a donné u e comédie nouvelle,
Deux Filles pour Une. Le dernier mélodrame représenté avec
succès sur ce théâtre , a pour titre : Caroline et Dorville , ou
-la Bataille des Dunes . Les paroles sont de M. Leroi , la musique
de M. Demorange . Toutefois il est juste d'observer que
le véritable auteur d'un melodrame n'est point l'auteur des
paroles , ni même celui de la musique , mais le metteur en
scène; et c'est M. Aumer qui a mis en scène la Bataille des
Dunes.
•
de
-On ignore encore ce que deviendra Brunet . Si, d'un côté ,
l'on assure qu'il est définitivement engagé pour la somme
vingt mille francs au théâtre dont il fait la gloire , de l'autre
M. Foignet , directeur des Jeunes Artistes , affirme que ledit
Brunet a signé un engagement avec lui . S'il étoit encore
temps , et si l'on pouvoit se permettre de donner un conseil
à ce grand artiste , nous lui dirions :
L'enseigne fait la chalandise.
Ι
130 MERCURE DE FRANCE ;
M. Grimod de la Reynière vient de faire paroître le
premier numéro du Journal des Gourmands et des Belles.
M. C. Claudon , peintre célèbre , vient de mourir à
Nancy.
J
B. G. Sage commencera son cours de chimie et de minéralogie
, le 10 janvier , à midi , dans le laboratoire de la
première école des mines , à la Monnoie.
-
. ג י
Depuis dix jours , la mollesse constante de l'atmos
phère a occasionné ou décidé beaucoup de rhumes et de catarres
, qui , presque tous , ont été accompagnés d'affection
gastrique , de prostation de forces et de métastase laringei.
Cette incommodité , dont on ne plaint pas assez les victimes ,
est plus grave qu'on ne pense , quoique la haute médecine
paroisse en avoir dédaigné le traitement. Etablissons -en d'abord
les symptômes. Le malade éprouve tout à- coup , sans
prélulé et sans cause apparente , une douleur de tête avec sentiment
de pesanteur , comme d'un liquide épanché et coulant
dans la cavité centrale , envie de vaumir , pouls febrile , roideur
douloureuse dans toutes les articulations . Bandeaux de
larmes dans les yeux , engorgemens dans les sinus frontaux ,
écoulement d'une liqueur âcre par les narines. Bientôt l'orétisme
augmente , la fièvre s'allume , les facultés digestives se
dépravent; enfin arrive un relâchement complet. Les moyens
Seuratifs sont , en raison des symptômes les plus prononcés ,
Fémétique s'il y a haute gastricité , les boissons délayantes
et chaudes, quelquefois les acides légèrement spiritueux , les
fumigations aromatiques , quelquefois aussi les lavemens stimulans
pour porter sur le tube intestinal l'irritation dirigée
vers les premières voies . C'est alors qu'il convient d'user
d'une diète sévère, de se tenir dans un lit chaud, et de changer
souvent de linge , s'il y a transpiration. A mesure que les
phénomènes diminuent d'intensité , on peut se relâcher sur
la diète , mais on continuera de boire et d'user de lavemens.
Cette affection , comme toutes les autres , à son commence-
+
JANVIER 1806.. 131
1
ment, sont incrementum , et sa fin ; peut- être même seroit - il
dangereux de cumuler ces trois périodes. On peut en modifier
les crises , mais qu'on se garde bien de les empêcher.
Une autre réflexion se présente ici naturellement ; c'est au
changement trop soudain de température , que l'on doit les
rhumes. Vaudroit - il mieux se tenir enfermé tout l'hiver auprès
de son feu ? Non , sans doute. Les alternatives de froid
et de chaud déterminent la coction des humeurs , et sans
elle , on éprouveroit de graves maladies au lieu de simples in
commodités . Cette réponse s'adresse à ceux qui demandent
s'il y a des préservatifs contre le rhume.
( Gazette de Santé , du 11 janvier. )
MODEs du 16 janvier. Naguère on ne voyoit presque que des
robes rose , au bal de l'Athénée ; aujourd'hui , ce sont les robes lilas qui
dominent elles sont toujours en crêpe, et le corset en satin blanc. :
On a remarqué , sur une robe blanche , un corset de velours pourpre,
lacé derrière , avec une garniture de robe , et des raies dé manches de la
même étoffe.
´´Il y a quelques robes de danseuses , faites à l'enfant , que trois noeuds
de rubans ferment sur le dos .
Les robes sur lesquelles on ne met pas de corset d'une autre couleur ,
ont une écharpe blanche houée sur le côté.
Les couturières profitent de l'écharpe pour faire reprendre la mode
des Psychés , espèce de robes qui ne laissent voir qu'un côté de la gorge .
Leur Psyché commence à l'épaule droite , et vient se perdre sous le sein
gauche , où l'écharpe se noue.
On citoit , jeudi dernier , comme un modèle de simplicité , un costume
de bal qui consistoit en une robe bleu de ciel , et en deux gros bouquets
-de roses blanches . Une guirlande mince aboutissoit , par une direction
transversale , à ces deux bouquets , l'un fixé au dessous du sein gauche ,
l'autre sur le bord inférieur de la robe.
Dans les rangs des dames spectatrices , on trouve des turbans ; ils sont
formes de deux morceaux d'étoffé , l'un soie blanche et argent , l'autre
velours pourpre , amaranthe ou rose.
Les coiffures en cheveux , d'après les remarques fuites au théâtre et au
bal , sont tout-à-fait lisses pardevant et forment un grand front . S'il y
a un crochet , il est petit . Les draperies d'étoffe entrent pour peu dans les
compartimeus de coiffures en cheveux.
Quelques modistes font des capotes en velours côtelé leur forme est
alongée , et , comme toutes les autres capotes , elles sont doublées de
blane. Non- seulement les modistes emploient des plumes roses , mais que ! -
quefois elles donnent pour rebord à une toque noire , un plumet rose
recoquillé .
Les sociétés où l'on danse , sont celles qui présentent le plus de variété
dans les costumes. Deux parures sont là de rigueur , l'une pour les femmes
qui regardent , et l'autre pour celles qui sont actrices. Quand on va voir
s seulement danser , on met une robe de grande 2 tenue , à grande queue ,
છે
Í 2
132 MERCURE DE FRANCE ;
grande prétention , de velours ou de satin nacarat , avec des ornemens, en
or et la toque parcille : mais les femmes qui dansent sont vêtues d'une
manière plus svelte et plus légère ; à peine leur corps agile est - il couvert
d'une nuéc de crêpe : point de queue , peu de plis sur les hanches , point
de garniture lourde. Par ce contraste de vêtemens , un cavalier , au premier
coup-d'oeil , distingue la femme qui veut danser de celle qui sacrifie
ce plaisir au goût de la représentation .
Pour les Hommes . Point de gilet sans une petite gance.
Il est aussi sévèrement prescrit d'avoir , à un habit , un collet pareil ,
qu'un collet de velours à une redingote. Les poches en travers ont été
adaptées aux spencers. Un spencer doit avoir un collet d'étoffe .
On commence à substituer aux boutons blancs , des boutons pareils , ou
recouverts d'un ruban de soie , assorti au drap.
Beaucoup de chapeaux parés ont un plumet noir , et les chapeaux toutà-
fait habillés , un plumet blanc.
NOUVELLES POLITIQUES.
Stuttgard , 4 décembre.
Voici la proclamation qui a été publiée ici solennellement
le 1er de ce mois :
Proclamation.
uFrédéric, par la grace de Dieu, roi de Wurtemberg, grandpannetier
du saint Empire romain , et électeur, etc. , etc. , etc.
Faisons savoir par celle- ci , que par la grace du Dieu miséricordieux
la paix a été conclue , le 27 décembre , entre S. M.
l'empereur d'Allemage et d'Autriche , et S. M. l'Empereur
des Français et Roi d'Italie.
>>Ayant pris pour nous et nos successeurs le titre de Roi , en
conséquence d'une convention faite le 12 décembre de l'année
dernière , avec S. M. l'Empereur des Français et Roi d'Italie ,
laquelle forme partie intégrante du traité de paix conclu entre
sa dite M. I. et R. , et S. l'empereur d'Allemagne et d'Autri–
che , nous en donnons ici connoissance afin que chacun y ait
égard.
>>Nous trouvons dans cet événement , qui doit être glorieux
et mémorable pour tout fidèle Wurtembergeois , une nouvelle
preuve de la protection de la Providence qui ne cesse
de veiller sur notre maison , et nous croyons pouvoir être
assurés que tous nos serviteurs et sujets sont pénétrés des
mêmes sentimens de joie et de reconnoissance au sujet de cet
événement inattendu , auquel le bonheur de la patrie est
étroitement lié.
τη TI
» Les nouveaux rapports qui vont en dériver , nous donnent
l'agréable espérance de pouvoir augmenter de plus en plus et
consolider le bien -être de tous nos pays , tant héréditaires
qu'acquis , et le bonheur de tous nos fidèles sujets que nous
avons si fortement à coeur. Notre zèle infatigable sera encore
JANVIER 1806. 133
animé par la persuasion où nous sommes de trouver constamment
notre récompense dans l'attache ment et la fidélité
inébranlable de tous nos sujets. Nous les assú ons ici de notre
gracieuse bienveillance.
» Donné à notre résidence royale de Stuttgard , le rer
janvier. »
3
er
Le même jour , 1 janvier , il y a eu gala à la cour. A dix
heures du matin , il a été chanté à l'église du château un
Te Deum solennel auquel S. M. le roi et la reine et toute la
famille royale ont assisté. Après le service divin , la cour s'est
rendue au château ; M. d'Arberg , chambellan de S. M.
l'Empereur des Français , a présenté au roi , ainsi qu'à LL. AA.
le prince Royal et le prince Paul les décorations du grand
ordre de la Légion d'Honneur. Il y a eu ensuite grand couvert
; et le soir comédie et redoute gratis.
3
S. M. a daigné faire le même jour différentes promotions :
le prince royal a été nommé lieutenant-général , ainsi que le
général-major de Varenbuhler. M. le président de la régence,
de Taubenhien , et le ministre d'état de Mundelslohe , ont
été élevés au rang de général d'artillerie.
er
Londres , 1 janvier.
L'amiral Parker sera à la tête du convoi de lord Nelson
le prince de Galles suivra le cortège ainsi que tous les amiraux
et capitaines qui sont en Angleterre , principalement ceux qui
ont été à la bataille de Trafalgar. Tous les pavillons qui ont
été pris à cette journée mémorable seront suspendus dans
l'église de Saint-Paul , où l'on a fait des préparatifs pour
placer 3000 personnes.
Extrait détaillé du testament de lord Nelson, et du codicile qui y
est annexé.
« Horatio Nelson , vicomte de Burnham - Thorpe , dans le comté de
Norfolk , duc de Bronte , dans le royaume de Sicile , etc. etc. , donne la
somme de 100 liv . aux pauvres des trois paroisses de Burnham -Thorpe ,
Sutton et Morton , dans le comté de Nolfolk ; une pareille somme pour
être distribuée entre les curés ou ministres .
» A Emma Hamilton , veuve du chevalier Hamilton , son étoile de
diamans , comme un gage d'amitié , et en outre la coupe d'argent dont
elle lui avoit fait présent.
» A son frère le comte Nelson , la boîte d'or dont la cité de Londres
lui fit présent , et l'épée d'or qui lui fut présentée par les capitaines de
son escadre après la bataille du Nil.
» A sa soeur Catherine Marcham , l'épée qui lui fut donnée par la
ville de Londres..
» A sa soeur Susanna Bolton , la coupe d'or qu'il reçut de la société
des négocians turcs .
» A son digne ami , le capitaine Hardy , ses lunettes de mer , ses télescopes
et 100 liv . sterl.
3.
134 MERCURE DE FRANCE ,
>> A chacun des ses exécuteurs testamentaires , 100 l . st.
1
» A Guillaume Haslewood , de Graven- Street , tous ses effets mobi
liers , excepté ceux qui se trouvent à sa maison de Morton , excepté aussi
ses bijoux et son épée enrichie de diamans.
» Ses exécuteurs testamentaires sont chargés de convertir en argent
tous ses biens-fonds , et d'en placer le produit dans les trois pour cent
consolidés ; ils y joindront l'argent qu'il trouveront à son décès , et en
remettront le dividende à Françoise Herbert , vicomtesse Nelson , son
épouse . Cette somme est indépendante de celle qu'il a fait remettre antérieurement
à la vicomtesse Nelson ; et , réunies , elles lui serviront de
douaire . Si les sommes provenant de la vente de ses biens-fonds en Angleterre
, étoient insuffisantes pour produire un reveuu net de 1000 liv . st .
à sa veuve , ses exécuteurs testamentaires disposeront de la manière qui
leur semblera la plus avantageuse , du duché de Bronte, et des terres qui
en dépendant dans la Sicile. Le revenu de 1000 liv. dont la vicomtesse
Nelson aura joui pendant sa vie , sera , lors de son décès , partagé en trois
parts égales , entre son frère Guillaume Nelson , et ses deux soeurs , Susanna
Bolton et Catherine Marcham . ››
"
- Codicile annexé au testament . « Horatio Nelson , vicomte du
Nil , etc ayant joint à mon testament du 10 mai 1803 , un codicile en
date du 13 du même mois , j'ajoute à ce testament un nouveau codicile
dont la teneur suit : Je donne et lègue , par le préseut testament , à miss
Horatia Nelson - Thompson , baptisée le 14 mai dernier , dans la paroisse
de Mary-le-Bonne , au comté de Midlesex , par Benjamin Laurence , et
Jean Willock, clore assistant, laquel e je reconnois pour ma fille adoptive,
la somme de 4000 liv . sterl . , qui lui sera payée six mois après mon décès ,
et plus tôt, s'il est possible. Je charge ma chère amie Emma, lady Hamil
ton , d'être la seconde mère d'Horatia Nelson , jusqu'à ce que cette enfant
ait atteint l'âge de dix- huits ans : les intérêts de la somme de 4000 liv. st .
seront payés à lady Hamilton , pour l'entretien et l'éducation de ma fille"
adoptive . Ce soin , dont je charge lady Hamilton , lui sera agréable sans
doute ; elle aimera à remplir ces pieux devoirs à ma place . J'attends cette
dernière marque de sa constante amitié. Elle ne manquera pas , j'en ai la
confiance , d'élever la jeune Horatia dans les principes de la religion et de
la vertu. Elle en fera une femme accomplie , comme elle-même . J'espère
que , formée par les soins de lady Hamilton , Horatia sera digne des
voeux de mon cher neveu Horatio Nelson , et que ces deux objets de ma
tendresse seront mariés sous les auspices de ma bonne amie , et heureux
l'un par l'autre . Je ratifie et confirme toutes mes dispositions testamenaaires
précédentes ; en foi de quoi , j'ai apposé ma signature et mon cachet
au présent codicile , écrit tout entier de main et sur une seule feuille de
papier , le 6 septembre , de l'an de Notre-Seigneur- Jésus- Christ 1803 , »
Signé , NELSON et BRONTE .
PARIS,
- Le 9 nivose dernier , le tribunat a arrêté en séance
secrète , l'adresse suivante de remerciement à S, M, l'Empereur
et Roi ?
« Sire , ... <<<
» Vos fidèles sujets les membres du tribunat supplient
JANVIER 1806. 135
V. M. de recevoir avec bonté l'expression de leur reconnoissance
pour
le don qu'elle a daigné leur faire d'une partie des
drapeaux conquis par la Grande-Armée. Ce gage mémorable
de votre bienveillance leur est d'autant plus précieux , qu'il
leur a fourni l'occasion de célébrer les hauts faits des guerriers
qui ont vaincu sous vos ordres , et les prodiges par lesque's
vous avez encore une fois étonné l'univers. Sire , depuis longtemps
le tribunat se glorifie de son dévouement à votre
auguste personne ; il s'enorgueillit aujourd'hui d'une marque
d'estime qui l'autorise à penser qu'il a rempli ses devoirs
envers la patrie et envers V. M. C'est la récompense la plus
honorable de son zèle ; elle est un encouragement aux efforts
qu'il ne cessera de faire pour en mériter de nouvelles . Le
tribunat a arrêté qu'une médaille perpétueroit le souvenir du
bienfait et de la reconnoissance. »>
er
Le 1 janvier , le sénat conservateur après avoir , sur
la proposition d'un de ses membres , signalé par des acclamations
et des voeux solennels pour la conservation de l'Em--
pereur et pour la prospérité de l'Empire , l'époque mémorable
de la séance publique de ce jour , qui étoit aussi celle du
renouvellement de l'année , a arrêté que le procès-verbal de
cette séance seroit transmis par un message à S. M. l'Empereur
et Roi ; qu'il seroit pareillement transmis au corps législatif,
lors de sa rentrée , et au tribunat.
-
Le dimanche , 5 janvier 1806 , une députation du tribunat
s'est rendu à l'hôtel - de-ville , pour y remettre les drapeaux
pris à Wertingen , dont S. M. Î'EMPEREUR et Ror a fait
présent à la ville de Paris , et qu'elle avoit confiés à la dépu
tation du tribunat. Dans la même séance , les mêmes députés
ont rendu compte de la mission de la députation. M. Rouillé
de l'Etang , président du conseil-général , a rectifié , au nom
du conseil , les propositions de M. le préfet , relatives à la
construction , aux frais de la commune de Paris , d'un monument
consacré à perpétuer à la fois le souvenir des faits glorieax
de Napoléon-le-Grand , et les sentimens d'admiration ,
d'amour et de respect que la capitale de l'Empire fait éclater
pour son EMPEREUR .
-Dans la séance publique tenue le 10 janvier , le tribunat
, sur la proposition de M. Jard-Panvilliers , a résolu d'aller
en corps au-devant de S. M. l'Empereur et Roi , lors de son
retour à Paris. Les députés chargés de porter à l'Hôtel-de-
Ville les drapeaux de Wertingen , ont rendu compte , daus la
même séance, de leur mission.
4
136
MERCURE
DE
FRANCE
;
)
Le 14 janvier , hier , à deux heures après midi , en conformité des
ordres de Sa Majesté l'EMPEREUR et Roi , S. A. S. Mgr. le prince
archi-chancelier de l'Empire s'est rendu à la séance du Sénat . S. A. a été
reçue dans les formes ordinaires , et ayant pris sa place , elle a dit :
« Messieurs ,
» Si le prince grand-électeur étoit encore parmi nous , vous auriez reçu
de ses mains la communication que S. M l'EMPEREUR et Roi m'ordonne
de vous faire. La lettre que S. M. adresse u sénat , et que je lui apporte ,
a pour objet de vous instruire de deux- transactions importantes. L'une
est le mariage du prince Eugène avec la princesse Auguste, fille de S M.
le roi de Bavière . L'autre est le traité de paix avec l'empereur d'Autriche ,
conclu à Presbourg le 5 nivose ( 26 décembre 1805 ) , et ratifié le lendemain
au palais de Schoenbrün . près Vienne . En vous donnant connoissance
des articles qui le composent , S. M. satisfait tout à-la-fois au besoin
qu'elle éprouve de communiquer avec vous sur tous les grands intérêts de
l'état , et au desir d'accélérer la publication de cet acte , dont nos lois
constitutionnelles ont voulu que vous fussiez instruits les premiers.
>> Vous appercevrez , messieurs , dans l'établissement du prince
Eugene, un nouveau témoignage de la tendresse de S. M. , pour celui qui
justifie si bien le beau titre qu'elle lui a conféré , en le nommant l'enfant
de son adoption . Heureux prince, qui , appelé si jeune à l'administration
d'un grand état , a su se rendre égal à cette tâche difficile , se montre de jour en jour plus digne d'imiter les glorieux exemples dont son enfance
a été nourrie , et conservera la tradition de bonté dont son auguste
mère lui a transmis l'héritage. Ce mariage manifeste aussi combien
' EMPEREUR apprécie la loyauté de l'antique maison de Bavière , dont
l'attachement pour la France ne s'est jamais démenti dans toutes les époques de notre monarchie ; et combien S. M. est touchée du courage et du dévouement , dont la nation bavaroise et son illustre chef viennent
de lui donner des preuves au péril de leurs plus grands intérêts . Quant au traité de paix, chacune des conditiors qu'il renferme, offre de nouveaux
sujets d'admirer la magnanimité de Napoléon -le- Grand , qui forcé de prendre les armes , n'a cherché d'autre fruit de ses victoires, que la gloire
de fonder le repos de l'Europe, en honorant la fidélité de ses alliés.
» Votre juste impatience compte avec regret les momens jusqu'à celui
qui nous rendra la présence de notre monarque . Croyez , messieurs , qu'il
ressent aussi le desir d'être rendu à l'amour de ses peuples. Maisle tableau
des heureux qu'il a faits , étoit une jouissance trop digne de son
coeur , pour qu'il pût leur refuser un dernier regard , qui accroît leur bonheur
, et qui en assure la durée. Je remets , messieurs , entre les mains de
M. le président , la lettre de S. M. l'EMPEREUR et Roi , une expédition
du traité de paix ratifié , et je demande acte de cette remise. »
Lettre de S. M. l'EMPEREUR au séṇat.
SÉNATEURS ,
" La paix a été conclue à Presbourg et ratifiée à Vienne entre moi te
l'empereur d'Autriche. Je voulois dans une séance solennelle , vous en
faire connoître moi-même les conditions , mais ayant depuis long-tems arrêté
, avec le roi de Bavière , le mariage de mon fils le prince Eugène avec
la princesse Auguste sa fille , et me trouvant à Munich au moment où la
célébration dudit mariage devoit avoir lieu , je n'ai pu résister au plaisir
d'unir moi-même les jeunes époux , qui sont tous deux le modèle de leur
JANVIER 1806. 137
sexe. Je suis d'ailleurs , bien-aise de donner à la maison royale de Bavière ,
et à ce brave peuple bavarois , qui , dans cette circonstance , m'a rendu
tant de services et montré tant d'amitié , et dont les ancêtres furent constamment
unis de politique et de coeur à la France , cette preuve de ma
considération et de mon estime particulière . Le mariage aura lieu le 15
janvier . Mon arrivée au milieu de mon peuple sera donc retardée de quelques
jours. Ces jours paroîtront longs à mon coeur; mais , après avoir été
sans cesse livré anx devoirs d'un soldat , j'éprouve un tendre délassement à
m'occuper des détails et des devoirs d'un père de famille . Mais ne voulant
point retarder davantage la publication du traité de paix , j'ai ordonné , en
conséquence de nos statuts constitutionels , qu'il vous fût communiqué
sans délai, pour être ensuite publié comme loi de l'Empire.
» Donné à Munich , le 6 janvier 1806 .
» Signé NAPOLÉOn . »
COPIE DU TRAITÉ DE PAIX.
NAPOLÉON , par la grace de Dieu et par les constitutions , Empereur
des Français , Roi d'Italie , ayant vu et examiné le traité conclu , arrêté
et signé à Presbourg le 26 décembre 1805 ( 5 nivose an 14 ) , par notre
ministre des relations extérieures , en vertu des pleins-pouvoirs que nous
lui avions conférés à cet effet , avec MM . le prince de Liechtenstein et
le comte de Gyulai ; ministres plénipotentiaires de S. M. l'empereur
d'Allemagne et d'Autriche , également munis de pleins- pouvoirs , duquel
traité la teneur suit :
S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , et S. M.
l'Empereur des Français , Roi d'Italie , également animés du
desir de mettre fin aux calamités de la guerre , ont résolu de
procéder , sans délai , à la conclusion d'un traité de paix
définitif , et ont , en conséquence , nommé pour plénipotentiaires
; savoir : S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche ',
M. le prince Jean de Liechtenstein , prince du Saint-Empire
romain , grand-croix de l'ordre militaire de Marie-Thérèse
chambellan , lieutenant-général des armées de sadite majesté
l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , et propriétaire d'un
régiment d'hussards ; et M. le comte Ignaz de Gyulai , commandeur
de l'ordre militaire de Marie-Thérèse , chambellan
de sadite majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche ,
lieutenant-général de ses armées , et propriétaire d'un régiment
d'infanterie ; Et S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie , M. Charles-Maurice Talleyrand Périgord , grand
chambellan ministre des relations extérieures de sadite
Majesté l'Empereur des Français et Roi d'Italie , grand-cordon
de la Légion d'honneur , chevalier des ordres de l'Aigle-
Rouge et Noir de Prusse ; lesquels , après avoir échangé
leurs pleins-pouvoirs , sont convenus des articles suivans :
Art. Ier. Il y aura , à compter de ce jour , paix et amitié
entre S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , et S. M.
l'Empereur des Français , Roi d'Italie , leurs héritiers et suc-
' cesseurs , leurs états et sujets respectifs , à perpétuité.
138 MERCURE DE FRANCE ,
•
Il, La France continuera de posséder en toute propriété et
souveraineté , les duchés , principautés , seigneuries et territoires
au-delà des Alpes , qui étoient , antérieurement au présent
traité , réunis et incorporés à l'Empire français , ou régis
par les lois et les administrations françaises.
III. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , pour
lui , ses héritiers et successeurs , reconnoît les dispositions
faites par S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , relativement
aux principautés de Lucques et de Piombino.
IV. S. M: l'empereur d'Allemagne et d'Autriche renonce ,
tant pour lui que pour ses héritiers et successeurs , à la partie
des états de la république de Venise , à lui cédée par les
traités de Campo - Formio et de Lunéville , laquelle sera
réunie à perpétuité au royaume d'Italie.
V. Sa majesté l'empereur d'Allemagne et d'Autriche reconnoit
S. M. l'Empereur des Français comme Roi d'Italie.
Mais il est convenu que , conformément à la déclaration faite
par S. M. l'Empereur des Français , au moment où il a pris
la couronne d'Italie , aussitôt que les puissances nommées dans
cette déclaration auront rempli les conditions qui s'y trouvent
exprimées , les couronnes de France et d'Italie seront séparées
à perpétuité , et ne pourront plus , dans aucun cas , être réunies
sur la même tête. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche
s'engage à reconnoître , lors de la séparation , le successeur
que S. M. l'Empereur des Français se sera donné comme
Roi d'Italie.
VI. Le présent traité de paix est déclaré commun à leurs
altesses sérénissimes les électeurs de Bavière , de Wurtemberg
et de Bade , et à la république batave , alliées de S. M. l'Em
pereur des Français , Roi d'Italie , dans la présente guerre.
VII. Les électeurs de Bavière et de Wurtemberg ayant pris
le titre de hoi, sans néanmoins cesser d'appartenir à la confédération
germanique , S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche
les reconnoît en cette qualité.
VIII. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , tant
pour lui , ses héritiers et successeurs , que pour les princes de
sa maison , leurs héritiers et successeurs respectifs , renonce
aux principautés, seigneuries , domaines et territoires ci -après ,
désignés : Cede et abandonne à S. M. le roi de Bavière , le
margraviat de Burgaw et ses dépendances , la principauté
d'Eichstadt , la partie du territoire de Passau appartenant à
S. A. R. l'électeur de Salzbourg , et située entre la Bohême
l'Autriche , le Danube et l'Inn ; le comté de Tyrol , y compris
les principautés de Brixen et de Trente ; les sept seigneuriesJANVIER
1806.
139
du Vorarlberg avec leurs enclaves ; le comté de Hohenems ,
le comté de Konigsegg- Rothenfels , les seigneuries de Tetnang
et Argen, et la ville et territoire de Lindau ; à S., M. le roi de
Wurtemberg les cinq villes dites du Danube, savoir : Ehingen,
Munderkingen , Reidlingen , Mengen et Sulgaw , avec leurs
dépendances , le haut et bas comté de Hohenberg , le landgraviat
de Nellenbourg et la préfecture d'Altorff , avec leurs
dépendances ( la ville de Constance exceptée ) , la partie du
Brisgaw faisant enclave dans les possessions wurtembergeoises
et située à l'est d'une ligne tirée du Schlegelberg jusqu'à la
Molbach , et les villes et territoires de Willingen et Brentingen
. A´S. A. S. l'électeur de Bade , le Brisgaw (à l'exception
de l'enclave et des portions séparées ci-dessus désignées ) ,
l'Ortenaw et leurs dépendances , la ville de Constance et la
commanderie de Meinau . Les principautés , seigneuries
domaines et territoires susdits , seront possédés respectivement
par LL. MM. les rois de Bavière et de Wurtemberg et par
S. A. S. l'électeur de Bade , soit en suzeraineté , soit en toute
propriété et souveraineté , de la même manière , aux mêmes
titres , droits et prérogatives que les possédoient S. M. l'empereur
d'Allemagne et d'Autriche , ou les princes de sa maison ,
et non autrement.
IX. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche reconnoît
les dettes contractées par la maison d'Autriche au profit
des particuliers et des établissemens publics du pays , faisant
actuellement partie intégrante de l'Empire français ; et il est
convenu que sadite majesté restera libre de toute obligation
par rapport à toutes dettes quelconques que la maison d'Au
triche auroit contractées , à raison de la possession , et hypothéquées
sur le sol des pays auxquels elle renonce par le
présent traité.
X. Les pays de Saltzbourg et de Berchtolsgaden apparte→
nant à S. A. R. et E. l'archiduc Ferdinand , seront incorporés
à l'empire d'Autriche , et S. M. l'empereur d'Allemagne et
d'Autriche les possédera en toute propriété et souveraineté
mais à titre de duché seulement.
XI. S. M. l'Empereur des Français , Roi d'Italie , s'engage
à obtenir , en faveur de S. A. R. l'archiduc Ferdinand , élec+
teur de Saltzbourg , la cession , par S. M. le roi de Bavière ,
de la principauté de Wurtzbourg , telle qu'elle a été donnée
à sadite majesté par le recès de la députation de l'empire
germanique , du 25 février 1803 ( 6 ventose an 11. ) Le titre
électoral de S. A. R. sera transféré sur cette principauté , que
S. A. R. possédera en toute propriété et souveraineté de la
même manière et aux mêmes conditions qu'elle possédoit
140
1
MERCURE DE FRANCE ,
l'électorat de Saltzbourg. Et quant aux dettes , il est convenu
que le nouveau possesseur n'aura à sa charge que les dettes
résultant d'emprunts formellement consentis par les états du
pays , ou des dépenses faites pour l'administration effective
dudit pays. '.
XII. La dignité de grand-maître de l'ordre Teutonique ,
les droits , domaines et revenus , qui antérieurement à la présente
guerre , dépendoient de Mergentheim , chef- lieu de
l'ordre , les autres droits , domaines et revenus qui se trouveront
attachés à la grande-maîtrise , à l'époque de l'échange
des ratifications du présent traité , ainsi que les domaines et
revenus dont , à cette même époque , ledit ordre se trouvera
en possession , deviendront héréditaires dans la personne et la
descendance directe et masculine , par ordre de primogéniture
de celui des princes de la maison impériale qui sera désigné
par S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche. S. M. l'Empereur
Napoléon promet ses bons offices pour faire obtenir
le plus tôt possible , à S. A. R. l'archiduc Ferdinand , une
indemnité pleine et entière en Allemagne.
. XIII. S.M. le roi de Bavière pourra occuper la ville d'Augsbourg
et son territoire , les réunir à ses états et les posséder en
toute propriété et souveraineté . Pourra également S. M. le roi
de Wurtemberg occuper , réunir à ses états et posséder en
toute propriété et souveraineté le comté de Bondorff, et S. M.
l'empereur d'Allemagne et d'Autriche s'engage à n'y mettre
aucune opposition.
XIV. Leurs Majestés les rois de Bavière et de Wurtemberg
et son altesse sérénissime l'électeur de Bade jouiront ,
sur les territoires à eux cédés , comme aussi sur leurs anciens
états , de la plénitude de la souveraineté et de tous les droits
qui en dérivent et qui leur ont été garantis par S. M. l'Empereur
des Français , Roi d'Italie , ainsi et de la même manière
qu'en jouissent S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche
, et S. M. le roi de Prusse sur les états allemands. S. M.
l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , soit comme chef de
l'Empire , soit comme co -état , s'engage à ne mettre aucun
obstacle à l'exécution des actes qu'ils auroient faits ou pourroient
faire en conséquence.
les . XV. Sa majesté . l'empereur d'Allemagne et d'Autriche ,
tant pour lui , ses héritiers et successeurs , que pour
princes de sa maison , leurs héritiers et successeurs , renonce
à tous droits , soit de souveraineté , soit de suzeraineté , à
toutes prétentions quelconques , actuelles ou éventuelles , sur
tous les états , sans exception , de leurs majestés les rois de
Bavière et de Wurtemberg, et de S. A. S. l'électeur de Bade ,
JANVIER 1806. 141
et généralement sur tous les états , domaines et territoires.
compris dans les cercles de Bavière , de Franconie et de
Souabe , ainsi qu'à tout titre pris desdits domaines et territoires
; et réciproquement toutes prétentions actuelles ou
éventuelles desdits Etats à la charge de la maison d'Autriche
ou de ses princes , sont et demeureront éteintes à perpé
tuité ; néanmoins les renonciations contenues au présent ar
ticle ne concernent point les propriétés qui sont par l'art. XI,
ou seront , en vertu de l'art. XII ci dessus , concédées à
LL. AA. RR. les archiducs ' désignés dans lesdits articles.
-
XVI. Les titres domaniaux et archives , les plans et cartes
des différens pays , villes et forteresses , cédés par le présent
traité , seront remis dans l'espace de trois mois , à dâter de
l'échange des ratifications , aux puissances qui en auront acquis
la propriété.
XVII. Sa Majesté l'Empereur Napoléon garantit l'inté→
grité de l'empire d'Autriche dans l'état où il sera en consé→
quence du présent traité de paix , de même que l'intégrité
des possessions des princes de la maison d'Autriche , désignés
dans les articles onzième et douzième.i >
XVIII. Les hautes parties contractantes reconnoissent l'in→
dépendance de la république helvétique , régie par l'acte de
niédiation , de même que l'indépendance de la république
batave.
XIX. Les prisonniers de guerre faits par la France et ses
alliés sur l'Autriche , et par l'Autriche sur la France et ses
alliés , et qui n'ont pas été restitués , le seront dans quarante
jours , à dater de l'échange des ratifications du présent traité.
XX. Toutes les communications et relations commerciales
seront rétablies dans les deux pays comme elles étoient avant
la guerre. f
XXI. S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche et S. M,
l'Empereur des Français , Roi d'Italie , conserveront entr'eux
le même cérémonial , quant au rang et aux autres étiquettes ,
-que celui qui a été observé avant la présente guerre.
XXII. Dans les cinq jours qui suivront l'échange des ratifications
du présent traité , la ville de Presbourg et ses environs,
à la distance de six lieues, seront évacués. Dix jours après ledit
séchange , les troupes françaises et alliées de la France auront
évacué la Moravie , la Bohême , le Wiertel-Unter - Wienner-
Wald , le Wiertel-Unter- Manhartsberg , la Hongrie et toute
la Styrie. Dans les dix jours suivans , elles évacueront le
Wiertel- Ober- Wienner - Wald et le Wiertel - Ober-Manhartsberg.
Enfin dans le délai de deux mois , à compter de l'échange
des ratifications , les troupes françaises et alliées de la
142 MERCURE DE FRANCE ,
France auront évacué la totalité des états héréditaires de
S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , à l'exception
de la place de Braunau , laquelle restera pendant un mois de
plus à la disposition de S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie , comme Kieu de dépôt pour les malades et pour l'artillerie.
Il ne sera , pendant ledit mois , fait aux habitans aucune
réquisition de quelque nature que ce soit. Mais il est
convenu que jusqu'à l'expiration dudit mois il ne pourra être
stationné ni introduit aucun corps quelconque de troupes autrichiennes
dans un arrondissement de six lieues autour de ladite
place de Braunau. Il est pareillement convenu que chacun
des lieux qui devront être évacués successivement par les
troupes françaises dans les délais susmentionnés , ne pourra
être occupé par les troupes autrichiennes que 48 heures après
l'évacuation. Il est aussi convenu que les magasins laissés par
l'armée française dans les lieux qu'elle devra successivement
évacuer , resteront à sa disposition , et qu'il sera fait par les
hautes parties contractantes un arrangement relatif à toutes les
contributions quelconques de guerre précédem. imposées sur les
divers états héréditaires occupés par l'armée française ; arran←
gement en conséquence duquel la levée desdites contributions
cessera entièrement à compter du jour de l'échange des ratifi
cations. L'armée française tirerá son entretien et ses subsistances
de ses propres magasins établis sur les routes qu'elle
doit suivre. !
XXIII. Immédiatement après l'échange des ratifications du
présent traité , des commissaires seront nommes de part et
d'autre , pour remettre et recevoir , au nom des souverains
respectifs , toutes les parties du territoire vénitien , non occupées
par les troupes de S. M. l'Empereur des Français , Roi
d'Italie. La ville de Venise , les lagunes et les possessions de
terre ferme seront remises dans le délai de quinze jours ; l'Istrie
et la Dalmatie vénitiennes , les bouches du Cattaro , les iles
vénitiennes de l'Adriatique et toutes les places et forts qu'elles
renferment , dans le délai de six semaines , à compter de l'échange
des ratifications. Les commissaires respectifs veilleront
à ce que la séparation de l'artillerie ayant appartenu à la république
de Venise et de l'artillerie autrichienne , soit exacte
ment faite , la première devant rester en totalité au royaume
d'Italie. Ils détermineront , d'un commun accord , l'espèce et
la nature des objets qui , appartenant à S. M. l'Empereur
d'Allemagne et d'Autriche , devront en conséquence rester à
sa disposition. Ils conviendront , soit de la vente au royaume
d'Italie de l'artillerie impériale et des objets susmentionnés ,
soit de leur échange contre une quantité équivalente d'artilleJANVIER
1806. 143
rie ou d'objets de même ou d'autre nature qui seroient laissés
par l'armée française dans les états héréditaires. Il sera donné
toute facilité et toute assistance aux troupes autrichiennes et
aux administrations civiles et militaires , pour retourner dans
les états d'Autriche par les voies les plus convenables et les
plus sûres , ainsi que pour le transport de l'artillerie impériale
, des magasins de terre et de mer , et autres objets qui
n'auroient pas été compris dans les stipulations , soit de vente
soit d'échange, qui pourront être faites.
XXIV. Les ratifications du présent traité seront échangées
dans l'espace de huit jours , ou plus tôt si faire se peut.
Fait et signé à Presbourg , le 26 décembre 1805 ( 5 nivose)
an 14 ). ( Suivent les signatures. )
f
Avons approuvé et approuvons le traité ci- dessus , en tous et chacun
des articles qui y sont contenus , déclarons qu'il est accepté , ratifié et
confirmé , et promettons qu'il sera inviolablement observé . En foi de quoi,
nous avons donné les présentes , signées de notre main , contre - signées et
scellées de notre sceau Impérial . Au palais de Schoenbrün , le 6 nivosa
an 14 ( 27 décembre 1805. )
Signé NAPOLÉON.
Le Sénat , après avoir entendu M. François de Neufchâtean , président ,
MM. Bois y et Chaptal , a délibéré de faire une adresse de remerciement
à Sa Majesté l'EMPEREUR et Roi , une adresse de félicitation à Sa Majesté
l'Impératrice et Reine ; il a délibéré aussi que M. le président écriroit à
S. A. S. Mgr. le prince Eugène , vice- roi d'Italie et archi-chancelier
d'état , pour le féliciter sur son mariage. La rédaction des adresses à été
renvoyée à une commission qui s'assemblara demain. t
Conventionpourl'exécution des dispositions de l article XXIII
du traité de paix.
"
S. M. l'Empereur d'Allemagne et d'Autriche et S. M. l'Em
pereur des Français , Roi d'Italie , voulant , conformément
a l'article XXIII du traité de paix , déterminer , d'un commun
accord , l'espèce et la nature des objets qui , appartehant
à S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche dans le
pays vénitien , devront en conséquence rester à sa disposition ,
comme artillerie , munitions et objets de marine et qui
pourront être vendus au royaume d'Italie , ou échangés contre
une quantité d'artillerie , munitions et autres objets qui seroient
laissés par l'armée française dans les états héréditaires
ont en conséquence nommé pour commissaires ; savoir
S. M. l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , M. le prince de
Liechtenstein , lieutenant-général ; et S. M. l'Empereur des
Français , roi d'Italie , M. le maréchal Berthier ; lesquels sont
convenus des articles suivans ;
Art. 1. Conformément à l'art. XXIII du traité de paix , il
144 MERCURE DE FRANCE ,
sera dressé , à dater de ce jour , un état de l'artillerie et des
munitions autrichiennes dont l'armée française est en posses
sion , soit à Brünn , soit dans la place de Vienne. A cet effet ,
le comte de Kollovrath et M. le général Andréossy , commis
saires de leurs souverains respectifs , feront dresser l'état des
dits objets.
II. M. le comte de Bellegarde , nommé par l'empereur
d'Allemagne commissaire pour la remise des pays, forts, places :
du pays vénitien , cédés à l'armée française , et le général de
division Lauriston , nommé commissaire par S. M. l'Empereur
et Roi Napoléon pour prendre possession des susdits ,
pays , veilleront à ce que la séparation de l'artillerie qui a
appartenu à la république de Venise et de l'artillerie autri
chienne , soit exactement faite , la première devant rester en
totalité au royaume d'Italie ; détermineront d'un commun
accord l'espèce et la nature des objets qui , appartenant à
l'empereur d'Allemagne et d'Autriche , devront en conséquence
rester à sa disposition.
III. Quand les états ci-dessus seront dressés , M. le général
comte de Kollovrath , et M. le général Andréossy , sont autorisés
à convenir de l'échange desdits objets d'artillerie autrichienne
appartenant dans les états de Venise à S. M. l'empereur
d'Allemagne , pièce pour pièce , objet pour objet, contre
une quantité équivalente d'artillerie ou d'objets de méme nature
qui seroient laissés par l'armée française dans les états
héréditaires , conformément aux états qui seront dressés.
IV. Comme il y a dans les arsenaux de Venise plusieurs
objets de marine , les susdits commissaires sont autorisés à en
faire échange contre l'artillerie et les munitions laissées par
l'armée française dans les états héréditaires ; les susdits commissaires
régleront entr'eux la valeur des objets , afin de déter
miner l'échange.
V. Le surplus de l'artillerie et des munitions autrichiennes
et d'autres objets quelconques qui resteroient dans les états
de Venise , et qui ne seroient pas échangés , pourront être
achetés pour le royaume d'Italie , conformément au prix qui
en sera fixé par MM. de Bellegarde et Lauriston.
" .
VI. En conséquence des dispositións ci-dessus , à dater de
demain 4 janvier 1806 , toute évacuation d'artillerie et de
munitions autrichiennes appartenantes à l'armée française ,
soit à Brünn , soit à Vienne , cessera , et les états qui en seront
dressés , remis aux commissaires respectifs pour servir à l'échange.
Suivent les signatures. )
:
(N° CCXXXVI. )
5
cen
( SAMEDI 25 JANVIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSI E.
LES LECTURES D'AUTOMNE
ANECDOTE.
( N. B. Le premier poète de France venoit de réciter , dans
ane Société où j'avois le bonheur de me trouver , plusieurs
morceaux détachés de ses divers poëmes. J'avouerai que ,
dans mon ravissement , je sacrifiai , sans même y songer ,
l'amour- propre au plaisir d'offrir mon tribut à cet aimable
enchanteur. Le dirai- je ? cet épanchement a paru flatter ,
toucher même jusqu'au fond du coeur celui qui en étoit l'objet
; et ce souvenir me détermine à le faire imprimer. )
GRACE à notre légéreté,
Ou plutôt à notre foiblesse ,
C'est un besoin pour nous que la variété.
Admirer trop long-temps nous fatigue , nous blesse.
Ici , quoique ravis par mille accéns divers ,
Avons-nous respiré ? Quel état ! je m'empresse
De venir alléger le poids qui vous oppresse ,
Et vous délasser des beaux vers.
K
146 MERCURE
DE FRANCE
,
Ma Muse peut , je crois , vous rendre un tel service :
Un récit fort naïf va remplir son objet.
A raconter peut -être est- elle un peu novice :
Mais vous l'écouterez en faveur du sujet.
Au sein d'une féconde et riante campagne ,
En un séjour paisible , et bien loin de Paris ,
Où l'on trouvoit de bons , sinon de beaux esprits ,
Un loyal chevalier et sa digne compagne ,
Unis de coeur , doués de goût et de raison ,
Chaque année , au retour de l'arrière- saison ,
Aimoient à réunir une estimable élite
de mérite ,
De bons voisins , comme eux , pleins de sens ,
Passant la vie entière en leurs vastes châteaux ,
Bénis du pauvre , aimés de leurs heureux vassaux ,
De l'honneur et de la nature
Suivant , de père en fils , les primitives lois ;
Patriarches français , honorant à la fois
La Noblesse et l'Agriculture.
Instruits d'ailleurs , non pas sur des sujets légers ,
Mais nourris des auteurs de Rome et de la Grèce ,
Et vous verrez bientôt si ce point m'intéresse ?`
Conversant , tour-à- tour , dans leurs bois , leurs vergers ,
Avec Virgile , Homère , Anacréon , Horace ,
Même à tel autre accent n'étant point étrangers ,
Et lisant dans le texte et Tompson et le Tasse .
De tels cultivateurs n'étoient pas malheureux.
Mais à ces braves gens ,. j'en suis fâché pour eux
....
Notre littérature étoit peu familière.
>
Expliquons- nous : sans doute ils connoissoient Molière ,
Corneille, La Fontaine , et Racine et Boileau ,
Et même les bons vers de Malherbe , Rousseau ;
Mais nos auteurs vivans , nos poètes modernes ,
Leurs étoient inconnus . Pourquoi ? Je n'en sais rien .
Les jugeoient -ils trop subalternes ?
Etoient- ils trop près d'eux ? Cela se pourroit bien.
Je ne me pique point d'expliquer ce mystère ,
Moi qui ne suis qu'historien..
A peine avoient-ils lu , franchement j'en convien ,
Quelques volumes de Voltaire;
JANVIER 1806 .
147
Car , comme a dit quelqu'un qui n'est pas sans esprit ,
« Dans Racine on lit tout , dans Voltaire on choisit.»
La dame du château , plus juste et plus heureuse,
A ses plaisirs si purs , en femme généreuse ,
Voulut bien les associer ;
Ils en valoient la peine : elle eut la fantaisie
De les instruire , eh ! oui, de les initier
Dans la moderne poésie ;
Sûre qu'après avoir goûté cette ambroisie ,
Ils s'uniroient bientôt pour la remercier .
« Oui , je veux , leur dit - elle , en ma longue lecture
» Vous réduire au français , pour toute nourriture :
>> Je ne vous donnerai que du bon, que du beau ;
» Mais vous n'aurez que du nouveau . »
Or , mes amis , suivez un peu cette aventure ,
Que, pour plus de clarté , j'ai dû prendre ab ovo .
Vous jugez si d'abord madame de Marsenne....
(Marsenne étoit le nom des maîtres du château ,
Et le nom du lieu même où se passe la scène ;
Car ici point d'incognito. )
Vous jugez si chacun la remercie !
Et vite ,
A tenir sa promesse on l'engage , on l'invite .
« Très- volontiers , dit -elle . » Et , dès le premier soir,
Autour d'un grand foyer , elle les fait asseoir ;
Et sans préparatif et sans cérémonie .....
J'oubliois dans le cercle étoit un étranger , :
Un étranger , du moins pour cette compagnie,
Que des malheurs avoient forcé de voyager ,
Et de retour enfin , après dix ans d'absence ,
Espérant, méritant , donnant des jours meilleurs ;
Inconnu , vous disois-je , à nos voisins ; d'ailleurs ,
De monsieur de Marsenne intime connoissance .
Souvenez -vous de lui : j'ose vous assurer
Qu'à mon récit , bientôt , il saura figurer.
La lecture commence : observez que la dame
Lisoit seule , et pour cause ; elle lisoit fort bien ,
Comme alors qu'on sent tout. Qui sent mieux qu'une femme ?
K 2
148 MERCURE
DE FRANCE
,
Bien lire est un don rare , et qui ne gâte rien .
Les bons vers sont meilleurs ; personne ici n'iguore
Qu'étant bien récités ils valent mieux encore .
Elle lut , tour- à- tour , maint ouvrage charmant .
Tantôt c'étoit un long poëme ,
Qui sembloit court ; tantôt ce n'étoit qu'un fragment ,
Une épître , et partout , du feu , du sentiment ,
De ces vers qu'on admire , et de ces traits qu'on aime.
Il régnoit un silence ! ... On écoutoit , Dieu sait !
On eût craint d'interrompre un moment la lectrice ,
Et le coeur seul applaudissoit.
Mais si de chaque ouvrage , alors , on jouissoit ,
Du reste. ....
et l'on verra si c'étoit un caprice ,
Le nom de chaque auteur fut toujours un secret :
Le beau sexe est encor , souvent , le plus discret.
L'aimable automne , ainsi , s'étoit presque écoulée :
Pour lire longuement , ce sont là les beaux jours .
Madame de Marsenne, ayant fini son Cours ,
S'adresse, en souriant , à la noble assemblée :
« Enfin , dit-elle , chers amis ,
>> J'ai donc exécuté ce que j'avois promis ;
>> Et je viens d'introduire en ce séjour champêtre , --
» Ce qu'on a fait de mieux , depuis trente ans , peut -être.
>> Vous desirez savoir le nom de chaque auteur;
>> Eh bien ! indiquez - moi l'ouvrage le meilleur ,
» Et l'auteur préféré va se faire connoître. »
Elle se tut : alors , un vieillard , dont l'aspect ,
Le regard calme , doux , et la démarche auguste ,
Annonçoient sa belle ame et l'esprit droit et juste ,
Veut parler ; tout le monde écoute avec respect.
:
« Ah ! dit-il , d'une voix et d'un ton énergiques ,
>> Plus même qu'à son âge on n'auroit espéré ,
» Madame a lu , je l'avoûrai ,
» De beaux vers tour- à - tour brillans et pathétiques ,
>> Des vers brûlant d'un feu sacré ,
>>>›› Et dont la verve eût pénétré
» Dans les coeurs les plus froids et les plus léthargiques :
JANVIER 1806. 149
» Mais quel auteur jamais peut être comparé
>> Au traducteur des Géorgiques ? »
« J'estime assurément l'ouvrage en question ,
})
>>
( Répond avec l'air fin , le sourire ironique ,
Morsan , homme d'esprit, et tant soit peu caustique; )
» Mais ce n'est , après tout , qu'une traduction .
>> Rajeunir de la sorte un monument antique ,
>> Al'immortalité rarement nous conduit.
>> Vous savez le mot du critique :
>> Traduis toujours ; jamais tu ne seras traduit . ››
»
Il rit , mais seul . « Monsieur , un bon mot est facile
Repartit le vieillard ; mais c'est un beau succès ,
>> Que de forcer sa langue à devenir docile ,
>> De lutter , corps à corps , même contre Virgile ,
» De rendre un vers latin par un seul vers français ,
» D'être fidèle et noble ; et pour moi , je pensois
>> Que Virgile auroit cu cette grace , ce style ,
>> S'il fût né parmi nous , s'il eût été... De mille
Qui l'avoient tenté , celui- ci , >>
>> Quel qu'il soit , a l'honneur d'avoir seul réussi . »>
Or , chacun d'applaudir au vieillard vénérable .
- « Certes , je rends justice à ce rare écrivain ,
>> Dit son neveu , sincère et pourtant agréable ;
›› Mais chacun suit son goût ; et je préfère enfin ,
» L'auteur original , et le poète aimable ,
›› Qui , sans traduire ainsi Vanière ni Rapin ,
>> Tant d'autres , nous crée lui -même un vrai Jardin .
» Que d'abandon , de grace ! Il plait , attache , éveille .
>> Quel brillant coloris ! Flore , sur son chemin ,
» Semble , avec complaisance , épancher sa corbeille :
->> C'est le chantre des bois , ou plutôt c'est l'abeille ,
» Qui vole , et de cent fleurs compose un doux butin.
» Je veux relire encor ces Jardins , dès demain . ››
— « Des Jardins , c'est fort bien , reprend un galant komme,
» Sévère dans ses goûts , et grand cultivateur ,
Mais si l'utilité fait le prix d'un auteur ,
» C'est à l'Homme des Champs qu'il faut donner la pomme.
150
MERCURE
DE FRANCE
,'
» Sans puiser à la source et d'Athènes et de Rome,
» Voilà des vers français, des vers à la Boileau :
>> J'estime un tel poète ; enfin , dans ce tableau ,
>> Ne remarquez-vous pas qu'il nous a peints nous-mêmes ,
» Nos travaux, nos plaisirs , et jusqu'à nos systèmes ?
» Bravo ! l'Homme des Champs , Messieurs , l'Homme des
Champs ! »
- « Des Champs et des Jardins ! Sujets neufs et touchans !
>> Eh ! messieurs les auteurs , parlez-nous de la ville .....
» De Paris ; si le sort à jamais m'en exile ,
» Consolez -moi; laissez votre éloge banal
» Des bois , des prés , des eaux', enfin de la nature :
» A quoi ben en tracer l'éternelle peinture ,
» Quand sous les yeux sans cesse on a l'original ? »
Celle qui plaisantoit ainsi , mais sans malice,
Etoit la jeune et vive et piquante Clarice ,
Fille du bon vieillard , qui le premier parla ,
Légère , et qui d'abord cédoit à son caprice .
Voyant qu'on sourioit , elle contiņua ,
« Relisons encor , je vous prie ,
>> Ce poète charmant , dont la Muse fleurie
» Suit dans tous ses écarts la douce Illusion ,
» Comme on suit un ruisseau fuyant dans la prairie į
>> Peint les songes du jour , la tendre rêverie ,
» L'espoir , le souvenir, l'amour , l'ambition ,
» Mille erreurs ; et pourtant au vrai toujours fidèle ,
« Même au sein de la fiction ,
>> Saisit, embrasse et peint l'Imagination
>> En vers légers , brillans et variés comme elle.
» Quel ami consolant ! Quel aimable enchanteur !
>> Je ne connois pas ce poète ,
» Mais il peut se vanter d'avoir fait ma conquête ;
>> Je crois que par instinct il devina mon coeur. »
- « Moi , je lis dans les yeux de notre aimable Rose
» (Dit madame Marsenne , en regardant la soeur
» De ce jeune et sage Monrose ,
» Qui parle des Jardins avec tant de douceur) ,
» Qu'elle vou droit aussi nous dire quelque chose.
JANVIER 1806 . 151
» N'est-il pas Trai ? »» -«Madame... » -- « Hé bien , parlez . »>> Je
n'ose. »
« Osez donc , lui dit- elle , et d'un ton caressant. >>
- « L'Imagination , dit Rose , en rougissant ,
>> Pour les humains , sans doute , aura toujours des charmes ;
» Qui , mais s'il est plus doux de répandre des larmes ,
» Si la Mélancolie .... et je crois qu'on la sent ,
» A pour toucher nos coeurs de plus puissantes armes ;
>> Je connois un sujet bien plus intéressant ,
"
» Madame; et vous venez vous-même de nous lire....
- « Eh quoi donc ? .... chère enfant ! Mais comme elle soupire ! »
— « Ah ! c'est que de ces vers j'ai retenu l'accent ,
» ( Poursuit Rose ; elle ajoute :) ô comme on s'abandonne,
>> Aux consolations de la tendre amitié !
>> Edipe s'appuyant sur sa chère Antigone ( 1 ) ,
» Gémit d'un long exil , de la perte d'un trône :
» Elle l'embrasse et pleure ; il a tout oublié.
>> Ah ! tous nos coeurs sont de moitié
>> Dans les doux soins qu'elle lui donne ;
» Et si j'avois une couronne
» Elle seroit pour toi , chantre de la Pitié. »
- « Bon ! la Pitié ! vertu d'un coeur foible et timide
» ( Reprend Linval , brave homme , et chasseur intrépide ,
» Mais aux Muses sachant consacrer ses hivers ) :
›› Pleurer mal à propos , amis , c'est un travers .
}
» Les vers ! voilà le point qu'il faut que l'on décide ,
» Et je réserve , moi , la palme des bons vers
» Au traducteur de l'Enéide (2) .
» L'éloge en pareil cas seroit très-superflu ,
» Si l'ensemble répond à plus d'un beau passage ,
>> Que Madame ici nous a lu ;
b
>> Ce poète n'est pas à son apprentissage. »
(1 ) On appelle de ce nom madame Delille , qui en est bien digne par
ses tendres soins pour son époux , presque privé de la vue.
( Note de l'auteur. ) :
(2 ) Cette traduction n'avoit pas encore paru , non plus que celle de
Milton. ( Note de l'auteur. )
4
153 MERCURE DE FRANCE ,
« Monsieur est un vrai connoisseur ,
>> Et sûrement Virgile est un fort beau génie
>>
› ( Répondit d'un air sombre , et du ton d'un censeur ,
» Forlis , qui n'est que froid , et se croit un penseur ,
>> Et s'applaudit sur-tout de son anglomanie ) .
» Mais Milton , poursuit- il , vous l'avez entendu :
>> Il va paroître en vers , et ce qu'on nous en cite ,
» Nous promet un chef-d'oeuvre ; il nous étoit bien dû ,
» Mesdames , je vous félicite ;
» Vous apprendrez par coeur le Paradis perdu.
>> " Que de feu , que de verve et quel style énergique !
» Les Cieux ét les Enfers , les Anges et Satan ,
>> Et ce touchant Eden , Eve aux côtés d'Adam ,
>> Tout s'anime , tout vit sous son pinceau magique :
>> Je plains le Virgile Français . >>
- «‹ Moi , je ne plains personne , et je suis fort tranquille :
>> J'ose aussi du Milton garantir le succès ,
» Mais je répondrois bien de celui du Virgile.
Ainsi parloit Marsenne , assez bon juge en vers .
D'autres sont préférés ; un botaniste incline
En faveur d'un essai sur les Règnes divers
Qu'embrasse la nature en ce vaste univers ,
Et croit en vers français lire Buffon ou Pline .
Ainsi de son objet chacun est occupé.
D'une savante épître , ici , on est frappé ;
>>
Là , dans quelques morceaux fort bien traduits de Pope ,
Du traducteur habile on cherche l'horoscope.
L'un admire une esquisse , et l'autre un vaste plan ;
En un mot chaque ouvrage avoit son partisan ,
Et la discussion devenait un peu vive.
<< Messieurs , leur dit enfin la dame du château ,
» Qui depuis bien long-temps sourioit în petto ;
» Je ne m'étonne point de ce qui vous arrive ;
» Je sens votre embarras ; tout est bon , tout est beau !
» J'ai causé cette guerre , et j'apporte l'olive
» Pour apaiser enfin un combat si nouveau .
» Amis , m'en croirez-vous ? choisissons pour arbitre ,
Quelqu'un.., qui , jusqu'ici , je l'observois , s'est tu ,
» Et dont la modestie est la grande vertų ;
JANVIER 1806. 153
» Mais qui seroit , je crois , capable , à plus d'un titre ,
» D'éclaircir à jamais ce point si débattu . ››
Elle se tourne alors vers la même personne ,
Que , s'il vous en souvient , j'ai pris soin d'indiquer ,
Et par un doux regard l'invite à s'expliquer.
Il rougit , on l'observe ; et bientôt on soupçonne..
Ce que vous devinez , que ce rare mortel ,
Qu'ainsi l'on invitoit , par un trop juste appel ,
A tenir la balance , à peser les suffrages ,
Etoit l'unique auteur de tous ces beaux ouvrages .
COLLIN D'HARLEVILLE.
TRIOLE T.
UN seul instant je vis Glycère,
Et je l'aimai dès cet instant :
Tout le monde en eût fait autant.
D'une aussi gentille bergère
Je tâchai de me faire amant :
Tout le monde en eût fait autant.
Bientôt je parvins à lui plaire .
A mon amour j'étois constant ,
Croyant qu'on m'en rendoit autant.
Mais la cruelle étoit légère ;
Et si je lui plus aisément ,
Tout le monde en eût fait autant.
POLLE.
L'HOMME AFFAIRÉ.
« Je te tiens donc enfin , fripon hupé ,
Depuis six mois et plus que tu m'évites !
Rends-moi l'argent que tu m'as attrapé,
Ou ce bâton , comme tu le mérites.... »
1<
Pardon, Monsieur d'affaires occupé ,
Je ne suis point à ce que vous me dites. >>
PONS ( de Verdun ) .
154 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
DANS le monde je suis tellement nécessaire ,
Que personne aujourd'hui ne se passe de moi ;
Avant que d'exister je suis une matière ,
Tantôt de précieux , tantôt de mince aloi .
Des souverains , des rois je reçois la naissance ;
Eux seuls ont le pouvoir de me donner le jour ;
Et lorsque par leur ördre on m’ôte l'existence ,
C'est encor pour renaître et mourir tour-à- tour.
Par Auguste BONNET.
LOGOGRIPHE.
J'AI dans mon ventre un air ;
A mes deux côtés j'ai la note.
Lecteur, dois-je en être plus fier ?
Solfier et chanter ne sont point ma marotte.
CHARAD E.
QUELQUEFOIS mon premier
Renferme mon dernier ;
Et quant à mon entier ,
Si
ce n'est une peine ,
Il sert pour indiquer
Où tel chemin vous mêne.
Mots de l'ENIGME , du LOCOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Trictrac..
Celui du Logogriphe est Ormeau , où l'on trouve eau et or.
Celui de la Charade est Aube - terre , petite ville du département de la
Charente.
JANVIER 1806. 155
SÉANCE DE L'INSTITUT NATIONAL , DU 2 JANVIER.
Eloge de M. Séguier , premier avocat -général du roi
au parlement de Paris , et l'un des quarante de
l'Académie française ; par S. E. M. Portalis , Ministre
des Cultes , membre de l'Institut national ,
grand-cordon de la Légion d'Honneur , etc. , etc.
Broch. in- 8 ° . Prix : 1 fr . , et 1 fr. 25 c. par la poste.
A Paris , à la Librairie STEREOTYPE de Nicolle
el Compe , rue des Grands - Augustins , nº 15 ;
et chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des
Prêtres Saint Germain -l'Auxerrois , nº 17.
ON
I
( Deuxième et dernier Extrait. )
N sent qu'il nous est impossible de détailler et
même de parcourir nominativement , soit les brillans
succès de M. Séguier , soit les brillantes descriptions
de son historien non moins éloquent que lui . On
doit également s'attendre à y rencontrer les questions
les plus graves et les plus intéressantes de l'ordre
social. -Là , c'est le droit de tester , c'est le principe
, l'étendue et la borne de cette législation donnée
au père de famille dans sa tribu , et par laquelle il
s'y survit à lui-même. — Ici , c'est la foi et le lien sacré
du mariage ; l'examen de ce qui le constitue devant
les hommes et devant Dieu , sous quelque loi
qu'on vive , et quelque religion qu'on professe ; l'examen
aussi de ce qui peut en prévenir ou de ce qui
doit en suivre la profanation. - C'est tantôt la supposition
intéressée , et tantôt la suppression dénaturée
d'un enfant ; une naissance mystérieuse ou un
état équivoque ; la crainte d'établir un individu étranger
au milieu de la famille qui le repousse , et le
danger d'en exclure celui que la présomption salu156
MERCURE DE FRANCE ,
-
―
taire de la loi y retient ; l'effet du titre qui ne peut
se prescrire ; la force de la possession qui ne peut
s'enlever ; la légitimité d'un être innocent defendue
non seulement contre une attaque injuste , mais.
même contre une loi rigoureuse , quand cette loi
n'est réclamée que par d'avides et de barbares collatéraux.
Ailleurs , c'est la propriété d'un grand
nom , qu'ont le droit de chérir ceux qui se montrent
dignes de le porter ; c'est celle de domaines contestés
entre le prince et un de ses sujets ; et dès qu'il y
a incertitude constante sur le droit , la grandeur da
souverain , l'honneur de son administration , la pudeur
de sa justice veulent que la balance incline vers
le sujet. Ce sont quelquefois des intrigues de cour
à repousser avec dédain du sanctuaire des lois , ou
des manoeuvres de noirceur à y punir avec sévérité.....
Nous ne pousserons pas cette énumération
plus loin. Tout ce que des discussions de ce genre
peuvent fournir à l'éloquence ou à l'érudition , au
talent ou à la sensibilité , à la force ou à la délicatesse ,
a brillé dans les plaidoyers de M. Séguier , et se
retrouve dans son Eloge.
L'orateur , jurisconsulte et académicien , joint
l'élégance à la solidité. Il dispose ses sujets comme
il les traite, il sait , suivant le précepte de Boileau ,
Passer du grave au doux , du plaisant au sévère .
Après toutes ces causes en effet si graves et si sévères ,
quoi de plus doux à présenter que cette Rosière de
Salency , et le charmant plaidoyer , et l'intérêt touchant
dont elle devint l'objet pour M. l'avocat-général
Séguier ! « Cette fête étoit appelée la Fête de la Rose.
» Elle étoit particulière à la commune de Salency . Les
» habitans décernoient toutes les années une cou-
>> ronne de fleurs à la fille jugée la plus vertueuse . La
jeune personne étoit conduite en triomphe au
pied des autels. La couronne qui lui étoit destinéé
» etoit bénite par le ministre de la religion , et placée
ל כ
>
JANVIER 1806 . 157
>>
» sur sa tête par le seigneur du lieu . L'origine de la
» fête de la Rose remontoit au sixième siècle . On
» prétendoit que S. Médard en étoit le fondateur.
» Cette fête fut ignorée tant que l'ordre n'en fut pas
» troublé . Une contestation qui s'éleva entre le sei-
» gneur , le curé et les habitans , la fit connoitre .
» Avec quelle grace M. SEGUIER , dans cette cause ,
» ne présenta-t- il pas au tribunal et au public les
détails aimables que la tradition de la contrée nous
avoit transmis sur une institution qui n'avoit point
de modèle ! Cet orateur ne crut pas indigne de la
gravité de son ministère , de proposer et de faire
adopter un petit code pour la fète de la Rose ; de
» fixer ainsi la marche de cette fête , d'en protéger
» le but , d'en conserver les effets , et de perpé-
» tuer dans une petite ville , qui s'honoroit d'avoir
» été jusqu'alors l'asile de l'innocence , le culte religieux
qu'on y rendoit à la vertu ! »
>>
»
»
>>
Est-il possible d'offrir un tableau qui respire tout
à-la-fois plus de fraîcheur et plus de pureté ? On remarque
sans doute comme l'orateur sait varier ses
tons avec ses sujets , comme c'est ici le style de la
chose , des plirases courtes et simples , des expres
sions naïves , un petit code , la tradition de la contrée......
voilà le cachet du goût .
Pour rendre cette observation plus frappante ,
nous allons transcrire le morceau qui suit immédiatement
. Le Panégyriste est remonté du doux au
grave : c'est l'Emule de M. Séguier , dans ses causes
les plus élevées ; c'est , dans la parole et dans la pensée
, le disciple de Cicéron et de Montesquieu , qui ,
rempli de leurs préceptes , les transmet aux autres.
Il peint l'éloquence et la raison improvisant dans une
grande assemblée , et voici comment il s'exprime :
« Ils sont rares les hommes qui n'éprouvent pas le
>> besoin de fixer d'avance leurs idées par une ré-
>> daction soignée ; qui disposent quand ils le veulent
» et avec une sorte de souveraineté , des mots , des
158 MERCURE DE FRANCE ;
»
images , des figures , de toutes les richesses ora-
» toires ; et qui , soutenus par la conscience de leurs
» propres forces , produisent au-dehors , comme
par inspiration , leurs sentimens et leurs pensées ,
» avec l'ordre et l'éclat que la préparation la plus
» réfléchie ne garantit pas toujours. »D
Après cette description que M. Portalis a écrite en
songeant à d'autres , et que tout le monde a écoutée
en pensant à lui , il dit , deux pages plus bas : « L'é
>> loquence est la toute puissance de l'homme ; avec
» une parole il crée ce qui est , il débrouille ce qui
» n'est pas encore . Il dit : toutes les passions obéis-
>> sent , toutes les opinions se confondent dans une
» seule opinion ; et la vérité qu'il proclame perce
» avec la rapidité de la lumière jusque dans le fond
» des ames. »
Le premier de ces deux paragraphes est amené à
la suite de l'observation faite par l'orateur , que
M. SEGUIER ne parloit jamais sans avoir écrit. On a
donné , à cet égard, à M. Portalis des notes inexactes,
ou du moins trop absolues . Sans doute dans les causes
d'un intérêt majeur , et d'une grande complication ,
M. SEGUIER écrivoit son plaidoyer. Il ne le récitoit
pas même de mémoire. Il lisoit , et ainsi le pratiquoient
tous les avocats- généraux du royaume , tous
ceux du moins que nous avons entendus. Le magistrat
chargé de présenter à un tribunal suprême tous
les faits et tous les moyens contradictoires des parties
adverses , de les balancer ensuite les uns par les autres ,
et d'indiquer aux juges l'arrêt à prononcer , doit en
effet songer à d'autres avantages que ceux d'un orateur
qui s'abandonne . La plus légère omission ne le
laisseroit pas sans reproche , et nous croyons que cette
phrase justement appliquée à M. SEGUIER , par son
panégyriste , est applicable à tout magistrat qui a été
chargé des mêmes fonctions que lui . On voyoit même
souvent , dans les affaires compliquées , les juges demander
, pendant le cours des opinions , les feuilles
JANVIER 1806.
139
de l'avocat - général , pour s'éclairer sur une circonstance
douteuse ou un fait contesté .
Mais dans les affaires ordinaires et peu embarrassées
, dans ce qu'on appelcit les causes sommaires
du parquet où les gens du roi jugeoient , et dans
plusieurs autres circonstances , nous avons vu et entendu
M. SEGUIER improviser avec une facilité , une
abondance et une netteté extrêmes . L'Empereur
Joseph II , pendant le séjour qu'il fit à Paris , vint
assister à une audience de grand - chambre sans être
annoncé . On l'aperçut , bien malgré lui , dans la
lanterne , ou tribune du premier président. M. Séguier
portoit alors la parole : averti de cette apparition
par le murmure qui parcourut l'assemblée , et
par la direction des regards que lui - même suivit
involontairement , il ne s'arrêta pas une minute ;
mais poursuivant son discours , il trouva moyen d'y
amener un hommage plein de grace et de noblesse
pour son illustre auditeur. Telle fut l'étendue , la
correction et l'à- propos de ce compliment , qu'on eût
pu le croire composé avec le reste du discours , si
quand l'orateur le prononçoit , ses yeux n'eussent pas
quitté son manuscrit .
Nous citerons encore à cet égard une grande et
douloureuse circonstance du règne de Louis XVI ,
que M. Portalis a citée avant nous , le procès de ce
brave et infortuné général LALLY , dont la tête , mise
à prix par les ennemis de la France , en 1745 , a été
abattue par un de ses tribunaux en 1766 , puis vengée
en 1778 , par la justice du souverain', qui , sur la requête
du fils , a cassé et annullé la condamnation du
père. Nous avons eu occasion de lire une espèce de
journal des séances que tint le parquet à l'issue de
cette cruelle affaire ; journal rédigé alors par le
doyen des substituts du procureur - général , celui que
Louis XV appeloit le beau , et les plaideurs l'honnête
Pierron. Ce fut ce magistrat qui fit le rapport du procès
devant le procureur- général et les trois avocats160
MERCURE DE FRANCE ,
généraux ; et quoique le vice - roi de l'Inde française ,
après avoir langui quinze mois à la Bastille sans avoir
de juges , n'eût pu obtenir , dans la précipitation
subite de son jugement , un délai de huit jours pour
mettre sa défense en état ; quoiqu'on eût poussé la
rigueur jusqu'à lui refuser , à trois reprises , le secours
d'un conseil ; sur le seul résultat de la procédure
dirigée exclusivement à sa charge , le Rapporteur du
parquet conclut , « à ce que l'accusé fût honorable-
>> ment absous de toutes les accusations qui étoient
» du ressort de la justice civile , et le roi supplié de
» nommer un conseil de guerre . pour prononcer sur
» la partie militaire. » Ce fut cet avis qu'adopta la
justice de M. SEGUIER , et que son courage défendit
jusqu'à la dernière extrémité ; mais c'est son talent
qui nous occupe ici , et le point auquel nous voulions
en venir , c'est que le doyen des substituts , arrivé
dans son journal au jour des opinions émises dans
l'intérieur du parquet , débutoit ainsi , en résumant
celle de M. Séguier : Mes conclusions adoptées en
entier par M. Séguier, qui , sans avoir rien disposé
par écrit, parla plus de deux heures comme par inspiration
, etjamais peut-être ne se montra plus disert,
plus animé , plus fort de raisonnement , de sensibilité
et de parole . L'analyse que le doyen présente ensuite
du discours de l'avocat- général , justifie complètement
l'éloge qu'il en fait , mais excéderoit les bornes
de celle qui nous occupe.
C'est dans un utile parallèle entre l'éloquence de
la chaire et celle du barreau , que M. Portalis a présenté
cette belle définition , que nous avons citée toutà
-l'heure , de l'éloquence en général . C'est là qu'il fait
un appel noble et encourageant aux jeunes candidats
qui se sentent dignes de marcher sur les traces des
Cochin et des Gerbier , des d'Aguesseau et des Séguier;
là , qu'il leur montre dans les lois la garantie de
la liberté nécessaire à l'orateur magistrat et a Forateur
du barreau ; là , que pour leur faire apprécier la gloire
qui
JANVIER 1806.
aniles attend , il cite le mot de Gustave III sque
M. l'avocat-général Séguier lui fut présenté
་ །། ་
LA
droit n'être pas d'Europe pour ignorer le nom d'un
magistrat aussi éloquent. C'est là enfin , que ramené
par sa juste admiration et par son sentiment fond
à l'idée du souverain dont il est le ministre , et du legis
lateur dont il a été l'organe , M. Portalis s'écrie : « Dans
» un siècle où l'on sait apprécier tout ce qui apprend
» à connoître les hommes , et tout ce qui peut servir
» l'humanité ; dans le siècle où un grand prince , rassasié
de la gloire qui environne les héros , a obtenu
» une gloire plus réelle , en devenant par son génie le
législateur du plus grand empire de l'univers ; quelle
» impulsion les orateurs du barreau ne reçoivent- ils pas
» de l'étonnante et rapide confection de tant de codes
qui assurent le bonheur du peuple français , et pré-
» parent celui des autres peuples ? Est - ce dans un tel
» moment, si capable de donner l'essor à l'éloquence
judiciaire , que l'on oseroit désespérer de voir se
» former de nouveaux orateurs dans le barreau , qui
sera toujours la première aréne ouverte aux talens
» jaloux de se faire connoître ? »
Le moment est venu pour l'orateur de nous faire
parcourir les titres littéraires de M. Séguier ; son entrée
dans cette Académie , dont le chancelier Séguier
avoit été le second protecteur ; son éloge ingénieux et
varié de Fontenelle , qu'il remplaçoit en 1757 son
éloge touchant et délicat de M. de Sainte - Palaye ,
qu'il eut à célébrer en 1781 , en remplissant les fonctions
de directeur ; son amour pour la littérature , et
les services éminens qu'il rendit aux littérateurs , et
l'immense et superbe travail dont il étonna les chambres
assemblées du parlement , quand il voulut éteindre
toutes les contestations entre le génie qui crée un livre
et le mécanisme qui l'imprime . Dans cet ordre de personnes
et de sujets se placent successivement , l'origine
et les progrès , la multiplication et la diversité des
sciences ; l'esprit et les moeurs de la chevalerie ; l'image,
L
162 MERCURE DE FRANCE,
ou plutôt le chef- d'oeuvre de l'amour fraternel ; la consécration
du droit de propriété que conserve un auteur
sur ce qu'il peut appeler sa création ; des réflexions
piquantes et même neuves sur la révolution
amenée par la découverte de l'imprimerie ; l'union
puissante et désormais nécessaire des lettres , de la
politique et des lois ; à chaque instant un tableau qui
plaît , ou une question qui intéresse ; une pensée qui
élève , un sentiment qui pénètre , une décision qui
entraîne.
Mais on a fait à M. SEGUIER , un reproche directement
contraire à un des mérites que vient de célé–
brer en lui M. Portalis. Un témoignage imposant s'est
élevé ; des mémoires ont été publiés récemment , qui
ont excité un grand intérêt, qui en eussent excité un
plus grand encore, si une amitié moins indulgente
en eût retranché plusieurs détails , hasardés en plus
d'un sens; et dans ces mémoires M. Séguier est accusé
de s'être rendu auprès de son parlement, le dénonciateur
des philosophes et des hommes de lettres.
C'est , dit son panégyriste , le plus grave des reproches
et la plus foible des objections , et il le montre
jusqu'à l'évidence par une discussion de dix pages,
qui nous a paru courte, tant elle est animée et entraînante.
Les devoirs du ministère public ; la surveillance
qu'il doit exercer sur les moeurs ; le danger
d'écrits qui attaquent journellement et la morale , et
la religion, et l'état ; l'outrage fait à la philosophie en
la confondant avec la rebellion et l'impiété ; l'épouvantable
résultat de ces doctrines monstrueuses du
matérialiste et de l'athée ; la dégradation des individus;
la fluctuation et le déchirement des sociétés ; les
bienfaits au contraire qu'a répandus et que répand
journellement le christianisme , l'ordre qu'il maintient
, la vraie morale qu'il a notifiée à l'univers, qu'il a
sanctionnée par ses dogmes , qu'il a rendue populaire
par son culte , voilà l'enchaînement de vérités , de
JANVIER 1806 . 163
+
peintures , de mouvemens compris dans ces dix pages
qu'il faut lire et qu'on ne peut extraire. On craint
de distinguer quelque partie aux dépens du tout .
Nous dirons cependant que la page 52 est particulièrement
admirable , et qu'elle a été applaudie avec
enthousiasme . Nous indiquerons encore le passage où
M. Portalis a dit , en parlant de la religion chrétienne :
Il lui appartient de faire des croyans : c'est le pyrrhonisme
quifait les crédules . Le public a remarqué
ainsi que nous la finesse de cette observation , et la
justesse du développement qui la suit . Ce même public
s'est senti appelé à l'effusion de sa reconnoissance ,
lorsque l'orateur lui a montré l'auguste libérateur qui
a reçu dans ses bras la France déchirée par l'impiété
et par l'anarchie , s'empressant de relever les autels
pour asseoir le premier des Empires. Enfin tout le
monde a conclu , avec le panégyriste de M. Séguier ,
que cet avocat -général , par ses beaux réquisitoires
contre les écrits s ditieux et impies, avoit bien mérité
de la religion , de la patrie , et du genre humain.
盞
Nous voudrions pouvoir trouver une défense aussi
tranchante , ou plutôt un hommage aussi mérité pour
un autre réquisitoire de M. Séguier , qui a été au
moins l'objet d'une grande controverse . Il nous paroit
que c'est une circonstance délicate dans la carrière
officielle , de cet illustre magistrat , et la vérité nous
oblige à dire que nous la trouvons susceptible
d'excuse plutôt que d'approbation .
Dans cette disposition des esprits au milieu de
laquelle M. Séguier se trouvoit lancé , dans cette lutte
de beaucoup d'idees anciennes contre beaucoup
d'idées nouvelles , dans ce partage à faire entre ce
qui étoit principe et ce qui étoit préjugé , entre les
réformes nécessaires et les innovations dangereuses ,
entre les lois destructives et les lois conservatrices ,
il étoit bien difficile que de part et d'autre on ne
dépassat pas souvent le but , et que tout le monde
s'arrêtat à ce juste milieu , à ces points immuables
164 MERCURE DE FRANCE ,
de démarcation quos ultrà citràque nequit consistere
rectum. Sans doute il falloit détruire la superstition
sans ébranler la religion , abolir les auto - da-fé sans
renverser les autels , faire disparoître l'absurde férocité
de la question , et le guet -à-pens des procès clandestins
, sans prétendre à l'impunité de délits publics
aussi avérés et aussi funestes que des libelles calomnieux
, des provocations à la révolte , et des blasphemes
contre la Divinité. Mais il falloit aussi que les
magistrats investis du ministère public fissent un réquisitoire
contre le Système de la Nature , contre l'Histoire
philosophique et politique du commerce des
Européens dans l'Inde ; et il ne falloit pas qu'ils en
fissent un contre ce qu'on a appelé le Mémoire des
Trois Roués. Il ne falloit pas que M. du Paty qui avoit
rempli lui -même ces fonctions de la partie publique
avec tant de supériorité , de courage et d'éclat , qui
avoit mérité ainsi de se voir élevé à la dignité de président
à mortier au parlement de Bordeaux , fût
injurieusement dénoncé et criminellement poursuivi
par ses collégues de Paris ; et pourquoi ? Pour avoirvoulu
arracher à l'execrable supplice de la roue trois
malheureux , dont l'innocence lui étoit démontrée ;
pour avoir relevé avec une sévérité , qu'on pouvoit
appeler miséricordieuse , les erreurs , la légèreté , la
passion des juges ; pour avoir examiné en magistrat ,
en philosophe , en chrétien , en homme , si les dispositions
de la loi n'étoient pas souvent responsables des
méprises et des prévarications de ses ministres ; enfin
pour avoir uni sa voix à celles des SERVAN , des CASTILLON
, des DUDON , des MONCLAR , qui tous demandoient
qu'un souverain probe et bienfaisant par
essence , achevat de purger la jurisprudence française
des restes de barbarie et d'injustice qui la souilloient
encore. Il ne falloit pas sur-tout que le premier tribunal
du royaume , que la cour des pairs suscitât toutes.
les préventions de l'esprit de parti , et risquât d'accabler
de toute son influence trois accusés dont
JANVIER 1866. 165
le sort étoit pendant à un autre tribunal , et qui
étoient encore près de la roue à laquelle ils
avoient été condamnés par les premiers juges,
M. Portalis cherchant à éluder ce reproche pour
le magistrat qu'il célébroit , n'a pas trouvé un moyen
plus sûr que celui de nous présenter un monument
de la justice ferme et compatissante de M. SEGUIER ,
dans ce procès célèbre dont nous avons parlé plus
haut . Ce magistrat , a-t- il dit , ne pouvoit élre soup
çonné de méconnoître les droits de l'humanité. On
sait que dans la fameuse affaire du général Lally,
il avoit opiné avec courage pour l'absolution de cet
intéressant accusé, devenu trop célèbre par ses mal-`
heurs , après l'avoir été par tant de bravoure , de services
et de générosité . On sait que dès - lors il avoit
développé dans les délibérations du parquet toutes
les raisons présentées depuis avec tant d'énergie , de
sentiment et d'éloquence , par la piétéfiliale.
Personne , comme on a pu le voir , ne connoît et
n'apprécie mieux que nous tout ce que M. l'avocatgénéral
SEGUIER déploya de courage , de vertu et
de sensibilité dans cette cruelle occasion . Mais dans
le procès du général de l'Inde , il n'écouta que son
esprit et son coeur ; dans celui des accusés de Chau
mont , l'esprit de corps lui fit violence ou illusion :
dans tous les deux sa volonté d'être juste fut la même.
Heureusement pour les trois accusés , leur cause
n'étoit pas portée devant un de ces grands corps qui
prétendoient avoir le droit de condamner au supplíce
pour les cas résultant du procès ; qui épousoient leurs
jugemens , leurs querelles , leurs ambitions réciproques
; et qui par leur nature et leurs habitudes , par
leur grand pouvoir et leur petit nombre , tendoient
toujours à se promettre l'un à l'autre , comme autrefois
les décemvirs de Rome , ut quod unus eorum
probasset, idem et cæteri ratum haberent. (1 ) La
( 1) Denys d'Halicarnasse.
166 MERCURE DE FRANCE ,
sentence devoit être revue par une cour du second
ordre , composée de ces magistrats qu'un conseiller de
grand-chambre app eloit dédaigneusement en 1764
des juges en guetres , parce qu'ils ne savoient pas
s'élever au-dessus de la lettre de la loi . A leur honneur'
immortel , et d'une voix unanime , les juges du bailliage
de Rouen dé clarèrent innocens les trois malheureux
qu'une première sentence avoit condamnés à
être rompus vifs . Le procureur du roi , qui étoit leur
accusateur légal , conclut lui- même à leur absolution ,
et ils furent autorisés à prendre à partie leurs premiers .
juges . Ainsi la question se trouva tranchée irrévocablement
en faveur des patrons exaltés de l'innocence ,
contre leurs dénonciateurs formalistes . Le réquisitoire
de M. SEGUIER , désormais inoffensif pour les accusés
qui étoient absous , impuissant d'ailleurs contre
des réformes que rien ne pouvoit plus empêcher de
prévaloir , ne fut plus qu'un monument de la väste
érudition de celui qui l'avoit écrit, et un gage de respect
pour les exemples et la tradition antiques , principe
après tout dont l'oubli seroit aussi dangereux que
son exagération. M. Séguier se jugea lui-même plus
sévèrement que nous . ne le jugeons , et se fit d'une
méprise innocente un titre de gloire réel . Heureux
de n'avoir pas précipité le glaive sur la tête de ces
infortunés; mais frémissant des dangers qui leur avoit
fait courir , et qu'il avoit courus lui-même , il ne voulut
pas concevoir des regrets stériles de la pénible
démarche que sa compagnie avoit exigée de hui , et
il fut un de ceux qui insista le plus vivement auprès
du garde des sceaux Miromesnil pour la formation
d'un comité de magistrats , chargé de revoir enfin et
de refondre la justice et la procédure criminelle . On
sait que la révolution a surpris ce comité au milieu
de ses travaux .
+ Vers le même temps , provoqué encore par une
direction étrangère mais plus pure , M. Séguier porta
au parlement un réquisitoire digne en tout de son
JANVIER 1806. 167
" auteur. Le frère du grand FREDERIC , le prince
HENRI étoit à Paris , et il y recueilloit tout ce que
peut inspirer de sentimens le charme de l'affabilité
uni avec l'éclat de la gloire . Tandis que toute la France
lui répétoit cette strophe charmante du chevalier
de Boufflers , qui valoit elle seule un poëme entier ( 1 ) ;
cet homme qui , comme les harpies , souilloit tout ce
qu'il touchoit , MIRABEAU publioit , colportoit et
vendoit , sous le titre d'Histoire secrète de la cour de
Berlin , un libelle affreux contre le caractère du
grand homme à qui la France s'honoroit de témoigner
l'hospitalité la plus amicale et la plus distinguée .
Louis XVI indigné manda M. Séguier , lui remit
lui -même le libelle , le magistrat parla , et le héros
fut vengé.
Tant de beaux et de grands travaux ont été
détruits par la tempête révolutionnaire , qu'à peine
oserons- nous regretter plusieurs morceaux de littéra- .
ture agréable échappés à M. SEGUIER dans ses
délassemens , quelques pièces de poésie pleines de
naturel , d'esprit et de graces , des épîtres , des
contes , même quelques chansons. Plutarque nous
dit que le sage Socrate faisoit des chansons de table ,
et nous trouvons dans Boileau des airs dont il égayoit ,
pendant la vacance , les banquets de Bâville .
Faut- il faire ici la part de l'envie et de la malignité?
Faut- il dire ou dissimuler que M. SEGUIER eut une
jeunesse ardente , et connut ces passions vives , auxquelles
les grands génies échappent si difficilement ?
Nous l'avouerons sans qu'il y ait rien ni d'embarrassant
(1 ) Pour vous tout se déclare.
On diroit que Paris
Confond les deux HENRIS
De Prusse et de Navarre.
Nous nous plaisons à vous nommer ;
Nous sommes fiers de vous aimer .
Princes , on peut vous en croire :
Dites - nous , sans détour,
Si toute votre gloire
Vaut mieux que notre amour ?
168. MERCURE
DE FRANCE
;
pour sa mémoire , ni de pénible pour notre respect;
parce qu'en lui l'homme privé ne dérangea jamais
l'homme public dans la ligne de ses fonctions ; parce
que ses plaisirs n'eurent jamais de prise sur ses devoirs
; parce que la maturité de l'àge fit un bon
époux , un bon père , un ami solide de celui qui
avoit toujours été un orateur éloquent , un jurisconsulte
infatigable et un magistrat intègre.
Nous touchons à la fin de cette analyse , et cer
pendant nous n'avons encore rien dit d'une partie ,
aussi importante qu'étendue , de l'éloge de M. Segnier ,
celle qui commence à la page 55 , et occupe le reste
du discours de M. Portalis. C'est que sur cette partie
il ne nous est plus possible de nous livrer à des détails,
Nous nous bornerons à dire qu'elle est pleine d'intérêt
, d'observations fines et de grands aperçus ;
que l'homme d'état , le philosophe, l'historien doi
vent la méditer attentivement ; mais qu'elle renferme
beaucoup de questions de fait ou de droit , sur les
quelles il seroit également téméraire de donner ou
de refuser son assentiment sans un examen appro-..
fondi . Il s'agit en effet des événemens publics , des ,
orages politiques qu'a traversés M. Séguier , de cette
lutte de tous les pouvoirs , de l'abus ou de l'abandon
chacun a fait du sien ; en un mot , de cette suite .
de révolutions partielles et locales qui en ont amené
une dernière et universelle. Ceux qui ont déjà une
conviction acquise peuvent assurément se croire en
droit de la manifester. Celui pour qui une circons
tance est avérée et une autre problématique, doit
craindre de hasarder uue opinion incomplète. Le
temps , d'ailleurs , est - il bien venu d'adresser à la
Muse de l'histoire cette invocation connue , adressée
à lá Muse de l'épopée :
que
Dis comment la Discorde a troublé nos provinces
Dis les malheurs du peuple et la faute des princes
Sans doute, l'injustice et le crime ne méritent aucune
pitié; mais les fautes ont été punies par tant de
JANVIER. 1806, 169
malheurs , et quelquefois même produites par tant,
de vertus , qu'on n'a pas le courage de les reprocher
devant ceux qui les ont commises, ou devant leur's
cendres à peine refroidies , ou devant leurs enfans , à
qui ce seroit dénoncer leurs pères. Ce n'est pas que
dans cette partie de l'éloge de M. Séguier , il y ait un
seul mot qui puisse , nous ne dirons pas affliger , mais
inquiéter la sensibilité. Jamais blessures n'ont été
approchées avec une crainte plus pieuse de les déchirer
ou de les aigrir. Mais , pour cela , il faut en retenir
beaucoup plus qu'on n'en dit , et si celui qui a
été chargé officiellement de louer M. Séguiér , ne
pouvoit s'empêcher d'agiter plus ou moins pericu
losa plenum opus alea , celui qui rend compte de
l'Eloge n'a pas contracté la même obligation.
Ce que nous croyons pouvoir avouer dès ce mo→
ment , c'est que , dans notre opinion , la destruction
des Jésuites fut une affaire de parti et non de justice
; que ce fut un triomphe orgueilleux et vindica
tif de l'autorité judiciaire sur l'autorité ecclésiastique
; nous dirions même sur l'autorité royale , si
nous avions le temps de nous expliquer ; que les motifs
étoient futiles ; que la persécution devint barbare ;
que l'expulsion de plusieurs milliers de sujets hors
de leurs maisons et de leur patrie pour des métaphores
communes à tous les instituts monastiques ( 1 ) ,
pour des bouquins ensevelis dans la poussière et
composés dans un siècle où tous les casuistes avoient
professé la même doctrine , étoit l'acte le plus arbitraire
et le plus tyrannique qu'on pût exercer ; qu'il
(1 ) Que de puériles déclamations sur cette figure employée.
par le fondateur des Jésuites , pour donner à ses disciples
l'idée de l'obéissance qu'ils devoient à leur général i Qu'ils
soient comme le bâton dans la main du vieillard ! Le fondateur
des Dominicains avoit dit : comme la coignée dans la
main du bucheron. Que de preuves d'assassinats eût fourni ,
contre les Jésuites , cette dernière figure employée au lieu de
l'autre dans leur institut !
170 MERCURE DE FRANCE ,
en résulta généralement le désordre qu'entraine toujours
une grande iniquité , et qu'en particulier une
plaie , jusqu'ici incurable , fut faite à l'éducation publique
, et notamment à l'éducation monarchique .
M. Séguier obligé par son corps de prendre une part
active dans cette guerre acharnée contre des moines,
y mit au moins tout ce qu'il put de modération et de
douceur. C'étoit en quelque sorte solliciter l'indulgence
pour eux , que de rappeler les services qu'ils
avoient rendus à la religion , aux sciences et aux
lettres. Elevé dans un de leurs colléges , M. Séguier
pouvoit juger combien on les calomniait ; il savoit
que pour un La Valette et pour un Lavaur , cette
société comptoit dans son sein trente Bourdaloue et
autant de Porée , de la Rue , de Tournemires , d'Orléans,
de Vanière , etc.
Nous ne craindrons pas encore de professer ( et
ceux qui ne connoissent pas d'autre mot que celui
d'innovation pour qualifier la suppression de la torture
, ne nous contesteront pas notre opinion ) , qu'à
nos yeux une des premières et des plus grandes innovations
a été ce système subit , par lequel douze parlemens
que les rois avoient créés successivement en
France , prétendirent tout- à- coup ne former qu'un
seul parlement national ; partagé en douze classes.
De là devoient sortir toutes les querelles qui en sont
sorties , et qui ont eu la durée et le terme que chacun
sait.
Nous n'en croyons pas moins que la vérification
libre des lois dans les cours souveraines étoit depuis
cinq siècles une partie intégrante du droit public de
France ; que c'étoit une sauve-garde aussi précieuse
pour la religion des rois que pour la sûreté des peuples
; qu'au milieu des torts alternatifs du gouvernement
et de la magistrature :
Iliacos infrà muros peccatur et extră.
Le chancelier Maupeou fut une peste publique qui
JANVLER 1806 .
171
envenima tout au lieu de tout guérir ; que l'envoi
d'un mousquetaire à chaque magistrat pour l'arracher
la nuit à son sommeil , et le forcer de dire un
oui qui devoit le déshonorer, ou un non qui devoit le
perdre ; que la matinée qui vint après cette nuit ; que
la confiscation des charges , la dispersion et l'exil des
magistrats , la destruction de toute l'ancience magistrature
de France furent des delits monstrueux , et
portèrent la cognée aux racines de l'ancienne monarchie.
Nous croyons sur-tout que M. Séguier montra
dans ces temps malheureux une sagesse exemplaire
, et un courage admirable. Si rien ne fut plus
grand que sa conduite , rien n'est plus beau que la
peinture qui nous en est tracée par son panégyriste.
Nous rendrons un dernier hommage à l'un et à l'autre
par cette dernière citation qui coupera court à
quelques controverses délicates , et mettra un terme
à une analyse , où l'admiration du beau et le sentiment
du vrai nous ont entraînés bien au - delà des
limites ordinaires .
« Tout-à - coup les magistrats de la première cour souve-
» raine de France sont dispersés par l'exil , et relégués dans
» des maisons de force ou à une grande distance de la ca-
» pitale. Le 15 avril 1771 , le monarque tient un nouveau
» lit de justice pour organiser et consommer leur remplace-
» ment.
» M. SEGUIER , connu par la modération de ses principes ,
» n'avoit point été compris dans la disgrace commune. Il
» reçut ordre de se trouver au lit de justice et d'y remplir
>> les importantes fonctions de sa charge. Quel moment pour
>> ce magistrat ! Seul au milieu des ennemis de la magistra
» ture , isolé de tous les collègues estimables dont il avoit
» pendant sa longue carrière partagé si glorieusement les
» travaux et les vertus , entouré d'hommes étrangers qui
» étoient étonnés de leur propre élévation , placé au pied du
» trône et sous les yeux d'un monarque trompé par tant de
» prestiges , et aigri par tant de machinations , quelles paroles
» pourra-t-il faire entendre , et pour qui élevera-t-il sa voix
» dans ce nouveau sanctuaire ?
» Parlera-t-il pour des magistrats qui ne sont plus ? Se
» réunira-t-il à des magistrats qui ne sont point encore ? La
>> foudre qui avoit frappé sa compagnie , menaçoit toutes les
172 MERCURE DE FRANCE ,
» autres. Dans une situation aussi orageuse , iill falloit falloit que le
» sentiment du devoir l'emportât sur tout autre sentiment.
» et que l'honneur parlât plus haut que la crainte dans l'ame
» d'un magistrat subitement jeté au milieu d'une assemblée
» qui n'offroit à ses regards que le courroux du maître et
» Pappareil imposant de sa puissance.
» M. SEGUIER s'éleva au-dessus des considérations ordi-
»> naires ; il se constitua l'organe de la nation entière. Sans
>> avoir partagé les torts et l'exagération de ses collègues , il
w ne redouta pas le risque de partager leur malheur. Dépouillé
≫ de ses anciennes fonctions, dédaignant les fonctions nouvelles
» qui lui étoient offertes , il se créa , pour ainsi dire , à lui-
» même une magistrature extraordinaire et passagère , dont
>> il ne pouvoit trouver le titre que dans sa fidélité et dans
» són courage. Il s'adressa au coeur du monarque sans braver
» son autorité. Il chercha à intéresser sa pitié pour désarmer
» sa sévérité. Il dénonça les hommes perfides qui feignent ,
» dans les cours , de travailler pour les princes , lorsqu'ils ne
» travaillent que pour ses courtisans contre lui. Il exposa
» les suites affreuses que pouvoit entraîner dans une mo-
» narchie usée , un événement qui menaçoit la stabilité de
>> toutes les institutions nationales et la sûreté du monarquei
garantie par ces institutions. Car on ébranloit le trône , en
» détruisant des établissemens que la conduite des rois et le
» respect des peuples nous avoient présentés jusqu'alors comme
» aussi inébranlabes que le trône même.
» Ainsi se termina dans cette mémorable occurence , la
» mission d'un magistrat qui ne mit jamais les périls en ba-
>> lance avec les devoirs , qui consacra par sa démission et sa
» retraite les grandes vérités qu'il venoit de proclamer , et qui
>> sut constamment demeurer fidèle à sa patrie , à son prince
» et à son honneur. »>
Trois ans s'écoulèrent , un nouveau règne s'ouvrit ,
et avec lui se présentèrent toutes les espérances qu'on
pouvoit concevoir de la vertu la plus pure assise sur
le trône , si l'on n'abusoit pas de sa jeunesse , si l'on
ne contrarioit point ses desirs , si l'imprudence des
uns et la passion des autres ne faisoient pas germer
la ruine des semences même qui devoient pros
duire le salut . Le 12 novembre 1794 , M. Séguier
fut rétabli dans ses fonctions avec l'ancien parlement
qu'il falloit ou ne falloit pas rappeler, c'est une grande
question ; mais qui , rappelé une fois , devoit certaiJANVI
E R. 1806. 173
(
nement l'être autrement qu'il ne le fut . Dès le lende
main , M. Séguier vit ce grand corps aux prises avec
l'autorité qui l'avoit ressuscité la veille . Il le vit , pendant
le cours de treize années , renverser successive→
ment M. Turgot qui vouloit le bien , M. Necker qui
le faisoit , M. de Calonne qu'on eût pu obliger à le
vouloir et à le faire . M. Séguier vit la guerre d'Amé--
rique , le fardeau de ses dépenses et le produit de ses
principes . Avec cet appauvrissement des finances , et
cette exaltation des systèmes , il vit concourir la marche
progressive des esprits depuis un siècle. Il annonça
en 1785 le pressentiment d'une révolution prochaine.
Il la vit commencer en 1787 , le jour où le parlement
se déclara tout- à-coup incompétent pour enregistrer
l'impôt ( 1 ) , et somma le roi d'assembler , sans délai ,
les Etats- Généraux ( 2 ) . I la vit se consommer
en 1789 , et se souiller dès-lors des crimes odieux
qui n'ont pu être qubliés que par la comparaison de
ce qui a suivi. Il pensa en être victime en 1790 , set
mourut à Tournay le 26 janvier 1792 , poursuivi par
l'image affreuse de sa patrie déchirée . Nous nous
unissons de tout notre coeur au dernier regret , que
son panégyriste a exprimé sur ses derniers momens.
"
« Que n'a-t-il assez vécu pour être témoin des succès d'un
» fils, héritier de ses talens et de ses qualités , qui préside aved
» tant de distinction une des principales cours de justice de
» cette capitale ! Que n'a-t-il pu voir la nation française
(1) C'étoit Atlas qui refusoit de porter le monde , a dit
M. Necker. Jamais il ne s'est dit rien de plus fort ni de plus
vrai.
(2) M. Dudon , procureur-général du parlement de Bordeaux
, l'un des hommes les plus instruits , et l'une des plus
fortes têtes de la magistrature française , dit alors publiquement
: MM. les Enquêteurs de Paris ne savent pas qu'ils
vontperdre la France. Non-seulement ils veulent les Etats-
Géneraux , mais ils les veulent tout de suite , sans laisser
même le temps de s'y préparer. Les Etats- Généraux dévore.
ront les parlemens , ils dévoreront le roi , ils se dévoreront
eux-mêmes.
" }
174 MERCURE DE FRANCE ,
» renaître , pour ainsi dire , de ses cendres , s'élever avec toute .
» la maturité d'un ancien peuple , et toute la vigueur d'un
» peuple nouveau , marcher à la prospérité et au bon-
» heur par les routes brillantes de la gloire , compter autant
» de héros que de soldats dans ses armées , parvenir à un'
» degré de considération et de puissance qu'aucune expres-
>> sion ne peut atteindre , et enfin obtenir entre tous les peu-
» ples le titre de la Grande-Nation , si bien mérité par les,
» prodiges dont nous sommes redevables au génie de plus
» grand des hommes !
VARIÉTÉ S.
LITTÉRATURE SCIENCES 2 ARTS , SPECTACLES.
Les représentations de Manlius continuent avec le
plus grand succès. Talma , non seulement dans la belle scène,
du quatrième acte , mais dans tout le rôle , est admirable.
N'ayant point vu le Kain , nous manquons de moyens de
comparaison ; mais il nous paroît impossible que ce grand ac
teur lui-même ait pu dire avec plus de force , plus d'énergie ,
' avec un sentiment plus profond ces beaux vers dans lesquels
sont si bien exprimées l'envie et la haine qui animent Manlius
, et le poussent invinciblement du Capitole à la Roche
Tarpeïenne na v :
Mes bienfaits vous font peur , et d'un esprit tranquille
Vous regardez l'excès du pouvoir de Camille !
A l'armée , à la ville , au sénat , en tous lieux',
De charges et d'honneurs on l'accable à mes yeux ;
De la paix , de la guerre , il est lui seul l'arbitre ;
Ses collègues soumis et contens d'un vain titre ,
Entre ses seules mains laissant tout le pouvoir ,
Semblent à l'y fixer exciter son espoir.
D'où vient tant de respect , d'amour pour sa conduite ?
Des Gaulois à son bras vous imputez la fuite ;
Vos éloges flatteurs ne parlent que de lui ,
Mais que deveniez-vous avec ce grand appui ,
JANVIER 1806. R 175
!
Si , dans le temps que Rome aux barbares livrée ,
Ruisselante de sang , par le feu devorée ,
Attendoit les secours loin d'elle préparés ,
DuCapitole encore ils s'étoient emparés ?
+
A
1
.191:
1
C'est moi qui prévenant votre attente frivole ; alam
Renversai les Gaulois du haut du Capitole,
Ce Camille si fier ne vainquit qu'après moi
Des ennemis déjà battus , saisis d'effroi .
C'est moi qui par ce coup préparai sa victoire ,
Et de nombreux secours eurent part à sa gloire ;
La mienne est à moi seul , qui seul ai combattu ;
Et quand Rome empressée honore sa vertu ,
Ge sénat , ces consuls , sauvés par mon courage )
Ou d'une mort cruelle , ou d'un vil esclavage ,
M'immolent sans rougir à leurs premiers soupçons ,
Me font de mes bienfaits gémir dans les prisons ,
De mille affronts enfin , flétrissent pour salaire
La splendeur de ma race et du nom consulaire !
}
Act. I , Sc. 3.
D
"
I
La comédie n'a pas été aussi heureuse que la tragédie.
On a remis le Sage Etourdi , comédie médie en trois actes et en vers ,
de Boissy ; pièce très-froide accueillie très-froidement. Une
tragédie nouvelle , qui a pour titre Antiochus , est en ce mo
ment à l'étude . Cette pièce est , dit- on , le début d'un jeune
poète. Mlle Raucourt , qu'une maladie grave avoit éloignée
du théâtre depuis deux mois , doit y rentrer incessamment
par les rôles de Jocaste dans OEdipe, et de Cléopâtre
dans Rodogune.
-
·
M. Desrosiers , qui a joué quelque temps l'emploi des
pères nobles à la Comédie Française , et qui depuis étoit l'ua
des directeurs du théâtre de Rouen , vient de mourir à Paris.
inti-
Le théâtre de l'Impératrice a donné , mercredi dernier ,
la première représentation d'une comédie en un acte ,
tulée le Capitaine Laroche. On espère , pour l'honneur de
ce théâtre , qu'elle n'y reparoîtra plus.
7176
MERCURE DE FRANCE ,
-Le théâtre du Vaudeville a donné , cette semaine , la première
représentation d'Isaure ou l'Inconstant dans l'embarras.
Rien ne ressemble moins à un vaudeville que cette pièce.
Aussi a- t-elle eu très-peu de succès. L'auteur est M. Maurice
Séguier.
-
Les poètes Hollandais sont occupés en ce moment à
traduire la tragédie des Templiers, de M. Raynouard ; le poëme
de la Navigation , par M. Esmenard ; celui de la Gastronomie
, par M. Berchoux.
-
17
"
ป
On vient d'imprimer à Toulouse le procès - verbal de
l'ouverture de l'Ecole de Droit. Cette cérémonie s'est faite
avec un grand appareil , en présence des autorités constituées
et de M. le général Chabran , commandant de la dixième
division militaire. M. Jame , professeur de droit civil et
directeur de l'Ecole , a prononcé un discours plein de vues
justes et étendues sur la jurisprudence. Cette belle et utile
institution consolera désormais la ville de Toulouse de la
perte de son ancienne Université .
La trente -deuxième livraison de la Galerie de Florence,
a parule lundi , 20 du courant , chez M. Masquelier, graveur,
rue de la Harpe , nº. 117 .
"
་ ་སྐམ་།
Mile Julie Charpentier , sculpteur , vient de finir un
bas-relief et divers 'ornemens en bronze , destinés à la déco
ration d'une fontaine publique à Blois . Ne pouvant exposer
ces ouvrages au Salon , on pourra les voir à son atelier , aux
Gobelins , jusqu'au 1º février.
er
as Les frères Piranesi continuent toujours leur belle collection
des antiquités d'Herculanum ; la 21 livraison vient
de paroître , et soutient la réputation de celles qui l'ont précédée
.
On a aussi publié il y a quelques jours la 6 livraison
de la nouvelle traduction d'Ovide, avec les dessins de Barbier,
Moreau et Monsiau. Elle renferme six figures : Pallas dans
l'antre de l'Envie; Cadmus sortant du temple d'Apollon ; le
même
JANVIER 1806. cen
1
même Héros tuant le dragon ; Diane surprise par Actéon , ce
chasseur déchiré par ses chiens ; Junon sous la figure de
Beroé. On promet pour une des prochaines livraisons la Vie
d'Ovide.
On a calculé que , pendant l'année 1805 , l'Angleterre
n'a produit que goo ouvrages nouveaux ; la France 1150 , et
l'Allemagne seule 4645. Cependant la foire de la Saint- Michel
à Leipsick , a produit mille ouvrages de moins qu'en 1804.
On n'y a pas compté plus de 63 romans , et seulement 61 almanachs.
Les branches qui ont le plus fourni comparativement
sont la médecine et l'instruction publique.
-On vient de faire , à Paris , une heureuse application des
procédés chimiques à l'utilité commune ; c'est un briquet
portatif. Il est composé de muriate oxigéné de potasse et d'acide
sulfurique concentré; on plonge une allumette dans le sel
muriatique, ensuite dans l'acide ; il se fait une légère détonation
et l'allumette prend feu. Ce briquet a sur le briquet
phosphorique l'avantage de ne pas avoir d'odeur , de se conserver
plus long- temps et de coûter beaucoup moins ; mais
l'usage n'en est pas sans quelque danger .
*
M. James Blanc , de North -Wallop ( Angleterre ) , a fait
pendant deux années de suite , avec beaucoup de succès , l'expérience
de semer du sarrazin avec de la graine de turneps . Les
turneps qu'on en a recueillis n'ont aucunement souffert des
pucerons , au lieu que dans les pièces de terre voisines qui
étoient seulement ensemencées avec de la graine de turneps ,
ces plantes se trouvoient dévorées de pucerons . Si une expérience
plus longue confirme ce nouveau procédé si peu dispendieux
, on ne doute pas que les agriculteurs n'en fassent
promptement usage.'
-Un fermier de Newtown - Cummingham , en Irlande, a
récemment inventé une machine qui , à l'aide de deux hommes
et d'un cheval , peut battre en sept heures 1800 gerbes d'orges
M
178 MERCURE DE FRANCE ,
ou Soo gerbes de chanvre . Cette machine ne coûte pas plus de
sept guinées à établir.
Le ravage que la petite-vérole à occasionné dans plusieurs
villes des Indes orientales , a engagé les indigènes à
user enfin de la vaccine . Le docteur Miln , dont on ne sauroit
trop louer le zèle et le courage , a vacciné un grand
nombre de personnes à Goa et à Bombay. Le docteur Anderson
a aussi , dans les possessions anglaises de la côte du
Malabar inoculé la vaccine à vingt- six mille individus en un
mois seulement. Dans les Indes occidentales les indigènes ont
aussi profité de cette grande découverte. Les missionnaires
catholiques ont introduit la vaccine parmi les tribus sauvages
les plus voisines des Etats Unis . Nice
"
ΤΙ
→ Jamais peut- être ou n'a ¡ lant imprimé et réimprimé
d'ouvrages de fommes , que pendant l'année qui vient de
s'écouler. En voici une note
rons par les ouvrages anciens,
exacte. Nous commence
Lettres de Mad . de Sévigné
, 8 vol . in - 8 ° et in- 12. ~ Lettres de 'Mesdames de
Villars , de Coulanges , de la Fayette , de Ninon Lenclos et
de Mlle Aïssé . Ce reçueil a eu trois éditions dans l'année .
Lettres de Mad. la duchesse du Maine et de Mad. la marquise
de Simiane ; 1 vol . in- 12 . Lettres de Mlle de Mont..
pensier , de Mesdames de Motteville et de Montmorency ,
de Mlle Dupré et de Mad. la marquise de Lambert ; un
vol. in-12. Lettres de Mad. de Tencin ; ug vol
.
--
་
1
---
Lettres de Scudéry , de Mlle de Salvans de Saliez , et de
Mile Descartes ; 1 vol. in- 12 . Lettres de Mad. de.
Moutier , recueillies par Mad . Leprince de Beaumont ,
nouvelle édition ; 3 vol . in - 12 , Passons aux ouvrages nouveaux
, parmi lesquels il s'en trouve quelques - uns dont
le public apprendra aujourd'hui l'existence ; peut - être le
temps leur a-t - il manqué. - Hommage à la Religion et à la
Gloire , par Mad. Guénard , veuve de Méré ; in- 8 ° .
Conseils à un Chrétien qui veut retirer des fruits du Sa-
---
JANVIER 1806. 179
crifice de la Messe , par Mlle. ... ej in- 18. De la nécessité
de l'Instruction pour les Femmes par Mad. Gacon-
Dufour ; vol. in-12. Alphonse de B ylarie , histoire
réelle , arrivée vers les derniers temps de la monarchie , par
Mile A. R. Gaetan 2 vol. iņ - 12 . Le comte de Cork ,
surnommé le Grand , ou la Séduction sans artifice , suivi de
six Nouvelles , par Mad de Genlis¹; 2 vol . in - 12 .
-
"
Elégies,
par Mad. Victoire Babois , sur la mort de sa fille , âgée de
cinq ans ; in- 12. → Manuscrits de M. Neker , publiés par
Mad, de Staël ; in-8° . — Adolphe de Morný , ou le malheur
de deux jeunes époux , par Mad . de... , aut ur d'Elisa
Bermont ; 3 vol. in-12 . Alicia , ou le Cultivateur de
Schaffouse , par Charlotte Bournon - Malarme ; 2 vol. in- 12.
1
Manuel de la Ménagère à la ville et à la campagne , ét
de la femme de basse-cour ; ouvrage dans lequel on trouve
-des remèdes éprouvés pour la guérison des bestiaux et ' des
animaux utiles , par Mad . Gacon-Dufour ; 2 vol . in- 12 .
Emilie Fitz- Osborn , traduit de l'anglais , par Mad. de L. ! . !' ;
3 volbin- 12. Fedaretta , traduit de l'anglais , par Mad. de
G... il ; 2 vol. in 12. Le Fou de la Montagne , traduit
de l'anglais , par Mlle de C... 2 vol . in 12. Julie de
Saint-Olmont , ou les Premières Illusions de Famour , par
Mad. ... ; 5 vol . · Koraïme 5 ou l'Illustre infortunée' ,
Nouvelle mongolienne ; suivie d'aventures françaises , indiennes
, grecques , etc..... le tout tiré des manuscrits trouvés
dans un arbre à A ………… , près P.... , par Mad . de Flannanville
, institutrice de feue la princesse Elisabeth , fille de
Mad. la princesse de Sekacoukoy ; 2 vol. in- 12.- La Mariée
, ou vertus et foiblesses , pär Mad . Lepel... d'Ar® ... ;
12 vol.in 12. Esprit de Mad . de Genlis ; r vol. in - 12 .
Moliosa , ou l'Héroïsme de la reconnoissance , Nouvelle
arlandaise , far Marie Decourthamp ; 2 vol. in- 12 . Má
hildes par Mad . Cottin ; 6 vol. in 12. Zulmator , prin-
Acesse de la Chine , ou le petit Barbet blanc des Bains d'AM
2
180- MERCURE DE FRANCE ,
-
-
pollon , conte des Fées , par Mad . Desfontaines ; in - 8° .
Suite des Nouveaux Contes moraux , et Nouvelles historiques
, par Mad. de Genlis ; in-8 ° . Le Naufrage d'Azéma ;
suivi de Mélanges littéraires , pour servir à l'instruction et à
l'amusement de la jeunesse , par Mad . de Flamanville ; in ~ 18 .
Ursule , ou la victime de la superstition , par Mad. de
Saint-Venant ; 2 vol. in- 12 . Le Pauvre Aveugle , traduit
de l'allemand , par Mad. la chanoinesse Depolier. 2 vol .
in - 12 Les Chevaliers du Cygne , par Mad. de Genlis ;
3 vol, in-8° , nouvelle édition . Adèle de Senange , par
Mad . de Flahaut ; 4 vol. in - 12 , nouvelle édition . - Emilie
et Alphonse , par Mad . de Flahaut , 3 vol. in- 12 , nouvelle
édition. Enfin , Alphonsine , ou la Tendresse maternelle
, par Mad. de Genis ; 3 vol. in- 8° et in- 12. Suivant
toutes les apparences , l'année 1806 ne sera pas plus
stérile que la précédente . On annonce comme devant
prochainement
paroître , un roman nouveau , par Mad. de Staël ;
un Voyage en Italie , par la même ; Madame de Maintenon ,
par Mad. de Genlis ; un Recueil d'Elégies , par Mad. Dufresnoi
. Il faut ajouter que Mesdames Briquet , Chénier , de
la Fer , Delille ( du Vaudeville ) , Bourdic - Viot , de
Montanclos , Perrier , Dufresnoy , de Condorcet , etc.. etc. ,
sont au moins pour un quart dans les nombreux almanachs
des Muses , et dans les recueils de poésies et de prose qui
paroissent sous différens titres depuis le 1er janvier.
---
Qui ne connoit M. Urbain Domergue , membre de
l'Institut ? qui ne connoît ses Eglogues , ses Grammaires et son
Bureau de Consultation sur la Grammaire ? qui ne connoît
sur-tout les épigrammes par lesquelles son collègue Lebrun a
célébré toutes ces belles choses ? « Messieurs , dit un jour à
» l'Institut M. Urbain Domergue , il est des mots qui ont
>> reçu du ciel des lettres denaturalité. J'ai fait des églógues ;
» et comme je desirerois que vous n'en prétendissiez point
» cause d'ignorance , j'ajouterai que mes églogues ont obtenu
JANVIER 1806. 181
» des lettres de naturalité de tous les gens de goût . Je desi-
>> rerois aussi que vous interposassiez votre autorité pour
» défendre le mot amateur au féminin . Il est ridicule de
» dire , une amateur . Il est temps de faire présent à la lan◄
» gue , malgré elle , du terme d'amatrice. Plût au ciel , Mes-
>> sieurs , que vous vous enthousiasmassiez , comme moi ,
» de l'imparfait du subjonctif en asse . L'emploi de ce temps
» est aussi nécessaire à l'harmonie qu'à la correction . » M. Lebrun
répondit ainsi le lendemain à son éloquent collègue :
Grand puriste , vous qui donnâtes ,
De votre pleine autorité ,
Lettres de naturalité
A des mots que vous étonnâtes ,
Je voudrois que vous donnassiez
Les églogues que vous rimôtés ,
Que rien ne retranchassiez
Des beaux vers que vous déclamâtes.
Faites voir sur votre bureau
Le pubis hurlant dans vos rimes ( 1 ) ,
Et l'embrassement du taureau ( 2 ) ;"
Et l'amatrice dont nous rimes."
-La dernière flotte du Bengale arrivée en Angleterre ,
a rapporté une collection considérable de manuscrits orientaux
, rassemblés par le major Onhley. Elle renferme cinquante
ouvrages jusqu'ici inconnus en Europe ; ils sont écrits
en arabe , en persan , ou en langue souscrite. Cette collection
contient aussi des figures mythologiques et d'autres antiquités
découvertes par M. Onhley dans l'Indostan , le Thibet,
la Tartarie , la Chine , à Ceylan et dans le royaume d'Ava.
( 1) Ce vers fait allusion au vers de M. Urbain Domergue sur Scylla
et Charibde , '
Dont le pubis est ceint de monstres aboyans.
(2) « D'un robuste taureau le fier embrassement. >>
Vers de M. Domergue.
3
182 MERCURE DE FRANCE ,
.
Cet officier a fait noter un très-grand nombre d'airs indiens
et persans. La place d'aide -de- camp d'un nabab , qu'il a océupée
pendant plusieurs années , lui a donné les moyens de
compléter sa riche collection.
- On annonce comme devant paroître prochainement la
collection des discours et des réquisitoires du célèbré avocatgénéral
Séguier. C'est sous les yeux même de son fils , M. Sé
guier , premier président de la cour d'appel , que s'imprime ce
recueil précieux.
-
}
Peu de personnes ont lu en entier l'ouvrage de Lavater
sur l'Art de connoître les Hommes par la Physionomie . Mais
tout le monde connoît des fragmens , ou du moins a entendu
parler de cette production bizarre. M. Moreau de la Sarthe en
ann nce une couvelle édition , corrigée et disposée dans un
ordre plus méthodiqué , qui de plus sera précédée d'une Notice
historique et augmentée d'une Exposition des recherches ou des
opinions de Lachambre , de Porta , de Camper , de Gall , sur la
physiononie ; d'une Histoire anatonique et physiologique de
la Face , avec des figures coloriées , et d'un très - grand nombre
d'articles nouveaux sur les caractères des passions , des tem -
péramens et des maladies. Cet ouvrage paroîtra par souscription
Les livraisons vont commencer. Il en paroitra deux par
mois . L'ouvrage en aura vingt - quatre ; ainsi il sera terminé
dans un an. Nous ignorons s'il sera un peu moins absurde et
mois ennuyeux que l'ouvrage original de Lavater. En attendant
que la publication de la première livraison nous permette
d'en juger , avec connoissance de cause , voici ce qu'on en dit
dans unjournal ( la Décade) , dont M. Moreau de la Sarthe
est un des principaux rédacteurs : « Les ouvrages connus de
» M. Moreau de la Sarthe domment une garantie infaillible du
» mérite et du succès de ce nouveau travail , par lequel il va
» étendre l'estime qu'il a déjà acquise et les rapports qui se
» rétablissent au grand avantage de la raison et de l'huma -
» nité , entre la philosophie et la médecine , nuaflats toV
JANVIER 1806. 183
C
-Les météorologistes auront eu un vaste champ pour exercer
leurs recherches dans les dix jours qui viennent de s'écou
ler , et les médecins observateurs une nouvelle preuve de la
connexion du système sanitaire au système atmosphérique.
Le 11 janvier , le baromètre a franchi plusieurs fois la
limite fatale sur laquelle est tracé le mot effrayant tempête ,
el il est descendu à 2 lignes près du degré de sinistre mémoire
, qui , en 1768 , fut la cause ou l'effet du tremblement
de terre de la Calabre ( 1 ) . Toute la nuit qui a succédé à ce
jour orageux , a offert l'épouvantable réunion du sifflement
des vents , d'une pluie continue , de bruits lointains et
inaccoutumés , du craquement des édifices. On a complé
beaucoup de morts subites et de paralysies de vieillards ,
de catarres suffocans chez les enfans , d'oedématies chez
les femmes enceintes sur-tout . Eh ! comment pourroit – il
en être autrement , entourés d'eau qui nous poursuit jusque
dans nos caves ! Nous la respirons avec l'air ; et si l'on n'a
pas la précaution d'assainir par le feu les appartemens , de
se vêtir de manière à absorber l'humidité ambiante, et de changer
chaque jour d'habillement , de tenir un régime sec et
aromatique , la fibre se macère et se prête à toutes les maladies
dépendantes de l'influence d'une atmosphère saturée
d'eau sur l'économie animale. On a demandé si cette affection
étoit contagieuse. On répond trop facilement par la négative
à ces questions , qui pourtant valent bien la peine d'être discuttes
; et en observant que les personnes qui , dans les maisons
ont donné des soins à ces malades , ont les premières
succombé ensuite à ce mal , nous sommes tentés de conseiller
d'agir de même que s'il étoit communicable ; et cet avis
conduit naturellement à l'idée de préservatifs , dont les plus
,
(1 ) Il y a ici erreur de date . Les derniers désastres de la Calabre eurent
lien le 5 février 1783. Ceux qui les avoient précédés étoient du S'août 11779
mais il est vrai qu'en 1768 le baromètre a passé le degré de la Tempète.
4
184 MERCURE DE FRANCE ,
peu sûrs sont une diète sage, des alimens secs , un de vin pur❜
le café , le chocolat mangé à sec , un air continuellement séché
par un bon brasier, et non par un poêle , qui ne fait que chauffer
le bain de vapeur que l'on respire ; des habits légers et
chauds , les pieds bien couverts , ainsi que la tête , n'en
déplaise à l'école de Salerne , du temps de laquelle les têtes
étoient apparemment plus vigoureuses ; des frictions spiritueuses
, le changement de linge fréquent , sur-tout quand l'on
a sué.
Depuis dix jours la plus grande élévation du baromètre a
marqué, dans son maximum , 28 p . 41. trois douzièmes.
Id. , pour le minimum , 27 p . 61. six douzièmes.
Le thermomètre de M. Chevallier s'est élevé pour le maximum
, à 9 deg.
\
Il est descendu dans le minimum , à sept dixièmes .
L'hygromètre a marqué , dans son maximum , 99 d.
Et, pour le minimum , 83.
Vents dominans. Les vents , depuis dix jours , ont soufflé
18 fois au S.-O. , 3 fois à l'O. , 6 fois au N.-O.
La Seine baisse sensiblement ,
*
( Gazette de Santé, du 21 janvier. )
MODES du 20 janvier . Les toques parées se portent avec deux on
trois plumes très- courtes et très- larges : on pose ces plumes sur le devant,
et elles retombent jusque sur le nez , parce qu'elles sont fort souples .
Les fleurs , sur les chapeaux , ne sont que de demi- toilette . Ajouté aux
fleurs , un tablier de dentelle caractérise un négligé fort élégant .
•
Outre la sensitive , on porte dumuguet et des roses blanches du Bengale,
Les douillettes de velours vert , doublées de blanc , et les douillettes
rose sont , dans leur genre , ce qu'on connoît de plus à la mode ; cependant
elles n'offrent rien de neuf pour la coupe , la seule différence consiste
dans l'écharpe , qui se noue par- devant .
Les collerettes ont jusqu'à trois rangs ; elles ne sont cependant pas trèshautes
; on les plisse à gros plis ronds.
Tout autour de la toque , qui accompagne une redingote ou douillette
de velours , sont , au défaut de plumes , des pattes à demi osanges ,
la couleur de la doublure de la redingote ,
L'écharpe d'une robe parée se noue sur le côté ; elle est de crêpe ,
JANVIER 1806. 185
+
avec un petit filet d'or passé dans l'étoffe , ou une légère broderie d'or
ou d'argent .
Par derrière et sur les côtés , toutes les robes de parure sont excessivement
décolletées ; il faut , pour qu'elles ne quittent pas les épaules , une
forte compression .
Pour les ceintures et les corsets élastiques , on cite M. Delacroix ,
mécanicien , rue S. Honoré , nº . 64 , près celle des Prouvaires.
Les toques ont , par devant , moins de plis pour rebord , moins de draperie
que de coutume , et le fond en est encore plus petit , colle davantage
sur la tête.
Coiffée d'une toque , ou de son bonnet de tulle , à étoile brodée , une
femme àqui l'on avoit cru , au spectacle ou an bal , des cheveux fort longs
laisse distinguer qu'elle a la tête très-peu garnie.
Pour les véritables coiffures en cheveux , les fleuristes vendent ce qu'ils
nomment un tour de peigne , une guirlande qui se pose circulairement ;
et , pour les Titus , un réseau qui cache tout le derrière de la tête , et revient
par deux petites lignes dirigées vers le toupet , se rejoindre au - d
u- dessus
du front , en façon de diadême.
Il y a beaucoup de tours de peigne et de réseaux en sensitive ; quelquefois
la sensitive est verte , avec de petites graines en brillans ; mais plus
communément rose le rose étant , en coiffures , la couleur dominante .
"
Quelques modistes avoient employé , comme garniture de capotes , un
rebord de cygne : un autre duvet est réputé d'un meilleur genre , c'est le
Maarbout , qui se porte en blanc , ou teint en rose , qu'on ne trouve point
à acheter , qui ne s'obtient , que par cadeaux , que Buffon ne connut' point >
et que nos plumassiers disent venir de loin et être fort rare.
Les sachets imprégnés d'essence de rose , ont un but d'utilité ; ils préservent
des mites les schalls de cachemire aussi , imaginés comme cadeau
d'étrennes , ils se reproduisent comme article de commerce journalier
. Un seul apprêteur , l'année dernière , eut à remettre à neuf plus de
trois mille schalls de cachemiré.
Quelques-unes de nos élégantes ont , dès la fin de la semaine dernière .
renouvelé connoissance avec la terrasse des Feuillans . Aux plus belles redingotes
en velours , le bourrelet espagnol des emmanchûres étoit coupé par
des raies de martre. Les palatines avoient la largeur d'un fichu ; elles
étoient de cygne.
Encore une pendule nouvelle : le sujet est Paul et Virginie ; les figures
sont en bronze antique , et , sur les deux têtes , la draperie flottante en
bronze doré.
Dans les plus beaux appartemens , les meubles sont de velours vert .
L'un des doubles rideaux est de soie blanche. Les franges sont en or , et
les glands en pot au lait .
186 MERCURE DE FRANCE ,
NOUVELLES POLITIQUES.
Munich, 16 janvier.
L'armée française a évacué la Moravie et la Hongrie ; la
ville de Vienne a été évacuée le 14. Le maréchal Soult ,
commandant l'arrière-garde , est aujourd'hui à Saint-Polten .
Tout se passe dans le meilleur ordre , et il règne entre l'armée
française et les pays qu'elle traverse la plus parfaite harmonie.
#
S. M. l'EMPEREUR et Ro et S. M. le roi de Bavière ayant
arrêté entr'eux le mariage du prince Eugène , vice- roi d'Italie ,
et de la princesse royale Auguste-Amélie de Bavière , les cérémonies
du mariage de ces illustres personnes ont eu lieu à
Munich , les 13 et 14 de ce mois.
Le 13 , à une heure après midi , les deux familles impériale
et royale se sont rendues en cortége dans la grande galerie du
palais , disposée à cet effet. LL. MM. II. et RR. étoient entourées
de leur cour. La nef de la galerie qui se prolongeoit
en face des trônes étoit occupée par toutes les personnes de
distinction qui se trouvoient à Munich , et parmi lesquelles
un grand nombre étoit venu , tant des états de S. M. le roi de
Bavière que des états voisins .
LL. MM. ayant pris place , le ministre secrétaire d'état de
l'Empire a fait la lecture du contrat de mariage , qui a ensuite
été signé suivant les formes qui avoient été précédemment
réglées. Le ministre secrétaire-d'état a présenté la plume
à S. M. l'EMPEREUR et à S.. M. l'Impératrice. Il a remis ensuite
le contrat de mariage au ministre secrétaire- d'état des
affaires étrangères du roi de Bavière , qui , après l'avoir
présenté à LL. MM. le roi et la reine de Bavière , le lui a
rendu.
Ce contrat ayant été présenté successivement et dans les
mêmes formes au prince Eugène , à la princesse Auguste , au
prince Royal de Bavière , et à S. A. S. le prince Murat ,
grand-amiral , a ensuite été signé par MM. Charles - Maurice
Talleyrand - Périgord , ministre des relations extérieures ;
Michel Duroc , grand-maréchal du palais ; Armand-Augustin-
Louis de Caulincourt , grand- écuyer ; Jean-Baptiste Bessières ,
maréchal de l'Empire , colonel-général de la garde ; Louis-
Auguste-Juvénal d'Harville , sénateur , premier écuyer de
S. M. l'Impératrice , témoins du prince Eugène : par MM. le
comte Théodore-Tapor de Mourwiski , ministre d'état ; le
comte Antoine de Forring-Seefeld , grand-maître ; le baron
JANVIER 1806 . 187
C
Maximilien de Rechberg , grand-chambellan ; le baron Louis
de Gohren , grand-maréchal ; et le baron Charles de Kesling
, grand-écuyer , témoins de la princesse Auguste. Le
contrat a alors été contre -signé par le ministre secrétaire→
d'état de l'Empire et par le ministre secrétaire -d'état des
affaires étrangères de Bavière. Ce dernier l'a ensuite remis au
ministre sécrétaire d'état de l'Empire. Cet acte sera déposé
dans les archives impériales.
La cérémonie de la signature étant ainsi terminée , le prince
Eugène et la princesse Auguste-Amélie de Bavière se sont placés
devant le trône , et le ministre secrétaire - d'état de l'empire ,
en conséquence de l'autorisation expresse qu'il en avoit reçue
par décret impérial du même jour ; et remplaçant S. A. S. le
prince archichancelier de l'Empire Cambacérès , a procédé à
l'acte civil du mariage. Après avoir fait aux illustres époux
les demandes prescrites par la toi , il a prononcé les paroles
ci-après : « S. M. l'EMPEREUR et Ror, entendant que les for-
» malités observées ci-dessus , satisfassent pleinement à ce
» qu'exigent les lois de l'Empire pour consacrer l'état civil
>> des illustres conjoints , et pour les autoriser en conséquence
» à appeler sur leur union les bénédictions de notre sainte
» mère l'Eglise catholique , apostolique et romaine ; en vertu
» de l'autorisation expresse que nous en avons reçue de S. M. ,
» nous déclarons , au nom de li toi , LL. AA. II . et RR. le
» prince Eugène et la princesse Auguste-Amélie de Bavière,
» anis par les liens du mariage . »
L'acte civil a ensuite été présenté par le ministre secrétaired'état
, à la signature des illustres époux et de leurs augustes
familles. Les témoins qui avoient eu l'honneur de signer le
contrat , ont signé cet acte , qui l'a été ensuite par le ministre
secrétaire d'état , en présence de LL. MM.
SA. S. E. l'archichancelier de l'Empire germanique ,
primat d'Allemagne , est entré alors avec son clergé get a
occupé un fauteuil placé en face des trônes. Le prince Eugène
et la princesse Auguste se sont présentés devant lui , et S. A. S. E.
l'archevêque primat a procédé à la bénédiction des anneaux
et à la cérémonie des fiançailles.
LL. MM. II. et RR. et leurs familles étant rentrées dans
leurs appartemens , tous les spectateurs se sont retirés , pénétrés
du respect et de l'émotion profonde dont cette cérémonie im-
*posante avoit pénétré tous les coeurs.
Le lendemain . 14 , à sept heures du soir , le sacrement du
mariage a été célébré par S. A. S. E. l'archevêque primat ,
dans la chapelle du palais. LL. MM. d'EMPEREUR et Roi et
l'Impératrice Reine ayant été averties par le premier cham188
MERCURE
DE FRANCE
;
bellan , faisant les fonctions de grand- maître des cérémonies ,
que LL. MM. le roi et la reine de Bavière et la princesse
Auguste-Amélie étoient à la chapelle , s'y sont rendues avec
le prince Eugène , et en grand cortége. Les trônes étoient
placés à la droite et à la gauche de la nef. LL. MM. II . et RR.
étoient accompagnées de leurs familles , et environnées de
leurs principaux officiers. Le prince Eugène et la princesse
Auguste-Amélie étoient à genoux sur des prie-Dieu places
des deux côtés de la nef , à portée des trônes. S. A. S. E.
l'archevêque primat a alors procédé à la consécration du
mariage dans les formes que la Sainte-Eglise prescrit. Après la
bénédiction nuptiale , un Te Deum a été chanté.
LL. MM. sont revenues avec le même cortége . Le prince
Eugène donnant la main à son auguste épouse , et marchant
entre l'EMPEREUR et Roi et l'Impératrice- Reine.
LL. MM. le roi et la reine de Bavière étant arrivés dans les
appartemens de S. M. l'Impératrice, il y a eu cercle et banquet
impérial.
PARIS.
En conformité des ordres de S. M. l'EMPEREUR et Ror
S. A. S. Mgr le prince archichancelier de l'Empire s'est
rendu , le 22 janvier , à trois heures précises , à la séance du
senat. Après avoir été reçu avec le cérémonial accoutumé ,
S. A. S. a pris séance et a dit :
1
«< Messieurs ,
» La nouvelle communication que je viens vous faire de la
part de S. M. l'EMPEREUR et Roi , est relative à l'adoption
du prince Eugène , et à l'hérédité de la couronne d'Italie.
» Nos lois constitutionnelles ont réglé avec étendue tout
ce qui concerne le droit de succéder à l'Empire.
» Il n'en est de même des statuts pas du
d'Italie :
royaume
les dispositions que ces statuts renferment , attribuent l'hérédité
du trône à la descendance légitime , naturelle , ou adoptive
de S. M. l'EMPEREUR et ROI. Jusqu'ici leur prévoyance
n'a pas été plus loin. De là un germe d'inquiétude que S. M.
veut détruire , en même temps qu'il est de sa justice d'assurer
à une portion si intéressante de ses sujets la longue et paisible
jouissance du gouvernement libéral dont l'établissement est
pour eux une ère de gloire et de prospérité.
» C'est pour Faccomplissement de cette résolution que
S. M. vient de donner à ses états d'Italie un quatrième statut.
Cette charte contient de la part de S. M. l'EMPEREUR et Roi ,
JANVIER 1806 .
189
l'adoption du prince Eugène ; elle ordonne qu'au défaut de
descendans issus de l'EMPEREUR , le prince Eugène succédera
à la couronne d'Italie et la transmettra à sa postérité ; elle
détermine enfin que , si la descendance de S. A. I. et R. vient
à défaillir , cette couronne sera dévolue à l'un des plus proches
de celui des princes du sang impérial qui , à cette époque
régneroit sur les Français. La lecture de la lettre que S. M.
vous adresse , vous mettra mieux que tout ce que je pourrois
vous dire , en mesure de rendre hommage à cette profondeur
de pensées , à cette série de combinaisons qui se manifestent à
chaque ligne de cette lettre , et qui caractérisent si bien la prévoyante
sagesse de notre auguste souverain , ainsi que sa continuelle
sollicitude pour le bonheur de ses peuples.
>>
Vous le savez , Messieurs , chaque jour l'EMPEREUR cont
solide son ouvrage, chaque jour il en cimente toutes les parties,
et il établit entre elles des relations dont l'utilité garantit la du
rée. Aujourd'hui il donne à ses sujets d'Italie une grande
marque de son affection , en leur destinant un prince avec
lequel son esprit ne cessera jamais d'être. Ce prince est
Français , il l'est de coeur comme d'origine ; il portera sur le
trône où son illustre père l'appelle , des sentimens qui maintiendront
entre l'Italie et le reste de VEmpire des liaisons né−
cessaires à la commune prospérité.
>> Dans la connoissance que S. M. vous donne des dispositions
qu'elle vient d'arrêter , vous trouverez , Messieurs , un,
nouveau témoignage de son affection , une preuve qu'elle regarde
le sénat français comme l'une des bases du grand édifice
qu'elle a fondé. Les diverses parties qui le composent , bien
qu'ordonnées sous des lois différentes , se rapportent toutes à
un but digne de son génie : la conservation de l'ensemble , la
félicité de tous , et la gloire immortelle du fondateur.
» Je remets à M. le président la lettre de S. M. l'EMPEREUR
et Roi. »
Lettre de S. M. l'EMPEREUR et Roi au Sénat.
» Sénateurs ,
>> Le sénatus-consulte organique du 18 floréal an 12 a pourvu
à tout ce qui étoit relatif à l'hérédité de la couronne impériale
en France. "
« » Le premier statut constitutionnel de notre royaume d'Italie
, en date du 19 mars 1805 , a fixé l'hérédité de cette couronne
dans notre descendance directe et légitime , soit naturelte
, soit adoptive ( 1 ).
( 1 ) Art. II. La couronne d'Italie est héréditaire dans sa descendance
directe et légitime , soit naturelle , soit adoptive , de mâle en mâle , et à
190
MERCURE DE FRANCE ,
» Les dangers que nous avons courus au milieu de la
guerre , et que se sont encore exagérés tos perples d'Italie ,
ceux que nous pouvons courir en combattant les ennemis qui
restent encore à la France , leur font concevoir ce vives inquiétudes
: ils ne jouissent pas de la sécuri é que leur offre la
modération et la libéralité de nos lois , parce que leur avenir
est encore incertain . Nous avons considéré comme un de nos
premiers devoirs de faire cesser ces inquiétudes.
» Nous nous sommes en conséquence déterminés à adopter
comme notre fils le prince Eugene , archichancelier d'état de
notre Empire et vice - roi de notre royaume d'Italie . Nous Pavons
appelé , après nous et nos enfans naturels ét légitimes , au
trône d'Italie , et nous avons statué qu'à défaut , soit de notre
descendance directe , légitime et naturelle ; soit de la descen-.
dance du prince Eugene , notre fils , la couronne d'fialie sera
dévolue au fils ou au parent le plus proche de celui des princes
de notre sang qui , le cas arrivant , se trouvera alors régner
en France.
0913 501 9J
» Nous avons jugé de notre dignité que le prince Eugène
jouisse de tous les honneurs attachés à notre adoption , quoi
qu'elle ne lui donne des droits que sur la couronne d'Italie
entendant que dans aucun cas , ni dans aucune circonstance
notre adoption ne puisse autoriser ni lai ni ses ' descendans a
élever des prétentions sur la couronne de France , dont la succession
est irrévocablement réglée par les constitutions de l'Empire.
2
L'histoire de tous les siècles nous apprend que l'uniformité
des lois nuit essentiellement à la force et à la bonne organisation
des empires , lorsqu'elle s'étend au-delà de ce que
permettent soit les moeurs des nations , soit les considerations
géographiques,
» Nous nous réservons , d'ailleurs , de faire connoître par
des dispositions ultérieures les liaisons que nous entendons
qu'il existe après nous , entre tous les états fédératifs de l'Empire
français. Les différentes parties indépendantes entr'elles ,
ayant un intérêt commun , doivent avoir un lien cominud . «
» Nos peuples d'Italie accueilleront avec des transports de
joie les nouveaux témoignages de notre sollicitude. Ils verront
un garant de la félicité dont ils jouissent , dans la permanence
du gouvernement de ce jeune prince , qui , dans des circons
Fuel do 53304b qugenéticas -97)oiteasb 95TET
l'exclusion perpétuelle des femmes et de lem descendance , sans néanytoins
que son droit d'adoption puisse s'étendre sur une autre personne qu'un
citoyen de l'Empire français ou du royaume d'Italie, mai
Statut constitutionnel du royaume d'Italie. ( 19 mars 18050). -
JANVIER 1806 .
191
tances si orageuses , et sur-tout dans ces premiers momens sí
difficiles pour les hommes même expérimentés , a su gouverner
par l'amour , et faire chérir nos lois.
» Il nous a offert un spectacle dont tous les instans nous
ont vivement intéressé . Nous l'avons vu mettre en pratique ,
dans des circonstances nouvelles , les principes que nous nous
étions étudié à inculquer dans son esprit et dans son coeur
pendant tout le temps où il a été sous nos yeux. Lorsqu'il s'agira
de défendre nos peuples d'Italie , il se montrera également
digne d'imiter et de renouveler ce que nous pouvons
avoir fait de bien dans l'art si difficile des batailles,
» Au même moment où nous avons ordonné que notre
quatrième statut constitutionnel fut communiqué aux trois
colleges d'Italie , il nous a paru indispensable de ne pas différer
un instant à vous instruire des dispositions qui asseoient la
prospérité et la durée de l'Empire sur l'amour et l'intérêt de
toutes les nations qui le composent. Nous avons aussi été persuadé
que tout ce qui est pour nous un sujet de bonheur et
de joie , ne sauroit être indifferent ni à vous , ni à mon
peuple.
.
» Donné à Munich , le 12 janvier 1806. »...
1
Signe NAPOLÉON.
Le sénat a voté des remerciemens à S. M. l'EMPEREUR et
Roi , et a renvoyé la rédaction, de sa réponse à une commission
composée des sénateurs Lacepède , Sémonville et Sieyes..
-Les drapeaux pris à la bataille d'Austerlitz , et envoyés par
l'EMPEREUR, au chapitre de l'église Notre- Dame de Paris , ont
été reçus par le clergé , et suspendus au voûtes de l'église
suivant l'intention de S. M. I. Cette religieuse oérémonie , qui
a eu lieu le 19 janvier , avoit attiré beaucoup de monde.
Par un décret rendu au palais de Sehoenbrunn , le 6 nivose
, 27 décembre , S. M. ordonne que le corps législatif
ouvrira ses séances , pour la session de l'an 1806 , le premier
jour du mois de mars prochain..
Le prince Louis est arrivé à Paris , le 18 janvier . S. A.
I. en est repartie le surlendemain pour aller jusqu'à Strasbourg
au-devant de l'EMPEREUR ,
!-
S. A. S. le prince Murat est de retour à Paris.
Jusqu'à présent les curés et desservans étoient obligés de
faire toucher , au chef- lieu de département , les sommes qui
leur sont allouées par chaque trimestre . Son Ex. le ministre
des cultes vient de les avertir , par une circulaire , qu'en
vertu d'une décision prise par l'autorité , ils recevront du préfet
de leur département des mandats payables chez les receveurs
d'arrondissement.
·
192 MERCURE
DE FRANCE,
-M. le comte de Bunau , ministre plénipotentiaire de la
cour de Saxe , est mort à Paris le 20 janvier à la suite d'une maladie
de langueur. C'est lui qui , il y a un an , vit entrer chez lui
son cuisinier furieux d'avoir été congédié la veille. Il portoit
deux pistolets. Avec l'un il tire sur son maître et le manque ;
avec l'autre il se brûle la cervelle et. tombe mort à ses pieds.
M. de Bunau ne s'étoit jamais remis de l'émotion que lui
avoit causé cette étrange scène. Il avoit été plusieurs années
ministre de Saxe en Danemarck. Il descendoit d'un comte de
Bunau connu en Allemagne par son érudition et par quatre
volumes in-4 sur l'Histoire de l'Empire qu'il n'a pu porter
au-delà du dixième siècle , mais qui est encore consultée par
les savans.
On lit dans le Journal de l'Empire du jeudi 9 janvier
qu'à la suite d'une comédie nouvelle que M. Colin-d'Harleville
a comprise dans la collection de ses oeuvres , on a imprimé
ces mots : Vu et permis l'impression et la mise en vente ,
» d'après décision de S. E. le sénateur ministre de la police
» générale de l'Empire , en date du g de ce mois prairial an 15 .
» Par ordre de son excellence. Le chef de la division de la
» liberté de la presse. Signé P. Lagarde. » ":
S. M. a été surprise d'apprendre par cet article qu'un
auteur aussi estimable que M. Collin- d'Harleville avoit eu
besoin d'approbation pour imprimer un ouvrage qui porte
son nom. Il n'existe point de censure en France. Tout citoyen
français peut publier tel livre qu'il juge convenable , sauf à
en répondre. Aucun ouvrage ne doit être supprimé , aucun
auteur ne peut être poursuivi que par les tribunaux , ou d'après
un décret de S. M. , dans le cas où l'écrit attentéroit aux
premiers droits de la souveraineté et de l'intérêt public. Nous
retomberions dans une étrange situation , si un simple come
mis s'arrogeoit le droit d'empêcher l'impression d'un livre ,
ou de forcer un auteur à en retrancher ou à y ajouter quelque
chose.
La liberté de la pensée est la première conquête du siècle.
L'Empereur veut qu'elle soit conservée ; il faut seulement que
l'usage de cette liberté ne préjudicie ni aux moeurs , ni aux
droits de l'autorité suprême ; et ce n'est sans doute qu'un
écrivain dépravé qui peut vouloir y porter atteinte , ce ne
seroit aussi qu'nn prince foible qui pourroit tolérer une licence
destructive des fondemens de l'ordre social et de la
tranquillité des citoyens. La liberté et la civilisation n'existent
qu'entre les extrêmes ; c'est aussi entre les extrêmes que l'administratiou
et la législation doivent se maintenir un
( Journal officiel. )
(No CCXXXVII.)
( SAMEDI 1er FÉVRIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE
A M. DE BOUFFLER S.
( Celle Epitre est de M. Delille : elle n'avoit pas encore été
imprimée. )
HONNEUR des chevaliers , la fleur des troubadours ,
Ornement du beau monde , et délices des cours ,
Tu veux donc , dans le sein de ton champêtre asile ,
Vivre oublié ! La chose est difficile ,
Pour toi que le bon goût recherchera toujours .
En vain dans un réduit agreste
Le campagnard mondain , le poète modeste ,
L'aimable paresseux veut être enseveli ,
Toujours pour toi coulera le Permesse,
Et jamais le fleuve d'oubli.
La
Ces vers pleins de délicatesse
Où ta Muse présente au lecteur enchanté
grace et là raison , l'esprit et la bonté,
La bonhomie et la finesse ,
L'élégance avec la justesse ,
La profondeur et la légèreté ,
Souvent, avec un art extrême
Prête au bon sens l'accent de la gafte ,
Et se calomnie elle-même
Par un air de frivolité
Ces titres heureux de ta gloire
Seront toujours présens à la mémoire.
Fut
N
194
MERCURE
DE FRANCE
,
1 .
Digne à la fois des palais et des champs,
Ton Aline toujours aura ces traits touchans
Qu'elle reçut de ta Muse facile .
Lorsque ton pinceau séducteur ,
Toujours brillant , toujours fertile,
Gai comme ton esprit , et pur comme ton coeur ,
Entre le dais et la coudrette ,
Entre le sceptre et la houlette ,
Nous peint cet objet enchanteur ,
Moitié princesse et moitié bergerette ,
Malgré toi tout Paris répétera tes chants ;
Et toujours tu joindras, dans ton aimable style ,
A la simplicité des champs ,
Toutes les graces de la ville.
Puis quand il seroit vrai que tes modestes voeux
Pussent s'accommoder de ces rustiques lieux ,
Pourrois-tu bien au fond d'une campagne
Enterrer l'aimable compagne
A qui de tes beaux jours nous devons les douceurs ?
Si tu n'avois de ton doux hyménée
Reçu pour
dot qu'un immense trésor ,
Je te dirois : Va dans la solitude
Cacher tes jours et ta femme et ton or ,
Et d'un triste richard l'ayare inquiétude .
1
Mais l'esprit , la beauté sont faits pour le grand jour
La ville est leur empire , et le monde leur cour.
Le sage créateur du monde
Ensevelit les métaux corrupteurs
."
Au sein d'une mine profonde :
Il cache l'or et nous montre les fleurs.
Si toutefois , dans ton humeur austère ,
Las du monde et de ses travers ,
Tu veux dans le fond des déserts
Cacher ton loisir solitaire ,
Avec tes goûts nouveaux permets nous de traiter ,
Prenons un temps : pour nous quitter,
Attends que tu cesses de plaire ,
Et tes vers de nous enchanter.
100%
FEVRIER 1806 . 195
Alors , puisqu'il le faut , sois agricole , range
Tes fruits nouveaux dans tes celliers ,
Tes bleds battus dans tes greniers ,
Tes bleds en gerbe dans ta grange ,
Dans tes caveaux tes choux rouges ou verts .
Mais que m'importe ta vendange ,
A moi qui m'enivrai du nectar de tes vers ,
Et quelquefois de ta louange?
Plus d'un contrefacteur du vin le plus parfait ,
Des pressoirs de Pomard et des cuves du Rhône ,
Des crus de Jurançon , de Tavel et de Beaune
Sait assez bien imiter le fumet ;
Même d'un faux Aï la moussse mensongère ,
En pétillant dans la fougère ,
Trompe souvent plus d'un gourmet ;
Mais tes écrits ont un bouquet
Que nul art ne peut contrefaire .
J. DELILLE.
STANCES A LA MELANCOLIE.
ALIMENT et poison d'une ame trop sensible ,
Toi , sans qui le bonheur me seroit impossible ,
Tendre Mélancolie ! ah ! viens me consoler :
Viens calmer les tourmens de ma sombre retraite ,
Et mêle une douceur secrète
A ces pleurs que je sens coulér.
ง
Loin de moi , vains plaisirs , que le monde idolâtre !``
Ces rires insensés , cette gaîté folâtre ,
Semblent braver na peine , et ne font que l'aigrir .
J'aime mieux mes soupirs , ma tristesse , mes larmes :
Ma langueur a pour moi des charmes ;-
Je souffre ... et ne veux point guérir.
Fidèles au malheur , comme à la solitude ,
Nourrissez de mon coeur la longue inquiétude ,
Souvenirs qui touchez , même en nous déchirant ;
Que je dise à ma dernière heure :"
« On me plaint , on m'aime , on me pleure
Que je sourie en expirant .
COLLIN D'ARLEVILLE.
N 2
196 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
Je suis , je ne suis plus ; j'étois et je vais être.
Veut-on me retenir ? je suis mort pour jamais ;
Mais pour jamais aussi , je suis prêt à renaître :
Je meurs toujours ; toujours je nais.
LOGOGRIPHE.
Qu'on lise à l'ordinaire , ou qu'on lise à rebours ,
Je suis toujours la même chose.
Le genre humain me doit ses jours ,
Quoique de son trépas je sois aussi la cause,
CHARAD E.
Mon premier ne sera qu'un rempart 'impuisssant
Pour un peuple qui veut usurper le trident ;
Tu vois dans mon dernier ce que fait notre Alcide
Pour surprendre et dompter un ennemi perfide ;
Les étonnans succès de l'immortel guerrier
Offrent à mes lecteurs le nom de mon entier.
Par BEZ AVE. DE MAZIÈRE l'aîné.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro .
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Monnaie.'
Celui du Logogriphe est Notaire , où l'on trouve note , air.
Celui de la Charade est Pot-eau.
FEVRIER 1806.
197
VOYAGE AU MONT- BLANC ,
ET RÉFLEXIONS
SUR LES PAYSAGES DE MONTAGNES ..
« Rien n'est beau que le vrai , le vrai seul est aimable. »
J'AI
vu beaucoup de montagnes en Europe et en
Amérique , et il m'a toujours paru que dans les descriptions
de ces grands monumens de la nature , on
alloit au-delà de la vérité. Ma dernière expérience à
cet égard ne m'a point fait changer de sentiment ,
J'ai visité la vallée de Chamouni , devenue célèbre
par les travaux de M. de Saussure ; mais je ne sais si
le poète y trouveroit le speciosa deserti comme le
minéralogiste. Quoi qu'il en soit , j'exposerai avec
simplicité les réflexions que j'ai faites dans mon
voyage : mon opinion d'ailleurs a trop peu d'autorité
pour qu'elle puisse choquer personne,
vre pas
Sorti de Genève par un temps assez nébuleux ,
j'arrivai à Servoz au moment où le ciel commençoit
à s'éclaircir. La crête du Mont- Blanc ne se découde
cet endroit , mais on a une vue distincle
de sa croupe neigée appelée le Dôme. On franchit
ensuite le passage des Montées , et l'on entre dans la
vallée de Chamouni. On passe au-dessous du glacier
des Bossons ; ses pyramides se montrent à travers les
branches des sapins et des mélèzes . M. Bourrit a
comparé ce glacier , pour sa blancheur et la coupe
3
198 MERCURE DE FRANCE ,
alongée de ses cristaux, à une flotte à la voile ; j'ajouterois
, au milieu d'un golfe bordé de vertes forêts .
Je m'arrêtai au village de Chamouni , et le lendemain
je me rendis au Montanvert . J'y montai par
le plus beau jour de l'année. Parvenu à son sommet ,
qui n'est qu'une croupe du Mont -Blanc , je découvris
ce qu'on appelle très- improprement la Mer de
Glace .
Qu'on se représente une vallée dont le fond est entièrement
couvert par un fleuve. Les montagnes qui
forment cette vallée , laissent pendre au - dessus de
ce fleuve des masses de rochers , les aiguilles du Dru,
du Bochard , des Charmoz. Dans l'enfoncement , la
vallée et le fleuve se divisent en deux branches , dont
Fune va aboutir à une haute montagne appelée le
Col du Géant , et l'autre à des rochers nommés les
Jorasses. Au bout opposé de la vallée se trouve une
pente qui regarde la vallée de Chamouni . Cette
pente presque verticale est occupée par la portion de
la Mer de Glace qu'on appelle le Glacier des Bois .
Supposez donc qu'il est survenu un rude hiver ; le
fleuve qui remplit la vallée , ses inflexions et ses
pentes , a été glacé jusqu'au fond de son lit ; les sommets
des monts voisins se sont chargés de glace et de
neige partout où les plans du granit ont été assez
horizontaux pour retenir les eaux congelées : voilà la
Mer de Glace et son site. Ce n'est point , comme on
le voit , une mer ; c'est un fleuve , c'est si l'on veut le
Rhin glacé la Mer de Glace sera son cours , et le
Glacier des Bois sa chute à Laufen.
Lorsqu'on est descendu sur la Mer de Glace , la
surface qui vous en paroissoit unie du haut du Montanvert
, offre une multitude de pointes et d'anfractuosités.
Les pointes de glace imitent les formes et les
déchirures de la haute enceinte de rocs qui surplombent
de toutes parts : c'est comme le relief en marbre
blanc des montagnes environnantes.
Parlons maintenant des montagnes en général,
FEVRIER 1806.
199
1
Il y a deux manières de les voir avec les nuages ,
ou sans les nuages. Ce sont là les deux caractères
principaux des paysages des Alpes.
Avec les nuages , la scène est plus animée ; mais,
alors elle est obscure , et souvent d'une telle confusion
qu'on peut à peine y distinguer quelques
traits .
2
i
Les nuages drapent les rochers de mille manières..
J'ai vu au- dessus de Servoz un piton chauve et ridé
qu'une nue traversoit obliquement
comme une toge ;
on l'auroit pris pour la statue colossale d'un vieillard
romain . Dans un autre endroit on apercevoit la partie
cultivée de la montagne
; une barrière de nuages arrêtoit
la vue au sommet de cette pente défrichée , et
au -dessus de cette barrière s'élevoient de noires,
ramifications
de rochers qui imitoient des gueules de
Chimère , des Sphinx , des têtes d'Anubis , et diverses
formes des monstres et des dieux de l'Egypte.
Quand les nues sont chassées par le vent , les monts
semblent fuir rapidement derrière ce rideau mobile.
Ils se cachent et se découvrent tour - à- tour : tantôt
un bouquet de verdure se montre subitement à l'ouverture
d'un nuage comme une île suspendue dans le
ciel ; tantôt un rocher se dévoile avec lenteur , et perce
peu a peu
à la vapeur profonde comme un fantôme .
Le voyageur attristé n'entend que le bourdonnement
du vent dans les pins , le bruit des torrens qui tombent
dans les glaciers , par intervalle la chute de l'avalanche
, et quelquefois le sifflement de la marmotte
effrayée qui a vu l'épervier des Alpes dans la nue .
Lorsque le ciel est sans nuages, et que l'amphithéâtre
des monts se déploie tout entier à la vue , un seul accident
mérite alors d'être observé , Les sommets des
montagnes dans la haute région où ils se dressent ,
offrent une pureté de lignes , une netteté de plan et
de profil que n'ont point les objets de la plaine. Ces
cimes anguleuses sous le dôme transparent du ciel ,
ressemblent à de superbes morceaux d'histoire naturelle
, à de beaux arbres de coraux ou de stalactite
MERCURE DE FRANCE ,
renfermes sous un globe du cristal le plus pur." Le
montagnard cherche dans ces découpures élégantes
l'image des objets qui lui sont familiers de là ces roches
nommées les Mulets , les Charmoz , ou les Chamois
; de là ces appelations empruntées de la religion
, les sommets des croix , le rocher du reposoir
le glacier des pèlerins ; dénominations naïves qui
prouvent que si l'homme est sans cesse occupé de
l'idée de ses besoins , il aime à placer partout le souvenir
de ses consolations .
Quant aux arbres des montagnes , je ne parlerai
que du pin , du sapin et du mélèze , parce qu'ils font ,
pour ainsi dire , l'unique décoration des Alpes.
Le pin rappelle par sa forme la belle architecture ;
ses branches ont le port de la pyramide , et son tronc
celui de la colonne. Il imite aussi la forme des rochers
où il vit souvent je l'ai confondu sur les redans
et les corniches avancées des montagnes , avec
des flèches et des aiguilles élancées ou échevelées
comme lui. Au revers du col de Balme , à la descente
du glacier de Trient , on rencontre un bois de
pins , de sapins et de mélèze , qui surpasse ce qu'on
peut voir de plus beau dans ce genre . Chaque arbre
dans cette famille de géans compte plusieurs siècles .
Cette tribu Alpine a un roi que les guides ont soin
de montrer aux voyageurs : c'est un sapin qui pourroit
servir de mât au plus grand vaisseau. Le monarque
seul est sans blessure , tandis que tout son peuple
- autour de lui est mutilé : l'un a perdu sa tête ,
l'autre une partie de ses bras ; celui - ci à le front
silloné par la foudre ; celui - là le pied noirci par le
feu des pâtres. Je remarquai sur- tout deux jumeaux
sortis du même tronc , qui s'élançoient ensemble dans
le ciel. Ils étoient égaux en hauteur , en forme , en
âge ; mais l'un étoit plein de vie , et l'autre étoit desséché
. Ils me rappelèrent ces vers touchans de Virgile ;
Daucia , Laride Thymberque , simillima proles ,
Indiscreta suis , gratusque parentibus rror
At nunc dura dedit vobis discrimi a Pallas.
FEVRIER 1806. 201
<< Fils jumeaux de Daucus , rejetons semblables , d
Laris et Thymber , vos parens mêmes ne pouvoient
» vous distinguer , et vous leur causiez de douces
» méprises ! Mais la mort mit entre vous une cruelle
» différence . »
Ajoutons que le pin annonce la solitude et l'indigence
de la montagne
. Il le Il est le compagnon du pauvre
Savoyard
dont il partage la destinée ; comme lui ,
il croit et meurt inconnu sur des sommets inaccessibles
où sa postérité se perpétue
également
ignorée.
C'est sur le mélèze que l'abeille cueille ce miel ferme
et savoureux
qui se marie si bien avec la crême et
les framboises
du Montanvert
. Les bruits du pin ,'
quand ils sont légers , ont été loués par les poètes
bucoliques
; quand ils sont violens , ils ressemblent
au mugissement
de la mer : vous croyez quelquefois
entendre gronder l'océan au milieu des Alpes . Enfin,
l'odeur du pin est aromatique
et agréable ; elle a surtout
pour moi un charme
particulier , parce que je
l'ai sentie à plus de vingt lieues en mer sur les côtes
de la Virginie. Aussi réveille - t - elle toujours dans
mon esprit l'idée de ce nouveau monde , qui me fut
annonce par un souffle embaumé
, de ce beau ciel ,
de ces mers brillantes
où le parfum des forêts m'étoit
apporté par la brise du matin ; et comme tout s'enchaîne
dans nos souvenirs , elle me rappelle aussi les
sentimens de regrets et d'espérance
qui m'occupoient
,
lorsqu'appuyé
sur le bord du vaisseau , je rêvois à
cette patrie que j'avois perdue , et à ces déserts que
j'allois trouver .
Mais pour venir enfin à mon sentiment particulier
sur les montagnes , je dirai : que comme il n'y a pas
de beaux paysages sans un horizon de montagnes , il
n'y a point aussi de lieux agréables à habiter ni de
satisfaisant pour les yeux et pour le coeur , là où l'on
manque d'air et d'espace . Or c'est ce qui arrive toujours
dans l'intérieur des monts . Ces lourdes masses
ne sont point en harmonie avec les facultés de l'homme ,
et la foiblesse de ses organes.
202 MERCURE DE FRANCE , 1
Ensuite on attribue aux paysages des montagnes la,
sublimité . Celle - ci tient sans doute à la grandeur des ..
objets . Mais si l'on prouve que cette grandeur trèsréelle
en effet , n'est cependant pas sensible au regard
, que devient la sublimité?
Il en est des monumens de la nature comme de
ceux de l'art ; pour jouir de leur beauté , il faut être .
au véritable point de perspective ; sans cela les .
formes , les couleurs , les proportions , tout disparoît .
Dans l'intérieur des montagnes , comme on touche à
l'objet même et que le champ del'optique est trop
resserré , les dimensions perdent nécessairement leur
grandeur : chose si vraie , que l'on est continuellement
trompé sur les hauteurs et sur les distances. J'en ap- .
pelle aux voyageurs : le Mont- Blanc leur a- t- il paru
fort élevé du fond de la vallée de Chamouni ? Souvent
un lac immense dans les Alpes a l'air d'un petit
étang ; vous croyez arriver en quelques pas au haut
d'une pente que vous êtes trois heures à gravir ; une ,
journée entière vous suffit à peine pour sortir de
cette gorge à l'extrémité de laquelle il vous sembloit
que vous touchiez de la main. Ainsi cette grandeur
des montagnes dont on fait tant de bruit , n'est réelle
que par la fatigue qu'elle vous donne . Quant au pay- ,
sage , il n'est guère plus grand à l'oeil qu'un paysage
ordinaire .
Mais ces monts qui perdent leur grandeur apparente
, quand ils sont trop rapprochés du spectateur,
sont toutefois si gigantesques qu'ils écrasent ce qui
pourroit leur servir d'ornement . Ainsi , des lois
› par
contraires , tout se rapetisse à la fois dans les défilés
des Alpes , et l'ensemble et les détails . Si la nature ,
avoit fait les arbres cent fois plus grands sur les mon- ,
tagnes que dans les plaines ; si les fleuves et les cascades
y versoient des eaux cent fois plus abondantes ,
ces grands bois , ces grandes eaux , pourroient produire
des effets pleins de majesté sur les flancs élargis
de la terre ; mais il n'en est pas de la sorte : le :
cadre du tableau s'accroit démesurément , et les riFEVRIER
1866. 207:
vières , les forêts ' , les villages , les troupeaux gardent
les proportions ordinaires. Alors il n'y a plus de rap
port entre le tout et la partie , entre le théâtre et la
décoration . Le plan des montagnes étant verticaldevient
en outre une échelle toujours dressée , où
l'oeil rapporte et compare malgré vous les objets qu'il ·
embrasse , et ces objets viennent accuser tour- à-tour
leur petitesse sur cette énorme mesure. Les pins les
plus altiers , par exemple , se distinguent à peine dans
l'escarpement des vallons , où ils paroissent collés
comme des flocons de suie . La trace des eaux plu-.
viales est marquée dans ces bois grêles et noirs, par de
petites rayures jaunes et parallèles ; et les torrens les
plus larges , les cataractes les plus élevées ressemblent à
de maigres filets d'eau , ou à des vapeurs bleuâtres .
Ceux qui ont aperçu des diamans , des topazes ,
des émeraudes dans les glaciers sont plus heureux que ›`
moi mon imagination n'a jamais pu découvrir ces
trésors. Les neiges du bas du Glacier des Bois , mêlées
à la poussière de granit , m'ont paru semblables
à de la cendre ; on pourroit prendre la Mer de Glace,
dans plusieurs endroits , pour des carrières de chaux .
et de plâtre ; ses crevasses seules offrent quelques
teintes du prisme , et quand les couches de glace sont
appuyées sur le roc , elles ressemblent à de gros verre
de bouteille.
Ces draperies blanches des Alpes ont d'ailleurs un
grand inconvénient ; elles noircissent tout ce qui les ·
environne , et jusqu'au ciel dont elles rembrunissent
l'azur. Et ne croyez pas que l'on soit dédommagé de
cet effet désagréable par les beaux accidens de la lumière
sur les neiges. La couleur dont se peignent les
montagnes lointaines , est nulle pour le spectateur
placé à leurs pieds. La pompe dont le soleil couchant.
couvre la cime des Alpes de la Savoie , n'a lieu que
pour l'habitant de Lausanne . Quant au voyageur de
la vallée de Chamouņi , c'est en vain qu'il attend ce
brillant spectacle. Il voît comme du fond d'un en-.
.
204
MERCURE DE FRANCE ,
"
tonnoir au- dessus de sa tête , une petite portion d'un
ciel bleu et dur sans couchant et sans aurore ; triste
séjour où le soleil jette à peine un regard à midi , pardessus
une barrière glacéc.
Qu'on me permette, pour me faire mieux entendre,
d'énoncer une vérité triviale. Il faut une toile pour
peindre dans la nature , le ciel est la toile des pay-.
sages ; s'il manque au fond du tableau , tout est confus
et sans effet . Or les monts , quand on en est trop
voisin , obstruent la plus grande partie du ciel . Il n'y
a pas assez d'air autour de leurs cimes ; ils se font
ombre l'un à l'autre , et se prêtent mutuellement les
ténèbres , qui résident toujours dans quelque enfoncement
de leurs rochers. Pour savoir si les paysages
des montagnes avoient une supériorité si marquée ,
il suffisoit de consulter les peintres. Vous verrez qu'ils
ont toujours jeté les monts dans les lointains , en
ouvrant à l'oeil un paysage sur les bois et sur les
plaines.
Il n'y a qu'un seul accident qui laisse aux sites, des
montagnes leur majesté naturelle : c'est le clair de
lune . Le propre de ce demi - jour sans reflets et d'une
seule teinte , est d'agrandir les objets , en isolant les
masses , et en faisant disparoître cette dégradation de
couleurs qui lie ensemble les parties d'un tableau .
Alors plus les coupes des monumens sont franches et
décidées , plus leur dessin a de longueur et de hardiesse
, et micux la blancheur de la lumière profile
les lignes de l'ombre. C'est pourquoi la grande architecture
romaine , comme les contours des montagnes
, est si belle à la clarté de la lune.
Le grandiose, et parconséquent l'espèce de sublime
qu'il fait naître , disparoit donc dans l'intérieur des
montagnes : voyons si le gracieux s'y trouve dans un
degré plus éminent ,
Premièrement on s'extasie sur les vallées de la
Suisse . Mais il faut bien observer qu'on ne les trouve
si agréables que par comparaison .. Ĉertes, l'oeil fatigue:
FEVRIER 1806. 205
d'errer sur des plateaux stériles ou des promontoires
couverts d'un lichen rougeâtre , retombe avec grand
plaisir sur un peu de verdure et de végétation . Mais
en quoi cette verdure consiste- t- elle ? en quelques
saules chétifs , en quelques sillons d'orge et d'avoine
qui croissent péniblement et mûrissent tard , en quelques
arbres sauvageons qui portent des fruits âpres et
amers. Si une vigne végète péniblement dans un petit
abri tourné au midi , et garantie avec soin du vent
du nord , on vous fait admirer cette fécondité extraor
dinaire. Vous élevez-vous sur les rochers voisins ? les
grands traits des monts font disparoître la miniature
de la vallée. Les cabanes deviennent à peine visibles ,
et les compartimens cultivés ressemblent à des échantillons
d'étoffes sur la carte d'un drapier.
On parle beaucoup des fleurs des montagnes, des
violettes que l'on cueille au bord des glaciers , des
fraises qui rougissent dans la neige , etc. Ce sont d'imperceptibles
merveilles qui ne produissent aucun
effet : l'ornement est trop petit pour des colosses.
Enfin je suis bien malheureux , car je n'ai pu voir
dans ces fameux Chalets enchantés par l'imagination
de J. J. Rousseau , que de méchantes cabanes remplies
du fumier des troupeaux , de l'odeur des fromages
et du lait fermenté. Je n'y ai trouvé pour habitans
de misérables montagnards qui se regardent
eux-mêmes comme en exil , et aspirent au moment
de descendre dans la vallée .
P
que
De petits oiseaux muets voletant de glaçons en glaçons
, des couples assez rares de corbeaux et d'éperviers
, animent à peine ces solitudes de neiges et de
pierres , où la chute de la pluie est presque toujours
le seul mouvement qui frappe vos yeux . Heureux
quand le pivert annonçant l'orage , fait retentir sa
voix cassée au fond d'un vieux bois de sapins ! Et
pourtant ce triste signe de vie rend plus sensible la
mort qui vous environne. Les chamois , les bouque206
MERCURE DE FRANCË ,
1
1.
1
tins , les lapins blancs sont presqu'entièrement détruits ;
les marmottes même deviennent rares , et le petit Savoyard
est menacé de perdre son trésor . Les bêtes
sauvages ont été remplacées sur les sommets des Alpes .
par des troupeaux de vaches qui regrettent la plaine
aussi bien que leurs maîtres . Couchées dans les gras
herbages du pays de Caux , elles offriroient pour le
moins une scène aussi belle , et elles auroient de plus
le mérite de rappeler les descriptions des poètes de
l'antiquité.
Il ne reste plus qu'à parler du sentiment qu'on
éprouve dans les montagnes . Eh bien ! ce sentiment ,
selon moi , est fort pénible. Je ne puis être heureux
là où je vois partout les fatigues de l'homme , et ses
travaux inouis qu'une terre ingrate refuse de payer.
Le montagnard qui sent son mal est plus sincère que
les voyageurs : il appelle la plaine le bon pays , et në
prétend pas que des rochers arrosés de ses sueurs ,
sans en être plus fertiles , soient ce qu'il y a de plus
beau et de meilleur dans les distributions de la Providence.
S'il paroît très- attaché à sa montagne , cela
tient aux relations merveilleuses que Dieu à établies
entre nos peines , l'objet qui les cause , et les lieux
où nous les avons éprouvées ; cela fient aux souvenirs
de l'enfance , aux premiers sentimens du coeur , aux
douceurs , et même aux rigueurs de la maison paternelle.
Plus solitaire que les autres hommes , plus sérieux
par l'habitude de souffrir , le montagnard appuie
davantage sur tous les sentimens de sa vie . Il ne
faut pas attribuer au charme des lieux qu'il habite ,
l'amour extrême qu'il montre pour son pays , mais à
la concentration de ses pensées , et au peu d'étendue
de ses besoins .
Mais les montagnes sont le séjour de la rêverie ?
J'en doute ; je doute qu'on puisse rêver lorsque la
promenade est une fatigue ; lorsque l'attention que
vous êtes obligés de donner à vos pas ocupe entièrFEVRIER
1806. 207
rement votre esprit. L'amateur de la solitude qui bayeroit
aux chimères (1 ) en gravissant le Montanvert ,
pourroit bien tomber dans quelques puits , comme
l'astrologue qui prétendoit lire au- dessus de sa tête
quand il ne pouvoit voir à ses pieds.
Je sais bien que les poètes ont desiré les vallées et
les bois pour converser avec les Muses. Mais écoutons
Virgile :
Kura mihi et rigui placeant in vallibus amnes
Flumina amem , sylvasque inglorius.
D'abord il se plairoit aux champs , rura mihi ; il chercheroit
les vallées agréables , riantes , gracieuses , vallibus
amnes ; il aimeroit les fleuves , flumina amem
(non pas les torrens ) , et les forêts où il vivroit sans
gloire , sylvasque inglorius. Ces forêts sont de belles
futaies de chênes , d'ormeaux , de hêtres , et non de
tristes bois de sapins ; car il n'eût pas
dit :
Et INGENTI ramorum prolegat UMBRA ,
« Et d'un feuillage épaix ombragera ma tête . »
Et où veut - il que cette vallée soit placée ? Dans un
lieu où il y aura de beaux souvenirs , des noms harmonieux
, des traditions , des Muses et de l'histoire :
O ubi campi,
Sperchiusque , et virginibus bacchata lacanis
Taygeta ! O qui me gelidis in vallibus Hæmi
Sistat!
Dieux ! que ne suis - je assis au bord du Sperchius !
Quand pourrai-je fouler les beaux vallons d'Hémus !
Oh ! qui me portera sur le riant Taygète !
Il se seroit fort peu soucié de la vallée de Chamouni,
du glacier de Taconay , de la petite et de la grande
Jorasse , de l'aiguille du Dru , et du rocher de la
Tête -Noire.
9
Enfin , si nous en croyons Rousseau et ceux qui ont
recueilli ses erreurs sans hériter de son éloquence
quand on arrive au soinmet des montagnes on se
sent transformé en un autre homme.« Sur les hautes
» montagnes , dit J. J. , les méditations prennent un
(1 ) La Fontaine.
208 MERCURE DE FRANCE ,
»
» caractére grand , sublime , proportionné aux objets
qui nous frappent ; je ne sais quelle volupté tran-
» quille qui n'a rien d'âcre et de sensuel. Il semble
» qu'en s'élevant au -dessus du sejour des hommes ,
>> on y laisse tous les sentimens bas et terrestres .......
Je doute qu'aucune agitation violente pût tenir
» contre un pareil séjour prolongé , etc. »
Plût à Dieu qu'il en fût ainsi ! Qu'il seroit doux
de pouvoir se délivrer de ses maux en s'élevant à
quelques toises au -dessus de la plaine ! Mais malheureusement
l'ame de l'homme est indépendante de
l'air et des sites . Hélas ! un coeur chargé de sa peine
n'est pas moins pesant sur les hauts lieux que dans les
vallées. L'antiquité , qu'il faut toujours citer quand il
s'agit de vérité de sentimens , ne pensoit pas comme
Rousseau sur les montagnes : elle les représente au
contraire comme le séjour de la désolation et de la
douleur. Si l'amant de Julie oublie ses chagrins parmi
les rochers du Valais , l'époux d'Eurydice nourrit
ses douleurs sur les monts de la Thrace. Malgré le
talent du philosophe genevois , je doute que la voix
de Saint-Preux retentisse aussi long- temps dans l'ave
nir que la lyre d'Orphée . OEdipe, ce parfait modèle
des calamités royales, cette image accomplie de tous les
maux de l'humanité, cherche aussi les sommets déserts :
Il va
du Cithéron remontant vers les cieux ,
Sur le malheur de l'homme interroger les Dieux.
Enfin une autre antiquité plus belle encore et plus
sacrée , nous offre les mêmes exemples . L'Ecriture ,
qui connoissoit mieux la nature de l'homme que les
faux sages du siècle , nous montre toujours les grands
infortunés , les prophètes et J. C. même se retirant au
jour de l'affliction sur les hauts lieux . La fille dé
Jephté , avant de mourir , demande à son père la permission
d'aller pleurer sa virginité sur les montagnes
de la Judée. Super montes assumam , dit Jérémie ,
fletum ac lamentum. « Je m'éleverai sur les montagnes
pour
FEVRIER 18.6 .
209
» pour pleurer et gémir. » Ce fut sur le mont des
Oliviers que J. C. but le calice rempli de toutes les
douleurs et de toutes les larmes des hommes .
C'est une chose digne d'être observée , que dans les
pages les plus raisonnables d'un écrivain qui s'étoit
établi le défenseur de la morale , on distingue encore
des traces de l'esprit de son siècle . Ce changement
supposé de nos dispositions intérieures selon le séjour
que nous habitons , tient secrètement au système de
matérialisme que Rousseau prétendoit combattre . On
faisoit de l'ame une espèce de plante soumise aux variations
de l'air , et qui comme un instrument suivoit
et marquoit le repos ou l'agitation de l'atmosphère.
Eh ! comment J. J. lui - même auroit - il pu croire de
bonne foi à cette influence salutaire des hauts lieux ?
L'infortuné ne traîna-t -il pas sur les montagnes de la
Suisse ses passions et ses misères ?
Il n'y a qu'une seule circonstance où il soit vrai
que les montagnes inspirent l'oubli des troubles de
la terre : c'est lorsqu'on se retire loin du monde pour
se consacrer à la religion . Un anachorète qui se dévoue
aux services de l'humanité , un saint qui veut
méditer les grandeurs de Dieu en silence , peuvent
trouver la paix et la joie sur des roches désertes ; mais
ce n'est point alors la tranquillité des lieux qui passe
dans l'ame de ces solitaires , c'est au contraire leur
ame qui répand sa sérénité dans la région des orages.
L'instinct des hommes a toujours été d'adorer
l'Eternel sur les lieux élevés plus près du ciel , il
semble que la prière ait moins d'espace à franchir
pour arriver au trône de Dieu. Les patriarches sacrifioient
sur les montagnes ; et comme s'ils eussent
emprunté de l'autel l'image de la Divinité , ils appeloient
le Seigneur le Très-Haut .. Il étoit resté dans
le christianisme des traditions de ce culte antique
nos montagnes , et , à leur défaut , nos collines
étoient chargées de monastères et de vieilles abbayes.
Du milieu d'une ville corrompue, l'homme qui mar-
0
210 MERCURE DE FRANCE ,
choit peut-être à des crimes , ou du moins à des vanités
, apercevoit , en levant les yeux , des autels sur
les coteaux voisins . La croix déployant au loin l'étendard
de la pauvreté aux yeux du luxe , rappeloit le
riche à des idées de souffrance et de commisération.
Nos poètes connoissoient bien peu leur art lorsqu'ils
se moquoient de ces monts du Calvaire , de ces missions
, de ces retraites qui retraçoient parmi nous les
sites de l'Orient , les moeurs des solitaires de la Thébaïde
, les miracles d'une religion divine , et le souvenir
d'une antiquité qui n'est point effacé par celui
d'Homère .
Mais ceci rentre dans un autre ordre d'idées et de
sentimens , et ne tient plus à la question générale que
nous venons d'examiner. Après avoir fait la critique
des montagnes , il est juste de finir par leur éloge .
J'ai déjà observé qu'elles étoient nécessaires à un beau
paysage , et qu'elles devoient former la chaîne dans
les derniers plans d'un tableau . Leurs têtes chenues
leurs flancs décharnés , leurs membres gigantesques ,
hideux quand on les contemple de trop près , sont admirables
, lorsqu'au fond d'un horizon vaporeux ils
s'arrondissent et se colorent dans une lumière fluide et
dorée. Ajoutons , si l'on veut , que les montages sont la
source des fleuves , le dernier asile de la liberté dans
les temps d'esclavage, une barrière utile contre les invasions
et les fléaux de la guerre . Tout ce que je demande
, c'est qu'on ne me force pas d'admirer les longues
arrêtes de rochers , les fondrières , les crevasses ,
les trous , les entortillemens des vallées des Alpes. A
cette condition , je dirai qu'il y a des montagnes que je
visiterois encore avec un plaisir extrême : ce sont celles
de la Grèce et de la Judée . J'aimerois à parcourir les
lieux dont mes nouvelles études me forcent de m'occuper
chaque jour ; j'irois volontiers chercher sur le
Tabor et le Taygète d'autres couleurs et d'autres harmonies
, après avoir peint les monts sans renommée ,
et les vallées inconnues du Nouveau-Monde.
DE CHATEAUBRIAN D.
FEVRIER. 1806. 211
Discours en vers sur l'Indépendance de l'Homme de Lettres ,
pièces dont l'une a obtenu le prix de poésie , et l'autre le
premier accessit , au jugement de la classe de la Langue
et de la Littérature française de l'Institut national ; par
Charles Millevoye. Prix : go cent . l'in - 8 ° , et 1 fr . 20 cent.
l'in -4°.; le papier vélin in - 4° . est de 1 fr . 80 cent . A Paris ,
chez Léopold Collin , libraire , rue Gît - le- Coeur , nº . 4 ;
et chez le Normant , libraire , imprimeur du Journal de
l'Empire , rue des Prêtres S. Germain - l'Auxerrois , nº 17.
IL
I
Libertate opus est.
PERS. Sat. 5 .
Il y a long- temps que les sociétés littéraires sont dans l'usage
de proposer des prix de poésie , et cependant c'est
encore une question de savoir si les lettres ont retiré de
cette institution un avantage bien réel . On ne voit pas qu'aucun
des grands écrivains qui sont l'honneur de la France ,
aient ambitionné de pareils lauriers . Voltaire concourut une
fois dans sa jeunesse , et il se vit préférer l'abbé du Jarry ,
rimeur aujourd'hui fort ignoré . M. de La Harpe est presque
le seul poète distingué dont les succès nombreux dans ce
genre aient prêté quelqu'éclat aux triomphes académiques :
encore la postérité lui tiendra -t - elle moins de compte de
toutes ses couronnes , que de la seule tragédie de Warwick ,
qui les avoit précédées toutes. - On conviendra sans peine que
l'appareil d'un couronnement public peut éveiller , dans un
homme de génie , le desir de la g'oire , et qu'un succès de cè
genre peut lui faciliter l'entrée de la carrière. Mais pour une
fois où un concours aura été utile , combien de jeunes écrivains
, couronnés pour quelques vers médiocres , se croiront
dès- lors appelés aux plus grands succès , et se livreront sans
réserve à cette passion pour la poésie , si séduisante , mais
si dangereuse quand elle n'est pas réunie au plus rare talent !
0 2
212 MERCURE DE FRANCE ,
Combien même de dispositions réelles avorteront tout- à -coup ,
grace à cette présomption malheureuse qui suit presque toujours
un succès prématuré ! Ainsi , quoique les concours
académiques puissent quelquefois tourner au profit de l'art ,
ils ne sont , la plupart du temps , qu'un piége dangereux tendu
à l'amour propre de ceux qui consulteront moins leurs forces
que le desir d'une vaine célébrité . C'est , si l'on peut emprunter
un terme de comparaison à des objets un peu plus sérieux ,
une espèce d'institution machiavélique dans la république
des lettres , qui compromet beaucoup d'intérêts particuliers
pour un avantage éloigné et incertain . Nous avons condamné
dernièrement toutes les mesures politiques que réprouve la
morale ; nous n'hésiterions pas à proscrire celle - ci , s'il n'y
avoit pas un moyen bien facile d'en détruire toutes les fâcheuses
conséquences , sans nuire à l'intérêt de la littérature .
Ce moyen seroit de ne donner le prix qu'à des ouvrages importans
, de ne plus couronner qu'un talent réel , et non plus
seulement quelques dispositions trop souvent démenties par
l'événement . Sans doute il pourroit arriver alors que l'Académie
n'eût que bien rarement l'occasion de distribuer ses
médailles ; elle seroit peut- être obligée de remettre le prix
pendant quinze ou vingt années consécutives ; mais , par-là
même , ce prix deviendroit véritablement glorieux : une
couronne décernée seroit un événement important dans la
littérature , et celui à qui on l'accorderoit pourroit se regarder
, avec raison , comme appelé par son génie à cultiver
l'art des vers , et à s'y consacrer tout entier. Le voeu que
nous énonçons ici , est celui de tous les bons esprits ,
de tous
ceux qui savent que si l'on ne peut trop estimer et encourager
un vrai poète , une multitude de poètes inédiocres est une
vraie calamité pour les lettres. Nos lecteurs ont déjà vu si l'Ins-
*titut national s'est un peu rapproché de cette idée , en accordant
cette année un prix de poésie. - L'avant-dernier numéro
de ce journal leur a mis sous les yeux les pièces du procès ;
J
FEVRIER 1806. 213
qu'il nous soit permis de joindre nos réflexions aux leurs , et
de chercher à instruire cette cause devant le tribunal du
public , avant que son jugement , sans appel , confirme ou
casse l'arrêt de la première cour littéraire de l'Europe .
Le sujet proposé par l'Institut national étoit l'Indépendance
de l'Homme de Lettres. Quand on entreprend un ouvrage
quelconque , la première règle est de bien envisager la thèse
qu'on veut y établir ; en un mot , de bien fixer le point d'où
l'on part , et celui où l'on veut arriver . On seroit d'abord
tenté de croire que M. Millevoye ne s'est pas mis fort en
peine de ce principe essentiel , en voyant combien est vague
la marche qu'il a suivie ; mais qu'il ne croie pas que je
veuille'ici lui en faire un reproche. Il est probable qu'il se
seroit vainement mis l'esprit à la torture pour se faire une
idée nette de ce qu'on doit entendre par l'indépendance de
Phomme de lettres. J'ajoutérois même , si je ne craignois de
paroître blasphemer , qu'il est douteux que les juges aient
bien compris eux- mêmes ce qu'ils vouloient dire . En effet ,
qu'est-ce que cette prétendue indépendance ? L'homme de
lettres , comme tous les autres citoyens , n'est- il pas soumis
aux lois , à la morale , à toutes les convenances de la société ?
N'est-il pas même de son devoir de mettre , dans ses opinions
et dans sa conduite , plus de mesure qu'un homme inconnu ,
puisqu'il rend ses opinions publiques , et que ses principes et
son exemple ne sont pas sans influence sur les moeurs de ses
concitoyens ? Sans doute il doit avoir une ame indépendante
des caprices de la fortune ; il doit savoir tout braver plutôt
que de commettre une action honteuse , ou d'asservir ses principes
aux caprices d'un protecteur ; mais est- il besoin de
savoir écrire pour se faire une loi de cette glorieuse indépendance
? N'est- elle pas du devoir de tout honnête homme ?
Il est vrai que le littérateur peut , sous un rapport , dépendre
moins de la fortune que le commun des hommes ; qu'il lui
est plus facile de vivre heureux dans la pauvreté , parce
3
214 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il trouve chaque jour dans l'étude des plaisirs bien plus
doux , que ceux que les richesses procurent si rarement. Si
c'est là ce que l'Institut a voulu dire , il a eu raison sans
doute : mais alors il faudroit convenir qu'il s'est bien vaguement
exprimé. Et comment supposer qu'une docte académie
n'ait pas su clairement énoncer une thèse aussi simple ? Il
seroit donc bien injuste d'attaquer ici M. Millevoye , s'il ne
paroît pas avoir su bien positivement ce qu'il vouloit prouver ;
si , au lieu de bien établir un principe , de le suivre dans tous
ses développemens , d'en déduire des conséquences claires et
lumineuses , il s'est jeté dans des lieux communs , cent fois
rebattus , sur le bonheur que le philosophe trouve en luimême
, sur son profond mépris pour les richesses et pour les
honneurs , mépris toujours démenti dans l'occasion . Tout cela
est la faute da sujet ; et tout ce qu'on peut raisonnablement
attendre du poète , c'est qu'il ait revêtu ces lieux communs de
couleurs riches et poétiques. Il est trop aisé d'être injuste ,
en détachant quelques vers qui paroissent choquans lorsqu'ils
sont isolés , et qui peuvent être beaux quand l'art du poète
a su les préparer avec art et les fondre dans le coloris général
du style : nous allons transcrire un morceau assez considérable ,
et ce sera celui qui a dû réunir le plus de suffrages . Foiblesse
de style , vague d'expression et de pensée , sur - tout manque
de logique dans les détails comme dans l'ensemble ; voilà le
vicc mortel qui précipite dans l'oubli tant de pièces de vers .
Voyons si un ouvrage couronné par l'Institut est exempt de
tous ces défauts,
Il n'est point de déserts , point d'exil pour le sage .
Ces 'sables dévorans , ces plaines sans ombrage
Ces antres , ces rochers n'ont pour lui rien d'affreux ;
Seul , errant et proscrit , il n'est point malheureux ;
L'étude , objet constant de son idolâtrie ,
Au bout de l'univers lui fonde une patrie.
On a dit cent fois que
l'amour des lettres pouvoit tenir lieu
FEVRIER 1806. 215
१
de tous les trésors , qu'il pouvoit consoler de toutes les disgraces.
Il étoit tout naturel que M. Millevoye cherchât à
rajeunir une pensée si commune ; mais devoit- il l'exagérer
au point de la rendre absurde ? Les antres et les rochers
n'auroient- ils donc rien d'affreux pour lui , qui sans doute
est un sage ? L'étude lui feroit - elle oublier si aisément sa
patrie ? A-t- il vu beaucoup de philosophes , quelque studieux
qu'il les suppose , se courber sur des livres au milieu des dé
serts , des sables dévorans et des plaines sans ombrage ?
Celui qui , dans l'exil et dans la proscription , n'est pas malheureux
, qui ne regrette pas sa patrie au bout de l'univers ,
n'est point un sage , mais un égoïste qu'il faut plaindre et
mépriser. Il est vrai que , dans ces derniers temps , on a pu
souvent s'y méprendre ; mais M. Millevoye devoit peindre le
philosophe du beau côté.
Mais pour l'ensevelir les cachots sont ouverts ;
Il y descend , courbé sous le poids de ses fers.
Calme , il répète encore à l'oppresseur qu'il brave ,
« Je ne suis qu'enchaîné , je ne suis point esclave . »>
Sur ce mur ténébreux , son muet confident ,
Il trace avec sa chaine un vers indépendant.
Je ne ferai
pas remarquer combien ces deux derniers vers,
dont l'auteur a dû beaucoup s'applaudir , sont froids et maniérés
; mais je ne puis m'empêcher d'admirer l'exagération
qui règne dans ce tableau . Quoi ! c'est dans un pays où les
gens de lettres ont porté trop souvent la liberté jusqu'à la
licence , où les écrivains les plus célèbres n'on cessé d'outra-*
ger , avec une infatigable persévérance , la religion et les
moeurs , sans être moins chéris ni moins fêtés des grands dont
ils se moquoient , et dont leurs libelles préparoient la ruine ,
c'est en France que l'on vient nous peindre les cachots s'ouvrant
pour engloutir un poète ! Ne sembleroit- il pas qu'il
suffit d'écrire quelques vers pour être exposé à boire la ciguë ,
et que le métier d'auteur est plus dangereux que celui de sol-
4
ACURE DE FRANCE ,
dat ? Que M. Millevoye se rassure ; il peut continuer à versifier
sans compromettre sa liberté . Je pense même qu'il seroit
assez embarrassé de citer un seul pays où l'on emprisonne
les poètes , du moins lorsqu'ils ne sortent pas des bornes
que leur prescrit la morale , qu'on n'a jamais outragée sans
offenser en même temps le goût. La belle poésie est essentiellement
chaste et religieuse ; et quels seroient les souverains
assez insensés pour persécuter ceux qui savent réveiller dans
les coeurs tous les sentimens généreux , faire revivre les grands
hommes de tous les âges pour l'exemple de leur siècle et de lą
postérité , et prêter à la morale un langage enchanteur ?
•
Qu'un servile mortel à plaisir s'humilie ;
effroi se rallie
De vingt maîtres divers adulateur banal ,
Qu'au parti du vainqueur son
Que pour oser penser , il attende un signal.
i
Le sage , en tous les temps , garde son caractère.
Tyrans ! il vous poursuit de sa franchise austère ,
Et , libre sous le poids de votre autorité ,
En présence du glaive , il dit la vérité .
Là , Ca'on , qu'un despote honore de sa haine ,
Va rejoindre au tombeau la liberté romaine ;
Là , Socrate , épuisant la coupe de la mort ,
De son dernier sommeil tranquillement s'endort .
L'homme obscur peut frémir , tout entier il succombe,
Et l'éternel oubli vient peser sur sa tombe ;
Le sage ne meurt point : sous la main des bourreaux
Il défend à la mort d'effacer ses travaux ;
Il la voit , il l'attend , sans pâlir d'épouvante .
Le grand homme n'est plus ; mais sa gloire est vivante .
Le lecteur a déjà remarqué combien d'expressions impropres
et de pensées fausses on pourroit relever dans ce morceau
. Je ne m'arrêterai qu'aux plus choquantes . Il vous pour-¸
suit de safranchise austère , est une métaphore qui manque
absolument de justesse . Les imprécations , la haine des peuples
poursuivent les tyrans la franchise ne poursuit per
@onne ; elle consiste uniquement à ne point dissimuler sa
FEVRIER 1866 . 217
pensée dans la crainte de déplaire . Là , Caton , qu'un des-`
pote honore de sa haine : tout le monde sent combien cette
petite antithèse d'une haine qui honore , est froide et puérile ;
mais une faute plus grave , c'est d'avoir cité Caton quand
il est question de l'homme de lettres . L'auteur voudroit- il 、
nous donner Caton pour un versificateur ou un idéologue ?
L'homme obscur peut frémir : l'homme courageux ne peutil
pas frémir de colère ? Le sage ne frémit- il pas quelquefois
d'indignation ? Il est évident que M. Millevoye a cru que frémirsignifioit
ici la même chose que craindre la mort : c'est l'expression
que le sens exigeoit impérieusement. Le sage ne
meurt point : faut-il donc absolument , pour être sage , avoir
composé quelqu'ouvrage qui assure l'immortalité ? D'ailleurs ,
est- ce l'espoir d'une vaine renommée , dont le sage doit être
moins ébloui que tout autre , qui est fait pour lui inspirer le
mépris de la mort ? Voilà bien des défauts , sans doute , et
cependant je n'ai pas encore parlé du plus grave : c'est une
froideur répandue dans toute la pièce , qui en rend la lecture
pénible , quoiqu'elle soit très- courte . Il n'y a pas deux vers
qui soient faits de verve , qui portent le caractère de l'inspiration
, qui révèlent le poète . On a dit heureusement que
les vers de Racine étoient d'une perfection désespérante pour
tous ses successeurs. On peut dire , au contraire , qu'il y a
pour le lecteur une sorte de médiocrité désespérante dans
toutes les poésies qui sont publiées chaque jour. La plupart ne
sont pas dépourvues d'une certaine correction : on n'y trouve
ni fautes grossières , ni même défaut absolu d'harmonie ; mais
tout y est également terne et sans couleur ; et jamais une pensée
neuve , exprimée d'une manière vive et originale , n'y vient
ranimer l'attention du lecteur , endormi par une cadence froide
et monotone. Nous nous plaignons tous les jours de la décadence
marquée où est tombée la poésie dans le dix - huitième
siècle. Que dirons - nous si nous considérons l'état où elle est
maintenant réduite ? Que l'on compare la pièce couronnée
-
218 MERCURE DE FRANCE ;
de
aujourd'hui à celles qui le furent il y a quarante ou cinquante
ans , aux premiers essais de Marmontel , de Thomas ,
Champfort , et l'on verra que nos poètes du jour sont aussi
éloignés de ces écrivains , si souvent dépréciés depuis , qu'ils
l'étoient eux-mêmes des grands hommes du siècle de Louis XIV.
mens ,
Jusqu'ici je n'ai fait que des critiques , et peut - être les
taxera-t- on d'exagération ? On dira qu'un ouvrage couronné
par l'Institut ne peut être destitué de toute espéce de mérite ;
et , en effet , je suis prêt à reconnoître que la pièce de M. Millevoye
en a beaucoup . Elle est tout - à - fait dans le goût du
jour : elle a tout ce qu'il faut pour être applaudie. M. Millevoye
est un des poètes de l'Athénée : sa pièce seroit excellente
pour l'Athénée ; car il est bon de savoir qu'il y a une poétique
particulière à l'usage de cette société , et il est aisé d'en
faire connoître au lecteur tout l'esprit . Si vous voulez briller
dans un Athénée , vous n'avez pas besoin de vous occuper du
plan d'un poëme . Comme vous ne lirez jamais que des fragil
suffit de lui trouver un titre qui puisse promettre
quelque chose , et vous y rattacherez , sous le titre d'épisode ,
tous les caprices de votre imagination , quands ils n'auroient
aucun rapport avec le sujet principal. Ce poëme , vous vous
garderez bien de l'imprimer ; vous pourrez même vous dispenser
de le terminer jamais ; seulement , vous en détacherez
de temps en temps quelque partie , que vous offrirez à l'admiration
empressée de vos confrères. Par ce moyen , vous
pourrez passer pour auteur de plusieurs grands ouvrages , sans
en avoir jamais fini un seul . Il seroit superflu de vous occuper
de l'enchaînement et de la justesse des pensées , mais vous
aurez soin , et c'est ici le grand principe , de semer fréquemment
des vers d'effet , de ces vers qui terminent un couplet
d'une manière brillante , et qui commandent l'applaudissement.
C'est à l'Athénée que s'est formé M. Millevoye : c'est
le théâtre où il a débuté dés sa première jeunesse , et où il a
moissonné des lauriers en sortant du collége . Je me souviens
FEVRIER 1806. 219
de lui avoir entendu lire un poëme sur l'amour maternel ,
où il avoit si bien mis en oeuvre le principe important dont
on vient de parler , qu'il lui suffisoit de hausser à propos la
voix , de s'arrêter un moment après cinq à six vers , pour
entendre éclater chaque fois les plus vives acclamations . C'est
suivant la même méthode qu'il a composé son dernier ouvrage ,
et l'événement a fait voir qu'elle étoit aussi bonne pour l'Aca .
démie que pour l'Athénée . Le jour de son triomphe , je
n'étois point à l'Institut national ; mais il n'en seroit pas moins
facile de désigner , sans s'y tromper , tous les vers qui ont excité
des bravos. Par exemple , l'auteur , parlant toujours du
sage , a dit :
Libre à la cour , soumis aux rois , mais sans bassesse ,
Devant eux il s'incline , et jamais ne s'abaisse .
Qui ne sent que cette nuance délicate entre ces deux verbes
s'incliner et s'abaisser , dont l'un est pris au physique et
l'autre au moral , a dû charmer toute l'assemblée ! Cet autre
passage n'aura pas eu moins de succès :
Des chagrins de la vie il recueille l'histoire ,
Et pour lui l'infortune est un pas vers la gloire.
Sur son vaissean brisé , tel Vernet , sans pâlir ,
Etudioit le flot prêt à l'ensevelir.
Mais y aura-t-il eu assez de battemens de mains , assez de
témoignages d'admiration pour le passage suivant , où il est
question de J. J. Rousseau :
Il porte au sein des bois , sur la cime des monts ,
Sa longue rêverie et ses pensers profonds .
Foulant aux pieds les biens que le vulgaire adore ,
Quefleur préfère-t-il ? Un rayon de l'aurore !
On sent qu'à ce rayon de l'aurore on se sera récrié , avant
de s'être demandé s'il est absolument nécessaire d'opter entre
ces biens adorés du vulgaire et un rayon de l'aurore , et s'il
n'est pas possible d'être riche et de voir lever le soleil .
On voit , par ces courtes citations , que M. Millevoye est
dans la bonne route , et que s'il borne son ambition aux ap220
MERCURE DE FRANCE ,
plaudissemens de l'Athénée , ou même d'une séance publique
de l'Académie , il n'a qu'à continuer sa marche. Nous osons
lui promettre un long enchaînement de succès qui ne lui
seront pas contestés par l'envie . Mais s'il veut parvenir à
uhe gloire plus réelle et plus durable , il faut l'avertir ici
qu'il n'a pas trouvé encore le chemin qui y conduit . Qu'il
s'occupe à acquérir des idées avant de songer à écrire ; qu'il
médite ses plans à loisir ; qu'il s'interdise sévèrement ces
cliquetis de mots , ces petites antithèses qui séduisent d'abord
des auditeurs peu exercés , mais qu'ils finissent bientôt par
condamner avec tous les gens de goût ; qu'il se méfie sur- tout
des applaudissemens de coterie , qui , presque toujours , ne
sont que le résultat d'une convention tacite entre l'amour
propre des auditeurs et celui du lecteur . Peut- être ces observations
sincères lui paroîtront- elles bien dures , au moment
sur-tout où le bruit des applaudissemens retentit encore à
son oreille : mais enfin , si mes critiques sont bonnes , elles
pourront lui être utiles ; si elles sont mal fondées , elles lui
apprendront du moins que , dans la carrière orageuse des
lettres , on n'obtient aucun succès éclatant sans l'avoir péniblement
disputé . Que M. Millevoye se rappelle que les
Romains faisoient marcher immédiatement après le triomphateur
un homme chargé de lui reprocher ses défauts .
Je dirai peu de chose de la pièce qui a obtenu l'accessit ,
Ge sont les mêmes fautes que dans la première , avec une
marche encore plus vague et plus incertaine ; cependant peutêtre
y trouvera-t-on un peu plus de poésie . L'auteur termine
en comparant Voltaire , qui abandonné la cour du roi
de Prusse , au Rhône qui reparoît au jour après s'être englouti
à quelques lieues de Genève . Il est difficile de deviner
sur quel point de ressemblance peut s'appuyer une pareille
comparaison . A ce petit inconvénient près , elle m'a paru
poétique et bien exprimée .
Tel , aux murs de Plancus , près d'apporter ses ondes ,
Que destine son urne à leurs rives fécondes ,
FEVRIER 1806.
#
Le Rhône impétueux , égaré dans son cours ,
Semble au sein de la terre englouti pour toujours ;
Mais bientôt , ramenant ses flots à la lumière ,
Plus calme , il s'agrandit dans sa libre carrière ,
Et court ,
Du tribut de son onde enorgueillir les mers.
bordé de fleurs , de fruits , de pampres verts ,
Voilà de l'harmonie , des images , en un mot , de la poésie ;
et certainement on ne trouvera pas huit vers
ceux- ci dans toute la pièce couronnée.
à
comparer.
C.
Astronomie des Dames , par Jérôme de Lalande , ancien
directeur de ’Observatoire . Un vol . in - 18 . Prix : I fr .
50 cent. , et 2 fr. par la poste. A Paris , chez Bidault ,
libraire , rue Serpente ; et chez le Normant , imprimeurlibraire
, rue des Prêtres S. Germain l'Auxerrois , n° 17 .
<< Vous devriez brûler tout ce meuble inutile ,
» Et laisser la science aux docteurs de la ville ;
"
M'ôter , pour faire bien , du grenier de céans ,
» Cette longue lunette à faire peur aux gens ,
>> Et cent brimborions dont l'aspect importune ;
» Ne point aller chercher ce qu'on fait dans la lune ,
» Et vous mêler un peu de ce qu'on fait chez vous.
})
» Il n'est pas bien honnête , et pour beaucoup de causes,
»
Qu'une femme étudie et sache tant de choses. >>
MOLIÈRE.
L'ASTRONOMIE de M. de Lalande est renfermée dans un
des cent cinquante- quatre petits volumes qui composent la
Bibliothèque des Dames , ouvrage entrepris par une société
de gens savans dans l'art de faire des livres . Celui de M. de
Lalande est extrait de son grand Traité d'Astronomie , en
trois volumes in-4° . Il s'est rapetissé de cette sorte , « parce
» qu'il lui importe d'attirer , non d'effrayer à l'abord des
» sciences . » C'est - à - dire , qu'il espère qu'après avoir lu
cet extrait , les dames achèteront le premier abrégé qu'il a
1
222 MERCURE DE FRANCE ;
déjà fait de ce même ouvrage , en un volume in-8° . , et que ,
si le coeur ne leur manque pas , elles se procureront enfin
le grand Traité complet , ce qui renflera d'autant leur bibliothèque
et la bourse de l'auteur . C'est un petit moyen d'attraction
d'un côté , et de répulsion de l'autre , qui n'est que
trop en usage aujourd'hui. Les gros ouvrages se vendent
difficilement il faut les faire goûter par des abrégés ; et
quand les abrégés paroissent encore trop volumineux au
public , il faut les faire connoître par des abrégés d'abrégés ,
tels que le volume dont il est ici question . M. de Lalande
est connu pour un calculateur qui sait au juste ce qu'il faut
de matière pour produire de si beaux effets .
:
La science astronomique se compose de la connoissance
des observations utiles faites jusqu'à nos jours sur le mouvement
des astres. Ces observations sont en petit nombre ;
et depuis la réformation du calendrier grégorien , les astronomes
n'ont plus qu'à suivre la route qui leur a été tracée
pour tenir en accord , sur nos almanachs , l'ordre des mois
et des saisons avec le mouvement connu du soleil. Ce mouvement
, ou , à son défaut , celui de la lune ou de quelques
étoiles , leur donne les moyens de dresser leurs tables horaires
, qui servent ensuite à déterminer les longitudes en
mer. Ils calculent aussi les éclipses , l'éloignement et la grosseur
des astres . Mais tout ce travail , qui effraie les personnes
qui n'ont aucune idée de la mesure des angles , est
aussi facile pour celles qui veulent y donner un peu d'attention
, que les règles les plus simples de l'arithmétique. Ce
que l'on nomme esprit dans le monde , est absolument étranger
à cette science . Il n'a fallu , dans son origine , que des
yeux pour voir ; dans ses progrès , qu'un sens droit pour en
tirer des résultats ; et dans l'usage qu'on en fait aujourd'hui ,
il ne faut plus , pour être un astronome parfait , qu'une tête.
capable d'amonceler tes chiffres et de faire des livres remplis
de calculs tout faits comme ceux de Barême. En
FEVRIER 1806. 223
$
mot , l'astronomie est une science exacte , dans laquelle on
procède par nombres et par mesures ; c'est l'ornière de tous
les siècles il n'est pas plus possible de s'en écarter ,
:
qu'il
ne le seroit aux carpes de la Seine de se détourner du fleuve
et de passer par la Villette pour arriver plus tôt à Saint-
Denis . Néanmoins , si tout ce que cette science peut produire
d'utile est connu depuis long-temps ; s'il ne reste plus rien
d'essentiel à découvrir , et si , sous ce rapport , il demeure àpeu-
près indifférent que celui qui la professe soit un homme
d'esprit on un sot , il reste toujours à cet homme le mérite
de la patience : qualité dont le genre humain tire un profit
tel , que si les bêtes de somme ne la possédoient pas , nous
manquerions bientôt des objets les plus nécessaires à la vie .
L'astronomie a encore cela de particulier , qu'il suffiroit
qu'un seul homme en eût la connoissance pour que le
monde entier en obtînt tout ce qu'il peut en attendre d'avantageux.
Le travail de tous ceux qui s'en occupent , au- delà
du nombre d'astronomes que la division des grands états nécessite
, est donc complètement inutile ; mais la curiosité de
l'homme a trouvé dans cette science même , après les connoissances
utiles qui sont très -bornées , un vaste champ pour
s'exercer , et son esprit un sujet de spéculations et de sys--
tèmes dont il ne trouvera jamais le terme de là vient que
bien des personnes s'occupent de cette science plutôt comme
objet d'amusement que, d'utilité . On a cherché à reconnoître
si ce grand mouvement que nous voyons dans les astres
n'étoit qu'apparent , et si cette apparence n'étoit pas produite
le mouvement réel de la terre . On a prouvé , ou du moins
on a prétendu prouver le pour et le contre . Le système du
mouvement des astres , établi par Ptolémée , a eu ses défenseurs
, et celui de l'immobilité du ciel et de la rotation de
la terre , établi par Copernic vers le milieu du seizième siècle ,
n'a pas manqué de partisans . Les astronomes de nos jours
n'ont rien imaginé depuis , et ils paroissent avoir adopté les
par
224
MERCURE DE FRANCE ,
2.
2.
idées de l'astronome Allemand , comme plus simples , et par
conséquent plus conformes à la raison et à la vérité . Croyant
donc n'avoir plus rien à faire sur ce sujet , mais ne voulant
pas borner leurs occupations au travail mécanique de leur
science , qui les laissoit dans leur utile obscurité , quelques
astronomes modernes ont essayé de faire croire aux prédictions
météorologiques , quelques autres à la pluralité des
mondes ; d'autres encore ont voulu expliquer la formation
de tous ces globes qui se promènent dans la vaste étendue des
cieux ; mais ils l'ont fait d'une manière si malheureuse, qu'ils
n'ont pas même trouvé de contradicteurs : tant leurs opinions
ont paru ou superficielles , ou dépourvues de preuves ; et
même de sens commun !
氯
1 M. de Lalande , qui n'a , Dieu merci , rien inventé , rien
trouvé , rien imaginé de sa vie , se contente de croire fermement
, comme vrai , tout ce qui n'a jamais été présenté que
comme des notions vagues , des aperçus hasardés , ou des
jeux de l'imagination faits pour distraire un moment. Ainsi ,
le système de Copernic lui paroît admirable , dépouillé de
tout préjugé , et sans réplique , quoiqu'il soit facile de reconnoître
, comme nous le montrerons tout -à- l'heure , qu'il n'a
pas rencontré le plus simple. Les prédictions de la pluie et
du beau temps , de la chaleur et du froid , lui paroissent devoir
être infaillibles , lorsqu'on aura fait un bon nombre d'observations
sur l'ordre des temps ; et tout Paris sait que M. de
Lalande n'a pas encore fait une seule de ces prédictions , sans
que l'on ait vu le temps précisément à l'opposé de ce qu'il
annonçoit ce qui montre assez clairement ou que M. de Lalande
prédit avant d'avoir bien calculé , ou que ses calculs sont extravagans.
Il y a déjà long-temps qu'on a remarqué que la
plupart des incrédules ne sont tels que par excès de crédulité.
C'est toujours sur la foi d'autrui qu'ils nient les choses les plus
raisonnables , et qu'ils croient les plus absurdes . M. de Lalande
nous en offre une belle preuve. Il ne doute pas plus que la
1.
"
22
lune
FEVRIER 1806. 225
1
cen
lune et les autres planètes ne soient habitées , que la petite
ville de Saint - Denis ; et là-dessus il rapporte l'argument de
Fontenelle , qui représente un bourgeois de Paris sur les tours.
de Notre Dame , qui soutient que Saint - Denis n'est pas habité
parce qu'il n'y voit personne. On lui objecte qu'il y voit
cependant des maisons et des clochers comme dans Paris , et
que cela doit faire supposer qu'il y a des habitans . « Tout
» cela , dit-il , ne gagnera rien sur notre bourgeois ; il s'obsti-
» nera toujours à soutenir que Saint -Denis n'est point habité ,
» puisqu'il n'y voit personne. Notre Saint- Denis , ajoute-t - il ,
c'est la lune , et chacun de nous est ce bourgeois qui n'est
>> jamais sorti de sa ville. » Je ne suis pas étonné que M. de
Lalande ait rapporté ce raisonnement sans en faire connoître
le vice , puisqu'il ne le voit pas ; mais on peut l'être que
Fontenelle , qui étoit homme d'esprit , l'ait avancé . Ce bourgeois
, quelque stupide qu'on veuille le supposer , ne diroit -il
pas tout de suite : « Il est facile de supposer que Saint- Denis
» est habité , puisque j'y vois des habitations et trente che-
» mins par lesquels je puis y aller si cela me fait plaisir' ;
» mais qu'en prétendez-vous conclure pour l'habitation de
>> voire lune ? Montrez-moi la route de communication , et,
» si elle me paroît praticable , je vous croirai. » Mais Fontenelle
s'amusoit , et M. de Lalande parle sérieusement . Ce
grand homme pense que les hypothèses de M. le comte de
Buffon sur l'incandescense des astres et leur refroidissement
successif , sont des vérités rigoureusement démontrées , et
que , dans quatre- vingt - treize mille ans , il fera si froid
qu'il n'y aura plus personne à Paris pour acheter sa petite
astronomie , ce qui est assurément très-malheureux pour ses
arrières - petits- neveux et petites - nièces ; mais enfin , si tel est
l'ordre infaillible de tous les corps célestes , il faut bien nous
y soumettre d'avance.
Nous avons dit tout- à - l'heure que nous ferions connoître
que le système de Copernic sur le mouvement des astres ,
P
226 MERCURE DE FRANCE ,
n'est pas le plus simple qui pouvoit être conçu : cela ne sera
pas
difficile. Copernic fait faire à la terre sa révolution autour
du soleil immobile , en un an . C'est un petit voyage d'environ
deux cent millions de lieues , ce qui fait plus de cinq cent
mille en un jour . Ce'n'est pas ce qui m'effraie ; car je ne serois
pas si étonné de voir le soleil parcourir en vingt- quatre heures
tout le cercle qu'il décrit , que de voir la touche d'une
pendule faire sa révolution autour d'un cadran en douze heures
. Le cercle du ciel est un peu plus grand pour nous , qui
sommes fort petits ; mais pour celui qui l'a dessiné , c'est sans
doute fort peu de chose . Cependant , si l'on veut chercher le
mouvement le plus simple comme étant le plus probable , à
quoi bon faire voyager la terre de cette façon , puisqu'on
peut la supposer , d'une part , tournant sur elle - même sans
changer de place , tandis que , d'un autre côté , le soleil feroit
une petite révolution de quarante- six degrés du midi au nord ,
et du nord au midi , pour nous donner toutes les saisons ;
révolution , au surplus , qu'il faut toujours supposer , si l'on
ne veut pas trop compliquer les mouvemens de la terre , et
s'exposer à déranger l'harmonie et les rapports des autres
astres avec elle . Le système de Copernic a visiblement ce
défaut , puisqu'il est impossible de concevoir que le monde ,
tournant dans un espace d'une telle étendue , conserve néanmoins
toujours le même aspect des astres , et sur-tout ses
étoiles polaires . Mon dessein n'est pas de m'enfoncer ici dans
des calculs ennuyeux et étrangers au but de cet ouvrage ;
mais je demanderai comment la terre , qui n'a que neuf mille
lieues de circonférence , pourroit faire en un jour plus de
cinq cent mille lieues , lorsque , dans ce même temps , elle
ne fait qu'un tour sur elle -même , et que par conséquent elle
ne pourroit tout au plus parcourir qu'une étendue égale à
cette même circonférence ? Il faudroit donc supposer qu'elle
a un mouvement cinquante fois plus rapide que celui que sa
rotation lui donne : et quelle seroit la cause de ce mouvement
FEVRIER 1806.
227 :
extraordinaire ? Je ne sais si Copernic l'a expliquée : quant
à M. de Lalande , il n'en dit rien ; il ne parle pas même de
toutes ces difficultés . Nous sommes bien éloignés de prétendre
offrir ici quelque système nouveau ; nous connoissons trop
bien la valeur du temps , pour l'employer à de pareilles inutilités
. Nous souhaitons seulement qu'il paroisse sensible que ..
celui qui passe pour être le meilleur , a cependant des vices
considérables , et qu'on peut fort bien se dispenser de le croire
le plus simple qu'on puisse imaginer.
rance ,
M. de Lalande accuse ceux qui croient que le soleil tourne
autour de la terre , d'étre aveuglés par le préjugé de l'ignoet
de n'avoir que des idées étroites. Il nous paroît ,
au contraire , qu'il n'y a de préjugé que dans le système qu'il
défend ; car , comme il n'est fondé que sur des notions qui
n'ont rien d'assuré , sur des suppositions toutes gratuites , il
ne peut être qu'un préjugé dans toute la force du terme , et
c'est justement là le préjugé de l'ignorance . Quant aux idées
étroites , elles ne sont certainement pas dans l'esprit de ceux
qui croient au mouvement des astres autour de la terre , et
je défie M. de Lalande de concevoir une idée plus vaste et
plus majestueuse . Quant à la difficulté de faire parcourir aux
étoiles l'orbe iminense qu'elles auroient à décrire , elle est
nulle dès qu'elle est possible. Chacun d'ailleurs peut conjecturer
sur ce sujet tout ce qui lui plaît , sans craindre de se
trouver en contradiction avec les saintes Ecritures. Tout ce
que l'on pourra dire se réduira toujours à des suppositions ,
puisque , suivant M. de Lalande lui-même , il n'y a aucun
moyen de prouver le déplacement de la terre , ni même de
s'en apercevoir.
Cet astronome nous offre un bien triste exemple du danger
qu'il y a de s'écarter de son sujet et de ses occupations habituelles
, dans la seule vue de faire un peu de bruit dans ce
monde.
Quelque petit que soit le nouveau livre qu'il vient de pu
P 2
2284 MERCURE DE FRANCE ,
blier , il n'a pu se dispenser d'y faire entrer sa doctrine ;
mais
elle y est placée d'une manière si burlesque et si fole , qu'elle
est plus propre à faire rire un moment à ses dépens , qu'a
jeter la moindre erreur dans les esprits .
*
Qui croiroit qu'un homme qui se dit savant , et qui prétend
se faire passer pour un génie sublime , veuille absolument
retrouver dans les constellations , les traces antiques du
christianisme , qu'il affecte de confondre avec l'idolâtrie, et
la mythologie ; et qu'il donne à cet insigne galimatias le titre
pompeux d'Explication des Fables ? On pourroit d'abord
demander à cet esprit bizarre de quelle utilité cette explication
peut être à la science qu'il professé , et quel profit les
Dames pourront en retirer ? Mais il n'y a pas moyen de raisonner
avec un homme qui peut vous menacer du Sagittaire
ou du Scorpion ; et même je conseille aux dames de ne pas
lui chercher querelle , parce qu'il pourroit bien les faire descendre
en ligne directe de la constellation du Taureau , que
les anciens adoroient , dit- il , comme l'origine et le père de
toutes choses .
1
M. de Lalande voit et comprend tout ce qui n'est ni chiffres
ni mesures , d'une manière qui lui est toute particulière . Il
prétend , par exemple , que les douze signes du Zodiaque ,
parcourus dans le cours d'une année par le soleil , ont fait
imaginer les douze Travaux d'Hercule , entre lesquels il reconnoît
que les écuries d'Augias sont fort bien représentées
par ce même Bélier , qui , dit - il dans un autre endroit , est
l'Agneau de Dieu , ou Jésus-Christ lui -même. Mais il n'a
pas même la gloire d'avoir inventé ces lourdes inepties . Il
faut la laisser tout entière à M. Dupuis , qui au moins a eu
le bon esprit de les enterrer dans un gros ouvrage que personne
n'aura jamais le courage de lire. Mais quelle nécessité
y avoit-il d'ajouter à la partie scientifique de ce petit volume
un chapitre d'absurdités sur les fables du paganisme ? Et
n'est-il pas visible qu'il n'y a ici d'autre intention que celle
FEVRIER 1806. 229
DI
de mêler à toutes les folies qu'il lui plaît de rêver , quelques
traits contre la religion de sa patrie ? Je laisse de côté l'explication
des signes du Zodiaque . D'autres avant lui n'y avoient
vu que la représentation des douze mois de l'année . M. de
Lalande peut y voir , si cela lui fait plaisir , les douze grands
Dieux , les douze Tribus d'Israël , ou même les douze Apôtres
; toutes ces visiors ne sont pas plus ridicules les unes
que les autres , et ne méritent que le sourire du mépris . Mais
une chose qui fait connoître l'horime , et qui mérité d'être
relevée , c'est qu'après avoir confondu , sans goût , sans ordre
, et dans un style inintelligible , le sacré avec le profane
saint Jean et Gerbère , Jésus -Christ avec le Capricorne,
d'Apocalypse et les Travaux d'Hercule , finitit par dire
« qu'il a cru ne pouvoir mieux terminer l'Astronomie qu'en
» faisant connoître l'usage qu'on en fit dans les siècles les
»´´plus reculés , et le moyen qu'elle fournit pour l'explication
» de ce qu'on a célébré le plus dans l'antiquité, de ce qu'on
» célebre encore , et dont on ne connoissoit pas l'origine. »
Et il cite , pour autorités , deux ouvrages dignes de figurer à
côté des contes de Gulliver , un Mémoire sur l'origine des
Constellations , et l'origine de tous les Cultes ou Religion
universelle, Ainsi , selon M. de Lalande , le divin fondateur
du christianisme peut être rangé dans la même cathégorie
que l'amant de la belle Omphale ; et nous pouvons trouver
dans le Zodiaque tout ce que nous voudrons , voire même
l'explication de l'Apocalypse. Pauvre calculateur que l'orgueil
dévore , qui ne sait plus ni ce qu'il croit ni ce qu'il dit ,
qui se confond lui - même dans ses rêveries , et qui , pour se
distinguer , n'a pu trouver d'autre moyen que de provoquer
le mépris de tous les honnêtés gens , en foulant aux pieds la
doctrine et la religion de ses pères ! Que le ciel et les hommes
lui fassent miséricorde !
"
JALANA
G.
3
230 MERCURE DE FRANCE ,
VARIÉTÉ S.
LITTÉRATURE SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
-Madame Branchu qu'une chute grave avoit éloignée de
la scène depuis sept mois , a fait sa rentrée sur le théâtre de
l'Académie impériale de Musique , le vendredi 24 janvier.
Cette représentation avoit attiré presqu'autant de spectateurs
que les tours de force de Duport. L'actrice a été très- applaudie
dans les deux pièces. Elle nous a paru mériter quelques
fois ces applaudissemens dans Alceste , et toujours dans le
petit rôle de Colette , Ce théâtre doit , dit- on , remettre incessamment
Echo et Narcisse , opéra de Gluck, Il a remis cette
semaine le ballet d'Acis et Galatée de Duport, et prépare un
nouveau ballet de ce danseur .
Il paroît que le Théâtre Français se dispose à faire de
grands efforts pendant le cours de cet hiver. Plusieurs tragédies
du second ordre seront reprises. Le succès de Manlius
doit encourager les acteurs. Déjà l'on annonce la reprise de
Gaston et Bayard , tragédie de du Belloy. Après Manlius ,
Talma doit jouer Gustave. Le style est un peu rude ; mais
le rôle convient parfaitement aux moyens de cet acteur , qui
vient de se mettre hors de pair. Mlle Raucour rentrera dans
le rôle de Sémiramis , et Monvel dans celui de l'Abbé de
V'Epée. , ༞ ༧ !
-Les Deux Aveugles de To'ède , dont on a donné cette
semaine la première représentation à l'Opéra- Comique , n'ont
obtenu qu'un succès très - contesté. La musique , ou plutôt la
juste célébrité du compositeur , a seule empêché une chute
complette . Cette pièce , dont le fonds est pris d'une des nom.
breuses histoires racontées par le Barbier de Bagdad dans les
Mille et Une Nuits , n'est qu'un mauvais canevas dans le
genre des opéras bouffons italiens . Malheureusement ce ne
sont point les paroles de leurs opéras qu'il faudroit emprunter
FEVRIER 1806. 231
aux Italiens . Celles des Deux Aveugles sont de M. Marsollier ,
qui a trop rarement su tenir le milieu entre le drame et la
farce , et dont les nombreux succès n'ont pas peu contribué
à faire abandonner à ce théâtre le seul genre qui lui convienne ,
si toutefois Favart , d'Hele et Marmontel ne se sont pas trompés.
La musique est de M. Méhul . L'ouverture et le quintelto
ont paru dignes de l'auteur de Stratonice . Il n'est pas
heureux pour un artiste tel que M. Méhul , d'employer son
talent sur des ouvrages qui ne peuvent point rester au théâtre .
Les Cantatrice Villane , données jeudi dernier sur le
théâtre de l'Impératrice , ont obtenu un très - grand succès.
Mad. Canavalli a débuté dans cet opéra par le rôle de Rosa ,
dans lequel elle a obtenu les plus vifs applaudissemens . La musique
est de Fioravanti . — On dit que les comédiens français
de ce théâtre répètent en ce moment une comédie en trois
actes , d'un jeune homme , ou plutôt d'un enfant de treize ans .
Nous ne voulons décourager personne ; mais ce que Le Maître
a dit du poëme épique , peut aussi bien s'appliquer à la comédie :
Et ce pénible ouvrage ,
Jamais d'un écolier ne fut l'apprentissage .
La semaine prochaine paroît devoir être féconde en
nouveautés. La Comédie Française annonce la première représentation
des Français dans le Tyrol , fait historique en un
acte et en prose. L'Opéra - Comique promet la Prise de Passaw,
fait historique en deux actes , suivi d'un divertissement. Enfin ,
le théâtre de l'Impératrice affiche pour mardi la première.
représentation du Nouveau Réveil d'Epimenide , comédie
épisodique en un acte et en prose , suivie d'un divertissement .
-On prépare aussi au théâtre de la porte S. Martin , deux
représentations qui paroissent devoir attirer la foule. La première
sera donnée au bénéfice de M. Goyon , danseur de
l'Académie Impériale , par les artistes du même théâtre , et
les comédiens ordinaires de l'Empereur ; la seconde , au bénéfice
de M. Philippe , acteur retiré de l'Opéra - Comique.
On a établi un théâtre à l'hospice de Charenton , comme
moyen curatif de l'aliénation de l'esprit.
232 MERCURE DE FRANCE ,
Les libraires Treultel et Wurtz annoncent la prochaine
publication d'un ouvrage que le nom de son auteur recommandera
puissamment à la curiosité publique . Il ne s'agit de
rien moins que des OEuvres de Louis XI , en trois volumes
in- 8 °. Les éditeurs publient aujourd'hui la note suivante , que
nous donnons textuellement , sans rien préjuger sur l'authenticité
du livre qui en est l'objet :
Le maréchal de Noailles , mort en 1766 , possesseur d'une collec-
« tion de mémoires originaux , composés par Louis XIV , et écrits de sa
main ( fait presque généralement ignoré jusqu'ici ) , se décida , en 1848 ,
» à les déposer à la bibliothèque du roi . Le 6 septembre 1758 , i en donna
>> une copie à l'abbé Sallier , garde des manuscrits du ri . M. Sallier , la
» Jaissa à l'abbé Sonchet , son ami , censeur royal . Ce manuscrit , depuis
>> long temps à la disposition de MM . Treuttel et Vürtz , présentoit la
>> ' matière d'un volume in- 8 ° ; mais persuadés qu'il existoit encore beau
» coup de pièces inconnues , sorties de la plume de Louis XIV , et qui
» n'étoient pas tombées entre les mains du maréchal de Noailes , ils cru->
» rent devoir les rassembler , pour donner une édition des oeuvres de ce
» monarque , aussi compléte qu'il seroit possible. Leurs recherches ont
>> eu les plus grands succès , et ils sont parvenus à réunir une collection de
>> morceaux historiques , politiques et même littéraires de Louis XIV ,
» presque tous inédits , qui , ainsi que les mémoires , ont été confiés à un'
>> littérateur connu par des écrits également accueillis et estimés , pour ;
» les classer , y aj uter les notes et les explications nécessaires : enfin ré-
» diger , sur Louis XIV , une notice , où , par des rapprochemens his-
» toriques et des considérations nouvelles résultant des écrits de ce mo-
»> narque , il pût être apprécié avec plus d'impartialité et de précision
« qu'on ne l'avoit fait encore. »
Cette édition est divisée comme il suit : 19. Avertissement bibliogra
phique sur les écrits de Louis XIV , et les sources où ils ont été puisés . 2º .
Notice historique sur Louis XIV . 3. Instructions pour le dauphin ; Notes
et Agenda Diverses autres pièces , in tructions et dispositions politiques..
Mémoires et pièces militaires et historiques . 5º . Lettres particu
lières de Louis XIV à sa famille , aux princes étrangers , à ses ministres ,
ses généraux , ses courtisans , etc. 6° . Traductions et poésies de Louis
XIV. 7° Pièces historiques la plupart inconnues , relatives aux principaux
événemens du règne de Louis XIV. 8º . Choix de pièces satiriques
en vers , sur Louis XIV et les principaux personnages de son temps .,
Comme l'écriture des personnages célébres intéresse toujours , on joindra
à la présente édition la copie figurative , et trait pour trait , d'une lettre
de Louis XIV , et des fragmens de l'écriture de plusieurs personnages,
illustres de ce règne . Les originaux sont entre les mains des éditeurs .
M. Cointereaux , professeur d'agriculture rurale , et
connu par plusieurs écrits utiles , vient de publier une petite
brochure intitulée Avis au Peuple sur l'Economie de son
Bois , par M. Cointereaux ; instruction avec laquelle chaque
famille pourra elle - même diriger ou bâtir dans sa cheminée
1
FEVRIER 18.6. 233
་
un nouveau foyer , y maitriser le feu , y placer le pot , faire
des apprêts, s'y chauffer enfin , sans odeur comme sans fumée.
Chez l'auteur ; rue Folie - Méricourt , n° 4 , faubourg du
Temple ; et chez le Normant , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , n° 17 M. Cointereaux donne dans
son ouvrage le modèle de trois foyers , et tous les renseignemens
nécessaires pour les construire soi même , ou les
faire construire sons ses yenx par tel ouvrier qu'on jagera
à propos d'employer. L'un de ces foyers n'exige que 20 à 22
fr . de dépense ; le même , avec circuit et tuyaux de chaleur ,
coûte au plus 25 ou 26 fr . , et garni de tous les appareils
dont il est susceptible , n'outrepasse pas 39 fr . On peut voir ,
chez le sieur Cointereaux , ce foyer économique. Il offre un
emplacement pour le pot au feu , un fourneau pour un ragoût.
On peut , en avant , faire rôtir une pièce de viande , metire
un gril sur les côtés , etc. Il échauffe en outre l'appartement ,
et la famille du sieur Cointereaux n'a point d'autre feu . Il
l'alimente enfin avec très - peu de bois.
U
-
P
MODES du 25 janvier 1806. On voit au spectacle beaucoup de toques
en velours de toutes les couleurs , toutes sans bord , et sans autre ornement
qu'une plume , longue à la vérité , et fort belle. Cette plume, plutôt ronde
que plate , est plantée précisément au- dessus du front , et sa pointe vient
tomber jusque sur l'épaule gauche.
Plusieurs fonds de toques sont , sinon brodés en jais , au moins semés
de jais , épinglés en jais .
Les rubans sont , comme à l'ordinaire , d'abord veloutés , puis rayés.
Les coiffures en cheveux , qui naguère formoient , sur- tout an bal , un
front bien large , bien découvert , admettent aujourd'hui une touffe énorme
de crochets : les oreilles pourtant restent dégagées ; par-derrière est un
chou de nattes , ou un réseau de fleurs qui en tient la place.
Le plus nouveau dé tous les réseaux est formé de bandelettes de laine
blanche.
Nous avons vu un réseau de chenille noire , qui , par-devant , avoit
pour accessoire un diadême d'épis de bled , faits en jais noir.
Les roses blanches sont fort à la mode sur les petits toquets m - parés ,
et sur les chapeaux négligés .
Pour le négligé , il y a des capotes de velours gris , à passe saillante ,
rayée de bandes étroites de satin blanc,
Il n'est plus mention des redingotes de drap , quoiqu'on en porte beaucoup
les tailleurs n'ont de commandes qu'en redingotes de velours ,
qu'ils font tantôt blanches , tantôt amarante, tantôt rose . Sur toutes ces
redingotes , l'écharpe est blanche , et se noue par-devant le haut des
emmenchures a de petits crevés de satin blanc , et le dos est boutonné avec
des boutons de satin blanc.
:
234 MERCURE DE FRANCE,
Les robes à queue sont , la plupart , de satin rose ou blanc , boutonnées
ou lacées derrière , avec un tulle à la gorge. Sur les bouts de manche , au
lieu de rubans en long ou en biais , comme ci - devant , on voit de grandes
dents de loup formées d'un ruban plié.
D'abord on s'étoit borné à suspendre des fruits figurés à ses oreilles ;
mais , depuis , on a fait, et l'on porte aujourd'hui des colliers en fruits
figurés. Naguère , c'étoient des raisins avec leur pampre : aujourd'hui la
mode veut des bouquets de mûres. Dans la monture des diamans , les
palmettes , les roses , les damiers mêmes , sont passés de mode : il faut
quoi qu'il en coûte , sacrifier la main-d'oeuvre , et faire exécuter des marguerites.
Rien de plus galant qu'une tête moutonnée , sur laquelle on a
semé sept ou huit marguerites en brillans.
Les parfumeurs, pour les cadeaux du premier de l'an , avoient imaginé
des sacs compliqués , en forme de corbeilles , où l'on trouve à la fois , un
miroir , du fil, des aiguilles , un étui pour l'ouvrage, une place pour les
clefs , et une poche pour le mouchoir. Ces sacs , brodés en couleur, n'ont
rien perdu de leur vogue ; on les appelle un nécessaire , un indispensable
, un ridicule , comme vous voudrez ; mais c'est un meuble de
chambre , qu'on ne peut pas porter en ville vu sa pesanteur ; et les
femmes qui prennent de ces ridicules , ont soin de ne pas les montrer.
Pour être à la mode en négligé du matin , il faut avoir un gilet turc
rouge et argent , sous un gilet blanc de moyenne grandeur , des guêtres
qui ne passent pas la cheville , une redingote très -écourtée qui atteigne
à peine le genou , et une culotte qui convre la moitié du mollet ; des souliers
sans talon , et un chapeau non pas pointu , mais haut comme un
clocher.
Non-seulement une femme parée adapte , au lien de fleurs , une ou
plusieurs plumes à sa toque , mais sur sa robe de velours , sont quelquefois
semées de petites plumes brodées en or .
On ne voit plus autour du lit d'une petite maîtresse , de ces figures
bizarres ou hideuses , de ces Méduses et de ces Osiris , qui servoient d'ornemens
ou de supports ; onchoisit au Musée les plus belles statues : l'oiseau
qui rattache avec son bec les rideaux d'une croisée , est un cygne ; c'est un
cygne encore , qui tient dans ces pattes les bonnes-graces du lit , ou
soulève du bout de l'alle , la draperie antique d'un boudoir moderne.
Du 31 janvier. — Le rose très-pâle est encore la couleur dominante ;
on en peut faire la remarque chez les modistes et dans les salles de bal .
Une danseuse a toujours un énorme bouquet artificiel , placé du côté
gauche. Au spectacle , les fleurs sont naturelles ; et , à moins d'être en
très-grande parure , on les tient à la main : ce sont des brins de jacinthe ,
ou des violettes.
Pour les bals , il y a , outre les demi-guirlandes , dites tours de peigne ,
des diadêmes de roses blanches. Quelquefois ces roses sont en argent : on
exécute aussi en argent des guirlandes de vigne et des épis .
$
En grande parure , on recommence à reporter des coiffures à la Ninon :
de chaque côté les cheveux bouclés doivent descendre plus bas que la
jone , et , vers la pointe , former presque tire-bouchon . Cette coiffure
n'admet qu'une fleur sur le côté gauche; elle est lisse sur le front , et ,
par- derrière , se termine en chou de nattes ou en colimaçon .
Depuis quelques mois , même en grande parure , à moins que ce ne
fùt en société , on voyoit peu de robes à queue , les diamans même se
portoient avec des robes courtes .
On a vu , ces jours derniers , des robes de velours doublées d'hermine ,
les revers en schall , et , sur les deux devants , au lieu du simple liseret
accoutumé , cinq doits à-peu - près de bordure d'hermine ; la toque pas
2
FEVRIER 1806 . 235
reille , avec une plume blanche ; et aux emmanchures , pour couper le
rouleau de velours , des raies d'hermine.
A la taille de quelques autres robes de velours, on remarquoit de petites
basques quarrées , comme à des corsets à la paysanne : ces robes étoient
placées derrière , et les manches très - bouffantes , avec des crevés de rubans.
Par -devant, pour former le tablier , régnoient trois lignes perpendiculaires
de bouffettes de satin .
Les lingères fameuses forment en or , l'ourlet de leurs collerettes .
En demi- toilette , on voit quelques toquets de crêpe avec des fleurs
dessus , notamment avec des roses blanches ou de la giroflée. Ces toquets
se mettent avec un beau peigne , que la transparence du fond laisse voir
assez distinctement .
NOUVELLES POLITIQUE S.
Pétersbourg, 28 décembre.
9
Le lendemain de l'arrivée de l'empereur , les chevaliers de
l'ordre de Saint - Georges tinrent une assemblée extraordinaire.
( L'on sait que pour être reçu membre de cet ordre , il
faut avoir fait la guerre et s'être distingué. ) Il fut résolu à
l'unanimité de conférer le grand cordon à S. M. I. et une
députation fat chargée de le lui présenter , ainsi que la décision
qui avoit été prise à ce sujet. S. M. I. accueillit cet
hommage de l'ordre ; mais , malgré les instances réitérées des
députés ( le général d'infanterie prince Prosorowsky , et le
prince Kusakin , chancelier de tous les ordres de Russie ) ,
elle refusa d'accepter le grand cordon , en disant « que les
» décorations de l'ordre militaire de la première classe ne
» devoient être la récompense que des commandans en chef;
» qu'elle n'avoit point commandé , mais seulement conduit
» ses braves troupes au secours de son allié , qui avoit lui-
» même dirigé toutes les opérations ; qu'elle ne croyoit pas ,
>> par cette raison , avoir fait dans cette occasion tout ce qui
» pouvoit lui mériter une telle distinction ; que dans toutes
» ses actions , elle n'avoit fait que partager l'intrépidité de
» ses braves troupes , et ne s'étoit séparée d'elles dans au-
» cun danger ; que n'ayant encore eu aucune occasion de
>> montrer sa bravoure personnelle , elle jugeoit en ce mo--
>> ment convenable , pour prouver son estime pour l'ordre
» militaire , de n'accepter que les décorations de la quatrième
>> classe. >>
Vienne , 16 janvier.
L'empereur est arrivé ici aujourd'hui à onze heures du
matin ; il s'est d'abord rendu à la cathédrale , où on a chanté
un Te Deum , et est allé ensuite dans son palais , en passant
236 MERCURE DE FRANCE ,
par les principales rues : il n'avoit pour escorte que la garde
bourgeoise à cheval ; la bourgeoisie à pied , sous les armes
bordoit la haie ; aucune troupe réglée n'a paru. Le cortége
se composoit de huit voitures ; l'empereur étoit dans la dernière
avec l'impératrice. On lisoit beaucoup d'émotion sur
les figures de LL. MM. L'ordre qui a régné , l'affluence des
habitans dans les rues , les sentimens qui ont été généralement
manifestés ont fait reconnoître la sagesse qui a toujours ca
-ractérisé les Viennois et leur attachement pour leur souverain.
Avant l'arrivée de l'empereur , on avoit affiché et publié par
tout la proclamation suivante :
François II , par la grace de Dieu , empereur élu des
Romains , toujours auguste , empereur héréditaire d'Autriche
, roi de Germanie , de Hongrie, de Bohéme , etc. ,
etc. etc.
"
« Lorsque je me suis éloigné de vous , je n'étois pas peu fondé à croire que
notre séparation seroit de très- courte durée ; car j'avois pris la ferme résotution
de revenir à Vienne aussitôt après la levée des séances de la diete
hongroise ; mon intention étoit de rester parmi vous aussi long- temps que
ma présence dans la capitale auroit pu s'accorder avec l'obligation de veiller
aux intérêts de tout mon empire . La force des circonstances a pu seule
m'empêcher d'exécuter cette résolution . J'ai pensé qu'il étoit de mon devoir
envers vous , comine envers la généralité de mes fidèles sujets , de rester
dans le voisinage de l'armée combinée . J'ai fait choix d'un représentant
qui avoit votre confiance , et qui , sous tous les rapports , la méritoit . Je
me suis occupé de vous , et j'ai veillé à vos intérêts autant que le malheur
des circonstances l'a permis .
» La Providence n'ayant pas voulu que par des succès militaires nous
puss ons poser les fondentens d'une sécurité durable , j'ai redoublé d'efforts
pour que des négociations de paix rendissent à mes états subjugués
le repos et la tranquillité Le succès de mes efforts a paru tardif à mon
coeur ; mais on ne pouvoit terminer plus tôt une affaire qui embrasse le
présent et l'avenir , et dont la décision exigeoit un consentement mutuel.
» Ce temps malheureux n'est plus. Je reviens au milieu de vous aves
l'attendrissement que m'ont fait éprouver votre constance , votre attach
ment inébranlable , votre vigilance à conserver l'ordre et le repos , votre
empressement enfin à tempérer par la bienfaisance les malheurs de l'humanité.
Il n'est aucun devoir que vous n'ayez rémpli , aucune vertu que
vous n'ayez pratiquée . Vous vous êtes acquis l'estime de vos compatriotes ,
celle des étrangers : vous avez enfin les plus justes droits à ma reconnoissance.
Encore éloigné de vous en subissant les épreuves les plus pénibles ,
j'ai trouvé des motifs de tranquillité dans ce sentiment consolateur.
» Mais si je m'abandonne justement à la joie que me fait éprouver mon
retour au milieu des bons habitans de Vienne ; si vous-mêmes venez avec
alégresse au- devant de votre souverain , et oubliez en le revoyant les calamités
qui vous ont accablés , n'imaginez pas pour cela que votre situa
tion actuelle me soit inconnue , et que je ne l'aie pas attentivement considérée
.
» Oui , penple généreux ! tu as éprouvé des malheurs qui ont ébranlé ,
jusqu'en ses fondemens , la prospérité que tes efforts et ton activité ta
voient acquise . Je ne me dissimule point cet état des choses , j'ai cherche
FEVRIER 1806.
237
même àle connoître entièrement , parce que cette connoissance est indispensablement
nécessaire pour établir l'accord qui doit exister entre les
ressources et les besoins . On a déjà fait tout ce qu'il étoit possible de faire
dans ces malheureuses circonstances , pour empêcher que les consommations
extraordinaires auxquelles on a eu recours n'occasionnent , ni la disette
, ni un enchérissement qu'on ne puisse supporter. C'est pour parvenir
à ce but que j'emploierai dorénavant tous les moyens que la Provi
dence a mis en ma main.
» Soyez toujours aussi fidèles à votre prince que vous l'avez été dans
les temps les plus critiques ; contribuez , par vos bons sentimens , au
bien général vers lequel se dirigent tous mes efforts , redoublez d'industrie
, conduisez vous toujours avec la même noblesse , fermez l'oreille à
d'in ustes censures , comptez sur le Tout- Puissant , et joignez vos prières
aux miennes. Nos blessures , quelque profondes qu'elles soient , seront
bientôt cicatrisées . >>>
Felssberg , le 15 janvier 1806 .
Londres , 22 janvier.
Discours des lords commissaires aux deux chambres du
parlement , du 21 janvier 1806.
Milords et messieurs ,
La commission munie du grand sceau , qui nous a été délivrée
par S. M. , nous autorise , entre autres choses , à faire
connoître les motifs de cette réunion du parlement. S. M.
nous a particulièrement chargés d'appeler votre attention sur
les succès les plus décisifs dont la Providence a daigné bénir
ses armées de mer depuis la dernière session du parlement .
Les flottes de S. M. ont fait voir toute leur activité et toute
leur persévérance dans la poursuite et dans l'attaque des
différentes escadres de l'ennemi ; les résultats de chaque combat
ont été honorables pour le pavillon britannique , et ont
affoibli la puissance maritime des états avec lesquels S. M. est
en guerre. Mais la victoire remportée devant Trafalgar sur
la flotte combinée de France et d'Espagne , a manifesté , plus
que tous les exploits recueillis dans les annales même de la
marine anglaise , l'habileté et le courage des officiers et matelots
de S. M.; et la destruction d'une partie aussi considérable
des forces navales de l'ennemi , a non-seulement confirmé
de la manière la plus signalée la supériorité maritime
de ce pays , mais elle a de plus contribué essentiellement à la
sûreté des domaines de S. M.
S. M. est profondément affectée que le jour d'un triomphe
aussi mémorable ait été malheureusement obscurci par la
perte d'un héros. Elle est persuadée que vous sentirez que
cette fin déplorable , mais glorieuse , d'une vie que tant d'exploits
rendent remarquable , exige que la reconnoissance de ce
pays soit manifestée d'une manière aussi durable que distinguće.
Elle espère donc que vous concourrez à mettre S. M. en
mesure d'ajouter aux honneurs qu'elle a conférés à la famille
du feu lord vicomte Nelson , des marques de la munificence
238 MERCURE DE FRANCE ,
nationale , qui transmettront jusqu'à la postérité la plus reculée
la mémoire de son nom et de ses services , et le bienfait
de son exemple.
S. M. nous a de plus chargés de vous faire connoître que
pendant que la supériorité de ses forces maritimes s'est ainsi
établie et maintenue , S. M. a trouvé le moyen de placer les
fonds qui avoient été mis si libéralement à sa disposition pour
secourir celles des puissances du continent qui se montroient
déterminées à résister aux empiétemens formidables et toujours
croissans de la France. S. M. a ordonné que les divers
traités conclus à ce sujet fussent mis sous vos yeux ; et quoiqu'elle
ne puisse que déplorer profondément les événemens
de la guerre d'Allemagne , événemens qui ont trompé ses espérances
et conduit à un résultat défavorable , elle est persuadée
qu'après avoir pris connoissance de ses différentes démarches
, vous penserez que rien n'a été négligé de sa part
pour soutenir les efforts de ses alliés , et qu'elle s'est conduite
conformément aux principes déclarés par elle et reconnus par
le parlement comme essentiels aux intérêts et à la sécurité de
ses domaines , ainsi qu'à la sûreté du continent.
Il est un grand motif de consolation pour S. M. , et elle est
persuadée que vous y prendrez part quoique l'empereur
d'Allemagne ait été forcé d'abandonner la contestation ,
S. M. continue à recevoir de son auguste allié l'empereur de
Russie les plus fortes assurances de son attachement à cette politique
sage et généreuse , dont les principes l'ont guidé jusqu'à
présent. S. M. ne doute pas que vous ne sachiez apprécier
les avantages importans qui résulteront de la durée de
nos relations intimes avec ce souverain.
Messieurs de la chambre des communes
2
S. M. a ordonné que les états estimatifs de cette année vous
fussent présentés , et elle nous a chargés de vous assurer qu'ils
ont été dressés conformément à ce qu'exige la situation actuelle
de ce pays. S. M. compte que vous lui accorderez tous les
subsides qui , après une mûre délibération , seront reconnus être
nécessaires. Elle souhaite ardemment de contribuer , par tous
les moyens qui sont en son pouvoir , à alléger les taxes additionnelles
qui doivent nécessairement être imposées ; et c'est dans
cette vue qu'elle a ordonné d'appliquer au service public de
l'année , la somme d'un million sterling , provenant de la
vente d'une partie des prises faites a l'ennemi , et devant , conformément
à nos lois, être versée dans la caisse de la couronne..
Milords et Messieurs ,
S. M. est très-persuadée que quels que soient l'orgueil et la
confiance que les succès de nos armes doivent iuspirer , vous
sentirez combien les événemens de la guerre continentale
FEVRIER. 1086.
239
après avoir aussi malheureusement accru l'influence et le
pouvoir prédominant de la France, exigent la continuation de
toute notre vigilance et de tous nos efforts. S. M. compte que
pour nous rendre invincibles chez nous comme redoutables
à l'extérieur , vous vous occuperez invariablement à étendre
les ressources qu'elle trouvera dans la bravoure et la discipline
de ses troupes , dans le zèle et la loyauté de toutes
les classes de son peuple , et dans les richesses de ses états .
C'est de tels efforts seulement que la guerre peut être
par
menée à une fin compatible avec la sûreté et l'indépendance
de ce pays , et avec le rang qu'il occupe parmi les nations du
monde.
-
PARIS.
LL. MM. l'EMPEREUR et l'Impératrice sont arrivées
à Paris dans la nuit du 26 au 27 janvier.
-
Le 28 janvier , S. M. l'EMPEREUR et Roi , entouré des
princes de sa famille et des grands dignitaires de l'Empire ,
des ministres , des grands - officiers civils et militaires , des
officiers civils de sa maison et de son conseil -d'état , a reçu
sur son trône les hommages et félicitations des principales
autorités constituées. Ces divers corps ont été conduits dans
la salle du trône par les maîtres et aides des cérémonies , et
introduits par S. E. le grand-maître des cérémonies. Le Jour
nal Officiel contient les discours des présidens du sénat , du
tribunat , du tribunal de cassation , de la cour d'appel et du
préfet de la Seine , du président de l'institut , etc.
S. M. l'EMPEREUR et Roi a répondu au sénat en peu de mots ;
il a dit « qu'il remercioit le sénat des sentimens que le président
venoit d'exprimer , et il a ajouté qu'il mettoit son unique
gloire à fixer les destinées de la France , de manière que dans
les âges les plus reculés , elle fut toujours reconnue par la seule
dénomination du Grand-Peuple. »
L'EMPEREUR a répondu au tribunat « qu'il desiroit qu'on ne
se ressouvînt de ce qui a été fait de bien dans ces derniers mois ,
qu'au moment où son armée rentreroit en France , afin que
ses soldats fussent alors accueillis comme doivent l'être des
enfans qui sont la gloire et l'honneur de leurs familles ; qu'il
falloit en ce moment s'occuper uniquement de perfectionner
la législation , parce que les bonnes lois sont la cause la plus
durable de la prospérité des peuples. »
S. M. a dit au président de la cour de cassation « qu'elle
agréoit avec d'autant plus de plaisir les sentimens qui venoient
d'être exprimés au nom de la cour de cassation , qu'elle étoit
sensible au bien qu'une bonne administration de la justice a
fait à son peuple. »>
240 MERCURE DE FRANCE.
S. M. a répondu au discours prononcé par M. le conseillerd'état
préfet de la Seine : « Qu'il connoît tout l'attachement
que les habitans de sa bonne ville de Paris ont pour
sa personne , et qu'il a senti qu'il n'étoit pas en leur pouvoir
d'ajouter par leurs démonstrations à l'opinion qu'il en
a conçue ; mais que si la destinée avoit été contraire à ses
armes , c'est alors qu'il auroit fait une entrée solennelle pour
que ses ennemis reconnussent aux acclamations qui se seroient
fait entendre , et au nombre des Français qui se seroient pressés
autour de lui , les ressources qu'il auroit trouvées dans
l'amour de ses sujets ; que revenant victorieux , il avoit obéi :
au sentiment qui le pressoit de rentrer dans son palais , pour
s'occuper sans retard des plus chers intérêts de ses sujets. »
Un décret impérial , daté de Munich , le 12 janvier
inséré dans le Journal Officiel italien , porte que les états
vénitiens seront extraordinairement administrés , jusqu'à cé
qu on ait arrêté toutes les mesures qu'il convient de prendre
pour la réunion de ce pays au royaume d'Italie. Le prince
Eugène , nommé gouverneur de ces états , réunira l'autorité
- >
civile et militaire.
Par décret d'hier , S. M. I. et R. a nommé M. le conseiller-
d'état Mollien , ministre du trésor-public , en remplacement
de M. Barbé-Marbois. M. Mollien a été présenté par
S. A. S. Mgr l'archichancelier , au serment qu'il a prêté
entre les mains de S. M.
Par un autre décret du même jour , M. Rostagny , com →
missaire - général des relations commerciales à Venise , est
nommé administrateur- général des finances des états vénitiens ;
il exercera ses fonctions sous les ordres et l'autorité de S. A. I.
et R. le prince Eugène.
S. Exc. M. le maréchal Berthier , a adressé la circulaire
suivante à MM. les préfets des départemens
« Je vous préviens , Monsieur , que j'ai confirmé pour
l'an 1805 les capitaines et lieutenans de louveterie qui ont été
commissionnés par moi en l'an 15 et en l'an 14 , dans votre
département. Je vous prie de leur faire connoître cette décision
, et de leur recommander de porter tous leurs soins à
détruire les loups. Rappelez-leur l'obligation où ils sont de
m'écrire tous les mois , pour me rendre compte des loups qui
fréquentent leurs cantons , et de ceux qui ont été détruits .
Depuis l'organisation que j'ai faite des capitaines et lieutenans
de louveterie , il y a eu 310 loups tués , mais ce nombre
est très-peu considérable en raison de celui de ces animaux et
des ravages qu'ils font.
A
11
-Les troupes françaises out pris , le 15 janvier , possession
de la ville de Venise.
( N° CCXXXVIII. )
( SAMEDI 8 FÉVRIER 1806. )
DE
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
LE TROUPEAU ,
FABLE ( 1 ).
Tour fablier, belle et sage Clio ,
Peut invoquer parfois ton assistance ;
Accorde-moi ta divine influence ,
Et fais jaillir du feu de mon cerveau
Pour annoncer à la race future
( Si l'on me lit ) la tragique aventure
Et le salut d'un précieux troupeau .
2
Le bon Lysas , vieux berger d'Arcadie ,
Avoit moutons nombreux et bien portans ,
Que ses voisins voyoient d'un oeil d'envie .
Certain valet , gagné par ces méchans ,
Servit au mieux leur basse jalousie ,
En dissipant par ses profusions
Le bon fourrage et les provisions
Que pour l'hiver on avoit amassées" :
Il fut chassé. Lysas fit comme il put
Pour réparer les sottises passées ;
( 1 ) Nous insérons cette fable en entier , quoique très - longue , parce que
l'idée en est ingénieuse , et qu'elle nous a paru déceler dans son jeune
› auteur d'heureuses dispositions et une facilité très-rare.
cen
242
MERCURE DE FRANCE ,
C
Mais désormais le berger résolut
De n'avoir plus de valet quel qu'il fût ,
S'en rapportant à sa meute fidèle
Pour gouverner le bon peuple qui bêle ,
Et le garder des atteintes des loups ,
Voire des tours des trop adroits filous.
Tous les mâtins fameux par leur audace , *
Furent par lui chèrement achetés ,
Et les doguins de la plus forte race
Dans son bercail élevés et domptés ,
Pour recruter sa troupe vigilante .
D'abord Lysas du plus heureux succès
Voit couronner ses soins et son attente.
On dort en paix : les tyrans des forêts
Sont écartés et saisis d'épouvante ;
Mais par malheur il n'a pas aperçu
Parmi ses chiens un louveteau notable ,
D'une doguine en fredaine conçu ,
Et qui devint un loup très-forinidable.
Un soir ce loup dans les bras du sommeil
Surprend Lysas , l'étrangle et le dévore ;
Puis triomphant , au retour du soleil ,
Aux fiers mâtins qu'il pourroit craindre encore
Il fait sentir que , leur maître étant mort ,
Il leur convient , par le droit du plus fort ,
De composer l'illustre aréopage
Qui doit régler le destin des troupeaux .
L'ambition est vertu chez le sage;
Chacun croit l'être ; et sur les animaux
L'ambition prend aussi quelque empire.
Le conseil donc s'empressa de souscrire
Au noble avis du madré novateur :
On assembla tout le peuple brouteur ;
Et maître loup, qui sait penser et dire,
Quoiqu'il n'ait lu Quintilien ni Bouhours,
Vint prononcer à -peu- près ce discours :
« Assez long-temps la gent à quatre pattes
» Subit les lois d'un bipède orgueilleux,
» Qui , nous traitant de brutes , d'automates,
» Asservit tout à son empire affreux ;
» Un jour viendra , qu'abjurant ce blasphème ,
» Sur quatre pieds il marchera lui-même ,
>>>' Si l'on en croit un de nos bons amis ;
FEVRIER 1806 .
243
En attendant tout lui reste soumis :
» C'est pour lui seul qu'on a créé la terre ,
» A son avis ; et le dôme des cieux
» Pour son plaisir fut voûté par les Dieux ;
» On fit pour lui l'un et l'autre hémisphère ;
» Pour lui Phébus féconde les guérêts ;
» L'arbre pour lui végète en nos forêts ;
» Et du soleil la divine lumière
bon
» Pour l'éclairer fut faite tout exprès ;
» Enfin , pour lui la prudente nature
>> Vous habilla d'une épaisse toison ,
» Qu'il vous enlève alors qu'il trouve bo
>> De s'en servir , vous livrant à l'injure
» Du souffle aigu du rigide aquilon.
>> Bien pis encor : dans ces vertes prairies
» Vous ne broutiez que lorsqu'il lui plaisoit ;
» Dans un bercail il vous tyrannisoit ,
» Et quand l'émail de ces plantes fleuries
» Vous annonçoit la saison des amours ,
Le monstre ! alors ses mains profanatrices
» Du doux hymen vous privoient pour toujours .
>> Ses braves chiens , soumis à ses caprices ,
» Ses défenseurs , au moindre mal de dent
» Il les noyoit impitoyablement !
>> Mais qui pourroit nombrer ses injustices ,
»› Ou se vanter , sans être un vil flatteur ,
» D'avoir connu sous ses lois le bonheur ?
» Je viens enfin changer ces lois barbares ,
>> Et vous sauver de ses fureurs bizarres.
» La déité que l'on nomme Raison
» Va par ma voix vous parler sans façon
>> Tous les mortels , sans nulle différence ,
» Naissent égaux devant le Créateur ;
>> S'il donne à l'un la force et la vaillance ,
» L'autre a pour lui la beauté , la douceur ;
» Mais ils ont tous même droit au bonheur.
» Pour le chercher tout acte est légitime ;
» Tout est besoin lorsque vous desirez .
» Vivez heureux sous ce nouveau régime ,
» Broutez en paix partout où vous voudrez ;
» Rien ne pourra troubler vos jouissances ;
» Votre conseil réunit les puissances
p Législative , exécutive ; enfin
Q 2
•
244 MERCURE DE FRANCE ,
» Il s'investit du pouvoir souverain .
» D'en abuser s'il nous prenoit envie ,
» Insurgez-vous ; car le plus saint devoir
» Est d'arrêter les abus du pouvoir ;
» Chacun de nous sacrifieroit sa vie ,
» S'il le falloit , pour le commun bonheur ;
» Mais jurons tous par des sermens terribles ,
» De conserver nos droits imprescriptibles ,
» Et que jamais un nouvel oppresseur
» De ce troupeau ne sera possesseur .
» Si parmi nous il se trouvoit un traître
» Qui regrettât notre ci- devant maître ,
>> Que le coupable , assailli dans l'instant ,
>> Soit mis à mort en quatre coups de dent ! »
A ce discours , noblement pathétique ,
L'aréopage aquiesce en aboyant ,
Peuple mouton applaudit en bêlant ,
Et l'orateur est du conseil cynique
Tout d'une voix proclamé président .
Le lendemain , ce magistrat caustique
Voyant Robin , beau mouton , bien nourri
De feu Lysas c'étoit le favori ) ,
Qui s'éloignoit d'un air mélancolique :
« Tout beau , monsieur , lui dit-il , demeurez ;
>> Pourquoi donc fuir quand je viens à paroître ?
» Ha , je le vois , vous regrettez ce maître ,
>> Et sourdement tout seul vous conspirez !
>> J'en vais trouver une preuve complète :
>> A votre col vous osez conserver
» Ce beau ruban où pendoit la clochette
>> Qui de Lysas vous faisoit remarquer.
» Ah , scélérat , je saurai la cachette
» Où vous gardez de semblables bijoux
>> Pour les reprendre au inoment favorable
>> Où vos amis s'armeront contre nous !
» A mort , coquin ! l'intérêt de nous tous
>> Veut qu'à l'instant périsse le coupable ;
>> Sur un perfide on ne sauroit trop tôt
» Appesantir la main de la justice :
» Salus plebis suprema lex esto :
>> Nous atteindrons bientôt plus d'un complice. »
Tout aussitôt Robin est étranglé ,
Et le conseil en fait bonne curée .
FEVRIER 1806. 245
Le lendemain son président zélé
Lui offre encor nouvelle picorée ,
Et chaque jour d'honnêtes délateurs
Vont dénonçant d'autres conspirateurs.
Si le conseil , regorgeaut de pitance ,
Etoit tenté de montrer sa clémence ,
Le loup vouloit , pour décider ce point ,
De l'accusé connoître l'embonpoint.
Peuple mouton errant à l'aventure
Par mots , par vaux , souffroit tout sans murmure.
Un jour advint qu'un membre du conseil
Fut compromis dans une procédure ;
On le condamne avec grand appareil ,
On l'exécute en la forme ordinaire.
Puis maître loup , qui trouveroit fort bon
De régner seul sur le peuple mouton ,
Détruit encore un dogue réfractaire
Le lendemain de cette heureuse affaire.
Mais à ce coup , d'un pareil président
Tout le conseil redoutant l'énergie,
S'élève enfin contre sa tyrannie :
Le loup n'est plus. A ce règne sanglant
Succède alors une molle anarchie ;
Chacun des sieurs , présidant à son tour ,
Sur le troupeau règne pendant un jour ,
Et fatigué du poids du diadême
Le lendemain quitte le rang suprême
Pour vivre en paix du fruit de ses labeurs.
De maître loup la rare prévoyance
A pour long- temps assuré la pitance
Des conseillers ses heureux successeurs;
Mais les moutons , espèce frugivore ,
Ont dévasté tout l'empire de Flore ;
Les prés , les bois , n'offrent plus aux brouteurs
Pour pâturer , ni gazon , ni feuillage :
La faim sur eux signale ses fureurs ,
Et chaque jour les loups du voisinage
Par-ci par-là croquent quelques trafneurs .
Le ciel enfin eut pitié de leur peine ;
Cliton , chasseur , poursuivant dans les bois
Le loup féroce et le léger chamois ,
Un beau matin vint pour reprendre haleine
Dans la bruyère où le troupeau cherchoit
246 MERCURE DE FRANCE ;
De quoi calmer la faim qui le pressoit .
« D'où sortez-vous , pauvres bêtes étiques ,
>> Dit le chasseur ? Où donc est le manant
» Qui dut garder ces moutons faméliques ? »
« Méh , méh , répond le troupeau languissant. »
Cliton appelle et cherche vainement :
A son aspect , à sa mine guerrière ,
Tout le conseil , pressentant l'étrivière ,
Serre la queue et fuit dans la forêt ;
Mais les limiers suivent déjà sa trace .
Bientôt chacun est remis à sa place ;
Notre chasseur , actif et toujours prêt ,
Chasse les loups , construit ses hergeries ,
Aux meilleurs lieux fait parquer son troupeau ,
Et des toisons qu'enlève le ciseau
Achète au loin le tribut des prairies ,
Pour assurer jusqu'au 'prochain printemps
De ses moutons la juste subsistance .
On vit bientôt renaître l'abondance ,
Tout fut soumis , et tous furent contens
De vivre heureux sous son obéissance .
Ils admiroient un changement si beau ;
Et le doyen des béliers du troupeau ,
Prétendant seul en pénétrer la cause ,
Disoit un soir au vieux limier Briffaut :
« Oui , mon ami , soyez sûr de la chose ,
» Notre Cliton dans quelque grand hameau
» Doit être né de race pastorale ;
» Fils d'un berger , dès ses plus jeunes ans
» Il sut régner sur l'espèce animale :
» Qu'on est heureux sous ses yeux vigilans !
» Comme il nous mène , et comme il vous commande !
» Rien n'est plus clair , et pour moi je consens
» A m'avouer hélier de contrebande ,
» S'il n'a lui-même été long-temps berger, »
« Non , dit Briffaut , la chasse est son métier ,
» Il y passa les trois quarts de sa vie ;
» Mais c'est un gras qui sait son pain manger
» Peuple mouton est vassal du génie. »
FEVRIER 1806. 247
Fragment du poëme de l'IMAGINATION , par M. Delille.
.....
SUR LA MORT.
……….. POURQUOI veux-tu , sage et profond Montagne ,
Que l'aspect de la mort en tous lieux m'accompagne ?
Je ne me sens point fait pour un si triste effort :
C'est mourir trop long - temps que voir toujours la mort.
Je sais qu'aux bords du Nil un solennel usage.
De la mort aux festins associoit l'image ,
Mais ce récit m'étonne et ne me séduit pas.
Que le galant Horace , au milieu d'un repas ,
En nous montrant de loin les funèbres demeures ,
Nous invite à saisir le vol léger des heures ;
Je suis son doux conseil , et quand la mort m'attend,
Par quelques vers encor je lui vole an instant .
Mais pourquoi m'entourant de fantômes et d'ombres ,
Me plonges-tu vivant dans les royaumes sombres ?
" Que la mort , disois -tu , sur un ton moins chagrin ,
>> Me trouve oublieux d'elle et bêchant mon jardin ! »
Pourquoi donc aujourd'hui dans ta sombre manie ,
Pour apprendre à mourir veux -tu perdre la vie ?
Quel coeur ne flétriroit un si noir souvenir ?
Quel bien ne corromproit un si triste avenir ?
Regardez ce mortel qu'envoya la justice
1
Du lieu de son arrêt au lieu de son supplice :
Sur la route offrez- lui dés festins , des palais ,
Les palais , les festins sont pour lui sans attraits .
Croyant toucher déjà le terme qu'il redoute,
Il compte les instans, il mesure la route ,
•
Subit déjà sa peine , et certain de son sort ,
Entend dans chaque pas la marche de la mort :
Tels seroient nos destins , etc.
4
248 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
1
J'IGNORE dans quel temps l'homme me fit paroître ,
Mon pays , et le nom de qui me donna l'être ;
Il n'importe au surplus , il suffit que je suis
Utile aux grands aussi bien qu'aux petits ,
Que les premiers de moi font plus d'usage ,
Et que je suis enfin un meuble de ménage .
Mon véritable logement
Est en lieu chaud de peur du rhume ,
Juché , cloué fort inhumainement.
Sur un lit qui n'est pas de plume ,
J'ai beau crier dès qu'on me fait agir ,
De mes tourmens sembler gémir ,
On ne me traite pas avec moins de rudesse ;
Je dois encor marcher d'une égale vitesse ,
On m'y force , lecteur , mais devinez par où :
C'est en pendant une pierre à mon cou.
LOGOGRIPHE
JE porte gain , je porte gan ,
Je porte pain , je porte pan.
Je porte Per , je porte rang.
Que suis-je, lecteur ? ……. P.
CHARA D E.
BEAUTÉ , graces , jeunesse , ainsi que mon dernier ,
Tout , ici-bas , fait mon premier ;
Recours à mon entier si tu veux te distraire
De cette idée atrabilaire.
DUTHRONE-GLATIGNY.
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro,
Le mot de l'Enigme du dernier N° est le Temps.
Celui du Logogriphe est Eve.
Celui de la Charade est Mer- veille.
FEVRIER 1806. 249
SUR LES JUIFS ( 1 ),
DEPUIS assez long-temps les Juifs sont l'objet de
la bienveillance des philosophes , et de l'attention
des gouvernemens.
Dans ces divers sentimens , il entre de la philantropie
, de l'indifférence pour toutes les religions , et
peut-être aussi un peu de vieille haine contre le
christianisme , pour qui l'état malheureux des Juifs
est une preuve , qu'on voudroit , avant le temps , faire
disparoître.
Ces dispositions , pour ou contre les Juifs , sont
plus sensibles en Allemagne , où les Juifs se sont extrêmement
multipliés , à la faveur de plusieurs causes
politiques et religieuses ; et sans doute aussi que ce
peuple voyageur , dans sa marche insensible de l'Asie
vers l'Europe , a dû s'arrêter d'abord aux contrées
européennes plus voisines de l'Orient , et des lieux
qui ont été son berceau .
Ce qu'il peut y avoir des vues secrètes de quelque
parti , dans les réclamations en faveur des Juifs , doit
aussi trouver les esprits mieux disposés en Allemagne
, où des opinions déjà décréditées parmi nous ,
auront cours encore pendant un siècle; car il en ést
( 1 ) Plusieurs articles sur les Juifs , insérés récemment au
Publiciste , ont donné lieu à celui que le lecteur a sous les
yeux.
250 MERCURE DE FRANCE,
dans ce
pays des opinions qui ont vieilli en France ,
à-peu-près comme des écus au soleil de Louis XIV,
qu'on y retrouve dans la circulation , et qu'on ne voit
plus en France que dans les cabinets des curieux.
Quand je dis que les Juifs sont l'objet de la bienveillance
des philosophes , il faut en excepter le chef
de l'école philosophique du XVIII, siècle , Voltaire ,
qui , toute sa vie , a montré une aversion décidée
contre ce peuple infortuné . Elle lui attira même de
la part d'un savant qui prit le nom des Juifs Portugais
, et en soutint le personnage avec beaucoup de
politesse , d'esprit et d'érudition , une réponse mortifiante
, et que Voltaire supporta très - impatiemment.
Il est probable que cet homme célèbre ne haïssoit
dans les Juifs que les dépositaires et les témoins de
la vérité de la révélation qu'il avoit juré d'anéantir.
Ce qui le prouveroit , c'est que dans le même temps
il avoit rêvé le projet de rebâtir le Temple de Jérusalem
, éternel objet des voeux et des regrets des Juifs.
On sait qu'il voulut intéresser quelques souverains
à cette entreprise insensée , et même inutile à l'objet
qu'il se proposoit ; car les oracles divins qu'il vouloit
faire mentir , prononcent la destruction totale da
Temple ; et ne disent rien sur sa reconstruction ; et
Voltaire judaisoit lui - même , en ne voyant pas que
c'est le rétablissement du culte mosaïque figuré par
le Temple , qui est incompatible avec l'existence de
la religion chrétienne , et non la restauration matérielle
d'un édifice auquel aucun intérêt ne peut plus
s'attacher.
Quoi qu'il en soit , dès 1783 , l'Académie de Metz
proposa au concours la question de l'amélioration du
sort des Juifs. Je ne sais quels furent les termes précis
du programme ; mais il est permis de conjecturer ,
d'après la tendance des idées de ce temps , qu'il y
étoit beaucoup plus question d'améliorer la condition
politique des Juifs , que de changer leur état
moral , et de les améliorer eux - mêmes. Le grand
FEVRIER 1806. 251
(
>>
Livre en politique et en morale nous dit : « Cherchez
» premièrement la justice , et les autres choses vous
>> seront données comme par surcroît. » La philosophie
économiste qui dominoit alors , renversoit cette
maxime , et disoit à-peu-près aux gouvernemens :
<< Cherchez premièrement à rendre vos peuples ri-
>> ches et même souverains ; et la morale et la vertu
» viendront ensuite comme d'elles - mêmes . » C'est par
cette même disposition qu'on s'occupoit beaucoup
plus à rendre les prisons saines et commodes , qu'à
diminuer les causes qui les remplissoient de malfaiteurs
, et que l'opinion donnoit à l'ouvrage anglais
De la Richesse des Nations, une vogue bien au- dessus
de son mérite réel , et que n'auroit certainement pas
obtenue un ouvrage bien plus moral qui eût paru sous
le titre De la Vertu considérée dans les Nations.
Enfin , la philosophie , lasse de ne réguer que
dans la littérature , prit les rênes du gouvernement
politique en France , ou plutôt en Europe , que la
France a toujours dominée par ses armes , ses opinions
ou ses exemples ; et elle put donner un libre
essor à ses projets de perfectionnement et de bienveillance
universelle . Les Juifs furent les premiers
objets de ses affections philantropiques ; et l'Assemblée
constituante , forçant toutes les barrières que la
religion et la politique avoient élevées entr'eux et les
Chrétiens , appela les Juifs à jouir des bienfaits de
la nouvelle constitution qu'elle croyoit de bonne foi
donner à la France , et provisoirement les déclara
citoyens actifs de l'Empire Français : titre qui , avec
la contemplation des droits de l'homme , nouvellement
décrétés , étoit alors regardé comme le plus
haut degré d'honneur et de béatitude auquel une
créature humaine pût prétendre !
Jusqu'alors les Juifs avoient joui en France des
facultés générales dont les gouvernemens civilisés
garantissent aux hommes le libre exercice , et qui
étoient compatibles avec la religion et les moeurs
252 MERCURE DE FRANCE ,
་
d'un peuple en guerre ouverte avec la religion et les
moeurs de tous les peuples . Les Juifs étoient protégés
en France dans leurs personnes et dans leurs biens ,
comme les régnicoles , comme les étrangers , comme
les Suisses , moins étrangers à la France que les Juifs ;
et hors le service militaire , que les Juifs n'étoient
pas jaloux de partager , et qui même , pour les
Suisses , étoit plutôt une condition imposée à la nation
Helvétique par des traités , qu'une faveur accordée
aux individus , je ne vois pas que les Suisses , qui
n'étoient en France , ni magistrats , ni administrateurs
; ni ecclésiastiques , ni même par le fait proprié--
taires , jouissent , en vertu des lois , de beaucoup plus
de droits que les Juifs. On peut même remarquer
que tous les gouvernemens chrétiens accordoient aux
Juifs , partout où ils étoient établis , le libre exercice
de leur culte , qu'ils refu -oient souvent à leurs propres
sujets qui n'étoient pas de la religion dominante.
Mais les Juifs étoient repoussés par nos moeurs beaucoup
plus qu'ils n'étoient opprimés par nos lois. Des
souvenirs religieux , naturels à des Chrétiens , les poursuivoient
plutôt que des considérations politiques ; et
l'Assemblée constituante faisoit à leur égard , comme
au nôtre , la faute énorme et volontaire de mettre ses
lois en contradiction avec la religion et les maurs ,
appelant de tous côtés les résistances pour les combattre
, et provoquant toutes les irritations , pour avoir
un prétexte de déployer toutes les rigueurs.
de
Mais ce n'étoit pas seulement l'exercice des facultés
naturelles des sujets d'une monarchie , que le 5-
cret de l'Assemblée constituante permettoit aux Jus.
Ils devoient bientôt , comme citoyens actifs . être appelés
à la participation du pouvoir lui - même , que
l'Assemblée jetoit au peuple , comme les largesses
qu'on lui fait aux jours de fête sur les places publiques
, et qui , disputées un moment par les foibles ,
sont bientôt ravies par les plus forts. Cependant ce
décret confondu dans la foule des autres décrets d'un
FEVRIER 18.6. 253
intérêt plus direct pour le grand nombre des Français
, fut peu remarqué en France , où il n'y avoit
proprement de Juifs que dans une province demiallemande
, et située à l'extrémité du royaume. Nul
doute que , si les Juifs eussent été aussi nombreux
dans les autres provinces qu'ils l'étoient en Alsace ,
les amis des Juifs n'eussent éu , tôt ou tard , à se reprocher
, comme les amis des Noirs , la précipita →
tion avec laquelle ils appeloient à la liberté , qui
alors étoit la domination , un peuple toujours étranger,
là même où il est établi ; et qui avoit aussi à venger
l'irrémissible offense d'une longue proscription. Je
ne rapproche pas les personnes , mais je compare les
passions ; et la cupidité , qui attente par les moyens
de ruse à la propriété d'autrui , est soeur de la férocité
, qui attente à la vie par la violence. Les Juifs
s'ils eussent été partout répandus en France , unis
entr'eux , comme tous ceux qui souffrent pour une
même cause , et d'intelligence avec les Juifs étrangers
, auroient fait servir leurs richesses à acquérir une
grande influence dans les élections populaires , et
auroient fait servir leur influence à acquérir de nouvelles
richesses . Je crois que , jusqu'à présent , plus
pressés de s'enrichir que de dominer , ils ont réalisé
en partie cette conjecture , en employant leurs capitaux
à de grandes acquisitions.
*
Mais que pouvoient être des considérations de
prudence , de politique , de prévoyance pour un
parti , duquel , chaque jour , la raison reçut un démenti
, la morale un affront , la justice un outrage
, qui sembloit avoir pris la société à détruire
comme des ouvriers prennent un édifice à démolir
, et qui poursuivoit cette funeste tâche avec toute
la violence que laisse aux passions l'état sauvage ,
et tout l'artifice que l'esprit acquiert dans l'état civilisé
.
Cependant il s'étoit passé en Alsace , quelques anpées
auparavant , un événement qui auroit dù inspi254
MERCURE DE FRANCE ,
rer un peu plus de circonspection à ces législateurs
inconsidérés .
Vers les années 1777 ou 1778 , les cultivateurs
d'Alsace , accablés alors , comme ils le sont aujourd'hui
par les exactions usuraires des Juifs , avoient
tenté , dans leur désespoir , un moyen illegitime de
s'en affranchir ; et un habile faussaire avoit , à ce
qu'il paroît , parcouru la province , et muni de fausses
décharges un grand nombre de débiteurs. Sans doute
les Juifs redoutèrent les tribunaux d'un pays où ils
étoient en horreur ; ou peut- être le grand nombre
d'affaires du même genre rendoit le recours à la justice
ordinaire trop lent et trop dispendieux . Quoi
qu'il en soit , les créanciers préférèrent de porter leurs
plaintes à l'autorité supérieure ; et l'on peut croire
aussi que les argumens irrésistibles , comme dit Figaroy
dont les Juifs ont toujours les poches pleines ,
devoient être plus favorablement écoutés des bureaux
de l'administration , que des compagnies de magistrature
. Un bailli d'Alsace entreprit la défense de ses
malheureux compatriotes. Il ne chercha point à exeuser
leur faute ; mais à intéresser le gouvernement
en leur faveur par le tableau des vexations que les
Juifs exerçoient , de l'extrême misère à laquelle ils
avoient réduit leurs débiteurs . Le mémoire fut imprimé
en 1779 , sous le titre d'Observations d'un
Alsacien sur l'affaireprésente des Juifs d'Alsace . Les
Juifs eurent le crédit de faire mettre le bailli en prison
; et vraisemblablement l'affaire fut assoupie , ou
arrangée à leur satisfaction , puisque le mémoire ne
fut réimprimé à Neuchâtel qu'en 1790 , quelques
mois après la translation à Paris de l'Assemblée constituante
, où le bailli avoit été nommé député. Ce
mémoire , d'où ces détails sont extraits , contient des
faits curieux relatifs aux manoeuvres des Juifs , et à
leur prodigieuse multiplication en Alsace . L'auteur ,
qui paroit très - instruit des intérêts de son pays ,
avance qu'en 1689 , il n'y avoit en en Alsace que 579
FEVRIER 1806. 255
familles juives ; qu'en 1716 , c'est - à - dire 27 ans
après , il y en avoit 1348 ; et qu'au temps où
écrit , il y a soixante ménages juifs , là où en 1716
il n'y en avoit que deux , et que dans plusieurs villages
leur nombre excède celui des Chrétiens . J'ignore
s'il fut question de cette affaire dans une assemblée
occupée de tant d'autres affaires plus importantes ,
et qui pouvoit regarder celle - là comme terminée. Iĺ
est heureux sans doute qu'elle n'y ait point été discutée.
A tous les scandales qu'a donnés à l'Europe
cette assemblée à jamais fameuse , elle eût ajouté
celui de maintenir contre de malheureux paysans ,
des créances formées aux trois quarts par l'accumulation
rapide d'intérêts usuraires. On eût vu les mêmés
législateurs dans le même temps qu'ils supprimoient
la féodalité nobiliaire , tombée en désuétude
dans tout ce qu'elle pouvoit avoir eu de personnel
et d'avilissant , couvrir de toute leur protection
cette nouvelle féodalité des Juifs , véritables hauts
et puissans seigneurs de l'Alsace , où ils perçoivent
autant que la dime et les redevances seigneuriales ;
et certes , si dans la langue philosophique , féodal
est synonyme d'oppressif et d'odieux , je ne connois
rien de plus féodal pour une province que onze millions
d'hypothèques envers des usuriers
Voilà ce que la philosophie a fait en France en
faveur des Juifs ; et c'est même leur faute , ou plutôt
la faute de leur petit nombre , s'ils n'en ont pas
mieux profité. En Allemagne , oùla politique a un peu
mieux disputé le terrain , les Juifs n'ont eucore obtenu
jusqu'à présent , que l'abolition d'une taxe personnelle
, sorte de capitation plus avilissante qu'onéreuse
, à laquelle ils étoient spécialement soumis , et
qui formoit même un des revenus propres de la dignité
impériale. Cependant , en même temps que le
gouvernement autrichien a affranchi les Juifs de cette
contribution , il a porté des lois sévères contre les
monopoles qu'ils exerçoient , et nous verrons plus bas
256 MERCURE DE FRANCE ,
que les Juifs ont paru moins reconnoissans du bienfait,
que sensibles à la gene apportée à leur industrie ;
mais en Bavière , où la philosophie a fait quelques
conquêtes , le gouvernement a porté récemment une.
loi très-peu philosophique assurément , qui ne permet
le mariage , chez les Juifs , qu'à un individu par
famille , et qui exige encore de l'époux la preuve d'une
fortune acquise de 1,000 florins , environ 2,500 liv. ,
ou 3,000 liv . de France.
Quand cette ordonnance a été connue en France
par les papiers publics , on a dû la regarder comme
une de ces nouvelles que nos journaux hasardent
quelquefois sans les garantir , sur la foi des gazettes
étrangères ; et il n'a été permis de croire à sa réalité ,
que lorsqu'on l'a vue , dans un journal accrédité , servir
de texte à plusieurs articles pour ou contre les
Juifs . Dans les circonstances actuelles de l'Europe ,
nous ne sommes frappés que des événemens qui
tirent les souverains de leurs états , ou les peuples de
leur repos , et qui s'annoncent à coups de canon.
Mais la guerre est , de tous les événemens politiques ,
le moins imprévu , et même le plus naturel. Elle est
l'inévitable résultat du rapprochement des peuples et
des passions des hommes ; elle est de tous les temps
et de tous les lieux , et peut- être n'offre - t - elle à l'observateur
autre chose à remarquer à une époque plutôt
qu'à une autre , qu'un plus grand développement
de
moyens militaires , et les progrès prodigieux que
cet art meurtrier a faits , dirai -je pour le bonheur ou
le malheur de l'humanité ? Mais il est des événemens
moins éclatans , et par-là moins aperçus du vulgaire ,
qui sont cependant d'une toute autre importance pour
indiquer l'état intérieur de la société , les maux secrets
qui la travaillent, la marche insensible des choses , et
leur influence sur les esprits et sur les affaires ; et je
ne crains pas d'avancer que l'ordonnance dont je
viens de citer les dispositions , est un des faits les plus
étranges de l'histoire moderne , et celui qui peut
offrir
FEVRIER 18
offrir les plus profonds , et même les plus douloureux
sujets de méditation à l'homme d'état véritablement
philosophe.
En effet , la religion peut commander le célibat à
ses ministres , et l'état ne pas permettre indistinctement
le mariage à ses défenseurs , ou plutôt le leur
rendre impossible ; et la raison en est évidente et
même naturelle : les prêtres et les soldats engagés
ame et corps, au service de la société publique , n'appartiennent
plus à la société domestique. Ministres ,
les uns et les autres , de la grande famille , ils ont cessé
d'être membres de la famille privée ; et il est conséquent
que la société religieuse et la société politique ,
en exigeant d'eux le sacrifice de leurs facultés , de leur
volonté , même de leur vie , puissent leur interdire
tous les liens qui attachent l'homme à la vie , et qui
partagent ses affections. Le sacrifice est pénible à
T'homme , mais il est nécessaire à la société ; et toutes
les répugnances doivent céder à ce grand intérêt .
C'est aussi parce que l'état et la religion disposent ,
pour leur service , des hommes dont la famille peut se
passer , qu'ils s'interdisent à eux -mêmes d'employer
en général les pères de famille au culte public ou
à la défense de l'état . C'est un aveu public que fait
le pouvoir politique de la nécessité du pouvoir domestique,
et même de son indépendance dans l'ordre
auquel il appartient.
On retrouve dans ces considérations , l'esprit de
cette loi si touchante des Hébreux qui , au moment
du combat , ordonnoit au jeune époux qui n'avoit
pas encore demeuré avec sa femme ; à celui qui avoit
planté une vigne et n'en avoit pas cueilli le fruit , ou
avoit bâti une maison qu'il n'avoit pas habitée , de se
retirer chez lui. Le législateur , dirigé en cela par les
vues d'une profonde politique , compatissoit encore
aux sentimens les plus chers à l'homme , au moment
et au besoin des plus sevères exigeances de la société.
Mais interdire le mariage à des hommes , à un peuple
R
258 MERCURE DE FRANCE ,
presque tout entier qui , partout dispersé , ne vit partout
qu'en société domestique ; et qui même repoussé
de la société publique , ne cherche et ne trouve que
dans les jouissances de la vie privée , de dédommagement
à l'interdiction publique dont il est partout
frappé ; exiger , dans chaque famille , du seul heureux
à qui la faveur du mariage soit accordée , la
preuve d'une fortune acquise , tandis que le mariage ,
et les soins ou les travaux d'une compagne sont pres
que toujours , pour les hommes d'une condition obscure
, le seul moyen d'acquérir de la fortune ; interdire
le mariage à un peuple pour qui le mariage est
un devoir religieux , la fécondité une bénédiction , la
stérilité un opprobre ; que ses oracles et ses prophètes
entretiennent depuis six mille ans dans cette grande
pensée , qu'il doit égaler en nombre les étoiles du ciel
et les sables de la mer ; qui lui -même attendant , espérant
en un libérateur de sa race avec une opiniâtre
persévérance , le demande à toutes les générations , et
peut l'attendre de chaque enfant qui vient au monde ;
hâter l'anéantissement d'un peuple que ses histoi es
font contemporain des premiers jours du monde ,
et le premier né de la grande famille des peuples ,
et qui dans ses espérances , se croit réservé aux derniers
jours de l'univers , et à fermer , pour ainsi dire , "
la longue marche des nations sur cette terre de passage
..... Non , je ne crois pas qu'il ait été porté par
aucun gouvernement chrétien , et à aucune époque de
la civilisation de l'Europe , une loi qu'il soit plus difficile
de justifier autrement que par la loi de l'impérieuse
nécessité qui justifie toutes les lois ; et alors il
ne reste plus qu'à plaindre le prince véritablement humain
qui se trouve réduit à une telle extrémité ; et
certes , s'ilfaut en juger par la violence du remède , le
mal passe tout ce qu'on peut imaginer. Et comme
tout est extraordinaire dans l'histoire du peuple juif,
et qu'il ne peut être malheureux comme un autre ,
c'est encore chez lui que l'on trouve l'exemple d'une
FEVRIER. 1806.
259
toi semblable. Etrange rapprochement ! Il y a plus
de trente siècles que le peuple hébreux fatiguoit ses
maîtres de sa population toujours croissante , et toujours
au sein de l'oppression : et nous lisons dans ses
annales , que les rois d'Egypte sous lesquels il servoit
alors , lui ordonnèrent d'exposer à la mort ses enfans
mâles . Alors une politique barbare faisoit perir les enfans
nouveaux-nés ; aujourd'hui une politique plus humaine
les empêche de naître . Mais où les moyens sont
différens , le principe et la fin sont les mêmes ; et si
l'imagination s'arrête aux moyens , la raison n'en considère
que la cause et les effets. Et remarquez qu'en
même temps qu'en Allemagne on bornoit par des
lois aussi violentes , la population des Juifs , une populace
mutinée les massacroit à Alger ; et rien ne
peut arrêter l'accroissement de cette plante vivace
qui fructifie dans tous les climats , entre les bénédictions
du ciel et les malédictions de la terre . Et cependant
, ô discordance des jugemens humains ! jamais
on n'a été plus occupé de population ; et une
politique matérialiste comptant les hommes par tête
et non par ordre , les calcule comme des machines ou
des animaux ; et dans le même pays où l'on commande
le célibat aux Juifs , on déclame contre lecélibat
des prêt res ; et en Bavière , commie en France ,
on détruit ces institutions religieuses qui , sans crime
et sans contrainte , et par des motifs plus purs et
plus relevés que tous ceux que peut offrir la politique
humaine , tendoient à diminuer l'excès de la popu → ›
lation et offroient au célibat volontaire un asile contre
la corruption ; et la médecine recommande la vaccine
à la politique ; découverte immense dans ses résultats
sur la population , incalculable dans ses effets
sur la socité ; présent , quel qu il soit , dont la postérité,
jugera la valeur , et dont les gouvernemens recueilleront
les fruits ! Et partout les colonies où s'écouloit la.
nombreuse population de l'Europe , se séparent de,
leurs métropoles , ou , peuplées elles-mêmes , n'offrent.
R 2
260 MERCURE DE FRANCE ;
•
plus de nouvelles terres à de nouveaux habitans ; et
partout les gouvernemens veulent des hommes , et
bientôt ils ne sauront qu'en faire , et il faudra les
nourir à la soupe à deux sous ! Et l'Allemagne ellemême
, cette mère nourricière de tant de peuples ,
n'a plus de pain à donner à ses nombreux enfans ; et
ce peuple tranquille dans ses goûts , modéré dans ses
desirs , placé sur le sol le plus fertile , se laisse prendre
à toutes les amorces , et abandonne les lieux qui l'ont
vu naître , et les objets les plus chers de ses affections
pour aller au-delà des mers et loin des terres hàbitées ,
tenter la chance d'établissemens incertains et peutêtre
mensongers ; et si l'on vouloit rapprocher cette
dernière considération du sujet qui nous occupe , seroit
ce donc que l'accroissement prodigieux du peuple
Juif déplace insensiblement le peuple allemand ? Car,
là où tout le sol est occupé , l'accroissement d'un
peuple nécessite , à la longue , le déplacement d'un
autre ; et certes , quelle que soit la bienveillance d'un
parti nombreux pour les Juifs , il nous sera permis de
penser , sans mériter les reproches d'intolérance ou
de peu de philantropie , que , peuple pour peuple , il
vaut autant conserver en France et en Allemangne
des Français et des Allemands , que les remplacer par
des Juifs.
Jusqu'à présent , nous n'avons été qu'historiens , et
nous ne nous sommes point occupés de la question
de l'amélioration de la condition des Juifs. Mais quel
est le véritable philosophe qui oseroit s'élever contre
une mesure que l'humanité commande ? Quel est surtout
le Chrétien qui pourroit ne pas l'appeler de tous
ses voeux , lorsque les oracles les plus respectables de
sa religion, et les traditions les plus anciennes , lui apprennent
que les Juifs doivent entrer un jour dans la société
chrétienne , et être appelés à leur tour à la liberté
des enfans de Dieu ? Et qui sait si la philosophie, qui
semble donner toute seule cette impulsion aux esprits ,
n'est pas elle-même , dans cette révolution comme
FEVRIER 1806. 261
dans bien d'autres , l'instrument aveugle de plus hauts
desseins ? Car toutes les fois qu'une grande question
s'élève dans la société , on peut être assuré qu'un
grand motif est présent , et qu'une grande décision
n'est pas éloignée.
Il n'y a donc , et il ne peut même y avoir qu'un
sentiment sur le fond de la question ; mais il y en a
deux sur la manière de l'envisager , et le moyen de
la résoudre.
Ceux qui ferment volontairement les yeux à la lumière
pour ne voir rien de surnaturel dans la destinée
des Juifs , attribuent les vices qu'on leur reproche ,
uniquement à l'oppression sous laquelle ils gémissent
; et conséquents à eux-mêmes , ils veulent que le
bienfait de l'affranchissement précède la réformation
des vices. Ceux , au contraire , qui trouvent le principe
de la dégradation du peuple juif , et de l'état
hostile où il est envers tous les autres peuples , dans
sa religion aujourd'hui insociable , et qui considèrent
ses malheurs et même ses vices comme le châtiment
d'un grand crime et l'accomplissement d'un terrible
anathème , ceux-là pensent que la correction des vices
doit précéder le changement de l'état politique. C'està
-dire , pour parler clairement , que les Juifs ne peuvent
pas être , et même , quoi qu'on fasse , ne seront
jamais citoyens sous le christianisme sans devenir
chrétiens.
On se rapproche même de cette opinion en Allemagne
, puisque l'auteur allemand de l'Essai sur les
Juifs répandus dans la monarchie autrichienne ,
Joseph Rohrer , veut « que la réforme des Juifs com-
» mence par l'éducation des enfans. Ce n'est pas ,
» dit- il , après avoir été imbus de tous les préjugés
» de leur nation , qu'ils deviendront les membres
» éclairés et bienveillans d'une autre. >>
La politique toute seule décideroit cette question .
On peut essayer sur un homme vicieux le pouvoir
des bienfaits ; parce qu'on peut toujours reprendre le
3
263 MERCURE DE FRANCE,
bienfait s'il en abuse , et le remettre dans l'état d'où
il est sorti . Mais la saine politique , qui n'est autre
chose que
la raison appliquée au gouvernement des
états , défend de tenter sur un peuple entier une pareille
expérience ; et parce que le bienfait , s'il est
sans fruit pour corriger , peut donner de nouvelles
armes au désordre ; et parce qu'il est impossible, sans
un affreux bouleversement , et peut - être sans une extermination
totale , de replacer un peuple dans l'état
de sujétion ou , si l'on veut , de servitude d'où on l'a
tiré . Je ne parle pas même du danger auquel s'exposeroit
le gouvernement qui , le premier , prononceroit
l'affranchissement général des Juifs et leur accorderoit
la jouissance des droits permis à tous les
citoyens , de voir affluer chez lui tous ceux de cette
nation qui ne trouveroient trouveroient pas ailleurs les mêmes faveurs
. Il y a apparence que depuis les lois imprudentes
de l'Assemblée constituante sur les Juifs , leur
nombre s'est beaucoup accru en France ; ou si elles
n'ont pas encore produit cet effet , qui souvent n'est
sensible qu'après un long espace de temps , il faut
l'attribuer à l'incertitude où l'état révolutionnaire de
la France a tenu long-temps les hommes et les clioses ,
et qui excitoit plutôt les nationaux à quitter la France
que les étrangers à s'y établir .
Et qu'on prenne garde que ceux qui desirent que
l'amélioration morale des Juifs précède le changement
de leur sort politique , et qui craignent que ,
sans cette condition , l'affranchissement des Juifs ne
tournât à l'oppression des Chrétiens , présentent en
faveur de leur opinion une expérience qu'on ne sauroit
leur contester. Les Juifs en France ont été déclarés
citoyens français ; et en Autriche , ils ont été
alfranchis de la taxe qui pesoit sur eux à l'exclusion
des autres habitans . Eh bien ! qu'on lise dans le Feuilleton
du Publiciste, du 11 vendémiaire, un article sur
les Juifs en Allemagne , tiré d'une gazette allemande
tres-estimée, publiée par un auteur qui annonce beauFEVRIER
1806 . 263-
>>
ر د
>>
»
coup de lumières et d'impartialité, et l'on y verra qu'après
avoir parlé de la mauvaise foi et des ruses que
les Juifs déploient à la foire de Leipsick , l'auteur
ajoute « On sait comment les Juifs d'Alsace pro-
» cedent avec les cultivatenrs qui ne peuvent faire
» des emprunts que chez eux ; ei des terres
que
» de paysans leur sont hypothéquées dans cette seule
province pour la valeur de onze millions . Ce sont
» eux qui , à la vérité , de concert avec des Chré-
» tiens , ont organisé l'affreuse disette de la Moravie.
» et de la Bolême , pour se faire rendre les priviléges
et les monopoles dont on les as pit dépouillés .
» Dans les états de Bavière , anciens et nouveaux ,
» ils obtiennent tous les jours plus d'influence en
qualité d'hommes à argent ; et tout bien pesé , ce
» ne sont pas des banquiers chrétiens , mais juifs qui
réglent le cours du change , non - sculement à la
» foire de Leipsick , mais à Hambourg , à Amster-
» dam et à Londres . On a donné de justes éloges à
>> l'humanité des princes allemands qui ont récem-
» ment aboli , aux dépens de leurs propres revenus ,
» la taxe corporelle des Juifs , qui étoit avilissante ;
» et l'on ne peut blâmer cette action généreuse ,
>> mais il faut conserver une marque distinctive à des
» gens qui , dans l'état actuel des choses , exclus de
» la pleine jouissance des droits de citoyens , soit .
» par leur opiniàtreté , soit par leur misère , sont
» nécessairement les ennemis du bien public. Il est
» démontré qu'aucune classe d'hommes n'a été aussi
» funeste que les Juifs aux fertiles provinces de la
» maison d'Autriche, et sur-tout depuis l'année 1796 ;
que , par leurs faux billets et leur fausse monnaie ,
» et en faisant disparoître le numéraire , ils surent
produire cette horrible cherté générale qui ne
» pouvoit profiter qu'à eux . » Plus loin , le même
auteur dit : « Iln'y a point de bornes à la bassesse des
>> Juifs mendians ou colporteurs , non plus qu'à l'incroyable
multiplication de leurs familles. Les actes
>>
>>
>>
3
4
264 MERCURE DE FRANCE ,
5
» des tribunaux de police de Leipsick , pendant la
» foire , prouvent que sur douze vols ou escro-
» queries , il y en a onze dans lesquels les Juifs
» sont compris. » Enfin , M. Lacretelle , dans un
morceau inséré autrefois au Mercure , et remis dans
le Publiciste à la suite des articles qu'on vient de lire ,
fait un tableau aussi vrai qu'il est énergique , de la
bassesse et des vices reprochés aux Juifs , pour lesquels
il sollicite , avec sagesse et mesure , l'humanité
des gouvernemens .
A ces faits positifs , à ces autorités graves , on a opposé
, dans le même journal , des plaisanteries qui ne
prouvent rien ; des récriminations contre les Chrétiens
quine prouvent pas davantage , et qu'on pourroit
même rétorquer contre les Juifs , dont l'exemple
répandu en Europe cet esprit de cupidité qui a fait
de si étranges progrès parmi les Chrétiens ; on a opposé
quelques principes hasardés sur l'usure, ou même que! -
ques reproches vagues de fanatisme et d'intolérance
qui ont perdu tout leur effet , après ce que nous avons
vu de fanatisme et d'intolérance , de la part de
ceux qui en accusoient sans cesse lesutres ; et
enfin on a pris condamnation sur les Juifs d'Alsace ,
en avouant «< que la lie de la nation juive s'étoit re-
» fugiée dans cette province , et qu'à l'exception de
» quelques familles très-estimables , le cri de l'indi-
>> gnation qui s'élevoit contr'eux n'étoit que trop mé-
» rité . » On a même eu recours à un autre moyen de
justification , et l'on a opposé aux vices reprochés au
corps de la nation , les vertus et les lumières de quelques
individus. La raison ne sauroit admettre celle
Inanière de raisonner. Sans doute , si l'on contestoit
aux Juifs la capacité physique ou morale d'acquérir
des vertus et des talens , il suffiroit pour détruire l'imtation
, de montrer des Juifs éclairés et vertueux ;
il n'est pas plus permis , en bonne logique , de
er une nation accusée d'une disposition géné-
>>
mais
justifie
rale
à l
bassesse et à la mauvaise foi , en montrant
FEVRIER 1806. 265
quelques individus instruits et honnêtes , que d'incriminer
une nation vertueuse , par l'exemple de quelques
malfaiteurs qu'elle a produits . D'ailleurs , partout
où il se trouve des Juifs qui se distinguent du
reste de leur nation par leurs talens et leur probité
l'opinion publique les en distingue aussi par l'estime
qu'elle leur accorde ; et à ses yeux , ils ne partagent
pas l'anathème qui pèse sur leurs frères . Après tout ,
les écrits de Mendelssohn , et les vertus de quelques
autres ne peuvent pas être offertes aux Chrétiens
comme une compensation des vexations qu'ils éprou™.
vent de la part des autres Juifs , et ses écrits et ses
vertus ne sont pas plus un baume contre l'escroquerie
et la mauvaise foi , que les Traités de Sénèque
contre les pertes faites au jeu. Ce Mendelssohn , qui
n'étoit pas un homme de génie , mais qui a dû être
remarqué chez les Juifs , et même renommé chez
les Allemands , où les adjectifs de célèbre et d'illustre
s'accordent merveilleusement en genre , en nombre et
en cas avec tous les noms qu'on met à la suite , ce
Mendelssohn auroit mieux fait peut -être de parler
de probité aux Juifs , que d'entretenir les Chrétiens
sur l'immortalité de l'ame , et de vouloir ainsi faire
la leçon à ses maîtres . Je crois que les Juifs se sont
distingués dans les arts , et même , puisqu'on le veut,
dans les fonctions administratives auxquelles ils ont
été appelés depuis la révolution . Je sais qu'il est des
arts qu'ils ont portés à une haute perfection , et ce ne
sont peut-être pas les plus utiles ; quant à l'administration
, il paroit difficile à un Juif, rigoureux observateur
de sa loi , de se mêler d'administration chez
les Chrétiens ; et d'ailleurs je pense qu'un gouvernement
qui a l'honneur de commander à des Chrétiens
, et le bonheur de l'être lui- même , ne doit pas
livrer ses sujets à la domination de sectateurs d'une
religion ennemie et sujette du christianisme : les Chré,
tiens peuvent être trompés par les Juifs , mais ils ne
doivent pas être gouvernés par eux , et cette dépen266
MERCURE DE FRANCE , 4
dance offense leur dignité , plus encore que la cupidité
des Juifs ne lèse leurs intérêts.
Les expériences que les gouvernemens ont faites
sur les Juifs ne sont donc pas propres à les rassurer
sur la crainte que de nouveaux bienfaits ne produisent
de plus grands désordres. Car c'est une question de
savoir si les Chrétiens ne sont pas plus opprimés par
les Juifs , quoique d'une autre manière , que les Juifs
ne le sont par les Chrétiens. Cette question rentre
même tout - à-fait dans celle qui s'est élevée pour décider
si l'affranchissement des Juifs doit suivre ou
précéder leur changement moral . En effet , si l'oppression
que les Juifs exercent par leur industrie étoit
plus onéreuse que celle qu'ils éprouvent de la part de
nos lois ou plutôt de nos moeurs , il seroit plus pressant
de les ramener à de meilleurs habitudes , que de
les faire jouir du bienfait de lois plus indulgentes. Ici
les faits parlent plus haut que les déclamations . «< Le
» célèbre Herder , dans son Adrastée , prédit que les
» enfans d'Israël , qui forment partout un état dans
l'état , viendront à bout , par leur conduite systématique
et raisonnée , de réduire les Chrétiens à
» n'être plus que leurs esclaves . » Et qu'on ne s'y
trompe pas , la domination des Juifs seroit dure
comme celle de tout peuple long - temps asservi et qui
se trouve au niveau de ses anciens maitres ; les Juifs ,
dont toutes les idées sont perverties , et qui nous mé- ·
prisent ou nous haïssent , trouveroient dans leur histoire
de terribles exemples dont ils pourroient être tentés
de nous faire une nouvelle application . Ils trouveroient
dans leurs prophéties des annonces de domination
qu'ils prendroient peut -être à la lettre et à contresens
. Et l'on n'a qu'à ouvrir l'histoire moderne ( 1 ) pour
apprendre à quelles horribles extrémités les Juifs devenus
les maîtres , se sont portés envers les Chrétiens en
Chypre et en Afrique. Enfin, le nombre des Chrétiens
»
>>
( 1 ) Hardion. Tome VII. Hist. Univ.
FEVRIER 1806 . 267
diminue partout où les Juifs se multiplient ; et si la mul.
tiplication d'un peuple est , selon la philosophie moderne
, l'indice le moins équivoque de la sagesse d'une
administration , il ne faut pas que les lois des états
chrétiens sur les Juifs , soient aussi oppressives
qu'on le suppose. Dans toutes l'Europe chrétienne
ils sont protégés dans leurs personnes , dans leurs
biens , peut-être un peu trop dans leur cruelle industrie.
On en voit d'opulens , d'aisés , de pauvres ,
comme chez les Chrétiens . Je ne parle pas des vagabonds
; mais partout où les Juifs ont feu et lieu , ils
sont , en général , mieux vêtus et mieux nourris que
nos paysans
.
Il est vrai que dans les idées libérales qui ont fait
en France une si brillante fortune , un peuple est opprimé
quand il n'est pas Souverain ; et un homme est
esclave quand il n'est pas , ou ne peut pas être législa →
teur..... J'ignore si quelque jour les Juifs seront souverains
; mais si jamais ils devenoient législateurs , il
faut le dire à notre honte , on pourroit défier un sanhédrin
de Juifs de porter des lois plus insensées et
plus atroces que celles qu'a fabriquées une Convention
de philosophes .
DE BONAL D.
$
268 MERCURE DE FRANCE.
<
RÉFLEXIONS.
Sur un poëme inédit , intitulé BATAILLE D'HASTINGS ,
ou l'Angleterre conquise ; par M. D....N.
On a rendu compte il y a quelque temps , dans ce journal ,
d'un épisode de ce poëme , intitulé le Comte de Guilfort.
La critique de cet épisode , qui ne peut d'ailleurs donner une
idée de l'ouvrage , nous a paru juste , quoiqu'un peu sévère :
elle aura pu faire croire à quelques personnes que ce poëme
étoit anti-religieux , et que , semblable aux productions da
philosophisme , il ne présentoit que de vaines déclamations.
Il est de notre devoir de relever cette erreur ; et comme l'auteur
a bien voulu nous confier l'esquisse de son ouvrage , qu'il
se propose de travailler encore , nous croyons que notre impartialité
nous prescrit de l'offrir sous le véritable point de
vue d'après lequel il doit être considéré.
L'entreprise d'un poëme épique suppose ordinairement un
esprit solide et une grande instruction. Comment concevoir
un plan aussi vaste , si l'on ne s'est pas pénétré de la lecture
des anciens , si l'on n'a pas profondément étudié les hommes,
et si l'on n'a pas long-temps réfléchi sur l'art difficile et varié
de peindre les caractères et les moeurs , de décrire les beautés
de la nature , et de marcher sans s'égarer dans le champ infini
du merveilleux ? Dans un temps où il est si rare d'exécuter
de grands ouvrages , où les conceptions littéraires paroissent
si mesquines , il semble juste d'encourager ceux qui ont
one louable émulation , et de mettre à la critique toute la
réserve dont elle est susceptible , sans tomber dans une dangereuse
indulgence . Cette réserve ne sauroit favoriser la foule
des petits poètes on voit aussi peu de gens marcher sur les
traces d'Homère et de Virgile , qu'on en voit un grand nombre
se succéder et disparoître sur celles de Dorat.
:
Nous ne chercherons point à fixer un jugement sur les vers
FEVRIER 1806.
269
de M. D....n . Son ouvrage n'étant pas encore fini lorsque
nous l'avions sous les yeux , il est à présumer qu'il n'a rien
négligé pour perfectionner cette partie si importante de son
travail. Nous ne nous occuperons que du plan . Un événement
qui décide du sort d'un empire , des moeurs héroïques , les
germes d'un merveilleux qui peut avoir le degré nécessaire
de vraisemblance ; enfin le caractère d'un héros qui paroît
réunir les qualités les plus brillantes , sans que la civilisation
en ait altéré la force : tous ces avantages que présente le sujet ,
font honneur au discernement du poète. Ce que l'on pourroit
encore desirer , c'est que la réputation de quelques-uns des
guerriers qui accompagnèrent Guillaume , fût plus répandue ;
c'est que le lecteur instruit eût au moins une connoissance
confuse de leurs caractères ; mais l'histoire garde le plus
profond silence à cet égard ; et Guillaume , dans ce tableau ,
paroît comme une grande figure isolée , dont la présence et
l'ascendant changent seuls la face d'un empire.
Virgile avoit éprouvé le même inconvénient dans les six
derniers livres de l'Enéide. Il ne paroît pas que les traditions
historiques ou mythologiques lui eussent fourni aucun renseignement
positif sur les caractères de Turnus , d'Evandre ,
de Pallas , de Mézence , etc. Le Tasse n'avoit pas été plus
heureux : ne trouvant pas assez d'héroïsme dans les personnages
connus qui avoient fait partie de la première croisade ,
il chercha , avec un art qu'on ne peut trop admirer , à suppléer
à ce défaut par les belles conceptions des caractères
de Renaud , de Tancrède , d'Argant et de Soliman : conceptions
très - conformes au genre du sujét , mais où l'on trouve
à regret je ne sais quoi de romanesque , qui annonce trop
que ces personnages n'ont existé que dans l'imagination du
poète.
Nous allons voir comment M. D... n a lutté contre cet obsta
cle. Son sujet ne le reportant pas à cette époque où l'esprit
de chevalerie commença à introduire une certaine élégance
270 MERCURE DE FRANCE ,
" de moeurs ses couleurs ont dû nécessairement
être plus sévères
; et si cette sévérité n'a pas jeté de la monotonie
et de
la tristesse dans son ouvrage , on pourra le féliciter d'avoir
sous ce rapport rempli son but.
Nous donnerons une idée du poëme de M. D... n , en faisant,
d'après son plan , le récit des principaux événemens de sa
fable ; et sans marquer la division des chants , ce qui répandroit
de la sécheresse sur cette analyse , nous chercherons à
mettre le lecteur à portée de juger jusqu'à quel point le poète
mérite d'être encouragé pour l'invention et la disposition du
grand ouvrage qu'il a entrepris.
1
M. D....n marchant sur les traces des anciens , qu'il paroît
avoir étudiés avec beaucoup de fruit , ne donne pas une
grande étendue à son action. Au moment où le poëme commence
, le duc de Normandie a déjà fait la descente en Angleterre
: son armée est campée près d'Hastings . On distingue ,
au premier coup d'oeil , combien cette disposition excite
d'abord d'intérêt , et combien elle est supérieure à celle
qu'indiquoit La Motte , qui vouloit que l'épopée suivît la
marche lente d'une histoire, et que , commençant aux événemens
qui précèdent la catastrophe , elle y conduisît longuement
sans la ressource dramatique des récits : spéculation
bien contraire à celle du génie qui entre sur - le-champ dans
le coeur du sujet , et qui rétablit ensuite en ornemens épisodiques
tout ce qui doit le compléter. Les Normands pressent
leur duc de livrer bataille aux Anglais . Ce prince, qui ne
partage point leur témérité , les exhorte à attendre que Fergant
, duc de Bretagne , son fidèle allié , se soit réuni à lui.
Murmures des soldats , impatiens de combattre . L'Archange
Michel , choisi par Dieu pour protéger l'entreprise de
Guillaume , voit cette espèce de révolte il invite l'Ange
Raphaël à presser l'arrivée des Bretons , et descend lui - même
dans le camp du duc de Normandie , où il prend les traits du
connétable de Breteuil. Son éloquence se distingue dans le
:
FEVRIER
271
"
1806.
conseil , où il a bientôt calmé l'esprit de rebellion . Il apparoît
ensuite au duc , à qui il renouvelle l'ordre de ne point combattre
avant l'arrivée de Fergant . Cependant la flotte de ce
prince approche des côtes d'Angleterre ; le vaisseau du jeune
Clisson , l'un de ses plus braves capitaines , a disparu ; on est
inquiet de son sort . Près des côtes , Fergant aperçoit des
tourbillons de flamme et de fumée ; des débris de navire flot .
tent autour de lui . L'un de ses capitaines , croyant que
Guillaume a été vaincu de renoncer les Anglais , propose par
à l'entreprise , et de se borner à chercher Clisson. Le duc de
Bretagne rejette ce lâche conseil ; il arrive en Angleterre , où
il voit l'armée Normande dans le plus bel ordre. Les débris
qui ont fait naître les inquiétudes de ses soldats , sont ceux
des vaisseaux de Guillaume , que ce prince a fait brûler pour
ôter à ses soldats tout espoir de retraite s'ils ne sont pas
vainqueurs. Admis près de Guillaume , Fergant lui raconte
le malheur de Clisson . Guillaume , pour donner à son allié
des témoignages de confiance , lui explique la cause de la
guerre ' ; ce qui donne lieu à un récit qui complète l'exposition
du sujet .
Le duc commence par rappeler ses droits au trône d'Angleterre
. Edouard l'a appelé à ce grand héritage ; et du vivant
de ce prince , Eralde , fils de Godwin , a juré sur l'Evangile
de renoncer à toutes ses prétentions . Aussitôt après la mort
d'Edouard , Eralde manquant à sa parole , a accepté le trône
d'Angleterre qui lui a été offert par les grands du royaume.
Guillaume aussitôt a rassemblé ses vassaux , et s'est préparé
à envahir l'Angleterre . Så flotte , prête à partir , a été longtemps
retenue par les vents près de Saint - Valery . Là , les
Normands se sont trouvés dans la même situation que les
Grecs sur le rivage d'Aulide ; et l'on doit penser qu'il y a
autant d'esprit de sédition parmi les barons qui ont suivi
Guillaume , que parmi les rois soumis à Agamemnon , M. D.... n
a profité avec art de cette situation. Les murmures des ba272
MERCURE DE FRANCE ,
et
rons , leur désobéissance , rappellent très - bien les moeurs du
temps , et servent à annoncer les principaux caractères . On
distingue déjà Martel , comte d'Anjou ; Roger de Beaumont ,
et le comte Rotrou , qui font éclater leur impatience , et
qui menacent d'abandonner les drapeaux de Guillaume.
Vainement Mortain , frère du prince , et le brave Montgommery
, se déclarent pour lai ; il succomberoit , si l'Archange
ne relevoit son courage . Il parle à ses barons avec fermeté ,
leur déclare que dans deux jours il leur annoncera sa dernière
résolution . Ici Guillaume raconte un pélerinage qu'il fit
à l'église de Saint - Valery. Les circonstances de cet acte de
dévotion , parfaitement conforme aux moeurs du temps , présentent
un tableau vraiment poétique . Le ciel se déclare pour
Guillaume , et son armée ne lui oppose plus aucune résistance.
Le vent devient favorable : la descente se fait sans
obatacle. Guillaume raconte une particularité qui montre quel
parti les grands hommes savent tirer des événemens qui peuvent
leur être le plus défavorables . Nous laisserons le poète
peindre cette situation :
Nos ancres cependant s'attachent au rivage ;
Nul n'abordoit encore à cet aspect soudain
Le drapeau du pontife élancé de ma main ,
S'empare d'Albion. Plein de Dieu , je m'écrie :
N'hésitezplus , servez l'honneur et la patrie,
Français ; ne livrez point à de vils ennemis
Cegarant des exploits par l' Archange promis.
Je dis , je pars , j'aborde . En l'ardeur qui m'entraîne ,
Mon pied glisse , et mes mains avoient touché l'arène.
Mon armée à l'instant s'arrête avec effroi.
Le glaive nu , debout : L'Angleterre est à moi ;
De la possession j'obtiens un nouveau gage ,
Dis-je alors . Mille voix accueillent ce présage , etc.
Guillaume continue son récit : Fergant étoit très - inquiet
sur le sort de Clisson ; il apprend alors ce qu'il est devenu.
Attaqué par quatre vaisseaux anglais , il s'est défendu avec le
plus grand courage , et n'a cédé qu'au nombre. Il est actuellement
FEVRIER 1806.
5.
ment prisonnier des Anglais . Cependant le duc de Bretagne ,
qui a vu les débris de la flotte dont l'incendie a été ordonné
par Guillaume , peut croire que l'armée n'est pas en bon
état . Cela amène naturellement Guillaume à la passer en revue
avec lui , et à lui en faire le dénombrement. On sait que ces
sortes de descriptions forment une partie essentielle de l'épopée
: il étoit difficile de préparer celle- ci avec plus d'art.
Jusqu'ici le poète n'a fait qu'un usage très - borné du merveilleux
: il va donner un libre cours à son imagination , et
nous verrons si ses conceptions sont conformes au génie et
aux opinions du siècle où il place son action. Autrefois l'âge
d'or , décrit par les poètes , régnoit sur la terre ; la corruption
se manifesta d'abord dans cette partie de l'Europe que
l'on a depuis appelée Albion , et qui tenoit au continent.
Dieu , pour empêcher que cette corruption ne s'étendît , ordonna
la commotion physique qui sépara cette contrée du
reste de l'Europe. Alors deux Génies présidèrent , l'un au
destin de la France , l'autre à celui de l'Angleterre le premier
réside au sommet des Pyrénées , l'autre sur un vaisseau .
Wainement des propositions de paix sont faites par le protecteur
de la France ; elles augmentent l'orgueil et l'insolence
du Génie de l'Angleterre . Cette conception est heureuse ; elle
fournit les moyens de peindre , d'une manière poétique , l'ori
gine de la rivalité des deux nations.
Le Génie de l'Angleterre excite l'orgueil d'Eralde , qui
cependant prend la résolution d'envoyer une ambassade à
Guillaume , pour lui déclarer qu'il peut encore évacuer l'Angleterre.
Cette ambassade a quelque rapport à celle d'Argant
et d'Alète , justement admirée dans la Jérusalem Délivrée.
Le poète moderne s'est aproprié cette belle conception , en y
joignant des circonstances intéressantes qui la rendent absolument
nouvelle. On va en juger . Dans le Tasse , au moment
où Godefroi marche contre Solime , deux envoyés de Soliman
viennent lui déclarer la guerre , s'il ne renonce pas sur-
S
274 MERCURE DE FRANCE ,
le-champ à son entreprise . Godefroi rejette avec courage cette
indigne proposition , et Argant lui annonce une guerre à mort.
Dans le poëme nouveau , Eralde , pour assurer le succès de
la négociation , fait accompagner ses ambassadeurs par
Clisson , qui est son prisonnier , et qui n'obtiendra sa liberté
que si Guillaume se retire. Cette situation du jeune héros
rappelle celle de Régulus . Les ambassadeurs admis auprès
du duc de Normandie , lui représentent qu'au lieu de combattre
des chrétiens , il devroit plutôt tourner ses armes contre
les infidèles , et délivrer les Saints Lieux de l'oppression des
barbares, Cela fait naître une digression poétique sur les croisades
qui eurent lieu vingt - huit ans après. Guillaume persiste
dans ses desseins , et Clisson qui s'est dévoué généreusement ,
en appuyant cette résolution , retourne dans ses fers.
Avant que les ambassadeurs soient de retour à Londres ,
Eralde en est déjà parti pour chercher son compétiteur. Il
apprend en route l'issue de la négociation ; et voyant qu'il n'y
a plus de paix à espérer, il assemble un conseil où il met en
délibération la question de savoir s'il attaquera Guillaume ?
ou s'il se bornera à se défendre . Deux de ses frères donnent
chacun un avis opposé le système offensif prévaut. Pendant
ce conseil , une fermentation terrible se déclare dans le camp ;
les soldats ne pardonnent pas à Clisson d'avoir fait ses efforts
pour affermir Guillaume dans sa résolution de conquérir
l'Angleterre : ils veulent sa mort . L'Amour ,
divinité allégorique
, d'accord avec le Génie de la France , s'emploie pour
sauver le chevalier. Quoiqu'il y ait dans les poëmes chrétiens
plus d'un exemple de fictions de cette nature , il nous semble
qu'elle est déplacée dans ce sujet. Emma , enflammée par
l'Amour , calme la sédition par ses larmes et par ses prières.
Bientôt après , Eralde fait punir le chef de ce soulèvement.
Clisson paroît hors de danger ; mais Emma , qui ( a quelque
rapport avec Herminie , n'est pas tranquille ; elle dispose
Lout pour fuir avec son amant ; la nuit couvre leur évasion , i
FEVRIER 1806. 275
15
et ils se retirent dans le pays de Galles , pays alors inconnu ,
et qui par cela même favorise les fictions du poète . Là , il
étale tout le merveilleux qu'on trouve dans les poëmes
d'Ossian : cette peinture neuve , vraiment épique , est en
même temps très - conforme au sujet. Bientôt le Génie de la
France arrache Clisson des bras de l'Amour ; une grande bataille
va se livrer : il doit y paroître , et se couvrir de nouveaux
lauriers .
Tout se prépare pour la bataille d'Hastings , sujet principal
du poëme. Un chant et demi est consacré à la peinture des
exploits de Guillaume , d'Eralde et de leurs guerriers. Il y a
un heureux contraste entre les dispositions de l'une et de l'autre
armée avant la bataille . Celle de Guillaume s'y prépare
par des prières , celle d'Eralde par des débauches. Cette peinture
, qui produit beaucoup d'effet , est conforme à la vérité
historique .
La défaite et la mort d'Eralde sont suivis d'une scène touchante
qui fait d'autant plus d'honneur au poète , que l'invention
lui eu appartient toute entière . On voit qu'il s'est pénétré
de la lecture d'Homère , et qu'il a voulu suivre les traces
de ce grand maître , qui a peint d'une manière si simple et si
vraie la douleur de Priam et d'Andromaque après la mort
d'Hector. Elfride , femme d'Eralde , ne sait si son mari est
mort ; elle craint tout , parce qu'il n'a point reparu depuis le
combat, Au milieu de la nuit , elle se transporte sur le champ
de bataille , couvert de morts et de mourans. Le clien fidèle
de son époux la conduit , et elle trouve Eralde étendu , presque
sans vie. Un Hermite vénérable est près de lui , et lui
donne les secours de la religion. Il déplore le sort du prince ,
dont il a souvent éprouvé la générosité . Le prince étant mort
dans les bras de la reine , on enlève son corps pour l'ensevelir
, et Guillaume témoigne à sa famille la plus tendre
pitié.
H
.
Tel est à-peu - près le plan général de ce poëme. On sent
S 2
276 MERCURE
DE FRANCE
,
qu'il a été impossible d'entrer dans un plus grand détail sur
les ressortssecondaires , les épisodes et les descriptions ; mais
il nous paroît que ce que nous avons dit de cet ouvrage suffit
pour prouver que la marche en est régulière et rapide , que
les caractères sont bien tracés , et que la fable est intéressante .
L'auteur mérite donc des encouragemens ; mais plus il a droit
à nos éloges , sous le rapport de ses conceptions , plus nous
devons lui recommander de travailler encore son poëme. Sans
le mérite du style , un ouvrage de ce genre ne peut avoir de
succès durable.
Nous terminerons cet extrait par deux morceaux , qui ,
sans être exempts de taches , pourront donner une idée favorable
du talent poétique de M. D ....n. Dieu ordonne à l'Ange
Raphaël de se transporter à Rome pour faire fulminer l'anathême
contre Eralde :
<< Au bord du Tibre , règne un mortel infaillible :
→ Ma volonté commit à ses pieuses mains
>> Et mon culte , et mes lois , et le sort des humains.
» Hâte ton vol vers lui ; dis : L'arbitre supréme
» Sur lesfils d'Albionfulmine l'anathème.
» Puni soit le parjure , et périsse à ma voix
» La révolte du peuple et l'audace des rois . »>
Dieu dit : Les Séraphins sur leurs trônes pâlissent .
Le ciel tremble , les mers et la terre frémissent .
Sur la tête d'Eralde un astre ensanglanté
Verse de ses rayons l'homicide clarté.
Au conseil , dans les camps , soit qu'il dorme ou qu'il veille ,
Il retrouve partout la sinistre merveille.
Le peuple à cet aspect , par la terreur glacé ,
De prodiges nouveaux est encor menacé .
La Tamise trois fois inondant ses rivages ,
Porta dans Westminster les débris des naufrages .
On vit les rois Saxons , habitans du cercueil ,
Du palais de la Mort abandonner le seuil ,
Se chercher , s'aborder , et par des cris funèbres ,
Souvent du nom d'Eralde effrayer les ténèbres .
Les Saints de Westminster , de leur antre caché ,
Jusqu'au pied des Autels dans l'ombre avoient marché.
Dans la main du prélat offrant un sacrifice ,
FEVRIER 1806.
277
4
Ils éteignoient l'encens , renversoient le calice ;
De leur bouche de pierre ils poussoient de longs cris ,
Et le sang s'écoula de leurs yeux amollis.
Le duc de Normandie fait un pélerinage à Saint- Valery:
Un temple au loin fameux qu'en Neustrie on révère ,
De l'Archange Michel asile favori ,
S'élève sur la Dive , auprès de Valery .
Les débris d'une croix ornent son noir portique.
Des pilastres grossiers portent le faite antique ,
Qu'aidé de trois appuis dominoit un clocher ,
Souvent dans la tempête imploré du nocher .
Le seuil usé , les murs couronnés de guirlandes ,
Et l'humble autel chargé de riches voeux , d'offrandes ,
Attestent les faveurs d'un séjour si divin ,
Où nul mortel jamais ne se prosterne en vain.
Odon qui , dans Bayeux , honoré de la mitre,
Des oracles de Rome en Neustrie est l'arbitre ,
Veut nous guider lui-même en ce pieux séjour.
Après deux jours , deux nuits de jeûnes , de prière ,
Là , dès qu'un ciel serein rend au camp la lumière ,
Nous suivons le drapeau du pontife romain.
Odon , la mitre en tête et le rosaire en main ;
Entonne de Sion les hymnes , les cantiques.
L'armée accourt, se presse , entoure les portiques :
Moi , les pieds nus , je tombe aux marches de l'autel .
Je les mouille de pleurs , et les yeux vers le ciel :
<< Dieu , tes oracles saints , ta bannière sacrée
» Me montroient d'Albion la conquête assurée,
» J'obéis . A mes voeux tout sembloit succéder :
» Mais pour quel crime au port trois mois me retarder ?
» Et toi , céleste appui que la Neustrie adore ,
» Un peuple de héros à tes autels t'implore .
» Accorde-lui les vents ; ramène parmi nous
» Ceux que d'un ciel sévère éloigna le courroux ,
» Et guide à la victoire un peuple qui te venge . »
Mes voeux sont exaucés . O prodige ! tout change ,
Je vois dans tout mon camp l'Esprit-Saint répandu , etc.
P.
7
3
278 MERCURE DE FRANCE ,
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
"
Mardi dernier , l'Académie Impériale de Musique avoit
annoncé les Prétendus , suivis d'un divertissement. On savoit
généralement que S. M. I. honoreroit ce spectacle de sa présence.
La foule étoit immense , non-seulement dans la salle ,
mais dans toutes les rues par lesquelles l'EMPEREUR devoit
passer. Les propriétaires des maisons de la rue de Richelieu
avoieut illuminé. Pendant la représentation des Prétendus ,
l'administration de l'Opéra avoit fait distribuer des branches
de lauriers à tous les spectateurs. LL. MM. , sont arrivées à
huit heures. Au moment de leur entrée dans la salle , et au
milieu d'applaudissemens et des cris de vive l'Empereur , la
toile du fond a été levée , et le théâtre a représenté une avenue
de Paris d'où l'on découvre dans le lointain quelques-uns
des monumens élevés ou embellis sous le règne de S. M. I. : le
vieux Louvre , la galerie, le Pont- des- Arts . etc. L'intermède a
commencé ; il avoit pour but de célébrer le retour de S. M.
dans sa capitale. On doit savoir gré à M. Esménard de s'être
arrêté à une idée simple et ingénieuse , et d'avoir renoncé aux
ressources usées de la mythologie , où aux énigmes de l'allégorie.
Des groupes de différentes nations étrangères se joignent
aux Français pour célébrer par des danses et des chants
le retour du héros. On distingue par la variété des costumes ,
des Mamelouck , des Grecs , des Italiens , des Espagnols , des
Suisses. ... L'intermède est terminé par une invocation que
Lays a chanté avec son talent ordinaire. Autant que les
applaudissemens et l'enthousiasme général nous ont permis
d'en juger , la musique nous a paru d'une expression
convenable au sujet ; les paroles sont imprimées , elles sont dignes
de la réputation de l'auteur du poëme de la Navigation
A l'harmonie des vers, toujours soutenue et habilement variée,
on reconnoît un homme que son astre a formé poète Depuis
les pièces de Quinault , on n'avoit point entendu à l'Opéra des
vers aussi beaux que ceux-ci :
t
CHU R.
A son pouvoir tout rend hommage ;
Son génie invincible a changé les destins .
FEVRIER 279 1806.
Un nouveau siècle est né des débris du vieux âge ;
Une Europe nouvelle , et plus libre et plus sage ,
Lui devra des jours plus sereins .
UN ITALIEN.
L'Eridan ne voit plus , dans sa course rapide ,
Que des états soumis au grand Napoléon .
UN ESPAGNOL.
Et les peuples voisins des colonnes d'Alcide
Ont invoqué son nom .
UN MAMELOUCK.
A l'Arabe inconstant qui désole sa rive ,
Le Jourdain , mille fois , raconta ses travaux ;
Le Nil ensanglanté , sur son urne captive ,
Rappelle ses drapeaux.
UN MAIRE DE PARIS.
Paris sur-tout lui doit la grandeur immortelle
Qu'un oracle trompeur annonçoit aux Romains;
Il s'accomplit pour nous, et la ville éternelle
Va sortir de ses mains.
VIEILLARDS ET ENFANS.
Ici la vieillesse et l'enfance
Rendent grace au même héros ;
Pour l'une , il créa l'espérance ,
A l'autre, il rendit le repos.
VIEILLARDS.
Dans nos foyers héréditaires ,
Par lui , sous la loi de nos pères ,
Couleront nos derniers instans.
ENFAN S.
Pour lui , pour l'état , pour la gloire,
Enfans promis à la victoire ,
Nous commençons nos premiers ans.
-L'auteur d'Antiochus , tragédie nouvelle en cinq actes ,.
dont on doit donner la première représentation la semaine
prochaine sur le Théâtre Français , vient de présenter à l'Aca¬
démie Impériale de Musique un opéra en trois actes , intitulé :
Alexandre à Babylone. Les tableaux de Lebrun , au moins
280
MERCURE DE FRANCE ,
ceux des Captives et de l'Entrée , y sont en action. On devine.
aisément le but de cet ouvrage , qui , s'il est reçu , sera représenté
pour les fêtes de mai.
-
Tous les théâtres ont donné cette semaine des pièces
nouvelles pour célébrer le retour de S. M. Celle de la Comédie
Française , intitulée : les Français dans le Tyrol , est de
M. Bouilly. La Prise de Passaw se donne aujourd'hui même.
à l'Opéra-Comique. Le Vaudeville a aussi célébré l'époque
actuelle dans une nonvelle production de MM. Radet , Barré
et Desfontaines , qui a pour titre : Deux n'en font qu'Un.
Mais de tous les ouvrages dramatiques que les circonstances,
ont fait naître , le plus ingénieux , celui qui a eu le plus de
succès , si l'on en excepte l'intermède de M. Esménard , c'est
le Nouveau Réveil d'Epimenide : cette pièce , donnée sur le
Théâtre de l'Impératrice , est de MM. Etienne et Nanteuil.
Ce théâtre se dispose à remettre nne ancienne pièce du réper¬
toire des Italiens , intitulée : Un Tour de Carnaval, et l'Ecole.
des Jaloux , comédie en trois actes de Montfleury, La reprise.
de la Pompe funebre de Crispin , comédie en un acte et en
vers de Lafont , a été heureuse. La pièce est fort gaie , et a
beaucoup fait rire.
M. Cherubini doit être , dit - on , spécialement chargé
du choix et de l'embellissement des pièces nouvelles qui seront
données par les Bouffons. La maladie de Mile Crespi a fait
suspendre les représentations des Cantatrice Villane. Un des
plus célèbres chanteurs de l'Italie, M. Crescentini , vient d'arriver
à Paris .
-
2
Charles-Nicolas -Justin Favart , fils aîné de l'auteur qui
a rendu ce nom célèbre , est mortle 1er février, à l'âge de 57 ans.
Il avoit lui-même composé quelques pièces pour l'Opéra-
Comique , et fait un grand nombre de couplets qui pourroient
servir à son éloge , puisqu'on y trouve de la grace , de
la gaieté , et qu'on y chercheroit en vain un trait de satire.
M. Cadet- Devaux soutient toujours l'efficacité de qua
rante -huit verres d'eau chaude pour la guérison de la goutte.
On lui avoit objecté la mort de M. Foulong- Dubosc qui avoit
}
FEVRIER 1806. 281
usé de ce remède. Il répond aujourd'hui par le rapport des
médecins et l'exposé des caractères de sa maladie : « Ces caraç-
>> ' tères sont ,
dit M. Cadet-Devaux , ceux d'une de ces
» maladies aiguës , inflammatoires , auxquelles les vieillards
» amateurs sont très-sujets , et auxquelles , ainsi que les
» jeunes-gens , ils succombent promptement , sur- tout quand
» ils sont usés par de longues infirmités et par le vice de
» régime. Or , tel étoit l'état habituel de M. Foulong -Dubosc ;
» et l'eau qui guérit la goutte ne préserve pas de la mort. »
à
M. de Lalande a été consulté sur les causes des commotions
atmosphériques que nous venons d'éprouver . Voici
sa réponse : elle est très -curieuse, sur-tout très-précise et trèsclaire
; aussi nous la transcrivons textuellement de peur d'erreur
en matière si grave. « M. de Lalande observe qu'il y a
eu le 12 janvier de grands coups de tonnerre à Brest , à Rouen ,
à Ypres , et des tempêtes horribles au midi , à Bordeaux ,
Dijon , à Besançon , à Nancy , et il en conclut que la raréfaction
que le tonnerre a produite au nord , a forcé l'air à s'y
porter pour remplir le vide . Voilà la cause du grand abais
sement du baromètre. Quant au tonnerre , qui est rare dans
cette saison , il l'explique par la chaleur du vent du midi qui
a regné constamment ; et , avec des nuages un peu bas , on
conçoit les étincelles électriques qui ont dû s'élancer alternativement
de la terre et des nuées dans lesquelles le fluide
électrique s'accumule tour à tour ; de la enfin la longue.
suite de tonnerres depuis Brest jusqu'à Ypres . »
-On vient d'échafauder le grand fronton de la colonnade du
Louvre , pour y sculpter un bas-relief. Cet important ouvrage
est confié à M. Lemot , auteur de la statue de Léonidas et des
bas- reliefs de la tribune du corps législatif.
On entend de tous côtés accuser la température actuelle ; mais on
oublie donc que cette température est précisément la même que celle qui
régnoit il y a trois ans à la même époque , et que la mortalité étoit bien
autre qu'en ce moment. Chaque maison offroit deux ou trois victimes de ce
catharre meurtrier , alors désigné par le peuple sous le nom expressif de
grippe. Cependant la température n'étoit pas aussi molle qu'aujourd'hui ,
mais il y avoit plus d'inégalité ; et c'est sur- tout des variations de l'atmos282
MERCURE DE FRANCE ;
phère que résulte l'intensité du danger des suppressions de transpiration .
Ajoutons que l'expérience conseille mieux ajourd'hui dans le traitement.
Il y a trois ans , trompés par l'aspect inflammatoire , par le point de côté,
que
+
crachemens de sang, on recouroit à la saignée ; la fibre déjà amollie .
s'affaissoit , et le soulagement qu'éprouvoit le malade le conduisoit rapidement
à la mort. Instruit par l'expérience , on sait aujourd'hui qu'il faut
soutenir la fibre , et l'on allie aux boissons mucilagineuses quelque amer
ou quelque spiritueux . Si rien n'a été plus constant que l'intempérie humide,
pluvieuse , douce et molle , qui a commencé il y a un mois et demi,
et qui ne paroît pas se terminer encore, rien aussi n'a été plus uniforme
la nature , la marche et la fréquence des affections catharrales ; elles
sont épidémiquement répandues , et n'offrent quelques variétés que par
leur siége et la disposition des sujets . Tantôt tout le corps est brisé par
des douleurs vagues , des courbatures , des lassitudes ; tantôt la tête souffre
des douleurs plus ou moins aiguës , soit par l'inflammation des yeux , soit
par le suintement des oreilles , soit par l'engorgement des glandes du col et
de la mâchoire ; quelquefois la membrane pituitaire est irritée par une
humeur âcre , et l'on a ce qu'on appelle vulgairement un rhume de cerveau
; d'autres fois le gozier , les bronches , la poitrine sont le siége de l'irritation
. Il n'est pas rare qu'il s'y joigne quelques accès de fièvre , qu'une
sueur utile termine ; mais il l'est davantage que des symptômes alarmans
l'aggravent, Souvent l'estomac semble y participer , et des nausées , un
sentiment de plénitude , le dégoût , ont paru décéler un embarras gastrique.
Cependant le vomitif qu'on auroit pu croire indiqué , administré
dans ce premier moment d'irritation et de crudité , a rarement amélioré
l'état ; au lieu que , donné à la fin , l'ipécacuanha , sur-tout en
țeinture ou en sirop , à petites doses répétées , a généralement réussi ; et
cette manière de le faire prendre en teinture plutôt qu'en poudre , rentre
dans l'opinion ci- dessus énoncée , que , même en purgeant ou en délayant
il a fallu soutenir le ton de la fibre ; c'est encore la raison pour laquelle
plusieurs praticiens ont administré avec succès la teinture et l'infusion
d'arnica . D'autres nous ont dit s'être également bien trouvés du poligala
de Virginie , lorsqu'il y avoit antonie complète de la fibre , et engorgement
du canal aérien , tapissé de mucosités . Dans ces rhumes gutturaux et
bronchiques , ou avec sabure , la manne à petite dose , la marmelade de
Tronchin avec le kermès, les lavemens stimulans ont paru décider l'expectoration
, et entretenir la liberté du ventre . Dans les catharres des sinus
frontaux avec céphalalgie , chez les sujets très- sanguins , les sangsues appliquées
aux temporales , ont souvent soulagé , ainsi que les hémorragies naturelles
du nez qui ont quelquefois suivi cette application . Dans le temps
FEVRIER 1806. 283
d'irritation , et sur-tout avec les personnes sèches et nerveuses , les pédiluves
ont amené souvent la détente , la souplesse de la peau , la moiteur ,
un bien être sensible ; mais on couçoit qu'on ne peut généraliser des moyens
de traitement , que des indications particulières doivent faire modifier ou
même rejeter ; et c'est ainsi que les boissons adoucissantes , ou incisives ,
ou animées d'alkool , ou de quelque purgatif, ont dû être adaptées aux sujets
comme aux circonstances. Par exemple , chez quelques personnes ,
l'affection catharrale a commencé par une dyssenterie avec fièvre ; et l'on
sent bien que l'on a dû adopter un régime mixte entre les boissons pectorales
et les anti- dyssenteriques . Quelques novateurs ont administré dès
l'abord le quinquina , qui a enlevé la fièvre ; mais il en est résulté des leucophlegmaties
, des ictères , et il a fallu rappeler la fièvre pour les guérir.
On peut , sur le seul aperçu du tableau nosologique actuel , présager des
fièvres tierces pour le printemps ; et si elles sont traitées ainsi , on est certain
de les voir succéder par des hydropisies ; mais on veut assujétir la
médecine aussi à l'empire de la mode ! N'oublions pas que le quinquina
ne reussit dans les catharres qu'après les mucilagineux et dans l'invasion
des fièvres malignes seulement ; de même que si le punch est indiqué dans
les catharres , il peut , pris intempestivement , ou à trop haute dose , déci
der l'irritation de la plèvre et uue péripneumonie . Un moyen plus sûr est
la solution suivante , dont le goût est moins entraînant que celui du punch :
alkool brûlé et sucre ana deux onces , camphre dix grains , le jus d'un
citron, et huit onces d'eau. Plusieurs malades ont éprouvé à la suite de ce
breuvage , et en restant au lit , une éruption générale à la peau , ou au
moins une transpiration , qui ont terminé heureusement leur malaise.
(Gazette de Santé du 1er février. )
MODES du 5févr. - Les coiffures à la Ninon deviennent plus nombreuses,
et approchent davantage du vrai modèle de l'émail de Petitot , que l'on voit
au musée Napoléon . De chaque côté du visage , au lieu d'une , comme cidevant
, il y a plusieurs mêches en tire- bouchons , quatre , cinq , jusqu'à
huit et par-derrière , les cheveux réunis , liés , au lieu d'être renfoncés
en chou de nattes , ou roulés en spirale , ressortent aussi en tire -bouchons.
Tout autour du lien , comme dans le portrait en émail , est une couronne
de roses . Les roses à la mode , sont toujours les roses du Bengale , autrement
appelées des roses mousseuses . Sous les doigts des modistes, sur leurs
comptoirs, le satin pour chapeaux , et la plupart des rubans sont encore
d'un rose tendre , comme la semaine dernière ; peut -être , cependant ,
emploie-t -on un peu plus de blanc .
Les velours brochés , en blanc , et les rubans blancs , veloutés , en
grande largeur , sont ceux dont on a fait , depuis quelques jours ,
de plus
fréquentes demandes.
Au lieu de blanc , quelques modistes ont employé du gros-jaune pour
doubler des capotes noires . Sur des toques , on a aussi employé du jaune
pour couper le velours noir .
Un petit chapeau de modiste , un petit toquet de lingère , ont , l'un et
284 MERCURE DE FRANCE ,
l'autre , une touffe par-devant , qui forme à-peu -près le même volume
qui descend presqu'aussi bas sur les sourcils ; et les oreilles , avec l'une et
Pantre coiffures , sont a -peu- près également degagées .
Dans quelques magasins , on marie le vert pistache au blanc .
On porte les voiles de dentelle en rideau , tirés dans toute leur largeur ;
les voiles de mousseline , au contraire , se portent divisés et rejetés de
chaque côté.
Avec un tulle festonné , on garnit , dans le dernier genre , un sac ou
ridicule, de mousseline brodée. Il y a des ridicules en velours cerise ;
ceux-là sont richement brodés en or.
Aux douillettes de soie on met des boutons de nacre de perle , et ,
outre les petites pattes de velours et le collet de velours , des aiguillettes
de velours .
Le genre espagnol a toujours la vogue pour les corsages et les emmanchures.
Le serre- tête d'une grisette a maintenant , par- derrière , au lieu de coulisse
, deux longues pointes qui , croisées , reviennent par- devant se nouer
et former rosette au- dessus du front.
On vient d'imaginer des masques à bordure de cheveux naturels , å
sourcis naturels ; ils sont frappans , repoussans de vérite ..
Les dernières robes de bal paré étoient garnies en longs tuyaux de jais
blanc .
Dans les bijoux de demi- toilette , il règne bien moins de sévérité que
dans ceux de grande parure : au bal ou dans un cercle , a-t-on un collier de
perles , il faut que le peigne , les bracelets , les boucles d'oreille , voire
même les ornemens de la robe , soient en perles ; mais le matin , en négligé ,
le même bijou présente à la fois des pierres de plusieurs genres ; et l'on
voit sur la même boucle d'oreille un bril ant pour terminer l'anneau ,
pomme de jais à facettes , qui sert de poire , et une perle qui figure entre
fes deux , et croise les chatnettes qui la tiennent suspendue .
une
La garde de l'épée d'un petit - maître doit présenter en ciselure un soleil ,
levant, la boîte de sa montre doit présenter un soleil levant , et c'est encore
un soleil levant que l'on voit dessiné sur les boutons de l'habit d'un jeune
homme du bon ton : est -ce un embleme ? est - ce un caprice ? Pourquoi cher
cher d'autre raison que celle- ci : « C'est la mode. »
NOUVELLES POLITIQUES.
Londres , 23 janvier.
Fonds publics. -Trois pour cent consolidés , 59 1/2.
M. Pitt a terminé sa glorieuse carrière ce matin, à quatre›
heures et demie. Sa mort doit être regardée comme une perte
irréparable. Il est mort sans agonie , et jusqu'au dernier moment
il a conservé sa présence d'esprit. Son ami et son ancien
précepteur , l'évêque de Lincoln , a recueilli son dernier
soupir. M. Pitt est mort dans la 47° année de son âge , étant
né le 28 mai 1759. Il laisse vacantes les charges de premier
lord de la trésorerie , de chancelier de l'échiquier , de lord
gouverneur des cinq ports , de lord du commerce et des
plantations , de cominissaire pour les affaires de l'Inde , de
FEVRIER. 1086 . 285
directeur du bureau de la Trinité , et de grand-maître de
l'université de Cambridge.
Mardi matin, 21 janvier , sa maladie ne présentoit aucun caractère
dangereux. La fièvre le quitta presqu'entièrement , et
les médecins conçurent l'espoir d'une prompte guérison.
Mais , le soir , le médecin qui lui donnoit des soins particuliers
, lui tâtant le pouls avant de se retirer , s'apperçut que la
fièvre étoit revenue ; il resta une heure auprès du malade.
La fièvre continua d'augmenter , et fit en peu d'heures des
progrès si alarmans , que tout espoir de salut s'évanouit . II
devenoit nécessaire que le médecin fit connoître son opinion ,
M. Pitt fût informé du danger de sa situation.
et que
L'évêque de Lincoln , le plus ancien et le plus assidu de ses
amis , fut appelé dans la chambre du malade , et le médecin
lui dit : « Informez votre honorable ami , qu'il n'a plus que
quarante-huit heures à vivre. Tous les secours deviennent
inutiles. Les moyens qu'on tenteroit pour le tirer de l'espèce
de létargie qu'il éprouve en ce moment , ne feroient qu'accélérer
sa fin. Il est épuisé et n'a pas assez de force pour supporter
l'effet des remèdes qui pourroient lui être administrés.
S'il vit plus de deux jours , j'en serai surpris. >>
" .
Alors l'évêque de Lincoln jugeant qu'il étoit nécessaire de
faire connoître à M. Pitt l'état dans lequel il se trouvoit
s'acquitta de ce triste devoir avec fermeté. M. Pitt parut
à peine l'entendre. L'arrêt de mort prononcé par le médecin
ne put le tirer de son affaissement. Après deux minutes de
recueillement , il étendit péniblement une de ses mains défaillantes
, en faisant signe , pour qu'on le laissât seul avec
l'évêque de Lincoln , qui s'assit très-près de son lit , et lui
offrit sans doute les consolations de la religion. Depuis ce
moment les médecins ont cessé leurs visites.
Dans la matinée de mercredi , la plupart des personnes
élevées en dignité envoyèrent savoir des nouvelles de M. Pitt.
L'avis de l'état désespéré où les médecins l'avoient laissé , fut
transmis au roi , aux membres de la famille royale , et aux
amis de M. Pitt . Lady Esther Stanhope , sa nièce , et M. James
Stanhope vinrent le voir , mercredi matin , restèrent un quart
d'heure près de lui , et s'en allèrent après avoir reçu son
dernier adieu. Son frère , le comte de Chatam , passa plusieurs
heures près de lui la nuit suivante , et reçut les derniers
épanchemens de son coeur.
A une crise assez violente qui consuma le reste de ses forces
succéda un affoiblissement qui fit douter qu'il vécût encore :
il n'avoit qu'une respiration presqu'insensible ; il n'eut plus
la force de parler : il n'exprima que par signes l'affection, la
286 MERCURE DE FRANCE ,
gratitude et les remerciemens que son oeil mourant adressoit
aux personnes qui le venoient voir.
L'évêque de Lincoln passa près de lui la nuit du mercredi
au jeudi. Vers deux heures du matin , les symptômes de la
mort se manifestèrent. Ses mains et les autres extrémités de
son, corps devinrent froides ; bientôt il perdit l'usage de ses
sens. Pour prolonger sa vie de quelques heures , on lui appliqua
à la plante des pieds des vésicatoires qui le ranimèrent un
moment , mais ne purent arrêter les progrès de la mort qu'il
portoit dans son sein. On assure qu'il jouit de l'usage de toutes
ses facultés intellectuelles jusqu'à l'instant de sa mort , qui
arriva hier , jeudi , à quatre heures et demie du matin.
Comme tout ce qui concerne les derniers momens de
M. Pitt , est de nature à piquer la curiosité publique , nous
ajouterons aux détails que nous venons de donner, ceux qui
ont été recueillis par des témoins oculaires .
Informé qu'il n'avoit plus que peu d'heures à vivre ,
M. Pitt déclara qu'il étoit résigné à la volonté divine , et
demanda au docteur Walter Forquhar combien d'heures il
avoit à vivre. M. Pitt s'occupa alors à remplir auprès de l'évêque
de Lincoln les différens devoirs que la religion
prescrit. Il répéta plusieurs fois , avec l'accent d'une profonde
humilité , ce peu de mots : « O mon Dieu ! mon
» Dieu ! je connois toute mon indignité ; mais j'espère dans
» votre miséricorde infinie à laquelle je m'abandonne ; par-
» donnez-moi mes fautes , mes erreurs , par les mérites de
» Jésus- Christ. » Après cette courte oraison , l'évêque de
Lincoln récita pour lui des prières pendant un long espace de
temps. Ces pieuses préparations parurent répandre une teinte
de contentement et de sérénité sur le visage de M. Pitt. Il
songea ensuite à mettre ordre à ses affaires particulières , et
à faire connoître ses dernières volontés aux personnes qu'il
chargea de les mettre à exécution. Ces derniers mots furent
ceux-ci : « Je meurs en paix avec tout le monde. I die in
» peace with all mankind. » ( Star. )
Du 25janvier. M. Lascelles a annoncé hier à la chambre
des communes qu'il feroit lundi une motion tendante à faire
décerner des marques signalées de la reconnoissance nationale
à la mémoire de M. Pitt.
M. Pitt sera enterré dans l'abbaye des Westminster , près de
son père et de sa mère. ( Morning-Chronicle. )
-
Du 27 On dit que la motion
de M. Lascelles
doit
avoir
pour
objet
de voter
une somme
de 50,000
liv. sterl
. pour
payer
les dettes
de M. Pitt. Il avoit
, comme
premier
lord
de la trésorerie
, 5000
liv. par an, et, comme
chancelier
de l'échiquier
FEVRIER 1806 . 287
1600 1. La dépense d'un premier ministre ne peut être moindre
que 10,000 liv . sterl . , même avec de l'économie.
M. Pitt a été 22 ans ministre , en trois époques différentes.
Du 29. Lord Grenville est nommé chancelier de l'échiquier
, premier lord de la trésorerie , et premier ministre ;
M. Fox est sécrétaire -d'état pour les affaires étrangères , et
Windham pour la guerre. On assure que lord Sidmouth
( M. Addington ) est premier lord de l'amirauté . Les différens
partis , réunis par ces nominations , doivent former , dans le
parlement , une très-grande majorité.
-
PARIS. -
M. le comte de Haugwitz , ministre d'état et du cabinet
prussien , est arrivé à Paris.
er
Le Journal officiel a publié le 1º février l'ordre du jour
suivant :
De mon camp impérial de Schoenbrunn ,
le 6 nivose an 14.
« Soldats ,
» Depuis dix ans, j'ai tout fait pour sauver le roi de Naples ,
il a tout fait pour se perdre.
>> Après la bataille de Dego , de Mondovi , de Lodi , il ne
pouvoit m'opposer qu'une foible résistance. Je me fiai aux
paroles de ce prince et fus généreux envers lui. Lorsque la se
conde coalition fut dissoute à Marengo , le roi de Naples , qui
le premier avoit commencé cette injuste guerre , abandonné à
Lunéville par ses alliés , resta seul et sans défense. Il m'implora ;
je lui pardonnai une seconde fois. Il y a peu de mois, vous étiez
aux portes de Naples. J'avois d'assez légitimes raisons , et de
suspecter la trahison qui se méditoit, et de venger les outrages
qui m'avoient été faits. Je fus encore généreux. Je reconnus la
neutralité de Naples ; je vous ordonnai d'évacuer ce royaume ;
et pour la troisième fois la maison de Naples fut raffermie et
sauvée.
Pardonnerons-nous une quatrième fois ? nous fierons-nous
une quatrième fois à une cour sans foi , sans honneur , sans
raison ? Non ! non ! la dynastie de Naples a cessé de régner ;
son existence est incompatible evec le repos de l'Europe et
l'honneur de ma couronne.
» Soldats , marchez , précipitez dans les flots , si tant est
qu'ils vous attendent , ces débiles bataillons des tyrans des
mers. Montrez au monde de quelle manière nous punissons
les parjures. Ne tardez pas à m'apprendre que l'Italie toute
entière est soumise à mês lois ou à celles de mes alliés ; que le.
288 MERCURE DE FRANCE
3
plus beau pays de la terre est affranchi du joug des hommes
les plus perfides ; que la sainteté des traités est vengée , et que
les manes de mes braves soldats égorgés dans les ports de Sicile
à leur retour d'Egypte , après avoir échappé aux périls des
naufrages , des déserts , et de cent combats , sont enfin appaisés.
» Soldats , mon frère marchera à votre tête ; il connoît
mes projets ; il est le dépositaire de mon autorité ; il a toute
ma confiance ; environnez-le de toute la votre.
-
>> NAPOLÉON. >>
Par décret rendu aux Tuileries le 31 janvier , S. M. a
nommé :
A la préfecture d'Indre et Loire , M. Lambert , sous -préfet
de Pithiviers ; à celle du département du Var , M. Dazemar ,
sous-préfet à Uzès ; à celle du département de Montenotte ,
M. Chabral , sous-préfet à Napoléon-Ville ; à celle du dé
partement de la Meuse-Inférieure , M. Roggieri.
--
Par décret du même jour , S. M. a nommé :
A la sous-préfecture de Montaigu ( département de la Vendée
) , M. Goyon-Matignon , auditeur ; à celle de Clermont
( Oise ) , M. Gaétan de Liancourt ; à celle de Châteaulin ( Finistère
) , M. Baudier , membre du conseil-général ; à celle de
Cambray ( Nord ) , M. Desmazures , actuellement conseiller
de préfecture ; à celle de Dunkerque ( même département ) ,
M. Schodt , négociant ; à celle d'Altkirck ( Haut - Rhin ) ,
M. Jolliat, actuellement conseiller de préfecture de ce département
; à celle de Toulon ( Var ) , M. Blin , ex-législateur ;
à celle de Joigny ( Yonne ) , M. Lacann , maire actuel de Joigny
; à celle de Bergerac ( Dordogne ) , M. Maine Biran ,
membre actuel du conseil de préfecture de la Dordogne.
Dans sa séance du 1 février , le sénat conservateur a
nommé :
"
er
MM. les sénateurs Canclaux et Dépérès, secrétaires du sénat
pour l'an 1806 ; les sénateurs Germain , Garnier , Roger-
Ducos , Démeunier , de Fleurieu , Sainte- Suzanne , Lemercier
et François ( de Neufchâteau ) , membres du conseil
d'administration du sénat pour la même année ; les sénateurs
Cornet et Journu-Aubert, membres de la commission sénatoriale
de la liberté individuelle , en remplacement du sénateur
Cacault décédé membre de cette commission, et du sénateur
Vernier , qui a terminé l'exercice de ses fonctions ; le sénateur
Herwyn , membré de la commission sénatoriale de la liberté
de la presse , en remplacement du sénateur Démeunier, qui a
terminé l'exercice de ses fonctions.
Madame de Montesson est morte à Paris le 5 février.
( No CCXXXIX. )
( SAMEDI 15 FÉVRIER 1806. )
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSI E.
A#
LA MESSE DE MINUIT.
C'ÉTOIT l'hiver. Du mois qui nous ouvre l'année,
Commençoit dans six jours la première journée
L'airain nous annonçoit la moitié de la nuit .
Vers le temple des champs , par un pâtre conduit
Je suivois un sentier dans la neige affaissée ,
Qu'un pied religieux avoit déjà pressée .
Sur le coteau voisin , de frimas surmonté ,
Découvrant la pâleur de son front argenté,
La lune , des brouillards perçoit le sombre voile;
Même on voyoit briller la merveilleuse étoile
Qui des Rois Jadis dans Byageurs , surpris de sa clarté ,
guida la piété.
Le pâtre me contoit cette, divine histoire ,
Amusement chéri de ma jeune mémoire.
Dépouillé d'ornement son récit m'enchantoit.
S'interrompant soudain , quelquefois il chantoit
Un cantique grossier de pieuses louanges .
Ce cantique disoit : « Comment le choeur des Anges,
Eblouissant les yeux des pasteurs endormis ,
Du nom d'Emmanuel charmoit les cieux ravis ,
Et comment ; rassuré par cette voix divine ,
Vers l'Enfant de l'étable en foule on s'achemine ;
Et les rois d'Orient , parmi tous ces bergers ,
Humiliant l'éclat de leurs fronts étrangers ;
T
290
MERCURE DE FRANCE ,
Et les triples présens d'Or , d'Encens et de Myrre ,
Et du céleste Enfant le céleste sourire. »
O champs de Bethleem ! O lumineux réveil !
Sortez , bergers , sortez des langueurs du sommeil :
Ne craignez point. Voyez ces divines lumières ;
Aux choeurs des Séraphins mêlez vos voix grossières
En ordre merveilleux , dans les airs soutenus ,
Ils forment des concerts à l'oreille inconnus .
Ah , bergers , écoutez ces voix mélodieuses ;
Retenez vos pipeaux et vos voix paresseuses ,
Ecoutez attentifs cet hymne sans repos ,
Qui jamais jusqu'ici ne charma vos échos !
La terre a tressailli . C'est par ces grands spectacles
Que s'annonce celui qu'annonçoient les Oracles.
Que veulent ces clartés dans les champs du soleil
Quand il n'a pas rougi son orient vermeil ?
Le ciel s'incline-t-il vers la terre étonnée
Pour former avec elle un pompeux hymenée ?
Est -ce le Roi des rois qui paroît triomphant ?
Est-ce un Dieu redouté ?.... Non , c'est un foible Enfant.
Approchez : ce n'est point la terreur qu'il inspire ,
Et sur le seul amour il fonde son empire.
Et toi , peuple choisi pour garder cette loi ,
Dont tes propres dédains affermissent la foi ,
Ouvriras-tu les yeux ? Dis-nous quelle figure
Change pour toi le jour en une nuit obscure ?
Tu démens un Oracle , et tu l'as confirmé ;
Ton livre pour toi seul est un livre fermé.
Antique aveuglement ! Espérance charnelle ,
Qui te défend de voir la promesse éternelle !
Ainsi de ces pensers j'occupois mes esprits ;
Et du temple déjà les rustiques lambris
Retentissoient des chants du triple sacrifice ,
Où Jéhovah lui- même , en cette nuit propice ,
Se dérobe trois fois à nos profanes yeux ,
Et trois fois invoqué , descend trois fois des cieux ,
J'avois fendu les flots de la foule empressée ,
Toujours près de l'autel , et toujours repoussée ,
Admirant , adorant d'un zèle curieux
La sainte nouveauté qu'on permet à ses yeux .
Aux marches d'un autel écarté , solitaire ,
Que consacre Marie , et qu'une lampe éclaire ,
Une femme prioit. ( Sa touchante douleur
Vivra-t- elle en mes vers , ainsi que dans mon coeur? ),
FEVRIER 1806.
291
Cinq lustres et quatre ans sembloient dire son âge ;
Ses beaux yeux se baissoient sur le plus beau visage
Ce visage annonçoit , par sa douce pâleur ,
Moins l'injure du temps que celle du malheur .
Le long abattement de sa mélancolie ,
Ses soupirs , sa douleur pieuse et recueillie ,
Ses regards quelquefois vers les cieux rappelés ,
A l'aspect de l'Enfant ses sanglots redoublés ,
Les pleurs qui s'échappoient de sa longue paupière ,
Tout à mon coeur ému disoit : « C'est une mère. ››
Tout me disoit déjà , sans qu'on me l'eût appris :
« Cette mère a perdu les caresses d'un fils . »>
Cependant on chantoit les suprêmes louanges :
Alors les airs rivaux de l'hymne des Archanges ,
Flatterent mon oreille ; et l'instrument égal
A celui que touchoient les enfans de Jubal ,
Augmentoit , par les sons de sa belle harmonie ,
L'enchantement pieux de la cérémonie.
La mère infortunée , en ce commun transport ,
Célébroit la naissance , et pleuroit sur la mort ;
Mais n'osant de l'Eglise interrompre la joie ,
Renvoyant à son coeur les soupirs qu'il envoie ,
Elle mêla sa voix au concert fortuné ,
Et dit en gémissant : « Un Enfant nous est né . »
Hélas , qu'elle auroit mieux célébré la journée ,
Où veuve d'un époux , et de crêpes ornée ,
L'Eglise , interrompant soni culte accoutumé ,
Pleure avec une mèré aux pieds d'un fils aimé !
Et quand à son effort sa douleur qui succombe ,
Mêle aux chants du berceau les larmés de la tombe
Qu'elle eut mieux répondu de la voix et du coeur :
« Dites , est-il douleur égale à ma douleur ? »
Je le dois avouer : sa beanté , sa tristesse ,
Apportant tout son deuil parmi tant d'alégresse ,
Ce malheur à la fois profond et résigné ,
D'involontaires pleurs son livre tout baigné,
De la Religion l'imposant caractère ,
Livrant de saints combats dans le coeur d'une mère ,
La majesté du Dieu dont l'aurore nous luit ,
Ces chants du rit sacré , cette pompe de nuit ,
Tout réveilloit én moi de profondes pensées ,
Que le siècle et sa joie avoient trop effacées .
Je ne roncevois pas quel long enchantement
Captiva ma raison dans son aveuglement ,
T 2
292
MERCURE DE FRANCE ,
Quand mes yeux , éb'ouis des clartés infidelles ,
Cherchoient un vain bonheur qui me trompoit comme elles .
Près de l'arbre du mal , tels les premiers humains ,
Portant sur ses beaux fruits de curieuses mains ,
Goûtoient , dans les transports d'une indocile joie ,
Cette Divinité qui n'étoit pas 1 ur proie ;
Et , tristes artisans de leur funeste sort ,
Abandonnoient aux vents la terreur de la mort .
Ou , tel le voyageur aux côtes étrangères ,
A fui le doux banquet où ses soeurs , où ses frères ,
Assis à ses côtés , dans un charmant loisir ,
Buvoient en suriant la coupe du plaisir.
Du prêtre en ce moment la face prosternée ,
Adora : puis vers nous sa prière tournée ,
Selon l'usage antique , et par un chant divin ,
De l'auguste holocauste il annonça la fin .
Et l'orgue cependant , sous la main qui le presse ,
Maria ses accords aux chants de l'alégresse ;
Et moi , seul et pensif , près de la mère en deuil ,
J'attendis pour sortir qu'elle eût franchi le seuil .
La curiosité de mon ame attendrie ,
Respectoit , en marchant , sa longue rêverie.
Sombre et silencieux , je cherchois dans mon coeur
Par quels mots j'oserois aborder sa douleur.
La consolation est souvent importune ;
Il faut apprivoiser la sauvage infortune.
Je balançai long -temps . Long- temps prêt à parler ,
Je respectai les pleurs que je voyois couler ;
Et quelquefois , tout près de vaincre mes alarmes ,
Je crus trouver des mots , quand je trouvai des larmes.
Enfin , le ciel m'offrit un innocent moyen
De lier avec elle un touchant entretien ;
Enfin , elle essuya ses paupières humides ,
Et levant jusqu'à moi des yeux doux et timides ,
Parmi de longs soupirs et parmi des sanglots ,
Laissa péniblement tomber ces tristes mots :
« Aurélie est mon nom. L'histoire d'Aurélie
» Est courte , et seulement par le malheur remplie .
» Mon époux succomba dans ces temps , odieux
>> Où nul impunément ne compta des aïeux .
» Il périt , convaincu du forfait sans excuse
» Dont aux yeux des tyrans son noble sang l'accuse.
>> Monstres industrieux , dans leur stupidité ,
>> Ils proscrivoient l'honneur dans sa postérité ,
FEVRIER 1806.
293
, » Et des héros Romains nous vantant la mémoire ,
» Nous punissoient d'un nom qui paroit notre histoire.
» Je voulois aux bourreaux qui tranchoient ses beaux jours ,
>> Demander un trépas qu'on accordoit toujours ;
» Et j'aurois , sans pâlir , entendu la sentence
>> Qui nous eût réunis dans la même innocence.
>> Mais dans mon triste sein un murmure secret
>> Me défendit la mort où mon coeur aspiroit.
» J'obéis , je vécus. Loin d'une terre impure
>> A ses malheureux fils cruellement parjure ,
» Aux champs helvétiens , près d'un lac ignoré ,
» J'eus le premier souris d'un enfant adoré .
"
» Si jamais de l'hymen vous connoissez les charmes ,
» Vous saurez ce qu'un fils peut essuyer de larmes ;
» Mais vous ne saurez pas , j'ose an moins l'espérer ,
» De quels horribles traits on se sent déchirer ,
» Quand de ce doux objet de votre seule joie ,
>>
L'impitoyable Mort fait sa soudaine proie.
» Que sert de vous parler ? Mes pleurs ont achevé.
» Huit fois , depuis le jour qu'il me fut enlevé ,
» Les feuilles de novembre ont parsemé sa tombe ,
» Et je crois voir encor mon enfant qui succombe.
» La fièvre dans son sein se glissa par degrés ,
» Je vis ses traits charmans bientôt décolorés ;
» Enfin , l'horrible Mort , comblant sa barbarie ,
» Sur sa foible victime épuisa sa furie ,
» Et de son souffle impur , qui dévoroit mon fils ,
» Elle sécha la rose , et ne laissa qu'un lis.
» J'espérois dérober cette innocente tête ,
"
» Seul gage d'un époux qu'emporta la tempête ;
» Mais le ciel autrement en avoit ordonné
» Et je ne dirai plus : « Un Enfant nous est né. »
Elle dit , et ses pleurs achevèrent l'histoire
Qu'à jamais dans mon coeur garilera ma mémoire.
Puissé-je , la contant à la douce Pitié ,
Des pleurs que j'ai versés obtenir la moitié !
Philosophes si vains d'une vaine science
De la Religion démentez la puissance !
Epouse infortunée et mère de douleur ,
Aurélie a vécu. Dans un monde meilleur ·
Elle voit les objets d'une double tendresse ,
Et Dieu de ce roseau soutient seul la foiblesse .
Apôtres malheureux d'un néant éternel ,
Rendrez-vous son cher fils à cette autre Rachel ?
3
294
MERCURE DE FRANCE
Telle que , par les vents , une vigne inclinée ,
Veuve de son ormeau , pleure son hymenée ;
Telle l'ame abattue , en sa calamité ,
N'a pour se relever que son éternité.
Votre philosophie et sa froide chimère ,
Ne sécheront jamais les larmes d'une mère ,
IMITATION D'HORACE.
O Matre pulchráfilia pulchrior , etc. ( Liv. 1ºr , ode 16. )
A TYNDARIS,
FILLE de la Beauté , plus belle que ta mère ,
Si je fus criminel, pardonne à mon erreur.
Prends ces vers qui t'ont pu déplaire ,
Engloutis-les dans l'onde amère ,
Ou livre-les au feu vengeur.
L'oracle d'Apollon plein du dieu qui l'obsède ,
De l'amante d'Atys le prêtre ensanglanté
Dans la rage qui le possède ,
N'ont point de transport qui ne cède
Aux fureurs d'un coeur irrité.
Rien ne peut arrêter la bouillante colère :
Ni le fer menaçant , ni les flots orageux ,
Ni le dieu même du tonnerre ,
Perçant la que , et sur la terre
Fondant armé de tous ses feux.
Quand le fils de Japet , par un triste assemblage ,
Unit cent corps divers au limon créateur
De l'homine son dernier ouvrage ,
Du fier lion il prit la rage ,
Et la souffla dans notre coeur .
La colère perdit l'infortuné Thyeste.
Elle seule des tours qui menaçoient les cieux
Entraîna la chute funeste ,
Et sur leur déplorable reste
Poussa le soc injurieux.
1
FEVRIER 1806 .
Moi-même j'ai connu cette fatale ivresse ,
Et le rapide iambe a servi les transports
De mon imprudente jeunesse.
Aujourd'hui le soin qui me presse ,
C'est d'effacer mes anciens torts.
Dans ton coeur apaisé si je reprends ma place ,
Je consacre ma muse à chanter tes attraits ,
Et de ma trop coupable audace
Je veux qu'il ne reste de trace
Que ta clémence et mes regrets.
通
DE WAILLY.
RONDEA U.
Vous y viendrez , la belle dédaigneuse ,
Ace moment où fille soucieuse ,
Changeant d'humeur , de ton, de goût , d'esprit,
Rêve , se tait , observe , plus ne rit,
Eprouve en bref que bien est amoureuse.
De plaire lors vivement desireuse ,
Affecterez manière gracieuse ;
Verrez l'effet de ce qu'on vous prédit :
Vous y viendrez .
Vos quatorze ans vous rendent glorieuse ;
Mais du jeune âge , ô fuite impérieuse !
Dans son vol prompt le Temps , qui tout flétrit ,
Non plus qu'Amour ne vous fera crédit.
Or ne trouvez vieillesse si fâcheuse :
Vous y viendrez.
M. GUICHARD.
ENIGM E.
TROUVER en moi , dans un seul mot ,
Trois êtres différens et de même origine ,
Ce n'est pas l'affaire d'un sot.
Je suis peuple , pays , grain qui porte farine ;
En précis voilà tout mon lot :
Vite , lecteur, qu'on me devine ,
Sans attendre jusqu'à tantôt.
1
Par G. V. ( de Brive. )
4
296 RCURE DE FRANCE ,
LOGOGRIPHE.
VÉRITABLE chaos , bigarrure complète
Et d'étres et d'objets divers ,
Je suis grand comme l'univers ;
Oui , lecteur : et sans tête ,
Instrument de désastre et de prospérité ,
Et d'immenses trésors vainement enrichie ,
Dans mon sein , souvent agité,
Je donne la mort et la vie;
Et j'ai produit , détruit , en vérité ,
Déjà plus de trésors , plus d'êtres , je parie ,
Qu'on n'en voit aujourd'hui sur le globe habité.
Sans coeur , à tous les yeux charmante ,
Souvent bizarre , et plus qu'extravagante !
Aux frivoles penchans offrant un libre cours ,
Et prodigue autant qu'inconstante ,
t
Je fais des heureux tous les jours.
Je parois , et bientôt je passe ;
De moi l'on raffole, ou se lasse ;
Mais on me recherche toujours.
Et sans tête , sans coeur , quand un beau feu m'anime ,
Fière , prenant un essor glorieux , -,
Je m'élance jusques aux cieux ;
Et dans un langage sublime
Je parle aux Dieux,
CHARAD E.
MALHEUR ! trois fois malheur à mon cruel dernier ,
S'il est pour ses enfans comme dans mon premier :
Deux membranes , lecteur, vous disent mon entier. :
Par G. V. ( de Brive. )
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº est Tournebroche
Celui du Logogriphe est Perpignan .
Celui de la Charade est Passe-temps.
FEVRIER 1806.
297
Histoire naturelle et mythologique de l'Ibis ; par
Jules-CésarSavigny, membre de l'Institut d'Egypte.
Un vol . in-8° , orné de six planches , gravées par
Bouquet, sur les dessins de Barrabaud et Redouté.
Prix : 5 fr. , et 6 fr . par la poste. Quelques exemplaires
sur papier d'Angoulême , avec figures tirées
en couleurs ; prix : 8 fr. , et 91 fr . par la poste. A
Paris , chez Allais , libraire , quai des Augustins ,
nº 39 ; et chez le Normant, libraire , imprimeur
du Mercure de France , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , nº 17.
EN exposant au commencement de cette année les
diverses améliorations dont on se proposoit d'enrichir
le Mercure , on a promis de ne plus le borner désormais
à la critique littéraire , et de jeter de temps à
autre quelques regards sur les arts et sur les sciences.
On est loin sans doute de vouloir changer la direction
de ce journal , qui a toujours été consacré à la
littérature ; mais sans affecter cette prétention à tout
savoir , cette manie encyclopédique qui a été si funeste
au goût dans le siècle dernier, le véritable ami
des lettres peut être jaloux de joindre à ses études
de prédilection , à la lecture assidue des grands écrivains
anciens et modernes , une connoissance générale
des différentes sciences qui se partagent la curiosité
humaine. Il doit sur tout se sentir porté vers l'histoire
naturelle , qui peut fournir chaque jour à l'écrivain
des couleurs aussi neuves que brillantes , ou plutôt
il doit la considérer comme une branche de la littérature
, depuis que Buffon , en prouvant combien
l'art d'écrire pouvoit lui prêter de charmes , en a fait
une des plus belles parties de nos richesses littéraires.
Cés considérations nous autorisent à examiner avec
quelque détail l'ouvrage que nous annonçons .
で
298
MERCURE DE FRANCE ,
Un oiseau qui a reçu les honneurs divins chez un
peuple réputé le plus sage de la terre , n'intéressera
peut-être pas moins l'historien et le moraliste , que
celui qui s'est voué à l'étude de la nature. D'ailleurs ,
le livre de M. Savigny sort de la classe ordinaire :
l'auteur ne l'a pas composé, avec les observations des
voyageurs ; il ne se borne pas à y concilier entr'elles
des descriptions vagues , des narrations quelquefois
contradictoires. C'est sur les bords du Nil , c'est dans
les sables du désert , c'est parmi les ruines et les décombres
qu'il est allé faire lui-même ses savantes observations.
Membre distingué de l'Institut d'Egypte , il
ne s'est pas borné à partager tous les périls attachés à
la mémorable expédition dont il faisoit partic . L'ardeur
de s'instruire les multiplioit chaque jour autour
de ces savans et de ces artistes , que l'espoir d'acquérir
de nouvelles lumières avoit entraînés loin de leur pa
trie , et ils sembloient tous prendre à tâche de réfuter
le préjugé , qui n'accordoit aux Français qu'un courage
bouillant et impétueux , en montrant pour la première
fois l'étude et la méditation au milieu des armes. *
Ceux qui ont l'avantage de connoître M. Savigny,
savent déjà quelle ample moisson d'observations et de
découvertes il a recueillie ; l'ouvrage que nous allons
analyser pourra faire présumer au public ce qu'il doit
attendre de ce jeune naturaliste , dont les travaux
occuperont sans doute une place distinguée dans le
beau monument qu'élève l'Institut d'Egypte pour les
amis des antiquités et des sciences.
Les anciens distinguoient deux espèces d'Ibis, l'Ibis
blanc et l'lbis noir . Hérodote les décrit l'un et l'autre
avec beaucoup de détails , et il leur attribue à tous les
deux la faculté de tuer les serpens . La prétendue inimitié
de ces oiseaux pour tous les reptiles venimeux
devenue célèbre dans l'antiquité , a attiré particulièrement
l'attention des modernes , et c'est à ce caractère
qu'ils ont cherché à reconnoître l'Ibis . Les uns l'ont
confondu avec la cicogne , connue par son appétit
FEVRIER 1806. 299 .
"
pour les serpens ; les autres , à la tête desquels il faut
mettre Linnée et Buffon , ont cru le retrouver dans
une espèce de vautour que les Arabes appellent solleihek
, et qui suit dans les déserts la marche des caravanes
, se nourrissant des cadavres des bêtes de somme
et des matières animales qu'elles laissent après elles.
Bruce fut le premier qui , à l'époque où Buffon
écrivoit ses éloquentes descriptions , remontant péniblement
le cours du Nil , dans l'espoir d'en découvrir
la source , remarqua un oiseau qui ressembloit à
l'Ibis sculpté sur les monumens. De retour en Europe ,
il publia ses observations , qui étoient entièrement
oubliées au moment où M. Savigny partit pour
l'Egypte. Prévenu lui - même de l'idée que l'Ibis étoit
l'ennemi déclaré des serpens , et qu'il se nourrissoit
de leur chair , c'est sur cette fausse donnée qu'il
s'obstina long-temps à diriger ses recherches , lorsqu'enfin
, ses yeux se portant sur un oiseau qu'il voyoit
voltiger le long des bords du Nil , il fut tenté de le
reconnoître pour l'Ibis des anciens. L'auteur entre
dans le détail des preuves qui finirent par lui démontrer
la vérité de cette première conjecture. Il commence
par comparer cet oiseau avec l'Ibis des monumens
, et il lui retrouve exactement les mêmes formes
et les mêmes proportions. Il examine plusieurs momies
d'Ibis parfaitement conservées : elles lui offrent la
même tête , le même bec , les mêmes pattes , le même
corps , et jusqu'au même plumage. Il reprend alors la
description d'Hérodote , il en discute successivement.
tous les points , et il a la satisfaction de trouver une
conformité parfaite entre l'Ibis de l'historien grec et
l'oiseau qu'il a sous les yeux.
Cependant il continue à observer ses moeurs et ses
habitudes . Il le voit fréquenter assidument les bords
du fleuve , où il paroît chercher toute sa nourriture ,
quoique ces bords ne soient habités par aucun reptile
venimeux. On lui apporte un Ibis vivant : il lui .
trouve un bec si peu propre à combattre des ennemis.
300 MERCURE DE FRANCE ,
aussi redoutables que les serpens , qu'à peine laisset-
il une impression légère sur le doigt qu'il a pincé.
Enfin , il ouvre plusieurs de ces oiseaux : il reconnoît
encore une ressemblance exacte entre leurs organes
intérieurs et ceux des Ibis embaumés ; mais en même
temps il trouve constamment leur estomac rempli ,
pour toute nourriture , de coquillages univalves etfluviatiles
, d'une espèce commune daus les canaux et
dans les champs inondés. Toutes ces expériences
semblent prouver assez que l'Ibis ne se nourrit pas
de
serpens
.
Mais M. Savigny veut prévenir toutes les objections
qu'on pourra lui faire . Le témoignage des auteurs
anciens , et en particulier celui d'Hérodote , qui raconte
fort en détail le prétendu combat des Ibis et des
serpens , pourroient ne pas l'embarrasser beaucoup .
En effet , on ne peut accorder à tous ces auteurs réunis
aucune confiance , du moment qu'ils parlent tous
d'un serpent ailé , animal fabuleux qui n'a été vu par
aucun voyageur moderne , qui même ne se rencontre
que rarement sur les monumens antiques , où la seule
forme de ses ailes suffit pour démontrer qu'il n'y
figure que comme un être purement allégorique.
Mais une objection plus difficile à combattre , c'est
celle qui se fonde sur le témoignage de M. Cuvier,
lequel assure avoir trouvé dans une momie d'Ibis des
débris non encore digérés de peau et d'écaille de ser
pent. M. Savigny répond avec raison que , pour démontrer
que ces débris de serpent avoient servi à la
nourriture de l'Ibis embaumé , il auroit fallu qu'on
les eût trouvés dans quelques parties des intestins ; or,
le témoignage d'Hérodote et d'Elien , l'inspection
même des momies , prouvent qu'on enlevoit les viscères
avant de procéder aux embaumemens. D'ailleurs ,
les Egyptiens réunissoient souvent sous une même
enveloppe des animaux absolument étrangers les uns
aux autres. M. Savigny en a vu un exemple dans une
momie d'Ibis , qu'il a trouvée remplie d'une incroyable
FEVRIER 1806. 301
multitude de mouches de différentes espéces , et il
attribue ces réunions au respect des Egyptiens pour
leurs animaux sacrés , respect qui les portoit à em→
baumer les cadavres infects de ceux qu'ils renconi
troient tombés en putréfaction ou à demi dévorés.
Enfin , il invoque un principe général sur lequel
toute certitude est fondée dans les sciences : « C'est
» qu'un fait isolé , quelles que soient d'ailleurs les
» apparences , ne peut pas prouver ce que les autres
» rendent impossible , ni réfuter ce qui existe néces-
» sairement et par la nature connue des choses »
Toutes ces considérations autorisent douc M. Savigny
à dire qu'il a retrouvé l'Ibis des anciens . D'après
M. Cuvier, il le place dans la classe des Numenius ,
et le nomme avec lui Numenius Ibis. Enfin il conclut
contre le préjugé universellement reçu , que les habi
tudes naturelles , et toute l'organisation des Ibis , démontrent
que ces oiseaux ne poursuivent , ne tuents
ni ge dévorent les serpens ; ce qui est aussi confirmé
par l'opinion bien prononcée des Egyptiens actuels ,
les alimens trouvés dans l'estomac de ces
et par
mêmes
Ibis.
7
Tels sont les faits établis dans la première partie de
l'ouvrage . On voit combien la marche des raisonne
mens est simple et naturelle , combien les preuves sont
exactes et rigoureuses . Dans la seconde partie , l'auteur
quitte les faits positifs pour se livrer à des conjectures
; mais il connoit l'art de tirer toutes les consé➡
quences d'un principe , d'enchaîner ensemble les raisonnemens
, de les faire concourir au même but , et
de les fortifier l'un par l'autre ; et de la réunion d'un
grand nombre d'analogies et de vraisemblances , il
sait former une espèce de démonstration , qui finit
par forcer l'assentiment du lecteur le plus difficile à
convaincre .
En rejetant l'opinion de toute l'antiquité sur les
combats livrés aux serpens par les Ibis , M. Savigny
se met dans l'obligation de répondre à plusieurs ques302
MERCURE DE FRANCE ,
tions. Quelle est donc la véritable cause de la véné
ration que les Egyptiens eurent pour ces oiseaux , et
du culte qu'ils lui rendirent ? Quelle est l'origine probable
du préjugé si universellement reçu sur l'antipathie
des serpens et des Ibis ? Leurs prétendus com→
bats ne sont pas , il est vrai , représentés sur les monumens
; mais pourquoi dans les hieroglyphes voit -on
presque toujours un Ibis placé immédiatement avant
ou après un serpent , que l'on reconnoît ordinairement
pour le céraste , le plus dangereux de tous les
reptiles qui habitent ces contrées ?
Pour résoudre toutes ces difficultés , M. Savigny
reporte de nouveau les yeux sur ces serpens et sur
l'lbis. Il voit cet oiseau , qui ne séjourne que sept
mois en Egypte , y arriver au temps de l'inondation ,
ne s'écarter jamais des rives du fleuve , se répandre
avec lui dans les campagnes , le suivre encore lorsqu'il
rentre dans son lit , disparoître enfin au moment où
un air brûlant corrompt les eaux , souffle la contagion
sur l'Egypte , et menace de changer en désert cette
fertile contrée ; mais le Nil , croissant de nouveau ,
ramène bientôt la fécondité et la vie , annoncées par
de nombreuses troupes d'Ibis , qui semblent le gage de
ses bienfaits. Au contraire , il voit le céraste redouter
les lieux habités , chercher des plaines sans végétation ,
où des sables échauffés par un soleil ardent exaltent
encore la violence de ses poisons , triste emblême de
la sécheresse , de la contagion et de la mort qui la
suivent. L'Ibis se plaît donc aux lieux où le céraste ne
pénètre jamais ; il fuit ceux dont ce redoutable reptile
a fait son empire . On aura donc pu croire que
l'Ibis avoit le céraste en horreur , et de là , par une
métaphore dont on trouveroit des exemples dans les
langues modernes , quoique bien moins hardies que
les anciennes , on aura dit qu'ils se livroient l'un à
l'autre de terribles batailles. Cette phrase , si propre à
peindre d'une manière énergique l'espèce de combat
qui se renouvelle chaque année entre la sécheresse et
FEVRIER 1806. 303
" •
l'humidité , entre la stérilité et la végétation , entre la
vie et la mort , dont ces deux animaux étoient réciproquemeut
le symbole ; cette phrase , retracée en
signes hieroglyphiques sur tous les monumens religieux
, n'aura pas manqué d'être bientôt prise au pied
de la lettre par un peuple ignorant et grossier. Dèslors
, est- il difficile de comprendre comment un préjugé
fortifié par le temps , autorisé en quelque sorte
par la religion même , et consacré à tous les yeux par
des signes respectés , sera devenu une opinion universelle
, comment cette opinion aura été adoptée sans
examen par les auteurs latins et grecs , qui n'écrivoient
que d'après des témoignages étrangers , ou tout au
plus d'après des traditions qu'ils avoient eux-mêmes
recueillies à la hâte dans un voyage lointain ?
Pour que cette explication paroisse encore plus
fondée , que l'on se rappelle que la plupart des récits
fabuleux de l'antiquité ne sont que des faits réels
déguisés sous un voile allégorique. L'imagination vive
et brillante de ces anciens peuples se plaisoit à multiplier
partout les images et les emblèmes. La nature
même de leurs idiomes , très -pauvres dans l'origine ,
inhabiles sur-tout à exprimer les idées métaphysiques ,
leur rendoit ces emblêmes nécessaires . Or , sous quels
traits les Egyptiens , dans leur écriture , ou plutôt dans
leur peinture hieroglyphique , auroient- ils pu mieux
représenter la contagion , qui n'est visible que par ses
effets , qu'en donnant des ailes à un reptile venimeux
qui empoisonne comme elle , qui , comme elle , se
glisse en tous lieux , et , à l'aide de ces ailes que lui
prête l'imagination , plane avec rapidité sur les contrées
qu'il désole ? Pouvoient- ils mieux figurer les
effets du fleuve bienfaisant , qui chaque année repousse
la mort dans les déserts qu'en plaçant ensuite
l'oiseau d'heureux augure qui vient annoncer ses
bienfaits . Il ne falloit pour cela que substituer l'effet à
la cause , et c'est ce qu'on fait tous les jours dans toutes
les langues. C'est ainsi qu'une explication simple et
"
304
MERCURE
DE FRANCE 9
heureuse suffit pour résoudre dans toutes ses parties
un problème compliqué , dont la solution paroissoit
presqu'impossible .
Telles sont les idées principales sur lesquelles repose
l'ingénieux système de M. Savigny . Nous ne le
suivrons pas dans une foule de considérations particulières
, qui toutes concourent à lui donner un plus
haut degré de vraisemblance . Il nous suffit d'en avoir
assez dit pour inspirer le desir de connoitre un ou−
vrage aussi érudit et aussi curieux .
quer
.
On peut se rappeler que l'opinion de l'auteur se
trouve en opposition avec celle de Buffon : il est donc
obligé de réfuter ce grand naturaliste , mais il le réfute
avec tout le respect qu'un élève doit à son maître .
Nous ne devrions peut- être pas lui en faire un mérite ;
Cependant il n'y a rien de plus commun aujourd'hui
que de voir des savans très – subalternes parler avec
peu de respect d'un homme qu'ils devroient tous
révérer , même en combattant ses erreurs , et qui a
répandu sur la science qu'ils cultivent tout l'éclat de
son génie . De minutieux observateurs qui auront
employé obscurément vingt années de leur vie à dissé
des insectes ou à décrire des mousses , ne peuvent
lui pardonner de s'être trompé sur quelques
petits faits particuliers parmi tant de grandes vues
répandues dans ses ouvrages. Ils voudroient que cet
aigle , du haut degré d'élévation d'où il planoit sur le
globe entier, eût exactement distingué tous les brins
d'herbe qui le couvrent. Ils oublient que pour réussir
dans leurs petites observations , il suffit d'avoir de
bons yeux , une patience à toute épreuve , et une
tête absolument dépourvue d'imagination et de pensées
, tandis qu'il faut un génie rare pour saisir les rapports
généraux qui unissent tant d'êtres divers , pour
en tirer des principes vastes et féconds , et un génie
plus rare encore pour développer ces principes dans
un langage toujours animé , toujours harmonieux , et
souvent sublime.
Le
1
4
EIN
DE
FEVRIER 1866 .
305
Le style de M. Savigny est loin sans doute de rea
nir constamment toutes ces qualités ; mais il escen
général simple et correct. On doit l'engager à eve
les longues périodes, qui sont souvent un défaut
quand la matière est purement didactique , parce
qu'il est rare qu'elles ne nuisent pas plus ou moins à
la clarté . On l'invite aussi à prendre garde de couper
ses raisonnemens par de petites remarques incidentes
qui en font perdre le fil , parce qu'elles ne s'y ratta
chent pas assez naturellement. A ces légers défauts
près , on ne lui doit que des éloges. Il faut sur-tout
lui savoir gré de n'avoir jamais pris un ton étranger
à son sujet. L'Egypte étoit un beau champ ouvert
à la déclamation , et beaucoup de prétendus imitateurs
de Buffon n'auroient pas manqué de nous faire
de grandes phrases sur les ruines et sur les pyramides
dans un livre où il ne falloit parler que d'un oiseau . ,
C.
:
Mémoires du comte de Bonneval , avec des notes ; par
par M. Guyot Desherbiers , ex - legislateur. Deux vol . in - 8 °.
Prix 9.fr. , et 12 fr. par la poste . A Paris , chez Capelle
el Renand , libraires , rue Jean -Jacques Rousseau , près la
Poste ; et chez le Normant , imprimeur - libraire , rue des
Prêtres Saint-Germain l'Auxerrois , n . 17 .
L'HISTOIRE du comte de Bonneval , né français dans un état
illustre , et mort türe dans l'obscurité , nous offre un exemple
mémorable des suites funestes d'une éducation négligée et
d'un caractère insociable . Les mémoires romanesques dans
lesquels est mêlée cette histoire , n'ont pas même été compo-..
sés pour la défense de sa réputation : la cupidité toute seule
a réuni¹ les pièces publiques d'une tracasserie célèbre ; quelque
secrétaire ou quelque valet- de- chambre aura donné des
notes sur la vie privée du héros ; et tout cela , joint à ses
aventures déjà connues , et à celles qu'il a plu au romancier
V
306 MERCURE DE FRANCE ,
d'inventer , aura formé ce qui passe dans le monde pour les
Mémoires du comte de Bonneval , qu'on suppose avoir été
écrits de sa main à Constantinople , dans le courant de l'année
1736 , parce qu'ils furent publiés en France l'année suivante .
A ce fatras de faits mutilés ou imaginés à plaisir , pour alimenter
la curiosité des oisifs , le nouvel éditeur vient d'ajouter
encore des fragmens d'autres prétendus mémoires , imprimés
en 1740 et 1741 , quoiqu'il les regarde lui -même comme apocryphes
; quelques lettres inédites de J. B. Rousseau , qui
paroissent authentiques , et un amas insupportable de notes ,
qui , selon lui , augmentent tout l'ouvrage d'un tiers . Mais il
auroit pu tout aussi bien l'enfler sans aucune mesure ; car
dès qu'on s'écarte de son sujet sans motif raisonnable , il n'y
a plus de raison pour jamais s'arrêter : Currente rotá , cur
urceus exit ?
Quoi qu'il en soit de ces conjectures , et de quelque force
que soient les raisons dont on va les appuyer , il reste toujours
certain que l'histoire du comte de Bonneval , réduite à ses
faits principaux , pourroit offrir quelqu'intérêt et beaucoup
d'instruction pour la conduite : ce seroit la matière d'un petit
volume fort utile à ces esprits violens qui n'estiment que
l'audace militaire , quoique cet'e qualité ne soit pas rare.
Les commencemens du comte de Bonneval font bien voir
quelle étoit autrefois l'insouciance de certaines familles.
A l'âge de treize ans il séduisit une jeune fille qui avoit
accès chez ses parens ; sa mère ne fit qu'en rire , et elle
ne songea qu'à le dégager des promesses qu'il avoit faites à
cette fille. Que pouvoit - il sortir d'une pareille école ? L'effervescence
des passions est incompatible avec la tranquillité
d'esprit nécessaire à l'étude ; mais pour s'étourdir , ou pour
apaiser le cri de la conscience , les hommes ardens ont besoin
de beaucoup d'exercice . De là le dégoût du jeune de Bonneval
pour tout travail spéculatif , et son ardeur pour le mouvement.
Tout le fruit et l'instruction de ses premières années , fut
d'avoir appris à bien monter à cheval. A dix-huit ans il fit
ses premières armes à Fleurus , sous le maréchal de Luxembourg.
Il est fort inutile de savoir ce que c'est que les mathéFEVRIER
1806. 307
matiques et le génie , quand on ne veut qu'obéir , et sabrer à
droite et à gauche dans une bataille ; il ne faut qu'une certaine
force physique , de l'adresse et de la bravoure . Le comte da
Bonneval posséda ces qualités dans un degré supérieur ; et
comme il se sentoit foible du côté des connoissances acquises ,
il étoit obligé , pour se distinguer du simple fantassin , de
faire des prodiges de valeur ; il sentoit bien aussi que la licence
de ses moeurs avoit besoin d'être effacée par quelques actions
d'éclat. En un mot , appelé , par sa naissance et par son ambition
, au commandement suprême , mais incapable d'acquérir
les connoissances qui y conduisent , il crut pouvoir les suppléer
par de l'audace. Il se trompa : chez les natious civilisées ,
la science militaire fait les généraux , la bravoure fait les
soldats.
Il rendit cependant un service signalé dans la bataille de
Luzara. Au moment où les troupes du prince Eugène chargeoient
l'infanterie française , au - dessous de la digue du Zéro,
le comte de Bonneval , alors simple colonel , accourut et rangea
sur une ligne tout ce qui se trouvoit sous sa main ; il
soutint , à la tête de ces braves , la première charge des Impériaux
, et , par sa résistance , il donna , dit- il , le temps aux
autres troupes d'arriver et de se mettre en bataille . Il ajoute
que le prince Eugène lui a dit vingt fois depuis , qu'il lui avoit
arraché des mains une victoire qu'il croyoit assurée . Mais
sans vouloir diminuer le prix de cette action , cet éloge étoit
plutôt dicté par la politesse que par la vérité ; car le prince
Eugène qui avoit le dessein de surprendre l'armée française ,
une fois découvert , comme il le fut par hasard , ne pouvoit
plus compter sur une victoire qui dépendoit du succès de sa
ruse .
"
A la fin de la campagne , il y eut une grande promotion :
c'étoit la seconde qui se faisoit depuis que le comte étoit au
service. Il avoit souffert avec une sorte d'impatience qué son
nom ne se trouvât pas sur la première liste ; mais il re put
supporter qu'on ne le vît pas sur la seconde. Il alla trouver le
secrétaire d'état Chamillard , qui lui répondit qu'au jugement
du rọi la yaleur n'étoit pas un titre suffisant pour avancer ,
V 2
308 MERCURE DE FRANCE ,
neur ,
qu'il falloit y joindre des moeurs et de la conduite . ( I est
bon de savoir qu'alors le comte étoit marié , et qu'il rendoit sa'
femme horriblement malheu euse . ) Il se retira la rage dans
le coeur ; et , plutôt que de rentrer en lui - même et de renoncer
à ses détestables pratiques , il aima mieux sacrifier son honson
nom , son état , sa femme et sa fortune , en désertant
ses drapeaux et en se livrant aux ennemis de la France . Il
demanda des passeports , et donna sa parole d'honneur qu'il
n'avoit pas d'autre intention que de voyager . Il emporta la
caisse des contributions , et alla s'offrir au prince Eugène .
On lui fit son procès en France , et la peine capitale fut prononcée
contre lui .
"
Les étrangers ne manquent jamais , dans un temps de guerre
sur-tout , de profiter des trahisons : on déteste la perfidie et
on accueille les traîtres . Le comte de Bonneval ' avoit acquis
quelques connoissances locales qui pouvoient être utiles , et ,
de plus , c'étoit un fort bon grenadier dont on pouvoit se
servir. Le prince lui fit avoir un régiment , qu'il composa d'e
déserteurs français. On l'exposa , comme c'est la coutume ,
dans toutes les rencontres , et ce corps fut haché par les Turcs
à Péterwaradin , où le comte se défendit comme un lion ,
avec deux cents hommes séparés du reste de sa troupe : il en
fit un petit bataillon carré , qui soutint l'effort de tout ce qui
l'entouroit. Il fut bien ôt réduit à un très-petit nombre de
guerriers ; mais comme on ne fait point de prisonniers chez
les Turcs , il fallut bien songer à la retraite il l'entreprit ,
et , à la tête de vingt- cinq hommes , il tenta le passage au
travers d'un baꞌaillon de janissaires. Il eut le bonheur de
s'en tirer , couvert de sueur , de sang , de blessurés et de
gloire. C'est dans ce combat qu'il reçut un coup de lance , et
qu'il tua d'un coup d'épée celui qui l'avoit blessé . J. B.
Rousseau n'a pas oublié ce trait , dans sa belle ode sur la
bataille de Peterwaradin :
"
Quel est ce nouvel Aleide ,
» Qui , seul , entouré de morts
>> De cette foule homicide ,
» Arrête tous les efforts ?
V FEVRIER 1806.: 309
C
>> A peine un fer détestable
» Ouvre son flano redoutable
» Son sang est déjà payé :
» Et son ennemi qui tombe ,
>>
De sa troupe qui succombe ,
» Voit fuir le reste effrayé. »
་ ་ ་་་
N'est-il pas bien déplorable qu'un courage si héroïque ne fût
pas accompagné des talens et des qualités qui font les grands
hommes ? Et combien ne dut - on pas gémir alors sur la première
éducation de cet honime , que son ardeur emportoit toujours
vers un but qu'il ne pouvoit atteindre ? Il avoit cependant
obtenu le titre de lieutenant feld - maréchal au service de
l'Empire ; mais ce poste ne pouvoit satisfaire son ambition ; il
se croyoit en état de commander en chef, et il se comparoit
volontiers aux plus grands généraux de son temps . L'igno
rance est présomptueuse et légère. Dans ses comparaisons : il
trouvoit que l'art paroissoit trop à découvert dans les opéra →
tions du maréchal de Calinat , que le maréchal de Villeroy ne
savoit pas choisir un camp , que le maréchal de Boufflers ne
pouvoit pas commander plus de dix ou douze mille hommes ,
et que la réputation du maréchal de Villars étoit un peu audessus
de son mérite. C'étoit se juger lui- même supérieur à
tous ces capitaines : car on se croit toujours exempt des défauts
que l'on remarque dans les autres. Une idée si avanta
geuse de sa personne et de son mérite , devoit naturellement
lui inspirer de hautes prétentions , que son bonheur à la guerre
venoit encore fortifier. Dans une telle disposition d'esprit , il
étoit impossible de le contenter jamais il auroit même élé
dangereux de l'entreprendre à l'égard d'un transfuge , sur les
intentions duquel il neste toujours quelques inquiétudes . Il
essuya donc des refus lorsqu'il sollicita une augmentation de
pouvoir. Il s'irrita , parce qu'au fond il sentoit bien qu'on lui
rendoit justice ; il voulut encore l'emporter de haute lutte ;
et s'il ne traita pas le prince Eugene , son protecteur , comme
il avoit traité Chamillard , c'est que le mauvais succès de sa
première faute le rendoit un peu moins audacieux . Le prince
s'aperçut de son mécontentement; et comme il connoissoit
3
310 MERCURE DE FRANCE ,
sa mauvaise tête , il l'envoya en Flandre avec son régiment ,
pour y faire les fonctions de général de l'infanterie : c'étoit
l'exiler , puisqu'il n'y avoit rien à faire sur ce nouveau théâtre,
et sa turbulence ne pouvoit s'accommoder d'un état de repos.
Il y avoit alors pour sous- gouverneur des Pays -Bas , à
Bruxelles , un nommé Prié , qui étoit la créature du prince
Eugène. Le comte de Bonneval en avoit reçu des services
auprès de leur commun protecteur , et la reconnoissance devoit
lui rendre sa prospérité agréable ; mais malheureusement
il se considéroit comme disgracié , tandis que l'autre étoit en
faveur. Il ne put souffrir cette sorte d'humiliation ; il chercha
l'occasion de se venger , et elle s'offrit bientôt d'elle - même.
Dans ce même temps , il courut à Bruxelles un bruit sur une
aventure arrivée à la reine d'Espagne , qui étoit fille du
Régent , et ce bruit fut répété comme par écho dans la maison
du sous-gouverneur. Le comte de Bonneval , qui préten.
doit tenir à la princesse par des liens de parenté , saisit cette
occasion d'attaquer son ennemi , parce qu'en même temps il
se flattoit qu'il trouveroit de l'appui en France et en Espagne
, pour s'être déclaré le champion d'une tête couronnée.
Il accusa donc publiquement Prié , sa femme et sa fille
d'être les seuls auteurs de cette nouvelle fabuleuse ( 1 ) , et il
fit circuler dans la ville des billets , par lesquels il traitoit
tous ceux qui le répétoient de coquins , de carognes , et quelque
chose de pis encore : tant la vengeance est basse et aveu→
gle ! Prié rendit compte à la cour de Vienne du scandale
occasionné par les imprudences du comte. Celui - ci fit et imprima
de longs et ennuyeux mémoires , pour prouver qu'il·
avoit eu raison de défendre une chose dont personne ne se
soucioit. On le traita de fou , de visionnaire , de chevalier
digne de figurer dans les romans de l'Arioste ; on ne le crut
pas , parce qu'un homme qui se vantoit de déshonorer toutes
les femmes , et qui les livroit brutalement à la fureur de leur
(1) On disoit qu'un amant avoit été trouvé dans la chambre de la reine ;
qu'on l'avoit poignardé et jeté par les fenêtres,
FEVRIER 1806. 311
mari après les avoir abusées , ne méritoit pas qu'on le prît
pour le défen seur des dames et le redresseur des torts qu'on
vouloit faire à leur honneur. Le prince Eugène , qu'il attaquoit
aussi dans son représentant , ne fut point sa dupe , et
tout le monde l'abandonna . Lorsque Prié eut bien fortifié son
parti , dans le silence d'une conduite réfléchie , il répondit aux
invectives du comte par un ordre de se rendre à la citadelle
d'Anvers et de s'y constituer prisonnier. Cet ordre l'étourdit
singulièrement : il avoit pensé que la popularité dont il
jouissoit le mettoit à l'abri d'un procédé de cette nature ;
peut-être pensa-t-il à s'en servir pour le parer. C'est assez ce
qu'annonceroit l'accablement qu'il fit paroître après qu'il eut
vu quelques mouvemens de la bourgeoisie qui sembloient
l'inviter à la rebellion. Il se hâta néanmoins de partir , comme
s'il avoit voulu s'ôter sur -le - champ les moyens de rien entreprendre
, dans la crainte de se perdre entièrement , ou bien
pour donner à la cour de Vienne une haute idée de son pouvoir
et de sa modération .
Il n'est pas commun dans ce monde qu'on tienne compte
à qui que ce soit du mal qu'il n'a pas fait. La cour de Vienne
qui n'avoit plus besoin des services de ce brouillon , et qui
ne vouloit pas le craindre , le laissa languir pendant quinze
mois dans les prisons d'Anvers. On l'accusa d'avoir cherché
de nouveaux appuis en France , et d'avoir voulu y rentrer ave6
son régiment. Ce n'étoit pas sans quelqu'apparence de raison ,
puisque le Régent , qui aimoit beaucoup ses pareils , ne s'étoit.
pas contenté de faire casser la sentence qui le condamnoit à
mort , mais lui avoit permis de poursuivre le recouvrement
de sa fortune contre son frère , à qui elle avoit été aban
donnée , et lui avoit même écrit pour lui offrir un état
égal à celui dont il jouissoit dans les possessions de l'Autriche.
Lorsque ce protecteur fut mort et qu'on pût croire qu'il n'en
trouveroit plus nulle part , on lui signifia de se rendre à
Vienne , et de s'abstenir de passer par aucune ville des Pays
Bas. Le projet étoit de le traiter encore avec douceur ; et s'il
avoit suivi exactement les ordres qu'il avoit reçus , ses amis
se flattoient d'avoir disposé les esprits d'une manière assez
312 MERCURE DE FRANCE ,
favorable pour n'avoir rien de fâcheux à craindre. Mais il
déconcerta toutes leurs mesures , en se rendant à la Haye , et
entrestant un mois entier hors de la puissance de l'Empereur.
Gette seule imprudence suffisoit pour justifier tous les soupçons.
Il en ajouta une autre , qui le perdit sans ressource . Il
imagina qu'il était possible d'intimider le prince Eugène ,
qu'il regardoit alors comme son plus mortel ennemi ; sa tête se
perdit , et il proposa au prince de se battre en duel. Après qu'il
eut fait cette folie , il délibéra encore s'il iroit à Vienne ; et
comme jusque -là il s'étoit toujours conduit au rebours du
bon sens et de la raison , il n'eut garde d'y manquer dans une
circonstance où il y alloit de sa vie. Dès qu'on le sut arrivé
auprès de Vienne , au mois de janvier 1725 , on le fit arrêter
et conduire au château de Brunn en Moravie. On lui fit subir
quelques interrogatoires , et , peu de jours après , le su
prême conseil de guerre le condamna à mort. Mais l'empereur
commua la peine en une année de prison , et en un bannisse
ment perpétuel de ses états .
Le coup étoit terrible le malheureux comte ne s'y attendoit
pas ; ilen fut frappé comme de la foudre , et il se livra
long- temps au p'us violent désespoir. Il se calma cependant ,
set il attendit en paix le moment où il devoit recouvrer la
liberté.
Ce moment arriva plutôt encore qu'il ne l'avoit souhaité ,
puisqu'il alloit se trouver dans un monde nouveau , sans
emploi , sans argent , sans ressource d'aucune espèce. Oh ,
qu'il dut alors jeter un triste regard sur ses jeunes années si
mal employées ; sur sa patrie , qui lui présentait un si riant
´´avenir , et qu'il avoit trahie ; sur sa ma'heureuse épouse ,
dont il avoit si indignement trompé l'espérance !
Il tourna ses pas incertains du côté de Venise , où il eut
le bonheur de recevoir d'une main inconnue une somme de
10,000 fr. c'étoit beaucoup pour un homme qui manquoit de
tout. Il tâcha d'obtenir quelqu'emploi dans la république ;
mais on lui répondit que tons ceux qui lui convenoient étoient
occupés. Il sentit ce que cela signifioit , et il comprit' qu'il
`n'y avoit plus rien à faire pour lui chez les peuples civilisésa
SOX FEVRIER 1806. 313
" La conséquence n'étoit pas difficile à tirer pour un hommequi
n'avoit ni foi ni loi. Se faire Ture , ou changer son chapeau
contre un bonnet de nuit , étoit pour lui la même chose .
Il se rendit à Constantinople , où il prit le turban. 'La sublime
-Porte tira delui tous les renseignemens et toutes les instructions
qu'il pouvoit lui donger. Il vendit , pour la seconde
fois , sa patrie et les secrets de la taétique européenne. Dans
plusieurs guerres il aida les Turcs de ses conseils , jamais
de sa personne ; et lorsque la paix fut bien établie , on le
récompensa de ses services par le gouvernement de l'île de
-Chio : espèce d'exil , dans lequel il mourut à l'âge de 75 ans.
3. Les mémoirés qu'on lui attribue , quoiqu'écrits d'un style .
de grenadier, comme le dit le nouvel éditeur , ne sont pas plus
de lui que les deux ou trois épisodes où l'on trouve l'histoire
d'une Anglaise , d'une Allemande et d'une Française , écrite
par elles- mêmes , et cette histoire n'a pas plus été écrite par
ces êtres de romans que tout le reste des deux volumes. Partout
c'est la même main , excepté dans quelques pièces relatives
à la querelle entre le comte et le gouverneur Prié.
Celles-ci se distinguent ou par des grossièretés ou par du
galimatias , et il est aisé d'en reconnoître l'auteur . Les autres
pièces ont été rédigées par une main étrangère , et il y en a
quelques- unes qui ont été faites après coup , dans la seule vue
d'enfler un peu le roman. Toutes ces pièces , au surplus ,
sont répétées jusqu'au dégoût , et il est impossible d'en lire
seulement la moitié .
?
! . L'auteur a tellement négligé les moyens de faire illusion ,
qu'il oublie , pendant cinq ou six pages de suite , que c'est
le comte qui parle , et qu'il se met lui-même à raconter son
histoire ; qu'il lui fait débiter mille sottises sur les Turcs
dont la moindre l'auroit fait empaler cent fois ; qu'il le fait
circoncire aussitôt son arrivée à Constantinople , tandis qu'aujourd'hui
le nouvel éditeur publie une lettre de Bonneval ,
dans laquelle il déclare qu'il a été retenu quinze mois aux
arrêts avant de pouvoir se déterminer à prendre le turban ;
qu'il le tient toute une année dans les prisons de Bruon
tandis que maintenant M, Guyot Desherbiers prétend qu'il
>
314 MERCURE DE FRANCE ,
s'échappa au bout de six mois ; qu'il a tout- à - fait oublié
comme il l'avoit prévu d'ailleurs , de parler de ses hauts faits
à la bataille de Peterwaradin , tandis qu'il se souvient si bien
des plus petites choses qui lui sont arrivées bien long- temps
avant ; et qu'enfin il le transporte dans un gouvernement septentrional
de la Turquie au moment de la révolution arrivée
dans Constantinople eenn 11773300 ,, tandis que , dans les fragmens
des nouveaux Mémoires , on le fait guerroyer dans l'Arabie
Pétrée. Je ne sais si M. Guyot Desherbiers a vu toutes ces
contradictions et ces inconvenances ; mais je puis bien assurer
que , quand même il les auroit fait disparoître , il en resteroit
encore suffisamment pour nous autoriser à croire que le
comte de Bonneval , qui ne voyoit pas un seul Français en
Turquie , et qui avoit rompu tous les liens qui l'attachoient
à son pays , n'a jamais pu penser qu'il se justifieroit aux yeux
de ses compatriotes avec des aventures romanesques et des
déclamations furieuses et insensées . G.
VARIETÉS.
"
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
La seconde édition du poëme de LA NAVIGATION , par
M. Fsménard , vient de paroître ( 1 ) : elle est dédiée à S. M. I.
et R. , qui a daigné en agréer l'hommage. L'auteur a fait des
changemens considérables : le poëme d'abord en huit chants ,
n'en a plus que six. Dans un prochain numéro , ces changemens
seront l'objet d'un examen particulier. M. Esménard
termine ainsi l'avertissement dont il fait précéder
cette nouvelle édition : « J'aurois voulu la présenter au pu-
» blic , corrigée de toutes les fautes qui l'avoient frappé dans
La Navigation , poëme en VI chants ; par 3. Esménard , seconde
édition . Un vol . in - 8° . , deux fig . Prix : pap. fin , 7 fr . 50 c .; pap. vélin ,
15 fr. 50 c. par la poste.
A Paris , chez Giguet et Michaud , imprimeurs libraires , rue des Bons-
Enfans , nf. 34; et chez le Normant.
FEVRIER 1806. 315
» la première ; j'ai fait tout ce qui dépendoit de moi pour
>> rendre l'ouvrage plus digne de l'intérêt qu'on m'a témoigné;
j'en ai rectifié le plan ; j'ai fait disparoître les épisodes inu-
» tiles ; j'ai tâché de donner à l'ensemble et à la marche du
>> poëme plus de mouvement et de rapidité ; j'ai ajouté quel-
>> ques vers ; j'en ai changé beaucoup ; j'en ai supprimé da-
» vantage. Sans doute il y reste de nombreux défauts ; mais
>>> cet ouvrage a traversé des temps malheureux. Né dans les
» orages d'une vie errante et persécutée , il conserve l'empreinte
d'une jeunesse imprudente , qui n'a point encore
» trouvé le repos. La fidélité des couleurs locales qu'on a
>> remarquées dans la description de tant de pays différens ,
» avantage acheté par mille souffrances , atteste du moins que'
» ce poëme n'a pas été composé dans les loisirs d'un bonheur
>> tranquille et dans l'asile solitaire où doivent mûrir les fruits
» du talent. Il porte à la fois la date du tems où je l'écrivois
>> sans espérance , et celle de l'époque où j'ai pu le publier
>> sans danger : j'ai cru ne devoir altérer ni l'un ni l'autre. »
-
Encore quatre nouveaux volumes d'oeuvres posthumes
de Marmontel ! Ils contiennent une GRAMMAIRE , une LOGIQUE,
une MÉTAPHYSIQUE , une MORALE . Ces différens ouvrages sont
compris sous le titre général de Leçons d'un Père à ses Enfans.
( 1 ) Nous en rendrons compte très- prochainement.
Les professeurs de l'école spéciale de peinture et sculpture
ont adjugé les prix de la tête d'expression , fondés par le
comte de Caylus ; savoir , celui de sculpture à M. Rutxhiel ,
sculpteur , né dans le département de l'Ourthe , élève de
M. Houdon ; et le prix de peinture à M. Guillemot , peintre ,
né à Paris , élève de M. David.
-M. Rétif de la Bretonne , auteur du Paysan perverti , des
Contemporaines , de la Malédiction paternelle , et d'environ
cent cinquante volumes de romans , vient de mourir à Paris ,
dans la plus profonde misère. Le Paysan perverti est le seul
(1) Quatre vol. in-12. Prix : 12 fr. , et 15 fr. par la poste.
A Paris , chez Xhrouet , rue des Moineaux ; et chez le Normant,
316 MERCURE
DE FRANCE
,
de ses nombreux ouvrages où l'on trouve quelques étincelles
de talent.
-La société d'encouragement à tenu le 29 janvier dernier,
une séance générale , dans laquelle elle a décerné deux médailles
d'or , de 500 fr. chacune , à MM . Poitevin-Maismy ,
préfet du département du Mont- Blanc; et Poiseré de Ceré ,
secrétaire de la société d'Agriculture du départem. des Landes,
comme ayant présenté les plus beaux échantillons de laine de
troupeaux indigènes croisés avec la race espagnole. Une mé→
daille d'encouragement de la valeur de 400 fr. , a été décernée
à M. Duplat, graveur , demeurant à Paris , rue des Maçons ,
n°. 20 , comme ayant donné des preuves d'un talent distingué
dans son art , et parce que la société croit devoir encourager
l'art de la gravure en bois . Deux médailles d'encouragement
de la valeur de 100 fr. chacune , ont été décernées , l'une à
M. Roussilly , propriétaire à la Malle - Vieille , départem ent
du Cantal , comme ayant introduit la culture de la carotte en
grand , dans un pays où elle n'étoit pas pratiquée ; l'autre à
M. Boiteux , bonnetier de Paris , rue du Brave , au bout de
la rue de Tournon , comme ayant fabriqué le premier en
France , l'espèce de tricot connu en Angleterre sous le nom
de bonneterie à toison , et destiné à soulager ceux que les
rhumatismes ou la goutte obligent de se vêtir chaudement.
--
La société d'agriculture de Châlons- sur-Marne a , dans
sa dernière séance publique , rappelé la question qu'elle
avoit précédemment proposée pour sujet du prix que la so→
ciété décernera dans sa prochaine séance' publique , le 16 août
prochain . Est- il de l'intérêt de l'agriculture en France , que
» la quotité de l'impôt foncier soit déterminée pour un cer.
» tain laps de temps ( cinquante ans , par exemple ) , et fixée
» par une loi irrévocable , à laquelle nulle circonstance pré-
» sumable ne puisse porter atteinte ? » Le montant du prix
sera une médaille de la valeur de mille grammes d'argent,
Dans la même séance , M. le préfet , président né de la société
, a annoncé qu'un crible ventilateur à cylindre , de
M. Josse, ayant obtenu la préférence sur toutes les autres machines
, son utilité étant constatée , la société décernoit à son
FEVRIER
319
806.
auteur une médaille de deuxième classe , comme prix d'encou
ragement .
-
La société d'agriculture du département du Nord ,
séante à Douai , a proposé pour sujet d'un prix qu'elle décernera
dans le mois de mai prochain , cette question : « Quellé
méthode de propager , élever , nourrir et renfermer les moutons
de la race existante dans le département du Nord , doit
être suivie dans ce département , pour obtenir de ces animaux
une laine égale en qualité aux meilleures laines fournies par les
moutons d'Angleterre ? » Le prix sera une médaille d'or de
la valeur de 150 fr. Les mémoires seront envoyés au secré¬
taire de la société avant le 1º . avril.
Nota. Croiser les races des moutons flamandes , espagnoles
ou anglaises , en se procurant des béliers tirés de l'Angleterre
ou du troupeau de Rambouillet , est un moyen d'améliorer la
laine des moutons de la Flandre. Ce moyen est facile à indiquer
, mais il ne peut être employé que par des cultivateurs.
en état de faire des avances qui excèdent les facultés d'un
grand nombre. D'ailleurs , c'est moins en modifiant la constitution
des moutons flamands qu'en en changeant la race ,
qu'ils procureroient des laines de meilleure qualité. Ce que la
société desire particulièrement , c'est l'indication d'un régime
qui améliore la laine de l'espèce flamande. S'il est un croisement
facilement praticable et peu dispendieux qui puisse seconder
le régime , il est sans doute convenable de le faire. Indiquer
le croisement seul , pour moyen d'amélioration , ce
seroit laisser sans réponse la partie la plus essentielle de la
question.
- La société des sciences et arts. de Mâcon propose , pour
sujet du prix qu'elle distribuera à la première séance de janvier
1807 , « de déterminer si les plantations de vignes destinées
ne produire que des vins communs et faites dans des terrains
propres à d'autres cultures , sont avantageuses ou nuisibles au
département de Saône et Loire et à celui de la Côte - d'Or. »
La question sera traitée sous le double point de vue de l'intérêt
général et de l'intérêt particulier. Le prix est une mé¬
daille d'or de 300 fr. Les mémoires seront adressés , avant le
318 MERCURE DE FRANCE ;
15 octobre , à M. le maire de Mâcon , ou au secrétaire perpétuel
de la société.
-On parle avec éloge d'une mécanique exécutée par
M. Faveret , horloger à Morey , département de la Haute-
Saône. C'est une pendule à huit cadrans détachés qui marquent
les heures , les minutes , les secondes , les noms et jours des
mois , les années communes et bissextiles , les mois et quantièmes
perpétuels , le lever et le coucher du soleil pour chaque
jour , l'équation de chaque jour , et le temps moyen au midi
vrai , l'entrée du soleil dans chaque signe du zodiaque , les
phases , l'âge et le mouvement périodique de la lune. La simplicité
de cet ouvrage en fait le principal mérite .
Le fameux Codex aureus n'est pas le seul manuscrit
précieux qui ait été transporté , de la bibliothèque du chapitre
de Bamberg , à Munich. Il faut y joindre quatre livres
d'Evangiles et un Missel du onxième et douzième siècles , sur
parchemin blanc , d'un beau caractère , et très-bien conservé.
La reliure est ornée de perles et de pierres précieuses dans un
encadrement d'or massif, et de petits reliefs en ivoire , représentant
differens traits du Nouveau Testament.
-Les journaux de Leypsick annoncent qu'on vient d'y
mettre sous presse les trois premiers volumes de l'Histoire
des Suisses , nouvellement refondue par Muller; les 4 et 5º yolumes
paroîtront en même temps à Pâques.
Il paroît à Pétersbourg un nouvel ouvrage plutôt de
gravure que de littérature , intitulé : Le Panthéon dés souve→
rains de la Russie. Cette collection présentera un abrégé historique
et chronologique de la vie et des exploits des grandsducs
, des czars , des empereurs russes , de leurs épouses et de
leurs enfans , depuis l'an 862 après Jésus-Christ , jusqu'à
l'empereur actuellement régnant. On y trouvera aussi des
notions sur les différentes formes du gouvernement russe ,
les troubles qui ont désolé l'empire , sur les généraux qui l'ont
illustré. C'est M. le conseiller Philipowsky qui en est l'auteur ,
et qui le fait imprimer à ses frais pour l'instruction de la
jeune noblesse russe. Il en a paru deux livraisons formant un
volume in-folio.
sur
FEVRIER 1806. 319
T - La société des Sciences et Arts de Goërlitzferce a mis au
concours les deux questions suivantes : « 1 °. Pourquoi , par
un temps clair et serein , gèle-t-il , quand le thermomètre de
Réaumur est à 3 ou 4 degrés au-dessus de zéro, et ne gèle-t-il
qu'à zéro par un temps nébuleux ? 2° . Trouver et rassembler
dans les ouvrages de Plante tout ce qui a rapport à la connoissance
des hommes ou des choses de son temps , et mettre
ces matériaux en ordre , de manière à pouvoir se procurer un
tableau de la civilisation et des moeurs contemporaines. >>
H résulte du compte que MM. Nauche et Toulet ont
rendu , le 6 février deruier , des travaux de la société Galvanique
pendant le cours des années 12 et 13 ( compte que l'on
trouve en entier dans le Moniteur du 13 février ) , il résulte ,
disons-nous , que le galvanisme forme déjà un corps de doctrine
et ne peut manquer de prendre bientôt des accroissemens
rapides. Cependant on n'a point encore précisé les points
d'identité ou de différence qui peuvent exister entre le galvanisme
et l'électricité, ni les points de contact que quelques anteurs
ont cru pouvoir supposer entre ces deux agens et le magnétisme.
On n'a point décidé encore si les fluides , tant
électrique que galvanique , sont partie intégrante ou constituante
des attributs de la vitalité ; on n'a point assez analysé
l'influence de l'oxidation dans le développement des phénomènes
galvaniques ; on n'a point expliqué pourquoi la pile
plongée dans la flamme , dans la fumée , dans le vide , conserve
son énergie et en retient même une légère partie dans l'eau .
Le monde par lequel s'opère la décomposition de l'eau n'est
pas mieux connu ; ni le degré , ni la durée de l'excitabilité
du coeur , des intestins , de la vessie , de la matrice dans
l'état de gestation , n'ont été encore assignés avec précision ;
l'on peut même justement révoquer en doute , sinon la différence
d'énergie entre l'action des deux pôles de la pile , du
moins l'existence de leurs effets secondaires , tels que ceux des
faveurs acide , alcaline , des sensations de couleurs bleues ,
pour un pôle, et rouge pour l'autre, annoncés prématurément
par plusieurs auteurs. On peut d'autant moins déterminer
l'influence de l'agent galvanique sur les fluides animaux et
320 MERCURE DE FRANCE ,
sur la végétation , que les procédés mis en usage par les au
teurs de ces différens essais , pèchent essentiellement en ce que
tes observateurs n'ont pas suffisamment distingué les effets
galvaniques proprement dits , de l'effet présumé de l'oxide
des conducteurs dont ils se sont servis.
MM. Chaptal et Cuvier ont été nommés membres de la
Société des Sciences de Copenhague.
----
M. Fischer , de Vienne ( Antriche ) , a trouvé un nou→
veau procédé pour le blanchiment de la paille . Au lieu de la
soufrer à l'étuve comme ou le faisoit avant , il la trempe dans
de l'acide muriatique saturé de potasse . La paille blanchie par
le procédé de M. de Fischer , ne jaunit jamais , et peut soutes
nir la comparaison pour le degré de blancheur ; elle acquiert,
en outre, une grande flexibilité.
--- M. Huth , conseiller de cour , à Francfort-sur-l'Oder ,
adécouvert, le 22 novembre, à 7 heures du soir, une nouvelle
comète dans Andromède. A 8 heures son ascension droite
étoit 11 degré 10 minutes ; sa déclinaison , 35 degré 20 mi
nutes. Le 25 , à la même heure , elle étoit à 10 degrés 37 minutes
d'ascension droite , et à 34 degrés 40 minutes de déclinaison
, c'est-à-dire , qu'elle étoit avancée de 45 minutes au
aud. A l'oeil nu , elle paroit comme une tache moins lumineuse
que la grande tache d'Andromède , dont elle est éloignée
de 5 degrés au sud. Au télescope , elle paroît comme
une belle planète très-lumineuse. Comme elle s'approche du
soleil , sa grandeur apparente croîtra . Elle prend sa direction
vers l'aile de Pégase.
t
L'administration de la Société de Charité Maternelle a rendu compte ,
dans l'assemblée du 9 janvier, de la situation de cet établissement , formé
en 1784 , que les orages de la révolution avoient forcé de suspendre , et
heureusement rétabli depuis environ cinq ans. Voici un extrait de će
compte : La société a admis cette année. 500 mères à la distribution de
ses secours : la totalité de ses enfans adoptifs , depuis son rétablissement
est de 2130. La société a donné , dans le compte de l'an 13 , le résultat
de ses deux premières années : celui qu'elle vient de publier offre le complé
ment des comptes de la troisième et quatrième années . Voici ce dernier :
Dans le courant de la quatrième année , la société a admis 500 mères , qui
ont donné naissance à 511 enfans . Cent-quarante -quatre garçons et cent- cinquante-
ix
FEVRIER 1806 .
321
quante-six filles ont cessé d'être asssistés par la société, les enfans ayant quinze
inois . Cinquante-un garçons et quarante - cinq filles n'ont pas encore atteint
jeurs quinze mois . Trois garçons et six fil es ont été mis en nourrice par leurs
parens. La société n'a perdu , dans le courant de ces quinze mois , que qua¬
rante-huit garçons et cinquante- neuf filles . Une observation intéressante pour
les bonnes mères que nous offre ce compte , c'est que la société a eu le
bonheur de conserver près des trois quarts de ses enfans jumeauk ; ce qui
est très- rare , même parmi les parens qui ont le p'us de moyens pour
soigner leurs enfans . Sur dix femmes qui ont donné le jour à vingt et un
enfans ( douze garçons et neuf fi'les ) , il n'en est mort que six , quatre
garçons et deux filles : dans ce nombre , il y avoit trois garçons d'une
seule couche , qui n'ont vécu que cinq ou six jours ; six mères avoient
conservé, chacune leurs deux enfans à l'époque de leurs quinze mois , où
la société , a cessé de les assister ; les trois autres en avoient conservé
chacune un. On fera observer encore combien la mortalité est moins
considérable parmi les enfans de pauvres familles que la société a le
bonheur de pouvoir secourir ; et elle a la consolation , quand elle est
obligée de cesser ses dons , de laisser presque tous les enfans avec une
bonne constitution et une santé qui leur promet un avenir plus heureux.
Plusieurs mères ont consen i à faire vacciner leurs enfans , et elles en cnt
été assez satisfaites pour que leur exemple , l'encouragement qu'elles
donneront elles -mêmes à d'autres mères , doivent amener à cet égard un
changement bien salutaire . Le total de la recette de l'année , jusqu'au
premier janvier 1806 , est porté dans ce compte à 59,699 fr .; les dépenses
, à 57,963 . Cet excédant de la recette sur la dépense , joint aux
retours et économies qui ont eu lieu dans le courant de cette année •
forme une. somine de 10,591 fr ,, qui , réunie à celle que les souscripteurs
zélés ont déjà bien voulu renouveler , donne la possibilité d'ouvrir , dès
ce jour même , un partage de 100 pla es à raison de 128 fr. pour chaque
mère. Il résulte de cet état de recette et de dépense pour la cinquième année
dont on vient d'offrir l'extrait , que la société a pu admettre à ses secours
500 mères : 420 ont donné naissance à 426 enfans , à cause des couche
doubles ( 198 garçons et 188 filles ) , les 80 autres mères ne sont pas encore
accouchées. Sur le nombre de 426 enfans nés dans le courant de la cinquième
année , la société n'a perdu que 21 garçons et 19 filles . Ce tableau
est assez satisfaisant pour que chaque membre de la société puisse s'applaudir
du fruit de ses aumônes , et pour mettre toutes les personnes qui
en auront connoissance à même de juger de l'utilité d'une institution qui
n'ayant d'autres fonds que ceux donnés annuellement par la bienfaisance
"
X
322 MERCURE DE FRANCE ;
1
du gouvernement et le zèle charitable de ses souscripteurs , d'autres agens
que quelques dames actives répandues dans les différens quartiers , a secouru
, depuis son rétablissement, 2130 familles , et préservé le même nombre
d'enfans de l'abandon et de la misère . Nous terminerons cet extrait
par l'appel simple et touchant à la bienfaisance , qui pourroit servir d'épigraphe
à ce compte où on le lit : « Ce tableau que nous présentons , disent
les charitables administratrices , sera la seule prièrc que nous nous per_
mettrons en faveur des pauvres. >>
- Toute l'Europe savante a retenti du nom de Wolf, qui
a prétendu détrôner Homère , et lui enlever l'admiration dont
il est l'objet depuis tant de siècles. On a su moins généralement
que le même professeur avoit également attaqué la gloire de
Cicéron , en lui disputant son oraison pro Marcello , un de
ses morceaux les plus éloquens , et un de ceux qu'on explique
Je plus souvent dans les colléges. M. Wolf prétend que ce
discours n'est qu'une déclamation de réthorique , composée
par des écoliers , après la mort de Cicéron , et d'après quelques
fragmens de son véritable discours...... Plusieurs auteurs
allemands ont cru leur honneur intéressé à défendre celui de
Cicéron, M. Olaüs Wormius , professeur danois , fut un des
premiers à entrer dans la lice ; mais quoiqu'il ne manquât nữ
d'éloquence , ni de sagacité , il parut un foible avocat de
l'orateur romain. Il étoit réservé de plaider cette cause avec
succès , à M. Weiske , connu par une édition de Xénophon ,
et par des travaux estimés sur plusieurs écrits de Cicéron. Aux
bonnes raisons tirées de la nature même du sujet , M. Weiske
a cru devoir joindre la plaisanteric. Il plaisante ingénieusement
M. Wolf, en lui soutenant à lui-même que son ouvrage
n'est pas de lui ; ce qu'il prouve par des citations contradictoires
et des passages indignes de la réputation d'un aussi célèbre
professeur.
-Le docteur Playfair , principal du collège de Saint-André,
en Ecosse , a publié au commencement de janvier , le prospectus
d'un système , complet de géographie ancienne et
moderne en 6. vol. in-4° . L'ouvrage est achevé, et a coûté
50 ans de travail à son auteur.
- Plus de deux mille exemplaires des oeuvres de J. J. Rouseau , in-4°.,
ont été vendus sans figures , et les possesseurs de ces éditions , ignorant
1
FEVRTER 1806 . 323
1
les moyens de se les procurer , gémissent d'avoir d'aussi beaux ouvrages
imparfaits pour remplir leurs voeux , Calixte Volland , libraire , quai
des Augustins, nº . 19 , devenu propriétaire de 138 cuivres gravés d'après
les dessins de MM. Morean , Barbier et de Latour , par Saint - Aubin ,
Ingouff , Lemire, Choffard et compagnie , distribué une nouvelle édition
'de ces figures , divisée en 6 livraisons , dont la re. , qui paroît , contient
sept estampes : Il retourne chez ses égaux. Le frontispice d'Hé-
―
-
loise . Le premier baiser de l'Amour. -Saint-Preux défie milord
Edouard. Colère du père d'Héloïse.- Nouveau défi de Saini-
Preux. — Saint- Preux chef des filles.
La collection coûtera 24 fr.; le prix de chaque livraison est , pour le
souscriptear, de 4 f .; et 4 fr. 50 c . franc de pórt , Celui qui souscrira
payera 4 fr. à valoir sur la 6º ou dernière livra son ; ceux qui ne souscriront
pas , payeront 8 fr. par chaque livraison . Ces magnifiques figures
sont destinées spécialement aux éditions in 4°. de Genève , Londres
Bruxelles, Paris Volland : on en a tiré quelques exemplaires sur papier
nom Jésus pour la grande édition de ce format , imprimée chez Didot
par de Maison-Neuve , et dont chaque livraison se vendra 6 fr.
La seconde livraison a paru le 1er. février , et paroîtraainsi de suite de
mois en mois; de sorte que l'ouvrage sera terminé le 19. juillet .
AU REDACTEUR .
Messieurs, on vient d'annoncer dans les journaux un ouvrage avec ce
titre : Hygiène, ou l'Art de conserver la santé , rédigée d'après les
principes de l'Encyclopédie ..... et où l'on trouve l'analyse des ledu
savant M. Hallé , etc.; par une société de médecins. cons
Et dans un avertissentent mis à la tête de cet ouvrage , on dit en parlant
de M. Hallé, que , sans son avou , cet ouvrage n'eût pas vu le jour .
Non-seulement je n'ai pas donné mon aveu à la publication de cet ouvrage
, mais , par une afiche et par des avis insérés dans les journaux , je
l'ai désavoué publiquement il y deux mois, lorsque j'appris qu'il alloit
paroftre : j'en avois été averti par des élèves de l'Ecole de Médecine , à qui
ce procédé de la part des éditeurs avoit paru peu honnête.
Aujourd'hui qu'il paroît avec des erreurs qui décèlent une ignorance
profonde des choses les plus généralement connues , je m'empresse de réitérer
cet aveu.
Je répéterai ici ce que j'ai déjà dit , que , dans le courant de Fannée
1806 , je compte terminer le développement des matières qui composent
mon cours d'Hygiène ; qu'alors je m'occuperai de le mettre en état d'être
gublié , et que Mme. Hazard , imprimeur-li braire , a bien voulu se char-
1
X a
324 MERCURE DE FRANCE ,
per de tout ce qui concerne cette publication. Je crois , messicurs , que
vous pensez qu'il m'importe que l'on ne croye pas que j'ai donné mon
aveu à un ouvrage qui peut être fait d'après mes leçons , mais dont je ne
connois point les auteurs , et dont la rédaction fourmille d'erreurs préjudicíables
à l'instruction , et que par conséquent vous voudrez bien donner
à cette lettre une place dans votre jourual.
Signé HALLE , professeur à l'Ecole de Médecine de Paris
de l'Institut national.
Depuis le 28 janvier au 9 février , l'élévation du baromètre
a marqué , dans son maximum , 28 p. 2 l . 1712.
Id., pour le minimum , 27 p. 5 l. 6712 .
Le thermomètre de M. Chevallier s'est élevé pour le maxi
mum à 10 deg.
Il est descendu dans le minimum à 2110.
L'hygromètre a marqué, dans son maximum , 100 d.
Et pour le minimum , 96.
Vents dominans. Les vents , depuis ces 10 jours , ont soufflé
13 fois au S. O. , 5 fois au S. E. , 7 fois au S. , et 2 fois au N. O
Dans les dix jours qui vienuent de s'écouler, il n'y en a eu que deus
qui n'aient pas été obscurcis par la pluie, Pendant ces deux jours , l'air
étoit moins vaporeux et même un peu fraid . Il n'est pas une maison où la
Gripe , qui paroît un des effets de cette température , n'ait faît payer untribut
plus ou moins fort : et l'on a compté jusqu'à deux cents enfans
alités par cette maladie , dans une seule maison dédacation . Heureusement
elle a été plus répandue que meurtrière , parce qu'avertis de bonne
heure sur la nature de cette affection et les remèdes convenables, tous ceux
qui exercent l'art de guérir à Paris se sont abstenus de la saignée , et ont
allié les toniques et même les légers stimulaus aus mucilagineux édulcorés.
C'est ainsi que les teintures, les pastilles et le sirop d'ipécacuanha ont tourà-
tour réussi selon l'indication particulière ; car, tout en convenant qu'on
peut tracer un mode général de traitement , il faut dire aussi que ce mode
est toujours subordonné aux circonstances , à l'intensité des accidens , à la
constitution du malade , etc. , et quand on peut appeler un homme de l'art
on fait toujours bien d'invoquer ses conseils . Il a été prudent de purger
après les différens périodes écoulés depuis la grippe ; et l'on a remarqué
chez plusieurs personnes qui ont négligé cette précaution des récidives ou
des dépôts affectant diverses parties ; tantôt sous forme de clous, dans les
profondeurs des muscles charnus ; tantôt sous celle d'érysipèle à la face on
de gonflement des glandes , ou enfin sous l'apparence de maux dits d'aventure
ans doigts. Des cataplasmes émolliens dans la première formation
FEVRIER 1806. 3.5
des phlegmons , puis l'onguent de la mère appliqué sur la petite éminence
blanchissante du clou , tel est le traitement bien simple qu'il faut toujours
terminer par quelques potions purgatives .
Quant à Pérysipele de la tête , malgré l'aspect inflammatoire , n'oubliant
point la dégénérescence originelle de cette affection , qui n'est due qu'à un
changement de place de l'humeur catharrale , il faut encore se garder de
saigner ; mais on mettra les pieds dans un bain très- chaud et très -court ,
on posera un vésicatoire au bras pour faire diversion et appeler l'humeur
sur une partie moins intéressante à la vie. Ce vésicatoire , au premier pansement
, donnera une large suppuration séro - gélatineuse , quelquefois
même dès-lors purulente. On se gardera bien de panser avec l'onguent
épipastique ( moyen , pour le dire en passant , trop prodigué depnis quel-'
que temps , et aussi incendiaire et dangereux dans la plupart des cas qu'il
est stimulant et utile dans quelques autres. ) Le suppuratif et le beurre suffisent
, et l'on posera même par- dessus ce pansement un cataplasmè de
plantes émollientes unies à la fleur du sureau , avec addition d'un gros de
sel de nitre ; on donnera pour boisson l'eau de poulet , le bouillon aux
herbes , une tisane apérative légèrement hémétisée , et sur tout des lavemens
purgatifs pour partager l'effort de la déviation ´humorale ; enfin ,
quand tous les symptômes inflammatoires auront disparu , on purgera .
les
Le gonflement des glandes n'exige d'autre précaution qu'une chaleur
locale , mais médiocre , pour ne pas favoriser leur développement ,
bains de pieds et des bouillons purgatifs . Le mal d'aventure des doigts
qu'on appelle aussi tourniole , et qui n'a d'aventure que d'avoir appelé aux
extrêmités une humeur qui irritoit le larynx , demande un soin particulier
pour empêcher, s'il est possible , la chute de l'ongle. On trempera vingt
fois par jour l'extrêmité du doigt malade dans l'eau chaude à une tempé
rature supportable , pour distendre la texture des fibres et favoriser la
formation du petit dépôt humoral ; on l'entourera de beurre , ou d'oseille
fricassée dans de la graisse de porc , ou de farine résolutive bien cuite' , puis
d'oguent de la mère quand il abscédera. On aura soin sur-tout de le défendre
bien du contact de l'air . Si, malgré ces précautions l'ongle tombe, lors、,
qu'il sera tombé , on plongera son doigt dans un peu de cire-vierge liquéfiée
; et cette couche , en préservant le doigt des impressions de l'air, faci- ¹
lite la crue du nouvel ongle bien formé. Il faut d'ailleurs purger à la suite
de toutes ces indispositions , qui ne sont que des modifications de l'affec
tion catharrale dégénérée , et dont l'humeur , mobilisée par quelque cause
étrangère , s'est portée sur ces différentes parties.
Traçons rapidement les moyens préservatifs de la grippe : se frotter ,
en se levant , le corps avec de l'eau de Cologne ou de l'eau-de-vie
camphrée ; ne point sortir le matin sans avoir mangé quelque chose ,
par exemple du chocolat sec , ou bu un peu de liqueur spiritueuse ; être
chaudement vêtu , et surtout avoir les pieds , la tête et la poitrine bien
3
326
MERCURE DE FRANCE ;
་
défendus contre l'humidité ; porter sur la peau un gilet de flanelle ou au
moins de tricot de laine sur la chemise ; changer de linge si l'on rentre
et d'habits si l'on a été mouillé ; ouvrir en sueur " les appariemens au
soleil , y allumer un feu clair , y brûler du vinaigre , ou employer les
fungations de Guiton- Morveau ; user d'alimens savoureux et même un
pen aromatisés; boire un peu de vin pur et de café , ne boire de l'eau qu'après
avoir pris la précaution de l'épurer ; manger peu de fruits , faire
plusieurs repas ; boire dans la journée quelques tasses chandes d'une infusion
carminative à laquelle on ajoutera une cuillerée d'eau-de-vie . Si
l'on éprouve un point de côté ou un peu d'échauffement , la cesser ; se
tenir le ventre libre par des lavemens ; éviter les grandes réunions où l'air
est vicié , où les pores sont dilatés par l'extrême chaleur , et d'où l'on
une disposition plus grande à recevoir les impressions de l'air
extérieur ; avoir à sa bouche habituellement quelque pâte mucilagineuses
ou simplement de la gomme arabique .
scrt avec un
C'est le préservatif le plus sûr dans l'opinion de ceux qui attribuent.
les épidémies à des miasmes stimulans , à des molécules acres répandus
dans l'atmosphère ; le soir , avant de se coucher , quelques cuillerées
d'un punch léger . Cette boisson acido- spiritueuse est le meilleur anti-,
septique , et n'a d'autre défaut peut -être que d'entraîner à son abus par
soa goût très- peu médicinal. La pipe est encore très- indiquée. Enfin , il
est un moyen énergiquement préservatif dans toutes les épidémies , mais
qu'il seroit ridicule d'opposer à un aussi faible ennemi que la grippe ,
c'est le vésicatoire . Tous les voyageurs ont observé que les porteurs de
cautère , d'ulcères , d'exutoires enfin , out été exempts des contagions ›.
mêmes pestilentielles , ou des épidémies varioliques.
( Gazette de Santé dų 11février )
MODES du to février. On porte des tormes de toutes les couleurs
mais toutes ne sont pas en velours on en fait en satin' ; celles-lâ ont ordinairement
, sur le bord, une grosse natte , ou une grosse corde de rubans,
elles sont , ou parées d'une grande plume blanche , ou ornées d'une demiguirlande
de roses .
Les roses du Bengale commencent avoir moins de vogue : plusieurs ›
fleuristes fabriquent des roses ordinaires ; mais pour leur imprimer le caractère
de la saison , ils y adaptent des feuilles mortes.
Le réséda et l'héliotrope sont encore de mode ,
Il y avoit dans la magnifique réunion de l'Opéra , plus de fleurs que
de plumes , et plus de diamans que de toute autre espèce de parure de ·
tête . Beaucoup de peignes en corbeille , n'étoient composés que de dia :
mans. Les robes étoient , pour la plupart , de velours ,, et faites
l'espagnole .
Pour les collerettes , la mode des dents de loup est passée , ou se passe ;
on les porte en dentelle ordinaire , fort large , et toujours rabattues.
Rien de mieux pour e négligé qu'une capote de satin gros-bleu , doublée
de blanc , liserée de blanc , à passe rayée de petites côtes de satin
blanc la forme en est ordinaire ; mais la couleur n'en est point commune.
On regarde aussi comme très - distinguées , des capotes de crepe blanc ,
rayées en biais par de larges rubans de satin blanc,
FEVRIER 1806 . 327
Il y a des douillettes grises , des donillettes abricot , des douilleties
hortensia . La nuance hortensia , ou rose - pale , a toujours la vogue.
On brode maintenant le jabot d'une chemise d'homme, et non la che
mise de chaque côté du jabot. Les cravattes ont , au milieu du coin brodé,
ane fleur , ou un chiffre sur un point de dentelle .
Les chemises de femme se brodent du haut et du bas , et aux manches.
Les mouchoirs de poche ont pour bordure des languettes en coton
rouge ou bleu.
-
NOUVELLES POLITIQUES.
Londres , 4 février.
Voici la liste du nouveau ministère , telle qu'elle a
été définitivement arrêtée hier entre le roi et lord Grenville :
M. Erskine , lord-chancelier ; lord Grenville , premier lord
de la trésorerie ; lord Henry Petty , chancelier de l'échiquier ,
M. Fox , ministre des affaires étrangères ; le comte Spencer ,
ministre de l'intérieur ; M. Windham , secrétaire de la guerre
et des colonies ; M. Grey , premier lord de l'amirauté ; le
comte Moira, grand-maître de l'artillerie ; le comte Fitz-
William , président du conseil ; lord Sidmouth , garde da
sceau privé; lord Ellenbroug , ayant voix sans fonctions.
Lord Cornwallis , qui étoit alle remplacer le marquis de
Wellesley dans le gouvernement de l'Inde , et qui avoit commencé
par changer brusquement tout le systente d'administration
de son prédécesseur , est mort un mois après son arrivée.
Dans la séance du 27 janvier , la chambre des communes
sur la motion de M. Lascelles, a arrêté : « qu'une humble adresse
" seroit présentée au roi , pour le prier de vouloir bien or-
» donner que les restes mortels du très-honorable William
» Pitt soient inhumés aux frais de l'état , qu'un monument
» soit élevé dans l'église collégiale de Saint- Pierre , à West-
» minster, pour perpétuer la mémoire de ce grand et excellent
» homme d'état , avec une inscription exprimant les senti-
» mens du peuple anglais , et ses regrets d'une perte si irré-
» parable ; enfin , que la chambre fasse les frais de ce monu-
» ment , et qu'il en soit donné avis à S. M. ».
Plusieurs membres ont parlé pour et contre la motion
parmi ces derniers on a remarqué M. Windham et M. Fox ,
qui n'ont point empêché la motion d'être approuvée par 238
voix , contre 89.
Du 6 février. Les Lords Hawkesbury , Mulgrave , Westmoreland,
Cambden et Castlereagh ; ont donné hier à S. M.
la démission de leurs emplois. Les nouveaux ministres ont été
4
MERCURE DE FRANCE ,
adrist is a main du roi ; le duc de Bedfort a acceplé
la place de lieutenant d'Irlande . Lord Minto est destiné au
oung
bear général du Bengale.
Lemier lord de la trésorerie , M. Grenville , peut être
regarde comme étant à la tête du ministre , quoiqu'en considérant
les personnes dont il est entouré , on ne puisse lui
supposer le pouvoir du ehef. Les partis combinés dans la formation
du nouveau cabinet peuvent se classer ainsi :
Le parti Grenville , ne consistant que dans le lord Grenville
lui-même , et peut-être le comte Spencer.
"
Le parti Fox , composé de M. Fox , Erskine , Grey , lord
Henry Petty, Windham et lord Fitz- William.
Le parti Addington , le lord Sidmouth lui-même , et du
lord Ellenboroug.
Le parti du prince de Galles n'a que le lord Moira.
The Courrier. )
Il paroît maintenant certain que l'escadre , sortie dernièrement
de Brest , s'est partagée en deux divisions , ainsi que
quelques rapports l'avoient annoncé. Chacune consiste en six
vaisseaux de ligne et une frégate. L'amiral Duckworth en
poursuit une , et l'amiral Louis a été détaché à la poursuite de
l'autre.
Extrait d'une lettre de la Martinique , du 12 décembre.
« Le vaisseau de S. M. , le Nembrod , est arrivé ici le 10 ,
dépêché par l'amiral Cockrane aux différentes îles , avec
ordre aux vaisseaux de S. M. de venir le joindre de suite , l'amiral
ayant reçu avis qu'une escadre française avoit été vue
dans ces parages.
Le journal ajoute que les rapports varient beaucoup sur
la force de l'escadre française ; les uns la présentent comme
étant composée de cinq vaisseaux de ligne , avec beaucoup de
troupes à bord , et croient que c'est l'escadre de Rochefort ;
d'autres ne lui donnent que deux frégates et peu de troupes,
PARLEMENT BRITANNIQUE .
Les copies des traités avec les puissances étrangères ont été
remis , le 28 janvier, aux deux chambres du parlement. Voici
un extrait de ces traités :
Traité avec l'empereur de Russie , en date du 11 avril 1805.
Il est stipulé que ce traité a pour objet de rétablir la paix
de l'Europe , et de lui rendre l'indépendance dont elle est
privée par l'ambition sans bornes du gouvernement français.
En conséquence , les deux puissances s'engagent à réunir des
or ces qui , indépendamment des troupes de la GrandeFEVRIER.
1086,
Bretagne , se monteront à 500,000 hommes effectifs , pour
obtenir les résultats suivans : L'évacuation de l'Hanovre et du
nord de l'Allemagne ; l'indépendance des républiques de la
Hollande et de la Suisse ; le rétablissement du roi de Sardaigne
en Piémont , avec une augmentation de territoire telle que les
circonstances pourront le permettre '; l'indépendance future
du royaume de Naples ; l'évacuation complète de l'Italie par
les armées françaises , y compris l'ile d'Elbe ; et enfin l'établissement
en Europe d'un ordre de choses qui puisse désormais
offrir une barrière à de nouvelles usurpations.
qui
par
En conséquence , S. M. britannique s'étoit obligée à payer
la
somme d'un million deux cent mille livres sterlings de subsides
pour chaque cent mille hommes qui seroient fournis la
Russie , payables mois par mois. Il étoit de plus stipulé que
dans le cas d'une ligue , nul ne pourra traiter de la paix que
du consentement de toutes les parties. Plusieurs articles séparés
sont annexés à ce traité.
Par le 4 article , en date du 30 mars 1805 , il est dit ,
qu'attendu la grande difficulté de mettre sur- le-champ
500,000 hommes en campagne , on mettra en marche le plus
tôt possible une armée de 400,000 hommes , qui sera composée
de la manière suivante : l'Autriche fournira 250,000 hommes
la Russie 115,000 au moins , indépendamment des levées faites
en Albanie , en Grèce, etc. , et le reste sera fourni par Naples ,
la Sardaigne , le Hanovre , et d'autres.
Le 5° article séparé porte que les troupes russes recevront
lesdits subsides jusqu'à leur retour dans leur patrie , et en
outre un équivalent de trois mois de subsides comme une
première mise en campagne. Il est de plus stipulé qu'il
n'entre nullement dans les principes des parties contractantes
de se mêler de la forme du gouvernement de la France , ni de
s'approprier aucune des conquêtes qui pourroient être faites ;
et à la fin de la guerre il sera rassemblé un congrès général
pour donner à l'Europe une paix solide et durable. Il est
stipulé par un autre article , que les parties contractantes
feront cause commune contre les puissances qui s'uniroient
avec la France , de manière à entraver la marche des opérations
combinées.
fournir à
de
Le 11 article séparé contient la promesse
l'empereur d'Allemagne un million sterling pour la première
armée qu'il mettra en campagne , dans le cas où les propositions
de paix qui devoient avoir lieu à cette époque , et
dans lesquelles l'Autriche se trouveroit comprise , n'auroient
pas un résultat favorable. Enfin , par un dernier article , il
2
330 MERCURE DE FRANCE ;
J
est stipulé que l'Autriche et la Suède n'auront aucune part
aux avantages de la confédération , à moins que leurs troupes
ne soient en campagne dans quatre mois , à compter de la
signature dudit article .
Déclaration du comte Stadion à lord Gower, datée de,
Saint-Pétersbourg , le 9 août 1805.
L'empereur d'Allemagne demandoit , par cette déclaration,
trois millions sterl. de subsides pour l'année 1805 , et quatré
millions pour l'année 1806 , et moitié des trois millions
payée comptant pour la première armée qui seroit mise en
mouvement. La réponse du lord Gower , en date du 9 août
porte qu'il n'est point autorisé à accéder à cette demande de
Ja cour de Vienne ; mais qu'en vertu de la convention du
11 avril, les subsides lui seront payés mois par mois , à compter
du 1 octobre 1805 , avec cinq mois d'avance pour la
première armée qui entrera en campagne , S. M. I. s'étant
engagée à mettre sur pied au moins 320,000 hommes.
er
Convention préliminaire entre l'Angleterre et la Suède
en date du 3 décembre 1804.
S. M. , pour mettre le roi de Suède à même de pourvoir à
Ja défense de Stralsund , consent à lui payer 60,000 liv. st. en
rois termes ; et le roi de Suède s'engage à permettre l'établis
ement d'un dépôt dans la Pomeranie suédoise, pour les besoins
des troupes hanovriennes ; et à accorder pendant la
guerre le droit d'un entrepôt à Stralsund , pour y déposer les
marchandises anglaises,
Convention avec le roi de Suède , signée à Helsingbord,
le 31 août 1805.
! S. M. s'engage à payer par mois au roi de Suède la somme
de 1800 livres sterl. pour chaque mille hommes de troupes
régulières dont il renforcera la garnison de Stralsund , ledit
renfort ne devant pas excéder 4 mille hommes de troupes
régulières. Cette convention est garantie par l'empereur de
Russie.
Traité entre S. M. et le roi de Suède , daté de Beckascog,
le 3 octobre 1805.
On renouvelle la convention du 31 août , et la Suède s'engage
à fournir 12,000 hommes de plus pour agir de concert
avec les alliés. Il lui sera payé 12 liv. st. et demi par an pour
FEVRIER 1806 . 331
chaque soldat , et cinq mois en sus pour l'équipement. Le subside
ne cessera que trois mois après la paix ( 1 ).
(1) Il étoit évident pour tout homme sensé , que la Russie et l'Autriche
avoient été séduites par l'or de l'Angleterre . Aujourd'hui la preuve officielle
et juridique en, est acquise. Tous les militaires tous les bons
Autrichiens ne pouvoient se persuader que le ministère eût ainsi trahiles
intérêts de la patrie. Après les documens que publie le cabinet de Londres ,
ifs ne peuvent plus en douter. On ne sait ce qu'on doit remarquer davantage
, ou la foiblesse , pour ne rien dire de plus , des premiers gouver
nemens de l'Europe , qui se mettent ainsi à la solde des marchands de
Londres , ou de cette honorable et généreuse résistance qui ne permet point
à leurs sujets de convenir de ces funestes stipulations , et qui les portë
à les nier afin d'en repousser l'opprobre . Les traités que le gouvernement
anglais fait connoître à l'Europe , apprennent comment l'Autriche a été
sacrifiée. Elle étoit obligée de faire marcher ses armées dans les quatre
mois à partir du traité , c'est-à-dire en octobre , pour recevoir les cinq
mois d'avance qui lui étoient accordés ; et c'est alors qu'on la vit envahie
la Bavière , en protestant néanmoins qu'elle ne vouloit pas la guerre.
Mais ne parlons plus de ses fautes ; elles ont été assez panies . Observons
dependant que si ces traités avoient été connus plus tôt , et dans tous
leurs détails , les résultats auroient peut-être été plus funestes . Nous
remarquerons aussi que M. Stadion , qui paroît être à présent à la tête
des affaires en Autriche , est le même ministre qui avoit négocié le subside.
Quant au roi de Suède , doit-on prendre en pitié ou sa foiblesse ou son
extravagance ? Il vendoít chacun de ses soldats pour le profit de 12 liv.
sterl. par an, sans songer que ses sujets , par l'interruption du commerce
perdoient des sommes bien plus considerables que ne pouvoient l'être
jamais les honteux subsides promis ou donnés par l'Angleterre . Il livroit
Stralsund ; il ouvroit la Pomeranie pour obtenir la promesse de 60,000 liv.
sterl.; somme à peine égale à ce que la moindre charge de l'administration
en Angleterre vaut à celui qui l'exerce, Nous publierons en entier la
traduction de ces traités , d'où il résulte que de toutes les puissances dur
Nord , la Prusse et le Danemarck sont demeures seuls étrangers à la corruption
, et fidèles à leurs engagemens et au desir de voir se perpétuer la
paix du continent . Les comptes de la trésorerie anglaise nous apprendront
ce qui a été payé sur ces subsides , et l'on verra que l'Angleterre , dans
cette circonstance comme dans toutes celles qui ont précédé, a beaucoup
moins tenu qu'elle n'avoit promis.
( Moniteur. )
CHAMBRE DES PAIRS.
Séance du 4.
Hier 4 février , lord Mulgrave a dit à la chambre des,
pairs qu'il résultoit des copies des traités qui avoient été soumis
à la chambre , que le principal objet du gouvernement
de S. M. avoit été de concerter un plan pour opérer la déli–
vrance de l'Europe ; on s'attendoit alors à des négociations
qui devoient précéder la campagne , et l'on verra que les
mesures étoient prises , en cas de non succès dans les négo
ciations , pour mettre en campagne une armée de 500,000
hommes , savoir : 320,000 Autrichiens , et 180,000 Russes.
332 MERCURE DE FRANCE ,
Mais les dispositions qui avoient été faites , ont été malheureusement
dérangées par la précipitation de l'Autriche ,
et c'est à cette précipitation qu'on doit attribuer tous
les malheurs de la campagne. L'Angleterre avoit pour
objet , ou bien d'entamer des négociations pour amener une:
paix générale sur des bases solides , et qui assurassent l'indé–›
pendance et la sûreté de l'Europe , ou d'établir une négociation
armée qui auroit eu pour objet de mettre un terme aux
usurpations de la France.
L'Autriche ne devoit agir hostilement que vers la fin de
l'année 1805 , et les subsides ne lui étoient accordés qu'à cette
condition : tout cet intervalle devoit être rempli par les négociations.
Cependant , en attribuant les malheurs de la campagne
à la précipitation de l'empereur d'Autriche, les ministres
n'ont pas l'intention de blâmer la conduite de ce monarque
pour avoir signé la paix avec la France. L'Autriche devoit se
tenir sur la défensive en Allemagne et agir offensivement en
Italie. On n'a pas cru devoir communiquer à la chambre certains
articles du traité d'alliance avec la Russie , attendu qu'ils
pouvoient compromettre certaines puissances du continent ;
et ce sera au nouveau ministre de S. M. à juger si cette précaution
a été convenable.
Le comte de Coventry est mort lundi dernier à Croome ,
dans le comté de Worcester , âgé de quatre-vingt-trois ans..
Par le décès de sa Seigneurie , lord Deerhurst hérite de ses
titres et de ses biens , dont le revenu s'élève à 35,000 liv. sterl.
Lord Deerhurst , aujourd'hui le comte de Coventry , est aveugle
depuis que , chassant avec le roi dans les environs de Windsor ,
l'amorce d'un fusil lui brûla les paupières et une partie de la
prunelle de l'oeil . ( The Courrier. ) 407 2
Lord Fitz -William et M. Coke, de Norfolk, viennent d'ob¬
tenir le titre de marquis de Rockingham et de marquis de
Leycestershire. ( Idem. )
Nous apprenons de Calcutta que les habitans ont décidé ,
dans une assemblée générale, de porter le deuil du marquis de
Cornwallis , et de solliciter du gouvernement la permission
d'élever à la mémoire de ce gouverneur un mausolée sur le
lieu de sa sépulture , à Ghazéepore. Des commissions ont été
nommées pour mettre à exécution ce projet dicté par la reconnoissance.
La commission d'Europe est composée du lord
Teignmouth , du général Ross , du colonel Kid , et des che
valiers Gore et G. A. Robinson . ,
(Times.)
FEVRIER 1806. 333
er
Berlin, 1 février.
La gazette de la cour contient aujourd'hui un édit ou
proclamation royale qui commence ainsi :
« Après les événemens qui ont eu pour suite la paix entre
la France et l'Autriche , tous nos efforts ont eu pour but de
préserver le nord de l'Allemagne , et particulièrement les pays
de Brunswick-Lunebourg , du fléau de la guerre dont ils étoient
éminemment menacés. Dans cette vue , nous avons conclu
( comme seul moyen d'atteindre le but ) un arrangement avec
S. M. l'Empereur des Français , en conséquence duquel les
états de S. M. le roi de la Grande-Bretagne , en Allemagne
ne seront point occupés de nouveau par les troupes françaises ,
ou par des troupes réunies à elles , mais seront au contraire
évacués entièrement par elles , et pour être pris en dépôt et
administrés par nous seuls jusqu'à la paix générale. En conséquence
, nous allons faire occuper les pays de Brunswick-
Lunebourg par un corps d'armée sous les ordres du général de
cavalerie comte de Schulenbourg-Kehnert , et nous confions
aussi à ce dernier l'administration desdits pays jusqu'à la paix ,
de manière que toutes les affaires qui concernent la partie administrative
seront gérées par lui et la commission qu'il nommera
, et qu'ils donneront conjointement les ordres et instructions
nécessaires aux autorités et magistrats du pays. »
1
Nuremberg, 5 février.
La plupart des membres de l'ordre Equestre qui ont des
biens dans les principautés de Bamberg et Wurtzbourg , se
se sont assemblés ici le 29 du mois dernier , pour se concerter
sur les mesures à prendre dans la situation critique où ils
se trouvent.
Francfort , 8 février.
On mande de Berlin que S. A. S. le duc de Brunswick s'est
mis en route , le 30 janvier , pour Pétersbourg. Ce prince est
accompagné de M. de Krusemark , lieutenant-colonel prussien.
Le corps d'armée prussienne destiné à occuper le Hanovre
, est composé de 23 bataillons d'infanterie , 25 escadrons
de cavalerie , deux batteries de 12 livres , une batterie de
réserve, et une batterie à cheval.
Parmi les changemens qui doivent encore s'effectuer en
Allemagne , on parle avec une sorte d'assurance de l'occupation
prochaine de la principauté d'Anspach par les troupes
bavaroises. On dit que cette principauté sera remise le 15 de
ce mois à la Bavière , et que le même jour les troupes prussiennes
occuperont par échange la ville et le territoire de
334 MERCURE DE FRANCE ,
Bamberg. Le temps seul peut apprendre ce qu'il y a
de vrai
dans ces changemens de nomination que chacun peut annoncer
à son gré ;
mais dont les rois ont seuls le secret.
Bále , 5 février.
S. Ex. M. le général Vial , ambassadeur de France , fut
complimenté à son arrivée à Bale par une députation du
conseil d'état . Le bourguemestre, M. Sarrasin, porta la parole.
On rapporte que M. l'ambassadeur répondit en substance aux
députés : « La Suisse a obtenu des bienfaits signales de la
part du médiateur ; elle sera de même à l'avenir l'objet de
son affection et de sa protection particulière , et le système
adopté par S. M. de servir d'appuis généraux aux petits états
situés sur les frontières de son Empire , aura lieu aussi par
la suite envers la Suisse ; mais il est de l'intérêt de tous les
cantons de la confédération helvétique de s'attacher à la
France avec ardeur , et de nourrir des sentimens conformes
à cet attachement pour la puissance protectrice du grand
Empire de France. »
PARIS.
Le prince de Bavière est arrivé à Paris le 10 de ce mois..
S. A. , après avoir été reçue en audience particulière par
l'Empereur et l'Impératrice , à été présenté par LL. MM.
aus princes et princesses de la famille impériale , qui se trouvoient
réuuis dans les grands appartemens pour le cercle et
le concert auquel & A. a assiste. S. M. ayant nommé pour
accompagner le prince Royal, S. Exc . le grand-maître des cérémonies
Ségur , M. de Bondy, chambellan , et M. de France ,
écuyer , S. A. R. conduite par le grand-maître et accompagnée
par les officiers de S. M. et par le général Reuss ,
comte Pompei et le baron Schonfeld ses chambellans , est
allée le 12 février , dans les voitures de l'Empereur , rendre
visite à LL. AA. II . et SS. les princes et princesses de la famille
Royale , les princes beaux-frères de S. M. et le princ e
archi- chancelier de l'Empire , qui ont été visiter à leur four,
le lendemain , S. A. R. Moniteur.
-
le
S. M. l'EMPEREUR voulant réconnoître les services rendus
par le général de division Gazan , et sur-tout sa conduite.
distinguée au combat de Diernstein, l'a nommé grand- officier
de la Légion d'Honneur.
S. M. a nommé également grand-officier , le général de
division Clarke , en récompense des services qu'il a rendus'
pendant le temps qu'il a été gouverneur de F'Autriche.
FEVRIER 1806. 335
Les obsèques du sénateur Fontenay , ancien maire de
Rouen , mort à Paris le 11 février , ont été faites hier avec
beaucoup de pompe : la plupart des sénateurs y ont assisté.
MM. Anisson-Duperron , Latour-Maubourg , Maurice
, Mounier , Pepin de Belle- Ille , Tournon , Vischer de
Celle , Treilhard , Lafond , Vincent Marmola , sont nommés
auditeurs du conseil d'état.
MM. Lecouteulx , Pomar , Doazan , Roederer , Abrial
et Dumolard , auditeurs au conseil d'état , ont reçu l'ordre
de se rendre en Italie , pour y être employés sous les ordres
de LL. AA. II. les princes Joseph et Eugène , à l'administration
des pays napolitains et vénitiens.
Un avis du conseil d'état , délibéré le 12 frimaire an 14 ,
et approuvé par S. M. , à Schoenbrunn , le 3o du même mois ,
est conçu en ces termes :
35%
« Le conseil d'état , après avoir entendu la section de
législation, sur le renvoi fait par S. M. I. et R. , d'un rapport
du grand-juge ministre de la justice , ayant pour objet d'examiner
la question de savoir si une lettre -de-change peut être
payée en billets de banque , autrement que du consentement
de celui qui en est porteur ; est d'avis que la réponse à cette
question ne peut souffrir aucune difficulté . Le porteur d'une
lettre-de-change a le droit d'exiger son paiement en numéraire
: les billets de la banque établie pour la commodité du
commerce , ne sont que de simple confiance. »
-Par décret impérial du 21 janvier , l'hôtel de la Maison-
Commune de Strasbourg qui a été offert à l'EMPEREUR par
cette ville , est accepté et déclaré l'un des palais impériaux.
-Par décret du 31 janvier , S. M. a confirmé la délibéra–
tion des membres du bureau des longitudes , par laquelle
M. Bouvard , astronome , est nommé membre dudit bureau ,
en remplacement de M. de Chabert , décédé.
Un décret du 4 février, porte que le grand - chancelier et
le grand-trésorier de la Légion-d'Honneur auront le rang, ét
jouiront, dans toutes les circonstances , des distinctions et des
honneurs , tant civils que militaires , des grands - officiers de
l'Empire.
-
Les généraux Gazan , Savary , Clarke et Beaumont ,
sont nommés grands-officiers de la Légion - d'Honneur.
-Le grand cordon de la Légion d'Honneur est conféré
aux généraux d'Hautpoult, Suchet , Caffarelli et Walter.
M. le conseiller d'état Bérenger est nommé directeurgénéral
de la caisse d'amortissement.
M. Narden , préfet du département de Montenotte ,
336 MERCURE DE FRANCE.
est nommé administrateur-préfet des états de Párme et dé
Plaisance.
S. Ex.´le´ministre des cultes a écrit à M. l'archevêque ·
de Bordeaux la lettre suivante , datée de Paris , le 14 janvier
1806.
« M. l'archevêque , j'ai la satisfaction de vous annoncer que S. M. I.
et R. en considération du bien de la religion et des moeurs vient d'ordonner
qu'il seroit défendu à tous les officiers de l'état civil de recevoir
l'acte de mariage du prêtre B.... s . S. M. I. et R. considère le projet formé
par cet ecclésiastique comme un délit contre la religion et la morale, dont
if importe d'arrêter les funestes effets dans leur principe. Vous, vous applaudirez
sans doute , M. l'archevêque , d'avoir prévu , autant qu'i: étoit
en vous , les intentions de notre auguste EMPEREUR , en vous opposantà la
consommation d'un scandale dont le spectacle auroit affligé les bons et
encouragé les méchans.
"
» J'écris à M. le préfet de la Gironde , pour qu'il fasse exécuter les ordres
de S. M. I. et R.; j'en fais également part à LL. EE. les ministres
de la justice et de l'intérieur. La sagesse d'une telle mesure servira à di̟riger
l'esprit des administrations civiles , dans une matière que nos lois
n'avoient point prévue . » ( Affiches de Bordeaux. ) .
M. Bureaux-de-Puzy , ancien officier du génie , exmembre
de l'assemblée constituante , ensuite préfet de Lyon ,
et en dernier lieu préfet de Gênes , vient de mourir à Gênes
après une courte maladie.
Le corps de mad de Montesson , décédée le 5. janvier ,
a été porté hier en grande pompe à l'église de Saint - Roch ,
et déposé dans une chapelle après la cérémonie. Il a été transféré
le 10 à Saint- Assise , pour y être inhumé à côté de M. le
duc d'Orléans , époux de la défunte.
Le ministre de la marine et des colonies a écrit la lettre
suivante , datée du 28 janvier , aux préfets maritimes et aux
commissaires principaux :
« S. M. L'EMPEREUR et Roi a ordonné , monsieur , de courre sus à tou
les bâtimens napolitains , et son intention est également que ceux de ces
bâtimens qui ont pu être arrêtés en mer ou mis sous embargo dans les
ports , à compter du 29 brumaire an 14 ( 20 novembre 1805 ) , époque
laquelle ses ennemis ont été reçus dans le royaume de Naples , en contravention
au traité fait à Paris le 21 septembre 1805 , et ratifié à Portici
le 8 octobre suivant , soient jugés et déclarés de bonne prise. Vous voudrez
bien annoncer en conséquence aux officiers commandant les bâtiinens
de S. M. , et aux capitaines des corsaires français , qu'ils sont autorisés
à capturer les bâtimens qu'ils rencontreront en mer navigant sous
pavillon napolitain, et vous prendrez les mesures nécessaires pour remplis,
les formalités prescrites par les lois et les réglemens , relativement à ceux
des bâtimens qui auront pu être retenus dans les ports de votre arrondissement
, conformément aux ordres contenus dans ma circulaire du 19 fria
maire dernier, »
1..
DE
DAA ( No CCXL
( SAMEDI 22 FERIE
MERCURE
DE FFRANC É.
POE S I EV
"
BATAILLE D'HASTINGS ,
OU L'ANGLETERRE , CON QUI . S' E♦
eli
Fragment du fle chant.
(C'est Guillaume qui parle au duc de Bretagne. )
i
E 11 L
PRINCE , vous auriez vu le tranchant des cognées
» Couvrir nos champs , nos ports de forêts moissonnées 1
» De l'habile ouvrier les rapides efforts
» Du léger édifice assemblent les supports ;
>>
Les chênes sur la quille en courbes s'arrondissent ;
» Sur l'orme en ais coupé les marteaux rebondissent ;
» La rame au bord s'ajuste , et le jeune sapin
» Soutient la vergue oblique où s'enfle un nouveau lin.
» Que dis-je ? Impatiens de sillonner l'arêne ,
» Un instinct belliqueux porte aux flots de la Seine
>> Ces navires , cédant sous le poids des guerriers ,
» Des armes , des pavois , des lances , des coursiers ;
» Sous leurs signes divers nos poupes semblent vivre .
» Mon épouse , au rivage obstinée à me suivre ,
>> Négligeoit les tissus où son art merveilleux
>> Consacre à l'avenir mes travaux périlleux ( 1 ) .
» Vous peindrai-je , parmi les apprêts de la guerre ,
>> Et ma fille et mes fils à l'entour de leur mère ?
(1 ) La tapisserie de Bayeux ,
Y
338 MERCURE DE FRANCE ,
» Adèle , que d'Eralde outragent les amours ,
>> Oublioit le perfide , et trembloit pour mes jours ;
>> Guillaume orne son front du cimier qu'il m'arrache ;
» Robert , baigné de pleurs , à mes genoux s'attache ;
» Mathilde sur son sein pressant Richard , Henri ,
>> Images d'un époux si tendrement chéri ,
>> Me dít : « A ces enfans si le ciel est prospère ,
>> Ils seront ton émule et l'appui de leur mère . »
›› C'est ainsi que , livrés à de nobles douleurs ,
» Ils reçurent enfin mes adieux et mes pleurs .
» Mais emportant les voeux des vieillards et des femmes ,
>> J'entre dans mon vaisseau , que font voler cent rames.
» Rouen déjà s'enfuit ! Tour-à- tour j'admirojs
>> Ces vergers dont le fruit enivre nos banquets ;
>> Le front de ses châteaux qui se mire dans l'onde ;
>> De ces hautes forêts l'ombre antique et profonde.
» Là de riches troupeaux peuplent un vert gazon ;
>> La glèbe enferme ici l'espoir de la moisson.
>> Trente fleuves divers s'élancent de leur source ,
>> Et la Seine , avec nous , les entraîne en sa course ,
>> Jusqu'aux lieux où son lit , vaste , majestueux ,
>> Rend au vieil Océan des flots respectueux .
» C'est là , de tous côtés , qu'à mes yeux se présente
» Une forêt de mâts sur les vagues flottante ;
» Les voiles déployoient au souffle frémissant ,
» D'azur, de pourpre et d'or leur sein éblouissant ;
» Du fer et de l'acier les flammes vagabondes
>> Doublent l'éclat du jour, embrasent l'air , les ondes.
Quel spectacle ! Agitant leurs glaives , leurs chapeaux , >>
>> De la poupe à la proue , un peuple de héros ,
>> Par des chants belliqueux menace l'Angleterre.
» Le signal vole ; et l'ancre arrachée à la terre ,
» On part. Les avirons des eaux coupent le sein ,
>> Le pilote attentif reconnut son chemin.
» L'air frémissoit . Aux vents la voile se déploie ;
›› La Seine retentit de mille cris de joie ;
>> La quille s'entr'ouvrant un chemin sur les eaux ,
>> Un sillon écumeux blanchit sous les vaisseaux .
>> Le soldat voit encor sur l'élément mobile
>> Fuir les bords de la Dive et la tour d'Auberville .
» Mais la France s'éloigne , et bientôt à mes yeux
» Ne laisse d'autre aspect que les mers et les cieux.
Par M. D... Na
;)
FEVRIER 1806 . 339
MONOLOGUE D'AJAX (1) ,
FRAGMENT IMITÉ DE SOPHOCLE
Tor , dont le bras puissant gouverne le tonnerre ,
Souver . in de l'Olympe et maître de la terre ,
Jupiter, si jamais je fus cher à tes yeux ,
Pour la de nière fois , daigne exaucer mes voeux .
Ajax , prêt à périr implore ta puissance ;
Grand Dieu, contre les Grecs embrasse ma défense !
Mon honneur est le tien , puisque je suis ton fils.
Ne souffre point , qu'au gré de mes fiers ennemis ,
Ce corps , honteusement privé de sépulture ,
Des avides vautours devienne la pâture .
Reçois-moi , roi des morts :! Ala clarté des cieux
Mercure , pour jamais ferme mes tristes yeux .
Conduis mon bras. Accours; que ta main immortelle
Daigue guider mes pas dans la nuit éternelle ! <
Et vous , qui vous plai ez aux tourmens des ingrats ,
Mini tres de vengeance , effroi des scélérats ,
Je vous invoque aussi , barbares Euménides !.
Déesses , vengez-moi ? punissez les Atrides .
Portez , portez sur eux d'inévitables coups !
Que l'épouse en fureur s'arme contre l'époux ;
Que la plus chère main aux Enfers les entraîne.
Au feu de mes transp rts allumez votre haine :
Sur un peuple perfide épuisez vos fureurs .
Allez , courez , volez , frappez , terribles soeurs !
Exterminez les chefs , exterminez l'armée ;
Enivrez-vous de sang de la Grè e alarmée .
Et toi , sacré flambeau , père de l'univers ,
Soleil , en parcourant tant de climats divers ;
Arrête tes regards sur ma triste patrié.
Témoin du coup affreux qui va m'ôter la vie ,
( 1 ) On sait qu'Ajax , indigné de s'être vu préférer Ulysse pour l'héri
tage des armes d'Achille , en perdit la raison ; que , résolu de laver sa
honte dans le sang des princes grecs , il eut un accès de fureur, pendant
lequel il massacra des troupeaux , croyant égorger Uly se et ses juges .
Revenu à lui-même , et moins confus de ses excès que de voir sa vengeance
trompée , il se donna la mort. Tel est l'instant et le sujet de la scène .
Y 2
340 MERCURE
DE FRANCE
,
Annonce à mes parens mon déplorable sort ,
Les vengeances des Dieux , mes fureurs et ma mort.
Ma mère ! ... Ah , si jamais un récit trop fidèle
De mes cruels destins vous portoit la nouvelle ,
Quels cris ! ... Mais est-il temps de m'at tendrir encor ?
Cher et fatal présent que je reçus d'Hector ,
Quand j'osai , contre lui mesurant mon courage,
D'un combat singulier disputer l'avantages
Instrument de ma gloire et de mon déshonneur ,
Fer, qui fus si souvent utile.à ma fureur,
Je n'attends plus de toi qu'un funeste services:
Termine d'un seul coup ma vie et mon supplice.
Qu'à son retour, Teucer, par mes soins éloigné,
Dans les flots de mon sang me retrouve baigné.
O mort , jette sur moi des regards favorables !
Je t'offre de mes jours les restes déplorables :
Je te suis ; avec toi je descends aux Enfers .
✪ lumière du jour pour jamais je te perds !
Salamine , ô patrie, ô palais de mes pères ,
Athènes, chers amis , bois , campagnes , rivières,
Qui fites autrefois le plaisir de mes yeux,
Du malheureux Ajax recevez les adieux !
KERIVALANT.
A LAURE ,
Qui m'avoit dit en plaisantant qu'elle me rendroit athée.
Non , ne crois pas , charmante Laure ,
Pouvoir chasser de mon esprit
Cet être par qui tout est , se meut , pense , agit :
Non , j'ai besoin de croire à ce Dieu que j'adore
Tous tes argumens seront vains :
Pour démontrer son existence ,
Je t'oppose à toi-même ; et tous ces traits divins ,
Dont contre lui s'arme ton éloquence ,
Suffiront seuls à sa défense :
Si Dieu n'est pas , comment pourras-tu m'expliquer
›Cet art de raisoner, le premier de tes charmes? -
Ah ! de lui seul tu tiens les armes
*
Dont tu te sers pour l'attaquer ;
Lui seul , il a formé cette bouche perfide
FEVRIER 1806. 341
Qui plaît même en le blasphement ;
Sur ton front calme et fier sa majesté réside ,
Et de tes yeux l'irrésistible aimant
Est l'emblême de sa puissance.
Ce Dieu que tu combats respire dans tes traits ;"
Par tes talens , par tes attraits ,
Tous ces raisonnemens sont réfutés d'avance ,
Et j'ai vaincu , si tu parois.
Cesse donc de nier , toi , sa parfaite image ,
Cet être en qui tout vit et par qui tout est né,"
Et paie au moins de ton hommage ,
Le droit qu'au nôtre il ťa donné
Chacun , en te voyant si belle ,
Forcé soudain au même aveu ,
Dira Laure , il existe un Dieu , :
Puisque tu n'es qu'une mortelle.
LUCE DE LANCIVAL.
ENIGM E.
ON me fait moins sentir à parler qu'à se taire ;
Je suis en mille endroits , et ne suis en aucun ;
Je déplais à Nature , et déplais à chacun .
L'objet le plus petit m'est tout-à- fait contraire.
Si j'entre en un cerveau , j'en chasse la raison :
Avec même frayeur je désole une bourse.
Je suis au corps humain un si cruel poison,
Qu'il est enfin forcé de terminer sa course .
Lecteur, pour me trouver, observe bien ce point :
Tu ne me trouveras qu'en ne me trouvant point .
AUTR E..
CONTRE la terre pécheresse
Je sers le bras du Tout-Puissant ,
Et de ce Dieu plein de tendresse,
Je suis le plus riche présent .
L'univers devient ma pâture ,
Si l'on n'arrête mes progrès ;
Et cependant à mes bienfaits
Il doit sa plus belle parure.
37
342 MERCURE DE FRANCE
RAN
,
&
Par ma faveur le genre humain
Reçoit et conserve la vie ;
Des malheureux en proie à ma furie
Trouvent le trépas dans mon sein.
C'est moi qui peins les traits qu'on vient de lire :
J'anime le poète , insi que l'orateur :
J'aignise épigramme et satire ;
Et quand je n'y suis plus , tremble pauvre lecteur .
LOGO GRIPHE
MES conseils , cher lecteur , sont toujours excellens ;
J'éclaire sur hu't pieds les sots et les savans .
Le filon me redoute et l'amoureux m'évite ;
C'est sur-tout dans la nuit que brille mon mérite ,
Sans ma tête , je suis , pour l'hu.nble mendiant ,
Un objet de douleur qu'il aperçoit souvent ;
La qualité qui plaît à l'univers entier
Se présente à tes yeux sur quatre de mes pieds ;
Mais si de bien chercher tu formes le dessein ,
En me décomposant tu trouves dans mon sein ,
D'abord , deux élémens l'un à l'autre contraire ;
Puis , ce que le méchant se plaît toujours à faire ;
Un outil nécessaire au temps de la moisson ;
Deux notes de musique ; un article ; un pronom ;
Le siége de l'honneur , clui du sentiment ;
Le nom qu'on donne au lots agités par le vent ;
Des amis de la danse une assemblée chérie ;
Ce que l'on croit gagner dans une loterie,
Devi esi tu peux je ne t'eo dirai las ;
1
Pour vouloir être clair , je deviendrois confus,
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº est Sarrasin.
Celui du Logogriphe est Monde , où l'on trouve onde , mode, ode.
Celui de la Charade est Dure-mère,
FEVRIER 1806. 43
RÉFLEXIONS
Sur l'Esprit et le Génie.
LESES contemporains , qui ne jugent que par l'impression
du moment , prennent souvent l'esprit pour
du génie , et quelquefois aussi le génie pour de l'esprit
. La postérité qui a eu le temps de la réflexion ,
et le secours de l'expérience , remet à leur place les
hommes et les réputations . Ce sont deux tribunaux ,
dont l'un juge sur les lieux , en présence des parties
et au milieu de toutes les séductions ; et dont l'autre ,
placé loin des intéressés et de leurs passions , prononce
en dernier ressort , et confirme ou annulle la sentence
des premiers juges .
Racine a bien de l'esprit , disoit -on du temps de
cet illustre poète ( 1 ) ; « Racine est un beau génie » , a
dit la postérité ; et peut- être n'accordera - t - elle que du
bel esprit à quelques hommes célèbres de l'âge suivant
, que leurs contemporains ont nommé des hommes
de génie .
Ainsi des écrivains qui ont fait
leur esprit
par
les délices de leur siècle , sont à peine connus de la
génération qui a succédé , tandis que d'autres , moins
remarqués de leur temps , ont vu croître leur réputation
, et reçoivent d'âge en âge de nouveaux tributs
d'estime et d'admiration .
C'est que tout ce qui n'est qu'esprit est un peu
volatil de sa nature , au moral comme au physique.
Il produit d'abord une impression vive , qui bientôt
se dissipe et s'évapore à force d'être répétée : sem-
1
(1) Cours de Littérature de M. de La Harpe.
344 MERCURE DE FRANCE ,
blable à ces monnaies dont l'empreinte s'efface par
le frottement . Mais le génie , pareil au diamant quelquefois
méconnoissable au sortir de la mine qui le
recèle , ne perd rien de sa solidité par le temps ,
acquiert de l'éclat par l'usage .
et
La pensée appartient à tous les êtres intelligens
ou plutôt elle est l'intelligence même ; mais l'esprit ,
je veux dire la facilité de saisir et de combiner les
divers rapports sous lesquels un ou plusieurs objets
peuvent être considérés par la pensée , l'esprit . dont
aucun être intelligent n'est totalement dépourvu ,
n'appartient , en un degré éminent , qu'au petit nombre
d'hommes qui ont reçu de la nature cette heureuse
disposition , et qui l'ont cultivée par l'étude et
la réflexion .
9
Ainsi tous les hommes ont la pensée de Dieu , la
pensée de l'homine ; mais il n'y a qu'un esprit exercé
qui découvre les rapports de l'homme à Dieu , et en
déduise les lois de la société , les motifs de nos affections
et la règle de nos devoirs .
Ainsi , dans un autre ordre d'objets , long-temps
les hommes employèrent le bois à réchauffer leurs
corps ou à préparer leurs alimens ; long - temps ils
considérèrent les animaux , et gémirent eux-mêmes
sous de lourds fardeaux ; avant qu'un homme ingenieux
et industrieux à la fois , saisissant par la pensée
les rapports de ces différens objets , de ce bois fit un
char , y attelat des animaux et s'en servit à traîner
des fardeaux .
Un esprit cultivé peut être juste , peut être faux ,
selon qu'il saisit dans les objets des rapports vrais
naturels et complets , ou des rapports contraires à
leur nature , et le plus souvent incomplets ; c'est -àdire
, selon qu'il saisit tous les rapports que la pensée
peut découvrir sur un même objet , ou seulement
une partie de ces rapports. Donnons- en un exemple,
Les hommes considérant les enfans sous le double
rapport de leur coeur et de leur esprit , n'ont pas
FEVRIER 1806. 345
tardé à s'apercevoir qu'à cet âge les affections précèdent
les connoissances ; ils en ont conclu , comme
un rapport naturel , la nécessité d'apprendre à l'enfant
à aimer , avant de lui apprendre à connoître ; et
pour prévenir l'explosion des affections désordonnées ,
ils ont cherché à lui donner des affections utiles et
réglées , et ils lui ont enseigné à aimer Dieu comme
le bien suprême , et à détester , comme le souverain
mal , tout ce qui peut lui déplaire ; et tous les peuples
se sont accordés dans ce système d'éducation , parce
qu'heureusement pour la société , l'esprit du plus
grand nombre des hommes est juste et droit . De nos
jours , un homme célèbre qui a écrit sur la morale ,
s'arrêtant seulement à l'incapacité des enfans à comprendre
ces hautes vérités , et n'allant pas plus loin ;
craignant de préoccuper leur jugement , lorsqu'il devroit
craindre de laisser leurs affections errer sans
objet et sans frein , a soutenu qu'il ne falloit leur parler
de Dieu et de leur ame que lorsqu'ils auroient
atteint l'âge de la pleine raison , et même l'époque
des plus violentes passions ; et il a fait des prosélytes
parmi les esprits foibles , je veux dire les esprits qui
ne sont pas naturellement faux , mais qui sont aisés
à fausser par trop de vivacité d'imagination , ou par
défaut de réflexion et de connoissances.
Les erreurs en morale , débitées avec le charlatanisme
du raisonnement et le prestige de l'éloquence ,
en imposent au grand nombre , parce qu'il y a , dans
le coeur de l'homme , un parti rebelle avec lequel l'erreur
entretient toujours de secrètes intelligences. Le
paradoxe plaît même par sa nouveauté , et la vérité
paroît auprès trop simple et trop timide. Ce sont les
sauts périlleux et les tours de force d'un voltigeur, dont
le peuple est beaucoup plus frappé que des attitudes
nobles , aisées et gracieuses d'un danseur consommé ;
ce sont , si l'on aime mieux , ces constructions hardies
et légères qu'un architecte se permet quelquefois
contre les règles de son art , et que le vulgaire
346 MERCURE
DE FRANCE ,
admire plutôt que ces édifices qui réunissent la solidité
et la régularité des proportions .
Ainsi , un écrivain qui , par déréglement d'esprit
ou par calcul de vanité , fait servir des talens supérieurs
à attaquer des vérités anciennes et respectées ,
est toujours sûr d'obtenir de son vivant une grande
vogue ; parce que dans une société où le plus grand
nombre des hommes , instruits par une doctrine uniforme
, suit vers la vérité une route commune ,
ne remarque guère que ceux qui s'écartent des autres ,
ou ceux qui les devancent . Cette dernière comparaison
nous conduit naturellement à parler du génie.
:
on
Le génie , en effet , est cette puissance d'intelligence
qui découvre de nouveaux rapports dans les
objets car il n'est pas donné à l'homme de découvrir
de nouveaux objets , mais seulement les rapports.
qu'ils
' ils ont entr'eux . Les hommes de génie devancent
donc les autres esprits dans la carrière des sciences ;
ils sont , pour ainsi dire , les professeurs de la société ,
et les hommes d'esprit en sont les répétiteurs , qui
expliquent la doctrine des maîtres pour l'instruction
des disciples , et quelquefois la défigurent et la corrompent.
in-
Il n'est pas besoin d'ajouter que les rapports que
le génie découvre doivent être justes et naturels , c'est-
-à-dire , être des vérités. A parler exactement , des
rapports faux ne sont pas des rapports ; et l'expression
même de rapport , qui se dit en latin ratio , et même
en français raison dans quelques circonstances ,
dique d'elle - même quelque chose de vrai . Ainsi , pour
en donner des exemples , pris à la fois dans l'ordre
moral et dans l'ordre physique , le rapport de l'homme
à Dieu n'est pas plus exprimé par le mot indépendance
que la raison ou rapport de la progression 2 ,
4, 48 , 16, 32 , etc. etc. , n'est exprimée par le nombre:
3.
1
L'esprit juste ou faux est toujours de l'esprit , comme
Je feu est toujours du feu ; et lorsqu'il réchauffe nos
FEVRIER 1806. 347
*
'corps , et lorsqu'il incendie nos habitations . On ne refuse
pas plus le titre d'hommes d'esprit aux Hardouin ,
aux la Motte , aux Linguet , ces fameux artisans de
paradoxes littéraires ou politiques , qu'aux écrivains
qui ont mis le plus de raison dans leurs écrits . Mais
l'idée de génie exclut , même dans l'acception qu'on
donne communément à cette expression , l'idée de
faux. Le génie , là où il se trompe , n'est plus du génie :
erreur et génie ne peuvent tomber sur les mêmes
points . La raison de cette différence du génie à l'esprit
, n'est pas difficile à découvrir . L'esprit n'est , pour
ainsi dire , le , que compagnon du voyage , et s'il n'instruit
pas , il amuse . Mais le génie en est le guide : et
'lorsqu'il s'égare , il manque à sa destination naturelle ,
il n'est plus du génie .
Geux qui pourroient redouter , pour les objets de
leur admiration , l'application de ce principe , doivent
se håter de le combattre ; les conséquences en sont
alarmantes pour beaucoup de réputations.
Il est vrai que ceux qui se croient intéressés à défendre
la cause d'hommes de génie qui se sont trompés
, ont la ressource de prétendre hautement qu'il
n'y a pas d'erreur dans leurs écrits , ou tacitement
qu'il n'y a , au fond , dans le monde ni erreur ni vérité.
Ce dernier moyen de justification ne peut être
admis ; car il aboutit à l'athéisme , où finit la raison
humaine . L'autre est difficile à soutenir , après ce que
nous avons vu de l'application récente de certaines
théories . En vain voudroit-on , comme on le voit quelquefois
, faire honneur au génie de ces écrivains de
la perfection idéale de leurs théories , qui ne sauroient
, par leur perfection même , recevoir d'application
. Les hommes ne peuvent juger une doctrine
que par ses fruits ; et une théorie sans application possible
, est fausse et chimérique , comme une volonté
sans exécution possible est une volonté imparfaite .
Toute théorie faite pour les hommes , qui commence
par méconnoître leur nature et les suppose autres
348 MERCURE DE FRANCE ,
qu'ils ne sont , est une absurdité , et ne prouve que la
foiblesse d'un esprit qui dépasse la juste mesure des
choses , faute de pouvoir s'y fixer ; et on peut la comparer
à une théorie de l'art de la sculpture par exemple
, qui supposeroit que le marbre est fusible comme
la cire , ou malléable comme le plomb , et qui donneroit
en conséquence des préceptes sur la pureté dụ
dessin et le moelleux des draperies.
Il faut distinguer le génie dans les sciences physiques
, du génie dans les sciences morales.
Ptolémée et Descartes (comme inventeurs d'un système
physique ) , l'un avec son système du monde ,
l'autre avec ses tourbillons , ont passé dans leur temps ,
aux yeux d'un grand nombre de physiciens , pour
des hommes de génie . Copernic et Newton , plus
habiles et plus heureux , les ont fait descendre de ce
haut rang ( sous ce rapport seulement ) , dans celui
d'hommes de beaucoup d'esprit. S'il étoit possible
que quelqu'autre inventeur de système découvrit des
erreurs graves dans les hypothèses de Copernic et de
Newton, ceux- ci décherroient à leur tour du titre
d'hommes de génie dont ils sont en possession , et ne
seroient plus regardés que comme des hommes d'une
belle et grande imagination ; et l'on peut en dire autant
de tout ce qui est hypothèse et système dans les
sciences physiques : car ce qui est d'expérience est
dû au hasard , et alors le génie n'y est pour rien ; ou
bien il est le fruit du raisonnement , et le génie peut
en réclamer sa part . Ainsi , dans la plus grande découyerte
qui ait jamais été faite , la découverte du Nouveau-
Monde , Colomb en avoit deviné l'existence par
la force de sa raison ; et ce grand homme le chercha
avec un courage et une persévérance qui ne pouvoient
venir que de cette conviction impérieuse , impossible
à détruire ou même à dissimuler , et qu'on peut appeler
l'obsession du génie.
Mais dans la science de l'homme moral , lorsque
Corneille et Racine ont mis en action les deux caracFEVRIER
1806. 349
*
tères de Pauline et d'Acomat , tous deux de leur
invention , et les plus beaux peut-être qu'il y ait au
théâtre , on comprend facilement qu'ils n'ont pas à
redouter de descendre du haut rang où ces sublimes
créations les ont placés ; parce qu'on ne peut inventér
mieux , ni même autrement dans les mêmes circonstances
; et qu'ils ont atteint , dans ces données ,
la perfection de la vertu dans une femme , et de la
force d'ame et de tête dans un ministre. C'est là une
nouvelle preuve que nous connoissons les vertus morales
beaucoup mieux que les verités physiques , et
que nous avons même des premières une connoissance
complète et achevée que nous n'aurons jamais des
autres ; et la raison en est évidente : la société , à laquelle
toute science se rapporte , ne sauroit arriver à
la perfection des lois et des moeurs , dans laquelle
consiste la civilisation , sans la connoissance de toutes
lcs vérités morales , et elle peut se passer de la connoissance
d'un grand nombre de vérités de l'ordre
physique . Elle marche vers son but avec le système
de Ptolémée comme avec celui de Copernic ; avec
les tourbillons de Descartes comme avec l'attraction
de son rival ; avec la doctrine des anciens physiciens
sur le vide , comme avec les expériences de Toricelli
et de Pascal sur la pesanteur de l'air ; et même quand
les prodiges de l'électricité et du galvanisme ne seroient
pas encore déconverts , je ne pense pas qu'il
en résultât des effets bien sensibles sur la perfection
de l'homme et la science du gouvernement. Oui , nous
ne connoissons complétement que les vérités de l'ordre
moral ; il ne laut pas se lasser de le redire à ceux
qui , prenant leur ignorance pour une objection , et
leurs hypothèses pour des démonstrations , croient
qu'il n'y a rien de certain en morale , et que la vérité
ne se trouve que dans des nomenclatures , des classifications
, des manipulations et des calculs .
Il ne faut pas cependant mépriser l'esprit de système,
trop souvent décrié par ceux qui n'ont de l'es350
MERCURE DE FRANCE ,
prit d'aucune sorte , ou qui se persuadent qu'il n'y a
plus rien à découvrir . Tout système , comme l'a dit
ailleurs l'auteur de cet article , est un voyage au pays
de la vérité , et la vérité ne se trouve qu'autant qu'on la
cherche . Mais si l'esprit cherche , le génie découvre ,
et il arrive au terme de la course , au séjour même de
la vérité .
Un autre caractère du génie est que ses découvertes
soient d'une haute importance . Des inventions d'une
utilité bornée ne passent pas , dans l'ordre moral
ce qu'on appelle l'esprit ; et dans l'ordre physique ,
l'industrie et la sagacité . Ainsi , l'inventeur d'un procédé
économique dans les arts , est un homme industrieux,
et l'inventeur du madrigal un homme d'esprit.
L'auteur du canal de Languedoc , et le père de l'épopée
et de la tragédie , sont des hommes de génie.
Il suit de là que le génie s'exerce dans les grandes
choses plutôt que dans les petites ; il réussit en l'ensemble
d'un objet mieux qu'aux détails ; et s'il paie
le tribut inévitable à la foiblesse humaine en se trompant
sur des conséquences , il doit , pour conserver
l'empreinte de sa céleste origine , ne jamais errer sur
des principes .
9
On peut à présent apercevoir la raison de l'accueil
différent que les hommes font à l'esprit et au génie .
L'esprit réussit aussitôt qu'il se montre : c'est , si l'on
me permet cette comparaison , une marchandise qui
est payée comptant , parce que tout le monde en
connoît le prix et l'usage. Mais le génie court presque
toujours la chance d'une échéance longue et incertaine
; parce que sa valeur n'est pas d'abord fixée , ni
son utilité reconnue. Les bons esprits attendent ; les
ignorans dédaignent ; les intéressés conspirent , pour
maintenir des erreurs accréditées et d'anciennes réputations
car le génie est un libérateur , qui vient affranchir
les esprits d'une longue tyrannic ; et loin de
ne laisser après lui que des déserts, comme l'a dit
un bel- esprit , il ouvre aux hommes une source fé-
7
FEVRIER 1806. 33 C
conde de biens et de vérités . Mais le bien en tout
genre ne s'établit jamais sans résistance . Le destin du
génie est donc presque toujours d'être combattu ou
méconnu ; et s'il se sauve de la persécution de l'injure
, rarement il échappe à la persécution de l'indifférence.
Aussi quelques hommes fameux du dernier siècle ,
qui avoient beaucoup d'esprit et de plus d'un genre ,
et l'esprit qui compose des ouvrages et l'esprit qui les
fait valoir , se plaignoient , même au milieu des plus
brillans succès , du nombre et de l'acharnement de
leurs ennemis . Ils auroient voulu joindre le mérite de
la persécution aux honneurs du triomphe , et faire
regarder , comme des obstacles aux progrès de la
vérité , les contradictions les plus légères et souvent
les plus utiles à leurs intérêts.
On pourroit examiner , d'après les principes quenous
avons établis , les titres de quelques écrivains
célèbres à la réputation d'hommes de génie. Le juge
ment des contemporains peut être revu par la pos- ,
térité , surtout lorsqu'il y a eu partage entre les
juges, et que l'avis qui a prévalu a porté un caractère
d'esprit de parti qui peut rendre le jugement suspect
DE BONAL D. et la révision nécessaire .
3
Le Grammairien Fabuliste , ou Principes de la Grammaire
Française , mis à la portée du premier âge , et confirmés par
des fables aussi instructives qu'amusantes ; par F. Sauger-
Préneuf, directeur d'Ecole secondaire à Limoges . Un vol .
in- 12. Prix :: I fr. 25 c. , et 1 fr . 75 c. par la poste . A Paris ,
chez la veuve Nyon , rue du Jardinet ; et chez le Normant ,
libraire , rue des Prêtres S. Germain -l'Auxerrois , nº 17..
M. SAUGER - PRENEUF , de Limoges , est encore un de ces
hommes complaisans qui veulent emmieller l'étude comme le
352 MERCURE DE FRANCE ,
pain qu'on donne aux enfans . Il ignore qu'il faut , dès l'âge
le plus tende , accoutumer l'esprit comme le corps à une
nourriture solide , et que , si rien n'est plus propre à faire
trouver insipide celle qui se représente à tous les instans du
jour , que les fades douceurs dont on la recouvre , rien aussi
n'est plus capable d'affoiblir l'attention qu'on doit à l'étude ,
que d'y mêler des jeux et des amusemens. Les enfans dévorent
le sucre, et sont remplis d'ardeur pour les distractions ; mais
ils jettent le pain , et ils ont horreur du travail .
Les premiers élémens des sciences sont simples , et tout
l'art du maître qui les enseigne consiste à les réduire à leur
pureté primitive , afin que l'écolier puisse les concevoir et les
retenir facilement. Il est vrai qu'une telle méthode n'offre
aucun aliment à la vanité des instituteurs , qui veulent absolument
avoir une manière à eux , et qui se croient obligés
de faire des livres. Il y a long - temps que les principes sont
posés et définis ; il ne faut plus , pour être un maître habile ,
qu'une intelligence capable de les comprendre , et , par- dessus
tout , une patience suffisante pour les enseigner. Les premières
règles de la Grammaire , réduites à leur juste mesure , tiendroient
à peine dix pages ; tout le reste de cette science ne
peut être appris que par l'usage , et c'est là que commence
le travail du maître . Il dirige l'application des principes ; et ,
selon son goût et sa capacité , il choisit ses exemples ou dans
les manieres de parler que l'usage a consacrées , ou dans les
écrivains qui ont acquis de la célébrité.
Il y a trois choses principales à distinguer dans l'étude de
la Grammaire ':
1º . Les principes généraux , qui enseignent à distinguer la
qualité de chaque mot en particulier , et le rapport de tous les
mots de chaque phrase entr'eux ;
I
2°. L'orthographe , qui est la manière d'écrire correctement
les mots ;
Et 5° . les règles de la construction des phrases.
M.
FEVRIER 1806.
353
M. Sauger- Préneuf n'a voulu s'occuper, dans son petit
Traité , que de la première partie , et au lieu des dix pages
qu'il lui falloit , il en a employé cent ce n'est pas trente de
moins que les plus volumineux grammairiens n'en ont écrit
pour cette seule partie ; mais si l'on veut ne compter que les
choses utiles que ce petit volume renferme , on reconnoître.
bientôt qu'elles occupent deux fois plus de place que dans
aucun autre Traité ; de manière que si M. Sauger Préneuf continue
d'écrire sur cette matière , en suivant le plan qu'il s'est
tracé , il arrivera que ses abrégés seront bien plus considérables
que les ouvrages qu'il veut simplifier. C'est un fait
qu'il est aisé de vérifier : sur cent pages de leçons , M. Sauger-
Préneuf en emploie cinquante à copier toutes les fables qui
lui reviennent à l'esprit ; s'il parle du nom , il donne cinq
fables , dans lesquelles il y a des noms propres , des noms
substantifs, des noms communs, des noms collectifs, et des
noms masculins, feminins, singuliers et pluriels. S'il explique
le pronom , il ne lui faut pas moins de six fables , dans lesquelles
on trouve tous les pronoms imaginables , le personnel , le
demonstratif, le possessif, le relatif, l'interrogatif et l'indéfini.
S'il dit un mot de l'e muet , de l'é fermé et de l'é ouvert ,
vîte
une fable dans laquelle tout cela se rencontre il n'y a pas
jusqu'à la virgule qui ne lui fournisse un motif de produire
une très-longue et très - mauvaise fable de Florian , intitulée
le Chien coupable . Il est vrai que M. Sauger- Préneuf a soin
de nous prévenir que le titre de Grammairien Fabuliste ,
qu'il donne à son ouvrage , annonce un grammairien qui a du
gout pour les fables. Mais quoi ! parce que M. Sauger-
Préneuf a du goût pour les fables , faudra- t - il que tous les
enfans perdent leur temps à lire toutes celles qu'il lui plaît
de transcrire dans son volume ? « Cela les amuse , me dira-t- il ,
» et le grand art de l'instituteur est de trouver le moyen
» ingénieux de fixer leur imagination en leur présentant
» l'objet de ses leçons sous le point de vue le plus riant et le
::
Ꮓ
354 MERCURE DE FRANCE ;
1
» plus récréatif. » Eh ! monsieur l'instituteur , que ferez - vous
donc pour les amuser dans leurs momens de loisir ? Quoi !
vous voulez que leurs plus sérieuses études soient riantes
et récréatives ! Faut - il donc vous apprendre que l'étude et le
rire s'excluent mutuellement , et que le mot de récréation
suppose une occupation sérieuse , une application précédente ,
comme le repos suppose la fatigue , et qu'il n'est pas plus
possible de cultiver son esprit en se divertissant que d'exercer
ses jambes en restant en repos ?
M. Sauger - Préneuf se wante d'avoir composé son ouvrage
sur un plan absolument neuf. Je ne sais dans quelle Grammaire
ce nouvel écrivain a puisé son instruction ; mais , en
vérité , je ne vois d'autre différence que le titre , entre son
ouvrage et tous ceux du même genre que l'on rencontre.par-,
tout. Aucun ne s'étoit encore avisé d'annoncer, au lieu de la
matière du livre , son goût particulier pour tel ou tel genre de
littérature ; et s'il est permis de s'intituler le Grammairien
Fabuliste , pour indiquer un homme qui aime Ics fables , un
autre , qui voudra réjouir davantage , s'appellera le Grammairien
Comique , ou , s'il veut ne donner que des exemples
terribles et frappans de l'apostrophe et de l'interjection , il
s'affichera sous le titre de Grammairien Tragique . Dès qu'on
est sorti de la voie du sens commun , il n'en coûte plus rien
pour se livrer à toutes les folies que la sotte vanité peut suggérer.
On sait d'ailleurs que nous avons en ce genre même
tout le sublime de l'extravagance dans la Grammaire en
vaudevilles. On peut bien après cela défier tous les nouveaux
venus de renchérir sur la bêtise de cette conception : tous
leurs plans n'auront pas même le mérite de la nouveauté.
M. Sauger - Préneuf croiroit- il avoir fait une découverte
utile aux progrès de la science qu'il professe , en confondant
avec les adjectifs quelques remarques anciennes sur les pronoms
démonstratifs et les personnels ; et peut- il s'imaginer
que , quand il les auroit placées , comme ses devanciers , au
FEVRIER 1806. 355
chapitre qui leur convenoit , elles en auroient été moins justes ,
mois faciles à trouver ou à retenir ? Ce qu'une pareille
bizarrerie a de nouveau peut- il enfler l'orgueil d'un directeur
d'école secondaire à Limoges ?
Ce grammairien fabuliste veut , dit - il encore , écarter de
sa science , avec la plus scrupuleuse attention , toutes les
épines qui peuvent ou blesser l'élève , ou l'embarrasser dans
sa marche. Il seroit curieux de savoir ce qu'il entend par
les épines de la Grammaire. Sont- ce les principes , les précepies
ou les leçons ? Cela ne se peut , puisque ce seroit écarter
la science elle - même. Que lui reste - t-il donc à écarter ,
puisque rien de ce qui est uile ne peut en être ôté ? Je l'ignore ,
et M. Saug r-Préneuf ne le sait pas plus que moi . Ce profes
scur a trop d'expérience en effet pour croire qu'on puisse sup
primer l'explication d'aucune partie du discours , sans nuire à
l'instruction d'un enfant , et il se garde bien de retrancher
de son livre la plus chétive leçon , puisqu'on y trouve jusqu'à
huit chapitres sur les sels accens , et qu'il en a même un
neuvième pour les lettres majuscules. M. Sauger Préneuf prétendra-
t- il que les fables qu'il mêle aux préceptes ont le pou=
voir d'en détruire la sécheresse et l'aridité , pour parler un
moment le langage de la fausse doctrine ? Mais , par quelle
vertu opéreroient - elles ce miracle ? Comment , par exemple ,
les Animaux malades de la peste enseigneront- ils que le mot
peu ( quantité ) est différent du mot peut ( il peut ) ? Est- ce
parce que ces deux mots se rencontrent dans cette fable ? II
faudroit être bien simple pour le croire . Ne faudra- t - il pas
toujours en expliquer la raison , et dire que le premier est un
adverbe , dont l'orthographe est invariable , tandis que l'autre
vient du verbepouvoir, qui s'écrit différemment à ‹ haque tempsy
La fable exemptera - t - elle l'enfant de donner à cette simple leçon
tout le degré d'attention qu'elle mérite , et n'est-elle pas plutôt
capable de le distra re que de l'aider à profiter ? C'est cependant
avec cette longue fable que M. Sauger- Préneuf veut
Za
356 MERCURE DE FRANCE ,
qu'on apprenne à distinguer un verbe d'un adverbe . S'il peut y
réussir , j'en suis fort aise ; mais cela seroit un peu surprenant.
Sa méthode me rappelle l'invention d'un de ses confrères ,
qui n'étoit pas un grammairien fabuliste , mais un grammais
rien historique ; car c'étoit avec des histoires qu'il prétendoit
instruire les enfans. A chaque mot qu'il vouloit enseigner, il
se mettoit à raconter une longue histoire , dans laquelle ce
mot revenoit de loin à loin. Cette histoire avoit une double
vertu , elle endormoit l'instituteur, et elle divertisoit l'enfant ;
mais elle le divertissoit si bien , qu'il ne vouloit jamais qu'on
en interrompît la lecture pour lui faire remarquer le mot
qui faisoit le sujet de la leçon : de manière que l'histoire servoit
précisément à l'empêcher de s'instruire . N'étoit - ce pas
là une méthode bien récréative ?
Personne ne doit donc se flatter d'éviter aux élèves la gêne
que produit l'application de l'esprit dans l'étude de la Grammaire
, comme dans celle de toute autre science ; et s'il existe
une manière d'enseigner qui soit plus avantageuse que celle
qui se trouve toute tracée dans les ouvrages des anciens
maîtres , ce n'est certainement pas celle de M. Sauger-Préneuf.
Il est certain , et nous en avons un exemple sous les yeux ,
qu'il y a des esprits qui ont l'art d'embrouiller les choses les
plus claires , tout en croyant les éclaircir. Que M. Sauger-
Préneuf eût marqué tous les mots d'une seule fable du nom
qui leur convenoit , je lui passerois volontiers ce travail inutile
, qu'il faut laisser aux enfans . On se doute bien qu'il est
en état de reconnoîre un verbe , et qu'il sait ce que c'est qu'un
adjectif; mais qu'il ait employé la moitié de son ouvrage à
faire remarquer l'article , l'accent aigu et l'accent grave , qui
se trouvent dans plus de quarante fables , qu'il transcrit sans
aucun propos , cela passe la mesure , et il convient de lui rappeler
que , dans un ouvrage de cette nature , il n'y a lieu de
citer dans la Syntaxe que des morceaux fort courts , qui servent
à autoriser une certaine tournure de phrase , sur laquelle on
FEVRIER 1806 . 357
donne une leçon; qu'il n'y a rien de plus inutile et de plus incon
venant que de copier une page entière pour faire remarquer
un qui interrogatif, et qu'enfin c'est le comble du ridicule
que de présenter ces enfantillages comme un plan sérieux
d'instruction .
Nous ne pouvons nous défendre de remarquer encore que
M. Sauger- Préneuf confond avec la science de la Grammaire
celle qui doit précéder son étude : il suppose que les enfans
qui le liront ne connoîtront ni les voyelles , ni les consonnes .
ni le nombre des lettres , ni ces lettres elles - mêmes . Il commence
donc par dire qu'il y a vingt - cing lettres , qui
sont , etc.; ensuite , avec ces vingt-cinq lettres , il a le secret
d'en composer trente , savoir : onze voyelles et dix neuf consonnes.
Ce sont six voyelles de plus qu'on n'en compte communément
; mais il faut excuser M. Sauger-Préneuf : la prononciation
de sa province a pu l'induire en erreur , et lur
faire prendre pour des sons simples quelques syllabes nazales
ou ténébreuses , telles que un , ou , eu , an, etc , auxquelles
il donne la préférence , sans qu'on en voie aucune raison .
M. de Wailly, dans sa Grammaire , en avoit trouvé quinze de
cette nature ; mais si tous les sons qu'il est possible de former
par la seule ouverture de la bouche sont des voyelles , au lieu
de quinze , on en trouvera bientôt plus qu'il n'y a de lettres
dans l'alphabet. Au surplus ces remarques , qui se trouvent
tout-à - fait déplacées en tête du livre de M. Sauger-
Préneuf, sont renvoyées avec d'autres dans le Traité de
M. deWailly, à la fin de la Syntaxe, plutôt pour servir de supplément
à l'instruction des maîtres que pour commencer celle
des enfans. M. Sauger-Préneuf a donc eu tort de déranger cet
ordre.
C'est sans doute aussi parce que l'accent du Limousin
l'aura trompé , qu'il confond l'é ouvert avec l'é long , et qu'il
appelle le premier l'e moyen. Selon lui , procès et tempéte
doivent se prononcer de même , quoique différemment accen-
3
358 MERCURE DE FRANCE ;
tus : cela se peut à Limoges , mais à Paris cela n'est pas pos
sible. Il n'est pas inutile de remarquer, à cette occasion , que
toutes les Grammaires qui traitent de la prononciation sont
fort sujettes à ne donner qu'une fausse instruction , lorsqu'elles
n'ont pas été faites par un habitant de la capitale , et , dans
ce genre , on doit sur-tout se défier des fruits de la Garonne
et des contrées voisines .
#
Mais enfin , si M. Sauger - Préneuf n'a pas su se renfermer
dans les bornes étroites de son sujet , on doit avouer que les
pages dans lesquelles on en rencontre quelques chapitres , ne
contiennent que des principes reçus , connus et imprimés
depuis long- temps . Il seroit encore possible , cependant , de
remarquer quelque confusion dans la qualification de quelques
temps des verbes , et quelque obscurité dans la définition de
certaines parties du discours ; mais ces details feroient supposer
que tout l'ouvrage pourroit offrir quelque mérite réel ,
au moyen de quelques corrections ; et véritablement il n'en
vaut pas la peine .
G.
?
! 914
Essai sur le Nivellement. Un vol . in 8. avec 9 p'anches renfe
mant 68 figures. Prix : 7 fr . 50 cent. , et 8 fr . pr la
poste. A Paris , chez Delunce , imprimeur -librai é , rue des
Mathurins , hôtel Cluny , et chez Firmin Didot , libraire ,
rue de Thionville , nº . 10.
DEPUIS la publication de l'excellent Traité du Nivellement
de l'abbé Picard , qui eut lieu en 1684 , tous les niveaux
décrits dans les ouvrages de ce cé èbre astronome ont été
abandonnés. Les progrès considérables qu'ont fait la physique
, la chimie et les mathématiques ont permis de mesa .
rer avec une plus grande précision , différens arcs du meri¬
dien terrestre ; d'où il est résulté une éval ation plus exacte
des deux axes de notre p'anète ; des mesures no velles ont été
établies , et enfin un grand nombre d'expériences sur la pé¬
FEVRIER 1806.
359
1
fraction qu'éprouve la lumière en traversant horizontalement
l'atmosphère , ont servi à assigner la valeur moyenne de
l'angle de la réfraction . M. Busson - Descars , vivement pénétré
de toutes ces vérités , a senti qu'un nouveau Traité sur le
Nivellement étoit devenu indispensable , et il a publié en conséquence
l'Essai dont nous allons faire sentir en peu de mots
toute l'utilité .
Cet ouvrage est divisé en quatre chapitres . Le premier ,
consacré à la théorie du Nivellement , est terminé par une
table extrêmement commode des hauteurs du niveau apparent
au- dessus du niveau vrai , et des abaissemens causés par
réfraction , depuis 20 jusqu'à 10,000 mètres.
la
Dans le chapitre second , l'auteur décrit le niveau d'eau
ordinaire ; plusieurs niveaux à bulle d'air à une et à deux lunettes
; le plus simple des niveaux à perpendicule. Il indique
les avantages et les inconvéniens de ces divers instrumens "
et donne les moyens de vérifier et de rectifier ceux d'entre
eux qui en ont besoin.
Le troisième chapitre , un des plus importans de l'ouvrage ,
est entièrement employé à la pratique du Nivellement . On
y trouve tout ce qui est nécessaire pour faire vérifier et
rapporter un Nivellement . On y donne plusieurs méthodes fort.
simples , fruits d'une longue pratique , qui doivent rendre
les erreurs extrêmement rares dans l'opération du Nivellement.
Dans le quatrième chapitre , l'auteur se contente de donner
la description de deux niveaux de pente. Le premier est le
plus simple de tous ceux qu'on ait imaginés jusqu'à ce jour.
L'invention du second est due à M. de Chézy , l'un des plus
célèbres ingénieurs des ponts et chaussées. L'auteur de l'Essai
enseigne la manière de résoudre plusieurs problèmes aussi
curieux qu'utiles , au moyen de ce dernier instrument.
Suit un petit dictionnaire ou vocabulaire des expressions
les plus usitées dans le Nivellement.
L'Essai enfin est terminé par un supplément que l'auteur
y a joint depuis la publication de l'ouvrage . Ce supplément
4
INTAS
30
360 MERCURE DE FRANCE ,
roule entièrement sur le niveau d'eau . En le lisant , on voit
que M. Busson- Descars sent combien il est important de
s'occuper de préférence de l'instrument dont se sert le plus
grand nombre des niveleurs . La plupart des savans qui ont
fait jusqu'à présent des Traités sur le Nivellement , n'avoient
dit qu'un mot , en passant , sur le niveau d'eau ; ils
sembloient dédaigner un instrument qui a pourtant le mérite
de coûter peu , de pouvoir se construire et réparer partout , de
n'avoir point besoin de vérification , et auquel les plus fameux,
niveleurs sont obligés d'avoir souvent recours , faute d'autres
instrumens qui sont très - coûteux , et qui , lorsqu'ils sont en
mauvais état , ne peuvent se réparer que dans la capitale.
M. Busson- Descars n'en a pas moins fait des observations
très -délicates sur les niveaux à bulle d'air qu'il décrit ; observations
qui n'avoient été faites par personne avant lui .
Mais l'auteur a eu particulièrement en vue la grande majorité
des personnes que leur profession oblige de faire des Nivellemens
, et qui le plus souvent n'ont que des notions
légères sur les mathématiques . Il a craint de les effrayer par
des calculs algébriques : il a voulu être le plus utile qu'il lui
a été possible , et il n'a pas écrit une page sans avoir présenté
à l'esprit l'épigraphe nunc utile multis qu'il a choisie.
RONDELET , architecte du Panthéon.
VARIETÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
Le mauvais succès des spéculations de librairie ne décourage
pas les libraires : nous avons annoncé il y a quelque temps
la belle édition de Mad. de Sévigné , en 8 volumes in-8°.; le
libraire Colnet a mis en vente , cette semaine , les oeuvres
complètes de Duclos , historiographie de France , secrétaire
FEVRIER 1806. 361
perpétuel de l'Académie française , membre de celle des Inscriptions
et Belles-Lettres. Les différens ouvrages qui composent
les dix volumes de cette collection , ont été révus et
corrigés sur les manuscrits de l'auteur ; ils sont précédés
d'une notice historique et littéraire , et ornés de six portraits.
Le dixième volume contient plusieurs écrits inédits ; des
Mémoires sur sa vie , des Considérations sur le goût , des
Fragmens historiques qui devoient faire partie des Mémoires
secrets. Nous examinerons incessainment si cette volumineuse
collection est un véritable service rendu à la mémoire de
Duclos; si la postérité, toujours juste , indulgente même pour les
grands écrivains, n'est pas quelquefois plus que sévère envers les
écrivains du second ordre ; si cet académicien tant prôné , tant
vanté pendant sa vie , n'est pas aujourd'hui trop déprécié ,
ou plutôt trop oublié. Nous desirons sincèrement que les conclusions
de cet examen soient favorables à l'auteur des Consi
dérations sur les Maurs , et qu'il puisse résister à l'application
des principes développés dans ce numéro même , par
l'auteur de la Législation primitive. ( Voyez l'article sur le
Génie et l'Esprit. ) Quoi qu'il en soit , nous pouvons dès aujourd'hui
donner une idée dés fragmens historiques qui forment
une partie considérable du dernier volume , en citant
ceux qui nous ont paru les plus remarquables :
Extrait des dépêches du cardinal de Fleuri au cardinal de
Tencin , à Rome et à Lyon , pendant les années 1739 ,
40 , 41 et 42.
« Le roi de Prusse ( le grand Frédéric ) , prince faux , vain
>> au suprême degré , et qui se croit du moins égal aux plus
>> grandes couronnes : il m'a accablé des lettres les plus flat-
» teuses et les plus remplies d'éloges. Je n'en ai pas été la dupe,
>> car je sais que son système favori est , que la France est trop
» puissante , et qu'il faut travailler à l'abaisser . Il avoit voulu
» faire un voyage ici ; mais je trouvai moyen de l'empêcher ;
362 MERCURE DE FRANCE ,
» ce qui est le plus fâcheux , est que par principe et par pro-
>> fession , il n'a aucune religion. » ( Décemb. 1740. )
« Le roi de Prusse , qui craint beaucoup la puissance du
>> roi , le recherche fort en apparence ; mais peut-on se fier à
» un roi qui fait tout le contraire de ce qu'il a publié dans
>> son Anti-Machiavel , et qui va même plus loin que le per-
>> nicieux auteur qu'il fait semblant de réfuter ? Ajoutez à
>>> toutes ces réflexions que , quoiqu'il affecte l'irréligion , il
» veut qu'on le croie protestant , et qu'il se fera honneur
» d'être à la tête de ceux qui grossissent cette secle. » ( Ibid. )
« Le roi de Prusse est indéfinissable , et son caractère est
» encore une énigme ; il m'accable de marques d'amitié et
» d'estime, etje ne m'yfie pas : je le mettrai bientôt à l'épreuve.
» Entre nous , je n'ai lu de son Anti-Machiavel qu'une qua-
>> rantaine de pages , et j'en parle comme votre Eminence.
» J'y trouve du faux en tout , et , en voulant établir de grands
» principes , il s'en éloigne en les contredisant ; il est de lui
» et non de Voltaire , quoiqu'ils se ressemblent tous deux
>> par leur irréligion . » ( Janv. 1741. )
« Si j'étois d'humeur à faire le parallèle des belles protes-
>> tations que le roi de Prusse m'a faites dans ses lettres , avec
>> ses actions , j'aurois de quoi le couvrir de honte , supposé
>> qu'il en soit susceptible. Il s'est fait connoître tel qu'il est
» et peut-être ne le connoît-on pas encore parfaitement. S'il
>> nous a trompés , ce n'est pas ma faute ; car j'ai toujours eu
» une extrême répugnance à nous lier avec lui ; et plus il me
>> marquoit d'estime et de bonté , plus les louanges qu'il me
» prodiguoit m'étoient suspectes. >>>
"
Jésuites.
<«<< Les Jésuites commencent à se livrer au bel- esprit ; ils
acheveront de se décréditer par- là . » ( Nov. 1739. )
« Les Jésuites se perdront en France par l'anarchie qui y
FEVRIER 1806. 363
est , et par le bel- esprit qui a gagné la jeunesse , qui croit
>> par-là se faire un nom dans le monde . Le père Berruyer est
» un de ceux que je crains qu'ils ne fassent du tort à la Com-
» pagnie. » Ibid. )
« Il est fâcheux que les Jésuites baissent de crédit , parce
» qu'il faut convenir qu'il n'y a presque qu'eux qui défen-
» dent l'Eglise , et ils sont les seuls prédicateurs qui nous res-
» tent. Ils m'étoient très-peu favorables sous le feu roi , et
» m'en avoient donné des preuves bien convaincantes ; mais
» je crois qu'il est du bien de la religion de les soutenir , et
» je le fais efficacement sans rancune, » ( Fév. 1740, )
14
!
« Les Jésuites ne justifient que trop tous les jours l'opi-
» nion que cette Compagnie est radicalement dévouée à la
» maison d'Autriche ; il faut pourtant convenir qu'on ne peut
» point se plaindre des Jésuites de France , quoique je ne
>> voulusse pas répondre du fond de leur coeur. » ( Janv. 1741.)
« Votre Eminence pense bien juste sur les séminaires don-
» nés aux Jésuites ;
» Mais l'avare Acheron ne lâche point sa proie.
€
» Cette Compagnie se perdra par les journaux de Trévoux
» qui donnent aux jeunes gens qui ont de l'esprit , trop de
>> connoissances des livres anglais ; et d'ailleurs ils sont acé-
» phales en France. Il n'y a plus parmi eux de subordination.
» Ce sont eux seuls pourtant, de tous les religieux , sur qui on
» puisse compter, » ( 1741. )
« Le gouvernement despotique , et la subordination ab-
» solue qui constituoient la société des Jésuites , sont entière-
» ment perdus ; et je vois qu'il en est quasi à Rome comme
» en France , où ils vivent dans une espèce d'anarchie : les
>> provinciaux ont besoin d'adresse pour se faire obéir. »
Le Chancelier d'Aguesseau.
« M. le Chancelier est certainement très- habile , et a de
364
MERCURE
DE
FRANCE
;
» grandes lumières ; mais à force d'en avoir , il trouve des
» difficultés à tout , et il est élevé dans la crainte de Dieu et
» des parlemens. »
N. B. Ici finit la correspondance du cardinal de Fleuri .
Le comte de Grammont,
Le comte de Grammont , dont les Mémoires ont été écrits
par Antoine Hamilton , son beau - frère , étoit un roué de la
première classe , avec beaucoup d'esprit et très-mordant ; il
étoit redouté des ministres mêmes , parce qu'il amusoit le roi.
Il étoit frère de père du maréchal de Grammont. Sa mère
étoit soeur de Bouteville , décapité pour duel en 1628. Il
mourut à quatre-vingt-six ans. Ce fut lui qui vendit quinze
cents livres le manuscrit où il est si clairement traité de fripon.
Fontenelle , censeur de l'ouvrage , refusoit de l'approuver
, par égard pour le comte de Grammont. Celui-ci s'en
plaignit au Chancelier , à qui Fontenelle dit les raisons du
refus d'approbation. Le comte de Grammont , moins délicat
sur son honneur , et ne voulant pas perdre les quinze
cents livres , força Fontenelle d'approuver pour l'impression.
Je tiens le fait de Fontenelle même.
L'abbé de Vateville.
L'abbé de Vateville , frère du baron , ambassadeur à
Londres , grand-oncle de celui d'aujourd'hui , beau -frère du
comte de Maurepas , fut d'abord colonel du régiment de
Bourgogne pour le roi d'Espagne , Philippe IV , et se distingua
par plusieurs actions d'éclat. Mécontent d'un passedroit
, il quitta le service , et se fit chartreux. Après avoir
fait ses voeux , s'ennuyant de la solitude , il se procura quelqu'argent
de sa famille ; sans laisser soupçonner son dessein
fit acheter , par un affidé , un habit de cavalier , des pistolets
et une épée ; il se travestit une nuit dans sa cellule et prit
FEVRIER 1806 . 365
1
le chemin du jardin. Soit hasard , soit soupçon de la part du
prieur , ils se rencontrèrent ; Vateville le poignarda sur- lechamp
, et tout de suite sauta la muraille de l'enclos . On lui
tenoit un cheval prêt ; il s'éloigna promptement , et ne s'arrêta
que lorsqu'il le fallut , pour faire rafraîchir son cheval . Ce fut
dans un lieu écarté , où il y avoit pour toute habitation une
auberge. Il fit mettre à la broche un gigot et un autre morceau
de viande , ce qui étoit tout ce qui s'y trouvoit alors.
A peine commençoit- il à manger , qu'un voyageur arrive , et ,
ne trouvant plus rien , ne doute pas que le premier arrivé ne
veuille bien partager un dîner qui paroît suffisant pour deux.
Vateville prétend qu'il n'en a pas de trop ; la querelle devient
vive , et le nouveau venu s'empare d'un des deux plats
Vateville , ne pouvant le lui arracher , tire un de ses pistolets ,
et lui casse la tête , met l'autre sur la table , et menace l'hôtesse
et un valet , qui accourent au bruit , de les traiter de même
s'ils ne se retirent. Quoiqu'ils fussent alors les deux seuls dans
la maison , cela paroît assez difficile à croire ; mais c'est
ainsi que Vateville l'a conté plusieurs fois depuis. Il achève
promptement son dîner , fait amener son cheval , et , le pistolet
à la main , tient en respect le valet , jusqu'à ce qu'il ait
conduit son cheval par la bride assez loin monter en
pour
sûreté. Il s'éloigna au plus vite. Sans le suivre sur la route ,
il suffit de dire qu'il finit par se rendre dans les états du Grand-
Seigneur , où il prit le turban , et obtint du service. Il s'y distingua
assez pour y devenir bacha , et avoir le gouvernement
de quelques places de la Morée , dans le temps que les Turcs
et les Vénitiens y étoient en guerre. La circonstance fit concevoir
à Vateville le projet de rentrer en sûreté dans sa patrie ;
il négocia avec les Vénitiens , qui obtinrent pour lui , à Rome,
l'absolution de son apostasie , sa sécularisation , et un bénéfice
considérable en Franche -Comté , au moyen de quoi il leur
livra les places dont il étoit maître. Revenu dans sa province,
dans le temps que Louis XIV y portoit la guerre , il serviț
"
366 MERCURE DE FRANCE.
こ
"
ássez utilement la France , pour en obtenir des graces mar
quées, et sur tout un crédit et une autorité respectés à Besançon.
L'archevêché élant devenu vacant , le roi l'y nomma ; mais le
pape , trouvant du scancale à nommer pour archevêque un
apostat , renegat et meurtrier publiquement connu refusa
constamment les bulles , et Vateville fut obligé de se contenter
, en échange , de deux abbayes et du haut doyenné de
Besançon. Il vivoit en grand seigneur , avec un équipage de
chasse , une table somptueuse , craint et respecté , allant de
temps en temps aux Chartreux , voir ceux de son temps qui
vivoient encore. Il mourut en 1710 , âgé de quatre-vingtdix-
ans tant la tranquillité d'ame et la bonne conscience
contribuent à la santé ! ·
xx
Voici le portrait qu'en fait Pelisson dans son histoire
manuscrite de la conquête de la Franche- Comté , en 1668 :
« Un tempérament froid et paisible en apparence , ardent et
» violent en effet ; beaucoup d'esprit , de vivacité et d'im-
» pétuosité au dedans , beaucoup de dissimulation , de modé
>> ration et de retenue au dehors. Des flammes couvertes de
» neige et de glace. Un grand silence ou un torrent de paroles
» propres à persuader ; renfermé en lui-même , mais comme
» pour en sortir au besoin avec plus de force. Tout cela
» exercé par une vie pleine d'agitations et de tempêtes ,
>> propre à donner plus de fermeté et de souplesse à l'esprit.
Voltaire et Madame de Pompadour.
Voltaire ayant donné à Mad. de Pompadour une copie de
son histoire de la guerre terminée en 1748 , par la paix d'Aixla-
Chapelle , finissoit ainsi l'histoire :
t
« Il faut avouer que l'Europe peut dater sa félicité du jour
» de cette paix. On apprendra avec surprise qu'elle fut le
» fruit des conseils pressans d'une jeune dame du plus haut
» rang , célèbre par ses charmes , par des talens singuliers
FEVRIER 1806. 367
>> par son esprit , et par une place enviée. Ce fut la destinée
» de l'Europe , dans cette longue querelle , qu'une femme la
» commençât , et qu'une ferme la finît : la seconde a fait au-
» tant de bien que la première avoit causé de mal , s'il est
>> vrai que la guerre soit le plus grand des fléaux qui puissent.
» affliger la terre , et que la paix soit le plus grand des biens
» qui puissent la consoler. »
C'est Mad. de Pompadour qui me montra cette histoire
manuscrite , avec une sorte de complaisance ; elle ne doutoit
pas que cet article ne fût un jour imprimé.
( OEuv. compl. de Duclos , tom . X. )
-Le Carnaval a donné le jour à quelques nouveautés ;
mais aucune ne survivra à l'époque qui l'a fait naître . Le
moins mauvais de ces ouvrages dont plusieurs ne méritent pas
l'honneur d'être nommés , est l'Ivrogne corrigé , ou un Tour
de Carnaval , représenté sur le Théâtre de l'Impératrice.
Cette petite pièce est de M. Dieulafoi. Les Cantatrici Villane
continuent à attirer la foule. La pièce est très-gaie ,
la musique pleine de verve et d'esprit ; Barilli joue son rôle
de la manière la plus plaisante ; madame Cavanassi chante le
sien avec un art qui justifie sa grande réputation. Les morceaux
d'ensemble sont parfaitement exécutés. Aussi, à la cinquième
représentation la salle étoit entièrement pleine. Peu
d'ouvrages i'aliens ont eu en France un pareil succès. - Le
Théâtre du Vaudeville a donné cette semaine une nouvelle
pièce de M. Radet , intitulée l'Inconnu , dont la première
représentation a été fort applaudie. - Antiochus Epiphanes
est toujours sur l'affiche de la comédie française. On ignore ce
qui retarde la représentation. Il paroît qu'une comédie en
un acte et en vers , intitulée Le Politique en défaut , passera
encore auparavant. L'Opéra Comique qui a donné pour
pièce de Carnaval , M. Deschalumeaux, descendant de Pour-
-ceaugnac auquel il manquoit ce nouveau malheur d'avoir une
-
368 MERCURE DE FRANCE ,
postérité si peu digne de lui, promet la prochaine représentation
d'Uthal , nouvel ouvrage de M. Méhul. Le sujet du poëme est
tiré d'Ossian. On l'attribue à un auteur qui a déjà fait preuve
d'un talent distingué comme poète et comme prosateur. II
paroît certain qu'Elleviou va rentrer à ce spectacle. La repré--
sentation de bénéfice , promise aux premiers sujets après 20
ans d'exercice , vient d'être accordée à madame Saint-Aubin ;.
elle aura lieu dans les premiers jours du mois prochain , sur le
théâtre de l'Académie impériale de Musique . Madame Duret ,
fille de madame Saint-Aubin , y.chantera. Les premiers sujets
des trois théâtres doivent y concourir. On croit que madame
Saint-Aubin obtiendra de faire représenter le plus parfait des
ouvrages dramatiques , Athalie , qui n'a point été donné depuis
quinze ans.
Dimanche , après la messe , M. Bernardin de Saint-
Pierre , membre de la deuxième classe de l'Institut , a eu
l'honneur de présenter à S. M. l'EMPEREUR et Roi la nouvelle
édition de Paul et Virginie. M. Locré , secrétaire du conseil
d'état , et M. Esmenard ont également eu l'honneur de présenter
à S. M. , l'un , le second volume de son ouvrage , intitulé
: Esprit du Code Nupoléon , et l'autre son Poëme sur la
Navigation, dont S. M. a bien voulu agréer la dédicace ( 1 ).
-La Société de Dijon avoit proposé pour sujet d'un prix à
distribuer en l'an XII , la question suivante : « Les fièvres
>> catarrales deviennent aujourd'hui plus communes que
>> jamais ; les fièvres inflammatoires deviennent extrêmement
» rares ; les fièvres bilieuses sont moins communes. Déter→
>> miner quelles sont les causes qui ont pu donner lieu à ces
» révolutions dans nos climats et dans nos tempéramens. »
Beaucoup de médecins se sont occupés de cette question. Le
mémoire auquel l'Académie a décerné une médaille d'encouragement
de même valeur que le prix , est de M. Gaillard ,
(1 ) On trouve ces trois ouvrages chez Rondonneau, Giguet, et le Normant .
docteurFEVRNER
1866 1869
1
docteur -médecin de Phospice national des Tucurables de
Poitiers. La même société a préposé pour sujetidu concours
de l'an prochain , a l'éloge de M. Daubenton Le prix ser
une médaille d'or et distribué dans une séance publique d
mois d'août 1806 , thoq zol zetnos notiott'sk acnej zer drips
L'Académie de Nimes avoit proposé pour sujet du prix ,
en l'an XIII , la question de savoir : « quelle est l'influence
» réciproque des moeurs des nations sur les formes de gouver
» nement , et des formes de gouvernement sur les moeurs des
» nations ; » mais n'ayant reçu aucun
miage
propre à dé
terminer son choix , elle a cru devoir retirer cette questio
L'Académie a jugé convenable de substituer un sujet 20 d'économie
rurale , d'un intérêt assez général pour ne pas circonscrire
dans les limites d'un seul département la faculté de le
traiter , et qui cependant , susceptible d'une application pairticulière
au Gard , soit d'une utilité plus spéciale à cette contrée.
En conséquence , l'Académie propose les questions ' sui-
1 of Jasva , SEMO
yantes :
L
I
Dans quels cas les défrichemens sont- ils utiles
» Dans quels cas sont- ils nuisibles ? ietijali ob
« L'Académie desire que ces questions soient particulière-
» ment traitées dans leurs rapports avec les localités du dé- · auˆdê-
367 M
partement du Gardusis 401225
IT
απ
Le prix consistera en une médaille d'or de la valeur
de 300 fr . Il sera décerné dans la séance publique de l'année
1806. L'ouvrage couronné será lu dans la niéme séance.
Le concours sera fermé le premier décembre prochain : ce
terme est de rigueur.
- La société des sciences et des arts de Grenoble , conside
rant que le département de l'Isère est celui de toute la France
qui renferme le plus de richesses minéralogiques ; que cette
branche de l'histoire naturelle n'a encore , dans le départe
ment , aucun établissement où elle soit enseignée ; voulant
propager le goût de la minéralogie sans exiger un travail trop
A a
DEP
cen
D
370 MERCURE DE FRANCE ,
―
étendu , et ayant à disposer d'un prix de la valeur de 500 fr. ,
dont M. le préfet veut bien faire les fonds , annonce qué ce
prix sera adjugé au meilleur mémoire sur la minéralogie du
Canton de l'Offspartement de l'Isère. Les concurrens ne
sont pas tenus de traiter toutes les parties de la minéralogie
de ce canton , mais ils doivent approfondir celle qu'ils auront
choisie. Trois médailles d'argent , de la valeur de 100 fr.
chacune , seront décernées aux auteurs des trois meilleurs mémoires
qui traiteront quelqu'objet particulier de la minéralogie
ou de la docimacie des autres, cantons du département
de l'Isère , tel que les moyens de perfectionner la fabrication
des fers de la mine d'Allevard , ou autres , au choix des auteurs.
On laisse aux concurrens la faculté de se servir, dans leurs
mémoires , de la nomenclature minéralogique qui leur conviendra
le mieux. Les prix et accessit seront décernés dans
la séance publique du mois de janvier 1807. Les mémoires
doivent être parvenus , francs de port , au secrétaire de la société
, avant le 1er octobre 1806.
L
-M. Gaillard , l'un des quarante de l'Académie française ,
auteur de l'Histoire de la Rivalité de la France et de l'Angleterre,
est mort à Saint-Firmin , près de Chantilly , d'une
attaque d'apoplexie , âgé de quatre-vingts ans.
-M. Hyacinthe Gaston , auteur d'une traduction estimée
des huit premiers chants de l'Enéïde , vient de mourir , en
retournant de Paris au Lycée de Limoges , dont il étoit proviseur.
Il étoit âgé d'environ 36 ans
On sait que M. Martin , savant botaniste à Cayenne , a
réussi à y propager considérablement la culture du giroflier ,
du canellier et de l'arbre à pain. Les clous de girofle recueillis
à Cayenne , ont été annoncés , pour la première fois , à la
vente , à New-Yorck , à la fin d'avril 1803 ; ils étoient de
très-bonne qualité , et d'une odeur aromatique fort agréable .
M. Anderson a pareillement réussi a introduire dans quelques-
unes des îles anglaises, des plantes de la mer du Sud et
FEVRIER 1806 . 371
des Indes Orientales. On a envoyé à Londres des échantillons
de canelle et de girofle à peu près semblables à ceux provenant
des lieux où ils sont indigènes.
Sir Joseph Robley , gouverneur de Tabago , avoit fait planter
trois arbres à pain. Depuis octobre 1800 jusqu'au mois
d'août 1801 , il en a retiré cent cinquante - trois plants qui
ont bien réussi . Il espéroit que les trois premiers arbres , qui
alors avoient trois ans , lui fourniroient environ vingt plants
par mois , et qu'il compléteroit promptement une plantation
destinée à contenir treize cents arbres , lesquels suppléeroient
au pain et nourriroient mille Nègres.
moeurs ,
-Le besoin d'épargner le combustible se fait sentir dans
tous les pays ; et , faute de pouvoir revenir aux anciennes
où un seul foyer suffisoit à une seule famille , il faut
que les hommes inventifs cherchent des moyens de parer à la
disette. En France , nous avons beaucoup d'ouvrages sur ce
sujet ; et les procédés de M. Cointeraux paroissent obtenir
beaucoup de succès ( 1 ) . Il y a un an qu'il a paru à Madrid un
ouvrage intitulé : Description de deux cuisines économiques
applicables à la préperation des mets usités en Espagne :
ce livre a produit beaucoup d'effet ; la méthode indiquée par
l'auteur a été adoptée par plus de six mille ménagés dans
Madrid seulement , et commence à se répandre dans les provinces
espagnoles.
AU REDACTEUR .
15
Monsieur , ce n'est pas sans étonnement que nous avons vu
annoncer dans le Mercure du 8 février, une pièce à faire ,
intitulée Alexandre à Babilone. Une singulière ressemblance
entre cette ouvrage projeté et celui que nous avons fait , et
où se trouvent les deux mêmes tableaux de Lebrun , nous
force à vous prier de consigner dans votre feuille , que le
même sujet , auquel M. Ch. , auteur d'Antiochus , avertit le
I
( 1 ) Avis au Peuple sur l'Economie de son Bois ; par M. Cointeraux.
Broch . in-8°, avec deux planches . Prix : 1 fr . 50 c . , et i fr.80 par la poste
A Paris , chez l'Auteur, rue Folie-Méricourt, nº 4; et chez le Normant .
A a 2
1
-372 MERCURE DE FRANCE ,
public qu'il doit travailler , est depuis long - temps traité par
nous , et mis sous les yeux d'un des hommes les plus recommandables
de l'état..
Nous avons l'honneur de vous saluer ,
Les Auteurs d'Alexandre à Jérusalem.
AU REDACTEUR.
Monsieur , la lecture de votre article sur notre père , M. Retif
de la Bretonne , nous fait sortir de l'état d'accablement où
nous a jeté le sentiment de sa perte , pour rétablir quelques
vérités.
Plus instruites que vous à cet égard , nous ne devons pas
souffrir que le public , qni fut toujours le confident préféré
de notre père , que ce public impartial , qui a tant de fois
daigné l'accueillir , soit abuser sur le compte de l'ami de la
vérité.
Notre respectable père a terminé sa vie à 72 ans , le 3 février ,
à midi , entouré de la maison , composée de ses enfans , de sa
domestique et de sa garde , sans souffrances , sans crainte . En
le disant mort à 68 ans , vous avez sans doute dater de l'époque
où il est demeuré infirme. ་
Jamais il n'a manqué d'un honnête nécessaire : ses enfans et
petits enfans ses soeurs , ses amis , et même les voisins ne l'auroient
pas souffert. Son infortune venoit de malheurs , et non
d'un manque de conduite ; quel homme fut plus que lui laborieux
et infatigable ? Gertes, il ne pouvoit être dans l'aisance
après avoir essuyé et des banqueroutes , et des remboursemens
en mandats ; mais sa position , pour avoir été difficile ,
n'a point été humiliante. Le gouvernement d'un Empereur
aussi humain que grand , pourvoit à tout avec dignité.
2
Şi cet hommage public , que nous devons à la mémoire du
plus digne des pères , est accueilli de vous , monssieur , notre
reconnoissance égalera la considération distinguée avec laquelle
nous avons l'honneur d'être vos très-humbles servantes.
A. Retif, femme Vignon.
M. R. V. Retif d'Anna,
FEVRIER 1806.- 373
MODES, du 19 février. - Outre les jacintes , on porte du lilas , et de
roses , dont une seulement épanouie , et les autres en boutons . Les rose
ont blanches. Le lilas est lilas ou blanc . Les jacintes sont blanches , lilas ,
srose , couleur de chair.
Sur les capotes , les rubans que l'on coud , pour former côtes , se plissent
en biais . Les capotes ont une passe encore plus grande que de coutume ;
mais elles se posent un peu de travers , en sorte qu'elles cachent un peu
moins le visage. On les fait en satin blanc ou rose , plus communément
blanc ; et sur le bord , on plisse un tulle , à gros plis .
Les toques de parure admettent , les unes une très longue plume , les
autres des fleurs qui cachent une partie du rebord plissé . Ces fleurs et la
plume se posent sur le devant . Avec des paillons d'or mat , découpés en
feuilles et en fleurs , pour être appliqués , on forme sur des fonds de toques
, des étoiles et des fleurs qui paroissent brodées .
Dans la grande parure , ce sont les coiffures à la Ninon , qui dominent
; il y en a où la guirlande de fleurs , qui fait le tour du peigne , est
assez longue pour que les bouts pendans viennent retomber sur chaque
épaule .
Une robe de parure a, comme une douillette , ses bourelets espagnols ,
coupés par des aiguillettes d'une couleur tranchante .
Les fichus pleins , en cygne , en renard étranger , et en martre , l'ont
`emporté sur les palatines étroites et sur les fichus bordés de poil , même
sur les palatines fourrées.
Dans les travertissemens populaires , ce n'étoient point , cette année-ci ,
les costumes à la Fanchon , ni ceux de bergères , qui dominoient ; mais
le battant- l'oeil , à grands papillons de dentelle , le caracot incarnat
jupon pareil , et le fichu blanc , garni en dentelle .
NOUVELLES POLITIQUES.'
Londres , 12 février.
le
Les membres de la nouvelle administration sont tous
entrés en fonctions. Lord Grenville , M. Fox , lord Spencer ,
MM. Windham ét Sheridan donnent particulièrement
l'exemple de l'assiduité au travail . Il semble que le sentiment
des dangers qui menacent la Grande- Bretagne ait redoublé le
zèle et le courage de M. Fox pour les éloigner. Nous ne saurions
anticiper sur les nouvelles mesures que le cabinet projette
; mais nous croyons pouvoir dire , qu'à l'exception de
quelques changemens qui se préparent dans l'organisation de ,
l'armée , le système général de l'administration sera maintenu
tel qu'il est. L'admission de M. Fox à la direction des affaires
publiques semble promettre la reprise des négociations pour
la paix , aussitôt qu'il trouvera l'occasion de les renouer d'une
manière honorable pour ce pays. La paix est son système
favori ; voudroit-il y renoncer , quand il a plus que jamais
les moyens de le faire triompher, pour l'honneur et l'avantage
du peuple anglais ? et si pour réaliser ses intentions pacifiques,
3
374 MERCURE DE FRANCE ;
il pouvoit prêter l'oreille à des conditions honteuses et défavorables
, nous avons heureusement dans le cabinet d'autres
membres qui sauroient défendre les intérêts de notre honneur
et s'opposer à toute transaction qui pourroit le compromettre.
(Morning-Post. )
Le premier usage que M. Fox a fait de ses pouvoirs comme
ministre des affaires étrangères , a été d'envoyer des dépêches
à tous nos ininistres près les cours étrangères , pour leur annoncer
le changement du ministère , et leur faire part du desir
qu'il a de contribuer de tout son pouvoir au rétablissement
de la paix de l'Europe. On assure que l'intention de M. Fox
est de faire la paix avec la France , et de suspendre toutes les
entreprises projetées contre le port de Boulogne, Mais pour
mettre la nation dans une attitude plus imposante , et conséquemment
pour être en état de traiter avec plus de dignité et
de succès , il a résolu de faire exercer au maniement des armes
toutes les personnes en état de les porter. Tous les hommes
valides seront enrôlés , répartis dans des divisions , et appelés
sous le drapeau , suivant le besoin qu'on pourra avoir de leur
secours. (The Courrier. )
"
De ce que M. T. Grenville ne se trouve pas encore désigné
pour remplir aucune place dans le ministère on conjecture
qu'il est réservé par M. Fox pour les négociations de
paix que celui- ci , dit-on, a l'intention de proposer sans délai ,
Nous avons entendu , à ce sujet , des rapports particuliers que
des motifs de circonspection nous empêchent de publier pour
le moment,
CHAMBRE DES COMMUNES. 3 février,
Lord Castlereagh , après un court exorde , fait la motion
qu'une humble adresse soit présentée à S. M. pour la prier
de vouloir bien ordonner qu'un monument soit élevé , dans
l'église cathédrale de Saint-Paul de Londres , à la mémoire du
très-noble et très-honorable Charles marquis de Cornwallis
en reconnoissance des services qu'il a rendus à ce pays , et du
dévouement dont il a donné des marques éclatantes dans les
derniers momens de sa vie.
M. Charles Graut appuie la motion .
2
M. O'hara s'oppose à la motion , parce que le noble lord
( Cornwallis ) a pris une grande part à la paix d'Amiens et à
l'union du royaume d'Irlande , transactions qui ont été si
préjudiciables à ce pays.
M. Fox , après avoir loué le mérite particulier, du marquis
de Cornwallis , appuie la motion d'autant plus volontiers
E
FEVRIER 1806. 375
qu'elle ne contient pas les expressions d'excellent homme
d'état ( faisant allusion à l'épithète donnée à M. Pitt par M. Lascelles
). Il termine ainsi : « Le reproche que l'honorable membre
» qui m'a précédé fait au marquis de Cornwallis d'avoir pris
» part à l'union du royaume d'Irlande , me fournit l'occasion
» de renouveler mon sentiment sur cette affaire, c'est que jene
>> connois pas d'actes du gouvernement qui aient été plus
» agréables et plus avantageux au peuple anglais , et la part
>> que l'honorable marquis a pu y avoir est une des grandes
» raisons pour lesquelles j'appuie la motion faite en sa fa-
» veur. >>
La motion de lord Castlereagh passe .
Le même lord dépose sur le bureau diverses pièces relatives
an traité conclu avec la Russie.
M. Cartwright prend la parole : la chambre se rappellera ,
dit-il , que depuis seize ans M. Pitt , dernier chancelier de
l'échiquier , n'a joui que du simple revenu attaché à ses deux
places , et que la sinecure des cinq ports fut la seule gratifica
tion qui lui fut donnée sans qu'il l'eût demandée ; ce qui prouve
son intégrité et son parfait désintéressement. Je suis assuré que
les dettes du feu chancelier de l'échiquier s'élèvent à plus de
quarante mille livres sterlings. Et quand vous considérerez la
continuité des services rendus par M. Pitt ; quand vous vous
rappellerez que les dettes de lord Chatam furent payées par
l'état , et que c'est dans de semblables circonstances.que M. Pitt
son digne fils , a contracté celles que je vous propose d'acquit
ter , je me flatte que vous accueillerez avec intérêt la motion
que je fais en ce moment , qu'une humble adresse soit présentée
à S. M. pour l'informer que le très-honorable William
Pitt a laissé des dettes pour le paiement desquelles ses biens
sont insuffisans ; et que la chambre des communes d'Angleterre
, desirant témoigner le respect et l'estime qu'elle conserve
pour la mémoire de ce grand homme , elle supplie S. M.
d'ordonner qu'une somme qui n'excède pas quarante mille
liv. st. soit délivrée pour le paiement desdites dettes , assurant
que la chambre des communes verra avec plaisir cet acte
de la reconnoissance publique
S. M.
M. Bootle , M. Windham , M. George Ponsonby , lord
Folkstone , M. William Smith , M. Fox , ont tour à tour
pris la parole pour appuyer cette motion , qui a été adoptée
à l'unanimité.
PARIS.
Le Journal officiel a publié le texte de différens traités
conclus entre l'Angleterre et les puissances qui ont fait partie
4
376 MERCUREDE FRANCE,
de la dernière coalition la Russie , l'Autriche et la Suède.
L'étendue de ces pièces ne nous permet pas de les insérer ; l'article
second du traité avec la Russie suffira
noître le but ostensible de cette coalition :
pour faire con-
Art. II. Cette digue aura pour objet d'effectuer ce qu'on se
propose par la présente coopération ; savoir : L'évacuation
du pays d'Hanovre et du nord de l'Allemagne ; le rétablissement
de l'indépendance des républiques de Hollande et de
Suisse le rétablissement du roi de Sardaigne en Piémont ,
avec une aussi grande angmentation de territoire que les circonstances
le permettront ; l'indépendance future duroyaume
de Naples et l'entière évacuation de l'Italie , y compris l'ile
d'Elbe , par les armées françaises ; l'établissement d'un ordre
de choses en Europe , qui puisse garantir efficacement la sû–
reté et d'indépendance des différens états , et opposer une barrière
solide à de futures usurpations.
A la suite de ces pièces , le Journal officiel contient des
réflexions quienferont parfaitement connoître l'esprit, et même
les principales conditions de ces traités , par lesquels la Russie,
l'Autriche et la Suède s'engagent à fournir des hommes
et l'Angleterre à donner de l'argent.
Il résulte de ces traités de coopération , d'accession , de
coalition , etc.,
1 ° . Que la coalition étoit résolue et conclue dans le mois
d'avril , c'est-à-dire , trois mois avant que le pays de Gênes
oût demandé sa réunion à la France.
2 °. Qu'avec une simple promesse de 80,000,000 tournois ,
» qui n'avoit d'autre objet, comme le dit lord Castlereagh, que
» d'étendre la puissance britannique , elle a armé pour sa
cause la Russie et l'Autriche ; que , comme elle ne payoit ces
So,000,000 que par portions de mois en mois , elle a pu bouleverser
le continent , faire agir tous les princes contre leurs
propres intérêts , les soumettre à ses projets et aux ordres de
ses commissaires , sans réaliser aucune autre dépense que la
modique somme de 20,000,000 tournois. Jusque- la l'Angleterre
avoit sans doute fort bien calculé.
» 3°. Qu'à la vérité l'Angleterre n'a compromis que 20 milhons
tournois pour opérer cette puissante diversion , mais
qu'aussi elle a mis la France en mesure d'acquérir Gênes
Venise et Naples ; qu'elle a fait rentrer en France plus de
200 millions de contributions ; qu'elle a placé dans la plus
haute évidence ce principe , reconnu en Europe depuis plus
de cent ans , que l'alliance avec l'Angleterre produit toujours
la ruine des princes assez imprudens pour y souscrire ; prinsipe
dont la vérité a été attestée , dans un temps peu éloigné
FEVRIER 1866. EI
377
de nous , par le sort du Stathouder et du roi de Sardaigne , et
l'est encore dans les circonstances présentes , par les malheurs
de l'Autriche et la chute du roi de Naples ; tandis qu'au con
traire l'alliance de la France , toujours favorable aux puissances
qui s'y livrent , n'amène avec elle qu'agrandissement
et prospérité : témoins la Bavière , le Wurtemberg , Bade . Si
l'Angleterre. parvenoit à susciter une quatrième coalition ,
l'Autriche , qui a perdu la Belgique à la première ; l'Italie et
la rive gauche du Rhin à la seconde ; le Tyrol , la Souabe ,
le pays vénitien à la troisième , perdroit probablement sa
Couronne.
*
» 4° . Que les Autrichiens et les Russes , qui se défendoient
si hautement d'être à la solde de l'Angleterre , d'avoir même
aucuns liens avec elle, en imposoient à l'Europe ; que le même
homme ( M. de Stadion ) qui est à présent à la tête des affaires
en Autriche , avoit déjà commencé son niinistère dans ces
négociations honteuses ; que la Russie n'a fait autre chose que
reprendre un rôle qu'elle a constamment joué depuis quinze
ans les trois coalitions ont eu lieu sous le règne de trois dif
férens souverains de Russie. Catherine , qui avoit du génie ,
se laissa néanmoins entraîner dans la première ; mais elle se
borna à intriguer pour mettre en avant les autres puissances.
En souveraine habile et expérimentée , en monarque qui con→
noissoit bien la portée d'influence et de situation de son empire
, elle se garda bien de s'engager davantage. Lors de la
seconde coalition , Paul fit marcher son armée; mais au premier
revers , il retira ses troupes : il reconnut sa faute ; il se
hâta de revenir à un système d'accord avec les intérêts de son
empire ; il renoua avec la France , et replaça sa politique dans
sa situation naturelle. Alexandre , jeune et sans expérience , a
donné dans tous les piéges des Anglais , s'est laissé séduire par
leurs déclamations et par leurs éloges; et, dédaignant l'exemple
de son prédécesseur , il a détruit ce que celui- ci avoit fait de
bien ; non content d'envoyer ses armées en Allemagne , il a
marché en personne : aussi a-t-il vu de ses propres yeux la
destruction de ce fantôme , de ce colosse de réputation militaire
que Catherine avoit commencé à créer , et dont ellemême
ne fut pas la dupe ; car elle comprit fort bien la différence
qui existoit entre ses soldats russes et le peuple français.
» 5° Que la plus excessive crédulité a souscrit à tous ces
traités ; que ceux qui les ont dictés ou rédigés supposoient
que l'Empereur Napoléon n'avoit point d'yeux , point d'oreilles
, point de jugement ; que cette armée de 500,000
Français , qui , à la connoissance de toute l'Europe , pourroit
être portée à un milion de soldats , resteroit enchaînée en378
MERCURE DE FRANCE ;
deçà de ses limites ; que ce triple rang de places fortes , qui
hérissent les frontières de la France , ne renfermeroient des
habitans ou des garnisons que pour remettre les clefs des citadelles
aux premiers cosaques qui viendroient les demander ;
que toutes ces sublimes combinaisons, toutes ces négociations ,
si avancées au mois d'avril , seroient consommées et couronnées
par de grands résultats au mois de décembre. C'est avec
le mois de décembre , en effet , que sont arrivés ces grands
résultats ; mais c'est après avoir été battus , que les deux empereurs
de Russie et d'Allemagne se sont trouvés trop heureux,
l'un d'optenir de l'Empereur des Français la restitution
de Vienne et de ses états , l'autre de retourner à Saint-Pétersbourg
avec les foibles débris de son armée.
» 6° . Enfin , qu'il ne manquoit plus à ces puissances que
d'être outragées par l'Angleterre elle-même : et en effet , le
gouvernement anglais vient de mettre assez en évidence le
mépris qu'il a pour ses allés , en livrant ainsi au grand jour
des traités secrets dont la publicité ne peut être que trèsnuisible
et très - désagréable aux souverains qui ont eu la foiblesse
de les souscrire. » Des quatorze articles de ces traités
dit lord Gastlereagh , cinq ne sont pas de nature à être publiés.
» Cette réticence est un trait de plus de la perfidie du .
cabinet de Londres. Après avoir dit tant de choses qu'il devoit
taire pour l'honneur de ses alliés , il ne veut pas que
l'imagination s'arrête. Nous suppléerons à son silence , et nous
révélerons ce grand mystère. Voici les stipulations contenues
dans ces cinq articles : La Belgique sera réunie à la Hollande.
La maison d'Orange sera rétablie dans la dignité de stathouder.
Les places de la Meuse serviront de places de sûreté , et
auront des garnisons autrichiennes et russes. La Savoie et le
comté de Nice seront réunis au Piémont. Enfin , si les succès
sont tels qu'on l'espère , la ville de Lyon passera sous la domination
du roi de Sardaigne.
+%
1 .
» A-t-il fallu une grande habileté au cabinet britannique
et à ses agens , pour donner quelque consistance à de semblables
illusions ? C'est ce que nous ne déciderons pas ; mais
quelle que soit la haine de l'Angleterre, quelque influence qu'elle
puisse obtenir en excitant les passions cupides et jalouses , la
France prospérera toujours davantage , et l'Empire français
assis sur ses cent huit départemens , et sur ses états fédératifs ,
sera plein de vigueur et de jeunesse , lorsque la Grande-
Bretagne périra de décrépitude.et de consomption. L'influence
de l'Empire français sur le continent , fera le bonheur de l'Europe
; car c'est avec lui qu'aura commencé le siècle de la civilisation
, des sciences , des lumières et des lois. »
FEVRIER 1806 .
379
-Le prince Joseph a porté son quartier-général à Feren
tino. Le 8 février , le Carigliano a été passé par son avant-garde
à Ciprano . L'armée s'est mise en marche sur Naples , la droite
commandée par le général Regnier , le centre par le général
Massena , et la gauche par le général Lecchi , commandant
le corps des troupes italiennes. Le prince a adressé le 9 février
, de son quartier-général de Ferentino , aux soldats et
aux peuples de Naples , les proclamations suivantes :
Joseph Napoléon , prince français , grand électeur de l'Empire
, lieutenant de l'EMPEREUR , commandant en chef son
armée de Naples , gouverneur des royaumes de Naples
et de Sicile.
« Peuple du royaume de Naples ,
» L'Empereur des Français et Roi d'Italie , voulant éloigner
de vous les calamités de la
guerre , avoit signé avec votre cour
un traité de neutralité. Il croyoit assurer par-là votre tranquillité
, au milieu du vaste incendie dont la troisième coalition
menaçoit l'Europe. Mais la cour de Naples s'est engagée
de plein gré parmi nos ennemis , et a ouvert ses états aux
Russes et aux Anglais. L'Empereur des Français dont la justice
égale la puissance , veut donner un grand exemple , commandé
par P'honneur de sa couronne , par les intérêts de son
peuple , et par la nécessité de rétablir en Europe le respect
qu'on doit à la foi publique.
>> L'armée que je commande marche pour punir cette perfidie;
mais vous , peuples , vous n'avez rien à craindre ; ce
n'est pas contre vous que sont dirigées ses armes. Les autels ,
les ministres de notre culte , vos lois , vos propriétés seront
respectées. Les soldats français seront vos frères .
» Si , contre les intentions bienfaisantes de S. M. , vous
prenez les armes , la cour, qui vous excite , vous sacrifie à ses
fureurs. L'armée française est telle que toutes les forces promises
à vos princes , fussent- elles sur votre territoire , ne
sauroient les défendre.
» Peuples, soyez sans inquiétude ; cette guerre sera pour
vous l'époque d'une paix solide et d'une prospérité durable. »
Ordre du jour.
« Soldats ,
L'Empereur des Français et Roi d'Italie , notre auguste
frère et souverain , en m'appelant à l'honneur de vous commander
, m'a donné le témoignage de son estimè le plus
précieux pour un Français.
>> Nous combattrons les Russes et les Anglais s'ils se présentent
; nous punirons la cour qui les a appelés au mépris
386 MERCURE DE FRANCE,
des stipulations les plus sacrées ; mais nous respecterons les
peuples
» Vous aurez pour les ministres des autels , pour les citoyens
paisibles tous les égards que commande leur état ; nous les
prenons sous notre spéciale protection.
» Si les troupes de la coalition s'éloignent , si les Napolitains
se montrent indifférens à la cause d'une cour qui , depuis
dix années , n'a cessé de trahir leurs intérêts les plus chers , il
ne nous restera que la gloire d'une exacte discipline . »
Le lieutenant de l'EMPEREUR , commandant en chef de
l'armée de Naples .
Signé JOSEPH-NAPOLÉON.
Un décret impérial du 14 de ce mois contient les dispositions
suivantes :
« Les travaux nécessaires pour établir et améliorer les abords
du pont du Jardin des Plantes , seront incessamment exécutés.
Il sera formé une place terminée en arc de cercle d'un rayon
de 99 mètres , à partir du parement extérieur de la culée entre
le pont et le Jardin des Plantes. La clôture actuelle du jardin
et les deux pavillons seront rétablis sur la ligne de cette place.
Cette place sera nommée Place du général Valhubert , en
mémoire du général de ce nom tué à Austerlitz . Le quai
du Mail , qui sera appelé Quai du colonel Morland , en mémoire
du colonel des chasseurs de la garde , tué à Austerlitz ,
sera porté à une largeur de 17 mètres 50 centimètres . Les
murs qui servent de clôture aux jardins dépendans de l'Arsenal
, seront démolis. Ces jardins seront supprimés , et leur
superficie sera plantée d'arbres , jusqu'à ce qu'il leur ait été
donné une autre destination .
"
>> Il sera formé vis-à -vis le pont du Jardin des Plantes , sur
la rive droite , une place terminée en arc de cercle d'un rayon
de 55 mètres , dont le centre est pris à 29 mètres du parement
extérieur de la culée. Cette place communiquera provisoirement
à la rue de Charenton par le cul-de-sac Saint-
Claude. Cette place sera nommée Place du colonel Mazas ,
en mémoire du colonel du 14º régiment d'infanterie de ligne,
tué à Austerlitz . Il sera ultérieurement ouvert une rue de
15 mètres de largeur en prolongement de l'axe du pont jusqu'à
la grande rue du faubourg Saint-Antoine. Cette rue sera
appelée rue du colonel Lacuée , en mémoire du colonel du
59 régiment de ligne , tué au combat de Güntzbourg. L'alignement
du quai de la Rapée en amont du pont , depuis
l'angle de la place projetée jusqu'à la rue des Chantiers , est
-fixé par une ligne prolongée sur la façade de la maison du
sieur Poncet , n . I. Cette portion de quai sera pavée ; il sera
FEVRIER. 1806. 384
construit provisoirement un pont de bois sur l'égout de la rue
des Chantiers .
e
1
» Le boulevard de la porte Saint-Antoine sera prolongé jus
qu'à la rivière au travers de l'emplacement de la Bastille ,
dans l'alignement de la courtine des fossés , sur 28 mètres
de largeur , et 670 mètres environ de longueur , à partir de
la façade extérieure de l'hôtel de Montbarey. Ce boulevard
sera nomme Boulevard- Bourdon , en mémoire du colonel du
11° régiment de dragons , tué à la Grande-Armée. Une grande
allée et deux contre -allées formeront ce boulevard. Les plantations
seront exécutées avant le printemps prochain. Les
maisons et bâtimens connus sous le nom d'hôtel Montbarey ,
et toutes les constructions qui se trouveront dans la prolon
gation des boulevards , celles situées dans l'emplacement de la
Bastille et au pourtour , le bastion servant de magasin a
poudre et le demi-bastion à l'extrémité méridionale des
fossés , seront démolis sans délai .
s jnegparka J
Il sera formé une gare de sûreté dans les fossés de l'Arsenal ;
elle sera alimentée par une dérivation des eaux de l'Ourcq; elle
communiquera à la rivière par des écluses. Le ministre de
l'intérieur nous soumettra , avant le r septembre prochain ,
les projets de l'établissement de la gare ; les murs actuels
d'escarpe et de contre-escarpe , seront conservés. Les terrains
et constructions appartenant à des particuliers , compris dans
les projets arrêtés par le présent décret, et le terrain nécessaire
pour la construction d'un magasin et corps-de- garde sur le
boulevard du Midi , à l'angle de la place projetée , seront ac
quis sur estimation , dans les formes ordinaires. Il sera prélevé
sur les fonds de la commune de Paris , une somme de
450,000 fr. , pour subvenir aux dépenses détaillées dans le
présent décret. »
Le ministre de l'intérieur a adressé , le 15 de ce mois ,
à tous les préfets de l'Empire , une circulaire dans laquelle
Son Excellence dit « que l'intention de Sa Majesté est que
les fêtes du mois de mai prochain soient à la fois consacrées
aux deux genres de gloire les plus précieux à la France ; à la
gloire immortelle qu'ont si justement obtenu les triomphes
de nos armées ; à la gloire pacifique que promettent à notre
Industrie ses efforts pour rivaliser avec celle des nations rivales.
S. M. desire que tous les dép. concourent , chacun pour
la portion d'industrie qui lui appartient à une exposition
destinée à offrir un ensemble beaucoup plus complet que celles
qui l'ont précédée . Elle desire que par l'envoi des échantillons
de toutes les fabriques , ce spectacle offre une espèce de tableau
de la statistique industrielle de la France , et que l'oeil
༑་ ་
382
MERCURE
DE FRANCE ,
2
du spectateur puisse faire en quelque sorte le dénombrement
de nos fabriques , en même temps qu'il en appréciera les productions.
L'EMPEREUR a marqué un emplacement plus vaste ,
et le nombre des portiques sera augmenté de manière que tous
les produits soient exposés sans confusion .
les
» Dans le jour qui suivra la réception de cette lettre ,
préfets feront assembler toutes les chambres consultatives des
arts et manufactures de leur département ; ils feront en sorte
qu'elles commencent immédiatement leurs opérations , et
qu'elles les ait terminées dans l'espace de quinze jours.
Elles s'occuperont de dresser un état exact des fabriques de
leur arrondissement , et en particulier de celles dont les produits
sont dignes d'étre admis au concours. Elles prendront
pour règle de recevoir tous ceux qui seront reconnus de bonne
qualité dans leur genre ; elles observeront que l'économie
des prix est aussi un mérite digne d'être apprécié par le gouvernement
et le public. Les produits de l'agriculture ellemême
, comme les laines , les lins , les chanvres , les plantes
exotiques naturalisées , les instrumens aratoires , ne doivent
point être exclus , si leur qualité est de nature à fixer l'atten→
tion. Les chambres consultatives s'adresseront donc à tous les
manufacturiers de leur ressort ; elles exciteront leur émulation,
et provoqueront l'envoi des échantillons. S'il est quelques
manufactures dont des circonstances momentanées auroient
ralenti les travaux , elles n'en doivent pas moins être empres
sées à fournir leurs échantillons , et on doit les recueillir avec
d'autant plus de sollicitude. Si elles languissent , il n'en est
que plus important de les faire connoître , de les faire valoir.
Le génie qui a tout restauré , qui en trois mois a désarmé et
pacifié le continent , rendu aujourd'hui à tous , les soins de
l'administration , dirige ses profondes méditations sur tous les
intérêts de la prospérité intérieure. L'EMPEREUR veut apprécier
avec certitude toute l'étendue de nos ressources industrielles
, et la circonstance actuelle offre l'occasion , la plus
précieuse pour en mettre le tableau tout entier sous ses yeux :
sa sagesse en appréciera les besoins , sa puissance en réparera
les pertes.
1
» L'exposition publique sera suivie d'une grande faire nationale
dans les portiques de l'exposition , à laquelle seront
admis sans distinction les produits qui auront été jugés dignes
de concourir. Les préfets feront deux états séparés , l'un des
négocians qui se bornent à envoyer des échantillons , l'autre
de ceux qui enverront des marchandises pour être vendues.
L'envoi des échantillons aura lieu aux frais de l'état ; celui des
marchandises aux frais des expéditeurs. Du reste , tous les proFEVRIER
1806. 383
duits de fabrique française pourront faire partie de la foire ,
avec cette seule différence que le gouvernement ne se chargera
pour ceux- ci ni du local ni de la dépense. Un mois après la
réception de cette lettre , les préfets adresseront au ministre de
l'intérieur ces deux états certifiés par eux. Dans l'état des simples
échantillons , ils indiqueront la nature , la qualité , le
poids , le volume , le nom et la demeure du fabricant. Les
expéditione devront être faites de manière à ce que les envois
soient à Paris au plus tard à la fin d'avril prochain. Les préfets
feront rédiger dans l'intervalle , sur chacune des manufac
tures dont les produits auront été admis , une notice détaillée
qu'ils adresseront au ministre , en indiquant le nom et la demeure
du fabricant, le nombre d'ouvriers qu'il emploie , leurs
salaires , l'origine et le prix des matières premières , les prix des
produits eux-mêmes , les débouchés , l'étendue de la fabrication
, le mérite des procédés , l'époque de la naissance de la
manufacture , les variations qu'elle a éprouvées , et les causes "
de ces variations. »>
-Les membres des comités de bienfaisance de Paris , qui
connoissent les ressources journalières des infortunés que contient
cette grande ville, ont cru pouvoir s'adresser à l'EMPEREUR
pour réclamer un secours de 30,000 fr. Aussitôt S. M. a accordé
450,000 fr. , dont 150,000 à prendre sur sa cassette.
Les fonds pour le surplus ont été assignés.
fr
M. Chompré , ci-devant consul à Malaga , est nommé
membre du conseil des prises , en remplacément de M. Mo→
reau ( de l'Yonne ) , décédé .
-
Par décret du to février , les vacances des cours d'appel ,
des tribunaux civils et des écoles de droit auront lieu depuis
le 1er septembre jusqu'au 1 novembre.
er
M. le général Junot , gouverneur général des états de
Parme et de Plaisance , a , par un décret du 27 janvier ,
ordonné le désarmement de toutes les communes qui avoient
pris part à l'insurrection .
On assure que MM. Jaubert , tribun , Merlin ( de Douai )
procureur - impérial près la cour de cassation , et le gé
néral Gassendi , sont nommés conseillers d'état ; MM. Ma
thieu Molé , Frédéric d'Houdetot , Pelet fils du conseiller
d'état ) , auditeurs au conseil d'état.
M. Lagarde , ci -devant chefdes bureaux du sécrétariat
au ministère de la police générale de l'Empire , et en dernier
lieu chargé par S. M. de l'organisation de la police du royaume
d'Italie , vient d'être nommé par S. A. I. et R. le vice-roi ,
directeur général de police dans les états vénitiens.
M. François Bienaimé , évêque de Metz , est mort dans
cette ville , le 9 de ce mois , à l'âge de 69 ans.
384 MERCURE DE FRANCE ,
--L'EMPEREUR , depuis son retour , ne paroît pas dans un
établissement public sans que sa visite ne soit marquée par
quelque circonstance touchante , et n'ait quelque résultat
mémorable. Jeudi dernier , après avoir visité le lycée Impé
rial , S. M. accompagnée de S. Exc. le ministre de l'intérieur ,
s'est rendue au Pantheon. Elle a ordonné sur -le- champ que
ce magnifique édifice seroit rendu au culte catholique , sous
Fancienne invocation de Sainte - Geneviève , patronne de
Paris. On y transportera tous les mausolées qui décoroient
autrefois les diverses églises supprimées dans ces derniers
temps , et qui se trouvent entassés dans le Musée de la rue des
Petits-Augustins...
2.S. M. a également décidé que l'église de Saint-Denis seroit
rendue à son ancienne destination , autant que le permettent
aujourd'hui les dévastations opérées dans ce monument religieux.
Cette église restera consacrée à la sépulture des princes
de la monarchie française , et trois autels expiatoires seront érigés
en réparation des outrages faits aux cendres des souverains
des trois dynasties précédentes, mon ech mondigar
S. M. 1. et R. considérant qu'au moment de la suppres
sion des corporations religieuses , il y en eut un grand nombre
qui , pour soustraire les fonds de leurs épargnes ou leurs
effets les plus précieux , les mirent en dépôt chez des particu
liers; que les membres de ces corporations , depuis leur rentrée
en France , ne formant plus que des individus , et n'ayant aucun
moyen de contrainte pour retirer ces dépôts, les déposi →
taires refusent de les restituer ; qu'il est nécessaire de prendre
une mesure pour faire rentrer au trésor public lesdits dépôts ,
a décrété , le 25 janvier , ce qui suit al
les
Les ex - religieux qui , dans le délai d'un an , à compter
de la date du présent décret , mettront l'administration des
domaines à portée de diriger des poursuites utiles contre le
dépositaires de sommes ou effets nationaux soustraits à l'époque
où les biens des établissemens religieux ont été mis sous la
main de la nation , recevront le quart des sommes ou effets
dont ils auront facilité la découverte ; ce quart leur sera
compté immédiatement après le recouvrement qui aura été
fait par le préposé de l'administration des domaines , desdites
sommes ou effets. Le présent décret sera adressé à tous les
préfets de l'Empire , pour qu'ils aient à le faire publier et
afficher dans l'étendue de leurs départemens respectifs .
The ( Affiches d'Angers. )
M.Louis Vangen de Geroldseck est nommé maire de
la ville de. Strasbourg , en remplacement de M. Hermann ,
démissionnaire, l
SELLTON
C
ت ب س
-Le général Mathieu Dumas a pris possession de la Dalmatie
Vénitienne , au nom de S. M. l'Empereur et Roi-d'Italie.
( No CCXLI. ) SORA
( SAMEDI 1er MARS 1806. )
.......
MERCURE
DE FRFRANCE.
POÉESIE.
QUESTIONS
A UN PAYSAN QUE JE N'AI PAS VU DEPUIS QUINZE AN S.
Air Que ne suis -je la fougère.
-PER Alain , qu'est devenue RE
La terre où de bons parens,
Dans une paix continue ,'
Ont choye mes plus beaux ans ? '
Hélas ! en un moindre gite
Chacun d'eux tous est logé :
Leur fortune est plus petite ,
Mais leur coeur n'est point changé.
→Père Alain , qu'est devenue
Sur ce tombeau que je fis
L'épitaphe ainsi conçue :
A SA MÈRE UN TENDRE FILS ?
Finan
Mon cher monsieur, malgré l'arbre
Qu'au devant vous aviez mis ,
Tout s'est effacé du marbre
Sous les pleurs de vos amis.
Bb
386 MERCURE DE FRANCE ,
Père Alain , qu'est devenue
Cette fontaine d'Amont ,
Qu'en son lit j'ai contenue
Par un cailloutis profond ?
Ah ! monsienr , rien, quand j'y pense ,
N'est plus doux que ses glougloux ;
Mais qu'il a dans votre absence
Passé d'eau sur vos cailloux !
Père Alain , qu'est devenue
Au bas du moulin à vent
Cette superbe avenue
Où je lisais si souvent ?
Sous la cognée inhumaine
Tout l'ombrage en a péri ;
Et celui qui s'y promène
N'y rencontre plus d'abri.
- Père Alain, qu'est devenue
Cette prairie où le soir
Pour chanter ronde connue
Parmi vous j'allois m'asseoir ?
-
Au bruit d'une aigre musette ,
Las ! parfois nous y dansons ;
Mais l'écho dans la disette
Soupire après vos chansons.
Père Alain , qu'est devenue
La cloche au timbre argentin
Qui , fendant au loin là nue ,
M'éveilloit si grand matin ?
-
- Comme autrefois elle sonne ,
Et comme autrefois j'ai soin
De prier Dieu qu'il vous donne'
L'or dont vous avez besoin.
MARS 1806 . 387
A
Père Alain , qu'est devenue
La famille Olibrius ,
Qu'autrefois j'ai soutenue
Par un prêt de mille écus 2
Des usures criminelles
L'ont remise en crédit ; mais
Les ingrats de vos nouve les
Ne m'ont demandé jamais.
་་་ - Père Alain qu'est devenue
Cette chienne au long museau,
A peine au monde venues
Quand je vous en fis cadeau ?
→ Aveugle est la pauvre Flore;
Mais si vous veniez chez nous
Vous la verriez bête encore
A se souvenir de vous.
-Père Alain , qu'est devenue
Votre femme au sourcil noir,
En ce temps là si menue,
Qu'on accouroit pour la voir ?
Vous lui rendriez justice ;
Car j'ai bien d'elle en effet
Quinze enfans , sans préjudice
De celui qu'elle me fait .
Père Alain , qu'est devenue
Dans son castel ténébreux
La bachelette ingénye
Dont je fus tant amoureux ?
Elle a joint sa destinée
A celle d'un vieux Pandour,
Qui moins l'aime en une année
Que ne l'aimiez en un jour.
7
DE PIIS
Bb 2
388 MERCURE DE FRANCE ,
AD LYDIA M. Ode IX.
Note du Rédacteur. Nous donnons le texte en regard de la traduction
, parce qu'elle nous a paru pouvoir soutenir ce dangereux voisinage.
Nous desirons être souvent dans le cas de faire le même honneur aux
pièces imitées des anciens , qui nous seront envoyées.
Dialogus Horatii et Lydiæ.
HORATIUS.
DONEC gratus eram tibi ,
Nec quisquam potior brachia candida
Cervici juvenis dabat ,
Persarum vigui rege beatior .
**
LYDIA.
Donec non alia magis
Arsisti , neque erat Lydia post Chloën ,
Multi Lydia nominis
Romanâ vigui clarior Iliâ .
HORATIUS.
Me nunc Thressa Chloë regit ,
Dulces docta modos , et cithara sciens ,
Pro quâ non metuam mori , ₫ oy , 2
Si parcent animæ fata superstiti .. 9
LY DIA.
Me torret face mutuâ
Thurini Calais filius Ornithi , vel )
Pro quo bis patiar mori ,
Si parcent puero fata superstiti .
HORATI U SAST
Quid , si prisea redit Venus ,'
Diductosque jugo cogit aheneo 2
Si flava excutitur Chloë ,
Rejectaque patet janua Lydia ?
LY DI A.
Quanquam sidere pulchrior
Ille est , tu levior cortice , et improbo
Iracundior Hadria ,
Tecum vivere amem , tecum obeam libens.
MARS 1806...
389
DIALOGUE
་ ་ ་་་
D'HORACE ET DE LYDIE.
"
HORA CE.
1.
TANDIS qu'à vingt rivaux ton coeur m'a préféré ,
Quand mes bras amoureux pressoient ton cou d'ivoire ,
De plaisir Horace enivré
N'envioit au grand roi ni son rang , ni sa gloire.
LYDI E.
Quand j'étois la plus belle à ton oeil enchanté ,
Avant que ta Chloé l'emportât sur Lydie ,
Lydie a vu son nom vanté
Le disputer dans Rome au nom fameux d'Ilie.
HORACE.
Chloé m'a subjugué , Chloé qui sait unir
Au luth harmonieux sa voix plus douce encore..
Je ne craindrois pas de mourir
Pour prolonger les jours de celle que j'adore .
LYDI E.
Galaïs qui se plaît à vivre sous mes lois ,
Brûle d'un feu pareil au feu qui me dévore .
Je consens à mourir deux fois
Pour prolonger les jours de l'amant que j'adore .
HORACE.
Si Vénus réveilloit notre première ardeur ,
Qu'elle nous enchaînât à son char pour la vie ?
Bannissant Chloé de mon coeur ,
A reprendre son bien si j'invitois Lydie .......
T 累
LYDI E.
Quoiqu'il ait la jeunesse et l'éclat d'Apollon ,
Que tu sois en amour plus léger que Zephire ,
Plus orageux que l'Aquilon ,
91 916
Près de toi que je vive , avec toi
que j'expire !
smont mol
SoxASODE
WAILLY.
९
Shalom
3
390
MERCURE DE FRANCE ;
ENIGME.
SOMBRE , brillante , affreuse et belle ,
Avant le monde je naquis
Et dois régner sur ses débris.
Le moindre éclat m'efface , et je suis immortelle;
Le soleil n'a jamais éclairé de ses feux
Mon front lugubre et solitaire ,
Et j'habite pourtant les airs , l'onde et la terre .
Inconstans et réglés , mes pas silencieux ,
Même en fuyant le jour poursuivent sa lumière.
Mais que me sert tout ce mystère ?
La clarté de peut me trahir ;
C'est dans l'obscurité qu'on peut me découvrir,
LOGO GRIPHE.
QUELQUEFOIS je deviens, d'humble sujet du roi ,
Un personnage d'importance,
Je prends un nouveau nom pour mon nouvel emploi,
Inspirant tour-à - tour la crainte et " espérance ; "
On me fuit , on me cherche , et tel s'attache à moi ,
Qui souvent s'en repent , et maudit ma présence,
Soupçonné , l'on m'attaque avec persévérance ,
Et sur tout si l'on croit me trouver sans défense :
Je résiste avec art , et n'attaque jamais;
De trois points différens on me lance des traits ,
Poursuivi sans relache , au danger qui me pressC
J'oppose tour-à-tour les renforts et l'adresse ,
Et vainqueur, on murmure , ou bien l'on applaudit ;
Mais forcé de me rendre, on éclate et l'on rit .
Décompose mon être , et bientôt en Egypte
On me voit entraîner l'abondance à ma suite;
Offrir à tes regards le tissu doux et fin
Des vêtemens sacrés du jeune Elialin
Du vieux père Saturne foible partie,
Et dont est composé le cercle de la
Des divines Houris un ardent sectateur ,
Du foible et du puissant le juste protecteur ;
Le monstre généreux des déserts de l'Afrique ;
Une ville de France ; un ton de la musique ;
Et pour tout dire enfin au lecteur curieux ,
Mon existence est liée au plus piquant des jeux .
vie;
Par M. DE BUCHEPOT , abonné.
CHARADE.
CHAQUE action possède mon premier ;
Chacun , ami lecteur, court après mon dernier;
Prends - garde , en te mirant, de trouver mon entier...
Le mot de la première Enigme du dernier No est le Vide.
Celui de la seconde est te Feu.
dernier No est le Vid
Celui du Logogriphe est Flambeau , où l'on trouve lambeau , beau ,
feu, eau, mal, fléau , fa , la , au , le , ame , lame , bal, ambe.
MARS 1806. 391
Théâtre et Poésies fugitives de M. Collin d'Harleville .
Quatre vol . in- 8° . Prix : 15 fr,, et 20 fr. par la
poste. A Paris , chez Duminil Lesueur, imprimeurlibraire
, rue de la Harpe , n° 78 ; et chez le Normant ,
imprimeur- libraire , rue des Prêtres Saint - Germainl'Auxerrois
, nº 17. .
LORSQU'ON veut examiner les OEuvres complètes
d'un poète comique qui a obtenu de grands succès ,
il est toujours utile de faire des rapprochemens entre
l'état des moeurs à l'époque à laquelle il a écrit , et
le parti qu'il a dû tirer de cette mine féconde de
ridicules , soit comme observateur, soit comme critique.
Ces sortes de rapprochemens sont curieux ,
parce que , en même temps qu'ils présentent des
résultats moraux , ils offrent aussi des développemens
intéressans pour l'art. Aristophane et Molière
ont été plus d'une fois considérés sous ce rapport ;
et l'on a eu lieu de remarquer que les observations
auxquelles cet examen a donné lieu ont fourni sur
les moeurs de deux époques très- célèbres , des renseignemens
qu'on ne trouve ni dans les historiens ,
ni même dans les moralistes.
On a été trop loin quand on a dit que la comédie
renforçoit les moeurs , au lieu de les corriger. Cela
pouvoit s'appliquer à la comédie dégénérée , telle
que nous l'avons vue dans l'école de Dorat , non
à celle que Molière a portée à son plus haut degré
de perfection . Il est sûr que le théatre doit se
soumettre jusqu'à un certain point aux préjugés du
temps. Considéré , ainsi qu'il doit l'être , comme un
objet de délassement , et non d'instruction , il sortiroit
de son genre s'il frondoit gravement les opinions
reçues ; mais le théâtre , tel que Molière l'a créé ,
étend son domaine sur tous les vices et tous les tra-
4
392 MERCURE DE FRANCE ;
vers qui ont un côté ridicule : il les immole non à
une morale sévère , mais à une certaine morale de
convention qui tient essentiellement au ton d'un
monde choisi. En cela il ne renforce pas les moeurs ,
il ne les corrige pas non plus ; il se borne à les polir.
C'est d'après ce point de vue que nous considérerons
d'abord le Théâtre de M. Collin d'Harleville ;
ensuite , nous nous étendrons avec quelque détail
sur ses principales pièces.
Le premier ouvrage de M. Collin d'Harleville.
parut en 1786. On peut se rappeler quei étoit alors
l'esprit de la société en France . Les signes non équivoques
d'un changement dans l'état se montroient à
découvert ; il n'étoit plus douteux que cette grande
crise ne fût prochaine . Toutes les distinctions de
rang , toutes les institutions monarchiques existoient
encore de fait ; mais elles étoient entièrement minées
par ceux même qui étoient le plus intéressés à les
soutenir il ne falloit qu'un souffle pour les renverser
. A cette époque , chaque ordre de citoyens
paroissoit avoir oublié ses principes et ses maximes .
Il sembloit qu'on mit une sorte de vanité à braver
les anciennes idées , à abjurer la doctrine de son
état , à manquer même aux devoirs les plus sacrés .
De là une confusion dans toutes les classes , précurseur
trop funeste de l'égalité qui devoit bientôt être
proclamée. Le théâtre n'avoit donc plus , comme
autrefois , à peindre les ridicules, attachés à l'exercice
d'une profession ; la société ne lui offroit plus
que des visages et des manières uniformes . Dans
l'égoïsme froid qui régnoit alors , on pouvoit trouver
matière à des réflexions sérieuses , mais non à
des scènes comiques , qui tiennent à une franchise
d'expression que l'on ne voyoit presque plus.
1
Peut - être , cependant , auroit - il été possible de
trouver dans cette monotone uniformité de mours.
et de caractères quelques combinaisons dramatiques .
N'auroit-il pas
été comique de représenter des généMARS
1806 .
393
raux ne s'occupant que de charrues nouvelles ou
d'expériences chimiques , des magistrats composant
de petits vers et des romans , des duchesses recherchant
des actrices et en faisant leur société , etc ...?
Au lieu qu'autrefois le comique étoit tiré des prétentions
attachées à l'amour exagéré de son rang ou
de sa profession , on l'auroit tiré alors de l'indifférence
singulière pour ces deux objets , et sur-tout
de la manie qui consistoit à s'occuper des choses
que l'on auroit dû négliger ou dédaigner. Cette
combinaison , employée par un homme de génie ,
auroit pu donner à la comédie un ressort de plus :
la tentative seule en auroit été glorieuse ; car, dans
les arts , l'estime est toujours le partage de ceux qui
ouvrent des routes nouvelles.
Il restoit à la comédie une carrière beaucoup
plus facile à parcourir. Sans s'élever contre aucun
des travers à la mode , elle pouvoit se borner à offrir
des images douces et vives , à peindre des caractères
fantastiques il est vrai , mais dont le développement
donneroit lieu à des détails agréables. La
comédie pouvoit aussi revêtir de couleurs aimables
les spéculations romanesques du temps , prendre
un ton de mélancolie qui plaisoit alors beaucoup ,
et affecter une certaine naïveté capable de réussir
à une époque où l'on étoit blasé sur tout. Telles
sont les bases sur lesquelles M. Collin d'Harleville
fonda ses trois premières pièces : l'Inconstant , l'Optimiste
et les Châteaux en Espagne.
Il a été observé plus d'une fois que ces trois
pièces avoient entre elles de grands rapports : c'est
ce qui portoit M. de La Harpe à dire qu'elles
étoient une comédie en quinze actes. On avoit avec
raison reproché à Regnard d'avoir passé les bornes
de la vraisemblance dramatique , en resserrant dans
le cadre étroit d'une comédie tous les travers que
la Bruyère attribue à un distrait , et qui , s'ils se
succédoient avec cette rapidité dans un homme , en
394 MERCURE DE FRANCE ;
feroient un fou qu'il faudroit reléguer aux Petites-
Maisons.
ས་
Ne peut- on pas , avec autant de raison , adresser
le même reproche aux trois pièces dont nous nous
occupons ? Un inconstant a beau porter jusqu'à l'extrême
la légéreté de son caractère , il est impossible
que , dans l'espace de vingt-quatre heures , il
change trois fois de maîtresse , et qu'il abandonne
la seconde pour épouser la troisième , sans s'informer
même si cette dernière n'est pas mariée. Un
optimiste peut bien considérer sous un point de vue
favorable les événemens qui lui arrivent ; mais si ,
dans une journée , le tonnerre tombe sur sa grange,
și un jeune homme auquel il a donné asile séduit
sa fille , s'il est ruiné , si enfin tous les malheurs qui
peuvent accabler un père de famille tombent sur
lui , et qu'il s'en réjouisse , on ne peut disconvenir
que ce caractère ne tienne un peu de la folie . On
voit souvent les hommes faire des châteaux en Espagne
; mais il est hors de vraisemblance qu'un
homme passe sa vie à se croire le grand Turc , le
ministre d'un état , etc. , et qu'il ne sorte jamais de
ses rêveries , même dans les momens les plus calmes.
Il résulte de ces observations que ces trois caractères
, qui rentrent les uns dans les autres , puisqu'ils
ne sont fondés que sur des illusions , ne sont pas
propres au théâtre ...
Les amans qui entrent dans ces trois pièces ont
quelque chose de mélancolique et de romanesque
qui pouvoit plaire à l'époque où elles furent représentées
, mais qui s'éloigne des principes de la bonne
école . Quelle différence entre Valère et Marianne
de Tartufe , Henriette des Femmes Savantes , Agnès
de l'Ecole des Femmes , l'amant de l'Ecole des Maris,
Angélique du Malade Imaginaire , dont les caractères
sont aussi aimables que variés , et les jeunes
gens peints par M. Collin d'Harleville ! Belford et
Angélique de l'Optimiste ne parlent que sentiment ;
MARS 1806.
395
tous les deux ont cette tristesse vague qui n'a commencé
à être introduite au théâtre que depuis la
Chaussée . Ils pourroient facilement être les héros
d'un roman moderne ; mais ils n'ont rien de dramatique.
Florville des Châteaux en Espagne présente
à peu près le même caractère : sa délicatesse
est froide et recherchée ; on ne peut se prêter à
l'idée qu'il abandonne tous ses projets d'établissement
, parce qu'un fou a été pris pour lui pendant
quelques momens. Quelques traits vraiment comiques
se trouvent cependant dans les autres caractères
de ces trois pièces. Crispin de l'Inconstant ,
Picard de l'Optimiste , et Victor des Chateaux en
Espagne , offrent des intentions dramatiques . On va
voir que lorsque M. Collin d'Harleville s'éleva plus
haut , il ne put entièrement réformér des défauts qui
sembloient tenir au caractère de son talent , ainsi
qu'à la manière dont il considéra toujours l'art dramatique.
Le Vieux Célibataire annonça des conceptions
beaucoup plus fortes . Cette comédie , l'une des
meilleures qui ait paru depuis la Métromanie et le
Méchant , offre des tableaux de moeurs bien tracés
et des caractères bien soutenus . Trois rôles sur-tout
se font remarquer. Celui de M. Dubriage est plein
de vérité rien d'affecté , ni dans sa situation , ni
dans ses discours ; il présente le sort qui attend un
homme foible , mais bon , lorsque dans sa vieillesse
il préfère ses domestiques à ses parens . Le rôle de
madame Evrard peut être considéré comme le chefd'oeuvre
de M. Collin d'Harleville. Il étoit impossible
de peindre ce personnage avec plus d'esprit et
de grace , sans cacher cependant tout l'odieux de
ses projets et de sa conduite : c'étoit le grand écueil
de ce rôle , et l'on doit avouer que M. Collin d'Harleville
l'a surmonté très-heureusement. Ambroise ne
mérite pás moins d'éloges ; son caractère brusque
fait un contraste agréable avec la souplesse de ma
396 MERCURE DE FRANCE ,
dame Evrard il est naturel que deux fourbes se
trompent l'un l'autre , et cette disposition adroitejette
beaucoup de gaieté dans la pièce.
Mais les autres personnages de la comédie du
Vieux Célibataire ne sont pas exempts des défauts
que nous avons déjà reprochés à l'auteur. Armand
et sa femme sont romanesques : ils répandent beaucoup
de langueur , sur-tout dans le quatrième acte.
Le rôle du portier suppose une intention dramatique
, puisqu'il entre dans l'action pour montrer au
vieux célibataire le bonheur dont peut jouir un bon
ménage , même dans la misère ; mais au lieu d'avoir
une gaieté franche et conforme à son état , il tombe
fréquemment dans les illusions de l'optimiste et du
faiseur de châteaux en Espagne .
Il étoit à présumer que le grand succès qu'avoit
obtenu et mérité le Vieux Célibataire , fixeroit
M. Collin d'Harleville dans la bonne route. Le
contraire arriva , et l'on peut attribuer cette erreur
à la confusion de tous les genres de littérature qui
signala les temps révolutionnaires . Le nom d'artiste
étoit alors très à la mode on le donnoit indifféremment
aux poètes , aux peintres , aux musiciens ,
aux comédiens , et même aux artisans les moins
relevés. On avoit attaché à ce mot une importance
singulière , et il n'y avoit pas de petit rimailleur
qui ne s'en parât . Les détails de la vie de cette classe
d'hommes n'avoient jusqu'alors été mis sur la scène
que pour peindre leurs ridicules ; on avoit senti que
l'intérieur d'un auteur modeste et d'un artiste honnête
ne pouvoit exciter beaucoup d'intérêt au théâtre.
M. Collin d'Harleville voulut offrir au grand
jour les vertus privées d'un poète , d'un peintre et
d'un musicien. Comptant trop sur les graces de son
style , il ne s'attacha point à lier une intrigue interessante
; il se borna a prodiguer avec une sorte de
profusion les dissertations sur la, poésie , la peinture
et la musique , en assaisonnant tout cela de compli
MARS 1806.
397
mens éternels que se font les trois artistes. Une telle
pièce ne pouvoit réussir au théâtre ; aussi éprouvat
-elle beaucoup de difficultés , et ne put - elle se soutenir
.
•
Cette disgrace ramena M. Collin d'Harleville au
bon genre ; mais il ne trouva plus un sujet aussi
heureux que celui du Vieux Célibataire. Les Maurs
du Jour peignent fort bien , les sociétés actuelles le
danger d'une jeune femme éloignée de son mari ,
ne trouvant aucune sûreté dans la maison de son
oncle , entourée chez lui de tous les piéges de la
séduction , et préservée par un frère plein de fermeté
et de vertu , offroit un riche fonds de comédie.
L'auteur a su en tirer parti. Il y a une intention
vraiment comique dans la familiarité de Florval
avec son père c'est la meilleure critique que l'on
puisse faire des éducations modernes ; mais , comme
nous l'avons déjà observé , M. Collin d'Harleville
glisse toujours dans ses pièces quelque personnage
Tomanesque le rôle de madame Euler mérite ce
reproche. Elle a une générosité affectée , et sa liaison
avec madame Dirval n'a rien de naturel . On
voit qu'elle est introduite dans la pièce pour amener
la scène du portrait ; mais cette scène n'est pas assez
nécessaire à l'ouvrage pour justifier ce rôle : il pa
roît qu'il auroit mieux valu donner pour amie à
madame Dirval une femme honnête qui fût dans
le monde , et qui , tout en blàmant les folies à la
mode , sût cependant se conformer aux moeurs de
son temps , autant que la vertu et la décence
le permettre.
病房
peuvent
Le Vieillard et les Jeunes Gens n'est pas d'une
conception aussi forte que les Moeurs du Jour.
Cependant c'est une pièce fort agréable : il y a de
la gaieté et de la finesse dans les rôles des deux
frères ; la présomption du plus jeune est sur- tout duj
très -comique . Le rôle de Lorsan n'est pas aussi
heureux on y trouve je ne sais quelle teinte de
398 MERCURE DE FRANCE ,
mauvais ton qui fait douter que ce fat ait pu se concilier
madame Merville . Le personnage du vieillard
est le meilleur de la pièce : il est aimable et noble ;
et ce caractère , que l'on avoit tenté plusieurs fois
sans succès de mettre au théâtre , fait beaucoup
d'honneur au talent de M. Collin d'Harleville . Il y
a encore dans cette pièce un personnage peu naturel;
c'est l'amant de la jeune personne , qui est protégé
par le vieillard, il a un ton apprêté qui ne
convient pas à son age ; sa reconnoissance pour
M. de Naudé passe les bornes de la vraisemblance
dramatique , puisqu'elle le porte à souffrir sans murmurer
que sa maîtresse épouse le vieillard.
Le Recueil des pièces de M. Collin d'Harleville
est terminé par une comédie intitulée les Riches,
qui n'a jamais été représentée. Le titre seul de cette
pièce donne beaucoup à espérer. Après une révolution
qui a déplacé tant de fortunes , il doit se
trouver un grand nombre de gens dont l'éducation
ne répond pas à leur situation dans le monde ; et
c'est dans les inconvenances qui résultent nécessairement
de cette position , que la comédie peut puiser
les traits les plus piquans. M. Collin d'Harleville
paroît avoir senti cet avantage ; mais il n'en a pas
tiré tout le parti que l'on avoit lieu d'attendre . Une
idée générale de cette pièce suffira pour le prouver.
Derval , homme à grandes entreprises , vient d'acheter
un château superbe qui a déjà passé , en très-peu
de temps , dans les mains de plusieurs propriétaires :
une des conditions du marché maintient dans la, pos
session d'un petit pavillon , situé dans le parc , un
particulier obscur appelé M. Belmont. Ce dernier a
une fille très - aimable qui a inspiré de l'amour au
fils de M. Derval. Gelui- ci voit avec chagrin cette
inclination , il fait ses efforts pour en distraire son
fils, Cependant une affaire plus importante l'occupe
dans ce moment. Il a fait une spéculation hasardeuse
, qui le met dans la nécessité de réunir beauMARS
1806. 399
9
coup de capitaux . Pour y subvenir , il veut vendre
son château à Duchemin , nouveau riche , qui n'a
aucune éducation , mais qui entend très - bien ses
intérêts. Ce dernier, en apprenant l'existence du pavillon
de M. Belmont , veut le réunir à son domaine
, et déclare qu'il n'achètera pas le château si
cet arrangement n'a pas lieu . Comme il est habitué
à ce que rien ne lui résiste , il veut aller trouver
M. Belmont , et se fait fort de le décider, avec de
Fargent , à renoncer à ses droits ; mais quelle est sa
suprise , en se présentant devant M. Belmont , de
le connoître pour son ancien maître ! En effet ,
ce M Duchemin a été valet de chambre de M. Belmont
, qui n'est rien moins qu'un homme pauvre et
obscur. M. Belmont lui demande le secret le caractère
de ce personnage est très- singulier , comme
on le terra bientôt.
Jusqu'à présent la pièce marche bien ; il
y a des
scènes plaines de finesse et de sel : telle est l'entrevue
de malame Derval avec la fille de M. Belmont ;
scène où la jeune personne , ne perdant pas le ton
de modestie ui lui convient , se moque très - bien
des prétentions de la nouvelle riche telles sont les
réflexions de la femme de chambre de madame
Derval , qui , ayant servi autrefois des dames de
qualité , se charge le former ses maîtresses : telle est
encore une scène ou Duchemin se moque du jeune
homme qui admire s ombrages des bois de son
père , tandis qu'on calule ce qu'ils peuvent rapporter.
Mais la suite de cette comédie ne répond pas au
commencement . L'inconvénient vient du caractère
romanesque que l'auteur a donné à M. Belmont .
Duchemin a laissé échapper quelques mots qui inspirent
à Derval des soupçons sur la fortune de
M. Belmont. On sent que Derval et sa femme ne
négligent rien pour éclaircir ce doute . Leur ruine
presque complète , qui résulte de la spéculation dont
400 MERCURE DEt FRANCE ;
on a parlé , les porte encore plus à vérifier si leur
voisin est riche. En effet , ils poussent leur peu de
délicatesse jusqu'à lui cacher ce qui vient de leur
arriver , afin que leur fils puisse épouser sa fille.
Quelle conduite peut -on croire que tiendra M. Belmont
? On présume nécessairement qu'il n'entrera
point dans une telle famille . Tout au contraire , il
donne sa fille au fils de M. Derval , sans que ce
dernier, laisse aucun espoir qu'il se corrigera. On
voit que ce dénouement est mal conçu ; et l'or
regrette que ce défaut ait empêché l'auteur de ler
à un bon ouvrage les excellentes idées qu'il a in
diquées dans les premiers actes .
i
}
Ces réflexions générales sur les comédies de
M. Collin d'Harleville , nous ont conduit à relever
plusieurs défauts qui ont du nuire à ses succès ;
mais l'auteur gagne beaucoup à être connu par
les
détails sa manière a un charme qu'on seat plutot
qu'on ne peut le définir. Quand il n'es pas trop
minutieux , il sait intéresser aux plus pettes choses ,
et inspirer une douce gaieté , qui est plutôt le résultat
de la lecture que celui de la représentation
théâtrale . Quelques réflexions sur ette partie du
talent de M. Collin d'Harleville , eront la matière
d'un second article. Après s'être exprimé sur ses
ouvrages avec une sévérité franche , qu'il doit regarder
comme une preuve d'estime , on s'étendra
avec satisfaction sur tout ce que ses productions
ont d'agréable on examinera aussi son style , ainsi
que la marche de ses pièces ; et l'on parlera des
petites comédies de M de Crac , Malice pour
Malice , Il veut tout fave , ouvrages pleins de grace.
et d'agrément , mais trop peu importans pour être
examinés sous le pont de vue d'après lequel on a
cru devoir considérer ses grandes pièces.
>
P.
N. B. Cet article étoit imprimé lorsque nous avons
appris la mort de M. Collin d'Harleville.
La
DEP
:
MARS 1866.
La Petite Maison Rustique , ou Cours théorique et pratique .
d'Agriculture, d'Economie rurale etdomestique . Deux vol.
in- 8°. Prix : 15 fr . , et 18 fr. par la poste. A Paris , chez
la veuve Devaux , libraire rue de Malte ; et chez le
Normant, libraire , imprimeur du Journal de l'Empire ,
rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n°. 17.
17
DANS le plan nouveau et plus étendu que le Mercure vient
de se tracer , les lettres et les sciences morales continueront
sans doute d'occuper le premier rang. Mais en conservant
aux arts de l'esprit , la juste prééminence dont ils sont en
possession , on ne dédaignéra pas de donner quelqu'attention
aux arts industriels , qui travaillent pour nos besoins et qui
répandent tant d'agrémens sur la vie. Il importe d'autant
plus de soumettre à une critique sévère cette branche si cultivée
de nos connoissances , qu'un grand nombre de savans
se sont jetés dans cette partie , soit pour y faire une prompte
fortune , ce qui n'est pas sans exemple , soit pour flatter le
goût dominant de leur siècle . De là ce débordement d'expériences
, d'essais , de plans , de théories , qu'on retourne en
cent manières , qu'on reproduit sous mille formes , toujours
pour la commodité du public , et toujours pour le profit de
l'auteur . C'est ainsi qu'on nous a présenté d'abord une Maison
Rustique qui pouvoit passer pour grande, et après laquelle il
sembloit qu'on n'eût plus rien à voir ni à apprendre sur cette
matière. Mais des gens qui ne songent qu'à soulager le
public , lui proposent aujourd'hui la Petite Maison, qui réduit
la grande à des proportions plus commodes : ce qui est un
beau secret pour vendre deux fois le même ouvrage .
Cependant cette Petite Maison Rustique est encore un trop
gros livre : les véritables cultivateurs ne lisent pas des volumes
si épais ; et si les agriculteurs de cabinet les lisent , les ins402
MERCURE DE FRANCE ;
T
tructions qu'ils en retirent leur servent à - peu-près autant que
les visions d'un homme qui prétendroit se conduire tout seul
dans les rues de Pékin , parce qu'il auroit vu cette ville dans
un songe . Les auteurs de tous ces livres énormes qui traitent
de l'agriculture , ne sont ordinairement que de tristes compi-
Jateurs qui ressassent toutes les observations faites avant eux ,
anciennes ou modernes , bonnes ou mauvaises , sans choix ,
puisqu'ils manquent des connoissances nécessaires pour les
distinguer , et sans mesure, puisqu'ils n'ont pas de raison
pour en rejeter aucune . Ils commencent d'abord par supposer
que le monde n'est fait que depuis hier , et qu'on ignore
jusqu'au nom d'une charrue. En conséquence ils nous disent
gravement que c'est dans la terre que pousse le blé ; ils
apprennent aux jardiniers que les poires viennent sur les
arbres , et aux laboureurs qu'il faut semer pour recueillir.
On a beau leur crier qu'on sait tout cela depuis six mille
ans , ils n'en vont pas moins leur train , et ils ne veulent
rien rabattre de leur méthode : ils sont gens à faire retourner
un voyageur de Lyon à Paris , pour lui enseigner le chemin
de Marseille .
•
Chaque pays , chaque canton a sa culture particulière ,
fondée sur la qualité du terrain et sur une antique expérience :
partout où le citadin se transporte , il trouve une coutume
établie , des hommes instruits par leurs pères , des instrumens
convenables , et des bêtes de somme habituées à une
certaine routine ; il est d'abord forcé de consulter les usages
reçus avant de proposer ses moyens. L'autorité des Duhamel
et des Parmentier n'y est pas plus connue que celle du
Grad-Turc , et la tradition des vieillards y a plus de poids
que tous les conseils d'un agriculteur qui n'a jamais mis le
pied dans la contrée , quand même il auroit fait un livre trois
fois plus volumineux que la Petite 0 ' Maison Rustique.
"
Pour connoître parfaitement la nature d'une terre quelconque
, et pour en raisonner pertinemment , il faut l'avoir
MARS 1806 . 403
long - temps cultivée. Les notions générales sur l'agriculture
sont connues et ne peuvent pas périr ; ce sont des
règles particulières qu'il faudroit donner aux cultivateurs ;
mais sera- ce dans des livres qu'ils iront les chercher , lorsqu'ils
ont sous les yeux le tableau de ce qu'ils ont à faire , et
qu'ils peuvent trouver dans l'expérience de leurs voisins ou
dans celle qu'ils ont acquise , toutes les lumières qui peuvent
leur être utiles ? La question pour le particulier n'est jamais
de savoir si l'on feroit mieux de ne cultiver en France que
des turneps au lieu des menus grains ; mais de connoître quelle
espèce de rapport il doit demander à tel champ en telle saison ;
or c'est assurément ce qu'il sait mieux que qui que ce soit ;
et si j'achetois ce champ , je n'irois certainement pas consulter
La Petite ni même la Grande Maison Rustique , pour savoir
ce que je dois y semer ou y planter.
On peut croire , ce me semble , sans témérité , que l'agriculture
est arrivée depuis long- temps à sa perfection en
France , et que l'industrie naturelle de ses habitans n'a plus
besoin d'être excitée que sur quelques points particuliers
d'économie. Les connoissances générales que tout le monde
peut acquérir sur cette matière et que les plus ignorans possèdent
, parce qu'il n'y faut que des yeux , rendent donc
inutile tout ce qu'on peut en écrire ; c'est ce qui fait que
jamais on ne cherche dans les livres de pure théorie que des
procédés particuliers sur l'avantage desquels il n'y a plus de
doute ; car personne ne veut rien hasarder , chacun se
renferme strictement dans le cercle des connoissances dont il
a hérité. Les exemples des innovations funestes rendent timide
sur les expériences , et ce n'est qu'en tremblant qu'on s'écarte
de ce que les économistes nomment avec un mépris injuste la
routine , qui est le chemin tracé par l'expérience .
Pour qu'un écrivain sur l'agriculture fût véritablement
utile au cultivateur , il faudroit donc qu'il partît d'un point
connu , c'est- à - dire qu'il voulût bien se persuader qu'on sait
C 2
404 MERCURE DE FRANCE ,
semer du blé , et qu'il ne dît pas un mot sur un objet mieux
cornu du dernier paysan que de lui - même ; il faudroit ,
dis-je , que prenant les choses dans l'état où elles se trouvent,
il indiquât tout simplement les moyens qu'il a découverts de
s'avancer vers un mieux sensible , clair et évident : cela né
fourniroit pas à la vérité la matière d'un petit volume dans
un espace de temps considérable ; mais au moins il seroit lu ,
et il produiroit tout le bien dont il est capable.
Les économistes de nos jours cultivent beaucoup plus les
presses des imprimeurs que les champs : si , par hasard , il
s'établit une petite amélioration dans quelque contrée , ils
s'en emparent , et , au lieu d'en donner l'explication dans un
narré fort concis , ils l'enchassent dans un Traité complet
d'Agriculture . C'est le principal reproche que mérite l'auteur
de la Petite Maison Rustique , ouvrage dans lequel on ne
trouvera de nouveau que les observations sur l'Art de faire
le vin , publiées par M. Chaptal dans un autre Traité complet
d'Agriculture ; car il faut toujours un grand ouvrage
pour dire de petites choses ; et ne découvrît- on qu'une nouvelle
manière de prendre les souris , il est entendu qu'il
faudroit remonter jusqu'à Noé , afin de conjecturer les moyens
qu'il employoit pour détruire celles qui étoient dans l'arche ;
et tout cela ne pourroit encore se dire que dans un nouveau
plan d'économie rurale en plusieurs tomes.
Le principe de cette stérile abondance ne peut jamais être
honorable ; car l'inutilité en est tellement sensible, qu'elle ne
peut échapper à l'attention de l'écrivain le plus diffus et le
plus prolixe. Les uns cherchent à se faire un nom dans les
sciences , et les autres à s'enrichir. Il n'est pas difficile de voir
lequel de ces deux motifs a excité l'auteur de cette nouvelle
compilation ; mais il en est un autre qui n'est pas aussi visible
pour le commun des lecteurs : c'est le dessein de flatter la
vanité d'un savant , en rapportant à lui seul toute la
MARS 1806. 405
gloire d'une découverte utile . Il y a quelque chose de si
choquant dans une pareille affectation , qu'il faut enfin la
relever.
On peut dire que la chimie moderne a découvert la pierre
philosophale, par la manière dont elle multiplie lesTraités les
plus oiseux , et par le bruit qu'elle fait de ses moindres expériences
. Elle a cherché long- temps , et peut- être cherche-t-elle
encore le moyen de faire du pain sans blé , et même sans
farine , et celui de faire du vin , et même du bon vin , sans
raisin , de manière qu'on puisse se passer de toute espèce de
récolte , et que l'agriculture devienne absolument inutile.
Quoiqu'il soit très agréable de ne point manger son pain à
la sueur de son front , il paroît que les hommes n'auront
pas cette jouissance de long-temps ; car on n'a pu démêler
dans la terre la partie la plus déliée qui se transforme en
grain ; et la poussière la plus subtile dont on s'est servi
plus d'une fois comme approchant le plus de la farine , n'a
jamais pu faire qu'un pain détestable. Quant au vin , c'est
une autre affaire , tout Paris sait avec quel succès les marchands
de cette ville rivalisent depuis long - temps avec les
plus grands chimistes , et combien il y en a qui savent trouver
dans le fond de leurs celliers les coteaux les plus renommés
de la Champagne et de la Bourgogne. Il est vrai que le but
des uns et des autres est fort différent : les marchands de vin
ne veulent qu'imiter les productions de la nature ; les chimistes
recherchent les principes constituans de ses ouvrages , pour en
faire de pareils , en moins de temps et avec moins de travail
que la nature n'en emploie au seul développement des premiers
germes . Si le résultat de toutes leurs recherches n'a
pas été tel qu'on pouvoit l'attendre de leur haute pénétration ,
du moins n'a-t- il pas été tout- à - fait infructueux , et l'on
est venu à bout de reconnoître que le meilleur vin est en
tout temps et dans tous les pays , celui qui a été le mieux fait
avec le meilleur raisin. Ce n'est pas peu de chose que cette
+
3
406
MERCURE DE FRANCE,
:
découverte elle épargne à nos neveux bien des recherches ,
et la perte d'un temps précieux .
Ne pouvant donc faire du vin sans vendange , les chimistes
ont tourné toutes leurs vues du côté de l'amélioration des
vins médiocres , et c'est sur-tout dans cette partie qu'ils se
vantent d'avoir fait des découvertes merveilleuses. L'auteur
de la Petite Maison Rustique prétend , ou répète après tous
ceux qui ne lisent que les écrits les plus modernes , que
M. Chaptal nous a donné la meilleure doctrine sur l'art de
faire le vin. Cela se peut ; mais comme il est juste de rendre à
chacun ce qui lui appartient , personne ne peut trouver mauvais
que nous fassions observer que cette doctrine même se
trouve imprimée tout au long depuis plus de vingt années
dans le Dictionnaire de Chimie de M. Macquer , ouvrage
pour lequel on affecte beaucoup trop d'insouciance en public ,
et qui rend en secret bien des services à plus d'un ingrat .
Il faut que nous en fournissions une bonne preuve .
M. Chaptal a publié il y a sept ou huit ans un Cours complet
d'Agriculture , dans lequel il a fait entrer sa doctrine sur
l'art de faire le vin.
Voici , en deux mots , toute la différence des procédés
que cette doctrine recommande, avec la coutume habituelle
des mauvais vignerons. Ceux - ci , dit - on , vendangent trop
tôt ; ils ne séparent pas les raisins verts et pourris d'avec le
mûr , ils emploient trop de temps à compléter la cuvée ,
ils ne foulent que quand la cuve est pleine , ils ne couvrent
pas leur vendange lorsqu'elle est en fermentation dans la cuve ,
ils tirent du vin à la cannelle , et ils en arrosent la surface de la
vendange.
La doctrine de M. Chaptal veut :
Que le raisin ne soit cueilli que quand il est bien múr.
C'est à quoi ne manquent jamais les plus mauvais vignerons
, lorsque le temps le permet.
Que l'on sépare les raisins verts et pourris d'avec les múrs.
MARS 1806 . 407
C'est ce qu'ils voudroient bien pouvoir faire ; mais cela
est impraticable pour eux , dans la manipulation rapide de la
cueillette et du transport.
Que l'on emplisse la cuve promptement.
Ils ne demandent pas mieux ; mais comme c'est faute d'oùvriers
qu'ils tardent à la remplir , on ne peut rien leur
reprocher à cet égard .
Que l'on foule la vendange à mesure qu'on la jette dans
la cuve.
Cette coutume exige plus d'ouvriers que les mauvais
vignerons n'en peuvent employer. Au surplus , ce procédé ,
beaucoup plus long que celui de ne fouler que quand la cuve
est pleine , dissipe , par cela seul , beaucoup plus d'esprit ."
Que la vendange soit couverte et respectée.
Ce précepte est fort bon , et c'est le seul sur lequel il soit
raisonnable d'insister , puisque tout le reste de cette théorie
est ou indépendant de la volonté des hommes ou impraticable,
et que l'article du foulage est sujet à discussion. Ainsi la différence
réelle qui existe entre le bon et le mauvais vigneron ,
c'est que l'un couvre et respecte sa vendange , tandis que
l'autre , en ne la couvrant pas , laisse dissiper l'esprit , aigrir
la rafle , et qu'il dénature son vin lorsqu'il arrose cette rafle
déjà tournée à l'acide.
Un autre précepte de cette même doctrine , p'us curieux
qu'utile , recommande aux vignerons d'ajouter du sucre à
leur moût , dans les mauvaises années ou dans les mauvais
vignobles.
-
<«< Pourquoi le raisin donne - t - il le meilleur vin , se demande
l'auteur ? C'est parce qu'il est de tous les fruits celui qui
contient le plus de sucre . — C'est le sucre , le sucre seul
qui fait le vin. Le vin dans les bonnes années est plus
vineux celui des climats chauds l'est constamment ; il l'est
au point de donner du quart au tiers en eau-de- vie , tandis
que nos vins en donnent à peine un dixième . D'où vient
:
4
408 MERCURE DE FRANCE.
une aussi grande différence ? De la grande quantité de sucre
que contient le raisin dans les bonnes années , et sur tout dans
les pays chauds . Ajoutez à votre vendange de la matière
sucrée , et vous aurez des vins aussi spiritueux que ceux de
Bourgogne , même que ceux du Languedoc . Il ne manquera
à un pareil vin que le bouquet . Trois ou quatre poignées
de tontures de pêchers , d'amandiers ,. une poignée de purs
de sureau sèches parfumeront une ouve.
» Une , deux ou trois livres de sucre par pièce de vin suffisent
dans les années froides : si le raisin a été cueilli dans
l'état de verjus , il en faut quatre ou cinq livres.
» La manière d'employer la matière sucrée , consiste à la
faire dissoudre dans une chaudronnée de moût. Qn la verse
toute bouillante dans la cuve ; on agite la masse pour y
distribuer également la matière sucrée et la chaleur ; on
couvre sa vendange ; on laisse fermenter , et on ne rentre
dans sa foulerie que pour décuver , »
ཀ་ །
Nous donnons ces détails pour l'utilité particulière des
vignerons aisés qui pourront en faire usage ; car on sent bien
que l'énormité de la dépense qu'un pareil moyen exige , ne
permet pas qu'il soit jamais employé genéralement.
Voyons maintenant ce qui a été mis au jour , il y a vingtquatre
ans, sur ce même sujet , dans le Dictionnaire de Chimie
de M. Macquer , afin de pouvoir juger ce qu'on doit à l'enseignement
de M. Chaptal.
« Au mois d'octobre 1776 ( c'est M. Macquer qui parle ) ,
je me suis procuré assez de raisins blancs pinot et mélier d'un
jardin de Paris , pour faire vingt - cinq à trente pintes de
vin . C'était du raisin de rebut ; je l'avois choisi exprès dans
un si mauvais état de maturité qu'on ne pouvoit espérer
d'en faire un vin potable ; il y en avoit près de la moitié ,
dont une partie des grains et des grappes entières étoient si
verts qu'on n'en pouvoit supporter l'aigreur. Sans autre pré-
Caution que celle de faire séparer tout ce qu'il y avoit de
MARS 1886.
409
pourri , j'ai fait écraser le reste avec les rafles et exprimer
le jus à la main ; le moût qui en est sorti étoit très trouble ,
d'une couleur verte , sale , d'une saveur aigre - douce , où
l'acide dominoit tellement qu'il faisoit faire la grimace à ceux
qui en goûtoient. J'ai fait dissoudre dans ce moût assez de
sucre brut pour lui donner la saveur d'un vin doux , assez
bon , et , sans chaudière , sans entonnoir , sans fourneau ,
je l'ai mis dans un tonneau , dans une salle au fond d'un
jardin , où il a été abandonné. La fermentation s'y est établie
dans la troisième journée , et s'y est soutenue pendant huit
jours d'une manière assez sensible , mais pourtant fort
modérée . Elle s'est apaisée d'elle - même après ce temps.
» Le vin qui en a résulté étant tout nouvellement fait et
encore trouble , avoit une odeur vineuse assez vive et assez
piquante ; sa saveur avoit quelque chose d'un peu revêche ,
attendu que celle du sucre avoit disparu aussi complètement
que s'il n'y en avoit jamais eu . Je l'ai laissé passer l'hiver
dans son tonneau , et l'ayant examiné au mois de mars , j'ai
trouvé que , sans avoir été soutiré ni collé , il étoit devenu
clair ; sa saveur quoiqu'encore assez vive et piquante , étoit
pourtant beaucoup plus agréable qu'immédiatement après la
fermentation sensible ; elle avoit quelque chose de plus doux
et de plus moelleux , et n'étoit mêlée néanmoins de rien qui
rapprochât du sucré. J'ai fait mettre alors ce vin en bouteilles
, et l'ayant examiné au mois d'octobre 1777 , j'ai
trouvé qu'il étoit clair-fin , très- brillant , agréable au goût ,
généreux et chaud ; en un mot tel qu'un bon vin blanc de
pur raisin , qui n'a rien de liquoreux , et provenant d'un bon
, vignoble dans une bonne année . Plusieurs connoisseurs auxquels
j'en ai fait goûter en ont porté le même jugement , et
ne pouvoient croire qu'il provenoit de raisins verts , dont
on eût corrigé le moût avec du sucre. »
A l'appui de cette expérience , M. Macquer en rapporte
d'autres , qu'il seroit beaucoup trop long de donner ici : il dit
410 MERCURE DE FRANCE ;
qu'il est très-certain que c'est le principe sucré qui est là
vraie matière de la fermentation spiritueuse ; et ce savant ,
aussi modeste qu'instruit , ne manque pas d'observer qu'il ne
se donne point comme auteur de cette découverte , et qu'il
ne doute nullement que plusieurs personnes n'aient essayé
avec succès , peut-être même déjà depuis long- temps , à
faire d'excellent vin en corrigeant avec le sucre les raisins
trop peu mars.
Nous laissons au lecteur le soin de faire les réflexions que
la comparaison de ces deux extraits doit produire. Si la
méthode que M. Macquer enseigne pour corriger les vins
n'est pas la même que celle de M. Chaptal , il faut convenir
qu'elle lui ressemble assez bien , et qu'elle ne met pas mal
sur la voie. D'où vient donc que personne ne daigne en dire
un seul mot ? Est - ce qu'il ne suffit pas d'avoir travaillé toute
sa vie , avec un zèle infatigable , aux progrès d'une science ,
pour mériter un signe de reconnoissance , lorsque l'occasion
se présente ? Les savans d'aujourd'hui pourroient- ils oublier
que s'ils ne rendent pas hommage aux travaux de ceux qui
les ont précédés , ils doivent s'attendre eux - mêmes à voir
périr leur mémoire ? D'autres savans viendront , qui , retrouvant
dans les écrits anciens toutes les sources où les modernes
auront mystérieusement puisé , sauront distinguer les copistes
des véritables auteurs , et les hommes avides de renommée
d'avec ceux qui la méritént .'
L'auteur de la Petite Maison Rustique , qui ne songe qu'à
vendre ses compilations , et qui ne s'est pas même nommé ,
pour s'épargner la petite mortification d'un reproche trop
direct , a encore négligé de parler dans son ouvrage d'un
objet bien plus important que celui de l'amélioration du
mauvais vin : je veux dire la naturalisation en France des
races de moutons espagnols , dont il ne dit pas un mot. Il
ne peut pas ignorer cependant qu'aux portes de Paris même ,
il y a maintenant des troupeaux dont la lainé est absolument
MARS 1806 . 41r
la même que celle d'Espagne , et que cette branche d'industrie
qui s'étend beaucoup depuis quelques années , offre aux cultivateurs
une ressource qui leur permet de soutenir l'aug
mentation du prix des terres , qui a passé dans bien des
endroits toutes les proportions avec leur produit en grains .
Il n'est pas possible , avec l'esprit le moins soupçonneux ;
de ne pas voir dans ce silence une intention secrète de se
réserver les moyens de rendre une nouvelle édition de cet
ouvrage bien plus intéressante et plus complète ; mais n'y
a- t- il pas une véritable tromperie dans cette réticence , et ne
devroit-on pas forcer un pareil auteur à reprendre son livre
en échange du nouveau qu'il donne peu de temps après ,
lorsqu'il y a dans son premier travail une imperfection si
manifeste et si volontaire ? G.
Le premier Médecin de la Grande - Armée au
Rédacteur du MERCURE DE FRANCE.
MONSIEUR ,
Au quartier général à Augsbourg ,
le 20 février 1806. *
L'écrit dont je n'aurois pas pris la liberté de vous adresser
un exemplaire dans toute autre circonstance, sort de presse ( 1 ) ;
sa date vous assurera quelle a du être ma surprise , lorsque le
Publiciste du 10 février m'a annoncé qu'au moment où je
pleurois , en quittant l'Autriche les amis que nous y avons
perdus , MM. Dupaty et Nicolo (2) , jugeoient devoir me
mettre en scène à l'Opéra-Comique,
Ceux de qui j'ai l'honneur d'être connu , trouveront qu'en
( 1 ) Cet écrit est l'oraison funèbre des officiers de santé militaires , morts
à la Grande- Armée.
(2) Auteurs de l'opéra comique , intitulé la Prise de Passaw.
412 MERCURE DE FRANCE,
me présentant comme une espèce de Figaro , plus impudent
encore que mauvais plaisant , les poètes de l'Opéra-Comique
ont manqué le caractère de la personne. En attribuant celui
d'un misérable frater au premier médecin des armées , ils
ont étrangement méconnu les convenances du personnage,
Ils ont donc violé de fait et de droit le sage précepte du
grand maître Reddere personce ... convenientia, cuique.
1
"
Je n'avois pas lieu de m'attendre qu'une aventure , dont le
rapport officiel a été perdu par les circonstances de guerre ,
fût de nature à fournir la matière d'un opéra comique.
J'ignore quelles sont les sources où les auteurs ont pris leurs
renseignemens. La légéreté avec laquelle ils m'ont fait subir
une métamorphose si singulière peut seule me forcer à tracer
le plus brièvement qu'il me sera possible , l'histoire véritable
de la prise de Passaw par deux médecins de l'armée française.
Envoyé à Passaw le 7 brumaire dernier , par ordres supé
rieurs , pour y former des hôpitaux , je priai le médecin principal
Brassier, qui parle les deux langues , de m'y accompa
gner. Partis un peu tard de Munich , nous voyageâmes péniblement
pendant la nuit , pour arriver à Passaw le 8 , à une
heure aprés midi. Le temps étoit beau , les chevaux qui nous
amenoient les meilleurs que nous eussions encore rencontrés ,
le postillon jeune et vif. Celui- ci , en traversant la ville au
grand galop dans toute sa longueur jusqu'à la cathédrale , ne
cessa de donner du corps de manière à exciter la curiosité.
Aussi , à la porte du directeur général de police , fûmes- nous
environnés d'une grande affluence d'habitans . Nous n'eûmes
le mot de leur étonnement que lorsque M. Lenz , premier
magistrat de la ville , nous eut tirés à l'écart , pour nous
apprendre que nous étions les seuls Français dans la place ,
occupée par un corps de quinze cents hommes de l'armée
autrichienne.
Quel parti prendre ? Celui de rebrousser chemin nous
perdoit. Il nous parut plus sage, de faire bonne contenance , et
MARS 1806 . 413
cependant d'être prudens. M. Lenz nous proposa sa campagne
, à trois quarts de lieue de la ville. Nous y aurions
végété aux arrêts forcés , dans l'inquiétude , et dans l'inutilité
relativement à notre mission. « Ne nous placez pas , dis-je à
» M. Lenz , dans une maison apparente , et cela suffira . »
Tel fut l'avis de M. Moser , officier bavarois , envoyé de Munichi
à Passav pour y seconder les opérations de l'armée française.
M. Lenz partagea bientôt cette opinion. Nous remontons en
voiture comme des hommes qui reprennent leur première
route , et nous mettons pied à terre chez un des amis de
M. Lenz . Nous étions en sûreté chez M. Curtz , autant qu'on
pouvoit l'être sur la rive gauche de l'Inn , en perspective du
faubourg situé sur la rive droite ( Innstadt ) , et qu'occupoient
les troupes autrichiennes.
Les bâtimens de la belle abbaye de Saint-Nicolas frap pent
nos regards. Peut-on y établir un hôpital ? » « Oui , répondent
nos hôtes. » Allons visiter ce local. >> Cependant le temps change,
il s'obscurcit ; la pluie survient , et elle favorise notre course.
Nous montons à l'abbaye , accompagnés de l'officier bavarois.
Nous y passons quatre heures , à évaluer et mesurer les espaces
, à combiner les convenances , à prendre des notes pour
nos distributions. Jaloux d'emporter à notre logement toutes
les données du plan à tracer , nous achevions aux flambeaux
nos dernières recherches , lorsqu'un envoyé de M. Lenz vint
prévenir à l'oreille l'officier bavarois , qu'on étoit à sa poursuite
et à la recherche de deux officiers français. Son air d'embarras
nous avoit déjà fait soupçonner quelque danger , lorsque
M. Lens vint en personne nous déclarer qu'il n'y avoit
pour nous aucune sûreté ; que les conseillers de son administration
, ainsi que les notables de la ville , après mûre
délibération , nous prioient instamment de ne pas nous exposer
davantage , et sur-tout de ne pas exposer à l'incendie les
maisons où l'on nous pourroit supposer. Ce dernier motif
prévalut sur toutes nos objections. La principale étoit fondée
414 MERCURE DE FRANCE ,
sur l'étendue de cette vaste maison où nous avions le choix de
cent appartemens. Nous répondîmes qu'une prière ainsi
motivée devenoit un ordre pour notre délicatesse. Mais les
moyens de partir ?
1
« Ne doutant pas d'une détermination aussi sage que la
» vôtre, dit M. Lenz , j'ai pourvu à tout. Vos effets sont dans
» votre voiture qu'on conduit dans ce moment à l'abbaye , à
» bras d'hommes , par un chemin détourné. Dans une demi-
» heure vous aurez des chevaux de poste sortis par la porté
» d'en haut , afin de tromper les espions qui circulent autour
» de votre logement , et qui se sont présentés pour vous faire
» visite . A chaque tiers de la première lieue , pendant laquelle
» on monte à pic , un homme affidé vous avertirà par deux
» coups de pistolet tirés à une minute l'un de l'autre , s'il faut
» doubler le pas ou quitter votre voiture pour gagner la forêt
» de sapins. »
- Nous partons à dix heures du soir. Il tomboit beaucoup de
neige. Cette circonstance fut comptée pour très - favorable dans
la position où nous étions. Pendant toute notre ascension
nous ne perdîmes pas de vue les feux autrichiens très-multipliés.
Ils nous assuroient qu'on ne nous croyoit pas sur la route.
Nous n'entendimes pas tirer un coup de pistolet.
41837
"
A une heure après minuit nous arrivâmes à Furstewzell ,
chez M. Manhart , maître des forêts du duc de Bavière , à qui
M. Lenz nous avoit recommandés. M. et Mad. Manhart nous
accueillirent avec beaucoup d'intérêt , et nous traitèrent avec
un empressement digne de toute notre reconnoissance.
Cependant on ne négligea point la précaution indiquée par
M. Lenz , d'avoir des chevaux tout prêts à partir en cas de
besoin. On ne les remit à l'écurie que le lendemain à huit
heures du matin , lorsque nous eûmes reçu le courrier que nous
avoit dépêché l'administration de Passaw ...
M. Lenz nous annonçoit qu'à quatre heures du matin ,
après avoir achevé de couper ou de brûler le pont de l'Inn at
MARS 1806 . 415
celui du Danube , les Autrichiens avoient évacué Passaw.
Nous y sommes rentrés avant la fin du jour , et nous avons
eu la satisfaction de traverser à pied l'un des ponts déjà réparés.
Est-ce les deux médecins français qui ont opéré la reddition
de Passsaw ?. Ils n'ont pas la folle présomption de croire qu'ils
aient fait autant de peur à l'armée autrichienne , que d'autres à
leur place en auroient éprouvé, Mais on ne peut pas nier que
leur longue et imperturbable visite à l'abbaye de Saint-Nicolas
, n'ait contribué au départ de l'ennemi , Ils en ont été, pour
parler le langage de leur faculté , la cause éloignée. La cause
déterminante , c'est la présence d'esprit de M, Lenz, et de ses
dignes collégues.
Dès que ces ha biles administrateurs eurent la certitude que
nous avions dépassé la montagne et que nous ne courions aucun
risque , ils dirent en confidence à tous ceux qu'ils crurent
disposés à le répéter , que les deux médecins français qui avoient
paru à Passavv , ne s'y étoient arrêtés que pour s'assurer d'un
local propre à recevoir 2,500 malades ; que satisfaits de leur
opération, ils étoient sur-le-champ repartis en poste et à l'entrée
de la nuit pour le quartier général. Or, 2,500 malades
supposoient au moins l'arrivée très-prochaine de 25,000
hommes. Ils avoient laissé aux nouvellistes le soin de tirer
cette induction,
(
Voilà, monsieur, ce que les poètes de l'Opéra- Comique n'ont
pu savoir. Ils ont fait jouer à celui des médecins qu'ils ont mis
sur le théâtre , un rôle qui n'a pu être le sien , ni celui de son
camarade. Ils ont substitué de petites filles très- insignifiantes ,
à M. Lenz dont le personnage , eût été aussi intéressant pour
leur pièce, que la personne est intéressante à l'administration
qu'il préside.... Enfin , ils eussent fait tout autrement qu'ils
n'ont fait . Peut-être même dans ce récit véritable , n'eussentils
rien trouvé à faire.
Il m'en coûte beaucoup à moi -même de me mettre , non
416 MERCURE DE FRANCE ,
pas en scène , mais en évidence par ce narré. Sa première partie
est conforme à mon rapport officiel , envoyé par M. Lenz
aux présidens de cantons pour le faire parvenir au premier
poste de l'armée française , et qui a été intercepté. La seconde
partie est telle que j'ai eu l'honneur de la raconter de vive
voix à M. le maréchal Berthier à Lintz , où S. E. m'avoit
donné l'ordre de me rendre de Passaw..
Si vous pensez , monsieur, qu'il y ait quelqu'utilité à publier
ma lettre , dont je vous garantis la plus scrupuleuse
exactitude , je vous prie de lui donner place dans un de vos
prochains , numéros ; et vous ferez justice .
J'ai l'honneur de vous saluer
Le premier Médecin de la Grande-Armée.
COSTE.
VARIET É S.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
Les Mémoires de Louis XIV ( 1 ) , dont nous avions annoncé
la publication comme devantêtre très-prochaine , viennent de
paroître. Nous parlerons avec détails de cet ouvrage que le
nom de son auteur recommande si puissamment à la curiosité
publique. Nous nous bornerons aujourd'hui à exposer les
( 1 ) Mémoires de Louis XIV , écrits par lui-même , composés pour le
Grand-Dauphin , son fils , et adressés à ce prince ; suivis de plusieurs
Fragmens de Mémoires militaires , de l'Instruction donnée à Philippe V ,
de dix-sept Lettres adressées à ce monarque sur le gouvernement de ses
Etats , et de diverses autres pièces inédites ; mis en ordre et publiés par
i!
J. L. M. de Gain- Montagnac. Deux parties en un gros vcl. in - 8° . Prix :
6 fr., fr. par la poste. A Paris , chez Garnery , libraire , rue de
Seine ; à la librairie Stéréotype , rue des Petits - Augustins , n° 15 ; et
chez le Normant.
et 7
preuves
MARS 1806 . 417
preuves de l'authenticité des manuscrits que l'éditeur , M. de
Gain-Montagnać, a copiés.
Voltaire avoit annoncé dans le Siècle de Louis XIV, qu'il
existoit des écrits de ce prince ; il avoit même cité des instructions
données à Philippe V partant pour l'Espagne , ainsi qu'un
morceau sur le Métier de Roi. ( 1 ) « Rien , dit-il , ne peut
» assurément faire mieux connoître son caractère que le mor-
» ceau suivant , qu'on a tout entier écrit de sa main. » Voltaire
cite ce morceau , auquel il joint une note que nous
' croyons devoir rapporter en entier : « L'abbé Castel -de- Saint-
» Pierre , connu par plusieurs ouvrages singuliers , dans les-
>>
par
*
quels on trouve beaucoup de vues philosophiques et très-
>> peu praticables , à laissé des Annales Politiques depuis
» 1658 jusqu'à 1739. Il condamne sévèrement en plusieurs
» endroits l'administration de Louis XIV ; il ne veut pas sur→
» tout qu'on l'appelle Louis le Grand ! Si grand signifie par-
» fait, il est sûr que ce titre ne lui convient pas ; mais
les mémoires écrits de la main de ce monarque , il
>> paroît qu'il avoit d'aussi bons principes de gouvernement ,
» pour le moins , que l'abbé de Saint- Pierre. Les mémoires
» de l'abbé de Saint - Pierre n'ont rien de curieux que la
» bonne foi grossière avec laquelle cet homme se croit fait
» pour gouverner. » Après avoir fini la citation , tirée de
l'art. de Louis XIV , Voltaire termine ainsi : « Ce monument
» si précieux et jusqu'à présent inconnu dépose à la posté-
» rité en faveur de la droiture et de la magnanimité de son
Il avoit écrit plusieurs mémoires dans ce
» goût ; soit pour se rendre compte à lui-même , soit pour
>> l'instruction du Dauphin , duc de Bourgogne. »> (2)
>> ame. •• ·
Ce sont ces Mémoires , composés par Louis XIV pour l'ins-
' truction de son fils , que M. de Gain-Montagnac publie au-
3
(1 ) Propre expression de Louis XIV .
(2) Voltaire s'est trompé : les Mémoires sont adressés au grand Dauphin,
D d
418 MERCURE
DE FRANCE
,
jourd'hui. Il y a ajouté d'autres morceaux écrits de la main de
ce prince , et déposés à la Bibliothèque Impériale par M. le
le maréchal de Noailles. La collection des ouvrages de
Louis XIV se compose de trois volumes in-folio reliés et de
trois grands porte-feuilles. Les volumes reliés , sont des originaux
avec les copies faites par ordre de M. de Noailles , qui
les déposa à la Bibliothèque le 3 décembre 1749. On trouve
en tête du premier volume un certificat ainsi conçu :
« Je soussigné Adrien-Maurice , duc de Noailles , pair et
>> maréchal de France , certifie que le feu roi Louis XIV ,
>> par un effet de la confiance dont il m'honoroit , me chargea
» un soir , en 1714 , d'aller chercher dans son cabinet , et de
>> lui apporter différens papiers enfermés dans des tiroirs. Sa
» Majesté en brûla d'abord une partie ; et , sur les instantes
» prières que je lui fis de me permettre d'en garder le sur-
» plus , qui concernoit principalement ses campagnes , elle
» y consentit ; et , voulant assurer à jamais la conservation de
» ce précieux monument , j'ai rassemblé les originaux avec les
» copies que j'en ai fait faire pour en faciliter davantage la
» lecture , en trois volumes in-folio , pour être , le tout en-
» semble , déposé à la bibliothèque du roi . Fait à Paris ,
>> le 10 octobre 1749. Signé le maréchal de NoAILLES. »
De ces trois volumes , les deux tiers au moins ne contiennent
que des ordres du jour , des états de troupes , des listes d'officiers
, etc.; le surplus consiste dans le détail de trois campagnes
, et dans quelques morceaux détachés , tels que l'instruction
à Philippe V, les réflexions sur le métier de roi , un
projet de harangue à ses sujets , etc. L'éditeur les a fidellement
copiés d'après les originaux.
Les porte-feuilles ne se rattachent au dépôt de M. de
Noailles que pour les sommaires des instructions au dauphin ,
qu'on trouve écrits de la main du roi au commencement du
premier volume.
Quant aux lettres adressées à Philippe V , la dernière seule
MARS 1806 . 419
ment est originale ; mais la copie des autres a été donnée à la
Bibliothèque le 10 juin 1784 , par M. Séguier , avocatgénéral
du parlement.
--
C
Nous avons puisé ces faits dans l'avertissement que M. de
Gain-Montagnac a mis en tête de son édition . Ils sont tels ,
qu'ils ne peuvent laisser aucun doute même aux personnes les
plus en garde contre les éditeurs d'oeuvres posthumes. L'authenticité
de ces précieux manuscrits nous paroît démontrée .
Nous avons annoncé la mort de M. Gaston. Nous avions
été induits en erreur. Ses frères ont démenti cette nouvelle
dans les journaux qui l'avoient annoncée . Malheureusement
nous ne recevrons point une pareille réclamation en faveur
de l'aimable auteur de l'Optimisté et du Vieux Célibataire .
M. Collin-d'Harleville est mort lundi dernier, après une longue
maladie de langueur. Ses obsèques ont été célébrées mercredi
matin. Les présidens des quatre classes de l'Institut portoient le
poêle . En l'absence de M. Suard , sec . perpétuel de l'Académie ,
M. Andrieux a prononcé , avec l'accent de la plus vive douleur
, un discours dans lequel il a rappelé en peu de mots les
rares talens , les vertus plus rares encore de son ami ; il a
terminé par ces mots touchans : «< 0 mon ami , fidèle compa-
» gnon de ma vie, où sont désormais nos travaux communs ,
>> nos amusemens paisibles , nos lectures chéries , et nos en-
>> tretiens solitaires ? J'ai tout perdu. Entends les derniers
» adieux que te font tes paréns , tes confrères , tes amis , par
>> une voix qui te fut chère ! ... Repose en paix dans ce der-
>>> nier asile où vont s'engloutir les fortunes , les ambitions , les
>> brillans projets et les longues espérances ; tu auras du moirs
» marqué ton passage sur cette terre ; et il restera de toi ce
» que la mort même est réduite à respecter , le nom et les
>> ouvrages d'un poète , et le souvenir de tes vertus , que ta
>> gloire littéraire protégera et fera vivre dans la mémoire
» des hommes ! ..... »
1
Mercredi dernier, les comédiens français ont donné le
Dd 2
420 MERCURE DE FRANCE ,
Vieux Célibataire. Le public a vu avec intérêt Mlle Contat
jouer le rôle de madame Evrard en habit de demi- deuil.
M. Collin d'Harleville, honoroit cette actrice de son amitié !
Le Vieux Célibataire a été suivi de la première représentation
du Politique en défaut. L'incrédulité d'un vieux politique
, dont toutes les idées se trouvent bouleversées par les
merveilles de la dernière campagne , pouvoient fournir quelques
scènes au Vaudeville ; mais il étoit difficile qu'elle put
fournir le fonds d'une comédie. Aussi les auteurs , MM. Chazet
et Sewrin , n'ont-ils dû leur succès qu'à l'indulgence du public
, pour tout ce qui lui rappèle la gloire de la France. Ils
ont été absous sur l'intention. Nos poètes dramatiques ne sont
pas ceux qui ont tiré le moins de parti de la victoire d'Austerlitz
: bravement retranchés derrière un héros et une armée
invincible , ils sont tranquilles sur le succès de la journée ;
mais jusqu'ici l'Intermède de M. Esménard , et le Réveil
d'Epimenide de MM. Nanteuil et Etienne , sont les seuls
ouvrages dont les auteurs aient fait preuve d'un talent véri➡
table et de beaucoup d'esprit. Cette semaine , le Théâtre
Français a donné la première représentation de la reprise
d'Athalie. Ce chef-d'oeuvre , dont on étoit privé depuis si
long-temps , avoit attiré une foule immense : s'il n'a pas produit
tout l'effet qu'il doit produire , c'est qu il a été mal
écouté et mal joué . Saint- Prix est le seul acteur qui ait souvent
mérité les applaudissemens que tous ont reçus. Talma et
Mlle Duchesnois ont étrangement méconnu l'esprit de leurs
rôles. Nous ne dirons rien de Mlle Raucour , parce qu'elle a
fait tout ce qu'elle pouvoit faire , ni de Baptiste , parce que
.n'est pas sa faute si le parterre est décidé à rire toutes
les fois qu'il paroît dans la tragédie. On doit espérer qu'aux
représentations suivantes , dont le retard donne aux acteurs
le temps d'étudier leurs rôles , la pièce sera beaucoup mieux,
jouée. On annonce pour aujourdui , samedi , la reprise de
Mérope , et celle de Brutus et de la Mort de César pour la
emaine prochaine .
ce
MARS 18 .
421
Jusqu'à la rentrée d'Elleviou , les auteurs de l'Opéra-
Comique , renoncent , dit - on , à donner des pièces nouvelles
ils se contentent d'en remettre d'anciennės ; ce qui
probablement leur réussira mieux. Ils promettent le Barbier
de Séville , musique de Paësielló , Richard Coeur- de- Lion
et la Barbe-Bleur . On sait que ces deux derniers ouvrages
sont de Sédaine et de Grétry.
-Le pont construit vis - à-vis le Jardin - des - Plantes
réunit deux extrémités de Paris ; le pont construit vis -à -vis le
palais du corps législatif , laisse encore au-delà des quartiers
habités et sans communication directe entr'eux . On assure
que S. M. vient d'ordonner qu'il seroit construit au plutôt
un pont nouveau vis- à-vis les Invalides les devis doivent
être mis sous les yeux de l'EMPEREUR ; et dans le cas où il ne
se présenteroit pas d'actionnaires , on ajoute que S. M. feroit
elle-même les avances de cette construction .
On dit que M. Auguste orfevre a présenté les dessins
d'un trône qui , par sa richesse , répondroit à la splendeur
que doit avoir la cour de France dans les cérémonies d'ap
parat : ce trône doit être achevé pour les solennités du mois
de mai prochain.
- M. Grégoire , hôtel de Vaucanson , faubourg Saint-"
Antoine , fabrique des velours qui imitent parfaitement la
peinture. Nous avons vu des tableaux de fleurs en velours ,
et même des figures qui nous ont paru très-bien exécutées.
La vivacité du coloris est sur-tout remarquable. Les inventeurs
de cette découverte méritent d'être encouragés par le
gouvernement. Aussi , le ministre dé l'intérieur leur a-t-il
commandé pour S. M. I. divers ouvrages qui seront exposés
dans son palais , ou serviront aux présens qu'il est d'usage
de faire aux puissances étrangères.
Consultant plus notre zèle que nos moyens , disent les
rédacteurs de la Gazette de Santé , nous avons décidé dans
notre dernière assemblée consultative que sur le produit de
3
422 MERCURE DE FRANCE ,
une
la Gazette de Santé, il seroit fondé un prix annuel sur u
question relative à l'art de guérir. La question sera celle - ci ,
cette année :
» Quelle est la cause prochaine des épidémies ? Dépendent-
» elles de miasmes particuliers répandus dans l'air ou com-
» muniqués par le contact des individus ou sont-elles seu- ›
» lement le résultat d'intempéries , d'alternatives de tempér
≫ratures contraires aux fonctions du système transpiratoire ?
>> Est-il prouvé que les exutoires soient un préservatif de
>> contagions épidémiques ? >>
.
On pourra écrire les mémoires en latin , français , anglais ,
allemand , italien et espagnol.
Le mémoire jugé le meilleur par notre conseil consultatif,
sera récompensé par une médaille d'or de 200 fr .; les
auteurs de ces deux accessit seront nommés dans notre Gazette
de Santé.
On sera admis à concourir jusqu'au 15 janvier 1807.)Les
mémoires seront envoyés franc de port au bureau de notre
Gazette.
MODES du 26 février. - On emploie pour faire les capotes , des
étoffes bazinées ( å raies de bazin ) , couleurs : gris de perle , rose tendre ,
ou vert naissant ; elles sont très-courtes des oreilles , et cintrent le derrière
de la tête .
Quelques toques de velours noir ont le noeud du devant brode en jais
noir ; d'autres sont , de distance en distance , et tout autour , enjolivées
d'aiguillettes de satin jaune : sur le devant , est une touffe de trois plumes
noires , ou une seule grande plume en travers Souvent la toque est remplacée
par un petit bonnet de fantaisie , formé de rubans unis et de tulle
brodé en sorbier : sur le devant , au lieu de la fronçure ordinaire , ce
sont , ou des biais de satin , ou des fleurs de printemps.
Dans quelques magasins on emploie déjà de la paille blanche que l'on
enjolive de crevés sur le derrière ; et , sur le devant , de touffes de jacinthes
.
La couleur jaune d'or est affectée au négligé , et le rose pâle à la parure.
On voit, sur beaucoup de chapeaux parés , du réséda , tantôt vert , tantôt
muancé.
ร
On porte toujours des résilles en or et en laine : la fronçure en est
arrêtée par une flèche , qui quelquefois , vers son extrémité supérieure ,
est traversée par une barre , à pendeloques chinoises .
Les coiffures à la Ninon, si communes pendant quelques jours , adop
tées pa des femmes si jeunes , si parées , si belles , étoient introuvables ,
dernièrrment à l'Opéra , où les loges cependant offroient un magnifique
spectacle. A en juger par cette réunion , il faudrait qu'une femme coiffée
J
MARS 1806. 423
en cheveux , eût tout un côté de la tête bien dégagé , bien lisse , et que »
du côté eauche , les cheveux depuis la tempe , roulés en boudins , allassent
en s'épaississant , retomber jusque sur l'oreille. Les turbans , à en juger
par cette même soirée , devroient être , sur un fond de couleur , brodés en
fames d'argent , et la broderie argent l'emporteroit sur celle d'or .
Quelques robes de velours noir , sont brodées en jais noir , autour de
la gorge , à la ceinture et aux manches ; et beaucoup de robes blanches en
jais blanc.
Aux grandes écharpes , qui sont plus en vogue que jamais , on adapte
des franges , hautes de quatre doigts : ces franges sont très-grenues , le
noeud de l'écharpe est repincé par une rosette qui imite l'étoile .
Les colerettes à l'enfant sont très-communes ; elles retombent fort bas,
la dentelle en étant fort large ; comme elles suivent l'échancrure de la
robe par derrière , elles forment , à leur extrémité , pointe de fichu. Une
robe de velours n'admet pas de colerette .
Les fichusde cygne ou de martre se mettent sur la peau au spectacle , et au sortir de la loge , par -dessus un cachemire . "
Du 28 février. Le satin jaune d'or , employé en capotes , n'est plus
rare ; quelquefois il se coupe avec du blanc . Sur les capotes blanches , on
forme des traverses en lilas , en gros bleu , ou en rose.
Les capotes de velours noir sont toujours doublées de blane ; depuis
peu l'on en porte avec un demi-voile , cousu en- dessous à quelque distance
du bord.
La bride d'un chapeau-toque en velours , s'attache en- dessous .
Quelques jeunes personnes portent des chapeaux de paille noire , doublés
de lilas , avec des ruhans lilas .
Non- seulement l'on adapte à des fonds de taffetas , de grandes passes de
paille blanche , mais même de paille jaune. Sur les passes de ces deux '
espèces de paille , on met des fleurs , soit lilas , jacinthes doubles , ou
roses .
Les roses de la dernière mode sont , pour la couleur et la forme , de
vraies roses , mais peu épanouies ; on en met huit à dix.
Quelques fleuristes ont fait des guirlandes de jacinthes sans feuilles ,
que les coeffeurs posent sur différentes espèces de coëffures en cheveux
et les modistes sur le bord des chapeaux .
Sous un chapeau comme sur le bord d'une toque , les cheveux se portent
roulés en houdins et non en anneaux . Un turban ne laisse pas on
laisse très-peu voir de cheveux .
MM. Harmant et Michalon ne sont pas les seuls chez qui l'on trouve
des toupets et des perruques à cheveux implantés ; nous avons parlé , il
y a deux ans , des perruques à raies de chair, de M. Tellier : ces perruques
ne sont composées que de cheveux implantés. M Tellier occupe la
plus apparente de toutes les boutiques des galeries de bois , au palais du
Tribunat.
L'usage de l'écharpe a fait imaginer un bijou d'une étrange sorte. Ce
Kijou est un pistolet , qui , par le moyen d'une bandoulière en jaseron , se
suspend à l'écharpe . La crosse est en émail , bordé de perles fines ; le
en émail , damasquiné en or ; la batterie , en or mat. Au lieu du
plomb meurtrier , sort une tulipe , qui , épanouic à l'extrémité du canon ,
offre , dans son calice , un flacon troué , d'où jaillit de l'essence . L'enron
lement de la crosse renferme une montre,
canon ,
Presque toutes les femmes portenf une montre suspendue à leur col :
long-temps ce fut sous la forme d'un colimaçon ou d'une huître , à spirale
ou raies de perles fines , sur un fond émail ou or ; aujourd'hui , c'est en
façon d'étui de lorgnette , ou de vase .
$424 MERCURE DE FRANCE ,
Les chaines de montre en or et les pierres montées en breloques , ne
sont plus de bon genre. Un petit-mattre distingué porte un cachet à
branche fines , en anse de panier , et une clef en trèfle , suspendus tont
bonnement à un cordon de soie rouge-ponceau .
Parmi les broderies qui distinguent les nouveaux habits de grande parure
, en homme comme en femme , on remarque les yeux d'argus et les
queues de paon , argent et paillettes, sur un fond maron : on brode pour
homme sur drap ; pour les fenimes , on n'emploie que du velours.
C'est un contre-sens de porter des plumes dans leur sens naturel , et
pour être à la mode , une plume au lieu de s'élever sur la tête , doit descendre
le long de la joue.
1
C'est avec une culotte de peau de dain , boutons de même , et des
bottes à revers , ou un patalon de drap , large et point attaché sur le bas
de soie ; c'est avec un chapeau rond , à forme haute , et un habit vert å
boutons blancs , sur lesquels est dessiné un chien ou un cheval , la taille
très-courte , le collet très monté , les bras très-longs , qu'un jeune homime
se fait admirer à pied sur la Terrasse des Feuillans , ou à cheval , au Bois
de Boulogne . L'heure de la promenade est de deux à quatre.
Au hal , à la promenade , en négligé comme en parure , les femmes ne
portent que du rose tendre .
3221.
-
PARIS.
C'est dimanche prochain , 2 mars , que S. M. et R,
fera en personne l'ouverture de la session du corps législatif,
Toutes les cérémonies qui doivent être observées dans cette
circonstance ont été réglées par un arrêté signé de M. de
Ségur, grand maître des cérémonies. ༢
-Le prince Joseph-Napoléon écrit à S. M. l'EMPEREUR , du
quartier-général de Capoue , le 14 février , pour lui annoncer
que ses ordres sont remplis , qu'il a divisé son armée en trois
corps , qu'il a marché avec le centre , dont il a donné le commandement
immédiat au maréchal Massena , par San-Germano
et Capoue ; que la droite , commandée par le général
Regnier , a marche par Terracine et Gaëte , et que la gauche ,
composée des corps italiens , commandée par le général Lecchi ,
a débouché par Itri. Le général Regnier, arrivé à Gaëte , a
envoyé au prince de Hesse , qui commandoit la place , la sommation
ci-jointe :
Monsieur le général , avant de poursuivre les opérations qui doivent
me rendre maître de la place que vous commandez , je vous invite à réfléchir
sur votre situation , et sur la nécessité ou vous vous trouvez de rendre
Gaëte à l'armée vous avez peu de garnison , peu de moyens de défense
et aucun espoir de secours ; dans peu de jours , je vous aurai réduit à l'extrémité
, et vous n'ignorez pas ce que la garnison et les habitans auroient
alors à souffrir. Vous savez que rien ne peut s'opposer à la marche victorieuse
de l'armée française ; que dans peu de temps le royaume sera conquis
, et changera de maître . Aujourd'hui , monsieur le général , je vous
MARS 1806 . 425
accorderai une capitulation avec tous les honneurs de la guerre , et je vous
invite à remettre de suite votre réponse à mon aide-de -camp : ce soir il ne
seroit plus temps ; je ne puis pas retarder davantage la suite des opérations
contre Gaete. J'ai l'honneur , monsieur le général , de vous saluer
avec la considération la plus distinguée . Signé , REGNIER.
Réponse .
Monsieur le général , ayant reçu du roi les ordres répliqués de défendre
cette place jusqu'à la dernière extrémité , et m'en ayant fourni tous les
moyens , je ne puis moins faire que d'obéir. Je vous préviens en conséquence
que je ue puis accepter la capitulation que vous m'offrez , et suis
dans l'intention de répondre à la confiance que le roi a en moi. Malgré
cela , j'ai l'honneur d'être avec toute la considération possible ,
Monsieur le général , votre très-humble et très -obéissant serviteur .
Signé , le prince HASSIA.
D'après la réponse du prince de Hesse , le général Regnier
fit attaquer la redoute de Saint- André , armée par six pièces
de canon , et l'enleva . Le général Grigny a eu la tête emportée
par un boulet. C'étoit un officier distingué que l'armée regrette.
Il laisse une femme et une fille. Le prince Joseph les
a recommandées à l'EMPEREUR , et lui a demandé la permission
de leur accorder une pension.
Le 12 février , le corps du centre investit Capoue , qui a
répondu à une sommation par du canon. Le 15 au matin ,
des députés de la ville de Naples se sont présentés au prince
et ont signé la reddition de Gaëte , de Capoue , de Pescara ,
de Naples et des autres forts. ( Voyez les pièces ci-jointes
B, C, D, E. )
>
Le général Partouneaux est entré à Naples ; les forts ont été
sur-le-champ occupés , et le 15 le prince Joseph partoit pour
s'y rendre. Les officiers napolitains ayant demandé à servir
le prince a formé des corps napolitains , et y a fait entrer aussi
les officiers napolitains qui étoient à la solde du royaume
d'Italie. Il a nommé M. Pignatelli lieutenant- colonel dans le
régiment de dragons Napoléon , colonel du premier régiment
´ d'infanterie légère napolitaine.
Le prince Joseph a été à Caserte ; les bâtimens lui ont
paru très-beaux et d'une grande somptuosité. Revenu de la
première terreur , les peuples de Naples ont montré beaucoup
d'empressement pour les Français. Ils ont la plus grande haine
pour les Anglais. Cette nation est détestée de tout le continent ,
et l'a bien mérité.
S. M. l'EMPEREUR assistoit à la réprésentation d'Athalie
lorsqu'il a appris la nouvelle de l'entrée de son armée á
Naples. Il a chargé le général Mouton , aide- de-camp de
service près de lui , de faire annoncer par Talma , après le
premier acte , cette nouvelle , et la punition du parjure de
la reine de Naples.
426 MERCURE DE FRANCE ,
Le sceptre de plomb de cette moderne Athalie vient d'être
brisé sans retour. Le plus beau pays de la terre aura désormais
un gouvernement ferme , mais libéral. L'EMPEREUR rétablira
le royaume de Naples pour un prince français ; mais il
le rétablira fondé sur les lois et l'intérêt des peuples , et sur le
grand principe que l'existence du trône , l'éclat et la puissance
dont sont environnés les souverains , la perpétuité du
pouvoir et l'hérédité , sont des institutions faites pour le
service et l'organisation des peuples . L'Europe entière
verra avec satisfaction expulsée du trône une reine qui a tant
abusé de la souveraine puissance , dont tous les pas ont été
marqués par des révolutions , des parjures et du sang. On la
hait et on la méprise à Vienne , autant qu'on la hait et qu'on
la méprise à Naples : mais déjà sa mémoire est du ressort de
l'histoire ; car le nouveau royaume de Naples fait désormais
partie des états fédératifs de l'Empire français , et il faudra
ébranler cet Empire dans ses fondemens avant qu'on puisse
y toucher. On ne pourra pas , dans cette circonstance , accuser
la France d'ambition. Que pouvoit elle faire plus que de
pardonner trois fois dans l'espace de peu d'années ? et quel
traité pouvoit-elle faire avec une puissance qui venoit de déchirer
, vingt-cinq jours après qu'elle l'avoit ratifié , le traité
le plus avantageux pour elle et le plus solennel ?
L'honneur de la France et la nature des choses ont précipité
la ruine du trône de Naples , puisqu'il n'y avoit plus de possibilité
de conclure ancun traité. D'ailleurs l'occupation des
trônes de Milan et de Naples par des princes français , est à
peine l'équivalent de l'occupation des trônes de Naples et
d'Espagne par des princes français de la troisième dynastie.
Quant au royaume de Naples , le moindre de ses avantages sera
de jouir de la liberté du commerce , et de n'être plus soumis
aux pirateries des Algériens; mais le premier et le plus naturel
de tous, sera de n'être plus exposé à être le théâtre de la guerre ,
d'être gouverné par des principes fix's selon le bonheur et
l'intérêt de ses peuples , et non par des passions furibondes
et insensées. Ce qui fait l'éloge de la nation napolitaine , c'est
que les principaux agens qui ont entraîné la ruine du trône
étoient des Toscans et des personnes étrangères dans le pays.
On sait que M. Acton étoit anglais d'origine et d'inclination ;
qu'il avoit placé ses fonds en Angleterre , et, qu'il ne jugeoit
jamais des intérêts du royaume de Naples que par l'intérêt de
l'Angleterre,
"
Nous pouvons le dire sans être prophètes : la maison qui de
nouveau sacrifiera le repos , l'intérêt et le bonheur du continent
aux caprices et aux guinées de ces avides et insatiables.
MARS 130G. 427
speculateurs , perdra son trône au grand applaudissement de
tous les peuples du continent et de toute notre génération qui,
après avoir été si long-temps agitée, a enfin besoin de trouver
la paix et la tranquillité, et qu'on ne peut plus abuser par de
vaines paroles, (Moniteur. )
(B. ) Teano , le 13 février 1806.
Conditions que S. A. I. le prince Joseph , commandant en chef l'armée
de Naples , a bien voulu accorder à la garnison de Gaëte : 1 ° . Les honneurs
de la guerre , sortant avec arines et bagages ; les armes seront déposées
sur les glacis ; les cfficiers seulement garderont leurs épées et leurs
bagages. 2° . Les munitions de guerre en tout genre appartiendront à
l'armée française . 3º . Tous les bâtimens armés en guerre appartiendront à :
l'armée ; 4° . Enfin , tout ce qui est dans la place, magasins et autres ,
seront au pouvoir de l'armée .
(C.)
Teano , le 13 février 1806.
Il est convenu que la garnison de la place de Capone restera prisonnière
de guerre , et que ladite place sera remise lorsque les troupes françaises
se présenteront pour l'occuper. S. A. I. le prince Joseph veut ›
bien accorder aux officiers leurs épées et leurs bagages.
(D.) Teano , le 13 février 1806.
Il est convenu que la garnison de la place de Pescara restera prisonnière
de guerre , et que ladite place sera remise lorsque les troupes françaises
se présenteront pour l'occuper. S. A. I. le prince Joseph veut
bien accorder aux officiers leurs épées et leurs bagages.
(E.)
Les forts Saint- Elme, de l'Euf, del Carmine , Castelnovo , Baya , la
ville de Naples , seront remis aux troupes de l'armée de S. M. l'EMPEREUR
et Roi, dès qu'elles se présenteront ; il en será de même de la province
de la Pouille . S. A. I. le prince Joseph engage sa parole d'honneur
envers MM. le duc Campo Chiaro , et le marquis de Malespina ,,
députés de la régence de la ville de Naples , d'accorder aux troupes qui
défendent les forts et la ville , les honneurs de la guerre ; elles déposeront
leurs armes hors la ville ; il leur sera accordé , aux officiers , la permission
de garder leur épée et leurs bagages , aux soldats leurs bagages. Toutes
les troupes réglées seulement sont comprises dans cet article.
Les soldats et officiers seront libres d'aller où bon leur semblera , après
avoir déposé leurs armes hors la ville. S. A. I. le prince Joseph , lieutenant
de l'EMPEREUR , promet protection et sûreté aux propriétés des habitans
de la ville de Naples , et des provinces qui se soumettront aux armes de
S.M. I'EMPEREUR des Français , il réprimera par la force ceux qui chercheroient
à troubler la tranquillité publique. Une partie de l'armée se présentera
devant Naples , pour prendre possession des forts , et ce sera après
cet e occupation que les articles convenus par les troupes napolitaines ,
seront exécutés . (Moniteur. )
P
— e sénat conservateur , après avoir entendu les orateurs
du conseil d'état et le rapport d'une commission spéciale ,
décrété , dans sa séance du 22 février , ce qui suit ;
Les députés au corps législatif, des départemens qui composent
la première série , cesseront de faire partie de ce corps
le 31 décembre 1806 ; ceux de la quatrième série , le 31 décembre
1807 ; ceux de la troisième série , le 31 décembre 1808 ;
ceux de la cinquième série , le 31 décembre 1809 ; ceux de la
428 MERCURE DE FRANCE ;
deuxième série , le 31 décembre 1810. Les dispositions cidessus
sont applicables même aux députés qui , ayant été
nommés au corps législatif en l'an 10 , auroient fini leur cinq
ans d'exercice. Les députés qui seront nommés pour leur succéder
, à compter de l'an 1807 , commenceront à faire partie
du corps législatif à la première session de l'année dans laquelle
ils entreront en exercice. Les renouvellemens successifs des
députations de chaque série continueront ensuite à s'effectuer ,
de cinq ans en cinq ans , par la sortie des anciens membres au
31 décembre , et par l'entrée de leurs successeurs à la première
session de l'année.
-Un autre sénatus-consulte du même jour, porte que les
grands - officiers , commandans et officiers de la Légiond'Honneur
, qui , aux termes de l'article 99 de l'acte des constitutions
de l'Empire , du 28 floréal an 12 , sont membres des
colléges électoraux de département , seront en sus du nombre
de membres fixé pour les colléges par l'article 19 de l'acte des
constitutions du 16 thermidor an 10 , sans qu'ils puissent
excéder , dans chaque collége , le nombre de 25. Les membres
de la Légion-d'Honneur qui, aux termes du même article ,
sont membres des colléges électoraux d'arrondissement , seront
également , en sus du nombre fixé par l'article 18 de l'acte
des constitutions du 16 thermidor , sans qu'ils puissent excéder
, dans chaque collége , le nombre de 30. La désignation
des membres de la Légion qui devront , selon leur grade ,
être admis aux colléges électoraux de département ou d'arrondissement,
sera faite par S. M. I. et R. pour chaque collége ,
et il sera délivré à cet effet aux grands-officiers, commandans ,
officiers ou légionnaires , un brevet de nomination d'après le
quel ils seront portés sur la liste des membres du collége.
-
Par un troisième sénatus-consulte , le sénat , en attendant
que les députations au corps législatif, des départemens
des Apennins , de Gênes et de Montenotte , puissent être
nommées d'après les dispositions de l'acte des constitutions
du 16 thermidor an 10 , nomme membres du corps législatif,
pour le département des Apennins , MM. J. B. Solari , de
Chiavari ; François-Aurel Cornier : pour le département de
Génes , MM. Tealdi , Antoine Maghella , Jérôme Serra ,
Hippolyte Durazzo : pour le département de Montenotte ,
MM. Paul Cosonna , de Savone ; Nicolas Littardi , du Port-
Maurice ; Augustin Maglione. Ces députés entreront en
fonctions à compter du jour de leur nomination. Ils y resteront
jusqu'au 1 janvier 1807. Il sera nommé dans le courant
de l'année 1806 , en suivant la forme ordinaire , pour
les départemens des Apennins , de Gênes et de Montenotte
er
MARS 180b.
429
des députés au corps législatif, lesquels quitteront leurs fonctions
en même temps que les députés des séries auxquelles leurs
départemens appartiennent.
*1
-Par décret impérial du 22 , 1º . L'importation des toiles
de coton blanches et peintes , des mousselines et des cotons
filés pour mêches , est prohibée. 2°. Les cotons en laine paieront
à l'entrée de l'Empire un droit de 60 fr. par quintal décimal
, et les cotons filés , 7 fr. par kilogramme. 3°. Les cotons
filés ne pourront entrer que par les bureaux d'Anvers, Cologne,
Mayence , Strasbourg , Bourg- Libre et Versoix. 4° . Il sera
accordé aux toiles , bonneteries et autres ouvrages en coton ,
qui seront expédiés pour l'étranger , une prime de 50 fr. par
quintal décimal , en justifiant qu'ils proviennent de fabrique
française , et que le coton en laine qui a servi à leur fabrication
a payé le droit fixé par le 2º paragraphe ci -dessus.
Un décret impérial rendu sur le rapport du ministre de
l'intérieur , le 20 février, contient les dispositions suivantes :
I. L'église de Saint-Denis est consacrée à la sépulture des
Empereurs.
II. Il sera fondé un chapitre composé de dix chanoines chargés
de desservir cette église .
III. Les chanoïnes de ce chapitre seront choisis parmi les
évêques âgés de plus de 60 ans , et qui se trouveroient hors
d'état de continuer l'exercice des fonctions épiscopales ; ils
jouiront , dans cette retraite , des honneurs , prérogatives et
traitemens attachés à l'épiscopat. Notre grand-aumônier sera
chef de ce chapitre.
IV. Quatre chapelles seront érigées dans l'église de Saint-
Denis , dont trois dans l'emplacement qu'occupoient les tombeaux
des rois de la 1re , de la 2º et de la 3° race , et la 4° dans
l'emplacement destiné à la sépulture des Empereurs.
?
V. Des tables de marbre seront placées dans chacune des
chapelles des trois races, et contiendront les noms des rois dont
les mausolées existoient dans l'église de Saint- Denis.
VI. Notre grand-aumônier soumettra à notre approbation
un réglement sur les services annuels qu'il conviendra d'établir
dans ladite église .
VII. L'église de Sainte-Geneviève sera terminée et rendue
au culte , conformément à l'intention de son fondateur , sous
l'invocation de sainte Geneviève , patronne de Paris.
VIII. Elle conservera la destination qui lui avoit été donnée
par l'assemblée constituante , et sera consacrée à la sépulture
des grands-dignitaires , des grands -officiers de l'Empire et de
la couronne , des sénateurs , des grands-officiers de la Légiond'Honneur
, et , en vertu de nos décrets spéciaux , des citoyens
4
MERCURE
DE FRANCE ,
›
qui , dans la carrière des armes ou dans celle de l'administration
et des lettres , auront rendu d'éminens services à la patrie
; leurs corps enbaumés seront inhumés dans l'église .
IX. Les tombeaux déposés au Musée des monumens français
seront transportés dans cette église , pour y être rangés
par
ordre de siècles.
X. Le chapitre métropolitain de Notre-Dame , augmenté
de six membres , sera chargé de desservir l'église de Sainte-
Geneviève. La garde de cette église sera spécialement confiée
à un archi-prêtre , choisi parmi les chanoines.
XI. Il y sera efficié solennellement le 3 janvier , fête de
Sainte -Geneviève ; le 15 août , fête de Saint- Napoléon , et
anniversaire de la conclusion du concordat ; le jour des morts
et le premier dimanche de décembre , anniversaire du couronnement
et de la bataille d'Austerlitz , et toutes les fois
qu'il y aura lieu à des inhumations , en exécution du présent
décret : aucune autre fonction religieuse ne pourra être exercée
: dans ladite église qu'en vertu de notre approbation. -
- S. M. a rendu sur le rapport du ministre des cultes , le
19 février , le décret suivant :
Art. I. La fête de saint Napoléon , et celle du rétablissement
de la religion catholique en France , seront célébrées
dans toute l'étendue de l'Empire , le 15 août de chaque
année , jour de l'Assomption , et époque de la conclusion
du concordat.
II . Il y aura , ledit jour , une procession hors l'église , dans
toutes les communes où l'exercice extérieur du culte est autorisé
; dans les autres , la procession aura lieu dans l'intérieur
-de l'église.
III. Il sera prononcé , avant la procession , et par un ministre
du culte , un discours analogue à la circonstance , et il
sera chanté , immédiatement après la rentrée de la procession
, un Te Deum solennel.
IV. Les autorités militaires , civiles et judiciaires , assisteront
áà ces solennités.
V. Le même jour , 15 août , il sera célébré , dans tous les
temples du culte réformé , un Te Deum solennel en actions
de graces pour l'anniversaire de la naissance de l'Em-
PEREUR.
VI. La fête de l'anniversaire de notre couronnement , et
celle de la bataille d'Austerlitz , seront célébrées le premier
dimanche du mois de décembre , dans toute l'étendue de
1 Empire.
VII. Les autorités militaires , civiles et judiciaires y assisteront.
MARS 1800 . 431
T
VIII. Il sera prononcé dans les églises , dans les temples ,
et par un ministre du culte , un discours sur la gloire des
armées françaises , et sur l'étendue du devoir imposé à chaque
citoyen , de consacrer sa vie à son prince et à la patrie. Après
ce discours , un Te Deum sera chanté en actions de graces.
-L'EMPEREUR , toujours occupé de l'embellissement de Paris ,
vient de prendre un moyen assuré de faire achever l'interminable
marché des Jacobins , marché sans lequel il est impossible
de débarrasser la rue Traversière et les rues adjacentes ,
où les marchands étalent jusque dans les ruisseaux. Par décret
du 31 janvier , les adjudicataires du terrain des Jacobins
Saint- Honoré , ou leurs ayant- cause , sont déchus de l'adjudication
à eux faite en l'an 8 , faute d'en avoir rempli les
conditions , et la ville de Paris leur est subrogée. Ils se pourvoiront
devant le conseil de préfecture du département de
la Seine , pour les réclamations qu'ils ont à faire , avec recours
au conseil d'état. La ville de Paris liquidera ce qui peut
leur être dû , après avoir pris l'avis du ministre des finances.
La maison de M. Rouen , notaire , indispensable pour ouvrir
ce marché à deux quartiers de Paris , sera achetée par la ville
de Paris jet démolie. Les terrains environnans le nouveau
marché seront vendus aux termes des lois , et d'après l'approbation
que
le ministre de l'intérieur aura donnée aux
clauses de cette vente.
,
Sur le rapport du grand-juge ministre de la justice et
des conseillers d'état Bigot-Préameneu et Réal , chargés par
S. M. de l'examen des frais de justice à régulariser , l'EMPEREUR
a rendu le 24 de ce mois , un décret portant que les états des
frais de justice criminelle seron ' , à l'avenir , arrêtés par trimestre,
et réglés , au plus tard , à la fin du second mois du trimestre
suivant. A cet effet , le directeur-général de la régie
de l'enregistrement remettra , dans le premier mois qui suivra
chaque trimestre , l'état des avances faites par la régie. Le
montant de cet état sera couvert par les ordonnances du grandjuge.
Si , dans le trimestre de la remise de cet état , les frais de
justice du trimestre précédent n'ont pas été liquidés , la régie
de l'enregistrement ne pourra , sous aucun prétexte , faire
des avances pour le trimestre suivant. La régie de l'enregistrement
remettra au grand-juge , un double des états de recouvremens
, tant des sommes à restituer , comme abusivement
portées dans les exécutoires , que des sommes provenant des
remboursemens sur les biens des condamnés , afin qu'il soit
fait déduction de ces sommes dans les comptes des dépenses
des frais de justice. A dater de la publication du présent
décret , les procureurs-généraux près les cours criminelles
établiront un tarif pour le salaire des huissiers , et des ré̟-
9.
432 MERCURE DE FRANCE ,
glemens sur le mode de constater leur transport , de la
manière la plus économique pour les fonds publics. Lorsqu'il
y aura lieu de transporter les procédures d'un tribunal ou
d'une cour dans une autre , les minutes mêmes seront transportées
, et il est défendu de décerner aucuns exécutoires pour
copies qui seroient faites de ces procédures , sous prétexte de
leur transport. Aucune copie ne sera délivrée par un greffier
sans avoir été mise sous les yeux du président et du
impérial , ou du procureur-général impérial , qui mettront
leur visa au pied de chaque copie , et donneront au greffier le
certificat qu'il s'est conformé aux réglemens.
procureur
-M. le conseiller- d'état Dauchy est nommé administarteurs
général des finances et des domaines dans les pays vénitiens.
La pâte de tourne sol , venant de l'étranger , acquittera
à son entrée en France le droit de 10 francs par quintal métrique.
-
Par décret du 22 , M. Chabot ( de l'Allier ) membre du
tribunat , est nommé inspecteur-général des écoles de droit.
-M. Leriche , sous - préfet de Clermont , est nommé
secrétaire général de l'administration - général de Parme ,
Plaisance et Guastalla.
-M. Boyne est nommé secrétaire de la légation française
près S. M. le roi de Bavière.
- Il y a quelques jours les journaux ont parlé d'un enfant
perdu, que sa famille faisoit redemander par des affiches placardées
sur tous les murs de Paris. On sait maintenant ce qu'il
est devenu. Cet enfant, fruit de l'adultère , avoit été placé dans
une pension par celui qui lui avoit donné le jour . Le mari de
sa mère , son père putatif, pour qui il étoit devenu un objet
de jalousie et de haine , conçoit l'affreux projet de s'en défaire
, va le prendre à la pension , sous prétexte de le mener
promener , le conduit au bord de la rivière , lui lie le col
avec une de ses jarretières , à laquelle il attache une grosse
pierre , le précipite dans la Seine , et dit au maître de pension
et à la mère , que l'enfant lui est échappé au milieu de la
foule , sur un des ponts de Paris , mais qu'il se retrouvera . Des
mariniers repêchent , vers Saint-Cloud , le corps d'un enfant ,
et le portent à la Morgue. Les agens de police , chargés de
prendre des renseignemens sur la disparution de cet enfant , en
voient un exposé à la Morgue , et remarquent une jarretiêre
à son col ; ils la présentent à la mère , qui la reconnoît pour
appartenir à son mari. Les uns prétendent que celui - ci a
avoué son crime , en s'excusant sur la violence de sa jalousie ;
d'autres disent qu'il a opposé une dénégation absolue aux imputations
qui lui ont été faites. Toujours est-il certain qu'il
est en arrestation , motivée sur des présomptions aussi graves
DEPT
SEINE
DE
( N° CCXLIL ) OR
5
( SAMEDI 8 MARS 1806 Cent
MERCURE
DE FRAN CE.
90
POÉSI E.
FRAGMENT
D'U POEM É DE L'IMAGINATION,
TR
Début du premier Chant.
la sagesse ,
ROP heureux le génie , ornement de la scène ,
Qui formé par Thalie , ou cher à Melpomène ,
Egayant , à son choix , ou tourmentant les coeurs ,
Fait éclater le rire ou ruisseler les pleurs !
Mais heureux , après lui , l'ami de
Qui , disciple de Pope , élève de Lucrèce ,
Sans masque , sans cothurne et sans illusion ,
D'un style simple et vrai fait parler la raison !
Il n'entend pas pour lui retentir le théâtre
Des suffrages bruyans d'une foule idolâtre ;"
Mais le sage le lit. Le sage quelquefois ,
Pour rêver avec lui s'enfonce dans les bois ;
Et charmé de ses vers , n'en suspend la lecture
Que pour voir les forêts , les cieux et la nature .
Content de ee destin , je chante dans mes vers
L'IMAGINATION , charme de l'univers;
Mais pour la célébrer ma voix a besoin d'elle. -
Où donc te rencontrer , adorable immortelle ?
Pour enchanter l'oreille ou charmer les regards ,
Dans leurs temples brillans inspires-tu les arts ;
Vas-tu sur l'Apennin , sur les Andes sauvages,
Prêter de loin l'oreille à la voix des orages;
Dans la noire épaisseur de ces antiques bois ,
Qu jamais des humains la bache ni la voix
infi O
E e
LA
434 MERCURE DE FRANCE ,
N'interrompit la paix de leur nuit ténébreuse,
Aux coteaux d'Hercinie , aux champs de Vallombreuse ,
Pensive , égares-tu tes pas silencieux ;
De Pomone et de Pan séjour délicieux ,
Tibur t'amuse- t -il du bruit de ses cascades ;
Sur les pompeux débris de quelques colonnades ,
Le temps te montre- t-il le néant de l'orgueil ;
Gémis-tu sur les pas de quelque mère en deuil
Qui , visitant d'un fils la lugubre demeure ,
S'assied , croise les bras , baisse la tête , et pleure;
Au sein d'un doux réduit , cher à la volupté ,
Dans les bras de l'amour remets-tu la beauté ;
Ou bien aimes- tu mieux , lans sa retraite obscure
Charmer l'ami des arts , l'amant de la nature ?
Eh bien , je suis à toi ! Viens, o ma déité !
Viens telle qu'on t'admire en ta variété ,
Folâtrant sur les fleurs , te jouant dans l'orage ,
Pour sceptre une baguette et pour trône un nuage;
Conduisant sur ton char entouré de vapeurs ,
Les fantômes légers et les songes trompeurs ;
Ta robe sans agrafe et ton corps sans ceinture ,
A l'air abandonnant ta libre chevelure ;
Viens , portant dans tes mains le myrte et le laurier ,
Le luth du troubadour , la lance du guerrier ;
Variant , comme Iris , tes couleurs et tes charmes ,
Le rire dans tes yeux prêt à céder aux larmes ;
Jeune , fraiche ; et dans l'air, sur la terre et les flots ,
Versant toutes les fleurs , excepté les pavots ! ( 1 )
J. DELILL B.
ÉPITRE
A M. DE BRANCAS ,
Sur les Bouffons de Société.
Tor dont l'esprit léger , le goût brillant et fin
Rougiroit de confondre Horace et Tabarin ;
Ne ris-tu pas de voir par sa folle grimace
Un singe de Momus charmer la populace ?
La Fontaine a dit vrai : le Ciel fit pour les sots
Tous les méchans, diseurs d'insipides bons mots.
O l'aimable importun , qui d'une main falote
Agite les grelots de sa lourde marotte,,
( 1 ) Ce beau portrait de l'Imagination est le sujet d'une gravure , qui
ornera l'édition de ce poëme. Le peintre a littéralement copié tous les
traits indiqués par M. Delille , et il a fait un tableau aussi ressemblant
que poétique. (Voyez l'article Variétés. )
Note du Rédacteur du Mercure.
MARS 1806 . 435
Et pesamment folâtre en sa légéreté ,
Tourmente son prochain de sa triste gaîté.
Quelle gloire en effet pour tout être qui pense ,
De vieillir dans ces jeux d'enfantine démence ,
D'avilir son esprit , noble présent des Dieux,
Au rôle indigne et plat de farceur ennuyeux ,
Qui , payant sont écot en équivoques fades ,
Envie à l'aconnet l'honneur de ses parades ;
Et même en cheveux gris , parasite bouffon
Transporte ses treteaux chez les gens du bon ton?
Non que je veuille ici , censeur atrabilaire ,
Effaroucher les ris et bannir l'art de plaire ;
Ou de l'aménité vantant les seuls attraits ,
Du carquois de Momus émousser tous les traits :
Je connois trop le prix d'un riant badinage .
Mais je hais d'un plaisant l'absurde persiflage ,
Son babil étranger , ses barbares accens :
Un bouffon sait tout feindre , excepté le bon sens .
Je plains le malheureux qui s'est mis dans la tête
De plaire aux gens d'esprit à force d'être bête .
Qu'un monsieur Turcaret savoure en se pâniant
De ces mots à gros sel le stupide enjouement ;
Ce jargon sert toujours de voile à la sottise.
Le véritable esprit craint tout ce qui déguise.
Semblable à la beauté , la nature est sans art ;
Les Graces et d'Egmont n'ont pas besoin de fard.
Brancas , moins ingénue , en auroit moins de charmes
Ses
yeux du sentiment n'empruntent que les armes .
La feinte avilit l'âme , et , dans les moindres jeux ,
Le vrai de nos plaisirs est le principe heureux.
Il est un art charmant d'amuser et de rire :
Il faut du sel attique égayer la satire.
L'adresse est de choisir le trait qu'on doit lancer
Qu'il effleure en volant et pique sans blesser ;
Vif sans être indécent , gai sans être frivole ,
Il faut lancer , parer gafment le trait qui vole.
On sourit , quand du feu d'un mot qui semble éteint ,
L'étincelle avec art frappe au but qu'elle atteint ;
Mais on est indigné du Cyclope difforme ,
Qui sur l'aimable Acis jette sa roche énorme ;
Galathée , en pleurant , s'enfuit sous les roseaux.
Jadis Vulcain forma d'invisibles réseaux :
Tels sont les rets subtils d'un railleur socratique .
On aime un bon plaisant , on abhorre un caustique .
Voltaire parmi nous , rieur vif et malin ,
Décocha l'épigramme avec un air badin.
Par cet art autrefois l'ingénieux Catulle ,
Sur César, en jouant , lança le ridicule ;
De ce railleur exquis retenons bien le mot :
:
« Rien n'est plus sot , dit-il , que le rire d'un sot. »
LABRUN , de l'Institke.
E e 2
436 MERCURE DE FRANCE .
ENIGM E.
J'AI le corps blanc et l'ame noire ,
Aussi tu peux aisément croire
Que je suis faite pour le mal.
Quand on en donne le signal
Ön me déchire et l'on me brûle ,
Afin que par un coup fatal
Le foible succombe ou recule .
F. BONNET ( de l'Isle. )
L O G OG RIP HE.
EN me décomposant , de moi l'on peut extraire
Festin , amis , témoins , mariage , notaire ,
Amiens , Niort , Angers , Reims , Mantes , Saint- Omer,
Naître , agiter, gémir, oser, sentir, aimer,
Ton , notes , re , mi , fa , son , air, gosier, ramage ,
Aisne , Saône , Tamise , Oise , Marne , Mein , Tage ,
Songe , månes , fantôme , antre , monstre , géant ,
Mine , or, argent , étaim , agate , fer, aimant ,
Anatomie , organe , os , nerfs , sang , rate , foie ,
Geai , tarin , aga ni , serin , taon , faisan , oie ,
Ogre , tigre , magot , âne , faon , singe , rat ,
Rétif, maigre , fort , sage , ignare , ingrat ,
Iman , émir , aga , roi , trône , sénat , mitre ,
Estragon , tamarin , anis , origan , nitrè.
PON... SIM ... (de Reims. }
CHARADE.
Mon premier, jeune ou vieux ,
N'a jamais qu'une face ,
Quoique toujours sur deux ;
Mon second ne trouve point place
Chez l'homme malheureux ;
Et mon tout , que tracasse
Un ennemi dur, furieux ,
Sait donner de la grace,
Du prix à deux beaux yeux.
F. BONNET ( de l'Isle. )
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Nuit.
Celui du Logogriphe est Quinola , où l'on trouve Nil, lin, an, Ali,
lion , Laon , la.
Celui de la Charade est But-or.
MARS 1806 .
437
Mémoires de Louis XIV. Un vol in - 8°. Prix : 6 fr. ,
et 7 fr. 50 c. par la poste . A Paris , chez Garnery,
libraire , rue de Seine , ancien hôtel de Mirabeau ;
et chez le Normant , imprimeur- libraire , rue des
Prêtres Saint- Germain-l'Auxerrois , nº 17.
DEPUIS
1
EPUIS quelque temps les journaux nous annonçoient
des OEuvres de Louis XIV. Ce titre avoit
choqué les personnes qui attachent encore quelque
prix à la justesse des termes et à la décence du
langage . Elles observoient qu'un auteur peut seul
appeler OEuvres ses propres travaux , lorsqu'il les
livre lui-même au public ; qu'il faut en outre que
cet auteur soit pris dans les rangs ordinaires de la
société , et qu'il ait écrit non de simples Mémoires
historiques , mais des ouvrages de sciences ou de
littérature ; que dans tous les cas un roi n'est point
un auteur de profession , et que par conséquent il
ne publie jamais des OEuvres.
Il est vrai que dans l'antiquité les premiers.
empereurs romains cultivoient les lettres ; mais ces
empereurs avoient été de simples citoyens avant de
s'asseoir sur la pourpre . César n'étoit qu'un chef de
légion lorsqu'il écrivit l'Histoire de la conquête des
Gaules , et les Commentaires du capitaine ont fait
depuis la gloire de l'empereur. Si les Maximes de
Marc-Aurèle honorent encore aujourd'hui sa mémoire
, Claude et Néron s'attirèrent le mépris même
du peuple romain pour avoir recherché les triomphes
du poète et du littérateur.
Dans les monarchies chrétiennes , où la dignité
royale a été mieux connue , on a vu rarement le
souverain descendre dans une lice où la victoire
même n'est presque jamais sans honte , parce que
l'adversaire est presque toujours sans noblesse . Quel-
#1
3
438 MERCURE DE FRANCE ;
ques princes d'Allemagne , qui ont mal gouverné , ou
qui ont même perdu leur pays pour s'être livrés à l'étude
des sciences , excitent plutôt notre pitié que notre
admiration Denys , maître d'école à Corinthe , étoit
aussi un roi homme de lettres . On voit encore à
Vienne une Bible chargée de notes de la main de
Charlemagne ; mais ce monarque ne les avoit écrites
que pour lui-même , et pour satisfaire sa piété . Charles
V, François I , Henri IV, Charles IX, aimèrent les
lettres sans avoir la prétention de devenir auteurs .
Quelques reines de France ont laissé des vers , des
Nouvelles , des Mémoires on a pardonné à leur
dignité en faveur de leur sexe . L'Angleterre, d'où
nous sont venus de dangereux exemples , compte
seule plusieurs écrivains parmi ses monarques :
Alfred Henri VIII , Jacques I , ont fait de véritables
livres ; mais le roi-auteur par excellence , dans
les siècles modernes , c'est Frédéric . Ce prince a-t- il
perdu , a -t - il gagné en renommée à la publication
de ses OEuvres? Question que nous n'aurions pas
de peine à résoudre , si nous ne consultions que
notre sentiment .
Nous avons été d'abord un peu rassurés en ouvrant
le Recueil que nous annonçons . Premièrement , ce
ne sont point des OEuvres ; ce sont de simples Mémoires
faits par un père pour l'instruction de son
fils. Eh ! qui doit veiller à l'éducation de ses enfans ,
si ce n'est un roi ? Peut -on jamais trop inspirer l'amour
des devoirs et de la vertu aux princes d'où
dépend le bonheur de tant d'hommes ? Pleins d'un
juste respect pour la mémoire de Louis XIV, nous
avons ensuite parcouru avec inquiétude les écrits
de ce grand monarque . Il eût été cruel de perdre
encore une admiration . C'est avec un plaisir extrême
que nous avons retrouvé le Louis XIV tel qu'il
est parvenu à la postérité , tel que l'a peint madame
de Motteville : « Son grand sens et ses bonnes
» intentions , dit- elle , firent connaître les semences
MARS1806.
439
»
»
» d'une science universelle , qui avoient été cachées
à ceux qui ne le voyoient pas dans le particulier ;
» car il parut tout d'un coup politique dans les
» affaires d'état , théologien dans celles de l'Eglise ,
» exact en celles de finance ; parlant juste , prenant
toujours le bon parti dans les conseils , sensible
>> aux intérêts des particuliers ; mais ennemi de l'intrigue
et de la flatterie , et sévère envers les
grands de son royaume qu'il soupçonnoit avoir
» envie de le gouverner. Il étoit aimable de sa per-
» sonne , honnête et de facile accès à tout le monde;
» mais avec un air grand et sérieux qui imprimoit
>> le respect et la crainte dans le public.
>>
>>
Et telles sont précisément les qualités que l'on
trouve et le caractère que l'on sent dans le Recueil
des pensées de ce prince . Ce Recueil se
compose :
1º. De Mémoires adressés au grand dauphin : ils
commencent en 1661 , et finissent en 1665 .
+
2º. De Mémoires militaires sur les années 1673
et 1678.
3º. De Réflexions sur le Métier de Roi.
4º. D'Instructions à Philippe V.
5º. De dix - huit Lettres au même prince , et
d'une Lettre de madame de Maintenon.
On connoissoit déjà de Louis XIV, un Recueil
de Lettres , et une traduction des Commentaires
de César ( 1 ) . On croit que Pelisson ou Racine ( 2 )
ont revu les Mémoires que l'on vient de publier ;
( 1 ) Voltaire nie que cette traduction soit de Louis XIV.
(2 ) S'il falloit en juger par le style , je croirois que Pelisson
a eu la plus grande part à ce travail. Du moins il me semble
qu'on peut reconnoître quelquefois sa phrase symétrique ebarrangée
avec art. Quoi qu'il en soit , les pensées de Louis XIV,
mises en ordre par Racine ou Pelisson , sont un assez beau
monument. Rose , marquis de Coye , homme de beaucoup
d'esprit et secrétaire de Louis XIV, pourroit bien aussi avoir
revu les Mémoires.
4
440 MERCURE DE FRANCE ,
mais il est certain , d'ailleurs , que le fond des choses
est de Louis XIV. On reconnoît partout ses principes
religieux , moraux , politiques ; et les notes ajoutées
de sa propre main aux marges des Mémoires , ne sont
inférieures au texte ni pour le style , ni pour les
pensées.
1
Et puis c'est un fait attesté par tous les écrivains ,
que Louis XIV s'exprimoit avec une noblesse particulière
« Il parloit peu et bien , dit madame de
» Motteville ; ses paroles avoient une grande force
» pour inspirer dans les coeurs et l'amour et la
» crainte; selon qu'elles étoient dorces ou sévères . »
- « Il s'exprimoit toujours noblement et avec pré-
» cision , dit Voltaire . » Il auroit même excellé
dans les graces du langage , s'il avoit voulu en faire
une étude . Monschenay raconte qu'il lisoit un jour
l'épître de Boileau sur le passage du Rhin , devant
mesdames de Thiange et de Montespan ; & il la lut
-
avec des tons si enchanteurs , que madame de
» Montespan lui arracha l'épître des mains , en s'é-
» criant qu'il y avoit là quelque chose de surna-
>> turel , et qu'elle n'avoit jamais rien entendu de si
>> bien prononcé . »>
•
Cette netteté de pensée , cette noblesse d'élocution
, cette finesse d'une oreille sensible à la belle
poésie , forment déjà un préjugé en faveur du style
des Mémoires , et prouveroient ( si l'on avoit besoin
de preuves ) que Louis XIV peut fort bien les avoir
écrits. En citant quelques morceaux de ces Mémoires ,
nous les ferons mieux connoitre aux lecteurs.
Le roi parlant des différentes mesures qu'il prit
au commencement de son règne , ajoute :
« Il faut que je vous avoue qu'encore que j'eusse aupara→
» vant sujet d'être content de ma propre conduite , les éloges
>>> que cette nouveauté m'attiroit , me donnoient une contie
nuelle inquiétude, par la crainte que j'avois toujours de ne
» les pas assez bien mériter.
» Car enfin je suis bien aise de vous avertir , mon fils , que
MARS 18.6 . 41+
> c'est une chose fort délicate que la louange , qu'il est bien
» mal aisé de ne s'en pas laisser éblouir , et qu'il faut beau-
» coup de lumières pour savoir . discerner au vrai ceux qui
»> nous flattent d'avec ceux qui nous admirent.
Mais quelque obscures que puissent être en cela les in-
» tentions de nos courtisans , il y a pourtant un moyen assuré
» pour profiter de tout ce qu'ils disent à notre avantage , et
» ce moyen n'est autre chose que de nous examiner sévère-
» ment nous- mêmes sur chacune des louanges que les autres
»> nous donnent. Car, lorsque nous en entendrons quelqu'une
» que nous ne méritons pas en effet , nous la considérerons
» aussitôt ( suivant l'humeur de ceux qui nous l'aurout
» donnée ), ou comme un reproche malin de quelque défaut ,
» dont nous tâcherons de nous corriger, ou comme une se-
» crète, exhortation à la vertu que nous ne sentons pas en
nous »
On n'a jamais rien dit sur le danger des flatteurs.
de plus délicat et de mieux observé. Un homme qui
connoissoit si bien la valeur des louanges méritoit
sans doute d'être beaucoup loué. Ce passage est surtout
remarquable par une certaine ressemblance avec
quelques préceptes du Télémaque. Dans ce grand
siècle , la vertu et la raison donnoient au prince et
au sujet un même langage.
Le morceau suivant , écrit tout entier de la main
de Louis XIV, n'est pas un des moins beaux des
Mémoires :
« Ce n'est pas seulement dans les importantes négociations
» que les princes doivent prendre garde à ce qu'ils disent ,
» c'est même dans les discours les plus familiers et les plus
» ordinaires. C'est une contrainte sans doute fâcheuse , mais
» absolument nécessaire à ceux de notre condition ,
de ne
» parler de rien à la légère. Il se faut bien garder de pen-
» ser qu'un souverain , parce qu'il a l'autorité de tout faire ,
>> ait aussi la liberté de tout dire ; au contraire , plus il est
» grand et respecté , plus il doit être circonspect . Les choses
» qui ne seroient rien dans la bouche d'un particulier , de-
» viennent souvent importantes dans celle d'un prince. La
» moindre marque de mépris qu'il donne d'un particulier ,
» fait au coeur de cet homme une plaie incurable. Ce qui
» peut consoler quelqu'un d'une raillerie piquante ou d'une
» parole de mépris que quelqu'autre a dit de lui , c'est , ou
qu'il se promet de trouver bientôt occasion de rendre la
442 MERCURE DE FRANCE ,
» pareille , ou qu'il se persuade que ce qu'on a dit ne fera
» pas d'impression sur l'esprit de ceux qui l'ont entendu .
» Mais celui de qui le souverain a parlé , sent son mal d'au-
>> tant plus impatiemment , qu'il n'y voit aucune de ces con-
>> solations. Car enfin il peut bien dire du mal du prince qui
>> en a dit de lui , mais il ne sauroit le dire qu'en secret , et
» ne peut pas lui faire savoir ce qu'il en dit , qui est la seule
» douceur de la vengeance. Il ne peut pas non plus se persua-
» der que ce qui a été dit n'aura pas été approuvé ni écouté ,
» parce qu'il sait avec quels applaudissemens sont reçus tous
» les sentimens de ceux qui ont en main l'autorité. »
La générosité de ces sentimens est aussi touchante
qu'admirable. Un monarque qui donnoit de pareilles
leçons à son fils avoit sans doute un véritable
coeur de roi , et il étoit digne de commander à un
peuple dont le premier bien est l'honneur.
1
La pièce intitulée le Métier de Roi, dans le nouveau
Recueil , avoit été citée dans le Siècle de Louis
XIV. Elle dépose à la postérité , dit Voltaire ,
» en faveur de la droiture et de la magnanimité
» de son ame. »
Nous sommes fachés que l'éditeur des Mémoires
qui paroît d'ailleurs plein de candeur et de modestie
, ait donné à ce morceau le titre de Métier de
Roi. Louis XIV s'est servi de ce mot dans le cours
de ses Réflexions ; mais il n'est pas vraisemblable
qu'il l'ait employé comme titre. Il y a plus , il est
probable que ce prince eût corrigé cette expression ,
s'il eût prévu que ses écrits seroient un jour publiés.
La royauté n'est point un métier , c'est un caractère
; l'oint du Seigneur n'est point un acteur qui
joue un rôle , c'est un magistrat qui remplit une
fonction on ne fait point le métier de roi comme
on fait celui de charlatan. Louis XIV, dans un moment
de dégoût , ne songeant qu'aux fatigues de la
royauté , a pu l'appeler un métier, et un métier
très- pénible ; mais donnons-nous garde de prendre
ce mot dans un sens absolu . Ce seroit apprendre
aux hommes que tout est métier ici -bas ; que nous
MARS 1806 . 443
sommes tous dans ce monde des espèces d'empyriques
montés sur des treteaux pour vendre notre
marchandise aux passans . Une pareille vue de la
société mèneroit à des conséquences funestes.
Voltaire avoit encore cité les Instructions à Philippe
V, mais il en avoit retranché les premiers articles .
Il est malheureux de rencontrer sans cesse cet homme
célèbre dans l'histoire littéraire du dernier siècle ,
et de l'y voir jouer si souvent un rôle peu digne
d'un honnête homme et d'un beau génie . On devinera
aisément pourquoi l'historien de Louis XIV
avoit omis les premiers articles des Instructions ; les
voici :
i . Ne manquez à aucun de vos devoirs , sur- tout
envers Dieu .
2. Conservez-vous dans la pureté de votre éducation.
3. Faites honorer Dieu partout où vous aurez du
pouvoir ; procurez sa gloire ; donnez - en l'exemple :
c'est un des plus grands biens que les rois puissent
faire.
4. Déclarez-vous , en toute occasion , pour la vertu
contre le vice .
Saint-Louis mourant , étendu sur un lit de cendre
devant les ruines de Carthage , donna à-peu-près les
mêmes instructions à son fils :
« Beau fils , la première chose que je t'enseigne
>> et commande à garder si est , que de tout ton
» coeur, tu aimes Dieu , et te garde bien de faire
» chose qui lui déplaise. Si Dieu t'envoie adversité ,
>>> reçois-la bénignement , et lui en rends grace ; s'il
te donne prospérité , si l'en remercie très - hum-
» blement car on ne doit pas guerroyer Dieu de
» ses dons qu'il nous fait . Aie le coeur doux et
piteux aux pauvres ; ne boute pas sus trop grans
>> tailles , ni subsides à ton peuple . Fuis la compagnie
>> des mauvais . »
>>
On aime à voir deux de nos plus grands princes ,
444 MERCURE DE FRANCE,
à deux époques si éloignées l'une de l'autre , donner
à leurs fils des principes semblables de religion et
de justice . Si la langue de Joinville et celle de Racine
ne nous avertissoient que quatre cents ans d'intervalle
séparent Saint - Louis de Louis XIV, on pourroit
croire que ces instructions sont du même siècle . Tandis
que tout change dans le monde , il est beau que
des ames royales gardent incorruptible le dépôt sacré
de la vérité et de la vertu .
Louis XIV, et c'est une des choses les plus attachantes
de ses Mémoires , confesse souvent ses fautes
et les offre pour leçons à son fils :
« On attaque le coeur d'un prince comme une place. Le
» premier soin est de s'emparer de tous les postes par où
» on y peut approcher. Une femme adroite s'attache d'abord
» à éloigner tout ce qui n'est pas dans ses intérêts ; elle donne
» du soupçon des uns et du dégoût des autres , afin qu'elle
>> seule et ses amis soient favorablement écoutés ; et si nous
» ne sommes en garde contre cet usage , il faut , pour la
» contenter elle seule , mécontenter tout le reste du monde.
» Dès-lors que vous donnez à une femme la liberté de
» vous parler de choses importantes , il est impossible qu'elle
>> ne vous fasse faillir ,
3 » La tendresse que nous avons pour elle , nous faisant
» goûter ses plus mauvaises raisons , nous fait tomber insen-
» siblement du côté où elle penche , et la foiblesse qu'elle
» a naturellement , lui faisant souvent préférer des intérêts.
» de bagatelles aux plus solides considérations , lui font pres-
» que toujours prendre le mauvais parti.
» Elles sont éloquentes dans leurs expressions , pressantes
» dans leurs prières , opiniâtres dans leurs sentimens ; et tout
>> cela n'est souvent fondé que sur une aversion qu'elles au-
>> ront pour quelqu'un , sur le dessein d'en avancer un autre ,
» ou sur une promesse qu'elles auront faite légèrement. »
Cette page est écrite avec une singulière élégance ;
et si la main de Racine paroît quelque part , on pourroit
peut-être la retrouver ici . Mais l'oserions - nous
dire? Une telle connoissance des femmes prouve que
le monarque , en, se confessant , n'étoit peut -être pas
bien guéri de sa foiblesse. Les anciens disoient de
certains prêtres des Dieux : « Beaucoup portent le
MARS 1886 . 445
thyrse , et peu sont inspirés. >> Il en est ainsi de
de la passion qui subjuguoit Louis XIV : beaucoup
l'affectent et peu la ressentent ; mais aussi , quand
elle est réelle , on ne peut guère se méprendre à
l'inspiration de son langage.
"
Au reste , Louis XIV avoit appris à connoître la
juste valeur de ces attachemens que le plaisir forme
et détruit. Il vit couler les larmes de madame de
la Vallière , et il lui fallut supporter les cris et les
reproches de madame de Montespan. La soeur du fameux
comte de Lautrec , abandonnée de François I.
ne s'emporta point ainsi en plaintes inutiles. Le roi
lui ayant fait redemander les joyaux chargés de
devises qu'il lui avoit donnés dans les premiers momens
de sa tendresse , elle les renvoya fondus et convertis
en lingots. << Portez cela au roi , dit - elle . Puisqu'il
» lui a plu de me révoquer ce qu'il m'avoit donné
» si libéralement , je les lui rends et lui renvoie en
lingots d'or. Quant aux devises , je les ai , si bien
>> empreintes en ma pensée , et les y tiens si chères ,
» que je n'ai pu permettre que personne en dis-
» posât et jouît , et en eût de plaisir que moi-
» même ( 1 ) .
>>>
་ ་
Si nous en croyons Voltaire , la mauvaise éducation
de Louis XIV auroit privé ce prince des
leçons de l'histoire. Ce défaut de connoissances .
n'est point du tout sensible dans les Mémoires. Le
roi paroît au contraire avoir eu des idées assez
étendues sur l'histoire moderne , et même sur celle
des Grecs et des Romains. Il raisonne en politique
avec une sagacité surprenante ; il fait parfaitement
sentir, à propos de Charles II , roi d'Angleterre, le vice
de ces états qui sont gouvernés par des corps délibérans
; il parle des désordres de l'anarchie comme
un prince qui en avoit été témoin dans sa jeunesse ;
il savoit fort bien ce qui manquoit à la France , ce
(1) Brantôme.
446 MERCURE
DE FRANCE
,
qu'elle pouvoit obtenir ; quel rang elle devoit occu
per parmi les nations : Etant persuadé , dit - il ,
que l'infanterie française n'avoit pas été jusqu'à
» présent fort bonne , je voulus chercher les moyens
» de la rendre meilleure. » Il ajoute ailleurs :
« Pourvu qu'un prince ait des sujets , il doit avoir
» des soldats ; et quiconque ayant un état bien peu-
» plé , manque d'avoir de bonnes troupes , ne se
» doit plaindre que de sa paresse et de son peu
d'application . » On sait en effet que c'est Louis XIV
qui a créé notre armée , et environné la France de
cette ceinture de places fortes , qui la rend inexpugnable.
On voit enfin qu'il regrettoit les temps
où ses sujets étoient maîtres du monde :
«
Lorsque le titre d'empereur fut mis dans
» notre maison , dit- il , elle possédoit à la fois la
» France , les Pays - Bas , l'Allemagne , l'Italie , et la
» meilleure partie de l'Espagne , qu'elle avoit distri-
» buée entre divers particuliers , avec réserve de la
» souveraineté. Les sanglantes défaites de plusieurs
peuples venus du Nord et du Midi avoient porté
» si loin la terreur de nos armes , que toute la terre
» trembloit au seul bruit du nom français et de la
grandeur impériale.
>>
Ces passages prouvent que Louis XIV connoissoit
la France , et qu'il en avoit médité l'histoire . En portant
ses regards encore plus haut , ce prince eût vu que
les Gaulois , nos premiers ancêtres , avoient pareillement
subjugué la terre , et que toutes les fois que
nous sortons de nos limites , nous ne faisons que
rentrer dans notre héritage . L'épée de fer d'un Gaulois
a seule servi de contre - poids à l'empire du
monde . « La nouvelle arriva d'Occident en Orient ,
dit un historien , qu'une nation hyperboréenne
>> avoit pris en Italie une ville grecque appelée
» Rome. » Le nom de Gaulois vouloit dire voyageur.
A la première apparition de cette race puissante, les
>>
MARS 1806. 447
Romains déclarèrent qu'elle étoit née pour la ruine
des villes et la destruction du genre humain.
Partout où il s'est remué quelque chose de grand ,
on retrouve nos ancêtres . Les Gaulois seuls ne se
turent point à la vue d'Alexandre devant qui la terre
se taisoit. « Ne craignez-vous point ma puissance , dit
» à leurs députés le vainqueur de l'Asie ? » — « Nous
» ne craignons qu'une chose , répondirent-ils , c'est
» que le ciel tombe sur notre tête . » César ne put les
vaincre qu'en les divisant , et il mit plus de temps à
les dompter qu'à soumettre Pompée et le reste du
monde.
Tous les lieux célèbres dans l'univers ont été assujétis
à nos pères. Non - seulement ils ont pris Rome , mais
ils ont ravagé la Grèce , occupé Byzance , campé sur
les ruines de Troie , possédé le royaume de Mithridate
, et vaincu au - delà du Taurus ces Scythes qui
n'avoient été vaincus par personne . La valeur des
Gaulois décidoit de toute part du sort des empires.
L'Asie leur payoit tribut. Les princes les plus renommés
de cette partie de la terre , les Antiochus ,
les Antigonus courtisoient ces guerriers redoutables ;
et les rois tombés du trône se retiroient à l'abri de
leur épée . Ils firent la principale force de l'armée
d'Annibal ; dix mille d'entr'eux défendirent seuls
contre Paule Emile la couronne d'Alexandre, dans le
combat où Persée vit passer l'empire des Grecs sous
le joug des Latins . A la bataille d'Actium , les Gaulois
disposèrent encore du sceptre du monde , puisqu'ils
décidèrent la victoire en se rangeant sous les drapeaux
d'Auguste .
C'est ainsi que le destín des royaumes paroît attaché
dans chaque siècle au sol de la Gaule , comme à une
terre fatale , et marquée d'un sceau mystérieux . Tous
les peuples semblent avoir ouï successivement cette
voix qui annonça l'arrivée de Brennus à Rome , et
qui disoit à Céditius au milieu de la nuit : « Céditius ,
» va dire aux tribuns que les Gaulois seront demain
» ici . »
448
MERCURE DE FRANCE ,
Les Mémoires de Louis XIV augmenteront sa
renommée ils ne dévoilent aucune bassesse , ils ne
révèlent aucun de ces honteux secrets que le coeur
humain cache trop souvent dans ses abymes . Vu de
plus près et dans l'intimité de la vie , Louis XIV ne
cesse point d'être Louis -le-Grand ; on est charmé
qu'un si beau buste n'ait point une tête vuide , et
que l'ame réponde à la noblesse des dehors. « C'est
» un prince , disoit Boileau , qui ne parle jamais san's
» avoir pensé. Il construit admirablement tout ce
» qu'il dit ; ses moindres réparties sentent le souve-
>> rain ; et quand il est dans son domestique , il semble
» recevoir la loi plutôt que de la donner . » Eloge
que les Mémoires confirment de tous points . On connoît
cette foule de mots où brille la magnanimité de
Louis XIV. Le prince de Condé lui disoit un jour
qu'on avoit trouvé une image d'Henri IV attachée
à un poteau et traversée d'un poignard avec une inscription
odieuse pour le prince régnant . « Je m'en
» console, dit le monarque : on n'en a pas fait autant
» contre les rois fainéans, » On prétend que dans les
derniers temps de sa vie il trouva sous son couvert , en
se mettant à table, un billet à -peu -près conçu ainsi :
<< Le roi est debout à la place des Victoires , à cheval
» à la place Vendôme ; quand sera -t - il couché à
>> Saint- Denis ! » Louis prit le billet , et le jetant pardessus
sa tête , répondit à haute voix : « Quand il
ג כ
plaira à Dieu. » Prêt à rendre le dernier soupir ,
il fit appeler les seigneurs de sa cour : « Messieurs
» dit-il ,je vous demande pardon des mauvais exemples
» que je vous ai donnés ; je vous fais mes remerci-
» mens de l'amitié que vous m'avez toujours marquée .
» Je vous demande pour mon petit- fils la même fidé-
» lité.... Je sens que je m'attendris et que je vous
attendris aussi . Adieu , messieurs , souvenez -vous
quelquefois de moi. Il dit à son médecin qui
pleuroit : « M'avez -vous cru immortel ? » Mad . de
La Fayette a écrit de ce prince qu'on le trouvera sans
doute « un des plus grands rois , et des plus honnêtes
» >>
» hommes
DE LA
MARS 1806 .
» Cela
n'empêche pas
» hommes de son royaume.
qu'à ses funérailles le peuple ne chantât des Vecen
Deum , et n'insultât au cercueil : Numquid cognoce
tur mirabilia tua , et justitia tua in terra oblivionis ?
Que nous reste- t -il à ajouter à la louange d'un
prince qui a civilisé l'Europe , et jeté tant d'éclat
sur la France ? Rien que ce passage tiré de ses
Mémoires :
1
« Vous déviez savoir avant toutes choses , mon fils , que
>> nous ne saurions montrer trop de respect pour celui qui
»> nous fait respecter de tant de milliers d'hommes.
» La première partie de la politique est celle qui. nous
» enseigne à le bien servir. La soumission que nous avons
» pour lui , est la plus belle leçon que nous puissions donner
» de celle qui nous est due ; et nous péchons contre la pru-
» dence , aussi bien que contre la justice , quand nous man-
» quons de vénération pour celui dont nous ne sommes que
» les lieutenans.
>> Quand nous aurons armé tous nos sujets pour la dé-
>> fense de sa gloire , quand nous aurons relevé ses autels
» abattus , quand nous aurons fait connoître son nom aux
>> climats les plus reculés de la terre , nous n'aurons fait
» que l'une des parties de notre devoir, et sans doute nous
» n'aurons pas fait celle qu'il desire le plus de nous , si nous
>> ne nous sommes soumis nous-mêmes au joug de ses com-
» mandemens. Les actions de bruit et d'éclat ne sont pas
» toujours celles qui le touchent davantage , et ce qui se passe
» dans le secret de notre coeur est souvent ce qu'il observe
» avec plus d'attention .
» Il est infiniment jaloux de sa gloire , mais il sait mieux
» que nous discerner en quoi elle consiste. Il ne nous a peut-
» être fait si grands qu'afin que nos respects l'honorassent da-
» vantage , et si nous manquons de remplir en cela ses
» desseins , peut-être qu'il nous laissera tomber dans la pous-
» sière de laquelle il nous a tirés.
>> Plusieurs de mes ancêtres , qui ont voulu donner à leurs
» successeurs de pareils enseignemens , ont attendu pour cela
» l'extrémité de leur vie , mais je ne suivrai pas en ce point
>> leur exemple. Je vous en parle dès cette heure , mon fils ,
>> et vous en parlerai toutes les fois que j'en trouverai l'oc-
» casion. Car , outre que j'estime qu'on ne peut de trop
» bonne heure imprimer dans les jeunes esprits des pensées
» de cette conséquence , je crois qu'il se peut faire que ce
Ff
450 MERCURE DE FRANCE ,
» qu'ont dit ces princes dans un état si pressant , ait quelqué
» fois été attribué à la vue du péril où ils se trouvoient ; au
>>> lieu que vous en parlant maintenant , je suis assuré que la
>> vigueur de mon âge , la liberté de mon esprit et l'état flo-
» rissant de mes affaires , ne vous pourront jamais laisser
» pour ce discours aucun soupçon de foiblesse ou de dégui-
» sement. >>
C'étoit en 1661 que Louis XIV donnoit cette
sublime leçon à son fils.
DE CHATEAUBRIAND .
OEuvres posthumes de Marmontel. Quatre vol . in- 12 . Prix :
12 fr. , et 15 fr. par la poste . A Paris , chez Xhrouet , lib . ,
rue des Moineaux ; et chez le Normant , imprimeur -libraire ,
rue des Prêtres Saint - Germain l'Auxerrois , n°. 17.
( Premier extrait.
ON se plaint tous les jours de l'état de stérilité dans lequel
languit depuis long-temps la littérature . En effet , presque .
tous les écrivains qui avoient donné dans leur jeunesse des
lueurs de talent , découragés par les revers imprévus qui ont
suivi des succès prématurés , gardent maintenant le silence et
semblent s'être condamnés à l'inaction . Cependant les années :
s'accumulent , la saison du travail s'enfuit , les germes les plus
heureux se dessèchent faute de culture. Chaque jour voit
disparoître des écrivains distingués , sans qu'il s'élève personne
pour les remplacer. Au lieu de nous offrir des ouvrages que
la postérité puisse opposer à ceux des deux derniers siècles ,
toutes les productions modernes se réduisent à des notices
littéraires qu'on place à la tête des éditions nouvelles d'auteurs
anciens , et à des articles de journaux sur ces mêmes
auteurs : c'est-à-dire , à une multitude de critiques , bonnes ou
mauvaises , sur des livres jugés depuis long - temps.
Au milieu de cette langueur léthargique , dans laquelle
paroissent plongés presque tous les gens de lettres , un des
MARS 1806. 451
écrivains les plus féconds du siècle dernier semble encore
vouloir se charger de la gloire de celui - ci . On diroit que du
fond de son tombeau , Marmontel prétend se venger du silence
auquel les circonstances l'avoient condamné dans les
dernières années de sa vie . Ses OEuvres pósthumes , publiées
coup sur coup depuis un an , auroient suffi , si on ne considère
que le nombre des volumes , à occuper la vie entière d'un écrivain
laborieux ; mais quoiqu'elles ne soient pas sans mérite , il
ne paroît pas qu'elles augmentent beaucoup la réputation de
l'auteur. L'ouvrage le plus important qu'elles présentent , les
Mémoires sur la Régence , attirèrent un moment l'attention
publique au moment où ils parurent ; on les jugea curieux
pour le fonds , mais on y trouva les faits mal liés , mal ordonnés
entr'eux , et l'on ne se crut pas tout - à- fait dédommagé
du défaut absolu d'ensemble par un style correct et même
assez élégant , mais froid et sans couleur , et par conséquent
fort éloigné de celui qui convient à l'histoire . Les Mémoi
res sur la vie de l'Auteur furent lus avec plus d'avidité encore.
Des anecdotes sur des personnages célèbres , des peintures
assez fidelles du ton et des moeurs qui régnoient dans
certaines sociétés du dernier siècle , des intrigues de coulisse ,
des histoires scandaleuses , ne pouvoient manquer de piquer
la curiosité de bien des lecteurs ; mais tous furent étonnés de
lire sur le titre , que ces récits , souvent assez libres , qui pou
voient être amusans pour le public , étoient consacrés par un
père à l'instruction de ses enfans . Aujourd'hui l'on va voir
ce même père donner des leçons sur la grammaire , la logique ,
la métaphysique et la morale : occupation bien plus convenable
sans doute que celle d'entretenir ses élèves des aventures
galantes de sa jeunesse ; et peut- être les lecteurs , par
un jugement tout opposé à celui qu'ils ont porté sur les Mémoires
, avoueront que ces leçons ont pu être fort utiles à
ceux pour qui elles furent écrites , mais décideront qu'elles
ne devoient pas sortir de leurs mains . « En effet , diront- ils
>> chaque instituteur , chaque père de famille peut imaginer
» une méthode particulière d'instruction dont il recueillera
» d'autant plus d'avantages , qu'elle sera mieux adaptée au
Ff2
452 MERCURE DE FRANCE ,
» caractère particulier de ses élèves ; mais faudra - t -il que le
» public soit condamné à lire tous les traités de métaphysique ,
» de géographie , d'histoire , etc. , etc. , qui seront écrits pour
» cet usage ? Nous avons un si grand nombre de grammaires ,
» de logiques , de livres élémentaires de toute espece , com-
» posés les uns avec les autres , qu'il y a un terrible préjugé
>> contre tout ce qui paroît de nouveau dans ce genre , et
» qu'il n'est plus permis d'en augmenter le nombre si on ne
» fait beaucoup mieux que ce qui existe déjà . » Avant de décider
si le Cours d'Etudes de Marmontel se trouve dans ce cas,
nous allons jeter successivement un coup d'oeil sur les divers
traités qui le composent : nous commencerons par la Grammaire.
L'étude de cette science est une des plus pénibles auxquelles
l'enfance puisse être condamnée , et malheureusement c'est
une des premières qu'on est forcé de lui enseigner quand on
veut la former à la connoissance des langues anciennes . De
combien de pleurs n'avons-nous pas tous arrosé nos syntaxes
grecque et la tine ? Combien de fois n'avons - nous pas répété ,
sans les comprendre, ces règles si difficiles , qui depuis si longtemps
sont la terreur des classes ? Ceux qui regrettent si souvent
leur enfance, ont oublié apparemment tous les chagrins qui
l'accompagnent : s'ils sont moins profonds que ceux qui affligent
l'homme dans les autres périodes de sa vie , ils renaissent
presque à chaque instant de la journée. L'enfant ne
connoît à la vérité ni les passions violentes de la jeunesse ,
ni les inquiétudes de l'âge mûr ; mais les langues savantes ,
avec leurs verbes réguliers et irréguliers , et toutes les épines
de leurs syntaxes , et toutes les bizarreries de l'usage , lui
paroissent inventées pour son tourment ; et si l'on se rappelle
tout l'appareil des châtimens qui punissent en lui la paresse
et l'amour du jeu , ses deux seules passions , on en conclura
cette vérité consolante , que la mesure des biens et des maux
est à-peu-près la même pour tous les âges de la vie.
Les difficultés attachées aux élémens des langues anciennes
une fois surmontées , l'étude de la langue française devient
facile , sur tout pour les enfans qui sont élevés sous les yeux
MARS 1806 . 453
paternels ou sous les soins d'un maître particulier. Ils connoissent
déjà les principes fondamentaux qui sont communs
à tous les idiomes ; un long usage les a familiarisés avec les
termes les plus abstraits de la grammaire. Accoutumés d'ailleurs
à n'entendre autour d'eux qu'un langage pur et correct ;
exactement repris toutes les fois que , se laissant conduire
par une analogie souvent trompeuse , ils méconnoissent les
lois que l'usage a introduites , ils savent déjà leur langue avant
d'en connoître un seul principe. Ils possèdent du moins ce
qui est le plus long et le plus indispensable à acquérir. En
effet , ce qu'on appelle routine est absolument nécessaire pour
bien parler et bien écrire un idiome quelconque ; sans elle ik
n'y a ni naturel , ni variété , ni énergie dans le style . Que
deviendroient la chaleur qui anime un écrivain éloquent ,
l'inspiration qui fait courir sa plume , s'il étoit obligé de se
demander à chaque phrase quelles règles de la grammaire il
doit observer? C'est par la crainte continuelle de les violer
dans leurs moindres détails , que les grammairiens de profes
sion sont toujours de froids écrivains ; que leurs phrases ,
exactement concertées , se traînent toujours de la même ma→
nière ; que souvent même elles deviennent entortillées et
confuses . Chez eux la pensée n'est que l'accessoire : le principal
est de bien aligner les mots dans l'ordre que prescrit le
bel usage et les règles qu'ils ont établies eux - mêmes . Ce n'est
pas ainsi que procèdent les grands écrivains. Its se sont tellement
pénétrés du génie de la langue , qu'ils le devinent , pour
ainsi dire , jusque dans ses caprices. Celui à qui un instinct
prompt et infailliblé ne révèle pas pourquoi telle expression
est préférable à telle autre , pourquoi tel mot doit être placé
ici plutôt que là , quand même il en ignoreroit la raison métaphysique
ou grammaticale ; celui - là , dis -je , ne saura jamais
écrire . On ne doit pas conclure de tout ceci qu'il faille négliger
la grammaire , mais seulement qu'il ne suffit pas d'en posséder
toutes les règles , et qu'il est encore plus essentiel de
former le goût d'un élève que de lui bien apprendre la syntaxe
.
Telle est la marche que Marmontel avoit adoptée pour ses
3
454 MERCURE
DE FRANCE
,
enfans. Il les avoit déjà instruits dans les langues anciennes ,
il les avoit familiarisés avec nos bons auteurs avant de leur
mettre dans les mains ses Leçons sur la langue Française.
Come nous ignorons quelles étoient les dispositions particulières
de ses élèves , nous nous plaisons à croire que ce
Traité étoit plus propre qu'aucun autre à les instruire ; mais
il aura certainement , aux yeux du public , le double défaut
d'être à la fois incomplet , puisqu'il ne contient ni les définitions
premières , ni les conjugaisons ; et beaucoup trop long ,
puisqu'il forme un gros volume. On y voit exposés , dans une
foule de remarques particulières , des points de grammaire
sur lesquels l'usage éclaire aussi bien que toutes les règles ;
et tous ces détails , qu'il est moralement impossible de se fixer
dans la tête , ne servent qu'à faire perdre de vue les principes,
généraux qu'il faut absolument retenir. Le secret d'ennuyer
est celui de tout dire , a dit Boileau : c'est aussi celui de ne
rien apprendre. Les lois du langage , comme toutes les autres
lois , ne sauroient jamais être ni trop simples i en trop petit
nombre , afin qu'elles soient moins exposées à être méconnues
par l'ignorance , et que la chicane trouve moins de prétextes
pour en excuser la violation .
Les Leçons de Marmontel offrent encore un autre inconvénient
qui doit les rendre peu propres à l'instruction des enfans
l'auteur se plaît trop à s'arrêter sur les définitions abstraites.
La grammaire n'est- elle pas une étude assez aride par
elle - même ? Faut - il encore l'embarrasser mal - à- propos dans
les difficultés de la métaphysique ? On lit , dès les premières
pages du Traité que nous annonçons , que l'adjectif réunit
Pidée d'une qualité distincte , avec l'idée confuse et vague
d'un étre auquel appartient cette qualité ; que le participe a
été d'abord un adjectif verbal , exprimant l'étre en action , ou
en situation inactive ou passive . L'auteur entre ensuite dans
une longue dissertation sur le gérondif et le supin , deux modes
séparés par une nuance presqu'imperceptible , qui jusqu'a
lui , à ce qu'il assure , avoit échap , é à tous les grammairiens.
Il copie tout ce que Condillac et tant d'autres ont dit sur les
termes abstraits et concrets , sur les trois espèces de mots
MARS 1806.
1
qui entrent nécessairement dans la proposition simple.
Ailleurs il classe laborieusement toutes les conjonctions , qu'il
distingue en adversatives , circonstancielles , causatives ,
transitives et inductives , etc. etc. Il est sans doute curieux ,
il est même utile de connoître la théorie métaphysique du
langage ; mais une expérience constante ne prouve - t- elle pas
qu'une pareille étude ne convient ni à l'enfance , ni même
à la première jeunesse ? Je dis plus : elle n'est indispensable
qu'à l'homme qui , se vouant à la culture des lettres , est dans
l'obligation de connoître , sous tous les rapports , l'instrument
qu'il est destiné à mettre tous les jours en oeuvre . Encore se
gardera- t -il bien de s'appesantir trop long- temps sur cette
étude ; et après s'être convaincu que , passé de certaines bornes
assez étroites , la métaphysique n'est plus qu'un abyme
sans fond, où se perd inutilement la curiosité humaine , il
abandonnera sans regret ces stériles spéculations aux idéologues
et aux professeurs d'entendement humain , bien convaincu
qu'elles ne sont propres qu'à faire de mauvais raisonneurs
et d'insipides écrivains .
Après avoir critiqué les Leçons sur la Grammaire , comme
élémens de cette science , il est juste de reconnoître que si
on les considère comme un recueil d'observations gramma-.
ticales bon à consulter et non à lire de suite , elles peuvent sous
ce rapport présenter de l'intérêt . Marmontel , écrivain généralement
pur et correct , est ici sur son terrain ; if a pu déposer
dans son Traité toutes les remarques qu'une longue
pratique l'avoit mis à portée de faire sur notre langue . Et en
effet , presque toutes les difficultés qu'elle présente s'y trou
vent discutées et résolues avec beaucoup de clarté. Ces fameuses
règles des participes , qui nous ont valu tant de punitions
dans notre enfance , que bien des personnes qui ne sont
plus en âge d'en recevoir violent tous les jours , y sont développées
avec le plus grand soin dans tous leurs détails . Seroitce
faire injure à l'érudition grammaticale de nos lecteurs , que
de leur proposer , avec Marmontel , sur le que relatif et le
participe , quelques petits problèmes à résoudre ? Ceux à qui
tous les cas particuliers d'une règle assez seroient
compliquée
4
'456 MERCURE DE FRANCE ,
présens à la mémoire , nous pardonneront cette citation , qui
servira du moins à leur faire connoître la clarté que l'auteur
su répandre sur ses observations.
« Doit- on dire :
L'histoire que je vous ai donnée à lire ;
Les maux qu'il a eus à souffrir ;
Les sommes qu'il a cues à payer ?
Pui; car le régime du verbe n'est pas ce gérondif à lire ,
à souffrir, à payer; ce n'en est que le complément , et son
régime véritable est le nom qui précède .
Il n'en est pas de même des exemples suivans :
La lettre que j'ai su qu'on vous avoit écrite ;
La lettre que j'ai présumé que vous aviez reçue ...
Ici , ce que j'ai su , ce que j'ai présumé , ce n'est point- la
lettre. Donc ce n'est point là le régime du participe .......
Quelque chose qu'il m'a dit , me fait soupçonner.
Quelque chose qu'il m'ait due , il ne m'a point persuadé.
Pourquoi dit dans la première phrase , et pourquoi dite
dans la seconde ? C'est que , dans l'une , quelque chose est
pris dans un sens neutre ; c'est l'aliquid latin ; et que , dans
l'autre , il a le sens de chose dont le genre est déterminé ,
Il a obtenu toutes les graces qu'il a voulu,
Il a obtenu toutes les graces qu'il a desirées.
Pourquoi voulu , et pourquoi désirées ? C'est qu'on ne
dit pas vouloir des graces , et que le régime du participe est
sous-entendu voulu obtenir; au lieu qu'on dit desirer des
graces , et que c'est graces que régit directement le verbe
desirer.
Ce dernier exemple prouve que l'usage , qui souvent peut
être accusé justement de bizarrerie , est aussi quelquefois
très-conforme à la raison , lors même qu'au premier coup
d'oeil il paroît déroger sans sujet à la règle établie . Une espèce
d'instinct qui souvent guide sûrement les hommes , sans
même qu'ils s'en aperçoivent , leur a dit ici que l'idée de
grace et celle de vouloir s'excluoient mutuellement , et que ,
par conséquent, l'on ne pouvoit pas rapporter l'une à l'autre . »
MARS 1806.
457
1
C'est avec cette netteté que Marmontel prononce sur les
cas les plus embarrassans de notre syntaxe. Nous n'oserions
assurer, il est vrai , que ce mérite ne se trouve pas au même
degré chez Restaut , chez Wailly, chez Dumarsais , chez
beaucoup d'autres grammairiens ; mais ce qui est , je crois ,
particulier à notre auteur, ce sont les deux derniers chapitres
, qui sont sans contredit les meilleurs, et qui semblent
presqu'exempts de la sécheresse et de l'ennui inséparables
d'une Grammaire. Dans l'un , Marmontel apprécie le génie
de la langue française , comparé à celui des langues anciennes.
Il observe avec beaucoup de sagacité une foule d'idiotismes
qu'il seroit très-difficile de soumettre à une analyse exacte ,
et qui , par- là même , sont très - remarquables , quoiqu'un
usage journalier nous ait tellement familiarisés avec eux ,
que nous nous en servons tous les jours , sans savoir même
s'ils existent. Il remarque , sur- tout, dans nos bons auteurs
beaucoup d'ellipses particulières à la langue française , qui
prouvent que , quoique la clarté soit son caractère distinctif,
elle peut fréquemment ne le céder en précision à aucun
idiome. Dans l'autre chapitre , il passe en revue toutes les qualités
qui contribuent à la perfection du langage et du style.
On ne fera à ce sujet qu'une observation : Marmontel répète
plus d'une fois que les grands auteurs ont leurs prérogatives ,
qu'ils ont pu se permettre ce qu'on ne passeroit pas à un
écrivain vulgaire cela doit être bien entendu . Comme il
n'y a presque pas d'auteurs qui ne se jugent intérieurement
de grands génies , quoiqu'ils n'en conviennent pas tous , il
résulteroit de ce principe que la plupart se croiroient
autorisés à des licences qui introduiroient dans la langue un
étrange chaos . Molière a dit que la grammaire savoit régenter
jusqu'aux rois. Les rois du Parnasse ne sont sûrement
pas les souverains qui doivent être le moins soumis à
ses lois. Ce qui est faute de grammaire chez un mauvais
écrivain , le seroit aussi chez eux ; mais il y a des hardiesses
heureuses qu'on leur permet , et qui choqueroient dans
d'autres , parce qu'eux seuls savent les préparer, les rendre
nécessaires , les cacher adroitement dans le tissu de leur style .
458 MERCURE
DE FRANCE
;
On sait que Racine en offre un grand nombre d'exemples ,
et il les emploie avec tant d'art , que plusieurs mauvais écrivains
qui accusoient sa poésie de timidité , n'y avoient pas
même soupçonné tant de licences et d'expressions créées "
qu'ils auroient peut- être balancé à employer eux - mêmes , si
par hasard elles se fussent offertes sous leur plume .
Les autres parties du Cours d'Etudes de Marmontel , seront
P'objet d'un second article , dans l'un de nos prochains numéros.
C.
VARIET ÉS .
LITTÉRATURE , SCIENCES > ARTS , SPECTACLES.
Le Poëme de l'Imagination ( 1 ) , attendu avec tant d'im
patience par tous ceux qui cultivent ou aiment la poésie ,
devoit paroître au commencement de ce mois ; sa publication
est encore différée : il ne sera mis en vente que dans les premiers
jours du mois d'avril . Peu d'ouvrages ont été aussi vivement
desirés ; et , si toutefois nous pouvons en juger par les
fragmens que M. Delille nous a permis de publier , et par
ceux dont nous avons entendu la lecture , peu d'ouvrages
aussi auront mieux rempli l'attente publique. En attendant
que nos lecteurs puissent confirmer ce jugement , nous
croyons faire une chose qui leur sera agréable , en leur mettant
sous les yeux l'analyse de ce poëme , qui nous a été com-
(1 ) L'Imagination , poëme en VIII chants , par J. Delille , accompagné
de notes historiques et littéraires . Deux volumes in-18 , papier in grand
raisin , deux figures . Prix : 7 fr.; pap . vélin superfin , br . et cart . , 4 fig.
16 fr . Les mêmes , sat . et cart. , 4 fig. avant la lettre , 20 fr. Les méines ;
in-8°, pap. fin grand raisin , 2 fig . , 12 fr .; pap . vélin superfin , br.et cart . ,
2 fig. , 28 fr. Les mêmes , sat . et cart . , 6 fig. avant la lettre , 36 fr. Les
mêmes, in-4°, pap. commun Jésus , sans fig. , 30 fr .; páp. vélin superlin
grand Jésus , br . et cart . , 2 fig. , 120 fr . Les mêmes , sat. et cart. , 4 fig.
avant la lettre , 150 fr .
MARS 1806.
459
muniquée par les éditeurs, Les morceaux déjà connus suffiront
pour donner une idée des couleurs brilllantes dont le peintre
des Jardins aura su embellir un fonds si riche par lui -même .
PREMIER CHANT . L'homme sous le rapport intellectuel. Les sens sont
frappés par les différens objets qui se présentent à eux ; ces impressions
se gravent dans la mémoire ; phénomène inexplicable de cette faculté ; les
songes , l'action de l'imagination dans l'emploi des figures ; ses voyages
du monde physique au monde moral , et du monde moral au monde physique
, les comparaisons , les contrastes et les rapports plus ou moins immédiats
; les différentes idées réveillées les unes par les autres ; les idées
innées , bonheur attaché à la culture de l'intelligence ; épisode à ce sujet .
DEUXIÈME CHANT . L'homme sensible . Influence de l'imagination suṛ
le bonheur ; l'imagination se rejette vers le passé par le souvenir , et vers
l'avenir par l'espérance et la crainte ; au souvenir appartiennent les regrets
, les remords , l'amitié , la reconnoissance , la vengeance et la haine ;
épisode à ce sujet ; effets de la prévoyance ; les illusions ; l'espérance , la
crainte , l'avarice , l'ambition , l'amour ; épisode relatif à cette passion.
TROISIÈME CHANT . Impression des objets extérieurs . Les couleurs ,
les formes , les mouvemens , la grace , la pudeur , la nouveauté , la mode ,
les batailles , les volcans ; quels objets font naître et entretiennent la mélancolie
, la tristesse , l'épouvante et l'horreur ; nuances qui distinguent
ces affections ; les objets rians , peinture de quelques objets de ce genre ;
effets de la grandeur , les pyramides , les forêts , la mer et les montagnes ;
le spectacle du ciel ; l'homme lui -même le plus bel ouvrage de la création ,
et affectant plus vivement l'imagination que tous les autres objets , par
l'expression de ce sentiment , l'éloge du discours , du geste et du regard .
QUATRIÈME CHANT. Impression des lieux. Effets de l'imagination sur
les lieux , et des lieux sur l'imagination ; influence des lieux sauvages et
des lieux rians subordonnée aux dispositions de notre ame ; nous aimons
les lieux où nous reçûmes le jour , l'éducation , où nous avons été heureux
ou malheureux , amans ou aimés , ceux où reposent les objets de nos
affections et de nos regrets ; antiquité des lieux et souvenirs qui y sont
attachés ; les ruines de Rome , d'Athènes , etc.; épisode sur le voyage
en Grèce par M. de Choiseul ; les catacombes de Rome.
CINQUIÈME CHANT . Les arts . Hymne à la beauté ; le beau idéal dans
les arts , la sculpture et la peinture ; l'Apollon du Belvédère ; la Transfi→
guration de Raphaël ; la musique , la danse , l'architecture ; la poésie , ses
différens genres , les grands hommes qui l'ont illustrée ; l'éloquence , les
hautes sciences , la géométrie , les arts mécaniques.
460 MERCURE DE FRANCE ;
SIXIÈME CHANT. Le bonheur et la morale. Influence de l'imagination:
sur le bonheur ; l'indépendance , le travail , la vertu ; l'excès de confiance ,
de défiance ; l'imagination exagère les biens et les peines ; nécessité d'armer
son imagination contre la crainte de la mort , de la pauvreté et de l'obs
curité ; secours que peuvent y ajouter la lecture des moralistes ; nécessité
de réprimer et de distraire son imagination dans le malheur ; exemple
de Pélisson .
mens ,
"
SEPTIÈME CHANT. La politique. Moyens que l'imagination a fournis
pour suppléer aux lois ; l'étiquette , les cérémonies publiques , le culte des
morts ; fêtes champêtres dans différens pays ; fètes triomphales ; les monules
tombeaux ; puissance des costumes et des signes .
Huitième chant. Les cultes . La contemplation de l'Etre suprême ,
première source de toute perfection ; origine des divers cultes ; influence
qu'ont eue sur eux les passions , les moeurs et les climats ; union du pouvoir
civil et du pouvoir religieux ; moyens politiques qu'ont offerts les
cultes aux législateurs ; la religion révélée ; l'imagination l'a embellie dans
ses triomphes et l'a soutenue dans ses persécutions ; l'espoir du pardon
mis à côté de la crainte des châtimens ; avantage du christianisme sous ce
rapport ; épisode à ce sujet .
Les dessins du Poëme de l'Imagination ont été confiés à MM. Lebarbier,
Monciau et Myris.
Le dimanche 16 février , le conseil des mines a présenté à S. M.
une médaille , offrant d'un côté l'effigie de l'EMPEREUR, et l'autre le Mont-
Blanc , caractérisé par une géant accroupi sur des rochers ; médaillè exé•
cutée d'après l'idée de M. Denon. Le président a porté la parole en ces
termes :
SIRE,
« Le conseil des mines vient vous présenter l'hommage de son respect ,
de sa fidélité et de sa reconnoissance.
» Tandis que V. M. mettoit le comble à la gloire du grand peuple , Ic
conseil - d'état , d'après ses ordres , préparoit une loi nouvelle sur les
mines ; elle doit remplacer les anciens arrêts , et la loi de 1791 , dont les
dispositions incohérentes entre elles , ne reposent sur aucune base fixe .
Nous sommes persuadés , Sire , que cette loi fera un jour la prospérité
de ceux même dont elle semble aujourd'hui blesser les intérêts . Nous
osons assurer V. M. que , si elle daigne donner à notre administration la
force et les moyens pour exécuter toutes les améliorations que projette le
ministre de l'intérieur, il en résultera un nouveau lustre pour votre Empire.
De tous côtés on extraira du sol de la France , sans nuire à sa surface , des
MARS 1806 . 461
substances minérales nouvelles ; des fabriques nombreuses s'élèveront ;
elles enrichiront le commerce et nous ferons à l'Angleterre une guerre
d'industrie dont elle redoute déjà les effets .
>>
"
Permettez , Sire , que nous ayons l'honneur de vous présenter une
médaille frappée avec le premier argent extrait des mines de plomb de
Pesey ( Mont-Blanc ) , près de laquelle vous avez fondé la première école
pratique des mines . Cette mine, anciennement exploitée par la cour de Savoie,
étoit abandonnée depuis plusieurs années ; nous l'avons prise , en l'an 10,
dans l'état de délabrement le plus déplorable : aujourd'hui tout est rétabli
, tout est en grande activité ; et non- seulement elle couvre ses dépenses
, mais elle donne des bénéfices importans .
» Vous avez bien voulu , Sire , accueillir le projet d'exécution de cette
médaille , qui vous fut proposé par M. Denon. Nous supplions V. M. I.
et R. de vouloir bien en agréer l'hommage , au nom du corps des mines ,
et de lui accorder le titre de corp´s-impérial des mines. »
-
Le bureau de l'Institut ayant été admis le même jour à l'audience de
Sa Majesté , M. Arnault , président de l'Institut , a dit :
SIRE ,
« Permettez- nous , avant tout , de vous exprimer notre reconnoissance
pour les deux faveurs nouvelles dont vous avez honoré l'Institut . Võus
avez défendu que les statues des grands hommes qui décorent la salle de
nos séances , nous fassent enlevées , et vous nous avez permis de placer
au milieu d'elles celle de Votre Majesté : nous vous remercions , Sire ,
de nous conserver nos pénates , ' et de nous autoriser à en augmenter le
nombre . >>
Après ce discours , le président de l'Institut a annoncé à
S. M. que le président de la classe des sciences physiques et
mathématiques desireroit lui faire hommage du sixième volume
des Mémoires de cette classe. S. M. a accueilli avec
bonté ce résultat des travaux d'un corps non moins utile que
célèbre. Plusieurs membres de l'institut ont aussi présenté à
S. M. les ouvrages dont la note suit , et ont de même reçu
un accueil encourageant.
1°. Le tome VI des Mémoires de la classe des sciences ;
1
2º. Le premier volume de la collection des Mémoires des savans étrangers
;
3°. Le premier volume de l'ouvrage intitulé : Base du Système mér
tique , par M. Delambre , faisant suite aux Mémoires de l'Institut .
462 MERCURE DE FRANCE ,
Ces trois ouvrages ont été présentés par M. Legendre , président , au
nom de la classe .
Ensuite M. Legendre a eu l'honneur de présenter en son nom les Nouvelles
Méthodes pour la détermination de l'orbite des comètes , avee
un supplément .
M. Delabillardière a présenté : Novæ Hol'andiæ plantarum specimen,
tome Ier .
M. Arnault la collection de ses Discours sur l'instruction pu
blique.
Le président de la classe des Beaux - Arts , présenté par le président de
l'Institut , a offert à S. M. la cornaline qui a remporté le prix de gravure
en pierre fine , au jugement de cette classe ; elle est l'ouvrage de
M. Thiollier .
MM . Degerando , Dureau de la Malle , Chaudet et Brial , membres
nonvellement admis dans les diverses classes de l'Institut , ont ensuite été
présentés à S. M.
4
- Le Théâtre Français , n'a donné cette semaine aucune
nouveauté. La représentation de Mérope , n'a pas rempli l'attente
des nombreux spectateurs que ce chef-d'oeuvre de Voltaire
avoit attirés. On en accuse généralement la foiblesse du
jeu des acteurs. Aujourd'hui samedi on doit reprendre la¨
Mort de César. On peut assurer d'avance que cette pièce
essentiellement froide , et que le Kain lui-même n'est jamais
parvenu à réchauffer , produira encore moins d'effet que
Mérope.
- Nous avons annoncé il y a quelque temps , la prochaine
représentation sur le théâtre de l'Impératrice , d'une comédie
en trois actes , par un enfant de treize ans. Nous avions ma
nifesté la crainte que ce pénible ouvrage ne fût au-dessus des
forces d'un écolier. L'événement n'a que trop justifié cette
crainte. La pièce a été donnée mercredi dernier ; elle est intitulée
les Trois Noms ou C'est le même. Nul plan , un
dialogue insipide , aucun de ces défauts , qui peuvent faire
concevoir quelqu'espérance. Cependant les camarades de l'auteur,
l'ont demandé à grands cris après la représentation . On
est venu annoncer qu'il se nommoit Edmond Isoard. Les sifflets
l'ont renvoyé chez son maître de pension achever ses
MARS 1806. 463
études. Son instituteur, quelqu'habile qu'il soit , ne lui donnera
jamais de leçon plus utile.
La représentation donnée le 6 mars , au profit de Brunet.
a été aussi glorieuse que pouvoit l'attendre un artiste de ce mérite.
Toutes les loges étoient louées depuis plusieurs jours ; il
ne restoit de place pour les plébéïens qu'au parterre et dans
les galeries. Les deux nouvelles pièces ont eu un succès diffé
rent ; l'une a été applaudie avec l'enthousiasme que demandoit
une aussi grande fête ; l'autre a été accueillie plus froidement ,
mais la présence de Brunet a tout réchauffé. On ne pouvoit se
lasser d'admirer ce grand héritier du génie de Tabarin et Scaramouche.
La recette a été très -abondante , et son produit ,
joint au traitement annuel de vingt mille francs , prouve invinciblement
que les grands talens peuvent espérer une grande
fortune. ( Courrier des Spectacles. )
-On annonce , comme devant paroître très-prochaine
ment , une nouvelle Satire de M. Chénier , membre de l'ins
titut ; elle aura pour titre Epitre à Voltaire.
Il paroît qu'on va relever le théâtre de l'Odéon ; déjà'
les ouvriers y sont occupés à faire les premiers préparatifs .
Cette belle salle sera , dit-on , reconstruite sur le même plan ;
mais elle aura plus de profondeur , et son extrémité s'alignera
avec les maisons de la rue de Vaugirard.
Un décret du 6 contient les dispositions suivantes :
L'alignement arrêté par les plans généraux des embellissemens
de Paris , vis- à-vis la façade du Louvre , rue du Coq , sera
exécuté vis -à-vis l'hôtel d'Angivilliers , en abattant les cours
et jardins sans toucher à l'hôtel . Les maisons situées entre la
rue de Beauvais et la place du Louvre , seront vendues par la
régie de l'enregistrement , pour être démolies avant le 1er novembre
prochain. Il sera ouvert une rue de la largeur de 17
mètres , sur la direction du milieu du palais des Tuileries et
du milieu de celui du Louvre. Les maisons qui se trouvent
sur l'alignement de cette rue , seront démolies , et la rue pavée,
464 MERCURE DE FRANCE ,
er
avant le 1 novembre prochain. La nouvelle rue prendra le
nom de Rue Impériale. Les façades de cette rue seront bâties
sur un plan régulier qui sera proposé par l'architecte du palais
des Tuileries. Il sera élevé un arc de triomphe à la gloire de
nos armées , à la grande entrée du palais des Tuileries , sur le
Carrousel . Cet arc de triomphe sera élevé avant le 1º novembre
; les travaux d'art seront commandés , et devront être
´achevés et placés avant le 1er janvier 1809. .
-Par décret du même jour , 1° . il sera construit un égoût
couvert pour l'écoulement des eaux de la rue Froidmanteau .
2º. Il sera construit un mur de quai dans le prolong ement
du port Saint - Nicolas. 3°. Les murs du quai vis -à - vis le
Louvre seront réparés et élevés.
-S. Ex. le ministre de l'intérieur vient d'adresser aux préfets une nouvelle
circulaire relative à l'exposition du 15 mai prochain ; elle est de la
teneur suivante :
M. le préfet , j'aperçois , par quelques réponses que j'ai déjà reçucs
sur l'exposition des produits de l'industrie , du 25 mai prochain , que le
sens de ma lettre du 15 février n'a pas été exactement saisi par les fonctionnaires
auxquels elle a été adressée , parce qu'on a supposé que cette
exposition devoit avoir lieu sur le même plan que les deux précédentes .
On a cru qu'elle ne devoit recevoir que les produits des manufactures les
plus marquantes qui se distinguent par un caractère particulier , qui
sortent de la classe ordinaire. L'intention de S. M. l'EMPEREUR est ,
au contraire , qu'elle puisse offrir un tableau complet , et , comme j'ai
eu l'honneur de vous le dire , une sorte de carte géographique industrielle
de toute la France ; que toutes les manufactures , sans exception ,
quel qu'en soit le genre , pourvu que , dans leur genre , la fabrication
n'en soit pas mauvaise , et propre à décréditer nos fabriques , soient
admises à concourir . Il est donc indispensable que vous m'adressiez au
moins des échantillons de toutes les fabriques de votre département
jors même que leur activité seroit ralentie , afin que , dans les portiques
qui vous seront réservés , on puisse faire un dénombrement exact et complet
de toutes leurs espèces et du nombre des ateliers.
C'est par cette circonstance , précisément destinée à offrir un spectacle
aussi neuf que grand et instructif , que la prochaine exposition doit être
caractérisée, C'est pour la réaliser que j'ai invoqué tout le concours de
votre
MARS 1806 .
votre zèle , en vous autorisant à employer même la voie des inv
individuelles . Les fabricans ont , dans cette circonstance , un motif de
plus de multiplier leurs envois ; ils n'auront pas seulement pour objet
l'exposition , mais aussi la foire qui doit la suivre , et à laquelle tous les
genres de produits peuvent être admis . Au surplus , si les perfectionnemens
obtenus surpassoient nos espérances , je solliciterois de S. M. l'Eм-
PEREUR d'étendre le nombre des récompenses et des distinctions , de manière
qu'elles puissent embrasser tous ceux qui y auroient acquis des droits
marqués par leurs efforts . Je vous renouvelle , monsieur le préfet , avec
instance , toutes les recommandations que je vous ai faites à ce sujet , et
j'y joins les assurances de ma parfaite considération .
La questure administrative du corps législatif vient de
faire placer une horloge dans son palais. M. Poyet , son arciti
tecte , chargé d'en déterminer le local , a profité de cette cir
constance pour masquer du côté de la cour d'honneur , la vue
désagréable du comble sur lequel porte la lanterne qui é laire
la salle des séances ; c'est ce qu'il a obtenu en élevant.un fromton
qui a procuré la place nécessaire pour établir derrière , cette
horloge. Sur ce fronton MM. les questeurs ont fait peindre ,
par M. Fragonard fils , un bas-relief représentant l'EMPEREUR
enchaînant la Victoire à son trône, avec une guirlande de lauriers
, protégeant la France et renversant ses ennemis , dont un
cherche à rassembler le faisceau de la coalition qui est désuni.
Du côté opposé , l'Abondance , l'Harmonie , les Arts et le
Commerce suivent la Victoire . Ce bas- relief a été peint sur la
pierre qui doit en recevoir la sculpture , afin d'en voir l'effe
d'abord avant de le sculpter, et de pouvoir y faire à volonté
des changemens qui seroient jugés nécessaires.
-M. l'abbé Pierre - François Desmonceaux , ci -devant
pensionnaire du roi , médecin -oculiste , est mort le 4 mars, rue
de Turenne , d'une goutte remontée. Connu par sa piété et sa
charité pour les pauvres , dont tous les matins sa maison étoit
remplie , et qu'il soulageoit avec une affection tendre et le
plus pur désintéressement , il laisse à ses amis les regrets qu'on
doit à l'homme de bien qui , doué de vertus bienfaisantes ,
G S
466 MERCURE DE FRANCE ,
en a donné l'exemple toute sa vie . Il étoit âgé de 72 ans.
--
Il existe en ce moment à Paris , rue de la Limace , nº 20 ,
un enfant de vingt-un mois , qui ne pèse que quatre livres ,
et qui n'a que trente -quatre centimètres ( dix -huit pouces
trois lignes ) de longueur ; il a six dents , dont quatre à la
mâchoire supérieure , deux à l'inférieure. Il est venu au terme
ordinaire de neuf mois. Le père et la mère sont forts et vigoureux.
Le père est porte-faix ; et la mère , qui est trèsbelle
femme , est blanchisseuse. Ils ont eu trois enfans avant
celui- ci , dont deux sont morts et un troisième existant , court
aussi , mais gros et ventru , âgé de quatre ans . Ils ont une fille
qui est en nourrice , et bien portante , venue depuis la naissance
de cet enfant , qui semble promettre une stature singulièrement
petite ; il est d'ailleurs bien proportionné , gai ,
viable ; il rit souvent , mais il n'articule aucun son . Ce fait ,
au reste , rentre dans l'ordre de ceux attestant les écarts particuliers
de la nature ; tel est celui de Nicolas Ferry, né dans les
Vosges , et connu depuis sous le nom de Bébé , ou le nain du
roi de Pologne, auquel il appartenoit en effet. Il n'avoit, quand
il vint au monde , que o mètre 2165 ( 8 pouces ) de long , et ne
pesoit que trois hectogrammes 6714 ( 12 onces ). On le porta
à l'église sur une assiette garnie de filasse : un sabot rembourré
lui servoit de berceau ; sa bouche trop petite ne pouvant admettre
le mamelon de sa mère , une chèvre y suppléa , et sembla
même la remplacer par son affection. Il parla à dix-huit
mois ; il marcha à deux ans , et ses premiers souliers avoient
dix-huit lignes de longueur. A sa mort , qui arriva à près de
vingt-trois ans , il avoit o mètre 8933 ( 35 pouces ) de haut.
Il n'avoit joui d'une bonne santé que jusqu'à quinze ans ; et
le peu de raison qu'il montroit ne s'élevoit pas au-dessus de
l'instinct de certains animaux bien dressés : il étoit venu à sept
mois. M. le comte de Tressan a donné l'histoire d'une famille
composée tour à tour de nains et d'individus d'une taille or—
dinaire l'ainé n'avoit que 34 pouces , le second 28 ; trois
MARS 1806 . 467
frères cadets , suivant à un an de distance , avoient chacun
cinq pieds et demi ; et le sixième enfant , qui étoit une fille ,
avoit 21 pouces. Elle étoit bien faite , jolie et spirituelle , ainsi
que ses frères ; le second sur-tout étoit remarquable par l'élégance
de sa taille , sa force et son esprit : il savoit très- bien
l'arithmétique , l'allemand et le français ; il se livroit avec
adresse à tous les exercices ; il étoit vif dans ses réparties ,
juste dans ses raisonnemens. Tous ces enfans étoient venus
à199 mois.
-
Depuis le 18 février jusqu'au 28 , le baromètre s'est élévé dans
son maximum à 28 p..61g. 6112 .
Il est descendu , dans son minimum å 28 p . 1 lig . 3/12 .
Le thermomètre de M. Chevallier ( dilatation ) s'est élevé dans son
maximun , à 10 degrés 5710 .
Id. , ( dilatation ) dans's n minimum , i deg. 8/ 1ỏ.
L'hygromètré a marqué , dans son maximum , 99 d.
Et, pour le minimum , 85.
-
La température que nous avons décrite il y a deux mois , continue
de dominer ; ainsi le régime alimentaire et médical , que nous avons tracé
à cette époque , a pu être à la fois curatif et préservatif ; si l'on excepte
une courte et vive gelée , le temps , loin de varier , depuis la mi -décembre
, n'a présenté qu'une température douce , molle et tiède : de lå
pluie , du vent , des brouillards , peu de soleil ; des catharres , des paralysics
, des apoplexies , des affections glandulaires , des diathèses scorbutiques
, quelques péripneumonies ; tel est en racourci le tableau de l'atmosphère
et des maladies . Si l'on a remarqué quelques fluxions de poitrine
très -aiguës , et d'une marche très- rapide , on a sur-tout observé
aussi que des phthisies pulmonaires , inactives depuis long-temps , cnt
éprouvé tout-à -coup une accélération très- prompte dans leur progression ;
et nous avons vu beaucoup de ces malades qui sembloient , sous la foi
d'un catharre chronique ou d'un asthme , avoir des droits à quelque longévité
, obéir subitement à l'influence de l'atmosphère , et perdre la vie
en très- peu de temps , si l'on n'a pas cu la précaution d'opérer aussitôt une
diversion humorale par l'application d'un vésicatoire ou d'un cautère :
d'autres ayant des engorgemens , soit des glandes mésentériques , soit
du foie , ont éprouvé une fonte colliquative qui les a rapidement entraînis
au tombeau. C'est ainsi que nous avons perdu l'auteur du Vieux
Célibataire , M. Collin d'Harleville . N'accusons de ces désordres que la
macération de la fibre dans un atmosphère humide , et concluons - en que
Gg 2
468 MERCURE
DE FRANCE
,
la médecine et la saine raison se sont accordées pour indiquer un régime
torique , tant alimentaire que médicamenteux .
-
er
( Gazette de Santé , du 1 mars. )
MODES du 5 février. Les fleurs à la mode sont des jacinthes sans
feuilles , ou un brin de lilas . Les touffes de ruhan , sur le devant des
chapeaux , n'offrent plus de pointes , mais des rosettes très- rapprochées.
L'écharpe a pour quelques dames tant de charmes , qu'en négligé , n'en
ayant point pour ceinture , elles en portent une autour de leur chapeau ,
dont les pointes , garnies de franges , viennent caresser leur joue gauche.
On parle , pour les jeunes gens , d'un projet d'écharpe : les habits seroient
à dos et pans carrés.
Les spencers sont en grande vogue. Un habit et une redingote ont la
taille très- étroite ; un spencer l'a fort large.
Aux diamans , aux antiques , aux perles , aux coquilles , il faut ajouter
un nouvel ajustement pour nos dames , c'est une garniture de mosaïques ,
rattachées par des serpens en or ; ces mosaïques représentent ordinairement
des oiseaux . On appelle un écrin complet en ce genre , une volière
de Clarisse.
NOUVELLES POLITIQUES.
Vienne , 17 février.
Voici la lettre que S. M. l'empereur a adressée à l'archiduc
Charles , en le nommant généralissime :
« Mon chère frère ,
"
» Après les malheureux événemens qui se sont passés en
dernier lieu , et la paix obtenue par de si grands sacrifices
il est d'une nécessité indispensable de mettre les forces militaires
de la monarchie dans un état qui réponde à la population
et à la situation des finances , qui se distingue par l'ordre
et la précision , et qui protège d'une manière assurée mes
pays héréditaires. Ma première démarche pour atteindre ce
but , est de vous mettre à la tête de toutes mes armées, en
qualité de généralissime. Lorsque les troupes sauront que ,
dans le cas où je serois forcé de nouveau à la guerre , elles
seront sous votre commandement, cette idée rappellera à ceux
qui ont déjà servi , la gloire qu'ils ont acquise sur le champ de
bataille , dans tant d'occasions , lorsque vous les commandiez ;
elle inspirera aux autres cette confiance dans les talens , la bravoure
et la prévoyance de leur général , qui conduit le plus
sûrement à la victoire. Avec la dignité de généralissime , je
MARS 1806 .
469
vous confere la direction de toutes mes forces militaires en
temps de paix , de manière que le conseil de guerre ainsi que
tous les employés seront sous vos ordres.
>> Je vous ferai connoître encore aujourd'hui ma volonté
d'une manière plus détaillée , par un billet de ma main , qui
déterminera la sphère d'activité qui vous sera particulière ,
ainsi que celle des autorités qui vous seront subordonnées.
J'attends en même temps de vos lumières et de votre zèle
infatigable la formation de plans d'amélioration , ainsi que
les soins les plus efficaces pour leur exécution .
» Vienne , le 10 février 1806. FRANÇOIS. >>
M. le général de Vincent est parti pour Paris ; il y gérera
les affaires de notre cour jusqu'à l'arrivée d'un ambassadeur
de S. M.
PARIS.
Message de Sa Majesté l'EMPEREUR et Roi , au Sénat
« Sénateurs ,
conservateur.
>> Voulant donner une preuve de l'affection que nous avons
pour la princesse Stéphanie, nièce de notre épouse bien- aimée,
nous l'avons fiancée avec le prince Charles , prince héréditaire
de Bade ; et nous avons jugé convenable , dans cette circons→
tance , d'adopter ladite princesse Stéphanie- Napoléon comme
no re fille. Cette union , résultat de l'amitié qui nous lie depuis
plusieurs années à l'électeur de Bade , nous a aussi paru
conforme à notre politique et au bien de nos peuples. Nos
départemens du Rhin verront avec plaisir une alliance qui
sera pour eux un nouveau motif de cultiver leurs relations de
commerce et de bon voisinage avec les sujets de l'électeur.
Les qualités distinguées du prince Charles de Bade , et l'affection
particulière qu'il nous a montrée dans toutes les circons
tances , nous sont un sûr garant du bonheur de notre fille.
Accoutumé à vous voir partager tout ce qui nous intéresse
nous avons pensé ne devoir pas tarder davantage à vous
donner connaissance d'une alliance qui nous est trèsagréable.
» Donné en notre palais des Tuileries , ce 4 mars 1806, »
Signé NAPOLEON.
>
Le sénat , délibérant sur la communication qui lui a été
faite au nom de S. M. l'EMPEREUR et Roi , par S. A. S. le
prince archi- chancelier de l'Empire , dans la séance d'hier ,
relativement à l'adoption de la princesse Stéphanie -Napoléon ,
nièce de S. M. l'Impératrice , et à l'alliance de S. A. I. avec
3
470 MERCURE DE FRANCE ;
le prince Charles , prince héréditaire de Bade , a arrêté qu'il
sera fait au message de S. M. la réponse dont suit la teneur :
«< Sire ,
>> Le sénat reçoit toujours avec une profonde sensibilité
tous les témoignages de la confiance de V. M. I. et R. L'objet
du message relatif à l'adoption de la princesse Stéphanie-Napoléon
et à son mariage avec le prince Charles de Bade , est
un nouveau monument de cette sagesse et de cette prévoyance
qui caractérisent toutes les actions et toutes les pensées de
V. M. Vos peuples , Sire , accoutumés à admirer en vous les
exploits du premier des héros , et les vues du plus grand des
politiques , aiment aussi à partager les sentimens et la joie du
meilleur des pères. Le sénat s'empresse d'offrir à V. M. I. et
R. ses félicitations respectueuses , et il est convaincu que ce
nouvel acte de votre gouvernement paternel , sera un sujet
d'alégresse commun aux deux , rives du fleuve célèbre qui ,
grace à V. M. , après avoir si long- temps séparé la France de la
Germanie , servira désormais à les réunir. »
Le 24 février , M. le maréchal Bernadotte a pris possession
du pays prussien d'Anspach ; S. Ex. a adressé , le même
jour , aux magistrats et aux habitans la proclamation suivante :
Au quartier-général d'Anspach , le 24 fevrier 1806,
En conséquence d'un traité conclu entre la France et la
Prusse , S. M. prussienne a consenti à céder Anspach au roi de
Bavière ; et l'occupation de ce pays, conformément audit traité,
doit être faite par les troupes françaises , au même moment
que les troupes de S. M. le roi de Prusse occuperont le Hanot
vre. Les Prussiens occupant cet électorat , j'ai l'ordre de mousouverain
de procéder à l'occupation d'Anspach. Les revenus
et les ressources du pays seront mis en séquestre pour l'entretien
des troupes qui l'occuperont pendant le temps qui sera
jugé nécessaire. L'armée dont le commandement m'est confié
observera une bonne discipline , et je ferai punir suivant la
rigueur des lois , tout militaire qui s'en écarteroit et qui troubleroit
la tranquillité des habitans. J'ai lieu d'espérer , de mon
côté, que les habitans d'Anspach accueilleront , comme ils le
doivent , les troupes sous mes ordres.
Le maréchal d'Empire , J. BERnadotte.
Le prince Joseph est entré à Naples le 15 février à deux
heures après midi. Il est descendu au palais royal. Il a reçu la
visite des autorités. Il a été satisfait de l'accueil et des sentimens
que le public a manifestés , malgré la crainte qu'on a du
retour de la reine de Naples. Cette femme vindicative , et qui
a fait couler tant de sang , y est excessivement haïe et redoutée.
Le lendemain , le prince a fait afficher la proclamation
"
MARS 1806 .
471
1
de l'EMPEREUR , datée de Schoenbrünn . Cette garantie a fait le
plus grand plaisir a Naples. On sait que l'EMPEREUR n'a jamais
trahi la confiance des peuples. Ainsi , lorsqu'il prévit que les
événemens et la politique l'obligeroient à abandonner Venise ,
il se tint éloigné et ne voulut jamais y entrer ; mais aujourd'hui
que Venise est pour jamais réunie aux états féderatifs de
l'Empire , il s'y rendra à son premier voyage. C'est ainsi qu'à
Vienne , voulant faire la paix avec l'empereur , et non renver
ser l'ancienne monarchie , il écarta les hommes exaltés , et
contint tous ceux dont les sentimens étoient opposés à la race
régnante. Par sa proclamation , il garantit aujourdhui aux
Napolitains leur avenir ; il leur garantit que jamais la maison
de Naples ne régnera sur ce beau royaume. Cette déclaration a
rassuré les plus timides. La reine de Naples avoit tout einporté
, non-seulement les propriétés royales , mais encore ce!-
les des particuliers ; elle a enlevé 10 millions de la banqué , et
ruiné la plupart des familles de Naples. Une frégate , un brick
et quinze bâtimens de transport , chargés de meubles , de fusils ,
etc. etc. , ont été obligés , par la violence des vents , de venir
mouiller sous les batteries des côtes. Ils ont amené , et se sont
rendus aux Français.
Le 16 au matin , jour de dimanche , le prince Joseph est
allé à la messe , qui a été célébrée par le cardinal Ruffo , archevêque
de Naples. Il a fait présent à saint Janvier d'un beau
collier de diamans. Cette cérémonie a excité une vive joie
parmi cette population , qui a la plus grande vénération pour
ce saint.
L'armée française a encore trouvé dans l'arsenal plus de
200 pièces de canon et 200 milliers de poudre.
Une fregate que montoit la reine de Naples a été considérablement
maltraité par la tempête.
L'armée française est en grande marche pour la Calabre.
(Moniteur. )
- Dans une dépêche datée de la rade Simonsbaye , le
3° jour complémentaire de l'an 13 , le contre-amiral Linois
informe S. Ex. le ministre de la marine , qu'ayant appareillé
de l'Isle-de-France , le 2 prairial de la même année , avec
le Marengo et la frégate la Belle-Poule seulement , il a fait
dans les mers des Indes une croisière de 114 jours , dont le
résultat a été la perte pour les Anglais de deux forts vaisseaux
de la compagnie des Indes , dont l'un a été pris , et l'autre
forcé de s'échouer. Le bâtiment perdu est le contre- ship la
Sarah , de 1000 tonneaux , armé de 30 canons ou caronades ,
chargé de coton , parti de Bombay pour la Chine. Lė vaisseau
pris est le Brunswick , du port de 1200 tonneaux , chargé de
1
4.
472 MERCURE DE FRANCE ,
4762 balles de coton , de bois de Sandal , etc. Il venoit aussi
de Bombay, et se rendoit en Chine.
Le 18 thermidor , le contre- amiral soutint contre des forces
très-supérieures un combat d'autant plus glorieux qu'il n'eut
que 8 hommes blessés , et que l'ennemi souffrit beaucoup. Les
forces anglaises consistoient en un vaisseau de 74 , six bâtimens
armés à deux batteries , et quatre autres qui n'en avoient
qu'une , et il n'avoit à leur opposer qu'un vaisseau de même
force et une frégate . Néanmoins , il continua de manoeuvrer
pendant deux jours pour harceler l'ennemi , et chercher à atteindre
les bâtimens qui se sépareroient ; mais la grosseur de
la mer, et la fréquence des bourrasques , le contrarièrent cons
tamment. Comme ses provisions d'eau étoient totalement épuisées
, il fut contraint de faire route pour le Cap .
le
Dans sa séance du 3 mars , le tribunat a arrêté qu'il
-seroit fait une adresse à l'EMPEREUR , relativement au discours
prononcé hier par S. M. à l'ouverture de la session du corps
législatif , et que cette adresse seroit portée à S. M. I. par
tribunat en corps. Les membres qui forment la commission ,
nommée pour la rédaction de cette adresse , sont MM . Delaistre,
Gallois, Dacier, Gilet-la-Jacqueminière , Chabot ( de l'Allier ),
Chassiron et Duveyrier.
-La gazette de Gênes , du 22 février , contient un décret ,
de S. M. Ï. , rendu au palais des Tuileries le o du même,
mois , par lequel les pouvoirs extraordinaires accordés à l'archi-
trésorier de l'Empire sont rapportés. S. A. continuera de
rester à Gênes avec les mêmes pouvoirs dont jouit S. A. I. le
prince Louis comme gouverneur de la 27 ° division militaire .
Les habitans de Gênes se félicitent de cette mesure , et expriment
le regret qu'ils auroient eu si la paix , en consolidant leur
réunion , les avoit privés de l'administrateur auquel ils doivent
l'organisation qui les assimile aux autres départemens de l'Empire
français.
-
Le Code Napoléon sera mis en vigueur dans les pays
vénitiens , au 1 avril prochain.
-
•
Le prince électoral de Bade est arrivé à Paris le 2 mars
à dix heures du soir. Il est descendu au palais des Tuileries .
Il a été présenté le lendemain à l'EMPEREUR et à l'Impératrice,
et a dîné avec Leurs Majestés. S. A. S. électorale est accompagnée
de MM. le colonel de Roder , chambellan ; le capitaine
de Grosseman , aide-de-camp , et le référendaire intime
Klüber.
— Par décret du 28 février , S. M. a nommé membres du
chapitre de Saint - Denis : MM. Dumoustier de Merinville ,
ci-devant évêque de Chambéry ; Chabot , ci - devant évêque
MARS 1806 .
473
de Mende ; Bexon , ci- devant évêque de Namur ; André ,
ci-devant évêque de Quimper ; et de Girac , ancien évêque
de Rennes.
-- Il sera établi à l'école polytechnique une chaire de
grammaire et belles- lettres. M. Andrieux , membre de l'Institut
, est nommé instituteur pour cette chaire.
M. Poisson est nommé à l'une des places d'instituteur
d'analyse , vacante à l'école polytechnique , par la démission
de M. Fourrier , préfet du département de l'Isère .
-Les administrateurs- généraux des poudres et salpêtres de
l'Empire pourront désormais autoriser la mise en jugement
des préposés qui leur sont subordonnés , sans qu'il soit besoin'
de recourir au conseil d'état.
ет
-- A dater du 1 janvier 1807 , les religieux et religieuses
des états de Parme et de Plaisance jouiront de la même pension
qui a été accordée par le décret du 28 thermidor an 10,'
aux religieux et religieuses des départemens du Pô , de Marengo
, de la Doire , de la Sesia , de la Stura et du Tanaro .
Par décret du 28 février , les tabacs en feuilles venant de
l'étranger , sur bâtimens français , ne paieront que 180 francs
par quintal décimal .
--
l'ar décret du 4 mars , il será perçu aux entrées de Paris
les taxes ci-après sur les boissons qui y arriveront , savoir :
vins et vinaigres et lies claires , 16 fr. 50 cent. pr hectolitre
bierre , à l'entrée , 5 fr.; cidres ou poirées , à l'entrée , 5 fr.
Ces produits seront affectés aux travaux du pavé et autres de
la ville de Paris.
―
Un décret du même jour ordonne ce qui suit :
Les droits d'entrée seront , à compter de la publication du
présent décret , perçus sur les marchandises désignées en l'ar
ticle suivant , conformément au tarif y porté : Cacao , 200 fr.
par quintal métrique; cacao venant des colonies françaises, pour
droit d'entrée , 6 fr. , et pour droit de consommation , 169 fr .
Café , 150 fr.; café venant des colonies françaises , pour
droit d'entrée, fr. , et pour droit de consommation , 119 fr.
Poivre , 150 fr.; idem venant des colonies françaises , 155 fr .
Sucre brut , 55 fr .; idem venant des colonies françaises ,
45 fr. Sucre tête et terré , 100 fr.; idem venant des colonies
françaises , 80 fr. - Thé , de quelque pays qu'il vienne , 3 fr.
par kilogramme,
Plus un droit additionnel de 10 pour 100 de la valeur.
Le3 de ce mois la cour de justice criminelle de Paris a jugé
l'affaire des héritiers du duc de Looz ; elle a condamné les
nommés Flachat et Charpentier , comme coupables d'escroquerie
, le premier à une année d'emprisonnement et 2000 fr ,
4
:
474 MERCURE DE FRANCE ,
d'amende ; l'autre , à six mois et à 1000 fr. Elle a acquitté de
toute accusation les sieurs Novaro et Cavelier , et a " par son
arrêt , déclaré nuls et frauduleux les actes passés à Rhena le 5
mars 1803.
CORPS LÉGISLATIF.
Session de 1806. - Dimanche 2 mars.
L'ouverture du corps législatif s'est faite aujourd'hui avec
le plus grand éclat. A midi un quart , l'Empereur est sorti de
son palais , a traversé le jardin des Tuileries , et s'est rendu au
palais du corps législatif dans l'ordre indiqué par le cérémonial.
Après s'être reposée pendant environ 20 minutes dans les
appartemens du président , S. M. , précédée de la députation
des membres du corps législatif, qui étoit allée la recevoir aux
portes extérieures du palais , est entrée dans la salle des délibérations
, aux acclamations des spectateurs qui remplissoient
les tribunes. L'EMPEREUR a pris place sur son trône. Après les
premiers momens d'enthousiasme , le prince archichancelier
de l'empire , s'avançant au bas des cinq marches du trône , demande
à S. M. la permission de lui présenter successivement
les membres du corps législatif nouvellement élus , et de les
admettre à prêter serment . Un questeur fait l'appel des nouveaux
membres , qui montent sur une tribune placée au milieu
du parquet , et y prononcent le serment ainsi conçu : Je jure
obéissance aux constitutions de l'Empire , et fidélité à
l'Empereur.
L'appel terminé , et tous les membres ayant prêté le serment
, l'EMPEREUR se lève et prononce le discours suivant.
« Messieurs les députés des départemens au corps législatif ,
messieurs les tribuns , et les membres de mon conseil d'état ,
depuis votre dernière session , la plus grande partie de l'Europe
s'est coalisée avec l'Angleterre. Mes armées n'ont cessé de
vaincre que lorsque je leur ai ordonné de ne plus combattre.
J'ai vengé les droits des états foibles , opprimés par les forts.
Mes alliés ont augmenté en puissance et en considération ; mes
ennemis ont été humiliés et confondus ; la maison de Naples
a perdu sa couronne sans retour ; la presqu'île de l'Italie toute
entière fait partie du grand Empire. J'ai garanti , comme chef
suprême , les souverains et les constitutions qui en gouvernent
les différentes parties.
>> La Russie ne doit le retour des débris de son armée ,
qu
'au bienfait de la capitulation que je lui ai accordée. Maître
de renverser le trône impérial d'Autriche , je l'ai raffermi. La
MARS 1806.
475
conduite du cabinet de Vienne sera telle , que la postérité ne
ine reprochera pas d'avoir manqué de prévoyance. J'ai ajouté
une entière confiance aux protestations qui m'ont été faites
par son souverain. D'ailleurs , les hautes destinées de ma couronne
ne dépendent pas des sentiniens et des dispositions des
cours étrangères . Mon peuple maintiendra toujours ce trône à
l'abri des efforts de la haine et de la jalousie ; aucun sacrifice
ne lui sera pénible pour assurer ce premier intérêt de la
patrie.
>> Nourri dans les camps , et dans des camps toujours triomphans
, je dois dire cependant que, dans ces dernières circonstances
, mes soldats ont surpassé mon attente ; mais il m'est
doux de déclarer aussi que mon peuple a rempli tous ses devoirs.
Au fond de la Moravie , je n'ai pas cessé un instant d'éprouver
les effets de son amour et de son enthousiasme. Jamais
il ne m'en a donné des marques qui aient pénétré mon coeur
de plus douces émotions. Français ! je n'ai pas été trompé dans
mon espérance. Votre amour , plus que l'étendue et la richesse
de votre territoire , fait ma gloire. Magistrats , prêtres ,
citoyens , tous se sont montrés dignes des hautes destinées de
cette belle France , qui depuis deux siècles est l'objet des
ligues et de la jalousie de ses voisins.
» Mon ministre de l'intérieur vous fera connoître les événemens
qui se sont passés dans le cours de l'année . Mon conseil
d'état vous présentera des projets de lois pour améliorer les
différentes branches de l'administration. Mes ministres des
finances et du trésor public vous communiqueront les comptes
qu'ils m'ont rendus , vous y verrez l'état prospère de nos
finances. Depuis mon retour , je me suis occupé sans relâche
de rendre à l'administration ce ressort et cette activité qui
portent la vie jusqu'aux extrémités de ce vaste Empire. Mon
peuple ne supportera pas de nouvelles charges , mais il vous
sera proposé de nouveaux développemens au système des
finances , dont les bases ont été posées l'année dernière. J'ai
l'intention de diminuer les impositions directes qui pèsent uni-'
quement sur le territoire , en remplaçant une partie de ces
charges par des perceptions indirectes .
>>Les tempêtes nous ont fait perdre quelques vaisseaux après
un combat imprudemment engagé. Je ne saurois trop me louer
de la grandeur d'ame et de l'attachement que le roi d'Espagne
a montrés dans ces circonstances pour la cause commune. Je
desire la paix avec l'Angleterre. De mon côté , je n'en retarderai
jamais le moment. Je serai toujours prêt à la conclure ,
en prenant pour base les stipulations du traité d'Amiens,
Messieurs les députés du corps législatif, l'attachement que
476 MERCURE DE FRANCE ,
vous m'avez montré , la manière dont vous m'avez secondé
dans les dernières sessions ne me laisse point de doute sur
votre assistance . Rien ne vous sera proposé qui ne soit nécessaire
pour garantir la gloire et la sûreté de mes peuples. »
N B. L'Impératrice assistoit à cette séance , dans une tribune
richement décorée , vis-à-vis le trône de l'EMPEREUR..
Elle avoit à sa droite , les princesses Murat et Louis ; à sa gauche
, le jeune prince royale de Bavière ; les dames d'honneur
étoient rangées en cercle au fond de la tribune. L'EMPEREUR
et l'Impératrice sont sortis en même temps , et ont recueilli
partout sur leur passage les témoignages les plus éclatans.
d'amour et de respect.
Séance du 4.
-Le corps législatif a nommé quatre vice - présidens ce
sont MM. Golzard , Reynaud-Lascours, Noguez et Beauchamp .
Séance du 5.
Son Excellence le ministre de l'intérieur , accompagné des
conseillers d'état Bigot-de-Préameneu et Cretet , fait l'exposé
de la situation de l'Empire. Après avoir d'abord appelé l'attention
de l'assemblée sur les derniers travaux de S. M. , qui
sont pour l'Europe un sujet d'étonnement , pour la France un
sujet d'admiration et d'amour , l'orateur trace le tableau de la
situation intérieure de l'Empire , à partir des derniers momens
de la précédente session , jusqu'au premier jour de la session .
actuelle.
La généralité des citoyens oc cupés aux travaux qui leur sont
offerts en tout genre , les magistrats voués à leurs importans
devoirs , des entrepôts établis sur divers points de l'Empire ,
des routes percées à travers les Alpes , les Apennins ; des lois
heureusement imposées à la nature pour faciliter les communications
entre les départemens et les peuples voisins , des marais
desséchés , des ponts les plus hardis, jetés sur les fleuves ;
des moles , des jetées , établis dans divers ports; un monument
qui s'élève dans la plaine de Marengo ; un lycée , un évêché ,
des tribunaux fondés dans la ville de Turin , le vou de Gênes
réalisé , des distinctions flatteuses accordées à ses principaux.
habitans ; Parme , Plaisance jouissant d'un code de loi et
d'un système d'administration assortis aux lumières du
siècle une insurrection , excitée sur les prétextes les .
plus frivoles , étouffée par des mesures aussi sages que rapides
; l'Italie se reposant de ses longues agitations dans le
calme de la monarchie ; les projets contre l'Angleterre suspendus
un moment pour dissiper la ligue excitée par elle ;
l'armée s'élançant des bords de la Manche aux rives du Rhin ,
paroissant presqu'au même moment à Ulm , à Vienne , à
9
MARS 1806. 477
"
Austerlitz , revenant en ce moment aux lieux qu'elle á quittés
il y a quelques mois , et devenue un nouvel objet de
terreur pour l'Angleterre ; l'EMPEREUR alliant au soin de
venger par les armes la gloire de son peuple , au soin de
consolider sa félicité intérieure par ses décrets datés d'Ulm ,
de Munich , de Schoemberg , de Brunn , d'Austerlitz ; le peuple
de Paris et de la France entière , se montrant jaloux d'obéir
aux lois du souverain absent , et de suppléer pour le maintien
du bon ordre , les troupes parties pour le défendre ,
le dévouement des conscrits , leur crainte d'arriver sur le
théâtre de la guerre trop tard pour en partager les
dangers et la gloire ; les monarques vaincus , traités avec générosité
et modération la puissance de nos fidèles alliés
augmentée ; l'Italie , cette noble fille de la France , recueil-
Fant les plus précieux fruits de la guerre , la paix assurée
aux paisibles habitans des montagnes du Tyrol , le souvenir
affectueux du monarque pour sa bonne ville de Paris , la
cathédrale de la capitale remplie et décorée d'enseignes offertes
au peuple qui se préparoit à seconder son EMPEREUR ,
le peuple de Paris se préparant à célébrer la gloire des armées
françaises par une fête triomphale ..... ; les compagnies de
réserve se formant au métier de la guerre en la faisant aux
brigands de l'intérieur ; le mont Genève ouvrant dans son
sein une communication abrégée entre l'Espagne et l'Italie
le canal Napoléon unissant le Rhin au Rhône , quantité
d'autres canaux multipliant des débouchés pour les produits
de l'agriculture , de l'industrie et du commerce.
Des ports militaires creusés et fortifiés, entr'autres le port de
Bonaparte , qui sera sur la Manche la terreur de l'Angleterre ,
trois lignes télégraphiques établies , des récompenses accordées
aux ingénieurs qui ont fait preuve de zèle et de talent , Napoléon-
Ville ( dans la Vendée ) présageant à sa naissance les
hautes destinées attachées à son nom , la capitale plus embellie
en une année qu'elle le fut dans un demi-siècle , un
nouveau quartier se composant d'édifices élevés sur des dessins
uniformes , destinés à le décorer , un' pont jeté à l'autre,
extrémité de Paris , et portant le nom d'Austerlitz ,
comptabilité régularisée , le Mont - de- Piété sauvant le
de l'usure dévorante , les prisonniers de guerre secourus moitié
par l'assistance du gouvernement , moitié par la bienfaisance
individuelle , le calendrier de la révolution sacrifié à
l'ancien calendrier plus favorable aux relations commerciales
et politiques des autres peuples , l'institution de l'uniformité
des poids et mesures conservée pour l'intérêt du commerce
général , les harras acquérant de nouvelles ressources
•
la
478 MERCURE DE FRANCE ,
de la rétrocession de leurs terrains , le Dictionnaire de l'Aca⭑
démie achevé , et devenant un des monumens du siècle de
Napoléon , l'école polytechnique remplissant sa brillante destination
, l'école militaire de Fontainebleau parée de quelquesuns
des lauriers cueillis en Allemagne , l'heureux effet des lois
sur les douanes protégeant nos manufactures , nos flottilles conservées
intactes , notre marine redoublant d'ardeur , et brûlant
du desir de réparer les pertes de quelques vaisseaux , les côtes
de la Manche se recouvrant des bataillons vainqueurs à Austerlitz
, l'empereur d'Autriche soumis au besoin de la paix
le sentiment de sa conservation , l'intention de la France
de profiter des moyens qui la rapprochent de l'empire ottoman
pour le soutenir , et faire respecter l'indépendance de cet
ancien allié , bien loin d'y porter atteinte , comme la jalousie
de nos ennemis nous en suppose le projet ridicule : tels
sont les principaux traits du grand tableau présenté par
S. Ex. le ministre de l'intérieur.
par
M. le président répond : M. le ministre de l'intérieur et
MM . les conseillers d'état , la présence et les paroles de
l'EMPEREUR avoient laissé dans ces lieux des impressions profondes
qui se réveillent quand vous nous parlez de lui. Nous
devions être accoutumés aux prodiges ; mais les derniers exploits
du vainqueur d'Austerlitz ont pourtant surpris ceux qui
l'admiroient le plus , comme s'ils ne le connoissoient pas encore.
Il ne fut donné qu'à lui de renouveler toujours l'admiration
qui sembloit être épuisée . Mais tant de triomphes
ne sont aujourd'hui qu'une partie de sa gloire .
&
L'homme devant qui l'Univers se tait , est aussi l'homme
en qui l'Univers se confie. Il est à la fois la terreur et l'espérance
des peuples. Il n'est pas venu pour détruire , mais
pour réparer. Au milieu de tant d'états où la vigueur manquoit
à tous les conseils et la prévoyance à tous les desseins , il a
montré tout-à-coup ce que peut un grand caractère ; il a
rendu à l'histoire moderne l'intérêt de l'histoire ancienne, et ces
spectacles extraordinaires que notre foiblesse ne pouvoit plus
concevoir. Dès les que sages le virent paroître sur la scène du
monde , ils reconnurent en lui tous les signes de la domination
, et prévirent que son nom marqueroit une nouvelle
époque de la société. Ils se gardèrent bien d'attribuer à la
seule fortune cette élévation préparée par tant de victoires
et soutenue par une si haute politique. La fortune est d'ordinaire
plus capricieuse ; elle n'obéit si long- temps qu'aux
génies supérieurs . Qui ne reconnoît l'ascendant de celui qui
nous gouverne ? Puissent les exemples qu'il donne à l'Europe
n'être pas perdus , et que tout ce qu'il y a de gouvernemen
MARS 1806 . 479
éclairés sur leurs véritables intérêts se réunisse autour du sien ,
comme autour d'un centre nécessaire à l'équilibre et au repos
général!
Mais quelle que soit au-dehors la renommée de nos armes
et l'influence de notre politique , le corps législatif craindroi
presque de s'en féliciter , si la prospérité intérieure n'en étoit
pas la suite nécessaire. Notre voeu le plus cher est pour le peuplet
nous devons lui souhaiter le bonheur avant la gloire. Ce voeu
qui est la première pensée de l'EMPEREUR , sera rempli. Nous
en avons pour garant ses promesses , dont nous voyons déjà
l'accomplissement dans le tableau que vous avez développé.
Le système des finances va devenir plus simple , le revenu
public s'accroîtra , et le peuple sera soulagé. Le même esprit
anime tout ; et lorsque nous entendions rappeler tant de travaux
prequ'aussitôt achevés qu'entrepris , les canaux ouverts dans
les campagnes , les chemins tracés sur les sommets des Alpes ,
les hospices enrichis par l'économie et la probité , les temples
réparés , les villes embelliés , chacun de nous songeoit au ministre
digne de concourir , par ses lumières et son zèle , aux
bienfaits d'une administration si sage et si puissante.
le
M. le ministre de l'intérieur , MM . les conseillers d'état ,
corps législatif vous donne acte de l'exposé que vous venez
de lui faire. Il se formera en comité général pour s'occuper
de cette communication.
Le corps législatif ordonne l'impression à six exemplaires
de l'exposé de M. Champagny et de la réponse de M. le président.
Après ce discours , M. Sapey de la Tour- du-Pin a demandé
qu'une députation se rendit auprès de S. M. pour lui témoi
gner la reconnoissance du corps législatif pour le don qu'Elle
lui a fait des drapeaux conquis à la bataille d'Austerlitz, et lui
exprimer les sentimens du peuple français pour son libérateur
et son monarque. La proposition de M. Sapey est adoptée
à l'unanimité. Nous regrettons de ne pouvoir citer le discours
de cet orateur et celui prononcé par M. Janet ( du Jura. )
Dans l'un et l'autre on trouve cette éloquence qui tient à la
conviction , et cette simplicité à laquelle on est réduit lorsqu'il
faut parler d'actions si grandes qu'il suffit de les rappeler
pour exciter l'enthousiasme et la reconnoissance.
Séance du & mars.
Les orateurs du conseil d'état , MM. Regnault ( de Saint-
Jean -d'Angely ) et Deleau , communiquent au corps législatif
l'acte de réunion de la république ligurienne à l'Empire
français , ainsi que le sénatus- consulte qui a nommé pour
l'année 1806 'seulement , les députés de Gênes , de Montenotte
et des Apennins. M. Regnault fait précéder cette commun480
MERCURE DE FRANCE ,
cation d'un discours dans lequel il expose les causes , les
circonstances et les résultats de la réunion de Gênes.
MM. Bonnot , Blanc , Soret et Gauthier , sont nommés
secrétaires du corps législatif.
Seance du 7. 2.
M. le conseiller d'état Pelet ( de la Lozère ) présente un
projet de loi dont voici les dispositions :
Les propriétaires de la ville de Mayence , département du
Mont-Tonnerre , et les villages de la banlieue , appelés Weisseneau
, Lanbenheim , Bodenheim , Zalboch , Bretzenheim ,
Gunzenheim , Monbach et Marienborn , dont les maisons ont
été détruites par l'effet de la guerre , et qui les ont fait ou
feront rebâtir , seront exempts de toute contribution foncière
sur ces maisons pendant dix ans. Pour jouir de cette exemp
tion , chaque propriétaire sera tenu de justifier , avant la fin
de l'an XIV, que son bâtiment est élevé de deux mètres , au
moins , au-dessus du sol .
M. le conseiller d'état Begouen succède à son collègue , et
présente aussi un projet de loi tendant à accorder la même
exemption aux propriétaires de la commune d'Argentone
Château ( Deux -Sèvres ) , dont les maisons ont été détruites
par la guerre civile , et qui les feront rebâtir.
MM . Pelet et Bégotten , en exprimant les motifs de ces deux
projets , ont particulièrement fait observer que ces deux
villes se sont attiré leurs désastres par l'attachement qu'elles
ont montré à la cause commune , qu'il est juste qu'elles en
reçoivent pour récompense une indemnité flatteuse dans l'im
manité demandée en leur nom ; qu'il est même intéressantque
l'étranger , on mettant le pied sur le sol français , auxportes
de Mayence , n'y rencontre plus de décombres ; que
l'image des tombeaux cesse d'attrister même les lieux les plus
obscurs de l'Empire , et qu'Argenton brille aussi de l'éclat du
règne de Napoléon . Ces deux projets de loi seront adressés au
tribunat , et seront discutés le 17.
La fin de la séance est consacrée à un scrutin secret pour
l'élection de deux membres de la questure , en remplacement
de MM. Terrasson et Delaitre , dont les fonctions ont cessé
cette année. M. Despalières ayant seul réuni la majorité
absolue , est proclamé membre de la questure. L'élection de
l'autre est remise à demain.
Le corps législatif transmet, selon l'usage , la liste des
membres qu'il a perdus , dans la dernière session , soit për
nort , soit par démission. La voici : MM . Chirmer , Manière ,
Catouard et Brelivet , décédés , et Maquer , démissionnaire .
Demain des orateurs du gouvernement viendront proposer
un projet de loi.
( N° CCXLIII. )
( SAMEDI 15 MARS 1806. )
cen
MERCURE
DE FRANCE.
POÉS I E.
FRAGMENT
DU VIII CHANT DU POEME DE L'IMAGINATION,
IES climats même , enfin , ont aussi leur puissance .
L'habitant des rochers ou des marais fangeux ,
Sur les monts , dans les eaux pense trouver ses dieux ;
Mais sous un ciel plus pur les fils des Zoroastres
Adorent à genoux le roi brillant des astres.
Que dis-je ? O dieu du jour , est- il quelques mortels
Qui ne t'aient consacré des temples , des autels ?
La Perse t'encensa , le Tartare t'adore
Ton triomphe commence où commence l'aurore ,
Et s'étend aux lieux même où ton char n'atteint pas
Le Sarmate t'invoque au milieu des frimas ;
Et , t'adressant de loin son cantique sauvage ,
Le Lapon tout transi t'offre aussi son hommage,
Ainsi , des noirs frimas au ciel le plus ardent ,
Et du berceau du jour aux portes d'occident ,
Loué par le regret ou la reconnoissance ,
Tout bénit tes bienfaits ou pleure ton absence.
Ah , si l'homme est coupable en adorant tes feux,
Tes éternels bienfaits deinandent grace aux eieux !
Eh , qui méritoit mieux d'usurper notre hommage,
Que cet astre , des Dieux la plus brillante image,
Qui dispense les ans , la vie et les couleurs ,
Enfante les moissons , murit l'or, peint les fleurs ,
Hh
482 MERCURE DE FRANCE ,
* Jusqu'aux antres profonds fait sentir sa puissance ,
Revêt les vastes cieux de sa magnificence ,
De saison en saison conduit le char du jour,
Nous attriste en partant , nous charme à son retour,
Eclaire , échauffe , anime , embellit et féconde ,
Et semble en se montrant réproduire le monde ?
Ame de l'univers , source immense de feu ,
Ah , sois toujours son roi , sí tu n'es plus son dieu !
Plaisirs , talens , vertus , tout s'allume à ta flamme :
Le jeune homme te doit les doux transports de l'ame ,
Et le vieillard dans toi voit son dernier ami.
Eh bien , astre puissant, contre l'âge ennemi ,
Protège donc mes vers , et défends ton poète !
Verse eucor, verse-moi cette flamme secrète ,
Le plus pur de tes feux , le plus beau de tes dons ;
Encore une étineelle , encor quelques rayons ;
Et que mes derniers vers pleins des feux du jeune âge,
De ton couchant pompeux soient la brillante image.
J. DELILLE.
ODE SUR LA VIEILLESSE.
QUE Minos jette dans son urne
Les noms des vulgaires mortels;
Muses , vos fils bravent Saturne
A l'ombre de vos saints autels !
En vain s'échappe la jeunesse ;
Mon ame trompe la vieillesse ,
Ma pensée est à son printemps :
Sa fleur ne peut m'être ravie;
Et même, en exhalant ma vie,
Je ne meurs point : je sors du temps.
La nuit jalouse et passagère
Dont la Parque ombrage nos yeux ,
N'est qu'une éclipse mensongère
D'où l'esprit sort plus radieux .
Ainsi la nymphe , transformée
En chrysalide inanimée
Que voilent de sombres couleurs ,
Prépare ses brillantes ailes ,
Et ce front paré d'étincelles
Qu'adore la reine des fleurs,
MARS 1806. 483
Ce vieillard qui charmoit la Grèce ,
Cet Anacréon si vanté,
Dans la coupe de l'alégresse
Sut boire l'immortalité ;
Jeune de verve et de pensée,
Sa vieillesse füt caressée
Par les Muses et les Amours ;
Son hiver eut des fleurs écloses ,
Son front se couronna de roses ;
Et ces roses vivent toujours.
Mais du chantre heureux de Bathylle
La verte et brillante saison
Ne fut qu'une suite stérile
De printemps obscurs et sans nom .
Lui-même voilà son jeune âge,
Sûr de l'immortel badinage
Dont il ménageoit le flambeau :
Il a reculé sa mémoire ,
Et sembla nattre pour la gloire
Aux portes mêmes du tombeau.
Telle, quand la prodigue Florè
A vu flétrir ses doux présens,
Dons stériles qu'en vain l'Aurore
Humeatoit de pleurs bienfaisans ,
La sage et tardive Pomone
Ose confier à l'Automne ,
Voisin des farouches hivers ,
Ces fruits dont la riche corbeille
Brave les larcins de l'abeille ,
Et le souffle glacé des airs.
.
"
Ou tel , des grappes colorées
Le feu liquide et pétillant
Vieillit , loin des coupés dorées,
Au sein pur d'un cristal brillant.
Loin que son âge le consume ,
Riche du temps qui le parfume
Il devient ce jus précieux ,
Cette liqueur à qui tout cède ,
Même celle que Ganymède
Versoit à la table des Dieux.
M. LE BRUN, membre de l'Institut.
Hh 2
184 MERCURE
DE FRANCE
,
ENIGM E.
POUR me loger je n'ai besoin d'autrui :
Aussi , chez moi je ne souffre personne ;
Et sous mon toit si quelqu'un s'introduit ,
C'est quand j'y meurs , ou quand je l'abandonne .
Dans ce solide et singulier abri ,
Je brave tout, vent , frimas , pluie et grêle;
A me fermer , si le froid me réduit ,
Jusqu'au retour de la saison nouvelle ,
Sans art , sans peine , et sans aucun apprêt ,
Tout simplement je clos ma solitude ;
Et là, je prends , exempt de tout regret ,
Du jeûne et du repos l'économe habitude.
LOGOGRIP HE.
JE disposois jadis de la nature entière ,
Et j'inspirai long-temps le respect et l'effroi ;
Mais aujourd'hui , lecteur, plains -moi ,
Je ne puis renverser la plus foible chaumière.
Pris en détail , mes huit pieds te font voir
Une ville aux confins d'Italie et de France ;
Chez les Orientaux un homme de savoir ;
D'un marchand le flatteur espoir ;
L'objet dont un amant desire la présence ; ·
Une prison ; ce qui fait ma puissance ;
Et ce qu'on tend pour recevoir.
CHARADE.
VERS soixante ans on devient mon premier :
Il n'est plus alors d'espérance
Que l'on obtienne mon dernier ,
A moins que ce ne soit de la reconnoissance ;
Mais pour celui qu'un tendre sentiment
Place sur des lèvres de rose ,
Il est fait pour le jeune amant ,
Pour qui le coeur parle et dispose.
Les enfans de mon tout , dans les airs, emportés,
Restent collés au sein dont ils sont allaités.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Cartouche ,
Celui du Logogriphe est Fantasmagorie , formant un acrostiche.
Celui de la Charade est Sou-ris.
MARS 1806. 485
La Navigation , poëme ; par J. Esménard. - Seconde
édition en un seul volume , où les VIII chants de la
première édition en deux volumes sont réduits en
VI chants. Volume in-8° . pap . fin , 2 figures ;
prix : 6 fr. Le même , pap. vélin superfin , 14 fr.
A Paris , chez Giguet et Michaud, libraires , rue des
Bons - Enfans ; et chez le Normant, rue des Prêtres
Saint-Germain- l'Auxerrois , nº 17%
СЕТ
ET ouvrage parut pour la première fois il y a environ
un an, et il annonça au public un poète qui promettoit
encore de beaux jours aux lettres françaises.
Des critiques éclairés élevèrent différentes objectionssur
la marche générale du poëme , mais s'accordèrent
tous à louer les nombreuses beautés dont il brilloit dans .
ses détails ; et pour que l'auteur n'eût rien à desirer ,
des épigrammes , des satires et des injures vinrent
l'avertir que l'impuissante médiocrité prenoit déja
ombrage de ses succès. Des hommes qui , s'il leur
restoit quelque pudeur , au lieu de faire ressouvenir
de leur existence par des satires , s'applaudiroient de
partager l'oubli où leurs ouvrages sont tombés , s'efforcèrent
de rabaisser un talent qu'ils ne pouvoient
égaler . Tel est l'accueil réservé à ceux que de rares
dispositions et un desir de gloire qui les accompagne
presque toujours entrainent dans la carrière orageuse
des lettres des spectateurs attentifs observent tous
leurs mouvemens ; les uns pour éclairer leur marche ,
les autres pour les décourager dès leurs premiers pas..
Toutefois une réflexion autorisée par une constante
expérience , doit les rassurer une critique juste et
lumineuse peut influer utilement sur l'opinion du
public , l'empêcher de s'égarer , håter en un mot le
jugement sans appel que le temps ne manque jamais
de prononcer ; une critique passionnée retardera
3
486 MERCURE DE FRANCE ,
à l'anéantin succès mérité , mais ne réussira jamais
à l'anéantir ; et il est aussi impossible à l'esprit de
parti de faire tomber dans l'oubli un bon ouvrage ,
que d'en soutenir un mauvais. Les exemples ne manqueroient
pas à l'appui de cette assertion. Quand le
grand poète qui , dans ce temps de stérilité , soutient
presque seul l'honneur de notre littérature , publia
pour la première fois la traduction des Géorgiques ,
un écrivain fameux par l'exagération de ses critiques
, ne s'efforça-t-il pas de marquer du sceau de
la médiocrité cette belle production ? Quand le
même poète , au lieu de perdre son temps à lui
répondre , sut prendre une place distinguée parmi
les auteurs originaux , en composant le poëme des
Jardins , la critique ne redoubla-t- elle pas d'animosité
pour rabaisser ce nouvel ouvrage bien au- dessous
de cette traduction , d'abord si décriée ? Cependant
, en dépit de tant de satires , les Géorgiques
sont aujourd'hui un ouvrage classique ; et si l'on
peut faire aux Jardins de justes reproches , sous le
rapport du plan , ce poëme n'en est pas moins placé
dans toutes les bibliothèques , traduit dans toutes les
langues , et relu souvent par tous ceux qui ne sont
pas insensibles aux charmes des beaux vers.
Tel a été le sort de tous les bons ouvrages : tel
sera celui du poëme de la Navigation , aujourd'hui
sur-tout qu'il reparoît sous les yeux du public ,
exempt d'une grande partie des défauts qu'on avoit
relevés dans la première édition. L'un des plus graves
tenoit au trop grand nombre d'épisodes , qui faisoient
perdre de vue le sujet principal . Ce n'étoit
point par l'absence des beautés que péchoit l'ouvrage;
c'étoit plutôt par une surabondance d'orne
mens , qu'il falloit retrancher , ou réduire dans de
plus justes proportions ; et ces sacrifices devoient
particulièrement porter sur les premiers chants. « Je
» reconnois avec mes critiques , dit l'auteur lui-
» même , que ce n'est point sur l'ordre des temps ,
MARS 1806 . 487
»
» mais sur les progrès de la navigation que je devois
régler la marche de mon poëme, et qu'il ne fal-
>> loit point confondre les époques de l'art avec celles
» de l'histoire . J'avois méconnu ce principe dans mes
» trois premiers chants ; car, depuis les voyages des
» Phéniciens jusqu'à la bataille d'Actium , la forme
» des vaisseaux , tant pour la guerre que pour le
» commerce , n'ayant presque différé que par la
» grandeur, et la manière de les diriger étant res-
» tée à- peu - près la même , ces dix siècles n'en
» forment qu'un pour la science de la navigation .
» Le second commence pour elle avec l'usage de la
» boussole et la renaissance des arts. C'est là aussi
» que mon second chant devoit commencer. » Il
étoit d'autant plus nécessaire de corriger cette faute ,
qu'elle influoit sur tout le reste de l'ouvrage : le lecteur
arrivoit déjà fatigué à l'époque où la navigation
, s'ouvrant chez les modernes une bien plus.
vaste carrière , réclamoit de sa part une attention
nouvelle . Il ne falloit pas moins que les détails brillans ,
semés partout d'une main prodigue , pour ranimer
en lui le desir de poursuivre une si longue route.
Heureusement , si ce défaut étoit grave , il étoit facile
à faire disparoître : il a suffi à l'auteur de sacrifier
tous les épisodes qui l'écartoient du but vers
lequel il devoit se hâter. L'ensemble de son ouvrage
s'est en quelque sorte enrichi par cette suppression :
il y règne maintenant des proportions plus justes ,
un accord plus parfait dans les différentes parties
qui le composent, et la marche en est devenue à la
fois plus simple , plus régulière et plus rapide . Sans
doute bien des censeurs , doués de la plus rare facilité
d'invention , ne manqueront pas encore de proposer
au poète un plan tout différent de celui qu'il
a cru devoir adopter , car il y a mille manières d'envisager
un sujet ; mais il pourrra leur répondre ,
qu'après avoir médité le sien pendant plusieurs
années , il s'est arrêté au plan qui lui a paru offrir le
4
488 MERCURE DE FRANCE ,.
'moins d'inconvéniens et le plus d'avantages ; qu'un
auteur seroit fort embarrassé s'il lui falloit adopter
'tous les avis qu'on lui ouvre , et qu'avant de juger ce
qu'il a fait , il seroit raisonnable d'examiner attentivement
ce qu'il pouvoit faire.
Un pareil examen ne peut être que favorable au
poëme de la Navigation . Je pense qu'on en conclura
que le plan est maintenant tout ce qu'il devoit être ,
et que s'il présente encore des défauts assez marquans
, il faut les attribuer au fonds même de l'ouvrage
sur lequel je ne saurois partager l'opinion de l'auteur
, qui le regarde comme éminemment poétique.
Il est assez naturel qu'un écrivain défende avec
quelqu'obstination le sujet qu'il a choisi . S'il l'a préfère
, c'est parce qu'il lui a paru présenter de l'intérêt
, des points de vue riches et variés , des beautés
analogues au genre de talent qu'il a reçu en partage .
Lorsqu'il a passé plusieurs années à en étudier toutes
les ressources , lorsqu'une fois il lui doit une foule
de beaux vers et de détails aussi neufs que brillans ,
il doit lui être bien difficile de le juger avec impartialité.
D'ailleurs , M. Esmenard a peut -être assez
répondu à tous les critiques , en composant un aussi
beau poëme. J'avouerai cependant que le choix de
ce sujet ne me paroît pas aussi heureux qu'à lui , et
que j'y vois plusieurs inconvéniens assez graves qui
en étoient inséparables.
D'abord on ne peut se dissimuler qu'il est beaucoup
trop vague , qu'il ne présente pas des limites assez
marquées. La navigation touche à toutes les grandes
époques de l'histoire , et elle n'est liée nécessairement
à presqu'aucune . Il résulte de là que l'auteur est obligé
d'effleurer une foule d'objets , sans pouvoir en approfondir
un seul. A chaque instant il fait allusion à
quelque grand événement : il vous met sous les yeux
quelque fait célèbre ; et lorsque vous commencez
à vous y intéresser vivement , il est contraint de
Tabandonner pour vous en montrer un autre. La
«
·
MARS 1806 ... 489
» découverte de l'Amérique , dit - il dans sa préface ,
» paroissoit à M. de La Harpe un très-beau sujet pour
» l'épopée. » Ce grand événement , où l'on admire
l'audace et le génie dans l'entreprise , la sagesse , la
persévérance , le courage infatigable dans l'exécution ,
suffisoit donc seul à un long poëme. Cependant il
ne forme chez M. Esménard qu'un épisode assez
court. Qu'est ce donc que la fécondité apparente
d'un sujet où l'auteur est forcé de se contenir dans
des bornes étroites , toutes les fois que son imagination
voudroit s'élancer dans les vastes champs de
la fiction et du merveilleux , si ce n'est une abondance
stérile qui produit le même effet que la pauvreté ?
-
M. Esménard cherche à justifier ce manque d'unité ,
nécessairement si nuisible à l'intérêt d'ensemble , en
citant les Métamorphoses d'Ovide , dont les différentes
parties ne sont pas mieux liées entr'elles . Mais c'est
malgré ce défaut , et non pas à cause de ce défaut
que ce poëme est compté au nombre des beaux ouvrages
de l'antiquité. Quand un auteur veut faire
choix d'un sujet , c'est toujours l'exemple des plus
parfaits modèles qui doit le guider . Qui seroit
assez présomptueux pour oser se flatter de les
égaler , quand même il auroit entre les mains
une matière plus heureuse que celle sur laquelle ils
ont répandu les trésors de leur génie ? Que sera - ce
donc s'il se prive volontairement de cet avantage , et
s'il est déjà vaincu avant d'avoir pris la plume ?
Les poètes qui renoncent aux plus grandes ressources
de leur art , celles que présente la peinture
énergique des passions et des moeurs , doivent du
moins choisir des sujets qui aient avec l'homme des
rapports propres à le toucher. C'est ce que Virgile
a fait admirablement dans les Géorgiques. Il a si
bien étudié les liens secrets qui unissent tous les êtres ,
qu'il intéresse nos coeurs à la douleur d'un animal
qui a perdu le compagnon de ses peines , ou même
à l'accroissement d'une plante. D'ailleurs les travaux
490
MERCURE
DE FRANCE
;
de l'agriculture , les plaisirs de la vie champêtre , altachent
tous les hommes ; le charme secret qu'ils
trouvent dans ces peintures semble leur rappeler leur
première destination , et dans quelque situation
brillante que le sort les ait placés , l'image d'une vie
innocente et paisible réveille toujours en eux des desirs
et des regrets. Les prodiges de la navigation ne
sauroient jamais exciter un intérêt semblable : ils
peuvent surprendre , étonner , forcer l'admiration ;
mais ils sont muets pour le coeur. Or , une expérience
constante a prouvé depuis long- temps que de tous les
ressorts qui sont dans la main du poète , l'admiration
est le moins énergique et le plus prompt à se détendre.
Tels sont les défauts que je crois inhérens à la nature
même du poëme de la Navigation , et l'équité
me prescrivoit de les relever. Car la conclusion immédiate
que l'on doit tirer de tout ce qu'on vient de
lire , c'est qu'il faut attribuer les beautés de l'ouvrage
au talent de l'auteur , et que la plupart de ses imperfections
doivent être mises sur le compte du sujet.
Au reste , quel que soit le jugement du public à cet
égard , il est certain que la beauté des vers , la variété
des peintures , l'intérêt des détails , compenseront
toujours avantageusement ce qui peut lui manquer
sous le rapport de l'ensemble. M. de La Harpe
dit que c'est la poésie du style qui fait vivre un poëme:
si ce jugement est vrai , on peut assurer M. Esménard
que son ouvrage ne périra pas. Ce feu divin qui fait
les poètes , ce don précieux dont la nature est si
avare , anime constamment l'auteur de la Naviga
tion. Il n'y aura pas deux opinions à cet égard ; et
l'on peut caractériser son style en disant que chez
lui l'expression est toujours éminemment poétique.
J'ouvre le livre au hasard , et je demande si le génie
de la poésie ne respire pas dans tous les vers de cette
belle comparaison :
Tel qu'on voit au sommet des Alpes menaçantes,
Un aiglon généreux sur ses ailes naissantes
MARS 1806. 493
S'élever , redescendre , et s'élevant encor,
Quelque temps incertain balancer son essor;
Tout-à-coup il s'élance et brave les orages,
1l plane avec la foudre au milieu des nuages ,
Et perdu loin de nous dans les champs de l'Ether ,
Porte son vol superbe aux pieds de Jupiter :
Tel ce navigateur dont la voile timide
Effleure les contours de la plaine liquide ,
Observe le pouvoir d'un art encore enfant ,
Il tremble ; mais un jour il ira, triomphant ,
Sur les flots subjugés élevant sa puissance ,
Peupler de l'Océan la solitude immense;
Agrandir son empire , et , vainqueur des hivers ,
Jusqu'au pôle glacé reculer l'univers ...
Veut-on savoir comment M. Esménard sait embellir
une idée
commune
, par la vivacité des couleurs
sous lesquelles il la présente , talent rare qui n'a ja
mais appartenu qu'aux vrais poètes ? Tout le monde
auroit pu dire que les Barbares qui détruisirent l'empire
romain se succédoient si rapidement que leurs
exploits s'effaçoient les uns par les autres , et que leurs
noms même sont presqu'oubliés ; voici comment s'exprime
le poète :
La maîtresse du monde est en proie aux Barbares ,
A ces peuples obscurs dont les faits éclatants
N'ont pas même occupé la mémoire du temps;
Qui domptoient l'univers sans connoître la gloire ,
Et qui , sur des débris promenant la victoire ,
Du capitole altier, conquérans méprisés ,
N'ont pu graver leur nom sur ses remparts brisés.
Dans le champ troisième , consacré à l'expédition de
Vasco de Gama , il peint ainsi le phénomène terrible,
appelé par les marins , le reversement des moussons
:
7
Il sillonnoit enfin cette mer fortunée
Ou deux vents opposés se partagent l'année ,
Et de l'Afrique au Gange , impétueux riyaux ,
Commandent aux saisons et règnent sur les eaux,
Sitôt que triomphant sur l'onde solitaire,
L'un d'eux en a banni son fougueux adversaire ,
Sans trouble , sans effort , sous un ciel toujours pur ,
Il vole , balancé sur ses ailes d'azur,
Et, des flots apaises dominateur tranquille,
Aux plus frêles vaisseaux ouvre un chemin facile .
Mais lorsque son rival , s'élançant dans les airs ,
Vient saisir à son tour le sceptre de ces mers ,
Soudain leur fol orgueil soulève les tempêtes.
Tel que deux rois jaloux de couronner leurs têtes
492 MERCURE DE FRANCE,
Du même diadême et des mêmes honneurs ,
Ils font gémir la terre au bruit de leurs fureurs.
Sous leur choc orageux les rivages frémissent ;
D'un mugissement sourd les pôles retentissent .
On diroit que le ciel , armé de tous ses feux ,
Frappe du Comorin les sommets nébuleux ;
Le Typhon déchaîné , dans sa course brûlante
Arrache les vaisseaux à la rive tremblante
Où l'ancre avoit mordu le sable hospitalier ;
L'Océan sur ses bords s'élève tout entier ,
Les ébranle , retombe , et du poids de ses ondes
Presse l'Indus qui fuit dans ses grottes profondes.
Ainsi, par l'imagination créatrice du poète , ces deux
vents opposés deviennent deux rivaux terribles qui se
disputent l'empire des mers. Leur combat ébranle
l'Océan , et l'Indus épouvanté remonte vers sa source .
Ne pourroit-on pas appliquer à cette belle peinture
ces vers de l'Art poétique ?
Là, pour nous enchanter , tout est mis en usage ;
Tout prend un corps , une ame, un esprit, un visage.
On n'auroit encore qu'une idée imparfaite du talent
de M. Esménard , si l'on pensoit qu'il se borne
à rassembler ainsi les plus riches couleurs . Divers épisodes
semés dans le cours de son poëme , prouvent
qu'il sait aussi créer des fictions et des situations intéressantes.
Je citerai dans ce genre , la fable de Dédale
et d'Icare , et celle où il raconte la découverte
de l'aimant ; toutes deux aussi bien écrites qu'heureusement
imaginées . Mais la partie de son ouvrage
qu'il paroît avoir travaillée àvec une sorte de prédilection
, et où il semble qu'il ait réuni toutes ses
forces , ce sont les vers qu'il a consacrés à la mémoire
de M. de la Peyrouse . L'auteur du poëme de la
Navigation devoit un hommage particulier à l'un
de ceux qui ont le plus honoré ce bel art parmi les
Français ; et il avoit trop de talent pour ne pas chanter
, d'une manière digne de lui , un homme célèbre ,
dont le nom sera toujours cher aux amis des sciences
et de l'humanité , et qui réunit dans sa personne tout
ce qui a droit à l'intérêt des hommes , les talens ,
les vertus et le malheur. Le poëte le suit dans ses péMARS
1806.
493
nibles voyages ; il peint des couleurs les plus fortes et
les plus touchantes , tous les dangers qui l'assaillirent ,
toutes les pertes qu'il eut à pleurer. Enfin il termine
ce beau morceau par ces vers attendrissans ;
Mais que vois-je , ô douleur , une femme éplorée
Est assise au sommet de ces rochers déserts ,
Que la vieille Armorique oppose aux flots amers !
Les regards attachés sur l'onde menaçante,
Elle croit voir encor la voile blanchissante
Qui loin d'elle emporta le charme de ses jours.
Infortunée , hélas , plus d'espoir , plus d'amours !
N'entend tu pas l'oiseau , précurseur de l'orage ,
Qui du jeune Céyx rappelant le naufrage ,
D'un vol précipité rase les flots mouvants ;
Et mêle un cri lugubre au murmure des vents ?
O nouvelle Alcyone , ô jeune et tendre épouse !
Fuis ces bords désolés , non , jamais la Peyrouse)
Ne viendra recueillir sur ton coeur agité,
De ses vastes travaux le prix trop mérité :
Cette dernière citation suffira pour prouver que
M. Esménard réunit aux autres qualités qui font le
vrai poète , le don d'une sensibilité naturelle et vraie.
Cela nous autorise à l'exhorter vivement à de nouveaux
efforts. L'âge des grands travaux est arrivé pour
lui . Il est aujourd'hui l'un des plus chers espoirs de la
poésie française.. Il vient d'élever un monument
durable , qui ne sera pas oublié des amis des lettres :
cette gloire ne doit pas suffire à son ambition. Il faut
désormais qu'il intéresse à ses chants toutes les classes
de lecteurs ; et il n'est guère permis d'aspirer à un si
beau succès dans la haute poésie , si l'on ne s'efforce
d'entourer une action noble et intéressante , de fic,
tions neuves , de situations attachantes , de grands
caractères et de grandes passions,
C.
494 MERCURE DE FRANCE ;
Mémoires secrets sur le règne de Louis XIV , la régence et
le règne de Louis XV. Par M. Duclos , de l'Académie
française , historiographe de France , etc. Deux vol. in- 8°.
Prix : 9 fr. , et 12 fr. par la poste. A Paris , chez Buisson ,
libraire , rue Hautefeuille ; et chez le Normant , libraire ,
imprimeur du Journal de l'Empire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , nº . 17. ( 1)
« Ceux qui m'auront connu, dit M. Duclos, attesteront ma
» probité, ma franchise , et, j'ose dire, la bonté de mon
» coeur. » Il n'y a pas un seul philosophe qui ne se juge le plus
probe , le plus franc et le meilleur des hommes , mais qui , en
mêmetemps , ne se croie obligé d'avertir le public qu'il possède
ces qualítés. Il ne sent pas que cet avertissement est bien plus
propre à détruire la confiance qu'à l'inspirer , et il ignore
que cette complaisance à parler de soi - même décèle un
orgueil intolérable. M. Duclos étoit historiographe de France,
c'est-à-dire qu'il vivoît des bienfaits et des faveurs de la cour
sous la condition de travailler à notre histoire. Nous allons
voir comment il a rempli ses obligations.
Si l'histoire ne devoit offrir qu'un vain amusement, il
seroit inutile de chercher la vérité dans ses récits , et le roman
de Don Quichotte seroit plus estimable que toutes les annales
du monde; mais elle est faite pour instruire les hommes , et
pour ajouter à leur expérience celle des siècles précédens.
Son objet principal est de retracer toutes les actions du
pouvoir public , et les malheurs ou les avantages qui en ont
été le fruit , parce que c'est par la force des exemples que
( 1) Note du rédacteur. Il n'est question dans cet article que des Mémoires
secrets de Duclos , qui ont été publiés avant l'édition complette
de ses OEuvres , dont nous rendrons compte incessamment.
MARS 1806.
495
s'éprouvent toutes les doctrines , et que la société s'avance
peu-à-peu à la connoissance de l'ordre. C'est là ce qu'on
pourroit, et ce qu'on devroit même appeler la philosophie
de l'histoire , si l'abus de cette expression n'en avoit corrompu
le vrai sens et le légitime usage. L'écrivain qui ne veut qu'amuser
n'est pas un historien , c'est un romancier ; celui qui
cherche curieusement dans les correspondances familières ,
dans les rapports domestiques , ou dans sa propre imagination ,
des faits inconnus et déshonorans , des motifs pour attenuer
la valeur d'une bonne action , et qui les publie ; celui là ,
dis-je , n'est pas non plus un historien , c'est un libelliste.
Tout homme qui révèle le secret d'autrui n'est point un homme
bon sa prétendue franchise n'est que de la méchanceté ; et
si par son état , il étoit de son devoir de le taire ce secret ,
il ne faut plus parler de sa probité.
:
-
Toute histoire secrète est une histoire suspecte. En écrivant
ses Mémoires , M. Duclos n'a jamais pu penser qu'il remplissoit
la tâche qui lui étoit imposée ; il trompoit done
l'attente de ceux qui l'avoient nommé l'historiographe de la
nation , non seulement en ne faisant pas ce qu'il devoit
faire , mais encore en faisant ce dont il devoit s'abstenir.
« Il ne vouloit pas être l'organe du mensonge , dit-il dans
» sa préface. » Mais qui est-ce qui m'assure qu'il ne l'est
pas dans ses révélations secrètes ? Et qui le forçoit donc
à mentir en écrivant l'histoire ? Cette histoire auroit-elle
été supprimée par l'autorité ? Sa tâche étoit remplie , le reste
ne le regardoit pas. Qui sait pourquoi nous n'avons rien de
Boileau ni de Racine sur l'histoire ? Tout le monde ne sait-il
pas au contraire pourquoi ni l'un ni l'autre n'auroit jamais
voulu publier de Mémoires secrets ? J'ignore au surplus ce
qu'un écrivain entend par le titre de Mémoires secrets, puisqu'il
n'y a rien de moins secret que ce qui est imprimé. C'est
encore un de ces appâts que les charlatans présentent à la
multitude , pour faire des dupes ; et l'un des plus grands
496 MERCURE DE FRANCE ,
moyens de succès que la philosophie ait mis en oeuvre , a été
de spéculer sur les scandales de toute espèce.
L'auteur de la notice qui précède la préface a cru répondre
à tout, en transcrivant un passage des Considérations sur les
Moeurs, où M. Duclos prétend qu'il ne faut pas trop détruire
les préjugés , parce qu'ils sont la loi du commun des
hommes , et qu'il les regarde comme les fondemens de la
morale et les liens de la société. Mais , si les fondemens de la
morale et les liens de la société n'étoient à ses yeux que des
préjugés faits pour le commun des hommes , il est entendu
qu'un esprit aussi supérieur s'affranchissoit aisément de leur
joug . Ce n'étoit pas sans dessein qu'on avançoit dans son parti
que , pour être un bon historien , il falloit n'avoir ni affection
, ni religion , ni patrie ; être , en un mot , un homme
sans préjugés. Sur ce pied-là , M. Duclos devoit se croire un
Tacite ; mais qui m'expliquera comment on peut être capable
d'écrire l'histoire de la société , en se séparant de tous les
principes et de toutes les affections qui forment les liens de
cette société ? Je voudrois savoir de quelle règle pouvoit se
servir M. Duclos , dans les jugemens qu'il avoit à porter sur
les actions des hommes ? Si l'on y fait attention , on décou
vrira qu'il n'en avoit pas , ou bien qu'il s'en étoit fait une
qu'il plioit à son humeur. Il loue , blâme , approuve , rectifie
, condamné et absout en suivant cette règle › molle et ·
flexible , qui se prête au mouvement capricieux de ses passions .
Son histoire commence en 1700 ; il la conduit jusqu'en
1764 , et , dans un espace de temps si considérable , il ne
trouve pas un seul parfait honnête homme en France. Tous ,
depuis le chef de la nation jusqu'au dernier commis , sont
des tyrans , des ambitieux , des hypocrites , des intrigans ;
des cagots , des ignorans et des fripons. Quant aux femmes ,
il n'en connoît qué de deux sortes , des bigottes et des dé
bauchées. C'est un écrivain auquel on peut appliquer la dernière
partie de la critique de Montaigne sur Guichardin ,
"
T
sans
MARS 1806.
cen
sans en retrancher un mot : « J'ai aussi remarqué ceci , dit- il ,
» que de tant d'ames et effects qu'il juge , de tant de mou-
>> vemens et conseils , il n'en rapporte jamais un seul à la
» vertu , religion et conscience : comme , si ces parties-là
>> estoient du tout esteintes au monde ; et de toutes les actions ,
» pour belles , par apparence , qu'elles soient d'elles-mêmes ,
>> il en rejecte la cause à quelqu'occasion vicieuse, ou à quelque
» profit. Il est impossible d'imaginer que parmy cet infiny
» nombre d'actions de quoy il juge , il n'y en ait eu quelqu'une
produite par la voye de la raison. Nulle corruption
>> peut avoir saisi les hommes si universellement , que quel-
» qu'une n'eschappe de la contagion : cela me fait craindre
» qu'ily aye un peu du vice de son goust ; et peut être advenu
» qu'il ait estimé d'autruy selon soi. »
>>
Ce qui peut choquer encore davantage un lecteur judicieux ,
c'est qu'en décriant toute la nation avec cet esprit frondeur
et chagrin , il accorde plus volontiers les grandes qualités aux
hommes les plus corrompus. C'est une manie dont Voltaire
avoit déjà donné l'exemple , et qui a infecté de mauvaise foi
tout ce qu'il a écrit sur l'histoire . M. le président Hénault en
fait la remarque dans une de ses lettres . Chez lui ce sont toujours
les protestans ou les incrédules qui sont habiles et honnêtes.
S'il y a quelque crime commis , c'est toujours par un
catholique , et par un homme qui fréquentoit les églises ,
Si M. le duc de Bourgogne n'a pas réussi à faire lever le
siége de Lille , vous remarquerez que c'est parce qu'il entendoit
la messe. Voilà ce qu'on a pris long-temps pour de l'esprit
; et c'est avec le même travers que M. Duclos se plaît à
faire remarquer l'habileté des hommes vicieux. Il leur
suppose
de la valeur , et ce n'est pas sans peine qu'il convient que les
moeurs de la régence ont perdu la morale.
Un défaut général que l'on peut reprocher à tous les faiseurs
de Mémoires historiques , c'est d'attribuer les plus grands
effets à des causes imperceptibles. Une tasse de café répandue
li
498 MERCURE DE FRANCE ,
sur une robe , produit la disgrace d'un général d'armée. Une
petite contradiction sur la hauteur d'une croisée , occasionne
une querelle , et la chaleur de cette misérable discussion met
toute l'Europe en feu . Ils attachent trop d'importance aux
détails , et ils entrent dans trop de faits minutieux. Če sont
des gens qui admirent quelques fils d'une tapisserie des Gobelins
, au lieu de se mettre à la distance convenable pour
embrasser tout le sujet. M. Duclos n'est pas exempt de ces
défauts , et il y a bien des inutilités et des petitesses dans ses
Mémoires ; mais il faut peut-être les pardonner à la position
de l'historien , trop rapproché des objets pour pouvoir en
saisir l'ensemble.
Il seroit inutile de le chicaner sur la vérité de mille
petites intrigues , qu'une histoire générale ne peut jamais
recueillir , et qui , vraies ou fausses , sont également indifférentes
pour la postérité . L'historien qui voudroit descendre
dans le détail des intérêts et des cabales domestiques des
princes, et de tous ceux qui les entourent , femmes , enfans ,
ministres et courtisans , favoris et maîtresses , entreprendroit
un ouvrage aussi impossible à exécuter qu'il seroit inutile dans
son objet. Les détails dans l'histoire ressemblent aux fleurs ,
et aux arbrisseaux dans la campagne. Les anciens ont excellé
dans ces détails , parce qu'ils n'avoient qu'un petit cercle à
décrire ; mais depuis que l'horizon des connoissances hu→
maines s'est agrandi , depuis qu'une foule de peuples se sont
élevés sur la scène du monde , il est devenu nécessaire de
considérer les objets d'une manière plus vaste et plus générale.
La fausseté du jugement est ce qui réclame le plus l'attention
du lecteur dans les Mémoires de M. Duclos , parce que
l'histoire , entre les mains d'un homme qui a l'esprit faux , est
un guide infidèle anquel on ne peut se confier sans impru→
dence.
Les exemples qui peuvent appuyer notre opinion ne sont
pas rares dans son ouvrage ; mais il nous a paru que sou
MARS 1806. 499
1
affectation à vouloir repousser du régent les soupçons du
crime affreux qui l'ont constamment poursuivi , est suffisante
pour la justifier. Nous sommes fort éloignés cependant d'affirmer
qu'il fut coupable de ce crime ; mais en même temps
nous ne pouvons convenir avec M. Duclos qu'il en fût incapable
, puisque , selon cet historien lui- même , toute la vie
de ce prince a été souillée par les plus horribles excès , et
qu'il n'a jamais pris la peine d'apaiser les cris de l'indignation
publique , par le plus léger amendement dans sa conduite :
c'est ce caractère qui l'avoit fait appeler par Louis XIV , un
fanfaron de crimes.
Lorsqu'un grand malheur afflige la société , qu'il est
affreux pour un prince de ne trouver ni dans son caractère ,
ni dans sa vie , de quoi se défendre contre le soupçon d'en
étre l'auteur ! Lorsqu'en moins d'un an trois héritiers de la
couronne furent enlevés subitement à la France , et que le
quatrième ne parut sauvé de cette catastrophe que par le
contre-poison qui lui fat douiné à tout événement par une
de ses gouvernantes , tous les soupçons se portèrent sur le
duc d'Orléans , non -seulement parce qu'il avoit intérêt à ce
crime , mais parce qu'on l'en jugeoit capable. S'il est innocent
, ce qu'il éprouva doit à jamais servir d'exemple à ceux
que la Providence a placés près des monarques pour en être
les appuis. La licence de ses nioeurs le fit accuser d'une com
mune voix d'avoir empoisonné toute la famille royale : punition
terrible , mais juste des autres crimes dont il s'étoit
déjà couvert. Le soupçon de ce triple parricide , la seule
vengeance d'un peuplé désespéré , le poursuivit jusqu'à ce
que la mort vint le frapper subitement entre les bras d'une
prostituée , et il s'attachera toujours à sa mémoire pour
épouvanter quiconque oseroit limiter.
•
M. Duclos se contente de dire , pour toute défense , que
lavie de Louis XV est la démonstration de l'innocence du
Ii a
500 MERCURE DE FRANCE ,
duc d'Orléans ; mais il se pourroit que cela ne prouvât que
la vertu du contre-poison.
Etre capable d'un crime et l'avoir commis sont deux choses
fort différentes , sans doute , et nous ne prétendons pas que
l'opinion doive dépasser le soupçon du crime ; mais c'est
jouer le rôle d'un défenseur officieux , plutôt que celui d'un
historien , que de vouloir détruire un soupçon si général
sans en apporter aucune raison solide. M. Duclos revient si
souvent à la charge sur cet article dans ses Mémoires , qu'on
seroit tenté de croire qu'il les a entrepris dans l'intention
d'effacer cette tache odieuse , pour plaire à la maison
d'Orléans. Il est cependant bien difficile de se défendre d'une
réflexion , c'est qu'un ambitieux perdu de débauche , couvert
des crimes les plus honteux , et qui affichoit l'impiété la plus
révoltante , pouvoit bien avoir commis un crime de plus
pour arriver à la couronne. Cette induction est si facile à
tirer , que dans une autre circonstance étrangère à cette histoire
, M. Duclos ne manque pas d'en faire la remarque. La
princesse Sophie , soeur consanguine du czar Pierre Ier. ,. fut
soupçonnée de l'avoir empoisonné pour régner à sa place.
« Que cette imputation soit bien ou mal fondée , dit
» M. Duclos , ce n'est pas le caractère de Sophie qui a pu la
» détruire , puisqu'elle entreprit de faire immoler ce frère
>> par les Strélitz , etc. » Ainsi il appuie un soupçon par une
accusation ; et certainement si on lui avoit dit que la vie du
Czar prouvoit l'innocence de Sophie , il se seroit moqué avec
raison d'une pareille preuve. Toutes les tentatives de crime
n'ont pas le succès que les scélérats s'en promettent.
Le même écrivain qui a entrepris de faire passer le régent
pour un homme d'état , respectable à bien des égards , devoit
sans doute chercher à flétrir la mémoire du cardinal de
Fleury , qui fut un ministre foible , mais un homme religieux.
M. Duclos n'avoit garde de manquer une bizarrerie qui
étoit si bien dans son caractère et dans ses principes. On
MARS 1806. 50
chercheroit vainement dans tout son ouvrage une seule ligne
en faveur des véritables appuis de l'autorité et de la morale
publique. S'il parle de Villars , il ne dit pas un mot de ses
talens militaires , et s'il nomme Bossuet , c'est pour en faire
un persécuteur. Tous ceux qui foulent aux pieds les lois religieuses
, sont pour lui des esprits fermes , et même des
génies étendus. C'est ainsi qu'il qualifie le génevois le Fort ,
parce qu'il persuada au czar qu'il pouvoit répudier sa première
femme et en prendre une autre. Tout ce qui peut rompre
un des liens qui enchaînent les passions des hommes est pour
les philosophes un acte d'héroïsme.
>
Ces Mémoires , au surplus , qui ont bien perdu de leur
intérêt depuis la révolution , mais qui en ont encore beaucoup
sont écrits d'un stile aisé et rapide , où l'on remarque
avec peine quelques traits de mauvais goût. Ils renferment un
petit abrégé de l'Histoire de Russie , qui a tout le mérite que
l'on peut souhaiter. L'auteur alors n'avoit aucun intérêt à
faire des suppositions ; et il montre qu'il auroit été en état
d'écrire l'Histoire de France , si la cruelle manie de vouloir
tout réformer n'avoit égaré son jugement , et s'il n'avoit pas
préféré , aux devoirs de sa charge , le triste honneur de tirer
furtivement de l'obscurité quelques anecdotes plus affligeantes .
qu'utiles pour l'humanité. G.
:
POMPEI A. ( 1 )
J'AI vu à-peu-près tout ce que l'Italie offre de remarquable
aux yeux d'un étranger ; j'ai vu le Panthéon , le Vésuve , le
Colysée , Saint-Pierre ; j'ai vu Milan , Florence , Naples ,
(1 ) Ce morceau sur Pompeïa est extrait d'un nouveau Voyage en Italie
et en Sicile , par M. Creuzé- Delessert . Cet ouvrage , qui s'imprime en
Ce moment chez Didot , sera publié incessainment.
( Note du rédacteur. )
3
502 MERCURE DE FRANCE ,
7
Palerme , Rome : mais ce que je desirerois le plus revoir ce
seroit Pompéïa.
Pompéia étoit une médiocre ville de la Campanie ; ce n'est
qu'un très-petit débris de l'antiquité , mais c'en est le débris
le plus vrai , le plus curieux , le plus touchant. Ce n'est pas ,
comme Herculanum , une suite de caves où l'on ne voit que
ce qu'on veut bien imaginer ; ce n'est pas , comme Rome ,
une ville nouvelle qui a effacé une ville antique ; c'est véri–
tablement une antique cité , dont les habitans ont fui hier ,
et où ils se reconnoîtroient aujourd'hui ; que , dis - je , les
infortunés ne purent fuir. Ceux d'Herculanum , plus heureux
eurent presque tous le temps d'échapper à la lave qui les pour-
-suivoit ; mais la cendre plus rapide engloutit en peu d'instans
tout Pompéïa , et toute sa population ! ( 1 ) atenta
Comment cette ville put- elle être si long -temps oubliée ?
Comment le fut- elle un seul jour ? A peine la cendre s'élevat-
elle de quelques pieds au-dessus du sommet très-peu élevé
de ses habitations . Quoi ! ses malheureux habitans n'avoient
donc dans les villes voisines aucun parent , aucun ami qui eût
le courage de chercher à en retirer quelques- uns du tombeau
où ils étoient ensevelis vivans ? On y auroit incontestablement
réussi . Quoi ! le gouvernement d'alors n'usa pas de ses moyens
puissans pour cette noble opération ? Ah ! si dans les Alpes
et autres montagnes oubliées de la nature , de malheureuses
créatures , ensevelies avec leurs chaumières sous quarante
pieds de neige , ont été après plus d'un mois dégagées et retrouvées
vivantes , peut-on douter que sous cette cendre du
Vésuve un grand nombre de victimes n'aient conservé long-
( 1 ) Nous croyons que l'auteur se trompe , et que la presque totalité des
habitans de Pompeïa eut le temps de se sauver , et même d'emporter les
effets les plus précieux . Nous 'dennerons les raisons qui appuient ceite
opinion , lorsque nous examinerons l'ouvrage de M. Creuzé.
( Nole du rédacteur. )
MARS 1806 . 503
temps , la vie et même l'espérance ? Avec quelle horreur elles
durent enfin abjurer l'une et l'autre ! Laissons louer les gouvernemens
anciens ; mais convenons que ce fait et beaucoup
d'autres prouvent une indifférence pour le malheur et une
incurie pour la vie des hommes , qui n'existe plus , du moins
en Europe ; convenons que dans un pareil événement , le
plus mauvais de nos gouvernemens modernes déploieroit
tous ses efforts , toutes ses ressources , et , avec les chances
qu'on avoit pour Pompéia, arracheroit beaucoup de victimes.
à la mort , et aux volcans encore en fureur.
:
La grande route qui conduit à Pompeïa paroît être presque
au niveau de son sol . En approchant on voit à gauche une
colline médiocrement élevée , et c'est Pompéia , mais Pompeïa
enseveli ; car une assez petite partie de la ville a été décou
verte jusqu'à ce jour. On y arrive bientôt , et il faut à peine
descendre de quelques pieds pour se trouver dans la ville des
Romains le premier sentiment qu'on éprouve en entrant
dans cette cité dévastée , est deviné par tout le monde , et
ne peut être exprimé par personne. On parcourt ces rues solitaires
, où on arrive après le Vésuve ; on regarde tout avec
avidité ; on voudroit tout voir à la fois : voilà les maisons des
Romains , voilà leurs rues , voilà leurs peintures , voilà leurs.
moeurs ; il n'y a pas là un objet qui ne soit remarquable , pas
un caillou qui ne soit intéressant. Le plus curieux des muséum
c'est Pompeïa.
:
Ce qu'on voit d'abord ," c'est le quartier des soldats , qui ressemble
beaucoup à nos cloîtres : on y retrouve encore , dans
différentes chambres , des moulins qui leur ont servi ils...
sont ingénieux , et gravés dans toutes les collections ; mais ce
qu'on ne peut graver nulle part , c'est l'impression que font
les ossemens d'un soldat ; on voit encore les fers qui attachoient
cet infortuné au moment de l'éruption ; les juges
périrent avec l'accusé.
504 MERCURE DE FRANCE ,
roues ,
La rue qu'on a découverte est fort étroite ; elle est pavée
des laves du Vésuve . On y distingue encore les traces des
traces qui prouvent que la voie des voitures étoit alors
de quatre pieds. Il y a des trottoirs de trois pieds de chaque
côté de la rue ; c'est , comme on le voit, un vieil usage ,
on n'auroit pas dû le perdre.
et
Toutes les maisons se ressemblent ; les plus grandes et les plus
petites ont une cour intérieure , au milieu de laquelle est une
baignoire . Presque toutes sont fermées par un péristile à colonnes
; et il est à remarquer que le même goût d'architecture
agrandi , règne encore en Italie. En effet , dans ce pays une foule
de maisons ont des cours à colonnades . L'Italie presque entière
est sur des colonnes. Pour en revenir aux maisons de Pompeïa ,
leur distribution est fort simple et fort uniforme : toutes les
chambres donnent sur la cour ou sur le péristile ; toutes sont
très-petites ; beaucoup sont sans croisées , et ne recevoient le
jour que par la porte ou par une ouverture faite au-dessus.
Si l'on ajoute à cela que ces chambres en général sont isolées
et ne se communiquent pas , on aura une idée de la manière
de se loger des anciens , et on trouvera que beaucoup de nos
pauvres ont plus leurs commodités , que leurs riches ne les
avoient. Une chose assez digne d'observation , c'est que toutes
les portes sont extrêmement basses ; et à moins que
les an→
ciens ne trouvassent très-bon de se baisser toutes les fois qu'ils
entroient dans une chambre , il est évident qu'ils n'étoient pas
plus grands que nous. Nouveau fait à alléguer à ceux qui pré→
tendent que l'homme physique dégénère sans cessé,
Le goût ifalien pour la peinture à fresque se retrouve en-
-core à Pompeïa. Il y a fort peu de chambres sur les murailles
desquelles il n'y eût quelques peintures. On en a enlevé plu→
sieurs , par l'effet de ce système dont je me suis déjà plaint ;
mais il en reste , et il falloit que les couleurs en fussent bonnes ,
car aussitôt qu'on jette un peu d'eau dessus , elles reparoissent
avec quelque vivacité. Toutes ces peintures sont en général
MARS 1806. 505
fort médiocres ; mais beaucoup sont curieuses par les fabriques
et costumes du temps , dont elles offrent la représentation et
souvent la seule qui existe . C'est en quelque sorte l'antiquité
dans l'antiquité . Beaucoup d'autres offrent des sujets mytho-.
logiques , et ne sont guère bonnes qu'à prouver combien ,
dès-lors étoit universel le goût pour ces ingénieuses fictions
qni triomphent même de l'abus qu'on en a fait , et qui seront
à jamais la religion des arts.
On distingue encore plusieurs . boutiques , et même sur
une d'elles l'empreinte que les tasses avoient faites sur le
marbre dont le comptoir est revêtu..
Un fait qui prouve combien les anciens aimoient les spec-,
tacles , c'est qu'on a découvert dans la petite ville de Pompeïa
deux théâtres. Le plus grand donne parfaitement des théâtres
antiques l'idée qu'on cherche en vain à s'en faire dans
les souterrains d'Herculanum . C'est un amphithéâtre demicirculaire
dont les gradins nombreux sont pratiqués dans le
sol même. C'est sans contredit la forme la plus commode
pour que tout le monde puisse voir et être vu. Tel a été de
tout temps le double but des spectacles . Au reste , dans ce
mot de spectacles , il faut comprendre les lutteurs , les gladiateurs
, et même jusqu'aux naumachies. Il faut observer de
plus , que le théâtre étoit presque toujours le lieu d'assemblée
du peuple , qui s'y occupoit de ses affaires autant que
de ses plaisirs.
Les antiquaires admirent beaucoup à Pompeia un petit
temple d'Isis ; mais il y a des temples antiques ailleurs , et il
n'y a que là des maisons et des rues romaines. Au reste , ce
temple d'Isis est d'une parfaite conservation ; on y retrouve
jusqu'à l'ouverture faite sous la place , où étoit la statue d'Isis,
et d'où probablement on la faisoit parler . On a d'ailleurs
déshonoré ce temple comme tout ce qu'on a trouvé là ; on a
enlevé et transporté dans l'insignifiant Portici des tables
isiaques , des statues , des ustensiles nécessaires aux cérémo506
MERCURE DE FRANCE ,
nies , comme candelabres , lampes , pateres , etc.; enfin , on a
enlevé tout ce qui pouvoit l'être. On n'a pas même respecté
les ossemens des malheureux prêtres surpris , au milieu de
leurs fonctions , dans ce temple , qui ne fut jamais destiné à
être couvert , et où , par conséquent , ils eurent le bonheur de
périr sur-le-champ.
Plus on se promène dans Pompeia , et plus on regrette
que cette inappréciable découverte ne soit pas tombée
én de meilleures mains. Si cette ville déshonorée et
mutilée telle qu'elle l'est , inspire encore un intérêt si vif ,
que ne seroit-elle pas si en l'exhúmant on eût rétabli les toitures
, effacé les dégradations de toute espèce , et sur-tout conservé
religieusement en place tout ce qu'on auroit trouvé?
Voilà ce que le gouvernement français n'eût pas manqué de
faire. Je dis le gouvernement français , parce qu'il est reconnu
qu'il a , depuis Louis XIV, les plus beaux , les plus nobles
établissemens publics de l'univers , et qu'il les embellit encore
de nos jours.
"
Je pense avec regret à ce qu'il auroit fait de Pompeïa et
à ce qu'il en feroit encore ; car Pompeïa n'étant exhumé qu'en
partie , on pourroit suivre ce plan pour le reste de la ville :
et , supposé que le gouvernement napolitain voulût , comme
fait celui de Londres pour des choses moins intéressantes,
exiger une rétribution des curieux , je ne doute pas que le
produit ne dédommageât , et au- delà , des frais d'excavation
et des gardiens. Mais je desire , plus que je ne l'espère
l'exécution de cette idée , qui est celle de tous les amis des arts.
Les Français , qui , en 1798 , ne furent qu'un moment les
maîtres de Naples , ont laissé à Pompeia des traces de leur
activité , et on y va voir aujourd'hui la fouille des Français-
Elle n'a produit aucune découverte bien importante , et dans
les circonstances où elle a été faite , on a dû en enlever tout
ce qu'on y a trouvé ; mais elle prouve du moins que si la
même nation avoit plus long-temps conservé Naples , elle
MARS 1806. 507
n'auroit pas laissé , comme on le fait , dormir la partie ignorée
de Pompeia , et il y a à parier qu'avec plus de temps elle
auroit régularisé les excavations , et peut-être suivi le plan
qui donneroit à cette découverte tout son éclat , et laisseroit
cette ville tout son intérêt ( 1 ).
Une des choses les plus intéressantes de Pompeia , et celle
par laquelle on fiait ordinairement , c'est une maison de
campagne qu'on a trouvée à une assez petite distance de la
ville. On y arrive par le chemin le plus agréable , et cela ne
rend que plus triste le tombeau où l'on descend. Oui , le tombeau.
Cette maison , quoique détruite par le haut , donne
encore , et plus qu'aucune autre , par ses constructions intérieures
, une idée des maisons antiques : le jardin même est
découvert ; on en voit les bassins , les divisions . Ailleurs , à
Pompeïa , on ne fait qu'habiter avec les Romains , içi on se
promène avec eux. On rencontre encore des débris de l'antiquité
; on voit des amphores qui furent remplies d'un vin qui
avoit sans doute beaucoup de consuls. On voit ... mais pour
moi , je n'ai plus rien pu voir, après m'être promené dans
un souterrain qui tourne en quarré autour du jardin , et dans
lequel on a trouvé vingt-sept cadavres. C'est là que toute une
malheureuse famille eut le temps de se réfugier ; c'est là
qu'elle cut trop celui d'attendre des secours qui ne vinrent
point , et de retenir un espoir qui s'échappoit ; c'est là que retentirent
les clameurs de l'épouvante et les soupirs de l'agonie
; c'est là que la terreur, la faim , le désespoir , immolèrent
leurs victimes. La fiction d'Ugolin s'efface et s'évanouit
⚫ devant cette effrayante réalité . Sur vingt- sept créatures humaines
, sans doute toutes n'étoient pas également bonnes
et regrettables ; mais sans doute aussi il y eut là un homme
(1 ) On peut aujourd'hui espérer, ou plutôt on peut affirmer que les
voeux de M. Creuzé , qui , comme il l'a dit plus haut , sont ceux de tous
les amis des arts , seront prochainement accomplis.
( Note du Rédacteur. )
508 MERCURE DE FRANCE .
:
vertueux , des amis fidèles , une mère tendre , des enfans innocens.
Là , tous les sentimens humains furent brisés ; là , au
milieu d'une nuit profonde , et parmi les cris de l'angoisse , un
vieillard , un chef de famille , fit entendre ses derniers adieux
à son fils qui le cherchoit , à sa fille qui le soutenoit encore ,
toute sa génération qui s'éteignoit avec lui.
Et quand je me livrois à ces pensées qui brisent le coeur ,
quand je contemplois en silence ce théâtre de destruction ,
les oiseaux chantoient au-dessus de ma tête , la nature étoit
riante , le ciel pur, l'air serein , et mème le Vésuve lointain
laissoit à peine apercevoir la fumée qui se glissoit le long de
ses flancs noircis et sur sa croupe tumultueuse.
LA FILLE HERMITE.
Anecdote Américaine véritable.
UNE demoiselle américaine de la province de Machassusset , jeune ,
riche , très-jolie , extrêmement aimable , modeste , timide , d'une santé
délicate , renonce tout - à - coup à la société dont elle faisoit le charme ;
elle s'arrache à la tendresse de parens qui lui étoient chers . Jamais
elle n'a eu à se plaindre de personne ; tous les hommes la respectoient
autant qu'ils l'aimoient ; et jamais sa belle ame n'avoit eu à se reprocher
d'avoir eu l'idée du mal . Elle étoit dévote , mais sans exaltation . Un
seul sentiment la tourmentoit , mais invinciblement , et sans qu'elle
pût s'en rendre raison , du moins n'a - t - elle jamais voulu l'avouer :
c'étoit une haine insurmontable contre tous les hommes , sans aucune
autre exception qu'en faveur de son père ; et elle venoit de le perdre
lorsqu'elle se décida à aller s'ensevelir dans une caverne affreuse , au
milieu d'une épaisse forêt . C'est à l'âge de dix-huit ans qu'elle prit oe
parti extrême , et il y en a trente qu'elle se félicite de l'avoir suivi . J'ai
pénétré jusque dans sa retraite , et je vais rapporter fidellement ce que
j'ai vu.
Quand on est sorti du Sud- Salem , et que l'on est arrivé sur le sommet
de la plus élevée des montagnes du Nord-Salem , on se trouve arrêté par
an mur de roches presque perpendiculaire , et qui a vingt pieds d'élévaMARS
1806 .
509
(
tion. Ce n'est qu'avec la plus grande difficulté que l'on peut descendre
dans l'enfoncement que forment ces rochers , et on y voit aussitôt l'antre
qui sert de retraite à Miss Sara Bishop . ( C'est le nom de la fille hermite. )
Aux pieds de ces rochers se voit un terrain uni et d'une assez vaste étendue
; le sol en est fertile , et la verdure agréable . On aperçoit çà et là des
arbres de la plus grande beauté . Miss Sara n'a avec elle ni poules, ni chat ,
ni chien; enfin aucun animal quelconque ; elle se nourrit des racines et
des légumes qu'elle cultive , des fruits sauvages qu'elle recueille , et elle se
désaltère avec l'eau saine et limpide d'une source voisine de sa , demeure.
C'est auprès de cette source que je l'aperçus , plongée dans la méditation
la plus profonde. Je ne voulus pas la distraire , et j'attendis avec résignation
que , revenant à elle , ses regards se portassent d'eux-mêmes sur moi .
Dès qu'elle m'eut aperçu elle jeta un cri d'horreur ; et courant avec la
légéreté d'une biche qui fuit la poursuite du chasseur , elle atteint sa retraite
en peu de secondes , s'y élance comme un trait , et en barricade *
l'entrée .
+
Je ne pouvois me résoudre à retourner sur mes pas ' : je frappe , j'appelle
, je sollicite avec instance la faveur d'être admis ; on ne me répond
point . Je me persuade que si Miss Sara consent à me recevoir et à
m'entendre , je réussirai à la rendre à la société . Je me suis promis
de ne rien négliger pour changer ses idées et lui faire supporter sans
effroi la vue d'un homme qui n'aspire qu'à lui plaire et à lui être utile .
Le récit de sa vie , le fruit de ses réflexions et le spectacle de ses vertus
doivent la rendre précieuse au monde .... Rien ne peut plus m'arrêter : je
force la foible barrière qui me sépare de la fille hermite , et je suis dans sa
cellule.
Elle étoit assise par terre , couverte de vêtemens de coton de couleur
brune ; son visage étoit entièrement caché par ses longs cheveux , et il
me fut impossible de distinguer ses traits . Elle me présenta un papier sur
lequel je lus ce qui suit : « Quel mal vous ai-je fait pour vous obliger à
>> troubler mon repos , en violant l'asile que je me suis choisi et que j'ha-
» biterai jusqu'à ma mort ? En vain vous voudriez changer ma volonté ,
» elle est immuable : trente années de constance doivent vous le prouver
» assez . Il vous seroit plus facile et il seroit moins cruel de m'arracher la
» vie !... J'ai dû fuir la société des hommes ; je ne puis point ne pas les
>> abhorrer ! J'ai fait voeu de ne jamais parler et je le tiendrai . Fuyez
>> homme ! Par pitié , fuyez , et laissez -moi avec Dieu et la nature ! »
J'osai lui adresser encore quelques mots ; je la pressai avec instance de
me suivre ; je mis en usage toutes les ressources que mon esprit ou plutôt
510 MERCURE DE FRANCE ,
.
mon coeur me suggérèrent ; ce fut inutilement : elle se bouchoit les
oreilles , sa tête posoit sur ses genonx , je voyois la terre mouillée de ses
Jarmes , et j'entendois ses gémissemens.
Je jetai les yeux sur l'ameublement de sa cellule : une table très - simple
supportoit une bible en plusieurs gros volumes ; plus loin , je vis uné centaine
de livres rangés sur des tablettes au- dessus d'un bureau ; une grande
armoire contenoit tout son linge ; des assiettes de bois et des marmites de
fer composaient toute sa vaisselle ; elle n'avoit point de lit , elle couchoir
sur le rocher couvert d'une natte.
Je saluai respectueusement Miss Sara Bishop ', et je me retirai .
J'ai su que quelques personnes charitables faisoient porter de temps à
autre du linge et des vêtemens à cette étonnante fille : on les hui jette du
haut du rocher, et ce sont les seuls secours qu'elle accepte : elle laisse pourrir
avec dédain , sur la place où ils tombent , tous les présens , soit en vivres ,
soit en meubles , ou autres effets qu'on veut lui donner.
( Traduit d'une gazette de Boston. ) ,
VARIETÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLEST
1.
-M. Roger, auquel on doit déjà la jolie comédie de
Caroline ou le Tableau , vient d'obtenir un nouveau succès.
La première représentation de sa pièce intitulée l'Avocat,
a été donnée mercredi dernier au théâtre Français . C'est une
imitation , très-heureuse de l'Avocat Vénitien , de Goldoni.
On a généralement reproché à l'auteur d'avoir fait plutôt
un drame qu'une comédie ; mais tout le monde s'est accordé
à louer le style. Nous n'entrerons pas aujourd'hui dans de plus
grands détails : cette pièce nous paroît être du petit nombre
de celles que nous nous réservons d'examiner lorsqu'elles
sont imprimées .
!
•
-M. Ducis a refait en entier le cinquième acte de sa tragédie
d'Hamlet. Cette pièce sera jouée dans quelques jours avec ce
changement.
MARS 1806. 511
-La représentation au bénéfice de madame Saint-Aubin
aura lieu le jeudi 29 : elle se composera de la tragédie
des Templiers , de l'Opéra Comique , du Prisonnier , et d'un
ballet .
Le Conservatoire, du musique vient de recevoir, au
nombre de ses associés étrangers , le célèbre compositeur
Zingarelli , qui réside à Rome. Zingarelli composa en France
avec Marmontel , un opéra d'Antigone , qui n'eut qu'un
succès médiocre ; mais il s'est fait une juste réputation en
Italie par son Pyrrhus , et par d'autres ouvrages pleins de
verve et de talent.
-Parmi les improvisateurs véritablemeut poètes , qui sont
' une des singularités les plus remarquables de l'Italie , aucun
ne s'est fait , de nos jours , une réputation plus brillante
que M. Gianni. On assure qu'il vient d'obtenir une pension
de la munificence de S. M. Il a improvisé , lundi dernier,
sur la Bataille d'Austerlitz ( sujet proposé par le célèbre
antiquaire Visconti ) , un chant de victoire plein d'images
et d'harmonie , qu'on va traduire en vers français.
--
L'athénée des arts vient de publier le Compte rendu de
ses travaux dans le cours de l'année dernière . On y voit avec
intérêt les encouragemens donnés par cette société savante
aux différens artistes qui ont soumis leurs découvertes à son
examen : entr'autres à M. Fougerolles , qui a inventé une
machine propre à mouvoir plusieurs lames de scies destinées à
refendre des pierres ; à M. Tatin , qui a communiqué les
movens d'établir plus facilement des pépinières d'arbres fruitiers
; à M. Daujon l'aîné , qui a imaginé et exécuté un chassis
mécanique , au moyen duquel on peut enlever et changer
de lit les malades et les blessés , sans leur faire éprouver ni
douleur , ni secousse ; à M. Fourché , auteur d'une romaine à
queue oscillante , plus exacte , plus facile à manier , et moins
sujette à la fraude que toutes les anciennes romaines du commerce
; à M. Douette-Richardot , cultivateur intelligent et
512 MERCURE DE FRANCE ;
actif qui , dans le département de la Haute-Marne , a défriché
des montagnes arides , desséché des marais contagieux , planté
des forêts , croisé des races , etc. etc.
--
pu
·On exécute déjà sur la rive droite de la Seine les grands
travaux qui viennent d'être ordonnés par S. M. Tous les arbres
du jardin de l'Arsenal et des édifices environnans sont abattus ,
pour l'ouverture d'un nouveau boulevard qui , bordant la rue
Saint-Antoine , vis-à-vis le boulevard Beaumarchais , en
deviendra la suite , traversera l'emplacement de l'ancienne
Bastille , le terrain de l'Arsenal , et s'étendra jusqu'au bord de
la rivière , à cinquante pas au-dessous du pont du jardin des
Plantes. On eût desiré que l'extrémité de ce boulevard eût
faire face à la descente du pont , et au boulevard opposé de la
Salpêtrière mais il paroît que la nécesssité de conserver une
partie des fossés de l'Arsenal pour le canal de l'Ourcq et pour
la gare projetée , ne permettra pas d'étendre le nouveau
boulevard dans un alignement plus direct. Des ordres sont
donnés pour que les travaux soient poussés avec la plus grande
célérité ; et ils seront promptement achevés , si l'on en juge
par le nombre des ouvriers qu'on yemploie , et qui ne prernent
aucun jour de repos.
-
Le ministre de l'intérieur , d'après les renseignemens
avantageux qui lui ont été transmis par plusieurs préfets des
départemens , au sujet des opérations que le docteur Forlenze
a pratiquées avec le plus grand succès sur un nombre considérable
de personnes affectées de maladies des yeux, vient de
donner à cet oculiste un témoignage de la satisfaction que lui
inspire son zèle , et que méritent ses talens , en le nommant
chirurgien-oculiste des lycées , des écoles secondaires , des
hospices civils et établissemens de bienfaisance des départemens
de l'Empire français.
-Le 10 janvier dernier, S. Ex. le ministre de l'intérieur ,
en confirmant le choix fait par le jury , de M. Verrier , pour
remplir la place de professeur de clinique à l'école impériale
vétérinaire
MARS 1806. 513
vétérinaire d'Alfort , a décidé que dorénavant les places de
professeurs qui viendroient à vaquer dans les écoles impériales
vétérinaires, seroient toujours données au concours. M.Verrier
avoit pour concurrent M. Pontier ; et le jury qui , après les
plus mûrs examens , a choisi le premier , a arrêté unanimement
que le second seroit recommandé au ministre de l'intérieur ,
comme un sujet distingué. S. Ex. , pour répondre au desir du
jury , a ordonné qu'il seroit délivré à M. Pontier un extrait
du rapport qui le mèntionne si honorablement.
-Plusieurs particuliers ont entrepris d'établir à Pétersbourg
un Museum Alexandrinum ; on en distribue le prospectus.
Le projet est de rassembler dans un édifice spacieux des collections
d'histoire naturelle , d'anatomie et d'objets d'arts ,
pour servir aux études des souscripteurs. On y formera aussi
une collection choisic de journaux et d'ouvrages scientifiques.
Les directeurs du Musée en publièrent eux - mêmes le
journal Le prix de la souscription ne pourra jamais s'élever
au-dessus de 6o roubles.
-- On écrit de Rome que Sa Sainteté érige un autre Musée
dans le corridor du Belvédère ; il y fait placer tous les mor
ceaux d'antiquité qu'il a achetés ou qui sont provenus des
fouilles qu'il fait continuer.
-Le 12 février , un incendie a consumé le théâtre allemand
de Pétersbourg , et une partie du palais de Kurchelen.
M. Héliodore Corneiro , qui par ordre du prince du Bresil
, parcourt en ce moment les premières écoles de médecine de
l'Europe , va publier deux Traités intéressans ; le premier est
un Essai historique et critique sur les connoissances et la littérature
des anciens , comparées à celles des modernes. Le second
a pour objet de montrer les dangers de l'inoculation de
la vaccine , et les fâcheuses conséquences observées en Angleterre.
Ce dernier ouvrage est accompagné de deux belles gra-
(Journaux Anglais. )
M. Corneiro n'est pas le seul adversaire que la vaccine ait
K k
vures.
514 MERCURE DE FRANCE ,
fes
trouvé en Angleterre ; c'est une chose fort singulière que
obstacles qu'éprouvent les progrès de cette découverte , dans
le pays d'où elle s'est répandue dans le reste de l'Europe-
Parmi les Anglais qui la combattent , il en est sur-tout qui se
se distinguent en la poursuivant avec une sorte de fureur. Cet
ennemi de la vaccine est l'auteur de la Schola medicinæ universalis
, le docteur William Kowley, à qui sa réputation de
praticien , sa place de chef d'un grand hospice et sa chaire publique
thérapeutique donnent une grande influence . Tous les
gens infatués de l'ancienne routine ont placé leurs dernières
espérances dans le nouvel ouvrage du docteur , intitulé : La
vaccine n'est point un préservatif de la petite vérole ; avec
cette épigraphe : Audi candide alteram partem. On y raconte
deux cent dix-huit cas différens ou la petite vérole naturelle
a eu lieu , dit-on , nonobstant linoculation antérieure de la
vaccine , et l'on somme tous les amis de l'humanité , qui auroient
conoissances de cas du même genre , d'en rendre compte
à une adresse que l'on désigne, Ce qui fait le plus d'impression
dans cet ouvrage , ce sout deux estampes coloriées , représentant
les ulcères et les plaies dégoûtantes qui sont survenues
à divers sujets après l'inoculation de la vaccine , que l'on
qualifie de beastly disease. Enfin , l'auteur annonce avec une
emphase qui sent un peu le charlatan , la découverte qu'il a
faite d'une méthode toute nouvelle pour l'ancienne inocula--
tion. La meilleure réponse à toutes ses attaques , est sans doute
l'adresse du maire de Norfolk que tous les journaux Anglais
ont publiée , et les preuves satisfaisantes données par le docteur
Jenner , que non-seulement les individus qui ont été
vaccinés , mais leurs enfans ; sont garantis de la contagion de
la petite vérole.
Le docteur Gall poursuit son examen systématique
des crânes allemands , avec un zèle et une activité qui donnent
les plus belles espérances. Après avoir parcouru le Holstein
et le Danemarck , étonné Berlin , et distrait quelque temps
MARS 1806 . 515
les têtes hambourgeoises de leurs spéculations commerciales ,
il s'est rendu à Brême , où go souscripteurs , parmi lesquels
on compte vingt belles daines , suivent assiduement ses leçons.
Il compte de là se rendre à Munster , et démontrer
l'excellence de sa doctrine , et la finesse de son tact sur tous
les crânes de la Westphalie,
141
Pendant quelques jours l'air a été plus sec , l'atmosphère plus resserrée.
On a éprouvé un peu de gèlée.
Depuis le 28 février au 9 mars , lë baromètre s'est élevé , dans son
maximum , à 28 p . 6 lig.
Il est descendu , dans son minimum à 28 p. 2 lig.
Le thermomètre de Chevallier ( dilatation ) s'est élevé dans son maxi-
`mum à 3 degrés 8/10 .
Id. , ( condensation ) dans son minimum , 2 deg. 8/10.
* L'hygromètre a marqué , dans son maximum 99 d.
Et pour le minimum 81 .
La hauteur de la rivière , prise au pont Royal , le 9 mars , étoit dé
3 mètres 8 décimètres .
Les vents dominans du 28 février au 9 mars ont soufflé 3 fois au S.-O. ,
9 fois a S.-E. , 4 fois au N. , et io fois au N.-O.
MODEs du 10 mars . Une redingote , fût- elle de velours , ou une
douillette ne suffit pas à nos élégantes pour se garantir de la bise ;
elles y ajoutent un fichu de cygne ou de martre , et quelquefois , outre le
fichu , un schall . Les fichus pleins , en fourrure , sont beaucoup plus
communs que les schalls .
ཐཱ མ
De toutes les modes , il ne sera plus vrai de dire que celle de la promenade
est la moins dispendieuse à suivre. Une toute -belle ne se montre à*
pied qu'au bois de Boulogne .
Sur le boulevard d'Antin , on a vu quelques écharpes . Il faut , pour
constituer un négligé distingué , outre l'écharpe , une collerette de mousseline
claire , ourlée en or , ou festonnée en or , brodée en or. Avec ces
eollerettes , la robe est fermée par devant .
On convertit , il y a deux ans , plusieurs cachemires en mamelucks ;
maintenant on voit des robes faites de cachemire. Retroussées par devant,
¿ ces robes ont , au-dessus de la ceinture , un chou en draperie . On ne porte
presque que des robes sans queue , des robes rondes .
Les toques de velours, noir ou de couleur , ont de grandes pointes de satin .
Les capotes se font en jaune et blanc , velours et satin ; lilas et blanc ,
Brutes larges quelquefo`s le grand tulle cousu au hord , n'est point plis ég :
Kk 2
516 MERCURE DE FRANCE ,
Les jeunes personnes mettent de grands chapeaux de paille jaune , dont
le bord , par derrière, est coupé net ou retroussé . Dessus est un ruban
lilas ou rose tendre , avec un gros noeud sur l'oreille gauche.
Les fleurs imitent le naturel , et sont , pour la plupart , de la saison.
On porte des jonquilles , des narcisses , du lilas , de la jacinthe et du crocus
( safran ).
Pour les coiffures en cheveux , l'héliotrope a encore de la vogue. Le
plus souvent , les fleurs ne se posent que d'un côté ; de l'autre , on ne voit
sur les cheveux lisses , qu'un rang de perles , qui va se perdre sous la
touffe de boudins .
>
Cette année -ci les turbans ne paroissent que de loin en loin , et en
petit nombre ; mais il n'est pas rare qu'un coiffeur marie à des cheveux
lisses , un morceau de velours , noir ou de couleur ; quelquefois même
sans former un turban , il cache tous les cheveux sous une enveloppe de
velours , qui , dans ce cas , prend la forme d'une coiffure en cheveux , et
laisse passage au peigne.
Sur les petits chapeaux , c'est , comme de coutume , une très -grande
plume , ou quelquefois , ce sont trois plumes , qui , inclinées dans le
même sens , paroissent n'en faire qu'une.
Pour former raies sur des capotes , il y a des ruhans veloutés , brochés ,
de deux couleurs , vert et brun , lilas et blanc , jaune et blanc. Outre le
satin jaune d'or , on emploie des velours jaune d'or. Il y a aussi des veet
des étoffes rose , bazinées.
lours rose ,
On recommence à broder en couleur , ou , pour mieux dire , on recommence
à porter des broderies de couleur . Ce sont , sur des robes ,
comme sur des pointes de schall , des palmes isolées . Les ridicules ont
prèsqué tous maintenant un petit ruban en broderie turque , près du
bord , et sur tous sens . Ils sont à six pans .
Les éventails sont toujours très- petits , et les bouquets fort gros. Les
éventails circulaires , trop compliqués , éventent mal ; mais , dans leur
centre , ils cachent une lorgnette : tel est le motif de la préférence qu'on
leur accorde,
Les chemises sont brodées en gros coton et à grandes fleurs : pour un
vêtement qui doit être caché , on veut une broderie très-apparente.
(
NOUVELLES POLITIQUES.
Piscara , 27 février.
Les troupes du royaume d'Italie sont entrées dans notre
place et y ont laissé garnison. Le général Lecchi a continué
ussitôt sa marche pour Naples. ( Moniteur. )
MARS 1806. 517
Berlin , 1 mars.
Le courrier du cabinet , M. Kobecke , est parti avanthier
pour Paris. Il y porte , à ce qu'on assure , la ratifi
cation du traité que notre cour a conclu avec la France , et
en vertu duquel elle cède la principauté d'Anspach , celle de
Clèves et Neufchâtel.
Le conseiller-privé de légation , M. Nagler , est parti hier
matin pour Anspach. L'objet de sa mission est d'effectuer ,
au nom de S. M. , la cession de cette principauté.
On dit que M. le marquis de Lucchesini retourne demain
à Paris . M. le baron de Hardenberg donne aujourd'hui un
grand dîner en son honneur .
Hambourg , 5 mars.
Le bruit court que notre ville ainsi que celles de Brême et
de Lubeck , seront occupées par des troupes prussiennes. La
garnison suédoise de Lawenbourg a été réduite à soixante-six
chasseurs et à un foible détachement de hussards.
Londres , 2 mars.
--
Cours des effets publics.- Billets de la banque , 204 1/2 ,
5/4 , 1/2. Trois pour cent réduits , 61 1/4 , 1/8, Trois
pour cent consolidés , 60 1/2 , 5/8 , 3/8..
Hier , à quatre heures du soir , sont arrivés ici le major
Baird , envoyé de l'armée avec des dépêches du général David
Baird , et le capitaine Downmann , envoyé de la flotte avec
des dépêches du commodore Popham , contenant les détails
de l'important événement de la prise du Cap de Bonne-
Espérance.
༡ *
Aussitôt après l'arrivée de ces officiers , la note suivante
fut envoyée par le premier lord de l'amirauté au lord maire
tandis que le canon du parc et de la ville annonçoient cette
nouvelle.
De l'amirauté , 27 février 18c6.
« M. Grey a l'honneur de transmettre au lord maire la rela➡
tion ci-incluse du succès qu'ont obtenu les forces de S. M.
sous le commandement de sir David Baird et de sir Popham . » ›
Du bureau de l'amirauté , 27 février.
2
« M. Downmann, capitaine du vaisseau de S. M. le Diadéme
, est arrivé ce soir avec des dépêches dé sir Popham ,
datées du Cap de Bonne -Espérance le 13 janvier. Ces lettres
portent Que l'escadre sous le commandement du commedore
arriva au Cap le 4 ; que le débarquement des troupes fut
3
518 MERCURE DE FRANCE ,
effectué le 6 , et qu'après une action qui eut lieu le 8 , et dans
laquelle l'ennemi perdit 700 hommes , et les troupes de
S. M. 240 tués ou blessés , le ro fut signée une capitulation
par laquelle le Cap , la ville et ses dépendances furent rendus
aux armes de S. M. Le général Janson , commandant les
troupes ennemies , s'étoit retiré dans l'intérieur du pays avec
le reste de ses forces , montant à environ 1800 ou 2000
hommes ( 1 ) »%:
L'amirauté ayant reçu l'avis qu'il étoit de nouveau sorti de
Brest quatre vaisseaux de ligne et une corvette , a donné aussitốt
l'ordre à l'escadre de Plymouth de mettre à la voile pour
poursuivre l'ennemi. Le brick canonnier le Contest , de 14
canons, s'aperçut de la sortie de la nouvelle escadre de Brest ,
la suivit pendant quelque temps , et la perdit ensuite de vue.
Des malles arrivées aujourd'hui d'Halifax et de New- Yorck
nous ont apporté les papiers américains jusqu'au 27 janvier
contenant plusieurs nouvelles intéressantes. Les différends entre
la Grande - Bretagne et les Etats - Unis sont loin d'être terminés.
Les lettres particulières de New-Yorck et de Washington ,
d'accord avec les journaux américains , apprennent que des
objets de la plus haute importance ont été discutés dans les
dernières séances du congrès , auxquelles le public n'a point
été admis.
Le président Jefferson a envoyé un message au sénat et
aux représentans , par lequel il les a informés que l'Angleterre ,
sans égard pour les représentations qui lui ont été faites par
les plénipotentiaires américains , continuoit de violer les
droits de la neutralité , d'enlever les marins et même les
passagers à bord des bâtimens américains , pour les faire servir
sur ses flottes ; que la cour de Londres , pressée par les
( 1 ) Le capitaine-général de l'Isle- de -France avoit offert , il y a quinze
mois , au commandant du Cap un secours de deux mille hommes , que ce
commandant ne voulut jamais accepter . Les quatre vaisseaux hollandais
qui sont à Batavia ne font rien pour la cause commune. Il ne sont pas
sortis une fois de Batavia : ils n'ont pas fait une prise . Ils est à remarquer
que , tandis que l'Angleterre se moque de la coalition , sacrifie l'Autriche,
et les puissances du continent qu'elle a séduites , elle emploie ses forces
non contre Boulogne , non pour des débarquemens sur nos côtes , mais à
conquérir les colonies hollandaises . Il n'y a rien d'extraordinaire dans cette
conduite. Les Anglais qui font des dupes , ne se croient pas obligés de
l'être. Ils dirent après cela que la France veut les faire renoncer à toute
influence sur le continent . C'est l'Angleterre qui par sa conduite y renonce
de la manière la plus décidée . Notez que le roi de Naples et les
Russes croyoient que le général Baird devoit venir se combiner avec eux.
( Moniteur. )
MARS 1806.
519
remontrances énergiques des ministres américains , s'est néan➡
moins déterminée à donner l'ordre fictif à ses escadres de suspendre
pour quelque temps ces actesde violence , sans toute→→
fois en désavouer le principe ; en conséquence de cette com
munication, la chambre des représentans a reçu un projet de
bill qu'elle a converti en décret.
Par ce décret , il est permis à tout navire américain et à
tout matelot de cette nation , naviguant sous pavillon américain
, de repousser la force par la force , de tuer même ,
avec toute arme à feu , quiconque tenteroit d'exercer à son
bord le droit révoltant de la presse. Une récompense de
200 dollars ( près de 1100 fr. ) est promise à chacun de ceux
qui opposeront cette courageuse résistance. Tout matelot
américain qui a été jusqu'à ce jour , ou qui pourra être désormais
enlevé par la presse , recevra une indemnité de
60 dollars ( 325 fr. par mois ) ; il pourra , ainsi que ses héri
tiers ou ayant cause', pour recouvrer cette indemnité
mettre opposition au paiement de toutes sommes dues par
des citoyens des Etats-Unis , aux sujets de la puissance pour
laquelle il aura été victime de la presse ; quiconque se per
mettra désormais d'exercer la presse sur un bâtiment portant
les couleurs américaines , même sous le prétexte d'une commission
émanée d'un gouvernement étranger , sera jugé
comme pirate , et condamné à mort.
2
Enfin , lorsque le président des Etats-Unis aura acquis la
preuve qu'un citoyen desdits Etats , qui auroit été forcé par
violence ou par menaces , de servir à bord d'un vaisseau étran➡
ger, aura été condamné à mort ou à telle autre peine afflictive
, en vertu de l'autorité de cette puissance étrangère , il
pourra faire infliger la peine du talion le plus rigoureux à
tous sujets de ce même gouvernement ; et il est en conséquence
autorisé , par le présent décret , à faire saisir et appréhender
lesdits sujets.
1 Cette loi terrible , par laquelle les Etats-Unis trouvent
moyen de faire respecter leurs droits sans recourir à la guerre ,
a fait ici la plus vive sensation. Le droit de la presse ne sembloit
pas odieux , parce qu'on pouvoit croire que les Américains
s'y soumettoient en quelque sorte de bon gré , et que
les réclamations de leurs ambassadeurs n'étoient faites que
pour la forme ; mais enfin une mesure aussi rigoureuse que
célle que vient de prendre le congrès américain , prouve que
son mécontentement est sérieux , que notre conduite est véritablement
violente ; et nous sommes réduits à y renoncer ,
autant pour respecter l'opinion des peuples éclairés sur notre
4
520 MERCURE DE FRANCE ,
compte , que pour épargner à nos préposés à la presse les
scènes effrayantes dont les menace le nouveau décret rendu
par le congrès américain. (Morning-Chronicle. )
Nous avons reçu les gazettes de New-Yorck jusqu'au 7 février . M. Gregg
a fait , le 29 janvier , dans la chambre des représentans , la motion suivante
, qui a été renvoyée à l'examen d'un comité :
« Attendu que la Grande - Bretagne exerce la presse sur les citoyens
des Etats -Unis , et qu'elle le forces à servir à bord de ses vaisseaux de
guerre , et qu'elle saisit et condamne les navires appartenans aux citoyens
des Etats- Unis , et leurs cargaisons , quoique non chargés de contrebande
de guerre , non destinés pour des ports bloqués , sous prétexte
qu'ils font avec l'ennemi , pendant la guerre , un commerce qui ne leur
étoit pas permis pendant la paix ;
» Attendu , en outre , que le gouvernement des Etats -Unis n'a cessé
de faire à ce sujet au gouvernement britannique des remontrances qui ont
été jusqu'à présent sans effet ; il est résolu en conséquence que , jusqu'à
ce qu'on ait obtenu une entière satisfaction à ce sujet , et « à compter du...,
il ne sera importé aux Etats- Unis aucune marchandise provenant
de la Grande-Bretagne ou de ses colonies . Le président est autorisé à
faire cesser cette prohibition dans le cas d'un arrangement qui auroit lieu
à sa satisfaction . »
Nous sommes persuadés que les Américains seront les premiers à se
repentir d'une pareille mesure , s'ils sont assez hardis pour la décréter,
D'après un rapport officiel , fait au congrès , leur force navale consiste en
huit frégates , dont deux seulement sont prêtes à mettre en mer ; quatre
bricks , deux bombardes , et des chaloupes canonnières , dont on ne dit
pas le nombre : peuvent- ils avec des pareilles forces parler sérieusement
des mesurer avec la Grande-Bretagne ?
Le bruit s'est répandu à New- Yorck , le 29 janvier , que l'ambassadeur
d'Espagne avoit reçu ordre du gouvernement des Etats- Unis de
quitter le pays . On lit dans les gazettes une longue lettre adressée par
cet ambassadeur au sec étaire- d'état américain , dans laquelle il se plaint
de l'inexactitude des faits avancés par le président dans son discours d'ou
verture , concernant la conduite de l'Espagne.
Le bruit s'est répandu hier qu'il étoit arrivé des nouvelles d'Amérique
, annonçant que l'embargo avoit été mis sur les bâtimens anglais
dans tous les ports des Etats- Unis , et que le gouvernement de ce pays
avoit en outre déclaré la guerre à l'Espagne. Nous ne pouvons garantir
l'anthenticité de cette nouvelle .
Du 5. Le bruit s'est répandu hier dans toute la ville que M. T.Grenville
et M. Robert Adair alloient incessamment partir pour se rendre à Paris
avec un caractère diplomatique. Ce bruit p roît peu fondé On sait maintenant
que les dépêches qui furent apportées de France , il y a quelques,
jours au bureau des transports , par mad. Barton , étoient relatives aux
prisonniers de guerre . Elles contenoient simplement la réponse du gouvernement
français aur propositions qui lui avoient été portées dernièrement
de la part du nôtre , par le capitaine Majendie , au sujet de l'é
change des prisonniers.
Lord Holland remplace , dit-on , à Vienne sir Arthur Paget , et le
marquis de Douglas va à Berlin ou à Pétersbourg .
Le capitaine d'un bâtiment américain a informé avant - hier le gouvernument
qu'il avoit rencontré une escadre forte de 8 vaisseaux de ligne, à
peu d'heures de marche de la même latitude où le paquebot arrivé der
nièrement rapporte avoir laissé l'amiral Dukworth. Cette circonstance fait
MARS 1806 . 521
présumer que cette escadre qui , d'après le nombre de vaisseaux qu'on
lui donne , n'est pas celle de l'amiral Dukworth , devoit être la flotte
sortie de Brest. Cependant beaucoup de personnes prétendent que l'escadre
française a trompé les recherches de notre amiral ', et qu'elle est
partie pour les Indes orientales. ( Courrier. )
Sir Sidney Smith est parti de Falmouth , le 2 de ce mois , à bord du
Pompée; il se rend dans la Méditerranée .
-
PARIS.
Un
rapport fait à S. M. sur les ponts et chaussées
, par
le conseiller
d'état directeur
-général
de cette partie de l'administration
, inséré hier et aujourd'hui
dans le Moniteur
, offre
le tableau des travaux les plus importans
des ponts et chaussées
,
de la navigation
, des canaux et des ports de commerce
, exécutés
dans les années 12 et 13. Cette pièce très-étendue , paroît
avoir servi de base à la partie de l'Exposé
de la situation
{
de l'Empire
, qui a rapport
à tous les grands travaux
exécutés
,
commencés
et projetés
pour rendre
en France
les communications
plus belles et plus faciles.
— M. le sénateur Tronchet est mort mercredi six heures :
du matin. T
-Les propriétaires de belles jumens poulinières , soit de ,
l'ex-Normandie , soit des environs de Paris , sont prévenus
que S. Exc. le grand-écuyer a envoyé en Normandie huit,
étalons du haras de S. M. l'EMPEREUR et Roi , et de premièrerace
française , arabe , turque et barbe pour le temps de la
monte , et qu'il reste au haras de Saint- Cloud huit étalons
de la plus pure race française et arabe : toutes les jumens.
saines , de bonne espèce et tournure , seront reçues à la porte
jaune , près Saint-Cloud.
ARMÉE DE NAPLES.
PROCLAMATION.
Au nom de S. M. l'Empereur des Français et Roi d'Italie,
notre auguste frère et souverain , Nous Napoléon Joseph
Bonaparte , prince français , grand-électeur de l'Empire ,
lieutenant de l'Empereur , commandant en chef de l'armée
de Naples.
Peuples du royaume de Naples ,
S. M. l'Empereur des Français et Roi d'Italie m'a ordonné
de prendre , en son nom , possession de ce royaume. Je prends
au même nom l'engagement inviolable et sacré que la dynastie
de Naples ne régnera jamais sur ces contrées. Elle avoit
renoncé à votre amour , et oublié que l'affection d'un peuple ›
est le plus précieux des droits que puissent avoir les souverains
à le gouverner
522 MERCURE DE FRANCE ,
Je n'ai trouvé parmi vous que les impressions de la terreur
que vous avoient inspirées les injustices de votre cour.
Peuples , ne craignez plus , le cours de ses vengeances est
terminé; quel que soit le système adopté , le changement de
la dynastie de Naples restera immuable. Unissez-vous d'affection
, de confiance et de zèle aux mesures que je prends pour
améliorer vos finances , pour diminuer vos besoins , pour
vous assurer la justice et la paix. Si l'effet ne suit pas aussi
promptement que je le desirerois les moyens que je prends ,
pour alléger les fardeaux que vous avez supportés , n'en accusez
que les folles déprédations de tout genre qui ont tant altéré
les ressources de l'état.
courage
Que ceux qui seroient encore dévoués à une cour qui , après
avoir provoqué la guerre , n'a pas eu le de combattre
, qui a fui le danger après l'avoir attiré sur elle , qui
a dépouillé vos cités des fruits de votre génie et de celui de
vos pères ; que ceux à qui elle a laissé , dans sa fureur insensée ,
l'odieuse mission de fomenter le désordre , d'organiser l'assassinat
, et d'ourdir des trames criminelles , reconnoissent que ,
leur véritable devoir est dans le bien public , ou qu'ils
tremblent ! Mais que la nation , je le répète , soit au contraire
sans inquiétude et sans alarmes , elle éprouvera dans peu les
effets des intentions bienfaisantes de S. M. , et des soins qui
m'ont été recommandés pour rendre à ce peuple toute sa
splendeur et toute son ancienne prospérité .
Conformément à mes promesses , vos magistrats sont conservés
; j'ai pourvu aux remplacemens de ceux qui vous ont
abandonnés. Je n'imposerai aucune contribution de guerre.
Je ne souffrirai pas que vos propriétés soient lésées en aucune
manière. Enfin , il ne dépendra que de vous de n'avoir connu
de la guerre que le nom .
Naples , le 21 février 1806.
Signé JOSEPH Bonaparte.
Au nom de l'Empereur des Français , Roi d'Italie , notre
très-auguste frère et souverain , Nous Napoléon - Joseph
Bonaparte , prince français , grand-électeur de l'Empire
lieutenant de S. M. , commandant en chef l'armée de Naples ,
voulant rendre à l'administration son activité accoutumée
ordonnons ce qui suit :
1
Les fonctions exercées par les secrétaires-d'état qui ont
abandonné leur poste , seront provisoirement remplies par
des directeurs , ainsi qu'il suit :
Pour la secrétairerie des graces et justice , par M. Michel -Ange
Cianciulli , chef de Rote du sacro regio consiglio ; pour celle
MARS 1806. 523
-
?
des finances , par M. le prince de Bisignano ; pour celle de la
guerre , par M. André- François Miot , conseiller d'état de
S. M. l'EMPEREUR et Roi , et l'un des commandans de la
Légion d'Honneur ; pour celle de la marine , par M. le
commandeur Pignatelli ; pour la police -générale du royaume ,
par M. Salicetti, ci-devant ministre plénipotentiaire de S. M."
I'EMPEREUR et Roi à Gênes , et l'un des commandans de la
Légion-d'Honneur ; pour les affaires ecclésiastiques , par
M. le duc de Cassano ; pour la maison et domaines royaux ,
par M. le duc de Campochiaro.
Fait à Naples , le 22 février 1806.
Soldats
Signe JOSEPH BONAPARTE.
Ordre du jour du 19 février.
Je me plais à vous féliciter sur le bon esprit qui règne parm
vous ; vous avez montré , en supportant les privations de tout
genre résultantes des marches forcées que vous avez dû faire
et de la difficulté des chemins , la même force d'ame qui vous
rend si supérieurs à vos ennemis . Je m'occupe de tous vos
besoins , et je ne serai content que lorsque vous serez aussi
bien que je le desire. Je ne souffrirai dans l'armée aucune
déprédation. Il faut que toutes les ressources soient dirigées .
pour le bien de tous , et non pour le bien- être de quelques
individus. Ils sont en très-petit nombre, et je les connois. Que
ce premier avertissement paternel leur serve et m'évite des
mesures de rigueur. Signé JOSEPH BONAPARTE.
Le général en chef renouvelle :
1. La défense d'exiger la table des habitans du pays. 2. De
garder des chevaux napolitains. Ils doivent tous être remis à la
disposition du général commandant la cavalerie, pour servir à
la remonte du corps de l'armée. L'exécution de ses ordres sera ,
suivie , et personne , quel que soit son rang , n'échappera à sa
surveillance, 3. Comme un témoignage de sa satisfaction ,
le général en chef a ordonné qu'il sera
donné par
forme de gratification une somme de 5 fr. à chaque sousofficier
et soldat , pour être ajoutée à sa masse de linge et
chaussure , et être par préférence employée en achat de souliers.
Les chefs de corps qui préféreront des souliers en nature
s'adresseront au commissaire - ordonnateur en chef. Cette distribution
sera faite sur l'état de l'effectif de chaque corps , visé
par le sous-inspecteur. Signé JOSEPH BONAPARTE.
Il sera formé quatre compagnies d'artillerie napolitaine , et
une compagnie d'ouvriers . Elles seront portées au grand complet
de guerre de cent hommes , et formées des anciens ça524
MERCURE DE FRANCE.
nonniers et ouvriers napolitains de bonne volonté . Elles seront
organisées , habillées , soldées et traitées en tout comme
celles du corps impérial d'artillerie française. Les officiers et
sous- officiers seront pris parmi ceux de l'artillerie napolitaine
qui voudront prendre du service.
Ces compagnies pourront être commandées par un officier
supérieur. Il y aura en outre vingt employés d'artillerie napolitaine
, gardes , conducteurs , ouvriers , vétérans et chefs armuriers
et artificiers. Le général commandant en chef l'artillerie
, est chargé de la présente organisation. Il présentera à
l'approbation du général en chef le contrôle des officiers avec
leur service et celui des soldats .
Signé JOSEPH Bonaparte.
Par ordre du prince ,
Le général de division , chef de l'état-major-général
de S. M. 1. , CÉSAR BERTHIER.
CORPS LÉGISLATIF.
Séance du 8 .
Les orateurs du conseil d'état , MM. Regnault et Ségur
présentent un projet de loi dont voici les dispositions principales
:
Il sera établi à Lyon un conseil de prud'hommes , composé
de neuf membres , dont cinq négocians- fabricans , et quatre
chefs d'ateliers. Les négocians-fabricans ne pourront être élus
prud'hommes , s'ils n'exercent leur état depuis six ans , ou
s'ils ont fait faillite . Les chefs d'ateliers , pour être élus , devront
savoir lire , écrire avoir au moins six années d'exercice.
Le conseil des prud'hommes se renouvellera par tiers ,
chaque année , le 1er janvier ; il pourront toujours être réélus
Les prud'hommes termineront par la voie de conciliation
les petits différends qui s'élèvent journellement soit entre les
fabricans et les ouvriers , soit entre des chefs d'ateliers et des
compagnons ou apprentis. Ils jugeront jusqu'à la somme de
60 fr. , sans formes , sans frais , sans procédures et sans appel ,
les différends à l'égard desquels la voie de conciliation aura été
sans effet. Tout différend portant sur une somme supérieuré à
celle de 60 fr. , sera porté devant le tribunal de commerce.
Le conseil des prud'hommes sera spécialement chargé de
constater les contraventions aux lois et réglemens , ainsi que
les soustractions des matières premières. Il est aussi chargé des
mesures conservatrices de la propriété des dessins. Tout fabricant
qui voudra revendiquer par la suite , devant le tribuMARS
1806 . 525
nal de commerce , la propriété d'un dessin de son invention ,
sera tenu d'en déposer , aux archives du conseil des prud'hommes,
un échantillon plié sous enveloppe , revêtu de son cachet
et de sa signature , et sur lequel sera légalement apposé
le cachet du conseil. En cas de contestation entre plusieurs
inventeurs de dessins , le conseil des prud'hommes fera l'ouverture
des paquets qui auront été déposés par les parties , et
fournira un certificat indiquant le nom du fabricant qui aura
la priorité de date. Les dernières dispositions du projet établissent
des réglemens de compte , et une police entre les
maîtres d'ateliers et les négocians. Il pourra être établi des
conseils de prud'hommes dans les autres villes où le gouvernement
jugera à propos d'en établir. Leur composition pourra
être différente , selon les lieux ; mais leurs attributions seront
les mêmes. La discussion de ce projet s'ouvrira le 18.
*
Séance du 12 ( 1 ),
MM. Despalières et Nougarède ont été choisis par S. M.
pour remplir les deux places vacantes à la questure du corps
législatif.
M. le conseiller d'état Siméon propose un projet de loi
dont voici les principales dispositions :
Lorsque des délits contraires à la police et à la conservation
des bois auront été commis , soit dans une forêt nationale ,
soit dans une forêt de la couronne , et que parmi les prévenus
ou complices il y aura un ou plusieurs agens ou préposés de
l'administratiou des forêts , le directeur-général de l'administration
des forêts nationales , les cinq directeurs desdites fo→
rêts , l'administrateur-général des forêts de la couronne , et
les conservateurs qui leur sont respectivement subordonnés ,
pourront en dresser procès-verbal et instruire contre celui
ou ceux des prévenus qui seront agens ou préposés de l'administration
, ainsi qu'envers leurs complices , quoiqu'ils ne
soient pas agens ou préposés des forêts.
Ils pourront également dresser des procès-verbaux et instruire
contre toutes personnes qu'ils surprendront en flagrant
délit , sans qu'il soit nécessaire , dans ce cas , que parmi les
prévenus il y ait un ou plusieurs agens de l'administration .
Le directeur-général de l'administration des forêts natio
nales , les cinq administrateurs des forêts de la couronne et les
conservateurs sont en conséquence autorisés à faire , jusqu'au
mandat d'arrêt exclusivement , en se conformant aux lois sur
(1) Le peu d'étendue de la partie politique dans ce journal , nous oblige
A ne donner que l'extrait des séances du corps législatif qui présenteront
un intérêt général .
526 MERCURE DE FRANCE ,
l'instruction correctionnelle et criminelle , tout ce que les
magistrats de sûreté et directeurs de jury pourroient faire.
Après l'instruction, si le délit n'est susceptible que de
peines correctionnelles , l'administrateur-général des forêts
nationales , l'administrateur- général des forêts de la couronne,
les administrateurs des forêts ou le conservateur qui aura
instruit , renverra les prévenus et les pièces devant le directeur
du jury, qui , suivant la nature du délit , les renverra luimême
devant le tribunal compétent..
Les substituts , magistrats de sûreté , directeurs du jury et
autres fonctionnaires de l'ordre judiciaire auxquels la poursuite
des délits est confiée , n'en demeurent pas moins chargés
de faire toutes les diligences convenables pour faire atteindre
et punir les auteurs et complices des dégradations commises
dans les forêts ; et en cas de concurrence entr'eux et les officiers
supérieurs des forêts , la poursuite du délit demeurera à ceux
qui , les premiers , auront délivré un mandat soit de dépôt,
soit d'amener , soit d'arrêt.
Piéces historiques relatives à la troisième coalition.
a
La troisième coalition s'est formée dans l'ombre , et a été
dissipée si promptement, que les historiens ne l'auroient connue
que par ses résultats , si le cabinet de Saint -James n'avoit
pris lui-même le soin de livrer à la postérité et les auteurs de
cette guerre et le ridicule de leurs projets. Nous avons déjà
imprimé plusieurs pièces extraites du grand volume in- folio
qui a été soumis au parlement d'Angleterre ; le Journal officiel
en a publié un grand nombre de nouvelles cette semaine.
Leur étendue ne nous permettant pas de les donner en entier,
nous nous bornerons à en retracer les conclusions rigoureuses.
On peut compter sur l'exactitude du résumé suivant. Ces
nouvelles pièces prouvent invinciblement :
1° Que la coalition ne vouloit point respecter la neutralité
de la Suisse , et qu'elle avoit résolu de s'emparer de ce pays
pour pénétrer en Franche-Comté .
2°. Que la Russie qui ne parle dans les journaux que par
500 mille hommes , ne s'étoit engagée à fournir à la coalition
que 115,000 hommes : elle ne pouvoit pas effectivement en
fournir davantage. On s'amuse à faire peur des Russes à l'Allemagne
, comme on lui faisoit jadis peur des Turcs. On sait
très-bienaprès tout, que la population de la Russie est moindre
que celle des autres états de l'Europe ; qu'elle est disséminée
sur des pays immenses , habités par un peuple demi -sauvage
que les Russes ont fort peu de généraux qui aient les premières
MARS 1806.
527
idées de tactique ; que même les sous-officiers y sont trèsrares
; qu'ils n'ont point de bons ingénieurs , point d'hommes
d'artillerie. Quelque van té qu'ils montrent et quelques prétentions
qu'ils veuillent afficher , laRussie n'est que la quatrième,
puissance de l'Europe. La première fois que les Russes auront
la guerre , ou avec les Autrichiens , ou avec les Prus
siens, ils seront battus , comme ils l'ont été par Frédéric dans
la guerre de sept ans.
Le principal agent de tous leurs plans militaires est M. de
Vinzingerode , qui est Autrichien , et qui a toujours été au
service d'Autriche ; ils ont deux ou trois émigrés dans leurs
armées dontils font grand cas, et qui doivent en effet leur paroître
des officiers bien habiles. Ils ont dans les différentes branches
de leur administration beaucoup d'autres employés qui ne
sont point nés russes et dont ils ne peuvent se passer par
exemple, si l'établissement d'Odessa prend tant d'accroissement,
ils le devront à M. de Richelieu . On ne met ainsi les étrangers
en évidence que quand on est dans une grande disette
d'hommes.
On peut regarder comme un des grands vices de l'organisation
militaire des Russes , les maladies fréquentes qui s'établissent
dans l'armée , résultat de l'excessive malpropreté des
soldats , de leur indiscipline et de leurs moeurs sauvages et
féroces.
3°. Que l'empereur d'Allemagne , c'est-à- dire le chef du
corps germanique , appeloit les étrangers dans la Bavière et
les autres états d'Allemagne , qu'alliés ou non , les états de
l'empire devoient être pillés et mis à exécution ; singulière
manière de remplir les devoirs de chef du corps germanique.
4°. Que la Prusse n'a pas eu plus de part à toutes ces menées
que la Bavière et le Danemarck ; et qu'elle a même si
peu connu ce qui se passoit , qu'elle s'est laissée prendre au
dépourvu. Elle est la première des puissances du continent
qui ait fait sa paix avec la France à la première coalition ;
elle n'a voulu prendre aucune part à la seconde , et elle est
tout-à-fait étrangère aux mouvemens de la troisième.
C'est sur ces documens que les Français doivent régler leur
opinion , et non sur des articles de gazettes et sur des propos
de subalternes , propos auxquels les cours sont exposées par
la malveillance et les intrigues si compliquées des agens
anglais. Tout ce qui revient chaque jour prouve que le roi de
Prusse n'a pas cessé d'être ami de la France.
:
5°. Que les plans militaires des coalisés étoient aussi dépourvus
de raison que les idées des cabinets étoient fausses
sur la force des armées françaises , et que tout prêts à se l'exa528
MERCURE DE FRANCE ,
gérer après la bataille , ils avoient commencé la guerre dans
la persuasion que les Français étoient sans armée.
6°. Que M. de Stadion , qui est aujourd'hui à la tête dự
cabinet autrichien, a non-seulement pris part à ces tripotages
qui ont failli causer la ruine de sa patrie , mais qu'il a été plus
qu'exécuteur , puisqu'il a pris sur lui beaucoup de choses.
7°. Que les coalisés croyoient surprendre l'Empereur des
Français , et qu'ils étoient aussi extravagans en espérances
qu'ils se sont montrés dépourvus de ressources et de moyens
réels lorsqu'il a fallu agir.
8°. Que le prince Charles d'Autriche a toujours été opposé
à toutes ces menées , n'a jamais compris la raison de la guerre
et n'y a jamais adhéré.
9°. Qu'il résulte de l'écrit publié par le prince de Schwarzenberg,
que , la veille de la bataille , les Russes étoient à Austerlitz
pour se mettre en marche pour Nicolsburg ; manoeuvre
insensée , plus et bien plus coupable que celle de Mack,
L'Empereur Napoléon qui a jugé à propos d'attaquer le
11 frimaire , parce qu'il a trouvé l'occasion belle , avoit eu
le projet de reculer encore d'une marche, et de jeter les Russes
dans le Danube.
10°. Que si le conseil aulique punit le général Mack comme
auteur de la guerre , il doit aussi punir MM. Stadion et
Cobentzel ; que si c'est comme auteur de mauvais plans qu'on
accuse le général autrichien , la Russie , de son côté , devroit
punir les auteurs du projet de marche sur Nicolsburg ; que
général Mack ne commandoit pas l'armée autrichienne , puist
qu'il en étoit le quartier-maître ; que le prince Ferdinand he
la commandoit pas , puisque M. Mack n'étoit pas son quartier-
maître. Les militaires éclairés et justes chez tous les peuples
, en méprisant le caractère de Mack , trouveront injuste
et arbitraire la punition qu'on voudra lui faire subit
il ne mérite que le mépris : mais tous ceux qui ont été les
agens de cette basse et funeste intrigue , doivent le partager
avec lui.
11 °. Que rien ne prouve mieux combien ces publications
sont inutiles à la justification du cabinet anglais , que
l'inconsidération de l'Angleterre pour les autres états dont
ces publications compromettent les souverains et les ambassadeurs
; enfin , que désormais les ministres du continent ne
doivent parler aux ambassadeurs anglais qu'en présence d'un
notaire , s'ils ne veulent pas voir publier quelque jour de prétendues
conversations et de misérables rapsodies rédigées par
un ambassadeur pour faire sa cour à un ministre , ou servir
toute autre intrigue.
32
( No CCXLIV. )
( SAMEDI 22 MARS 80
DE A
SEINE
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSI E.
L'INDULGENCE
POEM E.
MORTEELL ! est-ce à toi d'oser être sévère
Composé monstrueux d'orgueil et de misère ,
Ta foiblesse est égale à ta férocité . Ty
D'un Dieu toujours propice et toujours irrité,
Je te vois implorant et lassant la clémence ,
Lever: au ciel des bras armés pour la vengeance.
Quel est donc ton espoir ? Crois-tu , dans ta fureur,
Tromper l'oeil de Dieu même , et lui eacher ton coeur ?
Mais je veux. que ce coeur, dépouillé d'injustice ,
D'un courroux vertueux n'accable que le vice .
Eh bien ! il faut encor tempérer ce courroux :
C'est trop peu qu'il soit juste , il faut qu'il soit plus doux .
Le vice est moins affreux qu'un zèle trop sauvage
Pardonnons . L'indulgence est l'équité du sage ."
Heureux qui pourra dire au juge souverain :
Seigneur, toi seul es juste, et moi je fus humain ! »
LI
530 MERCURE DE FRANCE ,
Ce juge est descendu . La justice en silence
A remis dans ses mains le glaive et la balance ;
Mais je vois près de lui la clémence et l'amour .
Toi, qui jugeois ton frère , il t'appelle à ton tour .
Tu frémis , tu le dois ; crains ta rigueur extrême,
Crais les propres arrêts ; ils t'ont jugé toi-même :
Malheur ! malheur à toi si tu fus sans pitié ,
Si ta vertu brava le vice humilié !
Eh! quel coeur sait jamais s'il vit dans l'innocence ?
Tout inortel en tout temps a besoin d'indulgence ;
Tout mortel est coupable aux yeux de l'Eternel ,
Et le plus rigoureux est le plus criminel .
Mais ce maître des coeurs plaint la foiblesse humaine :
S'il estime le zèle , il réprouve la haine,
Le misantrope amer , le dévot emporté ,
Destructeurs ou tyrans de la société ,
Prennent pour la vertu P'humeur et la colère.
Homme farouche et dur, prends pitié de ton frère !
Es-tu foible ? pardonne. Es- tu fort ? soutiens-moi;
Eclaire ma raison et raffermis ma foi.
Des folles passions si j'ai subi l'empire ,
Le ciel t'a-t-il chargé du soin de me maudire ?
Ou si d'un doute encor mon esprit agité ,
A travers ce bandeau voit mal la vérité ,
Crois-tu qu'à tes fureurs ce doute se détruise ?
Et dois-tu m'outrager quand je veux qu'on m'instruise ?
Mais laissons ce docteur, ardent à discourir,
S'indigner de mes maux au lieu de les guérir.
Il est bien d'autres torts qu'il faut que je pardonne :
L'amour qui me trahit , l'ami qui m'abandonne ;
Et l'indigne rival que l'on m'a préféré ,
Et le vil concurrent qui s'est déshonoré
En usurpant ma place , en ravissant ma gloire ,
En frustrant mes travaux des fruits de la victoire.....
Il faut oublier tout , profiter du malheur,
Habiter en soi-même et jouir de son coeur.
C'est par de tels conseils. que la philosophie ,
Ne pouvant l'embellir, console au moins la vie.
Si l'on ne peut aimer, il est doux de sentir
Qu'on a su pardonner, qu'on ne sait point haïr.
MARS. 1806. 531
La médiocrité n'a pas tant d'indulgence ;
Le mérite l'aigrit , et la vertu l'offense :
*ན་
Tout succès noble et justé est horrible à ses yeux ;
Le coeur de l'intrigánt est toujours envieux .
Ciel ! ô ciel ! étouffez cette exécrable envie ,
Ou sauvez de ses traits la vertu poursuivie . '
Femmes , d'une rivale admirez la beauté ;
Amis , soyons rivaux en générosité ,
Sachons goûter l'esprit , respecter le génie ,
Honorer les talens que le ciel nous dénie.
Je ne vous parle point d'excuser les défauts ,
De plaindre les méchans et d'épargner les sots :
C'est le plus foible effort d'une vertu commune :
Peut-être il en faut plus pour souffrir leur fortune ,
De leurs basses hauteurs l'insolente bonté ;
Mais pour chérir loin d'eux l'auguste pauvreté ,
Pour savoir dédaigner le faste et la mollesse' ,
Voyez à qui le ciel prodigua la richesse .
De leur or accablés ont- ils pu découvrir
Que partager ses biens est tout l'art d'en jouir ? £
Oh ! que je plains un goût dédaigneux et sévère !
Ecoutez ces mortels ; tous demandent à plaire .
Qu'ils obtiennent d'aimer , ils seront trop heureux. '
L'amour embellit tout , il comble tous les veux : -
Amour, mets dans nos coeurs ton indulgence aimable ,
Répands sur l'univers ce charme inexprimable
Qui sait tout transformer , et pour qui chaque objet
Est tout ce que tu veux , et tout ce qui nous plaît !
Si la soeur de l'Amour, l'Amitié douce et tendre ,
Sur la terre à ma voix daignoit encor descendre ,
Songeons qu'elle n'admet que des coeurs indulgens ,
Qu'elle ne doit plus rien aux amis exigeans ;
Qu'il faut tout excuser, froideur, oubli , caprice , K
Le partage sur - tout , et même l'injustice.
J
pel SiqA (7)
shin 12
Toi , qui sus à la fois et vaincre et gouverner, T
Henri ! tu sus encore aimer et pardonner.
Laissons à Richelieu ses grandeurs despotiques ,
Sa digue , ses fureurs , ses chagrins politiques.
Tu daignas épargner Conchine et d'Epernon ;
Ton coeur voulut trois fois faire grace à Biron ;
LI2
532 MERCURE DE FRANCE ,
"
Montpensier à tes pieds adora ta clémence ( 1 ) ,
Et Mayenne attendri publia ta vengeance ( 2 ) .
Tu jugeas qu'être bon c'étoit plus qu'être grand ;
Ta gloire est immortelle , et voilà tốn garant.
O modèle sacré d'amour et d'indulgence !
De tes douces vertus daigne animer la France ,
Daigne éclairer notre ame , et fais-nous concevoir
Qu'aimer est un bonheur, pardonner un devoir .
Parfeu M. GAILLARD , de l'Académie Française et de la
Classe d'histoire et de littérature ancienne de l'Institut.
ODE
A LA DANS E.
GLOIRE des vierges du Permesse ,
Charme des Dieux et des mortels ,
Jeune et bienfaisante dées e
Dont les ris servent les autels ;
Brillante et vive Terpsichore ,
Toi qui m'embrases , que j'adore ,
Entends ma voix ; quitte les cieux :
Descends , plus prompte que Zéphire,
Vole , et de mon brûlant délire
Guide l'essor impérieux.
Disparoissez , aigres sibylles ,
Disparoissez , barbons grondeurs ;
(1 ) Après la prise de Calais par les Espagnols , en 1595 , des seigneurs
français , factieux et ambitieux , engagèrent le duc de Montpensier à proposer
au roi de rendre les gouvernemens héréditaires et souverains , sous
la seule condition de l'hommage , c'est - à - dire , de renouveler l'ancien
régime féodal qui avoit désolé la France et perdu la seconde race.
Henri IV fit rougir le duc de Montpensier de cette proposition , lui en
fit sentir toutes les conséquences , relativement à ses propres intérêts ( à
lui Montpensier ) , et cette triste conférence finit par un attendrissement
réciproque.
( 2 ) De l'avoir lassé à la promenade : Mon cousin, lui dit- il , voilà la
seule vengeance queje prendrai de vous . Mot divin qui suffiroit pour
faire adorer ce prince.
MARS 1806. 533
Des bals ennemis inhabiles ,
Et vous,
Des plaisirs envieux frondeurs .
Amours , Graces légères ,
Gentils bergers , tendres bergères ,
Accourez tous à mes chansons .
Cupidon , marque la cadence ,
Mon luth va célébrer la danse ,
Que tout s'anime à ses doux sons.
Tombez aux pieds de Terpsichore ,
Mortels , bénissez ses bienfaits ;
Ses jeux ne font jamais éclore
Que des plaisirs , des biens parfaits .
Ils sont l'idole du jeune âge ,
L'amour des belles et du sage ,
Et l'effroi de la Faculté .
Tout s'embellit par leur présence ,
Et l'on voit naître de la danse
La paix, la joie et la santé.
Tous les climats et tous les âges,
Peuples anciens , peuples nouveaux ,
Rois, conquérans , héros et sages ,
Dans ce bel art furent rivaux .
Ici , David , pour fêter l'Arche ,
En bondissant ouvre la marche;
Là, bondit Epaminondas.
Plus loin , dans sa fougue héroïque ,
Le fondateur de la Pyrrhique
Danse, et fait danser ses soldats.
Ce mortel , plus grand en sagesse
Que les Bias et les Thalès ,
Socrate , danse en sa vieillesse
Chez l'amante de Périclès.
Anacréon, plus vieux encore,
Fêtant Bacchus et Terpsichore ,
Danse , embrasé de Cupidon;
Et chez le tyran de Sicile ,
Aristippe , d'un pied agile ,
Danse gaiement devant Platon.
Les guerriers nus , les vierges nues
Dansent aux bords de l'Eurotas ;
3
534
MERCURE
DE
FRANCE
,
Des formes mâles et velues
Pressent des membres délicats.
On lutte , on s'étreint , on s'enlace ;
Beauté , vigueur, souplesse et grace,
Brillent en groupes animés .
D'un saint transport chacun s'embrase ,
Et dans une immobile extase
Les spectateurs restent charmés.
Ces immortels que l'honime adore ,
Les Dieux eux- mêmes , oui les Dieux ,
Amans rivaux de Terpsichore ,
Font leurs délices de ses jeux.
Au sein des bois , Faunes , Dryades ,
Mêlant leurs chants à leurs gambades ,
Dansent en choeur gais et dispos ;
Et Pan , la mine rubiconde ,
Excite leur folâtre ronde
Des sons joyeux de ses pipeaux .
Les Muses dansent sur le Pinde ;
Les Graces dansent à Paphos ;"
Bacchus danse aux rives de l'Inde ;
Le Dieu du jour danse à Délos .
J'entends danser les Corybantes ,
Leurs cris , leurs rondes mugissantes,
Sauvent l'amant de Danaé ;
Et s'agitant , échevelées ,
Les Bacchantes , dans les vallées ,
Dansent en criant : Evohé.
Si d'une gloire si brillante
La danse en Grèce resplendit ;
D'une grandeur non moins puissante
En Europe elle s'applaudit.
Sa flamme embrase les provinces ;
Belles , guerriers , savans et princes ,
Font tous pour elle assaut d'exploits ;
Et dans des fêtes solennelles
Don Juan accourt de Bruxelles
Voir à Paris danser Valois ( i ) .
( 1 ) Marguerite de France , dernière princesse de la maison de Valois ,
'fille de Henri II.
MARS 1806. 535
Plein d'une belliqueuse rage ,
Devant Charles-Quint , Scaliger
Dressant son dos courbé par l'âge ,
Danse coiffé, bardé de fer ,
Fougueux il bondit , il s'élance ,
Choque l'airain , brandit sa lance ;
Et l'air tremblant porte aux échos
Ce cri terrible et frénétique :
Voilà Pyrrhus et la Pyrrhique !
Voilà la danse des héros !
Ce roi qui fatigua la gloire ,
Qui triompha près de cent ans,
Qui vit entier dans la mémoire ,
Vainqueur du trépas et du temps ,
Louis , donnant de grands exemples,
A la danse dressa des temples ,
Et de la danse fut l'honneur ;
Et par les charmes de la danse ,
Libre des soins de sa puissance ,
Fut et grand homme et grand danseur.
Mais tel que l'astre dont l'aurore
Rougit d'orgueil le front des cieux ,
Et de ses feux , éteint , dévore ,
Des vastes nuits les pâles feux :
Ainsi mon siècle , par la danse ,
Anéantit dès sa naissance
L'éclat des siècles précurseurs ;
Et roi de leur troupe vassale ,
Voit leur couronne triomphale
Tomber aux pieds de ses danseurs.
Comme un géant immense en gloire ,
Maître de l'immortalité ,
Il court au temple de mémoire
Régner sur la postérité ;
Et dans ses bonds inimitables ,
Dans ses élans inconcevables ,
Jusques aux cieux portant ses pas ,
Entend les cris de tous les âges
Eterniser de leurs hommages
Ses incroyables entrechats.
Par G..E DE P .......TE ( de Lyon . )
4
536 MERCURE DE FRANCE ,
ENIGM E.
SANS être femme , ni fille ,
'Ami lecteur , tiens pour certain ,
Qu'ainsi que toute ma famille ,
Je suis du genre féminin .
Ici je suis française , et quoique favorable
A maint et maint écrivain ,
Abeaucoup de savans j'ai paru détestable .
Combien d'entr'eux dédaignent la beauté
De mes plus jeunes soeurs , et courtisent les vieilles ;
Leurs consacrent travaux et veilles ,
Dans leur possession placent la volupté ,
Et préfèrent , la chose est des plus étonnantes ,
Quoique l'exacte vérité .
Par un goût singulier , les mortes aux vivantes . *
Par M. DUTHRÔNE - GLATIGNY.
LOGO GRIPHE
EN SON, NET.
L'HUMAINE ambition me donna la naissance.
Mes services d'abord étoient de peu d'effets ;
Mais ayant reconnu quelle est ma résistance ,
On m'employa depuis à de très- grands projets .
Par mon secours les rois conservent leur puissance ,
On peuple quelquefois des déserts , des forêts ,
L'artisan s'enrichit , le militaire avance ,
Enfin je suis utile aux princes , aux sujets .
Huit lettres font mon nom ; pour peu qu'on les déplace ,
Le lecteur trouvera de l'homme une boisson ;
Un fer propre à tenir, et glace , et lit en place .
Il peut trouver encore une graine ; un poisson ;
Un saint du mois de mai ; du monde une partie ;
Ce
que la mort détruit ; un gros bourg d'Italie ."
Par M. LEMaire.
CHARADE.
ÉTFS-VOUS mon dernier,
Brusquement mon premier
Vous met en mon entier.
Le mot de l'Enigme du dernier Nº est Escargot.
Celui du Logogriphe est Magicien , où l'on trouve Nice , mage ■
gain , amie , cage , magie , main
Celui de la Charade est Chauve- souris.
MARS 1806. 537 **
Voyage en Chine , formant le complément du voyage
de lord Macartney ; par John Barrow . Trois vol.
in-8°. Prix : 20 fr. , et 25 fr. par la poste . A Paris ,
chez Buisson , libraire , rue Hautefeuille ; et le
Normant , libraire , imprimeur du Journal de
l'Empire, rue des Prêtres Saint- Germain-l'Auxerrois
, nº. 17.
'Deuxième etdernier extrait. ( Voyez le N° du 23 novembre. )
DANS un premier extrait sur ce Voyage , nous avons
examiné les Chinois dans leurs rapports avec l'autorité
publique ; nous avons fait remarquer l'accord
parfait qui existoit entre la loi politique et la loi
civile , découlant toutes les deux du même principe
( le despotisme paternel ) , et se prêtant un mutuel
secours . Il nous reste maintenant à considérer la société
domestique et ses institutions : sous ce rapport ,
le tableau que nous allons offrir de ce peuple ne
présentera pas des couleurs plus riantes.
Plusieurs déclamateurs modernes se sont extasiés
sur l'extrême civilisation des Chinois : l'examen de
leur gouvernement a prouvé que cette prétendue civilisation
n'étoit autre chose que l'extrême servitude ,
combinée sans doute par une sagesse profonde , mais
qui , tout en maintenant la tranquillité de ce vaste
empire , n'en produit pas moins son effet naturel et
nécessaire la dégradation de toutes les facultés
morales de l'homme. L'examen de la société domestique
confirme cette vérité ; et un observateur qui ,
sans avoir rien vu de l'administration extérieure de la
Chine , se trouveroit transporté dans l'intérieur de
la maison d'un Chinois , concluroit aussitôt qu'il est
chez un peuple peu avancé dans la civilisation .
En effet , c'est un principe à-peu -près invariable ,
538 MERCURE DE FRANCE ,
-
que la condition des femmes , chez quelque nation
que
ce soit , peut servir de règle pour juger du degré
de civilisation auquel cette nation est parvenue. Ce
n'est que dans la perfection de nos sociétés européennes
que l'on a senti quelle heureuse influence
pouvoient avoir sur la société leurs qualités morales
et intellectuelles , que la nature ne leur a point données
pour qu'elles restassent dans l'inaction à laquelle
elles sont condamnées chez les peuples sauvages et
sous les gouvernemens despotiques. Dans nos heureuses
contrées , où des gouvernemens justes et modérés
ne peuvent avoir d'autre but que d'inspirer
aux citoyens des sentimens nobles et généreux , on a
senti qu'il seroit barbare et impolitique d'avilir un
sexe de qui l'homme reçoit les premières et les plus
durables impressions , et dont les douceurs sont si
admirables pour tempérer ce qu'il peut avoir d'àpreté
dans le caractère et de férocité dans les moeurs. Des
effets contraires doivent nécessairement résulter d'un
état de choses entièrement opposé ; et partout où la
volonté arbitraire d'un seul tient lieu de loi , où les
premières impressions que l'on reçoit sont celles de la
nécessité, de la servitude et de l'excellence de la force ,
le moral des femmes doit être compté pour rien ;
leur foiblesse doit les rendre esclaves ; et leurs agrémens
physiques , seul mérite que l'on recherche en
elles , loin d'être un avantage pour celles qui les
sèdent , ne doivent servir , en raison du prix extrême
qu'on y met , qu'à rendre leur captivité plus dure ,
à les éloigner de toute société , à en faire enfin les
victimes soumises et dégradées des plaisirs sensuels et
de la jalousie de leurs tyrans . Telles sont les moeurs
de tous les états despotiques de l'Asie , et nulle part
l'avilissement et l'esclavage de ce sexe aimable n'est
plus frappant et plus déplorable qu'à la Chine :
pos-
« Les Chinois , dit l'auteur , ont assujetti les fem-
» mes à un bien plus grand degré d'humiliation et
» de gêne , que ne l'avoient fait les anciens Grecs et
'MARS 1806 .
539
>>
» nos aïeux , dans le temps que l'Europe n'étoit
» pas encore éclairée . Non contens de les priver
physiquement de l'usage de leurs pieds , ils ont
imaginé , pour les rendre encore plus casanières ,
>> d'établir que c'est un crime moral pour une femme
» d'être vue hors de sa maison . Si elles ont besoin
» de rendre visite à une parente ou à une amie , il
» faut qu'elles aillent en chaise à porteur. Marcher
» seroit pour elles le comble de l'indécence . Les
» dames de la campagne qui n'ont pas l'avantage
» d'avoir des chaises à porteur , se font quelquefois
» charier dans une espèce de brouette couverte.
Cependant les femmes et les filles de la classe infé-
» rieure ne sont ni renfermées dans leur maison , ni
exemptes d'un pénible travail d'esclaves . Plusieurs
d'entr'elles y sont obligées de travailler avec un
» enfant sur le dos , pendant que leurs maris sont
» occupés à jouer , à se promener ou à dormir pares-
» seusement. J'ai souvent vu de ces malheureuses
» femmes aidant à tirer la petite charrue chinoise
» ou la herse. » De manière qu'à la tyrannie orientale
qui ordonne l'éternel esclavage des femmes , se
joint celle des sauvages qui les traitent comme des
bêtes de somme.
>>
Ce mépris tyrannique pour les femmes éteint
nécessairement toutes les douceurs de la vie domestique
« Chez elle - même , au sein de sa propre
» famille , une femme ne doit ni manger à la même
» table que son époux , ni s'asseoir dans la même
>> chambre . Les enfans mâles , dès l'âge de neuf à
» dix ans , sont absolument séparés de leurs soeurs.
» Aussi les sentimens d'affection , qui sont moins
» l'effet d'un instinct naturel entre les enfans W
que
» d'une communication mutuelle de leurs besoins
» et de leurs plaisirs , se trouvent arrêtés dans leur
» germe , et périssent à l'instant où ils étoient près
» d'éclore. »
Dans un pays où le moral de l'amour est entière540
MERCURE DE FRANCE ;
ment inconnu , où les femmes ne sont considérées
que comme de vils instrumens des plaisirs d'un
maître , on ne doit nullement consulter , dans le mariage
, ni leurs sentimens , ni leur inclination : « On
» peut dire , poursuit M. Barrow, que les filles des
» Chinois sont toujours vendues . Celui qui veut en
» épouser une doit commencer par faire son marché
» avec les parens de cette fille . Elle n'a pas le droit
» de choisir ou de refuser ....... Là , nulle conversation
» préliminaire n'est jamais permise ; là , nulle com-
> munication d'opinions , nulle comparaison de sen-
» timens relativement aux inclinations ou aux répu-
» gnances qu'on éprouve , ne peut avoir lieu. Üne
» femme est une marchandise qui doit être indubi-
» tablement livrée à celui qui en offre le plus. A la
» vérité , l'homme n'a pas , à cet égard , un grand
» avantage ; car il ne lui est jamais permis de voir sa
» femme , avant le moment où elle arrive en grande
» cérémonie à sa porte . Toutefois la clef de la voiture
» de cérémonie où la femme est renfermée , et qui
» la conduit chez l'époux , est apportée d'avance à
» celui-ci et si en ouvrant cette voiture , il trouve
» que la femme ne lui convient pas , il est maître de
» la renvoyer à ses parens. Mais , dans ce cas , tout
» ce qu'il leur a donné pour prix de cette femme
» est perdu pour lui , et ils peuvent , en outre , lui
» demander une somme d'argent , à condition pour-
» tant qu'elle n'excédera pas la valeur des choses
» qu'ils ont déjà reçues . »
Tout cela doit , sans doute , paroître horrible à des
européennes , mais ne peut produire les mêmes impressions
sur une Chinoise , accoutumée dès l'enfance
à ces idées de dépendance absolue , préparée par les
habitudes de la maison paternelle à celles qu'elle doit
prendre dans la maison d'un époux , où elle continue
d'être une espèce de meuble inanimé , qui se modifie
suivant les volontés ou le caprice du maître auquel le
sort l'a soumise. Elle ne se croit point avilie ; elle
MARS 1806. 541
y a
n'éprouve ni trouble ni jalousie ; elle voit même sans
chagrin son mari introduire dans sa maison une
seconde , une troisième femme ; et la polygamie est
encore une conséquence de cette servitude , de cet
abrutissement extrême des femmes. Partout où il
des sentimens et des engagemens réciproques ; partout
enfin, où le moral de l'amour est quelque chose , une
seconde épouse ne peut être admise dans la société ; car
ces sentimens ne peuvent se partager sans se détruire ,
et la paix domestique seroit troublée . Par la même
raison
, ce partage doit être peu de chose dans un
pays où l'amour est tout physique. Une femme s'attend
à voir son mari diviser sa tendresse entre elle et plusieurs
rivales ; et en l'épousant , il n'a point pris
l'engagement de n'épouser qu'elle . Chez elles , le coeur
n'est donc jamais déchiré , l'orgueil n'est point
révolté ; elles n'ont ni assez d'activité d'esprit, ni assez
d'expérience pour se faire une idée juste du malheur
de leur état ; ce qui ne pourroit résulter que de sa
comparaison avec quelque autre situation plus douce ,
dont , heureusement pour elles , elles n'ont pas la
moindre connoissance. Elles n'ont ni plaisir ni chagrin
, et le seul mal qu'elles connoissent est l'ennui
qui résulte de cet engourdissement de toutes les facultés
de l'ame. << Pour tromper les longues et pesantes
» heures qui doivent nécessairement accabler des
» femmes séquestrées du commerce du monde , et
» absolument dépourvues de moyens d'occuper leur
>>
esprit , elles ont adopté l'usage de fumer. Toutes
» ces femmes , depuis l'âge de huit ou neuf ans ,
>> portent , comme un accessoire de leur habillement ,
» une petite bourse de soie pour mettre une pipe
» et du tabac , chose dont quelques- unes se servent ,
» mêine dans une si tendre jeunesse. Il y en a qui
» sont constamment employées à broder des étoffes
» de soie , ou à peindre des oiseaux , des insectes et
» des fleurs sur de la gaze très- fine . »>
J
Telle est la constitution civile et politique , telles
543 MERCURE DE FRANCE ,
sont les moeurs domestiques des Chinois, Bassesse et
servitude au- dehors , tyrannie dans l'intérieur , misère
et oppression générale ; mais un orgueil national qui
les console de tout. Après tout , le bonheur est dans
l'opinion ; et le Chinois , mourant de faim et courbé
sous le bambou , qui se croit le premier peuple de.
la terre et le plus heureux , l'est en effet ,
Nous nous sommes principalement attachés , en
rendant compte de ce Voyage , à ce qui pouvoit faire,
connoître les lois , le caractère et les moeurs de ce
peuple singulier. M. Barrow ne s'est pas borné à ce
seul genre d'observation ; et sa relation embrasse une
foule de remarques non moins intéressantes sur les
arts , l'agriculture , le commerce , la religion , les
monumens , l'administration militaire , celle des
finances , etc. Il donne des détails curieux sur les
Tartares- Mantchous , sur la cour de Péking , sur le
régime intérieur des palais , sur les occupations et les
amusemens de l'empereur. Ce qui a été dit avant
lui , il le répète d'une manière nouvelle , et avec des
développemens plus étendus , ou des rapprochemens
qui n'avoient point encore été faits ; et ce qu'on ne
trouve nulle part , c'est une analyse claire et précise
de la langue écrite de ce peuple extraordinaire. Ce
n'est pas que nous approuvions toutes les réflexions
de l'auteur , encore moins plusieurs notes du traducteur
, qui attaque fort légèrement les traditions les
plus respectables , avec des argumens mille fois
réfutés sur la prétendue antiquité du monde ; mais
si nous en exceptons ces notes , extrêmement rares ,
et un petit nombre de passages dans le texte , où
perce l'orgueil britannique et l'esprit du protestantisme
, ce Voyage est amusant et instructif. La traduction,
qui manque quelquefois d'élégance , est écrite
cependant avec la clarté et la simplicité que demande
ce genre d'ouvrage , et nous croyons qu'elle mérite
d'obtenir du succès .
N.
MARS 1806. 543
Epitre à M. de Voltaire , par M. de Chénier , de l'Institut
National.
}
DEPUIS long-temps nous craignions que M. de Chénier
dégoûté de la littérature comme de la politique , n'eût renoncé
à tout commerce avec les Muses ; et lorsque nous nous
plaignions tout récemment de l'oisiveté à laquelle sembloient
s'être condamnés nos premiers talens , on peut bien croire
que c'étoit lui que nous avions particulièrement en vue. Le
législateur des Hébreux , après les avoir guidés pendant quarante
ans dans le désert , termina ses jours au moment d'entrer
dans la terre promise. Nous pensions que par une destinée
pareille , l'un de nos plus illustres législateurs , après nous
avoir conduits au milieu des orages de l'anarchie , nous avoit
abandonnés lorsque nous entrions sous un ciel plus heureux ;
que , fidèle à ses principes , il avoit voulu , comme Moïse ,
mourir sur la montagne , c'est-à -dire , se condamner à un
silence absolu , ce qui pour un poète est uné véritable mort.
Le nom même de l'auteur de l'Epitre à Voltaire , proclamé
noblement au coin des rues depuis plusieurs jours , ne nous
avoit pas désabusés , et nous ne doutions pas que cette pièce
ne fût l'ouvrage de quelqu'écrivain subalterne , fier de porter
le nom d'un poète célèbre. Heureusement nous n'avons pas
eu besoin d'achever la lecture des vingt premiers vers pour
être complétement rassurés , et nous nous hâtons d'apprendre
a nos lecteurs que M. de Chénier est bien le même que Marie-
Joseph Chenier , le même qui , pendant trois législatures
consécutives , sut si glorieusement réunir les doubles fonctions
de Lycurgue et de Tyrtée.
Au nom de tous les amis des lettres , félicitons bien sincèrement
l'illustre auteur d'être rentré dans une carrière qu'il
doit encore parcourir avec gloire. Et qu'on ne dise pas que
sa célébrité n'a pas besoin de quelques épîtres satiriques nou544
MERCURE DE FRANCE ,
velles , qu'elle repose depuis long-temps sur des bases iné
branlables ; nous n'avons point oublié les nombreux succès
que M. de Chénier a obtenus au théâtre. Nous nous plaisons
à reconnoître que ses tragédies , composées au milieu des troubles
de l'anarchie , étoient excellentes pour le temps où elles
furent représentées ; qu'elles sont , en un mot , un des beaux
monumens de la littérature révolutionnaire . Mais dans la
monarchie tranquille et florissante où nous sommes désormais
condamnés à vivre , ces chefs - d'oeuvre paroîtroient fort
déplacés sur la scène , d'où ils sont bannis depuis plusieurs
années. Il est donc probable qu'ils sont désormais destinés
au plus profond oubli : grand exemple des étonnans revers
de fortune qu'amènent toujours avec elles les révolutions
politiques. Ainsi M. de Chénier fait très - prudemment de
travailler à son immortalité sur de nouveaux frais , et de se
jeter dans la satire.
en
On peut appliquer à ce genre de poésie le jugement d'un
casuiste célèbre , sur le théâtre : on peut dire qu'il a de grandes
autorités contre lui , et de grands exemples en sa faveur.
Des moralistes sévères ont pensé qu'un écrivain manquoit à
l'équité et à la modération qui caractérisent le sage ,
versant le ridicule sur des hommes dont le seul tort est souvent
de n'avoir pas assez admiré, ses ouvrages. Nous pensons, comme
eux , qu'une satire injuste qui n'est dictée que par un ressentiment
personnel , est en effet très-condamnable ; mais nous
ne pouvons convenir qu'il faille laisser en paix les ridicules
prétentions de tant d'impertinens auteurs , qui trop souvent
outragent à la fois la morale et le goût. La satire nous paroît
à leur égard non-seulement juste , mais nécessaire ; et nous
devons de la reconnoissance à l'écrivain courageux qui se
charge de les remettre à leur place. Il est vrai que pour qu'il
soit en droit d'exercer ces difficiles fonctions , il y a deux
conditions indispensables : il faut qu'il soit excellent poète ,
et sur-tout qu'il jouisse d'une réputation sans tache. Prendre
le
MARS 1806.
EL
;
le rôle austère de censeur , quand il ne faudroit songerqu
se réformer soi-même ; attirer sur soi les justes récriminations
de ses adversaires , quand on devroit s'applaudir d'ée te5.
cen
tombé dans l'oubli , ce seroit déclarer effrontément qu'apres
s'être perdu dans l'opinion publique , on ose encore
braver ; ce seroit ressembler à un homme ivre , qui , au lieu
d'être confus de son état , youdroit faire rejaillir sur les pas
sans la fange où il se seroit roulé.
Remercions donc M. de Chénier de prendre en main la
défense du bon goût et de la saine philosophie. Quel autre
apporteroit à ce noble emploi des titres aussi incontestables ?
Il sera beau de voir de grands talens consacrés à une grande
M. de Chénier , réformateur de son siècle , M. de Chénier
prodiguant le mépris à ses adversaires , qui sont , comme
on sait , tous les ennemis de la raison et des idées libérales
ce sera un spectacle vraiment curieux et dont personne ne
voudroit céder sa part.
P
L'Epitre à Voltaire nous annonce ce que nous pouvons
espérer dans ce genre. L'auteur en paroissant n'avoir d'autre
dessein que de converser avec ce grand poète , y dévoue sans
pitié à la risée publique tous ceux qui ont eu le malheur de
lui déplaire. Cette espèce de satire , d'autant plus piquante
qu'elle est indirecte , n'a pas le mérite de la nouveauté. On
sait que Voltaire en a donné plus d'un exemple , et nous
citerons particulièrement son Epître àHorace, où, pour tourner
ses ennemis en ridicule , il paroît avoir emprunté au poète
latin la gaieté piquante , la grace et la fine plaisanterie qui le
caractérisent. Sans excuser quelques traits beaucoup trop
libres , on peut être charmé de le voir causer avec le poète
latin comme avec un ami d'enfance , à qui il se plaît à
peindre les différentes traverses qu'il a essuyées , et l'heureuse
philosophie qu'il a puisée dans ses écrits. On remarquera surtout
qu'il se garde bien de raconter à Horace , ce qu'Horace
doit savoir mieux que lui ; de lui rappeler , par exemple ,
M m
546 MERCURE
DE FRANCE ,
comment Brutus le créa tribun militaire , comment il s'enfuit
à la bataille de Philippes , comment de retour à Rome il fut
présenté à Mécène , qui le prit en amitié et lui ménagea la
protection d'Auguste , etc. , etc. Il aime mieux l'entretenir
des ridicules du temps , et l'amuser, par des peintures riantes
"qu'Horace lui - même n'auroit pas désavouées. Nous sommes
fachés que M. de Chénier ait fait précisément le contraire.
Il prend Voltaire au sortir du collége , il le suit dans toutes
les circonstances de sa vie , à Cirey , à Postdam , à Ferney ;
il le ramène à Paris , où il le couronne , et c'est là qu'il termine
son histoire . Assurément cette marche peut avoir beaucoup
de mérite sous le rapport de la chronologie ; mais
comment l'auteur n'a-t - il pas craint d'ennuyer à la fois et
ses lecteurs et Voltaire lui - même , en leur récitant une
histoire qu'ils connoissent tous depuis long-temps ? Si un
admirateur de M. de Chénier lui adressoit une longue Epître
pour lui raconter toutes les circonstances les plus glorieuses
de sa vie , depuis 1789 jusqu'à la représentation de Cyrus ,
ces détails pourroit être fort beaux ; mais le réjouiroient- ils
beaucoup ?
Au reste , on sent bien que quand nous reprochons à l'au—
teur d'avoir rempli son ouvrage de faits si rebattus , nous ne
voulons pas dire qu'il n'y ait mis que cela : il connoît trop
bien son art pour ne pas mêler à l'histoire d'heureux épisodes.
C'est ainsi , par exemple , qu'il suspend un moment son
récit pour admirer les rapides progrès de la raison publique
au dix-huitième siècle , quand
Diderot , d'Alembert , contre les oppresseurs ,
Sous un libre étendard , liguèrent les penseurs .
L
Seulement nous regrettons que l'auteur n'ait pas complété
ce beau tableau. Il eût été curieux de voir la sage
philosophie de ces penseurs , d'abord minant sourdement
toutes les bases de notre antique monarchie , appelant ensuite
de tous les coins de la France des ouvriers pour la détruire , et
MARS 1806.. 547
L
renversant avec elle jusqu'aux fondemens de la société ; et
enfin, ce qui est pour l'auteur le point important de ce grand
ouvrage , confiant à M. de Chénier la construction d'un
édifice nouveau. Mais sans doute le poète aura craint , non
sans sujet , de réveiller trop de souvenirs , et il se sera rappelé
fort a-propos son Horace :
Incedo per ignes
Suppositos cineri doloso.
Tels sont les défauts que nous avons vus avec regret dans
la conception générale de l'Epútre à Voltaire. Disons maintenant
un mot du style. C'est là que les grands poètes ne manquent
jamais de prendre leur revanche . Nous allons transcrire
l'une des tirades les plus brillantes , celle où est célébré le
triomphe de Voltaire :
-51216
ཤིན ལྡན་དས་རྡོ་
Faut-il donc s'étonner si la France unanime
Au déclin de tes ans brigua l'honneur sublime
De léguer sur le marbre à la postérité '-
Les traits d'un écrivain cher à l'humanité ? 1
pas
✓
OT
is by
gostdio sa
5 10
O généreux concours des amis de l'étude ! hovnoq olim so
Non , ce n'est ainsi que l'humble servitude, on
Offrant comme un tribut son hommage imposteur,
Consacre à la puissance un marbre adulateur .
Tairons- nous ce beau jour où Paris dans l'ivresse
D'un triomphe paisible honoroit ta vieillesse ?
Qu'on étale avec pompe aux yeux des conquérans
Des gardes , des vaincus , des étendards sanglans ,
Le glaive humide encore et futnant de carnage ,,
Et le profane encens vendu par l'esclavagelin , wel jo
Ta garde étoit un peuple accouru sur tes pas;
Il bénissoit ton nom , te portoit dans ses bras ,
Des pleurs de sa tendresse il ranimoit ta vie. “Thatha 11T
don A vanter un grand homme il condamnoit Tenvie ;
Admiroit les éclairs qui brilloient dans tes yeux ; I
Contemploit de ton front les sillons radieux,
Creusés par soixante ans de travaux et de gloire,
Et qui d'un siècle entier sembloient tracer l'histoire.
M m 2
548 MERCURE DE FRANCE ;
:
Ces vers ne sont pas sans facilité et sans harmonie : on est
faché d'y trouver plusieurs taches. La France unanimè est un
latinisme ; jusqu'ici on auroit dit la France d'un væu unanime.
Mais il y a des innovations heureuses qui sont permises aux
poètes , et nous croyons que celle- ci est de ce nombre. 11
seroit plus difficile de justifier brigua l'honneur sublime. Il
est juste sans doute de récompenser les grands talens ; · mais
appeler cela un honneur sublime brigué par tout un peuple ,
c'est une exagération de versificateur , qui ne voit rien de si
glorieux pour une nation que d'applaudir à des vers. Humide
encore forme un pleonasme si le glaive est fumant de carnage
, à plus forte raison est-il humide. Le vers suivant offre
un assemblage de grands mots qui n'expriment rien de précis ;
défaut malheureusement assez ordinaire chez M. de Chénier.
'Des pleurs de sa tendresse il ranimoit ta vie. Autre exagération
plus forte encore que la première. Le peuple étoit , si
l'on veut , ému , transporté ; mais prétendre qu'il baignoit
un poète de pleurs , et des pleurs de sa tendresse , c'est tout
ce qu'on pourroit dire s'il étoit question de Henri IV ou de
Titus. On ne dit rien des trois derniers vers. Ces sillons ra-
'dieux creusés par soixante ans de gloire , et qui sembloient
tracer l'histoire d'un siècle, font un vrai galimatias qu'il
seroit trop difficile d'expliquer.
On devoit s'attendre à trouver dans un auteur célèbre ,
dans un poète dramatiqué , couronné par de nombreux
succès , le double talent de bien apprécier les grands écrivains
et les grands princes. Sans doute cet heureux discernement
ne manqueroit pas à M. de Chénier , s'il n'avoit pas adopté
une étrange méthode pour asseoir ses jugemens : c'est de
n'apprécier les hommes célèbres que sur le plus ou le moins
d'aversion qu'ils ont montré pour ce qu'il appelle les préjugés
et la superstition . Aussi Fontenelle , dont les écrits
n'outragèrent jamais la religion , lui paroît-il un sage un
peu timide , et il ajoute
MARS 1806 .
549
Moutesquieu, plus profond , plus fin , plus intrépide ,
Amenant parmi nous deux voyageurs Persans ,
Essaya sous leur nom de venger le bou sens.
D'Usbec et de Rica les mordantes saillies ,
Par la raison publique en naissant accueillies ,
Couvroient les préjugés d'un ridicule heureux ,
Et le Français malin s'aguerrissoit contre eux.
Tout le monde sait que si l'on trouve dans les Lettres Persannes
quelques plaisanteries trop hardies , il ne faut les imputer
qu'à la jeunesse de l'auteur , qui changea bien de langage ,
quand son génie , mûri par l'âge , se développa tout entier
dans l'Esprit des Lois. Mais l'Esprit des Lois , mais les
Causes de la Grandeur et de la Décadence des Romains ne
sont rien pour M. de Chénier ; et de tout Montesquieu il n'a
retenu que quelques sarcasmes fort usés sur des objets trèsrespectables.
Il est pourtant vrai de dire que ce grand homme
reparoît une autre fois dans l'Epître ; et voici comment
l'auteur sait réparer le tort qu'il lui fait ici :
J
Monstesquieu , dans ce siècle , osant juger les lois ,
Des peuples asservis revendiqua les droits ,
Du pouvoir absolu vengea l'espèce humaine ,
Et fit rougir l'esclave en lui montrant sa chaîne.
A ces grands mots , pillés à la tribune de la Convention , qui
pourroit reconnoître celui que M. de La Harpe a si bien
caractérisé , en l'appelant un génie essentiellement conservateur?
Diroit-on autre chose d'un philosophe de la révolution?
Mais c'est un travers de M. de Chénier de prêter ses propres
couleurs à tous ceux qu'il veut peindre ; et parce qu'il ne voit
partout que chaînes à briser , que préjugés à combattre ,
parce qu'il est le vrai don Quichotte de la philosophie moderne
, il suppose très-gratuitement à tous nos grands hommes
des idées libérales qui ne leur sont jamais venues en tête.
On va en voir un autre exemple :
Le portrait de Henri IV entroit naturellement dans une
Epure à Voltaire. L'auteur devoit s'étendre avec d'autant plus
3
550 MERCURE DE FRANCE ,
de plaisir sur l'éloge d'un roi cher à tous les coeurs français
que Voltaire lui doit une grande partie de sa gloire. Voici
cet éloge contenu dans un seul vers :
Ce Bourbon, roi loyal , mais douteux catholique.
Ainsi , pour trouver quelque chose à louer dans le meilleur
de nos rois , M. de Chénier a été obligé de révoquer en doute
sa sincérité et sa bonne foi.
1 Puisque nous en sommes sur les portraits , citons encore
celui du grand Frédéric ; il est plus étendu et n'est pas moins
curieux :
:
Que de fois tes regards
Ont suivi ce héros qui chérit tous les arts ;
Qui sur tant de périls fonda sa renommée ;
Qui forma, conduisit , ménagea son armée;
Qui fut historien , philosophe , soldat ;.
Qui l'écrivit en vers la veille d'un combat ,
*
Rima le beau serment de mourir avec gloire.....
Après ce beau serment vous croyez qu'on va vous dire qu'il
marcha au combat , qu'il vit cent fois la mort sur sa tête ?
Non il vécut . Et pourquoi vécut- il ? Pour dicter la paix ,
pour réparer les maux de la guerre , pour faire le bonheur
et la gloire de ses peuples ? Non c'est pour rimer qu'il
remporta la victoire. Voici le texte :
2
Rima le beau serment de mourir avec gloire,
Vécut, et pour rimer remporta la victoire.
Voilà sans doute un bel éloge pour un poète ; mais peut-être
le grand Frédéric devoit-il être représenté sous d'autres couleurs.
Après tout ce qu'on vient de lire , on croira sans peine
que M. de Chénier traite avec une bienveillance marquée
tous les écrivains, bons ou mauvais , qui ont partagé sa haîne
contre l'oppression ; mais ce qu'on ne devineroit peut - être
pas , c'est le jugement qu'il porte d'un poète que la postérité
MARS 1806, 55r
a mis au nombre des beaux génies qui sont l'honneur de la
France. Il ne dit qu'un mot de Crébillon , et le voici :-
Crébillon , dont le style indigna Melpomène.
J'avoue que si nous étions encore dans le bon temps , où
la politesse étoit condamnée comme incompatible avec la
franchise d'un homme libre je ne manquerois pas de rappeler
içi , à Marie-Joseph Chénier , ces vers d'Amphitryon
Comme avec irrévérence
Parle des Dieux ce maraud !
ว
Mais puisque les préjugés nous obligent maintenant à de
serviles égards , je ferai observer à M. de Chénier , avec la
timide réserve d'un esclave , que quoique le style de Crébillon
soit moins pur que celui des autres maîtres de la scène ,
il a souvent une vigueur et une énergie qui plaisent particulièrement
à Melpomène , bien loin de l'indigner ; qu'il se fait
aujourd'hui bien peu de vers qui puissent entrer en comparaison
avec les belles tirades de Rħadamiste et d'Electre , même
sous le seul rapport de la correction ; et que par conséquent ,
bien que de l'avis de tout le monde le style des Gracques 3
de Timoléon et de Jean Calas soient parfaitement digne
de la beauté des conceptions , l'illustre auteur devoit traiter
avec plus de déférence l'un de ses plus célèbres devanciers.
Une aussi excessive sévérité ne peut manquer de provoquer
celle des lecteurs , et peut-être leur fera-t-elle remarquer
dans l'Epître à Voltaire un assez grand nombre de fautes
qui indignent à -la-fois la logique et le goût. Nous ne les
suivrons pas dans cet examen , et nous croyons en avoir assez
dit pour faire présumer qu'il pourroit n'être pas très-favorable
à M. de Chénier.
414
?
Mais avant de finir , l'équité nous oblige de prévenir le
lecteur qu'il ne doit pas trop s'en rapporter à nos critiques ,
qui peut-être ne sont pas exemptes de quelque partialité.
En effet , il faut bien nous décider à avouer ici ce qui doit
552 MERCURE DE FRANCE ;
bientôt être connu de toute l'Europe avec les vers de
M. de Chénier : nous avons un sujet de ressentiment contrelui.
Ce grand poète nous a jugés dignes de son courroux , et
nous sommes à jamais couverts de honte par le distique
suivant :
Qu'ont fait ces nains lettres , qui , sans littérature ,
Au-dessous du néant soutiennent le Mercure ?
On demandera peut-être comment le géant Chénier a daigné
regarder de si haut de misérables nains. Le géant répondra
qu'il sait trop bien où vont les vers médiocres , et qu'il a ses
raisons pour ne pas vouloir qu'on rencontre des critiques
même au- dessous du néant. Soumettons-nous donc à notre
destinée. Obscurs prosateurs que nous sommes , reconnoissons
que nous avons mérité l'animadversion d'un poète célèbre ,
ne fût--ce que pour nous être souvenus trop souvent de cet
arrêt terrible de Boileau :
Il n'est point de degré du médiocre au pire.
C...
Les Quatre Saisons du Parnasse , avec des Mélanges littéraires
et des Notices sur les pièces nouvelles , etc. Il en
paroît trois volumes , qui sont l'Eté , l'Hiver et le Printemps
, à raison de 3 fr . , et 4 fr. par la poste. A Paris ,
chez madame Dubois , rue du Marché-Palu ; et chez
le Normant, imprimeur-libraire , rue des Prêtres Saint-
Germain-l'Auxerrois , nº 17 .
La France est un pays fertile sous tous les rapports : le
cerveau de nos poètes est aussi fécond que le sein de la terre.
Heureux climat , qui produit du blé , du vin et des chansons !
Mais les chansons ne nous coûtent guère , et il faut avouer
qu'on est assez juste en ne les estimant que ce qu'elles valent.
Sous peine d'être un franc Béotien , il faut distinguer le
MARS 1806. 553
vin d'Orléans du Saint-Emilion , et ne pas prendre un chansonnier
du Vaudeville pour un Anacréon. On se plaint que › ,
nous dédaignons une richesse qui nous accable ; mais nous
sommes comme Lucullus , qui avoit cinq mille manteaux de
pourpre dans ses greniers.
Nous avions un Almanach des Muses ( 1 ) , qui servoit de
magasin général aux beaux-esprits ; mais au lieu d'une récolte
on prétend en faire quatre. Ah ! messieurs , c'est trop . Pourremplir
ces quatre nouveaux magasins , il faudra ramasser
toutes les criblures , et les disputer au Nouvel Almanach des
Muses , au Chansonnier des Dames , à la Guirlande de
Fleurs , à l'Almanach Poétique de Bruxelles , et à tous les
Recueils de chansons présens et futurs. (2)
Outre ces dix ou douze magasins généraux de chansons ,
d'épigrammes , d'odes , de madrigaux , etc. , etc. , qui contiennent
toutes les richesses du bel-esprit , nous en avons
encore de particuliers , qui renferment les productions des
poètes qui se croient assez puissans et assez féconds pour
remplir seuls un volume. M. Hinard (3) et M. la Chabeaussière
( 4 ) nous offrent chacun le leur ; mais , hélas ce sont
autant de magasins fermés , et tout ce qu'ils contiennent est
absolument inconnu.
M. la Chabeaussière mérite cependant quelque célébrité :
c'est lui qui a eu l'idée neuve de mettre Anacréon en couplets
, et nous lui devons le rare agrément de chanter des
pièces grecques sur des airs du Pont-Neuf. J'ai toujours
(1 ) Un vol . in- 18. Prix : 1 fr. 80 cent. , et 2 fr. 25 cent . par la poste.
A Paris , chez Louis , libraire ; et le Normant , imprimeur -libraire.
(2 ) Tous ces Recueils forment chacun un volume in - 18 , à raison de
fr. 50 c. , et 2 fr. par la poste. A Paris , chez Barba , Frechet , et le Normant.
(3) Poésies de M. Hinard. Un vol . in- 12. Prix : 1 fr. 50 cent . , et
2 fr. par la poste. A Paris , chez le Normant.
(4) OEuvres diverses de M. la Chabeaussière. Un vol . in- 8 ° . Prix :
a fr. 50 cent. , et a fr . par la poste. A Paris , chez le Normant.
5541 MERCURE DE FRANCE ,
retenu le petit refrain par lequel il termine une de ces odos ,
eharmantes ; le voici :
Je ne forme qu'un desir : ·
Jouir, jouir,
C'est le refrain du plaisir.
t
On ne peut pas s'exprimer d'une manière plus naturelle , et il
me paroît que c'est être original en traduisant ; car certaine—-
ment il n'y a pas là un mot d'Anacréon : tout est de M. la ›
Chabeaussière. Ainsi , qu'on ne vienne pas nous dire que c'est
du style pillé , que les traducteurs n'ont qu'un mérite d'emprunt
, qu'ils doivent tout à leur modèle , et cent autres propos
de cette nature , que l'envie suscite à des censeurs chagrins.
Je ne sais quel savant critique s'est avisé de trouver mauvais
que M, la Chabeaussière ait fait parler Anacréon d'artillerie
, sous prétexte que les Grecs n'avoient pas inventé la
poudre ; mais assurément Anacréon n'étoit pas un sot ; et , en
tout cas , son traducteur , qui est poète , n'avoit- il pas les
mêmes droits que Milton et l'Arioste , qui se sont permis de
semblables anachronismes dans leurs fictions ? Je conviens
que M. la Chabeaussière a pris dans un sens un peu vaste le
quid libet audendi d'Horace , le droit de tout oser ; mais il y a
des gens qui crient sans cesse qu'on ne voit plus d'aigles
dans la littérature , et ils ont toujours des ciseaux tout prêts
pour rogner les ailes du génie.
G.
Mes Passe-Temps , chansons suivies de l'Art de la Danse ,
poëme en quatre chants , calqué sur l'Art Poétique de
Boileau; par Jean-Etienne Despréaux , etc. Deux vol.
in-8°. Prix : 12 fr. , et 15 fr. par la poste. A Paris , chez
Cussac , libraire ; et chez le Normant, imprimeur-libraire ,
rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois , n° 17.
Ces deux volumes , remplis de chansons fort gaies et d'un
poëme burlesque , imprimés en beaux caractères , et ornés de
MARS 1806. 555
deux gravures par Moreau , avec plus de quarante pages
d'airs anciens et nouveaux , notés et gravés , méritent d'être
distingués de la foule , et de nous arrêter un moment.
M. Etienne Despréaux est tout à-la-fois danseur , musicien
et poète. Ses chansons amusent souvent la foule dans
les carrefours et sur les quais de la capitale. Elles ne sont
pas toutes parfaites ; mais elles sont toujours spirituelles et
joyeuses avec décence . Il en fournit aux dîners du Vaudeville ,
qui doivent être agréables à entendre chanter, puisqu'à la lecture
même elles ne sont pas sans agrément.
La production la plus bizarre de cet aimable convive , est
certainement son poëme de la Danse , calqué sur l'Art
Poétique de Boileau , qu'il vole , change , et retourne sans
pitié , sans scrupule , et cependant avec toute l'innocence et
toute la politesse imaginables. Quelques passages de ce caprice
pourront mettre le lecteur a portée de juger de son talent
pour la parodie
:
La nature , fertile en danseurs excellens ,
Selon leurs facultés partage les talens :
L'un , dans un pas de deux , peut exprimer sa flamme ;. «
L'autre , d'un pas plus vif, sait égayer notre ame.
Gardel peut d'un héros nous peindre les combats ,
Et Deshayes d'un Zéphyr les amoureux ébats ;
Mais souvent un danseur qui se flatte et qui s'aime,
Méconnoît son talent et s'ignore soi- même.
Ainsi , tels autrefois , et même de nos jours ,
En Hercules taillés ont dansé les Amours.
J'aime sur le théâtre un élégant danseur ,
Qui , sans se diffamer aux yeux du spectateur ,
Plaît par la grace seule , et jamais ne la choque ;
Mais pour un faux plaisant , dont le bon goût se moque ,
Qui , de sauts étonnans est toujours occupé ,
Qu'il s'en aille , s'il veut , sur des treteaux grimpé ,
Le long de nos remparts , séjour des pasquinades ,
Sur la corde foraine essayer ses gambades.
M. Etienne Despréaux ne suit pas toujours son guide ;
556 MERCURE DE FRANCE ;
lui faut des vers de liaison pour coudre ensemble ceux qu'il
lui dérobe dans sa marche , et véritablement il ne s'en tire
pas mal :
Occupez-vous sans cesse à vous bien dessiner ;
A vaincre vos défauts il faut vous obstiner.
Arrondissez vos bras , soignez chaque attitude ,
Recommencez souvent . L'art est fils de l'étude .
N'allez pas , jour et nuit , vous exercer d'abord :
Un arc toujours tendu perd bientôt son ressort,
Le ciel qui rarement prodigue ses bienfaits ,
En nous donnant le jour, fit peu d'hommes parfaits.
Pour un être accompli combien j'en vois de gauches !
Faites-vous des amis prompts à vous censurer.
Mais distinguez l'ami du sot admirateur ,
Et discernez sur-tout l'intéressé flatteur,
Conducteur de cabale et pilier de parterre ,
Que le public invite ou contraint à se taire :
Pour des billets gratis , qu'il est certain d'avoir,
Le matin il vous loue et vous siffle le soir.
Le caractère de l'auteur se peint parfaitement dans la
petite épître qui précède ce nouveau poëme , qui a au moins
le mérite de faire rire. L'auteur fait une énumération de tous
les traits par lesquels il peut ressembler en quelque chose à
Boileau , qu'il prend pour modèle , et il la termine ainsi :
Il est encore un plus singulier trait ,
Qui va terminer ce portrait.
Sévère et docte satirique ,
Moi , petit chansonnier comique ,
Tous deux nous avons même nom
Et non pas le même renom ;
Mais je possède un avantage,
Pour lequel ton ombre , je gage ,
Céderoit tes fameux écrits :
Tufus, je suis.
Il a raison :
« Un lion mort ne vaut pas un moucheron qui respire. »
G.
MARS 1806. 557
12
Chansons choisies de M. de Piis , ornées du portrait de l'auteur.
Deux vol. in- 18. Prix : 3 fr. 60 cent , et 4 fr. 50 cent.
par la poste. A Paris , chez Léopold Collin , libraire ; et
chez le Normant , imprimeur-libraire , rue des Prêtres
Saint-Germain-l'Auxerrois , n° 17.
PUISQUE nous sommes en train de parler de chansons , ilⓇ®
faut dire un mot de celles que M. Piis vient de faire réimprimer
en deux petits volumes. Un journaliste obscur , qui se
dit de ses amis , croit le louer beaucoup en traitant de sols et
de cagots les écrivains qui condamnent la publicité de certains
couplets plus que libres , qu'il n'a pas eu le courage de
sacrifier au bon goût et à la décence ; mais il seroit fort à
plaindre s'il n'avoit pas d'autres titres à l'estime des gens de
bien que les qualités qu'un pareil personnage peut apercevoir.
On est toujours étonné qu'un homme qui a fait de jolies
chansons , et qui doit s'y connoître , en publie tant de médiocres
; mais dès que l'envie de faire un livre est venuę
prendre un homme au collet , il se sent tout-à-coup des
entrailles si paternelles , un, coeur si rempli d'indulgence
pour ses plus chétives productions , que le moindre petit
billet lui paroît digne de passer à la dernière postérité. Il ne
faudroit qu'en rire , si , pour grossir ces bagatelles et couvrir
sa stérilité , on n'appeloit pas trop souvent la licence au
secours de l'esprit. Etre toujours gai , toujours spirituel ,
faire sourire les Graces , sans jamais alarmer la pudeur, est un
tour de force dont peu d'écrivains sont capables.
"
Les peintres et les poètes ont des passions comme les autres
hommes ; mais leurs égaremens produisent des effets plus
dangereux. Les peintres font des tableaux licencieux , les
poètes des chansons libertines. Les uns et les autres sont des
excès condamnables , puisqu'il est toujours possible au vrai
talent de plaire en restant dans les termes de la grace et de
la décence. A la vérité , il y a des gens qui ne sont émus que
558 MERCURE DE FRANCE ,
#
par les monstruosités ; mais ce n'est pas pour cette espèce
dégradée que le peintre doit tailler ses crayons , et le poète
monter sa lyre. M. Piis ne peut que gagner
A réduire sa Muse aux règles du devoir ,
er
et à mépriser ce qu'on ne peut pas avouer dans tous les temps
et dans toutes les circonstances. La petite pièce de lui que
nous avons recueillie dans le numéro du 1º de ce mois , en
est une bonne preuve , et ce n'est pas la seule que nous pourrions
en apporter. Pourquoi mettre dans un livre ce qu'on
ne pourroit pas mettre sur la scène ? M. Piis fait des chansons
très agréables et de charmans vaudevilles : pourquoi se permet-
il dans les unes des licences qu'il évite avec tant de soin
dans les autres ? G.
VARIET ÉS.
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES.
M. Agasse a publié cette semaine les Mélanges de
M. Gaillard ( 1 ) . Nous nous empresserons d'en rendre compte.
Mais avant que le temps nous ait permis de le faire , et sans
rien préjuger sur le mérite des nombreux opuscules renfermés
dans ces quatre nouveaux volumes , nous pensons que l'on
avec plaisir , dans un journal auquel il a long - temps
travaillé , une courte notice sur un des écrivains , qui , dans
ces derniers temps , a le plus honoré les lettres par l'alliance ,
trop rare , du talent et de la vertu, peal to alaise
1 བད ། ་
I
(1) Mélanges Académiques , Poétiques , Littéraires , Philo'ogiques ,
Critiques et Historiques ; par feu M. Gaillard , de la classe d'histoire et
de littérature ancienne de l'Institut . Quatre vol. in-8 ° . Prix broches
18fr. , et 23 fr. par la poste.
A Paris , chez H. Agasse , imp , lib. , rue des Poitevins , nº . 6.
MARS 1806. 559
3
1
« Des circonstances étrangères au respectable auteur de cés
Mélanges en ont retardé quelque temps la publication , et
ils étoient prêts à paroître lorsque nous avons eu la douleur
d'apprendre sa mort. Il étoit né à Ostel , village de l'ancien
diocèse de Soissons , le 26 mars 1726 , et il a terminé sa
longue et honorable carrière à Saint- Firmin près Chantilly ,
le 13 février 1806 , âgé de quatre- vingts ans moins un mois.
Aussi ( comme il le dit dans la préface qu'il a mise en tête
de ces Mélanges ) est-il vraisemblable qu'il étoit le doyen de
la littérature française. Ecrivain infatigable et laborieux, il
a publié uunn grand nombre d'ouvrages , dont les principaux
sont l'Histoire de François I, celle de la Rivalité de la
France et de l'Angleterre , et celle de Charlemagne ; le
Dictionnaire historique de l'Encyclopédie méthodique , par
ordre de matières , dont il a fait plus des trois quarts ; des
Mélanges académiques , littéraires , historiques , etc. Plusieurs
de ses Mémoires sont insérés dans le Recueil de l'Académie
des inscriptions et belles-lettres , et dans la notice
des manuscrits de la Bibliothèque impériale. Il a eu part au
Journal des Savans depuis 1752 jusqu'en 1792 , et a fourni
beaucoup d'articles au Mercure , depuis 1780 jusqu'en 1789.
Couronné plusieurs fois à l'Académie française , et honoré
de la même distinction dans quelques-unes des plus célèbres
Academies de province , il a cultivé avec succès différentes
branches de la littérature. Ses productions , soit dictatiques ,
soit historiques , soit morales , annoncent l'homme instruit ,
l'écrivain guidé par des sentimens nobles et élevés , l'observateur
judicieux qui connoît les hommes , et sait peindre
les vices et les vertus avec les couleurs qui leur sont propres.
» Etranger à toute espèce de parti , il a consacré sa vie
presque toute entière au travail et à la retraite , ne se permettant
guère d'autre délassement que la société de quelques
savans et gens de lettres ses amis , à la plupart desquels il
dit avoir eu le chagrin de survivre. Sa mémoire étoit pro560
MERCURE DE FRANCE;
digieuse , et il a eu le rare bonheur de la conserver jusqu'au
dernier moment. Elle donnoit à sa correspondance et à sa
conversation un intérêt également agréable et instructif par
une multitude de faits piquans et d'ingénieuses allusions. De
moeurs extrêmement douces , et d'un caractère plein d'aménité
en société , il faisoit de son savoir l'usage qu'un homme
riche , inspiré par la bienveillance , peut faire de sa fortune.
» L'Aurea mediocritas , qui étoit le voeu d'Horace , étoit
aussi le terme de l'ambition de M. Gaillard , qui n'a jamais
eu qu'une honnête aisance. Des fruits de ses économies il
avoit acquis une petite maison et un modeste jardin à Saint-
Firmin , village qui est dans une situation charmante , près
la cascade du canal de Chantilly , et en face de sa belle forêt.
Il avoit choisi cette maison dans un emplacement tel , qu'il
ne fût pas distrait de ses travaux par le magnifique aspect
qui est au devant du village. C'est là qu'il a passé les temps
les plus désastreux de la révolution , dans la retraite la plus
obscure. Pour échapper au récit des calamités qui se multiplioient
tous les jours , et n'être pas témoin des dégradations
qu'éprouvoit successivement ce domaine unique de Chantilly,
dont le château avoit été converti en prison , cet homme
sensible s'enfonçoit dans le plus épais de la forêt. Il s'y rendoit
dès la pointe du jour , avec des livres , du papier , des
plumes , de l'encre et quelque nourriture , s'y installoit au
pied d'un arbre , et y travailloit jusqu'au soir. Même lorsque
le calme commença à se rétablir en France , il a continué
cette manière d'être qui s'étoit tournée chez lui en habitude ,
et qui a fini par lui être funeste. Tout entier à ses méditations
et à ce qu'il écrivoit , il oublioit les intempéries des
saisons et des jours. Souvent une pluie abondante le surprenoit
dans cet asyle sauvage , et il revenoit sur la nuit avec les
habits trempés d'humidité. Cette imprudence paralysa , il y
a quelques années , une partie de son corps , et il fut obligé
de renoncer à cette singulière existence qui sembloit faire
8
son
DEPT
C
M-A· RS 1896.
son bonheur, Astreint à une vie plus sédentaire ,
vint augmenter ses infirmités ; et comme elle ne tarda
་
6
561
Coulte
se fixer dans les genoux , il ne lui fut plus possible de
marcher.
» Mais au milieu de toutes ses infirmités , il conservoit une
tête saine , et , comme nous l'avons déjà fait observer , une
mémoire imperturbable ; il travailla encore toute la matinée
la veille de sa mort. Avec une constitution aussi robuste que
la sienne , il n'y a pas de doute qu'il n'eût fourni une plus
longue carrière s'il avoit pu se déterminer à renoncer plus tôt
à l'habitude dangereuse qu'il avoit contractée dans un âge
très -avancé. Une goutte remontée l'a emporté le jeudi 23
février 1806 ; il est mort dans les bras de sa soeur , à laquelle
il n'avoit cessé de donner des preuves de la plus tendre af→
fection , et d'une religieuse respectable et âgée à laquelle il
avoit donné asyle au milieu du naufrage , et qui par son
testament sera désormais à l'abri de tous besoins.
a
» La maison de M. Gaillard n'étoit pas loin de celle où avoit
péri d'une manière si tragique le célèbre abbé Prevost. L'abbé
Prevostavoit eu subitement une attaque d'apoplexie dans cette
même forêt de Chantilly , où M. Gaillard avoit été atteint de
sa paralysie. Un pareil rapprochement avoit frappé ce der
nier , qui craignoit le sort du romancier ( 1) . M. Gaillard en
parloit quelquefois avec inquiétude , et par précaution il avqit
(1 ) Voici comme ce terrible accident est raconté dans l'Essai sur la
vie de l'abbé Prevost , qui est en tête de la collection in-8° . de ses OEOEuvres
publiées en 1783 , rue et hôtel Serpente à Paris . :
་་ Comme il ( l'abbé Prevost ) s'en retournoit seul à Saint -Firmin , le
» 23 novembre 1763 , par la forêt de Chantilly , il fut frappé d'une
» apoplexie subite , et demeura sur la place. Des paysans qui survinren
» par hasard , ayant apperçu son corps étendu au pied d'un arbre , le por
» tèrent au curé du village le plus prochain. Le curé le fit déposer dans
pson église en attendant la justice , qui fut appelée , comme c'est l'usage
» lorsqu'un cadavre a été trouvé. Elle se rassembla avec précipitation , et
Nn
562 MERCURE DE FRANCE ;
´ordonné que , lors de son décès , son corps fût gardé intact
pendant trois jours sans être enseveli : cette dernière volonté a
été rigoureusement observée.
>> M. Gaillard avoit été membre de l'Académie française et de
celle des inscriptions et belles-lettres , et à sa mort il étoit
membre de la classe d'histoire et de littérature ancienne de
l'Institut. >>
D'après un décret de S. M. , il sera établi dans le local du
Conservatoire impérial de musique , un pensionnat pour recevoir
douze élèves ( hommes ) . Ces élèves ne pourront être admis
dans le pensionnat qu'après la révolution physique , dite
la mue de la voix. Six élèves ( femmes ) seront pensionnées
chez leurs parens ou dans une pension particulière , au choix
du ministre de l'intérieur ; elles viendront prendre l'instruction
au Conservatoire. Il sera ajouté au crédit annuel du Conservatoire
la somme de 1200 fr. , tous frais compris , par
chaque élève ( homme ) admis dans le pensionnat , et celle
de 900 fr. pour chaque femme. Trois classes de déclamation
seront ajoutées à celles déjà existantes dans le Conservatoire.
Deux de ces classes seront affectées à l'enseignement de la dé≈
clamation dramatique. Il sera fait un fonds particulier au
ministre de l'intérieur , 1 °. pour les frais de premier établissement
du pensionnat ; 2° . pour l'établissement , dans la principale
salle du Conservatoire , d'un théâtre propre à l'exécution
des exercices dramatiques ; 3°. pour l'achèvement de la
bibliothèque du Conservatoire.
-M. de Ségur , orateur du conseil d'état , présente le projet
de loi suivant :
Art. I. Il sera construit un pont sur la Seine , vis-à-vis
» fit procéder sur- le- champ , par le chirurgien , à l'ouverture. Un cri du
» malheureux qui n'étoit pas mort , fit juger la vérité à celui qui dirigeoit
» l'instrument , et glaça d'effroi les assistans . Le chirurgien s'arrêta ; il
» étoit trop tard ; le coup porté etoit mortel . L'abbé Prévot ne r'ouvrit les
» yeux que pour voir l'appareil cruel qui l'environnoit , et de quelle ma-
» mière horrible on lui arrachoit la vie , ete, »
MARS 1806: 563
l'Ecole Militaire. II. Une taxe semblable à celle statuée par
la loi du 24 ventose an 9 , sera établie sur ce pont. III. La
perception de cette taxe pourra être concédée aux particuliers
qui fourniroient tout ou partie des fouds nécessaires à la construction
du pont. IV. Les conditions de la concession et la
durée de la perception , seront déterminées par un réglement
d'administration publique. V. Si la construction du pont
nécessite des achats de démolitions de maisons , les proprié
taires seront tenus de les céder au prix de l'estimation et à
la charge du paiement préalable , et en observant les conditions
prescrites par les lois , dans le cas d'aliénation pour cause
d'utilité publique.
-
L'ingénieur des mines de France, faisant sa tournée dans
plusieurs départemens , a découvert dans celui des Deux-
Sèvres des mines de houille très étendues , et qui n'ont jamais
été fouillées .
-On s'occupe de la collection du dessin au trait , des
plans , profils et élévations de tous les ponts de France audessus
de vingt mètres d'ouverture , sur une petite échelle
d'un centimètre pour quatre mètres. Cette réunion du travail
des ingénieurs en chef des départemens , à laquelle préside
l'inspecteur-général M. Gauthey, formera une collection com
plète des ponts , très-précieuse pour l'art de l'ingénieur.
-Il est arrivé à Paris, il a quelque temps, un enfant étranger
dont les talens précoces ont étonné ceux qui en ont vu les essais.
C'est un enfant de six ans , nommé Pio Cianchettini , dont le
père est italien et la mère allemande. Il parle très-bien l'ita- .-
lien , l'allemand , le français , l'anglais , et il joue du pianoforté
non-seulement avec une grande force d'exécution , mais
encore , ce qui est plus rare , avec ame et avec goût. Il improvise
aussi sur cet instrument ; et dans les fantaisies qui lui
échappent , on trouve souvent des traits heureux de chant et
d'harmonie.
Nn a
564 MERCURE DE FRANCE ,
L'habile chimiste anglais , Richard Chenevix , a fait
naufrage sur les côtes de la mer Noire , près le Bosphore de
Thrace , et sur le même vaisseau qui portoit le corps de l'ambassadeur
espagnol , Ocaritz , mort en Moldavie , que son
épouse en rapportoit. On assure que personne ne s'est sauvé.
M. Chenevix venoit de visiter les mines de Hongrie, et vouloit
voyager dans le Levant.
Un professeur de belles-lettres de Copenhague , a reçu
de Naples l'avis qu'on a récemment découvert parmi les rouleaux
manuscrits d'Herculanum , un fragment de poésie latine
de 7༠ vers hexamètres , que l'on attribue à Varius , ami d'Horace
et de Virgile ;
Scriberis Varios fortis , et hostium
Victor Mæonii carminis aliti, etc.
'HORAT. Od. V.
Il est question , dans ces vers , de la bataille d'Actium et
de la mort de Cléopâtre. On cite entre autres vers celui-ci :
Consiliis nox apta ducum , lux aptior armis.
On répète en ce moment à Paris l'expérience de Pacchiani
, de la décomposition de l'eau par le galvanisme.
-
Ruiter, professeur à Yena , déjà connu par ses travaux
sur le galvanisme , vient de publier une expérience qui fera
époque dans l'étude de cette découverte , et doit peut- être
en reculer les limites . Il résulte de son observation qu'il existe
une analogie marquée entre le magnétisme minéral et le galvanisme
, au point qu'une série d'aimans superposés , donne ,
ainsi que la pile de Volta , l'éclair , la saveur, la commotion ,
avec accumulation d'énergie en raison de l'augmentation du
nombre des pièces. Une analogie avec l'électricité , non moins
étrange et déjà observée , c'est que cette pile a un côté positif
et l'autre négatif, en raison de la différence de la direction
de ses pôles.
-Le docteur Baronio vient de publier à Milan la descripMARS
1806 . 565
tion d'une pile galvanique formée de seules matières végétales
il coupe des disques de raifort et de betterouge de deux
pouces de diamètre ; il prépare des disques égaux de bois de
noyer, garnis d'un rebord destiné à contenir un peu de solution
de crême de tartre ( tartrite acidule de potasse ) , par le
vinaigre , dans laquelle ils ont été préalablement fait bouillir"
pour les purger du principe résineux contenu dans le noyer ;
soixante paires de disques de raifort et de bettes alternés et
séparés par des disques de noyer imprégnés de la solution cidessus
, ont produit des effets galvaniques sur une grenouille
préparée , dont on la fait communiquer , au moyen d'une
feuille de cochlearia , la moelle épinière avec la base de la
pile. D'autres disques ont obtenu le même succès , et on peut
raisonnablement espérer qu'on pourra soumettre la végétation
universelle à l'empire du galvanisme.
Depuis le 9 mars au 19 , le baromètre s'est élevé dans
Son maximum à 28 P. 8 lig. 7/12.
Il est descendu dans son minimum à 27 p. 1 lig.
Le therm. de Chevallier ( dilatation ) s'est élevé dans son
maximum à 12 degrés 5710.
I
Id. ( dilatation ) dans son minimum 1 deg.
L'hygromètre a marqué dans son maximum 99 d. 172.
Et pour le minimum 70.
Nulle époque peut- être n'a présenté encore dans les
fastes de l'aréométrie un problême météorologique aussi
étonnant que la station atmosphérique que nous éprouvons
depuis treize semaines. Si l'on en excepté quelques jours
pendant lesquels le thermomètre est descendu de très- peu de
degrés au - dessous de zéro , la température s'est renfermée
dans un cercle étroit et vicieux , d'où sont émanées plusieurs
affections morbides ; elles sont le présage de maladies plus
graves à l'arrivée du printemps , si l'on n'en prévient l'inva—
sion par des moyens appropriés ; et pour qu'on ne nous accuse
pas de ne prédire que les temps passés , et de ne porter
3
566 MERCURE DE FRANCE ;
remède qu'aux aumx éprouvés , nous avons voulu consigner
ici ce pronostic , avec le desir sincère que sa publication soit
utile , plutôt comme préservative que comme moyen curatif
En général il faut soutenir le ton affaisé de la fibre ,. sans
s'en laisser imposer par la fause apparition d'érétisme qu'elle
présenteroit. Ainsi , en état de santé les spiritueux avec modération,
les amers , les aromates , le café , le chocolat , les alimens
épicés sont indiqués. En état de maladie , cette indica—
tion ne doit pas être non plus perdue de vue , et malgré l'appareil
inflammatoire , il ne faut pas oublier que de grandes
évacuations billeuses ou sanguines affaisseroient subitement
les solides , et ne permettroient pas à la fibre de reprendre son
énergie , sous l'influence de la molle température qui nous ré”
git. On doit surtout se souvenir (et ce conseil s'adresse aux
jeunes praticiens ) que si une saignée débilite , et par la perte
qu'elle cause , et par le mouvement pertubatoire qu'elle imprime
au système , une purgation extrême laisse émen t
après elle une atonie qu'il faut s'empresser de relever par des
stimulans , l'ipécacuanha , les vésicatoires , le quinquina , l'opium
, selon les diverses indications.
Ce principe s'applique à la température humide qui nous
domine en ce moment, et explique pourquoi il est imprudent
de purger copieusement , et surtout de saigner largement ,
avec le danger de laisser survenir une prédominance billeuse .
C'est en général le moment d'user avec succès de ces pillules
trop vantées et trop dépréciées tour-à-tour, dont l'aloës est
la base , et qui , prises à petites doses , ( deux ou trois avant
le repas ) sont aussi recommandables en cette saison , et avec
une constitution humide , qu'elles sont dangereuses pendant
les fortes gelées , et surtout durant les ardeurs de l'été. Nous
voulons parler des pilules dites Gourmandes du docteur
Franck. ( Gazette de Santé du 21 mars. )
MODES du 15 mars.
On voit des redingotes de velours à nombre de femmes de comptoir ;
elles n'osent y mettre l'écharpe. Les capotes , toujours oblongues , courtes
MARS 1806. 567
des oreilles et bien avancées sur le nez , ne se font plus aussi généralement
de deux couleurs ; il y en a de tout-à- fait blanches . Autrement , lilas et
blanc , jaune d'or et blanc , gros-bleu et blanc , chamois et blanc , noisette
et blanc , s'associent pour former des côtes parallèles . Les pensées sont à
la mode , en guirlande et en touffe ; les violettes également . Blanches , on
les regarde comme plus parées que violettes ; ce sont des violettes doubles
on les emploie , comme les jacinthes , sans mélange de feuilles . Au
lieu de la guirlande en spirale , qui suivoit les nattes , derrière une coiffure
en cheveux , c'est aujourd'hui un rang de perles ou de diamans . Les
perles sont en grande faveur. Il y a des colliers de perles fines d'un prix
énorme ; les médaillons de ces colliers sont en losange , et au nombre de
trois. On porte aussi des colliers de corail. Le corail n'en doit être ni
tout-à-fait pâle , ni d'un rouge vif.
::
Excepté en agrafes de ceintures , les joailliers ne vendent plus guère de
camées. Il n'en est pas de même du bois de palmier pétrifié. Un collier
dont les plaques sont en bois de palmier , n'est point un collier de rebut.
Tous les jours on fait des boucles d'oreilles en bois de palmier , sur- tout
des cachets et des clefs de montre. La clef de montre du genre le plus
nouveau , et une clef à quantième ; elle a un cadran d'émail . Si , depuis
quelques jours , les coiffeurs ont moins posé de fleurs ; pour cela , il n'en
est pas sorti une moins grande quantité de l'atelier des fleuristes . Les
marchandes de modes , au lieu de chou d'étoffe ou de rosette , mettent
presque toutes une guirlande épaisse , de fleurs doubles , sur le devant
des chapeaux . Sur les Boulevards , on n'a vu que capotes de velours noir ,
doublées , les unes de rose , et les autres de lilas .
A la Veillée des Muses de mardi , les femmes étoient , pour la plupart ,
en robes à queue , brodées en argent , et coiffées en toques de velours
blanc. Au dernier bal , figuroit un costume espagnol , composé de deux
robes blanches , courtes , et cependant étagées , garnies en ponceau ; le
corset de velours noir , tenu en devant par une agrafe de diamans , et ,
pour coiffures un filet d'or. Les concerts du dimanche , qui commencent
deux heures , offrent en général des toilettes épaisses , des redingotes
de velours , des fichus de cygne , de martre , et sur- tout des cachemires .
Les vases de forme antique sont les principaux ornemens de nos appar
temens modernes ; et voici comment on les dispose chez une petite -maîtresse
: deux vases de terre cuite à dessins à l'encre de la Chine , parent
l'antichambre ; on met des fleurs naturelles dans ces vases-là : deux vases
de porcelaine , ou blancs et or , ou à camées et argent , décorent la cheminée
du salon et présentent des fleurs artificielles .
Dans la chambre à concher on voit deux vases d'albâtre de Florence, qui,
le jour, se réfléchissent dans la glace et sont éblouissans de blancheur , et
le soir , au moyen de lampes pratiquées dans leur intérieur , répandent
une lumière pleine de sentiment et de douceur. Dans le boudoir , enfin ,
est une coupe d'agathe qui , pour pendant , a deux vases faits de pierres
précieuses , de lapist lazuli , par exemple, est entouré d'or mat. Le dessin
en est si pur , et les formes en sont si heureuses que même en tôle vernie ,
ce seroient encore des objets d'un grand prix.
Du 20.-
En négligé , on porte beaucoup de voiles rabattus , et , sur le
bord des capotes , de demi-voiles . Il y a déjà des capotes de mousseline
claire, avec un transparent rose . Le velours aussi cède la place à la paille . On
adapte un fond de taffetas aux chapeaux de paille blanche. Les grands chapeaux
de paille jaune n'ont d'autre ornement que le ruban , qui est blanc
ou rose , mais , par préférence , blanc . Le seul blanc qui soit de mode , est
un blanc mat; il va de pair avec le rose pâle et le lilas , qui sont les couleurs
régnantes. Les jacinthes sont toujours en vogue , et , comme de coutume
568 MERCURE DE FRANCE ,
jes guirlandes ou les touffes qui en sont formées , n'ont pas de mélange de
feuilles On voit beaucoup plus de litas que la semaine dernière ; il se porte
en brins . En demi- toilette , on met des fleurs devant et derrière . Les coiffeurs
en sont plus économes : pour la grande parure, ils en emploient peu ,
craignant sans doute de détruire l'effet de leurs gros tire- bouchons. Les
écharpes se soutiennent . Beaucoup de robes montent jusqu'au col , et ont
une fraise. Si l'on en excepte quelques canezous , brodés au plumetis ,!
rien de neuf. Presque tout ce qui s'exécute , est réservé pour Longchamp.
A Longchamp paroîtront , sinon des voitures extraordinaires , au moins
des garnitures de housses tout -à -fait riches , et de très- nouvelles bordures,
Jusqu'ici , tous les galons de voitures avoient été soie et laine , et d'un
travail commun . M. Cartier , fabricant d'étoffes de soie , pour meubles ,
et de tapis , rue de la Loi , nº . 89 , a fait exécuter dans sa manufacture
de Lyon , des bordures en velours , frisé et nué , de diverses couleurs ,
qui réunissent à l'élégance une extrême solidité . Ces bordures sont toutà-
fait en soie comme le point en est plus réduit , elles offrent au frottetement
moins de prise que les bordures moitié soie , moitié laine , et , ce
qui est vrai sans paroître vraisemblable , elles ne sont pas d'un prix plus
haut. Sur le fond liseré se détachent en relief des desseins velours , soit
dans le genre cachemire , ou dans le goût du jour , mi -arabesque , miétrusque
. Une double chaîne en fait la so îditë ; il y en a de
geurs on peut les employer pour meuliles ; on s'en est même servi pour
garnir des robes. Le magasin de M. Cartier offre un assortiment trèscomplet
de garnitures de menbles . Les caisses des voitures à la mode sont
d'un vert clair , et le train plus foncé , avec des filets d'or ; on , gris - de-
Jin , chamois , jaune clair , et le train en vermillon . Dans le décor , les
couleurs tendres sont aussi en grande faveur , notamment le gris - de- lín ,
le lilas , l'hortensia' , avec des orneinens en coloris . Dans les salons , ou
exécute beaucoup de frises et d'attributs en grisaille .
NOUVELLES POLITIQUES ,
Vienne , 3 mars,
*
s lar-
S, M. a confié à M. le baron de Thugut une branche du département
des affaires étrangères,
Le prince Charles de Lorraine ( prince de Lambesc ) ,.
lieutenant-général commandant de la Gallicie , est nommé
capitaine de la garde noble allemande , à la place du prince
d'Aversperg.
Le 12 du mois dernier , l'anniversaire de la naissance de
notre souverain fut célébré avec la plus touchante solennité à
Kaschau , par les enfans de LL, MM. II. Le jeune prince hé
réditaire avoit adressé , la veille , la lettre suivante à l'évêque
de Kaschau :
« Monsieur et très-vénérable évêque ,
» C'est demain le jour de la naissance de S. M. impériałe➡
apostolique , mon auguste père , que j'aime si tendrement,
antson fils ainé et le premier de ses sujets , je mme rendrai à
pied à l'église cathédrale , pour y prier avce la plus vive fera
MARS 1806. 509
veur, pendant le service solennel , le Dieu tout-puissant qu'il
daigne conserver durant un grand nombre d'années S. M. l'Empereur
et le père de tant de peuples. Des événemens malheureux
et imprévus m'ont arraché du sein des meilleurs et des
plus chers parens. J'ai été transporté en Hongrie et confié à
la garde de la fidelle nation hongroise. Me trouvant depuis le
20 novembre de l'année dernière , dans cette ville , je veux
passer le jour de demain , ce jour si cher à mon coeur au
milieu des bons habitans de Kaschau , et le consacrer aux
exercices de la piété.
>> Je vous envoie , monsieur l'évêque , en mon nom et au
nom de mes frères et soeurs , 700 florins que je vous prie de
distribuer aux véritables pauvres de la ville et de la campagne. »
Signé FERDINAND.
1
Munich , 25 février.
On s'attend ici à des événemens très-importans. Peut-être
le sort de l'état de Wurtzbourg changera-t-il encore une fois.
On dit qu'à la réquisition du maréchal Berthier , l'armée
bavaroise doit se tenir prête à marcher. (Moniteur.)
Francfort , 13 mars .
On vient de publier ici la pièce suivante , qui a perdu
beaucoup de son intérêt , mais qui explique enfin les divers
mouvemens des troupes coalisées dans le nord de l'Allemagne ,
qui ont si souvent occupé l'attention des politiques.
Mémoire de S. Exc. M. le baron de Hardemberg, ministre
d'état et du cabinet prussien , à lord Harrowby.
Berlin , le 22 décembre 1805.
Mylord , en conséquence de la réponse préalable que j'ai
eu l'honneur d'adresser à V. Exc. sur la demande qu'elle m'a
faite relativement à la sûreté des troupes de S. M. britannique
dans le nord de l'Allemagne , je m'empresse de vous faire
parvenir les assurances positives que j'ai le plaisir de pouvoir
vous communiquer à ce sujet.
Votre Exc. connoît l'état actuel des affaires ; vous verrez
d'abord qu'au point où sont venues les choses entre l'Autriche
et la France , après la malheureuse bataille d'Austerlitz
après la retraite de la grande armée russe , et dans l'incertitude
absolue où l'on est des vues de l'Empereur Napoléon , relativément
à la Prusse , il est indispensablement nécessaire d'user
de la plus grande précaution. L'armée la plus brave ne peut
pas toujours compter sur la victoire ; et il est sans doute de
l'intérêt de la Prusse , comme de l'intérêt de tous, d'empêcher
qu'elle ne soit attaquée dans un moment où tout le poids de
570 MERCURE DE FRANCE ;
la guerre tomberoit sur elle , et où il ne peut être conclu
d'arrangement conforme aux circonstances.
Le roi , constamment animé du desir de rétablir la tranquillité
générale sur un pied solide et satisfaisant , autant que
possible , pour tous , devoit desirer vivement que sa médiation
, qui avoit été stipulée dans la convention signée à Potsdam
, le 3 novembre , fût acceptée par la France. Dans un
entretien que M. le comte de Haugwitz eut, le 28 novembre
, avec l'Empereur Napoléon , ce souverain se montra disposé
à consentir à cette médiation , sous la double condition :
1º que , pendant les négociations , aucunes troupes de S. M.
britannique , ni russes ni suédoises , n'entreroient sur les
frontières d'Hollande , pour y commencer la guerre , en se
retirant du Nord de l'Allemagne ; 2 ° que l'on accorderoit à
la forteresse d'Hameln un circuit plus étendu , pour faire
cesser l'embarras où se trouvoit la garnison à cause des vivres.
"
Le roi ne pouvoit pas accepter ces conditions , dans les circonstances
du moment où elles furent faites . Mais ces circonstances
sont entièrement changées ; et dans les conjonctures
actuelles , S. M. a non-seulement trouvé cette double proposition
admissible ( sous la condition que l'Empereur Napoléon
s'engagera , de son côté , à ne faire entrer aucun corps de
troupes dans le nord de l'Allemagne , et de ne rien entreprendre
, dans cet intervalle , contre le Hanovre ) , mais elle l'a
même regardée comme favorable , parce que l'on gagne par-là
du temps , pour voir les choses plus clairement , et pour se
préparer à tout événement , soit que la guerre éclate , soit
que cet état intermédiaire des choses conduise à une négociation
définitive.
Pour ne point perdre de temps , S. M. a envoyé le généralmajor
de Pfuhl au quartier - général français , afin que cet .
arrangement soit porté sa conclusion. M. le comte de
Haugwitz a aussi reçu ,
le 19 de ce mois , les instructions
nécessaires , et le roi a fait déclarer à la France , qu'il regarderoit
la réoccupation du Hanovre par les troupes françaises ,
comme une mesure hostile contre lui.
Conformément à ce que je viens d'exposer , le roi m'a
autorisé , milord , à vous déclarer , qu'en conséquence des
assurances précédemment données , s'il arrivoit que les troupes
de S. M. britannique et les troupes russes fussent malheureuses ;
le roi prend sur lui la sûreté des premières dans le Hanovre
et leur accorde la pleine liberté de se retirer , en cas de nécessité
, vers l'armée prussienne et les états du roi , toutefois
avec ces modifications , que les circonstances prescrivent :
1° qu'elles prendront leurs positions derrières les troupes
MARS 1806 .
571
prussiennes , et que pour le moment , pendant les négociations
intermédiaires , elles s'abstiendront de tout mouvement et
démarches qui pourroient être provocatoires contre la Hollande
; 2° que si les troupes prussiennes étoient attaquées par
les Français , Sa Majesté pourroit se reposer avec une certitude
absolue sur l'assistance et la coopération des troupes de S. M.
britannique , aussi long - temps qu'elles se trouveroient dans le
nord de l'Allemagne. S. M. fait entrer en Westphalie un
corptrespectable , et elle prendra , en outre , toutes les mesures
de sûreté et de défense nécessaires. Les troupes russes sous les
ordres du général comte de Tolstoy , sont déjà entièrement
à la disposition du roi , l'empereur Alexandre l'ayant laissé
entièrement le maître de les faire agir à sa volonté ; ainsi que
celles qui sont en Silésie sous les ordres du général Benningsen.
Je prie doncVotre Exc. d'écrire le plus tôt possible à milord
Catckart , commandant en chef des troupes de S. M. britannique
, et de l'engager à prendre sans délai les mesures nécessaires
sous ses différens rapports , et particulièrement d'accepter
l'invitation qui lui sera faite , d'après un ordre du roi , par
le comte de Kalkreuth , de se rendre en personne dans un endroit
qui sera désigné , pour se concerter avec lur et avec
M. le comte de Tolstoy , sur les positions que devront prendre
les troupes de S. M. britannique , les Russes et les Prussiens ,
conformément à l'arrangement exposé ci-dessus .
Comme les troupes suédoises se trouvent dans une même
cathégorie avec les troupes britanniques et russes , il est fort à
desirer que S. M. suédoise puisse être engagée à se conformer
à cet arrangement.
J'espère , milord , que vous voudrez bien vous entendre à
cette fin avec M. le prince Dolgoroucki , que S. M. l'Empereur
de toutes les Russies a chargé de tout ce qui concerne la desti- ..
nation des troupes russes. Dans le cas où S. M. suédoise confieroit
au comte de Tolstoy la conduite de ses troupes , le roi
est prêt à lui donner la garantie qu'elle offre aux troupes de
S. M. britannique , pendant leur séjour dans le nord de l'Allemagne.
3. Pour ce qui concerne l'approvisionnement de la forteresse
d'Hameln , l'on a jugé que la fixation d'un circuit
duquel la garnison pourroit tirer ce dont elle a besoin , entraîneroit
de grands inconvéniens , tant par rapport aux sujets
de S. M. britannique , qu'à cause de la collision qui pourroit
en résulter entre les troupes. Il paroît donc plus convenable
de fournir , du pays d'Hanovre , à la garnison les objets qui
seront nécessaires , par l'intermédiaire d'une personne tierce ,
572 MERCURE DE FRANCE.
à qui le général Barbou fera connoître ce dont il a besoin
pour sa consommation journalière , et sur la réquisition de
laquelle le ministère hanovrien pourvoira à ce que les objets
demandés soient livrés à l'endroit désigné. Le général Barbou
devroit s'engager , de son côté , à se tenir tranquille dans
Hameln.
D'après ces idées , le roi envoie à Hanovre M. de Krusemarck
, lieutenant-colonel des gardes du corps , et adjudant
de M. le maréchal Mollendorf. Je lui donne , de mon côté ,
une lettre pour le ministère de S. M. britannique à Hanovre
et une autre pour le général Barbou , afin que tous les arrangemens
nécessaires à l'entretien de la garnison d'Hameln , puissent
être arrêtés sans délai et mis à exécution.
Il ne me reste , mylord , qu'à me référer à ce que j'ai eu
l'honneur de vous dire de bouche , et à vous prier de faire en
général toutes les démarches que vous jugerez convenables
pour l'exécution de l'arrangement que j'ai l'honneur de vous
proposer. Je vous prie aussi de déclarer au commandant des
troupes de S. M. britannique , que ce ne sera qu'autant qu'il
jugera à propos d'accéder audit arrangement , et de prendre
les mesures qui dépendront de lui pour en assurer l'accomplissement
, que S. M. prussienne remplira l'obligation formelle
de garantir la sûreté des troupes de S. M. britannique.
Il est cependant nécessaire , en cas d'une attaque de la part
des Français , que la direction parte d'un point ; et il paroît
naturel que le plus ancien en grade prenne le commandement.
Le général comte de Kalkreuth devroit en conséquence
être choisi , tant par cette raison , que parce que se trouvant
dans le voisinage de l'ennemi , il est plus à portée de connoître
les mesures qui sont à prendre .'
Je renouvelle à Votre Exc . l'assurance de la haute considération
, avec laquelle j'ai l'honneur d'être etc. etc.
Signé , HARDEMBERG ( 1 ).
(1 ) La note qu'on vient de lire a été imprimée officiellement dans les
journaux anglais . Est-elle véritable ? est- elle supposée ? c'est ce que M
d'Hardemberg peut dire ! Nous ne ferons que peu de remarques : la première
, c'est que le protocole de la cour de Prusse , et que les min stris
écrivent au nom du roi , et qu'ici M. d'Hardemberg écrit en son nom et
non à celui de son souverain ; la seconde , c que l'insulte que M. d'Har-
9 en supposant qu'il n'ait signé
le traité conclu à Vienne avant la paix de Presbourg , que pour se donner
les moyens de tromper , ne peuvent entacher la loyauté de ce prince ,
et cette penseé ne deshonore uniquement que le ministre qui pense aussi
bassement. Enfin , qu'il est sans exemple dans l'histoire des nations qu'un
gouvernement ait assez manqué de politique pour ménager si peu ses am s
et: s crifier , comme le fait l'Angleterre , et d'une manière si éclatante ,
demberg fait au caractère du roi de Prusse est
MARS 1806. 573
Berne , 7 mars.
Toutes les mousselines , batistes , cotonnades , etc. , fabri
quées en Suisse , ne sont plus admises par les douanes françaises.
C'est principalement aux cantons de Saint- Gall , Appenzell
, Schwitz , que ce coup est sensible.
De Neuchatel , le 11 mars.
Copie du rescrit de S. M. le roi de Prusse , adressé aux
habitans de la ville et principauté de Neuchâtel et Valangin
, pour leur faire part de la cession qu'ilfait de ces pays
à S. M. l'Empereur Napoléon.
« Frédéric- Guillaume , par la grace de Dieu , roi de
Prusse , etc. , amés et féaux , salut ! L'affection paternelle que
depuis notre avénement au trône nous avons pris à tâche de
témoigner en toute occasion au pays de Neuchâtel et Valangin
, doit vous faire juger des sentimens que nous éprouvons ,
en vous adressant la présente. Elle est destinée à vous annoncer
un changement que les circonstances ont rendu inévitable.
Des considérations de la dernière importance , prise de l'intérêt
le plus pressant de notre monarchie entière , nous
ont obligé d'acquiescer à remettre entre les mains de
Sa Majesté l'Empereur des Français , le soin du bonheur
futur de ces états. Quelque desir que nous eussions de continuer
à y travailler nous-mêmes , et quelque peine profonde
des hommes qui ont trahi leur conscience et leur souverain pour le servir.
Voilà M. d'Hardemberg bien réconipensé de s'être prostitué aux éternels
ennemis du continent . Nous doutons que sa qualité de sujet du roi
d'Angleterre , l'avantage d'avoir résidé lui et sa femme à la cour de
Londres , puissent le porter à approuver la publication que vient de faire
le gouvernenient anglis . Il est vrai que cette note ne peut être considérée
comme émanée du roi ; et l'Angleterre n'a point manqué à la
Prusse et à son souverain en la publiant ; mais elle a laissé voir seulement
de quelle manière elle récompense ceux qui trahissent la caus- du continent
pour se vouer à son despo isme. Après avoir lu une pareille note ,
après l'avoir vue publiée dans tous les journaux anglais , il n'est personne
qui ne juge qu'il ne peut pas y avoir en Europe un homme plus
complétement deshonoré que M. d'Hardemberg. Le nom prussien n'en
peut recevoir aucune atteinte , puisque M. d'Hardemberg n'est pas Prussien.
Le militaire ne peut non plus s'en affliger , puisque M. d'Hardemberg
n'est point soldat . S'il l'étoit , il sauroit que les soldats du Grand-
Frédéric se battent pour soutenir les principes de sa politique , mais ne
sont point traîtres ni parjures.
Après toutes les publications du gouvernement anglais , après la direction
qu'il a donnée aux escadres et aux forces de terre qu'il a expédiées
au Cap de Bonne- Espérance et dans les colonies, aux lieu de les
envoyer au secours de ses alliés , nous doutons que l'Angleterre puisse
de long-temps avoir crédit pour les affaires du continent. Si elle s'en
trouve exclue , elle n'en accusera point la France ; et ce sera sa haine pour
ce continent qui aura produit cet effet.
5741
MERCURE
DE
FRANCE
,
"
que nous ressentions de nous séparer des sujets estimables ,
dont nous avons toujours hautement approuvé la loyauté et
l'attachement , nous ne pouvions nous dissimuler combien
cette résignation volontaire étoit préférable pour vous au sort
d'un pays de conquête , dont, sous d'autres rapports , vous
étiez menacés. D'ailleurs , la distance où votre pays , par
sa position géographique , se trouve du centre de nos états
ne nous permettant pas de le faire jouir d'une protection
suffisante et directe , et cette situation le faisant nécessairement
dépendre de l'Empire français , tant pour son approvisionnement,
que pour ses relations de culture , de commerce
et d'industrie , nous devons penser que les liens plus
étroits qui vont l'attacher à cet Empire , pourront devenir
pour ses habitans une nouvelle source de bien - être et de
prospérité.
>> Aussi notre intention est-elle de contribuer , autant qu'il
dépendra de nous par notre intercession et nos bons offices
auprès du gouvernement français , à lui offrir les avantages
qu'il peut desirer. Vous devez être convaincus en général , et
nous vous chargeons de témoigner en toute occasion , que nous
prendrons toujours à ce pays et à ses habitans un vifet sincère
intérêt , et que la mémoire de leur dévouement et de leur
fidélité ne s'effacera jamais de notre coeur.
» La sagesse du puissant souverain , auquel leur sort est
uni , permet d'opérer en toute confiance l'accomplissement
des voeux ardens que nous formons pour eux.
>> Nous avons nommé notre chambellan et envoyé extraordinaire
près du corps helvétique , le baron de Chambrier
d'Olaires , pour soigner, de notre part , et en qualité de commissaire
royal , la remise de cette province à celui que S. M.
l'Empereur des Français aura choisi pour en prendre possession
en son nom. Il est aussi muni , à cet égard , des pouvoirs
´requis et nous lui avons également adressé nos instructions
relativement aux objets de finance , par rapport auxquels nous
avons à coeur de donner aux sujets , dont nous nous séparons
à regret , une dernière preuve de notre amour et de notre
desir de leur être utile.
en
>> Nous sommes persuadés que vous seconderez le baron
de Chambrier en tout ce qui dépendra de vous , dans l'éxécution
de la commission dont il est chargé. Il l'est ,
particulier , de vous déclarer déliés , ainsi que tous les officiers
publics , du serment qu'ils ont prêté à notre maison , et de
les remercier tous du zèle et de la fidélité dont ils nous ont
fait preuve , en les assurant des sentimens inaltérables d'intérêt
et de bienveillance sur lesquels ils peuvent compter de
MARS 1806 .
575
notre part. Sur cela nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sainte
et digne garde. >>
A Berlin , le 28 février 1806.
Signé , FRÉDÉRIC - GUILLAUME.
Etplus bas , RECK - HARDEM BERG.
Nuremberg , 7 mars.
Un détachement de troupes françaises est entré la nuit
dernière dans cette ville ; il a été suivi dans la matinée par
le 97 régiment d'infanterie de ligne , commandé par le
général Frère , et qui fait partie du corps d'armée du maréchal
Bernadotte. Ces troupes ont pris des logemens chez les
bourgeois.
par
La proclamation suivante a été publiée à cette occasion ,
ordre du sénat :
1
<< Des circonstances particulières ont engagé S. Ex. M. le
maréchal d'Empire Bernadotte commandant en chef les
roupes françaises qui se trouvent dans le voisinage , à mettre
dans cette ville un certain nombre de ces troupes ; mais il a
donné en même temps l'assurance formelle au sénat que cette
disposition , qui ne doit être regardée que comme une mesure
militaire devenue indispensable , ne portera aucunement préjudice
à la ville.
» Comme lesdites troupes entrent ici ce matin , et doivent
être mises en quartier dans les maisons particulières , le sénat
en informe par celle- ci la bourgeoisie , et elle engage tous
et chacun à les accueillir et à bien traiter , assurés comme
ils peuvent l'être que M. le général commandant fera observer
la plus exacte discipline . »
PARIS.
Par décret du 14 mars , S. M. a nommé membres de la
Légion-d'Honneur, 2 adjudans- commandans , 14 chefs de ba→
taillons et d'escadrons, 422 capitaines, 173 lieutenans, 72 souslieutenans
, 175 sous-officiers , 326 caporaux , brigadiers et
soldats , 4 sous-inspecteurs , 5 commissaires des guerres ,
remplit aujourd'hui plusieurs colonnes du Moniteur.
MM. Dupont-Delporte , le Pelletier d'Aunay, Canouville
( Ernest ) , Campan , Camille Basset du Châteaubourg ,
Taboureau , Barente , Duval ( de Mons ) , sont nommés auditeurs
du conseil d'état.
-S. A. le prince Murat a quitté Paris il y a quelques jours;
on dit que ses aides-de- camp l'ont accompagné ; et comme
on explique toutes les démarches à Paris , à Vienne , à Berlin
par les changemens qui vont s'opérer dans le nord de l'Alle576
MERCURE DE FRANCE ,
magne , et par les concessions qui en seront les suites
ajoute que le Murat a rapport à ces objets
importans.
le
voyage du prince
Murat
-Les obsèques du sénateur Tronchet se sont faites mardi
18 avec beaucoup de pompe, Le cortége , composé de députations
des principaux ordres de l'état , précédé et suivi de
nombreux détachemens de troupes , est allé prendre le corps
du défunt à son domicile , rue Pavée au Marais, l'a conduit a
l'église Saint-Louis , où le service funèbre a été célébré. Le
cortége s'est ensuite, rendu à l'église de Sainte- Genevieve : à
trois heures et demie , le cercueil a été déposé dans un des
caveaux. Cette cérémonie avoit attiré un grand concours de
spectateurs dans les rues des différens quartiers que le cortége
a traversés.2}
CORPS LEGISLATIF.
Séance du 14.
MM. Defermont et Jaubert présentent deux projets de loi
M. Defermont lit le premier projet ainsi conçu : Les disposi
tions de l'art. 61 de la loi du 22 frimaire an 7 . concernant la
prescription des droits d'enregistrement seront , à compter de
la publication de la présente loi , applicables aux perceptions
des droits d'inscriptions et transcriptions hypothécaires établis
par les chapitres 2 et 3 du titre II de la loi du 21 ventose
an 7.
M. Jaubert lit le second projet de loi , dont voici les dispasitions
: Les tuteurs et curateurs des mineurs ou interdits
qui n'auroient en inscriptions ou promesses d'inscriptions de
5 pour 100 consolidé , qu'une rente de 50 fr. et au – dessous ,
en pourront faire le transfert sans qu'il soit besoin d'autorisation
spéciale , ni d'affiches , ni de publications , mais seulement
d'après le cours constaté du jour , et à la charge d'en
compter comme du produit des meubles.
Les mineurs émancipés qui n'auroient de même en inscriptions
ou promesses d'inscriptions qu'une rente de 50 francs et
au - dessous , pourront également les transférer avec la seule
assistance de leur curateur , et sans qu'il soit besoin d'avis de
parens ou d'aucune autre autorisation .
Les inscriptions ou promesses d'inscriptions au-dessus de
50 fr . de rente ne pourront être vendues par les tuteurs ou
curateurs qu'avec l'autorisation du conseil de famille , et suivant
le cours du jour légalement constaté. La vente se fera
dans tous les cas, sans qu'il soit besoin d'affiches ni de publican
tions.
La discussion de ces deux projets est fixée au 24 .
( N° CCXLV. )
( SAMEDI 29 MARS 1806.
MERCURE
DE FRANCE.
POÉSIE.
961
SEL
2#
NIOBÉ.
APOLLON s'est armé d'un courroux inflexible :
Niobé va subir sa vengeance terrible.
Orgueilleuse , écoutant une aveugle fierté,
Elle osa de ce Dieu dédaigner la beauté !
Elle osa , respirant une amour criminelle ,
Préférer ses enfans au fils d'une immortelle !
Insensée , ah , retiens tes coupables accens !
Apollon outragé menace tes enfans.
Il te voit étaler leur superbe assemblage ,
Louer avec orgueil , adorer ton ouvrage !
Il t'entend prononcer un choix injurieux,
D'une voix sacrilege insulter à tes Dieux !
Fuis , détourne les coups de sa main vengeresse ;
Sauve de sa fureur les fruits de ta tendresse.
Quelle erreur te séduit ! Pour calmer son courroux
Vainement tu fléchis tes superbe genoux ;
C'est en vain qu'abjurant une arrogance impie ,
Ton orgueil confondu s'abaisse et s'humilie !
Ton tardif repentir, tes pleurs , ton désespoir ,
Sur un Dieu furieux resteront sans pouvoir.
Il tend déjà son arc , et ses flèches cruelles
Déchirent sans pitié tes filles les plus belles.
578 MERCURE DE FRANCE ,
1
O regrets leur candeur, leur touchante beauté ,
Ne peuvent d'Apollon fléchir la cruauté ;
Et treize fois , d'un bras que la vengeance anime ,
Chaque flèche élancée a frappé sa victime.
Quel aspect douloureux ! Sur un marbre fumant ,
Du sang de sa famille à longs flots ruisselant ,
Niobé l'oeil en feu , haletante , éperdue ,
Ne sait où reposer ni ses pas , ni sa vue.
Ah ! pourroit- elle fuir ? Il lui reste un enfant
Qui lui devient plus cher en ce cruel moment.
Le trait fatal est prêt ; il va trancher sa vie !
Sa mère.... Dieu barbare , arrête ta furie....
Elle presse sa fille entre ses bras tremblans ,
La couvre et la dérobe à tes traits menaçans !
Dans cet affreux danger, son ame vigilante
Inspire à son amour une ruse innocentè :
Sur sa fille elle a yu mille charmes épars ,
D'Apollon elle espère attendrir les regards .
Son bras tremblant se lève : une épaule éclatante
Offre à l'oeil ébloui sa beauté ravissante .
Le Dieu reste saisi , l'arc tombe de ses mains ,
Il hésite à l'aspect de tant d'appas divins .
Niobé voit son trouble ; enfin son coeur respire ....
Vain et cruel espoir qui flatte son délire !
L'insensée elle- même aggrave sa douleur,
Et son zèle imprudent a comblé son malheur.
Le Dieu , de la pitié repousse le murmure ;
L'objet qui l'a touché réveille son injure .
Sa haine se rallume , et son trait irrité
Ensanglante le sein de la jeune beauté .
Elle meurt exhalant le cri de l'innocence ,
Et le Dieu satisfait sourit de sa vengeance.
O mère infortunée ! ô supplice effrayant !
Niobé d'un oeil sec voit ce corps expirant .
A force de souffrir son ame est épuisée ;
De ses jours malheureux la trame s'est usée ;
Son corps pâle , endurci par l'excès des douleurs ,
A pris d'un maibre froid la forme et les couleurs .
Par M. BARTOUILH .
MARS 1806. 579
Note du Rédacteur . Depuis le grand succès de Manlius , les journaux ont sou
vent entretenu le public des particularités de la vie de la Fosse . Plusieurs ont parlé
de son talent pour la poésie italienne ; mais on ignore communément que la Fosse
porta ce talent à un degré très-rare dans un étranger . Nous pensons donc qu'on lira
avec plaisir une des pièces de vers italiens , qui , pendant son séjour à Florence , le
firent recevoir de l'Académie des Apathistes . Ce qui nous détermine sur- tout à la
publier, c'est que le texte en est étrangement mutilé dans tous les Recueils où elle a
été imprimée. On nous en a adressé une imitation en vers français , qui en donnera
une idée à ceux de nos lecteurs qui n'entendent pas la langue du Tasse .
CANZONNETTA.
Il Poeta pregia l'Inconstanza .
V'è chi mi grida e dice :
« A che pensi infelice ?
» Forse anco tu presumi
>> Di filli col tuo ardore
>> Fermar l'instabil core ?
>> Ferma prià venti e fiumi ;
>> Poi su l'alma rubella
>> Per te si provi pure arte si bella . »
A tui detti io rispondo :
O fato mio giocondo
Provido ciel che diede
Alei cor si leggiero ;
Che si a l'amor primiero
Serbasse ognor la fede
Come filli in altrui ,
Ver me si volgerian gli affetti sui.
M' ami ella un giorno solo ,
E poi s'en fuga a volo ,
Preda di nuovo amante !
Che in si bel giorno ameno ,
Mi strugerrebbe il seno
Giubilo traboccante ,
Onde licto et gradito,
Tra i contenti merrei prià che tradito .
ODE:
Le Poète fait l'éloge de l'Inconstance .
POURQUOI me répéter sans cesse :
Imprudent ! quelle est ton erreur ?
Penses-tu dans ta folle ivresse
>> Q'Iris te soumette son coeur ?
›› Enchaîne l'onde et le nuage
» Avant de former cet espoir ;
>> Puis sur le coeur de la volage
» Reviens essayer ton pouvoir. >>
Tyrans jaloux , faites silence !
Béni soit le ciel bienfaisant
Qui de cette aimable inconstance
Pour mon bonheur lui fit présent .
Oui , grace à cette humeur propice ,
Je puis être heureux à mon tour,
Et lui voir céder par caprice ,
Ce qu'elle refuse à l'Amour .
Qu'un seul jour je puisse lui plaire ,
Qu'elle m'aime, et passe à l'instant ,
Au gré de son ame légère ,
Dans les bras d'un nouvel amant !
O sort préférable à la vie !
Tu ne m'entendras pas gémir ,
Iris , avant ta perfidie ,
Va, je serai mort de plaisir.
TOUZET.
002
580 MERCURE DE FRANCE ;
ENIGM E.
Ou je suis , on ne cherche , hélas ! qu'à m'outrager;
Jour et nuit on s'occupe à pouvoir me détruire :
Mais où je ne suis plus, on me prise , on m'admire ;
Et par un travers qui fait rire ,
On fait tout pour me ménager .
LOGO GRIPHE.
vengeance ,
O cité malheureuse ! ô puissante Ilion !
Que votre sort cruel fut une affreuse image !
Je pouvois vous sauver : tel étoit l'avantage
Attaché par les Dieux à ma possession ;
Mais vos fiers ennemis , poussés par la
Surent me dérober à votre vigilance .
Neuf pieds forment mon tout : avec eux aisément
Vous trouverez , lecteur, le nom du premier homme ,
Un grand saint , né païen , qui fut martyr à Rome ;
Un titre anglais ; un mot synonymeà rampant ;
L'antithèse du bien ; un trésor admirable
Qui sut toucher jadis un coeur impitoyable ,
Et lui fit respecter les lois de l'amitié ;
Ce qui surprend et donne un coup d'oeil agréable ;
La mère de ce Dieu , qui , sans nulle pitié ,
Bâtit certaine nuit l'infortuné Sosie ;
L'opposé de femelle ; un rôle embarrassant ;
Ce mont fameux de Grèce , où d'Hélène l'amant
Un jour favorisa la reine d'Idalie ;
Un fâcheux adjectif à qui chérit Eglé ;
Un prêtre du Tibet ; deux notes de musique ;
Uu bon légume ; un nombre ; un ornement sacré
Un grand musicien ; une ville d'Afrique.
Mais c'est assez , lecteur, cherche à me deviner :
Si ton esprit tardif ne peut rencontrer jnste ,
Le poète divin , le protégé d'Auguste
T'apprendra qui je suis ; daigne le consulter .
CHARA D E.
ON fuit le malheureux que ronge mon premier ;
D'un pur nectar on boit jusques à mon dernier ;
On trouve au fond des puits l'ombre de mon entier,
Mots de l'ENIGME , du LOGOGRIPHE et de la CHARADE ,
insérés dans le dernier Numéro.
Le mot de l'Enigme du dernier N° est Langue.
Celui du Logogriphe est Vaisseau , où l'on trouvé eau, vis, vasse,
vive , Yves , Asie , vie , Suse.
Celui de la Charade est Mal-aise.
MARS 1806 . 581
A
Sur les Eloges historiques de MM. SEGUIER
et de MALESHERBES.
L'ELOGE historique de M. de Malesherbes , par
M. Gaillard , et celuide M. Séguier , par M. Portalis ,
ont paru presqu'en même temps .
Ces hommages publics décernés
par
l'amitié et par
l'éloquence , à des noms et à des hommes respectables
, sont une sorte d'expiation solennelle pour
tous les outrages , et , s'il étoit possible , pour toutes
les barbaries dont ces illustres personnages ont été
l'objet , dans des temps dont le gouvernement ne doit
jamais perdre le souvenir.
Il y avoit donc des vertus , des talens et des lumières
dans ces familles infortunées, poursuivies par
tant de haines et victimes de tant de fureurs !
Sans doute , toutes les races ne pouvoient pas se
vanter de la même illustration , ni tous les individus
s'attribuer le même mérité ; mais si la gloire de ces
noms recommandables appartient à la France entière ,
elle honore plus particulièrement la classe et les corps
dont ils étoient membres ; et n'est-il pas juste que tous
ceux qui ont été confondus dans la même haine et
en butte aux mêmes fureurs que ces personnages distingués
, retirent aussi quelque part de la réhabilitation
tardive accordée à leur mémoire ?
On eût attendu peut - être de l'homme de lettres
qui a le mieux connu et le plus aimé M. de Malesherbes
, de nouveaux détails sur la dernière action.
qui a illustré la vie de ce digne magistrat , et sur la
catastrophe qui l'a terminée . Sans doute , Louis XVI
ne devoit pas se défendre devant la convention , ni
même permettre qu'on y comparût en son nom . Au
point où étoient parvenus les esprits et les événemens ,
il étoit évident qu'on ne pressoit la comparution du
3
582 MERCURE DE FRANCE ,
roi , que comme un aveu de la compétence du peuple
, et non comme un moyen de justification pour
l'accusé , ou d'instruction pour ses juges ; et l'infortuné
monarque qui ne pouvoit plus rien pour sauver
sa tête de l'échafaud , auroit da , à ses derniers momens
, prendre plus de soin de sa dignité , et sauver
la royauté de la barre de la Convention. Mais le dévouement
de M. de Malesherbes aux desirs de son
royal ami , n'en fut que plus héroïque , puisqu'il eut
à sacrifier ses sentimens personnels sur la honte et
l'inutilité de cette plaidoierie , et à surmonter l'inexprimable
horreur de défendre la cause de toutes les
vertus , au tribunal de toutes les passions.
On trouve , dans tous les écrits du temps , le récit
de la mort de M. de Malesherbes , mais on est porté
à croire que l'estimable auteur de son éloge , eût pu
nous en apprendre davantage sur les derniers momens
de cet homme vertueux. Les douloureuses
circonstances qui ont accompagné la fin M. de Malesherbes
, ont dû être religieusement recueillies , et
auroient dignement terminé un écrit consacré à sa
mémoire . Une sensibilité foible et superficielle repousse
les détails déchirans ; une sensibilité plus ferme
et plus profonde les recherche et s'en nourrit . Et quelle
scène de compassion et d'horreur que celle où l'on vit
cette race illustre frappée d'un seul coup , et , si l'on
peut le dire , dans toutes ses générations , aïeul , fille ,
petite- fille , soeur , gendre , etc. , et entre des personnes
si chères , les malheurs de chacun accrus et redoublés
par le spectacle du malheur de tous les autres !
« Eh ! qui auroit pu croire , quelques années aupa-
» ravant , s'écrie l'auteur , un seul Français capable
» de concevoir l'idée de tels crimes ?.... »
Comment une révolution a -t-elle pu dénaturer å
ce point le caractère national ?
C'est la première pensée que fassent naître ces
affreux souvenirs ; c'est même la seule qu'ils rappellent
aujourd'hui ; et des maux inouis qui ont dù
MARS 1806. 583
exciter , il y a quelques années , de si profonds ressentimens
, ne peuvent plus être , au moment où nous
sommes , qu'un sujet inépuisable de méditations.
Une nation renommée pour sa loyauté et pour sa
douceur , a choisi ses victimes dans les familles qui
regardoient comme la plus belle portion de leur héritage
l'honneur de la servir de leurs personnes et
du capital de leurs biens , dit Montesquieu , et qui ,
en France , mieux qu'en aucun autre pays de l'Europe
, avoient rempli avec gloire et désintéressement
( 1 ) , cette périlleuse destination. Elle les a
dépouillées avec toutes les subtilités de la jurispru
dence ; elle les a proscrites et massacrées avec tous
les rafinemens de la barbarie ; et l'on a vu , chez le
peuple le plus humain , un oubli profond de toute
humanité ; et chez le peuple le plus chrétien , le
refroidissement universel de la charité.
Jadis , pour de moindres fautes , des réparations
éclatantes auroient attesté de grands repentirs ; et la
foi à cette suprême justice qui , tôt ou tard , atteint
ceux même qu'elle ne poursuit pas , auroit peuplé
de solitaires pénitens les rochers et les déserts.
L'homme alors étoit emporté ; aujourd'hui il est
corrompu : le coeur n'est pas moins foible ; mais l'esprit
est plus dépravé. Ainsi , dans les maladies aiguës
qui attaquent la jeunesse de l'homme , la force d'un
tempérament qui a conservé tout son ressort amène
des crises salutaires ; tandis qu'à un autre âge , le principe
de la vie affoibli n'offre plus à l'art aucune ressource
.
Les plus petits phénomènes de la nature physique
retentiront dans tous les journaux , occuperont tous
les savans , et feront éclore vingt systèmes où l'incertitude
le disputera à l'inutilité ; mais la révolution fran-
(1 ) La noblesse française étoit en général la plus pauvre de
l'Europe , et la plus occupée au service public.
4
584 MERCURE DE FRANCE ,
çaise , ce phénomène inoui en morale , en politique ?
en histoire , qui offre à la fois et l'excès de la perversité
humaine dans la décomposition du corps social ,
et la force de la nature des choses dans sa recomposition
; cette révolution , qui ressemble à toutes celles
qui l'ont précédée , et à laquelle nulle autre ne ressemble
, mérite bien autrement d'occuper les pensées
des hommes instruits , et de fixer l'attention des
gouvernemens , parce qu'elle présente , dans une seule
société , les accidens de toute la société ; et dans les
événemens de quelques jours , des leçons pour tous
les siècles.
Désordre des finances , foiblesse de l'autorité , ambition
de quelques hommes , résistance de quelques
autres , toutes ces circonstances et mille autres , furent
les causes secondes ou occasionnelles de la révolu
tion . Elles sont assez connues , et sont même presque
toujours exagérées ; mais toutes ces causes , absolument
toutes , dépendoient d'une cause première
unique , efficiente, pour parler avec l'école , une cause
sans laquelle toutes les autres causes ou n'eussent pas
existé , ou n'eussent rien produit. Et cette cause , il
importe d'autant plus de la rappeler, qu'elle conserve
encore toute son activité , et que les uns s'obstinent à
la méconnoître , et même d'autres à la nier.
Cette cause est la propagation des fausses doctrines
; car , dans la société comme dans l'homme ,
c'est toujours l'esprit éclairé ou perverti qui commande
les actions vertueuses ou dépravées ; et le crime
n'est jamais que l'application d'une erreur. M. de
Condorcet est convenu de cette vérité , lorsqu'il a
attribué aux écrits de Voltaire toute la révolution ; et
quoiqu'on l'ait traité même avec mépris pour avoir
fait cet aveu indiscret , M. de Condorcet n'en fut pas
moins l'homme de ce parti le plus habile , le plus profond
et le plus actif; et s'il a péri victime lui-même
de la révolution , c'est que les hommes qui veulent ,
malgré la nature et la raison , imprimer un grand
"
585 MARS 1806 .
mouvement à la société , ne voient pas que si l'esprit
commence les révolutions , c'est la violence qui les
conduit , et la force qui les termine .
Il faut donc le dire : aujourd'hui sur- tout que la
liberté de la presse est un dogme de notre constitution
, et l'indépendance ( 1 ) des gens de lettres la
plus chère de leurs prétentions , depuis l'Evangile
jusqu'au Contrat Social, ce sont les livres qui ont
fait les révolutions. Si des écrivains accrédités viennent
à bout de persuader aux hommes que certaines institutions
sont incompatibles avec leur bonheur , et
que certaines classes de citoyens sont des instrumens
d'oppression et de servitude , le peuple , aussitôt que
des circonstances particulières déchaîneront sa force ,
détruira les institutions ; et si , dans la foule , il se
trouve de ces hommes , heureusement rares , qui se
conduisent par des conséquences rigoureuses , plutôt
que par des sentimens humains , ils détruiront même
(1) On sait à présent à quoi s'en tenir sur cette indépendance
, et tout le monde est d'accord. Voltaire étoit indépendant
, lorsque , mécontent du roi de Prusse , qu'il avoit révolté
par ses causticités et par son ingratitude , il fuyoit de sa
cour pour aller tenir lui-même une cour à Ferney, et y manger
cent mille livres de rente ; Jean -Jacques étoit indépendant
, lorsque , dans sa folie , croyant le genre humain tout
entier, jusqu'aux bateliers et aux décrotteurs de Paris , ligués
contre lui , il jetoit ses enfans à l'hôpital , et couroit se cacher
à Ermenonville ; Caton étoit indépendant , lorsque , accablé
par le génie de César, il se tuoit lui-même , pour ne pas mourir
les armes à la main , et désertoit la cause de la liberté
romaine ; Socrate étoit indépendant , lorsqu'il avaloit la ciguë ,
à laquelle il étoit condamné par jugement……………. Je rends justice
au talent poétique des deux auteurs couronnés par l'Institut
; mais rien ne prouve le vice de la question comme la
foiblesse de leurs compositions. Quant au fond , toutefois , ils
n'ont pas pu mieux faire , ni se tirer plus heureusement dụ
piége que des gens de lettres avoient tendu aux gens d'esprit.
586 MERCURE DE FRANCE ;
les individus , s'ils se persuadent qu'il n'y a pas d'autre
moyen d'empêcher le retour des institutions ; et chacun
de nous pourroit dire de ces hommes ce qu'en
disoit Leibnitz , traçant , en 1716 , l'histoire prophétique
de nos malheurs : « Et j'en ai connus de cette
trempe. »
Des écrits qu'on appeloit alors philosophiques , et
qui bientôt ne nous paroîtront que séditieux , avoient
donc fait , en France , la révolution des idées , avant
que les décrets vinssent opérer la révolution des lois ;
et il n'est pas inutile de reconnoître la route par
laquelle les esprits avoient été conduits à ce dernier
excès de l'égarement et de la dépravation .
Notre siècle a reproché aux siècles qui l'ont précédé
d'avoir ignoré certaines vérités de l'ordre physique,
telles que la circulation du sang , la pesanteur
de l'air , l'électricité , la marche des corps célestes , etc.,
et je suis loin de contester l'utilité de ces découvertes
, même à ceux qui en exagéreroient l'importance
pour le perfectionnement des arts utiles et le
bonheur de la vie ; mais les siècles d'ignorance pourroient
, avec autant de raison , reprocher au siècle
des lumières d'avoir méconnu les vertus morales les
plus nécessaires à la conservation de la société , et
d'avoir mis à la place les erreurs les plus funestes. Je
ne craindrai pas de dire que toutes ces erreurs , en
morale , c'est -à-dire en religion et en politique , dérivent
d'une seule erreur . C'est dans notre siècle qu'a
été, sinon avancée , du moins soutenue et développée
dans toutes ses conséquences la maxime que tout
pouvoir vient du peuple : maxime athée , puisqu'elle
nie , ou du moins qu'elle recule Dieu de la pensée
de l'homme , et de l'ordre de la société ; maxime
matérialiste , puisqu'elle place le principé du pouvoir,
c'est - à - dire ce qu'il y a de plus moral au
'monde , dans le nombre, qui est une propriété de la
matière. Heureusement pour notre repos , le peuple
ne gouverne plus ; mais il importe à l'honneur de la
MARS 1806 . 587
1
raison , chez une nation éclairée , que le dogme de
sa souveraineté disparoisse de la théorie de la législation.
La religion chrétienne , en nous enseignant que
tout pouvoir vient de Dieu , omnis potestas a Deo,
attache au centre même de toute justice , de toute
raison , et de toute immutabilité , le premier anneau
de cette chaîne qui lie entr'elles et maintient à leur
place les différentes parties du corps social , et met
Je pouvoir hors de portée pour toutes nos passions et
tous nos intérêts personnels . Une fausse philosophie ,
en nous disant que tout pouvoir vient du peuple ,
en place la source au foyer de toutes les erreurs , de
tous les désordres , de toutes les inconstances , le met ,
pour ainsi dire , sous la main de chacun , et en fait
le jouet de toutes les passions et le but de toutes les
ambitions. Cette maxime est aussi destructive de
la religion que de la politique ; car ceux qui la
soutiennent attribuent au peuple le pouvoir de
faire sa religion , comme le pouvoir de faire ses lois .
Les écrivains du siècle des lumières s'étoient distribués
les rôles : les uns , comme Voltaire , Diderot
, etc. , attaquoient la religion chrétienne ; les
autres , tels que Mably, Rousseau , etc. , attaquoient
le gouvernement monarchique , c'est - à - dire la reli--
gion et le gouvernement , seuls nécessaires ou conformes
à la nature de l'homme en société . Les sarcasmes
de Voltaire paroissoient de graves objections
aux hommes superficiels ; et les sophismes de J. J.
Rousseau , des argumens sans réplique aux hommes
qui se croient profonds. Les grands qui occupoient
un rang éminent dans l'ordre politique , ne prenoient
de cette doctrine que la licence en matière
de religion , et les inférieurs qui tenoient encore à la
religion , goûtoient assez les maximes de l'indépendance
politique et de la souveraineté populaire.
Mais comme les relations nombreuses entre les dif- ·
férentes classes de la société rapprochoient fréquemment
tous les esprits et toutes les opinions , la reli588
MERCURE DE FRANCE ;
gion, avilie chez les grands , cessoit peu -à-peu d'être
respectée du peuple ; et le pouvoir politique , odieux
au peuple , devenoit suspect aux grands eux -mêmes ;
et , sans la religion , il n'y a plus de raison au pouvoir
que la force , ni d'autre, motif à l'obéissance que
la nécessité. La même doctrine enseignoit à l'homme
que son intérêt devoit être le seul mobile de ses
actions ; et alors les chefs du gouvernement , croyant
qu'il étoit de leur intérêt de rendre le pouvoir populaire
, sont devenus peuple ; et le peuple , persuadé
qu'il étoit de son intérêt de rendre sa force prépondérante
, est devenu souverain . De là , la foiblesse des
uns , la révolte des autres , les malheurs de tous , et
toute la révolution , Les désordres extérieurs ont été
arrêtés par l'établissement d'un pouvoir politique
indépendant du peuple dans son principe et son
exercice ; et les désordres intérieurs , bien plus graves ,
bien autrement dangereux , seront arrêtés par l'établissement
du pouvoir de la religion , indépendant
même des rois dans son existence et dans son enseignement
; car les rois ont sur la religion une autorité
de protection qui entraîne une dépendance dans
l'ordre extérieur du culte et de la discipline .
寫
Cette digression ne m'a pas écarté de mon sujet ,
puisque les auteurs des Eloges de MM . Séguier et
de Malesherbes , persuadés aussi que les écrits impies
et séditieux ont été la cause première des malheurs
de la France , se sont attachés , l'un à
prouver
que M. Séguier avoit dû dénoncer et poursuivre une
fausse philosophie ; et l'autre , à disculper M. de
Malesherbes d'en avoir favorisé la propagation.
M. Gaillard avance, et la Correspondance de Voltaire
en offre la preuve , que M. de Malesherbes ,
chargé de la direction de la librairie , ne permettoit
pas tout à Voltaire. Cette manière de justifier M. de
Malesherbes laisse quelque chose à desirer . On pouvoit
, en effet , ne pas tout permettre à Voltaire , et
cependant lui permettre beaucoup ; et certes , si l'on
MARS 1806.
589
en juge par ce qu'on lui a permis , on ne conçoit
guères ce qu'on a pu lui défendre . M. de La Harpe ,
dans sa Correspondance , se contente de dire : « Que
» M. de Malesherbes , dans la place de directeur de
» la librairie , accordoit aux productions de l'esprit
» et au commerce des pensées une liberté honnête
» et décente . » D'ailleurs , tous les écrits dont le
ministère en France prohiboit la publication , paroissoient
imprimés chez l'étranger ; et leur introduction
clandestine étoit plutôt du ressort de la police
que de la compétence du directeur de la librairie ,
qui ne disposoit point de moyens coercitifs. C'est
ce qu'on pourroit dire en faveur de M. de Malesherbes
, s'il avoit besoin à cet égard de justification.
Il est vrai que M. Gaillard ajoute : « Que ce fut
» sous M. de Malesherbes et sous ses auspices , qu'a
» paru le plus beau , le plus vaste monument de
» notre siècle et de tous les siècles . Cette Encyclo-
» pédie , dont M. le chancelier d'Aguesseau avoit
» connu et extrêmement goûté le projet , et qui ,
» selon l'expression du successeur de M. d'Alembert
» à l'Académie Française , par son étendue et par
» la seule audace de son entreprise , commande
>> pour ainsi dire l'admiration même avant de la
» justifier. »
Il ne s'agit pas ici de la protection accordée à
l'Encyclopédie par M. de Malesherbes ; qui pourroit
, en se rappelant ses malheurs , s'occuper à lui
chercher des torts ; mais de l'opinion que veut donner
de cet ouvrage M. Gaillard : opinion qui paroît
exagérée , et à laquelle le mérite personnel de cet
écrivain pourroit donner force de jugement.
D'abord , l'autorité de M. d'Aguesseau n'est ici .
d'aucun poids , parce que si ce magistrat célèbre ,
sincèrc ami de sa religion et de son pays , avoit
goûté le projet de l'Encyclopédie tel qu'il lui fut
présenté , il en auroit certainement blâme l'exécution.
Et quant au successeur de M. d'Alembert à
590
MERCURE DE FRANCE
l'Académie Française , obligé de faire l'éloge de celui
qu'il remplaçoit , il ne pouvoit guères , à cette époque
se dispenser de faire une phrase à l'honneur de
l'Encyclopédie , dont M. d'Alembert avoit été un
des fondateurs.
Que l'Encyclopédie soit le plus vaste monument
typographique de notre siècle et de tous les siècles ,
et , sous ce rapport , le plus beau aux yeux des imprimeurs
et des libraires , rien de plus vrai ; et il n'y
a pas de commerçant en librairie qui ne préfère , s'il
est assuré du débit , la plus énorme compilation à
tous les chefs- d'oeuvre du génie. Mais qu'aux yeux des
gens de lettres l'Encyclopédie soit le plus beau monument
littéraire qui existe , c'est ce dont il est permis
de douter , et sur quoi il paroît que l'opinion géné
rale a autrement décidé. Voltaire se plaint , en mille
endroits de sa Correspondance , de l'imperfection de
ce Recueil ; et M. de La Harpe , dans la sienne , ne
le traite pas mieux , et il l'appelle << une espèce de
» monstre, au moins par sa mauvaise construction . »
« Il est sûr , dit-il ailleurs , qu'il y a , dans cet im-
» mense Dictionnaire , beaucoup à retrancher, à cor-
» riger, à suppléer; il est surchargé de déclamations
» sans nombre ; il falloit consulter avec plus d'attention
les sources où l'on a puisé ; mais , pour sup-
» pléer tout ce qui manque , il faut beaucoup de
» talent, et il falloit , je crois , un choix de coopéra-
» teurs mieux dirigé et plus réfléchi. Les parties les
» plus importantes sont confiées à des hommes mé-
» diocres. L'esprit de parti a présidé au choix des
» coopérateurs. » Ailleurs encore : « Cet édifice
>> immense et irrégulier fut originairement fondé sur
>>> l'amour des sciences , des lettres et de la philosophie.
Le dessin avoit de la majesté ; mais les par-
» ties étoient sans proportions . De bons architectes
» y travailloient avec des maçons médiocres. L'en-
» nemi vint , on prit la fuite..... Un architecte plus
opiniâtre que les autres resta seul , il invita les
꾸
»
2
MARS 1806 . 591
» aveugles et les boiteux à mettre la main à l'oeuvre :
» l'ouvrage fut achevé et défiguré . Sans Diderot ,
» l'Encyclopédie n'auroit pas été achevée . D'Alem-
» bert s'en étoit retiré de bonne heure . » Voilà les
reproches que M. de La Harpe , lié alors d'amitié et
de principes avec les encyclopédistes , faisoit à l'Encyclopédie
, et il est permís de croire que , depuis qu'il
étoit revenu à d'autres sentimens , il y trouvoit à reprendre
des défauts plus graves. Or, il est difficile
de se persuader qu'une oeuvre littéraire , ainsi traitée
par le plus habile critique et un des meilleurs littérateurs
de notre siècle , soit le plus beau momument
littéraire de tous les siècles . Un Dictionnaire qui
n'est ni exact , ni précis , ni complet , est , comme
Dictionnaire , un mauvais ouvrage , puisqu'il manque
des qualités essentielles à un recueil de ce genre ,
qu'on consulte de confiance , et comme autorité ,
pour s'épargner la peine de lire et de discuter une
infinité de livres ; et qui , pour remplir son objet ,
doit être un répertoire exact , précis et complet , de
choses jugées et certaines , plutôt qu'une compilation
indigeste d'opinions et de systèmes. Considérée
sous des rapports plus importans , l'Encyclopédie
justifie encore moins le pompeux éloge qu'en fait
M. Gaillard. La littérature en est systématique , la
philosophie erronée , l'érudition superficielle et l'intention
perfide. Ce qu'il y a de plus remarquable dans
cette oeuvre dispendieuse , qu'on ne peut comparer
qu'à une immense bibliothèque formée sans discernement
et sans choix , est la partie des arts mécaniques
, qui , pour la première fois , y sont accolés
aux sciences morales ; et l'on peut dire que . dans cet
énorme recueil , les connoissances sont comptées par
tête plutôt que par ordre ; ce qui est , en tout , un
moyen infaillible de confusion .
On vouloit ennoblir les arts et populariser les
sciences , inspirer à la classe instruite et élevée le goût
des arts mécaniques , et initier aux sciences morales
1
592 MERCURE DE FRANCE ,
-
la classe pauvre et laborieuse . C'étoit , au moins
quant aux arts mécaniques , le plan de l'auteur d'Emile
sur une plus grande échelle ; et il en devoit
arriver que
l'homme public prendroit dans un livre
qui donnoit aux arts une si haute importance , des
goûts qui lui faisoient négliger ses devoirs ; et que l'artisan
cherchant , par exemple , le mot amidon , et trouvant
tout auprès l'article Ame , fait par un écolier,
dit Voltaire sur Olympie , y puiseroit des doutes ou
des leçons de matérialisme .
Je ne sais si l'Encyclopédie peut faire des savans
et des artistes ; mais il me semble qu'on voit , tout
comme auparavant , les jeunes étudians pâlir sur les
livres , et les jeunes apprentis faire chez leurs maîtres
un long noviciat de leur métier , et que cet ouvrage
n'a pas plus changé à l'enseignement , qu'il n'a ajouté
aux connoissances .
Si je peux dire tout ce que je pense , l'Encyclopédie
tout entière me paroît n'être que le premier
volume d'un grand ouvrage , dont la révolution est
le second , et ces deux volumes sont de la même
composition , et si l'on peut le dire , du même format.
En effet , quels ont été les faiseurs de l'Encyclopédie ,
et qui trouve- t- on ? Quelques écrivains supérieurs ;
beaucoup de médiocres ; un plus grand nombre d'ouvriers
sans talens ; des articles d'une bonne doctrine
exposée franchement ; des articles d'une doctrine
erronée jetée çà et là avec art et au moyen des renvois ;
d'autres en grand nombre qui n'y sont que pour grosi
sir le recueil . Et les différentes assemblées qui ont
commencé ou consommé la révolution , qu'étoientelles
autre chose que des réunions de quelques
hommes à grands talens , et à bons principes , de
beaucoup d'hommes foibles et médiocres , d'un trèsgrand
nombre d'hommes nuls , qui n'ajoutoient rien
à la masse des lumières , mais seulement à la somme
des voix ? On y a entendu les meilleurs principes
hautement défendus, et les erreurs les plus funestes
avancées
DE
LA
SA
MARS 1806. 593
avancées avec réserve , jusqu'au moment où l'on a pu
les mettre en pratique . On voit , dans l'Encyclopédie
les arts mécaniques , et les connoissances qu'on peut
appeller domestiques , parce qu'elles servent aux
soins ou aux plaisirs de l'homme privé , rapprochées
et pour ainsi dire élevées à la hauteur des sciences
morales , et de ces nobles recherches de l'esprit humain
, qui sont le fondement de la société et l'objet
des études de l'homme public ; et dans la révolution ,
on a vu la partie de la nation occupée de travaux
mécaniques , s'élever contre la classe chargée des
fonctions publiques , et du devoir de gouverner et de
défendre la société. D'ailleurs , l'ouvrage tout entier
est sorti des mêmes ateliers ; et comme dans ces
traités destinés à l'enseignement d'un art , il y a un
volume de théorie et d'explication , et un volume de
planches qui montre la pratique et la met en action
sous les yeux du lecteur, on pourroit regarder l'Encyclopédie
comme le texte de la révolution , et la
révolution comme les figures de l'Encyclopédie. Je
finirai par une réflexion douloureuse , et qui me ramène
au discours de M. Portalis. On n'a
pas été
assez étonné d'entendre pour la première fois , chez
une nation chrétienne , un orateur éloquent , ministre
de la surveillance du gouvernement sur le culte
public , et sous ce rapport confident de ses intentions
religieuses , et organe de ses pensées , obligé de s'élever
en public contre l'athéisme et le matérialisme ( 1 ) ,
et d'avertir de leurs funestes progrès la compagnie littéraire
, qui , réunissant , aux frais de l'état , les esprits
les plus distingués , doit conserver à la société le dépôt
de toutes les bonnes doctrines. Autrefois , l'autorité
religieuse tonnoit dans les temples , et l'autorité civile
sévissoit dans les tribunaux contre les productions
(1 ) On conviendra aujourd'hui que l'auteur de cet article
a pu parler dans un journal de l'athéisme , dont M. Portalis a
parlé à l'Institut.
PP
594 MERCURE DE FRANCE,
impies et licencieuses aujourd'hui que le mal est
plus répandu , qu'il gagne même le peuple , qu'il
infecte les sciences les plus étrangères à la morale , et
qu'à la faveur du ridicule , sous lequel peut-être on
déguise à dessein l'audace de l'entreprise , on ose ,
sans respect pour son pays , sa nation et son nom
honorer publiquement d'un brevet d'athéisme les
personnages les plus importans de son temps , et les
plus illustres de tous les temps , le gouvernement
somme les lettres et la philosophie de venir au secours
de la société , et il leur rappelle que , s'il tolère
qu'elles amusent les hommes , il ne les paie què
pour instruire la société. Ainsi , tant que les maladies
n'attaquent que les individus , l'administration
laisse aux gens de l'art le soin de les guérir ; mais
lorsqu'elles menacent une ville ou une province , l'au
torité suprême , médecin universel , publie , par For
gane de ses agens , des moyens généraux de traitement
; et même , quand il le faut , fait marcher la
force publique pour circonscrire et arrêter les progrès
de la contagion.
1
C'est done au materialisme que nous en sommes
venus . C'est le caput mortuum de la grande décom
position morale , et les dernières erreurs quesca
choient dans leurs replis ces doctrines irréligieuses ,
avancées avec réserve dans les premiers temps et toutà-
fait développées dans le nôtre, Comme la religion
chrétienne est la suprême conservatrice et comme
la citadelle des idées morales , cette prodigieuse dégénération
des esprits a des pensées tout - à-fait matérielles
, peut s'expliquer par le genre d'ennemis que
la religion a aujourd'hui à combattre. Je ne parle
pas de la petite guerre des chansons et des sarcasmes
qué Leibnitz accuse Luther d'avoir commencée contre
la religion catholique , et dans laquelle Voltaire , habile
partisan , s'est signalé en livrant au ridicule tous
les dogmes et toutes les pratiques de la religion chre
tienne ; mais , jusqu'à nos jours , la religion n'avoit eu
MARS 1806.
595
༣
à se défendre que contre des théologiens , des philosophes
, des littérateurs , des politiques , et certes
ce ne sont pas les plus forts , ni ceux qui ont marqué
par les plus grands pas la carrière des sciences .
Ceux-la du moins étoient occupés de sciences morales
, de hautes pensées , et ils n'avoient garde de
nier la spiritualité de l'homme dont ils cherchoient à
persuader l'esprit . On se battoit de part et d'autre ,
sinon à forces égales , du moins avec des armes
pareilles. A présent la religion est attaquée par
des systèmes de médecine ou de chimie , et par des
savans qui , arrêtés à l'observation de l'homme physique
et de l'univers matériel , ne voient rien audelà
de cette étroite sphère , même lorsqu'ils se permettent
d'en sortir. Ces hommes cherchent la pensée
dans le jeu des organes qu'ils soumettent à leurs
dissections ; et ils croient connoitre le maître , parce
qu'ils ont dans l'antichambre interrogé les valets. Nous
reviendrons peut -être un jour sur cette manière nouvelle
de considérer l'homme moral .
"
DE BONALD.
Le Suicide , ou Charles et Cécilia ; par Mad. Fleury. Trois
vol. in - 12. Prix : 5 fr. , et 6 fr. 50 cent. par la poste.
A Paris , chez Martinet , libraire , rue du Coq Saint-
Honoré , n. 15. '
LE Suicide de madame Fleury est un roman bien triste
bien mal écrit , et , ce qui doit étonner davantage , bien peu
décent. Le crime dont il porte le nom , ne s'y rencontre que
pour servir d'enseigne à l'ouvrage , et piquer la curiosité dů
lecteur ; car on n'y traite point en forme la matière du suicide
, comme dans la Nouvelle Héloïse . On n'y trouve pas de
201 071 894fach 92*
Pp2
596 MERCURE DE FRANCE ,
ces grandes dissertations à double face , qu'on admiroit tant
autrefois , de ces beaux raisonnemens pour et contre , par les
quels un homme vous prouvoit d'abord qu'on pouvoit se tuer,
et ensuite qu'on ne le pouvoit pas , vous laissant à la fin plus
embarrassé et plus ignorant que s'il n'avoit pas agité la ques←
tion. Mad. Fleury traite les choses avec plus de légéreté. Son
ouvrage est tout simplement un recueil de folies imaginées
à plaisir , parmi lesquelles celle du suicide se trouve confondue
, sans être ni plus ni moins remarquable que toutes
les autres. Il ne renferme aucun précepte , aucune moralité ,
et il seroit impossible de dire quel en est l'objet et la fin.
Mais nous tâcherons d'en tirer une leçon utile , à laquelle
l'auteur n'a pas songé. Puisqu'un mauvais livre ne peut servir
de modèle , il faut que la critique le fasse servir d'exemples
et, en reproduisant dans un tableau rapide tous les traits d'une
imagination déréglée , que celui- ci nous présente , on espère
que l'auteur voudra bien se juger lui-même , et s'épargner
la confusion d'une leçon plus directe.
Charles est un enfant trouvé , qui devient amoureux de
Julia, fille unique de son bienfaiteur , riche et honnête propriétaire
de Paris , qui se nomme M. d'Arlis. On le fait partir
pour Marseille ; et Cécilia , fille de M. Blondel , négociant ,
chez lequel le jeune homme apprend le commerce, est toutà-
coup subjuguée par la plus sombre passion : l'amour et la
jalousie entrent tout à-la-fois dans son coeur ; mais elle cache
si bien ses sentimens que personne ne s'en aperçoit , excepté
mad. Fleury , qui , de Paris où elle écrit , voit tout ce qui
se passe de plus secret à l'extrémité de la France, Lorsque
M. d'Arlis est débarrassé de Charles , il marie sa fille Julia
qui fait le sacrifice de son amour pour obéir à ses parens. Le
personnage qui l'épouse est un homme dont les propos font
excessivement rougir les femmes qui se promènent aux
Champs-Elysées , et prodigieusement rougir l'aimable et sensible
Julia. Elle se souvenoit toujours d'avoir vu tomber sur.
* དྷ་ ་
?
MARS 1806.
597
le coeur de Charles les pleurs qui couloient de
elle n'en étoit pas moins fidelle à ses devoirs.
ses yeux ;' mais
Tandis qu'elle exerçoit sa vertu dans Paris , il parut à Marseille
une jeune Espagnole , qui avoit des perles orientales dans
la bouche , et qui plut beaucoup à Charles. C'étoit une
veuve agaçante , qui étoit cause de la mort de son époux , tué
dans un duel , et qui voyageoit pour ses menus plaisirs,
Mad. Fleury raconte à leur sujet des choses qu'elle seule a pu
voir , et que je ne répéterai certainement pas ; ensuite elle
nous assure qu'elle jouit d'une rose sans s'inquiéter quelle est
la main qui l'a cultivée ; ce qui n'est ni d'un bon style , ni
d'un bon coeur.
Mais on ne commande point à son coeur dans ce roman.
Cécilia laisse gonfler celui qui l'agite par la noire jalousie , et
l'Espagnole permet au sien tous les écarts imaginables , et
cela n'empêche pas que la candeur de l'innocence ne l'ait
pris pour son siège. Quant à Charles , il aime toujours sa
Julia , quoiqu'elle soit mariée et qu'il soit devenu infidèle :
on sait que tout cela ne dépend pas de nous ; que c'est attaché
à lafoible humanité. Or donc Mad. Fleury prétend qu'il
ya un auteur qui dit qu'il faut mourir quand on a perdu ce
qu'on aime. Mais Charles qui ne savoit pas que cet auteur
eût dit cela , ne mourut pas , et son ignorance lui sauva la vie.
Julia ne le savoit pas davantage , car elle se portoit à
merveille ; elle commençoit même à oublier son premier
amant , lorsque son mari lui proposa de la conduire à Marseille
, où il savoit qu'elle trouveroit l'objet de ses affections.
-Ce procédé fut reçu de la meilleure grace du monde , et
Charles fut au comble de la joie , de voir arriver sa chère
Julia. Les bals , les fêtes lui furent prodigués ; mais cette
jeune femme étoit trop bien élevée pour se laisser séduire .
"Son mari n'étoit pas aussi sage qu'elle : il vit l'innocente Espagnole
, et , pour la première fois de sa vie , il aima d'un
amour sincère. Malheureusement il trouva près d'elle l'amant .
3
598 MERCURE DE FRANCE ,
qui l'avoit débarrassée de son mari : cette figure le choqua ,
l'aigrit et le mit en fureur ; il lui proposa de se battre , et
ils eurent la satisfaction de s'entretuer tous les deux. Ce double
meurtre fit soupçonner que l'Espagnole n'étoit pas aussi can—
dide que Mad. Fleury voudroit le faire croire : elle eut des
remords ; elle se retira dans un couvent d'Espagne , et s'y fit
religieuse.
Cécilia séchoit à vue d'oeil ; et Julia , devenue veuve , ne
savoit où donner de la tête , ni comment elle devoit s'y
prendre pour se consoler. Charles , qui avoit découvert ses
parens , et qui , bien entendu , se trouvoit le neveu de son
patron M. Blondel , rioit sous cape de toutes ces aventures ,
et se disoit à lui-même qu'il étoit bien inutile qu'il s'inquiétât
de sa situation , que Mad. Fleury sauroit bien lui faire épouser
sa Julia , puisqu'elle avoit su le rendre à sa famille , l'enrichir
, l'ennoblir , et tuer le seul homme qui pût contrarier ses
desirs. Il ne se trompoit pas : à l'expiration du deuil il reçut
toute la latitude de bonheur qu'un mortel puisse éprouver ,
mais la pauvre Cécilia fut plongée dans une longitude dé
malheur qui fait pitié.
"
Ilfaut étrefemme pour bien se pénétrer de la situation de
la tendre Julia : or comme je ne suis pas femme , je ne
chercherai pas à m'en pénétrer. Mais il faudroit étre plus
qu'un auteur pour bien peindre son âme et le conflit de ses
idées : or , Mad. Fleury, qui apparemment n'est pas plus
qu'un auteur , n'en dit rien. J'imiterai son silence .
Lorsque Cécilia vit qu'il lui étoit impossible de devenir
l'épouse de Charles , elle prit le parti de devenir folle ; mais
qui le croiroit , si Mad. Fleury ne l'attestoit elle - même ,
cette douce , cette sage , cette paisible Julia qui possédoit
tout ce qui pouvoit combler ses desirs , qui s'étoit montrée
si réservée , tandis qu'elle avoit un mari qu'elle n'aimoit pas ,
s'abandonna tout-à-coup à la dissipation , au désordre et à
l'infidélité , lorsqu'elle eut pour époux son amant qu'elle
MARS 1806. AMM 599
adoroit , et dont elle étoit adorée. Mad. Fleury trouve fort
aimable le nouveau venu qui la séduisit ; mais il est à croire
qu'elle permet aux hommes de penser différemment sur ce
chapitre. Il n'étoit pas , dit-elle , de ces aimables roués qui
font des protestations outrées ; et elle ne voit pas qu'on dút
l'en blâmer. Cela peut être dans les moeurs de ceux qui veulent
bien qu'on les désigne par un mot énergique échappé de
la Grève ; mais ce n'est pas heureusement par leurs lois que se
régissent les familles , et ce n'est pas non plus sur leurs opinions
que se réglera notre jugement. Mad. Fleury , qui n'y pense
sûrement pas , trouve que rien n'estplus naturel que de porter
le trouble et la désolation au sein d'un ménage uni ; mais
Cartouche et Mandrin trouvoient aussi très- naturel d'assassiner.
On a trouvé très- naturel de les faire pendre , et je trou
verois très-naturel qu'on en fît autant à l'aimable séducteur,
à l'homme charmant qui mit la triste Julia dans un état si
déplorable , que , pour s'épargner la honte qui l'attendoit
elle commit un double suicide. J'ignore si cette action est
encore toute naturelle : Mad. Fleury n'en dit rien ; elle ne
Ja blâme ni ne l'approuve , et ne paroît la raconter que comme
une de ces choses communes dont on ne daigne prendre aucun
souci. Elle ne nous arrêtera donc pas , et nous dirons șeulement
que Cécilia pouvant alors prétendre à la main de Charles ,
cessa de faire la folle , et qu'elle l'épousa peu de temps après.
Elle fut heureuse ; et Mad. Fleury se voyant arrivée non
moins heureusement au terme qu'elle s'étoit prescrit ,
alla
s'étendre mollement dans son lit.
፡ 1
Nous passons : sous silence les petites aventures étrangères
aux principaux personnages de ce mauvais roman , comme
indignes de fixer notre attention. Celles dont nous venons de
présenter un abrégé succinct , suffisent sans doute pour faire
connoître l'étrange égarement dans lequel l'esprit peut tomber
, lorsqu'il s'aventure sans guide dans une carrière où il
n'est point appelé.
G.
4
600 MERCURE DE FRANCE,
Des Détails géographiques en vers.
Un traducteur d'Homère en vers français , et Dieu sait quels
vers ! n'avoit traduit qu'en prose , à la fin du second chant de
l'Iliade , le dénombrement des vaisseaux des Grecs et des guerriers
qu'ils amenoient devant Troie , ayant regardé , dit-il ,
ce morceau comme une espèce de table géographique , peu
susceptible de l'harmonie des vers,
10
1
Je ne crois pas qu'on puisse avancer une hérésie plus forte
en poésie. La géographie est au contraire une des sources les
plus fécondes des vers harmonieux et des richesses poétiques.
A la description des lieux , de leur nature , de leur position ,
de leur aspect , de leurs distances , de leurs rapports , de leurs
contrastes tant physiques que poétiques , du caractère des
habitans , de leurs moeurs , de leurs intérêts , elle joint ces
souvenirs, ou touchans our agréables , attachés à de certaîns
lieux , ces traits , ces monumens consacrés la Fable ou par
l'Histoire ; enfin tout ce qui anime et vivifie. Quoi de plus
favorable à la poésie en tout genre ? Dans Homère , dans
Virgile , dans les Métamorphoses d'Ovide , dans Télémaque ,
etc. , rien de plus magnifique et de plus harmonieux que les
descriptions géographiques. Dira- t-on que la versification
française y répugne,? Voyez comment M. Delille a rendu ces
détails quand ils s'offroient à lui dans les Géorgiques :
par
Nonne vides croccos ut Tmolus odores ,
India mittit ebur , molles sua thura Saboei ?
At Chalybes nudi ferrum virosaque Pontus
Castorea, Eliadum palmas Epirus equarum ?
16
Le Tmole est parfumé d'un safran précieux ;
Dans les champs de Saba l'encens croît pour les Dieux;
L'Euxin voit le castor se jouer dans ses ondes ;
Le Pont s'enorgueillit de ses mines fécondes ;
MARS 4806. 601
L'Inde produit l'ivoire ; et dans ses champs guerriers
L'Epire, pour l'Elide , exercé ses coursiers.
.
Voilà , pour l'observer en passant , un de ces endroits où le
traducteur est comme forcé d'être supérieur à l'original pour
les autres endroits où il sera forcé de lui être inférieur. Virgile
, par le choix du mot mittit , qui s'applique indistincte→→
ment à tous les objets dont il parle , a pu être aussi concis
qu'il l'a voulu , et semble avoir cherché principalement ce
mérite. Le traducteur, peut-être faute d'un mot semblable
et assez poétique , a été obligé de varier et d'enrichir son
énumération . Le Tmole est parfumé de safran ; à Saba ,
l'encens croit pour les Dieux ; l'Euxin voit le castor se
jouer; le Pont s'enorgueillit de ses mines ; l'Inde produit
l'ivoire ; l'Epire exerce ses coursiers . Pas deux traits semblables
: variété riche comme celle de la nature dont il s'agissoit
en effet de peindre la variété dans les différens terrains et
dans leurs différentes productions. Certainement le poète qui ,
en pareil cas , varie le plus ses tours et ses expressions , est
celui qui remporte le prix.
Phasimque Lycumque ,
Et caput undè altus primùm se erumpit Enipeus ,
Unde pater Tiberinus et undè Aniena fluenta ,
Saxosumque sonans Hypanis mysusque Caïcus ,
Et gemina auratus Taurino cornua vultu
Eridanus, quo non alius per pinguia culta
In mare purpureum violentior influit amnis.
De là partent le Phase et le vaste Lycus ,
Le père des moissons , le riche Caïcus ,
L'Enipée orgueilleux d'orner la Thessalie ,
Le Tibre encore plus fier de baigner l'Italie ;
L'Hypanis se brisant sur des rochers affreux ,
Et l'Anio paisible et l'Eridan fougueux.
Si le traducteur n'a pas rendu gemina auratus Taurino
cornua vultu , il a bien dédommagé le lecteur par les beautés
602 MERCURE DE FRANCE ,
qu'il lui a données en échange : il a enrichi le Caïcus ; il a surtout
beaucoup orné l'Enipée , le Tibre , l'Hypanis ; et le rapprochement
rend, plus sensible le contraste de l'Anio paisible
et de l'Eridan fougueux.
-Même richesse dans les détails suivans , soit de l'original ,
soit de la traduction :
Aspice et extremis domitum cultoribus orbem ,
Eoasque domos Arabum pictosque Gelonos ;
Divisa arboribus patriæ . Sola India nigrum
Fert ebenum , solis est thurea virga Sabais .
Quid tibi adorato referam sudantia ligno
Balsamaque et Baccas semper frondentis acanthi ?
Quid nemora Ethyopum molli canentia lanâ ,
Velleraque ut foliis depectant tenuia Seres ? .....
quos Oceano propior gerit India lucos
Extremi sinus orbis , ubi aëra vincere summum
Arboris haud ullæ jactu potuere sagittæ ,
Aut
Et gens illa quidem sumptis non tarda pharetris......
Sed neque Medorum sylva , ditissima terra ,
Nec pulcher Ganges atque auro turbidus Hermus
Laudibus Italia certent , non Bactra , neque Indus
Totaque thuriferis Panchaïa pinguis arenis .....
· • Te Lari maxime , teque
Fluctibus et fremitu assurgens , Benace , marino.....
Hæc genus , acre virum Marsos pubemque Sabellam ,
Assuetumque malo Ligurem Volscosque verutos
Extulit .
De l'aurore au couchant parcourons l'univers :
Tous les divers qlimats ont des arbres divers..
Chez l'Arabe l'encens embaume au loin la plaine ;
Sur les rives du Gange on voit noircir l'ébène ;
Là , d'un tendre duvet les arbres sont blanchis ; ›
Ici d'un fil doré les bois sont enrichis .
Le Nil du vert acanthe admire les feuillages ;
Le baume , heureux Jourdain , parfume tes rivages ,
Et l'Inde au bord des mers voit monter ses forêts
Plus haut que ses archers ne fant voler leurs traits ... 4 21
MARS 1806. 603
1
Mais l'Inde , et ses forêts et leur riche trésor ,
Et le Gange et l'Hermus qui roule un limon d'or ,
Et les riches parfums que l'Arabie exhale ,
Al'antique Ausonie ont-ils rien qui s'égale ?.....
Ici , le Lare étend son enceinte profonde ;
1
Là, tel qu'un Océan le Benac s'enfle et gronde......
Ses champs ont vu fleurir cent peuples redoutables :
Les Sabins belliqueux , les Marses indomptables ,
Et ces Liguriens qu'indigne le repos ,
Et ces Volsques armés d'énormes javelots.
S'aperçoit -on , dans aucun de ces exemples , que les détails
géographiques nuisent à l'harmonie ? Ne voit-on pas au contraire
qu'ils y contribuent sensiblement ?
す
Dans nos tragédies mêmes , ces sortes de descriptions sont
toujours les plus riches et les plus poétiques , précisément
parce qu'étant dépourvues de tout intérêt dramatique , elles
ont plus besoin de la pompe épique.
Voyez dans Mithridate , comment la route politique et mi
litaire de ce prince est tracée :
Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours
Aux lieux où le Danube y voit finir son cours ;
Que du Scythe avec moi , l'alliance jurée ,
De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée ?.....
Daces , Pannoniens , la fière Germanie ,.
Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie. :
Dans quels beaux vers géographiques Théramène rend
compte à Hippolyte , des courses qu'il a faites en cherchant
Thésée :
Déjà , pour satisfaire à votre juste crainte ,
J'ai couru les deux mers que sépare Corinthe ;
J'ai demandé Thésée aux peuples de ces bords ,
Où l'on voit l'Acheron se perdre chez les morts ;
J'ai visité l'Elide , et laissant le Ténare ,
Passé jusqu'à la mer qui vit tomber Icare . རྞྞ ༞ བྷོ ཊྛོས
Ces deux mers que sépare Corinthe ces bords où l'on voit
604 MERCURE DE FRANCE.
l'Achéron se perdre chez les morts , cettemer qui vit tomber
Icare , voilà bien ce mélange de beautés géographiques et historiques
ou mythologiques dont nous avons parlé.
Dans Esther :
De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves coururent ;
Les filles de l'Egypte à Suse comparurent :
Celles même du Parthe et du Scythe indompté
Vinrent briguer le sceptre offert à la beauté.
Dans Athalie :
Sur d'éclatans succès ma puissance établie
A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie.
Par moi Jérusalem goûte 'un calme profond :
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond
Ni l'altier Philistin , par d'éternels ravages ,
Comme au temps de vos rois , désoler ses rivages.
Le Syrien me traite , et de reine , et de soeur.....
Jéhu , le fier Jéhu tremble dans Samarie.
Voyez comme l'astronomie est jointe à la géographie dans
es vers d'Alzire , et voyez quels vers !
J'ai consumé mon âge au sein de l'Amérique ;
Je montrai le premier aux peuples du Mexique 2nd.
L'appareil inoui , pour ces mortels nouveaux
De nos châteaux ailés qui voloient sur les eaux.
Des mers de Magellan jusqu'aux astres de l'Ourse ,
Les vainqueurs castillans ont dirigé ma course......
De la zone brûlante et du milieu du monde ,
L'astre du jour a vu ma course vagabonde
Jusqu'aux lieux où , cessant d'éclairer nos climats,
Il ramène l'année et revient sur ses pas.
Dans la Mort de César :
L'Euphrate attend César , et je pars dès demain.
Brutus et Cassius me suivront en Asie ;
Antoine retiendra la Gaule et l'Italie.
De la mer Atlantique et des bords du Bétis,
Cimber gouvernera les rois assujétis .
MARS 1806. 605
Je donne à Décius la Grèce et la Lycie,
A Marcellus le Pont , à Casca la Syrie.
f.
Dans l'Orphelin de la Chine : ...
Vous , dans l'Inde soumise , humble dans sa défaite,
Soyez de mes décrets le fidèle interprète ,
Tandis qu'en Occident je fais voler mes fils
Des murs de Samarcande aux bords du Tanaïs.
Dans Tancrède :
Le Grec a sous ses lois les peuples de Messine ;
Le hardi Solamir insolemment domine
Sur les fertiles champs couronnés par l'Etna ,
Dans les murs d'Agrigente , aux campagnes d'Enna......
De quel droit un Couci vint- il dans Syracuse ,
Des rives de la Seine aux bords de l'Arethuse ?.....
On voit même en nos jours
Trois simples écuyers , sans biens et sans secours ,
Sortis des flancs glacés de l'humide Neustrie
Aux champs Apuliens se faire une patrie.....
Grecs , Arabes , Français , Germains , tout nous dévore ,
Et nos champs , malheureux par leur fécondité ,
Appellent l'avarice et la rapacité
Des brigands du midi , du nord et de l'aurore.
On voit que ces vers géographiques sont précisément les
vers les plus harmonieux qu'il y ait dans notre langue.
Peut-être une vérité si palpable n'avoit-elle pas besoin de
tant de preuves ; mais j'ai détruit une erreur , et j'ai eu le
plaisir de me rappeler de beaux vers.
Par feu M. GAILLARD , de l'Académie Française , et
membre de la Classe d'histoire et de littérature
ancienne de l'Institut.
606 MERCURE DE MERCURE DE FRANCE ,
VARIETÉS.
D
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS
SPECTACLES.
4.
-M. le conseiller d'état Fourcroy a fait à S. M. I. , sur
la situation actuelle de l'instruction publique, un rapport
dont nous allons donner un extrait. Nous tâcherons de n'omettre
rien d'essentiel : ༢།9 །
25.17 « Votre Majesté , dit-il en commençant , reconnoîtra dans
ce compte rendu, l'état encore languissant des écoles primaires ;
celui des écoles secondaires communales, dont le succès a passé
toutes les espérances ; celui des Lycées , qui n'a point trompé
l'espoir qu'on en avoit conçu ; la continuité des avantages.
offerts par le Collége de France , l'Ecole polytechnique et le
Conservatoire de musique ; ceux que promettent les Ecoles
de Droit ; enfin la possibilité , ainsi que la nécessité de
lier et de consolider tous les établissemens d'instruction , par
la création d'un corps enseignant , dont V. M. a donné ellemême
les premières bases. »
Le rapporteur parcourant ensuite tous les établissemens de
l'instruction publique rend d'abord compte des obstacles
qu'a éprouvés la formation des écoles primaires . Les principaux
sont la nécessité d'attendre la circonscription définitive
des paroisses , pour connoître les logemens disponi →
bles ; 2° l'impossibilité presqu'absolue pour un grand nombre
de communes rurales de fournir un logement à l'instituteur
ou de payer l'indemnité qui doit en tenir lieu ; 3º le défaut
d'instituteurs capables.
Il a été adressé aux préfets une circulaire pour connoître ce
qui reste des anciens frères Ignorantins , et pour régénérer
cette institution , qui rendoit autrefois les plus grands services.
Le résultat a prouvé qu'il n'existe plus qu'un très-petit nombre
de ces congréganistes ; et il est impossible qu'ils se multiplient
MARS 1806. 607
si , comme autrefois , ils n'ont point un chef- lieu d'institu
tion pour former des sujets. Pour avoir de bons maîtres , il
faudroit charger les villes de faire sur leurs revenus un tráil
tement fixe à leurs instituteurs primaires. C'est un moyen
qu'il seroit possible d'employer pour le rétablissement des
frères Ignorantins , et les communes verroient , avec plaisir
qu'il fût adopté. * 』ན་ ° w D
Les écoles secondaires sont dans l'état le plus florissant z
dans l'espace de moins de deux ans , il a été créé 370 écoles
secondaires communales, et environ 377 écoles secondaires par,
ticulières ; nombre égal au moins à celui des anciens colléges
et pensionnats. Outre ces écoles secondaires , il existe encore
environ 4500 écoles tenues par des particuliers. Ainsi , il n'y a
pas une seule ville dans toute l'étendue de l'Empire , qui ne
possède des moyens d'instruction suffisans et proportionnés à
ses besoins. Le nombre des directeurs et professeurs des écolés
secondaires communales s'élève à 1344 ; celui des élèves , tant
pensionnaires qu'externes , est d'environ 22,480. La totalité des
sommes payées par les communes pour l'entretien de leurs
écoles , peut être évaluée à 1,096,355 fr. Dans les 377 écoles
secondaires particulières , on compte 27,706 élèves , tant pensionnaires
qu'externes. Dans les 4500 petites maisons d'éducation
, on compte plus de 25,000 élèves. Ainsi le nombré de
tous les élèves qui suivent le cours des établissemens ci- dessus
désignés est de 75,194.
Quarante - cinq Lycées ont été successivement décrétés .
29 sont en pleine activité ; 16 restent à organiser. Sur les 29
établis , 26 seulement ont des pensionnaires de l'état . Les
élèves du gouvernement sont au nombre de 3 ,gob environ.
Le décret du 3 floréal an 13 a donné aux Lycées une organisation
nouvelle ; le nombre des élèves a été porté de 100 à 150 ;
mais 20 seulement sont à pension entière , 50 à 34 , et 8 à
demi-pension. Cette mesure a eu son exécution pour les 26
Lycées en exercice. Les procureurs - gérans et censeurs des
études ont été supprimés dans les Lycées de Lyon , Marseille ,
Besançon et Nancy. Cette mésure sera exécutée dans tous les
Lycées où elle sera praticable. 242 élèves , tant du Prytanée
९
"
>
608 MERCURE DE FRANCE ,
que des Lycées , ont déjà été nommés à l'Ecole Impériale
Militaire de Fontainebleau. L'état de l'instruction dans les
Lycées est en général fort satisfaisant. On doit néanmoins
distinguer les Lycées de Mayence , Strasbourg , Lyon , Bordeaux
, Dijon , Grenoble , Besançon et Moulins.
Les moyens d'améliorer l'administration des Lycées et
'd'augmenter leurs succès , sont : 1 ° d'organiser cette année les
seize Lycées promis formellement par des décrets ; 2 ° de
rendre l'étude dans les Lycées nécessaire pour plusieurs états
de la société , comme elle l'étoit autrefois dans les universités
pour parvenir à la prêtrise , aux licences de droit et de médecine
, à l'instruction publique , et peut-être aux premières
places de l'administration ; 3º de rétablir, en conséquence , unè
espèce de doctorat au sortir des dernières classes des Lycées ,
à la place de l'ancienne matrise és-arts qui terminoit l'étude
dans les colléges de l'Université , et qui étoit nécessaire pour
être reçu aux écoles de théologie , de médecine et de droit ;
4º d'exiger que les directeurs des écoles secondaires particulières
envoient leurs élèves assez forts pour suivre la sixième de latin
dans les Lycées. On rétablira ainsi ce qui existoit autrefois
dans l'Université ; les maîtres de pension qui y étoit attachés
étoient obligés de conduire leurs élèves dans les classes des
colleges , où les externes étoient ainsi plus nombreux que les
pensionnaires ; alors les pensionnats n'étoient que des répétitions
cette mesure est desiré par tous ceux qui s'occupent
d'instruction publique; 5° d'établir une inspection continuelle
et sévère des Lycées. Deux ans suffiront pour porter , par
ces divers moyens , les Lycées à un degré de prospérité tel ,
que la plupart pourroient alors se suffire à eux-mêmes , et
subsister par leur pensionnat.
-
A
La dépense totale de tous les Lycées s'élevera à 5,080,000 f. ,
laquelle somme , fait pour 6450 élèves , 645 fr. par chacun .
Collège de France , Le collège de France , créé par François I " ,
en 1530 , ne paroît pas destiné à subir de grands changemens, ni dans
son administration aussi facile que simple , ni dans son enseignement
consacré en quelque sorte par le temps même . Il jouit de son ancienne
réputation
MARS 1806. I
DEH
DE
réputation, que le mérite de ses professeurs ne ces
'justifier.
LA
Bouten ou
5.
La mort de M. de Villoison ayant laissé vacate la chaire der
vulgaire , fondée pour ce savant , et le ministre dretions exters
ayant fait valoir les diverses considérations qui rroient dign
des langues orientales , persane et turque , S. M. , pondere du
brumaire dernier , a ordonné qu'il sera attaché un profesorner
à chacune de ces deux langues , et que la chaire de langue turque sera
substituée à celle de grec vulgaire qui demeure supprimée .
4
L'enseignement du collège de France comprend quatre branches de
connoissances :
1°. Les sciences mathématiques , divisées en trois chaires ; l'astronomie ,
les mathématiques pures , et l'application des mathématiques à la physique
; 2°. les sciences naturelles ou d'observation , divisées en cinq chaires ;
savoir : physique exprimentale , médecine , anatomie , chimie et histoire
naturelle ; 3 ° . les sciences du droit des gens de l'histoire , formant
deux cours ; 4°. les langues anciennes et vivantes , comprenant neuf
chaires .
Il y a dix-neuf professeurs , et les classes sont suivies par plus de
quinze cents personnes , dont le plus grand nombre se destine à professer
elles-mêmes. Le collège de France est donc une véritable école normale
dont la réputation s'est toujours soutenue par le grand mérite des professeurs
.
←
Cet établissement coûte 123 à 130 mille fr .
Ecole Polytechnique Tous les ingénieurs qui se destinent aux
différens services publics , doivent appliquer également dans leurs travaux
les sciences mathématiques , les sci ences naturelles , les arts graphiques ,
et recevoir dans une même école cette instruction première et fondamentale
; tel est l'objet de l'Ecole polytechnique. Le conseil de perfectionnement
a, depuis l'an 8 , annoncé d'abord , puis inséré dans le programme
d'admission, plusieurs considérations simples et faciles , et les candidats
ont été astreints successivement à prouver, qu'outre les élémens de mathématiques
et de statistique , ils ont une écriture lisible ; qu'il possèdent les
principes de leur langue et ceux du dessin d'imitation . Le programme de
1806 annonce qu'à compter de 1807 , les candidats seront tenus de posséder
assez de latin pour expliquer les Offices de Cicéron , et que cette anné
même, à mérite égal , les candidats qui posséderont le latin auront la préférence
.
L'École polytechnique a fourni cette année quatre- vingt-quatre élèves
Q ૧
619 MERCURE
DE FRANCE
,
7
auxdifférens corps d'ingénieurs. Ces élèves , et ceux qui sont morts dans
le cours de l'année , qui ont donné leur démission , ou se sont retirés à la
suíte des examens , ont été remplacés par cent vingt- cinq élèves , choisis
par le jury d'admission , sur la liste des examinateurs. L'Ecole, au commencement
de cette année classique , renferme trois cent dix-neuf élèves.
Ecoles de Droit- Les écoles de droit, instituées au nombre de
douze par la loi du 22 ventôse an 12, doivent être établies , d'après le décret
du 4º jour complémentaire même année , à Paris , Dijon , Turin , Grenoble
, Aix , Toulouse , Poitiers , Rennes , Caen , Bruxelles , Coblentz et
Strasbourg.
Sa Majesté a successivement nommé aux écoles de Paris , de Toulouse
, de Turin , d'Aix , de Grenoble , de Caen , de Rennes , de Dijon et
de Bruxelles .
Les nominations pour les écoles de Coblentz et de Strasbourg sont
prêtes à être soumises au choix de S. M .; il n'y aura plus que celle
de Poitiers : mais les considérations qui ont retardé l'organisation de cette
école vont disparoître ; et avant trois mois , toutes les écoles de droit
seront pourvues de leurs professeurs , de leurs suppléans , de leur
secrétaire , de leur directeur et de leur conseil de discipline et d'enseignement.
L'école de Paris a fait , en brumaire dernier , l'ouverture de ses cours ,
et on ne peut qu'applaudir au concours des élèves , à leurs efforts actifs ,
à leur instruction même , qui semble n'avoir pas souffert de l'interruption
de cet enseignement . '
L'école de Turin a repris ses cours . On s'occupe à mettre en accord la
loi sur les écoles de droit , avec le décret qui comprend cette école dans
l'Université de cette ville.
les
premiers
la
L'école de Toulouse a aussi fait l'ouverture de ses cours ;
renseignemens n'offrent que des motifs de satisfaction .
Les écoles de Grenoble et d'Aix vont également s'ouvrir .
Conservatoire de Musique. - Cet établissement a eté formé
loi du 16 thermidor an 3 ,, pour enseigner gratuitement l'art de la musique
à six cents élèves des deux sexes , choisis proportionnellement dans tous
les départemens .
par
Par cette même loi , les professeurs étoient au nombre de cent quinze ;
ce qui portoit les dépenses de l'établissement à 240.000 fr . par année.
Le ministre ayant réduit , à compter du 1er vendémiaire an 11 , la dépense
à 100,000 fr , le nombre des professeurs a été nécessairement
diminué. Le conservatoire se trouvé aujourd'hui composé d'un directeur
MARS 1896. 6th
de trois inspecteurs de l'enseignement , d'un sécrétaire , d'un bibliothé
caire , de trente-cinq professeurs , et de quelques employés.
Il a été ajouté depuis la dernière réforme 6,000 fr . pour subvenir à un
supplément de traitement accordé à M. Garat , et au traitement de trois
répétiteurs à 700 fr. chacun ; ce qui porte la dépense totale à 106,000 fr.
Quoique le Conservatoire de musique ait subi , comme on le voit ; des
réformes considérables , il n'a pas cessé un instant de répondre aux vues
libérales du gouvernement .
S. M. l'Emperent a daigné choisir parmi les professeurs , le premier
violon de sa chapelle , M. Kreutzer ; et telle est maintenant en Europe la
réputation de l'école française , que deux autres professeurs du Conservatoire
, MM. Boyeldieu ´et Rode , âgés de vingt huit ans au plus , sont
aujourd'hui , l'un maître de chapelle , l'autre premier violon de l'empereur
de Russie, Mademoiselle Philis, qui est en ce moment première cantatrice
du théâtre de la cour à Saint- Pétersbourg , devoit tout son talent au Conservatoire
, et particulièrement à M. Garat , professeur . {
On sait que plusieurs élèves ont essayé leurs talens sur le théâtre de
l'Académie impériale de musique , et que , malgré l'opposition de quelques
partiséns des anciennes méthodes , ils ont ont obtenu du succès. De
ce nombre sont Mad. Brauchu ; Miles Pelet et Hymn ; MM. Roland ,
Bonnet , Derivis , Eloi , Nourrit et Despéramons . Le Conservatoire fournit
d'ailleurs des chanteurs du second ordre à tous les théâtres des dépar–
temens , et des instrumens à vent à presgue tous les corps militaires . On
sait que la musique instrumentale a été portée , en France , à un degré de
supériorité que les virtuoses étrangers ne peuvent atteindre .
Au rapport publié en entier par le Moniteur , étoit joint un rapport
particulier de M. le conseiller d'état Lacuée , sur l'école polytechnique.
Nous allons faire pour ce rapport ce que nous avons fait pour le précédent :
« Sire , dit M. Lacuée , je vais , en exécution des ordres de votre
masté , mettre sous ses yeux tous les détails relatifs à l'école polytechnique
, qu'elle a desiré connoître. Cette école est aujourd'hui composéer
de trois cents élèves .........
» L'instruction militaire a été un peu retardée , parce que nous n'avons
pu nous procurer d'instructeurs ; mais , avant un mois , les élèves pourront
, si votre niajesté daigne leur accorder cette faveur , se présenter à la
parade .
» La discipline militaire est bien établie , et déjà les sous - officiers
commencent à prendre du nerf......
Sous le rapport des études , votre majesté aura lieu d'être satisfaite :
Q q 2
612 MERCURE DE FRANCE ,
les arts physiques et graphiques ont pris un très grand accroissement , et
les sciences mathématiques n'ont rien perdu.
Votre majesté peut être certaine que, d'après le régime actuel , la
masse des élèves sera plus instruite qu'elle ne l'a jamais été . Peutêtre
, il faut en convenir , deux ou trois jeunes gens , chaque année ,
ne s'éléveront pas , pendant leur séjour à l'école , aussi haut qu'ils
l'auroient fait jadis ; mais bientôt ils reprendront leur essor , et , ję
le répète , la masse. sera bien plus propre que jamais à bien servir
votre majesté.............
>> L'esprit des élèves est excellent ; ils sont dévoués de coeur à votre
majesté et à son auguste famille. Votre majesté n'a pu en juger encore
que par l'adresse qu'ils lui ont présentée : moi , j'en juge chaque jour
par leur admiration pour le gouvernement de votre majesté , par leur
enthousiasme au récit des événemens de la dernière campagne , par leurs
discours et leurs actions.
>> Leur conduite est très-bonne ; non qu'il n'y ait des étourderies , des
légéretés ; mais il est impossible que , parmi trois cent jeunes gens de
vingt ans , il ne s'en trouve pas toujours quelqu'un dont les passions
soient très - ardentes . Une discipline paternelle , mais sévère , nous en a
fait ou nous en fera raison .
» Environ cent vingt élèves doivent sortir chaque année de l'école
polytechnique complétement instruits. 2 1
›› Sur ce nombre , les services publics qu'elle alimente doivent en consommer
annuellement de soixante - dix à quatre-vingt en temps de paix ,
de soixante- dix à quatre- vingt en temps de guerre.
» Il restera donc pour l'armée ou pour l'instruction publique les manufactures
, les arts , de trente à quarante élèves chaque année. Ce résidu
est bien peu considérable en raison de nos besoins. Tous les jeunes gens
qui ont complété leur instruction à l'école , sont tous avantageusement
placés, et tous se font distinguer par leurs talens et leur conduite . Tous ne
Sat pas des Bertrand , des Malus , des Poisson , des Biot ; mais tous font
honneur à cet établissement.
4
+
» Sur seize cent soixante-quatre élèves qui ont été admis à l'école , trois
cent seize y sont encore ; mille environ remplissent des fonctions publiques
: le reste est disséminé dans l'Empire.
» Il seroit aisé , si on le vouloit , de multiplier les débouchés pour l'
cole. Le ministre des finances pourroit y puiser beaucoup de ses ingé
nieurs pour le cadastre ; les ports de mer, des constructeurs de bâtimens de
commerce ; les poudres , leurs commissaires ; les forêts , leurs arpenteurs;
MARS 1806 . 613
la marine , de bons aspirans
; l'état- major de l'armée
et les corps militaires
, des officiers
très- instruits
et très- disciplinés
.
» Nous avons quitté le palais Bourbon avec regret ; mais nous nous
applaudissons aujourd'hui d'être à Navarre. L'établissement est beau ,
très-beau. Lorsqu'il sera achevé , il sera digne de son créateur et de son
objet. »
Après avoir entré dans tous les détails relatifs à l'administration
aux dépenses , à la situation financière , à la comptabilité , M. Lacuée
termine ainsi :
« Telle est , sire , la situation de l'école polytechnique ; je crois que
nous sommes dans la bonne voie ; j'espère que nous y ferons de grands
pas. Heureux si je puis parvenir à rendre ces jeunes gens si intéressans
dignes de ce que votre majesté fait pour eux ! Oui , sire , si par mes
soins je puis contribuer à donner chaque année à votre majesté cent
cinquante sujets , dignes par leurs talens et leurs principes d'entrer
dans les services publics , si je puis deur donner cette force de corps ,
cette fermeté de caractère , cette docilité d'esprit et cette austère probité
qui sont plus nécessaires encore dans l'exercice des fonctions publiques
que dans le reste de la société , je croirai avoir répondu à la confiance
dont votre majesté m'a honoré , et j'ose vous affiriner , sire , que c'est le
premier et le plus ardent de mes voeux. »
―
Mercredi dernier, la classe de la langue et de la littérature
française de l'Institut, a nommé , à la place vacante par
la mort de M. Collin - d'Harleville , M. Daru , conseillerd'état
, intendant de la liste civile , auteur d'une traduction
complète des OEuvres d'Horace , en vers français. MM . Carion
de Nisas , Champagny, Mathieu Dumas , Saint-Ange , Desfaucherets,
Noël , Guillard , de Traci , étoient sur les rangs . Au dernier
scrutin , M. de Traci , déjà membre de la classe d'histoire ,
est resté avec M. Daru . Sur trente membre présens , M. de
Traci a obtenu neuf voix , et M. Daru vingt et une. Dans la
même séance , le bureau a été renouvelé. M. Villars a été
nommé président , et M. Radner vice-président .
-L'Opéra a repris, cette semaine , Echo et Narcisse , musique
de Gluck , paroles du baron de Tchoudy , représenté ,
pour la première fois , le 24 août 1779. Cet ouvrage n'eut
dans la nouveauté aucun succès , et il étoit facile de prévoir
qu'il ne seroit pas plus heureux aujourd'hui. Le poëme est
froid et ennuyeux ; il avoit d'abord trois actes, on l'a réduit
en deux, sans pouvoir lui donner le moindre intérêt.
Gluck dont le principal mérite consiste dans une connoissance
approfondie du drame lyrique , s'est entièrement mé-
3.
614 MERCURE DE FRANCE ,
氟
pris sur le caractère de la musique convenable à un opéra
fondé sur une des plus ingénieuses fictions de la mythologie.
Le récitatif et les airs d'Echo et Narcisse ne paroîtroient pas
déplacés dans Alceste , ou dans Iphigénie en Tauride,
M. de La Harpe a dit en parlant des premières représentations
de cet opéra « La chute de Narcisse , très - misérable
» production , paroles et musique , à fait voir que Gluck ne
» pouvoir réussir sans être soutenu par l'intérêt des grandes
» situations , dont le mérite est indépendant du lieu ; et lors-
» qu'il est abandonné à lui -même et aux ressources de son
» art , la pauvreté ordinaire de son talent devient sensible
» et manifeste. L'arrêt est sévère , sur tout durement exprimé
, mais il est juste ; et cependant il ne sera point ratifié
dans un pays où la musique n'a jamais été , même à
l'Opéra , qu'un accessoire. Quoi qu'il en soit , la douce mélodie
de l'hymne qui termine Echo et Narcisse :
-
Le Dieu de Paphos et de Ghide , etc."
reveille les spectateurs assoupis par la monotonie du récitatif
et des airs qui remplissent les deux actes de cet ennuyeux
opéra , que tous les effort et le grand talent de Lays né soutiendront
, point. Il est à la vérité très-foiblement secondé
par Nourrit et sur-tout par Mad. Ferrière,
-La représentation , au bénéfice de Mad. Saint-Aubi u
eu lieu mercredi dernier sur le même théâtre. On a donné
les Templiers , Ma Tante Aurore et une divertissement
exécuté par les premiers danseurs de l'Opéra , et dans le-,
quel madame Duret Saint-Aubin a chanté, La salle n'étoit,
pas entièrement pleine ; et en général , l'effet de ces différens
ouvrages n'a pas répondu à l'attente du public : peut-être eûton
pu mieux choisir. Madame Saint-Aubin a été vivement
demandée par le public , qui lui a prodigué les plus vifs applaudissemens
, Avant qu'elle parut , et au milieu du divertis
sement , Martin avoit chanté les couplets suivans , que nous
donnons pour ce qu'ils valent ; ils sont de M. Chazet.
Saint- Aubin, la Grace et le Goût
Sont venus pour voir leur actrice ;
Ils savoient qu'aujourd'hui sur- tout
On joueroit à leur bénéfice .
La foule accourt de toutes parts ,
Et s'acquittant par sa présence ,
Fait pour toi du Temple des Arts
.: Celui de la Reconnoissance .
Pour te célébrer , en ces lieux
On voit Melpomène et Thalie
I
}
MARS 1806 . 615
Unir à leurs aimables jeux
Et Therpsycore et Polymnie.
Si dans ces hommages flatteurs
Le sentiment éclate et brille ,
Pouvoit- on moins faire entre soeurs ?
Et n'es-tu pas de la famille?
Dans chaque rôle on t'applaudit ;
Virginie est tendre et décente ,
Georgette plaît par son esprit ;
Aline est naïve et piquante :
Le public est fou de Nina ,
Lisbeth n'eut jamais de rivale ;
Enfin dans Adolphe et Clara
Les prisonniers sont dans la salle.
Que l'hommage offert au talent
Pour quelque temps encor t'enchaîne ;
Le pubic en te couronnant
Te défend de quitter la scène.
Poursuis le cours de tes succès ,
Un adieu troubleroit la fête ;
Un jour de victoire jamais
Ne doit être un jour de retraite .
Antiochus Epiphanes , annoncé depuis si long-temps , a
enfin , et encore beaucoup trop tôt pour l'auteur, été représenté
à la fin de la semaine dernière. Le cinquième acte n'a
point été achevé. Que dire d'une tragédie sans plan , sans
caractère , sans style ; d'une tragédie dans laquelle il y a cinq
reconnoissances , et pas un vers que l'on puisse citer ? Sans
doute les auteurs se font d'étranges illusions ; sans doute les
comédiens ont en général le goût très-peu sûr. Avec tout cela , on
peut à peine concevoir comment l'auteur d'Antiochus a´osé
présenter une pareille rapsodie , et comment les comédiens.
ont pu se résoudre à l'apprendre et à l'offrir au public , sur
un théâtre honoré par tant de chefs- d'oeuvre.
Les représentations de Richard Coeur-de- Lion continuent
à être très-suivies , quoique le rôle de Blondel ne soit plus
joué par Elleviou , qui est très - malade. Samedi dernier , à
peine le dernier couplet de cet opéra etoit-il chanté , que le
public a demandé M. Grétry par d'unanimes acclamations.
Madame Saint- Aubin a amené ce grand compositeur sur la
scène , qu'il a enrichi e de tant d'ouvrages charmans , et lui a
offert , au nom des spectateurs, une couronne , rarement aussi
bien méritée.
Monsieur ,
AU RÉDACTEUR.
Le silence de nos journaux sur le succès prodigieux que
Chérubini vient d'obtenir à Vienne dans l'opéra qu'il a été
4
616 MERCURE DE FRANCE ,
y composer d'après l'invitation de la cour , me fait présumer
que les gazettes allemandes qui parlent avec admiration
de ce nouvel ouvrage , ne sont point connues en
France. Comme la véritable récompense des grands artistes
est dans leur célébrité , je vous prie , Monsieur , de vouloir
bien annoncer dans une de vos feuilles , l'enthousiasme
qu'à excité la musique de Chérubini dans la patrie des Haydn
et des Mozart ; il est tel , que la cour et la ville l'ont proclamé
le premier compositeur de l'Europe. Je partage cette
opinion , et je me fais gloire de la manifester.
J'ai l'honneur de vous saluer , MÉHUL.
Note du Rédacteur. Il est plus facile d'exciter l'enthousiasme
dans la patrie des Haydn et des Mozart que dans celle
des Paësiello et des Cimarosa . Il est à craindre que le succes
de M Cherubini à Vienne n'achève d'en faire un transfuge de
l'école italienne , dans laquelle il est né, d'autant plus qu'il a
toujours eu du penchant pour le germanisme. Nous desirons
vivement que PFurope sanctionne la pr clamation de la cour
et de la ville de Vienne. Le retour prochain de M. Cherubini ,
ne tardera pas à nous faire savoir ce que nous devons en penser.
Quoi qu'il en puisse être , l'opinion manifestée par M. Méhul
honore d'autant plus cet habile compositeur, qu'il a lui-même
de justes prétentions au rang décerné à son ami par les
Allemands .
-
1
M. Brieude fils ( non M. de Brienne
"
,
comme on l'a
imprimé par erreur dans quelques journaux ) vient de remporter
le prix proposé par la société des sciences et arts de
Rennes , et dont le sujet est l'éloge de Duclos . Cet éloge paroîtra
d'ici à peu de jours , chez Colnet , éditeur des
OEuvres completes de cet écrivain. Le prix est de 300 fr.
M. Denonal , employé au ministère du grand-juge , a obtenu un accessit.
-
7
-M. Hults , astronome prussien , demeurant à Francfortsur-
l'Oder , pense que le soleil éprouvé dans ce moment une
très-grande révolution physique ; il fonde son opinion sur un
groupe de taches qu'il vient d'y découvrir , ce qui occupe ,
sclon lui , un quinzième de son diamètre dans leur longueur ,
et un dix-neuvième dans leur largeur. Ces taches prennent
différentes formes , et éprouvent dans l'espace de 2 et de 3
heures des changemens visibles,
On vient de publier à Madrid un ouvrage qui ne
peut qu'être fort intéressant par les recherches savantes
qu'il a exigées c'est un plan de la ville et des environs
de Jérusalem , tels qu'ils étoient au temps de Jésus-
Christ. On y voit retracés les lieux , les édifices dont parle
l'Ecriture ; les murs , les portes, les rues de cette ville fameuse,
MARS 1806 . 6.17
et la route de Jérusalem au Calvaire. A la suite de cet ouvrage,
dont tous les détails sont appuyés sur des citations , on a imprimé
le voyage d'un Espagnol qui rend compte de la situation
actuelle de la Terre-Sainte.
2
MODES du 25 mars .
Les perles sont en si grande faveur , qu'on les préfère même aux dia-
De
torsades de perles fines ornoient les plus belles coiffures mans. grosses en cheveux , à la reprise de Richard Coeur-de- Lion , au Théâtre Fey- deau. Ces perles , combinées avec des nates , formoient , en général , bour- relet sur le devant de la coiffure , et reparoissoient tant soit peu par der- rière dans le chou de nattes . Au même usage sout employées par nombre de coiffeurs , des torsades d'argent , moitié brillant , moitié mat. Les pei- gnes sont rares , les fleurs même ne se montrent pas aussi souvent que de coutume sur les coiffures en cheveux. En revanche , plusieurs toques ont une touffe de fleurs , bien serrée , bien épaisse , qui en cache tout le de- vant. Cette touffe est faite de jacinthes doubles , ou d'un mélange de jacinthes simples et de violettes . Au spectacle, on voit quelquefois du jais blanc sur des toques blanches , et, le matin , du jais noir sur des toques noires . En négligé , nombre de femmes riches mettent une glaneuse de päille jaune très -fine , avec un fond de taffetas.
Samedi le bois de Boulogne , que nous avons dit être le seul endroit où les femmes à voiture voulussent se montrer à pied , offroit une très- belle réunion de femmes en demi- toilette . Là , on a pu remarquer que les ca- nezous de mousseline claire , garnis, d'un tulle festonné , n'avoient point de bouts de manches , et étoient tous noués par- derrière , à l'enfant. Les capotes de perkale , rayées sur le bord en grosses cordes de coton avoient toutes la passe coupée en équerre au niveau des oreilles ; elle's
étoient plus profondes d'un tiers que les capotes de l'été dernier .
A mesure que les fichus de cygne disparoissent , et tandis qu'il y a peu de collerettes , on s'aperçoit que le nombre des femmes tondues sur la
nuque, est très- considérable. Les chapeaux de paille jaune , à passe im- mense par-devant et sur les côtés, coupés quarrément derrière les oreilles , et sans bord sur la nuque , sont la coiffure de prédilection des femmes de
comptoir et des modistes endimanchées. Il faut , sur ces chapeaux , que le raban , après la rosette formée de côté , ait des bouts assez longs pour que l'effilé , dépassant le bord , vienne flotter au- devant des yeux. Dimanche , on auroit pu compter cinquante de ces chapeaux dans la grande allée des Tuileries. Parées de leur mieux , assises ou se promenant , il y avoit là cinq à six cents femmes qui rivalisoient de toilette ou de tournure . Le
blane mat , le rose pâle , le lilas et le lapis ont à-peu -près une égale vogue. Le vert-naissant et le jaune-d'or ne sont employés que comme accessoires. Souvent l'on voit blanc sur blanc , soie et paille , satin et velours . Les
le font
élégantes qui portent un demi-voile sur le devant dẹ leur capote , coudre en dessous , près du bord , mais non pas précisément sur le bord. It dans les étoffes à petites raies , pour culottes de printemps , une y a très-grande variété de nuances. Dans la maison Ybert , place du palais du
serin-nais-
Tribunat , se trouvent noisette , vigogne , vert- américain ,
blanc
sant , tourterelle , tourtereau , gris-perle , vert-d'eau , chamois , de lait , couleur de peau , fève de marais , café au lait. Ces étoffes n'ont
qu'un défaut , celui d'être fort chères .
618 MERCURE DE FRANCE ;
เ
NOUVELLES POLITIQUES.
Constantinople , 18 février.
la Voici la traduction de l'ordre donné le 6 de ce mois par
Sublime-Porte sur le protocole à suivre envers la cour de
France :
« La volonté suprême de Sa Hautesse étant que les articles
>> des capitulations impériales , qui unissent la Sublime-Porte,
» dont la durée est éternelle , à la cour de France , soient
>> constamment mis à exécution , quoique jusqu'a ce jour
>>> cette puissance n'ait été désignée que sous la simple quali-
>> fication de cour de France , il devient désormais indispen-
» sable d'insérer dans les barats ( ou diplomes ) , et dans les
>>>>commandemens impériaux les titres d'imperator et de
» padischah de France. Il est donc expressément enjoint que
» les barats et commandemens impériaux qui seront expédiés
» à l'avenir portent les susdits titres et qualifications d'im-
» perator et de padischah de France. »
A
La déclaration par laquelle la Porte reconnoît Napoléon I",
Empereur et Roi , a été envoyée par un courrier à Haleb-
Effendi , à Paris. Ce dernier , qui depuis un certain temps
vivoit comme simple particulier dans cette capitale , a reçu
en même temps l'ordre de déployer de nouveau le caractère
d'ambassadeur de la Porte près la cour de France.
1 M. d'Italinski , ambassadeur de Russie , a remis au ministère
turc une protestation au sujet de cette reconnoissance
en alléguant qu'elle étoit contraire au traité d'alliance qui
venoit d'être renouvelé entre la Russie et la Porte. Il a aussi
envoyé un courrier à sa cour pour l'instruire de cet événe
ment. Le ministre d'Angleterre a expédié également un
courrier à Londres.
Milan , 14 mars.
S. M. l'EMPEREUR et Roi vient de donner l'ordre que
les troupes qui sont dans le royaume d'Italie , soient mises
sur le pied de paix. (Moniteur. )
. Vienne , 15 mars.
On annonce que le prince d'Auersperg , ci-devant capitaine
de la garde , a été condamné à mort a l'unanimité , par le
tribunal chargé de le juger ; que d'après l'intercession de
S. M. l'empereur de Russie , notre monarque a daigné commuer
la peine ; qu'en conséquence , le prince d'Auersperg
perdra toutes ses charges et dignités , et sera exilé pour 20
ans dans une de ses terres. Il devra en outre payer une amende
de 300,000 florins qui seront versés dans la caisse des pauvres.
MARS 1806. 619
.
PARIS.
Au 1 avril , les troupes françaises seront mises sur le
pied de paix. Les trois camps volans qui avoient été formés a
Alexandrie , Rennes et Poitiers , ont été dissous ; et les gardes
nationales qui avoient été mises en réquisition , sont rentrées
chez elles depuis deux mois. Les corps de réserve que com
mandoient les maréchaux et sénateurs Kellermann et Lefebvre,
ont été dissous. L'EMPEREUR a fait témoigner sa satisfaction à
ces deux maréchaux pour le zèle qu'ils ont mis dans l'exercice
de leurs fonctions . Ainsi toutes nos armées prennent leur
organisation de leur état de paix. On croit qu'avant la fin
d'avril , la très-grande majorité des armées aura repassé le
Bhin. (Moniteur.)
On croit généralement à Milan , qu'après les fêtes du
mois de mai , LL. MM. II . et RR. iront visiter leur royaume
d'Italie et les nouvelles provinces qui viennent d'y être incorporées.
-
Par décret du 21 mars , S. M. a nommé pour compléter
le Chapitre impérial de Saint-Denis , qui doit être composé
de dix évêques âgés de plus de 60 ans , MM. de Juigné , ancien
archevêque de Paris ; Rollet , ci -devant évêque de Montpellier ;
Lubersac , ancien évêque de Chartres ; et Ruffo , ancien
cien évêque de Saint-Flour.
Le journal officiel publie en outre les nominations suivantes
, dont quelques- unes ont déjà été indiquées dans notre
feuille :
2 .
--
M. le sénateur Beauharnais est nommé à la sénatorèrie
d'Amiens vacante par le décès du sénateur Tronchet.
M. Maret , préfet du département du Loiret , est nommé
conseiller d'état , section de l'intérieur, M. Pieyre , préfet
de Lot et Garonne est nommé préfet du Loiret , en remplacement
de M. Maret. M. Savoye-Rollin , préfet de
l'Eure , est nommé à la préfecture de la Seine- Inférieure , en
remplacement de M. Beugnot , appelé au conseil d'état.
M. Alexandre-François Bruneteau- Sainte- Suzanne est nommé
préfet de l'Ardèche , en remplacement de M. Robert , passé à
la préfecture de Marengo. *
-
-
M. Sturz , membre du corps législatif , est nommé souspréfet
de l'arrondissement des Deux-Ponts.
-M. Hermann , premier secrétaire de légation à Madrid ,
est nommé commissaire-général des relations commerciales à
Lisbonne , en remplacement de M. Serrurier , démissionnaire.
M. Raymond , secrétaire de légation à Stuttgard , est
nommé chargé d'affaires de France près la république Raguse,
630 MERCURE DE FRANCE ,
M.Fourcroy est nommé commissaire des relations commerciales
à la Corogne , à la place vacante par la retraite de
M. Aillaud.
-M. Taillepied de Bondi est nommé receveur-général du
département de Maine et Loire ; et M. Tellier , receveurgénéral
du département de la la Loire.
-
Un décret du 21 mars nomme membres de la Légiond'Honneur
110 militaires de tout grade .
Un autre décret du même jour porte que le chocolat
paiera , à l'entrée de l'Empire , un droit de 260 fr. par quintal
décimal.
Le ministre de la marine et des colonies est parti avanthier
matin de Paris. On croit que S. Exc. va visiter les côtes
de la Manche.
G
Par un sénatus-consulte du 21 de ce mois , rendu sur la
proposition des orateurs du conseil d'état et sur le rapport d'une
commission spéciale du sénat , la caisse d'amortissement est
autorisée à acquérir du sénat les domaines qui ont été affectés
à sa dotation dans les départemens de la Doire , de Marengo
de la Sésia , de la Stura , et dans le territoire qui composoit 1 ,
département du Tanaro. Elle en acquittera le prix par une
concession de rentes en cinq pour cent , et aux conditions suivantes
: La caisse d'amortissement cédera au sénat une rente de
555,000 f. en cinq pour cent constitués , et recevra , en échange ,
tous les biens du sénat dans les départemens ci-dessus désignés.
La jouissance des rentes à cinq pour cent , qui seront cédées au
sénat par la caisse d'amortissement , aura lieu à compter du
1er janvier 1806. Réciproquement , la caisse d'amortissement
recouvrera , pour son compte, sur les domaines qui lui seront
cédés par le sénat , tous les produits dont l'échéance sera postérieure
au 1 janvier dernier. Le traité qui sera fait entre le
chancelier du sénat et le directeur de la caisse d'amortissement,
en exécution des articles ci-dessus , subrogera la caisse d'amortissement
à la propriété , possession et disponibilité des domaines
ci-dessus mentionnés en l'art . II. Les rentes qui seront
transférées au sénat , par la caisse d'amortissement , seront déclarées
inaliénables.
Un autre sénatus- consulte du même mois , porte que ,
l'EMPEREUR , sur la demande d'un sénateur titulaire d'une
senatorerie , pourra le faire passer à une autre senatorerie
dont le titulaire sera décédé. Lá sénatorerie devenue vacante
par la translation , sera conférée dans les formes prescrites
par les constitutions de l'Empire.
-
M. le maréchal d'Empire Jourdan est parti le 27 pour
Naples ; on dit qu'il estnommé gouverneur de cette capitale.
TABLE
3 45
Du troisième trimestre de la sixième année
du MERCURE DE FRANCE.
TOME VINGT - TROISIÈME.
LITTERATURE.
POÉSIE.
Le Cordonnier devenu Médecin , fable imitée de E
Phèdre ,
&
Le Tombeau d'Emilie ( Elégie ) ,
L'Antique ( Conte ) ,
Page
Traduction de la fin du VI Livre de l'Enéide , par
Hyacinthe Gaston ,
Mes Souvenirs ,
Etrennes d'une Mère à son Fils , ou très-humbles Remontrances
d'une antique Commode au jeune Williams ,
Dialogue entre M. d'Eau-Bonne , médecin par routine ,
et M. Bourru , goutteux de profession ,
L'Eglogue désenchantée ,
Sur la nouvelle d'un Accouchement,
Discours en vers sur l'Indépendance de l'Homme de
lettres ,
Autre, idem,
Le Coin du feu ,
Les Lectures d'Automne ,
Triolet ,
L'Homme affairé ,
Epître à M. de Boufflers ,
49
5L
53
55
57
Id.
107
110
115
145
153
Ads
195
622 TABLE DES MATIERES.
Stances à la Mélancolie ,
Le Troupeau ( Fable ) ,
1
Page 195
241
247 , 433 , 481
289
Fragmens du poëme de l'Imagination ; par M. Délille ,
La Messe de Minuit ,
Imitation d'Horace : O Matre pulcráfilia pulcrior, etc. , 294
Rondeau , 295
Bataille d'Hastings , ou l'Angleterre conquise . ( Fragment
337
du II Chant),
Monologue d'Ajax . ( Fragment imité de Sophocle ) ,
339
A Laure , qui m'avoit dit en plaisantant qu'elle me rendroit
athée ,
340
Questions à un Paysan que je n'ai pas vu depuis quinze
385
*
ans ,
Dialogue d'Horace et de Ly die , 389
Epître à M. de Brancas , sur les Bouffons de société , 454
! 482
Ode sur la Vieillesse ,
529
L'Indulgence , poëme ,
552
Ode à la Danse ,
577
Niobé ,
579
Ode par M. Touzet ,
Extraits et comptes rendus d'Ouvrages.
Lettres de mademoiselle de Montpensier , des mesdames de
Motteville et de Montmorency , de mademoiselle Dupré
et de madame la marquise de Lambert ,
Lettres de madame de Montier , recueillies par madame
le Prince de Beaumont ,
Réflexions de Machiavel sur la première Décadé de
Tite-Live ,
Eloge de M. Séguier , premier avocat général du roi au
Parlement de Paris , et l'un des quarante de l'Aca
démie française ; par S. Exc. M. Portalis , Ministre des
Cultes,
21
59
69
117, 155
TABLE DES MATIERES. 623
Discours en vers sur l'Indépendance de l'Homme de
lettres , pièces dont l'une a obtenu le prix de poésie ,
et l'autre le premier accessit , au jugement de l'Institut
National ; par Charles Millevoye , Page 211
Astronomie des Dames , par Jérôme de Lalande ,
Histoire naturelle et mythologique de l'Ibis; par Jules-
César Savigny ,
Mémoires du comte de Bonneval , avec des Notes ; par
M. Guyot-Desherbiers , ex -législateur ,
Le Grammairien fabuliste, ou Principes de Grammaire
française , mis à la portée du premier âge , et confirmés
par des Fables aussi instructives qu'amusantes ;
par F. Sauger -Préneuf,
Essai sur le Nivellement ,
221
297
305
351
358
Théâtre et Poésies fugitives de M. Collin-d'Harleville , 3gi
La Petite Maison Rustique , ou Cours théorique et pratique
d'Agriculture , d'Economie rurale et domestique
,
Mémoires de Louis XIV ,
ཝེནྟི
401
437
OEuvres posthumes de Marmontel , 450
La Navigation , poëme ; par J. Esménard , seconde édi- *
tion ,
485
Mémoires secrets sur le Règne de Louis XIV , la Régence
et le Règne de Louis XV ; par M. Duclos , 494
Voyage en Chine , formant le complément du Voyage
de lord Macartney ; par John Barrow ,
557
Epître à M. de Voltaire , par M. de Chénier , 543
Les Quatre Saisons du Parnasse ,
552
Mes Passe-Temps , chansons suivies de l'Art de la Danse ,
poëme en quatre Chants , etc. ,
554
Chansons choisies de M. de Piis ,
557
Sur les Eloges historiques de MM. Séguier et de
Malesherbes ,
581
2.
Le Suicide , ou Charles et Cécilia ; par madame Fleury , 595
624 TABLE DES MATIERES.
VARIË - TÉ S.
De la Politique et de la Morale ,
Prospectus du MERCURE DE FRANCE pour l'année
1806 ,
Voyage au Mont-Blanc , et Réflexions sur les Paysages de
Montagnes ,
Sur les Juifs ,
Réflexions sur le poëme inédit , intitulé Bataille d'Hastings
, ou l'Angleterre conquise ; par M. D....n ,
Réflexions sur l'Esprit et le Génie ,
Page 7
98
97
249
268
343
Le premier Médecin de la Grande-Armée au Rédacteur
du Mercure de France , 411
La Fille hermite , anecdote américaine véritable , 508
C
Pompéia,
501
Des Détails géographiques en vers ,
600
LITTÉRATURE , SCIENCES , ARTS , SPECTACLES,
Pages , 33 , 77 , 126 , 174 , 230 , 278, 314 , 360 ,
416, 458 , 510 , 558
NOUVELLES POLITIQUES , 59 , 87 , 152 , 186 , 235 ,
226 , 327 , 373 , 468 , 516 , 568 , 618
PARIS, 41 , 94, 134 , 188 , 259 , 228 , 334 , 375 , 424 ,
CORPS LEGISLATIF ,
469 , 521 , 575 , 619
474, 524, 576.
Fin LA TAZLE DES MATIÈRES.
Qualité de la reconnaissance optique de caractères